Ce poème a été entrepris en même temps que « Palme » à la fin du mois de mars 1917 et Valéry dira dans une causerie de 1941 : « Alors, ayant achevé ma Jeune Parque, il m’est arrivé quelques semaines après, d’écrire en très peu de temps, très rapidement, Aurore et Palme, et j’ai eu l’impression moi-même qu’ayant fait de l’escrime avec une barre de plomb, j’en faisais avec un fleuret1. » Le premier état s’est intitulé « Le jardin spirituel », puis « Au jardin spirituel2 ». Le 29 mars 1917, Valéry adresse à Louÿs sept dizains du poème qui seront ensuite remaniés (strophes 1 à 3 et 6 à 9) et, le 27 mai, lui envoie les futures strophes 4 et 5. Néanmoins, « Palme » se sépare très vite d’« Aurore », et lorsque Valéry fait parvenir à Francis de Miomandre, le 25 juin, les strophes 1 à 7 ainsi que la neuvième, il lui confie : « L’Odelette ci-jointe essaye de chanter le petit tour du propriétaire dans un cerveau matinal3. » Le poème est remanié en septembre et paraît dans le Mercure de France du 16 octobre 1917. Dans l’esprit de son auteur, pourtant, les deux poèmes sont encore restés joints puisque, le 27 septembre, il écrit à Miomandre qu’il va faire paraître « la première partie de l’Ode que vous savez4 ». Dédié à Paul Poujaud, « Aurore » reparaît dans les Odes en 1920 avec « La pythie » et « Palme ». Valéry modifie alors l’ordre des strophes et, juste avant la dernière, ajoute ces vers dont il n’aime pas la chute et qui disparaîtront dans Charmes :
Immobile, tête fée,
Ta substance de cristal,
Matière même d’Orphée,
Rayonne le jour total.
Dans la vibrante demeure
Il n’est de souffle qui meure
Sans avoir semé l’amour.
Je suis cette créature
Dont la fatale nature
Est de créer à son tour.
Le poème est retravaillé une dernière fois en février-mars 1922 en vue de la publication du recueil et l’ordre des strophes est modifié. Dans les Odes, il était le suivant : I, « La confusion morose ; II, « Salut ! encore endormies » ; III, « Voici mes vignes » ; IV, « Je ne crains pas », V, « Quelle aurore » ; VI, « Quoi ! c’est vous » ; VII, « Ne seras-tu pas » ; VIII, « Leur toile spirituelle » ; « IX, « Immobile, tête fée (ci-dessus) ; X, « J’approche la transparence ». Dans Charmes, Valéry revient à l’architecture du Mercure.
Le poème est écrit durant l’été de 1918, alors que Valéry séjourne auprès de son patron à L’Isle-Manière, près d’Avranches, dans un château entouré d’arbres magnifiques, et, le 13 juillet, à sa femme qui n’a pas trop goûté le poème, il confie : « Il n’est pas encore bien cuit. Mais contrairement à l’apparence il est moins jeune que le Rameur en ce sens que l’art y est beaucoup plus simplifié et dépouillé. L’intérêt moindre – le matériel presque réduit au minimum5. » Le poème est publié dans le numéro d’août-septembre de la revue Les Trois Roses dans l’état que voici :
Tu penches, grand platane, et te proposes nu,
Blanc corps d’un jeune Scythe6,
Mais ta candeur7 est prise et ton pied retenu
Par la force du site.
Tu ne saurais le fuir !… Cybèle ne veut pas,
Qui, tendre, mère, et sombre,
Ô Platane, jamais ne laissera d’un pas
S’émerveiller ton ombre !
Ta grâce n’a d’accès qu’aux degrés lumineux
Où la sève t’exalte ;
Tu peux grandir, candeur, mais non rompre les nœuds
De l’éternelle halte.
Le tremble pur, le charme, et ce hêtre formé,
De quatre jeunes femmes,
Ne sont pas plus heureux, qui dans l’or embaumé,
Ne mènent pas leurs âmes.
Ils vivent séparés, ils pleurent confondus
Dans une seule absence ;
Et leurs membres d’argent sont vainement fendus
À leur douce naissance.
Mais toi, de bras plus purs que les bras animaux,
Quand tu cherches le hêtre,
Arbre, tu mets dans l’air le mouvement des maux
Que le désir fait naître !
Haute profusion de feuilles, songe beau,
Si l’onde tramontane
Chante au comble de l’or, l’azur et le corbeau
Sur tes harpes, platane,
Flagelle-toi !… Parais l’impatient martyr
Qui soi-même s’écorche !
Ou dispute à la flamme impuissante à partir
Ses retours vers la torche !
Ton supplice n’est pas un supplice étranger !
Mais l’ornement du nôtre,
Je t’assemble à l’horreur de ne pouvoir changer
Mon ombre contre une autre !
Ô qu’amoureusement des Dryades8 rival,
Le seul poète puisse
Flatter ton corps poli comme il fait du Cheval
L’ambitieuse cuisse !
« Au platane » est considérablement retravaillé en mars 1919, et de nouveau repris à la fin de l’année : il compte alors dix strophes de plus que dans Les Trois Roses et se trouve quasiment achevé. Deux strophes seront supprimées et le poème qui reparaît dans La NRF de janvier 1921, en compte dix-huit, comme dans Charmes.
Le poème est commencé le 28 octobre 1918, une semaine après « Les pas », et les trois premières strophes ainsi que les strophes 12 et 13 s’écrivent très vite ; en novembre, il en compte treize, et Valéry songe alors à l’intituler « Ronde des colonnes » ou « Petite hymne des Colonnes » ; c’est lors de la reprise de janvier 1919 qu’il reçoit son titre définitif, avant de paraître en mars dans le premier numéro de Littérature, la revue d’Aragon, Breton et Soupault. Il est repris avec quelques variantes et intitulé « Le cantique des colonnes » dans le volume collectif La Pléiade9 paru à la Librairie de France en 1921, puis est retouché en février-mars 1922 en vue de la sortie de Charmes. Il s’y intitule encore « Le cantique des colonnes » et l’article disparaît dans la réédition de février 192610.
Le poème qui s’appelle quelque temps « La pointe », est écrit en janvier 1919 et paraît dans La NRF du 1er décembre. Il est remanié en février-mars 1922 en vue de la sortie de Charmes.
La naissance de ce poème, en septembre 1917, est liée à celle de « L’insinuant », mais les deux pièces ont été aussitôt distinguées. Il est retravaillé en octobre 1918, en janvier 1919, et aux mois d’avril et juin 1921 sous le signe de Catherine Pozzi. Il cesse alors de s’intituler « La nourrice », et Valéry songe un moment à « La source », puis à « Reproche ». « Poésie » paraît dans La Revue de France le 15 juillet 1921, puis est retravaillé en février-mars 1922 avant la publication de Charmes. Il est repris en 1930 dans les Morceaux choisis.
Le poème est ébauché le 20 octobre 1918, et il est très probablement né de la lecture, durant l’été, des Amours de Psyché et de Cupidon de La Fontaine où on lit, en octosyllabes également : « À pas tremblants et suspendus, / Elle arrive enfin où repose / Son époux aux bras étendus11 », etc. Le poème s’est d’ailleurs un moment appelé « Psykhé », transcription du mot grec qui signifie « âme », puis « Approche de Psyché ». Quand Valéry le reprend en mars 1919, il l’intitule « Nocturne », puis le fait paraître sous son titre définitif dans les Feuillets d’art en novembre 1921. Il le retravaille en février-mars 1922 en vue de la sortie de Charmes. En 1944, Valéry s’étonnera qu’à ce « petit poème purement sentimental », « on prête un sens intellectuel, un symbole de “l’inspiration”12 ».
Le poème, dont l’idée remonte à novembre 1917, est ébauché au mois de mai 1918, et repris en juillet, puis en janvier 1919. Après une longue interruption, Valéry y revient en avril et juin 1921, puis encore à la fin de l’année. Il le retravaille à nouveau en février 1922 et le fait paraître le 3 mars dans Les Écrits nouveaux. Il est repris en 1930 dans les Morceaux choisis.
Apparue en mai 1918, l’idée de ce poème est restée d’abord à peu près sans suite, et c’est en mars 1919 qu’il trouve sa vraie naissance. Il s’intitule tour à tour « Étude de Dormeuse », « Étude ancienne de Dormeuse », et « Étude ancienne (Dormeuse) ». Ces vers étant tout récents, on peut supposer, pour expliquer cette étrange ancienneté prétendue, qu’il se rattache dans l’esprit de Valéry à « Anne », paru en 1900, ou à « Ma nuit13 », sonnet écrit au début de son mariage, tous les deux liés au thème du sommeil, et il est possible que ces figures de dormeuse soient liées à La Walkyrie de Wagner et au sommeil où Brunehilde se trouve plongée par son père Wotan. En tout cas, le premier état fait songer à « Tristesse d’été » de Mallarmé, qui est aussi un sonnet où l’on trouve plusieurs mots que reprend Valéry : sable, langoureux, heureux, antique désert, réminiscences qui seront ensuite estompées. Le poème est repris en janvier-février 1920, et il paraît, intitulé « Dormeuse », dans L’Amour de l’Art au mois de juin. Il est ensuite retravaillé en février-mars 1922 en vue de la sortie de Charmes où le même titre est repris avant de devenir « La dormeuse » en février 1926. Sous le titre de « Dormeuse », le poème figure aussi dans Quelques vers et un peu de prose en 1924, et dans Vers et prose en 1926.
C’est à la fin du mois d’août et au début du mois de septembre 1917 que Valéry, revenant une fois de plus à son « Narcisse parle » de 1891, ébauche un fragment qui accueille les futurs v. 122 et suivants. Début septembre, vingt-huit vers sont déjà écrits, pour lesquels il confie à Gide le 7 mai 1918 qu’il a « une espèce de tendresse-faiblesse », et c’est pourquoi le poème sera longuement repris. Dans une causerie de 1941, à Marseille, Valéry confiera d’ailleurs que son projet était alors de faire « une œuvre qui soit presque la contrepartie de La Jeune Parque, autrement simple dans sa forme et ne donnant lieu à presque aucune difficulté de compréhension, en portant surtout [s]on effort sur l’harmonie même de la langue14 ». Les deux pièces, de fait, sont en alexandrins, et les manuscrits montrent qu’il espérait pouvoir unifier le poème qui finalement restera à l’état de fragments. Peu avant 1926, il confie d’autre part à Frédéric Lefèvre : « C’est la confrontation de l’homme tel qu’il se perçoit en lui-même, c’est-à-dire en tant que connaissance parfaitement générale et universelle, puisque sa conscience épouse tous les objets, avec son image d’être défini et particulier, restreint à un temps, à un visage, à une race et à une foule de conditions actuelles ou potentielles. C’est en quelque sorte l’opposition d’un tout à l’une de ses parties et l’espèce de tragédie qui résulte de cette union inconcevable15. » D’où le caractère plus énigmatique que le personnage de Narcisse vient revêtir à ses propres yeux, et Valéry note dans un manuscrit : « Le quis [« quelqu’un » en latin] se voit et ne peut se reconnaître16. »
Il y revient en octobre 1918 après avoir beaucoup lu La Fontaine durant l’été – Les Amours de Psyché et de Cupidon, Clymène et surtout Adonis – et le poème va se trouver marqué de ces lectures classiques. Il est repris en mars 1919, et le 23, Valéry en annonce l’envoi à Pierre Louÿs : « Du moins, presque tout le “Narcisse”, car je ne vois pas la fin, et ne l’ai pas encore même envisagée. » Il donne alors à La Revue de Paris du 15 septembre 1919 un long passage intitulé « Fragment de Narcisse » qui entremêle des vers récents et d’autres qui ne le sont pas (actuels v. 29-39, 72-75, 56-65, 109-148, et les v. 10-13 de l’ancien « Narcisse parle » après les actuels v. 29-39), puis écrit quelques vers en Dordogne, chez Catherine Pozzi qui l’accueille du 15 septembre au 6 octobre 1920 : ainsi s’amorcent les futurs v. 48-55, « Ô bonheur de survivre à la force du jour », et le « Fragment II » trouvera son origine aussi dans la rencontre avec Catherine Pozzi. Valéry reprend son poème, surtout le prélude, au printemps de 1921 et ébauche en septembre le finale qui restera inachevé.
C’est qu’en fait le poème est en train de changer de sens. Catherine Pozzi est devenue l’Autre, la Pareille, et du coup la structure narcissique se trouve bouleversée : ce dédoublement existentiel rend désormais impossible celui qui, tout intérieur, marquait jusqu’alors le poème. Un autre « Narcisse » se fait d’ailleurs jour, étrangement proche de ce que Valéry avait noté quant à celui qui « se voit et ne peut se reconnaître », et, en cette année 1921, il ébauche L’Ange qui ne paraîtra qu’en 194517, un ange qui se substitue à Narcisse, un ange en larmes au bord d’une fontaine et qui ne cesse « de connaître et de ne pas comprendre ». En janvier 1922, Valéry revient pourtant aux quelques vers qui seront publiés du finale, « Adieu, sens-tu frémir mille flottants adieux18 ? », puis reprend l’ensemble des vers en février-mars ; mais le poème est enlisé.
Devant l’impossibilité d’achever, Valéry multiplie les publications partielles. Un « Fragment du Narcisse » paraît dans le volume collectif La Pléiade paru à la Librairie de France en 192119 (c’est le même texte que celui de La Revue de Paris, mais qui donne en tête les v. 23-28) et un autre dans La Revue universelle du 1er mai 1921 (actuels v. 1-28, 40-63, 68-71, 76-84), que La NRF reprend le 1er juin en y ajoutant deux passages parus dans La Revue de Paris et extraits du « Fragment I » (v. 29-39 et 72-75). En mai 1922, dans le numéro que Le Divan consacre à Valéry, les seize premiers vers du « Fragment II » sont publiés en fac-similé, et le texte complet de ce même passage, intitulé « Étude pour Narcisse », paraît dans La NRF du 1er juin 1923. Les v. 22-48 en sont republiés en 1923, sous le titre de « Narcisse (Fragment) » dans l’Anthologie des poètes du « Divan » et l’année suivante, l’intégralité du « Fragment II », intitulé « Études pour Narcisse », figure dans l’Anthologie de la Nouvelle Poésie française, chez Kra, à la demande de Soupault qui, à la différence d’Aragon et de Breton, est resté en bons termes avec Valéry qui reprend à nouveau ces vers, la même année, dans Quelques vers et un peu de prose. Intitulé « Fragments du Narcisse », le « Fragment III » est publié dans La NRF de mai 1922. La première édition de Charmes ne donne que le « Fragment I » : les deux autres apparaissent dans la réédition de février 1926 ; sous le titre de Narcisse, la totalité est reprise en 1926 chez Stols dans une plaquette qui comprend aussi « Narcisse parle », et le même ensemble reparaît l’année suivante aux Éditions des Cahiers libres sous le titre Études pour Narcisse. Signe de l’intérêt que Valéry leur porte, les « Fragments du Narcisse » sont repris en 1930 dans les Morceaux choisis, mais aussi dans des éditions séparées où ils figurent souvent avec l’ancien « Narcisse parle »20.
On sait par le Journal de Gide en date du 2 janvier 1923 que le poème, en octobre 1917, est né du v. 5 : « Pâle, profondément mordue », et par Frédéric Lefèvre qu’il « tire en partie son origine d’une discussion sur le vers de huit syllabes avec Pierre Louÿs21 ». Mais quand Valéry envisage ainsi d’évoquer à partir de ce premier vers une démence vaticinatrice, tout porte à croire que lui revient en mémoire le service psychiatrique du professeur Mairet où le conduisait, à Montpellier, son ami Albert Coste, alors étudiant en médecine, et que resurgit alors devant ses yeux « une femme très belle d’une pâleur égale de vélin ; toute échevelée » entrevue à la fin du siècle, avec « des crins immenses et des yeux du plus noble noir », « une Alceste toujours, toujours désespérée ; une Cassandre à hurler sur les bastions de Troie »22. Le v. 11 évoque d’ailleurs « son ombre démente » et le v. 17 la dit « folle ». Valéry reprend « La pythie » en mai et juillet 1918 (le poème est alors très avancé), puis il l’achève au mois de novembre, l’envoie à Louÿs le 10, et le retouche au début de janvier 1919 pour la publication dans Les Écrits nouveaux de février. Il est republié dans les Odes en 1920 avec « Aurore » et « Palme », puis retravaillé en février-mars 1922 en vue de la publication de Charmes. En 1937, Valéry rapprochera le poème de la Parque et notera : « J’ai essayé de me tenir dans le souci de suivre le sentiment physiologique de la conscience ; le fonctionnement du corps, en tant qu’il est perçu par le Moi, servant de basse continue aux incidents ou idées – car une idée n’est qu’un incident23. »
On sait peu de chose sur la genèse de ce petit poème ébauché en juillet 1918, dont le dossier manuscrit est perdu. Il paraît dans le premier numéro d’Intentions en janvier 1922, puis est retravaillé en février-mars en vue de la publication de Charmes. Il est repris en 1930 dans les Morceaux choisis.
La naissance de ce poème, en septembre 1917, est liée à celle de « Poésie », mais les deux pièces ont été aussitôt distinguées. Valéry le retravaille en novembre, et il paraît avec « La caresse24 » dans Les Écrits nouveaux de juin 1918. Lorsqu’il les y découvre, Aragon écrit à Breton : « Les poèmes de Valéry (surtout “L’Insinuant”) sont merveilleux25. » Le texte est ensuite repris en février-mars 1922 en vue de la publication de Charmes.
Le poème est écrit en juillet 1918 et publié dans L’Œil de bœuf en avril 1921. Il est ensuite retravaillé en février-mars 1921 en vue de la sortie de Charmes, et figure également en 1926 dans Vers et prose.
En mars 1922, alors que le poème vient de paraître dans La NRF de juillet 1921 sous le titre « Ébauche d’un serpent », puis en plaquette – sans l’actuelle dernière strophe –, sous le titre Le Serpent, aux Éditions de La NRF au mois de février 192226, Valéry écrit à André Fontainas : « L’histoire de ce monstre explique, n’excuse pas l’auteur. Ce poème fut d’abord une ballade à la blague, faite pour agacer P[ierre] L[ouÿs] en 1915. P. L. agacé, le monstre crut s’endormir à jamais. Découvert en 1917 ou 18 dans un cahier, on trouva le thème digne d’un nouveau regard. Mais dans l’intervalle, j’avais fait la Pythie, et repris le type d’Ode classique. Ici, divers essais plus ou moins ratés. Enfin je supprime les ¾ de la ballade, et je fais toutes les strophes du type canonique. Je conserve 2 ou 3 des anciennes. J’épuise en 20, et en vain. En 21, j’ai besoin de sols, et je livre “tel quel”. C’est pourquoi cela s’appela dans La NRF. Ébauche d’un Serpent – vrai titre ! » Chose très rare, sous le titre de « Chanson du serpent », le poème est d’abord esquissé de manière facétieuse dans les Cahiers, le 25 août 191527 :
Que m’en rest’-il d’avoir séduit
La plus belle mère du monde
Je reste l’animal immonde
Qui n’a même mangé le fruit
J’ai trop parlé, parler m’a nui
À cette blanche chose blonde
Dont j’ai voulu changer l’ennui
Elle s’est faite trop féconde
Le jardin [mots biffés] arpents
D’où l’on chasse tous les serpents
Et, de fait, les premiers états de cette année-là s’intitulent « Chanson du serpent » – mais le poème, qualifié le 9 janvier 1917 de monologue « comique, blasphématoire et légèrement cochon » n’est adressé que quelques jours plus tard à Pierre Louÿs (qui ne réagit pas ou dont la réponse est perdue), après avoir été repris à la fin de 1916 : une dactylographie est alors intitulée « Ève au serpent », puis une autre ajoute en sous-titre « Les Doléances »28. Quand Valéry reprend le poème en septembre 1917, il l’intitule « Ève au serpent. I Les Doléances », ce qui suppose qu’il prévoit au moins une deuxième partie. Il envisage en tout cas que la dernière des onze strophes reprenne la première.
Lorsqu’il retravaille le « Serpent » en octobre-novembre 1918, c’est visiblement sans en être satisfait puisqu’il ne figure pas dans la liste de poèmes qu’il vient de dresser pour son futur recueil ; et de fait, il retravaille alors considérablement ses vers, ainsi que l’explique la lettre à Fontainas citée ci-dessus, et en gomme le ton trop blagueur. Comme « La pythie » qu’il achève au même moment et à laquelle cette lettre fait aussi allusion, le poème comporte des strophes de dix octosyllabes et le système des rimes est le même. Il le retravaille au début de 1919, au printemps de 1920, et l’achève au printemps de 1921 en y ajoutant les strophes 9 et 13 ainsi que les deux dernières, 30 et 31. Quoique Valéry n’en soit toujours pas satisfait, il est publié, on l’a vu, dans La NRF du 1er juillet 1921 sans la dernière strophe, et reparaît en plaquette avec des variantes sous le titre Le Serpent en février 1922 aux Éditions de La NRF. Il est ensuite retravaillé en février-mars 1922 en vue de la sortie de Charmes, et repris en 1926 dans Vers et prose. Le 4 janvier 1930, Valéry confiera à Alain dont les Commentaires du recueil viennent d’être publiés : « Quant à l’Ébauche d’un Serpent, je ne sais si je vous avais dit que c’était dans mon intention un monologue burlesque, que j’avais songé au rôle de Beckmesser des Maîtres chanteurs. Tout le travail très difficile de ce poème a porté sur les changements de ton. J’ai exagéré exprès assonances et allitérations29. »
Le poème est ébauché en novembre 1917. Les deux quatrains sont mis au point en octobre 1918, mais les tercets restent indécis jusqu’à la reprise du début de 1919. Le sonnet paraît en mai 1920 dans Rythme et synthèse, et est retravaillé en février-mars 1922 en vue de la sortie de Charmes. Il est repris en 1930 dans les Morceaux choisis.
Ébauché en octobre 1917, le sonnet est repris et progresse très vite en janvier 1919. Valéry le retravaille en mars 1919, puis au printemps de 1921 et en janvier 1922 en vue de la parution dans Les Feuilles libres de février. Il est aussitôt après remanié encore pour la publication de Charmes.
Commencé au début de 1916, ce poème était au départ une version d’une autre pièce, « L’heure », puis « Heure », qui ne fut finalement pas recueillie dans Charmes30. Plusieurs fois repris durant 1916, puis à l’automne de 1917 et de 1918, il est encore retouché en mars 1919 et achevé en mars 1922.
La toute première ébauche du poème où se trouve évoqué le cimetière de Sète doit dater de la fin de 1916, au moment où Valéry travaille encore à La Jeune Parque, mais il ne trouve vraiment naissance qu’en octobre et novembre 1917, et s’intitule alors « Mare nostrum » (« Notre mer »), désignation romaine de la Méditerranée. C’est à ce moment que s’ébauchent les futures strophes 3 et 13 et que s’écrit la strophe qui évoque Zénon (v. 122-127), dont Valéry notera en 1944 qu’elle a été introduite « afin de donner à cette ode le caractère particulier d’être le chant de la méditation d’un “homme de l’esprit”, un possédé de la culture31 ». Alors que l’été de 1918 est une période d’intense création poétique, le poème évolue à peine durant ces semaines-là, et Valéry le reprend en octobre (il compte alors dix strophes). Devenu « Le cimetière marin », il s’accroît en mars 1919 de quatre nouvelles strophes (6, 10, 12 et 16). À ces quatorze strophes, Valéry, au printemps de 1920, en ajoute dix et retravaille largement ce qui était déjà écrit. Le poème paraît dans La NRF du mois de juin, puis en plaquette chez Émile-Paul le 31 août dans une version où l’ordre des strophes est modifié et définitif32. La strophe IV était auparavant la sixième ; la strophe VI était la huitième ; la strophe VIII était la neuvième ; la strophe IX était la quatrième. Le poème est repris en 1930 dans les Morceaux choisis33.
De ce « Cimetière marin » pourtant si ouvert à l’universel, Valéry confiera : « Quant au contenu du poème, il est fait de souvenirs de ma ville natale. C’est à peu près le seul de mes poèmes où j’aie mis quelque chose de ma propre vie. » Et à André Lebey, plus clairement encore, il dira : « Cette pièce est la plus personnelle de mon œuvre. Je veux dire que c’est bien moi qui parle34. » L’aveu, certes, peut surprendre, mais de tous ses vers, ce sont en effet sans doute ceux qui maintiennent le plus la présence de l’expérience singulière qui les a fait naître. Alors que le monde sensible était, en 1917, directement issu du chant de la Parque, pour la première fois s’offre ici une relation filée du Je au monde présent, un face-à-face tissé d’échanges que l’on retrouvera dans certains poèmes en prose d’Alphabet35. Et cette pente personnelle trouble assez Valéry pour que le jour où il rencontre Catherine Pozzi, le 17 juin 1920, il lui demande si elle l’a lu et puis ajoute : « C’est que je voudrais votre avis. J’ai fait quelque chose de nouveau qui m’inquiète36… »
L’idée du poème apparaît en avril 1917, mais il ne s’écrit que durant l’automne. Le dernier état est ensuite retouché en décembre 1919 en vue de la parution dans Littérature, en février 1920. Le poème est repris au printemps de 1921, et en février-mars 1922 avant la sortie de Charmes. Le 4 janvier 1930, Valéry écrit à Alain dont les Commentaires du recueil viennent d’être publiés : « Je m’étonne que vous aimiez l’Ode secrète, que je croyais que moi seul pouvais un peu aimer. C’est une espèce d’enfant naturel. De parents inconnus. D’où le titre37. » C’est en effet un texte difficile, et le seul poème du recueil à ne pas être écrit à la première personne.
Le poème est écrit de mai à juillet 1918. Il paraît dans le Mercure de France du 1er décembre, puis se trouve remanié en février-mars 1922 en vue de la publication de Charmes.
Le poème, on l’a vu, s’est écrit en même temps qu’« Aurore38 » à la fin du mois de mars 1917, et les futurs quatre derniers vers de « Palme » sont apparus très tôt ; cinq dizains sont ensuite écrits, et les deux poèmes cheminent parallèlement, quoique « Palme » reste sans titre jusqu’en mai, avant d’être retravaillé en septembre. À ce moment, des neuf strophes du poème manquent encore les strophes 3 et 4 qui seront ajoutées en mai 1918, et Valéry envisage un moment le titre « Paraboles de la palme », avant d’y renoncer : le poème comprend alors huit strophes, et la neuvième sera ajoutée au mois de mai 1919 pour la parution dans La NRF du 1er juin. « Palme » est repris dans les Odes en 1920 avec « Aurore » et « La pythie », puis retravaillé en février-mars 1922 en vue de la publication de Charmes.
Dans la table que Valéry remet à Gallimard en 1922, l’ordre des poèmes est le suivant :
« Aurore », « Cantique des colonnes », « Sémiramis », « Au platane », « La pythie », « Poésie », « Les grenades », « Le vin perdu », « Le Narcisse », « L’abeille », « L’insinuant », « Le sylphe », « Le Serpent », « Dormeuse », « La fausse morte », « Intérieur », « La distraite39 ? », « Le rameur », « Le cimetière marin », « Les pas », « La ceinture », « Ode secrète », « Palme40 ».
Dans l’édition originale de 1922, l’ordre des poèmes est le suivant : « L’abeille », « Au platane », « Aurore », « Le cantique des colonnes », « La ceinture », « Le cimetière marin », « Dormeuse », « La fausse morte », « Les grenades », « L’insinuant », « Intérieur », « Fragment du Narcisse », « Ode secrète », « La pythie », « Les pas », « Poésie », « Air de Sémiramis41 », « Le vin perdu », « Le sylphe », « Ébauche d’un serpent », « Le rameur », « Palme ».
L’alternance de poèmes en italiques et en romains disparaît dans la réédition de février 1926 où Valéry met en relief les grands poèmes grâce à des majuscules qui, par un décrochement de l’alinéa, ouvrent à des sortes de sections, mais on notera qu’il ne revient pas à l’ordre qu’il avait transmis à son éditeur en 1922 : « AURORE », « Au platane », « Air de Sémiramis », « Cantique des colonnes », « FRAGMENTS DU NARCISSE », « L’abeille », « Poésie », « Les pas », « La ceinture », « La dormeuse », « LA PYTHIE », « Le sylphe », « L’insinuant », « La fausse morte », « ÉBAUCHE D’UN SERPENT », « Les grenades », « Le vin perdu », « Intérieur », « LE CIMETIÈRE MARIN », « Ode secrète », « Le rameur », « PALME ».
En 1929, pour l’édition des Poésies, les majuscules disparaissent, L’« Air de Sémiramis » qui figurait aussi dans l’Album se trouve supprimé, et l’ordre est de nouveau modifié : « Aurore », « Au platane », « Cantique des colonnes », « L’abeille », « Poésie », « Les pas », « La ceinture », « La dormeuse », « Fragments du Narcisse », « La pythie », « Le sylphe », « L’insinuant », « La fausse morte », « Ébauche d’un serpent », « Les grenades », « Le vin perdu », « Intérieur », « Le cimetière marin », « Ode secrète », « Le rameur », « Palme ».
1. Paul Valéry vivant, p. 290. Toutes ces notices doivent beaucoup au précieux livre de Florence de Lussy, Histoire d’une métamorphose. Les manuscrits de « Charmes ».
2. BNF, Naf 19007, fos 25-26.
3. Littérature moderne, no 2, 1991, p. 198.
4. Ibid.
5. Lettre inédite, BNF non coté.
6. Depuis 1917, Valéry envisage un long poème, Ovide chez les Scythes.
7. Étymologiquement, ta blancheur.
8. Déesses mineures qui président au culte des arbres. La plus célèbre est Eurydice, l’épouse d’Orphée.
9. À l’occasion du quatrième centenaire de la naissance de Ronsard, le poète aixois Joachim Gasquet, fondateur naguère de La Syrinx où Valéry avait fait paraître plusieurs poèmes de jeunesse, avait eu l’idée de constituer, non une école, mais une sorte de groupe éphémère, la « Nouvelle Pléiade », et Valéry s’y était laissé bizarrement entraîner. Le volume comprenait, entre autres, des poèmes d’Anna de Noailles, de Gasquet et de Xavier de Magallon.
11. Œuvres complètes, éd. citée, t. II, 1958, p. 172.
12. C.XXVIII.427.
13. Voir p. 1433 sq., au t. 3 de cette édition.
14. Paul Valéry vivant, p. 290.
15. Entretiens avec Paul Valéry, Le Livre, 1926, p. 358.
16. BNF, Naf 19010, f° 30.
17. Voir p. 1301-1305, au t. 3 de cette édition et Poésie perdue, p. 151 sq.
20. Voir la Bibliographie de Karaïskakis et Chapon, p. 110-111.
21. Entretiens avec Paul Valéry, op. cit., p. 276.
22. Lettre à Breton du 15 août 1916 (coll. part.).
23. C.XX.250.
24. Voir p. 1227 sq., au t. 3 de cette édition.
25. Lettres à André Breton 1918-1931, éd. Lionel Follet, Gallimard, 2011, p. 98.
26. Il fut réédité sous ce même titre en 1926 aux Éditions Éos avec des lithographies de Jean Marchand.
27. C.V.674.
28. BNF, Naf 19007, fos 137 et 139.
29. Lettres à quelques-uns, p. 184.
30. Voir p. 1222 sq., au t. 3 de cette édition.
32. Le 19 octobre 1927, « Le cimetière marin » sera violemment attaqué par Gustave Téry dans L’Œuvre (voir p. 990-992). Voir également p. 277-289, au t. 2 de cette édition, « Au sujet du Cimetière marin ».
33. Pour les éditions de luxe de ce poème, on se reportera à la Bibliographie de Karaïskakis et Chapon.
34. Très au-dessus d’une pensée secrète, p. 67, et Correspondance Valéry-Lebey, p. 444 ; mal datée, la lettre est du 29 avril 1922.
35. Voir p. 1036-1079, au t. 2 de cette édition.
36. Catherine Pozzi, Journal, Ramsay, 1987, p. 134.
37. Lettres à quelques-uns, p. 184.
39. Ensuite écarté ; voir p. 1221, au t. 3 de cette édition.
40. BNF, Naf 19007, f° 12.