M. Wittgenstein a fait une communication intitulée « Qu’est-ce que la philosophie ? ». Il n’a parlé que 4 minutes et a donc battu de deux minutes environ le record jusque-là détenu par M. Tye. Il a défini la philosophie comme l’intégralité des propositions primitives qui sont supposées vraies sans preuve par les différentes sciences. Sa définition a donné lieu à bien des discussions, mais il n’en est pas ressorti de disposition générale pour l’adopter.
— Lors d’une séance antérieure de ce trimestre-là, le Club avait adopté la règle suivante : « Les communications doivent, en règle générale, avoir pour seul objet d’ouvrir la discussion. En conséquence, aucune ne durera plus de sept minutes, sauf autorisation exceptionnelle du chairman en des occasions particulières. » Cette motion relève de ce que Moore décrit, dans son journal, comme une tentative de Wittgenstein pour devenir une sorte de dictateur du Club. Voir ci-dessous l’item 551.
À la fin de la séance, M. Wittgenstein a suggéré qu’il convenait de rétablir l’ancienne règle du Club stipulant que les communications ne devaient pas excéder sept minutes. Pour la plupart, les membres présents ont estimé qu’il était souhaitable de leur fixer une limite, mais qu’une durée de sept minutes était trop brève.
M. Wittgenstein a également suggéré que l’on ne procède plus à la lecture des comptes rendus.
— Cette règle adoptée en 1912, apparemment sur la suggestion de Wittgenstein, fut discutée non ce jour-là, mais lors de la dernière séance du trimestre — celle où furent élus les secrétaires du Club.
M. Wittgenstein a soutenu que suffisamment de problèmes philosophiques peuvent être posés en vingt minutes pour occuper l’esprit des membres du Club le reste de la soirée.
— Un amendement proposé par M. O’C. Drury visant à appliquer cette règle aux seules rencontres supplémentaires (c’est-à-dire celles qui n’étaient pas ouvertes aux étudiants de l’Université possédant une maîtrise) fut finalement adopté.
Julian Bell (1908-1937) était le fils de Clive et Vanessa Bell et le neveu de Virginia Woolf. « Apôtre » et figure centrale des jeunes associés au Bloomsbury Group, il préparait une thèse à King’s College et était, avec William Empson, l’éditeur de The Venture.
En 1930, il avait déjà publié des poèmes antimodernistes. Il adopta un temps, comme dans cette épître, la manière de Pope.
Il partit enseigner l’anglais en Chine, puis s’engagea comme aide-infirmier dans la guerre civile espagnole. Il fait partie des quatre volontaires de Cambridge qui perdirent la vie dans cette guerre. Tous avaient entretenu des relations avec Wittgenstein. (À l’instar de Julian Bell, John Cornford et David Guest le critiquaient, Ivor Hickman avait pour lui une sincère amitié, mais aucune révérence.)
É. R.
Timidement, je m’aventure sur un terrain incertain,
Tenant l’arme la plus lourde à brandir dans nos vers ;
J’entends avec les distiques de Dryden affronter
Les philosophes sauvages dans toute leur rage.
Je n’ignore pas combien, dans les champs connus,
Je mérite le reproche d’empiéter sur l’inconnu
Je n’ignore pas que moi, frêle Jonah,
Je défie le grand Behemoth qui règne sur les mers ;
Celui dont l’enseignement, la logique, est une casuistique si vaste
Qu’elle déborde les terres en friche de la métaphysique.
Pourtant j’espère pouvoir encore décocher un ou deux vers
Et, comme Jonah, le rendre malade.
Sache, Richard, si cette analogie t’alarme,
Que je ne fais que combattre l’ennemi avec ses propres armes ;
Celui dont l’esprit tortueux n’hésite pas
À comparer le fait d’aller à l’opéra à celui de quémander un siège.
(Cela peut choquer la bienséance,
Mais c’est une métaphore à laquelle je l’ai entendu recourir.)
Mes propres convictions sont communes et peu nombreuses, elles entrent
Dans l’éventail étroit d’une intelligence rustique :
Le Bon Sens et la Raison ; pour le reste, j’espère,
Voltaire les a possédées et Pope revêtues de parures :
C’est le sens commun rationnel, la règle facile,
Qui depuis des siècles est la marque de l’école de Cambridge.
À Thélème, j’espère être diplômé,
Dans le jardin d’Épicure, l’ami de Candide ;
Puissé-je penser que la vie est stupide, rire quand rien n’est grave,
Avec Herrick, aimer ma maîtresse et les bons vers.
Nous savons quoi est quoi et que, comme le dit Butler,
C’est, pour la métaphysique, le plus grand éloge.
Si vous posiez une question supplémentaire, je prendrais parti
Pour un credo ancien que nous pouvons tous comprendre.
Je n’ignore pas que nous tenons pour certaine cette vérité :
« La valeur a pour seule demeure les États d’Esprit. »
Et si vous posez à nouveau votre question,
Pourquoi me précipiterais-je dans une défaite évidente,
Puisque mon opposant faisant de la logique son commerce
Me réfutera ou, sinon, se dérobera.
À pareille question je pourrais répliquer :
Que lui s’occupe d’abord de son commerce, je ferai de même ensuite.
Mais qui a jamais vu, sur tout sujet,
Ludwig s’abstenir d’édicter la loi ?
Le maître Dickens, le rusé Milton,
Le Souverain suprême de la politique anglaise ;
Les plus grands fous se confessent aux saints de Cambridge,
Ludwig leur maître est paré d’un halo et à demi vêtu :
Tous ceux que j’admirais, les quelques-uns que j’aimais
Il les harcèle, les condamne ou désavoue ;
Où qu’il soit, il nous fait taire par ses cris,
Il interrompt nos phrases pour ânonner les siennes ;
Il ne cesse d’argumenter brutalement, hargneusement, en vociférant,
Tant il est certain et fier d’avoir raison.
De tels défauts sont communs et chacun en a son lot.
Mais Wittgenstein, lui, pontifie sur l’Art.
Aussi, Richard, défendrai-je,
Avec la galanterie pour excuse, ma Muse violentée :
Peut-être est-elle quelque peu accoutumée à être violée
Mais est-ce une raison de laisser les monstres s’échapper ?
Ce qui m’y encourage et fait reculer ma peur
C’est qu’il déclare que tout raisonnement est ici sans usage.
Ou bien nous savons, ou bien rien ne peut être su.
Il a raison, et nous divergeons jusqu’au tréfonds !
Avec une omniscience sans pareille, il prend son envol
Contemple l’Univers déployé sous ses yeux ;
Le mouvement à venir de chaque électron perdu,
Il le lit avec autant d’aisance que les aiguilles d’une montre.
En un coup d’œil, il voit chaque fait individuel,
Sait la conséquence de chaque acte,
Place des graphes sur les courbes sinueuses de l’espace,
A conscience de l’instant où un atome en vient à dévier.
Il connaît aussi les profondeurs obscures de l’âme humaine,
Désignant par leurs noms, formes et cas les motifs et les pensées :
L’extase la plus haute, le désespoir le plus lugubre ;
Les moments où la beauté scintille dans la lourdeur des airs,
Les moments où les amants se séparent ou s’unissent.
Wittgenstein l’omniscient se fait indiscret :
Il connaît chaque reflet perdu, chaque plaisanterie et chaque lubie,
Espoirs, peurs, caprices, aucun ne lui est inconnu.
Bien qu’il soit en quête de toute pensée et de toute forme,
Les valeurs ailées s’échappent de son filet.
Il nous dit qu’il en est ainsi ; il me semble
(Peut-être est-ce seulement ma simplicité ?)
Que cette carte parfaite où tout est montré
Demeure néanmoins inconnue même de lui.
Ludwig l’omniscient — je veux rester poli,
Mais est-ce Dieu tout-puissant, ou bien le Diable ?
Laissez-moi établir son cas du mieux que je peux,
Scruter sa logique et ses faits,
Sans m’interrompre, comme lui, « à mi-chemin »,
En faisant couler mes distiques de la ligne de ses arguments.
Contre les murs du monde, les valeurs battent des ailes —
À l’instar d’automobilistes ivres dévalant une rue —
Inconnues, touchées, goûtées, entendues, non décrites,
Elles font sonner la cloche, mais demeurent à l’extérieur.
Tout ce que les hommes peuvent énoncer de vrai ou de faux
A pour prédicat les faits, ainsi que les objets.
À admettre cela, il apparaîtrait clairement
Que tout énoncé relatif à la valeur ne signifie rien.
Son cas, si je l’ai bien compris,
Est qu’il parle du Bien quand il profère le Non-Sens.
Car tout ce qu’il y a de vraiment honnête et de vraiment bon
Reste inexprimé par le langage humain.
C’est à peine si la pensée peut penser, et la Science, elle, ne peut pas montrer
L’élément de la valeur ici-bas.
Devrais-je donc suggérer que le correct et l’incorrect
Sont les sots refrains d’un chant ridicule ;
Que toutes les actions, pensées et sentiments le sont aussi,
Et que la valeur n’est rien qu’un nom vide ?
À moins que, m’aventurant à appliquer ses propos sur l’art,
Je ne dise que ses sifflements valent mieux que Mozart ;
Que Milton devrait, avec D —, revenir à l’école,
Qu’Arnold était, par son côté L —, un imbécile ?
Si seuls sont des non-sens les énoncés de ce genre,
Pourquoi sont-ils plus sots encore que les siens ?
Car il profère le non-sens, et sans cesse fait des énoncés,
Il rompt son propre vœu de silence :
De l’éthique, de l’esthétique, il parle jour et nuit,
Il décrète les choses bonnes ou mauvaises, correctes ou incorrectes.
Tandis que l’univers suit le chemin de sa navigation descendante,
Lui fait passer en contrebande le savoir depuis une source secrète :
En définitive, c’est un simple mystique qui se reconnaît comme tel,
C’est l’antique ennemi qui revient à nouveau ;
Connaissant par son expérience directe
Ce qui est au-delà de toute connaissance et de toute signification.
Si nous acceptons ses énoncés, que trouvons-nous
Au cœur de tout son mystère, sinon un État d’Esprit ?
C’est à bon droit qu’il lui accorde de la valeur,
Mais ce fait, un jour, sera connu par la science.
Il semble que le grand logicien ait oublié
Que ces choses-là sont ou ne sont pas.
Cette règle, le mystique lui-même ne la récuse pas,
Ses visions, si elles existent, existent bel et bien,
Elles se prêtent à l’examen scientifique,
Tout comme la copulation ou la règle de trois.
Selon ce point de vue universel, les visions apparaissent,
Et elles apparaissent également dans les livres qui parlent des aliénés.
Combien de saints et de sages du passé ont vaticiné
Le même non-sens sur un monde auquel manquerait le salut !
Mais la science avance d’un pas ferme,
La carte, chaque année, devient de plus en plus complète,
Et prouve que les visions auxquelles les saints ont cru
Sont les illusions insanes d’un esprit abusé.
Néanmoins, comme il l’a lui-même confessé, sur de tels sujets
La raison est de peu de prix, même dans le meilleur des cas.
Certes. Mais j’aurais pensé que là se trouve
À l’évidence la place idéale de la tolérance.
Que chacun choisisse, mais seulement pour lui-même.
Aucun prophète affairé n’a jamais posé la première pierre.
Mais Ludwig, lui, n’en possède aucune, et il voudrait
Émettre des oukases sur ce qui est mauvais et ce qui est bon.
Que peut-il donc faire, puisqu’il est clair
Que nul ne l’écoute, et que seuls les fous l’entendront ?
Les raisons étant congédiées, nul n’obéit à ses ordres.
Pourtant il voudrait nous entraîner sur son chemin.
Il n’a à sa disposition qu’une méthode : la persuasion.
Laissez-le venir à nous pour dévoiler son commerce.
La persuasion est la grande prérogative du vers,
Par lequel les poètes aiment et parfois vivent.
Les valeurs qui échappent aux philosophes,
Les poètes s’en saisissent pour leur donner forme et figure.
Les mots seraient trop faibles pour exprimer ce qu’il veut dire.
Mais qu’en serait-il si Racine et Milton décidaient de prendre la parole ?
Les valeurs se tiennent au cœur de dix syllables bien frappées,
Tous les héros et ceux qui connaissent la sagesse le savent :
Dans les enjambées sonores des distiques de Dryden,
Aucune valeur n’est oubliée ou mise à l’écart.
Mais revenons une fois encore à son credo.
Examinons-en l’essence ; qu’est-elle, sinon destruction ?
La religion, une fois de plus, relève la tête —
C’est une résurrection générale des morts : —
Une prostituée meurtrie ayant trouvé, malgré son âge,
Un prêtre stupide qui la désire et la croit saine.
À l’instar des bons rationalistes, nous n’avons jamais, nous,
Été tentés par Jésus ou par Madeleine ;
Le crime est révélé : s’il nous arrive d’être en désaccord avec lui,
Il nous précipite dans le noir, nous lance des pierres et nous jette à la mer.
Telle est sa conviction. Mais il pourrait aussi s’aviser
Que le monde s’est donné un autre esprit depuis l’époque
Où Calvin a sauvé nos âmes par les tourments et la flamme
Et où Calas est mort pour sauver le nom de Catholique.
Il brandit à nouveau la religion. Mais n’a-t-il jamais pensé
Comment Voltaire a une fois pour toutes ridiculisé Dieu !
Lorsque les démons se lèvent, nous prenons de l’eau bénite
Dans le lac de Ferney, et les en aspergeons de quelques gouttes.
Qu’il se mette au travail, ramasse son bois
Et entasse ses fagots pour brûler les hérétiques.
Mais ne soyez pas surpris si nous nous souvenons
De la trahison de la poudre à canon et du Cinq Novembre.
Les bons vieux sentiments anglais n’ont pas changé,
La corde de chanvre est ce qui convient le mieux aux fanatiques.
Si nous ne sommes pas aussi violents, nous nous souvenons encore
Que la religion est en sécurité derrière les murs d’un asile.
Avant qu’il ne transforme la terre en un enfer,
Offrons-lui donc son paradis dans une cellule d’aliéné !
Que la religion peut-elle nous donner aujourd’hui,
Quels secrets peut-elle nous apprendre sur la façon de bien vivre ?
Que nous a offert le vieil Imbécile
Pour apaiser nos esprits et effacer nos erreurs ?
Sur les murs de Moscou la religion est déclarée
« Opium du Peuple ». Qui s’y promène peut l’y lire.
Mais les esprits qui n’ont pas peur de penser,
Ne sont ballottés par aucun désir ni aucune passion.
Leur propre courage les rend capables d’affronter
La brièveté de la vie et le silence de l’espace :
À tous les problèmes qui mettent les hommes en difficulté,
Il est clair que seul le bon sens peut fournir la réponse :
De tels esprits bannissent tous les prophètes, car ils voient
Qu’ils ne prêchent que folie, poussière et vanité,
Qu’ils remplissent de misère le peu de temps qui nous est imparti,
Et nous précipitent dans leur tombe peinte aux couleurs de l’enfer.
Pourquoi devrions-nous, ô Richard, nous qui en savons la vanité,
Chercher la valeur dans ce labyrinthe de douleurs,
Alors que nous découvrons si aisément dans la matière
Tous les délices du corps et de l’âme ?
J’ai pitié de Ludwig, au moment même où j’exprime mon désaccord avec lui.
La cause de ses opinions, nous pouvons tous la voir,
Dans cette vie ascétique qui cherche à se détourner
Des plaisirs communs que nous connaissons tous.
Car comment pourrait-il reconnaître la valeur de la matière,
Lui qui tient la matière pour un mystère ?
Autour des circonvolutions de son cerveau s’enroulent
Les secrets inconnus du monde sobre ;
Le bien et le diable, l’extase et le péché,
Il ne les cherche pas au-dehors, mais il les trouve dedans.
C’est pour cela qu’il considère tout projet comme nul et non avenu,
Et le monde comme dénué de valeur et rempli d’ennui ;
De ses propres défauts, il fait une vertu,
Et ce qu’il ne parvient pas à comprendre, il le rejette.
Car s’il avait consenti à se servir de ses mains ou de ses yeux,
Il ne pourrait pas manifester un tel mépris pour la matière.
S’il lui était arrivé de voir, au sortir de l’hiver,
Au moment où siffle l’air vif et où la gelée est mordante
Le ciel bleu paré d’un voile blanc,
Et sur les ormes le brillant des feuilles dorées ;
Si, depuis la pente d’un champ labouré, il avait vu
Les couleurs vives d’un bois, le cramoisi d’une haie,
Avec une immense plaine, une ferme et une église
À l’horizon desquelles la brume descend du ciel ;
S’il avait vu les reliefs d’une colline et le scintillement d’une rivière
Telle une vaste carte placée sous la voûte céleste !
Son âme aurait pu prendre son envol
Et traverser les champs pour en explorer les hauteurs.
Quand le pouls s’accélère, qu’il fait battre le sang,
Toute la beauté de la terre se trouve à nos pieds.
Mais qu’il pleuve ou qu’un simple nuage apparaisse,
Toutes ces visions quittent nos âmes, et le spectacle nos yeux :
Si nous souffrons d’une indigestion ou sommes assaillis par un rhume,
Nous maudissons le gel et voyons le monde en noir.
Considérez aussi les visions suscitées par les pouvoirs de la Musique —
Mozart qui revit sur la vibration d’une corde —
Lorsque l’arrangement des sons contrôle tous nos sens,
Et que les cordes en boyaux de mouton saluent l’âme des hommes ;
Lorsque la musique, tel un oiseau qui prend son envol, s’élève
Du murmure et de la légèreté de phrases à peine audibles,
Et qu’elle résonne pure avec force, sans que rien lui résiste,
Un orage d’automne emporte avec lui nos âmes,
Et les conduit dans un paradis qu’aucun mot ne peut dire.
Mais, dès qu’une corde est cassée, le charme est rompu.
C’est de la matière que dépendent nos biens les plus précieux,
Et là où la matière fait défaut, toute valeur disparaît.
Le monde est à nous, avec tous ses royaumes qu’il nous faut braver,
Et il n’y a rien d’autre que nous voudrions posséder.
Si Ludwig avait regardé toutes ces choses-là, il aurait pu
En voir la valeur, et voir aussi la fausseté de ses propres notions.
J’en donnerai un exemple supplémentaire avant de quitter mon thème,
Et ensuite vous pourrez me croire ou ne pas me croire.
Si Ludwig avait pu contempler une charmante Chloé,
Mon cas serait gagné, et la question ne se serait pas posée.
S’il avait jamais aimé, regardé et connu
L’air, le sourire, les rires qui sont ceux de Chloé ;
S’il l’avait vue arrivant joyeuse aux premiers rayons du soleil
Qui nous découvrent un matin d’avril
S’il avait prêté attention à la grâce d’un de ses gestes ou de ses mouvements
Et aperçu son visage radieux qui brille de mille feux ;
Il aurait reconnu que tout Bien et toute Beauté se trouvent ici,
Et n’aurait pas cherché un monde transcendant les yeux de Chloé.
Pourtant Chloé, à l’instar de ses atours, est faite de glaise ordinaire,
Elle aussi est mortelle, et doit périr.
La victoire de la matière est facile à conter ;
Chloé, en dépit de toute sa beauté, devra vieillir.
Le paysage change en même temps que les saisons,
La musique cesse, les visions disparaissent ;
Les querelles des philosophes le doivent aussi,
Et Wittgenstein lui-même doit se taire ;
Nous nous enfonçons tous dans la même obscurité,
Ludwig et Chloé égaux, en fin de compte.
Richard, mon sermon est ancien, ma morale commune,
Mais ne reconnaîtras-tu pas qu’en fin de compte j’ai raison ?
Le problème est simple, me semble-t-il,
Entre bon sens et antique inanité,
Entre falsifier les faits jusqu’à ce qu’ils satisfassent nos passions
Ou affronter la vérité et en tirer le meilleur.
— La réaction de Wittgenstein à cette épître n’est pas connue, mais l’on sait qu’il dit avoir laissé derrière lui « tous ces Julian Bell ».
— « La valeur a pour seule demeure les États d’Esprit » est l’un des principes fondamentaux des Principia Ethica de Moore.
Beacon Hill School
Harting, Petersfield
08.05.1930
Pour des raisons de santé, je n’ai pas pu examiner, comme je l’aurais souhaité, les travaux récents de Wittgenstein. J’en ai discuté avec lui pendant cinq jours, au cours desquels il m’a exposé ses idées. Il m’a également remis une volumineuse dactylographie intitulée Philosophische Bemerkungen [Remarques philosophiques] dont j’ai lu le tiers environ. Il s’agit de notes à l’état brut qu’il aurait été très difficile de comprendre en l’absence de ces discussions. En l’état, ces notes contiennent des idées dont j’estime qu’elles sont, au moins en partie, nouvelles par rapport à celles exposées dans son Tractatus.
Wittgenstein soutient que, lorsqu’une chose se produit, il y en a d’autres qui auraient aussi pu se produire, disons dans ce domaine particulier de faits. Par exemple, si une certaine partie du mur est bleue, elle aurait pu être rouge, ou verte, etc. La dire de l’une de ces autres couleurs est faux, mais non dépourvu de sens. Mais dire qu’elle est bruyante ou stridente, ou lui appliquer un quelconque autre adjectif approprié au son c’est proférer un non-sens. Il y a donc, relativement à tout fait, un ensemble de possibilités d’une certaine sorte. Wittgenstein nomme cet ensemble « espace ». Il y a donc un « espace » des couleurs, comme un « espace » des sons. Les diverses relations qu’entretiennent entre elles les couleurs constituent la géométrie de cet « espace ». Tout cela est, en un sens, indépendant de l’expérience, autrement dit requiert le type d’expérience par lequel nous savons ce qu’est le « vert », mais non le type d’expérience par lequel nous savons qu’une certaine partie du mur est verte. Pour rendre compte de ce qui correspond dans le langage à ces divers « espaces », Wittgenstein se sert du mot « grammaire ». À toute occurrence d’un mot dénotant une région d’un certain « espace » peut être substitué un mot dénotant une autre région de cet « espace » sans qu’un non-sens se produise. Mais on ne peut pas substituer à ce mot un mot dénotant une quelconque région d’un autre « espace » sans recourir à une grammaire fautive (c’est-à-dire à un non-sens).
L’interprétation des mathématiques constitue une part considérable des recherches de Wittgenstein. Selon lui, dire que les mathématiques sont de la logique ou consistent en des tautologies est une erreur. La question de l’« infinité » est traitée de façon détaillée, et reliée à la conception de la possibilité, telle qu’elle est développée en référence aux divers « espaces ». Wittgenstein croit en ce qu’il nomme l’« infinie possibilité », mais non aux « classes infinies » ou « séries infinies » réelles. Ce qu’il dit de l’infinité n’est pas sans ressemblance avec ce que Brouwer en a dit (encore que ce ne soit pas délibéré de sa part). Toutefois, il se pourrait, selon moi, que cette ressemblance ne soit pas aussi étroite qu’il y paraît. L’induction mathématique est en effet longuement discutée.
Les théories mises en avant par ses travaux récents sont novatrices, très originales et sans aucun doute importantes. Mais j’ignore si elles sont vraies. En tant que logicien attaché à la simplicité, je serais porté à penser qu’elles ne le sont pas. Mais au vu de ce que j’ai lu de ses recherches, je suis vraiment certain qu’il faut lui donner l’opportunité de les poursuivre, car il se peut qu’une fois développées elles s’avèrent constituer une philosophie entièrement nouvelle.
Bertrand Russell
— Le 19 juin 1929, le Conseil de Trinity College alloua à Wittgenstein une bourse de 100 £ issue du fond Sizarship. Le 7 mars 1930, il demanda à G. E. Moore de faire établir des comptes rendus des travaux de Wittgenstein. Deux comptes rendus, l’un de Russell et l’autre de Littlewood, furent lus le 6 juin 1930 devant le Conseil et, le 30 juin de la même année, 100 £ supplémentaires, payables en deux échéances, furent allouées à Wittgenstein. Voir infra l’item 558 pour le compte rendu de Littlewood.
— Sur les rapports de Wittgenstein avec Brouwer (l’un des pères de l’intuitionnisme) dont, en 1928, il avait entendu la conférence à Vienne, voir notamment supra p. 397.
Quand Julian marmonne les Choses qu’il Ressent,
Quand il évoque ses valeurs vagues et inarticulées,
Il révèle les Muses de Bloomsbury qui habitent son Âme,
Et ses errances mystiques sur le chemin du Destin.
Il est naturellement blessé que Wittgenstein
Doive lui demander d’expliquer les Choses qu’il énonce —
Il cherche donc refuge dans une ligne abusive
Et fait Sonner le Glas des longs jours passés (grâce à Dieu).
G. G.
(The Cambridge Review, 9 mai 1930, p. 391.)
— L’auteur de cette réponse à l’épître de Bell n’a pas pu être identifié1.
Conseil de la Faculté des sciences morales
King’s College
16.05.1930
Cher Wittgenstein,
J’ai le plaisir de vous informer que le Conseil a créé une charge d’enseignement probatoire à la Faculté qu’il vous a attribuée pour un an, à partir du 1er octobre 1930. Avec l’accord du Conseil général des facultés de l’Université, il a fixé, pour l’année à venir, votre rémunération à 250 £, étant entendu que vous donnerez pendant les trois trimestres de l’année universitaire 1930-1931 trois heures hebdomadaires d’enseignement sur une base du même type que cette année (par exemple, une heure de cours et deux heures de conversation).
Dans la note que nous avons fait parvenir au Conseil général, nous avons fait référence au très grand succès de vos cours et de vos classes de conversation de cette année, ainsi qu’au fait que vos élèves apprennent bien plus de choses avec vous qu’ils ne le pourraient d’une quelconque autre façon.
Vous comprendrez que cet arrangement n’est valable que pour la prochaine année universitaire. Nous ne pouvons prévoir au-delà ni nos possibilités financières ni le nombre d’étudiants inscrits en philosophie.
Le Conseil a également décidé, avec l’accord du Conseil général, de vous régler 25 £ supplémentaires pour votre travail de cette année, et de vous rémunérer, pour l’année, d’une somme de 100 £ (au lieu de 45 £). Et cela, parce que vous avez donné trois heures hebdomadaires d’enseignement, alors que nous pensions, lorsque nous vous avions proposé 45 £, que vous n’en donneriez que deux. J’inclus donc un chèque de 62,10 £ (= 37,10 £ + 25 £), ainsi qu’un reçu que vous voudrez bien signer et me retourner.
Je suis désolé de ne pas avoir pu assister à votre discussion sur la généralité en raison du fait que j’ai été (et suis encore) malade.
— Braithwaite était alors secrétaire du Conseil de la Faculté des sciences morales (voir aussi les notes à la lettre 73).
— Discussion sur la généralité : Probablement les cours du 12 ou 15 mai dont fait état l’agenda de Wittgenstein.
Une fois les questions administratives réglées, le président a demandé au Dr Wittgenstein de présenter sa communication sur « Les fondements des mathématiques ».
Après avoir dit qu’il était impossible de traiter un sujet aussi vaste en un si bref laps de temps, le Dr Wittgenstein a néanmoins tenté de le traiter, et sa tentative a eu un grand succès. Il a d’abord cité et critiqué la définition russellienne du nombre (comme « classe des classes semblables à une classe donnée »), la similitude étant définie par la corrélation 1-1. Il a montré que Russell confondait l’existence d’une corrélation avec la possibilité de son existence. Une droite reliée par deux points fournit un autre exemple de cette confusion. Ainsi Frege affirme-t-il que la droite relie deux points, même si elle n’est pas tracée. Mais alors seule existe la possibilité de la tracer.
Après avoir pleinement développé cette idée, le Dr Wittgenstein a décrit les travaux très ingénieux de feu M. Ramsey sur ce sujet. Leur seul défaut, de même que celui des travaux de Frege et de quelques autres, a-t-il affirmé, est qu’ils sont si éblouissants que même un enfant pourrait se rendre compte qu’ils sont erronés.
Il a conclu sa communication par quelques remarques sur l’arithmétique montrant qu’elle n’est qu’un jeu et que son application n’a rien à voir avec les mathématiques.
Une discussion animée s’est ensuivie qui a, en grande partie, consisté à tenter de convaincre M. L. C. Young qu’il n’y avait aucun sens à soutenir que a = a est une convention. Le Dr Wittgenstein a suggéré, en présentant l’une des nombreuses illustrations qu’il a tirées de l’expérience quotidienne, qu’il se pourrait que le fait que les fous se déplacent latéralement sur l’échiquier soit applicable à des problèmes de guerre sur Mars. Le Président a saisi l’occasion d’une accalmie dans la discussion pour clore la séance de travail à 23 heures.
— Le mathématicien L. C. Young (1905-2000) fut étudiant « Isaac Newton », puis fellow de Trinity. Sur sa perception de Wittgenstein, cf. la note de la lettre 561. (Il a collaboré un certain temps avec H. S. M. Coxeter à la théorie des groupes [voir les lettres 564 et 565].)
Trinity College, Cambridge
01.06.1930
Wittgenstein m’a exposé oralement quelques-unes de ses idées en six ou huit sessions d’une durée comprise entre une heure et une heure trente. Cela n’a certes pas suffi pour que je les comprenne entièrement, mais j’en ai compris suffisamment pour en retirer l’impression que ses travaux sont de la plus grande importance. Étant donné le caractère révolutionnaire de ses idées, il me paraît évident que certaines d’entre elles sont destinées à devenir des éléments de la pensée logique. Même un néophyte peut avoir l’assurance légitime que certains travaux novateurs sont de tout premier ordre. C’est, à mon sens, le cas de ceux de Wittgenstein et le Conseil m’ayant demandé mon point de vue, le voici. Mais en logique, et même en logique mathématique, je ne suis qu’un amateur.
Avec ou sans raison, j’ai d’abord cru qu’il se pourrait que Wittgenstein s’appuie sur un capital ancien, ou qu’il soit dans l’incapacité de communiquer ses idées. Mais j’ai été agréablement surpris, et les entretiens que vous avons eus, je l’avoue très sincèrement, m’ont d’emblée intéressé, et je les ai fort appréciés. Ses illustrations me sont apparues éclairantes au plus haut point, il a fréquemment deviné ce qui suscitait mes hésitations, etc. En fait, et quelles que puissent être ses idiosyncrasies sur d’autres sujets, sur son propre terrain, c’est un esprit de tout premier ordre.
L’idée de capital ancien est sans fondement aucun. Wittgenstein a écrit autrefois un livre, et je dirai — ce qu’il convient de prendre au pied de la lettre — que je ne vois pas du tout pourquoi il ne pourrait pas en écrire un autre, plus important encore peut-être.
J. E. Littlewood
— L’agenda de poche de Wittgenstein montre qu’il rencontra Littlewood huit fois, en mai 1930.
— De l’élection de Wittgenstein au fellowship, Littlewood dit ceci (cf. Littlewood’s Miscellany, édition revue par Béla Bollobás, Cambridge, Cambridge University Press, 1986, p. 138) : « À la fin des années 1920, la question de donner le titre de fellow de rang B à Wittgenstein a été soulevée au Conseil. Un compte rendu de Russell semblait faire état de réserves ; il disait notamment n’être pas convaincu que les théories de Wittgenstein soient vraies. Or toute réserve risquait d’être fatale à un fellowship. Wittgenstein n’avait pas encore le statut qu’il eut par la suite, et le Conseil était sceptique. Il a décidé que je devais avoir une série de conversations avec lui et en rendre compte, et qu’il agirait en conséquence. Toute cette affaire m’est apparue incroyable. J’étais personnellement ami avec Wittgenstein — supposez que j’aie répondu “non” ! J’ai dit au Conseil qu’il me chargeait d’une mission vraiment délicate, mais nous nous en sommes sortis.
« Wittgenstein terminait toujours ses phrases en disant : “C’est impossible !” Et le “Il y a quelque chose qui ne va pas dans ce que je dis là” était une étape obligatoire. Au terme d’une demi-douzaine de séances, il me convainquit favorablement ; je fis donc mon compte rendu, et il obtint un fellowship de rang B. »
— Comme le montrent les notes adjointes au compte rendu établi par Russell (voir supra, l’item 554), les comptes rendus étaient réellement requis pour l’obtention d’une bourse du fonds Sizarship, mais un fellowship futur pouvait aussi bien être proposé par Littlewood — c’est-à-dire par le Conseil lui-même.
Raymond Edward Priestley (1886-1974, par la suite sir Raymond) était géologue de formation. Il avait pris part à deux expéditions dans l’Antarctique : en 1907-1909, sous la direction de sir Ernest Shackleton et, en 1911-1912, sous celle du capitaine R. F. Scott.
En 1930, il était secrétaire administratif responsable des étudiants diplômés et devint ensuite secrétaire général des facultés.
Il fut un temps proche de Wittgenstein, mais quitta Cambridge en 1935 pour occuper les fonctions de vice-chancelier d’abord à l’université de Melbourne, puis à l’université de Birmingham.
É. R.
Bureau d’enregistrement de l’Université, Cambridge
02.12.1930
Cher Wittgenstein,
Je ne saurais vous dire le plaisir que j’ai eu à recevoir la note vous concernant. Mes félicitations les plus sincères. C’est une nouvelle de premier ordre qui en outre résoudra, je présume, vos problèmes de logement, car vous disposerez probablement d’un appartement à Trinity. Vous avez maintenant l’assurance que vous pourrez continuer votre travail tant que votre cerveau fonctionnera, et que Cambridge vous appréciera vraiment. La prochaine étape, je l’espère, sera une charge d’enseignement à l’Université en bonne et due forme.
R. Priestley
Trinity College, Cambridge
05.12.1930
Cher Monsieur,
J’ai le plaisir de vous faire savoir que lors de la réunion du Conseil du Collège de ce matin, vous avez été élu à un fellowship de rang B.
J. J. Thomson
Samedi [Janvier 1933]
Chère Mademoiselle Cartwright,
Je vous remercie vivement pour votre lettre et pour le texte sur le « Nombre ». Je me demande si vous accepteriez que je le discute, mercredi prochain, dans notre classe. Cela serait très utile. La seule manière de tirer quelque chose de ces classes est d’essayer de formuler ses propres pensées sur un certain sujet et de les faire ensuite mettre en pièces. Si elles passent cette épreuve, tout va pour le mieux. Impossible de chercher une faille là où il n’y en a pas ! Dans l’hypothèse où vous n’auriez pas d’objection à ce que je discute votre texte mercredi, ne prenez pas, s’il vous plaît, la peine de préparer une réponse.
Ludwig Wittgenstein
— Mlle Mary Cartwright (1900-1998), qui devint Mistress of Girton, était une mathématicienne douée. Elle fut l’élève de Hardy, puis la collaboratrice de Littlewood. Elle a daté cette lettre de l’époque où elle assistait aux cours spécifiques que Wittgenstein donnait aux mathématiciens (ils avaient lieu le mercredi et commencèrent au trimestre d’automne 1932). Selon elle : « Le titre était : “Qu’est-ce que trois ?”, et Wittgenstein ne cessait de dire : “Donnez-moi du temps.” Il y avait une table sur tréteaux couverte de bouts de papier avec des notations semblables à celles du Tractatus que je ne cessais de regarder pendant les longs silences. Je fus déçue qu’il n’aille pas jusqu’aux cardinaux infinis. […] C’était difficile et important, mais il y avait chez lui un manque d’assurance et de confiance. » Le professeur George Temple a confirmé ces impressions : il dit n’avoir pas cessé de croire qu’une révélation pourrait se produire, mais que ce ne fut pas le cas. Le professeur L. C. Young a, quant à lui, exprimé un point de vue différent : à ses yeux, les mathématiciens qui cernaient le mode de pensée de Wittgenstein et son besoin de profondeur devenaient de bien meilleurs mathématiciens. Young écrit aussi ceci dans une notice nécrologique d’un ami de Wittgenstein, H. D. Ursell : « Les idées de Wittgenstein font partie d’une atmosphère générale et nouvelle de créativité, à un niveau très profond. Cette période fut probablement l’une des meilleures de l’Université » (Bulletin of the London Mathematical Society, 20 [1970], p. 344-346).
— Les « Notes de Wittgenstein sur la philosophie des mathématiques, 1932-1933 » ont été éditées par Alice Ambrose, in Cambridge Lectures 1932-19352.
Brouillon de lettre [Après le 20.05.1933]
KP — FJW
Chers Messieurs,
En réponse à votre lettre datée du 19 courant, je suis au regret de vous dire que, ne me souvenant plus de ce qu’étaient les corrections de M. Ramsey, j’aimerais les voir avant que la seconde édition ne soit donnée à l’impression. Je n’introduirai certainement pas de modifications supplémentaires.
Je souhaitais vous écrire pour un autre motif. J’ignore ce qu’ont été les ventes de mon livre, mais le fait que vous prépariez une seconde édition et certaines autres indications me portent à penser qu’il se vend plutôt bien maintenant. Sauf erreur de ma part, les termes de notre accord stipulaient que tous les droits vous revenaient. Je me demande donc si, étant donné les circonstances actuelles, vous n’estimeriez pas équitable de me verser des droits d’auteur pour la seconde édition (et les éditions à venir, s’il y en a). La raison de ma suggestion est, vous l’aurez compris, que, bien que je considère comme parfaitement correct notre accord de départ, puisque vous aviez pris un risque considérable en me publiant, il est maintenant clair que le livre est une source de profit.
J’espère que ma suggestion ne vous paraîtra pas déplacée.
— Voir la lettre 525 à Ogden.
— KP : L’éditeur Kegan Paul.
— FJW : Probablement l’éditeur Frederic John Warburg (1898-1981) qui travaillait à l’époque chez Routledge & Kegan Paul.
27.05.1933
Cher Monsieur,
J’ai lu, dans les Cambridge Studies in Philosophy qui viennent de paraître, l’article de M. Braithwaite, et j’ai quelques inquiétudes, en particulier au sujet de ce qu’il présente comme mes positions actuelles sur certaines questions philosophiques. Pendant ces quatre dernières années, j’ai mené des recherches philosophiques dont je n’ai rien publié, à l’exception, au tout début de cette période, d’un article bref (et faible) dans les Proceedings of the Aristotelian Society. Si j’avais rendu mes pensées accessibles au public, je ne vous dérangerais pas en vous écrivant, car tout lecteur sérieux pourrait s’informer de mes positions en lisant mes propres textes. Mais les choses étant ce qu’elles sont, l’article de M. Braithwaite est la seule source dont disposent ceux qui s’intéressent à mon travail. Je me trouve donc dans l’obligation de faire savoir à vos lecteurs que je désavoue les positions et les pensées que M. Braithwaite m’attribue. Certaines de ses affirmations peuvent être considérées comme une représentation inadéquate de mes positions, et d’autres les contredisent clairement.
Ce qui retarde la publication de mon travail — nommément la difficulté que j’ai à le présenter sous une forme claire et cohérente — m’empêche a fortiori de présenter mes positions dans l’espace d’une lettre. Le lecteur doit donc suspendre son jugement.
Ludwig Wittgenstein
— L’article de Braithwaite : « Philosophy », Cambridge University Studies 1933, p. 1-32.
— L’article des Proceedings of the Aristotelian Society : « Quelques remarques sur la forme logique », Proceedings of Aristotelian Society, Supplément, vol. 9 (1929), p. 162-171.
— Braithwaite écrivit la lettre suivante à Mind, laquelle fut également publiée dans le numéro de juillet (vol. 42 [1933], p. 416) : « Cher Monsieur, Le Dr Wittgenstein a eu l’amabilité de me montrer sa lettre publiée ci-dessus. Je serais désolé que quiconque puisse croire qu’il porte la responsabilité d’une quelconque des affirmations de mon article. J’avais cru qu’il ressortait clairement de mon paragraphe introductif que je traitais de l’impression faite sur moi par les philosophes de Cambridge. Mais le fait que le Dr Wittgenstein craigne que je n’aie engagé sa responsabilité me fait regretter de n’avoir pas expressément prévenu mon lecteur de ne pas accepter sans réserves les positions que j’attribuais à des auteurs qui n’avaient pas encore publié leurs travaux.
« Il n’est pas possible de juger de l’importance de mes erreurs sur le Dr Wittgenstein tant que le livre que nous attendons tous avec impatience n’aura pas paru.
Sincèrement vôtre,
R. B. Braithwaite »
Harold Scott Macdonald (d’où Donald) Coxeter (1907-2005) étudia les mathématiques à Trinity et devint ensuite professeur de géométrie projective au Canada.
É. R.
Hoe, Gomshall, Surrey
29.12.1933
Cher Wittgenstein,
Je suis désolé de vous déranger à nouveau pour une affaire aussi banale. J’ai entendu dire que vous aviez estimé à 10 £ la duplication des notes de vos cours de cette année. Ce qui est un prix modique et correct ; mais je vous demande de bien vouloir me confier cette tâche, non seulement parce que le coût en sera moindre, mais encore parce qu’une bonne partie du travail est déjà faite. On m’a proposé un duplicateur ronéo du dernier type en bon état pour la somme de 8 £, et j’en ai été tellement ravi que je l’ai acheté. À la fin du trimestre, Mme Braithwaite et moi-même l’avons fait fonctionner, ce qui nous a beaucoup amusés (mais aussi quelque peu embarrassés). Le résultat en est trente copies de vos six premiers cours, pour un prix de revient de 4 shillings par cours (pour le papier, l’encre et la découpe des pochoirs). Si vous le souhaitez, Mme Braithwaite les soumettra à votre approbation. J’espère que vous me pardonnerez d’avoir pris la liberté de vous écrire, et n’imaginerez pas que je le fais avec de quelconques « arrière-pensées ». Si vous décidez de nous laisser poursuivre, la machine restera la propriété de la Faculté des sciences morales, mais elle vous sera louée, à vous et à vos élèves, tout le temps nécessaire. Du point de vue financier, cela ne fera pas une grande différence, cette année. Mais si, comme nous le souhaitons, vous consentez à continuer avec nous, l’an prochain, l’avantage sera conséquent.
Avec mes meilleurs vœux.
Donald Coxeter
— Voir la lettre de Mlle Ambrose à Stevenson supra (p. 515).
[13.01.1934]
Cher Coxeter,
Je désapprouve considérablement votre conduite ; particulièrement la façon dont vous m’avez mis devant le « fait accompli3 » pour ne pas me laisser le choix. Je ne sais pas encore ce que je ferai, et n’en déciderai pas avant d’avoir parlé de cette affaire avec un ami au jugement duquel je peux me fier. Je veux néanmoins vous faire savoir que j’irai même jusqu’à renoncer à mes cours s’il s’avérait qu’il ne m’était pas possible, en tant que chargé d’enseignement, de les préserver de toute contamination par le journalisme.
Ludwig Wittgenstein
— Il s’agit là d’un brouillon de réponse noté sur la lettre même de Coxeter. Sa date a été établie sur la base de celle du retour de Wittgenstein de Vienne. Il n’est pas sûr que cette réponse ait été effectivement envoyée. Mais ce n’est pas totalement improbable.
— Un ami au jugement duquel je peux me fier : Vraisemblablement Moore. Son agenda montre que Wittgenstein fit appel à lui et lui « parla du duplicateur ». Il avait du reste déjà évoqué avec lui, le 28 novembre, la question de savoir si le Conseil de la faculté prendrait en charge les copies. Il est probable qu’il ait aussi arrangé les choses avec Coxeter.
11.12.1934
Cher Priestley,
Excusez-moi de venir vous harceler, alors que vous avez déjà bien des soucis. Mais l’affaire importe et vous êtes la seule de mes connaissances qui puisse me conseiller. — Mlle Alice Ambrose, qui est mon étudiante, doit écrire une thèse pour pouvoir obtenir un travail à Harvard, l’automne prochain. À cette fin, sa thèse doit être achevée aux alentours du mois d’octobre prochain. Or, si elle avait en poche un Ph. D. de Cambridge, cela lui serait d’un grand secours, mais il faudrait alors qu’elle termine sa thèse en avril prochain. — Il n’est certes pas exclu que d’ici avril elle soit en mesure d’avoir quelque chose qui puisse faire l’affaire pour un Ph. D., mais je suis certain qu’elle ne peut pas produire une thèse vraiment bonne dans un tel délai. En outre — et c’est le point le plus important —, si elle travaille d’arrache-pied à sa thèse (comme elle le devrait alors), elle ne pourra pas apprendre ce qu’elle doit apprendre pendant le reste de l’année universitaire et qu’elle est venue ici pour apprendre.
Je suppose que la seule difficulté véritable concerne son examen oral. Car elle pourrait envoyer sa thèse au moment où elle sera achevée (disons, à l’automne), et obtenir son Ph. D. à une date plus tardive. Mais elle n’a ni l’argent ni le temps de revenir d’Amérique pour passer un oral. Tout cela la désespère évidemment. Elle a l’impression que si elle doit terminer sa thèse en avril, elle ne pourra pas la préparer aussi bien qu’elle le doit et que, si elle consacre tout son temps à cette thèse, elle ne pourra pas atteindre son objectif primordial — c’est-à-dire apprendre tout ce qu’elle peut apprendre pendant qu’elle est à Cambridge.
Je me demande donc s’il n’y aurait pas moyen de l’aider, d’une façon ou d’une autre. Il serait très aimable à vous de me faire savoir ce que je peux faire, lorsque nous nous verrons jeudi.
Ludwig Wittgenstein
— Vous avez déjà bien des soucis : Probablement en raison de son départ pour l’Australie qui était imminent (voir supra p. 817, notice).
Université de Melbourne
26.03.1935
Cher Wittgenstein,
Grand merci pour votre lettre. Revoir votre écriture était une bonne chose. J’ai souvent pensé à vous, et pas seulement le mardi matin, à l’heure du petit déjeuner. […]
Je sais que vous me manquerez, mais j’espère que vous ne me manquerez pas trop, et j’ai été fort heureux d’apprendre que vous étiez en rapport avec Loewe et Bakhtine, et que Wisdom, le nouveau chargé d’enseignement en sciences morales de l’Université, s’est révélé sympathique et utile. […]
R. Priestley
— Priestley rencontrait les étudiants diplômés et les explorateurs à l’occasion du petit déjeuner. Ses agendas (consultés par McGuinness) parlent de petits déjeuners réguliers avec Wittgenstein. Et ceux de Wittgenstein indiquent à maintes reprises le nom de Priestley à 9 h 30 ou 10 h.
M. Wisdom a présenté « Une note sur Moore et Wittgenstein » : « On pourrait prétendre que Wittgenstein passe un temps invraisemblable à ne rien dire de défini dans ses cours, que Broad distribue des drogues et que Moore poursuit des chimères ; mais il (M. Wisdom) a remarqué que tous trois produisent sur ceux qui assistent à leurs cours un changement certes différent en chaque cas, mais qui est toujours le type de changement recherché par les philosophes. »
Frère de Mikhaïl, le théoricien littéraire Nicholas Bakhtine (1894-1950) s’était engagé comme volontaire dans l’armée russe pendant la Première Guerre mondiale et aux côtés des blancs pendant la guerre civile. Mais, plus tard, ses sympathies le portèrent du côté des rouges.
Après avoir passé son Ph. D. à Cambridge (1932-1935), Nicholas Bakhtine enseigna les lettres classiques (puis la linguistique) à Birmingham.
É. R.
34 Hilldown Road
Highfield, Southampton
21.11.1936
Cher Wittgenstein,
Le fait de ne pas vous avoir encore écrit me révolte — j’y songe toujours, mais je n’y réussis jamais. Je suis très heureux que vous alliez bien et que votre travail avance — et aussi très impatient de commencer à essayer de le traduire. Je sais que rien ne peut être fait avant votre retour et que nous pourrons y travailler ensemble, mais je crois que ce serait une bonne chose que je puisse en avoir une partie à l’avance pour me familiariser avec le texte et vous envoyer quelques échantillons de traduction pour que vous me corrigiez et conseilliez. Envoyez-moi donc quelque chose.
Nous sommes maintenant installés dans un cottage avec, à l’arrière, un ruisseau et un petit terrain sauvage. Ce n’est pas désagréable pour un début. Mon travail est aussi ennuyeux et prenant que d’ordinaire, mais il me paraît plus automatique et donc, dans une certaine mesure, moins pesant. Je n’ai aucune nouvelle de Skinner lui-même, mais George Thomson qui a passé un week-end ici m’a dit qu’il semble être très gai (Thomson est d’ailleurs nommé là bas, m’a-t-on dit, à Birmingham — mais la nouvelle est encore en attente de confirmation par je ne sais trop qui).
Quels sont vos projets pour Noël ? Viendrez-vous ici ? Nous avons l’intention d’aller passer deux ou trois semaines (du 18 décembre au 1er janvier) à Paris, mais dans l’hypothèse où vous viendriez, nous changerions nos plans pour ne pas vous rater. Écrivez-moi donc et envoyez-moi du travail !
N. Bakhtine
— Il y eut de nombreuses rencontres entre les deux hommes pendant les grandes vacances de 1936, et il semble qu’un projet ait été formé pour confier à Bakhtine la traduction du livre alors projeté. Il se peut aussi que Wittgenstein ait envoyé du travail à Bakhtine depuis la Norvège. En outre, Wittgenstein séjourna chez les Bakhtine à Southampton du 18 au 23 janvier 1937 (après son passage de janvier 1937 à Cambridge à l’occasion duquel il fit un certain nombre de « confessions »). Après son retour en Norvège, il nota, dans son journal (cf. MS 183), le 7 février 1937 : « Une fois encore, mon écriture manque de piété et d’humilité. Je crains que ce que je produis en ce moment ne paraisse à Bakhtine pire que ce que je lui ai donné. »
— G. H. von Wright a émis l’hypothèse que l’ami dont Wittgenstein dit, dans la préface aux Recherches philosophiques, qu’il a relu avec lui le Tractatus serait Bakhtine. B. McGuinness pense, pour des raisons de dates, que ce n’est pas le cas.
J. T. Saunders était l’un des administrateurs de l’Université de Cambridge.
É. R.
81 East Rd, Cambridge
14.05.1938
Cher Monsieur Saunders,
J’ai reçu, hier, une lettre du Dr Ewing m’informant que vous refusiez d’écrire au Home Office au sujet de mon autorisation (pour l’acceptation d’un poste à l’Université). Voudriez-vous, s’il vous plaît, me faire savoir si c’est effectivement le cas, ou si l’information transmise par le Dr Ewing repose sur une méprise ?
L. Wittgenstein
— A. C. Ewing (1899-1973), chargé d’enseignement en philosophie à Cambridge, était alors secrétaire de la faculté des sciences morales.
Copie au Dr Ewing G. B. 9038
20.05.1938
Cher Wittgenstein,
Lorsque le docteur Ewing m’a demandé si je voulais bien écrire au Home Office au sujet du renouvellement de votre autorisation de séjour dans ce pays, je lui ai dit que je ne pouvais le faire que si le Conseil général me le demandait. Je l’ai donc consulté lors de la réunion de mercredi, en suggérant que j’écrirais au Home Office en votre nom. Le Conseil a décidé que vous deviez vous-même prendre l’initiative du renouvellement ou du maintien de votre autorisation.
Le secrétaire général des Facultés
81 East Rd, Cambridge
23.05.1938
Cher Monsieur Saunders,
J’ai reçu votre lettre datée du 20. Comme je le craignais, il y a eu une méprise. Il n’a jamais été question d’une autorisation me permettant de « rester dans ce pays » (comme vous l’écrivez), mais d’une autorisation me permettant d’accepter une nomination universitaire dans ce pays. Si c’est la première question que vous avez posée au Conseil général, la réponse qu’il vous a donnée ne saurait donc concerner mon cas.
Ne voulant pas déranger à nouveau le Conseil, je m’occuperai moi-même des démarches auprès du Home Office, si elles se révèlent nécessaires — mais j’ai toute raison de croire qu’elles ne le seront pas.
L. Wittgenstein
Septième réunion, 1er décembre 1938
Docteur A. C. Ewing : « Une réponse à M. Wisdom sur l’absence de signification ».
Chairman : Professeur Moore
La septième réunion du trimestre s’est tenue à la bibliothèque des Sciences morales. Le Dr Ewing a présenté une réponse à M. Wisdom sur l’absence de signification. Il a soutenu que les remarques de M. Wisdom sur l’absence de signification sont plus subtiles que celles des autres défenseurs de l’utilité philosophique du Principe de Vérification, mais que, bien que M. Wisdom soit un bon exemple, le Principe de Vérification représente néanmoins un grand danger pour la philosophie.
Au cours de la discussion, le docteur Wittgenstein a affirmé qu’il n’avait entendu parler du Principe de Vérification que depuis une quinzaine de jours seulement. Il savait, en revanche, un certain nombre de choses sur la méthode exigeant la vérification des propositions — le point essentiel, lorsque l’on exige la vérification d’un certain énoncé, étant de mettre en évidence des distinctions. Mais il a émis le souhait que l’énoncé stipulant que la signification d’un énoncé est sa méthode de vérification ne soit pas nommé « principe ». Une telle appellation rend la philosophie trop semblable aux mathématiques. Or, en philosophie, il n’y a pas de propositions primitives. M. Wisdom a soutenu que l’énoncé en question était tout simplement ce que l’on nomme ordinairement un principe et que, pour régler le problème, on pourrait l’appeler « principe » et ensuite lui donner un autre nom. Le Dr Wittgenstein a estimé que cela serait extrêmement dangereux. Et il ne parvenait pas à comprendre pourquoi le Dr Ewing pensait que la méthode de vérification pourrait se révéler pernicieuse. Le Dr Ewing a répondu qu’elle le serait si l’on traitait comme dépourvus de signification les énoncés que l’on ne pense pas être vérifiables. Le Dr Wittgenstein a alors dit que poser la question de savoir comment l’on vérifie un énoncé, c’est se demander ce que l’on fait avec lui. Pour prouver que cette question est utile, il faut philosopher sur sa base. Le Dr Ewing a objecté que cette question n’éclairait aucunement ses propres pensées, et qu’en outre quelqu’un qui affirme qu’une méthode n’est pas un principe pourrait cependant la traiter comme si elle en était un.
Le docteur Wittgenstein a alors remarqué que l’opinion exprimée par le Dr Ewing consistait à croire que la question de savoir s’il y a des propositions synthétiques a priori se posait encore. Le problème se ramène à ceci : après qu’on a effectué un certain processus, certaines questions se révèlent utiles ou inutiles. Le docteur Ewing : prétendez-vous avoir montré qu’il ne peut exister de réponse à ces questions ? Le docteur Wittgenstein : en un sens, je pourrais dire qu’on ne peut pas leur donner de réponse — au sens où l’on ne peut pas se débarrasser d’elles. La méthode de vérification a mis un terme au sentiment qu’on a de devoir poser certaines questions. M. Wisdom a estimé que la façon dont le Dr Wittgenstein s’était exprimé incite les gens à croire qu’il veut leur faire cesser de se poser certaines questions. Et il a suggéré que, pour expliquer la méthode de vérification, il serait préférable de dire qu’elle nous apporte une satisfaction parce qu’elle nous permet de mieux saisir l’emploi du langage. Le Dr Wittgenstein a, pour a part, dit que la meilleure façon de déterminer si cette méthode de recherche est utile est de traiter par son moyen un ou deux problèmes. Le professeur Broad a par la suite affirmé que tout bon philosophe essaie d’appliquer cette méthode à chaque problème pris séparément.
Theodore Redpath
— Theodore Redpath, qui était alors secrétaire du Club, avait décidé de faire des comptes rendus plus substantiels. Dans son Ludwig Wittgenstein, A Student’s Memoir (p. 77-88), il a montré l’intérêt qu’avait à l’époque Wittgenstein pour le Club et son influence sur lui.
Cinquième réunion, 16 février 1939
M. D. Prince : « L’emploi d’un mot »
Chairman : Professeur Moore
La cinquième réunion du trimestre s’est tenue dans les appartements de M. Braithwaite, à King’s College. M. D. Prince a fait une communication intitulée « L’emploi d’un mot ». Il a tenté de montrer que l’équivalence : « la signification d’un mot » = « l’emploi attribué au mot » = « les occasions dans lesquelles il est employé » n’est pas tenable.
Dans la discussion, le docteur Wittgenstein a tenté de montrer quel était l’emploi de la première équivalence, et il a affirmé que nul n’avait jamais, selon lui, soutenu la seconde. Il a néanmoins estimé qu’en certains cas on peut inférer l’emploi correct d’un mot des occasions dans lesquelles il est employé, mais que dans certains autres on ne le peut pas. Il a également dit qu’il y a un cas où il est impossible de déterminer si la différence entre des remarques faites par deux personnes et semblant être en conflit est factuelle ou de l’ordre du langage — par exemple, lorsque je dis : « Ce vélo est vert », alors qu’on le dirait normalement noir.
Il a plus tard affirmé que dire : « Je ne sais jamais s’il y a un livre sur la table » n’est pas un énoncé portant sur le langage, mais que mettre en évidence certaines choses relatives à la notation employée par quelqu’un qui dit cela pourrait dissiper ses difficultés.
Theodore Redpath
— D. Prince : Derek T. Prince, un étudiant de King’s College qui venait d’être diplômé.
Sixième réunion, 23 février 1939
* Docteur L. Wittgenstein
La sixième réunion du trimestre s’est tenue dans les appartements de M. Smythies, à King’s College. Son secrétaire faisait fonction de chairman. Deux personnes y étaient invitées : le Dr Ewing et M. Braithwaite. Le Dr Wittgenstein a fait une brève allocution pour ouvrir la discussion. Il a posé la question suivante à l’assistance : pourquoi les philosophes s’interrogent-ils sur la signification d’un mot (d’un mot tout à fait commun) ? Ont-ils oublié la signification du terme, etc. ?
Le docteur Ewing a estimé que les cas les plus importants où les philosophes s’interrogent sur l’emploi d’un mot sont ceux où ils font tout autre chose que ce qu’ils croient faire — par exemple, dans le cas des objets physiques. M. Strachey a suggéré qu’on cherchait à donner une définition ou, du moins, à savoir s’il pouvait y en avoir une. M. Braithwaite a dit qu’il croyait qu’en un sens le philosophe cherchait une description explicite du comportement relatif à l’emploi du mot.
Le Dr Wittgenstein a alors posé la question de savoir comment une définition fonctionne, en tant que compte rendu cohérent de l’emploi d’un mot. Il a suggéré qu’on pourrait dire qu’une définition rassemble les usages d’un mot. Saint Augustin, lorsqu’il s’interroge sur la signification d’un mot, recueille les emplois de ce mot ; il se les remémore. Si la définition rend compte de la signification, ne serait-il pas étrange qu’on puisse l’oublier (Prince), car elle est certainement quelque chose de très simple ?
Le Dr Wittgenstein a ensuite demandé quelles qualifications devrait nécessairement avoir une définition pour pouvoir constituer une tentative de rendre compte de façon cohérente de l’emploi d’un mot. Ne faudrait-il pas qu’il y ait une technique de maniement des symboles pour que la définition indique la position exacte de ce mot par rapport aux différents symboles ? Si l’on définissait le nombre à la manière de Frege, aurait-on donné un compte rendu complet de l’emploi de « nombre » ou de « 1 » ? Non, car on ne rend pas compte ainsi de certains emplois effectifs des nombres, le comptage par exemple. La définition est un compte rendu bizarre de l’emploi d’un mot. On n’apprend le mot de la définition que pour autant qu’on maîtrise déjà la technique du langage. En ce sens, un compte rendu cohérent n’est pas donné par la définition.
Considérez le cas des objets physiques. Est-il possible de définir « casquette » au moyen des sense data ? Le Dr Wittgenstein : cela est très facile, mais ne mène nulle part.
Mais pourquoi souhaitons-nous un compte rendu cohérent ? Les philosophes ne s’interrogent que sur certains mots. M. Braithwaite : ils s’interrogent sur les mots typiques d’un certain groupe — table, par exemple, qui est typique d’un certain groupe. Le Dr Wittgenstein : oui, mais il y a autre chose, car ils cherchent une définition, mais ils ne veulent pas de la définition la plus naturelle, ils ne veulent pas, par exemple, définir « chaise » comme « quelque chose qui sert à s’asseoir ». Pourquoi ne sont-ils pas satisfaits par la définition normale ? Autrement dit : pourquoi souhaitent-ils la définition qui soit celle d’un objet physique ?
M. Earle a suggéré qu’ils souhaitaient définir « chaise » en termes proprement philosophiques.
Le Dr Wittgenstein a demandé si l’on pourrait dire que le philosophe cherche à décrire la relation qu’entretiennent entre eux deux types de mots.
En partie.
Saint Augustin estime très difficile de découvrir ce qu’est le temps. Mais que cherche-t-il à découvrir ? Quelqu’un pourrait dire que ce qui l’embarrassait n’est pas l’emploi du mot « temps », qui est quelque chose de terre à terre, mais l’essence du temps qui, elle, n’est pas terre à terre. Pourquoi était-il embarrassé ?
M. Rush Rhees a dit qu’un tel embarras se produit fréquemment lorsqu’un conflit apparaît entre divers emplois. Le Dr Wittgenstein : on nomme souvent cela une contradiction. Il a alors cité un passage des Principes de la mécanique où Hertz montre qu’on s’interroge sur l’essence de la matière, etc., parce que de nombreux critères de définition entrant en conflit les uns les autres ont été donnés pour ces notions. Cela irrite notre esprit et nous conduit à nous demander : « Quelle est l’essence de ceci et cela ? » Or on ne répond pas à cette question en établissant des critères supplémentaires, mais en n’en retenant qu’un petit nombre. Et une fois les contradictions levées, la question n’est pas résolue, mais l’esprit, n’étant plus tourmenté par elle, cesse de se la poser. Le Dr Wittgenstein a avoué qu’il considérait ce passage de Hertz comme un résumé de la philosophie.
Rien n’est plus caractéristique de la philosophie que de se poser des centaines de fois la même question. Dans un cas, on ne cesse pas de se la poser. Dans un autre, on cesse de se la poser. Que faut-il pour que vous cessiez de vous la poser ? Parfois, recourir à une nouvelle analogie qui en remplace une ancienne.
Le Dr Wittgenstein a souligné à plusieurs reprises qu’un enfant éprouve de la perplexité lorsqu’il découvre qu’un seul et même mot possède des significations différentes. Pour qu’il cesse d’être embarrassé par de tels cas, il faut que ceux-ci soient entourés par d’autres cas.
Le Dr Wittgenstein est ensuite revenu sur la discussion de la semaine précédente.
Dans un nombre considérable de cas, il est possible de remplacer « la signification d’un mot » par « l’emploi d’un mot ». En quel sens est-il utile de le faire ? M. Lewy : cela peut nous débarrasser de l’idée que la signification d’un mot est une image qui lui est attachée. Le Dr Wittgenstein : comment l’emploi et l’image sont-ils reliés ? N’y a-t-il pas, entre la définition ostensive et l’emploi, une connexion stricto sensu parallèle ? Si je demande : « Qu’est-ce qu’un zèbre ? », et que quelqu’un montre du doigt l’image d’un zèbre, cela implique-t-il qu’il emploie le mot « zèbre » à la manière dont nous le faisons ? En fait, dans de nombreux cas, la connexion entre la représentation (ou l’image) et l’emploi tient à ce qu’une représentation particulière correspond à un emploi particulier ; et là où cette correspondance n’existe pas — ce qui constitue aussi de très nombreux cas —, l’embarras se produit.
Pourquoi est-il utile, dans un nombre considérable de cas, de s’interroger sur l’emploi, et non sur la signification ? Parce que la signification suggère un objet, alors que l’emploi suggère un certain nombre d’objets déployés dans le temps.« Dans nombre de cas, il est conseillé de remplacer “signification du mot” par “usage du mot” » est un slogan parfois ridiculisé, parfois applaudi. À tort, dans l’un et l’autre cas. Si l’on philosophe, il est naturel qu’on en vienne à certains types d’étapes par où il est recommandé de passer. Les recherches philosophiques sont fastidieuses, difficiles et sujettes à l’oubli. Les slogans, eux, sont faciles, et ils restent en mémoire. Si l’emploi va de l’avant, mais que le slogan reste sur place, alors il est ridicule. Le Dr Wittgenstein a dit que, bien qu’il ait souvent recouru aux termes du slogan, il n’a jamais éprouvé besoin de lui donner un nom.
Le fait que tous les objets qui nous entourent aient un seul nom est d’une importance colossale. De quoi cela est-il un principe ?
Theodore Redpath
— * Docteur L . Wittgenstein : L’astérisque indique qu’il s’agissait d’une réunion où n’étaient d’ordinaire admis que ceux dont le nom figurait sur la liste des cours de l’Université. Mais Ewing et Braithwaite assistèrent aussi à cette réunion, en tant qu’invités de Smythies (chez qui la réunion se déroulait). Voir Th. Redpath, Ludwig Wittgenstein, A Student’s Memoir, p. 79 sq.
— Wittgenstein a traité la question augustinienne « Qu’est-ce que le temps ? » dans Le Cahier bleu. Il citait aussi souvent le passage des Principes de la mécanique qu’il évoque ici. Et il avait même envisagé de retenir comme épigraphe des Recherches philosophiques la phrase (mise en italique ci-dessous, tirée du passage suivant des Principes) : « Ce n’est pas en découvrant un plus grand nombre de nouvelles relations et connexions qu’on peut y [c’est-à-dire à la question portant sur leur nature ou essence] répondre, mais en supprimant les contradictions entre les relations et connexions déjà découvertes, et peut-être aussi en réduisant leur nombre. Quand ces contradictions pénibles seront supprimées, on n’aura pas résolu la question relative à la nature de la force, mais notre esprit n’étant plus tourmenté cessera de poser des questions illégitimes. »
— M. Strachey : Probablement Christopher Strachey de King’s College, étudiant en mathématiques et en sciences naturelles, qui obtint son diplôme en 1939 (information communiquée à B. McGuinness par Jonathan Smith).
— M. Earle : T. J. Earle, qui venait d’obtenir son diplôme à St. John’s College.
Douzième réunion, 2 février 1940
Professeur L. Wittgenstein : « Nécessité causale et nécessité logique »
Chairman : Professeur Moore
La douzième réunion de la Société s’est tenue dans les appartements du Prof. Wittgenstein, à Trinity College. Le Prof. Wittgenstein y a traité de la nécessité causale et de la nécessité logique. Il s’est principalement attaché à montrer comment une proposition, au départ fondée sur l’expérience et tenue pour empirique, peut ensuite être considérée comme nécessaire et analytique. Il a montré que l’idée (ou plutôt une certaine idée) de la nécessité causale était intimement liée — ou même plutôt engendrée — par l’idée de « suivre un mécanisme ».
Le point central de la discussion qui a suivi a porté sur la signification et l’emploi de l’expression « évident par soi », lorsqu’on dit, par exemple, que certaines propositions ou certains principes de causalité sont évidents par soi.
— « Suivre un mécanisme » : Dans le chapitre IV de On Understanding Physics, Watson propose une bonne analyse des rapports entre mécanisme et causalité. Et il souligne également sa dette à l’égard de Wittgenstein. Sraffa était, quant à lui, sceptique sur l’emploi de la notion de causalité.
[…]
Le président a donné la parole au professeur L. Wittgenstein qui avait aimablement accepté de faire une communication sur « La pente des mathématiques », malgré ses problèmes de santé.
Le professeur a d’abord soumis à l’examen certaines phrases usuelles où apparaît l’idée de comparaison. Certaines d’entre elles — par exemple celles qui comparent des hommes — sont des énoncés d’expérience. D’autres, comme « Le noir est plus sombre que le gris », sont plus justement considérées comme grammaticales. Les distinguer les unes des autres a une grande importance lorsqu’on traite des idées de longueur et de mesure. En philosophie des mathématiques, l’une des difficultés principales tient à ce que certaines définitions passent pour des énoncés d’expérience.
Le conférencier a ensuite pris en considération d’autres énoncés qu’il a décrits comme « valant à l’intérieur de la région du manifeste », par exemple : « Le tout est plus grand que la partie. » Une proposition de cette nature est indépendante du temps, mais elle implique que la méthode de mesure soit soumise à certaines restrictions. On peut comparer les nombres de différentes façons, par exemple en attribuant à chaque objet que l’on doit compter un symbole soumis à des règles, ou encore en corrélant terme à terme les objets en question. Les observateurs adultes normaux s’aperçoivent que les résultats qu’ils obtiennent par ces différentes méthodes sont toujours les mêmes, sauf dans un très petit nombre de cas où les divergences sont dues à une erreur qu’une recherche supplémentaire permet de corriger.
Le professeur Wittgenstein a expliqué qu’il est possible de concevoir des systèmes où ce n’est pas le cas, ou bien où deux résultats (ou plus) sont l’un et l’autre corrects. Il a pris en considération la définition russellienne de l’addition, et l’a résumée en disant que l’introduction d’une définition implique toujours une nouvelle technique. Des questions lui ont ensuite été posées sur les rapports de la physique aux mathématiques. Après de nombreuses tentatives infructueuses de leur trouver une réponse, le président a saisi l’opportunité d’un moment d’accalmie dans la controverse Newman-Wittgenstein pour remercier le professeur pour sa communication. Il a levé la séance de travail à 22 h 55.
— La controverse Newman-Wittgenstein : Vraisemblablement une controverse avec M. H. A. Newman, mathématicien qui assista à la réunion, et que Wittgenstein évoque dans une lettre à Moore (104).
Storeys End, Cambridge
28.02.1940
Cher Professeur Wittgenstein,
Smythies ne s’est présenté qu’aujourd’hui devant le tribunal C. O. J’ai « fait état » de votre lettre. Il est venu avec un dossier très fourni et très élaboré présentant toute une variété de cas de conscience hypothétiques et établissant les circonstances dans lesquelles l’objecteur doit être emprisonné et celles dans lesquelles il ne le doit pas. Il n’est pas possible qu’il ait examiné de près la loi, car le risque d’emprisonnement est extrêmement restreint.
Sa sincérité était manifeste. La seule question était de savoir quoi faire de lui. Nous l’avons en définitive intégralement exempté en raison de sa sincérité et de son incompétence manifeste pour le travail aux champs, ou pour tout autre travail qui n’est pas en accord avec ses convictions.
J’espère qu’il trouvera une occupation susceptible de satisfaire sa conscience et son esprit. (Il a dit qu’il allait quitter Cambridge à la fin du trimestre.) Mais j’ai du mal à me faire une idée de ce que pourrait être cette occupation. Il nous a semblé singulièrement éloigné du monde extérieur — le philosophe type. [Ici apparaît une adjonction manuscrite de Wittgenstein à l’intention de Sraffa : Je l’ai dit !]
J. H. Clapham
— Cette lettre a été retrouvée à Trinity College dans les papiers de Sraffa.
— Clapham : Sir J. H. Clapham siégeait au tribunal devant lequel Smythies comparut. Il était économiste et ami de Keynes, auquel il s’opposait cependant sous divers rapports.
— Smythies était objecteur de conscience. Il a raconté à son ami Frank Cioffi qu’avant d’aller au tribunal il avait rendu visite à Wittgenstein et Sraffa (vraisemblablement le 24 février) qui avaient sévèrement critiqué les arguments qu’il se proposait de mettre en avant. Mais il les admirait pour leur sévérité (ce qui ne semble cependant pas lui avoir fait de tort). On lui trouva finalement un poste de bibliothécaire dans un institut de sylviculture, à Oxford.
M. Isaiah Berlin de All Souls College (Oxford) a fait une communication sur le « Solipsisme ».
[Du fait de l’absence d’un compte rendu précis de cette séance, B. McGuinness a inséré ici celui que Berlin lui en a donné :] « Tous les philosophes de Cambridge étaient là — Braithwaite, Broad, Ewing, Moore, Wisdom. Il y en avait aussi un sixième qui était de petite taille et avait une très belle silhouette. Il était arrivé entouré d’acolytes qui portaient des vestes de tweed et une chemise blanche, identiques aux siennes. C’était Ludwig Wittgenstein. »
Berlin fit une communication sur la question de savoir comment on peut connaître les états mentaux intérieurs des autres. C’était, se souvient-il, « terriblement ennuyeux ». Après qu’on lui eut posé quelques questions, Wittgenstein fit montre d’impatience et prit en main la discussion. Berlin se rappelle qu’il lui dit : « Ne parlons pas de philosophie. Parlons affaire entre nous. D’affaires ordinaires. Dans des circonstances ordinaires, je vous dis : “Vous voyez une pendule. L’aiguille des minutes et celle des heures sont l’une et l’autre fixées sur le cadran, face à certains chiffres. Elles tournent, mais le temps reste le même. Non ? C’est cela, le solipsisme.” »
— Nous donnons ici la date et le titre tels qu’ils apparaissent dans le registre des comptes rendus du Club des sciences morales, bien qu’Ignatieff et Berlin aient daté la réunion du 10 juin 1940.
— Isaiah Berlin (1909-1997) est un philosophe oxonien (considéré comme un historien des idées et plus généralement comme un sage).
Seconde réunion, 25 octobre 1940
Professeur L. Wittgenstein : « Les autres esprits »
Chairman : Monsieur Lewy
La seconde réunion du trimestre s’est tenue dans les appartements de M. T. Moore, à Trinity College. Dans sa communication, le Prof. Wittgenstein a abordé les divers problèmes liés à l’esprit des autres. Il a d’abord mentionné quelques-unes des réponses qui ont été données à la question : « Comment avez-vous connaissance de l’existence de l’esprit des autres ? », et exposé les raisons pour lesquelles il considérait comme insatisfaisant l’argument reposant sur l’analogie. Il a ensuite discuté de la nature même de la question et notamment décrit de façon assez détaillée le type de circonstances dans lesquelles il dirait, lui, que quelqu’un ne croit pas que les autres ont un esprit, ou qu’il croit que les fleurs ont des sensations.
Une discussion s’est ensuivie.
Timothy Moore
— Dans les appartements de M. T. Moore : Timothy est le fils de G. E. Moore. Il n’était pas encore diplômé.
Huitième réunion, 31 janvier 1941
John Wisdom : « Nous avons l’idée que… »
Chairman : Docteur Ewing
La huitième réunion du trimestre s’est tenue dans les appartements de M. Moore, à Trinity College. M. Wisdom a d’abord rappelé que, lors de la réunion précédente, le professeur Hardy avait cité une remarque faite par M. Malcolm (tirée d’un texte publié dans Mind en avril 1940) où celui-ci soutenait que, lorsque nous proférons des énoncés nécessaires, nous ne décrivons pas des faits. C’est alors que le professeur Wittgenstein a « reniflé », et que M. Wisdom a expliqué ce que, selon le Prof. Wittgenstein, M. Malcolm avait fait dans son article, mais en soulignant que ce que M. Malcolm et lui-même (M. Wisdom) avaient écrit n’était pas plus effroyable que ce que le Prof. Wittgenstein avait dit en de nombreuses occasions. À quoi il a ajouté que rien de tout cela n’était réellement effroyable, mais au contraire de tout premier ordre, quoique parfois insatisfaisant. Il a ensuite comparé l’énoncé de M. Malcolm (que l’on peut exprimer ainsi : « Nous avons l’idée que les énoncés nécessaires décrivent des faits ») avec l’énoncé mis en avant, dans une réunion antérieure du Club, par le Prof. Wittgenstein : « Nous avons l’idée que la signification d’un mot est un objet » (sous-entendant que cette idée est une méprise) ; et il a soutenu que ces deux énoncés possèdent, comme toutes les théories philosophiques, certaines caractéristiques qui nous poussent à les qualifier de faussetés nécessaires, et certaines autres qui nous poussent à les qualifier d’énoncés dépourvus de sens. Il a ensuite pris la défense de ces deux énoncés. À cette fin, il a d’abord souligné que, s’ils prêtent le flanc à la critique puisqu’ils font l’objet de méprises, ce n’est cependant plus le cas dès lors qu’on les accompagne de précisions supplémentaires (qu’il n’a pas indiquées), et il a ensuite montré que ces énoncés constituent des recommandations utiles et correctes pour formuler les questions métaphysiques et leurs réponses (par exemple : « N’exigez pas l’analyse de la proposition S est P ; exigez la description de l’emploi de la phrase « S est P »).
Une discussion a suivi.
— L’énoncé de M. Malcolm : Cf. Norman Malcolm, « Are Necessary Propositions Really Verbal ? [Les propositions nécessaires sont-elles vraiment verbales ?] », Mind, vol. 49 (avril 1940), p. 185-203. Dans cet article, Malcolm traite effectivement de la tentation dont parle Wisdom, mais il soutient que : « Lorsque nous employons, dans la vie ordinaire, des propositions nécessaires, nous ne les employons pas comme des énoncés descriptifs. »
Trinity College, Cambridge
14.10.1941
Cher Monsieur le Vice-Chancelier,
J’ai décidé, après mûre réflexion, de participer à l’effort de guerre, et j’ai accepté la fonction de « brancardier » au Guy’s Hospital, à Londres. Je dois donc quitter Cambridge au début de la semaine prochaine. Auriez-vous l’extrême amabilité de m’accorder un entretien à un moment ou à un autre de la semaine ? Je souhaiterais faire une demande d’autorisation d’absence.
Ludwig Wittgenstein
— Cette lettre est datée du jour des obsèques de Francis Skinner, dont la mort, survenue le 11 octobre, mit pendant quelques jours Wittgenstein dans un état de prostration. Mais sa décision de participer à l’effort de guerre est antérieure, bien que la mort de Skinner ait dû accélérer son départ. Le journal de Priestley fait en effet état d’une rencontre avec lui, en septembre à Birmingham (où Priestley était alors vice-chancelier) : « Wittgenstein est venu dîner, ce mercredi. Il se propose de laisser tomber son poste à Cambridge pour s’engager dans un certain type de service national. Je l’ai persuadé de ne pas démissionner, mais de simplement demander une autorisation d’absence sans traitement pour la durée de la guerre. Tant du point de vue de Cambridge que du sien propre, il serait déplorable qu’il se retire purement et simplement. J’ai essayé de m’arranger pour qu’il rejoigne la Friends Ambulance, mais ça n’a hélas pas marché, et je crains qu’il doive se résigner à ne pas trouver de place dans les Services. Ce n’est pas simple, car pendant la dernière guerre, il était officier d’artillerie dans l’armée autrichienne, mais comme il ne l’est plus depuis fort longtemps, il ne se sent capable ni d’être artilleur ni d’être officier. Son objectif actuel est d’être un engagé de base et d’obtenir un poste dans une unité médicale. »
Il se peut que, plus tard en septembre, Wittgenstein ait rendu visite au professeur Ryle qui s’était arrangé pour lui trouver une fonction de brancardier au Guy’s Hospital. Voir R. Monk, Ludwig Wittgenstein : The Duty of Genius, p. 431-432. R. Thouless a noté, dans son journal de l’époque (qu’il a montré à McGuinness), que Wittgenstein lui avait dit avoir été refusé par le corps médical de l’armée royale, en raison du fait qu’il était un ancien ennemi, de nationalité étrangère.
Louis Goodstein (1912-1985) était mathématicien. Il assista à certains cours de Wittgenstein et reconnut lui devoir beaucoup. C’était aussi un ami fidèle de Francis Skinner.
É. R.
Denmark House,
Southcote Rd, Reading
26.10.1941
Cher docteur Wittgenstein,
Je vous remercie vivement pour vos lettres. Trois colis contenant les papiers de Francis me sont parvenus le 22. Je vous suis très reconnaissant de me les avoir envoyés, car je souhaitais vraiment les avoir. Pour l’instant, j’en ai trié deux. Ils contiennent :
1) Travail fait à l’école ;
2) Notes de cours prises à l’université, accompagnées d’exemples élaborés ;
3) Un volume de notes (à l’état brut) de vos cours prises par Francis et une copie au propre de ces notes, datées de Noël 1934.
Je n’ai pas besoin de vous dire combien tout cela est magnifiquement ordonné, soigné et minutieux — une véritable partie de Francis lui-même.
Je présume que les notes dictées auxquelles vous faites référence se trouvent dans le troisième colis.
Si je découvre quelque chose de Francis qui soit suffisamment abouti pour être publié, je reprendrai contact avec vous à ce sujet.
La famille de Francis ne se rend peut-être pas compte que son œuvre primordiale était sa vie et que, maintenant que nous l’avons perdu, ce qu’il nous reste de plus précieux est le souvenir de cette vie, et non quelque chose que l’on pourrait habiller de mots pour en faire un article philosophique. Vous dites que les membres de sa famille ne semblent pas se rendre compte de ce qu’ils ont perdu, mais peut-être est-ce parce qu’ils l’avaient déjà perdu, il y a des années. Si j’ai des nouvelles d’eux, ce qui est, je crois, improbable, bien que je leur aie évidemment écrit, j’essaierai de leur expliquer que ce qu’ils tentent de faire est la dernière chose que Francis aurait souhaitée.
Je vous préviendrai de mon prochain passage à Londres dans l’espoir de pouvoir vous rencontrer.
Louis Goodstein
— La famille de Skinner avait bien des réserves sur le rôle joué par Wittgenstein et même par Goodstein dans la vie de Skinner. Et il est vrai que celui-ci ne tira pas parti de ses capacités mathématiques qui semblaient remarquables (il avait été Wrangler4 en mathématiques). Néanmoins, Goodstein et ses autres amis respectaient son choix de vie et, dans une certaine mesure, ils le comprenaient aussi, d’autant que sa santé était très fragile.
— Les papiers de Skinner ont été prêtés à la bibliothèque de Trinity College et le professeur Arthur Gibson travaille sur eux.
Le professeur Broad a suggéré que soit adressée au professeur Wittgenstein une résolution exprimant la perte que son absence représente pour les membres du Club, ainsi que leur espoir de le voir revenir vite. Cette résolution a été adoptée à l’unanimité.
— Cet extrait est un exemple du traitement « précautionneux » que Broad estimait requis pour Wittgenstein.
Nuffield House, Guy’s Hospital,
Londres S.E.1
30.01.1942
Cher Saunders,
Merci pour votre lettre du 16 janvier. C’est avec plaisir que j’ai appris la décision du Conseil général. Je vous transmettrai mes frais de voyage à la fin du trimestre prochain.
L. Wittgenstein
— Fichier du personnel de l’Université de Cambridge :
G. B. Notes du 14 janvier 1942
4. (e) Professeur Wittgenstein
(Voir le compte rendu 4 (f) du 15 octobre 1941.
du Docteur Broad :
Professeur Wittgenstein
17 décembre 1941
Je vous écris, à titre de chairman du Conseil de la faculté des sciences morales, pour vous demander d’attirer dès que possible l’attention du Conseil général sur le point suivant.
Certains des élèves de Wittgenstein lui ont demandé de revenir les week-ends à Cambridge pendant le trimestre, et de donner ses cours et ses classes de conversation habituels le samedi. Il a expérimenté cela deux fois, à la fin du trimestre d’automne, et il pense pouvoir continuer à procéder ainsi, pour sa propre satisfaction et celle de sa classe. Il a donc décidé de donner un cours dans ses appartements pendant le trimestre d’hiver, et de poursuivre, si les choses se passent bien, pendant le trimestre de printemps. Le Collège a pris ses dispositions pour qu’il puisse disposer de ses appartements pendant le week-end.
J’ai compris qu’actuellement Wittgenstein ne recevait plus aucune part de son salaire de professeur. Si c’est effectivement le cas, il conviendrait de revoir sa position à la lumière du fait qu’il va s’acquitter d’une part non négligeable de son travail d’enseignement usuel et engager des frais pour se déplacer.
Wittgenstein est au courant du contenu de cette lettre, et il m’a donné son accord.
P. S. Dans la lettre qu’il m’a écrite après que j’ai soulevé le problème, Wittgenstein me dit ceci : « Quant à votre dernière suggestion, je ne me soucie pas du remboursement de mes frais de déplacement. Mais si vous estimez cela équitable, je vous serai reconnaissant de poser la question. »
Le Conseil a reçu une lettre l’informant que le professeur Wittgenstein serait dans l’incapacité de faire cours ce trimestre [le trimestre de printemps 1942] du fait de ses problèmes de santé.
Les électeurs ont procédé au vote pour la chaire Knightbridge. H. H. Price : 4 ; L. Wittgenstein : 3.
Étaient présents et votaient : Broad, Boys Smith, Thouless, Mace, Braithwaite, Wisdom, Ewing.
— Problèmes de santé : Wittgenstein ayant dû subir une opération en raison de calculs, son autorisation d’absence dût être modifiée. Son arrêt de travail pour cause de maladie lui permit de bénéficier de sa rémunération complète.
— Robert Thouless (1894-1984) était psychologue de l’éducation à Trinity et auteur de Straight Thinking in Wartime (La droiture de la pensée en période de guerre), Londres, Hodder & Stoughton, 1942. Wittgenstein faisait souvent à cette époque des promenades avec lui quand il revenait à Cambridge et il l’avait même désigné comme exécuteur testamentaire (mais il modifia par la suite son testament).
Nuffield House, Guy’s Hospital, S.E.1
24.05.1942
Cher Saunders,
Merci beaucoup pour votre lettre datée du 24 avril que j’ai reçue juste avant mon opération. Je suis très reconnaissant au Conseil général pour sa décision généreuse. Je suis en convalescence et espère pouvoir travailler de nouveau à l’hôpital dans 5 ou 6 semaines.
N’oubliez pas, s’il vous plaît, de m’écrire bientôt.
L. Wittgenstein
— Sa décision généreuse : La décision de lui verser son traitement le temps de sa maladie.
Nuffield House,
Guy’s Hospital, S.E.1
21.07.1942
Cher Saunders,
Je suis maintenant complètement rétabli et ai repris mon travail au Guy’s Hospital. Je crains de ne pas savoir comment présenter une nouvelle autorisation d’absence. Auriez-vous la gentillesse de me faire savoir quelles démarches, s’il y en a, je dois effectuer ?
L. Wittgenstein
Guy’s Hospital, S.E.1
23.07.1942
Cher Sartain,
Merci beaucoup pour votre lettre du 22 courant. J’ai rejoint mon poste au Guy’s Hospital le 9 juillet.
L. Wittgenstein
J. T. Saunders Esq., M. A.,
University Registry,
Cambridge.
Mon adresse temporaire :
Royal Victoria Infirmary
Newcastle-upon-Tyne
04.05.1943
Cher Saunders,
Merci pour votre lettre du 1er mai. Mon titre officiel est : assistant de laboratoire de l’unité de recherche clinique du Conseil de recherche médical. Mon salaire est de 4 £ par semaine.
L. Wittgenstein
Chez Rhees,
96 Bryn Rd, Swansea
07.03.1944
Cher Saunders,
Merci beaucoup pour votre lettre du 2 mars. Veuillez m’excuser de vous répondre avec tant de retard, mais pendant quelques jours je me suis trouvé dans l’incapacité de décider de ce que j’allais vous dire. J’apprécie grandement la gentillesse et la générosité qu’a manifestées le Conseil général en me proposant un salaire pour ce trimestre, mais je dois vous informer que je préférerais ne pas être payé pour le travail que je fais en ce moment, car il n’est pas du tout clair qu’il ne se révèle pas être un véritable gâchis. Par ailleurs, il est pour moi très important que je m’en acquitte de la meilleure manière que je le puis ; et l’idée — dont je ne parviens pas à me débarrasser — que je puisse recevoir un salaire pour faire, en quelque sorte, la fête me perturberait et rendrait donc les conditions moins favorables encore.
Je vous demande donc de bien vouloir m’accorder une autorisation sans rénumération. (Je suis, d’ailleurs, en aussi bonne santé que possible.) J’espère que vous ne croyez pas que je suis ingrat, car ce n’est pas le cas.
L. Wittgenstein
— Archives de l’Université de Cambridge, fichier du personnel : « Le professeur Wittgenstein a quitté Newcastle, il y a deux jours. Il passera deux ou trois mois hors de Cambridge pour préparer un livre. Lorsque le livre sera prêt pour l’impression, il reprendra un travail dans le cadre de l’effort de guerre et ne reviendra donc pas à Cambridge. Il est actuellement à Swansea : Chez Rhees, 96 Bryn Rd Swansea. »
— Archives de l’Université de Cambridge, fichier du personnel : « G. B. Notes du 15 mars 1944. 2. Autorisation d’absence : Professeur Wittgenstein. (Voir le compte rendu 3(a) du 8 mars 1944.) Une lettre du professeur Wittgenstein sera lue à la réunion. »
Une lettre de Wittgenstein datée du 7 mars indique qu’aucune raison médicale ne le dispense plus de ses obligations universitaires à partir du 16 février — date à laquelle il a quitté le poste qu’il occupait à l’infirmerie de la Marine royale à Newcastle-upon-Tyne — jusqu’à la fin du trimestre. Il avait été convenu que le fait qu’il ne soit pas à Cambridge pendant la seconde moitié de ce trimestre serait excusé, et qu’il serait déchargé de ses obligations professorales pendant le trimestre de printemps, sans perdre sa rénumération. »
— Les notes consignées dans ce fichier attestent qu’il fut suggéré à Wittgenstein de prendre une sorte de congé de maladie (ce qui aurait été administrativement bien plus simple), mais qu’il refusa de le faire.
Chez Mme Mann,
10 Langland Rd, Mumbles Swansea
23.03.1944
Cher Saunders,
Merci pour votre lettre du 18 mars. Je suis reconnaissant au Conseil général d’avoir excusé mon absence de Cambridge et de m’avoir dispensé de m’acquitter de mes obligations universitaires la semaine prochaine.
L. Wittgenstein
Chez Rhees,
96 Bryn Rd, Swansea
16.09.1944
Cher Saunders,
Dans les circonstances actuelles, il ne me paraît pas y avoir de sens à ce que j’assume à nouveau un travail de guerre au début du mois d’octobre. Je reviendrai donc à Cambridge et y reprendrai mes obligations au trimestre d’automne.
L. Wittgenstein
Brouillon Trinity College Cambridge
18.5.1945
Chère Mademoiselle Curtis,
Mme G. E. M. Geach a assisté à mes cours de philosophie pendant quatre trimestres. Étant donné que le nombre de mes étudiants n’est pas élevé et que j’ai, avec eux, des discussions pendant et après la classe, j’ai été en mesure de me faire une idée précise de ses capacités philosophiques.
Elle est, sans aucun doute, l’étudiante féminine la plus douée que j’ai eue depuis 1930, date à laquelle j’ai commencé à enseigner ; et parmi mes étudiants masculins, il y en a seulement 8 ou 10 qui ont des capacités identiques ou supérieures aux siennes. Elle a une excellente approche des problèmes philosophiques, une grande capacité de travail et est très sérieuse. Je souhaite donc recommander très chaleureusement sa candidature à un fellowship de recherche.
J’estime le sujet sur lequel elle se propose de travailler particulièrement adéquat à son tour d’esprit.
Les deux essais qu’elle a joints à son dossier constituent une base solide pour le développement de pensées philosophiques, mais ils manquent encore beaucoup de maturité. À mon sens, cela ne doit pas jouer en sa défaveur. C’est en effet la conséquence inévitable du fait qu’en venant à Cambridge elle a été sujette à de nouvelles influences philosophiques qu’elle n’a pas eu le temps d’assimiler. Un tel processus d’assimilation exige un travail difficile et considérable, et il n’est pas possible de l’accélérer. — Il y a toute raison de croire qu’elle produira en philosophie du travail solide et intéressant. Je vous redis donc que je la recommande très chaleureusement.
Ludwig Wittgenstein
— Mademoiselle Curtis : Une inconnue.
— Madame G. E. M. Geach : L’épouse de Peter Geach, que Wittgenstein nommait (comme elle le souhaitait) « Miss Anscombe », était alors l’une de ses élèves. Elle fut aussi l’un de ses trois exécuteurs littéraires.
— À ce brouillon, sont attachées les notes suivantes :
[grande variété de sujets philosophiques
sincérité
excellente enseignante qui s’exprime dans un langage simple et clair
toujours prête à prendre sérieusement en considération les difficultés des autres, patience extraordinaire]
8 ou 10 étudiants l’ont égalée, et rares sont ceux qui l’ont dépassée.
Elle a une grande capacité à s’attaquer aux problèmes philosophiques. Au cours de nos conversations, j’ai trouvé ses mots très justes. Elle n’est pas superficielle, mais modeste, véridique et pondérée. Je m’attends à ce qu’elle produise…
Le professeur Wittgenstein a proposé que le tarif des inscriptions aux doctorats avancés soit augmenté pour compenser l’augmentation des émoluments versés aux accesseurs des thèses. Motion adoptée 5/2.
— Cette proposition est la seule de Wittgenstein enregistrée dans les comptes rendus du Conseil. (Pour obtenir un doctorat littéraire ou scientifique pour l’ensemble de ses travaux, l’étudiant devait déposer une demande qui était examinée par deux assesseurs.)
Le professeur Wittgenstein a proposé que la lettre suivante soit écrite à toutes les personnes conviées aux discussions ouvertes : « Nous serions très heureux si vous acceptiez d’ouvrir la discussion au Club des sciences morales de Cambridge sur… L’objectif du Club est de débattre de problèmes philosophiques. L’expérience nous a montré qu’en une soirée on ne peut traiter qu’un petit nombre de points. En règle générale, les débats les meilleurs sont suscités par des communications brèves ou par quelques remarques introductives présentant un puzzle philosophique, et non par de longues communications élaborées qu’il est difficile d’assimiler à la simple audition. »
Cette proposition fut acceptée à l’unanimité.
Trimestre d’automne 1945