CHAPITRE 14

La procédure budgétaire locale

Le terme de procédure budgétaire englobe à la fois l’élaboration et l’adoption du budget. L’exécution du budget en est le prolongement et permet en outre l’établissement de comptes qui alimentent la préparation des budgets suivants. Que ce soit au niveau national ou au niveau local, la procédure budgétaire est un épisode clé de la vie administrative et démocratique.

Si la LOLF ne régit pas la procédure budgétaire locale, celle-ci n’en demeure pas moins soumise aux grands principes budgétaires que sont l’annualité, l’unité, la non-affectation, avec cependant certaines atténuations propres aux collectivités territoriales.

Au-delà de ces grands principes, il apparaît que la procédure budgétaire locale est soumise à un ensemble de contraintes légales et à un contrôle du préfet et des chambres régionales (ou territoriales) des comptes (CRC). Il existe ainsi un équilibre entre libre administration des collectivités territoriales et contrôle budgétaire et financier.

1 La préparation des budgets locaux est l’œuvre de l’exécutif local mais demeure encadrée par des règles strictes

1.1 L’élaboration du budget relève du pouvoir exécutif local

b La préparation du budget s’inscrit dans un cycle budgétaire long

Comme pour le budget de l’État, la préparation budgétaire locale s’échelonne sur un temps long : elle débute par l’analyse de la situation financière de la collectivité, basée sur les résultats de l’exercice précédent. Ces résultats apparaissent dans le compte administratif, tenu par l’ordonnateur (cf. encadré 1), ainsi que dans le compte de gestion, issu de la comptabilité officielle tenue par le comptable public. C’est notamment sur ces résultats que sont évaluées les marges de manœuvre financières des collectivités territoriales, par exemple par l’estimation de la capacité d’autofinancement.

ENCADRÉ 1

Le compte administratif des collectivités locales

La préparation budgétaire s’appuie particulièrement sur le compte administratif, qui est l’équivalent d’une loi de règlement. Il rapproche les prévisions de l’exécution effective des dépenses et des recettes.

Le compte administratif :

– est tenu par l’ordonnateur, étant entendu que les montants portés dans ce compte doivent correspondre à ceux inscrits au compte de gestion tenu par le comptable public ;

– retrace les opérations réalisées durant l’année, ainsi que les « restes à réaliser », c’est-à-dire les crédits d’engagement qui ont été engagés sans que les crédits de payement correspondants ne soient encore consommés ;

– est présenté en deux sections, fonctionnement/investissement ;

La préparation budgétaire nécessite également un ensemble de données fournies par les services de l’État, notamment les services préfectoraux et ceux de la direction départementale des finances publiques : dotations budgétaires, bases prévisionnelles des impôts directs locaux… En outre, ces services peuvent éclairer les collectivités sur l’évolution du cadre législatif (paramètres des dotations et des fonds de péréquation, législation fiscale…) et de l’environnement financier (conditions d’emprunt…).

Une évaluation des recettes et des dépenses doit ensuite être effectuée tant pour la section de fonctionnement que la section d’investissement. De même, la capacité d’autofinancement et le niveau d’emprunt doivent être déterminés afin que les deux sections soient équilibrées entre elles et en leur sein.

1.2 Une procédure encadrée par un ensemble de règles propres aux collectivités territoriales mais variables selon les catégories

a Le budget est présenté en deux sections et respecte une « règle d’or »

L’exécutif doit respecter la séparation entre section de fonctionnement et section d’investissement, ce que ne prévoit pas la LOLF. En revanche, les crédits sont présentés à la fois en autorisations d’engagement (ou de programme pour les investissements) et en crédits de paiement, de la même manière que pour le budget de l’État.

La section de fonctionnement regroupe les dépenses ordinaires, à savoir les opérations relatives au fonctionnement courant et aux activités des services, ainsi que les intérêts de la dette. Ainsi, dès lors que l’emprunt n’est possible qu’en section d’investissement, les collectivités ne peuvent pas s’endetter pour rembourser des intérêts d’emprunt, ce qui prévient l’effet boule de neige de la dette (cf. chapitre 30). Les recettes de la section de fonctionnement sont les recettes fiscales, la plupart des dotations, ainsi que les produits d’exploitation et les produits domaniaux.

Les recettes doivent être au moins égales aux dépenses, de sorte que la section de fonctionnement soit équilibrée, conformément à la « règle d’or » des budgets locaux. Le solde positif de la section de fonctionnement constitue l’autofinancement de la collectivité et vient abonder les recettes de la section d’investissement.

Cette dernière regroupe les dépenses extraordinaires : remboursement du capital des emprunts, achats de matériels et mobiliers, acquisition de bâtiments, travaux… Les biens dont l’acquisition relève de la section d’investissement sont ceux qui remplissent des conditions de durabilité et de consistance et dont la valeur unitaire est au moins égale à 500 €. Pour les biens répondant à ces conditions mais dont le coût est inférieur à ce seuil, une délibération expresse de l’assemblée délibérante peut néanmoins décider leur inscription en section d’investissement.

Les recettes d’investissement comprennent l’autofinancement, le FCTVA (cf. chapitre 13), les subventions et dotations affectées à l’investissement (comme la dotation générale d’équipement), les cessions d’immobilisations, l’emprunt et… les produits des amendes de police de la circulation et des radars. La présence de cette dernière recette dans la section d’investissement se justifie par la volonté d’encourager l’investissement dans les infrastructures routières, notamment à des fins de sécurité routière.

L’emprunt, seulement autorisé dans la section d’investissement, apporte le complément de ressources éventuellement nécessaire à l’équilibre de cette section. Toutefois, il n’est pas possible d’emprunter aux seules fins de rembourser l’annuité du capital de la dette, toujours dans le but de prévenir l’effet boule de neige de la dette.

b Les nomenclatures budgétaires et comptables dépendent de la catégorie et de la taille de la collectivité

Les budgets locaux sont en principe structurés selon une nomenclature comptable par nature de dépenses, propre à chaque niveau de collectivités et inspirée du plan comptable général en vigueur dans la comptabilité privée. Cette nomenclature est plus fine que la présentation par nature prévue par la LOLF, qui ne repose que sur sept titres (cf. chapitre 7).

Les budgets locaux ne sont pas soumis à la nomenclature fonctionnelle en missions, programmes et actions prévue pour le budget de l’État par la LOLF. Cependant, les grandes collectivités (les régions, les départements et les communes de plus de 10 000 habitants) peuvent opter pour une nomenclature fonctionnelle propre aux budgets locaux, en lieu et place de la nomenclature par nature. Cette option est cependant peu utilisée du fait de sa plus grande complexité.

Pour plus de lisibilité, les collectivités qui retiennent une présentation par nature sont toutefois tenues, à l’exception des communes de moins de 3 500 habitants, de l’assortir d’une présentation fonctionnelle du budget, plus simple que la nomenclature fonctionnelle détaillée. Les fonctions utilisées pour les présentations fonctionnelles détaillée et simplifiée sont au nombre de dix :

L’ensemble de ces nomenclatures sont fixées par des instructions budgétaires et comptables établies par arrêté ministériel – par exemple l’instruction « M 14 » pour les communes.

2 L’adoption des budgets locaux appartient aux assemblées délibérantes mais est soumise à un ensemble de contraintes

2.1 Le budget est voté par l’assemblée délibérante

Le débat démocratique commence avant le vote du budget, qui intervient en cours d’exercice budgétaire.

a Le vote du budget est précédé d’un débat d’orientation budgétaire

Sauf dans les communes de moins de 3 500 habitants, l’organisation d’un débat d’orientation budgétaire (DOB) est obligatoire dans les deux mois précédant le vote du budget. Cet espace de temps est porté à 10 semaines pour les régions. Le DOB porte sur les orientations générales du budget – y compris les engagements pluriannuels pour les régions. Il permet d’associer l’assemblée délibérante à la conception du projet de budget en temps utile pour tenir compte des suggestions de ses membres.

D’autres formalités substantielles sont prévues. Toutes les collectivités territoriales et EPCI à fiscalité propre de plus de 50 000 habitants doivent ainsi présenter à l’assemblée délibérante, préalablement aux débats sur le projet de budget, un rapport sur la situation de la collectivité en matière de développement durable, de manière à ce que les débats sur le projet de budget puissent éventuellement en tenir compte. En outre, les régions doivent solliciter l’avis du Conseil économique, social et environnemental de région (CESER). À défaut de respecter ces formalités, la délibération adoptant le budget est irrégulière.

Le budget est voté par l’assemblée délibérante de la collectivité, dûment convoquée à cet effet. La convocation est accompagnée de documents budgétaires (le projet de budget pour les départements et régions, une note de synthèse pour les communes de plus de 3 500 habitants). Préalablement à la délibération en séance plénière, le projet de budget est soumis à la commission chargée des finances, qui rend un avis consultatif.

Le vote se fait en principe par chapitre, éventuellement par article ou encore, dans les collectivités de plus de 10 000 habitants, par nature ou par fonction. La section de fonctionnement est votée avant la section d’investissement. Toutefois, une fois formellement soumis à l’assemblée, le projet de budget est généralement fort peu modifié.

b Le budget est adopté annuellement mais en cours d’année

Le budget d’une collectivité territoriale prend la forme d’un budget primitif (BP) pouvant être modifié par des décisions modificatives (DM).

Le BP, qui correspond à une LFI, prévoit et autorise les dépenses et les recettes de la collectivité, ce qui suppose qu’elles soient évaluées de manière sincère. Il comporte quatre parties :

Le calendrier de l’adoption du BP déroge aux règles qui s’appliquent au budget de l’État et notamment au corollaire du principe d’annualité, qui veut que le budget soit voté avant le début de l’année budgétaire. Le principe d’annualité est assoupli afin que les collectivités puissent voter leur budget sur la base d’informations fiables et précises, notamment quant aux montants des concours financiers et aux bases des impôts directs locaux. Ainsi, même si dans l’idéal, le budget des collectivités locales doit être voté avant le 1er janvier de l’année N, il peut être voté jusqu’au 15 avril (30 avril en année d’élection locale).

Pendant la période qui sépare le 1er janvier de la date d’adoption du budget, l’exécutif local peut mettre en recouvrement les recettes mais ne peut, par exemple, souscrire de nouveaux emprunts. De manière similaire, il peut engager et liquider les dépenses de fonctionnement dans la limite des crédits inscrits au budget précédent. En revanche, les dépenses d’investissement ne peuvent être mandatées que dans la limite du quart des crédits de l’année précédente et ce sur autorisation expresse de l’assemblée délibérante.

Enfin, la DM est l’équivalent d’une LFR. Son objet est d’ajuster les dépenses et les recettes et, en particulier, d’intégrer au budget N le report en cours d’exercice de l’excédent ou du déficit constaté par le compte administratif N-1. La DM qui procède à l’intégration de ce report, ainsi qu’éventuellement à d’autres ajustements, est couramment appelée le budget supplémentaire (BS). Ce dernier intervient après le vote du compte administratif et introduit un chaînage entre les budgets des deux exercices successifs N-1 et N. Toutefois, l’amélioration de la qualité des comptes des collectivités locales permet souvent de constater le résultat de l’exercice N-1 suffisamment tôt pour en tenir compte dès le BP ; auquel cas, aucun BS n’est nécessaire.

2.2 Le budget est soumis au contrôle de l’État avant d’être rendu exécutoire

a Le préfet et, le cas échéant, la CRC, contrôlent le budget voire suppléent au pouvoir budgétaire local

Dans un délai de 15 jours après la délibération adoptant le budget, les documents budgétaires doivent être transmis au préfet. Ce dernier effectue alors un contrôle de légalité, condition de l’exécution du budget, en vérifiant que l’ensemble des conditions formelles et de fond ont été respectées (présentation conforme à la loi, équilibre budgétaire réel, inscription des dépenses obligatoires2, respect des consultations obligatoires, régularité de la convocation et de la délibération…). Ce contrôle budgétaire est assuré par la direction de la préfecture chargée des collectivités locales.

En cas d’irrégularité importante, visible dans le délai d’adoption du budget ou ultérieurement dans le cadre de son exécution, le préfet saisit la chambre régionale des comptes (CRC). Il peut mettre en œuvre plusieurs procédures :

Si la collectivité ne corrige pas spontanément la situation, le préfet modifie ou, le cas échéant, arrête le budget, sur avis de la CRC. Cet avis comporte une analyse détaillée de la situation financière de la collectivité, propose les rectifications à apporter à son budget et formule aussi des préconisations plus générales sur sa gestion. L’avis de la CRC n’est que consultatif mais, en règle générale, le préfet ne s’en écarte pas.

En amont de cette intervention de la CRC dans le cadre du contrôle budgétaire, les difficultés financières des collectivités peuvent être anticipées et, si possible, prévenues. C’est tout l’objet du « réseau d’alerte sur les finances locales », animé par les préfets et les directeurs départementaux des finances publiques. Ce dispositif de détection, qui fait appel à l’analyse des comptes des collectivités, a pour objet de déceler préventivement les difficultés financières des collectivités territoriales, dès le printemps suivant la clôture de l’exercice. Ainsi, les services de l’État peuvent appeler rapidement l’attention des élus concernés sur les risques inhérents à la situation financière de leur collectivité, de manière à ce qu’ils puissent prendre le plus en amont possible les dispositions nécessaires3.

b L’exécution du budget relève du pouvoir exécutif

Les dépenses et les recettes sont exécutées conformément à la séparation entre ordonnateur (le chef de l’exécutif) et comptable (le comptable public) (cf. chapitre 11). Le premier est maître de la phase administrative, tandis que le second est responsable de la phase comptable.

S’agissant de l’exécution des dépenses, l’ordonnateur procède à leur engagement en prenant la décision faisant naître une dette à l’égard d’un tiers. Il en calcule ensuite le montant (liquidation), puis la mandate, c’est-à-dire qu’il donne ordre au comptable public de payer. Ce dernier contrôle la dépense (visa) avant de la prendre en charge et de la payer. Il doit en refuser le paiement si elle est en l’état irrégulière. Si cette irrégularité peut être corrigée (pièces manquantes…), il prend naturellement l’attache de l’ordonnateur pour qu’il remédie à la situation.

À noter cependant que l’ordonnateur peut décider de réquisitionner le comptable lorsque ce dernier refuse de payer des mandatements. Cette procédure, rarement mise en œuvre, n’est pas sans risque pour l’ordonnateur, puisque l’exercice du droit de réquisition a pour effet de transférer sur sa personne la responsabilité, y compris pécuniaire, de la régularité du paiement. La CRC est informée et, si la réquisition n’est pas justifiée, l’ordonnateur est passible de la CDBF (cf. chapitre 12). En outre, la réquisition est sans effet dans certains cas, notamment lorsque la collectivité ne dispose pas des fonds nécessaires au paiement.

L’exécution des recettes est techniquement semblable à celle des dépenses. L’ordonnateur procède à la constatation des droits et à la liquidation de la créance, puis décide de sa mise en recouvrement. Le comptable contrôle le titre de recette et ses pièces justificatives. En l’absence d’obstacle, il prend en charge la créance et procède au recouvrement de la somme.

À noter que les collectivités locales ne sont pas responsables du recouvrement des impôts locaux. Sauf exception (la taxe de séjour), ces derniers sont entièrement gérés et recouvrés par les services de l’État, qui perçoivent pour cette raison, en sus de l’impôt local, des frais de gestion majorant la cotisation d’impôt des contribuables locaux.

*

L’absence de réforme d’ampleur du droit budgétaire local, semblable à la LOLF, s’explique par le caractère particulier voire précurseur de la procédure budgétaire locale par rapport à celle de l’État antérieurement à la LOLF. La règle d’or, le contrôle budgétaire de l’État et la tenue des comptes par le comptable public, l’existence d’une présentation fonctionnelle, l’exigence démocratique complétée pour les régions par la consultation du CESER… L’ensemble de ces éléments font des finances locales un secteur très encadré, de manière à assurer la transparence et la lisibilité des comptes locaux et à éviter les dérives financières, tout en laissant aux élus locaux une grande liberté de gestion. Pour autant, le phénomène des emprunts dits toxiques a démontré qu’un manque de vigilance quant aux engagements financiers des APUL, tant de la part des collectivités locales que de la part des services de l’État, demeurait possible.