JULIA BALBILLA [72  - V. 130 apr. J.-C.]

Poétesse grecque.

Fille du prince Antiochos Épiphane et d’une Grecque d’Égypte, Claudia Capitolina, Julia Balbilla appartenait à la famille royale de Commagène, en exil à Rome depuis environ 72 apr. J.-C. Noble et cultivée, elle est un rare exemple de poétesse de cour : elle fut dame de compagnie de Sabina Augusta, épouse de l’empereur Hadrien, qu’elle suivit en Égypte lors d’un voyage en 130 apr. J.-C. Il y avait près de Thèbes, selon Pausanias (I, 42), une statue gigantesque représentant un personnage assis : Memnon, le héros grec, fils de l’Aurore et de Tithon, qui, parti de l’Éthiopie, avait traversé l’Égypte et était allé jusqu’à Suse. Selon la tradition gréco-romaine, cette énorme statue déplorait d’une voix plaintive les malheurs de Memnon (Philostrate, Héroïque, XXVI, 16 ; Vie d’Apollonios, VI, 4 ; Callistrate, Descriptions, IX). Parmi les nombreuses inscriptions, grecques et latines, gravées sur ce colosse figuraient quatre épigrammes en distiques élégiaques de Julia Balbilla, écrits en dialecte éolien (à savoir la langue de Sappho*, à l’époque plutôt obsolète). Les touristes romains avaient pris l’habitude de laisser leur trace sur ce monument colossal, exprimant leur admiration pour cette merveille de l’Égypte, qui était ainsi devenue une sorte de registre des visiteurs.

Les graffitis de Julia Balbilla n’étaient pas de simples gribouillages personnels. Ces 45 lignes dithyrambiques, pleines d’érudition, furent écrites par l’ambitieuse Balbilla pour commémorer chacune de ses visites au colosse, seule ou en compagnie de l’entourage impérial. Ses vers ont vraisemblablement été gravés plus tard par quelqu’un d’autre. Dans l’une des épigrammes, elle rend un hommage flatteur à l’empereur Hadrien, chéri des dieux, qui eut l’honneur d’entendre trois fois la voix de la statue. Dans une autre, qui rappelle la visite de l’impératrice Sabina, elle adresse un hymne à Memnon, lui demandant d’accueillir avec bienveillance la chaste et admirable épouse d’Hadrien. Faisant de ponctuelles et savantes références à l’histoire et à la mythologie, Julia Balbilla, qui se qualifie de « pieuse », énumère, avec un orgueil non dénué de vanité, les noms de ses ancêtres vénérables et cultivés, et demande à Memnon de lui accorder, à elle qui par ses vers assurera l’immortalité de la statue, le salut de son âme immortelle. Il s’agit d’une sorte de sphragis (signature), qui manifeste combien Julia Balbilla est infatuée de ses origines et de ses vers, ce dont témoigne la recherche affectée de formes dialectales éoliennes. Dans un autre de ses poèmes, le plus court et le plus personnel, elle précise la date et l’heure de sa visite.

Sur la statue étaient également gravés plusieurs autres poèmes écrits par des femmes, évoquant tous les sons inarticulés produits au lever du soleil par cette statue de pierre (Caecilia Trebulla, qui nous a laissé trois épigrammes en trimètres iambiques, dans lesquelles elle exprime le souhait que sa mère aussi puisse entendre la voix de Memnon ; Damô, « qui aime les chants », philaoidos, comme Sappho ; Dionysia et Julia Saturnina, dames de compagnie de Fulvie, auteures chacune d’un proskynema en trimètres iambiques, datable de 122 apr. J.-C. ; Sabina Augusta, auteure de deux inscriptions en prose).

Marella NAPPI

BRENNAN T. C., « The poets Julia Balbilla and Damo at the Colossus of Memnon », in Classical World, vol. 91, no 4, 1997-1998 ; DE MARTINO F., Poetesse greche, Bari, Levante, 2006 ; PAULY A., WISSOWA G., Realenzyklopädie, vol. X, no 1, 923-925 ; PLANT I. M., Women Writers of Ancient Greece and Rome : an Anthology, Norman, University of Oklahoma Press, 2004.

IPPOLITO A., « Tecnica compositiva e modelli letterari degli epigrammi di Giulia Balbilla », in Sileno, vol. 22, nos 1-2, 1996.

JULIA DOMNA [SYRIE V. 158 - ID. 217 apr. J.-C.]

Impératrice philosophe romaine.

Issue d’une famille noble, Julia Domna était la fille de Julius Bassianus, personnalité religieuse de premier plan, prêtre du dieu local Élagabal. Une prédiction astrologique la destinait à se marier avec un souverain : elle devint la deuxième épouse de Septime Sévère, avant qu’il n’accède au trône. Elle eut beaucoup d’influence à la cour, où elle donnait régulièrement des réceptions officielles ; s’y pressaient les hommes les plus influents. Elle accompagnait toujours son mari dans ses expéditions militaires à travers l’Empire (en Asie Mineure, en Mésopotamie, en Égypte) et en 195 apr. J.-C. elle reçut le titre de Mater castrorum (« Mère des camps »), comme la défunte impératrice Faustine la Jeune, épouse de Marc Aurèle. Le nom de l’Augusta apparaît sur les monnaies de l’époque et son titre de « Mère du sénat, de la patrie et des camps » figure dans les dédicaces officielles à son adresse. Connue pour son amour de la culture et pour son intelligence, Julia Domna s’entoura de philosophes, écrivains, sophistes et rhéteurs célèbres comme Philostrate, Diogène Laërce, Arria III*, Athénée, Dion Cassius et probablement aussi le médecin Galien. Un document épigraphique – en 213/214 Julia Domna écrivit aux Éphésiens une lettre qu’ils firent graver dans la pierre – prouve l’intérêt de l’impératrice pour les activités intellectuelles. Son cercle de lettrés et de savants – sur sa composition nous n’avons toutefois aucune certitude – était très actif et Julia Domna s’employa à protéger et à favoriser les productions artistiques de ses amis. Philostrate fait d’elle la commanditaire de sa Vie d’Apollonios de Tyane (I, 3), un philosophe néo-pythagoricien. Bien que qualifiée de « philosophe » par Philostrate (Vie des sophistes, II, 30), Julia Domna n’a écrit aucun ouvrage philosophique. Par ailleurs, dans une lettre adressée à l’impératrice, dont l’authenticité est encore discutée, Philostrate loue ses qualités et la compare à la compagne de Périclès, Aspasie (Epistolae LXXIII). D’après le témoignage de Dion Cassius (Histoire romaine, LXXV, 15, 6-7), Julia Domna aurait trouvé dans l’étude de la philosophie et dans la fréquentation des intellectuels de son cercle un refuge contre les tourments politiques de l’époque, et en particulier contre Plautien, préfet du prétoire qui ne supportait pas de voir Julia jouer un rôle public de premier plan (rôle dont témoignent un grand nombre de titres honorifiques) et qui ne cessait de l’accuser auprès de son mari pour l’écarter du pouvoir. Grâce à ses nombreux voyages à travers l’Empire romain, Julia prit conscience des querelles qui divisaient les diverses sectes chrétiennes. Après la mort de son mari en 211, elle prit le pouvoir et essaya de maintenir un équilibre entre ses fils Géta et Caracalla, mais elle ne put empêcher l’assassinat de Géta par Caracalla, en sa présence (Hérodien, IV, 4, 3). Elle gouverna aux côtés de son fils Caracalla, s’occupant de l’administration civile de l’Empire (en particulier de la correspondance officielle, d’après Dion Cassius, Histoire romaine, LXXVIII, 4, 3). La relation, prétendument incestueuse, entre la mère et le fils suscita de nombreux ragots (Eutrope VIII, 20 ; Hérodien, IV, 9, 3). À la mort de son fils, Julia Domna se laissa mourir de faim.

Marella NAPPI

BIRLEY A. R., Septimius Severus : the African Emperor, Londres, Routledge, 1999 ; BOWERSOCK G. W., Greek Sophists in the Roman Empire, Oxford, Clarendon Press, 1969 ; GHEDINI F., Giulia Domna tra oriente e occidente, Rome, L’Erma di Bretschneider, 1984 ; GOULET R. (dir.), Dictionnaire des philosophes antiques, vol. III, Paris, CNRS, 2000, no 42 ; KETTENHOFEN E., Die Syrischen Augustae in der historischen Überlieferung : ein Beitrag zum Problem der Orientalisierung, Bonn, R. Habelt, 1979 ; HEMELRIJK E. A., Matrona docta : Educated Women in the Roman Élite from Cornelia to Julia Domna, Londres/New York, Routledge, 1999 ; LEVICK B., Julia Domna : Syrian Empress, Londres, Routledge, 2007 ; WAITHE M. E. (dir.), A History of Women Philosophers, vol. I, Boston/Londres, Kluwer, 1987.

JULIETTE (Juliette NOUREDDINE, dite) [PARIS 1962]

Pianiste et auteure-compositrice-interprète française.

Juliette a grandi en région parisienne, à Suresnes, au sein d’une famille nombreuse. Là, avec sa bande, elle refait le monde, non loin de la rue Salengro (« Mais p’têt’que le monde s’rait un peu plus beau/Si l’on n’faisait pas d’ses rêves de marmot/Des petits bateaux partis à vau-l’eau/Au ruisseau d’la rue Roger Salengro »). Née dans un milieu de gauche « rouge », « et rouge pas seulement de colère », c’est dans l’Humanité qu’elle découvre le mot « homosexualité » et réalise, à 11 ans, qu’elle n’est pas toute seule. Son père est musicien et de grandes voix de femmes ont bercé son enfance telles Amalia Rodriguès*, Fairouz*… Après des études de musicologie, elle interprète au piano des chansons d’Édith Piaf* et de Jacques Brel dans les bars toulousains. Le public la découvre en 1985 au festival de Bourges puis dans les premières parties des récitals de Gilbert Lafaille, Jean Guidoni où elle rencontre Pierre Philippe qui écrira certaines de ses chansons. Elle reçoit le Grand Prix de la chanson française à Sarrebruck en 1990 et remporte l’année suivante le Prix du jury et du public des Hauts-de-Seine. Son premier album, ¿ Qué tal ? , est enregistré en public au Théâtre d’Ivry avec une interprétation mémorable de L’homme à la moto d’É. Piaf. Elle est récompensée par plusieurs victoires de la musique et le prix Charles-Cros. En 1999, elle chante à l’Olympia pour la première fois et participe à de nombreux albums collectifs : La chanson en lumière (avec la chanson Rimes féminines), La comptine à Titine, Les oiseaux de passage et sur l’album hommage à Boris Vian : On n’est pas là pour se faire engueuler. Elle joue dans le téléfilm d’Irène Jouannet, L’Année de mes 7 ans (2003) aux côtés de Marie-José Nat. Entre 2004 et 2007, elle présente une émission, Juliette ou La Clef des sons, sur France Musique, où elle propose un choix passionné de musiques éclectiques (variétés, chants pygmés, voix arabo-andalouses). En 2011 sort l’album No parano avec Un petit vélo rouillé, Rue Roger-Salengro, The Single – révolte contre la musique formatée par le marketing. Cet album, début de son partenariat avec Vincent Ségal, violoncelliste et arrangeur, comprend des reprises de Prévert, Hugo, Adamo, Gainsbourg/Birkin* (Les Dessous chics), Carlos Gardel (Volver). Son album Nour sort en 2013, et en 2014, elle compose la musique d’une comédie musicale pour les élèves du CRÉA d’Aulnay-sous-Bois. Juliette chante tranquillement la vie (« Je suis ronde et alors, je trouve ça formidable ! »), et déclare, lors de la Journée mondiale contre l’homophobie, « Je suis une femme et j’aime les femmes ». D’une inspiration classique et populaire, Juliette, avec sa voix pleine de gouaille et de superbes textes poétiques, enchante le public par son engagement et sa chaleur humaine.

Joëlle GUIMIER

Mensonges et autres confidences, Laurent Balandras (dir.), Paris, Textuel, 2005.

JUNG, Dora [1906 - 1980]

Designer textile finlandaise.

Sortie diplômée du département de design textile de la Central School of Arts and Crafts entre 1929 et 1932, Dora Jung fonde son propre atelier de tissage à Helsinki, dans lequel elle travaillera jusqu’à la fin de sa vie. Elle enseigne à Helsinki de 1935 à 1945, crée des textiles pour la compagnie Tampella, de 1936 à 1941 et de 1956 à 1972, et pour la compagnie Pohjanlahti, à Tammisaari, de 1949 à 1951. Créatrice aux talents variés, elle innove tant pour la maison que pour les églises et les lieux publics, et est particulièrement experte dans la technique du damassé. Ses nappes les plus connues sont Viivaleikki (« jeux de lignes »), primée à la Triennale de Milan de 1957, et 100 ruusua (« 100 roses »), commandée par le grand magasin Stockmann d’Helsinki pour son centième anniversaire, en 1962. En 1967, elle crée la collection de linge de table Kielo (« muguet ») pour le cinquantième anniversaire de l’indépendance de la Finlande. Ses premiers textiles ecclésiastiques datent du début des années 1930 ; elle dessine des soutanes, des nappes d’autel, des calices et des couvertures de livres. Les soutanes des évêques et des archevêques constituent un groupe à part, particulièrement intéressant : les thèmes, très graphiques, reprennent des symboles chrétiens et des textes de la Bible. En simplifiant les formes, elle adapte ses créations textiles à l’architecture et à l’esprit des églises auxquelles elles sont destinées. Parmi ses travaux, on remarque aussi le rideau de scène du Théâtre national de Finlande à Helsinki, des tentures pour des lieux publics, une tapisserie pour la cour d’appel d’Helsinki en 1953, une autre, Katarina Jagellonica, pour le château de Turku. Ses réalisations sont exposées en Finlande et dans le monde entier. Elle reçoit le grand prix de la Triennale de Milan en 1951, 1954 et 1957. Plusieurs expositions sont organisées en collaboration avec Gunnel Nyman* et Lisa Johansson-Pape. En 1983, une exposition rétrospective lui est consacrée au musée des Arts appliqués d’Helsinki, avant d’être présentée dans de nombreuses villes de Finlande.

Auli SUORTTI-VUORIO

RYÖKÄS R., Maiestas Domini, Dora Jung in liturgisten tekstiilien viesti, Joensuun, Université de Joensuun, 2002.

JOHANSSON-PAPE L., SIITONEN I., « Dora Jung. Näuttelyluettelo », in Taideteollisuusmeseon julkaisu n° 7, 1983.

JUNG, Irmeli [TAMPERE 1947]

Photographe finlandaise.

Née d’une mère infirmière et d’un père qu’elle n’a jamais connu, Irmeli Jung quitte très jeune son pays natal pour Hanovre, en Allemagne, où elle fait son apprentissage chez un maître photographe renommé, Kurt Julius. Là, elle rencontre Juliette Gréco* venue chanter en janvier 1968 et elle fait son portrait. Cela va être déterminant pour son avenir. Munie d’un diplôme de la Chambre des métiers de Hanovre, obtenu avec le premier prix de photographie, elle part pour Paris, fermement décidée à réaliser un livre de photos sur J. Gréco. Elle devient sa photographe attitrée, dans une collaboration qui se poursuit jusqu’à ce jour. Le livre paraît en 1990, avec un texte de Régine Deforges*. Passionnée par la chanson française, elle photographie aussi Barbara*, Georges Moustaki, Mouloudji, Jacques Brel. En 1982, elle réalise la couverture du livre de J. Gréco aux éditions Stock, ce qui la met en relation avec le milieu littéraire. Elle y restera trois ans. En 1988, elle rencontre l’écrivain roumain Emil Cioran et réalise avec lui le seul livre de photos existant sur l’auteur, Cioran, l’élan vers le pire. Elle a ainsi immortalisé par l’image des auteurs du monde entier, Isabel Allende*, Jane Birkin*, Paul Ricœur, Aimé Césaire, Marie-France Pisier*, Ségolène Royal*, Léopold Sédar Senghor, entre autres. En 2006, lors d’un retour en Finlande, elle réalise le portrait officiel de la présidente finlandaise Tarja Halonen*. Grâce à son regard généreux, elle capte ce qu’il y a de plus doux dans les expressions et tend à magnifier les personnes. Elle a exposé à Paris, à Helsinki, à New York, en Allemagne, en Roumanie, en Suède.

Catherine GUYOT

JUNKOVÁ, Eliška (née Alžběta POSPÍŠILOVÁ) [OLOMOUC 1900 - PRAGUE 1994]

Pilote automobile tchèque.

Dans les premières années de l’indépendance tchécoslovaque, Eliška Junková fait la rencontre de Vincent Junek, dit « Čunek », jeune administrateur passionné de vitesse automobile, avec lequel elle s’installe à Prague. Tandis qu’elle compte parmi les premières citoyennes tchèques à obtenir le permis de conduire, son époux effectue ses premières courses. Au cours de l’un de leurs séjours à Paris, en 1923, ils font la connaissance d’Ettore Bugatti, qui les prend sous son aile et leur fournit des voitures. Dès 1924, E. Junková concourt à son tour, et connaît une progression fulgurante, tant dans le milieu masculin que lors des premiers « trophées pour dames », et elle devient rapidement célèbre en Europe. En 1926, elle s’illustre en terminant deuxième de la course de montagne de Klaussenpass, avant de remporter le Grand Prix d’Allemagne l’année suivante. En 1928, suite à la mort de son mari avec lequel elle partageait le volant lors du Grand Prix d’Allemagne, elle met un terme à sa carrière et entreprend, en voiture, des voyages en Asie. Interdite de sortie de territoire par le régime communiste, elle est sollicitée lors du « printemps de Prague » pour fonder un Automobile club féminin, et rédigera à compter de 1969 des articles pour la revue tchécoslovaque de l’automobile. La contribution d’E. Junková à l’émancipation des femmes en Tchécoslovaquie pourrait paraître anecdotique, si elle ne s’était affirmée comme l’une des « garçonnes » les plus célèbres de son temps, inspirant des personnages féminins récurrents à la puissante industrie cinématographique tchèque de l’entre-deux-guerres, et si elle n’était reconnue dans le milieu de la course automobile, comme l’une des deux meilleures femmes pilotes de tous les temps, aux côtés de sa contemporaine et rivale, la Française Hellé Nice* (1900-1984).

Maxime FOREST

JUNOT, Laure VOIR ABRANTÈS, Laure D’

JURÁŇOVÁ, Jana [SENICA 1957]

Écrivaine slovaque.

Après des études de russe et d’anglais à l’université Comenius de Bratislava, Jana Juráňová devient dramaturge au théâtre de la ville de Trnava. En 1989, elle publie le monodrame Salome (« Salomé ») et, en 1997, une pièce de théâtre, Misky strieborné (« les petits bols d’argent »), où elle dénonce l’attitude de l’entourage de Ľudovít Štúr, personnage important de l’histoire slovaque. En 1990-1994, elle est rédactrice de la revue littéraire Slovenské Pohľady et travaille comme journaliste à Radio Free Europe. En 1993, elle cofonde la revue culturelle féministe Aspect. La même année, elle fait paraître Zverinec (« ménagerie »), sorte de journal personnel lyrique et plein de ressentiment d’une femme trompée et malheureuse. Suivent Siete (« réseaux », 1996) et Iba baba (« une nana seulement », 1999). L’amour vu par les yeux des femmes joue un rôle central dans ses textes. C’est un amour tantôt dévoué et devant tout pardonner, tantôt cruel et jouant avec la mort. Ses derniers livres, sortis en 2010, sont Dobroš sa nemusí zastreliť (« Dobroš n’est pas obligé de se tirer une balle dans la tête ») et Lásky nebeské (« les amours célestes »). Elle a également écrit des livres pour enfants dans les années 2000.

Elena MELUŠOVÁ

MIKULA V. (dir.), Slovník slovenských spisovateľov, Prague, Libri, 1999.

JURECKA-LASSMANN, Edith [EBENFURTH AN DER LEITHA 1920]

Architecte autrichienne.

Fille d’un ingénieur, Edith Jurecka-Lassmann est pionnière dans le domaine très technique des infrastructures hydroélectriques. Elle a également signé plusieurs réalisations sociales au service des femmes et des personnes âgées. Elle achève en 1941 ses études d’architecture à l’Université technique (TU) de Vienne, puis est employée deux ans durant dans l’agence d’Alfred Keller (1875-1945). En 1944, elle soutient une thèse sur la rénovation du château Pötzleinsdorf. Avant d’obtenir en 1952 l’agrément nécessaire à la création de sa propre agence, elle travaille de 1945 à 1948 dans l’agence d’Hans Petermair tout en réalisant ses premières commandes à Vienne : une maison pour les femmes actives dans la Hadikgasse (1947-1952) et le premier immeuble en copropriété dans la Schwendergasse (1947-1952). Elle obtient en 1950 le troisième prix du concours pour la retenue de Limberg de l’imposante centrale hydroélectrique de Glockner-Kaprun avec un projet d’un classicisme simplifié, puis est chargée de sa réalisation, qui marque pour elle le début d’une série de travaux pour l’industrie : le barrage de Lünerseewerk pour les établissements du Vorarlberger Illwerke (1955), le concours pour le barrage d’Ybbs-Persenbeug sur le Danube (1960), les bâtiments de l’entreprise de pétrochimie Danubia (1961). Parallèlement, elle construit des équipements sociaux à Vienne, comme le foyer pour mères actives doté d’une crèche dans la Bauernfeldgasse (1960-1970). En 1960 elle a l’idée du premier foyer pour retraités, le Sonnenhof (1963-1965), suivi de deux autres, le Föhrenhof (1968-1970) et l’Atzgersdorf (1974-1977) comprenant une antenne médicalisée.

Elke KRASNY

Ein Institut für Landschaftsgestaltung und Volkstumspflege. Umbauvorschlag für das Pötzleinsdorfer Schloss in Wien, Vienne, Bibliothèque nationale d’Autriche, 1944.

KEINTZEL B., KOROTIN I. E. (dir.), Wissenschafterinnen in und aus Österreich. Leben - Werk - Wirken, Vienne, Böhlau, 2002 ; THURNER E., Nationale Identität und Geschlecht in Österreich nach 1945, Innsbruck, Studien, 2000 ; ZACEK P. (dir.), Frauen in der Technik von 1900 bis 2000, Vienne, Eigen, 1999.

JÜRGENSSEN, Birgit [VIENNE 1949 - ID. 2003]

Plasticienne autrichienne.

Considérée comme l’une des figures les plus importantes de l’avant-garde féministe internationale, Birgit Jürgenssen s’est formée à l’université d’arts appliqués de Vienne (1968-1971). Elle obtient son premier succès en 1975, quand Valie Export la choisit pour participer à l’exposition MAGNA-Feminismus : Kunst und Kreativität, à Vienne, où elle présente Hausfrauen-Küchenschürze, un tablier ayant la forme d’une cuisinière (plaques et four). Elle prend part activement aux débats autour des théories du gender, devient conférencière dans les classes de Maria Lassnig* puis d’Arnulf Rainer entre 1980 et 1997, et exerce le rôle de commissaire, notamment à la Wiener Secession en 1994. Son activité artistique, composée de dessins, aquarelles, collages, photographies, peintures et sculptures, est très prolifique. Si dans les premières œuvres, réalisées entre 1974 et 1976, B. Jürgenssen décrit le drame de la ménagère emprisonnée, qui en arrive à se fondre dans les objets qu’elle utilise quotidiennement, elle livre ensuite une femme qui, petit à petit, se camoufle, endosse des fourrures, des masques ou des déguisements, comme réduite en fétiche, basculant dans un monde animal réglé par des instincts de survie. Masquée au point de ne plus pouvoir parler ou même respirer, pleurant souvent tout en affichant le sourire, cette femme symbolise toutes les violences que la société lui inflige. L’artiste utilise souvent son propre corps pour opérer cette critique des mécanismes sociaux et culturels responsables de la condition féminine. Son approche ironique lui permet de réaliser des pièces très éloignées de certaines formes rigides du féminisme. Son travail est tributaire de la pensée freudienne et de certains artistes surréalistes tels que Meret Oppenheim*, en particulier sa grotesque, fantasque, poétique série de chaussures réalisées entre 1972 et 1979 sous forme de dessins, de sculptures et même de mobilier. En choisissant cette thématique, elle explore, analyse le fétichisme attaché à la représentation de la féminité dans son stéréotype par excellence.

Annalisa RIMMAUDO

SCHOR G., SOLOMON-GODEAU A. (dir.), Birgit Jürgenssen, Ostfildern, Hatje Cantz, 2009 ; ZAPPERI G., « La soggettività contro l’immagine, arte e femminismo », in Baravalle M. (dir.), L’arte della sovversione, Rome, Manifestolibri, 2009.

ALLIEZ E., ZAPPERI G., « Répresentation de Birgit Jürgenssen », in Multitudes, no 27, 2007.

JURIĆ ZAGORKA, Marija (dite Jurica ZAGORSKI, Petrica KERMEMPUH ou IGLICA) [NEGOVEC, AUJ. CROATIE 1873 - ZAGREB 1957]

Romancière et journaliste croate.

Journaliste politique engagée, Marija Jurić Zagorka se lança à la fin du XIXe siècle dans l’écriture de romans historiques, sous l’influence de l’évêque Josip Strossmayer, afin d’inciter le public populaire à lire en croate, à une époque où l’allemand et le hongrois dominaient. Dans les archives de Zagreb, de Vienne et de Budapest, elle fit des recherches concernant les épisodes peu connus de l’histoire croate des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, qui lui servirent de toile de fond pour ses intrigues historiques et amoureuses, dans lesquelles elle introduisit une riche galerie de personnages romanesques, notamment des femmes, qu’elle mit en avant comme actrices de l’histoire. M. Jurić Zagorka est l’auteure d’une quarantaine de romans dont Tajna krvavog mosta (« le secret du pont ensanglanté », 1911-1912) ; Kontesa Nera (« la comtesse Nera », 1912-1913) ; Kći Lotršćaka (« la fille de Lotršćak », 1921-1922) ; Gordana (1934-1935) ; Kraljica Hrvata (« la reine des Croates », 1937-1938) ; Vitez slavonske ravni (« le chevalier de la plaine de Slavonie », 1938) ; Mala revolucionarka (« la petite révolutionnaire », 1939-1940) ou encore Jadranka (1953). Elle connut un succès phénoménal avec les sept tomes de Grička Vještica (« la sorcière de Grič »), publiés sous forme de roman-feuilleton dans le quotidien Male novine (« le petit journal ») entre 1912 et 1914. Son roman Kneginja iz Petrinjske ulice (« la duchesse de la rue Petrinjska », 1910) est considéré comme le premier roman policier de la littérature croate.

Poursuivant une double activité littéraire et journalistique, elle publia en 1925 Ženski List (« le journal des femmes »), premier magazine féminin croate, pour lequel elle écrivit jusqu’en 1938, puis elle fonda Hrvatica (« la Croate »), qui fut interdit par les Oustachis en 1941. Les sujets politiques et sociaux l’intéressèrent également et 17 pièces de théâtre et plusieurs romans sur ces thématiques sont à mettre à son actif, dont Roblje (« les esclaves », 1899) et Vlatko Šaretic (1903), ainsi qu’un grand nombre de textes polémiques dans lesquels elle plaidait pour l’égalité des sexes, et les droits des femmes à l’éducation, au travail, à la retraite et au vote. M. Jurić Zagorka signa souvent ses textes par des pseudonymes masculins (Jurica Zagorski, Petrica Kermempuh, Iglica). Méprisée par la critique, son œuvre fut réhabilitée à partir des années 1980, à la lumière de lectures structuralistes, psychanalytiques et féministes.

Lada ČALE FELDMAN

DORĐEVIĆ B., Zagorka, kroničar starog Zagreba, Zagreb, Stvarnost, 1965 ; GRDEŠIĆ M. (dir.), Mala revolucionarka, Zagorka, feminizam i popularna kultura, Zagreb, Centar za ženske studije, 2009.

JURINAC, Sena (Srebrenka JURINAC, dite) [TRAVNIK 1921 - AUGSBOURG 2011]

Soprano austro-hongroise.

L’incomparable talent de Sena Jurinac, sans doute le plus spontané et original de l’après-guerre, s’est développé à l’abri d’une institution unique au monde, le Wiener Ensemble, qui a fait les beaux soirs de l’Opéra d’État de Vienne. Ce concept allait bientôt se périmer, la notion de troupe disparaissant de la planète lyrique. En même temps que S. Jurinac, se sont forgés au sein de cet ensemble viennois Irmgard Seefried*, Elisabeth Schwarzkopf*, Christa Ludwig*, Lisa della Casa*, Anton Dermota, Erich Kunz, notamment. De mère viennoise et de père médecin dans l’armée croate, S. Jurinac fait ses études au Conservatoire de Zagreb, où elle est entrée en septembre 1939. Elle débute en mai 1942 sur la scène du Théâtre national de cette même ville dans le rôle de Mimi de La Bohème de Puccini. En 1943, elle est engagée par Karl Böhm à l’Opéra d’État de Vienne, dont elle sera membre jusqu’en 1982. Dans l’intervalle, elle y aura chanté plus de 1 200 fois – un record absolu –, sous la direction de chefs tels que Karl Böhm, Josef Krips, Herbert von Karajan. Fritz Busch l’a souvent invitée à Glyndebourne, où elle a fait ses débuts en 1950 dans Fiordiligi de Così fan tutte de Mozart, et au Festival d’Édimbourg. Éminente mozartienne, elle a excellé dans les œuvres de Richard Strauss, tout en abordant tous les rôles de soprano lyrique, Johann Strauss et Jacques Offenbach inclus. Elle s’est aussi imposée en Chérubin des Noces de Figaro et en Octavian du Chevalier à la rose, deux grands rôles travestis. Ainsi, en 1960, à l’occasion de l’inauguration du nouveau Palais des Festivals à Salzbourg, son Octavian dirigé par Karajan avec en Maréchale E. Schwarzkopf a été capté par les caméras de la télévision autrichienne, tandis qu’elle est Marie de Wozzeck d’Alban Berg dans un autre film réalisé à l’Opéra de Hambourg. Elle a interprété d’autres grands rôles comme Marina dans Boris Godounov, Tosca, Mme Butterfly, Jenufa de Leoš Janáček, Elisabeth dans Don Carlos et Desdémone dans Otello de Giuseppe Verdi. Résidant près d’Augsbourg, elle a souvent chanté dans le théâtre de cette ville. Elle a fait ses adieux à la scène en novembre 1982 dans le rôle de la Maréchale du Chevalier à la rose, puis s’est consacrée à l’enseignement, en Europe et aux États-Unis, avant de se retirer à Neusäß, en Souabe.

Bruno SERROU

JURKOVIČOVÁ, Anna (épouse HURBANOVÁ) [SOBOTIŠTE 1824 - MARTIN 1905]

Actrice slovaque.

Anna – dite Anička – Jurkovičová appartient à une famille renommée de patriotes slovaques qui, au XIXe siècle, ont lutté pour l’indépendance de la Slovaquie : son père, Samuel Jurkovič (1796-1873), prépare le soulèvement slovaque (1848-1849) et formule les requêtes de l’indépendance ; son mari, Jozef Miloslav Hurban (1817-1888), prêtre évangéliste versé dans la littérature et l´écriture, conduit l’armée slovaque qui combat l’armada magyar et devient le premier président du Conseil national slovaque (1848) ; leur fils, Svetozár Hurban Vajanský (1847-1916) est un éminent écrivain. Samuel, le père, fonde en 1841 à Sobotište le Théâtre national slovaque de Nitra dans lequel, à côté des étudiants de la génération romantique, appelée štúrienne (en référence à Ľudovít Štúr), elle se produit, jouant Annette dans la comédie d’August von Kotzebue, Le Vieux Cocher de Pierre III ; Betouchka dans la comédie de Václav Kliment Klicpera Le Chapeau magique et Olga dans Les Serfs d’Ernst Raupach. En ces temps-là, le métier d’actrice n’est pas reconnu et elle le conçoit comme partie intégrante de sa responsabilité patriotique ; c’est par là qu’elle parvient à dénoncer les préjugés moraux des gens des petites villes, tout comme les persécutions politiques des administrateurs hongrois qui touchent autant sa famille que le théâtre.

Milos MISTRÍK et Danièle MONMARTE

JUSSIE, Jeanne DE [JUSSY-L’ÉVÊQUE 1503 - CHAMBÉRY 1565]

Écrivaine suisse d’expression française.

Entrée en 1521 au couvent des clarisses de Genève, Jeanne de Jussie y reste jusqu’en 1536, date à laquelle les religieuses sont expulsées. Elle est l’auteure d’un seul livre, publié d’abord sous le titre Le Levain du calvinisme ou Commencement de l’hérésie de Genève, puis rebaptisé Petite chronique. Sa fonction d’« écrivaine » du couvent la conduit à rédiger ce texte qui prend souvent la forme d’un récit pittoresque et rend compte de l’émergence de la Réforme à Genève, des troubles qui en résultent, des infortunes des moniales, appelées à abjurer : le lecteur rencontre ainsi l’écrivaine Marie Dentière*, religieuse défroquée qui tente de détourner les sœurs de la vie religieuse.

Daniel MARTIN

Le Levain du calvinisme ou Commencement de l’hérésie de Genève, faict par Révérende Sœur Jeanne de Jussie, Chambéry, Dufour frères, 1611 ; Petite chronique, Feld H. (éd.), Mainz, P. von Zabern, 1996.

LAZARD M., « Deux sœurs ennemies, Marie Dentière et Jeanne de Jussie, nonnes et réformées à Genève », in Joyeusement vivre et honnêtement penser, mélanges offerts à Madeleine Lazard, Paris, H. Champion, 2000.

JUTEAU, Danielle [CANADA 1942]

Sociologue canadienne.

Danielle Juteau a enseigné à l’université d’Ottawa où elle a contribué au développement des études féministes en 1973, puis à partir de 1981, au département de sociologie de l’université de Montréal. Elle a été titulaire (1991-2003) de la chaire en relations ethniques du Centre d’études ethniques des universités montréalaises (CEETUM), qui a succédé au Groupe de recherche ethnicité et société (GRES) qu’elle a fondé en 1988. Depuis 2003, elle est professeure émérite de l’université de Montréal. Ses centres d’intérêt se portent principalement sur les rapports sociaux constitutifs des différenciations et hiérarchisations sexuelles et ethniques. Son ouvrage L’Ethnicité et ses frontières reprend l’essentiel de ses recherches et propose une théorisation des dimensions externe et interne des frontières ethniques. Les deux faces de la frontière, entre groupe dominant et groupe assigné par les dominants à un statut minoritaire, sont en interaction permanente. Leur analyse permet de saisir la dynamique des relations sociales ethniques dans chaque cas spécifique.

Véronique DE RUDDER

Avec DUCHESNE L., LAURIN N., À la recherche d’un monde oublié, les communautés religieuses de femmes au Québec de 1900 à 1970, Québec, Le Jour, 1991 ; avec LAURIN N., Un métier et une vocation, le travail des religieuses au Québec de 1901 à 1971, Montréal, Presses universitaires de Montréal, 1997 ; L’Ethnicité et ses frontières, Montréal, Presses universitaires de Montréal, 1999.

BARTH F. (dir.), Ethnic Groups and Boundaries : The Social Organization of Cultural Difference, Boston, Little, Brown & Co., 1969.

JYLENKO, Iryna (IRAÏDA, dite) [KIEV 1941]

Poétesse et écrivaine ukrainienne.

En 1958, Iryna Jylenko débute en littérature dans différents périodiques kiéviens pour lesquels elle travaille, tout en poursuivant ses études de lettres à l’université Taras Chevtchenko de Kiev. Diplômée en 1964, elle publie la même année Boukovynski balady (« les ballades bucoviniennes »), un recueil d’essais, et Dostyhaïout kolossotchky (« les épis mûrissent »), un livre destiné aux enfants. La poétesse offrira encore au jeune public quatre autres recueils (Voulytchka moho dytynstva, « la petite rue de mon enfance », 1978 ; Dvitchi po dva - dorivniouïe koulbabtsi, « deux fois deux égale un pissenlit », 1983 ; Kazky boufetnoho hnoma, « les contes d’un gnome de buffet » 1985 ; Novoritchna istoriïa pro dveri, ïakykh nema, i pro te, ïak korysno inodi pomyliatyssia nomerom, « une histoire de Noël sur une porte qui n’existe pas et sur l’utilité, parfois, de se tromper de numéro » 1986) mais elle est avant tout une auteure pour adultes. Son recueil Solo na solfi (« solo en solfège », 1964) a suscité des opinions divergentes dans la presse de l’époque. Auteure d’une vingtaine d’ouvrages poétiques, elle y cultive un style à la fois lyrique et psychologique, symbolique et fantaisiste, qui s’adapte à l’expression des valeurs éternelles comme des bonheurs éphémères : Avtoportret v tchervonomou (« autoportrait en rouge », 1971) ; Vikno ou sad (« une fenêtre dans le jardin », 1978) ; Kontsert dlia skrypky, dochtchou i tsvirkouna (« concert pour violon, pluie et grillon », 1981) ; Dim pid kachtanom (« la maison sous un marronnier », 1981) ; Iarmarok tchoudes (« la foire aux merveilles », 1982) ; Ostanniï voulytchny charmanchtchyk (« le dernier joueur d’orgue de Barbarie ambulant », 1985) ; Divtchynka na kouli (« la petite fille sur une sphère », 1987), Ievanheliïe vid lastivky (« l’évangile de l’hirondelle », 2000). Le recueil Vetchirka ou stariï vynarni (« la soirée dans une vinothèque ancienne », 1994) lui vaut en 1996 le prix national Taras-Chevtchenko.

Tatiana SIROTCHOUL

SHAROVA Y., « Iryna Jylenko », in Istoriïa oukraïnskoï literatoury XX stolittia, Kiev, Lybid’, 1998.

DROZDOVSKY D., « Poetychna subiektnist ou virchakh Iryna Jylenko », in Slovo i tchas, Kiev, NAN, n° 1 (565), 2008.

JYOTIRMOYÎ DEVÎ [JAIPUR 1894 - ID. 1988]

Auteure indienne d’expression bengali.

Jyotirmoyî Devî passe une grande partie de sa vie au Rajasthan, où sa famille exerce des fonctions dans l’État princier de Jaipur. Non scolarisée, elle est mariée à 10 ans et vit à Calcutta pendant treize ans. C’est une période déterminante : elle côtoie un monde proche des milieux littéraires, loin des préoccupations matérielles auxquelles elle était habituée. La mort de son mari bouleverse à nouveau sa vie : le veuvage lui donne l’impression de renaître femme hors caste, intouchable. Le sentiment de solitude, de vide éveillé par le deuil marque profondément ses réflexions sur l’identité et la condition de la femme indienne. Dans toutes ses entreprises, dit-elle, la femme reste seule, sans jamais espérer obtenir ce que les hommes obtiennent naturellement. Les femmes sont une « race sans compagnie » (sangi o sangahîn jât) ; elles vivent dans le cercle familial comme si « le monde matériel existait et pourtant n’existait pas », comme s’il y avait « des tâches à accomplir, mais pas de joie », des proches mais pas d’intimes. En tant que veuve, elle est soumise aux règles strictes de l’orthodoxie. De retour au Rajasthan, elle vit sous la protection de son père puis de son frère. Malgré leur affection, elle éprouve le sentiment de n’avoir « plus de racines nulle part ». Elle se met à écrire pour se libérer l’esprit. Jyotirmoyî Devî n’a jamais accepté que la réserve traditionnellement imposée aux veuves représente une entrave intellectuelle. Astreinte au quotidien aux règles de la société patriarcale, elle reste consciente de leur arbitraire, de leur absurdité, et dénonce leurs injustices. Poétesse, essayiste, elle est d’abord reconnue comme romancière grâce à trois romans : Châyâpath (« la voie lactée », 1934), Baishâkhe niruddesh megh (« nuages égarés d’avril, » 1948) et Maner Agochare (« près de l’esprit », 1962). Ses nouvelles, ancrées dans la société du Rajasthan, dénoncent très habilement la violence de l’ordre social envers ses victimes désignées : femmes, miséreux, parias. Elles décrivent avec virtuosité les engrenages qui impliquent même contre leur gré tous les acteurs de la société. Elle est également l’auteure de Epâr Gangâ Opâr Gangâ (« le Gange de cette rive à l’autre », 1967), l’un des rares récits de femmes bengalis sur la Partition.

Olivier BOUGNOT