ROYAL, Ségolène [DAKAR 1953]
Femme politique française.
Issue d’une famille catholique traditionaliste, Ségolène Royal est consciente très jeune que la réussite scolaire sera la voie sacrée de son indépendance. Après des études de sciences économiques, elle fait ses classes à Sciences Po Paris, puis à l’École nationale d’administration, où elle côtoie François Hollande, qui deviendra son compagnon et le père de ses quatre enfants. Débutant sa carrière dans les tribunaux administratifs, elle commence à travailler pour François Mitterrand lors de la campagne présidentielle de 1981. Repérée par Jacques Attali, conseiller spécial du président, elle devient en 1981 chargée de mission au secrétariat général de la présidence de la République, où, durant sept ans, elle suit les questions touchant à l’environnement, aux problèmes des banlieues, à la protection sociale et aux questions de société. S. Royal fait donc partie de ces femmes politiques qui font leur propédeutique à l’Élysée avant d’occuper le devant de la scène politique. Après une tentative d’implantation en Normandie, elle est « parachutée » par F. Mitterrand dans les Deux-Sèvres, dont elle fait sa terre d’élection. Élue députée de la 2e circonscription le 12 juin 1988, elle sera réélue en 1993, 1997 et 2002, siégeant ainsi près de vingt ans à l’Assemblée nationale. Elle parachève son ancrage en Poitou-Charentes en remportant la présidence de la région en 2004. Il s’agit d’une victoire hautement symbolique sur la droite, puisque la région était présidée par Jean-Pierre Raffarin (Premier ministre de 2002 à 2005). S. Royal fait sa première expérience ministérielle en 1992 : à 39 ans, elle est nommée à l’Environnement dans le gouvernement de Pierre Bérégovoy. À ce poste jusqu’en 1993, elle s’attache notamment à faire voter une loi antibruit et une loi sur la reconquête des paysages. Le retour de la gauche aux affaires en 1997 ramène S. Royal au gouvernement, où elle est d’abord ministre déléguée à l’Enseignement scolaire, puis ministre déléguée à la Famille et à l’Enfance de 2000 à 2001. Si elle n’a jamais détenu de portefeuille régalien, les ministères dits « secondaires » qu’elle a occupés l’ont rendue populaire, car ce sont ceux qui traitent de la vie quotidienne des Français. Des réussites incontestables sont à son actif, dont le congé de paternité, utilisé par deux tiers des pères, et la pilule du lendemain dans les infirmeries scolaires. Son parcours de professionnelle accomplie de la politique n’en faisait pas une candidate « naturelle » à la présidentielle de 2007. Lui manquaient des attributs politiques essentiels : elle n’avait alors jamais été Premier secrétaire du PS, ni exercé de postes politiques majeurs, ni tissé de réseaux. Pourtant, le 30 novembre 2006, S. Royal est investie candidate socialiste à la présidentielle par le vote de plus de 60 % des adhérents du parti, devant Laurent Fabius et Dominique Strauss-Kahn, deux « caciques » en comparaison desquels elle apparaît comme la candidate du renouveau. C’est la dimension symbolique de la candidate qui a nourri sa popularité dans les sondages. Elle paraît faire la synthèse entre tradition et modernité. Malgré les idées novatrices qu’elle a portées durant la campagne, dont celle de démocratie participative, S. Royal, qui réunit sur son nom, au premier tour, près de 26 % des suffrages exprimés, perd au second face à Nicolas Sarkozy, à 47 % contre 53 %. Les raisons de la défaite sont nombreuses, de nature politique mais aussi sociologique : S. Royal a été désavouée par les seniors et en particulier par les femmes de 65 ans et plus, en situation de surnombre dans l’électorat. Quel que soit son avenir politique, sa candidature à la présidentielle de 2007 a créé un précédent, brisé l’entre-soi masculin au plus haut niveau du pouvoir. Les 17 millions de voix qu’elle a emportées au second tour représentent une étape importante de la légitimation des femmes dans l’espace politique. En 2008, elle est candidate au poste de Premier secrétaire du Parti socialiste contre Martine Aubry qui l’emporte de justesse. N’ayant pas renouvelé son exploit de 2006 lors des primaires socialistes de 2011, remportées par François Hollande, elle s’engage alors activement à ses côtés jusqu’à la victoire de celui-ci à l’élection présidentielle de 2012. S. Royal est nommée vice-présidente de la Banque publique d’investissement (BPI) en février 2013, puis ministre de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie, en 2014, au sein du gouvernement de F. Hollande.
Mariette SINEAU
■ La Vérité d’une femme, Paris, Stock, 1996 ; Ma plus belle histoire, c’est vous, Paris, Grasset, 2007.
■ SINEAU M., La Force du nombre. Femmes et démocratie présidentielle, La Tour-d’Aigues, L’Aube, 2010.
ROYER, Clémence [NANTES 1830 - NEUILLY-SUR-SEINE 1902]
Philosophe et romancière française.
Autodidacte, héritière de l’encyclopédisme des Lumières, Clémence Royer est une des plus actives promotrices de l’éducation comme véhicule de l’émancipation des femmes. Aussi donne-t-elle en 1859 à Lausanne le premier cours de philosophie pour les femmes. Selon elle, la femme doit rester femme en tout ce qu’elle fait, sans suivre les traces des hommes, ni dans l’art ni dans la littérature ; ce qu’elle doit trouver, « c’est une forme, une expression féminine de la science ». Première traductrice de Darwin en France, elle produit en 1862 une version du De l’origine des espèces, assortie d’une préface et de remarques personnelles qui infléchissent les problématiques de l’évolution dans un sens social et politique. Ennemie d’une « égalité » aplatissante, conférencière renommée et auteure d’une production éclectique, elle collabore à La Fronde, au Bulletin de l’Union universelle des femmes et à d’autres journaux, parfois sous le pseudonyme d’Opportune Fervent. Compagne de Pascal Duprat, dont elle a un fils, C. Royer prône l’amour libre et exprime également son féminisme et sa contestation de l’institution du mariage dans un roman philosophique paru en 1864, Les Jumeaux d’Hellas.
Laura COLOMBO
■ Introduction à la philosophie des femmes, Lausanne, Larpin, 1859 ; Théorie de l’impôt, ou la Dîme sociale, Paris, Guillaumin, 1862 ; De la nature du beau, Versailles, Cerf, 1879.
■ BRISSET A., Clémence Royer ou Darwin en colère, in Portraits de traductrices, Delisle J. (dir.), Arras/Ottawa, Artois presses université/Presses de l’université d’Ottawa, 2002 ; FRAISSE G., Clémence Royer, Philosophe et femme de sciences, Paris, La Découverte, 2002.
ROZANOVA, Olga VLADIMIROVNA [MÉLENKI 1886 - MOSCOU 1918]
Peintre russe.
Inscrite en 1906 à l’école d’art Bolchakov de Moscou, Olga Rozanova suit ensuite les cours du peintre symboliste et paysagiste Konstantin Iouon et fréquente l’école d’arts appliqués Stroganov. En 1911, elle poursuit sa formation à l’école d’art d’Elizavéta Zvantséva. Elle rencontre Nikolaï Koulbine, Mikhaïl Matiouchine et Éléna Gouro*, et s’implique dans les activités de leur groupe futuriste L’Union de la Jeunesse. De 1911 à 1918, elle prend part aux expositions majeures de l’avant-garde, dont les expositions futuristes Tramway V et 0, 10, ainsi que celles du Valet de carreau. Durant sa période d’expérimentation, elle formule son credo théorique dans un article célèbre : « Bases de la nouvelle création et raisons de son incompréhension » (1913). En 1912, elle se rapproche des poètes futuristes David Bourliouk, Vladimir Maïakovski et Alexeï Kroutchenykh, qu’elle épouse en 1916. C’est principalement avec lui et le poète Velimir Khlebnikov qu’elle participe à la création des « almanachs » futuristes, livres où image et poésie zaoum (« transmentale ») fusionnent, dans un souci d’affranchissement de toute norme, linguistique comme picturale. Rejoignant en 1916 le groupe Suprémus de Kazimir Malevitch, qui la considérera comme sa meilleure disciple et qui lui devra beaucoup pour sa propre évolution artistique, elle se consacre désormais à la peinture, avec des compositions abstraites. À partir de 1917, sa création s’épure dans des œuvres originales et dépouillées. Comme la plupart des avant-gardistes, elle épouse les idéaux de la révolution d’Octobre. À ce titre, elle participe activement à la promotion et à l’enseignement des arts appliqués, en créant notamment des ateliers d’art et d’industrie. Après sa mort prématurée – elle sera victime de la diphtérie –, une grande exposition posthume lui est consacrée à Moscou en 1918, donnant à voir plus de 250 de ses œuvres.
Ada ACKERMAN
■ Olga Rozanova, 1886-1918 (catalogue d’exposition), Gurianova N., Terekhina V. (dir.), Helsinki, Helsingen Kaupungin Taidemuseo, 1992.
■ BOWLT J., DRUTT M. (dir.), Amazons of the Avant-Garde : Alexandra Exter, Natalia Goncharova, Liubov Popova, Olga Rozanova, Varvara Stepanova and Nadezhda Udaltsova (catalogue d’exposition), New York, Guggenheim Museum, 2000 ; GURIANOVA N., Olga Rozanova and the Culture of the Russian Avant-Garde 1910-1918, Reading, G & B Arts International, 1998 ; YABLONSKAYA M., Women Artists of Russia’s New Age, 1900-1935, Londres, Thames & Hudson, 1990.
ROZEN, Anna [ALGER 1960]
Romancière et nouvelliste française.
Résidant en France depuis l’âge de 2 ans, Anna Rozen, après avoir travaillé dans la publicité, a été rédactrice pour la télévision. Plaisir d’offrir, joie de recevoir (1999), son premier recueil de récits apparentés à des nouvelles (tout comme Vieilles Peaux, 2007), témoigne d’un style caustique et oralisant, d’une écriture de la sexualité, dont le premier texte, « J’écris tout », résume la démarche. Viennent ensuite trois romans : Méfie-toi des fruits (2002), Bonheur 230 (2004), sorte d’utopie futuriste, et La Bombe & moi (illustré par Ludovic Debeurme, 2008), dialogue schizophrénique revisitant au féminin L’Étrange Cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde. Elle a aussi publié des « nouvelles » en volume collectif (Parle avec le monde, 2006 ; Sous le manteau, cartes postales érotiques des Années folles, 2008) ou isolément (Encore, 2005). Auteure de livres pour enfants, elle a traduit Andrew Kaufman (Tous mes amis sont des super héros, 2007).
Audrey LASSERRE
■ Je vous prête mes lunettes, Paris, Le Dilettante, 2011.
ROZENBERGA, Elza VOIR ASPAZIJA
ROZÈS, Simone (née LUDWIG) [PARIS 1920]
Magistrate française.
Première femme à avoir pu accéder au poste de première présidente de la Cour de cassation entre 1984 et 1988, le poste le plus élevé de la magistrature française, Simone Rozès est aussi la première présidente de la première chambre du tribunal de grande instance de Paris. Elle est également la première magistrate française détachée à la Cour de justice de Luxembourg et la première femme nommée par la France à l’Onu dans le comité de lutte contre le crime et la délinquance. Ce palmarès impressionnant appartient à une personne au caractère bien trempé qui avoue être exaspérée par la question, souvent posée, de savoir si, en tant que femme, elle applique le droit différemment. S. Rozès est une autorité morale en matière de justice. C’est aussi une pionnière. En 1941, quand la faculté de droit de Paris lui décerne sa licence, les femmes n’ont toujours pas le droit de vote et, de ce fait, la carrière judiciaire leur restera fermée jusqu’à ce qu’elles l’obtiennent en 1945. Elle est reçue au concours d’entrée de l’École nationale de la magistrature en 1947, à 27 ans. Elle commence comme juge suppléante et occupe une grande variété de postes, tant au siège qu’au parquet, avant d’avoir des responsabilités au ministère de la Justice. Elle est chef de bureau au cabinet du garde des Sceaux en 1952 ; directeur de l’Éducation surveillée en 1973, membre du Comité pour la lutte contre la délinquance et la prévention du crime aux Nations unies en 1977 ; avocate générale à la Cour européenne de justice de 1981 à 1984. Ce parcours prestigieux lui ouvre les portes de la Cour de cassation dont elle devient première présidente en 1984. C’est là qu’elle termine sa brillante carrière en 1988. Dans les années 1940 les femmes étaient peu nombreuses dans la magistrature, et bien que les choses aient beaucoup changé, S. Rozès note que les femmes restent sous-représentées au parquet et surreprésentées dans les fonctions du siège. Elle leur conseille « d’aller de l’avant, de ne jamais regarder en arrière ». Elle a présidé la Société de législation comparée et la Société internationale de défense sociale.
Nada AUZARY-SCHMALTZ
■ Avec LOMBARD P., Le Juge et l’Avocat : dialogue sur la justice, Paris, R. Laffont, 1992.
RUANO, Isabel de los Ángeles [CHIQUIMULA 1945]
Poétesse guatémaltèque.
Après avoir passé une partie de son enfance au Mexique, puis obtenu un diplôme d’institutrice au Guatemala, en 1966, Isabel de los Ángeles Ruano retourne au Mexique, où elle publie son premier recueil, Cariátides (1966), ouvert par un avant-propos du poète espagnol León Felipe. De retour au Guatemala en 1967, elle travaille dans la presse. Vers la fin des années 1980, elle commence à souffrir de troubles mentaux et se retrouve sans domicile, à vendre du parfum aux passants, mais aussi ses vers, vêtue en homme. Sa poésie, profondément existentielle et engagée contre la déshumanisation de la société, se teinte d’un lyrisme intense lorsqu’elle aborde sa situation d’incomprise. Elle compose d’admirables sonnets qui expriment la passion amoureuse et la douleur, de même que la joie et l’esprit festif, dans le pur style de Lope de Vega ou de Francisco Gómez de Quevedo. Son œuvre poétique comprend également les titres Cantares, ¿Quién dijo cantares ? (« cantiques, qui a dit cantiques ? », 1979), Torres y tatuajes (« tours et tatouages », 1988), Los del viento (« ceux du vent », 1999) et quelques romans inédits : Los soliloquios de María Ixcamparic (« les soliloques de María Ixcamparic »), Reprisse de los inmortales (« reprise des immortels ») et Carta de una bruja a una condesa medieval, siglo XII (« lettre d’une sorcière à une comtesse médiévale, XIIe siècle »). En 2001, elle reçoit le prix national de littérature Miguel-Ángel-Asturias, qui loue chez elle « l’insondable et héroïque cohérence entre la vie et l’œuvre ».
Pablo DOMÍNGUEZ GALBRAITH
■ AVILA M. A., Mujer, cuerpo y palabra, tres décadas de re-creación del sujeto de la poeta guatemalteca (muestra poética, 1973-2003), Madrid, Torremozas, 2004 ; MÉNDEZ DE LA VEGA L., Mujer, desnudez y palabra, antología de desmitificadoras guatemaltecas, Guatemala, Artemis Edinter, 2002.
RUBBI, Clara [GÊNES V. 1934]
Écrivaine italienne.
Parallèlement à son métier d’enseignante, Clara Rubbi a publié des essais sur Thucydide, Euripide, Cornelius Nepos, a dirigé la page littéraire de Il Lavoro (1975-1976), ainsi que la rubrique culturelle hebdomadaire de Radio Monte-Carlo (1980-1984), et a collaboré au quotidien Il Giornale et à divers périodiques. Elle a dirigé le Lyceum Club de Gênes, fondé en 1921 pour enrichir la vie intellectuelle, artistique et sociale, des femmes. C. Rubbi a publié le recueil de récits Non è impossibile (« ce n’est pas impossible », 1975) ; les romans de science-fiction Glaciazione anno 2079 (« glaciation année 2079 », 1979) et Navigatori oltre lo spazio (« navigateurs au-delà de l’espace », 1981) ; Lo specchio di Eco (« le miroir d’Eco », 1983), qui rassemble des récits d’écologie-fiction ; La dea del melograno (« la déesse du grenadier », 1986), une reprise du mythe de Perséphone ; Il pianeta tutto d’oro (« la planète dorée », 1987) ; Il trono della memoria (« le trône de la mémoire », 1992), situé au Ve siècle av. J.-C. ; Cleo e il grande blu (« Cléo et le grand bleu », 1997). Dans les années 2000, elle a publié plusieurs livres, dont Nanà. Sogno d’infanzia tra cielo e mare (« Nana. Rêve d’enfance entre ciel et mer », 2003) et Amori e passione politica nei salotti del Risorgimento genovese. Dialoghi e documenti (« Amour et passion politique dans les salons de la Renaissance génoise. Dialogues et documents », 2005).
Graziella PAGLIANO
RUBENS, Bernice [CARDIFF 1923 - LONDRES 2004]
Romancière britannique.
Descendante de juifs russes ayant émigré en Angleterre au tout début du XXe siècle, Bernice Rubens fréquente University College à Cardiff et y préside un groupe socialiste et un groupe de musique. Elle enseigne à Birmingham de 1950 à 1955 et travaille ensuite comme assistante technique dans un studio de cinéma. Elle tourne quelques films documentaires à message humanitaire sur les enfants handicapés ou infirmes et voyage dans plusieurs pays d’Asie et d’Afrique pour réaliser un film sur le rôle des femmes dans le développement des zones rurales. Les 25 romans qu’elle publie à partir de 1960 sont tous salués par la critique. Le premier, Set on Edge (« à la lisière », 1960), est centré sur ce que les parents transmettent à leurs enfants. Plusieurs de ses livres sont liés à la judaïté, d’un point de vue biographique et historique. Ainsi, elle évoque la fuite de sa famille de Russie en filigrane dans Brothers (1983) et reprend, dans I, Dreyfus (1999), la célèbre affaire. Mais, par-delà, elle dépeint, non sans un léger ton moralisateur et un humour sombre, les horreurs du non-dit qui se cachent derrière les conventions les plus polies de la société et qui rejaillissent sur les familles. La mort est partout présente sous la forme des peurs, des envies, du fanatisme, de la malignité et de la solitude des hommes, posant le problème de la tension entre adversité et construction de l’identité. Engagée dans des causes humanitaires relatives aux écrivains et artistes, elle collabore à Amnesty International et à PEN International.
Michel REMY
■ Madame Sousatzka (Madame Sousatzka, 1962), Paris, Belfond, 1989 ; La Proie des ténèbres (The Elected Member, 1970), Paris, Éditions du Félin, 1993 ; L’Autre Messie (Kingdom Come, 1990), Paris, Éditions du Félin, 1992 ; Le Visiteur nocturne (A Solitary Grief, 1991), Paris, Payot et Rivages, 2001.
RUBIN, Anne-Marie [FREDERIKSBERG 1919 - COPENHAGUE 1993]
Urbaniste danoise.
Diplômée de l’école d’architecture de l’Académie royale des beaux-arts du Danemark et de l’École technique supérieure de Stockholm, Anne-Marie Rubin est la première femme à avoir reçu la médaille d’or de l’Académie en 1951 et à avoir été professeure en urbanisme à l’Université d’Ålborg, de 1984 à 1989. Elle a également été l’une des premières à exercer comme urbaniste. En 1954, elle a fondé sa propre agence, qu’elle a dirigée jusqu’en 1977, collaborant avec différents partenaires. Elle a signé une longue série de plans d’aménagement urbain novateurs, dont celui de la ville de Nakskov, sur l’île de Lolland, en 1958. En coopération avec l’ingénieur Anders Nyvig, elle a développé un concept de différentiation des voies de circulation. A.-M. Rubin est aussi l’une des premières à avoir défini des plans de protection et de conservation, en particulier pour Veddelev, près de Roskilde (1973). Il s’agissait de programmes cadres, qui peuvent être vus comme les précurseurs des plans communaux. Elle a également réalisé des plans de lotissement pour des ensembles de résidences secondaires, comme dans la station balnéaire de Hvide Sande Klitby, en 1967. Elle s’est toujours efforcée de construire en fonction des lieux et de la nature environnante, en réduisant les besoins de transport. Militante, elle s’est battue pour différentes causes, notamment pour la ville libre de Christiania ou le développement du port de Copenhague, et a exprimé dans les médias ses points de vue radicaux et visionnaires. Elle a été, de 1968 à 1971, professeure à Nordplan, l’Institut nordique de planification de Stockholm, et, de 1984 à 1987, présidente de l’Académie royale des beaux-arts du Danemark.
Helle BAY
■ DIRCKINCK-HOLMFELD K., Guide to Danish Architecture, 1960-1995, Copenhague, Arkitektens Forl, 1995 ; LARSEN J. (dir.), Dansk Kvindebiografisk Leksikon, 4 vol., Copenhague, Rosinante, 2000-2001.
RUBIN, Gayle [CAROLINE DU SUD 1949]
Anthropologue américaine.
Activiste dès la fin des années 1960, engagée dans la politique féministe lesbienne, Gayle Rubin a fortement contribué au développement des études féministes et queer (gay) par ses propositions théoriques radicales. Son tout premier essai, The Traffic in Women : Notes on the Political Economy of Sex, publié en 1975, connaît un énorme succès, notamment pour sa réinterprétation, d’un point de vue féministe, des théories de Claude Lévi-Strauss sur l’alliance et les « échanges de femmes ». En 1978, elle s’installe en Californie pour étudier la « culture cuir » (leather) des gays et crée, avec l’activiste Pat Califia, le premier groupe sadomasochiste lesbien, connu sous le nom de Samois. Dans les années 1980, elle publie Thinking Sex, dans lequel elle explore les peurs paniques et moralisatrices liées à la sexualité dans l’histoire de la culture nord-américaine. Elle démontre qu’à chaque époque correspondent de nouvelles phobies concernant la sexualité qui placent certains groupes en marge des systèmes légitimés de reconnaissance sociale. En 1994, elle soutient sa thèse : The Valley of the Kings : Leathermen in San Francisco 1960-1990. Anthropologue toujours très engagée dans les politiques sexuelles queer, sa carrière est jalonnée de nombreuses distinctions. Enseignante au département d’anthropologie et au centre des women’s studies de l’université du Michigan, elle poursuit ses réflexions sur l’histoire politique de la sexualité et de la pornographie, en particulier sur les rapports entre pornographie, prostitution et violence.
Miriam GROSSI et Daniela LUIZ
■ Surveiller et jouir, anthropologie politique du sexe, Paris, EPEL, 2010.
■ Deviations, a Gayle Rubin Reader, Londres, Duke University Press, 2011.
■ « Geologies of queer studies : it’s déjà vu all over again », in CLAGS News, vol. 14, no 2, 2004.
RUBIN, Vera COOPER [PHILADELPHIE 1928]
Astrophysicienne américaine.
Prise de passion très jeune pour l’astronomie, Vera Cooper se voit fortement déconseiller le domaine scientifique par ses professeurs qui lui suggèrent plutôt d’opter pour une carrière d’« artiste astronomique ». Néanmoins, elle persévère et obtient un diplôme en astronomie au Vassar College en 1948. La même année, elle épouse Robert Rubin, un physico-chimiste qu’elle rejoint au département d’astronomie de l’université de Cornell, plutôt que d’accepter une offre d’emploi proposée par la prestigieuse université d’Harvard. Elle montre qu’il existe des mouvements résiduels pour les galaxies lointaines, une fois l’expansion générale retirée. Ces résultats d’une modernité certaine, présentés en 1950, juste après la naissance de son enfant, à la réunion annuelle des astronomes américains, provoquent la polémique. Elle choisit de passer son doctorat à l’université de Georgetown. Son directeur de recherches, George Gamow, lui propose de vérifier si l’Univers est homogène et isotrope : elle montre que ce n’est pas totalement vrai, observation à nouveau avant-gardiste et très controversée. Elle soutient sa thèse en 1954 et enseigne dans une université locale, avant de retourner à Georgetown. En 1965, elle provoque une nouvelle révolution en devenant la première femme à observer, en toute légalité, sur le site du mont Palomar. La même année, elle obtient un poste permanent au département de magnétisme terrestre de l’Institut Carnegie. Après s’être intéressée aux quasars, elle revient finalement sur son sujet de maîtrise, avec la collaboration de Kent Ford, confirmant ses conclusions de l’époque, que les autres astronomes appellent désormais l’effet Rubin-Ford. Refroidie par l’opposition constante de ses pairs, elle se met en quête d’un sujet moins délicat, et se lance dans l’étude de la rotation des galaxies spirales et de leurs zones périphériques, mal connues. Grâce à un instrument mis au point par K. Ford, elle analyse tout d’abord la galaxie d’Andromède : elle découvre que la vitesse des objets périphériques est tout aussi élevée que celle des objets plus proches du centre, ce qui est impossible si la distribution de masse reflète celle de la lumière. Puis, se remémorant les travaux précurseurs de Fritz Zwicky sur les amas de galaxies, elle imagine que les galaxies doivent contenir une quantité non négligeable de matière non lumineuse, donc noire. Ces conclusions, quoique mal accueillies à l’époque, sont aujourd’hui unanimement acceptées. V. Cooper Rubin finit par connaître un succès tardif : médaille nationale des sciences (1993) ; prix Russell et médaille Watson (1994) ; prix Dickinson et médaille d’or de l’Académie pontificale des sciences ; prix Peter-Gruber de cosmologie (2002) ; médaille Bruce (2003) et médaille d’or de la Royal Astronomical Society en 1996 (la seconde attribuée à une femme).
Yaël NAZÉ
■ Bright Galaxies, Dark Matters, New York, Springer-Verlag, 1996.
■ IRION R., « Vera Rubin profile : The bright face behind the dark sides of galaxies », in Science, vol. 295, 2002 ; STEPHENS S., « Vera Rubin : An unconventional career », in Mercury, janv.-fév. 1992 ; VAN DEN BERGH S., « The early history of dark matter », in Publications of the Astronomical Society of the Pacific, vol. 111, 1999.
RUBINSTEIN, Helena [CRACOVIE 1872 - NEW YORK 1965]
Entrepreneuse américano-polonaise, créatrice de la cosmétique moderne.
Aînée de huit filles, Helena Rubinstein grandit dans une famille juive traditionnelle et modeste de Cracovie. Elle doit arrêter ses études à 16 ans pour travailler dans la boutique de son père. Fuyant les pressions familiales qui lui enjoignent de se marier, elle part seule en Australie à l’âge de 24 ans. Elle étudie inlassablement la cosmétique en autodidacte et conçoit une crème de beauté inspirée de celles que fabriquait sa mère. En 1902, elle ouvre à Melbourne son premier institut pour une clientèle aisée et connaît un succès immédiat dans ce pays de pionniers accueillant les innovations. Elle s’enrichit rapidement, puis part en Europe pour rencontrer des médecins, des dermatologues et des chimistes, afin de donner une assise scientifique et rigoureuse aux soins de beauté. Elle sera la première à promouvoir cette conception de la cosmétique. En 1908, elle épouse Edward Titus, journaliste américain et bibliophile, qui l’aide à construire son image publicitaire. H. Rubinstein fonde en 1909 sa compagnie anglaise à Londres. La naissance de ses deux fils ne freine pas son ardeur au travail : elle crée en 1911 une petite usine à Saint-Cloud où elle travaille jour et nuit, elle invente et suit le produit de sa conception jusqu’au conditionnement raffiné. Après avoir ouvert cinq salons à Paris, elle part pour New York en 1914, où les femmes sont en quête d’indépendance. En quelques années, elle est célèbre, ses produits se vendent par correspondance ou dans les grands magasins. Convaincue que la beauté est une affaire de femmes, elle crée une école où sont formées des esthéticiennes, dont le métier est reconnu. Après son divorce en 1938, elle devient princesse Gourielli en épousant un émigré russe. Elle ne cesse de travailler et ses innovations sont nombreuses. À sa mort, sa marque est implantée dans une trentaine de pays, avec 14 usines et 32 000 salariés. Passionnée par la beauté des femmes, elle l’était aussi par l’art sous toutes ses formes : dans ses salons, bijoux d’architecture et de décoration, elle expose les œuvres d’artistes de son époque.
Jacqueline PICOT
■ FITOUSSI M., Helena Rubinstein, La femme qui inventa la beauté, Paris, Grasset, 2010.
RUBINSTEIN, Ida [KHARKOV vers 1885 - VENCE, FRANCE 1960]
Comédienne, danseuse et directrice de compagnie russe.
Enfant d’une riche famille qui fréquente les artistes de Saint-Pétersbourg, Ida Rubinstein s’oriente vers une carrière théâtrale en prenant des cours de mime et de théâtre, et joue Antigone en 1904. Elle travaille avec Michel Fokine qui lui règle une danse pour Salomé (1908) et l’intègre aux Ballets russes de Diaghilev (1909-1911). Elle émigre à Paris et fonde sa compagnie (1911-1913), puis est engagée dans divers théâtres parisiens. Pendant la guerre, elle interrompt ses projets pour soigner les blessés. Elle revient au théâtre dans les années 1920, notamment aux Ballets russes et à l’Opéra. Elle monte une seconde compagnie, puis renonce à produire ses commandes, qu’elle confie à l’Opéra, et ne paraît plus en scène qu’en 1938. La Seconde Guerre mondiale met fin à ses activités.
Grande et mince, d’une beauté androgyne et d’une présence fascinante, elle possède un réel talent de mime et de tragédienne. Comme danseuse, elle pallie sa faiblesse technique par un sens inné du mouvement et par sa puissance expressive. Comme comédienne, elle s’acharne à perdre son fort accent russe, prenant des cours avec Sarah Bernhardt*. Elle connaît un succès foudroyant aux Ballets russes, dans deux rôles plus mimés que dansés, conçus par Fokine. En 1909, l’exotisme sensuel de sa Cléopâtre fait la conquête du public parisien. En 1910, dans Shéhérazade, aux côtés de Vaslav Nijinsky, elle impressionne par l’intensité hiératique de ses attitudes. Elle s’impose comme une figure importante du monde théâtral lorsqu’en 1911 elle décide de prendre son destin en mains. Elle utilise sa fortune et celle de mécènes pour commander des œuvres conçues pour la mettre en valeur, dans un registre résolument moderne. Narcissique, mais aussi passionnée et audacieuse, elle engage les artistes les plus innovants de son temps. Elle commande ainsi à Maurice Ravel la musique du Boléro (1928) et utilise celle de La Valse, rejetée par Diaghilev, dont elle confie les chorégraphies à Bronislava Nijinska*. Mais on lui doit surtout des expériences d’art total (parole, musique et danse). Pour Le Martyre de saint Sébastien (1911), un de ses plus beaux rôles, collaborent d’Annunzio, Debussy, Bakst et Fokine. Perséphone (1934) réunit Gide, Stravinski, Barsacq et Jooss. Jeanne au bûcher (1938), de Claudel, Honegger et Benois, est sa dernière interprétation.
Marie-Françoise BOUCHON
■ DEPAULIS J., Ida Rubinstein : une inconnue jadis célèbre, Paris, Honoré Champion, 1995.
RUCHAT RONCATI, Flora [MENDRISIO, TESSIN 1937 - ZURICH 2012]
Architecte suisse.
Flora Ruchat Roncati est, en 1985, la première femme nommée professeure d’architecture à l’École polytechnique fédérale de Zurich (ETHZ, Eidgenössische Technische Hochschule Zürich). Elle est, depuis 1962, architecte indépendante et a collaboré à l’occasion avec des partenaires de la Suisse italienne ou alémanique. Le Tessin reste toutefois son principal point d’ancrage. Elle a ouvert son agence en 1971 à Riva San Vitale, puis une succursale à Rome en 1975. L’œuvre la plus importante de ses débuts est la piscine en plein air de Bellinzona, construite entre 1967 et 1970 avec Aurelio Galfetti (1936) et Ivo Trümpy (1937), et dont les éléments caractériseront ses œuvres ultérieures : confrontation avec le contexte historique, architectural et paysager, et utilisation du chemin comme élément architectonique. C’est durant ces années que s’est constitué, autour de La Tendenza, un groupe de jeunes architectes du Tessin devenu par la suite une force rénovatrice qui a donné de nouvelles impulsions fondamentales à l’architecture suisse et italienne. F. Ruchat Roncati en sera la seule femme. En 1975 elle s’installe à Rome, où elle reste dix ans pour pouvoir, en marge de ses projets, conseiller l’organisation Consorzio nazionale cooperativo di abitazione. À la fin des années 1970, elle enseigne dans différentes écoles d’Europe et des États-Unis. Alors nommée à Zurich, elle revient en Suisse en 1985. En 1988, elle entame une collaboration avec Dolf Schnebli (1928-2009) et Tobias Ammann (1944). Elle participe aux projets de l’Institut, l’École et l’ambassade suisses à Rome (1989-1997), de l’immeuble d’habitation sur la Grossmannstrasse (Zurich 1990-1995) et du bâtiment administratif Suglio (Manno 1990-1996). En 1989, elle remporte, avec Renato Salvi (1956), le concours pour l’aménagement de l’autoroute Transjurane, ouverte en 1998. Depuis 1993, elle est aussi conseillère de la Compagnie des chemins de fer fédéraux pour les questions touchant au paysage et aux ouvrages d’art de la nouvelle ligne transversale du Gothard. Jusqu’en 2002, elle s’est surtout engagée dans l’enseignement et la formation à l’ETHZ où elle est devenue, à beaucoup d’égards, un modèle pour nombre de jeunes femmes.
Anna SCHINDLER
■ Zwischen Sinn und Geist (Filmmaterial), Zurich, Abschiedsvorlesung/ETH, 2002.
■ GEISSBÜHLER D., Flora Ruchat-Roncati, Zurich, Gta-Ausstellungen, 1998 ; NAVONE N., REICHLIN B., Il Bagno di Bellinzona di Aurelio Galfetti, Flora Ruchat-Roncati, Ivo Trümpy, Mendrisio, Mendrisio Academy Press, 2010.
RUČIGAJ, Danica [SKOPJE 1934 - ID. 1963]
Poétesse macédonienne.
Les deux premiers recueils de poèmes publiés par une femme en Macédoine sont attribués à Danica Ručigaj. Cette poétesse de la première génération débute avec une poésie d’amour confessionnelle empreinte de lyrisme, qui étonne d’emblée la critique. Alexandre Ežov, dans la postface du recueil Srebreni noќni igri (« jeux nocturnes argentés », 1960), écrit sa surprise de ne pas trouver « sentimentalisme » et « suavité » dans sa poésie, deux travers qui guetteraient les femmes en particulier. En effet, dès les premiers vers, la poétesse évite la banalité : « À la femme, on n’autorise que son corps » (poème « Sedumte vetra », qui signifie « les sept vents »). Avec son second recueil, publié à titre posthume, Zarobenici na veterot (« les captifs du vent », 1963), elle inaugure une poésie non conformiste, tant du point de vue des motifs que de la langue, et devient précurseur d’une pléiade de poétesses macédoniennes qui emprunteront la même voie : Radmila Trifunovska*, Dušica Ilin, Gordana Mihailova Bošnakoska*, Kata Ќulavkova*, Liljana Dirjan*, Lidija Dimkovska*, Vera Čejkovska*. Elle a péri dans le tremblement de terre de Skopje.
Frosa PEJOSKA-BOUCHEREAU
■ DRUGOVAC M., Istorija na makedonskata kniževnost xx vek, Skopje, Misla, 1990 ; KOTESKA J., Makedonsko žensko pismo, Makedonska kniga, Skopje, 2002 ; STALEV G., Poslednite sto godini makedonska kniževnost, Matica Makedonska, Skopje, 1994.
RUDE, Sophie (née FRÉMIET) [DIJON 1797 - PARIS 1867]
Peintre française.
D’abord formée auprès d’Anatole Devosge à Dijon, Sophie Rude part, en 1816, avec son père, le bonapartiste Louis Frémiet, lors de son exil aux Pays-Bas. S’installant à Bruxelles, elle devient l’élève et la copiste favorite de Louis David qui l’encourage à achever ses propres tableaux d’histoire, activité exceptionnelle pour une femme à l’époque. La jeune peintre commence alors une œuvre incluant non seulement quelque 400 portraits, mais également des peintures décoratives, des allégories et des tableaux d’histoire. Tout en ayant assimilé la formation davidienne, elle cherche cependant, après 1821, à obtenir plus d’autonomie artistique. La même année, elle épouse le sculpteur François Rude, avec qui elle aura un fils en 1822, Amédée, qui mourra en 1830. Après s’être fait remarquer en 1820 grâce à l’exposition du tableau mythologique La Belle Anthia (1820) à Gand, elle reçoit, entre 1823 et 1825, deux commandes de décoration prestigieuses, l’une pour le château de Tervueren, près de Bruxelles, l’autre pour le palais d’Aremberg à Bruxelles. Dès 1825, elle expose aussi aux Pays-Bas et dans le nord de la France, s’intéressant de plus en plus au mouvement romantique. La même année, elle expose deux tableaux abordant des sujets contemporains, prenant parti pour les Grecs dans leur guerre d’indépendance contre les Turcs. Elle introduit au même moment un coloris plus chaud dans ses compositions néo-classiques. Elle expose régulièrement à Paris, où elle s’est installée en 1827, mais aussi parfois à Dijon ou en Belgique. Après son début au Salon en 1827 avec un portrait de sa sœur, la peintre Claudine-Victoire Frémiet (1799-1839), elle expose plusieurs tableaux d’histoire, pénétrés de l’esprit romantique, comme Le Sommeil de la Vierge (1831), et trois tableaux de scènes historiques : Les Adieux de Charles Ier à ses enfants (1833), pour lequel elle reçoit une médaille de seconde classe, Entrevue de Monsieur le Prince et de Mademoiselle la duchesse de Montpensier (1836) et La Duchesse de Bourgogne arrêtée aux portes de Bruges (1841). Après le décès de son mari en 1855, elle se consacre avant tout à son testament artistique, mais continue néanmoins à peindre et à former ses élèves, enseignement commencé dans son atelier bruxellois.
Véra KLEWITZ
■ COLLECTIF, François & Sophie Rude, un couple d’artistes au XIXe siècle, citoyens de la liberté, Paris, Somogy, 2012 ; GEIGER M., Sophie Rude, peintre et femme de sculpteur, une vie d’artiste au XIXe siècle, Dijon-Bruxelles-Paris, Dijon, Société des amis des musées de Dijon, [2004].
RUDIN, Mary Ellen (née ESTILL) [HILLSBORO 1924 - MADISON 2013]
Mathématicienne américaine.
Sans vocation particulière au moment de son inscription à l’université du Texas, Mary Ellen Estill doit son choix des mathématiques à la rencontre avec le professeur Robert Lee Moore. La « méthode Moore » qui consiste à donner directement aux élèves des définitions qu’ils doivent présenter en classe, des problèmes non résolus ou susceptibles de fournir des contre-exemples qu’ils doivent étudier par eux-mêmes, lui réussit. Elle obtient à Austin une licence puis un doctorat en topologie générale et enseigne à la Duke University en Caroline du Nord jusqu’en 1953. Elle épouse son collègue, le mathématicien Walter Rudin. Après six ans d’enseignement à l’université de Rochester, le couple déménage pour le Wisconsin. D’abord maître de conférence à Madison, elle est nommée professeure en 1971, inaugurant alors une chaire Grace Chisholm Young. Les travaux de M. E. Rudin portent sur les topologies construites en théorie des ensembles, et particulièrement sur la production de contre-exemples à des conjectures. Le plus célèbre est la construction d’un espace de Hausdorff normal dont le produit cartésien avec un intervalle n’est pas normal. Mais elle est surtout reconnue pour avoir créé des ponts entre la théorie des ensembles et la topologie, obtenant ainsi des résultats sur les images continues de Hausdorff des espaces linéaires ordonnés compacts. Elle a aussi démontré la première des trois conjectures de Morita et une version restreinte de la deuxième. Elle travaillait encore récemment sur les espaces paracompacts. Elle a publié environ 70 articles. Investie dans de nombreuses associations et sociétés mathématiques, elle a été nommée en 1980 vice-présidente de l’American Mathematical Society puis gouverneur de la Mathematical Association of America et membre de l’American Academy of Arts and Sciences.
Nathalie COUPEZ et Julien DALPAYRAT
■ CARR S., « Mary Ellen Rudin » in Biographie of Women Mathematicians, Agnes Scott College, juin 1997 ; O’CONNOR J. J., ROBERTSON E. F., « Mary Ellen Rudin », in Mac Tutor History of Mathematics archive, université de St Andrews, févr. 2008.
RUDOLPH, Wilma [SAINT BETHLEHEM 1940 - BRENTWOOD 1994]
Athlète américaine.
Baptisée en sympathie « la Gazelle noire » par les journalistes, témoins éblouis des Jeux olympiques de Rome en 1960, Wilma Rudolph a marqué l’histoire de l’athlétisme et du sport féminin avec une grâce incomparable. Ce ne furent pas seulement ses trois médailles dorées qui firent d’elle la reine de ces joutes romaines, mais la rare élégance naturelle de sa silhouette et de son style en course inscrits pour longtemps dans le regard et les mémoires. L’essentiel de sa courte vie se déroule au cœur du Tennessee. C’est à Nashville, lors d’un stage régional, qu’elle est remarquée par l’entraîneur Edward Temple, cette même ville où sa mère a si souvent conduit dans son enfance la petite poliomyélitique de la jambe gauche, prématurée de 2 kilos à peine, que n’ont épargnée ni une pneumonie double à 4 ans, ni la scarlatine, elle, la vingtième des vingt-deux enfants d’un même père. Elle porte attelle et chaussure orthopédique. Mais chaque fois qu’elle le peut, elle rejoint ses frères au basket. À 11 ans, elle joue pieds nus, débarrassée de tout soutien mécanique. Rapidité, coup d’œil, détente : l’équipe du collège bénéficie de ses dons évidents, et le coach G. C. Gray l’oriente vers son ami E. Temple qui, d’abord peu convaincu par son apparence frêle, la conduira aux épreuves de sélection pour les Jeux olympiques de Melbourne en 1956. À 16 ans à peine, elle sera éliminée en série du 200 mètres ; mais, troisième relayeuse des États-Unis, la voici déjà médaillée de bronze du quatre fois 100 mètres. Un an plus tard, mère à son tour, elle s’éloigne des pistes, avant de revenir pour le nouveau rendez-vous olympique. Le 9 juillet 1960, à Corpus Christi, elle s’affirme, améliorant le record mondial du 200 mètres en 22 s 9. Deux mois plus tard, elle va dominer de très loin toutes ses concurrentes de l’été romain, dégageant la même supériorité que le Jesse Owens des Jeux de Berlin en 1936. Après avoir égalé le record du monde en demi-finale du 100 mètres (11 s 3), elle est privée par le vent trop favorable (plus de 2 mètres/seconde) de l’officialisation de ses 11 secondes en finale le 3 septembre ; mais elle relègue l’Anglaise Dorothy Hyman et l’Italienne Giuseppina Leone à 3 mètres, la Française Catherine Capdevielle, honorable cinquième, à 5 mètres. Trois jours plus tard, elle est irrésistible au 200 mètres en 24 secondes : l’Allemande Jutta Heine et D. Hyman sont respectivement à 4 et 7 dixièmes. Le 8 septembre, enfin, elle parachève le succès américain dans le relais quatre fois 100 mètres ; en série, l’équipe avait battu le record mondial en 44 s 4 ; la finale est plus disputée, un médiocre passage de témoin semble mettre un instant W. Rudolph en difficulté, mais elle survole toute opposition, et couronne les efforts de Martha Hudson, Lucinda Williams et Barbara Jones, tout comme elle membres de l’université du Tennessee, pour sa neuvième victoire en neuf courses sous le beau ciel de Rome (44 s 5), devant les équipes d’Allemagne, de Pologne et d’Union soviétique. La finesse de ses traits autant que la beauté de sa foulée font l’unanimité – 1,80 m, 60 kilos, elle pourrait être mannequin. Sur la cendrée, se promenant au village olympique main dans la main avec le sprinter Ray Norton, dansant au club avec Cassius Clay – futur Muhammad Ali –, elle est fraîcheur, jeunesse et sourire. Elle n’a que 20 ans – et l’on est frappé avec le recul de cette précocité. Pourtant sa carrière athlétique touche presque à son terme. En 1961, elle améliorera encore les records du monde du 100 mètres, en 11 s 2, et du relais quatre fois 100 mètres : 44 s 3. En 1963, c’en sera fini. John Fitzgerald Kennedy l’encourage à s’investir en faveur des gens de couleur. C’est, après un grave accident de voiture en 1967, la voie qu’elle prend lorsque Chicago la nomme à la tête d’un programme de formation des jeunes sportives noires. Revenue dans le Tennessee, elle s’occupe d’un musée d’athlétisme. On la revoit au moment des Jeux olympiques de Los Angeles en 1984, silhouette arrondie, sourire toujours aussi chaleureux. Une décennie plus tard, un cancer l’emporte, à 54 ans.
Jean DURRY
■ BILLOUIN A., PARIENTÉ R., La Fabuleuse Histoire de l’athlétisme, Paris, Minerva, 2003.
RUDZKA, Marta VOIR OBERTYŃSKA, Beata
RUFER-ECKMANN, Claire [WABERN 1914 - BERNE 1973]
Architecte suisse.
Diplômée d’architecture en 1937 à l’École polytechnique fédérale de Zurich, Claire Eckmann travaille dans la foulée chez Alvar Aalto (1898-1976) en Finlande et Gunnar Asplund (1885-1940) en Suède. En 1942, elle s’associe à Oskar Rufer, épousé l’année précédente. L’activité de l’agence, considérable et essentiellement située à Berne, est diversifiée ; elle s’illustre tant dans la conception et la réalisation d’immeubles commerciaux et de cinémas (Gotthard 1961) que de bâtiments scolaires (école Bethlehemacker 1952-1953). Le couple participe à des concours au début des années 1950 et construit plusieurs pavillons (du dancing de la mode, des métiers de la mode et carrousel de la mode) pour la SAFFA II (Schweizerische Austellung für Frauenarbeit, « exposition suisse du travail féminin »), à Zurich en 1958. Néanmoins, le logement domine la production des époux : du début des années 1940 aux années 1960, ils construisent de nombreux immeubles d’habitation, maisons particulières et lotissements, avec une attention particulière portée à la rationalisation de la distribution des pièces et de l’espace de la cuisine. Au sein de l’agence, C. Rufer-Eckmann dirige tout le travail créatif, gère le personnel et s’occupe seule des commandes de petite taille, comme les maisons particulières. Elle est connue pour son intérêt pour la couleur, notamment pour un bleu particulier appelé Rufer-blau.
Stéphanie MESNAGE
■ BEYERLER M., La SAFFA de 1958 à Zurich. Son architecture et ses architectes, Lausanne, École polytechnique fédérale de Lausanne, 1999.
RUGGIÉRI, Ève [LIMOGES 1939]
Productrice et animatrice française de télévision et de radio.
Premier prix de piano du conservatoire de Nice, Ève Ruggiéri est élevée par un père contrebassiste et une mère violoniste. Entrée par concours à l’ORTF, elle entre à la télévision en 1975 avec Le Regard des femmes, une émission de 4 heures en direct sur TF1, dans laquelle elle reçoit des personnalités marquantes, telles Sonia Delaunay*, Martha Argerich* ou Angela Davis*. De 1979 à 1988, elle anime Ève raconte sur France Inter, retraçant la vie de personnages historiques. De 1981 à 1984, elle travaille pour Antenne 2 en tant que conseillère pour la musique classique, et en 1990, pour les programmes. Simultanément, entre 1982 et 2009, elle présente l'émission Musiques au cœur sur Antenne 2 puis France 2, pour laquelle elle obtient en 1988 le premier 7 d'Or pour la meilleure émission musicale, le Grand Prix du festival de Prague et la médaille d'or de la meilleure communication musicale télévisée, décernée par la SACEM. De nombreux artistes de musique classique y font leurs débuts télévisés. De 1988 à 1989, elle est directrice des programmes Classiques de France Inter et, de 1989 à 1990, de ceux de France 2. Depuis 2009, elle présente l’émission Ève Ruggiéri raconte sur Radio Classique. Programmatrice, directrice artistique puis productrice, elle participe à la création de nombreux festivals d’opéras. Créée en 1991, sa société Ève-R Productions organise de grands événements culturels dans des lieux prestigieux. Auteure de biographies liées au monde de la musique, E. Ruggiéri est chevalier des Arts et des Lettres ainsi que de la Légion d’Honneur. Elle est la mère de Marion Ruggiéri, journaliste et romancière.
Marion PAOLI
RUHM, Constanze [VIENNE 1965]
Artiste multimédia autrichienne.
L’œuvre de Constanze Ruhm recoupe les champs de l’installation, du film, de la vidéo, du texte, de projets d’exposition, et de sites Web. Elle a étudié les arts visuels à l’Akademie für Angewandte Kunst de Vienne, puis à l’Institut für Neue Medien de Francfort, où elle a été l’assistante de Dara Birnbaum (1946), Matt Mullican et Peter Weibel. Elle fournit un travail de recherche sur les formes contemporaines de la pratique artistique, en interrogeant notamment les liens entre le cinéma et les nouveaux médias. Elle aborde également les thématiques de l’identité et de la représentation féminine, en faisant appel à la théorie féministe des études filmiques, qui tend à mettre en avant la dimension sexuée et le rapport de domination qui s’exerce au sein des productions cinématographiques. Elle travaille sur des images, provenant, selon elle, d’un « réservoir commun » de représentations issues de la photographie, de la télévision et du cinéma, art qu’elle décrit comme un outil de synthèse permettant de casser certains codes et d’en créer de nouveaux (Coming Attraction : X Characters [in Search of an Author], 2002). Afin de reformuler et rendre visible les structures de ces images collectives, elle traite les films « comme un dessinateur son modèle vivant, elle ne tire d’eux qu’une épure, ne restituant que le dynamisme des lignes, mieux encore, leur souvenir ». X Characters, projet en cours depuis 2002, aborde à la fois l’imaginaire collectif et le cinéma, à travers sept légendes féminines du septième art moderne. C. Ruhm ranime le souvenir de scènes et de personnages cultes, en reformulant les scripts d’origine, dans le but de relier le cinéma moderne à un cinéma fondé sur la pratique féministe. Une partie importante de cette œuvre a été réalisée avec l’aide du public (recours à des chats, sites Internet, projections, émissions de radio en antenne libre, workshops) et elle est conservée dans un espace virtuel accessible à tous.
Diane-Sophie GIRIN
■ Avec KRYSTUFEK E., SCHEGEL E., VALIE EXPORT et al., Auf den Leib Leschrieben (catalogue d’exposition), Huck B., La Rocca K. (dir.), Vienne, Kunstalle, 1995 ; Time and Not End of Desire (catalogue d’exposition), Vienne, Museum Moderner Stiftung Kunst Ludwig Wien, 1998 ; Action, on tourne (catalogue d’exposition), Gateau L. (dir.), Paris, RMN, 2001.
■ HASENLECHNER A., Vorbilder & Nachbilder, Positionen Österreichische Künstlerinnen zu Neuen Medien, Vienne, Triton, 2001.
RUIZ, Mari-Jo [MANILLE 1943]
Mathématicienne philippine.
Après un master de mathématiques au Courant Institute of Mathematical Sciences de l’Université de New York en 1965, Mari-Jo Ruiz enseigne les mathématiques à la School of Science and Engineering de l’Université Ateneo de Manila à Quezon City. En 1981, elle obtient son doctorat de mathématiques dans cette même université et y devient professeure. Membre de plusieurs comités de lecture ou éditrice en chef de revues et journaux scientifiques, elle a été vice-présidente et présidente de la Southeast Asian Mathematical Society pendant cinq ans. Ses thèmes de recherches sont les graphes et les algorithmes. Elle a publié ses résultats dans de nombreuses revues et a aussi traduit les concepts abstraits de l’algèbre en filipino. En 2008, elle publie, en collaboration avec Jin Akiyama (Université Tokai au Japon), un ouvrage de vulgarisation : A Day’s Adventure in Math Wonderland (« l’aventure d’un jour au pays des merveilles des Maths »). Une traduction russe de cet ouvrage est déjà achevée. En novembre 2009, M.-J. Ruiz a été nommée Professeure émérite de l’université Ateneo de Manila.
Elisabeth LUQUIN
■ Avec AKIYAMA J., A Day’s Adventure in Math Wonderland, Singapour, World Scientific, 2008.
RUIZ, Olivia (née BLANC) [CARCASSONNE 1980]
Auteure-compositrice-interprète française.
Née au sein d’une famille de mélomanes – son père est le musicien Didier Blanc –, Olivia Ruiz développe un goût précoce pour les arts du spectacle. Elle expérimente la danse, le théâtre et la musique. Puis jeune adulte, elle forme un duo avec l’accordéoniste et guitariste Franck Marti et égrène son répertoire de chansons réalistes (Fréhel*, Gilbert Bécaud), de rock (Les Hurlements d’Léo) et de variété espagnole. En 2001, après quelques apparitions sur scène accompagnées de son père, elle intègre la première promotion de l’émission Star Academy. Loin de la décevoir, sa défaite en demi-finale la conforte dans l’idée d’explorer son propre univers et de se rapprocher des artistes avec lesquels elle souhaite collaborer. En 2003, J’aime pas l’amour, son premier album dont le titre éponyme est signé par Juliette*, sort dans les bacs et révèle au public enthousiaste son monde imaginaire, teinté de gouaille et d’énergie rock. Deux ans plus tard, son deuxième album, autour duquel se sont penchés des artistes de talent (Mathias Malzieu, Christophe Mali, Juliette) et qui inclut les titres phares La Femme chocolat et J’traîne des pieds, est certifié disque d’argent. En 2009, O. Ruiz enregistre Miss Météores, opus dont elle a signé tous les textes, portés par un cocktail de sons folk, slam et rock. Le calme et la tempête (2012) explore la face plus sombre de l’artiste. Empreint de tristesse, ballotté au rythme des hauts et des bas de la vie, l’album s’inscrit totalement dans l’univers baroque de la chanteuse. Elle occupe désormais une place de choix dans le paysage de la jeune chanson française indépendante grâce à un univers très personnel.
Anne-Claire DUGAS
■ La Femme chocolat, Polydor, 2005.
RUIZ DE LA PRADA, Ágatha [MADRID 1960]
Styliste de mode espagnole.
Fille d’un architecte grand collectionneur d’art contemporain, Ágatha Ruiz de la Prada étudie à l’École des arts et techniques de la mode de Barcelone. Son premier défilé, en 1981, en fait une créatrice majeure de la movida madrilène. En 1982, elle ouvre sa première boutique à Madrid puis travaille, à partir de 1986, pour des industriels espagnols et européens. Elle explore les domaines les plus divers : du prêt-à-porter féminin aux pochettes de disques, en passant par la publicité, le décor intérieur et les costumes de théâtre… En 1999, elle inaugure sa première boutique à Paris, bientôt suivie par celles de Porto, Milan et Madrid. Elle collabore avec l’avant-garde espagnole et s’inspire d’artistes, notamment Eduardo Chillida à qui elle rend hommage au musée national de la Reine Sofía, à Madrid, en 1997. Elle développe un univers très original, exubérant et ludique où sont associés une palette de couleurs vives et un répertoire de motifs devenus emblématiques dès 1986 : cœurs, étoiles, pois, fleurs, nuages. Très populaire en Espagne, Á. Ruiz de la Prada est aujourd’hui une créatrice incontournable.
Zelda EGLER
■ Ágatha Ruiz de la Prada : 1981-1998, Valence (Espagne), Sala Parpalló, 1998 ; Homejanes a artistas, Valence (Espagne), Ivam, 2004 ; Agatha Ruiz de la Prada, un jardin de corazones, Montreuil, Gourcuff Gradenigo, 2009.
■ KAMITSIS L., REMAURY B. (dir.), Dictionnaire international de la mode, Paris, Éditions du regard, 2004.
RUIZ LASTRES, Magaly [SANTA CLARA 1941]
Compositrice cubaine.
En 1951, Magaly Ruiz Lastres obtient une bourse pour étudier le piano avec César Pérez Sentenat. Elle poursuit ses études à l’Instituto Superior de Arte où elle se spécialise dans la composition avec Roberto Valera. Elle obtient son diplôme en 1981, mais elle enseigne déjà la musique depuis longtemps à l’institut Enrique-Jose-Varona de La Havane. José Ardévol, Félix Guerrero, Alfredo Diez-Nieto, Dolores Torres et Harold Gramatges ont influencé son style. Elle écrit principalement de courtes pièces de musique de chambre, telles que Habanera pour guitare, Deux pièces pour clarinette, Danzón pour saxophone et piano. Elle emploie souvent les thèmes, sonorités et rythmes des formes de la musique populaire de Cuba, telles que le son et le danzón qu’elle transforme en un langage contemporain en utilisant la bitonalité ou la polytonalité. Elle a remporté des prix dans plusieurs compétitions à Cuba. Ses œuvres ont été jouées à New York et en Italie. Elle a été conseillère au Centre de développement de la musique cubaine.
Odile BOURIN
■ SADIE J. A., SAMUEL R. (dir.), The New Grove Dictionary of Women Composers, Londres, Macmillan, 1994.
RUKEYSER, Muriel [NEW YORK 1913 - ID. 1980]
Écrivaine et militante politique américaine.
Après des études au sein de deux universités prestigieuses, Vassar et Columbia, Muriel Rukeyser publie, en 1935, son premier recueil de poèmes, Theory of Flight (« théorie du vol »), inspiré d’un bref séjour à la Roosevelt Aviation School, pour lequel elle reçoit le Yale Younger Poets prize. Sa formation intellectuelle passe par ses vastes lectures et son intérêt pour divers sujets. Son héritage judaïque constitue aussi une source d’inspiration. Si elle enseigne durant une grande partie de sa vie à mi-temps à l’université, notamment au Sarah Lawrence College de 1954 à 1967, M. Rukeyser refuse de s’engager dans une carrière universitaire et préfère vivre de lectures poétiques et de traductions, dont celles des poèmes d’Octavio Paz et des écrits de Gunnar Ekelöf. Décidée à explorer le monde, dès 1933, elle part en reporter couvrir le procès Scottsboro en Alabama, où cinq jeunes Noirs sont accusés du viol de deux fillettes blanches, avant d’être reconnus innocents par la suite. Elle s’en inspire pour son poème « The Trial » (« le procès »), dans lequel elle dénonce les injustices et les inégalités sociales et raciales du Sud. Ainsi commence son engagement politique et social indissociable de son art. Avec le recueil de poèmes et de témoignages directs The Gates (« les portes », 1976), elle défend la poétesse coréenne Chi-Ha Kim, condamnée à mort. En 1936, elle arrive en Espagne au moment où la guerre éclate et s’engage pour la cause républicaine. La même année, elle enquête sur la mort de nombreux ouvriers dans les mines de silice de Virginie. Elle en tire le poème « The Book of the Dead » (« le livre des morts », dans U.S.1, 1938), au sein duquel elle inclut lettres, entretiens, témoignages des commissions d’enquête et cotations en Bourse, afin de remettre en cause la frontière entre document et fiction. M. Rukeyser s’inspire aussi de sa vie de femme, de bisexuelle et de mère célibataire. Dans tous ses écrits, on retrouve sa volonté de lier son expérience individuelle aux problèmes politiques et sociaux de sa génération. Elle entretient l’espoir que la poésie puisse agir et faire agir, comme elle l’affirme dans son essai The Life of Poetry (« la vie de la poésie », 1949). Malgré les récompenses, son œuvre tombe partiellement en disgrâce jusqu’à ce que la poétesse Adrienne Rich* salue sa poésie dynamique, en prise avec les voix et les paysages, dans son article « Beginners » (« les premiers »).
Mathilde FRATTA
■ The Collected Poems of Muriel Rukeyser, KAUFMAN J. E., HERZOG A. F. (dir.), Pittsburgh, University of Pittsburgh Press, 2005.
■ KERTESZ L., The Poetic Vision of Muriel Rukeyser, Baton Rouge, Louisiana State University Press, 1980.
■ RICH A., « Beginners », in Kenyon Review, no 15, été 1993.
RUKIAH, Siti [PURWOKERTO 1927 - ID. 1996]
Écrivaine indonésienne.
En 1945, jeune enseignante à Java-Ouest, Siti Rukiah s’engage dans le combat contre les Néerlandais qui dure jusqu’en 1949. C’est à cette époque qu’elle écrit ses premiers textes aux côtés de son compagnon de lutte, l’écrivain et héros de la révolution Sidik Kertapati qu’elle épousera ensuite ; ils paraîtront à partir de 1946 dans des revues comme Gelombang Zaman. Elle crée le magazine Irama, puis devient rédactrice de Pujangga Baru et écrit pour Mimbar Indonesia. Elle prend part à l’organisation du Lembaga Kebudayaan Rakyat (Lekra) et est, jusqu’au coup d’État de 1965, rédactrice des diverses revues de cet institut de la culture populaire pour lequel elle créera un magazine pour enfants. Elle est l’auteure de nombreuses nouvelles, de poèmes, et du roman Kejatuhan dan Hati (« échec et cœur », 1958), où elle présente trois portraits de femmes riches en nuances et pleines de contradictions, partagées entre leur idéal politique et un certain désenchantement. Tandus (« en friche », 1952) regroupe quelques-uns de ses poèmes et nouvelles. Après 1965, réduite au silence comme les autres intellectuels de gauche, elle s’est, semble-t-il, consacrée à la littérature enfantine. Dans ses nouvelles, elle mêle des thèmes féministes au contexte de la lutte politique et révolutionnaire. Sa poésie est à la fois lyrique et réaliste : l’amour survit à l’horreur de la guerre.
Jacqueline CAMUS
■ Tandus, Jakarta, Balai Pustaka, 1952 ; Kejatuhan dan Hati, Jakarta, Balai Pustaka, 1958 ; Djaka Tingkir, Jakarta, Balai Pustaka, 1962.
RULE, Jane [PLAINFIELD, ÉTATS-UNIS 1931 - ÎLE GALIANO 2007]
Romancière, nouvelliste et essayiste canadienne.
Native des États-Unis, Jane Vance Rule obtient un diplôme en 1952 de Mills College (Californie) et poursuit ses études en Angleterre, à l’University College de Londres, avant de s’installer au Canada en 1956. Elle enseigne à Concord Academy dans le Massachusetts et donne des cours d’anglais et de création littéraire à l’université de Colombie-Britannique (1959-1976). Après trois ans et 22 refus, elle arrive finalement à publier Déserts du cœur (1964), qui met en scène un couple d’homosexuelles. Avec ce roman, elle revendique une place pour les homosexuelles au sein de la société, affirme leur identité et le désir féminin. Elle refuse cependant fermement toute accointance avec le politique. Cette parution déclenche une controverse médiatique qui l’incite à prôner la liberté d’expression et les droits des homosexuels : elle produit d’ailleurs une étude sur les écrivaines lesbiennes, Lesbian Images (1975). Elle dresse notamment des parallèles entre racisme et homophobie, ainsi dans son roman This Is Not for You (1970). Elle abandonne romans et nouvelles au début des années 1990 pour participer à des événements littéraires et à des manifestations en faveur des droits des homosexuels. Primée par l’Association des auteurs canadiens (1978) et distinguée par la Gay Academic Union, elle devient membre de l’Union des écrivains du Canada et est reçue dans l’Ordre du Canada en 2007. Parmi ses ouvrages, citons encore le recueil de nouvelles Inland Passage and Other Stories (1985), son roman After the Fire (1989), et sa biographie, publiée à titre posthume, Loving the Difficult (2008).
Élodie VIGNON
■ Déserts du cœur (Desert of the Heart, 1964), Laval, Trois, 1993.
RUMAZO, Lupe [QUITO 1935]
Écrivaine équatorienne.
Fille du poète et auteur Alfonso Rumazo González et de la concertiste Inés Cobo Donoso, Lupe Rumazo grandit dans un milieu intellectuel. Elle termine ses études universitaires à l’étranger. Bien que pianiste, elle se consacre principalement à l’exercice littéraire et publie plusieurs essais à la suite d’En el lagar (« à la cave », 1962), dont le plus remarqué est Rol beligerante (« rôle belligérant », 1975), qui s’ouvre sur un récit, avant d’examiner la théorie du structuralisme, qui fait alors le tour du monde. Son œuvre narrative commence par un recueil de sept nouvelles, Sílabas de la tierra (« syllabes de la terre », 1964), titre emprunté à un vers du poète Pablo Neruda que l’auteure reprend en épigraphe. Soulignant la force du langage, qui intensifie le vécu, elle explore divers thèmes et montre une grande maîtrise du genre. La marcha de los batracios (« la marche des batraciens ») est la nouvelle qui attire le plus l’attention de la critique en raison de sa structure expérimentale, où elle mêle la note journalistique, les monologues du personnage principal et des voix qui l’entourent, exigeant un effort de reconstruction de la part du lecteur. Le personnage principal, un poète qui éprouve les angoisses de la création, de la quête du moi et de la solitude, reprend les préoccupations intellectuelles que l’auteure a déjà abordées dans ses essais de critique littéraire. Carta larga sin final (« longue lettre sans fin », 1978), récit polyphonique mêlant l’essai et la fiction, et remarquable évocation de sa mère morte quelques années plus tôt, ainsi que Peste blanca, peste negra (« peste blanche, peste noire », 1988) sont de longs textes narratifs chargés de réflexions philosophiques et très travaillés poétiquement.
Cecilia ANSALDO BRIONES
RUMENS, Carol [LONDRES 1944]
Poétesse, romancière et auteure dramatique britannique.
Après avoir obtenu une bourse, Carol Rumens commence l’étude de la philosophie à l’université de Londres. Elle publie des critiques musicales dès l’âge de 16 ans dans plusieurs magazines. Elle vit à Belfast, à Bangor, voyage en l’Europe, trouvant l’inspiration dans la disparité des cultures et des modes de vie qu’elle rencontre. À partir de 1983, elle enchaîne les postes d’écrivain en résidence dans de nombreuses universités en Angleterre et à l’étranger. Elle publie le premier de ses neuf recueils en 1974 (A Strange Girl in Bright Colours, « une fille étrange aux brillantes couleurs »), deux romans (Plato Park, 1987), et trois de ses pièces de théâtre sont mises en scène (Nearly Siberia, « presque la Sibérie », 1989). Sa poésie participe d’un réalisme très anglais, non sans quelques accents symbolistes, et dans une écriture tendue entre des styles poétiques différents. Sans éviter l’anecdotique et le quotidien, elle traite de thèmes contemporains, la société de classes, les relations entre les sexes, le contact avec les cultures d’autres pays, sur un ton conversationnel mais toujours empreint d’une grande musicalité. Ses derniers recueils montrent une réflexion sur l’écriture poétique elle-même avec des références aux poètes avant-gardistes de la Black Mountain, tels que Levertov, Olson ou Creeley, que l’on retrouve en filigrane dans son essai Writing Poetry (2006).
Michel REMY
RUNDELL, Maria Eliza [LUDLOW 1745 - LAUSANNE, SUISSE 1828]
Auteure culinaire britannique.
À la mort de son mari, Maria Eliza Rundell déménage à Bath et, au cours d’une visite à Swansea, rassemble un manuscrit de recettes de cuisine et de conseils ménagers pour ses filles. Un vieil ami de la famille, John Murray, célèbre éditeur londonien, lui offre d’imprimer l’ouvrage. Publié en 1806 sous le titre Domestic Cookery, il ne cible pas seulement les maisons huppées mais de simples familles. Le succès qu’il rencontre relègue tous les livres de cuisine anglais, qui dataient tout de même du XVIIIe siècle, et connaît jusqu’en 1880 65 éditions en Angleterre et 37 aux États-Unis. De son vivant, aucune de ces éditions ne porte son nom, et ce n’est qu’après sa disparition que Domestic Cookery est attribué à M. Rundell. Elle fait paraître deux autres livres, des lettres à sa fille et Domestic Happiness (1806), recueil de recettes du terroir ou exotiques, de remèdes médicinaux et de principes d’économie, de conseils sur la façon de faire de l’encre ou dans le choix et le placement des invités d’une soirée, et ce dans le but avoué de faciliter la tâche des femmes.
Michel REMY
RUNEBERG, Fredrika (née Charlotta TENGSTRÖM) [JAKOBSTAD 1807 - HELSINKI 1879]
Écrivaine finlandaise de langue suédoise.
Considérée comme la première femme journaliste de Suède, Fredrika Runeberg édite avec son mari, l’écrivain et poète Johan Ludvig Runeberg, les journaux Helsingfors Morgonblad et Borgå Tidning, dans lesquels elle écrit et fait connaître des œuvres traduites. Une sélection de ses textes est publiée plus tard dans un volume intitulé Teckningar och drömmar (« dessins et rêves », 1861). Le soin et l’éducation de ses huit fils ainsi que l’économie de la famille lui incombent. En outre, elle participe à de bonnes œuvres pour porter secours aux jeunes filles pauvres. Elle parvient pourtant à écrire deux romans historiques où elle analyse d’une manière critique la situation de la femme. Fru Catharina Boije och hennes döttrar (« Mme Catherine Boije et ses filles », 1858) a pour cadre la période d’occupation de la Finlande par les Russes au début du XVIIIe siècle. Sigrid Liljehorn (1862) traite du conflit entre paysans et nobles à la fin du XVIe siècle. Dans ces deux romans est présentée l’utopie d’une femme qui prend sa vie en main. L’écrivaine s’intéresse aux problèmes de la femme au foyer et dans la société, se demandant ce qui caractérise un bon mariage et comment une femme peut se réaliser. Son autobiographie posthume, Min pennas saga (« le conte de ma plume », 1946), présente son œuvre et ses ambitions littéraires.
Kajsa ANDERSSON
■ MAZZARELLA M., Fredrika Charlotta född Tengström. En nationalskalds hustru, Helsinki/Stockholm, Svenska litteratursällskapet i Finland/Atlantis, 2007.
RUNGE, Sirje [TALLINN 1950]
Peintre estonienne.
Sirje Runge a étudié le design à l’Institut des beaux-arts d’Estonie (1970-1976), où elle enseigne depuis 1995. Elle a fait partie des jeunes artistes qui, sur fond d’art officiel soviétique dominé par le réalisme socialiste, ont jeté les bases d’un renouveau de l’art estonien. Parmi ses premières œuvres figurent des projets pour l’aménagement de l’espace public avec les nouveaux moyens technologiques (Tallinna uus keskkond, « nouvel environnement de Tallinn », 1975). Ces projets quasi utopiques et non réalisés sont fortement influencés par l’esprit « pop » qui avait infiltré l’URSS. Au début de sa carrière de peintre, elle mélange dans ses tableaux des éléments architecturaux et figuratifs (Tiigrid linnas, « les tigres dans la ville », 1970), mais rapidement elle fait le choix de l’abstraction. Ses œuvres des années 1970 étudient les effets d’optique à travers des variations de formes géométriques simples : cercles, carrés, triangles (séries Geomeetria, « la géométrie » ; Ruum, « l’espace », à partir de 1976). Dans les années 1980, la peinture de S. Runge devient plus minimaliste. Les jeux avec l’espace et la lumière y sont transmis par des gradations de couleurs et de tons extrêmement étudiées et maîtrisées (séries Objekt, « objet », à partir de 1983 ; Maastik, « le paysage », à partir de 1981). Dans les années 2000, ce ne sont plus les couleurs mais la lumière qui crée l’effet d’espace (série Surmatants, « la danse macabre », 2001-2003 ; Suur armastus, « le grand amour », 2003). Grâce à une technique picturale très élaborée, la surface du tableau est en perpétuel mouvement et l’image devient un processus que chaque spectateur recrée personnellement. La lumière prend une place croissante : elle n’est pas seulement créatrice de l’expérience sensible mais revêt une dimension spirituelle.
Kadriann SOOSAAR
RUOHONEN, Laura [HELSINKI 1960]
Auteure dramatique et metteuse en scène finlandaise.
Les pièces les plus célèbres de Laura Ruohonen sont notamment Mary Stuart (2009), Touristes de guerre (2008), Seules en l’île (2006), La Reine C. (2003), Suurin on rakkaus (« l’amour, ce qu’il y a de plus grand », 2001) et Olga (1995). Auteure ironique et philosophique, elle construit avec originalité son propre univers linguistique. Les intrigues de ses pièces sont ardues et non conformistes. Ainsi, dans Touristes de guerre, le contexte historique de la guerre de Crimée (1853-1856) n’est qu’un cadre permettant de se pencher sur le désir des hommes de se repaître des horreurs de la guerre. L. Ruohonen écrit des pièces qui permettent de nombreuses interprétations comme dans La Reine C., avec les questions du pouvoir, du sexe et de l’identité. Dans Seules en l’île, une jeune architecte et une ophtalmologue confrontent leurs valeurs et leur conception du monde sur un îlot désert de la mer Baltique. L. Ruohonen étudie la finalité en soi de la nature humaine et son arrogance, ainsi que les idéaux en relation avec les limites de l’être. Elle dirige souvent les créations de ses pièces. Ses œuvres sont largement présentées dans les festivals, et créées à l’étranger, notamment au Royaume-Uni, en Irlande, en Suède, aux Pays-Bas, en Lituanie, en Biélorussie et en Italie. Elle est professeure de dramaturgie à l’École supérieure du théâtre de Helsinki.
Hanna HELAVUORI
■ La Reine C. (Kuningatar K, 2003), Castelnau-le-Lez/Montpellier, Climats/Maison Antoine Vitez, 2004 ; Seules en l’île (Yksinen, 2006), catalogue de la Maison Antoine-Vitez, 2008 ; Touristes de guerre (Sotaturistit, 2008), catalogue de la Maison Antoine-Vitez, 2010.
RÚRÍ (Thurídur FANNBERG, dite) [REYKJAVÍK 1951]
Artiste plasticienne multimédia islandaise.
Rúrí a exploité presque tous les moyens artistiques : peinture, sculpture, écriture, photographie, arts du cinéma, installations multimédia et performances. Après des études à l’École des beaux-arts de Reykjavík et à la Vrije Akademie de La Haye, elle inaugure avec Golden Car (1974) une carrière étayée par une approche critique de la société. L’Islande découvre une frêle jeune femme démolissant à coups de massue une Mercedes dorée. Cet aspect symbolique de son militantisme se manifestera ensuite dans son installation Glassrain (1984), composée de 500 fragments de verre tranchants suspendus en forme de labyrinthe où le spectateur doit avancer prudemment. Rúrí a réalisé des œuvres pour l’espace public, dont la plus connue est The Rainbow (1986), sculpture monumentale face à l’aéroport de Keflavík, en Islande. Son installation multimédia Paradís ? Hvenær ? (« le paradis ? quand ? », 1998) aborde le thème de la guerre en Bosnie-Herzégovine. En 2003, elle présente à la Biennale de Venise Archive-endangered waters, une installation multimédia interactive de données visuelles et sonores sur 52 cascades disparues ou menacées par la construction d’un barrage dans les hautes terres d’Islande. Cette œuvre lui apporte la reconnaissance internationale. La voix des cascades est repris dans Water-Vocals-Endangered, réalisé entre 2005 et 2008. En 2009, Aqua-Silence sensibilise à la beauté de la nature et conduit à une prise de conscience émotionnelle et symbolique du pouvoir de l’individu sur la fragilité du monde. L’eau est également présente dans la performance Dedication (2006), exécutée à Drekkingarhylur, une faille profonde dans la rivière glaciale de Thingvellir. Rúrí la dédicace à la mémoire des femmes qui y furent jetées et noyées au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, en punition de délits d’adultère ou de grossesse illégitime. Rúrí a participé à près de 200 expositions dans le monde, et une grande partie de ses œuvres figurent dans des expositions permanentes. Elle a enseigné les beaux-arts, participé à de nombreux colloques et conférences, écrit des articles et reçu de nombreux prix et distinctions. L’artiste procède par déconstruction, fragmentation et reconstruction, recréant le tout de manière symbolique par la modification structurelle des parties et en impliquant le spectateur au cœur de son travail. Le temps s’y écoule comme une force invisible, créative et destructrice à la fois. Très présentes dans son œuvre, la nature et les valeurs universelles sont pour Rúrí menacées par une époque de corruption et de destruction.
Laufey HELGADÓTTIR
■ HELGADÓTTIR L., « Vatnid og tíminn », in Catalogue de la Biennale de Venise, 2003 ; ONFRAY M., « Une machine oxymorique », in Catalogue de la Biennale de Venise, 2003 ; VAN DER KOELEN D., « Paradís ? Hvenær ? » in Catalogue de l’exposition Rúrí, Reykjavík, galerie d’art moderne Kjarvalsstadir, mars-avr. 1998.
RUSMINI, Oka [JAKARTA 1967]
Romancière et poétesse indonésienne.
Originaire d’une famille brahmane, Oka Rusmini s’établit à Bali, où elle a suivi des études de lettres, et devient journaliste au Bali Post. Elle publie des recueils de poèmes, des nouvelles et des romans. Patiwangi (« rituel », 2003), titre de l’un de ses recueils de poésie, pourrait être considéré comme le thème dominant de son œuvre. Ce mot, en effet, signifiant littéralement « parfum de mort », fait référence à une cérémonie balinaise, se déroulant au temple Pura Desa (Ubud), qui vise à priver une femme noble, épouse d’un homme d’une caste inférieure, de son appartenance à la caste supérieure. Le thème de la violence et de l’injustice des relations intercastes et de l’oppression en résultant pour les femmes est présent dès les premiers poèmes (parus à partir de 1980), puis dans les nouvelles de l’auteure. Elle exprime sa colère contre la domination patriarcale inhérente à la civilisation balinaise, dont elle glorifie certains aspects, en particulier les arts, mais dont elle déplore l’abâtardissement dû au tourisme. Le caractère parfois ésotérique de ses premiers poèmes, dû à l’emploi de nombreux mots balinais, ne se retrouve plus ensuite dans ses œuvres en prose dans lesquelles elle fournit un lexique intéressant. La virulence de la critique dans ses nouvelles, notamment dans le recueil Sagra (2001), passe souvent par le recours à des personnages d’enfants, accentuant la dénonciation des hypocrisies. Dans Tarian Bumi (« danse du monde », 2000), tout comme dans Kenanga (2003), son premier roman, elle fustige certains aspects cachés de la vie des grandes familles brahmanes. O. Rusmini, dont les ouvrages ont été gratifiés de plusieurs prix en Indonésie, a représenté son pays au Writing Program des écrivains de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (1997), au festival Winternachten d’Amsterdam (2003), et a été cette même année écrivaine en résidence à l’Université de Hambourg.
Jacqueline CAMUS
■ Monolog Pohon, Denpasar, Griya Budaya, 1997 ; Patiwangi, Jakarta, Grasindo, 2003 ; Warna Kita, Jakarta, Gramedia Widiasarama Indonesia, 2007 ; Tempurung, Jakarta, Grasindo, 2010.
RUSSIER, Jeanne [PUY-EN-VELAY 1903 - NANTES 1982]
Philosophe française.
Issue d’une famille protestante, c’est bien après ses études de philosophie à l’ENS de Sèvres, où elle entre en 1923, que Jeanne Russier se convertit à la foi catholique. Après l’obtention de l’agrégation, elle enseigne dans plusieurs lycées, à Oran d’abord, puis à Brest, Rennes et Nantes. Pendant la Seconde Guerre mondiale, elle devient professeur par correspondance, ce qui lui permet de poursuivre sa thèse sur La Foi selon Pascal à l’abbaye de Solesmes, dont la bibliothèque lui sert de refuge contre le bruit de la guerre. Elle achève sa thèse en 1949 et devient maître-assistante à la Sorbonne avant de rejoindre, dans les années 1960, l’université naissante de Nantes, où elle fonde le département de philosophie aux côtés de Jean-Louis Gardies et Eugène Leblanc. Élue professeure, elle dirige ce département jusqu’à sa retraite en 1973. La conversion de J. Russier est à considérer comme un élément clé de son parcours philosophique. En effet, elle s’avère indissociable de ses recherches en histoire de la philosophie. Principalement axées sur le XVIIe siècle, celles-ci tentent de mettre au jour non seulement l’originalité des pensées des auteurs qu’elle étudie (Pascal et Descartes notamment), mais aussi le lien profond qui les rattache aux controverses et aux interrogations religieuses de leur temps. La discrétion et la rigueur intellectuelle de cette philosophe ont eu pour conséquence de tenir à l’écart des débats l’originalité des propositions d’une œuvre qui a abordé, à travers de nombreux articles, des auteurs aussi différents qu’Averroès, saint Anselme, Spinoza ou Christian Wolff.
Olivier AMMOUR-MAYEUR
■ La Foi selon Pascal, 2 vol., Paris, Presses universitaires de France, 1949 ; Sagesse cartésienne et Religion, Paris, Presses universitaires de France, 1958 ; La Souffrance (1963), Paris, Presses universitaires de France, 1973.
■ Orcibal J., « Compte rendu sur Jeanne Russier, La Foi selon Pascal (I et II) », in Revue de l’histoire des religions, vol. 19, no 139-1, 1951.
RUSU-CIOBANU, Valentina [CHIŞINĂU 1920]
Peintre moldave.
Formée dans l’ambiance culturelle de la Bessarabie de l’entre-deux-guerres (à l’époque province roumaine), Valentina Rusu-Ciobanu grandit dans une famille cultivée. À la fin des années 1930, elle suit les cours de l’École des beaux-arts de Chişinău, puis d’Iași. Corneliu Baba, l’un des peintres les plus importants de sa génération, lui inculque la sensibilité et la technique des teintes semi-obscures, des figures « inaccomplies », du sfumato. Après la restauration du pouvoir soviétique en Bessarabie, en 1944, elle retourne à Chişinău et poursuit ses études artistiques avec le peintre Ivan Khazov, venu de Moscou, qui a éduqué toute une génération de plasticiens moldaves de l’après-guerre. En 1948, dans un contexte de forte contrainte politique, elle est reçue membre de l’Union des artistes plasticiens de Moldavie. Le dégel amorcé par Khrouchtchev l’encourage à prendre des libertés avec le réalisme académique. Les tableaux peints à la fin des années 1950 (La Joc, « la ronde », 1956 ou Plantarea pomilor, « la plantation des arbres », 1960) marquent le renoncement de l’artiste au système de représentation figurative basé sur le clair-obscur, élément imposé du style réaliste, préfigurant l’étape dite « primitiviste » de sa création (1964-1970). Durant les années 1960, elle tente de se forger un style personnel, mêlant et alternant une certaine esthétique non figurative, une convention poussée à l’extrême, propre à l’art naïf, avec une tonalité ludique, voire parfois caricaturale, en réplique aux principes et poncifs promus par le régime (Foc de artificii, « feux d’artifice - 1 et 2 », 1964-1966, ou le portrait Emil Loteanu, 1967). Dans les années 1970, en dépit des critiques sévères qu’elle reçoit de la part des organes de contrôle du Parti, la plasticienne continue à expérimenter, cette fois dans un genre photoréaliste, tout en explorant les ressources de l’intertextualité, de la métaphore et de l’onirique (Dualitate, « dualité », 1973 ; Pămînt şi oameni, « terre et hommes », 1975). Elle s’affirme en même temps comme une portraitiste fine et inventive (Ion Druţă, 1972 ; Grigore Vieru, 1972). L’œuvre de V. Rusu-Ciobanu est un exemple remarquable de recherche esthétique en dépit et au-delà des principes réalistes imposés par le régime socialiste de l’époque soviétique.
Petru NEGURĂ
RUTH ET ESTHER DANS LA BIBLE HÉBRAÏQUE [XIIe et VIe siècle av. J.-C.]
Les Rouleaux ou Livres de Ruth et d’Esther sont les deux seuls livres des 24 de la Bible hébraïque à porter le nom d’une femme. En outre, le Rouleau d’Esther est le seul livre, à l’exception du Pentateuque, à être à l’origine d’une fête, celle de Pourim. Le Rouleau de Ruth est lu à l’occasion de Chavouot, fête des moissons. La tradition attribue la rédaction du Rouleau de Ruth au prophète Samuel, celle du Rouleau d’Esther à Esther et à Mardochée. Selon la tradition juive, Ruth aurait vécu au XIIe siècle av. J.-C., au temps des Juges, et Esther, six siècles plus tard. Qui étaient donc ces deux femmes qui ont suscité tant de commentaires dans la littérature rabbinique et qui sont si présentes dans les fêtes hébraïques ?
Au début du Livre de Ruth, le dignitaire juif Elimélec et ses deux fils meurent après avoir quitté leur terre natale de Juda en Israël pour les plaines de Moab, fuyant une famine. Les deux fils ont épousé deux Moabites de lignée royale, Ruth et Orpa. Mais si Orpa reste, Ruth part, cédant aux insistances de sa belle-mère Noémie qui s’en retourne au pays « amère [… ] et les mains vides » (Ruth 1, 20-21) : « Ruth s’unit à elle [à Noémie] » (Ruth 1, 14), c’est une expression unique dans la Bible à propos de deux femmes. Le Rouleau de Ruth devient le récit de ce lien d’âmes entre ces deux femmes, que rien ne viendra dénouer… Suivent les versets célèbres : « Partout où tu iras, j’irai, là où tu dormiras, je dormirai. Ton peuple sera mon peuple et ton Dieu sera mon Dieu [… ] Là où tu mourras, je veux mourir aussi et être enterrée » (Ruth 1, 16-17). Dans le corpus juif, ce passage est devenu l’un des paradigmes de la conversion au judaïsme. Noémie se laisse accompagner, mais soucieuse de Ruth, elle l’incite à trouver un compagnon, l’invitant même à rejoindre l’un de ses parents lointains, Boaz, dans un champ. Boaz épouse Ruth, lui donnant un fils qui perpétue symboliquement le nom du premier mari disparu. « Un enfant est né à Noémie » (Ruth 4, 17) s’exclameront les femmes d’Israël à la vue du fils de Ruth, relevant ainsi une fois de plus l’intimité des deux femmes. Ce fils, Oved, sera l’ancêtre du roi David, donc de la lignée messianique ; Ruth, d’origine moabite, acquiert le nom de « mère de la royauté d’Israël ». Or on se souvient de l’origine incestueuse des Moabites (inceste de Loth avec l’une de ses filles, Genèse XIX, 36-37). Il était important que, le jour de la fête du don de la Torah, le Rouleau de Ruth soit rappelé afin de signifier que chacun pouvait rejoindre la destinée du peuple d’Israël ; de souligner, au moment de l’acceptation de la loi, que les affinités d’âmes sont tout aussi essentielles ; et de dire que le dénouement des temps messianiques emprunte des méandres qui échappent à la norme. Le nom de Dieu, fait insigne dans la Bible, n’apparaît jamais explicitement dans le Rouleau d’Esther. Ce livre marque le moment où l’on bascule de la communication divine par les prophètes à celle des sages exclusivement. « À l’époque d’Esther, la face de Dieu sera dissimulée », écrit le célèbre commentateur français Rachi (XIe siècle). Comme s’il fallait chercher la présence divine dans l’absence – préfiguration de la modernité – ou derrière les masques qu’elle emprunte.
Le Livre d’Esther s’ouvre sur le festin donné par Assuérus, roi de Perse, pour célébrer son pouvoir. Ayant refusé de se montrer nue devant les ministres, son épouse la reine Vachti est exécutée ; le roi fait enlever de nombreuses jeunes femmes du royaume pour se choisir une épouse, dont Esther, de la tribu d’Efraïm. Orpheline, elle a été élevée par son cousin Mardochée, l’un des sages de la grande assemblée en exil. Par prudence, elle cache son origine juive. Elle est choisie comme reine. Aman, alors conseiller d’Assuérus, ne supportant plus que Mardochée refuse de se prosterner devant lui, convainc le roi d’édicter un décret contre l’ensemble du peuple juif. Mardochée fait appel à Esther pour qu’elle sauve son peuple. Celle-ci lui demande de rassembler les Juifs pour un jeûne de trois jours afin de la soutenir dans son action, et au péril de sa vie, alors qu’elle n’y a pas été conviée, elle se présente devant le roi, et l’invite à venir dîner dans ses appartements… avec Aman ! Esther réussit à démasquer Aman, figure emblématique des antisémites. Il finit sur la potence qu’il avait préparée pour Mardochée. Les Juifs obtiennent du roi le droit de se défendre contre ceux qui voulaient les massacrer, échappant ainsi à un génocide annoncé. Esther demande alors aux sages d’Israël d’instituer la fête de Pourim et d’intégrer le Rouleau d’Esther au canon biblique.
Sonia Sarah LIPSYC
■ IDEL M., MOPSIK C. (dir.), Le Zohar, livre de Ruth, Paris, Verdier, 1988 ; MERGUI M. (éd.), Le Midrash rabba sur Ruth suivi de Le Midrash rabba sur Esther, Paris, Gallimard, 2009 ; SCHERMAN N., Megillat Esther, Paris, Colbo, 1987 ; STEINSALZ A., Hommes et femmes de la Bible, Albin Michel, Paris, 1990.
RUTHERFORD, Margaret [LONDRES 1892 - CHALFONT ST PETER 1972]
Actrice britannique.
D’abord professeure de diction et de piano, Margaret Rutherford débute sur scène en 1925 et à l’écran en 1936. Dotée d’un grand humour, elle se spécialise dans les personnages excentriques comme celui de la médium dans L’esprit s’amuse (1945), d’après Noël Coward. Elle joue dans L’Importance d’être constant d’Oscar Wilde (1952). En 1964, elle remporte l’Oscar du meilleur second rôle pour Hôtel International, où elle affronte Elizabeth Taylor* et Richard Burton. Elle incarne également avec succès la Miss Marple d’Agatha Christie* dans quatre films. Orson Welles la dirige dans Falstaff (1965), et Charlie Chaplin dans La Comtesse de Hong Kong, avec Sophia Loren* et Marlon Brando. Son mari, Stringer Davis, est souvent son partenaire. Une dizaine d’années après sa mort, son fils adoptif publie une biographie de sa mère.
Bruno VILLIEN
■ Avec ROBYNS G., Margaret Rutherford : An Autobiography, Londres, W. H. Allen, 1972 ; avec SIMMONS D. L., Margaret Rutherford, Londres, Barker, 1983.
RUTNIN, Chamnongsri [BANGKOK 1939]
Femme de lettres thaïlandaise.
Chamnongsri Rutnin a reçu une éducation britannique. Ses publications sont très variées et comptent aussi bien des articles de journaux, des contes pour enfants, des paroles de chansons, des nouvelles, des traductions, des biographies familiales que des recueils de poèmes, généralement composés en vers libres. Imprégnée de doctrine bouddhiste, et de ce point de vue classique, C. Rutnin se distingue de la tradition par une approche très personnelle et philosophique de la religion. Dans ses œuvres, elle ne voyage pas à travers les trois mondes, ne reprend pas un Jataka et ne raconte pas la vie du Bouddha. Elle ne cherche pas à acquérir des mérites grâce à ses actions. Si elle fait de la poésie didactique, elle ne respecte pas les conventions de la poésie bouddhiste traditionnelle dans la mesure où elle parle essentiellement de ses émotions et de ses expériences spirituelles. Elle est comme spectatrice de son processus mental et analyse l’avènement de la pleine conscience (sati). Comme nombre de ses contemporains, elle a été fortement influencée par le moine Buddhadasa Bikkhu, qui préconise une pratique quotidienne et laïque des enseignements du Bouddha et pour qui la méditation et la contemplation de la nature permettent le développement spirituel. Son recueil Fon Tok Yang Tong Fa Rong Tong Thung (« sous la pluie et le tonnerre ») est une sorte de journal poétique composé au cours de l’une de ses retraites au monastère de Suan Mok, dans le sud du pays. Sans violence et avec modestie, elle parle de la prise de conscience de la vacuité. Elle ne proclame d’aucune manière une victoire puisqu’elle est encore affectée par la pluie et le tonnerre au-dessus de sa tête, mais bien plutôt les efforts d’une laïque pour aller au-delà. Pour elle, la quête de la sérénité est en soi une réussite. Contrairement à certains poètes de sa génération, C. Rutnin est toujours modérée et, chez elle, la prise de conscience de la misère et de l’insignifiance de la vie ne doit jamais provoquer de soubresauts brutaux. Mesure et discrétion, telles sont les qualités qui transparaissent dans ses poèmes. À tel point que l’on peut parler d’esthétique de la réticence ; autrement dit, de sagesse. C. Rutnin a reçu le prix de la fondation John A. Eakin en 1981 pour sa pièce Where Dusk Ends (« la fin du crépuscule ») et le prix national de littérature enfantine en 2000 pour Orange-8-Legs.
Émilie TESTARD
RUTTKAI, Éva (née RUSS) [BUDAPEST 1927 - ID. 1986]
Comédienne hongroise.
Éva Ruttkai commence sa carrière à l’âge de 5 ans dans le fameux théâtre d’enfants d’Artúr Lakner où elle joue durant dix ans. Son succès à un récital en 1945 lui permet d’obtenir un contrat de la part de Dàniel Jób, célèbre directeur du théâtre Víg, où sa première vraie réussite est le remplacement de Klàri Tolnay*, souffrante, dans Le Cygne, de Ferenc Molnàr. Après la nationalisation du Víg, elle est engagée au Théâtre national ; elle joue aux côtés des grandes vedettes. Au début des années 1950, elle revient au Víg, où elle jouera jusqu’à sa mort. Sa forte personnalité et son talent transparaissent dans tous ses rôles, notamment dans les comédies de style « socialiste réaliste ». Elle interprète des personnages de clowns, des héroïnes tragiques ou comiques, joue Shakespeare et Tchekhov ainsi que dans des films hongrois. Moderne et naturelle, elle incarne un style de jeu nouveau dans le théâtre hongrois.
Anna LAKOS
RUYS, Mien (Wilhelmina Jacoba MOUSSAULT-RUYS, dite) [DEDEMSVAART 1904 - DEVENTER 1999]
Paysagiste néerlandaise.
Sensibilisée dès son plus jeune âge à l’architecture du paysage et à l’horticulture dans la pépinière familiale de Moerheim, Mien Ruys a commencé à travailler à l’âge de 19 ans sans formation spécifique. Grâce à son intérêt pour l’aménagement des jardins, elle est rapidement devenue chef du service des projets. Elle a alors étudié l’architecture, effectué des stages à l’étranger et s’est révélée une créatrice aussi stimulante qu’innovante. Dès ses premières réalisations, elle a publié des articles sur l’architecture des jardins, notamment dans le périodique populaire Buiten, intéressant un large public à cette activité. En 1954, elle a créé avec son mari, l’éditeur Theo Moussault, le trimestriel Onze eigen tuin (« notre propre jardin ») qui a suscité l’engouement pour les jardins particuliers et leur entretien. Avec son projet pour le Geuzenhof à Amsterdam, en 1933, M. Ruys a montré qu’il était possible de traiter en jardin un espace collectif dans un quartier d’habitation dense. L’aménagement de l’intérieur d’un îlot d’habitation en parc collectif a permis d’introduire la nature en ville, au profit notamment des habitants les moins fortunés. Dans un article publié en 1942 dans la revue De 8 en Opbouw, elle a réfuté les critiques émises sur ces jardins communautaires, estimant que l’espace public planté pouvait se révéler un facteur de progrès social et niant que leur usage comme terrain de jeu par des enfants puisse être considéré comme une source de nuisance. Ses contacts avec des architectes progressistes liés à De 8 en Opbouw lui ont permis de réaliser d’autres jardins : en 1951 à l’école élémentaire De Werkplaats du pédagogue Kees Boeke et construite par Arthur Staal ; en 1958 dans l’usine textile De Ploeg Bergeijk, réalisée par Gerrit Rietveld ; et dans d’autres réalisations privées. Après 1945, l’intérêt pour les espaces verts publics s’était généralisé et sa réputation établie lorsqu’elle conçut les projets de plantation du quartier d’habitation Frankendaal, à Amsterdam-Watergraafsmeer. Dans l’ouvrage écrit en 1960 avec l’universitaire Jan Tijs Pieter Bijhouwer, Leven met groen in landschap, stad en tuin (« vivre avec la nature dans le paysage, la ville et le jardin »), M. Ruys affirmait que la qualité de ces quartiers modernes dépend des liens unissant urbanisme, architecture et paysage. Elle a poursuivi cet objectif d’unité dans sa collaboration avec les paysagistes J. T. P. Bijhouwer et Wim C. J. Boer, ou encore des architectes et des urbanistes pour le projet d’un nouveau village sorti de terre dans le polder Noord-Oost, à Nagele (1953).
Dolf BROEKHUIZEN
■ BACKER A. M. (dir), Gids voor de Nederlandse Tuin - en Landschapsarchitectuur, deel Noord, Oost, Zuid en West, Rotterdam, De Hef, 1995.
RUYSCH, Rachel [LA HAYE 1664 - AMSTERDAM 1750]
Peintre néerlandaise.
Née dans une famille aisée et cultivée, Rachel Ruysch est l’une des rares artistes néerlandaises de son époque, entre la fin du XVIIe siècle et la première moitié du XVIIIe siècle, à acquérir une notoriété qui dépasse les frontières des Pays-Bas. Sa réputation de peintre de natures mortes, spécialisée dans la représentation de fleurs et de fruits, demeure en outre bien établie après sa mort. Son grand-père maternel était l’architecte Pieter Post, et son père, professeur notoire d’anatomie et de botanique, peintre amateur, est un collectionneur de minéraux, de fossiles, de coquillages et de plantes rares. Dès l’âge de 15 ans, la jeune fille entre en apprentissage chez un célèbre peintre de compositions florales et de natures mortes, Willelm van Aelst. Familiarisée depuis son enfance avec l’observation et le classement des espèces végétales et animales, elle se consacre avec talent à des études d’insectes, de différentes espèces florales ou encore de fruits. En 1693, elle épouse le portraitiste Juriaen Pool II, et ils entrent conjointement dans la guilde des peintres de La Haye en 1701. Mère de dix enfants, elle n’en délaisse pas pour autant la peinture. Ses tableaux, recherchés, se vendent à des prix considérables. Elle est sollicitée par des commanditaires prestigieux, parfois éloignés : appelée par l’Électeur palatin de Bavière, Johann Wilhelm en 1708, elle séjourne à Düsseldorf avec le titre de peintre de la cour, jusqu’en 1716, année de la mort du prince. Elle retourne ensuite avec sa famille à Amsterdam, qu’elle ne quittera plus, et continue à répondre aux commandes d’une importante clientèle. On lui attribue plus de 80 tableaux, parmi lesquels une soixantaine sont signés, et son activité artistique couvre presque soixante-dix ans. Première peintre de fleurs en ce début du XVIIIe siècle, elle associe une profonde connaissance botanique et un sens de la composition remarquable. La critique a vu dans son œuvre l’héritage de Clara Peeters* et de la tradition féminine de la nature morte, incarnée par celle-ci. Sur des fonds le plus souvent sombres et uniformes, les fleurs se détachent en masses épanouies, dans une profusion de teintes, de textures et de formes, que l’asymétrie et les mouvements indiqués par les lignes des tiges et des branches rendent pleines de vie (Roses, convolvuli, coquelicots et autres fleurs dans un vase sur un rebord de pierre, National Museum of Women in the Arts, Washington, vers 1745). D’autres tableaux mettent en scène des insectes – papillons, scarabées, libellules, sauterelles – et des reptiles, placés dans des décors boisés ou rocheux, parfois agrémentés d’un cours d’eau, avec des mousses et des galets. Ailleurs les fruits tiennent la première place : des pêches à la peau veloutée, des raisins transparents, des figues, un melon, des grenades sont ainsi disposés en compagnie d’un lézard et d’autres animaux dans une Nature morte aux fruits, au lucane et au nid de pinson (Kunsthalle, Karlsruhe, vers 1717). Cependant, les variations florales dominent nettement. L’artiste cherche à y obtenir le plus grand degré d’exactitude, voire de perfection, dans le rendu des spécimens. L’intérêt pour l’extraordinaire variété et richesse de la nature l’emporte sur la signification moralisatrice de la nature morte, dans l’esprit des Vanités.
Anne-Sophie MOLINIÉ
■ Rachel Ruysch, 1664-1750 (catalogue), Grant M. H. (dir.), Leigh-on-Sea, F. Lewis, 1956 ; Rachel Ruysch (1664-1750), lesni zakouti s kvetinami = Forest Recess With Flowers (catalogue d’exposition), Prague, Narodni galerie 2004.
■ COLNAGHI, Old Masters Paintings (catalogue), Londres, Colnaghi, 2007.
RU ZHIJUAN [SHANGHAI 1925 - ID. 1998]
Écrivaine chinoise.
Orpheline issue d’une famille pauvre, Ru Zhijuan est élevée par sa grand-mère, qui vit de petits travaux manuels. Sa scolarité sporadique, démarrée seulement à l’âge de 11 ans, s’achève en 1943, année où elle suit son frère et s’engage dans la Nouvelle Quatrième Armée (Xin si jun). Après une période de formation dans une école du Parti communiste chinois (Su zhonggong xue) du Jiangsu, elle intègre la troupe théâtrale régionale de l’armée, où elle joue, puis écrit des pièces en l’honneur de la révolution. En 1955, elle quitte l’armée et devient rédactrice du magazine Wenyi yuebao (« mensuel des lettres et des arts ») à Shanghai. La publication de Baihehua (« fleurs de lys ») en 1958 la rend célèbre ; à partir de 1960, elle se consacre uniquement à la création littéraire. Ses œuvres sont principalement des nouvelles ; elles relatent des histoires simples, sur fond de guerre ou de reconstruction du pays après 1949, dans un style dépouillé, rehaussé de touches particulièrement délicates d’analyse psychologique des personnages, notamment des figures féminines telles que la jeune femme mariée depuis trois jours dans Baihehua ou la tante Tan dans Jingjing de chanyuan (« maternité silencieuse », 1962). La fraîcheur et la pureté naturelle de Baihehua contrastent avec les pratiques courantes de l’époque selon lesquelles la littérature doit servir la politique. Publiée au moment où son mari est injustement accusé de droitisme, cette œuvre semble cultiver une nostalgie des relations humaines sincères que l’auteure a entretenues pendant les années de guerre avant 1949. Interrompue par la Révolution culturelle, sa production littéraire reprend à partir de 1977 et connaît une évolution « du souriant vers le pensif » : le sourire doux et maternel cède le pas à une douceur piquante, voire satirique, bien présente dans Jianji cuole de gushi (« une histoire mal raccordée », 1979) et Caoyuanshang de xiaolu (« le petit chemin dans la steppe », 1979). Elle consacre quasiment les dix dernières années de sa vie à l’écriture de son roman autobiographique, Ta cong na tiao lu zoulai (« elle vient par ce chemin-là », 1999), publié à titre posthume et présenté par sa fille Wang Anyi*, elle aussi écrivaine. Selon cette dernière, tout au long de la rédaction laborieuse de ce livre, sa mère a beaucoup réfléchi sur le rapport entre la fiction et le vécu, et est restée, jusqu’à la fin, intransigeante sur la valeur esthétique de la fiction.
WANG HAIYAN
■ TAN Z., WONG G., Ru Zhijuan zuopin xinshang, Nanning, Guangxi jiaoyu chubanshe, 1987 ; ZHU X., Zhongguo junlü wenxue wushi nian, Pékin, Jiefangjun wenyi chubanshe, 2007.
RUŽIČKA-STROZZI, Marija [LITOVEL, AUJ. EN RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 1850 - ZAGREB AUJ. EN CROATIE 1937]
Comédienne croate.
Fille de Leopold Ružička, musicien de l’orchestre du théâtre de Zagreb, Marija Ružička-Strozzi arriva en Croatie peu après sa naissance. À 15 ans, elle s’inscrivit au cours de chant du pédagogue Vatroslav Lichtenegger, qui la prépara à l’examen d’entrée au conservatoire de Vienne, mais elle perdit sa voix. Son talent de grande tragédienne ayant été reconnu par Josip Freudenreich, elle débuta en 1868 dans le rôle de Jane Eyre, dans Die Waise aus Lowood (« l’orpheline de Lodwood ») de Charlotte Birch-Pfeiffer*, qui lui valut un succès immédiat. Mariée au marquis Ferdinand de Strozzi, descendant d’une vieille famille florentine, elle ne cessa jamais de jouer, malgré ses huit grossesses. M. Ružička-Strozzi passa trente-trois ans sur la scène du Théâtre national croate de Zagreb, avec son partenaire de vie, Andrija Fijan. Invitée à rejoindre le Bourgtheater de Vienne après une audition, elle resta fidèle à Zagreb, tout en jouant à Prague, Brno, Sofia, dans les villes croates, et à Zadar, alors sous domination italienne, où elle fit scandale en parlant croate sur scène. Lors de la visite de Sarah Bernhardt* à Zagreb, en 1909, avec La Sorcière de Victorien Sardou, elle joua dans la même pièce que la célèbre comédienne.
À ses débuts, M. Ružička-Strozzi interpréta des rôles d’ingénues et d’autres personnages féminins du théâtre de salon, ainsi que de nombreux rôles d’opéra et d’opérette. Possédant une diction, un ton et une modulation de la voix sublimes, elle impressionnait par sa subtilité et sa perfection. À l’âge de 60 ans, elle jouait encore des rôles de jeunes héroïnes libertines et d’aventurières, et ne mit fin à sa carrière qu’à l’âge de 80 ans, un an avant sa mort, après soixante-huit années passées sur les planches. Elle reste l’actrice la plus vénérée du théâtre croate, célèbre pour avoir su dépasser le pathétique de la tradition romantique et le ton déclamatoire qui caractérisa la génération précédente. Ses rôles les plus importants furent : Marguerite dans La Dame aux camélias d’Alexandre Dumas fils ; la duchesse dans Le Verre d’eau d’Eugène Scribe et les héroïnes de Shakespeare comme Juliette, Desdémone, Ophélie, Béatrice et Portia. Elle a également excellé dans le répertoire croate classique et moderne.
Lada ČALE FELDMAN
■ CINDRIĆ P. (dir.), Enciklopedija HNK u Zagrebu, Zagreb, Naprijed, 1969 ; VUJIĆ A. (dir.), Hrvatski leksikon, Zagreb, HLZ, 1996.
RYKIEL, Sonia [PARIS 1930]
Styliste de mode française.
C’est « par hasard » que Sonia Rykiel a créé des vêtements. Issue de la bourgeoisie, d’une famille de cinq filles, elle se voit lire, écrire, peindre, élever ses enfants… En 1961, enceinte de son second enfant, et ne trouvant rien à sa convenance dans la boutique de son mari, Laura, elle commande une robe rouge qui épouse ses formes et un pull de laine, ajusté, d’un gris discret. À peine portés, ils font des émules auprès des clientes de la boutique, avant de faire la couverture de Elle, en 1962. La même année S. Rykiel crée le pull chaussette puis, en 1968, le pull tunique. Un succès. L’Amérique a le coup de foudre et en achète par dizaines de milliers. La Reine de la maille peut alors fonder sa société, au 6, rue de Grenelle. Les collections se succèdent, laissant libre cours à ses idées. En 1973, taillant ses jupes avec des ciseaux crantés, elle bannit ourlets et doublures. En 1974, elle met à nu les coutures invisibles, suite à un « accident de veste » enfilée à l’envers. En 1976, elle lance sa « démode », principe qui permet à chaque femme d’adapter sa garde-robe à son propre style. En 1977, elle appose des poches démesurées, des courroies et des cordelières le long de vestes larges dont elle avait déjà retourné les manches (1972). La même année, elle se tourne vers la grande diffusion en collaborant avec les 3 Suisses, bientôt suivie par nombre de stylistes et couturiers… En 1978, les doubles manches, les trous et les superpositions offrent à la femme « la liberté de montrer ce qu’elle a de mieux et de cacher ce qu’elle a de moins bien », tandis que 7e Sens, un premier parfum créé sous licence, assoit la notoriété de la griffe. « Il m’a fallu dix ans pour définir un style, dix ans pour définir l’image, et dix ans pour redéfinir les rôles de cette femme. » Une mode créée par une femme à la chevelure flamme pour une femme émancipée, ouverte d’esprit, réfléchie, séductrice, glissée dans du noir, du matin au soir… Une féminité qu’elle désire « ombrée de masculinité ». Un code couleur bien à elle, qu’elle divertit de rayures, de strass et d’inscriptions poétiques, privilégiant la souplesse du jersey, du crêpe, et la légèreté de la plume. Sa fille Nathalie Rykiel est aujourd’hui la styliste de la maison. En perpétuelle expansion, la société Sonia Rykiel multiplie les lignes et collections au fil des décennies – enfant (1984), cosmétiques (1987), Inscription Rykiel, créée par N. Rykiel (1989) et rebaptisée Sonia (1993), prêt-à-porter masculin (1990), accessoires dont des chaussures (1992), bain (1994) et objets érotiques (2002) – ainsi que des parfums et les « flagship » (Saint-Germain-des-Prés, Madison Avenue). N’oubliant pas pour autant son rêve de jeune fille, elle publie huit livres dont : Et je la voudrais nue (1979) ; Célébration (1988) ; Collection terminée, collection interminable (1993) ; Les Lèvres rouges (1996), L’Envers à l’endroit (2005), entre autres. Un parcours sans faute que récompensent sept médailles et, entre 1973 et 1993, la fonction de vice-présidente de la Chambre syndicale du prêt-à-porter des couturiers et des créateurs de mode. Destinée à habiller toutes les générations de femmes, la « collection terminée, collection interminable » de S. Rykiel saisit la quintessence du style parisien, mais ne s’attarde jamais sur les modes et tendances d’une époque, préférant s’intéresser à la fonction ludique du vêtement.
Marlène VAN DE CASTEELE
■ Créations, lu par l’auteur, Paris, Des Femmes-Antoinette Fouque, « Bibliothèque des voix », 1984.
■ BAUDOT F., Mode du siècle, Paris, Assouline, 1999 ; KAMITSIS L., REMAURY B. (dir.), Dictionnaire international de la mode, Paris, Éditions du regard, 2004 ; MAURIÈS P., Sonia Rykiel, Paris, Assouline, 1997 ; MORY F., Bloc-mode, Paris, Éditions de la Martinière, 2008 ; SAILLARD O. (dir.), Sonia Rykiel Exhibition, Paris, Les Arts décoratifs, 2008 ; SEELING C., La Mode au siècle des créateurs, Cologne, Könemann, 1999.
RYŌRI KENKYŪKA – GASTRONOMIE [Japon]
Le ryōri kenkyūka, que l’on peut traduire littéralement par « chercheur en cuisine », désigne au Japon une activité pratiquée essentiellement par des femmes, qui consiste à diffuser un certain savoir-faire culinaire tout en l’adaptant et le réinventant, en général à travers des cours de cuisine et la rédaction d’ouvrages destinés au grand public. Par extension, il signifie également « spécialiste de cuisine domestique », désignant le détenteur d’un savoir-faire qui s’étend de la cuisine familiale à la cuisine régionale, en passant par les cuisines étrangères, la pâtisserie, la fabrication de douceurs japonaises. Cette spécialisation peut aussi s’étendre au mode de vie lui-même, voire à la conception de l’environnement quotidien. L’art de la table en fait souvent partie. La personnalité et l’histoire individuelle du ryōri kenkyūka jouent un rôle déterminant dans l’attractivité de son enseignement. Une certaine familiarité avec une cuisine donnée, la volonté de développer et de faire connaître son savoir-faire, une grande curiosité, la possibilité matérielle de l’enseigner et, il ne faut pas l’oublier, un certain charisme sont des conditions sine qua non à l’exercice du ryōri kenkyūka. Souvent, c’est un séjour de quelques années à l’étranger qui peut déterminer ce type de vocation et on ne compte plus les ryōri kenkyūka de cuisine française, italienne, espagnole qui développent leurs propres approches de ces cuisines. La pratique se fait le plus souvent au domicile du ryōri kenkyūka, et son ampleur peut aller d’un cercle de quelques élèves à une renommée nationale, notamment grâce à la participation régulière à des émissions de télévision et à des publications. Cette activité met en évidence le fait que, dans les habitudes sociales japonaises, l’art culinaire reste divisé entre les genres : la cuisine de restaurant, voire la cuisine gastronomique, est largement dominée par les hommes (il n’y a pas de femme chef au Japon), tandis que la cuisine familiale relève du domaine des femmes. Jusqu’à une époque très récente, un homme japonais se faisait un devoir de ne pas pénétrer dans la cuisine domestique. Dans la perception commune il existe une très nette hiérarchie dans ces cuisines, celle des ryōri kenkyūka s’adresse avant tout à un public féminin et se cantonne presque exclusivement au domaine privé (voir Iida Miyuki*, Murakami Michiko*, Tatsumi Yoshiko*).
Sylvie GUICHARD-ANGUIS
RYUS, Ana VOIR ANGÉLICO, Halma