DIANA, Raquel [URUGUAY 1960]

Metteuse en scène, actrice et dramaturge uruguayenne.

Membre permanent du théâtre El Galpón pendant vingt ans (à partir de 1985), Raquel Diana participe à de nombreux ateliers en Uruguay, en Argentine et à Cuba. En 1997, elle écrit et monte avec Helen Velando Le Fantôme de Canterville, spectacle musical rock pour lequel elle obtient le prix Florencio du meilleur auteur et de la meilleure pièce. Elle prolongera son incursion dans le théâtre musical avec Banderas en tu corazón (2001). Episodios de la vida posmoderna (1997, prix de la Fédération uruguayenne des théâtres indépendants) exacerbe le trait de la postmodernité avec une ligne dramaturgique fondée sur la fragmentation et la discontinuité d’images juxtaposées, dans une publication originale associant textes et illustrations. Parallèlement à cette production s’adressant avec succès à un public jeune, R. Diana conçoit des pièces s’inscrivant dans le courant de la mémoire de la dictature. Ainsi, Contes de fées (1998, prix Florencio du meilleur auteur et de la meilleure pièce) orchestre la rencontre de trois générations de femmes et aborde la question du genre sur fond de dictature. Del miedo y sus racimos (2001) expose la quête d’Ana, compagne d’un jeune disparu, en mêlant divers matériaux historiques et oniriques. L’œuvre prolifique de cette créatrice – une trentaine de pièces souvent primées – rend compte d’une participation active à la scène nationale.

Stéphanie URDICIAN

Contes de fées (Cuentos de hadas), in THANAS F., Uruguay, écritures dramatiques d’aujourd’hui, Paris, Indigo, 2005.

DIANE DE POITIERS [SAINT-VALLIER-SUR-RHÔNE 1499 - ANET 1566]

Mécène française.

Fille de Jean de Poitiers, seigneur de Saint-Vallier, formée à la cour d’Anne de France*, Diane de Poitiers épouse en 1515 Louis de Brézé, proche de François Ier, qui décède en 1521. Devenue vers 1537 la maîtresse du dauphin, futur Henri II, elle ne cesse de gagner en influence à la Cour. Elle protège peintres, écrivains, sculpteurs et donne une impulsion décisive à un grand mythe de la Renaissance, décliné sous toutes les formes dans tous les domaines artistiques : le mythe de Diane. Superposant la figure mythique à celle du personnage réel, les artistes reconstruisent l’image de la maîtresse royale en la mettant sous le signe de la chasteté. Mécène avisée, maître d’œuvre du château d’Anet dans lequel sont impliqués des artistes tels Benvenuto Cellini, Jean Goujon, Jean Cousin, ainsi que Philibert Delorme, D. de Poitiers est donc aussi l’inspiratrice de toute une génération d’artistes. Une partie de sa correspondance a été retrouvée et publiée en 1886 : lettres plutôt impersonnelles qui révèlent le sens pratique d’une femme se sachant incontournable à la cour et n’hésitant pas à jouer de son autorité avec une énergique détermination.

Daniel MARTIN

BARDON F., Diane de Poitiers et le mythe de Diane, Paris, PUF, 1963 ; CLOULAS I., Diane de Poitiers, Paris, Fayard, 1997.

FANLO J.-R., LEGRAND M.-D., « Le mythe de Diane en France au XVIe siècle », in Albineana, no 14, 2002.

DIAS, Maria Odila LEITE DA SILVA [SÃO PAULO 1940]

Historienne brésilienne.

Spécialiste d’histoire des femmes, Maria Odila Dias soutient un doctorat en histoire sociale à l’université de São Paulo (USP) en 1972 puis effectue plusieurs séjours de recherche en Angleterre et aux États-Unis. Elle est professeure titulaire à l’USP et professeure associée à la Pontifícia Universidade Católica de São Paulo. L’ouvrage issu de sa thèse, Cotidiano e poder (« quotidien et pouvoir », 1984), constitue un point de repère dans l’histoire des femmes au Brésil. Il s’intéresse aux rôles informels des femmes, esclaves ou libres, à São Paulo, et à leur action dans le petit commerce clandestin des aliments au début du XIXe siècle. Les sources exploitées sont constituées de recensements, de circulaires diverses, d’inventaires et de procès criminels. En 1976, les cours d’histoire des femmes que M. O. Dias a dispensés à l’USP, en troisième cycle, ont constitué une première et elle tient une place importante dans la formation d’une génération de chercheuses engagées dans cette thématique. Elle s’est rendue célèbre par ses discussions historiographiques et par ses recherches sur la vie quotidienne à l’époque coloniale et de l’Empire au Brésil. Elle a publié également des essais sur l’herméneutique du quotidien et sur l’importance des études féministes pour l’historiographie contemporaine. Elle travaille sur les premières générations d’ex-esclaves et d’immigrantes européennes à São Paulo dans les années 1880-1930.

Roselane NECKEL

SCHPUN M. R., « L’histoire des femmes et du genre au Brésil : enquête sur trois générations », in Clio, no 19, 2004.

DIAS, Willy (Fortuna MORPURGO PETRONIO, dite) [TRIESTE 1872 - ID. 1956]

Écrivaine et journaliste italienne.

Willy Dias est l’auteure d’une centaine de romans d’amour et de récits, régulièrement réédités jusque dans les années 1970, parmi lesquels Il sentiero fra le pietre (« le sentier au milieu des pierres », 1940) et Ala (« aile », 1928). Les valeurs exposées dans son œuvre sont celles des sentiments, de la loyauté et de la famille. Une faible part est réservée aux aspects politiques, économiques ou religieux. Les protagonistes de ses récits sont des secrétaires, des institutrices, des traductrices dont l’objectif (former un couple) est atteint à la fin du texte. Viaggio nel tempo (« voyage dans le temps », 1958) et Posto di sfollamento (« lieu d’évacuation », 1947), tous deux autobiographiques, racontent son enfance heureuse au sein d’une famille irrédentiste de la haute bourgeoisie, dont le père est juif et la mère catholique. À 18 ans, W. Dias publie un récit dans Il Mefistofele de Trieste. En 1894, elle fait paraître le recueil de récits Vigilia di nozze (« la veille des noces »), et l’année suivante son premier roman, Maria Lamberti, tandis qu’elle commence à collaborer à divers journaux, notamment en tant que correspondante à Vienne pour Il Caffaro de Gênes, y compris pendant une épidémie de peste. Son mariage l’oblige à interrompre son activité de journaliste ; son mari mourra dans un camp de prisonniers en 1917. En 1913, elle publie le recueil de récits Ercole al bivio (« Hercule à la croisée des chemins »). Lorsque la Première Guerre éclate, elle s’installe à Florence avec sa mère, sa fille et sa nièce, puis, en 1916, s’établit à Gênes où elle travaille comme journaliste et critique théâtrale pour Il Caffaro. En 1918, elle écrit une pièce de théâtre avec Flavia Steno*, avec laquelle elle fonde le journal Il Triste Gioco, qui sollicitera la collaboration de M. Serao, d’Ada Negri* et d’Annie Vivanti*. Licenciée du journal en raison de son opposition au régime fasciste, elle se remet à écrire avec la chute du régime et la fin de la Seconde Guerre dans L’Unità, où elle aborde notamment des thèmes politiques.

Graziella PAGLIANO

DIAS DIOGO, Luisa VOIR DIOGO, Luisa DIAS

DIATTA, Aline Sitoé [KABROUSSE, CASAMANCE 1920 - TOMBOUCTOU 1944]

Prêtresse et résistante sénégalaise.

Selon la tradition orale, une partie des ancêtres d’Aline Sitoé Diatta viennent de Guinée-Bissau, réfugiés après une inondation dans l’actuel village de Kabrousse. Elle quitte son village vers l’âge de 15 ans, pour la ville de Ziguinchor puis pour Dakar. Employée comme femme de ménage, analphabète, elle prête pourtant une oreille attentive aux discussions politiques qui agitent alors la capitale de l’Afrique occidentale française. Les témoignages montrent qu’elle était dotée d’une grande intelligence, ce qui lui a permis une juste appréciation de la situation politique. Après la naissance de sa fille en 1938, les visions qui la hantent depuis son enfance deviennent de plus en plus intenses. Des voix lui intiment l’ordre de retourner dans son village en Casamance pour servir et faire connaître Báliba, le dieu qui ramènera l’abondance et la sécurité alimentaire à condition que le peuple accepte d’organiser le « Kasarahak » (rite destiné à faire revivre la solidarité). Fatiguée par les nuits de veille ou de sommeil troublé, sans cesse en proie à des hallucinations, elle décide de retourner à Kabrousse en 1940, région où la révolte commence à gronder. Dans ses discours chantés, A. S. Diatta répète sans cesse à son auditoire que le règne du « Blanc » est arrivé à son terme et qu’il faut changer les mentalités pour reconstruire l’Afrique. Le Kasarahak qu’elle fonde pose les jalons de cette reconversion : son lieu de culte est installé à la croisée des chemins, endroit ouvert et accessible à tous, même à un étranger de passage. Dans le même objectif, le prêtre du Kasarahak peut être un homme ou une femme. Pour aller plus loin dans le changement des mentalités, elle instaure dans la semaine diola de six jours un jour de repos consacré uniquement à la prière et au sacrifice dans les lieux de culte. Allant à l’encontre d’une décision administrative, elle impose l’utilisation, dans le rite, du riz authentique (riz rouge), recommandant ainsi aux paysans diola d’accorder à cette variété, et non à celles imposées par les colons, une place de choix. Elle remet aussi en question les réquisitions de vivres et le recrutement des jeunes gens pour le corps des Tirailleurs sénégalais. Son programme donnera de l’élan au peuple et le poussera progressivement à la désobéissance civile. Le Kasarahak était une force de rupture avec l’ordre colonial, rupture qui passait par la restauration de l’identité africaine. Dans cette quête identitaire et spirituelle, A. S. Diatta a mis l’accent sur la prière et sur la réappropriation de valeurs culturelles fortes comme la solidarité et la réciprocité, mais aussi sur l’ardeur au travail pour l’autosuffisance alimentaire, sur la consommation des produits locaux et sur la construction d’une citoyenneté crédible et forte. Son engagement marque un tournant très important dans le processus de lutte contre la colonisation. Elle assume la charge politique de « passeuse de frontières » jusqu’au début de l’année 1943, date à laquelle elle est déportée à Tombouctou, d’où elle n’est jamais revenue. A. S. Diatta a su briser les limites imposées par la peur et le complexe d’infériorité, a ouvert à ses concitoyens des perspectives de liberté et un espace de parole. Même quand elle se réfère à la religion traditionnelle africaine, sa démarche spirituelle emprunte des éléments au christianisme et à l’islam, ouvrant ainsi la religion diola à l’universel. Dans un univers troublé par des siècles de colonisation, sa démarche a eu pour objectif essentiel la restauration de l’identité traditionnelle pour la transformer en conscience et en force politique.

Odile TENDENG

FALL M., Aliin Sitooye Jaata ou la Dame de Kabrus, Dakar, NEAS, 1996.

FOUCHER V., « Les relations hommes-femmes et la formation de l’identité casamançaise », in Cahiers d’études africaines, no 178, 2005.

DIAW-CISSÉ, Aminata [SAINT-LOUIS, SÉNÉGAL 1959]

Philosophe sénégalaise.

Fille d’une femme au foyer et d’un enseignant qui l’ont encouragée à faire des études, Aminata Diaw-Cissé effectue sa scolarité primaire et secondaire dans sa ville natale. Après une classe préparatoire à Aix-en-Provence, elle intègre l’université de Nice où elle soutient sa thèse en philosophie en 1985 : La Théorie des conflits dans la pensée politique de Jean-Jacques Rousseau. Elle est ensuite professeure de philosophie à la faculté des lettres et sciences humaines de l’université Cheickh-Anta-Diop de Dakar. Elle s’attache à poser les bases de ce qui deviendra une articulation fondamentale de son champ de réflexion : les femmes, l’éthique et le politique. D’entrée de jeu, ses écrits dénoncent un imaginaire politique masculin fondé sur la division sexuelle dans les domaines de l’action et du pouvoir politique. La nouvelle visibilité des femmes dans l’espace public ne doit pas cacher les mécanismes qui les excluent des organes décisionnaires. La philosophe réinscrit le présent des femmes africaines dans une histoire dont elles sont héritières mais que la colonisation a interrompue et leur a dérobée. S’appuyant sur les travaux de Cheickh Anta Diop, elle rappelle le rôle des femmes dans l’Afrique d’autrefois, où elles jouissaient d’un statut social et politique de premier plan, et s’efforce de lier ce passé à l’ouverture, aujourd’hui, d’une citoyenneté effective pour les femmes. Membre du Conseil sénégalais des femmes (Cosef), A. Diaw-Cissé incite ses semblables à prendre des responsabilités politiques, convaincue que, par leur génie, leur sensibilité et leur créativité, elles sauront promouvoir l’humain. Également membre du Conseil pour le développement de la recherche en sciences sociales en Afrique (Codesria), elle privilégie la publication d’auteures africaines, révélant ainsi la forte participation des femmes aux côtés des hommes lors des combats contre la puissance coloniale.

Géraldine FALADÉ

Avec TOURÉ A., Femmes, éthique et politique, Dakar, Friedrich Ebert Stiftung, 1998 ; avec SUTHERLAND-ADDY E., Women Writing Africa : West Africa and the Sahel, Dakar/New York, Codesria, The Feminist Press, 2005.

« La Démocratie des lettrés », in DIOP M. C. (dir.), Sénégal, trajectoires d’un État, Dakar/Paris, Codesria/Karthala, 1992 ; avec DIOP M. C., DIOUF M., « Le baobab a été déraciné, l’alternance au Sénégal », in Politique africaine, n° 78, juin 2000.

DIAZ-ABAYA, Marilou [QUEZON CITY 1955 - MANILLE 2012]

Réalisatrice philippine.

Considérée comme une des réalisatrices les plus importantes d’Asie, Marilou Diaz-Abaya a fait ses études de cinéma à Los Angeles et à Londres. Elle est mariée avec le cinéaste Manolo Abaya qui a tourné et produit presque tous ses films. En 1980, elle réalise son premier film personnel, Tanikala (« les chaînes »), suivi par une trilogie aux sujets audacieux sur la condition des femmes, comme la violence conjugale dans Brutal (1980), l’ambiguïté de la moralité dans Moral (1982) et l’inceste dans Karnal (« de la chair », 1983). Ces films, acclamés par la critique et succès du box-office, ont fait d’elle une réalisatrice respectée. En 1986, elle se tourne vers la production et la réalisation d’émissions politiques et sociales pour la télévision. Elle retrouve le cinéma en 1991 avec plus d’une douzaine de films, dont May nagmamahal sa iyo (« quelqu’un t’aime », 1996) ; Sa pusod ng dagat (« dans le nombril de la mer », 1998) ; une autre trilogie José Rizal (1998) sur la vie du héros national éponyme, qui est considérée comme son chef-d’œuvre ; Muro-ami (« les enfants plongeurs », 1999), qui dépeint l’une des pires formes du travail des enfants dans le système illégal de pêche ; et Bagong buwan (« nouvelle lune », 2001) sur le conflit sans fin entre musulmans et chrétiens dans le sud de l’archipel. Ses films ont été récompensés par des prix locaux et internationaux. Elle a été lauréate du prix Fukouka pour la culture et les arts au Japon en 2001, qui décrivait ses films comme « mélangeant harmonieusement le divertissement, la conscience sociale et la sensibilité ethnique ». Elle est présidente et directrice d’études à l’école de cinéma qu’elle a fondée, le Marilou-Diaz-Abaya Film Institute and Arts. Son but est de développer les talents de jeunes réalisateurs.

Ligaya DEL FIERRO

Ikaw Ang Pag-ibig, 120 min, 2011.

DIAZ CASTAÑON, María del Pilar [LA HAVANE 1955]

Philosophe cubaine.

Professeure à la faculté d’histoire et philosophie de l’université de La Havane, María del Pilar Diaz Castañon oriente ses recherches sur des thèmes historiques (Mexique, Cuba, Argentine, Porto Rico) et philosophiques (Spinoza, Hegel, Marx, Gramsci, Althusser). Elle publie de nombreux articles à Cuba comme à l’étranger et depuis 1979 intervient régulièrement dans de nombreux colloques internationaux. Elle devient spécialiste de la révolution cubaine et obtient deux prix universitaires pour son livre Ideología y revolución : Cuba, 1959-1962 (2001). Sa recherche explore la genèse et la mutation des valeurs générées à l’intérieur du processus révolutionnaire cubain et cristallisées dans l’imaginaire collectif. Son travail est cité et commenté dans les recherches sur les mouvements sociaux contemporains, à Cuba et à l’étranger, notamment par J. C. Guanche et D. Raby. À La Havane, elle dirige pour la maison d’édition Editorial de ciencias sociales la collection « Pensar en Cuba », qui diffuse les avancées de la recherche. Entre 2004 et 2010, elle édite quatre volumes consacrés à l’histoire de Cuba parus dans cette collection. Elle fait partie du jury du Prix en sciences sociales en 2005, et réalise une présentation pour le prix de Francisco-Perez-Guzman à la Fiera del libro en 2006. Membre de l’Unión nacional de escritores y artistas de Cuba (Uneac), elle collabore avec le Collège de San Geronimo, l’Institut de philosophie et la Casa Victor-Hugo de la Officina del historiador, à La Havane.

Chiara PALERMO

DÍAZ LOZANO, Argentina [SANTA ROSA DE COPÁN 1912 - TEGUCIGALPA 1999]

Écrivaine et journaliste hondurienne.

À 17 ans, Argentina Díaz Lozano publie un recueil de nouvelles, Perlas de mi rosario (« grains de mon chapelet »), et, peu de temps après, son premier roman, Luz en la senda (« lumière sur le chemin », 1937). Son écriture se caractérise par un discours classique, épuré, limpide, et par une vision du monde où règne le romantisme et où se côtoient des aspects sentimentaux et sociaux. Les problèmes spécifiques concernant l’univers des femmes (les conflits conjugaux, l’infidélité, la force de caractère des protagonistes) trouvent aussi leur place, surtout dans les nouvelles de Topacios (« topazes », 1940). Parmi ses ouvrages les plus connus, Peregrinaje (« pérégrinations », 1944) lui a valu le Prix latino-américain du roman. C’est un récit de souvenirs qui relate les périples d’une jeune fille et de sa mère à travers plusieurs endroits du Honduras. Selon un canevas classique et linéaire, le roman s’attarde sur les événements marquants et sur les impressions et les sentiments du personnage principal, sans dépasser la sphère du monde personnel et l’implication régionale. Mayapán (1966) a également été très commenté. Ce roman historique établit un dialogue intertextuel avec les textes mayas des « livres de Chilam Balam », Relación de las cosas de Yucatán, de Fray Diego de Landa, et Historia verdadera de la conquista de la Nueva España, de Bernal Díaz del Castillo. Le roman s’attarde sur un couple, l’idéalise et le présente comme l’exemple de l’union de deux peuples, incarnant la société de l’avenir, embryon d’un Guatemala métisse. Dans Fuego en la ciudad (1966), A. Díaz Lozano construit sa narration en suivant les grandes lignes du roman historique et réaliste dans un style plein de réminiscences modernistes. Comme souvent chez cette écrivaine, le cœur du discours est occupé par le personnage féminin, dont la façon d’être, les actions et les sentiments suggèrent un portrait fortement idéalisé de l’héroïne, Maria de la Luz. A. Díaz Lozano est aussi l’auteure d’autres romans, notamment 49 días en la vida de una mujer (1956), Mansion en la bruma (1965), Aquel año rojo (1973), Ha llegado una mujer (1991). Elle a reçu le Prix national de littérature en 1968 et a été la collaboratrice de plusieurs journaux du Honduras : Diario de Centroamérica, El Imparcial, Prensa Libre et La Hora.

Fernando MORENO

DI BELGIOJOSO, Cristina (née TRIVULZIO) [MILAN 1808 - ID. 1871]

Intellectuelle et militante politique italienne.

Issue d’une famille aristocratique, Cristina Di Belgiojoso y apprend les idéaux libéraux et patriotiques, et participe très activement au mouvement qui aboutit à l’unité italienne. Elle épouse à l’âge de 16 ans le prince Emilio Di Belgiojoso, qui lui transmet la syphilis. Refusant tout compromis au sujet des infidélités de son mari, elle le quitte et entame une nouvelle vie sous le signe de l’engagement politique, des activités intellectuelles et du progrès social. Au cours de ces années, elle prend part à des mouvements de conspiration et au financement d’insurrections contre l’occupation autrichienne. Obligée de fuir la police, elle se réfugie en France en 1830, à Carqueiranne, où elle rencontre et se lie d’amitié avec Augustin Thierry. En 1831, elle s’installe à Paris. Grâce à son amitié avec La Fayette, elle collabore au journal Le Constitutionnel avec des articles sur la situation politique de son pays. Après avoir recouvré ses biens, confisqués par l’Autriche, elle ouvre un salon, qui devient vite un des centres de la vie intellectuelle et mondaine parisienne. Ses liens d’amitié avec Balzac, Musset, Heine, Liszt ou l’historien François Mignet font d’elle une icône du féminisme romantique et de l’indépendance de la femme. La naissance hors mariage de sa fille, en 1838, la persuade de revenir en Italie, ce qu’elle fait en 1840. Elle s’installe dans son fief de Locate, où, frappée par la pauvreté des paysans, elle entreprend des réformes sociales inspirées par Fourier. Dans le calme de Locate elle achève d’écrire les quatre volumes de son ouvrage L’Essai sur la formation du dogme catholique (1842) ; elle y soutient la réforme de l’Église vers un catholicisme libéral. S’ensuit la traduction en français de la Scienza nuova de Giambattista Vico. Très active comme journaliste, elle est la première femme à diriger un journal, la Gazzetta italiana (1845). En mars 1848, elle s’embarque à Naples avec un groupe de volontaires napolitains pour combattre les Autrichiens à Milan. Elle décrit dans la Revue des Deux Mondes (1848) les événements auxquels elle prend part. Vient ensuite la période la plus héroïque de sa vie : elle participe à la défense de la république romaine aux côtés de Mazzini, sans partager la totalité de ses idées. On la charge de diriger les ambulances ainsi que d’organiser les hôpitaux militaires et un réel corps d’infirmières volontaires. Mais la révolte sera brisée avec l’aide de la France. Elle adresse alors au pape une magnifique lettre, chef-d’œuvre d’ironie douloureuse, pour se défendre des accusations d’avoir fait travailler comme infirmières des prostituées et d’avoir empêché des moribonds de recevoir les derniers sacrements. Elle embarque à bord d’un navire appareillant pour Malte. Elle commence un voyage qui l’emmène avec sa fille, et quelques autres exilés, en Grèce et en Asie Mineure. En 1855, grâce à une amnistie autrichienne, elle rentre chez elle à Locate. L’unité italienne se réalise enfin en 1861. Elle publie dans le premier numéro de la revue Nuova Antologia de 1866 son étude Della presente condizione delle donne e del loro avvenire (« des conditions actuelles des femmes et de leur avenir »), où elle défend les idées d’égalité des deux sexes, mais craint que les revendications des femmes ne nuisent à la stabilité d’un pays unifié depuis peu. Elle les invite à prendre patience. Ses derniers textes sont consacrés à la situation en Italie et à la politique internationale (1868-1869).

Ginevra CONTI ODORISIO

Vita intima e vita nomade in Oriente (1855), Pavie, Ibis, 1993 ; Il 1848 a Milano e a Venezia. Con uno scritto sulla condizione delle donne (1848), Bortone S. (dir.), Milan, Feltrinelli, 1977 ; Ricordi nell’esilio (1850, 1946), Davi M. F. (dir.), Pise, ETS, 2002.

BROMBERT B. A., Cristina Belgiojoso, Milan, Dall’Oglio, 1976 ; CAZZULANI E., Cristina Di Belgiojoso, Lodi, Lodigraf, 1982.

DI CASTIGLIONE, Irene VOIR HENRY, Camille

DICK, Gladys Rowena (née HENRY) [PAWNEE CITY 1881 - PALO ALTO 1963]

Microbiologiste et médecin américaine.

En collaboration avec son mari, George F. Dick, Gladys Rowena Dick a identifié la bactérie cause de la scarlatine et a développé un test diagnostique. Elle passe son enfance à Lincoln et fait des études de sciences à l’université du Nebraska. Sa mère étant opposée à ce qu’elle poursuive des études de médecine, elle enseigne la biologie dans une école secondaire et suit des cours de zoologie à l’université. En 1903, après avoir finalement obtenu le consentement maternel, elle s’inscrit à l’université Johns Hopkins de Baltimore et obtient son doctorat en 1907. Elle entreprend des études en chirurgie cardiaque, hématologie et biochimie à Baltimore et à Berlin. En 1911, elle accepte un poste à l’université de Chicago où elle rencontre son futur mari. Elle s’installe comme médecin tout en travaillant comme anatomo-pathologiste à l’hôpital d’Evanston, dans la banlieue de Chicago. Le couple accepte un double poste de chercheurs au John R. McCormick Memorial Institute pour les maladies infectieuses. Les Dick collaborent alors à des recherches qui leur permettent de découvrir le streptocoque hémolytique. Cette bactérie produit une toxine qui provoque l’éruption caractéristique de la scarlatine. Ils mettent au point un test cutané, connu sous le nom de test de Dick. Un test positif indique que la personne est susceptible de contracter la maladie, alors qu’un test négatif indique que la personne est porteuse d’anticorps dirigés contre le streptocoque. Ils tentent également de préparer une antitoxine en utilisant le sérum d’un animal immunisé par l’injection de la toxine. Au milieu des années 1920, ils essaient de faire breveter leurs recherches, mais sont l’objet de critiques, notamment de la part de la Ligue des Nations, qui considère que les brevets entravent la recherche médicale. Avec l’avènement de la pénicilline dans les années 1940, le test de Dick et l’antisérum sont abandonnés. G. R. Dick s’intéresse plus tard à la poliomyélite. Elle fonde ce qui est probablement la première agence professionnelle pour l’adoption aux États-Unis, la Cradle Society, à Evanston.

Les Dick ont reçu de nombreuses récompenses, et, en 1925, ils ont été proposés pour un prix Nobel, mais aucun prix ne fut attribué cette année-là.

Madeleine COTTENET-HAGE et Doris MÉNACHÉ-ARONSON

« Landmark article January 26, 1924 : the etiology of scarlet fever. By George F. Dick and Gladys Henry Dick », in JAMA, vol. 250, déc. 1983.

DICK, Kay [LONDRES 1915 - BRIGHTON 2001]

Romancière et anthologiste britannique.

Fille illégitime d’une mère célibataire réduite à la pauvreté, Kay Dick témoigne tôt d’une personnalité étonnante, non conformiste, élégante, impétueuse – ample chevelure, lorgnon et fume-cigarette. Éduquée dans une école privée de Genève et au Lycée français de Londres, elle se passionne pour la littérature. Commence alors une vie mondaine, faite de réceptions et d’amitiés, en particulier avec la romancière Kathleen Farrell*, qu’elle soigne jusqu’à sa disparition, pendant vingt-deux ans. Son esprit et sa forte personnalité lui assurent un cercle d’amis fidèles. À 20 ans, elle travaille dans le service de publicité de Foyles, puis au New Statesman. Elle devient la première femme à diriger une maison d’édition (P.S. King & Sons) puis est assistante de direction du John O’London’s Weekly et du Windmill sous le pseudonyme d’Edward Lane. Elle édite neuf romans et six anthologies. Ses romans, tous préoccupés par la sincérité des relations humaines, se situent dans un milieu cosmopolite à Paris, Venise, Genève et Londres. Son premier roman, By the Lake (1949), a le charme d’une insouciance quelque peu bravache, mais non sans le sérieux d’une forte affirmation de la vie et de l’amour en tant que valeurs suprêmes. En 1971, elle publie une série d’entretiens avec Ivy Compton-Burnett* et Stevie Smith* (Ivy and Stevie). Ennemie du médiocre et de la malhonnêteté, capable de vulgarité comme de générosité, elle défraye souvent la chronique par les règlements de comptes cachés et les relations lesbiennes, trame de plusieurs de ses œuvres (The Shelf, « l’étagère », 1984). Son indépendance et son perfectionnisme ont été salués par Muriel Spark*, C.P. Snow, Angus Wilson et Pamela Hansford Johnson*.

Michel REMY

DICKASON, Olive Patricia [WINNIPEG 1920 - OTTAWA 2011]

Historienne canadienne.

Née d’un père d’origine britannique et d’une mère métisse, Olive Patricia Dickason connaît une adolescence difficile après que la crise économique de 1929 a ruiné sa famille. Suivant des études universitaires en philosophie et en français au collège Notre-Dame d’Ottawa, elle exerce ensuite le métier de journaliste, successivement au Regina Leader-Post, au Winnipeg Free Press, au Montreal Gazette et au Globe and Mail. Ce n’est qu’en 1970, à 50 ans et après avoir élevé presque seule ses trois filles, que O. P. Dickason retourne à l’université d’Ottawa et obtient en 1977 un doctorat en histoire. Sa thèse, The Myth of the Savage and the Beginnings of French Colonialism in the Americas, porte sur l’histoire des autochtones, un champ de recherche encore balbutiant. Elle publie des ouvrages majeurs qui mettent en évidence le rôle des premières nations dans l’histoire canadienne et contribuent à rompre avec la perspective européanocentriste et raciste qui prévaut largement jusqu’alors : Canada’s First Nations : A History of Founding Peoples from Earliest Times (1992, quatrième édition en 2009) devient un ouvrage de référence pour les études autochtones au Canada. Elle y montre, à partir d’une approche chronologique classique, que l’histoire du Canada précède l’arrivée des Européens qui, sans les autochtones, n’auraient pu survivre aux conditions de vie de ce pays. Elle publie également Indian Arts in Canada (1972) et, avec Leslie C. Green, The Law of Nations and the New World (1989). Professeure d’histoire à l’université d’Alberta de 1976 à 1992, elle se bat pour continuer à enseigner jusqu’à 72 ans. Récompensée par l’Aboriginal Achievement Award en 1997, O. P. Dickason est reconnue comme l’une des pionnières d’un champ de l’histoire canadienne désormais considéré comme fondamental pour la compréhension du passé commun des autochtones et des peuples d’origine européenne au Canada.

Hélène CHARRON

DION STOUT M., GUIMOND É., VALASKAKIS G. G., Restoring the Balance : First Nations Women, Community, and Culture, Winnipeg, University of Manitoba Press, 2009.

POSNER M., « She Wrote the Book on Native History », in The Globe and Mail, 16-4-2011.

DICKENS, Monica [LONDRES 1915 - READING 1992]

Romancière britannique.

Arrière-petite-fille de Charles Dickens, née dans une famille très bourgeoise, Monica Dickens se rebelle contre sa classe sociale. Après avoir été présentée à la cour comme débutante, elle s’engage sans formation dans des métiers de cuisinière puis d’infirmière. Elle est embauchée dans une usine d’aviation puis dans un journal local. Encouragée par un jeune éditeur, elle publie, à chacune de ces expériences professionnelles, un livre d’ordre autobiographique, comme La Meilleure des bonnes (1937), salué par la critique et jamais épuisé. À la fin des années 1950, elle s’installe aux États-Unis où elle se marie et adopte deux filles, ses livres continuant à se situer en Angleterre. Elle écrit pour le magazine Woman’s Own des articles originaux et pleins de bon sens et continue de publier des romans très engagés dans des causes humanitaires. À partir de 1970, elle écrit une série, très populaire, d’histoires pour enfants, les « Follyfoot ». En 1978, elle publie son autobiographie, An Open Book, et en 1985, à la mort de son mari, elle revient en Angleterre. Dans ses 30 livres pour adultes et ses 13 livres pour enfants, elle montre toute sa capacité à dresser le portrait de personnages convaincants et immédiatement reconnaissables, pleins d’humour et de compréhension de la commune humanité, exaltant le courage, la charité et l’amour de l’autre. Antonia Susan Byatt*, J.B. Priestley et John Betjeman ont salué son œuvre.

Michel REMY

La Meilleure des bonnes (One Pair of hands, 1937), Verviers, Gérard et Cie, 1958 ; Mon bel ange (The Angel in the Corner, 1956), Paris, la Table ronde, 1958 ; Le Ranch de Follyfoot (Follyfoot Farm, 1973), Paris, Hachette, 1975.

DICKER-BRANDEIS, Friedl [VIENNE 1898 - AUSCHWITZ 1944]

Peintre autrichienne.

Née dans une famille modeste, Friedl Dicker est âgée de 4 ans lorsque sa mère meurt. Son œuvre foisonnante, polymorphe, encore mal connue, a été occultée par son action pédagogique auprès des enfants du camp de Terezín. Elle illustre pleinement l’aspiration des femmes des avant-gardes à aborder tous les domaines de la création, et leur volonté, par l’entremise du quotidien, de transformer le monde. Formée de 1919 à 1923 au Bauhaus de Weimar, où elle rejoint Johannes Itten, son professeur à Vienne, elle est fortement marquée par l’enseignement de Paul Klee. L’expérience du Bauhaus est fondatrice, car elle articule la recherche d’un développement personnel autour d’une pratique artistique et artisanale très variée. Art et pédagogie sont indissolublement liés dans son travail. À la fin de sa formation au Bauhaus, elle est chargée du cours d’introduction pour les élèves de première année. De retour à Vienne, elle crée, en 1926, avec son compagnon Franz Singer, un atelier de design et d’architecture d’intérieur, et conçoit notamment, en 1930, l’aménagement, le mobilier expérimental et les jouets d’une école Montessori. Au même moment, elle est aussi chargée de former les institutrices des jardins d’enfants. Très engagée politiquement, elle rejoint le parti communiste, dessine et conçoit des photomontages d’agit-prop. Arrêtée en 1934 puis libérée, elle quitte Vienne et s’installe à Prague, où elle revient à une peinture figurative et enseigne l’art aux enfants d’émigrés allemands et autrichiens, en se fondant sur les méthodes pédagogiques de J. Itten. Elle épouse ensuite son cousin et vit à Hronov. À l’automne 1942, ils reçoivent leur avis de déportation pour Terezín. Dans la « cité idéale des juifs », F. Dicker-Brandeis va perpétuer les méthodes d’enseignement du Bauhaus, et libérer par le dessin la créativité des enfants internés. Elle devient directrice de la maison des filles L 410 et organise, en juillet 1943, une exposition de leurs travaux, à l’occasion de laquelle elle prononce une conférence intitulée « Dessins d’enfants ». Elle monte également des pièces de théâtre et peint des œuvres personnelles totalement déconnectées de la réalité du camp. Après le départ de son mari dans le convoi du 28 septembre, elle demande à être inscrite sur la liste du convoi suivant et quitte Terezín le 6 octobre 1944 en direction d’Auschwitz, non sans avoir caché tous les dessins des enfants dans un grenier. Elle est assassinée le 9 octobre. Ses œuvres sont conservées au centre Simon-Wiesenthal, à Los Angeles, et au Musée juif de Prague, qui possède également une importante collection des dessins d’enfants de Terezín.

Nathalie HAZAN BRUNET

Children’s Drawings from the Concentration Camp of Terezín (catalogue d’exposition), Prague, State Jewish Museum, 1980 ; From Bauhaus to Terezín : Friedl Dicker-Brandeis and Her Pupils (catalogue d’exposition), Jérusalem, Yad Vashem, 1990 ; Friedl Dicker-Brandeis, Vienne 1898-Auschwitz 1944 (catalogue d’exposition), Paris, musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme/Somogy, 2000.

DICKERSON, Glenda [HOUSTON 1945 - YPSILANTI, MICHIGAN 2012]

Pédagogue de théâtre, auteure dramatique et metteuse en scène américaine.

Glenda Dickerson s’affirme dans le monde du théâtre professionnel et celui de l’université : enseignante à l’université du Michigan à Ann Arbor, elle y dirige le Center for World Performance Studies. Dans les années 1980, elle est la deuxième Afro-Américaine à diriger une pièce à Broadway. Elle est sélectionnée pour plusieurs récompenses, y compris un Emmy Award en 1971. Elle fait de la dénonciation de toutes les formes d’oppression – particulièrement le racisme et le sexisme, qui sont le lot des femmes noires à travers le monde – le centre de ses réflexions. Elle transforme leurs expériences par le recours à l’art expérimental, lequel se fait analyse et élaboration conceptuelle. Elle aborde le théâtre en théoricienne. Ses nombreux travaux sont des modèles de rigueur et de réflexion. La réinscription de l’histoire – où l’interprétation revendique une saisie globale de l’expérience des femmes – est ce qui l’intéresse avant tout. Sa trilogie, commencée avec What’s Cookin’in the Kitchen ? (« que cuit-on dans la cuisine ? »), se poursuit avec Identities on Trial : a Kitchen Protest Prayer (« identités en procès : une prière protestataire de cuisine », 2003), où elle analyse par le menu les différents procès dans lesquels les femmes apparaissent comme les victimes majeures du système juridique. Pour Sapphire’s New Shoes : The Kitchen Table Summit (« les nouvelles chaussures de Sapphire : sommet sur table de cuisine », 2004), dernier volet de sa trilogie, elle apprend le nüshu, langue secrète parlée par les femmes de Jiangyong (Chine) qui, ne pouvant ni lire ni écrire, développent leur propre système de communication pour survivre à la répression. Elle y aborde le stéréotype de l’icône Sapphire (caricature qui dépeint les femmes noires comme grossières, bruyantes, méchantes, opiniâtres et autoritaires), représentation même de la résistance contre l’oppression des femmes. Elle livre des écrits théoriques sur les questions de performance et de mise en scène, tout en dirigeant et en produisant ses propres pièces et celles des autres.

Frida EKOTTO

DICKINSON, Emily [AMHERST, MASSACHUSETTS 1830 - ID. 1886]

Poétesse américaine.

Née dans une famille de notables puritains de la Nouvelle-Angleterre, Emily Dickinson fait ses études à l’Amherst College, fondé par son grand-père, puis au Mount Holyoke Seminary, où elle refuse fermement de « se convertir » comme l’exige le mouvement de renouveau religieux que connaît alors la région. Ayant très tôt découvert sa vocation, elle décide de s’y consacrer et, résidant dans la maison où elle est née, observe, en pleine jeunesse, un retrait de plus en plus marqué. Sa vie, en apparence, ne présente pas d’événements saillants, exception faite d’une maladie des yeux et d’un projet de mariage motivé par un amour relativement tardif. C’est à peine si, autour d’elle, on soupçonne qu’elle écrit de la poésie. En effet, malgré la quantité de poèmes (1789) qu’elle laisse à sa mort, bien rangés dans un tiroir de sa commode et qui constituent sa « lettre au monde », selon son expression, elle ne publie quasiment rien de son vivant en dehors d’une poignée de textes qui lui sont plus ou moins arrachés. Derrière cette Emily transformée en mythe sous la forme d’une silhouette en robe blanche, la « nonne d’Amherst », hantant une demeure quasi déserte et passant ses nuits à écrire, se cachent une multiplicité d’autres Emily extraordinairement vivantes, se révélant dans ses poèmes sous divers masques, peut-être sous l’influence du théâtre de Shakespeare, son auteur favori : l’Emily passionnée, qui contracte des amours semi-imaginaires, souvent décevantes ; l’Emily enfant, qui conserve toute sa vie le goût de l’espièglerie ; l’Emily contemplative, en admiration devant les spectacles de la nature ; l’Emily révoltée, fascinée et obsédée par la mort (plus d’un tiers de ses 1789 poèmes lui sont consacrés) ; l’Emily religieuse, qui ne cesse de mettre en doute sa foi ; l’Emily intuitive ; l’Emily raisonneuse, l’Emily adoratrice de la vie. E. Dickinson, qui a le sens du mystère, atteint parfois des états proches de la folie ou de l’exaltation mystique, se lance dans de grandes aventures de l’esprit, telles celles d’un Pascal ou d’un Artaud. Sa poésie pourrait se définir par l’image d’un arc tendu entre deux extrêmes : l’ici et l’ailleurs, le temps et l’éternité, la terre et le paradis, l’angoisse et la joie, le mouvement et l’immobilité, l’absence et la présence, la mort et la vie. Cette dialectique féconde sous-tend une parole poétique qui privilégie le paradoxe et l’oxymore, favorise l’ambiguïté, est marquée par l’ironie et combine l’immédiateté de la sensation à la profondeur de la réflexion. Aujourd’hui reconnue comme une figure fondatrice de la poésie américaine, E. Dickinson fait reconnaître la spécificité des voix des femmes poètes. Son écriture est porteuse de modernité. À partir d’une forme inspirée des hymnes religieux de Watts, elle crée un espace singulier, comparable à un bloc aérien, à une portée musicale, où les tirets représentent des pauses permettant de faire résonner le son ou vibrer le silence. Les mots rares ou quotidiens sont sertis avec un art sûr que dissimule l’impression de spontanéité. L’impression donnée est celle d’une écriture en vol, reliant la terre au ciel et le ciel à la terre.

Claire MALROUX

Poésies complètes, trad. et prés. DELPHY F., Paris, Flammarion, 2009.

BOBIN C., La Dame blanche : Emily Dickinson, Paris, Gallimard, 2009 ; HOWE S., My Emily Dickinson, Berkeley (Calif.), North Atlantic Books, 1985 ; MALROUX C., Chambre avec vue sur l’éternité : Emily Dickinson, Paris, Gallimard, 2005 ; SEWALL R. B., The Life of Emily Dickinson (1974), Cambridge, Harvard University Press, 1994.

DICKINSON, William VOIR ARNOTHY, Christine

DICTIONNAIRE DES MARSEILLAISES [France 2012]

Ce dictionnaire, réalisé à l’initiative de l’association Les Femmes et la ville, rend hommage aux femmes illustres ou inconnues qui ont fait l’histoire et l’identité de la cité phocéenne. Artistes, politiques, travailleuses, aristocrates, bourgeoises ou femmes du peuple, individuellement ou collectivement, elles ont forgé la culture de la ville par leurs créations, leurs actions, leur courage. On y retrouve « les dames du siège » qui ont lutté contre l’armée de Charles-Quint, les cigarières de la manufacture de tabac de la Belle-de-Mai en grève en 1887, les Auffières (du Vallon des Auffes), qui tressaient les herbes de la garrigue pour fabriquer les objets de leur quotidien, les corailleuses, les femmes « des allumettes », du « sucre », « des dattes », toujours promptes à dénoncer l’injustice. On y trouve aussi Mme de Sévigné*, qui, « charmée de la beauté singulière de cette ville », la décrit dans ses lettres, Françoise Duparc*, peintre injustement oubliée, Simone de Beauvoir* qui aime « ouvrir les yeux le matin sur la flottille du Vieux-Port » et « voir le soir blondir ses eaux lisses », Joséphine Baker*, qui a financé l’église des Chutes-Lavie dédiée à sainte Thérèse* de l’Enfant-Jésus, Peggy Guggenheim*, qui a aidé des artistes menacés par les Allemands pendant la Seconde Guerre mondiale à passer aux États-Unis depuis Marseille, où elle a rencontré Max Ernst… Cinq cents notices au total et bien davantage de femmes, dans ce livre vivant, richement illustré, préfacé par Yvonne Knibiehler* et coordonné par les historiennes Renée Dray Bensousan, Hélène Echinard, Catherine Marand-Fouquet et Éliane Richard, auquel ont collaboré 107 auteurs.

Michèle IDELS

DIDIER, Béatrice [LA TRONCHE 1935]

Universitaire, critique et directrice éditoriale française.

Agrégée de lettres classiques en 1957, Béatrice Didier soutient en 1966 une thèse d’État publiée la même année chez José Corti sous le titre L’Imaginaire chez Senancour. L’ouvrage met en évidence les grands centres d’intérêt qui seront désormais les siens : le roman, la littérature intime et la période romantique. Professeur de littérature française à l’Université de Paris VIII, qu’elle a contribué à créer, elle rejoint en 1993 l’École normale supérieure (Ulm) où, jusqu’en 2005, elle dirige le département Littérature et langage, développe les études interdisciplinaires littérature-musique, et reçoit de nombreuses invitations comme professeur en Europe, aux États-Unis et en Chine. Après Senancour, c’est Sade qui, avec Les Infortunes de la vertu publiées en 1970 dans Le Livre de poche, ouvre la longue liste des éditions critiques qui témoignent du remarquable rayonnement éditorial de cette carrière. Plus de trente titres, parus dans des collections de référence, en poche, permettront de découvrir et d’approfondir des romans de la fin du XVIIIe siècle et du XIXe siècle romantique. Stendhal et George Sand* en sont les grands auteurs et B. Didier leur consacre des essais critiques. Si 1976 est l’année où B. Didier publie aux PUF son premier essai dédié au genre, alors méconnu et sous-estimé, du Journal intime, c’est plus spécifiquement à l’intérieur du XVIIIe qu’elle propose, comme en écho à l’encyclopédisme du siècle, des livres dont la largeur de vue n’exclut pas l’érudition : outre plusieurs ouvrages d’histoire de la littérature du XVIIIesiècle paraissent La Musique des Lumières (1985) et Alphabet et raison (1996), consacré aux dictionnaires. Sa passion des savoirs et des littératures du monde, alliée au goût de la transmission, se manifeste également à travers son activité de directrice éditoriale. Aux PUF toujours, elle crée une revue, Corps écrit, dirige plusieurs collections d’essais et un Dictionnaire universel des littératures (3 t., 1994). Ces dernières années, elle a ouvert les immenses chantiers des Œuvres complètes de G. Sand et de Chateaubriand. Avec son ouvrage L’Écriture-femme, elle a problématisé, dès 1981, la question de la création littéraire au féminin, et dirigé depuis de nombreuses thèses sur ce sujet. C’est elle qui a porté aux éditions des femmes le projet du Dictionnaire universel des créatrices.

Florence DE CHALONGE

Stendhal autobiographe, Paris, PUF, 1983 ; George Sand écrivain, « un grand fleuve d’Amérique », Paris, PUF, 1994 ; Le Livret d’opéra en France au XVIIIe siècle, Oxford, Voltaire Foundation, 2013.

MONTALBETTI C., NEEFS J. (dir.), Le Bonheur de la littérature : variations critiques pour Béatrice Didier., Paris, PUF, 2005.

BARA O., « Béatrice Didier », in Orages. Littérature et culture 1760-1830, no 9, mars 2010.

DIDI-HUBERMAN, Évelyne [SAINT-ÉTIENNE 1949]

Actrice française.

Blondeur bouclée et visage d’angelot, Évelyne Didi-Huberman, impose dès ses débuts une présence émouvante et généreuse à la scène comme à l’écran. Elle a vécu les grands moments de la décentralisation et du théâtre public des années 1970, faisant ses premiers pas sur scène en 1969 avec Jean Dasté à la Comédie de Saint-Étienne. Elle crée en 1971 le Théâtre éclaté avec Alain Françon, Christiane Cohendy* et André Marcon, puis s’engage dès 1976 dans l’aventure collective du Théâtre national de Strasbourg, sous la houlette de Jean-Pierre Vincent. Elle participe au spectacle qui révéla Klaus Michael Grüber en France : Faust Salpêtrière d’après Goethe (1976). Plus tard, Bob Wilson lui confie un rôle dans Medea (1982). Benno Besson la dirigera dans Les Oiseaux (1983) et Claude Stratz dans Le Legs et L’Épreuve de Marivaux (1985). Matthias Langhoff en fait une de ses actrices phares aussi bien dans Euripide que dans García Lorca, O’Neill ou Tchekhov. Elle travaille sous la direction d’André Wilms dans Medeamaterial de Heiner Müller, ainsi que dans Pulsion de Franz Xaver Kroetz (1999) et Histoires de famille de Biljana Srbljanovic* (2002). Elle fréquente les plateaux des grands théâtres (la Colline, l’Odéon) dans les mises en scène d’A. Françon, Jean Jourdheuil, Jean-François Peyret, Jean-Louis Martinelli ou André Engel (Léonce et Léna de Georg Büchner, 2001 ; Le Jugement dernier d’Odön von Horvath, 2003 ; La Petite Catherine de Heilbronn d’Heinrich von Kleist, 2008). Au cinéma, elle a joué notamment dans L’Été meurtrier (1983) de Jean Becker, Une affaire de femmes (1988) de Claude Chabrol, Tatie Danielle (1990) et La confiance règne (2004) d’Étienne Chatiliez, Le Cœur fantôme (1996) de Philippe Garrel.

Mireille DAVIDOVICI

DIDRIKSON ZAHARIAS, Mildred [PORT ARTHUR 1911 - GALVESTON 1956]

Sportive américaine.

Par la multiplicité de ses talents, son omniprésence dans le paysage sportif et sa forte personnalité, Mildred Didrikson Zaharias, dite « Babe », basketteuse, joueuse de base-ball, athlète et star du golf, a créé un type à part. La variété de ses palmarès n’a pas été égalée ; en regard des exigences croissantes de la spécialisation et du perfectionnement par discipline, on doute qu’elle puisse l’être. Née d’immigrants norvégiens, Mildred Didriksen, dont le patronyme mal orthographié à l’école, apparaît dans les équipes de soft-ball (le base-ball féminin) et de basket où elle excelle avec les Golden Cyclones de Dallas. En juillet 1930, à 19 ans, elle bat le record du monde au lancer de javelot à 40,68 m. En 1931, elle égale celui du 100 yards en 11 s. Lors du défilé d’ouverture des Women’s Athletics Amateur Championships faisant office de sélections pour les prochains Jeux olympiques de Los Angeles, la Texane représente à elle seule le club de l’Employers Casualty Insurance Company de Dallas, récemment constitué ; or cette jeune fille élancée (1,70 m, 52 kilos) et vive remporte six des huit épreuves (sur dix organisées) où elle s’aligne, dont le 80 mètres haies, le javelot, la hauteur et le poids ; avec 30 points à elle seule, elle gagne le championnat… par équipes, devant l’Illinois University Women’s Athletic Club (22 points additionnés par 22 athlètes). Lors des Jeux, elle montre une assurance sans faille dans les trois disciplines auxquelles les règlements de l’époque limitent les femmes. Dès son premier jet au javelot, record olympique à 43,68 m et médaille d’or. Au 80 mètres haies, elle égale le record mondial en séries avec 11 s 8, puis le bat en finale en 11 s 7 et s’assure une seconde fois l’or en devançant de peu sa compatriote Evelyne Hall. Malgré un nouveau record du monde à la hauteur (1 m 657), une interprétation des règlements par le jury la cantonne à la médaille d’argent. À 23 ans, elle abandonne l’athlétisme et revient au base-ball et au basket, partant en tournée avec l’équipe masculine du House of David, puis fondant l’équipe professionnelle de la Babe Didrikson’s All American. Elle se tourne alors vers le golf ; dès 1935, la voici capable de gagner des tournois et qui progresse au point de devenir une joueuse exceptionnelle. Épaulée par son mari, le lutteur George Zaharias, elle remporte les plus grands succès : l’US Women’s Amateur en 1946, une série de 14 tournois consécutifs, le British Women’s Amateur – qu’aucune Américaine n’avait remporté jusque-là – en 1947. Elle est la première joueuse du monde et décide de créer la Ladies Player Golf Association, lançant ainsi en 1948 le golf professionnel féminin. À elle le premier US Open en 1948, succès renouvelé en 1950. Elle est invitée à participer au tournoi masculin Open de Los Angeles. Malgré une sévère opération, elle revient pour un troisième US Open gagnant en 1954, avec 12 coups d’avance ! Lorsqu’elle s’éteint, à 45 ans, l’Amérique la salue et la pleure.

Jean DURRY

This Life I’ve Led, My Autobiography, New York, Barnes, 1955.

CAYLEFF S., Babe : The Life and Legend of Babe Didrikson Zaharias, Urbana, University of Illinois Press, 1995.

DIENES, Valéria [SZEKSZÁRD 1879 - BUDAPEST 1978]

Chorégraphe hongroise.

Valéria Dienes passe les doctorats de mathématiques, de philosophie et d’esthétique en 1905, fait des études de piano et de composition à Budapest. Elle publie des articles pédagogiques et esthétiques et traduit certains philosophes français et anglais. Entre 1908 et 1912, alors l’élève d’Henri Bergson, elle découvre l’art d’Isadora Duncan* et suit les cours de gymnastique grecque de Raymond Duncan. De retour à Budapest, elle lance ses propres cours sous le nom, dès 1915, d’École orchestique. On considère la première représentation publique de l’École orchestique (en 1917) comme le début de la danse libre en Hongrie. Dès cette date, plusieurs de ses compositions sont présentées chaque année en Hongrie, à Vienne et à Belgrade. Elle fait des chorégraphies sur des musiques classiques et des œuvres modernes (Béla Bartók, György Kósa et Gershwin). De 1920 à 1922, elle enseigne à Vienne, puis rejoint la colonie Duncan en France. Revenue en Hongrie en 1924, elle rouvre son école et, avec ses élèves, crée des chorégraphies sur ses propres poèmes. À partir des années 1930, elle fait des spectacles sur le modèle des mystères du Moyen Âge : dans A gyermek útja (« le chemin de l’enfant », 1935), près de mille enfants montent sur scène. Elle réalise l’unité de la plastique, du rythme, de la dynamique et y ajoute la symbolique. Son école ferme ses portes en 1944.

Anna LAKOS

DIENESCH, Marie-Madeleine [LE CAIRE 1914 - PARIS 1998]

Résistante et femme politique française.

Agrégée de lettres classiques, Marie-Madeleine Dienesch est nommée professeure à Saint-Brieuc, en 1939. Le hasard de cette affectation est le point de départ d’une longue carrière dans les Côtes-du-Nord. Figure du Mouvement républicain populaire (MRP), le grand parti démocrate-chrétien de l’après-guerre, M.-M. Dienesch rallie ensuite le gaullisme à partir de 1965. Cette ancienne résistante du mouvement Libération-Nord, membre des deux Assemblées constituantes, a été durant trente-cinq ans, de 1946 à 1981, l’inexpugnable députée des Côtes-du-Nord. Sous la VRépublique, elle a rempli presque tous les mandats : députée, vice-présidente de la Chambre des députés, secrétaire d’État, conseillère générale, conseillère régionale, députée européenne. Elle a exercé des fonctions dirigeantes au MRP, avant de présider le Mouvement des démocrates Cinquième, rassemblant les représentants du MRP ralliés au gaullisme. Dans l’univers masculin du gaullisme, elle est l’exception, la « femme fétiche » du régime. Elle est la seule à s’être imposée dans l’exécutif de façon aussi durable (de 1968 à 1974), au seul rang – il est vrai – de secrétaire d’État. Un titre lui a manqué, celui de ministre à part entière.

Mariette SINEAU

SINEAU M., Femmes et pouvoir sous la VRépublique, de l’exclusion à l’entrée dans la course présidentielle, Paris, Presses de Sciences Po, 2011.

BOUGEARD C., « Marie-Madeleine Dienesch, une carrière politique méconnue », in CLIO, histoire, femmes et sociétés, no 8, 1998, mis en ligne le 3 juin 2005.

DIENG, Mame Younousse [TIVAOUANE 1940]

Romancière sénégalaise d’expression wolof et française.

Née d’une mère originaire de Saint-Louis, ancienne capitale du Sénégal, et d’un père issu du Kajoor profond, Mame Younousse Dieng n’a pas connu ce dernier, décédé prématurément, mais a l’impression d’avoir toujours vécu avec lui, tant les griots l’ont chanté et décrit ses faits et gestes. Elle-même qualifie son parcours de « mouvementé », car elle a été retirée de l’école à deux reprises par sa mère qui la destinait à la cuisine et aux travaux ménagers en vue de la préparer au mariage. Tout d’abord scolarisée car elle avait un oncle instituteur, elle était, selon ses propres mots, « terrible », passant son temps à affronter les garçons, à les frapper ou à défaut, à éviter leurs coups ; ces nombreuses bagarres ont amené sa mère à l’enlever de l’école, qu’elle n’a réintégrée que quatre ans plus tard, à 11 ans. L’administration coloniale avait créé une classe de jeunes filles à Tivaouane, mais menaçait de la fermer faute d’effectif ; on chercha alors des élèves dans toute la ville : ce fut la seconde chance de M. Y. Dieng. Deux ans plus tard, les filles rejoignirent l’école des garçons : elle était la seule fille parmi les cinq élèves du peloton de tête, que leur instituteur présenta au Certificat d’études primaires en classe de CM 1. Sa mère jugeant ce diplôme obtenu suffisant pour une fille la retira de nouveau de l’école. Elle ne put reprendre sa scolarité que grâce à l’entêtement d’un autre instituteur qui mit toute une journée pour convaincre sa mère. Elle poursuivit ensuite ses études dans une école de jeunes filles à Saint-Louis et après l’obtention de son Brevet d’étude du premier cycle en 1960, elle accepta de faire partie de la relève de l’assistance technique française dans l’enseignement. Formée en deux mois, elle devint institutrice ; excellente pédagogue dans la pratique, mais peu initiée à la théorie, elle ne put prétendre au poste d’inspectrice des écoles. Elle reste aujourd’hui admirative devant les élèves au parcours brillant et devant sa mère qui, au sein de son foyer polygame, vécut avec de véritables « sœurs » et non avec des coépouses. Ces influences transparaissent dans ses deux romans. L’écrivaine refuse qu’on rejette une tradition comme la polygamie ; celle-ci est certes difficile à vivre, mais parfois des femmes vendent leurs parures pour trouver une deuxième épouse à leur mari, car cette dernière devient une suppléante dans la lourde gestion familiale ; une femme active et financièrement autonome peut cependant y être opposée.

Abdoulaye KEITA

L’Ombre en feu, Dakar, Néas, 1997.

Aawo bi, Dakar, ACCT, 1992.

FAL G., « “Aawo bi”, un récit fondateur en langue wolof », in Éthiopiques, no 76, 1er trim. 2006 ; KESTELOOT L., « “L’Ombre en feu” de Mame Younousse Dieng », in Éthiopiques, no 60, 1er sem. 1998.

DIETERLEN, Germaine [PARIS 1903 - ID. 1999]

Anthropologue et cinéaste française.

« Calebasses dahoméennes », le premier article de Germaine Dieterlen, publié dans le Journal de la Société des Africanistes (1935), présente des objets collectés, selon les instructions de Marcel Mauss, lors de la première mission ethnographique française pour le musée du Trocadéro. Elle a effectué plus de 40 voyages de recherche au Mali chez les Dogon, mais aussi au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire, au Niger et au Ghana. Elle a développé un profond travail sur les structures sociales et religieuses dogon, discutant ses données ethnographiques dans les séminaires de M. Mauss à chaque retour du terrain. Ses premiers livres, Les Âmes des Dogons (1941) et Essai sur la religion bambara (1951), proposent une longue réflexion sur le système religieux d’Afrique occidentale. Le Renard pâle (1965), son œuvre la plus connue, examine le mythe dogon de la création de l’univers, révélant le rôle primordial du récit dans la transmission allégorique des connaissances à l’intérieur d’une cosmogonie très complexe. Les femmes y occupent une place importante à travers la grossesse, l’accouchement et le placenta, qui émergent comme des signes sacrés de la création. G. Dieterlen montre comment le récit s’organise en plusieurs couches de signifiants, accessibles peu à peu aux initiées selon une hiérarchie d’apprentissage des symboles. De même, pour les masques, les connaissances sont transmises de façon hiérarchisée : les « paroles de face » (giri so), adressées aux débutants, racontent une histoire de guerre ou d’aventure qui attise leur curiosité ; la « parole claire » (aduno so), degré maximal de l’initiation, permet aux initiés d’approfondir la connaissance de la cosmogonie. G. Dieterlen atteste que les Dogon ont élaboré eux-mêmes leur préhistoire et leur protohistoire. Ils ont développé des compétences exceptionnelles sur le plan du langage et de la connaissance, tout en réalisant un véritable travail d’historiens en dessinant des cartes, des plans, des diagrammes rigoureux qui fondent leur système préhistorique et servent de base aux rituels. Parallèlement à son travail au musée de l’Homme, G. Dieterlen a été membre fondateur du CNRS et du groupe de recherche sur les religions africaines. Elle a aussi occupé les fonctions de directrice de recherche à l’École pratique des hautes études (Sorbonne), de présidente du comité du film ethnographique et d’organisatrice d’un colloque international sur la « notion de personne » (1971). Ce sujet sera, dès lors, au centre d’une somme considérable de travaux anthropologiques. Entre 1967 et 1973, elle a enregistré, avec Jean Rouch, une remarquable série de huit films consacrés au rituel dogon du Sigui, qui se répète tous les soixante ans sur une durée de sept ans. À la fin de sa vie, les Dogon lui ont attribué le statut de yasiguine (sœur de Sigui), qui la faisait membre de la société masculine des masques ; à sa mort, elle eut ainsi des funérailles d’homme, en masques.

Carmen RIAL et Miriam GROSSI

« L’image du corps et les composantes de la personne chez les Dogon », in La Notion de personne en Afrique noire, Paris, CNRS éditions, 1973.

Avec ROUCH J., L’Enclume de Yougo, 38 min, 1967 ; Les Clameurs d’Amani, 35 min, 1970 ; Les Pagnes de Yamé, 50 min, 1972 ; Funérailles à Bongo, le vieil Anaï, 73 min, 1972 ; L’Enterrement du Hogon, 18 min, 1973.

Système de signes. Textes réunis en hommage à Germaine Dieterlen, Paris, Hermann/CNRS, 1978 ; PIAULT M.-H., HAUZEUR J. (dir.), « Les empreintes du renard pâle : pour Germaine Dieterlen », in Journal des Africanistes, vol. 71, no 1, 2001.

DIETRICH, Amalie [SIEBENLEHN 1821 - RENSBOURG 1891]

Voyageuse et naturaliste allemande.

C’est avec son époux, médecin, qu’Amalie Dietrich s’initie à la botanique. Mariés en 1846, ils herborisent ensemble et constituent une importante collection jusqu’à leur divorce en 1861. Afin de gagner sa vie, A. Dietrich met alors son savoir-faire de botaniste de terrain au service du naturaliste Johann Cesar Godeffroy, fondateur du muséum Godeffroy de Hambourg. En 1863, missionnée par celui-ci, elle part en Australie compléter les collections du musée. Loin de limiter ses recherches aux plantes, elle réunit d’innombrables spécimens d’histoire naturelle (oiseaux, araignées, reptiles) et d’objets ethnographiques. Son expédition dure neuf ans. Sa récolte, revendue par J. C. Godeffroy à divers muséums européens, la rend célèbre dans les milieux spécialisés, en particulier sa collection d’oiseaux qui passe pour être la plus importante jamais réunie par une seule personne.

Christel MOUCHARD

SUMNER R., A Woman in the Wilderness, the Story of Amalia Dietrich, Kensington, NSW University Press, 1993.

DIETRICH, Marlene [BERLIN 1901 - PARIS 1992]

Actrice et chanteuse américaine d’origine allemande.

Après avoir étudié le violon, Marlene Dietrich suit les cours du metteur en scène Max Reinhardt. Elle débute au music-hall, où elle fait scandale avec une chanson d’amour entre femmes, en duo avec la Française Margo Lion. Après avoir tourné 15 films qui la rendent très populaire, elle est engagée par le cinéaste d’origine viennoise Josef von Sternberg qui, pris de passion, bâtit autour d’elle une série de films. En 1930, dans L’Ange bleu (Der blaue Engel) elle incarne Lola Lola, chanteuse de cabaret à l’érotisme torride, qui devient, selon l’historien Siegfried Kracauer, « une incarnation nouvelle de la sensualité ». L’actrice signe alors un contrat avec la Paramount et, laissant à Berlin son mari et leur fille, Maria, part pour Hollywood en compagnie de Sternberg. Ils tournent ensemble six films baroques : Cœurs brûlés (Morocco, 1930, avec Gary Cooper en légionnaire) ; Agent X 27 (Dishonored, 1931) dans lequel elle incarne une espionne ; Shangai Express (1932), Blonde Vénus (1932), L’Impératrice rouge (The Scarlet Empress, 1934) où elle joue le rôle de la Grande Catherine* ; et La Femme et le Pantin (The Devil is a Woman, 1935, d’après Pierre Louÿs). Toujours femme fatale, elle aborde la comédie sophistiquée avec Désir (Desire, Frank Bozarge, 1936), Ange (Angel, Ernst Lubitsch, 1937) ou La Belle Ensorceleuse (The Flame of New Orleans, René Clair, 1941). En 1939, elle devient citoyenne américaine. Elle se produit pour les troupes alliées pendant la guerre. À Hollywood, elle vit une liaison passionnée avec Jean Gabin ; le couple tourne en France Martin Roumagnac (Georges Lacombe), en 1946, avant de se séparer. Billy Wilder offre à M. Dietrich un nouveau rôle de séductrice ironique dans La Scandaleuse de Berlin (A Foreign Affair, 1948). Dans Le Grand Alibi (Stage Fright, 1950) qu’elle tourne avec Alfred Hitchcock, elle chante La Vie en rose. Fritz Lang fait d’elle une héroïne de western dans L’Ange des maudits (Rancho Notorious, 1952). Des années 1950 aux années 1970, elle promène dans le monde entier son récital de chansons langoureuses. En 1959, Jean Cocteau note dans son journal : « Au théâtre de l’Étoile, Marlène a été cet animal terrible et délicieux, ce sphinx au bord de la route, d’abord en robe collante et vaste manteau de fourrure, ensuite en frac et haut-de-forme. » Elle commente sa carrière (sans se montrer) dans Marlene, le documentaire que lui consacre Maximilian Schell en 1984. Un musée lui est dédié à Berlin, et une place de Paris porte son nom.

Bruno VILLIEN

Nehmt nur mein Leben (1979), Berlin, Henschel, 1985 ; Marlène D., Paris, LGF, 1985.

RIVA M., Marlene Dietrich, Paris, Flammarion, 1993.

DIÉTRICH, Suzanne DE [NIEDERBRONN-LES-BAINS 1891 - STRASBOURG 1981]

Théologienne et bibliste française.

Née dans une famille d’industriels protestants, Suzanne de Diétrich poursuit de brillantes études à l’école d’ingénieurs de Lausanne. Elle fréquente assidûment la Fédération française des associations chrétiennes d’étudiants (FFACE ou « Fédé »), où elle introduit la pratique des études bibliques en commun. En 1929, elle est nommée vice-présidente de la Fédération universelle des étudiants chrétiens, pionnière du dialogue œcuménique. S. de Diétrich s’engage dès lors dans deux domaines qui feront d’elle une fervente militante : l’approfondissement de la lecture biblique et le dialogue œcuménique. En 1935 paraît son premier ouvrage, C’était l’heure de l’offrande (Paris, Le Semeur), recueil de méditations sur une quarantaine de textes des Évangiles. En octobre 1939, elle adresse un rapport au Comité inter-mouvements de jeunesse (le CIM) sur la condition des Alsaciens évacués dans le centre et le sud de la France. Un mois plus tard, le CIM crée la Cimade (Comité inter-mouvements auprès des évacués), qui fait un travail d’évangélisation et un travail social. S. de Diétrich sera membre du comité directeur de la Cimade en 1958. En 1941, comme Madeleine Barot*, elle fait partie des rédacteurs des « thèses de Pomeyrol », déclaration de résistance de l’Église réformée de France (ERF) au nazisme. En 1945 paraît son ouvrage Le dessein de Dieu, itinéraire biblique, qui connaît de nombreuses éditions et sera traduit en 13 langues. En 1946, elle participe à la création de l’Institut œcuménique de Bossey (Céligny, Suisse), dont elle est directrice-adjointe, et où elle enseigne huit ans, jusqu’en 1954, date de sa retraite. Elle vit alors à Paris et voyage beaucoup, donne des conférences, des séminaires et des cours dans les facultés de théologie, surtout en Amérique du Nord mais aussi en Amérique du Sud et en Afrique. Dès 1961, elle devient membre du comité des équipes de recherche biblique, mouvement tout juste initié en France par Françoise Smyth-Florentin. En 1969, Le renouveau biblique, hier et aujourd’hui…, révisé – il passe de 200 à près de 400 pages –, est réédité avec un succès considérable. En 1978, S. de Diétrich se retire dans une maison de retraite strasbourgeoise, Emmaüs, dirigée par des diaconesses. Elle y meurt le 24 janvier 1981, à quelques jours de son 90e anniversaire.

Emmanuelle STEFFEK

WEBER H. R., Suzanne de Diétrich, 1891-1981, la passion de vivre, Paris/Strasbourg, Les Bergers et les Mages/Oberlin, 1995.

DIETRICH, Verena [WETZLAR 1941 - SCHWERTE 2004]

Architecte allemande.

Après avoir suivi une formation de métallographe à Berlin et exercé ce métier à l’Institut Max-Planck de Stuttgart puis à l’institut de recherche de Boeing, à Seattle, Verena Dietrich entreprend en 1969 des études d’architecture à l’Université d’Innsbruck. Elle les achève en 1974, en soutenant une thèse sous la direction d’Othmar Barth. Ayant acquis de l’expérience dans les agences Joachim et Margit Schürmann, Kraemer, Sieverts & Partner, dt8-Planungsgruppe et Walter von Lom, elle fonde la sienne en 1982, participe à plusieurs concours et conçoit l’agrandissement du château de Bedburg. En 1986, elle publie Architektinnen : Ideen, Projekte, Bauten (« architectes : idées, projets, bâtiments »), une compilation sur les travaux d’une centaine de femmes architectes. L’ouvrage devient une référence. Les projets de V. Dietrich se succèdent : transformation d’immeubles d’habitation, réhabilitation d’un hôtel du quartier Saint-Séverin de Cologne (1986-1989) ; conception du centre social et culturel de Cologne-Deutz (1987-1991) et construction de la tribune du parc sportif de Cologne-Höhenberg (1988-1990), pour laquelle elle remporte le Prix d’architecture de Cologne. Ses œuvres en acier lui valent également le Prix de l’acier et de l’innovation en 1991. Elle est également récompensée du troisième prix lors d’un concours pour un pont sur la Spree, à Berlin, et conçoit la passerelle du Mediapark de Cologne, pour laquelle elle reçoit le deuxième prix de l’Association internationale pour les aménagements sportifs et de loisirs (IAKS) en 1993. Une structure en métal à l’image de son architecture : sobre et rationnelle, mais innovante. Elle se voit décerner le deuxième prix d’un concours pour une station du train suspendu de Wuppertal. Avec ses partenaires Andreas Fritzen et Achim Löf, elle réalise, entre 1998 et 2001, huit ponts et une scène pour le parc des Floralies de Potsdam. À partir de 1990, elle enseigne à l’Académie des beaux-arts de Berlin et, en 1998, on lui confie la chaire de conception architecturale à l’École supérieure professionnelle de Dortmund. Elle s’établit à Schwerte, afin de se consacrer entièrement à cet enseignement. Elle fut membre de l’Union des architectes allemands et notamment, de 1985 à 1989, du comité directeur du groupe régional de Cologne.

Christiane BORGELT

Architektinnen : Ideen, Projekte, Bauten, Stuttgart, Kohlhammer, 1986 ; HESSE A. (dir.), Verena Dietrich. Eine Architektin, Francfort-sur-le-Main, Deutsches Architekturmuseum, 2006.

DIEULAFOY, Jane (née Jane Henriette MAGRE) [TOULOUSE 1851 - POMPERTUZAT 1916]

Archéologue et femme de lettres française.

Issue d’une famille de la bourgeoisie toulousaine, Jane Henriette Magre épouse l’ingénieur Marcel Dieulafoy en 1870 et le suit dans toutes ses pérégrinations : au front, pendant la guerre franco-prussienne, où elle endosse le costume masculin qui deviendra sa marque distinctive, en voyage en Europe, au Maghreb, et surtout en Perse où ces deux archéologues dilettantes découvrent pratiquement seuls les palais de Darius et d’Artaxerxès. Se considérant comme le « collaborateur » de son mari, J. Dieulafoy prend des notes et des photographies remarquables. Le couple rapporte du site de Suse les célèbres frises des Lions et des Archers, exposées au Louvre dans l’une des salles appelées aujourd’hui encore Dieulafoy. Cette découverte vaut la Légion d’honneur à J. Dieulafoy. Figure respectée de la vie intellectuelle parisienne, elle donne de nombreuses conférences et publie des récits de voyage, des articles sur les arts, l’architecture, le folklore des pays qu’elle a visités, ainsi que des romans historiques et psychologiques. Féministe, elle a milité pour l’enrôlement des femmes dans l’armée, mais s’est paradoxalement élevée contre le divorce dans Déchéance. Elle meurt après un voyage au Maroc.

Lise SCHREIER

À Suse, journal des fouilles, 1884-1886, Paris, Hachette, 1888 ; Déchéance, Paris, A. Lemerre, 1897 ; Une amazone en Orient, du Caucase à Persépolis, 1881-1882, Paris, Phébus, 2010 ; L’Orient sous le voile, de Chiraz à Bagdad, 1881-1882, Paris, Phébus, 2011.

GRAN-AYMERIC E. et J., Jane Dieulafoy, Une vie d’homme, Paris, Perrin, 1991.

DI FALCO, Laura [CANICATTINI BAGNI, SICILE 1910 - ROME 2002]

Écrivaine italienne.

Dès ses premiers romans, la Sicile, sa terre natale, sert de scène à la représentation d’un conflit individuel : Peur du jour (1954), Una donna disponibile (« une femme disponible », 1959) et Tre carte da gioco (« trois cartes à jouer », 1962). En 1967, avec Le tre mogli (« les trois épouses »), Laura Di Falco connaît un certain succès auprès du public et de la critique. Ce roman raconte l’histoire de Ferdinando di Riva Secca qui, renié par sa famille à cause d’une malformation physique, fait du désir de vengeance le but de son existence. Aux côtés de ce personnage principal, c’est toute la population sicilienne qui défile (noblesse, clergé, paysans), dans un scénario peint avec un talent minutieux et une prose à l’élégance classique. Dans Miracolo d’estate (« miracle d’été », 1971), une poupée se transforme en petite fille et bouleverse la vie d’un couple. L’inferriata (« la grille », 1976) est consacré à une figure féminine d’inspiration autobiographique. Dans Piazza delle quattro vie (« place des quatre rues », 1982), L. Di Falco raconte la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Chiara NANNICINI STREITBERGER

Peur du jour (La paura del giorno, 1954), Paris, Albin Michel, 1962.

LEPORI M. R., « Laura Di Falco tra passione e fantasia », in Archivio storico per la Sicilia orientale, Catane, XCI, 1995 ; STEIN T., « Laura Di Falco, Una donna disponibile (1959) – ein sizilianischer Bovary-Roman ? », in REICHARDT D. (dir.), L’Europa che comincia e finisce : la Sicilia, approcci transculturali alla letteratura siciliana, Francfort, Lang, 2006.

DIGGS, Ellen Irene [MONMOUTH 1906 - BALTIMORE, MARYLAND 1998]

Anthropologue américaine.

La famille ouvrière dans laquelle grandit Ellen Irene Diggs la pousse à étudier. Boursière, elle passe un diplôme en sociologie à Atlanta (1933) puis, forte de son expérience de la négritude et des discriminations dont elle a souffert à l’université, elle s’oriente vers l’étude des questions raciales aux États-Unis. Elle devient l’assistante de W. E. B. Du Bois, un des rares chercheurs noirs à travailler sur ce sujet dans les années 1930. Leurs travaux aboutissent à la parution de Black Reconstruction in America, 1860-1880 (1935) et à la création de Phylon, première publication universitaire sur les questions de race et de culture. À Cuba, à l’université de La Havane, elle collabore avec Fernando Ortiz, autre référence majeure pour les études noires. Elle y approfondit les rapports et relations entre race et classe. Elle élargit ensuite le champ de son analyse aux différences entre les relations raciales en Amérique du Nord et en Amérique du Sud, sujet fort controversé à cette époque. En 1947, elle est au cœur d’un incident diplomatique entre le Brésil et les États-Unis lorsque l’hôtel Serrador, à Rio de Janeiro, refuse de l’héberger du fait de sa couleur. Après sa retraite, elle retourne à Cuba et s’engage à la fin de sa vie dans des organisations de femmes et pour le soutien des arts. Sa vie a été marquée par un profond engagement personnel dans la formation de plusieurs générations d’étudiants et par sa lutte contre les discriminations raciales aux États-Unis. Élève de deux des plus importants intellectuels noirs du début du XXe siècle, E. I. Diggs a approfondi leur enseignement dans ses recherches sur la musique, la danse et la sculpture africaines, intégrées dans les cultures américaines.

Carla CABRAL et Miriam GROSSI

Black Chronology : From 4000 B.C. to the Abolition of the Slave Trade, Boston, G. K. Hall, 1983.

BOLLES L., « Irene Diggs : coming of age in Atlanta, Havana and Baltimore », in HARRISON I. E., HARRISON F. (dir.), African-American Pioneers in Anthropology, Urbana/Chicago, University of Illinois Press, 1999.

« The Negro in the viceroyalty of Rio de la Plata », in Journal of Negro History, vol. 36, no 3, juil. 1951 ; « Attitudes toward color in South America », in Negro History Bulletin, vol. 34, no 5, 1971 ; « Cuba before and after Castro », in The News American, 15-7-76.

DI GIORGIO, Marosa [SALTO 1932 - MONTEVIDEO 2004]

Écrivaine uruguayenne.

L’imaginaire de Marosa Di Giorgio Medici est alimenté dès l’enfance par l’Italie de légende que lui décrit son grand-père. Elle grandit à Salto, étudie le droit et intègre un groupe de théâtre. Entre réalité et fantaisie, sa vie lui inspire une œuvre qui surprend par son originalité sauvage et imaginative dès la publication de Poemas (« poèmes », 1954) et jusqu’à celle de La flor de lis (« la fleur de lys », 2004). Ses poèmes sont hybrides, germes de poésie et de prose capturant le monde intérieur et extérieur au moment de leur rencontre. Les critiques de l’époque s’étonnent : écrit-elle des poèmes secrets et inavouables ou des récits fragmentés racontés par les voix de la furie et de la liberté ? En 1978, à la mort de son père, elle déménage à Montevideo, où elle vit jusqu’à sa mort, en restant présente dans le monde artistique et intellectuel de la capitale. En 1989 est publié le premier volume de ses œuvres poétiques complètes, Los papeles salvajes (« les papiers sauvages »), composé de Poemas, Humo (« fumée », 1955), Druida (« druide », 1959), Historial de las violetas (« parcours des violettes », 1965) et Magnolia (1965). En 1991, dans le deuxième tome, apparaissent La liebre de marzo (« le lièvre de mars », 1981), Mar de esmeralda (« mer d’émeraude », 1985), La falena (« la phalène », 1989) et Membrillo de Lusana (1989). En 2000, paraît une troisième édition qui réunit les poèmes publiés jusqu’alors et un texte inédit consacré à la mort de sa mère, « Diamelas a Clementina Médici ». Elle a également écrit en prose : Misales (« missels », 1993) et Camino de las pedrerías (« chemin des pierreries », 1997), un roman intitulé Reina Amelía (1999) et un recueil de contes érotiques, Rosa mística (2003). L’unicité et l’étrangeté de sa conception du monde font voir au lecteur un univers surprenant, lointain et proche, où à l’étonnement succède la familiarité d’une vérité voilée et secrète. La poétesse se présente comme un être caméléon, dont la force repose sur ses masques et déguisements. Elle adopte plusieurs points de vue sur le monde rural, magique, et les différents phénomènes de la vie (naissance, éveil de la sexualité, amour, maladie, mort). La voix de la poétesse se transforme constamment, confondant les règnes humain, animal, végétal et métaphysique.

María Rosa OLIVERA-WILLIAMS

OLIVERA-WILLIAMS M. R., « La imaginación salvaje, Marosa Di Giorgio », in Revista Iberoamericana, vol. 71, no 211, avr.-juin 2005.

DIJKSTRA, Rineke [SITTARD 1959]

Photographe et vidéaste néerlandaise.

Étudiante à la Gerrit Rietveld Academy d’Amsterdam de 1981 à 1986, la photographe Rineke Dijkstra présente Paradiso Portraits, sa première exposition personnelle, en 1984 à la galerie De Moor. À ses débuts, elle travaille en indépendante pour des magazines, réalisant des portraits d’artistes, d’écrivains, d’hommes d’affaires. Sa célèbre série de photographies d’adolescents sur une plage de la mer du Nord commencée en 1992 se poursuit jusqu’en 1996. Après la Pologne et l’Ukraine, elle continue son travail sur les rivages des États-Unis et d’Afrique. Son œuvre se caractérise par des ensembles de portraits en pied photographiés de front et en couleur, comme pour la photographie de la Jeune fille en Bikini orange, qui présente les constantes de sa démarche : le décor minimaliste d’une plage non identifiée, la lumière ambiante complétée par un recours au flash. La prise de vue sur négatif couleur est réalisée au moyen d’une chambre photographique et implique un long temps de pose. Enfin, le regard perplexe de la jeune fille se confronte à l’objectif de la photographe. Cette technique systématique révèle de nombreux aspects expressifs et sociaux, comme la reproduction d’attitudes habituelles, conventionnelles voire stéréotypées. La dimension monumentale des tirages alliée à l’absence de mise en scène souligne la fragilité des êtres humains, souvent représentés seuls. Par leur aspect documentaire, ces photographies rappellent des travaux de l’école de Düsseldorf, et la photographie objective. R. Dijkstra s’inspire aussi de la photo d’identité, tout en se distinguant par l’attention qu’elle porte à ses modèles au seuil d’une transformation. Elle s’intéresse avant tout à l’état émotionnel de ses personnages, comme en témoignent les photos de toreros, prises juste après le combat, ainsi que ses portraits de « Femmes à quelques heures de leur accouchement ». Son approche respectueuse et distancée évoque la figure tutélaire de Diane Arbus*. Son travail révèle aussi une certaine recherche identitaire, notamment dans les portraits de jeunes Israéliens en tenue militaire et en civil. Au-delà d’une certaine conformité générée par le port de l’uniforme, elle cherche à révéler la singularité de l’individu. La manière dont l’uniforme conditionne est une partie intégrante de son travail. En 1996, elle réalise sa première vidéo, The Buzzclub, Liverpool, UKI Mysteryworld, Zaandam, NL, mettant en scène de jeunes adolescents en train de danser dans des boîtes de nuit de ces deux villes. À travers le portrait photographique ou la vidéo, R. Dijkstra interroge la place de l’individu, les « expériences universelles », les notions d’identité et de révélation de soi.

Sixtine DE SAINT-LÉGER

Rineke Dijkstra, portraits (catalogue d’exposition), textes de Stahel U., Visser H., Munich, Schirmer-Mosel, 2004.

DIKE, Fatima [LANGA, LE CAP 1948]

Actrice, auteure dramatique et directrice de théâtre sud-africaine.

Née dans une banlieue noire du Cap, Fatima Dike entre en 1975 au Space Theatre comme régisseuse-assistante. Rob Amato, autre fidèle du Space, l’encourage à écrire sa première pièce, The Sacrifice of Kreli (1976), qui a pour sujet l’histoire des Xhosa et leurs guerres au XIXe siècle contre les colonisateurs à l’est du Cap. Suivent The First South African (1977) et The Glasshouse (1979), œuvres qui traitent du quotidien des Noirs et de leur vie personnelle minée par les lois de l’apartheid. Comédienne accomplie, auteure dramatique inspirée et metteur en scène, elle navigue entre des carrières de femme de théâtre et de femme d’affaires. Avec So What’s New ? (1990), la nouveauté, non encore politique, concerne le rôle des femmes dans la société et la forme dramatique, où l’astuce métathéâtrale sert à dénoncer une nouvelle société de consommation. Dès la fin de l’apartheid, F. Dike se propose d’aider à remettre le théâtre au centre de la communauté. En 1998, elle reprend la New Africa Theatre Association qui prépare à des études théâtrales, et écrit des pièces pour les étudiants sur des sujets de société, dont Aids : The Next Generation (« Sida, la prochaine génération »), Women’s Voices (« voix de femmes ») et Street Walking & Co. Elle crée ensuite, avec Roy Sargeant et Dumile Magodla, la Siyasanga Cape Town Theatre Company qui forme et fait jouer de jeunes professionnels. F. Dike semble y avoir trouvé un cadre artistique approprié, où elle est directrice artistique, auteure, metteur en scène et formatrice.

Anne FUCHS

DI LASCIA, Mariateresa [ROCCHETTA SANT’ANTONIO 1954 - ROME 1994]

Écrivaine italienne.

Originaire du sud de l’Italie, Mariateresa Di Lascia entre à 20 ans au Radicali italiani (parti radical italien), dont elle devient la vice-secrétaire, et s’engage activement dans les campagnes en faveur des droits civils et de la protection de l’environnement. Elle fait partie des fondateurs de Nessuno tocchi Caino, une association qui milite pour l’abolition de la peine de mort dans le monde, et devient parlementaire lors de la neuvième législature. Elle meurt à seulement 40 ans, et son unique roman, Passage dans l’ombre (prix Strega 1995), paraît quelques mois après sa mort. Ce roman retrace l’histoire douloureuse d’une femme déterminée, confrontée aux rapports familiaux complexes d’un village du sud de l’Italie. Des nouvelles posthumes ainsi qu’un roman inachevé ont également été publiés.

Francesco GNERRE

Passage dans l’ombre (Passaggio in ombra, 1995), Paris, Albin Michel, 1996.

DILLARD, Annie [PITTSBURGH 1945]

Écrivaine américaine.

Issue d’une famille aisée de Pittsburgh qui encourage son anticonformisme, Annie Dillard, après des études d’écriture à l’université et une grave maladie, tente une expérience de vie dans la nature qui fait écho à celle de Henry David Thoreau à Walden et qui aboutit au livre Pèlerinage à Tinker Creek (1974), récompensé du prix Pulitzer en 1975 et devenu un classique de la littérature de la nature. Installée dans une petite maison au bord de la rivière Tinker Creek, en Virginie, elle y tient un journal d’observations et de réflexions sur son environnement immédiat, qu’elle transforme ensuite en une série d’essais conçus comme autant d’explorations du paysage et de méditations sur la nature. Celle-ci, perçue comme un lieu de tension entre la vie et la mort, la douleur et la sérénité, apparaît comme une métaphore de l’existence humaine. À la fois profondément concret et hautement spéculatif, ce livre où conscience du monde et conscience de soi se répondent cherche à atteindre et à produire une forme d’illumination chez le lecteur. La question du regard et du point de vue y tient une place centrale, révélant la manière dont l’extraordinaire se loge dans l’ordinaire, la connaissance ne venant jamais à bout d’un mystère sans cesse renouvelé par l’intensité de l’expérience. L’insistance sur la matérialité d’un lieu permet ainsi l’inscription d’un questionnement d’essence spirituelle. A. Dillard poursuit son interrogation d’un monde naturel à la fois évident et inconnaissable dans Holy the Firm (1977), chronique de trois journées d’automne sur une île du détroit de Puget (État de Washington), où le constat de la souffrance humaine met en question l’intention divine, et dans un livre inspiré par ses voyages, Apprendre à parler à une pierre (1982), où le désir d’inconnu, métaphore d’une quête spirituelle toujours renouvelée, apparaît essentiel à la compréhension de sa propre place dans le monde. Elle pratique l’autobiographie plus classique dans Une enfance américaine (1987) et En vivant, en écrivant (1989), avant de se lancer dans la fiction proprement dite. Ainsi, Les Vivants (1992) est une vaste fresque épique, imprégnée de métaphysique et d’un intérêt persistant pour le monde naturel, retraçant les multiples facettes de l’histoire d’une communauté du futur État de Washington, dans l’Ouest américain, au XIXe siècle. L’Amour des Maytree (2007), lui, a pour cadre le cap Cod (Massachusetts).

François SPECQ

Pèlerinage à Tinker Creek (Pilgrim at Tinker Creek, 1974), Paris, 10-18, 1995 ; Apprendre à parler à une pierre (Teaching a Stone to Talk, 1982), Paris, C. Bourgois, 1992 ; Une enfance américaine (An American Childhood, 1987), Paris, C. Bourgois, 1990 ; En vivant, en écrivant (The Writing Life, 1989), Paris, 10-18, 1997 ; Les Vivants (The Living, 1992), Paris, C. Bourgois, 2010 ; L’Amour des Maytree (The Maytrees, 2007), Paris, C. Bourgois, 2008.

JOHNSON S. H., The Space Between : Literary Epiphany in the Work of Annie Dillard, Kent, Kent State University Press, 1992 ; SMITH L. L., Annie Dillard, New York/Toronto, Twayne/Maxwell Macmillan, 1991.

DILLER, Elizabeth ÓDŹ 1954]

Architecte américaine.

Diplômée de la Cooper Union et professeure d’architecture dans cet établissement de 1981 à 1990, puis à l’université de Princeton, Elizabeth Diller est l’un des membres fondateurs, en 1979 à New York de l’agence Diller + Scofidio, devenue en 2004 Diller + Scofidio + Renfro. Tout au long des décennies 1980 et 1990, l’agence a été réputée pour son approche avant-gardiste et théorique de l’architecture et pour son intégration des arts visuels et de la performance dans ses conceptions. Sa pièce de théâtre multimédia Rotary Notary and His Hot Plate (A Delay in Glass) (« notaire rotatoire et sa plaque chauffante [un retard en verre] »), conçue en 1987 en réponse au Grand Verre de Marcel Duchamp, donne un exemple de cette approche. Activement engagée dans le féminisme, E. Diller a écrit des essais provocateurs mettant en question les notions de genre et de stéréotype social. Soft Sell (« vente persuasive »), installation datant de 1993, présentait une critique des liens entre désir, sexe et culture de consommation aux États-Unis. En reconnaissance de la créativité et de l’interdisciplinarité de leurs expériences, elle et son associé Ricardo Scofidio, qui est aussi son mari, ont reçu la Genius Grant, la bourse de la MacArthur Foundation, une prestigieuse récompense qu’ils furent les premiers architectes à recevoir. Depuis le succès de Blur Building, un pavillon éphémère conçu et réalisé pour l’Exposition suisse de 2002 à Yverdon-les-Bains, leur cabinet a reçu d’autres commandes importantes en architecture, entre autres celle du célèbre Institut d’art contemporain de Boston (2006), qui domine le port de façon étonnante, et celle du réaménagement des espaces publics du Lincoln Center à New York (2009). En tant qu’urbaniste de la High Line à Manhattan, un parc de 2,4 kilomètres de long aménagé sur des voies de chemins de fer abandonnées, il a remis en question les notions traditionnelles d’espaces publics et privés dans un contexte urbain. E. Diller a décrit à plusieurs reprises la façon dont elle travaille en étroite collaboration avec son mari et les autres membres du cabinet.

Kate HOLLIDAY

Avec SCOFIDIO R., Flesh, Architectural Probes, New York, Princeton Architectural Press, 1996 ; Blur, The Making of Nothing, New York, Abrams, 2002.

INCERTI G., Diller + Scofidio (+ Renfro), the Ciliary Function : Works and Projects, 1979-2007, Milan, Skira, 2007.

DIMITRIJEVIĆ, Jelena [KRUŠEVAC, SERBIE 1862 - BELGRADE 1945]

Écrivaine serbe.

Après avoir terminé ses études à Aleksinac, Jelena Dimitrijević vit à Niš de 1881 à 1898 puis s’installe à Belgrade. Membre de la direction de la Société des femmes de Niš, elle rejoint plus tard le comité littéraire du journal belgradois Domaćica (« ménagère »). Pendant les guerres balkaniques, elle est infirmière. Pour s’informer sur la vie des femmes dans les harems et sur leur émancipation, elle rencontre les Turques de Skopje et de Thessalonique pendant la révolution des Jeunes Turcs, en 1908, et d’Istanbul. De ses enquêtes, elle tire plusieurs ouvrages dont Pisma iz Niša o haremima (« lettres de Niš à propos de harems », 1897) et Pisma iz Soluna (« lettres de Thessalonique », 1918). Elle parle français, grec, anglais, allemand et turc. La Première Guerre mondiale la surprend en Allemagne, d’où elle regagne sa patrie via la Suisse, l’Italie et la Grèce. Plus tard, elle voyage en Amérique, en Afrique et en Asie. Bien qu’à ses débuts J. Dimitrijević ait été soutenue et publiée par le professeur d’histoire littéraire Pavle Popović, ses écrits ne rencontrent pas un succès notable. L’œuvre de cette écrivaine oubliée est redécouverte dans les années 1980. Ses récits de voyage et ses notes sur la vie des femmes musulmanes constituent un apport considérable à la réflexion sur la question féminine et sur l’orientalisme dans les Balkans. Parmi ses ouvrages, outre Pesme (« poèmes », 1894) et Nove (« les nouvelles [femmes] », 1912), il convient de citer les nouvelles Fati-Sultan, Safi-Hanum, Mejrem-Hanum (1907) et Amerikanka (« l’américaine », 1918) ; ainsi que Pisma iz Indije (« lettres d’Inde », 1928) ; Novi svet ili u Americi godinu dana (« nouveau monde ou une année en Amérique », 1934) et Sedam mora i tri okeana, putem oko sveta (« sept mers et trois océans, voyage autour du monde », 1940). La Bibliothèque nationale de Serbie conserve également les manuscrits de trois recueils de ses textes : Starinski glasovi (« voix d’antan »), Sunce za sunce (« le soleil pour le soleil ») et Au soleil couchant, écrit directement en français lors de son séjour à Paris, dans les années 1930.

Aleksandar JERKOV

DIMITRIYÉVITCH YY., Une vision, Belgrade, L’imprimerie nationale du Royaume de Yougoslavie, 1936 ; HAWKESWORTH C., Voices in the Shadows : Women and Verbal Art in Serbia and Bosnia, Budapest/New York, Central European University Press, 2000.

DIMITROVA, Blaga [BJALA SLATINA 1922 - SOFIA 2003]

Écrivaine et femme politique bulgare.

Élevée dans une famille de musiciens, Blaga Dimitrova publie dès 1943 un cycle de poèmes dans la prestigieuse revue Izkustvo i kritika (« art et critique »). Diplômée de philologie slave à l’université de Sofia, elle poursuit ses études à Leningrad, puis à l’institut Maxime-Gorki de Moscou où elle soutient sa thèse en 1951. De retour à Sofia, elle exerce comme rédactrice dans une maison d’édition pour la jeunesse et écrit ses premiers recueils de poèmes, dont Do utre (« à demain », 1959), et des romans, tout en accomplissant un grand travail de traductrice polyglotte (russe, polonais, grec ancien, allemand, suédois et vietnamien). Elle reçoit le prix du Pen club pour sa traduction de Pan Tadeusz (Messire Thadée) du poète polonais Adam Mickiewicz, ainsi que de nombreuses autres distinctions internationales pour ses traductions. Déjà engagée dans l’Union de la jeunesse ouvrière du temps où le parti communiste était interdit, elle se reconnaît d’abord dans l’idéal prôné par le Front de la patrie, arrivé au pouvoir à la faveur du coup d’État du 9 septembre 1944, et publie des poèmes à la gloire de la résistance antifasciste et de l’édification du socialisme. Mais à mesure que le régime renforce ses positions et s’oriente, à partir de 1948, vers une dictature, l’écrivaine prend ses distances avec l’idéologie officielle. Dans les années 1960, elle est remarquée sur la scène littéraire pour ses romans Pătuvane kăm sebe si (« voyage vers soi-même », 1965), et Otklonenie (« déviation », 1967), qui, mêlant introspection et lyrisme, prennent des accents modernistes et ne sont pas du goût des autorités. Elle récidive en 1971 avec Lavina (« avalanche ») et en 1981 avec Lice (« face »), un roman hautement critique sur les années staliniennes qui, soumis à la censure, est publié pour être aussitôt retiré des librairies et des bibliothèques. Officiellement dissidente, elle ne pourra plus publier durant le régime communiste. Elle milite contre la guerre du Vietnam, où elle s’est rendue à de nombreuses reprises en tant que journaliste entre 1966 et 1972, et publie Podzemno nebe, Vietnamski dnevnik 72 (« ciel souterrain, journal du Vietnam 72 ») où elle évoque sa fille adoptive et témoigne de l’horreur des bombardements. Ce recueil paraît en France sous le titre L’Enfant qui venait du Vietnam (1973). En 1988, elle participe à la fondation du Club pour le soutien de la glasnost et de la perestroïka, qui rassemble les opposants au régime de Todor Živkov. Non sans risque, elle s’exprime ouvertement sur des stations de radio interdites. Lors de la visite du président François Mitterrand en 1989, elle fait partie des douze dissidents invités à le rencontrer à l’ambassade de France. Après la chute du mur de Berlin et la fin du communisme, elle fait partie de la direction de l’Union des forces démocratiques. En 1992, elle est élue vice-présidente de la toute nouvelle république de Bulgarie, mais, en désaccord avec le président Želju Želev, elle démissionne en 1993. Enfin libre, dans un pays qui construit tant bien que mal la démocratie, et affranchie de la politique, elle se consacre à l’écriture. Elle laisse une trentaine de recueils de poésie (dont La Mer interdite, 1974 ; Labirint, « labyrinthe », 1987 ; Nošten dnevnik, « journal nocturne », 1992), sept romans, quatre pièces de théâtre (dont Doctor Faustina, 1982) et de très nombreux essais. Ses œuvres complètes ont été éditées chez Tih-Ivel, en dix tomes, entre 2003 et 2009.

Marie VRINAT-NIKOLOV

La Mer interdite et autres poèmes (Zabraneno more, 1974), Paris, Est-Ouest international, 1994.

DIMITROVA, Ghena [PLEVEN 1941 - MILAN 2005]

Soprano bulgare.

Ghena Dimitrova a étudié le chant au Conservatoire de Sofia dont elle sort diplômée en 1967. Elle est aussitôt engagée à l’Opéra de Sofia où elle fait ses débuts en Abigaïl dans Nabucco de Giuseppe Verdi. En 1972, elle remporte le Premier Prix du Concours international de Trévise, avec Amelia d’Un ballo in maschera, qui lui ouvre les portes du Teatro Regio de Parme. En 1973, la Scala de Milan l’invite aux côtés de Placido Domingo. En 1977, à Saragosse, elle retrouve Domingo dans Andrea Chénier, ainsi qu’au théâtre Bolchoï de Moscou en 1978. Sa carrière se développe entre 1974 et 1979 en Amérique latine, en Espagne, en Union soviétique, en Allemagne, en Autriche, en Tchécoslovaquie, en Hongrie et en Italie où elle chante les grands Verdi et Puccini (Ernani, I Masnadieri, Aïda, Nabucco, Otello, Il Trovatore, Macbeth, Manon Lescaut, Turandot, Tosca, La Fanciulla del West). Elle est aussi dans La Gioconda avec Luciano Pavarotti en 1980 à Vérone où elle se produira régulièrement, particulièrement dans Turandot. Elle est Tosca à l’Opéra de Vienne et la Fanciulla del West à Berlin en 1982 avant d’incarner Turandot sous la direction de Lorin Maazel en 1983 à la Scala de Milan, où elle participe entre autres à la première production de Riccardo Muti comme directeur musical du temple de l’art lyrique, dans Nabucco, en 1986. Elle y interprète également I Lombardi alla prima crociata en 1984, Macbeth dirigé par Claudio Abbado, Cavalleria rusticana (Santuzza) en 1988 et Tosca en 1989. Elle se produit régulièrement à l’Opéra de Vienne, et Salzbourg fait appel à elle en 1984 et 1985 pour Lady Macbeth. En 1987, après avoir chanté Norma à Houston, Naples, Francfort, elle réussit à relever un important défi en interprétant ce rôle marqué par Maria Callas* et Montserrat Caballé* à l’Opéra de Paris. La même année, elle se produit au Metropolitan Opera de New York, où elle est une somptueuse Turandot, personnage qu’elle interprétera pendant dix saisons, ainsi que les deux rôles féminins de Don Carlo, Elisabeth et Eboli ; elle y retourne pour La Gioconda, Cavalleria rusticana, Tosca et La Fanciulla del West. En France, elle a chanté Aïda au Palais des Sports de Paris. La très large tessiture de sa voix lui permettait de chanter les rôles de soprano dramatique et de grand mezzo-soprano, cela dans un même opéra, par exemple ceux d’Aïda et d’Amneris dans Aïda ou d’Elisabeth et d’Eboli dans Don Carlo.

Bruno SERROU

DIMITROVA, Vanga (née Vanguelia PANDEVA DIMITROVA) [STRUMICA 1911 - PETRIČ 1996]

Prophétesse et guérisseuse bulgare.

Née Vanguelia (registre de l’état civil bulgare), Vanga Dimitrova est baptisée Evanguelia (nom de baptême transcrit par le pope), qui signifie « porteuse de bonnes nouvelles » – d’où son diminutif de Vanga. Dès l’âge de 11 ans, elle prescrit des plantes curatives à son entourage et s’amuse à découvrir des objets cachés en se couvrant les yeux. En 1923, se rendant à un puits hors du village, elle est emportée par une violente tornade. La rumeur paysanne prétend qu’elle a été enlevée par des samodiva, des fées de la nature et des eaux. Retrouvée saine et sauve à plusieurs kilomètres de là, elle perd ensuite progressivement la vue. Complètement aveugle à l’âge de 14 ans, elle devient rapidement une célèbre guérisseuse, conseillant aux malades de se soigner par l’usage de plantes poussant dans leur environnement. Le roi des Bulgares Boris III lui rend visite le 8 avril 1942. Durant la même année, elle épouse Dimitar Gushterov et s’installe dans la région de Petrič, au sud-ouest de la Bulgarie, près des sources minérales de Rupité situées entre le fleuve Struma et un volcan éteint. Sa renommée s’étend à tel point que, dès 1945, de nombreux hauts responsables communistes la consultent. En 1966, elle devient la première clairvoyante professionnelle certifiée par l’Institut de neurologie, neurochirurgie et psychiatrie de Sofia. Une équipe de 30 chercheurs la soumet à de nombreux tests à l’Institut de suggestologie, créé en 1966 dans la capitale bulgare, en utilisant des équipements électroniques sophistiqués. Ses prédictions sont avérées à 80 %. Après la chute du régime communiste en 1989, elle reçoit Indira Gandhi. Toujours vêtue de blanc, cette guérisseuse prophétesse devient la marraine de près de 8 000 enfants, dont beaucoup sont baptisés Dimitar (de Demeter, la déesse de la fertilité), du nom du neveu de sainte Petka Paraskeva, guérisseuse des aveugles et des enfants, patronne des fileuses et des tisserandes, célébrée le 14 octobre. Devenue « l’oracle bulgare », Baba Vanga, comme on l’appelle, fait construire à Petrič une petite chapelle dédiée à sainte Petka : le 14 octobre 1994, quelque 15 000 personnes assistent à sa consécration, et l’église devient immédiatement un lieu de pèlerinage. V. Dimitrova est honorée comme la réincarnation de cette sainte qu’elle estimait tant. Pour le centième anniversaire de sa naissance, le 31 janvier 2011, la Bulgarie a émis un timbre à son effigie.

Claudine BRELET

OSTRANDER S., SCHROEDER L., Fantastiques recherches parapsychiques en U.R.S.S. (1973), Paris, R. Laffont, 1978.

DIMKOVSKA, Lidija [SKOPJE 1971]

Poétesse et romancière macédonienne.

Après des études de littérature comparée à l’université de Skopje et à Bucarest, Lidija Dimkovska a obtenu son doctorat avec une thèse sur la poétique de Nikita Stanesku. Depuis 2001, elle vit à Ljubljana (Slovénie). Elle écrit en macédonien. « Lidija Dimkovska est macédonienne de la même façon qu’Almodovar est espagnol », énonce un critique américain. Souveraine, d’une grande confiance en elle, parfois nonchalante, même excentrique et bouillante de par sa fantaisie, sa vie intime est une série d’énigmes, ses sentiments les plus profonds demeurent un secret, elle est un véritable rébus pour ses lecteurs. Ses poèmes reflètent la vie quotidienne, foisonnent d’informations, d’événements passés et présents, de sagesse populaire, mais aussi de slogans contemporains et publicitaires. Ils sont la révolte contre l’uniformité, la consommation et la standardisation de la vie. Après trois recueils de poèmes publiés en Macédoine paraît en 2006 aux États-Unis Do Not Awaken Them With Hammers (« ne les réveillez pas avec des marteaux »), un choix de poèmes en édition bilingue anglais-macédonien, qui suscitera des critiques élogieuses. On souligne l’humour corrosif de ses poèmes en prose, notamment quand ils sont consacrés aux chagrins d’amour, comme « Decent Girl » (« la fille honnête ») – « Tell me why you left me and married my sister ? » (« pourquoi m’as-tu abandonnée pour épouser ma sœur ? ») ; « And I am not afraid of Virginia Woolf,/I fear Lidija Dimkovska. Have you heard of her ? » (« et je n’ai pas peur de Virginia Woolf,/j’ai peur de Lidija Dimkovska, tu connais ? ») –, de même que l’ironie, la colère et la profondeur dont ils sont empreints. L. Dimkovska est également l’auteure de Skriena kamera (« caméra cachée », 2004), prix du meilleur roman macédonien du journal Utrinski Vesnik, et prix de l’Association des écrivains de Macédoine 2004. Elle y raconte l’histoire de Lila, une jeune femme qui aspire au nomadisme moderne. On y reconnaît l’écrivaine qui, comme son héroïne, traverse l’Europe et l’Amérique pour participer aux divers festivals internationaux de poésie. Dans cette sorte de journal sont abordés les thèmes du pays natal, de l’identité personnelle et de celle de l’autre, de la fiction et de l’autobiographie, sans oublier celui de la réalité. Il s’agit d’un texte riche, érudit, lucide, qui va au-delà des stéréotypes de la mentalité nationale, écrit à la manière postmoderne, plein d’humour et à la portée de chacun. L. Dimkovska est aussi critique littéraire, traductrice du slovène et du roumain, membre du jury du prix littéraire Vilenica décerné lors du festival international du même nom en Slovénie. Elle a participé à une trentaine de festivals de poésie à travers le monde. Son œuvre est traduite en anglais, slovène, roumain et slovaque. Une soixantaine d’articles et d’études y ont été consacrés.

Maria BÉJANOVSKA

Do Not Awaken Them With Hammers, Brooklyn, Ugly Duckling Press, 2006.

KRSTEVSKI D., Skriena kamera od Dimkovska, Skopje, Blesok, 2008 ; TODOROVSKI G., Simbioza na zborot i značenjeto, Skopje, Matica Makedonska, 2001.

TEICHER CM., « Do Not Awaken Them With Hammers », in Boston Review, nov.-déc. 2006.

DI MORRA, Isabella [FAVALE, ABRUZZES V. 1520 - ID. V. 1545]

Poétesse italienne.

Deuxième fille du baron Giovanni Michele Di Morra, Isabella Di Morra reçut une éducation raffinée, principalement littéraire. Quand son père fut contraint de s’exiler, ses frères la reléguèrent dans le fief de Favale (aujourd’hui Valsinni, dans la province de Matera). Soupçonnée d’avoir entretenu une relation sentimentale avec l’aristocrate espagnol don Diego Sandoval de Castro, elle fut assassinée par ses frères, qui n’épargnèrent pas non plus son amant. L’histoire passionnante et dramatique dont cette jeune femme fut la protagoniste ajouta un certain charme à ses Rime (« poèmes ») de style pétrarquisant, qui furent publiés pour la première fois après sa mort par Ludovico Dolce dans le troisième tome des Rime di diversi signori napoletani e d’altri nobilissimi intelletti (« poèmes de plusieurs seigneurs napolitains et d’autres esprits très nobles »), à Venise, en 1552.

Marta SAVINI

CAMBRIA A., Isabella, rime della poetessa di Valsinni, Venosa, Osanna, 1996 ; COSTA-ZALESSOW N., Scrittrici italiane dal XIII al XX secolo, testi e critica, Ravenne, Longo, 1982 ; CROCE B., Isabella di Morra e Diego Sandoval de Castro, Palerme, Sellerio, 1983 ; ELIA M. A., I sonetti di Isabella Di Morra, Bari, Adda, 2005 ; GRIGNANI, M. A., « Introduzione », in DMORRA I., Rime, Rome, Salerno Editrice, 2000.

DIMOULA, Kiki [ATHÈNES 1931]

Poétesse grecque.

Née dans une famille bourgeoise et fille d’une professeure de lettres, Kiki Dimoula est en grande partie autodidacte, un « talent qui coule de source ». Adolescente encore, son oncle lui fait la surprise de publier ses premiers vers. À peine sortie du lycée, elle travaille dans une banque, et ce pendant vingt-cinq ans. Son mari, le poète Athos Dimoulas, l’encourage et fait son éducation. Sous des aspects craintifs, elle manifeste une exubérance remarquable. Elle écrit des nouvelles, dont un recueil fut publié tardivement, Ektos pediou (« hors champs », 2005). Cependant, elle se considère exclusivement poète et sa poésie, d’une densité et d’une profondeur rares, est à la fois théâtre, essai philosophique, considération aphoristique, cri. Son œuvre commence dans les années 1950, un temps où la poésie lyrique prédomine. Voulant s’en débarrasser, elle invente un prosaïsme et un langage dur et incisif, qui ne fait que se renforcer. Écorchée vive, dépourvue de narcissisme, parcimonieuse dans l’expression de ses sentiments, elle évite la grandiloquence et les sentiers battus, se consacrant au quotidien, aux choses apparemment sans importance. Ses dialogues avec Dieu et ses plaintes à l’égard de son mari défunt font partie de ses mises en scène poétiques qui ont ouvert de nouvelles voies à la poésie grecque. En un demi-siècle et 13 recueils, sa création a évolué : de Piimata (« poèmes », 1952) à Metakomisamen paraplevros (« on a déménagé à côté », 2007) et Ta euretra (« la récompense », 2010), en passant par I efivia tis lithis (« l’adolescence de l’oubli », 1994). À l’élan de jeunesse et à l’insouciance relative qui caractérisent ses tout premiers recueils succèdent l’ironie, la dérision et le désespoir. Dans sa maturité, son œuvre atteint une couleur dramatique, une passion sourde et une sensualité insoupçonnée. Dans ses vers, c’est la femme qui parle. Pourtant, il ne s’agit pas de poésie « féminine ». Sa voix est profondément humaine et jouit d’une résonance universelle. Elle s’avère styliste, avec tous les avantages et les dangers que cela signifie. Ses métaphores, ses personnifications systématiques, ses oxymores, ses jeux lexicaux et syntaxiques, la pratique du renversement de l’ordre logique, forment une expression devenant parfois une contrainte, au risque de se figer. K. Dimoula est touchante dans son effort pour garder un équilibre entre obsession et nouveauté. On a dit de son art qu’il représente un univers trop noir, de « tristesse après la tristesse », de mélancolie et d’amertume. Il s’agit d’une errance dans un monde regardé avec distance, scepticisme, et d’une conscience asphyxiante de la vanité de tout. L’homme y est seul et impuissant ? Immobilisé, il est obligé d’accepter l’agression parfois insoutenable de la réalité. Pourtant, K. Dimoula, sarcastique, irrigue son œuvre d’un humour décapant qui fonctionne comme exorcisme. C’est pour cela qu’on ne la quitte pas avec un sentiment de douleur. Au contraire. On en sort riche et consolé. Membre de l’Académie d’Athènes depuis 2002, elle est lauréate en 2009 du Prix européen de littérature et, en Grèce, du Grand prix national de littérature pour l’ensemble de son œuvre en 2011.

Eurydice TRICHON-MISLANI

Le Peu du monde (To ligo tou kosmou, 1971), suivi de Je te salue Jamais (Chere pote, 1988), Paris, Gallimard, 2010 ; Mon dernier corps (To telefteo soma mou, 1981), Paris, Arfuyen, 2010 ; Anthologie de Kiki Dimoula, Paris, L’Harmattan, 2007 ; « Six poèmes », in Présages, Cahiers Jean-Marie Le Sidaner no 8, Paris, Éditions de la différence, 1998.

DINATA, Nia (AISYAH DEWI NURKURNIATI, dite) [JAKARTA 1970]

Metteuse en scène, productrice et scénariste indonésienne.

C’est adolescente, à travers la production de pays en voie de développement, que Nia Dinata découvre le cinéma. Fascinée par cette première rencontre, elle décide de découvrir l’envers du décor et d’en faire son métier. Après avoir passé sa scolarité en Indonésie, elle part aux États-Unis où elle suit des cours de communication à l’Elizabethtown College (Pennsylvanie), puis des études de cinéma à la Tisch School of Art de l’Université de New York. En 2000, elle fonde Kalyana Shira Film, société de production et de distribution de films indépendants. Puis, en 2002, elle débute sa carrière par l’adaptation et la mise en scène du roman de l’écrivain indonésien Remy Sylado, Ca Bau Kan (« concubine », 2002), pour lequel elle reçoit le Prix du meilleur metteur en scène espoir au Festival du film Asie-Pacifique de Séoul. Ce film remarqué porte pour la première fois à l’écran le rôle de la diaspora chinoise dans la guerre d’indépendance indonésienne. Les productions suivantes changent de ton et mettent en scène le quotidien des classes aisées. N. Dinata aborde ainsi avec légèreté des questions sociales et culturelles sensibles, comme le mariage, l’homosexualité (Arisan ! , « tontine ! », 2003) et la polygamie (Berbagi Suami, « partage mari », 2006). Ses films s’intéressent aussi aux problèmes des classes modestes, tels le trafic des êtres humains, l’avortement et le viol (Perempuan Punya Cerita, « ce que les femmes ont à dire », 2008).

Elsa CLAVÉ-ÇELIK

DINESCU, Violeta [BUCAREST 1953]

Compositrice roumaine.

Violeta Dinescu commence ses études à l’école Georges-Enesco de Bucarest et les poursuit au conservatoire de cette ville, notamment avec Myriam Marbé comme professeur de composition. Très intéressée par l’expérimentation, elle s’oriente vers une conception mathématique de l’écriture musicale, notamment pour l’organisation structurelle des œuvres (Anna Perenna, 1978). Toutefois plusieurs autres empreintes marquent son style. Ce sont surtout celles dues au folklore, qu’elle a beaucoup étudié, qui infléchit sa démarche mélodique, le modelé des récitatifs de ses ouvrages scéniques (Hunger und Durst, d’après Ionesco) ainsi qu’une polyphonie ornementée spécifique aux traditions populaires. Une grande liberté y est donnée à l’improvisation. Sa musique de chambre, abondante, présente une très grande variété : Dialogo pour flûte et alto (1982), Alternances, pour quintette de cuivres (1982) ou Terra lonhdana pour quatuor à cordes (1984) puis quatuor, flûte et piano (1988). S’y ajoutent des opéras de chambre et plusieurs pages d’orchestre (Akrostichon, 1983). V. Dinescu a beaucoup enseigné en Allemagne, à Heidelberg, Francfort et Bayreuth. Elle a été invitée aussi aux États-Unis et en Afrique du Sud. Elle est actuellement professeure de composition à l’université d’Oldenbourg.

Pierrette GERMAIN

SADIE J. A., SAMUEL R. (dir.), The New Grove Dictionary of Women Composers, Londres, Macmillan, 1994.

DINESEN, Isak VOIR BLIXEN, Karen

DING LING (JIANG WEI, dite DING BINZHI ou) [LINLI 1904 - PÉKIN 1986]

Écrivaine chinoise.

Ding Ling ou Ding Binzhi (de son prénom de lettrée) n’est que l’un des nombreux pseudonymes de Jiang Wei (Bin Zhi, Cong Xuan, entre autres). Après avoir étudié dans un collège de filles à Changsha, elle entre à l’école de jeunes filles du Peuple, créée par de futures militantes communistes, dont elle se rapprochera davantage lors du mouvement du 4 mai 1919. À la suite d’un stage au département de chinois de l’université de Shanghai fondée par le parti communiste, elle s’inscrit à l’université de Pékin comme auditrice libre. Elle se marie en 1925 avec Hu Yepin, jeune auteur communiste, et s’adonne elle aussi à l’écriture littéraire. Ses œuvres de l’époque sont centrées sur les difficultés qu’éprouve un individu (notamment une femme) dans sa quête de lumière, malgré la sinistre réalité. Après la publication en 1927 de sa première nouvelle, Mengke, dans Xiaoshuo yuebao (« revue mensuelle des romans »), elle fait paraître Sha Fei nüshi de riji (Miss Sophia’s Diary, 1928), qui obtient d’emblée un succès retentissant dans le milieu littéraire, et son premier recueil de nouvelles, Zai hei’an zhong (« dans les ténèbres », 1928) ; elle signe son premier roman, Weihu (1929), l’année suivante. Elle adhère à l’Alliance des écrivains de gauche en 1930, puis dirige la revue Beidou (« la Grande Ourse »). L’assassinat de son mari par le Guomindang en 1931 est un événement majeur de sa vie : membre du parti communiste depuis 1932, elle manifeste de plus en plus son orientation politique à travers l’écriture. À son arrivée à Shanbei, siège du parti, elle est nommée rédactrice en chef adjointe de Jiefang ribao (« journal de la libération »). Les romans Ye (« la nuit », 1940), Zai yiyuan zhong shi (« à l’hôpital », 1942) et Yi ke wei chu tang de qiangdan (« une cartouche restant dans le fusil », 1946) sont composés dans cette région dite libérée. En 1948, l’auteure achève Taiyangzhao zai Sangganheshang (« la rivière Sanggan ensoleillée »), chef-d’œuvre couronné du prix Staline en 1951 et traduit plus tard en plusieurs langues. Elle obtient ainsi des titres de prestige et des postes de direction : membre de l’Alliance littéraire de Chine, vice-présidente de l’Association des écrivains chinois, rédactrice en chef de Wenyi bao (« journal de la littérature et des arts ») et de Renmin wenxue (« littérature du peuple »), directrice de l’Institut national des recherches littéraires et députée de la première Assemblée nationale. Mais, de 1955 à 1957, les persécutions se succèdent. Destituée de toutes ses fonctions, bannie de Pékin, elle est envoyée dans une ferme à l’extrême nord de la Chine. Emprisonnée pendant la Révolution culturelle, elle ne revient dans la capitale et en littérature qu’en 1979. Malgré son âge, elle donne conférences et interviews, écrit ses mémoires et prépare un recueil, Ding Ling wenji (« œuvres choisies », 1983). Le public demeure souvent perplexe face à ses propos qui semblent d’extrême gauche. Dit-elle vraiment ce qu’elle pense ou incarne-t-elle un rôle ? Sha Fei nüshi de riji est sans doute son ouvrage le plus représentatif. À bien des égards, ce journal intime est une forme d’autoportrait, dévoilant les rêves d’amour et les ennuis d’une jeune fille rebelle et intelligente, qui mène une vie « errante ». À la différence de nombre de femmes qui essaient de dissimuler leurs aspirations, elle ose ouvrir son cœur et avouer son désir de conquérir les hommes. Selon l’écrivain chinois Shen Congwen, « les œuvres de Ling Ding sont de véritables explosions dans le silence. Tout le monde est abasourdi par son génie [… ] ».

LUO TIAN

LI Y., Zhongguo xiandangdai nüzuojia yanjiu, Pékin, Zhongguo wenlian, 2007 ; ID., Zhongguo xiandangdai nüxing wenxue jianshang, Shanghai, Donghua daxue, 2008 ; SHEN C., Ji Ding Ling, Nankin, Jianguo jiaoyu chubanshe, 2005.

DINI, Nh. (ou NURHAYATI SRI HARDINI) [SEMARANG, JAVA-CENTRE 1936]

Écrivaine indonésienne.

En soixante ans de carrière, Nurhayati Sri Hardini Siti Nukatin, plus connue sous son nom de plume Nh. Dini, a publié une quarantaine d’ouvrages à ce jour. Son œuvre comprend fictions (romans et nouvelles), essais, traductions du français et une longue série autobiographique (12 volumes parus depuis 1978). S’adonnant dans sa jeunesse aux arts traditionnels javanais, elle participe à l’effervescence culturelle des premières années de l’indépendance en écrivant et interprétant des pièces diffusées à la radio nationale de Semarang. Elle n’a que 17 ans lorsque le magazine littéraire Kisah publie son premier texte, Pendurhaka (« la rebelle »), loué par les critiques dans un monde littéraire alors majoritairement masculin. Elle publie ensuite un recueil de nouvelles, Dua Dunia (« deux mondes », 1956), puis un premier roman, Hati Yang Damai (« un cœur en paix », 1960), ouvrages remarquables par leur variété de ton et de thèmes et par leur maîtrise du style et de la temporalité romanesque. Mariée avec un diplomate français, elle l’accompagne dans ses affectations (Japon, Cambodge, France, Philippines, États-Unis) et poursuit sa carrière littéraire tout en élevant ses enfants. Son roman Pada Sebuah Kapal (« sur un bateau », 1973) lui assure la célébrité. Viennent ensuite : La Barka (1975), roman situé dans le Midi de la France ; Namaku Hiroko (« je m’appelle Hiroko », 1975), sur une jeune Japonaise assumant sa liberté sexuelle ; Keberangkatan (« départ », 1977), histoire d’une jeune métisse confrontée au départ forcé des derniers colons néerlandais. En 1980, elle rentre définitivement en Indonésie et s’installe à Semarang dans la maison de son enfance. Elle crée en 1986 une bibliothèque pour la jeunesse, le Pondok Baca. Et publie successivement des romans aux thèmes variés : Orang-orang Tran (« transmigration », 1985) sur la colonisation agricole dirigée à Sumatra ; Jalan Bandungan (« route de Bandungan », 1989), sur les conséquences du coup d’État de 1965 ; Tirai Menurun (« le rideau tombe », 1993), sur la vie et le déclin d’une troupe de théâtre d’ombres javanais. Elle publie aussi des recueils de nouvelles où elle montre son intérêt pour les questions de société : Pencakar langit (« le gratte-ciel », 2003) ; Janda Muda (« une jeune veuve », 2003). Avec Le Nid de poissons dans la baie de Jakarta, elle remporte, en 1988, un concours international de nouvelles en langue française. Elle reçoit le SEA Write Award, en 2003. Nh. Dini fait figure de pionnière, ses personnages féminins revendiquent leur indépendance et refusent les inégalités engendrées par les traditions et la religion. Elle a, avant toute autre écrivaine indonésienne, osé revendiquer une sexualité féminine libre et librement exprimée, revendication reprise et développée par les jeunes auteures du début du XXIe siècle.

Jacqueline CAMUS

Tuileries, Jakarta, Sinar Harapan, 1982 ; Segi dan Garis, Jakarta, Pustaka Jaya, 1983 ; Tanah Baru Tanah Air Kedua, Jakarta, Gramedia Widiasarana, 1997.

ZAINI-LAJOUBERT M., L’Image de la femme dans les littératures modernes indonésienne et malaise, Paris, Association Archipel, 1994.

DINKELMANN, Edith (née SCHULZE) [KÖNIGSBERG 1896 - KARLSBERG 1984]

Architecte allemande.

Ses études d’architecture entamées à Brunswick en 1915, Edith Dinkelmann étudia ensuite à l’École supérieure technique (TH) de Munich pour y suivre les enseignements du célèbre architecte et urbaniste Theodor Fischer, faisant un stage dans son agence. En 1919, elle fut la première femme à obtenir le diplôme d’ingénieure et architecte à Brunswick. Elle prit alors un emploi au sein de la société de lotissements de la Ville et du Land de Dessau, fondée en 1919, dont le directeur commercial, Theodor Overhoff, était aussi conseiller municipal à la construction. Elle y fut responsable des travaux de la cité-jardin Hohe Lache, (1919-1927) conçue par T. Overhoff et dont l’aménagement extérieur fut confié à Leberecht Migge, le célèbre paysagiste. De 1923 à 1925, E. Dinkelmann a travaillé au sein du bureau municipal de Dessau où elle a conçu, entre autres, le nouveau colombarium. En 1925, elle partit travailler à Magdebourg pour une société d’assistance au logement, la Mitteldeutschen Heimstätte Wohnungsfürsorgegesellschaft, et conçut, avec l’architecte Fritz Keller, de nombreux lotissements clairement structurés et réalisés de façon standardisée, dont les maisons étaient caractérisées à l’extérieur par leur simplicité et leur économie, à l’intérieur par un confort moderne, et dans lesquels l’influence de T. Fischer est perceptible. Il en est ainsi du lotissement Am blauen Stein, à Wolfenbüttel (1925), des cités de Genthin et Halberstadt (1928-1929) et de l’ensemble Im Mittelfelde, à Neue Neustadt/Magdebourg (1930-1933). En 1926, elle publia une critique du Bauhaus qui incita Walter Gropius à la réplique. En 1932, elle s’installa à Cologne. Après la guerre, veuve, elle revint à Dessau sur l’invitation de T. Overhoff et a contribué à la reconstruction de la ville, en tant que directrice du Bureau de la planification jusqu’en 1948. De 1950 à 1958, elle a travaillé comme architecte indépendante, mais sa production reste inconnue. Elle s’est ensuite installée à Stuttgart avec sa fille.

Christiane BORGELT

BAUER C. I., Bauhaus-und Tessenow-Schülerinnen. Genderaspekte im Spannungsverhältnis von Tradition und Moderne (thèse), Cassel, université de Cassel, 2003 ; MAASBERG U., PRINZ R., Die Neuen kommen ! Weibliche Avantgarde in der Architektur der zwanziger Jahre, Hambourg, Junius Verlag, 2004.

DINKOVA-KOSTADINOVA, Slavka [SALONIQUE, AUJ. THESSALONIQUE 1850 - ID. 1869]

Poétesse et journaliste macédonienne.

Fille de Konstantin Držilović et sœur de l’instituteur et révolutionnaire Ğorģi Dinkov (1839-1878), surnommée Dinkata, Slavka Dinkova-Kostadinova a considérablement contribué à la renaissance culturelle macédonienne. Après des études secondaires dans les écoles grecque et française de Salonique, elle fonde, dans la maison de ses parents (1866-1868), la première école pour filles où l’enseignement est dispensé en langue macédonienne, avec des manuels scolaires réalisés par son frère. S. Dinkova-Kostadinova est l’auteure de textes pédagogiques. En 1868, elle publie des textes féministes dans la revue Macédoine. Sa mort met fin à ses ambitions poétiques. Elle est considérée comme la première institutrice connue et la première féministe macédonienne.

Frosa PEJOSKA-BOUCHEREAU

COLL., Makedonski istoriski rečnik, Skopje, Institut d’histoire nationale, 2000 ; RISTOVSKI B., Slavka Dinkova, Skopje, Prosvetno delo, 1958.

DINO, Güzin [ISTANBUL 1912 - PARIS 2013]

Écrivaine turque.

Appartenant à la première génération d’étudiants inscrits à la nouvelle université d’Istanbul, réformée en 1933, Güzin Dino étudie les littératures romanes sous la direction de Leo Spitzer, puis devient l’assistante d’Erich Auerbach. Les deux grands enseignants juifs allemands sont alors en exil à Istanbul après l’arrivée au pouvoir des nazis. Elle est nommée maître de conférences en littérature turque en 1946 à Ankara, après avoir connu l’exil intérieur, à Adana, en raison des convictions communistes de son mari. En 1954, G. Dino s’installe en France où elle mène des recherches au CNRS, enseigne la littérature turque à l’Inalco et produit des émissions en langue turque pour Radio France internationale. Très active dans la diffusion de la littérature républicaine turque en France, elle encourage et forme les jeunes générations de chercheurs, écrit de nombreux articles et signe les préfaces d’ouvrages traduits du turc. Elle est l’auteure de plusieurs ouvrages, dont un en français, La Genèse du roman turc au XIXe siècle (1973), et d’un récit autobiographique, Gel Zaman Git Zaman (« le temps va et vient », 1991). Elle fait partie du collectif qui a choisi et traduit du turc les textes qui composent l’anthologie de poésie turque contemporaine J’ai vu la mer (2010).

Timour MUHIDINE

La Genèse du roman turc au XIXe siècle, Paris, Publications orientalistes de France, 1973.

DIOGO, Luisa DIAS [MAGOE, PROVINCE DE TETE 1958]

Femme politique mozambicaine.

Première femme Premier ministre du Mozambique en 2004, Luisa Dias Diogo le restera jusqu’en 2010, tandis que le Frelimo, anciennement Front de libération du Mozambique devenu Parti social-démocrate, est au pouvoir. Après ses études en économie à Maputo et à Londres, elle travaille d’abord au ministère des Finances de son pays. Grande activiste dans le domaine de la santé, elle fait de la lutte contre la pauvreté son cheval de bataille. En 2004, elle lance officiellement un programme d’assistance aux personnes vivant avec le sida, ainsi qu’une campagne nationale d’éducation et de prévention à propos de la maladie. Elle incite les ministres de la Santé africains à offrir, dans tout le continent, des services de santé reproductive et sexuelle afin de réduire la mortalité maternelle et infantile et de promouvoir l’accès des femmes au pouvoir de décision. Elle crée également le Réseau des femmes ministres et parlementaires (Munipa), dont l’objectif est de renforcer le plaidoyer pour un changement de la législation en faveur des droits des femmes au Mozambique.

Nadine PUECHGUIRBAL

DIOHANDI [ATHÈNES 1945]

Plasticienne grecque.

Le parcours esthétique de Diohandi est lié aux recherches des nouvelles avant-gardes des années 1960. Dès 1964, elle s’installe à Rome, où elle étudie à l’Accademia di Belle Arti et participe à la scène artistique, réalisant sa première exposition personnelle à 22 ans. L’axe central de sa réflexion est la relation de l’être humain à l’espace, relation vue comme une interdépendance continue aux niveaux physique, mental, culturel et intellectuel. Elle fait partie des premières artistes à avoir réalisé des environnements depuis son exposition à la Galleria AL2 à Rome en 1970. Au début, elle utilise l’espace comme un champ de projection de la peinture. Avec des formes élémentaires (cercles, carrés) et peu de couleurs (rouge, noir, blanc), la peinture se développe de tous côtés, sur les murs, le sol, le plafond. Dès le milieu des années 1970 elle planifie des projets à grande échelle, des interventions totales dans l’espace. Désirant consolider ses connaissances au niveau de la construction, elle étudie pendant un an à l’École polytechnique de Londres. Sur ces bases, elle voit l’artiste non pas comme un producteur d’objets esthétiques, mais comme l’architecte d’une expérience différente de « communion » à l’intérieur de l’espace donné. Ses interventions environnementales créent des parcours qui alternent des situations stables et instables, la limite et l’infini, la lumière et l’obscurité, afin de créer la sensation de l’« autoévolution de l’espace », tel qu’il est défini par elle-même, en relation avec le temps. Dès la fin des années 1970, elle réalise une série d’interventions spectaculaires parmi lesquelles Punti interrogativi punti di riferimento (Magazzini del Sale, Venise, 1978) ou Emerging Images (exposition Europalia Hellas 82, Anvers, 1982). Ces œuvres in situ puisent dans un espace donné des éléments historiques, sociaux et culturels, qui lui dictent l’utilisation des médiums, des matériaux et des solutions structurelles. Elle a représenté la Grèce à la 7e Biennale de Paris (1971), à la 12e Biennale de São Paulo (1973), à la 54e Biennale de Venise (2011) et a participé depuis 1970 à de nombreuses expositions internationales.

Efi STROUSA

The Years of Defiance : The Art of the ‘70s in Greece (catalogue d’exposition), Papadopoulou B., Athènes, National Museum of Contemporary Art, 2005 ; Diohandi (catalogue d’exposition), Marangou M., Marinos C., Strousa E., Athènes, Greek Ministry of Culture/CubeART Editions, 2011.

DIOME, Fatou [NIODOR 1968]

Romancière et nouvelliste franco-sénégalaise.

Née dans l’île de Niodor, au Sénégal, Fatou Diome poursuit ses études à Strasbourg. En 2001, elle publie un recueil de nouvelles inspirées par son parcours personnel, La Préférence nationale. Elle y retrace les difficultés d’intégration des jeunes Africains et plus particulièrement des jeunes Africaines, en évoquant le rejet et la discrimination subis par les immigrés non européens durant les années Pasqua. Son premier roman, Le Ventre de l’Atlantique (2003), lui assure un succès immédiat. En 2006, elle publie Kétala, puis, en 2008, Inassouvies, nos vies. Chacun de ses romans revisite la question du départ et des relations entretenues entre « ici » et « là-bas », y compris dans la perception stéréotypée de la France comme espace de devenir et de réussite sociale et économique. Revisitant certains des clichés qui renvoient à l’imaginaire colonial, F. Diome va plus loin dans sa façon de convoquer la mémoire en ajoutant à l’axe géographique habituel (ici, là-bas), l’axe temporel (hier, aujourd’hui), afin de créer un effet de contraste permettant d’inscrire, à travers le cas individuel, l’histoire collective du déracinement, lié au phénomène de migration. Avec Le Ventre de l’Atlantique, c’est aussi la question de l’exploitation des jeunes et du mythe de la réussite facile par le sport, en particulier le football, que l’auteure dénonce. Kétala développe davantage l’impossibilité de défaire le mythe de la France comme terre d’accueil, tout en tissant des fils narratifs secondaires autour du stigmate lié à l’homosexualité et au phénomène du sida, que le personnage principal du roman, Memoria, a contracté après s’être prostituée afin de continuer à aider financièrement ses parents restés au pays. Dans Inassouvies, nos vies, au travers de fragments de mémoire qui remontent à la surface, F. Diome joue sur le thème de l’espace de vie occupé par divers habitants d’un immeuble, et met l’accent sur la solitude au sein des sociétés occidentales, en particulier pour les personnes âgées. Avec Celles qui attendent (2010), elle aborde de façon poignante une dimension généralement passée sous silence : ce qu’il en est de la famille, les proches restés au pays, en particulier les femmes, mères, épouses, compagnes, qui, au prix de sacrifices financiers, auront permis aux jeunes de partir pour l’Europe.

Odile CAZENAVE

La Préférence nationale et autres nouvelles, Paris/Dakar, Présence africaine, 2001 ; Le Ventre de l’Atlantique, Paris, A. Carrière, 2003 ; Inassouvies, nos vies, Paris, Flammarion, 2008 ; Celles qui attendent, Paris, Flammarion, 2010 ; Le Vieil Homme sur la barque, Paris, Naïve, 2010.

DION, Céline [CHARLEMAGNE, QUÉBEC 1968]

Chanteuse canadienne.

Céline Dion s’illustre d’abord au Canada. À 13 ans, elle a déjà enregistré deux albums et prépare le troisième. En 1983, Michel Drucker l’invite à chanter sur son plateau, mais c’est Patrick Sébastien qui, en 1984, lui offre sa première scène prestigieuse : l’Olympia, où pendant un mois elle assure la première partie de son spectacle. Les albums se succèdent et elle se présente au Concours Eurovision en 1988, sous la bannière suisse ; elle le remporte et gagne davantage de notoriété sur le Vieux Continent. Elle obtient la consécration et la reconnaissance du public français en 1995 avec l’album D’eux, fruit d’une collaboration avec l’auteur-compositeur Jean-Jacques Goldman, qui deviendra l’album francophone le plus vendu à ce jour. À la même époque, elle épouse René Angélil, son mentor et producteur. En 1997, son interprétation de My Heart Will Go on, extrait du film Titanic de James Cameron, obtient le même succès que le long-métrage. Portée par son timbre de voix vibrant, C. Dion multiplie enregistrements d’albums en français ou en anglais. Les stades, où elle réalise des shows à l’américaine, ont remplacé les salles anonymes de ses débuts. En 2003, elle présente un spectacle au Caesars Palace de Las Vegas qui durera pendant quatre ans et se prolonge en 2011. L’année suivante, C. Dion revient avec Sans attendre, un album en français avec des textes de Luc Plamondon ou de Maxime Le Forestier. Avec plus de 175 millions d’albums vendus dans le monde, C. Dion incarne une artiste francophone hors norme qui côtoie les plus grands et marque le monde de la variété de sa puissance vocale.

Anne-Claire DUGAS

D’eux, Columbia, 1995.

DIONÍSIO, Eduarda [LISBONNE 1946]

Écrivaine, peintre et actrice portugaise.

Actrice, peintre – elle expose dès les années 1960 –, scénographe et auteure au sein de diverses troupes de théâtre, Eduarda Dionísio participe intensément à la vie culturelle, sociale et politique. Son engagement idéologique s’exprime dans sa collaboration à des revues (Seara Nova ou Combate) et à des journaux (Crítica, dont elle fut éditrice et propriétaire ; Diário de Lisboa ; A Capital). Elle publie des essais, notamment Títulos, acções, obrigações (« titres, actions, obligations », 1993), dont le sous-titre, A cultura em Portugal, 1974-1994 (« la culture au Portugal »), ne laisse aucun doute sur son projet de dénonciation corrective. Cette conscience civique traverse tous ses écrits. Si son premier roman, Comente o seguinte texto (« commentez le texte suivant », 1972), est basé sur son expérience d’enseignante, les œuvres suivantes dressent le portrait de personnages qui ont vécu le processus d’instauration de la démocratie au Portugal, de la résistance sous la dictature à l’euphorie révolutionnaire et aux moments de désenchantement : Retrato dum amigo enquanto falo (« portrait d’un ami tandis que je parle », 1979) ; Histórias, memórias, imagens e mitos duma geração curiosa (« histoires, mémoires, images et mythes d’une génération curieuse », 1981, prix Pen Club) ; Pouco tempo depois (as tentações) (« peu de temps après [les tentations] », 1984) ; Alguns lugares muito comuns (« quelques lieux très communs », 1987). Au-delà de l’engagement idéologique s’exprime une volonté de rompre avec le roman classique, illustrée par les textes provocateurs de Comente o seguinte texto et d’As histórias não têm fim (« les histoires n’ont pas de fin », 1997). Non moins audacieux, ses « photocopies de luxe » sur la photographe Tina Modotti* ou son livre Tina M., provas de contacto (« Tina M., preuves de contact », 2001), qui constitue, selon l’auteure, une infraction à sa décision de « ne publier plus aucun livre, mais seulement de photocopier des textes ».

Ana Paula ARNAUT

BARAHONA M. A., « Comente o seguinte texto/Eduarda Dionísio », in Revista Colóquio/Letras, no 11, janv. 1973 ; LOURENÇO E., « Dez anos de literatura portuguesa (1974-1984), literatura e revolução », in Revista Colóquio/Letras, no 78, mars 1984 ; REYNAUD M. J., « Pouco Tempo Depois (As Tentações) », in Revista Colóquio/Letras, no 92, juil. 1986.

DIOP, Bineta [GUÉOUL 1950]

Juriste et militante sénégalaise.

Bineta Diop doit son engagement pour la cause des femmes à sa mère militante, qui a encouragé ses filles à poursuivre des études supérieures et leur a appris les valeurs de partage et de solidarité. Après son mariage avec un diplomate et des études en relations internationales à Paris, elle travaille pendant quinze ans pour la Commission internationale des juristes à Genève, où elle acquiert une solide expérience en matière de droits humains et de diplomatie. En 1996, elle fonde et dirige Femmes Africa Solidarité (Fas), destinée à promouvoir et consolider le leadership des femmes dans la prévention et la gestion des conflits armés dont les Africaines sont les victimes (viols de guerre, famine et malnutrition), ainsi que dans la réconciliation. Cette organisation non gouvernementale (ONG), basée à Genève, est mobilisée sur tous les fronts : imposer la participation des femmes aux négociations de paix (B. Diop sera la première à intervenir aux Nations unies), les impliquer dans le processus de reconstruction, faire adopter les dispositifs de protection de leurs droits et de leur sécurité, favoriser le dialogue et la confiance entre elles. Dès 1997, elle prend de nombreuses initiatives : elle amène 150 femmes burundaises aux accords de paix d’Arusha, organise une caravane pour la paix en Guinée, constitue des équipes d’observation des élections post-conflit au Libéria et au Sénégal, crée des fonds de solidarité pour les réfugiées, impose en 2003 la parité dans l’élection des commissaires de l’Union africaine. Le Fas et les réseaux associatifs font adopter en 2004 la Déclaration solennelle pour l’égalité entre les hommes et les femmes, et remettent tous les deux ans un African Gender Award aux chefs d’États africains (décerné en 2011 à Ellen Johnson Sirleaf*). B. Diop plaide aussi pour l’intégration des femmes dans l’armée et dans les institutions juridiques et politiques, pour leur l’accès aux terres cultivables, à la santé, à l’instruction et à l’indépendance économique. Pour cette combattante, il ne peut y avoir de paix solide en Afrique sans partage du pouvoir politique et économique, ni de développement durable et équitable sans les femmes.

Jacqueline PICOT

DIOSDADO, Ana [BUENOS AIRES 1938]

Actrice, auteure dramatique et metteuse en scène espagnole.

Ana Diosdado est la dramaturge la plus reconnue et jouée du théâtre espagnol pendant la dernière période du franquisme et les premières années de la démocratie. Ses pièces, non exemptes d’une certaine critique sociale, ont, dans la plupart des cas, une structure conventionnelle et des fins idéalistes. Créatrice aux multiples facettes (prix Planeta pour son premier roman en 1979), elle écrit également pour la télévision et le cinéma. Dès sa première pièce, de structure conventionnelle et de style réaliste, Olvida los tambores (« oublie les tambours », 1970), elle obtient un vif succès (450 représentations). Dans Usted también podrá disfrutar de ella (« vous pourrez aussi profiter d’elle », 1973), Los Comuneros (1974) et Y de Cachemira chales (1976), elle renouvelle son écriture en introduisant une scène multiple aux formes schématiques, une action qui comprend des épisodes simultanés et des images oniriques et symboliques. Elle dirige son premier spectacle en 1976, et à partir de ce moment, met en scène ses textes avec la compagnie qu’elle crée en 1986. Dans les années 1980, ses pièces, comme Cuplé (1986) ou Los ochenta son nuestros (« les années quatre-vingt sont à nous », 1988), reflètent l’ambiance et les changements vécus par la société espagnole depuis la fin de la dictature, et aborde des problèmes de la jeunesse espagnole du moment comme la discrimination sociale, le sexe, l’homosexualité ou les drogues.

Alda MARTÍNEZ LOZANO

DIOTIMA – COMMUNAUTÉ DE PHILOSOPHES [Italie XXe-XXIe siècle]

Constituée à l’université de Vérone en 1984, Diotima est une communauté de femmes cultivées, universitaires ou non, réunies par l’amour de la philosophie. Elle s’inscrit dans la libre investigation de la différence féminine, à découvrir et à produire, dans un processus de modification radicale du statut de la philosophie héritée de la tradition masculine. Diotima affirme sa dette envers le féminisme radical qui a refusé l’émancipation par la seule égalité hommes femmes et l’insertion dans les institutions. S’appuyant sur l’échange oral, les rencontres, la discussion, valorisant la parole de l’autre plutôt que les textes de la tradition, la communauté reprend le sens ancien d’un faire philosophique confié au performatif et au dialogue, en même temps qu’elle rejoint les pratiques féministes de la discussion. L’écriture intervient dans un second temps, réélaborant le plus souvent les prises de parole qui ont lieu chaque année durant le Grand Séminaire d’automne auquel participent aussi les hommes désireux de donner une forme symbolique à la différence masculine. Le premier texte, Il pensiero della differenza sessuale (1987), démonte la prétendue neutralité de la réflexion masculine et insiste sur la situation asymétrique subie par les femmes. Plusieurs textes, ancrés dans l’expérience vive du biographique, traitent d’une pratique du « partir de soi » : La sapienza di partire da sé (« Le savoir partir de soi », 1996), Il profumo della maestra. Nei laboratori della vita quotidiana (« Le parfum de la maîtresse. Dans les laboratoires de la vie quotidienne », 1999). Mettere al mondo il mondo (« Mettre le monde au monde », 1990) analyse la faculté générative de cette forme de pensée. D’autres ouvrages comme Il cielo stellato dentro di noi. L’ordine simbolico della madre (« Le ciel étoilé en nous-mêmes. L’ordre symbolique de la mère », 1992), L’ombra della madre (« L’ombre de la mère », 2007), La magica forza del negativo (« La force magique du négatif », 2005) s’emploient à reconsidérer le rapport symbolique au maternel. Avoir le même sexe que la mère peut entraîner à participer à une autorité maternelle qui peut être retournée en toute-puissance, et à assumer une continuité avec la mère qui peut être retournée en relation fusionnelle. Élargir la démarche jusqu’à considérer comme philosophiques les textes des femmes écrivains et des mystiques est une question qui fait débat au sein de Diotima : Approfittare dell’assenza. Punti di avvistamento sulla tradizione (« Profiter de l’absence. Points de repère sur la tradition », 2002) ; la présence/absence des femmes dans l’Histoire signifie leur exclusion, mais aussi un mode différent d’être qui n’a pas besoin de la visibilité publique pour exister. Plusieurs ouvrages approfondissent l’approche politique comme Oltre l’uguaglianza. Le radici femminili dell’autorità (« Au-delà de l’égalité : les racines féminines de l’autorité », 1995), Immaginazione e politica, (2009) ou Potere e politica non sono la stessa cosa (« Pouvoir et politique ne sont pas la même chose », 2009). À la différence d’une pensée féministe qui privilégie la déconstruction des dispositifs linguistiques formant les identités de genre et ne considère comme politique que la critique du langage, les philosophes de Diotima cernent d’autres enjeux et considèrent l’autorité féminine d’origine maternelle comme un levier de la liberté féminine ; la faculté féminine de se mouvoir entre le réel et l’irréel comme une possibilité supplémentaire en politique ; et la capacité qu’ont les femmes de puiser à la source d’une indépendance symbolique comme une possibilité d’agir en toute liberté à proximité du pouvoir.

Chiara ZAMBONI

GIARDINI F., Diotima, in Annarosa Buttarelli et alii, Duemilaeuna donne che cambiano l’Italia, Milan, Il Saggiatore, 2000 ; MURARO L., Diotima, in Enciclopedia filosofica, Centro studi filosofici di Gallarate, vol. 3, Milan, Bompiani, 2006.

DIOTIME DE MANTINÉE [GRÈCE Ve - IVe siècle aV. J.-C.]

Prophétesse et sophiste grecque.

Diotime (lit. « Honneur de Zeus ») doit peut-être son nom à la réputation magico-religieuse de Mantinée (manti-noos, « intelligence prophétique »), où Autonoè (« intelligence issue de soi ») aurait fondé une école divinatoire. Si la réalité historique de Diotime paraît difficile à établir, Platon, dans le Banquet (201d-212b) lui donne une portée dont l’efficace est encore perceptible de nos jours. Diotime fait intrusion dans le milieu hypermasculin du banquet, dans un dispositif de relais de parole vertigineusement complexe qui crée un climat mystérique. Rapportée par un homme, Socrate, la thèse de Diotime est inattendue : le désir (eros) des hommes, même les plus virils, est d’être enceints (kuèsis). Mais cette thèse n’implique aucune valorisation du « féminin » : toute une tradition mythologique remontant à Hésiode souligne l’annexion de l’accouchement par le père dans le but de transmettre son patrimoine génétique et social. Ici, il s’agit seulement pour les hommes, même ceux qui aiment les femmes (208e2-4), de « faire naître des enfants » (paidogonia), sans la moindre référence à l’éjaculation – bien présente dans le Phèdre (250e5), avec les verbes paidosporeîn (« saillir ») ou bainein (« monter »). En outre, en racontant le mythe de la naissance d’Erôs qu’elle situe au moment où Aphrodite naît de la castration d’Ouranos, Diotime renverse radicalement la tradition des mythes d’annexion patriarcale en donnant pour origine à la naissance d’Erôs le vol du sperme de Poros inconscient, par Pénia (203a3-203c). La disparition de l’éjaculation rend ainsi possible la figuralité de l’accouchement : on peut alors enfanter des discours (logoi, 209c7-8). Diotime subvertit la relation paidérastique (un adulte, l’erastès, est censé séduire un cadet, l’erômène, considéré comme passif), en donnant à l’éromène la posture d’une accoucheuse (206d2) et à l’éraste celle d’une mère qui accouche de beaux discours. Or, comme Diotime elle-même enfante des logoi devant Socrate, force est de reconnaître qu’une femme enceinte de discours prend la place de l’éraste face à Socrate investi de fait du rôle d’éromène accoucheur. Dans le Banquet, la figure de l’accoucheur demeure passive, toute la part active résidant entièrement dans celui qui est enceint (206d7), alors que dans le Théétète la signification de l’accouchement n’est plus la même : expert en accouchements, Socrate maîtrise l’art de faire accoucher comme de faire avorter (151c4). Que retenir alors de Diotime ? Un discours qui travaille secrètement un dispositif d’énonciation dominé par le masculin, dont l’aspect le plus subversif est de promouvoir la dimension performative de la gestation (la kuèsis comme pensée en acte), plutôt que le produit réalisé (kuèma).

Anne Gabrièle WERSINGER

PLATON, Le Banquet (1998), Brisson L. (éd.), Paris, Flammarion, 2007.

WERSINGER A. G., « Platon et la philosophie comme “figure” d’énonciation », in Philosophia, no 40, 2010 (Athènes). ID., « La Voix d’une “savante” : Diotime de Mantinée dans le Banquet de Platon (201d-212b) », in Cahiers « Mondes anciens », no 3, 2012.

HALPERIN D. M., « Why is Diotima a Woman ? Eros and the Figuration of Gender », in ID., WINKLER J. J., ZEITLIN F. I. (dir.), Before Sexuality, Princeton, Princeton University Press, 1990.

DIOUF, Nafissatou DIA [DAKAR 1973]

Écrivaine et poétesse sénégalaise.

Fille d’un diplomate et d’une enseignante en langues, Nafissatou Dia Diouf appartient au cercle des « plumes émergentes » de la littérature sénégalaise. Son amour précoce pour les mots et les langues l’entraîne vers l’écriture, qu’elle explore sans retenue, comme une aventure, « assoiffée de réaliser ses rêves ». Après quelques écrits de jeunesse (des poèmes et nouvelles publiés dans des revues féminines), paraît son recueil de nouvelles Retour d’un si long exil (2001), qui fait référence à ses années d’études à l’université de Bordeaux et aux nombreux voyages qui nourrissent son imaginaire. Son premier recueil de poésie, Primeur (2003), paraît deux ans plus tard. Femme moderne et mère épanouie, elle partage son intérêt pour les NTIC (nouvelles technologies de l’information et de la communication) avec le jeune public, en investissant le champ de la littérature pour la jeunesse : Dior, la jolie Sérère Toucouleur (2003) ; Les Sages Paroles de mon grand-père (2003) ; Le Fabuleux Tour du monde de Raby (2003) ; Je découvre l’ordinateur (2005) ; Cytor & Tic Tic naviguent sur la toile (2005), etc. De nombreuses distinctions ont salué cette production riche et diversifiée, notamment le Prix du jeune écrivain francophone en France et le prix Francomania au Canada, en 1999, le prix de la Fondation Léopold-Sédar-Senghor pour la nouvelle Sables mouvants, en 2000.

Andrée-Marie DIAGNE BONANÉ

Retour d’un si long exil, Dakar, NEAS, 2001 ; Primeur, poèmes de jeunesse, Dakar, Le Nègre international, 2003 ; Cytor & Tic Tic naviguent sur la toile, Dakar, TML, 2005 ; Cirque de Missira et autres nouvelles, Paris, Présence africaine, 2010 ; Sociobiz, chroniques impertinentes sur l’économie et l’entreprise, Dakar, TML, 2010.

DIOUF-SALL, Marie-Louise [SÉNÉGAL XXe siècle]

Écrivaine, sociologue et philosophe sénégalaise.

Docteure en philosophie, après des études à l’Université Paris I et en Allemagne, Marie-Louise Diouf-Sall devient assistante à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, puis chargée de mission au Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) et enfin consultante internationale en sociologie au siège du PNUD à New York. Spécialiste de Cheikh Anta Diop, elle est l’auteure d’articles sur Kant et Hegel dans la Revue sénégalaise de philosophie et de plusieurs études de recherche linguistique en égyptologie qui font l’objet de conférences aux journées Anta Diop, de publications dans les Cahiers caribéens d’égyptologie, les Cahiers de la diaspora africaine et les cahiers de l’Association des femmes africaines pour la recherche et le développement (AFARD). Ses travaux en histoire et en sociologie portent notamment sur la traite des Noirs, la culture de la négritude, la renaissance africaine et le rôle des femmes africaines considérées comme agents de développement et s’ouvrent sur les perspectives d’une philosophie féministe. À l’occasion du Printemps des poètes, en 2006, elle collabore au recueil Le Chant des villes : anthologie du Manoir des poètes, dirigé par Maggy de Coster. Elle travaille à un essai philosophico-poétique sur Aimé Césaire et envisage la création d’un magazine, Courrier de la diaspora, dont l’objectif est de faire connaître les ouvrages et pensées des créateurs artistiques et scientifiques de la diaspora africaine.

Alexandra AHOUANDJINOU

L’Autre Genre, Paris, La Pensée universelle, 1995.

DI PRIMA, Diane [BROOKLYN 1934]

Écrivaine américaine.

Fille d’émigrés italiens de deuxième génération, Diane Di Prima a pour grand-père maternel Dominco Mallozzi, anarchiste associé à Carlo Tresca et à Emma Goldman*. Mère de cinq enfants, elle mène néanmoins une vie sentimentale de bohème. Après avoir abandonné ses études au Swarthmore College (Pennsylvanie) pour s’installer chez une amante, dans le quartier Greenwich Village de Manhattan, D. Di Prima participe au mouvement Beat et y joue un rôle important. Dans ses Mémoires d’une beatnik (1969), elle évoque ainsi le milieu artistique des années 1950. Elle publie son premier recueil de poèmes, This Kind of Bird Flies Backward (« cette espèce d’oiseaux vole en arrière »), en 1958. Directrice de la revue poétique The Floating Bear, elle crée également une troupe de théâtre, le New York Poets Theatre, et une maison d’édition, Poets Press. À la fin des années 1960, elle s’installe en Californie et commence à y étudier le bouddhisme, le sanscrit, le gnosticisme et l’alchimie. Elle publie son œuvre principale, le long poème Loba, en 1978 puis une version allongée dix ans plus tard. Elle publie également The Ones I Used to Laugh With (« ceux avec lesquels je riais », 2003) et Time Bomb (« bombe à retardement », 2006). Zipcode (1994) est un recueil de ses pièces. En 2001, elle termine une deuxième autobiographie : Recollections of My Life As a Woman : The New York Years (« souvenirs de ma vie de femme : les années à New York »). D. Di Prima pratique plusieurs arts visuels et expose ses photographies, ses collages et ses aquarelles.

Wendy GREENBERG

Mémoires d’une beatnik (Memoirs of a Beatnik, 1969), Paris, Ramsay, 2004.

BUTTERICK G., « Diane Di Prima », in CHARTERS A., The Beats : Literary Bohemians in Postwar America, Part I, Detroit, Gale Research, 1983.

DIRIE, Waris [RÉGION DE GALLACIO, SOMALIE 1965]

Ambassadrice spéciale des Nations unies et écrivaine autrichienne.

Son prénom, Waris, signifie « fleur du désert ». Excisée à l’âge de 5 ans, en Somalie, Waris Dirie s’enfuit à 13 ans, pour échapper au mariage arrangé par son père. Elle part à Londres où elle travaille comme domestique pour l’un de ses oncles, ambassadeur de Somalie. Remarquée par le photographe Terence Donovan, elle devient un mannequin de renommée internationale. C’est lors d’une interview au magazine Marie-Claire qu’elle témoigne de son excision. Le Fonds des Nations unies pour la population lui propose alors de devenir leur « ambassadrice de bonne volonté » pour la lutte en faveur de l’élimination des mutilations génitales féminines. Elle se consacre à cette tâche jusqu’en 2003, où elle crée sa propre fondation pour lutter contre les mutilations sexuelles féminines dans le monde entier. Elle a obtenu la nationalité autrichienne en 2005.

Luce MICHEL

Avec MILLER C., Fleur du désert. Du désert de Somalie au monde des top-models, l’extraordinaire combat d’une femme hors du commun (Desert Flower), Paris, Albin Michel, 1998 ; avec D’HAEM J., L’Aube du désert (Desert Dawn), Paris, Albin Michel, 2002.

DIRIGEANTES D’ENTREPRISE [XXe-XXIe siècle]

Zeba Kholi, Vinata Bali, Indu Jain, Amrita Patel, Chanda Kochhar, Manisha Ginotra, Renika Ramnath, ces femmes indiennes sont à la tête d’entreprises qu’elles ont créées, ou bien elles dirigent de grandes entreprises ou institutions financières. Brésiliennes, Russes ou Chinoises, les business women des pays émergents ont de l’ambition. Le plus souvent diplômées de l’enseignement supérieur, elles savent mettre à profit les possibilités liées à l’histoire de leur pays. Les constats établis par les enquêtes « Women Matter » menées de 2007 à 2010 par le cabinet McKinsey & Company sur une centaine de grandes entreprises dans le monde observent que celles qui féminisent davantage leurs conseils exécutifs ou leurs équipes de management sont économiquement plus performantes et financièrement plus rentables, dans pratiquement tous les secteurs étudiés. L’étude de l’Observatoire de la féminisation des entreprises françaises montre que sur les 40 entreprises étudiées, celles dont l’encadrement était le plus féminisé ont mieux résisté à la crise financière de 2008. Et pourtant, en Europe, seulement 11 % des membres des instances dirigeantes des entreprises cotées en Bourse étudiées par McKinsey sont des femmes. La quasi-totalité des directrices générales et plus de la moitié des directeurs généraux sont convaincus de la nécessité de favoriser la mixité dans la direction des entreprises. Leurs témoignages disent que les femmes n’ont pas les mêmes comportements managériaux que les hommes : elles impulsent une plus grande participation aux décisions, manifestent davantage leur reconnaissance, respectent la vie familiale et sont ancrées dans la vie quotidienne. Ce qui leur donne une vision globale du management et leur inspire une démarche « gagnant-gagnant » dans le domaine des ressources humaines. La parité dans la direction des entreprises, reconnue comme un impératif économique, est synonyme de créativité.

Jacqueline PICOT

DIRIGEANTES D’ENTREPRISE ET NOUVELLES TECHNOLOGIES [États-Unis XXe-XXIe siècle]

Si quelques femmes, comme Katie Cotton, chargée de la communication internationale chez Apple, ou Ann Livermore, vice-présidente de Hewlett-Packard, occupent des postes de direction importants, elles sont encore rares aux postes clés des grandes entreprises technologiques, et peu nombreuses en tant qu’ingénieures ou étudiantes en informatique. Les avancées viennent des Étas-Unis, où s’affirment des dirigeantes ou créatrices d’entreprises. Elles sont passées par les meilleures universités américaines, multiplient les expériences professionnelles et contribuent aux innovations de l’industrie numérique. Ann Winblad (1950), mathématicienne de formation, commence sa carrière en tant que programmatrice et crée son entreprise de logiciels à l’âge de 26 ans. En 1989, elle cofonde et dirige Hummer Winblad Venture Partners, fonds de capital-risque spécialisé en investissements dans les logiciels. Forte de vingt ans d’expérience, elle encourage les filles à étudier les mathématiques et l’informatique. Padmasree Warrior (1961) est l’une des premières femmes recrutées par Motorola, chez qui elle travaille pendant vingt-trois ans et devient directrice technique. L’entreprise a ainsi pour la première fois reçu en 2004 la Médaille nationale de la technologie. Depuis 2007, cette ingénieure reconnue pour sa créativité dirige la stratégie technologique de Cisco Systems, leader mondial du matériel pour réseaux informatiques et première entreprise qui s’est engagée à promouvoir le talent féminin dans ses équipes. Sheryl Sandberg (1969) a d’abord travaillé auprès du Trésor américain puis a été assistante de recherche à la Banque mondiale, avant d’entrer en 2001 au service des ventes et opérations en ligne de Google. Depuis 2008, elle met son expérience au service de Facebook, où elle devient, en 2012, la première femme à siéger au conseil d’administration. Katie Stanton (1970) a été en 2009 directrice de la « participation citoyenne » du président Obama ; l’année suivante, elle a orchestré avec Hilary Clinton* une campagne de dons par SMS pour les victimes du séisme en Haïti. Après un passage par Yahoo, où elle a créé avec succès un portail financier, elle est directrice de la stratégie internationale de Twitter depuis 2010. Passionnée par les sciences et spécialisée en intelligence artificielle, Marissa Mayer (1975) est, à 24 ans, la première ingénieure embauchée chez Google, alors start-up (1999). Cette chercheuse, à l’origine de la mise en page du célèbre moteur de recherche, a déposé plusieurs brevets et conçu de nombreuses fonctions, dont Gmail, Google Maps, Google Books. En 2012, alors enceinte, elle devient P-DG de Yahoo. D’abord chez IBM, la jeune ingénieure Leah Busque (1979) fonde Taskrabbit en 2008. Cette première plate-forme de petites annonces de services donne aux femmes la possibilité de se décharger de tâches domestiques et crée des milliers d’emplois de micro-entrepreneurs.

Mères de famille, fières d’être des femmes, ces dirigeantes n’opposent pas vie familiale et postes à haute responsabilité ; elles encouragent les femmes à hausser leurs ambitions professionnelles et œuvrent à leur embauche dans ces industries.

Jacqueline PICOT

DIRJAN, Liljana [SKOPJE 1953]

Poétesse macédonienne.

Dès son premier recueil, Prirodna pojava (« phénomène naturel », 1980), Liljana Dirjan donne une nouvelle sensibilité à la poésie macédonienne. L’ironie et l’humour – l’humour noir, même – tiennent une place importante dans ses textes qui évitent l’émotion extrême et la sentimentalité, surtout lorsqu’elle parle de l’amour. Elle s’exprime la gorge serrée, refusant les lieux communs. Dans ses poèmes, en dehors de la dimension urbaine, on peut sentir le fluide d’une nature rituelle qui respecte l’intouchable, le dieu païen du monde, sa puissance, son atavisme, sa force mâle. Mais, dans le même temps, elle combat les stéréotypes culturels de la femme. Celle-ci n’est plus un être dans l’ombre, sans droit à la passion, à la sauvagerie, mais, bien au contraire, la personnification de l’obsession érotique, la source du feu. Son livre Privatni svetovi (« les mondes privés », 2007) fut unanimement salué par la critique en Macédoine. L. Dirjan y restaure notre intime avec perspicacité et exactitude ; elle s’infiltre dans notre inquiétude, notre peur de la nuit, de la mort, dans la solitude de notre existence et la privation de l’amour. Ses poèmes ont été traduits dans de nombreuses langues dont l’anglais, le français et l’allemand. Elle est lauréate du prix Frères Miladinov 1985 du meilleur recueil de poèmes, et Les Mondes privés a été nominé pour le grand prix Balkanika 2007. L. Dirjan vit à Skopje. Elle a longtemps travaillé comme journaliste et fut rédactrice en chef de la revue Zena de 1996 à 2005. Elle est l’une des fondatrices de l’Association des écrivains indépendants de Macédoine, ainsi que de la revue littéraire Sarajevske Sveske. Elle a participé à de nombreux festivals internationaux de poésie en Belgique, en France, en Roumanie, en Bosnie-Herzégovine et en Slovénie.

Maria BÉJANOVSKA

DISCO VOIR OUMAR, Fadimata Wallet

DISKI, Jenny [LONDRES 1947]

Romancière britannique.

Après avoir étudié à Londres, elle enseigne pendant les années 1970 et 1980, écrit des scénarios, et des articles pour le Mail on Sunday. Elle publie son premier ouvrage en 1986, Nothing Natural, l’histoire d’un parent seul enfermé dans une relation tendue. Rain Forest (1987) est le récit d’une anthropologue stupéfaite de ses découvertes sur la nature humaine. Le personnage principal de Apology for the Woman Writing (2008) est Marie de Gournay*, la secrétaire de Montaigne, intellectuelle avant la lettre, incomprise et vue comme inquiétante et hystérique. Postmoderniste, elle réécrit l’histoire d’Abraham et Sarah (Only Human : A Comedy, Virago, 2000) et celle d’Abraham et Isaac (After These Things, 2004). Avec des héroïnes détachées et froides, elle émaille ses romans de cas de dépression, de folie et de sadomasochisme, célébrant par là l’énergie de la vie, entre répression et sexualité, qui s’exprime dans une narrativité très moderne. Hésitant entre méfiance des absolus et frayeur de la relativité, elle est fascinée par le vide et le blanc, dans un désir d’échapper à l’activité fébrile de la vie.

Michel REMY