JÁRÓKA, Lívia [TATA 1974]
Femme politique hongroise.
Lívia Járóka est agrégée d’anglais, diplômée en sciences politiques et en anthropologie. Militante d’organisations non gouvernementales en faveur des Roms, elle devient députée au Parlement européen en 2004 au titre du parti conservateur hongrois, Fidesz, première femme rom à intégrer cette instance. Elle sera réélue en 2009. Après avoir été vice-présidente de l’intergroupe « Antiracisme et diversité », elle a dirigé le programme du Parlement européen sur l’intégration des Roms (2004-2009). En 2011, elle présente le Rapport sur la stratégie de l’Union européenne pour l’intégration des Roms, qui a servi de base de réflexion à la résolution-cadre de l’Union européenne pour les stratégies nationales concernant les Roms (2011), adoptée pendant la présidence de la Hongrie. Par ailleurs, en qualité de vice-présidente de la Commission des droits des femmes du Parlement européen de 2004 à 2007, elle a également présenté le Rapport sur la situation des femmes roms dans l’Union européenne (2006), qui recense, pour y remédier, l’ensemble des discriminations qu’elles subissent, sur le plan de l’éducation, de la santé ainsi que les violences sexuelles allant dans certains pays jusqu’à la stérilisation forcée.
Christine LAMY
JARRAR, Randa [CHICAGO 1978]
Romancière palestino-américaine.
Née à Chicago, Randa Jarrar passe son enfance au Koweït et en Égypte. De retour aux États-Unis, elle étudie l’écriture créative, qu’elle enseignera par la suite, ainsi que les littératures arabo-américaines. Son roman A Map of Home (« une carte de la maison », 2008) a été traduit dans plusieurs langues et a obtenu de nombreux prix littéraires. En 2007, elle publie The Year of the Revolutionary New Bread-Making Machine (« l’année de la nouvelle machine à pain révolutionnaire »). Elle est considérée comme l’une des plus talentueuses écrivaines arabes de sa génération. Son style est concis, clair, souvent coloré d’humour et de vivacité. La romancière aspire, à travers l’écriture fictionnelle, à dépeindre la société arabe sous toutes les perspectives possibles, tant sous l’angle réaliste que fantaisiste, ludique ou tragique.
Névine EL-NOSSERY
JARRE, Marina (née GERSONI) [RIGA 1925]
Écrivaine italienne.
Née en Lettonie où sa mère, Clara Coisson, traductrice de nombreux livres russes, s’était installée pour enseigner l’italien à l’université de Riga, Marina Gersoni arrive en Italie à l’âge de 10 ans et vit à Turin, où elle enseignera le français pendant de nombreuses années. Ses débuts comme écrivaine remontent à 1962 avec un recueil de nouvelles pour enfants, Il tranviere impazzito e altre storie (« le traminot fou et autres histoires »). C’est en 1968 que sort son roman Monumento al parallelo, réédité en 1972 par une autre maison d’édition sous le titre Un leggero accento straniero (« un léger accent étranger »). En 1971 paraît Negli occhi di una ragazza (« dans les yeux d’une fille »). L’œuvre narrative de M. Jarre décrit, dans une prose riche et articulée, la complexité des dynamiques de couple, comme dans Un leggero accento straniero et dans certaines nouvelles de Galambra, quattro storie con fantasmi (« Galambra, quatre histoires de fantômes », 1987) racontant des histoires de femmes qui peinent à se construire une identité et à établir avec les autres un rapport allant « au-delà des concepts de possession et d’utilisation » (Graziella Pagliano, 1998). Dans ses écrits autobiographiques, comme I padri lontani (« les pères éloignés », 1987) et Ritorno in Lettonia (« retour en Lettonie », 2003), M. Jarre raconte son enfance en Lettonie, le conflit entre les cultures de son père juif letton et de sa mère appartenant à l’Église évangélique vaudoise, sa fuite de la maison paternelle en 1935 à la suite du divorce de ses parents, son arrivée dans le Piémont, et son retour dans une Lettonie métamorphosée, devenue république autonome.
Francesco GNERRE
■ L’Année de la manif (Principessa della luna vecchia, 1977), Paris, École des loisirs, 1984.
■ PAGLIANO G., Fra norme e desideri, Rome, Aracne, 1998.
JARUNKOVÁ, Klára [ČERVENÁ SKALA 1922 - ID. 2005]
Écrivaine slovaque.
D’abord institutrice, puis employée de bureau à la mairie de Bratislava après la guerre, Klára Jarunková travaille ensuite à la rédaction de la revue humoristique et satirique Roháč. Son premier livre, Hrdinský zápisník (« le carnet héroïque », 1960), est suivi de Môj tajný zápisník (« mon carnet secret », 1961), une suite libre relatant des histoires de la vie quotidienne de deux garçons de 11 ans. On y retrouve l’atmosphère des années 1950, le milieu de l’école, de l’organisation des pionniers. Ses textes sont pleins d’humour, les situations sont exagérées et le langage proche de celui des enfants. Son roman Jediná (« la fille unique », 1963) parle des premières amours et des problèmes liés aux malentendus entre parents et enfants. Le roman Brat mlčanlivého vlka (« le frère du loup timide », 1970) est l’histoire de deux frères qui vivent à la montagne dans un cadre de vie agréable et sont soudain confrontés à la mort d’une amie sous une avalanche. Dans le roman Tiché búrky (« les orages silencieux », 1977), le principal protagoniste, âgé de 16 ans, affronte avec ses frères et sœurs les problèmes de la vie, après la mort de leur mère. L’héroïne de son dernier roman, Nízka oblačnosť (« le temps nuageux », 1993), est traumatisée par le divorce de ses parents et par la relation de sa mère avec le père de sa meilleure amie. L’écrivaine a aussi écrit beaucoup d’histoires destinées aux plus petits, où elle traite de l’amour parental et de l’amitié.
Elena MELUŠOVÁ
■ MIKULA V. (dir.), Slovník slovenských spisovateľov, Prague, Libri, 1999.
JAŠAR-NASTEVA, Olivera [BELGRADE 1922 - SKOPJE 2000]
Linguiste serbe.
Spécialiste de linguistique des langues baltes, Olivera Jašar-Nasteva, soutient son doctorat à l’université de Skopje où elle enseignera l’histoire du macédonien et la linguistique générale. Elle a contribué à la fondation des départements de langues albanaise et turque. Ses recherches ont porté sur les contacts linguistiques observables au niveau du lexique entre le macédonien, l’albanais et le turc, ainsi que, d’un point de vue sociolinguistique, sur les contacts du macédonien et des langues des Balkans. Elle a été membre de l’Académie macédonienne des sciences et des arts.
Thomas VERJANS
■ Avec KONESKI B., Les Contacts entre les parlers macédoniens et albanais, Skopje, 1974.
■ HAMMEL R., « Jašar-Nasteva », in STAMMERJOHANN H. (éd.), Lexicon grammaticorum, New York/Amsterdam/Philadelphie, Mouton de Gruyter, 2009.
JASMIN, Judith [TERREBONNE, QUÉBEC 1916 - MONTRÉAL 1972]
Journaliste, grand reporter et actrice canadienne d’expression française.
Ne pouvant poursuivre ses études au-delà du lycée faute de ressources, Judith Jasmin se tourne vers le théâtre et obtient un rôle important dans le feuilleton radiophonique québecois La Pension Velder (1957-1961). Tout en poursuivant sa carrière de comédienne, elle réalise des émissions, des entretiens, des critiques théâtrales. À 30 ans, elle se lance dans le métier de journaliste pour le service international de Radio Canada. En 1952, elle anime avec René Lévesque le magazine radiophonique Carrefour. Un an plus tard, devenue reporter, elle est la seule femme à descendre dans la rue pour rejoindre les équipes de tournage et interviewer les gens. Attentive aux contestations sociales, politiques et culturelles, J. Jasmin défend la cause des Noirs aux États-Unis, les conditions de vie des Inuits et des Amérindiens, le statut de la femme. Membre fondatrice du Mouvement laïc de langue française, favorable à la laïcité au Québec, elle considère l’information comme un moyen d’éduquer les masses et un moteur de changement social. Première femme à la section française du Service international de Radio Canada, elle en est la première correspondante à l’étranger, aux Nations unies, en 1966. Malgré sa notoriété, elle n’obtiendra jamais un salaire égal à celui de ses confrères hommes. Pacifiste, écologiste, antiraciste, elle se range du côté des plus démunis : paysans algériens ou indiens du Grand Nord, pays endettés du tiers-monde. Six mois avant sa mort, elle reçoit le prix Olivar-Asselin pour la défense de la langue française au Québec. En 1974, le prix Judith-Jasmin est institué pour récompenser les meilleurs reportages de la presse québécoise.
Marion PAOLI
■ Défense de la liberté, Beauchamp C. (dir.), Montréal, Éditions du Boréal, 1992.
■ BEAUCHAMP C., Judith Jasmin, de feu et de flamme, Montréal, Éditions du Boréal, 1992.
JASUKAITYTÉ, Vidmantė [PUMPUČIAI 1948]
Écrivaine lituanienne.
Après des études de langue et littérature lituaniennes à l’université de Vilnius, Vidmanté Jasukaitytė commence à se faire publier. Son premier volume de poésie, Ugnis, kurią reikia pereiti (« le feu qu’il faut traverser »), est remarqué en 1976 comme meilleur premier livre de l’année. En 1981 paraît son premier roman, Stebuklinga patvorių žolė (« l’herbe miraculeuse près de la clôture »), qui établit un pont entre légendes et traditions de la Lituanie ancienne et époque contemporaine. Son deuxième roman, Po mūsų nebebus mūsų (« après nous, c’est fini », 1987), obtient un prix littéraire et connaît un succès phénoménal. C’est l’un des premiers textes à aborder la question de la déportation en Sibérie, alors que la Lituanie est toujours sous la dépendance de Moscou. La force de ses textes se trouve dans la maîtrise de la langue, en particulier dans la description des paysages ou des états d’âme des personnages. L’écrivaine publie également de la poésie, des drames et des essais. Elle est aussi connue pour son engagement politique au début des années 1990 : elle crée une union des femmes de Lituanie, qui dénonce le non-respect par l’armée soviétique de ses propres règles et les cruautés commises à l’égard des jeunes Baltes. Ses interventions trouvent une audience internationale. Avec d’autres intellectuels, elle signe le 11 mars 1990 l’acte d’indépendance de la Lituanie, avant d’être abandonnée par ses amis politiques, de connaître la maladie et une interruption de presque dix ans de sa production littéraire. V. Jasukaitytė vit actuellement à Vilnius et a repris son activité.
Ina PUKELYTĖ
JÁSZAI, Mari (née Mária KRIPPEL) [ÁSZÁR, KOMÁROM-ESZTERGOM 1850 - BUDAPEST 1926]
Comédienne hongroise.
La légendaire « Sarah Bernhard du théâtre hongrois » est née dans une famille pauvre. Mari Jászai sert dans des milieux aisés et est cantinière lors de la bataille de Königrätz. À 16 ans, elle s’enfuit pour rejoindre une compagnie de théâtre et commence à faire de la figuration. En 1868, elle est engagée par le théâtre de Kolozsvàr (auj. Cluj-Napoca, Roumanie) et devient en 1872 membre du Théâtre national, succédant à la grande diva Róza Laborfalvi*. Avant tout grande tragédienne, elle a remporté des succès retentissants dans des rôles du répertoire de Shakespeare et d’Ibsen, ou en interprétant Antigone et Électre. Elle apprend le métier sur scène et ne cesse de se cultiver et de se perfectionner. À en croire son journal, elle épouse l’acteur comique Vidor Kassai surtout pour sa grande bibliothèque et pour satisfaire ainsi sa rage de lire. Elle apprend l’anglais, l’allemand et le français. Quand le Théâtre national met au programme l’adaptation des Misérables de Victor Hugo, elle lit en français des passages du roman, et c’est dans sa propre traduction que le théâtre représente John Gabriel Borkman d’Ibsen. Elle participe également à la vie intellectuelle de l’époque comme journaliste et écrivaine. Elle publie des articles dans les journaux et revues les plus importants – sur la mode, ses voyages à l’étranger, l’émancipation des femmes et la nécessité du droit de vote pour elles, les méfaits de l’alcoolisme. Son journal – dont des fragments seront publiés après sa mort – témoigne de grandes crises d’angoisse liées à la création et d’une profonde réflexion.
Anna LAKOS
JAUCH, Ursula Pia [ZURICH 1959]
Philosophe suisse.
Après des études de philosophie, de linguistique et de littérature allemande à l’université de Zurich (où elle enseigne), Ursula Pia Jauch soutient, en 1989, sous la direction de Helmut Holzhey, une thèse intitulée Kant zur Geschlechterdifferenz (« Kant à propos de la différence de sexes ») dans laquelle elle confronte l’ensemble du système du philosophe – des premiers écrits en passant par les Critiques et jusqu’à l’Anthropologie (1797) – à la question du genre. Ce travail est triplement original à l’époque où le livre paraît : d’une part, le livre de Judith Butler*, Trouble dans le genre (qui redonna un souffle à la thématique féministe pour la dernière décennie du XXe siècle), paraît un an plus tard. D’autre part, si le livre de J. Butler, étroitement lié à l’analyse des relations de pouvoirs chez Foucault, s’attache à l’étude de l’incorporation des normes sociales par un sujet psychologique et se situe donc à l’intersection de la psychologie, de l’histoire et des sciences politiques, rien de tel chez U. P. Jauch qui n’entend pas appliquer une pensée à un donné historique (notre situation d’Occidentaux post-modernes). C’est de manière interne qu’elle s’attache à considérer comment la question du genre a travaillé un système classique à tous ses niveaux, même les plus éloignés en apparence du problème social de la distinction sexuelle dans une société donnée, comme par exemple le niveau épistémologique où se joue la question des instances de la connaissance ou encore l’élaboration des principes de la physique. Enfin et surtout, elle n’entend pas condamner du haut de notre posture actuelle les options de Kant ni relever tous les multiples préjugés dont il aurait été victime. Plutôt que d’adopter une posture moralisatrice, elle montre l’émergence de la question chez Kant, l’importance architectonique qu’elle revêt progressivement pour son système (la différence des genres étant plus englobante que la stricte différence sexuelle) et le caractère positif de certaines avancées du philosophe en la matière. Dès lors, elle déjoue l’habitus du lecteur d’aujourd’hui : loin des dénonciations faciles autant qu’attendues, elle met en évidence comment la question du genre travaille, non pas subrepticement mais consciemment, la pensée « classique » et comment l’auteur le plus apparemment misogyne fait avancer cette question par rapport à son époque et à sa société. Cette thèse, toujours originale au sein des actuelles gender studies, qui trop souvent se perdent en dénonciations politico-sociales au détriment de la lente et patiente élaboration théorique, a décidé, en partie, de l’orientation ultérieure des travaux philosophiques de U. P. Jauch : après sa thèse, elle a consacré de nombreux travaux à l’étude des Lumières et tout particulièrement à la Frühaufklarung (le premier moment, au début du XVIIIe siècle). Elle a ainsi écrit un important ouvrage sur Offray de La Mettrie (1998), ainsi qu’une étude du livre de Bernard Mandeville sur la prostitution (2001). Un très grand nombre de ses travaux sont également consacrés à cette période des Lumières tant françaises qu’allemandes ou anglaises, comme son livre, aujourd’hui internationalement connu, Damenphilosophie & Männermoral. Von Abbé de Gérard bis Marquis de Sade (1990). Elle s’est également investie dans la philosophie de l’art et, à ce titre, elle a bénéficié, entre 1992 et 1995, d’une invitation au Getty Center for Art and the Humanities de Los Angeles, où elle a pu développer une réflexion sur l’œuvre d’art et sa place dans notre société. C’est dans cette double direction, entre philosophie des Lumières en relation avec le concept de genre et philosophie de l’art, que se poursuivent ses travaux philosophiques. Elle a été également fellow du Wissenschaftskolleg à Berlin (2007-2008) avec une recherche sur l’histoire des idées au sujet de la clandestinité au XVIIIe siècle.
Hélen ANSHELL
JAUDON, Valerie [GREENVILLE 1945]
Peintre américaine.
Après avoir étudié à la Memphis Academy of Art en 1965, puis à la Universidad de las Américas de Mexico pendant deux ans, Valerie Jaudon suit les cours de Gillian Ayres* à la St Martins School of Art de Londres (1968-1969). Elle s’installe ensuite à New York. Fascinée par l’art non occidental, l’architecture et ses ornements, elle cherche des formes visuelles communes aux différentes cultures, qu’elle utilise dans ses premières œuvres abstraites. Défendant la valeur décorative de l’art et s’opposant à la prééminence masculine dans l’abstraction, elle est l’une des figures majeures du mouvement Pattern and Decoration, qui s’est développé aux États-Unis au milieu des années 1970, autour des peintres Richard Kalina (1946), son mari Joyce Kozloff*, Miriam Shapiro (1923) et Robert R. Zakanitch (1935). Sans aucune illusion de profondeur, ses peintures partent d’une structure décorative de base, le pattern, qui est développé sur une surface donnée. La répétition de motifs et la juxtaposition d’éléments similaires abstraits se répondent en symétrie ou s’entrecroisent sur des fonds monochromes de couleurs vives, comme Pheba (1977). Sa peinture se distingue par ses entrelacs créés au couteau à palette, dans un style froid. De cette époque jusqu’à ce jour, chaque série part d’un mode ornemental. Dans les années 1980, ses motifs géométriques, semblables aux hiéroglyphes, se détachent ainsi sur des fonds tantôt monochromes, tantôt constitués de bandes polychromes, pour aboutir plus récemment à des peintures composées d’un vocabulaire formel semblable à un langage (Alphabet, 2006). Depuis sa première exposition à la Holly Solomon Gallery de New York en 1977, le travail de V. Jaudon a été présenté à plusieurs reprises aux États-Unis et en Europe. Depuis 1977, elle a également répondu à des commandes publiques reprenant ses principes picturaux, comme Long Division (1988) pour la station de métro 23rd Street, à New York.
Fanny DRUGEON
■ Valerie Jaudon (catalogue d’exposition), New York, Sidney Janis Gallery, 1983 ; Valerie Jaudon (catalogue d’exposition), Chave A. C. (textes), Jackson, Mississippi Museum of Art, 1996 ; Valerie Jaudon (catalogue d’exposition), New York, Sidney Janis Gallery, 1996 ; Abstraction at Work : Drawings by Valerie Jaudon, 1973-1999 (catalogue d’exposition), Jackson, Mississippi Museum of Art, 1999.
JAUME, Quima [CADAQUÈS 1934 - BARCELONE 1993]
Poétesse espagnole d’expression catalane.
Grâce à son père pêcheur, Quima Jaume est très tôt en contact avec la mer et le paysage littoral, qu’elle admire et décrit dans ses textes. Elle élabore une poésie empreinte d’une inquiétude et d’un degré d’exigence qui la conduisent à l’expérience mystique. Après des études de philologie, elle se consacre à l’enseignement. Très modeste, elle n’envisage pas de publier ses poèmes, mais Rosa Leveroni*, qui loue leur qualité, l’y incite. El temps passa a Cadaqués (« le temps s’écoule à Cadaquès », 1986), préfacé par Marta Pessarrodona*, décrit son village natal, son univers symbolique et réel. Dans ce premier recueil, dédié à ses parents, elle exprime son amour et son admiration à leur égard, de même que dans Pels camins remorosos de la mar (« à travers les chemins murmurants de la mer », 1989), préfacé par María Aurèlia Capmany* et dédié « À vous deux encore ». Elle publie des sonnets dans la revue Vèrtex et collabore à diverses publications. Del temps i dels somnis, (« du temps et de la rêverie ») paraît à titre posthume dans Poesia completa (1993). Ses auteurs de référence sont Marguerite Yourcenar* et Salvador Espriu, auxquels elle rend hommage, en empruntant leur ton et leur style. La perte de la foi religieuse, l’émotion suscitée par la musique sont des thèmes constants chez elle, tout comme l’amour et la mort, et s’accompagnent d’une réflexion sur la création et l’au-delà.
Concepció CANUT
■ ABELLO M. et al., « Quima Jaume », in Paisatge émergent, trenta poetes catalanes del segle XX, La Magrana, 1999 ; BAGUÉ BOADA N., « Quima Jaume i Carbó, qüestionari Proust », in Setmanaria de l’Alt Empordà, 25-7-1990 ; NADAL M., « Quima Jaume, deu anys d’ausència », in Serra d’Or, no 517, janv. 2003 ; RAHOLA P., « Quima », in Avui, 30-1- 1993.
JAUZE, Marie-Aude VOIR ANGELINA
JAYYUSI, Salma KHADRA [AL-SALT, JORDANIE 1927]
Femme de lettres palestinienne.
Née d’un père palestinien et d’une mère libanaise, Salma Khadra Jayyusi grandit en Terre sainte. Après des études secondaires au Schmidt’s Girls College de Jérusalem, elle obtient sa licence d’études arabes et anglaises à l’Université américaine de Beyrouth, puis son doctorat en littérature arabe à l’université de Londres en 1970. Mariée à un diplomate jordanien, elle entame une carrière d’écrivaine et de professeure dans divers pays, avant de s’installer aux États-Unis où elle enseigne dans plusieurs universités. Prenant conscience de la méconnaissance de la littérature arabe en Occident, elle s’attèle à la promouvoir, publie plusieurs anthologies et traduit de nombreuses œuvres de l’arabe. Elle étend ensuite son action à l’ensemble de la culture arabe et fonde East-West Nexus, une organisation dédiée aux relations culturelles entre l’Orient et l’Occident. Elle publie son premier ouvrage, The Legacy of Muslim Spain (« l’héritage de l’Espagne musulmane », 1992), composé de 1 100 pages rédigées par 42 spécialistes en littérature. Acclamé par la critique internationale, il connaîtra de nombreuses rééditions. Sous sa direction sortiront ensuite Anthology of Modern Arabic Poetry (1987), The Literature of Modern Arabia (1988), Anthology of Modern Palestinian Literature (1992). Sans relâche, elle œuvre à tisser des liens entre les cultures en organisant conférences, séminaires et recherches. Son action se révèle fondamentale pour le rayonnement de la culture et de la littérature arabes à l’international, et surtout pour la reconnaissance du rôle des femmes arabes dans l’épanouissement de leur culture. En 2005 paraît My Jerusalem : Essays, Reminiscences, and Poems.
Névine EL-NOSSERY
JAZOVA, Jana (Ljuba TODOROVA, dite) [LOM 1912 - SOFIA 1974]
Écrivaine et poétesse bulgare.
Il aura fallu la chute du régime communiste en Bulgarie pour redécouvrir l’œuvre de Jana Jazova dont le nom, très connu dans les années 1930, ne se prononçait quasiment plus durant les quarante-cinq ans de totalitarisme. Issue d’une famille d’intellectuels, elle fait des études de philologie slave à l’université de Sofia et publie, à l’âge de 19 ans, son premier recueil de poèmes, Jazove (« digues », 1931), suivi, en 1934, de Bunt (« révolte ») et de Krăstove (« croix »). Outre l’introspection et l’interrogation sur le rôle de la femme dans la Bulgarie contemporaine, thèmes communs à la plupart des poétesses de sa génération, elle se distingue par son attention pour les laissés-pour-compte d’une société en plein bouleversement dans cette période d’entre-deux-guerres : prostituées, mendiants, jeunes drogués. J. Jazova pressent la montée d’une colère qui pourrait ébranler les fondements de son pays. Elle publie également des romans, dont Poslednijat ezičnik (« le dernier païen ») et Kapitan (« capitaine »), tous deux parus en 1940. Très active dans la vie culturelle de la capitale, elle publie des poèmes dans les périodiques littéraires les plus en vue de son époque ; elle écrit des livres pour enfants et leur consacre une revue entre 1941 et 1943. En 1944, après avoir visité la Syrie, l’Égypte, la Palestine et la Turquie, elle achève son premier roman historique, Aleksandăr Makedonski (« Alexandre de Macédoine »), qui, n’étant pas à la gloire d’une personnalité nationale, ne correspond pas à la stratégie du pouvoir en place et ne sera publié qu’en 2002. L’installation progressive du parti communiste à partir du coup d’État du 9 septembre 1944 entraîne peu à peu la nationalisation des maisons d’édition, le contrôle sur les publications et la censure. Ainsi, la trilogie Balkani (« Balkans »), consacrée aux luttes de libération de la domination ottomane, est elle aussi interdite, et ne paraitra qu’en 1987-1989. Le très officiel Dictionnaire de la littérature bulgare mentionne pudiquement en 1982 que l’écrivaine cesse toute création littéraire après 1944. En réalité, elle fait partie du petit nombre d’écrivains qui refusent tout compromis avec le nouveau régime et se condamnent à l’isolement et au silence. Ce qui ne l’empêche pas d’écrire jusqu’à sa mort, survenue en 1974 dans des conditions inexpliquées. Ce sont ainsi six livres, dont cinq romans historiques, qui ne verront le jour qu’à la fin des années 1980.
Marie VRINAT-NIKOLOV
■ ANGELOVA S., « Ženite i istorijata v romanite na Jana Jazova », in KIROVA M. (dir.), Neslučenijat kanon, Sofia, Altera, 2009.
JEAN, Michaëlle [JACMEL, HAÏTI 1957]
Journaliste et femme politique canadienne.
Réfugiée d’Haïti, d’où elle émigre en 1968, Michaëlle Jean occupe le poste de vingt-septième gouverneure générale du Canada de 2005 à 2010. Elle est la première personne noire, la deuxième immigrante, la troisième femme et la quatrième journaliste à occuper ce poste. Sa carrière de journaliste, animatrice et réalisatrice de télévision débute quand la société Radio Canada l’engage en 1988. Elle y anime plusieurs émissions d’information avant de devenir chef d’antenne en 1995, participant, entre autres, aux programmes Le Monde ce soir et Grands reportages. Quatre ans plus tard, elle rejoint la chaîne anglophone de la télévision nationale, la Canadian Broadcasting Corporation, où elle anime sa propre émission, Michaëlle, consacrée à des entretiens avec des personnalités importantes. Lorsqu’elle est nommée gouverneure générale du Canada, la communauté haïtienne du pays l’apprécie déjà beaucoup ; elle en devient alors l’idole. Lors de la cérémonie d’installation, M. Jean met l’accent sur la solidarité et, tout au long de son mandat, s’intéresse aux relations entre les différentes communautés ethniques, linguistiques, culturelles, ainsi qu’entre les sexes. Ayant travaillé durant huit ans, parallèlement à ses études universitaires, dans des maisons de transition pour femmes victimes de violence conjugale, elle s’attache à sensibiliser les gouvernements aux violences subies par les femmes et les enfants. Après la fin de son mandat, en 2010, elle partage son temps entre ses rôles d’envoyée spéciale de l’Unesco déléguée à la reconstruction du patrimoine culturel haïtien et de présidente du conseil d’administration de l’Institut québécois des hautes études internationales de l’université Laval. Engagée à faire progresser l’accès à l’éducation des filles dans le monde, M. Jean est nommée secrétaire générale de la Francophonie en novembre 2014.
Francesca MUSIANI
■ KOVACS S., « Michaëlle Jean, la “Petite Reine” du Canada », in Le Figaro, 9-9-2008.
JEAN, Yanick [PORT-AU-PRINCE 1946 - ID. 2000]
Écrivaine et peintre haïtienne.
Cette « femme magnifique et fragile », comme l’écrit Joëlle Vitiello de Yanick Jean, eut un parcours discret tout en créant dans son œuvre un complexe portrait de soi. Peu d’éléments de sa vie sont connus : son enfance difficile, son passage à New York (1968-1983), son union avec l’écrivain Syto Cavé et leur divorce, son travail de décoratrice au sein de la troupe haïtiano-new-yorkaise Kouidor, son retour en Haïti et sa mort prématurée. Dans une écriture fragmentée, elle crée dans sa poésie une subjectivité fictionnelle qui mythifie, non sans une profonde inquiétude, les jalons du devenir-femme. Son œuvre comprend deux recueils poétiques Recommencer Paule (1982) et La Fidélité non plus… (1986), et un roman inédit Joyeuse des distances.
Stéphane MARTELLY
■ CASTERA G., « L’intelligence est inquiète », in Boutures, vol. 1, no 3, 2000 ; VITIELLO J., « Yanick Jean, une femme totale capitale », in JEAN Y., La Fidélité non plus, Montréal, Mémoire d’encrier, 2003.
JEAN-BRUNHES DELAMARRE, Mariel [FRIBOURG 1905 - ID. 2001]
Géographe et ethnologue française.
Formée à la géographie humaine par l’étroite collaboration qu’elle a établie très tôt avec son père, Jean Brunhes, dont elle a poursuivi l’œuvre, Mariel Jean-Brunhes Delamarre est l’une des fondatrices d’une ethnologie scientifique de la France, dans un domaine réputé masculin, à travers l’intérêt qu’elle a accordé à la collecte de l’outillage pré-industriel, à la connaissance des pratiques d’élevage et de culture et à la muséographie. Elle a aussi co-dirigé un remarquable atlas aérien qui a non seulement révélé une nouvelle face du territoire français, mais a contribué à de nouvelles façons de voir la Terre.
Marie-Claire ROBIC
■ Avec HAUDRICOURT A.-G., L’homme et la charrue à travers le monde, Paris, Gallimard, 1955 ; avec DEFFONTAINES P., Atlas aérien de la France, 5 vol., Paris, Gallimard, 1955-1964 ; Le Berger dans la France des villages, Paris, Éditions du CNRS, 1970.
■ SEGALEN M., « Mariel Jean-Brunhes Delamarre (1905-2001). Une œuvre entre géographie et ethnologie », in Ethnologie française, no 3, 2002.
JEANMAIRE, Zizi (Renée JEANMAIRE, dite) [PARIS 1924]
Danseuse et artiste de music-hall française.
Entrée en 1933 à l’école de danse de l’Opéra de Paris, Renée Jeanmaire est engagée en 1939 dans le ballet qu’elle quitte en 1945. Dotée d’une désinvolture pétillante, d’une vitalité frondeuse, elle affine sa silhouette et sa brillante maîtrise néo-classique avec une inlassable ténacité auprès des maîtres Volinine et Kniassef. Puis elle rejoint, au Nouveau Ballet de Monte-Carlo, Serge Lifar qui, le premier, a su la distinguer et dont elle crée Aubade, puis Pygmalion (1946). À l’Original Ballet russe du colonel de Basil, elle préfère les jeunes Ballets de Paris où Roland Petit lui offre son rôle mythique de Carmen (1949). Femme libre, audacieuse et sensuelle, elle affirme son éclat dramatique et conquiert une notoriété internationale. Dans La Croqueuse de diamants (1950), elle révèle sa voix rauque et gouailleuse, avant d’aller tourner à Hollywood et d’interpréter à Broadway The Girl in Pink Tights (Agnes De Mille*). En 1954, elle épouse Roland Petit et, sans renoncer à sa passion de ballerine, devient une vedette chaleureuse capable de séduire un large public. Si elle danse Roxane dans Cyrano de Bergerac (Petit, 1959), La Symphonie fantastique (Petit, 1975), Carabosse écrasant de sa férocité La Belle au bois dormant (Petit, 1990), elle chante dans la comédie musicale Patron (1959), dans la revue Zizi, je t’aime (1972) au Casino de Paris qu’elle dirige trois saisons avec Petit, dans Cancan (1981) à Broadway, et à la télévision. Élégante et spirituelle, un temps symbole de la Parisienne dans le monde, elle échappe, comme sa Carmen, aux critères traditionnels.
Marie-Françoise CHRISTOUT
JEANNE III D’ALBRET [SAINT-GERMAIN-EN-LAYE 1528 - PARIS 1572]
Reine de Navarre, écrivaine et mécène française.
Fille de Marguerite d’Angoulême* et d’Henri II d’Albret, roi de Navarre, Jeanne d’Albret, duchesse de Vendôme, est éduquée par Aymée de Lafayette et l’humaniste Nicolas Bourbon. Le jour de Noël 1560, elle se convertit publiquement au calvinisme. Reine de Navarre depuis 1555, elle implante la Réforme en Béarn. Le cardinal Georges d’Armagnac dénonce cette politique dans une lettre que Jeanne III publie aussitôt, accompagnée d’une réponse sans appel (1563). Cinq ans plus tard, ayant pris la tête du mouvement protestant lors de la troisième guerre de religion, la reine de Navarre publie cinq de ses lettres, de même qu’une Ample declaration, dans lesquelles elle justifie sa prise d’armes. De son œuvre poétique nous restent quelques textes publiés en 1573 dans Les Œuvres françoises de Du Bellay. Mécène de premier plan, elle commande à Arnaud de Salette la traduction en béarnais du Psautier de Marot (1568), et assure en 1559 la première édition conforme de l’Heptaméron de sa mère. Son imposante correspondance n’a pas encore été publiée dans son intégralité.
Eugénie PASCAL
■ Mémoires et poésies (1893), Ruble A. de (éd.), Genève, Slatkine, 1970.
■ BERRIOT-SALVADORE É., CHAREYRE P., MARTIN-ULRICH C. (dir.), Jeanne d’Albret et sa cour, Paris, H. Champion, 2004 ; ROELKER N. L., Jeanne d’Albret reine de Navarre (1528-1572), Paris, Imprimerie nationale, 1979.
■ PASCAL E., « Jeanne d’Albret, la féminité et le pouvoir », in STEINBERG S., ARNOULD J.-C. (dir.), Les Femmes et l’écriture de l’histoire (1400-1800), Mont-Saint-Aignan, Publications des universités de Rouen et du Havre, 2008.
JEANNE D’ARC (ou LA PUCELLE D’ORLÉANS) [DOMRÉMY V. 1412 - ROUEN 1431]
Combattante française.
Petite bergère lorraine, Jeanne d’Arc dit avoir entendu, dès l’âge de 13 ans, des voix surnaturelles lui confiant la mission de sauver la France, alors occupée par les Anglais, soutenus par les bourguignons, lors de la guerre de Cent Ans. En janvier 1429, mue par une mystérieuse force intérieure, elle persuade le capitaine de Vaucouleurs, Robert de Baudricourt, de lui fournir une escorte pour se rendre auprès du roi Charles VII, réfugié à Chinon. Après une entrevue restée secrète avec ce dernier, elle obtient quelques troupes et se transforme alors en véritable chef de guerre. À la fin du mois d’avril 1429, à la tête de combattants galvanisés, elle marche sur la ville d’Orléans, assiégée par les Anglais depuis sept mois, et la délivre le 8 mai. Elle défait à nouveau les Anglais à Patay, le 18 juin, puis, sans combat, ouvre la route de Reims et permet le sacre de Charles VII le 17 juillet. Le roi de France est ainsi le monarque légitime d’un royaume retrouvé. L’année suivante, la jeune femme se lance au secours de Compiègne, assiégée par les bourguignons. Cependant, elle est capturée aux portes de la ville et ne parvient pas à s’évader, malgré plusieurs tentatives. Elle sera finalement livrée aux Anglais, puis jugée à Rouen comme hérétique et comme sorcière par un tribunal ecclésiastique présidé par le célèbre évêque de Beauvais Pierre Cauchon. D’abord condamnée à l’emprisonnement, elle est ensuite brûlée vive le 30 mai 1431, sur la place du Vieux-Marché. Elle a alors 19 ans. À la suite d’une enquête voulue par Charles VII, elle est réhabilitée par le pape Calixte III en 1456. Elle sera béatifiée en 1909 et canonisée en 1920. Couramment appelée la Pucelle, parfois même « la dixième preuse », en référence aux neuf preuses désignées par Jehan Le Fèvre, Jeanne d’Arc demeure encore aujourd’hui non seulement la sainte patronne protectrice d’Orléans mais aussi le symbole du patriotisme français. Son personnage, modeste bergère transformée par la foi en chef de guerre, a alimenté une abondante littérature et inspiré de nombreux films. Il fascine des dramaturges de toutes les époques, tels Shakespeare, Voltaire, Schiller ou Anouilh. En 1910, le poète français Charles Péguy écrit sur elle un ouvrage sublime et inspiré intitulé Le Mystère de la charité de Jeanne d’Arc. Son parcours de martyr sera adapté quinze fois au cinéma, de 1898 à 2000. Des cinéastes aux noms prestigieux se sont intéressés à son destin : les Américains Otto Preminger et Victor Fleming, le Danois Carl Theodor Dreyer, les Français Robert Bresson Jacques Rivette et Luc Besson. Quels que soient la véracité des actes d’héroïsme qu’on a pu lui prêter et son véritable impact sur l’histoire de France, Jeanne d’Arc reste une figure marquante de la guerre de Cent Ans et une icône à la réputation mondiale. Beaucoup de pays ont connu, depuis, des émules de cette héroïne, au destin similaire.
Elisabeth LESIMPLE
■ BEAUNE C., Jeanne d’Arc, vérités et légendes, Paris, Perrin, 2008 ; BOUZY O., Jeanne d’Arc, l’histoire à l’endroit, Tours, CLD, 2008 ; MARTIN P. (dir.), Jeanne d’Arc, les métamorphoses d’une héroïne, Nancy, Place Stanislas, 2009 ; Van Creveld M., Les Femmes et la guerre, Paris, Éditions du Rocher, 2002.
« JEANNE D’ARC » (LES NOUVELLES) [depuis le XVIIe siècle]
À l’instar de Jeanne d’Arc, des femmes très jeunes, dans différents pays, furent des agents actifs de libération.
Au Congo, Kimpa* Vita alias Dona Beatriz (1684-1706) se prétend possédée par l’esprit de saint Antoine de Padoue. Guidée par les voix célestes qu’elle dit entendre, elle entreprend une croisade contre certains dogmes du christianisme et notamment contre la façon dont les missionnaires portugais catholiques utilisaient la religion à leur profit. Comme Jeanne d’Arc, cette jeune femme engagée, qui représente avec sa secte une menace pour l’Église catholique et la suprématie blanche, sera jugée comme une hérétique et condamnée au bûcher à l’âge de 22 ans. Respectée pour le courage qu’elle a montré en osant faire valoir les traditions de son pays, elle est officiellement reconnue au Congo comme un précurseur des églises indépendantes.
Au Canada, Marie-Madeleine Jarret de Verchères (1678-1747), dite « Madelon », accomplit elle aussi en pleine jeunesse un acte d’héroïsme qui va l’immortaliser. À l’âge de 14 ans seulement, cette fille d’un seigneur de la Nouvelle-France défend audacieusement pendant huit jours le fort de Verchères attaqué par des Iroquois confédérés luttant contre l’implantation des colons européens. À Verchères, une statue de bronze à son effigie honore encore sa mémoire.
En Grèce, deux jeunes femmes se sont illustrées dans la guerre de l’indépendance de 1821, contre les Ottomans, et font figure d’héroïnes. Laskarina Bouboulina (1771-1825), issue de la noblesse, veuve très jeune et riche légataire, fait construire grâce à sa fortune une flotte de quatre navires dont elle n’hésite pas à prendre elle-même la tête. Elle sera assassinée dans des circonstances mystérieuses et son célèbre navire, l’Agamemnon, incendié quelques années plus tard. Manto Mavrogenous (1796-1848), élevée dans une riche famille de marchands de Trieste, finance, quant à elle, grâce à ses amis européens, une escadre qui opère depuis l’île de Mykonos. Cela lui vaudra le titre de lieutenant-général dans l’armée grecque.
Emilija Platerytė* (1806-1831), lituanienne de naissance, prend Jeanne d’Arc pour modèle lorsqu’elle se lance dans la lutte pour l’indépendance de la Pologne sous occupation russe. Entraînant un mouvement de paysans et s’affirmant rapidement comme une meneuse d’hommes, elle devient capitaine au sein de l’armée, distinction exceptionnelle pour l’époque. Elle trouvera la mort dans une embuscade, dans la forêt de Samogitie. Jusqu’en 1940, son image a orné les billets de 20 zlotys. En 2006, Varsovie a célébré avec faste le bicentenaire de la naissance de cette héroïne qui a donné son nom à une rue de la ville et que célèbrent également la Lituanie et le Bélarus.
La Jeanne d’Arc albanaise se nomme Yanitza Martinay. Cette fille d’un chef de clan s’est illustrée à la bataille de Vranye (1911) en s’élançant au milieu des soldats de son père décédé, en ouvrant le feu sur l’ennemi turc et en conduisant les siens à la victoire. La belle héroïne est encore aujourd’hui évoquée dans les chants populaires du Montenegro.
En Italie, la petite paysanne napolitaine Michelina De Cesare (1841-1868) se bat pour Dieu et pour son roi Francesco II de Bourbon, du royaume des Deux-Siciles, dans le conflit qui oppose les Piémontais du Nord, partisans de l’unité italienne, aux régions du Sud dont la révolte, connue sous le nom de « brigandage », est soutenue par les Bourbons en exil et l’Église catholique. Surnommée la Lionne du Sud ou la Brigantesse, elle sera capturée en août 1868, puis torturée, tuée et exposée nue aux yeux des habitants de son village de Mignano, à titre d’avertissement.
Rani Lakshmi Bai (ou Jhansi ki Rani*, 1830-1858), surnommée la Jeanne d’Arc indienne, s’impose comme une figure de la résistance à la colonisation anglaise. Reine du petit royaume de Jhansi, elle refuse de céder à l’armée britannique, qui tente d’annexer son territoire. Cependant, la petite armée qu’elle mobilise, inférieure en nombre, est vaincue. La jeune femme se replie avec quelques partisans dans la citadelle de Gwalior, assiégée, et y meurt à l’âge de 23 ans. Devenue une icône du mouvement pour l’indépendance indienne, elle a fait l’objet d’un poème de la poétesse Subhadra Kumari Chauhan (1904-1948) qui est aujourd’hui encore récité dans les écoles de l’Inde.
En Corée du Sud, Yu Kwan-sun (1902-1920) est une figure emblématique de la résistance aux forces japonaises, au début du XXe siècle. Au cours d’une insurrection pendant laquelle ses parents sont tués, la jeune femme, particulièrement déchaînée, se retrouve arrêtée et emprisonnée. Torturée, elle succombe à l’âge de 18 ans. La prison où elle fut internée a été transformée en musée.
Enfin, Maria Bochkareva (1889-1920) est la Jeanne d’Arc russe. Incorporée très tôt dans les forces du tsar, elle sert d’une manière exemplaire et est décorée à sept reprises. Promue sergent-chef, elle se voit confier le commandement d’un groupe d’une vingtaine d’hommes. Après la révolution bolchévique, en octobre 1917, elle combat les Rouges au sein d’un bataillon de volontaires féminines, mais doit bientôt fuir son pays natal pour se réfugier aux États-Unis. Conseillée par la célèbre féministe britannique Emmeline Pankhurst*, animatrice du mouvement des suffragettes, elle dicte et fait publier ses mémoires, qui connaissent un succès retentissant. Puis, nostalgique, elle retourne dans son pays natal. En 1918, sa tentative pour lever un « bataillon de la mort » féminin pour lutter contre les bolcheviks échoue. Arrêtée par la Tcheka pour ses actions anticommunistes, la jeune femme est condamnée à mort et exécutée en 1920, à l’âge de 31 ans.
Toutes engagées dans la défense de causes nobles ou sacrées et mortes à l’adolescence ou prématurément, ces Jeannes d’Arc du monde entier ont fréquemment suscité des interrogations et alimenté des polémiques. Les légendes qui entourent leurs biographies ne doivent pas faire oublier que ces guerrières et leurs actes de bravoure resteront des références dans l’histoire.
Elisabeth LESIMPLE
■ KLEN M., Femmes de guerre, une histoire millénaire, Paris, Ellipses, 2010.
JEANNE DE CHANTAL (Jeanne-Françoise FRÉMYOT DE CHANTAL, dite) [DIJON 1572 - MOULINS 1641]
Épistolière et fondatrice d’ordre française.
Sainte canonisée en 1767, Jeanne de Chantal était la fille d’un haut magistrat bourguignon, Bénigne Frémyot. Elle se maria en 1592 avec Christophe de Rabutin-Chantal et assura par la suite la gestion des affaires familiales. Devenue veuve en 1601, elle s’occupa de l’éducation de ses quatre enfants, d’œuvres de charité et d’oraisons. En 1604, invitée par son père à Dijon, elle fit la rencontre de l’évêque de Genève, François de Sales. Celui-ci devint son père spirituel et, dès 1607, lui présenta le projet de la fondation d’un ordre féminin. En 1610, Jeanne de Chantal s’installa à Annecy où elle créa avec François de Sales l’ordre de la Visitation. En profonde entente avec lui, elle en assura le développement et prit en main son gouvernement après la mort de l’évêque (1622). Son activité d’écriture et de publication témoigne de son implication : elle publia les lettres de François de Sales (Épistres spirituelles, 1629) et prépara des mémoires, utilisés ensuite par Dom Jean de Saint-François (Jean Goulu) pour établir la biographie du saint. En vue de leur application par l’ordre, elle fit imprimer ses Responses [… ] sur les règles, constitutions et coustumiers de nostre ordre de la Visitation (1632) et le Coustumier et directoire pour les sœurs religieuses de la Visitation de Saincte- Marie (1637). Au fil de l’avancement des fondations (87 monastères furent érigés de son vivant), elle écrivit davantage, et dicta abondamment aux religieuses qu’elle choisit comme secrétaires.
Sa vaste correspondance à la fois privée, religieuse et administrative (dont 2 600 pièces sont encore conservées à ce jour) a été lue comme un témoignage de la langue parlée au début du XVIIe siècle dans les milieux de l’aristocratie provinciale cultivée. On la considère également aujourd’hui comme la première grande épistolière française et comme une mère spirituelle qui géra l’expansion de l’ordre de la Visitation avec vivacité et sensibilité. Dès 1644, la mère Marie-Aimée de Blonay édita une partie de sa correspondance sous le titre Les Épîtres spirituelles de la mère Jeanne-Françoise Frémyot, baronne de Chantal, fidèlement recueillies par les religieuses du premier monastère d’Annecy.
Xenia VON TIPPELSKIRCH
■ Correspondance, 6 vol., Burns M.-P. (éd.), Paris, Éditions du cerf, 1986-1996.
■ BOUCHARD F., Sainte Jeanne de Chantal ou la Puissance d’aimer, Paris, Salvator, 2004 ; BREMOND H., Sainte Chantal (1912), Paris, Éditions du cerf, 2011.
■ MANNING R., « A confessor and his spiritual child : François de Sales, Jeanne de Chantal, and the foundation of the order of the Visitation », in Past & Present, supp. vol. 1, 2006.
JEFFMAR, Marianne [GRINDNÄSET 1935]
Écrivaine suédoise.
Née en 1935 dans un coin perdu du nord de la Suède, Marianne Jeffmar vient à la littérature par le biais de la psychologie, objet de sa thèse (Ways of Cognitive Action, 1978). Il en est resté quelque chose dans ses écrits de fiction, centrés sur les relations humaines, surtout entre générations. Ayant séjourné en terre francophone, elle maîtrise notre langue, a écrit un roman en français (À l’ombre du sapin, 1998), publié une anthologie d’écrivains belges en suédois et traduit des poésies de Werner Lambersy. Elle est aussi critique littéraire pour les grands quotidiens suédois. D’un bout à l’autre de sa carrière, elle a privilégié la forme courte, la densité et la subtilité de l’analyse. Les relations interfamiliales sont au centre des romans Älskade barn (« enfants chéris », 1985) et Rébecca, ta belle-mère (1987), où elle élabore une belle forme semi-épistolaire à deux voix. Le rapport père-fille fait l’objet d’un livre personnel et douloureux : Vargens mjuka tassar (« les douces pattes du loup », 1994). Mais c’est dans Sauter jusqu’au ciel (1990) qu’elle a réussi à donner à ce thème sa forme la plus originale : c’est l’histoire d’une femme qui pense mettre au monde le fils de Dieu. La forme (faussement naïve) de cette histoire de folie lui confère un humour délicat qui fait accepter ce qu’elle a d’inquiétant et de cruel. On trouve un ton analogue dans sa dernière publication, En vass obändig längtan (« un désir indomptable », 2009), qui raconte une histoire d’amour contrarié où la figure du loup joue un rôle important. Autre roman à caractère historique, Sprickan i skallen (« la fracture au crâne », 1993) se penche sur le personnage de Paracelse et lui découvre une sœur inconnue. Revenue au genre littéraire de ses débuts, le roman policier, M. Jeffmar a innové en confiant ses enquêtes à une journaliste belge, Suzanne De Decker. Publié en français, L’homme qui voulait être Simenon (2000) permet d’apprécier la subtilité du jeu de miroir entre un homme et son idole, et les conséquences qu’il peut avoir sur son entourage familial. Sa pièce Le Monstre est à la limite du tolérable, à propos d’un cas (réel) d’enfant assassin d’enfant. Autre publication originale : un livre où l’écrivaine parle de 75 titres qui lui ont été dédiés par leurs auteurs, classés par ordre alphabétique pour n’en froisser aucun : Till Marianne från a till ö (« à Marianne de A à Z », 2007).
Philippe BOUQUET
■ Sauter jusqu’au ciel (Hoppa opp i himlen, 1990), Levallois-Perret, Manya, 1990 ; Le Monstre (Odjuret, s. d.), Nantes, L’Élan, 1997 ; À l’ombre du sapin, Nantes, L’Élan, 1998 ; L’Homme qui voulait être Simenon (Mannen som ville vara Simenon, 2000), Paris, Phébus, 2003 ; Rébecca, ta belle-mère (Din styvmor Rebecka, 1987), Avin, Luce Wilquin, 2005.
JEFIMIJA (princesse Jelena SERSKA, épouse MRNJAVČEVIĆ, dite) [1350 - apr. 1404]
Femme de lettres serbe.
Jefimija est considérée comme la première femme de lettres serbe. Après la mort de son époux, le prince Uglješa Mrnjavčević, à la bataille de Marica contre l’armée ottomane en 1371, Jelena Serska se retire de la vie profane et s’installe dans la ville de Kruševac, où elle vit à la cour du prince Lazar Hrebeljanović, qui commandera l’armée serbe sur le champ du Kosovo Polyé en 1389. Après la bataille, elle aide la veuve du prince Lazar, Milica, dans la gestion des affaires diplomatiques et politiques d’un royaume désormais déclinant. Elle accompagne ainsi la princesse dans sa mission auprès du sultan Bajazet, dans la ville de Ser, en 1399. À cette occasion, elle offre au monastère de Hilandar une broderie d’or destinée à l’iconostase de l’église serbe du mont Athos, représentant Jésus-Christ, Basile de Césarée et Jean Chrysostome. Dans la partie inférieure de l’ouvrage est brodé un texte inspiré par l’enseignement de Syméon le Nouveau Théologien. L’œuvre la plus importante de Jefimija reste cependant Pohvala knezu Lazaru (« l’ode au prince Lazar », 1402), brodée sur le linceul façonné pour le cercueil du prince au monastère de Ravanica. Dans son Histoire du peuple serbe, Dusan T. Bataković écrit : « Le message contenu dans son poème est devenu une prière qui traduit sa profonde inquiétude et sa tristesse, ainsi que le sentiment général de crainte. L’émerveillement devant la conduite du prince Lazar se mélange aux cris douloureux appelant à venir en aide au peuple en danger, et il est fait état de la mésentente existant à cette époque entre les dignitaires serbes. » Il convient de retenir également un très court texte, Tuga za mladencem Uglješom (« deuil du jeune Uglješa »), gravé dans une petite icône en argent et dans lequel elle exprime la douleur d’une mère qui a perdu son jeune enfant.
Aleksandar JERKOV
■ BATAKOVIĆ D. T. (dir.), Histoire du peuple serbe, Lausanne, L’Âge d’homme, 2005.
JEHAN, Noor (ALLAH WASAI, dite) [KASUR, PENDJAB 1926 - KARACHI 2000]
Chanteuse, comédienne et cinéaste pakistanaise.
Véritable star de son vivant, Noor Jehan a remporté un immense succès populaire au cours d’une longue carrière de presque trois quarts de siècle, au point de se voir décerner le titre de reine de la mélodie (Malika-e-Tarannum). Fille de musiciens professionnels, elle a commencé à étudier la musique à l’âge de 6 ans et a joué son premier rôle à 9 ans dans le film Gul bakoli (« jacinthe », 1967). Elle s’est distinguée rapidement en défendant un répertoire incluant aussi bien les airs traditionnels de la musique indienne que ceux véhiculés par le théâtre de rue ou le folklore régional. D’après un décompte officieux, sa carrière de chanteuse, étalée sur sept décennies, lui a donné l’occasion d’interpréter un ensemble exceptionnel de 10 000 chansons, en ourdou, hindi, pendjabi, saraiki et sindhi. Elle a également embrassé dans les années 1930 une carrière cinématographique, interprétant des rôles d’enfants, réalisant des doublages musicaux, puis des premiers rôles, comme celui qu’elle tenait dans Bari maa (« grand-mère », 1945). Entre 1932 et 1947, elle a tourné en Inde dans 69 films parlants. Venue s’installer au Pakistan en 1947, N. Jehan y a mené le second chapitre de sa carrière artistique. Elle est apparue dans 14 films à grand succès, comme Chan Wey (« oh la lune », 1951), dont elle a assuré la coréalisation, devenant ainsi la première femme cinéaste du pays. Par la suite, elle a tourné dans Dopatta (« châle », 1952), Anarkali (« fleur de grenade », 1958), Mirza ghalib (« le grand poète », 1961) ou Baji (« sœur aînée », 1963). Elle a poursuivi la réalisation de chansons et de doublages musicaux, et a prêté sa voix aux comédiennes débutantes Neeli et Reema au début des années 1990. Militante de la cause pakistanaise et nationaliste, N. Jehan s’est illustrée à plusieurs reprises en période de tensions et de conflits militaires, en reprenant avec ferveur des chants patriotiques diffusés sur les ondes nationales. Elle a été récompensée du President’s Award en 1957, en reconnaissance de ses talents musicaux et cinématographiques, et du prix Tamqha-e-Imtiaz en 1965.
Roshan GILL
■ Treasures of Noor Jehan : A Collection of Cherished Songs, Virgin, 2010 ; Greatest Punjabi Hits, EMI Pakistan, 2011.
JEIROUDI, Diana EL- [DAMAS 1977]
Réalisatrice syrienne.
Diplômée du département d’anglais de l’Université de Damas, Diana el-Jeiroudi se révèle une réalisatrice d’avenir dans le cinéma de son pays. Elle débute en 2002, en cofondant avec Orwa Nyrabia, son époux, une société de production de films documentaires, Proaction Film, la seule maison de production indépendante de Syrie, après avoir compris que sa famille ne la laisserait pas mener une carrière d’actrice. Son premier court-métrage documentaire, Qaroura (« le pot », 2005), a pour thème la grossesse. Dolls : a Woman from Damascus (« les poupées », 2007), long-métrage également documentaire, évoque la vie d’une jeune épouse et mère au sein de la société syrienne traditionnelle et s’intéresse aux relations que la jeune femme développe avec la poupée de sa fille. Enveloppée dans une écharpe, enfermée dans une boîte en plastique et dépendante des attentes d’autrui, la poupée se trouve ainsi dans une situation qui présente quelques similitudes avec la sienne. La réalisatrice s’inquiète de l’absence de financement pour le cinéma en Syrie, en dehors des subventions de l’Office national du cinéma, qui ne dispose lui-même que de très peu d’argent. D. el-Jeiroudi a également créé, avec O. Nyrabia, le premier festival du film documentaire de création indépendant en Syrie, Dox Box, qui a lieu à Damas depuis février 2008.
Eylem ATAKAV
■ GIROD M., « Few oases in the desert », in HILLAUER R., Encyclopaedia of Arab Women Filmmakers, Le Caire/New York, The American University in Cairo Press, 2005 ; SALTI R., « Critical nationals : the parodoxes of syrian cinema », in ID., Insights into Syrian Cinema : Essays and Conversations with Contemporary Filmmakers, New York, Rattapallax Press, 2006.
JEKYLL, Gertrude [LONDRES 1843 - MUNSTEAD WOOD 1932]
Conceptrice de jardins britannique.
De son père, Gertrude Jekyll a appris l’amour de l’art, du jardinage et des travaux manuels. Elle étudie à la National School of Art de South Kensington à Londres, à partir de 1861, mais doit abandonner sa brillante carrière d’artiste et de créatrice dans le domaine des arts décoratifs à cause de problèmes de vue. Dès 1863, elle se consacre à la collecte et la reproduction des plantes sauvages ou provenant de jardins britanniques et européens. Son approche entièrement nouvelle du jardin victorien à Munstead House (1876) lui vaut une renommée internationale. En s’inspirant de deux écoles du paysagisme de la fin du XIXe siècle, elle dessine un parc alliant ordre architectural et charme du jardin formel à une approche plus libre des plantations et une variété plus étendue de plantes, afin d’obtenir un résultat plus naturel caractéristique des « jardins sauvages » chers à son ami William Robinson (1838-1935). Pour son admirable propriété de Munstead Wood (1895) et plus de 400 commandes publiques ou privées, elle a conçu et planté des jardins basés sur ses principes : simple regroupement de types de végétation – fleurs ou feuillages – permettant des séries de belles couleurs, plantes en nombre limité et en groupes bien proportionnés, aménagement de paisibles espaces gazonnés et, plus particulièrement, de liens entre la maison et le jardin, le jardin et les bois. L’élément principal est la bordure de vivaces (herbaceous border) destinée à créer des vagues de couleurs harmonieuses et artistiques. Elle est réputée pour sa collaboration avec l’architecte sir Edwin Lutyens (1869-1944), qui lui confia notamment l’aménagement des jardins dernièrement restaurés de Hestercombe (Taunton, Somerset 1904). Brillante communicatrice, elle a rédigé 14 ouvrages marquants et plus de 1 000 articles sur les jardins et sujets apparentés.
Lynne WALKER
■ Wood and Garden (1899), Whitefish (Montana), Kessinger Publishing, 2005 ; Id., Old West Surrey (1904), Andover (Hampshire), Phillimore & Co, 1999.
■ FESTING S., Gertrude Jekyll, Londres, Viking, 1991 ; TOOLEY M., « Jekyll, Gertrude (1843-1932) », in MATTHEW C., HARRISON B. (dir.), Oxford Dictionary of National Biography, Oxford, Oxford University Press, 2004.
JELIN, Elizabeth [BUENOS AIRES 1941]
Sociologue argentine.
Elizabeth Jelin se forma en Argentine, au Mexique où elle travailla, puis aux États-Unis où elle obtint son doctorat. Ses recherches furent marquées par le souci de dénoncer les inégalités sociales et de soutenir les luttes en faveur de la justice. Elle s’intéressa d’abord aux émigrés ruraux dans les villes d’Amérique latine, aux femmes des classes populaires, aux femmes face au marché du travail et aux revendications des ouvrières au cours des années 1960-1970. Lors de la dictature militaire qui s’abattit sur l’Argentine de 1976 à 1983, elle consacra ses travaux aux mouvements sociaux d’opposition, aux demandes de citoyenneté qui s’y manifestèrent, et, plus récemment, aux combats pour conserver la mémoire des années de violence politique extrême. Au moment de l’imminence de la dictature militaire, elle créa, avec un groupe de collègues, le célèbre Centre d’études de l’État et de la société (Cedes), qu’elle dirigea pendant plusieurs années et qui offrit une oasis de pensée critique et de formation aux jeunes chercheurs, malgré la terreur d’État. Plus tard, lors de la transition postdictatoriale, de nouveaux défis se présentèrent, notamment reconstruire l’université publique et le système de création scientifique. Elle participa alors au Conseil national de la recherche scientifique et technique (Conicet) et joua un rôle de premier rang au sein de l’Institut de développement de l’économie sociale (Ides), où elle se consacra essentiellement à la formation, tout en collaborant activement avec des institutions académiques et culturelles internationales (Unesco, Social Science Research Council, Wissenschaftskolleg).
Viviane BRACHET-MARQUEZ
■ Los nuevos movimientos sociales, derechos humanos, obreros, barrios, Buenos Aires, CEAL, 1985 ; (dir.), Ciudadanía e identidad, las mujeres en los movimientos sociales latinoamericanos, Genève, UNRISD, 1987 ; Los Trabajos de la memoria, Madrid/Buenos Aires, Siglo XXI, 2002 ; Pan y afectos, la transformación de las familias, 1998, Buenos Aires, Fondo de cultura económica, 2010.
■ Avec BALÁN J., BROWNING H. L., Men in Developing Society : Geographic and Social Mobility in Monterrey, Mexico, Austin/Londres, University of Texas Press, 1973 ; Avec HERSHBERG E. (dir.), Constructing Democracy, Human Rights, Citizenship and Society in Latin America, New York, Westview Press, 1996.
JELINEK, Elfriede [MÜRZZUSCHLAG 1946]
Romancière et dramaturge autrichienne.
Prix Nobel de littérature 2004.
En 2004, Elfriede Jelinek recevait le prix Nobel de littérature, honneur suprême pour une écrivaine qui a renouvelé la langue littéraire allemande. Ses textes jouent sur l’ambiguïté du langage : hyperboles satiriques, calembours avec montage de citations de la littérature classique, bandes dessinées, textes de théories philosophiques, littéraires et psychanalytiques. En même temps, la phrase subit souvent de subtils déplacements. Le comique grotesque de ce jeu réussit à révéler les significations cachées de la parole et à démasquer avec esprit les clichés sociaux. E. Jelinek critique violemment les structures de pouvoir social et sexuel, avant tout l’oppression de la femme par l’homme et la mentalité de soumission, nourrie du mythe de l’amour, chez la femme ; ainsi les romans Lust (1989), Avidité (2000) et sa première pièce de théâtre, Ce qui arriva quand Nora quitta son mari (1977). Elle ne cesse de thématiser le refoulement de la culpabilité nazie : dans les pièces Burgtheater (1980), Totenauberg (1991) et dans son roman le plus important, Enfants des morts (1995). Son œuvre multiple se compose de romans et de pièces de théâtre, de pièces radiophoniques, d’essais et de films, ainsi que de nombreux textes publiés uniquement sur son site Web. Sa percée littéraire a lieu en 1983 avec La Pianiste. Ce roman, en partie autobiographique, est également un règlement de compte avec sa mère autoritaire, qui la destinait dès l’âge de 6 ans à la carrière de pianiste. La jeunesse de E. Jelinek est marquée par un dressage d’entraînement constant. À 13 ans, elle fréquente, en plus de l’école, le conservatoire de Vienne où elle étudie l’orgue, le piano, la flûte à bec et plus tard la composition, conservatoire qu’elle quitte en 1971 avec le diplôme d’État d’organiste. Ces années de surcharge de travail finissent par provoquer, après son baccalauréat en 1964, une grave névrose d’angoisse. Elle doit interrompre ses études de théâtre et d’art au bout de trois ans. 1968 représente l’acmé de ses crises : elle vit un an durant dans un complet isolement avec sa mère dominatrice et son père, atteint entre-temps d’une grave démence. Elle ne quitte plus la maison, mais elle écrit. Ses textes sont une fuite devant le dressage maternel : « Je crois que le langage m’a sauvé la vie » (Sinn und Form, no 6, 2004). Elle impute ce plaisir du jeu langagier au jeu du trait d’esprit de son père, ses textes se situant dans la tradition juive de la satire et de la critique du langage. Le renouveau apporté par E. Jelinek est aussi sensible dans son théâtre. Il s’agit le plus souvent de monologues qui ne sont pas attribués à des personnages, mais que le metteur en scène – auquel elle accorde expressément le droit de remanier son texte – doit répartir entre les comédiens ; ainsi Wolken, Heim (« au pays, des nuées ») en 1990 joue de la déformation de citations prises aux textes de l’idéalisme allemand, de Kleist, de Heidegger et de la RAF, pour détruire le mythe du Deutschtum, le « germanisme ». Sa pièce Ulrike Maria Stuart, publiée en 2006, confronte sur scène un spectacle multimédia à la voix d’un personnage-auteur autoréflexif qui parodie son obsession d’écrire et dont le monologue traite de vaines illusions, de solitude et de désespoir. Le parler cynique et même obscène de ses textes littéraires forme un contraste avec sa présentation personnelle, celle d’une Viennoise très élégante mais plutôt timide. Elle vit alternativement à Vienne et auprès de son mari à Munich.
Helga GALLAS
■ Ce qui arriva quand Nora quitta son mari (Was geschah, nachdem Nora ihren Mann verlassen hatte, 1977), Paris, L’Arche, 1993 ; La Pianiste (Die Klavierspielerin, 1983), Paris, Seuil, 1993 ; Lust (Lust, 1989), Paris, Seuil, 1996 ; Totenauberg (Totenauberg, 1991), Nîmes, J. Chambon, 1994 ; Avidité (Gier, 2000), Paris, Seuil, 2003 ; Enfants des morts (Die Kinder der Toten, 2004), Paris, Seuil, 2007.
■ HOFFMANN Y., Elfriede Jelinek, une biographie, Paris, J. Chambon, 2005 ; LÜCKE B., Elfriede Jelinek, Eine Einführung in das Werk, Paderborn, Fink, 2008.
JELLICOE, Ann [MIDDLESBOROUGH, YORKSHIRE 1927]
Metteur en scène et dramaturge britannique.
Après des études de théâtre à la Central School of Speech and Drama de Londres, Ann Jellicoe s’intéresse aux innovations possibles dans l’espace théâtral et à la réception par le public. En 1952, elle fonde le Cockpit Theatre, où elle explore les possibilités d’une scène ouverte, qui donne un nouvel élan au théâtre des années 1950. Sa première pièce, The Sport of My Mad Mother (« le jeu de ma mère folle », 1958), choque le public par sa mise en scène innovante de ces histoires sur des gangs urbains. Dans une satire de la comédie de mœurs traditionnelle, l’auteure met en scène les gens des classes les plus défavorisées, ce qui lui vaudra un grand succès avec Le Knack (1962), caricature de l’art de séduire. La version filmée en 1965 sous la direction de Richard Lester reçoit la Palme d’or à Cannes et reste l’un des meilleurs exemples de la nouvelle vague britannique. A. Jellicoe joue un rôle clé dans le théâtre britannique en développant le concept de « Community Plays » : les pièces s’inscrivent dans la vie d’une localité et les habitants deviennent les participants actifs du spectacle.
Geneviève CHEVALLIER
■ Le Knack (The Knack : A Comedy in Three Acts, 1962), Paris, l’Avant-Scène, 1967.
■ Community Plays : How to Put Them On, Londres, Methuen, 1987.
JEMMAT, Catherine (née YEO) [EXETER, DEVONSHIRE 1714 - ID. V. 1766]
Poétesse et écrivaine britannique.
Catherine Jemmat a 5 ans à la mort de sa mère. Son père, un homme autoritaire, futur amiral, se remarie rapidement et elle est envoyée en pension. Sans charme physique mais intelligente, elle épouse un marchand de tissus de Plymouth, un ivrogne sans le sou, qui la bat. Pour gagner de l’argent, semble-t-il, elle publie ses Memoirs (1762), ouvrage enlevé, parfois drôle, authentique, dont elle pensait qu’il divertirait au moins autant que les romans imaginaires de Richardson. Dans Miscellanies in Prose and Verse (1766), on trouve son « Essay in Vindication of the Female Sex » (« essai de justification du sexe féminin »), qui s’insurge contre l’inégalité entre les hommes et les femmes, « Question on the Art of Writing » et « The Rural Lass » (« la jeune campagnarde »), poème paru dès 1750, et avec succès, dans The Gentleman’s Magazine.
Françoise LAPRAZ SEVERINO
■ STODOLA POMERLEAU C., « Resigning the needle for the pen », a study of autobiographical writings of british women before 1800, Philadelphie, University of Pennsylvania, 2000.
JENNINGS, Elizabeth [BOSTON, LINCOLNSHIRE 1926 - BAMPTON 2001]
Poétesse britannique.
Elizabeth Jennings étudie à Oxford de 1945 à 1949 et y travaille ensuite comme bibliothécaire. Ses poèmes sont d’abord publiés dans les revues Oxford Poetry, New English Weekly, The Spectator et Poetry Review et son premier recueil (Poems) paraît en 1953. Avec Philip Larkin, Kingsley Amis, Donald Davie ou Thom Gunn, elle fait alors partie du Movement, groupe littéraire s’inscrivant en réaction contre le modernisme et la poésie des pulsions. En 1965, elle reçoit le prix Somerset Maugham pour son deuxième recueil, A Way of Looking, et séjourne trois mois à Rome. Ce séjour est déterminant pour le renouvellement de son inspiration, qui devient essentiellement religieuse, et tous ses recueils et autres écrits sont un acte de foi dans l’énergie vitale et dans ses contradictions. Pour elle, l’acte poétique relève intrinsèquement d’une expérience mystique, d’un effacement de soi, et se révèle dans une écriture de plus en plus épurée. Le recueil d’essais Every Changing Shape, Mystical Experience and the Making of Poems (« à travers les formes et leurs changements, expérience mystique et acte poétique », 1961) nous mène ainsi de Julian of Norwich* et sainte Thérèse* d’Avila à Wallace Stevens et David Gascoyne. Son dernier recueil, New Collected Poems, paraît en 2001.
Michel REMY
JENNINGS, Gertrude (Eleanor JENNINGS, dite) [1877 - FITTLEWORTH, SUSSEX 1958]
Dramaturge britannique.
Fille d’un correspondant de presse devenu député de Stockport, près de Manchester, peu après son retour en Angleterre en 1876, et d’une actrice de théâtre américaine, c’est dans le cadre de l’Actresses Franchise League que Gertrude Jennings se fait connaître sur la scène du West End. Pendant la Première Guerre mondiale, elle fait partie des dramaturges sollicités par Lena Ashwell pour composer des pièces destinées à divertir les soldats. Dans une Angleterre d’après-guerre désireuse d’un théâtre apparemment frivole, ses pièces attirent le public du West End. Très tôt engagée dans le féminisme, G. Jennings voit en fait dans les comédies sociales un moyen de situer plus clairement les femmes dans le contexte culturel et social. Avec à son actif plus d’une cinquantaine de pièces, écrites entre 1910 et 1955, elle dépeint sur un mode comique (que la critique masculine du début du XXe siècle ne manquera pas de lui reprocher) les femmes comme plus responsables et clairvoyantes que les hommes, souvent aveuglés par leur volonté de pouvoir. C’est à partir du rôle qu’elles jouent au sein de la famille, fortes figures matriarcales comme celle qui domine la pièce Family Affairs, que les femmes peuvent avoir une influence sur la nation tout entière.
Geneviève CHEVALLIER
■ GALE M., West End Women : Women and the London Stage, 1918-1962, Londres, Routledge, 1996.
JERITZA, Maria (Marie JEDLIČKOVÁ, dite) [BRNO 1887 - ORANGE 1982]
Soprano tchèque.
Maria Jeritza est un phénomène vocal. Elle passait en effet aisément du registre de soprano lyrique léger à celui de grand soprano dramatique, et sa beauté lui permettait d’incarner sur scène les personnages les plus séduisants. Son rayonnement et sa personnalité lui ont valu le surnom de « Coup de foudre morave ». Née en Moravie, M. Jeritza fait ses débuts sur scène en 1910 à Olmütz (Olomouc) en Elsa de Lohengrin, de Richard Wagner. L’empereur François-Joseph l’entend et ordonne que lui soit offert sur le champ un contrat avec l’Opéra de la Cour de Vienne, théâtre auquel elle restera attachée jusqu’en 1935. Elle y crée le rôle de Blanchefleur de l’opéra de Wilhelm Kienzl Der Kuhreigen en 1911, le rôle-titre d’Ariane à Naxos de Richard Strauss en 1912, celui de l’Impératrice de La Femme sans ombre du même R. Strauss en 1919 et Maris/Marietta dans La Ville morte d’Erich Wolfgang Korngold en 1920. C’est dans ce dernier rôle qu’elle fait ses débuts le 19 novembre 1921 au Metropolitan Opera de New York dont elle sera l’hôte privilégiée jusqu’en 1932. Le 16 novembre 1926, elle est Turandot pour la première nord-américaine de l’ouvrage de Giacomo Puccini au Metropolitan Opera, où elle introduit également Jenufa de Leoš Janáček en 1924, Les Joyaux de la Madone d’Ermanno Wolf-Ferrari en 1925, Violanta d’E. W. Korngold en 1927, Hélène l’Égyptienne de Strauss en 1928, Boccace et Donna Juanita de Franz von Suppe en 1931 et 1932. Tout comme à Vienne, sa popularité à New York est immense, notamment dans Tosca de Puccini, Carmen de Bizet et Thaïs de Massenet. Elle est aussi invitée au Covent Garden de Londres. Elle se retire de la scène en 1937. Après la Seconde Guerre mondiale, elle fait son retour en récital, puis à la scène, jusqu’en 1947, notamment à Vienne. Elle se retire définitivement en 1955.
Bruno SERROU
JESENSKÁ, Milena [PRAGUE 1896 - RAVENSBRÜCK 1944]
Journaliste, traductrice et résistante tchèque.
Après des études secondaires dans le premier établissement pour filles fondé à Prague, le lycée Minerva, Milena Jesenská entreprend sur l’insistance de son père des études de médecine, rapidement abandonnées, au profit de la fréquentation des cafés qui abritent l’essentiel de la vie culturelle praguoise. D’emblée, elle marque sa préférence pour les lieux où se mêlent les cultures tchèque, allemande et juive, tel le café Arco, où elle fait la connaissance d’Ernst Pollak, un jeune traducteur juif allemand, qu’elle épouse en 1916 et avec lequel elle s’installe à Vienne en 1918. Elle y entame alors un travail de chroniqueuse de mœurs et de mode pour le compte du grand journal praguois Národné lísty et des revues progressistes qui fleurissent dans ce qui est désormais la capitale du jeune État tchécoslovaque. Ces rubriques, au ton léger, témoignent de sa connaissance intime des milieux culturels, mais aussi des tendances sociales les plus avant-gardistes, ainsi que d’une indépendance d’esprit qui la maintient à bonne distance des élans nationalistes qui sont le lot commun de la presse de l’époque. Le début des années 1920 est marqué par sa relation quasi exclusivement épistolaire avec Franz Kafka, qui se prolonge jusqu’en 1923, peu avant la mort de celui-ci. Une relation qui évince trop souvent son rôle de traductrice de l’œuvre de Kafka en tchèque. À son retour à Prague, le début des années 1930 marque son rapprochement éphémère avec le Parti communiste. En 1936, elle rompt cependant avec lui, dans l’atmosphère de purges internes qui succède à l’accueil critique réservé en Tchécoslovaquie aux premiers grands procès de Moscou. Les années qui précèdent l’occupation du pays par le Reich, en mars 1939, donnent matière à ses articles les plus pertinents, publiés dans la revue Přítomnost (« présent »), où elle exprime son talent de journaliste politique auprès des réfugiés antinazis qui affluent. Elle prend brièvement la tête de Přítomnost, jusqu’en août 1939, avant de se consacrer exclusivement à des activités politiques clandestines, publiant dans un journal illégal, V Boj (« combat »), et hébergeant des pilotes tchèques et des personnes persécutées cherchant à gagner la Pologne. Arrêtée par la Gestapo en novembre 1939, elle est jugée pour haute trahison en mai 1940 à Dresde, puis déportée à Ravensbrück. Là, du fait notamment de sa pratique de l’allemand, elle contribue aux côtés de nombreuses déportées tchèques à l’organisation interne du camp, prenant sous son aile l’ex-militante communiste allemande Margarete Buber-Neumann, précédemment internée dans les goulags soviétiques. Épuisée, M. Jesenská succombe le 17 mai 1944 d’une infection.
Maxime FOREST
■ Vivre, Rein D. (dir.), Paris, 10-18, 1996.
JESENSKÁ, Zora [MARTIN 1909 - BRATISLAVA 1972]
Journaliste et critique littéraire slovaque.
Après avoir étudié la musique à Bratislava, Zora Jesenská, issue d’une famille engagée pour la cause nationale slovaque, retourne en 1935 dans sa ville natale de Martin où elle travaille comme rédactrice pour la revue féminine Živena. Elle se consacre à la traduction dès le début des années 1950. Très impliquée dans le mouvement du printemps de Prague, elle fait partie des premiers intellectuels mis à l’écart par le régime communiste. Ses articles sur la théorie de la traduction, ainsi que certains de ses essais, ont été publiés dans le recueil Vyznania a šarvátky (« confessions et querelles ») en 1963.
Diana LEMAY
■ COLLECTIF, Slovník slovenských spisovateľov 20, storočia, Bratislava, Literárne informačné centrum, 2008 ; MIKULA V. (dir.), Slovník slovenských spisovateľov, Bratislava, Kalligram & Ústav slovenskej literatúry SAV, 2005.
JESSEN, Ida [SUD DU JUTLAND 1964]
Écrivaine danoise.
Le premier recueil de nouvelles d’Ida Jessen, Under sten (« sous pierre »), est édité en 1989 alors qu’elle est encore étudiante. Ses personnages principaux, souvent des femmes seules, marquées par un deuil ou une souffrance profonde, apparaissent au fil du récit comme des êtres forts au destin tortueux. Ses romans et nouvelles, pour la plupart des thrillers psychologiques, se caractérisent par un réalisme qui n’est jamais explicatif et par des héroïnes dont le mystère n’est jamais intégralement dévoilé. De 2001 à 2009, elle écrit une trilogie dont les volumes ont en commun l’hostilité des habitants d’une petite ville de province à l’égard des nouveaux arrivants, qui deviennent les objets de rumeurs et de calomnies : Den der lyver (« celui qui ment », 2001), Det første jeg tænker på (« la première chose qui me vient à l’esprit », 2006) et Børnene (« les enfants », 2009). En 2003, elle publie Foxy Lady I-V, qui se distingue de ses autres romans tant par le lieu qu’il décrit, un petit village méditerranéen peuplé exclusivement de femmes, que par l’atmosphère, à la fois fantastique et sensuelle.
Lise DUBOST
JESUS, Carolina Maria DE [SACRAMENTO, ÉTAT DU MINAS GEIRAS 1914 - SÃO PAULO 1977]
Écrivaine brésilienne.
D’origine humble, Carolina Maria de Jesus interrompt sa scolarité pour aller vivre avec sa mère, veuve, et ses frères dans une hacienda. En 1937, à la mort de sa mère, elle s’installe à São Paulo, où elle commence à travailler comme servante. Enceinte de son premier fils, elle perd son travail et doit aller vivre dans une favela, où elle ramasse des papiers et des ordures afin de les revendre. Elle donne naissance à deux autres enfants, de pères différents, mais ne se marie jamais. Lorsqu’il apprend qu’une Noire pauvre et presque illettrée écrit un livre, le journaliste Audálio Dantas la recherche. Il lit les 35 cahiers manuscrits dans lesquels elle raconte sa vie depuis 1955. Après avoir beaucoup insisté, il parvient à convaincre la maison d’édition Francisco Alves de les publier. C’est ainsi que paraît le premier livre de C. M. de Jesus, Le Dépotoir, plébiscité par les lecteurs au Brésil, puis à l’étranger : traduit en trois langues, il circule dans quarante pays. Grâce à ce succès, l’écrivaine peut quitter sa favela et s’acheter une maison. Elle est invitée à participer à des congrès au Brésil et à l’étranger. Au cours des années suivantes, elle publie d’autres livres dont Ma vraie maison, qui raconte sa nouvelle vie loin de la misère, Provérbios (« proverbes », 1965) et Pedaços de fome (« morceaux de faim », 1963), qu’elle édite elle-même. Dans certains de ses romans comme Felizarda et Os escravos (« les esclaves »), resté inachevé, elle dépeint la vie des riches. À la fin de sa vie, devenue âgée, retombée dans la pauvreté, oubliée et recluse dans une petite ferme, elle écrit Journal de Bitita (1982), qui ne sera publié au Brésil qu’en 1986. Dans cette œuvre que l’on pourrait considérer comme la dernière partie de sa trilogie biographique, elle se remémore son enfance et son adolescence, vécues dans la misère et la violence exacerbées par les préjugés sociaux et raciaux. Après sa mort, 5 000 pages de poèmes, de nouvelles, de romans et d’œuvres dramatiques pour la plupart inédits sont découvertes.
Regina CRESPO
■ Le Dépotoir (Quarto de despejo, 1960), Paris, Stock, 1962 ; Ma vraie maison (Casa de alvenaria, 1961), Paris, Stock, 1964 ; Journal de Bitita (Diário de Bitita, 1986), Paris, Métailié, 1982.
JEUX OLYMPIQUES
Les Jeux olympiques des temps modernes conçus par Pierre de Coubertin furent clairement destinés à « l’athlète mâle individuel », car, si l’humaniste se révéla un visionnaire souvent très en avance sur ses contemporains, il resta sur ce point imprégné des mœurs de son époque et des conceptions du milieu social dont il était issu, considérant que jeunes filles et femmes devaient pouvoir accéder aux bienfaits de l’exercice physique, mais réprouvant qu’elles s’exhibent en public marquées par les stigmates de l’effort. Dans l’Antiquité, si la légendaire Atalante courait plus vite que les hommes et ne fut vaincue que lorsque Hippomène eut laissé tomber les pommes d’or qu’elle s’attarda à ramasser, les jeux d’Olympie étaient réservés aux hommes, libres, et seule la prêtresse de Déméter pouvait assister aux épreuves dont la vue était interdite aux femmes mariées. Aucune épreuve féminine ne figurait au programme. Certes, les sources dont on dispose sont très parcellaires, mais par la précision de ses descriptions, que confirmeront dix-sept siècles plus tard les fouilles archéologiques sur le site, Pausanias (IIe s. apr. J.-C.) apparaît hautement fiable. Or il relate une seule compétition, symbolique : la course disputée tous les quatre ans par les jeunes filles, en l’honneur d’Héra, « cheveux pendants, tunique au-dessus du genou, épaule droite nue », sur le stade olympique (192, 28 m, mais amputés d’un sixième). Parmi les 311 participants, dont 230 Grecs, des 13 nations qui s’alignent dans l’une des 43 épreuves des neuf sports inscrits aux premiers Jeux de l’ère moderne à Athènes du 6 au 15 avril 1896, il n’y aura aucune femme. S’il en est un peu différemment à Paris en 1900, où elles apparaissent dans neuf disciplines sur 34, c’est qu’il s’agit en fait non des Jeux olympiques proprement dits mais des « concours internationaux d’éducation physique et de sports » de l’Exposition universelle ; deux épreuves réservées aux femmes sont en tout cas organisées : le tennis (15 concurrentes) à l’île de Puteaux et le golf à Compiègne ; la Britannique Charlotte Cooper, tête nue, n’hésitant pas à monter au filet, bat la Française au canotier Hélène Prévost 6/1, 6/4 ; tandis que l’élégante Margaret Abbott du Golf Club de Chicago, étudiante ès beaux-arts à Paris, terminant le parcours de neuf trous en 42 coups, devance les quatre autres concurrentes américaines et les cinq françaises, dont Mme Froment-Meurice, quatrième. Si les Jeux de Saint Louis (États-Unis) en 1904 ne marquent aucune avancée, la situation est déjà différente à Londres en 1908 : l’on y dénombre 36 femmes. Des gymnastes danoises effectuent une démonstration appréciée. Les 28 et 29 octobre – car ces quatrièmes Jeux s’étendirent sur six mois – figure une épreuve de patinage artistique aisément gagnée par la Britannique Madge Meyers, deuxième en 1902 des Championnats du monde « dames et messieurs » où elle ne fut devancée que par le célèbre Suédois Ulrich Salchow.
Sous le soleil de l’été scandinave, les Jeux olympiques de Stockholm en 1912 sont organisés de manière autonome, délivrés de la promiscuité et de la tutelle d’une foire-exposition, fût-elle universelle. Sur 2 490 concurrents, 57 sont des femmes, et la natation fait son entrée, avec le 100 mètres nage libre remporté par l’Australienne Fanny Durack et le plongeon de haut vol, concours quasi exclusivement suédois dominé par Greta Johansson. C’est une réussite, et la part réservée aux femmes progresse d’olympiade en olympiade. Il en sera différemment pour l’escrime : le fleuret féminin gagné à Paris 1924 par la Danoise Ellen Osiier restera une épreuve isolée jusqu’au fleuret par équipes qui n’apparaît qu’en 1960 à Rome ; il faudra attendre Atlanta en 1996 pour que l’épée individuelle et par équipes les rejoigne, avec une double médaille d’or pour la Française Laura Flessel*. Mais la bataille majeure est celle de l’athlétisme. La Française Alice Milliat a tenté de l’imposer, avec les Jeux olympiques féminins organisés tous les quatre ans à partir de Paris 1922. Le Comité international olympique (CIO) et l’International Amateur Athletics Federation (IAAF) demeurent plus que réticents. En 1928 à Amsterdam – tandis que disparaît le tennis masculin et féminin, dont le simple était revenu à Dorothea Chambers (1908), Marguerite Broquedis (1912), Suzanne Lenglen* (1920) et Helen Wills* (1924) –, il leur faut tout de même concéder l’entrée de cinq épreuves : le 100 mètres, gagné en 12 s 2 par une quasi-débutante qui n’a pas encore 17 ans, l’étudiante américaine de l’Illinois Elizabeth Robinson, le relais quatre fois 100 mètres, la hauteur, le disque, sans oublier le 800 mètres. Autour de celui-ci vont se cristalliser les positions. La course est remportée par l’Allemande Karoline Radke, qui résiste au beau retour de la Japonaise Hitomi Kinue, en 2 min 16 s 8, record du monde qui tiendra jusqu’en 1944 ; mais plusieurs concurrentes terminent difficilement ou s’écroulent une fois la ligne franchie – comme les hommes en diverses occasions, sans que nul ne s’en soit ému –, et les opposants au sport féminin en tirent aussitôt argument pour dénoncer le caractère inhumain de tels efforts. À Los Angeles en 1932, une femme prend la vedette, « Babe » Didrikson-Zaharias*, tandis que la Polonaise vivant aux États-Unis Stanislawa Walasiewicz, lauréate du sprint, est soupçonnée de masculinité. Désormais, comme les patineuses Sonja Henie* (de 1928 à 1936) ou Peggy Fleming (Grenoble 1968) et la skieuse Christl Cranz* (Garmisch-Partenkirchen 1936) en ce qui concerne les Jeux olympiques d’hiver, les sportives peuvent tout autant que les sportifs voir leur nom attaché à telle édition des Jeux olympiques d’été : ce sera le cas des athlètes Fanny Blankers-Koen* (Londres 1948) et Wilma Rudolph* (Rome 1960), des gymnastes Larissa Latynina (Rome 1960), Vera Caslavska* (Mexico 1968), Nadia Comaneci* (Montréal 1976), et de la nageuse Dawn Fraser* (Tokyo 1964). Le nombre des participantes évolue : elles étaient 328 à Berlin en 1986 sur 3 738 concurrents. C’est à Helsinki en 1952 que se produit la mutation décisive, avec l’entrée sur la scène olympique de l’URSS : on comprend aussitôt que celle-ci, en pleine guerre froide et rivalité d’influence avec les États-Unis, attache un intérêt identique aux succès et médailles des deux sexes de sa délégation et que les femmes sont préparées et entraînées autant que les hommes pour les obtenir. D’autres pays à l’est de l’Europe, en particulier la République démocratique d’Allemagne, s’engagent dans la même direction, ainsi qu’à Cuba sous le régime castriste. Le public accorde toujours plus d’intérêt aux compétitions féminines. La proportion des concurrentes ne cesse d’augmenter, ainsi que le nombre de disciplines et d’épreuves auxquelles elles sont admises, y compris le lancer du marteau, le marathon, la lutte, l’haltérophilie et, en 2012, la boxe. Il aura fallu tout le poids d’un Juan Antonio Samaranch, président du CIO de 1984 à 2001, et différentes mesures incitatives. D’autres batailles sont lentement gagnées. Il faut attendre 1968 et la cérémonie d’ouverture des XVIe Jeux olympiques d’été pour que le porteur de la flamme soit une femme, la Mexicaine Enriqueta Basilio, spécialiste du 80 mètres haies ; 1972 et Munich pour qu’une autre femme, la championne de saut en longueur allemande Heidi Schüller, prête le serment des athlètes seize ans après la skieuse italienne Giuliana Chenal-Minuzzo à Cortina d’Ampezzo pour les VIIe Jeux olympiques d’hiver. Les quelques présidentes de fédérations internationales continuent à faire figure d’exceptions. Bien que la Française Monique Berlioux ait occupé à Lausanne le poste essentiel de directeur exécutif de 1967 à 1985, près d’un siècle se sera écoulé avant que le CIO (fondé en 1894) n’accueille en 1981, parmi ses membres cooptés, la Vénézuélienne Flor Isava-Fonseca, la Finlandaise Pirjo Häggman, et l’année suivante la Britannique Dame Mary Glen-Haig. En 2008, le nombre des femmes n’atteignait pas 15 % de la composition du CIO.
Jean DURRY
JEWETT, Sarah ORNE [SOUTH BERWICK 1849 - ID. 1909]
Écrivaine américaine.
Dans ses quelque deux cents récits comme dans ses textes plus longs, Deephaven (1877) ou Le Pays des sapins pointus (1896), Sarah Orne Jewett raconte la Nouvelle-Angleterre de l’après guerre civile qu’elle connaît si bien pour avoir passé son enfance à parcourir les chemins de campagne dans la voiture de son père médecin ou à écouter parler les vieux marins dans le magasin du village. Dotée de ce « don de sympathie » qu’évoque Willa Cather*, dont elle fut le mentor à la fin de sa vie, S. O. Jewett sait partager un monde, non pas tant la violence tonitruante du « grand roman américain » que la beauté des travaux et des jours, celle de ces contes racontés « deux fois » à l’étranger de passage. Mais si elle choisit d’écrire les petits riens de son coin de terre, elle connaît aussi son James et son Hawthorne. À partir des années 1880, dans le « salon » littéraire qu’elle crée à Boston avec celle qui deviendra sa compagne pour le reste de sa vie, Annie Fields, veuve du grand éditeur James T. Fields, elle reçoit « l’aristocratie des lettres et des arts », selon les mots de W. Cather. Aujourd’hui, ses deux textes les plus connus interpellent encore la critique par leur forme inédite. Bien qu’ayant longtemps été confinée dans les limites d’un genre « local », « féminin », l’œuvre de S. O. Jewett échappe aux catégorisations et continue d’être lue alors que les autres écrivaines dites « de la couleur locale » sont largement oubliées. Dans les années 1980, l’écrivaine est l’une des premières femmes régionalistes à intéresser la critique féministe, qui voit en ses récits une écriture de la communauté, où l’empathie supplante les valeurs de l’individualisme urbain. À la fin des années 1990, c’est encore elle qui bouleverse la donne quand on la déclare complice d’une classe dominante apeurée par l’altération de la race et du sang. Insaisissables, ses textes n’en ont donc pas fini de bouleverser les paradigmes. En 1925, W. Cather faisait du Pays des sapins pointus l’un des trois classiques de la littérature américaine, avec La lettre écarlate et Huckleberry Finn. Le parcourir aujourd’hui, c’est écouter de l’Amérique une autre voix, une voix off, inclassable et fière de sa discordance.
Cécile ROUDEAU
■ Le Héron blanc (A White Heron, 1886), Paris, Gründ, 1999 ; Le Pays des sapins pointus et autres récits (The Country of the Pointed Firs, 1896), Paris, Rue d’Ulm, 2004.
■ CATHER W., « Preface », in The Best Stories of Sarah Orne Jewett, Boston/New York, Houghton Mifflin, 1925 ; HOWARD J. (dir.), New Essays on The Country of the Pointed Firs, Cambridge (R-U)/New York, Cambridge University Press, 1994 ; KILCUP K. L. et EDWARDS T. S., Jewett and Her Contemporaries : Reshaping the Canon, Gainesville, University Press of Florida, 1999.
JEX-BLAKE, Sophia [HASTINGS 1840 - MARK CROSS 1912]
Médecin et féministe britannique.
Sophia Louisa Jex-Blake a lutté toute sa vie pour faire admettre les femmes dans les écoles de médecine, cause qui fut particulièrement difficile à défendre dans l’Angleterre du XIXe siècle. Née d’un père conservateur et d’une mère autoritaire, elle s’inscrit à 18 ans au Queen’s College for Women à Londres. Elle excelle en mathématiques et prend un poste de surveillante. Elle rejoint celles qui militent pour le droit des femmes à l’éducation et à une vie professionnelle. En 1865, elle part aux États-Unis et travaille comme secrétaire au New England College for Women de Boston, où elle se lie d’amitié avec les femmes médecins y exerçant. C’est à leur contact que la vocation lui vient ; elle fait une demande d’admission à la Harvard Medical School. Elle reçut en réponse qu’aucune université n’avait d’argent pour l’éducation des femmes. Elle s’adresse alors au Women Medical College of the New York Infirmary, mais doit rentrer d’urgence à Londres à la mort de son père. En 1869, apprenant que certains professeurs de l’université d’Édimbourg étaient favorables à l’éducation des femmes, elle demande son intégration, qui est acceptée avec celle de quatre autres femmes, mais dans des classes séparées de celles des garçons. Poursuivant son combat, S. Jex-Blake amène sa cause devant le Parlement qui, en 1876, fait passer une note obligeant toutes les universités d’Angleterre et d’Irlande à délivrer leurs diplômes aux femmes. Cependant, ne pouvant s’inscrire encore dans aucune université existante, S. Jex-Blake fonde la London Medical School for Women, qui ouvre ses portes en 1874. Elizabeth Garrett Anderson, la première femme médecin anglaise, rejoint l’équipe des enseignants c’est elle qui sera nommée doyenne. En 1877, S. Jex-Blake reçoit son titre de docteure en médecine de l’université de Berne en Suisse, puis elle passe ses examens devant le Irish College of Physicians, ce qui lui permet d’exercer la médecine en Angleterre. Elle a également fondé à Édimbourg un hôpital et une école de médecine pour femmes.
Yvette SULTAN
JHANSI KI RANI (ou LAKSHMI BAI MANIKARNIKA) [BÉNARÈS, AUJ. VARANASI 1830 - GWALIOR 1858]
Héroïne de la révolte des Cipayes. Guerrière indienne.
Jhansi ki Rani perd sa mère à 4 ans et est élevée par son père, un brahmane lettré, qui l’instruit et l’initie à l’équitation, à l’escrime et au tir, avant de la marier, encore enfant, au Maharaja de Jhansi, dans l’actuel Madhya Pradesh. Lors de son mariage, elle est renommée Lakshmi Bai, nom sous lequel elle est toujours connue, bien que ce soit surtout sous son titre « Jhansi ki Rani » (« Reine de Jhansi ») ou Rani Jhansi qu’on la célèbre aujourd’hui. Ayant mis au monde un fils mort en bas âge, elle adopte avec son mari un enfant pour assurer la succession, conformément à la loi hindoue, mais lord Dalhousie, gouverneur général de l’Inde britannique, ne le reconnaît pas comme héritier légal et décide d’annexer le royaume, lui offrant une rente annuelle pour qu’elle quitte Jhansi. Elle refuse, fait appel de la décision à Londres, perd son appel et monte alors une armée pour défendre la ville, enrôlant également des femmes. En 1857, lorsqu’éclate la révolte des Cipayes, Jhansi devient un centre de rébellion. Avec le soutien de la population locale et une armée intrépide qu’elle conduit en personne, elle parvient à vaincre les rajas voisins de Datia et Orcha, alliés des Britanniques en octobre, mais ne peut faire reculer les Britanniques qui prennent la ville en 1858. Elle réussit à s’enfuir, prend en juin la forteresse de Gwalior, ville alliée aux Britanniques, et est tuée le 18 juin 1858 pendant le contre-assaut porté par les Britanniques. Symbole de la résistance contre les Anglais et héroïne de la révolte, elle a donné son nom à la première unité féminine de l’armée indienne. Elle est aussi révérée par le peuple indien non seulement comme une icône du nationalisme et une figure de Mother India, mais comme une figure de shakti, l’énergie indomptable de la féminité, capable de se dresser seule contre l’injustice. Elle a inspiré de nombreux chants, poèmes, drames, romans, notamment de Mahahsveta Devi* et de l’auteur dalit Naimisharay, et des films, du premier grand spectacle de Sohrab Modi en 1952 à la création de Sushmita Sen, sous le même titre.
Annie MONTAUT
■ DEVI M., La Reine de Jhansi (The Queen of Jhansi, 1956), Calcutta, Seagull Books, 1956 ; NAIMISHARAY M., Virangna Jhalkari Bai, New Delhi, Radhakrishna Prakashan, 2005.
JIANG JIN [SHANGHAI 1954]
Historienne chinoise.
Diplômée en 1984 de l’Université normale supérieure de l’est de la Chine à Shanghai, Jiang Jin part aux États-Unis et soutient un doctorat à l’université de Stanford en 1998, sous le titre Women and Public Culture : Poetics and Politics of Women’s Yue Opera in Republican Shanghai, 1930s-1940s. En effet, après avoir enseigné au Vassar College, elle rentre en Chine en 2004, et devient professeure dans son université d’origine où elle donne des cours sur l’opéra et la culture sociale à Shanghai, l’histoire des femmes dans la Chine moderne, le féminisme et la culture occidentale (en anglais et en chinois). Directrice d’un centre de recherche sur le genre et la culture, elle édite plusieurs recueils importants sur la culture urbaine chinoise et publie en 2009 Women Playing Men : Yue Opera and Social Change in Twentieth-Century Shanghai. Ses propres travaux portent sur l’opéra Yue et sur la condition des femmes et leur participation au politique : « Times have changed ; men and women are the same » (2001) ; « Nüxing yu zhongguo zhengzhi » (« les femmes et le politique en Chine », 2005) ; Yuyue dazhong : minguo shanghai nüxing wenhua tanwei (« spectacles de femmes et culture publique à Shanghai », 2010) ; « Yueju de gushi : cong gemingshi dao minzuzhi » (« histoire de l’opéra Yue : d’une approche politique à une approche ethnologique », 2012). Jiang Jin écrit également sur la méthodologie de l’histoire des femmes et du genre (« Nüxing zhuyi shiye zhongde zhongguo lishi », « l’histoire chinoise dans une perspective féministe », 2004 ; « Gender, history, and medicine in feminist scholarship : an interview with Charlotte Furth », 2006) et sur la culture morale (« Butterfly dreams : narrating women, sex, and morality in chinese theater », 2009).
YUAN LILI
JIANG QUING [ZHUCHENG, SHANDONG 1914 - PÉKIN 1991]
Actrice et femme politique chinoise.
Connue de l’Occident sous le nom de Mme Mao, de son vrai nom Luan Shumeng, elle se fait appeler à la scène Lan Ping. Ayant bénéficié d’une formation universitaire, elle tourne plusieurs films et, au théâtre, elle est Nora dans Maison de poupée d’Henrik Ibsen. Quelques liaisons intimes favorisent sa carrière ; elle est notamment mariée à l’acteur et réalisateur Tang Lun. Elle se rallie à la cause de la Révolution et s’engage dans la guerre contre l’invasion japonaise. C’est à ce moment qu’elle rencontre Mao Tse Toung, qui l’épouse en 1938 en quatrième noce et lui fait adopter le pseudonyme Jiang Quing. Dans les années 1950, elle devient chef de la Section cinématographique du département de la propagande du Parti communiste chinois. Elle prend une large part au déclenchement de la révolution culturelle. Arrêtée en 1976, elle se suicide en 1991 après une libération temporaire accordée pour raison médicale.
Noëlle GUIBERT
JIANG YUN [TAIYUAN 1954]
Écrivaine chinoise.
Avant de vivre de sa plume, Jiang Yun a été ouvrière, élève de l’École normale secondaire, puis chargée de cours dans un département de peinture. Son regard original sur le monde s’est sans doute forgé grâce à ces expériences de vie. À défaut de s’intéresser aux grands hommes et aux grands événements, elle se tourne vers les gens défavorisés et les lieux reculés. Elle avoue elle-même que la perte est le thème récurrent de ses œuvres : perte du temps, d’une culture, d’une sensibilité et, bien entendu, d’une vie – mourir est la perte la plus immense et la plus intolérable, mais aussi une des manières envisageables de rester digne. L’écrivaine décrit souvent l’aspect médiocre ou abrupt de la condition humaine et la lutte désespérée mais tenace, donc souvent tragique, des individus. Les femmes qu’elle met en scène sont d’autant plus remarquables qu’elles sont toujours prêtes à préserver leurs rêves et à sauver leur âme à tout prix : les protagonistes féminines de Lishu de qiutu (« prisonnier d’un chêne », 1996) s’efforcent de briser le joug patriarcal ; celles de Yinmi shengkai (« épanouissement secret », 2005) consacrent toute leur vie à rêver d’amour. L’auteure cultive un style émotif maîtrisé, qui contribue au charme de ses romans ; de plus, derrière la mélancolie se cache son regard tendre et compatissant. Isolée du courant dominant de la littérature chinoise, Jiang Yun se dit « inclassable », comme « une solitaire du monde littéraire ». Elle a pourtant reçu les prix Lu-Xun et Zhao-Shuli.
ZHU XIAOJIE
■ WANG C., « Lijie Jiang Yun xiaoshuo de jige guanjianci », in Beijing wenxue, oct. 2007.
JILANI, Hina [PAKISTAN 1953]
Avocate et militante des droits de l’homme pakistanaise.
Hina Jilani commence à pratiquer le droit, en 1979, dans un Pakistan sous loi martiale. En 1980, elle fonde à Lahore, avec sa sœur, Asma Janhangir, le premier centre d’aide juridique pour les femmes qui, outre une défense devant les tribunaux, leur apporte une formation à leurs droits, une protection contre les violences et développe une activité de recherche juridique. Elle cofonde, dans le même temps, la Commission des droits de l’homme du Pakistan et le Forum d’action des femmes (Waf) qui milite pour l’abrogation de toutes les lois discriminatoires. Sous une forme ou sous une autre, elle ne cessera de développer ces activités à travers la création du premier centre d’aide juridique gratuit (1986), d’un refuge pour les femmes victimes d’abus (1991) ou comme avocate à la Cour suprême du Pakistan, spécialisée dans la défense des droits des enfants, des minorités et des prisonniers politiques qu’elle contribuera à faire élargir. Elle devient en 2000, pour huit ans, représentante spéciale du Secrétaire général des Nations unies pour les défenseurs des droits de l’homme. Elle est membre du Comité d’éminents juristes sur la lutte contre le terrorisme et les droits de l’homme, ONG internationale rassemblant des juristes de haut rang.
Michèle IDELS
JILES, Paulette [SALEM 1943]
Poétesse, romancière et journaliste canadienne.
Originaire du Missouri, Paulette Jiles passe son enfance et son adolescence aux États-Unis puis, après des études de littérature espagnole à l’université de l’Illinois, elle s’installe au Canada en 1969. Reporter pour la CBC, elle part en 1973 pour le Nord canadien où elle poursuivra sa carrière pendant dix ans. North Spirit : Travels Among the Cree and Ojibway Nations and Their Star Maps (1995) témoigne de l’expérience de ces années et de ses différentes rencontres avec la communauté autochtone des Anishinaabe, dont elle acquiert la langue. Dans ce récit, elle explore les effets et conflits provoqués par l’infiltration progressive de la technologie moderne dans le contexte d’une culture amérindienne. Elle voyage ensuite en Amérique latine et dans le sud des États-Unis pour préparer Cousins (1992), chronique familiale située dans le Missouri. Elle écrit également plusieurs pièces radiophoniques et enseigne la création littéraire. Sa poésie, connue pour sa tonalité humoristique, couvre avec une acuité probante, souvent philosophique, un vaste répertoire de sujets reliés aux divers contextes qu’elle a côtoyés. Ses poèmes ont été publiés dans différentes revues, dont un numéro spécial de Malahat Review en 1988. En 1985, elle publie son recueil Celestial Navigation et devient la première personne à recevoir la même année le prix du Gouverneur général et les trophées Pat Lowther et Gerald Lampert. Sitting in the Club Car Drinking Rum and Karma-Kola, de 1986, est une parodie réussie des clichés de roman policier. Flying Lessons (« leçons de vol », 1995) réunit les descriptions lyriques de Celestial Navigation, ainsi que « Ragtime », poème dédié au compositeur pianiste américain Scott Joplin, et Song to the Rising Sun (« chanson pour le lever du soleil », 1989), longue incantation nostalgique sur le Grand Nord. Ses romans récents Stormy Weather (« temps orageux », 2007) et The Color of Lightning (« la couleur de la foudre », 2009) ont tous deux pour cadre le Texas, où elle s’est établie à la fin des années 1980, tout en conservant la citoyenneté canadienne. Elle y dépeint deux expériences douloureuses : dans le premier, celle d’une jeune veuve élevant ses trois filles pendant la Grande Dépression ; dans le second, celle d’un ancien esclave parti chercher avec sa famille une vie meilleure dans les territoires inconnus durant la fin de la guerre de Sécession.
Catherine DHAVERNAS
JIMÉNEZ PÉREZ, María Roselia [COMITÁN DE DOMÍNGUEZ 1959]
Écrivaine mexicaine de langue tojolabal.
Représentante des Tojolabal, María Roselia Jiménez Pérez a favorisé, par son activité d’écrivaine de contes pour adultes et pour enfants et de poèmes, la diffusion de la culture amérindienne tojolabal et la préservation de ses traditions. Elle a participé activement à la sauvegarde et à la diffusion des coutumes et des traditions de sa région, préservées à travers sa propre écriture. En s’aidant du chant, de la poésie ou de la réécriture de divers récits mythiques, elle met en avant l’importance de sa langue comme un moyen de préserver la mémoire, en la rendant publique et en la partageant. Elle a écrit un recueil de récits, Jna’jeltik (Vivencias tojolabales, « vécus tojolabal », 1996), auquel Carlos Montemayor fait allusion dans son livre La literatura en las lenguas indigenas de México : il souligne l’ingéniosité des récits, qui surprennent par leur grâce et leur liberté. La poétesse s’est aussi consacrée à l’enseignement, elle est membre de l’Association des écrivains en langues indigènes et de l’Ateneo de ciencias y artes de Comitán (« cercle des sciences et des arts », Chiapas). Elle a publié Chiapas, tierra de mitos y Esperanza (« Chiapas, terre de mythe et d’espoir »). Son poème « Por un mundo sin miedo, hermanos de todos los colores » (« pour un monde sans peur, frères de toutes les couleurs ») lui a valu de remporter le Concours international de l’enfance organisé par la Maison internationale de poésie de Bruxelles en 1997.
Ingrid SOLANA
■ MONTEMAYOR C., La literatura actual en las lenguas indigenas de México, Mexico, Universidad Iberoamericana, 2001.
JINNAH, Fatima [KARACHI 1893 - ID. 1967]
Femme politique pakistanaise.
Née au cœur des Indes britanniques devenues, en 1947, le Pakistan, Fatima Jinnah est connue sous le nom de « Madar-e-Millat » (« mère de la nation »). Sœur cadette du fondateur du Pakistan, Mohamed Ali Jinnah, devenu son tuteur à la mort de leur père et avec lequel elle noue des liens très forts, elle suit des études de dentisterie à Calcutta. Situation exceptionnelle à l’époque, elle ouvre son propre cabinet dentaire à Bombay en 1923. Mais elle le ferme à la mort de l’épouse de son frère, dont elle devient l’une des plus proches conseillères. On lui attribue notamment le fait que depuis la création du pays, les femmes sont électrices au même titre que les hommes. Après le décès de son frère, elle revient sur la scène politique en se présentant aux élections présidentielles de 1965 face au président Ayub Khan, à la tête d’une dictature militaire dont elle dénonce l’incurie. Pour le peuple pakistanais elle devient alors la figure emblématique de la démocratisation du pays. Son surprenant échec électoral est analysé par de nombreux observateurs comme le résultat d’une fraude électorale massive au bénéfice du président sortant. Son décès, en 1967, est officiellement imputé à un arrêt cardiaque, mais l’hypothèse d’un assassinat n’est pas écartée.
Lydie FOURNIER
■ AKBAR S. A., Jinnah, Pakistan and Islamic Identity, Londres, Routledge, 1997.
JIŘIČNÁ, Eva [ZLÍN 1939]
Architecte et designer tchèque-britannique.
Fille d’architecte, Eva Jiřičná est la principale architecte d’un cabinet pluridisciplinaire international qui conçoit des intérieurs, du mobilier et des objets, ainsi que des bâtiments publics et privés, des ponts et des expositions. Elle a suivi les cours d’architecture de l’Université technique de Prague (1956-1962), puis une formation à l’Académie des beaux-arts (1963-1967). Elle a été très marquée par le précoce modernisme tchèque. Arrivée à Londres en 1968, elle a dû attendre plus de vingt ans avant de pouvoir rentrer dans son pays. Elle a travaillé une dizaine d’années au projet de la marina de Brighton avec l’atelier Louis de Soissons, mais doit sa célébrité à une série d’intérieurs pour l’immeuble de la Lloyds de Richard Rogers (1980-1982) et, avec Jan Kaplický (1937-2009), à la boutique Way In du magasin Harrods (1985). En 1982, elle a fondé sa propre agence, basée sur une approche holistique alliant un sens profond de la qualité de la forme, de l’espace et de la fonctionnalité à une compréhension des méthodes de construction, des matériaux et une attention poussée au détail. De verre et d’acier pour un effet esthétique marqué, ses créations se distinguent par leur luminosité, leur transparence et leur respect des matériaux, que ce soit dans ses escaliers sculpturaux caractéristiques, ses intérieurs de magasins, comme Joseph (Londres 1988-1989), ou dans la galerie des Bijoux du Victoria & Albert Museum (Londres 2002). Après la chute du communisme, elle a pu retourner travailler en République tchèque, où elle a enseigné et influencé la nouvelle génération. De ses bureaux de Prague et de Londres, elle a connu un nouvel élan architectural avec l’Orangerie du château de Prague (1998) et l’hôtel Josef (2002), bâtiments extrêmement modernes et en harmonie avec le cadre historique de la vieille ville. Sa capacité à dessiner tous les détails intérieurs et extérieurs, son utilisation judicieuse de matériaux actuels, son respect de la lumière et de l’espace et, plus encore, sa préoccupation du bien-être et du plaisir des occupants la rapprochent à plusieurs égards d’Eileen Gray* (1878-1976).
Lynne WALKER
■ BRIDGES A., CROMPTON D., LIPINSKA Z., In/exterior. The Works of Eva Jiricna/Práce Evy Jiřičné, Prague, Techo, 2005 ; TOY M. (dir.), The Architect. Women in Contemporary Architecture, New York, Watson-Guptill, 2001.
JOACHIM, Irène [PARIS 1913 - ID. 2001]
Soprano française.
Petite-fille du grand violoniste allemand Joseph Joachim, qui fut l’ami de Robert Schumann et pour qui Johannes Brahms composa son concerto, fille de la violoniste Suzanne Chaigneau, Irène Joachim apprend le violon et le piano, et entend jouer, enfant, des musiciens comme Emanuel Feuermann, Claire Croiza, Germaine Lubin*, Marya Freund* et le quatuor Capet. En 1927, après un séjour familial à Chicago où elle fréquente le gotha musical se produisant aux États-Unis, tels Jacques Thibaud, Alexandre Tansman, Pablo Casals et Maurice Ravel, elle renonce au violon et se consacre au piano. Elle prend en 1933 ses premières leçons de chant et entre au Conservatoire de Paris en 1935, tout en chantant déjà dans des chœurs et à la Société des concerts du Conservatoire. En 1938, elle enregistre son premier disque, qu’elle consacre à des lieder de Mozart et de Brahms. Les années suivantes, elle est notamment la première Mélisande de l’histoire du disque, enregistrée en 1941 sous la direction de Roger Désormière. Trois ans plus tôt, elle avait fait ses débuts à l’Opéra-Comique dans le rôle de Nanthilde du Bon Roi Dagobert de Samuel Rousseau. Suivent Micaëla de Carmen, Hélène d’Une éducation manquée, Marguerite de Fragonard, la Comtesse des Noces de Figaro, Rosenn du Roi d’Ys et Sophie de Werther. Elle crée, entre autres, le rôle-titre de Ginevra de Marcel Delannoy, Le Rossignol de Saint-Malo de Paul Le Flem, Marion de Pierre Wissner… C’est à l’Opéra-Comique, en 1940, qu’elle est pour la première fois Mélisande, qui devient son rôle fétiche. À partir de 1942, elle se joint avec d’autres artistes à la Résistance au sein du réseau Front national. Après la guerre, elle poursuit sa carrière à l’opéra tout en abordant la mélodie et le récital, avec Jane Bathori. Elle participe également à la création de Soleil des eaux de Pierre Boulez ainsi qu’à celle d’œuvres d’Henri Dutilleux, Jean Wiener et Serge Nigg qui la célèbrent pour la perfection de sa diction. Elle renonce à la scène en 1956 pour se consacrer à la mélodie française, particulièrement du Groupe des Six, et au lied, notamment de Franz Schubert, Robert Schumann, Alban Berg, Anton Webern… De 1954 à 1962, elle enseigne à la Schola cantorum, et, à partir de 1963, au Conservatoire de Paris. Elle a également été actrice de cinéma dès 1936. En 1946, elle a été l’une des premières à chanter Les Feuilles mortes de Joseph Kosma, avec Yves Montand, dans le film Les Portes de la nuit de Marcel Carné.
Bruno SERROU
■ MASSIN B., Les Joachim, une famille de musiciens, Paris, Fayard, 1999.
JOBS, Laurene POWELL [NEW JERSEY 1963]
Philanthrope américaine.
Fille d’un marine, Laurene Powell apprend très jeune à être autonome. Diplômée en économie, elle travaille d’abord pour des banques d’investissement mais n’y fait pas carrière. Engagée en faveur de l’accès à l’éducation pour les plus défavorisés, elle siège dans des organismes à but non lucratif. En 1991, elle épouse Steve Jobs, fondateur d’Apple, et se consacre discrètement à ses propres activités, tout en élevant trois enfants. Ne voulant pas se contenter de financer des activités philanthropiques, elle cofonde et préside différentes structures, par exemple, en 1997, College Track (programme destiné à conduire à l’excellence universitaire des étudiants aux revenus modestes, principalement afro-américains et latinos) et dans le même esprit Emerson Collective, qui implique les entrepreneurs dans les progrès éducatifs à accomplir pour développer les ambitions individuelles. Contribuant aux campagnes démocrates, elle a été nommée par le président Obama au Conseil de la Maison-Blanche sur les questions communautaires et a soutenu en 2010 le Dream Act, projet de loi fédérale qui octroierait un statut légal aux jeunes sans-papiers arrivés aux États-Unis avant l’âge de 16 ans et poursuivant des études. Elle se mobilise aussi en faveur des énergies propres en Californie et siège actuellement au conseil d’administration de l’université Stanford.
Jacqueline PICOT
JODIN, Marie-Madeleine [PARIS 1741 - ID. 1790]
Féministe, révolutionnaire et comédienne française.
Marie-Madeleine Jodin publie, sous son propre nom, le premier manifeste féministe de la période révolutionnaire, Vues législatives pour les femmes, qui propose notamment l’élimination de la prostitution et une réforme de la loi du divorce. Son père, horloger protestant de Genève, est l’ami du philosophe Denis Diderot. Convertie contre son gré au catholicisme à 10 ans, elle connaît une adolescence mouvementée. À 18 ans, elle est emprisonnée à la Salpêtrière pour « libertinage ». Libérée en 1764 probablement grâce à l’intervention de Diderot, elle se lance comme comédienne dans une troupe française. Elle connaît le succès à Varsovie, Dresde, Bordeaux et Angers, où elle joue des rôles tragiques de reines. Diderot suit attentivement sa carrière. En 1790, enthousiasmée par la Révolution, M.-M. Jodin adresse ses Vues législatives aux législateurs de l’Assemblée nationale. Elle y déclare en préambule : « Et nous aussi, nous sommes citoyennes. » Ces Vues constituent un document clé du féminisme à l’âge des Lumières.
Felicia GORDON
■ GORDON F., FURBANK P. N., Marie Madeleine Jodin, 1741-1790. Actress, Philosophe and Feminist, Aldershot/Burlington, Ashgate, 2001.
JOE, Rita (née BERNARD) [WHYCOCOMAGH, NOUVELLE-ÉCOSSE 1932 - SYDNEY 2007]
Poétesse canadienne.
Fréquentant l’un des internats catholiques voués aux enfants de la communauté micmac de Nouvelle-Écosse, Rita Joe subit, comme beaucoup d’autres Amérindiens de l’époque, les effets d’une humiliation typique de ces institutions. Au bout de huit ans, elle quitte cette « école résidentielle » et, en 1954, épouse Frank Joe avec qui elle aura huit enfants et en adoptera deux autres. Elle aborde la poésie au cours des années 1960, mais son premier recueil, Poems by Rita Joe, ne paraîtra qu’en 1978. Dans ses poèmes, qui traitent des abus propres à l’expérience autochtone au Canada, elle cherche à défaire les stéréotypes et à promouvoir la compréhension et le respect entre les peuples. Auteure de cinq recueils, d’une anthologie et d’une autobiographie, sacrée poète lauréate du peuple micmac, R. Joe a milité toute sa vie en faveur des droits autochtones. Engagée à promouvoir l’art et la culture autochtones au Canada et aux États-Unis, elle a été de ce fait membre du conseil privé de la reine. Cumulant de nombreuses récompenses, elle devient en 1990 chevalier de l’Ordre du Canada, et en 1993, sa vie fait l’objet d’un documentaire, Song of Eskasoni, produit par l’Office national du film canadien. En 1996, elle publie ses mémoires sous le titre Song of Rita Joe : Autobiography of a Mi’kmaq Poet.
Catherine DHAVERNAS
■ We Are the Dreamers : Recent and Early Poetry, Wreck Cove, Breton Books, 1999.
JOFFRÉ, Sarah [CALLAO 1935]
Dramaturge, critique et éditrice de théâtre péruvienne.
Ayant publié en 1961 une première œuvre ouverte et énigmatique, représentative de sa poésie minimaliste, En el jardín de Mónica, Sarah Joffré fonde en 1963 la compagnie de théâtre jeune public El Homero : Teatro de grillos, à laquelle elle consacre plusieurs compositions et adaptations, notamment Vamos al teatro con los Grillos (1967). Elle est également l’initiatrice des rencontres théâtrales péruviennes Muestra de teatro peruano (depuis 1974) et du mouvement de théâtre indépendant MOTIN-PERÚ (1990). Héritière du théâtre épique, elle monte les œuvres de Bertolt Brecht et en commente la réception au Pérou : Bertolt Brecht en el Perú (2001). Dans son théâtre d’images d’une saisissante force scénique, elle conçoit des personnages féminins singuliers et résolus, dont le rôle se révèle déterminant dans son entreprise de dénonciation de la violence et dans son impact sur les sphères du pouvoir et de la justice : La hija de Lope (1994) ; La madre (1997) ; Camille Claudel* (1999). Récompensée par le prix de l’Institut international de théâtre (Pérou) et du British Council, directrice de la revue théâtrale Muestra (2000), S. Joffré participe depuis cinquante ans au développement du théâtre péruvien indépendant.
Stéphanie URDICIAN
■ Obras para la escena, Lima (Pérou), UNMSM, Fondo Editorial, 2002.
JOGAKU ZASSHI, « JOURNAL DES FEMMES » [Japon 1885-1904]
Jogaku Zasshi est fondé pendant l’ère Meiji par Kondō Kenzō, Oba Sokichi et Iwamoto Yoshiharu. Éducateur chrétien élevé dans la tradition samouraï, évangéliste et fondateur de l’École des femmes de Meiji, ce dernier estime qu’une formation plus poussée des femmes est la condition d’une meilleure éducation des générations futures. Le projet s’inscrit dans la politique globale de modernisation et d’occidentalisation du Japon. La revue fait la synthèse entre le droit des femmes venu d’Occident et les vertus classiques de la Japonaise, afin de former une élite cultivée œuvrant à l’amélioration de la condition féminine, et par extension à la grandeur de la nation. Dans cette perspective sont publiés de nombreux écrivains de la littérature japonaise traditionnelle et d’auteurs occidentaux tels que Shakespeare ou Walter Scott. Le journal évoque des femmes exemplaires, comme Ogini Jin, première physicienne Japonaise. Les lectrices sont encouragées à écrire et à rejoindre des associations caritatives, à exercer les métiers de professeure ou de nurse, tout en étant incitées à rester au foyer. Des papiers sur la littérature, les offres d’emploi, les dernières modes occidentales côtoient ainsi des articles purement domestiques. Iwamoto Y. considère la femme moralement supérieure et lui conseille de devenir la reine de la maison par l’éducation et le savoir, et de demeurer un pilier de la morale et des traditions.
À cette époque, octroyer à la femme japonaise la maîtrise de l’espace domestique, dont elle pouvait être parfois l’esclave, représente une avancée. Le journal critique l’obéissance passive, célèbre la force, les « qualités innées », l’esprit d’indépendance des femmes, tout en éveillant les consciences des hommes sur les maltraitances. La prostitution, l’adultère, le concubinage et le patriarcat sont dénoncés, quand sont préconisés le droit à la propriété et le libre choix du mari et de la religion. À la mort de Kondō K., la ligne éditoriale se modernise et se politise. Le journal devient le lieu de débats intenses concernant la prostitution, le suffrage des femmes en Grande-Bretagne ou leur condition dans le monde du travail.
Audrey CANSOT
■ COPELAND R. L., « Educating the Modern Murasaki » in Lost Leaves : Women Writers of Meiji Japan, Honolulu, University of Hawaii Press, 2000.
JOHANNA (Johanna SCHIPPER, dite) [TAÏWAN 1967]
Auteure de bandes dessinées française.
Fille d’une mère néerlandaise et d’un père sinologue, Johanna a suivi une scolarité française. Connue grâce à sa série des Phosfées (2000), consacrée à l’univers fascinant et complexe des rêves, Johanna ne se cantonne cependant pas aux récits pour la jeunesse. Ses origines sont pour beaucoup dans son questionnement sur l’identité et la place de chacun dans le monde, comme en atteste Née quelque part (2004), un récit largement autobiographique où il est question de rites d’initiation et de quêtes personnelles. Tout comme dans Nos âmes sauvages (2007), un autre album teinté de vécu si l’on en croit le nom de la protagoniste, Nina, un pseudonyme que Johanna a utilisé pour signer Une par une (2010). Nos âmes sauvages a reçu le prix Artémisia 2008 créé l’année précédente par Chantal Montellier*. En 2010, elle a publié le premier tome de son diptyque Le Printemps refleurira.
Camilla PATRUNO
JÓHANNESDÓTTIR, Kristín [REYKJAVÍK 1948]
Réalisatrice islandaise.
Originaire d’un des plus petits pays d’Europe, démographiquement et cinématographiquement parlant – seule une poignée de films y est réalisée par an –, Kristín Jóhannesdóttir est aussi l’une des rares femmes cinéastes dans ce pays. Après des études secondaires en Islande, elle part en France où elle obtient, en 1976, un DEA de littérature et de cinéma à l’université Paul-Valéry de Montpellier. Elle mène parallèlement des études de cinéma à l’université de Vincennes ainsi qu’au Conservatoire libre du cinéma français et réalise, à peu près au même moment, ses premiers courts-métrages : Arthur and Rosa (1976), dans lequel elle imagine la rencontre entre Arthur Rimbaud et Rosa Luxembourg* ; Sad Mornings After (« lendemains moroses », 1978), sur les dépressions liées à l’excès d’alcool et à la « gueule de bois ». En 1982, elle crée sa compagnie de production, Völuspá Film, et écrit le scénario de son premier long-métrage de fiction, Á hjara veraldar (« la fin de l’arc-en-ciel »), qu’elle tourne par la suite et qui sortira en 1983. Elle réalise également des fictions télévisées pour le petit écran en Islande durant la seconde moitié des années 1980. Sur la terre comme au ciel (Svo á jördu sem á himni, 1992), son dernier film pour le cinéma, dont elle a écrit le scénario, fait partie de la sélection officielle au Festival de Cannes (hors compétition). Il reçoit par la suite de nombreux prix dans des festivals du monde entier. Outre son travail de cinéaste, scénariste et téléaste, K. Jóhannesdóttir a dirigé des pièces de théâtre pour la radio et sur scène, ainsi qu’un opéra.
Brigitte ROLLET
JOHANSON, Klara [HALMSTAD 1875 - STOCKHOLM 1948]
Critique littéraire et essayiste suédoise.
Écrivaine hautement productive, Klara Johanson considère que tout finit par devenir littérature, ce dont témoigne le titre de l’un de ses recueils d’essais, Det speglade livet : Memoarer från bokrummet (« la vie en reflet : mémoires de la salle de livres », 1926). Tout aussi connu, Det rika stärbhuset (« le gros legs », 1946) porte un titre passablement provocateur juste après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Ce recueil traite notamment de l’œuvre de Goethe et de Kierkegaard, que K. Johanson admire profondément. Souvent démunie devant les contingences matérielles de la vie, elle voudrait être un esprit désincarné. Avant 1912, année où elle décide de se consacrer à une activité d’écrivain et de chercheur indépendant, elle est une voix écoutée de la vie publique. Une sélection des causeries qu’elle a écrites dans le Stockholms Dagblad sont réunies dans Oskuld och arsenik : Analyser (« innocence et arsenic : analyses », 1901) et Ligapojken Eros : Historier om barn och dårar (« Éros le galopin : histoires d’enfants et histoires de fous », 1907), publiés sous le pseudonyme de Huck Leber. Elle n’hésite pas à prendre la parole lorsque quelque chose la touche, s’engage pour la cause des femmes et contribue à la revue Dagny, ultérieurement Hertha, éditée par l’Association Fredrika Bremer. Sa publication de Den undre världen : En lifshistoria (« le monde inférieur : histoire d’une vie », 1907), qui contient le journal d’une prostituée récemment décédée, suscite beaucoup de débats. Elle collabore ensuite à la revue Tidevarvet (1923-1936), dans laquelle elle publie des articles relatifs à des questions politiques et sociales d’actualité. Elle est l’une des premières Suédoises ouvertement lesbiennes et entretient pendant de nombreuses années une relation avec la journaliste et écrivaine suédoise Ellen Kleman. Ensemble, elles publient entre 1915 et 1920 quatre volumes de lettres de Fredrika Bremer* abondamment commentées. Elle traduit les œuvres de lord Byron et d’Alfred de Musset, ainsi que Fragments d’un journal intime (1900), du poète suisse Henri-Frédéric Amiel. En tant que critique, elle est parfois satirique, mordante, voire méchante. Seules l’excellence du style et l’intelligence de l’humour obtiennent son assentiment et elle devient un modèle pour les critiques suédois.
Inger LITTBERGER CAISSOU-ROUSSEAU
■ BURMAN C., K.J. En biografi över Klara Johanson, Stockholm, Bonnier, 2007 ; ID., En skapande kritiker : Essäer, anmärkningar och kåserier av Klara Johanson, Lund, Ellerström, 2008 ; SVENSSON I., Klara Johanson som kritiker, Uppsala, Uppsala Universitet Centrum för kvinnoforskning, 1997.
JOHANSSON, Elsie (née ERIKSSON) [VENDEL, DANS L’UPPLAND 1931]
Écrivaine suédoise.
Issue d’un milieu défavorisé, Elsie Johansson connaît son ascension sociale au moment où les idées sociales-démocrates tentent de mettre en place une société sans classes en Suède. Après avoir travaillé de nombreuses années à la poste, elle fait des débuts tardifs en littérature avec les recueils de poésie Brorsan hade en vevgrammofon (« le frérot avait un gramophone », 1979) et Potatisballader (« odes à des pommes de terre », 1981). Son premier récit en prose, Kvinnan som mötte en hund (« la femme qui rencontra un chien », 1984), conte l’histoire d’une femme solitaire qui s’enfonce dans une dépression et finit par se couper du monde extérieur. La trilogie Glasfåglarna (« les oiseaux de verre », 1996), Mosippan (« l’anémone printanière », 1998) et Nancy (2001) lui vaut des louanges et élargit son cercle de lecteurs. Les trois tomes, réédités en un volume intitulé Berättelsen om Nancy (« l’histoire de Nancy »), représentent une contribution au traitement du prolétariat suédois par la littérature. L’auteure y décrit dans une langue inimitable les jeunes années d’une fille d’ouvriers pauvres dans les années 1930-1940 et son combat pour décider de son avenir. Dans le récit autobiographique Näckrosträdet (« l’arbre à nénuphars », 2004), une femme, Hildur, fait un retour en profondeur sur sa vie passée. Ayant perdu sa mère très tôt, elle est prise en charge par une institutrice au grand cœur, Tant Greta. Sa promotion sociale se fait au prix d’un sentiment de reniement de son père, simple livreur de lait, et, lorsqu’elle interrompt ses études pour épouser le commis du charcutier, c’est Tant Greta qu’elle renie. L’amour, qui détermine son existence, est mis à l’épreuve lorsque la maladie mentale de son mari se déclare. Sin ensamma kropp (« son corps solitaire », 2008) relate l’examen rétrospectif d’une femme, à 70 ans passés. Marquée par le milieu rude dans lequel elle a grandi, elle a reporté sur son mari la tiédeur qu’éprouvait sa mère pour son père. Enfermée dans une dureté qui lui fait détester sensibilité et sentimentalité, elle aspire pourtant à la proximité chaleureuse d’un homme. Le retour qu’elle opère sur elle-même la conduit finalement à un nouveau départ dans la vie. E. Johansson est aussi l’auteure d’un recueil intitulé Vardagstankar (« pensées de tous les jours », 1989), écrit en langage parlé, ainsi que de livres pour enfants et adolescents tels que Mormorsmysteriet (« le mystère de grand-mère », 1987) et Du courrier pour le chat (1991). Ce dernier titre, dont le thème principal est l’amitié, a fait l’objet en Suède d’une adaptation au cinéma en 2001. Enfin, Då nu är jag (« maintenant c’est moi »), paru en 2011, est une sélection de poèmes et courts textes en prose.
Inger LITTBERGER CAISSOU-ROUSSEAU
■ Du courrier pour le chat (Kattbreven, 1991), Paris, Casterman, 2003.
■ JORDAHL A., Att besegra fru J., en bok om Elsie Johansson, Stockholm, Atlas, 2006.
JOHN, Gwen [HAVERFORDWEST 1876 - DIEPPE 1939]
Peintre britannique.
Par son indépendance, son choix de vivre seule à Paris, sa formation solide et l’importance de ses amitiés féminines, Gwen John apparaît comme le modèle d’un nouveau type de femme à la fin du XIXe siècle. Née d’une mère peintre amateur et d’un père conseiller juridique, elle est la deuxième d’une fratrie de quatre enfants. De 1895 à 1898, elle suit les cours de la Slade School of Fine Art à Londres, évoluant dans un petit groupe d’étudiantes, parmi lesquelles se trouvent les futures peintres Edna Clarke Hall (1879-1979) et Ursula Tyrwhitt (1878-1966), sa grande amie. En hiver 1898, elle fait un séjour d’études avec Ida Nettelship (1877-1907) et Gwen Salmond à l’académie parisienne Carmen, où enseigne Whistler. En 1900, elle se fait remarquer par les qualités de Portrait of the Artist, peinture présentée au New English Art Club (NEAC). En 1903, elle expose avec son frère à la galerie Carfax, puis, en compagnie de son amie Dorelia McNeill (1881-1969), elle parcourt à pied la distance Paris-Toulouse et vit de la vente de ses dessins. Deux peintures de cette période rendent compte de ses intentions : dans L’Étudiante (1903), Dorelia, un livre à la main, est debout à côté d’une table sur laquelle est posé le livre de Custine, La Russie en 1839 ; Dorelia by Lamplight à Toulouse (1903-1904) montre le modèle plongé dans la lecture du livre de Custine. L’artiste rompt ainsi avec la représentation classique de la jeune fille fragile pour nous donner à voir des jeunes femmes actives d’un siècle nouveau. En 1904, elle s’installe définitivement à Paris. Dans ses tableaux aux tons subtils, elle peint des intérieurs généralement vides, comme A Corner of the Artist’s Room in Paris (1907-1909), ou parfois occupés par une femme seule, tel le Portrait of Chloe Boughton-Leigh (1907). Afin de gagner sa vie, elle pose comme modèle, notamment pour Rodin, et rencontre nombre d’artistes de Montparnasse : Rainer Maria Rilke, Brancusi, Matisse, Picasso, Ida Gerhadi (1862-1927), Hilda Flodin (1877-1958). Elle loge temporairement chez Mary Constance Lloyd (1859-1898), peintre et designer, avec qui elle restera en relation tout au long de sa vie. En 1908, le Portrait of Chloe Boughton-Leigh, présenté au NEAC, la fait remarquer par la critique. En 1910, elle entame une correspondance avec le collectionneur d’art américain John Quinn, qui sollicite son avis pour agrandir sa collection. Son regard très ouvert sur la modernité présage son goût pour l’exposition des futuristes en 1912. En 1911, elle déménage à Meudon, gardant sa chambre parisienne en guise d’atelier. Deux de ses œuvres sont acquises par la Société d’art contemporain de Londres, et, en 1913, la toile Girl Reading at the Window, qu’elle a vendue à J. Quinn, est présentée à New York à l’Armory Show. La même année, après une longue réflexion, elle se convertit à la religion catholique ; elle commence alors une série de portraits de Mère Marie Poussepin (1653-1744) et consacre toute son énergie dans la duplication et la répétition d’un même motif. En 1919, elle expose au Salon d’automne neuf dessins et une peinture de M. Poussepin, puis, à partir de l’année suivante, sa production est régulièrement présente dans les trois salons parisiens. En échange de ses œuvres, J. Quinn lui verse une rente à date fixe, qui la libère de son activité de modèle. En 1922, cinq de ses œuvres appartenant au collectionneur sont présentées à l’exposition English Modernists à la Sculptors Gallery de New York. En 1924, elle expose au Salon des Tuileries sans avoir été soumise au jury de sélection. À la mort de J. Quinn, sa sœur Julia Quinn lui succède, rachète cinq tableaux de l’artiste et n’aura de cesse de défendre son œuvre. En 1926, ses toiles exposées aux New Chenil Galleries sont repérées par la critique d’art et conservatrice Mary Chamot, qui lui consacre un article. De 1920 à 1930, elle se rend au salon de lecture des Grands magasins du Louvre et fait une série de dessins sur les habitués du lieu. À partir de 1930, sa production diminue beaucoup, certainement en raison de sa santé et d’une vue de plus en plus défaillante. Cependant, toujours passionnée par la modernité, elle suit, en 1936, les cours d’André Lhote. Quand la guerre éclate en 1939, G. John meurt à Dieppe : elle cherchait à rejoindre l’Angleterre.
Catherine GONNARD
■ Gwen John : With a catalogue raisonné of the Paintings and a Selection of the Drawings (catalogue d’exposition), New Haven, Yale University Press, 1987 ; Gwen John, Londres, Tate Publishing, 1999 ; Gwen John and Augustus John (catalogue d’exposition), Jenkins Fraser D., Stephens C. (dir.), Londres, Tate Publishing, 2004.
■ CHITTY S., Gwen John, 1876-1939, Londres, Hodder & Stoughton, 1981.
JOHNSON, Amryl [TUNAPUNA, TRINITÉ-ET-TOBAGO 1944 - COVENTRY 2001]
Poétesse trinidadienne-caribéenne.
Amryl Johnson, arrivée à Londres à l’âge de 11 ans avec ses parents venus y chercher du travail, a étudié la littérature anglaise et afro-caribéenne à Canterbury avant de donner des cours d’écriture créative à l’université de Warwick et dans de nombreuses écoles. De plus en plus intéressée par la voix, elle effectue de nombreuses performances poétiques, lieu essentiel de son engagement. Sensible au racisme et à l’isolement liés à son appartenance à une minorité, à la fois noire et femme, elle exprime dès ses premiers écrits la nostalgie des Caraïbes en rapprochant le sort des Caribéens de celui de tous les pauvres et opprimés en Angleterre, ou rappelant le temps de l’esclave (The Long Road to Nowhere, « la longue route vers nulle part », 1985). Animée d’un sens profond de la justice, son œuvre est comme un hymne à ceux qui n’ont rien, et parmi eux les femmes, dont elle célèbre la capacité de résistance, de créativité et d’adaptabilité avec beaucoup d’humour (Gorgons, « gorgones », 1992 » ; Calling, « l’appel », 1999). Elle réintroduit les couleurs d’un créole qui n’est pourtant plus sa langue dans une poésie riche en métaphores qu’elle-même évoquait comme un « cri de rage ». Retrouvant les Caraïbes en 1983 et 1984, A. Johnson écrit un récit de ce voyage à la recherche vaine d’un lieu d’origine, sous le titre Sequins for a Ragged Hem (« des sequins pour un ourlet effiloché », 1988). Elle est décédée brutalement d’un accident vasculaire cérébral.
Geneviève CHEVALLIER
JOHNSON, Barbara [BOSTON 1947 - CAMBRIDGE, MASSACHUSETTS 2009]
Philosophe américaine.
Théoricienne de l’écriture, traductrice, professeure de littérature anglaise et comparée, Frederic-Wertham Professor of Law and Psychiatry à Harvard University, Barbara Johnson conjugue les analyses littéraires avec une approche structuraliste et poststructuraliste afin de former une théorie de la déconstruction interdisciplinaire et critique. Elle est l’une des intermédiaires majeures entre la French Theory et les recherches nord-américaines. Passant, très jeune encore, dans la carrière universitaire, de Yale à Harvard, elle commence à rouvrir les interrogations sous la poussée d’impératifs éthiques, en réorientant l’axe principal de la « déconstruction » dans et hors l’université américaine. C’est là que s’amorce son engagement pour la littérature afro-américaine qui la conduit à dénoncer des intrusions métaphysiques persistantes dans le domaine des femmes. Étudiante et jeune professeure, elle interroge le destin des femmes à la Yale School, bien connue par son surnom de « Male School ». Elle écrit sur la femme désavouée dans l’œuvre de Baudelaire, soulignant une certaine « poétique du masochisme », selon les notes prises par Marceline Desbordes-Valmore*, que B. Johnson relève comme un « rythme de résistance et de soumission, d’initiative et d’effacement de soi ». Dans une sorte de mise en abyme, elle prépare les catégories de figures qu’elle regroupe dans ses étonnants travaux à l’enseigne de ce qu’on pourrait appeler un discours d’effacement. Ou on peut voir aussi dans son travail, rendant justice à son effort pour penser une voix-navette (shuttle voice), une étude qui analyse et déplie le va-et-vient diplomatique (shuttle diplomacy) entre des entités différentes, des figures diminuées voire minimes, des paroles d’angoisse, des voix suffoquées, des lamentations déclinées et leurs gardiens puissants.
Prenant en considération les apories de la black poetry dans l’œuvre de Phillis Wheatley*, B. Johnson retrace les modalités avec lesquelles la poétesse noire « décrivit sa façon de se libérer en laissant tout simplement parler par elles-mêmes les contradictions que comporte la position de son Maître ». La pensée de la liberté implique souvent, à l’exemple du Prinz von Homburg de Kleist, qu’on puisse établir son propre passeport dans une situation qui n’a prévu d’autre pratique que celle de la dépossession, où le poids des chaînes de la loi et de ses significations ne facilite pas la tâche. Les multiples double bind où, à en croire B. Johnson, se trouvent pris le Prinz de Kleist et P. Wheatley, ont rarement offert plus large liberté. Sensible aux angoisses de l’effacement, elle considère la christianisation des Africains comme faisant partie d’une narration coûteuse et débilitante, laquelle continue, à ce jour, d’hypothéquer beaucoup de dénouements heureux et culmine avec un autre asservissement qui fait suite à l’abandon des archétypes et des dieux africains. Dès ses premiers travaux, B. Johnson enseigne comment aborder et problématiser la question cruciale de la maîtrise, pour y renoncer. Ses ouvrages font apparaître des repères où prendre appui et établissent, régulièrement, de renversantes conjonctions.
Avital RONELL
■ The Critical Difference : Essays in the Contemporary Rhetoric of Reading, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1980 ; A World of Difference, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1987 ; The Wake of Deconstruction, Oxford, Blackwell 1994 ; The Feminist Difference : Literature, Psychoanalysis, Race and Gender, Cambridge, Harvard University Press, 1998 ; Mother Tongues : Sexuality, Trials, Motherhood, Translation, Cambridge, Harvard University Press, 2003.
JOHNSON, Darlene [AUSTRALIE 1973]
Réalisatrice et scénariste australienne.
L’œuvre de la jeune Aborigène dunghutti Darlene Johnson aborde de front l’expérience contemporaine d’une identité autochtone en Australie. Son premier court-métrage, Two-Bob Mermaid (« une sirène à deux sous », 1996), raconte l’histoire d’une adolescente qui, grâce à sa peau claire, trouve la possibilité de devenir nageuse à une époque (années 1950) où les Aborigènes étaient interdits dans les piscines publiques. Sa réalisation suivante, Stolen Generations (2000), est un documentaire sur la politique qui a abouti à l’enlèvement des enfants métis à leurs mères aborigènes jusqu’à la fin des années 1960. Stranger in My Skin (2001) raconte l’histoire de Ray Cotti, enfant adopté apprenant son aboriginalité à l’âge adulte et cherchant son identité entre trois mères différentes. La même année, D. Johnson poursuit son exploration de la question des générations volées à travers un documentaire en forme de making-of du long-métrage de Philip Noyce, Rabbit-Proof Fence, décrivant le retour de fillettes enlevées, à travers le bush, jusqu’à leur communauté. Elle décortique la manière dont les jeunes actrices ont été choisies puis entraînées dans un processus hollywoodien, commençant ainsi une étude durable de la participation aborigène dans le cinéma australien. Cette question est en effet devenue centrale dans son travail. Après avoir retracé la carrière de David Gulpilil, célèbre acteur aborigène, elle tourne avec lui les fictions Gulpilil : One Red Blood (2002) et Crocodile Dreaming (2007). En 2008, elle réalise dans River of No Return un portrait de l’actrice Frances Djulibing, l’une des actrices du film Ten Canoes coécrit par D. Gulpilil. Elle y examine les difficultés qu’affronte Frances depuis sa communauté, pour tenter de percer en tant qu’actrice, avec Marilyn Monroe* pour modèle, opérant un constant va-et-vient entre deux univers culturels apparemment inconciliables mais simultanés. D. Johnson prépare en 2013 son premier long-métrage de fiction, Obelia.
Martin PRÉAUD
■ COLLINS F., DAVIS T., Australian Cinema after Mabo, Cambridge/Port Melbourne, Cambridge University Press, 2004 ; BERTRAND I., MAYER G., MCFARLANE B. (dir.), The Oxford Companion to Australian Film, Melbourne, Oxford University Press, 1999.
JOHNSON, Osa (née LEIGHTY) [CHANUTE, KANSAS 1894 - NEW YORK 1953]
Voyageuse et cinéaste américaine.
C’est à l’âge de 16 ans qu’Osa Leighty se marie avec Martin Johnson, compagnon de Jack London à bord du Snark, voilier sur lequel ils ont, avec Charmian Kettridge, traversé le Pacifique quelques années plus tôt. En 1917, le couple part pour les Nouvelles-Hébrides (auj. Vanuatu) avec l’intention de filmer le peuple réputé anthropophage des Big Nambas, dont M. Johnson a eu connaissance lors de sa précédente traversée. Ils en reviennent avec le premier documentaire de voyage connu, Parmi les cannibales des îles du Pacifique sud. Le succès leur permet de repartir, cette fois en Afrique, où ils tournent leur premier film animalier, Trailing African Wild Animals (« sur la piste des bêtes sauvages d’Afrique »), qui déchaîne l’enthousiasme du public américain. Leurs vingt-sept années de mariage sont une succession de tournages exotiques et dangereux, dont O. Johnson est l’héroïne omniprésente : elle sait tirer, monter à cheval (et à zèbre comme en témoigne une des plus célèbres photos d’elle), apprend à piloter l’Osa’s Ark, l’avion du couple désormais mythique, pour survoler les savanes, le Kilimandjaro, puis le mont Kenya. Entre 1917 et 1937, les Johnson réalisent huit films, prennent des milliers de photos et publient neuf livres. Quand un accident d’avion, aux États-Unis, coûte la vie à M. Johnson et l’usage de ses jambes à O. Johnson, celle-ci poursuit sa carrière de conférencière sur une chaise roulante.
Christel MOUCHARD
■ J’ai épousé l’aventure, Paris, Julliard, 1951.
■ LE BRIS M., La Beauté du monde, Paris, Grasset, 2008.
JOHNSON, Pamela HANSFORD [LONDRES 1912 - ID. 1981]
Romancière et poétesse britannique.
Le père de Pamela Johnson, fonctionnaire colonial au Nigeria, décède lorsqu’elle a 11 ans et c’est donc avec sa mère, chanteuse et actrice, qu’elle vit à Londres. Après de brèves études secondaires, elle travaille comme secrétaire dans une banque. Elle commence à écrire de la poésie et se lie avec Dylan Thomas, avec qui elle entretient une correspondance jusqu’en 1937. Un prix de poésie et la publication réussie de son premier roman en 1935 (This Bed Thy Centre, « ce lit, ton centre ») lui permettent de se consacrer désormais entièrement à l’écriture. En 1936, elle se marie avec un journaliste australien dont elle a deux enfants, et avec qui elle écrit deux romans policiers, puis rencontre C. P. Snow, qu’elle épouse en 1950, dont elle a un fils, et avec qui elle écrit six pièces de théâtre. Évoluant avec lui dans les milieux littéraires, P. Johnson est l’auteure de multiples articles critiques, notamment sur Virginia Woolf*, Marcel Proust ou Vladimir Nabokov. Ses nombreux romans traitent des relations entre les individus en société et en privé, et son approche de la psychologie des personnages est élaborée dans une langue transparente (An Error of Judgement, 1962). Influencée par le courant contemporain, elle intègre le monologue intérieur à un contexte réaliste, mais son écriture reste traditionnelle. Si les textes d’avant-guerre décrivent les milieux ordinaires petit-bourgeois, ceux d’après-guerre se font plus intimes, traitant du développement personnel d’hommes aussi bien que de femmes dont la vie et les fragilités trouvent leur écho dans son autobiographie (Important to Me : Personalia, « ce qui m’importe, autobiographie », 1974).
Geneviève CHEVALLIER
JOHNSON, Pauline (ou TEKAHIONWAKE) [PRÈS DE BRANTFORD 1861 - VANCOUVER 1913]
Poétesse, auteure dramatique et actrice canadienne.
Née et élevée sur la réserve des Six-Nations, en Ontario, Emily Pauline Johnson est la fille d’une mère américaine d’origine anglaise, cousine du romancier William Dean Howells, et d’un chef mohawk canadien. Au cours d’une enfance aisée, elle est influencée par la poésie romantique anglaise du XIXe siècle que lui enseigne sa mère et par les histoires et les légendes amérindiennes racontées par son père ou lues dans les volumes qui remplissent la grande bibliothèque familiale. À la mort de son père, elle suit sa mère à Brantford et intègre la Model School locale ; elle y reçoit une éducation informelle, complétée à la maison par les leçons de sa mère et de ses gouvernantes. Sa poésie, qui évoque son héritage amérindien, paraît pour la première fois dans la revue Gems of Poetry, en 1884. Entre 1892 et 1909, P. Johnson voyage à travers le Canada, les États-Unis et en Angleterre, revendiquant son statut d’Amérindienne à la fois dans ses œuvres écrites et sur scène. En 1886, elle adopte le nom de famille de son arrière-grand-père, Tekahionwake (« double wampum » ou « double vie »). Ces voyages seront par la suite une source d’inspiration pour nombre de ses écrits. Son premier recueil de poésie, The White Wampum, est publié en Angleterre, en 1895, suivi de Canadian Born, en 1903, et de Flint and Feather (« silex et plume »), en 1912. Ces trois recueils présentent une perspective romantique et idéaliste du mode de vie autochtone en Amérique du Nord. En 1909, P. Johnson, dont la santé s’affaiblit, doit abandonner la scène et déménage à Vancouver. Elle publie une série de récits à grand succès, Legends of Vancouver, dans la revue Province, adaptant ceux de Joseph Capilano, chef squamish, développant les thèmes de l’origine, de l’héroïsme et de l’amour. Parallèlement, elle écrit plusieurs nouvelles, dont The Shagganappi (« la lanière de cuir ») et The Mocassin Maker, publiées à titre posthume en 1913. Ces divers récits célèbrent les cultures nord-américaine et européenne sans résoudre leur conflit inhérent, révélant une ambiguïté découlant de son héritage familial. Le recul a toutefois permis de réinterpréter certains aspects de son œuvre. En effet, des biographes récents attribuent à ses portraits parfois caricaturaux la marque d’une prise en compte de la compréhension limitée d’un public pétri de stéréotypes. Première poétesse autochtone canadienne à publier son œuvre, elle sera l’une des rares femmes ayant réussi à vivre de sa plume au Canada de l’époque.
Catherine DHAVERNAS
■ GRAY C., Flint and Feather : The Life and Times of E. Pauline Johnson, Tekahionwake, Toronto, Harper Collins, 2002.
JOHNSON, Virginia E. [SPRINGFIELD 1925 - ST. LOUIS 2013]
Psychologue et sexologue américaine.
Née dans une ferme du Missouri, Virginia E. Johnson fait ses études à Palo Alto, où sa famille s’est installée. Elle apprend le chant et le piano et travaille pendant quatre ans dans un bureau d’assurance. Après deux mariages successifs et la naissance de deux enfants, elle s’établit en 1956 à Saint Louis, où elle étudie l’anthropologie à la Washington University. William H. Masters lui propose un poste d’assistante de recherche en gynécologie-obstétrique pour travailler sur l’étude de la sexualité humaine en conditions de laboratoire. Il s’agit d’analyser scientifiquement, à partir des données des électroencéphalogrammes, des électrocardiogrammes et des observations cliniques, les changements physiologiques qui se produisent chez l’homme et la femme lors d’une stimulation sexuelle. Dès 1959, W. Masters et V. Johnson entreprennent de traiter des couples souffrant de troubles du comportement sexuel. Ils créent en 1964 une Fondation pour la recherche en biologie de la reproduction à Saint Louis. Leurs ouvrages Les Réactions sexuelles (1966) et Mésententes sexuelles (1970) ont un grand retentissement international. En 1973, ils deviennent codirecteurs de l’institut Masters & Johnson à Saint Louis, jusqu’à la fermeture de ses portes en 1994. À une époque où la morale américaine réprouve sévèrement toute parole sur la sexualité, et en particulier sur l’homosexualité, W. Masters et V. Johnson ont fait œuvre pionnière, à la fois scientifique et clinique, dans la manière d’aborder les problèmes sexuels des couples.
Yvette SULTAN
■ Avec MASTERS W. H., Les Réactions sexuelles (Human Sexual Response, Toronto/New York, Bantam Books, 1966), Paris, Robert Laffont, 1967 ; ID., Les Mésententes sexuelles (Human Sexual Inadequacy, Toronto/New York, Bantam Books, 1970), Paris, Robert Laffont, 1971 ; avec MASTERS W. H., KOLODNY R. C., Les Perspectives sexuelles (Homosexuality in perspective, Boston, Little Brown, 1979), Paris, Marabout, 1982 ; ID., Le Cri d’alarme, tout ce que vous avez toujours craint de savoir sur le Sida (Crisis, heterosexual behavior in the age of AIDS, New York, Grove Press, 1988), Paris, le Pré aux clercs, 1988.
JOHNSTON, Frances BENJAMIN [GRAFTON 1864 - LA NOUVELLE-ORLÉANS 1952]
Photographe américaine.
Après ses études, dès 1883, à l’académie Julian à Paris et à l’Art Students League de Washington, Frances Benjamin Johnston apprend les techniques photographiques auprès de Thomas William Smillie, à la Smithsonian Institution, équipée d’un appareil Kodak offert par George Eastman. Dans les années 1890, elle réalise d’importantes séries de portraits des hauts dignitaires du gouvernement américain, dont The White House (1893). En 1899, elle est choisie comme membre du jury de la prestigieuse Philadelphia Photographic Society et rejoint, cinq ans plus tard, le groupe Photo-Sécession dirigé par Alfred Stieglitz. Auteure prolifique, elle publie de nombreux articles sur la pratique photographique par les femmes dans des revues populaires, parmi lesquelles Demorest’s Family Magazine ou Cosmopolitan. En 1900, elle est sélectionnée pour être l’une des deux femmes déléguées à l’International Congress of Photography, qui se tient en parallèle de l’Exposition universelle de Paris, où elle expose entre autres ses célèbres tirages au platinium de l’Hampton Institute, institution dédiée à l’éducation des Afro-Américains, fondée en 1868. En 1966, le critique Lincoln Kirstein publiera une quarantaine d’épreuves de ce travail (The Hampton Album), et une exposition sera organisée la même année au Museum of Modern Art (MoMA) de New York. En 1910, considérée alors comme une des photographes documentaires les plus influentes, elle se spécialise dans la photographie de jardin et devient l’une des premières à expérimenter la couleur. Elle dirige jusqu’en 1917 un studio à New York avec Mattie Edwards Hewitt, où elle travaille essentiellement pour des architectes et des hommes d’affaires. Dans les années 1930, une bourse de la fondation Carnegie lui permet de documenter l’architecture coloniale du sud des États-Unis. En 1945, elle devient membre d’honneur de l’American Institute of Architects. Deux ans plus tard, elle fait don de ses épreuves, négatifs et correspondance, à la Library of Congress (Washington).
Julie JONES
■ The Hampton Album, New York, The Museum of Modern Art, 1966 ; A Talent for Detail : The Photographs of Miss Benjamin Johnston 1889-1910, Daniel P., Smock R. (dir.), New York, Harmony Books, 1974.
■ CURTIS V. P., « Frances Benjamin Johnston in 1900 : staking the sisterhood’s claim in american photography », in GRIFFITH B. (dir.), Ambassadors of Progress : American Women Photographers in Paris, 1900-1901 (catalogue d’exposition), Giverny, musée d’Art américain, 2001.
JOHNSTONE, Barbara [XXe siècle]
Linguiste américaine.
Après des études à l’université Yale et l’obtention d’un PhD sous la direction d’Alton Lewis Becker à l’université du Michigan en 1981, Barbara Johnstone enseigne l’anglais à l’université A&M du Texas ; elle est ensuite professeure de rhétorique et de linguistique à l’université Carnegie Mellon de Pittsburgh. Ses recherches portent sur l’analyse des discours, sur la rhétorique et sur la sociolinguistique, l’une de ses originalités étant de prendre comme objet des langues typologiquement variées. Elle a également étudié les variations, à la fois linguistiques et sur le plan des stratégies communicatives.
Thomas VERJANS
■ Repetition in Arabic Discourse : Paradigms, Syntagms, and the Ecology of Language, Amsterdam, John Benjamins, 1991 ; Linguistic Individual : Self-Expression in Language and Linguistics, New York, Oxford University Press, 1996 ; Qualitative Methods in Sociolinguistics, New York, Oxford University Press, 2000 ; Discourse Analysis, Malden, Massachusetts, Blackwell, 2002.
JOLAS, Betsy [PARIS 1926]
Compositrice française.
D’origine américaine, Betsy Jolas est la fille de l’écrivain et poète Eugène Jolas, fondateur de la revue littéraire Transition et ami de Matisse, Joyce, Edgar Varèse. En 1940, la famille retourne aux États-Unis, où l’éducation musicale est plus orientée vers la voix. Elle apprend le piano, songe à la peinture, mais le chant l’emporte. À l’âge de 15 ans, elle est subjuguée par la musique de Roland de Lassus, qui plus tard lui inspirera Lassus Ricercare (1971). Élève de Paul Boepple en harmonie et contrepoint, de Karl Weinrich à l’orgue, d’Hélène Schnabel au piano, B. Jolas obtient son diplôme au Bennington College. Elle aime les œuvres de Bernstein, le jazz, les musiques « venues d’ailleurs ». Revenue à Paris en 1946, elle étudie au Conservatoire la fugue et le contrepoint auprès de Simone Plé-Caussade, ainsi que la direction d’orchestre. En 1956-1957, elle travaille avec Darius Milhaud. Elle rencontre Jean-Claude Éloy et Gilbert Amy, s’approche de la pensée sérielle, puis rencontre Olivier Messiaen, qui a créé, au Conservatoire, la classe d’analyse. Elle l’y remplacera de 1971 à 1974, avant d’être nommée professeure d’analyse en 1975, puis professeure de composition en 1978. Entre passion et austérité, la musique sérielle la requiert, mais aussi Bartók, Hindemith, Stravinsky, Janáček. L’importance qu’elle accorde à la voix est visible dans son œuvre Mots (1963), jeu polyphonique de cinq voix solistes. Après Un opéra de voyage, œuvre vocale sans voix, en 1967, B. Jolas compose deux opéras de chambre : Le Cyclope (1986), d’après Euripide, et Le Pavillon au bord de la rivière (1975). L’opéra Schliemann est créé à Lyon en 1995, sous la direction de Kent Nagano. Une suite en est tirée : Lovaby pour soprano et orchestre. En 1999, pour le vingtième anniversaire des Arts florissants, est créé à la Cité de la musique le motet Hunc Igitur Temporem d’après le De Natura rerum de Lucrèce. Au long des années, B. Jolas reçoit de nombreux prix. Elle travaille avec des interprètes remarquables, parmi lesquels Mady Mesplé, Claude Helffer, Elisabeth Chojnacka*, des formations instrumentales de qualité – le London Sinfonietta, les Percussions de Strasbourg, l’Orchestre philharmonique de Radio France, Les Arts florissants, Accentus, etc. Les créations sont nombreuses : en 1997, la Petite symphonie concertante pour violoncelle solo et orchestre ; en 1998, L’Octuor pour violoncelles, sonate à huit ; en 2001, les Pièces enchaînées jouées par le pianiste Jay Gottlieb ; en 2003, Wanderlied pour violoncelle solo et orchestre ; en 2004, le motet L’Ascension du mont Ventoux ; en 2006, le Postlude pour Claude Helffer ; en 2007, le concerto pour piano et chœur O Night, Oh ! Élue membre de l’Académie américaine des arts et sciences en 1995, elle est nommée chevalier de la Légion d’honneur en 1997. B. Jolas aime les défis. Sa palette est toute en variations, selon pourtant une ligne continue, entre imagination et recherche.
Martine CADIEU
■ Molto espressivo, Paris, L’Harmattan, 1999.
■ « Betsy Jolas », in CADIEU M., À l’écoute des compositeurs, entretiens 1961-1974, Paris, Minerve, 1992.
JOLIE, Angelina [LOS ANGELES 1975]
Actrice et réalisatrice américaine.
Angelina Jolie, dont le père est l’acteur John Voight (Macadam cowboy, Délivrance), débute au cinéma à 7 ans. Elle connaît la célébrité en incarnant Lara Croft, l’héroïne du jeu vidéo Tomb Raider. Sa plastique y fait merveille. Mais elle passe vite à des personnages plus réalistes, comme dans Destins violés (Taking Lives, D. J. Caruso, 2004). Dans la comédie d’espionnage Mr & Mrs Smith (Dong Liman, 2005), elle a pour partenaire Brad Pitt. Leur idylle fait les délices des paparazzi, et la famille recomposée qu’ils forment avec leurs six enfants ne quitte pas les médias internationaux. L’actrice est dirigée par Robert De Niro dans Raisons d’État (The Good Shepherd, 2006). En 2007, dans Un cœur invaincu (A Mighty Heart, Michael Winterbottom), elle incarne Mariane Pearl, la femme de l’otage américain enlevé et tué au Pakistan. Dans L’Échange (Changeling, Clint Eastwood, 2008), elle est la mère d’un enfant disparu durant la grande crise de 1929. En 2011, elle réalise Au pays du sang et du miel (In the Land of Blood and Honey). Ce film d’une grande force dépeint la violence contre les femmes et les viols systématiques, à travers une histoire d’amour ravagée par la guerre en Bosnie. Il a reçu un Golden Globe en 2012. A. Jolie est par ailleurs très impliquée dans les organisations d’entraide internationales. En 2014, elle reçoit des mains de la reine Élisabeth II* une récompense pour son engagement contre les violences faites aux femmes en temps de guerre.
Bruno VILLIEN
JOLIOT-CURIE, Irène [PARIS 1897 - ID. 1956]
Chimiste et physicienne française.
Prix Nobel de chimie 1935.
Physicienne de l’atome et de la radioactivité, Irène Joliot-Curie reçoit en 1935 le prix Nobel de chimie. Fille de Pierre et Marie Curie*, elle commence ses études à la faculté des sciences de la Sorbonne mais, à 18 ans, elle rejoint sa mère au front pendant la Première Guerre mondiale et l’aide, comme infirmière, à faire fonctionner les appareils de radiologie qui permettaient aux chirurgiens de localiser les projectiles qu’ils avaient à extraire chez les soldats blessés. Après la guerre, elle reprend ses études à l’Institut du radium. Elle est nommée docteure ès sciences en 1925 ; le sujet de sa thèse porte sur l’origine et les effets des rayonnements alpha du polonium. À partir de 1928, elle conduit ses recherches avec son mari, Frédéric Joliot, sur la structure de l’atome. Ensemble, ils identifient à la fois le positron et le neutron. C’est en 1934 qu’ils font leur principale découverte concernant la radioactivité naturelle permettant de transformer un élément stable en un élément radioactif. Dans le cadre de leurs recherches, en bombardant du bore, de l’aluminium et du magnésium avec des particules alpha, ils obtiennent des isotopes radioactifs à partir d’éléments qui n’étaient pas naturellement radioactifs, comme l’azote, le phosphore et l’aluminium. Ces découvertes révèlent la possibilité d’utiliser des isotopes radioactifs produits artificiellement pour suivre les changements chimiques et les processus physiologiques, ce qui permit de suivre l’absorption de l’iode radioactif par la thyroïde et le chemin du phosphore radioactif dans l’organisme. En 1935, le couple obtient le prix Nobel de chimie. En 1937, I. Joliot-Curie devient maître de conférences à la faculté des sciences de Paris tandis que son mari est nommé professeur au Collège de France. Dès 1939, ils travaillent tous deux sur un projet déjà bien avancé de bombe atomique, mais ce sont les Américains qui le mènent à bien sous le nom de projet « Manhattan ». En 1946, I. Joliot-Curie devient directrice de l’Institut du radium et participe à la création du Commissariat à l’énergie atomique. Elle obtient la chaire de physique générale et radioactivité précédemment occupée par sa mère. Inquiets de la progression du fascisme dans le monde, le couple rejoint, en 1935, le Comité de vigilance des intellectuels antifascistes et soutient activement les républicains espagnols, en 1936. Cette même année, I. Joliot-Curie participe au gouvernement du Front populaire en tant que sous-secrétaire d’État à la Recherche scientifique, mais affaiblie par la tuberculose qui l’oblige à de longs séjours en Suisse, elle démissionne rapidement. Elle meurt d’une leucémie, comme sa mère. En plus du prix Nobel, partagé avec son mari, elle a reçu de nombreuses distinctions, notamment le Prix international de la paix, en 1950.
Yvette SULTAN
■ JOLIOT-CURIE F. et I., Œuvres scientifiques complètes, Paris, PUF, 1961.
JOLLEY, Elizabeth [BIRMINGHAM 1923 - PERTH 2007]
Écrivaine australienne.
Elizabeth Jolley parle, dans ses textes autobiographiques, de la difficulté d’être différente et de grandir dans une petite ville des régions minières de l’Angleterre, auprès d’une mère autrichienne et d’un père anglais pacifiste et quaker, dans l’entre-deux-guerres. À 17 ans, elle devient infirmière et se trouve aux premières loges pour soigner les soldats blessés et amputés, rapatriés du front vers l’hôpital de la campagne anglaise où elle travaille, à une époque où la pénicilline n’a pas encore été découverte. Dans les années 1950, elle suit, à contrecœur, son mari nommé bibliothécaire à l’université de Western Australia. À Perth, elle écrit, sans être publiée, et exerce plusieurs métiers – de démarcheuse en porte-à-porte à femme de ménage – qui vont devenir la substance de nombreuses nouvelles et romans. E. Jolley écrit la folie et le déracinement, la solitude et la résilience des petites gens avec beaucoup de tendresse, et un humour quelque peu décalé. Elle a commencé à écrire très jeune, a été extrêmement prolifique, mais n’a rencontré un succès littéraire mérité qu’après l’âge de 50 ans. Une écriture résolument postmoderne et la thématique des amours lesbiennes ont fait qu’elle n’a été publiée que tardivement. Elle est aujourd’hui l’un des écrivains australiens les plus connus et les plus lus. Elle a produit de nombreuses nouvelles, des romans, dont Five Acre Virgin (« vierge de cinq acres », 1976), The Travelling Entertainer (« le saltimbanque », 1979), The Newspaper of Claremont Street (« le journal de Claremont Street », 1981), Stories (« histoires », 1984), The Well (Le Puits, 1986), Central Mischief (« espièglerie centrale », 1992), The Georges’Wife (« la femme de la famille George », 1993), des pièces radiophoniques et des textes autobiographiques ; certains de ses romans ont été adaptés au cinéma. En 1987, elle a été nommée « citoyenne de l’année » et, en 1988, elle a été décorée du prestigieux ordre du Mérite littéraire pour ses services rendus à la littérature. E. Jolley a été nommée professeure à l’université australienne Curtin en 1998.
Chantal KWAST-GREFF
■ Foxybaby (1985), Paris, Rivages, 1995 ; Le Mensonge (Milk and Honey, 1986), Paris, Calmann-Lévy, 1987 ; Le Puits (The Well, 1986), Paris, Payot et Rivages, 1998.
■ BIRD D., WALKER B. (dir.), Elizabeth Jolley : New Critical Essays, North Ryde, Angus & Robertson, 1991 ; ANDREWS B., HOOTON J., WILDE W., The Oxford Companion of Australian Literature, Adelaide, Oxford University Press, 2000.
JOLLIVET, Simone [ALBI 1903 - PARIS 1967]
Actrice française.
Après une jeunesse provinciale en apparence rangée, mais tumultueuse et extravagante, Camille Simone Jollivet rencontre en 1925 son cousin Jean-Paul Sartre, dont elle devient vite la première égérie, et le premier grand amour, tout au long d’une liaison passionnée de trois ans (1925-1928). Artiste et cultivée, très originale, elle est la première lectrice du premier roman Une défaite. Mais surtout, avec lui, elle découvre et approfondit les notions de contingence, d’acte gratuit et de moment parfait dont il se souviendra en écrivant Mélancholia (La Nausée). Elle lui en inspire également le personnage féminin. Grâce à elle et à Charles Dullin – elle est devenue dès 1930 sa compagne et sa collaboratrice –, Sartre réussit à rencontrer Gaston Gallimard, qui accepte de publier La Nausée. Il leur doit aussi ses débuts d’auteur dramatique (Les Mouches, 1943), après avoir participé dès 1941 à leur aventure de l’École d’art dramatique Charles-Dullin. S. Jollivet – que Simone de Beauvoir, à tort, décrit sans indulgence dans ses mémoires – n’a jamais écrit ce « Romancero » autobiographique qui, au fil de milliers de feuillets, devait mêler à des personnages réels des héros de légende et d’autres encore nés d’un imaginaire débridé. De ses multiples pièces de théâtre, seule fut jouée La Princesse des Ursins qui essuya un cuisant échec. En revanche, elle adapta avec succès Aristophane, William Shakespeare et Honoré de Balzac. Noyée dans ses fantasmes, elle sombra, surtout après la mort de C. Dullin, dans l’alcool, le mysticisme et la folie. Elle ne survécut que grâce à l’aide constante de J.-P. Sartre.
Mauricette BERNE
■ BERNE M. (dir.), Sartre (catalogue d’exposition), Paris, BnF/Gallimard, 2005.