WATT, Alison [GREENOCK, ÉCOSSE 1966]

Peintre britannique.

À l’âge de 7 ans, cette enfant de peintre a l’esprit frappé par un tableau : le portrait de Mme Moitessier d’Ingres (1856). Diplômée de la Glasgow School of Art en 1988, Alison Watt remporte, l’année précédente, le John Player Portrait Award et obtient la commande d’un portrait de la reine-mère Élisabeth, qui sera intégré dans la collection de la National Portrait Gallery. Ses premières huiles sur toile sont essentiellement figuratives : des portraits ou des nus féminins dans des décors clairs et lumineux. C’est à l’occasion d’une exposition en 1997, à la Fruitmaker Gallery d’Édimbourg, qu’elle commence à accorder une place particulière à la représentation du tissu dans son travail. A. Watt conçoit des tableaux de grand format, qu’elle peint seule, sur des échafaudages. Sa couleur de prédilection est le blanc, dans lequel elle distille des pigments ocre, sienne, vermillon, gris, noirs, pour produire des drapés d’une plasticité presque sculpturale au modelé réaliste. Ses toiles montrent des tissus tantôt lourds ou légers, froissés, noués, suspendus, dont les plis sensuels évoquent parfois des formes anatomiques, comme des sexes féminins inspirés de l’Origine du monde de Gustave Courbet. Elle exploite la puissance suggestive du drapé, qui rappelle pudiquement la présence ou l’absence d’un corps, les draps d’un lit abandonné, le plissé d’une robe, ou encore le périzonium du Christ. En 2000, elle est la plus jeune artiste à présenter une exposition monographique, intitulée Shift, à la Scottish National Gallery of Modern Art. Elle se tourne alors vers une certaine forme d’abstraction. Lors du Festival international d’Édimbourg en 2004, elle expose son polyptique, Still, ainsi que six toiles à la galerie Ingleby. La même année, elle réalise la série Dark Light, composée de toiles intégralement noires, figurant des drapés et présentées dans une installation cubique fermée. De 2006 à 2008, elle crée une série de six grands formats réinterprétant la collection permanente de la National Gallery de Londres : des toiles d’Ingres, d’Holbein ou encore le Saint François en méditation (1635-1639) de Francisco Zurbáran. À travers ces peintures, l’artiste dépasse l’étude stricte du drapé pour atteindre une dimension dramatique, voire mystique, imprégnée de l’influence des maîtres anciens.

Mélanie HAMET

Phantom (catalogue d’exposition), Londres/New Haven, National Gallery/Yale University Press, 2008.

WATTEAU, Monique Alika (épouse LINDBERGH) [LIÈGE 1929]

Écrivaine et peintre belge d’expression française.

Partie à Paris pour devenir actrice, encouragée par Orson Welles, Monique Alika Watteau joue dans Deux sous de violettes, réalisé par Anouilh (1951). Elle illustre les ouvrages de son mari, Bernard Heuvelmans, « cryptozoologue », et signe sous le pseudonyme Watteau son premier roman fantastique (La Colère végétale, 1954). Les trois suivants, salués par André Breton, expriment son goût du surnaturel, sa passion fusionnelle pour la nature, les animaux, les singes : La Nuit aux yeux de bête (1956, 2008) ; L’Ange à fourrure (1958) ; Je suis le ténébreux (1962). Yul Brynner lui donne son surnom tzigane, Alika, sous lequel elle expose ses premiers tableaux (1962). Ses essais, Nous sommes deux dans l’Arche (1975) et Quand les singes hurleurs se tairont (1976), couronnés du prix Grammont, relatent le sauvetage des singes entrepris avec son second mari, Scott Lindbergh, fils de l’aviateur. Militante écologiste, elle collabore au Journal Franz Weber. Son autobiographie illustrée (Testament d’une fée, 2002) et sa préface à une biographie de son ex-beau-père (2006) dévoilent quelques-uns de ses secrets.

Catherine GRAVET

WATTHANAPHAT, Kanha VOIR SURANGKANANG, K.

WAUNEKA, Annie DODGE [SAWMILL, RÉSERVE NAVAJO D’ARIZONA 1910 - ARIZONA 1997]

Éducatrice de santé publique et militante politique navajo américaine.

Celle que le Conseil navajo honorera en 1984 du titre de « mère légendaire du peuple navajo » est la fille du dernier grand chef de cette tribu (la plus nombreuse aux États-Unis), Henry Chee Dodge (1857-1947), et son premier interprète officiel auprès du gouvernement américain. À 8 ans, Annie Dodge Wauneka entre à la pension du Bureau des affaires indiennes à Fort Defiance, puis, de 1925 à 1928, à l’école indienne d’Albuquerque, où elle découvre l’existence d’autres tribus indiennes et apprend l’anglais. En 1929, la crise entraîne un programme de réduction de la production de bétail, et la situation des Navajo devient aussi désastreuse que lors de leur exil forcé (la « longue marche », 1863). En 1951, A. Dodge Wauneka obtient un siège au Conseil tribal, poste qu’elle conservera durant trois mandats. Elle devient l’interprète officiel de celui-ci, notamment dans les hôpitaux, puis présidente de son Comité sanitaire. Elle écrit un dictionnaire traduisant en navajo les termes médicaux anglais, tels que la vaccination, démystifiant ainsi la médecine non traditionnelle. En 1956, membre du Comité consultatif sur la santé indienne, elle engage une campagne contre la tuberculose, qui ravage les tribus amérindiennes. Médiatrice très respectée, elle convainc les Navajo d’assainir et de moderniser leurs hogan (« maisons »). Elle encourage les mères à accoucher à l’hôpital et à vêtir les nouveau-nés afin d’augmenter leurs chances de survie. Elle participe à des émissions de radio où elle explique en langue navajo ce que la médecine moderne peut apporter en matière de santé. Dans les années 1960, les rapports des Services fédéraux de santé publique attestent que ses efforts ont contribué à diminuer de 25 % la mortalité infantile et de 35 % la mortalité due à la tuberculose. En décembre 1963, elle est le premier Amérindien à recevoir la Médaille présidentielle de la Liberté, que lui remet le président en récompense de ses actions en faveur de la santé publique. Lors du sous-comité du Sénat sur l’éducation des Indiens, le sénateur Robert Kennedy la convoque pour qu’elle plaide en faveur de l’intégration des tribus dans le système éducatif fédéral et fasse abolir le maintien des écoles dans les réserves. En 1976, elle reçoit de l’université d’Arizona le titre de docteur honoris causa en santé publique.

Claudine BRELET

NIETHAMMER C., I’ll Go and Do More : Annie Dodge Wauneka, Navajo Leader and Activist (2001), Lincoln, University of Nebraska Press, 2007.

WEARING, Gillian [BIRMINGHAM 1963]

Vidéaste et photographe britannique.

Figure emblématique du mouvement des Young British Artists, Gillian Wearing a été lauréate du Turner Prize en 1997. L’un des principaux enjeux de ses travaux de photos et de vidéos est de montrer la vie des « gens ordinaires » dans la Grande-Bretagne contemporaine. Son travail semble donc s’inscrire dans la continuité lointaine de l’observation anthropologique, telle que pratiquée par le mouvement Mass Observation dans les années 1930 (titre d’une exposition personnelle de l’artiste au Museum of Contemporary Art of Chicago en 2002). Les stratégies de documentation qu’elle emploie essaient de renverser les relations de pouvoir entre ceux qui s’exposent et qui se donnent à voir et ceux qui les regardent. Avec Signs That Say What You Want Them to Say and Not Signs That Say What Someone Else Wants You to Say (« des signes qui disent ce que vous voulez qu’ils disent et non des signes qui disent ce que quelqu’un d’autre veut que vous disiez », 1992-1993), elle connaît son premier succès critique. Constituée de 50 photographies illustrant des passants anonymes tenant chacun un panneau où sont affichées leurs pensées, la série se révèle être un fascinant document social et historique. Des vidéos de l’artiste, articulées autour de la révélation de quelque chose d’intime ou de caché, convoquent explicitement le modèle télévisuel des récits sur soi. Dans Confess All on Video… (1994) et Trauma (2000), le recours à la figure du masque vient renforcer le lien entre l’expérience traumatique et la fonction thérapeutique des aveux. Les moyens convoqués divergent d’œuvre en œuvre. Ainsi, dans Sacha and Mum (1996), l’artiste a recours à des acteurs pour exposer la violence et la tendresse de la relation entre mère et fille ; avec Drunk (1999), les membres d’une communauté alcoolique jouent leur propre rôle, s’exposant au regard voyeuriste d’un spectateur. La vidéaste réinvente la forme documentaire en rejetant notamment toute forme d’humanisme compassionnel.

Teresa CASTRO

Gillian Wearing, sous influence (catalogue exposition), Paris, Paris musées, 2001.

FERGUSON R., DE SALVO D., SLYCE J., Gillian Wearing, Londres, Phaidon, 1999.

WEAVER, Sigourney (Susan Alexandra WEAVER, dite) [NEW YORK 1949]

Actrice américaine.

Fille d’une actrice et du directeur d’une chaîne de télévision, Sigourney Weaver fait ses débuts sur scène Off Broadway. Elle apparaît pour la première fois à l’écran dans Annie Hall (1977), de Woody Allen. Elle se révèle au grand public dans le rôle de la cosmonaute intrépide d’Alien (en 1979, et dans ses trois suites). Elle continue à se spécialiser dans les rôles d’aventurières dans L’Année de tous les dangers (1982) et dans Gorilles dans la brume (1988). Si elle n’hésite pas à aborder aussi (avec succès) la comédie dans SOS fantômes (1984) ou dans Working Girl (1988), elle multiplie néanmoins les rôles dramatiques, comme dans La Jeune Fille et la Mort (1994), de Roman Polanski. Par la suite, elle passe sans peine des films de suspense (Copycat, 1995) aux contes de fées (Blanche-Neige, 1997). Toujours attirée par la science-fiction et le fantastique, elle intègre la distribution de Galaxy Quest (1999) et joue un rôle dans Le Village (2004), de M. Night Shyamalan, avant de se voir offrir un rôle par James Cameron pour Avatar (2009). En 2012, elle fait son retour à Broadway dans une comédie inspirée d’Anton Tchekhov.

Bruno VILLIEN

CARRIÈRE J., Sigourney Weaver : portrait et itinéraire d’une femme accomplie, Paris, De la Martinière, 1994.

WEBB, Beatrice (née POTTER) [PRÈS DE GLOUCESTER 1858 - LIPHOOK 1943]

Économiste socialiste et femme politique britannique.

Fille d’un propriétaire de compagnies de chemin de fer, Beatrice Webb, née Potter, choisit de se faire embaucher comme ouvrière dans une usine textile. Puis une fois plongée dans le monde du travail, elle est engagée par son cousin Charles Booth, en 1886, pour effectuer avec lui une grande enquête sur les conditions de vie et de travail des habitants du Londres populaire : 17 ans de recherche, 17 volumes parus. Elle devient une spécialiste du travail des femmes et des dockers et est, à ce titre, auditionnée par la Chambre des lords. En 1891, elle rencontre Sidney Webb, qui travaille sur les mêmes sujets qu’elle, et l’épouse l’année suivante. Ensemble, ils publient une série d’ouvrages : sur le mouvement coopératif, sur l’histoire du syndicalisme, pour l’abrogation de la loi sur les pauvres et pour une démocratie industrielle. Ils participent à la création de la Fabian Society et à la naissance du Labour Party. Ils sont à l’origine de la London School of Economics et de l’hebdomadaire New Statesman. B. Webb publie seule, en 1919, un pamphlet dénonçant l’exclusion des femmes des postes de travail qu’elles occupaient pendant la guerre, ainsi que la différence entre leurs salaires et ceux des hommes : « Wages of Men and Women. Should they be Equal ? » Elle y blâme les « industriels parasites », qui ne paient pas suffisamment leurs salariés pour que ceux-ci puissent vivre et faire vivre leur famille, et réclame l’organisation, par la loi, de l’égalité entre les sexes pour les salaires et les emplois. En 1926, elle publie également My Apprenticeship (« mon apprentissage »).

Pierre TRIPIER

SEYMOUR-JONES C., Beatrice Webb : A life, Chicago, I. R. Dee, 1992.

WEBB, Mary (née Mary Gladys MEREDITH) [LEIGHTON 1881 - ST LEONARDS-ON-SEA 1927]

Romancière et poétesse britannique.

Aînée de six enfants, Mary Meredith ne quitta presque jamais l’ouest rural de l’Angleterre, passionnément amoureuse de ses paysages et de la vie de la nature dans ses moindres manifestations. En 1912, elle épouse Henry Webb, instituteur. Ils s’installent en ville pendant deux mois mais reviennent dans le Shropshire où ils sont maraîchers. Elle commence alors à écrire et publie en 1915 La Flèche d’or, son premier roman. En 1921, le couple déménage à Londres pour être plus proches des milieux littéraires et elle y écrit Sarn, inspirée par son éloignement de sa campagne natale. En 1928, soit un an après la disparition de l’écrivaine, le premier ministre Stanley Baldwin écrit la préface du livre, qui devient un grand succès. De tous ses écrits (sept romans et deux recueils de poèmes), il ressort un vrai mysticisme de la nature, lieu de forces puissantes et de créativité infinie.

Michel REMY

La Flèche d’or (The Golden Arrow, 1915), Paris, Éditions de Flore, 1948 ; Sarn (Precious Bane, 1924), Paris, Grasset, 1930.

COLES G. M., Mary Webb, Bridgport, Seren, 1990.

WEBB, Phyllis [VICTORIA 1927]

Poétesse et journaliste canadienne.

Dès le lycée, Phyllis Webb aborde l’écriture poétique avant d’entreprendre des études en littérature anglaise et en philosophie à l’université de Colombie-Britannique. Mais c’est à celle de McGill, à Montréal, qu’elle rejoint un cercle littéraire et côtoie, entre autres, Miriam Waddington*. Elle étudie aussi le théâtre en France grâce à une bourse (1957). Elle devient, en Angleterre, journaliste et critique littéraire pour CBC, mais revient au Canada en 1959 et enseigne la littérature anglaise à l’université de Colombie-Britannique, tout en maintenant des collaborations radiophoniques. À Toronto, dans les années 1960, elle anime des programmes traitant des affaires publiques et produit l’émission Ideas. Elle enseigne ensuite aux universités de Colombie-Britannique et de Victoria, et devient auteure en résidence à l’université d’Alberta (1980-1981). La théorie politique marque son œuvre : vie civique, lutte des classes, révolution sont des thèmes très présents, côtoyant des motifs plus légers. Le sujet le plus insignifiant lui semble digne d’intérêt poétique. D’un ton profondément humain, elle célèbre l’élan vers la liberté. Si ses premiers recueils sont assez rhétoriques, voire cérémonieux (Even Your Right Eye, 1956 ; The Sea is also a Garden, 1962), Selected Poems (1971), beaucoup plus fluide, révèle une prise de risque tant formelle que sur le fond. Fortement épurée, sa poésie, dont la musicalité résonne à chaque vers, scande chaque syllabe, suggère des airs de danse. Paraissent ensuite, entre autres recueils, Wilson’s Bowl, en 1980, et Water and Light : Ghazals and Anti Ghazals, en 1984. Son œuvre témoigne de revirements stylistiques, marqués avec Hanging Fire (1990), empreint d’une méthode d’écriture toute personnelle qui suggère la diction d’une dictée. Le poème transcrit des phrases ou mots issus de son inconscient, ce que P. Webb rapproche d’une sorte de résistance passive. Ce recueil, intime, performatif, flâne ou s’attarde, abordant une nuée de problèmes sociaux, historiques, esthétiques ou politiques. Parallèlement à son œuvre poétique, elle traite aussi de la théorie poétique et notamment du processus de son « geste d’écriture ». The Vision Tree : Selected Poems (1982) a été distingué par le prix du Gouverneur général en 1982. Elle a profondément influencé son ami, l’écrivain Thimoty Findley, qui lui a dédié son roman, Passagers clandestins (1984). Elle devient officier de l’Ordre du Canada en 1992. Elle réside depuis 1970 sur l’île de Salt Spring (Colombie-Britannique), où elle s’adonne à la peinture.

Élodie VIGNON

BUTLING P., Seeing in the Dark : the Poetry of Phyllis Webb, Waterloo, Wilfrid Laurier University Press, 1997.

WEBER, Lois [ALLEGHENY V. 1879 - HOLLYWOOD 1939]

Réalisatrice et scénariste américaine.

Pianiste de talent, Lois Weber s’enfuit de chez ses parents pour poursuivre une carrière de chanteuse à New York. Sans le sou, elle survit en prêchant et chantant des hymnes évangéliques dans la rue. En 1905, elle devient actrice pour la Gaumont. En 1908, elle rencontre Herbert Blaché, époux d’Alice Guy*, avec qui elle travaille comme scénariste, notamment sur Hypocrites, dans lequel elle joue. Grâce à cette collaboration, elle acquiert l’expérience et l’assurance lui permettant de se lancer dans la réalisation. Sa carrière prend son essor au début des années 1910, quand elle signe avec Universal. Le studio lui donne une totale liberté et d’importants moyens financiers. Elle n’hésite pas à aborder des sujets tabous, comme l’avortement et le contrôle des naissances (Where Are My Children ? , 1916), la peine de mort (The People vs. John Doe, 1916), l’alcoolisme et la toxicomanie (Hop, the Devil’s Brew, 1916). Le succès public est au rendez-vous. Tout comme les ennuis avec la censure qui la suivront durant toute sa carrière. En 1916, elle devient la mieux payée des cinéastes d’Universal et la seule femme à être membre de la Motion Pictures Directors Association. En 1917, elle fonde sa propre société de production. Cette totale indépendance lui permet de réaliser des œuvres plus personnelles, en particulier des drames intimes et conjugaux à la puissance psychologique novatrice (Too Wise Wives, 1921) qui feront dire aux historiens du cinéma qu’elle a ouvert la voie à des cinéastes comme I. Bergman et R. Altman. Mais ses films trouvent de moins en moins grâce aux yeux du public et de la critique. 1921 marque le déclin de sa carrière : malgré la sortie de The Blot (1921), considéré comme son meilleur film, L. Weber perd sa société, divorce et fait une dépression. Entre 1922 et 1927, elle dirige quelques rares films mal reçus, et ne réalise plus rien jusqu’en 1934, année où elle sort White Heat, son seul film parlant. Ce nouvel échec met un terme à sa carrière de réalisatrice. Elle travaille encore pendant cinq ans comme script doctor pour Universal avant de mourir ruinée à 60 ans.

Jennifer HAVE

ACKER A., Reel Women : Pioneers of the Cinema, 1896 to the Present, New York, Continuum, 1993.

OSTRIA V., « Lois Weber, cette inconnue », in Cahiers du Cinéma, no 370, avr. 1985.

WEDDALLAT GÄDAMU VOIR WUDALAT GEDAMU

WEEMS, Marianne TATS-UNIS 1960]

Metteuse en scène multimédia américaine.

Diplômée de Columbia, Marianne Weems rejoint le Wooster Group comme dramaturge et assistante à la mise en scène. Durant une dizaine d’années, elle travaille auprès d’Elizabeth Lecompte*, Susan Sontag*, Richard Foreman et Jan Cohen-Cruz. En 1994, elle fonde sa compagnie, The Builders Association. Le projet de ce collectif établi à New York est d’associer sur scène des formes traditionnelles de théâtre (avec texte et acteur) aux technologies multimédia (vidéo, son, installation architecturale). Master Builder (1994), performance et installation, présenté dans un espace industriel désaffecté, propose diverses représentations de l’espace domestique : les spectateurs peuvent explorer l’intérieur de la maison et assister à la représentation théâtrale. Traitant de l’évolution des comportements sociaux au XXIe siècle, Alladeen (2004) fait de la scène le théâtre d’une plate-forme indienne de téléperformeurs, alors que Super Vision (2006) aborde le changement de nature des relations au sein d’une société privée, dans laquelle les informations personnelles sont informatisées et constamment collectées. M. Weems s’entoure d’artistes issus de disciplines variées, notamment les architectes multimédias Diller+Scofidio pour Jet Lag en 1998 : projections d’images en 3D d’une carlingue d’avion alors que les comédiens sont assis dans de vrais fauteuils – « tout est mis en œuvre pour créer un dialogue entre l’espace virtuel de l’écran et l’espace physique de la scène ». Continuous City (2007), par le biais d’écrans et de téléphones cellulaires, fait se rencontrer un homme en voyage d’affaires et sa fille, présente sur le plateau. The Builders Association est une des compagnies expérimentales américaines les plus actives au plan international. Par ailleurs, Marianne Weems enseigne dans plusieurs collèges et universités à travers le monde.

Bergamote CLAUS et Marc DUPREZ

WEGENAST, Bettina [BERNE 1963]

Auteure dramatique pour la jeunesse et journaliste suisse.

D’abord enseignante, Bettina Wegenast crée en 1991, à Berne, une libraire de bandes dessinées. Elle s’intéresse particulièrement aux contes et à la manière dont l’homme contemporain peut se construire en rapport avec eux et leurs personnages, notamment les animaux. Publiée en allemand en 2003, Être le loup, sa première pièce, a rencontré un certain succès : adaptée pour la radio suisse SWR2, elle a été mise en scène en 2007 par Christian Duchange. Elle pose la question du loup et plus globalement de la bête immonde qui peut sommeiller en chacun, même mouton, et dont on peut endosser le rôle comme on exerce n’importe quelle profession. Deux autres de ses pièces pour la jeunesse, plus légères, ont été traduites en français : Erwin et Grenouille (2005) et Une vie de mouche (2009). Elles abordent elles aussi, sur fond de références aux contes, la question de l’identité et de la transformation, jusqu’à l’ultime métamorphose que représente le passage de la vie à la mort.

Marie BERNANOCE

Être le loup (Wolf sein, 2003), Paris, L’École des loisirs, 2004 ; Erwin & Grenouille (Erwin & Frosch, 2005), Paris, L’École des loisirs, 2005 ; Une vie de mouche (Absolute Anfänger, 2009), Paris, L’École des loisirs, 2009.

WEGENER, Gerda (née GOTTLIEB) [HOBRO 1885 - FREDERIKSBERG 1940]

Peintre et illustratrice danoise.

Fille d’un pasteur, Gerda Gottlieb part en 1902 à Copenhague suivre une formation artistique à l’École d’art de jeunes filles, annexe de l’Académie royale des arts encore réservée aux hommes. Elle rencontre très vite son futur mari, le peintre Einar Wegener. En 1908, G. Wegener remporte le Premier prix d’un concours organisé par le journal Politiken sur le thème de l’idéal féminin, avec un dessin d’inspiration Art nouveau. En 1912, elle s’installe avec son époux à Paris comme peintre et illustratrice de mode pour des magazines tels que Vogue, La Vie parisienne, Fantasio. Pendant la Première Guerre mondiale, elle publie des dessins antigermaniques dans le journal Le Matin et la revue La Baïonnette. Elle réalise ensuite de nombreux portraits de femmes de la bourgeoisie parisienne, dans un style décoratif mondain, qu’elle expose dans les salons de la capitale : Salon des humoristes, Salon des indépendants ainsi que Salon d’automne. En 1923, l’État français fait l’acquisition de deux de ses tableaux (Dame à l’anémone, 1922 ; Lily, 1922) et d’un dessin (La Sieste, 1922). Au cours de cette même période, elle expose aussi régulièrement au Danemark. Bien que déclinée sous différentes formes – illustration, peinture sur verre, sur toile, dessin –, son œuvre se compose principalement de personnages féminins, véhiculant une image idéalisée de l’élégante parisienne frivole. Son modèle préféré est son époux, qu’elle habille de vêtements féminins ; c’est ainsi qu’est né le personnage de Lili Elbe. Au fil du temps, E. Wegener manifeste une féminité de plus en plus affirmée. En 1930, encouragé par sa femme, il part en Allemagne subir la première intervention de changement de sexe. Le roi du Danemark annule leur mariage en octobre ; E. Wegener change d’identité et reçoit un passeport au nom de L. Elbe. Tout au long de sa période parisienne, G. Wegener illustre à l’aquarelle des éditions de luxe d’ouvrages d’écrivains célèbres, destinées aux amateurs et aux bibliophiles. Certains livres, qu’elle qualifie d’« œuvres galantes », sont accompagnés de dessins érotiques lesbiens (Les Délassements d’Éros, 1925). Après un second mariage avec un jeune officier italien, soldé par un divorce cinq ans plus tard, elle retourne en 1938 au Danemark où elle finit sa vie.

Nathalie ERNOULT

Avec ALLATINI É, Contes de mon père le jars, Paris, Éd. française illustrée, 1919 ; avec VÉRINEAU A. de, Douze sonnets lascifs pour accompagner la suite d’aquarelles intitulée Les Délassements d’Éros, Érotopolis, À l’enseigne du Faune, M. Duflou 1925 ; avec CASANOVA G., Casanova de Seingalt, une aventure d’amour à Venise, Paris, G. Briffaut, 1927 ; avec JENSEN M., Portraitiste danoise du Paris des années 1920, Paris, Maison du Danemark, 2000.

WEGMANN, Bertha [SOGLIO, SUISSE 1847 - COPENHAGUE 1926]

Peintre danoise.

Avec sa famille, Bertha Wegmann s’installe en 1853 à Copenhague, où son père – qui avait souhaité être peintre – exerce dans l’industrie. Elle perd sa mère alors qu’elle n’a que 10 ans. Adolescente, elle apprend le dessin et la peinture auprès de Frederik Ferdinand Helsted et de Frederik Christian Lund, figures traditionalistes du monde pictural. En 1867, elle suit les cours de Wilhelm Lindenschmidt et d’Eduard Kurzbauer à Munich. De 1880 à 1882, à Paris, peignant auprès de Jean Léon Gérôme, de Léon Bonnat, de Jules Bastien-Lepage et même, durant quelque temps, de Georges Manet, elle subit l’influence du naturalisme français. Sa palette, jusque-là assez sombre, typique de la peinture allemande de cette période, s’éclaircit et s’allège. Si les premières années sont marquées par la précarité financière, la jeune femme accède peu à peu à la reconnaissance. Dès 1873, puis régulièrement de 1877 jusqu’à sa mort, elle expose à Charlottenborg – l’Académie royale danoise des beaux-arts. La médaille d’or qui récompense, au Salon de Paris en 1882, le portrait qu’elle a peint de sa sœur (Fru Seekamp, « Mme Seekamp », 1880) renforce sa notoriété au Danemark, où elle revient résider : bourgeois et aristocrates lui commandent leurs portraits, et elle devient, en 1887, la première femme à être admise comme membre du jury qui sélectionne les exposants à Charlottenborg. Son succès, à la fin des années 1880, est international (Expositions universelles de 1889 et 1900, Foire mondiale de Chicago en 1893). Plusieurs récompenses officielles honorent ses peintures, dont, notamment, en 1892, la médaille d’or Ingenio et arti que lui remet le roi Christian IV et qu’elle est l’une des premières femmes à recevoir. Elle a également œuvré pour une meilleure intégration des femmes dans les circuits artistiques institutionnels, en participant, par exemple, à la fondation, en 1888, de l’École d’art féminine associée à l’Académie des beaux-arts. Techniquement, les très nombreux portraits qu’elle a réalisés de son amie Jeanna Bauck (1840-1926) portent témoignage de sa maîtrise de la lumière, mais aussi de l’idée qu’elle s’attache à donner d’un destin de femme. Ainsi, la toile de 1887 figure la modèle sur un fond neutre, et non sur un décor domestique comme il est alors d’usage. J. Bauck porte sur qui la regarde des yeux scrutateurs et semble méditer quelque projet, tenant dans sa main gantée des lunettes dont elle suçote vaguement une branche.

Guénola STORK

De drogo till Paris, nordiska konstnärinnor på1880-talet (catalogue d’exposition), Stockholm, Liljevalchs, 1988 ; Women Painters in Scandinavia, 1880-1900 (catalogue d’exposition), Veiteberg J. (dir.), Copenhague, Kunstforeningen, 2002.

WEIGEL, Helene [VIENNE 1900 - BERLIN-EST 1971]

Actrice et directrice de théâtre allemande.

Après des études en art dramatique à Vienne, Helene Weigel s’installe à Francfort en 1919 puis à Berlin en 1922 et entame sa carrière à la Volksbühne et au Deutsche Theater. Elle étudie la dramaturgie avec Max Reinhardt, rencontre Bertolt Brecht en 1923 et l’épouse en 1929. Devenue sa collaboratrice, elle interprète les grands rôles dont La Mère (1932) et Les Fusils de la mère Carrar (1937). Le couple émigre en 1933 d’abord au Danemark, en Suède et en Finlande, avant de s’installer aux États-Unis (1941-1947). Après cette interruption dans sa carrière artistique, elle joue en Suisse en 1948 le rôle-titre de l’Antigone de Brecht. À Berlin l’année suivante, elle devient directrice du Berliner Ensemble. Le théâtre et ses productions s’imposent sur la scène internationale : Mère Courage et ses enfants à Paris en 1954 (elle joue le rôle-titre) est le début de la réception de l’œuvre de Brecht en France. Membre fondateur de l’Akademie der Künste en 1950 et candidate aux élections du Parti socialiste unifié d’Allemagne (SED) en 1954, elle est une artiste politiquement engagée auprès du pouvoir de la RDA. Après la mort de Brecht en 1956, H. Weigel continue à diriger le Berliner Ensemble. Décorée de l’ordre du Mérite patriotique de la RDA en 1965, elle se distancie au moment du printemps de Prague (1968). Elle souhaite voir l’intégralité de l’œuvre de Brecht mise en scène et s’oppose à l’entrée de jeunes auteurs au Berliner Ensemble (Heiner Müller, Einar Schleef). Ses décisions artistiques en faveur de l’héritage de Brecht créent des dissensions au sein de l’équipe du Berliner. Elle meurt à Berlin le 3 avril 1971, quelques semaines après avoir rejoué une dernière fois La Mère à Paris.

Angela KONRAD

HECHT W., Helene Weigel, Eine grosse Frau des 20. Jahrhunderts, Francfort, Suhrkamp, 2000 ; KEBIR S., Abstieg in den Ruhm, Helen Weigel, Eine Biographie, Berlin, Aufbau, 2000 ; STERN C., Männer lieben anders, Helen Weigel und Bertolt Brecht, Berlin, Rowohlt, 2000.

WEIHUI (ZHOU WEIHUI, dite) [YUYAO, ZHEJIANG 1973]

Romancière chinoise.

Issue d’une famille aisée, Weihui passe son enfance à suivre son père, militaire de carrière, au gré de ses mutations. Elle intègre l’université Fudan en 1990, puis effectue une année de rééducation. Diplômée du département de chinois en 1995, elle commence à publier, en travaillant entre-temps dans le journalisme, la publicité et divers domaines artistiques. Elle mène une vie de bourgeoise-bohème, alliant son goût du luxe à la liberté de gérer son emploi du temps.

Elle fait partie de la nouvelle génération de la littérature contemporaine chinoise, et, en dépit de son prénom Weihui, qui veut dire « garder » ou « défendre la sagesse », elle publie un roman intitulé Xiang Weihui nayang fengkuang (« folle comme Weihui », 1999), suivi, entre autres, de Hudie de jianjiao (« le cri strident du papillon », 1999), Heiye wenrou (« tendresse de la nuit », 2000), Wo de chan (« mon zen », 2004), Gou baba (« papa chien », 2007) et de plusieurs nouvelles. Son œuvre la plus marquante reste néanmoins Shanghai Baby (1999) : ce roman dit autobiographique a connu un succès commercial retentissant en Chine avant d’être censuré par les autorités en raison de ses descriptions « trop crues » de la masturbation féminine, de l’homosexualité et de la toxicomanie.

Admiratrice d’Henry Miller, l’auteure déclare écrire pour la nouvelle femme chinoise, en lui suggérant comment envisager sa sexualité. Shanghai Baby a pour cadre la ville cosmopolite de Shanghai, comme la plupart des récits de Weihui, et raconte l’histoire d’une jeune Chinoise, tiraillée entre Tiantian, un homosexuel impuissant, et Mark, l’amant allemand ; elle finira par sombrer dans la drogue et se suicider. Selon la critique chinoise, la romancière appartient, ainsi que Mian Mian*, au groupe des « belles femmes écrivains » (meinü zuojia). Son œuvre scandaleuse et provocante annonce l’avènement d’une génération de « femmes libérées » en Chine. Sa force réside dans l’innovation de la forme, inspirée par les écrivains occidentaux contemporains.

ZHOU MANG

Shanghai Baby (Shanghai baobei, 1999), Arles, P. Picquier, 2001.

WEIL, Simone [PARIS 1909 - ASHFORD 1943]

Philosophe française.

Élève au lycée Henri-IV du philosophe Alain, qui exerça sur elle une influence indélébile, Simone Weil retint de ce maître que la qualité d’intellectuel va de pair avec l’engagement : toute sa vie, elle croira à la nécessité de s’engager politiquement, mais en intellectuelle, c’est-à-dire de répondre aux exigences de l’époque sans pourtant rien céder sur celles de sa pensée. Aussi ne se départit-elle dans aucun de ses engagements d’une attitude critique qui la conduisit toujours à prendre ses distances, parfois jusqu’à la rupture. À peine nommée dans son premier poste d’enseignement (1931), elle adhère à l’École émancipée, courant de gauche du Syndicat national des instituteurs ; elle milite au côté des chômeurs, enseigne le matérialisme dialectique à des ouvriers. Mais dès 1933, elle dénonce dans La Révolution prolétarienne la perversion du marxisme en URSS et démontre l’absence totale de perspective révolutionnaire au sein même du mouvement ouvrier. Écrites un an plus tard mais restées inédites, les Réflexions sur les causes de la liberté et de l’oppression sociale – son « grand œuvre » – sont une critique sans complaisance de l’idée même de révolution. En 1936, au début de la guerre d’Espagne, elle s’engage parmi les miliciens de la CNT anarchiste. Engagement de courte durée à cause d’une grave brûlure due à sa maladresse, mais elle en a vu assez pour dénoncer dans une lettre à Bernanos le climat d’impunité qui régnait chez ses « camarades des milices d’Aragon » aussi bien que chez les franquistes, effaçant à ses yeux « le but même de la lutte ». Renforcée dans ses convictions pacifistes, elle soutient, comme beaucoup, les accords de Munich, avant d’y voir une « erreur criminelle », l’invasion de la Tchécoslovaquie l’ayant ralliée à l’objectif de destruction de l’idéologie hitlérienne, expression ultime de l’« empire de la force ». La guerre déclarée, S. Weil envisage aussitôt d’y participer, mais en non-violente ; elle conçoit le « projet d’une formation d’infirmières de première ligne », destiné à manifester au lieu du plus grand danger « un courage qui ne soit pas échauffé par la volonté de tuer ». Son attitude envers le christianisme, auquel on la dit à tort convertie, relève du même esprit. Élevée dans une famille juive agnostique puis disciple d’Alain, elle considéra toujours qu’entrer dans l’Église et en accepter les dogmes, quelque affinité qu’elle se sentît avec la mystique chrétienne, la vouait à renoncer au libre exercice de son intelligence ; aussi n’accepta-t-elle jamais le baptême. Son diplôme d’études supérieures (DES), « Science et perception dans Descartes » (1930), montrait dans le travail manuel la voie royale de la connaissance. De décembre 1934 à août 1935, un congé pour études lui permet d’expérimenter par elle-même la réalité du travail ouvrier comme manœuvre dans des usines parisiennes. Elle a dépeint dans son Journal d’usine la condition ouvrière comme un état de soumission où l’on perd jusqu’à l’idée d’avoir des droits. S. Weil voit dans le travailleur le paradigme de la condition humaine : dans le travail, l’homme rencontre la nécessité des choses et apprend à la comprendre. C’est pourquoi tout à la fois le travailleur est la vérité de l’homme et on le trompe en lui promettant qu’une révolution le libérera du rapport à la nécessité. Il faut alors distinguer la nécessité de la force : la force est la manifestation de l’arbitraire humain ; la nécessité, celle de l’obéissance par laquelle la création répond à l’amour du Créateur. Le Christ figure aux yeux de S. Weil cette réciprocité, et c’est pourquoi elle voit dans le christianisme la religion du travailleur : non pas l’opium du peuple dénoncé par Marx, mais la religion de l’homme au contact de la nécessité, autrement dit du réel. Christianisme à vrai dire tout personnel : plutôt que dans la tradition biblique, elle ne cesse d’en rechercher l’esprit dans la pensée grecque, avant tout chez Platon ; convaincue cependant que la vérité est accessible à tout homme, elle s’attache à montrer une inspiration identique dans les traditions les plus diverses, de l’Inde à la Chine, à la Polynésie, au Proche-Orient, aussi bien qu’aux traditions orales réduites aujourd’hui à l’état de folklore. Cette philosophie ne nous est connue que par quelques articles et surtout des cahiers où S. Weil, exclue de l’enseignement par le régime de Vichy, ne cessa d’accumuler des notes. Le contenu de ces cahiers, publiés après sa mort, surprit plus d’un de ceux qui l’avaient connue quand rien dans ses actes ni dans ses propos n’annonçait de telles spéculations. Leur orientation générale, à savoir la critique d’une civilisation qui trouve son achèvement dans l’idolâtrie de la force exprimée par l’idéologie hitlérienne, est pourtant la même qui fit que, plus lucide que beaucoup de ses contemporains, elle sut s’engager sans jamais céder aux sirènes d’aucun totalitarisme et comprendre son siècle avant que la catastrophe en eût, à de moins clairvoyants, asséné la leçon.

Michel NARCY

Œuvres complètes, 11 vol. parus, Paris, Gallimard, 1988-2012 ; Œuvres, Paris, Gallimard, 1999.

CABAUD J., Simone Weil : A Fellowship in Love, New York, Channel Press, 1964 ; CANCIANI D., Simone Weil, le courage de penser, Paris, Beauchesne, 2011 ; JULLIARD J., Le Choc Simone Weil, Paris, Flammarion, 2014 ; PÉTREMENT S., La Vie de Simone Weil (1973), Paris, Fayard, 1997.

WEIL-CURIEL, Linda [PAPEETE, POLYNÉSIE FRANÇAISE 1943]

Avocate et militante française.

Avocate au barreau de Paris, Linda Weil-Curiel mène depuis 1973 un combat constant pour les droits des femmes. Elle a plaidé dans une quarantaine d’affaires d’excision. Elle défend en particulier une jeune Malienne, Aminata Diop, qui avait fui son pays pour échapper à l’excision et obtient de la Commission des recours des réfugiés (instance d’appel de l’OFPRA) une décision judiciaire qui pose pour la première fois au monde le principe que l’excision est « une persécution au sens de la Convention de Genève sur les réfugiés et que, dans certaines circonstances, elle peut ouvrir droit au statut de réfugiée au profit de la personne qui fuirait son pays pour s’y soustraire ». Les procès et la prévention ont permis une régression des mutilations sexuelles en France, seul pays qui, avec le Burkina Faso, connaît des actions en justice de ce type. Leur impact médiatique permet d’une part de briser la loi du silence, d’informer non seulement sur ces mutilations, mais aussi sur la nécessité d’en protéger les enfants, et, d’autre part, d’amener les Africains à mettre un terme à ces pratiques. C’est dans cet esprit que L. Weil-Curiel rejoint la Commission pour l’abolition des mutilations sexuelles (CAMS), fondée en 1982 par la Sénégalaise Awa Thiam*, et la préside. Lors de son audition devant la délégation aux droits des femmes du Sénat français (décembre 2004), elle estime que des lois spécifiques ne sont pas souhaitables : les dispositions pénales en vigueur lui semblent suffisantes, mais c’est la mauvaise application de la loi qui, selon elle, est en cause. Par ailleurs, elle a participé en 1984 au mouvement des « mères d’Alger » – mères françaises dont les enfants ont été enlevés ou retenus abusivement en Algérie par leur père –, et ses idées se retrouvent dans la Convention du 21 juin 1988 entre la France et l’Algérie qui met fin à ce contentieux. Elle a cofondé, dans les années 1990, avec Anne-Marie Lizin et Annie Sugier, le comité « Atlanta + » contre la discrimination à l’égard des femmes dans le sport et a réclamé du Comité international olympique qu’il applique la Charte olympique avec la même rigueur à l’encontre des pays qui refusent d’inclure des femmes dans leur délégation qu’à l’encontre de l’Afrique du Sud lorsqu’elle pratiquait l’apartheid racial. Enfin, elle participe au sein de la Ligue internationale du droit des femmes (LDIF) à la défense des femmes victimes d’oppression ou de violences du fait de leur appartenance culturelle ou religieuse, et elle a été avocate de la partie civile au procès de Sohane, brûlée vive, qui s’est ouvert en 2006.

Armelle LE BRAS-CHOPARD

HENRY N., WEIL-CURIEL L., Exciseuse, Saint-Victor-d’Épine, City éditions, 2007.

WEILL, Jeanne VOIR MAY, Dick

WEIN, Eva VOIR SAISIO, Pirkko

WEINER, Annette [PHILADELPHIE 1933 - ÉTATS-UNIS 1997]

Anthropologue américaine.

La notion de possession inaliénable, développée par Annette Weiner à partir de la circulation de biens végétaux fabriqués par les femmes des îles Trobriand (Papouasie-Nouvelle-Guinée), a non seulement révolutionné l’approche classique de ce terrain, mais a aussi secoué la théorie maussienne du don et des échanges. Ayant observé au cours des funérailles la circulation de jupes féminines en feuille de bananier qui avait échappé à Bronislaw Malinowski, elle a montré l’importance des activités féminines et de la valeur de ce qu’elles produisent, gardent ou mettent en circulation dans les échanges intra et extra tribaux. Sa théorie (exposée dès 1981 dans un séminaire de Maurice Godelier à l’EHESS) sur la valeur sacrée, ancestrale, de biens produits par des femmes comme cautionnant le prestige et pouvoir politique, ne réduit pas les échanges au modèle de la réciprocité de Mauss mais insiste sur le fait qu’il faut garder certains biens comme valeur pour acquérir du prestige par ce que l’on donne. La définition de biens féminins qui, selon A. Weiner, valorisent pour l’ensemble de la société les activités féminines a inspiré une multitude d’ethnographies qui ont mis en avant la place et le rôle des femmes qui furent sous-estimés pendant des décennies. Après un nouveau terrain à Samoa, A. Weiner a systématiquement analysé les productions féminines et les relations entre frères et sœurs en Mélanésie et Polynésie – montrant que partout s’observe ce qu’elle a appelé le paradoxe du keeping-while-giving, qui se comprend en français par l’expression « donner sans perdre » autant que par sa traduction littérale « garder en donnant ». L’inaliénabilité désigne la puissance de reconnaissance de la valeur qui cautionne l’authenticité de ce qui circule : plus le réseau est étendu dans les systèmes traditionnels de circulation de biens tangibles (artisanat, outil, armes, tabac, objets sacrés…) et intangibles (chants, danses, récits), plus ils permettent de reconnaître leurs propriétaires originaux. Les femmes ayant un rôle important comme médiatrices et productrices de valeur symbolique dans ces circulations, selon A. Weiner, son modèle du « donner sans perdre » questionne les modèles classiques de domination des femmes. Entrée à l’université de Pennsylvanie à l’âge de 31 ans, après une vie de mère au foyer, elle est influencée par le livre Stranger and Friend de Hortense Powdermaker*, et étudie l’anthropologie avec Frederica DeLaguna et Jane Goodall*. Après sa thèse sur le terrain trobriandais, soutenue en 1974, elle enseigne au collège Franklin and Marshall, à l’université du Texas, et à New York où elle obtient la chaire d’anthropologie en 1981, qui lui permet de restructurer le département en un lieu vibrant de recherches. De 1993 à 1996, elle dirige les sciences sociales et l’École des arts et sciences. Elle reçoit le prix Franz-Boas pour « service exemplaire en anthropologie » en 1997, année de sa mort. En son honneur, l’université de New York a donné son nom à une bibliothèque et créé The Annette B. Weiner Fellowship in Cultural Anthropology pour soutenir les étudiants sur leurs terrains. La maladie l’a emportée comme un ouragan, mais sa pensée a été confirmée non seulement au regard de la place des femmes dans les échanges traditionnels d’autres régions du monde, mais aussi dans de nouvelles pratiques liées à l’univers technologique qui a envahi notre quotidien. L’inaliénabilité de leurs biens, particulièrement les savoirs et les formes musicales, picturales et dansées de leur patrimoine intangible, est revendiquée par la plupart des peuples autochtones, hommes et femmes, telles par exemple en Australie les rêveuses aborigènes. L’intuition révolutionnaire d’A. Weiner, qui n’oppose pas donner et garder, se retrouve aussi chez les créateurs de logiciels, et tous les tenants du copyleft qui défendent certaines modalités de circulation des savoirs comme meilleur moyen de défense des droits d’auteurs que le copyright commercialisé. Ce jeu de mots sur « laisser copier » comme une vue « de gauche » (left) s’appuie sur l’idée que la circulation libre – de logiciels, médicaments, musiques… – prévient le risque d’une appropriation abusive, par de grandes compagnies, des trusts pharmaceutiques ou des institutions étatiques qui se réservent l’exclusivité de droits achetés ou cédés, brevetés ou simplement spoliés.

Barbara GLOWCZEWSKI

WEINER A., La Richesse des femmes ou Comment l’esprit vient aux hommes, îles Trobriand (Women of Value, Men of Renown : New Perspectives in Trobriand Exchange, 1976), Paris, Seuil, 1983 ; ID., Inalienable Possessions : The Paradox of Keeping-While-Giving, Berkeley, University of California Press, 1992.

GLOWCZEWSKI B., « Death, women, and “value production” : the circulation of hair strings among the Walpiri of the central australian desert », in Ethnology 22 (3), 1983.

WEINZAEPFLEN, Catherine [STRASBOURG 1946]

Écrivaine française.

Dans les livres de Catherine Weinzaepflen, on reconnaît Strasbourg, ville d’enfance, de formation universitaire (Philippe Lacoue-Labarthe) et de sensibilisation au théâtre (Jean-Pierre Vincent, André Engel), ainsi que l’Afrique où son père s’est installé : c’est là qu’elle fait l’apprentissage de la question coloniale et raciale, et découvre un paysage et un imaginaire qui ne la quitteront plus. Elle effectue de nombreux voyages au Moyen-Orient, aux États-Unis et plus récemment en Australie. En 1977, elle s’installe à Paris où sa fille naît en 1986. Elle crée et codirige avec Christiane Veschambre* la revue Land (1981-1984) et anime depuis une dizaine d’années des ateliers d’écriture à l’École supérieure des arts décoratifs de Strasbourg et à l’École spéciale d’architecture de Paris. Elle a coorganisé, en 1981 à New York, l’exposition « Une idée en l’air » avec 21 artistes français, dont Daniel Buren, Sophie Calle*, Daniel Dezeuze, préfacé plusieurs catalogues d’expositions et contribué à des livres d’artistes. Selon C. Weinzaepflen, c’est grâce à une psychanalyse entreprise en 1970 qu’elle s’est ouverte au désir d’écriture. D’emblée, à l’instar du Nouveau Roman, le regard détermine son travail ; Isocelles (1977) en témoigne. Dès cette première fiction s’amorce la question identitaire des femmes. Entre prose et poésie, elle ne cesse de jouer avec les genres littéraires, développant une écriture « séquentielle », marquée par la discontinuité des rythmes. Ainsi dans Portrait et un rêve (prix France Culture 1983), des dialogues prélevés dans des lieux publics alternent avec la focalisation interne de la narratrice. Dans Orpiment (prix Brantôme 2006), ce sont des pense-bêtes établis par le personnage d’Artemisia Gentileschi* qui scandent le roman, alors que dans Celle-là (2012), des récits de rêves travaillés comme des poèmes structurent la narration. L’écriture hybride de C. Weinzaepflen s’enrichit d’un intérêt pour le théâtre (Danube jaune, 1985) et pour la traduction de poésie (anglaise et allemande). C’est depuis sa fenêtre du 14e arrondissement qu’elle écrit La Place de mon théâtre (2004), consacrée à l’espace qui l’entoure, et c’est la mémoire d’un enfant, croisé au milieu des redwoods de la forêt californienne, qui est à l’origine du roman Allée des Géants (2003). Pour cette écrivaine, le livre ne se construit pas à partir d’une histoire, mais c’est au contraire l’ouverture d’un champ d’écriture qui produit du récit.

Nella ARAMBASIN

La Farnésine, jardins, Paris, Des femmes-Antoinette Fouque, 1978 ; Totem, Paris, Flammarion, 1985 ; Am See (1984), Paris, Des femmes-Antoinette Fouque, 2007 ; Le Temps du tableau, Paris, Des femmes-Antoinette Fouque, 2008.

WEISS, Louise [ARRAS 1893 - MAGNY-LES-HAMEAUX 1983]

Journaliste française.

Née dans une famille de la grande bourgeoisie juive, Louise Weiss poursuit des études jusqu’à obtenir en 1914 l’agrégation de lettres, se rebellant contre un père farouchement opposé à l’éducation des femmes. Bouleversée par les horreurs de la guerre, elle trouve dans le journalisme une tribune pour les dénoncer. Son réseau relationnel lui ouvre les portes du monde politique et littéraire ; elle prend la direction de l’hebdomadaire L’Europe nouvelle, où elle développe ses idées pacifistes. Elle enquête dans les pays d’Europe centrale, jusqu’en Russie, et suit tous les travaux de la Société des nations. La prise du pouvoir par Hitler sonne le glas de ses illusions et elle quitte la revue en 1934. Souhaitant faire avancer l’idée de paix à travers le féminisme, elle se bat pour l’égalité civique et juridique aux côtés des associations suffragistes, et crée le mouvement La Femme nouvelle qui organise de nombreuses manifestations. La militante va jusqu’à présenter sa candidature aux élections municipales puis législatives de 1935 et 1936. Après la guerre, elle réalise des reportages à travers le monde, analysant les sources de conflits. En 1979, à 86 ans, elle est élue députée du premier Parlement européen. Si L. Weiss, dans les dernières années de sa vie, a peu à peu perdu son esprit rebelle, elle n’en demeure pas moins une figure importante du féminisme. La mémoire de cette européenne convaincue est notamment saluée par le prix Louise Weiss du journalisme européen créé en 2005.

Anne-Charlotte CHASSET

Mémoires d’une Européenne (1968), Paris, Albin Michel, 1982.

BERTIN C., Louise Weiss, Paris, Albin Michel, 1999.

WEISS, Maja [NOVO MESTO, EX-YOUGOSLAVIE 1965]

Réalisatrice et productrice slovène.

Première femme auteure d’un long-métrage dans son pays, Maja Weiss a étudié le cinéma à Ljubljana avant d’être assistante de direction sur divers longs-métrages entre 1988 et 1993. Grâce au programme d’échange européen Nipkow basé à Berlin, elle peut compléter sa formation en Allemagne et élargir son réseau de connaissances. Ceci explique sans doute qu’elle soit aujourd’hui l’une des rares cinéastes de Slovénie dont les films circulent hors des frontières. Très active dans le soutien et l’organisation du cinéma dans son pays, notamment pour des films réalisés par des femmes, elle est à l’origine du Ier Marathon de films de femmes slovènes en 1997. L’année suivante, elle crée en collaboration sa maison de production, Bela Films, et contribue à divers festivals de films en Europe. Présidente de l’Association des cinéastes slovènes, elle lutte pour la survie d’un art négligé auquel l’État ne consacre que deux millions d’euros par an. Outre son premier long-métrage de fiction, Garder la frontière (Varuh Meje, 2002, primé au Festival de Berlin), elle est l’auteure de plusieurs documentaires (dont Trieste on the Border, 1997) ainsi que de courts-métrages (Adrian, primé au Festival de Créteil en 1998).

Brigitte ROLLET

WEISS, Rosario (Maria del Rosario Leocadia WEISS ZORRILLA, dite) [MADRID 1814 - ID. 1843]

Peintre espagnole.

Rare artiste féminine du XIXsiècle à avoir vécu en Espagne de sa peinture, María del Rosario Weiss a laissé une œuvre mal connue, la majorité de ses toiles ayant disparu. Dessinatrice de petits portraits et copiste plus que créatrice originale, elle n’est plus guère citée que pour sa supposée filiation et son apprentissage avec Francisco de Goya. Le peintre aragonais lui fait copier, alors qu’elle n’a que sept ans, de petites figures au crayon ou à la plume, la célébrant comme « le plus grand phénomène qui existe au monde pour son âge ». Après avoir été confiée brièvement à l’architecte Tiburcio Pérez Cuervo, elle rejoint Goya à Bordeaux en septembre 1824 et vit à ses côtés jusqu’à la mort du peintre en 1828. De cette période datent de petits dessins conjoints des deux artistes, pour lesquels persistent des polémiques concernant leur attribution respective. En 1833, elle regagne Madrid, devient copiste au musée du Prado, est employée pour son habileté par un restaurateur, à l’occasion faussaire. Membre du Liceo artístico y literario (« lycée artistique et littéraire »), la jeune peintre participe aux expositions de l’académie de San Fernando entre 1834 et 1842. Elle est nommée académicienne en 1840 pour sa Vierge en prière et obtient pour Une sylphide (autoportrait) une médaille d’argent à l’Exposition de la Société philomathique de Bordeaux en 1841. Ses contemporains apprécient la délicate ressemblance de ses petits portraits au crayon. L’année précédant sa mort, elle est choisie comme professeure de dessin de la reine Isabelle II et de sa sœur l’infante Luisa Fernanda.

Mathilde ASSIER

LÓPEZ REY J., « Goya and his pupil María del Rosario Weiss », Gazette des Beaux-Arts, Paris, mai-juin 1956 ; ÁLVAREZ LOPERA J., « Rosario Weiss : vida y obra », in Goya y lo Goyesco en la Fundación Lázaro Galdiano, Madrid, Fundación Lázaro Galdiano, 2003 ; ECHEVARRIA G., La Jeune Bâtarde et la Modernité. Goya et « La Laitière de Bordeaux », Bordeaux, Le Festin, 2008.

WEISS, Sabine (née WEBER) [SAINT-GINGOLPH, SUISSE 1924]

Photographe franco-suisse.

Née en Suisse mais naturalisée française en 1975, Sabine Weiss sait que la photographie sera son mode d’expression dès sa plus tendre enfance. À 12 ans, elle achète avec son argent de poche un appareil en bakélite et réalise des tirages par contact dans des châssis de bois qu’elle laisse à la lumière du jour devant la fenêtre. Elle suit pendant trois ans un apprentissage à Genève chez Boissonnas, l’atelier le plus réputé de Suisse. La jeune femme y apprend tout sur les différentes techniques photographiques puis décide de « prendre le large ». Elle arrive à Paris en 1946 et devient l’assistante de Willy Maywald, photographe de mode renommé. Dans les années 1950, elle commence à se faire connaître. Elle collabore à de grands magazines comme Vogue, Esquire, Life. Cependant, elle refuse la qualité d’« artiste » et se considère comme photographe professionnelle. Parallèlement à son travail en agence, elle arpente les rues de Paris en captant les instants de la vie quotidienne, tantôt insolites, tantôt tendres et symptomatiques de l’atmosphère de la capitale et de la France d’après-guerre ; elle est rattachée au courant des photographes humanistes, composé notamment de Willy Ronis, de Robert Doisneau, de Brassaï ou encore d’Izis. R. Doisneau remarque son travail et la fait entrer à l’agence Rapho en 1953. En 1954, Edward Steichen lui emprunte trois photographies : Intérieur d’église au Portugal, Un bal champêtre avec une accordéoniste sur la table et Un enfant tenant un épi qui fait des étincelles, pour la grande exposition itinérante Family of Man, présentée en premier lieu au Museum of Modern Art (MoMA) de New York en 1955. Plus tard, la photographe expose régulièrement son travail. En 1978, la Bibliothèque nationale fait l’acquisition d’une centaine de ses images. Poursuivant aujourd’hui son activité de photographe en cultivant les valeurs qui lui sont chères, elle dénonce, en 2007, les injustices sociales et politiques, et réunit 100 photographies qui vont constituer un portfolio pour Reporters sans frontières (100 photos de Sabine Weiss pour la liberté de la presse). En 2009, à 84 ans, son travail bénéficie d’une nouvelle visibilité auprès du grand public grâce à l’exposition organisée à la Maison européenne de la photographie à Paris et réalisée dans le cadre du Mois de la photo (Sabine Weiss, un demi-siècle de photographies).

Marie GAUTIER

Intimes convictions, Paris, Contrejour, 1989 ; avec VAUTRIN J., Sabine Weiss, Paris, La Martinière, 2003.

See and Feel, Heerlen, ABP, 2007.

WEISSHAUPT, Brigitte [GEVELSBERG 1939]

Philosophe allemande.

Après un doctorat en philosophie à l’université de Heidelberg en 1967, Brigitte Weisshaupt enseigne à l’université et à l’École supérieure spécialisée de l’aide sociale, à Zurich. Elle est l’une des fondatrices de l’Association internationale de femmes philosophes, créée en 1974. À plusieurs reprises, elle a été présidente de la Société philosophique de Zurich et a fait partie du Comité éthique national de Suisse. Les questions éthiques et anthropologiques sont en effet au centre de son travail, en particulier la question de la subjectivité, la conscience de soi quant à la dépendance et à l’autonomie, l’importance du corps dans la tradition occidentale ; le lien entre savoir et pouvoir met en question l’idée d’une science objective. B. Weisshaupt évoque les femmes philosophes oubliées dans l’historiographie, et, dès les années 1970, analyse en terme de dissidence la position de la penseuse et de la scientifique dans les sciences établies. Elle considère la critique des structures patriarcales comme la conséquence nécessaire d’une recherche qui inclut la question des sexes et insiste sur l’importance de la solidarité entre les chercheuses engagées dans ce travail. Une reconnaissance mutuelle malgré la diversité des approches serait la prémisse d’une nouvelle assurance féminine non aliénée. Contre le dualisme entre raison et sentiment qui façonne en grande partie la tradition philosophique, elle anticipe une réconciliation de ces oppositions artificielles sous l’influence des femmes chercheuses. Elle postule que la « raison ne s’enfermera pas dans l’inspiration émotionnelle » et que les « sentiments se laisseront juger par des considérations raisonnables » (1995). B. Weisshaupt se rallie au projet d’un discours innovant, relatif aux théories des émotions et du corps, essentiel pour construire une image de soi répondant aux temps modernes.

Heidemarie BENNENT-VAHLE

« Femme », in Encyclopædia Universalis, Paris, 2000 ; « Zur ungedachten Dialektik von Eros und Logos », in AGUADO PEÑA M.I. et SCHMITZ B. (éds.), Klassikerinnen des modernen Feminismus, Aachen, Em-Fach-Verlay, 2010.

WEI-WEI [NANNING 1957]

Romancière chinoise d’expression française.

Née dans la province chinoise du Guangxi d’un père de la minorité Zhuang et d’une mère hakka, Wei-Wei quitte son pays pour la France en 1987, puis s’installe en Angleterre où elle commence à écrire dans les années 1990. Ses romans, inspirés par sa vie ou celle de ses proches, retracent les destins individuels de femmes chinoises qui, sur fond des bouleversements historiques du XXe siècle, luttent pour se libérer du poids des traditions, des préjugés, de la famille ou de la politique. Le choix du français lui permet néanmoins de dépeindre les tragédies de son temps avec distance et humour. Attachée à la préservation de la nature et du patrimoine culturel de la Chine, elle mêle volontiers à la narration romanesque mythes ou légendes, chansons ou proverbes, descriptions poétiques et notes de voyage.

Muriel DÉTRIE

La Couleur du bonheur, Paris, Denoël, 1996 ; Le Yangtsé sacrifié, voyage autour du barrage des Trois-Gorges, Paris, Denoël, 1997 ; Fleurs de Chine, La Tour-d’Aigues, Éditions de l’Aube, 2001 ; Une Fille Zhuang, La Tour-d’Aigues, Éditions de l’Aube, 2006.

WEI YING-CHUAN [TAIPEI 1964]

Metteuse en scène et scénariste taïwanaise.

Metteur en scène, scénariste de théâtre et de cinéma, écrivaine, poétesse et productrice, Wei Ying-chuan est diplômée d’anglais de l’Université nationale de Taïwan et titulaire d’un master en éducation théâtrale de l’université de New York. Depuis ses premières expériences théâtrales (1985), plus d’une quarantaine de spectacles ont été créés. Elle fonde le Shakespeare’s Wild Sisters Group en 1995 et la Creative Society en 1997, qui réunit des intellectuels et enseignants universitaires comme Katherine Cho et Chi Wei-jan, tous représentatifs du théâtre contemporain. Ses créations sont régulièrement sélectionnées par les Taishin Arts Awards, prix qui attire particulièrement l’attention de l’univers artistique à Taïwan. Le Shakespeare’s Wild Sisters Group, emblématique du théâtre d’avant-garde de Taïwan est l’une des troupes contemporaines les plus invitées dans le monde entier. Les longs titres de ses spectacles sont uniques. Son inspiration s’appuie sur une approche visuelle globale qui l’amène à s’occuper de tous les aspects de ses mises en scène, décors, costumes, musique, éclairage, en portant une attention particulière à l’espace scénique et en construisant ses scénarios en conséquence. Dans ses spectacles, le corps et la gestuelle sont primordiaux et suppléent aux textes ou aux rares dialogues. Les thèmes abordés tournent autour de l’homosexualité, de la différence entre les sexes et des faits de société traités par l’actualité. Son esthétique originale s’exprime particulièrement dans les pièces telles que Kiki manyou shijie (« le voyage autour du monde de Kiki », 1998) ; Montmartre yishu, nupengyou zuopin 2 hao (« le testament de Montmartre : les petites amies numéro deux », 2000) ; Fengkuang shangjing, Shakespeare beiju jiancan (« un scénario fou : un repas simple de tragédies de Shakespeare », 2002) ; Emily Dickinson (2003), 333 shenqu – diyu pian (« 333 Divine Comedie – l’Enfer », 2005).

LIAO LIN-NI

WELBY, Lady Victoria [DENTON MANOR, LINCOLNSHIRE 1837 - ID. 1912]

Sémioticienne britannique.

Membre de la Sociological Society of Great Britain, de The Anthropological Society et de The Aristotelian Society, Lady Victoria Welby est l’une des femmes les plus marquantes des temps victoriens, l’initiatrice d’une science des signes et la correspondante de Charles Sanders Peirce, de Bertrand Russell, de Henry et de William James. Fille de Charles et Lady Emmeline Stuart-Wortley, filleule de la princesse Victoria, elle rédige, peu de temps après son mariage, un premier essai, Links and Clues (« liens et indices », 1881), dans lequel elle propose une méthode d’interprétation de la doctrine chrétienne. Déçue par la réception du livre, elle se consacre alors d’une façon tout à fait novatrice à l’exploration des capacités expressives et interprétatives du langage. Sa méthode repose sur une analyse des significations qui vise à corriger la confusion de l’expression et à la libérer des ornières imposées par les métaphores trompeuses. Cette critique du langage se propose d’aiguiser une « conscience linguistique » qui permette de distinguer les usages vivants des usages galvaudés et désuets. Dans son ouvrage majeur, What is Meaning ? Studies in the Development of Significance (1903, réédité en 2012), elle défend une analyse tridimensionnelle des significations (sense, meaning, significance) et met en avant l’essentielle plasticité du langage. Sa critique n’est donc pas purement thérapeutique : le langage est un outil exploratoire et non un calcul qui obéirait à des règles strictes. Elle fonde ainsi une théorie des signes à laquelle elle donne le nom de « significs » et qu’elle détermine comme « l’étude de la nature de la signification (significance) dans toutes ses formes et ses relations ». Son œuvre donnera naissance à un mouvement, qui connaîtra un développement important aux Pays-Bas au début des années 1920 et durant les années 1930. Le jeune Frederik Van Eeden en fut l’intercesseur ; le mathématicien intuitionniste Brouwer y prendra une part active.

Élise MARROU

HARDWICK C. S., COOK J. (dir.), Semiotic and Significs : The Correspondence Between Charles S. Peirce and Victoria Lady Welby (1977), Elsah (Ill.), Press of Arisbe Associates, 2001.

WELDON, Fay [ALVECHURCH 1931]

Romancière et dramaturge britannique.

Née en Grande-Bretagne, Fay Weldon a vécu jusqu’à l’âge de 14 ans en Nouvelle-Zélande, avant de revenir en Grande-Bretagne après le divorce de ses parents. Elle étudie la psychologie et l’économie à l’université de St Andrews, en Écosse, puis gagne sa vie comme rédactrice publicitaire avant de se lancer dans l’écriture de fiction. Aux pièces pour le théâtre, la télévision et la radio viennent s’ajouter, à partir des années 1960, un grand nombre de romans (plus de trente à ce jour), des nouvelles, des scénarios et adaptations pour la télévision (dont celle, en 1980, du roman de Jane Austen* Orgueil et préjugés) et de nombreux articles de presse. Dans toutes ses œuvres, elle aborde avec beaucoup d’humour la question de la place des femmes en quête de leur identité dans une société où l’individu a du mal à se définir. C’est en particulier le thème de romans comme Wanda et les autres (1971), Praxis (1978) ou La Diable (1983). Elle fait preuve du même recul ironique à l’égard de la société contemporaine dans The Bulgari Connection (2001), œuvre de commande de la célèbre firme. Son autobiographie, Auto Da Fay, paraît en 2002. Rappelant sa jeunesse en Nouvelle-Zélande, son dernier roman, Kelua ! , associe le thème récurrent de l’oppression féminine au contexte néo-zélandais de son adolescence.

Geneviève CHEVALLIER

Wanda et les Autres (Down Among the Women, 1971), Paris, Joëlle Losfeld, 1995 ; La Diable (The Life and Loves of a She-Devil, 1983), Paris, Deuxtemps Tierce, 1991.

BARRECA R., Fay Weldon’s Wicked Fiction, Hanovre, University Press of New England, 1994.

WELLS, Ida Bell [HOLLY SPRINGS 1862 - CHICAGO 1931]

Journaliste et femme politique américaine.

Née esclave, Ida Bell Wells apprend à lire et à écrire avec sa mère et ses cinq frères et sœurs à la Shaw University, un établissement fondé en 1866 par un missionnaire du Nord après l’abolition de l’esclavage. Orpheline à 16 ans, elle interrompt ses études et enseigne dans des écoles de campagne pour assumer la charge de ses frères et sœurs, tout en poursuivant son éducation en autodidacte. Avant-gardiste et courageuse, elle s’insurge dès cette époque contre les contraintes imposées par sa « race », sa classe et son état de femme. En 1884, dans un train, elle refuse de céder son siège, réservé aux Blanches, se défend physiquement contre les contrôleurs et porte plainte contre la compagnie ferroviaire, arguant que le compartiment noir ne fournit pas les mêmes services. Dès lors, I. B. Wells commence à écrire sous le nom de Iola des articles diffusés par plusieurs publications noires, puis est élue secrétaire de la National Press Association. En 1889, elle travaille pour le journal The Free Speech de Memphis, dont elle achète un tiers du capital. Voyageant en quête de souscripteurs, elle se fait remarquer par ses correspondances. En 1892, trois de ses amis, concurrents de commerçants blancs, sont lynchés à Memphis. Dans The Free Speech, elle condamne cet acte barbare et encourage ses lecteurs à boycotter les transports publics et les commerces dirigés par les Blancs. C’est un des premiers appels au boycott économique, qui sera repris par le mouvement de Martin Luther King. Alors que la journaliste est en déplacement à Philadelphie, le journal est saccagé, et elle est menacée de mort. Exilée au Nord, à New York, puis à Chicago, elle poursuit son combat. En 1893, elle publie un ouvrage majeur, The Red Record, où elle expose le lynchage dans ses détails les plus sordides. Son écriture précise et factuelle contraint la société américaine à affronter ses plus secrètes hontes. Mère de quatre enfants, elle s’engage contre la ségrégation scolaire, pour le suffrage des femmes et participe à la création de la National Association for the Advancement of Colored People (NAACP).

Christine LARRAZET

GIDDINGS P. J., Ida : a Sword Among Lions, New York, Harper Collins Publishers, 2008.

WELLS, Patricia (née KLEIBER) [MILWAUKEE 1946]

Journaliste gastronomique américaine.

Née dans une famille de la classe moyenne – son père est acheteur pour le grand magasin Macy’s, sa mère, femme au foyer –, Patricia Wells prépare un master de journalisme à l’Université de Wisconsin-Milwaukee (UWM). Diplômée en 1972, elle entre comme pigiste au Washington Post (1972-1976), puis comme journaliste-rédactrice au New York Times (1976-1980) où elle tient la rubrique culinaire. En 1977, elle épouse Walter Wells, futur rédacteur en chef de l’International Herald Tribune. En janvier 1980, elle s’installe définitivement en France, entre Paris et la Provence, et reprend la rubrique gastronomique de l’International Herald Tribune où elle fait connaître, en globe-trotter, les meilleures tables de la planète, et notamment les restaurants et les chefs français. En 1984, elle publie un très remarqué Food Lover’s Guide to Paris, qui connaît quatre rééditions, suivi, en 1987, d’un Food Lover’s Guide to France. Le succès de ces ouvrages lui vaut la proposition d’une rubrique gastronomique à L’Express, qu’elle assurera de 1988 à 1991. Ainsi, P. Wells devient le premier critique gastronomique femme et le premier critique gastronomique d’origine étrangère de l’histoire de France. Ses nombreux ouvrages culinaires, traduits en plusieurs langues, connaissent un succès croissant et elle acquiert la réputation d’une spécialiste de la gastronomie française, notamment avec la France gourmande, guide de 400 vraies bonnes adresses et les recettes les plus savoureuses du terroir, qu’elle publie en 1987, et où elle montre sa grande connaissance des produits et des producteurs locaux. Le parcours de P. Wells et l’œuvre qu’elle accomplit pour le rayonnement de la culture gastronomique française lui valent de nombreux prix littéraires et maintes distinctions. En 1999, elle est lauréate des Gourmand Awards de Cointreau et reçoit, en 2004, le Trophée de l’esprit alimentaire, prix décerné par le ministère des Affaires étrangères et européennes pour récompenser les personnalités ayant contribué au rayonnement de la culture alimentaire française dans le monde. Retirée du journalisme en 2007, elle dispense en Provence des cours de cuisine française à une clientèle essentiellement américaine.

Julia CSERGO

Ma cuisine en Provence, Paris, J.-C. Lattès, 1998 ; Merveilleux légumes, Paris, LGF, 2009.

WELTY, Eudora [JACKSON 1909 - ID. 2001]

Photographe et écrivaine américaine.

Formée à l’université du Mississippi, à l’université du Wisconsin en littérature anglaise, puis à l’université Columbia en publicité, Eudora Alice Welty travaille pour la radio puis, dans les années 1930, pour la Works Progress Administration, pour laquelle elle parcourt le Mississippi marqué par la Dépression en photographiant des gens de toutes les origines et de tous les milieux sociaux. Exposées à New York, ses photos sont publiées dans deux recueils : One Time, One Place (1971) et Photographs (1989). Elles révèlent la sensibilité de son regard, sa profonde empathie, ainsi que son apprentissage de la perspective et du cadrage, qu’elle transpose avec succès dans sa fiction. E. Welty se distingue par la finesse de sa réceptivité à la langue orale et à l’atmosphère du Sud, toile de fond de presque toute son œuvre. Ses recueils de nouvelles témoignent d’une grande maîtrise technique : L’Homme pétrifié (1941), Le Chapeau violet (1943), Les Pommes d’or (1949), La Mariée de l’Innisfallen (1955). D’abord réticente, elle s’essaye à la forme romanesque avec brio : Le Brigand bien-aimé (1942), Mariage au Delta (1946), Oncle Daniel le Généreux (1954), Losing Battles (« défaites », 1970), et enfin La Fille de l’optimiste (1972). Ses livres établissent sa réputation littéraire et lui valent l’admiration d’augustes confrères tels que W. Faulkner. Essayiste à l’art consommé, E. Welty écrit également des articles critiques sur les auteurs qui l’inspirent et sur le processus de création littéraire. En 1983, elle donne trois conférences à l’université Harvard, qui constituent la trame de son autobiographie Les Débuts d’un écrivain (1984). Elle déclare : « Ma carrière d’écrivain est issue d’une vie protégée. Mais protégée ne signifie pas dépourvue d’audace. Car il est vrai que toute audace sérieuse commence à l’intérieur de soi. » C’est ainsi qu’elle choisit de prendre des risques stylistiques et qu’elle adopte une écriture audacieuse qui reflète les bouleversements sociaux, politiques et culturels de son siècle, mais de manière « oblique », car elle refuse toute forme de militantisme littéraire. E. Welty se voit décerner de prestigieuses récompenses, telles que l’American Book Award, le prix Pulitzer pour La Fille de l’optimiste et la Légion d’honneur française, en 1996. Elle est le premier écrivain à entrer de son vivant dans l’illustre collection de la Library of America.

Élisabeth LAMOTHE

Mariage au Delta (Delta Wedding, 1946), Paris, Gallimard, 1957 ; La Fille de l’optimiste (The Optimist’s Daughter, 1972), Paris, Calmann-Lévy, 1974 ; Les Débuts d’un écrivain (One Writer’s Beginnings, 1984), Paris, Flammarion, 1989 ; Fictions (dont L’Homme pétrifié [A Curtain of Green], Le Chapeau violet [The Wide Net], Les Pommes d’or [The Golden Apples], La Mariée de l’Innisfallen[The Bride of the Innisfallen], Le Brigand bien-aimé[The Robber Bridegroom], Oncle Daniel le Généreux[The Ponder Heart]), Paris, Flammarion, 2000.

PITAVY-SOUQUES D., La Mort de Méduse. L’art de la nouvelle chez Eudora Welty, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1991 ; MARRS S., Eudora Welty : A Biography, Orlando, Harcourt, 2005.

WENCELBLAT DE RASCOVSKY, Matilde [BUENOS AIRES 1908 - ID. 1998]

Psychanalyste argentine.

Née dans une famille judéo-espagnole immigrée en Argentine, Matilde Wencelblat est enseignante lorsqu’elle rencontre Arnaldo Rascovsky, à l’époque médecin endocrinologue, d’origine russe, qu’elle épousera en 1928 et avec lequel elle participera, à partir de 1936, à la formation d’un groupe de travail informel sur la psychanalyse. Avec Armida Aberastury*, Luisa Gambier de Alvarez de Toledo* et Enrique Pichon-Rivière, ils constitueront le noyau fondateur de la future Association argentine de psychanalyse. Après avoir fait une analyse avec Ángel Garma, M. Wencelblat de Rascovsky devient membre de cette association dès 1942. S’intéressant particulièrement à la psychologie féminine, à l’inceste et à l’infanticide, elle fait paraître, en 1968, dans The International Journal of Psychoanalysis, une étude sous le titre « On the Genesis of Acting out and Psychopathic Behavior in Sophocles’Oedipus. Note on Filicide », qui sera très remarquée, tout comme le seront les nombreux articles publiés avec son mari sur l’inceste.

Chantal TALAGRAND

WENDLING, Claire [MONTPELLIER 1967]

Illustratrice et auteure de bandes dessinées française.

En 1989, à 22 ans, Claire Wendling remporte l’Alph’Art avenir au Festival d’Angoulême. L’année suivante, elle dessine la série d’heroic fantasy Les Lumières de l’Amalou sur un scénario de Gibelin, dont le deuxième tome reçoit le Prix de la presse à Angoulême. En 1992, toujours à Angoulême, elle se voit décerner le Prix du meilleur jeune illustrateur pour ses couvertures du magazine Player One. Après avoir dessiné un timbre pour la poste en 1993 et une dalle pour le parvis du Centre national de la bande dessinée et de l’image d’Angoulême, en 1995, elle s’installe à Los Angeles pour travailler sur des projets de dessins animés orchestrés par le Studio Warner Bros. Mais l’expérience tourne mal, et elle choisit alors d’expérimenter le jeu vidéo pour les studios Darkworks. Pour C. Wendling, l’essentiel est de dessiner, qu’il s’agisse de bande dessinée, d’animation ou d’illustration. Après le genre fantastique, elle décline son graphisme élégant et sensuel dans le registre érotique avec le troisième volume d’Aphrodite (2000), une adaptation du classique de l’écrivain Pierre Louÿs. Selon elle, « le dessin a toujours quelque chose d’impudique ». L’étendue de son talent peut s’apprécier dans ses recueils de croquis intitulés Iguana Bay (1996), Desk (1999) et Drawers (2001).

Camilla PATRUNO

WENDT, Jana [MELBOURNE 1956]

Reporter et animatrice de télévision australienne.

Fille d’immigrés tchèques, Jana Wendt commence sa carrière de journaliste en 1975 comme chercheuse pour les documentaires produits par la chaîne gouvernementale Australian Broadcasting Commission. Elle entre ensuite à Ten Networks, une chaîne commerciale, comme reporter depuis la news room de Melbourne, puis comme présentatrice. Elle se voit alors offrir un poste de reporter pour le nouveau programme d’actualité en prime time de Nine Network : Sixty Minutes (« 60 minutes »), la référence qualitative en Australie pour les programmes d’information, en termes de contenus et de production. Plus jeune correspondante de l’équipe, elle acquiert rapidement une notoriété pour son style d’interview agressif et son allure glamour. De 1988 à 1994, elle anime A Current Affair (« affaire courante »), où elle assoie sa réputation d’intervieweuse en menant une série d’entretiens percutants avec des personnalités politiques internationales. Considérée comme l’icône d’une ère que beaucoup d’analystes de la télévision commerciale australienne pensent arrivée à son terme, celle du journalisme d’enquête objectif et approfondi, elle porte cette vocation hors de la télévision quand elle quitte Nine Network, en 2006, pour écrire Nice Work (« bon travail »), une enquête sur le travail dans la vie des Australiens.

Francesca MUSIANI

LUMBY J., « Jana Wendt : Australian Broadcast Journalist », in Museum of Broadcast Communications, s.d. ; QUAINTANCE L., « Jana Wendt : Alive and Kicking », in Sydney Morning Herald, 29-3-2010.

WENGER, Heidi (née DELLBERG) [BRIGUE 1926]

Architecte suisse.

Heidi Wenger achève ses études d’architecture en 1952 à l’École polytechnique de Zurich (ETHZ, Eidgenössische Technische Hochschule Zürich), sous la direction de Hans Hofmann (1897-1957). C’est là qu’elle rencontre son mari, Peter Wenger (1923-2007). Leur diplôme en poche, ils fondent leur propre agence à Brigue, dans le Haut-Valais. De 1958 à 1961, ils collaborent avec Hans Brechbühler (1907-1989) à Berne puis, de 1962 à 1964, avec Alberto Camenzind (1914-2004) pour l’exposition nationale suisse, Expo 64, à Lausanne. Dans les années 1970, ils effectuent plusieurs séjours d’études en Amérique et en Chine. Ils enseignent tous deux à l’université de Nankin, en 1983. De retour en Suisse, ils poursuivront cette expérience d’enseignement, lui à l’ETHZ et elle à l’École polytechnique fédérale de Lausanne. Leur œuvre n’est pas limitée à l’architecture, mais s’étend à des disciplines artistiques voisines, sculpture, littérature et photographie. Cette ouverture interdisciplinaire est exprimée dans leur travail : leurs maisons et leurs bâtiments scolaires ont souvent des qualités esthétiques, ils frappent par un plan très ouvert, un dessin de façade inhabituel et une intégration attentive à leur environnement. L’exemple le plus significatif est la maison de vacances Trigone (Termen 1955), avec sa forme triangulaire et ses façades qui s’ouvrent totalement. Ils ont créé un langage architectural enjoué, ludique, grâce à leur méthode de construction par éléments et leur emploi radical de la géométrie, et ont introduit, bien avant leur diffusion, des aspects écologiques innovants ; ainsi, la maison de Roetheli (Uetikon am See 1968) entièrement construite en bois. Le village d’enfants à Loèche (1969-1972 et 1985-1986), malheureusement transformé en 1993 sans leur collaboration, est conçu sur la base d’une trame articulant triangles et hexagones, offrant des degrés d’intimité et de luminosité différents, grille spatiale flexible reprise pour le Centre interrégional de perfectionnement à Tramelan (1987-1991).

Anna SCHINDLER

Avec WENGER P., Strukturen – Architektur, Sion, Galerie de la Grenette, 1996 ; avec BRÜHLMANN J., VANNOTTI F., WENGER P., Heidi + Peter Wenger : architekten = architectes, Visp, Rotten verlag, 2010.

BRÜHLMANN J., Heidi et Peter pour la vie. Wenger architectes, Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, 2006.

WEN SHU (dite DUANRONG) [CHANGZHOU, PROVINCE DE JIANGSU 1595 - ID. 1634, époque Ming]

Peintre chinoise.

Descendante d’une illustre famille de Suzhou, Wen Shu, femme lettrée, représente l’une des peintres les plus importantes de la dynastie Ming. La société traditionnelle chinoise ne favorise pas l’activité picturale chez les femmes, exception faite des courtisanes, mais Wen Shu est la fille du lettré Wen Congjian (1574-1648), peintre réputé pour ses paysages et descendant de Wen Zhengming (1470-1559), l’un des « Quatre Grands Maîtres des Ming ». Cette ascendance prestigieuse permet à la jeune fille de se familiariser tôt et tout naturellement avec les techniques picturales. Son mariage confirme son statut social élevé et son intérêt pour la peinture : elle entre dans la maison des Zhao, très vieille famille aristocratique qui compte parmi ses ancêtres un couple de peintres célèbre, Zhao Mengfu et sa femme Guan Daosheng. Elle vit avec son mari, Zhao Jun, au milieu de leurs jardins et pavillons à Hanshan, en dehors de la ville de Suzhou. Les plus anciennes peintures que l’on conserve d’elle sont postérieures au décès de son beau-père, survenu en 1625 : peut-être parce que, la fortune des Zhao déclinant à ce moment-là, la jeune femme commença-t-elle alors à vendre ses œuvres pour gagner de l’argent, comme le fera Chen Shu à l’époque Qing. Sa réputation commence alors à se répandre, et des dames viennent la voir pour apprendre la peinture. Elle forme aussi sa fille unique à peindre orchidées et bambous. La tradition veut qu’elle ait été douée d’une grande sensibilité : la vue d’un bel insecte, d’un rocher étrange ou d’une fleur rare éveillait en elle le désir de les peindre. Bien qu’elle se soit illustrée aussi dans la peinture de personnages, de rochers et de pins, elle est surtout renommée pour deux catégories de motifs : la flore de Hanshan, et le monde des insectes et autres petits animaux –vers à soie, poissons, crabes, sauterelles, papillons, libellules. Le choix de cette iconographie illustre un trait répandu des peintres chinoises : vivant souvent dans un monde confiné à l’espace domestique, elles puisent leur inspiration dans la contemplation de leur univers familier, s’attachant ainsi aux fleurs et aux insectes du jardin. Le style de la peintre témoigne d’une maîtrise technique du xieyi (« écrire l’idée »), où le tracé s’affirme avec plus de spontanéité, et également du gongbi (« travail du pinceau »), où les formes sont cernées à l’aide de contours réguliers, comme en témoigne Papillon et fleurs (National Palace Museum, Taipei, 1630). Sur certains formats modestes tels que les éventails, un support prisé par les femmes peintres, le trait de Wen Shu s’accorde une plus grande liberté (Carnations et rocher du jardin, The Honolulu Academy of Arts, 1627). La couleur se révèle également souvent subtile. Son nom figure sur la liste officielle des femmes peintres de l’époque Ming, et son art est célébré par des lettrés contemporains ou à peine postérieurs tels que Qian Qianyi (1582-1664) et Zhang Geng (1685-1760). Cette renommée, indissociable peut-être de son milieu aristocratique, a contribué à la conservation de ses peintures qui, par comparaison avec celles d’autres peintres chinoises anciennes, nous sont parvenues en plus grand nombre : elles sont conservées au National Palace Museum de Taipei, au musée de Shanghai, au Metropolitan Museum of Art de New York, à l’Academy of Arts de Honolulu et au musée du Palais de Pékin.

PENG CHANG MING

PETERSEN K., WILSON J. J., Women Artists : Recognition and Reappraisal from the Early Middle Ages to the Twentieth Century (1978), New York, Harper & Row, 1989 ; WEIDNER M. S, LAING E. J., CHU C. et al. (dir.), Views from Jade Terrace : Chinese Women Artists, 1300-1912 (catalogue d’exposition), Indianapolis/New York, Indianapolis Museum of Art/Rizzoli, 1988 ; WEIDNER M. S. (dir.), Flowering in the Shadows : Women in the History of Chinese and Japanese Painting, Honolulu, University of Hawaii Press, 1990.

WERDELIN, Nikoline [COPENHAGUE 1960]

Écrivaine et illustratrice danoise.

C’est en présentant ses bandes dessinées à un concours organisé par l’un des plus grands quotidiens danois que Nikoline Werdelin fait ses débuts en 1984. Sa série Café illustre la dernière page de Politiken jusqu’à la fin des années 1980 avant d’être remplacée par Homo Metropolis dans les années 1990. L’illustratrice est déjà une figure emblématique de la satire danoise lorsqu’elle écrit sa première pièce de théâtre, Liebhaverne (« les nantis », 1997), une comédie satirique sur le matérialisme et le vide qu’il provoque dans la société danoise. Deux ans plus tard, elle fait ses premiers pas au théâtre en mettant elle-même en scène Den blinde maler (« le peintre aveugle », 1999), une comédie qui croque les rapports entre les hommes et les femmes dans une étude de caractères et de mœurs aussi désopilante que caustique. Auteure de sept pièces de théâtre, elle vit et travaille actuellement à Berlin.

Lise DUBOST

WEREFKIN, Marianne VON [TULA 1860 - ASCONA 1938]

Peintre russe.

Fille d’un général en chef, Marianne von Werefkin reçoit une éducation aristocratique et sa mère, peintre, l’encourage à développer ses aptitudes artistiques. À partir de 1886, elle est, pendant dix ans, l’élève d’Ilya Repine, le plus grand peintre réaliste de l’époque, en Russie. En 1888, victime d’une grave blessure à la main droite, elle invente néanmoins alors un dispositif lui permettant de tenir son pinceau et de continuer de peindre. Surnommée la Rembrandt russe, elle s’éloigne volontairement du romantisme et du réalisme, et tente d’atteindre ses propres objectifs artistiques. Parmi les œuvres de cette période – pour la plupart disparues – figure son autoportrait de 1893 (Self-Portrait in a Sailor’s Blouse, « autoportrait en vareuse »). Par l’intermédiaire de son mentor, elle rencontre Alexeï von Jawlensky, avec qui elle noue immédiatement une relation très forte : il sera le compagnon de sa vie jusqu’en 1921. En 1896, ils partent pour Munich, alors capitale artistique et source du renouveau pictural vers lequel elle tend. Sa maison devient le salon d’une réflexion stimulée par sa brillante personnalité et menée par la confrérie de Saint-Luc, fondée en 1809 par les jeunes peintres de l’Académie des beaux-arts de Vienne, qu’unissent des liens d’amitié et une même recherche plastique. Vassily Kandinsky, Gabriele Münter* puis Paul Klee habitent dans le voisinage. Les sujets abordés sont évoqués dans le journal qu’elle tient entre 1901 et 1905, Lettres à un inconnu (1999), où elle rapporte les réflexions qui poseront les bases de l’expressionisme munichois ; ces cahiers témoignent de son inépuisable quête personnelle et livrent ses considérations sur l’art, à une période où elle a cessé de peindre. M. von Werefkin se consacre en effet assidûment à l’évolution de A. Jawlensky, tout en traversant une profonde crise d’identité morale et artistique. Depuis leur rencontre, elle le soutient dans l’espoir qu’il concrétise l’art nouveau auquel elle aspire. Enferrée dans une conception traditionnelle du génie et soumise aux normes sexuées de la sphère artistique, elle considère que seul un homme peut incarner une véritable révolution stylistique, se jugeant trop faible en tant que femme. Cet état d’esprit est à l’origine de terribles conflits entre eux, envenimés par la liaison que A. Jawlensky entretient avec une de leurs domestiques, avec qui il aura un enfant. Humiliée, M. von Werefkin renonce à peindre pendant un certain temps ; néanmoins, elle poursuit ses réflexions sur une nouvelle forme artistique : « l’art émotionnel ». Étrangère au monde du réalisme et du symbolisme, elle exprime la nécessité d’une peinture qui explore de nouvelles pistes stylistiques, grâce à « la sincérité » des émotions traduites par le peintre. En 1903 et en 1905, elle se rend en France, découvre la peinture de Henri Matisse et des nabis, qui correspond, dans son utilisation des couleurs et du dessin en a-plats, à son idée d’un art nouveau. Déçue par l’œuvre de A. Jawlensky, elle se remet à peindre en 1906, choisit la gouache et la tempera, et découvre une nouvelle force dynamique et lumineuse dans la couleur. Elle opte pour un dessin fluide qui irradie dans ses carnets, illustrés de plus de 400 esquisses. La danse, à laquelle elle accorde un grand pouvoir expressif, y est un sujet essentiel – la peintre est en effet l’amie de Diaghilev (1872-1929) et connaît parfaitement le travail d’Alexandre (1886-1963) et Clotilde Sakharoff (1892-1974). Comme V. Kandinsky à la même époque, elle théorise l’importance d’un rapprochement des arts : musique, danse et peinture. La notion de « nécessité intérieure » du peintre rejoint sa notion de « sincérité » : la peinture, selon elle, doit traduire avec fidélité la résonance et le rythme de l’image, le visible et l’invisible qui la composent, et sa relation avec les couleurs. En 1909, dans son salon, est fondée la nouvelle association des artistes de Munich, réunissant, entre autres, V. Kandinsky, A. Jawlensky, G. Münter, Adolf Erbslöh, Alfred Kubin. Lorsque la Première Guerre mondiale éclate, M. von Werefkin émigre en Suisse. En 1918, elle s’installe à Ascona, où, en 1924, elle crée le groupe artistique Großer Bär et poursuit son travail jusqu’à sa mort, en 1938. Parmi les principaux sujets de ses œuvres conservées en grande partie à Ascona figurent les femmes, souvent représentées au travail ou dans leur vie quotidienne, les passants, le thème du chemin ; les paysages, en particulier les montagnes suisses où elle vécut, sont aussi présents, accompagnés de figures humaines qui symbolisent le regard de la peintre sur le monde.

Chiara PALERMO

Œuvres peintes, 1907-1936 (catalogue d’exposition), Neumann M. S. (textes), Gingins/Lausanne, Fondation Neumann/Bibliothèque des arts, 1996 ; Lettres à un inconnu, Dufour-Kowalska G. (dir.), Paris, Klincksieck, 1999 ; Marianne Werefkin, Fäthke B. (textes), Munich, Hirmer, 2001.

WEREWERE-LIKING (Werewere-Liking GNEPO, dite) [BONDÈ, DISTRICT DE BONJOCK, CAMEROUN 1950]

Artiste ivoirienne-camerounaise.

Écrivaine et musicienne à l’âge de 16 ans, peintre à 18 ans, puis dramaturge, chorégraphe, comédienne, Werewere-Liking, pionnière de la création africaine contemporaine, conjugue tous les talents artistiques, qu’elle a longuement cultivés en autodidacte. Née au Cameroun où elle reçoit une éducation traditionnelle de ses grands-parents, installée en Côte d’Ivoire dont elle devient citoyenne en 1978, elle se sent à l’étroit dans les frontières des langues et des ethnies et s’est forgé une appartenance panafricaine qu’elle promeut inlassablement par son œuvre. D’abord passionnée par la littérature traditionnelle et les rituels religieux, elle mène six années de recherche universitaire en traditions et esthétique négro-africaines. Elle travaille ensuite au renouveau du théâtre rituel et aspire à mettre sa recherche au service de tous. En 1985, elle fonde à Abidjan une petite troupe de théâtre, Ki-Yi M’bock (« ultime savoir de l’univers »), puis la Villa du même nom, qui deviendra un village, transformé ensuite en Fondation panafricaine Ki-Yi, reconnue en 2002. Dans cette communauté de vie et de travail, elle a découvert et guidé des générations d’artistes, dont certains connaissent une renommée internationale. Elle a ouvert un avenir à plus de 500 jeunes déshérités, parmi lesquels des enfants-soldats. Une trentaine de jeunes vivent deux à trois ans au village, y reçoivent gratuitement une formation, notamment à la création artistique. Sans création, sans éclosion du génie de chacun, un pays ne peut se développer, répète cette artiste indépendante qui mise sur la culture pour reconstruire la Côte d’Ivoire et le continent, dans un idéal d’intégration culturelle panafricaine. Le centre culturel Ki-Yi a créé une trentaine de spectacles qui mêlent textes, musique et danse et remporteront le succès sur les scènes internationales. Il s’est doté d’un musée « École du regard » pour préserver la mémoire de ces créations. Chanteuse du duo Les Reines mères, Werewere-Liking rend hommage aux femmes, mères de l’humanité. Son importante production littéraire mélange conte, poésie et écriture romanesque et théâtrale. Cette créatrice exceptionnelle a reçu de nombreux prix et distinctions. « Ensemble, élargissons la conscience des peuples et surprenons le monde » est le nouveau slogan de sa fondation.

Jacqueline PICOT

Orphée Dafric, Paris, L’Harmattan, 1981 ; Un Touareg s’est marié à une Pygmée, Carnières, Lansman, 1992 ; La Mémoire amputée, Abidjan, NEI, 2005.

WERNER, Alice [TRIESTE 1859 - WELWYN GARDEN CITY 1955]

Linguiste britannique.

Née en Italie, Alice Werner voyage beaucoup dès son enfance (Nouvelle-Zélande, Mexique, États-Unis, Europe continentale). Elle fait ses études en Allemagne et en Angleterre. Après un séjour en Afrique, en 1893, elle enseigne l’afrikaans et le zoulou à Londres à partir de 1899. Elle découvre le swahili lors d’un nouveau voyage en Afrique de l’Est (1911-1913) et entre en 1917 à la School of Oriental and African Studies où elle enseigne jusqu’en 1930. Fondatrice de ce que l’on a appelé « l’école de Londres », elle est l’auteure d’une série d’études sur les langues africaines, en particulier sur le bantu (1919), qui sont encore, sur le plan descriptif, des ouvrages de référence.

Thomas VERJANS

The Language Families of Africa, Londres, Society for promoting Christian knowledge, 1915 ; Structure and Relationship of African Languages, Londres, Longmans & co., 1930.

« Obituary : Professor Alice Werner », in Bulletin of the School of Oriental Studies, vol. 8, no 1, 1935.

WERTHEIM-BERNARD, Viola [NEW YORK 1907 - ID. 1998]

Psychiatre et psychanalyste américaine.

Née dans une famille aisée d’origine allemande, Viola Wertheim-Bernard a bénéficié d’une éducation à laquelle peu de filles pouvaient prétendre à cette époque. Pendant ses études universitaires, elle vit dans un ashram où elle pratique le yoga et étudie la philosophie orientale. Elle y rencontre Theos Bernard, un érudit du bouddhisme tibétain, qu’elle épouse et dont elle se sépare quelques années plus tard. En 1936, elle obtient son diplôme de médecine, commence une spécialisation en psychiatrie et se forme à l’Institut psychanalytique de New York. Très tôt préoccupée par les problèmes des troubles affectifs des enfants sans famille, mais aussi des familles sans enfants, elle a toujours soutenu que la théorie psychodynamique de Sigmund Freud donnait des pistes à la fois sur les causes psychiques de l’infertilité et sur les problèmes liés à la quête d’identité toujours à rechercher entre vérité historique et vérité matérielle. Elle a beaucoup œuvré, au sein de l’université Columbia et dans les services de santé mentale, en faveur de l’enseignement de la psychanalyse et pour l’accès à une clinique psychiatrique qui prenne en compte les avancées freudiennes. Farouche combattante des droits civiques et des libertés individuelles, dans une Amérique dont la guerre froide avait encore accentué la peur des minorités, qu’elles fussent raciales ou politiques, elle fut à son tour inquiétée par l’Agence fédérale de sécurité pour avoir pris la défense d’Alger Hiss, fonctionnaire du Département d’État ayant participé à la fondation de l’Onu et accusé d’espionnage en faveur de l’URSS. Engagée aussi contre la ségrégation, elle signa un manifeste qui a joué un rôle important dans l’arrêt Brown rendu, en 1954, par la Cour suprême des États-Unis, et qui a décrété inconstitutionnelle la ségrégation raciale dans les écoles publiques. Fortement impressionnée par la correspondance échangée entre Albert Einstein et S. Freud, éditée à Paris, en 1933, par l’Institut international de coopération intellectuelle, sous le titre Warum Krieg ? (« pourquoi la guerre ? »), elle participera activement aux conférences du mouvement Pugwash, sur la science et les affaires mondiales, qui réunissaient des universitaires et des personnalités publiques travaillant à la recherche de solutions face aux menaces des conflits armés. Cette organisation internationale, qui vit le jour en 1957 après la publication du manifeste Russell-Einstein, obtint le prix Nobel de la paix en 1995 pour ses efforts en faveur du désarmement nucléaire. Militante de l’action sociale, pendant de nombreuses années, au sein des instances de guidance infantile et des agences d’adoption, V. Wertheim-Bernard fut élue, en 1971, vice-présidente de l’Association américaine de psychiatrie, s’engagea contre la guerre du Vietnam et se battit sans relâche pour une réglementation moins bureaucratique et plus dynamique de l’adoption. Ses travaux de référence traitent de l’infertilité et de l’adoption.

Chantal TALAGRAND

« A Probable Case of Psychogenic Infertility » (« un cas probable d’infertilité psychogène »), New York, Columbia University Press, 1942 ; « Application of Psychoanalyic Concepts to Adoption Agency Practice » (« application des concepts psychanalytiques à l’usage des agences d’adoption »), New York, Columbia University Press, 1953.

WERTMÜLLER, Lina (Arcangela Felice Assunta WERTMÜLLER VON ELGG, dite) [ROME 1928]

Réalisatrice italienne.

Née dans une famille d’aristocrates suisses, Lina Wertmüller s’oppose très tôt à toute forme d’autorité. Malgré l’interdiction de ses parents, elle entre à l’Académie de théâtre de Rome et fait le tour de l’Europe avec une troupe de marionnettistes. À 24 ans, elle monte sa propre compagnie théâtrale d’avant-garde où elle joue, écrit et met en scène. En 1962, elle rencontre Fellini dont elle devient l’assistante sur 8 ½. L’année suivante elle réalise son premier film, I Basilischi, qui remporte un grand succès. Elle enchaîne ensuite quelques téléfilms pour la télévision italienne, mais sa carrière prend véritablement son essor en 1972 lorsqu’elle rencontre son comédien fétiche, Giancarlo Giannini. Elle l’emploie dans une série de comédies politiques provocatrices, dont Film d’amour et anarchie (Film d’Amore e d’anarchia, 1973) où un paysan anarchiste se sent partagé entre son devoir (assassiner Mussolini) et son amour pour une prostituée. Ce film reçoit le Grand Prix du public et le Prix de la presse internationale du Festival de Berlin et marque le début de l’admiration que vouent les Américains à L. Wertmüller. Elle est d’ailleurs la première femme à être nommée aux Oscars dans la catégorie du Meilleur Réalisateur avec Pasqualino (Pasqualino Settebellezze, 1975) sans toutefois le remporter – Kathryn Bigelow* sera la première femme à obtenir cette récompense. Le film, racontant l’histoire d’un séducteur napolitain enfermé dans un camp de concentration qui tente de séduire sa terrifiante kapo obèse, provoque un tollé en Italie et polarise tous les reproches qu’on ne cessera de faire à la réalisatrice au long de sa carrière. On l’accuse de faire un cinéma misanthrope, d’abuser de provocations gratuites, on dénonce son goût pour l’abjection et le sexe ainsi que son style emphatique. Il est vrai qu’elle trouve toujours l’angle le plus provocateur pour aborder les sujets sensibles. Dans Camorra (1986), un groupe de femmes assassinent leurs maris dealers en leur plantant des seringues dans les testicules. Mais on peut se demander si son sexe (et son féminisme revendiqué) n’est pas pour rien dans ce désamour. Autre provocateur italien, Marco Ferreri n’a pas essuyé autant d’avanies. Ses détracteurs feignent d’ignorer qu’elle possède un véritable sens de la mise en scène, un humour irrésistible et un courage peu commun pour dénoncer les bassesses humaines, injustices et hypocrisies de la société. L. Wertmüller continue néanmoins à réaliser des films en Italie grâce à des producteurs américains.

Jennifer HAVE

WÉRY, Marthe [BRUXELLES 1930 - ID. 2005]

Peintre belge.

Marthe Wéry complète ses études artistiques à Paris, à l’académie de la Grande Chaumière, et approfondit la gravure à l’Atelier 17 de Stanley William Hayter. Sa première exposition personnelle a lieu en 1965 à la galerie Saint-Laurent de Bruxelles. À la fin des années 1960, elle assimile, à travers son abstraction géométrique, l’histoire de l’art moderne – de Mondrian à Malevitch –, mais aussi l’art américain, perçu tardivement en Europe, notamment les œuvres de Barnett Newman (1905-1970), Ellsworth Kelly (1923), Kenneth Noland (1924-2010) et Agnes Martin*, qu’elle découvre au cours de son séjour aux États-Unis en 1969, de même que l’art minimal et l’Unisme du polonais Wladyslaw Strzeminski (1893-1952). À partir de 1974-1975, alors qu’elle présente ses œuvres à la galerie Paul Maenz à Cologne et participe à l’exposition Fundamental Painting (dont elle est, avec A. Martin, l’une des rares peintres femmes), elle abandonne la peinture pour le « dessin ligné » sur papier, qui dénote son attention portée à la trame. L’artiste explique alors que tout son travail « est une recherche élémentaire de vivre la surface », par le biais d’un jeu de lignes serrées, tracées empiriquement et constituant un champ, qui « cesse d’adhérer aux valeurs masculines du constructivisme » (de Duve). Un tournant s’opère avec ses expositions successives à la Documenta 4 de Kassel (1977) et la galerie avant-gardiste MTL à Bruxelles (1977-1978) : les papiers sont sur le sol, en tas irréguliers, et se distinguent de l’art minimal par la position antidogmatique, non définitive du « travail », partagée d’ailleurs avec d’autres artistes femmes. En 1979 se produit la synthèse entre couleur et texture dans le but d’éliminer toute forme, en même temps qu’est proposée une forme de généalogie féminine dans ces calligraphies all over, où la peintre transcrit des textes de la philosophe Françoise Collin* et de l’écrivaine Gertrude Stein*. La couleur seule devient sa façon de penser et de faire. Dans le pavillon belge de la Biennale de Venise en 1982, M. Wéry signifie ce retour à la peinture en exposant une « forêt » de 93 toiles de 24 centimètres de largeur et de longueur variable, sur lesquelles elle a étalé couche après couche (plus d’une vingtaine) une peinture rouge acrylique de sa fabrication. Posée sur le sol et appuyée au mur, la série est ouverte, sans linéarité, et ne présente ni programme ni geste. Afin de faire « vivre la surface », l’artiste va proposer des installations sur des cales ou des tréteaux, disposées le long des murs ou accrochées à différentes hauteurs. À partir de 1994, les couches de couleurs liquides et transparentes sont répandues sur des supports d’aluminium ; M. Wéry laisse couler la peinture diluée jusqu’à ce qu’elle s’immobilise, entraînant un ensemble d’accidents : aspérités, bulles… Après le séchage, les couches supérieures sont parfois raclées. Ce mode de création est à la fois précis (choix du format, du support, de la teinte, du cadre et de l’épaisseur) et désinvolte, quand, par exemple, couchés à l’horizontale, les fins panneaux reçoivent des rasades de couleurs. Ce « laisser-faire », cette alternance entre « devenir et dérobade de la couleur, de l’espace, de la lumière » (Franz 2001) contribuent à la fois à l’apparence et à l’accrochage de ses œuvres. Au palais des Beaux-Arts de Bruxelles (2001), elle construit son exposition en fonction de l’architecture de Victor Horta (1861-1947) et de la palette maniériste de Jacopo da Pontormo (1494-1557). Trois ans plus tard, elle retrouve le style de V. Horta au musée de Tournai (2004), dont elle occupe toutes les salles, non sans dialoguer avec plusieurs peintures anciennes non décrochées. Décédée à l’âge de 74 ans, la peintre voulait que « les œuvres contiennent la vie et puissent la faire toujours avancer ». Enseignante durant vingt-cinq ans, entre autres, à l’Institut Saint-Luc et à l’École de recherche graphique de Bruxelles, M. Wéry a formé nombre d’artistes, dont Ann Veronika Janssens*, tout en échangeant avec ses contemporains, comme Bernard Frize (1954) ou Susanna Fritscher (1960). Depuis 1985, elle a bénéficié de nombreuses commandes publiques : la station de métro Albert à Bruxelles, les vitraux de la collégiale Sainte-Gertrude de Nivelles (avec Jean-Paul Emonds-Alt), une série de peintures commandée par la reine Paola en 2001 et destinée à une salle du Palais royal de Bruxelles.

Élizabeth LEBOVICI

Un débat en peinture, Bruxelles, la Lettre volée, 2000 ; Penser en peinture, 1968-2000, Baudson M. (textes), Gand, Ludion, 2001 ; Les Couleurs du monochrome (catalogue d’exposition), Bal M., Chassey É. de (textes), Gourdinne, Diatex, 2005.

WESLEY, Mary (Aline SIEPMAN, née FARMER, dite) [ENGLEFIELD GREEN 1912 - TOTNES 2002]

Romancière britannique.

Élevée par sa mère et ne fréquentant aucune école, Mary Aline Siepman Wesley ne commence à écrire que très tard. Auparavant, elle se marie trois fois, donne naissance à trois enfants et travaille au ministère de la Guerre pendant la Seconde Guerre mondiale. En 1969, elle écrit deux livres pour enfants et, à la mort de son mari, afin de subvenir à ses besoins, elle publie en 1983 son premier livre pour adultes, début d’une intense créativité. De 1984 à 1997, elle publie neuf romans qui tous connaissent le succès et sont portés à la télévision et au cinéma. Sa famille n’approuve pas ses livres car elle y dissèque les habitudes de l’Angleterre bien pensante avec humour, compassion et ironie. Rejoignant les tenants de l’émancipation de la femme, elle plonge avec délices et détails dans les tourments émotionnels et sexuels, se reconnaissant un esprit très peu conformiste, brisant les stéréotypes concernant les personnes âgées, n’hésitant pas devant la représentation de la violence et de la haine, ni devant l’emploi d’un vocabulaire cru. Part of the Scenery, son autobiographie, ne cache d’ailleurs rien de ses frasques amoureuses et de son style de vie excentrique. Elle a écrit trois livres pour enfants, dix livres pour adultes, une autobiographie, et vendu plus de trois millions de livres.

Michel REMY

La Pelouse de camomille (The camomille Lawn, 1984), Paris, Flammarion, 1991 ; Sucré, salé, poivré (Harnessing Peacocks, 1985), Paris, Flammarion, 1993 ; Une fille formidable (Part of the Furniture, 1997), Paris, Flammarion, 2000.

MARKHAM P., Wild Mary : the Life of Mary Wesley, Londres, Chatto & Windus, 2006.

WESSELY, Paula [VIENNE 1907 - ID. 2000]

Actrice autrichienne.

Nièce de Joséphine Wessely, actrice célèbre du Burgtheater de Vienne, Paula Wessely suit des études en art dramatique et entame sa carrière au Wiener Volkstheater avant d’être engagée au Deutsches Theater de Prague. En 1927, elle retourne à Vienne au Wiener Volkstheater et travaille au Theater in der Josefstadt, sous la direction de Max Reinhardt, à partir de 1929. Au Deutsches Theater de Berlin, elle joue Rose Bernd de Gerhart Hauptmann en 1932 et connaît un succès fulgurant. Célébrée par la presse et le public, elle inaugure sa carrière au cinéma dans une comédie musicale de Willi Forst (Maskerade, 1934). Rapidement, elle s’impose comme une star du cinéma allemand. Elle épouse son collègue Attila Hörbiger en 1935. Ensemble, ils ont trois filles : les actrices Elisabeth Orth (1936), Christiane Hörbiger (1938) et Maresa Hörbiger (1945). En 1938, au moment de l’Anschluss, elle soutient la propagande nazie et poursuit sa carrière d’actrice en jouant dans des films en faveur du régime. Sa participation au film Heimkehr lui vaut une interdiction d’exercer pendant une année (1945) par les forces d’occupation américaines à Vienne. Au printemps 1946, elle interprète Shen Té dans La Bonne Âme de Se-Tchouan de Brecht. La même année, les interrogatoires autour de sa collaboration avec les nazis la plongent dans une grave crise (Elfriede Jelinek* en fait la pièce intitulée Burgtheater). Elle retrouve le théâtre en 1947 (Vagabunden de Juliane Kay) et renoue avec le cinéma dans le rôle d’une juive (Der Engel mit der Posaune). Membre du Burgtheater en 1953, elle poursuit sa carrière théâtrale (Faust de Goethe, 1958 ; John Gabriel Borkman d’Ibsen, 1964).

Angela KONRAD

IFKOVITS K. (dir.), Die Rollen der Paula Wessely, Spiegel ihrer selbst, Vienne, Brandstätter, 2007 ; STEINER M., Paula Wessely, Die verdrängten Jahre, Vienne, Verlag für Gesellschaftskritik, 1996.

WEST, Jane (née ILIFFE, dite Prudentia HOMESPUN) [LONDRES 1758 - LITTLE BOWDEN 1852]

Poétesse et romancière britannique.

Quasi autodidacte, Jane West écrivait de manière compulsive mais refusait d’être, selon ses propres termes, « une souillon qui fait des rimes ». Elle publie d’abord des poèmes (Miscellaneous Poetry, 1786 ; Miscellaneous Poems, 1791), puis, sous le nom symbolique de « Mrs Prudentia Homespun », persona d’une vieille fille d’un âge certain, un roman, The Advantages of Education, or The History of Maria Williams (1793), dans le but d’instruire. Certains voient dans A Gossip’s Story (« histoire d’une commère », 1796), les prémices du style de Jane Austen*. En 1799 paraît A Tale of the Times, un roman contre le jacobinisme, et un poème en cinq livres, « The Mother », suivis, en 1802, de The Infidel Father qui fustige l’athéisme. Elle contribue par ailleurs à The Gentleman’s Magazine. Entre 1810 et 1827, elle publie quatre autres romans (The Refusal (1810) ; The Loyalists (1812) et Alicia de Lacy (1814), tous deux dans la veine historique ; Ringrove, 1827). Elle a également rédigé des « manuels de conduite » : Letters Addressed to a Young Man (1801) et Letters to a Young Lady (1806), dédiés à la reine, fervente lectrice, qui prennent le contre-pied de Défense des droits des femmes de Mary Wollstonecraft*. On citera enfin quatre volumes de Poems and Plays (1799 et 1805). Ces écrits, à contre-courant du radicalisme ambiant, mais qui défendent les femmes, la rendirent populaire, y compris dans l’Église. Elle a également correspondu avec Sarah Trimmer* et écrit des poèmes en l’honneur d’Elizabeth Carter*, de Charlotte Smith* et d’Anna Seward*.

Françoise LAPRAZ SEVERINO

HIVET C., Voix de femmes, roman féminin et condition féminine de Mary Wollstonecraft à Mary Shelley, Paris, Presses de l’École nationale supérieure, 1997 ; TY E., Empowering the Feminine : The Narratives of Mary Robinson, Jane West, and Amelia Opie 1796-1812, Toronto, University of Toronto Press, 1998.

WEST, Mae [NEW YORK 1893 - LOS ANGELES 1980]

Actrice, chanteuse, auteure dramatique, metteuse en scène et productrice américaine.

Fille d’un boxeur irlandais, Mae West fait ses débuts sur scène à l’âge de 5 ans. À 14 ans, elle est girl de revue et lance une nouvelle danse, le shimmy. En 1926, elle écrit, produit, met en scène et joue sa première pièce à Broadway : Sex. Le scandale est tel qu’elle est mise en prison pour dix jours. Elle trouve pourtant là son style, tout en allusions grivoises et en autoparodie. L’année suivante, elle écrit et met en scène The Drag, où figurent des travestis : nouveau scandale. En 1928, elle triomphe à Broadway avec Diamond Lil et, après deux autres pièces à succès, la Paramount l’invite à Hollywood. Elle révise elle-même scénarios et dialogues, incarnant des créatures provocantes et mangeuses d’hommes : Lady Lou (1933), d’après Diamond Lil ; Je ne suis pas un ange (1933) ; Ce n’est pas un péché (1934) ; Annie du Klondike (1936), de Raoul Walsh ; ou encore Go West Young Man (1936), de Henry Hathaway. Après Fifi peau de pêche (1937), elle forme un duo explosif avec W. C. Fields, aussi non conformiste qu’elle, dans Mon petit poussin chéri (1940). Elle revient à la scène avec une revue, dans laquelle elle incarne Catherine la Grande*, et avec un récital de cabaret. À 77 ans, on la retrouve au cinéma dans Myra Breckinridge, et huit ans plus tard, dans Sextette, d’après sa pièce, dans un tourbillon de kitsch salace.

Bruno VILLIEN

Lady Lou (She Done Him Wrong, 1932), Paris, Nouvelles éditions latines, 1950.

HIRSCHHORN C., Mae West : An Interview & Biography, San Francisco, Grand Cyrus Press, 2009.

WEST, Rebecca (Cicely Elizabeth FAIRFIELD, dite) [LONDRES 1892 - ID. 1983]

Romancière et essayiste britannique.

Née d’un père journaliste irlandais et antisocialiste et d’une mère pianiste écossaise qui se séparent quand Cicely Elizabeth Fairfield est encore enfant, elle déménage avec sa mère et ses sœurs à Édimbourg où elle étudie pour devenir actrice et prend son pseudonyme de Rebecca West d’un personnage passionné et obstiné d’Ibsen. Elle participe au mouvement des suffragettes, travaille comme journaliste et rejoint la Fabian Society pour propager les idées socialistes qu’elle voit comme remède à la dégénérescence des valeurs. Elle noue une liaison de dix ans avec H.G. Wells, avec qui elle a un fils, puis avec Charlie Chaplin et Max Beaverbrook, le magnat de la presse. En 1918, son premier roman Le Retour du soldat porte sur l’amnésie d’un soldat. En 1930, elle épouse un banquier et voyage beaucoup, recueillant du matériel pour ses livres de voyage et de politique. Partisane du Front populaire en Espagne, elle anime le Comité d’aide aux femmes et enfants espagnols avec Emma Goldman*, assiste au procès de Nuremberg en 1946 et collabore à diverses publications en soutenant, paradoxalement, la croisade anticommuniste de MacCarthy. En 1957, elle publie La Famille Aubrey, tableau psychologique de l’Angleterre du début du XXe siècle à travers l’histoire d’une famille. Dans ses neuf romans, elle aborde les thèmes de la corruption et de l’altruisme non sans s’inspirer des théories freudiennes, et dans ses essais liés à l’actualité, à la religion ou à l’ethnographie (des Balkans), elle conserve cet esprit de rébellion et d’anticonformisme au service de la défense des femmes.

Michel REMY

Le Retour du soldat (The Return of the Soldier, 1918), Paris, Grasset, 1984 ; Femmes d’affaires (The Harsh Voice, 1935), Paris, Liana Levi, 1993 ; La Famille Aubrey (The Fountain Overflows, 1957), Paris, Autrement, 1996 ; Les Portes de la chance (The Birds Fall Down, 1966), Paris, Flammarion, 1969.

SCHWEIZER B., Rebecca West, Heroism, Rebellion and the Female Epic, New York, Greenwood, 2002.

WESTMACOTT, Mary VOIR CHRISTIE, Agatha

WESTPHALEN, Cecília Maria [LAPA 1927 - CURITIBA 2004]

Historienne brésilienne.

De parents d’origine allemande, Cecilia Westphalen étudie à l’université de Curitiba, où elle obtient en 1950 une maîtrise en géographie et histoire puis, deux ans plus tard, un diplôme de droit. Elle soutient une thèse d’État, en 1957, sur « Charles V, son empire universel ». Professeure à l’âge de 30 ans, elle occupe la chaire d’histoire moderne et contemporaine. Familière de la méthodologie développée par l’École des Annales, sa formation s’enrichit de séjours dans des universités allemandes et françaises. Très dynamique, elle développe la recherche au sein du département d’histoire de l’université, met en place un cours de master en 1972 et plusieurs groupes de recherche. Elle occupe également des postes administratifs dans son université, mais aussi au ministère de l’Éducation à Brasília et auprès du gouvernement de l’État du Paraná. Ses travaux sont centrés sur l’histoire régionale : Pequena história do Paraná (« petite histoire du Paraná »), ouvrage didactique publié en 1953, Lazeres e festas de outrora (« loisirs et fêtes d’autrefois », 1983) ou O Barão dos Campos Gerais e o comércio de tropas (« le baron des Grandes Terres et le commerce de troupe », 1995) dans lequel elle analyse la trajectoire d’un riche commerçant de bétail de la ville de Lapa devenu baron de l’empereur Dom Pedro II. Pour ses recherches comme pour ses publications, C. Westphalen reçoit le soutien de sa compagne, la professeure Altiva Pillati Balhana, spécialiste en histoire démographique. Leur relation est néanmoins source de critiques et de discriminations.

Joana Maria PEDRO

CARDOSO J. A., « Cecília Maria Westphalen e a criação do Departamento De História da Universidade Federal Do Paraná », in Anais da XXIV Reunião da Sociedade Brasileira de Pesquisa Histórica, Curitiba, SBPH, 2005.

WESTRÖM, Hilde (née EBERLE) [NEISSE, AUJ. NYSA, POLOGNE 1912 - BERLIN 2013]

Architecte allemande.

Après son baccalauréat et un stage d’ébénisterie et de maçonnerie, Hilde Weström entreprit des études d’architecture, en 1932, à l’École supérieure technique de Berlin-Charlottenburg. L’un de ses professeurs fut Heinrich Tessenow, réputé pour sa conception sensible du logement. En 1936, elle poursuivit ses études à l’Université technique de Dresde et obtint un diplôme d’ingénieure architecte deux ans plus tard. En 1945, elle dut fuir durant plusieurs semaines, avec ses quatre enfants, devant l’avancée de l’armée soviétique. Cette expérience marqua la suite de son activité professionnelle. En 1945, le besoin de logement était énorme, un tiers des bâtiments d’habitation de Berlin ayant été détruit pendant la guerre. Ses premiers travaux furent d’établir un bilan des dommages et de concevoir des logements d’urgence et des bâtiments de fortune. En 1949, l’année du partage de l’Allemagne, elle ouvrit sa propre agence à Berlin-Ouest, après avoir été admise l’année précédente à l’Union des architectes allemands (BDA). La remise en état et le réaménagement de logements et d’équipements pour les enfants lui furent confiés. Grâce aux aides publiques dans les années 1950, elle construisit près de 600 logements dans le cadre de l’habitat social et conçut de plus nombreux projets encore. Jusqu’en 1965, elle réalisa 90 appartements. L’étendue des réalisations de H. Weström est large : foyers pour enfants, étudiants et personnes âgées, écoles, églises, presbytères et une chapelle pour un cimetière. Elle a dirigé l’extension de bâtiments industriels à Berlin et à Stuttgart. Cependant, sa préférence allait à la conception de maisons individuelles. Elle en a réalisé 11, souvent commandées par des femmes artistes. Elle mit fin à son activité professionnelle en 1981. La liste de ses œuvres embrasse 112 projets. En 1957, l’exposition internationale de Berlin, Interbau 57, marqua un des sommets de sa carrière. Avec l’architecte Wera Meyer-Waldeck*, H. Weström assura la conception de l’un des principaux volets de la présentation, le logement de l’avenir, sur le thème Die Stadtvon Morgen, « la ville de demain ». Également connue pour son engagement féministe, elle fut adjointe auprès du Sénat pour la construction et l’habitat, défendant un standard minimum pour les cuisines des logements sociaux, et réalisant, grandeur nature, un modèle d’appartement répondant aux besoins d’une famille. Sa conception se caractérisait par la grande flexibilité des espaces et la variété de leurs usages, afin que chaque membre de la famille puisse avoir son propre espace sans que la vie collective en souffre. Pour elle, il était essentiel que les femmes puissent concilier leur vie familiale et professionnelle. Elle pensait l’architecture de l’intérieur vers l’extérieur et revendiquait une forme simple, claire, bonne et modeste, recherchant avant tout la fonctionnalité. Depuis 1980, elle a été célébrée par plusieurs expositions et hommages.

Kerstin DÖRHÖFER

Avec VEREIN DAS VERBORGENE MUSEUM (dir.), Die Berliner Architektin Hilde Weström, Bauten 1947-1981 (catalogue d’esposition), Berlin, Verein Das Verborgene Museum, 2000.

WESTWOOD, Vivienne [GLOSSOP, DERBYSHIRE 1941]

Styliste de mode britannique.

Institutrice issue d’un milieu modeste et épouse d’un gérant de salle de danse, Vivienne Westwood cherche à fuir la trivialité de son existence. Sa rencontre avec Malcolm McLaren, le futur instigateur du mouvement punk, est décisive. Acquéreur en 1970 de la boutique Paradise Garage au 430 King’s Road à Londres, le couple « anti-establishment », d’abord marqué par la tendance nostalgique des Teddy Boys, se trouve une clientèle chez les rockeurs. Rebaptisée Too Fast To Live, Too Young To Die en 1972 et Sex en 1974, la boutique sulfureuse doit sa notoriété à ses tee-shirts pornographiques, frappés de slogans briseurs de tabous, et à ses pantalons bondage, marqués par le mouvement punk. La première apparition publique des Sex Pistols, parés de clous, de sangles et de vêtements lacérés, consacre en 1977 la réouverture de la boutique, sous le nom Seditionaries. Puis la « first lady » du punk prend ses distances et étudie l’histoire de la mode, tout en s’intéressant aux tenues des hors-la-loi, des rebelles, des Indiens et des pirates. En 1984, elle se sépare de M. McLaren et défile sous son nom propre. V. Westwood présente désormais ses collections à Paris tout en continuant à défier les conventions britanniques, mêlant humour et références historiques, préciosités et provocations. Chaque collection est assortie de menus plaisirs en hommage à son époque de prédilection, le XVIIIe siècle français, et elle est l’auteure de trouvailles chocs telles que la « Mini-Crini » (crinoline pliante), la « cage à fesses », le corset du quotidien, la chaussure compensée ou le twin-set à collier de perles pour homme. Des audaces qui lui vaudront l’honneur de se faire nommer professeure honoraire à l’Académie des arts appliqués de Vienne. Au sommet de sa notoriété, elle crée Man (prêt-à-porter masculin, 1996) et Red Label (prêt-à-porter féminin, 1997), ainsi qu’une marque plus accessible, Anglomania, et une ligne de joaillerie, Hardcore Diamond. Elle lance également deux parfums : Boudoir (1998) et Libertine (2000). En 1998, elle reçoit le Queen’s Award for Export qui récompense le développement de sa marque à l’international.

Marlène VAN DE CASTEELE

BAUDOT F., Mode du siècle, Paris, Assouline, 1999 ; KAMITSIS L., REMAURY B. (dir.), Dictionnaire international de la mode, Paris, Éditions du regard, 2004 ; KRELL G., Vivienne Westwood, Paris, Assouline, 1997 ; LEHNERT G., Histoire de la mode au XXe siècle, Cologne, Könemann, 2000 ; SEELING C., La Mode au siècle des créateurs, Cologne, Könemann, 1999.

WILCOX C., Vivienne Westwood, Londres, V&A, 2004.

WHARTON, Edith (née JONES) [NEW YORK 1862 - SAINT-BRICE-SOUS-FORÊT 1937]

Écrivaine américaine.

Issue d’une riche famille aristocratique, Edith Jones grandit au sein du monde protégé, policé et fermé de la haute société new-yorkaise. Son mariage avec un banquier bostonien, Edward Wharton, est un échec et se termine par un divorce en 1912. La jeune femme écrit pour échapper à la tristesse et à l’ennui. Ses œuvres de fiction aux détails riches et aux accents satiriques témoignent d’une très fine observation de la société et laissent transparaître sa révolte contre les attitudes rigides, classiques et étouffantes envers les femmes et les classes moyennes. Edith Wharton commence par publier des vers et des nouvelles et collabore, en 1897, avec un ami architecte, à The Decoration of Houses. À partir de 1899, année de la publication de The Greater Inclination (« l’inclination capitale »), elle écrira en moyenne un livre par an jusqu’à sa mort. Après son premier roman, The Valley of Decision (1902), qui dépeint la décadence morale de l’Italie du XVIIIe siècle, son ami Henry James lui recommande de « faire New York ! ». Puis, en 1905, Chez les heureux du monde consacre l’écrivaine sur la scène littéraire. Elle continue à écrire des poèmes, des livres de jardinage et d’architecture, des articles de voyage et des histoires de fantômes. Après son divorce, E. Wharton s’installe définitivement en France, où elle reçoit des hommes de lettres et des artistes illustres. Si sa nouvelle rurale Ethan Frome (1911) est considérée comme son chef-d’œuvre, elle-même dit préférer The Custom of the Country (« la coutume du pays », 1913), commentaire sévère sur les mœurs de la société new-yorkaise. Pendant la Première Guerre mondiale, elle met en place des programmes d’aide pour les réfugiés belges, à Paris, et en est récompensée par la Légion d’honneur française. Voyages au front, de Dunkerque à Belfort (1915) décrit ses activités durant cette période. En 1921, E. Wharton est la première femme à recevoir le prix Pulitzer de la fiction pour Le Temps de l’innocence (1920). Elle retourne brièvement aux États-Unis et devient la première femme récipiendaire d’un doctorat honorifique de l’université Yale. En 1934, elle publie son autobiographie, Les Chemins parcourus.

Anamaria BANU

Chez les heureux du monde (The House of Mirth, 1905), Paris, LGF, 2009 ; Ethan Frome (1911), Paris, 10-18, 1993 ; Voyages au front de Dunkerque à Belfort (Fighting France, From Dunkerque to Belfort, 1915), Paris, Plon-Nourrie et Cie, 1916 ; Le Temps de l’innocence (The Age of Innocence, 1920), Paris, J’ai lu, 1993 ; Les Chemins parcourus (A Backward Glance, 1934), Paris, 10-18, 2001.

KNIGHTS P., The Cambridge Introduction to Edith Wharton, Cambridge (R-U)/New York, Cambridge University Press, 2009.

WHEATLEY, Phillis (ou Phyllis) [SÉNÉGAL 1753 - BOSTON 1784]

Poétesse américaine d’origine sénégalaise.

Achetée et arrachée à sa terre natale africaine à l’âge de 7 ans par John et Susannah Wheatley, marchands bostoniens, Phillis Wheatley est baptisée d’après le nom du bateau qui la mène jusque dans les colonies anglo-américaines. Ses maîtres l’élèvent comme leurs enfants et lui permettent d’étudier l’anglais, la lecture, l’écriture, les langues anciennes et la Bible. Elle publie son premier poème dès l’âge de 13 ans. En 1770, elle rend hommage à l’évangéliste méthodiste George Whitefield dans « On the Death of the Rev. George Whitefield ». Mais la population blanche, ne concevant guère qu’une femme noire puisse être poète, la somme de prouver ses talents au cours d’un procès qui a lieu en 1772. Les notables de Boston concluent qu’elle est bien l’auteure des vers et apposent leurs 18 signatures au bas d’une attestation qui apparaît en exergue de son recueil Poems on Various Subjects, Religious and Moral (1773). Refusé par les éditeurs bostoniens, ce dernier paraît à Londres grâce au soutien financier de Selina Hastings, comtesse de Huntingdon et amie des Wheatley. Première œuvre publiée d’un Noir américain, il fait de P. Wheatley la pionnière de la littérature afro-américaine. L’écriture s’inspire des poètes classiques britanniques, comme Alexander Pope, John Milton ou Thomas Gray. Parmi les 39 poèmes, souvent élégiaques, l’un des rares à évoquer l’esclavage, « On Being Brought From Africa to America » (« sur le fait d’avoir été conduite d’Afrique en Amérique »), met l’accent sur l’opposition entre la liberté spirituelle de la chrétienne que la jeune femme est devenue et l’emprisonnement de l’esclave : pourvu d’une âme, le Noir ne saurait demeurer dans sa position d’esclave. En 1773, après un séjour de quelques mois en Angleterre, P. Wheatley est affranchie par ses maîtres. Après leur mort, elle tente de vivre de ses écrits et de son activité de couturière. L’ode qu’elle dédie à George Washington (« To His Excellency, General Washington ») paraît en 1776, mais aucun éditeur bostonien n’accepte de publier son second volume de poésie. Elle finit sa vie dans la misère. Ses derniers écrits (Memoirs and Poems of Phillis Wheatley, 1834 ; Letters of Phillis Wheatley, the Negro Slave-Poet from Boston, 1864) sont publiés à titre posthume.

Valérie CROISILLE

Complete Writings, CARRETTA V. (dir.), New York, Penguin Books, 2001.

GATES H. L. Jr, Figures in Black : Words, Signs and the « Racial » Self, New York/Oxford, Oxford University Press, 1987.

WHEELER, Anna DOYLE [TIPPERARY 1785 - LONDRES 1848]

Philosophe irlandaise.

Fille d’un pasteur anglican, Anna Doyle Wheeler se marie à 15 ans et met au monde six enfants avant de quitter un mari violent et alcoolique pour chercher la protection de son oncle, gouverneur de l’île de Guernesey. Nourrie par la lecture de Mary Wollstonecraft*, des saint-simoniens et des utilitaristes, elle fait la connaissance à Paris de Jeremy Bentham qui la présente, à Londres, à William Thompson. C’est avec ce dernier qu’elle rédigera une réponse à l’article de James Mill, de l’Encyclopaedia Britannica, « Government », qui refuse de reconnaître aux femmes leur droit à des droits ; elle dénonce la scandaleuse tromperie d’un prétendu « contrat » qui n’est en fait qu’assujettissement à l’établissement des hommes. Malgré l’affirmation de sa présence comme co-auteure avec son introduction, ce texte intitulé The Appeal of One Half of the Human Race, Women, Against the Pretensions of the Other Half, Men, to Restrain Them in Political and Thence in Domestic, Slavery (« un appel de la moitié femme de la race humaine contre la prétention de la moitié homme de vouloir la tenir en esclavage politique », 1825) ne sera pas signé par elle. À Paris, elle soutient les efforts des féministes françaises. Avant de mourir, elle aura la joie d’apprendre la nouvelle de la révolution de 1848.

Jeremy WORTH

MCFADDEN M., « Anna Doyle Wheeler (1785-1848) : Philosopher, Socialist, Feminist », in Hypatia, t. 4, no 1, 1989 ; PANKHURST R. K. P., « Anna Wheeler : A Pioneer Socialist and Feminist », in The Political Quarterly, t. 25, 1954.

WHEELER JOHNSON PELL, Anna [HAWARDEN 1883 - BRYN MAWR 1966]

Mathématicienne américaine.

Anna Johnson est la benjamine d’une famille d’émigrés suédois. Sa mère, regrettant de ne pas avoir eu d’éducation, veille à ce que ses deux filles fassent des études. C’est ainsi qu’en 1899, elle entre à l’université du Dakota du Sud, un an après sa sœur. Les deux jeunes filles logent chez l’un de leurs professeurs, Alexander Pell, un ex-révolutionnaire russe devenu agent double qui avait trouvé refuge aux États-Unis. Remarquant le talent exceptionnel d’Anna en mathématiques, A. Pell l’encourage à poursuivre ses études. Brillante, elle gagne une bourse d’études en Europe, et durant l’année 1906-1907, suit à Göttingen les cours de Felix Klein, de David Hilbert et d’Hermann Minkowski. En juillet 1907, elle épouse A. Pell. Elle retourne cependant à Göttingen pour terminer son doctorat et brusquement, alors que tout semble abouti, elle rentre aux États-Unis, invoquant un différend avec D. Hilbert dont la teneur reste inconnue. À son retour, elle poursuit ses recherches à l’université de Chicago avec le Pr Eliakim H. Moore ; les travaux faits à Göttingen, indépendamment de D. Hilbert, constituent sa thèse de doctorat (PhD), qu’elle obtient en 1909. Elle est la seconde femme à obtenir un PhD en mathématiques à l’université de Chicago. Malgré la qualité de sa thèse et le soutien de E. H. Moore, elle ne peut obtenir un poste à l’université. Mais au printemps 1911, elle succède à son mari, frappé par une attaque cérébrale, et enseigne à l’Armour Institute of Technology de Chicago. Devenue professeure associée à Bryn Mawr College, elle prend en 1924 la succession de Charlotte Scott* à la tête du département de mathématiques et est promue professeure en 1925. Remariée avec Arthur Wheeler, elle fait grandir la réputation de Bryn Mawr College et se mobilise pour y faire venir la grande mathématicienne juive allemande Emmy Noether* fuyant la violence nazie. Les travaux de recherche d’A. P. Wheeler se situent à l’époque où l’analyse fonctionnelle se constitue en tant que domaine des mathématiques ; ils sont liés à la théorie des équations intégrales linéaires à laquelle D. Hilbert s’était attelé entre 1900 et 1910. Leur importance dans l’élaboration de ce corpus théorique nouveau est de nos jours masquée par le fait qu’ils ont ensuite été absorbés dans une théorie plus générale. En 1927, première femme invitée à donner un cours au congrès de l’American Mathematical Society, elle reprend et ordonne le champ théorique que son travail des vingt années précédentes a contribué à créer, sur les formes quadratiques à une infinité de variables et leurs applications.

Anne-Marie MARMIER

« The theory of quadratic forms in infinitely many variables and applications » (extrait par HIDENBRANDT T. H.), in Bulletin of the American Mathematical Society, vol. 33, no 6, 1927.

GRINSTEIN L. S., CAMPBELL P J., « Anna Johnson Pell Wheeler, Her life and work », in Historia Mathematica, vol. 9, no 1, fév. 1982.

WHITE, Antonia (née Eirine BOTTING) [LONDRES 1899 - ID. 1980]

Écrivaine britannique.

Antonia White est baptisée dans l’Église anglicane mais son père se convertit au catholicisme en 1906 et entraîne sa fille avec lui. Elle fréquente alors un couvent dans le Surrey et commence à écrire un livre, dont les pages sont saisies par l’école et elle est renvoyée. Elle ne recommence à écrire que vingt ans plus tard, traduit les romans de Colette, mène une vie amoureuse très agitée, ce qui n’améliore pas son état dépressif, et fait une analyse. En 1933, elle termine son premier roman, Les Saints de glace, une autobiographie qui sera suivie un an plus tard d’une trilogie dont le sujet est sa propre vie de 9 à 23 ans. Elle est l’auteure d’une comédie en trois actes (Three in a Room, 1947), d’un recueil de lettres, de très nombreuses nouvelles, de poèmes, et de livres pour la jeunesse. Dans tous ses écrits, on lit la même tentative de dominer le sentiment d’échec issu des terreurs de l’enfance, de comprendre ce qui nous détermine dans une écriture qui articule le réalisme du XIXe siècle et le modernisme du début du XXe siècle.

Michel REMY

Les Saints de glace (Frost in May, 1933), Paris, Albin Michel, 1955 ; L’Égarement (The Lost Traveller, 1950), Paris/Montréal, La Découverte/Éditions du Roseau, 1989 ; De l’autre côté du miroir (Beyond the Glass, 1952), Paris, Plon, 1956.

WHITE, Mary Jo [KANSAS CITY 1947]

Juriste américaine.

Actuelle présidente de la Securities and Exchange Commission (Sec), Mary Jo White, diplômée en psychologie et en droit, commence sa carrière dans le service public. D’abord auxiliaire juridique, puis procureure adjointe, elle est de 1993 à 2002 procureure fédérale à New York, première femme à occuper ce poste. Réputée tenace et implacable, elle engage des poursuites contre la mafia, le terrorisme national et international et la fraude financière. Ses actions lui vaudront de nombreuses distinctions honorifiques américaines. Elle dirige ensuite le service du contentieux d’un célèbre cabinet new-yorkais, avant d’être appelée en janvier 2013 par le président Obama pour succéder à Elisse Walter à la présidence de la Sec, organisme fédéral créé en 1934 pour réglementer et contrôler les marchés financiers. Elle est ainsi la troisième femme (Mary Schapiro* fut la première) à la tête de cette institution affaiblie et critiquée depuis la crise financière de 2008. M. J. White est chargée de poursuivre les institutions impliquées dans des malversations et de conduire les réformes engagées par la loi Dodd-Frank de réglementation financière.

Jacqueline PICOT

WHITEREAD, Rachel [LONDRES 1963]

Sculptrice britannique.

Explorant les thèmes de l’absence et de la mémoire des lieux par un jeu sur la perception sensorielle de l’espace, Rachel Whiteread poursuit une démarche systématique que certains critiques ont voulu rapprocher de l’art minimal ou conceptuel. Sur le modèle des maquettes en plâtre d’espaces intérieurs de l’architecte Luigi Moretti dans les années 1950, elle met au point son procédé : réaliser des volumes à partir de surfaces vides, conférant une matérialité à l’invisible. Elle étudie à l’École polytechnique de Brighton, puis se forme à la sculpture à la Slade School of Fine Art, University College, de Londres (1985-1987). Sa première exposition a lieu à la Carlisle Gallery de Londres (1988). Elle y présente Closet, la reproduction d’un intérieur de placard à vêtements, sous la forme d’une structure de plâtre recouverte de bois et de feutre. Elle a déjà commencé à appliquer le principe du moulage à son propre corps, dont elle a fait des empreintes, sans avoir eu l’audace de les montrer. En 1992-1993, grâce à un échange universitaire avec l’Allemagne, elle travaille à Berlin et met au point son projet programmatique de moulage de formes familières ou banales, dont elle s’attache à révéler la face cachée, à dévoiler les usages méconnus : éviers, baignoires, matelas, dessous de table, intérieur de bouillotte, bibliothèque, et même table d’autopsie. Ces moulages sont exécutés dans des matériaux aussi différents que le plâtre, la résine, le caoutchouc, le plastique, et dans un coloris monochrome qui, souvent, renvoie à la brillance des pierreries. Elle cherche à rendre hommage au « bas-ventre de la vie », selon son expression, et au caractère nostalgique des objets qui nous entourent au quotidien. Le Turner Prize lui est décerné pour Untitled Room (1993), alors qu’elle n’a que 30 ans, faisant d’elle la première femme artiste couronnée par cette récompense prestigieuse. Sa démarche est cette fois plus impersonnelle, moins autobiographique. Peu après, elle réalise House (1993-1994), le volume moulé en béton de l’intérieur d’une maison victorienne du quartier East End à Londres, dont elle ne peut empêcher la destruction – il s’agit souvent d’appartements abandonnés, voués à disparaître. Le vide s’est mué en plein, le plus intime en monumental. La maison ne résulte plus d’une construction, d’un ajout, mais d’une soustraction. Elle s’apparente désormais à un mausolée, à un masque mortuaire ou à un mémorial, qui fixe un espace négatif. Car ses portes ne s’ouvrent pas, ses fenêtres sont obstruées : la maison est devenue une surface impénétrable, qui nous oppose sa résistance, son mutisme. Suite à sa représentation du pavillon britannique à la Biennale de Venise en 1997 (elle est la première citoyenne de ce pays à le représenter seule), elle reçoit différentes commandes publiques comme Water Tower (New York, 1998) et Holocaust Memorial (Vienne, 2000). Ses œuvres figurent dans de nombreuses collections publiques. Récemment, sa première exposition à la galerie Nelson-Freeman à Paris (2010) a réuni, sous forme de natures mortes, un ensemble de sculptures en résine et plâtre teinté, moulages d’objets quotidiens tels que tubes en carton, boîtes de médicaments, fragments d’emballages, le tout composant un paysage abstrait dans les tons pastel. Les œuvres sur papier de R. Whiteread, quoique très rarement montrées, occupent une place centrale dans sa création.

Scarlett RELIQUET

Rachel Whiteread Sculpture (catalogue d’exposition), Bâle/Boston/Philadelphie, Kunsthalle/ICA, 1994 ; Sense and Sensibility : Women and Minimalism in the Nineties, New York, The Museum of Modern Art, 1994 ; Rachel Whiteread (catalogue d’exposition), Londres, Serpentine Gallery, 2001 ; Rachel Whiteread : Transient Spaces (catalogue d’exposition), New York, Guggenheim Museum, 2002.

WHITING, Sarah Frances [NEW YORK 1847 - MASSACHUSETTS 1927]

Professeure de physique et d’astronomie américaine.

Sarah Frances Whiting bénéficie de la curiosité intellectuelle de son milieu et des cours de physique et de mathématiques de son père, enseignant réputé de l’État de New York. En 1865, lauréate de Ingham, première université pour femmes des États-Unis, elle enseigne à Brooklyn et peaufine en autodidacte son éducation scientifique. Henry Fowle Durant, fondateur avec son épouse du Wellesley College, première université privée pour l’accès des femmes aux sciences humaines, la fait admettre comme auditeur libre dans le premier laboratoire de physique destiné aux étudiants masculins de l’Institut de technologie du Massachusetts. Parallèlement – et avec les moyens du bord – S. F. Whiting monte la réplique de ce laboratoire au sein du Wellesley. Elle instaure dès 1879 des cours d’astronomie. Pendant vingt ans, elle n’a à sa disposition qu’un globe céleste et un télescope 4 pouces, mais elle obtient en 1898, grâce à l’aide de l’un des administrateurs du collège, un véritable observatoire. Initiée dans ce domaine par Edward C. Pickering, alors directeur de l’observatoire de Harvard, elle se consacre uniquement à cette science à partir de 1912, publiant de nombreux articles. Elle a enseigné à des femmes qui ont fait des carrières brillantes, dont l’astronome Annie J. Cannon*. On lui doit également l’instauration de cours de météorologie et la construction d’une station d’observation d’où les étudiantes collectaient les données du Massachusetts pour l’office central des États-Unis.

Nathalie COUPEZ

Daytime and Evening Exercises in Astronomy, for Schools and Colleges, Boston/New York, Ginn and Co., 1912.

SHEARER B. F., SHEARER B. S., Notable Women in Physical Sciences : A Biographical Dictionnary, Westport, Greenwood Press, 1997.

CANNON A. J., « Sarah Frances Whiting », in Science, nov. 4, 1927.

WHITNEY, Gertrude VANDERBILT [NEW YORK 1875 - ID. 1942]

Mécène et sculptrice américaine.

Elle-même sculptrice plutôt académique, Gertrude Vanderbilt Whitney fut le principal mécène de l’avant-garde américaine de l’entre-deux-guerres. Héritière de l’immense fortune des Vanderbilt, elle s’initie en 1896, après son mariage avec l’homme d’affaires Harry Payne Whitney, à l’art de la sculpture sur marbre, qu’elle pratique d’abord sous couvert d’un pseudonyme. Très vite, ses voyages la portent en Europe et surtout à Paris, où elle admire la suprématie d’Auguste Rodin et s’en inspire grandement (Paganism Immortal, 1907). Après son engagement dans les services de la santé lors de la Grande Guerre, elle réalise, en 1921, de petits bronzes plus expressifs et, en ce sens, plus réalistes, livrant une image à la fois douloureuse et héroïque du combat. Cependant, l’essentiel de ses œuvres sont des commandes publiques d’inspiration allégorique. Bras en croix, la figure du Titanic Memorial, dont le projet fut réalisé en 1914 et la statue taillée par un praticien puis inaugurée en 1931, utilise l’image forte du sacrifice christique pour rendre hommage à la mémoire des hommes morts pour sauver femmes et enfants, et devenus héros pour la postérité. Mais sa célébrité vient surtout de son œuvre de mécène. Elle collectionne les œuvres des grands de la scène européenne (Georges Braque, Pablo Picasso, Marcel Duchamp), soutient les avant-gardes russes, aide Constantin Brancusi. Pour encourager les développements des avant-gardes américaines, elle achète les œuvres des artistes refusés et ouvre pour eux, en 1918, le Whitney Studio Club, une galerie appelée à devenir l’un des principaux lieux de rencontres et d’échanges artistiques de l’entre-deux-guerres, puis, en 1931, le Whitney Museum of American Art. Ce lieu, qui demeure l’un des grands musées new-yorkais consacrés à l’art américain, exposera plus de 600 pièces collectionnées par la sculptrice et refusées par le Metropolitan Museum of Art de New York à qui elle les avait offertes. Fondée en 1920, la revue The Arts, qu’elle soutient, devient l’une des principales tribunes des artistes qui refusent les règles rigides de la National Academy of Design. Elle offre ainsi une visibilité nouvelle à l’art américain, notamment représenté par Edward Hopper et l’Ashcan School, école d’artistes new-yorkais, qui prend pour sujet d’art les réalités sociales de l’Amérique du premier XXe siècle et compte dans ses rangs Robert Henri, John Sloan et Malvina Hoffman*.

Anne LEPOITTEVIN

Memorial Exhibition : Gertrude Vanderbilt Whitney (catalogue d’exposition), New York, Whitney Museum of American Art, 1943.

FRIEDMAN B. H., Gertrude Vanderbilt Whitney : A Biography, Garden City, Doubleday, 1978 ; The Whitney Museum and Its Collection (catalogue d’exposition), New York, Whitney Museum of American Art, 1958.

WHITNEY, Isabella [COOLE PILATE V. 1540 - ID. V. 1600]

Poétesse anglaise.

Issue d’une famille réformiste, bien que de la petite bourgeoisie, Isabella Whitney reçoit une éducation humaniste, avant de travailler comme servante à Londres. On sait peu de sa biographie hormis ce que l’on peut déduire de ses poèmes, sans doute inspirés de sa propre expérience. Célibataire, gagnant maigrement sa vie, c’est apparemment sa condition financière qui l’incite à publier les textes qu’elle met sur le marché avec un grand sens du public. Sont ainsi diffusés deux volumes de poésies : The Copy of a Letter, Lately Written in Meeter, by a Younge Gentilwoman to her Unconstant Lover (« la copie d’une lettre écrite récemment en vers par une gente dame à son amant inconstant », 1567) et A Sweet Nosegay or Pleasant Posy (« un doux bouquet ou plaisante gerbe », 1573). Ses ballades, inspirées d’histoires populaires, sont pleines d’humour et de verve. Elles décrivent dans un style simple et réaliste la vie quotidienne de son époque, portraits pleins d’esprit de la ville, de ses activités et de ses habitants, tout en incluant des commentaires politiques et satiriques dénonçant les privilèges des riches et critiquant l’asservissement des femmes par les hommes. Lorsqu’elle perd son emploi et doit quitter Londres, en 1573, elle écrit une ballade de 364 vers, The Manner of Her Will & What She Left to London, and to All Those in It, at Her Departing (« une forme de testament et ce qu’elle laissa à Londres et à ses habitants à son départ »), à la manière du Testament de François Villon, mais en s’y préoccupant toutefois davantage de ses poches vides que de son âme.

Geneviève CHEVALLIER

WIAZEMSKY, Anne [BERLIN 1947]

Écrivaine, actrice et réalisatrice française.

Issue de deux familles illustres – sa mère, Claire, est la fille de l’écrivain François Mauriac ; son père, Yvan, est un prince russe, né de parents émigrés après la Révolution de 1917 –, Anne Wiazemsky entre en création très jeune, puisqu’elle est choisie à 19 ans, en 1966, par Robert Bresson pour incarner l’héroïne silencieuse de Au hasard Balthazar. L’année suivante, elle joue dans La Chinoise de Jean-Luc Godard – qui devient son mari – et dans plusieurs films de ce dernier dont Week-end (1967) et Le Gai Savoir (1968). S’ensuit une carrière d’actrice et de comédienne : deux films de Pier Paolo Pasolini, Théorème (1968) et Porcherie (1969) ; Le Pain noir (1974-1975), série télévisée de Serge Moati ; Tonio Kröger, pièce de théâtre inspirée du court roman de Thomas Mann (1983) ; Le Drame de la vie (1986) et Vous habitez le temps (1989), pièces de théâtre écrites et mises en scène par Valère Novarina. A. Wiazemsky, qui écrit « la gratitude est le sentiment que j’aime le plus », se lance ensuite dans l’écriture pour transmettre « une mémoire à perpétuer, pour redonner, dit-elle, ce que j’ai reçu ». Dans ses ouvrages, en partie autobiographiques, Hymnes à l’amour (1996), Une poignée de gens (1998, Grand Prix du roman de l’Académie française) et Mon enfant de Berlin (2009), d’un style élégant, sensible et sobre, elle lève le voile de la bienséance bourgeoise, retrouvant les vies romanesques et bridées de ses parents, ainsi que ses sensations d’enfant choyée mais entourée de secrets de famille. Plus tard elle évoque ses débuts avec R. Bresson dans Jeune fille (2006), et son histoire avec J.-L. Godard dans Une année studieuse (2012), hommage romantique au réalisateur, qu’elle poursuit l’année suivante avec la publication, dans Photographies, de ses propres photos des années 1967-1968. Scénariste, elle signe avec Claire Denis* (1948) la série télé US Go Home (1994), puis réalise, entre 2004 et 2007, des documentaires pour la télévision, dont Mag Bodard, un destin et Danielle Darrieux, une vie de cinéma. Elle est aux côtés de Nicole Garcia* pour la réalisation de Nicole Garcia, des ombres à la lumière (2010) dans la série Empreintes. En 1971, A. Wiazemsky s’était engagée en signant le Manifeste des 343*.

Joëlle GUIMIER

Un an après, Paris, Gallimard, 2015.

CONSTANT B., Adolphe, lu par Anne Wiazemsky, Paris, Des femmes-Antoinette Fouque, « Bibliothèque des voix », 1991.

WICHIENCHAROEN, Khunying Kanitha [THAÏLANDE 1920 - ID. 2002]

Avocate, militante de la cause des femmes et bouddhiste thaïlandaise.

Issue de la grande aristocratie thaïlandaise, Khunying Kanitha se sensibilise très tôt aux problèmes sociaux et à la condition des femmes. Conseillère juridique à l’Organisation des Nations unies, consultante et responsable juridique dans diverses missions de coopération et de développement ainsi que dans l’industrie pétrolière, elle devient en 1961 présidente de la Women’s Lawyers’Association et jouera un rôle central dans l’adoption de lois d’égalité pour les femmes thaï. Dévouée corps et âme à défendre celles-ci contre l’exploitation et les discriminations, elle se lance dans le combat contre la prostitution, véritable fléau national qui touche près d’une femme sur dix, et pour l’accès de toutes à l’éducation et à un vrai travail. Indéfectiblement aux côtés des plus démunies, elle cofonde en 1974, l’Association for the Promotion of the Status of Women (APSW) puis crée l’Emergency Home for Women and Children in Distress, premier centre d’accueil et d’hébergement pour les femmes et les enfants en détresse, qui recevra en quelque trente ans plus de 50 000 femmes et enfants de tout le pays. Son action lui vaut le titre honorifique de Khunying décerné par le roi de Thaïlande. Grâce à son leadership, l’APSW multiplie les initiatives : création d’un complexe médico-social, d’une nurserie, d’une clinique pour les femmes enceintes et les jeunes mères, pour celles atteintes du VIH, d’un centre de formation professionnelle, d’un institut de recherche sur le genre, d’un gymnase, autant de lieux qui existent encore à ce jour. En 1993, à 73 ans, elle choisit la vie moniale et se fait ordonner mae chii au Sri Lanka. Il n’y a pas en Thaïlande d’ordre officiel pour les nonnes. Contrairement aux moines qui bénéficient de la gratuité de l’école et de subsides du gouvernement, celles qui choisissent la voie religieuse n’ont aucune reconnaissance et sont de statut inférieur. Ce sera le dernier combat de Khunying Kanitha, depuis le cottage mae chii qu’elle a créé dans l’enceinte de l’APSW : après cinq années d’efforts, elle est autorisée à créer le premier collège universitaire bouddhiste pour les filles (Mahapajapati Theri College) qui formera des nonnes éduquées et socialement engagées pour l’amélioration du statut de l’ensemble des femmes. En 1996, elle se mobilise pour l’adoption d’une loi légalisant le statut des mae chii, loi qui sera rejetée en 2003, sans doute du fait de sa récente disparition. L’œuvre de cette grande figure tutélaire est cependant toujours vivante, prolongée par l’action de l’association qu’elle a créée.

Michèle IDELS

WICOMB, Zoë [NAMAQUALAND 1948]

Écrivaine sud-africaine.

Zoë Wicomb est une des voix les plus importantes parmi les auteures du continent africain. Elle a grandi dans une petite réserve Griqua près de la ville de Van Rhynsdorp, au nord du Cap, où son père était instituteur. Bien que l’afrikaans ait été la langue dominante, ses parents ont insisté pour qu’elle apprenne l’anglais. Elle est allée à l’université du Cap Ouest (UWC), à l’époque réservée aux « gens de couleur ». Elle a poursuivi des études supérieures en Angleterre et est devenue professeure à l’université de Strathclyde à Glasgow, en Écosse. Elle cite le mouvement féministe et le mouvement de Black Consciousness comme des influences cruciales sur son développement intellectuel. Son premier livre, Une clairière dans le bush (1987), est une série de nouvelles liées les unes aux autres qui forment une sorte de roman d’apprentissage. Les nouvelles contiennent des passages fouillés sur les différences de genre par rapport au pouvoir du regard, la politique des coiffures africaines, les nuances des oppressions différentielles, et la façon dont les nationalismes masculins (même ceux qui sont supposés être libérateurs) trahissent les femmes. L’esthétique du livre est souvent moderne, avec une écriture très consciente, attentive, une imagerie récurrente, une ironie copieuse, et beaucoup de non-dits. Le deuxième livre de Z. Wicomb, David’s Story (« l’histoire de David », 2000), son projet le plus ambitieux et le plus audacieux, met en question le récit national triomphant de l’ANC de Nelson Mandela. David Dirkse, un combattant intelligent et courageux de l’ANC, se tue de façon spectaculaire en sautant du sommet de Chapman’s Peak, à la sortie du Cap, au moment même où un Mandela fraîchement libéré donne un discours triomphal à une foule enthousiaste au centre-ville. Le contrepoint narratif de David est une combattante nommée Dulcie, personnage qui n’est jamais complètement représenté et qui demeure énigmatique. Elle souffre de tortures chaque nuit, infligées par des hommes en uniformes noirs, sans qu’il soit possible de distinguer s’il s’agit d’agents de l’apartheid ou de l’ANC. Mais David’s Story n’est pas vraiment l’histoire de David : l’histoire est écrite par une femme sans nom qui admet modifier l’histoire que David souhaitait qu’elle raconte. Faisant allusion à des événements réels de l’histoire sud-africaine, son récit incertain s’ouvre sur une mise en abîme de patriarches fous obsédés par la pureté raciale et qui croient parler au nom du peuple élu de Dieu. Le résultat est une sorte de parodie postmoderne d’efforts de proportion biblique pour stabiliser une identité « colorée » en Afrique du Sud, qui parodie également la marche des mormons en Utah, le mythe afrikaner des colons blancs dans leurs chariots couverts, et les romans racistes de l’écrivaine sud-africaine Sarah Gertrude Millin (1889-1968). C’est aussi une réflexion sur le récit national hégémonique de l’ANC qui se met en place au moment de la mort de David. Le livre a reçu le prix Noma pour le meilleur livre publié en Afrique. Des vies sans couleur (2006) mesure l’impact de la « nouvelle » Afrique du Sud en suivant Marion, agent touristique coincée qui déteste voyager. Une image de la commission Vérité et réconciliation stimule un souvenir qui va perturber la tranquillité superficielle de Marion de façon douloureuse. The One That Got Away (« celui qui s’est échappé », 2008) est un recueil de nouvelles situées entre Le Cap et Glasgow, avec des révélations surprenantes, souvent parce que le texte s’attache de près à des personnages généralement marginalisés et réduits au silence. Z. Wicomb a également produit une œuvre de critiques littéraires et culturelles excellente, qui comprend des essais sur Bessie Head*, Alice Walker* et Toni Morrison* pour la South African Review of Books et Current Writing dans les années 1980 et 1990 ainsi que sur les femmes et le nationalisme, parues dans Critical Fictions.

Charles J. SUGNET

Une clairière dans le bush (You Can’t Get Lost in Cape Town, 1987), Paris, Le Serpent à plumes, 2000 ; Des vies sans couleur (Playing in The Light, 2006), Paris, Phébus, 2008.

« Tracing the path from national to official culture » et « An author’s agenda », in MARIANI P. (dir.), Critical Fictions : The Politics of Imaginative Writing, Seattle, Bay Press, 1991 ; David’s Story, New York, Feminist Press, 2000 ; The One That Got Away, Johannesbourg, Umuzi, 2008.

WIEDER-ATHERTON, Sonia [SAN FRANCISCO 1961]

Violoncelliste française.

Violoncelliste au très large répertoire reflétant son imaginaire foisonnant qui la conduit à renouveler continuellement l’art de l’interprétation et la programmation de ses concerts, musicienne recherchée par les compositeurs, Sonia Wieder-Atherton occupe une place à part dans le monde musical contemporain. Elle fait ses études au Conservatoire national supérieur de musique de Paris avec Maurice Gendron et Jean Hubeau, pour la musique de chambre. Elle travaille aussi avec Mstislav Rostropovitch, puis deux ans au conservatoire Tchaïkovski de Moscou avec Natalia Chakhovskaïa. En 1986, elle est lauréate du concours de violoncelle Mstislav-Rostropovitch à Paris. Dès lors, elle joue en soliste avec l’Orchestre de Paris, les Orchestres national de France, national de Belgique, philharmonique de Liège, philharmonique d’Israël, Gulbenkian de Lisbonne, de chambre de Lausanne, philharmonique du Luxembourg, et est régulièrement invitée par les grands festivals internationaux. En musique de chambre, elle se produit avec les pianistes Imogen Cooper, Elisabeth Leonskaja, Jean-Claude Pennetier, Laurent Cabasso, Georges Pludermacher et Bruno Fontaine, les violonistes Raphaël Oleg et Sylvia Marcovici, l’altiste Gérard Caussé, la percussionniste Françoise Rivalland. Quantité de compositeurs lui dédient leurs œuvres, comme Henri Dutilleux, Georges Aperghis, Pascal Dusapin, Wolfgang Rihm, Betsty Jolas, Ivan Fedele. Elle est invitée partout dans le monde pour interpréter ses propres concerts qu’elle met elle-même en espace et dont elle crée la dramaturgie, concerts qu’elle présente aussi dans des lieux tels que l’Opéra-Comique, la Cité de la Musique, le théâtre de la Ville, les Opéras de Houston et de Dortmund. Elle a fondé l’Ensemble Niguna avec lequel elle donne des programmes qu’elle conçoit elle-même. En 2013, elle met en scène Danses nocturnes, une projection musicale de la poésie de Sylvia Plath* récitée par Charlotte Rampling*.

Bruno SERROU

WIEGMANN, Karoline VOIR WIGMAN, Mary

WIERZBICKA, Anna [VARSOVIE 1938]

Linguiste polonaise.

Après des études en Pologne, où elle soutient sa thèse devant l’Académie des sciences, puis à Moscou et aux États-Unis (1966-1967), Anna Wierzbicka part pour l’Australie en 1972, où elle devient professeure de linguistique en 1989, à l’Université nationale australienne. Ses recherches portent sur la sémantique, mais aussi sur les relations entre langage et culture. Auteure de nombreux ouvrages, elle est surtout connue pour ses travaux menés en sémantique et en pragmatique. Elle est à l’origine du natural semantic metalanguage, dont l’enjeu principal consiste à réduire l’appréhension des concepts au moyen de termes clés les représentant. Ses recherches lui ont valu plusieurs distinctions, parmi lesquelles le prix Humboldt pour ses recherches en sciences humaines.

Thomas VERJANS

Semantic Primitives, Francfort, Athenäum, 1972 ; Lingua Mentalis, Sydney, Academic Press, 1980 ; Semantics, Culture and Cognition, Oxford, Oxford University Press, 1992 ; Semantics, Primes and Universals, Oxford, Oxford University Press, 1996 ; Emotions Across Languages and Cultures, Cambridge, Cambridge University Press, 1999.

WIESENTHAL, Grete [VIENNE 1885 - ID. 1970]

Danseuse et chorégraphe autrichienne.

Fille aînée du peintre académique Franz Wiesenthal, Grete Wiesenthal étudie à l’école du ballet de l’Opéra impérial de Vienne et entre en 1901 dans le corps de ballet où la rejoint sa sœur Elsa. En dépit de leur succès, les deux sœurs quittent la compagnie en 1907. Marquées par la venue d’Isadora Duncan* en 1902 à Vienne, elles forment avec leur troisième sœur Bertha un ensemble indépendant, donnent en 1908 leur premier récital au tout nouveau cabaret La Chauve-souris, et tournent en Autriche, Allemagne, Russie, Hongrie et Tchécoslovaquie, séduisant le public sans provoquer de controverses analogues à celles rencontrées par I. Duncan à ses débuts. Leurs chorégraphies, qui revisitent les musiques de valse, expriment l’esprit de la Sécession viennoise : une danse joyeuse et légère, toute en courbes fluides et un brin érotique. À partir de 1910, Grete poursuit sa route en solo et se produit régulièrement dans des tournées qui l’amènent jusqu’à New York. Auteure en 1930 de la chorégraphie et du livret de Der Taugenichts in Wien (« le bon à rien de Vienne »), ballet-manifeste créé à l’Opéra de Vienne, elle poursuit la voie chorégraphique après ses adieux à la scène en fondant entre 1939 et 1956 deux compagnies, le Wiener Kammertanz Ensemble et le Grete Wiesenthal Ensemble. Artiste polyvalente, elle est soutenue par de nombreux cercles : Diaghilev et Nijinski envisagent de l’inviter aux Ballets russes ; Rilke lui dédicace des poèmes ; Hugo von Hofmansthal écrit pour elle Amor und Psyche et Das fremde Mädchen ; Max Reinhardt lui confie des rôles (Le Songe d’une nuit d’été, 1909) ou les pantomimes de ses mises en scène (La Chauve-souris, Paris, 1933) ; le milieu du cinéma muet la fait tourner régulièrement. Le festival de Salzbourg l’engage comme chorégraphe de 1930 à 1959 (Jedermann, 1952 ; Don Giovanni, 1953). De façon générale, le monde du théâtre musical voit dans ses recherches sur la pantomime une alternative intéressante au ballet. Elle développe également un travail pédagogique dans l’école qu’elle ouvre à Vienne en 1927, puis parallèlement au Département de danse de l’Académie de musique de Vienne, dont elle prendra la direction entre 1945 et 1952. Accordant un rôle central à l’intuition spirituelle et psychologique, elle élabore une technique qui valorise un corps naturel, libéré des tendances formalistes du classique, et s’appuie sur de nombreux exercices de balancement, sauts et tours. L’Opéra national de Vienne est aujourd’hui dépositaire d’une partie de sa mémoire. Les cours de « technique Wiesenthal » sont intégrés au cursus de formation de l’école de danse et plusieurs de ses œuvres font partie du répertoire du ballet.

Laure GUILBERT

Die ersten Schritte. Aus dem Leben einer Tänzerin, Vienne, Agathon, 1947 ; Roman einer Tänzerin, Vienne, Amandus, 1951.

FIEDLER L. M., LANG M., Grete Wiesenthal : Die Schönheit der Sprache des Körpers im Tanz, Salzbourg, Residenz, 1985.

WIETHÜCHTER, Blanca [LA PAZ 1947 - COCHABAMBA 2004]

Poétesse bolivienne.

Considérée comme l’une des plus grandes poétesses boliviennes du XXe siècle, Blanca Wiethüchter a écrit un seul roman, El jardín de Nora (« le jardin de Nora », 1998). Il évoque notamment la culture allemande dans laquelle elle a baigné étant enfant en raison de ses origines familiales. Cette influence germanique a fait d’elle une exilée dans son propre pays. Dans le champ académique, elle occupe la chaire de littérature à l’université de La Paz, qu’elle dirige ensuite. Promotrice de la littérature, elle oriente toute une nouvelle génération de poètes, notamment en créant et en dirigeant l’importante maison d’édition Ediciones del Hombrecito Sentado. Elle a collaboré aux revues Hipotesis et Piedra Iman, et a été rédactrice du supplément littéraire La Hormiga Eléctrica. Également essayiste et critique, elle a publié avec Alba Paz Soldán Hacia una historia crítica de la literatura en Bolivia (2002), qui a modifié la lecture de l’histoire de la littérature en Bolivie. Le style biographique très particulier de B. Wiethüchter se révèle dans les ouvrages qu’elle a consacrés au poète Jaime Sáenz (Memoria solicitada, 1989) qui a quant à lui illustré ses premiers recueils, à l’aquarelliste bolivien Ricardo Pérez Alcalá, et à son époux, le compositeur Alberto Villalpando. Parmi sa vaste production poétique, on peut mentionner Asistir al tiempo (« assister au temps », 1975) et La piedra que labra otra piedra (« la pierre qui laboure une autre pierre », 1999). Ses vers font partie des plus vigoureux de la poésie bolivienne. Elle est d’ailleurs la seule femme à figurer dans la remarquable anthologie Casa de luciérnagas, antologia de poetas hispanoamericanas de hoy, de Mario Campaña (2007). Les critiques distinguent deux moments dans son œuvre poétique. Le premier explore le monde extérieur, où dominent la terre, l’enracinement, la montagne et la ville ; de belles pages sont consacrées à son émerveillement devant sa ville natale, La Paz. Le second, plus intime et profond, part à la recherche de l’identité féminine de cette « autre » qui écrit et dont elle devra se détacher pour la saisir à travers le langage. Marcelo Villena a réuni des essais et des travaux sur son œuvre dans Blanca Wiethüchter, el lugar del fuego.

Virginia AYLLÓN

VILLENA M. (dir.), Blanca Wiethüchter, el lugar del fuego, La Paz, Editorial Gente Común, 2004.