GABE, Dora [HARMANLĂK, AUJ. DOBRIČ 1886 - SOFIA 1983]
Poétesse bulgare.
Née dans une famille cultivée d’immigrés juifs ukrainiens, Dora Gabe fait des études de lettres françaises à Genève puis à Grenoble, enseigne le français dans sa ville natale et traduit de nombreuses œuvres depuis le français, le tchèque, le polonais, le russe et le grec, langues apprises au fil de ses nombreux voyages. Le public bulgare lui doit, entre autres, des traductions de Nezval, de Čapek, de Mickiewicz, de Sienkiewicz, de Giono, de Ritsos. Encouragée par son mari, le critique littéraire Bojan Penev, ainsi que par le célèbre poète Pejo Javorov (1878-1914), membre du cercle Misăl dont elle se rapproche, elle est l’auteure du recueil de poèmes Temenugi (« violettes »), paru en 1908. La réception qui lui est faite témoigne de ce qui est attendu, au début du XXe siècle, d’une femme poète : la critique se réjouit qu’elle n’ait pas été influencée par les tendances modernistes de l’époque et goûte particulièrement la nostalgie tranquille qui émane de ses vers. Le ton n’est pas celui de la rébellion, à la différence de sa contemporaine Elisaveta Bagrjana*, qui sera à la fois son amie et sa concurrente : sur un registre lyrique et intime, une jeune fille confie son aspiration à l’amour et au bonheur d’aimer et d’être aimé, sa souffrance, sa solitude et sa nostalgie pour la Dobrudža, cette région du nord-est disputée entre la Bulgarie et la Roumanie, où la poétesse a grandi et à laquelle elle consacre un recueil en 1928, Zemen păt (« chemin terrestre »). Le poème « Lunatička » (« lunatique »), publié en 1932, longue promenade nocturne dans Sofia endormie, laisse percer une tristesse poignante face à la souffrance d’autrui dans le contexte social et politique tendu de l’époque. Si elle n’échappe pas aux impératifs de la littérature socialiste, avec le recueil Vela (1946) à la gloire des partisans, elle retrouve, après s’être réfugiée dans l’écriture pour enfants, les thématiques intimistes qui lui sont propres, comme dans le recueil Počakaj, slănce (« attends, soleil », 1967), au verbe simplifié à l’extrême, et imprégné de l’attente inquiète de la mort. Dans les années 1940-1950, elle participe activement à la vie littéraire bulgare par ses poèmes et ses critiques publiées dans les revues culturelles, et par ses essais, ses contes et ses poèmes pour enfants (Našite sărčica, « nos petits cœurs », 1957) dans les journaux destinés aux femmes. Elle participe en 1926 à la fondation du Pen Club bulgare qu’elle préside durant quinze ans et qu’elle représente lors des congrès internationaux. De 1947 à 1950, elle est attachée culturelle à l’ambassade bulgare de Varsovie. Parmi ses derniers recueils de poésie, citons Nevidimi oči (« yeux invisibles », 1970) et Svetăt e tajna (« le monde est une énigme », 1982).
Marie VRINAT-NIKOLOV
■ NIKOLČINA M., Rodena ot glavata, Sofia, Semarš, 2002 ; SARANDEV I., Kniga za Dora Gabe, Sofia, Bălgarski Pisatel, 1974.
GABOUDIKIAN, Silva [EREVAN 1919 - ID. 2006]
Poétesse et essayiste arménienne.
Silva Gaboudikian est née dans une famille originaire de Van (Turquie). Son éducation, sa vie et son œuvre se confondent avec l’histoire de l’Arménie soviétique. Dans le système de consécration littéraire existant en URSS, S. Gaboudikian a été la poétesse la plus populaire et la plus honorée d’Arménie. Un poème publié dans le journal des Pionniers la révèle en 1933. Elle est admise à la faculté de philologie d’Erevan dans la tourmente de l’année 1936. Un mariage d’amour, suivi d’une rupture avec le poète Hovahnnès Chiraz, et la naissance d’un fils retardent la fin de ses études (1941). Son premier recueil de poèmes est édité en 1942. Elle étudie ensuite la littérature à l’Institut Maxime Gorki de Moscou (1949-1950) et se plie à la discipline du parti communiste et au rappel à l’ordre des intellectuels et des artistes soviétiques (1949). Sa carrière est impressionnante : membre du parti communiste, de l’Union des écrivains, députée du Soviet suprême d’Arménie, académicienne, représentante du pays dans les grandes manifestations moscovites. Autorité morale en Arménie et carte maîtresse dans les relations avec la diaspora après le dégel, elle est écrivaine officielle au cours de voyages au Proche-Orient, en France, au Japon et outre-Atlantique. Couverte de décorations en Arménie, comme en Géorgie et en Russie, elle a été traduite en une vingtaine de dialectes russes, en langues des démocraties populaires, mais aussi en anglais, français, italien et espagnol. Quantitativement son œuvre est colossale : près d’une trentaine d’ouvrages de poésie, auxquels s’ajoutent des nouvelles, des chroniques littéraires, des traductions, des pièces de théâtre et des interventions radiophoniques. Elle a su adapter le fond et la forme de sa poésie polymorphe aux exigences du régime soviétique et contourner les écueils politiques en se réfugiant périodiquement dans la littérature pour enfants. Ni nihilisme verbal, ni gratuité ludique dans la composition de ses œuvres versifiées, très souvent déclamatoires, mais une sacralisation de la langue arménienne qui lui confère le statut d’auteure classique dans les manuels scolaires et les anthologies arméniennes et soviétiques. Au service de l’Arménie soviétique, lieu de renaissance du peuple arménien, elle a reçu, en retour, les honneurs et des revenus garantis par d’importants tirages de ses livres. Sa conscience, nourrie de ses rapports à la nature, ses premiers élans du cœur, son appartenance à un peuple et sa solitude à l’âge mûr ont longtemps favorisé le partage d’une expérience intime avec ses lecteurs. En 1965, elle est dépassée par la liesse populaire à Erevan, lors de la commémoration du cinquantenaire du génocide arménien, par la montée de la génération des années 1960 et par la dissidence. Elle s’insurge ouvertement dans la presse et à l’Union des écrivains contre la nuée de scories souillant la langue arménienne. Lorsqu’éclatent le mouvement du Haut-Karabagh et le pogrom de Soumgaït (Bakou, 1988), elle prend position en faveur des Arméniens du Haut-Karabagh contre l’Azerbaïdjan. Elle se rend à Moscou avec Zori Balayan pour demander à Gorbatchev le rattachement de ce territoire à l’Arménie. Le séïsme de Léninagan (Gumri, 1988) et ses conséquences désastreuses, ainsi que la radicalisation du mouvement du Karabagh, la poussent au retrait. L’indépendance arménienne et la disparition de l’URSS, son bouclier protecteur contre la Turquie, sont des réalités qu’elle n’a pas souhaitées (1991). Le blocus de l’Arménie et son effondrement économique, causes de l’émigration massive de sa population dressent l’écrivaine contre la nouvelle classe politique. Malgré son âge avancé et jusqu’à sa mort, elle continuera à écrire articles et poèmes et à dénoncer publiquement l’incapacité ou la corruption des dirigeants, la misère du peuple, le départ des jeunes, l’effondrement de la culture, mais aussi à justifier son passé et celui de ses amis disparus (Vértchin Zank, « dernier carillon »). Elle est inhumée au Panthéon d’Erevan, un simple jardin public. Parmi ses œuvres figurent Oréri hèd (« avec les jours », 1945), Im harazdnère (« mes parents », 1953), Im étche (« ma page », 1970) et l’un de ses derniers ouvrages, Yote dasniak dari (« soixante-dix ans », 2006).
Anahide TER-MINASSIAN
■ BELBOULIAN L., Jamanak yév démkér, Erevan, Zanggak-97, 2001.
GABOURY-DIALLO, Lise [WINNIPEG 1957]
Écrivaine franco-canadienne.
Née de parents créateurs – sa mère est céramiste et son père, architecte renommé –, Lise Gaboury-Diallo grandit à Saint-Boniface, ville franco-manitobaine. Elle suit des études supérieures à la Sorbonne et sera notamment rédactrice en chef des Cahiers franco-canadiens de l’Ouest, de 1988 à 1991. Poétesse et dramaturge, elle écrit depuis longtemps déjà lorsque paraît, en 1999, Subliminales, son premier recueil de poésie. Elle partage dès lors son temps entre le travail universitaire et l’écriture littéraire : en témoigne la publication subséquente de Transitions (2002) et du recueil de pensées Poste restante, cartes poétiques du Sénégal (2005). Louée pour sa voix poétique d’une grande humanité, elle reçoit pour Homestead, poèmes du cœur de l’Ouest (2005) le prix littéraire Radio-Canada en poésie française dont elle est la première lauréate non québécoise.
Sandrina JOSEPH
GABRIEL XIQUÍN, Calixta [CHIMALTENANGO 1956]
Poétesse guatémaltèque.
Calixta Gabriel Xiquín est une écrivaine de langue maya. Au cours de la guerre civile du Guatemala, trois de ses frères sont enlevés et assassinés ; elle doit alors se réfugier aux États-Unis de 1981 à 1988. En 1996, elle publie son premier recueil de poèmes, Hueso de la Tierra (« os de la terre »). En 2000, elle obtient le diplôme de travailleur social à l’Université Rafael Landívar. Son deuxième livre, Tejiendo los sucesos en el tiempo (« en tissant les événements dans le temps »), fait un portrait des préoccupations de l’écrivaine, qui aborde les différentes problématiques indigènes, et tout particulièrement celles du peuple maya. C’est pourquoi les figures qu’elle utilise chiffrent l’univers selon un code qui trouve ses références dans de nombreux symboles de la culture maya. Sa voix poétique s’imprègne du sens de la terre et exalte les racines. Les allusions au sentiment d’appartenance sont fréquentes et expriment une douleur liée soit à l’éloignement, soit à la perte. Même si sa poésie montre, par le biais de différentes thématiques, la cruauté dans laquelle se développe la vie indigène, elle est aussi le lieu du chant qui exalte la vie dans son écoulement, et où le minuscule, le chant des oiseaux, les couleurs, la voix et la langue indigène, suspendent le temps dans le dire poétique. Un de ses traits stylistiques consiste à activer la fonction de mémoire dans l’esprit du lecteur en utilisant la répétition. Les préoccupations sociales et politiques présentes dans l’œuvre poétique de C. G. Xiquín invitent à penser un futur présenté sous le signe de l’espoir, qui appelle des résolutions de poids. Dans un cadre référentiel religieux où de multiples symboles se combinent harmonieusement, se met en place une cosmologie de l’union et de la rencontre où les distances raciales, génériques et sociopolitiques se dissolvent pour montrer l’être tel qu’il est, ainsi que son univers dévoilé.
Ingrid SOLANA
GABUS, Monique [CAMBRAI 1924 - ID. 2012]
Compositrice française.
Dès l’âge de 5 ans, Monique Gabus joue du piano et improvise, puis devient un temps l’élève de Magda Tagliaferro*. Au Conservatoire de Paris, elle travaille l’harmonie avec Jean Gallon, le contrepoint avec Noël Gallon et la composition avec Tony Aubin. De santé délicate, elle s’adonne surtout à la composition, principalement des œuvres de musique de chambre et pour piano. Elle puise son inspiration chez les poètes, Ronsard (Stances à la fontaine d’Hélène), Louise de Vilmorin* (Portrait), Rimbaud (Marin) et Rilke (Musique), chez les écrivains, Gide, mais aussi dans les documents illustrés que lui procure son père (Sur les bords du Nil, Images de Chine, Souvenir de Bavière, Stèle pour une femme indienne). Elle compose La Nuit obscure, cantate pour soprano solo, chœur et orchestre d’après un texte du grand mystique espagnol saint Jean de la Croix, qui, lors de sa création en 1961, recueille les éloges de la presse. Ses œuvres témoignent de spiritualité et de fragilité, et d’un grand sens de la mélodie, que ce soit dans la musique vocale ou instrumentale.
Michèle FRIANG
GACEMI, Baya [ANNABA 1949 - VILLEJUIF 2010]
Journaliste algérienne.
Après des études en sciences politiques et en droit international à Paris, Baya Gacemi rejoint le milieu de la presse en 1985. Son parcours professionnel commence dans l’hebdomadaire Algérie actualité, aux côtés de Tahar Djaout, l’un des premiers intellectuels algériens victime d’un attentat terroriste, en 1993. Elle intègre ensuite l’hebdomadaire L’Observateur avant de rejoindre l’équipe de La Nation. Pendant la décennie noire de guerre civile où nombre de ses confrères choisissent l’exil, elle décide de rester à Alger et témoigne de cette période dans des publications étrangères, notamment le magazine L’Express, dont elle est correspondante. De nombreux journalistes étrangers bénéficient de son aide pour leurs propres reportages, même dans les zones réputées les plus dangereuses. En 1994, elle est l’un des membres fondateurs du quotidien La Tribune, où elle exerce comme journaliste avant d’occuper le poste de directrice de la rédaction, jusqu’à la suspension du journal en 1996. Comme d’autres confrères de La Tribune, elle est condamnée à une peine de prison avec sursis. À la reprise de la parution, elle décide de quitter le quotidien pour exercer son métier en free-lance. En 1998, alors que la guerre civile bat son plein, paraît son livre témoignage, Moi, Nadia, femme d’un émir du GIA, traduit en plusieurs langues, record de vente du Salon international du livre d’Alger en 2000. Elle y rapporte l’existence d’une épouse de terroriste vivant l’engagement de son conjoint sans pouvoir le désavouer. B. Gacemi assume son engagement politique. Elle fait partie de l’équipe de campagne de Mouloud Hamrouche, candidat à l’élection présidentielle de 1999, et soutient la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme. En 2008, le Parlement algérien vote la modification de la Constitution, où figure le retrait de la limite de deux mandats présidentiels consécutifs. Elle prend alors l’initiative d’une pétition contre un troisième mandat d’Abdelaziz Bouteflika. En 2004, elle crée une publication satirique, L’Époque, mais les difficultés financières l’obligent à fermer au bout d’un an. En 2006, elle reçoit le prix international Omar-Ouartilene.
Marion PAOLI
■ Moi, Nadia, femme d’un émir du GIA, Paris, Seuil, 1998.
GACON-DUFOUR, Marie-Armande-Jeanne D’HUMIÈRES [PARIS 1753 - ID. 1835]
Écrivaine et agronome française.
Résidant à la campagne et s’illustrant par son goût pour l’agriculture et la vie rurale, elle est connue tout d’abord sous le nom de Mme d’Humières en raison de son premier mariage, mais elle publie la majorité de ses ouvrages sous celui de Mme Dufour, après avoir épousé Jules-Michel Dufour de Saint-Pathus, avocat et auteur d’ouvrages de jurisprudence. Membre de plusieurs sociétés agricoles et savantes, Mme Gacon-Dufour édite de nombreux manuels sur l’artisanat, la vie rurale et l’agriculture : un Recueil pratique d’économie rurale et domestique (1802) plusieurs fois réédité, un Dictionnaire rural et raisonné (1808) et un Dictionnaire des ménages (1822) en collaboration avec Jean-Baptiste Robinet. Femme de sciences, elle est aussi une polémiste de talent et une romancière. Dans ses fictions romanesques sentimentales (une vingtaine depuis Le Préjugé vaincu, ou Lettres de Mme la comtesse de***, paru en1787)et ses romans historiques, elle s’attache à décrire les dangers des passions et la vertu des âmes sensibles. Féministe, elle s’attire les critiques féroces des journalistes, lorsqu’elle réplique à Sylvain Maréchal Contre le projet de loi de S*** M***, portant défense d’apprendre à lire aux femmes par une femme qui ne se pique pas d’être femme de lettres (1801) et édite De la nécessité de l’instruction pour les femmes (1802).
Huguette KRIEF
■ Avec GOUGES O. de, SALM C. de, CLÉMENT-HÉMERY A. et al., Opinions de femmes, de la veille au lendemain de la Révolution française, Paris, Côté-femmes, 1989.
■ FRAISSE G., Muse de la raison, la démocratie exclusive et la différence des sexes, Aix-en-Provence, Alinéa, 1989 ; KRIEF H., « Lectrices de Rousseau dans la Querelle des dames (1786-1801) », in BROUARD-ARENDS I. (dir.), Lectrices d’Ancien Régime, Presses universitaires de Rennes, 2003.
GAD, Ami (Lolonyo Amivi Dzifa Brigitte Beauty M’BAYE, dite) [LOMÉ 1958]
Romancière togolaise.
Après son bac, Ami Gad quitte le Togo pour la France, où elle poursuit ses études. De retour au Togo après ses études, elle vit depuis 2001 aux États-Unis. Avec Étrange Héritage, publié en 1985, elle s’inscrit parmi les rares femmes togolaises à avoir publié un roman. Elle y aborde les difficultés d’une jeune femme enceinte dont l’ami, de classe sociale différente, est parti étudier en Europe. Désemparée, la narratrice doit faire face seule à son devenir.
Odile CAZENAVE
■ Étrange héritage, Lomé, NEA, 1985.
GAD, Dora (née SIEGEL) [CÂMPULUNG, Roumanie 1912 - CAESAREA, ISRAËL 2003]
Architecte d’intérieur et designer israélienne.
Étudiante à l’École technique supérieure de Vienne, Dora Gad obtint son diplôme d’ingénieure architecte en 1934. En 1936, elle épousa l’architecte Yehezkel Goldberg, avant d’émigrer avec lui en Palestine. En 1942, ils fondèrent leur propre agence, en débutant par l’aménagement intérieur de logements privés. Après la fondation de l’État d’Israël, ils devinrent les plus célèbres designers du pays. Première femme à exercer la profession d’architecte d’intérieur en Palestine et designer majeure en Israël, elle a su créer des aménagements uniques, exprimant de façon originale l’identité de ce pays et introduisant dans la trame moderniste de son architecture un contenu local typique, lié au climat et à la végétation, au passé et au présent, créant ainsi un mélange actualisé de tradition et d’art contemporain. L’œuvre de l’agence a participé à la création de l’image du nouvel État à travers une large gamme de projets. À Jérusalem, ils ont signé l’aménagement des résidences officielles du ministre des Affaires étrangères et du Premier ministre (1950), ainsi que celui de la Bibliothèque nationale (1956). Ils ont aussi dessiné l’agencement des navires de la compagnie maritime nationale Zim, avec l’entreprise Mansfeld-Weinraub (1955-1975), et celui de l’avion El Al Britannia. Après la mort de son mari, elle s’associa à un employé de longue date, Arieh Noy. Ils conçurent les intérieurs de nombreux projets gouvernementaux dont des bureaux et le vaisseau amiral de la flotte commerciale israélienne, le SS Shalom, en collaboration avec l’architecte Al Mansfeld (1964). Parmi leurs réalisations majeures figurent également les aménagements du bâtiment du Parlement israélien, la Knesset (1966), et celui du musée d’Israël (1965). Ce dernier projet, qui fut confié à l’agence Gad-Noy suite à un concours gagné avec A. Mansfeld, a été couronné par le Prix d’architecture d’Israël en 1966. La même année, D. Gad reçut le Regulo d’Oro, décerné chaque année par le magazine italien Domus.
Sigal DAVIDI
■ SHECHORI R., Dora Gad, the Israeli Presence in Interior Design, Tel Aviv, Architecture of Israel Quaterly, 1997.
GADET, Françoise [PARIS 1947]
Linguiste française.
Après des études de lettres modernes et une thèse en sciences du langage sous la direction de Jean Dubois, Françoise Gadet est aujourd’hui professeure de linguistique à l’université de Paris 10-Nanterre. Ses recherches se sont principalement concentrées sur la sociolinguistique qu’elle a largement contribué à développer en France. En cosignant, avec Michel Arrivé et Michel Galmiche, La Grammaire aujourd’hui (1986), F. Gadet a également offert l’un des ouvrages de référence en matière de grammaire universitaire.
Thomas VERJANS
■ Avec PÊCHEUX M., La Langue introuvable, Paris, F. Maspéro, 1981 ; Saussure, une science de la langue, paris, PUF, 1987 ; Le Français ordinaire, Paris, Armand Colin, 1989 ; Le Français populaire, Paris, PUF, 1992 ; La Variation sociale en français, Gap/Paris, Ophrys, 2003.
GADIS ARIVIA [NEW DELHI 1964]
Professeure de philosophie et journaliste indonésienne.
Après une enfance passée dans divers pays au rythme des affectations de son père au British Council, puis des études secondaires aux États-Unis, Gadis Arivia fait ses études supérieures à l’Universitas Indonesia de Jakarta, puis à Paris. Elle obtient une bourse pour suivre, en 1992-1994, les cours de Jacques Derrida à l’École des hautes études en sciences sociales. À son retour en Indonésie, chargée du cours de féminisme et de philosophie contemporaine, elle crée en 1995 une fondation et le premier journal féministe, Jurnal perempuan (« le journal des femmes »), qui sera bientôt une prestigieuse revue et dont la devise est « Lucides et égales ». En 1998, la situation sociale et politique s’aggrave, les arrestations se multiplient (elle est elle-même arrêtée après une manifestation), elle milite activement pour les droits des femmes. La revue qu’elle dirige alors pendant dix ans se partage entre textes théoriques et sujets d’actualité. En 2002, elle soutient sa thèse, Pembongkaran wacana seksis filsafat menuju filsafat berperspektif feminis (« déconstruction de la pensée sexiste dans la philosophie, perspective féministe »), dans laquelle elle montre comment la pensée masculine domine la philosophie occidentale. Elle propose de nouveaux concepts qui créent un espace pour une pensée philosophique féminine, qui libérera la philosophie elle-même. Le Jurnal perempuan crée une maison d’édition, une radio, et présente sur son site Internet des films vidéo. En 2004, désirant consacrer plus de temps à l’enseignement, à la recherche et à l’écriture, Gadis Arivia quitte la direction du journal dont elle reste cependant une des principales rédactrices. En 2007, elle a publié Women for Peace : Perempuan untuk perdamaian (« les femmes pour la paix »). Elle écrit sur différents sujets, comme l’expression de la sexualité féminine dans la littérature, l’homosexualité, le trafic des êtres humains, la justice sociale, ou la nécessité de distinguer érotisme et pornographie. Elle dénonce la loi votée en 2009 qui, sous prétexte de protéger les femmes de la pornographie, s’attaque à leurs droits élémentaires. Son premier recueil de poèmes, Yang sakral dan yang sekuler (« le sacré et le laïque », 2009) est une protestation contre le fondamentalisme religieux. Gadis Arivia est une figure majeure du monde intellectuel et de l’engagement féministe en Indonésie.
Jacqueline CAMUS
GAÉLIQUE – TRADITION ORALE
On connaît peu de choses du rôle créateur des femmes à l’ère préchrétienne gaélique ou au Moyen Âge. La fonction de fili (sorte de savant en charge de la transmission des traditions et de la littérature ancestrales) semble avoir été réservée aux hommes. Il en va de même des bardes qui racontaient les exploits et les louanges de leurs seigneurs à travers des poèmes soigneusement codifiés. Grâce aux moines, qui consacraient leur existence à recopier les mythes et les légendes celtiques dans des manuscrits magnifiquement enluminés, sont parvenues jusqu’à nous les premières épopées celtiques, comme Lebor Na Huidre (« le livre de la vache noire ») ou Lebor Laignech (« le livre de Leinster »), toutes deux du XIIe siècle. Dans ces récits, arrangés par cycles, apparaissent les personnages de Conchobar, roi des Ulaid, de Mebh (ou Maeve), reine du Connaught, les amants maudits Noísi et Deirdre, qui ressemblent aux légendaires Tristan et Iseult. Bien plus tard, les artistes irlandais en quête d’un retour aux sources de leur culture, désireux d’affirmer l’existence d’une identité nationale face à l’hégémonie anglo-saxonne, érigeront certains des personnages féminins de ces mythes et légendes en figures emblématiques de l’Irlande. Dans les poèmes nommés aislings, ou «visions », genre poétique qui se développa au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, l’Irlande apparaît ainsi au poète sous la forme d’une speirbhean, « femme de l’autre monde » qui prédit la fin imminente des malheurs de l’Irlande.
Parmi les figures féminines légendaires les plus célébrées, on peut aussi citer Caítlin Ní Houlihan, que William Butler Yeats (1885-1935) représenta sur scène en 1902, Deirdre, que le poète évoqua dans une autre pièce, ainsi que le fit John M. Synge (1871-1909) dans Deirdre of the Sorrows (1910). D’autres incarnations féminines de l’esprit de résistance irlandaise contre la domination sont utilisées depuis le XVIIIe siècle, comme « Dark Rosaleen », titre d’un poème de James Clarence Mangan (1919), tandis que la légende de « The Old Hag of Beara » (« la vieille femme de Beara ») survit à travers un poème anonyme intitulé « The Lament of the Old Hag of Beara ». Ces figures féminines ont pour point commun d’être des vieilles femmes douées d’une sagesse supérieure, qui un jour se métamorphosent pour apparaître sous les traits de jeunes femmes de grande beauté, symbolisant ainsi les souffrances endurées par l’Irlande sous le joug anglais, qui, un jour, sera régénérée par la liberté et l’indépendance.
Depuis la confiscation de leurs terres par les Anglais protestants sous les Tudors puis sous Cromwell, les Irlandais de souche accordent une importance particulière aux seanachais (« conteurs »), qui préservent oralement les coutumes ancestrales. Nul doute que des conteuses participèrent ainsi à la survie de la culture gaélique, en transmettant des contes et des légendes impliquant souvent le peuple des fées – et tout particulièrement la banshee, cette fée annonciatrice du décès prochain d’un être cher. Parmi les rôles spécialement dévolus aux femmes dans la transmission de la tradition orale, on peut parler du keening, sorte de chant poétique entonné à l’occasion d’une veillée funèbre, et évoquant la généalogie et la vie des morts, et des waulking songs, chantées par des femmes pendant qu’elles tissaient en commun.
Même si les auteurs de la renaissance celtique rendirent hommage à des personnages mythologiques féminins, il n’en reste pas moins qu’il fallut attendre l’ère contemporaine pour que des femmes écrivains s’emparent de la tradition gaélique pour la transformer et la faire revivre sous leur plume, comme le font les poétesses Biddy Jenkinson (née en 1949), Nuala Ní Dhomhnaill (née en 1952), Eithne Strong (née en 1923) ou la romancière Eìlis Ní Dhuibhne*(née en 1954).
Sylvie MIKOWSKI
GAGNEUR, Marie-Louise (née MIGNEROT) [DOMBLANS 1832 - PARIS 1902]
Journaliste et romancière française.
Épouse de Vladimir Gagneur, Marie-Louise Gagneur contribue à sa brillante carrière de son mari, député puis sénateur du Jura, ami de Jules Grévy et leader de la gauche républicaine. Elle utilise à dessein sa passion de l’écriture pour exprimer ses sympathies fouriéristes, son anticléricalisme – héritage de son éducation dans un couvent – et son indignation contre le sort que la société réserve aux femmes. Sa plume est féconde : tout au long de sa vie, elle compose nouvelles et romans, souvent publiés en feuilletons dans les journaux, avant d’être édités sous forme de livres quelques mois plus tard. Des brochures de propagande électorale républicaine destinées aux couches populaires rurales, telles que Jean Caboche à ses amis paysans (1871), Mésaventure électorale de M. le Bon de Pirouëtt (1872), La Politique au village (1874), se greffent à cette œuvre colossale. Au début de la IIIe République, elle se joint à la lutte des républicains contre les forces conservatrices et monarchiques. Dès la fin de l’Empire, ses longues nouvelles ou ses courts romans, parus dans Le Siècle et divers journaux démocrates, abordaient ses deux thèmes de prédilection : l’anticléricalisme – La Croisade noire (1866), Un chevalier de sacristie (1881), Le Roman d’un prêtre (1883), Une dévote fin de siècle (1891) –, et la revendication des droits moraux et civils de la femme – Le Calvaire des femmes (1863), Les Forçats du mariage (1870), Chair à canon (1872), Les Crimes de l’amour (1874), Les Droits du mari (1876), Le Supplice de l’amant (1888)… Si cette littérature engagée flirte avec le roman populaire, sa relecture permet de saisir, au-delà de la crudité des titres, une qualité d’écriture certaine et une volonté de défendre une morale laïque, très révolutionnaire au regard du XIXe siècle. À la fin de sa vie, M.-L. Gagneur prodigue quelques conseils à l’usage des femmes (Pour être aimée : conseils d’une coquette, secrets féminins ; Bréviaire de la femme élégante) et conclut son œuvre, en 1901, par un émouvant Droit au bonheur, Charles Fourier d’après Zola et Jaurès.
Pierre ALBERT
■ WARTELLE J.-C., « Une famille d’intellectuels de gauche au XIXe siècle, les Gagneur », in Cahiers Charles Fourier, no 12, Besançon, déc. 2001.
GAGNON, Madeleine [AMQUI 1938]
Poétesse, écrivaine et essayiste canadienne d’expression française.
La publication en 2007 des œuvres poétiques complètes de Madeleine Gagnon, À l’ombre des mots, poèmes 1964-2006, constitue la consécration d’une carrière de plus de quarante ans, vouée à la reconnaissance des femmes comme sujets dans l’histoire, et à la cause de l’écriture. Cette professeure de littérature et femme de lettres québécoise, engagée dans les années 1960-1970 contre le conservatisme catholique, la bourgeoisie capitaliste et le discours « logocentrique », agit pour favoriser l’écriture des femmes. Ainsi publie-t-elle en 1976, avec Hélène Cixous* et Annie Leclerc*, l’essai-récit La Venue à l’écriture puis, avec Denise Boucher*, Retailles (1977).
Durant ces mêmes années, elle collabore à la revue Chroniques, tout en produisant des manifestes tels que Pour les femmes et tous les autres (1974) et Poélitiques (1975), réunis en 1982 sous le titre Autographie 1, fictions. Sept ans plus tard, Autographie 2 rassemble des textes critiques placés sous le titre emblématique Toute écriture est amour. Dans Lueur (1979), œuvre hybride, l’auteure, partant de ce « corps d’elle » étrange et inquiétant, enseveli sous divers discours aliénants, fait l’archéologie de la « corporéité » féminine et propose une réflexion sur l’écriture comme moyen de « fil(l)iation ». Cette interrogation marque par la suite une voix lyrique, souvent mêlée de récit (Les Fleurs du Catalpa, 1986) ou de mise en fiction de soi, comme dans Les Cathédrales sauvages (1994) ou Mémoires d’enfance (2001). Toujours aux aguets quant à l’actualité politique et sociale de son pays, M. Gagnon contribue à une prise de conscience sur Les Femmes et la Guerre (2000), sous forme de témoignages de femmes victimes de la guerre aux quatre coins du monde.
Andrea OBERHUBER
■ Antre, Montréal, Les Herbes rouges, 1975 ; Je m’appelle Bosnia, Montréal, VLB, 2005.
■ SANTORO M., Mothers of Invention, Feminist Authors and Experimental Fiction in France and Quebec, Montréal/Kingston, McGill/Queen’s University Press, 2002.
GAHSE, Zsuzsanna (née VAJDA) [BUDAPEST 1946]
Écrivaine suisse.
D’origine hongroise, Zsuzsanna Gahse et ses parents émigrent en Autriche après l’insurrection hongroise de 1956. Elle va au lycée à Vienne, où elle se familiarise avec la langue allemande, et passe son baccalauréat à Cassel (Allemagne). D’abord installée en Allemagne, elle écrit et vit maintenant à Müllheim, en Suisse. Elle publie ses premiers textes en 1969. Helmut Heissenbüttel, un écrivain qui fait des expériences avec le matériel linguistique, compte parmi ses mentors littéraires. Ses œuvres sont marquées à la fois par la rigidité formelle et par la tendance à l’expérimentation ludique de la langue. Ses nombreuses nouvelles mettent en avant l’empirique, la perception auditive et visuelle, en évitant les aspects spéculatifs. Ses recueils de prose, Durch und durch (« la traversée », 2004) et Instabile Texte (« textes instables », 2005), sont assujettis à la perception sensuelle directe. Le vu et l’entendu, les perspectives et les bruits rendent la langue éminemment poétique. Le thème de la migration ne domine toutefois pas son œuvre ; dans son essai Kleine instabile Ortskunde (« petite géographie instable »), la migration se dissout en jeux de mots et dans les identités variables de l’émigrée perpétuelle (Instabile Texte). L’œuvre de Z. Gahse a été récompensée par plusieurs prix, dont le prix de la fondation Schiller suisse (2004) et le fameux prix Adelbert-von-Chamisso (2006). Elle a enseigné à l’université de Tübingen de 1989 à 1993 et a donné un cours sur la poétique à l’université de Bamberg en 1996. Elle a en particulier traduit des œuvres de Peter Esterházy.
Christian VON ZIMMERMANN
■ Logbuch/Livre de bord, Lausanne, Éditions d’en bas, 2007 (éd. bilingue).
■ SOŚNICKA D., Den Rhythmus der Zeit einfangen, Erzählexperimente in der Deutschschweizer Gegenwartsliteratur, Wurzbourg, Königshausen & Neumann, 2008.
GAIL, Sophie (née GARRE) [PARIS 1775 - ID. 1819]
Compositrice française.
Fille de Claude-François Garre, docteur en médecine et chirurgien particulier du roi, anobli en 1785, et d’Adélaïde Colloz, une aristocrate qui avait reçu, aux dires de son mari, « une instruction au-dessus de son sexe », Sophie Garre bénéficie dès son plus jeune âge d’un milieu très porteur où la pratique et l’écoute musicales tiennent une grande place. Elle apprend le piano et le chant, comme toute jeune fille de son milieu, tout en pratiquant déjà l’improvisation et la composition : elle aurait publié des romances dès 1790. Elle épouse en 1795 un érudit helléniste, Jean-Baptiste Gail, son aîné de trente ans, et met au monde la même année son premier fils ; les époux divorcent en 1801. Héritière des salonnières de l’Ancien Régime, S. Gail mène une vie libre ; trois autres fils, de trois pères différents, naîtront entre 1800 et 1805. Sa fortune familiale n’ayant pas résisté aux tourbillons de la Révolution, elle met à profit ses talents de pianiste et de cantatrice pour assurer sa subsistance et se produit en concert en France et en Espagne. Elle publie aussi des romances et compose des airs pour une pièce de théâtre, ainsi qu’un opéra en un acte destiné à un théâtre de société, un ouvrage qui a disparu mais qui fut notamment remarqué par le compositeur Étienne-Nicolas Méhul. Elle décide alors d’approfondir sa formation à l’écriture musicale en suivant des cours d’harmonie et de contrepoint avec les compositeurs François-Joseph Fétis, François-Louis Perne et Sigismund Neukomm. Très liée avec le compositeur Henri-Montan Berton, elle pourrait aussi avoir bénéficié de ses conseils. On mentionne également les compositeurs Charles-Simon Catel et Ferdinando Paër parmi ses professeurs. Dans la première décennie du XIXe siècle, S. Gail acquiert une grande réputation comme compositrice de romances. F.-J. Fétis signalera plus tard, dans la longue notice qu’il lui consacrera dans sa Biographie universelle des musiciens, la « manière originale » de ses romances et le fait qu’elles ont été imitées, mais « avec moins de bonheur ». Certaines furent de grands succès, comme N’est-ce pas d’elle ? , Vous qui priez, priez pour moi et L’Heure du soir. Tout en continuant à enrichir ce répertoire, elle se tourne vers le théâtre lyrique et donne le 27 mars 1813 au théâtre de l’Opéra-Comique un opéra-comique en un acte, Les Deux Jaloux, sur un livret de Jean-Baptiste-Charles Vial. S. Gail devient ainsi la troisième compositrice à avoir accès à cette institution, après Mlle Le Sénéchal de Kercado en 1805 et Julie Candeille* en 1807. Son ouvrage est un grand succès dès sa création et restera au répertoire de ce théâtre jusqu’en 1839, totalisant plus de 300 représentations. Il sera repris dans de nombreux théâtres de province, ainsi qu’à Bruxelles, Lausanne et La Haye. Si le livret, une critique intemporelle de caractères, concourt à son succès, la musique, où l’on décèle l’influence de compositeurs comme Gluck, Cimarosa et Mozart, est unanimement saluée par la critique. Ses deux ouvrages suivants, également créés au théâtre de l’Opéra-Comique, Mademoiselle de Launay à la Bastille (1813) et La Méprise (1814), sont des échecs, comme Angela ou l’Atelier de Jean Cousin (1814), une collaboration avec le compositeur François-Adrien Boieldieu. Elle renoue avec le succès lors de la création au théâtre de l’Opéra-Comique, le 2 avril 1818, de La Sérénade, son dernier ouvrage, sur un livret de Sophie Gay*, la romancière amie de Balzac et mère de Delphine de Girardin*. Elle travaillait à de nouveaux ouvrages lyriques lorsqu’elle succombe à une maladie pulmonaire le 24 juillet 1819, à l’âge de 43 ans. Adrien de La Fage la saluait encore en 1847 comme « la seule compositrice qui ait obtenu au théâtre un véritable succès ».
Florence LAUNAY
■ FÉTIS F.-J., Biographie universelle des musiciens, t. 3, Paris, Firmin Didot, 1869 ; LAUNAY F., Les Compositrices en France au XIXe siècle, Paris, Fayard, 2006.
GAILHOUSTET, Renée [ORAN 1929]
Architecte française.
Renée Gailhoustet est l’une des rares femmes de sa génération à s’être imposée dans le milieu de l’architecture, avec une œuvre originale qui comprend essentiellement des logements sociaux en banlieue parisienne. Après avoir obtenu une licence de philosophie à la Sorbonne, elle décide, en 1952, d’intégrer l’atelier extérieur de Marcel Lods à l’École des beaux-arts. C’est là qu’elle rencontre celui qui sera son compagnon de vie et de travail durant quinze ans, l’architecte Jean Renaudie (1925-1981). Diplômée en 1961, elle est engagée dans l’agence de Roland Dubrulle (1907-1983), qui lui confie la restructuration du centre-ville d’Ivry-sur-Seine, dont elle deviendra l’architecte en chef en 1969, et elle fonde sa propre agence en 1964. Ses premiers projets dans cette ville sont marqués par la doctrine corbuséenne ou la pensée Corbusier, en particulier par le principe de l’habitat Citrohan en semi-duplex, comme la tour Raspail (1963-1968), la tour Lénine (1966-1970) ou l’ensemble Spinoza (1966-1972). En 1969, avec Renaudie, elle remet en cause la doctrine corbuséenne et réfléchit à une nouvelle manière d’habiter, en marge de la production contemporaine, du grand ensemble et du zoning, imaginant des ensembles à échelle humaine dans lesquels cohabitent logements, commerces, bureaux, centres culturels et terrasses-jardins. Développées à partir d’une trame réinventée (hexagonale ou triangulaire), ces constructions pyramidales en gradins anguleux s’enchevêtrent dans des effets de volumes et de porte-à-faux spectaculaires. L’ensemble évoque la nature complexe de la ville. La végétation y tient une place essentielle, débordant des terrasses privatives et collectives où se rencontrent les habitants-villageois. Les architectes refusent le logement standard et privilégient un plan « quasi aléatoire » (selon Bénédicte Chaljub) : chaque logement du Liégat (1971-1982) ou du Marat (1971-1986) à Ivry-sur-Seine, de la Maladrerie à Aubervilliers (1975-1986) ou de l’îlot 8 à Saint-Denis (1977-1986) est différent. R. Gailhoustet poursuit ses recherches à Gentilly (1985-1993), à Romainville (1985-1994) et à La Réunion, où elle réalise deux ensembles de logements en terrasses particulièrement adaptés à l’environnement et au climat. À l’instar du collège Jean-Jaurès à Montfermeil (1989-1993), les constructions de Villetaneuse (1993-1996) sont conçues selon une trame semi-circulaire et sur un principe d’étagement des volumes. Professeure à l’École spéciale d’architecture entre 1973 et 1975 puis à l’École d’architecture de Paris-Belleville, elle ferme son agence à la fin des années 1990. Parallèlement à sa pratique, elle a signé ouvrages et articles ; on trouve ses archives aux Archives d’architecture du XXe siècle et au Fonds régional d’art contemporain (FRAC).
Élise KOERING
■ Éloge du logement, Paris, M. Riposati, 1993 ; Des racines pour la ville, Paris, Éditions de l’épure, 1998.
■ CHALJUB B., La Politesse des maisons. Renée Gailhoustet, architecte, Arles, Actes Sud, 2009 ; VAYSSIÈRE B. (dir), Architectes repères, repères d’architectures, 1950-1975, Paris, Pavillon de l’Arsenal, 1998.
GAILLARD, Marie-Anne VOIR VILLARD, Nina
GAINSBOURG, Charlotte [LONDRES 1971]
Actrice et chanteuse française.
Fille de Serge Gainsbourg et de Jane Birkin*, elle débute au cinéma à 13 ans dans Paroles et musique d’Élie Chouraqui, puis est révélée avec son rôle d’adolescente rebelle dans L’Effrontée de Claude Miller, qui lui vaut le César du meilleur espoir féminin en 1986. Elle retrouve le cinéaste deux ans plus tard pour La Petite Voleuse. Sa filmographie révèle des choix éclectiques : on la retrouve tantôt dans des comédies (Merci la vie, Bertrand Blier, 1991 ; L’un reste, l’autre part, Claude Berri, 2005 ; La Bûche, de Danièle Thompson*, pour lequel elle reçoit le César de la meilleure actrice dans un second rôle en 2000), tantôt dans des rôles plus dramatiques (Anna Oz, Éric Rochant, 1996 ; Jane Eyre, Franco Zeffirelli, 1996 ; L’Arbre, Julie Bertccelli, 2010). Son mari, Yvan Attal, la met en scène dans Ma femme est une actrice (2001), et Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants (2004). Dans les années 2000, sa carrière prend une tournure internationale avec, entre autres, 21 grammes (2004) d’Alejandro González Iñárritu, I’m Not There de Todd Haynes (2007), The City of Your Final Destination de James Ivory (2009). À la fois simple et mystérieuse, l’actrice, d’un naturel discret, tourne aussi trois films avec Lars von Trier : Melancholia (2011), le très controversé Antichrist, qui lui vaut le prix d’interprétation au Festival de Cannes de 2009, puis Nymphomaniac (2014). Menant également une carrière de chanteuse, C. Gainsbourg enregistre plusieurs duos, notamment avec son père (Lemon Incest, 1984). Son quatrième album Stage Whisper, en anglais comme les précédents, sort en 2011.
Audrey CANSOT
GAITANOPOULOU, Jenny [JÉRUSALEM 1938]
Actrice chypriote.
À la fondation de l’État d’Israël, Jenny Gaitanopoulou vient à Chypre avec ses parents en tant que réfugiée. Elle fait ses études à l’Académie américaine féminine de Nicosie où elle obtient ses diplômes en 1955. Elle travaille à la radio chypriote dans des programmes de théâtre et pour les enfants. En 1960, elle étudie le théâtre à l’académie grecque de musique de Giorgos Arvanitakis, d’où elle sort diplômée en 1962. Installée à Athènes jusqu’en 1966, elle tient les premiers rôles du théâtre Technis de Karolos Koun. En 1966, elle épouse l’acteur et metteur en scène Evis Gabrielides et revient à Chypre. De 1969 à 1971, elle travaille comme actrice vedette de la compagnie théâtrale de la radio chypriote. En 1975, elle rejoint l’Organisme du théâtre de Chypre (théâtre d’État) où, pendant vingt-cinq ans, elle tient des rôles allant du théâtre contemporain à la tragédie grecque ancienne. En même temps, elle participe aux spectacles du théâtre Technis à Athènes, du théâtre d’État de la Grèce du Nord et du théâtre national de Grèce. En reconnaissance de ses activités au service du théâtre et du développement de la culture en général, elle reçoit un grand nombre de prix, notamment pour son interprétation de Marie Stuart dans la pièce de Schiller et de Médée (Euripide).
Neophytos NEOPHYTOU
GALAKTIONOVA, Vera (née PAVLIKOVA) [SYZRAN 1948]
Romancière russe.
Vera Grigorievna Galaktionova a étudié l’histoire et la littérature à Ouralsk (aujourd’hui Oral, Kazakhstan) puis à Moscou. Ses premières œuvres sont inspirées de celles de Nikolaï Leskov, prosateur célèbre pour son usage du procédé de skaz, où la voix narrative se coule entièrement dans la voix des personnages. C’est le cas dans Bol’choï krest (« la grande croix »), qui raconte la vie et la disparition d’une famille paysanne laminée par la politique soviétique. Chrétienne orthodoxe fervente, elle associe la foi au patriotisme et reprend un certain nombre de positions des slavophiles d’autrefois. Elle condamne et combat l’ouverture de la Russie au monde occidental, exportateur d’un système politique (la démocratie) et spirituel (le matérialisme et l’amour de l’argent) qu’elle refuse. Dans son roman 5/4 nakanounie tichiny (« 5/4 à la veille du silence »), elle fait un tableau apocalyptique de la Russie livrée aux forces du marché, dont le peuple est désormais divisé entre « ceux qui ne sont pas encore morts d’indigence et ceux qui ne sont pas encore morts de leurs excès », et dont l’espace est souillé par l’exploitation industrielle des forêts et des ressources minières. Dans Otcherki kontsa vieka (« scènes de fin de siècle »), elle fait sien le paradigme romantique de la recherche de l’unité perdue, et reprend l’idée de l’existence d’une unité spirituelle nationale, l’âme du peuple russe. Conséquence de ce postulat, elle considère l’émiettement de l’URSS comme une catastrophe pour la Russie. La reconstruction de la cathédrale du Christ-Sauveur à Moscou, achevée en 2000, constitue pour elle un modèle historique pour l’ensemble du pays qui, après avoir été détruit, doit pouvoir être reconstruit et retrouver son unité.
Marie DELACROIX
GALÁN, Graciela [LA PLATA 1948]
Scénographe et costumière argentine.
Titulaire d’un diplôme d’arts visuels de l’université de La Plata (1972), Graciela Galán complète sa formation par des études théâtrales en France, à l’université Paris 8 (1972-1974). Professeure de scénographie et de création de costumes dans plusieurs institutions théâtrales argentines, elle crée décors, costumes et lumières pour l’opéra, le théâtre, le ballet et le cinéma. À Buenos Aires, elle participe aux mises en scène des dramaturges argentins : Cámara lenta (« ralenti », 1981), d’Eduardo Pavlovsky ; La malasangre (1982), Antígona furiosa (1986) et Lo que va dictando el sueño (« ce que dicte le rêve », 2000), de Griselda Gambaro*. En France, elle entretient une collaboration privilégiée avec Jorge Lavelli : La Nona, de Roberto Cossa (1990) ; Comédies barbares, de Ramón del Valle Inclán (1991) ; Mein Kampf (farce), de George Tabori (2000) ; Médée, de R. Liberman (Opéra Bastille, 2000) ; Trois Femmes grandes, d’Edward Albee (1996). Elle travaille également avec Alfredo Arias et Claudia Stavisky : Nora, d’Elfriede Jelinek* (1994) ; Comme tu me veux, de Luigi Pirandello (1995-1996) ; Monsieur chasse ! et L’Âge d’or, de Georges Feydeau (2004-2005) ; La Cuisine, d’Arnold Wesker (2004) ; La Femme d’avant, Le Dragon d’or et Une nuit arabe, de Roland Schimmelpfennig (2006-2011). Au cinéma, elle s’associe à la réalisatrice et féministe argentine María Luisa Bemberg* : Camila (1984), Miss Mary (1986), Yo, la peor de todas (« moi, la pire de toutes », 1990), De eso no se habla (« de cela, on ne parle pas », 1993). Elle collabore également avec l’Espagnole Laura Mañá pour Ni Dios, ni patrón, ni marido (2009) et avec le réalisateur argentin Héctor Olivera pour El mural (2010). Invitée dans les festivals de Guanajuato (Mexique) et d’Avignon, elle reçoit pour son œuvre de nombreux prix nationaux et internationaux (Konex, Florencio, María-Guerrero).
Stéphanie URDICIAN
GALANAKI, Réa [HÉRAKLION, CRÈTE 1947]
Romancière, poétesse et essayiste grecque.
D’origine crétoise, Réa Galanaki s’installe à Patras après des études d’histoire et d’archéologie à l’université d’Athènes. Dans son œuvre poétique, qui témoigne d’une constante recherche formelle – soin donné à l’architecture des recueils et souci du rythme –, elle relit l’histoire de la Grèce contemporaine et interprète les menus faits de la vie quotidienne à la lumière de la mythologie ancienne : Plin efcharis (« charmant, pourtant »), Ta orykta (« les minéraux »), To keïk (« le cake »), Pou zi o lykos ? (« où vit le loup ? »). Son œuvre de prose appartient presque tout entière au genre qu’il lui est arrivé de nommer elle-même « chronique romanesque ». Ses récits font revivre des personnages illustres, obscurs ou inconnus du XIXe siècle grec, et plus rarement du XXe. Il s’agit dans la plupart des cas de figures romantiques et désespérées, écartelées entre des aspirations ou des sollicitations contraires : ainsi d’Ismaïl Férik Pacha, Crétois que son destin conduit en Égypte, et qui est contraint de réprimer une insurrection sur son île natale ; du héros de Tha ypografo Loui (« je signerai Louis »), André Rigopoulos, écrivain et homme politique qui, partagé entre deux mondes – la Grèce et l’Italie où il trouve refuge –, voit s’effondrer les idéaux romantiques et révolutionnaires de sa jeunesse ; d’Éléni Boukoura-Altamura, peintre grecque dont la vie se trouve bouleversée par un séjour en Italie au cours duquel elle doit se déguiser en homme pour poursuivre ses études, avant d’épouser un peintre italien, de s’en séparer, de rentrer dans sa patrie où elle finit par sombrer dans la folie.
Les dernières œuvres de R. Galanaki puisent leur matière dans l’histoire plus récente de son île natale. O eonas ton lavyrinthon (« le siècle des labyrinthes ») raconte les tribulations d’une famille imaginaire, depuis les dernières décennies du XIXe siècle jusqu’aux années 1970, aventure ponctuée d’événements sanglants, et qui finit par se fondre dans une chronique de la vie politique, mais aussi quotidienne, de la Crète contemporaine. Quant à Amilita, vathia nera, I apagogi tis Tasoulas (« eaux muettes, eaux profondes, l’enlèvement de Tasoula »), cette chronique, rigoureusement documentée et fondée sur des sources inédites, fait revivre un événement majeur, mais demeuré mystérieux et tabou, de l’histoire de la Crète du XXe siècle : l’enlèvement d’une jeune fille, Tasoula, en 1950 à Héraklion, lequel eut des conséquences d’une ampleur imprévue : lutte acharnée et d’une violence extrême entre deux grandes familles de l’île autant qu’entre deux régions, la Crète occidentale et la Crète orientale, et entre deux grands partis politiques, dans une affaire qui illustra, de façon tragique, l’incompatibilité du code de l’honneur local et du droit écrit national.
Michel LASSITHIOTAKIS
■ La vie d’Ismaïl Férik Pacha (O vios tou Ismaïl Ferik pasa, 1989), Arles, Actes Sud, 1992.
■ KOURTOVIK D., Imedapi exoria, Kimena yia tin elliniki logotechnia, 1986-1991, Athènes, Opera, 1991 ; ID., Ellines metapolemiki syngraphis, Athènes, Patakis, 1999 ; TSAKNIAS S., Epi ta ichni, Kritika kimena, 1985-1988, Athènes, Sokolis, 1990 ; ID., Prosopa ke maskes, Kritika kimena, 1988-1999, Athènes, Nefeli, 2000 ; ZIRAS A., Yenealoyika, Yia tin piisi ke tous piites tou ‘70, Athènes, Roptron, 1989.
GALANO, Ana Maria [RIO DE JANEIRO 1943 - ID. 2002]
Anthropologue et cinéaste brésilienne.
Au début des années 1960, Ana Maria Galano prend une part active dans le mouvement politique de gauche qui précède le coup d’État militaire au Brésil. À contre-courant de la pensée dominante, elle accorde une importance particulière aux déterminations subjectives qui influencent les engagements politiques. Exilée en France après le coup d’État de 1964, elle prépare un doctorat en sociologie à l’université de Paris 10-Nanterre sur le thème de la transformation des structures agricoles au Portugal. Sur le terrain, elle rassemble une importante documentation iconographique qu’elle annexe à sa thèse pour préserver la mémoire de ce qui était probablement, selon elle, la dernière tentative de collectivisation des terres en Europe de l’Ouest. Parallèlement, elle suit un stage au Comité du film ethnographique du musée de l’Homme.
Marquée par son expérience au Portugal pendant la « révolution des œillets », A. M. Galano travaille ensuite sur la question de la reconfiguration postcoloniale des pays de langue portugaise, s’intéressant à leur production littéraire et cinématographique. Elle rentre au Brésil à la fin des années 1970 pour y poursuivre ses travaux sur la question agraire et prolonge ses réflexions sur l’image. Elle réalise les films Oxalá Jesus Cristo (1989) et Continuidades e rupturas, os 50 anos de ciências sociais da UFRJ (« des continuités et des ruptures, cinquante ans de sciences sociales à l’UFRJ », 1991). Dans son dernier ouvrage collectif, Casa grande, senzala & Co (2001), A. M. Galano s’attache à publier des documents préparatoires à un grand projet cinématographique inachevé, Casa Grande e Senzala, sur lequel travaillait son compagnon, le cinéaste Joaquim Pedro de Andrade.
Bela FELDMAN-BIANCO et Carmen RIAL
■ « Iniciação à pesquisa com imagens », in FELDMAN-BIANCO B., MOREIRA LEITE M. (dir.), Desafios da imagem, fotografia, iconografia e vídeo nas ciências sociais, Campinas, Papirus, 1998 ; « Tensões e legados coloniais no cinema », in BASTOS C., VALE DE ALMEIDA M., FELDMAN-BIANCO B. (dir.), Trânsitos coloniais, diálogos críticos luso-brasileiros, Lisbonne, Imprensa de Ciências Sociais, 2002.
GALARD, Geneviève DE [PARIS 1925]
Infirmière militaire française.
Infirmière militaire française durant la guerre d’Indochine, Geneviève de Galard Taraube fut surnommée « l’Ange de Diên Biên Phu » pour son action héroïque. Après avoir obtenu son diplôme d’infirmière, G. de Galard rejoint le corps très restreint des convoyeuses de l’air, au sein de l’armée de l’air française, et est affectée à sa demande en Indochine, à partir de mai 1953, au cœur de la guerre qui oppose les forces françaises à celles du Viêt-minh. D’abord stationnée à Hanoï, elle participe à des évacuations sanitaires par avion à partir de l’aéroport de Pleiku. Puis en 1954, lors de la célèbre bataille de Diên Biên Phu, elle est la seule femme de l’antenne médicale. Pendant deux mois d’enfer, de mars à mai 1954, elle s’occupe des blessés du corps expéditionnaire français dans des conditions sanitaires souvent dérisoires, sans jamais faillir. Elle assiste à la mort de chefs prestigieux, comme le lieutenant-colonel Gaucher, fauché par un obus. Après la chute du camp, elle continue de soigner les blessés puis est évacuée sur Hanoï, en partie contre sa volonté. Très attendue à l’aéroport, elle sera également accueillie triomphalement deux mois plus tard, en juillet 1954, par le président américain Eisenhower en personne, qui lui remet la Medal of Freedom, « médaille de la liberté », lors d’une cérémonie à la Maison-Blanche, à Washington. Cependant, après la guerre d’Indochine, par respect pour les souffrances des combattants dont elle a partagé le quotidien, l’infirmière tiendra à rester dans l’ombre. Ce n’est que cinquante ans après qu’elle consentira à sortir de son silence pour publier ses mémoires : Une femme à Diên Biên Phu (2003), grand prix de l’Académie des sciences morales et politiques. Retraitée, elle s’engage encore dans l’action municipale, puisqu’elle est élue conseillère dans le 17e arrondissement de Paris, en 1983, et désignée déléguée aux Handicapés et déléguée aux Anciens Combattants par la mairie. Élevée en 2008 à la dignité de grand officier de l’Ordre national du Mérite et en 2010 à celle de grand officier de la Légion d’honneur, elle déclare vouloir vivre sans jamais trahir le passé et se montre agacée qu’on la prenne pour une espèce de Jeanne d’Arc des rizières.
Elisabeth LESIMPLE
■ GRAUWIN P., J’étais médecin à Diên Biên Phu (1954), Paris, France-Empire, 2004.
GALAZI, Pitsa (Kalliopi MORTI-SOTIRIOU, dite) [LIMASSOL 1940]
Poétesse chypriote.
Après des études de sciences politiques et de sociologie à l’université Pandio en Grèce, Pitsa Galazi fait son entrée très jeune dans la littérature chypriote avec son recueil Stigmes Efivias (« moments d’adolescence », 1963), dans lequel elle consigne son expérience de la lutte des Chypriotes contre le régime colonial britannique (1955-1959), ses grands choix idéologiques ainsi que le désenchantement consécutif à l’effondrement de grands rêves. La poétesse publie en 1968 Sta perithoria ton Keron (« en marge du temps »), ainsi que Aspri politia (« cité blanche »). En 1969, son recueil Dendra ke thalassa (« arbres et mer ») remporte le premier prix d’État de la poésie chypriote attribué par le ministère de l’Éducation de Chypre. Elle poursuit sa recherche poétique avec la publication, en 1973, de Psifidoto (« mosaïque ») et I adelfi tou Alexandrou (« la sœur d’Alexandre »). Ypnopedia (« apprentissage durant le sommeil ») est édité en 1979, suivi, en 1983, de Simatori (« timoniers ») qui reçut le Premier Prix de poésie chypriote, distinction qu’elle refusa pour des raisons de principes. Elle revient sur le devant de la scène de la poésie chypriote dans les années 1990 avec Le Bel Arthur ou Arthur Rimbaud en l’île de Chypre (1992). Cinq ans plus tard, en 1997, elle publie Ta poulia tou Efstoliou ke o Enklistos (« les oiseaux d’Efstolios et le reclus ») où elle s’exprime par la « Voix » s’insurgeant contre l’occupation de la moitié de Chypre par les Turcs. La même année est publié le long recueil poétique Ta Epsilon tis Elenis (« les epsilons d’Hélène »), dans lequel elle rencontre à travers l’histoire de Chypre une des figures féminines majeures de l’île : Hélène Phoka, l’« akrite » (combattante des frontières) contemporaine, qui refusa de quitter sa patrie occupée et qui coexiste dans ce périple poétique avec Sappho*, Homère, Dionysios Solomos, Kostis Palamas, Vassilis Michaïlidis – le poète dialectal de Chypre –, Georges Séféris et Odysséas Elytis. En 2005, elle publie son premier essai : Odos Emiliou Chourmouziou (« rue Aimilios Chourmouzios »). P. Galazi a été récompensée pour l’ensemble de son œuvre en 1997 par le prix Magna Graecia. Elle reçut, deux ans plus tard, le prix de l’Académie d’Athènes pour son recueil Ta poulia tou Efstoliou ke o Enklistos. Son dernier recueil de poèmes, I Foni (« la voix »), a été publié en 2008. Baptisée « poétesse de la mémoire » car elle renouvelle sans cesse la relation entre passé et présent, P. Galazi alterne dans sa poésie des éléments historico-mythiques. Ses vers se distinguent par leur lyrisme et leur ton souvent dramatique ou narratif, principalement dans ses premiers recueils de « vécu poétique ». Le renouvellement du style et de l’écriture survient avec la découverte d’importantes figures de l’histoire et du mythe de Chypre ou de la Grèce, créant de la sorte des « biographies poétiques ». La mise en relief de l’espace poétique mais également de la place de la poétesse qui choisit d’être dans le poème sont des paramètres importants de sa poésie.
Louisa CHRISTODOULIDOU
■ Le Bel Arthur ou Arthur Rimbaud en l’île de Chypre (O Oreos Artouros i O Arthur Rimbaud sti niso Kypro, 1992) Besançon, Praxandre, 1999 (éd. bilingue).
■ CHRISTODOULIDOU L., « Le Saint Néophyte le Reclus de Pitsa Galazi », in Le Sentiment religieux dans la littérature néo-grecque, Actes du XVIe Colloque international des néo-hellénistes des universités francophones (1999), Paris, Inalco, Publications Langues’O, 2001 ; ID., « Le nostos de Pitsa Galazi et Les Epsilons d’Hélène : un itinéraire mythologique et historique », in LALAGIANNI V. (dir.), Femmes écrivains en Méditerranée, Paris, Publisud, 1999.
GALDIKAS, Biruté [WIESBADEN, ALLEMAGNE 1946]
Primatologue canadienne.
De parents lituaniens, Biruté Galdikas grandit au Canada et étudie la psychologie, la zoologie et l’anthropologie à l’université de Los Angeles. Avec le soutien du paléo-anthropologue Louis Leakey, elle crée en 1971 Camp Leakey dans la réserve naturelle de Tanjung Puting à Bornéo, centre d’étude pour primatologues et de réhabilitation des singes orphelins. Elle y entreprendra la plus longue étude continue d’une espèce animale sauvage, en l’occurrence les orangs-outans dans leur milieu naturel. Malgré les difficultés et grâce à sa ténacité, elle collecte minutieusement ses observations sur l’habitat, l’alimentation et le comportement reproductif et social de ces primates, jusqu’alors méconnus des scientifiques. Ses travaux sont une contribution précieuse à la connaissance de la biodiversité et de la forêt tropicale indonésiennes. Durant trente ans, elle réussit à préserver l’environnement de Camp Leakey, en y associant les habitants. En 1986, elle cofonde et préside l’Orangutan Foundation International (Ofi), pour financer ses travaux et défendre les grands singes menacés de disparition par les chasseurs et trafiquants ainsi que par la déforestation. Son expertise scientifique internationalement reconnue se double d’un militantisme inlassable. Elle enseigne aux universités de Vancouver et de Djakarta, a été conseillère du gouvernement indonésien et a reçu de nombreux prix pour ses réalisations. Avec Jane Goodall* et Diane Fossey*, elle est une des pionnières de la primatologie moderne.
Michèle ORENGO et Jacqueline PICOT
■ Souvenirs d’Éden, Ma vie avec les orangs-outangs de Bornéo, Paris, Belfond, 1999.
GALERIE AGATHE GAILLARD – PHOTOGRAPHIE [France depuis 1975]
Premier lieu d’exposition et de vente dédié à la photographie, la galerie d’Agathe Gaillard ouvre ses portes en 1975 à Paris, au 3, rue du Pont-Louis-Philippe dans le 4e arrondissement. La jeune femme découvre le lieu lors de sa rencontre en 1965 avec le photographe Jean-Philippe Charbonnier, alors reporter pour Réalités, avec qui elle partagera sa vie jusqu’en 1978. Le projet de faire découvrir cet art au grand public prend d’abord la forme, en 1968, d’une édition de cartes postales reproduisant des chefs-d’œuvre de photographes comme Henri Cartier-Bresson ou Robert Doisneau. L’initiative remporte un succès tel qu’elle sera reprise par la suite dans le monde entier. C’est en 1973 qu’Agathe Gaillard rencontre Ralph Gibson, qui l’encourage, avec J.-P. Charbonnier, à ouvrir sa propre galerie. Des artistes proches (H. Cartier-Bresson, R. Doisneau, Édouard Boubat ou Gisèle Freund*) acceptent de lui confier des tirages pour constituer le premier fonds. Sa galerie devient vite un haut lieu de la photographie internationale. Les photographes qu’elle expose, André Kertész ou Izis par exemple, sont reconnus mais restent peu familiers aux yeux du grand public français. Elle présente de jeunes Américains et Français (Erica Lennard*, Ralph Gibson, Jean-Philippe Charbonnier d’abord, puis Pierre Molinier, Bernard Faucon, Hervé Guibert) ou, dès la première année, August Sander, le photographe allemand des Hommes du XXe siècle. Elle parie également sur de nouveaux talents. La galeriste participe alors au vaste mouvement qui s’engage à identifier l’ampleur inouïe de la diversité d’une pratique photographique commençant à revendiquer sa place dans l’histoire de l’art. Ainsi l’exposition des clichés scientifiques sur la décomposition du mouvement de l’Américain Harold Edgerton fait-elle polémique en 1975, tant la photo se révèle être un art visuel aux images spécifiques. Par la suite, Manuel Alvarez Bravo, Bill Brandt et d’autres photographes prestigieux viendront s’ajouter aux porte-folios que propose la galerie. En se consacrant à l’exposition et à la vente de tirages, A. Gaillard ouvre la photographie des XXe et XXIe siècles à tous, et incite à la constitution de collections vouées à faire entrer les plus belles photographies dans l’histoire de l’art. À l’écart des approches plasticienne et conceptuelle, elle entretient le rapport privilégié à la vie, à la réalité ; la photographie qu’elle soutient comporte toujours, dans sa variété, un intérêt documentaire ou narratif.
Anne-Cécile GUILBARD
GALERIE DES FEMMES [France depuis 1981]
La galerie des femmes est créée par Antoinette Fouque*, en lien avec les éditions et les librairies des femmes, dont elle partage, jusqu’en 1992, l’espace 74 rue de Seine. Première galerie en France à présenter spécifiquement des femmes artistes, elle accueille (dans l’ordre chronologique) : Milvia Maglione*, Françoise Martinelli, Kate Millett*, Michelle Knoblauch*, Sonia Delaunay*, Sophie Clavel, Tina Modotti*, Dominique Garros, Marie Orensanz*, Colette Alvarez, Marie-Pierre Thiebault, Erica Lennard*, Ann Warff, Cristina Martinez, Linda Heiliger, Louise Nevelson*, Anjie Anakis, Eliane Larus, Véronique Wirbel, Imogen Cunningham*, Ilse Bing*, Dominique Garros, June Wayne, Mireille Dupuis, Popy Moreni*, Sheila Hicks*, Françoise Gilot*, Annie Cohen*, Béatrice Kohler, Chantal Montellier*, Catherine Rotulo, Adèle Vergé*. En 1982, elle propose Fragments de L’Autre Moitié de l’avant-garde, exposition des femmes russes du début du XXe siècle qui avait eu lieu à Milan et que les musées français avaient ensuite refusée.
Pendant les années rue de Seine, Marie Dedieu, militante du groupe « Psychanalyse et politique » et directrice de publication du Torchon brûle, avec quelques autres militantes, a organisé de nombreuses expositions et a tenu les pages « culture » du journal des femmes en mouvements hebdo. En octobre 2011, elle est enlevée et tuée au Kenya par des shebabs venus de Somalie.
Les éditions des femmes *publient le livre-catalogue Femmes peintres 1550-1950, d’Ann Sutherland Harris et Linda Nochlin* (1981). Ce volume inaugure une collection de livres d’art et d’histoire de l’art où figurent notamment L’Autre Moitié de l’avant-garde de Lea Vergine, Aubes et crépuscules de Louise Nevelson, Lettres d’Artemisia Gentileschi*, précédées d’Actes d’un procès pour viol en 1612, Souvenirs d’Élisabeth Vigée-Lebrun*, Entretiens de Gisèle Freund* avec Rauda Jamis, livres de photos de Claude Batho*, Célébration, de Sonia Rykiel*.
En 2007 ouvre l’Espace des femmes, 35 rue Jacob à Paris, où un musée des femmes est en cours de constitution : il rassemble déjà des œuvres de Geneviève Asse*, Louise Bourgeois*, Geneviève Claisse*, Tamara de Lempicka*, Dora Maar*, Joan Mitchell*, Bridget Riley*, Niki de Saint-Phalle*, Aurélie Nemours*, Vieira da Silva* qui ont été exposées en 2008 et 2009. Des expositions individuelles ou collectives se succèdent : Colette Deblé*, Catherine Lopes-Curval*, Mâkhi Xenakis*, Clotilde Vautier*, Marie Morel*, Geneviève Claisse, Judith Nem’s*, Claude Jetter, Basia Embiricos, réalisatrice de l’exposition Autoportraits Fictions ; Caroline Corre, réalisatrice de l’exposition Elles métamorphosent le livre, avec environ 80 plasticiennes…
Engagée pour la reconnaissance des femmes artistes, Michelle Coquillat* a fondé l’association Camille afin de constituer une collection de leurs œuvres. Après bien des années, les milieux de l’art commencent à mieux valoriser les créatrices actuelles – elles@Centre Pompidou, 2009-2011 –, et celles du passé, longtemps oubliées – exposition A. Gentileschi au musée Maillol à Paris, en 2012.
Marie-José LE MAGOUROU et Annie SCHMITT
■ COLLECTIF, Mémoire de femme, 1974-2004, Paris, Des femmes-Antoinette Fouque, 2004 ; ID., Génération MLF1968-2008, Paris, Des femmes-Antoinette Fouque, 2008.
GALERISTES – PEINTURE [depuis le XIXe siècle]
Malgré le rôle non négligeable longtemps joué dans le commerce de l’art par les femmes, il est néanmoins difficile de donner une évaluation précise de leur poids parmi les marchands d’art, tant les données historiques sont lacunaires. Si l’on s’attache au Paris des années 1950, la profession est en tout cas bien plus féminisée que celle des critiques d’art et des artistes, puisque l’on recense une centaine de directrices pour 250 directeurs de galerie. En outre, la part des femmes dans le marché de l’art contemporain n’a cessé de croître, au point qu’aujourd’hui la parité est atteinte dans la plupart des centres artistiques mondiaux. À New York comme à Paris ou à Berlin, près d’une galerie sur deux est dirigée par une femme, et huit galeries sur dix comptent au moins une femme dans leur personnel de vente. De plus, quelques directrices de galerie ont joué un rôle essentiel dans la carrière, et plus particulièrement dans les débuts publics d’artistes majeurs du XXe siècle. Néanmoins, leur importance est encore aujourd’hui bien moins reconnue que celle de marchands comme Paul Durand-Ruel ou Ambroise Vollard, dont l’histoire retient les noms en les associant aux grands artistes modernes.
Lorsque, dans la seconde moitié du XIXe siècle, le marché privé de l’art prend de l’importance et concurrence de plus en plus, pour la carrière des artistes, le système académique, les premières femmes qui s’occupent d’exposer et de vendre des œuvres d’art anciennes ou récentes restent dans l’ombre de leur époux, de leur père ou de leur frère. Laure Lévy (1856-1937), devenue en 1881 Mme Nathan Wildenstein, a ainsi initié son époux à la peinture puis a été son associée dans l’entreprise de commercialisation de l’art français du XVIIIe siècle, à Paris et à New York : son nom n’est cependant jamais cité par les historiens. Il en va de même pour Gabrielle Bernheim (1863-1932), fille, sœur, tante et mère de marchands d’art célèbres, membre à part entière de la dynastie des Bernheim et Bernheim Jeune, et épouse de l’artiste suisse Félix Vallotton. Signe de la difficulté à s’imposer sur le marché de l’art, la coutume, très répandue chez les marchands d’art, de baptiser une galerie du prénom et du nom de son directeur, n’est que lentement adoptée par les femmes qui, jusqu’au milieu du XXe siècle, préfèrent le plus souvent attribuer à leur galerie des noms neutres, ne trahissant pas leur sexe. L’une des premières à donner son nom propre est Berthe Weill (1865-1961) qui, en 1897, reprend à son compte une galerie d’art contemporain rue Victor-Massé à Paris. Amie des fauves et des cubistes, elle est la première à exposer Pablo Picasso, en 1900, puis Amadeo Modigliani, en 1917. Lorsque sa galerie ferme en 1939, d’autres pionnières ont ouvert une galerie et présenté de jeunes artistes d’avant-garde : c’est le cas de Jeanne Bucher*, mais aussi de Katia Granoff (1895-1989), poétesse d’origine russe qui expose à partir de 1926 Georges Bouche et Marc Chagall ; Lucy Krohg (1896-1966), épouse du peintre norvégien Per Krohg et maîtresse de l’artiste Jules Pascin, fonde, quant à elle, avec la veuve de ce dernier, Hermine David (1886-1970), une galerie d’art à Paris en 1932.
À New York, une poignée de galeries dirigées par des femmes s’ouvre également durant l’entre-deux-guerres. À Greenwich Village, Our Gallery (rebaptisée Downtown Gallery l’année suivante) est fondée en 1926 par la peintre Edith Gregor Halpert (1900-1970) et la sculptrice Berthe Kroll Goldsmith (1903-1982), qui présentent des jeunes artistes américains réalistes comme Peggy Bacon (1895-1987), Stuart David et Ben Shahn. Plus classique, la galerie tenue par Marie Harriman, épouse du politicien et magnat des chemins de fer William Averell Harriman, est inaugurée en octobre 1930 et montre des œuvres de Paul Cézanne, de Jean Renoir, d’Henri Matisse et de Vincent Van Gogh. Elle réalise d’importantes ventes, malgré le contexte de crise qui inspire aux directrices des entreprises originales : à Paris, Jeanne Bucher crée l’Œil clair, une association d’amateurs destinée à aider financièrement les artistes, tandis qu'à New York, Marian Willard loue des toiles pour cinq dollars par mois entre 1936 et 1938. Une fois les difficultés financières passées, après s’être associée avec le marchand d’art allemand émigré J. B. Neumann, M. Willard se remet à son compte en 1940 et expose régulièrement le sculpteur David Smith et le peintre Mark Tobey.
Les années 1940 constituent une étape importante du processus de féminisation de la profession de galeriste. Les galeries tenues par des femmes sont plus nombreuses, de l’ordre d’une sur quatre à Paris et à New York. Surtout, certaines directrices mènent, durant la guerre et après la Libération, une activité engagée et militante de présentation et de défense des nouvelles tendances. Évoquant le contexte dans lequel elle a inauguré sa galerie new-yorkaise en 1946, Betty Parsons* indique que presque toutes les galeries s’intéressant à l’art le plus récent sont alors tenues par des femmes et cite à titre d’exemples et de modèles J. Bucher, M. Willard et Peggy Guggenheim*. Cette dernière, après avoir brièvement dirigé la galerie Guggenheim Jeune à Londres en 1938-1939, dirige, entre 1942 et 1947, la galerie Art of This Century, principal foyer de l’avant-garde artistique new-yorkaise, qui présente des œuvres de jeunes artistes expressionnistes abstraits comme William Baziotes, Robert Motherwell et Jackson Pollock. La relève est assurée par B. Parsons, par Martha Jackson (1907-1969) et par Eleanor Ward (1912-1984) qui devient directrice de la Stable Gallery en 1953. Après la Libération, les Parisiennes sont également fortement engagées dans la défense de l’abstraction, à tel point qu’un chroniqueur sarcastique réunit en 1949 dans un « Cartel de l’abstrait » les galeries que dirigent Lydia Conti, Denise René*, Colette Allendy* et Florence Bank, une Américaine qui a exposé des plasticiennes comme Christine Boumeester* et Aline Gagnaire (1912-1997). De nombreuses petites galeries fondées à la Libération sont tenues par des femmes : la galerie de Beaune, où Suzanne de Coninck programme des expositions et dirige une maison d’édition, la galerie de Nina Dausset (1911-1984) surnommée La Dragonne par les surréalistes qui y ont exposé en 1948-1949, ou encore la galerie de Dina Vierny (1919-2009), modèle du sculpteur Aristide Maillol et son exécutrice testamentaire.
À quelques notables exceptions près, celles de D. René et de D. Vierny notamment, ces galeries ont généralement une existence brève, écourtée par des difficultés financières. La plupart de ces femmes ne sont en effet pas formées aux stratégies économiques. Pour certaines, la direction d’une galerie est une activité désintéressée, financée par leur époux, un héritage ou des expédients, et par essence déficitaire. Néanmoins, quelques succès sont manifestes. Ainsi, Ileana Sonnabend (1914-2007), après avoir travaillé quelque temps à New York avec son premier mari, le galeriste Leo Castelli, ouvre une galerie à Paris en 1962 avec son second époux Michael Sonnabend. Entendant mettre un terme à la mauvaise réputation des artistes américains en Europe, elle présente Jasper Johns, Robert Rauschenberg et Andy Warhol, et parvient à imposer le pop art en Europe avant de poursuivre et d’achever sa carrière aux États-Unis. Autre galeriste ayant cherché à établir un pont entre l’Europe et les États-Unis, Marian Goodman (1928), d’abord éditrice d’ouvrages et de « multiples » – des œuvres d’artistes éditées à plusieurs exemplaires –, inaugure son espace à New York en 1977 et y présente des artistes européens tels que Marcel Broodthaers et Joseph Beuys.
Dans les années 1980-2000, le commerce de l’art se développe considérablement, et la féminisation des acteurs s’accentue parallèlement à leur professionnalisation. Galeristes, mais aussi commissaires-priseuses, courtières, conseillères privées se multiplient à Paris (Chantal Crousel, Nathalie Obadia), à Londres (Sue Davies), à Berlin (Esther Schipper, Barbara Weiss), à New York (Paula Cooper, Mary Boone [1951], Barbara Gladstone), mais également dans de nouvelles métropoles artistiques. Ainsi, Màrcia Fortes (1961) et Alessandra Vilaça (1961) animent depuis 2000 à São Paulo une galerie d’art, où elles exposent des artistes brésiliens comme Saint Clair Cemin et Ernesto Neto. En 2002, Zhang Wei (1964) a inauguré le Vitamine Creative Space dans la ville chinoise de Guangzhou afin d’y montrer les œuvres de Zheng Guogu et de Chen Zaiyan.
Rares sont les directrices de galerie qui mettent en avant leur genre. Certaines, à l’instar de B. Parsons et de P. Cooper, insistent sur leur plus grande réceptivité à des démarches artistiques originales et sur leur désir d’offrir à de jeunes artistes un espace d’expression : les directrices seraient, selon elles, davantage tournées vers le versant artistique et créatif de l’activité de galeriste que vers son aspect commercial. Un fait y contribuerait : plusieurs d’entre elles ont d’abord été des artistes, devenues galeristes dans un second temps de leur vie pour raisons économiques ou pour aider compagnon ou amis. Mais, dans la lignée de D. René, la plupart des galeristes aujourd’hui en activité cherchent moins à affirmer leur identité de femme qu’une singularité et une identité de personne, irréductibles à une approche par genre.
Julie VERLAINE
■ DE COPPET L., JONES A., The Art Dealers : The Powers Behind the Scene Tell How the Art World Really Works, New York, C. N. Potter, 1984 ; GOLDSTEIN M., Landscape With Figures : A History of Art Dealing in the United States, Oxford, Oxford University Press, 2000 ; GROSENICK U., STANGE R. (dir.), Insight-Inside, Galerien 1945 bis Heute, Cologne, Dumont Literatur und Kunst Verlag, 2005 ; NAHON P., Les Marchands d’art en France, XIXe-XXe siècles, Paris, La Différence, 1998 ; VERLAINE J., Les Galeries d’art contemporain à Paris. Une histoire culturelle du marché de l’art, Paris, Publications de la Sorbonne, 2012.
GALGÓCZI, Erzsébet [MENFŐCSANAK, AUJ. GYŐR 1930 - ID. 1989]
Écrivaine hongroise.
Erzsébet Galgóczi est née au sein d’une famille paysanne de huit enfants. Elle fréquente le « collège populaire », puis l’École normale de Győr, entre 1945 et 1949, avant de travailler comme tourneuse dans une usine de la même ville. De 1950 à 1955, elle étudie la dramaturgie à l’Académie d’art dramatique de Budapest. Elle fait paraître un premier recueil de nouvelles, Egy kosár hazai (« un panier de mets de chez nous »), en 1953, mais aura par la suite des difficultés constantes à publier. Dans les années 1980, elle connaît pourtant une notoriété internationale grâce à deux romans, Törvényen belül (« conformément à la loi », 1980), adapté à l’écran par Károly Makk sous le titre Egymásra nézve (« un autre regard », 1982), et Vidravas (« chausse-trape », 1984). Ses origines comme le contrôle politique exercé par l’État-parti dans le domaine artistique ont profondément marqué sa création littéraire : ses deux romans ont chacun pour protagoniste une intellectuelle et expriment une critique virulente des réalités des années 1950. À partir des années 1970, E. Galgóczi assume ouvertement ses orientations lesbiennes et dénonce la tendance de l’État communiste à détruire l’individualité et à considérer l’homosexualité comme une pathologie. La communauté lesbienne hongroise née au lendemain du changement de régime a fait d’elle une figure emblématique, tandis que certaines écrivaines contemporaines voient en elle une des plus marquantes représentantes de la littérature féminine hongroise.
Andrea P. BALOGH
■ La Chapelle Saint-Christophe (Szent Kristóf kápolnája, 1980), Paris, Nagel, 1987 ; Another Love (Törvényen belül, [s.d.]), Pittsburgh (Pennsylvanie), Cleis, 1991.
■ IMRE A., « Affective nationalism and allegorical lesbian media performances », in ID., Identity Games : Globalization and the Transformation of Media Cultures in the New Europe, Cambridge (Mass.), MIT Press, 2009.
GALINDO, Beatriz VOIR OYARZÁBAL SMITH, Isabel
GALINDO, Beatriz (dite LA LATINA) [SALAMANQUE vers 1475 - MADRID 1534]
Femme de culture et éducatrice espagnole.
Mieux connue sous le nom de « La Latina », Beatriz Galindo a joué un rôle important dans la cour des Rois catholiques et pour le développement d’institutions consacrées à l’éducation des femmes. Née à Salamanque, noyau culturel de l’Espagne du Siècle d’or célèbre pour son université, issue d’une famille noble, elle se tourne, très jeune, vers la vie monastique : elle apprend le latin et fait des études de grammaire, de médecine et de théologie et jouit d’une grande renommée. La reine Isabelle de Castille*, désireuse d’apprendre la langue latine, l’appelle à sa cour. Devenue sa préceptrice à l’âge de 16 ans, B. Galindo sera sa dame de compagnie et, tout au long de sa vie, sa conseillère dans les affaires diplomatiques. La souveraine lui confiera également l’éducation de ses filles. Elle est si informée, qu’à la mort de son épouse, le roi Ferdinand II d’Aragon aurait dû solliciter ses services pour retrouver certains documents. En 1524, l’empereur Charles Quint lui-même lui rend visite lors de son passage à Madrid. Elle est l’une de ces doctae puellae, ces « jeunes femmes cultivées » qui ont incarné les idées humanistes et le désir d’Isabelle de Castille de contribuer à l’instruction des jeunes femmes. C’est grâce au soutien de la reine et à ses dons financiers que B. Galindo fonde deux couvents, La Concepción Franciscana et La Concepción Jerónima, dans lesquels sont dispensés des cours à des jeunes filles sans ressources, et l’Hôpital des pauvres. Elle se retire dans le couvent de La Concepción Franciscana à la fin de sa vie, et surveille de près l’éducation qui était donnée aux membres du Collège. Les textes soulignent son ample connaissance et ses compétences dans l’administration de ses entreprises : la rédaction des statuts des institutions qu’elle avait fondées en témoigne. On lui attribue également un « testament », la rédaction de « notes et commentaires sur Aristote », deux lettres et plusieurs poèmes en latin. Sa popularité lui a valu d’être célébrée par de grands poètes, dont Lope de Vega. La Ville de Madrid a donné son nom au quartier dans lequel elle a vécu, en hommage à sa générosité et à ses actions en faveur des plus démunis.
Marta MARTÍNEZ VALLS
■ Unas noticias de Beatriz Galindo, La Latina, Torre y del Cerro A. de la (éd.), Madrid, C.S.I.C. Instituto Jerónimo Zurita, 1957.
■ DE ARTEAGA A., Beatriz Galindo, « La Latina », maestra de reinas, Madrid, Algaba, 2007.
■ ARROYAL ESPIGARES, P. J. (dir.), « Beatriz Galindo, fortuna y poder de una humanista en la corte de los Reyes católicos », in Bética, estudios de arte, geografia e historia, vol. 2, no 28, 2006.
GALIZIA, Fede [MILAN 1578 - ID. 1630]
Peintre italienne.
Fille de Nunzio Galizia, peintre miniaturiste originaire de Trente, Fede Galizia passe sa vie entière dans la très pieuse Milan de la Contre-Réforme. Se consacrant à son art, elle reste célibataire et meurt à 52 ans, emportée par la peste qui dévaste la ville. Formée chez son père, elle a 12 ans lorsque l’écrivain d’art Giovanni Paolo Lomazzo la remarque et mentionne les copies qu’elle exécute des tableaux des plus grands maîtres. Ce sont cependant ses portraits, perdus pour la plupart, qui la consacrent de son vivant. Paolo Morigia, historien jésuite, chante les louanges de la portraitiste et reconstitue le catalogue de sa prime jeunesse dans sa Nobiltà di Milano de 1595. L’un de ses portraits serait « d’une telle ressemblance qu’on ne saurait désirer mieux ». Les personnages sont expressifs, dans la droite ligne de la tradition lombarde des portraits introspectifs et de Lorenzo Lotto, ou encore des peintres naturalistes tels Giovanni Battista Moroni ou Moretto da Brescia. La jeune femme montre les plis, les rides, les lèvres pincées. La minutie des détails que toujours elle représente – les lunettes d’érudit de P. Morigia, qui reflètent la croisée d’une fenêtre et l’éclat de la lumière du jour – évoque les peintres du Nord et leurs expérimentations optiques. Elle se voit aussi commander, chose rare pour une femme, des tableaux d’autel pour diverses églises de Milan. Son Saint Charles en extase de 1611 sacrifie à l’iconographie déjà traditionnelle du grand réformateur milanais, telle qu’elle a été fixée notamment par Giovanni Battista Crespi, dit Il Cerano. Charles Borromée, discrètement auréolé, est représenté sur l’autel, maintenant une haute croix noire qu’il contemple avec ferveur, ainsi qu’il sied à un tableau de dévotion. Ce sont la moire des tissus et la richesse des ornementations du vêtement qui rappellent la précision du trait de cette fille de miniaturiste. En 1616, elle peint un Noli me tangere pour le maître-autel de Santo Stefano. Là encore, elle plie son art aux exigences d’une telle peinture. L’analyse psychologique des mouvements de l’âme le cède à l’idéalité des visages. Le beau Christ et la belle Madeleine, figures tardo-maniéristes disposées sur fond de paysage léonardien, confessent leur dû aux formes et à la lumière du Corrège. Les contraintes propres à la peinture religieuse dans le Milan de la Contre-Réforme jouent sans doute un rôle dans l’intérêt que l’artiste manifeste dès sa jeunesse pour le genre de la nature morte, genre d’origine flamande et de pénétration récente en Italie. Signe, sans doute, du peu d’estime que ses contemporains entretiennent pour de tels sujets, les sources ne mentionnent pas ces toiles. Ce sont pourtant elles qui retiennent aujourd’hui l’attention des chercheurs ; elles, aussi, qui constituent l’essentiel de sa production subsistante. En 1602, elle peint la Coupe avec prunes, poires, et une rose, seule nature morte signée de sa main qui nous soit parvenue : elle est l’aune de toutes les attributions nouvellement jointes à un catalogue encore discuté. Elle est aussi l’une des toutes premières natures mortes italiennes, après le Plat en argent avec des pêches (1595) du Milanais Ambrogio Giovanni Figino, après la Corbeille de fruits du Caravage, qui, dès 1596, ornait la collection milanaise du cardinal Federico Borromeo, neveu de saint Charles, grand amateur d’art et théoricien d’une peinture réformée. Les natures mortes de F. Galizia sont simples, leurs compositions sobres et marquées par une volonté d’équilibre. Cadrées de près et placées sur une table, des coupes qui souvent portent une seule espèce de fruits, pêches, poires, coings, cerises, raisins ou pommes, et parfois les mêlent, se détachent sur des fonds sombres. D’autres fruits ou une fleur, posés sur la table, désaxent légèrement la symétrie des assemblages. Ils donnent l’échelle, s’avancent jusqu’à risquer de sortir du cadre tant ils menacent de tomber de la table et suggèrent, par la vertu d’une chair de poire coupée et déjà noircie, par une rose déjà un peu passée, la vanité des choses. Extrêmement mélancoliques, ses fruits, après ses portraits, semblent suggérer ses états d’âme. La palette froide et presque glacée de l’artiste atteste une sensibilité extrême aux variations des couleurs, aux dégradés de jaunes et de rouges toujours opalescents qui constituent la gamme d’une pomme au modelé si parfait qu’il en devient presque irréel. Ce sont surtout ces langueurs chromatiques qui restituent la tristesse animiste des objets qu’elle peint.
Anne LEPOITTEVIN
■ CAROLI F., Fede Galizia, Turin, Umberto Allemandi, 1989 ; LOMAZZO G. P., Idea del tempio della pittura (1590), Florence, Istituto Palazzo Strozzi, 1974 ; MORIGIA P., La nobiltà di Milano (1595), Milan, G. B. Bidelli, 1619.
■ LONGHI R., « Un momento importante nella storia della “natura morta” », in Paragone, no 1, janv. 1950.
GALL, France (Isabelle GALL, dite) [PARIS 1947]
Chanteuse française.
France Gall enregistre son premier disque le jour de son 16e anniversaire. Ne sois pas si bête devient le « chouchou » de l’émission Salut les copains. Les succès s’accumulent : N’écoute pas les idoles, Sacré Charlemagne et Poupée de cire, poupée de son, qui lui permet de remporter, en 1965, le Grand Prix Eurovision de la chanson. Le disque se vend à 3, 5 millions d’exemplaires. En 1970, estimant que son répertoire ne correspond pas à ce qu’elle est vraiment, elle songe à mettre un terme à sa carrière. En 1973, elle entend par hasard à la radio Attends-moi de Michel Berger et décide de travailler avec lui, bien qu’il ne manifeste pas un enthousiasme débordant. Elle insiste et il signe Ma déclaration, qui se vend à 100 000 exemplaires. Ils ne vont plus se quitter. En 1978, il est en coulisses lorsqu’elle devient la première artiste française à se produire accompagnée par un groupe de filles habillées en garçons. En 1979, elle est l’une des interprètes de Starmania au Palais des Congrès. En 1982, elle triomphe au Palais des Sports, puis au Zénith, en 1984 et 1987. Après la mort de Daniel Balavoine, F. Gall prend, avec Michel Berger, la tête de Action École, un mouvement en faveur de l’Afrique. Au début de l’année 1992, elle enregistre avec son mari l’album Double Jeu, et annonce une tournée qui n’aura pas lieu. Michel Berger meurt le 3 août 1992. Depuis, elle consacre son temps à défendre sa mémoire.
Jacques PESSIS
GALLAGHER, Ellen [PROVIDENCE 1965]
Peintre et vidéaste américaine.
Les questions d’identité raciale, de classes sociales et de genre sont au cœur de l’œuvre d’Ellen Gallagher, qui se décline en peintures, dessins, collages, et plus récemment en vidéos. Née d’une mère américaine d’origine irlandaise, auprès de qui elle grandit, et d’un père afro-américain, cette artiste a été confrontée très tôt à l’idée d’appartenance et aux relents d’un racisme latent. Elle étudie à l’École du musée des Beaux-Arts de Boston (1992), puis à la Skowhegan School of Painting and Sculpture de New York (1993). Son approche de l’identité raciale passe, dès le début des années 1990, par un recours à l’histoire culturelle. Elle s’intéresse notamment au blackface minstrel, spectacle musical américain né au XIXe siècle, où des chansonniers se noircissent le visage. Dans Pomp-Bang (2003), elle juxtapose des figures tirées d’images publicitaires de magazines pour femmes afro-américaines (vantant les mérites de crèmes de dépigmentation ou de produits capillaires défrisants) imposant des archétypes de beauté, qu’elle coiffe d’une perruque de plasticine jaune, et dont elle a évidé les yeux, transformant ainsi ces personnages en quête de beauté en êtres monstrueux. Proches des œuvres minimalistes d’Agnes Martin* (1912-2004), ses peintures semblent à première vue abstraites, mais en les observant plus scrupuleusement, on y trouve des agrégats d’yeux ou de lèvres charnues, issus des représentations caricaturales de musiciens noirs dans les comics américains. E. Gallagher s’est plus récemment intéressée à d’autres thèmes, toujours engagés, comme le « passage du milieu », qui désigne le chemin emprunté par les esclaves africains, victimes du commerce négrier, et Drexciya, royaume sous-marin mythique, peuplé par les enfants des esclaves enceintes jetées par-dessus bord lors de ces traversées ; ce sujet lui inspire, en 2001, la série de dessins à l’aquarelle Watery Ecstatic. Exposées dès 1995 à la biennale du Whitney Museum of American Art, ses œuvres sont présentes dans de nombreuses collections internationales.
Fanny DRUGEON
■ Ellen Gallagher (catalogue d’exposition), Storr R., Tate G. (textes), Boston/New York, Institute of Contemporary Art/DAP, 2001 ; Preserve (catalogue d’exposition), Des Moines, Des Moines Art Center, 2001 ; Ellen Gallagher (catalogue d’exposition), Goodeve T. N. (textes), Londres, Anthony d’Offay Gallery, 2001 ; Coral Cities (catalogue d’exposition), Londres, Tate Publishing, 2007.
■ DEXTER E., HERVIEUX P., TÉREL A. M., Vitamin D, nouvelles perspectives en dessin, Paris, Phaidon, 2006.
GALLAGHER, Tess [PORT ANGELES 1943]
Écrivaine américaine.
Ayant grandi dans une famille ouvrière, Tess Gallagher étudie à l’université de Washington où elle obtient un master en 1970. C’est en y suivant les derniers cours d’écriture de Theodore Roethke qu’elle se découvre une passion pour la poésie. Après avoir suivi le programme pour jeunes écrivains de l’université d’Iowa, elle enseigne la création littéraire dans plusieurs universités renommées. En 1976, elle publie son premier recueil de poèmes, Instructions to the Double, dans lequel elle explore, au travers de figures du double, la naissance, dans la lutte, de la femme et de la poétesse, et ses conséquences. Après deux divorces, T. Gallagher rencontre Raymond Carver, qui deviendra son soul barnacle (« crampon de l’âme »), pour reprendre le titre de son mémoire autobiographique (2000). Elle collabore avec lui à plusieurs scénarios, dont Dostoevsky (1985), et continuera à faire connaître son œuvre après sa mort. Sous l’influence de cet artiste, elle se tourne peu à peu, dans ses poèmes, vers des formes plus narratives, jusqu’à publier le recueil de nouvelles The Lover of Horses and Other Stories (« celui qui aimait les chevaux et autres histoires », 1986), puis At the Owl Woman Saloon (« le saloon de la femme hibou », 1997). Comme dans ses recueils de poèmes Under Stars (« sous les étoiles », 1978), Willingly (« volontiers », 1984) et Amplitude (1987), nombre de ses personnages sont issus de la classe ouvrière des petites villes de sa région natale, dont elle s’attache à dire le quotidien banal tout en insufflant un sentiment de conflit, une émotion latente et intense. Moon Crossing Bridge (1992) contient sa réponse à la mort de R. Carver, survenue en 1988 : elle tente de refonder le langage pour pouvoir dire la perte et le retour à la vie. Dans ses poèmes suivants, T. Gallagher s’inspire de ses séjours en Irlande, en Roumanie, en Égypte et en Asie. Elle explore aussi les bouleversements liés aux guerres et aux conditions économiques difficiles de ces pays. Dans Dear Ghosts (« chers fantômes », 2006), elle poursuit son exploration de la mémoire et du temps, des liens de la chair et du spirituel. Le poème devient porte, frontière entre les vivants et les absents qu’elle cerne par les mots.
Mathilde FRATTA
■ Moon Crossing Bridge (1992), Paris, L’Incertain, 1994 ; Deux audacieux. Auprès de Raymond Carver, Paris, Arléa, 2001.
■ MCFARLAND R. E., Tess Gallagher, Boise (Idaho), Boise State University, 1995.
GALLAIRE, Fatima (née BOUREGA) [EL-ARROUCH 1944]
Dramaturge algérienne.
Après des études de lettres à l’université d’Alger, Fatima Bourega est attachée culturelle à la cinémathèque d’Alger. En 1975, elle s’installe définitivement à Paris, où elle obtient une licence de cinéma. En 1980, elle se marie et prend le nom de son époux, signant désormais toutes ses œuvres Fatima Gallaire. Auteure engagée et prolifique, elle s’est impliquée dans de nombreux genres littéraires et artistiques, mais doit sa notoriété à ses œuvres pour le théâtre, plus d’une vingtaine de pièces dont Princesses, ou Ah ! vous êtes venus… là où il y a quelques tombes (1986) ou Les Coépouses (1991). F. Gallaire a produit une dramaturgie où affleure son vécu, sa nostalgie pour le pays natal, sa volonté de dénoncer les violences et les injustices de la réalité politique, sociale, familiale et religieuse du Maghreb. Si son œuvre donne parfois à croire en une possible coexistence entre certaines formes du passé et la modernité, elle n’en dénonce pas moins le poids du patriarcat et la pratique de la polygamie qui écrasent et humilient la femme, comme dans Les Richesses de l’hiver (1990) ; la violence politique qui conduit à la disparition et à l’assassinat des innocents, comme dans La Beauté de l’icône (2003) ; la peine de l’exil et le refus de l’altérité, comme dans Rimm, la gazelle (1991) et Princesses. Elle est, en outre, animée par l’aspiration à un monde fraternel et pacifique et par la volonté de voir l’effondrement des barrières religieuses, politiques ou nationales, comme dans La Fête virile (1990) et Au loin les caroubiers (1992). F. Gallaire ne se limite pas, cependant, au simple constat d’une réalité sociale ; elle dépasse ce constat pour atteindre les dimensions d’un véritable témoignage universel contre l’oppression et l’assujettissement de l’être.
Christina OIKONOMOPOULOU
■ Il faut brûler tous les tambours, Montreuil, Mission livre et littérature du centre culturel La Noue, 1994 ; Jessie ou l’appel du désert, Paris, Syros, 1988 ; Théâtre I (Princesses, Les Coépouses, Au loin les caroubiers, La Fête virile), Paris, L’Avant-Scène, 2004 ; Camaïeu, Paris, L’Œil du prince, 2006.
■ SCHMIDT A., « Fatima Gallaire, à la recherche de la langue perdue », in Études littéraires maghrébines, no 16-17, 1998.
GALLANT, Mavis (née YOUNG) [MONTRÉAL 1922 - PARIS 2014]
Nouvelliste, auteure dramatique et journaliste canadienne.
Native du Québec, Mavis Gallant passe, dès l’âge de 4 ans, par diverses écoles publiques, couvents ou pensionnats. Sa mère se remarie à la mort de son père et l’envoie aux États-Unis. Son adolescence est marquée par l’effet déstabilisateur de déménagements perpétuels et un profond sentiment d’abandon. Après ses études, elle revient au Canada et travaille brièvement pour l’Office national du film avant de devenir journaliste au Montreal Standard, en 1944. Pendant ses années de journalisme, elle épouse le musicien John Gallant dont elle se sépare peu après. Elle publie ses premières nouvelles dans différents journaux et revues, dont Preview (1944), Standard Magazine (1946) et Northern Review (1950). Puis, en 1950, elle décide de se consacrer à l’écriture, part pour l’Europe, s’installe à Paris.
Elle est l’auteure de plus de 100 nouvelles, dont la plupart sont parues dans The New Yorker avant d’être rassemblées dans différents recueils : The Other Paris (1956), L’Été d’un célibataire (1964), Voyageurs en souffrance (1973) et The End of the World and Other Stories (1974). L’auteure assume un ton détaché et ironique pour décrire des personnages marqués par un parcours difficile – souvent des enfants ou des adolescents devant affronter l’angoisse d’une solitude qui rappelle sa propre enfance. Un autre thème qui domine son œuvre est celui de l’exil. Dans ses deux romans Ciel vert, ciel d’eau (1959), et Rencontres fortuites (1970), elle décrit le destin singulier d’expatriés, déstabilisés par leur manque d’appartenance et l’absence de repères familiers. Après avoir été longtemps négligée par la critique canadienne, en 1981, M. Gallant est faite chevalier de l’Ordre du Canada. En 1993, What Is To Be Done ? (1983), sa première pièce de théâtre, est représentée à Toronto. La même année, Voix perdues dans la neige (1981), recueil de nouvelles retraçant les circonstances difficiles de son enfance, reçoit le prix du Gouverneur général. Son recueil Overhead in a Balloon : Stories of Paris (« au-dessus dans un ballon, histoires de Paris », 1985), décrit la vie quotidienne française après l’Occupation. Dans Chroniques de mai 1968 (1988), elle aborde différentes facettes de la culture et de la société françaises. Pendant les dernières années de sa vie, M. Gallant contribue au New Yorker.
Catherine DHAVERNAS
■ Chroniques de mai 1968 (Paris Notebooks : Essays and Reviews, 1988), Paris, Deuxtemps, 1988 ; Voix perdues dans la neige, nouvelles (Home Truths : Selected Canadian Stories, 1981), Paris, Fayard, 1991 ; L’Été d’un célibataire (My Heart Is Broken, 1964), Paris, Fayard, 1991 ; Voyageurs en souffrance (The Pegnitz Junction : a novella and five short stories, 1973), Paris, Deuxtemps, 1992 ; Ciel vert, ciel d’eau (Green Water, Green Sky, 1959), Paris, Fayard, 1993 ; Rencontres fortuites (A Fairly Good Time, 1970), Montréal, Les Allusifs, 2009.
GALLARD, Johanna [LES LILAS 1978]
Fildefériste française.
Ayant commencé, à l’âge de 10 ans, l’apprentissage des disciplines de base à l’École nationale de cirque Annie-Fratellini*, Johanna Gallard choisit d’être fildefériste. En 1997, elle danse sur un fil tendu au-dessus du port de La Rochelle avec le ballet nautique de Moscou. Après de brefs passages au Cirque du Grand Céleste et au cirque Reno, elle s’intègre à la troupe du cirque Joseph Bouglione, adaptant sa prestation sur le fil à la thématique choisie. Elle participe également aux numéros d’acrobatie et de jonglerie dans le cadre de B comme Beethoven (1997) et Le Songe d’une nuit d’été (2000). Elle crée des spectacles en solo, sur le fil, dur ou souple : Au fil du temps (2002) Voyage au fil du vent, du chorégraphe Thierry Guedj, avec quatre danseurs au sol, pour la 17e Route du Cirque de Nexon en 2003 ; et, en 2005, Territoires inimaginaires, conte interprété sur une musique de Thierry Bazin qui l’accompagne au piano et à la guitare, présenté à Aubervilliers puis au théâtre du Ranelagh.
J. Gallard obtient une bourse Déclic de la Fondation de France pour Au fil du temps (2002) et le prix Beaumarchais pour Territoires inimaginaires (2005).
Marika MAYMARD
■ TABUTEAU P., « Johanna Gallard, du rêve au fil », in Le Cirque dans l’univers, no 207, 2002.
GALLARDO, Sara [BUENOS AIRES 1931 - ID. 1988]
Écrivaine et journaliste argentine.
Sara Gallardo appartient à une vieille famille argentine. Les voyages ont été une constante dans sa vie et ont parfois constitué la matière des fictions et des textes qu’elle a publiés dans plusieurs journaux et revues argentins (Atlántida, Platea, Primera Plana, Confirmado et La Nación, entre autres) pour gagner sa vie. Son premier roman, Enero (« janvier », 1958), s’inscrit dans la tradition du roman rural où la fille d’un ouvrier agricole narre ses malheurs. Ensuite vient Pantalones azules (« pantalon bleu », 1963), qui raconte la rencontre conflictuelle entre un jeune nationaliste catholique et une jeune fille juive. Los galgos, los galgos (« les lévriers, les lévriers », 1968) est quant à lui centré sur les tentatives du personnage principal pour devenir propriétaire. Pour Eisejuaz (1971), S. Gallardo crée un idiolecte afin de raconter la vie d’un Indien mataco obnubilé par la parole du « Seigneur ». En 1975, elle publie Historia de los galgos (« histoire des lévriers »), une version abrégée du roman de 1968, et, en 1977, El país del humo (« le pays de fumée »), son unique recueil de contes, dont le fil conducteur est le continent latino-américain et ses histoires. Son dernier roman, La rosa en el viento (« la rose dans le vent », 1979), se passe en Patagonie et dans d’autres lieux où se tissent des histoires de voyageurs. Il est édité à Barcelone, où elle s’est installée avec ses enfants après le décès de son second mari, l’écrivain et philosophe Héctor A. Murena, qui a inspiré son récit Un solitario (« un solitaire »). Elle a également écrit des textes pour enfants, tels que ¡Adelante, la isla ! (« en avant, l’île ! », 1982), qui inclut un bref récit autobiographique. La publication en 2004 de Narrativa breve completa (« recueil complet de nouvelles »), la présence de ses textes dans plusieurs anthologies et la réédition de ses livres rendent compte d’un intérêt renouvelé du public et de la critique pour son œuvre.
Lucía María DE LEONE
GALLEGOS, Mía [SAN JOSÉ 1953]
Poétesse costaricaine.
À l’âge de 23 ans, Mía Gallegos reçoit le Prix de la jeune création de l’Association des auteurs pour son livre Golpe de albas (« coups d’aubes »), prélude à d’autres récompenses, comme le prix international de la Fondation Fulbright pour son recueil de poèmes Makyo en 1983, et, la même année, le prix Rubén-Darío de vers illustrés pour son poème en prose « La mujer que conduce el coche » (« la femme qui conduit la voiture »). En 1985, elle réunit plusieurs poèmes, dont ceux de « Makyo », dans un recueil intitulé Los reductos del sol, qui obtient le Prix national de poésie. À la même époque, elle écrit quelques poèmes en prose sous la forme d’un journal intime qui paraîtra en 1995 sous le titre Los días y los sueños (« les jours et les rêves ») et réalise des lectures aux États-Unis. Dès lors, son œuvre est conservée aux archives sonores de la bibliothèque du Congrès de Washington et partiellement traduite en anglais. En 1989, elle inaugure la collection de poésie de la Universidad Estatal a Distancia (UNED) avec El claustro elegido (« le cloître choisi »), illustré par Francisco Amighetti. Après une décennie de silence, en 2006, elle publie El umbral de las horas (« le seuil des heures », Prix national de poésie), et réédite certains de ses textes. L’œuvre de M. Gallegos est brève, réfléchie et d’une profondeur philosophique notable dans le traitement de la solitude, de la destinée humaine et de la condition des femmes. Ses premiers poèmes se rattachent à la tradition de la poésie métaphysique costaricaine, dont elle refuse l’hermétisme, qu’elle épure pour partager son expérience de femme. Par la suite, sa vision du monde, lucide et proche du stoïcisme, s’enrichit grâce à la lecture de la littérature latino-américaine, en particulier de Jorge Luis Borges et sa réélaboration des mythes universels. Dans sa poésie, l’émotion est au service de l’apprentissage du dur métier de vivre et de la recherche de l’éternel féminin en lutte contre le chaos contemporain.
Carlos CORTÉS ZUNIGA
GALLI-CURCI, Amelita [MILAN 1882 - LA JOLLA 1963]
Soprano italienne.
Née dans une famille aisée, pianiste de premier ordre, Amelita Galli sort du Conservatoire de Milan en 1903 avec plusieurs premiers prix et commence une carrière de concertiste. Elle fréquente assidûment la Scala pour le plaisir et, de retour chez elle, chante en s’accompagnant au piano des airs qu’elle vient d’entendre. Un soir, chez des amis, elle chante des extraits de I Puritani de Vincenzo Bellini, en présence de Pietro Mascagni. Ébloui par sa voix, il lui conseille de se détourner du piano au profit du chant. Alors qu’elle hésite encore, elle reçoit de la petite ville de Trani une invitation à s’y produire en Gilda. Elle débute ainsi, à 24 ans, et obtient un triomphe tel qu’il faut immédiatement ajouter dix représentations supplémentaires. Sur le chemin du retour à Milan, elle s’arrête à Rome et demande une audition au directeur de l’Opéra : « Vous pouvez faire une grande affaire en m’engageant, lui lance-t-elle, car je suis fantastique et, pour le moment, je ne coûte pas cher. » Stupéfait par une telle audace, le directeur l’engage sur le champ pour une série de Rigoletto de Verdi et de Don Procopio de Bizet. La Scala de Milan lui propose le rôle de Lisa dans La Somnambule, mais, considérant qu’il ne s’agit pas du premier rôle, elle refuse et ne se produira jamais sur la première scène italienne. Mais elle chante partout en Italie, ainsi qu’en Égypte et en Amérique du Sud, étoffant au fur et à mesure son répertoire. Après sa tournée italienne en 1909, un journal de Ravenne la qualifie de « diva ». Bloquée à New York en 1916 à cause de la Première Guerre mondiale, elle est engagée par le directeur du Chicago Opera Company. La firme Victor Records lui fait enregistrer son premier disque. C’est un succès, qui dépasse les chiffres de vente d’Enrico Caruso. En 1921, à la mort de ce dernier, le Metropolitan Opera n’a plus de superstar. Giulio Gatti-Cassazza, son directeur, offre à A. Galli-Curci un pont d’or et l’ouverture de la saison 1921-1922 dans La Traviata, en novembre 1921. Pendant dix ans, elle fera les beaux soirs du « Met », y chantant notamment Lucia, Juliette, Dinorah… Atteinte d’une maladie, elle doit s’arrêter en pleine gloire, en janvier 1930, dans le rôle de Rosine. Elle se produit à nouveau à Chicago en 1936 dans Mimi, puis décide de se retirer définitivement.
Bruno SERROU
GALLIMARD, Simone [ÉTAMPES 1918 - NEUILLY 1995]
etGALLIMARD, Isabelle [PARIS 1951]
Éditrices françaises.
Fille d’André Cornu, un homme politique et haut fonctionnaire français, Simone Cornu épouse en 1939 Claude Gallimard, fils de Gaston Gallimard, fondateur de la célèbre maison d’édition. Leurs quatre enfants, Françoise, Christian, Antoine et Isabelle ont tous fait carrière dans l’édition. En 1957, G. Gallimard rachète le Mercure de France, dont le passé est glorieux mais le chiffre d’affaires déclinant. S. Gallimard en devient la directrice en 1962 et la P-DG en 1969. Des raisons financières l’empêchent de poursuivre la publication de la prestigieuse revue Mercure de France (1890-1965). En revanche, elle découvre de nombreux nouveaux auteurs qui deviendront des classiques, comme Georges Bataille, dont les premiers textes paraissent sous la couverture au pégase ailé. Sous sa direction, la maison d’édition recueille une moisson de prix littéraires, parmi lesquels le prix Femina à trois reprises, notamment en 1980, avec Joue-nous España de Jocelyne François (1933), et en 1991, avec Déborah et les anges dissipés de Paula Jacques*. Elle assiste également à un événement unique dans l’histoire littéraire, l’attribution simultanée des deux prix Goncourt et Médicis à Andreï Makine en 1995 pour Le Testament français, qui sera traduit en plus de 30 langues. En 1975, elle se retrouve au centre de la plus extravagante mystification littéraire de l’après-guerre lorsque Romain Gary reçoit, une seconde fois, le prix Goncourt pour La Vie devant soi, publié sous le pseudonyme d’Émile Ajar. La même année, elle publie la première édition de La Plastiqueuse à bicyclette de la résistante Jeanne Bohec. Outre le roman et la poésie, elle développe, à la suite du riche « Domaine anglais » fondé en 1964 par Pierre Leyris, une érudite « Bibliothèque américaine ». On lui doit également la création, en 1965, d’une collection historique de mémoires, « Le Temps retrouvé », dans laquelle seront notamment publiées en 1999 les Lettres de la Princesse Palatine (Charlotte-Élisabeth de Bavière*) et les Mémoires de Madame Campan, première femme de chambre de Marie-Antoinette. Publiant une trentaine de nouveautés par an et accordant un soin particulier à la fabrication, elle fête, en 1994, le centenaire de la maison par une très belle édition intégrale des Tableaux de Paris de Louis-Sébastien Mercier.
En 1995, sa fille, Isabelle Gallimard, prend la direction de la maison. La même année est créée une nouvelle collection, « Le Petit Mercure », animée par Colline Faure-Poirée, qui publie des textes courts, ainsi que des écrits inédits ou introuvables, par exemple de Françoise Dolto*. La place particulière accordée à la poésie est maintenue par I. Gallimard, sous la direction de laquelle sont édités des textes essentiels d’auteurs tels que Vénus Khoury-Ghata*, qui obtient le prix Goncourt de la poésie pour l’ensemble de son œuvre en 2011. Pour la littérature française, l’éditrice perpétue la tradition littéraire de la maison en exploitant le fonds tout en manifestant un intérêt soutenu pour la littérature contemporaine. Elle est notamment à l’origine de la publication de premiers romans comme Baby sitting d’Ellen Willer, en 2000, Les Enfants de la place de Yasmina Traboulsi, lauréate du Prix du premier roman 2003, ou Une bonne épouse indienne (2010) de l’écrivaine née en Inde Anne Cherian. La Société des gens de lettres a récompensé plusieurs de ses auteures, dont Christina Mirjol en 2007 pour Suzanne ou le récit de la honte, Pascale Kramer* en 2009 pour L’Incroyable brutalité du réveil, et Astrid Éliard en 2010 pour Nuits de noces. Parmi les auteures francophones, elle publie notamment Maryse Condé* et Gisèle Pineau* et, en littérature étrangère, les Indiennes Jumpha Lahiri*, lauréate du prix Pulitzer 2000 pour son premier livre, L’Interprète des maladies (1999), et Samina Ali, lauréate du Prix du premier roman étranger en 2003 avec Jours de pluie à Madras, ainsi que l’Israélienne Mira Maguen avec Des papillons sous la pluie (2008), la Mexicaine Chloe Aridjis, lauréate du Prix du premier roman étranger en 2009 pour Le Livre des nuages. Enfin, on peut citer la collection « Traits et portraits », créée en 2002, qui regroupe des autoportraits de romanciers, plasticiens, grands couturiers, photographes, comédiens, avec notamment, parmi les femmes invitées à l’enrichir, Catherine Cusset*, Rosetta Loy* ou Marie Ndiaye*.
Brigitte OUVRY-VIAL
GALLOIS, Dominique TILKIN [BELGIQUE 1950]
Anthropologue et documentariste belge.
Au Brésil depuis 1975, Dominique Gallois occupe le poste de professeure à l’université de São Paulo. Son travail auprès des indiens waiãpi commence en 1977, alliant des recherches ethnologiques à la formation de jeunes Indiens aux métiers d’instituteur et d’animateur culturel. Elle étend ensuite ses travaux à d’autres groupes amérindiens de la région, en particulier les Zo’é, et commence une nouvelle phase de son partenariat avec les Waiãpi en montrant dans les villages les vidéos qu’elle a réalisées : les habitants peuvent ainsi se voir et découvrir des images d’autres Amérindiens, tout en apprenant eux-mêmes à utiliser des outils audiovisuels. Six vidéos sont nées de cette initiative, dont l’une, Nossas festas (« nos fêtes », 1995), est l’œuvre de Kasiripinã, un indien waiãpi. Au sein du projet filmique du Centre de travail indigéniste, D. Gallois a réalisé plusieurs documentaires, le plus connu étant A arca de Z’oé (« l’arche des Zo’é », 1993). Son travail est emblématique d’un mouvement né dans les années 1980, lorsque les anthropologues cessèrent d’être de simples conseillers pour l’agence gouvernementale chargée des populations amérindiennes au Brésil, pour s’engager dans des programmes d’intervention auprès des communautés. C’est dans ce contexte qu’elle commence à utiliser l’audiovisuel comme moyen de promouvoir et d’intensifier la communication entre les Amérindiens eux-mêmes. Les images ont aussi permis de déconstruire les stéréotypes qui traduisent, pour un large public, la dynamique des cultures autochtones. Pour elle, la production audiovisuelle découle de son activité principale : l’ethnologie. Elle a toujours été intéressée par les « expressions culturelles » au sens classique (l’étude des récits mythiques, des rituels, etc.), mais aussi par la façon dont ces groupes s’approprient les nouvelles technologies et les médias. Aujourd’hui, une équipe de jeunes Waiãpi a pris en charge les archives ethnographiques écrites et filmées ; ils construisent avec les anciens un inventaire de leur patrimoine immatériel.
Carmen RIAL
■ Migração, guerra e comércio, os Waiãpi na Guiana, São Paulo, FFLCH-USP, 1986 ; Mairi revisitada, São Paulo, NHII-USP, 1994 ; Redes de relações nas Guianas, São Paulo, FAPESP, 2005.
■ Avec CARELLI V., O espírito da TV, 18 min, 1991 : ID., Placa não fala, 27 min, 1997 ; ID., Segredos da mata, 37 min, 1998.
GALLOWAY, Janice [SALTCOATS 1955]
Écrivaine britannique.
Après des études de musique et d’anglais à l’université de Glasgow, Janice Galloway enseigne à l’école primaire avant de se consacrer plus entièrement à l’écriture, qu’elle enseigne par ailleurs à la Faber Academy de Glasgow. Auteure de romans et de nouvelles, elle a également créé pour la BBC des séries radiophoniques alliant sa passion pour la fiction et pour la musique. Elle a en outre écrit un livret d’opéra, Monster (2002), et des textes en prose et poésie en accompagnement d’expositions et installations de l’artiste écossaise Anne Bevan*. Défiant le fait que la place des femmes n’est pas encore gagnée dans le monde des arts et des lettres, elle initie une littérature écossaise dans laquelle les femmes cherchent à se faire entendre. Ses héroïnes évoluent dans un monde dominé par les hommes mais dont elles refusent d’être les dupes ; elles luttent de tout leur corps – jusqu’aux limites du fantastique et du macabre – pour exprimer leurs sentiments dans un environnement sans concession.
Geneviève CHEVALLIER
■ Penser à respirer (The Trick is to Keep Breathing, 1989), Nantes, Le Passeur, 2004.
GALLUP, Patricia [1956]
Entrepreneuse américaine.
Patricia Gallup est l’une des rares entrepreneuses à la tête d’une grande société américaine. Étudiante en archéologie, elle rencontra son futur associé, David Hall, lors d’une randonnée dans les Appalaches, en 1976. Celui-ci la recruta en 1980 dans l’entreprise de matériel audio de ses parents. Ensemble, en 1982, ils fondèrent PC Connection, société de vente par correspondance d’ordinateurs, de logiciels et de périphériques. La créatrice en fit une entreprise d’importance nationale et une société respectée pour sa responsabilité sociale et environnementale. PC Connection révolutionna un marché encore balbutiant en offrant à ses clients, particuliers et organisations, une assistance technique et une livraison en vingt-quatre heures. Le site Internet de la société fut lancé en 1996. PC Connection fut introduit en Bourse en 1998 et dépassa en 1999 le milliard de dollars de chiffre d’affaires, entrant ainsi dans la liste prestigieuse des 1 000 plus grandes entreprises nord-américaines établie par Fortune. Le magazine cita également P. Gallup dans son classement des meilleurs jeunes entrepreneurs.
Alban WYDOUW
GALUP, Amélie (née FAURE) [BORDEAUX 1856 - PARIS 1943]
Photographe française.
En 1879, Amélie Faure épouse Albert Galup, un magistrat issu de la bourgeoisie protestante albigeoise, et mène, avec ses deux enfants, une vie confortable de femme de notable. En 1895, à l’âge de 39 ans, Amélie Galup prend ses premiers clichés à la chambre. On ne dispose d’aucune information sur ses motivations et sur sa formation aux techniques du médium. L’examen de ses albums et de ses négatifs, systématiquement classés, révèle une production amateur, typique de l’époque et de grande qualité. L’artiste pratique une photographie récréative ; aussi met-elle en scène son cercle intime mais pas seulement : ses portraits anonymes de la population rurale, réalisés lors d’excursions dans la région d’Albi, constituent un inventaire social et iconographique précieux. En 1901, date de la mort de son époux, elle s’installe à Paris et continue à photographier son entourage. Une première exposition rétrospective lui est consacrée à Saint-Antonin-de-Noble-Val en 1984. Ses 2 500 plaques négatives, conservées à la Médiathèque de l’architecture et du patrimoine, ont été acquises par l’État en 1986.
Damarice AMAO
■ Une femme photographe, de 1895 à 1901, Bonnafé C., Houlette M. (textes), Anglet/Paris, Atlantica/Au sans pareil, 2003.
GALVÃO, Patrícia Rehder VOIR PAGU
GÁLVEZ, María Rosa DE [MÁLAGA 1768 - MADRID 1806]
Poétesse et auteure dramatique espagnole.
Née de parents inconnus, María Rosa de Gálvez est adoptée par le colonel Antonio Gálvez et son épouse, puis instruite dans un milieu de militaires et d’hommes politiques, futurs modèles de ses personnages de fiction. Après son mariage avec le capitaine José Cabrera Ramírez, son cousin, elle s’installe à Madrid, où elle fréquente les cercles intellectuels. Jalousie et dettes de jeu de l’époux conduisent l’union à l’échec. M. R. de Gálvez s’est battue pour défendre sa condition d’auteure de théâtre et pour la publication de ses textes. Elle y parvient en 1804, non sans polémique, accusée de bénéficier d’un traitement de faveur − lié à sa relation avec Manuel Godoy, ministre de Charles IV − qui lui aurait permis de publier les trois volumes de ses Obras poéticas (« œuvres poétiques ») et d’assister aux premières de ses pièces, interprétées par les acteurs les plus réputés. Certaines de ses œuvres figuraient déjà dans El teatro nuevo español (« le nouveau théâtre espagnol », 1801).
Elle a écrit 17 tragédies, comédies et pièces brèves, une zarzuela, des poèmes, trois traductions : comédies néoclassiques, selon le goût de l’époque, comme Las esclavas amazonas (« les esclaves amazones »), La familia a la moda (« la famille à la mode »), Un loco hace ciento (« un fou en fait cent », 1801) ; tragédies et drames historiques, dont Blanca de Rossi, La delirante, ou Ali Bek. La même variété caractérise son œuvre lyrique, où voisinent odes héroïques et poèmes élogieux, anacréontiques, philosophiques et descriptifs. Bien qu’elle utilise les formes littéraires néoclassiques, elle introduit des éléments précurseurs de l’esthétique romantique : défense de la liberté des peuples et des individus, dénonciation de toute forme d’oppression, d’hypocrisie, d’imposture intellectuelle, de fanatisme ou d’esclavage ; décors exotiques d’une grande nouveauté, allant du monde biblique à l’Espagne contemporaine et coloniale. Elle transgresse la vision traditionnelle du monde féminin au travers de ses héroïnes : si certaines sont des victimes soumises à l’autorité masculine, entraînées dans des passions destructives (la folie et le suicide, seules issues devant l’injustice), d’autres sont des femmes fortes, indépendantes, qui dirigent leur propre vie. Elle défend les droits des femmes, comme l’aide aux veuves, la possibilité de choisir son époux, la séparation d’avec un mari irresponsable, l’amour hors mariage. Elle collabore à des publications périodiques, Variedades de Ciencias, Literatura y Artes, La Minerva et El Revisor General.
María José VILALTA
■ BORDIGA GRINSTEIN J., La rosa trágica de Málaga, vida y obra de María Rosa de Gálvez, Charlottesville, University of Virginia, 2003 ; CABRERA ORTIZ J. L., LUQUE ORTIZ A., El valor de una ilustrada, María Rosa de Gálvez, Málaga, Ayuntamiento de Málaga, 2005.
GALVIS HOLTZ, Ana [BOGOTÁ 1855 - ID. 1934]
Médecin colombienne.
Première femme médecin en Colombie, Ana Galvis Holtz, de famille aisée, est la fille du médecin colombien Nicanor Galvis et de la Suissesse Sofia Holtz. Comme une femme ne peut étudier à l’université en Colombie, elle sera en 1872 la première régulièrement inscrite à l’université de Berne où, déterminée et persévérante, elle reçoit le titre de docteur en médecine en 1877. Sa thèse, description minutieuse et détaillée de la structure cylindrique des tissus du placenta, porte sur l’épithélium amniotique, ce qui n’avait pas été bien étudié jusqu’alors. De retour à Bogota, elle se spécialise dans les maladies utérines et est reconnue comme la première spécialiste colombienne en gynécologie. La Chilienne Eloísa Díaz est diplômée en 1885, la Mexicaine Matilde Montoya en 1887 et l’Argentine Cecilia Grierson en 1889. Avant elles, les premières diplômées en médecine furent Elizabeth Blackwell* aux États-Unis en 1849 et Elizabeth Garrett Anderson* en Grande-Bretagne en 1870.
Annie DURANTE et Jacqueline PICOT
GAMBARA, Veronica [PRALBOINO 1485 - CORREGGIO 1550]
Poétesse italienne.
Née dans une famille aristocratique de la province de Brescia, Veronica Gambara reçut une éducation adaptée à son rang et manifesta très tôt une vocation littéraire. Après la mort de son mari, seigneur de Correggio, elle témoigna d’une grande habileté à gouverner ce petit État, qu’elle défendit des vues expansionnistes de Galeazzo Pico, seigneur de la Mirandole, résistant à l’assaut jusqu’en 1538. Selon le goût pétrarquisant, elle écrivit Le rime (« poèmes »), inspirés de son amour pour son mari et de considérations morales, et fut admirée par Pietro Bembo, l’Arioste, l’Arétin et le Tasse.
Marta SAVINI
■ Le rime, Florence, L. S. Olschki, 1995.
■ BOZZETTI C., GIBELLINI P., ENNIO S. (dir.), Veronica Gambara e la poesia del suo tempo nell’Italia settentrionale, atti del convegno, Brescia-Correggio, 17-19 ottobre 1985, Florence, Olschki, 1989 ; CHIMENTI A., Veronica Gambara, gentildonna del Rinascimento, un intreccio di poesia e storia, Reggio nell’Emilia, Magic Books, 1993 ; PIZZAGALLI D., La signora della poesia, vita e passioni di Veronica Gambara, artista del Rinascimento, Milan, Rizzoli, 2004.
GAMBARO, Griselda [BUENOS AIRES 1928]
Romancière et dramaturge argentine.
Depuis ses débuts, Griselda Gambaro alterne écriture dramatique et production narrative. Ses œuvres théâtrales sont liées à l’avant-garde et au théâtre de l’absurde, mais, au-delà de ces influences, sa poétique propre mêle le geste quotidien et la question existentielle, le local et l’universel, dans la vie et les relations entre hommes et femmes. Ce va-et-vient entre la représentation d’un pouvoir abstrait et omniprésent et les lignes d’une histoire intime se lit dans des pièces de théâtre telles que Viaje de invierno (« voyage en hiver », 1965) et Sólo un aspecto (« juste un aspect », 1971), où la violence domestique présente dans le lien matrimonial entre en résonance avec les mécanismes de répression de la sphère publique. Dans l’œuvre dramatique El campo (1967), elle pressent l’apparition des camps de torture qui séviront bientôt dans le pays. Dans La malasangre (« la rage au ventre », 1981), elle relie des événements historiques de l’Argentine sous le gouvernement de Juan Manuel de Rosas (1829-1852) au présent de l’écriture, en pleine junte. Lo que va dictando el sueño (« ce que dicte le rêve », 2002) consacre sa production dramatique et sa présence dans la mise en scène au niveau local et international. Vie et écriture semblent se croiser encore dans Gagner sa mort (1976), qui met en scène le personnage d’une jeune femme violée, objet de désir de ses bourreaux et marionnette dans sa vie familiale. La description des espaces clos et oppressants de l’orphelinat et de la maison, la représentation parodique des figures de l’autorité ont entraîné la censure de ce roman par la dictature militaire de 1976. L’écrivaine s’exile en 1977 à Barcelone où elle continue d’écrire. Son retour au pays s’accompagne de l’écriture de Lo impenetrable (« ce qui est impénétrable », 1984), un récit de désirs inhibés et de corps à la sexualité obturée, qui travaille jusqu’à la minutie le geste désopilant et le détail humoristique. Le tempo de l’œuvre de G. Gambaro épouse le rythme de la lutte contemporaine, avec une dimension visionnaire et une distance critique, sans sacrifier l’enjeu esthétique au nom de l’engagement. Ses textes explorent la capacité de résistance des corps, une forme de profonde résilience qui se manifeste en même temps sur la peau, dans les gestes et sur les membres. Dans cette optique, El mar que nos trajo (« la mer qui nous a amenés », 2002), est une histoire d’immigration où l’existence des personnages se résume à tenter de survivre. Dans les récits de Los animales salvajes (« les animaux sauvages », 2006), l’élasticité des corps arrive au paroxysme de la transformation : les traits humains et animaux fusionnent, la nature des relations s’inverse, et ce qui est humain est en permanence remis en question.
Elizabeth LERNER
■ Gagner sa mort (Ganarse la muerte, 1976), Paris, Des femmes-Antoinette Fouque, 1976.
GAMBIER DE ALVAREZ DE TOLEDO, Luisa [BUENOS AIRES 1915 - ID. 1990]
Médecin et psychanalyste argentine.
C’est très tôt que se manifesta chez Luisa Gambier de Alvarez de Toledo le désir de devenir médecin. Encore étudiante, elle découvre la psychanalyse et prend part aux premiers groupes d’études qui s’étaient formés à Buenos Aires, avant même la création de l’Association psychanalytique argentine. Sa rencontre avec Matilde Wencelblat de Rascovsky* et Arnaldo Rascovsky décide de son orientation vers la pratique analytique. En 1949, elle participe, avec Enrique Pichon-Rivière et Arminda Aberastury*, à la création du premier service hospitalier de psychiatrie psychanalytique pour adolescents. Elle donne de nombreuses conférences et séminaires en Uruguay et contribue ainsi à la formation de l’Association uruguayenne de psychanalyse. Son travail sur les mots, leurs associations et leurs interprétations, « Análisis del “asociar”, del “interpretar” y de “las palabras” », publié en 1954 dans la revue de psychanalyse de l’Association psychanalytique argentine, fera date. Dans cette même revue, elle publie en 1960 « Ayahuasca », étude psychanalytique menée au Pérou sur l’usage des drogues hallucinogènes – particulièrement le LSD – dans certaines communautés indigènes. L’interdiction de cette drogue l’empêchera de poursuivre son travail qui reste cependant l’une des rares études sur ce sujet.
Chantal TALAGRAND
GAMONET, Jeanne [PARIS 1940]
Écrivaine française.
Née d’une mère institutrice et anarchiste originaire du Loir-et-Cher et d’un père Rom Sinto piémontais, résistant pendant la Seconde Guerre mondiale, Jeanne Gamonet est à la fois une « fille du vent » et une dévoreuse de savoir. Elle a exercé plusieurs métiers avant de se consacrer à l’écriture de poèmes et de romans – en français et en romani –, à la recherche en linguistique et en histoire ainsi qu’à l’activisme politique. Elle parle de ses années d’avocate stagiaire comme d’une expérience passionnante mais préfère se tourner vers la télévision. Elle s’initie à l’histoire, à la peinture, à la philosophie, se nourrit d’opéra, rencontre des artistes et des intellectuels comme Salvador Dalí, Simone de Beauvoir*, où encore le chanteur guinéen Mory Kanté, qui lui parle de l’Empire mandingue ; elle est l’assistante du réalisateur Patrice Chéreau. Après une période difficile, elle reprend des études : licence de sanskrit, master de romani, doctorat d’étymologie. Elle se rend en Inde et en Espagne. Pendant sept ans, elle est interprète bénévole dans des bidonvilles pour Médecins du Monde et découvre la misère des siens, le racisme, la violence. En 2000, elle publie Périphérique blues, un roman policier qui joue avec les canons littéraires. Les écrits poétiques de J. Gamonet, en français comme en romani, sont érudits et sensibles ; ils évoquent l’histoire des Roms, de l’Inde à l’Espagne, les persécutions subies par ce peuple tout au long de son histoire, sa cosmogonie, ses rébellions.
Sarah CARMONA
GAMSARAGAN, Daria VOIR SARAG, Anne
GAN, Elena (ou HAHN) [RJICHTCHTEV 1814 - ODESSA 1842]
Écrivaine russe.
Issue d’une famille noble peu fortunée, Elena Andreïevna Gan est instruite par sa mère, une familière de Pouchkine. Mariée en 1830 au capitaine d’artillerie P. A. Gan, elle entame une vie de femme de militaire, marquée par les déplacements fréquents et les difficultés financières qui usent sa santé de tuberculeuse. En 1836, elle rencontre à Saint-Pétersbourg Senkovski, rédacteur du Cabinet de lecture qui, un an plus tard, publie sa première nouvelle, Ideal (« l’idéal »), sous le pseudonyme de Zeneida R-va. Elle devient alors l’un des auteurs régulièrement publiés dans la revue. En quelques années, elle publie un grand nombre de récits, notamment Utballa (1837), Dschellaledin (1838), Medal’on (« le médaillon », 1839), Teofaniia Abbiadjio (« Théophanie Abbiagio », 1840). La collaboration avec Senkovski prend fin suite au mécontentement causé par les corrections et modifications abusives de ses récits par le rédacteur. En 1842, elle accepte une proposition de Kraïevski de publier ses récits dans la revue Otietchestvennye Zapiski (« les annales de la patrie ») où paraissent ses derniers écrits Naprasnyï dar (« le don inutile »), Lioubin’ka (« la petite Liouba »), Tsvetotchnitsa (« la fleuriste »). Elle meurt à Odessa où elle était partie se soigner. Ses récits, qui reflètent la plupart des idées essentielles du romantisme ainsi que ses propres réflexions sur la condition féminine ont marqué son époque. Les éléments autobiographiques confèrent à son œuvre une profonde sincérité : ses héroïnes n’ont pas une vie conjugale heureuse et vivent dans la solitude et un quotidien peu réjouissant. Son thème principal est la rencontre brutale entre le monde poétique féminin et la vie.
Svetlana SAMOKHINA-TROUVÉ
■ (HAHN Mme), Utballa (Outballa) in Les Perce-Neige, nouvelles du Nord, Paris, Garnier, 1854 ; Dschellaledin (Djellaledin. Krymskaïa povest’), in Les Perce-Neige, nouvelles du Nord, Paris, Garnier, 1854.
■ KELLY C., A History of Russian Women’s Writing 1820-1992, Oxford, Oxford University Press, 1994.
GAN, Mme VOIR FENG YUANJUN
GANDHI, Indira (née Pryadarshini NEHRU) [ALLAHABAD, CACHEMIRE, AUJ. UTTAR PRADESH 1917 - NEW DELHI 1984]
Femme politique indienne.
Deuxième femme au monde à accéder aux plus hautes fonctions politiques, Indira Gandhi a soutenu les mouvements féministes en précisant qu’elle souhaitait faire reconnaître le potentiel des femmes et leur permettre de développer leur propre personnalité, ce qu’elle a incarné dans sa propre vie. Le père d’I. Gandhi, Jawaharlal Nehru, avocat et président du parti national du Congrès, a été le premier président de l’Inde indépendante. Avec son propre père, il a choisi de rejoindre Gandhi et le mouvement de non-coopération contre l’impérialisme britannique, renonçant ainsi au luxe et à son activité professionnelle. Sa mère, Kamala, née dans un milieu plus modeste, a reçu une éducation scolaire sommaire. Malmenée par sa belle-famille et de santé fragile, elle meurt en 1936. Fille unique, I. Gandhi a relaté à ses biographes que sa mère prenait soin de la traiter comme un petit garçon. À 12 ans, elle crée la brigade des Singes, qui aide les indépendantistes par toutes sortes de petites tâches. L’adolescente rencontre à plusieurs reprises le Mahatma Gandhi en prison et suit les enseignements de Rabindranath Tagore. Pour parfaire son éducation, son père lui écrit régulièrement lors de ses séjours en prison (Glimpses of World History, 1942). Elle étudie l’économie et la sociologie à Oxford aux côtés d’un ami de sa mère, Feroze Gandhi, journaliste, avec qui elle choisit de se marier en 1942. Elle a un premier fils, Rajiv, en 1944, et un second, Sanjay, en 1947. À l’Indépendance, le Mahatma Gandhi lui confie la charge des réfugiés musulmans. Au sein du parti Congrès, où elle milite depuis 1938, elle s’occupe des femmes et des jeunes, puis elle en prend la présidence en 1959. À la mort de son père en 1964, le nouveau Premier ministre lui propose le ministère de l’Information et de la Radiodiffusion. Lorsqu’il décède en 1966, elle lui succède, après avoir mené une bataille interne qui conduit à la scission du parti. Représentante de l’aile gauche, elle s’allie avec le parti communiste. Premier ministre, elle accepte la séparation, au Pendjab, des zones linguistiques (pendjabi et hindi), libère le cheikh Abdulah, partisan de l’autonomie du Cachemire, rétablit la paix par la négociation dans les régions tribales de l’Assam et abolit en 1970 les privilèges des maharadjahs et princes. On lui doit une importante réforme agraire qui permit à l’Inde d’atteindre l’autosuffisance alimentaire. Réélue sans difficulté en 1971, elle cumule les fonctions de ministre de l’Énergie atomique, des Affaires étrangères et la direction de la Commission du plan. Elle offre en 1971 à l’Inde une victoire militaire décisive contre le Pakistan, qui conduit à la création du Bangladesh. En 1974, elle dote l’Inde de l’arme nucléaire. Elle est aussi l’une des figures majeures des pays non alignés. En juin 1975, l’opposition particulièrement virulente fait invalider son élection. I. Gandhi décrète alors l’État d’urgence, exerce une censure totale sur la presse et fait arrêter des parlementaires de l’opposition. Très critiquée, ainsi que son fils cadet Sanjay, elle perd les élections en 1977. Le Parti du peuple indien l’accuse d’excès de pouvoir, la fait arrêter, juger et même emprisonner quelques jours. Elle regagne les élections de 1980, mais perd Sanjay quelques mois plus tard dans un accident d’avion. Elle prépare alors son fils aîné, Rajiv, à la politique. Au début des années 1980, les revendications indépendantistes des sikhs dans la région du Pendjab créent une forte tension dans le pays. I. Gandhi est assassinée par ses gardes du corps sikhs le 31 octobre 1984. Cet assassinat est suivi de plusieurs jours d’émeutes contre les sikhs, faisant des centaines de morts. Elle est encore aujourd’hui l’objet d’une dévotion dans sa maison de New Delhi, transformée en musée.
Sandrine DAUPHIN
■ Inde. Hommes, rites et dieux (Eternal India, 1980), Lausanne/Paris, Edita/Lazarus, 1978 ; Avec POUCHPADASS E., Ma vérité (My Truth, 1980), Paris, Stock, 1979.
■ PUPUL J., Indira Gandhi (Indira Gandhi. An Intimate Biography, 1992), Paris, Plon, 1994.
GANDHI, Shanta [NASHIK, MAHARASHTRA 1917 - NEW DELHI 2002]
Danseuse, auteure et productrice d’œuvres dramatiques indienne.
On doit à Shanta Gandhi et à son travail de pionnière la renaissance de l’ancien théâtre sanskrit et du théâtre musical populaire bhavai du Gujarat. Étudiante en médecine en Angleterre, elle doit interrompre ses études à l’annonce de la Seconde Guerre mondiale. Elle rejoint alors l’Académie de danse et de musique d’Uday Shankar, à Almora, où elle séjourne jusqu’en 1942. Puis elle devient membre fondateur de la troupe de danse de l’Indian People Theatre Association (la Little Ballet Troupe), qui sillonne l’Inde dans les années 1950 avec des créations devenues légendaires : India, Immortal (« l’Inde immortelle »), Man and Machine (« l’homme et la machine »), auxquelles participent Ravi Shankar, Shanti Bardhan et d’autres célébrités. En 1952, elle lance un programme éducatif expérimental avec des enfants du village de Nikora (sud du Gujarat), qui se poursuivra à l’Institute of Child Psychology and Development d’Ahmedabad, puis en 1970 à la Bal Bhavan de New Delhi, pour prendre le nom d’Abacus en 1990, dans le cadre du centre Avehi qu’elle crée et dirige. Grâce à une bourse de l’Unesco, elle effectue des séjours d’études aux États-Unis, en Europe et en France, à l’école de Marcel Marceau. À partir de 1958, professeure de théâtre indien ancien à l’Asian Theatre Institute (intégré plus tard à la National School of Drama), elle entreprend de faire revivre les œuvres des auteurs du théâtre sanskrit ancien par des productions en langue hindi : Kalidasa, Vishakhadatta, Bhavabhuti et plusieurs pièces de Bhasa. En 1968, elle produit Jasma Odhan (du nom de l’héroïne, de la communauté Odh) dans le style bhavai, d’après une légende gujarati sur la pratique du sati – immolation de la veuve sur le bûcher de l’époux –, qui fait date dans l’histoire du théâtre contemporain et qui reste populaire encore aujourd’hui.
Milena SALVINI
GANDHI, Sonia (née Antonia MAINO) [LUSIANA, ITALIE 1946]
Femme politique indienne.
Antonia Maino devient, par son mariage avec Rajiv Gandhi en 1968, la belle-fille d’Indira Gandhi*, alors Première ministre de l’Inde. Italienne, catholique, fille d’entrepreneur en bâtiment, elle adopte la nationalité et la culture indiennes. Les assassinats d’Indira Gandhi en 1984, puis celui de Rajiv vont amener Sonia Gandhi sur la scène politique. Bien que n’ayant jamais caché son peu d’intérêt pour le pouvoir, elle est considérée comme héritière de la dynastie Nerhu-Gandhi, qui dirige l’Inde depuis près de quarante ans. Par sens du devoir et des responsabilités, dit-elle, elle accepte en 1998 la présidence de l’Indian National Congress, parti créé en 1885 et qui a conduit l’Inde à l’indépendance, mais qui est déchiré par des luttes internes et doit faire face au parti nationaliste. Novice en politique, S. Gandhi ne ménage pas sa peine pour mener une campagne obstinée dans toute l’Inde et noue un contact chaleureux avec les paysans et les petites gens. Élue députée en 1999, soutenue par sa fille Priyanka Vadra, elle résiste aux campagnes de dénigrement menées contre elle et mène son parti à la victoire en 2004. Être présidente du Parti du Congrès conduit automatiquement à devenir Première ministre : pourtant, S. Gandhi se désiste en faveur de Manmohan Singh. La coalition qu’elle dirige remporte les élections de 2009. En 2010, elle commence son quatrième mandat de dirigeante du parti. Si elle n’exerce pas la fonction suprême, elle est considérée dans le classement Forbes comme une des femmes les plus influentes du monde.
Jacqueline PICOT
■ CHIPAUX F., « Sonia Gandhi, le sphinx de Delhi », in Le Monde, 15-16 févr. 1998 ; ID., « Sonia Gandhi », in Le Monde, 20 mai 2004.
GANGNEUX, Marie-Christine [NANTES 1947]
Architecte française.
Diplômée de l’École des beaux-arts en 1971, Marie-Christine Gangneux s’engage très tôt dans une activité de critique et de chercheur. Elle travaille de 1970 à 1972 au sein de l’Atelier d’urbanisme et d’architecture (AUA), groupe d’une vingtaine de professionnels de divers horizons souhaitant ouvrir leurs disciplines aux sciences sociales. Puis, de 1974 à 1978, elle fait partie de l’équipe qui, sous la direction de Bernard Huet (1932-2001), renouvelle la ligne éditoriale de la revue L’Architecture d’aujourd’hui ; elle y signe des articles et est, par exemple, à l’initiative de numéros thématiques sur le logement. À partir de 1976, elle enseigne à l’École nationale supérieure d’architecture de Paris-Belleville et ouvre sa propre agence en 1978. Ses réalisations – dont nombre d’équipements comme le collège Paul-Éluard (Nanterre 1980), le centre d’accueil des étrangers (Bobigny, 1991-1996), le bâtiment universitaire Pierre-de-Fermat (Versailles - Saint-Quentin-en-Yvelines 1995-2004) ou le pôle psychiatrique de Bures-sur-Yvette (2003-2008) – témoignent de l’importance qu’elle accorde aux usages et à la gestion des flux. Qu’il s’agisse d’amphithéâtres, de lieux d’accueil (hôpital Maison-Blanche, Paris 1998-2005), de salles des pas perdus ou de classe (lycée André-Sabatier, Bobigny 1982-1984), la lumière naturelle transite souvent par un espace intermédiaire – coursive, rue intérieure – ou est filtrée par une résille. La générosité et la fluidité des espaces communs doivent faciliter la communication et dédramatiser des lieux lourds de sens comme palais de justice ou hôpitaux. Elle a également réalisé une série de petits immeubles de logements à Paris, privilégiant des façades inscrites dans une continuité urbaine.
Élise KOERING
■ « Logement et formes urbaines », in L’Architecture d’aujourd’hui, no 187, oct.-nov. 1976.
■ CHEMETOV P., « Collège Paul-Éluard, Nanterre », in L’Architecture d’aujourd’hui, no 223, oct. 1982.
GANGULI, Usha [JODHPUR, RAJASTHAN 1945]
Metteuse en scène et actrice indienne.
Après des études de danse bharatanatyam (style traditionnel du sud de l’Inde) et de littérature hindi, Usha Ganguli devient professeure au Bhowanipur Education Society College de Calcutta en 1970. Sa vocation profonde s’imposant à elle, elle poursuit sa formation auprès de Tripti Mitra*, à Calcutta. Puis en 1976, elle forme sa propre troupe, Rangakarmee, composée d’un important bataillon de jeunes comédiens disciplinés et déterminés dont elle dirige toutes les productions tout en interprétant des rôles majeurs. Par son style énergique et personnel, elle redonne de l’élan au théâtre en langue hindi de Calcutta. Elle traduit, adapte et met en scène, enchaîne les spectacles et sillonne l’Inde avec sa troupe, se produisant devant tous les publics, des plus sophistiqués aux plus défavorisés. Parmi ses mises en scène les plus importantes, citons : Mahabhoj (« le grand festin », 1984), de Mannu Bhandari ; Lokkatha (« un conte populaire », 1987), de Ratnakar Matkari ; Holi (« fête sacrée », 1989), de Mahesh Elkunchwar ; et Rudali (1992), adaptation de la vie de Mahasweta Devi*. De cette dernière, en 2008, elle met en scène Mukti, l’une de ses rares productions en langue bengali, vibrante d’émotions de femme, et y interprète le personnage. En 2010, dans le cadre du festival de la National School of Drama, à Delhi, elle écrit et dirige Bhor, dont l’action se déroule dans un centre de réhabilitation de jeunes drogués. Le théâtre est pour elle l’instrument d’éducation le plus puissant, pour améliorer la société par le divertissement. U. Ganguli s’investit pour introduire le théâtre dans les écoles et déplore l’importance donnée à ce qu’elle appelle le Bollywood masala, au détriment de l’art théâtral. Elle a foi en la force de persuasion d’un jeu théâtral dénué artifices.
Milena SALVINI
GANJAVI, Mahsati [GANDJA, AUJ. EN AZERBAÏDJAN V. 1089 - ID. apr. 1159]
Poétesse persane.
Reconnue et citée par plusieurs poètes majeurs de la littérature persane, Mahsati Ganjavi est l’une des rares poétesses de son temps que l’histoire littéraire ait retenues. Il reste aujourd’hui nombre de ses quatrains, genre dans lequel elle excellait et où elle célébrait les plaisirs de la vie. À l’instar de son contemporain Omar Khayyâm (v. 1047 - v. 1122) qu’elle a probablement connu – on peut d’ailleurs se demander lequel des deux a exercé une influence décisive sur l’autre –, elle a composé des quatrains philosophiques, les robaïyat, questionnant le sens de la vie, l’être et le néant, mais fustigeant aussi, de cette manière oblique si typiquement persane, le dogmatisme religieux. La seule résolution de l’insoutenable néant de l’existence semble pour elle se situer dans un hédonisme amoureux qui se déploie dans la sensualité de ses vers, faisant d’elle une des meilleures représentantes de la tradition de l’amour sensuel en littérature persane. C’est sans doute pour cela qu’on lui a accolé l’image d’une femme aux mœurs condamnables ayant eu des relations avec, entre autres, certains hommes de pouvoir de son temps. Versée aussi bien en poésie qu’en musique, elle fréquenta d’abord la cour du prince Moghith al-Din à Gandja, où elle administrait les activités culturelles, puis fut admise comme poétesse officielle à la cour du sultan seldjoukide Sandjar, qui l’admirait pour ses talents poétiques. Après l’emprisonnement et la mort de ce dernier, elle finit sa vie dans une grande solitude. Sa tombe, réaménagée en 1980, peut être visitée à Gandja.
Leili ANVAR
■ RYPKA J., History of Iranian Literature, Dordrecht, D. Reidel Publishing Company, 1968 ; BROWNE E. G., A Literary History of Persia, from Firdawsí to Sa’adí (1951), Cambridge, Cambridge University Press, 1969.
GANNON AND HANDS – AGENCE D’ARCHITECTURE [États-Unis XIXe siècle]
Cette agence d’architecture est aujourd’hui considérée comme la première dirigée par des femmes aux États-Unis. Mary Nevan Gannon (1867) et Alice J. Hands ont fait partie de la première promotion du programme d’architecture de la New York School of Applied Design for Women (Nysad) et obtinrent leur diplôme en 1894. Elles connaissent très rapidement le succès, après avoir remporté la même année le concours pour le Florence Hospital de San Francisco, qu’elles réalisèrent elles-mêmes. Dès 1894, elles sont également chargées, en tant que membres du Comité d’hygiène du 10e arrondissement de New York, d’une enquête sur les conditions d’habitation. Pour éprouver la question du logement collectif et l’impact de la pauvreté sur la démographie, elles décident d’habiter six mois d’hiver dans l’un de ces immeubles. Elles y découvrent des loyers élevés, des conditions d’hygiène mauvaises et une intimité bafouée. Leur expérience les conduit à améliorer les normes sanitaires, l’éclairage, la ventilation et les relations spatiales, tout en créant des biens immobiliers rentables. Leurs immeubles innovants et économiques contribuent à leur réputation. Parmi leurs réalisations new-yorkaises, citons un immeuble modèle, sur la 71e rue (1895), le Student Apartment House, sur la 20e rue (1895), le New Era Building (1896) et deux hôtels pour femmes, construits en 1895 et 1897. Elles sont les premières à être reconnues par la Ligue des architectes, bien que ses règlements n’admettent pas que les femmes se présentent à des concours. Leur agence offrait une gamme complète de services, depuis les plans jusqu’au devis et à la gestion des bâtiments. Elles insistent sur l’égalité des sexes et la reconnaissance basée sur le mérite, et refusent de baisser leurs tarifs et de brader leur travail, soutenant la concurrence avec leurs collègues masculins.
Lori BORWN
■ ALLABACK S., The First American Women Architects, Urbana, University of Illinois Press, 2008.
GAO YAOJIE [CAIXIAN, SHANDONG 1927]
Médecin, militante antisida chinoise.
Gao Yaojie s’est illustrée depuis les années 1990 en Chine par son combat inlassable pour faire reconnaître aux autorités l’ampleur de l’épidémie de sida dans sa province du Henan. Ancienne gynécologue, elle sort de sa retraite en 1996 après avoir diagnostiqué le sida chez une patiente que d’autres médecins pensent atteinte d’un mal mystérieux. Elle découvre que le virus se transmet de manière exponentielle dans sa province, à cause de pratiques de collecte sanguine défiant toute règle d’hygiène. Dans certains villages pauvres où les paysans vendent leur sang pour survivre, plus de 65 % de la population se retrouve contaminée par le virus. Son mari, cadre communiste, a longtemps été son seul soutien face au harcèlement constant des autorités provinciales, complices de ces pratiques dangereuses. Les obstacles ne l’empêchent pas de parcourir les villages pour distribuer des médicaments, de lutter contre les postes illégaux de collecte de sang et de réclamer une justice impitoyable contre les officiels responsables. Pour Gao Yaojie, les principaux modes de transmission du virus en Chine sont étroitement liés à la pauvreté en milieu rural. Elle reproche aux campagnes de prévention de mettre exagérément l’accent sur les modes de transmission par la drogue ou la voie sexuelle, alors que c’est la mauvaise gestion du système de santé qui devrait être remise en cause. Elle reçoit le prix Jonathan Mann pour la santé et les droits de l’homme du Conseil mondial pour la santé (Global Health Council) en mai 2001.
Anne LOUSSOUARN
GAO YU [CHINE 1944]
Journaliste d’investigation chinoise.
En 1962, dans la plus grande agitation, alors que la grande famine chinoise tue des millions de personnes et que le régime aux abois ne peut plus assurer l’activité économique et l’éducation, Gao Yu commence sa formation en « nouveaux médias ». Les cours étant annulés, elle s’inscrit en littérature à l’université de Renmin. Sa carrière commence en 1979 dans une agence de presse et elle devient, en 1988, adjointe au rédacteur en chef d’un journal d’opposition, The Economics Weekly, interdit en 1989 après les manifestations de la place Tian’anmen. Auteure d’un article qualifié par le gouvernement de « programme politique de l’agitation et de la rébellion », elle est déclarée « ennemie du peuple » en 1988 et arrêtée lors des manifestations de 1989. Emprisonnée dans une prison pour malades mentaux dans des conditions épouvantables, Gao Yu est relâchée quatorze mois plus tard pour problèmes de santé et termine sa peine chez elle, sous surveillance. Elle reprend alors le journalisme en tant que correspondante indépendante pour des journaux de Hongkong comme Open (« ouverture ») et The Trend (« tendance »). De nouveau arrêtée le 2 octobre 1993, elle est condamnée à six ans de prison après un procès bâclé qui la déclare coupable de divulgation de secret d’État pour avoir écrit quatre articles au sujet des changements économiques et structurels du pays prévus par le parti communiste dans le Hong Kong’s Mirror Monthly (« le miroir mensuel de Hongkong ») et le Overseas Chinese Daily (« le quotidien des Chinois d’outre-mer »). En avril 2015, accusée d’avoir dévoilé sur internet un document interne du parti communiste, Gao Yu est à nouveau condamnée à sept ans de prison. La Plume d’or de la liberté, de l’Association mondiale des journaux, et le prix du Courage de l’IWMF, la Fondation internationale des femmes dans les médias, lui sont décernés en 1995, ainsi que le Prix mondial de la liberté de la presse Unesco/Guillermo-Cano en 1997, ce que Pékin condamne, menaçant de se retirer de l’organisation.
Audrey CANSOT
GARAS, Klára [BUDAPEST 1919]
Historienne de l’art hongroise.
Bien que son père soit ingénieur, Klára Garas montre un intérêt précoce pour les humanités et pour l’histoire de l’art en particulier. Après un séjour à Paris en 1939, découvrant qu’elle venait d’un « petit monde fermé », elle met sa bicyclette sur le train et « pédale » vers des lieux éloignés afin de collecter des matériaux pour sa thèse. Elle obtient un doctorat en histoire de l’art et archéologie de l’université Péter-Pázmány en 1941. Elle survit à la déportation des Juifs de Hongrie, se cachant avec un prisonnier de guerre polonais en fuite. En 1945, elle joue un rôle important dans la réorganisation de la vieille galerie du musée des Beaux-Arts. Employée de musée (1945-1951), collaboratrice scientifique (1951-1964), puis directrice du musée des Beaux-Arts (1964-1984), K. Garas gravit avec constance les échelons de la carrière académique, obtenant en 1961 le doctorat de l’Académie des sciences. En 1973, elle devient membre de l’Académie hongroise des sciences – seulement trois femmes avaient alors accédé à ce statut – et, en 1985, elle obtient une chaire de l’Académie, le grade le plus élevé. Consacrant sa vie au travail scientifique, voyageant dans de nombreux pays européens, elle est restée fidèle au Musée, dont les expositions et l’accroissement des collections ont compté parmi ses préoccupations majeures. Quand elle découvre qu’elle est moins rémunérée, en tant que femme, que des collègues masculins du même grade, elle décide de passer l’examen le plus élevé en trois langues étrangères (anglais, allemand, français), afin que les bonus ajoutés à son salaire compensent cette inégalité. K. Garas joue un rôle important dans l’histoire de l’art hongroise. Ses œuvres novatrices offrent de nouvelles perspectives sur la période baroque et sur la Renaissance. Intéressée par les peintres du Baroque hongrois et par l’art de l’Europe centrale aux XVIIe et XVIIIe siècles, elle étudie également le dessin en Europe entre les XVIe et XVIIIe siècles. Elle publie un nombre considérable de livres et d’articles (dont beaucoup en langues étrangères), qui représentent des avancées fondamentales pour l’histoire de l’art. Elle formule certaines conclusions déterminantes pour l’iconographie et la critique du style. Parmi ses livres importants : Magyarországi festészet a XVIII. században (« peinture hongroise du XVIIIe siècle », 1955) ou des monographies telles Franz Anton Maulbertsch, 1724-1796 (1960) et Olasz reneszánsz portrék (« portraits de la Renaissance italienne », 1973). Secrétaire puis présidente du Comité de l’histoire de l’art de l’Académie hongroise des sciences de 1956 à 1959, K. Garas reçoit plusieurs récompenses pour ses travaux scientifiques, dont la médaille Ferenc-Móra (1977).
Zsófia Eszter TOTH
■ FERENC H. (dir.), Garas Klára művészettörténész. Nők a tudományban, Budapest, Medicina Könyvkiadó, 2008 ; TÓTH Z. E., « Garas Klára », in BALOGH M., PALASIK M.(dir.), Nők a magyar tudományban, Budapest, Napvilág Kiadó, 2010.
GARAT, Anne-Marie [BORDEAUX 1946]
Écrivaine française.
Née dans un quartier ouvrier, Anne-Marie Garat est l’héritière du roman réaliste et simultanéiste, mais ses fictions, par les traumatismes qu’elles évoquent et la réflexion sur la mémoire, traversée par les deux guerres mondiales, s’inscrivent bien dans le second XXe siècle. Ses romans se nourrissent souvent du développement d’une image, mémorielle, imaginaire ou photographique (Photos de famille, 1994 ; L’Amour de loin, 1998 ; La Rotonde, panorama, 2004). Ses personnages sont partagés entre la force, l’énergie de vivre (Dans la main du diable, 2006), et la fragilité, la mélancolie de survivre (Istvan arrive par le train du soir, prix Thyde-Monnier 1999 ; Nous nous connaissons déjà, 2003). Un romanesque du contingent, indécidable et inachevé, renouvelle le roman historique auquel s’apparentent ces deux derniers livres, d’un souffle et d’un volume plus amples.
Marie-Hélène BOBLET
■ L’Insomniaque, Paris, Flammarion, 1987 ; Chambre noire, Paris, Flammarion, 1990 ; Aden, Paris, Seuil, 1992 ; Les Mal Famées, Arles, Actes Sud, 2000 ; L’Enfant des ténèbres, Arles, Actes Sud, 2008 ; Pense à demain, Arles, Actes Sud, 2010.
GARAUD, Marie-France [POITIERS 1934]
Femme politique française.
Juriste, issue d’une famille de juristes, Marie-France Garaud exerce son influence dans les cabinets ministériels, dont celui de Jean Foyer. Elle est ensuite la collaboratrice de Georges Pompidou, à l’Hôtel de Matignon puis à l’Élysée, avant de devenir conseillère de Jacques Chirac jusqu’en 1979. Vue comme une « éminence grise », elle sort de l’ombre pour être candidate, en solitaire, à l’élection présidentielle de 1981, où elle obtient 1,3 % des suffrages exprimés. Aux élections européennes de 1999, elle est élue sur la liste souverainiste de Charles Pasqua. Elle préside l’Institut international de géopolitique, qu’elle a fondé.
Mariette SINEAU
■ SINEAU M., La Force du nombre : femmes et démocratie présidentielle, La Tour-d’Aigues, L’Aube, 2010.
GARAY, Hélène DE [TOULOUSE 1944]
Architecte vénézuélienne.
Après avoir achevé ses études à la faculté d’architecture et d’urbanisme de l’Université du Venezuela en 1967, Hélène de Garay a travaillé au sein des services municipaux de Caracas, puis a ouvert, en 1974, sa propre agence dans cette ville. Elle a exposé ses projets en 1985, lors de la Biennale de Venise, et, en 1987, à celle de Caracas, où elle obtint un premier prix pour un hangar industriel au dessin moderniste. Sa production, importante, compte plusieurs ensembles d’habitations collectives à Caracas, de la résidence Oasis, dans le quartier de la Campiña (1976-1979), à l’immeuble Alameda, dans le quartier El Rosal (2000-2004), animé de balcons ondulants en brique. Elle a également signé des équipements publics, comme le géométrique palais de justice de Barcelone (1998-2002), et des immeubles de bureaux, dont celui de la Fosforera Venezolana (1988-1990), à Caracas, qui remporta le premier prix de la Biennale de Quito de 1990. Cette dernière réalisation a démontré sa maîtrise du rationalisme, employé avec spontanéité, flexibilité et créativité. Construit dans un quartier dégradé où se mêlaient de façon désordonnée anciens bâtiments industriels et habitat, il est organisé autour d’une cour centrale articulant deux prismes de cinq étages. Cette cour est naturellement éclairée grâce à une couverture transparente et à quelques fentes. Les façades constituent une « double peau » de jardinières et de brise-soleil permettant le contrôle de la lumière extérieure. Une autre de ses œuvres a attiré l’attention internationale, l’important centre commercial de Los Molinos (1975-1979), toujours à Caracas, dont la création visait à revaloriser le paysage urbain et à mettre en valeur la circulation des piétons sur l’avenue San Martin, par le biais de l’installation d’une structure groupant services, commerces et loisirs.
Ana Gabriela GODINHO LIMA et Maria Christina DE CAMPOS GODINHO
■ DIAZ J., Hélène de Garay, vida y arquitectura, Caracas, Fundación Empresas Polar, 2009 ; FERNANDEZ COX C., America latina, nueva architectura, una modernidad posracionalista, Naucalpan, Gili, 1998.
■ « Los Molinos shopping center, Caracas », in A & U, no140, mai 1982.
GARBER, Mary [NEW YORK 1916 - WINSTON-SALEM 2008]
Journaliste sportive américaine.
Ayant commencé à écrire sur l’athlétisme il y a plus de soixante ans, à une époque où les journalistes sportives étaient bannies de la tribune de presse, sans même parler des vestiaires, Mary Garber est une pionnière. Ses débuts sont parsemés de difficultés : les entraîneurs la traitent avec condescendance, ses collègues l’ignorent et les associations professionnelles l’excluent. Pourtant, elle poursuit sa tâche, en commençant par des reportages sur l’athlétisme dans les lycées et les universités. Ses éditeurs finissent par obtenir des universités de Caroline du Nord qu’elles lui donnent accès à la tribune de presse. Elle rappelle pourtant les pratiques discriminatoires dont elle est témoin en portant pendant plusieurs années une plaquette qui indique : « Les femmes et les enfants n’ont pas accès à la tribune de presse. » Plus tard, elle écrit sur divers sports pour le Twin City Sentinel de Winston-Salem et pour le Winston-Salem Journal. Avec ses reportages consacrés aux lycées et aux collèges pour Noirs, dans le Sud ségrégationniste des années 1940-1950, elle dénonce un autre type de discrimination.
Francesca MUSIANI
■ GOLDSTEIN R., « Mary Garber, Sportswriter, Dies at 92 », in The New York Times, 22-9-2008.
GARBO, Greta (née GUSTAFSSON) [STOCKHOLM 1905 - NEW YORK 1990]
Actrice suédoise.
De famille pauvre, Greta Garbo travaille très jeune chez un barbier puis devient vendeuse. Après avoir tourné deux petits films publicitaires en 1922, elle obtient une bourse pour étudier à l’École d’art dramatique du Théâtre royal de Stockholm. C’est ici que la découvre le cinéaste Mauritz Stiller, qui accompagne le début de sa carrière. Elle joue avec lui La Légende de Gösta Berling (Gösta Berlings saga, 1924), et avec G. W. Pabst La Rue sans joie (Die freudlose Gasse, 1925) où Marlene Dietrich* est figurante. Le producteur américain Louis B. Mayer engage Stiller, qui emmène G. Garbo à Hollywood en 1925. Son premier film américain, The Torrent (Monta Bell, 1926), où elle incarne une chanteuse d’opéra espagnole, fait sensation. Son jeu frémissant la voue aux rôles de séductrices tourmentées. Avec Stiller elle commence La Tentatrice (The Temptress, 1926), mais il est renvoyé et elle termine le film avec Fred Niblo. Dans La Chair et le Diable (Flesh and the Devil, Clarence Brown, 1927), elle a pour partenaire John Gilbert, qu’elle retrouve pour Anna Karenine (Love, Edmund Goulding, 1927, d’après Tolstoï). Le couple devient la proie des paparazzi. Après Le Baiser (The Kiss, Jacques Feyder, 1929), elle tourne son premier film parlant : Anna Christie (C. Brown, 1930, d’après Eugene O’Neill). Sa voix grave et son léger accent séduisent le public. Elle incarne Mata Hari (1931) et la ballerine solitaire de Grand Hôtel (E. Goulding, 1932, d’après Vicki Baum). Elle devient une héroïne de Pirandello dans Comme tu me veux (As You Desire Me, 1932), puis incarne La Reine Christine* de Suède (Rouben Mamoulian, 1933), de nouveau Anna Karenine (C. Brown, 1935), et Marguerite dans Le Roman de Marguerite Gautier (Camille, George Cukor, 1937, d’après La Dame aux camélias d’Alexandre Dumas fils). Elle est ensuite Marie Walewska, la maîtresse de Napoléon, dans Conquest (C. Brown, 1937). Dans Ninotchka (1939), comédie pleine d’ironie d’Ernst Lubitsch, elle joue une Soviétique que Paris humanise. Elle retrouve Cukor pour La Femme aux deux visages (Two-Faced Woman, 1941), mais ce film humoristique est mal reçu : la « Divine » ne tournera plus.
Bruno VILLIEN
■ BRION P., Garbo, Paris, Le Chêne, 1985 ; DE ACOSTA M., Here Lies the Heart (1960), North Stratford, Ayer Company Publishers, 2003.