BONNET, Marie-Josèphe (dite Marie-Jo BONNET) [DEAUVILLE 1949]

Militante féministe et historienne française.

Après avoir rejoint le Mouvement de libération des femmes* (MLF) en 1971, Marie-Jo Bonnet participe à la fondation du Front homosexuel d’action révolutionnaire (Fhar) avec d’autres féministes qui se revendiquent du lesbianisme et des militants homosexuels, dont Guy Hocquenghem, alors engagé dans une organisation maoïste. Marginalisée par l’affirmation d’une homosexualité masculine devenue hégémonique, elle quitte le Fhar pour créer au sein du MLF, notamment avec Monique Wittig*, le groupe des « Gouines rouges ». En 1974, elle participe à La Spirale, une association fondée par la peintre et poétesse Charlotte Calmis. Son expérience au MLF, lieu pour elle de « renaissance » où elle rencontre la culture et l’intelligence de « l’entre-femmes », oriente son travail du côté de l’histoire, de l’art et de l’homosexualité des femmes, c’est-à-dire de ce qu’elle appelle « la force de l’éros féminin ». Docteure en histoire en 1979 (université de Paris 7), elle est la première à soutenir une thèse sur l’amour entre femmes, dirigée par Michelle Perrot*, qui sera publiée en 1981, puis rééditée en 2001 sous le titre Les Relations amoureuses entre les femmes du XVIe au XXe siècle. Elle enseigne l’histoire de l’art à Columbia University Programs in Paris et au Carleton College, aux États-Unis, puis publie de nombreux livres et articles dont Les Deux Amies, essai sur le couple de femmes dans l’art (2000), Qu’est-ce qu’une femme désire quand elle désire une femme ? (2004), Les Femmes dans l’art (2004). Elle s’intéresse aujourd’hui également à l’histoire de la Résistance et de l’Occupation.

Michèle IDELS

Adieu les rebelles !, Paris, Flammarion, 2014.

BONNET DE MENDONÇA, Neida [PROVINCE DU CHACO, ARGENTINE 1933]

Écrivaine argentine.

Neida Bonnet de Mendonça est l’une des premières voix féminines de la littérature paraguayenne. Bien que née en Argentine, elle s’installe au Paraguay, où, après avoir obtenu un diplôme de design d’intérieur à l’Université polytechnique des arts, elle commence à enseigner l’histoire du mobilier à l’Institut supérieur d’arts plastiques. Son roman Golpe de luz (« coup de lumière », 1983) obtient le prix de littérature La República, attribué au meilleur livre de l’année. L’écrivaine affirme la nécessité de lever les tabous dans une société qui opprime les femmes. En 1986 paraît Hacia el confín (« vers les confins »), un recueil de nouvelles où figurent Pyharepyté, qui a obtenu la mention d’honneur de l’Institut de culture hispanique (1984), et La hamaca (« le hamac »), qui a reçu la mention d’honneur au concours Veuve-Clicquot (1985). De polvo y de viento (« de poussière et de vent »), son deuxième recueil de nouvelles, voit le jour en 1988. Son œuvre narrative rompt avec le courant de la peinture de mœurs et introduit des éléments modernes dans la littérature du Paraguay. Ses nouvelles se focalisent sur le monde intérieur des personnages et se situent dans le courant subjectiviste : l’univers personnel est placé au premier plan, au détriment de l’univers collectif. Plusieurs de ses nouvelles ont été publiées dans la collection « Taller de Cuento Breve », longtemps dirigée par l’écrivain Hugo Rodríguez-Alcalá.

Natalia GONZÁLEZ ORTIZ

GAC-ARTIGAS P., Reflexiones, ensayos sobre escritoras hispanoamericanas contemporáneas, Asunción, Nuevo Espacio, 2002 ; PEIRÓ BARCO J. V., La narrativa paraguaya actual (1980-1995), Asunción, Unimorte, 2006.

BONNETT, Piedad [AMALFI 1951]

Poétesse, auteure dramatique et romancière colombienne.

Piedad Bonnett Vélez arrive à Bogotá à l’âge de 8 ans et fait des études de philosophie et de lettres à l’Université des Andes, où, à partir de 1981, elle enseigne la littérature. Sans recourir à un vocabulaire recherché, sa poésie évoque de façon bouleversante l’amour et la mort, toujours associés à des atmosphères nocturnes. Elle crée également des images qui, bien qu’appartenant à l’univers quotidien, sont sublimées et atteignent la transcendance. La vie intime des femmes, qu’elle transcrit avec beaucoup de finesse et d’habileté, paraît se dire à travers leur chambre ou leurs effets personnels ; la simple mention d’un vêtement ou d’une possession suggère l’existence d’un monde féminin où prime l’ordre du sensitif. Les textes de P. Bonnett traduisent également son vif intérêt pour les problèmes sociaux. Elle fait le portrait de l’imperfection des êtres humains qu’elle présente comme des créatures misérables et impuissantes. Ses textes dramatiques et narratifs sont teintés de lyrisme. Ses pièces de théâtre, Gato por liebre (« un chat vendu pour un lièvre », 1991) et Que muerde el aire afuera (« l’air mord dehors »), ont été mises en scène par la compagnie Teatro Libre sous la direction de Ricardo Camacho. Son premier recueil de poésie, De círculo y ceniza (« de cercle et de cendre »), paraît en 1989 et obtient en 1994 le Prix national de poésie, à l’occasion duquel est publié son recueil Nadie en casa (« personne à la maison »). Suivent d’autres recueils : El hilo de los días (« le fil des jours », 1995), Todos los amantes son guerreros (« tous les amants sont des guerriers », 1997), Tretas del débil (« astuces du faible », 2004). Dans les années 2000, elle publie trois romans : Después de todo (« après tout », 2001), Para otros es el cielo (« le ciel est pour les autres », 2004) et Siempre fue invierno (« ça a toujours été l’hiver », 2007).

Victor MENCO HAECKERMANN

BONTECOU, Lee [PROVIDENCE, RHODE ISLAND 1931]

Sculptrice américaine.

Lee Bontecou connut dans les années 1960 un succès tant critique que commercial : trois expositions successives à la galerie Leo Castelli ; une participation à la Biennale de São Paulo (1961), à la galerie d’art Corcoran à Washington (1963) et à la Documenta 3 de Kassel (1964) ; des articles dans Life et Newsweek. Néanmoins, elle s’éloigna du monde de l’art après les années 1970. Étudiante à l’Art Students League de New York entre 1952 et 1955, elle séjourne ensuite à Rome de 1956 à 1958. C’est alors qu’elle commence ses expérimentations autour des techniques du dessin à la suie, aménageant des zones circulaires de vide, qui deviendront plus tard un des éléments « centraux » de sa production « d’imagerie sexuelle et de symboles sadiques de destruction, le plus marquant étant la bouche d’une arme », selon la critique Dore Ashton (Oral History Interview, 2009). Ses constructions monumentales vont, de la même manière, être creusées de trous et de vides circulaires ; des armatures soudées affleurent à la surface ; de la toile brute, salie à la suie, est ensuite attachée avec du fil de fer ; comme sur un corps, des orifices s’adjoignent au squelette et à la peau. Ces œuvres témoignent de son intérêt pour des éléments aussi divers que les vaisseaux spatiaux, les univers engagés de Giacometti, de Joseph Cornell ou bien encore la bouche de la Jeanne d’Arc*du cinéaste Carl Dreyer. Suggérant des rapprochements avec l’iconographie de la guerre froide, ses travaux sont aussi marqués par l’expérience de la Seconde Guerre mondiale, au cours de laquelle sa mère travaillait à l’usinage des sous-marins. Ses plus fameux reliefs, « ni peinture ni sculpture » – comme les a caractérisés l’artiste Donald Judd, qui les érigea en « objets spécifiques » –, font alterner la saillie et la cavité, l’absorption et le rejet, autour d’un grand creux d’un noir d’encre, peint ou en velours. L’artiste utilise alors toutes sortes de détritus, des sacs postaux et des épaves de machines à laver, des matériaux provenant des surplus de l’armée, dans des œuvres qui évoquent à la fois le dur labeur d’une fabrication manuelle et le travail des machines, convoquant le corps et ses émotions, le plaisir, l’abandon et la peur. À partir des années 1970, L. Bontecou s’intéresse à des morphologies naturelles, produisant des structures légères et diaphanes de billes en porcelaine, suspendues comme des mobiles, telles des constellations.

Élizabeth LEBOVICI

A Retrospective (catalogue d’exposition), Chicago/Los Angeles/New York, MoCA/UCLA Hammer Museum/Abrams, 2003.

JUDD D., Complete Writings, 1959-1975, Halifax, Press of the Nova Scotia College of Art and Design, 2005.

BONVICINI, Caterina [FLORENCE 1974]

Écrivaine italienne.

Après avoir étudié à Bologne, où elle a obtenu son diplôme de lettres modernes, Caterina Bonvicini s’est installée à Turin. Son premier roman, Penelope per gioco (« Pénélope par jeu »), où se mêlent deux histoires, celle de Penelope Plumington, peintre anglaise qui exécuta le portrait de Louis XV, et celle d’un critique d’art italien, est paru en 2001. Son deuxième roman, Di corsa (« à toute vitesse », 2003), raconte l’histoire d’une femme, actrice et toiletteuse pour chiens, aux prises avec sa famille et l’ombre d’un grand écrivain imaginaire. En 2006, C. Bonvicini a publié I figli degli altri (« les enfants des autres »), un recueil de cinq nouvelles sur la solitude et la maternité manquée. Une de ses nouvelles, Corpo, ricorda (« corps, rappelle-toi »), a été publiée dans la collection anthologique de Delia Vaccarello* Principesse azzurre, « amours et histoires de femmes entre femmes ».

Francesco GNERRE

L’Équilibre des requins (L’equilibrio degli squali, 2008), Paris, Gallimard, 2009 ; Le Lent Sourire (Il sorriso lento, 2010), Paris, Gallimard, 2011.

BONVICINI, Monica [VENISE 1965]

Plasticienne italienne.

Monica Bonvicini suit des études à Berlin (1986-1990), puis à Los Angeles, au California Institute of the Arts (1991-1992). Présentée au milieu des années 1990, son œuvre la propulse rapidement sur la scène artistique internationale et fait l’objet d’expositions dans de nombreuses institutions (Kunstmuseum de Bâle ; Le Magasin à Grenoble ; Kunsthalle de Kassel ; palais de Tokyo à Paris ; musée d’Art contemporain à Vigo ; Palazzo Grassi à Venise ; Secession à Vienne). Elle obtient le Lion d’or à la Biennale de Venise en 1999 et le prix de la National galerie de Berlin en 2005. En 2007, elle décroche une commande publique : une sculpture flottante, face au nouvel Opéra House d’Oslo (Norvège). « Engagée », son œuvre s’inscrit profondément dans la société contemporaine. L’artiste questionne, parfois avec violence, les structures traditionnelles du pouvoir, qui régissent les rapports homme/femme et déconstruit de façon méthodique les systèmes de valeurs sociales, culturelles et identitaires. Elle mène alors une analyse critique sur l’architecture, ses codes et ses représentations, en termes de sexualité : I Believe in the Skin of Things as in That of Women (1999), titre emprunté à une citation de Le Corbusier, est un espace en placoplâtre, dont les parois portent des citations d’architectes célèbres dialoguant avec des dessins caricaturaux, parfois obscènes, qui tournent en ridicule les grand maîtres du modernisme ; à la destruction morale s’ajoute parfois une destruction physique, comme dans Hammering Out (an old argument) (1998), performance filmée, montrant le bras d’une femme assenant un mur de coups de marteau, ou encore Plastered (1998), faux sol recouvrant un espace d’exposition, voué à être détruit par le flux de visiteurs. Sans être pour autant participatives, les réalisations de M. Bonvicini impliquent le spectateur dans un processus particulier, d’où il est parfois rejeté, mais dont il demeure le destinataire. Ainsi, les inscriptions en ampoules et en miroir de Not For You (2006), tout en s’adressant au visiteur, le mettent à l’écart. Le corps dans un espace, dans une architecture, au sein d’un milieu donné, constitue une des problématiques que l’artiste développe à travers l’ensemble de ses œuvres. Si l’architecture constitue un domaine de questionnement du pouvoir révélateur de l’asymétrie homme/femme, à partir des années 2000, la plasticienne diversifie ses recherches en s’intéressant à d’autres formes de domination, telles que la pratique du sadomasochisme, dont elle s’approprie des éléments caractéristiques – cuir noir et chaînes en acier –, qu’elle combine avec des grilles métalliques et du verre éclaté, le tout étant détourné au service de mises en scène fortes et grinçantes (Never Again, 2005 ; Identity Protection, 2006). Le cuir devient alors une matière emblématique de nombre de ses œuvres (Black You, 2010 ; Leather Chainsaw, 2004 ; Leather Tools, 2009), de même que les chaînes en acier (Black, 2002 ; Knotted (big) 2004 ; Starway to Hell, 2003 ; Scale of Things [to Come], 2010). Qu’elle soit définie par son absence ou sa présence, la femme occupe une place importante, et, plus particulièrement, dans des performances qui dénoncent l’hégémonie masculine (Hausfrau Swinging, 1997 ; Wallfuckin’, 1995-1996). À travers sa démarche, l’artiste développe un discours qui l’inscrit dans l’héritage des mouvements féministes des années 1970, tels que le Feminist Art Movement, groupe très actif qui entendait lutter contre le sexisme. Cependant, il ne s’agit pas tant de prendre position en faveur de la femme que de déconstruire les rapports traditionnels entre les sexes au sein de la société. De fait, dans ses pièces, la femme n’est pas considérée comme un objet de désir ou catégorisée par un ensemble de clichés. Pour M. Bonvicini, la femme est une force potentiellement destructrice, capable de déstabiliser les structures autoritaires et de renverser la domination masculine, devenant parfois elle-même dominatrice.

Ludovic DELALANDE

Scream & Shake (catalogue d’exposition), Bovier L. (dir.), Grenoble, Le Magasin, 2001 ; avec DURANT S., Break It, Fix It (catalogue d’exposition), Frank R. (dir.), Francfort, Revolver, 2003 ; Both Ends (catalogue d’exposition), Wolfs R. (dir.), Cologne/New York, König/DAP, 2010.

BONVOISIN, Bérangère [RABAT, MAROC 1953]

Comédienne et metteuse en scène française.

Née au Maroc, Bérangère Bonvoisin est la fille de Jeanine Bonvoisin, adjointe au maire de Rouen depuis 1977 puis députée de 1993 à son décès, en 1996. Elle grandit au sein d’une fratrie de huit enfants guidés vers les arts, comme son frère aîné Bertrand, acteur de théâtre, cinéma et télévision décédé en 1991, et son cadet Bernard (dit Bernie), chanteur du groupe de punk-rock Trust. Primée au conservatoire de Rouen, elle débute sur les planches en 1970 avec son frère dans On ne badine pas avec l’amour, de Musset, mis en scène par Alain Bézu. Elle rejoint quatre ans plus tard la classe d’Antoine Vitez au Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris. Première femme à passer à la mise en scène lors de son cursus avec Les Sincères, de Marivaux, elle signe son premier rôle à la télévision avec Les Mystères de Loudun de Marcel Bluwal, et débute au cinéma en 1978 dans L’Adolescente de Jeanne Moreau*. Elle crée avec son compagnon Philippe Clévenot Celle qui ment, d’après Angèle de Foligno*, à la Bastille en 1984, et collabore au fil des années 1990 avec Michel Serrault, Peter Kassovitz, Roger Planchon ou Claudia Stavisky. Elle rend hommage en 2003 à son compagnon décédé deux ans plus tôt, entourée d’une centaine d’acteurs, à l’Odéon. En 2005, elle propose au Théâtre national de la Colline Slogan pour 343 actrices, de Nadia Soudaïeva et Antoine Volodine, avec entre autres Gisèle Casadesus*, Elsa Zylberstein et Micheline Presle*. Une œuvre dont le cinéaste Alain Cavalier tire un film, Pour Bérangère, inédit à ce jour. Touchée par la mort du peintre Gilles Aillaud, son scénographe de toujours, B. Bonvoisin monte en 2006 La Maladie de la mort de Marguerite Duras*, avec Fanny Ardant*, sans aucun décor, donné au théâtre de la Madeleine puis à Trouville-sur-Mer. On la croise également aux côtés de Roschdy Zem, Cécile de France*, Marius Colucci… Ou encore Emmanuelle Béart, à l’Odéon dans Et si les fourmis n’étaient rien sans les cigales, d’après Bernard Maris.

Jean BERRY

BOOLE, Mary EVEREST [ANGLETERRE 1832 - ID. 1916]

Mathématicienne et pédagogue britannique.

Si son patronyme nous est familier, c’est grâce à son oncle George, géomètre en Inde, qui conduisit une expédition dans la chaîne de montagnes dont le plus haut sommet porte aujourd’hui son nom. Mary était très proche de cet oncle, à tel point que celui-ci envisagea de l’adopter. Quelques années après sa naissance, son père, le docteur Thomas Everest, précurseur de l’homéopathie et pasteur, déménage à Poissy (près de Paris) à cause de sa mauvaise santé. Elle reçoit des rudiments de mathématique d’un précepteur, M. Deplace, qu’elle admirait beaucoup. Lorsqu’elle a 11 ans, la famille retourne en Angleterre. Elle quitte alors l’école pour devenir l’assistante de son père. Elle enseigne dans une école du dimanche et rédige pour lui ses sermons. Passionnée par les mathématiques, elle continue d’étudier seule, grâce aux livres, mais sa soif de connaissance est inextinguible. Lors d’une visite à son oncle George à Cork (aujourd’hui en Irlande), elle rencontre le déjà célèbre mathématicien George Boole, avec qui, de retour chez elle, elle commence à correspondre. Deux ans plus tard, G. Boole se rend en Angleterre, où il continue de lui prodiguer ses leçons. À cette époque, il écrit Les Lois de la pensée, ouvrage relu et corrigé par elle. Ils se marient malgré leurs 17 ans d’écart. De ce mariage heureux naissent cinq filles, dont la mathématicienne Alicia Boole Stott* et la musicienne Ethel Lilian Voynich*, auteure du best-seller The Gadfly (« le taon »). Ce bonheur est de courte durée, car G. Boole meurt d’une pneumonie alors que sa dernière fille n’a que six mois. Bibliothécaire au Queen’s College, première grande école pour filles d’Angleterre, elle conseille les élèves, enseigne et est bientôt reconnue par le ministère comme une pédagogue d’exception. À la suite d’une controverse autour de l’un de ses livres, The Message of Psychic Science for Mothers and Nurses (1883), elle doit quitter le collège et devient la secrétaire d’un ami de son père, James Hinton, chirurgien et auteur anglais. Elle pense que toutes les notions présentes dans l’univers sont exprimables avec des chiffres et des symboles. À partir de 50 ans, elle publie régulièrement, et ce jusqu’à sa mort, des ouvrages comme The Preparation of the Child for Science (1904) ou Philosophy and Fun of Algebra (1909). Elle a des idées très innovantes pour l’époque en matière d’éducation : elle pense par exemple que les enfants devraient manipuler des objets mathématiques dès leur plus jeune âge et elle suggère que dès le berceau, ils possèdent les cinq solides de Platon et un cône tronqué afin d’acquérir une connaissance inconsciente des propriétés de ces objets. Nombre de ses idées originales ne furent pas comprises à son époque mais sont toujours utilisées aujourd’hui.

Jean-Jacques DUPAS

Collected Works, Londres, C.W. Daniel Co., 1931.

BOONLUA (M. L. BOONLUA THEPYASUWAN, née KUNCHON, dite) [BANGKOK 1911 - ID. 1981]

Romancière et essayiste thaïlandaise.

Issue d’une illustre famille de la haute bourgeoisie, Boonlua perd sa mère à l’âge de 4 ans et vit dès lors entourée d’un frère aîné, de son père et son oncle (le prince Narisara Nuvattivong). Elle commence ses études dans des écoles chrétiennes et les poursuit à l’université Chulalongkorn de Bangkok, puis à celle du Minnesota, aux États-Unis. De retour en Thaïlande, elle occupe divers postes dans des établissements d’enseignement et au ministère de l’Éducation, où elle s’efforce de promouvoir l’étude de la langue anglaise. En 1960, elle épouse Chom Thepyasuwan, dont elle prend le nom, accolé à son nom de jeune fille, Kunchon. (M. L., ou Mom Luang, est un titre porté par les arrière-petits-enfants d’un roi.) Posant un regard intransigeant sur la société thaïlandaise de la seconde moitié du XXe siècle, elle prend une part importante à la vie intellectuelle du pays. Femme de son temps, elle est très sensible à la condition féminine. Convaincue que les femmes doivent avoir accès à l’éducation et à une reconnaissance de leurs droits, et que cette égalité entre les sexes doit se traduire dans le couple, elle inscrit ces aspirations dans la problématique plus large de l’adaptation de la société traditionnelle thaïlandaise à une évolution à laquelle elle ne pourra pas se soustraire. Ce besoin de trouver un équilibre entre valeurs traditionnelles et modernité constitue un thème récurrent de ses œuvres. Sa production littéraire se compose de nombreuses nouvelles – dont la plus célèbre, Saneh Jawak (« un cordon bleu »), fait partie du recueil Chak Neung Nai Chiwit (« scènes de la vie », 1964) –, de quelques romans et de traductions en thaï d’œuvres anglophones. Essayiste, elle aborde des thèmes sociaux ainsi que les différences entre les cultures thaïe et anglo-saxonne. Elle était également la demi-sœur cadette de Dokmai Sot*. Les deux auteures, dont les productions littéraires sont pourtant fort différentes, ont souvent été comparées du simple fait de ce lien familial.

Xavier GALLAND

PHILIPPS H.P., Modern Thai Literature : With an Ethnographic Interpretation, Honolulu, University of Hawaii Press, 1987.

BOONS-GRAFÉ, Marie-Claire [XXe siècle]

Psychanalyste française d’origine belge.

Docteure en psychologie de l’Université libre de Bruxelles, Marie-Claire Boons travaille d’abord à Paris comme psychologue dans les services de psychiatrie infantile du Dr Heuyer. Elle entreprend une analyse didactique à la Société psychanalytique de Paris (SPP) dont elle devient membre adhérente à la fin des années 1960. En 1968, elle prend part aux événements de Mai, aux côtés des étudiants prochinois de l’Union des jeunesses communistes marxistes-léninistes. Un livre témoignage – écrit plus tard avec Tessa Brisac, Annick Kerhervé, Marie-Jo Roussel et Éliane Viennot –, C’est terrible quand on y pense (1983), établit un bilan de leurs engagements : leur désir passionné de « faire l’histoire » et les difficultés auxquelles se sont notamment heurtées celles qui étaient prises dans une double militance entre des organisations gauchistes et le mouvement des femmes. Toujours à propos de cette époque, et après avoir retrouvé son journal intime, M.-C. Boons publie Le Pas aveugle : une femme, l’amour, la psychanalyse (2008). Elle y évoque sa psychanalyse, ses relations amoureuses entre deux hommes, deux villes – Paris et Bruxelles – et le milieu intellectuel d’alors. Elle s’intéresse très tôt à « la fuite du vrai » dans la cure (1968) et poursuit cette réflexion, notamment dans les articles « Savoir et différence sexuelle dans la pratique analytique » (2001), puis dans « Vérité et savoir en psychanalyse » (2003). Elle souligne que dans la cure « on apprend à faire avec ce qu’on a reçu » sur le plan des identifications et des fantasmes ; à faire avec la dimension d’angoisse liée à la différence sexuelle dans tout destin singulier, mais aussi à répondre du « corps qu’on a reçu, en tant d’abord qu’un sexe le distingue », femme ou homme, dans ce que Lacan appelle des « significations primordiales ». Membre de l’École de psychanalyse Sigmund-Freud, elle a écrit dans de nombreuses revues, parmi lesquelles la Revue française de psychanalyse, les Cahiers confrontation, les Cahiers du GRIF (Groupe de recherche et d’information féministes) ou Essaim.

COLLECTIF PSYCHANALYSE ET POLITIQUE

« Acte et parole en psychanalyse », in Revue française de psychanalyse, vol. 32, nos 5-6, 1968 ; « La loi du nom », in Cahiers confrontation, no 11, 1984 ; « D’une expérience collective de contrôle : un témoignage », in Essaim, no 11, janv. 2003 ; « Fonctions d’une image dans un processus révolutionnaire », in Savoirs et clinique, no 12, janv. 2010.

BOOTHROYD, Betty [DEWSBURY, YORKSHIRE 1929]

Femme politique britannique.

Betty Boothroyd est la première femme et le premier membre de l’opposition à devenir, au XXe siècle, présidente de la Chambre des communes en 1992. Fille unique d’Archibald et Mary Boothroyd, ouvriers du textile, syndicalistes, elle adhère au parti travailliste à l’âge de 16 ans. Conseillère municipale de Hammersmith et députée entre 1973 et 2000 de West Bromwich, elle occupe des postes à la direction du parti parlementaire et au bureau politique entre 1974 et 2000. Présidente (chancellor) de l’Open University (1994-2006), nommée « baroness Boothroyd of Sandwell in the West Midlands », elle siège à la Chambre des lords depuis 2001. Elle a publié son autobiographie en 2002.

Máire CROSS

BORAN, Behice Sadık [BURSA 1910 - BRUXELLES 1987]

Sociologue et militante politique turque.

« Première femme sociologue en Turquie », « première femme chef d’un parti politique en Turquie » : ces labels ne doivent pas dissimuler l’originalité des travaux de recherche de Behice Sadık Boran. Elle est l’une des premières sociologues à pratiquer dans son pays le travail de terrain. Formée dans une université américaine et titulaire, en 1939, de la chaire de sociologie créée au sein de la faculté de langues, d’histoire et de géographie à Ankara, elle n’a pas pu poursuivre ses activités d’enseignement et de recherche au-delà de 1948, contrainte de quitter son poste. Familiarisée avec la « pensée marxiste » lors de son séjour aux États-Unis, membre du parti communiste turc dans les années 1940, elle est incarcérée pour ses prises de position contre le gouvernement Menderes arrivé au pouvoir en 1950. Elle devient membre, puis chef du parti des Travailleurs de Turquie, fondé après le coup d’État militaire de 1960. Élue députée en 1965, elle est à nouveau écrouée après le deuxième coup d’État militaire de 1971, exilée, puis déchue de la nationalité turque après celui de 1980. Les études qu’elle avait réalisées en 1945 dans les villages de Manisa (Toplumsal yapı araştırmaları, iki köy çeşidinin mukayeseli tetkiği, « recherches sur la structure sociale, une étude comparative de deux types de village ») a défini le cadre d’analyse des recherches postérieures dans les milieux ruraux en Turquie.

Elif AKSAZ

AKPOLAT Y., « Behice Sadık Boran (1910-1987) » in ÖZDEMIR M. Ç. (dir.), Türkiye’de Sosyoloji, Ankara, Phoenix Yayınları, 2008.

BORDEN, Lizzie (née Linda Elizabeth BORDEN) [DETROIT 1958]

Cinéaste américaine.

Partie à New York pour devenir peintre, Lizzie Borden, proche d’un collectif de femmes, réalise en 1976 Regrouping, un documentaire sur un groupe de consciousness raising, qui, contrairement aux films militants de l’époque, didactiques et esthétiquement pauvres, possède un style formel et un humour très personnels qui déplaisent aux féministes. Dès son coup d’essai, L. Borden dérange et ne suit aucune doxa. Elle met cinq ans à réaliser Born in Flames, un film de science-fiction féministe, violent et poétique, devenu culte depuis sa sortie en 1983. En 1986, la présentation de Working Girls, en compétition à Cannes, lui offre une visibilité internationale. Ce film invite à suivre, sous une forme semi-documentaire, la journée ordinaire de prostituées d’un bordel new-yorkais. « La prostitution existe, les femmes doivent en prendre le contrôle et l’assumer », dit-elle alors. Suivront des films questionnant l’érotisme, la domination sexuelle et la sexualité féminine, dont un thriller érotique « hollywoodien », Love Crimes, en 1991, et, en 1994, Let’s Talk About Love, première partie d’Érotique (les autres sont de Monika Treut et Clara Law).

Jennifer HAVE

MILLS N., « Director Lizzie Borden », in Premier 4.9, mai 1991 ; REYNAUD B., « Petit dictionnaire du cinéma indépendant new-yorkais », in Les Cahiers du Cinéma, no 339, sept. 1982.

BORDEREAU, Renée (dite Brave L’ANGEVIN) [SOULAINES 1770 - YZERNAY 1824]

Combattante et mémorialiste française.

Témoin du massacre de sa famille sous la Terreur, Renée Bordereau, de milieu modeste, est soudain mue, à 23 ans, par un sentiment de rage et un désir de vengeance. Habillée en homme, elle achète un fusil et rallie l’insurrection vendéenne du marquis de Bonchamps au printemps 1793, faisant le serment de combattre « jusqu’à la mort ou la victoire ». Se battant à cheval comme à pied, au corps à corps comme à l’arme blanche, elle devient rapidement célèbre sous le pseudonyme de Brave l’Angevin, à l’insu de beaucoup de Chouans qui ne se doutent nullement de sa véritable identité. Courageuse, imitant à la perfection le cri du chat-huant, elle participe à de nombreuses batailles, est blessée à Luçon le 14 août 1793, puis à Laval. Ayant franchi la Loire près d’Ancenis en décembre, elle rejoint l’armée de Jacques Cathelineau, grand nom de la révolte vendéenne. Malgré ses nombreuses blessures, elle poursuit la lutte jusque sous l’Empire. Sa tête étant mise à prix à cause de son refus de reconnaître les prêtres du Concordat, elle est arrêtée en 1809 et conduite au château d’Angers, où elle reste emprisonnée pendant trois ans dans d’affreuses conditions. Après une tentative d’évasion, elle est transférée au Mont-Saint-Michel. Elle reste là deux ans, jusqu’au retour de Louis XVIII en France et la fin du règne de Napoléon Ier. À la demande de Mme de La Rochejaquelein*, elle dicte ses mémoires, qui sont publiés en 1814 et font partie des premiers témoignages écrits sur les guerres de Vendée. En 1815, le duc de Berry la décore de l’Ordre du Lys. Enfin, pendant les Cent-Jours, elle reprend une dernière fois les armes, la police de Napoléon Ier la suspectant encore de vouloir attenter à la vie de l’Empereur.

Elisabeth LESIMPLE

La Jeanne d’Arc vendéenne, mémoires de Renée Bordereau dite Langevin, Niort, L. Favre, 1888.

GILBERT C., Brave l’Angevin ou la Véritable histoire de Renée Bordereau, cavalier de l’armée catholique et royale de 1793, Les Sables-d’Olonne, Le Cercle d’Or, 1976.

BORDINI, Maria DA GLORIA [PORTO ALEGRE 1945]

Éditrice brésilienne.

Partageant d’abord sa vie professionnelle entre l’université et l’édition, l’activité d’éditrice de Maria da Gloria Bordini commence en 1969, aux éditions Globo, où elle travaille jusqu’en 1980. Pendant cette période, elle coordonne le secteur littéraire non seulement national, révélant au public brésilien les écrivains classiques du Rio Grande do Sul, mais aussi étranger. On lui doit la première édition brésilienne des œuvres de l’Argentin Jorge Luís Borges. De 1981 à 1990, chez L&PM Editores, elle est directrice des collections de littérature pour la jeunesse. En 1982, elle devient coordinatrice des archives littéraires d’Érico Veríssimo (Acervo Literário Érico Veríssimo), l’un des écrivains-conteurs les plus importants du Brésil. Elle est responsable de l’édition définitive de ses œuvres chez Companhia das Letras (« compagnie des lettres »), à São Paulo. En tant que professeure-docteure à l’Université catholique, elle crée un Centre de la mémoire littéraire réunissant les archives de dix auteurs de son État, et organise les Rencontres nationales des Archives littéraires brésiliennes. Entre 1998 et 2006, elle est également responsable de collections aux éditions de l’Université catholique de Porto Alegre, en collaboration avec la professeure Regina Zilberman*. Depuis 1991, elle est éditrice associée, avec Luís Fernando Valente, de la revue bilingue et bi-nationale Brasil/Brazil : Revista de Literatura Brasileira/A Journal of Brazilian Literature. À partir de 2007, elle dirige, avec Sergio Capparelli et R. Zilberman, la revue électronique, critique et littéraire Tigre Albino, consacrée à la poésie pour la jeunesse.

Maura SARDINHA et Ligia VASSALLO

Avec VERISSIMO E., A liberdade de escrever, Entrevistas sobre literatura e politica, Porto Alegre, Editora da Universidade, Universidade Federal do Rio Grande do Sul, 1997.

BOREL-BIDAULT, Suzanne [TOULON 1904 - PARIS 1995]

Diplomate française.

Diplômée de l’École libre des sciences politiques, Suzanne Borel est la première femme reçue au grand concours du Quai d’Orsay (1930), mais, ne jouissant pas de la plénitude des droits civiques, elle ne peut devenir une diplomate à part entière. Empêchée d’assurer les mêmes fonctions que ses collègues masculins à l’étranger, elle doit se contenter des services annexes auprès de l’administration centrale. Elle entre dans la Résistance et est nommée, à la fin du conflit, dans le cabinet du ministre des Affaires étrangères Georges Bidault, qu’elle épouse en 1945. Elle deviendra en 1955 la première femme ministre plénipotentiaire.

Michel MARBEAU

MARBEAU M., « Une timide irruption : les femmes dans la politique étrangère de la France dans l’entre-deux-guerres », in DENECHÈRE Y. (dir.), Femmes et diplomatie France, XXe siècle, Bruxelles/Berne/Berlin, PIE P. Lang, 2004.

BORG, Anita [CHICAGO 1949 - SONOMA 2003]

Informaticienne américaine.

Anita Borg Naffz a grandi dans l’Illinois, à Hawaii et dans l’État de Washington. Elle racontait que son goût pour les mathématiques et les sciences lui venait de sa mère : « Elle m’a tellement dit que les maths étaient drôles, j’ai pensé que cela devait être vrai. » À 20 ans, elle s’intéresse aux ordinateurs et obtient, en 1981, un doctorat en informatique à l’université de New York. Elle travaille durant quatre ans sur les systèmes d’exploitation pour une société du New Jersey, puis en Allemagne chez Nixdorf Computer. De 1986 à 1997, elle revient aux États-Unis, où elle développe une méthode d’analyse pour des systèmes à mémoire ultrarapide chez Digital Equipment Corporation. Elle dépose un brevet pour des algorithmes portant sur l’adressage mémoire, toujours en usage aujourd’hui. À cette époque, elle développe également Mecca, une plateforme de communication pour l’une des toutes premières communautés virtuelles. En 1987, elle crée la communauté en ligne Systers, alors que ce concept est encore tout juste émergent. A. Borg souhaite mêler son expertise à une vision positive de la technologie, et incite les femmes à y prendre part. En 1994, elle cofonde l’Institut Grace Hopper* pour rendre visible le travail des femmes en informatique. En 1995, elle reçoit le prix Augusta Ada Lovelace* de l’Association des femmes informaticiennes pour son travail en faveur des femmes en informatique. En 1997, elle est à l’origine de l’Institut pour les femmes et la technologie, aujourd’hui rebaptisé Anita Borg Institute. Il a pour but d’amener des femmes non techniciennes à entrer dans la conception des technologies, d’encourager plus de femmes à devenir des scientifiques et d’inciter l’industrie, l’université et le gouvernement à accélérer ces changements. En 1999, le président Clinton nomme A. Borg à la tête de la commission pour le progrès des femmes et des minorités en sciences, ingénierie et technologie.

Isabelle COLLET

BORG, Elsi [NASTOLA 1893 - HELSINKI 1958]

Architecte finlandaise.

Après son baccalauréat, Elsi Borg étudie à l’Université de technologie d’Helsinki, où elle obtient un diplôme d’architecture en 1919. Son choix de carrière fut probablement influencé par son frère Kaarlo, qui avait achevé ses études d’architecture quelques années plus tôt. Élève de la section d’art de l’Ateneum, elle était une dessinatrice de talent. Parallèlement à son travail d’architecte, elle a enseigné le dessin à l’école des Amis de l’art de Viipuri (aujourd’hui Vyborg). Son intérêt pour la peinture et la sculpture a été renforcé par son mariage en 1930 avec l’artiste Anton Lindforss. Dans les années 1920, elle a été employée dans des agences d’architecture et de paysagisme, dont la plus connue est celle d’Oiva Kallio, où fut conçu le plan pour le concours d’aménagement du centre d’Helsinki. Elle en a dessiné des images en perspective dynamiques, offrant une vision de l’urbanisation dans les années 1920 : des voitures remplaçaient les chevaux, la circulation ne se limitait pas au sol, dans le ciel volaient des biplans. E. Borg débute sa carrière en remportant le concours pour l’église de Jyväskylä, en 1927. Elle crée une longue et haute nef précédée d’une façade principale très élevée, qui reflète la structure du bâtiment tout en renforçant sa monumentalité. La même année, elle crée son propre bureau et fait ainsi partie des rares femmes à diriger une agence d’architecture dans les années 1930-1950. Entre 1926 et 1950, elle travaille également comme architecte au ministère de la Défense, ce qui lui offre une stabilité financière alors que son activité libérale fluctue en fonction de la conjoncture économique. Parmi ses autres projets, il faut mentionner l’hôpital militaire de Viipuri, qui fut construit sur les dessins d’Olavi Sortta. Après le décès de son frère, en 1939, elle collabore avec O. Sortta et Otto Flodin au projet de l’hôpital pour enfants Helsingin Lastenlinna, à Helsinki. Le bâtiment, achevé en 1948, offre une synthèse du fonctionnalisme de son plan et du romantisme de son ornementation. La production d’E. Borg a été très variée, réunissant des églises, des logements, des bâtiments commerciaux et administratifs. Au fil des années, elle a suivi les grandes lignes de l’évolution de l’architecture finlandaise et des styles prédominants de 1920 à 1950, tout en gardant son originalité.

Anna AUTIO

HENTTONEN M., Elsi Borg, 1893-1958, Arkkitehti, Helsinki, Suomen Rakennustaiteen Museo, 1995.

BORGES, Graciela (Graciela Noemí ZABALA, dite) [BUENOS AIRES 1941]

Actrice argentine.

Formée à l’institut Labardén de théâtre pour enfants et au Conservatoire national d’art dramatique de Buenos Aires, Graciela Borges débute au cinéma, en 1957, comme second rôle dans Una cita con la vida (« un rendez-vous avec la vie », Hugo del Carril). Elle n’a jamais cessé de tourner depuis, surprenant constamment son public par sa faculté d’incarner des personnages très divers avec grâce et sensibilité. Figure légendaire du cinéma argentin, elle en est aussi une des meilleures ambassadrices, lauréate de nombreux prix internationaux dans différents festivals (Argentine, San Sebastián, La Havane, Carthagène, Bogotá, Panamá, entre autres). Elle est l’interprète favorite de réalisateurs comme Leopoldo Torre Nilsson (Piel de verano, « peau d’été », 1961 ; La terraza, 1963), Leonardo Favio, pour qui elle a joué la mythique Mlle Plasini dans L’Employé (El Dependiente, 1969) ; Raúl de la Torre, avec qui elle collaborera durant trente ans, sur des sujets presque toujours féminins : Crónica de una señora (« chronique d’une dame », 1971, scénario de María Luisa Bemberg* sur le désœuvrement des femmes de la haute société de Buenos Aires) ; Heroína (1972) où elle est l’inoubliable Penny ; La revolución (1973) ; Sola (1976) ; El infierno tan temido (« l’enfer si redouté », 1980) ; Pubis angelical (« pubis angélique », 1982) ; Pobre mariposa (« pauvre papillon », 1986), portrait d’une femme à la recherche de son identité ; et Funes, un gran amor (« Funes, un grand amour », 1993). Fernando Ayala a fait appel à elle pour El Jefe (1958) et Triángulo de cuatro (1975, scénario de M. L. Bemberg) ; Alejandro Doria, pour Los pasajeros del jardín (« les passagers du jardin », 1982, d’après le roman de Silvina Bullrich*) et Las manos (« les mains », 2006) ; Lucrecia Martel*, pour La ciénaga (« le marécage », 2001), un bijou du jeune cinéma argentin. G. Borges a le pouvoir d’envoûter la caméra par un art qui semble absolument naturel, développant une gamme subtile de sentiments et d’émotions.

Alberto PAPO et Eleonora C. VALLAZZA

MARTÍN J. A., Diccionario de realizadores contemporáneos, cine argentino, Buenos Aires, Instituto nacional de cinematografía, 1987.

BORGES, Maria de Lourdes Alves [PORTO ALEGRE 1961]

Philosophe brésilienne.

Après une licence en physique (1984) à l’Université fédérale de Rio Grande do Sul, Maria de Lourdes Alves Borges se tourne vers la philosophie, fait un DEA à Paris 1 (1991) sur L’Esprit du monde et un doctorat en 1996 sur Hegel. Spécialiste de l’idéalisme allemand, elle est professeure de philosophie et, en 2008, secrétaire pour la culture et l’art à l’Université fédérale de Santa Catarina pendant quatre ans. Ses premières recherches paraissent dans História e metafísica em Hegel (« histoire et métaphysique chez Hegel », 1998). Invitée à l’université de Pennsylvanie, elle interroge le problème de la sympathie chez Kant (1999). Elle publie Amor (2004), sur la théorie de l’amour chez Platon, Descartes, Hegel et John Elster. En 2006, ses études postdoctorales à Berlin sur les émotions dans l’éthique donnent lieu à deux œuvres : O que você precisa saber sobre Ética (« ce que vous devez savoir sur l’Éthique », 2003) et Kant, liberdade e natureza (« Kant, liberté et nature », 2005). Ses recherches actuelles sur la philosophie féministe au Brésil concernant l’éthique du corps interrogent la soumission aux modèles esthétiques, qui va jusqu’à la mutilation.

Ligia VASSALLO

« Une métaphysique des vertus est-elle possible ? », in LANGLOIS L., NARBONNE J.-M. (dir.), La Métaphysique, son histoire, sa critique, ses enjeux, Paris, J. Vrin, 2001.

« What can Kant teach us about emotions ? » in The Journal of Philosophy, États-Unis, vol. 4, no 3, 2004 ; « Physiology and the controlling of affects in Kant’s philosophy », in Kantian Review, no 13, 2008.

BORI, Lucrezia (Lucrezia BORJA Y GONZÁLEZ DE RIANCHO, dite) [VALENCE 1887 - NEW YORK 1960]

Soprano espagnole.

Première femme à avoir été admise au sein du directoire du Metropolitan Opera de New York, Lucrezia Bori fut l’une des sopranos lyriques espagnoles les plus demandées dans le monde. De son vrai nom Lucrezia Borja y González de Riancho, elle est l’une des descendantes de la fameuse famille Borgia. Sa voix possédait un timbre et une transparence uniques. Mais ce sont surtout son élégance et sa présence scénique qui ont séduit ses contemporains. Fille d’un officier et d’une cantatrice amateur, elle étudie le piano et l’harmonie au Conservatoire de Valence. Elle n’aborde le chant qu’en 1905 et travaille avec Gabriele Sibella et Melchiorre Vidal à Milan. Elle fait ses débuts au Teatro Adriano de Rome dans Micaëla de Carmen en 1908. À partir de 1910, elle se produit régulièrement au Teatro Colón de Buenos Aires et commence dans Manon Lescaut sa collaboration avec le Metropolitan Opera qui se pérennisera jusqu’en 1936. Malgré des problèmes vocaux dus en partie à une opération de la gorge qui la tient éloignée de la scène de 1915 à 1919, elle a foulé les planches du célèbre théâtre lyrique new-yorkais plus de 450 fois… Elle se produit également à la Scala de Milan, où elle participe à la première italienne du Chevalier à la rose de Richard Strauss dans le rôle d’Octavian en 1911. Elle reprend sa carrière à Monte-Carlo dans La Bohème, avant de retrouver New York en 1921. Elle y chante Despina de Così fan tutte, Concepción dans L’Heure espagnole de Ravel, La Vie brève de Manuel de Falla, La Rondine de Puccini, Mélisande de Pelléas et Mélisande de Debussy, et Violetta dans La Traviata de Verdi. Après ses adieux à la scène lyrique, elle devient membre du directoire du Metropolitan et est élue présidente puis présidente honoraire de la Metropolitan Opera Guild, fonction qu’elle occupe jusqu’en 1948.

Bruno SERROU

RASPONI L., The Last Prima Donnas, New York, Alfred A. Knopf, 1982.

BORIĆ, Hasija [JAJCE, AUJ. BOSNIE-HERZÉGOVINE 1953]

Comédienne et metteuse en scène bosnienne.

Parallèlement à sa carrière d’actrice de théâtre et de cinéma, Hasija Borić fonde en 2002 sa propre troupe, avec laquelle elle produit plusieurs pièces engagées, dont Tetovaža (« le tatouage », 2002), sur l’exploitation sexuelle des enfants dans une famille ; Cabaret Feral Tribune (« le cabaret Feral tribune », 2003) et Ova zemlja utjehe nema (« il n’y a pas de consolation pour ce pays », 2011). Dans Majka Nuru počesto izruži (« la mère de Nura ne cesse de la gronder », 2000), H. Borić incarne 22 personnages parlant en autant de dialectes bosniaques.

Dragana TOMAŠEVIČ

BORIS, Eileen [NEWTON, MASSACHUSETTS 1948]

Historienne américaine.

Issue d’un milieu modeste, Eileen Boris fait des études à Boston University, puis à Brown University (PhD), avant d’enseigner à Howard University (Washington DC) et à l’University of Virginia. Historienne interdisciplinaire, mariée à l’historien Nelson Lichtenstein, elle est actuellement Hull professeure, chef du département d’études féministes et professeure affiliée d’histoire et de black studies à l’université de Californie, à Santa Barbara, où elle dirige le Centre de recherche sur les femmes et la justice sociale. Chercheuse féministe, elle a toujours été présente dans l’organisation de la profession pour promouvoir les historiennes et l’histoire des femmes. Elle assume aussi des responsabilités à la Labor and Working-Class History Association. Ses recherches sur le travail, qui se situent à l’intersection du droit, de l’économie, de l’action sociale et des études culturelles, prennent en compte le genre et la race. Elles portent de façon pionnière sur les travaux des femmes à la maison et sur leur labeur invisible en dehors de l’industrie, ainsi que sur l’État-providence. E. Boris formule une question essentielle en histoire du travail, inspirée de sa pensée féministe : « Qu’est-ce que le travail et qui est travailleur ? » Outre de nombreux articles, elle publie : Art and Labor : Ruskin, Morris, and the Craftsman Ideal in America (1986) et Home to Work : Motherhood and the Politics of Industrial Homework in the United States (1994), ouvrage primé. Elle est également codirectrice de Major Problems in the History of American Workers (2002) et de The Practice of U.S. Women’s History : Narratives, Intersections, and Dialogues (2007). La question du care la mobilise depuis quelques années : après avoir dirigé un ouvrage collectif, elle écrit avec Jennifer Klein Caring for America : Home Health Workers in the Shadow of the Welfare State (2012), qui reçoit le prix Sara A. Whaley. Elle travaille actuellement sur un projet qui, dans le cadre du centenaire de l’institution, vise à éclairer l’histoire des femmes dans l’Organisation internationale du travail. En dehors de l’enseignement et de la recherche, E. Boris est une citoyenne engagée qui écrit, avec une perspective historique, sur des questions d’actualité, telles que la féminisation de la pauvreté, les salaires dans le secteur du care ou la réforme de la protection sociale. The Nation, le Los Angeles Times, New Labor Forum, Labor Notes, Salon, Dissent, Women’s Review of Books et le Washington Post lui ouvrent leurs colonnes. Elle anime également un blog pour le Huffington Post. En Californie, elle est membre du conseil d’administration de l’ONG Cause (Central Coast Alliance United for a Sustainable Economy).

Karen OFFEN

Avec CHAUDHURI N. (dir.), Voices of Women Historians : The Personal, the Political, the Professional, Bloomington, Indiana University Press, 1999.

BORISSOVA, Stepanida [MEGINO-KHANGALAAS, IAKOUTIE, AUJ. SAKHA 1950]

Chamane et chanteuse russe.

Originaire de la République sibérienne de Iakoutie, où le chamanisme représente l’une des religions traditionnelles, Stepanida Borissova perpétue les traditions de guérison par le chant. Elle commence sa carrière en chantant des tojuk, chants épiques improvisés, puis devient actrice, dès 1974, au théâtre national Oyunsky. La technique vocale chamane (ugadan kurduk) produit un chant polyphonique (deux à trois voix émises à la fois par une seule personne) : elle combine le bourdon grave avec la gorge, des harmoniques plus ou moins aiguës par résonance frontale, abdominale, thoracique, ou avec certains tissus des cordes vocales, divers positionnements de la langue et une voix de flûte dentale produisant une note à une octave en dessous de la note chantée. Cette technique, pratiquée aussi en Afrique, permet d’exprimer l’intervention des esprits que le chamane décrit pendant sa transe. L’Occident y puisera à son tour des applications thérapeutiques de relaxation et de concentration. Défendant l’idée que la tradition doit, pour être perpétrée, être enrichie d’apports modernes, S. Borissova donne des concerts sur tous les continents, mêlant univers sonore traditionnel et autres styles, world music, jazz, électro. Son classique de la world music Trance Siberia (2001) a été enregistré dans le cadre du Hulu Project conduit par deux artistes européens, Hubl Greiner et Luigi Archetti. Dans Gengis Khan (2009), premier film dirigé par un Iakoute, son mari Andreï Borissov, elle incarne la mère du fondateur de l’Empire mongol.

Claudine BRELET

BORISSOVA, Yana [SOFIA 1972]

Auteure dramatique bulgare.

Après des études d’histoire de l’art à Sofia jusqu’en 1996, Yana Borissova exerce d’abord les fonctions de galeriste et d’organisatrice d’expositions. Parallèlement, elle écrit des textes critiques, de la poésie et des contes. Ses textes les plus connus (édités en Europe et au Japon) sont consacrés à la peintre Anna Touzsouzova. Proche des milieux du théâtre, elle écrit sa première pièce, Petite pièce pour chambre d’enfant, en 2007. Créée en 2008 à Sofia, au théâtre 199, la pièce est un succès. Elle est récompensée par plusieurs prix en Bulgarie, avant d’être traduite en français et en anglais et lue dans divers festivals européens. Y. Borissova poursuit en Bulgarie une carrière de dramaturge couronnée de succès. Sa troisième pièce, Rose Is a Rose Is a Rose, créée en 2010 à Sofia par Galin Stoev, est également distinguée par plusieurs prix nationaux. Ses pièces mettent en scène avec une gravité légère les relations sensibles et bouleversées de sa génération, sondant les méandres des relations humaines, amicales, amoureuses, en cherchant à dévoiler les liens invisibles qui unissent les êtres proches. « Dans mes textes, explique-t-elle, je joue avec les mots, j’utilise toutes leurs significations, je renverse leur ordre, bref, je fais des équilibres verbaux pour atteindre une palette de nuances émotionnelles parce que ce sont celles-ci qui m’intéressent. » Régulièrement lue à l’étranger, Y. Borissova est considérée dans son pays comme l’auteure la plus remarquable de la première décennie du XXIe siècle et représente une nouvelle génération de dramaturges bulgares, où les femmes sont encore minoritaires.

Marianne CLÉVY

Petite pièce pour chambre d’enfant (Malka piesa za detska staâ, 2007), Montreuil-sous-Bois, Éditions théâtrales, 2008.

BORKH, Inge (Ingeborg SIMON, dite) [MANNHEIM 1921]

Soprano suisse d’origine allemande.

Un tempérament dramatique au service d’une voix puissante, chaleureuse, majestueuse, Inge Borkh s’est imposée comme l’une des tragédiennes les plus époustouflantes du théâtre lyrique. Il faut dire que cette soprano allemande, naturalisée suisse, se destinait en fait au métier de comédienne, travaillant au Burgtheater de Vienne avant de faire ses débuts à Linz en 1937 puis à Bâle dès l’année suivante. S’entraînant aussi à la danse, elle se rend finalement à Milan pour étudier le chant et fait ses débuts à l’opéra en 1940 au Théâtre municipal de Lucerne dans le rôle d’Agathe du Freischütz de Weber. Jusqu’en 1951, elle se produit sur les scènes de Lucerne, Bâle et Zurich, avant de commencer une immense carrière internationale à Munich et Berlin à la suite du succès de la création en langue allemande du Consul de Gian Carlo Menotti à Bâle. En 1952, elle est Freia et Sieglinde dans le Ring de Richard Wagner mis en scène par Wieland Wagner au Festival de Bayreuth, tandis que ses apparitions à Vienne, Hambourg, Stuttgart constituent autant d’événements. Elle est invitée à Barcelone, Lisbonne et Naples. En 1954, son interprétation d’Églantine dans Euryanthe de Weber au Mai musical florentin est saluée par une presse unanime. Un an plus tard, elle crée au Festival de Salzbourg le rôle de Cathleen dans La Légende irlandaise de Werner Egk. Invitée par l’Opéra de San Francisco depuis 1953, par la Scala de Milan, le Covent Garden de Londres et l’Opéra d’État de Berlin, elle s’impose comme l’interprète idéale des grands sopranos dramatiques de Wagner et Strauss : Salomé, rôle avec lequel elle fait ses débuts au Metropolitan Opera en 1958, Elektra, qu’elle chante pour la première fois en 1957 au Festival de Salzbourg, ou encore Hélène d’Égypte. Elle a aussi été d’immenses Aïda et Lady Macbeth chez Verdi, Tosca et Turandot chez Puccini, Leonore dans Fidelio de Beethoven, Médée chez Cherubini, Clytemnestre dans Iphigénie et Aulide de Gluck, Antigone de Carl Orff… Elle se retire de la scène lyrique en 1973 à l’issue de sept représentations d’Elektra en Italie, et fait ses adieux au théâtre à 71 ans, au Festival de Munich en 1988.

Bruno SERROU

Avec VOIGT T., Nicht nur Salome und Elektra : Inge Borkh im Gespräch mit Thomas Voigt, Munich, Allitera, 2006 ; Ich komm vom Theater nicht los… : Errinerungen und Einsichten, Berlin, Henschel, 1996.

BORNAZ, Kalthoum [TUNIS 1945]

Productrice, réalisatrice et scénariste tunisienne.

Kalthoum Bornaz fait des études de lettres avant d’étudier le cinéma à l’Idhec. Elle travaille comme scripte, monteuse et assistante à la réalisation, d’abord à la télévision française puis au cinéma. Elle passe ensuite à la réalisation de courts-métrages remarqués – Regard de mouette (1991) ; Un homme en or (1993) ; Nuit de noces à Tunis (1996) – ainsi que de documentaires – Couleurs fertiles (1984) ; Trois personnages en quête d’un théâtre (1988) ; Forêt d’El Medfoun (1996). Son premier long-métrage de fiction, Keswa, le fil perdu (Kiswâ al-khayt al-dhâi’, 1997), fable souvent cocasse, suit la déambulation nocturne d’une femme vêtue d’un lourd costume de cérémonie qui l’entrave dans ses mouvements, symbole de tout ce qu’elle avait rejeté en quittant le pays. Son deuxième long-métrage, L’Autre Moitié du ciel (Shtar m’haba, 2008), constat implacable sur l’inégalité des sexes face à l’héritage, évoque la quête de jumeaux, sœur et frère, pour retrouver la trace de leur mère, morte en couches, tandis que leur père dissimule tout ce qui pourrait contribuer à sa mémoire.

Patricia CAILLÉ

BORNHOLDT, Jenny [WELLINGTON 1960]

Poétesse néo-zélandaise.

La poésie de Jenny Bornholdt frappe d’emblée par la fraîcheur de son ton et la profondeur voilée de ses explorations du quotidien. Après des études de littérature anglaise et de journalisme, elle découvre la poésie lors d’ateliers d’écriture à l’université Victoria de Wellington, en 1984. Dès son premier recueil de poèmes, This Big Face (« ce large visage »), publié par les Presses universitaires de Victoria en 1988, elle affirme son style : une poésie ludique, où un humour plein de tendresse affleure de jeux de mots subtils, de répétitions thématiques nées du familier et d’une apparente simplicité du regard. À travers les détails – semble-t-il – insignifiants de la vie, la poétesse évoque les éléments fondamentaux de l’existence humaine : l’amour, la famille et la réminiscence de souvenirs. Six autres recueils – Moving House (« déménagement », 1989) ; Waiting Shelter (« abri pour attendre », 1991) ; How We Met (« notre rencontre », 1995) ; Miss New Zealand : Selected Poems (1998) ; These Days (« de nos jours », 2000) – sont édités par les mêmes Presses universitaires entre 1989 et 2003, date de parution de Summer (« été »), l’un des recueils les plus accomplis de J. Bornholdt ; on lit la chaleur et la gaieté, inspirées par son séjour à Menton, dans le sud de la France, où elle a passé un an en 2002 grâce à la bourse Meridian Energy Katherine-Mansfield* Memorial Fellowship. Elle publie par la suite Mrs Winter’s Jump (« le saut de Mme Winter », 2007) et The Rocky Shore (« le rivage rocheux », 2008). L’auteure est l’épouse du poète et peintre néo-zélandais Gregory O’Brien, et leurs poèmes semblent parfois se répondre. Ils partagent également le travail de publication d’anthologies, dont My Heart Goes Swimming : New Zealand Love Poems, an Anthology of New Zealand Poetry in English (1996), qui remporte le prix Montana en 1997, et, plus récemment, The Colour of Distance : New Zealand Writers in France, French Writers in New Zealand (2005). An Anthology of New Zealand Poetry in English, édité en collaboration avec Mark Williams, paraît en 1997. Lauréate de l’un des prix de l’Arts Foundation of New Zealand en 2003 et du prix Te Mata Estate en 2005, elle vit actuellement à Wellington.

Nelly GILLET

The Rocky Shore, Wellington, Victoria University Press, 2008.

OBRIEN G. (dir.), The Colour of Distance : New Zealand Writers in France, French Writers in New Zealand, Wellington, Victoria University Press, 2005.

BORNSTEIN, Berta [CRACOVIE 1899 - ÉTATS-UNIS 1971]

Pédagogue et psychanalyste américaine.

Née en Pologne, Berta Bornstein devient très jeune, tout comme sa sœur Steff Bornstein*, éducatrice pour enfants handicapés dans une institution berlinoise. Elle n’a guère plus de 20 ans quand elle commence, à Berlin, sa formation analytique avec des analystes viennois depuis peu installés en Allemagne. À l’Institut de psychanalyse de Berlin, elle participe activement au Séminaire des enfants, initié en 1924 par Otto Fenichel. En 1929, elle se rend à Vienne auprès d’Anna Freud* dont elle restera proche. Elle réussit, juste avant la Seconde Guerre mondiale, à gagner les États-Unis et à s’installer à New York où elle deviendra, par la suite, membre de la Société psychanalytique de New York ainsi que de celle de Philadelphie. Elle a apporté à la psychanalyse d’enfants des innovations techniques majeures, en insistant par exemple sur l’importance de la précocité de la prise en charge et en préconisant de réduire au maximum le temps de mise en confiance de l’enfant. Pour elle, l’analyse d’enfants passe avant tout par l’analyse des défenses. A. Freud lui rendra hommage en 1971 en déclarant que « l’analyse d’enfants s’est mise à exister lorsque Berta a développé l’analyse des défenses ». B. Bornstein écrira peu mais enseignera beaucoup, notamment à l’Institut psychanalytique de New York, à la Menninger Clinic, et à l’université Yale. Ses cas cliniques restent exemplaires de clarté technique et théorique. « Phobie in a two-and-a-half year old child » paraît en 1935, dans le numéro 1 de la revue américaine Psychoanalytic Quarterly, et « Fragment of an analysis of an obsessional child » est publié en 1953, dans le numéro 6 de la revue américaine Psychoanalytic Study of the Child.

Nicole PETON

BORNSTEIN, Steff [CRACOVIE 1891 - PRAGUE 1939]

Pédagogue et psychanalyste tchèque.

Née à Cracovie, Steff Bornstein n’a que 6 ans lorsque sa famille part s’installer à Berlin. Enseignante et éducatrice pour enfants handicapés, elle commence, comme le fera sa sœur Berta Bornstein*, une formation psychanalytique à Berlin. En 1930, elle est membre de la Société psychanalytique allemande et participe aux réunions du groupe de travail sur la pédagogie animé par Siegfried Bernfeld. En 1933 elle anime, avec Jeanne Lampl-de Groot*, un séminaire pour les jeunes pédagogues et publie en 1937 « Malentendus dans la pédagogie psychanalytique ». Après la prise de pouvoir par Adolf Hitler, S. Bornstein émigre à Prague et participe à la création du groupe d’études psychanalytiques qui deviendra, en 1936 et pour très peu de temps, la Société tchèque de psychanalyse. Elle se spécialise dans le travail analytique avec les enfants, donne des séminaires de formation pour des institutrices d’école maternelle et des médecins, ainsi que des conférences publiques, dans lesquelles elle traite de façon novatrice des questions d’éducation, de psychologie du développement et de sexualité infantile. Ayant vainement tenté d’obtenir l’autorisation de s’installer à Milan pour y exercer la psychanalyse, S. Bornstein cherche à obtenir le renouvellement de son permis de séjour à Prague. Elle obtient finalement la nationalité tchécoslovaque lors de son mariage, en 1936, avec le psychanalyste Emmanuel Windholz qui émigre trois ans plus tard aux États-Unis. S. Bornstein, quant à elle, assiste à l’invasion allemande de la Tchécoslovaquie et sera même l’une des dernières présidentes de la Société psychanalytique de Prague. Ses efforts pour gagner les États-Unis sont restés vains. C’est à Prague qu’elle meurt en 1939 d’un infarctus du myocarde.

Nicole PETON

« Malentendus dans la pédagogie psychanalytique » (« Missverständnisse in der pysychoanalytischen Pädagogik », 1937), in Pédagogie et psychanalyse, Paris, L’Harmattan, 2003.

BORODINA, Melitina ALEKSANDROVNA [SMELA, UKRAINE 1918 - POUCHKINE, RUSSIE 1994]

Linguiste ukrainienne.

Après des études de philologie romane à Saint-Pétersbourg, Melitina Aleksandrovna Borodina a enseigné à l’Académie de l’URSS. Spécialiste de l’ancienne langue française, elle est aussi reconnue pour ses travaux innovants dans la description des langues rhéto-romanes, et tout particulièrement la langue des Grisons (Suisse).

Thomas VERJANS

KRAMER J., « Borodina », in STAMMERJOHANN H. (éd.), Lexicon Grammaticorum, New York/Amsterdam/Philadelphie, Mouton de Gruyter, 2009.

BOROWIN, Natasza VOIR TOKARCZUK, Olga

BORRERO, Juana [LA HAVANE 1877 - KEY WEST, ÉTATS-UNIS 1896]

Poétesse et peintre cubaine.

Fille du grand intellectuel Esteban Borrero Echeverría, Juana Borrero étudie la peinture à l’Académie des beaux-arts de San Alejandro aux côtés du peintre Armando Menocal, puis à Washington avec Harold McDonald. L’écrivain Julián del Casal, dont elle est la disciple, lui consacre un de ses portraits dans Bustos y rimas (« bustes et rimes », 1893). Les poèmes de J. Borrero sont d’abord publiés sous l’égide de son père dans Grupo de familia, poesías de los Borrero (« groupe de famille, poèmes des Borrero », 1895) et dans les revues La Habana Elegante (« La Havane élégante »), El Fígaro (« le Figaro ») et Gris y Azul (« gris et bleu »), principales publications du modernisme cubain. En 1895 paraît son premier livre, Rimas (« rimes »). La même année, sa famille émigre aux États-Unis, où la jeune fille meurt prématurément. La majeure partie de son œuvre a été publiée de façon posthume : les deux tomes d’Epistolario (« lettres », 1966 et 1967), Poesías (« poèmes », 1966) et ses lettres inédites parues dans l’ouvrage Espíritu de estrellas, nuevas cartas de amor de Juana Borrero (« esprit d’étoiles, nouvelles lettres d’amour de Juana Borrero », 1997). Ses lettres et ses poèmes, d’une grande qualité esthétique, sont empreints d’une passion tortueuse et dévastatrice et traduisent une perception exacerbée des sensations. La critique situe son œuvre à mi-chemin entre romantisme et modernisme. En tant qu’artiste peintre, J. Borrero a laissé des tableaux d’un réalisme joyeux et coloré, qui représentent des scènes quotidiennes ou littéraires avec une sensibilité peu commune et un grand talent plastique. La plupart de ses lettres sont illustrées par des dessins au trait simple.

Zaida CAPOTE CRUZ

DARÍO R., « Juana Borrero », in MONNER SANS J. M., Julián del Casal y el modernismo hispanoamericano, El Colegio de México, 1952 ; SCHULMAN I. A., « Una voz moderna, la poesía de Juana Borrero », in Casa de las Américas, vol. 37, no 205, oct.-déc. 1996.

BØRRESEN, Kari Elisabeth [OSLO 1932]

Théologienne et historienne norvégienne.

Spécialiste de l’histoire de la théologie occidentale, de l’Antiquité tardive à la Renaissance, Kari Elisabeth Børresen se forme à l’université d’Oslo, étudiant la langue et la littérature françaises, ainsi que l’histoire générale. Après un master en histoire des idées, elle soutient en 1968 une thèse de doctorat en théologie sur le rôle des femmes dans le christianisme médiéval, thème qu’elle ne cesse d’approfondir dans ses recherches postérieures. Intitulé Subordination et Équivalence, ce travail examine la nature et le rôle de la femme d’après Augustin et Thomas d’Aquin. K. E. Børresen commence sa carrière universitaire en 1961 au sein du département de philosophie de l’université d’Oslo, avant de travailler comme chercheure au Conseil norvégien de la recherche ou comme membre invitée à l’université d’Århus. Elle est nommée par le ministre de la Culture à un poste temporaire de recherche en 1982, avant d’être recrutée, en 1993, comme professeure d’études médiévales et de Gender Studies au département de Cultural Studies de l’université d’Oslo puis, en 2000, comme professeure de théologie et de Gender Studies au département d’histoire de l’Église. Ses activités et sa carrière sont portées vers l’international. Elle étudie à plusieurs reprises à l’étranger et est la coordinatrice ou la directrice de nombreuses collaborations internationales, projets de recherche, réseaux et publications. Elle édite notamment, avec Sara Cabibbo et Edith Specht, Gender and Religion/Genre et religion. European Studies/Études européennes (2001), Christian and Islamic Gender Models in Formative Traditions (2004) et, avec S. Cabibbo, Gender, Religion, Human Rights in Europe (2006). Ses recherches portent principalement sur l’interaction entre une anthropologie androcentrique et la langue divine dans la formation de la doctrine chrétienne. Elle introduit le terme « matristique » afin de corréler l’inculturation gréco-romaine des Pères de l’Église antique avec l’inculturation des Mères de l’Église médiévale en Europe du Nord, l’inculturation désignant la manière d’adapter l’annonce de l’Évangile dans une culture donnée. Elle étudie enfin le conflit entre la liberté religieuse et les droits humains universels des femmes, en mettant l’accent sur les modèles de genre dans le christianisme et l’islam.

Sari KATAJALA-PELTOMAA

From Patristics to Matristics : Selected Articles on Christian Gender Models by Kari Elisabeth Børresen, Norderval Ø, Lund K. O. (dir.), Rome, Herder, 2002.

BORRIELLO, Elvira [TORRE DEL GRECO, PROVINCE DE NAPLES 1955]

Écrivaine et poétesse italienne.

Après avoir vécu de nombreuses années à Reggiolo (Émilie-Romagne), Elvira Borriello s’est installée dans la vallée d’Aoste pour diriger un bureau de poste. Son premier roman, L’ultima luna, se la forza dell’amore (« la dernière lune, si la force de l’amour », 1997), a été suivi de Paola per sempre (« Paola pour toujours », 1998). Leiedio (2001), dont le titre peut être lu de deux façons, lei e Dio (« elle et Dieu ») ou lei ed io (« elle et moi »), raconte l’histoire douloureuse d’une religieuse et de son amour problématique pour une autre femme. Les livres d’E. Borriello racontent des histoires d’amour entre femmes. En 2003, elle a publié La primavera di un sogno distratto (« le printemps d’un rêve distrait »), un recueil de nouvelles où alternent prose et poésie. Ses nouvelles sont également parues dans la collection anthologique de Delia Vaccarello* Principesse azzurre, « amours et histoires de femmes entre femmes ».

Francesco GNERRE

BOSBOOM-TOUSSAINT, Anna Louisa Geertruida [ALKMAAR 1812 - LA HAYE 1886]

Écrivaine néerlandaise.

Issue d’une famille d’origine huguenote, Anna Louisa Geertruida Bosboom-Toussaint grandit chez sa grand-mère. En 1833, elle obtient son diplôme de maîtresse d’école. En tant que gouvernante, elle s’initie à la littérature française de son époque. La publication de la nouvelle Almagro (1837) marque ses débuts. Dans cette œuvre, inspirée par Les Brigands, de Friedrich von Schiller, se dessine déjà une idée centrale : un christianisme évangélique opposé aux idéaux des Lumières. Influencée par Walter Scott, elle fait paraître son premier roman historique, De graaf van Devonshire (« le comte de Devonshire », 1838), qui relate un épisode romantique de la jeunesse d’Élisabeth Tudor*. Ses textes sont favorablement accueillis dans les cercles conservateurs autour du réveil protestant et de la revue De Gids. Elle cherche désormais son inspiration dans l’histoire nationale et entreprend des recherches traitant d’un épisode des premiers temps de la Réforme aux Pays-Bas pour Le Château de Lauernesse (1840). Elle épouse en 1851 le peintre de l’école de La Haye Johannes Bosboom. Le Château de Lauernesse évoque l’influence des querelles religieuses sur la vie personnelle des protagonistes. Le combat entre foi et amour y tourne à l’avantage de la foi évangélique. C’est aussi le cas dans le cycle Leycester, paru en trois fois trois volumes (1845, 1850, 1854-1855), où le héros représentant de la tolérance religieuse se trouve confronté à des adversaires qui, en raison de leur intolérance, courent à leur perte. Par la suite, la romancière aborde des sujets contemporains, élaborant sa vision bourgeoise de la relation entre hommes et femmes. Le portrait de l’héroïne dans Le Major Frans, scènes de la vie néerlandaise (1874) est imprégné par le dogme chrétien traditionnel. Elle s’appuie sur l’idée que la femme apprend à maîtriser ses passions en s’adaptant aux désirs de son époux. Elle est estimée pour la force de son imagination et les analyses psychologiques de ses personnages. Considérations et exposés détaillés sont propres à son style. À sa mort, elle a laissé pour héritage une vaste correspondance avec des figures littéraires importantes de son pays.

Jeanne VERBIJ-SCHILLINGS

Le Château de Lauernesse (Het huis Lauernesse, Amsterdam, Beijerinck, 1840), Vévey/Paris, Caille/Librairie de la Suisse française, 1884 ; Le Major Frans, scènes de la vie néerlandaise (Majoor Frans, Amsterdam, Maatschappij voor goede en goedkoope lectuur, 1874), Paris, Plon, 1875.

REESER H., Repertorium op de briefwisseling van A. L. G. Bosboom-Toussaint, Amsterdam, Stichting Neerlandistiek VU, 1990.

BOSCH, Beatriz [ENTRE RÍOS 1911 - BUENOS AIRES 2013]

Historienne argentine.

L’œuvre de Beatriz Bosch, historienne durant six décennies, porte essentiellement sur la province d’Entre Ríos des années 1820 aux années 1870 et sur son gouverneur, le général Justo José de Urquiza, dont la victoire sur Juan Manuel de Rosas en 1852 a contribué à changer le cours de l’histoire de la nation argentine. Sa carrière commence dans les années 1940, alors que la discipline est dominée par les chercheurs de sexe masculin, chez qui elle rencontre une forte résistance intellectuelle. Elle écrit alors des œuvres centrées sur les hommes et leurs activités politiques, fondées sur des recherches méticuleuses en archives. Elle devient ainsi la meilleure spécialiste de l’histoire de sa province natale et de ses principaux personnages historiques. Diplômée de l’École normale, elle avait commencé à travailler à 22 ans en tant que professeure à Paraná, la capitale provinciale, puis avait été la seule chercheuse au sein des Archives nationales de Buenos Aires, après avoir reçu une permission spéciale du ministère de l’Éducation publique. Pendant les années Perón, elle s’exile en Uruguay, publiant des essais historiques dans les journaux argentins et uruguayens. À son retour, elle est nommée professeure d’histoire constitutionnelle à l’université du Littoral puis rectrice de l’Institut national des professeurs à Paraná, poste qu’elle occupe de 1969 à 1973. Elle est la première femme à être reçue à l’Académie nationale d’histoire en 1965. Son travail sur l’histoire politique provinciale a contribué à changer la perception de la figure historique du général Justo José de Urquiza et des hommes de sa génération. Dans son best-seller Urquiza y su tiempo (1970), elle présente une vision nouvelle du personnage qui n’était pas seulement un militaire mais un homme d’État intéressé par le gouvernement de la province, désireux de réformer la vie économique et sociale. Elle souligne son intérêt pour l’éducation primaire et supérieure, pour l’éducation des femmes, le théâtre et le journalisme. B. Bosch conçoit et exerce le métier d’historien dans un sens traditionnel, en s’appuyant sur les archives afin de proposer une information sûre et vérifiable, permettant l’élucidation des actes et des réalisations des individus dans leur environnement social. Son choix de centrer ses recherches sur une province a permis de contrebalancer l’hégémonie de Buenos Aires dans l’historiographie de l’Argentine.

Asunción LAVRIN

BOSCHINI, Rosely [SÃO PAULO 1948]

Éditrice brésilienne.

Architecte de formation, Rosely Boschini exerce ce métier pendant près de dix ans, avant de fonder, en 1984, les éditions Gente, à São Paulo, en association avec son frère, le médecin et écrivain Roberto Shinyashiki. L’importance de R. Boschini tient au fait d’avoir assumé, en appartenant à une petite maison d’édition, la direction d’une prestigieuse instance, la CBL (Chambre brésilienne du livre), un poste normalement occupé par un représentant des plus grandes sociétés éditrices de São Paulo. Première femme élue présidente de cette institution pour les années 2007-2008, elle est réélue en 2009-2010. L’institution est, entre autres, chargée d’organiser le Salon international du livre (Bienal Internacional do Livro) à partir de 1970, en alternance avec le Salon de la ville de Rio de Janeiro, qui commence en 1978.

Maura SARDINHA et Ligia VASSALLO

BOSCO, Monique [VIENNE 1927 - MONTRÉAL 2007]

Écrivaine canadienne d’expression française.

Juive d’origine autrichienne, Monique Bosco vit d’abord en France avant d’émigrer, en 1948, au Québec. Après des études de littérature à l’université de Montréal, elle poursuit parallèlement une double carrière de journaliste et de professeure de littérature à l’université de Montréal à compter de 1963. Son premier roman, Un amour maladroit, est édité à Paris en 1961. Par la suite, elle publie en alternance romans, recueils de nouvelles et de poésie, au Québec et en France. Sa production poétique compte un triptyque (Schabbat, 70-77 ; Miserere, 77-90 ; Lamento, 90-97), complété en 2002 par le recueil intitulé Amen. Dans ses dernières œuvres, l’écrivaine a abordé davantage les genres hybrides de l’essai-fiction et de l’essai poétique, en publiant successivement Confiteor (1998), Bis (1999), L’Attrape-rêves (2002), Eh bien ! la guerre (2004) et Ces gens-là (2006). En 1996, elle a reçu le prix Athanase-David du gouvernement du Québec pour l’ensemble de son œuvre. Malgré sa tonalité sombre, l’œuvre de M. Bosco n’est pas dépourvue d’humour, qui se manifeste le plus souvent sous la forme d’une curieuse ironie.

Gilles DUPUIS

BIRON M., DUMONT F., NARDOUT-LAFARGE É., Histoire de la littérature québécoise, Montréal, Boréal, 2007.

« Monique Bosco », in Voix et images, Montréal, vol. 9, no 3, 1984 ; TASSEL A., « Le sanglier ou le romanesque de l’insolite », in Études littéraires, Montréal, vol. 34, no 3, été 2002.

BOSÉ, Lucia (née BORLONI) [MILAN 1931]

Actrice italienne.

À 14 ans, Lucia Bosé est dactylo, puis vendeuse dans une pâtisserie. À 16 ans, elle est élue Miss Italie, l’emportant sur deux futures actrices, Gina Lollobrigida* et Gianna-Maria Canale. Sa beauté sombre et classique séduit Edoardo Visconti, frère de Luchino Visconti. Ce dernier veut la faire débuter aux côtés de Gérard Philipe mais le projet échoue, et elle joue son premier rôle avec un autre maître du néoréalisme, Giuseppe De Santis, dans Pâques sanglantes (Non c’è pace tra gli ulivi, 1950). Michelangelo Antonioni lui offre de superbes personnages dans Chronique d’un amour (Cronaca di un amore, 1950, avec Massimo Girotti) et La Dame sans camélias (La signora senza camelie, 1953, avec Alain Cuny). L’actrice retrouve De Santis pour le drame Onze heures sonnaient (Roma ore 11, 1952), et tourne deux films marquants en Espagne : Mort d’un cycliste (Muerte de un ciclista, Juan Antonio Bardem, 1955) ; Cela s’appelle l’aurore (Luis Buñuel, 1957). Ayant épousé le torero Luis Miguel Dominguín (avec lequel elle a un fils, Miguel Bosé, chanteur et acteur), L. Bosé abandonne le cinéma – elle fait une brève apparition avec son mari dans Le Testament d’Orphée (Jean Cocteau, 1960). Après son divorce, elle revient avec Satyricon (Federico Fellini, 1969, d’après Pétrone), incarnant une grande dame romaine aux côtés de Magali Noël* et de Capucine*. Elle tourne avec Mauro Bolognini : Metello (1969) ; Vertiges (Per le antiche scale, 1975) ; La Chartreuse de Parme (série TV 1982, d’après Stendhal). Elle est dirigée par Beni Montresor dans La Messe dorée (1975, avec Gérard Falconetti). Dans Nathalie Granger (1972), Marguerite Duras* l’oppose à Jeanne Moreau*, laquelle dirige L. Bosé dans son propre film, Lumière (1976). L’actrice tourne L’Ospite pour Liliana Cavani* en 1972, incarne la maléfique comtesse Bathory dans Ceremonia sangriente (Jorge Crau, 1973) et joue dans Ehrengard (Emidio Greco, 1982, d’après le roman de Karen Blixen). Pedro Almodóvar la jette Dans les ténèbres (Entre tinieblas, 1983), et Francesco Rosi la dirige dans Chronique d’une mort annoncée (Cronaca di una morte annunciata, 1987, avec Rupert Everett). Elle figure dans L’avaro (Alberto Sordi, 1989, d’après Molière) et dans Le Dernier Harem (Harem suaré, Ferzan Ozpetek, 1999, avec Marie Gillain).

Bruno VILLIEN

LANCIA E., MASI S., Les Séductrices du cinéma italien, Rome, Gremese, 1997.

BOSERUP, Ester [COPENHAGUE 1910 - ASCONA, SUISSE 1999]

Économiste danoise du développement.

Formée à l’économie, à la sociologie et à la science politique, Ester Boserup travaille tout d’abord pour le gouvernement danois en tant que spécialiste des politiques agricoles européennes. De 1947 à 1957, pour les Nations unies à Genève et la Food and Agriculture Organization (FAO), elle élargit ses observations aux pays en voie de développement. Le reste de sa carrière s’effectue dans le cadre des Nations unies. Elle est la principale organisatrice de la Conférence mondiale de la population à Bucarest en 1974 et de la première Conférence internationale de la femme à Mexico l’année suivante. Les audacieuses synthèses d’histoire économique établies par E. Boserup l’ont fait connaître comme une anti-Malthus : pour elle, c’est la pression démographique qui entraîne une évolution des techniques agraires, et non les capacités naturelles et technologiques qui limitent la population. Elle développe également une approche pluridisciplinaire des systèmes agricoles dont l’ordre de succession dans le temps correspond à une intensification de l’exploitation de la terre, la durée des jachères allant en diminuant. Elle s’intéresse particulièrement à la division sexuelle du travail agricole, établissant une opposition idéal-typique entre une agriculture de subsistance à faible densité de population, commune en Afrique, qu’elle désigne comme système agricole féminin, et une agriculture intensive avec labours, irrigation et propriété privée du sol, caractéristique de l’Asie du Sud-Est, qu’elle désigne comme système agricole masculin. Son livre, La Femme face au développement économique (1983), est centré sur une vaste synthèse statistique des proportions de femmes dans les différents secteurs d’activité économique de nombreux pays pauvres ; il s’attaque à une autre thèse de Malthus, selon laquelle les famines sont principalement causées par des pénuries alimentaires.

Alain CHENU

Évolution agraire et pression démographique, Paris, Flammarion, 1970 ; La Femme face au développement économique, Paris, Presses universitaires de France, 1983.

Population and Technological Change : A Study of Long-Term Trends, Chicago, University of Chicago Press, 1981 ; Economic and Demographic Relationships in Development, Schultz T. P. (dir.), Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1990.

BOSIO, Laura [VERCEIL, PIÉMONT 1953]

Écrivaine italienne.

Laura Bosio vit à Milan. Licenciée en lettres, elle publie en 1993 son premier roman, I dimenticati (« les oubliés »), qui reçoit le prix Bagutta. Elle y raconte la relation conflictuelle entre une mère et sa fille, depuis la rébellion de cette dernière jusqu’à son retour à la maison pour soigner sa mère infirme. En 1997, elle fait paraître un deuxième roman, Annunciazione (« annonciation »), qui a pour thème la crise du couple, mais qui se veut dans le même temps une réflexion laïque sur le rôle de la femme à partir de l’Annonciation de Marie. Elle dirige en 1999 une anthologie de « voix d’écrivaines », La ricerca dell’impossibile, voci della spiritualità femminile.

Graziella PAGLIANO

BOŠKOVIĆ, Anica [DUBROVNIK 1714 - ID. 1804]

Poétesse croate.

Sœur du philosophe, écrivain, diplomate et chercheur Ruđer Bošković, Anica Bošković reçut son éducation au couvent Sainte-Catherine et participa aux cercles intellectuels. Son œuvre majeure est une pièce de théâtre pastorale et religieuse, intitulée Razgovor pastirski vrhu porodjenja Gospodinova jedne djevojčice Dubrovkinje (« entretien des bergers sur la naissance du Christ par une fille de Dubrovnik », 1758).

Lada ČALE FELDMAN

VUJIĆ A. (dir.), Hrvatski leksikon, Zagreb, HLZ, 1996.

BOŠKOVIĆ-STULLI, Maja [OSIJEK 1922 - ZAGREB 2012]

Ethnologue croate.

Après des études de langue et de littérature slave à Zagreb, Kazan, Saint-Pétersbourg et Belgrade, Maja Bošković-Stulli soutint sa thèse de doctorat à Zagreb en 1961. Dès 1952, elle avait commencé à travailler à l’Institut d’art populaire (devenu l’Institut d’ethnologie et de recherche sur le folklore) qu’elle fonda avec Nikola Bonifačić Rožin et Ivan Ivančan la même année. Directrice de l’institut de 1963 à 1972 et rédactrice en chef de la revue Narodna Umjetnost (« art populaire »), elle mit au centre de sa recherche la littérature orale et son héritage, tout en considérant les changements que subirent ses paradigmes théoriques en traitant cet art comme performance in situ. Dans ses ouvrages, elle resta toutefois fidèle à sa conception de la littérature orale comme « l’art des mots », qu’il faut étudier dans son contexte historique : Usmena književnost kao umjetnost riječi (« la littérature orale comme art des mots », 1975) ; Usmeno pjesništvo u obzorju književnosti (« la poésie orale à l’horizon de la littérature », 1984) ; O usmenoj tradiciji i o životu (« de la tradition orale et de la vie », 1999). Auteure de plus d’une centaine d’articles et de plus d’une dizaine de livres, l’ethnologue montra un grand intérêt pour les contes qu’elle recueillit sur le terrain, retranscrivit et étudia à contre-courant de la critique littéraire de son époque, en se concentrant sur la misogynie de la culture orale croate. Elle fut l’une des rares femmes membre de l’Académie des sciences et des arts croates.

Lada ČALE FELDMAN

MARKS L., LOZICA I. (dir.), Festschrift fur Maja Bošković Stulli – In the Honor of Maja Bošković Stulli, in Narodna umjetnost, n30, Zagreb, Institut za etnologiju i folkloristiku, 1993.

BOSMANS, Henriëtte Hilda [AMSTERDAM 1895 - ID. 1952]

Pianiste et compositrice néerlandaise.

Les parents de Henriëtte Hilda Bosmans étaient tous deux instrumentistes, son père violoncelliste au Concertgebouw d’Amsterdam et sa mère professeure de piano au conservatoire. C’est elle qui la forma et lui permit de réussir une carrière européenne de pianiste soliste et d’accompagnatrice. Pourtant, dès l’âge de 15 ans, elle fut attirée par la composition et, très jeune encore, destina au violoncelle une sonate, deux concertos, un Poème pour violoncelle et orchestre (1926), écrivit de la musique de chambre et des mélodies. Elle entreprit vers 25 ans l’étude de l’orchestration et de la composition avec Willem Pijper. Son langage devint alors plus moderniste, plus libre dans sa rythmique et son harmonie. Après une interruption pendant la période de la guerre, elle composa de nouvelles œuvres, se lia d’amitié avec Benjamin Britten, dont elle joua le concerto de piano, et accompagna Peter Pears lors de ses récitals. Elle présenta alors beaucoup de nouvelles mélodies, plusieurs d’entre elles écrites sur des poèmes français de Paul Éluard, Paul Fort, Jacques Prévert.

Pierrette GERMAIN

BOSQUET, Amélie [ROUEN 1815 - NEUILLY-SUR-SEINE 1904]

Romancière française.

Amélie Bosquet débute comme folkloriste, avec le volume La Normandie romanesque et merveilleuse, encore considéré comme l’une des meilleures études sur les légendes et les traditions de cette région. Sous le nom d’Émile Bosquet, elle signe une série de romans qui relèvent de l’esthétique réaliste et naturaliste et peignent, avec pessimisme, les différences de classe et, de façon très moderne, les préjugés concernant les femmes seules. Le Roman des ouvrières fournit une image sans fard mais poignante des filatures rouennaises, avec des personnages féminins saillants. Reçue à la Société des gens de lettres, elle poursuit sa carrière à Paris, où elle fréquente les milieux féministes. En 1869, dans Le Droit des femmes, elle fait paraître deux articles assez critiques sur LÉducation sentimentale, qui provoquent une brouille avec Flaubert, son ami depuis dix ans.

Laura COLOMBO

Légendes de Normandie (1845), Rennes, Ouest-France, 2004 ; Le Roman des ouvrières (1868), Rouen, L’Écho des vagues, 2011.

FLAUBERT G., Correspondance, Paris, Gallimard, coll. « La Pléiade », t. III, 1991/t. IV, 1998.

COLOMBO L., La Révolution souterraine, Voyage autour du roman féminin en France, 1830-1875, Lille, ANRT, 2007.

BOSS, Carolina DEL VOIR RÍOS DE LAMPEREZ BLANCA DE LOS

BOSSE, Harriet Sofie [OSLO 1878 - ID. 1961]

Actrice suédo-norvégienne.

Formée comme chanteuse classique au Conservatoire de musique de Stockholm, Harriet Sofie Bosse suit également des cours d’art dramatique au Conservatoire national de Paris, durant l’hiver 1898. À partir de 1899, sa carrière se déroule entièrement sur la scène nationale du Dramaten (Kungliga Dramatiska Teatern, « théâtre dramatique royal ») de Stockholm. En 1901, elle épouse August Strindberg, qui a déjà la cinquantaine et dont elle divorcera en 1904. Cependant, son travail de comédienne et ses relations artistiques avec l’écrivain et metteur en scène permettent de la considérer comme une actrice représentative du modernisme du XXe siècle. Celle qu’il appelait « Mon aigle d’or de Java », toute petite de taille et mate de peau, semble avoir inspiré Strindberg. Sans doute développe-t-elle un style de jeu moins réaliste que ne l’imposait la tradition Ibsen-Strindberg, déjà bien établie à l’époque en Scandinavie. Elle rendit le rôle de la fille d’Indra du Songe, écrit pour elle, proche du surréalisme, avec une théâtralité lyrique, imaginative et marquée par les rêves, la fantaisie, l’exotisme et l’art nouveau. Après un certain temps passé dans les théâtres privés, H. Bosse est à nouveau engagée au Dramaten, mais vit ce qu’elle-même décrit comme une « longue marche vers le Golgotha », avec des rôles moins importants. Elle demeure l’icône de la production tardive de Strindberg.

Margareta SORENSON

BOSSI, Elda [FLORENCE 1901 - ID. 1966]

Écrivaine italienne.

Poétesse et romancière, Elda Bossi est connue pour ses livres pour la jeunesse et pour son activité de journaliste (elle fut correspondante en Europe pour le journal La Nazione de Florence). Parmi ses recueils de poèmes, La gioia (« la joie », 1922) est reparu dans une édition augmentée sous le titre latin Nugae en 1930. E. Bossi est également l’auteure d’un recueil de nouvelles, I poveri (« les pauvres », 1952), dont l’édition augmentée s’intitule La parte dei magri (« la part des maigres », 1967). Ses trois romans ont pour cadre le XIXe siècle : Bimba con fiore in mano (« la petite fille avec une fleur dans la main », 1943) ; Vietato agli uomini (« interdit aux hommes », 1965) ; Giornale del soldato stanco (« journal d’un soldat fatigué », 1973). Avec son mari, le constitutionnaliste Giuseppe Maranini, dont elle raconte la vie dans Un uomo libero, Giuseppe Maranini (« Giuseppe Maranini, un homme libre », 1977), elle a fondé la maison d’édition La Nuova Italia.

Francesco GNERRE

BOSSI FEDRIGOTTI, Isabella [ROVERETO, PROVINCE DE TRENTE 1948]

Écrivaine italienne.

Diplômée en littérature française à l’université de Milan, Isabella Bossi Fedrigotti collabore en tant que journaliste au quotidien Il Corriere della Sera. Parmi ses romans, Amore mio, uccidi Garibaldi (« mon amour, tue Garibaldi », 1980) raconte l’histoire d’amour d’un couple d’Italiens, sous l’empire austro-hongrois, par lettres et journal intime interposés. Casa di guerra (« maison de guerre », 1983) est récompensé par le prix Campiello, tout comme De bonne famille (1991), récit des vies de deux sœurs, du mariage malheureux de la plus jeune, de l’abandon de l’aînée par son fiancé le jour de son mariage et de la crainte que son nouveau fiancé ne la trahisse avec sa sœur, des adultères du père, et de l’impossibilité de toute communication tandis que les deux guerres mondiales et les transformations de la société bouleversent les existences. Dans Magazzino vita (« magasin vie », 1996), la narratrice évoque son enfance. Il catalogo delle amiche (« le catalogue des amies », 1999) est l’histoire de dix amies sans soucis d’argent mais en proie aux incertitudes. Dans les années 2000, I. Bossi Fedrigotti a publié plusieurs livres, dont Cari saluti (« chères salutations », 2001) et Il vestito arancione (« la robe orange », 2007).

Graziella PAGLIANO

De bonne famille (Di buona famiglia, 1991), Paris, Hachette littératures, 1997.

BOSSU, Sylvia [SAINT-RÉMY 1962 - SAVOIE 1995]

Artiste multimédia française.

Élève de l’École nationale supérieure d’art de Dijon, Sylvia Bossu expose pour la première fois dans cette même ville en 1988, et interroge d’emblée l’implication du spectacle dans le dispositif artistique. L’installation Immédiat (1988) est conçue pour le Fonds régional d’art contemporain : des visionneuses, posées sur des socles, présentent des diapositives des œuvres placées dans la même salle ; ainsi, la pièce renvoie à l’ici et maintenant, à la perception du spectateur, dont elle met en abyme le regard. Dans la même perspective, ses Miroirs de courtoisie (1989), des pare-soleil d’automobile fixés à quelques centimètres l’un de l’autre, prennent au piège quiconque voudrait s’y voir. L’artiste participe aux Ateliers du musée d’Art moderne de la Ville de Paris en 1992 et expose ses Brèves à la galerie parisienne Anne de Villepoix, l’année suivante. Ses travaux construisent des « dispositifs », qui s’autodétruisent à mesure que l’autre – le spectateur – les consomme. Ses Films cousus (1992) sont composés d’un projecteur de cinéma pesant sur la pédale d’une machine à coudre, laquelle, mise en action, entraîne la boucle du film sur le projecteur. La Mangeuse d’images (1992) accouple des projecteurs Super 8 à un destructeur de listing informatique et permet à quiconque de visionner une dernière fois ses films personnels, avant que la machine ne les détruise. Une bourse d’études mène l’artiste à Berlin et lui permet de faire des expositions, de Vienne à Anvers, de Munich à Sète ou Angers. Celle qui incarne la « mangeuse d’images » installe ainsi ses dispositifs, dont l’application continue d’interpeller individuellement les spectateurs. C’est l’époque où l’on commence à parler d’esthétique relationnelle, notion à laquelle l’artiste ajoute des significations, telles que la contrainte et l’inconfort. Son œuvre, Elle est trop fraîche (1995), présente cinq pèse-personnes, sur lesquels il faut monter pour qu’ils émettent des bruits liés aux fonctions fondamentales du vivant : respiration, battements de cœur, gémissements, cris de plaisir (masculin et féminin) et d’effroi. Moment voulu (1995) se réduit, quant à lui, à un seul pèse-personne relié à un hachoir qui débite de la viande crue lorsqu’une personne monte dessus. Un accident de voiture met fin à la vie de l’artiste ainsi qu’à celle de son compagnon, Éric Colliard, en juillet 1995.

Élizabeth LEBOVICI

Sylvia Bossu (catalogue d’exposition), Dijon, Frac Bourgogne, 1997.

BOSTON, Marjorie [PARAMARIBO, SURINAME 1964]

Directrice artistique de centre culturel, néerlandaise.

Diplômée en 1989 du département de mime de l’École de théâtre d’Amsterdam, Marjorie Boston travaille à la fois avec des institutions théâtrales hollandaises et de plus petits groupes expérimentaux. Elle participe également à un nombre important de productions télévisuelles, telles que Domburg (1996), série en six parties sur une famille du Surinam. En 1993, elle met sur pied avec son partenaire Maarten Van Hinte la compagnie théâtrale Made in da Shade, qui crée le « théâtre urbain », basé sur la dimension multiculturelle de la jeunesse des grandes cités des Pays-Bas. En 2007, M. Boston devient directrice artistique du centre culturel MC Theater, dont le nom évoque entre autres un concept de la culture hip-hop : le Maître des Cérémonies. MC mélange un nombre notable d’arts différents, en formant, autour de créateurs de théâtre, des groupes multidisciplinaires dans lesquels la combinaison du rap, de la danse, du texte, de bandes sonores et d’Internet aboutit à un concept global qui renforce la fable imaginée par les créateurs. Le centre, également maison de production, offre aussi une plateforme pour des talents débutants, dans le théâtre et dans la musique.

Mercita CORONEL

BOTAN (SUPHA SIRISINGH, née LUESIRI, dite) [THONBURI 1945]

Romancière, nouvelliste et éditrice de livres pour enfants thaïlandaise.

Supha Luesiri est issue d’une famille d’immigrants chinois récemment installés en Thaïlande. Son pseudonyme, Botan, signifie « pivoine », fleur qui, aux yeux des Thaïlandais, symbolise la Chine. L’obtention d’une bourse alors qu’elle est encore très jeune lui permet de prolonger ses études au-delà du primaire, ce qu’elle n’aurait certainement pas pu faire autrement, les filles de la communauté chinoise ne recevant alors qu’une éducation minimale. En 1969, elle publie son œuvre phare, Jotmaï Jaak Muang Thai (Lettres de Thaïlande), roman composé des lettres qu’un jeune immigrant chinois installé à Bangkok envoie à sa mère restée en Chine. En arrière-plan de l’histoire de Tan Suang U se dessinent des thèmes cruciaux pour la Thaïlande de l’après Seconde Guerre mondiale, tels que les différences entre les cultures thaïe et chinoise, l’abandon progressif des traditions chinoises et l’adoption des usages thaïs par les enfants de la seconde génération. Malgré un accueil initial plutôt froid, le livre connut un grand succès après que l’Otase lui eut décerné son prix littéraire annuel. Elle travaille pour les magazines Satri Sarn et Chaiyapruek et c’est dans ce milieu de l’édition qu’elle rencontre Viriya Sirisingh (ou Sirisingha). Ils se marient en 1975 et fondent une maison d’édition pour la jeunesse, Chomrom Dek (« le club des enfants »). Les œuvres de Botan – Phu Ying Khon Ni Cheu Boonrod, « elle s’appelle Boonrod » ; Tawan Chingphlop, « crépuscule » ; Pai Tong Lom, « le vent dans les bambous » ; Kert Tae Tom, « née dans la fange » – sont la description sans fard d’une société machiste dans laquelle les femmes ne sont guère considérées. L’importance de l’éducation des filles y est constamment affirmée. En 1999, elle figure parmi les 11 personnalités nommées Artistes nationaux. Plusieurs de ses ouvrages ont été adaptés en séries télévisées à succès.

Xavier GALLAND

Lettres de Thaïlande (Jotmaï Jaak Muang Thai, 1969), Nyon, Esprit ouvert, 2002.

FULOP KEPNER S., The Lioness in Bloom : Modern Thai Fiction about Women, Londres, University of California Press, 1996 ; NAGARA P.N., Treasury of Thai literature : the modern period, Bangkok, National Identity Board, Office of the Prime Minister, 1988.

BOTELHO, Fernanda [PORTO 1926 - LISBONNE 2007]

Romancière, poétesse et nouvelliste portugaise.

Dans les années 1950, Maria Fernanda de Faria e Castro Botelho rejoint l’avant-garde littéraire à Lisbonne. Elle débute comme poétesse dans la revue Távola Redonda (1950-1954), dont elle est cofondatrice, et collabore à Europa et à Graal. En 1951, elle publie As coordenadas líricas (« les coordonnées lyriques »), en 1956, la nouvelle O enigma das sete alíneas (« l’énigme des sept paragraphes ») et, l’année suivante, le roman O ângulo raso (« l’angle plat »). Très libre, sa production fictionnelle se caractérise par une écriture polémique. Elle dénonce le sort réservé aux femmes : le mariage obligé (Calendário privado [« calendrier privé »], 1958) et son échec, suivi presque toujours par l’adultère (Lourenço é nome de jogral [« Lourenço est le nom du bouffon »], 1971) ; le vide et la solitude (Dramaticamente vestida de negro [« radicalement vêtue de noir »], 1994 ; Cette nuit j’ai rêvé de Bruegel, 1987) ; la soumission délibérée (A gata e a fábula [« le chat et la fable »], 1960) ou la stérile conquête de la liberté (Xerazade e os outros [« Shéhérazade et les autres »], 1964). L’écriture de F. Botelho est également provocante : un des personnages féminins de Terra sem música (o livro de Pitch) (« terre sans musique [le livre de Pitch] », 1969) considère la femme comme un « animal absurde, pléonastique, métaphorique et paradoxal ». Elle (re)compose des portraits bigarrés de femmes dans une prose originale et insolite. As contadoras de histórias (« les conteurs d’histoires », 1998) développe plusieurs versions d’une même histoire ouvrant ainsi sur l’univers typiquement moderne des fins alternatives. Os gritos da minha dança (« les cris de ma danse », 2003) est caractérisé par un aspect fragmentaire et une indétermination générique. De la somme de ces traits se dégage le portrait d’une écrivaine qui a affirmé ne pas vouloir, « même dans la mort, renoncer à l’ironie ».

Ana Paula ARNAUT

Cette nuit j’ai rêvé de Bruegel (Esta noite sonhei com Brueghel, 1987), Arles, Actes Sud, 1990.

ALMEIDA J. M. de, A figura feminina em Fernanda Botelho, Lisbonne, Acontecimento, 2006 ; COSME M. T. G. de M., « A gata e a fábula » de Fernanda Botelho, a subversão da fábula, Lisbonne, Faculdade de Letras, 1996 ; RODRIGUES U. T., Tradição e ruptura, Lisbonne, Presença, 1994.

BOTTOME, Phyllis [ROCHESTER, KENT 1884 - LONDRES 1963]

Écrivaine britannique.

Fille d’un pasteur, Phyllis Bottome passe son enfance et adolescence à voyager afin d’échapper à une lourde influence familiale et de lutter contre la tuberculose. En 1917, elle se marie à Paris avec Alban Forbes Dennis, un diplomate, agent du renseignement et du contre-espionnage pour l’Europe centrale, et qu’elle suit d’un pays européen à l’autre. À Vienne, elle étudie la psychanalyse avec Alfred Adler et, en 1924, persuadée que l’éducation doit guérir les nations de leurs maux, elle fonde avec son mari une école à Kitzbühel où elle tente de mettre en œuvre une pédagogie inspirée de son travail psychanalytique, cette école devenant une sorte de laboratoire d’idées pédagogiques et une communauté d’idées. Après avoir écrit son premier roman à l’âge de 17 ans, elle publie plus de 50 ouvrages à partir de 1916, dont trois volumes autobiographiques et deux biographies, l’une, hagiographique, d’Alfred Adler et l’autre de Stella Benson* (Stella Benson, 1934). La plupart de ses romans sont fondés sur des relations psychologiques d’attraction et de répulsion, de pouvoir et de soumission, et traitent des problèmes que posent l’absence de justice sociale, la pauvreté, le travail des femmes et l’antisémitisme, les maladies mentales et les psychoses. Private Worlds (1934) est adapté à l’écran en 1935 mais Danger Signal (1939) est quant à lui interdit d’écran, au nom du code Hays en vigueur à Hollywood, puis autorisé en 1945. Lors de son séjour en Allemagne à la fin des années 1930, elle alerte les gouvernements occidentaux sur le traitement infligé aux juifs par les nazis dans Prison de brume (The Mortal Storm, 1937), porté à l’écran par Franck Borzage en 1940. Après la guerre, elle consacre son activisme politique aux victimes de l’injustice coloniale et du racisme.

Michel REMY

Prison de brume (The Mortal Storm, 1937), Paris, del Duca, 1956 ; La Cité résiste (London Pride, 1941), Genève, J. H. Jeheber, 1944.

HIRSCH P., The Constant Liberal : The Life and Work of Phyllis Bottome, Londres, Quartet, 2010.

BOUBAKER-TRIKI, Rachida [1949]

Philosophe tunisienne.

Après un doctorat en esthétique et philosophie politique en 1983 à Paris I-Sorbonne, Rachida Boubaker-Triki enseigne, à partir de 1984, la philosophie à la Faculté des sciences humaines et sociales de Tunis. Sa philosophie s’attache à mettre en rapport la création artistique et les différents dispositifs sociopolitiques. La création est, à ses yeux, de part en part temporalité, c’est-à-dire « ce qui altère l’être et produit dans son sillage de nouvelles perceptions », conduisant à des significations neuves et à un enrichissement de l’être – « altération » qui touche aussi bien notre rapport au monde que notre positionnement sociopolitique. La politique devient un champ privilégié d’activités créatrices. La démocratie peut être considérée comme un processus de création où interviennent la mise en œuvre de son institution et la dynamique inter-active des individus s’associant pour réinventer des formes de socialité. R. Boubaker-Triki estime que le travail de l’œuvre d’art, par sa dimension à la fois imprévisible et contraignante, événementielle et instauratrice de sens, éclaire le processus culturel et toute forme d’institution. Critique d’art et commissaire d’expositions, elle a collaboré à divers catalogues et revues d’art. Elle est présidente et membre fondateur de l’Association tunisienne d’esthétique et de poïétique. Elle a réalisé une série de moyens-métrages documentaires rassemblés sous le titre « Touches de création », qui présente les principaux peintres de Tunisie.

Mounira BEN MOUSTAPHA

Esthétique et politique à la Renaissance, Presses universitaires de Tunis, 1989 ; L’Esthétique et la question du sens (2000), Paris, Arcantère, 2002 ; L’Esthétique du temps pictural, Tunis, CPU, 2002 ; L’Image. Ce que l’on voit, ce que l’on crée, Paris, Larousse, 2008 ; avec CHIRON E. et KOSSENTINI N., Paysages croisés. La Part du corps, Paris, Publications de la Sorbonne, 2009.

BOUBOULINA, Laskarina (née PINOTSIS) [CONSTANTINOPLE 1771 - SPETSES 1825]

Armatrice et héroïne de l’indépendance grecque.

La vie de Laskarina Bouboulina se déroule dans une Grèce occupée par les Turcs depuis le XVe siècle, et dans une île ravagée par la répression ottomane. Son père, figure de la révolte du Péloponnèse en 1769, est mort dans les prisons turques où elle est née quand sa mère rendait visite à son mari. Mariée à 17 ans, elle participe aux expéditions maritimes menées par son premier époux. À 40 ans, elle est une deuxième fois veuve, avec six enfants. Femme d’affaires avisée, elle fait fructifier la grande fortune héritée de son second mari, Dimitri Bouboulis, et en 1816 déjoue habilement la tentative de confiscation de ses biens par les Turcs. Elle aurait été une des rares femmes membres de Filiki Etairia, société secrète de diffusion des idées révolutionnaires et œuvrant pour l’indépendance de la Grèce. Elle noue un partenariat avec des armateurs grecs, et réussit à construire ses propres navires, dont l’Agamemnon, qui sera la première et la plus grande corvette de guerre de la flotte grecque naissante. Secrètement, elle finance une petite armée privée de Spetsiotes. Quelques jours avant le début de la guerre d’indépendance en 1821, elle hisse au mât de son navire le premier drapeau révolutionnaire. Ses attaques navales à la tête de sa flottille durant le blocus de Nauplie sont héroïques. Elle conduit aussi ses hommes aux combats terrestres, participe à l’égal des officiers aux décisions et gagne le surnom de Kapitanissa. Lors du massacre de Tripolizza (Péloponnèse), elle réussit à sauver les femmes de la noblesse turque. Les Grecs remportent des victoires deux années durant, mais ensuite se déchirent dans des guerres civiles dont L. Bouloulina sera la victime. Arrêtée en 1824, puis exilée dans son île de Spetses, elle est tuée lors d’un conflit avec une famille spetsiote alors qu’elle préparait la contre-attaque au débarquement des forces turco-égyptiennes d’Ibrahim Pacha. Elle ne verra pas l’indépendance de son pays en 1830, après une guerre de huit années, mais elle en est le symbole par sa hardiesse et son patriotisme. Nombre de rues portent son nom en Grèce et à Chypre.

Jacqueline PICOT

GRÈCE M. de, La Bouboulina, Paris, Plon, 1993.

BOUCHARD, Linda [VAL-D’OR, QUÉBEC 1957]

Compositrice et chef d’orchestre canadienne.

Linda Bouchard a composé près de 70 opus pour divers genres musicaux (musique pour orchestre, pour voix, musique de chambre, musique pour la danse). Sa formation musicale s’est principalement déroulée aux États-Unis où elle a étudié avec Harvey Sollberger (flûte), David Gilbert et Arthur Weisberg (direction), et Henry Brant (composition). Sa musique s’inspire de la géométrie, de structures et de textures inspirées de la nature. Cela se concrétise par des recherches sur le timbre et des explosions percussives, caractérisées notamment par une répartition des musiciens dans l’espace (Triskelion, 1982). Ses œuvres débutent brusquement et ne comportent généralement aucune introduction ni développement : elles semblent s’engager dans une musique déjà en cours, ininterrompue. Les idées musicales sont ainsi présentées sans forme préétablie ou cadre narratif. L. Bouchard a été compositrice en résidence de l’Orchestre du Centre national des arts (1992-1995) et directrice musicale du programme d’intégration des chansons du XXe siècle au Centre d’arts de Banff (1994). En 2000, elle a été compositrice vedette au New Music Festival de l’Orchestre symphonique de Winnipeg et au Vancouver Music Festival, puis, en 2001, invitée à participer à un stage d’informatique musicale à l’Ircam. Elle est récipiendaire de nombreux prix, dont plusieurs lors de concours de compositions. Elle a également reçu le prix Opus du compositeur de l’année du Conseil québécois de la culture, ainsi que le prix Joseph-S.-Stauffer du Conseil des arts du Canada en 1997. De 1979 à 1990, elle s’est installée à New York où elle a dirigé des ensembles de musique nouvelle et fait des arrangements pour orchestre pour le Washington Ballet, le St. Luke’s Orchestra ainsi que pour diverses églises du territoire métropolitain. En 1988, elle a fondé son propre ensemble, Abandon, pour lequel elle a écrit Muskoday (1988), Possible Nudity (1987) ou encore Propos IV (1984). Elle vit depuis 1997 à San Francisco.

Sophie STÉVANCE

BOUCHARDEAU, Huguette [SAINT-ÉTIENNE 1935]

Femme politique française.

De parents ouvriers, Huguette Bouchardeau devient universitaire. Philosophe de formation, elle a milité toute sa vie. Entrée au Parti socialiste unifié (PSU) dès 1960, elle en devient la secrétaire nationale de 1979 à 1981. Elle est fortement engagée dans le combat féministe, notamment au Planning familial et au Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception (MLAC). En 1981, le PSU la présente à l’élection présidentielle, pensant qu’elle a vocation à attirer les voix des femmes et des féministes. La médiocrité de son score (1, 1 %) s’explique par la pluralité de l’offre à gauche et par le ralliement de la plupart des féministes à François Mitterrand. Pourtant, son entrée dans le jeu présidentiel la met en orbite politique. Quittant le PSU en 1985, elle entame une carrière politique nationale qui va durer dix ans. Elle est nommée secrétaire d’État à l’Environnement dans le gouvernement de Pierre Mauroy en 1983, puis ministre de l’Environnement dans celui de Laurent Fabius, de 1984 à 1986. Élue députée (apparentée PS) du Doubs en 1986 et réélue en 1988, elle exerce son mandat jusqu’en 1993. En 1995, elle fonde HB Éditions. Elle est aussi l’auteure de nombreux ouvrages.

Mariette SINEAU

Un coin dans leur monde, Paris, Syros, 1980 ; Le Ministère du possible, Paris, Alain Moreau, 1986.

SINEAU M., La Force du nombre, femmes et démocratie présidentielle, La Tour d’Aigues, L’Aube, 2010.

BOUCHER, Denise [VICTORIAVILLE 1935]

Écrivaine et poétesse canadienne d’expression française.

Diplômée de l’université de Sherbrooke en pédagogie, Denise Boucher vit à Montréal à partir de la fin des années 1950 où elle fréquente des figures importantes de la culture québécoise. L’essai-fiction Retailles, écrit avec Madeleine Gagnon* (1977), et Cyprine, essai-collage pour être une femme (1978), font partie de ses premières œuvres. Elle accède à la notoriété avec sa pièce Les Fées ont soif (1978), qui scandalise et tombe sous le coup de la censure. Au Québec, il s’agit d’un moment décisif dans l’histoire de l’écriture féminine. À travers ce texte, elle s’en prend aux mythes dans lesquels l’image de la femme, sacralisée ou méprisée par le patriarcat et le clergé, s’est retrouvée enfermée. Son écriture emprunte aussi à la poésie dans divers recueils optant aussi bien pour la brièveté que pour de longs développements à caractère théâtraux, et embrasse tous les genres, celui de la chanson (elle sera la parolière de Pauline Julien et de Gerry Boulet) comme du récit autobiographique (Une voyelle, 2007). D. Boucher a été présidente de l’Union des écrivaines et des écrivains québécois entre 1998 et 2000.

Farah GHARBI

Paris Polaroïd et autres voyages, Montréal, L’Hexagone, 1990 ; Grandeur nature, Chartres/Montréal, Musée de Chartres/Écrits des forges, 1993 ; À cœur de jour, Trois-Rivières, Écrits des forges, 1996 ; Les Divines, Montréal, Les Herbes rouges, 1996 ; Un joint universel, Trois-Rivières/Echternach, Écrits des forges/PHI, 2001 ; Traversée en trois temps, Montréal/Gardonne, Trait d’union/Fédérop, 2002 ; Jézabel, Montréal, Les Herbes rouges, 2003.

BOUCHER, Hélène [PARIS 1908 - GUYANCOURT 1934]

Aviatrice française.

Issue d’une famille bourgeoise, Hélène Boucher manifeste très jeune son peu de goût pour le destin tout tracé des femmes de son époque. Passionnée de mécanique, elle passe son permis de conduire à 16 ans et devient une conductrice expérimentée. Elle refuse de passer le baccalauréat, fréquente un pilote d’aviation militaire, obtient son brevet de pilote à 24 ans, en bénéficiant d’une bourse attribuée à la première femme inscrite à l’école de pilotage, puis passe le brevet de transport public deux ans plus tard. Elle deviendra aussi une virtuose de l’acrobatie aérienne. Avec son avion, acheté d’occasion, elle tente un raid Paris-Saïgon qui s’interrompt à Bagdad, mais elle y gagne la célébrité. H. Boucher veut promouvoir les couleurs de la France : elle bat le record du monde féminin de l’altitude (5 900 m) en 1933, et des records mondiaux de vitesse en août 1934. La même année, elle obtient le prix Monique-Berlioux de l’académie des Sports, qui récompense chaque année depuis 1919 la performance sportive d’une femme. À cette époque, elle milite pour le droit de vote des femmes avec Maryse Bastié*, Maryse Hilsz et Adrienne Bolland*, fameuses aviatrices qu’elle admirait. Elle se tue lors de l’atterrissage d’un vol d’entraînement.

Annie SCHMITT

BOUCHERETT, Emilia Jessie [NORTH WILLINGHAM, LINCOLNSHIRE 1825 - ID 1905]

Journaliste et féministe britannique.

Lorsqu’Emilia Jessie Boucherett commence à s’intéresser à la cause des femmes, sa naissance dans un milieu fortuné lui permet de devenir l’une de ses bienfaitrices les plus généreuses. Elle n’hésite pas à vendre ses bijoux pour renflouer l’Englishwoman’s Journal et lègue, à sa mort, une partie de sa fortune à son successeur, l’Englishwoman’s Review, dont elle était devenue l’une des rédactrices en chef. Activiste féministe de la première heure, membre souscriptrice de nombreux groupes suffragistes, dont celui de Langham Place, cofondatrice de la Société pour l’emploi des femmes (1859) qu’elle dote largement, elle contribue à promouvoir l’émancipation féminine dans plusieurs articles de journaux. Toutefois, elle garde de ses origines aristocratiques terriennes, outre un goût pour la chasse, un tempérament profondément conservateur qui explique qu’elle se soit opposée au droit de vote des femmes mariées et ait été horriblement choquée par la campagne contre les lois sur les maladies contagieuses. Elle ne partage pas moins le militantisme ardent de Joséphine Butler*, notamment chaque fois qu’il s’agit d’encourager et de protéger le travail des femmes, comme en témoignent quelques-uns de ses essais : Hints for Self-help for Young Women, 1863 ; The Condition of Working Women and the Factory Acts, 1896 (coécrit avec la suffragiste Helen Blackburn*).

Martine MONACELLI

BOUCHET, Francine [GENÈVE 1949]

Éditrice suisse.

Après des études de lettres et des expériences dans l’enseignement, Francine Bouchet reprend, en 1981, à Genève, la librairie La Joie de lire. En 1987, elle fonde la maison d’édition du même nom, consacrée aux enfants, en publiant pendant les années suivantes une vingtaine de livres par an. Ses collections accordent une grande importance au graphisme et à l’originalité. En 1998, elle est élue présidente de l’Association suisse des éditeurs de langue française (Aself), où elle s’engage pour la promotion du livre suisse à l’étranger. Mère de trois enfants, elle a pour objectif d’encourager les jeunes à la lecture. En 2006, elle publie Quand ma mère, un long poème autobiographique.

Barbara GALIMBERTI

BLOCH P. A., La Suisse romande et sa littérature, Poitiers, UFR, 1989 ; HERVÉ F., MANTILLERI B., Histoires et visages de femmes, Yens-sur-Morges, Cabédits, 2004.

BOUDAEVA, Olga AZRETOVNA [KABARDINO-BALKARIE 1940]

Actrice russe.

Née en Kabardino-Balkarie (Caucase du Nord), diplômée de l’école des hautes études théâtrales Chepkine de Moscou (1963), Olga Azretovna Boudaeva travaille avec de nombreux metteurs en scène. Ses plus grands rôles sont Agafia Tikhonovna dans Le Mariage, de Nikolaï Gogol, Louise dans Intrigue et amour, de Schiller, une nazie dans Duel, de l’auteur Kirguize M. Baïdjiev, le rôle titre dans Machenka, d’Alexandre Afinogenov, Clay dans A raposa e as uvas (« le renard et les raisins », sur la vie d’Ésope), de Guilherme Figueiredo, et Mytyl dans L’Oiseau bleu, de Maeterlinck. Sa petite taille, son sourire enfantin et son charme lui permettent de jouer pendant plusieurs années des héroïnes lyriques ainsi que des rôles de caractère ou des travestis. Il n’est pas simple pour elle de passer à des rôles d’adultes. Elle admet avoir eu de grandes difficultés à aborder le rôle de la sorcière dans Krepost Chamaia (« la forteresse de Chamaï »), ballet de Nikhat Seidakhmed Osmanov (1970), mais son interprétation de Lucie, prête à affronter la mort par amour, dans Make Way for Tomorrow (« fais place à demain »), de Helen Leary et Noah Leary, est un succès. Dotée d’un talent naturel, travailleuse acharnée, observatrice, elle sait trouver de nouveaux traits à ses héroïnes pour mieux dévoiler leur caractère.

Asiat SARAKOUEVA

BOUDET, Micheline [METZ 1926]

Actrice française.

Avec une double formation de danseuse, à l’Opéra de Paris, et d’actrice, au Conservatoire dans la classe de Georges Le Roy, Micheline Boudet entre en 1945 à la Comédie-Française. En 1950, elle est nommée sociétaire. Elle est, aux côtés de Jacques Charon et de Robert Hirsch, une des artistes les plus actives et les plus brillantes de la troupe animée par Jean Meyer, incarnant avec finesse et vitalité les jeunes premières ou les soubrettes chez Marivaux – elle est une inoubliable Silvia –, Molière – Toinette et Nicole – ou Beaumarchais. Si elle s’illustre dans le répertoire contemporain (Charles Vildrac, Jean Giraudoux, Roland Dubillard), elle connaît ses plus beaux succès dans les comédies de Georges Feydeau, notamment en Lucienne Vatelin dans Le Dindon. Elle quitte la Maison de Molière en 1971, après avoir joué plus de 80 rôles, et est nommée sociétaire honoraire. Elle poursuit sa carrière sur les boulevards et se consacre à l’écriture, en alternant souvenirs et ouvrages historiques sur le théâtre. Familière des téléfilms, elle a tenu une dizaine de rôles au cinéma sous la direction d’André Cayatte et Pascal Bonitzer notamment.

Joël HUTHWOHL

La Baladeuse, Paris, Albin Michel, 1979 ; Passion Théâtre, Paris, R. Laffont, 2009 ; La Comédie-Italienne : Marivaux et Silvia, Paris, Albin Michel, 2001.

BOUFFLERS, Marie-Françoise-Catherine, marquise DE (née DE BEAUVAU-CRAON) [LUNÉVILLE 1711 - ROUEN 1786]

Poétesse française.

D’ascendance princière, elle épousa le marquis de Boufflers (1714-1732), dont elle eut en 1738 un fils qui se fit un nom parmi les poètes légers. En 1745, familière de la cour de Stanislas Ier, elle devint la favorite du roi de Pologne. Âme de la société cultivée qui entourait le souverain, elle dessinait, peignait et excellait dans la composition de vers impromptus. Elle fut en relation avec tous ceux qui fréquentaient la cour de Lorraine : Voltaire, Mme du Châtelet*, Saint-Lambert… Après la mort de son fils Stanislas, elle fréquenta les salons parisiens, sans cesser de tourner épigrammes et chansons. En 1773, Mme du Deffand* en cita un exemple tout à fait caractéristique, à chanter sur un air connu à l’époque : « Dimanche j’étais aimable/Lundi je fus autrement/Mardi je pris l’air capable/Mercredi je fis l’enfant/Jeudi je fus raisonnable/Vendredi j’eus un amant/Samedi je fus coupable/Dimanche il fut inconstant. »

Jean-Noël PASCAL

BESTERMAN T., DELOFFRE F. (dir.), Voltaire, correspondance, Paris, Gallimard, 1993 ; BRIQUET F., Dictionnaire historique, littéraire et bibliographique des Françaises et des étrangères naturalisées en France, Paris, Treuttel et Würtz, 1804 ; DU DEFFAND M., Correspondance complète, Paris, Plon, 1865 ; MAUGRAS G., La Cour de Lunéville au XVIIIe siècle, Paris, Plon, 1904 ; ID., La marquise de Boufflers et son fils, le chevalier de Boufflers, Paris, Plon, 1907.

BOUGLIONE, Madona [1945]

Directrice de théâtre et de compagnie et metteuse en scène française.

Fille d’Alfred Alexandre Bouglione, l’aîné des quatre frères fondateurs du premier cirque Bouglione en 1924, Madona Bouglione grandit au Cirque d’Hiver. Dans les années 1970-1980, elle crée des spectacles nautiques, dont l’une des vedettes est un éléphant sur des skis. Elle fonde l’École Joséphine-Baker* qui dispense des cours de théâtre, danse et musique et conçoit une programmation de concerts, cirque et théâtre, sous le chapiteau de l’Open Circus à la Cartoucherie. En 1986, elle s’installe au théâtre du Ranelagh à Paris, où elle révèle des clowns et des excentriques de plusieurs pays, choisis pour leur ancrage dans l’art clownesque classique et leur capacité à renouveler le genre et le répertoire : Buffo, Slava Polunin, créateur des Licedei, Bolek Polivka, Bob Berky, Gardi Hutter*. En 1994-1995, Tout peut arriver, de Franck Desmaroux, restaure l’époque des pantomimes. En 1996, elle co-produit Sur la route de Sienne, une version de la pièce de Shakespeare Roméo et Juliette, interprétée par les Licedei. Le spectacle, conçu par Valery Keft et dont les costumes sont créés par la styliste Popy Moreni*, est l’aboutissement d’une démarche à la fois nostalgique et contemporaine, capable de rendre avec légèreté et poésie l’atmosphère délétère de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl, métaphore grave et clownesque de la rivalité des Capulet et des Montaigu. Il lui vaut cinq Molière et une tournée européenne. De 1999 à 2006, elle enchaîne La Vie imprévisible de Lola Montès et Les Amours de Bastien Bastienne. Après vingt ans de direction et de programmation du Ranelagh, elle quitte son théâtre pour créer en 2007 le Cirque O’présent, de la Compagnie Madona Bouglione, qui produit Pentimento, une adaptation du Lac des cygnes de Tchaïkovsky, et mettre en place le Cirque en chantier, préfiguration d’une salle de 1 400 places dessinée par Jean Nouvel, sur l’Île Seguin (Boulogne-Billancourt). Engagée dans une mission traditionnelle du cirque, la transmission du savoir, elle anime des réflexions collectives sur des thèmes qui qualifient et expliquent sa démarche, comme celle qui s’intitule Nous, les bâtisseurs de l’éphémère.

Marika MAYMARD

Ce soir, deux cirques dans votre ville, Paris, Stock, 1980.

BOUGRAB, Jeannette [CHÂTEAUROUX 1973]

Femme politique française.

Juriste, titulaire d’un doctorat en droit public, maître des requêtes au Conseil d’État, présidente de la Halde (Haute autorité de lutte contre la discrimination et pour l’égalité) en 2010, Jeannette Bougrab a été secrétaire d’État chargée de la Jeunesse et de la Vie associative de novembre 2010 à mai 2012, sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Fille de parents algériens installés en France en 1962 pour fuir les représailles exercées dans l’Algérie indépendante contre les harkis, engagée à l’UMP et candidate aux élections législatives de 2007 dans une circonscription difficile, elle s’exprime avec vigueur et agit autant qu’elle le peut pour deux grandes causes : l’égalité de traitement envers les Français originaires des anciennes colonies et la laïcité, qui conditionne l’égalité des droits pour les jeunes filles et les femmes de ces mêmes origines. Sa vigilance à ce sujet s’exerce en France et à l’égard des pays arabes et islamiques. Son passage à la tête de la Halde a été bref mais marquant : elle a renversé en faveur des femmes les priorités de l’institution, attirant l’attention sur l’ampleur des discriminations au travail contre les femmes enceintes et menant bataille dans l’emblématique affaire de la crèche Baby-Loup. La procédure judiciaire, lancée contre la crèche associative laïque par une employée licenciée pour avoir refusé d’enlever son voile au travail, a été gagnée deux fois par l’association, appuyée par la Halde. Jusqu’à un arrêt de la Cour de cassation en 2013 qui a au contraire retenu l’existence d’une discrimination pour convictions religieuses, suscitant de vives critiques. Une nouvelle loi interdisant le port du voile dans les établissements accueillant des enfants a alors été annoncée par le président Hollande. Mère adoptive d’une petite fille, J. Bougrab est devenue avocate au lendemain de la défaite de la droite à la présidentielle. Dans Ma république se meurt (2013), elle raconte avec franchise ses années politiques, les combats qui lui tiennent à cœur, notamment une interview où elle déclarait qu’« il n’y a pas de charia light », mettant ainsi en garde contre l’arrivée au pouvoir des partis islamiques.

Catherine GUYOT

BOUIH, Fatna EL- [BEN AHMED 1955]

Militante marocaine des droits de l’homme.

Fatna el-Bouih dit avoir beaucoup appris de sa mère illettrée et bataillé pour que son père instituteur accepte qu’elle fasse des études. Les lycées et les universités marocaines bouillonnent alors de rêves démocratiques ; elle milite dans une organisation étudiante interdite. Arrêtée une première fois en 1974, elle est enlevée en 1977 au cours d’une vague d’arrestations massives et passera cinq ans dans différentes prisons marocaines. Dans cet enfer carcéral où les geôliers vont jusqu’à déposséder les prisonnières de leur prénom féminin, la solidarité entre détenues s’organise. Au terme d’une grève de la faim, elles obtiennent des conditions de détention plus dignes, le droit de poursuivre leurs études et, surtout, le statut de prisonnières politiques, reconnaissance inédite pour les femmes marocaines. À sa libération, elle enseigne l’arabe à Casablanca et renaît à la vie par l’écriture et la naissance de ses deux filles. Elle rejoint l’Union d’action des femmes (UAF), présidée par Latifa Jababdi, ancienne prisonnière politique elle aussi. Cette organisation non gouvernementale marocaine de défense des droits des femmes participe aux transformations de la Moudawana (Code du statut personnel marocain) en 1992. Depuis 1995, F. el-Bouih est bénévole dans le premier centre d’écoute et d’accueil des femmes victimes de violences conjugales. Elle participe en 1999 avec son mari à la création du Forum vérité et justice, première association des victimes des « années de plomb » et prélude à l’officielle Instance équité et réconciliation. La même année, elle cofonde l’Observatoire marocain des prisons, où elle milite plus particulièrement pour la réinsertion des détenues enceintes – elle obtient par exemple la création de crèches en prison et un droit à l’enseignement pour les mères. Par les écrits qu’elle a eu le courage de publier, elle dévoile la violence politique qui a sévi contre les femmes marocaines durant les décennies de répression et l’inscrit dans l’histoire du pays. Elle rend aussi hommage aux épouses, sœurs et mères de prisonniers politiques ou « disparus », pionnières méconnues des organisations de défense des droits humains au Maroc.

Jacqueline PICOT

Une femme nommée Rachid (Hadīt al-‘atamat, 2001), Casablanca, Le Fennec, 2002.

AFASPA, Femmes d’Afrique, bâtisseuses d’avenir, Paris, Tirésias, 2010.

BOUKHOBZA, Chochana [TUNIS 1959]

Romancière et cinéaste franco-tunisienne.

Née en Tunisie dans une famille juive, Chochana Boukhobza émigre en France à l’âge de 4 ans. Elle a grandi avec trois langues : l’hébreu, l’arabe et le français. Après des études de mathématiques en Israël, elle devient journaliste à Judaïque FM, puis romancière. Son premier roman, Un été à Jérusalem (1986), a reçu le prix Méditerranée 1986. Son deuxième, Le Cri (1987), a été finaliste du prix Femina 1987. Elle a également publié deux livres illustrés pour la jeunesse, La Clef des chants (1997) et Quand la Bible rêve (2005). En 2006, elle devient réalisatrice, filmant pour France 5 un documentaire intitulé Un billet aller-retour, où elle s’interroge sur le lien des Juifs de France avec Israël au fil de dix entretiens avec des personnalités juives, comme Marceline Loridan-Ivens*. Si l’identité féminine et ses enjeux jouent un rôle considérable dans l’œuvre de la romancière, son premier roman tisse déjà la trame thématique et narrative des livres suivants : le déracinement, l’exil, l’aliénation, le rôle difficile des femmes dans le judaïsme, Israël – pays avec lequel C. Boukhobza entretient des rapports ambivalents, exprimant à son égard à la fois amour passionnel et critique politique. Les motifs marquants de son univers fictionnel – peut-être devrait-on dire autofictionnel – sont la judéité, la Shoah (voir notamment Les Herbes amères, 1989), la relation au père (Un été à Jérusalem, Bel Canto, 1991 ; Pour l’amour du père, 1996 ; Sous les étoiles, 2002) et la sexualité féminine (Un été à Jérusalem, Le Cri, Pour l’amour du père). Bien que placés dans un cadre réaliste, les romans de C. Boukhobza font délibérément exploser la logique normative ainsi que la linéarité du récit, incitant ses lecteurs à une participation active qui sollicite leur potentiel créateur.

Lucille CAIRNS

BOULANGER, Lili (Marie-Juliette Olga BOULANGER, dite) [PARIS 1893 - MÉZY-SUR-SEINE 1918]

Compositrice française.

Sœur cadette de Nadia Boulanger*, elle fut la première femme à obtenir, en 1913, le prix de Rome de composition, ce qui lui apporta une notoriété immédiate. De santé fragile depuis l’enfance, elle disparut prématurément à l’âge de 25 ans, laissant une œuvre saisissante qui, grâce à l’action de sa sœur, n’est pas tombée dans l’oubli. Dès l’âge de 5 ans, Lili Boulanger accompagne sa sœur à ses différents cours d’harmonie et d’accompagnement au Conservatoire de Paris. Ses problèmes de santé la confinant souvent chez elle, son éducation générale et sa formation musicale se font de façon irrégulière et sous forme de cours privés. Elle apprend plusieurs instruments, violon, violoncelle, harpe et piano, pratique très tôt l’improvisation et le déchiffrage et assiste en auditrice aux classes d’orgue et de composition du Conservatoire. À l’adolescence, elle prend la décision de devenir compositrice et de remporter le prix de Rome. Elle débute alors une formation systématique au concours avec des professeurs du Conservatoire, où elle est admise officiellement en 1912. Sa première participation, entravée par sa mauvaise santé, est un échec. Elle se représente en 1913 et remporte alors le prix de manière éclatante, avec sa cantate Faust et Hélène. Le procès-verbal de l’académie des Beaux-Arts dit notamment : « Intelligence du sujet. Justesse de la déclamation. De la sensibilité et de la chaleur. Sentiment poétique. Orchestre intelligent et coloré. Cantate remarquable. » Ce succès est abondamment relayé par la presse et se concrétise aussitôt par un contrat d’exclusivité avec l’éditeur italien Tito Ricordi, lui assurant un revenu annuel qui lui permet de se consacrer entièrement à la composition. Le séjour traditionnel du lauréat à la villa Médicis à Rome est interrompu par la survenue de la guerre. L. Boulanger ne revient à Rome que brièvement, en 1916. Les dernières années de sa vie sont assombries non seulement par les accès de plus en plus fréquents de la mystérieuse maladie qui l’emportera, mais aussi par les tragédies de la guerre (nombre d’étudiants du Conservatoire, amis des sœurs Boulanger, périront dans les combats). Son œuvre, si l’on excepte quelques pièces de piano et de musique de chambre, est consacrée à la voix. À côté de mélodies, dont se détache le cycle Clairières dans le ciel (1913-1916), une mise en musique de treize poèmes de Francis Jammes, ce sont les pièces pour chœur avec accompagnement de piano, orgue ou orchestre qui forment l’essentiel de sa production, à partir de 1911, culminant avec les trois psaumes avec orchestre, le Psaume 24 (1916), le Psaume 129 (1916) et le Psaume 130, Du fond de l’abîme (1914-1917), des œuvres majeures qui témoignent du langage musical particulièrement original de la jeune compositrice et de sa maîtrise absolue de l’orchestration, joints à une profonde expression lyrique. Elle a aussi écrit un opéra, sur un livret inspiré de la pièce de Maurice Maeterlinck, La Princesse Maleine (1889-1890). Cet ouvrage, pratiquement terminé, a malheureusement disparu.

Florence LAUNAY

POTTER C., Nadia and Lili Boulanger, Aldershot, Ashgate, 2006 ; ROSENSTIEL L., The Life and Works of Lili Boulanger, Cranbury, Associated University Presses, 1978 ; SPYCKET J., À la recherche de Lili Boulanger, Paris, Fayard, 2004.

BOULANGER, Nadia [PARIS 1887 - ID. 1979]

Compositrice et pédagogue française.

Compositrice, chef d’orchestre, organiste, Nadia Boulanger a connu la notoriété au XXe siècle comme professeure de composition. Nombre de compositeurs, américains notamment, sont passés entre ses mains. Son œuvre est par contre peu connue. Dès les années 1920, elle a en effet cessé de croire en son talent créateur et s’est consacrée à la promotion de l’œuvre de sa sœur Lili Boulanger*. Sa carrière de compositrice avait pourtant débuté sous les meilleurs auspices. Fille du compositeur Ernest Boulanger, elle bénéficie d’un milieu porteur. Nombre d’amis musiciens éminents fréquentent alors la famille, parmi lesquels Fauré, Gounod, Massenet et Saint-Saëns. Son palmarès au Conservatoire de Paris, où elle devient auditrice dès l’âge de 7 ans, est impressionnant : un prix de solfège en 1898, d’harmonie en 1903, puis, en 1904, les prix d’orgue, accompagnement et composition. Dès cette époque débutent ses activités d’organiste, pianiste concertiste et accompagnatrice, notamment avec le grand pianiste Raoul Pugno qui devient son mentor et sera plus tard son collaborateur en composition. Mais elle voit plus loin et vise le prix de Rome qui s’est ouvert, en 1903, aux candidates féminines. Après quatre tentatives (couronnées en 1908 par un deuxième second grand prix), elle abandonne tout espoir de devenir la première femme titulaire d’un prix de Rome de composition, un destin qui sera réservé à sa sœur Lili en 1913. Elle poursuit néanmoins ses activités créatrices. Les Concerts Colonne donnent en 1910 sa cantate Dnégouchka, en fait sa cantate du prix de Rome de 1909, La Roussalka, révisée pour l’occasion. C’est aussi à cette époque qu’elle débute ses activités de chef d’orchestre, dirigeant notamment certaines de ses mélodies orchestrées et, en 1913 à Berlin, sa propre Fantaisie pour piano et orchestre, avec R. Pugno en soliste. L’œuvre est remarquée. La pièce est reprise à Paris, mais la disparition de R. Pugno, en décembre 1913, semble avoir sonné le glas des ambitions de compositrice de N. Boulanger. Les deux artistes avaient conçu en 1909 un remarquable cycle de mélodies, Les Heures claires. Surtout, ils travaillaient à un opéra, La Ville morte, sur un livret de Gabriele D’Annunzio adapté de La Città morta (1896). L’ouvrage, programmé pour la saison 1914-1915 du théâtre de l’Opéra-Comique, n’est finalement pas représenté, pour cause de guerre. Avant 1921, N. Boulanger écrit encore quelques mélodies, forts témoignages de son inspiration et de son talent, avant de se consacrer définitivement à la direction et à la pédagogie.

Florence LAUNAY

N. Boulanger reste ainsi dans les mémoires comme l’une des plus grandes pédagogues de la musique. De 1919 à 1939, elle enseigne à l’École normale de musique où elle est assistante de Paul Dukas avant de lui succéder dans la classe de composition et, à partir de 1921, au Conservatoire américain de Fontainebleau. Elle est la première femme à diriger les grands orchestres britanniques et nord-américains, imposant le Requiem de Fauré, et faisant revivre Monteverdi, Charpentier, Schütz, les opéras de Rameau, les chansons de la Renaissance… Pendant la guerre, elle enseigne dans diverses universités américaines. À son retour en France, elle est nommée professeure d’accompagnement au Conservatoire de Paris, prend la direction du Conservatoire américain de Fontainebleau en 1950 et se consacre à l’enseignement privé. À sa retraite du Conservatoire de Paris en 1957, elle prend une classe d’harmonie à l’École normale de musique, où elle enseigne jusqu’à sa mort, à 92 ans, ainsi qu’à Fontainebleau, tout comme elle gardera jusqu’à la fin de sa vie la charge de maître de chapelle du prince de Monaco. Fervente adepte du strict classicisme, elle exigeait de ses élèves une rigoureuse formation technique, se contentant pour sa part du rôle de guide, enseignant la musique sous tous ses aspects aux compositeurs et aux interprètes. George Gershwin, Aaron Copland, Leonard Bernstein, Elliott Carter, Roy Harris, Walter Piston, Quincy Jones, Jacques Ibert, Jean Françaix, Dinu Lipatti, Hugues Cuenod, Igor Markevitch, Astor Piazzolla, Marius Constant, Pierre Henry, Daniel Barenboïm, Michel Legrand, Philip Glass, John Eliot Gardiner… sont quelques-uns de ses 1 200 élèves.

Bruno SERROU

LAEDERICH A. (dir)., Nadia et Lili Boulanger, Témoignages et études, Lyon, Symétrie, 2007 ; MONSAINGEON B., Mademoiselle, Entretiens avec Nadia Boulanger, Luynes, Van de Velde, 1981 ; POTTER C., Nadia and Lili Boulanger, Aldershot, Ashgate, 2006 ; SPYCKET J., Nadia Boulanger, Lausanne, Lattès Payot, 1987.

BOULLOSA, Carmen [MEXICO 1954]

Écrivaine mexicaine.

Scolarisée chez des religieuses, Carmen Boullosa a puisé dans le monde féminin de son enfance pour quelques-uns de ses romans d’inspiration autobiographique, comme Avant (1989). La relation à sa mère, qu’elle a perdue à 14 ans, est un autre thème récurrent, notamment dans Disparaître (1987). À Mexico, elle s’implique dans de multiples aventures culturelles : en 1980, elle ouvre un petit atelier d’imprimerie pour éditions limitées de livres d’artistes, puis, en 1983, le théâtre-bar El Cuervo, qui accueille la vie artistique et bohème de la capitale ; en 1999, elle participe à la fondation de la Casa Refugio Citlaltépetl, un lieu d’accueil pour écrivains exilés. Des résidences d’artiste et invitations diverses la conduisent à Berlin en 1995, puis aux États-Unis, où elle s’installe. Elle fonde avec des intellectuels latino-américains le Café Nueva York et réalise des entretiens avec des écrivains et des artistes à la télévision. Une quinzaine de romans et une douzaine de recueils poétiques témoignent d’un rythme d’écriture soutenu. Ses romans embrassent des univers bigarrés : certains revisitent une enfance transformée par l’imagination, comme Treinta años (« trente ans », 1999) ; d’autres sont d’inspiration historique, comme Eux les vaches, nous les porcs (1991), qui retrace les sanglantes aventures d’un pirate au XVIIIe siècle, et Llanto, novelas imposibles (« larmes, romans impossibles », 1992), où l’empereur aztèque Moctezuma revient, parachuté en plein centre-ville moderne, pour tenter de reconstruire sa vraie histoire. Le « réalisme magique » fait fréquemment irruption, ainsi que le fantastique, quoique dans une moindre mesure, par exemple dans La novela perfecta (« le roman parfait », 2006). Son œuvre poétique est chargée de désir et d’érotisme : la femme, avec ses attributs sexuels, y mène une recherche identitaire à travers la relation aux éléments (le feu, l’eau) et aux règnes végétal, animal, diurne ou nocturne. Endossant une identité pour la quitter immédiatement, la poétesse se voit en sauvage, en infidèle, en corsaire, en « délirante ». Elle a aussi écrit des pièces de théâtre, notamment Los totoles, inspirée d’un conte nahuatl, qui a connu 300 représentations.

Yaël WEISS

Disparaître (Mejor desaparece, 1987), Nîmes, Dub éditions, 2012 ; Avant (Antes, 1989), Québec, Les Allusifs, 2002 ; Eux les vaches, nous les porcs, flibustiers des Caraïbes (Son vacas, somos puercos, filibusteros del mar Caribe, 1991), Paris, Le Serpent à plumes, 2002 ; Duerme : l’eau des lacs du temps jadis (Duerme, 1994), Nantes, L’Atalante, 1997.

BOULMERKA, Hassiba [CONSTANTINE 1968]

Athlète algérienne.

Sept années après la Marocaine Nadia El Moutawakel*, première athlète issue du Maghreb à remporter une victoire olympique (Los Angeles, 1984), c’est à Tokyo, lors des Championnats du monde d’athlétisme de 1991, qu’une autre athlète, algérienne cette fois, renouvelle ce coup d’éclat. Hassiba Boulmerka (1,65 m, 58 kilos) avait montré de prometteuses qualités lorsque, dans sa dix-huitième année, elle était devenue à Bagdad championne junior panarabe de cross. Pourtant, à Constantine, son premier entraîneur, enseignant d’éducation physique et sportive, avait eu du mal à obtenir du père d’H. Boulmerka que sa fille se montre en short sur les stades. Devenue championne d’Afrique sur 800 et 1 500 mètres, elle convainc alors les siens de la nécessité de son départ pour Alger, où Amar Bouras accompagne sa carrière. Alors qu’elle n’avait pas dépassé les demi-finales à Séoul en 1988, une volonté de fer l’amène le 1er septembre 1991 au titre mondial du 1 500 mètres. À son retour du Japon, son pays lui réserve un accueil triomphal. N’hésitant pas à effectuer des stages dans divers pays d’Europe de l’Ouest, elle prépare la gloire de Barcelone 1992, où son attaque tranchante dans le dernier virage l’amène à une médaille d’or indiscutable, devant la Russe Lyudmila Rogacheva et la Chinoise de 19 ans Qu Yunxia. Néanmoins, face à l’obscurantisme des intégristes, dans une Algérie en proie aux convulsions de toute nature, la partie n’est pas gagnée pour H. Boulmerka, devenue un symbole aux yeux des femmes arabes mais, bien que fervente musulmane, en butte à des menaces visant à lui interdire de « courir les jambes nues devant des milliers d’hommes ». Menacée de mort, elle devra même, en 1994, trouver refuge hors d’Algérie pour poursuivre son entraînement. Ce qui ne l’empêche pas, en août 1995, de conserver à Göteborg son titre mondial, démontrant que le rêve olympique de Barcelone n’avait rien d’un heureux accident.

Jean DURRY

BOUMEESTER, Christine Annie [BATAVIA, AUJ. DJAKARTA 1904 - PARIS 1971]

Peintre et graveuse française.

Passant d’un art fantastique proche des surréalistes à une abstraction lyrique, le travail de Christine Boumeester a toujours été très libre vis-à-vis des courants artistiques de son époque. Née dans une famille de colons, elle a dessiné très jeune, sans doute pour se distraire de la maladie – une furonculose faciale – qui la frappe alors. Elle obtient un diplôme de professeure de dessin à l’École des beaux-arts de La Haye en 1925, mais peu tentée par l’enseignement, elle prend un atelier et travaille sous la direction du peintre Reuter. Au fil de ses différents séjours à Domburg, petite station balnéaire du nord de la Hollande, sur l’île de Texel ou en Allemagne, elle peint des paysages et des portraits, parfois en miniature sur ivoire. Dans son cahier, elle note : « Quand je faisais des portraits, je voulais mettre dans le dessin le caractère de la personne, ce qu’il y a de plus beau, et ce n’est pas un réalisme que je voulais, mais la nostalgie de l’idéal qui était sur son chemin » (Le Cahier de Christine Boumeester, 1977, 1988). En 1935, la galerie Santee Landwer d’Amsterdam accueille sa première exposition personnelle. Inscrite à l’académie de la Grande Chaumière à Paris, elle y rencontre le peintre américain Henri Goetz, qu’elle épouse six mois plus tard. Elle expose dans différentes galeries parisiennes ainsi qu’au Salon des superindépendants, où elle présentera ses œuvres tous les ans jusqu’en 1938. En 1936, elle réalise ses premiers tableaux surréalistes, paysages à l’atmosphère fantastique, ainsi que des collages d’inspiration surréaliste, pratique qu’elle développera lorsque la guerre réduira considérablement ses moyens de création. En 1937, elle expose avec H. Goetz à la galerie Bonaparte. Influencée par l’œuvre de son ami Hans Hartung, elle se tourne peu à peu vers la peinture abstraite. Durant ces quelques années, le couple fréquente les González et leurs amis surréalistes : les Bréa, Mary Low (1912-2007), Oscar Domínguez, André Breton. Lorsque la guerre est déclarée, dépourvu de papiers français, il se réfugie en Dordogne, où la peintre s’intéresse à la préhistoire, puis rejoint le groupe surréaliste belge à Carcassonne (Ubac, Magritte, Scutenaire). Dès l’entrée en guerre des États-Unis, les deux artistes passent dans la clandestinité et fabriquent des faux papiers pour la Résistance. En 1941, ils fondent avec Ubac et Dotremont la revue surréaliste clandestine La Main à plume. En 1942, ils exposent ensemble à la galerie parisienne Jeanne Bucher* et illustrent le livre de Georges Hugnet, La Femme facile. Dénoncés comme résistants, ils vivent sous un nom d’emprunt ; puis aidés par la galeriste, ils partent dans le Midi, où ils retrouvent de Staël, Picabia, Arp et Magnelli. De retour à Paris en 1945, ils exposent régulièrement dans les salons et galeries. En 1946, Alain Resnais filme C. Boumeester au travail pour sa série de portraits d’artistes. C’est aussi le début de sa relation privilégiée avec Picabia, qui durera jusqu’à la mort de ce dernier en 1953, et dont elle restaurera la grande toile Udnie. En 1949, le couple obtient la naturalisation française. Il fonde avec Flocon et Ubac le groupe Graphies, dont la première exposition a lieu à la galerie des Deux-Îles ; à cette occasion est publié un ouvrage collectif, À la gloire de la main, comprenant des gravures du couple, qui figurent aussi dans le livre de Max Clarac-Sérou, Inductives (1950) ; il est suivi, l’année suivante, d’une première étude consacrée au travail de C. Boumeester avec des textes de Gaston Bachelard, M. Clarac Serou, Noël Arnaud et Iaroslav Serpan. Les expositions se succèdent, ainsi que les travaux d’illustration. L’artiste traduit en français le livre Point, ligne et surface de Kandinsky. En 1963, elle s’installe avec son mari à Villefranche-sur-Mer, où ils fréquentent de nombreux artistes tels Picasso, H. Hartung, Vieira da Silva*, Zao Wou-Ki. En 1968, elle tombe malade ; H. Goetz publie alors Christine Boumeester (1968), avec une introduction de Vercors. Après sa mort en 1971, il fera son possible pour montrer et diffuser le travail de son épouse. En 1983, à la suite de différentes donations, Villefranche-sur-Mer crée un musée où sont présentées les œuvres des deux artistes. De la figuration à l’abstraction, le travail de C. Boumeester est marqué par une forte poésie des formes et des couleurs, où sont réunis paysages d’Orient et d’Occident dans d’oniriques compositions aux multiples éclats.

Catherine GONNARD

Christine Boumeester, Sireuil J. (textes), Paris, Cercle d’art, 1988 ; avec PICABIA F., Lettres à Christine, 1945-1951, Sireuil J. (dir.), Paris, G. Lebovici, 1988 ; avec ATLAN, BONI, BRYEN et al., Christine Boumeester, clandestine de l’art et de la vie (catalogue d’exposition), Fontaine-de-Vaucluse, musée d’Histoire 1993 ; avec GOETZ H., Du surréalisme à l’abstraction, Paris, E. Hutin, 2006.

BOUNGNAVONG, Douangdeuane [VIENTIANE 1947]

Écrivaine laotienne.

Née juste après la guerre, au moment où le Laos obtient de la France un accord de principe pour retrouver son indépendance, Douangdeuane Boungnavong est la fille d’un grand chercheur en littérature lao. Elle grandit dans une société socio-libérale avant de terminer ses études en France aux universités d’Amiens et de Poitiers. Elle débute sa carrière dès l’âge de 18 ans comme institutrice, puis dirige conjointement le centre d’héritage et de préservation Thaenteang (« littérature ancienne ») et la publication du magazine mensuel Dokked, tout en assurant la fonction de vice-présidente exécutive du projet BDP, consacré au développement du bouddhisme laotien. Depuis 1992, avec le soutien de l’Union des femmes lao, elle est responsable du projet Promotion et préservation des textiles lao auprès de l’Unicef. Très affectée par les inégalités sociales de l’après-guerre, l’écrivaine met en évidence la condition des jeunes femmes lao dans ses romans et ses poèmes publiés à partir des années 1970 dans divers journaux, et principalement dans la célèbre revue Phai Nam (« l’épine du bambou »). Son talent littéraire la porte à traduire de nombreux livres pour enfants et à publier des méthodes d’enseignement des langues pour les élèves de classes élémentaires et secondaires. Son rêve est de « vouloir créer un monde où tous les livres sont accessibles à tous les enfants ».

Khamphanh PRAVONGVIENGKHAM

Tetsuko Kuriyanagi’s Autobiography, Vientiane, Publications de l’association ASPB, 1999 ; When Mother Was in Prison (Phèng mè), Vientiane, Dokked Publishing Co., 2003.

Kampha phinoy, Vientiane, Publications du ministère de l’Éducation, 1990 ; Thao Hung Thao Chuang, Vientiane, Publications du ministère de l’Information et de la Culture, 1991 ; Āthan hèng phong phay (1996), Vientiane, Dokked Publishing Co., 2005 ; Vattchanānukom Lao khan pathom (1995), Vientiane, Publications de l’association ASPB-ALC, 2005.

BOUNINA, Anna [OUROUSSOVO 1774 - ID. 1829]

Traductrice et poétesse russe.

D’origine noble, Anna Petrovna Bounina acquiert son indépendance en 1801, à la mort de son père, dont elle hérite. Elle déménage d’abord à Moscou chez sa sœur, en 1802, puis s’installe à Saint-Pétersbourg, décision qui provoque incompréhension et colère de la part de sa famille, une femme ne pouvant selon eux vivre seule à l’époque. Elle étudie l’allemand, l’anglais et le français, et approfondit sa connaissance de la langue russe. Son frère, Ivan Petrovitch Bounine, l’introduit dans le monde littéraire de la capitale. Sa première publication est un texte en prose, Lioubov’(« l’amour », 1799), paru dans la revue Ippokrena. Étudiant la théorie de la versification, elle traduit des extraits de L’Art poétique de Boileau. En 1809, elle publie à Saint-Pétersbourg un recueil de poèmes intitulé Neopytnaïa mouza (« la muse inexpérimentée »), qui connaît un grand succès. Suivent un récit en prose, Sel’skie vietchera (« les soirées champêtres », 1811), et le deuxième volume de Neopytnaïa mouza (1812). Pour son poème Padenie Faètona (« la chute de Phaéton »), inspiré d’Ovide, elle reçoit de l’impératrice Élisabeth Alexeïevna une lyre d’or ornée de diamants. Ses publications sont des succès qui lui attirent la reconnaissance du public lettré. Elle est surnommée « la dixième muse », « la Corinne du nord ». Devenue membre d’honneur du Cercle des amateurs de la langue russe, les poètes Gavril Derjavine, Ivan Dmitriev, Alexandre Chichkov lui consacrent des vers et des odes. Sa notoriété lui permet de conserver son indépendance, grâce à la pension que Nikolaï Karamzine obtient pour elle auprès du tsar Alexandre Ier. En 1815, malade, elle part deux ans en Angleterre afin de se soigner. L’Académie des sciences publie ses œuvres complètes entre 1819 et 1821. Retirée à la campagne en 1823, elle traduit le drame de Félicité de Genlis Agar dans le désert et 17 conversations philosophiques du prédicateur écossais Hugh Blair.

Svetlana SAMOKHINA-TROUVÉ

BOUQUET, Carole [NEUILLY-SUR-SEINE 1957]

Actrice française.

Carole Bouquet suit les cours au Conservatoire national d’art dramatique de Paris, interrompus par une carrière cinématographique qui débute avec Cet obscur objet du désir de Luis Buñuel (1977). Elle y joue une mystérieuse femme, à la beauté éthérée et idéale, dont le pendant charnel est incarné par Angela Molina. Cette image de perfection distante et glacée sera ensuite déclinée dans différents registres, du très caustique Buffet froid (Bertrand Blier, 1979), au très international et calibré Rien que pour vos yeux (John Glen, 1981), où elle est une James Bond Girl convaincante. Trop belle pour toi (B. Blier, 1989) lui permet d’exprimer d’autres facettes de son talent, aux côtés de Josiane Balasko* et de Gérard Depardieu. Elle y incarne une femme que son mari délaisse, précisément parce qu’elle est parfaite, fissurant ainsi une image trop lisse et dans laquelle se laissent alors percevoir fragilité, dépit et impuissance. Le rôle vaut à C. Bouquet le César de la meilleure interprète féminine. Avec Werner Schroeter (Le Jour des idiots, 1981), Claude Berri (Lucie Aubrac, 1997), Pierre Jolivet (En plein cœur, 1998), Frédéric Auburtin et G. Depardieu (Un pont entre deux rives, 1999), Francis Girod (Un ami parfait, 2006), André Téchiné (Impardonnables, 2011), Patrick Mille (Mauvaise fille, 2012), elle continue de travailler les figures dramatiques tout en cultivant un penchant pour la comédie : c’est ainsi qu’elle interprète, avec Francis Palluau, Bienvenue chez les Rozes (2003), avec Brigitte Roüan, Travaux, on sait quand ça commence… (2005) ou, dans un registre plus acide, Grosse Fatigue (1994) et Embrassez qui vous voudrez (2002) avec Michel Blanc. Elle travaille également pour la télévision où elle incarne notamment Mme de Reynal dans Le Rouge et le Noir, de Jean-Daniel Verhaeghe (1997), et pour le théâtre où son répertoire est ample : elle joue dans des pièces de Pinter et de Racine.

Carmen FERNANDEZ

DERRIDA J., Feu la cendre, lu par l’auteur et Carole Bouquet, Paris, Des femmes-Antoinette Fouque, « Bibliothèque des voix », 1987.

BOUR, Bernadette [NANCY 1939]

Plasticienne française.

Bernadette Bour est l’une des rares artistes françaises abstraites reconnues dès les années 1970. Licenciée en histoire de l’art et en archéologie, elle obtient le diplôme national des Beaux-Arts en 1970. Parallèlement à son travail d’enseignante à l’université de Strasbourg puis aux Beaux-Arts de Lorient, elle développe sa pratique artistique. Sa première exposition personnelle a lieu en 1974, à la galerie Germain de Paris. Une de ses premières œuvres, Neuf formes géométriques simples (1969-1972), consiste en un ensemble de colonnes hautes et noires à la forme zigzagante composées d’une charpente métallique fine recouverte de sisal rugueux percé de trous, dont la manufacture contredit le minimalisme apparent de la pièce. Son travail de réduction la mène à explorer le signe. En 1973, elle crée Fiches au procès, 42 planches qui condensent un rythme purement scandé, une écriture rythmique dépourvue de sens, qui s’exprime par des traits de crayon, des trous d’aiguille, des fils cousus à la machine. D’une fiche à l’autre, ce graphisme se forme, mélangeant signe et matière. B. Bour entreprend alors un travail sur les toiles de coton, papiers de soie, buvards, voiles de gaze. Elle déchire, perfore à la machine, coud, superpose, sature de couleurs. Entre 1973 et 1978, ces toiles, parfois de grande dimension, aux teintes pâles et lavées, sont « crayonnées à la machine » comme l’artiste le dit elle-même. Toutes ces couches de matériaux diverses ne s’annulent pas entre elles, mais s’unifient comme dans un même corpus. Leur superposition ou rapprochement, leur interaction, leur complicité ou leur tension constituent la richesse d’un langage qui se module à travers la répétition, l’enchaînement, la progression, comme dans Buvard (1975). À partir des années 1980, les formes se caractérisent par des « angulations » complexes et par une alternance de jaune doré et de noir anthracite. Ses papiers de soie toujours labourés de sillons révèlent le dialogue infini des matières.

Annalisa RIMMAUDO

Bernadette Bour (catalogue d’exposition), Schefer J.-L. (dir.), Anvers, ICC, 1979 ; Bernadette Bour (catalogue d’exposition), Michaud E. (dir.), Saint-Étienne, Maison de la culture et de la communication, 1986 ; Bernadette Bour, une salle pour le sourire de la Victoire de Samothrace (catalogue d’exposition), Düsseldorf, Kunstmuseum, 2000.

BOURAOUI, Nina (Yasmina BOURAOUI, dite) [RENNES 1967]

Écrivaine franco-algérienne.

Son père, algérien, et sa mère, bretonne, se sont connus en France. Yasmina Bouraoui revient souvent sur cette union qui a coïncidé avec la guerre d’Algérie et qui n’a pas été sans conflits ni déchirements au sein de la famille. L’auteure a vécu jusqu’à 14 ans à Alger, où son père était haut fonctionnaire. En raison de l’aggravation de l’asthme de sa mère et de la montée de l’intégrisme et de la violence, la famille s’installe en France en 1980, le père continuant à travailler en Algérie. Cette séparation brutale, à l’adolescence, avec le pays de l’enfance provoque chez la jeune fille une crise identitaire qui sera le déclencheur de l’écriture. Algérienne et française, N. Bouraoui ne cesse d’écrire le sentiment d’étrangeté qui l’habite, ces problèmes identitaires étant encore accrus par son homosexualité. Cependant, grâce à l’écriture, N. Bouraoui sort peu à peu de la dichotomie France/Algérie et de l’opposition garçon/fille pour se construire une identité singulière. Elle a connu, dès ses débuts, un grand succès populaire avec La Voyeuse interdite (1991). En 2005, une longue confession, Mes mauvaises pensées, remporte le prix Renaudot. Oscillant entre fiction et autobiographie, ses récits parlent du présent, évoquent les amours homosexuelles, l’expérience de l’écriture, mais ils puisent surtout dans ce passé algérien qui la hante et qu’elle ne cesse d’interroger et de recréer. Ses textes sont travaillés par un entrecroisement d’intertextes d’écrivains dont elle se réclame : à côté d’Hervé Guibert et de Violette Leduc*, qu’elle cite abondamment et qui constituent, en tant qu’homosexuels, des modèles essentiels, Marguerite Duras* semble également avoir été une référence importante. On retrouve chez N. Bouraoui les thèmes majeurs de l’œuvre durassienne : déracinement, dédoublement identitaire et obsession du pays de l’enfance.

Najet LIMAM-TNANI

Garçon manqué, Paris, Stock, 2000 ; Avant les hommes, Paris, Stock, 2007 ; Appelle-moi par mon prénom, Paris, Stock, 2008.

FERNANDES M., « Confessions d’une enfant du siècle, Nina Bouraoui ou la “bâtarde” dans Garçon manqué et La Vie heureuse », in L’Esprit créateur, vol. 45, no 1, 2005.

BOURBON, Catherine DE [PARIS 1559 - NANCY 1604]

Écrivaine et femme politique française.

Princesse de Navarre, duchesse de Bar et lieutenante générale de Navarre, Catherine de Bourbon est la fille d’Antoine de Bourbon et de Jeanne III*. Elle hérite de sa mère un attachement immuable au calvinisme. Elle gouverne le Béarn pendant de longues périodes au nom de son frère, futur Henri IV, dont elle refusera de suivre la conversion au catholicisme. Au moment de la conclusion de l’édit de Nantes, elle participe à l’écriture des doléances des réformés déçus. Outre une solide éducation religieuse, elle reçoit l’enseignement humaniste de Pierre Victor Palma Cayet et de Charles Macrin. Sa correspondance inclut de belles lettres à son frère, à Agrippa d’Aubigné (qui lui dédie De la douceur des afflictions), à Philippe Duplessis-Mornay et à Théodore de Bèze. À ce dernier, elle envoie en 1596 des vers dans lesquels elle s’adresse à Dieu, et où l’on retrouve des références aussi bien à saint Paul qu’à Ovide. Si quelques poésies de cette princesse ont été conservées, sa correspondance constitue l’essentiel de son œuvre : elle permet de suivre la vie et les actions d’une femme de pouvoir. À ce titre, C. de Bourbon a exercé un mécénat important à Pau comme à Paris et à Nancy.

Eugénie PASCAL

RITTER R., La Sœur d’Henri IV, Catherine de Bourbon, 1559-1604, Paris, J. Touzot, 1985 ; TUCOO-CHALA P., Catherine de Bourbon, une calviniste exemplaire (1997), Biarritz, Atlantica, 2003.

PASCAL E., « Princesses épistolières au tournant du XVIe au XVIIe siècle, consommatrices de culture, mécènes et/ou propagandistes ? », in WILSON-CHEVALIER K. (dir.), Patronnes et mécènes en France à la Renaissance, Saint-Étienne, Publications de l’université de Saint-Étienne, nov. 2007.

BOURBON, Charlotte DE [V. 1546 - ANVERS 1582]

Épistolière française.

Fille de Louis III de Bourbon, duc de Montpensier, un des chefs de file du camp catholique, Charlotte de Bourbon prend le voile contre son gré en 1559. Devenue abbesse du couvent de Jouarre, elle le quitte en 1571, se tourne vers la Réforme, épouse en 1575 Guillaume d’Orange, et donne naissance à six enfants. Elle laisse une correspondance nourrie : on y croise des membres de sa proche famille – son mari, son père, son frère –, de grands acteurs des controverses religieuses – Philippe et Charlotte Duplessis-Mornay*, Hubert Languet – ou encore des diplomates et des membres de familles royales européennes.

Daniel MARTIN

COUCHMAN J., « Charlotte de Bourbon’s correspondence : Using words to implement emancipation », in KUIZENGA D., WINN C. (dir.), Women Writers in Pre-Revolutionary France : Strategies of Emancipation, New York, Garland, 1990 ; ID., « Charlotte de Bourbon, Princess of Orange : Lettres et documents (1565-1582) », in LARSEN A. R., WINN, C. H. (dir.), Writings by Pre-Revolutionary French Women, Londres, Routledge, 2000.

BOURBON, Gabrielle DE (duchesse DE LA TRÉMOILLE, princesse DE TALMONT) [V. 1460 - 1516]

Écrivaine française.

Fille de Gabrielle de La Tour et de Louis Ier de Bourbon, comte de Montpensier, Gabrielle de Bourbon épouse, en 1484, Louis II de La Trémoille. Sa correspondance et l’inventaire de ses biens révèlent la personnalité d’une grande dame, gestionnaire attentive de ses domaines, mère soucieuse de l’éducation de son fils, maîtresse du château de Thouars dont la bibliothèque, la collection d’œuvres d’art et la chapelle qu’elle fait construire, sont la marque d’un lignage et l’expression d’une vocation personnelle. De sa grand-mère, Marie de Berry, et de sa mère, Gabrielle de Bourbon a hérité le goût des livres et des manuscrits historiés. Durant les dix dernières années de sa vie, elle compose des traités didactiques et religieux pour les femmes de sa maison et les « simples personnes ». L’Instruction des jeunes filles, enregistré dans l’inventaire de 1516, est aujourd’hui perdu, mais sont conservés deux manuscrits enluminés, contenant un traité contemplatif sur la passion du Christ et deux traités allégoriques sur le salut de l’âme (Petit traicté sur les doulleurs de la passion du doulx Jesus et de sa benoiste mere ; Le Voyage espirituel entreprins par l’ame devote pour parvenir en la cité de bon repoux, le fort chasteau pour la retraicte de toutes bonnes ames fait par le commandement du glorieux sainct esperit). Composée comme un triptyque, l’œuvre se situe dans la tradition des Méditations du Pseudo-Bonaventure mais traduit également l’influence de Jehan Henry qui, avant 1484, dédie à la poétesse son Livre de meditation sur la reparation de nature humaine, et celle de Jean Bouchet qui lui offre, en 1510, trois de ses Epistres familières. En écrivant, G. de Bourbon s’assigne le rôle et la place du donateur dans un retable : montrant à la fois son cheminement spirituel et la mission d’une Bourbon qui a mis toute son « espérance » dans la dévotion au Christ et à la Vierge.

Évelyne BERRIOT-SALVADORE

Œuvres spirituelles (1510-1516), Berriot-Salvadore É. (éd.), Paris, H. Champion, 1999.