STANWYCK, Barbara (Ruby STEVENS, dite) [NEW YORK 1907 - SANTA MONICA 1990]

Actrice américaine.

Orpheline dès l’âge de 4 ans, Barbara Stanwyck commence à 15 ans sa carrière comme girl aux Ziegfeld Follies. Ayant débuté au cinéma en 1927, elle est repérée par Frank Capra, qui l’engage pour Ladies of Leisure (1930) et Amour défendu (1932), et lui fait jouer une Américaine amoureuse d’un Chinois dans La Grande Muraille (1933). Sa beauté fraîche, sa personnalité affirmée lui permettent d’aborder drame et comédie avec autant de talent. Elle passe du mélodrame de King Vidor, Stella Dallas (1937), aux comédies L’Homme de la rue (1941), de F. Capra, et Boule de feu (1941), de Howard Hawks, où elle subjugue le timide Gary Cooper. Dans les films noirs, elle incarne les femmes fatales destructrices : Assurance sur la mort (1944), de Billy Wilder ; L’Emprise du crime (1946), de Lewis Milestone ; La Femme à l’écharpe pailletée (1950), de Robert Siodmak ; Le démon s’éveille la nuit (1952), de Fritz Lang. Elle devient victime dans Raccrochez, c’est une erreur (1948), d’Anatole Litvak. Avec Robert Taylor, son mari de 1939 à 1951, elle forme un couple idéal. Dans les années 1950, elle met son autorité au service des westerns avec Samuel Fuller, Allan Dwan, Rudolph Maté, Ugo Fregonese. À partir des années 1960, elle tourne beaucoup pour la télévision, notamment des séries populaires comme Les oiseaux se cachent pour mourir (1983), avec Richard Chamberlain.

Bruno VILLIEN

DICKENS H., The Films of Barbara Stanwyck, Secaucus, New Jersey, Citadel Press, 1984 ; WAYNE J. E., The Life and Loves of Barbara Stanwyck, Londres, JR Books, 2009.

STAPLES, Mavis [CHICAGO 1939]

Chanteuse de rhythm and blues et de gospel américaine.

Incarnation de l’âge d’or de la musique noire, Mavis Staples se cachera longtemps au sein de son illustre famille gospel, les Staple Singers – haute dynastie religieuse sous le patriarcat de son père, le chanteur Roebuck « Pops » Staples –, entre 1950 et le début des années 1970. On apprécie ses sœurs, Cloetha et la douce Yvonne, le frère Pervis, mais c’est bien Mavis, la plus jeune, qui se distingue parmi cette constellation de voix. Pops a compris le talent de sa cadette et s’est décidé très tôt à la faire tourner avec lui. « Je ne voulais pas aller sur la route », confiera-t-elle au New Musical Express en 2001. « Je voulais m’inscrire au collège. Mais j’ai beaucoup plus appris pendant ces voyages que je n’en aurais appris sur les bancs de l’école. » Elle met à profit son savoir-faire à partir de 1969, se détachant de l’emprise familiale pour mener sa carrière solitaire. Ses deux premiers albums remportent un certain succès, mais une querelle avec son producteur suspend cet élan. Il faudra attendre les années 1990 pour entendre de nouveau son blues intemporel et chaleureux. Elle n’a jamais ménagé ses forces, jusqu’à We’ll Never Turn Back, superbe album paru en 2007. Un vent piquant et bluesy balaie cette œuvre, hommage au Mississippi, où l’on entend la guitare de Ry Cooder. À travers la chanson Down in Mississippi, la fange du grand fleuve circule en M. Staples, comme le siècle.

Stéphane KOECHLIN

Mavis Staples, Volt, 1969 ; Only for the Lonely, Stax, 1970 ; A Piece of the Action, Curtom, 1977 ; You Are Not Alone, Anti/Pias, 2010 ; One True Vine, Anti/Pias, 2013.

STARITSKY, Ania (Anna GUÉORGUIEVNA STARITSKAYA, dite) [POLTAVA, UKRAINE 1908 - PARIS 1981]

Peintre, sculptrice et graveuse belgo-française d’origine ukrainienne.

Ania Staritsky a vécu sa première enfance dans un milieu intellectuel et artistique, et fut notamment marquée par l’enseignement de Konstantin Youone et de Vladimir Favorski. En 1925, à 17 ans, elle quitte la Russie soviétique pour aller se faire soigner en France d’une maladie des jambes, dont elle souffrira toute sa vie. L’année suivante, elle entre à l’Académie des beaux-arts de Sofia, puis s’installe à Bruxelles en 1932, où, après avoir complété sa formation à l’Institut supérieur des arts décoratifs de La Cambre, elle travaille comme illustratrice de livres, de journaux et de publicité. En 1941, elle épouse le peintre belge, Guillaume Hooricks (dit Bill Orix), qui participe à la résistance au nazisme. Tous deux sont arrêtés par la Gestapo en 1942 – son mari est envoyé au camp de concentration de Mauthausen d’où il ne sortira qu’à la Libération ; elle passe près de quatre mois en prison. Dans les années 1930-1940, son style, résolument figuratif, est dominé par l’élégance et la finesse du trait. Elle illustre, entre autres, La Dame de pique de Pouchkine (1947), et trois volumes des Amours de Ronsard (1950). Après avoir traversé une période d’abstraction informelle, elle réalise, dans les années 1960, une série impressionnante de croquis de nus féminins, exprimant son goût jamais démenti pour l’observation aiguë de la nature. En 1952, A. Staritsky s’installe définitivement à Paris et rompt avec la figuration. Dans ses peintures à l’huile comme dans ses gouaches, elle manifeste sa liberté et son parti pris dans le travail des pâtes, son sens de l’organisation des surfaces en profondeur et en éclairage. Elle fréquente les cercles littéraires et artistiques, en particulier dans le sillage de son ami Michel Seuphor. Elle collabore avec plusieurs poètes, notamment Michel Butor, dont elle mettra en forme un grand nombre de recueils. Ses collages de la série Les Mythologies du dimanche (1965) réintroduisent dans une base « abstraite-lyrique » tout un bestiaire et une démonologie venus des profondeurs du monde russien païen. Elle perfectionne la technique du collage, grave inlassablement sur zinc, cuivre, pierre, linoléum, introduit des objets de rebut dans ses tableaux, fait des dessins à la plume, sculpte le bois.

Jean-Claude MARCADÉ

BUTOR M., SICARD M., Ania Staritsky, matières et talismans, Paris, J.-M. Place, 1978 ; MARCADÉ J.-C., Staritsky, Saint-Pétersbourg, Palace Editions, 2000 (3 livres en russe, anglais et allemand).

STARK, Freya [PARIS 1893 - ASOLO, ITALIE 1993]

Exploratrice britannique.

Née en France dans une famille britannique aisée, Freya Stark se découvre à l’âge de 34 ans une passion pour la civilisation et la langue arabes. C’est au cours d’un séjour de plusieurs mois au Liban et en Syrie qu’elle décide de faire du voyage un but en soi, et cherche résolument un point du globe qui n’aurait pas encore été exploré. Sa connaissance approfondie du Moyen-Orient la conduit à prendre pour destination la vallée des Assassins, en Perse, repère mythique de cette fameuse et ancienne secte. L’endroit, en effet, n’a jamais été correctement cartographié. Partie seule avec un guide et pratiquement sans bagages, épuisée par la dysenterie et la malaria, elle découvre une forteresse encore inconnue et accomplit l’ascension d’un escarpement réputé infranchissable – avec des bas, faute de chaussures appropriées. De retour à Bagdad à l’automne 1931 avec un matériel scientifique remarquable, elle repart bientôt pour approfondir ses recherches, avant de décrire ses découvertes dans un livre, La Vallée des Assassins, qui lui assure la stature d’une authentique exploratrice, ainsi que les honneurs de la Société royale de géographie et de la Société royale asiatique. Elle accomplit deux autres expéditions, cette fois en Hadramaout, en 1935 et 1938 ; le déclenchement de la guerre l’oblige par la suite à interrompre ses explorations. Pendant quatre ans, elle va mettre sa connaissance de l’Orient au service des Alliés. À travers les Brothers and Sisters of Freedom, une société clandestine qu’elle fonde elle-même, elle œuvre pour que les intellectuels des territoires occupés de la région s’engagent dans la Résistance ; ses membres sont des civils anglais, égyptiens, irakiens, indiens. Après un bref mariage, elle reprend sa vie d’exploratrice-archéologue : à 60 ans passés, elle part sur les traces d’Alexandre le Grand aux confins de l’Anatolie, d’abord en compagnie d’un jeune admirateur, puis seule. « Je l’ai quitté, écrit-elle à son éditeur, avec ce merveilleux sentiment d’exultation qui me prend chaque fois que je laisse tomber un homme. » Comme Alexandra David-Néel* ou Anita Conti*, son goût pour les voyages solitaires ne l’empêchera pas de connaître une étonnante et remarquable longévité puisqu’elle s’éteindra en 1993 dans sa centième année.

Christel MOUCHARD

A Winter in Arabia, New York, Overlook Press, 2002.

GENIESSE J. F., Passionate Nomad : The Life of Freya Stark, New York, Modern Library, 2001 ; MOREHEAD C., Freya Stark, Londres, Penguin, 1986.

STARKOFF, Véra (Tauba EFRON, dite) [POLOGNE 1867 - PARIS 1923]

Essayiste et dramaturge française.

Née dans une famille juive convertie au protestantisme, c’est sous le nom de Thérèse Efron qu’elle vient à l’âge de 17 ans étudier la philologie à Genève. Cinq ans plus tard, sous le nom inventé de Véra Starkoff dont elle signe désormais toutes ses manifestations, elle écrit à Paris, où elle s’est installée, un essai sur la Sibérie, traduit des poètes russes, et prend des responsabilités au sein du vigoureux mouvement des Universités populaires, nées dans le contexte du dreyfusisme. Elle fait jouer – et joue – des pièces féministes et anarchistes, et met en scène ses cinq pièces : L’Amour libre, L’Issue, Le Petit Verre, Tolstoïenne, et Le Concierge antisémite, qui ressortissent d’un « théâtre populaire » destiné à promouvoir les idées libertaires. Elle s’affilie à la loge maçonnique mixte qui initia Maria Deraismes* et Louise Michel*. Dans son essai Le Vrai Tolstoï (1911), elle se réclame de l’anticléricalisme, de l’antimilitarisme et du pacifisme du penseur. Elle accueille avec ferveur la révolution russe de février 1917, mais dénonce rapidement les répressions et exactions qui suivent la révolution d’Octobre. Son essai Le Bolchevisme (1922), préfacé par l’anarchiste pacifiste Han Ryner, oppose à la « terreur blanche » des tsaristes la « terreur rouge » des bolcheviks. V. Starkoff est enterrée modestement, avec un de ses oncles, au cimetière du Montparnasse à Paris, sous le nom de Thérèse Effront. Durant toute sa vie de militante et de créatrice qui explore audacieusement le domaine, très neuf en France, de la dramaturgie et de la mise en scène féminines, le masque de son pseudonyme ne fut jamais levé.

Séverine AUFFRET

BEACH C., Staging Politics and Gender ; French Women’s Drama 1880-1923, New York/Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2005 ; EPSTEIN J., IVERNEL P., SUREL-TUPIN M. et al., Au temps de l’anarchie, un théâtre de combat 1880-1914, vol. 1, Paris, Séguier Archimbaud, 2001.

STARYTSKA-TCHERNIAKHIVSKA, Lioudmyla [KIEV 1898 - ID. 1941]

Écrivaine et dramaturge ukrainienne.

Fille de Mykhaïlo Stazrytskyï, écrivain et directeur d’une compagnie théâtrale qui lui transmet le goût et la passion du théâtre, Lioudmyla Starytska-Tcherniakhivska grandit dans un milieu cultivé. Dès l’âge de 20 ans, elle commence à publier ses premières poésies dans l’almanach Perchyï vinok (« première couronne ») en 1887 à L’viv, puis dans Zoria (« l’aurore »), la Pravda, Jyttia i slovo (« vie et parole »). Par son style et le choix de ses thèmes, ses poèmes sont proches de ceux de la poétesse Lessia Oukraïnka*, son amie, avec laquelle elle participe au groupe littéraire la Pléiade de 1888 à 1893. Pendant la Première Guerre mondiale, elle fait partie du Comité de l’aide aux fugitifs ukrainiens et effectue plusieurs voyages en Sibérie pour aider les otages originaires d’Ukraine occidentale. À partir de 1917, elle est membre de la Rada centrale. Elle est la cofondatrice et vice-présidente du Conseil national des femmes ukrainiennes à Kamianets-Podils’kyï. En 1929, elle est arrêtée et condamnée à cinq ans d’exil. Elle rentre à Kiev en 1936 et sera fusillée en 1941, en même temps que sa sœur Oksana, par des agents du NKVD. L. Starytska-Tcherniakhivska est l’auteure de pièces de théâtre, dont les plus connues sont : Hetman Petro Dorochenko (1908) ; Kryla (« les ailes », 1913) ; Ostanniï snip (« la dernière gerbe », 1917) ; Rozbiïnyk Karmeliouk (« le brigand Karmeliouk », 1926) et Ivan Mazepa (1927), drame historique où elle retrace la vie de l’hetman des Cosaques zaporogues et son combat pour la liberté. Elle a aussi publié un article important, « Vingt-Cinq ans du théâtre ukrainien », et a écrit des essais et des critiques.

Olga CAMEL

Istoria ukrainskoi literatury, Kiev, Vyd-vo Akademii Nauk, 1955 ; DMYTRO A., Trysta rokiv ukrainskoho teatru, Kiev, VIP, 2003.

STATON, Candi (Canzetta MARIA, dite) [HANCEVILLE, ALABAMA 1940]

Chanteuse de gospel et de soul américaine.

C’est en 2006 que le public redécouvre Candi Staton. Son album His Hands, où figure une composition magnifique, In His Name, connaît un joli succès. Élevée dans une école religieuse, elle passe son enfance en Alabama, à cueillir le coton et à chanter avec sa sœur. Au milieu des années 1950, elle est déjà connue des amateurs qui achètent ses enregistrements et vont la voir sur scène. Un mariage houleux interrompt une première fois sa carrière, mais une rencontre va relancer son ascension : le chanteur Clarence Carter, qu’elle épousera, lui permet d’enregistrer une série de succès entre 1969 et 1974, dont In the Ghetto ou Stand by Your Man. Autant appréciée que les autres reines de la soul Aretha Franklin*, Carla Thomas*, Tina Turner*, elle ose des incursions dans la country et le disco. Après l’échec de son dernier album avec la Warner en 1980, elle monte un label, Beracah, et grave une série d’albums de gospel. Who is Hurting Now ? , en 2009, exhale une grande chaleur. En 1973, le New Musical Express a écrit au sujet de C. Staton : « Quand elle pleure, vous pleurez. Lorsqu’elle ressent du bonheur, vous êtes heureux aussi. »

Stéphane KOECHLIN

I’m Just a Prisoner, Fame/Capitol, 1970 ; Stand by Your Man, Fame/Capitol, 1971 ; Candi, Warner, 1974 ; Young Hearts Run Free, Warner, 1976 ; His Hands, EMI, 2006.

STAUNTON, Irene [ZIMBABWE V. 1940]

Éditrice zimbabwéenne.

Diplômée de littérature anglaise dans les années 1970, à Londres, Irene Staunton entame sa carrière éditoriale comme dactylographe pour John Calder, un éditeur d’avant-garde installé à Soho chez lequel elle rencontre Samuel Beckett. Après l’Indépendance, elle retourne au Zimbabwe et travaille comme éditrice au Curriculum Development Unit, un service gouvernemental chargé de produire et de distribuer aux écoles dépourvues de moyens des centaines de milliers de manuels scolaires gratuits correspondant aux valeurs de la jeune république socialiste. En 1987, avec Hugh Lewin, sous les auspices de la librairie d’État Kingstons, elle fonde les éditions Baobab Books avec l’objectif de publier de bons auteurs du Zimbabwe, des livres pour la jeunesse stimulants et des essais à des prix abordables pour le public universitaire enseignant et étudiant. Dans un pays dominé par le marché institutionnel du livre et par des procédures bureaucratiques, où peu de gens achètent des livres pour le plaisir, la cause paraît perdue d’avance. Pourtant, Baobab Books survit au rachat par Academic Books, attire des auteurs de renom comme Shimmer Chinodya, Chenjerai Hove, Alexandre Kanengoni, Charles Mungoshi ou Yvonne Vera*, et contribue ainsi à la diffusion de la culture et de l’histoire du pays, ce qui lui vaut une reconnaissance internationale. En 1999, avec son mari, Murray McCartney, I. Staunton fonde Weaver Press (Harare), qui a également pour objectif de permettre aux Zimbabwéens d’accéder aux idées et à la recherche. Elle s’investit particulièrement dans des ouvrages sociologiques donnant la parole à ceux que l’on entend rarement : Mothers of the Revolution, témoignage des mères d’enfants ayant rejoint l’Armée de libération du Zimbabwe, et Children in our Midst, récits de vie d’enfants de travailleurs agricoles. Elle poursuit son travail d’éditrice, déterminée à vendre des livres du tiers-monde au « premier-monde ».

Brigitte OUVRY-VIAL

STEAD, Christina [ROCKDALE 1902 - SYDNEY 1983]

Écrivaine australienne.

Née à Sydney où se déroula une enfance recréée avec piquant dans certains de ses romans, Christina Stead fit des études d’institutrice, métier haï qu’elle ne pratiqua guère. Envoûtée par la littérature européenne et animée de désirs romantiques, elle quitta l’Australie pour Londres en 1928. Son destin prit alors un tournant décisif : à Londres, elle rédigea son premier roman, Seven Poor Men of Sydney (« sept pauvres hommes de Sydney »), et rencontra son futur époux, l’écrivain et banquier William Blake, avec lequel elle parcourut le monde. Son œuvre, recueil de fragments de souvenirs personnels et de fresques sociales qui sont de véritables tableaux vivants, est le fruit d’une pérégrination perpétuelle. La rencontre y est déroutante : personnages singuliers et descriptions insolites donnent une vision nouvelle et surprenante de trois continents. Avec Seven Poor Men of Sydney, situé dans l’Australie de son enfance, et The Salzburg Tales (« histoires de Salzbourg », 1934), solidement ancré dans la tradition européenne, la carrière de C. Stead était lancée – outre-mer, car ce n’est qu’à la fin des années 1960 qu’elle fut reconnue, avec ambivalence, en Australie. The Beauties and the Furies (« des belles et des furies », 1936) confirma la virtuosité et l’éclectisme de l’écrivaine. Dès le début, son œuvre intrigua la critique par sa démarche expérimentale du point de vue du sujet, de la forme et du style. L’intensité émotive, l’exploration des passions, l’imagination baroque, le sens du grotesque et la brillance verbale de C. Stead ont suscité des comparaisons avec D. H. Lawrence, Dostoïevski et Dickens, auteurs qu’elle admirait beaucoup. Son parcours devait certes révéler une écriture dotée d’homochromie et changeante selon les paysages rencontrés. C. Stead et son mari émigrèrent aux États-Unis en 1935. Le premier contrat avec des maisons d’éditions prestigieuses, y compris MGM à Hollywood, fut signé cette année-là. Pour la romancière, cela signifiait indépendance financière et célébrité. De dimension épique et encyclopédique dans le traitement du détail, House of All Nations (« maison de toutes les nations », 1938), une satire sans compromis du monde de la finance, fut suivi par The Man Who Loved Children (« l’homme qui aimait les enfants », 1940), considéré comme son chef-d’œuvre. Bien que situé à Baltimore, le roman s’inspire de son enfance australienne et peint le portrait cruel d’une famille écartelée, dominée par un père égoïste. For Love Alone (« rien que pour l’amour », 1944) revient également au pays de l’enfance. Le livre retrace la quête artistique de l’auteure, ici réincarnée dans le personnage principal, Teresa Hawkins, qui interroge avec passion l’énigme de l’amour et le mystère du destin. Avec ces deux romans autobiographiques, où la vie intime se voit constamment menacée par l’intrusion du monde extérieur, C. Stead invite le lecteur à un retournement, à l’instar de l’artiste qui, parce qu’elle porte en elle un « gène d’irréalité », transmue en beauté le matériau brut de la vie. Comme dans un album de photographies, chacune des pages s’ouvre sur un coin de réel transfiguré. En revanche, c’est une vie matérialiste aux États-Unis qui domine la thématique des trois romans suivants : Letty Fox, Her Luck (« la chance de Letty Fox », 1946), A Little Tea, a Little Chat (« du thé et une causette », 1948) et The People With the Dogs (« les gens aux chiens », 1952). Ces récits américains dépeignent une société hantée par le pouvoir de l’argent et livrée à des passions dévorantes ; leur style est plus classique et la tonalité moins ambivalente que dans les romans australiens. En 1947, le couple voyagea à travers l’Europe avant de s’établir enfin en Angleterre en 1953. Après une période de pénurie due à des problèmes de santé, C. Stead écrivit un autre roman et un recueil de nouvelles : Cotter’s England (« l’Angleterre des Cotters », 1967) et The Puzzleheaded Girl (« la fille à la tête de puzzle », 1967). The Little Hotel (« le petit hôtel », 1973) et Miss Herbert (1976) parurent après son retour aux antipodes, retour qui sembla s’imposer à la mort de W. Blake. Ocean of Story (« un océan d’histoire », 1985) et I’m Dying Laughing : The Humorist (« je meurs en riant : l’humoriste », 1986) sont des œuvres posthumes ; cette dernière explore le sort d’une écrivaine en territoire américain pendant la guerre froide. L’humour y est particulièrement caustique. Si C. Stead reste inclassable, elle se distingue par son refus de la psychologie traditionnelle et par l’impartialité de sa vision. Le prix inaugural Patrick-White lui fut décerné en 1974.

Dominique HECQ

BLAKE A., Christina Stead’s Politics of Place, Nedlands, University of Western Australia Press, 1999 ; ROWLEY H., Christina Stead : A Biography, Port Melbourne, Minerva, 1994 ; WILLIAMS C., Christina Stead, a Life of Letters, Melbourne, McPhee Gribble, 1989.

STEBBING, Lizzie Susan [WIMBLEDON 1885 - LONDRES 1943]

Philosophe des sciences et logicienne britannique.

Lizzie Susan Stebbing est l’une des représentantes majeures de la philosophie analytique en Grande-Bretagne et l’un des pivots de son institutionnalisation. De santé fragile, elle reçoit une éducation privée avant de rentrer au Girton College, à Cambridge, où elle sera plus tard fellow, puis directrice des sciences morales. Elle est élue professeure à l’université de Londres à partir de 1933. Elle est également présidente de l’Aristotelian Society en 1933 et de la Mind Association en 1934. Convertie à la philosophie par la lecture d’Appearance and Reality de Francis Herbert Bradley, elle consacre d’abord un essai au pragmatisme et au volontarisme français (1914), dans lequel elle défend une conception intellectualiste de la morale directement dirigée contre le volontarisme des éthiques pragmatistes ou intuitionnistes. La défense de la précision la conduit à se spécialiser en logique. Elle a reconnu à cet égard sa dette envers George Edward Moore qu’elle rencontre en 1917. Revendiquant la méthode de l’analyse, elle a d’ailleurs été considérée comme l’une de ses disciples. Elle publie en 1930 A Modern Introduction to Logic qui sera réédité jusque dans les années 1960 et gardera le statut d’un classique. Alors qu’elle y maintient une définition de la logique relativement traditionnelle – comme explicitation des principes du raisonnement valide à l’œuvre dans les croyances courantes –, ce manuel a joué un rôle important dans la diffusion de la logique mathématique élaborée par Russell. Au fil des rééditions du livre, ses ajouts témoignent de sa connaissance du positivisme logique, particulièrement des thèses de Carnap qu’elle utilise pour adresser un certain nombre d’objections aux Principia Mathematica de Whitehead et de Russell. Elle fonde en 1933 avec Austin Duncan Jones, Cecil A. Mace, Gilbert Ryle et Margaret MacDonald* la revue Analysis qui devient rapidement l’organe de diffusion des principaux auteurs de la philosophie analytique. Elle a également publié des ouvrages de vulgarisation en logique, en philosophie des sciences et en éthique. Être précis (definite) est le maître mot qui relie sa philosophie de la logique et sa philosophie morale.

Élise MARROU

STEEL, Flora Annie (née WEBSTER) [SUDBURY 1847 - MINCHINHAMPTON, GLOUCESTERSHIRE 1929]

Nouvelliste et romancière britannique.

Fille d’un shérif écossais et de la fille d’un planteur de la Jamaïque, Flora Annie Steel passe vingt-deux ans en Inde avec son mari, où elle écrit abondamment. Son mari étant tombé malade, elle le remplace dans son travail d’inspecteur des écoles et de médiateur des litiges locaux. C’est pourquoi le thème général de ses œuvres concerne les relations entre les classes de la société indienne, la naissance de sa fille l’amenant à fréquenter les femmes indiennes autour d’elle et à apprendre leur langue. Elle encourage l’artisanat rural et l’ouverture d’écoles, collectant histoires et légendes locales. Dès leur retour en Écosse en 1889, elle continue d’écrire et publie deux collections de nouvelles (From the Five Rivers, « des Cinq Rivières », 1893 ; Tales of the Punjab, « récits du Pendjab », 1894), un roman qui porte sur la révolte des Cipayes en 1857 et en 1858 (On the Face of the Waters, « à la surface des eaux », 1896) et sept autres romans, tous très populaires, si bien qu’elle a été un moment considérée comme la rivale de Kipling. Ses 30 livres et ses 85 nouvelles transmettent une vision de l’Inde où cultures et religions ne se mélangent pas, et elle critique avec virulence les Anglais qui refusent de s’y adapter. Elle est aussi l’auteure d’un pamphlet sur les droits des femmes et d’une autobiographie très impressionniste. Elle a utilisé pour certains de ses écrits le pseudonyme « A Fellow Mortal » (« un mortel comme vous »).

Michel REMY

POWELL V., Flora Annie Steel, novelist of India, Londres, Heinemann, 1981.

STEFAN, Verena [BERNE 1947]

Romancière et poétesse suisse.

Verena Stefan est surtout connue pour sa première publication, Mues, parue en 1975. En deux ans, l’ouvrage s’est vendu à plus de 125 000 exemplaires, uniquement par le bouche à oreille. Devenu le livre culte du nouveau mouvement féministe allemand, il raconte la découverte de soi d’une femme qui, après l’aliénation corporelle et psychique dans sa relation avec un homme, découvre à tâtons d’autres conceptions d’elle-même et la sexualité entre femmes. Il décrit avec une ouverture d’esprit jusqu’alors inédite les expériences sensuelles des femmes, et conteste radicalement toute forme de manipulation du corps féminin et d’hétérosexualité forcée. Seule la tentative d’une « écriture féminine » peut permettre d’expérimenter une nouvelle conception du corps et de la féminité. La relation entre le corps et l’écriture, le dépassement de sa propre différence et de la distance à l’« autre » féminin sont les thèmes centraux des ouvrages en prose et des poèmes des années 1980 et 1990. Dans Fremdschläfer (« dormeur étranger », publié au Québec sous le titre D’ailleurs), la question de la différence corporelle et de l’aliénation dans le langage n’est plus seulement un problème féminin, mais un enjeu humain et universel. De façon expérimentale, le texte entremêle le thème de la perte d’orientation de la narratrice, à la suite de son émigration hors de la sphère germanophone et de sa confrontation avec la réalité bilingue de Montréal, et celui de son aliénation corporelle liée au développement d’un cancer. L’utilisation en alternance de la deuxième, troisième ou première personne du sujet renvoie aux degrés d’aliénation et de dépossession de soi-même. Les possibilités et les limites d’une transmission des significations entre le patois allemand de Berne, le haut-allemand, l’anglais et le français sont explorées. Comme l’ensemble de l’œuvre de V. Stefan est encore trop souvent réduite à la controverse autour de Mues, une étude critique et équilibrée de son œuvre reste à établir.

Birte CHRIST

Mues (Häutungen, 1975), Paris, Des femmes-Antoinette Fouque, 1977 ; D’ailleurs (Fremdschläfer, 2007), Montréal, Héliotrope, 2008.

LEAL J., « The Politics of “Innerlichkeit”, Karin Struck’s Klassenliebe and Verena Stefan’s Häutungen », in German Life and Letters, vol. 50, no 4, 1997.

STEFANO, Victoria DE [VISERBA, ITALIE 1940]

Écrivaine vénézuélienne.

Née de parents italiens, Victoria de Stefano émigre au Venezuela avec sa famille en 1946, puis étudie la philosophie à l’Université centrale de Caracas. Elle épouse Pedro Duno, l’un des dirigeants de la guérilla vénézuélienne de l’époque, et donne naissance à deux enfants. Son mari passant des périodes en captivité et d’autres dans la clandestinité, elle est obligée de vivre des exils temporaires pendant cinq ans, en se déplaçant successivement à Cuba, en Algérie, en France et en Espagne. De retour à Caracas, en 1967, le couple est obligé de s’exiler à nouveau pour un an en 1970, mais cette fois dans le Chili de Salvador Allende. En 1971, elle publie son premier roman, El desolvido (« le désoubli »). Tout en réalisant une expérimentation formelle à partir de l’interruption, de la fragmentation et du blanc typographique, le roman puise dans les événements révolutionnaires des années 1970 et traite en profondeur, à la manière d’un témoignage, de l’action libertaire et des dilemmes qu’elle représente pour le guérillero ou l’intellectuel de gauche. En 1975, V. de Stefano publie un essai intitulé Sartre y el marxismo (« Sartre et le marxisme »), en étroite relation avec son roman précédent, dans lequel elle analyse les relations entre l’existentialisme et le marxisme. En 1984, elle publie La noche llama la noche (« la nuit appelle la nuit »), une réflexion métalittéraire sur l’art de la narration dans le contexte de la violence de la guérilla des années 1960. En 1985, elle est distinguée pour Poesía y modernidad, Baudelaire. Son roman El lugar del escritor (« le lieu de l’écrivain », 1993) traite du processus de création en se référant à ses expériences d’écrivaine. Historias de la marcha a pie (« histoires de la marche à pied », 1997), pèlerinage nostalgique dans la mémoire, est remarqué par la critique. V. de Stefano accompagne souvent sa fiction littéraire d’une réflexion, en publiant parallèlement un roman et un essai sur le même sujet. Elle partage ses activités entre la création littéraire et sa carrière de professeure à l’Université centrale du Venezuela, où elle est titulaire des chaires d’esthétique et de théorie du théâtre, ainsi que dans les structures dramatiques de l’École des beaux-arts.

Pablo DOMÍNGUEZ GALBRAITH

STEIGER-CRAWFORD, Flora [BOMBAY, AUJ. MUMBAÏ 1899 - ZURICH 1991]

Architecte suisse.

De parents anglais, Flora Crawford est, en 1923, la première femme diplômée d’architecture de l’École polytechnique fédérale de Zurich où elle a été l’élève de Karl Moser (1860-1936), comme Rudolf Steiger (1900-1982) qu’elle épouse l’année suivante et avec lequel elle ouvre une agence à Bâle. En 1924, ils s’installent à Bâle, puis l’année suivante à Zurich où ils demeureront par la suite. Les premières commandes qu’ils obtiennent, provenant de leur cercle familial ou de connaissances, sont des maisons d’habitation, dont celle réalisée pour Hans Sandreuter, considérée par l’historien et critique Sigfried Giedion comme la première maison moderne en Suisse (Riehen 1924). Au début, F. Steiger-Crawford participe à l’ensemble des projets de l’agence et supervise le travail tandis que son mari n’y est employé qu’à mi-temps. Elle s’occupe principalement des maisons, mais collabore aussi à la conception du remarquable Zett-Haus de Zurich, un immeuble abritant logements, bureaux, cinéma et commerces (1930-1932) et du sanatorium Bella Lui (Montana, Valais 1928-1932). Pour ces réalisations, elle crée un mobilier particulier, comme la chaise empilable Stapelstuhl (1932) pour la Zett-Haus, ou l’ensemble pour l’appartement modèle présenté lors de l’inauguration de la première tranche du lotissement du Werkbund à Zurich (1928-1931). Seule, elle réalise quatre maisons d’habitation : la maison Vogel (Zurich 1933), les maisons Widmer et Koelsch (Rüschlikon 1936-1937) et la maison Güller (Kilchberg 1938). Ses dessins d’architecture, d’un langage moderne, présentent une volumétrie différenciée – chaque volume accueillant une fonction spécifique. La fonctionnalité et le confort, de même que la recherche de prolongements extérieurs, telles les terrasses couvertes, sont des caractéristiques constantes de ses projets. Elle cherche aussi à construire une architecture « intégrale » où le matériau est employé de façon optimale. En 1937, à la suite de leur succès au concours pour la construction du palais des Congrès de Zurich, son mari s’associe avec Max Ernst Haefeli (1901-1976) et Werner Max Moser (1896-1970) ; leur groupement, HMS, sera gratifié par d’importantes commandes. F. Steiger-Crawford décide alors de se retirer pour se consacrer à la sculpture, pratiquée depuis 1930, et s’installe dans un atelier indépendant. Participant aux discussions relatives aux projets, elle conserve néanmoins des liens avec l’agence. En 1959, elle dessine le mobilier de l’habitation familiale, située dans un petit immeuble à l’expressive structure de béton que le couple avait construit à Zurich. Tous deux sont considérés comme des protagonistes du Mouvement moderne en Suisse, des pionniers du Neues Bauen helvétique.

Stéphanie MESNAGE

GLANZMANN J., Flora Steiger-Crawford, 1899-1991, Zurich, Gta, 2003.

STEIMBERG, Alicia [BUENOS AIRES 1933]

Écrivaine et traductrice argentine.

Descendante d’immigrés juifs, Alicia Steimberg grandit dans un contexte économique difficile après la mort de son père. Son entrée sur la scène littéraire se produit à 38 ans, avec la publication du roman autobiographique Músicos y relojeros (« musiciens et horlogers », 1971), remarqué par la critique internationale. Tout en évoquant son enfance, il présente une vision désenchantée et parodique des misères et frustrations des différentes générations d’une famille d’immigrés qui s’installe à Buenos Aires. L’écrivaine construit une légende sur les origines autour de la discorde, de la haine, de l’absurdité et du hasard. Dans sa poétique prédomine une perception étonnée, humoristique et absurde du monde. Dans ses textes, l’humour n’est pas nécessairement lié au bonheur ; il semble plutôt remplir l’ancienne fonction punitive attribuée au rire : sanction sociale et jugement partagé contre ceux qui n’agissent pas comme il se doit. Son roman La loca 101 (« la folle 101 », 1973) reflète les tensions qui traversent les années 1970 et préfigurent la violence tragique de l’Argentine d’alors, à travers une poignée de personnages typiques de Buenos Aires. Parmi ses livres de récits se distinguent Como todas las mañanas (« comme tous les matins », 1983) et Vidas y vueltas (« vies et détours », 1999), composé de nouvelles brèves et désopilantes où l’humour fonctionne comme une arme tranchante pour faire face à l’absurde. Son roman Cuando digo Magdalena (« quand je dis Magdalena », 1992) joue sur l’arbitraire des codes sociaux et verbaux et, par le biais de l’ironie, offre une vision amère de la violence sous-jacente dans les relations humaines. Dans ses fictions, le corps apparaît dans sa complexité : tripes, aliments, désirs, excrétions et perversions constituent un spectacle qui occupe une position centrale. Sa production destinée à un public d’enfants et d’adolescents est également notable. Une partie de son œuvre a été traduite en anglais et en allemand.

Denise LEÓN

STEIN, Charlotte VON [EISENACH 1742 - WEIMAR 1827]

Femme de lettres allemande.

Charlotte Albertine Ernestine von Stein est la fille de Johann Wilhelm Christian von Schardt, maréchal à la cour de Weimar, et de Konkordia Elisabeth von Irving. À l’âge de 16 ans, elle s’engage comme fille d’honneur au service de la duchesse Anna Amalia. En 1764, elle épouse l’écuyer de la cour Gottlob Ernst Josias von Stein, et donne naissance à sept enfants, dont seulement trois survivent. Elle noue une relation étroite avec Goethe peu après qu’il fut arrivé à Weimar en 1775 et est plutôt connue comme son austère âme sœur. Quand, en 1786, il part secrètement pour l’Italie, elle en éprouvera une vive déception. Ce n’est que plus tard qu’on a découvert sa qualité d’auteure. Elle ne commence à composer ses propres œuvres, notamment des drames et des comédies, qu’à près de 50 ans. Elle est influencée par un contact étroit avec Friedrich Schiller, et est la marraine et amie de sa femme, Charlotte von Lengefeld. Lors de vives correspondances, elles échangent leurs idées, en particulier sur des lectures et des œuvres littéraires. En plus de ses poèmes et de la brève farce Rino (1776), elle travaille intensivement vers 1794-1795 à la pièce Dido, qui a pour sujet la reine carthaginoise, tourmentée par un souverain voisin. En 1798-1799, elle écrit la comédie Neues Freiheits-System oder die Verschwörung gegen die Liebe (« nouveau système de liberté ou la conspiration contre l’amour »), dans laquelle un noble excentrique détruit des relations amoureuses dans le but de sauver la planète. Quoique encouragée par Schiller, elle ne publie qu’un seul de ses drames, Die zwey Emilien (« les deux Émilie », 1803).

Gaby PAILER et Karen ROY

Charlotte von Stein, Dramen, Kord S. (éd.), Hildesheim, Olms, 1998.

GUTJAHR O., « Charlotte von Steins Dido, eine Anti-Iphigenie ? » in GUTJAHR O., SEGEBERG H. (dir.), Klassik und Anti-Klassik, Wurzbourg, Königshausen & Neumann, 2000.

STEIN, Edith (Sœur THÉRÈSE BÉNÉDICTE DE LA CROIX) [BRESLAU 1891 - AUSCHWITZ 1942]

Philosophe, religieuse et martyre allemande.

Figure marquante de la phénoménologie du début du XXe siècle, Edith Stein est la dernière de onze enfants d’une famille juive orthodoxe. Son père meurt peu après sa naissance. Elle étudie la psychologie, la philologie allemande, l’histoire et la philosophie à Breslau. De 1913 à 1914, elle poursuit ses études à Göttingen avec Edmund Husserl mais doit les interrompre à cause de la Première Guerre mondiale. Elle entre à la Croix-Rouge à Breslau et travaille dans un hôpital jusqu’en 1915. Dans sa thèse avec Husserl (1916), devenu le successeur de Heinrich Rickert, elle applique la méthode phénoménologique de réduction transcendantale à l’acte d’empathie et peut ainsi montrer comment l’expérience d’un autre sujet est transmise. Malgré la mention « summa cum laude », l’habilitation lui est refusée parce qu’elle est une femme. De 1916 à 1918, elle est l’assistante privée de Husserl. Durant cette période, elle fait la connaissance du phénoménologue Max Scheler qui l’amène à considérer l’amour non pas seulement sous son aspect romantique, mais aussi en tant que méthode phénoménologique, induisant l’observateur à s’éloigner de la question ou de la personne de manière à laisser à l’autre suffisamment de place pour parler et se montrer lui-même. En 1917, la mort de son ami, le phénoménologue Adolf Reinach, la plonge dans une crise profonde, qui était, comme elle le dit, « en germe depuis longtemps ». C’est un tournant dans sa vie, accompagné par la lecture de l’autobiographie de la carmélite Thérèse d’Avila* pendant un séjour à Bad Bergzabern, chez son amie, la philosophe Hedwig Conrad-Martius*. Elle se rapproche du christianisme et reçoit le baptême en 1922. Dans son Introduction à la philosophie (1917-1918), elle cherche, à travers une justification philosophique des sciences naturelles et humaines, à donner une vue d’ensemble de la totalité du monde. Entrée en 1918 au Parti démocratique allemand, elle développe une anthropologie féministe, qui attribue à l’esprit féminin une connaissance holistique s’opposant à l’esprit masculin dont la méthode est de division analytique. En 1923, professeure au lycée St. Magdalena, à Spire, elle commence à joindre à son travail une réflexion sur la religion. Elle traduit John Henry Newman et Thomas d’Aquin, tient des conférences sur l’influence mutuelle de la théologie et de la pédagogie. Toujours plus engagée, elle développe une phénoménologie ontologique qu’elle cherche une fois de plus à conjuguer avec une philosophie de la personne. Ces considérations holistiques se reflètent dans ses études théoriques quant à l’État qu’elle définit comme une structure dépourvue de valeur qui reçoit sa signification de l’ethos des citoyens qui y sont intégrés en tant que peuple libre (Eine Untersuchung über den Staat, « une étude sur l’État », 1925). En 1932-1933, elle obtient un poste à l’Institut allemand des sciences pédagogiques de Münster. Lorsque les nazis lui interdisent d’enseigner, suivant la voie de Thérèse d’Avila, elle entre, en octobre 1933, au Carmel de Cologne-Lindenthal et prend le nom de Thérèse Bénédicte de la Croix. Au cours de cette période, elle travaille intensément sur Aristote, Augustin et Thomas d’Aquin, écrivant son ouvrage fondamental L’Être fini et l’Être éternel (1936), puisant sa réflexion dans un ouvrage antérieur, Puissance et acte, resté inédit. Elle cherche à développer une compréhension de l’existence qui soit plus que « l’être-pour-la-mort » de Martin Heidegger. À peine huit mois après avoir prononcé ses vœux, en raison des pogroms des 9 et 10 novembre 1938 et pour ne pas mettre en danger l’Ordre de Cologne, E. Stein s’enfuit au monastère de Echt (Pays-Bas) où sa pensée évolue de plus en plus vers la mystique néoplatonicienne. Elle élabore son dernier ouvrage, La Science de la Croix, une étude de saint Jean de la Croix, où la croix est considérée comme le signe de ce qui pourrait interrompre le cercle vicieux de la violence et, pour elle, comme le moyen d’unir ses racines juives à ses croyances chrétiennes. Suite à une lettre de protestation des évêques hollandais, elle est, avec d’autres juifs convertis, arrêtée par la Gestapo le 2 août 1942. Elle dit à sa sœur arrêtée avec elle : « Viens, partons alors pour notre peuple. » Les deux sœurs meurent à Auschwitz, probablement le 9 août 1942. Le 1er mai 1987, E. Stein est la première catholique d’origine juive à être béatifiée. Le 11 octobre 1998, elle est canonisée. Une année plus tard, elle est nommée patronne de l’Europe.

Susan GOTTLÖBER

BINGGELI S., Le Féminisme chez Edith Stein, Saint-Maur, Parole et Silence, 2009 ; BORDEN S., Edith Stein, Londres, Continuum, 2003 ; FREIENSTEIN P., Sinn verstehen, die Philosophie Edith Steins, Londres, Turnshare Ltd, 2007 ; VAN DEN DRIESSCHE T., L’Altérité, fondement de la personne humaine dans l’œuvre d’Edith Stein, Leuven, Leuven university Press, 2008.

STEIN, Gertrude [ALLEGHENY 1874 - NEUILLY-SUR-SEINE 1946]

Écrivaine américaine.

Issue d’une famille juive d’origine allemande, Gertrude Stein entame des études de médecine qu’elle ne termine pas. Elle s’installe à Paris en 1903 avec son frère Leo et y tient salon, dans son appartement de la rue de Fleurus, jusqu’à l’aube de la Seconde Guerre mondiale, accueillant l’avant-garde littéraire et picturale internationale et de nombreux écrivains américains expatriés qu’elle qualifie, d’après Hemingway, de lost generation (« génération perdue »). Grande collectionneuse, elle acquiert une notoriété par son rôle dans la diffusion de l’art moderne et son soutien à de nombreux peintres, dont Cézanne, Matisse et surtout Picasso, qui fait son portrait en 1906. En 1938, elle consacre une étude élogieuse, écrite en français, à ce dernier. De formes très variées (poésies, livrets, essais, récits, romans), son œuvre demeure méconnue une partie de sa vie en raison de son caractère expérimental. Si certaines de ses formules font florès, sa recherche d’une langue novatrice et sa grammaire inédite, qui en font une figure importante du modernisme anglo-saxon, sont peu comprises des éditeurs. La majorité de ses textes paraissent alors à compte d’auteur. Inclassables et énigmatiques, ses écrits sont rapportés à diverses influences, en particulier celle du cubisme ou celle du stream of consciouness, perpétuel mouvement de pensée, inspiré des cours du psychologue William James que G. Stein avait suivis dans sa jeunesse. Dès son premier ouvrage publié, Trois vies (1909), G. Stein rompt avec les conventions littéraires. Rapprochée de Trois contes, de Flaubert, l’œuvre s’écarte pourtant de la prose française du XIXe siècle en délaissant l’intrigue et les ornements stylistiques et en éliminant le point de vue de l’auteur. Mettant en scène, dans des récits distincts, trois femmes perçues par leur entourage, l’auteure multiplie les focalisations de manière à ne livrer de ses protagonistes qu’un portrait morcelé. Elle y use d’une abondance de répétitions qu’elle nomme « insistance ». Cette idiosyncrasie est également le trait stylistique principal d’Américains d’Amérique, roman d’un millier de pages écrit de 1906 à 1908 et paru en 1925. Conçu comme l’histoire d’une famille américaine, le texte, loin de progresser linéairement, s’enroule dans des séquences composées de phrases itératives, sans but narratif ni valeur référentielle. Dans Tendres boutons, paru en 1914, les paragraphes, organisés selon une tripartition élémentaire, objets-nourriture-chambres, livrent des sortes de natures mortes surréalistes, à travers une syntaxe déconstruite où noms, verbes et prépositions juxtaposés ne signifient rien. G. Stein publie en 1933 un ouvrage écrit dans une prose plus traditionnelle : Autobiographie d’Alice Toklas. Empruntant la voix de sa compagne, elle y relate sa vie à la troisième personne. Ce roman connaît un succès foudroyant qui lui permet d’attirer un plus large lectorat et d’acquérir une renommée littéraire. De nombreux inédits paraissent à titre posthume dans les années 1950, achevant de faire connaître son œuvre.

Cécile HANANIA

Trois vies (Three Lives, 1909), Paris, Gallimard, 1981 ; Tendres boutons (Tender Buttons, 1914), Caen, Nous, 2005 ; Américains d’Amérique (The Making of Americans, 1925), Paris, Stock, 1971 ; Picasso (1928), Paris, C. Bourgois, 2006 ; Autobiographie d’Alice Toklas (The Autobiography of Alice B. Toklas, 1933), Paris, Gallimard, 1990.

BLOOM H. (dir.), Gertrude Stein, New York, Chelsea House, 1986 ; GRIMAL C., Gertrude Stein, le sourire grammatical, Paris, Belin, 1996.

STEINEM, Gloria [TOLEDO, OHIO 1934]

Journaliste et militante féministe américaine.

Après deux ans passés en Inde où elle découvre l’extrême pauvreté et l’injustice sociale, Gloria Steinem décide d’être journaliste. Établie à New York, elle se fait connaître par des articles dans lesquels elle dénonce l’exploitation des Bunnies, les serveuses des clubs Play Boy – après s’être fait elle-même embaucher comme Bunny dans la perspective de ces articles. En 1968, elle rejoint l’équipe du magazine New York où elle tient une rubrique politique et, dans le même temps, commence à travailler pour le parti démocrate, auquel elle va adhérer indéfectiblement. Sa prise de conscience féministe et son engagement aux côtés de Betty Friedan*, Shirley Chisholm* et Bella Abzug* datent d’un reportage qu’elle fait, en 1969, sur le groupe féministe radical Redstockings du mouvement de libération des femmes ; elle est bouleversée par la parole des femmes sur les ravages des avortements illégaux. Elle cofonde alors, avec Dorothy Pitman Hugues*, la Women’s Action Alliance (1971) contre toutes les discriminations, ainsi que Ms. (1970), premier magazine féministe de large diffusion dont la réussite spectaculaire lui vaut de devenir la porte-parole emblématique du mouvement féministe aux États-Unis. Elle en popularise les revendications : droit à l’avortement, véritable égalité entre les sexes, condamnation des violences sexuelles et de la pornographie. En 2005, G. Steinem fonde avec Jane Fonda* le Women’s Media Center, une organisation visant à donner de la visibilité et du pouvoir aux femmes dans les médias. L’université Rutgers a créé, en son honneur, une chaire d’enseignement et de recherche pour prolonger son combat féministe par la voie du journalisme.

Anne-Marie MARMIER

STEINER, Gerda [ETTISWIL 1967]

Plasticienne suisse.

Diplômée de l’École d’art et de design de Bâle, Gerda Steiner s’oriente d’abord vers la pratique de la peinture et de la photographie. C’est à partir de 1997 qu’elle collabore avec Jörg Lenzlinger. Ils explorent les réactions que peuvent engendrer les matières les unes avec les autres, s’intéressent aux mutations, aux transformations, et se penchent particulièrement sur le processus de reproduction et de création, tout en questionnant les grandes problématiques écologiques. Leurs projets in situ nécessitent un long travail sur les lieux d’exposition : pour le Centre culturel suisse en 2010, ils passent un mois sur place afin d’y réaliser leur installation à partir de tous les matériaux d’origine naturelle et artificielle qu’ils ont fait venir – cristaux, plantes, objets divers –, dans une perspective de biodiversité. Leurs « installations totales » permettent ainsi d’entrer dans un univers luxuriant et futuriste, hybride, entre naturel et artificiel, où des réseaux cheminent, s’emmêlent et s’entrecroisent dans une accumulation évolutive et éphémère, qu’il faut entretenir et nourrir au cours de l’exposition : Le Cristallisateur (2002) est constitué d’un grand cylindre dans lequel on peut observer une masse blanche évoluer, grandir ; il s’agit là d’engrais qui se cristallisent en fonction des étapes d’une réaction chimique. Cette matière qui fascine les artistes est ensuite récupérée comme élément constitutif pour d’autres pièces. Par ces œuvres éphémères et in situ, G. Steiner & J. Lenzlinger participent d’un mouvement plus vaste de pratiques écologiques et temporaires, fonctionnant presque en marge du marché de l’art. Leur travail est pourtant exposé dans de nombreux lieux institutionnels, dont l’Australian Center for Contemporary Art à Melbourne (2008), mais aussi dans des contextes moins attendus. Ils rêvent à présent d’une œuvre dans les égouts de Tokyo ou bien même dans les airs…

Laetitia BAHUON

Landschaften (catalogue d’exposition), Bâle, Kunsthalle Basel/Schwabe, 1998 ; avec LENZLINGER J., Jardin de lune, Mondgarten (catalogue d’exposition), Sélestat, Frac Alsace, 2008 ; ID., Comment rester fertile ? (catalogue d’exposition), Lucerne/Poschiavo, Centre culturel suisse/Periferia, 2010 ; ID., The Mystery of Fertility, Bâle, C. Merian, 2010.

STEIR, Pat [NEWARK 1940]

Peintre américaine.

Au cours de ses années de formation au Pratt Institute puis à la Boston University College of Fine Arts, Pat Steir est l’élève de Philip Guston et Richard Lindner. Elle travaille d’abord comme illustratrice, graphiste, et devient l’amie de personnalités telles que Sol LeWitt, Lawrence Weiner et d’autres artistes conceptuels. Marquée par sa rencontre avec Agnes Martin*, elle tend vers une forme d’abstraction n’excluant pas la réalité. Outre sa pratique picturale, elle travaille aussi dans l’édition : depuis ses débuts, elle est engagée auprès de revues féministes, dont Heresies et Semiotext(e). Ses toiles sont une réflexion sur la peinture. Réalisant des séries qu’elle reprendra tout au long de sa vie, elle axe son œuvre autour du paysage et de l’autoportrait. Ainsi, Waves and Waterfalls (« vagues et cascades », 1982-1992), Summer Moon (« lune d’été », 2005), Gold and Silver Moon Beam (« rayon de lune or et argent », 2006), Water & Stone (2010) font signe aux paysages de Courbet, de Turner et d’Hokusai ; leurs multiples traits verticaux, produits par maintes coulures régulières, résonnent avec le dripping de Jackson Pollock. Dans la célèbre série des Waterfalls, l’artiste dilue en effet la peinture à l’huile, qui ruisselle du haut du tableau jusqu’au sol. Denys Zacharopoulos écrit au sujet des autoportraits de P. Steir : « Self-Portrait n’est pas un tableau et ne représente aucunement un visage, son visage. Ce regard pluriel, réversible, équivoque, changeant, qui fait un avec le temps et se divise à l’infini des autres dans l’espace, son être protéiforme et mouvant, enveloppant-enveloppé, est “l’autoportrait” » (Pat Steir, 1990). L’œuvre de P. Steir interroge les questions de l’image, du signe et du symbole : Deviations and Variations (1973) est une grille, dont chaque partie est occupée par une croix, un oiseau ou encore un carré noir. Inspirée par les réflexions communes menées par les artistes conceptuels, elle développe une peinture qui inclut des chartes de couleurs, mais aussi des mots et des images ; elle adopte ainsi, immédiatement, une tonalité très poétique. À partir de 1981, elle réalise des peintures de fleurs. Dans Brueghel Series (Vanitas of Style) (1982-1984), elle s’inspire du peintre Jan Brueghel le Vieux : l’image composite d’un vase de fleurs est découpée en de multiples petits rectangles, structurant dans leur ensemble d’immenses rectangles ; élaborée sous forme de grille, elle présente certains panneaux composés de huit rectangles par huit, d’autres, de quatre par quatre ; les plus grands produisent une peinture absolument vibrante, les autres sont polychromes. Par les rainures ménagées entre les parties, une nouvelle méditation sur la « vanité » en tant que passage est amorcée. Grâce à cette utilisation d’images à la manière d’un puzzle, P. Steir se situe à mi-chemin entre une peinture méditative et le constructivisme. Son œuvre est tout entière faite de ces synthèses entre différentes formes et époques de la peinture. À la fin des années 1980, elle met en place sa technique de « déversements en cascade », qui multiplie les coulures. Elle associe le motif produit par le mouvement de la matière colorée à l’image de la cascade (Waterfall Painted with the Chinese in Mind, 1987). Entre tracé fin et matérialité des coulures, elle invente un équilibre très fragile, qui fait de ces peintures de véritables espaces de méditation. En 1993, la série Elective Affinities, d’après le titre de Goethe, reprend le principe des Waterfalls. Elle affirme ne pas faire de différence entre le processus qui mène à l’abstraction et celui qui mène à la figuration. Après avoir peint dans des tonalités de gris, P. Steir réintroduit progressivement la couleur. Toute son œuvre fonctionne sur le principe de la série et de la variation. Opacité et transparence, dynamisme et simplicité se réconcilient dans ses toiles : c’est le cas par exemple dans Sixteen Waterfall of Dreams, Memories and Sentiments, dans les années 1990. Dans ses peintures récentes (Moons and a River, 2004), elle poursuit sa recherche sur ses grandes toiles vibrantes, obtenues par l’application subtile de couleurs telles que le jaune et le blanc. Certaines œuvres, telles que Sun Moon, vont jusqu’à l’invisibilité du blanc, tandis que Black Moon recouvre toute la toile de noir. La série Blue River, enfin, partage de très grands formats horizontaux en plusieurs plages de couleur, le bleu dominant au centre.

Marion DANIEL

Pat Steir (catalogue d’exposition), Zacharopoulos D. (textes), Lyon, Musée d’art contemporain, 1990 ; Waterfalls (catalogue d’exposition), Cotter H. (textes), New York, Robert Miller Gallery, 1990 ; Moons and a River (catalogue d’exposition), New York, Cheim & Read, 2005.

STENGERS, Isabelle [BELGIQUE 1949]

Philosophe belge.

Licenciée en chimie, Isabelle Stengers est professeure de philosophie des sciences à l’Université libre de Bruxelles où elle a fait ses études. Collaboratrice de la revue Multitudes, elle a fondé en 1990, avec Philippe Pignarre, la maison d’édition Les Empêcheurs de penser en rond. I. Stengers est célèbre pour l’ouvrage coécrit avec le prix Nobel de chimie Ilya Prigogine, La Nouvelle Alliance : métamorphose de la science (1979). Cet ouvrage fait la critique des préjugés et des surestimations de la science moderne et plaide pour introduire, dans le dialogue expérimental qui la fonde, l’élément d’instabilité et de relativité dû à la diversité des approches, ainsi que le « facteur temps » ou « flèche du temps, » qui tient à ce que la thermodynamique se confronte aux phénomènes cycliques d’une énergie qui s’épuise irréversiblement. Elle a développé par la suite une critique des prétentions de la science moderne à faire autorité, autorité qu’on lui demande sans doute d’exercer, mais qui exige une éthique au sein même de la recherche. Dans la lignée d’un Karl Popper ou d’un Paul Feyerabend, mais aussi de Michel Foucault ou de Gilles Deleuze, elle veut faire sa place au différend politique, au débat contradictoire entre chercheurs, afin que soit prise en compte et assumée l’importance que prennent les résultats provisoires de la recherche, une fois livrés à leur destinée publique. Dans La Volonté de faire science : à propos de la psychanalyse (1992), elle dénonce l’autoritarisme qui prend la figure d’un refoulement de l’hypnose (L’Hypnose entre magie et science, 2002), rejoignant Tobie Nathan et Léon Chertok. Dans Cosmopolitiques, sept volumes publiés à partir de 1997, elle relate deux décades de la guerre scientifique : elle s’en prend une nouvelle fois aux outrances de la science hégémonique, notamment à l’idée de « consilience » proposée par Edward Osborne Wilson, selon laquelle tous les discours, littéraire, religieux, philosophique, seront à terme rendus caducs et remplacés par le seul discours scientifique. I. Stengers développe une réflexion ancienne d’une quinzaine d’années et riche de résonances au niveau international, sur la nécessité d’une « écologie des pratiques », d’une « science lente », précautionneuse, prenant en compte par avance les effets externes, sociaux, écologiques, de ses constructions, en accord avec le devoir de liberté et d’inventivité qui caractérise la démarche expérimentale.

François GUERY

STENO, Flavia (Amelia OSTA COTTINI, dite) [LUGANO 1877 - GÊNES 1946]

Écrivaine et journaliste italienne.

Flavia Steno collabore au Secolo XIX de 1898 à 1943. En 1919, elle fonde, avec Willy Dias*, La Chiosa, une revue rédigée par des femmes qui sera interdite en 1927 par le régime fasciste. En 1898 paraissent ses recueils de récits Senza macchia (« sans taches ») et Mignon Sartori, suivis d’une abondante production narrative, généralement considérée comme appartenant au genre de la littérature sentimentale, mais riche en observations sur les préjugés, les discriminations et les injustices. C’est le cas de Un fatto di cronaca (« un fait divers », 1932) ou de Signorsì (« oui, monsieur », 1940), adapté au cinéma, où la protagoniste orpheline est élevée par son oncle et sa tante qui la confient à des religieuses lorsqu’ils partent pour l’Abyssinie avec l’espoir de trouver une vie meilleure dans la colonie italienne. Dès l’âge de 15 ans, la jeune fille est placée comme domestique au service de maîtres aisés, les uns avares, les autres dissolus, qui l’exploitent et la méprisent, blessant son caractère digne et insoumis, jusqu’à ce qu’elle meure d’une maladie contractée au contact du fils de ses employeurs. Devenue correspondante de presse en Allemagne en 1915, F. Steno publie en 1917 Germanesimo senza maschera (« germanisme sans masque »), tandis que, sous divers pseudonymes dissimulant son identité de femme, elle est correspondante de guerre au front et suit le travail de la Croix-Rouge ainsi que les actions militaires des alpins.

Graziella PAGLIANO

DNICOLA F., « Willy Dias e Flavia Steno, scrittrici a Genova », in ID., ZANNONI P. A. (dir.), La fama e il silenzio, scrittrici dimenticate del primo Novecento, Padoue, Marsilio, 2002.

STEPANOVA, Varvara [KAUNAS, AUJ. LITUANIE 1894 - MOSCOU 1958]

Peintre, poétesse, décoratrice de théâtre et graphiste russe.

Issue d’une famille de fonctionnaires, Varvara Fedorovna Stepanova étudie à partir de 1910 dans l’école des beaux-arts de Kazan, où elle rencontre Alexandre Rodtchenko, son futur époux et collaborateur artistique. En 1913, elle fréquente l’atelier de Konstantin Iouon à Moscou. Au début de sa carrière, elle s’intéresse à la convergence des genres : elle cherche une « nouvelle qualité » de la peinture à travers le rapprochement du son et de l’image par une poésie visuelle, « transmentale » (zaoum), focalisée sur la dimension phonique des mots, qu’elle invente et juxtapose à une graphie picturale. Ses œuvres sont exposées comme de véritables tableaux, rappelant certaines expériences similaires de Vassily Kandisky. Elle élabore et publie plusieurs ouvrages de poésie de ce type, dont Rtny Khomle (1918). Celle qui signe aussi sous les pseudonymes de « Varst » ou d’« Agaraykh » fait partie des membres fondateurs du constructivisme russe, mouvement qui conteste l’art pour l’art et cherche un art fonctionnel et pratique. En 1924, elle s’implique ainsi dans la création de nouveaux tissus pour la première fabrique soviétique de cotonnades imprimées. Elle élabore la structure et le dessin des étoffes à partir des fonctions dévolues au vêtement. Dans une perspective de standardisation chère aux constructivistes, elle espère ainsi réaliser le vêtement idéal et standard pour chaque catégorie de métiers. Résolument tournée vers l’avenir, elle collabore activement avec le nouveau pouvoir soviétique et participe à la création de ses principales institutions artistiques – Inkhuk (« institut de la culture artistique », créé en 1920), Izo (« section des arts plastiques » du Narkompros, créé en 1918), Vkhoutemas (« ateliers supérieurs d’arts et de techniques », créé en 1920), où elle occupe des postes importants. Avec A. Rodtchenko, elle réalise de nombreuses affiches, notamment avec les vers de Vladimir Maïakovski, et plusieurs recueils photographiques de propagande, dont Pervaya Konnaya (« la première armée de cavalerie », vers 1937), qui seront présentés à l’exposition internationale de New York en 1939. Enfin, elle dessine les nouveaux décor constructivistes et les costumes pour la pièce de théâtre La Mort de Tarelkine de Soukhovo-Kovyline, en 1920-1922. Dynamique et courageuse, elle croit dans un avenir meilleur malgré les difficultés matérielles rencontrées au quotidien. Son parcours éclectique la rend difficilement classable. Selon elle, elle n’est ni peintre, ni décoratrice, ni graphiste : elle se donne pour titre « constructiviste », y voyant le dépassement d’un vieil art autosuffisant par une activité socialement indispensable.

Hanna MURAUSKAYA

LAVRENTIEV A., Varvara Stepanova, une vie constructiviste (traduit du russe), Paris, P. Sers, 1988.

STEPHENS, Alice BARBER [PRÈS DE SALEM 1858 - PHILADELPHIE 1932]

Peintre, graveuse et illustratrice américaine.

Née dans le New Jersey, Alice Barber suit d’abord les cours de la Philadelphia School of Design for Women et y apprend la gravure sur bois. Issue d’une famille de neuf enfants, la jeune fille doit rapidement travailler pour gagner sa vie et commence donc une carrière de graveuse et d’illustratrice. Au début des années 1870, elle fait paraître des dessins à la plume et des gravures dans Women’s Words puis, à partir de 1878, dans les publications Harper’s, Cosmopolitan et de nombreux autres journaux illustrés. À la fin des années 1870, elle suit les cours de peinture de la Pennsylvania Academy of Art sous la direction de Thomas Eakins, qui, peintre réaliste, élève de Léon Bonnat et de Jean Léon Gérôme à Paris, juge nécessaire pour tous l’étude d’après modèle vivant et présente notamment un modèle entièrement nu. La jeune femme en témoigne dans Women’s Life Class (« classe féminine d’après nature »), gouache de 1879. En 1886-1887 enfin, elle complète sa formation en France, à l’académie Colarossi et dans les cours de Tony Robert-Fleury à l’académie Julian. De retour aux États-Unis, elle devient l’un des plus importants illustrateurs américains. Outre sa contribution à diverses revues, elle illustre plusieurs ouvrages qui la rendent célèbres, notamment des livres pour enfants : Les Quatre Filles du Dr March, de Louisa May Alcott*, en 1902 ; Mother Carrey’s Chicken de Kate Douglas Wiggin (1856-1923), en 1911 ; mais aussi le roman de Nathaniel Hawthorne The Marble Faun (« le faune de marbre »), en 1900. En 1897, elle fonde le Plastic Club, aujourd’hui encore le plus ancien cercle artistique féminin en activité. Elle expose aussi régulièrement ses peintures, participe à de nombreuses expositions nationales importantes et obtient plusieurs médailles. Cette activité picturale n’est pas sans conséquence sur ses illustrations et gravures : à partir des années 1890, elle réalise des illustrations plus picturales, dans un style naturaliste, en parvenant à rendre les effets de couleur et de lumière.

Marie GISPERT

Alice Barber Stephens : A Pioneer Woman Illustrator (catalogue d’exposition), Brown A. B. (dir.), Chadds Ford, Brandywine River Museum, 1984.

The American Personality : The Artist-Illustrator of Life in the United States, 1860-1930 (catalogue d’exposition), Los Angeles, Grunwald Center for the Graphic Arts, 1976.

STERBA, Editha (née RADANOWICZ-HARTMANN) [BUDAPEST 1895 - DETROIT 1986]

Psychanalyste américaine.

Fille d’un colonel hongrois, Editha Sterba se distingua par des études pluridisciplinaires. Après des études de littérature allemande et de philologie à l’université de Vienne, elle s’initie à la musicologie et à la philosophie, avant d’entreprendre une formation psychanalytique qui la conduisit à devenir membre de la Société psychanalytique de Vienne. Après avoir divorcé de son premier mari, elle épouse à 31 ans Richard Sterba, médecin et psychanalyste viennois. Elle s’occupera avec Otto Rank de la revue Internationaler Psychoanalytisher Verlag, créée à la fin de la Première Guerre mondiale grâce aux généreuses subventions d’Anton von Freund, un industriel de Budapest et ami de Sigmund Freud. Cette revue, qui devait assurer l’indépendance éditoriale et donner aux publications psychanalytiques un caractère officiel, sera mise en liquidation en 1938 après une perquisition de la Gestapo. Durant cette période, elle dirige également à Vienne, avec August Aichhorn, Anna Freud* et Willi Hoffer, un centre de conseils éducatifs et travaille à la réalisation de la première édition, en allemand, des œuvres complètes de S. Freud. En 1938, E. Sterba et son mari, qui n’était pas juif, furent tout à fait solidaires de leurs collègues juifs dans la décision de dissoudre la Société psychanalytique de Vienne. Ils songèrent d’abord à partir en Afrique du Sud pour y fonder une société de psychanalyse mais, n’ayant pu obtenir de visas, ils émigrèrent en Suisse puis, l’année suivante, aux États-Unis. Ils s’installèrent d’abord à Chicago et ensuite à Detroit. E. Sterba participera à de nombreux projets concernant la psychiatrie et la psychanalyse d’enfants et s’occupera, pour le Jewish Family Service, des enfants survivants de la Shoah, tout en étant chargée d’enseignement à l’Institut de psychologie de l’université du Michigan. En 1954, elle publie deux ouvrages, l’un avec son mari, publié en France sous le titre Beethoven et sa famille, l’autre avec Alexander Grinstein, Understanding your Family, édité à New York en 1957.

René MAJOR

Avec STERBA R., Beethoven et sa famille (Beethoven and His Nephew : A Psychoanalytic Study of Their Relationship, 1954), Paris, Buchet/Chastel, 1996 ; avec GRINSTEIN A., Understanding your family, New York, Random House, 1957.

STERBAK, Jana [PRAGUE 1955]

Plasticienne canadienne.

En 1968, Jana Sterbak quitte la Tchécoslovaquie avec ses parents et s’installe au Canada. Diplômée de l’université Concordia à Montréal en 1977, elle conçoit une œuvre qui fera l’objet de nombreuses expositions monographiques. En 2003, elle représente le Canada à la Biennale de Venise. Depuis la fin des années 1970, elle s’intéresse avant tout au corps humain, qu’elle présente entravé dans la liberté de ses mouvements : il est tantôt muni de prothèses, tantôt éprouvé, soumis à un effort physique. Dans Cones on Fingers (1979), l’artiste a enroulé autour de chaque doigt d’une main un mètre à ruban de couturière, formant ainsi cinq cônes allongés ; Measuring Tape Cones (1979) présente une variante des cônes. Ces prothèses, tout en soulignant la grâce de la courbe formée par le poignet, réduisent la main à un simple objet esthétique – tout mouvement étant désormais impossible. Avec Sisyphus (1991), elle imagine une cage au fond arrondi et instable, dans laquelle l’homme doit exécuter une étrange chorégraphie pour trouver son équilibre. Les vêtements deviennent, eux aussi, des prothèses qui aliènent ou métamorphosent le corps : les deux manches cousues de Jacket (1992) n’en font qu’une, interdisant au sujet de dévoiler ses mains ; Hairshirt (1992), destiné à être porté par une femme, est couvert de poils, imitant ainsi le torse masculin ; Inhabitation (1983) emprunte la forme d’un ventre de femme enceinte synthétique, permettant à l’homme d’expérimenter la déformation du corps liée à la grossesse. Tout cet appareillage confère au corps une monstruosité saisissante, entre attraction et répulsion. Pour la 50e Biennale de Venise, elle réalise une vidéo diffusée sur plusieurs écrans : From Here to There est une suite de séquences filmées à Venise et au Canada par Stanley, un chien, sur lequel a été fixée une petite caméra ; le spectateur découvre ainsi la cité des Doges et les rives du Saint-Laurent à 35 centimètres du sol, à travers le regard d’un jack russell. Le chien-caméra est à nouveau utilisé en 2005 pour Waiting for High Water, film présenté la même année à la Biennale de Prague. Ces deux installations sont réunies en 2006, au musée Artium de Vitoria-Gasteiz en Espagne, à l’occasion d’une exposition monographique de la plasticienne. Dans un autre registre, elle expérimente le détournement des matériaux ; pour Bread Bed (1979), elle dispose un matelas de pain sur un lit, tandis que Chair Apollinaire (1996) présente un fauteuil tapissé de viande. Parfois, le caractère périssable des matières employées ajoute aux sculptures une valeur de memento mori, comme pour Vanitas : Flesh Dress for an Albino Anocrectic (« robe de chair pour albinos anorexique », 1987), une robe en viande : recréée pour chaque nouvelle exposition selon le patron d’origine, le vêtement est désormais montré sur un buste de couture en bois et en tissu, aux côtés de la photographie de son modèle original, porté à l’époque par une jeune femme. Le thème de la vanité est aussi exploré dans Catacombs (1992) : un crâne et les os d’un squelette humain sont réalisés en chocolat. L’univers domestique a inspiré une grande partie de son œuvre, dont le mobilier fait partie : House of Pain : A Relationship, projet dessiné en 1987, représente une maison dont le centre est vide ; le « visiteur » doit suivre un parcours imposé, qui se déroule en périphérie, et dont chaque salle lui réserve une nouvelle souffrance ; une fois engagé, il ne peut guère faire demi-tour. L’aventure du visiteur fictif de cette installation s’apparente à l’expérience vécue par le visiteur réel qui contemple les œuvres de J. Sterbak : l’inquiétude côtoie l’irrépressible attraction que provoque chaque nouvelle pièce, et qui invite l’un et l’autre à pénétrer un peu plus l’univers de l’artiste. En 2011, la maison fait place au cosmos : exposé au musée Réattu d’Arles, Planetarium est composé de 15 sphères de verre monumentales créées au Centre international de recherche sur le verre et les arts plastiques de Marseille ; sa forme est inspirée par le geste du souffleur de verre qui, dès sa première expiration, change le magma en sphère et transforme ainsi, dans un geste de démiurge, la matière en planète.

Marie GRIFFAY

Velleitas (catalogue d’exposition), Barcelone/Saint-Étienne, Fundació Antoni Tàpies/Musée d’Art moderne, 1995 ; Jana Sterbak (catalogue d’exposition), Blanch T., Cruz A. (textes), Chicago, MoCA, 1998 ; The Conceptual Object (catalogue d’exposition), Nordal B. (textes), Malmö, Konsthall, 2002 ; From Here to There (catalogue d’exposition), Montréal, Musée d’Art contemporain, 2003 ; De la performance al vídeo (catalogue d’exposition), Moser W. (textes), Vitoria-Gasteiz, Artium, 2006.

STERN, Anne-Lise [BERLIN 1921 - PARIS 2013]

Psychanalyste française.

Née dans une famille juive laïque, Anne-Lise Stern passe son enfance à Mannheim, où son père, psychiatre freudien, pratique la médecine sociale au sein de l’hôpital de la ville. Militant du SPD, il est un moment arrêté avec les sociaux-démocrates du conseil municipal. En mai 1933, la famille émigre en France où A.-L. Stern commence des études de médecine bientôt interrompues par la guerre. Arrêtée sur dénonciation en 1944, elle est déportée à Auschwitz, Bergen-Belsen et Buchenwald. De retour en France en juin 1945, elle étudie la psychologie et se forme à la psychanalyse, d’abord avec Maurice Bouvet, puis Françoise Dolto* et, en 1956, avec Jacques Lacan – le seul, dit-elle, qui « par son retour à Freud a réinventé la psychanalyse dans un monde où Auschwitz avait eu lieu » et qui a pu l’entendre sur les camps. Elle devient membre de l’École freudienne de Paris. De 1953 à 1968, elle travaille à l’hôpital des Enfants-Malades avec Jenny Aubry*. Les enfants hospitalisés, séparés de leurs parents, connaissent une détresse que « le savoir de la déportation permet de comprendre ». Elle travaille quelque temps auprès de jeunes toxicomanes au centre Marmottan avec Claude Olievenstein. Dans son article « Le marché des drogués » (1974), elle rapprochera la déshumanisation de la scène hospitalière de la scène concentrationnaire. Avec l’argent reçu au titre des réparations allemandes, elle fonde à Paris en 1969 avec Renaude Gosset et Pierre Alien le Laboratoire de psychanalyse, qui fonctionnera jusqu’en 1972, passage du Cheval-Blanc, à la Bastille. À partir de 1979, elle organise un séminaire de « Recherche-Témoignage » où elle recueille les traces des non-dits de l’histoire familiale et les effets sur le corps d’une histoire impensable. En 2004, elle rend compte de ce travail analytique et de sa propre expérience dans Le Savoir-déporté, camps, histoire, psychanalyse (prix Œdipe 2005). Portant témoignage dans de nombreuses revues et dans chaque colloque où elle intervient, elle ne laisse pas se creuser l’oubli.

COLLECTIF PSYCHANALYSE ET POLITIQUE

STERN, Daniel VOIR AGOULT, Marie D’

STERN, Grete [ELBERFELD, ALLEMAGNE 1904 - BUENOS AIRES 1999]

Photographe argentine.

Grete Stern interrompt ses études d’art pour s’établir comme graphiste indépendante en 1926. Installée à Berlin en 1927, elle suit les cours privés du photographe Walter Peterhans, dont elle rachète l’équipement quand il part enseigner au Bauhaus. Elle ouvre, avec son amie Ellen Rosenberg Auerbach (1906-2004), un studio photographique, Ringl + Pit, spécialisé dans le portrait et la publicité. Héritières de la rigueur formelle de W. Peterhans, les deux jeunes femmes se jouent des codes traditionnels de la photographie commerciale pour produire des images novatrices et humoristiques. Dès le début, leur travail bénéficie d’une certaine estime au sein de la sphère avant-gardiste et remporte le Premier prix de la deuxième Exposition internationale de la photographie et du cinéma à Bruxelles pour leur affiche Komol, en 1933. L’arrivée d’Hitler au pouvoir interrompt l’activité du studio. G. Stern émigre à Londres, où elle épouse le photographe argentin Horacio Coppola en 1935. Elle réalise, à cette époque, ses portraits les plus saisissants de la communauté d’intellectuels allemands en exil, comme ceux de Bertolt Brecht. En 1936, le couple part en Argentine, où ils lancent un studio de photographie publicitaire et de graphisme, contribuant ainsi à la diffusion de la photographie moderniste européenne sur le continent sud-américain. À partir de 1940, leur maison devient un lieu de création artistique et d’échanges intellectuels, où G  Stern accueille, notamment, la première exposition du groupe Madi en 1945. Entre 1948 et 1951, l’artiste réalise sa fameuse série de photomontages oniriques, Sueños (« rêves »), pour illustrer la rubrique d’interprétation psychanalytique des rêves de la revue féminine Idilio. À la même période, elle est photographe pour le projet d’agencement du plan de Buenos Aires. De 1956 à 1970, elle travaille pour le musée national des Beaux-Arts de la ville. Elle adopte la nationalité argentine en 1958. Dans les années 1960, son intérêt pour les cultures indiennes la conduit à produire divers documentaires photographiques dans la région du Gran Chaco. Plusieurs expositions rétrospectives de son œuvre ont été organisées, entre autres, à Buenos Aires et à Berlin.

Damarice AMAO

Fotografía en la Argentina, 1937-1981, Facio S. (textes), Buenos Aires, La Azotea, 1988 ; Berlin-Buenos Aires (catalogue d’exposition), Besançon, Musée des Beaux-Arts et d’Archéologie, 2008.

STERN, Selma [KIPPENHEIM 1890 - BÂLE 1981]

Historienne américaine d’origine allemande.

Issue d’une famille juive de Baden-Baden, Selma Stern fait des études de philologie et d’histoire à Heidelberg puis à Munich où elle soutient en 1913 une thèse de doctorat sur l’« Orateur du genre humain » Anacharsis Cloots et sur la contribution allemande à la Révolution française. Sa tentative d’habilitation – avec un ouvrage sur le duc de Brunswick, commandant de la coalition antirévolutionnaire – est systématiquement différée par la Faculté, mais le livre est publié en 1921. Historienne « libre » à Francfort, elle écrit alors pour la grande presse et notamment pour la revue Die Frau, mensuel de l’Union des associations féminines allemandes, avant de rejoindre à Berlin l’Akademie für die Wissenschaft des Judentums, institution privée de recherche sur le judaïsme. Elle y travaille sur le fameux « Juif de cour » Süss Oppenheimer, personnage haut en couleur auquel l’écrivain juif Lion Feuchtwanger venait de consacrer une biographie romancée (1925) portée à l’écran en 1940 dans un film de nature antisémite. En 1927, S. Stern se marie avec le directeur de l’Académie, l’historien Eugen Täubler, et se lance dans une vaste enquête sur les rapports entre l’État prussien et les Juifs, enquête qu’elle poursuit jusqu’à sa mort (huit volumes parus). Sous le régime nazi, le couple se réfugie aux États-Unis, où E. Täubler trouve un poste de professeur au Hebrew Union College de Cincinnati. Après la guerre, S. Stern publie un roman, The Spirit Returneth (1946) et, surtout, une grande biographie du porte-parole des Juifs sous Charles Quint (1959), récemment traduite en français sous le titre L’Avocat des Juifs, Les tribulations de Yossel de Rosheim dans l’Europe de Charles Quint (2008).

Peter SCHÖTTLER

SASSENBERG M., Selma Stern (1890–1981), Das Eigene in der Geschichte, Selbstentwürfe und Geschichtsentwürfe einer Historikerin, Tübingen, Mohr-Siebeck, 2004 ; SCHMIDT M., « Selma Stern (1890-1981). Exzentrische Bahnen », in Hahn B. (dir.), Frauen in den Kulturwissenschaften, Von Lou Andreas-Salomé bis Hannah Arendt, Munich, C. H. Beck, 1994.

STETTHEIMER, Florine [ROCHESTER 1871 - NEW YORK 1944]

Peintre américaine.

Née dans une riche famille juive d’origine allemande, Florine Stettheimer n’eut jamais besoin de vendre sa peinture pour vivre. De 1892 à 1895, elle étudie à l’Art Student League de New York sous la direction du peintre et illustrateur Kenyon Cox et de Robert Henri. Admirative de l’œuvre de John Singer Sargent, elle réalise alors des portraits et des natures mortes, plus caractérisés par une volonté de bien faire que par un réel talent. En 1906, elle part avec sa mère et ses deux sœurs Ettie et Carrie pour un séjour de plusieurs années en Europe. Elle étudie dans les académies d’art de Berlin, de Munich et de Stuttgart, découvre le symbolisme de Gustav Klimt et de Ferdinand Hodler, se familiarise avec les œuvres des impressionnistes, des Nabis et des fauves, visite la Biennale de Venise en 1909. En 1914, de retour aux États-Unis, les sœurs ouvrent un Salon qui devient très vite un lieu de rencontre de l’avant-garde artistique. Marcel Duchamp, les peintres Marsden Hartley et Charles Demuth, les photographes Alfred Stieglitz et Edward Steichen, le critique d’art Henry McBride, l’écrivain Carl Van Vechten, tous assistent aux soirées des Stetties, comme on les surnomme alors. Florine peint, Ettie écrit des romans sous le pseudonyme de Henrie Waste, et Carrie consacre sa vie à réaliser une maison de poupée qui contient jusqu’à une galerie d’art avec des reproductions d’œuvres de M. Duchamp (Nu descendant un escalier), d’Elie Nadelman, de Gaston Lachaise et d’Alexander Archipenko, réalisées par les artistes eux-mêmes (1916-1944, Museum of the City of New York). Après l’échec de son unique exposition personnelle dans la galerie Knoedler de New York en 1916, F. Stettheimer s’attache à trouver une manière qui lui soit propre. Durant les soirées organisées chez elle, elle dessine les différents invités puis reprend leurs silhouettes dans de grandes compositions qu’elle nomme, en s’inspirant d’un genre historique de la peinture anglaise, la conversation piece (« scène de conversation » ; ainsi Soiree ou Studio Party, New Haven, Yale University, 1917-1919). Elle représente alors les personnages aplanis, dans des perspectives singulières et avec des couleurs de plus en plus intenses. Au début des années 1920, elle adopte définitivement une manière de peindre originale. Malgré les influences de nouveaux courants, son style qui mêle fausse naïveté et sophistication reste inclassable. Elle peint le monde qui l’entoure. Elle fait le portrait de sa mère, de ses sœurs, de ses amis – M. Duchamp et C. Van Vechten. Elle s’attache à représenter, gardant toujours un regard ironique, les loisirs de la haute société new-yorkaise (Beauty Contest [« concours de beauté »], Hartford, Wadsworth Atheneum, 1924). Certaines œuvres ont un caractère social plus engagé, comme Asbury Park South (Nashville, Fisk University, 1920) qui représente une plage du New Jersey réservée aux Noirs. En 1934, elle connaît son seul succès public de son vivant en réalisant les décors et les costumes de l’opéra de Virgil Thompson sur un livret de Gertrude Stein, Four Saints in Three Acts, qui triomphe au Wadsworth Atheneum Theater à Broadway. Son œuvre la plus importante, sinon la plus connue, reste cependant la série des Cathedrals qu’elle réalise entre 1929 et 1942 (New York, Metropolitan Museum of Art). Dans cette série, elle célèbre sa ville de New York et ses piliers – les loisirs, le pouvoir, l’argent, l’art –, en même temps qu’elle en propose une satire amusée. En 1935, elle installe son atelier dans le très en vogue Beaux-Arts Building sur Bryant Park. Elle continue de peindre et de recevoir, jouant sa vie à l’image de son art. Deux ans après sa mort, une exposition rétrospective est organisée au Whitney Museum of American Art de New York. Remise sur le devant de la scène par les études féministes des années 1980, la peintre est aujourd’hui considérée comme l’une des premières représentantes de l’esthétique camp (« kitsch », « affecté »), telle que définie par Susan Sontag* (« Notes on camp », in Partisan Review, 1964) : un art volontairement kitsch, artificiel et excessif.

Marie GISPERT

Florine Stettheimer : Manhattan Fantastica (catalogue d’exposition), Sussman E., Bloemink B. J (dir.), New York, Whitney Museum of American Art, 1995.

BLOEMINCK B. J., The Life and Art of Florine Stettheimer, New Haven/Londres, Yale University Press, 1995 ; NOCHLIN L., « Florine Stettheimer, une subversive rococo » (« Florine Stettheimer : Rococo Subversive », in Art in America vol. 68, no 7, sept. 1980), in Femmes, art et pouvoir, et autres essais (Women, Art and Power and Others Essays, 1988), Nîmes, J. Chambon, 1993.

STEVENS, Mathilde [BRUXELLES 1833 - PARIS 1886]

Romancière et journaliste belge.

D’origine belge, Mathilde Stevens s’établit à Paris en 1856 avec son mari, Arthur Stevens, critique d’art, marchand de tableaux et ami des peintres de Barbizon. Dans ses articles critiques parus dans le Gil Blas et signés « Jeanne Thilda », elle défend les romans d’auteurs vivement critiqués à l’époque, et publie par ailleurs des chroniques plus légères dans le journal La France. Assumant pleinement l’épithète controversée de « bas-bleu », elle se fait une réputation de femme mondaine et moderne de par ses récits fictifs spirituels et galants. De 1856 jusqu’à sa mort, elle exerce un pouvoir considérable à travers son salon littéraire et politique où elle reçoit des écrivains : Charles Baudelaire, Alexandre Dumas, Gustave Flaubert, Théophile Gautier, Victor Hugo, Joris-Karl Huysmans, Guy de Maupassant, Prosper Mérimée, Frédéric Mistral, Ivan Tourgueniev, Paul Verlaine, Émile Zola ; des compositeurs : Jacques Offenbach, Nikolaï Rimski-Korsakov, et des hommes politiques, tels que Gambetta. Maupassant s’inspira d’elle dans son roman Bel Ami, pour le personnage de Mme Forestier, la femme capable de faire des carrières journalistique et politique.

Wendelin GUENTNER

Impressions d’une femme au Salon de 1859, Paris, A. Bourdillat, 1859 ; Le Oui et le non des femmes, Paris, Michel Lévy Frères, 1862 ; Péchés capiteux, Paris, C. Marpon/E. Flammarion, 1884.

GUENTNER W. (éd.), Women Art Critics in Nineteenth-Century France : Vanishing Acts, Lanham, University of Delaware Press, 2013.

STEVENS, May [DORCHESTER, MASSACHUSETTS 1924]

Peintre et écrivaine américaine.

Née dans une famille ouvrière de la banlieue de Boston, May Stevens est une artiste, poétesse et enseignante, dont l’œuvre fortement engagée, dénonce dans un style réaliste explicite tous les abus de pouvoir, du racisme au sexisme, en passant par l’impérialisme et la guerre. Après avoir mené des études au Massachusetts College of Art and Design de Boston (1946), elle les poursuit en 1948 à New York, où elle rencontre l’artiste Rudolph Baranik, qu’elle épouse la même année et avec qui elle aura un fils. Ils partent à Paris, où elle fréquente l’académie Julian. De retour à New York, en 1951, elle découvre l’expressionnisme abstrait. Tout en participant à des expositions collectives, elle travaille temporairement au Museum of Modern Art, puis commence à enseigner l’histoire de l’art. Le message politique domine dès ses premières œuvres, dont la facture est proche de l’illustration : sur des aplats colorés se détachent des personnages au graphisme épuré ; dans sa série Big Daddy (1967-1976), un bonhomme, personnage récurrent dessiné d’après une photographie de son père, symbolise les discriminations et l’impérialisme de la société américaine (Big Daddy Paper Doll, 1970). La lecture, en 1971, de l’article de Linda Nochlin* « Why have there been no great women artists ? » (Artnews) la conduit à entamer une recherche sur les femmes artistes des temps anciens et à s’investir dans la lutte féministe. Ainsi, sa peinture Soho Women Artists (1978), portrait de groupe en hommage à ces figures, offre une alternative à l’histoire de l’art traditionnellement masculine. En 1977, la peintre contribue à la création de la revue Heresies : A Feminist Publication on Art and Politics, qui entreprend d’analyser l’art et la politique du point de vue féministe. L’écriture, associée à ses peintures (Sea of Words, 1990-1991) ou à des publications, joue toujours un grand rôle dans son travail. Vivant à Santa Fé (Nouveau-Mexique), M. Stevens réalise des œuvres picturales de plus en plus lyriques, constituées de paysages aquatiques.

Fanny DRUGEON

May Stevens, (catalogue d’exposition), Ithaca/New York, Herbert F. Johnson Museum of Art, 1973 ; One Plus or Minus One (catalogue d’exposition), New York, New MoCA, 1988 ; Images of Women Near and Far (catalogue d’exposition), Boston, Museum of Fine Arts, 1999 ; May Stevens (catalogue d’exposition), San Francisco, Pomegranate, 2005.

STEVENS, Nettie Maria [CAVENDISH 1861 - BALTIMORE 1912]

Biologiste américaine.

Issue d’une famille de la classe ouvrière, Nettie Maria Stevens a la possibilité de faire des études, et se révèle brillante. Elle obtient en deux ans seulement (au lieu de quatre) son diplôme d’institutrice au Westfield Normal School, exerce ce métier dix ans durant, puis devient bibliothécaire. En 1896, ayant suffisamment économisé, elle entame un cursus universitaire de biologie à l’université Stanford, avant de poursuivre au Bryn Mawr College où elle se spécialise en cytologie et obtient son doctorat en 1903. Ses recherches, menées avec un talent et une rigueur salués par ses pairs, aboutissent en 1905 à la découverte majeure du rôle des chromosomes sexuels, qu’elle propose d’appeler X et Y, et de l’importance de ce dernier dans la détermination sexuelle. Cette découverte est également attribuée à Edmund Beecher Wilson qui, la même année, arrive indépendamment à des conclusions similaires. N. M. Stevens continue de se consacrer à la recherche avec l’étude de la détermination sexuelle chez de nombreuses espèces d’insectes, apportant ainsi une pièce centrale à l’édifice de la génétique moderne.

Chayma SOLTANI

« Studies in spermatogenesis with special reference to the “accessory chromosome” », Carnegie Institution of Washington Publication, n°36, 1905.

STEVENSON, Anne [CAMBRIDGE 1933]

Poétesse américano-britannique.

Née à Cambridge de parents américains – son père, Charles L. Stevenson, y étudiait avec Wittgenstein et G. L. Moore –, Anne Stevenson fait ses études supérieures à l’université du Michigan, où son père enseigne la philosophie, elle étudie le piano et le violoncelle, puis revient habiter en Angleterre en 1954 où elle se marie avec un ami d’enfance. Peu après, elle divorce, retourne aux États-Unis, se marie une deuxième fois avec un sinologue et revient en Angleterre avec son mari. Elle se lie avec le poète Philip Hobsbawn, menant enfin une vie d’écrivaine dans un milieu d’écrivains. Elle se marie encore deux fois, en 1980 et 1987. En 1974, elle publie Correspondences, suite de lettres versifiées mêlant fiction et souvenirs intimes, espoirs et déplorations. Elle tente d’y exorciser la stricte moralité puritaine dont elle a hérité le sentiment de culpabilité en explorant le lien profond que l’histoire tisse entre les générations, lien imaginatif qui fait surgir des présences mais aussi des absences. A. Stevenson se bat contre le sentiment de perte qui s’insinue dans chacun de ses textes et que semblent contredire une belle musicalité, de fortes cadences, qui ne laissent pas d’étonner chez quelqu’un qui, vers 30 ans, a irrémédiablement perdu l’ouïe. Pour elle, qui aime faire parler des marginaux de toutes sortes, point de nostalgie ou d’apitoiement sur soi : l’approche de la réalité humaine doit être pragmatique, holistique, empreinte d’une ironie salvatrice. Elle est l’auteure de 18 recueils et de nombreux essais de critique littéraire dont une biographie, au demeurant contestée, de Sylvia Plath* et deux études consacrées à Elizabeth Bishop*.

Michel REMY

Ralph Dacre (Ralph Dacre, 1967), Paris, Presses de la Cité, s. d. ; Les Eaux troubles (A Game of Statues, 1972), Paris, J.-C. Lattès, 1975 ; Un portrait pour tout héritage (The French Inheritance, 1974), Paris, Éditions mondiales, 1975.

STEVENS OTIS, Mary [NEW YORK 1928]

Architecte et critique américaine.

De 1945 à 1949, Mary Stevens Otis étudie au Smith College et obtient une licence de philosophie, puis de 1953 à 1956, à l’Institut de technologie du Massachusetts (MIT) dont elle sort licenciée d’architecture. Les années 1956-1957 signent ses débuts avec Walter Gropius (1883-1969) au sein de The Architects Collaborative. Le premier bâtiment qu’elle dessine avec son mari Thomas McNulty (1949), lui aussi diplômé du MIT, est la Lincoln House, Massachusetts (1964-1965, démolie en 1999). Construite pour leur propre famille, celle-ci présente plusieurs innovations : c’est la première maison en béton apparent entièrement coulé sur place. Sa forme élémentaire, courbe et allongée, dessinée comme une œuvre de land art, s’harmonise avec les ondulations du terrain et reflète une nouvelle conception de la famille : sans portes intérieures, mais avec sept portes ouvrant vers l’extérieur, elle est bâtie selon le modèle de rue idéale exposé dans l’ouvrage signé par le couple, World of Variation. Le but est de redéfinir les relations de pouvoir au sein de la famille, en s’éloignant du cadre traditionnel patriarcal et en s’ouvrant à une vision plus démocratique et égalitaire. Toutefois l’habitation offre à la fois des lieux d’interaction et d’intimité, inspirés par ceux de Frank Lloyd Wright. Cette œuvre suscitera deux commandes pour des habitations similaires : la Cabot House à Manchester et la Tof House à Weston, Massachusetts (1972). Avec l’éditeur George Braziller, elle cofonde et dirige, de 1968 à 1972, la collection I Press Series on the Human Environment et publie cinq livres, où architecture et design urbain explorent des solutions alternatives aux pratiques sociales et culturelles des sociétés postindustrielles, dont The Ideal Communist City d’Alexei Gutnov ou Towards a Non-Oppressive Environment d’Alexander Tzonis. Dans les années 1970, elle bénéficie de fonds du National Endowment for the Arts pour sa recherche sur les traditions vernaculaires de l’architecture américaine. Elle utilise cette connaissance pour le projet du centre de musique et de spectacle permanent de la Wolf Trap Foundation à Vienna, Massachusetts, réemployant deux granges du XVIIIe siècle. En 1977, elle fonde puis codirige l’ADPSR (Architects Designers Planners for Social Responsibility), comité interdisciplinaire de la Société des architectes de Boston, pour travailler à des projets de communautés urbaines de la région. Elle prend sa retraite en 1993, mais est encore impliquée dans les projets du groupe activiste Cambridge Somerville for Change, qui contribue à mettre en œuvre le programme de campagne du Président Obama.

Liane LEFAIVRE

Avec MCNULTY T. F., World of Variation, New York, G. Braziller, 1970.

LEFAIVRE L., « Living outside the box. Mary Otis Stevens and Thomas McNulty’s Lincoln House », in Harvard Design Magazine, no 24, printemps-été 2006 ; TORRE S., « Building utopia. Mary Otis Stevens and the Lincoln, Massachusetts, House », in BLOCH A., UMANSKY L. (dir.), Impossible to Hold. Women and Culture in the 1960’s, New York, New York University Press, 2005.

STEWART, Ellen [ALEXANDRIA, LOUISIANE 1919 - NEW YORK 2011]

Metteuse en scène et directrice de théâtre américaine.

Ellen Stewart est l’une des metteurs en scène les plus dynamiques de la scène new-yorkaise aux côtés du Living Theater, avec la création de son théâtre, La MaMa Experimental Theatre Club (La MaMa E.T.C.) en 1961, et une des pionnières du Off-Off-Broadway. Elle-même productrice, performeuse multimédia, adepte du happening, elle accueille tout artiste chez qui elle perçoit une flamme d’avant-garde : Sam Shepard, Elizabeth Swados et Mabou Mines, Meredith Monk*, mais aussi Andrei Serban, Terayama Shūji, Ōno Kazuo et Peter Brook. Elle y reçoit le théâtre noir, étant elle-même afro-américaine, et fonde, entre 1972 et 1980, un théâtre amérindien, l’Institut des arts du tiers-monde, un théâtre asiatique et un théâtre grec. Elle questionne le monde théâtral avec acuité et humour et, grâce à son théâtre et aux nombreuses résidences d’artistes qu’elle a initiées, elle permet à des créations alternatives de voir le jour. Elle ouvre son théâtre à un large public. Elle continue à exercer comme conceptrice de mode pour financer la MaMa. Après de rudes combats, elle réussit à s’imposer aux États-Unis puis en Europe et dans le monde. À l’écoute des femmes, des homosexuels, des minorités, des pays du Sud, ouverte aussi à de multiples expériences théâtrales, elle ne cesse d’apporter un élément de renouveau au théâtre américain, sans jamais se limiter aux cadres restreints imposés aux Afro-Américains.

Christine DOUXAMI

« Ellen Stewart and La Mama », in The Drama Review, vol. 24, no 2, t. 86, été 1980.

ROSENTHAL C., « Ellen Stewart : la Mama of Us All », in The Drama Review, vol. 50, no 2, été 2006.

STHERS, Amanda (Amanda QUEFFÉLEC-MARUANI, dite) [PARIS 1978]

Auteure, scénariste et réalisatrice française.

Nièce de l’écrivain Yann Queffélec, Amanda Sthers a 15 ans quand elle écrit son premier roman. L’éditeur Jean-Marc Roberts l’encourage dans cette voie. Après une maîtrise de lettres modernes, elle écrit 60 épisodes pour la série télévisée très populaire Caméra café. En 2004, elle publie son premier roman, largement autobiographique, Ma place sur la photo. Cette même année, elle épouse le chanteur et comédien Patrick Bruel (ils auront deux enfants et divorceront en 2007). En 2006, elle fait ses débuts d’auteure au théâtre avec Le Vieux Juif blonde – Mélanie Thierry en joue une première version sous la direction de Jacques Weber, Fanny Valette une seconde ; toutes deux remportent un vif succès. Keith Me (2008) est une biographie fantasmée de Keith Richards, des Rolling Stones. La même année, A. Sthers écrit et réalise son premier film, Je vais te manquer, avec Carole Bouquet* et Pierre Arditi. Après avoir publié Les Terres saintes (2010) et Rompre le charme (2012), elle revient à la scène, avec Le Lien (mise en scène de Gérard Gelas, 2012) : frère et sœur entre osmose et conflit sont incarnés par Stanislas Merhar et Chloé Lambert. En 2013, elle rédige l’autobiographie de Johnny Hallyday, Dans mes yeux, dont la franchise provoque des polémiques.

Bruno VILLIEN

Ma place sur la photo, Paris, Grasset, 2004 ; Le Vieux Juif blonde, Paris, Grasset, 2008 ; Les Terres saintes, Paris, Stock, 2010 ; Rompre le charme, Paris, Stock, 2012 ; Le Lien, suivi de Monsieur Pipi, Paris, Flammarion, 2012.

STIERNSTEDT, Marika [UPPSALA 1875 - STOCKHOLM 1954]

Écrivaine suédoise.

Fille d’un officier suédois et d’une comtesse polonaise, Marika Stiernstedt reçoit une formation internationale et maîtrise la langue française dès son plus jeune âge. Son œuvre littéraire comporte une vingtaine de romans et des recueils de nouvelles, souvent construits autour des destinées variées de couples et de portraits psychologiques de femmes. Elle est aussi l’auteure d’un livre pour jeunes filles, Ullabella (1922), qui a connu un grand succès, et de reportages comme Hos hög och låg i Marocko (« dans la haute société et les basses classes au Maroc », 1929) et Ryskt (« Russie », 1935). Catholique dans un pays protestant, elle traite de cette question dans Von Sneckerströms (1924). Les techniques du roman récréatif et à intrigues lui permettent de revendiquer les droits de la femme de façon captivante : elle milite pour que la femme puisse réussir sa vie professionnelle, sa maternité et sa vie sexuelle, par exemple dans Landshövdingens dotter (« la fille du préfet », 1910) et Fröken Liwin (« mademoiselle Liwin », 1925). Elle met en garde ses lectrices contre l’illusion d’un bonheur conventionnel en opposant la réalisation de soi grâce au travail à l’effacement de soi dans le mariage, un sujet qu’elle connaît bien, son troisième et dernier mariage, souvent conflictuel, avec l’auteur Ludvig Norström, ayant duré vingt-cinq ans. À l’automne de sa vie, elle s’intéresse de plus en plus à la politique, et ses idées socialistes se radicalisent. Très tôt, elle réagit de manière ferme et véhémente contre la montée du nazisme. Ses engagements politiques inspirent son écriture : dans le roman Spegling i en skärva (« miroitement dans un éclat », 1936), elle décrit la lutte des partisans contre l’invasion allemande de la Pologne et, dans Attentat à Paris (1943), elle met au centre la Résistance française pendant la Seconde Guerre mondiale.

Kajsa ANDERSSON

Attentat à Paris (Attentat i Paris, 1943), Lausanne, Marguerat, 1944.

FAHLGREN M., Spegling i en skärva, kring Marika Stiernstedts författarliv, Stockholm, Carlsson, 1998 ; WITTROCK U, Marika Stiernstedts, Stockholm, Bonnier, 1959.

STÖCKER, Helene [ELBERFELD 1869 - NEW YORK 1943]

Journaliste et essayiste allemande.

Aînée d’une famille calviniste de huit enfants, Helene Stöcker porte un regard critique sur son éducation bien qu’elle estime lui devoir son sens de la justice et de la charité. Sa mère, affaiblie par la naissance de l’un de ses enfants, lui délègue la gestion de la maison. La jeune fille prend alors conscience de sa condition de femme. Dès sa majorité, elle se rend à Berlin pour étudier, à une époque où les femmes ne sont pas autorisées à passer des examens. Elle étudie la germanistique, les sciences sociales, la philosophie, en particulier les écrits de Friedrich Nietzsche, et obtient son doctorat de philosophie à Berne en 1901. Bas les armes ! , de la baronne Bertha von Suttner*, est une révélation et elle s’inscrit à la Société allemande pour la paix en 1892. Féministe avant-gardiste, elle publie un journal, Die Neue Generation (« la nouvelle génération »), qui prône un modèle inédit de femme, indépendante financièrement, éduquée, et disposant librement de son corps. Rêvant d’un modèle de couple basé sur l’égalité et l’épanouissement de chacun, elle se bat pour l’éducation sexuelle et la dépénalisation de l’avortement et de l’homosexualité. Avec Magnus Hirschfeld, H. Stöcker crée en 1897 le Comité scientifique humanitaire. En 1905, elle fonde l’Union pour la protection des mères et la réforme sexuelle. Quand la Première Guerre mondiale éclate, son combat se focalise sur la paix. Elle participe à la fondation de l’Union des objecteurs de conscience, le Bund der Kriegsdienstgegner, et collabore, en 1915, au Congrès des femmes de La Hague, qui entraîne la création de la Ligue internationale des femmes pour la paix et la liberté (WILPF) en 1919. Membre de l’Office central de droit international, le Zentralstelle Volkerrecht, fondé en 1916 pour éclairer le peuple sur les différents scénarios d’après-guerre, H. Stöcker est à l’initiative de l’Internationale des résistant-es à la guerre (Paco), et contribue également à la Ligue nouvelle patrie, la Bund Neues Vaterland, qui deviendra la Ligue allemande des droits de l’homme en 1922. Lors de l’arrivée des nazis au pouvoir, elle fuit l’Allemagne et se réfugie à New York.

Audrey CANSOT

WICKERT C., Helene Stöcker, 1869-1943, Bonn, Dietz Verlag, 1991.

STOCKFLETH, Maria Katharina [NUREMBERG V. 1634 - MÜNCHBERG 1692]

Femme de lettres allemande.

Fille de diacre, Maria Katharina Frisch épouse en 1653 le prédicateur de la cour et diacre Johann Konrad Hedenus (1619-1665). Cinq enfants sont issus de ce mariage. Veuve à 34 ans, elle est admise sous le pseudonyme de Dorilis dans le Pegnesische Blumenorden (l’Ordre floral des bergers de la Pegnitz). Cet ordre, fondé en 1644, fait partie des sociétés littéraires les plus renommées de l’époque. En 1669, elle se marie avec un membre du cercle des poètes, « Dorus », le théologien protestant Heinrich Arnold Stockfleth. Au cours des années 1669 et 1673, Die Kunst-und Tugend-gezierte Macarie (« la vertueuse et artiste Macarie »), roman pastoral allégorique conçu en commun par les époux, connaît un grand succès. Pour beaucoup de contemporains, c’est elle qui en a fourni la plus grande part. Le personnage central est le berger Polyphilus, issu de la noblesse. Sur son chemin à travers la Thessalie, il doit choisir entre la vertueuse Macarie et la reine Atychintida, entourée de courtisans vicieux – c’est-à-dire entre une utopie arcadienne et des réalités sociales plutôt décevantes. Le monde idyllique pastoral des Stockfleth est un système social d’une structure hiérarchique stricte, basé sur la pensée luthérienne de l’autorité. Les auteurs critiquent l’ambiance agitée des villes et la vie extrêmement raffinée de la cour ; il ne reste que la vie libre des bergers comme possibilité d’échapper aux contraintes sociales. La poétesse, couronnée par l’empereur, compose aussi des Casualcarmina, poésies de louange avec dédicace typiques de l’époque, tout à fait adaptées à l’environnement social spécifique de l’Ordre des fleurs.

Anett LÜTTEKEN

JÜRGENSEN R., Melos conspirant singuli in unum, Repertorium bio-bibliographicum zur Geschichte des Pegnesischen Blumenordens in Nürnberg (1644-1744), Wiesbaden, Harrassowitz, 2006.

MEID V., « Ungleichheit gleich Ordnung, Zu Macarie von Heinrich Arnold und Maria Katharina Stockfleth », in VOSSKAMP W. (dir.), Schäferdichtung, Dokumente des Internationalen Arbeitskreises für Deutsche Barockliteratur 4, Hambourg, Hauswedell, 1977 ; ID., « Stockfleth, Maria Katharina », in KILLY W. (dir.), Literatur-Lexikon, Gütersloh, Bertelsmann, 1991.

STOCKHOLDER, Jessica [SEATTLE 1959]

Sculptrice et artiste multimédia américano-canadienne.

Jessica Stockholder s’installe à Vancouver en 1960 et gardera sa double nationalité, canadienne et américaine, ainsi qu’un penchant pour les paysages de son enfance. Diplômée de l’université de Victoria, elle crée sa première installation en 1983 (My Father’s Backyard) dans l’arrière-cour de la maison de son père, qui lui était apparue comme un rectangle vert et plat, similaire à un tableau, sur le fond duquel elle pouvait intervenir. Comme toutes ses œuvres, le plus souvent in situ, cette création sera détruite et documentée par des photographies. La même année, elle étudie la peinture à l’université Yale puis la sculpture, deux arts qui, pour elle, se confondent. Ses installations sont réalisées avec une gamme de matériaux qui lui est propre (meubles, journaux, tapis, vêtements, plâtre, contreplaqué, éléments métalliques de construction) et un usage très original, en sculpture, de la couleur : brillante, variée, assumée, foisonnante ou partiellement cachée, elle apparaît sous forme de surfaces franches et structure ses créations. Les tissus souvent tendus dans l’espace lui permettent d’établir ce lien, qui fait l’extrême singularité de son travail sculptural, entre peinture et sculpture, bidimensionnalité et tridimensionnalité. « Les vêtement sont comme des peaux sur nos peaux ; les tapis sont comme des peaux sur nos sols ; les murs sont les peaux de nos pièces ; nous voyons la peau extérieure des meubles ; et la peinture agit comme une peau sur toutes ces peaux, y compris celle du mur de la galerie. Toutes ces peaux sont mélangées et tissées ensemble », dit-elle. Ses installations, dont les titres poétiques comportent souvent des gérondifs, telles des œuvres à activer avant qu’elles ne disparaissent, sont de plus en plus monumentales (Recording Forever Pickled, nef du Consortium, 1991) et investissent bientôt l’espace public (Landscape Linoleum, Openluchtmuseum voor beeldhouwkunst Mideelhiem [Anvers], 1998). En 1999, J. Stockholder quitte Brooklyn et rejoint l’université Yale, où elle va diriger le département de sculpture. Plusieurs rétrospectives lui sont consacrées dans les années 2000.

Camille MORINEAU

On the Spending Money Tenderly (catalogue d’exposition), Düsseldorf, K 20 Kunstsammlung Nordrhein-Westfalen, 2002 ; TV Tipped Toe Nails & the Green Salami (catalogue d’exposition), Bordeaux, CAPC-Musée d’Art contemporain, 2003 ; Kissing the Wall : Works, 1988-2003 (catalogue d’exposition), Carruthers E., Kwan M. (textes), Houston/Greensboro, Blaffer Gallery/Weatherspoon Art Museum, 2004.

STÖCKL, Ula [ULM 1938]

Scénariste, productrice, réalisatrice et metteuse en scène allemande.

Tout d’abord secrétaire et traductrice, Ula Stöckl commence des études de cinéma en 1963. Après quelques courts-métrages, elle réalise en 1968 Neun Leben hat die Katze (« le chat a neuf vies »), sur la situation des femmes en RFA, et fonde sa propre société de production, devenant ainsi une des premières réalisatrices indépendantes du pays. En 1969, la FSK (organisme de contrôle du cinéma) exige des coupes dans son film Geschichten vom Kübelkind (« histoires de l’enfant à la poubelle », coréalisé avec Edgar Reitz) pour blasphème et obscénité, ce qui lui crée des difficultés pour financer ses projets suivants. Elle écrit et réalise alors pour la télévision, principalement des sujets sur la vie quotidienne des femmes et des adolescentes – dont Erikas Leidenschaften (« les passions d’Erika », 1976). Ce n’est qu’en 1983 qu’elle trouve le financement pour un autre film, Le Sommeil de la raison (Der Schlaf der Vernunft, 1984), qui traite des conflits d’une femme en crise et lui vaut le Prix de la critique allemande. En 1992, elle réalise Das alte Lied (« la chanson éternelle ») sur la réunification de l’Allemagne. Depuis 1974, elle dirige un petit théâtre à Francfort-sur-le-Main et donne des cours dans différentes universités. Elle collabore également au Festival de films de femmes de Créteil et à la Berlinale.

Sarah DELLMANN

STOJADINOVIĆ SRPKINJA, Milica [BUKOVAC, VOÏVODINE V. 1828 - BELGRADE 1878]

Écrivaine serbe.

Première femme serbe à participer activement à la vie littéraire, Milica Stojadinović Srpkinja était polyglotte : elle parlait couramment l’allemand et le slovaque, et a étudié l’italien et le français. Passionnée de Goethe – qu’elle a traduit assidûment –, de Salomon Gessner, de Johann Herder et de Friedrich Klopstock, elle appréciait particulièrement lord Byron, Schiller et les poètes serbes de l’époque du classicisme et du romantisme : Jovan Sterija Popović, Branko Radičević et Petar Petrović Njegoš. À l’heure des révolutions nationales, en 1848, elle a voulu se rendre sur le front. En juillet 1862, elle part pour Belgrade, alors sous le feu de l’armée ottomane. Sur cet événement, elle rédige un rapport qui s’avère être le premier texte d’une femme « correspondante de guerre ». En 1851 et en 1854, elle réside à Vienne et fréquente le réformateur de la langue et de l’orthographe serbe, l’écrivain, ethnologue et docteur honoris causa de l’université d’Iéna, Vuk Stefanović Karadžić. Elle a publié trois livres de poésies patriotiques en 1850, en 1855 et en 1869. Très bien accueillis à leur publication, ces ouvrages furent sévèrement jugés par les critiques de la génération suivante, avant d’être définitivement oubliés. Aujourd’hui, l’attention du public est surtout captée par son journal intime et sa riche correspondance avec des écrivains : V. Karadžić, de 1849 à 1863, Mina Karadžić de 1849 à 1873 et Ludwig August Frankl von Hochwart de 1851 à 1854. Rédigé après son deuxième séjour à Vienne, en 1854, son journal, U Fruškoj Gori 1854 (« à la Fruška Gora 1854 »), a été publié en trois volumes : en 1861 à Novi Sad, en 1862 à Zemun et en 1866 de nouveau à Novi Sad. Précieux témoignage sur la formation d’une femme serbe cultivée, on y trouve des réflexions sur les idéaux romantiques. Il contient par ailleurs de nombreuses lettres, poèmes, notes et observations sur les coutumes populaires, la nature et le patriotisme, des traductions et des commentaires d’œuvres. L’auteure s’interroge également sur la position de la femme écrivaine. Ses réflexions ont eu une grande influence sur l’émancipation des femmes créatrices en Serbie.

Aleksandar JERKOV

SKERLIĆ J., « Milica Stojadinović-Srpkinja, književna slika », in Spomenica Milice Stojadinović-Srpkinje, Belgrade, Dositije Obradović, 1907.

STOJAKOVIĆ, Jadranka [SARAJEVO 1950]

Chanteuse, auteure et compositrice bosnienne.

Passant par la variété, le jazz et la country, Jadranka Stojaković s’est fait connaître en mettant en musique les vers des poètes Aleksa Santić et Desanka Maksimović, et en composant et interprétant le thème de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Sarajevo, en 1984. S’accompagnant à la guitare acoustique, elle a donné une nouvelle vie aux chansons traditionnelles bosniaques, les sevdalinkas. Depuis 1989, elle vit au Japon, où elle a enregistré plusieurs disques en japonais.

Dragana TOMAŠEVIČ

STOJANOVA, Milica [KRIVA PALANKA 1932]

Actrice macédonienne.

Venue à Skopje en 1948 pour apprendre à jouer à l’école de théâtre d’État, Milica Stojanova choisit un rôle d’homme pour son examen d’entrée et fait ses débuts sur la scène en 1949 comme étudiante et en 1953 comme professionnelle, au Théâtre national de Macédoine (MNT) en tenant aussi des rôles masculins. Une fois diplômée, elle travaille à des productions de théâtre radiophonique à Skopje, et, en plus de cinquante-cinq ans de carrière, elle tient quelque 3 000 rôles à la radio. Elle apparaît aussi dans 26 pièces à la télévision, dans 16 séries télévisées et dans neuf longs métrages. Ses premiers rôles à succès sur la scène sont ceux d’Anne Frank, dans la pièce de Frances Goodrich et Albert Hackett, et celui de María Josefa dans La Maison de Bernarda de Federico García Lorca au MNT. En 1964, elle s’installe au Théâtre dramatique de Skopje (DTS). Ses principaux rôles : Eliza Doolittle dans Pygmalion de George Bernard Shaw, Jocaste dans Œdipe roi de Sophocle, Cassandre dans l’adaptation de Jean-Paul Sartre des Troyennes d’Euripide, Philaminte dans Les Femmes savantes de Molière, Chimène dans Le Cid de Corneille, Halie dans Burried Child de Sam Shepard. Elle interprète également des rôles dans des pièces macédoniennes. En 1973, elle reçoit, entre autres nombreuses récompenses, un prix pour son rôle, tenu à la perfection, de Béatrice Hunsdorfer dans De l’influence des rayons gamma sur le comportement des marguerites de Paul Zindel. Le jeu de M. Stojanova est caractérisé par une introspection tendue et par une proverbiale capacité de métamorphose. Les critiques lui prêtent un pouvoir hypnotique sur le public.

Ivan DODOVSKI

STOJČEVSKA-ANTIĆ, Vera [BITOLA 1939]

Historienne et théoricienne de la littérature macédonienne.

À la fin de ses études supérieures de philologie à Skopje, en littérature des peuples de Yougoslavie (1963), Vera Stojčevska-Antić devient assistante et prépare un doctorat sur la littérature macédonienne du Moyen Âge (1974). Elle est maître de conférences puis professeure à la faculté de philologie Blaže Koneski, au département de la littérature macédonienne du Moyen Âge. Directrice de ce département, puis rectrice adjointe chargée des relations internationales de l’université Saints-Cyrille-et-Méthode de Skopje, elle a été également directrice de l’Institut de la littérature macédonienne de Skopje, rédactrice en chef et directrice des revues Literaturen Zbor, Spektar, Godišen Zbornik na Filološkiot Fakultet, et membre d’honneur de l’Association des écrivains macédoniens et de nombreuses autres associations culturelles. De 1989 à 2004, elle est le premier membre de la République de Macédoine élu dans l’Association américaine de slavistique. Elle y développe une intense activité scientifique qui débouchera sur six publications d’actes des conférences bilatérales en anglais et en macédonien. Elle a été invitée à donner des cours et des conférences dans de nombreuses universités étrangères et a participé, durant quarante années, au séminaire de langue, littérature et culture macédoniennes à Ohrid avec des conférences sur la littérature du Moyen Âge macédonien. Elle a été membre du conseil de l’assemblée de la ville de Skopje durant un mandat. V. Stojčevska-Antić est l’auteure de plus de 600 articles publiés en Macédoine et à l’étranger et de 60 ouvrages. Elle est considérée comme une éminente spécialiste de la littérature du Moyen Âge macédonien.

Frosa PEJOSKA-BOUCHEREAU

Makedonska enciklopedija kniga II, Skopje, Manu/Leksikografskiot centar, 2009.

STOJKA, Ceija [KRAUBATH AN DER MUR 1933 - VIENNE 2013]

Écrivaine et peintre autrichienne.

D’une famille romani autrichienne – son père était marchand itinérant de chevaux –, Ceija Stojka, d’expression allemande et romani, a été confrontée dès son plus jeune âge au nazisme et au génocide du peuple rom, ou Samudaripen. Déportée, elle a survécu à Auschwitz puis à Bergen-Belsen tandis que son père et la quasi-totalité de sa famille furent exterminés. Cette tragédie a été fondatrice de son activité de créatrice, même s’il fallut plus de quarante ans pour qu’elle parvienne à surmonter les tourments intérieurs qui l’enfermaient dans le silence. C’est en constatant la force du négationnisme autrichien face au Samudaripen qu’elle écrivit son premier livre, des mémoires de déportation : Wir leben im Verborgenen, Erinnerungen einer Rom-Zigeunerin (« nous vivons cachés, souvenirs d’une femme rom »), publié à Vienne en 1988. Ce fut le premier livre écrit par un survivant rom de ce génocide. À vrai dire, la petite fille de dix ans qui s’était vu tatouer le numéro Z6399 sur le bras ne pouvait, devenue adulte, tolérer la volonté politique d’escamoter les années les plus indignes de l’histoire. Elle publia ensuite plusieurs volumes, dont un de poésie, bilingue : O fàlo te iskiriv – me ći зanav les/Meine Wahl zu schreiben – ich kann es nicht (« mon choix d’écrire – je ne le connais pas »). Toutefois pour la création en romani, elle a préféré la voix, comme dans ce CD audio Me dikhlem suno (« j’ai fait un rêve ») en 2004. Elle est également connue pour ses conférences non seulement sur le génocide, mais aussi sur sa fierté des origines indiennes du peuple rom, sur la richesse de la tradition et de la culture des Roms ou encore sur le refus des injustices. Peintre autodidacte, elle a exprimé d’un pinceau naïf sa vision de la vie romani du passé, mais aussi les atrocités de la guerre et de l’extermination. Ses deux frères, Karl et Mongo, sont aussi écrivains. C. Stojka a fait l’objet de deux films, réalisés par Karin Berger : Ceija Stojka, Das Porträt einer Romni (« Ceija Stojka, portrait d’une Romni ») en 2001 puis Unter den Brettern hellgrünes Gras (« sous le plancher l’herbe vert clair ») en 2005.

Marcel COURTHIADE

STOLBERG, Louise DE (comtesse D’ALBANY) [MONS 1752 - FLORENCE 1824]

Femme de lettres belge.

Issue d’une famille noble, en 1771, Louise de Stolberg épouse Charles-Édouard Stuart, prétendant au trône d’Angleterre. En 1772, le couple s’établit à Rome où la jeune femme reçoit le surnom de « Reine des Cœurs », puis à Florence où, en 1777, elle rencontre le comte piémontais et poète tragique Vittorio Alfieri, avec lequel elle entretient une liaison. En 1780, avec la complicité du gouvernement toscan, elle quitte son mari, devenu alcoolique, et demande la protection de son beau-frère Henri Benoît Stuart, le cardinal de York, qui l’accueille à Rome. V. Alfieri la suit, mais, en 1783, il doit abandonner la ville, car leur liaison fait scandale. Grâce à l’intervention du roi de Suède, Gustave III, la comtesse obtient la séparation légale d’avec son mari et se rend à Paris, où elle demeure jusqu’en 1792 avec V. Alfieri. En France, elle ouvre un salon fréquenté par David, Beaumarchais, Necker, Joséphine de Beauharnais, Mme de Staël*, Malesherbes, entre autres. De retour à Florence, elle continue d’animer ce salon dans un esprit antinapoléonien. Elle y accueille les hommes de lettres et les artistes les plus célèbres de l’époque, dont le peintre François Xavier Fabre, élève de David, qui devient son amant et qui reste à ses côtés après la mort de V. Alfieri en 1803, contribuant avec elle à perpétuer la mémoire de l’œuvre du grand écrivain. Malgré la censure, la comtesse fait éditer les ouvrages posthumes de V. Alfieri.

Vincenza PERDICHIZZI

DE LACRETELLES A., La comtesse d’Albany, une égérie européenne, Paris, Éditions du Rocher, 2008 ; PELLEGRINI C., La contessa d’Albany e il salotto del Lungarno, Naples, Edizioni scientifiche italiane, 1951.

STOLCKE, Verena [DESSAU 1938]

Anthropologue espagnole.

Née en Allemagne peu avant la Seconde Guerre mondiale, émigrée en Argentine, Verena Stolcke revient en Europe travailler comme secrétaire multilingue à Munich. À 22 ans, elle s’engage comme assistante de recherche à l’université Stanford, puis entame sa formation en anthropologie à l’université d’Oxford. En 1967, elle part pour Cuba faire sa thèse de doctorat : Marriage, Class and Colour in Nineteenth Century Cuba (1974). Elle y analyse les pratiques matrimoniales pendant la période coloniale, en examinant l’influence des questions raciales sur le contrôle des femmes et la reproduction sociale. En 1973, engagée dans une production théorique féministe, elle participe à la fondation du département d’anthropologie de l’Universidade Estadual de Campinas, au Brésil. Elle y entame une nouvelle recherche avec des femmes agricultrices « exploitées » dans une plantation de café. Son étude, centrée sur l’écoute de leurs histoires de vie, met en lumière la grande proximité entre rapports de production, sexe et moralité familiale. V. Stolcke y montre comment les différentes articulations entre sexe et classe sociale produisent des formes particulières de soumission féminine. En 1979, après la fin du franquisme, elle emménage avec sa famille à Barcelone et intègre le département d’anthropologie de l’Universidad autonóma de Barcelona. Ses recherches se concentrent sur la question des identités nationales après la reconfiguration des frontières européennes et l’apparition des nouveaux discours politiques sur l’immigration. Dans les années 1990, elle mène des recherches sur les biotechnologies et la procréation médicalement assistée, apportant une contribution inédite à l’étude des nouvelles formes d’eugénisme dans les sociétés occidentales.

Elixabete IMAZ et Miriam GROSSI

Cafeicultura : homens, mulheres e capital (1850-1980), São Paulo, Brasiliense, 1986 ; « Is sex to gender as race is to ethnicity ? », in DEL VALLE T. (dir.), Gendered Anthropology, Londres, Routledge, 1993 ; « Homo clonicus ? El sexo de la biotecnología », in DURÁN A., RIECHMANN J. (dir.), Genes en el laboratorio y en la fábrica, Madrid, Editorial Trotta, 1998.

STOLK, Gloria [CARACAS 1912 - ID. 1979]

Écrivaine vénézuélienne.

Gloria Pinedo de Marchena a écrit sous différents pseudonymes, mais c’est celui de Gloria Stolk qu’a retenu la postérité. Après des études au Venezuela, elle termine sa formation en France puis aux États-Unis. Elle revient au Venezuela quand la dictature du colonel Pérez Jiménez (1948-1958) suspend les libertés récemment acquises, notamment le suffrage universel et le plein exercice de leurs droits pour les femmes. G. Stolk est journaliste dans plusieurs quotidiens et dans des revues vénézuéliennes comme Élite et Páginas (« pages »), ou internationales comme Meridiano (publiée au Chili). En 1950, elle publie son premier recueil de poésie, Rescate y otros poemas (« sauvetage et autres poèmes »), ainsi que son premier roman, Diamela, suivi trois ans plus tard de Bela Vegas. Dans Catorce lecciones de belleza, manual para jóvenes, (« quatorze leçons de beauté, manuel pour la jeunesse », 1953), elle tente de convaincre les femmes du rôle capital qu’elles peuvent jouer en assumant le lien entre activités intellectuelles (traditionnellement masculines) et activités domestiques, et elle affirme la nécessité de leur indépendance. Son discours ouvre une voie alternative au féminisme radical de Teresa de la Parra*, laissant aux femmes la liberté de choisir l’univers traditionnel (le mariage, la maternité) ou d’innover. En 1957, elle est récompensée du prix Arístides-Rojas pour son troisième roman, Amargo el fondo (« fond amer »). Dès le retour de la démocratie, en 1958, elle déploie une intense activité politique et culturelle : elle préside l’Institut de la culture et des beaux-arts, puis est nommée ambassadrice à Saint-Domingue, en République dominicaine. C’est alors qu’elle écrit son recueil de nouvelles le plus apprécié : Cuentos del Caribe (« contes des Caraïbes », 1975), recueil sensuel et poétique où la mer occupe une place centrale, et où les légendes sont racontées par des personnages fous, errants ou déclassés, et imprégnées de fantastique.

Yaël WEISS

RIVAS ROJAS R., « La narrativa de Gloria Stolk, cambio cultural y función del intelectual femenino en tiempos de dictadura », in Núcleo, vol. 17, no 22, déc. 2005.

STOLLBERG-RILINGER, Barbara [BERGISCH GLADBACH, ALLEMAGNE 1955]

Historienne allemande.

Parmi les historiens allemands de l’époque moderne (XVIe-XVIIIe siècles), Barbara Stollberg-Rilinger est sans doute la plus influente en ce début de XXIe siècle. Elle est parvenue en effet à réconcilier plusieurs tendances de la recherche qui semblaient antagonistes. D’une part, elle a appliqué les méthodes de l’histoire culturelle (en particulier l’étude des rituels, des procédures et des langages symboliques) au politique, « cœur de métier » des historiens allemands, et a proposé ainsi une relecture des pensées de l’État et de l’histoire des prises de décision. D’autre part, elle a surmonté la dichotomie, encore dominante dans les années 1990, entre l’histoire des principautés territoriales allemandes (comme par exemple la Prusse, la Saxe, la Bavière) longtemps tenues pour seules vectrices de la modernité étatique, et celle du Saint-Empire comme forme politique spécifique, en montrant comment les deux étaient intrinsèquement liées. Ses travaux, consacrés aux métaphores de l’État, aux formes de représentations politiques et au langage symbolique de l’Empire, ont obtenu un écho au-delà du cercle étroit des historiens professionnels (en particulier son ouvrage Les Vieux Habits de l’empereur), et permettent à cette historienne – un féminin encore rare parmi les professeurs allemands – d’exercer une influence majeure sur son domaine de recherche. Elle a obtenu en 2005 le prix Leibniz, la plus prestigieuse récompense scientifique allemande.

Christophe DUHAMELLE

Les Vieux Habits de l’empereur (Des Kaisers alte Kleider, 2008), Paris, MSH, 2013.

STOLZER-SEGAL, Judith [PRISCHIB, RUSSIE 1904 - MUNICH 1990]

Architecte allemande.

Arrivée en Allemagne l’année de sa naissance, Judith Segal passe son enfance à Berlin. Cependant la famille doit retourner en Lituanie, son pays d’origine, lorsque la Première Guerre mondiale éclate. Après avoir obtenu son baccalauréat au lycée hébraïque de Kovno (aujourd’hui Kaunas), elle part pour Danzig (aujourd’hui Gdánsk) où elle obtient un diplôme d’architecte à l’École supérieure technique, en 1929. Elle travaille alors dans diverses agences d’architecture, dont celle de Leo Nachtlicht (1872-1942) à Berlin et est employée jusqu’à la fin de 1931 par la communauté juive de cette ville. En 1932, elle travaille en association avec Arthur Megies et Max Sinjen, mais on ne lui connaît aucune réalisation de ces années de pratique professionnelle. Après la prise de pouvoir du parti national-socialiste, en 1933, elle est brièvement emprisonnée comme sympathisante communiste et, à sa sortie de prison, émigre en Palestine. Elle peut y réaliser son œuvre : elle construit des maisons particulières, dont une à Tel-Aviv (1933) et la maison Stein (Rishon-le-Zion 1934), et est par la suite lauréate de deux concours pour des lotissements à Tel-Aviv, dont un seul, Kiryat Meir, est achevé en 1937. Organisé selon le principe de la cité-jardin, distribuant sept paires d’immeubles de trois étages de part et d’autre d’une rue intérieure, son plan est loué par la presse professionnelle. L’œuvre la plus remarquable de l’architecte est la Grande Synagogue d’Hadera (1936-1941) : avec son allure de fortification moderne, dotée d’une tour centrale, d’entrées voûtées et de baies en demi-cercle, elle est la première synagogue construite dans le pays par une femme architecte, ce qui suscite quelques réticences de la part des rabbins. En 1941, elle épouse l’architecte hongrois Eugen Stolzer (1886-1958), avec lequel elle construit la Maison des syndicats de Jérusalem (1950-1957). En 1957, le couple quitte Israël pour l’Allemagne, où J. Stolzer-Segal n’exercera plus en tant qu’architecte.

Ines SONDER

WARHAFTIG M., Sie legten den Grundstein. Leben und Wirken deutschsprachiger jüdischer Architekten in Palästina 1918-1948, Tübingen/Berlin, E. Wasmuth, 1996 ; ID., Deutsche jüdische Architekten vor und nach 1933. Das Lexikon, Berlin, D. Reimer, 2005.

STONE, Miriam VOIR HARWOOD, Gwen

STONE, Ruth [ROANOKE 1915 - RIPTON, VERMONT 2011]

Poétesse américaine.

Née en Virginie d’un père musicien, Roger McDowell Perkins, et d’une mère poétesse et peintre, Ruth Ferguson Perkins, Ruth Stone, auteure de 13 recueils de poésie, n’a connu qu’une reconnaissance tardive. Son premier volume de vers, In an Iridescent Time (« dans un temps irisé »), paraît en 1959 et révèle une artiste à la technique narrative très travaillée, sous une apparente simplicité, et à la langue très épurée. La même année, son mari, le professeur Walter Stone, se suicide, et elle doit élever seule ses trois enfants : durant cette période d’errance et de difficultés, à laquelle font allusion certains de ses poèmes, son écriture acquiert la profondeur et l’audace qui lui resteront propres. Pendant vingt ans, elle enseigne dans plusieurs universités, et, pour finir, à l’université de Binghamton dans l’État de New York. En juillet 2007, elle est nommée poète lauréat du Vermont. Son profond intérêt pour les sciences (physique, biologie, botanique, astronomie) transparaît dans son recours au langage et aux images des sciences naturelles : descriptions naturalistes, évocation du ciel bleu mais aussi du trou de la couche d’ozone, relations entre les êtres pensées en termes de particules et de photons. Elle suggère ainsi une interaction continue entre la science et une forme d’intellect non scientifique. Elle affectionne les thèmes graves, comme la vieillesse, la mort ou la pauvreté, tout en donnant à ses poèmes un ton lyrique, enjoué et une grande musicalité. Se dissimulant sous un rythme de comptines et derrière des paroles concises, la poétesse séduit le lecteur par un ton faussement conversationnel qui se durcit dans l’intelligence du trait final. R. Stone a reçu de nombreuses récompenses et distinctions, dont le National Book Critics Circle Award pour Ordinary Words (1999) et le National Book Award pour son recueil In the Next Galaxy (2002).

Beatrix PERNELLE

BARKER W., GILBERT S. M. (dir.), The House Is Made of Poetry : The Art of Ruth Stone, Carbondale, Southern Illinois University Press, 1996 ; FIEDLER L. A., Waiting for the End, New York, Stein & Day, 1964 ; GWYNN R. S., American Poets Since World War II. Second Series, Detroit, Gale Research, 1991.

STONE, Sharon [MEADVILLE, PENNSYLVANIE 1958]

Actrice américaine.

Élue Miss Pennsylvanie à 17 ans, Sharon Stone s’installe à New York, devenant mannequin international. Sa beauté blonde et patricienne attire l’attention de Woody Allen, mais il ne lui propose qu’une fugitive apparition dans Stardust Memories (1980). L’année suivante, Claude Lelouch agit de même pour Les Uns et les Autres. Dix ans se passent dans des séries B, avant que l’actrice ne fasse sensation avec Total Recall (Paul Verhoven, 1990). Deux ans plus tard, du même réalisateur, Basic Instinct remporte un succès de scandale planétaire. En 1995, dans Casino (Martin Scorsese), S. Stone démontre ses talents d’actrice en droguée destructrice. Mais, même avec un cinéaste chevronné comme Sidney Lumet (Gloria, 1999), elle ne retrouve pas le succès. Catwoman (Pitof, 2004) n’attire pas non plus le public. Cependant, l’année suivante, dans Broken Flowers, film choral de Jim Jarmusch, avec Julie Delpy, la comédienne montre sa sensibilité. Elle se tourne vers la télévision, participant à des séries à succès : The Practice ; New York, unité spéciale. Elle est très impliquée dans les organisations de lutte contre le sida. Deux fois divorcée, elle a trois fils adoptifs.

Bruno VILLIEN

STORNI, Alfonsina [SALA CAPRIASCA, AUJ. CAPRIASCA, SUISSE 1892 - MAR DEL PLATA 1938]

Écrivaine argentine.

Après avoir vécu dans plusieurs villes de la province argentine avec ses parents, Alfonsina Storni s’installe seule à Rosario à 20 ans, enceinte de son fils. Sans ressources, elle occupe des emplois typiquement féminins : ouvrière dans le textile, secrétaire, vendeuse et enseignante. Ces expériences lui permettent de développer un regard critique sur la subjectivité féminine qui se révèle dans ses chroniques : « Feminidades » dans la revue La Nota et « Bocetos femeninos » (« esquisses féminines ») dans le quotidien La Nación. Elle intègre les milieux intellectuels grâce à la revue littéraire Nosotros (« nous »), qui publie ses poèmes. En raison de son esthétique héritée du modernisme, notamment dans La inquietud del rosal (« l’inquiétude du rosier », 1916) ou El dulce daño (« le doux mal », 1918), certains membres de l’avant-garde trouvent ses poèmes désuets. Les nombreux récits qui la mettent en scène dans les salons littéraires de l’époque témoignent de son attitude provocatrice face à la norme sociale. Cela transparaît aussi dans sa poésie, avec le recueil Languidez (« langueur », 1920), lauréat de plusieurs prix, où une voix intérieure lutte face aux stéréotypes féminins, et le recueil Ocre (1925), où la voix poétique déambule au hasard des rues avec un style ironique et incisif. Dans sa pièce de théâtre satirique Dos mujeres (« deux femmes », 1927), elle oppose soumission et transgression. Elle se rapproche également d’organisations féministes et d’écrivaines telles que Gabriela Mistral* ou Juana de Ibarbourou*. Avec Mundo de siete pozos (« monde aux sept puits », 1935), installée dans l’esthétique avant-gardiste, elle s’essaie au sonnet et au vers libre, à la première personne et à la description impersonnelle. Dans Mascarilla y trébol (« masque et trèfle », 1938), une vision pessimiste et désillusionnée s’impose par des références constantes à la mort, prélude à sa propre fin. Malade, elle se suicide après avoir fait ses adieux dans le poème « Voy a dormir » (« je vais dormir »). Sa vie et sa mort ont alimenté des mythes diffusés par l’industrie culturelle au travers de films, de biographies et de chansons.

Tania DIZ

SALOMONE A., Alfonsina Storni, mujeres, modernidad y literatura, Buenos Aires, Corregidor, 2006.

STOTT, Alicia BOOLE [PRÈS DE CORK 1860 - HIGHGATE 1940]

Mathématicienne britannique.

Troisième fille du mathématicien George Boole et de Mary Everest Boole*, Alicia Boole Stott a 5 ans lorsque son père meurt. Elle passe ses premières années en Angleterre et rejoint, à 11 ans, avec ses quatre sœurs, dans un sordide meublé de Londres, sans possibilité d’éducation décente, sa mère, devenue secrétaire de James Hinton. Le fils de celui-ci, le futur mathématicien Charles Howard Hinton, apporte une série de cubes de bois sur lesquels figurent des mots latins, et fait apprendre par cœur aux enfants les séries arbitraires formées de l’empilement aléatoire des cubes. Pour A. B. Stott, c’est la compréhension de la quatrième dimension. À partir de 1885, elle se passionne pour le sujet, retrouve, seule, les six polyèdres réguliers de la dimension 4 puis établit les sections de ceux-ci sans connaître les travaux en cours sur le sujet. À force de travail, elle finit par acquérir la faculté extraordinaire de ressentir l’espace à quatre dimensions. En 1889, elle accepte un travail de secrétaire près de Liverpool. Elle rencontre alors Walter Stott, un actuaire, qu’elle épouse en 1890. Passionnée d’hyperespace, une fois ses enfants couchés, elle calcule, dessine, construit des polyèdres. Vers 1895 aux Pays-Bas, Pieter-Hendrik Schoute publie une description des sections centrales des polytopes réguliers. A. B. Stott lui écrit pour lui dire qu’elle a déjà déterminé certaines sections, qu’elle les confirme, et elle lui envoie des photographies des modèles en carton qu’elle a fabriqués. C’est le début d’une collaboration, essentiellement épistolaire, qui s’arrête avec le décès de P.-H. Shoute en 1913. Celui-ci l’avait incitée à publier ses travaux à Amsterdam, ce qu’elle fait en 1900 et 1910. Dans la publication de 1900, elle décrit les sections, par des méthodes géométriques extrêmement élégantes, des polytopes réguliers, et utilise pour la première fois le mot « polytope », qu’elle forge pour désigner les polyèdres convexes de la dimension supérieure à 4. Dans la publication de 1910, elle invente une méthode révolutionnaire, permettant de construire les polyèdres (tridimensionnels) archimédiens. Ses méthodes sont très personnelles, pour la simple raison qu’elle n’a jamais vraiment appris la géométrie analytique. Appliquant sa méthode à la dimension 4, elle donne une liste pratiquement exhaustive des polytopes archimédiens. Docteur honoris causa de l’université de Groningue en 1914, elle ne reprend ses activités mathématiques qu’en 1930, quand son neveu, le grand mathématicien Geoffrey Ingram Taylor, la présente à Harold Scott MacDonald Coxeter, alors âgé de 23 ans. Cette nouvelle collaboration est très fructueuse. H. S. M. Coxeter écrira une biographie d’elle dans laquelle il insiste sur son incroyable capacité à visualiser la quatrième dimension. N’ayant pas eu le souci de publier ses travaux, elle a sûrement été plus productive que ce que laissent entendre les ouvrages de P.-H. Schoute et de H. S. M. Coxeter. Aujourd’hui elle reste bien vivante au travers de ses nombreux dessins et modèles qui montrent aux yeux de tous la beauté des mathématiques.

Jean-Jacques DUPAS

« On certain series of sections of the regular four-dimensional hypersolids », in Verhandelingen der Koninklijke Akademie van Wetenschappen te Amsterdam, vol. 7, North-Holland Publishing Company, 1900 ; « Geometrical deduction of semiregular from regular polytopes and space fillings », in Verhandelingender Koninklijke Akademie van Wetenschappen te Amsterdam, vol.11, North-Holland Publishing Company, 1910.

COXETER H. S. M., « Alicia Boole Stott (1860-1940) », in Women of Mathematics, A Bio-Bibliographic Sourcebook, New York, Greenwood Press ; POLO-BLANCO I., « Alicia Boole Stott, a geometer in higher dimension », in Historia Mathematica, vol35, 2008.

STOWE, Emily (née JENNINGS) [CANTON DE NORWICH 1831 - TORONTO 1903]

Médecin canadienne.

Première femme à exercer la médecine au Canada, Emily Stowe lutta toute sa vie pour le droit des femmes. Première de six filles, elle est née dans une ferme de Norwich, dans l’Ontario, d’un père méthodiste et d’une mère fille de quaker, qui instruisit elle-même ses filles à la maison. À l’âge de 15 ans, elle devient institutrice dans une école à Summerville. Elle y enseigne pendant sept ans, après quoi elle cherche à entrer au Victoria College à Cobourg, mais sa demande est rejetée. C’est après cette humiliation qu’elle commence sa lutte pour l’égalité des femmes. Acceptée à l’École normale de Toronto, la seule école supérieure ouverte aux femmes, elle est diplômée en 1854. Elle est la première femme directrice de la Central School à Brantford, Ontario, poste qu’elle garde jusqu’à son mariage avec John Stowe en 1856. Elle a trois enfants en sept ans. La tuberculose dont est atteint son mari lui fait reconsidérer sa carrière et se diriger vers la médecine. Elle est refusée à l’école de médecine de Toronto et en est très affectée. Ce refus la persuade une fois de plus de la nécessité de militer pour le droit des femmes à accéder aux études supérieures. Elle part alors pour le New York Medical College for Women. Son diplôme de médecine obtenu en 1867, elle retourne au Canada où elle pratique l’homéopathie à Toronto. Cependant, quand il devient obligatoire d’avoir fait des études de médecine au Canada pour y exercer, elle se heurte à la même impossibilité d’inscription à l’université de Toronto. Ce n’est qu’en 1871, à 40 ans, qu’elle est autorisée, avec une autre femme, Jenny Trout, à entrer à l’école de médecine avec un arrangement particulier pour elles deux. J. Trout fut la première femme canadienne à obtenir son diplôme de docteur en médecine. En 1877, Emily Howard Stowe participe à la fondation de la Toronto Women’s Literary Guild, premier groupe à militer pour les droits des femmes. En 1880, le collège des médecins et chirurgiens de l’Ontario lui accorde sa licence de médecin en raison de son expérience.

Yvette SULTAN

HACKER C., The Indomitable Lady Doctors, Halifax, Formac, 2001.

STRACHEY, Alix (née SARGANT) [NUTLEY 1892 - LONDRES 1973]

Psychanalyste britannique.

Née aux États-Unis dans une famille d’intellectuels, Alix Strachey fait ses études à la Slade School of Fine Art de Londres avant d’entrer à Cambridge. Comme son frère, Philip, elle s’intéresse à l’anthropologie, à la philosophie et à la littérature. Très tôt, elle se révèle des plus anticonformistes et elle rejoint le groupe de Bloomsbury avec Leonard et Virginia Woolf*, fondateurs de Hogarth Press, le peintre Dora Carrington, l’économiste John Maynard Keynes et l’écrivain Lytton Strachey dont elle épousera le frère, James, qui fréquentait également le groupe. La lecture de Sigmund Freud est familière aux uns et aux autres, et le couple se rend à Vienne pour faire une analyse avec lui. Elle traduit en anglais les premiers articles de Melanie Klein* et l’introduit dans le milieu analytique anglais. C’est là que naît le projet de leur grande œuvre commune, la traduction des œuvres complètes de S. Freud, qui deviendra la Standard Edition, éditée dès 1966 chez Hogarth Press. A. Strachey fera plusieurs analyses : à Berlin avec Karl Abraham, à Londres avec Edward Glover et avec Sylvia Payne. Leur année de séparation, en 1924-1925, donnera lieu à une passionnante correspondance entre James, resté à Londres, et Alix installée provisoirement à Berlin, qui sera publiée après leur mort à Londres, en 1985, et qui demeure un témoignage inégalé sur la vie sociale et culturelle en Allemagne et au Royaume-Uni ainsi que sur l’implantation du freudisme en Angleterre. A. Strachey deviendra psychanalyste comme son mari et membre de la Société britannique de psychanalyse. Lors des Grandes Controverses qui opposent le groupe d’Anna Freud* et celui de M. Klein, ils ne s’affilieront ni à l’un ni à l’autre et rejoindront le groupe des Indépendants. Outre son intense investissement dans la traduction de l’œuvre de S. Freud, A. Strachey publie à New York, en 1957, The Unconscious Motives of War (« les raisons inconscientes de la guerre ») et, avec son mari, « The Psychology of Nationhood », paru à Londres dans le Year Book of World Affairs de 1960.

Chantal TALAGRAND

Bloomsbury/Freud : James et Alix Strachey, correspondance 1924-1925 (Bloomsbury/Freud : The Letters of James and Alix Strachey 1924-1925, 1985), Paris, Presses universitaires de France, 1990.

STRADA, Emma [TURIN 1884 - ID. 1970]

Ingénieure italienne.

Diplômée en septembre 1908, Emma Strada fut la première femme ingénieure civil en Italie. Sa première mission fut la construction d’une galerie pour le drainage de l’eau d’une mine de pyrite cuprifère à Ollomont, en Vallée d’Aoste. Par la suite, elle déménagea en Calabre, entre 1909 et 1910, où elle s’occupa de la construction du chemin de fer « auto-moto-funiculaire » de Catanzaro, réalisant un tunnel de jonction entre Catanzaro et Sal, de septkilomètres. Entre 1909 et 1915, elle fut assistante auprès de Luigi Pagliani, professeur et directeur du cabinet d’hygiène industrielle de l’université de Turin. À la mort de son père, elle hérita, avec son frère Eugénio, de l’agence paternelle, et s’engagea à en poursuivre l’activité professionnelle. En 1925, le projet et la direction des fouilles d’une mine d’or lui sont confiés près de Macugnaga, non loin du mont Rose, dans les Alpes. Elle travailla également à la mise au point d’un processus de fabrication de gaz de pétrole liquide, en employant les gaz de butane et propane, alors considérés comme des sous-produits des déchets des raffineries de pétrole. Le processus a été expérimenté dans une installation de Marghera, et le brevet fut exploité par un groupe d’actionnaires de Milan. En 1957, avec sept autres femmes, ingénieures et architectes diplômées, elle fonda à Turin l’Aidia, l’Associazione italiana donne ingegnere e architetto, dont l’objectif était de promouvoir les échanges d’idées mettant en valeur le travail des femmes dans le domaine des sciences et des techniques. Elle souhaitait aussi cultiver les relations culturelles et professionnelles avec des associations similaires, italiennes et étrangères. E. Strada fut la première présidente de l’Aidia et a organisé, jusqu’à sa mort, des manifestations culturelles et sociales de niveau international.

Margherita BONGIOVANNI

BONGIOVANNI M., « Emma Strada », in MARCHIS V. (dir.), Progetto cultura società, la scuola politecnica torinese e i suoi allievi, Turin, Associazione Ingegneri Architetti, 2010 ; ID., FIORIO P N., « Emma Strada, ingegnere dal 1908, la vita della prima donna ingegnere attraverso le fonti archivistiche istituzionali e private », in DAGOSTINO S. (dir.), Atti del III convegno nazionale di storia dell’ingegneria, Naples, Cuzzolin Editore, 2010.

STRANCAR, Nada [LJUBLJANA, SLOVÉNIE 1950]

Actrice, chanteuse et pédagogue française.

Après avoir suivi les cours d’Antoine Vitez au Conservatoire de Paris, Nada Strancar joue sous sa direction dans Phèdre, de Jean Racine, dans Catherine d’après Louis Aragon, dans Lucrèce Borgia, de Victor Hugo et dans plusieurs Molière. Son regard sombre, sa voix grave conviennent aux rôles dramatiques. Patrice Chéreau la dirige dans Hamlet, de Shakespeare, et Peer Gynt, d’Enrik Ibsen. Elle joue également L’Illusion comique, de Pierre Corneille sous la direction de Giorgio Strehler, avant de retrouver Shakespeare pour Le Conte d’hiver, sous la direction de Luc Bondy. Avec Christian Schiaretti, elle joue Le Mystère de la charité de Jeanne* d’Arc, de Charles Péguy, et Mère Courage, de Bertolt Brecht, où elle offre une composition impressionnante. Elle aborde aussi la tragédie antique dans L’Orestie, d’Eschyle, mise en scène par Olivier Py. En 2010, elle chante les chansons écrites par B. Brecht et mises en musique par Kurt Weill. Elle joue souvent à la télévision (par exemple dans Les Faux-fuyants, d’après Françoise Sagan*, avec Arielle Dombasle*). Elle est professeure au Conservatoire de Paris.

Bruno VILLIEN

STRATHERN, Marilyn [BROMLEY, KENT 1941]

Anthropologue britannique.

Après son doctorat en 1978, Marilyn Strathern commence sa carrière au Girton College, puis exerce au Trinity College à Cambridge. Depuis 1985, elle est professeure d’anthropologie sociale à l’université de Manchester. Elle fait plusieurs voyages en Papouasie-Nouvelle-Guinée, où elle étudie notamment l’auto-ornement, la résolution des litiges, les compensations matrimoniales et le rôle des femmes. Self-Decoration in Mount Hagen, Women in Between (1972) et The Gender of the Gift (1988) sont considérés comme des textes classiques de l’anthropologie féministe. Elle questionne la différence des sexes à partir des conceptions mélanésiennes d’identité. Elle apporte aussi une importante contribution théorique à la question du don et de la réciprocité. Dans les années 1990, elle étudie des thèmes tels que la procréation médicalement assistée, les systèmes de parenté européens et américains, les liens de parenté et les technologies génétiques et reproductives. Elle met aussi en avant les aspects économiques et le rôle de la médecine contemporaine dans le développement de ces technologies et dévoile un système en permanente tension entre les demandes des femmes et les idéologies sous-jacentes aux systèmes de parenté en Occident. Depuis le début des années 2000, ses recherches se penchent à nouveau sur les sociétés de Papouasie-Nouvelle-Guinée. Elle étudie le retour des questions de propriété culturelle au sein des luttes identitaires, réactivées par les protocoles internationaux de droits culturels (Transactions and Creations, 2005). M. Strathern a produit une œuvre immense, tant par son volume que par la diversité des sujets abordés, qui lui confère une place éminente dans la discipline.

Miriam GROSSI et Francine REBELO PEREIRA

Property, Substance and Effect, Anthropological Essays on Persons and Things, Londres, Athlone Press, 1999 ; Commons and Borderlands : Working Papers on Interdisciplinarity, Accountability and the Flow of Knowledge, Wantage, Sean Kingston Publishing, 2004 ; Audit Cultures. Anthropological Studies in Accountability, Ethics and the Academy, Londres, Routledge, 2005.

« The self in self-decoration », in Oceania, vol. 49, no 4, juin 1979 ; « Culture in a netbag : the manufacture of a subdiscipline in anthropology », in Man, vol. 16, no 4, déc. 1981 ; « Resistance, refusal and global moralities », Australian Feminist Studies, vol. 20, no 47, 2005.

STRATOU, Danaé [ATHÈNES 1964]

Sculptrice et artiste multimédia grecque.

Dès la fin des années 1990, Danaé Stratou devient une artiste essentielle tant en Grèce que sur la scène internationale. Depuis ses études au Central Saint Martins College of Art and Design (1983-1988) de Londres, elle s’intéresse à la sculpture in situ. Dès ses premières œuvres, elle produit pour le spectateur des expériences d’osmose avec les structures primordiales de la nature. On peut citer Desert Breath, Earthwork, une sculpture aux dimensions gigantesques, qu’elle réalise en 1997 dans le Sahara de l’Est près de la mer Rouge. En collaboration avec le groupe d’artistes femmes DAST, elle construit une immense spirale, d’environ 100 000 mètres carrés, faite de cônes de sable dressés ou creusés dans la terre, qui se déroule depuis l’ombilic central d’un puits d’eau circulaire. Dès le début du XXIe siècle, elle explore de façon systématique la notion d’espace à travers le prisme de l’intervention sociale et culturelle de l’homme sur la nature. Elle commence alors à concrétiser des grands projets qui se déploient sur une échelle planétaire. En 2004, elle réalise The River of Life, qu’elle présente dans une installation vidéo circulaire, résultat d’un voyage de dix mois pendant lesquels elle a suivi le cours de l’eau des sept plus importants fleuves de la terre. En 2008, lors de l’exposition Transexperiences à Pékin, elle présente l’œuvre Cut – 7 Dividing Lines (installation multimédia), produit d’un long périple autour des espaces naturels et urbains divisés par les conflits politiques, comme par exemple le mur érigé entre le Mexique et les États-Unis. En 2010, elle fonde en collaboration avec l’économiste Yanis Varoufakis, son compagnon dans la vie, le site Internet Vital Space, où le binaire nature/humanité se pose comme plateforme de réflexion sur l’importance et la qualité du rôle de l’artiste à l’ère actuelle. D. Stratou a représenté la Grèce à la Biennale de Venise en 1999.

Efi STROUSA

Desert Breath, Andreadi E., Athènes, General Press Publications/DASTArteam, 1998 ; avec TSANTSANOGLOU M., Heterotopias, Thessalonique, State Museum of Contemporary Art, 2007 ; avec VAROUFAKIS Y., Cut – 7 Dividing Lines, Athènes, Futura Publications, 2007 ; Transexperiences (catalogue d’exposition), Kafetsi A., Athènes, EMST, 2008.

STROUSA E., Open 2000, 3rd International Exhibition of Sculptures and Installations, Venise, Arte Communications, 2000.

STREEP, Meryl (Mary Louise STREEP, dite) [SUMMIT, NEW JERSEY 1949]

Actrice américaine.

Meryl Streep connaît ses premiers succès en interprétant Tennessee Williams à Broadway. Elle fait ses débuts à la télévision dans Holocauste (1978). Elle se marie en 1978 avec le sculpteur Don Gummer (avec lequel elle aura quatre enfants). Au cinéma, elle obtient l’Oscar du meilleur second rôle très rapidement, remportant la statuette pour son rôle dans Kramer contre Kramer (1979). Elle se signale dès lors par un talent surprenant pour changer d’aspect, de timbre de voix ou d’accent, ce qui lui permet d’aborder les rôles les plus différents. Elle joue une déportée dans Le Choix de Sophie (réalisé par Alan J. Pakula en 1982, rôle qui lui vaut cette fois l’Oscar de la meilleure actrice) ; une femme engagée dans Le Mystère Silkwood (1983), de Mike Nichols ; l’écrivaine Karen Blixen* dans Out of Africa (1985), de Sydney Pollack (inspiré du roman autobiographique de l’auteure danoise) ; une star du cinéma dans Bons baisers d’Hollywood (1990), de Mike Nichols ; une fermière de l’Iowa dans Sur la route de Madison (1995), de et avec Clint Eastwood. Après avoir chanté et dansé dans la comédie musicale Mamma Mia ! (2008), de Phyllida Lloyd, elle change de registre : dirigée par la même réalisatrice, elle incarne en 2012 l’ancien Premier ministre britannique Margaret Thatcher* dans La Dame de fer, rôle pour lequel elle obtient un troisième Oscar.

Bruno VILLIEN

FAUX D., Meryl Streep, star d’aujourd’hui, Paris, Lherminier, 1986.

STREERUWITZ, Marlene [BADEN BEI WIEN 1950]

Écrivaine et metteuse en scène autrichienne.

Marlene Streeruwitz est un des auteurs autrichiens contemporains les plus discutés et probablement les plus radicaux dans le champ de la littérature d’expression allemande. Après la rédaction de pièces radiophoniques, elle se voue surtout au théâtre : ses dix pièces jouées sur toutes les grandes scènes d’Autriche et d’Allemagne forment une critique provocante de la conception dramatique des classiques (Waikiki Beach. Und andere Orte, Die Theaterstücke, « Waikiki Beach. Et d’autres lieux, les pièces de théâtre », 1999). « Tirailler le quotidien dans la littérature » au lieu de se concentrer sur la mort et le « temps exceptionnel », comme le fait la littérature traditionnelle, telle est son intention. À partir de 1996 elle se retire du monde du théâtre pour publier des romans, dont Verführungen (« séductions », 1996), Lisa’s Liebe, Romansammelband (« l’amour de Lisa, recueil de romans », 2000), Entfernung, 31 Abschnitte (« éloignement, 31 paragraphes », 2006), Kreuzungen (« croisements », 2008), qui reçoivent des prix littéraires importants. Son œuvre est centrée sur l’impossibilité d’une langue féminine dans un ordre symbolique où la position de la femme ne peut former qu’un blanc. Cette problématique se traduit à plusieurs niveaux. Au plan thématique, elle passe par une mise en relief de la vie de tous les jours sans événements et sans développement. Au plan narratif, elle se traduit par un refus conséquent du récit linéaire, par le renoncement à une perspective extérieure ou objective. Enfin, au plan stylistique, sa prose se caractérise par une langue elliptique et mutilée, parce que « la phrase complète est un mensonge » (Sein, Und Schein. Und Erscheinen, Tübinger Poetikvorlesungen, « Être. Et apparence. Et paraître, séminaire poétique de Tübingen », 1997). M. Streeruwitz reflète sa conception poétique dans des écrits théoriques et des cours universitaires : son écriture est fondée sur le brisement de la langue – qui va souvent avec celui des protagonistes – face à un monde patriarcal, postcapitaliste et médiatisé, dans lequel la parole se révèle être inévitablement liée aux mécanismes de violence et de pouvoir.

Christiane SOLTE-GRESSER

ARNOLD H. L. (dir.), Marlene Streeruwitz, Munich, Text + Kritik, 2004 ; BONG J. et al. (dir.), Aber die Erinnerung davon, Materialien zum Werk von Marlene Streeruwitz, Francfort, S. Fischer, 2007.

STREETER, Penny [ZIMBABWE 1967]

Entrepreneuse britannique.

Penny Streeter est la fondatrice d’une société de recrutement de personnel médical au succès remarquable. Élevée en Afrique du Sud, elle arriva en Angleterre en 1979 et quitta l’école dès l’âge de 16 ans. Elle commença très tôt à travailler dans le recrutement et évolua dans la profession, créant sa propre agence en 1989. Mais le contexte de crise et une gestion hasardeuse conduisirent l’entreprise à la faillite en 1992. Divorcée, P. Streeter se retrouva sans ressources avec ses trois enfants et alla jusqu’à dormir dans des foyers pour sans-abri. Bien qu’aucune banque n’acceptât de prendre le risque de la soutenir, elle se relança en 1996 en créant une nouvelle agence, Ambition 24 Hours, spécialisée dans le recrutement d’infirmières, d’aides-soignants et de médecins remplaçants. Gérant l’entreprise de façon plus rigoureuse avec sa mère, elle eut l’idée, prenant en compte les spécificités du secteur médical, d’offrir ses services tous les jours, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. En exploitant cette niche, l’agence connut une croissance ininterrompue. La créatrice s’implanta en Afrique du Sud en 2004 et fit l’acquisition, deux ans plus tard, de la plus grande agence d’intérim pour infirmières du pays. Le groupe A24 employait 150 personnes en 2003 et plus de 300 en 2009. P. Streeter fut élue en 2003 Entrepreneur de l’année par la Confederation of British Industry, principal syndicat patronal britannique.

Alban WYDOUW

STOCKDALE S., Secrets of Successful Women Entrepreneurs : How Ten Leading Business Women Turned a Good Idea into a Fortune, Birmingham, Lean Marketing Press, 2005.

STREISAND, Barbra [NEW YORK 1942]

Actrice, chanteuse, compositrice, scénariste, réalisatrice et productrice américaine.

Dès ses débuts à Broadway dans une comédie musicale en 1962, Barbra Streisand rencontre le succès. Elle joue du contraste entre son visage et sa voix ample, sensible. La comédie musicale Funny Girl lui vaut un triomphe, d’abord sur scène, puis au cinéma (1968), avec un Oscar. Elle enchaîne avec Hello Dolly ! (1969), de Gene Kelly, où elle est l’entremetteuse Dolly Levi, et Melinda (1970), de Vincente Minnelli, avec Yves Montand. En 1973, elle passe à la comédie dramatique avec Nos plus belles années, de Sydney Pollack, face à Robert Redford. En 1976, elle tourne le remake d’Une étoile est née, obtenant l’Oscar pour la musique de la chanson du film. Elle fonde une société de production avec Paul Newman, Sidney Poitier, Steve McQueen et Dustin Hoffman. En 1983, elle fait ses débuts de réalisatrice avec Yentl, d’après Isaac Bashevis Singer, où elle incarne une jeune juive qui se travestit pour pouvoir étudier le Talmud. Après avoir été une prostituée guettée par la folie dans Cinglée (1987), de Martin Ritt, elle revient à la réalisation avec le mélodrame Le Prince des marées (1991), et Leçons de séduction (1996, remake du film français Le miroir a deux faces, avec Michèle Morgan*). Depuis les années 1990, elle fait, comme chanteuse, de grandes tournées internationales.

Bruno VILLIEN

MIRAMBEAU C., Barbra Streisand, Paris, Flammarion, 2007 ; YAPP N., Barbra Streisand, Londres, Endeavour, 2009.

STRETTON, Hesba (Sarah SMITH, dite) [WELLINGTON, SHROPSHIRE 1832 - RICHMOND 1911]

Romancière britannique pour la jeunesse.

Fille d’un libraire et d’une célèbre méthodiste, Hesba Stretton fréquente d’abord l’école de la ville et reçoit l’essentiel de son éducation à la maison. Elle est l’une des plus importantes écrivaines évangéliques du XIXe siècle, fondant ses récits sur l’enseignement des principes chrétiens qui seuls permettent d’éviter les maux de la société, histoires morales et semi-religieuses, tirées à d’innombrables exemplaires pour toutes les écoles du dimanche. Elle collabore régulièrement à Household Words et All the Year Round de Dickens. Le succès lui est assuré dès 1867 avec la publication de Jessica’s First Prayer (« la première prière de Jessica ») qui, en trente-cinq ans, est tiré à plus d’un million et demi d’exemplaires. Tous ses romans combinent le sensationnel, le gothique ainsi que le tract religieux, et contribuent fortement par le larmoyant et le mélodramatique à mettre au centre des obsessions victoriennes le pauvre enfant perdu des villes. Elle devient la collaboratrice attitrée de la Religious Tract Society, travaille avec les enfants des taudis de Manchester, participe à la fondation de la Société nationale pour la prévention de la cruauté envers les enfants en 1894 et dirige à la fin de sa vie, qu’elle passe à Richmond, un des bureaux du Club du livre populaire qui fournit des livres aux ouvriers. Elle est une des figures emblématiques d’une époque soucieuse de son salut.

Michel REMY

LOMAX E., The Writings of Hasba Stretton : Reclaiming the Outcast, Aldershot, Ashgate, 2009.

STRIDSBERG, Sara [SOLNA, PRÈS DE STOCKHOLM 1972]

Écrivaine suédoise.

Le premier roman de Sara Stridsberg, Happy Sally (2004), salué par la critique, raconte l’histoire de deux femmes passionnées de natation. L’une est Sally Bauer, la première Scandinave à traverser la Manche à la nage avant le début de la Seconde Guerre mondiale. L’autre est Ellen qui, beaucoup plus tard, veut reproduire l’exploit de Sally et fait avec son mari le pari qu’elle se consacrera pour toujours à la natation si elle réussit. Dans la narration d’un descendant, les rêves d’Ellen et de Sally s’entremêlent. La Faculté des rêves (2006) est un récit original et complexe dans lequel l’auteure laisse libre cours à son imagination au sujet de la vie de l’écrivaine américaine et féministe radicale Valerie Solanas ainsi que des milieux qu’elle a fréquentés, en insistant sur le monde des arts dans les années 1960. Démente ou ribaude, psychotique ou SDF, V. Solanas apparaît dans ce roman sous des facettes changeantes, enfant-prodige aux frontières de la déchéance. Dans son sort se reflète et se déforme le monde dont elle fait partie. Ce roman a reçu le prix de littérature du Conseil nordique en 2007. Le même thème revient dans l’étonnante pièce Valerie Jean Solanas va devenir présidente de l’Amérique (2006), qui a été jouée au Dramaten, le Théâtre royal d’art dramatique de Stockholm. Darling River, les variations Dolorès (2010) est une série de variations autour de Lolita (1995) de Vladimir Nabokov et de son personnage principal, devenu figure symbolique. La première de ces lolitas est Dolores Haze, l’héroïne de l’écrivain américain que S. Stridsberg fait partir en voyage vers l’Alaska de ses rêves, et que la mort rattrape alors qu’elle accouche. On croise aussi Lo qui traverse avec son père des forêts en feu quelque part dans un coin inconnu d’Europe, une femme qui vit à la marge de régions touristiques délabrées de la mer Noire, et même une guenon en captivité qu’un scientifique pousse à décrire son existence en cage.

Inger LITTBERGER CAISSOU-ROUSSEAU

La Faculté des rêves (Drömfakulteten, 2006), Paris, Stock, 2009 ; Valerie Jean Solanas va devenir présidente de l’Amérique (Valerie Jean Solanas ska bli president i Amerika, 2006), Paris, Stock, 2010 ; Darling River, les Variations Dolores (Darling River, 2010), Paris, Stock, 2011.

STRÖKER, Elisabeth [DORTMUND 1928 - COLOGNE 2000]

Philosophe allemande.

Après des études de chimie, de mathématiques et de philosophie à la Rheinische Friedrich-Wilhelms-Universität de Bonn avec Theodor Litt et Oskar Becker, Elisabeth Ströker soutient en 1955 un doctorat sur le nombre et l’espace dans la philosophie de la nature de Nicolai Hartmann. Elle enseigne quelques années au lycée Helmholtz à Bonn, puis devient l’assistante de Wolfgang Wieland à l’université de Hambourg. À partir de 1965, elle dirige le séminaire de philosophie de l’Université technique de Braunschweig. Ayant accepté, en 1971, de donner des cours de philosophie à l’université de Cologne, elle assure la direction du Husserl-Archiv jusqu’à sa retraite en 1993. À cette époque, elle est particulièrement connue pour ses recherches interdisciplinaires. Ses travaux ont contribué à la diffusion de la phénoménologie dans le monde anglo-saxon et elle s’est longtemps occupée de la coopération entre les philosophes allemands et les philosophes lettons. Son œuvre, qui articule philosophie et science, pose la question de la responsabilité fondamentale. Dans la synthèse qu’elle accomplit, elle pose, avec rigueur de pensée et force de conviction, la nécessité d’une réflexion éthique sur les sciences : Ethik der Wissenschaften, philosophische Fragen (« éthique des sciences, questions philosophiques », 1984). Elle publie une étude sur les « chemins de la chimie » et son évolution, Denkwege der Chemie (1967). L’efficacité de sa méthode phénoménologique, empruntée à Husserl, fournit plusieurs exemples instructifs à propos de l’historicité et de la base épistémologique des sciences. Pour elle, l’accès aux phénomènes ne résulte pas d’une volonté de mettre toutes les choses en lien, mais de se référer aux différentes activités et intentions de l’homme. En 1992, l’université d’Utrecht lui a donné le titre de docteur honoris causa, non seulement pour ses contributions aux recherches sur Husserl, mais aussi pour ses travaux sur l’histoire des sciences ainsi que pour sa collaboration à la publication de l’œuvre d’Helmuth Plessner.

Martin HÄHNEL

Husserls transzendentale Phänomenologie (1987), Springer, Husserlian Foundations of Science, 1997.

STROUN, Michèle [GENÈVE V. 1950]

Éditrice suisse.

Après avoir obtenu un diplôme de traductrice d’espagnol et d’anglais, Michèle Stroun travaille pour Bride Magazine à New York, puis pour Vogue. En 1980, elle s’installe définitivement à Genève avec son mari, et fonde, huit ans plus tard, la maison d’édition Metropolis, publiant chaque année une douzaine de titres. En littérature étrangère, figurent notamment au catalogue Soif, la trilogie du désert (1999), de l’écrivaine israélienne Shulamith Hareven*, et L’Homme au complet blanc (2012), de Lucette Lagnado, récompensé par le prix Sami-Rohr pour la littérature juive. Par ailleurs, l’éditrice s’intéresse au grand bouleversement que représente l’accès des femmes à la cité dans la seconde moitié du XXe siècle. La ligne éditoriale de Metropolis en témoigne, avec la collection « Femmes », ainsi qu’avec des titres publiés dans d’autres collections : Le Bâton dans la fourmilière, une vie pour plus d’égalité (2005), un recueil d’entretiens de la suffragette Jacqueline Berenstein-Wavre* avec Fabienne Bouvier ; La Bible et l’histoire au féminin (1998) de Lucie Bolens ; le Dictionnaire féminin-masculin (1999) de Thérèse Moreau, premier dictionnaire de féminisation des noms de professions. Parmi les publications les plus originales de Metropolis, on trouve, dans la collection « Metroguide », un Guide des hébergements insolites (2006), écrit par Denise Cabelli, qui propose à ses lecteurs de séjourner dans la cabine d’une grue aux Pays-Bas, devant le bassin aux requins de l’aquarium de Saint-Malo ou encore dans un igloo ou un phare…

Barbara GALIMBERTI

Éloge de la boulette, une histoire de boulettes du néolithique à nos jours, Genève, Metropolis, 2000.

BLOCH P. A., La Suisse romande et sa littérature, Poitiers, UFR, 1989 ; HERVÉ F., MANTILLERI B., Histoires et visages de femmes, Yens-sur-Morges, Cabédits, 2004.