FISCHER, Annie [BUDAPEST 1914 - ID. 1995]

Pianiste hongroise.

Admirée pour son jeu expressif et spontané et pour son sens du détail, Annie Fischer était appréciée de pianistes tels que Sviatoslav Richter, tandis que Maurizio Pollini saluait « l’immédiateté et l’émerveillement de son jeu ». Un jeu tout en précision et en retenue qui lui permettait les plus grandes envolées romantiques comme les nuances les plus raffinées. Elle fait ses études à l’académie Franz Liszt, où elle reçoit l’enseignement d’Ernö Dohnanyi et d’Arnold Szekely. À 8 ans, elle est déjà célébrée dans son pays. En 1933, elle remporte le Concours Franz Liszt, premier jalon d’une longue liste de récompenses internationales. Réfugiée en Suède en 1940, après que la Hongrie a rejoint les forces de l’Axe, elle ne regagne Budapest qu’en 1946, où elle s’établit définitivement, avant d’être nommée professeure honoraire de l’académie Franz Liszt (1965). Tout au long de sa carrière, elle joue principalement en Europe et en Australie, et ne se produit aux États-Unis que tardivement. Elle est surtout connue pour ses interprétations d’œuvres majeures de Mozart, Beethoven, Schubert, Schumann et Brahms, ainsi que des compositeurs hongrois Bartók et Kodály. Ses enregistrements les plus significatifs sont réalisés dans les années 1950, avec Otto Klemperer et Wolfgang Sawallisch. Mais estimant que toute interprétation donnée en l’absence de public était artificielle et contrainte, elle n’a laissé pour l’essentiel que des captations de concerts, heureusement nombreuses. Néanmoins, un ensemble réalisé en studio fait référence : l’intégrale des Sonates pour piano de Beethoven sur laquelle elle a travaillé pendant quinze ans, à partir de 1977. Son perfectionnisme et son sens extrême de l’autocritique l’ont amenée à refuser la publication de ces documents. Aujourd’hui disponible, cette intégrale fait autorité.

Bruno SERROU

FISCHER, Birgit [BRANDEBOURG-SUR-LA-HAVEL 1962]

Kayakiste allemande.

Médaillée d’or olympique à ses débuts en 1980, Birgit Fischer le sera encore vingt-quatre ans plus tard après avoir édifié un incomparable palmarès. Le kayak en ligne est pourtant une discipline éprouvante au rythme exigeant de la double pagaie. À Moscou, elle n’a pas 19 ans lorsqu’elle devient championne olympique K1 du 500 mètres. Ce n’est que l’amorce d’une carrière à peine imaginable, qui se soldera par 27 titres mondiaux et 11 trophées olympiques dont 7 en or et 4 en argent, en individuel comme en équipes (K2 et K4). Ses récompenses se sont succédé de 1979 (en K4) à 1999. Sa supériorité avait de quoi décourager, se traduisant par onze titres en K4 entre 1979 et 1998, et cinq triplés (K1, K2, K4) sur la traditionnelle distance de 500 mètres : 1981 à 1983, 1985, 1987 ! – après une interruption pour avoir son premier enfant. Autre triplé en 1997 sur des distances nouvelles incluses au programme du kayak en ligne : K2 et K4 sur 200 mètres, K2 sur 1 000 mètres. Sauf en 1984, année du boycott de Los Angeles par les nations de l’est de l’Europe – à l’exception de la Roumanie –, elle ne manque aucun rendez-vous olympique de 1980 à 2004, avec des succès toujours renouvelés. À Séoul, en 1988, sous le nom de Birgit Schmidt, car elle est alors mariée, elle monte trois fois sur les podiums : pour l’or en K4 et K2 – où, avec Anke Nothnagel, elle prend sa revanche sur sa rivale attitrée Vania Gesheva (accompagnée de Diana Paliiska) qui, une heure et demie à peine auparavant, l’a devancée de 12 centièmes en K1, inversant elle-même l’or et l’argent de Moscou en 1980. Par la suite, elle n’engrange jamais moins de deux médailles par olympiade, l’or et l’argent à trois reprises, soit : à Barcelone, K1 de nouveau (douze ans après Moscou) et K4 ; à Atlanta, K4 et K2 ; à Athènes en 2004, K4 et K2 également ; et deux titres à Sidney en K2 et K4. Son ultime victoire, acquise à 42 ans à Athènes, fait d’elle la seule femme, tous sports confondus, parée d’or en six éditions différentes de Jeux olympiques répartis sur un quart de siècle, celle également qui surpasse les huit médailles – six d’or, une d’argent, une de bronze – du kayakiste suédois Gert Fredriksson, de Londres 1948 à Rome 1960. Lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux de l’an 2000, à Sidney, cette sportive solide (1,73 m, 69 kilos), modèle d’équilibre, se voit confier la charge de porter le drapeau noir, rouge et jaune de l’équipe d’Allemagne, elle qui avait été jusqu’en 1989 l’un des fleurons de la RDA.

Jean DURRY

FISCHER, Caroline Auguste (née VENTURINI) [BRUNSWICK 1764 - FRANCFORT 1842]

Romancière allemande.

Caroline Auguste Fischer, dont les œuvres parurent de façon anonyme, est à l’avant-garde des femmes présentes dans le champ littéraire autour de 1800. Déjà de son vivant, elle fut reconnue par Carl Wilhelm Otto August von Schindel comme « une femme très intéressante et une écrivaine méritante, du fait de son destin » (Die deutschen Schriftstellerinnen… ). La vie de C. A. Fischer fut mouvementée. Brunswick, Copenhague, Dresde, Heidelberg, Wurtzbourg et Francfort sont les lieux où vécut celle qui tenta de concilier ses rôles d’épouse, de femme au foyer, de mère et d’écrivaine, se heurtant ce faisant aux conventions sociales. Deux mariages se soldèrent par un échec. L’incompatibilité entre des efforts d’indépendance et une société figée et dominée par les hommes constitue le sujet central de son œuvre narrative. C. A. Fischer propose une représentation critique de la société : elle montre dans Margarethe (1812) que les femmes qui souhaitent aller au terme de leurs projets d’épanouissement personnel ou professionnel ne le peuvent qu’au prix d’un renoncement à l’amour. En apparence, elle construit des intrigues (tragiques) sur les modèles courants de la littérature de divertissement, mais elle y superpose, en réalité, et de façon radicale, des éléments de compréhension de la domination de genre ainsi que des images littéraires de la masculinité et de la féminité, et cette radicalité est unique, que ce soit par sa forme ou par sa diversité. Les protagonistes masculins échouent dans Gustavs Verirrungen (« les égarements de Gustave », 1801) et dans 14 Tage in Paris (« 14 jours à Paris », 1801), tout comme les protagonistes féminins de son roman le plus connu Die Honigmonathe (« les mois de miel », 1802), quel que soit l’idéal auquel ils se réfèrent. L’auteure ne permet pas à son lectorat de s’identifier à ses personnages. Son écriture est critique, ironique, provocatrice, et elle renonce à un enseignement moralisateur et pédagogue ainsi qu’à la verbosité. C’est surtout à ses romans épistolaires que l’histoire des genres littéraires reconnaît une originalité linguistique et structurelle. Toutefois, le public de son temps n’a pas su percevoir la portée ni le caractère provocateur de ses textes.

Elke RAMM

Gesammelte Werke, 6. vol., Runge A. (dir.), Hildesheim, Olms, 1987.

RUNGE A., Literarische Praxis von Frauen um 1800, Hildesheim, Olms, 1997 ; SCHINDEL C. W. O. A. von, Die deutschen Schriftstellerinnen des neunzehnten Jahrhunderts (1823-1825), Hildesheim/New York, Olms, 1978.

FISCHER, Julia [MUNICH 1983]

Violoniste allemande.

Née de parents musiciens germano-slovaques, Julia Fischer apprend tout d’abord le piano dès l’âge de 4 ans, avec sa mère pianiste ; elle hésitera longtemps entre le piano et le violon, sa mère souhaitant faire de la musique de chambre en famille. Son choix du violon ne l’empêchera pas de continuer à pratiquer le piano à un haut niveau. À 9 ans, elle est admise à l’Académie de musique de Munich où elle suit les cours d’Ana Chumachenko. Trois ans plus tard, elle est lauréate du concours Yehudi Menuhin. Après avoir remporté le 8e Concours Eurovision des jeunes musiciens en 1996, elle se tourne vers une carrière de concertiste. Elle est à l’aise dans un répertoire allant de Bach à Penderecki, de Vivaldi à Chostakovitch. En 2005, elle publie un disque en soliste, les Sonates et Partitas pour violon seul de Bach, avant d’enregistrer les Cinq concertos pour violon de Mozart parus en 2006. Que ce soit au violon ou au piano, depuis 2008, J. Fischer est invitée dans le monde entier. Le 1er janvier 2008, elle s’est produite pour la première fois en public au piano, dans le Concerto d’Edvard Grieg à l’Alte Oper de Francfort, tout en donnant le même soir le Concerto no 3 pour violon de Camille Saint-Saëns. En 2009, elle commence à enregistrer l’œuvre complète pour violon et piano de Franz Schubert avec le pianiste Martin Helmchen. L’année suivante, elle publie les 24 Caprices pour violon seul op. 1 de Niccolo Paganini. La jeune musicienne se consacre désormais davantage à la musique contemporaine, créant notamment le Trio pour piano et cordes de Matthias Pintscher. Depuis 2006, elle est professeure à l’École supérieure de musique et d’arts figuratifs de Francfort-sur-le-Main. Elle joue avec un Guarneri del Gesù de 1742.

Bruno SERROU

FISCHEROVÁ, Daniela [PRAGUE 1948]

Dramaturge et romancière tchèque.

Daniela Fischerová emprunte fréquemment le détour de légendes connues et livre aux spectateurs des paraboles à la fois atemporelles et d’une actualité brûlante. Ainsi le procès fictif de François Villon, dans Hodina mezi psem a vlkem (« l’heure entre chien et loup », 1979, pièce interdite par les autorités après quatre représentations), met en évidence le conflit éternel entre l’artiste et la société. Après sept ans de silence forcé, elle revient au théâtre avec Princezna T. (« Princesse T. », 1986) où elle subvertit un conte popularisé par Carlo Gozzi puis Giaccomo Puccini en une fable désenchantée sur la fragilité du scepticisme et les rouages du pouvoir. Dans Fabula (1987), elle interroge la notion de libre-arbitre en s’inspirant des mythes de Faust et du Joueur de flûte de Hamelin. Sa vision complexe du monde se reflète à tous les niveaux de sa création, notamment dans ses personnages aux identités multiples (Fantomima, 1988). Après la chute du communisme, son propos s’éclaircit sans rien perdre de sa force philosophique : Náhlé neštěstí (« malheur soudain », 1993), dialogue sur l’existence de Dieu mené dans un asile de fous par les avatars modernes de Niobé et Job ; Pták Ohnivák (« l’oiseau de feu », 1999), conte initiatique sur l’acceptation de notre part d’ombre. Se déroulant dans l’univers des magiciens, Dvanáct způsobů mizení (« douze façons de disparaître », 2008) exhibe avec jouissance les techniques et thèmes chers à l’auteure : mise en abyme du théâtre, complexité des destinées humaines, irruption du merveilleux. Sept de ses pièces radiophoniques ont été publiées sous le titre de Velká vteřina (« la seconde de vérité », 1997), d’autres ont été portées à la scène ou adaptées à la télévision.

Katia HALA

FISCHEROVÁ, Miluše [1922]

Femme politique et féministe tchèque.

À la fin des années 1930, Miluše Fischerová suit une formation d’assistante maternelle, dans l’une des dizaines d’écoles « familiales » fondées depuis les années 1920 en Tchécoslovaquie par les ligues féminines pour compenser l’absence d’une offre équivalente à celle des écoles techniques destinées aux garçons. Si une bonne partie de l’enseignement vise à produire des ménagères modèles, il comprend cependant une initiation à l’économie et un embryon de culture civique dispensés par des enseignantes socialisées au féminisme patriotique des premières années de l’indépendance. Après guerre, M. Fischerová rejoint le Parti communiste tchèque (PCT), et entame le parcours de professionnalisation d’une militante dévouée, au sein des sections féminines du parti et de l’Union tchécoslovaque des femmes. Fondée en 1945, celle-ci a été érigée à la suite du coup de Prague en unique organisation féminine. Dès 1953, l’organisation est cependant dissoute et la question féminine déclarée résolue. Remplacée par un Conseil des femmes au niveau central, elle subsiste pourtant au niveau local, assumant les activités de patronage qui avaient été jadis celles des ligues féminines. Dès le début du « printemps tchécoslovaque », en 1967, des voix s’élèvent depuis ces « sections dormantes », pour réclamer la refondation d’une organisation de femmes au niveau national. Celles-ci sont regroupées, au sein du Conseil des femmes, par les partisanes de la ligne réformatrice ouverte par Dubček, réunies autour de M. Fischerová qui obtient la refondation d’une Union tchécoslovaque des femmes, et défend le principe d’une adhésion individuelle et volontaire, à rebours des pratiques du « centralisme démocratique ». Suivant l’exemple du PCT lors de son XIVe congrès de janvier 1968, l’Union adopte un programme d’action qui met l’accent sur l’accès des femmes aux mandats politiques, la remise en cause de la division sexuelle du travail et des mesures volontaristes dans le domaine de la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle, tenant compte de l’accès massif des femmes au travail salarié au cours de la soviétisation. Si elles se distinguent nettement des discours défendus par les féministes occidentales à la même époque, notamment du fait que les femmes tchécoslovaques bénéficiaient depuis 1957 d’un accès relativement aisé à l’IVG ainsi (de manière plus limitée) qu’à la contraception, les positions de l’Union des femmes des années 1967-1969 n’en sont pas moins radicales à bien des égards. Cet aggiornamento est stoppé net par l’intervention soviétique d’août 1968. Dans les semaines qui suivent, l’Union des femmes défend les tenants de la démocratisation et connaît un afflux d’adhésions, comptant jusqu’à 160 000 membres dans la partie tchèque du pays. Son premier congrès, en janvier 1969, initie sa reprise en main. Dès l’automne, la direction de M. Fischerová est évincée et remplacée par des personnalités incarnant la vieille garde du PCT. Tandis que M. Fischerová est rayée des cadres actifs du parti, l’Union des femmes en devient une courroie de transmission fidèle et ses dirigeantes comptent parmi les membres les plus honnis de la nomenklatura. Le rôle de cette organisation dans la « normalisation » des années 1970-1980 explique en grande partie la disqualification du discours sur l’émancipation des femmes après 1989. Pourtant, l’Union est l’une des rares ex-organisations de masse à avoir survécu à la démocratisation. Aujourd’hui, sous la direction d’une ancienne de ses cadres au cours de la normalisation, elle promeut un discours sur l’égalité calqué sur celui de l’Union européenne, et collabore avec les ONG féministes nées au cours de la transition démocratique. Cette « conversion » tend à occulter l’épisode du « printemps de Prague », et le rôle de sa leader d’alors, qui compta par la suite parmi les signataires de la Charte 77.

Maxime FOREST

FISCHEROVÁ, Viola [BRNO 1935 - PRAGUE 2010]

Écrivaine tchèque.

Après des études de slavistique à Brno puis à Prague, Viola Fischerová est engagée en 1961 à la radio tchécoslovaque, d’abord à la rédaction des programmes humoristiques puis à la rédaction littéraire. Après l’intervention des troupes du Pacte de Varsovie en 1968, elle émigre en Suisse où elle est embauchée au théâtre de Bâle en tant qu’assistante à la mise en scène. De 1972 à 1977, elle étudie l’histoire et la germanistique à l’université de Bâle, tout en exerçant divers métiers, puis elle quitte la Suisse pour Munich en 1985, et collabore à Radio Free Europe ainsi qu’à diverses revues en exil comme Svědectví. Son premier recueil de poèmes, Zádušní mše za Pavla Buksu (« messe de requiem pour Pavel Buksa »), paraît en 1993. Empreint du souvenir d’un être aimé à jamais perdu, il recèle tout ce que l’œuvre à venir développera : l’irrémédiabilité du temps qui passe, l’entrelacs de souvenirs amoureux heureux ou désenchantés, les métamorphoses des sentiments et des êtres, et la féminité, qui trouve à s’accomplir dans les rapports amoureux et maternels. Loin de toute ostentation ou artifice, sa poésie est ancrée dans le réel et privilégie la simplicité et la pureté du vers dans l’évocation de scènes de vie où la mort est toujours présente. En 1994, l’écrivaine revient vivre à Prague. Le thème du vieillissement de la femme domine le recueil de poésies Babí hodina (« l’heure des vieilles », 1995), où l’auteure exprime son attachement à ce qui demeure, au souvenir de ce qui a été et qui perdure en tant que souvenir, au-delà de la mort. L’exil et la solitude sont au cœur de Odrostlá blízkost (« proximité devenue grande », 1996), où elle évoque cette vacance nécessaire à la contemplation et à la jouissance d’images du monde qu’il convient de restituer. Ses trois recueils suivants abordent les mêmes thématiques. Ses dernières publications sont des livres pour enfants : Co vyprávěla dlouchá chvíle (« ce qu’un moment d’ennui avait raconté », 2005), récompensé par le prestigieux prix Magnesia, distinguant le meilleur ouvrage pour la jeunesse, et O Dorotce a psovi Ukšuku (« les aventures de Dorothée et du chien Ukchouk », 2007). Ses livres ont été traduits en plusieurs langues.

Stéphane GAILLY

MENCLOVÁ V., VANEK V. (dir.), Slovník českých spisovatelů, Prague, Libri, 2005.

FISHER, Ann [LORTON 1719 - NEWCASTLE UPON TYNE 1778]

Grammairienne britannique.

Issue d’un milieu cultivé et mariée à Thomas Slack, imprimeur et directeur de Newcastle Chronicle, Ann Fisher est la première femme à avoir produit une grammaire anglaise. Elle est même l’un des plus importants grammairiens anglais du XVIIIe siècle. Ses ouvrages, d’abord écrits dans un souci pédagogique, présentent une conception originale des parties du discours, ainsi que de nombreux exemples empruntés à l’anglais contemporain d’alors. A New Grammar, qui s’appuie sur l’observation de sa langue maternelle plutôt que de suivre le modèle des grammaires latines, a eu une quarantaine de rééditions et a connu une très large diffusion.

Thomas VERJANS

A New Grammar with Exercise of Bad English : or, and Easy Guide to Speaking and Writing the English Language Properly and Correctly, Newcastle, Thompson, 1745 ; An Accurate New Spelling Dictionary, and Expositor of the English Language, Londres, édité par l’auteure, 1773.

TIEKEN-BOON VAN OSTADE I., « Fisher », in STAMMERJOHANN H. (éd.), Lexicon grammaticorum, New York/Amsterdam/Philadelphie, Mouton de Gruyter, 2009.

FISHER, Mary (née KENNEDY) [ALBION 1908 - GLEN ELLEN 1992]

Écrivaine gastronomique américaine.

Auteure du Fantôme de Brillat-Savarin (1937) et de Nos belles années d’avant-guerre (1943), Mary Frances Fisher réinventa le genre de la littérature gastronomique. Ses œuvres, presque entièrement rédigées à partir de son expérience personnelle et de l’étude du rapport entre les êtres humains et leur alimentation, furent de son vivant surtout connues aux États-Unis. Leur traduction, en France notamment, lui conféra ensuite une renommée internationale. Elle vécut alternativement en Californie et en Europe (Bourgogne, Provence, Suisse romande). La découverte de la cuisine et du discours gastronomique français, notamment de la Physiologie du goût, par Brillat-Savarin, détermina son choix d’explorer et d’analyser sans relâche la place de la nourriture dans la vie humaine. Si ses écrits comportent parfois des recettes culinaires, ils se distinguent avant tout par la description des effets de l’alimentation sur les sens et l’insistance à accorder à la gastronomie une place primordiale dans la société. Elle sortit des sentiers battus de son époque ; ainsi elle imagina la vie d’une huître, Biographie sentimentale de l’huître (1941), ou tenta d’inventer une cuisine en temps de pénurie, Un loup au dîner (1942). Elle rédigea également quelques ouvrages de commande, dont un livre sur la cuisine française pour Time-Life.

Denis SAILLARD

Le Fantôme de Brillat-Savarin (Serve it Forth, 1937) (1996), Paris, Le Serpent à plumes, 2006 ; Biographie sentimentale de l’huître (Consider the Oyster, 1941), Paris, Éditions du Rocher, 2002 ; Un loup au dîner (How to Cook a Wolf, 1942), Paris, Éditions du Rocher, 2003 ; Nos belles années d’avant-guerre (The Gastronomical Me, 1943), Paris, Éditions du Rocher, 2006.

FISHMAN, Louise [PHILADELPHIE 1939]

Peintre américaine.

Peintre abstraite, Louise Fishman a étudié au Philadelphia College of Art, à l’Academy of Fine Arts, puis à l’université de l’Illinois. Connue dans les années 1970-1980 grâce à ses toiles de grandes dimensions, qui associent la structure de la grille à une forme de gestualité, elle appartient au mouvement radical féministe des Redstockings, qui furent à l’origine des polémiques, au centre de la première vague du féminisme. Après sa rencontre avec l’anthropologue Esther Newton (1940), spécialiste du mouvement queer, elle s’intéresse à la manière dont elle peut réconcilier son identité de femme lesbienne avec son art. Un voyage en 1988 en Europe de l’Est, durant lequel elle visite Auschwitz et Terezín, puis Prague, Varsovie et Budapest, a largement marqué son travail. À partir de cendres ramassées dans le camp d’Auschwitz, qu’elle mélange à la matière de ses peintures, elle réalise dans l’année qui suit ce qu’elle nomme des « peintures de cendres », comme Shadows and Traces (« ombres et vestiges », 1992). Après cette expérience, qu’elle décrit comme étant celle d’une « mémoire littérale », L. Fishman définit les composantes de son œuvre : l’importance d’une confrontation avec les matériaux, la physicalité et la dimension de transformation d’une matière picturale. Dans ses œuvres, elle travaille avec de très nombreux pinceaux, utilisés pour leurs qualités diverses, mais aussi avec des outils moins traditionnels, comme les couteaux. Le plus souvent, la structure de la grille est à la base de ses peintures, dont la réalisation est pour elle une forme de combat physique, notamment par leurs formats, qui font environ sa taille, mais aussi par la manière dont elle les travaille. Elle reprend en effet souvent une toile pour la modifier à des époques différentes. Si les peintures des années 1990 développent un langage plus statique, lié à la grille, tout en adoptant des couleurs terreuses, minérales, celles des années 2000 retrouvent une gestualité fondée sur l’emploi de lignes multiples au tracé plus libre, dans des couleurs bleues ou vertes. Gorgeous Green (« splendide vert », 2008), une huile sur toile de petites dimensions, rejoue le mouvement et le dynamisme des œuvres expressionnistes abstraites.

Marion DANIEL

Paintings 1987-1989 (catalogue d’exposition), New York, Lennon/Weingerg, 1989 ; Louise Fishman (catalogue d’exposition), Yau J. (textes), New York, Cheim & Read, 2000 ; Louise Fishman (catalogue d’exposition), Stein J. E. (textes), New York, Cheim & Read, 2012.

FITNAT HANIM (ou ZÜBEYDE) [ISTANBUL  - ID. 1780]

Poétesse turque.

Son père, chef des dignitaires religieux, est poète, mélomane, auteur d’un dictionnaire, d’un ouvrage sur les musiciens et d’un recueil de poésie. Son grand-père, son oncle et son frère sont également poètes. Ce milieu favorisé et intellectuel l’initie très tôt à la poésie et Fıtnat Hanım se met donc à écrire. Ses poèmes aux formes classiques et composés dans une langue relativement simple ont un certain retentissement. Des anecdotes incisives sont répandues au sujet de cette poétesse ottomane incontournable, célèbre pour son intelligence et son caractère. Elle est l’une des rares femmes de la période à écrire des poèmes et à se montrer sur la scène publique. Son recueil de poésie, Divan-ı Fıtnat (« le divan »), est publié après sa mort, en 1848. Certains de ses poèmes ont été mis en musique.

Gül METE-YUVA

Divan-ı Fıtnat, Istanbul, Takvimhane-i Amire Taş Destgahı, 1848.

FITOUSSI, Michèle [TUNIS 1954]

Journaliste et écrivaine française.

Fille d’André Fitoussi, avocat, et de Suzy Zeitoun, Michèle Fitoussi grandit à Tunis jusqu’à l’âge de 5 ans. Après l’indépendance de la Tunisie, sa famille s’installe à Paris. Elle fait ses études au lycée La Fontaine puis sort diplômée de Sciences Po. En 1981, elle entre au magazine féminin Elle et publie de nombreux articles sur la condition des femmes en France et dans le monde. Sa plume au style direct, en prise sur son temps, lui vaut de signer de nombreux éditoriaux. En 1987, elle sort un premier essai autobiographique, Le Ras-le-bol des super women, qui fait mouche auprès des femmes de la génération post-68, écartelées entre leur activité professionnelle et la vie domestique. Suivent plusieurs romans dont 50 centimètres de tissu propre et sec (1993), Un bonheur effroyable (1995), Victor (2009) et deux biographies de femmes aux destins très différents : Malika Oufkir, prisonnière politique au Maroc (Prisionnière, 1999) et Helena Rubinstein, la femme qui inventa la beauté (2010). En 2012, la journaliste quitte Elle. Co-fondatrice avec Véronique Olmi* et Anne Rotemberg du festival de théâtre Le Paris des Femmes qui se tient chaque année au Théâtre des Mathurins, elle crée avec sa fille Léa Domenach et Brigitte Grésy une série de fictions courtes pour France Télévisions : Le Bureau des affaires sexistes. En 2014, M. Fitoussi publie La Nuit de Bombay, qui retrace le destin de Loumia Hiridjee*, tuée lors d’un attentat terroriste en 2008.

Nathalie COUPEZ

FITRI SETYANINGSIH [SURAKARTA, JAVA 1978]

Danseuse et chorégraphe indonésienne.

Pratiquant la danse depuis l’âge de 6 ans, Fitri Setyaningsih est diplômée de l’École des arts indonésiens de Surakarta et de l’Institut des arts indonésiens de Yogyakarta. Elle participe ensuite à plusieurs ateliers de danse à Londres, Dubaï et Abu Dhabi, puis travaille avec différents chorégraphes (Fajar Satriadi, Jane Chen, Suprapto Suryodarmo), ainsi qu’avec des troupes de théâtre indonésiennes (Teater Kita Makassar, Teater Gapit). Avide d’expériences variées, elle explore différentes traditions scéniques avec Yujio Waguri et Tony Yap et travaille la danse japonaise sous la direction de Pappa Tarahumara. Ce parcours l’amène à un questionnement sur le corps et les mouvements du quotidien, qu’elle explore à travers ses chorégraphies (Dilema, 2000 ; Jahitan Merah [« couture rouge »], 2004 ; The Dead of Dance, 2004 ; Bedoyo Silikon, 2005 ; Dinner with Cakil, 2005). Loin de sa formation traditionnelle, elle s’illustre dans la danse contemporaine, portant une attention particulière à la scénographie, ainsi qu’à l’utilisation de la lumière qui prend une part active dans ses créations. Figure remarquée, elle est une des rares chorégraphes de danse expérimentale en Indonésie.

Elsa CLAVÉ-ÇELIK

FITZ-CLARENCE, Maria VOIR FOA, Eugénie

FITZGERALD, Ella [NEWPORT NEWS, VIRGINIE 1918 - BEVERLY HILLS 1996]

Chanteuse de jazz américaine.

Orpheline de père, Ella Fitzgerald a façonné son éducation musicale presque inconsciemment, au contact des harmonies vocales du groupe féminin des Boswell Sisters et de la voix de Mamie Smith. Elle tente sa chance dans les nombreux concours de chant qui foisonnent à cette époque et est remarquée par le chef d’orchestre Chick Webb. Elle rejoint sa formation en 1935, provoquant l’animosité et réveillant des réflexes sexistes. C. Webb est fasciné par cette chanteuse exceptionnelle. Sa mort en 1939 laisse E. Fitzgerald seule au sein de l’orchestre qui continue de tourner. Elle coécrit et chante la comptine A Tisket A Tasket. Le succès, immédiat, lui permet d’entamer dès 1941 une carrière en solo, sous la férule de la maison de disques Decca. Infatigable, elle travaille avec de nombreux orchestres – The Ink Spots, Count Basie… Elle se fait remarquer par son swing efficace et, influencée par Dizzy Gillespie, montre une grande maîtrise du scat qui fait fureur à l’époque du be-bop. Son humour fascine un public de plus en plus nombreux. Pourtant, à l’orée des années 1950, elle doit s’adapter au déclin des big bands et à l’avènement des ballades. En 1950, elle se plie à la mode et rejoint les Philharmonic All Stars, montés par l’entrepreneur Norman Granz, qui rêve de la voir chanter les grands compositeurs américains du XXe siècle : Cole Porter, Gershwin, Jerome Kern, Harold Arlen, Irving Berlin, Johnny Mercer… Elle enregistre alors avec des musiciens renommés, comme le trompettiste Harry Edison, ou le grand saxophoniste Charlie Parker. Ces albums prestigieux construisent le mythe Fitzgerald. Norman Granz a créé la compagnie Verve en pensant à elle et l’invite à de multiples rencontres, dont chacune engendre un chef-d’œuvre. Elle devient une artiste très courtisée. Ira Gershwin dira même : « Je ne savais pas combien de chansons étaient bonnes jusqu’à ce que j’entende Ella Fitzgerald les chanter. » On lui présente le pianiste Oscar Peterson, dont elle ne cessera de vanter le génie. Dans cette période très productive, la chanteuse fait deux autres rencontres décisives : Duke Ellington, à l’œuvre de laquelle elle se confronte, donnant jour à un quadruple album en 1957, The Duke Ellington Songbook, qui remporte un beau succès ; Louis Armstrong, avec qui elle enregistre ensuite trois disques, dont une magnifique version de Summertime. Sa popularité culmine, renforcée par quelques films notables à Hollywood, comme La Peau d’un autre (1955), où elle figure avec Janet Leigh et Peggy Lee. Le public européen l’attend avec impatience. Pendant ses voyages, elle est accueillie comme une souveraine. Les plus hautes personnalités l’entourent. En 1975, elle se produit à l’Uris Theater de New York, assurant la première partie d’un autre géant, Frank Sinatra. Norman Granz organise une nouvelle rencontre avec son vieux complice Oscar Peterson, et le disque Ella and Oscar devient un classique. À partir des années 1980, impressionnant monument du jazz, elle offre des concerts spectaculaires, parcourt les festivals, amusant le public, enthousiasmant la jeunesse. Après de graves problèmes de santé, E. Fitgerald s’éteint à 78 ans, entourée de sa famille, comme une reine.

Stéphane KOECHLIN

Ella and Louis, Verve, 1956 ; Porgy and Bess, Verve, 1957 ; Ella and Louis Again, Verve, 1957 ; Ella and Basie ! , Verve, 1963 ; Ella at Juan-les-Pins, Verve, 1964.

HASKINS J., Ella Fitzgerald : une vie à travers le jazz (Ella Fitzgerad : A Life through Jazz, 1991), Paris, Filipacchi, 1992.

FITZGERALD, Penelope [LINCOLN 1916 - ID. 2000]

Romancière britannique.

Née dans une famille dont le père est rédacteur en chef de Punch et les deux grands-pères évêques, Penelope Fitzgerald fait ses études à Oxford. Pendant la Seconde Guerre mondiale, elle travaille à la BBC, se marie en 1941, a trois enfants et, à partir de 1960 enseigne dans une école de théâtre et travaille enfin dans une librairie. Elle commence sa carrière littéraire en 1975 avec une biographie de Burne-Jones et une seconde sur ses oncles et sur son père, tableaux de toute une époque et d’un milieu petit-bourgeois. Son premier roman, The Golden Child (1977), est un roman policier comique inspiré par la folie médiatique organisée autour de Toutankhamon. À la dérive (1979) obtient le Booker Prize. Son chef-d’œuvre est certainement La Fleur bleue (1995), roman sur le poète et philosophe Novalis. Elle publie également un recueil de nouvelles (The Means of Escape, « les moyens de s’échapper », 2000). Tous ces textes mènent une exploration morale, sinon religieuse, autour de la tension entre le corps et l’esprit, dans un style concis, maîtrisé, qui traduit le drame difficilement contenu de l’être humain dont la vision étroite est à l’origine des désastres qu’il traverse.

Michel REMY

L’Affaire Lolita (The Bookshop, 1978), Paris, Quai Voltaire, 2006 ; À la dérive (Offshore, 1979), Paris, Stock, 1982 ; La Fleur bleue (The Blue Flower, 1995) Paris, Stock, 1997.

FITZPATRICK, Kathleen [OMEO, VICTORIA 1905 - EAST MELBOURNE 1990]

Historienne australienne.

Née dans une famille de la petite bourgeoisie, Kathleen Elizabeth Fitzpatrick étudie l’histoire à l’université de Melbourne. Féministe et rédactrice du journal estudiantin, elle y obtient son diplôme en 1926 et part étudier à Oxford. Nommée à l’université de Melbourne, elle finit sa thèse de master d’Oxford à distance. En 1932, elle démissionne de son poste pour épouser l’historien Brian Fitzpatrick. Elle divorce en 1939 et retrouve son poste, puis devient Associate Professor en 1948 (elle est la première femme à atteindre ce grade). Célèbre pour ses conférences progressistes – elle se décrit comme ayant été féministe et démocrate dès l’enfance –, elle s’engage contre le fascisme et, plus tard, contre le Maccarthisme aux États-Unis. Par modestie, elle refuse de demander sa nomination à la chaire de professeure qui avait été créée à son intention. Bien qu’elle se soit passionnée d’histoire anglaise du XVIIe siècle, ses écrits concernent surtout l’histoire australienne. Sir John Franklin in Tasmania, 1837-1843 (1949) est suivi d’Australian Explorers : A Selection from Their Writings With an Introduction (1958) et de Martin Boyd (1963). Ses Mémoires (Solid Bluestone Foundations and Other Memories of a Melbourne Girlhood, 1908-1928, 1983) connaissent un vif succès et restent un classique en Australie. Son exemple a poussé de nombreuses femmes à devenir historiennes, dont Alison Patrick (1921-2009), auteure de la notice sur K. E. Fitzpatrick dans le dictionnaire biographique national, et Renate Howe(née en 1939).

Susan FOLEY et Charles SOWERWINE

ANDERSON F., MACINTYRE S. (dir.), The Life of the Past : The Discipline of History at the University of Melbourne 1855-2005, Melbourne, University of Melbourne/History Department, 2006 ; GRIMSHAW P., CAREY J., « Foremothers : Kathleen Fitzpatrick (1905-1990), Margaret Kiddle (1914-1958) and australian history after the second world war », in Gender and History 13, no 2, 2001.

FITZPATRICK, Sheila [MELBOURNE 1941]

Historienne australo-américaine.

Titulaire d’un BA (Bachelor of Arts) de l’université de Melbourne, Sheila Fitzpatrick soutient son doctorat au St. Anthony’s College d’Oxford en 1969. Spécialiste de l’histoire russe et particulièrement de l’histoire sociale et culturelle de la période stalinienne, S. Fitzpatrick est une historienne révisionniste qui a bouleversé l’écriture de l’histoire soviétique en inversant les perspectives d’approche. Sachant que l’accès aux archives est difficile, elle commence à lire la presse des années 1920, 1930 et 1940, et à prendre contact avec des détenteurs d’archives privés. Ses liens avec la famille Lounatcharski permettent l’écriture de sa thèse et de son premier livre, The Commissariat of the Enlightenment (1970). Installée aux États-Unis à partir de 1972, elle enseigne dans plusieurs universités avant de rejoindre l’université de Chicago en 1990 où elle est nommée en 1994 sur la chaire Bernadotte E. Schmitt. En 1979, Education and Social Mobility in the Soviet Union, 1921-1934 lance ses travaux sur la « révolution culturelle vue d’en bas ». The Russian Revolution (1982), qui rencontre un large écho, en analyse la complexité, tandis que The Cultural Front : Power and Culture in Revolutionary Russia (1992) montre la participation active des populations locales à l’émergence et au développement d’une « ligne dure ». Stalin’s Peasants : Resistance and Survival in the Russian Village after Collectivization (1994) présente la voix des paysans face au durcissement du régime et Everyday Stalinism : Ordinary Life in Extraordinary Times, Soviet Russia in the 1930s (1999) décrit la vie des citoyens soviétiques confrontés aux difficultés du quotidien jusqu’à l’invivable. Dans Tear off the Masks ! : Identity and Imposture in Twentieth-Century Russia (2005) et dans nombre d’anthologies, dont une sur les récits de femmes soviétiques, S. Fitzpatrick continue à observer, pour tous les aspects de la vie, les actions des citoyens et les conséquences qu’elles ont sur leur quotidien. Ancienne présidente de l’Association américaine pour l’avancement des études slaves, S. Fitzpatrick est coéditrice du Journal of Modern History de 1996 à 2006. En 2002, la fondation Andrew W. Mellon lui attribue son Distinguished Achievement Award.

Bonnie SMITH

FLACHOT, Reine [SANTA FE, ARGENTINE 1922 - ID. 1998]

Violoncelliste française.

Arrivée à 12 ans en France, où ses parents, tous deux Français, ont choisi de rentrer, Reine Flachot commence ses études avec Jean Dumont, puis, en 1935, entre au Conservatoire de Paris dans la classe de Gérard Hekking. En 1937, elle est lauréate du Concours Belland, remporte un Premier Prix de violoncelle au Conservatoire, débute aux Concerts Colonne dans le Concerto pour violoncelle d’Édouard Lalo. Sa carrière va faire d’elle l’ambassadrice de l’école française de violoncelle pendant soixante ans. À partir des années 1970, elle se consacre presque exclusivement à la transmission de son savoir. Elle crée notamment la Suite cisalpine pour violoncelle et orchestre de Darius Milhaud (1954), le Concerto pour violoncelle de Charles Brown (1956), celui de Pierre-Max Dubois (1958), la Sonate pour violoncelle et piano (1959) et la Sonate pour violoncelle seul de Georges Migot (1963), la Sonate pour violoncelle et piano de Francis Miroglio (1961), le Concerto pour violoncelle d’Emile Mawet (1965), la Suite en concert (1966) et le Concerto (1971) d’André Jolivet, le Concerto-Rhapsodie d’Aram Khatchatourian (1967), la Sonate pour violoncelle d’Henri Sauguet (1972). En 1966, elle entre à l’École normale de musique de Paris, qu’elle quitte en 1970 pour le Centre musical international d’Annecy, avant que l’Université des Arts de Tokyo, Tōhō Gakuen, la sollicite. Elle y enseigne jusqu’en 1974, date à laquelle elle rejoint la Musik Akademie de Bâle, tout en reprenant ses cours à l’École normale de musique de Paris et en devenant la première femme professeure de violoncelle au Conservatoire national supérieur de musique de Lyon. En 1995, elle cesse d’enseigner et donne ses derniers concerts au Japon. « Je préfère, déclare-t-elle alors, laisser une belle image de moi et je suis fatiguée. » Elle a alors 73 ans et met un terme à une carrière pleine d’humilité et de grâce qui l’a conduite à sélectionner avec retenue ses prestations discographiques, puisqu’elle ne laisse en tout et pour tout que quatre enregistrements.

Bruno SERROU

FLAGSTAD, Kirsten [HAMAR 1895 - OSLO 1962]

Soprano norvégienne.

D’une longévité vocale rarissime, Kirsten Flagstad est l’archétype de la cantatrice tragédienne. L’ampleur et le souffle infini de son chant restent inégalés, faisant de cette soprano dramatique norvégienne la plus grande interprète wagnérienne de tous les temps. Seules ses compatriotes scandinaves, Birgit Nilsson* et Astrid Varnay*, ont pu prétendre l’égaler. Fille du chef d’orchestre Michael Flagstad et de la pianiste Marie Flagstad-Johnsrud, elle étudie le chant à Oslo, où elle fait ses débuts en 1913 en Nuri de Tiefland d’Eugen d’Albert. Puis elle est engagée comme soubrette au Théâtre Mayol d’Oslo où elle chante surtout l’opérette. De 1928 à 1932, elle est membre de la troupe du Théâtre municipal de Göteborg. En 1933, alors qu’elle est sur le point de se retirer, lassée de ne pas percer hors des frontières de son pays, elle est engagée pour de petits rôles au Festival de Bayreuth. L’année suivante, ses Sieglinde dans La Walkyrie et Gutrune dans Le Crépuscule des dieux lui valent un succès retentissant. Elle est aussitôt engagée au Metropolitan Opera de New York où elle débute en 1935 en Sieglinde, avant d’incarner Isolde, Brünnhilde, Elisabeth, Elsa et Kundry. D’un coup, elle est considérée comme l’interprète wagnérienne par excellence. En 1936, elle est acclamée au Covent Garden de Londres et à l’Opéra de Vienne, et se produit avec un immense succès à Chicago, San Francisco, Zurich et Buenos Aires. Après la guerre, un procès totalement injustifié pour collaboration avec l’Allemagne est intenté contre elle et son mari, Henry Johansen, et elle est interdite de scène pendant quelque temps. Elle entreprend une tournée triomphale aux États-Unis (1947-1948), puis se produit principalement à Covent Garden où elle tient tous les grands rôles de Wagner. En 1949 et 1950, elle chante un mémorable Fidelio au Festival de Salzbourg sous la direction de Wilhelm Furtwängler, avec qui elle a créé à Londres en 1948 les Quatre Derniers Lieder de Richard Strauss. En 1951, elle chante au Mermaid Theatre de Londres Didon et Énée de Henry Purcell, et retrouve l’année suivante le « Met », où elle triomphe dans Alceste de Gluck. Après une série de concerts à travers l’Europe, elle se retire sur ses terres norvégiennes, où elle prend la direction de l’Opéra d’Oslo de 1958 à 1960. Elle revient néanmoins au disque en 1958 pour camper Fricka dans L’Or du Rhin dirigé en studio par Georg Solti.

Bruno SERROU

BIANCOLLI L., The Flagstad Manuscript, New York, Putnam, 1952.

FLAMAND-ROZE, Constance [PARIS 1971]

Orthophoniste française.

Née dans une famille bourgeoise, entre une « mère au foyer géniale » et un père éditeur (directeur littéraire du Seuil et créateur de la collection « Points »), Constance Flamand-Roze, après le baccalauréat – littéraire par tradition familiale –, s’engage dans des études scientifiques tout en conservant un lien étroit avec l’amour de la langue. Elle suit un cursus à l’université Paris 6-Pierre et Marie-Curie et découvre la neurologie lors d’un stage de dernière année d’études d’orthophonie à la Pitié-Salpêtrière. Diplômée en 1994, elle occupe depuis 1995 un poste d’orthophoniste au CHU de Bicêtre en neurologie et neurochirurgie. Après des années de clinique pure auprès des patients, elle s’investit dans la recherche en partant du constat qu’il manquait un moyen de détecter rapidement des troubles du langage à la suite d’un AVC. La prise en charge précoce de ces troubles étant directement liée au potentiel de récupération, il fallait créer un outil utilisable par tous dans un contexte où chaque seconde compte. On dispose de quatre heures trente après l’apparition des premiers signes pour administrer le traitement. Or ce traitement comporte des risques : l’évaluation précise des déficits est donc primordiale. C. Flamand-Roze crée alors le Language Screening Test (LAST), qui est validé en 2011. L’échelle de langage qu’elle a conçue est publiée en avril 2011 dans le journal international de neurologie de référence : Stroke. LAST a été présenté dans plusieurs congrès internationaux et est utilisé dans presque tous les services de neurologie de France. Il est actuellement diffusé à l’étranger : des collaborations pour son adaptation en anglais (Canada, Australie, États-Unis, Grande-Bretagne), en allemand, en chinois, en portugais sont en cours. Depuis sa publication, LAST a permis à de nombreux patients de bénéficier de ce traitement, leur déficit de langage ayant été pris en compte au même titre qu’une paralysie. Les recherches concernant le langage et ses troubles se poursuivent grâce à LAST, qui permet une évaluation objective quantitative harmonisée entre différents centres de soins et différents pays. N’oubliant jamais de rappeler le soutien de son mari, le Dr Roze, ni d’associer ses deux enfants à la dynamique de sa recherche, C. Flamand-Roze déclare : « Je ne pourrais pas être la chercheuse que je suis si je n’étais pas la mère que je suis, et vice-versa. »

Jean-Pierre SAG

FLANNER, Janet (GENÊT, dite) [INDIANAPOLIS 1892 - NEW YORK 1978]

Journaliste et écrivaine américaine.

Issue d’une famille aisée, après avoir suivi des cours d’écriture à l’Université de Chicago, Janet Flanner revient dans sa ville natale en 1916 et se voit confier une chronique cinématographique dans le journal local, The Indianapolis Star. En 1918, elle rencontre Solita Solano, éditrice au New York Tribune et rédactrice au National Geographic, avec laquelle débute une relation de presque cinquante ans. Elle prend part au mouvement féministe, devient pigiste et évolue dans le cercle des critiques et écrivains new-yorkais qui formentThe Algonquin Round Table, se liant d’amitié avec l’épouse de l’un des fondateurs du New Yorker Magazine. En 1921, elle quitte les États-Unis avec S. Solano et s’installe à Paris. Elle fait rapidement partie du groupe d’artistes et d’écrivains américains qui vivent dans la capitale de l’entre-deux-guerres. Sa première « Lettre de Paris » paraît en 1925 dans le New Yorker, sous le pseudonyme de Genêt. Son influence est déterminante et grâce à elle les lecteurs américains découvrent les peintres et écrivains européens contemporains. En 1926, elle publie son unique roman, The Cubical City (« la ville cubique »). En 1940, elle rencontre la journaliste italienne Natalia Danesi-Murray, qu’elle surnomme « Darlinghissima » et avec laquelle elle entretient une correspondance jusqu’à sa mort. Après la Seconde Guerre mondiale, qu’elle passe à New York, elle reprend son poste de correspondante pour le New Yorker et contribue pendant quelques mois à une série d’émissions hebdomadaires pour la NBC Blue Network. Ses « lettres » débordent le cadre parisien : elle couvre le procès de Nuremberg, la crise de Suez, l’invasion soviétique en Hongrie, les débuts de la guerre d’Algérie, et exprime souvent sa préoccupation du devenir européen. Elle reçoit la Légion d’honneur à Paris en 1948. La parution de Paris Journal : 1944-1964 lui vaut un prix littéraire, le National Book Award, en 1966.

Marion PAOLI

Darlinghissima, Paris, Des femmes-Antoinette Fouque, 1988 ; Chroniques d’une Américaine à Paris, 1925-1930, Paris, Taillandier, 2011.

FLAVIGNY, Marie Sophie DE VOIR AGOULT, Marie D’

FLEISSER, Marieluise [INGOLSTADT 1901 - ID. 1974]

Écrivaine et dramaturge allemande.

L’œuvre de Marieluise Fleisser a marqué de manière déterminante le champ culturel de la république de Weimar. Fascinante par sa radicalité au niveau narratif et dramatique, elle est encore trop souvent réduite à un document autobiographique. L’histoire de la publication et de la réception de ses textes est représentative de la littérature des femmes dans la première moitié du XXe siècle : non seulement des hommes comme Bertolt Brecht ou Hellmut Draws-Tychsen, auxquels M. Fleisser concède une place importante, instrumentalisent ses textes en y causant parfois de regrettables modifications ; mais elle-même élimine après la première publication de ses récits de nombreux éléments innovateurs qui s’opposent aux habitudes de lecture d’un grand public. Ses œuvres, publiées pour la plupart avant la dictature nazie qui lui interdit d’écrire à partir de 1933, échappent à une classification simple par leur caractère radicalement ouvert et ambigu. Parmi les plus importantes comptent le roman Mehlreisende Frieda Geier (1931), publié plus tard sous le titre Eine Zierde für den Verein(Le Plus Beau Fleuron du club), ses récits Ein Pfund Orangen (« une livre d’oranges », 1929) et ses pièces de théâtre à succès Purgatoire à Ingolstadt (1926) et Pionniers à Ingolstadt (1928-1929). Ses œuvres dramatiques et narratives, situées dans la province bavaroise, critiquent de manière caustique les mœurs de la petite bourgeoisie bornée, les lois d’un catholicisme hypocrite et le sexisme d’une société patriarcale, dans laquelle la femme, comme le dit une de ses protagonistes, « est jetée dans un abîme » par une force invisible, quand elle ne trouve pas d’homme pour lui donner la raison de sa propre existence. Critique sociale impitoyable, dénonciation de la dépendance matérielle et physique de la femme, réflexion lucide sur l’impossibilité d’un amour égalitaire entre les deux sexes, tels sont les aspects qui rapprochent l’écrivaine d’autres auteures d’une époque marquée par le mouvement de la Nouvelle Femme. L’essentiel de son écriture semble pourtant se trouver dans la forme. Walter Benjamin parlait dès 1929 d’« une déchirure dans la langue », qui se traduit par une rupture radicale entre l’instance narratrice – distanciée, froide et laconique – et la protagoniste du texte, voire entre la conscience et la perception d’un seul personnage. Par cette posture narrative il est impossible de distinguer les coupables des victimes ou de trouver un point de repère qui aiderait les personnages à se libérer de leur prison sociale, sexuelle et linguistique. La prose se heurte à une langue représentant le pouvoir, la norme et la violence. Dès lors, l’instance narratrice ne peut utiliser la langue que de manière trébuchante, basculant continuellement entre les pôles de la résistance et de l’impuissance. Cette dimension subversive dans ses textes provoque et stimule toujours les lecteurs d’aujourd’hui.

Christiane SOLTE-GRESSER

Purgatoire à Ingolstadt (Fegefeuer in Ingolstadt), Paris, L’Arche, 1982 ; Pionniers à Ingolstadt (Pioniere in Ingolstadt), Paris, L’Arche, 1982 ; Le Plus Beau Fleuron du club (Eine Zierde für den Verein), Arles, Actes Sud, 1994.

MÜLLER M. E., VEDDER U. (dir.), Reflexive Naivität, Zum Werk Marieluise Fleissers, Berlin, E. Schmid, 1998 ; RÜHLE G. (dir.), Materialien zum Leben und Schreiben der Marieluise Fleisser, Francfort, Suhrkamp, 1973.

SOLTE-GRESSER C., « Alltag als Grenzerfahrung : Das Alltägliche zwischen Gefängnis und Fluchtraum bei Marieluise Fleisser », in ID., Spielräume des Alltags… , Wurzbourg, Königshausen & Neumann, 2010.

FLEM, Lydia [BRUXELLES 1952]

Écrivaine et psychanalyste belge d’expression française.

Les essais de Lydia Flem sur Freud, Casanova, l’opéra, la peur sont d’une grande rigueur scientifique, et déjà remarquables par la priorité accordée à la vie quotidienne, à la sensibilité et à l’intuition littéraire. À travers son expérience personnelle du deuil, elle aborde la problématique universelle de la perte et le nécessaire travail du vide qu’implique la mort des parents. Elle participe à de nombreuses revues ou publications collectives de psychanalyse ou de littérature. Traduite dans 15 langues, elle tient un blog, Table d’écriture, lire, écrire, photographier. En 2009, elle publie Comment je me suis séparée de ma fille et de mon quasi-fils, suivi en 2011 de La Reine Alice.

Jeannine PAQUE

La Vie quotidienne de Freud et de ses patients, Paris, Hachette, 1986 ; L’Homme Freud, Paris, Seuil, 1991 ; Casanova ou l’Exercice du bonheur, Paris, Seuil, 1995 ; La Voix des amants, Paris, Seuil, 2002 ; Panique, Paris, Seuil, 2005 ; Comment j’ai vidé la maison de mes parents, Paris, Seuil, 2004 ; Lettres d’amour en héritage, Paris, Seuil, 2006.

PAQUE J., « Le travail du vide à temps plein », in Le Carnet et les instants, Bruxelles, no 133, 2004.

FLEMING, Marjorie [KIRKCALDY 1803 - ID. 1811]

Poétesse et diariste britannique.

D’une intelligence exceptionnelle, Marjorie Fleming apprend à lire dans la bibliothèque familiale dès l’âge de 3 ans, puis est instruite par sa cousine à Édimbourg, où elle rencontre Walter Scott et se passionne pour la poésie. Souffrant des oreillons, qui se transforment en méningite, elle est de retour chez ses parents, où elle continue d’écrire des vers et rédige un journal intime durant les dix-huit derniers mois de vie. Publiés d’abord dans une version expurgée d’un langage qui semblait ne pas convenir au langage d’une enfant de l’époque, son journal et ses poésies n’ont été publiés intégralement qu’en 1935. C’est là une œuvre au style élaboré, écrite dans une langue riche et osée mêlée de religiosité. Tout à fait remarquable sous la plume d’une enfant de 8 ans, elle est aujourd’hui sans doute injustement négligée.

Geneviève CHEVALLIER

Marjory’s Book : The Complete Journals, Letters and Poems of a Young Girl, McLean B. (dir.), Édimbourg, Mercat Press, 1999.

FLEMING, Renée [INDIANA 1959]

Soprano américaine.

Artiste complète, maîtrisant tout autant l’art du chant lyrique que celui du jazz, de la comédie musicale, de la pop et des claquettes, douée d’un sens de l’humour rare dans le métier, Renée Fleming est l’une des grandes divas de sa génération. Elle est aussi à l’aise dans les rôles colorature, lyriques ou dramatiques légers, le tout associé à un amour des langues qui lui permet d’aborder un très large répertoire. Néanmoins, les rôles les plus représentatifs de son art sont la Comtesse Almaviva des Noces de Figaro de Mozart, Violetta de La Traviata et Desdémone d’Otello de Verdi, les rôles-titres de Manon et Thaïs de Massenet, la Maréchale du Chevalier à la rose, la Comtesse de Capriccio et le rôle-titre d’Arabella de Strauss, ainsi que celui de Rusalka de Dvořák. Fille de deux professeurs de musique, elle étudie à la Crane School of Music de New York et choisit de poursuivre sa formation à l’Eastman School of Music de Rochester avec Jan DeGaetani. Diplôme en poche, elle se rend en Europe pour se perfectionner auprès d’Arleen Auger et d’Elisabeth Schwarzkopf*, avant de parfaire sa technique vocale à la Juilliard School de New York, où elle chante Musette dans La Bohème de Giacomo Puccini et la Femme de Tamu-Tamu de Gian Carlo Menotti. En 1986, elle est Constance de L’Enlèvement au sérail de Mozart à Salzbourg. En 1988, elle remporte les Metropolitan Opera Auditions et chante la Comtesse des Noces de Figaro à l’Opéra de Houston, rôle dans lequel elle fait ses premiers pas au Metropolitan Opera de New York et à l’Opéra de San Francisco en 1990. En 1996, elle est Donna Anna de Don Giovanni de Mozart à l’Opéra de Paris, Eva des Maîtres chanteurs de Nuremberg de Wagner au Festival de Bayreuth, Marguerite du Faust de Gounod à Chicago et, l’année suivante, la Maréchale du Chevalier à la Rose à l’Opéra de Paris, où elle est aussi Manon de Massenet et Rusalka de Dvořák. Toujours à l’Opéra de Paris, elle enthousiasme le public par son incarnation d’Alcina de Haendel dirigée par William Christie en 1999. Depuis lors, théâtres lyriques, festivals, salles de concert, orchestres du monde entier se la disputent. Pourtant, la cantatrice, malgré ses dons pour le théâtre, dit préférer se produire en concert. En 2009, Henri Dutilleux compose pour elle l’une de ses ultimes partitions, Le Temps l’horloge. En 2010, l’Opéra de Chicago crée pour elle le poste de creative consultant.

Bruno SERROU

FLEMING, Williamina (née PATON STEVENS) [DUNDEE 1857 - BOSTON 1911]

Astrophysicienne écossaise.

Immigrée aux États-Unis en 1878 avec son époux qui la quitte un an plus tard, Williamina Paton Fleming se retrouve sans ressources, pour elle et son fils. Elle débute alors comme servante chez le directeur de l’observatoire d’Harvard, Edward Pickering. La légende veut que celui-ci, mécontent de ses employés, ait un jour déclaré que sa servante pourrait travailler mieux qu’eux, et que, joignant immédiatement le geste à la parole, il l’engagea à mi-temps à l’observatoire. La vérité est que, directeur d’un observatoire désargenté, E. Pickering embauchait de nombreuses femmes, aussi douées que les hommes mais bien plus économiques – il n’avait certainement pas manqué de remarquer l’intelligence de sa bonne. Après un apprentissage auprès de Nettie A. Ferrar, W. P. Fleming sait mesurer la magnitude ou la position des astres et analyser leur spectre, s’occupe du Henry Draper Memorial, et prépare les publications de l’observatoire, les Harvard Annals. À la demande d’E. Pickering, dont elle devient le véritable bras droit, elle met au point un système de classification stellaire basé sur l’intensité décroissante de la signature spectrale de l’hydrogène : les étoiles sont ainsi réparties en 14 groupes notés de A à O (la classe J était omise pour éviter toute confusion), auxquels s’ajoutent deux classes P et Q, réservées aux cas particuliers. L’astrophysicienne classe plus de 10 000 étoiles selon ce nouveau critère pour un catalogue publié en 1890. Par ailleurs, elle découvre 59 nébuleuses, plusieurs naines blanches uniquement sur base spectrale, 94 des 107 étoiles de type Wolf-Rayet, ainsi que 10 des 28 novae connues de son vivant, et plus de 300 nouvelles étoiles variables dont elle montre les particularités du spectre, au moins pour certaines catégories. À travers discours et articles, elle tente également de faire avancer la cause féminine. En 1898, elle devient conservatrice des photographies astronomiques, et reçoit, peu avant sa mort, la médaille d’or de la Société astronomique du Mexique.

Yaël NAZÉ

CANNON A. J., « Williamina Paton Fleming », in Astrophysical Journal, vol. 34, 1911.

FLESSEL-COLOVIC, Laura [POINTE-À-PITRE 1971]

Escrimeuse française.

Les femmes épéistes n’entrent en lice qu’en 1996, à Atlanta, avec 48 concurrentes de 24 nations, et Laura Flessel-Colovic inaugure le palmarès. Arrivée en métropole cinq ans auparavant depuis la Guadeloupe, où elle a découvert l’escrime, elle taille son chemin – usant en particulier d’une touche au pied décontenançant ses adversaires – jusqu’à la finale où, par 15 à 12, elle domine une autre Française, Valérie Barlois. Toutes deux partagent ensuite, avec leur équipière Sophie Moressée-Pichot, la médaille d’or du concours par équipes remporté 45 touches à 33 sur l’Italie malgré un démarrage cahotant. N’ayant de cesse d’étudier de nouvelles combinaisons, particulièrement avec le maître Daniel Levavasseur au Racing Club de France, L. Flessel-Colovic est invincible à La Chaux-de-Fonds lors des Championnats du monde 1998 – au titre individuel elle ajoute le titre par équipes – puis à Séoul en 1999. À Sidney, la Hongroise Tímea Nagy (cinquième d’Atlanta) l’arrête de 15 touches à 14 en demi-finale, et L. Flessel-Colovic accepte sa médaille de bronze olympique avec une sportivité remarquée. Elle quitte alors les pistes et devient mère d’une petite fille en 2001. Quatre mois après l’accouchement, elle est de retour à Nîmes pour ne s’incliner qu’en finale mondiale devant l’Allemande Claudia Bokel. En 2002, la voici prise dans le maelström des approximations de la lutte antidopage ; victime en fait d’un conflit opposant le président de la Fédération internationale à celui de la Fédération française, suspendue pour trois mois, elle est durablement affectée. Cependant, aux Jeux olympiques d’Athènes en 2004, seule T. Nagy la prive une fois encore de la médaille d’or ; à cet argent, elle ajoute le bronze par équipes. Et c’est par équipes également qu’en octobre 2005 à Leipzig, elle emmène Hajnalka Kiraly-Picot, Maureen Nisima et Sarah Daninthe au titre mondial.

Devenue le vecteur visuel de plusieurs campagnes publicitaires, elle conserve le goût et l’ambition d’une compétitrice née. En 2007 à Gand, elle complète son tableau avec un Championnat d’Europe gagné 15 touches à 13 contre la Suédoise Emma Samuelsson ; la même année, elle fait sienne une troisième coupe du monde, après celles de 2002 et de 2003. Présente au rendez-vous olympique de Pékin, malgré son élimination contestée en quart de finale, elle décide de poursuivre sa route, mais des médailles de bronze individuelles et par équipes aux Championnats d’Europe 2009, 2010 et 2011 ne la comblent pas plus qu’une quatrième place aux Mondiaux 2009 d’Antalya (Turquie). Elle ne pense qu’aux Mondiaux 2010 à Paris : sous la verrière du Grand Palais, elle ne se classera cependant que sixième de l’épreuve individuelle et cinquième par équipes. En octobre 2010, elle devient membre du Conseil économique. Ayant réussi à se qualifier pour ses cinquièmes Jeux olympiques en 2012 à Londres, choisie comme porte-drapeau des tricolores, elle s’incline face à la Roumaine Simona Gherman et met fin à sa carrière.

Jean DURRY

FLEUROT, Audrey [MANTES-LA-JOLIE 1977]

Comédienne française.

C’est dans les coulisses de la Comédie-Française, où son père travaille comme pompier de service, qu’Audrey Fleurot découvre le théâtre alors qu’elle est enfant. Après des études d’art à la Sorbonne, elle complète sa formation à l’École nationale supérieure des arts et techniques du théâtre de Lyon (ENSATT). Si sa carrière débute sur les planches, c’est grâce au petit écran qu’elle se fait connaître du grand public, avec des rôles variés dans diverses séries télévisées : Kaamelott de 2004 à 2009, Engrenages de 2005 à 2012, Un village français de 2009 à 2013. Son charisme singulier, mêlant froideur et émotion, ne tarde pas à conquérir les plateaux de cinéma. Elle tourne dans plusieurs long-métrages (dont Les Femmes du sixième étage de Philippe Le Guay), avant de participer en 2011 au succès triomphal du film Intouchables, d’Éric Toledano et Olivier Nakache, dévoilant à la fois un immense pouvoir de séduction et un grand sens de l’autodérision. Depuis lors, la comédienne enchaîne les tournages (La Délicatesse de David et Stéphane Foenkinos, Pop Redemption de Martin Le Gall, La Confrérie des larmes de Jean-Baptiste Andrea, etc.), se révélant dans des genres variés et partageant l’affiche avec des actrices telles que Nathalie Baye* (Les Reines du ring de Jean-Marc Rudnicki) ou Isabelle Adjani* (Sous les jupes des filles d’Audrey Dana). En 2014, A. Fleurot revient à ses premières amours en montant sur la scène du théâtre Édouard VII pour Un dîner d’adieu ; « Il y a dans son jeu quelque chose d’à la fois très féminin et très viril », souligne Bernard Murat qui la dirige dans cette comédie.

Anne-Charlotte CHASSET

FLEURY, Cynthia [1974]

Philosophe et psychanalyste française.

La métaphysique est le point de départ de Cynthia Fleury, qui soutient sa thèse en 2000 sur La Métaphysique de l’imagination. Elle s’oriente ensuite vers des questions politiques et éthiques, puis devient psychanalyste en 2009. Elle combine la réflexion avec des engagements extra-universitaires. Après avoir travaillé dans plusieurs laboratoires du CNRS, elle rejoint en 2010 celui de la Conservation des espèces, restauration et suivi des populations (Cersp), au Muséum national d’histoire naturelle. Elle enseigne principalement à l’American University of Paris, à l’Institut d’études politiques de Paris, et à l’École polytechnique. Elle est membre fondatrice du Réseau international des femmes philosophes, parrainé par l’Unesco (2007), est active dans le centre de réflexion européen EuropaNova, appartient au conseil stratégique de la Fondation Nicolas-Hulot pour la nature et l’homme. Chargée d’une chronique « philosophie » dans le journal L’Humanité, C. Fleury s’exprime fréquemment dans des émissions de télévision ou par interviews dans des magazines. Dans Les Pathologies de la démocratie (2005), elle propose un diagnostic de la démocratie française, invitée à passer à un âge adulte. Dans La Fin du courage : la reconquête d’une vertu démocratique (2010), elle évoque l’expérience personnelle d’avoir un moment « perdu le courage », pour articuler le courage moral, individuel, indispensable au courage politique, collectif. En psychanalyse, elle travaille notamment sur l’addiction.

Catherine GUYOT

Métaphysique de l’imagination, Paris, Éditions d’écarts, 2000 ; Pretium doloris, l’accident comme souci de soi, Paris, Pauvert, 2002.

FLEURY, Maria DE [V. 1759 - V. 1791]

Poétesse et polémiste britannique.

Par déduction, on pense que Maria de Fleury naquit avant 1760. Baptiste convaincue, moraliste, auteure de pamphlets et d’hymnes, on la rencontre sur le terrain des polémiques théologiques et politiques. Elle s’impliqua au moment des Gordon Riots, émeutes déclenchées par le Papists Act de 1778 qui assouplissait la mise à l’écart des catholiques, et publia en 1781 Poems, Occasioned bythe Confinement and Acquittal of the Right Honourable Lord George Gordon, President of theProtestant Association. Entre 1787 et 1791, elle entretint une guerre de pamphlets avec William Huntington, le charbonnier prédicateur calviniste, à propos de l’antinomianisme, cette doctrine protestante qui veut que l’homme conserve assez de bonté morale pour appréhender ce qu’est le bien sans avoir besoin de la crainte de la loi et de l’enfer. Dans Divine Poems and Essays on VariousSubjects (1791), elle offre des méditations sur les Écritures, des élégies de circonstance ou des épithalames, et ses vers, surtout, témoignent d’une imagination pleine de fougue.

Françoise LAPRAZ SEVERINO

WHELAN T., « “For the Hand of a Woman has Levell’d the Blow” : Maria de Fleury’s pamphlet war with William Huntington, 1787-1791 », in Women’s Studies, vol. 36, no 6, sept. 2007.

FLEURY, Sylvie [GENÈVE 1961]

Artiste multimédia et sculptrice suisse.

De retour de New York où elle a fréquenté la Germain School of Photography, Sylvie Fleury a tenu à Genève, durant les années 1980, un lieu d’exposition alternatif qui fut le rendez-vous de l’avant-garde suisse. Mais elle est connue avant tout pour ses sculptures, installations, photographies et performances, qui, depuis 1990, mettent en avant des objets liés à l’industrie du luxe et à la consommation triomphante des deux dernières décennies du XXe siècle. Parmi ses œuvres les plus célèbres, on trouve les différentes versions des Shopping Bags : l’artiste dispose à même le sol de la salle d’exposition les sacs qui lui ont servi à emporter des articles achetés auprès des grandes marques de mode, estampillés à leur nom. Elle réalise ainsi ce que la critique appelle le « détournement », pratique critique venant des ready-made de Marcel Duchamp (ainsi Fontaine, Paris, 1917) puis du pop art. Comme ceux de ses prédécesseurs, ses détournements sont ambigus. Ses œuvres visent-elles à la dénonciation ou, au contraire, à l’éloge ? Dans ses voitures de luxe repeintes aux couleurs de vernis à ongles (Skin Crime, 1997, dont il existe plusieurs réalisations et dont le sous-titre, Givenchy 601, se réfère à une marque de maquillage), faut-il voir une accusation de la domination masculine ? L’artiste récuse pourtant toute position féministe et possède elle-même plusieurs voitures de sport. Aussi, quand elle expose des sculptures en forme de tubes géants de rouge à lèvres ou des photographies de chaussures à la mode, elle montre avant tout à quel point ces objets suscitent le désir et le fétichisme. Ses œuvres – qui exercent un pouvoir de séduction revendiqué – attirent autant pour leur aspect kitsch, non dépourvu d’humour (ainsi la série First Spaceship on Venus [« premier vaisseau spatial sur Vénus »], 1996-1999, sortes de gigantesques phallus prêts pour la conquête spatiale), que pour leur fini similaire à des objets de design (la série Mushrooms [« champignons »], 2006). L’artiste réunit ainsi l’art, la mode et le design. Elle dénonce moins la consommation qu’elle ne s’amuse de la dérive glamour de l’art contemporain. Le musée d’Art moderne et contemporain (Mamco) de Genève lui a consacré une exposition rétrospective en 2008-2009.

Anne MALHERBE

Sylvie Fleury : The Art of Survival (catalogue d’exposition), Graz, Neue Galerie am Landesmuseum Joanneum, 1993 ; Sylvie Fleury : First Spaceship on Venus and Other Vehicles (catalogue d’exposition), Berne/Baden, Swiss Federal Office of Culture/Lars Müller, 1998 ; Sylvie Fleury (catalogue d’exposition), Dijon/Paris, Les Presses du Réel/Réunion des musées nationaux, 2001.

TRONCY É., « Sylvie Fleury, l’insolence dernier cri », in Beaux-arts magazine, no 210, nov. 2001.

FLEUTIAUX, Pierrette [GUÉRET 1941]

Écrivaine française.

Née d’une mère enseignante en sciences naturelles et d’un père directeur d’une École normale d’instituteurs, Pierrette Fleutiaux se passionne tôt pour la lecture – elle écrira aussi pour de jeunes lecteurs. En parallèle avec une carrière de professeure, de nombreux voyages et un engagement féministe constant, elle s’est attachée à des genres littéraires multiples : nouvelles fantastiques, contes revisitant la tradition avec humour (Métamorphoses de la reine, prix Goncourt de la nouvelle 1985), roman d’aventures (L’Expédition, 1999, sur l’île de Pâques), romans d’amour traversés par l’histoire et le social (Nous sommes éternels, prix Femina 1990 ; Les Amants imparfaits, 2005), « photoroman » (Les Étoiles à l’envers, avec J. S. Cartier, 2006), récits renouvelant l’autobiographie (Des phrases courtes, ma chérie, 2001, plusieurs fois primé ; La Saison de mon contentement, 2008, sur la candidature féminine aux présidentielles). Ses thèmes de prédilection – les transformations charnelles et le dédoublement, le fantastique, la complexité des liens parents/enfants, les ravages de la guerre et de la mort, la (com)passion – la mènent à confronter l’écriture au plus intense de l’expérience humaine.

Anne SIMON

Sauvée ! , Paris, Gallimard, 1993 ; Allons-nous être heureux ? , Paris, Gallimard, 1994 ; Histoire du gouffre et de la lunette, et autres histoires, Arles, Actes Sud, 2003 ; Bonjour, Anne, chronique d’une amitié, Arles, Actes Sud, 2010.

FLON, Suzanne [LE KREMLIN-BICÊTRE 1918 - PARIS 2005]

Actrice française.

Secrétaire d’Édith Piaf*, Suzanne Flon fait ses débuts après avoir présenté le récital de la chanteuse à l’ABC, à Bobino, ou encore au théâtre de l’Étoile, jouant dans son premier film, L’Ange de la nuit (André Berthomieu), en 1942. Son visage d’oiseau, sa grâce fragile et sa voix mélodieuse l’imposent. Elle triomphe sur scène en Alarica, la princesse du Mal court de Jacques Audiberti (1947). Elle joue beaucoup au boulevard, mais incarne aussi Jeanne d’Arc* (dans L’Alouette de Jean Anouilh) et joue La Nuit des rois de Shakespeare. En 1958, dans L’Intrigante amoureuse de Goldoni, elle a pour partenaires Hubert Deschamps, Christiane Minazzoli et Dominique Paturel. Loleh Bellon* lui écrit des rôles sur mesure, dans lesquels elle remporte un grand succès. Dans L’Amante anglaise de Marguerite Duras*, elle se distingue en meurtrière énigmatique. Elle tourne de nombreux films pour le cinéma, apparaissant dans Moulin rouge (1952) de John Huston (dont elle partage un temps la vie), Monsieur Arkadin (1955) et Le Procès (1962) d’Orson Welles, Le Train (John Frankenheimer, 1964), Monsieur Klein (Joseph Losey, 1976), mais aussi Quartet (James Ivory, 1981). En 1970, elle trouve un rôle à sa mesure dans Teresa, de Gérard Vergez, d’après la pièce de Natalia Ginzburg*. Elle tourne plusieurs fois avec Jean Becker, de L’Été meurtrier (1983) jusqu’à Effroyables jardins (2003). Elle travaille enfin avec Claude Chabrol (La Fleur du mal, 2003 ; La Demoiselle d’honneur, 2004) avant de faire sa dernière apparition dans Fauteuils d’orchestre (Danièle Thompson*, 2006).

Bruno VILLIEN

FLORENCE K (Florence KHORIATY, dite) [MONTRÉAL 1983]

Auteure-compositrice-interprète et pianiste canadienne.

Fille de Nathalie Choquette et d’un compositeur de musique cairote, célèbre soprano, Florence K est une enfant de la balle. Après avoir étudié le chant lyrique et accompagné sa mère en tant que choriste, elle apprend le piano, puis se produit régulièrement dans un restaurant du Vieux-Montréal. En 2005, elle autoproduit son premier album live, suivi par un second, Bossa Blue, dont les titres Chéri, El Silencio, Vol de nuit séduisent le public comme la critique ; certifié disque d’or, il propulse sa carrière en proposant un répertoire élaboré, oscillant entre le jazz, le blues, la bossa nova ou encore la pop. En 2008, elle entreprend une tournée européenne, assurant la première partie des concerts d’Isabelle Boulay, Patrick Bruel et Bernard Lavilliers ; c’est d’ailleurs avec la collaboration de ce dernier qu’elle écrit son troisième album, La Historia de Lola. Élue ambassadrice de l’Unicef au Québec, elle œuvre pour l’enfance déshéritée. En 2010, elle enregistre Havana Angels, un recueil de chants de Noël modernisés et de textes originaux, et confirme sa notoriété de jeune auteure-compositrice-interprète au Canada.

Anne-Claire DUGAS

La Historia de Lola, Musicor, 2008.

FLORENCE, Mary SARGANT [LONDRES 1857 - TWICKENHAM 1954]

Peintre et suffragette britannique.

Fille d’un avocat, sœur de la botaniste Ethel Sargant, Mary Sargant étudie l’art à Paris auprès de Luc-Olivier Merson, Prix de Rome, puis à la Slade School of Fine Art de Londres avec Alphonse Legros. En 1888, elle commence à exposer à la Arts and Crafts Exhibition Society, puis épouse le musicien américain Henry Smyth Florence et le suit aux États-Unis. Ensemble, ils ont un fils et une fille, la future Alix Strachey*, psychanalyste et membre du groupe de Bloomsbury dans les années 1920. En 1892, à la mort de son mari, elle rentre en Angleterre. En 1900, elle entreprend un premier cycle de fresques pour la Old School de Oakham. Elle choisit pour thème l’histoire de Gareth, chevalier de la Table ronde, tirée des romans arthuriens de sir Thomas Malory, Le Morte d’Arthur (1485). Elle peint à l’eau, sur un enduit humide, en limitant sa palette à des pigments terreux pour unifier l’effet général. En 1912, elle revient au médium à l’huile pour des panneaux destinés au Chelsea Town Hall, puis se lance dans une nouvelle série de fresques pour la Bournville School dans les West Midlands. Elle laisse de nombreux cartons préparatoires, dont Suffer Little Children to Come Unto Me (« laissez les petits enfants venir à moi », Tate Britain, Londres). À cette époque, elle commence à enseigner la fresque à la Slade School of Fine Art et rédige plusieurs articles sur la technique qu’elle affectionne. Indépendante dans ses choix artistiques, elle revendique également l’égalité des sexes et s’engage dans le mouvement pour l’obtention du suffrage féminin ; elle réalise notamment en 1908 la bannière « Dare to Be Free » (« osez être libres ») pour la Women’s Freedom League. Membre du comité général anglais au Congrès international des femmes à La Haye en 1915, elle écrit à son retour avec Charles Kay Ogden un pamphlet antimilitariste : Militarism Versus Feminism (« le militarisme opposé au féminisme »).

Marie GISPERT

Avec OGDEN C. K., Militarism Versus Feminism, in KAMESTER M., VELLACOTT J. (dir.), Militarism Versus Feminism : Writings on Women and War, Londres, Virago, 1987.

POWERs A., « The fresco revival in the early 20th century », in Journal of the Decorative Arts Society, 1850 to the Present, no 12, 1988.

FLORENCIA PINAR [XVe siècle]

Poétesse espagnole.

On possède peu d’éléments avérés sur la biographie de Florencia Pinar : considérée comme un membre du groupe des puellæ doctæ, elle a été dame d’honneur à la cour d’Isabelle Ire de Castille (Isabelle la Catholique), et l’on suppose qu’elle a reçu une éducation courtoise. Elle a acquis la renommée grâce à sa participation aux festivals poétiques, à l’occasion des grands événements de la vie du royaume. Le nombre de ses compositions reste incertain ; néanmoins, sept poèmes ou chansons lui sont attribués, dont trois figurent dans le Cancionero general (« recueil de chansons général », 1511) de Hernando del Castillo, fait inhabituel pour une poétesse, au XVe siècle : « Ay, que hay quien más no vive » (« hélas, il y a quelqu’un qui ne vit plus ») ; « Destas aves su nación » (« de ces oiseaux leur nation ») et « El amor ha tales mañas » (« l’amour a de tels artifices »). La Glosa de Florencia (« glose de Florence ») a été également conservée. Sa devise poétique était « Mi dicha lo desconcierta » (« mon bonheur le déconcerte »), et sa poésie évoque l’amour et le désir, sentiments intériorisés et sources de douleur, dans un langage qui reprend les lieux communs de la littérature courtoise de l’époque : l’amour comme prison et la douleur de l’absence, néanmoins chargés d’un sens érotique rare. Aux détails réalistes se mêlent des métaphores et des symboles exprimant la passion, où se retrouvent des éléments de la nature et du monde animal propres aux bestiaires médiévaux, mais très peu courants dans la poésie de l’époque. Ses poèmes peuvent être considérés comme pionniers de ce que la critique moderne appelle « écriture féminine ».

María José VILALTA

RIVERA M. M., « Florencia Pinar », in CABALLÉ, A. (dir.), Por mi alma os digo, de la Edad Media a la Ilustración, la vida escrita por las mujeres, Barcelone, Lumen, 2004 ; SNOW J., « The spanish love poet Florencia Pinar », in WILSON K. M. (dir.), Medieval Women Writers, Athens, University of Georgia Press, 1984.

RECIO R., « Otra dama que desaparece, la abstracción retórica en tres modelos de canción de Florencia Pinar » in Revista Canadiense de Estudios Hispánicos, no 16, 1992.

FLORENSKAÏA, Olga [LENINGRAD 1960]

Poétesse et peintre russe.

Olga Andreïevna Florenskaïa a fait ses études à l’institut d’art et d’industrie de la céramique Moukhina. Depuis 1985, elle pratique plusieurs arts plastiques, la peinture, la sculpture, la céramique, l’illustration de livres, le graphisme, le collage. Elle travaille également au dessin et à la réalisation de films d’animation, comme Skazka o tchoude iz tchoudes (« l’histoire de la merveille des merveilles », 1994), ou Trofeïnye fil’my (« films trophées », 2004). Elle est membre fondateur du collectif d’artistes Mitki. En tant que poétesse, elle a publié un court recueil, qui lui a été inspiré par le regain d’intérêt au début des années 1990 pour le futurisme russe et l’affiche des peintres d’avant-garde des années 1920 et 1930, Psikhologiia bytovogo chrifta (« psychologie d’une police ordinaire »). À partir des graffitis, un de ses centres d’intérêt, elle propose une classification des polices : les « vierges », celles des enfants, des graffitis et autres « écrits de palissade », écritures libres et naturelles ; les écritures « malignes », déformation des précédentes ; et enfin les écritures « stéréotypées » les caractères d’imprimerie séparés, signe de l’esclavage imposé par la civilisation. Comme beaucoup d’auteurs russes postsoviétiques, elle aborde la question de l’identité russe en s’interrogeant sur le devenir de certaines lettres de l’alphabet cyrillique. Ses écrits s’inscrivent dans la droite ligne des avant-gardes russes, qui déplacent avec pédagogie l’intérêt de l’œuvre et l’attention du lecteur du contenu du texte vers sa forme et sa plastique.

Marie DELACROIX

FLORES, Ana [LA HAVANE, CUBA 1955]

Artiste environnementale américaine.

Fille d’un père architecte et d’une mère peintre, Ana Flores quitte Cuba avec sa famille pour se réfugier aux États-Unis en 1962. Diplômée en 1979 de la Rhode Island School of Design, elle est spécialiste de l’art public, connue pour son travail innovateur et multidisciplinaire : sculpture environnementale, promotion de l’art comme source de guérison, initiatives écologiques, architecture viable et durable. Elle utilise divers supports et matériaux : bois, terre cuite, métal, papier mâché, peinture, objets trouvés. Créatrice de sculptures indépendantes, d’installations intérieures et en plein air, elle produit de nombreuses œuvres pour des jardins publics et des hôpitaux. Plusieurs musées américains exposent son travail dans leurs collections permanentes, notamment le musée Lyman Allyn à New London (Connecticut), le Vanderbilt University Medical Center à Nashville (Tennessee) et le Musée des enfants de Providence (Rhode Island). Elle est l’auteure de plusieurs expositions dans diverses villes des États-Unis : International Invitational, Florida Museum of Latin American Art, Miami (1993) ; Spirit Trap (« piège de l’esprit »), El Museo del Barrio, New York (1996) ; Gaia, National Museum for Women, Washington DC (1998) ; Constructed Cosmologies, Alva Gallery, New London, Connecticut (2002) ; Cuban Journal, Alva Gallery (2007), entre autres. Mais elle expose également au Canada, en Angleterre, en Italie et en Nouvelle-Zélande. Fondatrice de plusieurs associations visant à la collaboration entre les scientifiques, les artistes, les médecins, les militants écologistes et le public, elle est notamment à l’origine de Green Visions (« visions écologiques »), premier programme d’éducation écologique proposé dans un Fish and Wildlife Center, à Charlestown (Rhode Island), et de Gaia Dialogues, projet collaboratif éducatif entre des artistes, des enseignants et des spécialistes de l’environnement. Enfin, elle reçoit de nombreux prix : le TogetherGreen Fellowship (décerné par Toyota et la société Audubon) ; le 2000 Millennium Grant du Rhode Island et des bourses du Council of the Arts de l’État du Rhode Island.

Rosanna WARREN

FLORES AMAYA, Micaela (dite LCHUNGA) [MARSEILLE V. 1937]

Danseuse et peintre espagnole.

Plus connue sous son nom d’artiste, La Chunga, Micaela Flores Amaya arrive à Barcelone à un an avec ses parents, gitans andalous. C’est dans cette ville qu’elle commence à se produire en public, dès l’âge de 6 ans, en dansant dans les bars, jusqu’à ce que le peintre Francisco Rebés la découvre et devienne l’instigateur de sa carrière artistique en la faisant danser à l’Emporium, où elle devient un personnage du groupe d’intellectuels catalans. Dans l’atelier de son mentor, elle prend goût à la peinture, et, dans un style que Pablo Picasso qualifie de « naïf lumineux », se livre à cet art qui lui vaut la notoriété. Elle expose à Madrid et dans d’autres capitales, européennes et américaines, et réalise une série de performances avec Salvador Dalí : elle danse sur la toile tandis qu’il ajoute de la couleur. En 1956, elle est engagée dans le tablao (cabaret andalou) de Pastora Pavon* (La Argentina), à Palamos, puis fait ses débuts à Madrid dans la troupe Le Corral de la Moreria. Grâce à Ava Gardner*, elle tourne deux films à Hollywood et se produit à Las Vegas. Toujours aux États-Unis, elle participe aux premières émissions de la télévision en couleur. À partir de 1958, elle vit entre l’Espagne, l’Amérique latine et les États-Unis. En 1961, elle présente un spectacle de variétés, Chunga Carrousel, au Club York dans le cadre du Prix de Madrid. L’année suivante, elle entame au Liban une tournée qui inaugure un long périple en Afrique et en Asie. Le fait qu’elle danse pieds nus et avec une plasticité nerveuse dans les attitudes concourt à créer une esthétique flamenca très personnelle. Blas de Otero, Rafael Alberti, José Manuel Caballero Bonald et León Felipe lui ont dédié des poèmes.

Sarah CARMONA

BLAS VEGA J., RÍOS RUIZ M., Diccionario enciclopédico ilustrado del flamenco, Cinterco, 1990.

De espaldas a la puerta, José María Forqué, 88 min, 1959 ; Un sauvage, deux femmes (El último verano), Juan Bosch, 92 min, 1961 ; Ley de Raza, José Luis Gonzalvo, 87 min, 1969.

FLORES SILVA, Beatriz [MONTEVIDEO 1956]

Réalisatrice, scénariste et productrice uruguayenne.

Beatriz Flores Silva, la plus célèbre des cinéastes uruguayennes, a dû quitter le pays pendant la dictature. Installée en Belgique, elle s’est formée à l’Institut des arts de diffusion avant de fonder la coopérative AA Les Films Belges. Elle a commencé par réaliser des courts-métrages : El Pozo (« le puits », 1988), Les Lézards (1990), ainsi que L’Honnêteté, un des segments du long-métrage Les Sept Péchés capitaux (1992), et obtenu de nombreux prix. De retour en Uruguay, elle a réalisé La Historia casi verdadera de Pepita la Pistolera (« l’histoire presque vraie de Pepita la braqueuse », 1993), inspirée d’une histoire réelle, celle d’une femme qui, par nécessité, braquait des agents de change avec la poignée cassée d’un parapluie. Le film a reçu de multiples prix nationaux et internationaux. En la puta vida (« putain de vie », 2001) s’inspire encore de faits réels, relatant le parcours d’une prostituée uruguayenne, prise dans un piège de crimes et de violence, avec son amie, en Espagne ; toutes deux parviennent, avec l’aide de la police, à faire arrêter leur proxénète et à rentrer au pays grâce au gouvernement espagnol. Le film a remporté de multiples récompenses, notamment la Llave de la libertad et le Colón de oro au Festival du film ibéro-américain de Huelva en 2001. Son dernier film, Polvo nuestro que estás en los cielos (« notre poussière qui êtes aux cieux », 2008), se passe durant les années précédant la dictature. Il raconte la vie d’une famille décadente de la haute société, comme un symbole du pays lui-même, de ses souvenirs d’opulence à sa chute chaotique, entre l’idéologie révolutionnaire des Tupamaros et le système répressif menant au coup d’État militaire de 1973. Relevant de l’allégorie, caustique, c’est sans doute le plus passionné des films de la cinéaste. Fondatrice de l’Ecu, la première et unique école de cinéma du pays, B. Flores Silva représente l’industrie cinématographique sous toutes ses formes.

Estela VALVERDE

FLORESTA, Nísia (Dionísia GONÇALVES PINTO, dite) [PAPARI, AUJ. NÍSIA FLORESTA 1810 - ROUEN 1885]

Écrivaine brésilienne.

Nísia Floresta est considérée comme une pionnière du féminisme au Brésil. Elle se marie à 13 ans avec un jeune propriétaire terrien qu’elle quitte pour retourner chez ses parents. En 1928, elle s’installe dans la ville d’Olinda, dans le Pernambouc, avec un étudiant en droit. Son premier livre, Direitos das mulheres e injustiça dos homens (« droits des femmes et injustice des hommes », 1832), qu’elle signe sous le nom de Nisía Floresta Brasileira Augusta, est une traduction libre de Vindications of the Rights of Woman (« revendications des droits de la femme »), de Mary Wollstonecraft (la mère de Mary Shelley*), dans lequel elle introduit ses propres idées au sujet de l’oppression des femmes brésiliennes de son époque. En 1833, elle se retrouve seule avec deux enfants en bas âge après la mort de son mari. Elle s’installe alors à Rio de Janeiro, où elle fonde deux écoles pour femmes, dirige l’une d’elles, et subit les pressions des conservateurs de la capitale. Dans Conselhos a minha filha (« conseils à ma fille », 1845) et Opúsculo humanitário (« brochure humanitaire », 1853), elle défend l’éducation et l’émancipation des femmes comme facteurs nécessaires au progrès de la société. Elle écrit également sur la réalité nationale. Dans A lágrima de um caeté (« une larme de Caeté », 1849), un poème en 712 vers, elle établit un parallèle entre la répression de l’Empire brésilien face aux mouvements nationalistes et la souffrance des Indiens opprimés par les Portugais. Dans ses chroniques publiées dans la presse (« Páginas de uma vida obscura », « pages d’une vie obscure », 1855), elle prend position au sujet de l’injustice et de la violence de l’esclavage. En 1849, elle part pour l’Europe et s’y installe avec sa fille Lívia Augusta, retournant de temps en temps au Brésil où elle continue de publier. À la suite de sa rencontre avec Auguste Comte, elle adopte certains principes du positivisme ; ils échangent 13 lettres au cours de l’année 1855. N. Floresta voyage en Europe, notamment au Portugal, en Grèce et en Italie, où elle vit quelque temps, à Florence. Elle écrit en français et en italien : Itinéraire d’un voyage en Allemagne (1857) ; Scintille d’un’anima brasiliana (« l’éclat d’une âme brésilienne », recueil d’essais sur le Brésil, 1859) ; Trois ans en Italie, suivis d’un voyage en Grèce (1864 et 1867) ; et Le Brésil (1871). En 1948, en hommage à son travail, le gouvernement de l’État de Rio Grande do Norte rebaptise sa ville natale Nísia Floresta.

Regina CRESPO

FLORIN, Christina [STOCKHOLM 1938]

Historienne suédoise.

Après de longues années dans l’enseignement, Christina Florin soutient un doctorat à l’université d’Umeå en 1987, avant d’être attachée à l’Institut d’histoire de l’université de Stockholm, dont elle devient professeure en 1998. Ses recherches historiques portent essentiellement sur la lutte des femmes pour l’égalité et l’accès à l’éducation, sur les processus de professionnalisation et le rôle de l’État. Son approche de la problématique du genre tient compte de la classe sociale et de la culture. Sa thèse de doctorat, Kampen om katedern, femininiserings-og professionaliseringsprocessen inom den svenska folkskolans lärerkår 1860-1906 (« la lutte pour enseigner, professionnalisation et féminisation dans le primaire en Suède 1860-1906 »), ouvre de nouvelles voies : il ne s’agit pas seulement de comprendre la lutte des institutrices, mais aussi d’étudier la construction du genre dans cette profession. C. Florin développe ensuite cette approche en analysant les relations entre garçons et éducateurs dans les écoles suédoises entre 1850 et 1914 (1993). L’historienne constate que les instances administratives n’auraient pu fonctionner sans l’appui des épouses et des secrétaires femmes. Dans plusieurs publications qui portent sur la question de l’imposition commune pour les marié(e)s – question qui a occasionné des désaccords entre femmes de différentes classes et cultures –, elle souligne l’importance des décisions politiques sur les possibilités économiques des femmes. C. Florin a écrit et publié 12 livres – dont plusieurs en collaboration – ainsi qu’un très grand nombre d’articles. Elle s’est intéressée dernièrement, avec Kirsti Niskanen, aux pionnières que sont les académiciennes suédoises et, avec Annika Berge et Per Wisselgren, aux couples engagés dans la science ou la politique (Par i vetenskap och politik, intellektuella äktenskap i moderniteten, « mariages intellectuels et modernité », 2011). Elle a également présidé le vaste projet Genus, medborgerskap og offentlig politik (« genre, citoyenneté et politique publique », 1999-2007) qui a rassemblé 11 chercheurs autour d’une analyse sur le long terme du genre dans la législation et les politiques publiques, mais aussi des mobilisations collectives en vue de les infléchir.

Ida BLOM

SJÖBERG M., SVANSTRÖM Y. (dir.), Att göre historia, vänbok til Christina Florin, Stockholm, Institutet för Framtidsstudier, 2008.

FLOUZAT, Denise [PARIS 1928]

Économiste française.

Docteure ès sciences économiques et diplômée de l’Institut d’études politiques de Paris, Denise Flouzat a contribué à l’établissement des politiques monétaires à mener pour créer la zone euro. Professeure d’université depuis 1974, elle a également occupé le poste de rectrice de l’académie d’Orléans-Tours (1986-1989) et de directrice du Centre de recherche sur les économies de la région Asie-Pacifique (1989-1994). Après avoir été membre du conseil de la politique monétaire, du conseil général de la Banque de France (1994-2000) et du conseil de perfectionnement de l’École spéciale militaire de Saint-Cyr Coëtquidan (1996-2000), elle remplit les fonctions d’administratrice déléguée puis honoraire de la Fondation Banque de France pour la recherche en économie monétaire, financière et bancaire depuis 2000, de vice-présidente de la Société des membres de la Légion d’honneur depuis 2004 et d’administratrice de la Société d’économie politique et du Centre des professions financières. Elle n’a jamais cessé d’enseigner, puisque depuis 2004 elle est chargé d’enseignement aux universités Paris 1-Panthéon-Sorbonne, Paris 2-Panthéon-Assas et Paris 5-Descartes. Connue de plusieurs générations d’étudiants, notamment pour ses manuels, D. Flouzat a toujours cherché à établir un lien entre les théories, les faits et les politiques économiques. Elle porte une attention particulière, dans ses travaux, aux mutations du système productif, aux progrès de la recherche, aux grandes tendances de la théorie économique et à leur influence sur les choix gouvernementaux en matière de politiques économiques. Ses ouvrages synthétiques, marqués par une analyse économique moderne, ont contribué à faire de l’économie une discipline vivante, accessible à un large public. Soucieuse d’éviter les deux risques inhérents à l’enseignement économique de base, l’approximation guidée par la mode ou l’idéologie et le formalisme extrême, elle souhaite permettre aux lecteurs de réfléchir aux problèmes économiques en s’appuyant sur les principes qui sous-tendent les raisonnements des économistes. D. Flouzat a également mis au service des institutions monétaires françaises la nouvelle approche des théories monétaires qu’elle a développée en tant que membre du comité monétaire de la Banque de France pendant une période marquée par l’indépendance de cette dernière (1994), la préparation de l’Union économique et monétaire et le passage à l’euro (1999). Enfin, elle a travaillé à l’analyse des économies asiatiques et écrit des ouvrages sur le sujet.

Valérie SIMON

Analyse économique, Compatibilité nationale, 5e éd., Paris, Masson, 1993 ; L’Euro, Toulouse, Milan, 1998 ; La Nouvelle Émergence de l’Asie, l’évolution économique des pays asiatiques depuis la crise de 1997, Paris, Presses universitaires de France, 1999 ; Les Stratégies monétaires, Paris, Presses universitaires de France, 2003 ; avec BOISSIEU C. de, PONDAVEN N., Économie contemporaine, 3 t., Paris, Presses universitaires de France, 2004-2006.

FLOYER, Ceal [KARACHI 1968]

Plasticienne britannique.

Diplômée du Goldsmiths College de Londres en 1994, Ceal Floyer est lauréate, en 1997, du prix Philip Morris, du prestigieux National Gallery Prize for Young Art en 2007, et du Nam June Paik Art Center Prize en 2009. Elle pratique l’installation, la sculpture, la vidéo, le dessin, la photographie, l’enregistrement sonore, la collecte d’objets ou encore la projection de lumière. Elle questionne, par le biais d’outils du quotidien, tels qu’un seau, une ampoule, un spot, une perceuse, les habitudes perceptives. Ses œuvres sont quelquefois si discrètes et rudimentaires qu’elles peuvent aisément passer inaperçues. Mais cette simplicité est trompeuse, car, en jouant ingénieusement sur ce qui se voit et ne se voit pas, et en usant du déplacement et de la modification, ses créations nécessitent une observation attentionnée : elles contraignent ainsi le spectateur à redéfinir sa perception du monde. La plasticienne s’inspire d’expériences quotidiennes et de non-événements plus que de théories minimales et conceptuelles, auxquelles elle se réfère avec humour. Son travail porte, en effet, souvent sur la syntaxe et la structure de la langue anglaise. Le titre des œuvres est donc très important et apporte généralement une note d’ironie. Auto Focus (2002), un projecteur, dont le carrousel est vide, cherche à faire une mise au point automatique sur ce qu’il peut, sur des poussières ou sur la texture du mur, révélant ainsi d’infimes variations. L’infime peut aussi, de façon surprenante, côtoyer le démesuré. À l’occasion de la 53e Biennale de Venise, C. Floyer présente Overgrowth (« prolifération », 2004), un bonsaï projeté sur un mur de plusieurs mètres de hauteur, si bien qu’il devient aussi grand qu’un arbre – le choix de la taille de celui-ci ne résidant que dans l’espace entre le projecteur et le mur. Sa première exposition personnelle en France est accueillie par le domaine de Kerguéhennec en 2007, puis par le palais de Tokyo en 2009. Elle est exposée au Museum of Contemporary Art de North Miami en 2010.

Laetitia BAHUON

Constuction (catalogue d’exposition), Martin S. (dir.), Nuremberg, Kunstmuseen Krefeld/Verlag für Moderme Kunst, 2007 ; Auto Focus (catalogue d’exposition), North Miami, MoCA, 2010.

FLÜGGE-LOTZ, Irmgard [HAMELN 1903 - PALO ALTO, CALIFORNIE 1974]

Mathématicienne allemande.

Née en Allemagne d’un père reporter et d’une mère travaillant dans l’entreprise de construction familiale, Irmgard Flügge-Lotz commence à se passionner pour l’architecture en visitant des sites de construction. À partir de la Première Guerre mondiale, obligée de subvenir aux besoins de la famille, elle donne des cours de mathématiques et de latin. En 1923, elle entre à l’université technique de Hanovre et étudie les mathématiques appliquées avec l’intention de les mettre en œuvre sur des problèmes d’ingénierie. Seule femme de sa classe parmi une centaine d’étudiants, elle devient ingénieure en 1927. Pendant les deux années où elle travaille sur son doctorat, elle est assistante à temps plein en mathématiques pratiques et géométrie descriptive. Elle travaille alors sur la conduction de la chaleur dans les cylindres réguliers et obtient son doctorat en 1929. Elle entre ensuite dans un institut de recherche en aérodynamique (Aerodynamische Versuchsanstalt) à Göttingen. Là, elle travaille avec Ludwig Prandtl, le leader de la recherche en aéronautique d’Allemagne. Elle parvient à résoudre l’équation différentielle qu’il avait posée sur la distribution de la pression et l’écoulement de l’air sur une aile d’avion. Cette publication lui vaut une notoriété internationale ; sa méthode de calcul est appelée la méthode Lotz. Grâce à son succès, elle est promue à la tête du groupe de travail. En 1938, elle épouse Wilhelm Flügge, ingénieur civil, et devient consultante en aérodynamique dans l’institut de recherches aéronautiques où il travaille, le Deutsche Versuchsanstalt für Luftfahrt (DVL), à Berlin. En 1944, le couple s’installe avec le DVL dans le sud de l’Allemagne, qui, à la fin de la guerre, sera occupée par la France. En 1947, ils rejoignent le nouvel Office national français pour la recherche en aéronautique (ONERA) à Paris ; I. Flügge-Lotz y dirige une équipe de recherche en aérodynamique théorique. Elle publie des articles traitant des problèmes liés à l’augmentation de la vitesse des avions. En 1948, le couple est invité à Stanford, à Palo Alto aux États-Unis. Alors que son mari est nommé professeur, I. Flügge-Lotz occupe un simple poste de chargée de cours en ingénierie. Cependant elle enseigne, conduit des recherches, encadre de nombreux étudiants, donne des séminaires, occupant l’emploi d’un professeur sans en avoir le titre. Elle est finalement nommée en 1960, et devient la première femme professeure en mécanique et ingénierie, aéronautique et astronautique. En 1971, elle est la seule femme à être choisie dans le cadre des prestigieuses conférences von Karman. Quand elle prend sa retraite en 1968, elle a publié plus de 50 articles et deux livres. Elle continue ses recherches sur le contrôle des satellites, le transfert de chaleur et les véhicules à grande vitesse jusqu’à sa mort.

Isabelle COLLET

Discontinuous Automatic control, Princeton, Princeton University Press, 1958.

BANDERAS M., COPPER J., RIDDLE L. (dir.), Irmgard Flugge-Lotz, Decatur, Agnes Scott College, 1997 ; GRINSTEIN L., CAMPBELL P. (dir.), Women of Mathematics, Westport, Greenwood Press, 1987 ; OGILVIE M., HARVEY J. (dir.), Biographical Dictionnary of Women in Science, New York/Londres, Routledge, 1986.

FLYGARE-CARLÉN, Emilie [STRÖMSTAD 1807 - STOCKHOLM 1892]

Romancière suédoise.

Petite fille, elle accompagne son père, commerçant et capitaine de bateau, lors de ses déplacements à Strömstad, sur la côte ouest de la Suède, ce qui lui permet de connaître la vie de la population locale. Dans l’épicerie familiale, elle écoute les récits des marins. Sa scolarité est rudimentaire, comme celle de la plupart des jeunes filles du début du XIXe siècle, mais sa mère lui fait partager ses lectures, des romans à la mode d’auteurs allemands et britanniques célèbres. Plus tard, elle s’inspire aussi d’écrivains français comme Eugène Sue et Alexandre Dumas père. Mère de deux enfants et veuve après seulement six ans de mariage, elle expérimente la condition socialement et économiquement précaire de la femme dans la société suédoise de l’époque. À 30 ans, elle s’installe à Stockholm où elle épouse Johan Gabriel Carlén, journaliste, éditeur et poète. Leur maison accueille un cercle influent d’écrivains et de critiques libéraux, et Emilie Flygare-Carlén prend connaissance des grands débats de son temps. Son roman Un an de mariage (1846) apporte une contribution intéressante aux discussions sur la vie conjugale. La situation de la femme au sein de la famille et de la société est d’ailleurs le thème principal de ses écrits, bien qu’elle décrive aussi la misère des couches populaires, le milieu des commerçants et des marins, et les nouveaux courants religieux, notamment dans En natt vid Bullarsjön (« une nuit au bord de Bullarsjön », 1846-1847). N’épargnant pas dans sa satire les gens arrogants et hypocrites, elle fait preuve d’une lucidité dans les questions économiques qui rappelle celle de Balzac. Son engagement social se lit dans les descriptions annonçant l’avènement du naturalisme. Tous ses romans témoignent de sa verve narratrice, de son talent à construire des intrigues captivantes, de sa finesse psychologique. La côte ouest de la Suède est le théâtre de ses romans les plus lus, La Rose de Tistelön (1842) et Ett köpmanshus i skärgården (« une maison de marchand dans l’archipel », 1859). Ses écrits largement diffusés grâce à leur publication soit sous forme d’épisodes dans des revues, soit par la poste font d’elle l’écrivain suédois le plus en vogue au milieu du XIXe siècle. Unique femme parmi les auteurs en vue de l’époque, elle est traduite en de nombreuses langues.

Monica LAURITZEN

La Rose de Tistelön (Rosen på Tistelön, 1842), Paris, Impr.  Körber, 1876 ; Un an de mariage (Ett år, 1846), Paris, Michel Lévy Frères, 1855.

LAURITZEN M., En kvinnas röst. Emilie Flygare-Carléns liv och dikt, Stockholm, Bonnier, 2007.

FOA, Eugénie [BORDEAUX 1796 - PARIS 1852]

Journaliste et romancière française.

Eugénie Foa est issue de deux familles distinguées de la communauté juive séfarade de Bordeaux, les Rodrigues-Henriques et les Gradis. Délaissée par son mari, un marchand d’origine italienne épousé en 1814, elle s’installe à Paris et devient romancière vers 1830 pour élever ses enfants. Dans ses romans, imprégnés d’exotisme (Le Kidouschim, conte de ma tante Rebecca ; La Juive, 1835), elle est une des premières à utiliser un contexte juif pour rehausser des histoires sentimentales tout en explorant les limites de la tradition religieuse. Plusieurs de ses héroïnes, juives ou chrétiennes, luttent pour s’affranchir de l’autorité patriarcale. Dans Rachel (1833), comme dans ses préfaces, elle raconte les difficultés des auteures au XIXe siècle, sujet particulièrement sensible pour une femme qui tente de vivre de sa plume. Elle est l’une des fondatrices de la Société des gens de lettres et de l’Institut des femmes, ainsi que de l’Œuvre de bon secours, organisation bénévole destinée à aider les ouvrières pauvres pendant la révolution de 1848. Elle publie de nombreux articles et nouvelles au Journal des femmes, à la Gazette des femmes et à Voix des femmes sous son nom ainsi que sous des noms de plume (tels Maria Fitz-Clarence). Elle commence à écrire des vies de saints en 1841 et se convertit au catholicisme en 1846. Dans ses dernières années, elle obtient du succès en tant qu’auteure de livres pour enfants et éditrice du Livre de jeunesse. Son plus célèbre conte pour enfants, Le Petit Robinson de Paris ou le Triomphe de l’industrie (1840), est réédité jusqu’en 1945.

Maurice SAMUELS

BITTON M., Poétesses et lettrées juives, une mémoire éclipsée, Paris, Publisud, 1999.

FÖGEN, Marie Theres [LÜDINGHAUSEN, RHÉNANIE-DU-NORD-WESTPHALIE 1946 - ZURICH 2008]

Historienne du droit allemande.

Avocate, professeure de droit romain, civil et comparé à l’université de Zurich (1995-2008), directrice à l’Institut Max-Planck pour l’histoire européenne du droit (2001-2008), Marie Theres Fögen est une autorité internationalement reconnue. On lui doit notamment, dans la tension entre droit naturel et droit positif, d’avoir introduit une vision poétologique capable d’explorer les textes anciens à l’aide d’une conscience théorique contemporaine : Rechtsprechung mit Aristophanes (« juridiction avec Aristophane », 1982), Die Erfindung der Witwe (« l’invention de la veuve », 2001), The Tragedy of Making Decisions : A Commentary on Aeschylus’Eumenides(2004-2007), Trug Moses ein Kopftuch ? (« Moïse portait-il un foulard ? », 2006). Ses Histoires du droit romain, de l’origine et de l’évolution d’un système social (2002) prennent la tradition académique à contrepied. Avec une insolence aussi certaine qu’érudite, face à l’orthodoxie des romanistes kelséniens, elle adopte une démarche épistémologique indisciplinée où les rapports entre droit et littérature, histoire et fiction sont bouleversés. Au monument de la fictio legis auquel Hans Kelsen a conféré un statut de pureté juridique, M. T. Fögen oppose les sources jugées impures et légendaires telles que le viol et le suicide de Lucrèce (conduisant à l’abolition de la monarchie par l’avènement de la République romaine en 508 av. J.-C.) ou le meurtre de Verginia (en 449 av. J.-C., par lequel le père sauvant la liberté et la vertu de sa fille de la mainmise du juge-décemvir Appius Claudius, déclenche le courroux de la plèbe qui chasse tous les décemvirs). C’est dans les sources déniées de l’histoire positive officielle qu’elle trouve les forces mythiques du droit. Au commencement était le viol, et de Lucrèce et de la loi. Ce que M. T. Fögen appelle « le chant de la loi » renvoie aux « chants par-delà les humains » (Celan) qui s’élèvent de la sauvagerie dont il convient d’effacer les traces pour la pureté de la République. M. T. Fögen affirme ainsi de façon novatrice qu’il n’y a « pas de droit sans non-droit » et que c’est ainsi que se fonderait un système juridique, ce qui n’efface en rien le scandale d’une violence dont les femmes sont les premières victimes.

Françoise DUROUX

Histoires du droit romain, de l’origine et de l’évolution d’un système social (Römische Rechtsgeschichtenüber Ursprung und Evolution eines sozialen Systems, 2002), Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2007.

« Legislation in byzantium : a political and a bureaucratique technique », in LAIOU A.E., SIMON D. (dir.), Law and Society in Byzantium : Ninth-Twelth Centuries, Washington DC, Dumbarton Oaks, 1994.

LUGINBÜHL B., SCHMIDT J. (dir.), Diskriminierung und Integration, (Rechts-) Geschichten in einem sozialen Sustem [mélanges Marie Theres Fögen], Zürich, Dike, 2006.

FOISON, Michèle [BOIS-COLOMBES 1942]

Compositrice et chef d’orchestre française.

Après des études classiques, Michèle Foison poursuit ses études musicales au Conservatoire de Paris (1961-1972), où elle obtient de nombreux premiers prix : harmonie, contrepoint, fugue, ondes Martenot et composition dans la classe d’Olivier Messiaen, son maître vénéré. Ayant reçu le prix de la Casa Velázquez, elle part composer un an à Madrid (1972-1973). Passionnée de direction d’orchestre, elle suit les stages d’Igor Markevitch et Pierre Dervaux. Elle dirigera de nombreux orchestres et donnera de nombreux concerts à Paris et en Île-de-France, en Italie, aux États-Unis. Son intérêt pour la pédagogie la conduit à suivre les stages de Maurice Martenot. Elle dirigera successivement plusieurs écoles nationales de musique et fondera le Centre artistique de Bû (Eure-et-Loir). M. Foison se consacre essentiellement à la composition, et écrit une cinquantaine d’œuvres comprenant de la musique symphonique, de la musique pour chœur, de la musique de chambre, des mélodies. Citons Indra, Gemme d’étoiles, Ophélie, Oiseaux de silence (quatuors à cordes), Atmen, Chemins de temps, Tu es l’Amour (prières), Cygnes, Mercy très humblement, Cris et lumière, L’Arbre généreux, Le Petit Poète, Une rose dans les cheveux (« cont’opéra »). Gemme d’étoiles, pour grand orgue (deux organistes), sextuor d’ondes Martenot et deux tam-tam, a été donnée en première audition le 18 juin 1971 à l’église Saint-Eustache à Paris en présence d’O. Messiaen, Henri Dutilleux et M. Martenot, puis en concert à Radio France le 6 avril 1978 pour le cinquantenaire des ondes Martenot avec le concours de Jean Guillou, et Henriette Puig-Roget*, notamment. M. Foison travaille dans sa grande maison de Bû à d’autres projets ; elle a créé une association, Les Sept Clés, pour que ce lieu, où elle a formé de nombreux jeunes musiciens, demeure un centre de rencontres, de stages, de concerts où le bonheur de la musique puisse être partagé en toute amitié. O. Messiaen reconnaissait en elle une compositrice de talent d’une très grande sensibilité, mais également un chef confirmé partageant avec lui la même foi, le même amour des oiseaux, des étoiles, des ondes Martenot et… des beaux cailloux.

Claude JAILLOT

FOLCH FORNESA, Dolors [BARCELONE 1941]

Historienne espagnole.

Dolors Folch Fornesa fait partie de la première génération de chercheurs qui s’intéressent aux études sinologiques en Espagne. Elle étudie l’histoire à l’université de Barcelone, où elle est également militante communiste au sein du Parti socialiste unifié de Catalogne (PSUC), en lutte contre la dictature franquiste. Elle participe à diverses manifestations et fait de l’alphabétisation dans le quartier de la caserne de Bogatell. Son engagement politique, ses différentes incarcérations et la nécessité de s’occuper de ses trois enfants l’empêchent de poursuivre la recherche. Quand elle reprend finalement un projet de thèse, elle la consacre à la civilisation chinoise afin de confronter sa propre histoire avec une autre. Ce choix implique de se rendre en Orient, expérience qui la confronte à un autre monde, où les valeurs premières sont celles de la loyauté, de la famille et de l’État. La thèse qu’elle soutient à l’Université autonome de Barcelone en 1991 s’appuie sur les chroniques historiques détaillées de l’historien Sima Qian (environ 145-90 av. J.-C.) et porte sur la question des frontières, des territoires et des peuples considérés comme barbares. Elle obtient un poste de professeure d’histoire ancienne à l’université Pompeu Fabra, dont elle est la première femme doyenne de 1992 à 2000. Elle dirige également le Centre d’études sur l’Asie orientale rattaché à l’université. Puis, forte de sa connaissance des relations entre les deux pays, elle mène un ambitieux projet de recherche, « La China de España », destiné à localiser, transcrire et publier sur Internet (www.upf.edu/asia) les documents sur la Chine conservés dans les archives espagnoles pour la période 1555-1900. D’importantes sources inédites sont mises à la disposition des chercheurs, dont beaucoup sont issues de la période de domination espagnole sur l’archipel des Philippines. En parallèle de ce travail historiographique et de ses publications comme La Construcción de China (2002), elle traduit des œuvres classiques chinoises ou des ouvrages scientifiques internationaux (Le Monde chinois de Jacques Gernet, 1991).

Francisco MARTÍNEZ HOYOS

BUSQUETS I., ALEMANY A., « La China de España : elaboración de un corpus digitalizado de documentos españoles sobre China de 1555 a 1900 », in Revista HMIC, no 4, 2006 ; PALLARÈS C., « Entrevista a Dolors Folch », in Quaderns. Revista de traducción, no 6, 2001.

FOLEY, Fiona [FRASER ISLAND 1964]

Plasticienne australienne.

Originaire de la plus grande île de sable au monde, Fiona Foley fut sensibilisée par sa mère aux coutumes et à la langue badtjala du clan aborigène windunna. Dans les années 1990, sa famille obtient en partie gain de cause dans les négociations avec l’État du Queensland pour la restitution de ce territoire. En 1984, elle effectue un séjour dans une résidence d’artistes à Ramingining, en terre d’Arnhem, expérience qui l’amène à cofonder, en 1987, Boomalli Aboriginal Artists Cooperative. En 1992, elle organise avec Djon Mundine Tyerabarrbowaryaou, I Shall Never Become a White Man, une exposition qui présente pour la première fois dans un musée l’art des Aborigènes des villes. Elle quitte Boomalli en 1993, mais continue de communiquer autour de la notion d’aboriginalité en publiant et en participant à des conférences. Au cours de ses études, ses professeurs l’incitent à incorporer l’iconographie aborigène dite « authentique », celle des peintures acryliques du désert central et des peintures sur écorce de terre d’Arnhem. Après quelques essais infructueux, elle se tourne finalement vers sa culture badtjala. À partir de son expérience familiale, elle propose une vision personnelle et politique de l’identité aborigène et analyse les rapports historiques entre les communautés blanche et autochtone. L’installation Annihilation of the Blacks (1986) fait référence aux massacres qui eurent lieu sur la Susan River. La série photographique Lost Badtjalas, Severed Hair (1991) la met en scène entourée d’artistes amérindiens, dans des poses typiques des photographies coloniales. Régulièrement sollicitée pour des sculptures publiques, elle a réalisé des installations pour le palais de Justice de Brisbane, le musée de Sydney, l’université de Canberra, les Jeux olympiques et la ville de Melbourne.

Géraldine LE ROUX

GENOCCHIO B., Fiona Foley : Solitaire, Sydney, Piper Press, 2001 ; QUAILL A., « Laced flour and tin boxes : the art of Fiona Foley », in World of Dreamings, Contemporary Australian Aboriginal Art in Modern Worlds, Canberra, National Gallery of Australia, 2000.

FOLGER, Lydia [NANTUCKET, MASSACHUSETTS 1822 - LONDRES 1879]

Gynécologue américaine.

Diplômée en 1850, Lydia Folger devient le premier professeur d’anatomie et d’obstétrique américain. Elle enseigne, exerce en tant que gynécologue à Broadway de 1852 à 1860, donne d’innombrables conférences, écrit des traités sur la prévention, l’hygiène, l’éducation de la population. Elle invite les femmes à sortir de ce qu’elle appelle leur « coma physique et mental » et à prendre en main leurs problèmes de santé. Elle enseigne à l’école d’hydrothérapie de New York puis au Metropolitan College. Elle épouse Lorenzo Fowler, professeur au Central Medical College de Syracuse, dans l’État de New York, qui considérait sa future femme comme une « candidate à l’esprit clair et original ». Elle part étudier la médecine en Europe, à Paris puis à Londres, où elle s’installe avec sa famille en 1863.

Claude COLAS

DALL’AVA-SANTUCCI J., Des sorcières aux mandarines : histoire des femmes médecins, Paris, Calmann-Lévy, 1989.

FOLLY, Anne-Laure [LOMÉ 1954]

Réalisatrice togolaise.

L’une des premières réalisatrices africaines, Anne-Laure Folly est avocate quand elle prend soudain conscience de ce qu’elle appelle le « silence » de l’Afrique, car les Africains ont tendance à protéger ce qui est essentiel en n’en parlant pas. Le seul discours moderne étant pour elle celui de l’image, elle décide de tourner des films pour parler de sa culture togolaise, révéler la vie en Afrique. Son premier projet, Le Gardien des forces (1992), a comme sujet la magie maraboutique et gagne le prix Images des femmesau festival Vues d’Afrique de Montréal en 1992. Jusqu’en 2008, elle tourne 11 documentaires. Certains parlent des femmes de la région d’Afrique de l’Ouest, notamment Femmes aux yeux ouverts (1994) : ce film présente les luttes des femmes du Bénin, du Mali, du Burkina Faso et du Sénégal et obtient la médaille d’argent au Festival de télévision à Monte-Carlo, en 1994. D’autres analysent le rôle politique joué par les femmes dans un pays spécifique, par exemple Femmes du Niger entre intégrisme et démocratie (1993). A.-L. Folly s’intéresse particulièrement à l’Angola dans Femmes d’Angola : rêver la paix (1996), Les Oubliées (1996) et Sarah Maldoror* ou la Nostalgie de l’utopie (1998). Plus récemment, elle se tourne vers le Sénégal pour aborder la lutte contre l’excision : Déposez les lames (1999) et L’une l’est, l’autre pas (2000).

Sarah Beth TIEDE BUCHANAN

FOLY, Liane (Éliane FOLLEIX, dite) [LYON 1962]

Chanteuse, imitatrice et actrice française.

Fille de commerçants rapatriés d’Algérie, Liane Foly grandit à Lyon dans le quartier de Perrache. Ses parents, qui tiennent La Droguerie du sourire, sont des passionnés de musique et profitent de leurs loisirs pour se produire dans la région. À 12 ans, elle chante déjà dans l’orchestre familial, le Black and White, avec son frère Philippe à la batterie et sa sœur Corinne au piano. L’un de ses derniers albums, La Chanteuse de bal (2004), témoigne de cette enfance plutôt exceptionnelle. Après son bac, alors animatrice de nuit d’une radio et férue de jazz, elle privilégie le groupe lyonnais Horn Stuff, dont elle apprécie le style. Le fondateur du groupe, André Manoukian, cherche une chanteuse et Éliane, qui rêve de pousser sa voix à la hauteur d’une Sarah Vaughan*, le convie à venir l’entendre dans un concert de Balavoine. Avec Philippe Viennet comme coauteur, ils se mettent au travail pour enregistrer la maquette d’un premier album. En 1988, la sortie de The Man I Love, signé L. Foly, est un grand succès avec Ça va, ça vient, la chanson qui la propulse au Top 50. Elle donne son premier grand concert à la Cigale, à Paris, puis assure les premières parties de Claude Nougaro. En 1990, la sortie de Rêve orange la lance véritablement et son titre Au fur et à mesure en fait la Révélation de l’année aux Victoires de la musique. En 1995, elle participe aux albums de Sol en Si au profit de la lutte contre le sida. Elle est aussi l’une des vedettes des Enfoirés pour les Restos du cœur. L. Foly est aussi une professionnelle du spectacle. Animatrice de radio et de télévision, à partir de 2007, elle remonte sur scène pour un one woman show, La Folle Parenthèse, où l’on peut juger du registre de sa voix, de ses dons pour l’imitation et de son humour. Elle récidive en 2011 avec La Folle part en cure. En 2013, L. Foly ajoute une nouvelle corde à son arc en interprétant trois personnages dans une pièce de boulevard, Jamais deux sans trois, au théâtre du Palais-Royal. Elle enregistre Dialogues de bêtes de Colette, coup de cœur de l’Académie Charles-Cros en 2009, paru aux éditions des femmes*-Antoinette Fouque* en 2008.

Nathalie COUPEZ

FONCEA, Pepa [TALCA 1947]

Designer graphique chilienne.

Face au désir d’étudier l’architecture que manifeste Pepa Foncea, son père la persuade d’aller suivre des cours de design à l’Université catholique (UC), cours qui se fondaient sur le Vorkurs de Josef Albers. Les étudiants, portés par l’effervescence des années 1970, fondent le Centre des élèves. Pepa, en qualité de secrétaire, et Eddy Carmona, comme présidente, prennent part à la « prise » de l’UC en 1967, qui aboutit à la réforme universitaire. En 1971, le département de design (VRC) est créé à l’université ; toutes deux en sont responsables et elles mettent au point un projet d’extension à partir d’un système de panneaux graphiques géants déployés sur le frontispice du bâtiment de l’UC. À la recherche de nouvelles méthodes de design, P. Foncea rejoint des étudiantes de l’université du Chili : elles aboutissent ensemble à un design rationnel, influencé par la Hochschule für Gestaltung d’Ulm (Allemagne), qui s’appuie sur des illustrations figuratives et est notamment associé aux affiches de propagande de Salvador Allende. En 1972, elles remportent le concours de signalétique du bâtiment Unctad III de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement. Elles sont invitées par le designer allemand Gui Bonsiepe, responsable de l’équipe de design industriel de l’Intec (le comité de recherches technologiques chilien) et s’imposent comme équipe externe pour des projets tels que le logotype Intec, la soupe Multiprot, le graphisme pour l’emblématique projet de gestion cybernétique gouvernemental de l’économie chilienne (Synco). Pepa et ses camarades prennent la décision radicale d’abandonner leurs études universitaires et choisissent la voie de « l’apprentissage par la pratique ». En 1972, elles présentent un projet à l’UC avec les dessins réalisés pour l’Intec et obtiennent leur diplôme. Après le coup d’État, Pepa Foncea poursuit son travail au sein du VRC ; de 1975 à 1979, elle est directrice artistique de l’imprimerie salésienne, et se spécialise dans le design pour l’édition. En 1994, elle reçoit le prix Mauricio Amster de l’excellence du design pour le livre Chile Artesanía tradicional. Cofondatrice de l’École de designers professionnels du Chili, elle entreprend d’enseigner dans diverses universités chiliennes. Elle participe aussi à des programmes éditoriaux pour la sauvegarde du patrimoine iconographique étatique et populaire du Chili, comme le projet Fondart, sur le graphisme populaire des charrettes, à Santiago.

Silvia FERNÁNDEZ

FONCIN, Myriem [PARIS 1893 - TOULON 1976]

Géographe française.

Diplômée de géographie, Myriem Foncin publie son mémoire sur la culture florale en Côte d’Azur dans les Annales de géographie en 1916, puis une monographie sur Versailles en 1919. Elle entre comme stagiaire à la Bibliothèque nationale en 1920, et y fait sa carrière, pour terminer à la direction du Département des cartes et plans. Elle participe à la rénovation de l’établissement en créant une salle de consultation qui fait l’admiration, accueille des dépôts de valeur exceptionnelle, rédige des catalogues érudits, publie sur l’histoire de la cartographie, crée une Bibliographie cartographique internationale, et devient ainsi l’une des premières professionnelles de la documentation. Jeune militante, elle participe aux côtés de Robert Garric à la création des Équipes sociales, tournées vers l’émancipation par la lecture et l’éducation en général, et elle est à l’origine de leur section féminine. Elle se fait alors la propagandiste de la lecture publique et de la formation professionnelle des bibliothécaires.

Elle a publié plusieurs articles de géographie urbaine, commentant les résultats du concours pour le Plan d’aménagement et d’extension de Paris dans La Vie urbaine, l’une des premières revues d’urbanisme, en 1920, et contribuant au congrès international de géographie de Paris, en 1931.

Marie-Claire ROBIC

« Évolution comparée de deux quartiers de Paris : le Roule et la Cité », in Comptes rendus du congrès international de géographie, Paris 1931, t. 2, Paris, A. Colin, 1932.

« La culture et le commerce des fleurs et primeurs sur la Côte d’Azur, de Toulon à Menton », in Annales de géographie, vol. 25, no 136, 1916 ; « Versailles, étude de géographie urbaine », in Annales de géographie, 1919 ; « Quelques réflexions géographiques à propos du Concours pour le Plan d’aménagement et d’extension de Paris », in La Vie urbaine, no 5, 1920.

FONDA, Jane [NEW YORK 1937]

Actrice, réalisatrice, productrice et auteure américaine.

Fille de Henry Fonda, Jane Fonda débute avec lui sur scène à l’âge de 17 ans. Après avoir été mannequin et avoir étudié à l’Actors Studio, elle fait ses débuts à Broadway et à l’écran, dans La Tête à l’envers (Tall Story, Joshua Logan), en 1960 ; elle enchaîne alors sur Les Liaisons coupables (The Chapman Report, George Cukor, 1962). Arrivée en France pour tourner Les Félins (René Clément, 1964, avec Alain Delon), elle rencontre Roger Vadim. Comme il l’avait fait pour Brigitte Bardot*, ce dernier la transforme en icône sexuelle et l’épouse. Elle tourne avec lui La Ronde (1964, d’après Arthur Schnitzler), La Curée (1966, d’après Émile Zola) et Barbarella (1968, d’après une bande dessinée de science-fiction). Leur mariage se termine par un divorce, et l’actrice revient aux États-Unis où elle tourne On achève bien les chevaux (They Shoot Horses, Don’t They ? , Sydney Pollack, 1969) et Klute (Alan Pakula, 1971), rôle pour lequel elle recevra son premier Oscar. Dans Maison de poupée (Joseph Losey, 1973), elle incarne la Nora d’Ibsen, femme libre de son époque. Elle se lance dans l’action politique, défendant le mouvement des droits civiques aux États-Unis, alertant sur la situation des Amérindiens, luttant pour les droits des femmes ou créant avec son compagnon Donald Sutherland une troupe ambulante qui joue des spectacles contre la guerre du Vietnam. Elle coréalise notamment le documentaire Introduction to the Enemy (1974). En 1977, Julia (Fred Zinnemann), où elle incarne l’écrivaine Lillian Hellman*, lui vaut son second Oscar. En 1981, elle tourne, avec son père (dans son dernier rôle) et Katharine Hepburn*, La Maison du lac (On Golden Pond). Elle lance également des livres et des vidéos d’exercices corporels qui connaissent un grand succès. En 1989, elle produit et interprète Old Gringo (de Luis Penzo) avec Gregory Peck. Après une douzaine d’années d’absence, elle revient à l’écran dans À la recherche de Debra Winger (Searching for Debra Winger, Rosanna Arquette, 2002), avant d’être opposée à Jennifer Lopez dans une comédie, Sa mère ou moi (Monster-in-Lauw, Robert Luketic, 2005). En 2012, elle tourne en France la comédie Et si on vivait tous ensemble ? (de Stéphane Robelin) avec Pierre Richard, Guy Bedos, Geraldine Chaplin* ; et, en 2013, incarne Nancy Reagan dans The Butler (Lee Daniels). Son engagement politique ne faiblit pas puisqu’elle critique publiquement l’intervention américaine en Irak et milite pour la résolution du conflit israélo-palestinien.

Bruno VILLIEN

Ma vie (My Life so Far, 2005), Paris, Plon, 2005.

FONDATRICES D’ORDRES RELIGIEUX CHRÉTIENS [depuis le IVe siècle]

Dès les débuts du monachisme chrétien, les femmes jouent un rôle actif, à l’instar de sainte Synclétique, contemporaine de saint Antoine (IVe siècle après Jésus-Christ), qui fonde le premier monastère féminin en Orient. Par la suite, l’histoire chrétienne connaîtra de nombreuses femmes fondatrices d’ordres religieux et de monastères. Mathilde de Garlande (vers 1150-1224) crée en 1204 l’abbaye féminine de Port-Royal-des-Champs située en vallée de Chevreuse. Claire d’Assise (vers 1193-1253) est à l’origine de la fondation de l’ordre des Pauvres Dames (les clarisses) en 1212, qui lui est inspiré par son admiration pour François d’Assise. Au XVIIe siècle, la mystique Barbe Jeanne Avrillot épouse Acarie (1566-1618), porte en France en 1603 la réforme du Carmel de Thérèse d’Avila*, « consistant en une vie cloîtrée, consacrée au recueillement et à la prière ». Devenue veuve en 1613, elle entre au Carmel d’Amiens, prenant le nom de Marie de l’Incarnation. Jeanne de Chantal, née Jeanne-Françoise Frémyot (1572-1641), fonde en 1610 avec son « directeur de conscience », François de Sales, l’ordre de la Visitation d’Annecy, qui très vite comptera de nombreux monastères. Cet ordre se consacre « à la visite et au réconfort des malades et des pauvres ». Jeanne de Chantal exercera les fonctions de Supérieure dans plusieurs communautés de l’Ordre. Sa secrétaire Jacqueline de Chaugy, en religion sœur Françoise-Madeleine (1611-1680), est connue pour le rôle qu’elle a joué dans la canonisation de François de Sales. Sa notoriété tient également à ses travaux sur les débuts de l’ordre de la Visitation. Ses fonctions de Supérieure du premier monastère d’Annecy (1647) l’ont amenée à voyager pour visiter les différentes communautés de l’Ordre (Pellegrin, 2008). Marguerite d’Arbouze (1580-1626) participe au développement de l’ordre bénédictin. Abbesse du Val-de-Grâce à partir de 1619 sur nomination de Louis XIII, elle met alors en place la clôture et différentes réformes, désireuse d’observer rigoureusement la règle de saint Benoît. Une autre femme remarquable est Louise de Marillac (1591-1660), cofondatrice des Filles de la charité. Sa vocation se développe après sa rencontre avec le père Vincent de Paul. Après avoir prononcé ses vœux en 1642, Louise se dévoue à soulager les plus faibles, les pauvres, les orphelins, les malades, et contribue à l’éducation des filles. Des communautés de Filles de la charité sont fondées dans de nombreuses villes françaises. Autre femme dont l’influence fut considérable dans la société religieuse de son époque : Catherine de Bar (1614-1698), en religion Mère Mectilde du Saint-Sacrement. Catherine de Bar « s’épanouit religieusement » dans la communauté des Annonciades de Bruyères, où elle est entrée en 1631 et au sein de laquelle elle exerce les fonctions de Supérieure. En 1640, elle rejoint une communauté bénédictine et devient Mère Mectilde. Elle fonde par la suite à Paris un nouvel institut, les bénédictines de l’Adoration perpétuelle du Très Saint-Sacrement. Cet institut, approuvé par le pape en 1660, devient une congrégation en 1670. Mère Mectilde se consacre alors à l’établissement d’autres fondations, jusqu’à sa mort en 1698 (Pellegrin, 2008).

D’autres femmes encore sont à l’origine de la fondation d’ordres religieux, consacrés notamment à l’éducation des jeunes filles, comme la religieuse italienne Angèle Merici (vers 1474-1540), fondatrice de la Compagnie de Sainte-Ursule (les ursulines) en 1535 ; en Italie, Julie Billiart (1751-1816), fondatrice des Sœurs de Notre-Dame de Namur en 1804 ; Madeleine-Sophie Barat (1779-1865), fondatrice de la Société du Sacré-Cœur de Jésus en 1800 ; Anne-Marie Javouhey (1779-1851), fondatrice des Sœurs de Saint-Joseph de Cluny en 1807. Certaines s’engagent dans des activités missionnaires, comme la mystique Marie de l’Incarnation*, née Marie Guyart (1599-1672), qui fonde en 1639 au Québec la communauté des ursulines de la Nouvelle-France, chargée « d’instruire les petites Indiennes Iroquoises » ; Mère Marie-Gertrude Henningsen (1822-1904), fondatrice des Sœurs missionnaires de l’Assomption au Cap en 1852 ; Celestina Bottego (1895-1980), cofondatrice des Missionnaires de Marie (les xavériennes) en Italie en 1945. Dans les ordres destinés à la vie contemplative se distinguent encore Jeanne de Valois ou de France (1454-1505), fille de Louis XI, fondatrice de l’ordre de l’Annonciade en 1501, et Magdeleine Hutin (1898-1989), fondatrice des Petites Sœurs de Jésus en 1939 en Algérie. D’autres se consacrent à des ordres dédiés aux souffrances humaines, comme Émilie de Vialar (1797-1856), fondatrice des Sœurs de Saint-Joseph-de-l’Apparition en 1832, présentes en Afrique du Nord dès le XIXe siècle ; Jeanne Jugan (1792-1879), en religion Marie de la Croix, fondatrice des Petites Sœurs des pauvres en 1839 ; Mère Teresa* (1910-1997), fondatrice des Missionnaires de la charité, au service des plus pauvres. Enfin, il y a celles qui se vouent à l’éducation, à l’exemple de Mary MacKillop (1842-1909), fondatrice des Sœurs de Saint-Joseph du Sacré-Cœur en Australie en 1866.

Lucie VEYRETOUT

FONING, Françoise [1949]

Entrepreneuse camerounaise.

FONSECA, Claudia Lee [BOSTON 1947]

Anthropologue brésilienne.

Après avoir appris le mandarin à Taïwan pour un diplôme en études orientales à l’université du Kansas, c’est en Micronésie, à Palau, que Claudia Lee Fonseca effectue ses premières recherches ethnologiques. D’origine nord-américaine mais ayant immigré au Brésil à la fin des années 1970, elle s’y impose comme l’une des principales anthropologues de sa génération grâce à son approche théorique et pratique des populations marginalisées des bidonvilles brésiliens. Ses travaux sur les couches populaires ont inspiré de nombreux chercheurs. Son regard ethnographique est éclairé par divers courants théoriques sur la pauvreté et les classes sociales, les relations entre les sexes et la parenté, l’anthropologie historique et la nouvelle historiographie française. Pionnière dans les études universitaires sur les violences contre les femmes, elle montre que la violence est une composante majeure des rapports sexués avec des règles particulières dans les milieux populaires, au sein desquels les liens de consanguinité et d’alliance sont souvent mis en valeur pour la résolution des conflits. Elle est aussi la première à utiliser le concept de « circulation des enfants » pour étudier les différents systèmes informels d’adoption au Brésil (entre membres de la famille, marraines, voisines, etc.) et à l’adoption internationale. Ses recherches ont eu un impact remarqué sur la formulation des politiques publiques, et favorisent le dialogue sur d’autres terrains tels que l’éducation, le travail social et le droit. Reconnue par ses pairs, C. Fonseca, professeure de l’Université fédérale du Rio Grande do Sul (UFRGS), représente l’anthropologie dans les plus importants comités des organismes de sciences et technologies brésiliens. Conférencière invitée par les universités du monde entier, elle s’est tournée depuis 2000 vers d’autres terrains, au Québec, en Chine et en Argentine.

Miriam GROSSI

FONSECA PIMENTEL, Eleonora DE VOIR PIMENTEL, Eleonora DE FONSECA

FONTAINE, Anne (Anne FONTAINE SILBERTIN-BLANC, dite) [LUXEMBOURG 1959]

Réalisatrice, scénariste et actrice française.

Anne Fontaine commence une carrière de danseuse. À 17 ans, elle est repérée dans un ballet et devient actrice de cinéma. Après quelques interprétations, elle préfère passer de l’autre côté de la caméra. Elle écrit un premier projet de film sur les hésitations amoureuses d’une jeune Beur. Jacques Audiard l’encourage à le réaliser. Sorti en 1993, Les Histoires d’amour finissent mal… en général fait partie de la sélection pour la Semaine de la critique au Festival de Cannes et reçoit le prix Jean-Vigo. Quatre ans plus tard, Nettoyage à sec – une gueule d’ange (Stanislas Merhar) sème la zizanie dans un couple de commerçants (Charles Berling et Miou-Miou*) – obtient pour S. Merhar le César du meilleur espoir masculin. En 2001, Michel Bouquet, pour Comment j’ai tué mon père, reçoit le César du meilleur acteur. Au fil du temps, la réalisatrice affirme son talent pour traiter des comportements ambigus. Dans Nathalie (2003), une femme (Fanny Ardant*) embauche un call girl (Emmanuelle Béart) pour contrôler la sexualité de son mari. Entre ses mains (2005) est l’histoire d’une trentenaire (Isabelle Carré*) amoureuse d’un vétérinaire (Benoît Poelvoorde) qui s’avère être un tueur en série. Après une série de films plus légers (La Fille de Monaco, Coco avant Chanel et Mon pire cauchemar), A. Fontaine met en scène Perfect Mothers (2013), tiré d’un roman de Doris Lessing* : deux femmes (Naomi Watts et Robin Wright) nouent une relation avec leurs fils respectifs.

Nathalie COUPEZ

FONTAINE, Brigitte [MORLAIX 1939]

Auteure-compositrice-interprète, comédienne et écrivaine française.

Fille d’instituteurs également comédiens amateurs, Brigitte Fontaine quitte la Bretagne pour Paris au début des années 1960. Elle devient comédienne, et joue notamment dans La Cantatrice chauve au théâtre de la Huchette. Sa créativité littéraire et sa force de rébellion la poussent dès 1963 à écrire des chansons. Elle se produit dans « les beuglants », et bien que très atypique par rapport aux chansonnières de l’époque, remporte un certain succès. L’écriture d’une pièce de théâtre, Maman j’ai peur, représentée pendant deux ans au Théâtre des Champs-Élysées, participe à sa renommée croissante. Elle sort deux premiers albums dont les titres annoncent sa couleur et son style : Chansons décadentes et fantasmagoriques (1966) et Brigitte Fontaine est folle ! (1968). Sa collaboration avec son mari, le musicien Areski Belkacem, marque un tournant dans sa carrière à partir de 1969, et son album Comme à la radio obtient en 1970 le prix Charles-Cros. Les thèmes, les mots de B. Fontaine sont toujours aussi crus, militants, irritants. Parallèlement, elle écrit des textes littéraires, dont le premier d’une longue série à venir, Chroniques du bonheur, est publié en 1975. Dans les années 1980, B. Fontaine choisit de s’écarter de la scène musicale pour retrouver le théâtre et s’initier au roman (Passo Doble, 1985). On la redécouvre dans les années 1990, le crâne rasé, et toujours transgressive. La décennie suivante la consacre avec deux disques d’or pour ses albums Kékéland (2001) et Rue Saint-Louis en l’Ile (2004). En 2013, son titre Au diable Dieu réaffirme, face à tous les intégrismes, la vigueur de son anticléricalisme.

Nathalie COUPEZ

FONTAINE, Janine (épouse MIRABEL) [SAINT-DENIS 1927]

Chercheuse française en médecine énergétique.

Cardiologue, ancienne chef d’un service d’anesthésie et de réanimation, Janine Fontaine participe au processus de création du premier cœur-poumon artificiel, à l’hôpital Broussais, et à la première greffe de rein entre des jumeaux à l’hôpital Necker, à Paris, dans les années 1950. En 1970, elle participe au premier congrès de sophrologie et y rencontre un autre système de pensée. Renonçant à son poste de chef de service hospitalier, elle étudie, auprès du docteur Paul Nogier, l’auriculomédecine, basée sur la perception de la vibration d’une paroi artérielle après le passage du flux sanguin. Aux Philippines, en 1976, elle rencontre le célèbre guérisseur Antonio Agpaoa qui lui propose de travailler avec lui car elle possède l’aura des guérisseurs. Elle apprend à percevoir les corps électromagnétique et spirituel des êtres vivants et à manipuler leurs énergies pour les guérir. Au cours de sept voyages, elle développe la sensibilité de ses mains tout en donnant son énergie. S’appuyant sur la physique quantique, elle identifie bientôt l’être humain et ses corps physique, énergétique et spirituel à l’atome de Niels Bohr (1885-1962), comme elle le décrit dans son ouvrage Médecin des trois corps, de la faculté de médecine de Paris à l’ashram philippin (1980, réédité en 2005). Dans La Médecine du corps énergétique, une révolution thérapeutique (1983, réédité en 2008), elle décrit les pathologies en relation avec les variations des orbes des électrons. Comprenant la dynamique des chakras, elle établit qu’elle s’intègre parfaitement à sa théorie de « l’homme-atome de Niels Bohr » (La Médecine des chakras, 1993 et 1999). Pour compléter ses traitements, dont ceux contre les allergies, elle insiste sur le choix des régimes (Les Maux méprisés, intolérances et allergies alimentaires, 1992 et 2002), toujours en s’appuyant sur la Médecine astrologique des trois corps (trois volumes, 1997, 1999 et 2003). Trois séjours au Brésil lui permettent d’expérimenter la médecine spirite et ses techniques de matérialisation et de transport à distance (Notre quatrième monde, 1987 et 2011). C’est elle-même qui conçoit les schémas illustrant ses ouvrages.

Claudine BRELET

Médecin des trois corps, vingt ans après (1995), Paris, R. Laffont, 2005.

FONTAINE, Joan (née DE BEAUVOIR DE HAVILLAND) [TOKYO 1917 - ÉTATS-UNIS 2013]

Actrice américaine.

Fille d’une comédienne, sœur cadette (et fâchée) d’Olivia de Havilland*, Joan Fontaine débute sur scène en Californie, et à l’écran en 1935. Elle a pour partenaire Fred Astaire dans Demoiselle en détresse (A Damsel in Distress, George Stevens, 1937) et Douglas Fairbanks Jr dans Gunga Din (1939), du même réalisateur. Après une apparition dans Femmes (The Women, George Cukor, 1939), elle séduit par sa beauté classique et sa fraîcheur Alfred Hitchcock. Il fait d’elle la jeune Anglaise innocente face à un séducteur inquiétant : Laurence Olivier, dans Rebecca (1940, d’après Daphné Du Maurier*) ; Cary Grant, dans Soupçons (Suspicion, 1941). Ce dernier rôle lui vaut l’Oscar. Elle est Tessa, dans Tessa, la nymphe au cœur fidèle (The Constant Nymph, Edmund Goulding, 1943, d’après Margaret Kennedy*), et Jane Eyre dans le film de Robert Stevenson (1943, d’après Charlotte Brontë*). Max Ophuls fait d’elle l’héroïne romantique de Lettre d’une inconnue (Letter from an Unknown Woman, 1948), et Fritz Lang celle de L’Invraisemblable Vérité (Beyond a Reasonable Doubt, 1956). Une île au soleil (Island in the Sun, Robert Rossen, 1957) traite des relations interraciales. Un certain sourire (A Certain Smile, Jean Negulesco, 1958) est adapté d’un roman de Françoise Sagan* ; Tendre est la nuit (Tender is the Night, Henry King, 1962), d’un roman de Scott Fitzgerald. Au théâtre, J. Fontaine incarne Aliénor d’Aquitaine* dans Le Lion en hiver.

Bruno VILLIEN

No Bed of Roses (1978), New York, William Morrow, 1987.

FONTAINE, Nicole [GRAINVILLE-YMAUVILLE 1942]

Femme politique française.

Diplômée de l’Institut d’études politiques de Paris en 1964, docteure en droit public en 1969, Nicole Fontaine est déléguée générale du Secrétariat général de l’enseignement catholique de 1964 à 1984, puis avocate. Sa carrière politique se fait sous le signe de l’Europe, à laquelle elle est profondément attachée. Élue du Centre des démocrates sociaux (CDS) devenu Union pour la démocratie française (UDF) au Parlement européen, de 1984 à 2002, elle siège depuis 2004 dans le groupe « Parti populaire européen ». Après Simone Veil*, elle est la deuxième femme à présider le Parlement européen, entre 1999 et 2002. À ce titre, elle a reçu le commandant Massoud, le 5 avril 2001. Membre fondateur de l’Union pour un mouvement populaire (UMP), elle est ministre déléguée à l’Industrie entre 2002 et 2004, dans le deuxième gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, puis reprend son métier d’avocate. En 2010, elle intègre le corps des enseignants-chercheurs de l’université de Nice-Sophia-Antipolis, après avoir obtenu l’attribution d’une chaire de la part de la Commission européenne pour transmettre aux étudiants sa riche expérience.

Mariette SINEAU

Mes combats à la présidence du Parlement européen, Paris, Plon, 2002.

DENÉCHÈRE Y., Ces Françaises qui ont fait l’Europe, Paris, Louis Audibert, 2007.

FONTANA, Lavinia [BOLOGNE 1552 - ROME 1614]

Peintre italienne.

Élevée dans la Bologne austère de la Contre-Réforme, Lavinia Fontana est l’unique enfant survivant de Prospero Fontana, peintre maniériste très en vogue auprès des papes et des grandes familles bolonaises, florentines et romaines, également engagé auprès de Gabriele Paleotti, l’évêque réformateur de Bologne, dans la réflexion que celui-ci mène sur la nécessaire réforme des images sacrées, consécutive au concile de Trente (1545-1563). La jeune fille est éduquée pour devenir une femme lettrée, dotée, modeste et d’agréable conversation. Elle étudie à la prestigieuse université de Bologne où les femmes, chose exceptionnelle, sont admises. Son style fait référence à un très large spectre de modèles toscans autant que bolonais : on a cité le Bolonais Bartolomeo Passerotti et le peintre de cour maniériste florentin Bronzino pour expliquer l’un de ses premiers tableaux, Ritratto di bimbo (« portrait d’enfant », 1575). Elle ne semble pas avoir fréquenté l’atelier de son père, endroit peu convenable pour une jeune fille. Celui-ci, souvent absent, dut lui enseigner tardivement les rudiments de son art, ce qui explique probablement son faible rendu de l’anatomie, défaut coutumier chez les femmes à qui sont interdites les études d’après modèle nu. En 1577, à 25 ans – âge tardif pour l’époque –, elle épouse un peintre mineur de bonne famille, Gian Paolo Zappi d’Imola. Le contrat de mariage stipule que les époux vivront chez Prospero Fontana, où elle continuera son activité. Elle reste toutefois sa vie durant sous la tutelle d’un homme – son père puis son mari – qui trouve ses commanditaires, diffuse et promeut son travail. Il en résulte le catalogue féminin le plus important dont nous ayons connaissance avant le XVIIIe siècle : environ 130 tableaux et dessins. Sa renommée provient essentiellement de ses portraits, genre traditionnellement réputé convenir aux femmes. La galerie d’humanistes qu’elle réalise, entre 1575 et 1585 principalement, montre une sensibilité précoce pour le rendu psychologique des émotions. Devenue peintre de l’ordre domestique bolonais, elle se voit requérir par de grandes familles qui lui commandent d’imposantes compositions (La Famille Gozzadini, 1584) et, surtout, elle fixe l’image idéalisée, gracieuse, des femmes de la noblesse, dans un style moins sobre et avec une palette plus claire que dans ses tableaux masculins. Cette minutie de miniaturiste habitant ses toiles porte sa réputation bien au-delà de Bologne. Son ascension sociale se mesure à l’aune des marraines et des parrains, toujours plus nobles, de ses 11 enfants. L’artiste sacrifie aussi à la mode de l’autoportrait, où elle se donne en femme raffinée, noblement vêtue, belle, mais modeste. De telles représentations relèvent en partie d’une stratégie marchande : les femmes peintres sont encore considérées comme des curiosités que l’on se déplace pour aller voir, et, dans les discours, la beauté de leurs œuvres est toujours associée à leur propre beauté. L’artiste est aussi la première femme qui, sans entrer en religion, peint à maintes reprises des sujets chrétiens : de petits tableaux de dévotion mais aussi des tableaux d’autel, où la place des saintes excède de beaucoup les usages (La Naissance de la Vierge, vers 1590) – il convient qu’une femme peigne des femmes et non des hommes. Ces tableaux religieux répondent au goût de la Contre-Réforme : simples, clairs, édifiants, vraisemblables, ils abandonnent les valeurs tangibles de ses portraits. En revanche, les toiles gagnent en richesse chromatique et en matière (Noli me tangere, 1581). En 1600, on lui commande un grand tableau d’autel pour Santa Sabina, à Rome (Vision de saint Hyacinthe). Le fait de confier à une femme l’exécution d’une œuvre de cette importance déclenche une polémique, mais le tableau se révèle être un succès, et d’autres commandes suivent, au point qu’en 1603 l’artiste s’installe à Rome. Fait encore plus remarquable, elle peint, à trois reprises au moins, entre 1585 et 1613, des toiles mythologiques, qui sont les premiers exemples conservés de nus de femme réalisés par une femme. Figure exceptionnelle de son temps, elle devient en 1604 peintre de cour du pape et, dans la foulée, est élue membre de l’Académie des beaux-arts de Rome. Ses tableaux sont recherchés bien au-delà de l’Italie, jusqu’en Perse. D’autres vont enrichir les collections du roi d’Espagne Philippe II. Une médaille est frappée à son effigie en 1611.

Anne LEPOITTEVIN

Lavinia Fontana of Bologna (1552-1614) (catalogue d’exposition), Fortunati V. (dir.), Milan, Electa, 1998.

MALVASIA C. C., Felsina pittrice, vite de pittori bolognesi (1678), Bologne, Forni, 2004 ; MURPHY C., Lavinia Fontana : A Painter and Her Patrons in Sixteenth-Century Bologna, New Haven, Yale University Press, 2003.

FONTE, Moderata (Modesta POZZO, dite) [VENISE 1555 - ID. 1592]

Écrivaine italienne.

Orpheline très jeune, Moderata Fonte fut accueillie chez des parents éloignés et manifesta dès sa prime jeunesse l’envie d’apprendre. D’après ses dires, elle attendait que son frère revienne de l’école pour se faire répéter tout ce qu’il avait appris. Très habile en récitation, en chant, en broderie, elle jouait de plusieurs instruments de musique et composait des vers. Mariée à l’avocat Filippo Zorzi, elle mourut à 37 ans en accouchant du dernier de ses quatre enfants. En 1581, elle avait publié les Tredici canti del Floridoro, un poème héroïque consacré aux femmes combattantes, dans lequel étaient critiquées les différences entre l’éducation des hommes et celle des femmes. Publié à titre posthume, Le Mérite des femmes (1600) met en scène des amies qui parlent librement de leur vie privée, du travail domestique et de la procréation, en déplorant l’arrogance masculine. Ce texte véhicule une théorie assez radicale selon laquelle l’homme doit tout – à commencer par ses vertus – aux femmes qui l’élèvent ; sa prétendue supériorité est le fruit de la domination à laquelle la femme est soumise ; bien conscient du pouvoir féminin, l’homme envie ses mérites et essaie de les détruire. Cette œuvre exprime le désir de liberté commun aux femmes de l’époque. Enfermées dans les murs domestiques, elles se comparent à des animaux en captivité : sans défense morale, juridique ou économique, elles sont soumises, dans la vie publique et privée, au pouvoir de maris tout-puissants qui peuvent quant à eux entretenir des liaisons avec des prostituées, remplir la maison de « bâtards » et demander à leur épouse de les élever.

Ginevra CONTI ODORISIO

Le Mérite des femmes (ll merito delle donne ove chiaramente si scuopre quanto siano elle degne e più perfette de gli uomini, 1600), Paris, ENS, 2002.

CONTI ODORISIO G., Donna e società nel Seicento, Rome, Bulzoni, 1979 ; MALPEZZI PRICE P., Moderata Fonte : Women and Life in Sixteenth-Century Venice, Londres/Teaneck, Associated University Presses/Fairleigh Dickinson University Press, 2003.

FONTENAY, Élisabeth DE [PARIS 1934]

Philosophe et essayiste française.

Élisabeth de Fontenay est la fille de Nessia Hornstein, dont la famille fut exterminée à Auschwitz, et qui n’évoqua jamais la tragédie qui avait emporté les siens, lui léguant un devoir d’oubli qu’elle allait transformer en devoir de mémoire. Son père, Henri Bourdeau de Fontenay, fut un grand résistant : avocat acquis au Front populaire, républicain qui prit le maquis sous le pseudonyme de Seguin, il fit partie du comité parisien de la Libération nationale et devint, nommé par le général de Gaulle, le premier directeur de l’Ena. La rencontre d’É. de Fontenay, en 1968, avec Vladimir Jankélévitch, dont elle est l’assistante à la Sorbonne, est déterminante. Parce que sa mère venait d’Odessa, fuyant les pogroms de 1905, elle a décidé d’être juive le jour où elle a lu les Réflexions sur la question juive de Sartre. Engagée à la fois à gauche et en faveur d’Israël, elle analyse l’antijudaïsme de l’auteur du Capital, dans Les Figures juives de Marx (1973), livre qu’elle n’a pas souhaité voir rééditer à cause des querelles portant sur l’existence même de l’État d’Israël au sein de la gauche. Elle est actuellement présidente de la commission Enseignement de la Shoah et membre du comité de parrainage de l’association La paix maintenant. Elle fait aussi partie du Comité d’éthique pour la recherche médicale et en santé (Ermes) de l’Inserm. Diderot ou le Matérialisme enchanté (1981) contient les racines de son engagement : la distance prise avec un matérialisme réducteur et dogmatique, l’inspiration non mathématique (l’esprit de finesse), le scepticisme discret envers les grandes causes du progrès à l’infini et de la perfectibilité obligatoire, le goût des marges, la saine méfiance envers les systèmes. Elle montre comment ce philosophe des Lumières a su s’appuyer sur la raison et la science « pour détruire la connivence de Dieu, du Moi et du Roi », « postuler une totalité » qui ne devienne pas totalitaire et préférer les « écarts » à l’ordre : aveugles-nés, enfants illégitimes, Hottentots, sourds-muets, femmes et musiciens… Parmi les figures marginales ainsi visitées, l’animalité est la meilleure approche pour cerner le « propre de l’Homme » et conduire une critique de la subjectivité prédatrice. Dans la préface de son ouvrage Le Silence des bêtes, la philosophie à l’épreuve de l’animalité (1998), tout en posant comme préalable le « caractère de singularité de la destruction des Juifs d’Europe », elle établit un parallèle entre les méthodes génocidaires nazies et l’industrie agroalimentaire. C’est cet engagement en faveur d’une réhabilitation de l’animal en philosophie qui a marqué les esprits. On ne peut manquer d’évoquer un illustre précédent : dans le cycle des quatre conférences de Brême, prononcées en 1949, et tout spécialement dans « Le danger », Heidegger comparait l’industrie agroalimentaire aux camps de concentration, ce qui a fait scandale, alors qu’il s’agit bien d’une critique de ces systèmes d’exploitation, de l’un comme de l’autre. Depuis septembre 2010, É. de Fontenay anime une émission de radio consacrée aux animaux.

François GUERY

Sans offenser le genre humain, réflexions sur la cause animale, Paris, Albin Michel, 2008 ; Actes de naissance, entretiens avec Stéphane Bou, Paris, Seuil, 2011.

FONTENEAU, Pascale [FOUGÈRES, BRETAGNE 1963]

Romancière et scénariste française.

Née de père français et de mère allemande, Pascale Fonteneau vit depuis 1971 à Bruxelles où elle anime émissions radiophoniques et ateliers d’écriture. Son premier roman, Confidences sur l’escalier (1992), fait d’elle une des premières femmes auteures de polars : jeux de mots, doubles sens, dérision et humour. Chaque roman renouvelle son engagement social. La capitale de l’Europe, l’immigration et la mondialisation l’interpellent. Ouvriers, sans-papiers, paumés de tout genre, l’arme du crime même sont ses protagonistes (États de lame, 1993 ; La Vanité des pions, 2000). La collection « Le Masque » diffuse son œuvre, rééditions et nouveaux titres (Jours de gloire, 2006 ; Contretemps, 2007). En 2003, elle participe au projet européen Valeurs communes pour l’intégration des émigrés par la BD. Elle collabore à des albums illustrés pour la jeunesse (Où est passé René ? , 2003 ; Trop c’est trop, 2003) et se met au scénario de BD (Angle mort, 2007). Un roman et une nouvelle sont publiés sur Internet. En 2010 paraît Propriétés privées.

Josette GOUSSEAU

GOUSSEAU J., « Pascale Fonteneau ou le polar pluriel », in CUSATO P. (dir.), Testo, metodo, elaborazione elettronica, Messine, A. Lippolis, 2002.

FONTEYN, Margot (Peggy HOOKHAM, dite) [REIGATE 1919 - PANAMA 1991]

Danseuse britannique.

Dotée d’un physique idéal, et d’un sens musical inné, Margot Fonteyn est la principale ballerine du Royal Ballet durant plus de quarante ans et un modèle pour les danseuses du monde entier. Lors de ses adieux, en reconnaissance de sa longue et illustre carrière, elle est officiellement nommée prima ballerina assoluta. Enfant, elle commence à étudier la danse à Shanghai puis à Londres. Admise à l’École du Vic-Wells en 1934, elle fait de modestes débuts dans Casse-Noisette dirigé par Ninette De Valois* qui décèle ses aptitudes exceptionnelles. Frederick Ashton la remarque et lui confie un rôle dans sa reprise des Rendez-vous, puis la création du Baiser de la fée avec laquelle elle accède au rang d’étoile. Afin de parfaire son style, elle suit les cours des professeurs russes de Paris et de Londres. Nicolas Sergueïev, maître de ballet, montant pour la compagnie les chefs-d’œuvre classiques, lui donne l’occasion d’affirmer sa présence et sa sensibilité dans Le Lac des cygnes et Giselle (1937). En 1939, elle est Aurore, dans La Belle au Bois dormant (Petipa), et reste légendaire dans ce rôle qu’elle ne cessera d’approfondir. Frederick Ashton lui dédie ses principales chorégraphies : l’énigmatique Dame d’Apparitions, la vendeuse de fleurs de Nocturne (1936), The Wanderer (1941), Symphonic Variations (1946), Cendrillon (1948), Daphnis et Chloé (1951), Sylvia (1952), Ondine (1958). Il lui dédie enfin l’émouvant pas de deux Marguerite et Armand (1963). En 1948, Roland Petit l’invite à créer auprès de lui à Paris la féline Agathe dans ses Demoiselles de la nuit, puis règle pour elle et son ultime partenaire, Rudolf Noureev, Le Paradis perdu (1967). Deux ans avant, elle et Noureev ont triomphé dans la création de Roméo et Juliette (Kenneth MacMillan). Au terme d’une brillante carrière, elle est applaudie à New York en 1976 dans La Veuve joyeuse (Hynd). Épouse depuis 1955 du diplomate panaméen Roberto Arias, elle l’assiste fidèlement durant sa longue maladie, fait de tardifs adieux à Covent Garden en 1979 mais paraît encore parfois en scène. Présidente depuis 1954 de la Royal Academy of Dance, Chancellor de l’université de Durham depuis 1982, elle a joué un rôle crucial dans l’essor du ballet britannique.

Jane PRITCHARD

Autobiography (1975), Londres, Hamish Hamilton, 1989.

MONEY K., Fonteyn, The Making of a Legend, Londres, Collins, 1973 ; DANEMAN M., Margot Fonteyn, Londres, Viking, 2004.

FONTYN, Jacqueline [ANVERS 1930]

Compositrice belge.

Jacqueline Fontyn commence à étudier le piano dès l’âge de 5 ans avec le pédagogue russe Ignace Bolotine. Après avoir suivi auprès de Marcel Quinet un premier enseignement d’écriture musicale et de composition, elle décide de venir à Paris pour y rencontrer Max Deutsch (1954-1955) qui, lui-même disciple d’Arnold Schoenberg, lui ouvre les portes de l’univers sériel. Au cours des années suivantes, elle poursuit à l’académie de Vienne une formation de direction d’orchestre avec Hans Swarowsky et produit ses premières œuvres, parmi lesquelles Danceries pour orchestre (1956). En 1961, elle épouse le compositeur belge Camille Schmit qui la soutient dans la volonté de rigueur inhérente à l’ensemble de sa démarche. En 1963, elle enseigne au Conservatoire d’Anvers avant d’être nommée professeure de composition au Conservatoire royal de Bruxelles, poste qu’elle occupe jusqu’en 1990. Elle décide alors de se consacrer uniquement à la composition, et la réputation universelle qu’elle acquiert lui vaut de nombreuses invitations et programmations à l’étranger lors de festivals ou de manifestations importantes, ainsi que des commandes prestigieuses comme celles, par exemple, de la Koussevitsky Foundation of the Library of Congress de Washington. C’est là que sont déposés tous ses manuscrits depuis l’année 2006. Sa carrière est jalonnée de diverses distinctions, tels le prix Arthur-Honegger pour la France ou le prix Oscar-Espla en Espagne. Membre de l’Académie royale des sciences, des lettres et des beaux-arts de Belgique, elle se voit conférer par le roi, en 1993, le titre de baronne. Son œuvre, considérable, comporte plus de 100 numéros d’opus et concerne tous les aspects de la composition. Citons, notamment, dans l’ordre vocal Virus Alert, opéra de chambre pour adolescents en sept tableaux sur un livret d’Alain Jadot (2002) ou Rosa, Rosae pour soprano, contralto, violon, harpe et piano (1986). On peut citer également dans le domaine symphonique Quatre sites composé en 1977 (prix Arthur-Honegger 1988) ou Arachné (1987) et dans celui du concerto Rivages solitaires pour piano et orchestre (1989), sans oublier l’apport aux instruments solistes La quinta staggione pour violon seul (1991), et la musique de chambre Horizons (1977), cinq tableaux pour quatuor à cordes. Un tel parcours révèle, outre un style en constante évolution, une maîtrise totale des techniques, qu’il s’agisse d’un sérialisme non dogmatique, de références à la modalité voire à la tonalité, ou de l’aléatoire contrôlé. J. Fontyn privilégie un caractère spécifique à chaque proposition : ici, la recherche de la couleur instrumentale, là, le déploiement d’une harmonie complexe, sans préjudice d’un souci d’efficacité et de concision.

Myriam SOUMAGNAC

BEIMEL T., « Life is a luminous halo-ein Portrait der Komponistin Jacqueline Fontyn », in Neue Zeitschrift für Musik, no 6, 2000 ; LESSING K., « Im Gespräch über Jacqueline Fontyn », in Viva Voce, Francfort, 2000.

FOPPA, Alaíde [BARCELONE 1914 - GUATEMALA 1980]

Écrivaine guatémaltèque.

Alaíde Foppa passe son enfance et son adolescence en Espagne, en Argentine, en Italie et en Belgique, puis fait des études d’histoire de l’art et obtient un doctorat de lettres à Rome. Elle arrive au Guatemala en 1944, à la veille de la Révolution démocratique, et s’engage immédiatement dans la lutte sociale, participant à la campagne d’alphabétisation du premier gouvernement de la Révolution. Elle devient professeure à la faculté de sciences humaines de l’Université San Carlos du Guatemala et fonde l’Institut de culture italienne. Quand la Révolution prend fin, elle s’exile à Mexico, où elle enseigne la littérature classique et italienne à l’Université nationale autonome. Elle crée la chaire sociologie de la femme, qu’elle occupe, à la faculté des sciences politiques de la même université, et devient présentatrice d’un programme radiophonique où la question des femmes est discutée et approfondie avec des invitées telles que Susan Sontag*, Dacia Maraini* et Kate Millett*. Parallèlement, A. Foppa devient critique d’art pour de nombreux journaux culturels du pays, et elle participe régulièrement aux activités d’Amnesty International contre l’oppression des femmes. En 1975, elle fonde la revue Fem, première publication féministe au Mexique, qui regroupe de nombreuses écrivaines et militantes féministes, et pose les bases d’un dialogue pour les droits des femmes. Son œuvre comprend de la poésie, avec les recueils Los dedos de mi mano (« les doigts de ma main », 1958) et Las palabras y el tiempo (« les paroles et le temps », 1979), des traductions de poésie (Miguel Ángel Asturias et Paul Éluard), des essais politiques (publiés dans la revue Fem) et des articles journalistiques et de critique d’art publiés au Mexique et au Guatemala. Son écriture poétique est intime et biographique avec une approche amoureuse et humaine du corps, des enfants et de la terre. En 1980, elle est kidnappée en raison de ses liens avec l’Unité révolutionnaire nationale guatémaltèque. Malgré les efforts d’intellectuels et d’organisations civiles pour la retrouver, on ne connaîtra jamais son sort.

Guisela LÓPEZ RAMÍREZ

FORBES, Rosita [RISEHOLME, LINCOLNSHIRE 1890 - WARWICK, BERMUDES 1967]

Voyageuse britannique.

Issue de la bourgeoisie anglaise, épouse d’un officier, Rosita Forbes s’engage comme infirmière puis ambulancière pendant la Première Guerre mondiale. Divorcée, elle visite ensuite l’Australie, l’Inde, le Moyen-Orient. Au Caire, elle forme le projet de traverser le désert jusqu’à Koufra, cité alors interdite à tout Occidental. Elle part en compagnie d’un érudit égyptien, Hassanein Bey, pour une expédition dont les raisons se révèlent aussi politiques, car à cette période, cette région mal connue est au centre des luttes d’influence entre l’Italie, la Grande-Bretagne et les mouvements nationalistes égyptiens. Sous l’identité de Khadidja, épouse circassienne d’Hassanein Bey, R. Forbes voyage enveloppée de voiles, parmi ce qui est censé être une caravane de marchands. Après les dangers de la route et ceux liés à la pénétration dans Koufra, elle est la première personne occidentale à franchir les limites de l’« oasis interdite ». R. Forbes conduit ensuite une expédition à la recherche des derniers Indiens isolés dans la jungle du Panama, puis en 1928, de Peshawar, elle rallie Samarkand en voiture, atteint Kaboul, Bamyan, Mazar-i-Sharif et enfin le Turkestan ouzbek. Remariée à un officier britannique, elle finit ses jours aux Bahamas.

Christel MOUCHARD

The Secret of the Sahara Kufara, Londres, Long Riders’Guild Press, 2001.