MATTHÍASDÓTTIR, Louisa [REYKJAVÍK 1917 - NEW YORK 2000]

Peintre islando-américaine.

L’œuvre de Louisa Matthíasdóttir reflète les contraintes de la représentation picturale propres à la peinture américaine d’après-guerre. Avec de larges traits de pinceau et des couleurs vibrantes, elle simplifie les images tout en les soumettant au réalisme, pour exprimer une vision intensément personnelle. Après sa formation à Reykjavík, elle part en 1934 à Copenhague, où son penchant pour les couleurs vives et le motif simple est encouragé, puis en 1938 à Paris, où elle étudie auprès de Marcel Gromaire et découvre Matisse. En 1942, elle part pour New York où elle suit les cours de Hans Hofmann, attirée par son intérêt pour la structure et la puissance des couleurs. Avec son mari Leland Bell, elle crée la galerie Robert Schoelkopf où elle expose 17 fois entre 1964 et 1991. L. Matthíasdóttir n’a connu qu’une maigre consécration officielle. Invitée une seule fois à la Biennale du Whitney, en 1973, elle continue cependant de penser qu’abstraction et art figuratif ne s’excluent pas, en dépit du succès de l’expressionnisme abstrait. Elle rejoint ainsi Robert De Niro Sr, Catherine Admiral, Nicholas Carone, Fairfield Porter, Alex Katz et, ultérieurement, Nell Blaine et David Park. L. Matthíasdóttir a maintenu un lien étroit avec l’Islande, où elle était très estimée. Dans les années 1960, elle a commencé à peindre les toiles inspirées par l’Islande qui ont fait sa célébrité : portraits, autoportraits, natures mortes, intérieurs et paysages inondés de lumière. Le monde s’y réduit à de simples pans anguleux de couleur vive, peints d’une façon énigmatique et directe. Un style à la fois laudatif et sans apprêts ni hiérarchisation. Ses œuvres sont exposées à Chicago, à Washington et à la Galerie nationale d’Islande. Avec son amie Nína Tryggvadóttir*, L. Matthíasdóttir a établi un lien entre l’art islandais et la scène artistique new-yorkaise. Loin de l’engouement du siècle pour l’abstraction puis pour le pop art, elle n’a pas perdu son goût pour les genres traditionnels du portrait, de l’autoportrait, de la nature morte et du paysage.

Irma ERLINGSDÓTTIR

GURUWITSCH M., « Louisa Matthíasdóttir : A Painter’s Painter », in Scandinavian Review, octobre 2004 ; SMITH R., « Louisa Matthiasdottir, 83, Whose Paintings Merged Styles » [nécrologie], in New York Times, 2 mars 2000.

MATTO DE TURNER, Clorinda [CUZCO V. 1852 - BUENOS AIRES 1909]

Femme de lettres péruvienne.

Veuve à 29 ans d’un négociant et médecin anglais, sans enfant, et dépouillée de son héritage par des juges corrompus, Clorinda Matto de Turner se consacre au journalisme pour gagner sa vie et tient un salon littéraire à partir de 1886. Elle est l’auteure d’une œuvre variée, qui comprend des « Traditions » (nouvelles historiques), une pièce de théâtre (Hima Sumac, 1884), un manuel de rhétorique, des traductions en quechua des Évangiles, des chroniques et des essais littéraires, ainsi que trois romans qui l’ont rendue célèbre : Aves sin nido (« oiseaux sans nid », 1889), Índole (« classe », 1891) et Herencia (« héritage », 1893), suite du premier. Aves sin nido lui vaut une place de choix dans l’histoire de la littérature latino-américaine, comme fondatrice de la littérature indigéniste. En reprenant les codes du naturalisme, elle met ainsi en scène pour la première fois des Indiens, en dénonçant les abus dont ils sont victimes, notamment de la part des grands propriétaires et des prêtres. Si ce premier roman a pour cadre un village imaginaire du Sud du Pérou, les deux autres se situent à Lima, mais dénoncent avec la même virulence les fonctionnaires et le clergé corrompus. Avec Mercedes Cabello et Teresa Gonzalez de Fanning, elle fait partie du premier cercle des femmes éclairées du Pérou. En butte à de nombreuses critiques et agressions de toutes sortes, elle est excommuniée et contrainte à l’exil à partir de 1895, s’installe en Argentine, et consacre la fin de sa vie à de nombreux voyages en Europe, où elle se lie à des organisations féminines et féministes.

Karim BENMILOUD

DENEGRI F., El abanico y la cigarrera. La primera generación de mujeres ilustradas en el Perú, Lima, Flora Tristán/IEP, 1996 ; TAURO A., Clorinda Matto de Turner y la Novela Indigenista, Lima, UNMSM, 1976.

TAUZIN-CASTELLANOS I., « La représentation du Cuzco dans Tradiciones cuzqueñas de Clorinda Matto de Turner (1884-1886) », in Bulletin hispanique, Bordeaux, t. 99, no 2, 1997.

MATTOSO, Katia MYTILINEOU DE QUEIRÓS [VOLOS, GRÈCE 1932 - PARIS 2011]

Historienne gréco-brésilienne.

Katia Mytilineou arrive au Brésil en 1956, après avoir fait un doctorat en sciences politiques à l’université de Lausanne (Suisse). La rencontre avec son futur mari détermine son installation à Salvador de Bahia et son intérêt pour l’histoire du Brésil. Elle donne des cours à l’Université fédérale de Bahia et à l’Université catholique et se spécialise dans l’histoire de Bahia et de l’esclavage au Brésil, explorant les archives de manière novatrice, à la recherche d’une compréhension fine du tissu social. Ces premières recherches permettent la publication de deux ouvrages : Bahia, a cidade do Salvador e seu mercado no século XIX (« Bahia, la ville du Salvador et son marché au XIXe siècle », 1978) et Être esclave au Brésil, XVIe-XIXe siècles (1979). Après son divorce, Katia Mattoso s’installe à Paris où elle soutient, en 1986, une thèse de doctorat d’État intitulée Au nouveau monde : une province d’un nouvel empire, Bahia au dix-neuvième siècle. Elle est recrutée en 1988 sur la chaire d’histoire du Brésil de l’université Paris 4 et y enseigne jusqu’à sa retraite en 1999. Son travail offre une vision nouvelle de l’esclavage au Brésil : les esclaves sont considérés comme des sujets historiques mettant en œuvre des formes de résistance et des stratégies de survie, mais qui développent aussi des sociabilités et des liens de solidarité. Elle publie d’autres ouvrages, dont Esclavages, histoire d’une diversité de l’océan Indien à l’Atlantique sud (1998), ainsi que des ouvrages collectifs. Pour avoir dirigé de nombreuses thèses de doctorat et favorisé les échanges scientifiques entre le Brésil et la France, elle est nommée docteure honoris causa de plusieurs universités brésiliennes. Sa compagne française, Jacqueline Donel, est partie prenante de plusieurs de ses projets.

Cristina SCHEIBE WOLFF

CROUZET F., BONNICHON P., ROLLAND D., Pour l’histoire du Brésil, Hommage à Katia de Queirós Mattoso, Paris, L’Harmattan, 2000.

MATUR, Bejan [KAHRAMANMARAŞ 1968]

Poétesse turque.

Diplômée en droit de l’université d’Ankara, Bejan Matur s’installe à Istanbul et participe aux activités culturelles de Diyarbakır, centre régional en pleine renaissance où Turcs et Kurdes peuvent se côtoyer. Remarquée très tôt pour sa capacité à insuffler le mystère dans le quotidien le plus ordinaire, elle publie des poèmes dans les revues Defter et Adam Sanat. Son premier recueil de poésie, Rüzgâr dolu Donaklar (« des demeures pleines de vent », 1996), remporte les deux grands prix de poésie Orhon-Murat-Ariburnu et Halil-Kocagöz en 1997. Elle est par la suite souvent invitée à participer à des festivals de poésie internationaux où elle représente la nouvelle poésie de Turquie. Ses recueils suivants s’intitulent Tanrı görmesin Harflerimi (« que Dieu ne voie pas mes lettres », 1999), Ayın büyüttügü Oğullar (« les fils que la lune fait grandir », 2002), Onun Çölünde (« dans son désert », 2002), et Ibrahim’in beni terketmesi (« Ibrahim m’a quittée », 2008).

Timour MUHIDINE

« Le Temps des jupes » (Eteklerin Zamanı), in Siècle 21, no 15, 2009 ; « Les moines sont passés par la mort » (Kesisler geçti Ölümden), in J’ai vu la mer : anthologie de la poésie turque contemporaine, Saint-Pourçain-sur-Sioule, Bleu Autour, 2010 ; « Signes » (Işaretler), « Du Nord » (Kuzeyden) et « Le Temps » (Zaman), in Les Poètes de la Méditerranée, Paris, Culturesfrance/Gallimard, 2010.

MATUTE, Ana María [BARCELONE 1926 - ID. 2014]

Écrivaine espagnole.

Issue d’une famille de la petite bourgeoisie catalane, conservatrice et religieuse, Ana María Matute a 10 ans quand la guerre civile éclate ; la violence, la haine, la mort, l’extrême pauvreté de cette période la marquent profondément et imprègnent sa narration. Dans l’impossibilité de suivre des études universitaires, elle se plonge dans la littérature. En 1942, elle commence à collaborer à la revue Destino, et écrit son premier roman, Pequeño teatro (« petit théâtre »), qui sera publié en 1954 et obtiendra le prix Planeta. Elle se fait connaître en 1947, avec Los Abel (« les Abel »), roman finaliste du prix Nadal ; elle y utilise le thème biblique des frères ennemis, oppose le monde des enfants et celui des adultes pour donner sa vision du monde et des rapports humains, insiste sur l’incommunicabilité, centrale dans son œuvre. En 1952, elle épouse, contre l’avis de sa mère, l’écrivain Ramón Eugenio de Goicoechea. Déshéritée, elle plonge dans la précarité économique. En 1954 naît son fils Juan Pablo, pour qui elle écrit de nombreux livres pour enfants. Le couple se sépare en 1963 ; à son grand désespoir, elle ne verra pas son fils, confié à son père, pendant trois ans. Par sa thématique, le choix des personnages, elle appartient à « la génération des années 50 », marquée par le réalisme, au côté de Carmen Martín Gaite* ou Carmen Laforet*. Elle parle de la solitude, du mélange d’amour et de haine dans les relations entre frères, amis ou amants. Dans les années 1960, sa trilogie Los mercaderes (« les marchands ») − Primera memoria (« première mémoire », 1960), Les soldats pleurent la nuit et La Trappe − a pour arrière-fond la guerre civile espagnole, qui a brisé les êtres et surtout leur enfance. L’auteure occupe une place à part dans les lettres espagnoles : la critique la qualifie de meilleure romancière de l’après-guerre, les éditions Destino publient ses œuvres complètes, mais son pessimisme existentiel la plonge dans une dépression qui l’éloigne de l’écriture pendant près de vingt ans. En 1996, elle publie Olvidado rey Gudú (« le roi Gudú, oublié »), un conte cruel et amer commencé vingt ans auparavant. La même année, elle est élue membre de l’Académie royale de la langue espagnole et devient la troisième femme à intégrer cette savante assemblée. En 2007, elle reçoit le Prix national des lettres espagnoles pour l’ensemble de son œuvre et, en 2010, le prix Cervantes.

Àngels SANTA

Les soldats pleurent la nuit (Los soldados lloran de noche), Paris, Stock, 1964 ; La Trappe (La trampa, 1969), Paris, Stock, 1972 ; Les Enfants idiots (Los niños tontos, 1956), Paris, Sarbacane, 2004 ; Le Temps (El tiempo, 1957), Paris, Gallimard, 2009.

FUENTE I. de la, Mujeres de la posguerra, de Carmen Laforet a Rosa Chacel, historia de una generación, Barcelone, Planeta, 2002 ; REDONDO GOICOECHEA A., Ana María Matute, Madrid, Ediciones del Orto, 2000.

VALIS N. M., « La literatura infantil de Ana María Matute », in Cuadernos Hispanoamericanos, no 389, nov. 1982.

MATUTE, Carmen [GUATEMALA 1944]

Écrivaine guatémaltèque.

À ses débuts, Carmen Matute fait partie du groupe littéraire Rin 78, avec lequel elle publie les recueils de poèmes Círculo vulnerable (« cercle vulnérable », 1981), Poeta solo (« poète seul », 1986) et Ecos de casa vacía (« échos de la maison vide », 1990). Sa création littéraire est rapidement reconnue pour son audace et son intensité lyrique, confrontant le quotidien à la nature essentielle de la poésie. C. Matute est l’une des représentantes majeures de la poésie érotique centraméricaine. Son travail littéraire figure dans de nombreuses anthologies publiées en Europe et aux États-Unis. Dans Ecos de casa vacía, considéré comme son recueil de poèmes le plus intense, le discours intimiste et la méditation poétique atteignent un degré sublime. Les thèmes de la relation complexe entre mère et fille, de l’acceptation et du rejet, de l’amour tendre ou de la rupture y sont abordés. Dans Los designios de Eros (« les desseins d’Éros », 1994), elle explore le thème de l’amour, tandis que La casa de piedra y sueño (« la maison de pierre et de rêve », 1997) est une longue élégie à la mort du couple. Dans sa chronique poétique En el filo del gozo (« dans le fil du plaisir », 2002), qui décrit une relation intense, elle montre sa capacité à créer un discours intimiste à l’érotisme subtil. Muñeca mala (« méchante poupée », 2006) rassemble des récits sur l’amour et le désamour dans la vie de femmes, avec des réflexions sur l’inceste et sur la vieillesse. Dans El cristo del secuestro (« le Christ de l’enlèvement », 2006), publié en collaboration avec Elizabeth Andrade, elle se penche sur les disparitions des années 1980, notamment en témoignant du combat d’une mère pour retrouver son fils disparu. C. Matute fait partie de l’Académie guatémaltèque de la langue.

Guisela LÓPEZ RAMÍREZ

MATVEÏEVA, Novella [DETSKOÏE SELO, AUJ. POUCHKINE 1934]

Poétesse et auteure-compositrice-interprète russe.

Novella Nikolaïevna Matveïeva naît dans une famille d’écrivains et commence à écrire dès son enfance. De 1950 à 1957, elle travaille dans un orphelinat aux alentours de Moscou. Elle fait ses études par correspondance à l’Institut de littérature de Moscou, dont elle est diplômée en 1962. Ses premières publications sortent dans les principales revues soviétiques dès 1959. Elle est l’auteur de plus de trente livres. Elle interprète ses vers à la guitare vers la fin des années 1950 et, à partir de 1972, ceux de son mari, le poète Ivan Kiourou (1934-1992). En 1966 sort son premier disque, elle devient un des premiers bardes soviétiques. Bien qu’elle appartienne à la génération des écrivains du dégel, elle n’en partage pas les positions idéologiques. Son œuvre s’enracine dans la poésie de l’« âge d’argent ». L’élément lyrico-romantique y domine, ainsi que le dépaysement spatio-temporel. Ses vers transportent le lecteur dans un univers exotique dominé par la rêverie et les fantaisies. Les références au contexte socio-historique sont marginales ou cachées. La simplicité et la musicalité s’associent à la précision lexicale et à la profondeur philosophique. Pèlerins sans abri, gitans, artistes du cirque, marginaux, ses personnages souffrent de l’injustice qui domine le quotidien. Mais, au repli sur soi si typique de la poésie lyrique russe de la deuxième moitié du XXe siècle, ils préfèrent l’ouverture vers l’extérieur, vers les hommes, les animaux, les plantes, cherchent une communion profonde avec la nature. Cet amour s’associe à l’exhortation à la force morale, au respect d’une discipline aussi bien de l’âme que du corps, qu’elle oppose à l’explosion des sentiments et à la liberté sans bornes prêchées par nombre de poètes anticonformistes de son époque. Le principe de la liberté personnelle et la capacité d’observer les règles permettent à ses héros d’affronter le destin avec fermeté et endurance. En 1998, elle reçoit le prix de poésie Pouchkine.

Federica VISANI

MAUCLAIR, Isabelle [COMTAT VENAISSIN 1938]

Directrice de festival française.

Fondatrice et directrice de l’agence artistique Monde et Communication, Isabelle Mauclair co-organise le Festival mondial du Cirque de demain, compétition dédiée aux jeunes artistes de cirque de moins de 25 ans, créée par Louis Merlin en 1977. Par ailleurs, en marge du Festival mondial du Cirque de demain, elle crée en 2001 le premier festival d’art acrobatique africain, Circafrica, qui réunit des artistes de huit pays d’Afrique. Précurseur, Circafrica est un hommage créatif aux racines africaines de l’acrobatie, mais c’est aussi une véritable reconnaissance pour des artistes souvent méconnus. I. Mauclair se retire à l’issue de la 27e édition du Festival, en 2006.

Marika MAYMARD

CHEVILLARD A., « Circafrica… acrobaties en liberté », in Le Cirque dans l’univers, no 200, 2001.

MAUGÉ, Odette [ROSNY-SOUS-BOIS 1892 - VENDÔME 1964]

Médecin et psychanalyste française.

Au cours des années 1930, Odette Maugé travaille comme médecin et comme psychanalyste à l’hôpital Bretonneau avec Françoise Dolto*. En 1931, elle fait sa thèse de doctorat sur « L’alimentation du nourrisson », préfiguration de son article publié en 1939 dans le volume 11 de la Revue française de psychanalyse, et souvent réédité depuis, sous le titre « À propos de trois cas d’anorexie mentale ». Elle y met en évidence la complexité des conflits en cause et montre le rôle capital de l’attitude des parents dans la formation, comme dans le traitement, de tels conflits. Elle fait son analyse avec Marie Bonaparte* et devient membre de la Société psychanalytique de Paris en 1934. C’est chez elle que se tiendront les premières réunions de la revue L’Évolution psychiatrique. C’est aussi à cette époque qu’elle participe aux débats de la section française de l’association féminine internationale Soroptimist, club regroupant des femmes qui mettent leurs compétences professionnelles au service des droits des femmes et qui s’engagent dans de grands projets concernant la santé, l’éducation, la culture, la protection de l’environnement et du patrimoine. Après la mort de son mari, Henri Codet, elle épouse l’architecte Pierre Laurent-Lucas-Championnière. En juin 1953, elle joue un rôle déterminant dans le conflit qui oppose, à propos de la médicalisation de la psychanalyse et de la durée des séances, le groupe de Sacha Nacht à celui de Jacques Lacan. Soutenue par M. Bonaparte, O. Maugé engage une motion de défiance à l’encontre de J. Lacan qui conduisit celui-ci à la démission, suivi par F. Dolto, Juliette Favez-Boutonier* et Daniel Lagache, qui fondent alors la Société française de psychanalyse. O. Maugé sera, elle, présidente de la Société psychanalytique de Paris en 1959. Elle quittera ce poste en 1963 pour des raisons de santé mais restera membre honoraire.

Nicole PETON

MAUPÉOU-ABBOUD, Nicole DE [FRANCE 1928 - ID. V. 1980]

Sociologue française.

Pionnière dans le champ de la sociologie de la jeunesse, en 1962, Nicole de Maupéou-Abboud fonde avec Jacques Jenny le Groupe des sciences sociales de la jeunesse, un centre pluridisciplinaire d’échanges, d’information et de réflexion, indépendant des institutions et des « patrons », ouvert à tous les chercheurs travaillant directement ou indirectement dans ce champ. Diplômée de l’Institut de psychologie de la Sorbonne en 1953 et titulaire du diplôme de conseillère d’orientation professionnelle la même année, elle est d’abord attachée à la direction des relations sociales de la Régie nationale des usines Renault. En 1956, elle entre à l’Institut des sciences sociales du travail. Sa formation en psychologie – notamment en statistiques – la conduit à mener des enquêtes sur la jeunesse portant sur des grands nombres, conformément au modèle scientifique alors en élaboration en sociologie. Au début des années 1960, les sciences sociales s’emparent du thème de la jeunesse, et « les jeunes » finissent par devenir une « catégorie sociale ». La sociologue l’aborde d’une manière singulière, focalisée sur les jeunes travailleurs dont elle étudie les conditions d’insertion dans le milieu du travail et les perspectives d’avenir. En 1967, elle contribue à l’ouvrage collectif dirigé par Claude Dufrasne, Des millions de jeunes, aspects de la jeunesse (1967). Ses travaux sur les jeunes travailleurs sont repris dans sa thèse de troisième cycle soutenue sous la direction de Georges Friedmann (1966) et font l’objet de plusieurs ouvrages. Le Groupe pluridisciplinaire qu’elle a cofondé en 1962 disparaît à la fin des années 1960 à la suite de son départ pour les États-Unis, puis de celui de J. Jenny pour le Québec. Elle oriente ensuite ses investigations sur les étudiants et leur mode d’engagement politique à gauche entre 1960 et 1970 – notamment en Mai 1968 (date de son affectation au Laboratoire de sociologie industrielle dirigé par Alain Touraine) –, puis sur les formes de l’action ouvrière à partir d’observations des conflits en entreprise dans les années 1970. Comme la majorité des chercheurs des années 1950-1960, N. de Maupéou-Abboud s’est avant tout intéressée aux jeunes travailleurs qui, au cours des décennies suivantes, ont perdu leur place de premier plan en sociologie. Elle a mis en évidence l’ampleur des inégalités sociales parmi eux, sans toutefois accorder au phénomène du chômage de masse et aux discriminations entre les sexes l’importance que ces thèmes prendront dans les travaux postérieurs aux années 1980, sous l’impulsion des mouvements sociaux.

Lucie TANGUY

Les Blousons bleus, Paris, Armand Colin, 1968 ; Les Jeunes Ouvriers de moins de vingt ans, significations et fondements de quelques comportements et attitudes sociales, Paris, EHESS, 1968 ; Ouverture du ghetto étudiant, la gauche étudiante à la recherche d’un nouveau mode d’intervention politique, 1960-1970, Paris, Anthropos, 1974.

« Le Groupe des sciences sociales de la jeunesse », in Revue française de sociologie, vol. 6, no 6-3, 1965 ; « Une sociologie de la jeunesse aux États-Unis », in Revue française de sociologie, no 7, 1966.

MAURANE (CLAUDINE LUYPAERTS, dite) [IXELLES 1960]

Chanteuse belge.

Issue de parents musiciens – son père est compositeur et directeur de l’Académie de musique de Verviers, et sa mère professeure de piano –, Maurane participe à des concours de chant dès l’adolescence, sous le pseudonyme de Claudie Claude. Elle fait ses débuts en 1979 dans un spectacle d’Albert-André Lheureux, Brel en mille temps, et ses premiers 45 tours datent des années suivantes, tandis qu’elle chante dans des cafés-théâtres, dans la rue, ou est engagée comme choriste. Le succès de sa première scène parisienne, en 1985, lui permet d’enregistrer un premier album, Danser. Après une apparition dans la deuxième version de l’opéra-rock de Michel Berger Starmania en 1988, elle enchaîne les albums (Maurane en 1989, Ami ou ennemi en 1991) dont certains morceaux deviennent des titres-phares comme Toutes les mamas ou Sur un prélude de Bach. Parallèlement, elle travaille en trio avec Steve Houben et Charles Loos, se produisant sous le nom HLM, enregistre également plusieurs duos et se mobilise aux côtés d’autres artistes au profit d’associations comme Sol en Si (Solidarité Enfants Sida) ou les Restos du Cœur. En 2009, la chanteuse enregistre un album hommage, Nougaro ou l’espérance en l’homme, puis sort son dixième album studio en 2011. Sa générosité, son charisme et son timbre de voix profond, reconnaissable entre tous, sont à nouveau réunis dans un album en 2014, Ouvre. Maurane a été nommée chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettre en France (2001) et chevalier de l’Ordre de la Couronne en Belgique (2003).

Marion PAOLI

MAURER, Dóra [BUDAPEST 1937]

Plasticienne et performeuse hongroise.

Dóra Maurer est l’une des artistes conceptuelles majeures de la Hongrie. Entre ses affinités avec l’art concret et l’influence de la néo-avant-garde hongroise, elle a exploré les formes, les proportions et la sérialité liées à la notion du mouvement et du changement. Elle pratique la peinture, les arts graphiques, la photographie et le film expérimental. Dans les années 1970, elle a formulé, à travers sa peinture, le concept des « quasi-images » (quasi-bilder), en s’appuyant sur les théories de la perception et de la couleur. Ses œuvres picturales sont conçues à partir d’éléments plastiques, comme les couleurs et les plans. Quant à ses photographies, elles sont soumises à un processus de distorsion et de transformation afin d’exprimer son obsession de la fluidité du mouvement. D. Maurer occupe également une position importante en tant que performeuse, notamment en traitant des sujets de genre et de l’engagement politique. Dans sa performance What Can One Do With a Paving Stone ? (« que peut-on faire avec un pavé ? », 1971), elle emmitoufle un pavé – symbole des manifestations et référence directe à l’histoire récente de la Hongrie et de la révolte de 1956 – dans un tissu, tel un cadeau, et l’embrasse, comme si c’était un enfant en quête d’affection ; avec ces gestes insolites, elle exprime son désaccord, en tant que citoyenne mais aussi en tant que femme, avec la dimension violente du militantisme. Aux côtés de ses amis artistes, Tamás Szentjóby et Miklós Erdély, elle a longtemps travaillé au sein de la fondation Béla Bálasz Studio à Budapest, le lieu mythique du film expérimental hongrois, entièrement soutenu par l’État. Intéressée par le film court, dans Mouvements spontanés appris (1973), elle a superposé les quatre enregistrements qu’elle avait réalisés d’une lectrice, formant ainsi une composition sérielle complexe d’images et de sons. Elle a également organisé, avec M. Erdély, des ateliers de pédagogie expérimentale pour des étudiants en art et enseigne à l’Académie des beaux-arts de Budapest depuis les années 1990.

Nataša PETRESIN

Dóra Maurer (catalogue d’exposition), Budapest, Museum Ludwig, 2009.

MAURESMO, Amélie [SAINT-GERMAIN-EN-LAYE 1979]

Joueuse de tennis française.

Première Française à être classée numéro un mondiale en 2004 – et ce sans avoir encore remporté un tournoi du Grand Chelem –, Amélie Mauresmo est l’une des plus grandes championnes de l’histoire du tennis français. Célèbre pour la puissance de son revers à une main, rare dans le tennis féminin, elle tire également sa force de sa capacité à adapter son jeu en fonction de celui de son adversaire, ce qui rend ses matchs toujours surprenants et passionnants. En 1999, encore presque inconnue du public, elle remporte la demi-finale de l’Open d’Australie contre Lindsay Davenport, alors numéro un au classement mondial. Au cours d’une interview, elle évoque ouvertement son homosexualité : dans le milieu conservateur du tennis, les réactions homophobes fusent, et la joueuse fait l’objet d’un violent matraquage médiatique. La détermination dont elle fait preuve face aux attaques l’érige en icône de la lutte contre l’homophobie. Blâmée pour avoir échoué dans des moments décisifs – souvent gagnée par sa grande émotivité, elle est plusieurs fois vaincue en finale –, elle remporte en 2006 l’Open d’Australie et, dans une joie intense, Wimbledon. Elle occupe alors à nouveau la première place du classement mondial, position qu’elle conserve pendant 34 semaines consécutives. Retirée en 2009, A. Mauresmo est aujourd’hui la capitaine de l’équipe française de Fed Cup et l’entraîneuse d’Andy Murray. En 2015, elle est admise dans le Hall of Fame du tennis de Newport.

Nicole SIRI

MAURI, Rosita [REUS 1856 - PARIS 1923]

Danseuse et chorégraphe espagnole.

Fille d’un danseur catalan, Rosita Isabel Mauri étudie la danse classique et le style espagnol bolera. Elle débute dès 1866 à Majorque, puis comme première danseuse au Teatro Liceo de Barcelone (1871) et au Teatro Circo de Madrid. Après des tournées à travers l’Europe, elle quitte définitivement Barcelone pour la Scala de Milan (1877). Charles Gounod l’y remarque et la fait engager à l’Opéra de Paris où elle débute brillamment le 7 octobre 1878 dans la fête païenne de son nouvel opéra Polyeucte. Si, en 1879, elle est jugée peu expressive dans le rôle de Fenella de La Muette de Portici, sa vivacité radieuse triomphe en 1880 dans La Korrigane (Widor, Mérante), notamment dans le solo de la sabotière. Elle inspire peintres et sculpteurs tels Degas, Manet ou Zorn. Elle crée avec succès l’Arlésienne Vivette dans La Farandole (Dubois, Mérante) en 1883. Après le départ de sa rivale, l’Italienne Rita Sangalli, elle reprend ses rôles, tour à tour japonaise dans Yedda, hongroise et gitane en 1886 dans Les Deux Pigeons (Messager, Mérante). Interprète de divertissements d’opéra réglés par Joseph Hansen, tels Roméo et Juliette de Gounod, Le Cid ou Thaïs de Massenet, elle est Miranda dans La Tempête d’Ambroise Thomas (1889), une éblouissante Sylvia (Delibes, Mérante) avant d’interpréter en 1893 la Fée des Neiges de La Maladetta (Vidal, Hansen). Déjà, elle annonce sa proche retraite, cédant progressivement ses rôles à la toute jeune Carlotta Zambelli*, mais se fait encore applaudir dans L’Étoile de Wormser (1897). Nommée professeure de la classe de perfectionnement, poste fondé pour Marie Taglioni*, elle se consacre jusqu’en 1920 à l’enseignement du ballet de l’Opéra pour lequel, en 1911, elle règle España d’Emmanuel Chabrier. Fort appréciée pour sa virtuosité et son extrême vélocité en un temps où le lyrisme était jugé obsolète à Paris, R. Mauri a imposé une chaleureuse et méridionale présence scénique.

Marie-Françoise CHRISTOUT

MAURIER, Daphne DU (lady BROWNING) [LONDRES 1907 - FOWEY, CORNOUAILLES 1989]

Romancière britannique.

Fille d’un acteur et directeur de théâtre et d’une mère actrice, Daphne du Maurier grandit dans un milieu littéraire et artistique et connaît une enfance dorée. Si son art est jugé « passé de mode » dans les années 1950, elle a depuis été réévaluée comme narratrice hors-pair et recréatrice de lieux et d’époques inégalée, raisons du très grand succès de chacun de ses romans, à l’image de Rebecca, son chef-d’œuvre (1938), porté à l’écran par Alfred Hitchcock en 1940. Dans cette même veine romantique et sombre, elle écrit 26 autres romans, une biographie de Branwell Brontë, plusieurs récits historiques de périodes troublées de l’histoire d’Angleterre, trois pièces de théâtre, dont The Years Between (617 représentations), de nombreuses biographies de ses ancêtres et des nouvelles, souvent terrifiantes (Les Oiseaux, 1952). Toutes ces œuvres, hantées par la figure du père, obsédées par le passé, respirent l’aventure, le mystère et le thème d’une sexualité qui ne rejette pas l’inceste et dont la libération cache en fait une dislocation du moi, entre le père aimant et la mère sévère. Elle réactualise en quelque sorte les romans à sensations du XIXe siècle.

Michel REMY

Rebecca (Rebecca, 1938), Paris, Albin Michel, 1939 ; Le Bouc émissaire (The Scapegoat, 1957), Paris, Albin Michel, 1957 ; Les Oiseaux et autres nouvelles (The Birds and Other Stories, 1952), Paris, Albin Michel, 1964.

FORSTER M., Daphne du Maurier : the Secret Life of the Renowned Storyteller, Londres, Chatto & Windus, 1993.

MAURON, Marie (née Marie-Antoinette ROUMANILLE) [SAINT-RÉMY-DE-PROVENCE 1896 - ID. 1986]

Romancière française.

Née dans une famille de paysans provençaux, Marie Mauron est institutrice dans sa région natale. Elle tient le journal de la mairie qu’elle fait parvenir à ses amis, Virginia Woolf* et Edward Morgan Forster. En 1934, elle entame sa carrière de romancière avec Mont-Paon, qui ouvre à une œuvre prolifique, riche de plus d’une trentaine de récits dont, parmi les plus célèbres, Le Royaume errant (1953), Mes grandes heures de Provence (1961)  ou La Marseillaise (1968). Souvent surnommée la Colette* provençale ou encore la Pasionaria de Provence, elle livre une œuvre essentiellement régionaliste, un hymne indéfectible à sa terre natale. Dans la lignée des troubadours, elle perpétue les légendes locales, défend les traditions ancestrales et explore la richesse du folklore méridional. Dans les années 1970, avec La Provence qu’on assassine (1972), son travail prend un tournant militant et l’engage dans une défense ardente et révoltée contre ceux qui défigurent sa région. Elle est lauréate de nombreux prix littéraires, dont le prix de l’Académie française en 1962.

Johan FAERBER

MAURY, Antonia CAETANA DE PAIVA PEREIRA [COLD SPRING 1866 - DOBBS FERRY 1952]

Astrophysicienne américaine.

Faisant preuve d’une intelligence précoce dans de nombreux domaines, Antonia Maury lit Virgile dans le texte à l’âge de 9 ans et aide son oncle à effectuer ses expériences de chimie. Soutenue par sa famille, elle obtient en 1887 un diplôme en chimie et mathématiques au Vassar College. La même année, son père pousse Edward Pickering, le directeur de l’observatoire d’Harvard, à engager sa fille. Celle-ci y voit une occasion de participer au mémorial dédié à son oncle, Henry Draper. Elle entre à l’observatoire en 1888 et commence par étudier le spectre de l’étoile Sirius, dans lequel elle trouve plus de 500 raies spectrales faibles. Décelant en elle de grandes dispositions pour la spectroscopie, E. Pickering l’affecte à l’analyse des spectres de haute résolution des étoiles les plus brillantes de l’hémisphère céleste nord. Elle étudie avec soin ces données, allant jusqu’à les réexaminer plusieurs fois. Les relations avec E. Pickering se dégradent alors : en 1891, elle quitte une première fois l’observatoire et enseigne. Néanmoins, E. Pickering souhaite la voir achever le travail commencé : elle accepte à la seule condition que son nom apparaisse désormais clairement lors de la publication de ses travaux. Le résultat de ses recherches est finalement publié en 1897 dans un catalogue classant 681 étoiles brillantes, selon un système qu’elle imagine, trouvant la classification de Williamina Fleming* peu adaptée : les étoiles sont séparées en 22 groupes, notés de I à XXII. Elle remarque, en outre, que certains spectres associés à une même classe se distinguent entre eux par la largeur des raies, ce qui, selon elle, reflète une différence physique. Pour différencier ces sous-groupes, elle propose donc d’ajouter trois divisions à sa classification, répertoriées par les trois lettres a, b, c, et correspondant respectivement aux raies normales, élargies et indistinctes ou fines. Ce nouveau système complexe, donc difficile à utiliser, ne bénéficie pas des faveurs d’E. Pickering ; il attire néanmoins l’attention d’Ejnar Hertzsprung en 1905, qui qualifie sa sous-classification de plus grand progrès en spectroscopie stellaire depuis les travaux de Vogel et Secchi. Sous la pression d’E. Hertzsprung et de Henry Norris Russell, l’Union astronomique internationale adopte officiellement la division c en 1922. L’astrophysicienne passe ensuite à l’étude des étoiles binaires, dont Mizar A et ɛ Aurigae. À la mort d’E. Pickering, les finances de l’observatoire ne permettent plus de payer les quelques heures de travail très irrégulières d’A. Maury. Le nouveau directeur tente de lui retrouver un poste à l’observatoire de Victoria, en Colombie-Britannique, mais elle refuse. Elle ne travaille plus que par intermittence, toujours à Harvard. En perpétuel conflit avec le système, elle n’obtient que peu de reconnaissance : une seule récompense lui est attribuée, le prix Annie-Jump-Cannon en 1943, alors qu’elle est âgée de 77 ans.

Yaël NAZÉ

HOFFLEIT D., « Reminiscences on Antonia Maury and the c-characteristic », in The MK Process at 50 Years, ASP Conference Series, vol. 60, 1994 ; ID., « Pioneering women in the spectral classification of stars », in Physics in Perspective, vol. 4, 2002.

MAVRIKAKIS, Catherine [CHICAGO 1961]

Romancière et essayiste canadienne d’expression française.

Titulaire d’un doctorat en littérature comparée à l’université de Montréal, Catherine Mavrikakis exerce, depuis 2003, comme professeure au département des littératures de langue française de l’université de Montréal. Dans ses essais comme dans ses romans, elle s’intéresse à la question de la filiation, au deuil des origines et aux représentations de la mort. Son premier roman, Deuils cannibales et mélancoliques (1999), emprunte la forme d’un témoignage dédié à ses amis morts du sida, tous prénommés Hervé en hommage à l’écrivain Hervé Guibert. Dans Ça va aller (2002), elle se livre à une critique sévère du milieu culturel québécois et de ses icônes, s’en prenant notamment à la fascination qu’exerce le mythe de l’enfance rebelle et innocente sur les écrivains contemporains. Elle publie ensuite Fleurs de crachat (2005), roman familial hanté par la tragédie de la Shoah, et Omaha Beach (2008), texte théâtral mettant en scène un pèlerinage en Normandie. Dans Le Ciel de Bay City (2008), une adolescente élevée dans la ville dortoir de Bay City hérite d’un trop-plein de mémoire et des cauchemars de ses aïeux dans un lieu où s’impose l’amnésie. En écho aux œuvres de fiction, Condamner à mort, les meurtres et la loi à l’écran, essai publié en 2005, interroge certaines obsessions contemporaines comme le culte de l’événement et l’hypermédiatisation des tragédies humaines.

Martine-Emmanuelle LAPOINTE

MAXIMOVA, Ekaterina [MOSCOU 1939 - ID. 2009]

Danseuse russe.

Issue de la bourgeoisie intellectuelle moscovite, Ekaterina Maximova est, de 1958 à 1980, auprès de son mari, Vladimir Vassiliev, l’une des stars internationales du Bolchoï. Formée à l’école de la troupe, suivie par Elisabeth Gerdt et Galina Oulanova*, détentrices du style de Saint-Pétersbourg, elle ajoute une élégance raffinée à la théâtralité éloquente de la troupe moscovite. Elle dessine ainsi, dans l’univers soviétique, la modernité d’une danse sans afféterie, dont elle sait rendre la virtuosité novatrice spectaculaire ou subtile, selon les enjeux du rôle. Cela fait d’elle une interprète à la croisée des genres, grâce à sa silhouette menue et éternellement juvénile, aussi à l’aise dans le demi-caractère (Don Quichotte), l’épopée tragique (Spartacus) ou les grands classiques épurés (Giselle, Casse-Noisette, La Belle au bois dormant). N’ayant pas choisi l’exil à l’Ouest comme Natalia Makarova*, elle n’a pas la chance de créer d’autres ballets que ceux de son mari (Icare, 1976 ; Aniouta, 1986 ; Cendrillon, 1990) et ne pourra donner suite aux projets imaginés avec Maurice Béjart, si ce n’est en dansant son Roméo et Juliette.

Sylvie JACQ-MIOCHE

LAZZARINI R., Maximova et Vassiliev at the Bolchoï, Londres, Dance Books, 1995.

Katia et Volodia, Dominique Delouche, 65 min, 2004.

MAY, Dick (Jeanne WEILL, dite) [ALGER 1859 - PRALOGNAN 1925]

Femme de lettres française et fondatrice de la première école de journalisme en Europe.

De son vrai nom Rosalie Jeanne Weill, Dick May a été l’une des principales figures de la vie intellectuelle parisienne à la charnière des XIXe et XXe siècles. Elle naît dans une famille d’origine alsacienne partie quelques années plus tôt à Alger où son père occupe les fonctions de grand rabbin. Grâce au réseau relationnel de son père et afin de satisfaire sa passion pour l’écriture, elle fréquente les milieux littéraires de la capitale, dès le retour de la famille en 1885. Elle publie ses premiers textes sous forme de feuilletons dans les journaux prestigieux de l’époque (L’Illustration, Les Débats, Le Temps) ; si bien qu’en 1892, lors de la parution de ses deux premiers recueils de nouvelles, Le Cas de Georges d’Arrell et L’Affaire Allard, son nom ou plutôt son pseudonyme commence à gagner en notoriété. La découverte fortuite de son cousinage avec Karl Marx bouleverse sa vie et lui donne son orientation. Rendue inquiète, selon ses propres termes, par les thèses prônées par son illustre parent, elle mesure alors la difficulté d’accéder à un véritable enseignement des sciences sociales en France, exclues des milieux universitaires. À partir de 1895, elle met tout en œuvre pour rendre cette discipline accessible au plus grand nombre : elle participe à la création du Musée social, à celle du Collège libre des sciences sociales, à l’aventure des universités populaires et à l’organisation du premier Congrès international de l’enseignement des sciences sociales. Son intense activité favorise des rencontres et des amitiés avec des intellectuels d’horizons divers : l’économiste Charles Gide, l’helléniste Alfred Croizet, le sociologue René Worms, l’historien Charles Seignobos, le chimiste Émile Duclaux, le philosophe Émile Boutroux, l’écrivain Charles Péguy. À ses côtés, tous collaborent, à partir de 1899, à la création de la première école de journalisme d’Europe, puis l’année suivante, à celle de l’École des hautes études sociales, qui l’englobera. Située face à la Sorbonne, cette institution savante mêle débats d’idées, cours, conférences, événements culturels, dans un bouillonnement qui en fait l’un des lieux majeurs du Paris intellectuel d’avant-guerre. Dans les premières années y participent Émile Durkheim, Georges Sorel, le baron Pierre de Coubertin ou Félix Alcan. Nommée secrétaire générale, Dick May incarne l’âme de l’École, trouvant néanmoins le temps de poursuivre sa production littéraire. Une de ses pièces de théâtre, Mère, est applaudie à l’Odéon en 1911. La Première Guerre mondiale – l’aveuglement des nations, l’égoïsme froid de l’économie, contraires aux idéaux de justice, d’humanité, de confiance dans l’humain prônés dans les sciences sociales – fait basculer ses idéaux sociaux. La perte de sa mère et de plusieurs amis chers la poussent vers le silence. En 1925, elle se tue dans les Alpes, lors d’une randonnée. Une grande partie de son œuvre lui a survécu – le Musée social et l’École des hautes études sociales –, et si la science politique, fille des sciences sociales, a obtenu la reconnaissance universitaire, c’est en grande partie grâce à l’action de celle qui a su créer, diriger et animer les lieux de son épanouissement premier.

Patrick DOMBROWSKY

CROISET A., L’École des hautes études sociales, 1900-1910, Paris, F. Alcan, 1911 ; DOMBROWSKY P., Cent ans d’enseignement supérieur, le groupe ESJ-HEP-HEI, Paris, CEPC, 2000 ; PROCHASSON C., « Dick May et le social », in CHAMBELLAN C. (dir.), Le Musée social en son temps, Paris, Presses de l’École normale supérieure, 1998.

MAYAWADI VOIR THOMMAYANTI

MAYER, Constance (Marie-Françoise-Constance MAYER LA MARTINIÈRE, dite) [PARIS 1775 - ID. 1821]

Peintre française.

Fille d’un important fonctionnaire des douanes, Constance Mayer bénéficie toute sa vie d’une certaine indépendance grâce à son héritage. Élève de Joseph-Benoît Suvée et de Jean-Baptiste Greuze, elle débute sa carrière au Salon de 1796. Son style assez précis, dans la lignée de Jacques-Louis David, s’assouplit sous l’influence de J.-B. Greuze. C. Mayer rencontre alors le succès avec des scènes précieuses et sentimentales, comme le Portrait d’un père et sa fille (Salon de 1801). En 1803, elle devient l’élève puis la maîtresse du peintre Pierre-Paul Prud’hon, dont elle adopte le style atmosphérique. Elle réalise des tableaux mythologiques et allégoriques, tel Vénus et l’Amour endormis, caressés et réveillés par les zéphyrs, pour lequel elle reçoit une médaille de première classe au Salon de 1806. Avec son pendant, Le Flambeau de Vénus (1808), il est acquis par l’impératrice Joséphine. La composition de l’œuvre lui a été inspirée par un dessin de Prud’hon, au point que le tableau est confondu avec Le Sommeil de Vénus de ce dernier lors de son entrée à la Wallace Collection de Londres. Les deux artistes, qui travaillent en étroite collaboration, peignent dans des ateliers voisins, partagent des modèles et s’inspirent mutuellement. Les portraits de C. Mayer restent cependant plus personnels comme le Portrait d’Elsa Voiart (1814), plein de vitalité. Elle est officiellement reconnue lorsque L’Heureuse Mère (Salon de 1810) est acquis par l’empereur. Au Salon de 1819, l’achat pour Louis XVIII du Rêve du bonheur témoigne du succès de la coopération du couple. Néanmoins, l’artiste, sujette à la dépression, se suicide en 1821 à la suite de la perte du logement qu’elle partageait avec Prud’hon à la Sorbonne. Très affecté, le peintre termine les œuvres inachevées de sa compagne, telle Une famille dans la désolation, et organise en 1822 une exposition posthume en son souvenir.

Xavier REY

LAVEISSIÈRE S. (dir.), Prud’hon ou le rêve du bonheur (catalogue d’exposition), Paris, Réunion des musées nationaux, 1998 ; SUTHERLAND HARRIS A., NOCHLIN L., Femmes peintres 1550-1950, Paris, Des femmes, 1981.

MAYER, Dora [HAMBOURG 1868 - LIMA 1959]

Philosophe et sociologue péruvienne.

Allemande d’origine, Dora Mayer arrive au Pérou à 5 ans et épouse très tôt la cause des populations opprimées, en particulier des autochtones. Elle a fondé, avec le philosophe Pedro Zulen et le sociologue Joaquín Capelo, l’Asociación proindígena, la Sociedad nacionalista et le journal La Autonomía. Collaboratrice de divers périodiques, dont le journal El Comercio et la revue Amauta, elle a également créé l’hebdomadaire indépendant La Crítica et la « revue mensuelle instructive » Concordia. Elle est l’auteure d’articles et d’ouvrages à caractère sociologique, politique et philosophique. C’est sous forme de livrets qu’elle publie, en 1925, Una contribución al entendimiento del universo, introducción a la teoría de las tres facultades mentales, pour laisser, dit-elle, « une trace écrite de son penchant pour la spéculation métaphysique et la philosophie pratique ». Ses Études sociologiques de 1907, dont le premier volume est consacré à la philosophie de la politique moderne, sont reprises en 1950 dans une nouvelle version enrichie sous le titre : Estudios sociológicos de actualidad. Écrivaine prolifique à l’esprit lucide, D. Mayer n’a cessé de critiquer et de dénoncer la classe dirigeante politique et cléricale au Pérou, ce qui a valu à son œuvre d’être censurée et mise à l’écart.

Madeleine PÉRUSSE

Estudios sociológicos, Imprenta del H. Concejo del Callao, 1907 ; Una Contribución al entendimiento del universo, introducción a la teoría de las tres facultades mentales, Lima, Imprenta Garcilaso, 1925 ; Estudios sociológicos de actualidad, Callao, Imprenta del Colegio Militar Leoncio Prado, 1950.

MAYER, Emilie [FRIEDLAND, MECKLEMBOURG 1812 - BERLIN 1883]

Compositrice allemande.

Emilie Mayer étudie à Stettin avec Carl Loewe, poursuit ses études de fugue et de contrepoint chez Adolf Bernhard Marx, d’orchestration chez Wilhelm Wieprecht à Berlin. Sa première composition est une adaptation pour voix et piano du Roi des Aulnes de Goethe. Elle devient une prolifique compositrice de la période romantique, ses œuvres sont applaudies à Bruxelles, Lyon, Budapest, Leipzig, Munich. Elle a à son actif 9 sonates pour violon et 13 pour violoncelle, des sonates pour piano, 11 trios pour piano et 7 quatuors à cordes. Son œuvre se situe dans la tradition classique et le style de Mendelssohn.

Michèle FRIANG

MAYER, Maria GOEPPERT VOIR GOEPPERT MAYER, Maria

MAYETTE, Muriel [PARIS 1964]

Comédienne et metteuse en scène française.

La vocation de Muriel Mayette est précoce : à 14 ans, elle suit les cours de Marcelle Tassencourt à Versailles et entre à l’École nationale supérieure des arts et techniques du théâtre (ENSATT) en 1980, avec une dérogation. Puis c’est le Conservatoire (1982-1985), la Comédie-Française, où elle entre en 1985 et devient la 477e sociétaire en 1988. Elle se distingue notamment dans La Célestine de Fernando de Rojas avec Antoine Vitez (1989), Huis clos de Jean-Paul Sartre (1990), La Fausse Suivante de Marivaux (1991) avec Jacques Lassalle, et, plus récemment, Les Grelots du fou de Luigi Pirandello (2005) avec Claude Stratz. Elle réalise sa première mise en scène en 1990 avec Oh mais où est la tête de Victor Hugo ? d’après le Théâtre en liberté. En 2010, elle signe la mise en scène de Mystère bouffe et fabulages de Dario Fo pour son entrée au répertoire de la Comédie-Française. Professeure au Conservatoire jusqu’en 2005, elle est la première femme nommée au poste d’administrateur général de la Comédie-Française, où elle succède à Marcel Bozonnet en août 2006. À sa connaissance du fonctionnement de la Maison, elle ajoute sa conviction de l’excellence du répertoire, du talent de ses artistes et de ses artisans. Elle assure avec foi sa mission de transmettre le patrimoine, en multipliant les actions en direction des établissements scolaires, et développe les tournées, tant en France qu’à l’étranger. Elle programme régulièrement des auteurs contemporains dans les trois salles de la Comédie-Française. Elle poursuit son activité de metteur en scène avec Andromaque (2010), Bérénice (2011) et Une histoire de la Comédie-Française (2012). M. Mayette a su « faire bouger les repères sans les effacer ». En avril 2013, elle a épousé le journaliste sportif Gérard Holtz.

Danielle DUMAS

MAYNTZ, Renate [BERLIN 1929]

Sociologue allemande.

Après des études secondaires à Berlin, Renate Mayntz entame un cursus universitaire aux États-Unis, au Wellesley College (institution faisant partie des Seven Sisters). De retour à Berlin, elle obtient son doctorat en 1953 avant d’occuper un poste à l’Institut des sciences sociales de l’Unesco à Cologne. Après avoir reçu son habilitation en 1957, elle enseigne dans différentes universités en Allemagne et à l’étranger. Elle fonde en 1985 l’institut de recherche sociale Max-Planck à Cologne, qu’elle dirige jusqu’à son éméritat. Ses principaux champs de recherche sont la sociologie des organisations, les bureaucraties et la gouvernance, les politiques de développement des institutions nationales et transnationales, telles la science et la technologie, et, plus généralement, la théorie des systèmes sociaux. R. Mayntz a participé pendant plusieurs années à des groupes de travail et à des commissions, ayant pour objectif la modernisation des structures de l’État allemand, des ministères, et, globalement, de la fonction publique. Elle est l’auteure de nombreuses publications sur le plan national et international.

Polymnia ZAGEFKA

Soziale Schichtung und sozialer Wandel in einer Industriegemeinde, Stuttgart, F. Enke, 1958 ; Soziologie der öffentlichen Verwaltung (1978), Heidelberg, C. F. Mueller 1992 ; Sozialwissenschaftliches Erklären, Probleme der Theoriebildung und Methodologie, Francfort, Campus, 2009.

MAYOR ARIAS, Doña [MADRID XVe siècle]

Poétesse espagnole.

Issue d’une famille noble établie à Madrid et liée à la cour d’Henri III de Castille (1379-1406), Doña Mayor Arias se marie avec Ruy González Clavijo, ambassadeur du roi lors de l’expédition à Samarcande, dans l’actuel Ouzbékistan. De ce voyage – entre 1403 et 1406 – subsiste une narration, Embajada a Tamorlán (« ambassade à Tamerlan »), attribuée à son époux. Elle est l’auteure d’un seul poème, remarquable par son ampleur et son contenu, caractérisé par la fusion qu’elle effectue entre l’histoire et la vie quotidienne : Ay, mar brava, esquiva (« hélas, mer sauvage, revêche »), composé en 1403, signé par un messager anonyme et conservé dans un cancionero (« recueil de chansons ») à la Bibliothèque nationale de France. Composé de 13 strophes hexasyllabiques de huit vers à rime consonante, il traduit l’inquiétude, à travers la plainte ou la supplique, quant au destin du mari, parti pour une expédition dangereuse. Le contraste entre les hasards, les menaces du voyage et les scènes de la vie intime contribue à exprimer ces sentiments. Le poème emprunte les accents de la lyrique populaire quand la poétesse fait entendre la lamentation d’une femme amoureuse, provoquée par l’absence de l’ami, de l’amant, de l’époux ou du père. Il décrit non seulement dans le détail l’équipement du voyage, les conditions du départ et les péripéties de l’aventure exotique, mais peint aussi les mœurs de la vie à la cour − vie à laquelle une dame seule doit renoncer −, et se conclut par un appel à l’aide, de tonalité religieuse. Il est écrit dans un style simple et accessible, libéré des maintes conventions poétiques du moment.

María José VILALTA

SÁNCHEZLLAMA I., « La escritura de la mujer en la Edad Media, análisis de un impossible », in SEGURA GRAÍÑO C. (dir.), La voz del silencio, fuentes directas para la historia de las mujeres, siglos VIII-XVIII, Madrid, Asociación cultural al-Mudayna, 1992 ; SÁNCHEZ ROMATE M. J. ; « Doña Mayor Arias, historia y poesía », in SEGURA GRAÍÑO C. (dir.), La voz del silencio, fuentes directas para la historia de las mujeres, siglos VIII-XVIII, Madrid, Asociación cultural al-Mudayna, 1992 ; SEVERIN D. S., « Language and imagery in Mayor Arias’poem “Ay mar brava esquiva” to her husband Clavijo », in KÖRNER K. H., ZIMMERMANN G. (dir.), Homenaje a Hans Flasche, Stuttgart, F. Steiner, 1991.

MAYREDER, Rosa [VIENNE 1858 - ID. 1938]

Philosophe et peintre autrichienne.

Après avoir reçu une éducation bourgeoise traditionnelle complétée par des cours de grec et de latin, mais aussi de psychologie et de logique, Rosa Mayreder s’oriente d’abord vers la peinture. En 1891, elle fait sa première exposition d’aquarelles au Wiener Künstlerhaus. Puis elle se tourne vers la littérature et la philosophie. Son œuvre porte sur la sexualité et l’égalité des sexes, sur la paix, sur la psychanalyse et sur l’art. Elle est cofondatrice, en 1893, de l’Association autrichienne des femmes, d’orientation libérale. Elle se bat pour le droit des femmes aux études supérieures et participe, en 1900, à la fondation de la société d’éducation féminine Athenäum. Elle rejoint Berta von Suttner* dans sa lutte pour la paix. En 1896 paraît son recueil de nouvelles Aus meiner Jugend (« de ma jeunesse »). Elle y fustige la double morale de la société bourgeoise et ses conséquences désastreuses pour les femmes. Ses deux recueils d’essais Zur Kritik der Weiblichkeit (« critique de la féminité », 1905) et Geschlecht und Kultur (« sexe et culture », 1923) analysent la relation des sexes à l’amour, au mariage, à l’érotisme et à la parenté, dans le contexte de l’histoire et de la culture européennes. C’est son œuvre tardive, l’essai philosophique Der letzte Gott (« le dernier Dieu », 1933), qui reflète le plus clairement son intérêt pour Nietzsche et Schopenhauer. Elle y exprime sa conviction que l’être humain n’est pas le point final de l’évolution, qu’il ne constitue que la transition vers une autre forme d’existence plus parfaite qui permettra de vaincre la souffrance. R. Mayreder est aussi l’auteure du libretto de l’opéra de Hugo Wolf, Der Corregidor (« le corregidor »), joué pour la première fois en 1896. En 1948 paraît la première partie de ses mémoires, Das Haus in der Landskrongasse (« la maison dans la Landskrongasse »). La deuxième partie, Mein Pantheon (« mon panthéon »), est publiée à l’occasion de cinquantenaire de sa mort, en 1988.

Anne SIEGETSLEITNER

ANDERSON H., « Rosa Mayreder », in DAVIAU D. G. (dir.), Major Figures of Turn-of-the-Century Austrian Literature, Riverside (Ca.), Ariadne Press, 1991.

MAYRÖCKER, Friederike [VIENNE 1924]

Écrivaine et poétesse autrichienne.

Proche du Groupe de Vienne, Friederike Mayröcker a expérimenté dès les années 1940 une poésie qui défie le langage et tâche d’en épuiser les modalités. En 1965, le recueil Metaphorisch (« métaphorique ») s’écarte de la poésie concrète pour donner la priorité à la dimension onirique intérieure. Tod durch Musen (« mort à travers les muses »), paru en 1966, retrace son évolution poétique de 1945 à 1965. F. Mayröcker a écrit un grand nombre d’ouvrages. Ayant trouvé sa forme d’expression idéale dans une prose novatrice et une poétique du fragment, elle a publié en 1980 Die Abschiede (« les adieux ») et en 1983 Magische Blätter (« feuilles magiques »), qui esquisse un parcours autobiographique à travers des souvenirs, des épiphanies et des références culturelles. Dans Reise durch die Nacht (« voyage à travers la nuit », 1984), un voyage réel – retour de France – s’intériorise petit à petit, par le biais du dialogue, pour devenir une exploration du passé où chaque représentation constitue un fragment de récit en soi. Le lien entre la vie et l’écriture se retrouve dans ses œuvres en prose, comme Das Herzzerreissende der Dinge (« le déchirant du cœur des choses », 1985) ou Mein Herz mein Zimmer mein Name (« mon cœur ma chambre mon nom », 1988). En 1998, elle aborde le genre du journal intime avec Brütt ou Les Jardins soupirants. En dialoguant avec une figure très proche (Blum), un homme aimé absent (Joseph) et elle-même, elle livre ses réflexions dans un style concis qu’une syntaxe lacunaire et la suppression de ponctuation rapprochent du courant de conscience. Après la mort de son compagnon l’écrivain Ernst Jandl, en 2000, la poétesse a poursuivi leur dialogue en se penchant sur le passé, dans Requiem für Ernst Jandl (2001) et Paloma (2008), un livre-agenda qui combine aux réflexions et rêves le compte-rendu de la routine quotidienne.

Chiara NANNICINI STREITBERGER

Asile de saints (Heiligenanstalt, 1978), Liège, Atelier de l’agneau, 2007 ; Métaux voisins (Benachbarte Metalle, 1998), Liège, Atelier de l’agneau, 2003 ; Brütt ou Les Jardins soupirants (Brütt oder Die seufzenden Gärten, 1998), Liège, Atelier de l’agneau, 2008.

ARTEEL I., Gefaltet, entfaltet, Strategien der Subjektwerdung in Friederike Mayröckers Prosa 1988-1998, Bielefeld, Aisthesis, 2007 ; KUNZ E. A., Verwandlungen, zur Poetologie des Übergangs in der späten Prosa Friederike Mayröckers, Göttingen, Wallstein, 2004 ; MELZER G., SCHWAR S. (dir.), Friederike Mayröcker, Graz/Vienne, Droschl, 1999.

MAY VON RUED, Julie VON [BERNE 1808 - ID. 1875]

Femme politique suisse.

Constatant que dans les pays où les hommes ont gagné leurs libertés, les femmes restent dépendantes, Julie von May von Rued appelle les Suissesses à s’organiser et à s’engager activement pour l’égalité des droits. En 1872, lors de la préparation du premier vote pour une révision de la Constitution fédérale, elle publie une brochure sur la question (Die Frauenfrage in der Schweiz, « la question des femmes en Suisse »), et, la même année, elle fonde avec Marie Goegg-Pouchoulin* l’Association internationale pour la défense de la femme suisse (ADDFS).

René LEVY

MAZARELLI, Mlle VOIR SAINT-CHAMOND, Claire-Marie MAZARELLI, marquise DE LA VIEUVILLE DE

MAZUMDAR-SHAW, Kiran [BANGALORE 1953]

Entrepreneuse indienne.

Scientifique diplômée de zoologie à l’université de Bangalore, Kiran Mazumdar-Shaw soutient une thèse de génétique à Londres, puis elle étudie la brasserie à l’université de Ballarat (Australie), domaine dans lequel elle excelle. Elle veut suivre les traces de son père, maître-brasseur indien, mais aucune entreprise de brassage n’offre d’emploi à une femme. Sa rencontre avec Biocon Limited en Irlande est déterminante : passionnée par les promesses de la biotechnologie, la jeune femme fonde en 1978 une start-up qui deviendra Biocon India, la plus grande entreprise de biotechnologie de pointe en Inde. Dans un pays où les entrepreneuses sont rares, où la biotechnologie est un nouveau secteur, la créatrice rencontre de nombreuses difficultés : trouver des financements, des fournisseurs et du personnel disposés à travailler avec une femme. Sa détermination l’emportera : moins d’un an après sa création, Biocon India devient la première entreprise indienne qui fabrique et exporte des enzymes industrielles. Se transformant rapidement en entreprise biopharmaceutique, elle est aussi la première société indienne à recevoir, en 2001, l’agrément de la Food and Drug Administration (agence américaine de pharmacovigilance) pour la fabrication d’une molécule abaissant le taux de cholestérol ; et la première société mondiale à développer l’insuline par voie orale (2003). L’ambition de sa fondatrice et P-DG de faire de Biocon India une entreprise d’envergure mondiale est satisfaite. Honorée par de nombreux prix internationaux prestigieux et devenue la femme la plus riche de l’Inde, K. Mazumdar-Shaw est aussi philanthrope : sa fondation finance des projets sanitaires, éducatifs et environnementaux pour les plus démunis, offrant par exemple des soins gratuits au Mazumdar-Shaw Cancer Center, grand hôpital spécialisé dans les cancers féminins. Biocon India, qui compte plus de 6 000 employés, encourage également les femmes à faire carrière : présence de crèches sur le lieu de travail, escortes pour les voyages et horaires compatibles avec une vie de famille.

Jacqueline PICOT

HOELTGEN D., Inde, la révolution par les femmes, Arles, P. Picquier, 2010.

« Naissance de la biotechnologie à Bangalore », in Revue de l’OMPI, no 5, sept.-oct. 2005.

MAZUY, Patricia [DIJON 1960]

Réalisatrice et scénariste française.

Fille d’un couple de boulangers de Dijon, Patricia Mazuy fréquente les salles de cinéma et se passionne pour les westerns. Reçue à HEC, elle est animatrice du ciné-club de l’école et se lie d’amitié avec une autre élève, l’actrice Laure Duthilleul. Grâce à un couple d’Américains dont elle garde les enfants, elle part pour Los Angeles. Elle fait venir L. Duthilleul et se lance dans la réalisation d’un premier court-métrage (Colin Maillard). Aux États-Unis, elle fait la connaissance d’Agnès Varda* et de son équipe. La monteuse Sabine Mamou lui apprend le métier et, de retour en France, fait appel à elle comme stagiaire sur le film de Jacques Demy Une chambre en ville (1982). Toujours avec L. Duthilleul, P. Mazuy tourne un second court-métrage, La Boiteuse (1984), dans les ateliers désaffectés de Citroën. Après avoir été l’assistante monteuse d’A. Varda pour Sans toit ni loi (1985), elle réalise son premier long-métrage, Peaux de vaches (1989) – un drame familial et rural avec Sandrine Bonnaire* dans le rôle principal – nommé pour le César du meilleur premier film. Elle enchaîne plusieurs fictions de télévision dont Travolta et moi (Arte, 1994), récompensé par un Léopard d’or au Festival de Locarno, puis revient au cinéma avec Saint-Cyr (2000). Le film, qui raconte l’histoire de l’école fondée par Mme de Maintenon*, est sélectionné à Cannes dans la section Un certain regard et récompensé par le prix Jean-Vigo. La cinéaste s’installe à la campagne avec son compagnon Simon Reggiani et leurs deux enfants. Le couple réalise Basse Normandie : un homme à cheval (S. Reggiani) se rend au salon de l’agriculture pour lire Notes d’un souterrain de Dostoïevski devant un public de paysans. Une ambiance qui préfigure le sujet du dernier film de P. Mazuy, Sport de fille (2012), en partie écrit par S. Reggiani et tourné sur leur lieu de vie : la ténacité d’une cavalière surdouée, mais sans moyens financiers, pour se faire une place dans le monde du dressage. Presque une autobiographie.

Nathalie COUPEZ

MAZYA, Edna [TEL-AVIV 1950]

Écrivaine, dramaturge et scénariste israélienne.

Née d’un père avocat et d’une mère autrichienne arrivée en Palestine en 1938, Edna Mazya a étudié la dramaturgie et la philosophie à l’université de Tel-Aviv où, par la suite, elle a enseigné l’écriture créative. Pour sa pièce de théâtre Sippour mishpahti (« une histoire familiale »), elle a reçu le prix Margalit en 1997 et, en 1998, le prix Léa Goldberg* pour son œuvre théâtrale Ha-mordim (« les rebelles », 1997), qui lui a également valu d’être nommée auteur dramatique de l’année. En tant que scénariste elle a aussi remporté le prix de l’Académie israélienne du cinéma et de la télévision en 2004. Elle a publié son premier roman en 1997 suivi, en 2005, d’un deuxième, tiré de sa pièce théâtrale Sippour mishpahti. Dans ses pièces et ses romans, on retrouve des éléments de continuité dans les sujets traités ainsi que dans le style qui mêle toujours une ironie cuisante et une étonnante profondeur dans l’introspection psychologique des personnages. Une place particulièrement importante est réservée à la dimension familiale, la famille étant considérée comme un microcosme chargé de tensions, de souffrances et de dissimulations. Le contexte du groupe est souvent choisi comme un laboratoire où se cachent les origines de la violence, surtout à travers le lien qu’elle entretient avec la banalité et le hasard. Le roman Radioscopie d’un adultère et la pièce Mishaqim ba-hatser ha-ahorit (« jeux à l’arrière-cour », 1993) approfondissent le thème de la violence dans le contexte des rapports entre les sexes. Ainsi, dans le roman qui constitue une quête philosophique et policière à la fois, on aborde le sujet du meurtre de l’amant par le mari ; dans la pièce, inspirée d’un fait divers, c’est le viol d’une jeune fille par un groupe d’adolescents dans un kibboutz qui est représenté. Une adaptation en français mise en scène par Wajdi Mouawad en a été donnée au Théâtre de poche à Bruxelles en 1995, sous le titre Tu ne violeras pas. Sa dernière pièce, publiée en 2008, est quant à elle dédiée à l’histoire d’amour entre le poète Alexander Penn et la comédienne Hanna Robina dans le Tel-Aviv des années 1930.

Elisa CARANDINA

Radioscopie d’un adultère (Hitpartsout X, 1997), Paris, Liana Levi, 2008.

MAZZANTINI, Margaret [DUBLIN 1961]

Actrice et écrivaine italienne.

Née en Irlande d’une mère irlandaise et d’un père italien, Margaret Mazzantini s’établit très jeune en Italie où elle obtient le diplôme de l’Académie nationale d’art dramatique et s’affirme comme actrice, d’abord au théâtre puis au cinéma. Elle épouse l’acteur et metteur en scène Sergio Castellitto. Parallèlement à sa carrière d’actrice, elle entreprend également celle d’écrivaine. Elle fait ses débuts en littérature en 1994 avec la publication de Il catino di zinco (« la bassine en zinc »), un roman qui retrace, à travers les souvenirs de sa petite-fille, la vie d’une femme qui a traversé avec une force extraordinaire les expériences de la guerre, du fascisme et de l’après-guerre. M. Mazzantini a écrit les pièces de théâtre Manola (1995) et Zorro (2000), mises en scène par S. Castellito. En 2001, elle a obtenu le prix Strega pour le roman Écoute-moi, voyage à rebours d’un médecin estimé de tous mais contraint, face à un événement d’une extrême gravité, de revenir sur les secrets les plus inavouables de sa vie.

Francesco GNERRE

Écoute-moi (Non ti muovere, 2001), Paris, Robert Laffont, 2003.

MAZZUCATO, Francesca [BOLOGNE 1965]

Écrivaine italienne.

Auteure de littérature érotique, Francesca Mazzucato a publié : La sottomissione di Ludovica (« la soumission de Ludovica », 1995) ; Hot line, histoire d’une obsession (1996), sur le téléphone rose ; Villa Barussiana, storie di marginalità (« villa Barussiana, histoires de marginalité », 1997) ; Chroniques scandaleusement pures (1998) ; Amore a Marsiglia (« un amour à Marseille », 1999), où alternent les voix d’un jeune homosexuel et d’une femme amoureuse de lui qui le suit et l’attend. Pour le théâtre, elle a écrit Amarsi a morsi (« s’aimer à se mordre », 1998).

Graziella PAGLIANO

Hot line, histoire d’une obsession (Hot line, storia di un’ossessione, 1996), Paris, Robert Laffont, 1997 ; Chroniques scandaleusement pures (Relazioni scandalosamente pure, 1998), Paris, Éditions Blanche, 2001.

MAZZUCCO, Melania [ROME 1966]

Écrivaine italienne.

Melania Mazzuco a étudié la littérature moderne et contemporaine, puis le cinéma au Centro sperimentale à Rome. Son premier roman, Il bacio della medusa (« le baiser de la méduse », 1996), a immédiatement révélé chez elle toutes les qualités d’une narratrice ayant atteint sa maturité. Situé dans le Piémont du début du XXe siècle, il mêle l’histoire d’une gitane, vendue par son père et exploitée par un vagabond devenu son patron, à celle d’une bourgeoise désœuvrée mariée à un comte ambitieux. Son deuxième roman, La camera di Balthus (« la chambre de Balthus », 1998), articulé avec tout autant de vigueur et de complexité que le précédent, est une histoire sur plusieurs niveaux et plusieurs périodes : le présent d’un jeune professeur, la fin du Quattrocento pour un peintre dont le professeur tente de reconstituer la personnalité, et l’époque de Balthus, officier de l’armée révolutionnaire de 1796. Le troisième roman de M. Mazzuco, Elle, tant aimée (2000), retrace la vie d’Annemarie Schwarzenbach*, femme au corps androgyne dont tout le monde tombe amoureux, voyageuse infatigable, photographe, écrivaine, journaliste qui dans les années 1930 traverse les continents, se drogue, vit les expériences les plus extrêmes jusqu’à la perte de son équilibre mental, toujours à la recherche d’un ailleurs qu’elle ne trouve nulle part. Avec son quatrième roman, Vita (2003, prix Strega), grand récit épique sur l’émigration italienne, l’écrivaine fouille la mémoire familiale et raconte le voyage de ses aïeuls aux États-Unis au début du XXe siècle. Dans Parole verdi sullo schermo grigio (« des mots verts sur un écran gris », 2006), elle parle de son amour pour les « romans-mondes », qui entraînent le lecteur dans leur dimension, le piègent dans leur espace-temps. Un jour parfait (2005) recrée une Rome contemporaine dégradée affichant son luxe et sa misère.

Francesco GNERRE

Vita (2003), Paris, Flammarion, 2004 ; Elle, tant aimée (Lei così amata, 2000), Paris, Flammarion, 2006 ; Un jour parfait (Un giorno perfetto, 2005), Paris, Flammarion, 2009.

MBANDI, Nzinga [MATAMBA, AUJ. ANGOLA V. 1582 - ANGOLA 1663]

Reine du Ndongo et du Matamba, chef de guerre.

Figure historique de la résistance contre les Portugais sur les côtes de l’Afrique tropicale, Nzinga Mbandi est surnommée Ngola Mbandi Nzinga Bandi Kia Ngola, « la reine dont la flèche trouve toujours le but ». Cette redoutable stratège est notamment connue pour ses talents de négociatrice ; en 1622, son frère Ngola Mbandi, roi du Ndongo, l’envoie négocier la paix avec le gouverneur portugais – Nzinga est instruite et parle plusieurs langues, dont celle de l’ennemi. En 1624, devenue reine à la mort de son frère, elle remplace ses conseillers par des femmes, et impose son autorité aux chefs locaux ; elle annexe en 1631 le royaume de Matamba, où elle règnera jusqu’à sa mort. À la tête d’une armée d’amazones combattant à cheval, N. Mbandi infiltre ses agents parmi les soldats noirs de l’armée portugaise pour qu’ils se révoltent et désertent, et crée une coalition d’anciens esclaves, d’Européens et d’Africains. Vaincue après plusieurs décennies d’opposition, elle finit par signer en 1657 un traité de paix avec les Portugais, obtient leur maintien hors de son royaume et, en échange, facilite la christianisation de la région. Sa légende rayonne encore aujourd’hui sur les côtes de l’Afrique équatoriale et chez les Afrodescendants du continent américain et des Caraïbes : au Brésil, elle est présente dans la congada, hommage rituel aux saints noirs, et dans le culte candomblé (les femmes lui demandent la force de résoudre leurs problèmes). En 2013, pour le 350e anniversaire de sa mort, l’Unesco l’a célébrée comme symbole d’identité, de résistance et de cohésion sociale.

Claudine BRELET

BALDUCCI A, Nzinga Mbandi, reine du Ndongo et du Matamba, Paris, Unesco, 2014 (bande dessinée et dossier pédagogique).

MBARGA KOUMA, Marie-Charlotte [BAFIA 1941 - FRANCE 2008]

Auteure dramatique camerounaise.

Première femme dramaturge d’Afrique subsaharienne primée au concours interafricain de l’ORTF en 1973 pour La Famille africaine (rebaptisée depuis Les Insatiables), Marie-Charlotte Mbarga Kouma est la fille d’un haut fonctionnaire camerounais, deuxième d’une fratrie de trois enfants. Elle grandit au rythme des affectations du père sur le territoire. En 1957, elle entre à l’école normale d’instituteurs de Ebolowa, puis épouse, en 1960, le diplomate camerounais Godefroy Mbarga Kouma. Elle met au monde huit enfants. En 1966, elle écrit et met en scène La Famille africaine, puis Le Charlatan en 1967, Une fille dans la tourmente en 1968, Un enfant en 1969 et Le Mariage de ma cousine en 1972. Ses pièces traitent de la famille et des questions sociales, parfois avec ironie et sarcasme. Elle dénonce l’intolérance et pose des questions sur l’homosexualité. Elle fonde la troupe Les Étoiles de la Capitale en 1970 et le ballet Mini Yakan dans les années 1980. Membre du conseil d’administration de la Société camerounaise de dramaturges, elle travaille à la direction des Arts et des Lettres du ministère camerounais de la Culture.

Sylvie CHALAYE

MBASSI, Coco (Constance Lydie MBASSI MANGA, dite) [PARIS 1969]

Chanteuse, auteure-compositrice-interprète camerounaise.

Vocaliste africaine, Coco Mbassi a réussi, tout comme la chanteuse Rokia Traoré*, un savant mélange entre retour aux traditions ancestrales et modernité. D’origine camerounaise, elle a vécu pendant plusieurs années en France avant de s’installer en Angleterre. Elle débute comme choriste auprès de grands noms de la musique comme Manu Dibango, Salif Keita, Umu Sangaré. Ses deux albums, Sépia (2001) et Sisea (2004), témoignent de la multitude d’influences qui cohabitent dans sa musique, que la chanteuse décrit comme « un arbre avec des racines africaines profondes et des branches qui poussent et s’étendent, les unes vers la musique classique, les autres vers la soul, le gospel et le jazz, d’autres encore vers les musiques latines et même la pop ». Cette capacité à mêler différents genres donne naissance à des chansons uniques qui ont valu à l’artiste de remporter le Prix des découvertes de Radio France internationale en 1996 puis d’être une des finalistes du World Music Award en 2002 et de faire des concerts à travers le monde entier. La musique de C. Mbassi est une méditation existentielle et religieuse qui embrasse le nomadisme, le syncrétisme et l’éclectisme. Elle explore souvent un registre dépouillé qui s’articule autour de percussions soutenues par une guitare acoustique qui n’hésite pas à se taire pour accentuer la pureté de sa voix. Parfois le piano, la guitare basse, les violons et le saxophone accompagnent cette voix douce et profonde qui invite ceux qui comprennent les paroles à la réflexion. Le plus souvent chantées en langue douala, celles-ci prennent leur source dans la Bible et dans la vie quotidienne. C. Mbassi chante la tristesse, la joie, l’amour, l’espoir, la foi et la résistance face à l’adversité. Elle exprime sa croyance au pouvoir rédempteur du sacrifice christique et à la mise en musique d’une théologie de la libération qui pourrait aboutir à une amélioration des conditions de vie en Afrique. Na Menguelè raconte l’histoire d’un homme en proie aux affres de la solitude, du désespoir et de la souffrance. Assis sur un banc, il parle tout seul, blessé par l’indifférence des passants. Fatigué d’attendre un lendemain prometteur, il implore la venue d’une personne qui le prendra par la main et le sortira de sa détresse. Dubè présente l’existence comme une série d’épreuves que seule la foi permet de surmonter. Muka mwam est une prière pour l’Afrique dans laquelle C. Mbassi interpelle Dieu afin qu’il aide les Africains à s’unir et à rebâtir leur continent. D est une déclaration d’amour adressée à son compagnon, à ses enfants et une affirmation de l’unité indivisible du couple protégé par Dieu. Mbombo est un cri du cœur à la mémoire des êtres chers, une invitation à déclarer nos sentiments à ceux qui nous sont proches avant qu’il ne soit trop tard. C. Mbassi et R. Traoré sont les chantres d’une création artistique qui demeure profondément enracinée en terre africaine même si elle s’aventure également par-delà le monde afin de saisir l’universel. Elles répondent ainsi à cet humanisme du « donner » et du « recevoir » cher à Léopold Sédar Senghor.

Nathalie ETOKE

Sépia, Tropical Music, 2001 ; Sisea, Tropical Music, 2003.

M’BAYE D’ERNEVILLE, Annette [SOKONE 1926]

Écrivaine et journaliste sénégalaise.

À l’École normale de jeunes filles de Rufisque, au Sénégal, dont Annette M’Baye d’Erneville sort diplômée en 1945, elle bénéficie de l’esprit avant-gardiste de la directrice, Germaine Goff*. En 1947, étudiante à Paris, elle découvre le mouvement intellectuel et rencontre les personnalités qui vont marquer les indépendances africaines. Entrée en 1952 à la Société financière de la radiodiffusion (Sofirad), elle collabore à des émissions diffusées en langues africaines, passe le concours de l’Ocora et obtient son diplôme de journaliste. Ses premiers articles paraissent dans Bingo et La Vie africaine. De retour au Sénégal en 1957, elle propose à plusieurs de ses amies, dont Henriette Bathily*, de lancer un journal : Femmes de soleil. La revue est rebaptisée Awa en 1963. Le public suit, mais le titre périclite faute de financements. Les Poèmes africains, parus en 1965, réédités en wolof en 1966 sous le titre Kaddu (« mots parlés »), font d’Annette M’Baye d’Erneville la première femme de lettres sénégalaise. Ils racontent la tradition, les rituels et tabous, l’euphorie liée aux indépendances, mais aussi la spécificité féminine universelle de la révolte, de la souffrance et de l’amour. Elle écrit d’autres ouvrages, notamment de littérature enfantine, édités par NEA à Dakar. Dès 1965, elle anime une émission de radio en wolof, avec pour objectif d’être socialement utile à son pays. En 1975, alors qu’elle est directrice des programmes de l’Office de radiodiffusion et télévision du Sénégal (ORTS), elle est nommée déléguée à l’information au Comité permanent de l’Année internationale de la femme. Toutes les associations féminines sénégalaises y sont représentées, et elle fait figure de chef de file dans l’élaboration du dialogue national sur les droits des femmes. Elle préside le CCA (Consortium de communications audiovisuelles en Afrique), qui organise pendant sept ans les Rencontres cinématographiques de Dakar (ReCiDak) et édite la revue Ciné-Culture-Afrique. Elle fonde et dirige le premier musée dédié aux femmes du continent africain : le musée de la Femme sénégalaise Henriette-Bathily. Inauguré en 1994 et situé sur l’île de Gorée, lieu d’expositions et de rencontres, il devient emblématique de sa réflexion sur les injustices subies par les femmes et les possibilités d’y apporter des changements positifs. Son fils lui a consacré un documentaire : Mère-bi (« à ma mère », 2010).

Marion PAOLI

Poèmes africains, Paris, Centre d’art national français, 1965.

MBILÉ, Yaya [CAMEROUN 1978]

Actrice et metteuse en scène camerounaise.

Yaya Mbilé conjugue une formation théâtrale aussi pratique que théorique. Après des études supérieures en arts du spectacle à l’université de Yaoundé, elle obtient une licence d’études théâtrales. Elle participe à des stages de formation pratique sous la direction d’artistes africains comme Gérard Essomba (Cameroun) ou Werewere Liking* (Cameroun), et suit l’enseignement d’Ezzeddine Gannoun (Tunisie), de Martha Vestin (Suède), ou encore de Frédéric Fisbach (France). Elle joue sous la direction des plus grands metteurs en scène camerounais : Keki Manyo, Ambroise Mbia, Jacobin Yarro, et participe à des créations internationales, notamment sous la direction de Philippe Car pour Cartoon Sardines à Marseille ou celle d’Annie Lucas pour le Théâtre de folle pensée à Saint-Brieuc. En Afrique, elle travaille avec Rodrigue Norman (Togo), Valérie Goma et Amadou Bourou (Burkina Faso). Convaincue que les projets artistiques ont plus que jamais besoin en Afrique d’entrepreneurs du spectacle, elle œuvre pendant cinq ans à l’organisation des Rencontres théâtrales internationales du Cameroun (Retic) d’abord en tant que chargée de relations publiques puis en tant qu’administratrice du festival. Elle continue de collaborer à l’organisation de plusieurs manifestations culturelles (festival Mantsina sur scène au Congo, organisation de tournées au Cameroun, administration de compagnies au Burkina Faso, au Congo et en France). Elle fonde en février 2003, avec quelques jeunes comédiens camerounais, une association qui œuvre à la promotion du texte dramatique et du théâtre au Cameroun, l’association Annoora, se lançant ainsi dans la mise en scène d’auteurs contemporains africains.

Sylvie CHALAYE

MCALEESE, Mary Patricia (née LENEGHAN) [BELFAST 1951]

Femme politique irlandaise.

Mary Patricia McAleese est présidente d’Irlande du Nord de novembre 1997 à novembre 2011, à la suite de Mary Robinson*. C’est la première fois dans le monde qu’une femme succède à une autre femme comme chef d’État. Après un premier mandat, elle est la seule candidate à sa succession, et donc réélue en 2004. Catholique, elle grandit dans une Irlande du Nord principalement protestante. Après des études en droit à l’université de Belfast, elle enseigne le droit criminel puis devient la première femme « vice-chancelière » de la Queen’s University de Belfast. Elle travaille également comme journaliste. Activiste catholique, elle donne à sa présidence l’objectif de « construire des ponts » entre catholiques et protestants. Elle prend position pour l’ordination des femmes prêtres.

Nadine PUECHGUIRBAL

MCALPINE, Rachel [FAIRLIE, CANTERBURY 1940]

Romancière et dramaturge néo-zélandaise.

Après des études à Wellington, Rachel McAlpine obtient une maîtrise et un diplôme d’éducation. De 1994 à 1995, elle enseigne à la Doshisha Women’s University à Kyoto. Dans The Stationary Sixth Form Poetry Trip (1981), une pièce en vers, des étudiantes interprètent le poème « The Rime of the Ancient Mariner » du poète anglais Samuel Taylor Coleridge à la lumière de leur expérience. Mettant en avant l’imagination des jeunes filles, le poème fonctionne comme un catalyseur pour une exploration de la jeunesse en Nouvelle-Zélande. The Life Fantastic (1982) est une pièce radiophonique. Elle présente, sur un ton d’abord enjoué, les invraisemblables fantasmes amoureux d’une jeune fille de 13 ans, qui provoquent l’inquiétude des autres élèves et des professeurs, jusqu’à l’intervention de l’un d’eux, qui fait basculer le personnage dans la violence. Les pièces de R. McAlpine adoptent souvent cette progression, conduisant vers un moment de crise et une conclusion forte. Driftwood (« bois flotté », 1985) évoque les aspirations des surfeurs et de danseurs de breakdance. Paper Towers (« tours en papier », 1986) est une pièce domestique qui explore la menace et la pression de la vie urbaine. Son roman Farewell Speech (« discours d’adieu », 1990) – version romancée de la vie de trois suffragistes – fut adapté par Cathy Downes* en un spectacle majeur, en 1993.

Llewellyn BROWN

DOWNES P., Shadows on the Stage : Theatre in New Zealand, the First 70 Years, Dunedin, John McIndoe, 1975.

MCCAFFERTY, Nell [LONDONDERRY 1944]

Journaliste, dramaturge, militante féministe et des droits civils, irlandaise.

Étudiante à la Queen’s University de Belfast, Nell McCafferty participe en 1968 au Mouvement des droits civils en Irlande du Nord, où les catholiques, minoritaires, réclament l’égalité en matière de vote, d’accès à l’emploi et au logement. D’abord professeure, elle publie des articles dans Hot Press, Magill et Sunday Tribune. En 1970, elle emménage à Dublin et tient pendant sept ans une chronique dénonçant les injustices de la société pour The Irish Times. Ses commentaires sur la vie des plus démunis et ses propos sur l’avortement, la sexualité, la contraception et le divorce résonnent fortement à une période où la nation est conservatrice. Rapidement, N. McCafferty intègre le petit groupe féministe qui milite pour l’égalité des droits de la femme. En 1971, elle prend part au fameux Dublin-Belfast Contraceptive Train, un voyage organisé pour se rendre à Belfast et y constituer un stock de préservatifs, pilules et autres articles illégaux en vue de les rapporter à Dublin. La police attend le retour des participantes, mais n’ose pas les arrêter car toutes arborent ostensiblement leurs objets de contrebande. Le soir même, N. McCafferty intervient avec d’autres sur le plateau de télévision du Late Late Show pour expliquer leur action. L’écho médiatique est sans précédent. En 1972, elle est présente à Derry le jour du Bloody Sunday, quand les soldats britanniques tirent sur des manifestants catholiques, tuant 27 personnes. Pendant cette période du conflit nord-irlandais, elle prend la défense des Républicaines emprisonnées, apporte son soutien à l’IRA, mais ne souscrit pas à l’action armée après la fin de la guerre. Sa pièce A Really Big Bed (« un lit vraiment très grand ») est jouée pour la première fois à Belfast en 1995. Elle est nommée docteure honoraire de littérature de l’Université de Staffordshire en 1998. Publiée en 2004, son autobiographie, Nell, raconte les luttes auxquelles elle a participé et sa relation avec l’écrivaine Nuala O’Faolain*. Avec humour, elle rappelle que la révolution féministe s’est faite à une période où les hommes ne pouvaient pas imaginer qu’existe une femme telle que Mary Robinson*, première femme présidente de la République d’Irlande, en 1990.

Marion PAOLI

MCCARDELL, Claire [FREDERICK, MARYLAND 1905 - NEW YORK 1958]

Styliste de mode américaine.

Après être entrée à l’école de design Parsons de New York, Claire McCardell passe, en 1926, la deuxième année de ses études à Paris. En 1929, elle devient l’assistante du styliste Robert Turk qu’elle suit chez Townley Frocks, et auquel elle succède après son décès. En 1938, elle travaille pour Hattie Carnegie et, deux ans plus tard, elle revient chez Townley Frocks où elle crée sous son propre nom. Ses réalisations connaissent un énorme succès couronné de nombreuses récompenses. Au moment où émerge le sportswear américain, après la Seconde Guerre mondiale, elle en devient la créatrice clé. Dès 1934, elle lance six separates interchangeables qui répondent aux préoccupations modernes. Ses modèles simples, confortables et faciles d’entretien, sont interprétés dans des matériaux réservés d’ordinaire aux vêtements de travail, comme le vichy et le denim. Inspirée par la femme américaine, elle conçoit des formes qui répondent à ses besoins d’indépendance. C. McCardell renouvelle ainsi les codes de l’élégance tout en répondant aux aspirations de la femme moderne.

Zelda EGLER

KAMITSIS L., REMAURY B. (dir.), Dictionnaire international de la mode, Paris, Éditions du regard, 2004 ; KOHLE Y., « Claire McCardell », in Encyclopaedia of Clothing and Fashion, New York, Charles Scribner’s Sons, 2004 ; ID, NOLF N., Claire McCardell, Redefining Modernism, New York, Harry N. Abrams, 1998 ; MILBANK RENNOLDS C., New York Fashion, the Revolution of American Style, New York, Harry N. Abrams, 1989.

MCCARTHY, Mary [SEATTLE 1912 - NEW YORK 1989]

Écrivaine et critique littéraire américaine.

L’une des personnalités les plus marquantes de l’intelligentsia américaine du XXe siècle, redoutée pour son esprit satirique, Mary McCarthy a maintenu une indépendance critique à l’égard des grandes idéologies qui traversèrent le siècle, comme son amie et mentor Hannah Arendt*. Dans ses deux autobiographies (Mémoires d’une jeune catholique, 1957, et Comment j’ai grandi, 1987), elle raconte sa jeunesse, la mort de ses parents, qui la laisse orpheline à 6 ans, ainsi que ses études dans un couvent catholique de Seattle, puis à Tacoma et, enfin, au Vassar College (1929-1933). Son passage dans ce dernier établissement lui inspire son roman le plus célèbre, Le Groupe (1963), qui relate les destins de huit jeunes femmes dans les années précédant la Seconde Guerre mondiale. Collaboratrice à The Nation et à la Partisan Review, dont elle tient la rubrique théâtrale (1937-1945), M. McCarthy se fait d’abord connaître comme critique littéraire. C’est après son mariage avec le critique et écrivain Edmund Wilson qu’elle commence à écrire de la fiction. En 1939 paraît sa première nouvelle, puis en 1942, un recueil d’histoires, Dis-moi qui tu hantes. Se situant volontiers « à contre-courant » des modes littéraires, en particulier du symbolisme, cette écrivaine tient aux faits et aux éléments vérifiables dans le roman. Sa passion pour les détails naturalistes s’étend à tous les domaines, y compris la sexualité. Ses personnages sont souvent des portraits satiriques d’intellectuels et d’artistes, notamment dans L’Oasis et autres récits (1949), Cast a Cold Eye (« jette un regard froid », 1950), The Groves of Academe (« les bosquets de l’Université », 1952), La Vie d’artiste (1955), Cannibales et missionnaires (1979). Outre l’autobiographie et la fiction, M. McCarthy se distingue par des études artistiques sur Venise et Florence, ainsi que par des recueils d’essais (Le Roman et les Idées, 1980). Militante, elle publie plusieurs écrits politiques contre la guerre du Vietnam et sur le scandale du Watergate. Après sa mort, sa correspondance avec Hannah Arendt est publiée (Correspondance 1949-1975, 1995), illustrant l’amitié entre les deux femmes, faite d’empathie sans sentimentalité et de passion pour l’analyse de la politique nationale et internationale.

Valérie BAISNÉE

Dis-moi qui tu hantes (The Company She Keeps, 1942), Paris, 10-18, 1986 ; L’Oasis et autres récits (The Oasis, 1949), Paris, Stock, 1996 ; La Vie d’artiste (A Charmed Life, 1955), Paris, 10-18, 1986 ; Mémoires d’une jeune catholique (Memories of a Catholic Girlhood, 1957), Paris, 10-18, 1986 ; Le Groupe (The Group, 1963), Paris, Gallimard, 1983 ; Cannibales et missionnaires (Cannibals and Missionaries, 1979), Paris, 10-18, 1986 ; Le Roman et les Idées (Ideas and the Novel, 1980), Paris, Fayard, 1988.

KIERNAN F., Seeing Mary Plain : A Life of Mary McCarthy, New York, W. W. Norton, 2000.

MCCARTNEY, Stella [LONDRES 1971]

Styliste de mode britannique.

Fille du chanteur anglais Paul McCartney et de la photographe américaine Linda Eastman, Stella McCartney naît à Londres, mais grandit à la campagne. À 15 ans, elle est stagiaire chez Christian Lacroix. Elle devient directrice artistique de Chloé à sa sortie du Central Saint Martins College of Art and Design de Londres. Grâce au soutien de Tom Ford et du groupe Gucci, elle crée sa propre marque en 2001 et lance, en 2003, son parfum Stella. Dès lors, elle inaugure des boutiques à New York, Londres, Los Angeles. S. McCartney aime associer un style très féminin à des tenues plus masculines, jouant sur cette dualité qu’elle trouve particulièrement excitante et sensuelle. Fidèle à son goût pour l’ironie et la provocation, notamment avec ses graphiques toujours empreints d’humour, elle crée des modèles d’un luxe nouveau, romantique et glamour. Figure de proue d’une jeunesse dorée, elle compte parmi ses proches amies Kate Moss, Gwyneth Paltrow, Liv Tyler et Madonna*. Son engagement profond pour la défense de l’écologie la conduit à prohiber le cuir et la fourrure dans ses créations. Elle lance, en 2007, une ligne de soins biologique.

Zelda EGLER

JONES T., MAIR A., Fashion Now, Cologne, Taschen, 2003 ; KAMITSIS L., REMAURY B. (dir.), Dictionnaire international de la mode, Paris, Éditions du regard, 2004.

MCCLINTOCK, Barbara [HARTFORD 1902 - HUNTINGTON, NEW YORK 1992]

Botaniste et cytogénéticienne américaine.
Prix Nobel de médecine 1983.

De réputation internationale, Barbara McClintock reçoit le prix Nobel en physiologie ou médecine, en 1983, pour sa découverte des facteurs génétiques mobiles sur les chromosomes du maïs. Née dans le Connecticut, elle poursuit des études en botanique à Cornell University, où elle obtient un doctorat en 1927. Après un séjour de six mois en Allemagne, elle devient, sur la proposition de Lewis Stadler, généticien spécialiste du maïs, professeure assistante en génétique à l’université du Missouri. Convaincue de ne pas obtenir de poste permanent à l’université, elle accepte en 1941 un poste de chercheuse à la Carnegie Institution à Cold Spring Harbor, Long Island. Ses recherches portent sur les relations entre reproduction et mutation du maïs. Dès la fin des années 1920, elle étudie comment les gènes se déplacent par enjambement dans les chromosomes durant le processus de division cellulaire. Avec Harriet Creighton, elle démontre, dès 1931, l’existence d’un lien physique entre une partie spécifique d’un chromosome et une caractéristique génétique. Au début des années 1930, elle observe en même temps qu’Herman Muller en Allemagne que la terminaison des chromosomes est douée de certaines caractéristiques, et les deux chercheurs émettent l’hypothèse d’une structure spéciale à l’extrémité des chromosomes. On sait aujourd’hui qu’il s’agit des télomères (voir Elizabeth Blackburn* et Carol Greider*). De 1936 à 1941, B. McClintock observe la cassure et la fusion des chromosomes du maïs dans les cellules irradiées par les rayons X. Ce phénomène survenant parfois spontanément chez certaines plantes est suivi par un pontage des extrémités résultant en mutations. Ce cycle, qu’elle décrit comme breakage-rejoining-bridge (« bris, fusion, pontage »), a constitué une découverte très importante en cytogénétique. Ce n’est qu’en 1960 que sa contribution en génétique devient évidente, lorsque, à l’occasion des travaux de François Jacob et de Jacques Monod décrivant la régulation des gènes, elle publie un article comparant l’opéron lac à son travail datant de 1951 sur le contrôle génétique du maïs. Élue en 1944 à la National Academy of Sciences, B. McClintock a été la première femme en 1945 présidente de la Genetics Society of America. En 1971, elle reçoit la National Medal of Science et, en 1981, elle est la première à recevoir de la fondation MacArthur une bourse à vie en biologie moléculaire et génétique. La même année, elle reçoit le prix Lasker en recherche médicale fondamentale et, trois ans après, le prix Nobel. En 1986, elle est inscrite au National Women’s Hall of Fame.

Madeleine COTTENET-HAGE et Doris MÉNACHÉ-ARONSON

Avec KATO T. A., BLUMENSCHEIN A., Chromosome Constitution of Races of Maize : Its Significance in the Interpretation of Relationships Between Races and Varieties in the Americas, Chapingo, Mexico, Colegio di Postgraduados, 1981.

Avec CREIGHTON H. B., « A correlation of cytological and genetical crossing-over in Zea Mays », in PNAS, vol. 17, août 1931 ; « Some parallels between gene control systems in maize and in bacteria », American Naturalist, vol. 95, sept.-oct. 1961.

MCCOMB, Liz [CLEVELAND 1952]

Chanteuse et pianiste de gospel américaine.

Fille d’une femme pasteur, Elizabeth McComb grandit dans un environnement religieux pentecôtiste, la branche la plus austère du protestantisme américain. Elle commence par chanter très tôt à l’église, bercée par les grandes figures du gospel, Sister Rosetta Tharpe* et surtout Mahalia Jackson*, qui l’a profondément influencée. Elle se consacre aux chorales du quartier, s’initie à l’orgue et au piano et intègre les Jean Austin Singers, où elle se distingue par sa ferveur et son jeu. Elle se joint aux tournées européennes « Roots of Rock’n’Roll », dans l’espoir de se faire connaître. Après avoir découvert la France, elle décide de s’y installer et ne met pas longtemps à conquérir le public par sa voix pure et sa passion. Elle apparaît au festival de Montreux, en 1981, où elle croise des artistes comme Bessie Griffin et Taj Mahal. Sa rencontre avec le producteur Gérard Vacher sera déterminante ; la chanteuse se voit propulsée au sommet : l’ancienne enfant de chœur de Cleveland devient l’archétype de la chanteuse sacrée, inspirée, l’incarnation du Mississippi imaginaire, capable de remplir des salles comme le Casino de Paris ou l’Olympia. Généreuse et éclectique, L. McComb donne des cours de chant et aborde tous les répertoires. Son succès s’explique par la variété de ses chansons aux paroles édifiantes auxquelles elle ajoute des ingrédients soul et funky. Au début des années 1990, ses deux premiers albums, Acoustic Woman et Rock My Soul, imposeront définitivement une voix qui, malgré peu d’albums, n’a jamais cessé de charmer.

Stéphane KOECHLIN

Acoustic Woman, Back to Blues/EMI, 1992 ; Rock My Soul, Back to Blues/EMI, 1993 ; Live, Back to Blues/EMI, 1994 ; Time Is Now, Back to Blues/EMI, 1996 ; Live à l’Olympia, Back to Blues/EMI, 1998 ; The Spirit of New Orleans, Back to Blues/EMI, 2001.

MCCONNEL, Ursula [TOOGOLAWAH 1888 - BRISBANE 1957]

Anthropologue australienne.

Se formant d’abord à la philosophie et à la psychologie à l’université du Queensland à Brisbane, Ursula McConnel décide de poursuivre ses études, contrairement aux souhaits de sa famille qui préférait la voir mariée. Travaillant auprès de patients en psychanalyse, elle s’intéresse aux symboles de leurs rêves, notamment l’image du serpent dont elle constate la présence dans différentes cultures, en particulier chez les Aborigènes. Ses doutes quant à la manière évolutionniste dont la théorie psychanalytique de l’époque utilise des données ethnographiques de seconde main et universalise de façon systématique la signification des symboles la poussent à étudier l’anthropologie. Elle s’inscrit en 1922 à l’université de Londres, auprès de Bronisłav Malinowski. En 1926, Alfred Radcliffe-Brown l’invite à le suivre pour ses recherches dans le Queensland. Elle s’installe alors à la mission d’Aurukun, mais se voit contrainte de continuer ses recherches ailleurs dans la péninsule du cap York en raison de ses critiques envers les méthodes d’évangélisation. Alors qu’elle est parmi les premiers anthropologues à mener une enquête ethnographique de fond auprès d’un seul groupe linguistique – les Wik Munkan –, l’intérêt de U. McConnel pour le domaine du religieux est contrarié par les vues rigides de A. Radcliffe-Brown, qui exige un modèle de recherche fondé sur l’examen systématique de tous les domaines de la vie sociale considérés sur un plan horizontal. Elle se plie en grande partie à ses attentes, mais parvient quand même à publier son livre sur les mythes des Aborigènes munkan et le symbolisme du serpent arc-en-ciel ; figure que l’on retrouve dans presque toute l’Australie aborigène. Ses données représentent, avec celles de Donald Thompson, une référence pour tout anthropologue travaillant dans cette région du cap York.

Lise GAROND

Myths of the Munkan, Carlton, Melbourne University Press, 1957.

« A moon legend from the Bloomfield river, north Queensland », in Oceania, vol. 2, n1, 1931.

O’GORMAN A., « The snake, the serpent and the rainbow : Ursula McConnel and aboriginal australians », in MARCUS J. (dir.), First in their Field, Women and Australian Anthropology, Carlton, Melbourne University Press, 1993.

MCCOY, Katherine [DECATUR 1945]

Graphiste américaine.

Après des débuts de graphiste à l’agence Unimark International, Katherine McCoy occupe successivement des postes importants dans de grandes agences publicitaires, tels le studio graphique de la compagnie Chrysler Omnigraphics, à Boston, et Designers & Partners, à Detroit. Elle réalise de nombreux projets pour les éditions MIT Press et pour les services de formation de la société Xerox. K. McCoy crée sa propre agence avec son mari, McCoy & McCoy Associates. Orientés vers la publicité, ils créent images de marque, signalétiques, scénographies d’exposition, architecture et mobilier pour des stands, spots de télévision, et travaillent pour l’édition. Parmi leurs clients, Formica Corporation, Philips Electronics, Tobu Stores, à Tokyo, et International Design Center, à Nagoya, au Japon. K. McCoy est aussi conférencière à l’Institute of Design de Chicago, adjointe à la Cranbrook Academy of Art’s Department of Design (1971-1995), professeure invitée au Royal College of Art de Londres (1993-1996), présidente de l’Industrial Designers Society of America et membre de l’Alliance graphique internationale (Agi). Ses réalisations font l’objet de nombreuses expositions : Cranbrook Design : The New Discourse, à New York et à Tokyo en 1991 ; Mixing Messages, au Cooper Hewitt Museum of Design, à New York en 1996 ; L’Image des mots, au centre Georges-Pompidou en 1985. Ses productions et ses écrits suscitent nombre d’articles dans des revues internationales comme Eye Magazine, Architectural Press, Idea, ID Magazine.Elle forme ses élèves à ce qu’elle appelle la « déconstruction de la typographie » : prendre le contre-pied de la rigueur et du fameux tracé régulateur de l’école suisse, rejeter la grille de mise en page au profit d’une composition avec des mots et des phrases placés dans divers sens de lecture, selon diverses polices de caractère et graisses. Une certaine esthétique domine, avec un contrôle parfois aléatoire de la lisibilité des informations : l’utilisation de la lettre est prépondérante, la composition devient image.

Margo ROUARD-SNOWMAN

« American Graphic Design Expression : The Evolution of American Typography », in Design Quarterly 149, The MIT Press, Cambridge (Massachusetts), 1990.

Future Wave : Japan Design, documentaire pour la télévision, John David Rabinovitch production et distribution, 1986.

MCCULLERS, Carson [COLUMBUS, GÉORGIE 1917 - NYACK, NEW YORK 1967]

Romancière américaine.

Enfant solitaire et timide, Carson McCullers démontre très tôt des prédispositions pour la musique et la littérature. Après avoir quitté à 17 ans sa petite ville de Géorgie pour New York, elle n’a pas les moyens financiers pour suivre, comme prévu, les cours de musique de l’école Juilliard et s’inscrit à la place à un cours d’écriture de l’université Columbia, tout en occupant divers petits emplois. Sa première nouvelle, Wunderkind (« enfant prodige »), largement autobiographique, paraît en décembre 1936. À l’automne suivant, elle épouse Reeves McCullers, avec lequel elle a rapidement une relation chaotique et destructrice. Ils divorcent puis se remarient quatre ans plus tard. Pendant leur séparation, elle se joint à une communauté d’artistes de New York et côtoie W. H. Auden, Louis MacNeice, Paul et Jane Bowles, Christopher Isherwood, Richard Wright, Benjamin Britten et bien d’autres. Cette expérience stimulante et enrichissante lui fournit un matériau inépuisable pour ses nouvelles et romans. Les années 1940 sont d’ailleurs ses années les plus productives. Elle publie alors son premier roman, Le cœur est un chasseur solitaire (1940), puis Reflets dans un œil d’or (1941), que la critique boude autant qu’elle a acclamé le premier, déconcertée par l’attirance de l’auteure pour le grotesque, le morbide et le bizarre ; il sera pourtant adapté au cinéma par John Huston en 1967. Il est vrai que Le cœur est un chasseur solitaire annonçait une carrière prometteuse. Véritable tour de force et épitomé du gothique sudiste, il constitue la meilleure introduction qui soit à l’œuvre de C. McCullers, car il rassemble ses thèmes principaux : le Sud, la solitude, la différence, le rejet et ce qu’elle appelle « l’immense complexité de l’amour ». Tandis qu’elle peine à écrire son troisième roman, Frankie Addams (1946) – dont l’adaptation pour la scène aura un succès retentissant –, elle compose le recueil de nouvelles La Ballade du café triste (1943). Les années qui suivent sont placées sous le sceau du déclin. Elle doit faire face à un mari alcoolique et abusif – qui se suicide en 1953 – ainsi qu’à des problèmes de santé qui vont en s’aggravant. Elle continue cependant à écrire. Mais sa pièce de théâtre The Square Root of Wonderful (« la racine carrée du merveilleux », 1958) est un échec et elle met plus de dix ans à écrire son cinquième et dernier roman, L’Horloge sans aiguilles (1961), jugé médiocre et superficiel par la critique. Elle meurt avant de pouvoir terminer son autobiographie, Illuminations et nuits blanches (1999).

Brigitte ZAUGG

Le cœur est un chasseur solitaire (The Heart is a Lonely Hunter, 1940), Paris, LGF, 1983 ; Reflets dans un œil d’or (Reflections in a Golden Eye, 1941), Paris, LGF, 1985 ; La Ballade du café triste (The Ballad of the Sad Café, 1943), Paris, LGF, 1985 ; Frankie Addams (The Member of the Wedding, 1946), Paris, LGF, 2000 ; L’Horloge sans aiguilles (Clock Without Hands, 1961), Paris, LGF, 2002 ; Illuminations et nuits blanches (Illumination and Night Glare, 1999), Paris, 10-18, 2001.

SAVIGNEAU J., Carson McCullers, un cœur de jeune fille, Paris, Stock, 1995 ; GUILBERT G.-C., Carson McCullers, amours décalées, Paris, Belin, 1999.

MCDANIEL, Hattie [WICHITA 1892 ou 1895 - WOODLAND HILLS 1952]

Actrice et chanteuse américaine.

Fille d’un prêcheur baptiste et d’une chanteuse de blues, Hattie McDaniel débute à 15 ans comme chanteuse d’orchestre. Elle est la première Afro-Américaine à se produire à la radio, jouant des rôles importants dans des émissions populaires comme Amos’n Andy et l’Eddie Cantor Show. De la radio, elle passe à la télévision en incarnant le rôle-titre de la série Beulah. À partir de 1932, elle tourne de nombreux seconds rôles à Hollywood, le plus souvent dans des personnages de domestiques au grand cœur. De mélodrames comme Blonde Vénus (Blonde Venus, Joseph von Sternberg, 1932, avec Marlene Dietrich*), elle passe à des comédies comme Je ne suis pas un ange (I’m no Angel, Wesley Ruggles, 1933, avec Mae West*). Elle chante dans la comédie musicale Show Boat (James Whale, 1936). En 1939, son rôle de la nounou de Scarlett dans Autant en emporte le vent (Gone with the Wind, Victor Fleming) lui vaut l’Oscar du meilleur second rôle ‒ le premier à avoir récompensé un interprète de couleur.

Bruno VILLIEN

JACKSON C., Hattie : The Life of Hattie McDaniel, New York, Madison Books, 1990 ; WATTS J., Hattie McDaniel : Black Ambition, White Hollywood, New York, Amistad, 2007.

MCDERMID, Val [KIRKCALDY 1955]

Romancière britannique.

Issue d’une famille modeste, élevée par ses grands-parents dans un village minier, Val McDermid entre à Oxford en 1975, première étudiante à venir d’une école publique écossaise, découvre le lesbianisme et lit Sexual Politics de Kate Millett*. Elle devient journaliste et écrit quelques pièces de théâtre. En 1987, elle connaît le succès avec la publication de son premier roman, Report for Murder : the First Lindsay Gordon Mystery (« rapport de meurtre »). Elle écrit 28 romans et deux recueils de nouvelles, dont les personnages se répartissent en trois séries : l’une autour d’une journaliste lesbienne Lindsay Gordon, l’autre d’une détective privée Kate Brannigan et la troisième, adaptée pour la télévision, autour d’un psychologue sexuellement déréglé, Tony Hill. Ses intrigues s’inspirent des romans policiers de la veine « Tartan Noir », dans la tradition de Stevenson et Hogg et des romans noirs américains, marqués par un certain cynisme et fondés sur la dualité de l’âme et du corps, du bien et du mal, sur les notions de rédemption, de damnation et de salut. Tout en revendiquant personnellement son orientation sexuelle – elle vit avec sa compagne et leur fils conçu par insémination –, elle ne cesse d’interroger la politique sociale du gouvernement, la place des femmes et l’origine de la violence criminelle, voyant dans les actions des hommes le conflit entre d’une part le rationnel et le sentiment de l’humanité et d’autre part l’instinctuel et le primitif.

Michel REMY

Une mort pacifique (Common Murder, 1987), Paris, Librairie des Champs-Élysées, 1998 ; Le Dernier Soupir (Dead Beat, 1992), Paris, Librairie des Champs-Élysées, 1994 ; La Souffrance des autres (The Torment of Others, 2004), Paris, Éditions du Masque, 2006.

MCDOUGALL, Joyce [NOUVELLE-ZÉLANDE 1920 - LONDRES 2011]

Psychanalyste française.

Découvrant l’œuvre de Sigmund Freud lors de ses études de psychologie, Joyce McDougall se rend à Londres au début des années 1950 pour suivre les cours d’Anna Freud* sur la psychanalyse d’enfants, dont les partisans s’affrontaient encore avec ceux de Melanie Klein*. Devant s’installer à Paris avec son mari et ses enfants, elle est recommandée par A. Freud à la princesse Marie Bonaparte*. C’est donc à l’Institut de psychanalyse qu’elle se présente en 1953, alors que sévit une autre guerre des chefs, entre Sacha Nacht et Jacques Lacan. Bien qu’elle ait fait le choix de rester dans la société de son analyste, sa formation à la pensée et à la clinique de Donald Winnicott l’amène à s’intéresser à celle de J. Lacan et à la psychose. Son livre – qui lui valut les louanges de D. Winnicott –, Dialogue avec Sammy (commenté par Serge Lebovici), paru en 1960, retrace les séances d’une thérapie d’un garçon de 8 ans, un an avant la sortie de l’ouvrage de M. Klein L’Analyse d’un enfant. Ce sont les propres mots de l’enfant dans le cheminement de son analyse qui tissent l’ensemble du texte. Ce fut le début de sa recherche sur le concept de normopathie qui donna lieu, en 1978, à la publication de Plaidoyer pour une certaine anormalité. Clinicienne aux mille talents de conteuse, elle acquit grâce à ses récits de cas une renommée internationale que ses recherches originales et novatrices sur la sexualité perverse, les addictions et la psychosomatique consacrèrent. Son Théâtre du Je (1982) et son Théâtre du corps (1989) renouvelèrent profondément la pensée d’une psychanalyse toujours aux aguets, plus que jamais à l’écoute des bouleversements de la société, penchée sur l’exploration de l’inconscient, sur le dialogue de l’esprit et du corps.

Chantal TALAGRAND

Plaidoyer pour une certaine anormalité, Paris, Gallimard, 1978 ; Théâtres du Je, Paris, Gallimard, 1982 ; Dialogue avec Sammy, contribution à l’étude de la psychose infantile (1960), Paris, Payot, 1984 ; Théâtres du corps, le psychosoma en psychanalyse, Paris, Gallimard, 1989.

MCFALL, Frances BELLEDEN VOIR GRAND, Sarah

MCGREGOR, Frances COOKE [PORTLAND 1906 - CARMEL 2001]

Sociologue, anthropologue et photographe américaine.

Par ses publications et ses engagements dans les institutions, Frances Cooke McGregor a amplement contribué à la reconnaissance de la sociologie médicale et de l’anthropologie visuelle comme spécialités d’un grand intérêt tant pratique que scientifique. Après des études d’économie, elle épouse un anthropologue qui travaille pour le bureau américain des affaires indiennes ; elle est alors photographe professionnelle et publie en 1941 Twentieth Century Indians, un photoreportage qui témoigne de la dureté des conditions de vie dans les réserves et contribue à ce que le Congrès vote des crédits supplémentaires pour les communautés indiennes. Elle reprend des études en anthropologie à l’université Columbia sous la direction de Margaret Mead* et en sociologie à l’université du Missouri. Elle publie, avec M. Mead, Growth and Culture (« croissance et culture », 1951), une étude photographique de l’enfance à Bali. Les photos ont été prises par Gregory Bateson en 1936-1938, et font partie de la série déjà analysée en 1942 par ce dernier et M. Mead dans Balinese Character, ouvrage où ils esquissaient leur théorie du rôle de la double contrainte dans la genèse de la schizophrénie ; cette fois-ci, elles sont interprétées sous l’angle du développement psychologique de l’enfant et donnent lieu à une comparaison entre les petits Balinais et les enfants américains. Pendant la guerre, F. C. McGregor photographie dans un hôpital du Missouri des soldats défigurés. Elle coopère ensuite avec John Marquis Converse, chirurgien spécialisé dans la reconstruction des visages de pilotes britanniques et français gravement blessés. Étudiant les relations entre les caractéristiques du visage et le sentiment d’identité des personnes, elle montre qu’un visage méconnaissable est un stigmate si profond qu’il peut conduire à une sorte de mort sociale. De 1953 à 1979, elle publie plusieurs ouvrages marquants sur ce sujet. Ses travaux amènent l’Organisation mondiale de la santé (OMS) à inscrire la défiguration dans la liste des handicaps reconnus ; ils font aussi référence pour de nombreux groupes d’auto-assistance entre personnes défigurées. En 1954, professeure à l’École de médecine et d’infirmerie de l’université Cornell (Ithaca), elle fait introduire des enseignements de sciences sociales dans la formation des infirmières et son recueil de textes, Social Science in Nursing (« les sciences sociales dans les soins infirmiers », 1960), est amplement diffusé. En 1968, elle rejoint l’Institut de chirurgie plastique reconstructive du Centre hospitalo-universitaire de l’université de New York. En 1991, elle s’établit en Californie, continuant à intervenir comme experte dans les questions de chirurgie reconstructive, dans l’étude des maladies génétiques et dans la contestation des erreurs médicales.

Alain CHENU

Twentieth Century Indians, New York, G. P. Putnam, 1941 ; avec MEAD M., Growth and Culture : A Photographic Study of Balinese Childhood, New York, G. P. Putnam, 1951 ; Social Science in Nursing : Applications for the Improvement of Patient Care, New York, Russel Sage Foundation, 1960 ; Transformation and Identity : the Face and Plastic Surgery, New York, Quadrangle, 1974.

MCGUCKIAN, Medbh [BELFAST 1950]

Poétesse irlandaise.

Née d’un père instituteur et d’une mère artiste, Medbh McGuckian est scolarisée dans un couvent dominicain à Belfast et étudie à Queen’s University, où elle a Seamus Heaney, prix Nobel de littérature en 1995, pour professeur. Elle enseigne l’écriture de fiction en Irlande du Sud et devient écrivaine en résidence à Queen’s University. Catholique dans un milieu protestant, elle revient sans cesse sur la difficulté de trouver par les mots la clé de l’identité des choses et de soi-même. Elle écrit aux confins du réel et de l’imaginaire, du merveilleux et de l’effrayant. Son premier grand recueil, The Flower Master (« la fleur maîtresse », 1982) explore l’expérience de la grossesse, de l’accouchement et la dépression post-natale. Il est suivi d’une vingtaine d’autres, dans lesquels le sensuel et l’érotique s’appuient sur des visions oniriques et fugaces en de flamboyantes images. Dans sa poésie, le corps féminin est le lieu de la fluidité mémorielle et du processus créateur par lequel il est impossible de séparer le masculin et le féminin, l’individuel et le politique (Shielmalier, 1992). En fait, elle met en question toute prétention à établir un pouvoir à travers l’écriture.

Michel REMY

FLYNN L.M., Reading Medbh McGuckian, Belfast, Belfast Queen’s University, 2004.

MCKENZIE, Catriona [1975]

Réalisatrice australienne.

La nouvelle génération de réalisatrices aborigènes, à laquelle Catriona McKenzie appartient, a bénéficié des infrastructures mises en place dans les années 1980-1990 (unités de production spéciales au sein des chaînes publiques, bourses d’études, fonds de financements…) pour exprimer tout l’éventail de sa créativité et navigue avec aisance entre les commandes pour la télévision, le documentaire, la fiction ou les vidéos expérimentales. Ainsi, après des études de cinéma à l’Australian Film Television and Radio School – dans le cours réservé aux élèves indigènes créé par Lester Bostock –, C. McKenzie réalise plusieurs courts-métrages remarqués, Box, The Third Note, Redfern Beach et surtout Road (2000) : l’histoire de deux garçons aborigènes originaires de la campagne tentant de survivre à Redfern, quartier aborigène de Sydney. La réalisatrice adopte une approche participative : c’est à la suite d’un atelier avec une trentaine de jeunes gens de Redfern et des acteurs professionnels que Road a été créé. Au début des années 2000, C. McKenzie s’adonne au documentaire, répondant à des commandes des chaînes publiques australiennes pour lesquelles elle réalise, entre autres, le très remarqué Mr Patterns (2004) sur la figure de Geoff Bardon, l’initiateur du mouvement de peinture acrylique aborigène dans le désert australien des années 1970, ainsi qu’une minisérie, Remote Area Nurse (2006). En 2007, elle retourne à la fiction en réalisant deux épisodes de la série The Circuit, retraçant le travail d’un juge et d’un avocat aborigène. En 2009, elle filme quatre épisodes de l’adaptation de la biographie de Sally Morgan*, My Place ; puis Dance Academy, en 2010 (quatre épisodes) ; et Rescue Special Ops en 2011 (deux épisodes). C. McKenzie a également monté plusieurs installations vidéo pour le Musée national de Canberra, le Centre pour l’image mouvante de Melbourne et la galerie d’art contemporain 4a à Sydney.

Martin PRÉAUD

COLLINS F., DAVIS T., Australian Cinema after Mabo, Cambridge/Port Melbourne, Cambridge University Press, 2004 ; DAVIES K. (dir.), Across Country : Stories from Aboriginal Australia, Sydney, ABC Books, 1998 ; MCFARLANE B., MAYER G., BERTRAND I. (dir.), The Oxford Companion to Australian Film, Melbourne, Oxford University Press, 1999.

MCKENZIE, Queenie [TEXAS DOWNS 1930 - WARMUN 1998]

Peintre australienne.

Née d’une mère aborigène et d’un père irlandais, Queenie McKenzie a réussi à échapper à la politique dite d’« assimilation » du gouvernement australien qui séparait systématiquement les enfants nés d’unions mixtes, dans le but affiché de « blanchir » les autochtones. À plusieurs reprises, sa mère lui a enduit la peau de charbon pour éviter son placement en institution. Elle a ainsi pu grandir auprès des siens à Texas Downs Station, une des rares fermes dirigées conjointement par des éleveurs blancs et des familles aborigènes. Elle a exercé le métier de cuisinière pendant quarante ans, tout en apprenant la loi kija avec les femmes initiées de la région. En 1974, elle s’installe dans la communauté de Warmun, nouvellement créée, où se préparait une nouvelle cérémonie – rêvée par un initié kukatja du désert –, dans laquelle de grands panneaux de bois étaient portés sur les épaules des danseurs. Les motifs cryptiques peints sur ces panneaux évoquaient des éléments topographiques signifiants du Kimberley oriental et des personnages mythiques. Ces peintures ont été rapidement adaptées sur toile pour le marché de l’art et utilisées comme support éducatif pour l’école bilingue Ngalangangpum de Warmun. Cofondatrice de l’école, Q. McKenzie a été la première femme à peindre sur toile au début des années 1980. Ses peintures se démarquent d’emblée par de nouveaux mélanges d’ocre et de fixatifs naturels leur donnant une texture mate caractéristique. Outre des éléments géographiques, mythiques et historiques liés aux massacres coloniaux, elles contiennent des références à des thèmes chrétiens empruntés à l’Ancien et au Nouveau Testament. Au début des années 1990, les plus grandes galeries du pays ont commencé à collectionner ses œuvres. Après avoir participé à la création d’une coopérative artistique à Warmun et inspiré plusieurs générations d’artistes, le dernier rêve de Q. McKenzie a été de voir sa famille retourner sur sa terre à Texas Downs reprendre l’élevage et construire un modèle de développement viable.

Arnaud MORVAN

RYAN J., Images of Power, Aboriginal Art of the Kimberley, Melbourne, National Gallery of Victoria, 1993.

VINNICOMBE P., « Queenie McKenzie », in Artlink, vol. 20, no 1, 2000.

MCNAMARA, Jo Ann KAY [JANESVILLE, WISCONSIN 1931 - NEW YORK 2009]

Historienne américaine.

Après un premier cycle généraliste avec majeure en anglais, Jo Ann Kay McNamara se spécialise en histoire médiévale et obtient en 1967 un doctorat de l’université Columbia. Elle enseigne ensuite au Hunter College de New York, participant, au milieu des années 1970, à la création du programme d’études sur les femmes. Engagée contre la guerre du Vietnam, elle maintient toute sa vie une activité politique et critique. Elle est à l’origine de la branche new-yorkaise du Coordinating Council on Women in the Historical Profession, créé en 1969 au sein de l’American Historical Association pour promouvoir la place des femmes dans la profession. Elle aide à la création d’un groupe de recherche en histoire de la famille et fonde un groupe de recherche interdisciplinaire sur l’hagiographie. Elle joue également un rôle actif dans la Berkshire Conference qui, depuis 1973, rassemble tous les trois ans des spécialistes d’histoire des femmes. Pionnière dans la mise en valeur du rôle des femmes dans la société médiévale, y compris dans le domaine religieux, l’historienne inscrit ces perspectives au cœur de l’historiographie médiévale et a inspiré une nouvelle génération de médiévistes. Elle contribue à l’ouvrage fondateur Becoming Visible : Women in European History (1977), en cosignant avec Suzanne F. Wemple un article intitulé « Sanctity and Power : the Dual Pursuit of Medieval Women ». Ses recherches concernent principalement le haut Moyen Âge et embrassent la religion, le genre, la construction des institutions, dans une tentative de réinterpréter les années 400 à 1100 et de proposer une autre périodisation. Elle s’intéresse également au thème de la masculinité et à la notion de troisième genre dans deux articles célèbres : « The Herrenfrage. The Re-structuring of the Gender System 1100-1150 » 1994 ; « Chastity as a Third Gender in the History and Hagiography of Gregory of Tours », 2002. Son ouvrage le plus connu, Sisters in Arms : Catholic Nuns through Two Millenia (1996), présente l’histoire des femmes qui entrent en religion comme celle d’un partenariat entre femmes ; il fait valoir que les religieuses ont lutté à travers les âges pour créer une vie à part en subvertissant les rôles de genre traditionnels qui leur étaient assignés. Deux ouvrages montrent l’importance de sa contribution aux études de genre en histoire médiévale : Gendering the Master Narrative : Women and Power in the Middle Ages (2003) et Gender and Christianity in Medieval Europe (2008).

Sari KATAJALA-PELTOMAA

« A networked life (1931) », in Women Medievalists and the Academy (2004-2005), Chance J. (dir.), Madison, The University of Wisconsin Press, 2005.

HELLY D., « Jo Ann Kay McNamara, feminist scholar : a pioneer in transforming medieval history », in Medieval Club of New York Sunday, 31 mai 2009.

MCNEIL, Barbara [CAMBRIDGE 1941]

Radiologue américaine.

Après un doctorat de médecine (1966) et un doctorat de sciences (1972) à la faculté de médecine de Harvard, Barbara McNeil exerce d’abord comme interne en pédiatrie, puis devient résidente en radiologie au Brigham and Women’s Hospital et au Children’s Hospital de Boston. Elle poursuit sa carrière en radiologie comme étudiante, enseignante, professeure associée puis professeure de radiologie et d’épidémiologie clinique. Elle crée, au sein de la faculté de médecine de Harvard, le département de santé publique qu’elle dirige depuis 1988. En 1990, elle est nommée professeure Ridley Watts de santé publique, puis doyenne, depuis juillet 2007, de la faculté de médecine de Harvard. Elle consacre la plus grande partie de ses recherches aux nouvelles technologies médicales et elle est le premier médecin à appliquer l’analyse des décisions quant à l’utilisation de ces techniques et l’analyse de leur coût par rapport à leur utilité et leur efficacité pour le bien des malades. Par exemple, elle compare les différentes stratégies pour le diagnostic d’embolie pulmonaire chez des patients qui avaient eu à la fois une scintigraphie et une angiographie pulmonaires. Elle fonde en 1989 un groupe de travail chargé d’évaluer le bien-fondé de l’imagerie radiologique, son coût pour le diagnostic et le suivi des malades. Elle est membre de l’Académie des sciences, de l’Académie américaine des arts et des sciences, de la Société de médecine nucléaire et du Collège américain de radiologie, et l’auteure de six livres de médecine.

Yvette SULTAN

Avec EDEN J., WHEATLEY B. et al., Knowing What Works in Health Care : A Roadmap for the Nation, Washington DC, The National Academies Press, 2008.

« Ventilation-perfusion studies and the diagnosis of pulmonary embolism », in The Journal of Nuclear Medicine, vol. 21, no 4, 1980 ; avec GUADAGNOLI E., NORMAND S.-L. et al., « Effects of treatment recommendations and specialist intervention on care provided by primary care physicians to patients with myocardial infarction or heart failure », in The American Journal of Medicine, vol. 117, no 6, sept. 2004.

MCNEILL, Janet [DUBLIN 1907 - ID. 1994]

Romancière irlandaise.

Fille d’un pasteur presbytérien, éduquée en Angleterre, Janet McNeill s’installe en Irlande du Nord pour se rapprocher de son père malade. D’abord secrétaire au quotidien The Belfast Telegraph, elle ne devient écrivain qu’après avoir élevé quatre enfants. Elle commence par écrire des pièces radiophoniques pour la BBC Northern Ireland. Encouragée à transformer un de ses scénarios pour la radio en roman, elle publie A Child in the House (1955), suivi de dix autres romans, de recueils de nouvelles et de nombreux livres pour enfants. Huit de ses romans sont situés en Ulster, souvent à Belfast, et explorent les psychoses d’une classe moyenne protestante sur le déclin, même si on trouve peu d’allusions aux tensions entre les communautés protestante et catholique. La plupart des romans ont comme personnages principaux des femmes d’âge mûr, qui doivent souvent reconsidérer un passé troublé, et se trouvent alors confrontées à une crise morale et psychologique. Ses romans n’ont aucune connotation politique, et même si la répulsion de l’auteure pour l’intolérance religieuse régnant à Belfast transparaît clairement, elle préfère la dénoncer dans des scènes subtilement comiques que par une condamnation explicite.

Sylvie MIKOWSKI

FOSTER J. W., Forces and Themes in Ulster Fiction, Dublin, Gill & Macmillan, 1974.

MCRAE, Carmen Mercedes [NEW YORK 1922 - BEVERLY HILLS 1994]

Chanteuse et pianiste de jazz américaine.

D’ascendance jamaïcaine et costaricaine, Carmen McRae étudie le piano très jeune et débute sa carrière dans les clubs chauds de New York, dont le Minton’s Playhouse de Harlem. Elle épouse le grand batteur Kenny Clarke, puis fréquente les plus grands big bands de son époque – ceux de Benny Carter, Count Basie et Mercer Ellington. Elle mettra plusieurs années avant de voir son travail récompensé, grâce à l’album By Special Request, paru en 1955. Le public apprécie son chant pur, elle est même comparée à son idole et amie Billie Holiday*, dont elle interprète souvent les classiques. « Quand je pense à une chanteuse de jazz, je pense immédiatement à Carmen McRae », dira Diana Krall*. La critique l’a honorée tardivement, plébiscitant son duo avec Betty Carter, en 1987.

Stéphane KOECHLIN

Torchy ! , Decca, 1955 ; Blue Moon, Decca, 1956 ; After Glow, Decca, 1957 ; The Real Ambassadors, Columbia, 1962 ; The Carmen McRae-Betty Carter Duets, American Hall, 1987.

MEAD, Marcia [PITTSFIELD, PENNSYLVANIE 1879 - ID. 1967]

Architecte américaine.

Première femme diplômée de l’École d’architecture de l’université Columbia, Marcia Mead est aussi la première à avoir ouvert sa propre agence à New York. Bachelière en 1898, elle travaille dans différents bureaux d’architecture avant d’entrer, en 1911, à Columbia où elle reste jusqu’en 1913. Un an plus tard, elle crée la première agence de femmes, en compagnie d’Anna Pendleton Schenck, dont on sait peu de choses, sinon qu’elle a pris des cours particuliers auprès d’un architecte parisien et travaillé comme dessinatrice. L’agence Mead & Schenck attire immédiatement l’attention du New York Times, qui qualifie les deux femmes de « jeunes féministes » chevauchant la vague « d’enthousiasme des droits de la femme ». Celles-ci se consacrent à l’architecture résidentielle, en partie parce qu’elles trouvent que leurs collègues masculins répondent mal aux besoins domestiques. Elles sont néanmoins respectées et refusent d’être cantonnées au rôle de décoratrices d’intérieur souvent dévolu aux femmes. Durant la Première Guerre mondiale, elles conçoivent des logements pour les Afro-Américains qui travaillent à l’effort de guerre à Washington, des lotissements dans le Connecticut et des équipements pour la YWCA (Association des jeunes femmes chrétiennes). En 1915, A. Schenck décède subitement, mais M. Mead continue d’exercer. Au milieu des années 1920, elle se penche sur la conception de petites habitations et, en 1925, participe à une exposition du McCall Group parrainée par l’AIA (Institut des architectes américains) et par l’Architectural League de New York. En 1926, son ouvrage Homes of Character paraît, écrit à partir de documents portant sur la construction des logements, leur ameublement, les styles et les principes architecturaux publiés dans des revues de vulgarisation. Elle a également été membre de la United States Housing Commission (commission nationale du logement) et a enseigné à l’École d’architecture de Columbia.

Monica PENICK

Avec HIGGINS D. P., Homes of Character, New York, Dodd, Mead & Co, 1926.

« The architecture of the small house as influenced by our modern industrial communities », in Architecture no 37, juin 1918.

MEAD, Margaret [PHILADELPHIE 1901 - NEW YORK 1978]

Anthropologue américaine.

Inspirée par ses observations des populations du Pacifique, Margaret Mead a entrepris une réflexion comparée à travers le monde sur les changements d’attitude dans le rapport à la sexualité, à l’autorité et à la morale des jeunes générations. Pionnière dans le domaine de l’anthropologie visuelle, elle s’en fit une avocate très impliquée, de même qu’elle s’est engagée contre tout racisme et pour la reconnaissance des différences ethniques et culturelles. Lors de ses études de psychologie et d’anthropologie à l’université Columbia, elle se rapproche de Ruth Benedict*, professeure adjointe de Franz Boas, fondateur de l’anthropologie américaine. En 1925, elle part pour Samoa afin de réaliser une recherche sur le thème de l’adolescence et, jusqu’en 1933, recherchera des patterns, « modèles culturels » des sociétés primitives. Pendant les dix premières années, elle tente de comprendre la manière dont différents contextes culturels modulent le caractère humain selon le postulat que les enfants naissent flexibles et sans culture. Contrairement à Bronisław Malinowski, elle conteste l’existence du complexe d’Œdipe dans les sociétés matrilinéaires (Géza Róheim, anthropologue formé à la psychanalyse, montrera ensuite que le complexe d’Œdipe se joue alors avec l’oncle maternel). Son premier livre, Adolescence à Samoa (1928), devient rapidement un best-seller. L’expérience de son voyage suivant, à Manus en Nouvelle-Guinée, où elle étudie les préadolescents, est consignée dans Une éducation en Nouvelle-Guinée (1930). En 1931, elle retourne en Nouvelle-Guinée pour étudier les valeurs masculines et féminines dans différentes sociétés – les Arapesh, les Mundugumor et les Tchambuli (Chambri) – qu’elle photographie pour représenter le rôle social des hommes et des femmes, et publie Trois sociétés primitives de Nouvelle-Guinée (1935). M. Mead rejoint ensuite Bali avec Grégory Bateson, qu’elle a épousé, et réalise avec lui le film Trance and Dance in Bali. Lors de ce séjour, entre 1936 et 1938, elle mène une recherche dans laquelle les images occupent une place centrale. Les 759 photographies rassemblées servent de base à Growth and Culture : A Photographic Study of Balinese Childhood (« croissance et culture, une étude photographique de l’enfance balinaise », 1951). À la mort de R. Benedict en 1948, M. Mead prend, à l’université Columbia, la direction d’une enquête consacrée à sept cultures (Russie présoviétique, Pologne, Tchécoslovaquie, Chine, France, Syrie et Europe de l’Est). Un an plus tard, elle publie L’Un et l’Autre sexe, les rôles d’homme et de femme dans la société, œuvre qui fera partie des ouvrages de référence lors du réveil du mouvement des femmes à la fin des années 1960. Sur le plan des libertés, elle est l’une des premières à promouvoir la régulation des naissances, l’abrogation des lois antiavortement, et le droit à mourir dans la dignité.

M. Mead est l’une des anthropologues les plus connues du XXe siècle, par ses prises de position, son approche culturaliste audacieuse et l’influence exercée par ses écrits – largement diffusés – sur la génération de la « révolution sexuelle » aux États-Unis et en Europe. Dans son autobiographie (Du givre sur les ronces), elle rend hommage à la longue lignée de femmes dont elle est issue – toutes ayant mené leur vie avec intensité et détermination, à commencer par sa mère –, qui lui ont donné le désir « de chercher à décrocher la lune ».

Carmen RIAL

L’Un et l’Autre sexe, les rôles d’homme et de femme dans la société (Male and Female, 1949), Paris, Gonthier, 1966 ; Le Fossé des générations (Culture and Commitment : A Study of the Generations Gap, 1970), Paris, Denoël-Gonthier, 1971 ; Du givre sur les ronces (Blackberry Winter, My Earlier Years, 1972), Paris, Seuil, 1977.

MÉCÉNAT LITTÉRAIRE [France XVIe siècle]

Le mécénat littéraire féminin implique et couvre deux facettes de l’acte de création : la composition de nouvelles œuvres littéraires et la manifestation d’une identité. Que cherchaient à créer les femmes par l’acte de mécénat littéraire ? Comme dans les autres formes de mécénat, leurs commandes reflètent leurs engagements intellectuels, religieux, politiques et sociaux.

Le mécénat des femmes dans la littérature du XVIe siècle a sans doute reçu moins d’attention que leur action pour l’art ou l’architecture. Il est pourtant exceptionnellement étendu : les femmes financent l’élaboration de nouveaux textes, diffusés sous leur forme manuscrite ou imprimée. Claude de France encourage Anne de Graville* à traduire la Teseida de Boccace et ce manuscrit, sous le titre Palamon et Arcita, circule à la cour. Des femmes commandent des traductions, généralement d’une langue classique vers une langue vernaculaire : Louise de Savoie*, à la fin du siècle, demande à Octavien de Saint-Gelais de traduire les Épîtres d’Ovide. Elles financent des pièces de théâtre et des spectacles littéraires pour divers événements, notamment les entrées royales. Catherine de Médicis*, Anne d’Este, duchesse de Nemours*, et Marie de Médicis* favorisent le développement du théâtre français, peut-être en souvenir de la commedia dell’arte de leur pays natal. En 1564, C. de Médicis commande à Ronsard une œuvre politico-littéraire pour agrémenter les fêtes de Fontainebleau. À travers les enluminures et les illustrations, le mécénat féminin englobe également la représentation visuelle des cultures littéraires, qu’elles soient réalistes ou idéalisées. Le manuscrit de la Nef des dames vertueuses, en 1503, montre Symphorien Champier présentant son ouvrage à Anne de France*. Le mécénat lui-même prend des formes diverses. Certaines femmes commandent expressément à un auteur de nouveaux textes sur des thèmes précis ou une traduction d’œuvres existantes. Au début du siècle, Louise de Savoie aurait étroitement collaboré avec François Desmoulins et Jean Thenaud sur une série d’œuvres manuscrites raffinées portant sur des thèmes religieux, moraux et généalogiques. D’autres soutiennent des auteurs dont elles connaissent le travail sans influer sur le contenu de leur œuvre, comme le fait Marguerite d’Angoulême* avec un certain nombre d’écrivains humanistes. Quelques grandes dames, parmi lesquelles Madeleine de L’Aubespine* et Catherine de Clermont, duchesse de Retz*, créent un salon littéraire dynamique dans lequel hommes et femmes peuvent discuter poésie et philosophie morale. Avec son époux, C. de Clermont soutient la création de l’Académie de poésie et de musique de Jean-Antoine de Baïf, en 1570. Par leurs achats, leurs lectures et l’échange de textes, nombreuses sont les femmes qui encouragent certains thèmes littéraires ou certains auteurs. Les auteurs catholiques critiquent la pratique – courante chez les femmes calvinistes – de chanter les psaumes en français ou même de les porter à leur cou. En assistant aux spectacles présentés à la cour, les femmes peuvent manifester leur soutien intellectuel ou financier à l’activité théâtrale. La présence de Catherine de Bourbon* et de son frère Henri IV à la représentation des ballets allégoriques de Catherine de Parthenay* en 1593 marque leur concours au développement de cette forme littéraire. De façon plus passive, les femmes peuvent prêter leur nom comme dédicataires d’un texte ou autoriser qu’une enluminure les représente, recevant l’ouvrage des mains de l’auteur. Elles peuvent encourager d’autres femmes à se faire publier, comme Marguerite de Valois* qui pousse Anne de Marquets* à poursuivre son travail d’écriture. Certaines femmes inspirent des œuvres littéraires, témoins les épithalames de Rémy Belleau et de Du Bellay écrits à l’occasion des mariages, en 1558 et 1559, de Claude de France, fille de Henri II, et de sa tante Marguerite d’Angoulême. Et c’est une puce aperçue sur la poitrine de Catherine Des Roches* qui est à l’origine du recueil de poèmes de la Puce, publié en 1582. Les femmes en général peuvent être les destinataires de certains textes ou d’ouvrages conçus pour leur édification. Ainsi, en 1539, l’ouvrage d’Hélisenne de Crenne*, Les Angoisses douloureuses qui procèdent d’amour, est-il adressé à « toutes honnêtes dames », et les vers de Gabrielle de Coignard* publiés en 1594 sont dédiés par ses filles « aux dames devotieuses ». Malgré la diversité des genres littéraires et des formes de mécénat, quelques thèmes majeurs apparaissent de façon récurrente : la religion, l’histoire et l’expérience personnelle. Les commandes de textes pieux ou liturgiques, notamment de livres d’heures ou de psautiers, sont fréquentes à l’intérieur comme à l’extérieur des couvents. Les vies des saintes ou des reines pieuses (Jeanne de France, Élisabeth de Hongrie ou Blanche de Castille*, par exemple) ont autant d’importance pour les religieuses que pour les laïques. Marguerite d’Angoulême, on le sait, soutient la littérature humaniste. En 1571, c’est à sa fille Jeanne III* que Georgette de Montenay* dédie son ouvrage huguenot emblématique. Jeanne III a également commandé une traduction des psaumes et de la liturgie de Genève en béarnais ainsi qu’une traduction de la Bible en basque. D’autres femmes mécènes commandent des textes à la gloire de leur famille ou célébrant leurs propres succès. La plupart de ces travaux ont en commun la volonté d’offrir une image positive des femmes. Les ouvrages rassemblés par de nombreuses protectrices et collectionneuses témoignent de leur intérêt pour le récit de l’expérience d’autres femmes, leur expression et leur représentation. L’œuvre de Christine de Pisan* figure dans la bibliothèque de maintes grandes dames et plusieurs femmes mécènes demandent des traductions et des copies du De mulieribus claris de Boccace. Le mécénat offre une vision complexe de l’identité des femmes et de leur capacité de création à cette époque. Dans certains cas, les femmes décident elles-mêmes des thèmes et des personnes qui bénéficieront de leur soutien. Mais dans d’autres cas, aussi bien chez les reines que chez les femmes en général, d’autres décident pour elles du rôle qu’elles doivent jouer en tant que protectrices des arts ou dédicataires, ainsi que des mouvements littéraires qu’il leur convient de soutenir. Le manuscrit Histoire de la royne Artémise de Nicolas Houel, présenté à Catherine de Médicis en 1562, indique toute une série d’attentes vis-à-vis du pouvoir et de l’influence de la protectrice des arts. Ainsi le mécénat offre-t-il un angle de vue particulier sur la perception et la conception des femmes, de leur identité et de leur créativité, par leurs contemporains mais aussi par chacune de celles qui ont endossé ou fait évoluer le rôle de mécène.

Susan BROOMHALL

BROOMHALL S., Women and the Book Trade in Sixteenth Century France, Aldershot, Ashgate, 2002 ; PASCAL E., WILSON-CHEVALIER K. (dir.), Les Femmes et les arts à la Renaissance, patronnes et mécènes, d’Anne de France à Catherine de Médicis, Saint-Étienne, Publications de l’université de Saint-Étienne, 2007 ; SCOTT V., STURM-MADDOX S., Performance, Poetry and Politics on the Queen’s Day : Catherine de Médicis and Pierre de Ronsard at Fontainebleau, Aldershot, Ashgate, 2007 ; STEPHENSON B., The Power and Patronage of Marguerite de Navarre, Aldershot, Ashgate, 2004.

MÉCHAKRA, Yamina [LA MESKIANA, AURÈS 1949]

Écrivaine algérienne.

Docteure en médecine et psychiatre, Yamina Méchakra a commencé à écrire très jeune, mais son premier roman, La Grotte éclatée, ne sera publié qu’en 1979. Dans la préface qu’il lui a consacrée, Kateb Yacine déclare : « Dans notre pays, une femme qui écrit vaut son pesant de poudre ! » Fait exceptionnel dans l’édition nationale, ce récit est réédité en 1986. Il est certainement le récit poétique le plus puissant sur la guerre : le référentiel cède le pas au poétique en un entrelacement de voix, essentiellement féminines, pour dire la difficile naissance d’un pays dans la souffrance et la destruction. Dans la presse nationale, elle a publié une seule nouvelle, épique, L’Éveil du mont (1976). En 1999, Y. Méchakra publie son second roman, Arris, simultanément à Paris et à Alger. Elle y confirme de grandes qualités poétiques et incantatoires. « Arris » désigne à la fois le vagabond aimé, le fils et le lieu d’origine.

Christiane CHAULET ACHOUR

CHAULET ACHOUR C., Anthologie de la littérature algérienne de langue française, Paris, ENAP/Bordas, 1990.

MÉCHENTEL, Leyla Zineb VOIR MAROUANE, Leïla

MÉDA, Dominique [SEDAN 1962]

Philosophe et sociologue française.

Ancienne élève de l’École normale supérieure et de l’ENA, agrégée de philosophie, Dominique Méda est membre de l’Inspection générale des Affaires sociales depuis 1989. Elle a occupé de nombreux postes d’animation et de direction de recherche (Dares, Centre d’études de l’emploi). Après avoir enseigné à l’Institut d’études politiques de Paris, elle est depuis 2011 professeure de sociologie à l’université Paris-Dauphine et chercheuse à l’Institut de recherches interdisciplinaires en sciences sociales (Cnrs/Paris-Dauphine). Titulaire de la chaire « Écologie, travail et emploi » au Collège d’études mondiales (Fondation Maison des sciences de l’homme), D. Méda est l’un des membres fondateurs, et co-présidente, du Forum pour d’Autres Indicateurs de Richesse (Fair). Elle a également participé en 2010 à la fondation du Laboratoire de l’égalité. Elle aborde les problématiques économiques et sociologiques à partir d’une lecture éthique et philosophique (« De quoi nos sociétés sont-elles riches ? », 2010) et, face à une économie mondialisée en crise, questionne les notions de croissance, de prospérité et de progrès : elle conteste les injonctions à toujours plus de rentabilité et de productivité, avec la maximisation des profits, invitant à une politique de civilisation appuyée sur une nouvelle conception de la richesse et du progrès. Elle interroge concrètement la valeur travail, sa fonction identitaire notamment en France, ses évolutions dans le temps et au fil des générations, ainsi que les incidences de la réduction du temps de travail et la place que chacun accorde à l’activité professionnelle, selon son sexe et sa catégorie socioprofessionnelle d’appartenance. Ses travaux jouent un rôle important dans les débats socio-économiques et politiques actuels, en France et en Europe. Ils font référence en matière de « flexisécurité », de précarité, de sous-emploi, de sécurisation des parcours professionnels. Ses recherches font particulièrement autorité en ce qui concerne les conditions d’une égalité effective entre les femmes et les hommes (y compris à la retraite) : nécessaire articulation entre activités professionnelles et responsabilités familiales, dangers du congé parental lorsqu’il est réservé aux femmes. Comparant le modèle social français à différents modèles européens, notamment nordique et anglo-saxon, elle dégage des voies de progrès. Au sein de la commission Stiglitz-Sen-Fitoussi (chargée en 2008, par le président Sarkozy, de réfléchir à de nouveaux indicateurs de richesse), sa consœur Nancy Folbre* citera ses travaux à l’appui de sa proposition de mesurer le temps passé à des activités non marchandes, au service du bien-être de la famille et par de nouvelles propositions d’évaluations de la richesse. Dans ses derniers ouvrages, D. Méda propose de saisir « l’occasion unique » qu’offre la crise économique et écologique mondiale pour renouveler « l’organisation politique et sociale » et la « conception de l’être humain ». Elle appelle à de nouvelles réflexions sur ce que civiliser veut dire, loin du consumérisme et du profit.

Yvette ORENGO

Les inégalités entre les femmes et les hommes : les facteurs de précarité, Rapport de mission remis à la ministre de la Parité, La Documentation française, 2005 ; Au-delà du PIB, pour une autre mesure de la richesse, Flammarion, « Champs actuel », 2008 ; Travail, la révolution nécessaire, La Tour d’Aigues, Éditions de l’Aube, 2010.

MEDD, Mary BEAUMONT (née CROWLEY) [BRADFORD 1907 - WELWYN GARDEN CITY 2005]

Architecte britannique.

Personnalité majeure d’une remarquable équipe d’architectes, Mary Medd a exercé dans le secteur public, construisant les écoles les plus importantes et les plus copiées de Grande-Bretagne. Son père, éducateur quaker idéaliste, est l’auteur d’un ouvrage sur les bâtiments scolaires et l’éducation de l’enfant, qui marqua profondément son œuvre. Étudiante primée au cours de ses études à l’Architectural Association de Londres (1927-1932), elle découvre en 1930 la simplicité et la franchise de l’art moderne et du design suédois lors de l’Exposition de Stockholm. Sa première commande importante est une série de maisons innovantes, d’esprit scandinave, conçues pour des proches (Tewin, Hertfordshire 1934-1936). Par la suite, ses bâtiments scolaires se distinguent par leur vocation sociale, leur modernité et leur aménagement respectueux des besoins des occupants. Après la Seconde Guerre mondiale, elle rejoint le service d’architecture du conseil régional du Hertfordshire, chargé de pallier la grave pénurie d’écoles. Forte de l’expérience acquise en 1940, lors de la réalisation d’une crèche en préfabriqué avec l’architecte Ernö Goldfinger (1902-1987), elle conçoit une première école, la Burleigh Infants School (Cheshunt 1946-1947), qui devient le modèle du programme de construction. En 1949, elle épouse l’architecte David Medd (1917-2009), et, tous deux engagés au ministère de l’Éducation, ils créent en collaboration une série de prototypes destinés à la construction des futures écoles de toute la Grande-Bretagne, à partir de matériaux traditionnels ou préfabriqués. À chaque mission, M. Medd consultait et respectait les besoins et les habitudes des enseignants et des enfants, puis les traduisait judicieusement dans des espaces soigneusement modulés, visant un apprentissage centré sur l’enfant.

Lynne WALKER

SAINT A., Towards a Social Architecture. The Role of School Building in Post-War England, Londres/New Haven, Yale University Press, 1987.

SAINT A., WALKER L., « Obituary : Mary Medd », in The Guardian, 24 juin 2005.

LES MÉDECINES TRADITIONNELLES ET L’OCCIDENT [XXe-XXIe siècle]

Très récente, l’étude des médecines traditionnelles a trouvé sa légitimité dans la définition de la santé qui ouvre la Constitution de l’OMS (1946) et dans l’affirmation d’un droit à la santé inscrit dans son Préambule. Précédant de peu la Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée par les États membres de l’Onu le 10 décembre 1948, ces définitions marquent un tournant dans la médecine de l’Occident moderne. En introduisant le concept de « bien-être mental et social », ce nouveau paradigme reconnaît la dimension culturelle de la santé – et de la médecine.

Repères chronologiques

Dès 1953, le docteur Pierre Dorolle, directeur général adjoint de l’OMS (de 1950 à 1973), qui avait constaté l’efficacité des médecines traditionnelles (en Asie dans les années 1930, puis pendant la Seconde Guerre mondiale dans les camps de prisonniers dont il était responsable), demande à l’ethnologue Jean-Paul Lebeuf, spécialiste de l’Afrique, de concevoir une méthodologie pour que l’OMS puisse, grâce aux médecines « indigènes », « harmoniser la médecine traditionnelle et la médecine moderne dans un système cohérent de prestations sanitaires ». Le monde se décolonise. L’Inde devenue indépendante en 1947 et la Chine proclamée République populaire (1949) légalisent l’usage de leurs systèmes médicaux ancestraux (acupuncture, médecines ayurvédique et siddha, yoga, plantes curatives…). D’autres jeunes États démunis d’équipements médicaux modernes suivent leur exemple et assurent l’intégration officielle de leurs médecines traditionnelles : le Mali devenu indépendant en 1960 est le premier pays africain à créer, en 1968, un Institut de phytothérapie et de médecine traditionnelle au sein de la section Recherche et Contrôle de la division d’approvisionnement pharmaceutique. L’institut sera intégré, en 1986, à l’Institut national de recherche en santé publique comme Division médicale traditionnelle. En 1971, la Guinée, indépendante depuis 1958, crée un « corps médical populaire de la brigade sanitaire », intégrant accoucheuses et guérisseurs traditionnels, afin d’assurer une couverture sanitaire à des régions que la médecine moderne ne peut atteindre ; puis suivront le Congo, le Rwanda, le Togo, le Bénin… En janvier 1973, le Conseil exécutif de l’OMS envisage d’ajouter aux dimensions « physique, mentale et sociale » de la définition universelle de la santé, la dimension « spirituelle » (un projet relancé en 1983 par les États musulmans, mais auquel s’oppose l’URSS). Le docteur Hafdan Mahler, élu directeur général de l’OMS la même année, fait de l’intégration des médecines traditionnelles son cheval de bataille. Enfin, en 1976, l’OMS crée un programme spécifique consacré aux médecines traditionnelles approuvé par tous ses États membres. En 1978, la conférence d’Alma Ata, organisée conjointement par l’OMS et l’Unicef, lance le concept de « soins de santé primaires », comprenant le recours à des technologies culturellement appropriées et la formation de tradipraticiens à l’hygiène moderne.

Femmes et médecines traditionnelles

Dans les pays industrialisés, les femmes qui, partout et depuis toujours, dispensent majoritairement les soins de santé, qu’elles soient infirmières ou simples mères de famille, sont les premières à faire entrer les médecines traditionnelles dans leurs pratiques quotidiennes. Beaucoup, pour éviter tout traumatisme au nouveau-né, apprennent à masser leurs enfants comme cela se pratique depuis des millénaires en Inde et en Afrique. Elles s’exercent à utiliser des plantes thérapeutiques oubliées en Occident. Alors que la médecine académique qualifie de « charlatanisme » des processus de guérison dont elle ne possède pas le contrôle, la promesse d’un marché suscite, pêle-mêle, l’avidité de charlatans et l’espoir de nouveaux bénéfices pour l’industrie. L’Occident entre dans un « multivers » culturel ; la mode est aux médecines « naturelles », « douces », « parallèles » ou encore « alternatives », plus ou moins inspirées des médecines traditionnelles. Pragmatiques, les anglophones – médecins et autres soignants – parlent désormais de médecines « complémentaires ».

Anthropologie médicale

Si, dans les années 1980, la recherche en anthropologie médicale se développe sur la lancée des soins de santé primaires chez les anglophones, pour aider les populations du Sud à se développer, elle reste en France coincée entre la description ethnographique, la recension historique, certaines hypothèses structuralistes et une médecine plus orientée par le pathos que vers une conception holistique de l’être humain. Les traductions des corpus médicaux des grandes civilisations (chinoise, égyptienne, indienne ou maya) sont rares ou incomplètes. Les guérisseurs de tradition orale sont peu enclins à partager leurs secrets, souvent fruits de longues années d’apprentissage, lequel s’est accompagné de dures initiations (qui, leur ayant fait connaître la souffrance dans leur chair, leur permettent de mieux comprendre leurs patients). Les femmes sont encore très peu nombreuses à exercer le métier d’anthropologue, et les hommes ne regardent et n’entendent sur le terrain que ce qu’ils sont prêts (ou autorisés) à recevoir. Nombre de phénomènes « extra-ordinaires », reconnus par l’expérimentation neurocognitive dans les années 1990, leur échappent. Les découvertes de Valentina et de Gordon Watson sur les rituels liés aux champignons, dans les années 1950, et l’impact des récits romancés de Carlos Castañeda sur les « plantes chamaniques » (peyotl, iboga, ayahuasca…) ont ouvert de nouvelles perspectives, dont celles de soigner, à l’aube du XXIe siècle, des maladies dégénératives et neuropsychiatriques. En 2000, chacun sait que la biodiversité de notre planète est menacée. L’expérience très ancienne des médecines traditionnelles incite à mieux les explorer. L’étude de ses plantes traditionnelles a permis à la Chine, par exemple, de découvrir dans l’armoise (présente dans une formule datant de 168 av. J.-C.) une nouvelle substance médicamenteuse active, l’artémisinine, qui est utilisée (en combinaison avec d’autres molécules) comme antipaludique.

Alors qu’un proverbe chukchee dit que « la femme est chamane par nature », les « femmes-médecine » ont fait l’objet de très peu d’études. Leur empathie n’a le plus souvent d’égal que leur force intérieure, spirituelle, pour remédier aux maux de leurs contemporains. Sur les continents africain et américain, beaucoup d’entre elles se sont élevées contre l’oppression de leur peuple par les colonisateurs, peut-être comme l’ont fait celles que l’Inquisition nomma des « sorcières », faisant ainsi disparaître un savoir populaire médical jugé païen. Aujourd’hui, dans les tribus amérindiennes, grâce à l’Acte sur leurs droits civils (1968) arraché par leurs grand-mères et leurs mères à la Présidence des États-Unis, une nouvelle génération de femmes anthropologues nous éclaire sur des pratiques qui, sans elles, disparaîtraient ; elles invitent les femmes-médecine, guérisseuses, herboristes, médiums, théurges, plus révoltées que révolutionnaires, à suivre partout leur exemple.

Claudine BRELET

MÉDECINS DANS LA ROME ANTIQUE [IIE SIÈCLE]

Ce que l’on sait des femmes médecins au IIe siècle nous vient essentiellement de Galien (129-201), médecin de l’empereur Marc Aurèle. Galien fut un écrivain dans le domaine de la médecine presque aussi prolifique qu’Hippocrate ; son école de médecine se trouvait sur le mont Esquilin. Il avait pour collègue Antiochis, une femme médecin spécialiste des maladies de la rate, de l’arthrite et de la sciatique. C’est à elle que les habitants de la ville de Tlos en Asie Mineure ont érigé une statue en reconnaissance de ses grandes capacités médicales.

Aspasie est peut-être la plus importante de ces femmes médecins. Aétius d’Amida (527-566), en Mésopotamie, médecin qui écrit une encyclopédie en quatre volumes, le Tetrabiblion, cite Aspasie à tous les chapitres. Il semble penser que sa contribution en gynécologie est si considérable que citer longuement ses écrits est gage de réussite. Elle met en garde ses patientes enceintes contre les fausses couches, leur recommandant, par exemple, d’éviter de voyager en char sur des routes mal pavées. Elle donne des explications sur l’origine des menstruations et de la stérilité, des conseils en cas de mort du fœtus. Elle est encore citée pour le traitement des malpositions de l’utérus. Il y eut à cette époque de très nombreuses femmes médecins dont les noms nous sont parvenus grâce aux traces retrouvées sur les pierres tombales que leurs maris ou leurs patientes reconnaissantes ont érigées en leur honneur. On ne sait rien d’une certaine Métrodora sinon qu’elle écrivit, en grec, un traité sur les maladies de l’utérus, que l’on peut voir à la bibliothèque laurentienne à Florence : 263 pages sur parchemin divisé en 108 chapitres. C’est sans doute le livre de médecine le plus ancien écrit par une femme. Galien cite encore, parmi tant d’autres, Samithra et Xanitra à qui il emprunte d’utiles prescriptions, Eugérasie, dont il cite un remède contre l’hypertrophie de la rate. Il évoque aussi une certaine Origénie, qui prescrivait des remèdes contre les suppurations, les vomissements de sang et la diarrhée, Meurodacia, sage-femme, Margareta, chirurgienne dans l’armée.

Ces femmes médecins enseignent la médecine, prennent soin des patients et opèrent les blessés dans les dispensaires. Elles sont les seules obstétriciennes. Parfois attachées à une famille, elles sont dans ce cas hautement respectées. Elles ont même parfois des esclaves qui préparent leurs onguents et leurs potions. À cette époque, les empereurs ont des cliniques privées pour leur famille et leurs amis où les soins sont de meilleure qualité.

Le manque de connaissances précises à propos de toutes ces femmes tient au fait qu’elles assurent les soins quotidiens et n’écrivent que très rarement des traités médicaux.

Yvette SULTAN

MÉDECINS DE LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE [France]

Il existe très peu de femmes médecins en France avant la Grande Guerre, moins d’une centaine. S’il est admis qu’elles peuvent remplacer les hommes auprès des civils dans des dispensaires, où les soins sont gratuits, il leur est impossible d’entrer dans les hôpitaux militaires et de s’occuper des blessés. Elles ne sont acceptées que comme auxiliaires : infirmières, aides-soignantes rémunérées ou bénévoles, elles assistent les chirurgiens militaires. Même les diplômées sont engagées comme infirmières, comme c’est le cas pour le Dr Collard-Huard, qui participe à l’évacuation des blessés de Verdun. Du fait d’une confusion, le Dr Nicole Girard-Mangin reçoit le 2 août 1914 l’ordre de rejoindre le 20e régiment de marche à l’hôpital de Bourbonne-les-Bains. Mais, arrivée à Verdun à l’hôpital no 7, elle est interdite d’entrée ; finalement, on lui donne un service de typhiques où elle restera sept mois. À la suite d’un bombardement, elle évacue les patients vers Bar-le-Duc, où elle arrive après des jours et des nuits en ambulance. En octobre 1915, elle est assimilée au grade de médecin major de deuxième classe, grade avec lequel elle fait toute la campagne de Verdun en opérant nuit et jour. Puis c’est Saint-Omer, Ypres. En octobre 1916, l’hôpital Édith-Cavell lui est attribué et elle sera le médecin-chef de l’école d’infirmières. Augusta Déjerine-Klumpke* opère aux Invalides. Le Dr Tissot-Monod dirige totalement l’hôpital militaire de Lyon. Il faut rappeler le rôle important de Marie Curie* qui apporte au front des appareils de radiologie permettant de repérer les projectiles que les chirurgiens doivent tenter d’enlever.

Ces freins à la pratique de la médecine pour les femmes ne se retrouvent pas dans tous les pays : en Angleterre, par exemple, Louisa Garrett Anderson et Flora Murray se sont vu confier des hôpitaux militaires. Après la guerre, le nombre des femmes qui s’intéressent à la médecine augmente considérablement. Elles deviennent surtout gynécologues et sages-femmes. Cependant, pendant encore de nombreuses années, les femmes diplômées ne se voient attribuer que des tâches secondaires.

Yvette SULTAN