MAINE, Anne Louise Bénédicte DE BOURBON-CONDÉ, duchesse DU [PARIS 1676 - ID. 1753]

Mécène française.

Petite-fille du Grand Condé, mariée au duc du Maine, fils légitimé de Louis XIV et de Mme de Montespan, la duchesse du Maine, fière de sa naissance de princesse de sang et méprisée par cette alliance, fuit Versailles et s’installe vers 1700 au château de Sceaux. Là, elle initie des divertissements et des fêtes qui vont culminer dans les Grandes Nuits de Sceaux (1714-1715). La conspiration de Cellamare qu’elle mène en 1718, visant à destituer le Régent pour mettre sur le trône de France Philippe V d’Espagne, lui est fatale et lui vaut un an d’exil. À son retour, elle réunit de nouveau une cour florissante à Sceaux, orientée néanmoins vers des activités moins festives. Veillant à s’entourer des personnalités intellectuelles et artistiques les plus brillantes, elle recueille un nombre important de dédicaces qui frappent par la diversité de leurs auteurs, ne cessant de louer l’ampleur de ses intérêts et de ses connaissances, la sûreté de son goût et la justesse de son jugement : philosophie (Polignac) ; grammaire et poésie (Buffier) ; déclamation et chant (Grimarest) ; tragédie (Voltaire, Genest) et comédie (Marivaux) ; opéra (Mouret) et cantates (Bernier, Courbois) ; danse (Feuillet).

Catherine CESSAC

JULLIEN A., Les Grandes Nuits de Sceaux, le théâtre de la duchesse du Maine d’après des documents inédits (1876), Genève, Minkoff, 1978.

CESSAC C., COUVREUR M. (dir.), « La Duchesse du Maine (1676-1753), une mécène à la croisée des arts et des siècles », in Études sur le XVIIIe siècle, vol. 31, 2003.

MAINGUET, Monique [1937]

Géographe française.

Spécialiste des milieux secs, élue membre de l’Institut universitaire de France en 1998, Monique Mainguet a fait sa carrière à Nanterre, puis à l’université de Reims, où elle a créé le Laboratoire de géographie zonale pour le développement en 1973. Spécialiste de géographie physique, elle a montré le rôle primordial des vents, actuels ou de périodes plus anciennes, dans le modelé (c’est-à-dire les formes du relief à une échelle très fine) de certains matériaux rocheux comme les grès. L’érosion éolienne prend ainsi sa place parmi d’autres processus géomorphologiques. Ses nombreuses investigations sur le terrain, au Sahara puis dans d’autres aires sèches du monde, notamment dans les déserts d’Asie centrale et la région de la mer d’Aral, l’ont conduite à s’intéresser ensuite aux causes des sécheresses et à leurs conséquences sur le développement des sociétés. Elle a souligné le rôle des aménagements humains dans la progression de la désertification. Elle a dirigé de 1985 à 1988 le Service de la lutte contre la désertification au Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) à Nairobi, au Kenya.

Denise PUMAIN

Desertification, Natural Background and Human Mismanagement, Berlin, Springer, 1994 ; L’Homme et la Sécheresse, Paris, Masson, 1995 ; Les Pays secs, environnement et développement, Paris, Ellipses, 2003.

MAINTENON, Françoise D’AUBIGNÉ, marquise DE [NIORT 1635 - SAINT-CYR 1719]

Femme de lettres française.

De retour des Antilles, à 16 ans, la petite-fille d’Agrippa d’Aubigné se trouve pauvre au point de devoir choisir entre le couvent ou le mariage que lui offre le poète infirme Paul Scarron. La « Belle Indienne » fait rapidement figure à la Cour, et reprend une instruction négligée, au contact des écrivains (Chapelain, Ménage, Benserade) qui fréquentent la « chambre jaune » de son spirituel mari. Célébrée dans les derniers volumes de Clélie, « précieuse » selon Somaize, elle côtoie Mmes de Lafayette*, de Sévigné*, Ninon de Lenclos*. Veuve en 1660, elle est discrètement chargée à partir de 1669 de l’éducation des enfants de Louis XIV et de Mme de Montespan. En 1683, « Mme de Maintenant » épouse secrètement le roi. En 1686 s’ouvre à Saint-Cyr la Maison royale d’éducation de Saint-Louis, fruit d’une longue méditation de la désormais marquise sur l’éducation des filles pauvres de la noblesse. Entre l’ambition (inspirée entre autres par Mlle de Scudéry*) d’une éducation séculière, voire mondaine, fondée sur la raison et attentive à l’individu, et la nécessité (en accord avec Fénelon) de former des épouses chrétiennes conscientes des devoirs de leur sexe et de leur condition, la pédagogie de Saint-Cyr est novatrice dans son esprit autant que dans ses formes : la conversation et le théâtre y jouent ainsi un rôle inédit à ce point dans l’éducation des filles. Les représentations d’Esther (1689) et d’Athalie (1691) constituent des moments marquants de ce laboratoire pédagogique, vite dénoncé : contre le rêve initial de Mme de Maintenon et dans les remous de la querelle de la moralité du théâtre et de l’affaire du quiétisme, le moule conventuel reprend ses droits en 1692. L’influence politique de la marquise reste amplement discutée : « Votre Solidité » (l’aurait surnommée le roi), « une autre Esther dans la faveur » (selon Vertot), ou bien « la Pantocrate » que fustige Élisabeth de Bohême* (Correspondance), « Tartuffe en jupons » faisant révoquer l’édit de Nantes et bannir les Comédiens-Italiens ? La précoce « légende noire » autour de la marquise (chansons, libelles, histoires secrètes, comédies satiriques…) a suscité des apocryphes (les Lettres forgées par La Beaumelle) masquant un important déficit éditorial. Le livre à succès bien documenté de Françoise Chandernagor* (L’Allée du Roi, 1981) a permis une réévaluation du personnage, dont l’œuvre intéresse désormais la critique à plus d’un titre.

Myriam DUFOUR-MAÎTRE

Comment la sagesse vient aux filles, propos d’éducation, Leroy P.-É., Loyau M. (éd.), Paris, Bartillat, 1998 ; Mme de Maintenon, Mme de Caylus et Mme de Dangeau, L’Estime et la tendresse, correspondances intimes, Leroy P.-É., Loyau M. (éd.), Paris, Albin Michel, 1998 ; Lettres, 6 vol. Paris, H. Champion, 2009-2011.

DESPRAT J.-P., Mme de Maintenon, le prix de la réputation, Paris, Perrin, 2003 ; PRÉVOT J., La Première Institutrice de France, Mme de Maintenon, Paris, Belin, 1981.

MAIOLINO, Anna Maria [SCALEA 1942]

Artiste visuelle brésilienne.

Depuis le début des années 1960, Anna Maria Maiolino, d’origine italienne, évoque son propre exil et se fait l’écho des conditions sociales et politiques du Brésil. Installée au Venezuela en 1954, elle intègre l’École nationale des beaux-arts de Rio de Janeiro en 1960. Ses premières expériences plastiques questionnent la notion de langage et de censure, de genre et de corps. En participant à la « nouvelle figuration brésilienne », elle rejette les principes de l’abstraction, tout en contestant la politique menée par le gouvernement. En 1967, l’exposition New Brazilian Objectivity présente son travail aux côtés de Lygia Clark* ou d’Hélio Oiticica. Avec des séries de gravures, comme A Viagem (« le voyage », 1966), elle dénonce l’oppression et la censure de son pays. En 1968, après avoir obtenu la nationalité brésilienne, elle travaille à New York, où elle découvre l’art minimal et conceptuel. Elle commence alors la série des Mapas mentais (« cartes mentales », 1971-1976), où une grille lui permet d’organiser des mots, des lieux précis, des noms communs tels que « mort », « art », « poésie »… C’est aussi à cette époque que l’artiste associe dessin et sculpture, comme dans Buraco preto (Black Hole, 1974) de la série Os Buracos/Desenhos Objetos (Holes/Drawing Objects) ; elle crée de véritables sculptures de papier tridimensionnelles. En outre, elle effectue ses premières performances et ses premiers films en utilisant son corps comme support de la critique sociale et politique : In-Out Antropofagia (1973), film en Super 8, ou De para (From to, 1974), un « photo-poème-action », où elle s’enroule la tête de ruban pour dénoncer le silence auquel la femme est contrainte dans la société contemporaine. De retour à Rio de Janeiro en 1989, et cherchant à créer une véritable interaction entre sa pratique artistique et la vie, au-delà même de son atelier, A. M. Maiolino explore de nouveaux médiums et intègre l’argile dans son processus de création, inscrivant à la fois dans la matière et dans le temps les traces de ses actions. Ses dispositifs, ni tout à fait conceptuels ni minimalistes, n’ont de cesse de transcrire des propos entre l’art et la réalité. En 2010, ses œuvres sont montrées au Camden Arts Centre à Londres et dans l’exposition collective Mind and Matter : Abstractions, 1940s to Now, au Museum of Modern Art de New York.

Chantal BÉRET

Vida afora : A Life Line, Zegher M. C (dir.), New York, Drawing Center Press, 2002 ; Anna Maria Maiolino (catalogue d’exposition), Tatay H. (dir.), Barcelone/Londres, Fondation Tàpies/Koenig, 2010.

MAISONNEUVE, Catherine-Michelle DE [V. 1710 - V. 1774]

Directrice de publication française.

Les quelques informations disponibles sur les origines de Catherine-Michelle de Maisonneuve proviennent du testament qu’elle a rédigé en 1774, après être tombée malade. Issue d’une famille noble assez fortunée, elle est, à la différence de ses concitoyennes, une femme lettrée. Elle est la veuve d’un commis aux fermes du nom de Joubert – dont elle n’adopta jamais le patronyme –, et son frère, Jean-Baptiste Simonnet de Maisonneuve, était attaché à la garde-robe du Roi. Le fait qu’elle ait légué une rente viagère à une cousine, et des biens à des neveux et nièces, laisse supposer qu’elle n’a pas eu d’enfants. Usant de ses contacts dans les milieux financiers, elle reprend en 1764 la direction du Journal des dames, magazine mensuel de littérature et de politique, mais surtout premier journal rédigé par et pour les femmes (1759-1778). Ouvert aux problèmes sociaux, il incite les lectrices aux changements. Elle parvient à donner à ce magazine en péril une certaine audience grâce à ses entrées à la cour. Après avoir présenté la publication au roi Louis XV, en 1765, elle bénéficie de ses largesses jusqu’à la fin de sa vie. Toutefois, ce journal féminin est souvent dénigré par les milieux littéraires. En 1766, Le Mercure, feuille financée par le gouvernement, fait valoir son droit royal contre cette publication. Faisant front, C.-M. de Maisonneuve confie le magazine à son assistant Mathon, mais son nom continue d’apparaître sur la une et elle fait découvrir elle-même le journal aux têtes couronnées d’Europe. Avec son accord, Mathon utilise cette voie de presse pour propager des idées républicaines et défendre les parlements contre l’absolutisme monarchique. Du fait de ses relations, la directrice du Journal des dames sert aussi de prête-nom à des collaborateurs masculins frondeurs à l’excès sans que le roi y trouve à redire. Pourtant, entre 1769 et 1773, le nouveau chancelier Maupeou, fervent royaliste déterminé à renverser les parlements, fait interdire le journal. Afin de préserver sa sécurité et celle de Mathon, C.-M. de Maisonneuve se plie à cette décision. Elle-même avait succédé à Mme de Beaumer ; dix ans plus tard, en 1774, elle confie le magazine à la baronne Marie-Émilie de Princen. Parmi les neuf directeurs, ces trois femmes ont transformé cette modeste revue en un organe d’informations sérieuses et d’opposition. Féministes dans l’âme, elles ont incité les lectrices à cultiver leur esprit. Grâce à son sens de l’à-propos et de la diplomatie, C.-M. de Maisonneuve a su doser la bienséance et l’audace et montrer à la société du XVIIIe siècle qu’une femme peut réussir dans une carrière publique, notamment dans le journalisme naissant.

Alexandra BRUNOIS

LAFONT A. (dir.), Plumes et pinceaux, discours de femmes sur l’art en Europe (1750-1850), Dijon, Presses du Réel/INHA, 2012 ; SULLEROT É., Histoire de la presse féminine en France des origines à 1848, Paris, A. Colin, 1966.

MAISONS DE COUTURE PARISIENNES DE L’ENTRE-DEUX-GUERRES

Jamais les femmes n’ont été si nombreuses à la tête des maisons de couture que dans l’entre-deux-guerres. À côté de célébrités comme Jeanne Lanvin*, Madeleine Vionnet*, Gabrielle Chasnel*, Elsa Schiaparelli*, d’autres couturières contribuent de façon notable au développement du secteur.

Fondée par Jeanne Adèle Bernard (1872-1962), dite Jenny, en 1909, rue de Castiglione, à Paris, puis installée sur les Champs-Élysées en 1915, la maison Jenny présente des vêtements simples et élégants. S’inspirant de l’Égypte, elle crée des robes du soir brodées de perles et de fils d’or, des fourreaux courts, mais aussi des vêtements de sport appréciés par Suzanne Lenglen*. Renommée pour la qualité de ses créations, la maison résiste à la Première Guerre mondiale, et fusionne avec Lucile Paray en 1938. Passionnée par l’avant-garde, Jenny réalise aussi des chapeaux et collabore avec Jean Dunand. La maison ferme ses portes en 1957.

Suzanne Talbot, d’abord modiste puis, à partir de 1924, créatrice de vêtements, promeut la mode Art déco qu’elle incarne parfaitement. En « garçonne », les cheveux coupés, elle conduit sa voiture. Sa maison, 14, rue Royale, propose des ensembles simples et des robes en jersey. S’inspirant elle aussi de l’Égypte, elle réalise des capes et robes du soir en velours, brodées d’or, ornées de franges, tandis que ses grands manteaux à manches kimono, brodés de motifs floraux, témoignent de l’influence du Japon.

Jeanne Victorine Margaine, épouse Lacroix, ouvre une maison 19, boulevard Haussmann, à l’enseigne Margaine Lacroix. Elle s’inspire de décors chinois, mais aussi de la Grèce pour ses robes plissées brodées de sequins, paillettes et perles dorées, ornées de motifs antiques.

Nicole Groult, sœur de Paul Poiret et épouse du décorateur André Groult, s’installe à Paris rue d’Anjou, en 1909. Sa production, toujours d’excellente qualité, se caractérise par l’ornementation de perles, plumes et applications de velours de ses robes du soir et par l’inspiration des costumes traditionnels slaves.

Souvent accusée d’imiter le style de M. Vionnet par l’utilisation de la coupe en biais, Augusta Bernard (enseigne Augustabernard), installée rue du Faubourg-Saint-Honoré de 1923 à 1935, s’en démarque toutefois par l’emploi de couleurs vives. Parmi ses créations les plus typiques, on relève des robes fourreaux de velours rouge vif et vert émeraude, mais aussi des pyjamas et des combinaisons – pantalons à larges jambes qui les rapprochent des robes du soir.

Nées à Toulouse, les sœurs Boué, Sylvie et Jeanne, lancent en 1899 leur maison rue de la Paix, puis déménagent en 1928 aux Champs-Elysées. Elles déposent en 1907 un brevet pour l’emploi des tissus élastiques caoutchoutés dans la création textile qui leur assure un grand succès. Elles ouvrent des succursales à New York, Moscou, Le Caire, Ankara, Bucarest. Surnommées « les deux fées de la couture », toujours très élégantes, elles sont appréciées pour leur grande originalité. La dentelle cohabite avec la mousseline de soie, la fourrure avec la passementerie. Elles ferment leur maison en 1935, avant de se réfugier en Amérique pendant la Seconde Guerre mondiale.

Maggy Rouff (1896-1971), épouse de Pierre Besançon de Wagner, fonde sa maison en 1929 avenue des Champs-Élysées. En 1937, elle ouvre une succursale à Londres. Surnommée « l’architecte de la mode », elle s’appuie sur ses études de médecine pour présenter des vêtements au design innovant. Elle joue sur l’asymétrie, emploie des imprimés colorés. Dans les années 1930, elle donne des conférences aux États-Unis et publie des ouvrages sur son expérience de couturier.

Marcelle Chaumont (1891-1990), d’abord assistante, a bientôt son autonomie au sein de la maison Vionnet. Elle ouvre en 1939 sa propre maison à la fermeture de celle de M. Vionnet, dont elle perpétue le style tout en le renouvelant. Grâce à ses audacieux montages de manches, ses manteaux se portent avec aisance, tout comme ses jupes-culottes et ses tailleurs, qu’elle exécute dans des lainages aux coloris doux. Ses robes d’après-midi ou du soir sont simples et raffinées. Elle cesse ses activités en 1953.

Germaine Lecomte, pour subvenir aux besoins de sa famille, devient couturière à Bressuire (Deux-Sèvres). En 1920, elle est engagée dans un petit atelier de couture à Paris. Très vite, elle en devient la directrice et accroît sa clientèle au point d’en faire une maison réputée qui résiste bien à la crise de 1929. Dès 1926, sa maison de couture, qui occupe les trois étages d’un immeuble de la rue Royale, fait travailler 450 ouvrières et 17 mannequins. « Sculptrice de la mode », elle habille la haute bourgeoisie, les stars de cinéma dans un style raffiné et élégant.

Sophie KURKDJIAN

MAÏTENA (Maïtena BURUNDARENA, dite) [BUENOS AIRES 1962]

Auteure de bandes dessinées argentine.

Les Déjantées (Mujeres alteradas, 1993), Paris, Métailié, 2002 ; Tournants dangereux (Curvas peligrosas, 2003), Paris, Métailié, 2007.

MAITLAND, Sara [LONDRES 1950]

Romancière britannique.

Élevée à Londres et en Écosse, Sara Maitland passe son adolescence dans un pensionnat de jeunes filles. En 1968, elle étudie l’anglais à l’université d’Oxford, et y découvre le féminisme (grâce à Bill Clinton, dit-elle, qui y est étudiant), le socialisme, le christianisme et l’importance de l’amitié. Dans les années 1970, elle fait partie de l’avant-garde féministe avec Zoe Fairbairns* et Michele Roberts* et elles composent ensemble un recueil de nouvelles. En 1977, elle publie son premier roman, Daughters of Jerusalem (« filles de Jérusalem »). Mariée à un pasteur anglican pendant vingt ans, elle se convertit au catholicisme, se sépare de son mari en 1993 et construit une maison sur une lande de Galloway, dans la solitude et le silence. Utilisant les antiques histoires de diverses traditions, des contes de fées et autres légendes, elle écrit sur les femmes et les sentiments de beauté et de terreur, sur la spiritualité comme sur le désir sexuel féminin, sur le contrepoint qui lie l’humain et le religieux. Chrétienne convaincue, elle s’intéresse au spiritisme. Elle a écrit 16 romans, 12 essais sur l’écriture féminine et les écrivaines, des nouvelles (On Becoming a Fairy Godmother, « comment devenir une bonne fée » 2003), qui célèbrent la femme ménopausée, une pièce radiophonique et une autobiographie (A Book of Silence, 2008).

Michel REMY

Avec KONDEATIS C., La Boîte de Pandore, féérie en trois dimensions (Pandora’s box : A Three-Dimensional Celebration of the Mythology of Ancient Greece, 1995), Paris, Solar, 1995.

MAÏWENN (Maïwenn LE BESCO, dite) [LES LILAS 1976]

Actrice, scénariste, réalisatrice, productrice et auteure française.

De mère franco-algérienne et de père breton d’origine vietnamienne, Maïwenn a une sœur cadette, Isild Le Besco, qui deviendra actrice et jouera avec Benoît Jacquot, Laetitia Masson*, Philippe Le Guay, Emmanuelle Bercot*. Poussée par sa mère, l’actrice Catherine Belkhodja, Maïwenn débute sur scène à 3 ans ; au cinéma à 5 ans, avec Isabelle Adjani*. À 11 ans, elle arrête sa scolarité et, deux ans plus tard, gagne le concours de mannequin du magazine 20 ans. Sur scène, elle joue sous la direction d’Antoine Vitez et de Daniel Mesguich. Adolescente, elle tourne dans Lacenaire (Francis Girod, 1990), incarne « la gamine » dans le film éponyme d’Hervé Palud (1992), face à Johnny Hallyday. À 15 ans, elle rencontre Luc Besson, qu’elle épouse un an plus tard et dont elle a une fille en 1993. Installée à Beverly Hills, elle reprend des études, notamment de mode. Après deux petits rôles avec Besson, elle divorce en 1996, et revient en France. En 2003, elle écrit et joue au Café de la Gare Le Pois chiche, spectacle dans lequel elle règle ses comptes avec sa mère. L’année suivante, Claude Lelouch lui confie le rôle d’une chanteuse ambitieuse dans le film choral Le Genre humain – Les Parisiens. Elle écrit et réalise un court-métrage, I’m an actrice (2004), interprété par sa fille, Shanna Besson. En 2006, elle sort Pardonnez-moi, film qu’elle écrit, réalise et produit, et dans lequel elle évoque son père – elle créée, à cette occasion, sa propre société de production, Maï. Le Bal des actrices (2009) est un faux documentaire avec chansons. En 2011, Polisse, avec notamment Marina Foïs et Karin Viard*, qui montre le fonctionnement d’une brigade de protection des mineurs, remporte un vif succès. Il est couronné de plusieurs prix, dont le Prix du jury au Festival de Cannes 2011 et le prix Lumières 2012 du meilleur réalisateur.

Bruno VILLIEN

MAIZANI, Azucena [BUENOS AIRES 1902 - ID. 1970]

Chanteuse argentine.

Première femme connue à avoir chanté du tango dans les années 1920, Azucena Maizani est couturière de profession. Découverte dans un cabaret par le chef d’orchestre Francisco Canaro, elle entame une carrière au théâtre et à la radio, comme choriste puis chanteuse soliste. Elle enregistre avec F. Canaro ses premiers disques pour la compagnie Orion à partir de 1923 et se convertit dès lors en une figure célèbre des débuts du tango chanson. Sur scène, toujours vêtue comme un homme, avec costume, chapeau et un foulard blanc autour du cou, elle chante avec beaucoup de dramatisme et d’intensité. Après des tournées en Europe, en Amérique latine et à New York, sa notoriété va s’estompant à partir des années 1940. Paralysée par une maladie en 1966, c’est dans l’indifférence quasi générale qu’elle meurt quatre ans plus tard. Interprète privilégiée de Celedonio Flores et Homero Manzi, elle a gravé plus de 270 disques 78-tours et est également entrée dans l’histoire pour avoir composé les classiques Pero yo sé et La canción de Buenos Aires, enregistré notamment par Carlos Gardel ou plus dernièrement par Débora Russ, nouvelle représentante du tango féminin à Paris.

Yannis RUEL

MAJEROVÁ, Marie (née BENEŠOVÁ) VALY 1882 - PRAGUE 1967]

Écrivaine tchèque.

De condition modeste, Marie Majerová grandit dans une petite ville ouvrière et travaille dès la fin de ses études secondaires. Après une année à Budapest, où elle est domestique dans une riche famille, elle devient dactylo à Prague. Autodidacte, elle participe à la vie culturelle et politique du mouvement ouvrier. D’abord anarchiste de gauche, elle s’oriente vers la social-démocratie à partir de 1908, après deux années passées à Paris qui lui permettront notamment de s’imposer comme une traductrice respectée des œuvres de Flaubert, Balzac et Hugo, dont elle traduit Les Misérables. Elle intègre en 1921 le parti communiste, dont elle est exclue en 1929. Rédactrice au journal communiste Rudé Pravo, elle écrit pour la jeunesse et d’autres journaux d’orientations communiste et féministe. Après avoir publié quelques vers d’inspiration anarchisante, elle se consacre à la prose. Ses nouvelles et ses romans s’intéressent d’abord essentiellement aux conditions de vie difficiles des femmes et jeunes filles dans la société tchèque avec, par exemple, Dcery země (« les filles de la terre », 1913). Après une incursion dans le milieu des anarchistes français, qu’elle évoque dans Náměstí Republiky (« place de la République », 1914), elle se tourne vers une littérature prolétarienne. En 1923, elle publie Nejkrásnějsí svět (« le monde le plus beau »), qui définit le projet de société d’un groupe de révolutionnaires. Plus nettement utopique, son roman Přehrada (« le barrage », 1932) raconte les quarante-huit heures ayant précédé une révolution ouvrière imaginaire. À son œuvre en prose à forte tonalité sociale s’ajoute une importante production pour la jeunesse ainsi que des récits de voyages en Amérique, en Afrique et en Asie, comme Den po revoluci (« un jour après la révolution », 1925), consacré à la Russie soviétique.

Stéphane GAILLY

JANOUŠEK P. (dir.), Dějiny české literatury, 1945-1989, tome 3, Prague, Academia, 2008 ; MENCLOVÁ V., VANEK V. (dir.), Slovník českých spisovatelů, Prague, Libri, 2005 ; VOISINE-JECHOVÁ H., Histoire de la littérature tchèque, Paris, Fayard, 2001.

MAJID, Sheila (Shaheila BINTI ABDUL MAJID, dite) [KUALA LUMPUR 1965]

Chanteuse malaisienne.

D’ascendance chinoise et javanaise, Sheila Majid fréquente les écoles méthodistes de Kuala Lumpur. Elle est repérée par Roslan Aziz, qui la prend sous contrat en 1982, et devient son premier époux. Il lance sa carrière avec Dimensi baru (« nouvelle dimension ») en 1985, et surtout Emosi (« émotion ») en 1986. L’année suivante, ce disque lui ouvre les portes du succès en Indonésie et lui vaut le premier titre de Meilleure artiste R’n’B de l’année remis à une artiste non indonésienne. Warna (« couleur »), publié en 1988, est à plusieurs reprises disque de platine et lui permet bientôt de conquérir le Japon. Elle se produit au Tokyo Music Festival en 1989. La même année, elle reçoit le prix America’s International Star Search de meilleure chanteuse. Dans la foulée paraît Legenda (1990), hommage au chanteur malaisien P. Ramlee, décédé en 1973, son plus grand succès à ce jour. Il lui vaut le Ahli Mangku Negara, une décoration nationale reçue des mains du roi. Après six ans d’absence, S. Majid revient avec Ratu (« la reine », 1996), entourée de musiciens de renommée mondiale comme les Américains Nathan East à la basse et Rex Goh au violon, et le Japonais Aska Kaneko, également au violon. Sa musique pop s’imprègne de touches jazz et R’n’B. Ce succès sans précédent en Asie pour une artiste malaisienne la propulse en Europe. Elle fait salle comble à Londres, au West End’s Royalty Theatre, ainsi qu’au Ronny Scott’s. En 2000, Ku mohon (« je prie ») reçoit notamment les titres de Meilleur album pop et Chanson de l’année dans son pays. En 2003, elle épouse Hasridz Murshim Hashim Abdullah, plus connu sous le pseudo d’Acsis, ancien clavier de Gersang, un groupe de rock populaire des années 1980. La même année, elle est la vedette d’un grand concert pour Trans TV, suivi par des millions de Malaisiens. Son septième album studio, Cinta kita (« notre amour »), est une nouvelle fois numéro un des hit-parades.

Jean BERRY

Ratu, East West Records, 1996 ; Cinta kita, Warner Music Indonesia, 2003 ; Legenda the Concert, EMI Malaysia, 2006.

MAKAROVA, Natalia [LENINGRAD 1940]

Danseuse et chorégraphe russe.

Représentative de la grande école de Leningrad par la pureté raffinée de sa technique, Natalia Romanovna Makarova est l’une des plus brillantes ballerines du Kirov (actuel Mariinski), de son engagement en 1956 à son départ pour l’Ouest en 1970. La renommée acquise grâce à la médaille d’or du concours de Varna (1965) et à quelques tournées saluées par le prix Pavlova (1970) donne un grand retentissement médiatique à cette deuxième défection après celle de Rudolf Noureev en 1961. Engagée au Royal Ballet de Londres et à l’American Ballet Theatre, elle danse d’abord des classiques, Giselle et Le Lac des cygnes en particulier, auxquels elle donne une saveur unique par son lyrisme ainsi que par une manière très personnelle d’en habiter la chorégraphie (extrême flexibilité du dos et des bras, fluidité musicale, précision du détail dans l’exécution). C’est cet héritage qu’elle transmet dans les troupes avec lesquelles elle travaille lorsqu’elle remonte le divertissement de Paquita (1973), Le Lac des cygnes (1984) ou La Bayadère (1980). Elle contribue ainsi à l’appropriation en Occident d’une partie des œuvres de Marius Petipa, alors peu connues hors de l’Union soviétique. Toutefois, son départ du Kirov était surtout motivé par le désir de danser des chorégraphies modernes inaccessibles alors en URSS. Elle interprète les grands ballets néoclassiques de Kenneth Mac Millan (Roméo et Juliette, Manon), John Cranko (Onéguine), Roland Petit (Carmen). Audacieuse, elle brise la mièvrerie des lieux communs sur la danseuse, suscitant des créations qui jouent de sa personnalité artistique paradoxale, alliant romantisme et sensualité provocante : Other Dances (Jerome Robbins, 1976), Mephisto valse (Maurice Béjart, 1979), A Month in The Country (Frederick Ashton, 1980), L’Ange bleu (Roland Petit, 1985). Parallèlement, elle se lance dans la comédie musicale et triomphe dans On Your Toes (1983) qui lui vaut une pléiade de distinctions dont le Tony Award Musical. Dans les années 1990, elle joue avec succès plusieurs pièces à Londres. Dernière facette de son activité, elle a réalisé pour la BBC, une série documentaire sur l’histoire de la danse, Ballerina (1987).

Sylvie JACQ-MIOCHE

A Dance Autobiography, New York, Knopf, 1979.

ZOZULINA N., Natalia Makarova, Moscou, Artist-Rezhisser-Teatr, 1993.

MAKAROVIČ, Svetlana [MARIBOR 1939]

Poétesse et artiste slovène.

Élevée par une mère catholique et un père athée, Svetlana Makarovič connaît des conditions de vie difficiles avec sa famille qui fuit à Ljubljana durant la guerre. Écolière indisciplinée, elle s’intéresse au piano et aux arts graphiques. En conflit constant avec sa mère, elle rejette à l’adolescence les rites religieux que celle-ci lui impose. Pour avoir un métier, elle termine l’école normale d’instituteurs, mais comprend aussitôt qu’elle est incapable d’enseigner, ne souhaitant pas tenir des enfants sous la contrainte. Elle s’inscrit à l’École des arts dramatiques où, malgré son talent, elle peine à obtenir ses diplômes, car elle refuse de passer les examens d’enseignement militaire, obligatoires dans la Yougoslavie de Tito. Elle vit d’expédients, tantôt pianiste dans les bars, tantôt actrice, mais sans engagement, car elle ne veut pas être membre du parti communiste. Cette artiste aux talents multiples se fait d’abord connaître comme poétesse en 1957, dans la revue Mlada Pota, pépinière de jeunes auteurs. Très vite elle publie dans les plus grandes revues d’avant-garde. En 1964, Somrak (« le crépuscule »), son premier recueil de poèmes, voit le jour, suivi de beaucoup d’autres. En 1970, elle acquiert le statut d’artiste indépendante, donne des lectures publiques, sort des albums de chansons, écrit pour les théâtres de marionnettes. Au début des années 1980, elle est parmi les fondateurs de Nova Revija, la revue qui a joué un rôle important au moment de l’indépendance de la Slovénie. La poétesse exprime le désarroi, l’angoisse, mais aussi la révolte, dans un style parfois proche de l’humour noir. Le côté sombre de sa poésie prédomine. Elle se sert de motifs de la poésie populaire, mais à contre-courant. Également très connue comme auteure pour la jeunesse, S. Makarovič a écrit un grand nombre de contes et de fables. Ces dernières se caractérisent par une approche peu traditionnelle, l’humour et la joie, l’absence de morale, la mise en exergue des valeurs d’amitié, de liberté, de tolérance. Malgré sa personnalité controversée, elle a reçu plusieurs prix littéraires en Slovénie et à l’étranger. Elle revendique sa vie solitaire, lutte depuis toujours contre le machisme, mais refuse l’étiquette féministe. Elle s’insurge contre toutes sortes d’interdictions et d’infantilisations des humains dans les sociétés modernes. Avec S. Makarovič, nous sommes face à une poétesse inclassable, une artiste aux talents multiformes et à la créativité extraordinaire, une personnalité qui assume et vit sa liberté jusqu’au bout, sans concession aucune.

Antonia BERNARD

COLLECTIF, Slovenska književnost III, Ljubljana, DZS, 2001.

GOLEŽ M., « Slovenska ljudska pesem in njeni odsevi v poeziji Svetlane Makarovič », in Traditiones, no 27, 1998 ; ID., « Tista prva dama slovenske poezije, ki rada šokira », in Mladina, no 3, 2005 ; ID., « Sodobni otrok ne pozna več hrepenenja », in Delo, mars 2009.

MAKDISI, Jean Said [JÉRUSALEM 1940]

Essayiste libanaise.

Libanaise d’origine palestinienne, après une scolarité au Caire, Jean Said Makdisi poursuit des études universitaires de littérature anglaise aux États-Unis. Elle enseigne à l’université de Beyrouth pendant vingt-trois ans, notamment durant la guerre civile libanaise. Son premier essai, Beirut Fragments : A War Memoir (« fragments de Beyrouth : un journal de guerre », 1989), décrit la vie de l’écrivaine dans un quotidien agité par la violence fratricide qui déchire le pays. Choisi par le New York Times comme l’un des livres notables de l’année 1990, il a ensuite été traduit en arabe. Teta, Mother and Me : an Arab Woman’s Memoir, publié à Londres en 2005 puis à New York en 2006 avec le sous-titre Three generations of Arab Women, raconte l’histoire de sa grand-mère maternelle et des femmes de sa famille, au Proche-Orient et aux États-Unis. Bien qu’autobiographique, l’ouvrage explore aussi la vie des jeunes filles et des femmes du début du siècle. L’auteure y décrit l’émergence de la modernité arabe, l’évolution de la pensée et l’action féministe de cette époque.

Carmen BOUSTANI

MAKEBA, Miriam (ZENZILE MAKEBA QGWASHU NGUVAMA) [JOHANNESBOURG 1932 - CASTEL VOLTURNO, CAMPANIE 2008]

Chanteuse sud-africaine.

Sur le continent africain, Miriam Makeba reste un cas unique. Par sa voix, ses convictions et son engagement pour son peuple, elle a atteint une notoriété et une respectabilité inégalées. Pendant un demi-siècle, elle a parcouru le monde, porte-voix de la lutte anti-Apartheid, apôtre de l’antiracisme et de la paix. La chanteuse passe les six premiers mois de sa vie en prison aux côtés de sa mère, condamnée pour avoir fabriqué et vendu l’umquombothi, la bière artisanale. Son père décède quand elle a 6 ans. Elle est élevée dans le ghetto de Johannesbourg par sa grand-mère, joueuse de sanza, percussions et d’harmonica, mais aussi chanteuse, guérisseuse et voyante. Son influence est considérable et la petite fille chante dans les chorales d’école dès son plus jeune âge. À 13 ans, elle remporte une compétition dans une école de missionnaires. En 1948, elle a 16 ans lorsque l’Apartheid est déclaré et que les Noirs sont interdits d’école en Afrique du Sud. Elle devient domestique tout en continuant de chanter dès qu’elle le peut. En 1952, à 20 ans, elle chante avec le groupe de jazz des Manhattan Brothers, avec Dorothy Mazuka, sans doute auteure de Patapata, enregistrée par M. Makeba en 1956 et qui deviendra un succès planétaire. En 1959, après avoir fait partie du quartet féminin des Skylarks, elle intègre l’African Jazz and Variety. Repérée par le réalisateur Lionel Regosin, elle décroche un petit rôle dans le film Come Back Africa, où elle chante devant les membres de l’ANC dans une scène d’anthologie. Pour les besoins de la promotion, tous deux s’envolent ensuite à New York, où elle attire l’attention d’Harry Belafonte. Elle devient partie intégrante de la scène jazz black américaine où elle est surnommée la « Click Clik Girl ».En 1960, M. Makeba veut rentrer en Afrique du Sud pour assister aux funérailles de sa mère. Son passeport est échu et l’ambassade refuse de le lui renouveler. Trois ans plus tard, elle témoigne devant les Nations unies contre l’Apartheid et est officiellement bannie par le gouvernement de son pays. L’exil durera trente ans. En 1965, paraît le disque An Evening with Harry Belafonte & Miriam Makeba, enregistrement qui lui vaut un GrammyAward, le premier décerné à une femme noire. L’année suivante, elle sort Patapata en version anglaise et s’impose comme une Africaine émancipée, avec ses turbans et des cheveux crépus qu’elle refuse de lisser. Devenue une icône de la lutte pour les droits civils et la fierté africaine, elle épouse en 1968 son quatrième mari, Stokely Carmichael, leader des Black Panthers. Les Américains, qui jusque-là l’adulaient, la descendent en flammes en raison de cette union. Ses contrats et tournées sont annulés, le FBI la place sur écoute. Invitée par Sékou Touré, président de la Guinée, elle s’installe à Conakry pour quinze ans. Après avoir obtenu la nationalité guinéenne, elle monte un groupe et se met à chanter en malinké et en peul. Elle enregistre certaines de ses plus belles plages dans les studios Syliphone et orchestre alors une véritable révolution culturelle. En 1978, l’économie guinéenne est vacillante. Divorcée, la chanteuse arrête d’enregistrer et se retire dans le village de Dalaba pour s’occuper de ses petits-enfants. Après le décès de sa seule fille, Bongi, elle déménage en Europe. En 1987, elle participe à l’album Graceland de Paul Simon et publie son autobiographie, Makeba, My Story. La même année, elle est en tournée mondiale avec Paul Simon, Hugh Masekela et Ladysmith Black Mambazo, puis enregistre à New York l’album Sangoma. En 1990, elle foule à nouveau le sol d’Afrique du Sud, après trente et un ans d’absence. En 1996, elle sort le disque Homeland. Elle continue de tourner jusqu’en 2005, date à laquelle elle annonce qu’elle ne chantera plus que pour des causes auxquelles elle croit.

Elisabeth STOUDMANN

An Evening with Harry Belafonte & Miriam Makeba, RCA, 1965 ; PataPata, Live in Paris, Sonodisc, 1977 ; Sangoma, Warner, 1988 ; The Guinean Years, Stern’s Music, 2001 ; The Defintive Collection, Wrasse, 2002.

MAKEÏEFF, Macha [MARSEILLE 1953]

Metteuse en scène, plasticienne, directrice de théâtre française.

D’ascendance russe et italienne, Macha Makeïeff est élève au Conservatoire d’art dramatique de Marseille, puis étudie la littérature et l’histoire de l’art à Paris. Elle rencontre Jérôme Deschamps en 1978 ; ils fondent ensemble la compagnie Deschamps & Makeïeff et elle devient son assistante pour Les Oubliettes (1979). La même année, Antoine Vitez lui confie la mise en scène d’Un peu de musique pour Monsieur au Studio d’Ivry. Avec Deschamps, elle invente La Famille Deschiens, qui revivifie la notion du grotesque. Gens ordinaires, au physique banal, accoutrés de costumes démodés, inaptes à la vie moderne, ils n’ont rien pour plaire, mais avec La Veillée, Lapin-Chasseur, C’est magnifique, Les Pieds dans l’eau, Les Petits Pas, Le Défilé, Les Étourdis, ils promènent leurs maladresses dans le monde entier. Les Précieuses ridicules de Molière et L’Affaire de la rue de Lourcine de Labiche se retrouvent dans leur univers. Plasticienne, M. Makeïeff expose ses œuvres et a installé son atelier à Paris. Elle crée décors et costumes pour ses pièces et pour les opéras qu’elle met en scène avec Jérôme Deschamps : Jacques Offenbach, Mozart, Emmanuel Chabrier, Dmitri Chostakovitch, Darius Milhaud, Francis Poulenc, Francesco Cavalli, Georges Aperghis. Directrice artistique du Théâtre de Nîmes (2003-2008), elle s’est aussi consacrée à la restauration des films de Jacques Tati et à leur diffusion, organisant l’exposition de 2009 autour de son œuvre. Elle a publié des essais sur le théâtre et la poétique des objets, et a collaboré à différentes revues. Elle a présidé le fonds d’aide à l’innovation audiovisuelle au Centre national du cinéma (CNC) de 2009 à 2011. En 2010, elle a fondé sa propre compagnie de théâtre : la compagnie Mademoiselle. Elle a été nommée directrice du Centre dramatique national (CDN) de Marseille, la Criée, en janvier 2011. Elle aime « mélanger les disciplines » et, sur la thématique de l’Orient, a mis en scène une œuvre personnelle, Ali-Baba, en 2013.

Danielle DUMAS

MAKHALI-PHÂL (Nelly-Pierrette GUESDE, dite) [PHNOM PENH 1898 - PAU 1965]

Écrivaine française.

Fille d’une mère cambodgienne d’ascendance royale et d’un père fonctionnaire français, Makhali-Phâl arrive en France en 1916. Elle ne retournera jamais au Cambodge, mais le pays se place au centre de son œuvre. Poèmes, nouvelles et romans témoignent d’une tentative de créer un espace où le Cambodge légendaire rencontre la culture occidentale. Dans son poème Chant de paix (1937) prend souffle l’invocation d’un monde à venir, né d’une synthèse des mémoires anciennes et modernes d’ici et de là-bas. Le rythme incantatoire, proche de la prière bouddhiste, se retrouve dans sa poésie et sa prose. Le thème récurrent des danseuses cambodgiennes, dénué de tout exotisme, assume le ton d’une dénonciation qui dit les supplices souvent sanglants auxquels les jeunes filles étaient soumises.

Simona CRIPPA

Le Festin des vautours, Paris, Fasquelle, 1946 ; Le Roi d’Angkor, Paris, Albin Michel, 1952.

SERRANO R., « Makhali-Phâl and the perils of Métissage », in Against the Postcolonial, Oxford, Oxford University Press, 2005.

MA KHIN SU VOIR KHIN HNIN YU

MAKHMALBAF, Samira [TÉHÉRAN 1980]

Réalisatrice iranienne.

Samira Makhmalbaf joue à 7 ans dans Le Cycliste (Baysikelran, 1987), film réalisé par son père, Mohsen Makhmalbaf. Après deux courts-métrages personnels, elle devient sa première assistante en 1998 sur Le Silence (Sokout) et signe la même année La Pomme (Sib, présenté au Festival de Cannes en 1998), son premier long-métrage qui reconstitue avec justesse et sans moralisation un fait divers dramatique. En 2000, elle remporte le Prix du jury du Festival de Cannes avec Le Tableau noir (Takht-e siah), film âpre et audacieux qui tente de définir ce que représente l’idée de nation kurde en Iran. À cinq heures de l’après-midi (Panj-e ‘asr, 2003), film tourné en Afghanistan juste après la chute des talibans, est de nouveau invité à Cannes, en 2003, et vaut à Samira Makhmalbaf son deuxième Prix du jury. L’Enfant-Cheval (Asb-e dow-pa, 2008), son quatrième long-métrage, est également célébré par la critique internationale.

Agnès DEVICTOR

MAKIN, Bathsua (née REGINALD) [LONDRES 1600 - ID. 1675]

Essayiste féministe anglaise.

Fille d’un maître d’école d’origine modeste, Bathsua Makin reçoit une solide éducation en grec, latin, français, allemand, italien et espagnol. Elle épouse Richard Makin en 1621 et lorsque celui-ci perd ses entrées à la cour, elle y est admise comme tutrice d’Elizabeth, fille de Charles Ier, jusqu’à l’assassinat de cette dernière en 1650. En 1662, elle fonde sa propre école à Londres, et décède sans doute vers 1675. Si B. Makin commence par écrire dès sa jeunesse des poèmes qui révèlent sa grande culture, c’est comme essayiste et défenseure des droits des femmes à l’éducation qu’on doit se la rappeler, une activité dont témoigne son Essay to Revive the Ancient Education of Gentlewomen, in Religion, Manners, Arts & Tongues (« essai pour ranimer l’éducation classique des dames en matière de religion, de manières, d’art et de langues »), publié en 1980 à Los Angeles par The Augustan Reprint Society, de l’université de Californie.

Geneviève CHEVALLIER

TEAGUE F., Bathsua Makin, a Woman of Learning, Cranbury, Associated University Presses, 1998.

MAKURA NO SOSHI, NOTES DE CHEVET – LITTÉRATURE [Japon Xe-XIe siècle]

Les Notes de chevet (Makura no sōshi) ont été écrites entre la fin du Xe siècle et le début du XIe siècle. Essai, journal, mémoires ou dictionnaire personnel : les critiques diffèrent sur la définition du genre, eu égard à des styles si différents réunis sans ordre apparent. L’auteure, fille de Kiyohara no Motosuke, est surnommée Sei-shōnagon* ; son vrai nom reste inconnu. Elle a servi l’impératrice Fujiwara no Teishi, épouse de l’empereur Ichijō. C’est sur le cahier reçu de cette impératrice qu’elle a écrit les Notes de chevet. Dans la partie qui ressemble à un dictionnaire, par exemple sous la rubrique « Temple », on lit « Temple Tsubosaka, Temple Kasagi, Temple Hōrin… » ; sous la rubrique « Insecte », « le grillon, la cigale, le papillon, la luciole… ». Sei-shōnagon énumère tout ce qui lui paraît représentatif, presque sans explication. C’est une manière d’écrire convaincante uniquement pour les lecteurs qui partagent le même goût esthétique. Dans la partie « essai » sont décrits des plantes et des arbres du jardin, ou l’air affairé des servantes le lendemain du passage d’un typhon. Ou encore la psychologie d’un homme qui, ayant quitté sa femme sublime, a choisi une maîtresse disgracieuse. Les divers faits de la vie courante qui ont touché l’auteure sont saisis par un regard plein d’acuité. L’autre partie du livre se rapproche des mémoires quand elle décrit la conversation pleine d’esprit entre l’impératrice Teishi et ses frères dans le palais. En réalité, quittant la scène politique entre la fin du Xe siècle et le début du XIe siècle, les frères et la sœur de l’impératrice – la famille tout entière – ont été anéantis dans la mort violente ou dans la condamnation à l’exil avant l’achèvement des Notes de chevet. Sei-shōnagon a ainsi laissé, comme un beau souvenir, la trace de l’époque où cette famille était au sommet de la gloire. C’est la raison pour laquelle les Notes de chevet peuvent être classées sous le nom de littérature de salon autour de l’impératrice Teishi.

KATŌ MASAYOSHI

MALABOU, Catherine [SIDI-BEL-ABBÈS 1959]

Philosophe française.

Après l’École normale supérieure (Fontenay-Saint-Cloud), Catherine Malabou fait sa thèse sous la direction de Jacques Derrida en 1994 et la publie en 1996 sous le titre L’Avenir de Hegel. Plasticité, temporalité et dialectique. Maître de conférences à Paris Ouest-Nanterre puis professeure à l’université de Kingston au Royaume-Uni, elle enseigne régulièrement aux États-Unis comme Visiting Professor.

L’Avenir de Hegel note d’entrée de jeu la posture paradoxale qui marque la pensée singulière de la plasticité, concept essentiel dans l’œuvre de la philosophe. Il s’agit pour elle, de façon constante, de situer son propos entre la dialectique et la déconstruction, c’est-à-dire entre des formes supposées incompatibles de négativité. Le concept de « plasticité », qu’elle élabore à partir de la préface de la Phénoménologie de l’esprit, lui permet de naviguer dans cet entre-deux. Elle sollicite surtout ce qu’elle appelle « l’impératif hégélien de philosopher dans la langue » (Malabou 1996) pour transformer les termes Bildung, Bildsamkeit (« formabilité ») ou bildende Bewegung (« mouvement formateur ») en une désignation qui capte la performativité de l’action formatrice. Quoique Hegel n’emploie ni le mot Plastizität (depuis 1836) ni une scription avec z, indifférente au sens et au raisonnement engagé (Malabou : Plaztizität), la « plasticité » s’ajoute aux deux mots existants formés sur le même radical (le grec plassein, « mouler, former »), le substantif « la plastique » (die Plastik) et l’adjectif « plastique » (plastisch), et fait voir ce qui se meut dans toute Bildung performative. C. Malabou formule ainsi un raisonnement novateur qu’on peut saluer comme un langage nouveau (Derrida 1998 ; Martinon 2007). La plasticité caractérise la propriété de ce qui est « plastique », dans les beaux-arts et le domaine de la sculpture, notamment, c’est-à-dire de ce qui peut à la fois recevoir la forme (comme la terre glaise ou l’argile) et donner la forme (comme les arts ou la chirurgie). Si C. Malabou entend la plasticité hégélienne comme mode d’être du sujet, elle la reformule en mouvement de temporalité et la conjugue avec cet autre sens, destructeur, qu’est l’explosif « plastic ». La plasticité se situe donc au point de croisement du surgissement et de la disparition de toute forme. C. Malabou résiste à l’interprétation heideggerienne de la temporalité dialectique comme pensée du pur présent et accomplissement de la conception métaphysique, « vulgaire », du temps. Dans le Change Heidegger, du fantastique en philosophie (2004), elle retourne les perspectives et interroge précisément la temporalité « ekstatique » de Heidegger du point de vue de la transformation, c’est-à-dire de la plasticité de l’être. Elle reprendra ce thème en pointant la clôture de la pensée de l’être mais aussi de l’écriture et de la trace (J. Derrida) dans son ouvrage La Plasticité au soir de l’écriture (2005).

L’autre versant de la pensée de C. Malabou concerne l’exploration philosophique des découvertes récentes de la neurobiologie. En 2004 paraît Que faire de notre cerveau ? , qui interroge les rapports entre système nerveux et néo-management à partir d’une réflexion sur le livre de Luc Boltanski et Eve Chiapello, Le Nouvel Esprit du capitalisme (1999). Le cerveau plastique est-il l’image naturelle du capitalisme ou en est-il au contraire l’ennemi ? La distinction entre plasticité et flexibilité permet de pencher en faveur du second terme de cette alternative. Dans Les Nouveaux Blessés, De Freud à la neurologie, penser les traumas contemporains (2007), C. Malabou propose une analyse des traumatismes cérébraux et remet en question la conception freudienne de l’indestructibilité de la vie psychique.

De la formation à la destruction de soi, c’est donc, dans la pensée de Catherine Malabou, comme en attestent encore Ontologie de l’accident, Essai sur la plasticité destructrice (2009), Changer de différence (2009) et La Chambre du milieu, de Hegel aux neurosciences (2009), tout le registre de la métamorphose qui, entre ontologie et biologie, se déploie.

Eberhard GRUBER

MALAÏKA, Nazek AL- [BAGDAD 1923 - LE CAIRE 2007]

Poétesse irakienne.

Née dans une famille de lettrés passionnés de poésie, Nazek al-Malaïka compose très jeune des poèmes en arabe classique et dialectal, comme sa mère Selma al-Malaïka (1909-1953), elle-même poète. Diplômée de l’École normale supérieure de Bagdad et de l’université du Wisconsin en littérature comparée, elle enseigne dans les universités de Bagdad, de Bassora et de Mossoul, et devient critique littéraire. Après avoir fui le gouvernement du parti Baath, elle réside au Koweït jusqu’à son invasion par Saddam Husayn, puis s’installe au Caire en 1990. Dès 1959, la poétesse se fait remarquer à Beyrouth par ses innovations métriques – l’utilisation du vers libre – et son oscillation entre recherche d’absolu et angoisse du désenchantement. À l’avant-garde de la poésie arabe, elle prône, dans ses recueils, la révolte contre une poésie traditionnelle contraignante et déshumanisée, à une époque où se généralisent les critiques contre les institutions politiques figées. Dans ses essais critiques sur la poésie, elle explique que l’écriture en vers libres, emprunt à la poésie populaire irakienne, lui permet d’être en communion avec ceux qui souffrent. Préoccupée par les événements politiques d’Irak, elle se fait l’avocate des femmes, particulièrement de celles victimes des « crimes d’honneur » à qui elle dédie le poème « Ghasslan lil ‘ar » (« laver la honte ») – publié dans le recueil Chajarat al-qamar (« arbre de la lune », 1968) –, dans lequel elle fustige avec ironie les hommes qui s’en rendent coupables. Dans le poème « Ughniya el qamar » (« le chant de la lune ») – publié dans le recueil Qararat al-majwa (« dans le creux de la vague », 1957) –, ses doutes et son désespoir terrestre cèdent peu à peu la place à l’extase spirituelle qui la conduira à la sérénité et même à l’optimisme. Vers la fin de sa vie, sa poésie est de plus en plus dominée par la spiritualité. La poétesse reste admirée par l’ensemble du monde arabe pour la qualité de sa poésie, ses réflexions et son cheminement profondément humain.

Christian LOCHON

MALAISIE – LITTÉRATURE MODERNE [depuis 1920]

Monarchie constitutionnelle, la Malaisie est une fédération de 13 États et de 3 territoires fédéraux. Ancienne colonie britannique, elle est indépendante depuis 1957. Sa population est pluriethnique (Malais, les plus nombreux, Chinois, Indiens, Aborigènes). La religion officielle est l’islam (obligatoire pour les Malais seulement). Sa langue nationale est le malais (appelé « malaisien »). La littérature moderne commence au début des années 1920, sous l’influence, entre autres, de l’Occident. Bien qu’imprimée, elle est toujours en jawi (malais en caractères arabes), et ce jusque dans les années 1950-1960. Les hommes en sont les précurseurs. Les femmes, ayant eu accès à l’éducation après eux, apparaissent plus tard sur la scène littéraire.

La première œuvre féminine est la nouvelle Kesedihan Perkahwinan Paksa (« la tristesse du mariage forcé », 1934), de Hafsah. Le premier roman féminin est Cinta Budiman (« un amour raisonnable », 1941) de Rafiah Yusuf ; pratiquement introuvable, il n’a jamais été étudié. Certaines femmes ont aidé leurs consœurs à s’instruire et à accéder à l’écriture. Citons notamment Ibu Zain qui, grâce à son métier d’institutrice, a beaucoup œuvré pour la scolarisation des filles. De plus, les femmes pouvaient faire paraître des textes, en particulier des œuvres de fiction, dans la revue Bulan Melayu (1930-1941) publiée par le Persekutuan Guru-guru Perempuan Melayu Johore, l’association des institutrices malaises de Johor qu’elle a fondée en 1929. Jusqu’aux années 1950, les écrivaines sont peu nombreuses. Souvent, après avoir publié quelques œuvres, elles arrêtent d’écrire une fois mariées. Leurs sujets favoris sont les problèmes de famille, de couple, le mariage forcé, l’éducation. Leurs héroïnes se conforment généralement aux conventions sociales, acceptant le mari choisi par leurs parents. C’est le cas dans le roman Cincin Kahwin (« la bague de mariage », 1949), de Jahlelawati. D’autres, comme Kamariah Saadon, dans Panggilan Ibonda (« l’appel de la patrie », 1948), ou Rayuan Sukma, sa sœur cadette, dans Jiwa Kebangsaan (« esprit national », 1950), mêlent amour et nationalisme exacerbé depuis l’instauration par les Britanniques de la Malayan Union (1946). Teh Fatimah binti Abdul Wahab traite d’un sujet différent dans Megat Terawis (1951), première pièce malaisienne moderne. Il y est question de Megat Terawis, que le sultan de Perak nomme Bendahara (« Premier ministre ») pour le récompenser de lui avoir ramené sa fille enlevée par le souverain d’Aceh (nord de Sumatra) lorsqu’il attaqua Perak en 1579. On peut citer aussi Siti Mariam Nordin, écrivaine prolifique mais peu connue.

Après l’indépendance (1957), la condition des femmes s’améliore. Plus instruites et plus actives professionnellement, elles sont aussi plus conscientes des injustices qui leur sont faites ; le mariage n’est plus un obstacle à leur carrière littéraire. Les thèmes sont plus variés et les personnages féminins plus déterminés. Mis à part le thème, classique, de la femme qui souffre dans la famille, en particulier dans le mariage (Salmi Manja*), on trouve l’héroïne s’opposant avec vigueur aux valeurs traditionnelles de la société (Anis Sabirin*) ; celle pour qui les études priment (Khadijah Hashim*) et qui participe à la vie politique. Meniti Pelangi (« franchir l’arc-en-ciel », 1964), de Hamidah Hassan, est l’une des premières œuvres malaisiennes sur l’action politique des femmes malaises. Parmi les écrivaines de la même génération, citons encore Rokiah Abu Bakar, Salmah Mohsin, et Adibah Amin, la fille aînée de Ibu Zain, connue par son roman Seroja Masih di Kolam (« le lotus est encore dans la mare », 1968). L’année 1970 marque le début d’une grande stimulation littéraire (nombreux prix, manifestations). Le Dewan Bahasa dan Pustaka, institut chargé, depuis l’indépendance, de promouvoir la langue et la littérature malaises, et le Gapena, fédération nationale des associations d’écrivains malaisiens, en sont les moteurs. Le titre de sasterawan negara (« écrivain national »), la plus haute distinction littéraire, est créé, mais aucune femme n’est encore parvenue à accéder à ce statut. Quelques courants minoritaires apparaissent, notamment une tendance à l’absurde et le mouvement de la Sastera Islam (littérature islamique).

Les femmes, plus nombreuses désormais à écrire, diversifient leurs thèmes. Apparaissent ainsi, avant les années 1990, celui de la femme privilégiant les études, que traitent Zaharah Nawawi* ou Siti Hawa Mohd. Hassan dans son roman Perempuan di Lereng Gunung (« la femme sur le versant de la montagne », 1984) ; celui de la femme s’opposant à la tradition (les deux écrivaines précédentes et Fatimah Busu*) ; celui de la femme qui travaille (Khadijah Hashim), qui est indépendante, aimant voyager, accomplissant ce qu’elle entreprend avec passion (Siti Zainon Ismail*). Certaines écrivent sur la politique (Khadijah Hashim, Obasiah Haji Usman). D’autres, comme Azmah Nordin* et Rosmini Shaari, notamment dans Isteri (« l’épouse », 1988) et Janji (« la promesse », 1989), abordent encore les thèmes traditionnels de la dépendance des femmes. Siti Hawa Mohd. Hassan, dans son roman Ku Ingin Kasih Mu (« j’ai besoin de ton amour », 1982), présente même une épouse musulmane idéale, acceptant avec joie la présence d’une coépouse. Citons aussi pour les années 1970-1980 des écrivaines comme Rogayah A. Hamid, Siti Aisah Murad, Habsah Hassan, Intan Jaafar, Mashithah Haji Mohd Noor, Siti Rahmah G. Ibrahim. Zaihasra, dans Ballada Tun Fatimah (« la ballade de Tun Fatimah », 1986), relate en 12 poèmes en vers libres l’histoire tragique de ce personnage féminin tiré de Sejarah Melayu (« histoire malaise », 1612) ; la dramaturge Rahmah Bujang fait de la princesse Li Po, autre personnage féminin de Sejarah Melayu, l’héroïne de sa pièce Puteri Li Po.

Depuis les années 1990, et malgré la crise économique de 1997 suivie, en 1998, de la crise politique engendrée par « l’affaire Anwar Ibrahim » appelée reformasi comme en Indonésie, mais n’ayant pas entraîné ici de changement de régime, la production littéraire s’est poursuivie. Les femmes, plus nombreuses à écrire, sont souvent bénéficiaires des prix littéraires décernés. Leur image reste toutefois assez conventionnelle (surtout sous la plume des hommes). Certaines écrivaines la rehaussent en introduisant des héroïnes plus combatives : nationalistes, politiciennes, femmes d’affaires (Zaharah Nawawi, Khadijah Hashim, Azmah Nordin), et ouvertes sur le monde. Ainsi, dans sa nouvelle Petani Tua dari Karbala (« le vieux paysan de Karbala », 2003), Aminah Mokhtar se concentre sur les premiers jours de l’attaque de l’Irak par les États-Unis en 2003. Le plus souvent, cependant, ces héroïnes brillantes, ayant de très hautes fonctions, sont fortement attachées à leurs identités malaise et musulmane et encore soumises, dans leur vie privée, à des normes traditionnelles et religieuses. Anis Sabirin, en revanche, présente des personnages féminins véritablement autonomes. D’autres publient des romans historiques, telles Zaharah Nawawi ou Rosmini Shaari, avec Hujan Debu (« pluie de poussière », 1991), dont l’action se déroule sur presque un demi-siècle (de l’occupation japonaise à la fin des années 1980), ou puisent leur inspiration dans des œuvres malaises anciennes, comme Zurinah Hassan, avec Pujangga Tidak Bernama (« le poète sans nom », 1994), ou dans l’islam (Fatimah Busu). Parmi les écrivaines de cette période, citons encore Anis, qui introduit dans ses nouvelles une dimension philosophique, Amelia Hashim, Mahaya Mohd. Yassin, Mawar Shafei, Salmiah Ismail et Siti Zaleha Hashim. À côté de cette littérature « sérieuse », publiée pour la plupart par le Dewan Bahasa dan Pustaka, existe une littérature populaire peu étudiée, bien que particulièrement florissante ces dernières années, et dont le thème de prédilection est l’amour. Citons, parmi les romans féminins, Getaran Rindu (« vibration nostalgique », 2006), de Norzailina Nordin ; Tangisan Bulan Madu (« pleurs de la lune de miel », 2000), de Samsiah Mohd. Nor ; ou Mahligai Cinta (« le palais de l’amour », 2006), de Sri Diah.

Monique ZAINI-LAJOUBERT

MALALAÏ (ou MALALAÏ DE MAIWANDou MALALAÏ A) [KHIG 1861 - MAIWAND 1880]

Combattante afghane.

Faisant partie intégrante de l’histoire et de l’imaginaire afghan, Malalaï est célèbre pour avoir galvanisé les Afghans contre les Britanniques durant la bataille de Maiwand, en juillet 1880. Cette jeune fille pachtoune, connue également sous le nom de Malalaï de Maiwand ou Malalaï Anâ, est présente sur le champ de bataille pour distribuer l’eau et nettoyer les fusils. Voyant l’armée afghane perdre le moral en raison de l’écrasante supériorité de l’armée anglo-indienne, elle aurait retiré son voile en le brandissant tel un drapeau, et aurait ainsi donné la victoire à Ayyub Khan, le chef de l’armée afghane. Malalaï n’est mentionnée nulle part dans l’histoire britannique, mais elle figure dans les livres d’histoire afghane. Pour les Afghans, elle peut être comparée à Jeanne d’Arc*. Le prénom de Malalaï est couramment donné aux filles et de nombreux magazines portent son nom, de même que des institutions à Kaboul, tels le lycée de filles franco-afghan Malalaï, ou encore la maternité Malalaï, inaugurée le 15 octobre 2008. En 1959, le roi Zaher Shah a inauguré un monument appelé « Mina-e-Maiwand », avec l’inscription en pachto des mots que Malalaï aurait prononcé à la bataille de Maiwand : « Si tu n’es pas martyr à Maiwand, sache que tu seras vivant dans la honte. »

Claude SADOZAI et Homayun SADOZAI

MĂLĂNCIOIU, Ileana [GODENI, COMTÉ D’ARGEŞ 1940]

Poétesse et essayiste roumaine.

Dans sa thèse de doctorat Vina tragică (« la faute tragique » 1978), soutenue à l’Université de Bucarest, Ileana Mălăncioiu analyse le rapport entre la littérature et la vie. Elle travaille, depuis 1980, comme rédactrice de la revue Viaţa Românească (« la vie roumaine »). Le recueil Pasărea tăiată (« l’oiseau tué », 1967) annonce une poésie qui trouve ses repères symboliques dans l’univers rural : la montée des sterlets vers les sources de la rivière, le combat sauvage des béliers aux carrefours des chemins du village ou la recherche enfantine des nids d’oiseaux dans les creux des arbres… Les premiers frissons érotiques de l’adolescente y sont évoqués comme autant de mouvements rituels qui prolongent les cérémonies archaïques et se rattachent profondément aux mystères de la nature. Sa poésie suggère une attitude ambiguë face à ces petits événements : mélange d’étonnement et d’anxiété, sentiment de plénitude vitale et frustration, désir de protéger et d’être protégé, aspiration à la communion avec toutes les choses et conscience de la solitude dans la souffrance. Cette vision est partagée entre la soumission aux rythmes éternels de la nature et l’obsession de la souffrance et de la mort. Le sujet féminin de ses poèmes semble toujours tourné vers un au-delà à la fois fascinant et inquiétant. Le discours lyrique reste marqué en permanence par l’angoisse : c’est un chant d’amour, d’une sensualité presque morbide, associé à la recherche permanente d’une ascèse spirituelle. Eros et Thanatos se retrouvent dans une symbiose expressive dans plusieurs recueils qui évoquent les pratiques magiques paysannes et le conte populaire. Le recueil Urcarea muntelui (« l’ascension de la montagne », 1985) marque une étape particulière. Annoncé par un livre de 1983, Linia vieţii (« la ligne de la vie »), le motif lyrique de l’ascension de la montagne suggère la fascination d’une hauteur spirituelle en contraste radical avec le monde d’en bas, soumis aux compromis éthiques et aux trahisons. Des allusions assez transparentes au monde totalitaire y sont présentes : la montagne symbolique est une nouvelle « zone interdite », entourée de barbelés, mais qui incite d’autant plus les consciences libres à une ascension purificatrice. Toujours présent, le thème de la mort développe d’une manière encore plus accablante la vision d’un monde figé par un terrible gel universel : un désert hallucinant, où cohabitent les vivants et les spectres des défunts. Du romantisme funèbre initial jusqu’au seuil de l’expressionnisme, ce lyrisme est mis ainsi au service d’une confession souvent pathétique, d’un « je » qui s’interroge avec intensité sur un monde qui lui apparaît de plus en plus inquiétant. Après 1989, la poétesse est présente dans la presse roumaine avec des articles illustrant une conscience intellectuelle exigeante. Quelques recueils rassemblent cette production journalistique. Le livre Recurs la memorie (« recours à la mémoire », 2003) réunit des confessions et des portraits littéraires, sous forme de dialogues avec un confrère critique. Ses œuvres complètes ont été couronnées par le prix Mihai-Eminescu.

Ion POP

À travers la zone interdite (Peste zona interzisă, 1979), Bucarest, Eminescu, 1984.

GRIGURCU G., Poezie română contemporană, vol. 2, Laşi, Convorbiri Literare, 2000 ; NEGRICI E., Introducere în poezia contemporană, Bucarest, Cartea Românească, 1985 ; SIMION E., Scriitori români de azi, vol. 3, Bucarest, Cartea Românească, 1983.

MALANI, Nalini [KARACHI 1946]

Peintre et artiste multimédia indienne.

Née dans l’empire des Indes britanniques, Nalini Malani grandit à Calcutta, puis à Bombay où s’est installée sa famille après la partition de l’Inde. Pendant ses études supérieures à la Sir J. J. School of Art de Bombay (1964-1969), elle occupe jusqu’en 1967 un atelier au Bhulabhai Memorial Institute, lieu d’interaction culturelle et intellectuelle. De 1970 à 1972, elle vit et travaille à Paris, grâce à une bourse du gouvernement français. En 1981, elle participe à sa première exposition majeure Place for People (« lieu pour le peuple », Jehangir Art Gallery, Bombay, puis Rabindra Bhavan Galleries, New Delhi). Concernée par les problématiques féministes, elle y expose des œuvres à connotation autobiographique de la série His Life (« sa vie », 1979-1984), dans lesquelles elle explore les relations au sein de la cellule familiale et leurs effets sur ses membres féminins. Ses personnages sont des masses ondulantes, dont le corps est appréhendé de façon palpable grâce à une touche nerveuse, et ses aquarelles (1983-1984) montrent des séquences de corps en mouvement dans un espace neutre. Le dessin et la peinture demeurent toujours la base de son travail, mais, au cours des années 1990, elle varie supports et techniques. City of Desires (« ville des désirs », 1992, installation, Gallery Chemould, Bombay) marque le début de ses nouvelles expérimentations. L’artiste collabore à des projets théâtraux où se mêlent peinture, vidéo, installations, sculpture au néon, musique et performance théâtrale, comme le projet Medea (Max Mueller Bhavan, Bombay, 1993), basée sur la pièce de Heiner Mueller et son interprétation de la relation sadomasochiste entre Médée et Jason, métaphore du colonisé et du colonisateur. Bien que l’art de N. Malani, à forte charge psychanalytique, soit politiquement et socialement engagé, l’artiste se place cependant toujours en médiatrice.

Judith FERLICCHI

Nalini Malani (catalogue d’exposition), Kissane S., Pijnappel J. (dir.), Milan/Dublin, Charta/Irish Museum of Modern Art, 2007 ; Nalini Malani : Splitting the Other, Retrospective 1992-2009 (catalogue d’exposition), Ostfildern/Lausanne, Hatje Cantz/musée cantonal des Beaux-Arts, 2010.

KAMALA K., « Missives from the streets : the art of Nalini Malani », in ArtAsiaPacific, vol. 2, no 1, 1995.

MALARME, Charlotte (née DE BOURNON, comtesse DE) [METZ 1775 - LA CHAPELLE-EN-SERVAL 1830]

Romancière française.

Sœur du minéralogiste Jacques-Louis de Bournon, elle épouse Jean-Étienne Malarme avant la Révolution. En 1782, elle est embastillée pour avoir écrit avec Cahaisse un libelle, Le Fripon parvenu. Pendant les massacres de Septembre, elle est prise de convulsions après avoir vu à sa fenêtre la tête coupée de la princesse de Lamballe. Avec sa famille, elle émigre en Suisse et rentre, ruinée, sous le Directoire. La littérature devient alors son moyen de subsistance. Auteure prolifique, Mme de Malarme publie une quinzaine de romans, souvent traduits ou imités de la mode anglophile, qui illustrent les valeurs de la morale bourgeoise – ordre, famille, travail – et célèbrent le triomphe de la vertu récompensée : Clarence Weldone ou le Pouvoir de la vertu (1780) ; Anna-Rose-Trée, histoire anglaise (1783) ; Tout est possible à l’amitié (1786). Après la Révolution, elle subit l’influence du roman noir : Théobald Leymour ou la Maison murée (an VII) ; Miralba, chef des brigands (an VIII) ; Les Deux Borgnes (an XI). Ses œuvres reposent sur des personnages stéréotypés et des intrigues souvent répétitives, au dénouement prévisible, qui jouent sur l’effet sériel attendu par son lectorat.

Geneviève GOUBIER

KRIEF H., Vivre libre et écrire, anthologie des romancières de la période révolutionnaire 1789-1800, Oxford, Voltaire Foundation, 2005 ; OMACINI L., Le Roman épistolaire français au tournant des Lumières, Paris, H. Champion, 2003.

MALASARTES – LIBRAIRIE [Brésil XXe-XXIe siècle]

Maura SARDINHA et Ligia VASSALLO

MALATERRE-SELLIER, Germaine [PARIS 1889 - ID. 1967]

Féministe et suffragiste française.

MALATESTA DA MONTEFELTRO, Battista (sœur GIROLAMA) [V. 1383 - URBINO 1450]

Philosophe italienne.

Fille de la comtesse Agnesina di Giovanni et du comte d’Urbino, Antonio da Montefeltro, Battista Malatesta da Montefeltro reçoit une éducation raffinée et compose, depuis son jeune âge, des vers en latin dans le style pétrarquiste et écrit des lettres dont quelques fragments seulement nous sont parvenus (1427-1445). Elle se marie, en 1405, à Galeazzo Malatesta, l’un des derniers nobles de Pesaro, et donne naissance à une fille à laquelle elle dispense une éducation humaniste. Des contradictions demeurent parmi les sources qui nous informent sur sa vie et sur ses textes. Elle prononce une oratione publique au pape Martin V lors de son élection en 1417. Elle fait des lectures publiques de textes de philosophie et montre ses capacités dialectiques dans les vifs débats de l’époque. Elle éduque sa petite-fille, Costanza da Verano, également célèbre pour ses capacités d’oratrice. Sa correspondance révèle sa forte personnalité et des hommes célèbres lui témoignent leur admiration. Ainsi, Lorenzo Bruni fait l’éloge de ses orationes et lui dédie le texte De studiis et litteris liber ad dominam Baptistam de Malatestis (1424). Le successeur de Martino V, le pape Eugène IV, est moins favorable aux Malatesta. Réfugiée à Urbino, B. Malatesta da Montefeltro prononce, en 1433, une oratione destinée à l’empereur Sigismond, de passage dans la ville, pour lui demander d’intervenir en faveur du retour des Malatesta à Pesaro, ce qu’elle obtient. Après 1443, elle entre dans l’ordre des sœurs de Foligno, avec le nom de S. Girolama. C’est sans doute à cette période qu’elle rédige De vera religione et De humanae conditionis fragilitate, malheureusement disparus. B. Malatesta da Montefeltro développe une réflexion spirituelle sur les thématiques liées à la religion. Son œuvre, écrite en latin et en italien, se partage entre prose et poésie.

Chiara PALERMO

MALBULL VOIR ALBERT-LASARD, Lou

MALDONADO, Fátima [SANTO-AMARO 1941]

Poétesse, critique littéraire et journaliste portugaise.

Figurant au nombre des poètes les plus respectés de la génération apparue dans les années 1980 au Portugal, Fátima Maldonado, après avoir été responsable de la critique littéraire à l’Expresso, fait ses débuts en poésie avec Cidades indefesas (« villes sans défense », 1980), qui dénonce d’emblée l’héritage expressionniste. Cette première série de textes révèle l’un des traits les plus caractéristiques de son écriture : une écriture à teneur explicitement érotique, un confessionnalisme réinventé par la condition féminine, portant à l’expiation ou à la transfiguration du quotidien. Plus qu’à une reconstruction du réel, le poème travaille à l’inscription d’images fortes, souvent inattendues ou lascives, ponctuant les restes des petites et grandes guerres de l’existence (Cadeias de transmissão [« chaînes de transmission »], 1999) ; cette force des images semble rappeler, grâce à l’écriture parfois acharnée et perturbante, la menace que constitue le propre « réel » intérieur, ancré dans le privé, l’intime, au plus profond des entrailles (Vida extenuada [« vie exténuée »], 2008). Dans l’œuvre de la poétesse, ces expériences, même lorsqu’elles ne sont pas sexuelles, sont viscéralement corporelles (Cadeias de transmissão) ; elles donnent un autre lustre au corpus textuel et réordonnent la matière verbale en un jeu risqué d’approximations, de nonsense et de lieux communs. Tels les motifs bibliques travaillés par les résonances d’une sexualité débordante, qui constituent le refrain du poème « A adoração dos magos » (« l’adoration des mages »), publié dans Os presságios (« les présages », 1983). C’est dire que l’abord intimiste et la volupté des poèmes, que soutiennent le souci rythmique ainsi qu’un raffinement lexical attentif aux saillies du détail, n’adoucissent en rien le regard presque clinique de l’écrivaine ni ses impétueuses visions capables de dénoncer les vulgarités les plus insolites. Contre un monde exténué, elle impose aussi la voix excitante de l’écriture grâce à l’intransigeance de la métrique et de la prosodie. Loin des conventions, elle fait de la langue rebelle la dépositaire des chagrins et des dépouilles de l’humain − ses vices et ses horreurs. Ces violences du verbe et de la pensée font de F. Maldonado une écrivaine singulière parmi les autres poètes de sa génération.

Hugo MENDES AMARAL

LIMA I. P. de (dir.) Vozes e olhares no geminino, Porto, Afrontamento, 2001.

MALDONADO, Sor Juana DE VOIR JUANA DE MALDONADO, Sor

MALDOROR, Sarah (née DUCADOS) [CANDOU 1938]

Réalisatrice française.

Née en France métropolitaine, la Guadeloupéenne Sarah Maldoror, la plus célèbre des cinéastes antillaises et africaines, est l’auteure du premier long-métrage tourné par une femme en Afrique. Désireuse de devenir actrice, elle se rend à Paris pour suivre les cours au Centre d’art dramatique de la rue Blanche. Cofondatrice de la compagnie d’art dramatique Les Griots à Paris, en 1956, elle est très engagée dans les luttes africaines pour l’indépendance. Au début des années 1960, la jeune femme part étudier le cinéma au VGIK de Moscou, où elle rencontre Ousmane Sembene. Elle est l’assistante de Gillo Pontecorvo sur son célèbre film La Bataille d’Alger (1966), puis celle de l’Algérien Ahmed Lallem, la même année, sur son documentaire Elles, avant de tourner son premier film, Monagambée (1968), sur la torture exercée par l’armée française en Algérie. Le film sera sélectionné à Cannes dans la Quinzaine des réalisateurs et primé dans différents festivals en France (Dinard) et en Afrique (Carthage et Fespaco). Épouse de Mário de Andrade, figure de proue du Mouvement populaire de libération de l’Angola, S. Maldoror tire du roman de José Luandino Vieira, La Vraie Vie de Domingos Xavier (publié en 1971), un scénario qu’elle coécrit avec son mari : tourné au Congo et réalisé grâce à l’avance sur recettes et à l’aide de l’Agence de coopération culturelle et technique, Sambizanga sort en 1972, la même année que le premier film d’une Africaine (La Passante, Safi Faye*). Devenu un classique du cinéma militant africain, Sambizanga reçoit des prix à Carthage et au Fespaco. Le succès de ses premiers essais n’empêche guère S. Maldoror de rencontrer des difficultés pour mener à bien ses projets suivants. Tous ses films portent sur les luttes pour l’indépendance en Afrique et dénoncent l’oppression coloniale. Auteure d’un grand portrait d’Aimé Césaire (Aimé Césaire, le masque des mots, 1987), elle devient dix ans plus tard le sujet du film d’Anne-Laure Folly* : Sarah Maldoror ou la Nostalgie de l’utopie (1998), qui illustre son rôle de modèle pour des générations de cinéastes en Afrique et ailleurs.

Brigitte ROLLET

MALENŠEK, Mimi (née KONIČ) [DOBRLA VAS-EBENDORF, AUTRICHE 1919 - LJUBLJANA 2012]

Romancière slovène.

Élevée par son père et ses grands-parents, Mimi Malenšek prit avec eux goût à la lecture dès le plus jeune âge. Malgré d’excellents résultats au lycée et un intérêt particulier pour l’histoire et l’histoire de l’art, sa famille, d’origine paysanne, n’eut pas les moyens de lui payer des études universitaires. Elle suivit alors des cours de commerce puis de bibliothécaire, avant de travailler comme employée de banque. Mariée en 1939 à Rihard Malenšek, fils d’un entrepreneur aisé, elle fut bientôt confrontée à des difficultés matérielles lorsque le régime communiste leur confisqua tous leurs biens à la fin de la guerre. Elle exerça comme bibliothécaire, sans jamais renoncer à l’écriture. Elle vécut finalement de sa plume durant plusieurs décennies, fait rare en Slovénie qui ne compte que 2 millions de locuteurs. Son premier texte, Pesem polja (« poème des champs », 1937), paraît dans un petit journal local. Pour l’ensemble de ses œuvres, elle s’inspire de deux courants traditionnels de la littérature slovène, le roman historique et le roman biographique. L’histoire toute proche est abordée dans le roman Temna stran meseca (« la face obscure de la lune », 1960), où l’auteure évoque la lutte fratricide que se livrèrent les Slovènes pendant la Seconde Guerre mondiale. Ceci lui valut une longue impossibilité de publier. En 1957, M. Malenšek fait paraître Plamenica (« le flambeau »), consacré à l’auteur protestant Primož Trubar. Dans Inkvizitor (« inquisiteur », 1957), elle explore la figure de l’évêque chargé de « recatholiciser » le territoire au début du XVIIe siècle. Poslušaj, zemlja (« Terre, écoute », 1968) évoque le compositeur baroque Jacobus Gallus, alors que Pojoči labodi (« les cygnes qui chantent », 1970-1971) parle des poètes Dragotin Kette et Josip Murn-Aleksandrov. Dans Zlati roj (« l’essaim d’or », 1998), elle décrit la vie et l’époque d’Anton Janša, peintre et maître apiculteur au XVIIIe siècle. Pour clore son œuvre romanesque, elle publie en 1992 Pesnikov nokturno (« le nocturno du poète »), dédié au poète France Prešeren. On lui doit également quelques romans sur la vie contemporaine, par exemple Senca na domačiji (« ombre sur le domaine », 1956), évocation de la vie paysanne avec ses hiérarchies et ses amours contrariées, ou Ujeti v času (« prisonniers du temps », 1978), qui décrit la vie des intellectuels et bourgeois de Ljubljana. Elle pratiquait également l’art d’être grand-mère en écrivant pour la jeunesse. Ses personnages vivent quantité d’aventures, la plupart du temps dans des terres lointaines. Avec plus d’une trentaine de romans, M. Malenšek, dont la formation a été entièrement autodidacte, est l’auteur slovène le plus prolifique et l’un des plus lus dans son pays. Toute sa vie elle est restée fidèle à un style classique, qui a résisté aussi bien au réalisme socialiste et aux idées collectivistes qu’aux divers modernismes. Cette constance, cette fidélité à une pensée humaniste et patriotique qui l’a empêchée d’entrer dans les anthologies et dans les bonnes grâces des classiques de la littérature font pourtant de M. Malenšek une grande dame de la littérature slovène.

Antonia BERNARD

HOČEVAR K., « Pisateljica s 33 knjigami », in Družina, 15 fév. 2009.

MALET, Lucas (Mary SAINT-LEGER HARRISON, née KINGSLEY, dite) [EVERSLEY 1852 - TENBY 1931]

Romancière britannique.

C’est sous le pseudonyme de Lucas Malet que la fille de Charles Kingsley, célèbre auteur britannique, publie tous ses romans. Tenue éloignée des romans jusqu’à l’âge de 20 ans par son père, elle fait preuve de talent artistique et s’intéresse au mouvement des préraphaélites, mais la possibilité d’une carrière est interrompue par son mariage avec un ami de son père, William Harrison, qu’elle quitte toutefois très vite. Elle se consacre à l’écriture dès 1878. Elle est l’auteure d’une vingtaine de romans et de nouvelles, où se mêlent des histoires à sensation avec adultères et meurtres, mais qui tiennent aussi de la satire, de l’analyse psychologique et de la critique sociale, mettant en scène des femmes en quête de leur identité et des personnages à la recherche d’un statut. Le héros du roman le plus célèbre de L. Malet, The History of Sir Richard Calmady : a Romance, est un homme handicapé entouré de dangereuses femmes de pouvoir ; ce roman gothique, associant historique et surnaturel, illustre bien volonté de son auteure de déjouer les attentes du lectorat puritain.

Geneviève CHEVALLIER

MALETI, Gabriella [MARANO SUL PANARO 1942]

Photographe, vidéaste, écrivaine et éditrice italienne.

Résidant à Florence, Gabriella Maleti a débuté sa carrière dans les années 1970 en tant qu’auteure de vers et de récits pour se diversifier par la suite avec des productions visuelles et audiovisuelles. Aujourd’hui, elle alterne écriture, photographie et vidéo, avec une attention particulière portée au mystère de la douleur. Elle est rédactrice de la revue L’Area di Broca et dirige, avec Mariella Bettarini*, les éditions florentines de poésie Gazebo. Outre divers poèmes et récits publiés dans des quotidiens, des revues et des anthologies, elle a réalisé de nombreux recueils de poésie : Famiglia contadina (« famille paysanne », 1977) ; Il cerchio impopolare (« le cercle méconnu », 1980) ; Madre padre (« mère père », 1981) ; Il viaggio (« le voyage », 1986, avec M. Bettarini) ; La flotta aerea (« la flotte aérienne »), Memoria (« Mémoires », 1989) ; Fotografia (« photographie », 1999) ; Nursia (« Nursia », 1999, avec M. Bettarini). Enfin, elle est également l’auteure de textes en prose : Morta famiglia (« famille décédée », 1991) ; Due racconti (« deux récits », 1995) ; Amari asili (« tristes crèches », 1995) – traduit en anglais par les éditions Carcanet en 1999 –, Parola e silenzio (« mots et silence », 2004) ; Trialogo (« trialogue », 2006, avec M. Bettarini et Giovanni Stefano Savino).

Maria Valeria CICOGNA

MALETTRA, Françoise [PARIS XXe siècle]

Journaliste, productrice de radio et traductrice française.

Avant de faire ses études en France, Françoise Malettra grandit en Italie avec sa mère et suit des cours au conservatoire de Milan. En dix années à France Musique et plus de trente à France Culture, jusqu’en 2004, elle propose et réalise un nombre impressionnant d’émissions de haute qualité où elle interviewe musiciens, savants, écrivains, philosophes : Musicomania ; Le Bon Plaisir ; Les Démones ; Exploration des bibliothèques ; Un homme, une ville ; Les Universités de l’universel L’originalité de ces programmes tient au fait que la journaliste rencontre les artistes et penseurs dans leurs lieux de vie, d’action, de mémoire, explorant leurs relations avec d’autres personnalités et avec la musique, liée pour elle « à toutes les connaissances et à tous les arts ». Elle est ainsi précurseure de nombre d’émissions, y compris télévisées. Elle part dans le Grand Nord avec Jean Malaurie, interviewe Václav Havel à Prague en pleine révolution de velours, construit une émission autour d’un concert de Yehudi Menuhin dans la prison de Toul, ou encore retransmet en direct une transplantation cardiaque du professeur Christian Cabrol. F. Malettra est également traductrice de l’italien, notamment de l’auteure Marisa Volpi* (Cavalier sans destin, 1996).

Catherine GUYOT

MALEWSKA, Hanna [JORDANOWICE 1911 - CRACOVIE 1983]

Écrivaine polonaise.

Étudiante en histoire à l’université catholique de Lublin (KUL), Hanna Malewska publie, en 1933, un roman, Wiosna grecka (« le printemps grec »), évoquant la jeunesse sportive de Platon. À partir de 1935, elle enseigne l’histoire et la philosophie dans un lycée de Varsovie. Pendant la guerre, elle exerce de hautes responsabilités au sein de l’armée de Résistance intérieure (AK) et participe à l’insurrection de Varsovie. En 1944, elle s’installe à Cracovie, où elle collabore à des journaux catholiques, Tygodnik Powszechny et Znak (« le signe »), et fait partie des fondateurs du Club de l’intelligentsia progressiste catholique (KPIK). Dans les années 1970, elle soutient l’édition clandestine ainsi que les ouvriers grévistes réprimés. Le roman Żelazna korona (« la couronne de fer », 1937) brosse le portrait de l’empereur Charles V et l’ouvrage suivant, Kamienie będą wołać (« les pierres crieront », 1946), pour lequel elle a recueilli des matériaux lors d’un séjour en France en 1938, se penche sur le sort des bâtisseurs de la cathédrale de Beauvais. Le cycle de nouvelles composant le recueil Stanica (« la place fortifiée », 1947) annonce son œuvre majeure, à savoir une vaste fresque épique consacrée à la chute de l’Empire romain : Przemija postać świata (« ainsi passe la forme du monde », 1954). À l’inverse, Opowieść o siedmiu mędrcach (« l’histoire des sept sages », 1959) traite de la naissance de la culture grecque. Les œuvres ayant pour thème l’histoire polonaise occupent une place à part dans la création de H. Malewska. En 1947, elle retrace le destin du grand poète du XIXe siècle Cyprian Kamil Norwid dans Żniwo na sierpie, Powieść o Norwidzie (« la moisson sur la faucille, roman sur Norwid »). Dans le roman Panowie Leszczyńscy (« les sieurs Leszczyński », 1961), elle propose une vision du XVIIe siècle polonais en rupture avec celle de la Trilogie d’Henryk Sienkiewicz. Enfin, le roman-chronique Apokryf rodzinny (« apocryphes familiaux », 1965) est consacré à la généalogie de l’intelligentsia polonaise ainsi qu’aux mutations de la culture nobiliaire de la fin du XVIIIe siècle jusqu’à l’époque contemporaine. Elle est également l’auteure d’un ouvrage futuriste : Labirynt. LLW, czyli co się może zdarzyć jutro (« labyrinthe. LLW, c’est-à-dire ce qui pourrait advenir demain »).

Piotr BIŁOS

GŁĄB A., Ostryga i łaska, Cracovie, Znak, 2009 ; MICHNIK A., « Wiara i odmowa », in ID., Z dziejów honoru w Polsce, Varsovie/Le Mesnil-le-Roi, Instytut literacki, 1985 ; SULIKOWSKI A., Pozwolić mowić prawdzie, O twórczości Hanny Malewskiej, Lublin, KUL, 1993.

MALFATTI, Anita [SÃO PAULO 1889 - ID. 1964]

Peintre brésilienne.

Anita Malfatti est considérée comme la pionnière du mouvement moderniste au Brésil. De 1910 à 1914, elle perfectionne ses études d’art à l’Académie royale des beaux-arts de Berlin, où elle est influencée par le goût expressionniste de ses professeurs, notamment Ernst Bischoff-Culm et Lovis Corinth. Elle commence à pratiquer la gravure sur métal et se consacre surtout aux portraits, qu’elle peint avec des couleurs vives et de larges touches de peinture. Sa première exposition personnelle a lieu à São Paulo en mai 1914. Elle part ensuite un an à New York suivre les cours d’Homer Boss à l’Independent School of Art, où elle se lie avec de nombreux artistes, réfugiés de guerre. C’est dans cette atmosphère d’échanges et de liberté modernistes qu’elle réalise ses œuvres les plus connues : A Estudante russa (1915), Torso/Ritmo (1915-1916), O Homem amarelo (1915-1916), caractérisées par une profonde connaissance du corps humain et de ses déformations, ainsi qu’un style cubiste. Les contours du dessin se libèrent de la ligne classique pour devenir d’épais traits noirs qui transforment les figures en masses volumineuses. A. Malfatti réalise plusieurs pastels et des illustrations pour Vanity Fair et Vogue, avant de revenir au Brésil pour sa deuxième exposition personnelle, en décembre 1917 ; elle y est néanmoins fortement critiquée par la presse locale pour son langage jugé trop moderne. La reconnaissance viendra grâce à la Semaine de l’art moderne en 1922, au cours de laquelle les modernistes brésiliens, réunis dans le groupe des Cinq (Tarsila do Amaral [1886-1973], Mário de Andrade, Menotti del Picchia, Oswald de Andrade et elle-même) sont enfin appréciés. L’année suivante, elle part à Paris et expose à plusieurs reprises au Salon d´automne et au Salon des indépendants, entre 1924 et 1928. Au fil du temps, son style évolue vers la simplicité de la peinture primitive ; son art devient naïf ; son intérêt se porte sur les fleurs et les scènes de vie courante. Sa première rétrospective a lieu en 1949, au musée d’art de São Paulo Assis Chateaubriand. Elle participe à la Biennale internationale de São Paulo en 1951 et 1963. En 2010, le centre culturel Banco do Brasil organise une exposition qui marque le 121e anniversaire de sa naissance.

Lucia PESAPANE

Anita Malfatti e seu tempo (catalogue d’exposition), Rio de Janeiro, Centro cultural Banco do Brasil, 1996 ; Anita Malfatti, 1889-1964 (catalogue d’exposition), São Paulo, Museu de Arte contemporânea, 1977 ; Tomei a liberdade de pintar a meu modo, São Paulo, Magma, 2007.

MALIBRAN, María-Felicia (née GARCÍA SITCHES) [PARIS 1808 - MANCHESTER 1836]

Soprano française.

Fantasque, généreuse, géniale et intensément dramatique, María-Felicia Malibran est devenue en peu de temps l’une des cantatrices les plus fameuses du XIXe siècle, connue en son temps pour son dévouement héroïque à son public, entrée de son vivant dans la légende. Fille du célèbre ténor espagnol Manuel García, elle est la sœur aînée de Pauline Viardot*. Son père lui impose un enseignement impitoyable, tant par son rythme que par son exigence ; il la pousse sur scène dès l’âge de 6 ans, à Naples, à ses côtés dans Agnese de Ferdinando Paër. À 17 ans, elle est choriste au King’s Theatre de Londres, où elle fait ses vrais débuts sur scène en 1825, avec l’Italian Opera Company dans Le Barbier de Séville de Rossini. Elle se produit ensuite à New York, au Park Theatre, dans le même rôle de Rosine. À l’automne 1827, elle retourne en Europe, où elle participe à la création de Maria Stuarda (Marie Stuart*) de Gaetano Donizetti, et se produit l’année suivante à l’Opéra de Paris. Elle conserve le nom de son premier époux pour la scène et reste dans la mémoire collective comme La Malibran. Castil-Blaze décrit sa voix de large mezzo-soprano : « Vivacité, justesse, audace dans l’attaque, gammes chromatiques ascendantes de quinzième, arpèges, traits éblouissants de force, de grâce ou de coquetterie, tout ce que l’art peut faire acquérir, elle le possédait. » Elle a également composé plusieurs romances et ballades. Mais son nom reste étroitement associé aux opéras de Rossini, Meyerbeer, Bellini. Ce dernier écrivit pour elle une seconde version de ses Puritani pour l’adapter à sa voix de mezzo-soprano.

Bruno SERROU

BARBIER P., La Malibran, reine de l’opéra romantique, Paris, Pygmalion, 2005 ; DESTERNES S., La Malibran et Pauline Viardot, Paris, Fayard, 1969.

MALINA, Judith [KIEL 1926]

Actrice américaine d’origine allemande.

Issue de la diaspora israélite, Judith Malina s’installe à New York avec sa famille en 1928. Passionnée de théâtre, elle s’inscrit en 1945 à la New School for Social Research, où elle suit les cours d’Erwin Piscator, imprégnés des conceptions de Bertolt Brecht sur la distanciation théâtrale. Avec Julian Beck, son mari, elle partage les engagements d’un théâtre politique subversif et fonde, en 1947, le Living Theatre, compagnie d’inspiration libertaire. À la suite de difficultés avec les services fiscaux américains, ils s’éloignent des États-Unis, parcourent l’Europe, créant des spectacles avec leur compagnie. Paradise now est le manifeste qu’ils vont jouer en Amérique et qu’ils présentent au Festival d’Avignon en 1968, récupérant la contestation à un moment providentiel. Après un séjour au Brésil où ils connaissent des démêlés judiciaires et la dissolution de la compagnie, ils reconstituent un nouveau Living Theatre qui se maintient jusqu’à la mort de Beck en 1985. Hanon Reznikov, membre de la troupe, le remplace et épouse Malina en 1988. Depuis, elle interprète des rôles secondaires dans quelques films et participe à des réalisations multimédias expérimentales et avant-gardistes. Elle joue en 2006 le rôle de la Princesse dans Opérette, de Witold Gombrowicz, avec le Mama Theatre de New York sous la direction de Zishan Ugurlu. En 1972, elle publie les textes de son journal des années 1968 à 1969, et en 1984 ceux des années antérieures.

Mireille DAVIDOVICI et Noëlle GUIBERT

The Enormous Despair. Diaries 1968-1969, New York, Random House, 1972 ; The Diaries of Judith Malina. 1947-1957, New York, Grove Press, 1984.

LEBEL J.-J., Living Theatre, entretiens avec Julian Beck et Judith Malina, Paris, Belfond, 1969.

MALINALLI TENEPAL, Malintzin (ou LA MALINCHE) [GUAZACUALCO 1496 - ID. V. 1529]

Princesse mexicaine, interprète durant la conquête de l’empire aztèque par les Espagnols.

Personnage controversé, à la fois victime et héroïne, « la Malinche », qu’on appelle aussi « la Chingada » (femme violée par l’étranger) est majoritairement considérée au Mexique comme un symbole de la trahison, bien qu’elle soit également honorée en tant que fondatrice de leur identité. À la mort de son père, seigneur de Painala (dans l’actuelle région de Veracruz), sa mère l’écarte du rang qui lui revient en faveur du fils qu’elle a de son nouveau mari. Elle remet Malintzin à des commerçants de Xicalango qui, suite à une bataille perdue, l’offrent en guise de tribut aux Mayas de Potonchán, lesquels la livrent à leur tour aux mains de Hernan Cortès, après la bataille de Cintla en 1519. Attiré par la beauté de la jeune femme, le conquistador en fait sa maîtresse. Parlant le nahuatl et le maya, elle tient alors à ses côtés le rôle d’interprète, puis de conseillère, alors qu’ils prennent le chemin de la capitale aztèque de Tenochtitlan. Si ce rôle de médiatrice lui confère le statut de traîtresse, d’aucuns pensent que Malintzin aurait permis de sauver plusieurs milliers d’Indiens en favorisant les négociations entre les Espagnols et les divers clans indigènes. Elle est baptisée Marina (pour marquer leur respect, les Espagnols l’appelleront Doña Marina), et donne naissance à Martín Cortès, le premier métisse de sang espagnol et indien. Une fois consolidée la conquête par les Espagnols, la loi interdit les unions des conquistadors avec des indigènes et H. Cortès doit officiellement se séparer de Malintzin. Il la marie au soldat Juan Jaramillo, et de cette union naît une fille, María.

Luisa BALLESTEROS ROSAS

MALINCONI, Nicole [DINANT 1946]

Écrivaine belge d’expression française.

Deux éléments semblent avoir provoqué l’entrée en écriture de Nicole Malinconi : en 1984, la perte de son emploi d’assistante sociale à la maternité provinciale de Namur, où elle écoutait les femmes venues accoucher ou se faire avorter, et la lecture du Ravissement de Lol V. Stein de Marguerite Duras*. Elle publie Hôpital silence (1985) à partir des notes qu’elle a prises. Par la suite, elle écrira souvent dans la perte ; elle écrira aussi la disparition en cours, le disparu. Si plusieurs de ses récits s’alimentent de l’histoire familiale, elle n’entend pas écrire d’autobiographie. Nous deux (1993, prix Rossel) est essentiellement le livre de la mère. Da solo (1997), monologue à voix basse mêle passé et présent. À l’étranger (2003) revient sur l’échec d’une installation en Italie, dans les années 1950, au pays du père. Ces livres-là, comme, entre autres, Vous vous appelez Michelle Martin (2008), sont écrits à partir des paroles que l’écrivaine a entendues – le plus souvent de celles qui trébuchent, boitent, révèlent –, puis « mises dans l’écriture », avec tout le spectre des possibilités entre les discours direct et indirect. Régulièrement, elle s’interroge sur les mots, leur surgissement, leur inscription ; le silence. Ainsi dans Séparation (2012), où elle aborde le « travail de dire », tant pour l’analysant que pour l’écrivain. Outre ces récits, elle publie des recueils de textes courts, des « brèves », comme elle dit, tels Jardin public (2001), Portraits (2002), ainsi que des livres de « rencontre » avec des artistes. Elle y écrit ce qui reste en elle d’un instant, d’un regard, d’un visage, d’un lieu ; elle y met à l’épreuve son idéal paradoxal : tenter d’écrire le réel ; écrire intransitivement, aussi.

Michel ZUMKIR

« Écriture du réel », in MICHAUX G. (dir.), Roman-récit, Carnières-Morlanwelz, Lansman, 2006.

ZUMKIR M., Nicole Malinconi, l’écriture au risque de la perte, Avin, L. Wilquin, 2004.

MÄLKKI, Susanna [HELSINKI 1969]

Chef d’orchestre finlandaise.

Directrice musicale pendant sept ans (2006-2013) de l’Ensemble intercontemporain créé par le compositeur et chef d’orchestre Pierre Boulez, Susanna Mälkki a étudié le violoncelle, le piano et la direction d’orchestre à l’Académie Sibelius. Elle a eu pour maîtres Jorma Panula et Leif Segerstam. De 1995 à 1998, elle est violoncelle solo de l’Orchestre symphonique de Göteborg. Elle collabore avec Klangforum Wien en Autriche, le Birmingham Contemporary Music Group en Grande-Bretagne et les ensembles ASKO et Avanti ! en Finlande. Aujourd’hui, elle dirige tous les répertoires, à l’exception du baroque. Profondément engagée au service de la création contemporaine, elle collabore avec de nombreux ensembles, avant sa première apparition en tant que chef d’orchestre à l’Ensemble intercontemporain en 2004 dans le cadre du Festival de Lucerne. Directrice artistique de l’Orchestre symphonique de Stavanger de 2002 à 2005, elle collabore avec de nombreuses et prestigieuses formations internationales, comme les Orchestres philharmoniques de Berlin, Munich, Rotterdam, Oslo, Radio France, Radio suédoise et Radio finlandaise, le Royal Concertgebouw Orchestra d’Amsterdam… Elle est aussi très active dans le domaine de l’opéra. Elle a notamment dirigé Powder Her Face de Thomas Ades, Neither de Morton Feldman d’après Samuel Beckett, L’Amour de loin de sa compatriote Kaija Saariaho dont elle crée, à Vienne, La Passion de Simone en 2006. En 2010, elle dirige la création du ballet Siddharta de Bruno Mantovani sur une chorégraphie d’Angelin Preljocaj à l’Opéra Bastille à Paris. La Scala de Milan l’invite en 2011 pour la création de Quartett de Luca Francesconi. Elle s’intéresse également au grand répertoire, dirigeant notamment Le Chevalier à la rose de Richard Strauss à l’Opéra national de Finlande en décembre 2005. S. Mälkki figure parmi les rares femmes chefs d’orchestre, avec l’Américaine Marin Alsop* et l’Australienne Simone Young*, à mener une carrière mondiale. Elle veut croire que « les choses commencent à changer » sur ce point, même s’« il est peu probable de voir un jour autant de femmes que d’hommes sur les podiums de direction ».

Bruno SERROU

MALKONDOUEVA, Antonina FEDOROVNA [KABARDINO-BALKARIE XXe siècle]

Danseuse de ballet russe.

Première danseuse professionnelle de ballet de Kabardino-Balkarie (Caucase du Nord), Antonina Fedorovna Malkondoueva travaille pendant trente-quatre ans au théâtre musical d’État de cette république. Formée à la danse dans une école d’art du centre de Naltchik, elle commence sa carrière artistique dans le premier ballet national Lialioutsa, mis en scène en 1964 par A. I. Protsenko, sur une musique de Leonid Kogan. Jusqu’en 2001, date à laquelle elle se retire, elle danse dans une trentaine de parties de ballets, participent à nombre d’opérettes, d’opéras et de contes, et accomplit également un travail pédagogique encore inégalé. Makoev, directeur du théâtre musical d’État, la qualifie d’héroïne du théâtre balkar. Infatigable, elle poursuit sa carrière de ballerine dans Carmen, de Bizet, en compagnie de son mari, le danseur Iouri Kouznetsov. Loin de se concentrer sur les parties techniques du ballet, elle donne au personnage le caractère sûr et passionné d’une femme libre, fait essentiel pour le développement du théâtre musical balkar, qui, outre les classiques, valorise les auteurs locaux et leurs créations autour des danses traditionnelles. Ces danses révèlent une facette différente d’A. Fedorovna Malkondoueva. Sa grâce singulière et sa froideur altière, particulièrement bien adaptées à l’islam, conquièrent un large public, y compris en Russie. Sa sœur cadette est ballerine du théâtre musical d’État de Naltchik pendant vingt ans.

Asiat SARAKOUEVA

MALLEBRANCHE, Sophie [HONFLEUR 1976]

Designer textile française.

Sortie diplômée en art textile et impression de l’école Duperré de Paris en 1998, Sophie Mallebranche effectue un stage à l’École nationale supérieure de création industrielle/les Ateliers (Ensci) pour passer au volume et se perfectionner dans les matières plastiques. « Matiériste et coloriste », elle débute en 2000 comme assistante de Catherine Filoche, coloriste spécialisée dans l’industrie de l’ameublement. Pendant dix ans, elle œuvre dans ce secteur et crée des couleurs et des nuanciers pour le groupe industriel de peinture ICI Paints, des carrelages de verre coloré pour Saint-Gobain Glass, des dalles et du linoléum pour Gerflor. Elle livre aussi, en tant que designer indépendante, ses premières collections textiles pour l’art de la table, bientôt suivies par des « matériaux textiles » exclusifs pour Arcelor, Daum, Laurent Perrier ou Balenciaga. Lauréate de plusieurs concours, S. Mallebranche est rapidement repérée par la Fédération du prêt-à-porter et la Ville de Paris, et ouvre son premier showroom en 2002. Elle y expérimente l’association de matériaux, acier inoxydable, cuivre, laiton, bronze, or, argent, silicone moulé, qu’elle tisse à la main avec des fils de laine, de soie ou de pêche. Sur la voie des grandes tisserandes (Anni Albers*, Hélène Henry*, Simone Prouvé), elle sait que l’irrégularité des trames permet d’obtenir des jeux de reflets, de transparence et de couleurs, et qu’en variant les finitions (mat ou brillant) les résultats sont chaque fois uniques. Elle expose au musée des Beaux-Arts de Santiago du Chili, puis à Tokyo lors de la manifestation Esprit Design France, réalisée grâce au soutien de l’Association française d’action artistique/ministère des Affaires étrangères françaises. En 2003, l’architecte Peter Marino l’introduit dans le milieu de la haute couture et lui permet de poursuivre ses recherches de matières pour Louis Vuitton, Dior et Chanel. Elle commence à enseigner à l’École supérieure d’art et de design de Reims, donne des conférences et anime plusieurs workshops. Il ne lui manque qu’un éditeur pour l’accompagner dans cette démarche exigeante. C’est chose faite avec MTM Tisca France, qui édite une gamme de ses textiles métalliques (tissés main sur commande et sur mesure) et reçoit avec elle une étoile de l’Observeur du design pour le matériau 100 % inox que le designer Patrick Jouin a choisi pour les rideaux du restaurant du Plaza Athénée, à Paris (2006). Elle poursuit ses expériences et crée des pièces uniques à la demande d’architectes ou de designers, en France et dans le monde entier. Elle assure la direction des études de l’École bleue, école privée d’architecture intérieure et de design à Paris, en 2009 et en 2010. Elle crée en 2010 la société Material Design Group, qui exploite industriellement les créations de la marque Sophie Mallebranche.

Joëlle MALICHAUD

Design d’elles, Paris (catalogue d’exposition), galerie du VIA, 2003 ; QUINN B., Designers textiles, à l’avant-garde de la création (Textile Designers at the Cutting Edge, 2009), Paris, Thames & Hudson, 2009.

MALLET, Marie-Louise [VALRÉAS 1935]

Philosophe française.

Professeure agrégée, directrice de programme au Collège international de philosophie, à la fondation duquel elle a participé, Marie-Louise Mallet a contribué de manière décisive à la diffusion de la pensée de Jacques Derrida, notamment par l’organisation de trois décades à Cerisy-la-Salle (Le Passage des frontières, 1992 ; L’Animal autobiographique, 1997 ; La Démocratie à venir, 2002) et en qualité de membre du comité de publication posthume des séminaires du philosophe. Elle a interrogé les rapports ambivalents qu’entretient la tradition philosophique avec la musique : dans une série d’études et dans un ouvrage intitulé La Musique en respect (2002), elle montre comment la philosophie tient la musique à distance, « en respect », ne cessant de rapatrier l’écoute dans l’élément idéel du voir. Débusquant les embarras des philosophes (de Platon à Hegel) face à un « art de la nuit » dont les productions sont impossibles à réduire au stable statut d’objet, elle prête l’oreille à ce qui, notamment chez Kierkegaard ou Nietzsche, ouvre malgré tout la pensée aux résonances et aux revenances du musical.

Peter SZENDY

« La Musique et le Nom, “Comment ne pas parler” ? », in Le Passage des frontières, autour du travail de Jacques Derrida, Paris, Galilée, 1994 ; « Ombres d’Eurydice », in LISSE M. (dir.), Passions de la littérature, Paris, Galilée, 1996 ; « Musiques pour “l’animal que je suis” », in (dir.), L’Animal autobiographique, Paris, Galilée, 1999 ; « Ensemble, mais pas encore… », in (dir.), La Démocratie à venir, Paris, Galilée, 2004 ; « Comment ne pas parler de musique ? », in JDEY A. (dir.), Derrida et la Question de l’art, Nantes, Éditions Cécile Defaut, 2011.

MALLET-JORIS, Françoise (Françoise LILAR, dite) [ANVERS 1930]

Écrivaine belge d’expression française.

Fille du ministre d’État Albert Lilar et de l’écrivaine Suzanne Lilar*, Françoise Mallet-Joris publie, à 15 ans, Poèmes du dimanche (1947) ; à 21 ans, elle choisit son pseudonyme pour faire paraître Le Rempart de béguines (1951), qui met en scène une éducation sentimentale homosexuelle et suscite à l’époque un certain scandale. Si tous ses romans sont marqués par ses origines flamandes (elle écrit comme on peint, en pleine pâte, et donne à ses héros leur poids de chair et de sang), trois grandes périodes peuvent être distinguées dans son œuvre : la première, classique, à laquelle appartiennent La Chambre rouge (1955), Cordélia (1956), Les Mensonges (1956), L’Empire céleste (1958) ; la deuxième, baroque, où s’inscrivent des romans aussi aboutis que La Tristesse du cerf-volant (1988), Adriana Sposa (1990), Les Larmes (1993) ou l’ensemble de nouvelles intitulé Le Clin d’œil de l’ange (1983) ; la troisième enfin, plus personnelle, avec La Double Confidence (2001), où la vie de Marceline Desbordes-Valmore* est sans cesse mise en parallèle avec celle de l’auteure. Certaines de ses œuvres, plus difficiles à classer, sont directement liées soit à sa propre existence (La Maison de papier, 1970), soit à des phénomènes de société comme l’impact d’une star sur ses fans, l’obsessionnel souci de la minceur, les problèmes de drogue ou de pédophilie. Elle a également publié des biographies (Marie Mancini, 1964 ; Trois âges de la nuit, 1968 ; Jeanne Guyon, 1979), et elle est devenue la parolière de Marie-Paule Belle*. L’écrivaine a obtenu le prix Femina et le prix Prince-Pierre-de-Monaco. Dès 1970, elle est entrée à l’académie Goncourt, et en 1993, elle a succédé à S. Lilar, sa mère, à l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique.

Liliane WOUTERS

COLLECTIF, Françoise Mallet-Joris, dossier critique et inédits, Paris, Grasset, 1976 ; PETIT S., Femme de papier, Françoise Mallet-Joris et son œuvre, Paris, Grasset, 2005.

MALLO, Maruja (Ana María GÓMEZ GONZÁLEZ, dite) [VIVERO 1902 - MADRID 1995]

Peintre espagnole.

Issue d’une famille nombreuse, Maruja Mallo quitte sa petite ville de province pour étudier à l’Académie royale des beaux-arts de San Fernando à Madrid, dont elle sort diplômée en 1926. À partir de 1927, elle fait partie du groupe de la première École de Vallecas et illustre de nombreuses revues au cours des années 1920. Le succès de sa première exposition en 1928 à Madrid l’érige en figure majeure de l’avant-garde espagnole. En 1932, elle se rend à Paris, où elle rencontre les artistes du surréalisme, qui influenceront radicalement et immédiatement sa peinture, comme en témoigne une œuvre essentielle, Espantaparajos (« épouvantail », 1929), acquise par André Breton. Sa présence à une exposition collective d’art espagnol à Paris en 1935 lui vaut d’entrer dans les collections du Jeu de paume. Bien qu’influencée par le courant constructiviste du milieu des années 1930, elle continue d’exposer aux côtés des peintres surréalistes. En effet, son style, empreint d’expressivité, se définit par une touche franche et colorée, aux contours nets et délicats, à travers, notamment, des portraits (Cabeza de mujer, 1941), des représentations oniriques (La Huella, « la trace », 1929) ou encore des univers végétaux (Agol, 1969). En parallèle, elle développe un travail de céramique, dont il ne reste rien aujourd’hui. Lorsque la guerre civile éclate, M. Mallo fuit au Portugal, avant de s’exiler à Buenos Aires. Lors de cette nouvelle période, extrêmement féconde, elle peint, dessine, enseigne, participe à la revue Sud avec Jorge Luis Borges, voyage en Uruguay et expose à Paris, au Brésil et à New York, où débute son étape « cosmique », traduite par sa série de Marines (entreprise en 1937 et achevée au début des années 1940), recréant la nature sud-américaine. Lors de l’arrivée au pouvoir de Juan Perón en Argentine, elle part à New York, avant de retourner en Espagne en 1965, après vingt-cinq années d’exil. Bien que désormais ignorée dans son pays, elle poursuit ses intenses activités artistiques et expose jusqu’à la fin de sa vie. En 1967, elle reçoit la médaille d’or du mérite des beaux-arts de Madrid.

Ludovic DELALANDE

Maruja Mallo (catalogue d’exposition), Ayala J. P. de, Rivas F. (dir.), Madrid, Galerie Guillermo de Osma, 1992 ; Maruja Mallo (catalogue d’exposition), Saint-Jacques-de-Compostelle, Centreo de Arte contemporánea de Galicia, 1993.

LA GÁNDARA C. de, Maruja Mallo, Madrid, Ministerio de Educación y Ciencia, 1978.

MALOUMA (MALOUMA MINT MOKHTAR OULD MEIDAH, dite) [MEDERDRA 1960]

Chanteuse et femme politique mauritanienne.

Malouma naît dans le désert du sud-ouest de la Mauritanie. Elle est l'héritière d'une famille d'iggawen (griots, en maure), et son père Mokhtar Ould Meidah est un poète et musicien issu d'une longue lignée d'artistes. Elle apprend l’ardin – harpe mauritanienne jouée par les femmes –, la tradition orale et les différents courants de musique populaire, avant d’être révélée au festival de Carthage en 1988. Son premier hit, Habibi Habeytou, une chanson d'amour, fait sensation dans la très pudique société mauritanienne. Suite à son engagement en faveur d'un candidat indépendant lors de la campagne présidentielle de 1992, elle est boycottée par les médias nationaux et interdite de se produire dans son pays. En 1998, Desert of Eden est son premier album distribué à l'international. Rejetée par les conservateurs mais plébiscitée par la jeunesse, Malouma est surnommée « la chanteuse du peuple », ou encore « la diva rebelle du désert ». En 2003, elle réunit 10 000 personnes pour une marche pacifiste contre la censure. Le président Ould Taya lui présente alors ses excuses. Elle tourne aux États-Unis, au Proche-Orient, en Europe et en Afrique, et chante notamment contre les mariages forcés, pour l’alphabétisation et la promotion de la femme. Élue sénatrice en 2007, Malouma est faite chevalier de la Légion d'honneur par la France en 2011, et crée la même année une fondation pour la sauvegarde du patrimoine mauritanien. Son album Knou, du nom d'une danse de l'Est mauritanien, sort en 2014.

Jean BERRY

Desert of Eden, Shanachie, 1998 ; Dunya, Marabi, 2004 ; Nour, Marabi, 2007 ; Knou, Kamiyad, 2014.

MALRAUX, Clara (née GOLDSCHMIDT) [PARIS 1897 - ANDÉ 1982]

Romancière française.

Née dans une famille juive fortunée, elle entre en 1920 comme traductrice à Action, revue d’avant-garde. Elle épouse André Malraux, dont elle finance les expéditions en Orient pendant une dizaine d’années. En 1933, elle effectue son premier voyage en Palestine, puis s’engage contre la montée du fascisme. Elle participe ensuite à la revue Contemporains. En 1945 paraît Portrait de Grisélidis, son premier roman. Divorcée en 1947, Clara Malraux commence à rédiger son autobiographie, Le Bruit de nos pas – six volumes entre 1963 et 1979 , où elle témoigne de sa vie de couple et de la lente dépossession d’elle-même. Dès 1948, elle se rend en reportage en Israël et publie La Civilisation du kibboutz. Traductrice, elle contribue à faire connaître les œuvres de Virginia Woolf*– en particulier le célèbre essai, Une chambre à soi (1922) –, Freud et Kafka. Toujours combative et indépendante, elle dirige la revue Éléments et consacre ses dernières années à la biographie de Rahel Varnhagen*.

Marie-Noëlle CAMPANA

Venus des quatre coins de la terre, douze rencontres en Israël, Paris, Julliard, 1971 ; Rahel, ma grande sœur, Paris, Ramsay, 1980.

BARTILLAT C. de, Clara Malraux, le regard d’une femme sur son siècle, Paris, Perrin, 1986.

MALROUX, Claire [ALBI 1935]

Poétesse française.

Claire Malroux adopte occasionnellement le pseudonyme de Claire-Sara Roux (Au bord, 1981). Son père, député du Front populaire, fait partie des 86 élus qui refusèrent leur voix à Pétain. Entré dans la Résistance, il est arrêté et meurt à Bergen-Belsen, ce qu’elle évoque dans son « récit-poème » Soleil de jadis (1998). Normalienne, Claire Malroux découvre la poésie anglaise et s’engage dans la traduction, en particulier d’Emily Dickinson*, à qui elle consacre un essai, Chambre avec vue sur l’éternité (2005). Elle traduit aussi H. D. (1886-1961) ainsi que l’essentiel de l’œuvre de Derek Walcott, prix Nobel de littérature en 1992. Elle reçoit le Grand prix national de la traduction en 1995. À partir de 1968, elle publie également plusieurs recueils personnels. Dans cette poésie de la mémoire, plus qu’autobiographique, la recherche intérieure rejoint l’attention portée au corps, comme au quotidien.

Cécile DE BARY

Reverdir, Mortemart, R. Rougerie, 2000 ; Ni si lointain, Bègles, Le Castor astral, 2004 ; La Femme sans paroles, Bègles, Le Castor astral, 2006 ; Traces, sillons, Paris, J. Corti, 2009.

MALSAGOVA, Roza [1956]

Actrice, metteuse en scène et journaliste ingouche et tchétchène.

D’origine ingouche, Roza Malsagova passe son enfance à Grozny, en Tchétchénie, puis fait ses études supérieures à ce qui est alors l’Institut de théâtre de Leningrad et d’Iaroslavl, en Russie. En 1977, elle devient actrice au Théâtre de marionnettes de Nazran (Ingouchie), où elle travaillera également comme metteur en scène. Elle devient le principal metteur en scène du Théâtre de la Jeunesse de la capitale ingouche en 1994, puis de son Théâtre dramatique en 2000. Son mari est tué en 1996, au cours de la guerre russo-tchétchène. En 2006, elle décide de quitter le théâtre et déménage à Moscou. Par civisme, elle se lance dans le journalisme et collabore au dernier site Internet d’information libre d’Ingouchie, Ingushetia.ru, en tant que rédactrice en chef. Menacée de mort à cause de ce travail, elle fuit la Russie en 2008 pour s’installer en France avec ses trois garçons. Parallèlement, le patron du site Internet, Magomed Evloev, qu’elle secondait, est abattu par des miliciens ingouches : selon elle, on ne lui a pas pardonné la publication des listes des « escadrons de la mort ». Aujourd’hui réfugiée politique à Paris, R. Malsagova travaille régulièrement pour Radio France Internationale (RFI).

Virginie SYMANIEC

MAMA KANZAKU (ou MWAN’A NGEMBO, Marie-Louise NGELEBEYA MOMBILA) [LÉOPOLDVILLE, AUJ. KINSHASA 1930 - ID. 2009]

Animatrice de radio et de télévision congolaise.

Née à Kinshasa, Mama Kanzaku a vécu toute sa vie dans la parcelle familiale située à quelques pas du grand marché. À cet endroit se tiennent les principales boutiques de musique de la ville tenues par des commerçants grecs. À quelques mètres, les musiciens les plus prisés du moment se réunissent au parc de Boeck. Pour se conformer à ce qu’on attend d’une jeune fille de bonne famille, future ménagère et épouse modèle, elle entre à l’école catholique des Sœurs immaculées de Marie. Elle y suit les cours de la section « ménagère », mais elle fait honte aux sœurs, car elle aime la mode, les concerts, la compagnie des artistes. Membre de plusieurs associations de jeunes, elle fait partie des femmes émancipées de son époque, en étant l’une des premières à rouler à bicyclette dans cette ville qui compte à peu près 100 000 habitants en 1950 et pas plus de cinq femmes cyclistes. Mama Kanzaku entre à Radio Leo, une chaîne de la capitale congolaise, Léopoldville, qui devient ensuite Radio Congo puis Radio Zaïre, quand le pays change de nom. Tour à tour technicienne de production, monteuse et réalisatrice, elle découvre un domaine qui lui permet de concilier son goût pour la musique, ses connaissances mondaines et sa popularité. En 1966, elle lance avec son amie Marie-Josée Angebi une émission de radio intitulée Tango ya bawendo (« l’âge d’or du musicien wendo »), consacrée aux musiques des années 1940-1950. D’abord à la technique tandis que son amie présente l’émission, elles tentent trois ans plus tard une présentation à deux voix qui plaît au public. En 1973, elles créent une version télévisée de leur émission, Bakolomiziki (« ceux qui appartient la musique »), où jeunes et moins jeunes viennent esquisser des pas de danses vieilles d’au moins vingt ans, entrecoupés par des entretiens avec des musiciens. Mère de six enfants et grand-mère de 22 petits-enfants, Mama Kanzaku est sous-directrice lorsqu’elle prend sa retraite en 2004.

Françoise MUKUKU

MA MA LAY (MA TIN HLAIN, dite) [KARMAKLU 1917 - RANGOON 1982]

Écrivaine et journaliste birmane.

Issue d’une famille de banquiers, Ma Ma Lay grandit dans une fratrie de cinq enfants. Elle débute dans le monde littéraire sous le pseudonyme de Ya Wai Liang en publiant des articles et des nouvelles. En 1939, elle fonde The Journal Kyaw avec son mari U Chit Maung, rédacteur en chef du journal Myanma Alin Maily, dans lequel elle a déjà rédigé un article en 1936, « Être une femme instruite », et adopte le nom de plume Ma Ma Lay. Considérée comme une des plus grandes écrivaines birmanes du XXe siècle, elle signe plus d’une vingtaine d’ouvrages et des nouvelles publiées dans des mensuels. Connue pour son art de mettre en scène la société moderne dans un style simple et limpide, elle attire des lecteurs de tous âges. En 1946, elle lance Pyithu Hittaing (« la voix du peuple »). Quelques années plus tard, son imprimerie est détruite par des étudiants hostiles à ses tendances jugées trop gauchistes. Elle publie Thu lo lu (« une personne comme lui », 1947), un roman à succès qui retrace l’histoire de son mari décédé et évoque la complémentarité du couple, un thème très populaire en Birmanie. En 1950, elle dirige de nouveau une imprimerie, mais de moins grande envergure. Elle est la première femme à présider l’Association des auteurs en 1948. Constatant les limites de la médecine occidentale à la suite de la mort inexpliquée de son mari et de l’échec d’une opération effectuée sur la jambe de sa fille par un chirurgien britannique, elle entreprend des études de médecine traditionnelle pendant quinze ans avant d’ouvrir une clinique à Rangoon. Elle sillonne son pays pour soigner bénévolement les malades atteints de pathologies graves (tuberculose, cancer, hépatite B, lèpre, éléphantiasis). Le Mal Aimé (1955) et Twe ta saint saint (A slow Stream of Thoughts and Burnese Medecine Tales, 1963) sont récompensés par des prix littéraires. Le premier, traduit en anglais, français, ouzbek, russe et chinois, dénonce la domination de la culture britannique mettant en péril les traditions de son pays. En 2006, le roman Thway, le sang a été adapté au cinéma par le réalisateur japonais Chino Kōji ; le film, tourné presque intégralement en Birmanie (événement rare sous la gouvernance militaire), a été présenté hors compétition lors du 17e Festival international de Tokyo.

Sabai SHWE DEMARIA

Le Mal Aimé (Mone ywé mahu, 1955), Paris, L’Harmattan, 1994 ; Thway, le sang, La Courneuve, Éd. AkR, 2006.

SAH MN., Myanma ah myo the mi, Rangoon, Pi thauk lyain sapa, 2000.

MAMET, Magda [ROSE HILL 1916 - ID. 2012]

Écrivaine mauricienne d’expression française.

Issue d’une vieille famille franco-mauricienne, Magda Mamet fait partie de la première génération d’écrivaines, essentiellement des poétesses, qui a éclos à Maurice durant la seconde moitié du XXe siècle. Ses premiers poèmes sont publiés dans la célèbre revue littéraire de l’île, L’Essor. Après des études à la Sorbonne au début des années 1950, elle devient, de retour à Maurice, rédactrice littéraire au Cernéen, très vieux journal de l’oligarchie sucrière. Elle publie en parallèle de nombreux recueils poétiques, renouvelant la poésie mauricienne par l’emploi du vers libre et de thématiques sociales. Très attachée à la religion catholique, elle a donné à sa parole flamboyante une forte sensibilité chrétienne. Sa poésie, moraliste et révoltée, prolongée sur le tard par une œuvre romanesque, dénonce avec violence les injustices et les hypocrisies.

Claire RIFFARD

L’Effeuillement des jours, Port-Louis, General Printing & Stationery, 1946 ; Cratères, Port-Louis, Esclapon, 1958 ; Nuit sans mémoire, Port-Louis, Modern Printing, 1973 ; L’Enfant de possession, Rose Hill, Éditions de l’océan Indien, 1995 ; L’Emmurée, Rose Hill, Éditions de l’océan Indien, 1999.

MAMINA, Astrid [KINSHASA 1975]

Metteuse en scène congolaise.

Astrid Mamina rejoint l’Écurie Maloba, structure théâtrale d’échanges et de création artistique, en 1993. D’abord comédienne, elle s’intéresse très tôt à la fabrique théâtrale : régie plateau, régie lumière, costume et finalement mise en scène. Elle revendique avec fierté sa pratique de la mise en scène tant il est encore rare en République démocratique du Congo et dans l’ensemble de l’Afrique d’être femme et metteur en scène de théâtre. Elle met en scène des auteurs contemporains d’Afrique et d’Europe comme Philippe Blasband, Bernard-Marie Koltès, Jean-Luc Lagarce, Ousman Aledji, Sliman Benaïssa. En 2005, elle met en place un festival international, la Semaine internationale du talent féminin, qui donne une place importante aux femmes artistes.

Sylvie CHALAYE

MAMONOVA, Tatyana [IAROSLAV 1943]

Peintre, poétesse et féministe russe.

Née durant le siège de Leningrad alors que sa famille avait trouvé refuge sur les bords de la Volga, Tatyana Mamonova suit des études de journalisme et intègre en 1966, en tant que rédactrice et commentatrice, le programme de télévision dédié aux femmes par le canal régional TV Leningrad. La campagne discrète menée en faveur de l’abolition des dispositions scélérates de la loi sur la famille de 1944, en particulier celles relatives au divorce et aux naissances hors mariage, est alors à son apogée et trouve un écho dans le travail de T. Mamonova, qui tente de mettre sur pied un premier cercle féministe. Alors que les dispositions en question sont abrogées en 1968, elle subit ses premiers interrogatoires de police et est contrainte à quitter son poste la même année. Elle trouve un emploi de rédactrice dans une revue artistique officielle et entre en contact avec les milieux travaillant en marge des canons du régime. Se consacrant désormais elle-même à la peinture, elle met ses dons d’organisatrice et de communication au service des artistes non conformistes, pour lesquels elle conçoit des expositions non officielles et avec lesquels elle présente ses propres œuvres. Sa vie marque un tournant lors de la naissance de son premier enfant. Confrontée aux carences d’ordre médical et psychologique d’une maternité de Leningrad de l’ère Brejnev, elle en conçoit la nécessité de traiter spécifiquement de la condition des femmes en URSS. En 1979, paraissent ainsi les premiers articles réunis dans l’almanach « Femmes et Russie », le premier journal libre des femmes, dont elle est directrice de publication et éditrice. Dès la fin de la même année, T. Mamonova est placée sous étroite surveillance policière et convoquée à de nombreux interrogatoires. Menacée d’internement, elle est finalement expulsée d’URSS, à la suite d’un important mouvement de solidarité internationale initié par le MLF français. La France lui offre l’asile politique, puis elle s’établit à New York, à compter de 1984. En exil, elle fonde Women and Earth, une ONG féministe et écologiste, parallèlement à de nombreuses résidences académiques et artistiques dans des universités américaines qui contribuent à faire de T. Mamonova la voix du féminisme russe post-soviétique. Son ouvrage Russian Women’s Studies : Essays on Sexism in Soviet Culture, essais publiés en russe de 1984 à 1987 et traduits en anglais en 1989, représente ainsi la première synthèse féministe sur le régime. T. Mamonova s’est vu décerner nombre de prix et récompenses internationales, tels le World’s Heroine Award en 1998 et le titre de Femme de l’année en Russie en 2008.

Maxime FOREST

Avec MAXWELL M., Russian Women’s Studies : Essays on Sexism in Soviet Culture (1984-1987), Oxford/New York, Pergamon Press, 1989.

MANAKA, Nomsa [ORLANDO, SOWETO 1962]

Chorégraphe et actrice sud-africaine.

Après des études à l’Orlando High School à Soweto et des cours de ballet classique, Nomsa Manaka enseigne la danse au Funda Centre à Soweto, fondé par son mari, le poète, peintre et auteur dramatique Matsemela Manaka. En 1989, elle joue le rôle principal dans Gorée, une des plus célèbres pièces militantes du mouvement de la Conscience noire, écrite par son époux et dirigée par John Kani. Gorée, lieu du campement d’esclaves en partance pour l’Amérique où le personnage de la jeune danseuse Nomsa rencontre Oba, vieille sage (jouée par la chanteuse Sibongile Khumalo) qui lui fait prendre conscience de son héritage africain. Tout en poursuivant son association en tant que chorégraphe et comédienne avec le théâtre de M. Manaka, elle réussit très vite dans d’autres domaines : une revue de danse, Rainbow of Hope (« arc-en-ciel de l’espoir », 1991) avec le musicien Mokale Koapeng, la chorégraphie de Daughter of Nebo (« fille de Nebo », 1994), une performance à l’occasion du discours d’inauguration de Nelson Mandela (1994), un rôle dans Maru au Market Theatre et un diplôme en administration des arts à l’University College de Dublin (1996). Elle est de plus en plus sollicitée par le nouveau régime comme consultante des arts du spectacle, mais l’importance de N. Manaka réside surtout dans le fait qu’elle a fusionné les traditions africaines et les modes contemporains dans un nouveau style de spectacle sud-africain, brillamment présenté au Festival pan-africain de la danse à Kigali en 2004.

Anne FUCHS

MANANYA (MANANYA THANAPOOM, née VITAYANON, dite) [BANGKOK 1945]

Femme de lettres thaïlandaise.

Mananya Vitayanon fait ses études dans les écoles Rachini et Triam Udom Suksa avant d’obtenir une licence de lettres à l’université Chulalongkorn. Elle travaille ensuite comme fonctionnaire au service de l’irrigation et suit son mari, ingénieur, à Kiew Lom, un barrage situé dans la province de Lampang, au nord du pays. À son retour à Bangkok, elle est affectée à la section Relations internationales de ce même service. Ce travail et son expérience à Kiew Lom lui inspirent trois recueils de nouvelles au titre générique de Chao Kuean (« ceux du barrage ») qui rencontrent immédiatement un succès phénoménal et seront réédités à plusieurs reprises. Outre le cadre romanesque et l’ambiance du barrage, c’est l’authenticité de ces récits qui en a assuré le succès. La vie des employés du barrage y est décrite de façon vivante : absence de confort, indications techniques, liens d’amitié et de fraternité affermis par de nombreuses soirées alcoolisées. Les personnages sont des responsables du projet, des ingénieurs, des employés. Le récit revêt ainsi un caractère de véracité inconnu jusqu’alors dans la littérature. Mananya fait par ailleurs preuve de beaucoup d’humour en donnant à ses personnages des noms comiques à consonance japonaise mais au sens grivois en thaïlandais. Cet humour, caractéristique de son écriture, a assuré le succès de ses œuvres. Parmi ses nombreux autres écrits on peut citer : Kon Ja Jak Kiew Lom (« avant de quitter Kiew Lom ») ; Chutmaï Plaï Thang Thi Duangdao (« vers les étoiles ») ; Lekha Nintha Naï (« la secrétaire qui papotait dans le dos du patron ») ; Thong Thalae Mediterranean (« autour de la Méditerranée », 2002), récit de l’un de ses voyages dans cette région du monde. Elle a aussi traduit de nombreuses œuvres anglophones et francophones, dont les nouvelles de Maupassant.

Areerat PINTHONG

PHILIPPS H. P., Modern Thai Literature : With an Ehnographic Interpretation, Honolulu, University of Hawaii Press, 1987.

MANANZAN, Mary John Guillermina (sœur Mary John) [DAGUPAN 1937]

Théologienne philippine.

Avec un doctorat en philosophie à l’Université pontificale grégorienne de Rome, sœur Mary John a été l’une des deux premières femmes diplômées de l’université. Elle a participé à la constitution d’associations luttant contre l’oppression des femmes, telles que Pilipina dans les années 1970 et, en 1984, la coalition Gabriela-Network. Son engagement féministe l’a conduite à introduire les Women’s Studies dans le cursus scolaire et à prendre d’autres initiatives concrètes en fondant l’Institut Nursia, qui offre des formations à des femmes de tous les pays asiatiques, en créant une ferme expérimentale dédiée à l’écologie et au bien-être des femmes, et en ouvrant un centre d’urgence pour les femmes victimes de violences. Elle a aussi cofondé l’Alliance des citoyens pour la protection des consommateurs. Prieure de sa communauté bénédictine à Manille, sœur Mary John participe activement à l’élaboration d’une théologie pour le tiers-monde, notamment par le biais de l’EATWOT (Association œcuménique des théologiens du tiers-monde). Dans ce cadre, elle a organisé en 1994 un Dialogue of First World and Third World Theologians (« dialogue des théologiennes féministes du premier monde et du tiers-monde »), prolongé dans le livre Women Resisting Violence (1996). Son ouvrage Challenges to the Inner Room (1998) combine une réflexion théologique et spirituelle concernant la situation des femmes en Asie et ses rencontres avec des migrantes. Elle a participé à la Routledge International Encyclopedia of Women (2000), au Dictionary of Third World Theologies (2000) et à Women, Religion and Spirituality in Asia (2004). Elle donne des conférences au niveau international sur la spiritualité, la condition des femmes, la mondialisation et l’éducation.

Sally ROUSSET

Woman Question in the Philippines, Manille, Institute of Women’s Studies, 1997.

MANAR, Fatat EL- VOIR OULAYA

MANAUDOU, Laure [VILLEURBANNE 1986]

Nageuse française.

De parents eux-mêmes sportifs, Laure Manaudou débute précocement : une première coupe à 5 ans et demi lors de la fête de son club d’Ambérieu-en-Bugey, dans l’Ain, une première sélection à 15 ans en équipe de France junior, une deuxième place aux Championnats de France seniors, deux autres médailles d’argent sur 50 et 100 mètres dos aux Championnats d’Europe juniors à Malte marquent sa progression rapide. Convaincus par Philippe Lucas, entraîneur atypique, ses parents acceptent son départ pour Melun où elle s’installe, arrêtant l’école pour répondre aux nécessités de son nouveau programme d’entraînement. Les résultats vont suivre. En 2002, à Linz (Autriche), elle est championne d’Europe junior du 100 mètres dos. En 2003, cinq titres de championne de France à Saint-Étienne (en nage libre et dos), une première finale mondiale à Barcelone (septième du 50 mètres dos). C’est en 2004, à 16 ans, qu’elle devient à Madrid triple championne d’Europe du 400 mètres nage libre (4 min 7 s 90), du 100 mètres dos et du relais quatre fois 100 mètres quatre nages. Le proche rendez-vous olympique s’annonce d’une autre envergure. Le 25 août, à Athènes, elle attaque d’entrée et, en 4 min 5 s 34, record d’Europe, elle devient, après Jean Boiteux en 1952 à Helsinki, le seul autre médaillé d’or français en natation. À cet or, elle ajoutera le bronze du 100 mètres dos et l’argent du 800 mètres libre. Quand elle revient en France, elle est une vedette en même temps qu’une championne dont l’invincibilité sur le 400 mètres nage libre va se confirmer. En juillet 2005, pourtant, à Montréal, elle manque sa série et n’est qualifiée pour la finale que de justesse, mais elle se reprend et devient championne du monde (4 min 6 s 44) devant Ai Shibata. La saison 2006 est étourdissante : neuf titres aux Championnats de France de Tours avec, le 12 mai, la chute du fameux record mondial de l’Américaine Janet Evans (4 min 3 s 03 contre 4 min 3 s 85) établi en 1988 aux Jeux de Séoul, record qu’elle abaisse encore (4 min 2 s 13) à Budapest lors de Championnats d’Europe dont elle est la reine, avec quatre titres (400 et 800 mètres libre, 100 mètres dos et relais quatre fois 100 mètres quatre nages) et trois médailles de bronze. Les Championnats du monde de Melbourne, en mars 2007, l’élèvent toujours plus haut. C’est au 200 mètres libre qu’elle se surpasse, au lendemain d’un 100 mètres dos où, médaillée d’argent (59 s 87), elle a inquiété l’Américaine Natalie Coughlin (59 s 44, record mondial) : au terme d’une lutte superbe contre l’Allemande Annika Lurz (1 min 55 s 68), à elle une nouvelle victoire et le record du monde (1 min 55 s 52). S’y ajouteront l’argent du 800 mètres libre et le bronze avec ses coéquipières du quatre fois 200 mètres. Peu après Melbourne, elle refuse de rester sous la férule d’un entraîneur qui ne lui convient plus. Elle hésite entre l’Italie et Ambérieu où elle se retrouve un moment avec son frère Nicolas comme entraîneur. L’opinion lui reste fidèle et très largement favorable. En janvier 2008, elle rejoint l’équipe de France et se place sous la tutelle de Lionel Horter à Mulhouse. Aux Championnats de France à Dunkerque, peu après son titre européen (petit bassin) du 200 mètres dos en Hollande, ses 2 min 6 s 64 sur 200 mètres dos la placent à 25 centièmes du record du monde de la Zimbabwéenne Kirsty Coventry, mais elle connaît sa première défaite depuis juin 2004 au 400 mètres, derrière la Roumaine Camelia Potec et la Française Coralie Balmy. À Pékin, ses échecs sont cuisants et visible son désarroi. Ayant rejoint le Cercle des Nageurs de Marseille, elle annonce mettre fin à sa carrière sportive en septembre 2009. Mais elle réapparaît en juillet 2011, s’étant reconstruite aux États-Unis, à Houston, avec son compagnon, le nageur Frédérick Bousquet et leur fille. Triple championne de France en mars 2012 à Dunkerque, elle s’y qualifie pour les Jeux olympiques de Londres où ses performances seront faibles mais où elle vit intensément la victoire inattendue de son jeune frère Florent au 50 mètres nage libre. Non sans panache, elle prolonge la coulée jusqu’aux Championnats de France (petit bassin) de novembre 2012 à Angers, où elle s’octroie trois titres nationaux (50 et 100 mètres dos, 100 mètres quatre nages) ; suivis des Championnats d’Europe (petit bassin) à Chartres et d’une triple montée sur les podiums : troisième du quatre fois 50 mètres, deuxième du 100 mètres dos et médaillée d’or du 50 mètres dos, assorti de son soixante-dix-huitième record de France (47 en grand bassin, 31 en petit bassin), joli point d’orgue.

Jean DURRY

DHERMAIN J.-Y., RAPILLY F., Laure Manaudou, une fille en or ? , Tours, CLD, 2008.

MANCINELLI, Laura [UDINE 1933]

Écrivaine italienne.

Laura Mancinelli a enseigné la littérature médiévale allemande à Sassari, à Venise, puis à Turin qui est devenue sa ville d’élection. Outre le professorat et la traduction de grands romans médiévaux allemands, elle a également écrit des romans et des nouvelles basés sur ses travaux de recherche. Ses romans Les Douze Abbés de Challant (1981), Il miracolo di santa Odilia (« le miracle de sainte Odile », 1989), Gli occhi dell’imperatore (« les yeux de l’empereur », 1993), I tre cavalieri del Graal (« les trois chevaliers du Graal », 1996), Attentat contre le Saint Suaire (2000) et Le Prince aux pieds nus (2005) se déroulent au Moyen Âge et sont liés à son activité de germaniste. L’un des autres grands intérêts de L. Mancinelli est la musique, en particulier la figure de Mozart, dont s’inspirent plusieurs ouvrages : Le Fantôme de Mozart (1986), entre roman noir et roman rose ; la nouvelle Amadé (1990) ; la pièce de théâtre Notte con Mozart (« une nuit avec Mozart », 1991). Atteinte de sclérose en plaques et contrainte de quitter l’enseignement en 1994, L. Mancinelli se consacre à l’écriture et publie Il mistero della sedia a rotelle (« le mystère de la chaise roulante », 1997), Killer presunto (« tueur présumé », 1998) et Il « signor Zero » e il manoscritto medievale (« monsieur Zéro et le manuscrit médiéval », 2006), des romans policiers dont le personnage central est le capitaine Florindo Flores ; des romans historiques dont l’action se situe au Moyen Âge ou dans le Piémont du XVIIIe siècle, comme La lunga notte di Exilles, una sacra rappresentazione (« la longue nuit d’Exilles, une représentation sacrée », 2006). Son roman Andante con tenerezza (« andante avec tendresse », 2002) est plus autobiographique. L. Mancinelli est par ailleurs l’auteure de nouvelles curieuses, I racconti della mano sinistra (« les nouvelles de la main gauche », 1994), qui évoquent des histoires finissant de manière imprévisible et caractérisées par une sagesse ironique et une moralité sereine.

Francesco GNERRE

Le Fantôme de Mozart (Il fantasma di Mozart, 1986), Malakoff, Solin, 1989 ; Attentat contre le Saint Suaire (Attento alla Sindone, 2000), Lyon, La Fosse aux ours, 2001 ; Les Douze Abbés de Challant (I dodici abati di Challant, 1981), Paris, Buchet-Chastel, 2006 ; Le Prince aux pieds nus (Il principe scalzo, 1999), Paris, Buchet-Chastel, 2007.

MANDEL, Lisa [MARSEILLE 1977]

Auteure de bandes dessinées française.

Après avoir publié ses premières illustrations dès l’École des Arts décoratifs, c’est avec la série Nini Patalo, parue en 2001 dans le magazine Tchô ! , que Lisa Mandel connaît un véritable succès. À partir de 2003 sont publiées en album les aventures pleines d’humour débridé de cette orpheline par vocation et de son canard râleur. Elle est aussi l’auteure d’Eddy Milveux et de sa blatte magique capable d’exaucer ses vœux à sa manière, nés dans le mensuel de bande dessinée Capsule cosmique (2004). Blogueuse compulsive, L. Mandel publie dans Libre comme un poney sauvage (2006) la version en album de son blog, où elle relate sa vie quotidienne d’artiste et de jeune fille organisant un voyage de trois mois en Argentine. Jouant d’un étrange mélange entre conte de fées et initiation amoureuse, Princesse aime princesse (2008) met en scène le sauvetage de la princesse aux cheveux roses Végétaline, écrasée par une mère-poule manipulatrice, par la princesse charmante Codette, réfugiée du Watakou. Récompensé par le prix Artémisia 2009 (cf. Chantal Montellier*), Esthétique et filatures (2008) associe L. Mandel au scénario et Tanxxx au dessin. Cet album, porté par un trait sombre en noir et blanc aux résonances « punk », raconte l’histoire de Marie, 16 ans, homosexuelle, parricide par accident et spécialiste en filatures improvisées. Son HP (2009), qui enquête sur les hôpitaux psychiatriques en France dans les années 1970, montre l’étendue des intérêts artistiques de l’auteure qui, encore une fois, est là où on ne l’attendait pas.

Camilla PATRUNO

MANDELA, Winnie [BIZANA 1936]

Femme politique sud-africaine.

Fille d’un chef de l’ethnie xhosa et d’une métisse, Winnie Mandela est, en 1955, la première femme noire à devenir assistante sociale en Afrique du Sud. Elle rejoint la Ligue des femmes du Congrès national africain (ANC) et fait la connaissance de Nelson Mandela, qu’elle épouse en 1958. Commence alors une vie de harcèlement policier scandée par plusieurs séjours en prison. En 1958, elle est arrêtée à l’issue d’une manifestation contre le pass – document imposé à tous les non-Blancs par le régime de l’apartheid pour le contrôle de leurs déplacements –, puis est relâchée. Après l’arrestation de N. Mandela, en mars 1960, qui la laisse seule avec ses deux enfants, elle participe à des actions secrètes de l’ANC tout en faisant face aux persécutions de la police. En 1964, son mari étant condamné à la réclusion à perpétuité, la pression du régime sur elle s’accentue. Dénoncée, elle est torturée et incarcérée pendant plus d’un an dans une cellule d’isolement. Jugée pour 540 chefs d’accusation en 1969, elle est finalement acquittée en 1970. Mais elle retourne en prison en 1974, après avoir enfreint les mesures de restriction de liberté dont elle fait l’objet. Au même moment, le Mouvement de la conscience noire, de Steve Biko, qui gagne en importance au sein des townships et concurrence directement l’ANC, séduit par ses idées W. Mandela, qui trouve là un moyen d’être plus autonome et de ne plus être simplement « la femme de Nelson Mandela ». Elle prend la tête de la Fédération des femmes noires en septembre 1975, puis celle de l’Association des parents noirs, consolidant ainsi définitivement son rôle de premier plan dans la lutte contre l’apartheid. Mais ce statut lui vaut d’être considérée comme l’une des instigatrices du soulèvement de Soweto en 1976 ; elle est de nouveau incarcérée. En 1977, les autorités de Pretoria décident de l’exiler à Brandfort, ville de l’État libre d’Orange, où elle restera neuf années. Elle devient le porte-parole de son mari, qu’elle est autorisée à visiter en prison. Durant les années 1980, elle gagne encore en popularité au sein de la base militante de l’ANC, tout en étant marginalisée par la direction, qui lui reproche les exactions du Mandela United Football Club, groupe de jeunes délinquants terrorisant Soweto. En 1993, officiellement séparée de son mari, libéré en 1990, W. Mandela prend la tête de la puissante Association des organisations civiques (SANCO), dans la partie sud du Transvaal (auj. Gauteng), ainsi que de la Ligue des femmes de l’ANC, au détriment d’Albertina Sisulu*. Élue députée à l’issue des premières élections démocratiques, en avril 1994, elle devient ministre déléguée des Arts, de la Culture et de la Technologie dans le gouvernement que dirige N. Mandela, nouveau président de l’Afrique du Sud. Elle devra cependant renoncer à ses fonctions en mars 1997, alors que se multiplient à son sujet les soupçons de détournement de fonds publics et de fraudes. En 1996, elle est entendue par la Commission vérité et réconciliation (TRC), au sujet des meurtres attribués à son entourage durant les dernières années de l’apartheid. Cette commission conclura à sa connaissance des activités criminelles du Mandela United Football Club. Néanmoins, en dépit de l’hostilité à son égard des élites de l’ANC, qu’elle ne cesse de critiquer en public dès la fin des années 1990, W. Mandela continue de bénéficier d’une popularité sans égale parmi les militants : lors de la conférence de Polokwane, en décembre 2007, c’est en effet elle que les délégués placent en tête de la liste des 80 membres du nouveau comité exécutif national.

Jérôme TOURNADRE

Une part de mon âme (Part of My Soul Went With Him, 1985), Paris, Seuil, 1986.

SMITH S. et CESSOU S., Winnie Mandela, l’âme noire de l’Afrique du Sud, Paris, Calmann-Lévy, 2007.

MANDELEAU, Tita (Danièle SAINT-PRIX, dite) [FORT-DE-FRANCE 1937]

Romancière sénégalaise.

En raison de la carrière de son père, magistrat, l’enfance et l’adolescence de Tita Mandeleau se déroulent entre la France et l’Afrique, qu’elle rejoint en 1947. Après des séjours à Dakar, Saint-Louis et Bamako, elle retourne en France, où elle entreprend des études de secrétariat de direction, se marie et part à Saint-Louis en 1962. Elle vit désormais à New York. Sa carrière littéraire se limite à un roman, Signare Anna ou le Voyage aux escales, publié en 1991 et couronné la même année par le Grand prix du président de la République du Sénégal pour les Lettres. Une nouvelle, Vieux Djo, est également publiée. Signare Anna est un livre dense, aux thèmes variés, dont les axes de lecture combinent le roman historique et le roman de mœurs. La langue y est riche, mêlant souvent wolof et français, les personnages multiples et les situations changeantes. Située dans la ville de Saint-Louis, l’œuvre retrace une partie de la vie de la Signare Anna, au moment où la ville, sous domination française, est confrontée à l’occupation des Anglais entre 1758 et 1779. Le rôle joué par Saint-Louis dans l’histoire du Sénégal et de la colonisation française est inséré dans le roman par la description d’une ville dont la puissance repose sur les échanges entre la France et les grandes familles métisses qui détiennent le monopole du commerce des étoffes, de l’or, de l’encens et des esclaves. Mais c’est avant tout l’histoire complexe des signares de Saint-Louis dont il est question. Si la fascination pour ces femmes métisses, issues de mariages entre femmes sérères et occidentaux – initialement surtout des Portugais – et connues pour leur beauté et leur statut social et économique privilégié, a souvent été évoquée par les écrivains, leur histoire est ici rappelée dans toute son ambigüité et sa cruauté. Elle débute par la description des rapports violents entre les femmes et les officiers de la coloniale commandés par la race et la classe. Elle se poursuit dans l’intimité des mariages ratés et, par les figures qui entourent Anna, dans la souffrance et la malédiction des « enfants sans père ». C’est surtout la condition féminine que dénonce l’auteure à travers quatre personnages : Anna, soumise et pragmatique ; Eliza, sa fille adoptive, la bâtarde qui réalise très tôt l’oppression des femmes et la place difficile des mulâtresses ; Tara Koumba, la belle étrangère, sensible mais dont la race et le statut de favorite l’opposent à Anna ; enfin Ngo Tiné, la servante, l’esclave, l’invisible. Des captives aux prostituées, rien n’est laissé au hasard pour dire une condition féminine douloureuse. Et si parfois l’humour féroce des dialogues entre femmes offre un remède à leur impuissance, il n’épargne certainement pas la société sénégalaise, dont il est rappelé toutes les « inégalité[s] désespérante[s] et féroce[s] ».

Alioune SOW

MANDELSTAM, Nadejda (née IAKOVLEVNA KHAZINE) [SARATOV 1899 - MOSCOU 1980]

Mémorialiste russe.

Nadejda Mandelstam rencontre le poète Ossip Mandelstam à Kiev en 1919 et vit avec lui à partir de 1921. Elle le suit à Voronej pendant ses trois années d’exil (1934-1937). Après son arrestation et sa mort en Sibérie, elle vit de façon quasi clandestine, travaillant de façon erratique et temporaire jusqu’en 1958, où elle est autorisée à revenir à Moscou. Elle assure la préservation de l’œuvre tardive de son mari en copiant et recopiant plus de 200 poèmes et plusieurs pièces en prose qu’elle avait apprises par cœur. En 1979, elle lègue ses archives à l’université de Princeton. Ses Mémoires en trois volumes, Contre tout espoir, ont été publiés aux États-Unis et en Europe dans les années 1970, mais ne sont parues en Russie qu’après la perestroïka. Telle Olga, la première figure littéraire russe de la veuve, femme du prince Igor, dont la vie est relatée dans la Chronique des temps passés, N. Mandelstam s’est consacrée à sauvegarder les œuvres et la mémoire de son époux et à tirer vengeance de ses ennemis. Le premier tome, récit minutieux des années d’exil et de terreur de 1934-1938, rapporte ses souvenirs de la création poétique de son mari. Le deuxième tome revient sur les difficiles années 1920, elle y poursuit le portrait du poète, mais y instruit aussi le procès en lâcheté et en peur de ceux de ses contemporains qui se sont accommodés de la terreur stalinienne. Certaines pages sont de véritables règlements de compte personnels, avec leur part de subjectivité et d’injustice, lui attirant des rancunes tenaces. Mais son œuvre de mémoire demeure un monument inégalé.

Marie DELACROIX

Contre tout espoir, souvenirs, 3 t., Paris, Gallimard (1972-1975), 2013 ; Sur Anna Akhmatova, (texte inédit), Le bruit du temps, 2013.

MANDIARGUES, Bona DE (née TIBERTELLI DE PISIS) [ROME 1926 - PARIS 2000]

Peintre et écrivaine française.

« Par mes pinceaux, je suis arrivée au pouvoir », écrit Bona de Mandiargues dans Bonaventure (1977), son abécédaire de propos esthétiques et biographiques. Nièce du peintre Filippo De Pisis, elle étudie l’art à Modène puis à Venise. En 1947, elle rencontre à Paris André Pieyre de Mandiargues et le groupe surréaliste, avec lequel elle expose en 1953, à Rome, et en 1959 et 1964, à Paris. La facture stylistique de sa peinture change fréquemment. Elle favorise d’abord les natures mortes à valeur symbolique ; elle intègre des débris végétaux et industriels dans ses toiles, pratique la « décalcomanie ». En 1958, un long séjour au Mexique provoque l’usage de nouvelles couleurs acryliques plus claires et ses premières expériences avec les vêtements d’homme décousus. Elle abandonne ensuite les pinceaux pour la machine à coudre et invente des assemblages « cousus-collés » ou « ragarts », sa contribution fondamentale à « l’art brut ». Tout en poursuivant sa carrière de peintre, elle prend la plume et rédige des écrits autobiographiques, comme son recueil À moi-même (1988). Elle publie également un essai sur l’art du Nouristan (1964), un récit, La Cafarde (1967), des traductions en italien de Michaux, plusieurs textes à propos de son oncle, et des poèmes en italien : I lamenti di Serafina (1985). En 2001, sa fille Sibylle publie son journal d’enfance, Vivre en herbe.

Adélaïde RUSSO

PIEYRE DE MANDIARGUES A., Bona, l’amour et la peinture, Genève, A. Skira, 1971 ; COLLECTIF, Bona, vingt-cinq ans d’imagination et de création, Paris, Galerie de Seine, 1976 ; COLVILLE G., Scandaleusement d’elles, trente-quatre femmes surréalistes, Paris, J.-M. Place, 1999.

RUSSO A., « Pour tout ce que les yeux voient », in COLVILLE G., CONLEY K. (dir.) La femme s’entête, Paris, Lachenal & Ritter, 1998.

MANDOLFO, Pina [BELPASSO, SICILE 1949]

Écrivaine et réalisatrice italienne.

Professeure de langue et de littérature anglaises, Pina Mandolfo vit en Sicile à Catane et à Palerme. Promotrice d’initiatives didactiques et culturelles (littéraires et cinématographiques en particulier) sur le savoir des femmes et sur la différence des sexes, elle est l’auteure de Desiderio (« désir », 1995), un roman épistolaire sur la passion amoureuse de deux femmes entre une Sicile baignée de lumière et un Piémont gris et livide. La Sicile et ses femmes sont également les thèmes des nouvelles de P. Mandolfo publiées dans l’anthologie de littérature lesbienne dirigée par Delia Vaccarello*, Principesse azzurre (« princesses charmantes »), et de l’essai Il sud delle donne, le donne del sud (« sud des femmes, femmes du Sud », 2000).

Francesco GNERRE

MANENTI, Josée [CORSE 1923 - COUR-CHEVERNY 2010]

Psychanalyste française.

Tout commence pour Josée Manenti avec la Résistance pendant laquelle, aidée de son mari et d’une femme juive, médecin, elle fait passer en Suisse des enfants cachés dans le collège du Chambon-sur-Lignon. Après la guerre, en 1946, elle adhère au parti communiste et, à cette occasion, fait la connaissance d’un médecin qui travaille à la Grande cordée – association fondée peu de temps auparavant par Fernand Deligny –, spécialisée dans l’hébergement d’enfants délinquants ou atteints de troubles autistiques. Rien ne prédisposait cette fille d’industriels, ayant étudié la chimie et devenue journaliste à L’Espoir, à se confronter à ce monde de l’enfance déshéritée. En rupture avec ses amarres familiales, elle s’engagera corps et âme aux côtés de F. Deligny dans une aventure communautaire novatrice, en grande partie cévenole, où il s’agissait d’éveiller à la vie des adolescents en perte de repères et en mal d’existence. Aucune théorisation n’étant volontairement faite sur l’effet thérapeutique de cette expérience – vécue cependant sous le regard bienveillant de François Tosquelles et qui préfigure déjà le groupe de psychothérapie institutionnelle initié par Jean Oury et l’ouverture de la clinique de La Borde –, l’idée de faire un film commence à germer dans la tête de ces cinéphiles aventureux. C’est ainsi que va naître, avec J. Manenti à la caméra, Le Moindre Geste, film rescapé de multiples péripéties, contant en plusieurs temps l’incroyable aventure de ces solitudes passionnées. Chris Marker et François Truffaut en seront les parrains admiratifs. Présenté à Cannes en 1971 dans le cadre de la Semaine de la critique, il ne sortira en salle qu’en 2004, après la mort de F. Deligny. Devenue psychanalyste à Paris, J. Manenti, qui suivit assidûment avec F. Tosquelles le séminaire de Jacques Lacan et collabora activement avec Félix Guattari au journal Recherches, aura su transmettre, dans sa pratique et dans l’enseignement qu’elle prodigua à l’université Paris-VII, l’extraordinaire écoute des troubles psychiques dont elle fit preuve toute sa vie. C’est à la clinique de La Borde qu’elle s’éteignit, entourée de ceux qui lui doivent bien plus qu’une formation ; une leçon de vie.

Chantal TALAGRAND

MANETAS, Elèni (née COMILI) [MYTILÈNE 1937]

Architecte grecque.

Après des études à la faculté d’architecture de l’Université technique nationale d’Athènes (NTUA) entre 1958 et 1963, Elèni Manetas travaille à deux reprises dans l’agence de Ioannis Vikelas (1931), de 1963 à 1964, puis de 1971 à 1973. Entre-temps, de 1964 à 1967, elle est employée par la direction du logement ouvrier du ministère des Travaux publics, puis collabore, de 1967 à 1970, avec l’architecte Aggelos Trepeklis, à la conception et la réalisation de l’hôtel Eretria Beach sur l’île d’Eubée. Depuis 1973, elle travaille avec son mari, Yorgos Manetas (1936), au sein de leur agence à Athènes. Une grande partie de leurs réalisations est située dans la banlieue nord d’Athènes, où les entrepreneurs produisent des bâtiments sans autre qualité que leur rentabilité. En adoptant une architecture aux lignes simples, intégrée à l’environnement, le couple a réussi à préserver certains secteurs. Ils ont signé quelques immeubles de bureaux, dont celui du quartier de Maroussi associé à un centre commercial (1978) ou de l’avenue Grammos (1990). Dans ce quartier, ils ont également construit leur propre maison, puis leur atelier (1966-1969/1990-1991), structure métallique surplombant les volumes réguliers originels de pierre apparente ou de maçonnerie enduite. L’essentiel de leur production concerne l’habitation. On relève de nombreux immeubles dans le quartier Palaio Psychiko, rues Mantzarou (1974), Papanastasiou et Palama (1978), Sismanoglou (1981) ou encore Dimokratias (1993) ; des complexes résidentiels dans le quartier de Kifissia, rues Pendelis et Pefkon (1988) et des résidences à Ekali. Comme l’illustre l’ensemble de la rue Charilaou-Trikoupi (1989), leur architecture est d’un langage moderne, jeux de volumes dans le sillage de Le Corbusier (1887-1965) ou De Stijl. Ils utilisent des matériaux simples, confrontant volontiers pierre et métal, texture naturelle et couleurs primaires, pour mettre en évidence les détails architecturaux. En 2010, leur œuvre a été saluée par une exposition du musée Benaki d’Athènes.

Lydia SAPOUNAKI-DRACAKI

CONDATAROS S., WANG W., 20th Century Architecture. Greece, Munich, Prestel, 1999 ; SKIADA I. (dir.), Giórgos Kai Eléni Manéta/Yiorgos and Eleni Manetas, Athènes, Benaki Museum, 2010.