ALCYON (Édith DUFRESNE DIDIER, dite) [GRENOBLE 1946]
Peintre française.
Sociétaire depuis 1994 des Artistes français, Alcyon a principalement exposé dans les années 1980-2000, tant en France, à Paris ou en province, qu’en Europe, en Angleterre (B. H. Corner Gallery, St Paul Cathedral Place, Londres), en Suisse à Genève, aux États-Unis (dont l’ambassade de France à Washington) et au Japon (groupe Sony). Elle a remporté différentes médailles d’or, à Marseille en 1989 pour Le Souffle nerveux du vent crétois, à Avignon en 1986 pour La Ville labyrinthe, et à Aix-en-Provence en 1990 pour Nuit de Mistral, ainsi que le prix Gigenkai au Festival international d’art graphique d’Osaka en 1990 pour Blues. Ses œuvres Le Destin et Et, peut-être, les mâts, invitant les orages… sont respectivement dans les collections des musées municipaux des villes d’Arles et de Marseille. Sa peinture, figurative, de facture impressionniste, est exécutée principalement au couteau, afin de donner un maximum de luminosité et de pureté à chacun de ses tons. Ses toiles ont essentiellement pour sujet les associations d’idées ou les analogies qui existent entre les formes et les couleurs, suivant un mode d’expression proche de celui de l’image poétique. La nuit, l’eau et l’ombre servent de médium. De même, dans ses sculptures « Terres d’ombres », les ombres portées suggèrent l’au-delà de l’apparence actuelle des choses, ainsi la forme de L’Épave ressuscite le bateau qu’elle fut.
Alice LE GALL
■ Alcyon, brève rétrospective, 1982-94, Isère, Éditions Saga, 1994.
■ PERRARD S., « La Nuit et l’Eau », in Dauphiné libéré, 22 mars 1990 ; POLLIOT T., « Entre la nuit, l’ombre et l’eau », in Dauphiné Libéré, 2 mars 1991.
ALDECOA, Josefina (née RODRÍGUEZ ÁLVAREZ) [LA ROBLA 1926 - MAZCUERRAS 2011]
Écrivaine et pédagogue espagnole.
Grâce à sa mère et sa grand-mère institutrices, adeptes de l’idéologie de l’Institución libre de enseñanza (« institut d’enseignement libre »), Josefina Aldecoa cultive, dès ses jeunes années, l’idée de rénover l’éducation. Adolescente, elle fait partie d’un groupe littéraire qui anime la revue de poésie Espadaña. Après des études de lettres à Madrid, elle obtient un doctorat en pédagogie, à l’origine de l’ouvrage El arte del niño (« l’art de l’enfant »), publié en 1960. Lors de ses années universitaires, elle se lie avec des écrivains, dont Carmen Martín Gaite* et Ignacio Aldecoa, avec qui elle se marie en 1952. Elle voyage en Europe et aux États-Unis, et publie A ninguna parte (« vers nulle part », 1961). Dans Los niños de la guerra (« les enfants de la guerre », 1983), elle fait le portrait de cette génération qui vit dans le néant intellectuel, après la guerre civile. En 1995, elle fait paraître, avec une introduction très personnelle, les Cuentos completos d’I. Aldecoa, hommage posthume à son compagnon. En 1959, elle crée à Madrid le collège Estilo, en s’inspirant des idées développées dans sa thèse et dans des collèges visités à l’étranger. Son programme insiste sur les études littéraires et artistiques, dans un cadre très libre d’où la religion est absente. Dans les années 1980, elle publie trois romans bien accueillis par la critique. Le succès arrive en 1990 avec une trilogie à veine autobiographique, Historia de una maestra (« histoire d’une institutrice », 1990), Mujeres de negro (« femmes en noir », 1994) et La fuerza del destino (« la force du destin », 1997), où elle raconte la vie de quelques femmes, institutrices, républicaines et exilées. Elle finit par écrire une histoire d’amour romantique, Hermanas (« sœurs », 2008), ce qu’elle avait toujours désiré faire. En 2004, elle obtient le prix Castilla y León des lettres.
Àngels SANTA
■ ALBORG C., « “La Enredadera” de Josefina Aldecoa, una devoradora de mujeres », in AIH, Actas X, 1989 ; CONDE R., « Todas las vidas », in El País, 1er mai 2004 ; CONTRERAS M. A., « Contar la vida, observaciones en torno a la construcción de la memoria en tres novelas de Josefina Aldecoa », in Cuadernos, n° 10, 2008.
ALDONINA, Rimma PETROVNA [MOSCOU 1928]
Architecte et écrivaine russe.
De 1945 à 1951, Rimma Petrovna Aldonina suit des études à l’École d’architecture de Moscou (MAI), dans l’atelier de deux adeptes du constructivisme, Lev Milegi et Georg Zoumlat. À cette époque, elle est attachée à la plus grande institution de projets de construction d’État pour Moscou, le Mosproekt, travaillant sur des immeubles d’habitation en série, dits « staliniens », à l’architecture somptueuse et richement décorée. En 1953, année de la mort de Staline, jugeant que son travail relève de la routine, elle retrouve la créativité au sein d’une chorale d’architectes dans laquelle elle se montre très active. Véritable bol d’air pour les architectes contraints de travailler sur les projets types, elle leur permet de s’exprimer à travers les paroles satiriques de leurs chansons dont certaines sont devenues des slogans. Mais suite à la décision officielle, en 1955, d’éliminer les excès dans les projets, elle doit modifier ses plans, comme dans l’immeuble de la rue Avtozavodskaia à Moscou. Membre de l’Union des architectes d’URSS à partir de 1956, une mission importante sur le plan politique lui est confiée entre 1967 et 1968 : elle est envoyée au Congo-Brazzaville pour suivre le chantier de l’hôtel Cosmos, offert par l’Union soviétique et conçu par I. Vatoutin. En 1969, elle est chargée de la conception du cinéma Elbrous à Moscou ; projet type dans un premier temps, il évolue vers une version très personnelle et est achevé au début des années 1980. Parallèlement, elle a restauré le Palais de la culture Proletarskij, connu sous le nom de Likhatchev, construit entre 1931 et 1937 par les frères Vesnine, architectes constructivistes, et bombardé pendant la guerre. Entre 1970 et 1986, elle conçoit son plus grand ensemble d’habitations situé sur les bords du quai Nagatino : baptisé par la population « Les voiles », il est composé de trois groupes d’immeubles de 10 à 23 étages et s’étend sur deux kilomètres, créant une silhouette originale et révolutionnaire en comparaison de l’architecture préfabriquée de cette période. Elle a aussi en charge la construction d’un immeuble d’habitation antibruit sur la rue Bolchie-Kamentschiki qui, novateur par sa distribution, sera par la suite diffusé comme projet type. En 1980, nommée chef d’équipe de l’Atelier d’architecture et d’urbanisme de l’arrondissement Touchinskij de Moscou, elle y dirige de nombreux projets d’urbanisme et d’architecture, et, en 1987, elle rejoint un autre département où elle est chargée de la coordination des projets. Elle prend sa retraite en 1990 et se consacre à l’écriture (elle sera admise à l’Union des écrivains russes en 1997), travaillant dans deux domaines distincts : l’histoire de la Russie et les poèmes éducatifs pour enfants. Elle a été couronnée de divers titres honorifiques, dont celui d’Architecte du mérite de la République de Russie (1976).
Vlada TRAVEN
ALEČKOVIĆ, Mira [NOVI SAD 1924 - BELGRADE 2008]
Poétesse et romancière serbe.
Figurant parmi les auteures de littérature pour la jeunesse les plus prolixes de l’ex-Yougoslavie, Mira Alečković fait des études de lettres à Belgrade et à la Sorbonne en 1953-1954, puis devient membre de l’Union de la jeunesse communiste yougoslave. En 1941, elle s’engage dans la Résistance. Après la libération, elle devient rédactrice des premiers magazines pour la jeunesse : Omladina (« la jeunesse ») ; Pionir (« pionnier ») ; Mladost (« jeunesse ») et Poletarac (« oisillon »). En 1954, elle est l’une des fondatrices de la revue Zmaj, du nom du poète Jovan Jovanović-Zmaj, dont elle sera rédactrice en chef pendant plus de vingt ans. Elle occupe des postes à haute responsabilité au sein du quotidien national Borba (« le combat »), de 1954 à 1957, et de la maison d’édition Nolit, de 1952 à 1955. Elle a également été présidente de l’Union des écrivains de Serbie et de l’association Yougoslavie-France. Très populaire auprès du grand public dans l’après-guerre et disciple de la poétesse serbe Desanka Maksimović (1898-1993), M. Alečković sombre dans l’oubli après la chute du régime communiste et aujourd’hui encore, demeure le symbole d’une époque révolue. Sa poésie était attrayante, sentimentale et mélodieuse. Elle a écrit près d’une vingtaine de recueils, dont : Zvezdane balade (« balades étoilées », 1946) ; Ljubavi je malo (« peu d’amour », 1959) ; Da život bude ljubav (« que la vie soit amour », 1970) ou encore Pletisanke (1986). Elle est également auteure de romans, parmi lesquels Zašto grdiš reku ? (« pourquoi blâmes-tu la rivière ? », 1955), Zbogom velika ljutnjo (« adieu grande colère », 1958) et Jutro (« matin », 1963). Ses œuvres en prose, bien que souvent primées, n’ont cependant pas rencontré un grand succès. Son œuvre poétique a été inscrite au programme obligatoire de l’enseignement littéraire dans toutes les républiques de l’ex-Yougoslavie.
Aleksandar JERKOV
ALEGRÍA, Claribel (Clara Isabel ALEGRÍA) [ESTELÍ 1924]
Écrivaine nicaraguayenne.
Clara Isabel Alegría fuit la dictature d’Anastasio Somoza avec sa famille, qui s’installe au Salvador, où elle publie ses premiers poèmes à 17 ans. L’année suivante, elle part étudier aux États-Unis, d’abord à La Nouvelle-Orléans, invitée par le poète espagnol Juan Ramón Jiménez, puis à l’université de Washington où elle étudie la philosophie et les lettres. Avec le journaliste américain Darwin Flakoll (« Bud »), qu’elle épouse, elle signe des articles sous le nom composé « Claribud ». Elle réside dans plusieurs pays d’Amérique et d’Europe, notamment en France, où elle fréquente des intellectuels latino-américains : Mágica tribu (« tribu magique », 2007) rassemble ces souvenirs. Pourtant, la véritable passion de Claribel Alegría (elle doit son pseudonyme au célèbre philosophe José Vasconcelos) demeure la poésie, avec notamment Anillo de silencio (« anneau de silence », 1948), un ensemble de 22 poèmes sélectionnés par J. R. Jiménez préfacé par J. Vasconcelos, et Sobrevivo (« je survis », 1978), récompensé par le prix Casa de las Américas (Cuba). Le recueil Saudade, Prix de poésie des auteurs indépendants aux États-Unis (2000), lui a été inspiré par la mort et le souvenir de son mari. Outre un très grand nombre de recueils de poèmes, l’écrivaine explore les formes littéraires les plus variées, comme le roman, la nouvelle, l’essai ou le témoignage, et rompt les barrières entre les genres. L’œuvre qui illustre le mieux cette hétérogénéité est Luisa en el País de la Realidad (« Louisa au pays de la réalité », 1987), un collage de vers et de prose qui redonne vie à ses souvenirs. En 1985, C. Alegría rentre au Nicaragua pour soutenir la restructuration du pays qui succède à la guerre civile. Tout au long de son existence, elle souligne son engagement avec la résistance non violente face aux régimes dictatoriaux, aux guerres et aux injustices sociales dans les deux pays où elle a grandi : le Nicaragua, sa « matrie », et le Salvador, sa « patrie ». Le dialogue avec la violence et la mort occupe une place fondamentale dans son œuvre et l’absence est, paradoxalement, une des plus solides présences dans l’univers de sa parole poétique. Sa volonté de fixer les émotions les plus insupportables est toutefois compensée par une foi inébranlable en l’avenir. Souhaitant livrer une vision réaliste et engagée de la situation politique du moment, elle s’oriente vers une poésie démocratique de dénonciation, mais sa recherche formelle s’apparente à un nouveau surréalisme qui utilise le langage de la rue, lacéré, véhément, voire antilittéraire. Elle a écrit plusieurs livres avec D. Flakoll, dont le roman historique Somoza, expediente cerrado : la historia de un ajusticiamiento (« Somoza, un dossier clos : l’histoire d’une exécution », 1993), qui retrace la vie du dictateur, et les essais politiques No me agarran viva : la mujer salvadoreña en la lucha (« ils ne m’auront pas vivante : la femme du Salvador en lutte », 1983) et Para romper el silencio : resistencia y lucha en las cárceles salvadoreñas (« pour briser le silence : résistance et lutte dans les prisons du Salvador », 1984). Elle a aussi publié des livres pour enfants.
Silvia COLMENERO MORALES
■ Petit pays/Pequeña patria (édition bilingue), Paris, Des femmes-Antoinette Fouque, 1984.
ALEKSANDROVA, Olga JAKOVLEVNA [IŽEVSK 1963]
Dramaturge, metteuse en scène et actrice oudmourte russe.
Après des débuts difficiles à Moscou et un diplôme de l’Institut de la culture (1987), Olga Aleksandrova retourne en République d’Oudmourtie – région de l’un des peuples finno-ougriens de Russie. Elle se forme et travaille au théâtre de marionnettes d’Iževsk. En 1989, elle est invitée à travailler au théâtre de marionnettes de Nižni Tagil, où elle monte un premier spectacle en vieux russe, Dit de la campagne du prince Igor. Sa deuxième création, Tri svadebnyh napeva (« trois refrains de noces », 1994), est dédiée à la culture oudmourte selon laquelle l’être humain épouse d’abord la vie, puis l’amour, et enfin la mort ; la troisième, Sotkannyj iz pesen i snov (« tissé de chants et de songes », 2000), met en scène la femme qui file la vie, comme une étoffe blanche, rouge et noire. Le succès remporté lors d’une tournée en Russie, puis lors de festivals en Finlande, en Norvège et au Canada, forge la réputation d’O. Aleksandrova dans le monde finno-ougrien. En novembre 2002, elle accepte la proposition du gouverneur du district autonome des Khanty-Mansi de créer un théâtre national des peuples finno-ougriens. Le défi est grand, car la culture des Khanty et des Mansi – semi-nomades disséminés au fil de villages saisonniers – vit dans la taïga en proie aux derricks et aux torchères. Comment former une troupe professionnelle ? Elle entreprend de rencontrer des étudiants autochtones, leur parle avec succès d’un théâtre appuyé sur le folklore et la mythologie et crée avec eux une troupe de 15 artistes professionnels. De spectacle en spectacle, elle conjugue traditions populaires et création d’auteure. Ja v etot mir prišël, čtoby videt’solnce (« je suis venu dans ce monde afin de voir le soleil », 2006) semble échappé des tableaux où s’anime le Nord sous le pinceau du peintre russo-khanty Gennadij Rajšev ; Za solncem iduščie, za mirom smotrjaščie (« les chasseurs de soleil, les veilleurs du monde »), inspiré par l’univers des Khanty et des Mansi, offre trois tableaux vivants (pêche, chasse au renne et chasse aux oiseaux). O. Aleksandrova fait de l’ethnographie vivante. À l’instar de la course du soleil ou de la révolution de la terre, elle ne conçoit pas une création figée. Au-delà de la fidélité, l’essentiel pour elle est de faire un théâtre enraciné qui s’ouvre sur le ciel.
Dominique SAMSON NORMAND DE CHAMBOURG
ALEMÁN, Gabriela [RIO DE JANEIRO 1968]
Écrivaine équatorienne.
María Gabriela Alemán Salvador a étudié dans différents pays et obtenu une maîtrise de lettres à Quito, puis un doctorat de cinéma latino-américain à l’Université de Tulane (Nouvelle-Orléans). Son premier recueil de contes, Maldito Corazón (« cœur maudit », 1996), s’inscrit dans un registre fantastique. Il présente une série d’histoires dans lesquelles l’insolite surgit du quotidien. Vampires et monstres permettent de développer une fantaisie de l’horreur émergeant de la banalité. Zoom (1997) est constitué de huit nouvelles dans lesquelles l’aspect formel de la composition, l’intertextualité et l’implicite sont davantage soulignés. C’est en 2003 que paraît son premier roman, Body Time, dont l’intrigue policière sophistiquée a pour cadre le monde universitaire nord-américain, dans lequel les étudiants d’Amérique latine doivent se préoccuper de leur survie. Cette trame permet à l’écrivaine de peindre une Nouvelle-Orléans dévorant ses habitants. En 2004, l’essai Cine en construccion, largometrajes ecuatorianos de ficcion 1924-2004 (« cinéma en construction, longs-métrages de fiction équatoriens 1924-2004 ») est primé lors d’un concours organisé par la Fondation du nouveau cinéma latino-américain. Dans Poso Wells (2007), G. Alemán mêle le journalisme à la bande-dessinée, partant de la réalité sociale et politique équatorienne, avec une campagne électorale, et basculant vers le fantastique, qui met cette réalité en perspective.
Cecilia ANSALDO BRIONES
■ Prison ambrée, in GUERRERO G. et IWASAKI G. (dir.), Les Bonnes Nouvelles de l’Amérique latine, Paris, Gallimard, 2010.
ALERAMO, Sibilla (Rina FACCIO, dite) [ALEXANDRIE 1876 - ROME 1960]
Écrivaine italienne.
Rina Faccio doit renoncer à ses études en 1888 pour devenir comptable dans l’usine que dirige son père, et commence à s’intéresser au thème du travail et à la condition des femmes. En 1893, elle épouse un employé de l’usine qui l’a violée, et deux ans plus tard, donne naissance à un fils. Tâchant d’éviter l’isolement auquel elle est contrainte depuis son mariage forcé, elle écrit des articles. Son activité culmine en 1899, lorsqu’elle devient directrice de L’Italia Femminile, un hebdomadaire fondé à Milan par la socialiste et féministe Emilia Mariani. En 1902, R. Faccio quitte son mari, s’installe à Rome et noue une relation affective avec Giovanni Cena, directeur de Nuova Antologia. Elle entame l’écriture d’Une femme, qui sera publié en 1906 sous le pseudonyme de Sibilla Aleramo. Ce roman d’une femme qui quitte son mari et son enfant pour accéder à son indépendance est source de violentes polémiques au moment de sa parution, mais rencontre un large écho, y compris à l’étranger. En France, il fait partie des trois premiers livres édités par les éditions des femmes. À la même époque, R. Faccio met au point un projet de soutien de l’instruction à travers la création d’écoles dans la campagne romaine. Après avoir mis fin à sa relation avec G. Cena en 1910, l’écrivaine s’ouvre aux courants culturels les plus forts, s’intéresse au futurisme, rencontre les intellectuels de la revue culturelle La Voce, fréquente artistes et poètes. Ses textes évoquent les nombreuses liaisons qu’elle entretient. Son deuxième roman, Le Passage, paraît en 1919, mais son angoisse de « transfiguration » est mal perçue par la critique et le public, alors que ses poésies, Momenti (« moments », 1920), et sa prose, Andando e stando (« aller et rester », 1920), reçoivent un bon accueil. En 1925, elle écrit un manifeste pour les intellectuels antifascistes. Paraissent ensuite : un roman autobiographique et épistolaire, Amo dunque sono (« j’aime donc je suis », 1927) ; un recueil d’impressions, de portraits littéraires et d’épisodes autobiographiques, Joies d’occasion (1930), qui reçoit, en France, le prix de la Latinité ; Il frustino (« le fouet », 1932), qui raconte ses aventures avec Giovanni Boine ; et des recueils de poésie. Après la guerre, elle milite au parti communiste et publie : Dal mio diario (1940-1944) (« de mon journal », 1945), qui deviendra Un amore insolito, diario 1940-1944 (« un amour insolite, journal »), le recueil de poésie Selva d’amore (« forêt d’amour », 1947), et Il mondo è adolescente (« le monde est adolescent », 1949). Parmi ses œuvres parues à titre posthume se trouve Diario di una donna. Inediti 1945-1960 (« journal d’une femme, inédits 1945-1960 »).
Anna Teresa ROMANO CERVONE
■ Le Passage (Il passaggio, 1919), Abbeville/Paris, Impr. F. Paillart/F. Rieder et Cie, 1922 ; Joies d’occasion (Gioie d’occasione, 1930), Paris, Nouvelles éditions latines, 1933 ; Une femme (Una donna, 1906), Paris, Des femmes-Antoinette Fouque, 1974.
ALES BELLO, Angela [ROME 1940]
Philosophe italienne.
Après des études de philosophie à l’Université La Sapienza de Rome, Angela Ales Bello enseigne l’histoire de la philosophie contemporaine à l’Université pontificale du Latran et dirige le Centre italien de recherches phénoménologiques. Collaboratrice de nombreuses revues italiennes et internationales telles que Segni e comprensione, Per la filosofia, Analecta Husserliana, elle consacre l’essentiel de ses travaux à l’approfondissement de la pensée de Husserl et à une amplification anthropologique de la phénoménologie, dont elle est l’une des plus actives représentantes à travers le monde. Elle aborde la pensée husserlienne sous différents angles : Edmund Husserl e la storia (1972), Husserl e le scienze (Rome, 1980), Husserl. Sul problema di Dio (1985). Sans cesser de soutenir la prégnance du religieux (Culture e religioni. Una lettura fenomenologica, 1997) et du mystique (Natura Persona Mistica, 1997), elle accorde une importance particulière au statut de la femme et à la notion de singularité (Fenomenologia dell’essere umano. Lineamenti di una filosofia al femminile, 1992). Très attachée à la personnalité et à la pensée d’Edith Stein*, elle a édité ses œuvres en italien et lui a consacré de nombreuses études (Edith Stein : la passione per la verità, 1998 ; Edith Stein, o dell’armonia, 2009).
Roger DADOUN
ALEXANDER, Hattie [BALTIMORE 1901 - NEW YORK 1968]
Pédiatre et microbiologiste américaine.
Hattie Elizabeth Alexander a mis au point le traitement de la méningite, maladie mortelle jusque dans les années 1940, particulièrement chez les enfants. Née dans le Maryland, elle est la seconde d’une famille de huit enfants. Étudiante à Goucher College, elle se découvre une passion pour la bactériologie, domaine dans lequel elle commence à travailler avant de poursuivre ses études à l’école de médecine Johns Hopkins. Elle obtient son diplôme en 1930. Spécialisée en microbiologie et en pédiatrie, elle fait toute sa carrière au New York City Babies Hospital, qui fait partie du Columbia Presbyterian. Elle y dirige le laboratoire de microbiologie tout en enseignant à l’école de médecine de l’université Columbia. Elle est promue professeure titulaire en 1958. Lorsque H. Alexander commence ses recherches, il n’existe pas de traitement de la méningite bactérienne à Haemophilus influenzae. Elle commence par utiliser une technique développée à l’université Rockefeller qui consistait à injecter des bactéries à des chevaux pour obtenir un antisérum contre la pneumonie, avant de préférer l’antisérum obtenu à partir de lapins, auxquels elle injecte de fortes doses de liquide rachidien prélevé sur les enfants atteints de la maladie. Avec la collaboration de Michael Heidelberger, chercheur en immunochimie, elle inocule l’antisérum à ses patients. En 1939, elle obtient plusieurs guérisons de nourrissons. L’année suivante, le taux de mortalité lié à cette méningite était réduit de 80 %. Elle découvre qu’Haemophilus influenzae provoque une autre maladie, connue sous le nom de croup. Au début des années 1940, elle commence par utiliser les sulfamides et les antibiotiques que l’on mettait alors au point, et constate que les bactéries développaient parfois des résistances à ces nouveaux médicaments. Elle est l’une des premières à étudier ces résistances et à les relier à des mutations du patrimoine génétique de la bactérie. Elle avance l’hypothèse selon laquelle le matériel génétique du virus de la poliomyélite peut infecter les cellules humaines. Ses travaux sur l’Haemophilus influenzae et la résistance bactérienne confirmaient ceux du chercheur américain Oswald Avery. H. Alexander obtient plusieurs récompenses pour son travail, dont, en 1942, le prix E. Mead Johnson pour la recherche en pédiatrie. Elle est la première présidente de la Société américaine de pédiatrie (1964) et ainsi l’une des premières femmes à la tête d’une société médicale à l’échelon national.
Madeleine COTTENET-HAGE et Doris MÉNACHÉ-ARONSON
■ Avec ELLIS C., LEIDY G., « Treatment of type-specific Haemophilus influenzae infections in infancy and childhood », in Journal of Pediatrics, vol. 20, no 6, juin 1942.
ALEXANDER, Jane [JOHANNESBURG 1959]
Sculptrice, photographe et artiste multimédia sud-africaine.
Le corps souffrant, ambivalent, monstrueux et masqué qui est au centre du travail de Jane Alexander sollicite les puissances mêlées du réalisme et du fantastique, du familier et de l’étrange : c’est au moyen de cette dialectique entre proximité et étrangeté que la plasticienne prend en charge la schizophrénie identitaire qui a marqué et marque encore, si singulièrement, son pays. Fille d’un père juif qui a fui la Berlin nazie de 1936, elle est née, a grandi, étudié et commencé à œuvrer dans l’Afrique du Sud de l’apartheid, où l’accès aux écoles d’art et aux universités reste l’apanage des blancs. Ses études à l’université de Johannesburg, à la fois pratiques et théoriques, la portent à s’interroger sur les thèmes de la violence et de l’angoisse, si présents dans son art. Très vite, elle recueille différents suffrages comme, en 1982, le prix de la National Fine Arts Student Competition. Son art ne lui permet pourtant pas de vivre, et elle enseigne dans une école de Namibie puis, à compter de 1990, travaille à l’université du Cap. Dès ses premières œuvres, elle s’intéresse aux métamorphoses du corps, d’abord masculin, mis en scène dans des installations à taille humaine qui unissent fortement le spectateur à ce qu’il voit. Ses photomontages situent ensuite ses installations dans un décor sud-africain qui rappelle souvent l’ambiance désolée d’un reportage de guerre. Réalisés en noir et blanc, ils affichent cette non-couleur qui domine, sans règles fixes, ses sculptures, dans lesquelles le visage d’un noir peut très bien être blanc : c’est toute l’ambiguïté du jazzman noir entièrement blanc crucifié sur fond noir de Hit (1995). Les corps, moulés et modelés en plâtre avec lenteur et précision, évoquent la torture du corps écorché, supplicié, recroquevillé et, au début de sa carrière, ouvert. Les Butcher Boys (1985-1986), véritables mutants cornus mutilés dans leurs sens – nez, oreilles, bouches tantôt bouchés, tantôt béants –, apparaissent comme des monstres livides de plâtre, d’os et de corne, dont les corps d’hommes sont parfaitement restitués et les têtes, monstrueuses, chimériques, suscitent à la fois crainte et pitié. Les représentations du corps de la femme qu’elle livre à partir des années 1990, comme la Black Madonna (1991), ou la blême Stripped (« Oh Yes » Girl, 1995), sont moins ambiguës. Tantôt elles récupèrent l’iconographie chrétienne au profit de personnages noirs, tantôt elles exposent sans manichéisme les violences faites au corps féminin devenu poupée articulée et, à nouveau, crucifié. Le corps, à compter de cette période, n’est plus ouvert mais voilé, masqué, auréolé, et le masque – traditionnellement dansant dans la culture africaine, ici figé dans les postures glacées des personnages qui jamais ne communiquent entre eux –, le voile et les têtes d’animaux greffées sur des corps d’hommes renouvellent la question d’une identité sociale déterminée par le seul visage. À partir de 1997, certaines de ses figures ont de plus en plus souvent la taille des enfants des rues du Cap ; librement associées, elles évoquent la déformation du corps social : le tourisme des safaris (African Adventure, 1999-2002) ou l’impossible réunification d’une société à la fois trop violente et trop sécurisée (Security, 2006). Réalisé en 1995, Erbschein, An den Bergen (« témoignage d’un héritage, aux montagnes ») évoque la Shoah et place l’image de la maison paternelle au centre d’une œuvre qui emprunte un langage plastique sensiblement différent, radicalement déshumanisé. L’artiste a été associée au Resistance Art, ce mouvement ample et effervescent qui, avant la suppression définitive de l’apartheid en 1991, a mobilisé les moyens de l’art pour dénoncer la politique raciale du pays. Dès 1995, année de sa présentation à la Biennale de Venise, son œuvre a connu un franc succès international qui, depuis, se confirme chaque année.
Anne LEPOITTEVIN
■ Jane Alexander : DaimlerChrysler Award for South African Sculpture (catalogue d’exposition), Ostfildern, Hatje Cantz, 2002.
■ ARNOLD M., Women and Art in South Africa, Le Cap/Johannesburg/New York, David Philip/St. Martin’s Press, 1997 ; BERNADAC M.-L., NJAMI S. (dir.), Africa Remix, l’art contemporain d’un continent (catalogue d’exposition), Paris, Centre Pompidou, 2005 ; WILLIAMSON S., Resistance Art in South Africa (1990), Lannsdowne, Double Storey, 2005.
ALEXEÏEVA, Marina ANATOLIEVNA VOIR MARININA, Alexandra
ALEXIEVITCH, Svetlana [IVANO-FRANKOVSK, UKRAINE 1948]
Écrivaine bélarussienne.
Svetlana Alexievitch grandit dans un petit village bélarussien dévasté par la Seconde Guerre mondiale et se dit depuis lors fascinée par le thème de la mort. Diplômée de la faculté de journalisme de Minsk en 1972, elle travaille d’abord dans la presse locale puis dans la grande revue Nioman (« le Niémen »), mais se sent très vite à l’étroit dans le journalisme. Marquée par les œuvres des écrivains bélarussiens Ianka Bryl et Ales Adamovitch, elle aspire à découvrir un autre visage des événements, loin des versions officielles. Elle décide donc de suivre les grands moments de l’histoire de l’URSS – guerre en Afghanistan, éclatement de l’Union soviétique, goulag, Tchernobyl – en interviewant des centaines de témoins. Dans la perspective d’écrire « l’histoire de l’utopie soviétique » et espérant faire entendre la voix des oubliés, elle crée des « romans de voix », soucieuse de respecter les mots, les émotions des personnes écoutées et tentant de les rendre dans un style simple, dépourvu de commentaires et d’explications. Ses premières publications, La guerre n’a pas un visage de femme et Derniers témoins, sont consacrées à la Seconde Guerre mondiale. Elles connaissent un succès immédiat, malgré la pression de la censure, qui lui reproche de ternir l’image héroïque du peuple soviétique. Les Cercueils de zinc, fondé sur les témoignages d’anciens soldats en Afghanistan, suscite un raz de marée de protestations de la part de la hiérarchie militaire. Lorsqu’elle donne la parole aux victimes de la tragédie de Tchernobyl, son livre, La Supplication, est censuré par le régime d’Alexandre Loukachenko. Pour échapper aux intimidations et aux menaces, S. Alexievitch accepte en 2000 le soutien du Parlement international des écrivains et part travailler à l’étranger, entre autres en France. Elle revient régulièrement au Bélarus pour se faire entendre et rappeler l’urgence de la beauté, seule capable de sauver le monde. Elle publie en 2013 La Fin de l’homme rouge qui est récompensé par le prix Médicis de l’essai. Ce recueil de témoignages de victimes, mais aussi de bourreaux, pose la difficile question de la liberté quand on a grandi dans un système totalitaire. Ses livres, interdits à la vente dans son pays, sont traduits en plus de 20 langues.
Jeanne VASSILIOUTCHEK
■ Derniers témoins (Apochniïa sviedki, 1985), Paris, Presses de la Renaissance, 2005 ; La guerre n’a pas un visage de femme (Ou voïny nie jenskoïe litso, 1985), Paris, Presses de la Renaissance, 2004 ; Les Cercueils de zinc (Tsynkavya khloptchyki, 1991), Paris, C. Bourgois, 2002 ; La Supplication, Tchernobyl, chroniques du monde après l’apocalypse (Tchernobylskaïa molitva, 1997), Paris, J.-C. Lattès, 1999.
ALEXIOU, Elli [HÉRAKLION 1894 - ATHÈNES 1988]
Écrivaine et traductrice grecque.
Fille de l’éditeur et homme de lettres Stylianos Alexiou et sœur de Galatia Kazantzaki*, Elli Alexiou est une ancienne élève du Lycée supérieur de jeunes filles d’Héraklion. Elle est diplômée de l’Arsakeion en 1913 et de l’Institut supérieur d’études françaises d’Athènes en 1919. La première étape de sa carrière d’enseignante, qui se poursuivra en Grèce et à l’étranger, fut en 1914 le Troisième Lycée chrétien de jeunes filles à Héraklion, qui lui inspira le roman portant le nom de cet établissement (1934). Elle épousa en 1920 l’écrivain Vassos Daskalakis, et s’en sépara en 1938. À ses débuts, elle signait ses œuvres Daskalaki. Elle adhéra au parti communiste de Grèce en 1928 et prit part à la Résistance dans les rangs du mouvement de gauche EAM (Front de libération nationale). En 1945, elle vint comme boursière du gouvernement français à Paris où elle fit des études à l’université de la Sorbonne ; elle y fit la connaissance d’écrivains de renom. En 1949, elle s’exila volontairement en Roumanie et ne rentra en Grèce qu’en 1962.
Elle se fit d’abord connaître, en 1925, sous le nom d’Elli V. Klirodéti dans la revue Filiki Eteria avec la nouvelle Frantzeskos, qu’elle fit figurer dans son premier recueil de nouvelles ayant pour héros des enfants vivant dans la misère, Skliri agones yia mikri zoi (« durs combats pour une petite vie », 1931). Dans son roman Lumpen (1940), qui est le dernier qu’elle fit paraître en Grèce avant de quitter le pays, elle fait la description psychologique d’une femme-victime. Son œuvre se distingue d’emblée par son réalisme, sa problématique sociale et son humanisme. Son orientation idéologique à gauche se discerne mieux après 1945, quand viennent s’ajouter des éléments de l’histoire et de sa vie personnelle vus sous l’angle de ses convictions sociopolitiques. Les interventions du Parti dans son œuvre ne furent pas rares. Elle publia à Bucarest les romans Parapotami (« affluents », 1956), Me ti lyra (« à la lyre », 1959), Ke outo kathexis (« et ainsi de suite », 1965) et les recueils de nouvelles Anachorisis ke metallayes (« départs et modifications »), Mystiria (« mystères ») et Prosochi ! Synanthopi (« attention ! frères humains »), en 1962. En Grèce, elle fit paraître, entre autres, le roman Despozousa (« dominante », 1972) et la même année les nouvelles Ke yper ton zonton (« et pour les vivants ») où l’attention se concentre sur la réalité contemporaine. Ses ouvrages Spondi (« libation », 1964) et Yia na yini megalos (« pour qu’il devienne grand », 1966) sont consacrés l’un à sa sœur Galatia et l’autre à Nikos Kazantzakis. Il faut aussi mentionner ses livres pour enfants, ses ouvrages de pédagogie et ses anthologies de poésie de la résistance et de prose. Elle a aussi à son actif une œuvre de traductrice et de critique. Ses œuvres complètes ont commencé à être publiées en 1978.
Nina PALEOU
■ KATSIKI-GHIVALOU A. (dir.), Elli Alexiou, Mikro Afieroma, Athènes, Kastaniotis, 1979 ; PAPAGEORGIOU K. G., « Elli Alexiou », in I mesopolemiki pezografia, Apo ton proto os ton deftero pankosmio polemo (1914-1939), vol. II, Sokolis, Athènes, 1996 ; PYLARINOS T. (dir.), Elli Alexiou, Meletimata, Athènes, Vivliothiki Trapezas Attikis, 2003.
ALFON, Estrella D. [CEBU 1917 - MANILLE 1983]
Écrivaine et dramaturge philippine.
Ne pouvant poursuivre ses études à cause de la tuberculose, Estrella D. Alfon obtient, malgré tout, un DEUG de lettres à l’Université des Philippines. Dans les années 1930, elle devient la muse et le seul membre femme des Veronicans, un groupe avant-gardiste d’écrivains philippins qui composent essentiellement en anglais. En 1935, elle publie sa première nouvelle Grey Confetti dans le magazine Graphic. Dans sa nouvelle Servant Girl (1937), elle pose la question des classes sociales et de l’inégalité entre les sexes sans toutefois proposer de solution. Son œuvre est nourrie de son expérience personnelle, comme celle de l’occupation japonaise. Dans certaines nouvelles autobiographiques, elle utilise la première personne ou son prénom « Estrella » ou « Esther », tout en établissant un jeu de distanciation. En 1950, la Ligue catholique des Philippines condamne pour obscénité sa nouvelle Fairytales for the City (« contes de fées pour la ville »), dont le thème est l’initiation sexuelle. Le procès qui lui est intenté montre que, malgré les changements culturels des années 1950, la culture philippine reste profondément moraliste : pour un lecteur du XXIe siècle, cette nouvelle est à peine érotique. En 1960, elle publie une anthologie de ses nouvelles Magnificence and Other Stories ; la primauté du lien mère-fille et l’oppression psychologique des femmes et des enfants en sont les sujets principaux. Elle collabore aussi à plusieurs magazines comme le Philippines Free Press, le Philippines Magazine et le Philippines Herald. De 1960 à 1968, elle écrit, entre autres, des pièces de théâtre en un acte, notamment Forever Witches (« sorcières pour toujours », 1960), Losers Keepers (« perdants gagnants », 1961), Strangers (1961), Beggar (« le mendiant », 1961), With Patches of Many Hues (« avec des pièces de plusieurs teintes », 1962), Tubig (« eau », 1963), The Knitting Straw (« paille à tresser », 1968). En 1979, elle obtient la bourse National Fellowship in Fiction du Centre d’écriture créative de l’Université des Philippines. Elle a reçu à plusieurs reprises le prix Palanca. En 1994, l’écrivaine Lina Espina-Moore* a publié une anthologie de ses nouvelles, Stories of Estrella Alfon.
Elisabeth LUQUIN
■ ARAMBULO T., « The Filipina as writer : against all odds », in Women Reading… Feminist Perspectives on Philippine Literary Texts, in KINTANAR T. B., Quezon City, University of Philippines Press & University Center for Women’s Studies, 1992 ; LAPEÑA-BONIFACIO A. (dir.), 12 Philippine Women Writers, Diliman, Quezon City, University of the Philippines Press, 1995 ; VARTTI R. (dir.), « The history of Filipino women’s writings », in Firefly Filipino Short Stories, Helsinki, Kääntöpiiri, 2001 ; ZAPANTA-MANLAPAZ E., Estrella Alfon : Her Life in Her Own Words, Quezon City, University of the Philippines Press, 1997.
ALFONSO, Tessy VOIR SAMPAGUITA
ALI, Ayaan HIRSI (Ayaan HIRSI MAGAN, dite) [MOGADISCIO, SOMALIE 1969]
Femme politique néerlandaise.
Ayaan Hirsi Ali grandit dans une famille qui lui permet d’aller à l’école. Elle est excisée par sa grand-mère à l’âge de 5 ans, à l’insu de ses parents, opposés aux mutilations génitales. Quelques années plus tard, avec sa famille, elle quitte la Somalie pour l’Arabie Saoudite, puis l’Éthiopie, avant de s’installer au Kenya. A. H. Ali est alors une fervente musulmane, porte le hidjab (voile) et suit des cours de Coran. Mais un jour, alors qu’elle écoute un sermon ordonnant aux femmes d’obéir à leur mari, elle ne peut s’empêcher de demander si les maris doivent eux aussi obéir à leur femme. En 1992, pour échapper à un mariage imposé par son père, elle s’enfuit aux Pays-Bas, où elle reçoit l’asile politique, puis la nationalité néerlandaise. Elle fait des études en sciences politiques, s’engage au Parti populaire libéral et démocrate, et est élue députée en 2003. Virulente critique des religions et des communautarismes, activiste des droits des femmes, elle renonce à la foi musulmane, ce qui lui vaut de nombreuses menaces de mort. En 2004, après la sortie du film Soumission, dont elle a écrit le scénario et qui traite de la violence dont les femmes sont victimes dans les sociétés islamiques, Theo Van Gogh, le réalisateur, est assassiné par un islamiste. A. H. Ali doit désormais vivre cachée et sous haute protection. En 2006, elle est mise en cause pour avoir donné une fausse identité – par peur des représailles de son clan – lors de sa demande d’asile politique. Elle est contrainte à démissionner du Parlement, ce qui cause une crise et la chute du gouvernement. Elle crée en 2007 la Fondation pour la liberté d’expression, qui soutient les dissidents musulmans victimes de violence et d’abus ou ayant été menacés à cause de leurs croyances politiques et religieuses. A. H. Ali est actuellement membre de l’American Enterprise Institute, groupe de réflexion lié aux néoconservateurs américains, mais travaille depuis les Pays-Bas dans un lieu tenu secret.
Nadine PUECHGUIRBAL
■ Insoumise, Paris, Pocket, 2006.
ALIÉNOR D’AQUITAINE [CHÂTEAU DE BELIN 1122 - ABBAYE DE FONTEVRAUD 1204]
Reine de France (1137-1152) et d’Angleterre (1154-1173).
Fille unique du duc d’Aquitaine, Aliénor épouse Louis VII en juillet 1137. Elle l’accompagne lors de la deuxième croisade à Constantinople (1147-1149). Mais la mésentente règne entre les époux, et la dissolution du mariage est prononcée en 1152. Six semaines plus tard, Aliénor épouse Henri II Plantagenêt, comte d’Anjou et du Maine. De cette union naîtront huit enfants, dont Richard Cœur de Lion. Elle devient reine d’Angleterre en 1154. Femme dynamique et de fort tempérament, férue de poésie courtoise, elle s’entoure à la cour de poètes et d’écrivains, favorisant alors une importante floraison littéraire. C’est aussi à sa demande que commencent les travaux d’une nouvelle cathédrale à Poitiers en 1162.
Luce MICHEL
■ PERNOUD R., Aliénor d’Aquitaine (1965), Paris, Librairie générale française, 2007 ; WEIR A., Aliénor d’Aquitaine, reine de cœur et de colère (Eleanor of Aquitaine. By the Wrath of God, Queen of England, 1999), Laval, Siloë, 2005.
ALIKADIĆ, Bisera [PODHUM, LIVNO 1939]
Romancière et poétesse bosnienne.
En 1974, dans Larva (« larve »), le premier roman érotique de la littérature bosniaque, Bisera Alikadić explore les désirs d’une jeune fille en proie à la solitude et victime de l’aliénation urbaine. En 1986, Raspeće (« crucifixion ») a pour sujet la mort et le corps périssable. Noć ćilibara (« la nuit de l’ambre », 1972), le premier recueil de poésie de B. Alikadić, a été écrit sans ponctuation. Le second, Kapi i mahovina (« gouttes et mousse », 1975), poursuit cette veine expérimentale en réduisant au maximum le nombre de mots, au profit de la mélodie des vers. Le recueil Dok jesam ciganka (« tant que je suis tzigane », 1991) est dédié aux Tziganes. Dans son cycle de poèmes écrits pendant la guerre, Grad Hrabrost (« la ville Courage »), B. Alikadić pousse un cri de rage, en usant abondamment de jurons. Elle est l’auteure de trois pièces radiophoniques : Ljubavna priča (« histoire d’amour », 2002), Gniježđenje (« nidification », 2000) et Malo zvono (« la petite cloche », 2001).
Dragana TOMAŠEVIČ
ALI KAMEL, Faiza [ÉGYPTE 1936 - LE CAIRE 1991 ou 1993]
Psychanalyste égyptienne.
Née dans une terre arabe qui accueillit la psychanalyse dès la fin de la Première Guerre mondiale, Faiza Ali Kamel ne se forme pas en France, comme ses pairs Moustapha Safouan ou Sami Ali, mais en Angleterre, auprès d’Anna Freud* à la Tavistock Clinic de Londres. Elle devint membre de la Société britannique de psychanalyse avant de rentrer en Égypte où elle fut la première femme psychanalyste d’enfants. À la montée du nationalisme nassérien, plusieurs analystes égyptiens quittèrent leur pays pour l’Europe. Elle resta quant à elle en Égypte et continua à pratiquer, tout en enseignant à l’université Aïn Shams au Caire.
Chantal TALAGRAND
ALI KHAN, Rana LIAQUAT (née Sheila Irene PANT) [ALMORA, INDE 1905 - KARACHI 1990]
Femme politique et diplomate pakistanaise.
Née d’une famille brahmane convertie à l’islam, fille d’un officier de l’armée britannique, Rana Liaquat Ali Khan est diplômée de l’université de Lucknow (Inde) en économie et en sociologie (1929). Mariée en 1932 à Nawabzada Liaqat Ali Khan, qui deviendra Premier ministre du Pakistan en 1947, elle est la première femme gouverneure du pays et présidente de l’assemblée provinciale du Sind. En 1949, elle organise une conférence qui réunit une centaine de femmes actives du Pakistan et fonde All Pakistan Women’s Association (Apwa) qui se donne pour mission d’apporter une aide économique et sociale aux femmes particulièrement touchées par la partition avec l’Inde. Elle obtient de l’armée pakistanaise qu’elle forme des infirmières, afin de procéder à une vaccination massive (BCG) de la population. Elle crée un groupement national, dont l’objectif est de lutter contre les violences domestiques faites aux femmes. Sous son impulsion, l’Apwa prend une importance considérable, au point de compter 32 bureaux dans le pays et quelque 1 200 membres, dont 800 militent activement sur le terrain. L’Apwa ouvre des centres d’apprentissage qui permettent à 40 000 femmes de se former à un métier et d’acquérir ainsi leur indépendance ; elle anime des bureaux d’assistance sociale, des dispensaires, des centres d’alphabétisation, et ouvre une cinquantaine d’écoles primaires et deux facultés d’arts et sciences (Lahore 1958, Karachi 1964). En 1961, l’Apwa contribue activement à l’élaboration de l’ordonnance pour la famille musulmane (Muslim Family Laws Ordinance), qui instaure un régime moins discriminatoire envers les femmes (âge minimum de mariage, réglementation du divorce, droit de garde des enfants). Première femme pakistanaise ambassadrice aux Pays-Bas et en Italie, déléguée à l’Onu, professeure à la Gokhale Memorial School (Calcutta, Inde) et à l’Indraprashta College (Delhi, Inde), présidente de la commission économique de la Ligue musulmane, R. L. Ali Khan a reçu, en 1978, le prix des Droits de l’homme des Nations unies pour l’ensemble de son action, parmi de nombreux autres prix.
Roshan GILL
ALIX, Charlotte (née MARCHAL) [NANCY 1897 - PARIS 1987]
Designer française.
Lorsque Charlotte Marchal rencontre Yves Alix, enseignant à l’académie Ranson où elle étudie la peinture, en 1919, elle signe alors ses toiles sous le nom de Jeanne Rosay. Dans le même temps, elle étudie le piano et prépare le Conservatoire. Elle épouse Yves Alix en 1920. De 1925 à 1927, elle travaille pour le baron Rothschild et dessine des pièces produites par les artisans du faubourg Saint-Antoine, à Paris. En 1928, elle s’associe à Louis Sognot. Ils fondent le Bureau international des arts français et collaborent jusqu’en 1933. En 1929, ils créent du mobilier en tubulure de métal et verre pour les laboratoires Roussel. Ils s’occupent de l’aménagement intérieur d’un bâtiment conçu par Robert Mallet Stevens pour les bureaux du journal La Semaine à Paris ainsi que de celui de l’habitation du graphiste Jean Carlu. Ils conçoivent l’aménagement d’un palais de l’architecte Eckart Muthesius pour le maharajah d’Indore. En 1930, ils adhèrent à l’Union des artistes modernes (UAM). Ils présentent une chambre au musée des Arts décoratifs de Paris lors de l’exposition de l’UAM, en 1932. Contrairement à celles des autres artistes du groupe, leurs productions avant-gardistes sont surtout des objets luxueux, produits à la commande. Dans cette même période, ils travaillent à l’aménagement de paquebots, dont le Normandie, pour lequel Y. Alix effectuera plusieurs décorations murales. Leurs pièces sont présentées au Salon d’automne en 1930 et en 1931, dans la section des arts décoratifs. De juin 1933 à 1935, C. Alix travaille seule. Elle crée un bureau pour le musée d’Art moderne de Paris, en 1935. Elle cesse ses activités pour des raisons de santé, mais reste sociétaire du Salon d’automne, fondé par Frantz Jourdain et George Desvallières, jusqu’en 1952. De 1946 à 1948, elle s’initie aux techniques de la céramique, à Sèvres. Elle cherchera toujours de nouveaux matériaux et de nouvelles formes simples, rectilignes et fonctionnelles et marquera l’évolution du mobilier des années 1930.
Marguerite DAVAULT
■ BIZOT C. et al., Les Années UAM, 1929-1958, Paris, musée des Arts décoratifs, 1989 ; BYARS M., The Design Encyclopedia, New York, The Museum of Modern Art, 2004 ; COLLECTIF, Yves et Charlotte Alix, un couple créateur des années 30, Saint-Tropez, musée de l’Annonciade, 1989.
ALIZÂDEH, Ghazâleh [MECHHED 1947 - JAVAHERDEH 1996]
Écrivaine iranienne.
Née dans une famille cultivée, Ghazâleh Alizâdeh côtoie très jeune de grandes figures de la littérature iranienne dans les cercles régulièrement réunis au domicile familial par sa mère, elle-même écrivaine et poétesse. Après de brillantes études secondaires à Mechhed, elle entre à la faculté de Droit et de Sciences politiques de Téhéran, avant d’entreprendre à Paris un doctorat de philosophie scolastique, interrompu par la mort de son père. Dès 1966, ses premières nouvelles paraissent dans de prestigieuses revues littéraires telles que Ārash. En 1976, elle publie Ba’d az tâbestân (« après l’été »), un court roman, puis l’année suivante un recueil de récits dont certains écrits à Paris, Safar-e nâgozashtani (« l’inévitable voyage »). Do manzareh (« deux points de vue », 1979), court roman paru au début de la révolution, raconte la lente dégradation d’une vie conjugale, l’inexorable descente en enfer d’un homme dont la vie s’est construite sur le mensonge et pour qui la révolution vient sublimer cet échec dans un ultime sacrifice. Les motifs de la ville et de la maison comme refuge perdu dominent dans l’œuvre de G. Alizâdeh, ainsi que les souvenirs d’une enfance mélancolique, marquée par une sensibilité extrême qui traverse toute sa création.
Considérée comme auteure majeure de la littérature iranienne postrévolutionnaire pour l’exigence de son art, son originalité et sa subtilité psychologique, elle fait partie des premiers membres de l’association des écrivains iraniens fondée en 1968 (Kānoun-e nevisandegān-e Iran) et compte parmi les signataires de la déclaration « Nous sommes des écrivains » publiée par 133 intellectuels iraniens en faveur de la liberté d’expression. Son recueil de nouvelles Tchahâr-râh (« le carrefour ») lui vaut en 1994 le prix de la revue persane éditée en Allemagne Gardoun, après celui des Vingt Ans de littérature narrative d’Iran en 1992, pour son grand roman en deux volumes Khâne-ye Edrisi-hâ (« la maison des Idris »). Souffrant d’un cancer, elle confie ses derniers textes à des amis proches et met fin à ses jours à l’âge de 49 ans. Bâ Ghazâleh tâ nâkojâ (« avec Ghazâleh vers le néant »), anthologie reprenant quatre ouvrages, est publié à titre posthume en 1999.
Christophe BALAY
■ Les Esquisses (Naqsh-hâ, 1999), in Europe, no 997, mai 2012.
ALLAN, Mabel Esther [WALLASEY 1915 - LONDRES 1998]
Écrivaine britannique pour la jeunesse.
Malgré une malvoyance, dont elle guérit vers l’âge de 30 ans mais qui l’empêcha de se consacrer à l’enseignement comme elle le désirait, Mabel Esther Allan écrit à 8 ans The Bravest Girl in the School. Cette première nouvelle donne le ton de tout ce qu’elle publie par la suite, des histoires d’écoliers adolescents. À 16 ans, elle a déjà à son actif de nombreuses nouvelles acceptées par plusieurs éditeurs et revues. En 1932, elle enseigne le ballet et la danse folklorique. Pendant la guerre, elle sert dans l’armée territoriale et enseigne une année dans une école des faubourgs de Liverpool. En 1948, son roman The Glen Castle Mystery marque le début d’une popularité qui ne décroîtra pas. Sans échapper à un conformisme moral foncier, tous ses livres s’inspirent fortement de la philosophie pédagogique d’A. S. Neill, préconisant le développement chez l’enfant de l’autodiscipline et de sa liberté d’action dans un contexte scolaire mixte, thèmes que l’on retrouve dans les aventures de ses personnages. Ses romans, nourris par de nombreux voyages à l’étranger qui lui fournissent de nouveaux lieux narratifs, sont écrits et publiés par séries d’histoires qui se déroulent dans le même cadre et avec les mêmes personnages. Dans les années 1970, ses thèmes se font plus contemporains, perte de la foi, détérioration des liens familiaux, prise de conscience par les jeunes de leur sexualité et émancipation des femmes. Auteure de plus de 170 livres pour enfants et adolescents, M. E. Allan a aussi publié sous plusieurs pseudonymes : Jean Estoril, Anne Pilgrim ou Priscilla Hagon.
Michel REMY
ALLAN, Martha [MONTRÉAL 1895 - VICTORIA 1942]
Actrice et metteuse en scène canadienne.
La priorité que Martha Allan accorde au théâtre d’art et à la modernité l’amène vers une carrière théâtrale d’innovation, d’expérimentation, de création et d’éducation. Elle étudie le jeu et la mise en scène à Paris et en Californie. Membre estimée d’une nouvelle relève, dont la mission est de créer un théâtre canadien et de résister au monopole exercé par le théâtre commercial sur les scènes nord-américaines dès le tournant du XIXe siècle, elle fonde avec ses collègues des théâtres communautaires et des compagnies d’amateurs : les Community Players de Montréal et, en 1930, le Montreal Repertory Theatre (MRT), compagnie bilingue. Pendant de longues années, le public montréalais peut apprécier la grande qualité des spectacles du MRT, de même que toutes les provinces du Canada, grâce aux tournées et concours provinciaux et fédéraux. Le MRT sert de pépinière aux multiples talents de toute une génération qui contribue par la suite à implanter un théâtre professionnel dans plusieurs villes canadiennes, et dont sont issus nombre d’artistes (comédiens, metteurs en scène, fondateurs de compagnies, enseignants). La contribution à la naissance du théâtre canadien de M. Allan, de ses collègues et des plus jeunes qu’ils forment, tout en ouvrant des terrains artistiques et culturels restés jusque-là inexplorés, est inestimable.
Louise H. FORSYTH
ALLAN, Maud (Beulah Maud DURRANT, dite) [TORONTO 1873 - LOS ANGELES 1956]
Danseuse et chorégraphe canadienne.
Très attirée par la musique pour laquelle elle se montre douée, Maud Allan se tourne pourtant vers la danse sans avoir reçu de formation particulière, et commence en 1903 une carrière de danseuse, souvent pieds nus et court vêtue. Artiste singulière, elle est aussi connue comme étant la sœur d’Henri Durrant, l’un des plus célèbres assassins d’Amérique jugé et condamné à mort en 1898. Elle publie en 1908 son autobiographie, My Life and Dancing, ouvrage mêlant fiction et réalité. Influencée par la mise en scène de Salomé d’Oscar Wilde par Max Reinhardt (1904), elle crée à Londres The Vision of Salomé. Dans cette pièce très controversée, elle incarne une vision de la femme sensuelle, perverse et énigmatique, qui rejoint celle de la femme fatale, non sans rappeler Loïe Fuller* ou Isadora Duncan*, sa grande rivale. À Londres, un journaliste commente les représentations dans un article intitulé « Cult of the clitoris », accusant Maud Allan d’être lesbienne et de figurer dans le Black Book répertoriant 47 000 homosexuels anglais. Interprète émouvante, elle se laisse emporter par son sens musical et déploie tout son savoir-faire et son talent dans Romance sans parole de Mendelssohn, La Marche funèbre de Chopin ou Valse caprice de Rubinstein. De son vivant, elle est reconnue comme une interprète brillante et novatrice et ses nombreuses tournées en Europe soulèvent l’enthousiasme d’un large public. Elle incarne l’une de ces femmes libres venues du Nouveau Monde qui n’hésitent pas à entreprendre une carrière artistique contre les préjugés d’une époque.
Geneviève VINCENT
■ My Life and Dancing (1908), Kila, Kessinger Publishing, 2012.
ALLANA, Amal [BOMBAY 1947]
Metteuse en scène et directrice de théâtre indienne.
Fille d’Ebrahim Alkazi d’ascendance arabe, metteur en scène et directeur de la National School of Drama (NSD) de New Delhi, et de Roshan Alkazi, gujarati de la communauté Ismail-Khoja et créatrice de costumes, Amal Allana est metteur en scène, créatrice de décors et de costumes, et directrice de théâtre. Déjà, en 1968, en fin d’études à la NSD, elle reçoit le prix Girish-Ghosh de la mise en scène et le prix Bharat Purushkar pour sa polyvalence. En 1969, une bourse destinée à l’étude des œuvres de Bertolt Brecht lui permet de poursuivre sa formation, notamment au Berliner Ensemble et au German National Theatre de Weimar. Elle s’initie également au kabuki et au nō au Japon. À son retour en Inde, elle travaille avec Fritz Bennewitz à la mise en scène de pièces du répertoire de la NSD, dont Teen takke ka swang, adaptation en langue ourdou de L’Opéra de quat’sous, de B. Brecht. Sa collaboration avec son mari, Nissar Allana, créateur de décors, débute en 1971. À Bombay, de 1972 à 1975, tous deux produisent pas moins de 55 œuvres pour différentes compagnies. Puis, à New Delhi, ils fondent le Studio 1 et le Theatre and Television Associates. Parmi les productions majeures d’A. Allana, on trouve, outre de nombreuses adaptations de B. Brecht, des œuvres de Girish Karnad et de Mohan Rakesh, une adaptation de La Maison de Bernarda Alba, de García Lorca, et une autre du Roi Lear, de Shakespeare. L’une de ses productions les plus controversées, mais saluée par la critique, est Nati Binodini (2006), évoquant Binodini Dasi*, la courtisane devenue actrice dont elle découvre l’autobiographie. En 1982, elle collabore à la création des costumes du film Gandhi, de Richard Attenborough. Présidente adjointe de la NSD, elle crée avec son mari, en 2000, la Dramatic Art and Design Academy (DADA), à New Delhi, qui organise depuis 2008 des festivals consacrés à Henrik Ibsen et accueillant des productions chinoises, iraniennes, égyptiennes et hollandaises.
Milena SALVINI
ALLART, Hortense [MILAN 1801 - MONTLHÉRY 1879]
Romancière et essayiste française.
Aimant la vie, passionnée d’histoire, de politique et de littérature, Hortense Allart, fille de Mary Gay (auteure et traductrice) et de Gabriel Allart, a mené une vie peu conventionnelle, souvent déchirée entre l’amour (elle eut plusieurs liaisons avec des hommes célèbres, dont Chateaubriand) et son besoin d’indépendance et de vie intellectuelle. En 1844, après un an de mariage, elle quitte un mari violent, Napoléon-Louis-Frédéric de Méritens. Elle élève seule deux fils naturels et se consacre très tôt à l’écriture en publiant sous différents noms. Peu liée avec sa cousine Delphine Gay*, elle admire George Sand* et Marie d’Agoult* et entretient avec elles une longue correspondance. Si elle contribue à la Gazette des femmes en 1836, H. Allart reste surtout une disciple de Mme de Staël*. Son féminisme romantique préconise le divorce et souligne l’importance de la « femme supérieure ». Son dernier ouvrage, Les Enchantements de Prudence, offre un récit à peine voilé de sa vie, d’une candeur surprenante.
Cheryl MORGAN
■ BERTELÀ M., Hortense Allart entre Mme de Staël et George Sand, ou les Femmes et la démocratie, Pise, Edizioni Ets, 1999 ; GUERMÈS S., « L’engagement d’Hortense Allart : “nos romans sont des protestations” », in DEL LUNGO A., LOUICHON B. (dir.), La Littérature en bas-bleus. Romancières sous la Restauration et la monarchie de Juillet (1815-1848), Paris, Classiques Garnier, 2010 ; SÉCHÉ L., Hortense Allart de Méritens dans ses rapports avec Chateaubriand, Béranger, Lamennais, Sainte-Beuve, G. Sand, Mme d’Agoult, Paris, Mercure de France, 1908.
ALLASON, Barbara [PECETTO TORINESE 1877 - TURIN 1968]
Écrivaine italienne.
Spécialiste de littérature allemande, Barbara Allason a enseigné à l’université de Turin. Elle est liée dès les années 1920 au mouvement Giustizia e Libertà de Piero Gobetti. Dans Memorie di un’antifascista, 1919-1940 (« mémoires d’une antifasciste, 1919-1940 »), publié en 1945, elle raconte son engagement contre le fascisme et offre une reconstitution pleine d’émotion des milieux intellectuels turinois de l’époque. Auteure de livres scolaires, de traductions de romans allemands et d’une étude importante sur l’écrivain Silvio Pellico, La vita di Silvio Pellico (1933), B. Allason est également romancière. Ses romans Quando non si sogna più (« lorsque l’on cesse de rêver », 1920) et Risblanchèda (1932) racontent, dans un style d’une élégante simplicité, des histoires de femmes qui se caractérisent par une sensibilité sombre et imprégnée de regrets, témoignant en même temps d’une acceptation sereine de la vie. B. Allason a aussi collaboré à des quotidiens et à des magazines comme Nuova Antologia et Il Mondo.
Francesco GNERRE
ALLÉLIT VOIR LÉON BERTAUX, Mme
ALLEN, Lillian [SPANISH TOWN, JAMAÏQUE 1951]
Poétesse et chanteuse dub canadienne.
Ayant quitté la Jamaïque en 1969 pour faire des études universitaires aux États-Unis et au Canada, en 1978 Lillian Allen sort diplômée de l’université York, à Toronto, où elle avait commencé à écrire des chansons pour le groupe reggae Truth and Rights. En 1982, elle publie Rhythm An’Hardtimes, son premier recueil de poésie et, peu après, elle enregistre Dub Poet : The Poetry of Lillian Allen (1983). Dans ses œuvres de poésie dub, inspirées par le mouvement Black Power, Lillian Allen, qui cherche à donner une voix à ceux qui en sont dépourvus, explore l’impact de l’histoire sur la formation des cultures et des identités transnationales actuelles. Engagée pour les droits minoritaires, elle est souvent consultée sur des questions d’immigration et de culture. Elle a notamment préparé différents rapports sur l’identité culturelle et l’apprentissage interculturel à la demande d’organisations canadiennes tels le ministère de la Citoyenneté, de l’Immigration et du Multiculturalisme ou l’Office national du film. Revolutionary Tea Party (1986), son premier disque de poésie chantée, a rencontré un énorme succès aux États-Unis et au Canada, et elle a par deux fois (1987 et 1988) remporté un prix Juno (trophée musical national). Son entrée dans le monde de la dub poetry, forme de poésie politisée, chantée en accompagnement jazz, reggae, rock ou autre, ou scandée en scat, a légitimé la présence des femmes dans ce domaine généralement réservé aux hommes. Conditions Critical, son deuxième disque, est sorti en 1988, suivi d’un troisième (We Shall Take Our) Freedom & Dance, en 1999. L. Allen, qui, en 1994, publie un deuxième recueil de poésie intitulé Women Do This Everyday (« les femmes font ça tous les jours »), est également l’auteure de plusieurs récits pour jeunes lecteurs dont Why Me ? (1991), illustré par Sherry Guppy et Nothing But A Hero (« rien qu’un héros », 1992). Elle écrit des pièces de théâtre dont elle assure elle-même la mise en scène, parmi lesquelles One Bedroom With Dignity (« une chambre de haut rang ») et Love and Other Strange Things (« amour et autres choses étranges »). Elle est aussi coréalisatrice et coproductrice du documentaire Blakk Wi Blak… k… k (1993), qui porte sur le poète dub Mutabaruka. Parmi ses nombreux engagements artistiques et culturels, elle anime des ateliers d’écriture à l’Ontario College of Art.
Catherine DHAVERNAS
ALLENDE, Isabel [LIMA 1942]
Journaliste et romancière chilienne.
Née au Pérou, Isabel Allende a vécu au Chili avec sa mère et son frère à partir de 1945, puis en Bolivie et à Beyrouth entre 1953 et 1958. De retour au Chili en 1967, elle prend en charge la rubrique « Los impertinentes » de la revue féminine Paula. Plus tard, elle collabore à la revue pour enfants Mampato et publie deux contes pour enfants, La abuela Panchita (« Grand-mère Panchita ») et Lauchas y lanchones (« petites et grosses souris »), ainsi qu’une série d’articles intitulée Civilice a su troglodita (« civilisez votre troglodyte »). En 1973, à Santiago, a lieu la première représentation de sa pièce de théâtre El embajador (« l’ambassadeur »). Deux ans après le coup d’État de 1973 et la mort de son oncle, le président Salvador Allende, elle quitte le pays et s’installe au Venezuela, où elle demeure treize ans, travaillant pour le journal El Nacional de Caracas ainsi que dans un collège. En 1982 est publié son premier roman, La Maison aux esprits (1982). À partir de ce moment, son œuvre jouit d’un succès extraordinaire auprès des lecteurs et elle publie un grand nombre de contes et romans parmi lesquels D’amour et d’ombre (1984), Le Plan infini (1991), Portrait sépia (2000), Mon pays réinventé (2003), et bien d’autres. Son œuvre est traduite en plus de dix langues. Proche du « réalisme magique » de Gabriel García Márquez, elle combine différents genres de la tradition littéraire, comme le témoignage et le mélodrame, avec des caractéristiques du roman populaire. Les romans d’I. Allende sont le plus souvent fondés sur les événements historiques, la construction d’une histoire personnelle, familiale ou collective à partir de la mémoire, sous des formes comme le témoignage et la biographie, entre autres, mais toujours marqués par le roman sentimental. Son écriture fusionne harmonieusement les différents genres, et les sujets qu’elle aborde touchent un large public.
Macarena ORTÚZAR VERGARA
■ La Maison aux esprits (La casa de los espíritus, 1982), Paris, Fayard, 1984 ; D’amour et d’ombre (De amor y de sombra, 1984), Paris, Fayard, 1986 ; Le Plan infini (El plan infinito, 1991), Paris, Fayard, 1993 ; Portrait sépia (Retrato en sepia, 2000), Paris, Grasset, 2001 ; Mon pays réinventé (Mi país inventado, 2003), Paris, Grasset, 2003.
ALLENDY, Colette (née NEL-DUMOUCHEL) [PARIS 1895 - ID. 1960]
Galeriste française.
Élevée dans une famille de femmes artistes – sa mère, Marie-Edmée Nel-Cougny, est peintre ; sa sœur aînée, Yvonne Allendy-Nel-Dumouchel*, est femme de théâtre –, Colette Allendy suit à Paris des cours de dessin et de peinture, et s’intéresse aux œuvres plastiques et littéraires de ses amis artistes, Albert Gleizes, Marie Raymond* ou Antonin Artaud. En 1936, après le décès de sa sœur, elle épouse le mari de celle-ci, René Allendy, fondateur en France de l’Institut de psychanalyse. Durant la guerre, elle se réfugie avec lui à Montpellier, où il meurt de maladie en 1942. C’est en 1946 qu’elle inaugure sa galerie, située au 67, rue de l’Assomption, dans le 16e arrondissement, par une exposition des œuvres d’Albert Gleizes et de Robert et Sonia Delaunay*. En marge de l’art parisien, elle fait alors partie des quelques directrices de galerie engagées dans la défense de l’abstraction. En 1948, elle présente au public parisien HWPSMTB (Hartung, Wols, Picabia, Stahly, Mathieu, Tapié, Bryen), qui préfigure la constitution de l’art informel. La même année, elle organise une exposition d’aquarelles réalisées par des artistes femmes, de Marie Laurencin* à Christine Boumeester*. Durant ses quinze années d’existence, la galerie s’affirme comme lieu particulièrement ouvert aux audaces esthétiques des artistes les plus jeunes : Aurélie Nemours* en 1953, Yves Klein en 1956 (Propositions monochromes) ou François Morellet en 1958 (À la recherche d’une base) y font leurs débuts. De 1946 jusqu’à sa mort, la galeriste emploie les revenus que lui procurent les droits d’auteur posthumes des ouvrages de son époux pour offrir aux artistes un espace d’expression. Elle collabore pleinement à la conception et à la réalisation des expositions, aux dépenses desquelles les artistes contribuent en fonction de leurs moyens. Ce fonctionnement sur un mode coopératif, extrêmement original, se distingue de celui, contraignant, du contrat, autant que de la location des cimaises, alors totalement à la charge des artistes. Outre la personnalité sympathique de sa directrice, c’est sans doute l’une des raisons qui explique l’appréciation unanime du milieu de l’art parisien à l’égard de sa galerie, manifestée notamment lors de l’exposition Hommage à Colette Allendy organisée quelques mois après son décès.
Julie VERLAINE
■ Hommage à Colette Allendy (catalogue d’exposition), Paris, H. Hofer impr., 1960.
■ VERLAINE J., « La galerie Colette Allendy », in Lettre de l’Imec, no 6, automne 2007.
ALLENDY, Yvonne (née NEL-DUMONCHEL) [PARIS 1890 - ID. 1935]
Femme de lettres française.
C’est avant tout comme femme de lettres et critique d’art, sous le pseudonyme de Jacques Poisson, qu’Yvonne Allendy se fait connaître. En 1912, elle épouse René Allendy, médecin homéopathe, qui deviendra plus tard l’un des membres fondateurs de la Société psychanalytique de Paris. Ensemble, ils créent à la Sorbonne, en 1922, le Groupe d’études philosophiques et scientifiques pour l’examen des idées nouvelles. Elle écrit avec lui Capitalisme et sexualité (1931), ouvrage dont les thèses sont proches du communisme mais aussi du féminisme, et dans lequel ils prônent l’abolition du capitalisme pour son rôle dans l’intensification des conflits psychiques. C’est sous son pseudonyme qu’Y. Allendy écrit de nombreux articles sur les rapports de l’art et de la psychanalyse. Dans son article « Littérature moderne et psychanalyse » (1923), elle utilise la méthode freudienne pour analyser la production littéraire et artistique d’avant-garde. Guillaume Apollinaire, Jean Cocteau, Philippe Soupault et Blaise Cendrars seront l’objet de ses réflexions pertinentes sur le psychisme inconscient.
Chantal TALAGRAND
■ « Littérature moderne et psychanalyse », in La Vie des lettres et des arts, no 14, 1923.
ALLEVA, Annelisa [ROME 1956]
Écrivaine italienne.
Annelisa Alleva a publié les recueils de poésie Mesi (« mois », 1996) ; Chi varca questa porta (« qui franchit ce seuil », 1998) ; Lettera in forma di sonetto (« lettre en forme de sonnet », 1998) ; Astri e sassi (« astres et pierres », 1999) ; Aria di cerimonia (« air de cérémonie », 2000) ; L’oro ereditato (« l’or en héritage », 2002) ; Istinto e spettri (« instincts et spectres », 2003). Traductrice de Tolstoï et de Pouchkine, elle s’est intéressée à ce dernier en tant qu’essayiste, ainsi qu’à Marina Tsvetaïeva, Boris Ryzhy, Tommaso Landolfi, Angelo Maria Ripellino, Joseph Brodsky, Wislawa Szymborska*. En 2008, elle a publié Poeti russi oggi (« poètes russes aujourd’hui »). En 2010, elle a publié le recueil de poésie La casa rotta (« la maison en ruine »). Elle est également l’auteure de récits parus dans des revues. Ses essais et ses vers ont été traduits en plusieurs langues.
Ernestina PELLEGRINI
ALLINGHAM, Margery [EALING 1904 - COLCHESTER 1966]
Écrivaine britannique.
Née dans une famille d’écrivains – son père est un auteur prolifique de romans de gare, sa mère écrit des nouvelles pour les magazines féminins –, Margery Allingham fréquente la Perse School for Girls à Cambridge. En 1920, alors qu’elle écrit déjà romans et pièces de théâtre depuis plusieurs années, elle entre à la Regent Street Polytechnic où elle étudie le théâtre et tente de guérir son bégaiement par l’orthophonie. À 19 ans, elle publie un premier roman où transparaît son goût pour l’occulte et le spiritisme. En 1929, elle atteint la notoriété avec Crime à Black Dudley et la création du personnage principal de ses romans, le détective atypique Albert Campion. À travers 17 romans et plus de 20 nouvelles, elle élabore une forme originale de roman policier où la psychologie et la complexité des comportements humains priment sur l’intrigue policière elle-même. Incidents improbables, personnages excentriques, événements surnaturels font irruption dans des décors anglais idylliques, et M. Allingham sait par ailleurs camper des femmes mûres à la personnalité puissante et des jeunes filles savamment manipulatrices et déterminées qui relèguent les rôles masculins au second plan. Aidée par une écriture exigeante, élégante et spirituelle, elle n’hésite pas à explorer à travers ses intrigues les grandes abstractions, l’amour, le bien, le mal, l’illusion et la vérité. C’est le roman policier porté à la maturité de la comédie de mœurs. Après 1969, les romans commencés de son vivant sont publiés de façon posthume, et souvent terminés par son mari Philip Youngman-Carter.
Michel REMY
■ Crime à Black Dudley (The Crime at Black Dudley, 1929), Paris, Librairie des Champs-Élysées, 1995 ; Mort d’un fantôme (Death of a Ghost, 1934), Paris, Librairie des Champs-Élysées, 1996 ; Il n’est pire sourd… (Hide my eyes, 1958), Paris, Librairie des Champs-Élysées, 1998 ; Les Mystères du West End et autres aventures d’Albert Campion, Paris, Omnibus, 2012.
ALLIOT-MARIE, Michèle [VILLENEUVE-LE-ROI 1946]
Femme politique française.
Après des études de droit et de sciences politiques, Michèle Alliot-Marie devient universitaire et avocate. Elle est élevée dans le sérail politique, puisque son père, Bernard Marie, a été député des Pyrénées-Atlantiques et maire de Biarritz. Un long passage par les cabinets ministériels, de 1972 à 1978, lui sert de propédeutique au métier politique : elle travaille notamment auprès d’Edgar Faure, de Bernard Stasi, puis d’Alice Saunier-Seité, dont elle devient la directrice de cabinet. Adhérant au Rassemblement pour la République (RPR) en 1981, cette proche de Jacques Chirac accède vite à des responsabilités nationales. Elle entame simultanément un parcours d’élue que beaucoup d’hommes lui envieraient. Dans son « fief » des Pyrénées-Atlantiques, elle va conquérir presque tous les mandats électifs : conseillère municipale, maire, conseillère générale, députée (élue à sept reprises). Elle siégera aussi au Parlement européen, de 1989 à 1992. Sa première expérience ministérielle date de 1986 : elle est nommée secrétaire d’État chargée de l’Enseignement dans le gouvernement de cohabitation de J. Chirac. Puis elle accède au rang de ministre, en charge de la Jeunesse et des Sports, dans le deuxième gouvernement de cohabitation, celui d’Édouard Balladur, de 1993 à 1995. Alors que son parti, le RPR, est en situation de crise et d’échec électoral, elle parvient, comme par surprise, à en prendre la tête en 1999 : lors de ces premières élections directes du président par les militants, elle est élue par 62,7 % des voix, loin devant Jean-Paul Delevoye, le candidat de J. Chirac. M. Alliot-Marie devient ainsi la première femme à diriger un parti de gouvernement. La réélection de J. Chirac à l’Élysée, en 2002, est l’occasion pour elle d’atteindre à la consécration : elle devient ministre de la Défense. Première femme à occuper ce poste régalien, elle y restera jusqu’en 2007, y gagnant une certaine notoriété, nationale et internationale. À l’approche de l’élection présidentielle de 2007, elle laisse entendre qu’elle serait peut-être candidate, avant de renoncer et d’apporter son soutien à Nicolas Sarkozy. Dans les premier et deuxième gouvernements de François Fillon, où les femmes sont à la manœuvre, elle obtient le ministère de l’Intérieur. Dans le troisième gouvernement de F. Fillon, elle est nommée ministre des Affaires étrangères. Elle établit ainsi un record absolu en dirigeant successivement quatre ministères régaliens de la République. Mais ce dernier succès est de courte durée : elle se voit éconduire du Quai d’Orsay trois mois après sa nomination.
Mariette SINEAU
■ Le Chêne qu’on relève, Paris, Odile Jacob, 2005.
■ DARMON M., Michèle Alliot-Marie, la grande muette, Paris, L’Archipel, 2006.
ALLNUTT, Gillian [LONDRES 1949]
Poétesse britannique.
Après des études à Newnham College, Cambridge et à l’université du Sussex, Gillian Allnutt enseigne à Londres et à Newcastle tout en travaillant en indépendante dans le monde de l’édition et du journalisme. Membre de la maison d’éditions féministes Sheba de 1981 à 1983, elle est ensuite responsable de la section poésie du magazine City Limits (1983-1988). Elle est l’auteure de 12 volumes de poésie qui ont marqué l’engagement féministe des années 1980 par leur dimension philosophique. Au contact intime qu’elle entretient avec la nature sauvage du Yorkshire, elle lance une quête spirituelle d’une rare intensité, relayée par une langue aux images rudes et crues, aux allitérations qui rappellent le vieil anglais ou la poésie de Hopkins. G. Allnutt a également co-édité The New British Poetry (1968-1988).
Michel REMY
ALMANACH « FEMMES ET RUSSIE » [XXe siècle]
Au milieu des années 1970 émerge à Leningrad le premier samizdat féminin à l’est du Rideau de fer. À l’initiative notamment d’une ex-journaliste de télévision et de presse écrite, Tatyana Mamonova*, un petit groupe baptisé « Femmes et Russie » entreprend la publication d’articles d’opinion, de recensions d’ouvrages prohibés et d’actes artistiques non officiels, mettant l’accent sur le double fardeau qui pèse sur les femmes soviétiques, avec un poids accru dans le contexte d’une économie de pénurie. Jusqu’alors en dehors de la propagande du régime, la place des femmes dans la société n’avait fait l’objet en URSS que de quelques articles parus dans Literaturnaia Gazeta (« la gazette littéraire ») au milieu des années 1960 sous la plume de sociologues et de juristes qui stigmatisaient les conséquences dramatiques des dispositions scélérates de la loi de 1944 sur la famille. Rédigée au cours de la guerre sous la supervision de Khrouchtchev, celle-ci prohibait et punissait pénalement l’avortement, rendait le divorce particulièrement coûteux et instituait la « case blanche » à la place du nom du père pour les naissances hors mariage. Ces dispositions furent abrogées progressivement entre 1956 et 1968. T. Mamonova exerce alors comme rédactrice et présentatrice du programme dédié aux femmes d’une chaîne régionale de Leningrad, avant de rejoindre un magazine sur l’art et d’organiser des expositions interdites pour le premier groupe d’artistes non conformistes en URSS, de 1971 à 1973. En septembre 1979, jouant du contexte nouveau ouvert par l’entrée en application du volet sur les droits de l’homme des accords d’Helsinki en 1976, l’almanach « Femmes et Russie » fait pour la première fois l’objet d’une publication. Elles y affirment, dans un appel : « Rien ne se transforme tout seul. Personne ne nous aidera, nous en sommes sûres. Alors, nous nous aiderons nous-mêmes (…). Nous espérons que ces efforts réunis vont atténuer le poids de notre condition, et mettre en marche le mouvement de libération des femmes. » Très vite, la répression s’abat sur elles et elles sont menacées d’être envoyées dans un camp du goulag. La presse française s’en fait l’écho. En solidarité, Des femmes en mouvements hebdo, un journal du Mouvement de libération des femmes, se procure immédiatement l’almanach, le traduit et le publie en janvier 1980. Les deux volumes suivants seront publiés sous forme de recueils par les éditions des femmes. Alors à son apogée en France, le mouvement antitotalitaire fondé en 1979, qui essaime en soutien à Solidarność et aux dissidents d’URSS et d’Europe de l’Est, converge avec le mouvement féministe pour assurer une certaine visibilité aux auteures de l’almanach. Également assurée par sa traduction en une dizaine d’autres langues, cette visibilité leur permet d’échapper pour la plupart à la prison lors de la saisie du troisième volume, à l’exception de la jeune écrivaine Ioulia Voznesenskaïa (née en 1960), brièvement internée en Sibérie. Expulsées durant l’été 1980, les principales rédactrices, dont T. Mamonova, I. Voznesenskaïa, Tatiana Goritcheva (née en 1947) et Natalia Malakhovskaïa, trouvent refuge en Autriche où elles sont accueillies par des femmes du MLF français, puis en France et aux États-Unis, où elles reçoivent de nombreux témoignages de sympathie et poursuivent leurs activités de création et de publication. Si rétrospectivement l’almanach « Femmes et Russie » se présente comme l’acte fondateur du mouvement de libération des femmes russe contemporain, il n’en rassemble pas moins des personnalités aux sensibilités et aux parcours fort différents. Ancienne professeure de philosophie marxiste, T. Goritcheva est adepte d’un « féminisme marial ». Elle fondera avec I. Voznesenskaïa, en exil, le club Maria pour qui « la libération de la femme » est une « question spiritualo-ontologique », tandis que T. Mamonova remettra en cause le patriarcat jusque dans les mythes religieux.
Maxime FOREST
■ Femmes et Russie (Jenchtina i Rossiia, 1979/1980), Paris, Des femmes-Antoinette Fouque, 1980/1981.
ALMEIDA, Elvira DE [SÃO PAULO 1945 - ID. 2001]
Designer brésilienne.
Diplômée en design industriel de la Fundação Aramando Alvares Penteado de São Paulo, Elvira de Almeida commence dès les années 1960 à travailler pour la mairie de São Paulo, qui construit des logements populaires. Elle conçoit des meubles compatibles avec de petits espaces, utilise les techniques du design industriel et crée des éléments modulaires dont la fabrication peut être standardisée. Elle laisse le choix de la finition des revêtements aux futurs occupants ; maître d’œuvre du chantier, elle collabore étroitement avec les ouvriers du bâtiment, destinés à habiter ces appartements. Elle imagine des places urbaines, où troncs d’eucalyptus et supports de lampadaires deviennent des jouets géants, et s’attache à la dimension ludique des objets. E. de Almeida enseigne, après son doctorat, à la faculté d’architecture et d’urbanisme de l’université de São Paulo, où elle poursuit ses recherches sur les espaces publics populaires et l’écologie socio-orientée, puisant dans la culture populaire du Brésil pour concevoir la forme et les couleurs de ses grands jouets. Proche de Luisa Erundina, maire progressiste de São Paulo de 1989 à 1993, elle a accès à toutes sortes de « déchets » ramassés par les services de la mairie, comme les supports métalliques des éclairages urbains. Avec très peu d’éléments et en unissant ingénieusement des eucalyptus et ces morceaux de fer, elle réalise de grandes sculptures ludiques qui dialoguent avec l’espace.
Ethel LEON
■ Arte ludica, São Paulo, Edusp, 1997.
■ LEON E., « Elvira de Almeida, invençao de um campo de trabalho », in www.agitprop.vitruvius.com.br/ensaios, ano I, n° 7, 15 juil. 2008.
ALMEIDA, Helena [LISBONNE 1934]
Photographe et artiste visuelle portugaise.
Helena Almeida a étudié la peinture à l’École supérieure des beaux-arts de Lisbonne, ville où a lieu sa première exposition personnelle en 1967. « Mon œuvre est mon corps et mon corps est mon œuvre », aime-t-elle dire. Rangée parfois parmi les représentants du body art, elle s’interroge à travers ses photographies, ses performances, ses dessins et ses vidéos sur l’essence même de la création, sur son caractère infinitésimal. Ses attitudes ambiguës, les décors simples et ses accessoires pauvres – fil de fer, chanvre, miroir, pigments en poudre, vêtements habitacles – participent d’une mise en scène austère et poétique de la création et de ses interstices. Photographiée la plupart du temps sans visage et souvent revêtue d’attributs vestimentaires clairement féminins, en robe ou jupe noire et escarpins à talons noirs (Voler, 2001), elle a donné une dimension supplémentaire au genre de l’autoportrait. L’intensité du noir et blanc des images qu’elle crée, rehaussées en certains points stratégiques – intérieur de la bouche, plante des pieds, paume de la main – de peinture bleue ou rouge, donne un caractère classique à ces études qui sont autant d’académies d’un autre temps (Étude pour un enrichissement intérieur, 1977). Comment occupons-nous l’espace ? Que disent nos gestes ? De quoi sommes-nous faits ? Où se situent nos limites physiques ? Elle explore dans ses performances minimalistes le passage mystérieux entre sphères privée et publique, entre forme et contenu, entre présence et absence d’un corps, entre rêve et réalité, sensualité et spiritualité, violence et séduction. Alors que son travail commence à être reconnu par le milieu artistique à la fin des années 1970, elle ne revendique pas pour autant une démarche féministe, et reconnaît volontiers le caractère de séduction de certaines de ses images. Avaler, secréter, cacher, habiter la peinture, telles sont ses ambitions artistiques. Depuis son exposition au Centre d’art moderne de la fondation Gulbenkian (1987), elle a exposé à Porto (1995), Madrid (1997), New York (2004), Belém (2004). De même, elle a participé aux biennales de São Paulo (1979), Venise – où elle représentait officiellement son pays – (1982) et Sydney (2004).
Scarlett RELIQUET
■ Helena Almeida (catalogue d’exposition), Saint-Jacques-de-Compostelle, Centro Galego de arte contemporánea, 2000 ; Pés no Chão, Cabeza no Céu, Lisbonne, Fundação Centro Cultural de Belém, 2004.
ALMEIDA, Júlia LOPES DE [RIO DE JANEIRO 1862 - ID. 1934]
Écrivaine et journaliste brésilienne.
Issue d’une famille aisée, Júlia Lopes de Almeida vit une partie de son enfance et de son adolescence à Campinas, dans l’État de São Paulo. En 1881, elle commence à écrire des chroniques pour le journal Gazeta de Campinas. En 1887, elle se marie avec l’écrivain portugais Filinto de Almeida, directeur de la revue A Semana (« la semaine »), éditée à Rio de Janeiro. Son œuvre, qui comporte plus de 40 volumes, comprend des romans, des nouvelles, des chroniques, des pièces de théâtre, des livres pour enfants et des ouvrages didactiques. Elle vit à une époque marquée par des changements sociaux et politiques fondamentaux. La fin de l’esclavage (1888) et la proclamation de la République (1889) engendrent des transformations économiques et sociales qui ouvrent l’espace politique aux classes moyennes et favorisent les discussions sur la place des femmes dans la société. L’écrivaine se distingue dans le milieu intellectuel et est l’une des premières Brésiliennes à écrire de façon systématique dans la presse. Elle écrit pour plusieurs publications prestigieuses telles que O Estado de São Paulo, O País, O Mundo Literário, Revista do Brasil ou encore la revue féminine A mensageira (« la messagère »). Dans ses articles de presse, elle mène à bien plusieurs campagnes en faveur de l’accès des femmes à l’éducation et au travail, instruments d’une ascension sociale et d’une émancipation financière. Dans plusieurs ouvrages, elle développe une réflexion sur l’importance de la réalisation intellectuelle des femmes et le rôle du mariage. Elle écrit, dans un style réaliste, des romans tels que A falencia (« la faillite », 1901), qui raconte l’histoire d’une famille tombée dans la misère après le suicide du père, et conclut que les femmes n’ont pas besoin d’un homme pour survivre. Le roman A intrusa (« l’intruse », 1908) raconte l’histoire d’Alice, femme pauvre mais instruite, préceptrice de la fille d’un bourgeois veuf avec lequel elle finit par se marier. J. Lopes de Almeida a participé aux réunions pour la création de l’Académie brésilienne des lettres, dont elle a été tenue à l’écart par les fondateurs parce qu’elle était une femme. Parmi ses œuvres, se distinguent les romans A família Medeiros (« la famille Medeiros », 1892), A viúva Simões (« la veuve Simões », 1897) et A Silveirinha (« la petite Silveira », 1914), la pièce de théâtre A herança (« l’héritage », 1909) et le recueil de chroniques Eles e elas (« eux et elles », 1910).
Regina CRESPO
ALMEIDA-TOPOR, Hélène D’ [PARIS 1932]
Historienne française.
Élevée dans une famille d’artistes (son père, Abram Topor, juif d’origine polonaise réfugié en France, est peintre et sculpteur ; son jeune frère, Roland Topor, est un dessinateur, écrivain, chansonnier, homme de radio et de télévision célèbre), Hélène d’Almeida-Topor fait le choix de l’histoire de l’Afrique. Reçue à l’agrégation en 1959, elle enseigne à Porto-Novo au Bénin, au lycée Béhanzin puis à l’Institut d’enseignement supérieur, avant de passer quelques années à Lomé, au Togo. De cette longue immersion est issue sa thèse d’État, une somme en deux volumes consacrée à l’Histoire économique du Dahomey, 1890-1920 (1988). Elle consacre à ce pays un autre de ses premiers livres, Les Amazones (1984) qui, sans se revendiquer de l’histoire des femmes, fait émerger des actrices africaines de l’histoire, ces soldats féminins du roi du Dahomey Béhanzin, ainsi désignées par les Européens à la fin du XIXe siècle. Au fil de ses affectations universitaires, elle contribue au développement de l’histoire économique et sociale de l’Afrique. En collaboration avec des membres du laboratoire Tiers-monde/Afrique (Odile Goerg, Catherine Coquery-Vidrovitch*, Chantal Chanson-Jabeur), mais aussi avec Monique Lakroum, autre historienne de l’économie africaine professeure à l’université de Reims, elle organise plusieurs colloques importants : sur les transports (Les Transports en Afrique, XIX-XXe siècle, 1992), les jeunes (Les Jeunes en Afrique, évolution et rôle, XIX-XXe siècle, 1992), les relations euro-africaines (L’Europe et l’Afrique, un siècle d’échanges économiques, 1994) ou, plus récemment, sur le travail (Le Travail en Afrique noire, représentations et pratiques à l´époque contemporaine, 2003). Elle fait aussi œuvre de synthèse, à destination d’un public étudiant (L’Afrique au XXe siècle, 1993) ou non-spécialiste (L’Afrique, 2006). Ses centres d’intérêt l’ont portée vers une histoire de la cuisine et de l’alimentation (Le Goût de l’étranger, les saveurs venues d’ailleurs depuis la fin du XVIIIe siècle, 2006). Son expérience et ses compétences l’ont enfin conduite à coordonner avec Claude Liauzu un Dictionnaire de la colonisation française (2007) et à devenir présidente de la Société française d’histoire d’outre-mer. C’est en tant que telle qu’elle a co-organisé en 2004 un important colloque à l’occasion de l’anniversaire de la mort de Félix Éboué, gouverneur du Tchad rallié à la France libre en 1940 (Éboué soixante ans après, 2008).
Pascale BARTHÉLÉMY
ALMON, Shirley MONTAG [SAXONBURG 1935 - COLLEGE PARK 1975]
Économiste américaine.
Assistante de recherche à la Réserve fédérale de San Francisco puis à la Réserve fédérale américaine, Shirley Montag Almon a participé à la création de l’indice de l’utilisation des capacités de production désormais régulièrement publié par la banque centrale américaine. Elle a ensuite préparé son doctorat (PhD) à l’université Harvard en étant professeure associée au Wellesley College. Elle a obtenu son diplôme en 1964. Décédée jeune, S. M. Almon a publié, durant sa courte carrière, deux articles fondamentaux pour l’économétrie. Dans le premier, paru en 1965 dans la revue Econometrica, elle a établi un modèle à retards échelonnés particulier, nommé « méthode polynomiale d’Almon », qui vise à prévoir l’investissement des entreprises. Sa technique économétrique permet de montrer que l’investissement d’une année dépend non seulement des variables de cette même année, mais aussi des comportements passés. Dans les modèles à retards échelonnés, la variable dépendante est expliquée par une variable intervenant de façon coïncidente ainsi que par des retards. Cependant, le nombre de paramètres peut devenir très important si le nombre de retards est élevé. C’est pourquoi S. M. Almon a appliqué des contraintes aux coefficients, permettant de réduire le nombre de paramètres à estimer. Les paramètres associés à la variable explicative sont abordés au moyen d’une forme polynomiale représentant leur comportement réel. Quel que soit le nombre de retards du modèle, le nombre de paramètres est constant. Dans son second article, paru en 1968 dans The Review of Economics and Statistics, S. M. Almon a défini les déterminants de l’investissement. Selon ses travaux, les bénéfices constitueraient la source d’investissement la plus importante.
Mathilde LEMOINE
■ « The distributed lag between capital appropriations and expenditures », in Econometrica, vol. 33, no 1, janv. 1965 ; « Lags between investment decisions and their causes », in The Review of Economics and Statistics, vol. 50, no 2, mai 1968.
ALMQUIST, Éilís VOIR NÍ DHUIBHNE, Éilís
ALOE (Charlotte Maria TUCKER, dite) [BARNET, MIDDLESEX 1821 - AMRITSAR 1893]
Écrivaine britannique.
ALOE est l’acronyme de « A Lady Of England ». Fille d’un haut responsable de la Compagnie anglaise des Indes Orientales, elle se consacre entièrement à l’écriture à partir de 1852, et avec un succès toujours grandissant. Phénoménalement prolifique, elle a à son actif plus de 150 livres, toutes des histoires éminemment morales, dont les bénéfices étaient intégralement versés à des associations caritatives. Elle-même s’engage en 1875 dans des activités d’ordre humanitaire en tant que missionnaire évangélique en Inde, où elle meurt. Son message est essentiellement didactique et religieux, délivré sous couvert de récits d’aventures réalistes et naturalistes. Plusieurs livres s’intéressent à la vie des animaux d’un point de vue pédagogique, d’autres sont des histoires tirées de l’Ancien Testament, dont elle dira que c’était « la peine d’amour d’un chrétien pour le peuple hébreu » (Hebrew Stories), mais la plupart sont des hymnes à une domesticité simple et heureuse, soulignant avec insistance le rôle des parents : aider les enfants dans leurs lectures à bien comprendre « la vérité sacrée » des paraboles (The Giantkiller, or The Battle Which all Must Fight, « le géant meurtrier, ou la bataille que nous devons tous livrer », 1856 ; The Young Pilgrim, « le jeune pèlerin, 1871). Le curieux The Rambles of a Rat (« les pérégrinations d’un rat », 1864), point de vue narratif d’un rat plein de ressources et de sagesse, demande à être généreux et obligeant envers les pauvres et les étrangers. L’acronyme d’ALOE choisi par Charlotte Maria Tucker en atteste : elle s’affirme comme appartenant à la tradition victorienne des femmes réformatrices.
Michel REMY
■ GIBERNE A., A Lady of England : The Life and Letters of Charlotte Maria Tucker, 1895, Whitefish, Kesinger Publishing, 2007.
ALOÏSE (Aloïse CORBAZ, dite) [LAUSANNE 1886 - GIMEL 1964]
Plasticienne suisse.
Considérée désormais comme une des figures majeures de l’art brut, Aloïse est connue par un plus large public grâce au film éponyme de Liliane de Kermadec* (1928), où Delphine Seyrig* incarne son personnage en 1975. Sa création est indissociablement liée à sa maladie – la schizophrénie – et à son internement en asile psychiatrique durant quarante-six ans. Née dans une famille modeste, elle perd sa mère, épuisée par les multiples grossesses, à l’âge de 11 ans ; sa sœur aînée, Marguerite, prend alors avec fermeté le foyer en charge. Si la vie quotidienne est difficile, l’artiste se souviendra cependant, dans son œuvre, des couleurs des œufs de Pâques, des boules et des paquets de Noël de son enfance. Tous les membres de sa famille chantent ou font de la musique. Aloïse, dotée d’une belle voix, se passionne pour le chant et connaît très bien le répertoire de l’opéra ; elle prend des leçons de musique avec l’organiste de la cathédrale de Lausanne et fait partie du chœur. Elle rêve momentanément d’être cantatrice, mais ne peut réaliser son ambition. Après son certificat d’études obtenu en 1904, elle intègre l’école professionnelle de couture de Lausanne. En 1911, il semblerait qu’elle ait une relation amoureuse avec un étudiant en théologie, à laquelle Marguerite l’oblige brutalement à mettre fin. C’est sans doute à la suite de cette rupture qu’elle s’expatrie en Allemagne, où elle est engagée comme institutrice dans une famille de Leipzig, puis comme gouvernante d’enfants à Potsdam chez le chapelain de Guillaume II. Elle conçoit alors pour l’empereur une passion tout imaginaire. En 1914, la déclaration de guerre la contraint à rentrer à Lausanne. Au grand étonnement de sa famille, elle s’affirme comme pacifiste et même comme antimilitariste. Elle s’isole parfois pour écrire des chants religieux et son comportement devient de plus en plus exalté : elle se croit enceinte du Christ ; elle crie dans la rue qu’on l’assassine, qu’on lui vole ses enfants. Elle est internée en 1918 à l’asile psychiatrique de Cery, près de Lausanne. Après les débuts difficiles de l’enfermement, elle s’accommode peu à peu de sa nouvelle vie, puis est transférée à l’asile de la Rosière à Gimel-sur-Morges, établissement réservé aux malades incurables, où elle restera jusqu’à la fin de sa vie. Les dessins qu’elle commence à faire, probablement dès 1920, lui permettent de dépasser la maladie et l’internement. Elle dessine d’abord en cachette, utilisant le matériel qu’elle trouve dans les poubelles : fragments de papier quadrillé, vieilles cartes postales illustrées, papier kraft, vieilles factures, cartons d’emballage. Un coup de crayon transforme une forme ou un détail de la page illustrée en personnage. Ces supports sont défroissés, lissés et raccommodés avec du fil blanc de coton ou du gros fil rouge ; les coutures, parfois très élaborées, soulignent et déterminent des éléments du dessin. La structure même du papier semble aussi décider des motifs : un emballage, utilisé en boucherie, l’amène à représenter le personnage d’Hitler. Les feuilles cousues lui permettent de réaliser des dessins de grande taille, qu’elle garde sous forme de rouleaux. Elle travaille sur les deux faces avec des crayons et des craies grasses, exploitant tout l’espace. Son monde est peuplé de personnages, d’animaux, de fleurs, de fruits, dans une mise en scène théâtrale qui revêt, pour elle, des significations précises : certains de ses sujets reprennent des gestes, des poses, inspirés des revues illustrées, ou adoptent les attributs et les postures prêtés aux acteurs d’un théâtre ou d’un opéra ritualisé ; les attitudes sont hiératiques, les visages inexpressifs et immobiles, ou, au contraire, torturés comme les masques de la tragédie antique. Le théâtre, l’opéra et le couple amoureux ornent cette cosmogonie, où se développe un fort érotisme. Jusqu’en 1936, personne ne se préoccupe de la production artistique d’Aloïse, qui est presque totalement détruite. Le professeur Hans Steck, devenu directeur de l’hôpital de Cery ainsi que la médecin Jacqueline Porret-Forel et quelques autres ont alors pris soin de conserver ses dessins et de lui procurer du matériel jusqu’à sa mort. Jean Dubuffet l’expose à Paris en 1948 dans le cadre de la Compagnie de l’art brut, puis, en 1949, à l’exposition L’Art brut préféré aux arts culturels. En 1963, un an avant sa mort, l’artiste visite l’exposition Les Femmes suisses peintres et sculpteurs, organisée au palais de Rumine à Lausanne, où elle est l’invitée d’honneur.
Catherine GONNARD
■ AVEC BOIX-VIVES, SÉRAPHINE, Séraphine, Aloïse, Boix-Vives, aux frontières de l’art naïf et de l’art brut, Nice, Musée international d’art naïf, 1998.
■ PORRET-FOREL J., Aloïse et le théâtre de l’Univers, Genève, Skira, 1993 ; ID., La Voleuse de mappemonde, les écrits d’Aloïse, Carouge, Zoé, 2004.
ALONSO, Alicia (née Alicia Ernestina DE LA CARIDAD DEI COBRE MARTINEZ) [LA HAVANE 1921]
Danseuse et directrice de compagnie cubaine.
Formée à Cuba puis aux États-Unis, Alicia Alonso devient soliste à l’American Ballet Caravan de Balanchine (1939-1940), puis au Ballet Theatre (1941). Malgré les atteintes d’une cécité précoce, sa carrière prend rapidement une dimension internationale : elle danse avec les Ballets russes de Monte-Carlo (1955-1958) et fait partie des premières ballerines de l’Ouest à se produire à Moscou et Leningrad (1957-1958). Simultanément à cette carrière essentiellement américaine lui permettant de travailler auprès de grands créateurs de l’époque, de Bronislava Nijinska* à Jerome Robbins, elle fonde avec son mari, le chorégraphe Alberto Alonso, sa compagnie et son école à La Havane (1941), à l’origine de l’actuel Ballet national de Cuba. Sa personnalité impressionnante parvient à imposer le ballet classique comme un élément de l’identité nationale sous Castro. Pour en favoriser le développement, elle s’appuie sur l’aide des Soviétiques qui délèguent professeurs et artistes. Ceci ne l’empêche pas de faire émerger un style et un répertoire cubains avec ses caractéristiques propres, issues de la fusion contrastée entre le passé d’une courte tradition liée au XIXe siècle – lorsque les colons faisaient venir des troupes européennes –, et un présent qui doit au contraire dédier ses arts au peuple.
Professeur remarquable, faisant de son handicap un atout, elle développe un travail fondé sur l’ouïe, une conscience intériorisée du mouvement et de l’espace scénique. Ainsi, elle mène ses cours à partir des bruits, des frôlements sur le sol, de leur intensité et de leur rythme, pour deviner ce qu’elle ne peut voir et donner ses corrections. Ballerine virtuose très expressive, remarquable dans la tragédie, elle s’impose par l’intériorité de sa danse, en particulier dans le rôle de Giselle. À Cuba, créatrice de la plupart des ballets de son mari et d’Alberto Mendes, ainsi que des classiques progressivement inscrits au répertoire, elle s’impose comme une référence et un modèle pour sa troupe. Si elle n’y produit que des chorégraphies mineures, sa réputation la conduit à remonter à travers le monde les grands ballets de la tradition dans le respect de la pureté du style et un sens accompli de la dramaturgie.
Sylvie JACQ-MIOCHE
ALONSO, Dora (Doralina DE LA CARIDAD ALONSO Y PÉREZ-CORCHO, dite) [MATANZAS 1910 - LA HAVANE 2001]
Écrivaine et scénariste cubaine.
Dora Alonso est l’auteure d’une œuvre prolifique largement récompensée qui s’adresse aux enfants et aux jeunes. Elle est une représentante reconnue du criollismo, mouvement qui se propose de valoriser l’identité américaine en libérant la littérature locale de l’influence européenne. Elle reçoit en 1944 le Prix national du roman du ministère de l’Éducation pour Tierra adentro (« à l’intérieur des terres »), adapté et retransmis à la radio l’année suivante. Ses scénarios radiophoniques et télévisuels acquièrent une grande notoriété, et, à la fin des années 1950, certaines de ses histoires sont diffusées dans une dizaine de pays d’Amérique latine, notamment Sierra brava (« montagne sauvage »), Río abajo (« en aval »), Tierra nueva (« terre nouvelle »), Flor de aguinaldo (« fleur d’aguinaldo ») et Rancho luna (« la ferme lune »). La plupart de ses récits présentent des conflits au sein d’un univers rural dans lequel les personnages luttent contre une société hostile. Sa première œuvre théâtrale, La hora de estar ciegos (« l’heure d’être aveugle », 1955), aborde le thème des conflits raciaux à Cuba. Son recueil de nouvelles Once caballos (« onze chevaux », 1970) cristallise, par le choix d’animaux comme protagonistes, les principaux traits de sa poétique. Le roman Tierra inerme (« terre désarmée ») lui vaut en 1961 le prix Casa de las Américas. Le recueil de nouvelles Ponolani est lui aussi remarqué, tout comme El valle de la pájara pinta (« la vallée de l’oiseau peint », 1980). Le festival de théâtre pour enfants de Vallenar, au Chili, décerne le premier prix à son œuvre Cómo el trompo aprendió a bailar (« comment la toupie a appris à danser ») en 1971. En 1988, elle reçoit l’Ordre de Félix-Varela, la plus haute distinction culturelle décerné par la République cubaine, ainsi que le Prix national de littérature pour l’ensemble de son œuvre. Le Prix mondial de littérature José-Martí lui a été décerné au Costa Rica pour récompenser son parcours.
Jorge FORNET
■ PERDOMO O. (éd.), Dora Alonso, letras y cubanía, Matanzas, Matanzas, 1999.
ALONSO, Isabelle [AUXERRE 1953]
Militante pour les droits des femmes, écrivaine et chroniqueuse française.
Fille de réfugiés politiques espagnols, Isabelle Alonso, après des études de langue et d’économie, crée, dans les années 1980, sa propre société d’informations financières. Militante pour les droits des femmes, elle participe à diverses actions et figure notamment sur la liste « Avec les femmes pour une mairie mixte » présentée en 1989 par l’Alliance des femmes pour la démocratie (AFD) dans le 6e arrondissement de Paris. Elle publie en 1995 son premier essai Et encore, je m’retiens !, Propos insolents sur nos amis les hommes, dans lequel elle met les rieurs de son côté contre la misogynie ambiante. Remarquée par Philippe Bouvard, elle devient pour trois ans l’une des « Grosses têtes » qui animent son émission quotidienne sur RTL. Elle est l’une des deux fondatrices de l’association Les Chiennes de garde, créée en 1999 pour dénoncer les violences sexistes dans la presse et dans l’espace public, après que Dominique Voynet*, alors ministre de l’Environnement, a fait l’objet d’injures. Elle préside l’association jusqu’en 2003. En 2000, elle est invitée en tant que chroniqueuse dans des émissions très populaires, à la radio – France Inter et Europe 1 – et à la télévision. Elle commence à partir de 2003 à écrire des romans, dont certains prennent source dans son histoire. Ainsi, en 2009, Fille de rouge, et, en 2010, un texte sur la mort de sa mère : Maman. Elle anime sur le Net Gonflées à blog, livrant au jour le jour ses révoltes et ses enthousiasmes.
Yvette ORENGO
■ Tous les hommes sont égaux, même les femmes, Paris, R. Laffont, 1999 ; Pourquoi je suis Chienne de garde, Paris, R. Laffont, 2001 ; L’Exil est mon pays, Paris, H. d’Ormesson, 2006 ; … même pas mâle ! La révolution clandestine, Paris, R. Laffont, 2007 ; Sexe : pourquoi on ment, Paris, Plon, 2011.
ALONZO, Anne-Marie [ALEXANDRIE 1951 - LAVAL 2005]
Écrivaine et éditrice égypto-canadienne.
Née dans une famille égyptienne qui émigre au Québec lorsqu’elle a 12 ans, Anne-Marie Alonzo est victime d’un accident qui la rend quadraplégique deux ans plus tard. Refusant les restrictions que lui impose sa condition, elle devient une femme de lettres remarquable et originale. Poétesse, dramaturge, romancière, éditrice, critique d’art et journaliste, elle cofonde la revue culturelle Trois et les éditions du même nom, ainsi qu’une entreprise de livres-cassettes (AMA). Auteure d’une vingtaine d’ouvrages, elle déconstruit et dérange la forme, les genres, la syntaxe et la logique. D’un recueil à l’autre, elle problématise la douleur et transgresse la pudeur : « L’intime se partage, doit être partagé, j’écris, me livre, te donne à lire ce qui de moi s’évente. » Le pays perdu et imaginé ressort de la mobilité et du « plaisir de souvenance », tandis que le corps perdu lui aussi participe de l’immobilité. Ces deux motifs habitent son œuvre, et, constamment, elle les relance pour se libérer de la dépossession et atteindre des moments de paix et de joie. Son écriture, lieu où l’invention est possible, transforme l’immobilité en pas de danse. L’écrivaine rend audible le frémissement des sons, des odeurs et des arômes de l’enfance. Sa parole est dense et sensuelle, dit la mémoire et le présent éclatés, implore les femmes, de la mère à l’amante, à entrer dans le dialogue dont elle a besoin pour jouer son rôle de poétesse-conteuse. Dans son dernier recueil Et la nuit (2001), la mère joue à nouveau, au-delà de la mort, le rôle d’interlocutrice privilégiée. Archéologue et cartographe, l’écrivaine a exploré tout au long de son œuvre les mêmes questions essentielles et dessiné son pays, celui des mots, où cohabitent passion et souffrance. Elle a reçu de nombreux prix littéraires.
Lucie LEQUIN
■ Blanc de thé, Montréal, Zéditions élastiques, 1983 ; Geste (1979), Laval, Trois, 1997 ; Veille (1982), Laval, Trois, 2000.
■ LEQUIN L., VERTHUY M. (dir.), « Anne-Marie Alonzo », in Voix et Images, vol. 19, no 2 (56), hiver 1994.
ALÓS, Concha [VALENCE V. 1927 - BARCELONE 2011]
Écrivaine espagnole.
Issue d’une famille de la classe ouvrière, Concha Alós grandit à Valence ; son père, républicain, réussit à échapper aux franquistes mais pas à la destruction de la maison familiale. En 1943, elle épouse le journaliste Eliseo Feijóo et le couple s’installe à Palma de Majorque. À partir de 1953, elle enseigne et entre en écriture. El cerro del telégrafo (« la colline du télégraphe », 1957) et Cuando la luna cambia de color (« quand la lune change de couleur », 1958) obtiennent des prix majorquins. En 1959, elle quitte son mari et s’établit à Barcelone. Elle reçoit le prix Planeta en 1962, pour son roman Los enanos (« les nains »), puis en 1964, pour Las hogueras (« les feux de joie »). Elle s’inscrit dans le courant littéraire du réalisme social, qui s’illustre par des œuvres de témoignage constituant des diatribes contre la société. Dans les années 1980-1990, la critique commence à s’intéresser à l’écrivaine qui traite de la guerre d’Espagne du point de vue des vaincus, décrit la prostitution, la faim, le sexe, l’homosexualité ou l’avortement dans un langage puissant, parfois brutal (El caballo rojo, « le cheval rouge », 1966). C. Alós évoque parfois un paradis idyllique, où l’Espagne d’avant-guerre occupe le devant de la scène. En 1986 paraît El asesino de los sueños (« l’assassin des rêves », 1986), l’un de ses derniers romans.
Àngels SANTA
■ PÉREZ G. J., La narrativa de Concha Alós, texto, pretexto y contexto, Madrid/Londres, Tamesis, 1993 ; RODRÍGUEZ F., Mujer y sociedad, la novelística de Concha Alós, Madrid, Orígenes, 1985.
ALSOP, Marin [NEW YORK 1956]
Chef d’orchestre américaine.
Après des études à l’université Yale puis à la Juilliard School, où elle étudie avec Leonard Bernstein, Seiji Ozawa et Gustav Meier, Marin Alsop succède en 1986 à Philippe Entremont à la direction musicale de l’Orchestre symphonique de La Nouvelle-Orléans, qu’elle dirige jusqu’en 2005, année où elle devient la première femme et premier chef d’orchestre à recevoir le prix MacArthur. Parallèlement à ses fonctions en Louisiane, elle est, à partir de 2002, chef principal de l’Orchestre symphonique de Bournemouth. En 2007, elle succède à Yuri Temirkanov à la tête de l’Orchestre symphonique de Baltimore, devenant ainsi la première femme dirigeant l’un des grands orchestres des États-Unis. Elle est régulièrement invitée par l’Orchestre philharmonique de New York, l’Orchestre de Philadelphie et le Philharmonique de Los Angeles. Elle est également l’un des chefs à se produire avec deux grandes formations londoniennes, les Orchestres symphonique et philharmonique de Londres, et à diriger de nombreux autres orchestres internationaux, comme le Royal Concertgebouw d’Amsterdam, le Tonhalle de Zurich, l’Orchestre de Paris, le Symphonique de la Radio bavaroise et celui de la Scala de Milan. En 2006, M. Alsop a été la seule musicienne classique invitée à assister à la réunion annuelle du Forum économique mondial de Davos, en Suisse, aux côtés des présidents, Premiers ministres et chefs d’entreprise les plus puissants du monde. M. Alsop s’illustre dans un large répertoire, de Brahms et Tchaïkovski à Adams et à Takemitsu, ce qui atteste de son attachement pour la musique contemporaine. En avril 2010, elle a dirigé à Amsterdam la création mondiale de l’une des grandes partitions de Tristan Murail, Les Sept Paroles. En 2013, M. Alsop devient la première femme de l’histoire de la musique à diriger le prestigieux festival de la Dernière Nuit des Proms, fondé en 1895. Depuis 1992, elle est directrice musicale du festival Cabrillo en Californie, ce qui lui a permis de recevoir un prix pour sa programmation audacieuse en matière de musique contemporaine.
Bruno SERROU
ALSTED, Birgitte [ODENSE 1942]
Compositrice et violoniste danoise.
Formée au Conservatoire royal de Copenhague, Birgitte Alsted y étudie le violon et, active au sein du Cercle d’études de musique contemporaine, s’oriente vers la composition. Ce n’est toutefois que vers 1970 qu’elle produit ses premières œuvres en s’investissant parallèlement dans l’enseignement du violon. Elle participe aux activités du Gruppen for Alternativ Musik et à des séances d’improvisation collective. Elle compose de la musique de chambre et des pièces pour piano mais, très intéressée par le théâtre, elle a travaillé avec l’actrice et écrivaine Brigitte Kolerus, avec qui elle a produit notamment Lunch in Open Air en 1985. Elle est l’une des fondatrices en 1980 de l’organisation Kvinder i musik (« Women in Music ») et s’investit dans la promotion des compositrices.
Pierrette GERMAIN
■ SADIE J. A., SAMUEL R. (dir.), The New Grove Dictionary of Women Composers, Londres, Macmillan, 1994.
ALTAÏ, Armande [ALEP 1944]
Auteure-compositrice-interprète et professeure de chant française.
Discrète sur la première partie de sa vie, Armande Altaï aborde sa carrière artistique dans les années 1970 en se produisant dans des comédies musicales, des opéras et des pièces de théâtre. Dix ans plus tard, elle sort son premier opus, puis enchaîne les enregistrements et les tournées. Malgré les ventes décevantes de ses albums, elle poursuit ses récitals en public sur la scène de la Comédie de Paris, du Folie’s Pigalle, des Bains Douches ou encore du Palace. À la fin des années 1990, son expérience de la scène, alliée une grande maîtrise de sa voix lui permet d’aborder l’enseignement : elle devient coach vocale et élabore une méthode personnelle. En octobre 2001, la société de production Endemol la recrute pour sa toute nouvelle émission Star Academy, dans laquelle elle endosse le rôle de professeure de chant. Figure emblématique de ce programme de télé-réalité, elle le quitte à la fin de la troisième saison, puis publie une autobiographie, Cette musique qui me vient de loin. Trois ans plus tard, elle sort un nouvel album, Héroïnes fantaisie, et se produit au New Morning à Paris. En 2008, le temps d’une saison, elle reprend son siège à la Star Academy en qualité de directrice. Artiste décalée, à la fois lyrique et rock’n’roll, elle reste plus connue pour ses prestations télévisées que pour sa discographie. Néanmoins, sa carrière multiforme atteste de choix audacieux et d’une personnalité libre et épanouie.
Anne-Claire DUGAS
■ Héroïnes fantaisie, O+ Music, 2007.
ALTAÏEV, Alexandre (Margarita IAMCHTCHIKOVA, dite) [KIEV 1872 - MOSCOU 1959]
Écrivaine et mémorialiste russe.
Après une enfance passée parmi des artistes, des acteurs et des musiciens, Margarita Iamchtchikova se rend à Saint-Pétersbourg, où elle entame une carrière littéraire, encouragée par Polonski, dont un des personnages lui inspire son nom de plume. Elle publie quelques livres pour enfants, comme Sdielaïte sami ! Zimnie zaniatiia deteï (« faites-le vous-mêmes ! activités d’hiver pour les enfants », 1892), puis son premier ouvrage sérieux, une biographie du poète Semion Nadson. Elle jouit d’un très grand succès comme auteure pour enfants et ses ouvrages biographiques s’attachent particulièrement à l’enfance de ses héros, décrivant les événements historiques à travers leurs yeux. Ses biographies sont consacrées essentiellement à des artistes russes : Ivan Tourgueniev, Mikhaïl Lermontov, Piotr Tchaïkovski, Mikhaïl Glinka, Karl Brioullov, Serge Poliakoff, dans Passynki Akademii (« les beaux-fils de l’Académie », 1967). Elle s’intéresse aussi à la Renaissance italienne (Léonard de Vinci, Raphaël, Michel-Ange, Cellini), ou encore à Beethoven et à Schiller. Ses romans historiques portent souvent sur des révolutions et des révoltes et couvrent presque toute l’histoire russe ou européenne : les hussites, la révolte des paysans de Thomas Müntzer, avec Pod znamenem bachmaka (« sous l’emblème du soulier », 1906), Stenka Razine dans Vniz po Volge reke (« en descendant la Volga », 1908), le mouvement décembriste dans Dekabriata (« les enfants de décembre », 1926), le Xe siècle avec V lesakh dnieprovskikh (« dans les forêts du Dniepr », 1915), l’invasion de Batou Khan dans V tatarskoï nevole (« prisonniers des Tatars », 1912), le XIIIe siècle dans Streloï i arkanom (« par la flèche et le lasso », 1912), Ivan le Terrible dans Groza na Moskve (« menace sur Moscou », 1914), ou le XVIIe siècle dans Razorionnye gniozda (« les nids dévastés », 1906). Ses Mémoires, Pamiatnye vstretchi (« rencontres mémorables », 1957), rédigés pendant la Seconde Guerre mondiale, rassemblent ses souvenirs sur les artistes, écrivains et acteurs russes qu’elle a personnellement connus, notamment Ilia Repine, Mikhaïl Nesterov et Nikolaï Leskov.
Laure THIBONNIER-LIMPEK
■ LEDKOVSKY M., ROSENTHAL C., ZIRIN M. (dir.), Dictionary of Russian Women Writers, Westport, Greenwood Press, 1994 ; LITVINOV V., Alexandre Altaïev, Moscou, 1973.
ALTAMIRANO, Soledad [LEJAMANÍ 1962]
Poétesse hondurienne.
Après des études littéraires, Soledad Altamirano Murillo devient professeure à l’université Francisco Morazán de Tegucigalpa. En 1997 et 1998, elle obtient des prix universitaires de poésie. Par ailleurs, elle participe à plusieurs rencontres poétiques et colloques universitaires : la XIIe Rencontre de « Mujeres Poetas en el País de las Nubes » (« femmes poètes au pays des nuages ») et les Journées de littérature de l’Amérique centrale à Mexico en 2004 ; le colloque de littérature hondurienne au Guatemala en 2006 ; la rencontre Tras las Huellas del Poeta au Chili en 2007. Ses textes sont publiés dans plusieurs anthologies latino-américaines : Honduras, mujer y poesía (1998), Poemas de raíces mágicas (2004), Versos del mundo (2005) et le recueil de poésie érotique Al borde del deseo (2007). Son recueil Cronología de una ausencia (« chronologie d’une absence ») paraît en 2001, avant d’être réédité en 2003 au Guatemala. La poésie de S. Altamirano se caractérise par l’élaboration d’un discours limpide mais non exempt de figures littéraires qui lui confèrent une dimension de profonde subjectivité. Il s’agit d’une poésie intimiste qui s’adonne au plaisir de remémorer, de convoquer, de faire revivre et d’interpeller les divers moments et les différentes pulsions de la passion amoureuse. Le sujet poétique se présente et s’expose avec ses certitudes et ses doutes, ses ardeurs et sa volupté qui ont de pair avec la volonté de faire apparaître l’être aimé par le moyen de la parole poétique.
Fernando MORENO
ALTHAUS, Mariana DE [PÉROU 1974]
Metteuse en scène, dramaturge et actrice péruvienne.
Ayant suivi des études littéraires et participé à des ateliers de pratique théâtrale (dramaturgie, interprétation et mise en scène) à la Pontificia Universidad Católica del Perú, Mariana de Althaus monte sa première œuvre, En el borde (1998), en Espagne, où elle présente plus tard Trois histoires de mer (2003), histoire de trois sœurs invitées à réécrire leur fresque familiale, dans le cadre du festival catalan Margaritas, dédié à la diffusion des créations de femmes. Ses premières pièces sont hantées par le suicide, la quête identitaire, la mort : En el borde (1998) ; Los charcos de la ciudad (« les flaques de la ville », 2001) ; La puerta invisible (2005). Puis apparaissent des thèmes socio-politiques liés à l’histoire récente du Pérou, avec Ruido (« bruit », 2006), où les bruits disent autant la violence du terrorisme au quotidien que l’incommunicabilité minant les personnages noyés dans un contexte de crise. Depuis Entonces Alicia cayó (« alors Alicia tomba », 2010), prix du Concours de dramaturgie péruvienne du Centre culturel britannique, Mariana de Althaus privilégie l’univers féminin comme matière dramaturgique. Avec La mujer espada (« la femme épée », 2010) et Criadero (2011), c’est la maternité qui, à partir des témoignages des actrices, se trouve au cœur des dernières compositions dramatiques que l’auteure met elle-même en scène.
Stéphanie URDICIAN
■ Trois histoires de mer (Tres historias del mar, 2003), Paris, Indigo/Côté-femmes, 2008.
ALTHÉA VOIR LEBLANC, Marie
ALTHER, Lisa [KINGSPORT 1944]
Écrivaine américaine.
Auteure de plusieurs romans et de nouvelles publiées dans divers magazines, Lisa Alther a plusieurs étiquettes : écrivaine du Sud (Appalaches), féministe, auteure gay. Ayant publié sa première nouvelle dans le journal de son lycée, elle rédige d’autres textes brefs dans le cadre d’un cours d’écriture, au Wellesley College, où elle obtient un BA (Bachelor of Arts) en littérature anglaise. L. Alther publie son premier roman, Ginny, en 1976. Sa carrière prend immédiatement son envol. Chacun de ses romans correspond à un moment de sa vie. Elle explique que la littérature lui permet de formuler ses craintes pour mieux les appréhender, voire les exorciser. Le point de départ de l’intrigue est bien souvent une image mentale que l’écrivaine développe, comme dans Autres femmes (1984), où Caroline, en voiture, invite le lecteur à assister au voyage intérieur qu’elle accomplit à travers ses nombreuses visites chez sa thérapeute, pour saisir sa personnalité et sa sexualité. L. Alther dit écrire sur l’homosexualité et la bisexualité dans un but didactique, considérant toute expérience comme potentiellement éclairante. Pour capter l’attention du lecteur, elle utilise l’humour et parfois la satire, comme F. O’Connor qu’elle admire. Chaque récit constitue en outre pour elle l’occasion d’explorer le monde contemporain, afin d’en comprendre le fonctionnement et de découvrir la place qu’y occupe l’individu.
Gérald PREHER
■ Ginny (Kinflicks, 1976), Paris, Gallimard, 1978 ; Autres femmes (Other Women, 1984), Paris, Des femmes-Antoinette Fouque, 1986 ; Original Sins, New York, Knopf, 1981.
■ HART V., « Woebegone Dykes : the novels of Lisa Alther », in HUTTON E. (dir.), Beyond Sex and Romance ? The Politics of Contemporary Lesbian Fiction, Londres, Women’s Press, 1998 ; POND W. J., « Lisa Alther : healing laughter », in LANG J. (dir.), Appalachia and Beyond : Conversations with Writers from the Mountain South, Knoxville, University of Tennessee Press, 2006.
ALVARADO, Elsie [PANAMÁ 1928 - ID. 2005]
Poétesse et essayiste panaméenne.
Elsie Alvarado de Ricord reçoit en 1953 le prix Ricardo-Miró pour Holocausto de rosa, sa première anthologie de poésie, où les motifs lyriques oscillent entre la tendresse et le déchirement. Professeure à l’université de Panamá, elle se consacre ensuite à la critique littéraire et publie Estilo y densidad en la poesía de Ricardo J. Bermúdez (1960), qui constitue la seule étude approfondie sur l’œuvre de ce poète surréaliste. Deux ans plus tard, elle publie une série de notes autobiographiques sur 20 auteurs de sa génération dans Escritores panameños contemporáneos (1962). Après treize années d’études, elle revient au domaine poétique avec Entre materia y sueño (« entre la matière et le rêve », 1966). En 1968, elle termine un doctorat de philologie romane à l’Université centrale de Madrid avec l’essai La obra poética de Dámaso Alonso (1968). C’est alors qu’elle réaffirme sa maturité critique en inaugurant une période dense où elle se spécialise en linguistique et publie ses deux principaux ouvrages critiques : Aproximación a la Poesía de Ricardo Miró (1973, prix Ricardo-Miró) et Rubén Darío y su obra poética (1978). En poésie, ses deux dernières publications sont les anthologies Pasajeros en tránsito (« passagers en transit », 1973) et Es real y es de este mundo (« c’est réel, et c’est de ce monde », 1978), où se conjuguent, au sein du vers, lyrisme et maîtrise de la langue.
Silvia COLMENERO MORALES
■ « Elsie Alvarado de Ricord, un merecido homenaje », numéro spécial, Maga, Revista Panameña de Cultura, no 49-50, mai-déc. 2002.
ÁLVAREZ, Julia [NEW YORK 1950]
Écrivaine dominicaine.
Issue de la haute bourgeoisie dominicaine, Julia Álvarez naît à New York. Ses parents rentrent ensuite à Saint-Domingue, mais doivent de nouveau quitter le pays en 1960, en raison de la participation de son père à une conspiration contre le dictateur Rafael Leonidas Trujillo, et se réinstallent à New York. Confrontée à un monde inconnu et hostile, elle commence à élaborer très jeune sa « patrie portative », un nouveau pays qu’elle trace, en anglais, dans la page d’écriture. Dans son œuvre, elle pose la question de l’identité compte tenu des migrations qui caractérisent la société globale. Elle décrit la singularité de sa situation d’écriture en tant que « Dominican American writer » dans son essai Something to Declare (1998). Elle explore dans ses fictions le paradoxe de l’espace remémoré par le biais de désajustements chronologiques qui lui permettent de renouer avec son enfance à Saint-Domingue, comme dans le roman qui l’a fait connaître, How the García Girls Lost Their Accents (1991). Ce livre à caractère autobiographique retrace l’histoire des quatre sœurs García de la Torre et commence en 1989, au moment où, installées dans le Bronx, elles apparaissent « américanisées », et se termine, entre 1960 et 1956, par leur enfance à Saint-Domingue. Le problème de la culture dans l’exil est au centre du roman, la perte de l’accent signifiant, en quelque sorte, l’assimilation à la culture d’accueil et l’oubli de la culture de son pays d’origine. Mais le roman montre également la complexité de vivre entre deux cultures, d’être une « Dominican gringa ». J. Álvarez reviendra par la suite sur l’histoire de la famille García dans son roman ¡Yo ! (1997), qui raconte le conflit entre une des filles, devenue une écrivaine célèbre, et sa famille, opposée à sa manière de rendre publique leur vie privée. Le roman Au temps des papillons (1994) aborde, par le biais de la fiction, l’assassinat des sœurs Mirabal (Patria, Minerva et María Teresa), membres sous le nom « las Mariposas » du groupe de résistance 14 de junio sous la dictature de Trujillo. Le récit tisse un réseau mémoriel, en mettant en évidence la coïncidence de la date de l’assassinat des sœurs (1960) et la date du départ de Saint-Domingue des parents de l’écrivaine. Dans Au nom de Salomé (2000), J. Álvarez fictionnalise l’histoire de la « dynastie intellectuelle » des Henríquez Ureña, à travers les personnages historiques de Salomé Ureña de Henríquez* et de sa fille. Elle réécrit l’histoire masculine de la République dominicaine, en traçant une généalogie féminine afin de mettre l’accent sur l’action des femmes dans les processus historiques et politiques du pays. Son dernier roman, Sauver le monde (2006), entrelace les époques au travers de l’histoire de deux femmes qui essaient de « sauver le monde » : Isabel, qui a participé au XIXe siècle à ce qui pourrait être considéré comme la première campagne mondiale de vaccination, et une écrivaine du XXIe siècle qui entre en contact avec une clinique qui teste un nouveau vaccin contre le VIH dans un pays du tiers-monde. Dans sa poésie, on retrouve sa passion pour la narration. En 1984, elle publie deux recueils de poésie, Homecoming, rassemblant ses poèmes autour de ses souvenirs d’enfance à Saint-Domingue, et The Other Side/El Otro Lado, où elle revient sur l’expérience de l’exil de son père et l’immigration de sa famille aux États-Unis. J. Álvarez est arrivée à inscrire sa voix dans l’espace littéraire américain et, grâce à la traduction en espagnol de ses textes, dans la littérature dominicaine.
Melina BALCÁZAR MORENO
■ Au temps des papillons (In the Time of the Butterflies, 1994), Paris, Métailié, 1997 ; Yo (¡ Yo ! , 1997), Paris, Métailié, 1999 ; Au nom de Salomé (In the Name of Salomé, 2000), Paris, Métailié, 2002 ; Tía Lola (How Tía Lola came to (visit) stay), Paris, Seuil/Métailié, 2004 ; Sauver le monde (Saving the World, 2006), Paris, Métailié, 2010.
ÁLVAREZ, María Auxiliadora [CARACAS 1956]
Poétesse vénézuélienne.
Chercheuse à l’université de l’Ohio, spécialiste de la poésie mystique, María Auxiliadora Álvarez compile les œuvres des écrivains les plus représentatifs de cette veine, des auteurs consacrés par les siècles, comme saint Jean de la Croix, aux poètes du XXIe siècle. Son premier recueil poétique, Mis pies en el origen (1978) a pour thème principal le Venezuela, avec une tonalité nostalgique. Cuerpo (« corps », 1985), son deuxième recueil, a pour sujet le corps de la femme transformée en épouse puis en génitrice. Ca(z)a (1990), Sentido aroma (1994) et Páramo solo (1999) réunissent des poèmes qui révèlent ses angoisses face à l’existence, à la perte et à la mort. Avec la publication de Inmóvil (« immobile », 1996), elle révèle une inquiétude spirituelle qui sera une constante de son œuvre par la suite : Pompeya (2003), Un día más de lo invisible (2005), El eterno aprendiz (« l’éternel apprenti », 2006), Resplandor (« éclat », 2006) et Tránsito de ruinas (2007). Parmi ses principales préoccupations poétiques figurent la place de la femme dans le contexte socioculturel actuel et la spiritualité. Le style poétique de M. A. Álvarez privilégie les vers limpides et synthétiques, et joue sur les blancs et les signes de ponctuation.
Pablo DOMÍNGUEZ GALBRAITH
ÁLVAREZ RESANO, Julia [VILLAFRANCA, NAVARRE 1903 - MEXICO 1948]
Femme politique et avocate espagnole.
Julia Álvarez Resano fait des études juridiques, devient institutrice et épouse Amancio Muñoz de Zafra, député et membre du parti socialiste. Puis, déléguée de l’assemblée provinciale des travailleurs de l’enseignement de Navarre, elle est secrétaire de la section socialiste de sa ville. Elle milite pour l’égalité et l’affiliation des femmes au PSOE (Parti socialiste ouvrier espagnol), alors qu’elles n’ont pas encore le droit de vote. Battue aux élections de 1933, elle est élue députée de Madrid en 1936. Le 8 mars 1936, elle célèbre la victoire du Front populaire, sur la plaza de las Ventas à Madrid, aux côtés de Dolores Ibárruri*. Elle devient en 1937 la première Espagnole gouverneure civile (province de Ciudad Real). Huit mois plus tard, elle démissionne du fait des affrontements entre socialistes et communistes. Elle entre à la direction de l’AMA (Agrupación de mujeres antifascistas*) et devient juge de première instance par intérim à Alberique (Valence), puis magistrate par intérim du Tribunal central d’espionnage et de haute trahison. Après la défaite des républicains, elle s’exile en mars 1939 en France, où elle participe aux activités du Service d’évacuation des républicains espagnols et adhère à l’Union nationale espagnole (UNE). Faisant partie de la minorité socialiste qui milite toujours pour l’union des socialistes et des communistes, elle est exclue en 1946 du PSOE. Elle s’exile alors au Mexique.
Yannick RIPA
■ MARTÍNEZ C., PASTOR R., LA PASCUA J. DE, TAVERA S. (dir.), Mujeres en la historia de España. Enciclopedia biográfica, Barcelone, Planeta, 2000.
■ PEÑAFIEL RAMÓN J. L., « Doña Julia Álvarez Resano, primera mujer gorbernadora civil de España (1937-1938) », in Cuadernos republicanos, no 33, 1998.
ALVARO, Anne [ORAN 1951]
Actrice française.
Passionnée par le théâtre, Anne Alvaro s’inscrit au conservatoire de Créteil, la ville de son enfance, après l’installation de sa famille en métropole. 1968 offre à l’adolescente l’occasion de fréquenter de petites troupes théâtrales naissantes. Elle se fait alors repérer par de jeunes metteurs en scène tels que Robert Wilson, André Engel, Alain Françon et Georges Lavaudant. Au cinéma, elle tourne un premier grand film, Danton, sous la direction d’Andrzej Wajda en 1981, puis plusieurs films sous la direction de Raoul Ruiz. En 2000, elle atteint la notoriété avec son interprétation du personnage de tragédienne dans Le Goût des autres d’Agnès Jaoui*, qui lui vaut un César du second rôle. A. Alvaro se partage désormais entre cinéma, télévision et théâtre. À l’affiche de La Chose publique de Mathieu Amalric (2002), du Scaphandre et le papillon de Julian Schnabel (2006), elle a Myriam Boyer* pour partenaire dans le film de Bertrand Blier Le Bruit des glaçons en 2010. C’est au théâtre qu’A. Alvaro donne toute la mesure de son talent sur de grandes scènes et dans des lieux plus confidentiels. Elle est dirigée par R. Wilson dans Le Regard du sourd, en 1970, par Denis Llorca dans plusieurs spectacles shakespeariens, La Nuit des rois, Henri IV, Falstaff, Roméo et Juliette, par Jean-Pierre Miquel dans le Don Juan de Max Frisch en 1976 et Hedda Gabler d’Henrik Ibsen en 1982, par Gabriel Garran dans Platonov en 1979, puis par André Engel dans Penthésilée d’Heinrich von Kleist en 1981, Lulu de Frank Wedekind en 1983, et dans Venise sauvée d’Hugo von Hofmannsthal en 1987. Elle entreprend une collaboration suivie avec Georges Lavaudant dans les années 1990, puis avec Claire Lasne, Anne Torrès, Alain Françon, Bernard Sobel, Claude Guerre à la Maison de la poésie en 2008. Gertrude (Le Cri) d’Howard Barker, mise en scène par Giorgio Barberio Corsetti en 2009 à l’Odéon, lui vaut un Molière de la meilleure actrice ; en 2011, elle obtient le César du second rôle féminin dans Le Bruit des glaçons. Cette même année, au théâtre, on la voit dans L’Homme-Jasmin d’après Unica Zürn* sous la direction de Magali Montaya. Patrick Pineau la dirige dans Le Suicidé de Nicolaï Erdman. Ouverte aux projets originaux, A. Alvaro prête sa voix, son charme grave et lointain à des expériences multiples. Elle a signé notamment une mise en scène en 2006, Esprit-Madeleine d’après Le Silence de Molière de Giovanni Macchia au Théâtre national de Chaillot, et a fait travailler les élèves de l’École régionale d’acteurs de Cannes.
Noëlle GUIBERT
ALVEAR, Maria DE [MADRID 1960]
Compositrice espagnole.
Marquée par l’enseignement de Mauricio Kagel qu’elle reçoit à Cologne et impressionnée par ses contacts avec la musique des Indiens d’Amérique ainsi que par celle des peuples de Sibérie, Maria de Alvear exploite un champ compositionnel très vaste, accueillant toutes les sensations et perceptions que le monde lui offre. Elle cherche, avant tout, à créer des univers où la musique puisse libérer sa puissance intérieure faite de présence sonore et spirituelle.
Aucune convenance, aucun interdit ne limite ses réalisations, dont l’objectif est de permettre à l’auditeur d’éprouver sa propre liberté dans un environnement où le sonore prédomine. Toutefois, des installations visuelles, voire des matériaux provenant de la nature, tels feuillages ou pierres, accompagnent souvent la présentation de ses œuvres qu’elle souhaite faire ressentir comme une « cérémonie ». Si ses premières œuvres sont seulement instrumentales (Primera pieza pour violon et piano, 1979), dès 1984 la vidéo intervient (October Madrid, 1987) et son désir de casser les barrières prend vite corps (Sexo, puis Vagina, 1996). Sa sœur, la vidéaste Ana de Alvear, est depuis 1998 sa partenaire privilégiée.
Pierrette GERMAIN
ALVER, Betti [JÕGEVA 1906 - TARTU 1989]
Poétesse et romancière estonienne.
Après des études de langue et littérature estoniennes à l’université de Tartu (1924-1927), Betti Alver débute son œuvre littéraire par des romans de facture réaliste : Tuulearmuke (« l’amante du vent », 1927) décrit les aspirations à l’indépendance d’une jeune fille issue d’un milieu petit-bourgeois ; Invaliidid (« les invalides », 1930) est centré sur la vie des pêcheurs du littoral estonien. Elle se détourne ensuite de la prose pour se consacrer à la poésie. Son poème épique Lugu valgest varesest (« histoire de la corneille blanche », 1931) tourne en dérision la société bourgeoise de l’entre-deux-guerres. Membre du groupe des Arbujad (« les devins »), qui rassemblait à la fin des années 1930 des jeunes poètes épris de formes classiques, B. Alver cultive une poésie philosophique exaltant la liberté de l’individu et de la création. Son premier recueil, Tolm ja tuli (« la poussière et le feu », 1936), où elle s’inspire de la poésie française et russe, impressionne par la perfection musicale de ses vers et l’impose comme une poétesse majeure. Sous le régime soviétique, expulsée de l’Union des écrivains en 1950 pour « nationalisme bourgeois », elle se consacre principalement à la traduction (Goethe, Pouchkine, Gorki) et ne recommence à publier ses propres textes qu’en 1965. La poésie de sa dernière période porte la marque du souvenir des épreuves traversées (son premier mari, le poète Heiti Talvik, est mort en déportation en Sibérie) et exalte la dignité éthique et l’indépendance d’esprit de l’individu.
Antoine CHALVIN
ALVES DE SOUSA, Berta [LIÈGE 1906 - PORTO 1997]
Compositrice portugaise.
De parents originaires de Porto, ville qu’elle retrouve très jeune, Berta Cândida Alves de Sousa fait ses études musicales au Conservatoire de musique et obtient son diplôme supérieur en 1942. Elle travaille avec des maîtres tels que Moreira de Sá, Luis Costa, Lucien Lambert et Cláudio Carneyro. De 1927 à 1929, elle suit des cours à Paris auprès de Wilhelm Backhaus, Théodore Szántó, ainsi que des cours de composition auprès de Georges Migot. À Lisbonne, elle perfectionne son piano avec Vianna da Motta (disciple de Liszt). Plus tard, elle s’intéresse à la direction d’orchestre et travaille auprès de Clemens Krauss, à Berlin, et de Pedro de Freitas Branco, à Lisbonne. Elle suit les cours d’interprétation d’Alfred Cortot, à Paris, et de didactique musicale d’Edgar Willems, à Porto. En 1946, elle est nommée professeure de musique de chambre au Conservatoire de musique de Porto et, en 1949, dans le même établissement, dirige une classe de piano. B. Alves de Sousa a réalisé de nombreux récitals et concerts en solo, dans des formations de musique de chambre et, également, en qualité de chef d’orchestre. Ses œuvres Vasco da Gama, poème symphonique (1936), et Dança exotica, pièce symphonique (1938), ont été créées par l’Orchestre symphonique de Porto, sous sa direction. Elle a donné de nombreuses conférences et collaboré au journal O Primeiro de Janeiro en qualité de critique musicale. Son œuvre, axée sur la musique de chambre, la musique chorale religieuse et symphonique, se situe dans un courant esthétique plutôt impressionniste, utilisant aussi la polytonalité. B. Alves de Sousa a réalisé des recherches et fait des expériences dans le domaine de la symétrie sonore, auprès de son créateur, le compositeur portugais Fernando Corrêa de Oliveira. En 1941, elle obtient le prix Moreira de Sá attribué par l’Orphéon Portuense.
Fernanda SOARES
ALZONA, Minnie [GÊNES 1920 - ID. 2008]
Écrivaine italienne.
Parmi les romans de Minnie Alzona, Processo in camerata (« procès dans un dortoir ») remporte le prix Manzoni en 1958, La moglie del giudice (« la femme du juge », 1960), le prix Charles-Veillon à Zurich en 1959, et Viaggio angelico, una storia medievale (« voyage angélique, une histoire médiévale », 1977), le prix Napoli. Son livre La strega (« la sorcière », 1964) traite des procès contre les sorcières. Coma vigile (« coma éveillé », 1967) raconte l’expérience d’une mère assistant son fils victime d’un accident. La corona di undecimilla (« la couronne de onze mille », 1986), qui relate la vie et le martyre de sainte Ursule, est traduit pour la radio de Zagreb en 1990. M. Alzona est également l’auteure de deux recueils de nouvelles, Il pane negato (« le pain défendu », 1993) et Appunti per un addio (« notes pour un adieu », 1996), et d’un roman, Il libro di Sofia (« le livre de Sophie », 2001). Ses œuvres ont été traduites en Espagne et en France
Graziella PAGLIANO
■ BERTI G. (dir.), La narrativa di Minnie Alzona, 1984.
AMA ADHE (ou AMA ADHE TAPONTSANG) [NYARONG 1932]
Résistante tibétaine.
Née dans une famille de nomades du Kham (Tibet oriental), Ama Adhe avait 18 ans quand l’armée chinoise envahit le Tibet. Quand son mari fut empoisonné en 1954, elle rejoignit les rangs de la résistance, mais fut capturée quatre ans plus tard et passa vingt-sept ans en camp de rééducation par le travail (laogai) dans d’effroyables conditions. Entre temps, son fils se suicida, sa fille fut élevée par une autre famille et nombre de ses proches et amis moururent. Libérée en 1985, elle fut autorisée à quitter le pays à condition de ne pas révéler ce qu’elle avait vécu. Exilée en Inde, elle se remaria et vint en aide aux réfugiés tibétains. Elle a rédigé son autobiographie, qui témoigne de son histoire douloureuse tout en mettant l’accent sur la compassion pour supporter ses épreuves.
Françoise ROBIN
■ Avec BLAKESLEE J., Ama Adhe. Voix de la mémoire, du Tibet libre à l’exil, Paris, Dangles, 1999.
AMADÓ I CERCOS, Roser [BARCELONE 1944]
Architecte espagnole.
Femme architecte catalane la plus importante de sa génération, Roser Amadó i Cercos a étudié à Barcelone et obtenu son diplôme, mention urbanisme, en 1968. Elle a ensuite été directrice de la revue Nuevo Ambiente, puis a participé à des projets d’urbanisme avec le studio PER. En 1974, elle s’est associée avec son mari, Lluis Domènech i Girbau. Leur agence a aujourd’hui pris le nom de B01. Un de leurs premiers chantiers significatifs a été celui du réaménagement du centre historique de Lleida, en 1981. En plus d’offrir une réponse urbaine à un tissu complexe et dégradé en raison de ses caractéristiques orographiques, ils y ont réalisé le tribunal (1985-1990), adossé à un long mur de retenue des terres, ainsi que l’ascenseur de Canyeret (1983-1985), qui a facilité l’accès à la cathédrale de la Seu d’Urgell, un des plus importants édifices romans de Catalogne. Ils y ont également conçu le parc Marius-Torres (1985) et bâti l’école Cervantes (1990-1995) ainsi que l’ensemble de logement El Roser (1997-2001), élément clé de l’aménagement de la vieille ville. Entre 1986 et 1990, ils ont été chargés, à Barcelone, de la réhabilitation de l’ancienne maison d’édition Montaner i Simón qui avait été dessinée en 1879 par Doménech i Muntaner, l’arrière-grand-père de L. Domènech i Girbau, afin d’y établir la Fondation Tàpies. Combinant brique et fer, ils ont rendu à l’édifice sa marque originale tout en exploitant sa grande richesse spatiale à des fins muséales. Au-dessus du toit, la structure de la couverture a été prolongée par des poutres qui supportent une sculpture métallique de Tàpies, atténuant ainsi la différence de niveau avec les immeubles mitoyens et soulignant la nouvelle identité de l’édifice. À Barcelone encore, ils ont réalisé, de 1992 à 2006, l’aménagement des Archives de la Couronne d’Aragon, Ardiaca, en différenciant le bloc où sont conservées les archives et celui réservé au public et aux services de restauration. L’édifice fait partie de la restructuration d’une zone dégradée. Au sein de cette agence florissante, R. Amadó i Cercos manifeste un intérêt particulier pour les relations entre architecture et ville, architecture et nature, mais également pour la conception des espaces intérieurs. Depuis quelques années, elle s’est tournée vers l’environnement urbain et durable, et a signé quelques ouvrages. Elle a été invitée par divers établissements d’enseignement, tels que l’Université Complutense de Madrid.
Cristina GARCÍA ROSALES
■ Avec DOMÈNECH GIRBAU L., Roser Amadó, Lluís Domènech, Almería, Delegación de Almería del Colegio Oficial de Arquitectos de Andalucía Oriental, 1989 ; ID., Dos Patis Mediterranis : Ca L’ardiaca I Palau Del L, Barcelone, G. Gili, 2007.
AMADO LÉVY-VALENSI, Éliane [MARSEILLE 1919 - JÉRUSALEM 2006]
Philosophe et psychanalyste française.
La vie d’Éliane Amado Lévy-Valensi bascule en 1944 lorsque sa mère, Edma, est déportée à Auschwitz dont elle ne reviendra pas. Mariée peu avant avec Max Amado (dont elle divorcera en 1953), elle poursuit des études juives parallèlement à des études de psychanalyse et de philosophie. Après avoir été reçue première à l’agrégation de philosophie en 1948, elle obtient un poste au Centre national de la recherche scientifique (CNRS). En 1959, elle présente sa thèse de philosophie sur Les Niveaux de l’être, la connaissance et le mal. Elle y confronte les sources de la pensée philosophique à la mystique juive. Évoquant la pensée de Bergson auquel elle consacre un chapitre, elle soutient que le temps est la « racine de l’être, de la vie » et « de la conscience et du connaître ». Tout en critiquant l’« assimilation » de ce philosophe, elle partage avec Vladimir Jankélévitch l’idée que l’optimisme de Bergson est nécessaire « dans la perspective de reconstruction intellectuelle après Auschwitz » : la vie doit être la plus forte. En 1960, elle épouse Claude Veil, psychiatre et professeur à l’École pratique des hautes études de Paris. Elle publie en 1962 Le Dialogue psychanalytique, Les rapports intersubjectifs en psychanalyse, La vocation du sujet. En 1969, après son second divorce, elle émigre définitivement en Israël et enseigne à l’université Bar-Ilan. Dans Le Moïse de Freud, ou la Référence occultée (1984), elle analyse les rapports de Freud avec le judaïsme, et publie douze ans plus tard La Poétique du Zohar, livre dans lequel elle questionne les notions de l’origine, du masculin et du féminin et, toujours, du mal et de la mort. Il s’est agi, tout au long de sa vie, de « comprendre la dynamique du mal présente dans la merveille des qualités des hommes » et de situer les « blocages de la pensée » de ceux qui n’ont pas osé puiser dans des sources différentes (histoire de la philosophie, judaïsme, psychanalyse) ; « ce n’est pas seulement la vie de l’homme qui est en question, c’est son honneur et sa fidélité », pour les croyants au projet de Dieu et pour les non-croyants à l’humanité de l’homme. Dans les années 1990, elle dédie à la mémoire de sa mère un texte sur le génocide ou « l’art de ne pas comprendre à temps » dans lequel elle interroge les mécanismes qui ont conduit à Auschwitz, ainsi que ceux qui auraient pu arrêter le « désastre ». Les ouvrages de É. Amado Lévy-Valensi sont traduits dans de nombreuses langues.
COLLECTIF PSYCHANALYSE ET POLITIQUE
■ Les Niveaux de l’être, La connaissance et le mal, Paris, PUF, 1962 ; La Névrose plurielle, Paris, Aubier, 1992 ; Penser ou/et rêver, Mécanismes et objectifs de la pensée en Occident et dans le judaïsme, Le Plessis-Robinson, Institut Synthélabo, 1997.
■ JESSUA S., « L’œuvre d’Éliane Amado Lévy-Valensi, La pensée en quête de sens », in Pardès, no 23, 1997.
AMAL, Nukila [ÎLE DE TERNATE, ARCHIPEL DES MOLUQUES 1971]
Romancière indonésienne.
Lorsque éclatent les conflits interconfessionnels sanglants aux Moluques, en 1999, Nukila Amal vit à Jakarta, loin de sa ville natale, et y écrit son premier roman, Cala Ibi (nom du colibri dans la langue de Ternate). Cet ouvrage où se juxtaposent des mondes en contraste : rêve/réalité, logique/intuition, masculin/féminin, centre/périphérie, où l’inspiration se rattache au surréalisme – l’auteure se réfère à l’œuvre d’Escher et au ruban de Möbius –, peut être lu comme un long poème en prose, quelquefois obscur, mais vu souvent comme un chef-d’œuvre grâce à la qualité d’une langue poétique très recherchée. Elle publie ensuite le recueil de nouvelles Laluba, du nom du bateau de son père, incendié avec tout son village natal dans les affrontements meurtriers entre musulmans et chrétiens. Elle y fait une série de portraits, inspirés par les identités pluralistes des habitants des Moluques, anciennes « îles aux épices » métissées de racines locales, arabes et chinoises. N. Amal donne une voix à une région souvent oubliée dans un monde littéraire où une majorité d’écrivains viennent de Java ou de Sumatra.
Jacqueline CAMUS
■ Cala Ibi, Jakarta, Pena Gaia Klasik, 2003 ; Laluba, Jakarta, Pustaka Alvabet, 2005.
AMANPOUR, Christiane [LONDRES 1958]
Grand reporter anglo-iranienne.
Grand reporter sur des conflits, Christiane Amanpour en retire une grande notoriété par son approche particulière et engagée. Sa double culture, anglaise par sa mère, iranienne par son père, appuyée par des études de journalisme à l’Université de Rhode Island, aux États-Unis, lui permettent d’être embauchée dès l’âge de 25 ans comme correspondante pour l’étranger par CNN. Elle se fait connaître par sa couverture de la première guerre du Golfe, en 1990, puis par ses reportages dans les Balkans, au Rwanda, au Pakistan, en Afghanistan, en Somalie. Présente partout où il y a la guerre, elle s’implique fortement dans les conflits qu’elle couvre et revendique une approche asymétrique de ces questions cruciales où il est question de vie et de mort, de génocide ou de guerre civile. Selon elle, rester neutre revient parfois à se montrer complice et l’objectivité consiste à écouter toutes les parties en présence sans les traiter de manière égale. Correspondante de guerre intrépide, admirée pour son courage et pour son engagement, elle s’impose également par des documentaires prestigieux, des entretiens avec les plus hauts responsables politiques, des émissions de plateau. Elle figure parmi les journalistes les plus récompensés de la télévision américaine et – semble-t-il – les mieux rémunérés.
Cécile MÉADEL
AMARA, Fadela [CLERMONT-FERRAND 1964]
Femme politique française.
Née d’un père ouvrier et d’une mère sans profession, tous deux immigrés algériens d’origine kabyle, Fadela Amara est titulaire d’un CAP d’employée de bureau. Après avoir milité à SOS Racisme à partir de 1986, elle est élue conseillère municipale de Clermont-Ferrand en 2001 sur la liste socialiste, et se fait connaître en 2003 en créant et en présidant (jusqu’en 2007) l’association Ni putes ni soumises (NPNS), née après la Marche des femmes des quartiers contre les ghettos et pour l’égalité, organisée en réaction à deux événements marquants : le meurtre de Sohane, brûlée vive par un jeune garçon le 4 octobre 2002, et la parution, en 2003, du livre de Samira Bellil Dans l’enfer des tournantes. Le mouvement NPNS dénonce la dégradation de la situation des femmes dans les banlieues, où se développent des courants islamistes intégristes, et milite pour la laïcité et la mixité. Classée à gauche, F. Amara est nommée secrétaire d’État à la Politique de la ville en 2007, au titre de la politique d’ouverture pratiquée par le président de droite Nicolas Sarkozy ; elle est chargée en particulier d’élaborer un plan en faveur des banlieues défavorisées. Elle est évincée du gouvernement en 2009, à l’occasion d’un remaniement, et se fait nommer inspectrice générale des affaires sociales. En 2012, elle appelle à voter pour le candidat de la gauche, François Hollande, lors de l’élection présidentielle.
Mariette SINEAU
■ Avec ZAPPI S., Ni putes ni soumises, Paris, La Découverte, 2003.
AMARAL, Ana Luísa [LISBONNE 1956]
Poétesse, essayiste et écrivaine portugaise pour la jeunesse.
Incontournable dans la poésie contemporaine portugaise, Ana Luísa Amaral est aussi essayiste et auteure de contes pour enfants. Professeure de littérature anglaise à l’université de Porto, elle a obtenu un doctorat en littérature nord-américaine avec une thèse sur Emily Dickinson*. Elle a publié, avec Anne Gabriela Macedo, le Dicionário da crítica feminista (« dictionnaire de la critique féministe », 2005). Elle figure dans diverses anthologies portugaises et étrangères, et sa poésie est traduite en plusieurs langues. Récompensée en Italie par le prix Giuseppe-Acerbi (2007), son œuvre poétique, réunie en 2005 en un seul volume (Poesia Reunida 1990-2005, « poésie réunie »), mêle de façon singulière l’univers féminin de la sphère domestique quotidienne (Minha Senhora de Quê, « Madame de Quoi », 1990) et le canon classique de la tradition littéraire occidentale d’inspiration hellénique et judéo-chrétienne (Epopeias, « épopées », 1994 ; Às Vezes o Paraíso, « quelquefois le paradis », 1998 ; Images, 2000). Une sage et lumineuse attention aux détails et au hasard se traduit par des poèmes d’une indéniable clarté créative, grâce à un remarquable travail de la matière verbale. À travers une grammaire personnelle, des jeux de détours et de subversions, les vers se tissent soit par intertextualité, soit par le ton mélancolique et serein qui essaie de dire la discrète réalité mais aussi le baroquisme de l’imagination. Explorant les relations entre le profane et le sacré (Entre Dois Rios e Outras Noites, « entre deux fleuves et autres nuits », 2007), sa poésie inscrit l’expérience d’un excès dans l’intervalle ouvert par l’écriture, vers quoi tout semble converger : muses, anges, poètes, démiurges, articles de cuisine et petites scènes familières. Proche d’une poésie visuelle, chromatique et photographique, qui cependant se méfie de l’image et la décompose (Imagias, « imagies », 2001), jouant de la démesure polyphonique de l’écriture dialoguant avec les voix du passé − les poèmes de A génese do amor (« la genèse de l’amour », 2005) alternent ainsi avec les dialogues réinventés des poètes et de leurs muses : Dante et Béatrice, Camões et Natércia, Pétrarque et Laure –, son œuvre ne confond jamais la poésie du quotidien avec un genre mineur. Il s’agit au contraire d’une poétique de l’impertinence et de la hauteur qui tente de dire « l’excès le plus parfait » (Às vezes o paraíso, 1998).
Hugo MENDES AMARAL
■ Images (Imagens, 2000), Pau, Vallongues, 2000.
AMARAL, Tarsila DO [CAPIVARI 1886 - SÃO PAULO 1973]
Peintre brésilienne.
L’enfance de Tarsila do Amaral, fille d’une riche famille de producteurs de café, s’écoule entre les haciendas et de longs séjours itinérants en Europe. À 30 ans, mariée à un cousin et mère d’une fille, elle entame des cours particuliers de peinture avec Pedro Alexandrino Borges, qui fait alors figure d’autorité académique à São Paulo. En 1920, elle s’installe à Paris et, quoique inscrite à la traditionnelle académie Julian, se nourrit de l’ambiance agitée du milieu avant-gardiste de la capitale. Pendant son absence se déroule à São Paulo le moment fondateur du modernisme brésilien, la Semana de arte moderna de 1922. Elle s’empresse alors de regagner son pays pour intégrer O grupo dos cinco (« le groupe des cinq ») – T. do Amaral, Anita Malfatti, Oswald et Mário de Andrade, Menotti del Picchia –, basé à São Paulo et pilier du futur mouvement moderniste. En 1923, elle est invitée au Salon des artistes français et profite de ce séjour parisien pour se lier avec Blaise Cendrars, Jean Cocteau, Robert Delaunay, Constantin Brancusi et Fernand Léger. Au début des années 1920, le leitmotiv de sa peinture – São Paulo se transformant sous l’effet de la métropolisation accélérée – est traité dans un style figuratif aux déclinaisons oniriques et humoristiques, dont la composition rigoureuse se construit sur l’emploi de lignes nettes et d’une palette fauve. En 1924, un voyage dans l’État brésilien de Minas Gerais ouvre aux citadins élitaires du Grupo dos cinco les portes du Brésil profond. De ce voyage qui la sensibilise aux sujets populaires, la peintre fera une série qu’elle baptisera du nom de l’arbre à l’origine de l’appellation du pays, le pau-brasil (« le bois brésil »). C’est aussi le terme choisi par le poète Oswald de Andrade – nouveau compagnon de la peintre – pour nommer un premier manifeste moderniste dans lequel il déclare qu’un art brésilien autonome ne serait possible que par l’intégration harmonieuse des sources amérindiennes, africaines et européennes : le Manifesto Pau-Brasil (1924). En janvier 1928, T. do Amaral lui offre sa toile Abaporu (« anthropophage » en langue tupi-guarani), représentant dans un paysage minimaliste – ciel bleu, soleil jaune, sol et cactus verts – un géant microcéphale et mélancolique aux pieds énormes. Durant la même année, le Manifesto anthropófago (« manifeste anthropophage ») écrit en écho par O. de Andrade constate l’échec du premier texte et propose l’adoption du primitivisme comme arme critique de tri culturel. Cette reconnaissance de la violence sous-jacente aux rapports interculturels déplace l’objet esthétique du modernisme brésilien, désormais occupé par des inquiétudes proprement sociopolitiques que la peintre partage et qui se renforcent lors d’un séjour militant en 1931 à Moscou, où elle expose également au musée de l’Art occidental. À son retour, elle participe au soulèvement contre le dictateur Getúlio Vargas en 1932. Considérée comme une sympathisante communiste, elle est emprisonnée, de même que Osório Cesar, son nouveau compagnon. Son séjour en Union soviétique, où la pauvreté des habitants l’a fortement marquée, inspirera sa peinture (Segunda class, 1933 ; Operários [« les travailleurs »], 1933). Le travail de l’artiste souffre alors d’une régression formelle, le réalisme expressif des années 1930 et 1940 remplaçant les innovations achevées de la décennie précédente. À partir de 1936, elle tient une chronique dans l’hebdomadaire Diàrio de São Paulo, qui appartient à l’un de ses amis, Francisco Assis Chateaubriand, puissant magnat de la presse. Dans les années 1950, elle délaisse la peinture d’inspiration socialiste pour revenir à la thématique du Pau-Brasil. Active jusqu’à sa mort, elle reçoit à la fin de sa vie de nombreux hommages de reconnaissance pour la contribution de son œuvre au renouveau plastique latino-américain dans les années 1920. Elle expose, entre autres, à la Première Biennale de São Paulo en 1951 et représente son pays en 1964 à la Biennale de Venise. En 1969 a lieu une grande rétrospective, Tarsila, 50 années de peinture, présentée au musée d’Art contemporain de l’université de São Paulo ainsi qu’au musée d’Art moderne de Rio de Janeiro.
Liliana PADILLA-AREVALO
■ Tarsila do Amaral e Di Cavalcanti, mito e realidade no modernismo brasileiro (catalogue d’exposition), Milliet M. A. (textes), São Paulo, Museu de arte moderna, 2002.
AMARI, Raja [TUNIS 1971]
Réalisatrice et scénariste tunisienne.
Formée à la Fémis, à Paris, Raja Amari intéresse rapidement un public international par sa façon d’interroger et de détourner les clichés véhiculés sur la condition des femmes. Elle réalise deux courts-métrages remarqués, Avril (1998) et Un soir de juillet (2001), sur l’angoisse d’une femme avant le mariage. Au fil de ses réalisations, elle explore les formes du regard que les femmes portent les unes sur les autres. Son premier long-métrage de fiction, Satin rouge (2000), aborde l’éveil à la sensualité, jusque-là réprimée, d’une veuve qui, surveillant les allées et venues de sa fille, découvre l’univers vibrant des danseuses dans les bars. Avec légèreté et finesse, le film oppose l’univers gris et terne de la culture traditionnelle réduite à une morale étriquée et celui chatoyant, dense et sensuel de la nuit. Troublant, Les Secrets (Dowaha, 2009), son second long-métrage, plus sombre, est construit à partir des regards dérobés que des femmes s’épiant mutuellement peuvent glaner sur le monde dont elles sont exclues. Le film explore ainsi l’intimité improbable de trois puis quatre femmes recluses dans les ailes oubliées d’une grande demeure coloniale obscure, figée dans le temps, partagées entre une intimité à la fois oppressive et réconfortante et d’irrépressibles désirs d’évasion.
Patricia CAILLÉ
AMARILLI ETRUSCA VOIR BANDETTINI LANDUCCI, Teresa
AMAR Y BORBÓN, Josefa [SARAGOSSE 1749 - ID. 1833]
Écrivaine et pédagogue espagnole.
Née au sein d’une famille noble – son père, gentilhomme, est le médecin du roi Fernando VI, et sa mère est issue d’une lignée de personnages illustres –, Josefa Amar y Borbón est éduquée par des précepteurs érudits, qui lui enseignent le grec, le latin, l’italien, l’anglais, le portugais, le catalan et l’allemand, et éveillent en elle la passion de la lecture. Son immense culture, teintée d’européanisme et d’universalisme, lui vaut de se distinguer parmi les écrivains de son siècle. Connaissant parfaitement l’œuvre des idéologues français et la philosophie de John Locke, elle devient une adepte du libéralisme et une laïque authentique. Féministe radicale, elle s’oppose à l’éducation traditionnelle des jeunes filles dans les couvents. Elle se consacre essentiellement à la traduction d’œuvres scientifiques, dont Ensayo històrico-apologético de la literatura española contra las opiniones preocupadas de algunos escritores modernos italianos (« essai historico-apologétique de la littérature espagnole contre les opinions de quelques écrivains modernes italiens », 1782-1784) de l’abbé Francisco Javier Lampillas (opposé à Girolamo Tiraboschi), en six volumes avec annotations, et El diario de Mequinez (« le journal de Meknès »), traduit après 1783. Elle revendique l’indépendance et la dignité de la femme en choisissant de traduire en 1778 Essays, Moral and Literary de Knox, un des livres européens les plus fameux sur le sujet, et en prononçant des discours entre 1786 et 1790, parmi lesquels Discurso en defensa del talento de las mujeres (« discours en faveur du talent des femmes ») et Discurso sobre la educación física y moral de las mujeres (« discours sur l’éducation physique et morale des femmes »). Le féminisme qu’elle défend est fondé sur l’égalité : le cerveau n’a pas de sexe et les femmes sont aptes à exercer n’importe quelle fonction publique ou sociale.
Concepció CANUT
■ LÓPEZ CORDÓN M. V., Condición femenina y razón ilustrada, Saragosse, Prensas universitarias e Instituto aragonés de la mujer, 2007.
■ GÓMEZ L., ROMERO MORANTE A., « Educación para niñas, ilustración del entendimiento e igualdad, una biografía de Josefa Amar y Borbón (1749-1833) », in Revista Bibliográfica de Geografía y Ciencias Sociales, vol. 12, no 698, Université de Barcelone, 2007.
AMAT, Núria [BARCELONE 1950]
Écrivaine espagnole.
Très tôt orpheline de mère, Núria Amat se réfugie dans la lecture et l’écriture ; la bibliothèque paternelle prend un rôle irremplaçable. Après des études de lettres, elle obtient un doctorat en sciences de l’information et enseigne à l’université de Barcelone, avant de se vouer exclusivement à l’écriture. Elle séjourne en Amérique et en Europe, où elle côtoie Samuel Beckett à Berlin, et correspond avec nombre d’écrivains, dont George Steiner. Elle s’intéresse surtout à la poésie et emprunte, même dans le roman, une tournure poétique. Née en Catalogne et partisane du bilinguisme, elle choisit le castillan comme langue d’expression littéraire, mais le monde qu’elle décrit est le monde catalan, dont elle contribue à la diffusion de la culture. Elle accepte le qualificatif d’« écrivaine invisible », se disant proche de Charlotte Brontë*, pour qui une vie mondaine était incompatible avec l’écriture. Ses conférences sur les livres, les bibliothèques et les bibliothécaires font partie de sa créativité. El país del alma (« le pays de l’âme »), publié en 1999, reçoit l’éloge d’écrivains de renom. À l’occasion de la sortie de la traduction en roumain de Reina de América (« reine d’Amérique », 2002), présentée par l’Institut Cervantes et le ministère de la Culture espagnol à Bucarest, elle prononce une conférence au titre emblématique, Mil palabras valen más que una imagen (« mille mots valent plus qu’une image »). Elle publie encore Poemas impuros (« poèmes impurs », 2008), qui rappellent Alejandra Pizarnik* et Emily Dickinson*, puis se consacre aux figures féminines dans El siglo de las mujeres (« le siècle des femmes », 2008).
Concepció CANUT
■ Nous sommes tous Kafka (Todos somos Kafka, 2004), Paris, Allia, 2008 ; Feux d’été (Amor i guerra), Paris, R. Laffont, 2011.
■ ALCAINA A., « Entrevista con Núria Amat », in The Barcelona Review, no 12, 1999 ; COLLECTIF, « Nuria Amat se siente una “escritora invisible” por considerar que no está “englobada” en la denominada literatura femenina », in Notas de Prensa, Santander, Université internationale Menéndez y Pelayo, 2008 ; GARCÍA BONILLA R., « Núria Amat : algunos retratos de Juan Pérez Vizcaino », in Espectàculo, Revista de Estudios Literarios, no 28, Madrid, Université Complutense, 2004.