LAUGIER, Sandra [1961]
Philosophe française.
Formée à l’École normale supérieure du boulevard Jourdan, et dans les universités Paris 1 Panthéon-Sorbonne et Paris Sorbonne, agrégée de philosophie, Sandra Laugier passe deux années à l’université de Harvard, avant son doctorat consacré en 1990 au philosophe américain W.V. Quine. Elle enseigne à l’Université à partir de 1992, est professeure à l’université de Picardie Jules-Verne en 1998, et reprend en 2010 la chaire de Christiane Chauviré à Paris 1, où elle est directrice de l’unité de recherche « philosophies contemporaines ». Elle s’attache d’une part à la pensée de L. Wittgenstein, d’autre part à la philosophie américaine, dont la philosophie politique. Elle étudie l’éthique et la philosophie morale, y compris appliquée à « la vie ordinaire » (cinéma et séries télévisées…). Elle intervient sur des thèmes d’actualité. Son livre Pourquoi désobéir en démocratie ? , écrit en 2010 avec le sociologue Albert Ogien, analyse les actions de désobéissance dans la France des années 2000, en se référant aux « figures tutélaires », les Américains H.D. Thoreau et R.W. Emerson. Dans la même période, S. Laugier dirige ou codirige des ouvrages sur le care, notion actualisée par des féministes anglo-saxonnes, et reprise par certains responsables politiques (Martine Aubry*). Elle la fait connaître par des articles et colloques, et en introduisant le livre de Carol Gilligan, traduit de l’américain en 2008, Une voix différente, pour une éthique du care.
Catherine GUYOT
■ Recommencer la philosophie, la Philosophie américaine aujourd’hui, Paris, Presses universitaires de France, 1999 ; avec PAPERMAN P., Le Souci des autres, éthique et politique du care, Paris, Éd. EHESS, 2006 ; (dir.), Tous vulnérables ? Le care, les animaux, l’environnement, Paris, Payot, 2012.
LAUNAY, vicomte DE VOIR GIRARDIN, Delphine DE
LAURE (Colette PEIGNOT, dite) [MEUDON 1903 - SAINT-GERMAIN-EN-LAYE 1938]
Écrivaine française.
Née dans une famille d’industriels, très affectée par la mort de son père, en conflit avec une mère sévère (qui avait préféré croire la parole d’un prêtre abuseur plutôt que la sienne), Colette Peignot entre très tôt en révolte contre les valeurs bourgeoises de sa famille et milite pour la révolution (aux côtés de Souvarine puis de Bourénine). Également connue sous le nom de Claude Araxe, elle est surnommée Laure par Georges Bataille, dont elle est la compagne à partir de 1934 ; elle participe au groupe Acéphale (revue, avec Michel Leiris et Roger Caillois, mais aussi société secrète et ésotérique) qu’il a créé de 1936 à 1939. De santé fragile, elle meurt prématurément de tuberculose. Elle laisse des manuscrits poétiques, dont Histoire d’une petite fille (1943), marqués par le surréalisme et dont la veine érotique fait écho aux écrits de G. Bataille. Pour pouvoir surmonter le refus de la famille et éditer en 1971 les Écrits de Laure, Jérôme Peignot, son neveu, crée l’Association des amis de Laure, avec Michel Foucault et Marguerite Duras*. G. Bataille dit à plusieurs reprises dans ses textes, en particulier dans Le Coupable, qu’il avait trouvé, dans les écrits de l’auteure, certains concepts qu’il cherchait à définir et qu’il n’était pas arrivé à formuler : « Jamais personne ne me parut comme elle intraitable et pure, ni plus décidément souveraine. »
Bernard ALAZET
■ Écrits, fragments, lettres, Collectif Change, Peignot J. (dir.), Paris, J.-J. Pauvert, 1977 ; Une rupture, 1934, correspondance, Paris, Éditions des Cendres, 1999.
■ Les Cahiers Laure, n° 1, Meurcourt, Éd. des Cahiers, 2013.
LAURENCE, Jacqueline [MARSEILLE 1932]
Metteuse en scène et actrice franco-brésilienne.
Arrivée au Brésil à l’adolescence, avec sa famille, Jacqueline Juliette Laurence se forme à la Fundação brasileira de teatro, sous la direction de Dulcina de Morais, Adolfo Celi, Henriette Morineau, Gianni Ratto, Maria Clara Machado* et Zbigniew Ziembinski. Puis, au sein d’O Tablado (« la scène »), de Maria Clara Machado, elle joue des rôles importants dans : Le Jubilé, de Tchekhov ; Le Malentendu, de Camus ; Barrabas, de M. de Ghelderode ; La Fille et le Vent, de M. C. Machado. Elle participe ensuite au groupe expérimental d’Amir Haddad, A Comunidade. Dans Le Cimetière des voitures, film d’Arrabal, elle tient le principal rôle féminin. Dans L’Instruction, de P. Weiss (1972), elle joue avec Fernanda Montenegro*. En 1977, après La Chatte sur un toit brûlant, de T. Williams, avec Tereza Raquel*, elle reprend sa carrière à la télévision. En 1982, elle reçoit le prix Mambembe de la meilleure actrice pour Madame de Sade, de Y. Mishima, et Les Bonnes, de J. Genet. En 1984, elle met scène En attendant Godot, de Beckett. Elle se tourne aussi vers un théâtre plus léger et obtient le prix Molière pour son rôle dans Tupã, a vingança (« Tupã, la vengeance »), de Mauro Rasi. Elle joue et met en scène des comédies d’auteurs contemporains (Márcio Souza, Miguel Falabella). En 1995, elle retrouve son amie F. Montenegro dans Oh les beaux jours, de Beckett. Elle est aussi dans Seria cômico se não fosse trágico, adaptation par F. Dürrenmatt de La Danse de mort d’A. Strindberg, et dans La Profession de Mme Warren, de George Bernard Shaw. Apparaissant aussi dans plus de 30 telenovelas et dans une quinzaine de films, J. Laurence a une présence élégante, une interprétation élaborée et un comique dépouillé et efficace. Depuis les années 1980, elle est particulièrement appréciée pour ses mises en scène nuancées et sa direction d’acteurs.
Richard ROUX
LAURENCE, Margaret (née WEMYSS) [NEEPAWA, MANITOBA 1926 - LAKEFIELD 1987]
Romancière canadienne.
Native du Manitoba, province au centre du Canada, et tôt orpheline, Margaret Laurence sera élevée par sa tante. Sa carrière débute en 1944 alors qu’elle suit les cours de littérature anglaise de l’United College de Winnipeg (MB), d’où elle sort diplômée en 1947. Elle devient ensuite journaliste au Winnipeg Citizen, épouse Jack F. Laurence, un ingénieur, et part vivre en Angleterre. De 1950 à 1957, elle voyage en Afrique où elle se lance dans la fiction. En 1960, elle publie This Side of Jordan, premier roman inspiré par son expérience de cette période. Parmi ses autres récits africains, citons The Tomorrow-Tamer (« le dompteur de l’avenir »), recueil de nouvelles publié en 1962, ainsi que The Prophet’s Camel Bell (« la clochette du chameau du prophète »), mémoires parus en 1963. Ce n’est cependant qu’en 1964, avec la parution de L’Ange de pierre, premier roman du « cycle Manawaka », qu’elle deviendra une figure littéraire de renommée internationale. Situé dans un petit village fictif, Manawaka, inspiré par le lieu de sa naissance, ce récit décrit la vie de personnages des prairies et lacs du Manitoba. Tout de suite reconnu comme un chef-d’œuvre, il est le premier roman canadien à figurer au cursus de l’agrégation.
M. Laurence sera notamment distinguée par 14 doctorats honoris causa, et par des ordres fédéraux. Son écriture précise et poétique fonde l’originalité de son œuvre, reconnue pour l’acuité du monde qu’elle dépeint, qu’il s’agisse des descriptions géographiques des paysages de l’ouest canadien ou de ses personnages, décrits avec finesse et sensibilité. Ses romans explorent avec humour la lutte identitaire de la femme tiraillée entre son désir d’indépendance et l’influence de ses origines ou de l’environnement. Elle dépeint de manière émouvante et réaliste la quête identitaire des femmes qui s’exprime non pas par l’action, mais par la mémoire. Figures de fidélité, elles s’avèrent souvent impuissantes et sans espoir devant les obstacles à surmonter, mais conservent humour et douceur. Dans Les Oracles, dernier récit du « cycle Manawaka », paru en 1974, elle révèle encore une fois la force de la dignité humaine en plaçant ses différents personnages devant les défis de la vie rurale avec tout ce qu’elle comporte de cruauté et de générosité.
Agnès CONACHER
■ L’Ange de pierre (The Stone Angel, 1964), Arles, Coutaz, 1989 ; Un oiseau dans la maison (A Bird in the House, 1970), Montréal, Du Roseau, 1989 ; Les Oracles (The Diviners, 1974), Montréal, CLF, 1979.
■ Dance on the Earth : A Memoir, Toronto, McClelland & Stewart, 1989.
LAURENCIN, Marie [PARIS 1883 - ID. 1956]
Peintre française.
Enfant naturelle, Marie Laurencin reçoit de sa mère, d’origine créole, une éducation petite-bourgeoise. Elle choisit néanmoins de se consacrer à l’art et s’inscrit en 1902 à la Manufacture de Sèvres, où elle apprend la peinture sur porcelaine. Tout en continuant à apprécier et à pratiquer les arts décoratifs, elle se forme également à la peinture en suivant les cours privés de l’académie Humbert à Paris en 1904. Elle y rencontre Francis Picabia, mais surtout Georges Braque qui la présente à Pablo Picasso et aux membres de son cercle. Familière du Bateau-Lavoir, la jeune femme entretient entre 1907 et 1912 une relation amoureuse avec Guillaume Apollinaire (Apollinaire et ses amis. Une réunion à la campagne, huile sur toile, musée national d’Art moderne, Paris, 1909). Bien que ses œuvres la situent plutôt aux marges des cubistes, elle participe régulièrement à leurs expositions : c’est avec eux qu’elle est présentée au Salon des indépendants ; elle expose avec la Section d’or à la galerie La Boétie en 1912 et participe, durant la même année, à la décoration de la « maison cubiste » de Duchamp-Villon et d’André Mare, présentée au Salon d’automne. En juin 1914, elle épouse le peintre allemand francophile Otto von Wätjen et doit, dès la déclaration de guerre, fuir vers l’Espagne. Voyageant entre Madrid et Barcelone, elle collabore avec F. Picabia à la revue 391. Après un passage par Düsseldorf, elle rentre seule à Paris en 1921. Commence alors pour elle une période de grand succès. Représentée depuis 1913 à Paris par le marchand Paul Rosenberg et à Berlin par Alfred Flechtheim, elle expose régulièrement, vend beaucoup et reçoit de nombreuses commandes. Portrait de la baronne Gourgeaud à la mantille noire (MNAM, Paris, 1923), Portrait de Melle Chanel (musée de l’Orangerie, Paris, 1923) : nombreuses sont les personnalités de l’entre-deux-guerres qui se font portraiturer par la peintre. L’œuvre de M. Laurencin est d’abord influencée par la ligne matissienne et la sincérité du Douanier Rousseau. Au cubisme auquel on la rattache ensuite, elle emprunte la simplification des formes et l’abandon du modelé, proposant des figures aplanies dans un espace quasiment sans perspective, comme le montre la mise en scène d’Apollinaire et ses amis. Dès cette œuvre cependant, elle apparaît un peu en retrait du groupe, et son œuvre de l’entre-deux-guerres ne fait que confirmer cette impression. Ses peintures, qui représentent essentiellement de jeunes adolescentes, des femmes et des enfants, sont en effet empreintes d’une grâce considérée comme toute féminine par les critiques de l’époque, ce que la peintre ne renie pas. Par des teintes pastel, des traits délicats, elle propose une figure idéalisée de la féminité, à l’image de sa contemporaine Jacqueline Marval*, avec qui elle avait partagé sa première exposition chez Berthe Weill (1865-1951) en 1908. Ces peintures de femmes ne sont cependant pas la simple représentation d’un âge d’or atemporel : elles sont une certaine image de la femme libérée des années 1920. Les connotations lesbiennes ne sont pas absentes de ses œuvres, surtout celles qui représentent Nicole Groult (1887-1967), sœur de Paul Poiret, avec qui l’artiste entretient une relation intime lors de son exil en Espagne : Femmes à la colombe. Marie Laurencin et Nicole Groult (à la colombe) (Paris, MNAM, 1919). Outre la peinture, l’artiste produit également des gravures et des travaux d’arts décoratifs. Elle réalise au cours de sa vie plus de 300 gravures et illustre de nombreux livres. En 1923, elle réalise les costumes et le décor pour Les Biches des Ballet russes de Diaghilev, sur un livret de son ami Jean Cocteau, et propose plusieurs autres travaux pour la scène jusqu’à la fin des années 1920. Elle enseigne également à partir de 1933 à l’Académie du XVIe à Paris, fondée par le maître en gravure Jean Émile Laboureur. Ses productions des années 1930 et 1940 sont cependant parfois répétitives. Depuis les années 1990, son œuvre fait l’objet d’un regain d’intérêt, notamment grâce à son succès au Japon qui voit dans ses œuvres des années d’entre-deux-guerres une grâce non seulement féminine mais toute française. En 1983, un musée Marie Laurencin a d’ailleurs été fondé à Tateshina.
Marie GISPERT
■ Marie Laurencin, 1883-1956, catalogue raisonné de l’œuvre peint, Chino, musée Marie Laurencin, 1986 ; Marie Laurencin : cent œuvres des collections du musée Marie Laurencin au Japon (catalogue d’exposition), Martigny, Fondation Pierre Gianadda, 1993 ; Marie Laurencin, 1883-1956, catalogue raisonné de l’œuvre, vol. 2, peintures, céramiques, œuvres sur papier, Marchesseau D. (dir.), [Japon], musée Marie Laurencin, 1999 ; Marie Laurencin : A Retrospective (catalogue d’exposition), Tokyo, Kyodo News, 2003.
LAURENS, Camille (Laurence RUEL-MÉZIÈRES, dite) [DIJON 1957]
Écrivaine française.
Agrégée de lettres, Camille Laurens entre sur la scène littéraire avec des œuvres de fiction. En 1994, la douleur de la perte de son enfant (Philippe, 1995) crée un virage dans son écriture qui prend alors un caractère autofictionnel : la figure de l’absent viendra désormais hanter la narration, au sein d’une écriture empreinte d’une certaine gravité malgré un ton léger, parfois humoristique. Car plus généralement, au fil des textes, c’est de l’amour et de ses imbroglios qu’il s’agit. L’écrivaine enquête : autour de ce thème, pour entrer au plus près de l’âme humaine et de sa vérité, elle inventorie, démultiplie approches et points de vue, construit des trames aux structures ludiques pour le moins surprenantes. Le recours fréquent à la mise en abyme ajoute au vertige des compositions labyrinthiques, kaléidoscopiques, et met en miroir littérature et réalité pour mieux démasquer les illusions véhiculées par l’une et l’autre. Elle a reçu le prix Femina et le prix Renaudot des lycéens pour Dans ces bras-là (2000). Elle est également membre du jury du prix Femina.
Marie-Anne LENOIR
■ Index, Paris, POL, 1991 ; Romance, Paris, POL, 1992 ; L’Amour, roman, Paris, POL, 2003 ; Cet absent-là, Paris, L. Scheer, 2004 ; Ni toi ni moi, Paris, POL, 2006 ; Tissé par mille, Paris, Gallimard, 2008 ; Romance nerveuse, Paris, Gallimard, 2011 ; Le Syndrome du coucou, Paris, Stock, 2011.
LAURENT, Jeanne (Marie-Jeanne LAURENT, dite) [CAST 1902 - PARIS 1989]
Fondatrice de la politique de décentralisation théâtrale française.
D’origine paysanne bretonne, Jeanne Laurent se démarque très jeune de son milieu par son goût des études, qui l’amène à passer le concours de l’École des Chartes, dont elle sort en 1930 archiviste-paléographe. En 1939, elle obtient le poste de « sous-chef du Bureau Musique et Spectacles », qui lui permet, durant l’Occupation, de contribuer aux premiers efforts de décentralisation théâtrale. En 1946, nommée « sous-directrice des spectacles et de la musique » au sein de la Direction générale des Arts et Lettres, elle met en place la première décentralisation officielle : elle crée les cinq premiers Centres dramatiques nationaux, subventionnés par l’État (et les villes) : en 1947, le Centre dramatique de l’Est (CDE) à Colmar et la Comédie de Saint-Étienne ; en 1949, la Comédie de l’Ouest à Rennes et le Grenier de Toulouse ; en 1952, le Centre dramatique du Sud-Est à Aix-en-Provence. Elle leur assigne une mission commune : une troupe permanente au service d’un répertoire exigeant et d’un public populaire. Elle crée aussi le Concours des jeunes compagnies (1946) et l’Aide à la première pièce (1947). En 1951, elle nomme Jean Vilar, qui a fondé le festival d’Avignon en 1947, directeur du TNP (Théâtre national populaire) à Paris. En 1952, J. Laurent est mutée contre son gré dans un autre service. Mais son rôle dans l’histoire du théâtre français reste fondamental.
Evelyne ERTEL
■ La République et les Beaux-Arts, Paris, Julliard, 1955.
■ DENIZOT M., Jeanne Laurent. Une fondatrice du service public pour la culture : 1946-1952, Paris, La Documentation française, 1955.
LAURENT, Mélanie [PARIS 1983]
Actrice, réalisatrice et chanteuse française.
Après un premier rôle à 15 ans dans le film de Frédéric Auburtin et Gérard Depardieu Un pont entre deux rives, l’obtention d’un bac cinéma et des premiers essais en courts-métrages, Mélanie Laurent débute une carrière d’actrice avec des petits rôles dans Embrassez qui vous voudrez de Michel Blanc et De battre mon cœur s’est arrêté de Jacques Audiard. Le drame familial de Philippe Lioret Je vais bien, ne t’en fais pas la révèle au public et lui vaut un César du meilleur espoir féminin en 2007. Deux ans plus tard, elle est choisie par le cinéaste américain Quentin Tarantino pour interpréter l’un des rôles principaux dans Inglorious Basterds aux côtés de Brad Pitt. Après avoir enchaîné les tournages sur la scène internationale et en France, M. Laurent réalise son premier long métrage, Les Adoptés (2011), récit de l’intimité d’une famille essentiellement composée de femmes. Si le film reçoit un accueil mitigé de la critique, la cinéaste rencontre plus de succès avec Respire, sorti en 2014, dont le thème tiré du roman d'Anne-Sophie Brasme traite de l’amitié passionnelle et destructrice entre deux adolescentes. Investie dans la préservation de l’environnement, notamment avec Green Peace et Fish Fight, elle prépare avec Cyril Dion, cofondateur de l’ONG Colibris, un documentaire sur l’interdépendance entre l’écologie et les changements sociétaux (Demain). M. Laurent est également auteure-interprète de chansons avec un premier album sorti en 2011 : En t’attendant.
Nathalie COUPEZ
LAURENTIN, Marie VOIR GRÉGOIRE, Ménie
LAURIER, Angela [TERRACE 1966]
Acrobate et directrice de compagnie canadienne.
Angela, Charlotte et Lucie Laurier, issues d’une famille franco-canadienne de neuf enfants touchée par la dépression du père et la maladie mentale d’un frère, font toutes les trois carrière dans le spectacle. Angela s’entraîne à l’acrobatie aérienne et au sol avec André Simard et Sigmund Biegag, au Québec. Cherchant un environnement qui l’aide à « résister » à son drame intérieur, elle travaille sans relâche et se produit comme contorsionniste au Cirque du Trottoir (1985-1987), au Cirque du Soleil (1984 et 1988), au Cirque du Tonnerre et au Cirque Gosh (1997). À travers ses engagements au cirque, au théâtre ou dans la compagnie de danse de François Verret (2006-2008), elle met à profit les possibilités dramaturgiques du spectacle vivant, le jeu du corps et le jeu d’acteur, pour donner forme peu à peu à son propre projet. Elle passe ainsi de l’interprétation de Puck du Songe d’une nuit d’été, mis en scène par Robert Lepage au National Theater de Londres (1992), puis au Trident, au Québec (1995), à celle de Mon grand frère, mis en scène par Michel Dallaire (1999), préfiguration des productions de sa propre compagnie, fondée en 2006. Avec Exutoire (2007) ; Déversoir, créé en 2008 aux Subsistances de Lyon ; et J’aimerais pouvoir rire, créé en février 2010 au Théâtre national de Chaillot, à Paris, elle élabore une forme de rituel thérapeutique et explore avec délicatesse, poésie et même humour, la réalité de l’histoire familiale. Elle donne chair à la maladie – la schizophrénie – et au malade, son frère Dominique, avec le support de son art, entre danse et contorsion, en intégrant également d’autres médias, murs d’images dupliquant ses mouvements en de longues calligraphies changeantes, ou fenêtres ouvertes sur le visage et la parole du père qui scande les stances les plus douloureuses de leur histoire. J’aimerais pouvoir rire effectue une tournée internationale jusqu’en 2012.
Marika MAYMARD
LAURIN, Ginette [MONTRÉAL 1955]
Danseuse et chorégraphe canadienne.
Après avoir étudié la danse classique, moderne, jazz, Ginette Laurin participe au groupe de Martine Époque de 1973 à 1979 et intègre Nouvelle Aire en 1977. Interprète des meilleurs chorégraphes québécois, elle commence à chorégraphier en 1979 avec Sept fois passera et fonde sa compagnie O’Vertigo en 1984. Parmi ses nombreuses œuvres, citons Crash Landing (1984), Train d’enfer (1990), Déluge (1994), La Bête (1997), En dedans (1997), ANGELs (2006). Ses pièces emblématiques sont La Chambre blanche (1992), Luna (2001) et Passare (2004). Elle chorégraphie également pour d’autres compagnies, au Canada et à l’étranger. « Ma danse est celle du vertige, de la fascination de l’abîme, de l’euphorie, du surgissement des émotions », écrit-elle ; une danse énergique faite de déséquilibres, de suspensions, de prises de risque, et aussi d’humour. Dans les années 2000, cette danse se fait moins virtuose et davantage orientée vers la spiritualité. Elle se tourne vers une création multidisciplinaire, intégrant danse, vidéo, arts numériques, comme pour La Résonance du double, ensemble de six installations créé au musée d’art contemporain de Montréal en 2004. Au sein des « laboratoires de création d’O’Vertigo », danseurs et artistes de différentes disciplines explorent de nouvelles formes de création. Elle collabore à la réalisation de films comme Point de fuite en 2005, adaptation de la pièce Passare. G. Laurin est l’une des chorégraphes les plus renommées au Canada. Elle a remporté de nombreux prix et récompenses. Bachelor of Arts en danse, elle enseigne aussi régulièrement au département de la danse de l’université du Québec à Montréal, et donne de nombreuses conférences.
Hélène MARQUIÉ
■ FEBVRE M., MASSOUTRE G, MARLEAU D., Anatomie du vertige – Ginette Laurin, 20 ans de création, Montréal, Les Heures bleues, 2005.
LAUTEN, Flora [LA HAVANE 1942]
Actrice, metteuse en scène et auteure dramatique cubaine.
Flora Lauten est une des femmes les plus importantes du théâtre cubain de la seconde moitié du XXe siècle. Elle débute comme actrice en 1959, et elle acquiert rapidement une certaine notoriété, par l’originalité et l’intensité de son jeu. Elle joue dans de nombreux spectacles, dont La Bonne Âme du Se-Tchouan de Bertolt Brecht, dirigée par Berta Martínez en 1966, ou La Nuit des assassins de José Triana. En 1971, elle participe au Teatro Escambray, une expérience politique de théâtre populaire, avec des communautés locales, qui aborde la réalité quotidienne des habitants. Elle crée, en 1973, le groupe de théâtre La Yaya dans une communauté de paysans où la situation sociale est transformée par la révolution. Elle met alors en scène et écrit des pièces politiques partant de situations réelles. En 1980, elle participe à une autre expérience théâtrale avec un groupe d’ouvriers de l’industrie sidérurgique. Elle enseigne l’interprétation dramatique et la mise en scène à l’université des arts de La Havane. En 1986, elle crée, avec d’anciens élèves, le groupe Teatro Buendía, une des troupes les plus importantes de la scène cubaine actuelle. Ses mises en scène se caractérisent par la réécriture des textes et la volonté d’évoquer, par une théâtralité très marquée, la société actuelle et la fragmentation de l’histoire. Parmi ses spectacles, on peut mentionner Otra tempestad (« une autre tempête »), dont elle fait l’adaptation avec Raquel Carrió : dans un ludique syncrétisme culturel, les personnages de Shakespeare rencontrent les figures de la mythologie africaine des Caraïbes.
Manuel GARCÍA MARTÍNEZ
LAUTERBACH, Ann [NEW YORK 1942]
Poétesse américaine.
Élevée à New York, Ann Lauterbach y étudie la peinture à la High School of Music and Art puis la littérature anglaise à l’université du Wisconsin et à Columbia. Après quelques années à Londres (1967-1973), elle revient à New York pour travailler dans différentes galeries d’art, puis enseigner, à partir du milieu des années 1980, dans des programmes d’écriture de plusieurs universités : Columbia, Princeton, université de l’Iowa, université de la ville de New York. Lauréate d’une bourse Guggenheim (1986) et d’une bourse MacArthur (1993), elle enseigne par la suite au Bard College. Ses poèmes contiennent à la fois des descriptions, des images, du narratif et une mise en valeur du fragment et du silence. Il s’agit d’une poétique postmoderne qui rapproche leur auteure des poètes de la New York School : Barbara Guest, James Schuyler et surtout John Ashbery. Comme ce dernier, A. Lauterbach préconise le jeu des clichés, des fragments narratifs et de la subjectivité multiple et ouverte. Comme lui, elle maintient un dialogue constant avec la peinture. Elle est fascinée par la mémoire et les rapports complexes entre mémoire et histoire. Dans The Night Sky (« le ciel étoilé », 2005), elle entreprend l’exploration de sa vision de la poésie : l’écriture relève pour elle d’un processus d’association, de méditation et de digression. Comme les épigraphes de Hum (2005) le proposent, les poèmes de A. Lauterbach invitent le lecteur à réorienter sa perception et son attention pour entrer dans leur univers poétique. Certaines figures reviennent de l’un à l’autre, comme « la fille » et « le clown », disparaissant et variant en signification. Les critiques font remarquer que ses poèmes peuvent être comparés aux boîtes de l’artiste Joseph Cornell : ils comprennent des objets de la quotidienneté, transformés et rendus « étranges » à notre regard, comme dans un rêve.
John C. STOUT
■ If In Time : Selected Poems 1975-2000, New York, Penguin, 2001 ; Or To Begin Again, New York, Penguin, 2009.
■ RANKINE C., SPAHR J. (dir.), American Women Poets in the 21st Century : Where Lyric Meets Language, Middletown, Wesleyan University Press, 2002 ; SCHULTZ S. M. (dir.), The Tribe of John : Ashbery and Contemporary Poetry, Tuscaloosa, University of Alabama Press, 1995.
LAUVERGEON, Anne [DIJON 1959]
Entrepreneuse française.
Anne Lauvergeon est la première P-DG d’Areva. Son père, enseignant laïc et érudit, est issu d’une famille nivernaise modeste et sa mère, assistante sociale, venait d’un milieu catholique aisé. Elle mène un brillant cursus scientifique et devient ingénieure de l’École des mines. Lors d’un stage à Usinor, elle découvre le savoir-faire ouvrier et déplore le fossé hiérarchique avec les cadres. Elle entre à l’Élysée en 1990 en tant que chargée de mission pour l’économie internationale et le commerce extérieur, puis comme secrétaire générale adjointe. Bientôt, François Mitterrand la remarque et en fait sa collaboratrice pour l’organisation des sommets internationaux. Sa carrière de dirigeante d’entreprise commence en 1995. Après un court passage à la banque Lazard aux États-Unis, elle devint directrice générale adjointe d’Alcatel, puis P-DG de la Cogema, entreprise publique spécialisée dans la production et l’enrichissement de l’uranium. Enceinte de son premier enfant, elle y crée une crèche. En 2001, elle pilote l’alliance des forces de la Cogema, de Framatome et d’autres entités pour créer et diriger Areva, qui intègre l’ensemble de la filière nucléaire. Elle a fait de cette entreprise un fleuron de l’industrie française, admiré dans le monde entier. Sa réussite est indissociable de sa conception de l’entreprise : communauté humaine où il faut promouvoir les jeunes et maintenir les seniors après 65 ans. Mère de deux enfants, cette véritable capitaine d’industrie mène de front sa carrière et sa vie familiale. Elle a suscité la création des crèches à horaires flexibles dans dix établissements et avec elle pas une réunion ne doit débuter après 19 heures. À compétence égale, elle choisit de recruter des femmes, qu’elle estime porteuses de créativité et d’innovation. Pourtant, sa vision stratégique audacieuse et son intransigeance en matière de sécurité des centrales nucléaires sont contestées par le pouvoir élyséen (président Sarkozy). Malgré le soutien des syndicats de salariés, son mandat de P-DG n’est pas renouvelé en juin 2011. Présidente du fonds A2i, elle plaide pour que les jeunes en échec scolaire retrouvent le goût des études en découvrant le monde de l’industrie.
Alban WYDOUW
■ La Femme qui résiste, Paris, Plon, 2012.
■ BRAFMAN N., « La France est horriblement normative », in Le Monde, 31-5-2012 ; HAQUET C.-E., « Anne Lauvergeon, l’électron libre », in L’Expansion, no 726, janv. 2008.
LAVAGNINO, Alessandra [NAPLES 1927]
Écrivaine italienne.
Entomologiste, Alessandra Lavagnino a été professeure de parasitologie à l’université de Palerme. Les sciences ont joué un rôle important dans son œuvre, notamment dans des textes de vulgarisation consacrés à la biologie, qui retracent l’origine des moustiques dans Le zanzare (« les moustiques », 1994) et l’histoire des cafards dans Belli di mamma (« petits bouts de maman », 1997). Son premier roman, Via dei serpenti (« rue des serpents », 1968), est un roman de formation : il raconte l’histoire de Marzia, jeune fille timide affectée par des problèmes d’élocution. Una granita di caffè con panna (« un granité de café à la crème », 1974) met en scène une femme sicilienne, parasitologue et mère de famille qui, à la suite d’un accident, ne peut s’empêcher de dire la vérité dans des situations délicates : on la traite de malade, de folle, mais cela ne suffit pas à lui épargner des ennuis. Dans une ambiance étouffante parfaitement esquissée, le roman, préfacé par Leonardo Sciascia, décrit l’angoisse ressentie par une femme sous la pression familiale et sociale. Optant ensuite pour des romans de plus grande envergure, l’écrivaine publie deux sagas familiales : I Daneu, una famiglia di antiquari (« les Daneu, une famille d’antiquaires », 1981), qui se déroule dans le Palerme du début du XXe siècle ; Le bibliotecarie d’Alessandria (« les femmes bibliothécaires d’Alexandrie », 2002), qui retrace l’autobiographie de l’écrivaine en donnant une place prépondérante à sa mère et à sa tante, nées à Alexandrie. Le langage simple de sa prose donne aux romans d’A. Lavagnino un rythme rapide et un style sobre et spontané qui conviennent également au genre de l’essai, comme l’atteste Un inverno 1943-1944 (« un hiver 1943-1944 ») : compte-rendu de la sauvegarde du patrimoine artistique italien que quelques passionnés ont réussi à mettre en place pendant la Seconde Guerre mondiale, le livre est dominé par la figure d’Emilio Lavagnino, célèbre historien de l’art et père de l’écrivaine.
Chiara NANNICINI STREITBERGER
■ BUTTÒ S., « Le bibliotecarie di Alessandria », in AIB Notizie, no 14, 2002 ; DE SA, S., « Quei capolavori reduci dalla guerra », in Corriere della Sera, 25 novembre 2006.
LAVANT, Christine (Christine HABERNIG, née THONHAUSER, dite) [ST. STEFAN IM LAVANTTAL 1915 - WOLFSBERG 1973]
Poétesse, romancière et épistolière autrichienne.
Christine Lavant bénéficia de son vivant d’une grande renommée – poèmes publiés dans d’importantes anthologies, grands prix décernés dont le Grand prix d’État autrichien pour la littérature en 1970. Ses œuvres furent longtemps réduites à leur dimension biographique. Les poèmes, riches en métaphores et souvent perçus comme hermétiques, renforcèrent son image de femme mystique, une image déjà esquissée par sa pauvreté, sa maladie, l’insuffisance de sa formation scolaire, ainsi que par son lieu de vie, un village de mineurs de la vallée du Lavant, en Carinthie. Tandis que la critique littéraire traditionnelle a ancré ses poèmes dans le genre lyrique catholique (« Job », « Les Lamentations »), les approches féministes y ont vu une opposition à l’ordre symbolique (à la façon d’une « sorcière »). Ce n’est que lors de recherches menées en amont de l’amorce d’une édition critique de ses œuvres et de sa correspondance et en amont de sa biographie, que l’on commença à développer des lectures différentes de ses œuvres. Ses métaphores, liées au lyrisme des années 1950, se laissent lire et comprendre dans toute leur diversité une fois que l’on sait qu’elle s’est intéressée à d’autres religions et a pris d’autres chemins de pensée spirituels et ésotériques (comme le bouddhisme, le yoga ou l’anthroposophie). Avoir en main les originaux de ses œuvres en prose (rédigées au plus tard dans les années 1940) a permis de comprendre sa technique de narration, que sa première maison d’édition n’avait su saisir. Des récits inconnus ont été publiés, entre autres les Aufzeichnungen aus einem Irrenhaus (« cahiers de la maison des fous », 2001), bilan littéraire de son séjour dans un hôpital psychiatrique, rédigé de façon sensible, moderne et analytique. Les déclarations de C. Lavant dans sa correspondance concernant la poétologie se précisent au cours du temps, révélant une auteure responsable de ses écrits devant le monde et les hommes.
Ursula A. SCHNEIDER
■ Les Étoiles de la faim, Paris, La Différence, 1993 ; Das Kind, l’enfant (Das Kind), Paris, L. Scheer, 2006 ; La Mal-Née (Das Wechselbälgchen, 1998), Paris, Lignes, 2008 ; Un art comme le mien n’est que vie mutilée, Fécamp, Lignes, 2009.
■ WIESMÜLLER W., « Christine Lavant », in ARNOLD H. L. (dir.), Kritisches Lexikon zur deutschsprachigen Gegenwartsliteratur, Munich, Text + Kritik, 2001.
LAVERNE, Estelle [1915-1998]
Designer américaine.
Estelle Laverne est étudiante en peinture avec son futur mari, Erwine Laverne, à l’Art Student’s League, sous la direction de Hans Hofmann, dans les années 1930. Ils associent leurs talents pour le design et créent, en 1938, Laverne Originals dans d’anciens locaux de Louis Comfort Tiffany, à Oyster Bay (New York), où ils éditeront des tissus et des papiers peints. Au début des années 1950, ils établissent leur showroom, qui deviendra Laverne International, dans la 57e rue à New York, où ils présentent, dans un espace quasiment vide et dans un décor de musée, quelques-unes de leurs créations sculpturales ainsi que des tissus, des nappes et de la vaisselle créés en collaboration avec William Katavolos, Ross Littel et Douglas Kelley. À la fin des années 1950, ils créent leur ligne Invisible Group, série de sièges en plastique moulé transparent Perspex dont la forme s’apparente au siège Tulipe de Saarinen et qui portent les noms de Daffodil, Lily et Jonquille ainsi que la chaise Champagne dont le coussin au fond du siège est le seul élément véritablement visible. En 1958, ils créent la chaise Lotus, en fibre de verre moulée, sombre, qui ressemble à une structure abstraite. En 1960, ils contribuent à la longue décennie de règne de l’image de la tulipe dans l’art et la mode en créant leur propre siège Tulipe. Ce modèle, délicat hommage aux pétales de la fleur posés sur un piètement en aluminium, constitue l’expression la plus aboutie du design organique qui a toujours inspiré leurs créations de meubles. Enfin, ils ont créé ensemble une série d’amusants bacs à plantes appelés Golliwog.
Claude LÉVY-SOUSSAN
LAVERY, Bryony [WAKEFIELD 1947]
Auteure dramatique britannique.
Jeune comédienne, Bryony Lavery perçoit que les rôles féminins importants sont rares, ce qui la pousse à écrire et à placer souvent la femme au cœur de l’action. Personnalité importante du théâtre féministe des années 1970-1980, elle collabore avec des compagnies telles que Gay Sweatshop (spectacles traitant surtout d’homosexualité féminine et masculine), Women’s Theatre Group, première compagnie féministe anglaise, et Monstrous Regiment, compagnie féministe importante. Le statut social de la femme à travers l’histoire domine son théâtre, essentiellement réaliste. Elle a parfois recours à l’imaginaire, comme dans Origin of the Species (« origine de l’espèce », 1984), où elle s’interroge sur les femmes au cours des millénaires, et la manière dont elles ont été de plus en plus dominées. Sa pièce la plus connue, Frozen (« congelé », 1998), donnée au National Theatre de Londres ainsi qu’à Broadway, s’inspire d’histoires vraies de femmes dont l’analyse provoque un « dégel », une réconciliation, thème récurrent de son œuvre. Ses récits sont souvent sollicités par la radio et la télévision britanniques.
Clare FINBURGH
■ FREEMAN S., Putting Your Daughters on the Stage : Lesbian Theatre from the 1970s to the 1990s, Londres, Cassell, 1997 ; « Bryony Lavery », in STEPHENSON H., LANGRIDGE N. (dir.), Rage and Reason : Women Playwrights on Playwriting, Londres, Methuen, 1997.
LAVETTE, Bettye (Betty HASKINS, dite) [MUSKEGON, MICHIGAN 1946]
Chanteuse de soul et de rhythm and blues américaine.
Bettye LaVette compte parmi les grandes voix soul qui méritent d’être réécoutées. En 1962, elle chante My Man – He’s a Loving Man, sous le patronage de Johnnie Matthews, figure du rhythm and blues de Detroit. Elle enregistre pendant les années 1970 de très belles chansons avec Atlantic, dont le très réussi Child of Seventies en 1972, que le label décide de ne pas sortir pour des raisons inconnues (le label français Art & Soul rééditera l’album en 2000 sous le nom de Souvenirs). Anéantie, obligée de chercher de nouveaux producteurs, la chanteuse doit attendre la décennie suivante pour retrouver le chemin du succès. Elle rejoint Motown* et fait paraître Tell Me a Lie. Le public la redécouvre. Elle est de la même famille que Tina Turner*, Aretha Franklin* ou Carla Thomas*, l’une des ces chanteuses au timbre rude et nature.
Stéphane KOECHLIN
■ Tell Me a Lie, Motown, 1982 ; Souvenirs, Art & Soul, 2000 ; I’ve Got My Own Hell to Raise, Anti/Pias, 2005 ; The Scene of the Crime, Anti/Pias, 2007.
LAVIGNE, Avril [BELLEVILLE, ONTARIO 1984]
Auteure-compositrice-interprète canadienne.
C’est au sein d’une chorale d’église qu’Avril Lavigne, encore enfant, fait ses gammes. Elle débute l’apprentissage de la guitare et gagne, à 14 ans, un concours lui permettant de côtoyer Shania Twain tout au long de sa tournée canadienne et d’interpréter avec elle quelques duos sur scène. À son retour, après un séjour infructueux à New York – son producteur lui imposait ses paroliers –, elle s’installe à Los Angeles, rencontre le chanteur de folk Steve Medd et fait paraître son premier opus Let Go dont elle signe les textes. Toute une génération se rue vers cet album qui s’écoule à 18 millions d’exemplaires en Amérique, en Asie et en Europe, et érige la jeune chanteuse en idole mi-rock, mi-punk. Cible de la critique qui voit en elle un produit purement marketing, elle enregistre ses deux albums, Under My Skin en 2004 et The Best Damn Thing en 2007, accueillis avec la même ferveur par le public. Parallèlement, elle tente des expériences dans le cinéma et le mannequinat. En 2010, elle écrit le générique de fin du film Alice au pays des merveilles de Tim Burton et donne un concert surprise lors de la cérémonie de clôture des Jeux olympiques de Vancouver.
Anne-Claire DUGAS
■ Let go, Arista, 2002.
LAVIN, Mary [EAST WALPOLE, MASSACHUSETTS 1912 - DUBLIN 1996]
Nouvelliste irlandaise.
Née aux États-Unis de parents irlandais, Mary Lavin retourne vivre en Irlande à l’âge de 10 ans et fait des études supérieures à Dublin. Elle a publié 19 recueils de nouvelles et trois romans, et a reçu plusieurs récompenses prestigieuses, dont le Katherine Mansfield Prize (1961) et le Guggenheim Fellowship, nombre de ses nouvelles ayant été publiées dans les revues New Yorker, Atlantic Monthly et Kenyon Review. Aimant explorer les tensions, les frustrations et les déceptions qui sous-tendent les relations familiales, même quand elles semblent répondre à la norme sociale, son écriture est caractérisée par l’ellipse et l’indirection qui visent à évoquer les états d’âme de ses personnages, et elle est parfois comparée à Katherine Mansfield*. Plus tard, les nouvelles réunies dans le volume In the Middle of the Fields, and Other Stories (« au milieu des champs, et autres histoires », 1967) et dans Happiness, and Other Stories (1969) reflètent son intérêt pour une forme de fiction plus autobiographique, et marquent son retour au style impressionniste qui avait fait sa réputation au début de sa carrière. Dans la nouvelle « Happiness », considérée par les critiques comme la plus emblématique de son talent et de sa conception de la vie, Vera, le personnage récurrent de ce recueil, doit, tout comme M. Lavin, affronter la mort prématurée de son mari qui la laisse seule pour élever leurs trois jeunes enfants, récit qui révèle une foi inébranlable dans la valeur de l’existence.
Sylvie MIKOWSKI
■ Les Vivants et les morts, Nouvelles, Jacquin D. (dir.), Lille, Presses de l’université de Lille III, 1978 ; Nouvelles irlandaises, Caen, Centre de publications de l’université de Caen, 1985.
■ KELLY A. A., Mary Lavin, Quiet Rebel, Dublin, Wolfhound, 1980.
LAVOISIER, Marie-Anne (née Marie-Anne Pierrette PAULZE) [MONTBRISON 1758 - PARIS 1836]
Chimiste française.
Fille de fermier général, Marie-Anne Lavoisier est élevée au couvent jusqu’à la mort de sa mère alors qu’elle a 12 ans. À 13 ans, elle épouse Antoine Lavoisier, 28 ans, brillant collègue de son père, membre de l’Académie des sciences. À ses côtés, elle apprend la chimie et l’assiste dans tous ses travaux. Ils reçoivent de nombreux intellectuels et la jeune femme affine ses connaissances scientifiques auprès des chimistes de l’époque. Le couple travaille comme une équipe soudée. Mais en tant que fermier général, A. Lavoisier est considéré comme traître et guillotiné en 1794. M.-A. Lavoisier poursuit alors son œuvre et fait publier ses écrits, en particulier ses Mémoires inachevés, dont elle rédige l’introduction. Sa contribution à l’œuvre scientifique d’A. Lavoisier est aujourd’hui établie ; elle est également reconnue pour ses talents de traductrice et son intelligence.
Carole ÉCOFFET
■ SARTORI É., Histoire des femmes scientifiques de l’Antiquité au XXe siècle, les filles d’Hypatie, Paris, Plon, 2006.
■ PINAULT-SORENSEN M., « Madame Lavoisier, dessinatrice et peintre », in La Revue du musée des Arts et Métiers, Conservatoire national des arts et métiers, Musée national des techniques, mars 1994.
LAVRIN, Asunción [LA HAVANE 1935]
Historienne américaine d’origine cubaine.
Après avoir obtenu une bourse pour étudier aux États-Unis, Asunción Lavrin soutient un doctorat à l’université de Harvard en 1963, brisant les obstacles à une carrière universitaire consacrée à l’histoire latino-américaine. Ses postes à l’université Howard et à l’Arizona State University lui permettent de produire une œuvre importante et d’être le mentor d’une deuxième génération d’universitaires. La Conférence sur l’histoire de l’Amérique latine de 2009 lui décerne, à ce titre, le Distinguished Service Award. Ses deux monumentales monographies – Women, Feminism, and Social Change in Argentina, Chile and Uruguay, 1890-1940 (1995) et Brides of Christ, Conventual Life in Colonial Mexico (2008) – sont rapidement devenues des classiques, témoignant non seulement d’une rare maîtrise des chronologies de l’époque moderne et coloniale mais creusant également le sillon de l’histoire des femmes. Le premier ouvrage met en valeur les contributions jusque-là inconnues de femmes, d’hommes et d’institutions en vue de promouvoir la réforme politique et sociale dans le cône sud de l’Amérique latine. A. Lavrin y aborde plus précisément le développement d’une variante latino-américaine du « féminisme compensatoire », la promotion de la santé publique des femmes, l’affirmation des femmes par le biais des constructions culturelles autour de la maternité, et la diversité des réponses nationales telles que les réformes des codes civils et les campagnes suffragistes. Dans Brides of Christ, elle s’intéresse aux moniales mexicaines de l’époque coloniale, retraçant leur itinéraire depuis leur entrée dans la vie religieuse jusqu’aux rituels de mort, explorant les relations de pouvoir entre les chefs religieux et les initiées féminines, analysant enfin la culture matérielle des religieuses et leurs trajectoires spirituelles. L’ensemble de l’œuvre d’A. Lavrin s’appuie sur une variété d’archives et de sources publiées pour explorer des sujets tels que la sexualité, le mariage, le genre et les constructions de la masculinité. Ses publications ont reçu de nombreux prix (McGann, Davis, Whitaker, Robinson) et elle a bénéficié de prestigieuses bourses de recherche. Elle a présidé la Conférence sur l’histoire latino-américaine, siégé dans de nombreux comités de rédaction de revues scientifiques, dirigé des séminaires d’été de la National Endowment for the Humanities et édité la section consacrée au Mexique colonial du Handbook of Latin American Studies. En 2011, elle est élue membre correspondante de l’Académie mexicaine d’histoire.
Ann TWINAM
■ ADELSON R., « Interview with Asunción Lavrin », in The Historian, vol. 61, no 1, 1998.
LAW, Vivien Anne [HALIFAX 1954 - CAMBRIDGE 2002]
Linguiste britannique.
Après des études de langue classique et d’allemand à l’université McGill de Montréal (1971-1974), où s’affirme son goût pour les études médiévales, Anne Vivien Law fait un PhD à l’université de Cambridge (1978), grâce à une bourse d’études. Elle se spécialise dans l’histoire de la pensée linguistique et étudie en particulier les grammairiens latins du Moyen Âge. Elle découvre les gloses en vieil anglais de l’Ars Grammatica de Tatwine (grammairien anglo-saxon du VIIIe siècle), amène au jour de nombreux textes encore inconnus et éclaire les relations linguistiques entre les Anglo-Saxons et le continent. En mémoire de sa contribution au champ disciplinaire de l’histoire de la linguistique, un prix récompensant un essai dans les domaines du langage et de l’histoire porte son nom.
Thomas VERJANS
■ Wisdom, Authority and Grammar in the Seventh Century : Decoding Virgilius Maro Grammaticus, Cambridge, CUP, 1995 ; Grammar and Grammarians in the Early Middle Ages, Londres, Longman 1997 ; The History of linguistics in Europe from Plato to 1600, Oxford, OUP, 2003.
■ SWIGGERS P., WOUTERS A., « Vivien Law in memoriam », in BASSET L., BICILLE F., Colombat B. et al., Bilinguisme et terminologie grammaticale gréco-latine, Louven, Peeters ; LINN A. R., « Law », in STAMMERJOHANN H., Lexicon grammaticorum, New York/Amsterdam/Philadelphie, Mouton de Gruyter, 2009.
LAWLER, Louise [BRONXVILLE 1947]
Photographe américaine.
Depuis la fin des années 1970, Louise Lawler explore la relation entre l’œuvre d’art et son lieu d’exposition. Sa démarche conceptuelle postmoderne se rattache au simulationnisme, mouvement artistique américain né dans les années 1980, dont elle est l’une des figures majeures, aux côtés, entre autres, de Jeff Koons et Barbara Kruger* (1945). Sa démarche consiste à photographier des œuvres d’art majeures dans leur environnement : musées, collections particulières, galeries, expositions, salles des ventes, réserves. L. Lawler s’intéresse avant tout aux conditions et aux procédures d’exposition, de mise en vente et de circulation des œuvres. Cette réflexion sur leur localisation et leur statut se concrétise par des photographies, essentiellement en couleurs et de grand format, présentant des œuvres d’art fragmentées, cohabitant les unes avec les autres, irrémédiablement attachées à leur cadre originel. Désacralisées par l’effet de morcellement et leur proximité avec d’autres chefs-d’œuvre, celles-ci n’en demeurent pas moins systématiquement identifiables. Par ses cadrages subtils, L. Lawler met en exergue l’interaction entre diverses icônes : une danseuse sculptée de Degas dialogue avec l’épouse de Monet, vêtue en Japonaise dans les salles du musée d’Orsay. Son travail éminemment critique s’appuie sur une analyse des valeurs financières, sociales et symboliques attribuées aux œuvres, qui apparaissent ainsi comme de simples objets de consommation, des motifs, ou encore des images issues de la presse. L’artiste pointe également la façon dont l’art nous est montré : du white cube muséal à l’espace plus mercantile d’une galerie. En 2010, dans son exposition Later, elle présente une série de photographies de la collection d’Yves Saint Laurent et Pierre Bergé, mise en vente par Christie’s à la mort du couturier ; pris dans l’appartement du couple en 2008, ces clichés reflètent son environnement personnel, subtil et gracieux. À travers ses « arrangements » photographiques, elle biaise le regard du public sur les œuvres, et le déplace vers des compositions plus complexes, riches de nouveaux sens.
Mélanie HAMET
■ What Is the Same ? (catalogue d’exposition), Saint-Étienne, Maison de la culture et de la communication, 1986 ; The Tremaine Pictures, 1984-2007 (catalogue d’exposition), Genève/Zurich, BFAS Blondeau Fine Art Services/JRP-Ringier, 2007.
LAWLESS, Emily [LYONS HOUSE, COMTÉ DE KILDARE 1845 - SURREY 1913]
Romancière et poétesse irlandaise.
Fille de lord Cloncurry, propriétaire terrien protestant anglo-irlandais, Emily Lawless est élevée en Angleterre. Ses romans sont presque tous consacrés à des sujets irlandais, dont certains aident le Premier ministre William Gladstone (1809-1898), selon ses dires, à mieux comprendre la question agraire en Irlande, à une époque où les Irlandais réclament le retour d’un parlement autonome. Elle publie avec succès des romans historiques ou régionalistes, puis une histoire abrégée de l’Irlande, ainsi qu’une biographie de Maria Edgeworth*. Certains de ses poèmes, dont « Fontenoy », qui célèbre l’héroïsme des soldats irlandais engagés dans les armées européennes à la suite de la défaite des troupes de Jacques II, les « Oies sauvages », sont demeurés célèbres. Ses évocations parfois mélodramatiques de la violence des luttes agraires à l’époque de la Ligue agraire (Land League) lui valent le reproche de la part des intellectuels nationalistes de la renaissance celtique, en particulier W. B. Yeats, d’offrir une vision caricaturale des paysans irlandais, mais son œuvre est aujourd’hui reconnue comme celle d’une pionnière écrivant à une époque peu propice à l’épanouissement d’une littérature anglo-irlandaise issue de l’Ascendance protestante. Son intérêt pour la nature, sa remise en cause de la place des femmes dans la société rurale irlandaise sont ainsi soulignés par de nombreux critiques.
Sylvie MIKOWSKI
■ HANSSON H., Emily Lawless : Writing the Interspace, Cork, Cork University Press, 2007.
LAZAREFF, Hélène (née GORDON) [ROSTOV-SUR-LE-DON, RUSSIE 1909 - PARIS 1988]
Journaliste et directrice de presse française.
Fille d’un riche marchand de tabac, Hélène Gordon suit sa famille russe en exil, d’abord en Turquie en 1917 puis à Paris en 1920. Étudiante en ethnologie au musée de l’Homme, elle participe à une expédition en Afrique dont elle fait le récit dans L’Intransigeant. En 1935, chez Titaÿna*, elle rencontre Pierre Lazareff, rédacteur en chef de Paris-Soir, et l’épouse en secondes noces en 1939. Elle débute alors une carrière de journaliste à Paris-Soir dimanche où elle est responsable de la rubrique pour enfants, puis à Paris-Soir où elle effectue divers reportages. Dès 1938, elle participe à la rédaction de Marie-Claire, le dernier-né des magazines de Jean Prouvost et, grâce à sa parfaite anglophonie, devient la correspondante à Paris du Daily Express londonien. Sa plume alerte, son entregent, son dynamisme, sa vie sentimentale agitée en font déjà un personnage hors du commun. En juin 1940, Hélène Gordon émigre aux États-Unis avec P. Lazareff afin de fuir les persécutions antisémites. Elle y poursuit avec succès ses activités de rédactrice, au sein du magazine féminin Harper’s Bazaar et au New York Times, et comme correspondante du Daily Express. Elle prolonge son séjour outre-Atlantique jusqu’en mai 1945. À son retour, elle dirige Elle, le nouvel hebdomadaire lancé par son mari, qui occupe alors une place éminente à la tête de France-Soir, le plus grand quotidien de l’époque. Le premier numéro paraît le 21 novembre 1945. Encadré d’une équipe de jeunes talents comme Françoise Giroud*, Marcelle Ségal*, le magazine, inspiré du modèle américain, remporte un vif succès. Sa présentation et le ton de ses articles incitent les femmes à moderniser leur vie quotidienne, à actualiser leur garde-robe, à débattre de sujets sensibles et à aller dans le sens d’une certaine libéralisation des mœurs. Profitant de la remarquable prospérité du groupe de presse Hachette, H. Gordon-Lazareff devient, aux côtés de son mari, une des locomotives de la vie parisienne. Les réceptions, dans la propriété du couple à Louveciennes, attirent hommes politiques, artistes, écrivains, journalistes. Après 1968, France-Soir peine à s’adapter à l’évolution de la société française et l’âge d’or du couple prend fin. H. Lazareff, dont la santé décline, abandonne en 1973 la direction de Elle.
Pierre ALBERT
■ DUBOIS-JALLAIS D., La Tsarine, Hélène Lazareff et l’aventure de Elle, Paris, R. Laffont, 1984.
LAZARINI, Anne-Marie [MARSEILLE 1948]
Comédienne, metteuse en scène et directrice de théâtre.
Après des études de lettres et un diplôme de russe, Anne-Marie Lazarini a été l’élève de Tania Balachova* et Christian Dente, puis s’est très vite orientée vers la mise en scène. Avec Dominique Bourde et François Cabanat, elle a cherché un lieu qui garde l’âme d’un quartier et fédère un public populaire dans une aventure commune. En 1979, l’équipe s’installe dans un ancien cinéma qui devient le Théâtre Artistic-Athévains. A.-M. Lazarini met en scène, François Cabanat crée les décors et la lumière, Dominique Bourde les costumes. Avec ses acteurs, elle établit une relation particulière à mi-chemin du compagnonnage et du groupe de recherches : elle met à disposition son lieu et ses équipements pour leurs projets, et ils peuvent aussi puiser dans ses costumes. Dans cet esprit, elle participe aux Rencontres théâtrales de Haute Corse depuis 2002. Elle a monté des adaptations de récits (L’Étrange Histoire de Peter Schlemihl d’Adelbert von Chamisso et, en mars 2013, Ravel d’après le roman éponyme de Jean Échenoz), des œuvres peu jouées des classiques oubliés (L’Habit vert de Robert de Flers et Gaston Arman de Caillavet). Elle a mis en scène Virginia Woolf* (Une chambre à soi), Bertolt Brecht (Mère Courage) et Michel Vinaver (Portrait d’une femme), sans oublier les grands classiques : George Dandin de Molière et Les Serments indiscrets de Marivaux. Elle a réalisé des mises en scène d’opéra : La Traviata de Verdi, Le Mariage secret, de Domenico Cimarosa, Lo Speziale de Joseph Haydn. Historienne du théâtre, elle a dirigé la collection « Théâtre en liberté » chez Publisud. Elle représente la Culture au Conseil économique et social de la région Île-de-France, et s’implique activement dans les formations pédagogiques.
Danielle DUMAS
LAZARUS, Emma [NEW YORK 1849 - ID. 1887]
Poétesse et traductrice américaine.
Fille d’une famille juive installée à New York dès l’époque de la Révolution américaine, Emma Lazarus trouve auprès de son père Moses Lazarus (d’origine sépharade) et sa mère Esther Nathan (d’origine allemande), le milieu propice à son précoce éveil intellectuel et artistique. Elle reçoit une éducation privée à domicile, étudie les classiques grecs et latins, apprend plusieurs langues vivantes (l’allemand, l’italien et le français) ainsi que le piano, comme les jeunes filles de la haute bourgeoisie de son entourage. E. Lazarus appartient à cette lignée de poètes qui, de Henry Wadsworth Longfellow à Ezra Pound et même à Jerome Rothenberg, font de la traduction et de l’écriture poétique une partie intégrante de leur activité créatrice. Dès son jeune âge, elle traduit Victor Hugo, Heinrich Heine, Alexandre Dumas et Friedrich von Schiller ; plus tard, Pétrarque, Goethe, François Coppée, Giacomo Leopardi, Giosuè Carducci et les poètes juifs de l’Andalousie médiévale. Elle est reconnue dès ses premiers vers, Poems and Translations (1867), et remarquée par Ralph Waldo Emerson, à qui elle dédie Admetus and Other Poems (1871). Elle correspond avec Robert Browning, James Russell Lowell et Henry James, et publie régulièrement dans diverses revues : American Hebrew (1882-1884) ; Century Magazine (1879-1887) ; Critic (1881-1884) ; Index (1872) ; Lippincott’s Magazine (1876-1877) ; Scribner’s Monthly (1872-1887). E. Lazarus est délaissée par les lecteurs qui valorisent l’expérimentation formelle de ses contemporains – Emily Dickinson* ou Walt Whitman – ; son écriture reste marquée par le romantisme et l’époque victorienne. Elle n’a peut-être pas eu le temps de pressentir les enjeux de forme poétique qui caractériseront la révolution moderniste. Sa vision des possibilités de la femme est ambiguë, comme elle l’exprime dans son volume de 1880 Echoes, par rapport à Sojourner Truth* ou à Emma Goldman*, par exemple, qui revendiquaient l’égalité des droits avec vigueur. Cependant, les travaux issus de l’énonciation éditoriale conduisent à une réévaluation de son New Colossus (1883), n’en limitant plus la lecture aux seules valeurs morales, et les travaux issus du féminisme revalorisent son rôle de femme engagée dans le contexte de la fin du XIXe siècle. Son engagement communautaire pionnier en faveur des opprimés et des réfugiés juifs des pogroms de Russie retient désormais l’attention. Enfin, son œuvre est maintenant perçue dans ses ambiguïtés. La substitution dela terre américaine à la terre promise est significative (« In the Jewish Synagogue at Newport », « dans la synagogue à Newport »). En revanche, les textes de la fin de sa vie (1882-1884) évaluent avec clairvoyance la nécessité, pour les masses juives en danger et reléguées dans les shtetl d’Europe, de s’émanciper. Comme Henrietta Szold mais à la différence d’Emma Goldman, E. Lazarus est favorable au foyer national juif.
Geneviève COHEN-CHEMINET
■ The Poems of Emma Lazarus, 2 t., Boston/New York, Houghton Mifflin, 1889 ; Selected Poems, New York, Library of America, 2005.
■ MERRIAM E., Emma Lazarus Rediscovered, New York, Biblio Press, 1998 ; SCHOR E. H., Emma Lazarus, New York, Nextbook, Schocken, 2006.
LAZIĆ, Radmila [KRUŠEVAC 1949]
Poétesse serbe.
Appartenant à l’équipe des fondatrices et des rédactrices en chef de la revue Pro Femina, créée dans les années 1990 dans le but de promouvoir le pacifisme, le féminisme, la tolérance interculturelle et la solidarité entre les femmes des Balkans, Radmila Lazić a également dirigé la collection Femina aux éditions de Prosveta et plus récemment la collection Prethodnice chez Narodna knjiga. Elle a publié plusieurs recueils de poésies, dont To je to (« c’est ça », 1974), Pravo stanje stvari (« le réel état des choses », 1978), Noćni razgovori (« conversations nocturnes », 1986) ou encore Priče i druge pesme (« histoires et autres poèmes », 1998). À différentes reprises, son travail a été récompensé par d’importants prix littéraires, notamment pour Podela uloga (« partage des rôles », 1981) et Zimogroznica (« frilosité », 2006). Certaines de ses œuvres ont été traduites et publiées à l’étranger. Le recueil Istorija melanholije (« histoire de la mélancolie ») est paru en macédonien en 2001. La sélection de poèmes choisis Srce međ’zubima (« le cœur entre les dents ») a été publiée en 2005 en Norvège. Outre des poésies, elle a publié Vjetar ide na jug i obrće se na sjever (« le vent souffle vers le sud et repart vers le nord », 1994), un livre de correspondances avec les écrivaines féministes Biljana Jovanović*, Rada Iveković et Maruša Krese. R. Lazić a un goût prononcé de la révolte et son franc-parler est parfois brutal. Les thèses féministes sont présentes dans ses œuvres de façon explicite, dans les choix thématiques, et ceci dès le titre, comme l’atteste son anthologie de poèmes féminins contemporains Mačke ne idu u raj (« les chattes ne vont pas au paradis », 2000). Nombre de ses livres affichent une tonalité expressément érotique. Dans cette veine, A Wake for the Living (2003) est une collection de textes où l’auteure emploie un langage libre et même agressif pour exprimer la sexualité des femmes entre deux âges.
Robert RAKOCEVIC
■ BRAJOVIĆ T., « Žensko pismo Radmile Lazić », in Poljubi il’ubi, Radmila Lazić, Gradska biblioteka Vladislav Petković Dis, no 30, 2004 ; DANOJLIĆ D., « Dve pesnikinje, Ivanka Udovički, Radmila Lazić », in Letopis Matice srpske, no 151/416/3, sept. 1975 ; SIMIĆ C., « Prevodeći Radmilu Lazić », in Pro Femina, Časopis za žensku književnost i kulturu, nos 25/26, 2001.
LAZURICK, Francine (née BONITZER) [PARIS 1909 - ID. 1990]
Avocate, journaliste et dirigeante de presse française.
Le destin de Francine Lazurick, avocate à l’origine, est intimement lié à celui de L’Aurore. En effet, sous l’Occupation, elle contribue à la création de ce journal clandestin avec son mari, Robert Lazurick, ancien député socialiste du Front populaire. À la Libération, le titre connaît un succès progressif dans le contexte très compétitif de la presse quotidienne parisienne. Après plusieurs fusions dans les années d’après-guerre, L’Aurore devance Le Monde en termes de tirage. Il sera surtout en compétition accrue avec Le Figaro. L’opposition entre les deux titres croît aussi sur le plan éditorial. En tant que membre de l’Association de la presse judiciaire (association créée en 1887, qui réunit les journalistes habilités à suivre les audiences des tribunaux dans le but de faciliter les relations entre la presse et la justice), F. Lazurick couvrira le procès du maréchal Pétain. Elle devient P-DG de L’Aurore après le décès de son mari en 1968 et tente de sauver le journal car, avant même le mouvement de Mai 68, la presse parisienne était entrée en crise. Ce n’est que grâce aux recettes de Paris-Turf (hebdomadaire spécialisé appartenant au holding SA Aurore) et à l’apport financier de Marcel Boussac que le titre a pu alors survivre. F. Lazurick parvient un temps à redresser la situation mais, en 1976, après la vente du holding par le principal actionnaire, elle est contrainte à démissionner.
Michel MATHIEN
■ BELLANGER C., GODECHOT J., GUIRAL P. et al. (dir.), Histoire générale de la presse française, 5 t., Paris, PUF, 1969-1976 ; GUILLAUMA Y., La Presse en France, Paris, La Découverte, 1988.
LÊ, Linda [DALAT, VIETNAM 1963]
Écrivaine française.
Jusqu’à son départ du Vietnam en 1977, Linda Lê reçoit une éducation française. En France, elle poursuit des études à la Sorbonne, mais abandonne sa thèse de doctorat sur Amiel pour devenir romancière. Sa production littéraire est caractérisée par une volontaire mise à l’écart de son pays d’origine. Sa source d’inspiration se situe dans les tréfonds d’un malaise existentiel qui prend les formes de la solitude et de la folie. Les protagonistes de ses récits, farouchement repliés sur eux-mêmes, sont hantés de visions cauchemardesques qui lancent des figures aux contours indéfinis dans un tourbillon vertigineux. L’association de thèmes opposés, mémoire et oubli, mort et résurrection, amour et haine, matière et esprit, révèle un motif essentiel de l’œuvre : le double, qui ramène l’écrivaine à son déracinement dont elle témoigne dans Le Complexe de Caliban (2005). Parallèlement, elle poursuit une importante activité critique (Tu écriras sur le bonheur, 1999). Elle consacre à Marina Tsvetaïéva* (1892-1941) un ouvrage illustré de photos, de poèmes et de lettres de la poétesse russe. Elle présente les œuvres complètes de l’écrivain roumain francophone Panaït Istrati. Parolière, elle écrit des chansons où l’on reconnaît sa prose sombre et farouche. Dans son dernier essai, Au fond de l’inconnu pour trouver du nouveau (2009), elle commente les œuvres d’autres écrivains, alliés d’un univers d’inconfort ; cette exploration dessine en creux le portrait de l’insurgée qu’est Linda Lê. À l’enfant que je n’aurai pas (2011) a obtenu le prix Renaudot Poche.
Simona CRIPPA
■ Un si tendre vampire, Paris, La Table Ronde, 1987 ; Les Trois Parques, Paris, C. Bourgois, 1997 ; Voix, Paris, C. Bourgois, 1998 ; Lettre morte, Paris, C. Bourgois, 1999 ; Marina Tsvétaïéva, comment ça va la vie ? , Paris, J.-M. Place, 2002 ; Cronos, Paris, C. Bourgois, 2010.
LEAD, Jane WARD [NORFOLK 1623 - STEPNEY 1704]
Prophétesse britannique.
Née dans une famille de la classe moyenne, Jane Ward Leade commence à avoir des visions mystiques et à entendre des voix dès l’âge de 15 ans. En 1663, elle rencontre le recteur John Pordage ; il l’initie à la mystique de Jakob Boehme, et elle rédige de nombreux traités qui sont davantage des interprétations des écrits du mystique allemand. En 1670, elle a des visions chaque nuit. Ses publications attirent l’attention de Francis Lee, docteur en théologie d’Oxford, qu’elle adopte comme son fils et à qui elle donne sa fille en mariage « selon un ordre divin ». Ils fondent la Société des Philadelphes en 1694 et lancent le journal Theosophical Transactions by the Philadelphian Society. Dans ses œuvres, à la rhétorique complexe, elle insiste sur l’aspect féminin de Dieu, l’androgynie d’Adam et dit attendre la venue du troisième messie, moment où la discrimination sexuelle n’aura plus lieu et où la vie retournera à son existence divine originelle grâce aux qualités féminines nécessaires pour entrer dans le royaume de Dieu, que symbolise Sophia, la « femme suprême » de J. Boehme. Appauvrie et jalousée par d’autres sectes, J. Lead meurt dans un asile pour pauvres. On retrouve l’influence de ses œuvres, très tôt traduites en hollandais et en allemand, chez Swedenborg et la plupart des courants mystiques ultérieurs.
Michel REMY
■ HIRST, Julie, Jane Leade : biographical account of a seventeenth-century mystic, Aldershot, Ashgate, 2005.
LEADBEATER, Mary [BALLITORE, COMTÉ DE KILDARE 1758 - ID. 1826]
Chroniqueuse irlandaise.
Issue d’une famille de quakers, Mary Leadbeater est une chroniqueuse prolifique de la ruralité irlandaise de la fin du XVIIIe et du début du XIXe siècle. En trente-quatre ans, elle produit un nombre considérable d’ouvrages, parmi lesquels des contes didactiques, de la poésie religieuse et des biographies. Petite-fille du fondateur d’une célèbre école quaker où Edmund Burke (1729-1797) fut élève, elle entretient une correspondance assidue avec celui-ci. Mariée à un propriétaire terrien d’ascendance huguenote, elle est témoin des atrocités commises par les soldats anglais pendant l’Insurrection paysanne de 1798. En 1811, elle publie le premier volume des Cottage Dialogues (« les dialogues de la chaumière ») et Maria Edgeworth* en fait l’éloge dans la préface qu’elle rédige pour l’ouvrage. La chroniqueuse brosse un tableau réaliste et plein de compassion pour les paysans irlandais dans Collection of Lives of the Irish Peasantry (1822). On se souvient d’elle pour son journal intime, qu’elle commence à écrire dès l’âge de 11 ans, et en particulier pour les Annals of Ballitore, qui racontent les années allant de 1766 à 1824 et offrent un témoignage unique sur le mode de vie d’un village quaker irlandais, la violence de l’insurrection paysanne de 1798 et la férocité de la répression anglaise. Il est inclus dans The Leadbeater Papers, publié en 1862, qui comprend également sa correspondance et celle de son père avec E. Burke, ainsi qu’une partie de sa correspondance avec le poète George Crabbe (1754-1832).
Sylvie MIKOWSKI
■ HUGHES B., Between Literature and History, The Diaries and Memoirs of Mary Leadbeater and Dorothea Herbert, Berne, Peter Lang, 2010.
LEANDER, Zarah (née Sara STINA HEDBERG) [KARLSTAD 1907 - STOCKHOLM 1981]
Actrice et chanteuse suédoise.
Après avoir été chanteuse de cabaret et d’opérette, Zarah Leander est révélée par le cinéaste Detlef Sierck (qui prendra le nom de Douglas Sirk à Hollywood). Il fait d’elle la vedette de deux films qu’il tourne en Allemagne, en 1937 : Paramatta, bagne de femmes (Zu neuen Ufern) et La Habanera. Ce succès la propulse au rang de star dans ce pays, où elle tourne jusqu’en 1943, devenant même l’égérie du cinéma nazi à la demande du ministre de la Propagande Joseph Goebbels. Néanmoins, elle ne prend pas publiquement de position politique et son départ d’Allemagne est également l’occasion d’une prise de distance salutaire d’avec le régime. De retour en Suède, elle ne revient au cinéma qu’en 1950, mais ne retrouvera plus de grands rôles. Son dernier film est la comédie italienne Comment j’ai appris à aimer les femmes (Come imparai ad amare le donne, Luciano Salce, 1967).
Bruno VILLIEN
■ SEILER P., Zarah Leander, ich bin eine Stimme, Berlin, Ullstein, 1997.
■ My Life for Zarah Leander (documentaire), Christian Blackwood, 90 min, 1986.
LÉANDRE, Joëlle [AIX-EN-PROVENCE 1951]
Contrebassiste et compositrice française.
Compositrice et contrebassiste dont le répertoire s’étend de la musique savante contemporaine à la musique improvisée, Joëlle Léandre est l’une des figures incontournables de la scène musicale internationale. Elle apprend le piano dès l’âge de 9 ans puis s’inscrit dans la classe de contrebasse de Pierre Delescluse, au Conservatoire d’Aix. Elle se passionne pour les musiques et techniques compositionnelles de Debussy, Satie, Varèse et Xenakis et intègre, en 1969, la classe de Gaston Logerot au Conservatoire de Paris, où elle obtient un premier prix de contrebasse. Aux États-Unis, elle rencontre John Cage et Mark Feldman mais reste marquée par l’œuvre de Giacinto Scelsi. Musicienne accomplie, elle est également très active dans le secteur de la composition et reçoit des commandes d’État ou de Radio France. Son style expressif incisif, sans cesse à la recherche de nouveaux sons et techniques, joue sur des extrêmes de registres et de dynamiques et tend à une théâtralité empreinte de poésie pure avec force, humour et sensibilité. Elle écrit aussi pour la danse et le théâtre et se distingue dans la performance interdisciplinaire (Hommage à J… [John Cage], pour cordes, contrebasse et bande magnétique, 1995). En tant qu’improvisatrice, elle se produit avec les plus grands musiciens dans les festivals internationaux et compte une volumineuse discographie de près d’une centaine de documents. Dans ses créations, J. Léandre traverse le son dans ce qu’il a de plus immédiat et de plus naturel (Mixtery) en faisant part de ses positions politiques (Taxi), tout en s’engageant pour la reconnaissance des femmes dans la création musicale avec subtilité et malice (Cat Studies). Un esprit anti-académique est aussi décelable dans sa soif de découvertes de nouveaux sons et techniques. En 2014, la compositrice réunit autour d’elle neuf musiciens hors pair de la scène européenne pour créer le tentet Can You Hear Me?, un virtuose mélange de composition et d’improvisation.
Sophie STÉVANCE
■ À voix basse, Entretiens avec Franck Médioni, Paris, MF, 2008.
■ STÉVANCE S., « Joëlle Léandre. La virtuosité au service de la transversalité musicale », in L’Éducation musicale, nos 527-528, nov.-déc. 2005.
LEÃO, Ester (Ester Eusébio LEÃO, dite) [GAVIÃO, PORTUGAL 1892 - RIO DE JANEIRO 1971]
Actrice, metteuse en scène et enseignante brésilienne.
Issue d’un milieu bourgeois, Ester Leão brave l’opposition familiale pour embrasser le théâtre. Elle débute en 1913 au théâtre República de Lisbonne, sous le pseudonyme d’Ester Durval dans L’Assaut, d’Henry Bernstein. Après une courte absence, elle revient en 1920 dans : A Filha de Lázaro (« la fille de Lazare »), de Norberto Lopes et Chianca de Garcia ; Alcácer-Kibir, de Dom João da Câmara ; Pasteleiro de madrigal (« le pâtissier de madrigaux »), d’Augusto Lacerda. Elle crée sa compagnie en 1931, puis travaille un répertoire exclusivement portugais au théâtre São-Carlos. Cinq ans plus tard, elle part pour le Brésil, où elle joue dans la compagnie Luiz-Iglezias-Freire-Junior. Elle assume la direction du théâtre Acadêmico puis monte Les Romanesques, d’E. Rostand, au Teatro do estudante do Brasil, ainsi que Leonor de Mendonça, de Gonçalves Dias, Les Jours heureux, de Claude-André Puget, et Altitude 3 200, de Julien Luchaire. En 1945, au Théâtre universitaire, elle met en scène, pour la première fois au Brésil, Roméo et Juliette, de Shakespeare. Elle monte encore La Dame de l’aube d’Alejandro Casone, et Père, d’A. Strindberg. E. Leão dirige les futurs monstres sacrés du théâtre brésilien : Cacilda Becker*, Nathalia Timberg, Vanda Lacerda, Glauce Rocha, Fernanda Montenegro*. Dans les années 1950, elle devient la pionnière de l’enseignement de la diction au Brésil. Elle reçoit la médaille du Cruzeiro do Sul, la plus importante décoration brésilienne.
Richard ROUX
LEAPOR, Mary [MARSTON ST LAWRENCE, NORTHAMPTONSHIRE 1722 - BRACKLEY, ID. 1746]
Dramaturge et écrivaine britannique.
Fille de jardinier, en partie autodidacte, Mary Leapor (« Mira ») commença jeune à écrire tout en travaillant aux cuisines de Susanna Jennens (« Parthenissa »), dame férue de littérature et quelque peu liée au cercle de lady Mary Wortley Montagu*. La publication de Poems upon Several Occasions est posthume (1751). « The Month of August », le plus connu d’entre eux, décrit les paysages ruraux de l’enfance de cette « fille de cuisine poète », comme on la surnomma. « Crumble Hall », au titre symbolique, s’attaque aux valeurs d’une gentry démythifiée par le point de vue d’une servante. Dans An Essay on Woman in Three Epistles (« trois lettres sur la femme, essai », 1751), elle dépeint le sort des femmes, les injustices dont elles sont les victimes, les difficultés de la vie conjugale, la violence des hommes et leur paternalisme, les amitiés féminines. Renvoyée, dit-on, pour distraction dans son travail en 1745, M. Leapor s’installa à Brackley chez son père. Vainement, une amie, Bridget Freemantle (« Artemisia »), tenta de faire jouer sa pièce The Unhappy Father. Deux mois avant la parution de son poème « The Rural Maid’s Reflexions » dans The London Magazine, elle mourut de la rougeole. Admiratrice de Pope et de Swift, soutenue par les Bluestockings, Richardson ou le « génie naturel » Stephen Duck, elle s’apparente à Mary Collier*, Jane West* et Ann Yearsley*.
Françoise LAPRAZ SEVERINO
■ GOULDING S., « Reading “Mira’s Will” : The death of Mary Leapor and the life of the Persona », in Modern Language Studies, vol. 32, no 2, automne 2002.
LEASE, Mary Elizabeth (dite Mary Ellen) [RIDGWAY, PENNSYLVANIE 1850 - CALLICOON, NEW YORK 1933]
Militante américaine.
Née de parents immigrés irlandais, Mary Elizabeth Lease devient institutrice et s’installe au Kansas à l’âge de 20 ans. Elle commence par militer, surtout dans la lutte contre l’alcool, mais se tourne peu à peu vers des causes plus politiques. Elle adhère au parti populiste et critique déjà l’emprise du monde de la finance à Wall Street sur le gouvernement. À partir de 1890, elle joue un rôle important dans le conflit des paysans du Kansas avec les banques et les chemins de fer. Grande oratrice, elle voyage dans l’ouest et le sud du pays, accordant plus de 160 conférences. Ses opposants sont nombreux et la dénigrent en l’appelant « Yellin Mary Ellen » (« la criarde »). En 1896, elle quitte le parti populiste lorsqu’il fusionne avec le parti démocrate. Elle s’installe à New York avec ses quatre enfants et donne des conférences sur le socialisme jusqu’à la fin de sa vie.
Béatrice TURPIN
LEAVITT, Henrietta SWAN [LANCASTER, MASSACHUSETTS 1868 - CAMBRIDGE ID. 1921]
Astrophysicienne américaine.
Fille d’un pasteur dont les ancêtres ont débarqué au Nouveau Monde en 1628, Henrietta Swan Leavitt suit, malgré une éducation très puritaine, des études universitaires – scientifiques de surcroît – en intégrant le Radcliffe College en 1888. À la suite d’un cours d’astronomie auquel elle assiste en 1892, elle se prend de passion pour le sujet et s’y spécialise pendant un an. En 1895, elle s’engage comme assistante volontaire à l’observatoire d’Harvard, rejoignant, comme Williamina Fleming*, Annie Jump Cannon* et Antonia Maury*, l’équipe d’Edward Pickering. Après une absence de deux ans, pour des raisons familiales inconnues, elle devient salariée à son retour en 1902 et prend la tête du département de photométrie stellaire. Quelques années plus tard, une courte période de maladie l’immobilise à nouveau chez elle, mais E. Pickering veille à lui confier du travail à domicile pour ne pas retarder les projets en cours. Intelligente et méticuleuse, elle se montre particulièrement apte aux études photométriques, c’est-à-dire à la mesure de la luminosité des étoiles, et tout au long de sa carrière, elle découvre plus de 2 400 étoiles variables, soit la moitié de toutes celles connues à l’époque. En 1908, elle publie un catalogue recensant les 1 777 variables qu’elle a découvertes dans les Nuages de Magellan ; elle y fait allusion, pour la première fois, à une grande découverte : la relation période-luminosité des céphéides, qu’elle précise en 1912 dans un nouveau catalogue. Cette loi de Leavitt qui permet en fait d’arpenter l’Univers se révèle donc un outil extrêmement précieux pour l’astrophysique moderne. Bien que considérée comme probablement la plus brillante des femmes d’Harvard, elle ne bénéficie pas de la même reconnaissance que W. Fleming ou A. J. Cannon. Cependant, en 1925, le professeur Gösta Mittag-Leffler, de l’Académie des sciences de Suède, lui annonce par courrier qu’elle est sélectionnée pour le prix Nobel de 1926 pour sa découverte de la relation période-luminosité : décédée quatre ans plus tôt dans l’indifférence quasi générale, elle ne le recevra jamais.
Yaël NAZÉ
■ DE LA COTARDIÈRE P., « La gloire confisquée d’Henrietta Leavitt », in Ciel & Espace, n° 321, 1997 ; MITCHELL H. B., « Henrietta Swan Leavitt and Cepheid variables », in The Physics Teacher, vol. 14, 1976 ; PAPACOSTA P., « Nobel Prize for a “computer” named Henrietta Leavitt (1868-1921) », in Status, janv. 2005.
LEBEAU, Suzanne [MONTRÉAL 1948]
Auteure dramatique et directrice artistique canadienne d’expression française.
D’abord pédagogue, Suzanne Lebeau devient comédienne et fonde en 1975 avec Gervais Gaudreault la compagnie de théâtre montréalaise Le Carrousel. Elle publie plus d’une vingtaine de pièces pour la jeunesse, traduites en 16 langues, abondamment produites dans le monde entier et récompensées par de nombreux prix, principalement au Québec et en France. Son théâtre offre des fables simples en apparence, avec des effets de récit et un net goût pour le jeu dans le jeu, le tout dans une langue accessible mais empreinte de poésie et profondément ancrée dans l’imaginaire enfantin. C’est à S. Lebeau que l’on doit la première pièce canadienne spécifiquement destinée à la petite enfance, Une lune entre deux maisons (1980), mettant en jeu le fait même d’apprendre et de grandir. Suivront les publications de Ti-Jean voudrait ben s’marier mais…, créée en 1975 (1985), Comment vivre avec les hommes quand on est un géant (1990), Salvador (2002), Petit Pierre (2006), Frontière nord (2007), Contes d’enfants réels (2009), des pièces qui illustrent la confrontation avec soi-même. Particulièrement primée, Le bruit des os qui craquent (2008) a été créée par le Carrousel en 2009 puis mise en scène à la Comédie-Française en 2010. Cette pièce, destinée à des adolescents, pénètre dans le monde des enfants soldats d’une façon qui à elle seule résume tout l’engagement humaniste mais réaliste de son auteure.
Marie BERNANOCE
■ Itinéraire d’auteur, Suzanne Lebeau, Villeneuve-lez-Avignon, La Chartreuse, Centre national des écritures du spectacle, avec la collaboration de Lanctôt éditeur, 2002.
LE BEAU, Luise Adolpha [RASTATT 1850 - BADEN-BADEN 1927]
Compositrice, pianiste et critique allemande.
Luisa Adolpha Le Beau commence à composer à 15 ans et joue très tôt avec orchestre. Elle rencontre Hans von Bülow, et est l’élève de Clara Schumann* pendant quelque temps. Elle connaît le succès à Munich en 1874, rencontre Brahms, Liszt et Hanslick au cours de ses tournées. En 1882, ses pièces pour violoncelle opus 24 remportent un concours international à Hambourg, et elle publie de nombreuses œuvres, durant cette décennie, pour piano seul, piano et quatuor (opus 28) ainsi qu’un Quatuor à cordes (opus 34). Son écriture, très claire, témoigne de rigueur et de fermeté dans les dessins mélodiques. Elle s’installe en 1893 à Baden-Baden où elle écrit un opéra, Hadumoth, scènes tirées du roman historique Ekkehard du poète romantique Victor von Scheffel. Elle compose beaucoup de musique vocale (lieder, chœurs, l’oratorio Ruth), s’adonne aussi à la critique musicale et rédige ses mémoires, qui sont publiées en 1910 à Baden-Baden où elle termine sa vie.
Pierrette GERMAIN
■ SADIE J. A., SAMUEL R. (dir.), The New Grove Dictionary of Women Composers, Londres, Macmillan, 1994.
LÉBÉDÉVA, Sarra (née DARMOLATOVA) [SAINT-PÉTERSBOURG 1892 - MOSCOU 1962]
Sculptrice russe.
Sarra Dmitrievna Lébédéva reçoit une éducation privée dans sa ville natale, où elle fait son apprentissage artistique à l’École de la Société pour l’encouragement des arts, ainsi qu’à l’école de Mikhaïl Bernstein en 1910. Tout en étudiant la sculpture de 1912 à 1914, elle voyage en France, en Allemagne, en Autriche et en Italie, avant de collaborer avec le céramiste Nikolaï Dmitriévitch Kouznetsov à l’ornementation du palais Youssoupov. En 1915, elle épouse le peintre Vladimir Lébédev. Après les révolutions de 1917, elle devient professeure aux Ateliers libres (Svomas) de Pétrograd, où elle côtoie, entre autres, Vladimir Maïakovski, avec qui elle et son mari réalisent des affiches de propagande pour les Okna Rosta (« Fenêtres de l’agence télégraphique de Russie »). Elle sculpte aussi des monuments en l’honneur des héros révolutionnaires (Danton, Robespierre, Herzen), enseigne à l’institut Stieglitz (1919-1920) et expérimente plusieurs genres artistiques, comme la céramique et la décoration théâtrale. Séparée de V. Lébédev, elle s’établit à Moscou à partir de 1925, devient membre de la Société des sculpteurs russes, expose régulièrement dans la ville, et participe en 1928 à la Biennale de Venise. Dans les années 1930, elle réalise dans le parc central de culture et de repos Gorki à Moscou une sculpture de 2 mètres, Fillette et papillon (1936), dont seront vantés le caractère monolithique, la souplesse et le dynamisme. Les enfants sont d’ailleurs un thème important de son œuvre (Vania Brouni ; Niourka ; Fillette aux nattes), de même que les nus féminins (Liouda). Néanmoins, sa spécialité reste, tout au long de sa vie, le portrait, tout spécialement celui de ses contemporains, qu’elle exécute d’après nature. À l’image de sa consœur Véra Moukhina*, elle dépasse l’académisme par un laconisme très vigoureux dans le traitement des différents détails du visage. Ses portraits sont le plus souvent concentrés sur la tête, qui est posée directement sur le socle et n’émerge d’aucun bloc, comme chez les rodinistes. Elle utilise avec prédilection le bronze, auquel elle donne toutes les nuances, des mates aux brillantes. Elle représente ainsi ses amis artistes, les héros de la Seconde Guerre mondiale, ceux de la révolution, dont les portraits du fondateur de la Tchéka, Félix Dzerjinski (1925). Dans les années 1940-1950, très proche de Tatline, elle fera don des œuvres et des documents de ce dernier aux Archives nationales de Russie. Ses reliefs, comme celui de Robespierre (1920), montre qu’elle maîtrise le jeu des formes convexes et des formes concaves.
Jean-Claude MARCADÉ
■ Avec GOLOUBKINA A., MOUKHINA V. I., Trois sculpteurs soviétiques (catalogue d’exposition), Paris, Musée Rodin, 1971.
■ YABLONSKAYA M., Women Artists of Russia’s New Age, 1900-1935, Londres, Thames & Hudson, 1990.
LEBER, Huck VOIR JOHANSON, Klara
LE BERRE, Maryvonne [1940-2012]
Géographe française.
Enseignante à Grenoble, puis professeure à l’université de Franche-Comté à Besançon, dont elle sera vice-présidente, Maryvonne Le Berre a beaucoup contribué à l’animation du groupe Dupont, un réseau d’universitaires géographes engagés dans la révolution théorique et quantitative. Elle a ainsi participé à la réalisation d’un manuel d’initiation aux méthodes statistiques en géographie, réalisé par le groupe Chadule. Elle a œuvré pour la réalisation en géographie de modèles dits « d’analyse de système », selon les principes mis au point par Jay Forrester dans les années 1960, produisant avec ses collègues grenoblois le modèle « Amoral », qui simulait pour la Datar (Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale) l’avenir d’une petite région alpine, ou encore des modèles socio-environnementaux, par exemple pour une région viticole.
Denise PUMAIN
■ « Le territoire », in BAILLY A., FERRAS R., PUMAIN D., Encyclopédie de géographie, Paris, Economica, 1992 ; GROUPE CHADULE, Initiation aux pratiques statistiques en géographie, Paris, A. Colin, 1998.
LE BESCO, Maïwenn VOIR MAÏWENN
LEBLANC, Marie (ou ALTHEA) [V. 1867 - PORT LOUIS 1915]
Écrivaine mauricienne d’expression française.
Auteure de plus d’une centaine de textes (poèmes et nouvelles), Marie Leblanc domine, de 1890 à 1915, le monde des revues littéraires à Maurice. Elle fait paraître un recueil de nouvelles, La Vie et le Rêve (1890), dont tous les héros sont des femmes ; l’ouvrage est bien accueilli par la critique locale. Mais elle doit vivre de sa plume et donc se soumettre aux règles du marché : entre 1907 et 1915, sa revue The Empire Day célèbre chaque année l’Empire britannique ; Le Soleil de juillet commémore le 14 juillet, de 1891 à 1915. Elle est une infatigable directrice de revues : La Semaine littéraire de l’île Maurice (hebdomadaire, 1890-1892) ; Port-Louis mondain (1897-1908) ; La Nouvelle Revue littéraire et historique (mensuel, 1897-1904). Publiant des textes originaux écrits par les meilleurs écrivains de l’île, son activité éditoriale a contribué à dynamiser la production littéraire de l’île Maurice. Selon le magazine L’Essor de juillet 1925, elle était « la première de nos féministes d’ici ».
Michel BENIAMO
■ FURLONG R., RAMAHARAI V., TRANQUILLE D., Une Mauricienne d’exception, Marie Leblanc, présentation et anthologie, Port-Louis, Les Mascareignes, 2005.
LEBRANCHU, Marylise (née PERRAULT) [LOUDÉAC 1947]
Femme politique française.
Marylise Lebranchu grandit dans une famille bretonne dont la maison est le lieu de rendez-vous de la gauche socialiste locale. Après une maîtrise d’aménagement du territoire et quelques années d’enseignement, elle adhère au parti socialiste en 1973, et est assistante parlementaire de Marie Jacq, députée du Finistère. Mère de trois enfants, élue locale, elle devient maire de Morlaix en 1995, puis députée en 1997. Elle rejoint alors le gouvernement de Lionel Jospin, d’abord comme secrétaire d’État aux PME, au Commerce, à l’Artisanat et à la Consommation. Nommée Garde des sceaux en 2000, elle fait évoluer la société sur des points délicats, à travers la réforme du droit de la famille, de la justice commerciale et de la condition pénitentiaire. Depuis 2012, ministre de la Réforme de l’État, de la Décentralisation et de la Fonction publique, elle travaille sur la question très complexe de la réforme territoriale. Assaillie de réclamations venant d’élus locaux et de parlementaires, elle fait preuve d’endurance et d’opiniâtreté : elle maintient le dialogue et réussit, au printemps 2015, à faire adopter avec une large majorité, en première lecture à l’Assemblée nationale, la loi NOTRe (Nouvelle organisation territoriale de la république) où le département reste le pilier de la solidarité sociale et territoriale. Sur l’autre registre de son ministère, M. Lebranchu négocie l’accord-cadre sur la qualité de vie au travail dans la fonction publique.
Anne-Marie MARMIER
■ Être juste, justement, avec Guisnel J., Albin Michel, 2001.
LE BOURSIER DU COUDRAY, Angélique [CLERMONT-FERRAND 1712 - BORDEAUX 1789]
Sage-femme française.
Sage-femme à la cour de Louis XV, Angélique Marguerite Le Boursier du Coudray contribua à la modernisation du travail des sages-femmes par son enseignement et ses ouvrages sur l’art de l’accouchement. Née dans une famille de médecins reconnus, elle obtient ses grades de sage-femme en 1739 à l’école de médecine de Paris, après un stage auprès d’une autre sage-femme. Elle reste à Paris pour exercer son métier, et devient rapidement « chef » accoucheuse à l’Hôtel-Dieu. Consciente de la carence de formation des matrones, surtout dans les campagnes où la mortalité maternelle et infantile était très élevée, elle retourne en Auvergne pour entreprendre leur éducation. Elle rédige à leur intention un Abrégé de l’art des accouchements, ouvrage agrémenté de planches anatomiques en couleurs. Cet ouvrage a tant de succès qu’il sera réédité six fois. En 1767, elle obtient un brevet royal. La même année, elle est nommée par le roi « Enseignante » sur l’ensemble du royaume, dans le but de diminuer la mortalité maternelle et infantile. Cette autorisation est associée à un fort salaire et à une pension de retraite. De 1766 à 1783, elle parcourt la France pour y porter son enseignement. Elle a des méthodes pédagogiques simples et claires : elle imagine une « machine » (exposée au musée Flaubert de Rouen) pour apprendre aux sages-femmes les différentes situations pouvant se présenter à la naissance et leur enseigner les gestes à faire. Elle utilise une poupée en peau représentant une femme et permettant d’expliquer l’anatomie, des pièces mobiles figurant les organes ; une poche reliée par un cordon contient un bébé en tissu ; elle simule les différentes phases de l’accouchement. Elle se déplace dans une cinquantaine de villes. L’enseignement dure deux mois, et accepte une centaine d’élèves. Ses méthodes sont approuvées par l’Académie de chirurgie. Elle forme d’autres sages-femmes, et même des chirurgiens pour qu’ils poursuivent son œuvre de démonstration. Certaines universités, comme celle de Montpellier, lui ferment leurs portes, mais elle contribue à la formation d’au moins 5 000 sages-femmes. Après sa mort, c’est une de ses nièces qui prendra la direction de la maternité de Bordeaux.
Yvette SULTAN
■ Abrégé de l’art des accouchements, Paris, Vve Delaguette, 1759.
LE BRUN, Annie [RENNES 1942]
Poétesse et essayiste française.
À l’aube des années 1960, Annie Le Brun est trop révoltée pour accepter l’avenir qu’on lui prépare. La découverte des œuvres d’André Breton déterminera son parcours. En 1963, après une rencontre fortuite avec celui-ci qui l’invite à venir à Paris, elle participe aux dernières années du mouvement surréaliste et privilégie l’érotisme, la révolte et la dénonciation de toute forme d’aliénation. Entre 1967 et 1977, elle publie plusieurs recueils de poésie dont Sur le champ (1967), puis le tonitruant essai Lâchez tout (1977) où elle s’insurge contre « le moralisme et la niaiserie » qui caractériseraient, selon elle, le fait féminin ou féministe. En 1982, son essai, Les Châteaux de la subversion (1982), réhabilite le roman noir pour y reconnaître un signe majeur du grand changement de sensibilité entre le XVIIIe et le XIXe siècle. Elle écrit ensuite, telle une réflexion sur l’amour, une longue postface à l’édition du Surmâle (1902) d’Alfred Jarry, qui fait partie de ses auteurs favoris. Ainsi, c’est à lui qu’elle rendra hommage dans De l’éperdu (2000), comme à Sade, mais aussi à Roussel, Cravan ou Fourier, qui lui ressemblent : ils s’aventurent à découvert, sans prétendre à aucun pouvoir. En 1993, Les Assassins et leurs miroirs analyse le conflit en ex-Yougoslavie. Libre de ses paroles car n’ayant aucune crainte du risque, A. Le Brun continue une double aventure, se partageant entre une poésie qui revendique son influence surréaliste et des essais où s’exerce une critique radicale du monde actuel. Du trop de réalité (2000) dénonce cette réalité « débordante » qui ne cesse de proposer sa panoplie de satisfactions immédiates pour prévenir toute force de négation et ainsi restreindre dramatiquement le champ de l’imaginaire. Le recueil de textes poétiques Ombre pour ombre (2004) témoigne de la richesse de son vocabulaire et de sa force métaphorique. Les Arcs-en-ciel du noir : Victor Hugo ou Le Promontoire du songe (2012) appellent à « l’insurrection lyrique ».
Marie-Noëlle CAMPANA
LEBRUN, Danièle [LE CHEYLARD 1937]
Actrice française.
Après avoir obtenu un premier prix au Conservatoire national d’art dramatique de Paris, Danièle Lebrun passe deux ans à la Comédie-Française, puis rejoint les troupes de Roger Planchon et de Jean-Louis Barrault. Elle excelle alors dans les rôles de jeunes premières piquantes, de fausses ingénues : Shakespeare, Marivaux, Anouilh, Raymond Queneau (Exercices de style) ou encore Marcel Aymé (Clérambard) font partie de son répertoire. Elle est ensuite une Célimène éblouissante dans Le Misanthrope de Molière, avec Michel Piccoli, dans la mise en scène de son mari Marcel Bluwal. Ce dernier la dirige à de nombreuses reprises à la télévision : dans Marivaux, dans Lulu de Wedekind (1978), dans Les Frères Karamazov (1969, d’après Dostoïevski), ou encore dans la série Vidocq (1971-1973). Sous la direction de Claude Santelli, elle joue dans Le Malade imaginaire de Molière (1971). Elle incarne aussi Joséphine de Beauharnais (Joséphine ou la Comédie des ambitions, Robert Mazoyer, 1979), puis Yvonne de Gaulle dans Le Grand Charles (Bernard Stora, 2006). Elle tourne enfin beaucoup au cinéma : dans Camille Claudel* (Bruno Nuytten, 1988), dans Un héros très discret (Jacques Audiard, 1996) ou encore dans trois films de Claude Berri. En 2011, elle revient à la Comédie-Française en tant que pensionnaire et incarne Dame Pluche dans On ne badine pas avec l’amour d’Alfred de Musset, et joue La Trilogie de la villégiature de Goldoni, mise en scène par Alain Françon.
Bruno VILLIEN
LECA, Francine [1938]
Chirurgienne française.
Première femme française chirurgien cardiaque, Francine Leca est une ancienne interne des Hôpitaux de Paris (1965). Professeure des universités-praticien hospitalier, elle est, jusqu’en 2006, chef du service de chirurgie cardiaque pédiatrique à l’hôpital Necker-Enfants malades à Paris ; ses patients sont le plus souvent des nouveau-nés. En 1996, elle crée Mécénat Chirurgie cardiaque-Enfants du monde. La mission de l’association est d’aider et de sauver des enfants atteints de malformations cardiaques qui vivent dans des pays où ils ne peuvent être opérés, et dont les parents ne peuvent financer l’opération. L’association réalise des interventions chez plus de 1 300 enfants de pays défavorisés en 2008. Dans le service de chirurgie cardiaque de l’hôpital Necker-Enfants malades, F. Leca opère plus de 6 000 enfants, adolescents, jeunes adultes. Son équipe, trois chirurgiens, un chef de clinique et deux internes, tous formés par elle, accueille 700 enfants par an. Les enfants des pays lointains, une fois opérés, ne peuvent rentrer immédiatement dans leur pays. Ils sont accueillis au centre pédiatrique des Côtes, aux Loges-en-Josas, durant leur convalescence. F. Leca est mère de deux enfants. Une exposition de photos, Regards sur une seconde naissance - Laos 2008, lui a été consacrée à la galerie Premier Regard à Paris, en décembre 2008.
Yvette SULTAN
■ Un cœur pour la vie, Paris, F. Delory, 2002.
■ DRÉVILLON E., Professeur Leca, chirurgien du cœur, Paris, A. Carrière, 2003.
LECLERC, Annie [SAINT-SULPICE-LAURIÈRE 1940 - PARIS 2006]
Écrivaine française.
Si son premier livre, Le Pont du Nord (1967), est un récit, c’est bien son second ouvrage, Parole de femme (1974), qui ouvre à Annie Leclerc la voie de la reconnaissance. Dans le contexte du Mouvement de libération des femmes, cet essai tente de faire entendre une parole neuve parce que longtemps occultée, et insiste sur la spécificité positive de la femme et du féminin, en donnant une place de choix à la jouissance. Collaboratrice des Temps modernes jusqu’à la sortie du livre, elle est alors remerciée et sera éreintée pour ses options différentialistes, qui lui valent d’être assimilée à l’« écriture féminine ». Elle participe à La Venue à l’écriture (1977) avec Hélène Cixous* et la Québécoise Madeleine Gagnon*, s’entretient avec Marie Cardinal* dans Autrement dit (1977) et collabore dans les années 1970 à la revue Sorcières fondée par Xavière Gauthier*. En 1979, elle reprend l’enseignement de la philosophie. Elle poursuit son travail littéraire avec Hommes et femmes (1984), Le Mal de mère (1986), Origines (1988), qui conjuguent passion pour Rousseau, récit d’enfance et d’entrée en écriture. Exercices de mémoire (1992) est une réflexion inspirée par Shoah de Claude Lanzmann. En 2003, L’Enfant, le prisonnier, creuset de son expérience des ateliers d’écriture en milieu carcéral, milite pour la dignité des prisonniers en dénonçant les impasses du système pénitentiaire.
Audrey LASSERRE
LECLERC, Ginette (Geneviève MENUT, dite) [PARIS 1912 - ID. 1992]
Actrice française.
Brune à la silhouette voluptueuse et à la voix acidulée, Ginette Leclerc est spécialiste des rôles de femmes de mauvaise vie, garces ou putains au grand cœur. Après ses débuts à l’écran en 1932, elle tourne sans arrêt, notamment : La Dame de chez Maxim’s (Alexander Korda, 1933) et L’Hôtel du libre-échange (Marc Allégret, 1934, d’après Feydeau) ; les opérettes Ciboulette (Claude Autant-Lara, 1933) et Dédé (René Guissart, 1934). En 1938, Marcel Pagnol fait d’elle La Femme du boulanger, séductrice qui fait souffrir son mari Raimu. En 1943, dans Le Corbeau, d’Henri-Georges Clouzot, elle incarne un personnage ambigu face à Pierre Fresnay. Elle est fille de joie dans Le Plaisir (Max Ophuls, 1951, d’après Maupassant) et apparaît dans Le Bal du comte d’Orgel (M. Allégret, 1969, d’après Raymond Radiguet). Au théâtre, elle joue avec un grand succès La Putain respectueuse, de Jean-Paul Sartre.
Bruno VILLIEN
■ Ma vie privée, Paris, La Table ronde, 1963.
■ GILLES C., Ginette Leclerc, le désir des hommes, Paris, L’Harmattan, 2001.
LECLERC, Marie-Louise [CAROUGE 1911 - GENÈVE 2001]
Architecte suisse.
Après l’obtention de son diplôme de dessinatrice-architecte à l’École des beaux-arts de Genève en 1935, Marie-Louise Leclerc travaille dans cette ville, chez son père, Antoine Leclerc (1874-1963), architecte diplômé de l’école parisienne des Beaux-Arts, et devient son associée en 1940. Les commandes sont obtenues par le biais de recommandations ou par son oncle Frédéric Leclerc, banquier. L’activité de l’agence touche à la fois au logement (villas et logements collectifs), à la rénovation et la transformation (garages, fermes, façades d’immeuble). Ils interviennent ainsi sur des édifices très anciens, tel l’immeuble médiéval de la rue Toutes-Âmes (Genève 1946), ou la maison de maître Bedot-Diodati, du XVIIe siècle (Satigny 1959). Ils ont également la charge d’agrandissements, comme celui de la maternité de Genève (1944), et des travaux d’aménagement intérieur. C’est dans ce domaine que M.-L. Leclerc a principalement travaillé, se consacrant uniquement aux projets de rénovation et de transformation. À partir de 1963 et jusqu’en 1979, elle gère seule l’agence.
Stéphanie MESNAGE
LECLERC, Rachel [NOUVELLE 1955]
Écrivaine et poétesse canadienne d’expression française.
Née en Gaspésie dans une famille nombreuse, Rachel Leclerc quitte son village natal à l’âge de 8 ans suite au décès de sa mère. Après avoir fréquenté de nombreuses écoles du Bas-Saint-Laurent et de la Gaspésie, elle obtient en 1984 une maîtrise d’études littéraires à l’université du Québec à Montréal. Elle y revient en 2007 à titre d’écrivain en résidence. Romancière et critique, elle se consacre d’abord à la poésie comme en témoigne son premier recueil, Fugues (1984), rédigé pendant sa maîtrise. Lui succéderont Les Vies frontalières (1991) et Rabatteurs d’étoiles (1994). Elle publie son premier roman en 1995, Noces de sable. Salué par la critique québécoise et française, il sera suivi par les romans Ruelle océan (2001) et Visions volées (2004). R. Leclerc est portée au lyrisme jusque dans son écriture romanesque qui, à la fois sobre et impétueuse, développe le thème des origines déjà esquissé dans sa poésie. Après l’épreuve de la maladie, elle entreprend la rédaction du recueil de poèmes Demains (2007) durant sa convalescence. Son roman La Patience des fantômes (2012) présente, quant à lui, une saga familiale sur plusieurs générations.
Sandrina JOSEPH
LECOMPTE, Elizabeth [SUMMIT, NEW JERSEY 1944]
Metteuse en scène américaine.
Elizabeth LeCompte se forme à la photographie et au cinéma avant d’aborder le théâtre, en rejoignant, à la fin des années 1970, le Performance Group fondé par Richard Schechner (1967-1980). À sa dissolution, elle fonde avec d’autres artistes de théâtre (dont son mari Willem Dafoe) le Wooster Group, situé à Manhattan. Depuis lors, son nom est indissociable de ce groupe, dont elle est la directrice et la metteur en scène depuis trente ans avec 18 mises en scène en théâtre et opéra (La Didone, d’après Cavalli en 2009). Elle pratique un théâtre expérimental et multimédia qui intègre texte, vidéo (images filmées en live, différées ou empruntées à d’autres œuvres, comme dans La Didone où elle réemploie des extraits du film de Mario Bava La Planète des vampires), installations scéniques et manipulations sonores, le tout associé à un jeu d’acteur très physique. Elle tourne le dos à une approche traditionnelle du théâtre et rejette le primat du texte, qu’elle déconstruit volontiers, même quand elle travaille sur des auteurs du répertoire classique mondial comme Tchekhov, Racine (To You, The Birdie ! , d’après Phèdre en 2002), Gertrude Stein*, O’Neill, Shakespeare (Hamlet, 2007) ou Tennessee Williams (Vieux Carré, 2009). Ses œuvres sont conçues comme des chantiers collectifs, en évolution sur de longues périodes de travail, intégrant par sédimentation « accidents » et explorations de plateau. Les nouvelles technologies intègrent organiquement ses spectacles comme autant d’éléments de la vie quotidienne, redéfinissant les contours d’un nouveau naturalisme en prise directe avec son temps. Ainsi, l’un de ses derniers spectacles se joue simultanément sur scène et sur le web. Elle a aussi réalisé sept films vidéo depuis 1986 et chorégraphié quatre pièces de danse. Elle reçoit de nombreuses récompenses, et son travail est internationalement reconnu.
Marc DUPREZ
LECOUVREUR, Adrienne (née COUVREUR) [DAMERY, ÉPERNAY 1692 - PARIS 1730]
Actrice française.
Fille d’un chapelier, Adrienne Lecouvreur devient blanchisseuse tout en faisant du théâtre en amateur. Après avoir joué en province, elle est engagée à la Comédie-Française en 1717 dans le rôle d’Électre (tragédie de Crébillon). Elle incarne les héroïnes de Racine : Monime, Bérénice. La passion et le naturel qui caractérisent ses interprétations lui valent de fervents admirateurs. Elle devient Jocaste, Athalie, Roxane, Hermione, Phèdre. Maîtresse de Maurice de Saxe, elle vend ses diamants pour l’aider à conquérir le trône de Courlande. Mais il la délaisse pour la duchesse de Bouillon. La mort brutale de la tragédienne fait courir la rumeur que sa rivale l’a empoisonnée. Le curé de Saint-Sulpice lui refuse une sépulture religieuse, ce qui provoque une éloquente protestation de Voltaire. En 1849, Scribe et Legouvé lui consacrent un drame, Adrienne Lecouvreur, qu’interprètent Rachel* puis Sarah Bernhardt*. Ce drame devient ensuite un opéra de Francesco Cilea. En 1907, Sarah* écrit et joue un drame en six actes sur la tragédienne. Le peintre François de Troy l’a immortalisée dans le rôle emblématique de Monime de Mithridate.
Bruno VILLIEN
■ Avec MONVAL G. (éd.), Lettres d’Adrienne Lecouvreur, Paris, Plon, 1892.
■ GERMAIN P., Adrienne Lecouvreur, tragédienne, Paris, F. Lanore, 1983.
LECUONA CASADO, Ernestina [MATANZAS 1882 - LA HAVANE 1951]
Compositrice et pianiste cubaine.
Membre d’une grande famille de musiciens (Ernesto Lecuona est son frère et Leo Brouwer son petit-fils), elle étudie à l’Academia del Centro Asturiano de La Havane, poursuit au Conservatoire municipal (actuellement, le conservatoire Amadeo-Roldan), puis avec Mme Calderon au Conservatoire de Paris. En 1932, elle rencontre la chanteuse Esther Borja, son interprète la plus fidèle, avec laquelle elle tourne dans toute l’Amérique latine, aussi bien au théâtre, à la radio que dans des films. Elle se produit également en tant que pianiste soliste à Cuba et à l’étranger, et donne des concerts à deux pianos avec son frère, auquel elle a dédicacé trois pièces : Danza negra et les boléros Mi vida es soñar et Anhelo besarte. En 1937, elle cofonde l’Orquestra feminina de concierto (l’« Orchestre féminin de concert »). Ses compositions sont surtout de la musique de salon : valses, boléros, chansons, hymnes et danses basés sur la musique latino-américaine.
Odile BOURIN
■ SADIE J. A., SAMUEL R. (dir.), The New Grove Dictionary of Women Composers, Londres, Macmillan, 1994.
LE DANTEC, Denise [MORLAIX 1939]
Écrivaine française.
Après des études de philosophie et de sciences humaines, Denise Le Dantec, qui vit entre l’Île-Grande (Côtes-d’Armor) et Paris, trouve refuge dans l’inspiration liée à son île. Écrivaine de romans et de fictions, Suite pour une enfance (1992), Emily Brontë, le roman d’une vie (1995), Le livre du chagrin (1999), elle écrit aussi de nombreuses monographies poétiques dont Les Fileuses d’étoupe (1985, Prix Poésie-Bretagne), Journal de l’estran Île-Grande (2010), et des poèmes (De l’achillée jaune à la yèble violette : les plantes tinctoriales, et Terres d’Égypte) illustrés par Dom et Jean-Paul Ruiz. Sa poésie fait découvrir des paysages dans lesquels elle savoure la plénitude des choses, mais questionne aussi l’espace et ses transformations ainsi que la temporalité, en des perceptions fragmentaires et multiples, brefs et intenses moments de saisie de la réalité. Son Encyclopédie poétique et raisonnée des herbes (2000) les recense sous divers éclairages : botanique, culinaire, thérapeutique, artistique. Dans Roses, célébrations (2011), livre enrichi par les peintures de Vonnick Caroff, elle compare les roses à des œuvres d’art, « appartenant à l’histoire de la culture et de la société ». Certains de ses livres ont été traduits en anglais, en allemand ou en chinois. Elle a reçu le prix de poésie Wuhan en Chine et celui de la Société des gens de lettres en France, pour l’ensemble de son œuvre. En 1981, elle a réalisé, avec le Groupe de recherches et d’essais cinématographiques (Grec), le court-métrage Sghiribizzo, sur le thème de la séparation, primé au festival de Madère. Peintre, elle a exposé à la galerie Maeght de Barcelone en 2001.
Christine LAMY
■ Métropole, Paris, P. J. Oswald, 1970 ; Le Jour, Paris, Des femmes, 1975 ; Les Joueurs de go, Paris, Stock, 1977 ; avec LE DANTEC J.-P., Le Roman des jardins de France, leur histoire (1987), Paris, Bertillat, 1998 ; ID., Splendeurs des jardins de Paris, Paris, Flammarion, 1991.
LEDEBOER, Judith Geertruid [ALMELO, PAYS-BAS 1901 - HAMBLEDON 1990]
Architecte néerlandaise-britannique.
Inspirée par l’architecte Elisabeth Scott* (1898-1972), Judith Ledeboer a suivi, entre 1926 et 1931, une formation à l’Architectural Association de Londres et débuté sa carrière comme assistante d’E. Scott sur le projet du Shakespeare Memorial Theatre (Stratford-upon-Avon). Dans le cabinet privé pour lequel elle a travaillé de 1934 à 1939, elle a plaidé pour le remplacement des taudis par des logements d’un confort moderne et d’un style souvent moderniste. Sa société, Booth, Ledeboer et Pinckheard, s’est consacrée à des édifices publics et des universités (Institute of Archaeology and Classical Studies, université de Londres 1953-1958). Fuyant les engagements pour les modes architecturales et la réussite personnelle, elle a voué sa remarquable intelligence et ses compétences à des bâtiments d’usage quotidien, en brique solide et discrète, soigneusement situés, s’occupant souvent de l’aménagement du paysage environnant. Pour le Festival of Britain (1951), vitrine de l’architecture et du renouveau culturel de l’après-guerre britannique, elle a conçu une maison de retraite à Londres et a promu dans des articles, des conférences et une demi-douzaine d’autres projets le développement de logements pour personnes âgées, une nouveauté à l’époque. Elle a également participé à la création de villes nouvelles (New Towns) destinées à réduire la grave pénurie de logements de l’époque et a conçu un dispensaire à bas coût, aux détails soignés et au mobilier confortable, Nuffield House (Harlow, Essex 1951). Son intérêt pour le paysage et l’urbanisation l’ont aussi amenée à dessiner un quartier entier, comprenant magasins, immeubles, villas et maisonnettes (Hemel Hempstead, Hertfordshire 1950-1955). Pendant la guerre, elle a été la première femme architecte à travailler au ministère du Logement. D’abord secrétaire auprès de commissions sur le logement et les méthodes de construction, elle a été ensuite nommée membre (1967-1981) du Parker Morris Committee, chargé de fixer les normes de superficie obligatoires pour tous les logements du secteur public britannique.
Lynne WALKER
■ DARLEY G., « Public Sector », in WALKER L. (dir.), Women Architects. Their Work, Londres, Sorella Press, 1984 ; WALKER L., « Ledeboer, Judith (1901-1990) », in MATTHEW C., HARRISON B. (dir.), Oxford Dictionary of National Biography, Oxford, Oxford University Press, 2004.
LEDENDECKER, Petra [1954]
Créatrice d’entreprises allemande.
Fille d’entrepreneur, Petra Ledendecker suit des études de commerce et sera pendant près de dix ans responsable de gestion dans une PME. En 1987, son frère la convainc de fonder avec lui Allegro Möbel, une entreprise de fabrication de mobilier de bureau. Elle crée par la suite une société de négoce et une société de conseil pour les entreprises de taille moyenne. Elle est une des rares femmes en Allemagne à avoir fondé ses propres entreprises sans pour autant renoncer à être mère. Persuadée que les femmes ont les talents nécessaires, P. Ledendecker milite pour que davantage de femmes occupent des postes de direction dans les entreprises. Elle a été présidente de la Fédération allemande des femmes chefs d’entreprise de 2007 à 2011.
Jacqueline PICOT
LEDERER, Emma [BUDAPEST 1897 - ID. 1977]
Historienne hongroise.
Fille d’un avocat, Emma Lederer soutient un doctorat en histoire économique de la Hongrie (1923), puis travaille comme employée. À partir de 1945, elle est directrice adjointe du Centre pour l’éducation populaire de Budapest, tout en enseignant à l’université Péter-Pázmány, rebaptisée université Loránd-Eötvös en 1950. À partir de cette date, elle est professeure titulaire et garde ce statut jusqu’à sa retraite en 1969. En 1952, l’Académie hongroise des sciences lui confère le grade doctoral, le plus élevé, en reconnaissance de ses travaux. E. Lederer s’intéresse d’abord à l’histoire économique, financière et sociale du Moyen Âge et du début de la période moderne, thèmes qu’elle aborde dans la monographie de 1932 A középkori pénzüzletek története Magyarországon, 1000-1458 (« histoire des transactions financières en Hongrie au Moyen Âge »). En 1935, elle publie son ouvrage fondamental Egyetemes művelődéstörténet (« histoire culturelle universelle »), dans lequel elle offre une représentation de l’histoire de l’humanité, prenant en compte l’histoire économique et les principaux courants intellectuels de chaque période ; cette monographie qui date de la période pré-marxiste est rééditée plusieurs fois depuis les années 1990. À partir de 1945, E. Lederer est l’une des mères fondatrices de l’historiographie marxiste hongroise. Elle n’est pas seulement une historienne prolifique mais joue également un rôle important dans la réorganisation de l’enseignement universitaire de l’histoire ainsi que dans la mise en place de la formation des archivistes et de l’enseignement de l’historiographie. Son travail de recherche porte sur l’histoire politique, sur la critique marxiste de l’histoire non marxiste écrite en Hongrie avant 1945 et sur l’historiographie. Publié en 1947, A magyar társadalom kialakulása, A honfoglalástól 1918-ig (« le développement de la société hongroise, de l’installation des Magyars en Hongrie à 1918 ») met l’accent sur les évolutions des courants politiques et religieux. Plus tardif (1968), A történelem tudományossága, Egyes történelmi irányzatok bírálata (« le caractère scientifique de l’histoire, critique de certains courants historiques ») est une critique des différents courants historiographiques et une apologie du « caractère scientifique de l’histoire ». L’historienne publie également en français La Structure de la société hongroise du début du Moyen Âge (1960).
Erika VARSANYI
■ VARSÁNYI E., « Léderer Emma », in BALOGH M., PALASIK M. (dir.), Nők a magyar tudományban, Budapest, Napvilág Kiadó, 2010.
LE DOUARIN, Nicole [LORIENT 1930]
Chercheuse en embryologie française.
Nicole Le Douarin est reconnue pour ses recherches en embryologie et pour la création d’embryons chimériques. Entre 1948 et 1954, elle obtient une licence, puis l’agrégation en sciences naturelles. Elle enseigne dans le secondaire tout en poursuivant dans le même temps des recherches qui lui permettent d’obtenir, en 1964, un doctorat d’État en sciences naturelles. Entrée au CNRS (1962-1965), elle devient directrice de recherche de 1976 à 1988, puis est nommée directrice de l’Institut d’embryologie du CNRS et du Collège de France. À partir de 1966, elle est affectée à la faculté de Nantes en dépit du doyen, qui désapprouve le fait que des époux travaillent dans le même bâtiment. Il faudra l’intervention de son directeur de recherche, Étienne Wolff, pour qu’elle soit acceptée. Elle a peu de place pour sa recherche, de petits budgets, et elle est surchargée d’enseignement. Elle met au point une technique originale de culture de cellules en créant des embryons chimériques caille-poulet, et peut ainsi visualiser la différenciation et la migration des cellules embryonnaires. Ses travaux permettent de comprendre la mise en place de la crête neuronale et son rôle dans la formation de la face, du crâne et du cerveau. Sa contribution est également importante dans le développement du système immunitaire. Elle devient membre de l’Académie des sciences en 1982, dont elle devient secrétaire perpétuelle en 2001. De 1988 à 2001, elle est professeure au Collège de France. Outre le prix de l’Académie des sciences en 1965, elle a reçu de nombreuses récompenses dont la médaille d’or du CNRS pour ses travaux en biologie du développement. Membre de l’Académie des sciences d’un grand nombre de pays étrangers, elle est également docteur honoris causa de nombreuses universités.
Yvette SULTAN
■ Des chimères, des clones et des gènes, Paris, O. Jacob, 2000 ; Dans le secret des êtres vivants. Itinéraire d’une biologiste, Paris, R. Laffont, 2012.
LE DŒUFF, Michèle [BRETAGNE 1948]
Philosophe française.
Après des études secondaires à Quimper, Michèle Le Dœuff intègre l’École normale supérieure de Fontenay-Saint-Cloud à Paris. Elle écrira plus tard que l’enseignement dispensé dans l’institution scolaire était marqué d’un interdit quant à l’accès des femmes au savoir, en particulier dans la discipline de la philosophie qu’elle voulait sienne. C’est à la manifestation du 20 novembre 1971 pour le droit à l’avortement qu’elle situe le début de sa prise de conscience politique en tant que féministe militante. Comme plusieurs femmes de sa génération, elle restera saisie par l’œuvre et la personnalité de Simone de Beauvoir*. Directrice de recherche au CNRS, M. Le Dœuff a étudié et traduit des auteurs majeurs de la philosophie anglaise tels que Thomas More, Francis Bacon, David Hume. Elle a travaillé sur l’imaginaire et l’utopie, produisant une lecture critique du rationalisme. Le rejet des femmes dans la tradition philosophique, devenu conscient après les événements de Mai 68, motive l’écriture des deux ouvrages majeurs que sont Le Sexe du savoir (1998) et L’Étude et le Rouet (1989). M. Le Dœuff s’est attachée à cerner dans la tradition la présence d’un « masculinisme », qu’elle définit non seulement comme « l’affirmation d’une domination du masculin sur le féminin » mais aussi comme « le fait de prendre cette première “supériorité” comme référence pour affirmer d’autres suprématies, qui apparemment n’ont rien à voir avec la dualité des sexes ». La philosophie et la pensée scientifique ont souvent réservé le savoir aux hommes et relégué les femmes, jugées inférieures et inaptes à une pensée rationnelle, dans une spécificité opposée à l’universel masculin. À contre-pied de ce lieu commun, elle analyse dans les textes la figure de « la femme » et l’imaginaire qui lui est attaché. Ses recherches sur ce qu’elle appelle « l’imaginaire philosophique » exposent ainsi que des représentations partiales et insultantes envers les femmes, bien qu’étant sans fondement rationnel, sont communément acceptées, en l’absence de tout discours critique. La rigueur théorique du discours rationnel dévie vers une argumentation idéologique et sexiste. L’œuvre de M. Le Dœuff développe de cette manière une lecture politique de la philosophie et de ses relations avec le pouvoir, le discours philosophique pouvant se manifester comme l’instrument ou l’expression d’une domination sociale.
Carole DELY
■ Recherches sur l’imaginaire philosophique, Paris, Payot, 1980 ; L’Étude et le Rouet, Paris, Seuil, 1989 ; Le Sexe du savoir (1998), Paris, Flammarion, 2000.
■ DEUTSCHER M. (dir.), Michèle Le Dœuff : Operative Philosophy and Imaginary Practice, New York, Humanity Books, 2000.
LEDOUX, Jeanne-Philiberte [PARIS 1767 - ID. 1840]
Peintre française.
Cette brillante élève de Jean-Baptiste Greuze possède, au début de sa carrière, un style et des sujets si fidèles à ceux de son maître qu’il est encore difficile de nos jours de ne pas se méprendre entre les deux artistes. En outre, il est presque impossible de rapprocher les œuvres qui sont aujourd’hui attribuées à Jeanne-Philiberte Ledoux de celles répertoriées dans les livrets d’expositions, parce qu’elle n’avait pas pour habitude de signer ou de dater sa production. Après quelques tentatives d’allégories charmantes dans le goût du XVIIIe siècle, elle semble se spécialiser dans les études de têtes de femmes et d’enfants. Elle délaisse également très vite les scènes de genre moralisantes et édifiantes, qui font la gloire de J.-B. Greuze, pour se limiter aux portraits de petit format, huiles, pastels et miniatures, domaines dans lesquels le talent des femmes est reconnu et accepté. Probablement fille d’un peintre membre de l’académie de Saint-Luc, regroupement de peintres non académiciens, elle expose pour la première fois au Salon de 1793 avec des scènes dont la portée semble allégorique comme Une jeune fille repoussant l’Amour. Elle est régulièrement présente à tous les Salons jusqu’en 1819, où elle expose Une petite fille tenant une colombe et un Jeune enfant près d’une pomme et d’une poignée de verges. Après le Salon de Douai de 1823, elle n’apparaît plus dans les registres d’expositions ; elle meurt dans la pauvreté en 1840. Ses tableaux sont empreints d’une certaine sentimentalité : la douceur des traits et la profondeur des regards expriment souvent la mélancolie, notamment dans des scènes très en vogue à l’époque, comme la découverte d’un animal mort par des enfants. Si elle hérite de la délicatesse et du formalisme de J.-B. Greuze, elle s’émancipe cependant de tout penchant mièvre grâce à une touche énergique et à des tons clairs, qui tiennent parfois de l’ébauche et annoncent le portrait impressionniste. Sa liberté d’exécution donne plus de vérité et de profondeur à l’expression de ses personnages et les rend plus accessibles (Jeune fille aux yeux levés vers le ciel). Sa peinture se destine manifestement à un public bourgeois qui n’avait pas les moyens de commander de grands portraits officiels, comme le montre la grande simplicité de son Portrait d’homme. Son portrait de Danton est le seul essai connu représentant une personne célèbre.
Xavier REY
■ HARRIS A. S., NOCHLIN L. (dir.), Femmes peintres, 1550-1950 (Women Artists : 1550-1950, 1976) (catalogue d’exposition), Paris, Des femmes-Antoinette Fouque, 1981 ; OPPENHEIMER M. A., Women Artists in Paris 1791-1814, New York, New York University, Graduate School of Arts and Science, 1996.
LEDUC, Claudine [LA GRAND-COMBE, GARD 1936]
Historienne française.
Claudine Leduc fait figure de précurseur dans le paysage historiographique français des études grecques. Ses travaux, présentés par la revue Pallas qui lui a consacré un numéro spécial, ont d’abord porté sur le politique. Sa thèse, soutenue sous la direction de Pierre Lévêque en 1972 et publiée en 1976 (La Constitution d’Athènes attribuée à Xénophon), est une analyse complète d’un document majeur de la fin du Ve siècle, qui est une sorte de manifeste antidémocratique, riche en enseignements sur la pensée politique et la société athéniennes de cette époque. Dans le domaine de la parenté, imprégnée de l’œuvre de Claude Lévi-Strauss, C. Leduc est une des premières à avoir importé dans les études historiques les acquis conceptuels et méthodologiques des anthropologues structuralistes. Dans celui de la religion, sa recherche – en particulier le long compagnonnage qu’elle a entretenu avec la déesse Athéna dont elle a renouvelé complètement l’approche – porte la marque de sa proximité avec ce qu’il est convenu d’appeler, en histoire ancienne, « l’école de Paris », fondée par Jean-Pierre Vernant et Pierre Vidal-Naquet à la fin des années 1960. Dans tous ses travaux, C. Leduc, en disciple de son amie Nicole Loraux*, a cherché, en outre, à mettre en lumière la place des femmes. Cet intérêt, qui s’est traduit notamment par une contribution essentielle à l’Histoire des femmes en Occident en 1991, s’est aussi manifesté dans l’activité qu’elle a déployée dans l’animation de la revue Clio, histoire, femmes et sociétés depuis sa fondation en 1995. Elle a été une pionnière de l’interdisciplinarité au sein du Grief (Groupe de recherches interdisciplinaire d’étude des femmes), de 1979 à 1991, qu’elle a animé à l’université de Toulouse-Le Mirail (où elle fit toute sa carrière d’enseignante) et qu’elle a elle-même désigné comme le lieu où, avec ses collègues, elle a eu « le bonheur de trouver solidarité et épanouissement personnel, liberté et affirmation de soi ».
Jean-Baptiste BONNARD
■ BODIOU L. (dir.), « La femme, la parenté et le politique, parcours sensible d’une historienne, hommage à Claudine Leduc », in Pallas, no 85, 2011.
LEDUC, Violette [ARRAS 1907 - FAUCON 1972]
Écrivaine française.
Abandonnée par son père, Violette Leduc est élevée par sa mère dans la détestation des hommes. À 14 ans, elle vit le remariage de celle-ci comme une trahison. Toute sa vie, elle sera tiraillée entre le besoin de se vouer à autrui et la hantise de l’aliénation. Ses amours féminines (Denise Hertgès, dite Hermine, Simone de Beauvoir*) ou masculines (Maurice Sachs, Jean Genet, Jacques Guérin, tous homosexuels) « brûle[nt] dans le brasier de l’impossible ». Quand, déçue par sa mère, elle rêve son père inconnu, elle se prend de passion pour les livres. D’abord rédactrice dans une maison d’édition, elle publie nouvelles et reportages dans des journaux féminins avant d’écrire son Asphyxie (1946). La suite de son œuvre, à l’exception du Taxi (1971) et de deux nouvelles, sera à la première personne. Écorchée, c’est avec acuité qu’elle évoque émois et déchirures, sensualités et deuils intimes, amours de pensionnat et misères du quotidien : « Mon mal, tout ce que j’ai » (La Chasse à l’amour, 1973). Son univers n’excède guère le cercle géographique et affectif du familier. Nul engagement chez elle que celui du corps à corps, du verbe à verbe, de Ravages (1955) en Trésors à prendre (1960). Reconnue par ses contemporains, elle ne rencontre le succès public qu’avec La Bâtarde (1964), que préface S. de Beauvoir. Elle continue à vivre dans la hantise d’être oubliée. Elle qui a « savonné, lessivé, rincé à grande eau [s]es adjectifs et [s]es comparaisons » (La Chasse à l’amour), ne supporte pas de voir le début de Ravages censuré par son éditeur (les amours de Thérèse et Isabelle paraîtront d’abord en édition de luxe), ou certains de ses livres perdus « sans avoir connu l’amour ». « Désert qui monologue » (préface de La Bâtarde), V. Leduc exauce révoltes, angoisses, passions, dans la prose lyrique et sans mièvrerie qu’elle fait flamboyer.
Catherine BRUN
■ L’Affamée, Paris, Gallimard, 1948 ; La Vieille Fille et la mort (1958), Paris, Gallimard, 1994 ; La Femme au petit renard, Paris, Gallimard, 1965 ; La Folie en tête, Paris, Gallimard, 1970 ; Le Taxi, Paris, Gallimard, 1971.
■ CECCATTY R. de, Violette Leduc, éloge de “La Bâtarde”, Paris, Stock, 1994 ; GIRARD P., Œdipe masqué, Paris, Des femmes-Antoinette Fouque, 1986 ; HECQUET M., RENARD P. (dir.), Violette Leduc, Lille, Éditions du Conseil scientifique de l’université Lille 3, 1998.
LEE, Jennie (Janet LEE, dite) [LOCHGELLY 1904 - ÉCOSSE 1988]
Femme politique écossaise.
Née dans une famille modeste – son père est mineur – et socialiste, Jennie Lee réussit à trouver auprès d’une fondation les moyens d’aller à l’université. Très tôt militante, elle s’engage au Labour Party, dont elle représente l’aile gauche, et est élue en 1929 au Parlement. Nommée ministre des Arts, elle prend une part majeure à la création en 1969 de ce que Harold Wilson appellera plus tard « la plus grande réalisation de son gouvernement travailliste » : l’Open University. Cette université est la première à distance, ouverte aux étudiants du monde entier, quels que soient leurs diplômes. Dotée d’un campus de 48 hectares, elle est l’une des plus grandes universités du monde, et plus de trois millions d’étudiants y ont suivi des cours. J. Lee prend sa retraite de la Chambre des communes en 1970 et devient baronne Lee of Asheridge.
Fabienne PRÉVOT
LEE, Peggy (Norma Dolores EGSTROM, dite) [JAMESTOWN 1920 - BEL AIR 2002]
Chanteuse et auteure-compositrice américaine.
Pour le grand public, Peggy Lee restera à jamais l’interprète de Fever, qu’elle crée en 1957. La jeune artiste ajoute ses paroles à la musique de Little Willie John et en fera l’un des titres les plus repris de l’histoire du rock. Car, lancée d’abord dans le jazz, elle aura eu un parcours atypique. Elle se fait connaître au sein de la formation de Benny Goodman, en 1941. Elle s’éprend du guitariste David Barbour ; ils doivent alors quitter la formation, le chef d’orchestre ne supportant pas les histoires de cœur entre ses musiciens. Sa carrière décolle alors véritablement grâce à plusieurs succès, comme Mañana (1948), It’s a Good Day (1951), Mr. Wonderful (1956). Le cinéma fait appel à son talent : en 1954, elle compose et chante la musique du grand western de Nicholas Ray, Johnny Guitare. P. Lee n’hésite pas à reconnaître les vertus du rock and roll qu’elle a annoncé par son mélange de pop et de jazz avant la lettre. Elle reprendra des chansons des Beatles et de Randy Newman et chantera jusqu’à la fin de sa vie.
Stéphane KOECHLIN
■ Black Coffee, Decca, 1956 ; Miss Wonderful, Decca, 1956 ; Dream Street, Decca, 1957 ; The Man I Love, Capitol, 1957 ; Sea Shells, Decca, 1958 ; Things Are Swingin’, Capitol, 1959.
LEE, Rita (Rita LEE JONES CARVALHO, dite) [SÃO PAULO 1947]
Chanteuse et musicienne brésilienne.
De mère italienne et de père américain, Rita Lee a étudié le piano classique avant de jouer de la batterie et de la basse. Au milieu des années 1960, elle rencontre les frères Arnaldo et Sérgio Dias Baptista, avec lesquels elle forme Os Mutantes, versant rock du mouvement Tropicália. Les membres du groupe arborent des tenues extravagantes. En 1968, aux côtés de Gilberto Gil, Caetano Veloso, Tom Zé et Rogério Duprat, Os Mutantes participe à l’enregistrement de l’historique Tropicália ou panis et circencis. Le groupe mélange différents styles musicaux à l’intérieur d’un même morceau. Les textes sont souvent insolites, voir surréalistes. En 1970, Rita Lee sort son premier disque solo, Build Up. Après une période de réclusion suite à la séparation du groupe, elle enregistre des succès avec le groupe Tutti-Fritti, comme Ovelha negra. En 1976, elle enregistre avec Elis Regina* Doce de pimenta, puis avec Gilberto Gil, Refestança. Ses textes continuent d’être ironiques et irrévérencieux, mais celle que la presse qualifie de « Première Dame du rock brésilien » finit par alléger son rock pour y intégrer de plus en plus de rythmes brésiliens. En 1978, Babilônia est un énorme succès commercial et ses albums suivants sont disques d’or et de platine. À la fin des années 1970, elle rencontre le guitariste Roberto de Carvalho qui devient son mari et son partenaire. Avec lui, elle réalise des compositions qui allient espièglerie, sensualité et sarcasme, et privilégient des mélodies entraînantes et pop qui mêlent rythmes brésiliens, boléros et rock. En 1995, elle fait le concert d’ouverture des Rolling Stones au Brésil. En 2000, elle revient au bon vieux rock’n’roll avec 3001, produit par R. de Carvalho et en 2001, elle est récompensée par un Grammy Latino dans la catégorie Meilleur disque de rock. En 2002, elle joue en tournée son disque Aqui, ali, em qualquer lugar, une relecture des chansons des Beatles. En 2003, son album Balacobaco est un succès commercial.
Sandrine TEIXIDO
■ Avec OS MUTANTES, Jardim Elétrico, Universal Music, 1971 ; Lança Perfume, Barclay, 1980 ; Bossa’n’roll, Som Livre, 1991 ; Balacobaco, Biscoito Fino, 2003.
LEE, Sophia [LONDRES 1750 - CLIFTON 1824]
Romancière et dramaturge britannique.
Fille de l’acteur et directeur de théâtre John Lee, homme à la carrière chaotique et dont l’humeur difficile lui vaut à l’occasion la prison, et d’une mère également actrice, Sophia Lee reçoit une solide éducation qui lui permet, après la mort de son père en 1781, d’ouvrir en compagnie de ses sœurs une école très prisée, à Bath, où elles mènent une vie sociale active. Dès 1770, elle écrit sa première pièce, The Chapter of Accidents, inspirée du Père de famille, de Diderot ; d’abord conçue comme un opéra en trois actes maladroit, elle le réécrit comme une comédie en cinq actes, aussitôt bien accueillie du public, malgré la remise en cause osée de la rigueur morale imposée aux femmes qu’elle y effectue. Annonçant le genre du roman historique, ses œuvres postérieures, romans et pièces, mêlent dans une atmosphère typiquement gothique intrigues politiques et personnelles, trahisons et désirs, terreurs et sentimentalisme. Son œuvre majeure, The Recess (Le Souterrain, traduction abrégée en français en 1786 par Bernard de la Mare), roman épistolaire écrit en 1783, est sans doute un des meilleurs exemples de la littérature gothique émergente, et c’est à ce livre que S. Lee doit aujourd’hui encore sa renommée. Il préfigure les romans d’Ann Radcliffe*, de Jane Austen* ou de Walter Scott, qui lui rendront d’ailleurs hommage.
Geneviève CHEVALLIER
■ Le Souterrain, ou Mathilde (The Recess, or A Tales of Other Times 1783-1785), Paris, T. Barrois, 1786.
LEE, Vernon (Violet PAGET, dite) [BOULOGNE-SUR-MER 1856 - FLORENCE 1935]
Écrivaine, historienne de l’art et essayiste britannique.
Née en France de parents britanniques expatriés, élevée dans un environnement familial qu’elle-même décrit comme émotionnellement instable, Violet Paget passe son enfance à voyager à travers l’Europe avec sa mère et un père très effacé, enfant prodige éduquée par de multiples gouvernantes et mères de substitution à Paris ou à Rome, avant de s’établir définitivement en Italie, dont elle étudie l’art et la musique, sujets sur lesquels elle publiera, sous le pseudonyme de Vernon Lee, des essais qui ont fait autorité. Elle écrit également divers essais sur ses voyages en Europe, dans lesquels il s’agit pour elle davantage de rendre compte d’une expérience que de donner des indications factuelles. Ses nouvelles relèvent du fantastique et du surnaturel, explorant en particulier le thème de la possession. Participant aux côtés de Walter Pater et d’Oscar Wilde au mouvement esthétique qui défendait la priorité des valeurs esthétiques sur les valeurs morales, elle s’en démarque cependant en prônant l’action. À l’indéterminisme de la frontière entre l’art et la vie se superpose celui de la différence entre les sexes – tout comme le choix d’un pseudonyme masculin est révélateur de sa volonté de rendre cette frontière flottante.
Geneviève CHEVALLIER
■ Alice Oke (A Phantom lover : a Fantastic Story, 1886), Toulouse, Ombres, 1991 ; Les Mensonges vitaux, études sur quelques variétés de l’obscurantisme contemporain (Vital Lies : Studies of Some Varieties of Recent Obscurantism, 1912), Paris, F. Alcan, 1921 ; avec NOUFFLARD B., Études et réflexions sur l’art, Paris, Corrêa, 1938 ; Les Épées de l’effroi, histoires surnaturelles (Supernatural Tales, 1955), Paris, L’Inter, 1970.
■ COLBY V., Vernon Lee : a Literary Biography, Charlottesville, University of Virginia Press, 2003.
LEE BUL [YEONGWOL 1964]
Plasticienne coréenne.
Issue d’une famille de dissidents de gauche dans la Corée du général Park Chung-hee, cette artiste engagée politiquement n’hésite pas à afficher librement sa nudité dans une société confucéenne rigide. De même, lors de ses premières performances dans la rue au début des années 1990, Lee Bul se promène avec des costumes aux formes tentaculaires, s’opposant à une conception idéaliste de la beauté et faisant du corps féminin un des moyens d’expression pour sonder les questions liées au genre. Pour sa première série, les Cyborg (1997-1999) – femmes aux formes parfaites et sinueuses, projections des désirs masculins –, elle puise dans l’univers japonais des mangas : les bustes de ses nanas cyberpunks, en silicone et pigments colorés, sont posés sur des socles, comme les torses de la statuaire ancienne. Lors de la 48e Biennale de Venise en 1999, elle expose quatre de ces créatures et une installation avec des poissons surgelés (Majestic Splendor), ainsi que Noraebang Capsule, un karaoké mis à la disposition du public, reflétant ainsi les récents changements de goûts de la société coréenne dans le domaine du divertissement et de la culture de loisirs de masse. Sa deuxième série, celle des Monsters (1998-2011), est une accumulation de formes hybrides entre monde animal et végétal, un bestiaire posthumain et transgender. Au fil du temps, ses sculptures deviennent de plus en plus élaborées et les excrétions se font grandes et complexes : Siren et Crysalis (2000) sont des extraterrestres blanchis, suspendus au plafond, qui oscillent entre pesanteur et légèreté. Les années 2000 voient la plasticienne s’engager sur un autre terrain de recherche : par des architectures se référant au vécu coréen, elle amène une réflexion sur les ruines physiques et morales laissées par l’histoire. À la fondation Cartier de Paris en 2007, elle montre, entre autres, la pièce Heaven and Earth (2006) : un bassin rempli d’encre noire faisant écho au lac sacré en Corée du Nord, site désormais inaccessible à tous les croyants du Sud. Cette pièce représente un geste de condamnation contre toutes les idéologies liées au pouvoir. Ses récentes sculptures en perles de cristal et verre, fruit d’un artisanat minutieux, font allusion aux architectures légères de Bruno Taut et à la composante utopique de son travail. En 2012, le Mori Art Museum lui a consacré une importante exposition monographique.
Lucia PESAPANE
■ Monsters (catalogue d’exposition), Dijon/Lyon, Les Presses du réel/Artha, 2002 ; avec OBRIST H.-U., Interviews, Milan/Florence, Charta/Fondazione Pitti Immagine Discovery, 2003 ; On Every New Shadow (catalogue d’exposition), Paris, Fondation Cartier, 2007.
LEE HYE-KYUNG VOIR YI HYEGYÔNG
LEE JIN-MYEONG VOIR YI CHINMYÔNG
LEFÉBURE, Yvonne [ERMONT 1898 - PARIS 1986]
Pianiste française.
Au même titre que Nadia Boulanger* et Yvonne Loriod*, Yvonne Lefébure a été une immense pédagogue. Elle a transmis à plusieurs générations de musiciens venant du monde entier grâce à ses leçons, ses cours d’interprétation, ses récitals et ses enregistrements, une tradition du grand piano français héritée d’Alfred Cortot. À 9 ans, elle entre au Conservatoire de Paris, où elle est l’élève d’A. Cortot, de Maurice Emmanuel et de Charles-Marie Widor ; elle remporte dès l’âge de 14 ans un premier prix de piano dans la classe d’A. Cortot. Elle donne son premier récital à 13 ans et son premier concert avec orchestre l’année suivante, dans le Concerto en sol mineur de Camille Saint-Saëns. Elle commence alors à se produire en récital ou avec orchestre dans toute l’Europe et en Afrique du Nord. Liée aux grands musiciens de son temps, Fauré, Ravel, Dukas, elle devient leur interprète favorite. Elle se produit sous la direction de chefs tels que Wilhelm Furtwängler, Adrian Boult et Igor Markevitch, ou en compagnie de solistes comme Pablo Casals. Le peintre Raoul Dufy, le philosophe Alain sont les familiers de cet esprit curieux de tout que sa passion de l’enseignement conduira de l’École normale de musique au Conservatoire de Paris où Dinu Lipatti, Samson François, Setrak, Michaël Levinas et Catherine Collard* sont parmi ses élèves. Tout au long de sa vie, elle rendra hommage à A. Cortot, même si, en 1940, leur choix face à l’Occupation les sépare ; elle fuit Paris occupé, arrête tout concert public, rejoint d’autres artistes à Dieulefit dans la Drôme puis à Perpignan. C’est pendant ces années de guerre qu’Y. Lefébure joue fréquemment avec P. Casals. Ce dernier lui révèle Jean-Sébastien Bach, la rigueur et l’émotion, la valeur du travail quotidien avec une remise en question permanente. Après la guerre, elle reprend son enseignement à l’École normale de musique et obtient enfin sa nomination comme professeure au Conservatoire de Paris en 1952, poste qu’elle occupera jusqu’à sa retraite en 1967. Mais elle continue d’enseigner au Conservatoire européen. L’enseignement a été l’une des plus grandes réussites de sa carrière, et elle a élaboré sa propre version des cours d’interprétation, art qu’elle a perfectionné seule. Y. Lefébure a légué ses biens à une fondation afin de pourvoir les lauréats de son concours pour piano de bourses.
Bruno SERROU
LEFEBVRE, Babette [STRASBOURG 1954]
Chef cuisinière française.
Dans son restaurant à Strasbourg, La Cambuse, Élisabeth Lefebvre, surnommée Babette, obtient une étoile au Michelin en 2011, ce dont elle est la première étonnée, alors qu’elle estime faire la même cuisine au cœur de la Petite France depuis vingt-cinq ans sans avoir changé de style. Après avoir été longtemps l’assistante de sa mère à La Rivière des Parfums, elle ouvre La Cambuse, avec son mari en salle. Première, à l’époque, à proposer exclusivement le poisson en mets universel, elle joue, en pionnière, ce qu’on nommera plus tard la cuisine fusion, en mélangeant les cuisines de différents pays. Son accent alsacien charme immédiatement les clients, et la voir, en fin de repas dans la salle, venir parler avec sa toque vissée en haut du crâne ravit les convives. B. Lefebvre aime marier tous les produits du monde, prétextant à juste titre que Strasbourg est avant tout une ville européenne, qui suscite des rencontres internationales. Enfin, militante, trouvant que le milieu de la gastronomie est encore trop masculin, elle a créé une association ayant pour objectif d’aider les cuisinières débutantes à passer des concours et à trouver un stage ou une place dans les restaurants.
Véronique ANDRÉ
LEFEBVRE, Claire [XXe siècle]
Linguiste canadienne.
Titulaire d’un PhD de l’université de Berkeley, Claire Lefebvre est professeure à l’université du Québec à Montréal (Uqàm). Spécialiste des relations de contact interlangues, elle est connue pour ses travaux de créolistique. Ses recherches récentes l’ont orientée vers la mise en lumière des processus cognitifs impliqués dans la formation de langues nouvelles, les créoles étant de ce point de vue un précieux poste d’observation. Elle a reçu le prix André-Laurendeau.
Thomas VERJANS
■ Creole Genesis and the Acquisition of Grammar : The Case of Haitian Creole, Cambridge, Cambridge University Press, 1998 ; Issues in the Study of Pidgin and Creole Languages, Amsterdam/Philadelphie, John Benjamins, 2004 ; avec COHEN H., Handbook of Categorisation in Cognitive Science, Amsterdam/Boston, Elsevier, 2005.
LEFÈVRE, Brigitte [MOULINS 1944]
Danseuse, chorégraphe et directrice de compagnie française.
Issue de l’école de danse de l’Opéra de Paris, Brigitte Lefèvre intègre la troupe à 16 ans. Soliste remarquée, elle se distingue principalement dans l’Élue du Sacre du printemps de Maurice Béjart. Aspirant à échapper aux contraintes du répertoire et à développer librement ses curiosités, elle se passionne pour le travail de chorégraphes comme Merce Cunningham ou Alwin Nikolaïs dont elle suit les enseignements. Elle participe à la mise en place du « Groupe des 7 », composé de danseurs mus par les mêmes questionnements, et devient chorégraphe, habitée par le désir de trouver dans la danse une expression actuelle, en particulier avec l’appui de partitions contemporaines (Microcosmos, créé dans la Cour d’honneur du Palais des Papes à Avignon en 1971 ; Un certain temps, 1974 ; Ceci est cela, 1975 ; Intervalle, 1976 ; Pawa, 1978). Parallèlement, en 1972, elle quitte l’Opéra avec Jacques Garnier pour fonder avec succès le Théâtre du Silence. Par la suite, c’est au sein des instances dirigeantes de la danse qu’elle exerce une influence essentielle, surtout en ce qui concerne la décentralisation, d’abord comme déléguée à la danse quand le ministère de la Culture crée ce poste en 1987, puis comme inspectrice de la danse. En 1992, elle intègre la direction de l’Opéra, d’abord administratrice, puis directrice adjointe et enfin directrice de la danse en 1995, jusqu’en 2014. Énergique, ouverte à toutes les tendances esthétiques, elle marque fortement, durant plus de quinze ans, la troupe de son empreinte.
Sylvie JACQ-MIOCHE
LEFÈVRE, Kim [HANOI 1935]
Écrivaine française.
Fille d’une mère vietnamienne et d’un père français, Kim Lefèvre met au centre de son œuvre ce métissage difficilement vécu pendant sa jeunesse au Vietnam. Elle choisit l’autobiographie pour son premier récit, Métisse blanche (1989), où elle relate le drame de la jeune Kim rejetée par la société vietnamienne qui méprise les métis. Avec Retour à la saison des pluies (1995), elle essaie de cicatriser sa blessure en revenant au pays natal.
Cette douloureuse dualité individuelle et culturelle, devenue hantise poétique, est aussi au cœur des romans, Moi, Marina la Malinche (1994) et Les Eaux mortes du Mékong (2006). Marina, indienne, est une figure légendaire de l’histoire coloniale mexicaine et un symbole de la traîtrise ; compagne de Cortès et son alliée dans la conquête du Mexique, elle donne un fils au conquistador espagnol, créant ainsi la première génération de métis mexicains. Quant à la protagoniste des Eaux mortes du Mékong, elle vit l’humiliation d’un amour interdit par la société avec un tout frais Saint-Cyrien. Parallèlement, l’auteure traduit les romanciers vietnamiens contemporains Duong Thu Huong* et Nguyên Huy Thiêp.
Simona CRIPPA
■ Retour à la maison des pluies, Paris, Éditions de l’Aube, 1995 ; Les Eaux mortes du Mékong, Paris, Flammarion, 2006.
LEFÈVRE, Marguerite [1894- 1967]
Géographe belge.
Professeure ordinaire à l’Université catholique de Louvain (1960-1964), directrice de l’Institut de géographie Paul-Michotte (à partir de 1940), présidente de la Société belge d’études géographiques (à partir de 1962), Marguerite Alice Lefèvre déploie une activité inlassable d’enseignante et de chercheuse. Elle a acquis une stature nationale et internationale durant les années 1930-1960. Auditrice libre de l’un des promoteurs de la géographie en Belgique, le chanoine Paul Michotte, elle est vite remarquée. Après un doctorat à la Sorbonne en 1926, elle devient son assistante ; puis, quand il tombe malade, elle est conduite à le suppléer en 1938 et, à sa mort, à diriger l’Institut de géographie de Louvain. De même, elle le seconde lorsqu’il est élu secrétaire général de l’Union géographique internationale (UGI) en 1938, et elle assure de fait la fonction à partir de 1940. Elle est officiellement reconnue à ce poste en 1946 et elle est élue première vice-présidente de l’UGI au congrès de Lisbonne (1949-1952). Elle poursuit le point de vue scientifique de P. Michotte en défendant une problématique de géographie régionale, qui vise à découper l’espace en entités de physionomie homogène. Cependant, loin d’être une disciple effacée, c’est une battante, qui défend avec fermeté ses positions. D’abord spécialiste du peuplement rural, auquel elle consacre sa thèse, elle anime ainsi les travaux de la Commission de l’habitat rural de l’UGI créée par Albert Demangeon, où elle s’oppose aux positions d’une école française plus intéressée aux relations hommes-milieu ; morphologue, elle participe aussi à la Commission pour l’étude des niveaux d’érosion et des surfaces d’aplanissement de part et d’autre de l’Atlantique ; férue de cartographie, elle contribue activement à l’Atlas national de Belgique.
Marie-Claire ROBIC
■ L’Habitat rural en Belgique, étude de géographie humaine, Liège, Vaillant-Carmanne, 1926.
■ DENIS P., « Marguerite Alice Lefèvre 1894-1967 », in Geographers, Biobibliographical Studies, vol. 10, 1980.
LEFFLER, Anne Charlotte (duchesse DE CAJANELLO) [STOCKHOLM 1849 - NAPLES 1892]
Écrivaine suédoise.
Née dans une famille aisée et cultivée, Anne Charlotte Leffler bénéficie d’un large accès à la culture et apprend plusieurs langues. À 23 ans, elle fait un mariage de raison, puis multiplie les voyages à l’étranger pour échapper aux contraintes sociales. À Londres, elle rencontre Eleanor Marx* et Annie Besant*, en Allemagne, le socialiste Georg von Vollmar. Son amitié avec Sofia Kovalevskaïa*, mathématicienne et auteure russe, joue un rôle important dans sa vie. Après avoir divorcé pour épouser le mathématicien italien Pasquale Del Pezzo, duc de Cajanello, dont elle est amoureuse, elle rompt définitivement avec l’étroit milieu suédois et milite pour que les femmes acquièrent plus de liberté et de meilleures conditions en matière de création et d’action sociale. Son évolution littéraire reflète le processus qui fait passer la littérature suédoise de l’époque du « réalisme idéaliste » d’inspiration goethéenne et de l’esthétique dramatique allemande à une vision plus âpre et plus réaliste. Elle fait d’ailleurs partie des chefs de file du mouvement littéraire connu dans le Nord sous l’appellation de « percée moderne ». Le critique danois Georg Brandes, qui plaide pour une littérature ancrée dans le réel et centrée sur des problèmes d’actualité, joue un rôle déterminant dans cette évolution, tout comme l’auteur de théâtre norvégien Henrik Ibsen, dont les pièces, en particulier Maison de poupée (1879), mettent en lumière la situation de la femme mariée. Dans ses deux meilleures pièces, Skådespelerskan (« l’actrice », 1873) et Sanna kvinnor (« des femmes vraies », 1883), Anne Charlotte Leffler décrit d’une manière nuancée et saisissante le conflit entre les idéaux anciens et modernes. Elles suscitent un grand intérêt et sont favorablement accueillies par le public et la critique. C’est cependant à sa prose narrative que l’écrivaine doit sa renommée littéraire. Dans une série de nouvelles et de romans publiés sous le titre Ur lifuet I-V (« de la vie », 1882-1890), ses descriptions de situations et de choix existentiels propres à son époque manifestent un don d’observation.
Monica LAURITZEN
LE FORT, Ariane [MONS 1960]
Écrivaine et scénariste suisso-belge d’expression française.
De père suisse et de mère belge, Ariane Le Fort a la double nationalité. Elle tente de concilier des activités de bibliothécaire, de libraire et de journaliste avec l’écriture littéraire. Un premier roman, L’Eau froide efface les rêves (1989), publié à Paris, analyse la succession des émotions, de la tendresse à l’amour, jusqu’à la rupture. Dans les romans suivants, elle questionne la difficulté d’être pleinement soi (Comment font les autres ?, 1994) et de surmonter l’angoisse en assumant sa passion amoureuse, son mal-être et la maternité (Rassurez-vous, tout le monde a peur, 1999). Toujours la passion, mais inattendue et en concurrence avec une illusoire filiation dans Beau-fils, un roman couronné par le prix Rossel (2003), les prix de la SCAM et Gauchez-Philippot.
Jeannine PAQUE
■ La Madone des plaines de jeux, Bruxelles, Le Grand Miroir, 2003 ; Bravo Régine ! in Le Fram, Liège, no 14, 2006 ; On ne va pas se quitter comme ça ? , Paris, Seuil, 2010.
■ La Dame dans le tram, Jean-Philippe Roussel, 8 min, 1993.
LEFORT, Rosine [PARIS 1920 - ID. 2007]
Psychanalyste française.
Très tôt confrontée aux problèmes graves que présentaient les jeunes enfants de la pouponnière de Parent-de-Rosan où elle travaillait, Rosine Lefort s’adresse à Jacques Lacan pour faire une analyse. Par la suite, elle devient membre de l’École freudienne de Paris jusqu’à sa dissolution, puis elle rejoint l’École de la cause freudienne. Le problème de l’autisme retient toute son attention et, dans une étroite collaboration avec son mari, Robert Lefort, elle recueille patiemment toutes les observations notées au cours du traitement de ces enfants pour transmettre le fruit de leurs recherches, sans cacher les difficultés rencontrées ni les angoisses traversées, faisant part tout autant de leurs échecs que de leurs succès. Ils sont à l’origine de la création, en 1983, du Centre d’étude et de recherche sur l’enfant dans le discours analytique (Cereda) qui, avec son extension en trois Diagonales (francophone, hispanophone et américaine), deviendra le Nouveau Réseau Cereda (NRC). Partant du principe que l’enfant autiste est un sujet à part entière, R. Lefort a coécrit avec son mari plusieurs ouvrages qui témoignent de leur troublante et féconde expérience : Naissance de l’autre, paru en 1980 ; Les Structures de la psychose, en 1988 ; Maryse devient une petite fille, en 1995 ; La Distinction de l’autisme, en 2003. Inséparables dans leurs travaux comme dans la vie, ils mourront tous les deux à quelques jours d’intervalle.
René MAJOR
■ Avec LEFORT R., Naissance de l’autre : deux psychanalyses, Nadia, 13 mois, et Marie-Françoise, 30 mois, Paris, Seuil, 1980 ; ID., Les Structures de la psychose : l’enfant au loup et le président, Paris, Seuil, 1988 ; ID., Maryse devient une petite fille : psychanalyse d’une enfant de 26 mois, Paris, Seuil, 1995 ; ID., La Distinction de l’autisme, Paris, Seuil, 2003.
LE GALLIENNE, Eva [LONDRES 1899 - WESTON, CONNECTICUT 1991]
Actrice, metteuse en scène et productrice américaine.
De parents journalistes, Eva Le Gallienne voit jouer Sarah Bernhardt*, ce qui décide de sa vocation très tôt. Elle débute à Broadway en 1915 et remporte un grand succès dans Liliom, de Ferenc Molnar, en 1921. En 1926, elle fonde le Civic Repertory Theatre de New York, pour lequel elle traduit et produit de nombreuses pièces. Elle joue les héroïnes de Shakespeare, d’Ibsen, de Tchekhov. Elle incarne la reine Élisabeth*, notamment dans Mary Stuart* de Schiller, mais aussi Peter Pan et la Dame blanche dans Alice au pays des merveilles (Alice in Wonderland), qu’elle adapte du conte de Lewis Carroll – elle reprend d’ailleurs ce spectacle en 1983. Au cinéma, elle tourne dans trois films : Prince of Players (Philip Dunne, 1955), où elle incarne Gertrude, la reine de Hamlet ; Au fil de l’épée (The Devil’s Disciple, Guy Hamilton, 1959, d’après Bernard Shaw) ; et Resurrection (Daniel Petrie, 1980).
Bruno VILLIEN
■ At 33, New York/Toronto, Longmans/Green & Co, 1934 ; With a Quiet Heart, New York, Viking Press, 1953.
■ SCHANKE R., Shattered Applause, The Lives of Eva Le Gallienne (1992), Carbondale, Southern Illinois University Press, 2010.
LEGÁTOVÁ, Květa (Věra HOFMANOVÁ, dite) [PODOLÍ 1919 - ID. 2012]
Romancière et auteure de pièces radiophoniques tchèque.
Après des études de tchèque et d’allemand, Květa Legátová étudie la physique et les mathématiques à l’université de Brno. Ses premiers textes rendus publics sont des sketchs radiophoniques. En 1957, elle publie un recueil de contes intitulé Postavičky (« petits personnages ») puis, en 1961, un roman, Korda Dabrová. C’est avec Želary (2001), presque immédiatement adapté au cinéma, qu’elle connaît la consécration et reçoit en 2002 le prix d’État de littérature. Les neuf nouvelles de ce recueil, dont l’action se situe dans un village des années 1920-1930, mettent en scène des montagnards qui mènent une vie souvent misérable, dans une tonalité réaliste, voire naturaliste. Un même personnage donne à l’ensemble son unité et permet à l’auteure de dresser, au gré des rencontres, une galerie de portraits de la région de Želary. La nouvelle La Belle de Joza (2002) met en scène dans la même région, pendant la Seconde Guerre mondiale, une jeune infirmière résistante qui se cache dans les montagnes pour échapper aux nazis, et se marie avec un homme frustre et inculte pour changer d’identité.
Stéphane GAILLY
■ La Belle de Joza (Jozova Hanule, 2002), Lausanne/Paris, Les Éditions noir sur blanc, 2007.
■ JANOUŠEK P. (dir.), Dějiny české literatury, 1945-1989, tome 3, Prague, Academia, 2008.
LE GENDRE, Marie [M. APR. 1597]
Écrivaine française.
Dans son Passe-temps (1595), François Le Poulchre comptait Marie Le Gendre parmi les femmes savantes de son siècle, avec Madeleine de L’Aubespine*, Catherine de Clermont, duchesse de Retz*, Madeleine et Catherine Des Roches*. De sa biographie nous savons seulement qu’elle fut en relation avec des personnages haut placés comme la princesse de Conti, à qui elle dédia le seul ouvrage que nous lui connaissons. Une partie de son œuvre (12 discours et des stances sur le même sujet) parut une première fois sous le nom de Mme de Rivery, son nom d’épouse, dans l’édition de 1595 du Cabinet des saines affections. En 1596, ces discours et stances, accompagnés de sonnetset du Dialogue des chastes amours d’Éros, et de Kalisti, furent publiés séparément chez Jean Le Blanc sous le titre L’Exercice de l’âme vertueuse, puis une nouvelle fois en 1597. Les discours s’apparentent par leur forme et leur contenu aux discours moraux et philosophiques prononcés sur l’ordre et en la présence du roi Henri III à l’académie du Palais. Les stances (quatrains et sizains à rimes croisées) auxquelles Philippe Desportes avait donné leurs lettres de noblesse, reprennent les points essentiels de la morale stoïcienne (la quête du bien et de la vertu) avec, toutefois, une très nette orientation chrétienne. Les sonnets, par contraste avec le ton détaché des stances et des discours, s’étendent sur les émotions ressenties à la mort brutale de l’être cher : l’incompréhension, voire la colère, devant le bonheur arraché d’un seul coup, l’incapacité à accepter la perte, le désir morbide, etc. Ils vibrent d’une intensité et d’une sincérité assez exceptionnelle pour l’époque. Enfin, le dialogue, tout nourri qu’il soit du débat platonicien sur l’amour et la beauté, offre toutefois une réflexion personnelle sur la vie conjugale qui est évoquée sous la lumière favorable de ce qui n’est plus. En somme, l’œuvre variée de M. Le Gendre porte témoignage des courants et des genres littéraires en vogue dans la seconde moitié du XVIe siècle, et mérite en ce sens d’être mieux connue.
Colette H. WINN
■ L’Exercice de l’âme vertueuse (1596), Winn C. H. (éd.), Paris, H. Champion, 2001.
■ BALSAMO J., « Abel L’Angelier et ses dames, les dames Des Roches, Madeleine de L’Aubespine, Marie Le Gendre, Marie de Gournay », in COURCELLES D. de, VAL JULIÁN C. (dir.), Des femmes et des livres, t. 4, Paris, École des chartes, 1999 ; BERRIOT-SALVADORE É., « François Le Poulchre et Marie Le Gendre, lecteurs de Montaigne », in DUBOIS C.-G. (dir.), Montaigne et Henri IV (1595-1995), Biarritz, J & D éditions, 1996.