LITUANIE – DE L’ÉCRITURE RURALE À L’ÉCRITURE URBAINE [XXe-XXIe siècle]
C’est au début du XXe siècle, quand commence à se développer réellement l’écriture en langue lituanienne, qu’apparaissent les premiers écrits de femmes. Gabrielė Petkevičaitė-Bitė (1861-1943), Šatrijos* Ragana, les sœurs Ivanauskaitė, Sofija (1867-1926) et Maria (1872-1957), écrivant sous le pseudonyme Lazdynų Pelėda, ou encore Žemaitė* (1845-1921), ces femmes œuvrent à côté des hommes pour l’émancipation de la nation sous le joug de la Russie tsariste, toute parole en lituanien étant déjà un signe de protestation contre le régime imposé. Leur regard est toutefois un peu différent, leurs récits décrivent plutôt la vie des pauvres et des opprimés, particulièrement le sort des filles et des jeunes femmes. L’émancipation de la nation va de pair avec une critique des mœurs et la lutte pour une vie plus digne.
Durant la première période d’indépendance de la Lituanie, entre 1918 et 1939, les écrivaines restent dans la lignée de leurs aînées. À côté de leur production proprement littéraire, Ona Pleirytė-Puidienė (1882-1936) et Sofija Kymantaitė-Čiurlionienė (1886-1958) se préoccupent des questions de l’enseignement et de la pédagogie. Salomėja Nėris* demeure la poétesse la plus appréciée de Lituanie, avec un lyrisme simple et authentique, au-delà de sa récupération par le régime soviétique. Ieva Simonaitytė (1897-1978) compose des romans ethnographiques qui témoignent de la vie de familles de la Lituanie prussienne.
Dans les premières décennies de l’occupation soviétique, les voix littéraires féminines se taisent, et c’est seulement à partir du milieu des années 1960 qu’elles se font à nouveau publier. Parmi les premières, Vytautė Žilinskaitė (née en 1930) et Ramutė Skučaitė (née en 1931) se spécialisent en littérature enfantine, et la première fait également paraître des satires, genre dans lequel elle excelle et qui fonde sa renommée ; tandis que Janina Degutytė (1928-1990), Marija Macijauskienė (née en 1930) et Judita Vaičiūnaitė (1937-2001) sont reconnues pour leurs poésies. Les années 1980 marquent une nouvelle étape où la femme est considérée dans sa dimension propre, dans la complexité d’un monde intérieur : les textes de Bitė Vilimaitė (née en 1943), de Vanda Juknaitė (née en 1949) et de Vidmantė Jasukaitytė* (née en 1948) traduisent le conflit entre aspirations personnelles et exigences sociales, entre désir de conserver ses racines villageoises et nécessité de s’adapter à la vie urbaine. Les écrits de cette époque sont aussi marqués par une recherche poétique, avec Onė Baliukonė (1948-2007), et Aldona Elena Puišytė (née en 1930), dont l’œuvre s’élève à un niveau de transcendance qui dépasse la condition ambiguë de la femme sous le régime soviétique.
À la fin des années 1980, une nouvelle génération de femmes s’affirme, dont Jolita Skablauskaitė (née en 1950). Reflétant la richesse de la langue rurale, les personnages de Violeta Šoblinskaitė* et de Zita Čepaitė (née en 1957) sont encore des villageois et ne s’adaptent que doucement à la ville moderne, toutefois ceux de Jurga Ivanauskaitė* sont purement urbains. Celle-ci met en relief la situation compliquée des intellectuels en Lituanie dans les années 1980-1990 et cherche, par ses textes sur l’Inde et le Tibet, à ouvrir au lecteur lituanien d’autres horizons que ceux de l’Occident chrétien. Elle est jusqu’à présent l’auteur le plus productif de la littérature lituanienne.
Dans les années 1990, Renata Šerelytė*, elle-même issue d’un petit village, construit son succès en continuant la tradition rurale et celle de la littérature pour enfants, tandis que Daiva Čepauskaitė (née en 1967) écrit de la poésie dans la lignée de Salomėja Nėris*. Au début des années 2000 Laura Sintija Černiauskaitė* commence à publier, et sa renommée se fonde rapidement sur des pièces de théâtre et des romans.
La première décennie des années 2000 marque un nouveau tournant dans la littérature lituanienne avec la création de nouvelles maisons d’édition, qui, abandonnant le travail sur la langue, s’orientent vers une littérature plus commerciale, avec romans d’amour ou policiers, reportages et thèmes d’actualité. Laima Lavaste, Gintarė Adomaitytė, Audronė Urbonaitė, Ugnė Barauskaitė, Undinė Radzevičiūtė, Daiva Vaitkevičiūtė connaissent un succès circonstancié avec des écrits de divertissement et de loisir. Restent à venir une écriture postmoderne et un travail sur le langage et les thèmes abordés.
Ina PUKELYTĖ
■ DAUGIRDAITÉ S., Rūpesčių moterys, moterų rūpesčiai, moteriškumo reprezentacija naujausioje lietuvių moterų prozoje, Vilnius, Lietuvių literatūros ir tautosakos institutas, 2000 ; DAUJOTYTÉ V., Parašyta moterų, Vilnius, Alma littera, 2001 ; ASTRAUSKIENÉ G. (dir.), Gabrielė Petkevičaitė-Bitė, laikmetis, žmonės, aplinka, Panevėžys, Nevėžio spaustuvė, 2002.
LITVINA, Zhanna [MINSK 1954]
Journaliste et rédactrice en chef bélarusse.
Après avoir étudié le journalisme à l’université d’État du Belarus, Zhanna Litvina travaille pendant près de vingt ans à la télévision et à la radio nationale, où elle dirige la programmation jeunesse. Son attitude pionnière déplaît aux nouvelles autorités. En effet, après la libération des médias consécutive à la dissolution de l’URSS, l’élection d’Alexander Loukachenko à la tête du pays en 1994 entraîne un nouveau contrôle de l’information. Licenciée de la radio en 1995, la journaliste fonde et dirige alors 101.2 FM, qui diffuse des programmes inspirés par la BBC et la Deutsche Welle. La station rencontre un grand succès, mais les reportages critiques et l’équipe jeune et avant-gardiste de la radio déplaisent au pouvoir. Elle ferme en 1996. Affaiblie par des coûts de distribution exorbitants, la radio Belarusskaya Maladziozhnaya (« jeunesse bélarusse »), dont Z. Litvina est la rédactrice en chef, est elle aussi fermée, sous le prétexte d’une réorganisation structurelle. Parallèlement à ces entreprises malheureuses, la journaliste dirige également la radio Swoboda (« liberté »), à Minsk, de 1994 à 1999. Avec 38 collègues, elle crée et préside la Baj, l’Association des journalistes de Biélorussie, qui défend la liberté de la presse et le droit du public à recevoir des informations non censurées. Elle tisse des liens avec des organisations internationales comme Reporters sans frontières ou la Fédération européenne des journalistes et ne cesse de se battre pour la liberté d’expression, une presse plurielle, une radio libre et le développement d’un Internet indépendant des autorités, dans un pays où la censure et la mainmise du gouvernement sur la Toile entravent profondément la libre circulation d’une information de qualité. Après les élections présidentielles de 2010, les tentatives de déstabilisation se sont accrues contre Z. Litvina qui a subi une campagne de diffamation via un documentaire diffusé sur la télévision d’État, Bash na Baj, avant les nouvelles élections du Baj, ce qui ne l’a pas empêchée de les remporter haut la main. On lui a aussi interdit de quitter le territoire entre mars et août 2012. En 2003, la Baj a reçu la Plume d’or de la liberté, décernée par l’Association mondiale des journaux, et, en 2004, le prix Sakharov du Parlement européen. Z. Litvina a, quant à elle, reçu en 2008 le Prix des droits de l’homme de la fondation Friedrich-Ebert.
Audrey CANSOT
LITVINNE, Felia (Françoise Jeanne VASIL’YEVNA SCHÜTZ, dite) [SAINT-PÉTERSBOURG 1860 - PARIS 1936]
Soprano russe naturalisée française.
Soprano dramatique exceptionnelle au très large ambitus, Felia Litvinne atteignait aisément le contre-ut conduit avec une époustouflante technique de colorature, phénomène plutôt inhabituel pour une voix d’une telle ampleur. Les sombres couleurs de mezzo-soprano de sa voix la situent dans la tradition du chant français, de Teresa Stolz et Marie Cornélie Falcon. Il est possible de goûter ses incroyables qualités dans une quarantaine d’enregistrements. Elle fait ses études à Paris avec Pauline Viardot* et Victor Maurel, et débute au Théâtre des Italiens en 1883 en Amelia dans Simon Boccanegra de Verdi, en remplacement de Fides Devries, puis officiellement comme Elvira d’Ernani du même compositeur. V. Maurel, co-directeur du théâtre, l’invite à faire avec lui une tournée à travers la France. Après des apparitions à Bordeaux, Genève et Barcelone, sa carrière devient internationale. Elle chante dès 1885 avec la Mapleson Opera Company de New York. De 1886 à 1888, elle collabore avec le Théâtre de la Monnaie de Bruxelles, où elle interprète L’Africaine de Giacomo Meyebeer, Sigurd d’Ernest Reyer, La Gioconda d’Amilcare Ponchielli, Hamlet d’Ambroise Thomas et sa première Brünnhilde de la Walkyrie de Richard Wagner en français. En 1888, elle est la Reine dans Hamlet à Rome, et Valentine dans Les Huguenots à Venise, rôle qu’elle reprend à l’Opéra de Paris et au Teatro San Carlo de Naples en 1890. L’année suivante, elle se produit dans les théâtres impériaux de Moscou et de Saint-Pétersbourg dans Cavalleria rusticana de Pietro Mascagni et Judith d’Alexandre Serov. Elle se produit dans Samson et Dalila de Camille Saint-Saëns à Monte-Carlo (1895-1896) puis au Metropolitan Opera de New York. Elle est ensuite à la Scala de Milan, Rome, Venise et Londres, à Covent Garden, en 1899. Elle devient alors une wagnérienne célébrée. Elle est ainsi la première Isolde de Paris en 1899, la première Brünnhilde du Ring à Bruxelles en 1903 et à Paris en 1911, la première Kundry dans Parsifal à Monte-Carlo en 1913. Elle est aussi considérée comme la plus grande Alceste de Christoph Willibald Gluck de l’histoire. Elle se retire de la scène en 1916 pour se consacrer à l’enseignement.
Bruno SERROU
■ Ma vie et mon art, Paris, Plon, 1933.
LITVYAK, Lydia [MOSCOU 1921 - ID. 1943]
Aviatrice russe.
Dans la mémoire russe, Lydia Litvyak reste incontestablement l’aviatrice la plus célèbre de la Seconde Guerre mondiale. Attirée par l’aviation dès son plus jeune âge, elle entre dans un aéro-club à 14 ans puis effectue son premier vol en solo un an plus tard. Elle intègre ensuite l’école d’aviation de Kherson (Ukraine), où elle obtient un brevet d’instructeur. D’abord affectée au 586e régiment, l’un des trois premiers régiments d’aviation féminins créés en 1941 par Staline sous l’influence de Marina Raskova*, L. Litvyak remporte ses premières victoires aériennes à bord d’un avion chasseur Yak-1. Puis successivement mutée dans différents régiments de chasse, cette femme hors du commun va se tailler une réputation de fauteur de troubles dans l’aviation allemande en affrontant crânement les meilleurs pilotes de la Luftwaffe. Elle a à son actif une douzaine de victoires aériennes homologuées. En juillet 1943, elle est blessée au cours d’une mission et se voit contrainte d’atterrir en territoire ennemi. Afin d’échapper à la capture, elle regagne sa base à pied. Cette démonstration de courage renforce la notoriété de celle que l’on surnomme dans la presse soviétique « la rose blanche de Stalingrad », parce qu’à chaque fois qu’elle abat un avion nazi elle fait peindre une rose blanche sur le nez de son chasseur. La même année, sa disparition mystérieuse au cours d’une énième mission aérienne fait d’elle une véritable légende. Selon la version officielle, son Yak aurait été abattu par huit Messerschmitt qui concentraient leurs tirs sur elle, bête noire des pilotes allemands. Mais son corps reste introuvable. Certains affirment qu’elle a été capturée et transférée dans un camp de prisonniers. Ce n’est que quatre décennies plus tard que des étudiants découvrent la tombe présumée de la pilote disparue à l’âge de 22 ans. Le ministère de la Défense soviétique reconnaît officiellement sa mort le 31 mars 1986, et quatre ans plus tard Mikhaïl Gorbatchev lui décerne le titre de « héros de l’Union soviétique ».
Elisabeth LESIMPLE
■ BENAÏM V. et HALLÉ J.-C., La Rose de Stalingrad, Paris, Flammarion, 2005.
LIU DI (ou BU XIU GANG LAOSHU) [CHINE 1981]
Blogueuse chinoise.
La liberté de parole semble être un trait familial puisque Liu Di, petite-fille de Liu Heng, célèbre journaliste du Daily Reporter reconnue pour son franc-parler et ses critiques envers le Parti communiste chinois (PCC) en 1957, commence à critiquer le régime de son pays sur la Toile alors qu’elle est en licence de psychologie à l’Université de Pékin. Elle forme un club d’artistes, écrit des essais absurdes dans le style des écrivains dissidents du bloc de l’Est et gère un site Internet très populaire où elle publie des communications sous le surnom « Bu Xiu Gang Laoshu » (« souris en acier inoxydable »). Elle y diffuse des pamphlets politiques et incite ses lecteurs à des initiatives originales et risquées, telles que la vente de littérature marxiste, le prêche de la théorie léniniste, comme de « vrais communistes ». Une autre fois, elle suggère de ne pas mentir pendant vingt-quatre heures. Enfin et surtout, Liu Di critique ouvertement le régime répressif de son pays, condamne la fermeture des cafés Internet à Pékin et affirme son soutien envers Huang Qi, un ingénieur en informatique arrêté pour la création d’un site Internet en faveur des droits de l’homme. Par solidarité, elle demande à tous les blogueurs subversifs de se livrer à la police à la même heure, en guise de contestation, et appelle largement à la libération de tous les cyberdissidents. À l’heure où les autorités souhaitent contrôler l’ensemble des contenus mis en ligne, la jeune étudiante est repérée et arrêtée en 2002, à l’âge de 23 ans, sur le campus de son université, juste avant le XVIe Congrès du PCC. Liu Di est alors emprisonnée dans un lieu inconnu, où sa famille ne peut lui rendre visite, et accusée d’entretenir des liens avec une prétendue « organisation illégale ». Des cahiers, des disquettes et un ordinateur sont saisis à son domicile. Les autorités interdisent, vainement, la divulgation de son arrestation aux médias étrangers. Malgré les nombreuses protestations que son emprisonnement soulève à l’échelle internationale et qui l’érigent en symbole de la démocratie et de la liberté d’expression, elle est détenue en cellule d’isolement pendant plus d’une année à la prison de Kincheng, avant d’être finalement relâchée.
Audrey CANSOT
LIU QINGYUN [DONGHAI 1842 - ID. 1915]
Auteure dramatique chinoise.
Née dans une opulente famille de commerçants, Liu Qingyun se distingue dès l’enfance par son intelligence et son talent littéraire. En 1859, elle épouse Meipo, lettré non moins brillant. Tout au long de sa vie conjugale harmonieuse, elle compose de nombreux poèmes, dont des ci (poèmes à chanter), des qu (vers chantés) et des xiqu (pièces d’opéra traditionnel), tous marqués par une singulière élégance stylistique. Elle fréquente également de grands lettrés tels que Yu Yue et Wang Xu, qui influencent sa création et la soutiennent dans la publication de ses écrits. Après la mort de son mari, elle passe les dernières années de sa vie dans la solitude et le dénuement matériel. Sa virtuosité se manifeste surtout dans l’écriture dramatique : auteure la plus prolifique de l’histoire du théâtre chinois, elle compose au total 24 pièces de chuanqi (la « légende » devient, sous les dynasties Ming et Qing, un genre caractérisé par des mélodrames poétiques évoquant des faits légendaires), dont dix nous sont parvenus grâce à la publication, en 1900, d’un recueil, Xiaopenglai xianguan chuanqi shizhong (« dix chuanqi du pavillon Xiaopenglaixian »), préfacé par Yu Yue. Ces dix pièces abordent bon nombre de sujets tels que l’amour (Yinyun chuan, « bracelet de nuages » ; Yuanyang meng, « rêve des canards mandarins »), la relation conjugale (Jingzhong yuan, « retrouvailles à travers le miroir » ; Yingxiong pei, « couple héroïque »), l’érémitisme des lettrés (Qianqiu lei, « larmes éternelles » ; Tianfeng yin, « préface au vent du ciel »), la vertu chevaleresque (Danqing fu, « supplément à la peinture » ; Feihong xiao « chants de l’arc-en-ciel ») ou les mœurs de la société (Huangbi qian, « la note jaune-bleu » ; Yanliang quan, « note sur la vicissitude »). Le style de l’écrivaine témoigne de son originalité et de sa sensibilité libre et fougueuse.
WEI KELING
■ Liu Qingyun shici xuanji, in Zhu zuolin, Hangzhou, 1906-1908.
■ HU W., ZHANG H. (dir.), Lidai funü zhuzuo kao, Shanghai, Shanghai guji, 2008 ; TAN Z., Zhongguo nüxing wenxueshi, Tianjin, Baihua wenyi, 2001 ; ZHOU M., Qingdai xiqushi, Zhongzhou, Zhongzhou guji, 1987.
LIU RUSHI (YANG YUNJUAN, dite) [JIAXING, ZHEJIANG 1618 - CHANGSHU 1664]
Poétesse chinoise.
Yang Yunjuan ou Yang Ai adopte le pseudonyme de Liu Rushi (prénom qui signifie « ainsi »), en référence au vers du poète Xin Qiji : « Je vois la montagne verte si belle/Je suppose que la montagne me voit ainsi. » Ce nom de plume revêt également une connotation bouddhiste (« C’est ainsi que j’entends »), dont son futur mari s’inspirera pour baptiser leur maison. La poétesse est aussi appelée la Lettrée de Hedong ou la Lettrée de Miwu. Pour des raisons inconnues, elle est vendue dès son enfance à une maison de courtisanes, où elle reçoit néanmoins une bonne éducation, poursuivie chez un grand fonctionnaire, Zhou Daodeng, qui l’engage comme servante, puis comme concubine. Calomniée et chassée de la famille Zhou, elle retourne ensuite chez les courtisanes. Brillant par sa beauté et par son intelligence, elle devient célèbre au sud du fleuve Yangzi, lieu où se réunissent des lettrés éminents. Elle fait la connaissance des membres de sociétés littéraires et politiques de Songjiang (Fu she, « société de Fu » ; Ji she, « société de Ji ») ; vêtue en homme, elle échange avec eux sur la littérature et sur l’actualité, fait de la poésie, de la peinture et de la calligraphie. En 1639, elle rencontre Qian Qianyi, grand savant et poète, haut fonctionnaire à la cour, et l’épouse en 1641. À l’extinction de la dynastie Ming en 1645, elle essaie de persuader son mari de se suicider en signe de dévouement à la patrie ; mais celui-ci sert les Mandchous, tout en menant des activités secrètes pour rétablir l’ancien pouvoir. Persécutée par sa belle-famille après la mort de Qian Qianyi en 1664, la poétesse se donne la mort par pendaison. Ses poèmes sont d’une beauté remarquable, tant par l’élégance de la forme que par la délicatesse des sentiments exprimés. Son recueil Wuyin cao (« l’herbe de l’année Wuyin »), publié en 1638 et préfacé par son amant Chen Zilong, contient 106 poèmes, 31 poèmes chantés et trois fu (genre de poèmes en prose sans rimes), qu’elle a écrits avant l’âge de 20 ans ; il inclut aussi une série de compositions calquées sur le style et le sujet du recueil Gushi shijiu shou (« dix-neuf poèmes antiques ») de la dynastie des Han de l’Est, et ses méditations sur les événements historiques, les vicissitudes de la fortune et le changement de génération. Ses vers chantent tantôt l’amour et l’amitié, souvent imprégnés de la tristesse de la séparation et de la mélancolie d’une existence agitée, tantôt les beaux paysages et le temps clément, symboles paradoxaux de la fugacité des plaisirs et du bonheur. Elle compare souvent son sort à celui des fleurs de saules et de peupliers emportées par le vent, métaphore de l’évanouissement de la beauté et de la jeunesse. Ces allégories autobiographiques, faisant écho à son chagrin, deviennent les thèmes essentiels de sa poésie. Son recueil Hushang cao (« l’herbe sur le lac », 1639) comprend 35 poèmes, composés entre 20 et 24 ans ; sa correspondance (1639-1640), Liu Rushi chi du (« correspondance de Liu Rushi »), compte 31 lettres adressées à son ami Wang Mingran, éditeur de l’ouvrage en 1641 ; Dongshan chouhe ji (« recueil des poèmes échangés sur le mont de l’Est », 1640-1642), publié par son mari après leur mariage, réunit les poèmes écrits et échangés par le couple. Après sa mort, Zou Siyi, un lettré de la dynastie Qing, a édité une anthologie de poèmes de femmes, en la plaçant au premier rang des auteures chinoises. Touché par son talent poétique et son esprit de liberté, Chen Yinque, un grand savant chinois contemporain, lui a consacré une biographie magistrale afin de la sortir de l’oubli et de dissiper les préjugés à son égard.
WANG SIYANG
■ Liu Rushi ji, Hangzhou, Zhongguo meishu xueyuan chubanshe, 2002.
■ CHEN Y., Liu Rushi biezhuan, Shanghai, Shanghai guji chubanshe, 1980.
LIU XIKUI (LIU GUIYUAN, dite) [1894-1964]
Actrice chinoise.
À 8 ans, Liu Xikui commence à apprendre les rôles de « femmes vertueuses » et de « coquettes » de l’opéra de Pékin, et à 10 ans, le Hebei bangzi. Cet opéra du Hebei, la province natale de l’actrice, connaît son âge d’or entre 1870 et 1920. Il est caractérisé par un chant rustique rythmé par la percussion en bois qui lui a donné son nom. Vers 1900, l’apparition d’actrices vient bousculer la tradition des acteurs-travestis et modifie la configuration des troupes. Le chant en est révolutionné : les longues modulations aiguës des voix du bangzi prennent des accents plus fougueux, plus tristes et plus dramatiques. Sous la république (1912-1949), une branche moderniste de comédiennes met en avant les rôles de « coquettes » et pousse même l’opéra de Pékin à accepter des actrices. Entre 1905 et 1921, Liu Xikui se produit notamment à Harbin, Vladivostok, Shanghai, Tianjin et Pékin avec les plus grands artistes de son temps. C’est l’époque des nouveaux opéras en costumes modernes, mais il est mal vu pour une actrice de les jouer. Elle s’exile alors à Shanghai, toujours en avance sur son temps. Elle adapte des airs de qinqiang, opéra de la province du Shaanxi, en dialecte du Hebei, et crée le style jingbangzi réputé pour exprimer les passions. Liu Xikui est élève de la première école pékinoise d’actrices, la Chongya nü keban. Dès ses premières apparitions sur la scène pékinoise, on la juge plus talentueuse que bien des grands travestis de l’époque. Seigneurs de la guerre, hauts dignitaires de l’armée d’occupation japonaise et autres despotes la convoitent tous, mais elle préserve sa liberté. Elle joue notamment dans Du zhan huakui (« gagner les faveurs de la belle courtisane »), Xin’an yi (« le relais de Xin’an »), Shaohua shan (« le mont Shaohua »), Dianshu qitan (« une étrange histoire d’hypnotisme »). Elle met fin à sa carrière d’actrice à 27 ans et entre, en 1955, comme professeure de Hebei bangzi à l’École de théâtre traditionnel de Chine.
Pascale WEI-GUINOT
LIVELY, Penelope [LE CAIRE 1933]
Romancière britannique.
Après une enfance passée en Égypte, Penelope Lively est envoyée dans un pensionnat du Sussex à l’âge de 12 ans. Elle étudie l’histoire à Oxford. En 1957, elle épouse Jack Lively, professeur de politique à l’université de Warwick. Tout comme Margaret Drabble* ou A.S. Byatt*, elle est hantée par la conscience très aiguë des problèmes sociaux que connaît l’Angleterre. Elle collabore à de nombreux journaux et revues littéraires, et reçoit plusieurs récompenses pour ses 30 livres pour enfants et sa vingtaine de livres pour adultes. En 1987, Serpent de lune est couronné du Booker Prize. Ses livres et ses nombreuses nouvelles sont tous centrés sur les problèmes de la mémoire telle qu’elle est soumise à la pression du passé sur le présent, à la pression de l’histoire privée des individus sur l’histoire publique et inversement.
Michel REMY
■ Serpent de lune (Moon Tiger, 1987), Paris, Stock, 1989 ; Le Cerceau des jours (Passing on, 1989), Paris, Denoël, 1992 ; La Sœur de Cléopâtre (Cleopatra’s Sister, 1993), Paris, Denoël, 1995 ; Des vies multiples (Making it up, 2005), Paris, Mercure de France, 2008.
LIVESAY, Dorothy [WINNIPEG 1909 - VICTORIA 1996]
Poétesse et écrivaine canadienne.
Fille des journalistes Florence Randal et J. F. B. Livesay, Dorothy Livesay vit à Winnipeg jusqu’à l’âge de 11 ans puis à Toronto où son père est nommé directeur de La Presse canadienne. Sa mère, elle-même poétesse et traductrice, fait paraître ses poèmes d’enfant dans un journal. Son premier recueil, Green Pitcher (« le pichet vert »), est publié en 1928. En 1931, D. Livesay est diplômée de l’université de Toronto. Elle complète ses études par une année à la Sorbonne et fréquente des étudiants marxistes. De retour à Toronto, elle s’inscrit en sociologie à l’université et rejoint le parti communiste. Pendant la Grande Dépression, elle est assistante sociale à Montréal. Passionnément idéologiques, les écrits de cette période sont considérés comme de moindre qualité par rapport à l’ensemble de son œuvre. Après son mariage en 1937 avec le théosophe Duncan Macnair et la naissance de deux enfants, sa poésie s’enrichit de tonalités naturalistes et de spiritualité. À chaque étape de sa vie, elle témoigne néanmoins de sa révolte face à la marche du monde. Pour son recueil Day and Night (1944), qui traite de l’exploitation des ouvriers, mais aussi pour Poems for People (1947), elle reçoit le prix du Gouverneur général. Une fois ses enfants élevés, D. Livesay part pour Londres se former à l’enseignement de l’anglais. Après la mort prématurée de son mari en 1959, elle travaille à l’Unesco à Paris, puis au collège de formation d’enseignants du nouvel État de Zambie jusqu’en 1963. Elle continue d’écrire de la poésie et publie The Color of God’s Face (« la couleur du visage de Dieu », 1964). De nouveau au Canada, elle est engagée comme écrivain en résidence dans plusieurs universités. Son intérêt se porte alors plus particulièrement sur la condition féminine, comme en témoigne son recueil publié en 1967, The Unquiet Bed (« le lit tourmenté »). Dans les années 1970 et 1980, D. Livesay est une voix qui compte dans la littérature canadienne. Elle est aussi l’auteure d’ouvrages en prose, dont un livre pour enfants (Beginnings : A Winnipeg Childhood, 1975), un roman court (The Husband, 1990) et une autobiographie (Journey with My Selves, 1991).
Nathalie COUPEZ
LIVI, Grazia [FLORENCE 1930 - MILAN 2015]
Écrivaine italienne.
Diplômée en philologie romane, installée à Milan, Grazia Livi est journaliste pour Il Mondo, L’Europeo, Epoca. Elle a publié plusieurs romans : Gli scapoli di Londra (« les célibataires de Londres », 1958) ; La distanza e l’amore (« la distance et l’amour », 1978) ; L’approdo invisibile (« l’abordage difficile », 1980) ; Vincoli segreti (« liens secrets », 1994) ; Non mi sogni più (« tu ne rêves plus de moi », 1997) ; La finestra illuminata e altri racconti (« la fenêtre éclairée et autres récits », 2000) ; L’Époux impatient (2006), qui raconte le voyage de noces de Tolstoï et de sa jeune épouse. G. Livi a publié des essais, parmi lesquels : Da una stanza all’altra (« d’une pièce à l’autre », 1984), qui présente quelques aperçus de la vie de Virginia Woolf*, de Jane Austen*, d’Emily Dickinson*, de Caterina Percoto*, de Katherine Mansfield* et d’Anaïs Nin* ; Lettere del mio nome (« les lettres de mon nom », 1991) sur Simone de Beauvoir*, Colette*, Gertrude Stein*, Gianna Manzini*, Ingeborg Bachmann*, Anne Frank*, Carla Lonzi*, Anna Banti* ; et Narrare è un destino (« écrire est un destin » ; 2002).
Graziella PAGLIANO
■ L’Époux impatient (Lo sposo impaziente, 2006), Arles, Actes Sud, 2010.
LIVLJANIĆ, Katarina [ZADAR 1966]
Cantatrice et musicologue croate.
Après des études de musicologie au Conservatoire national de Zagreb, Katarina Livljanić part pour la France où elle obtient son doctorat à l’École pratique des hautes études de Paris. Spécialiste internationale du chant médiéval et liturgique, elle enseigne à la Sorbonne (Paris 4) et est professeure invitée d’universités irlandaises, américaines et canadiennes. Directrice artistique de l’ensemble vocal Dialogos, spécialisé en chant médiéval et en théâtre liturgique de tradition glagolitique, elle a produit de nombreux spectacles en France et en Croatie, et enregistré plusieurs disques dont La Vision de Tondal, à la recherche des chantres glagolitiques et latins de la Dalmatie médiévale (2004) ; Le Répertoire grégorien et vieux romain (2003) ; Lombards et Barbares, guerres, musique et liturgie à Monte Cassino et en Italie méridionale au Moyen Âge (2002) et Terra adriatica, chants liturgiques des terres croates et italiennes au Moyen Âge (1999).
Lada ČALE FELDMAN
■ Terra adriatica, chants liturgiques des terres croates et italiennes au Moyen Âge, Empreinte digitale, 1999 ; Lombards et Barbares, guerres, musique et liturgie à Monte Cassino et en Italie méridionale au Moyen Âge, Arcana, 2002 ; La Vision de Tondal, à la recherche des chantres glagolitiques et latins de la Dalmatie médiévale, Arcana, 2004.
LIVNI, Tzipi (Tzipora Malka, dite) [TEL-AVIV 1958]
Femme politique israélienne.
Tzipi Livni est élevée dans le respect de la tradition juive conservatrice, dans un cadre familial qui lui donne le goût du combat. Ses deux parents sont des militants actifs de l’Irgoun, une organisation armée sioniste créée en 1931 en Palestine mandataire, et affiliée à la droite ultra-nationaliste. Son père, Eitan Livni, jugé responsable de l’attentat contre les intérêts britanniques à l’hôtel King-David de Jérusalem en 1946, fut condamné à quinze années de prison avant de participer à la fondation du Likoud et de remplir plusieurs mandats parlementaires. Lieutenant au sein de Tsahal dans le prolongement de son service militaire, T. Livni intègre ensuite les services secrets extérieurs israéliens (le Mossad) à partir de 1980. Après avoir repris des études de droit, elle exerce pendant dix ans comme juriste spécialisée en droit commercial et en droit public. Elle entre en politique à 40 ans en adhérant au Likoud. Elle est élue députée à la Knesset en 1999. Féministe, protectrice des animaux et végétarienne affichée, mère de deux enfants, T. Livni entame alors une fulgurante ascension politique. Jeune protégée d’Ariel Sharon, elle enchaîne entre 2001 et 2008 les portefeuilles ministériels : Coopération régionale, Agriculture, Logement, Intégration, Justice, Immigration. En 2005, elle quitte le Likoud pour rejoindre Kadima, un parti de centre droit fondé par Ariel Sharon. En 2006, elle est ministre des Affaires étrangères et Vice-Premier ministre d’Ehud Olmert. Au nom du réalisme politique, T. Livni se prononce clairement pour un retrait unilatéral de Gaza et pour la création d’un État palestinien aux côtés d’un État juif. À ce titre, elle dirige des négociations avec l’équipe du dirigeant palestinien Mahmoud Abbas dans le cadre du processus de paix lancé par Georges W. Bush à la conférence d’Annapolis en novembre 2007. En septembre 2008, T. Livni, numéro deux du gouvernement, est élue à la tête de Kadima, qu’elle présidera jusqu’en 2012 avant de démissionner. En 2009, elle est candidate à la succession d’Ehud Olmert au poste de Premier ministre, en concurrence avec Ehoud Barak du parti travailliste et Benyamin Netanyahou du Likoud. Son parti arrive en tête aux élections législatives de 2009 avec une courte avance, mais le président Shimon Peres désigne B. Netanyahou pour former le nouveau gouvernement. Elle entre alors dans l’opposition. Réélue députée en 2013, elle devient ministre de la Justice du nouveau gouvernement de B. Netanyahou.
Lydie FOURNIER
■ « Qui est Tzipi Livni ? », in La République des lettres, 18 sept. 2008.
LIVRES DE CUISINE [États-Unis]
Lorsqu’on examine l’American Food Writing (2007), bible des écrivains gastronomiques américains, on note une parité entre les hommes et les femmes cités. Bien que cela semble représenter une victoire féminine, on se rend compte, lors d’une analyse approfondie, que la plupart des hommes nommés, tels que Thomas Jefferson, Nathaniel Hawthorne et George Washington Carver, étaient des gastronomes amateurs ne tenant pas leur renommée de leurs performances culinaires, contrairement aux femmes, écrivaines gastronomiques avant tout. Celles-ci se sont pendant longtemps dévouées à leur profession pendant que leurs homologues ne s’y adonnaient qu’en dilettantes. Si de nombreux hommes gagnent leur vie en écrivant des livres de cuisine ou comme critiques gastronomiques, c’est grâce à ces femmes d’une époque lointaine qui ont construit les premiers modèles et ouvert le chemin.
La cuisine américaine est conçue, développée, conservée et écrite presque entièrement par les femmes. La dimension de l’écriture est ici importante à souligner car les universitaires se concentrent souvent sur les contributions ou le pouvoir des femmes dans la cuisine. Or si celle-ci est traditionnellement considérée comme un lieu de pouvoir et de résistance féminine, elle peut aussi s’assimiler à une prison dont l’autorité féminine ne s’échappe que pour rejoindre la table familiale. Si des femmes n’avaient pas décidé de prendre la plume, tout un savoir transmis de génération en génération serait resté secret de famille. La publication de livres leur offre non seulement la possibilité de confier leurs œuvres aux annales de l’histoire, mais également celle d’y graver leurs noms. De plus, malgré les libertés dont elles disposent dans la cuisine, les femmes américaines y accomplissent avant tout un devoir, un travail souvent pénible. Personne n’exige d’elles qu’elles retranscrivent leurs idées gastronomiques : l’écriture est donc un projet qui leur appartient entièrement, un choix personnel qui est nécessairement un travail passionné.
Les livres dont font l’objet les aliments changent le regard qu’on a sur eux. D’une nourriture crue et simple, les écrivaines font une littérature, voire une discipline, façonnant non seulement une gastronomie, mais aussi toute une culture. C’est la plume, et non le couteau, qui permet aux femmes de conquérir leur place légitime au premier rang du panthéon culinaire américain, leur autorité, leur indépendance, leur influence sur la mentalité et les habitudes d’une nation.
Si The Frugal Housewife (« la ménagère économe », 1772) de Susannah Carter est publié à Boston, il s’agit d’un livre incontestablement anglais, car il ne tient absolument pas compte des ingrédients ni des habitudes des colons américains. C’est ainsi Amelia Simmons, avec son American Cookery (« cuisine américaine », 1796), qui produit la première œuvre reflétant la conscience de la Nouvelle-Angleterre. Bien qu’elle emprunte plusieurs sections au livre de S. Carter, elle incorpore des aliments américains de l’époque, tels que la citrouille, la molasse et la semoule de maïs.
Depuis American Cookery, presque tous les livres de cuisine américains qu’on peut honnêtement qualifier de « canoniques » sont écrits par des femmes. The Virginia Housewife (« la ménagère de Virginie », 1824), de Mary Randolph (1762-1828), révolutionne l’écriture culinaire aux États-Unis en mettant en avant l’économie et la frugalité dans la conception des plats, sans pour autant compromettre la qualité du repas. C’est d’une grande ironie puisque l’auteure appartient à l’une des familles les plus importantes de l’État de Virginie, depuis le XVIIe siècle. Comme elle, Eliza Leslie (1787-1858) destine ses divers livres à tous. Elle est sans doute l’écrivain gastronomique américain le plus célèbre du XIXe siècle, puisque son livre Directions for Cookery (1837) est réédité 60 fois, ce qui en fait l’un des plus importants livres de cuisine américains jamais écrits. Ayant rempli ses ouvrages de leçons morales et de conseils sur l’étiquette sociale, elle constitue une sorte de figure maternelle de substitution pour des milliers de femmes. Malgré ses idées conservatrices sur la façon dont doit se comporter une femme, elle encourage ses lectrices à découvrir leur féminité et à avoir confiance en elles.
De façon similaire, Fanny Merritt Farmer (1857-1915) inculque un savoir-faire aux femmes, souvent jugées selon leur habilité dans la cuisine. La précision scientifique de ses recettes permet à celles qui n’ont pas de talents culinaires de sauver la face. Bien que son personnage ait fait l’objet de polémiques, on ne peut nier l’étendue de son influence. Modèle du livre de cuisine contemporain, The Boston Cooking-School Cookbook (« le livre de cuisine de l’école de cuisine de Boston », 1896) est toujours disponible en librairie. Enfin, si F. M. Farmer réduit la cuisine à une science stérile, Irma von Starkloff Rombauer (1877-1962) lui rend ses lettres de noblesse. The Joy of Cooking (1931) constitue en effet une bible culinaire américaine.
Outre les précédentes auteures qui façonnent une identité gastronomique nationale, des femmes ouvrent l’esprit des habitants d’un pays souvent xénophobe et en diversifient les goûts. Des figures comme Buwei Yang Chao (1889-1981) et Joyce Chen (1917-1994), pour n’en citer que deux, inculquent aux Américains un respect non seulement pour la cuisine chinoise, mais aussi pour la culture qui l’a engendrée. Elles légitiment un peuple en racontant son histoire gastronomique riche et variée, et atténuent l’exotisme de sa cuisine en montrant sa compatibilité avec les concepts alimentaires américains. Karen Hess (1918-2007) ébranle la communauté des gastronomes avec son œuvre très fouillée intitulée The Carolina Rice Kitchen : The African Connection (« le riz de Caroline et comment le cuire : son lien avec l’Afrique », 1992), prouvant qu’une très grande partie de la cuisine du Sud, supposée être l’héritage des colons blancs, tire en réalité ses origines des plats et des principes africains. Ce livre représente une victoire pour un peuple noir si longtemps catalogué comme inculte et suscite un intérêt pour la diaspora africaine et sa gastronomie.
Si les livres dont il a été question ci-dessus permettent aux femmes de s’affirmer, ils exigent plus de pragmatisme que de subjectivité, plus de reproduction d’instructions que de production personnelle, d’expérimentation. Avant l’arrivée d’écrivaines comme M. F. K. Fisher (1908-1992) et Laurie Colwin (1944-1992), les livres culinaires américains nous montrent que la femme participe à la conception de la cuisine sans pour autant reconnaître que la cuisine contribue également à l’épanouissement de la femme. L’histoire ne considère pas ces auteures comme de simples gastronomes. L. Colwin est d’abord une romancière qui utilise l’écriture pour exprimer ses intérêts culinaires, tandis que M. F. K. Fisher, qui publie plus de 20 livres, s’inspire de sa vie dramatique pour écrire des histoires personnelles, notamment The Gastronomical Me (« le moi gastronomique », 1943), mémoires dans lesquels elle utilise le filtre de la nourriture. Employant une écriture hybride, faite de dissertation et de recettes, toutes deux démontrent à quel point la nourriture est ancrée dans le tissu social. Comme toutes les autres, elles font vraiment naître un genre. Pour elles, la cuisine est une base à partir de laquelle il est possible de construire des histoires, de créer un style qui, à son tour, a influencé le journalisme de critiques culinaires, comme Gael Greene (1933) et Ruth Reichl (1948). La première travaille pour le New York Magazine pendant trente ans à partir de 1968. La seconde est critique pour le New York Times pendant les années 1990 puis rédactrice en chef de Gourmet Magazine, et reçoit plusieurs fois le prestigieux prix culinaire James-Beard.
Toutes ces figures sont révolutionnaires non parce qu’elles sont les premières femmes à faire ce qu’elles font, mais parce qu’elles sont les premières personnes aux États-Unis à le faire de cette manière. L’esprit culinaire américain leur doit son identité. La gastronomie américaine aurait existé de toute façon, mais ces écrivaines l’ont assaisonnée de leur savoir-faire, de leurs pensées et de leurs paroles.
Mark HUNTSMAN
■ DUSABLON M. A., America’s Collectible Cookbooks : The History, the Politics, the Recipes, Athens, Ohio University Press, 1994 ; Feeding America, East Lansing (Mich.), Digital & Multimedia Center, MSU Libraries ; INNESS S. A., Cooking Lessons : The Politics of Gender and Food, Lanham (Maryland), Rowman and Littlefield, 2001 ; INNESS S. A., Secret Ingredients : Race, Gender, and Class at the Dinner Table, New York, Palgrave MacMillan, 2006 ; O’NEILL M. (dir.), American Food Writing, New York, Library of America, 2007.
LIVRES DE CUISINE [Europe]
En Europe, après Apicius et son De re coquinaria, les livres de cuisine les plus anciennement connus datent de la fin du XIIIe siècle. Ceux de la fin du Moyen Âge et de la Renaissance sont le plus souvent anonymes et, lorsqu’ils sont signés d’un nom d’auteur, il s’agit presque toujours, en Europe du Sud, du cuisinier d’un roi ou d’un autre membre de l’aristocratie. En revanche, dans l’Europe du Nord, où les auteurs prônent une cuisine simple et saine, on recense des livres écrits par des femmes relativement tôt : dès 1553, en Allemagne, un manuscrit, Das Kuchbuch der Sabrina Welserin, est signé d’une femme, et, en 1597, paraît le premier livre de cuisine imprimé écrit par une femme : Ein köstlich neu Kochbuch, d’Anna Wecker. En Angleterre, Hanna Wooley publie, en 1661, The Ladies Direction, et Hannah Glasse* (1708-1770), avec The Art of Cookery Made Plain and Easy (1747) sera l’auteur culinaire le plus connu au XVIIIe siècle. Mais il faut attendre la période révolutionnaire pour trouver, en France, un livre de cuisine attribué à une femme, et le XXe siècle en Italie et en Espagne.
Les recettes de cuisine, en Allemagne et en Angleterre, ont longtemps fait partie d’ouvrages sur l’économie domestique, alors qu’en Italie et en France les traités culinaires présentent une cuisine d’exception, résolument masculine et aristocratique. En France, si les grandes maisons pouvaient s’offrir le luxe d’employer un cuisinier et un chef d’office, qui s’occupait des salades, des conserves et du service du dessert, les maisons bourgeoises devaient se contenter d’une cuisinière à tout faire. C’est en 1794 que sera publié La Cuisinière républicaine, petit livre qui changera le paysage du traité culinaire français, généralement attribué à Madame Mérigot, et composé entièrement de recettes à base de pommes de terre. À compter de cette période, les cuisinières-auteures commencent à sortir de l’ombre : Louise Utrecht-Friedel avec son Art du confiseur (1801), suivie en 1805 de Marie Armande Gacon-Dufour (1753-1835) et son Manuel de la ménagère à la ville et à la campagne. Ces ouvrages se limitent à la préparation de confitures, de liqueurs, de vinaigre et aux techniques de conservation des aliments. En 1814, L. Utrecht-Friedel publie Le Petit Cuisinier habile, traité dans lequel elle affiche le souci d’offrir une cuisine pratique aux antipodes de la cuisine de luxe des grands chefs. Aglaé Adanson (1775-1852), dans sa Petite cuisinière de la maison de campagne (1825), seconde partie de Maison de campagne (1822), revendique d’écrire « pour les modestes habitants de la campagne ».
À partir des années 1830, outre la floraison de traités écrits par des « mesdemoiselles » (Françoise, Jeannette, Catherine, Thérèse et autres Marianne), certaines femmes sont de véritables novatrices. En 1819 est publié l’Oberrheinisches Kochbuch par Marguerite Spoerlin* (1762-1852), traduit en 1829 sous le titre La Cuisinière du Haut-Rhin, premier livre de cuisine régionale publié en France. En Angleterre, Eliza Acton innove avec son Modern Cookery for Private families (1845), en donnant des listes d’ingrédients avec les proportions, les temps de cuisson et le nombre de personnes servies, des tours de main et autres observations pratiques. L’année 1861 voit la sortie de la bible de la cuisine anglaise, Mrs Beeton’s Book of Household Management, d’Isabella Beeton, écrit dans un style léger, instructif et plein d’esprit, et abondamment illustré.
Outre-Atlantique, Amelia Simmons avait publié en 1796 le premier livre de cuisine américaine, American Cookery. Une trentaine d’années plus tard, The Virginia Housewife (1824), de Mary Randolph, connaît un grand succès, en réunissant près de 500 recettes destinées à limiter le temps passé en cuisine. Enfin, l’année 1881 voit la sortie de What Mrs Fisher knows about Old Southern Cooking, d’Abby Fisher, ancienne esclave qui, ne sachant ni lire ni écrire, dicta son livre de sorte qu’« un enfant puisse le comprendre et apprendre l’art de la cuisine ».
À la fin du siècle arrivent les revues culinaires et les écoles de cuisine, à commencer par Le Pot-au-feu, journal de cuisine pratique et d’économie domestique, fondé par des femmes journalistes. L’une de celles-ci qui signe « La Vieille Catherine » n’est autre que Marie Saint-Ange, auteure en 1927 d’un livre remarquable pour le détail de ses recettes. Une autre jeune femme, Marthe Distel, avait fondé en 1895 un journal culinaire rival, La Cuisinière Cordon-Bleu, qui proposa des cours de cuisine aux abonnées de la revue dès janvier 1896. La même année, Fanny Farmer publie The Boston Cooking School Cookbook, avec consignes nutritionnelles et recettes concises.
Le XXe siècle voit l’émergence de véritables vedettes de la cuisine dont les livres connaissent un immense succès. Ainsi, en France : Ginette Mathiot*, dès 1932 ; Mapie de Toulouse-Lautrec*, à partir des années 1950 ; Françoise Bernard*, dans les années 1960 ; Julie Andrieu, dans les années 2000, animatrice d’émissions télévisées et auteure de près de 20 livres. Aux États-Unis, The Joy of Cooking (1931) d’Irma >Rombauer s’est vendu à 18 millions d’exemplaires et, en 1961, c’est le tour de Mastering the Art of French Cooking de Julia Child*. Outre-Manche, Elizabeth David* avait commencé une transformation de la cuisine anglaise avec Mediterranean Food (1950), French Country Cooking (1951), Italian Food (1954), et Delia Smith sort, en 1971, How to Cheat at Cooking (« comment tricher en cuisine »).
Bien que les femmes cuisinent dans les restaurants depuis le XIXe siècle, les femmes « étoilées » restent encore marginales et n’ont pris la plume que tardivement. Ce n’est qu’à l’extrême fin de sa vie qu’Eugénie Brazier* a écrit ses recettes, publiées à titre posthume en 1977 sous le titre Les Secrets de la Mère Brazier. Depuis, les femmes restauratrices d’exception ont compris l’intérêt des voies de la presse. Parmi elles, Dominique Versini-Nahmias, une étoile au Michelin en 1981, dont La Cuisine d’Olympe a paru en 1982 ; Reine Sammut à Lourmarin, une étoile à partir de 1995, qui publia en 1997 La Cuisine de Reine et, surtout, Reine Sammut à la Fenière de Lourmarin, qui a reçu le grand prix Eugénie-Brazier en 2011 ; Hélène Darroze*, deux étoiles en 2003, avec Personne ne me volera ce que j’ai dansé (2005) et En-cas (2006) ; Anne-Sophie Pic* à Valence, quatrième femme à décrocher trois étoiles, en 2007, qui commence sa carrière d’écrivaine avec un petit livre, L’Artichaut, dix façons de le préparer (2002). Produisant une cuisine aussi spectaculaire que leurs confrères, ces femmes d’exception trouvent encore leur inspiration dans leurs traditions familiales ou régionales, proposant une cuisine hautement créative, et, à l’instar de leurs aïeules, simple, saine et nourricière.
Mary HYMAN
LIVYTSKA-KHOLODNA, Natalia [NÉE DANS LA RÉGION DE POLTAVA 1902 - TORONTO 2005]
Poétesse ukrainienne.
Natalia Livytska-Kholodna fut membre du groupe d’écrivains de l’École de Prague, une génération d’intellectuels vivant en émigration et dont la création a été marquée par l’histoire de l’Ukraine et la culture occidentale. Elle fait ses études à Varsovie, à Prague et à Podebrady et prend une part active dans les organisations féministes, puis a émigré aux États-Unis. Particulièrement active et entreprenante, Natalia Livytska-Kholodna devient l’initiatrice et la cofondatrice, avec Yehven Lypa et Yuri Malaniouk, de l’organisation littéraire indépendante Tank à Varsovie. Elle collabore également à la rédaction de la revue La Femme et publie, entre autres, dans Visnyk (« le messager ») et My (« nous »). Elle s’inscrit dans l’histoire de la poésie ukrainienne comme une combattante politiquement engagée. On lui doit des recueils de poèmes : Vohon’i popil (« le feu et les cendres », 1934) ; Sim liter (« sept lettres », 1937) ; Chliakh veletnia (« la voie d’un géant », 1955), sur la vie du poète Taras Chevtchenko.
Olga CAMEL
LI WEIKANG [PÉKIN 1947]
Actrice chinoise.
Spécialisée dans les rôles féminins, Li Weikang entre à l’Institut de théâtre traditionnel de Chine en 1958. Comme la plupart des actrices de sa génération, elle bénéficie, dans le cadre des institutions de la République populaire de Chine, de l’enseignement de nombreux professeurs et non plus d’un seul maître comme dans le système traditionnel. Diplômée, elle intègre la Troupe nationale d’opéra de Pékin en 1966, année du début de la Révolution culturelle. Élément prometteur de son école, elle se retrouve « élément révisionniste puant et noir ». Après de sombres années et dès 1977, elle conquiert le public grâce à son interprétation de : Yang Kaihui dans Die lian hua (« l’amour du papillon pour la fleur ») ; Li Qingzhao et Qin Xianglian, deux opéras portant le nom de leur héroïne. Son chant se caractérise par la synthèse des courants artistiques Mei (Lanfang), Zhang (Junqiu) et Cheng (Yanqiu). Elle emprunte aux opéras locaux et utilise certaines techniques propres à l’opéra occidental. Spécialisée dans les rôles de femmes vertueuses (qingyi), elle innove en enrichissant sa gestuelle d’emprunts aux autres emplois de coquettes et de combattantes. Elle assure sa renommée auprès du public et des professionnels en interprétant en particulier les héroïnes de : Bawang bie ji (« adieux à la favorite »), adaptation par Mei Lanfang (1894-1961) et Qi Rushan (1875-1962) d’un épisode du Shiji (« mémoires historiques », Sima Qian) ; Feng huan chao (« le phénix rentre au nid »), adaptation par les mêmes auteurs de Xunhuan xu (« cycle ») ; Silang tan mu (« Yang Silang visite sa mère ») ; Hongzong liema (« le coursier à la crinière rouge ») ; Yu Tangchun, du surnom de son héroïne ; Duan qiao (« le pont cassé », légende du Serpent blanc) ; Yuzhou feng (« l’épée de l’univers ») ; Yangmen nüjiang (« les générales de la famille Yang »). Elle obtient le prix Fleur de prunus en 1985 et le premier prix Mei Lanfang en 1993. Elle travaille ensuite au sein de la même troupe que son époux, Geng Qichang, et partage avec lui la scène dans de célèbres duos de « femme vertueuse » (qingyi) et d’« homme âgé » (laosheng).
Pascale WEI-GUINOT
LI XINING [CHENGDU 1951]
Acrobate, directrice de troupe et metteuse en scène chinoise.
Formée comme acrobate à l’école de cirque de la province du Liaoning, Li Xining mène de front une carrière artistique et pédagogique, et une carrière administrative et politique. Elle devient directrice de la Troupe militaire du Drapeau de la ville de Kunming dans la province du Hebei. Dans toute sa carrière, elle adapte les fondamentaux de la culture chinoise à la pratique de disciplines artistiques modernes, comme professeure, chorégraphe, metteuse en scène et productrice de spectacles en Chine et pour l’étranger. C’est sa troupe qui sert de colonne vertébrale dans la production du Cirque du Soleil, Dralion, en 2000. Elle emprunte à l’histoire et au patrimoine culturel chinois pour concevoir fresques ou longs poèmes chorégraphiés. Ainsi, en 2002, elle présente Mulan au Parc Disneyland de Paris, renouvelant avec la tradition occidentale des pantomimes des débuts du cirque moderne ; en 2010, Li Xining crée Cha (« le thé ») et, en 2012, adapte une œuvre majeure du répertoire poétique et chorégraphique chinois, L’Épopée du Roi Gaesar, héros populaire tibétain, présenté en mars au Grand Théâtre national de Chine (Opéra de Pékin, dessiné par Paul Andreu), avant d’entamer une tournée mondiale. Son travail de création, exemplaire par sa dimension esthétique, est emblématique de la recherche d’innovation entreprise actuellement par les directeurs d’écoles et de troupes acrobatiques chinoises… avec plus ou moins de bonheur.
Marika MAYMARD
LI YE [WUXING VIIIe s. - ID. 784]
Poétesse chinoise.
Le statut de nonne taoïste de Li Ye ou Li Jilan (de son prénom de lettrée) ne l’empêche guère de fréquenter nombre de lettrés tels que Lu Yu, auteur du Chajing (« le classique du thé ») et Shi Jiaoran, moine bouddhiste, devenus tous deux ses confidents. Elle excelle en création musicale et poétique, avec une tendance à la rêverie. Sa notoriété est telle que l’empereur Tang Xuanzong la mande à la cour : elle y restera environ un mois avant de retrouver sa vie pastorale, bien gratifiée par le souverain. En 784, elle est condamnée à mort en raison de son soutien au dissident Zhu Ci. L’ambiance libérale de l’époque a favorisé sa créativité. Les thèmes de l’amitié et du chagrin d’amour nourrissent son œuvre, dont ne nous sont parvenus que 16 poèmes, recueillis dans l’anthologie Quan Tangshi (« poésie complète des Tang », 1707) : « Ji Zhufang » (« à Zhufang ») et « Ji Jiaoshu qixiong » (« à mon septième frère Jiaoshu ») expriment, dans un style naturel dénué de larmoiements, ses sentiments sincères à l’égard de ses amis éloignés ; « Xiangsi yuan » (« mal d’amour ») et « Ba zhi » (« les huit extrêmes ») sont des poèmes d’amour, admirables de concision et de sagesse. « Ji Jiaoshu qixiong » est adressé à un poète qui travaille seul dans la bibliothèque nationale et invite le lecteur à partager sa solitude. « Ba zhi » souligne le paradoxe des relations homme-femme. Contemporaine de l’âge d’or de la poésie, l’auteure est considérée comme la meilleure poétesse de la dynastie Tang (618-907) ; son homologue Liu Changqing la qualifie d’« héroïne de la poésie ».
CHEN MI
■ CAO Y., PENG D. (dir.), Quan Tangshi (1707), Yanji, Yanbian renmin, 2004 ; GE R., SHEN L., Lidai funü shici jianshang cidian, Pékin, Zhongguo funü, 1992 ; JIANG M., WANG R., Zhongguo lidai cainü xiaozhuan, Hangzhou, Zhejiang wenyi, 1984 ; SHI B., À celui qui voyageait loin, poèmes d’amour de femmes chinoises, Paris, Alternatives, 2000.
LI YI’AN VOIR LI QINGZHAO
LI YIN (dite JINSHI, JINSHENG, SHIAN, KANSHAN YISHI ou HAICHANG NÜSHI) [QIANTANG, PROVINCE DE ZHEJIANGI 1616 - HAICHANG ? 1685]
Peintre chinoise.
D’après une note biographique du lettré Huang Zongxi (1610-1695), Li Yin – à propos de laquelle d’autres sources affirment qu’elle fut courtisane – fut formée très jeune à la poésie et à la peinture. Ye Danian, peintre de Hangzhou et disciple de Gao Kegong (1248-1310), lui aurait servi de professeur, l’initiant à une peinture à l’encre à la fois lettrée et originale, aux sujets cependant traditionnels : des paysages, des bambous, des fleurs et des oiseaux. Devenue la concubine (seconde épouse) du lettré et peintre Ge Zhengqi (mort en 1645), elle suit ce dernier à Pékin, où il occupe un poste important à la cour impériale. Les époux continuent à peindre et à calligraphier, s’entourant eux-mêmes d’œuvres d’art et de pièces antiques rares. En 1643, ils voyagent vers le sud puis se retirent dans leur villa de Haichang (Zhejiang). Comme d’autres couples d’artistes, ils réalisent parfois des œuvres communes, Ge ajoutant des calligraphies sur les peintures de Li. Après la mort de son époux, la peintre vit dans la solitude et se tourne vers le bouddhisme. Se trouvant dans une situation financière difficile, elle survit grâce à sa peinture – alors même qu’elle n’est pas une artiste professionnelle. Réalisées dans le style expressionniste de Chen Chun (1483-1544), autrement dit en xie yi (manière de peindre enlevée et suggestive), ses peintures sont bientôt considérées comme des souvenirs essentiels de Haichang. Au XIXe siècle, l’écrivain Qin Zuyong doit même mettre en garde les collectionneurs contre les imitations de Li Yin.
PENG CHANG MING
■ ECKE TSENG Y. (dir.), Wen-jen Hua : Chinese Literati Painting from the Collection of Mr. and Mrs Mitchell Hutchinson (catalogue), Honolulu, Honolulu Academy of Arts, 1988 ; WEIDNER M. S, LAING E. J., CHU C. et al. (dir.), Views from Jade Terrace : Chinese Women Artists, 1300-1912 (catalogue d’exposition), Indianapolis/New York, Indianapolis Museum of Art/Rizzoli, 1988 ; WEIDNER M. S., « The conventional success of Ch’en Shu », in ID. (dir.), Flowering in the Shadows : Women in the History of Chinese and Japanese Painting, Honolulu, University of Hawaii Press, 1990 ; YANG X., BARNHART R. M., CAHILL J. et al., Trois mille ans de peinture chinoise (1997), Arles, Philippe Picquier, 2003.
LI YINHE [PÉKIN 1952]
Sociologue chinoise.
Diplômée de l’université de Shanxi, Li Yinhe a obtenu un doctorat en sociologie à l’université de Pittsburgh, aux États-Unis (1988). Elle a été mariée à l’écrivain Wang Xiaobo, dont la mort en 1997 l’a profondément marquée. Professeure à l’Académie des sciences sociales de Chine, première femme sociologue chinoise à étudier la sexualité, activiste pour les droits des personnes LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres) et pour la justice sociale, elle figure parmi les intellectuels chinois les plus connus, les plus controversés et les plus influents dans la société contemporaine. À partir de 2003, elle a, à plusieurs reprises, soumis à la Conférence consultative politique du peuple chinois des propositions de légalisation du mariage homosexuel, tout en reconnaissant que son pays n’était pas encore prêt à entériner une telle proposition. Ses recherches ont porté notamment sur la sociologie de la famille, avec Zhong guo ren de xing ai yu hun yin (« sexualité et mariage des Chinois », 1991) et Sheng yu yu zhong guo cun luo wen hua (« procréation et culture villageoise chinoise », 1993), mais aussi sur la sexualité des femmes, avec Zhong guo nü xing de xing yu ai (« sexualité et amour des femmes chinoises », 1996).
Fondés sur des théories postmodernes et des investigations menées au sein de différents groupes sociaux et parfois dans le milieu rural, ses nombreux ouvrages déploient les rapports de force complexes et inégalitaires qui se tissent dans la structure sociale. À travers ses travaux sur des comportements sexuels généralement considérés comme « anormaux », la sociologue s’emploie à faire comprendre la nature de la sexualité humaine et à explorer l’état mental, éthique et comportemental d’une société en pleine mutation. Ses idées audacieuses sur des sujets sensibles provoquent des vagues de louanges ou d’attaques, sans pour autant faire l’objet d’un véritable débat public. Li Yinhe a notamment publié Nü xing quan li de jue qi (« montée du pouvoir de femmes ») en 1997 ; Tong xing lian ya wen hua (« subculture de l’homosexualité ») en 1998 ; Nue lian ya wen hua (« subculture du sadomasochisme ») en 1998 ; Nü xing zhu yi (« du féminisme ») en 2005 ; et Hou cun de nü ren men (« les femmes du village Houcun ») en 2009.
WEI KELING
■ « Chinese Women’s Stories of Love, Marriage and Sex », in East Asian Sexualities, Modernity, Gender and New Sexual Cultures, Londres/New York, Zed Books, 2008.
LJUBIĆ, Vesna [PRNJAVOR, AUJ. BOSNIE-HERZÉGOVINE 1938]
Réalisatrice bosnienne.
Première femme réalisatrice en Bosnie-Herzégovine, Vesna Ljubić a étudié la littérature à Sarajevo et la réalisation à Rome. En deuxième année d’études de cinéma, elle devient assistante auprès de Federico Fellini. Ses premiers films documentaires, Putovanje (« le voyage », 1970) et Smrt se otplaćuje živeći (« la mort se paie en vivant », 1970), ont été primés à Tokyo et à Rome. Ses longs métrages, Prkosna delta (« l’estuaire rebelle », 1980) et Skretničar uskotracnog kolosjeka (« l’aiguilleur des chemins de fer », 1987), ont été récompensés aux festivals de Bergame et de New Delhi, tandis que son documentaire Ecce homo a ouvert en 1994 la Conférence mondiale de la paix à Washington et reçu des prix aux festivals d’Amsterdam, de Los Angeles et de Créteil. Adio Kerida (2001) a lui été récompensé au Festival du film juif de Seattle.
Dragana TOMAŠEVIČ
LL, Natalia (née LACH-LACHOWICZ, dite) [ZYWIEC 1937]
Photographe polonaise.
Natalia LL compte parmi les plus importantes artistes féministes pionnières en Pologne. Elle a étudié à l’Académie de Wrocław entre 1957 et 1963. Auteure de films, séries photographiques, performances, vidéos, ainsi que textes théoriques, elle est aussi connue pour avoir organisé Women’s Art, la première exposition d’artistes femmes en 1978, à Wrocław. En 1970, elle a fondé, avec les photographes et artistes de la néo-avant-garde polonaise Zbigniew Dłubak, Andrzej Lachowicz et Antoni Dzieduszycki, le groupe et la galerie Permafo (« formalisation permanente »), actifs jusqu’en 1981, et a joué un rôle essentiel dans le développement d’une photographie non décorative. Son exploration de l’image érotique, depuis la fin des années 1960, sous l’influence des œuvres de Georges Bataille et du marquis de Sade, évolue désormais vers la pratique de la photographie conceptuelle, avec la célèbre série Consumer Art (1972-1974), présentée à la Biennale de Paris en 1975, puis Post-Consumer Art (1975), où les activités de consommation, surtout l’alimentation, sont représentées par des gestes et une imagerie évoquant l’érotisme, la culture pop et les mass media : ainsi, l’artiste, blonde, mange une banane, ou laisse dégouliner de sa bouche de la gelée blanche… Dans ses œuvres, Natalia LL s’intéresse à l’approche analytique de l’art conceptuel et du langage des signes. Elle utilise son visage comme un éventail d’expressions dont elle cherche des variations, qu’elle fixe ensuite dans une séquence d’images. Dans les années 2000, elle continue d’utiliser des images d’elle-même, ainsi que des citations religieuses et philosophiques. Ses œuvres ont été exposées à La Photographie polonaise (Centre Georges-Pompidou, 1982), à Europa, Europa (Kunst-und-Ausstellungshalle, 1994) à Bonn, et font partie de plusieurs collections internationales d’art contemporain.
Nataša PETRESIN
■ Art and Energy (catalogue d’exposition), Lachowicz A. (dir.), Wrocław, Muzeum Narodowe, 1994 ; The Gardens of Personalism (catalogue d’exposition), Sobota A. (textes), Varsovie, Centrum Sztuki Współczesnej, 1998.
■ PEJIĆ B. (dir.), Gender Check : Femininity and Masculinity in the Art of Eastern Europe (catalogue d’exposition), Cologne/New York, König/DAP, 2009.
LLANSOL, Maria Gabriela [LISBONNE 1931 - SINTRA 2008]
Écrivaine portugaise.
« Je suis née en 1931, au fil de la lecture silencieuse d’un poème », dit Maria Gabriela Llansol de sa naissance, au sein d’une famille où se croisent lignées portugaise et catalane. Le silence, qui ponctue son écriture endeuillée par des absences, a tissé l’œuvre ; c’est aussi celui de la mort qui l’a surprise chez elle à Sintra, dans ce lieu où elle vivait depuis son retour d’exil de Belgique (1964-1985) et qui abrite désormais l’espace Llansol. « Mon pays n’est pas ma langue », écrit-elle en écho à la phrase de Fernando Pessoa : « Ma patrie est la langue portugaise. » Le pays sans pays que l’écrivaine a habité était celui de l’écriture poético-littéraire en langue portugaise, qu’elle concevait comme une « fulgurance », un don de l’éclair. Son désir de toucher à une « langue sans imposture » est à l’origine d’une conception singulière de l’écriture et du texte. Dans Amigo e amiga : curso de silêncio (« ami et amie, cours de silence », 2004), les derniers mots de chaque page commencent la page suivante. Le texte est « un lieu qui voyage », et même un personnage. Des tirets, des blancs de taille variée, beaucoup de points de suspension et d’interrogation, des majuscules et des consonnes sifflantes percent le corps de cet « être texte » et sonnent le glas de la forme, du genre et du sens. Figurant le silence de l’innommé et de l’indicible, non sans un certain mysticisme, ces signes graphiques tracent des déchirures à vif dans le continuum d’un texte qui jamais ne narre ni ne représente quoi que ce soit. L’œuvre, qui débute en 1962 avec Os pregos na erva (« les clous dans l’herbe »), est hantée par des personnages imaginaires qui côtoient les figures historiques que M. G. Llansol a élues pour compagnons de pensée. Ses personnages, eux aussi « sans imposture », voyagent de livre en livre. Ils ont en commun la passion de la vie et de l’insolence créatrice – la même qui aimante l’œuvre llansolienne.
Fernanda BERNARDO
■ Un faucon au poing. Journal I (Um falcão no punho, diário I, 1985), Paris, Gallimard, 1993 ; Les Errances du mal (Contos do mal errante, 1986), Paris, Métailié, 1991 ; Le Jeu de la liberté de l’âme, l’espace édénique (O jogo da libertade da alma), [Capriasca/Paris], Pagine d’arte, 2003 ; La Foudre sur le crayon, Hölder, de Hölderlin, Cantilène (O raio sobre o lapiz ; Hölder, de Hölderlin ; Cantileno), La Rochelle, Les Arêtes, 2010.
■ BARRENTO J., Llansoliana (I), bibliografia activa e passiva, Espaço Llansol ; ID., Llansoliana (II), bibliografia comentada de M. G. Llansol (1962-2006), Espaço Llansol.
LLEWELYN-DAVIES, Melissa [LONDRES 1945]
Anthropologue et réalisatrice britannique.
Pendant plus de deux décennies, Melissa Llewelyn-Davies a étudié la culture des Masai, peuple du sud du Kenya, avec lesquels elle a réalisé et produit plus de 30 films. Consultante de Chris Curling pour Masai Women (51 min, 1974) sur l’initiation des jeunes femmes au mariage et à leurs futures tâches dans la société, elle évoque la polygamie et révèle l’absence de droits des femmes sur les propriétés foncières. Pour réaliser Masai Manhood (53 min, 1975), film sur les rituels d’initiation masculine, elle a accompagné les sept années de transition pendant lesquelles les jeunes hommes servent en tant que guerriers et apprennent des anciens la survie dans le monde extérieur. Diary of a Maasai Village (300 min, 1984), journal d’un village masai en cinq parties, découpe des moments dans l’histoire d’une famille pour aborder des questions concernant l’ensemble de la société face à la modernité. Woman’s Olamal : The Social Organisation of a Maasai Fertility Ceremony (114 min, 1985) suit les efforts d’une Masai pour persuader les anciens de sa tribu de mettre en œuvre une cérémonie de fertilité. Le cycle sur les Masai se ferme avec Memories and Dreams (92 min, 1993), qui raconte les changements culturels depuis 1974. Dans Women in the Middle East : Saints and Spirits (26 min, 1979), l’anthropologue montre le point de vue d’une femme sur l’islam. Un thème repris dans Some Women of Marrakech (53 min, 1981), qui parle de la vie et des conditions des femmes musulmanes au Maroc. En tant qu’anthropologue et féministe, elle conduit son travail de terrain et ses réalisations cinématographiques en insistant sur la construction sociale des rôles sexuels, sur la parole et le regard des femmes et sur leur place ou leur exclusion dans les processus de décision.
Carmen RIAL
■ « Two contexts of solidarity among pastoral Maasai women », in CAPLAN P., BURJA J. (dir.), Women United, Women Divided : Cross-Culture Perspectives on Female Solidarity, Londres, Tavistock, 1978 ; « Women, warriors and patriarchs », in ORTNER S., WHITEHEAD H. (dir.), Sexual Meanings : The Cultural Construction of Gender and Sexuality (1981), Cambridge, Cambridge University Press, 2010.
■ GRIMSHAW A., Conversation with Anthropological Film-Makers : Melissa Llewelyn-Davies, Cambridge, Prickly Prear Press, 1995.
LLOSA, Claudia [LIMA 1976]
Réalisatrice péruvienne.
Diplômée des universités de New York et de Madrid, Claudia Llosa, d’abord publicitaire, devient scénariste puis, encouragée par un prix, réalisatrice d’un film de fiction, Madeinusa (2006). Le film se passe dans un village reculé de la cordillère péruvienne, au moment de la commémoration du Vendredi saint, donnant lieu à d’étranges rituels. Fausta (La Teta asustada, 2009) aborde la mémoire nationale et la guerre civile sanglante contre le Sentier lumineux, à travers la métaphore d’une maladie qui se transmettrait par le lait maternel des femmes violées. L’histoire de Fausta, magnifiquement incarnée par Magaly Solier, qui place une pomme de terre au fond de son vagin pour se protéger de la malédiction et d’éventuelles agressions, est un voyage initiatique qui va de la peur à la découverte de soi et de la liberté. Un portrait en creux du Pérou. Après avoir reçu l’Ours d’or du Festival de Berlin, ce film atypique a connu une carrière internationale en peinant à trouver un distributeur dans son propre pays. Sélectionné au Festival de Berlin, le court-métrage Loxoro (2012, sur le langage créé par des transsexuels péruviens) a reçu le Teddy Award, prix remis par des homosexuels et des lesbiennes en marge de la Berlinale. C’est un devoir de « non-indifférence » qui a conduit C. Llosa au cinéma, le désir de se mettre à la place de l’autre, de s’emparer d’une problématique pour la transformer en histoire qui bouleverse et fait réfléchir.
Laurence MULLALY
LLOYD GEORGE, Megan [CRICCIETH 1902 - PWLLHELI, ID. 1966]
Femme politique britannique.
Fille de David Lloyd George, dernier Premier ministre libéral (1916-1922) de l’histoire du Royaume-Uni, Megan Lloyd George est, entre autres, la première femme élue députée dans une circonscription du pays de Galles. C’est en 1929, en remportant la circonscription d’Anglesey pour le Parti libéral, qu’elle entame une carrière politique qui la verra notamment s’ériger en défenseure de la cause galloise et des droits des femmes. Se signalant par son indépendance d’esprit et un certain radicalisme, elle est l’un des rares représentants de son parti à refuser son soutien au gouvernement d’union nationale formé par l’ancien travailliste James Ramsay MacDonald, en 1931. Cette forme de marginalité ne l’empêche pas d’être réélue en 1931 et 1935, en tant que candidate « libérale indépendante ». Elle tend d’ailleurs, durant ces années, à se rapprocher des positions défendues par les travaillistes sans pour autant rejoindre le Labour Party. C’est également à cette époque qu’elle entretient une relation amoureuse avec Philip John Noel-Baker, récipiendaire du prix Nobel de la paix en 1959 pour son engagement en faveur du désarmement. Très proche de son père, M. Lloyd George soutient notamment, en vain, son projet de « New Deal » en 1935 et l’accompagne, un an plus tard, lors de sa rencontre controversée avec le chancelier Hitler, à Berchtesgaden. Durant la Seconde Guerre mondiale, elle siège à la convention sur la réforme électorale et prend régulièrement position en faveur des droits politiques et sociaux des femmes. En 1945, elle échappe à la débâcle électorale du Parti libéral, parti dont elle dénonce régulièrement l’inclination de plus en plus prononcée vers les conservateurs. Principale représentante de la minorité « radicale », elle devient néanmoins vice-leader du Parti libéral en 1949. Mais sa défaite lors des élections de 1951 l’écarte de la scène politique et de son parti, avec lequel elle rompt définitivement en 1955. Alors que son frère, Gwilym, rejoint les rangs conservateurs, c’est en tant que travailliste qu’elle retrouve les bancs de la Chambre des communes en 1957. Jusqu’à la fin de sa vie, elle ne faiblira pas dans son engagement en faveur du pays de Galles, et défendra notamment l’idée de créer un Parlement gallois.
Jérôme TOURNADRE
■ JONES M., A Radical Life : The Biography of Megan Lloyd George, 1902-66, Londres, Hutchinson, 1991.
LLUCH DALENA, Julie [ILIGAN CITY 1946]
Sculptrice philippine.
Titulaire d’une licence de philosophie à l’université de Santo Tomàs (Manille) et sculptrice autodidacte, Julie Lluch Dalena commence à s’impliquer sérieusement dans l’art en 1976. Après sa première exposition en 1977, ses œuvres sont exposées aux Philippines et à l’étranger : à la troisième édition de l’Asian Art Show au musée des Arts asiatiques de Fukuoka (Japon) en 1989, à la première triennale Asie-Pacifique au Queensland Art Gallery en 1993 et à l’exposition du modernisme asiatique organisée par la Fondation du Japon et présentée en Thaïlande, en Indonésie ainsi qu’aux Philippines en 1995. Le Centre culturel des Philippines lui a consacré une rétrospective en 2008. Travaillant la terre cuite, la pierre, la céramique et le bronze, elle est connue pour ses portraits grandeur nature et ses groupes qui présentent des commentaires satiriques sur la relation entre les sexes – un thème récurrent qui deviendra plus ouvertement féministe dans les années 1980, une époque très mouvementée dans l’histoire des Philippines. Parmi ses dernières œuvres figurent des statues en bronze exposées en plein air, dont des monuments de personnages emblématiques de l’histoire de l’archipel, comme Arsenio Lacson, Le Marin, Ninoy Aquino, Evelio Javier, le président Manuel L. Quezon, Cayetano Arellano et José Abad Santos (anciens présidents de la Cour suprême), les missionnaires de Saint-Paul et le groupe Plaridel. L’artiste a reçu de nombreuses récompenses, dont le prestigieux Thirteen Artists Award, prix décerné par le Centre culturel des Philippines aux artistes émergents. Ses autres prix reflètent ses talents multiples d’écrivaine, de comédienne et de cinéaste. Elle est aussi fondatrice du groupe féministe Kalayaan (« liberté ») et cofondatrice du collectif de femmes artistes Kasibulan*.
Flaudette DATUIN
■ DATUIN F. M., Home Body Memory : Filipina Artists in the Visual Arts, 19th Century to the Present, Diliman, Quezon City, University of the Philippines Press, 2002.
LOBO, Eulália Maria LAHMEYER [RIO DE JANEIRO 1924 - ID. 2011]
Historienne brésilienne.
Eulália Maria Lahmeyer Lobo naît dans une famille bourgeoise de Rio de Janeiro, d’une mère aux origines allemande, française et portugaise et d’un père immigré et commerçant. Elle étudie au collège Jacobin, d’influence française, avant d’entrer en 1940 à l’Université du Brésil. Elle y suit un enseignement d’histoire et de géographie et obtient son diplôme en 1944 pour un travail d’histoire comparée consacré à l’administration coloniale luso-espagnole dans les Amériques. Soutenue en 1958, sa thèse de doctorat s’intitule Caminho de Chiquitos às Missões Guaranis (« chemins de Chiquitos aux missions Guaranis », 1960). Mariée au professeur de médecine Bruno Alípio Lobo, elle travaille au collège Pedro II (1957-1968) et passe avec succès le concours de professeure titulaire à l’Université fédérale de Rio de Janeiro (UFRJ) en 1967. En 1969, elle est incarcérée une semaine par la dictature militaire et mise à la retraite forcée. Elle ne réintègre l’université qu’après la loi d’amnistie de 1979. Entre-temps, elle est professeure invitée à l’université de Caroline du Sud, aux États-Unis. Elle enseigne de nouveau à l’UFRJ à partir de 1980, et ce jusqu’à sa retraite. Ses recherches pendant les années 1970 sont consacrées à la croissance urbaine de Rio de Janeiro, thème sur lequel elle publie en 1978 un ouvrage important, História do Rio de Janeiro, do capital comercial ao capital industrial e financeiro (« histoire de Rio de Janeiro, du capital commercial au capital industriel et financier »). Elle s’intéresse ensuite aux ouvriers, puis à l’immigration portugaise et açorienne (Imigração portuguesa no Brasil, « immigration portugaise au Brésil », 2001).
Cristina SCHEIBE WOLFF
■ GOMES A. C., VAINFAS R., « Entrevista com Eulália Maria Lahmeyer Lobo », in Estudos Históricos, vol. 5, no 9, 1992.
LOBO, Tatiana [PUERTO MONTT 1939]
Écrivaine chilienne.
Née au Chili, Tatiana Lobo réside au Costa Rica depuis 1967, et y a publié la totalité de ses écrits. Bien que certains critiques la considèrent costaricaine et que d’autres la voient chilienne, elle se déclare citoyenne du monde. Ses livres sont principalement axés sur l’identité costaricaine, la constitution d’un discours national, ainsi que sur le rôle subalterne des femmes et des minorités ethniques. Dans son œuvre, elle essaie de redéfinir de façon critique les époques et les événements historiques déterminants qui définissent l’espace latino-américain et en particulier celui du Costa Rica. Un autre élément clé de son œuvre est la mémoire, sorte de pulsion latente et opposée au discours patriarcal. Elle publie son premier livre en 1989, à l’âge de 50 ans. Elle établit un lien avec les écrivaines des années 1970 dans ses préoccupations sur la place et la voix des femmes. Son intérêt pour l’histoire la situe à l’intérieur des tendances latino-américaines du postmodernisme. Dans ses fictions, le thème du silence occupe une place remarquable. Elle tente de subvertir le discours historique/national en s’intéressant aux groupes auxquels on a nié une place dans la construction du projet national. Cette façon de repenser l’identité des différents protagonistes de l’histoire apparaît déjà dans la nouvelle Tiempo de claveles (« temps d’œillets », 1989) et atteint son sommet dans ses romans majeurs, Le Paradis assiégé, El año del laberinto (« l’année du labyrinthe », 2000) et El corazón del silencio (« le cœur du silence », 2004). Dans ce dernier livre, qui prend comme toile de fond la dictature de Pinochet au Chili, elle récuse la vision de l’histoire comme affaire publique pour privilégier le point de vue privé, familial et féminin. Elle a aussi publié un essai, Blancos y negros, todo mezclado (« blancs et noirs, tout mélangé », 1997, une chronique, Entre Dios y el Diablo, mujeres de la colonia (« entre Dieu et le Diable, les femmes de la colonie », 1993) et une pièce de théâtre, El caballero del V centenario (« le chevalier du Ve centenaire », 1989).
Uriel QUESADA
■ Le Paradis assiégé (Asalto al paraíso, 1992), Paris, Indigo & Côté-femmes, 1998.
■ BARBAS RHODEN L., « Colonial Realities and Fictional Truths in the Narrative of Tatiana Lobo », in Hispanófila, no 137, janv. 2003 ; SALAS E., SELEY RAMÍREZ G., « Génesis de la identidad costarricense en Asalto al paraíso », in Letras, no 35, 2003.
LOCHHEAD, Liz [MOTHERWELL 1947]
Poétesse et dramaturge britannique.
Issue d’un milieu écossais petit-bourgeois, Liz Lochhead étudie à la School of Art de Glasgow, puis enseigne l’art avant de se consacrer entièrement à l’écriture dès les années 1970, époque où elle se lie au « Group », atelier d’écriture animé par Philip Hobsbaum auquel participent entre autres Alasdair Gray, James Kelman et Tom Leonard. Son premier recueil de poèmes est publié en 1972, bientôt suivi de pièces et de scénarios pour la télévision. On trouve chez L. Lochhead une langue empreinte d’idiomes écossais (elle adapte d’ailleurs Le Tartuffe en écossais en 1985), mêlant lyrisme, clichés et langue familière en jouant sur l’articulation du langage, et qui trouve son plein épanouissement dans les performances pleines d’humour et d’ironie auxquelles elle se livre en public. Pour L. Lochhead, l’acte de langage est toujours politique. Les deux thèmes au cœur de son œuvre sont les questions de l’identité écossaise et surtout de la condition féminine, vue notamment au travers de la réécriture de mythes traditionnels ou la révision de figures historiques et gothiques dans des pièces (The Grimm Sisters, 1981 ; Medea, 2000) et des poèmes : les recueils Dreaming Frankenstein (1984) et Mary Queen of Scots Got her Head Chopped off & Dracula (« on a coupé la tête de Marie, reine d’Écosse, suivi de Dracula », 1989), où elle dénonce l’antiféminisme institutionnel.
Geneviève CHEVALLIER
■ Liz Lochhead’s Voices, Crawford R., Varty E. (dir.), Édimbourg, Edinburgh University Press, 1993.
LOCKE, Anne (ou Anne PROWSE, née VAUGHAN) [LONDRES 1530 - ID. après 1590]
Écrivaine religieuse britannique.
Née d’un père marchand et diplomate d’Henry VIII et d’une mère galloise, Anne Vaughan épouse John Locke. En 1557, elle accompagne, avec deux de ses enfants, le réformateur écossais John Knox (1514-1578) dans son voyage à Genève. Son mari l’y rejoint et elle traduit les œuvres de Calvin. Ils rentrent à Londres trois ans plus tard au moment où Elizabeth Ire monte sur le trône, gardant le contact avec J. Knox qui les informe de ses efforts de réforme pendant qu’elle répand ses idées parmi les marchands de Londres en diffusant sa version de quatre sermons de Calvin. Elle publie en 1560 une séquence de 26 sonnets – la première jamais écrite en anglais – sur le psaume 51 (A Meditation of a Penitent Sinner, « méditation d’un pécheur repentant ») et un volume de traductions de sermons qu’elle dédie à la duchesse de Suffolk. En 1572, après la mort de son mari, elle épouse Edward Derwing qui meurt en 1576. Elle se marie une troisième fois et, sous son nouveau nom d’Anne Prowse, publie en 1590 une traduction des œuvres en français du théologien Jean Taffin (1529-1602). Elle fonde véritablement la poétique puritaine qui est au cœur de la Réforme, source de méditation et d’introspection, hantée par le sentiment de culpabilité et de repentance et le désir de « construire les murs de Jérusalem ». À la charnière du XVIe et du XVIIe siècle, A. Locke, Mary Sidney* et Aemilia Lanyer* sont les trois voix qui mettent la femme au cœur de la relation de l’homme à Dieu par l’intermédiaire de la grâce, poésie dévotionnelle qui aboutira à John Donne et George Herbert.
Michel REMY
LOCKHART, Sharon [NORWOOD, MASSACHUSETS 1964]
Photographe et cinéaste américaine.
Après des études à l’Art Center College of Design de Pasadena puis à l’Art Institute de San Francisco, Sharon Lockhart contribue, au début des années 1990, à poser les bases d’une problématique commune : tenter de cerner l’espace « entre » les images, entre la photographie et le cinéma. La plupart de ses films sont faits de plans fixes et de dispositifs de contraintes liées au médium photographique, mais aussi de jeux entre le cadre et son hors-champ. L’ensemble de son travail est marqué par la suspension, un état de latence, de quasi-immobilité des acteurs, personnages pris dans leur propre environnement, dans leur routine. Hésitant entre imagerie documentaire et esthétisation du réel, l’artiste introduit cependant des éléments de chorégraphies, des gestuelles répétitives exécutées par des sujets participatifs du processus du film. Elle dépasse alors les notions de rôle, de personnage, et crée une zone de partage entre la spontanéité des actes et des situations véritablement « mises en scène » : dans son premier film, tourné en 16 mm, Goshogaoka (1998), qui se situe pendant un cours de basket au Japon, l’image fixe est traversée par de jeunes écolières qui se déplacent vers la caméra et désignent ainsi le dispositif filmique ; le geste ordinaire des adolescentes est réinterprété au travers d’une sorte de danse rituelle produite pour un public absent. Dans son film en 35 mm, Teatro Amazonas (1999), des spectateurs assistent au Brésil à une pièce d’avant-garde musicale, dont la partition est signée Becky Allen. La cinéaste opère un renversement – principe récurrent dans toute son œuvre –, en décentrant le regard du public du lieu de la fiction : à mesure que le spectacle se déroule, l’audience prend de plus en plus d’importance, devient le point focal de la scène en miroir, alors que les voix de la salle l’emportent sur celles du concert. Après quelques expérimentations, S. Lockhart réalise en 2006 son premier long-métrage pour le cinéma, Pine Flat, qui contribue à sa reconnaissance publique. Tourné dans la région éponyme en Californie où elle a vécu quelques années, ce film rend sensibles ses obsessions sur le temps filmique, et surtout celui de l’enfance et de l’adolescence.
Stéphanie MOISDON
■ Sharon Lockhart (catalogue d’exposition), Molon D., Bryson N. (textes), Chicago/Ostfildern, MoCA/Hatje Cantz, 2001 ; Pine Flat (catalogue d’exposition), Milan, Charta, 2006 ; Lunch Break (catalogue d’exposition), Neidhardt J. E. (dir.), St. Louis/Chicago, Mildred Lane Kemper Art Museum/University of Chicago Press, 2010.
LODIGIANI, Emilia [MILAN 1950]
Journaliste et éditrice italienne.
Après des études de langue et littérature anglaises, Emilia Lodigiani vit entre Boston et Paris de 1972 à 1985, travaille en tant que journaliste et profite d’une bourse élargie de l’Institut d’anglais de l’Università Statale de Milan. C’est pendant son séjour parisien que se développe son intérêt pour la littérature d’Europe du Nord et, en 1987, elle fonde la maison d’édition Iperborea, spécialisée en littérature contemporaine et classique d’Europe du Nord traduite en italien. Seule éditrice italienne dans ce secteur, très attentive à la fidélité et à la qualité des traductions, elle publie des auteurs finlandais comme Arto Paasilinna et la femme de lettres et peintre Tove Jansson*, norvégiens comme Herbjorg Wassmo*, néerlandais comme Hella S. Haasse*, ou encore suédois comme Björn Larsson et Selma Lagerlöf*, première femme Prix Nobel de littérature (1909). En 1996, elle reçoit l’Ordre royal de l’Étoile polaire, une distinction décernée par le roi de Suède, pour son action en faveur de la littérature suédoise.
Jacopo BASSI
■ BERTANTE A., « La signora iperborea editrice di ghiaccio », in La Repubblica, 12-4-2007 (éd. de Milan) ; FIORANI P., « Il nord nel cuore Piccoli libri, un grande successo “Così ho conquistato l’Europa” », in La Repubblica, 6-5-2001 (éd. de Milan).
LOEV, Hanna [MUNICH 1901 - ID. 1995]
Architecte allemande.
Après avoir étudié l’architecture à l’École supérieure technique de Munich (TH), Hanna Loev réussit en 1927 l’examen d’État pour entrer aux services d’architecture avec la meilleure note de sa promotion, devenant ainsi la première architecte d’État en Bavière. Employée jusqu’en 1930 au service de la Direction des postes, elle construisit de nombreux bureaux dans des villes de Bavière, ainsi que le Central téléphonique du Geiselgasteig, à Munich. Elle réalisa également un foyer de repos pour fonctionnaires à Bucha, au bord de l’Ammersee (1927-1929) et un lotissement expérimental. Avec Erna Meyer, spécialiste en économie domestique, et l’architecte Walther Schmidt, elle mit au point une « cuisine munichoise », la Münchner Küche, alliant les éléments de la nouvelle cantine rationalisée et de la cuisine familiale traditionnelle. Entre 1927 et 1928, elle entreprit également plusieurs projets dans le cadre de concours : une maison de repos à Bamberg, le grand ensemble de Walchenseeplatz à Munich, pour lequel elle obtint le premier prix, un lotissement dans la Ludwigsvorstadt dont le projet fut acheté, un ensemble d’habitations à Munich-Harlaching et, avec Heinrich Moll, le mémorial de guerre de Leipzig-Connewitz qui reçut les félicitations du jury. H. Loev compte parmi les représentants majeurs du courant architectural de Haute-Bavière qui domina dans la construction des postes, Mouvement moderne mâtiné de régionalisme. Mais, lorsqu’en 1931 Franz Holzammer fut nommé directeur du service, il ne sollicita plus ses compétences pour concevoir une architecture moderne. En 1940, elle fut mutée à la Direction de la construction des chemins de fer du Reich à Munich et conçut, pendant la guerre, les plans du Bureau central des chemins de fer allemands, de la Direction à la construction des chemins de fer ainsi qu’un hangar de locomotives. En contact avec le mouvement des femmes bavaroises depuis 1930, elle tint des conférences sur l’architecture moderne et publia quelques articles. Après la guerre, elle abandonna l’architecture et fit, à l’instar de son père, une formation de relieuse. Toutefois, elle eut une certaine activité privée : son projet pour le concours pour l’Institut de Chimie de l’Université technique de Munich fut primé (1952) et elle construisit, entre 1952 et 1958, trois immeubles de plusieurs logements.
Christiane BORGELT
■ MAASBERG U., PRINZ R., Die Neuenkommen ! Weibliche Avantgarde in der Architektur der zwanziger Jahre, Hambourg, Junius Verlag, 2004.
LÖFDAHL, Eva [GÖTEBORG 1952]
Peintre, sculptrice et performeuse suédoise.
Eva Löfdahl étudie à Konstfack, à Stockholm, puis à la Byam Shaw School of Art de Londres. Le groupe Wallda, qu’elle crée en 1980, avec Stig Sjölund et Max Book, développe des performances de cabaret et des happenings liant la peinture abstraite et des actions underground. On peut citer Boplats Otto réunissant la sculpture sociale (concept de Joseph Beuys), la peinture concrétiste et la musique punk. E. Löfdahl devient rapidement une actrice importante de la scène artistique de Stockholm. Son travail ne se limite pas au domaine de l’art. Elle participe à nombre de comités sociopolitiques dans le domaine de l’environnement et s’aventure dans des expéditions polaires, notamment au Spitzberg, en 1997, expérience qui engendrera plusieurs œuvres. Pendant le voyage, elle commence à écrire A Travelogue for Someone Who Participated in the Trip, dans lequel elle questionne la photographie documentaire et la démarche artistique comme quête de soi. En 2003, son voyage dans le nord de l’Afrique à la recherche de chemins de caravanes et d’oasis disparues donne To Circumnavigate a Pancake, une série de photos qui tente de relier l’homme à la nature, le temps vécu et les temps perdus. Ce qui intéresse l’artiste, ce n’est pas la « différence », tellement à la mode pendant les années postmodernes, mais la ressemblance, ce qui nous lie malgré nos dissemblances culturelles. Dans les années 2000-2010, elle travaille sur une série de sculptures blanches qui rassemblent des formes amorphes, absurdes ou érotiques, des hybrides qui s’inscrivent dans un courant postminimaliste et jouent avec l’image d’un subconscient collectif condamné à rester inanalysable. Si les critiques jugent son travail hermétique et inaccessible, elle déclare dans une interview au quotidien Dagens Nyheter : « Ce qui est problématique aujourd’hui, c’est que les gens s’acharnent à tout vouloir comprendre. » Trente ans plus tard, E. Löfdahl reste une des plus importantes artistes suédoises du début du XXIe siècle. The Whirling Box or From Foot to Toe, en 2011 au Moderna Museet, établit un bilan de son travail en forme d’œuvre d’art totale.
Sinziana RAVINI
■ Eva Löfdahl (catalogue d’exposition), Stockholm, Moderna Museet, 2010.
LOGHLAM, Jacqueline VOIR DAOUD, Zakya
LOIR, Marie-Anne [PARIS V. 1715 - ID. apr. 1769]
Peintre française.
La vie et la carrière de Marie-Anne (ou Marianne) Loir sont peu documentées. Elle naît dans une famille d’artistes connus dans la capitale depuis le XVIIe siècle ; son père, Nicolas Loir, aurait travaillé pour le roi, tandis que l’un de ses frères, Alexis, pastelliste et sculpteur, est désigné dans un document de 1746 comme « peintre du roi » et « membre de l’Académie royale de peinture ». La jeune femme est l’élève de Jean-François de Troy avant que celui-ci ne s’établisse à Rome en 1738, en tant que directeur de l’Académie de France. Dans une lettre de 1747, le peintre d’histoire la mentionne comme élève avec laquelle il est alors encore en relation. Peut-être a-t-elle d’ailleurs elle-même séjourné à Rome. Son frère s’y trouve vers 1739, et un Portrait de Marie-Charles-Auguste Grimaldi, comte de Matignon, frère du prince de Monaco, en berger de comédie porte au dos une inscription en italien avec le nom de la peintre et la date de cette même année (musée d’Art, Saint-Lô). En 1762, elle est élue à l’Académie de Marseille. Ses œuvres connues, essentiellement des portraits, sont datées des années 1745-1769. On lui attribue une dizaine de portraits de modèles issus essentiellement de l’aristocratie. Un Portrait de Gabrielle-Émilie Le Tonnelier de Breteuil, marquise du Châtelet (musée des Beaux-Arts, Bordeaux, 1745-1749), proche amie de Voltaire, présente avec simplicité et spontanéité la personnalité de la marquise érudite. Dans les années 1760, l’artiste travaille pour des commanditaires de Pau, comme la famille Duplaa. Sa manière élégante la rapproche des portraitistes Jean-Marc Nattier ou Louis Tocqué, mais avec une touche plus naturelle et fidèle à la réalité du modèle. S’ils ont souvent été considérés comme des imitations, ses portraits témoignent cependant d’une approche toute personnelle du genre.
Anne-Sophie MOLINIÉ
■ HARRIS A. S., NOCHLIN L. (dir.), Femmes peintres, 1550-1950 (Women Artists : 1550-1950, 1976) (catalogue d’exposition), Paris, Des femmes-Antoinette Fouque, 1981 ; LAFOND P., Alexis Loir, peintre du roi, membre de l’Académie royale, Marianne Loir, Paris, Nourrit & Cie, 1892.
LOI SMET-TOBBACK SUR LES QUOTAS [Belgique 1994]
En 1948, l’accès des femmes belges au suffrage n’a pas influencé immédiatement leur participation à la politique. Peu d’entre elles sont élues ou nommées à des postes de responsabilité. Pour rendre plus effective une égalité qui restait formelle, la sociale-démocrate flamande Paula d’Hondt dépose à la Chambre des représentants, en janvier 1980, une première proposition de loi visant à limiter à trois quarts le nombre de candidats d’un même sexe sur les listes électorales. Déclarée inconstitutionnelle par le Conseil d’État comme portant atteinte à l’égalité de tous les citoyens, la proposition est rejetée en mai 1981. Le débat ressurgit périodiquement pendant plusieurs années sur la base juridique d’une convention des Nations unies de décembre 1979, que la Belgique a signée. Selon ce texte, « l’instauration de mesures temporaires spéciales visant à accélérer une égalité de fait entre les hommes et les femmes n’est pas considérée comme un acte de discrimination ». En 1992, Miet Smet (du parti social-chrétien flamand, CVU) – alors ministre de l’Emploi et du Travail, chargée de la politique pour l’égalité des chances – réunit la Commission du travail des femmes et le Conseil de l’émancipation sociale en un seul organe : le Conseil de l’égalité des chances. Elle dépose avec Louis Tobback (parti socialiste) un projet de loi sur les quotas destiné à favoriser une représentation plus équilibrée entre les sexes sur les listes électorales. Il faudra attendre encore deux ans pour que la loi soit votée en mars 1994 et promulguée le 24 mai 1994. Cette loi prévoit qu’il ne peut y avoir plus de deux tiers de candidats d’un même sexe sur une liste électorale, à tous les niveaux d’élections. C’est un progrès par rapport au projet initial qui prévoyait un quota de 25 % de candidates sur les listes, et seulement pour les élections municipales. En revanche, la clause de l’alternance destinée à garantir aux candidates d’être placées en position éligible n’a pas été maintenue. Or c’est précisément ce positionnement sur les listes qui fait problème. Aussi, la loi électorale de 2002, complétant la loi Smet-Tobback, impose que les deux premiers candidats d’une liste soient de sexe différent. Malgré le rejet de l’obligation de l’alternance hommes-femmes sur l’ensemble d’une liste, la mesure s’est révélée efficace puisqu’aux élections de juin 2007, 34,7 % de femmes sont élues à la Chambre des représentants et 38 % au Sénat.
Armelle LE BRAS-CHOPARD
■ CASTERMANS G., KEYMOLEN D., SMET M., De geschiedenis geweld aangedaan. Destrijd voor het vrouwenstemrecht 1886-1948, Anvers, Instituut voor Politiek Vorming, 1981 ; GUBIN É., VAN MOLLE L., Femmes et politique en Belgique, Bruxelles, Racine, 1998.
LOI SUR LA PARTICIPATION CONJOINTE DES HOMMES ET DES FEMMES [Japon 1999]
La mobilisation des femmes autour des Nations unies entre 1975 (Année internationale de la femme) et 1995 (année de la IVe Conférence sur les femmes de Pékin) ainsi que les textes et plateformes d’action adoptés par les États dans ce contexte ont permis aux mouvements féministes japonais de faire adopter, en 1999, une loi fondamentale connue sous le nom de « loi sur la participation conjointe des hommes et des femmes ». Dans son premier article, celle-ci stipule qu’au XXIe siècle, dans un contexte de dénatalité et de société vieillissante, l’égalité entre hommes et femmes est une nécessité et qu’elle a pour objet de la rendre concrète. Elle souligne par ailleurs que le gouvernement, les collectivités locales et les citoyens ont tous une responsabilité dans la poursuite de cet objectif. La société de participation conjointe des hommes et des femmes est définie comme « une société où hommes et femmes, membres égaux de la société, se voient garantir des opportunités de participer à des activités dans tous les domaines selon leur volonté, donc une société où hommes et femmes peuvent bénéficier des bienfaits politiques, économiques, sociaux et culturels de la société de façon égale et partager les responsabilités ». La loi prévoit encore le recours à des mesures positives pour corriger les disparités entre hommes et femmes. Un an après son adoption, elle a été assortie d’un plan gouvernemental pour la participation conjointe des hommes et des femmes (danjo kyōdō sankaku kihon keikaku), qui détaille les très nombreux domaines où il est particulièrement nécessaire d’agir : conditions de travail des femmes, sort des personnes âgées, mais aussi violences faites aux femmes au travail (harcèlement sexuel) comme dans la sphère privée (violence domestique). Le caractère très général de la loi et l’ampleur du chantier ouvert par le plan qui l’accompagne rendent difficile à ce jour une évaluation de ses effets.
Marion SAUCIER
■ KASHIMA T., Danjo kyōdō sankaku no jidai, Tokyo, Iwanami Shoten, 2003.
LOISSET, Émilie [1854 - PARIS 1882]
Écuyère française.
Laurence Émilie Marcelle Roux est la fille de Fortunée dite Camille-Antoinette Loisset, écuyère, et de Jean-Joseph Roux, glacier rue Royale. Émilie et sa sœur Clothilde sont de brillantes élèves du maître écuyer François Loisset, leur oncle, et de son épouse Caroline Loyo*. En 1878, elles sont les écuyères vedettes de Victor Franconi. Écuyère principale, Émilie dirige neuf écuyères dans La Manœuvre des hussards et la partie féminine d’un quadrille, La Grande Fantaisie équestre. Délaissant le « panneau » pour la haute école, elle n’accepte d’engagement que chez Renz à Berlin et Franconi à Paris. Sa renommée est telle que pour son retour au Cirque d’Eté, en 1881, V. Franconi organise un dîner et un bal en son honneur. Pour affirmer sa liberté, elle fait graver sur sa cravache sa version de la devise des sires de Coucy : « Reine ne puis, Princesse ne daigne, Loisset suis… ! » Brièvement fiancée au prince de Hastfeld rencontré à Berlin, elle annule pour préparer de nouvelles prouesses et dresser deux chevaux « sauteurs » rapportés de Berlin, J’y pense et Pour toujours. Charles Franconi, directeur du Cirque d’Hiver, lui conseille en vain de se défaire de Pour toujours, animal rétif et ombrageux. Le 15 avril 1882, lors d’une répétition, le cheval se dérobe au moment de sauter et, cinglé par un coup de cravache de l’écuyère, part brusquement en coulisse, glisse et tombe devant la porte fermée des écuries, se renversant sur elle. Blessée à l’abdomen par la fourche de sa selle, É. Loisset meurt au bout de deux jours d’agonie, en fredonnant la musique de son entrée, La Valse des gardes. Le 19 avril, ses obsèques sont une ultime consécration. La foule parisienne l’accompagne au cimetière de Maisons-Laffitte où elle repose dans le caveau des Loisset.
Marika MAYMARD
■ VAUX B. de, Écuyers et écuyères : histoires des cirques d’Europe (1680-1891), Paris, J. Rothschild, 1893.
■ RÉMY T., « Les “petites” Loisset », in Le Cirque dans l’univers, no 87, 1972.
LOIZEAU, Emily [NEUILLY-SUR-SEINE 1975]
Auteure, compositrice, interprète franco-britannique.
Fille d’un couple franco-britannique, Emily Loizeau grandit en France où elle débute le piano à 5 ans, avant de s’initier au violon et à la contrebasse au cours de son adolescence. Après des études de philosophie et une formation théâtrale à Londres, elle se voue à la musique. Elle autoproduit son premier disque La Folie en tête, assure les premières parties de divers artistes (Tryo, Patricia Kaas*…) et attire l’oreille du public et de la profession lors du festival Chorus en 2005. L’agilité de son écriture, sa facilité à manier les mots et les sons de la langue anglaise et française, et le métissage dosé de ses sources d’inspiration – allant de Georges Brassens à Nina Simone*, en passant par Barbara* et Tom Waits – offrent un cocktail réussi qui singularise son premier album, L’Autre bout du monde, salué par la critique et le public. Elle part aussitôt en tournée nationale, en s’arrêtant sur la scène du Grand Rex en 2007. Deux ans plus tard, avec la complicité de ses amis auteurs (Thomas Fersen, Moriarty, le Chœur des femmes à barbe…), elle enregistre Pays sauvage, son deuxième album, aux sonorités plus folk et country, qui vagabonde entre contes de fées, fêtes foraines et pays des oiseaux imaginaire. En 2012 paraît Mothers & Tygers. La tournée qui s’en suit sera marquée par le Slow tour en Cévennes : un concept original d’une poignée de concerts 100 % écolo. E. Loizeau a été couronnée du prix Sacem et du prix Constantin.
Anne-Claire DUGAS
■ L’Autre bout du monde, Fargo, 2006.
LOJEN, Erika (née HEINZ) [GRAZ 1938]
Architecte autrichienne.
Installée à son compte à Graz depuis 1969, Erika Heinz lie architecture et art, mise en scène d’expositions et installations artistiques. Diplômée en 1963 de l’Université technique de Graz, elle épouse le peintre et architecte Gerhard Lojen (1935-2005) et est, en 1977, l’un des membres fondateurs du Gruppe 77, association d’artistes de Graz dont l’un des objectifs est l’expérimentation sans restriction de toutes les formes d’expression. Parmi ses projets réalisés, on relève la banque Raiffeisen, la mairie et des logements de fonction à Wolfsberg (1976) ainsi que plusieurs bâtiments scolaires : à Steyr l’ensemble Tabor réunissant deux écoles primaires et deux collèges (1954-1967), à Graz, le jardin d’enfants et la crèche Murfel (1997-1999) et à Saint-Oswald, la rénovation et l’agrandissement d’une école (1994). Elle a également conçu, avec des artistes du Gruppe 77, des installations minérales et géométriques comme Friedensweg (« le chemin de la paix »), qui longe le cimetière central de Graz, l’aménagement d’un parking à Bad Waltersdorf (1985), ou celui d’un espace extérieur au sein d’un ensemble de logement à Graz (1987).
Elke KRASNY
■ BAUER A., GUMPINGER I., KLEINDIENST E. (dir.), Frauenarchitektouren. Arbeiten von Architektinnen in Österreich, Salzbourg/Munich, A. Pustet, 2004.
LOKHVITSKAÏA, Mirra [SAINT-PÉTERSBOURG 1869 - ID. 1905]
Poétesse et auteure dramatique russe.
Fille d’un avocat, professeur de droit et écrivain, Mirra Alexandrovna Lokhvitskaïa est l’aînée de trois sœurs écrivaines, dont la plus connue est Teffi. Composer de la poésie est son passe-temps favori dès l’enfance. Elle sort diplômée en 1888 de l’école Alexandre. Elle se marie en 1892, a cinq enfants, puis vit une passion amoureuse avec le poète Konstantine Balmont. Ses premiers vers, qui effraient les éditeurs par leur sensualité débridée, paraissent dès 1888 dans les revues Severnyï Vestnik (« le messager du Nord ») et Rousskaïa Mysl’ (« la pensée russe »). Son premier recueil, Stikhotvoreniia (« poèmes », 1896), reçoit le prix Pouchkine de l’Académie impériale des sciences. Il lui est de nouveau attribué en 1905, à titre posthume, pour le cinquième volume du même recueil. En 1908, sa famille fait éditer un dernier livre, Pered zakatom (« au crépuscule »), et d’autres poèmes inédits. Une sélection de ses poèmes ainsi qu’une de ses pièces de théâtre, Vandeline, sont publiées après sa mort. La pièce reçoit un accueil enthousiaste au théâtre Kholmskaïa. Skazka (« le conte ») fait partie de la saison 1909-1910. L’œuvre de M. Lokhvitskaïa rencontre un très grand succès, grâce à sa manière directe de parler de la sensualité féminine, mais aussi grâce à son charisme, qui fait merveille lors des lectures publiques de sa poésie. Son influence sur Anna Akhmatova* et Marina Tsvetaïeva* dans leur approche de la liberté féminine est immense.
Françoise DARNAL-LESNÉ
LOKHVITSKAÏA, Nadejda ALEXANDROVNA VOIR TEFFI, Nadejda
LOKTEV, Julia [SAINT-PÉTERSBOURG 1969]
Cinéaste et vidéaste russo-américaine.
Depuis une quinzaine d’années, Julia Loktev développe une œuvre qui interroge les limites entre fiction et réalité. À l’âge de 9 ans, elle quitte l’URSS pour le Colorado avec sa famille. Elle étudie la communication à l’université de Montréal, puis le cinéma à l’université de New York. Son travail de fin d’études, le documentaire Moment of Impact (1998), dont le thème est la mort de son père, reçoit de nombreuses recompenses et intègre la collection permanente du Museum of Modern Art (MoMA) à New York. Son deuxième long-métrage, Day Night Day Night (2006), reçoit le prix Regards jeunes à Cannes. L’artiste conçoit son œuvre comme des moments d’expérimentation formelle et de liberté créative. Situées à mi-chemin entre fiction et documentaire, ses vidéos explorent des situations émotionnelles extrêmes et repoussent les frontières entre espaces privé et public. Dans I Cried for You (« j’ai pleuré pour vous », Toronto, 2010), elle propose à des acteurs, dans une chambre d’hôtel, de pleurer devant sa caméra sans recourir au monologue ni au dialogue. Les images prises par l’artiste et par une autre caméra cadrant en plan large sont montrées en diptyques. L’autre grand champ d’investigation de la vidéaste sont les activités du quotidien : les exercices d’haltérophiles pris en gros plans pour Press Shots (2001) ou le long parcours en métro montré dans sa première installation, Said in Passing (« dit en passant », 2000), très remarquée lors de sa présentation à la Tate Modern. Les plans-séquences mettent en scène cinq séries de femmes dans le métro new-yorkais. Cinq vidéos sont projetées les unes à côté des autres sur un écran polyptyque de 11 mètres de longueur. La bande-son est constituée des réponses, psalmodiées à la manière d’un monologue intérieur, de ces femmes à un questionnaire intime et exhaustif. Ces « bouts de vie » montrent et cachent à la fois les identités de ces passantes. À l’image du métro, l’art de J. Loktev est un espace de rencontre entre différents éléments : on y retrouve de multiples genres, gens, origines et réalités. Ses installations multi-écrans ont été présentées, entre autres, à la Tate Modern Gallery de Londres, à la Haus Der Kunst de Munich, au PS. 1 Contemporary Art Center de New York et à la Biennale de Valence en Espagne.
Lúcia RAMOS MONTEIRO
LOLLOBRIGIDA, Gina (Luigina LOLLOBRIGIDA, dite) [SUBIACO, PROVINCE DE ROME 1927]
Actrice, réalisatrice, photographe et sculptrice italienne.
Modèle de romans-photos puis reine de beauté, Gina Lollobrigida débute à l’écran en 1946. Sa chevelure noire, sa silhouette pulpeuse, sa personnalité rayonnante lui valent vite le succès. Dans Fanfan la Tulipe (Christian-Jaque, 1951), elle séduit Gérard Philipe. Elle est un des fantasmes de l’acteur dans Les Belles de nuit (René Clair, 1952). La série des Pain, amour et fantaisie (Pane, amore e fantasia, 1953), Pain, amour et jalousie (Pane, amore e gelosia, 1954), de Luigi Comencini, avec Vittorio De Sica, la rend encore plus populaire. Elle est Esmeralda dans Notre-Dame de Paris (Jean Delannoy, 1956, d’après Victor Hugo), et tourne des films en anglais, comme Trapèze (Trapeze, Carol Reed, 1956), incarnant la reine de Saba pour King Vidor dans Salomon et la reine de Saba (Solomon and Sheba, 1959). Elle est Pauline Bonaparte dans Vénus impériale (Venere imperiale, J. Delannoy, 1962) avant de tourner avec Mauro Bolognini : Les Poupées (Le Bambole, 1965, avec Jean Sorel) ; Ce merveilleux automne (Un bellissimo novembre, 1969). En 1975, elle réalise le documentaire Ritratto di Fidel, sur Fidel Castro, se consacrant ensuite à la photographie et à la sculpture.
Bruno VILLIEN
■ Italia mia, photographies de Gina Lollobrigida, Paris, Flammarion, 1973.
■ Gina Lollobrigida, vissi d’arte (catalogue d’exposition), Milan, F. Motta, 2009.
LOMBARD, Carole (née Jane Alice PETERS) [FORT WAYNE 1908 - TABLE ROCK MOUNTAIN 1942]
Actrice américaine
Carole Lombard fait ses débuts au cinéma à l’âge de 13 ans, sous la direction d’Allan Dwan qui lui offre un rôle de garçon manqué dans A Perfect Crime (1921). Elle enchaîne ensuite sur des farces burlesques de Mack Sennett, dans lesquels elle fait preuve d’un humour ravageur. Elle joue alors dans des comédies sophistiquées qui la mettent en valeur : Train de luxe (Twentieth Century, Howard Hawks, 1934) ; Godfrey (My Man Godfrey, Gregory La Cava, 1936) ; La Joyeuse Suicidée (Nothing Sacred, William Wellman, 1937) ; ou encore les films de Mitchell Leisen. Alfred Hitchcock souligne son autodérision et son aplomb dans la comédie Joies matrimoniales (Mr and Mrs Smith, 1941). Elle tourne également dans Jeux dangereux (To Be or Not To Be, 1942), le chef-d’œuvre d’Ernst Lubitsch, profonde satire du nazisme contre lequel Carole Lombard n’hésitait pas à s’engager publiquement. En 1942, elle disparaît dans un accident d’avion, lors d’une campagne de propagande pour l’armée américaine. Elle a été mariée à son partenaire William Powell de 1931 à 1933, puis, à partir de 1939, à Clark Gable.
Bruno VILLIEN
■ GEHRING W., Carole Lombard, the Hoosier Tornado, Indianapolis, Indiana Historical Society, 2003 ; MALTIN L., Carole Lombard, New York, Pyramid, 1976 ; MATZEN R. D., Carole Lombard : A Bio-Bibliography, New York, Greenwood Press, 1988.
LOMNITZ, Larissa [PARIS 1932]
Anthropologue mexicaine.
Fille de l’ethnologue Miguel Adler, Larissa Lomnitz suit des études d’anthropologie à l’université de Californie puis part vivre au Chili. Elle y débute des recherches novatrices sur les rapports entre parenté et vie politique en Amérique latine. Ses premiers travaux portent sur le concept de compadrazgo (« parrainage »), qui recouvre un système de réciprocité et de solidarité de classe au service du pouvoir politique et économique des membres d’un groupe. Installée par la suite au Mexique, elle soutient en 1974 une thèse de doctorat en anthropologie sociale sur la Structure socio-économique d’un bidonville de la ville de Mexico. Naturalisée mexicaine, elle enseigne à l’université nationale autonome du Mexique. Elle y poursuit ses recherches d’anthropologie politique en prenant l’université comme terrain ethnographique en tant qu’espace de confrontation de forces politiques et idéologiques. Après un travail comparatif sur les réseaux familiaux des populations marginalisées et ceux des « hommes d’affaires », elle étudie, avec Marísol Pérez Lizaur, des familles de l’élite urbaine de Mexico. Ayant eu accès à plus de cent cinquante années de l’histoire de ces familles privilégiées par la révolution mexicaine, elles font une analyse très riche de leurs entreprises familiales et du rôle des femmes. Elle se penche ensuite sur le rôle du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI) lors des élections présidentielles de 1988. Elle montre comment le PRI est parvenu à recréer des mythes nationaux – la révolution sociale, le métissage et une unité nationale supposée –, établissant ainsi une confluence symbolique de plusieurs secteurs de la société. Depuis une vingtaine d’années, l’anthropologue se consacre à d’autres questions comme le monde post-socialiste, avec des recherches en Hongrie et en Moldavie.
Vinicius FERREIRA et Miriam GROSSI
■ Cómo sobreviven los marginados, historia y desarrollo de una profesión en México, Mexico, Siglo XXI, 1975 ; Networks and Marginality : Life in a Mexican Shantytown, New York, Academic Press, 1977 ; avec FORTES J., Becoming A Scientist In México, University Park, Penn State Press, 1990 ; Chile’s Middle Class : A Struggle for Survival in the Face of Neoliberalism, Boulder, Lynne Rienner Publishers, 1991.
■ DE LA PEÑA G., « Presentación : Larissa Adler Lomnitz, antropóloga latinoamericana », in LOMNITZ L. A., Redes sociales, cultura y poder, ensayos de antropología latinoamericana, Mexico, Flacso, 2007.
LONDON, Julie (Gayle PECK, dite) [SANTA ROSA 1926 - ENCINO 2000]
Chanteuse et actrice américaine.
Julie London doit sa postérité au film musical La Blonde et moi, sorti en 1956 avec Jane Mansfield ; le personnage joué par Tom Ewell rentre chez lui lorsqu’une apparition fantomatique chantant le classique Cry Me a River le fait sursauter : c’est Julie London. Très tôt convaincue de sa réussite à Hollywood, elle se fait un nom dès la fin des années 1940, partageant l’affiche avec Edward G. Robinson, dans La Maison rouge. Elle représente alors la quintessence de la star mystérieuse, inaccessible. Elle apparaît dans plusieurs grands films, en particulier dans deux magnifiques westerns, L’Homme de l’ouest d’Anthony Mann, où elle côtoie Gary Cooper, et Libre comme le vent de Robert Parrish. Mais le public se remémore surtout la chanteuse. Si d’autres ont repris Cry Me a River, c’est bien sûr sa version de 1955, sensuelle et élégante, enregistrée avec peu de moyens – voix, basse et guitare –, sur son premier disque, Julie Is Her Name, qui reste la plus connue.
Stéphane KOECHLIN
■ Julie Is Her Name, Liberty, 1955 ; Lonely Girl, Liberty, 1956 ; Calendar Girl, Liberty, 1956 ; About the Blues, Liberty, 1957 ; Julie Is Her Name, Volume II, Liberty, 1958.
LONG, M. J. [SUMMIT, NEW JERSEY 1939]
Architecte américano-britannique.
Brillante étudiante, Mary Jane, dite M. J. Long obtient sa maîtrise en architecture à l’université Yale en 1964. L’année suivante, elle s’installe en Grande-Bretagne et s’associe à l’architecte Colin St. John Wilson (1922-2007), qu’elle épouse en 1972 et qui sera son partenaire professionnel de 1974 à 1996. Elle réalise avec lui le projet de la nouvelle British Library (Londres 1974-1996) dont il est l’architecte en chef. Ce remarquable édifice public, désigné comme l’un des six bâtiments marquants du millénaire, ne lui vaut pourtant aucun honneur. Pour asseoir sa réputation, elle doit ouvrir sa propre agence : elle fonde en 1994 la société Long & Kentish, spécialisée dans la construction de bibliothèques, de restaurants et de musées, comme le Musée maritime national (Falmouth 1996-2002).
Lynne WALKER
■ The Architects’Story. National Maritime Museum Cornwall, Londres, Long & Kentish Architects, 2003.
■ KITE S., MENIN S., An Architecture of Invitation. Colin St John Wilson, Aldershot (Hampshire), Ashgate, 2005 ; TOY M. (dir.), The Architect. Women in Contemporary Architecture, New York, Watson-Guptill, 2001.
LONG, Marguerite [NÎMES 1874 - PARIS 1966]
Pianiste française.
Pédagogue éminente, fondatrice à la fois d’une école et d’un célèbre concours qui portent son nom, Marguerite Long a excellé dans le répertoire français de son temps, ainsi que dans les œuvres de Frédéric Chopin et des romantiques. Elle était l’amie de Gabriel Fauré, qui lui a dédié le quatrième de ses Impromptus, de Claude Debussy, de Pierre Vellones et de Maurice Ravel, lequel lui a dédié son Concerto en sol, qu’elle a créé en janvier 1932 sous la direction du compositeur, et présenté dans toute l’Europe. D’abord élève du Conservatoire de Nîmes où le compositeur Théodore Dubois, professeur au Conservatoire de Paris, la remarque, elle poursuit ses études au Conservatoire de Paris. Après son Premier Prix obtenu à 15 ans, elle se perfectionne auprès d’Antoine-François Marmontel, qui lui inculque l’art d’enseigner le piano. Elle fait ses débuts Salle Pleyel-Wolff à Paris en 1893. Le développement de sa carrière est cependant contrarié par les préjugés sociaux de la bourgeoisie qui dénie aux femmes toute capacité créatrice, et elle ne se produira de nouveau en public qu’en 1903, aux Concerts Lamoureux. Elle se tourne alors vers l’enseignement. En 1906, elle est nommée professeure au Conservatoire de Paris, où elle enseigne trente-quatre ans et où elle élabore une méthode d’enseignement du piano qu’elle publiera en 1963. Elle attache une très grande importance au doigté, aux gammes quotidiennes, à la position des poignets haut au-dessus du clavier et à l’arrondi des doigts, conditions essentielles du jeu perlé « à la française ». Sans déprécier le compositeur, elle considère l’interprète comme celui qui réveille « la musique endormie sur le papier » et la fait entendre au compositeur même. À partir de 1921, elle enseigne à l’École normale de musique où l’appelle son fondateur, Alfred Cortot. Parmi ses élèves, Samson François, Jacques Février, Setrak, Lucette Descaves, Yvonne Lefébure*, Nicole Henriot, Bruno Leonardo Gelber… En 1941, elle fonde l’École Marguerite-Long avec l’aide de Jacques Thibaud, avant de créer deux ans plus tard avec ce dernier le Concours Long-Thibaud, dont elle s’occupera parallèlement, tandis que la manifestation acquiert une dimension internationale en 1946. Parmi les nombreuses œuvres qui lui ont été dédiées, la Navarra d’Albéniz, la Rhapsodie portugaise d’Ernesto Halffter, le Concerto pour piano nO 1 de Darius Milhaud, les Passacailles importunes d’Érik Satie, l’Improvisation nO 1 de Francis Poulenc, Le Tombeau de Couperin de Maurice Ravel. Elle a également créé l’Étude pour les arpèges composés et l’Étude pour les cinq doigts de Claude Debussy, la Barcarolle nO 9, l’Impromptu nO 3 et trois Préludes de Gabriel Fauré.
Bruno SERROU
■ Le Piano, Paris, Salabert, 1959 ; Au piano avec Claude Debussy, Paris, Julliard, 1960 ; La Petite Méthode de piano, Paris, Salabert, 1963 ; Au piano avec Gabriel Fauré, Paris, Julliard, 1963 ; Au piano avec Maurice Ravel, Paris, Julliard 1971.
■ DUNOYER DE SEGONZAC C., Marguerite Long, un siècle de vie musicale française, Paris, Findakly, 1993 ; WEILL J., Marguerite Long, une vie fascinante, Paris, Julliard, 1969.
LONG SOLDIER, Tilda [KYLE, RÉSERVE LAKOTA, DAKOTA DU SUD 1962]
Chamane, éducatrice et artiste lakota américaine.
Initiée dès l’âge de 10 ans par sa grand-mère, Dora Little Warrior-Rooks, aux traditions des femmes-médecins des Sioux Lakota, Tilda Long Soldier perpétue une culture où chaque activité, même artistique, exprime une relation sacrée avec la nature. En 2004, elle crée le Cloud Horse Art Institute (du nom de son arrière-grand-mère « Cheval-Nuage ») au cœur de la réserve de Pine Ridge, sur la piste de Big Foot conduisant à Wounded Knee, haut lieu de la résistance et du massacre (1890) des Sioux Lakota. Elle y enseigne la langue lakota, la préparation des cérémonies de guérison et de purification dans la sweat lodge (« hutte de sudation »), la broderie en fibres de tendons dorsaux de daim, d’élan et de bison, le tannage du cuir, la fabrication d’objets rituels en perles, en plumes, en bois, en corne ou en pierre, la signification symbolique des couleurs et des motifs. Ses célèbres poupées amérindiennes ont fait l’objet de nombreuses expositions dans des musées. Avec son mari, l’anthropologue Mark St Pierre, elle a écrit le premier livre consacré aux femmes-médecine sioux, crow et cheyenne. Document unique et authentique constitué d’interviews et de récits, En marchant d’une manière sacrée témoigne de la participation de ces femmes à la vie traditionnelle, aux cérémonies et aux rituels de leurs tribus respectives, et dévoile leurs croyances et leurs traditions sacrées.
Claudine BRELET
■ Avec ST PIERRE M., En marchant d’une manière sacrée, femmes-médecine des Indiens des Plaines, guérisseuses, visionnaires et gardiennes de la Pipe (Walking in the Sacred Manner : Healers, Dreamers, and Pipe Carriers-Medicine Women of the Plains Indians, 1995), Delavault O., Dordis C. (dir.), Paris, Éditions du Rocher, 1999.
LONGO, Jeannie [ANNECY 1958]
Coureuse cycliste française.
La carrière de Jeannie Longo est exceptionnelle. Dès 1979, après avoir pris au printemps sa première licence, elle remporte son premier titre de championne de France sur route et apparaît au huitième rang du Championnat mondial. Elle hésite à abandonner ses ambitions de skieuse : n’est-elle pas triple championne universitaire (descente, slalom spécial et géant) cette même année 1979, et ne se classera-t-elle pas cinquième du championnat national de slalom gagné par Perrine Pelen en 1982 ? Son choix fait, elle ne s’interdit aucune ambition. Elle additionne d’abord des places d’honneur qui ne la satisfont nullement : deuxième des Championnats du monde de 1981 et des Championnats mondiaux de poursuite en 1984 et 1985 ; sixième des Jeux olympiques de Los Angeles, terminés à pied alors qu’elle avait toutes ses chances, sur un incident de course causé par l’Italienne Maria Canins à 800 mètres de la ligne ; deuxième derrière M. Canins encore des Tours de France 1985 et 1986.Exigeante, prompte à s’indigner des injustices, elle est accusée d’individualisme mais n’en a cure. Avec son mari Patrice Ciprelli, esprit également indépendant, elle se préoccupe de tous les aspects : le matériel, la diététique – devenant la zélatrice des produits biologiques. De plus en plus fréquemment en désaccord avec les dirigeants et cadres de la Fédération française de cyclisme, ainsi qu’avec la majorité de ses concurrentes françaises et étrangères, avide de calme avant les grandes épreuves, elle n’utilise que rarement les hébergements officiels. Elle n’hésite pas à explorer des destinations peu usitées : le Colorado, la Norvège. Le temps des grands succès de ce poids léger (46 kilos pour une taille de 1,64 m) est proche. De 1985, et son premier titre mondial acquis au sprint sur le circuit de Montello devant M. Canins, à 2001, la liste en sera unique. Treize championnats du monde : cinq sur route (1985 à 1987, 1989, 1995), quatre contre-la-montre (dont trois consécutifs de 1995 à 1997), trois en poursuite (1986, 1988, 1989) et cette année-là, celui de la course aux points. Les trois Tours de France féminins de 1987 à 1989. Quatre Tours du Colorado. Des records comme celui de l’heure, qu’elle porte de 43,587 km (octobre 1986) à 48,159 km (octobre 1996 à Mexico). Le titre olympique se dérobera longtemps. Après la malchance de 1984, elle souffre à Séoul d’une fracture du trochanter. À Barcelone, elle se croit gagnante, nul ne l’ayant informée que l’Australienne Kathy Watt s’était échappée. Cet argent, elle le transformera en or sous la pluie d’Atlanta 1996 (104 kilomètres à 40,100 km/h, 25 s devant l’Italienne Imelda Chiappa,) et sera déçue de ne pas réussir le doublé quelques jours plus tard, devancée de 20 secondes contre la montre par l’inattendue Ouzbekhe Zoulfia Zabirova, incluse dans l’équipe russe. Dans une discipline aussi éprouvante que le cyclisme, J. Longo – bien qu’elle soit engagée dans la vie publique, notamment par ses actions écologiques et humanitaires – invente une longévité inédite. Le contre-la-montre, où son style et son immobilité en machine, proches de la perfection, résultent d’un travail et de recherches incessants, lui permet de tenir la dragée haute aux générations qui se succèdent : aux Jeux olympiques de Sydney en 2000, la Hollandaise Leontien Zijlaard-Van Moorsel est au sommet de son talent et J. Longo obtient le bronze. Mieux, en 2001, à 42 ans, coiffée d’un casque futuriste très éloigné des casques à bourrelets de cuir de ses débuts, elle est à Lisbonne, pour la treizième fois, championne du monde. En 2008, en éclipsant ses cadettes lors des Championnats de France sur route, contre la montre et de poursuite, elle impose sa sélection pour les XXVIes Jeux olympiques d’été. À Pékin, si la course en ligne sous la pluie battante n’est pas favorable à celle qui n’a jamais beaucoup apprécié les écarts et les risques d’un peloton grégaire, la médaille de bronze de l’épreuve chronométrée ne lui échappe que de 1 s 83. Mais, défiant le temps, son confondant palmarès cumule 1 157 victoires, 38 records mondiaux et 59 titres nationaux ! « Sportif préféré » des Français (L’Équipe Magazine, août 2011), elle voit la fin de sa longue carrière obscurcie par des soupçons de dopage, mais, à 53 ans, s’alignait encore au départ de quelques épreuves.
Jean DURRY
■ Du miel dans mon cartable, Paris, R. Laffont, 1988 ; Vivre en forme, Paris, A. Carrière, 2002 ; Jeannie par Longo, Paris, Le Cherche Midi, 2010.
LONGUEVILLE, Anne-Geneviève DE BOURBON, duchesse DE [VINCENNES 1619 - PARIS 1679]
Femme de lettres française.
Sœur du Grand Condé, elle épouse en 1642 Henri II d’Orléans-Longueville, un descendant de Dunois. Dotée de « la beauté et [de] l’esprit d’un ange » (Mercure galant), la duchesse de Longueville est très tôt familière de l’hôtel de Rambouillet, et amie de Mme de Montausier*. Dédicataire d’Artamène ou le Grand Cyrus de Madeleine de Scudéry*, où elle est figurée sous les traits de Mandane, elle compte parmi les premières à être nommée « précieuse » parmi les femmes de la Cour. Elle y joue un rôle politique et militaire majeur, de la conférence de Münster (1646) aux manifestes et tentatives de soulèvement pour la défense des princes emprisonnés, du périple romanesque vers la Hollande jusqu’aux menées de Bordeaux (août 1653). L’échec de la Fronde l’amène à une douloureuse conversion spirituelle, et, sous l’influence de Singlin, elle devient une des principales protectrices de Port-Royal, dont l’exigence convient à cet « esprit de feu » (Port-Royal insolite). Sainte-Beuve en fait le fleuron de sa galerie de femmes du Grand Siècle et Victor Cousin, son hagiographe ébloui, a publié une partie de sa correspondance spirituelle (1859, 1863).
Myriam DUFOUR-MAÎTRE
■ BÉGUIN K., Les Princes de Condé, Seyssel, Champ Vallon, 1999 ; LEBIGRE A., La Duchesse de Longueville, Paris, Perrin, 2004.
■ JACQUES É., « Mme de Longueville, protectrice de Port-Royal et des jansénistes », in Chroniques de Port-Royal, no 29, 1980.
LÖNN, Wivi [TAMPERE 1872 - HELSINKI 1966]
Architecte et ingénieure finlandaise.
Douée en mathématiques et en dessin, Wivi Lönn étudie à la section industrie du bâtiment de l’Institut technique de Tampere. Meilleure élève d’une section formant des chefs mécaniciens et des conducteurs de travaux, et où ne se trouvaient que deux femmes, elle part ensuite à Helsinki étudier l’architecture. Elle achève ses études en 1896, devenant la cinquième femme architecte diplômée de Finlande, mais la première à travailler de façon indépendante. Entre 1898 et 1945, elle a dessiné des dizaines d’édifices, essentiellement des bâtiments publics. Au début de sa carrière, elle obtint une bourse pour un voyage d’études afin de mieux connaître l’architecture de granit et de brique ainsi que l’architecture scolaire. Elle visite ainsi l’Allemagne, le nord de la France, l’Angleterre et l’Écosse. Frappée par l’hygiène et le caractère intime des établissements scolaires anglais, elle eut l’idée de disposer des vestiaires chauffés dans les sous-sols pour libérer les écoles de leurs couloirs et organiser les espaces autour de halls ouverts. Ce voyage eut une grande influence sur sa carrière et elle devint célèbre grâce, notamment, à ses projets novateurs d’écoles, une trentaine en Finlande. W. Lönn a participé à de nombreux concours d’architecture où, pour avoir des chances égales à celles des hommes, et à l’instar d’autres femmes, elle usait de pseudonymes. Ses succès ont influencé sa carrière. L’une de ses principales réussites a été la caserne centrale des pompiers de Tampere, achevée en 1908. Pour cet édifice, elle utilisa du béton armé avec un habillage de granit, créant une architecture teintée de romantisme national. Au début du XXe siècle, elle collabore avec l’architecte Armas Lindgren, un camarade d’université, avec lequel elle remporte de nouveaux concours. Parmi leurs réalisations, on peut mentionner le centre de théâtre et de musique de Tallinn, ainsi que la maison des étudiants de l’université d’Helsinki, où le travail fut divisé : A. Lindgren se chargeait des façades tandis que W. Lönn se concentrait sur les techniques de construction. Ingénieure, elle était en effet qualifiée pour concevoir les structures de la charpente et des coupoles.
Anna AUTIO
■ NIKULA R., JALLINOJA R., KIVINEN P., Profiles : Pioneering Women Architects from Finland, Helsinki, Suomen Rakennustaiteen Museo, 1983 ; SUOMINEN-KOKKONEN R., The Fringe of a Profession : Women as Architects in Finland from the 1890s to the 1950s, Helsinki, Suomen Muinaismuistoyhdistyksen Aikakauskirja, 1992.
LONZI, Carla [FLORENCE 1931 - MILAN 1982]
Féministe italienne.
Figure pionnière du féminisme italien des années 1970, Carla Lonzi a étudié l’histoire de l’art à l’université de Florence, mais son travail de critique d’art s’interrompt avec son engagement. À partir de 1970, elle abandonne la carrière universitaire pour entrer en politique et fonder le groupe Rivolta Femminile, célèbre laboratoire politique féministe de ces années-là. Le mérite de C. Lonzi et du groupe Rivolta a été d’opposer aux grands systèmes théoriques (marxisme, psychanalyse, hégélianisme) non un autre système, mais la pratique de l’autoconscience, l’attention au développement des vies singulières, aux rapports entre hommes et femmes, entre femmes et femmes, dans la famille, dans la vie publique, le tout repensé à travers l’écoute collective des récits individuels. À partir de cette pratique, C. Lonzi écrit son livre majeur, Sputiamo su Hegel (« crachons sur Hegel », 1970), où elle soutient que, si la femme est le Sujet imprévu de l’histoire au niveau philosophique et politique, c’est seulement à travers la parole dite et l’expérience politique des femmes entre elles que ce Sujet peut entrer dans le monde et fonder un nouvel ordre, partagé entre deux Sujets : hommes et femmes. Selon C. Lonzi, l’égalité n’est possible qu’à partir de l’affirmation d’une différence qui n’est pas une différence métaphysique ou biologique, mais une altérité d’expérience vécue. Dans le livre signé par le collectif Rivolta Femminile, La donna clitoridea e la donna vaginale (1971), la pensée de C. Lonzi s’élabore à travers l’analyse de la sexualité vécue par les femmes.
Monia ANDREANI
LOOS, Anita [SISSON, CALIFORNIE 1888 - NEW YORK 1981]
Scénariste et romancière américaine.
En 1911, après avoir vu son premier court-métrage, Anita Loos décide de devenir scénariste et envoie un scénario à l’American Biograph Company. Débute alors une collaboration fructueuse avec D. W. Griffith pour qui elle écrit plusieurs films dont Cœur d’apache (The Musketeers of Pig Alley, 1912) avec Lillian Gish*. Sa carrière est lancée. Jusqu’en 1916 elle enchaîne plus de 100 films, en particulier des comédies. En 1919, elle épouse le réalisateur John Emerson et scénarise pour lui plusieurs films qui élèvent Douglas Fairbanks au rang de star. Tout en poursuivant sa carrière de scénariste pour la MGM, elle écrit des pièces de théâtre montées à Broadway et un roman satirique, Les hommes préfèrent les blondes, qui devient un best-seller en 1925 et donne lieu à deux adaptations cinématographiques, dont celle de Howard Hawks en 1953 avec Marilyn Monroe*. Elle écrit notamment San Francisco (1936) pour W. S. Van Dyke et Femmes (The Women, 1939) pour G. Cukor. En 1951, elle travaille avec Colette* à l’adaptation théâtrale de son roman Gigi, offrant à Audrey Hepburn* son premier grand rôle. A. Loos est, avec Frances Marion*, la scénariste la plus prolifique et la mieux payée de l’époque. Chroniqueuse acide d’Hollywood, elle s’illustre aussi dans l’écriture de Mémoires qui connaissent un grand succès.
Jennifer HAVE
LOPES, Adília (Maria José FIDALGO DE OLIVEIRA, dite) [LISBONNE 1960]
Poétesse portugaise.
Sous le pseudonyme littéraire d’Adília Lopes, Maria José Fidalgo de Oliveira a su, en vingt ans de publications, entrouvrir un espace singulièrement séducteur et innovant dans le domaine de la poésie portugaise contemporaine, tout en privilégiant des éditions restreintes et rapidement épuisées. Atteinte d’une psychose schizo-affective, elle a toujours évoqué ouvertement cette maladie dans sa poésie, comme lors de ses apparitions médiatiques controversées. Fidèle au ton humoristique et sarcastique qui, sous des abords de naïveté romantique, caractérise son travail littéraire, elle excelle dans l’art de déconcerter, avec une jonglerie langagière qui frôle le grotesque corrosif et la perversion. Elle revendique les surnoms de Timide Débrouillarde, de Chrétienne Triste, de Sœur Poétesse Baroque comme de Poétesse Pop, et, de fait, le choix d’une écriture ludique jusqu’à l’absurde a pu la faire taxer parfois de « sadique » (Sete rios entre campos [« sept fleuves entre champs »], 1999). Son œuvre flirte sciemment avec une certaine esthétique de la banalité et assume le risque du kitsch, de l’iconoclaste et de la suspension poétique au bord du prosaïque (Um jogo bastante perigoso [« un jeu assez dangereux »], 1985). Renversant les alliances habituelles, la poésie rachète dans une harmonie formelle le petit, le fragile, le défectueux et le sale (César a César [« César à César »], 2003). Elle exhausse le mysticisme de l’économie domestique, la violence des relations quotidiennes, refuse de trancher entre bonté et cruauté, approche le christianisme sans omettre de lui associer l’érotisme ; la confession de la souffrance psychique, sociale et sexuelle ne cesse de revendiquer une nouvelle conception du monde, de l’amour et du corps. Cette poésie intelligente et érudite, usant du proverbe, de l’aphorisme, de l’anecdote, du slogan publicitaire recourt à la mélopée populaire et convoque le souffle de la grande littérature, en s’inspirant d’une tradition littéraire où Rimbaud, Apollinaire, Sophia de Mello Breyner Andresen* et Sylvia Plath* entrent dans un séduisant dialogue.
Hugo MENDES AMARAL
■ Maria Christina Martins & Le Poète de Pondichéry, Paris, Fourbis, 1993 ; Au pain et à l’eau de Cologne, Romainville, Al Dante, 2005 ; Anonymat et autobiographie, Coutras, Le Bleu du ciel, 2008.
■ LIMA I. P. de (dir.), Vozes e olhares no feminino, Porto, Afrontamento, 2001.
■ SILVESTRE O. M., « Adília Lopes espanca Florbela espanca », in Inimigo rumor, Rio de Janeiro, no 10, 2001.
LOPES-CURVAL, Catherine [BAYEUX 1954]
Peintre française.
Diplômée de l’École nationale supérieure des arts décoratifs (ENSAD) à Paris, Catherine Lopes-Curval est la mère de la cinéaste Julie Lopes-Curval*. Elle figure au nombre des peintres les plus significatifs de la deuxième génération de la Figuration narrative, et l’on pourrait résumer sa carrière par deux expositions : celles de 1990 et de 2013. La première, organisée par la galerie Jacqueline Moussion à Paris, marque un tournant après plusieurs séjours aux États-Unis où l’artiste avait exposé. Connue jusque-là pour la violence de ses représentations du couple homme-femme, elle évolue vers des images presque apaisées, les figures étant devenues minuscules dans d’immenses paysages urbains, mais le thème central reste celui de la soumission culturelle de la femme. La peintre répartit ses personnages dans des dispositifs scéniques environnés d’énormes immeubles en forme de proues de navires et par des forêts-palissades qui solidifient littéralement l’espace. Sa peinture est complexe, à la fois euphorique (le plaisir visible de peindre allant de pair avec des notes d’humour) et grinçante (les critiques de la société moderne étant nettement perceptibles). La seconde exposition, intitulée Alice 2.0 et organisée en 2013 par le centre culturel Le Radar à Bayeux, ville natale de l’artiste, a marqué un véritable sommet. En imaginant que l’Alice de Lewis Carroll est venue découvrir notre monde, tout aussi fou et incohérent que celui dit « des merveilles », C. Lopes-Curval affirme un incomparable talent de peintre. Ses tableaux ne sont pas seulement des accumulations de représentations d’objets disparates : ils obéissent à un principe supérieur d’unité en tant qu’objets esthétiques capables d’expression. Ils signifient non seulement en représentant, mais, à travers ce qu’ils représentent, en produisant sur le spectateur une certaine impression, en manifestant une certaine qualité dont les mots ne peuvent rendre compte mais qui se communique en éveillant un sentiment : celui que l’on éprouve lorsqu’on est confronté à un art accompli. Certaines de ses œuvres ont été acquises par le Fonds national d’art contemporain (1984), la fondation Colas (1999) et le Centre Pompidou (2001).
Jean-Luc CHALUMEAU
■ Catherine Lopes-Curval, œuvres récentes (catalogue d’exposition), Paris, galerie Patrice Trigano, 2000.
LOPES-CURVAL, Julie [NEUILLY-SUR-SEINE 1972]
Réalisatrice et scénariste française.
Après des études d’arts plastiques et de photographie, Julie Lopes-Curval se forme au cours Florent à Paris, où elle joue notamment dans le court-métrage Le Collecteur de Ronan Fournier-Christol (1992). Elle y met aussi en scène en 1994 L’Atelier de Jean-Claude Grumberg. Plus intéressée, alors, par la mise en scène, l’écriture et la réalisation que par le jeu, elle se consacre un temps au théâtre, avec les pièces Vitrines et La Vitesse du passant en 1996 et 1997. Elle écrit et réalise ensuite le court-métrage Mademoiselle Butterfly, sélectionné à la Semaine de la critique de Cannes en 2001. Son deuxième scénario, Adolescents, est porté à l’écran en 2000 par Valérie Minetto. Suivent d’autres collaborations avant que J. Lopes-Curval écrive puis réalise son premier long-métrage, Bord de mer (2002), avec Bulle Ogier* et Hélène Fillières. Chronique d’une petite station balnéaire au gré des saisons et portrait d’une jeune femme rêvant à un possible ailleurs, le film, présenté à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes en 2002, remporte la Caméra d’or. Son deuxième film, Toi et moi (2006), avec Marion Cotillard* et Julie Depardieu, est une comédie romantique sur deux jeunes femmes, une rédactrice de romans-photos et sa sœur, à la recherche de l’amour. Mères et filles (2009), son film le plus célèbre, s’attache de nouveau à trois femmes, de trois générations différentes, incarnées par Catherine Deneuve*, Marie-Josée Croze et Marina Hands. Entre elles, un non-dit, celui du départ de Louise, dans les années 1950, ayant quitté, sans explications sinon sans raisons, mari et enfants. En 2013, J. Lopes-Curval met en scène une pièce de théâtre, Ita L. née Goldfeld, et travaille au scénario d’un nouveau long-métrage, Pénélope.
Marianne FERNANDEZ
LÓPEZ, Elvira [NÉE À BUENOS AIRES 1878]
Féministe argentine.
Première femme à obtenir le grade de docteure de la Faculté de philosophie de l’Université de Buenos Aires, Elvira López reprend dans sa thèse pionnière, El movimiento feminista (1901), les arguments universalistes pour défendre le droit des femmes à la citoyenneté (divorce compris) et au travail. Elle approfondit les œuvres de John Stuart Mill et d’Helen Taylor*, ainsi que celles des socialistes « utopiques », notamment Charles Fourier et Flora Tristan*. Membre fondatrice du Centro socialista feminista et de l’Unión gremial femenina en 1902, puis de l’Asociación de universitarias argentinas en 1904, elle s’occupe de l’organisation du premier Congreso femenino internacional à Buenos Aires en 1910. Militant dans un mouvement pacifiste et philanthropique, elle organise des campagnes contre la Première Guerre mondiale. Avec sa sœur Ernestina, elle collabore à la création du premier Liceo de señoritas de Buenos Aires. Elle publie des articles et des pamphlets pour la défense des droits des femmes ouvrières. Elle s’oppose aux mouvements nationalistes qui prennent le pouvoir en 1930 après avoir éliminé les partis politiques.
Maria Luisa FEMENIAS
LÓPEZ, Matilde Elena [SAN SALVADOR 1919 - ID. 2010]
Metteuse en scène, dramaturge et actrice salvadorienne.
C’est en exil au Guatemala, en Équateur et au Panama que Matilde Elena López se forme au journalisme puis obtient un doctorat sur la poésie équatorienne (Quito, 1957). De retour au Salvador, elle intègre l’université, où elle assume des responsabilités politiques, dans le domaine culturel, ainsi qu’au ministère de l’Éducation nationale. Son œuvre profondément humaniste est marquée par un engagement politique pour la justice sociale, le droit des femmes et la démocratie : en attestent ses prises de position lors de la tentative de coup d’État militaire de 1944 ou à l’occasion du Congrès mondial de la femme (Finlande, 1969), sa pièce La balada de Anastasio Aquino (1978), réhabilitation du leader indigène de l’insurrection paysanne du XIXe siècle, ou encore ses travaux sur l’œuvre de la poétesse Claudia Lars* et sa correspondance avec Gabriela Mistral* (Obras escogidas de Claudia Lars, 1973). Membre de l’Académie salvadorienne (1997), elle a reçu de nombreuses distinctions nationales et internationales pour son engagement culturel et sa production littéraire (romans, contes, poésie, essais et pièces de théâtre).
Stéphanie URDICIAN
■ Obra escogida 1, LARA A. D. (éd.), San Salvador, Dirección de Publicaciones e Impresos, Consejo Nacional para la Cultura y el Arte, 2007.
LOPEZ-CHUA, Lia (dite Lilia LOPEZ-CHUA) [CEBU 1956]
Poétesse philippine.
Originaire de Cebu, où elle a suivi des études universitaires en philosophie, Lia Lopez-Chua publie ses premières poésies dans les années 1980, à Davao (Mindanao), dans les Roadmap Series qu’éditait la poétesse Tita Lacambra-Ayala*. Elle a quitté les Philippines après la fin du régime de Fernando Marcos en 1986 pour étudier l’écriture créative à l’Université de Boston, où enseignait alors son poète favori, Derek Walcott. Elle a rassemblé les poèmes qu’elle a composés durant ces trente dernières années dans The Fate of All Progeny (2008). Ses œuvres sont estimées par les milieux littéraires et académiques, desquels elle s’est cependant toujours tenue à l’écart. Elle évoque fréquemment l’expatriation et l’exil intérieur dans ses poésies, qui reflètent son expérience personnelle de lesbienne et de membre de la communauté chinoise aux Philippines, immigrée ensuite aux États-Unis.
Sheilfa B. ALOJAMIENTO
■ The Fate of All Progeny, Manille, Anvil, 2008.
LÓPEZ COLOMÉ, Pura [MEXICO 1952]
Poétesse et essayiste mexicaine.
Spécialiste de littérature anglo-saxonne, Pura López Colomé a traduit des œuvres de Samuel Beckett, William Carlos Williams et Seamus Heaney. En 1977, elle obtient le prix national Alfonso-Reyes pour son essai Diálogo socrático en Alfonso Reyes (« dialogue socratique avec Alfonso Reyes »). En 2007, elle reçoit le prix de poésie Xavier-Villaurrutia (aux côtés d’Elsa Cross) pour son recueil Santo y seña (« mot de passe »). Sa poésie semble illustrer l’esprit de réflexion, mesuré et précis, que l’on peut apprécier dans ses essais. Nourrie d’une vaste connaissance de la poésie, elle cherche le vers exact pour illuminer ce qui apparaît au premier regard comme une simple image. Outre le recueil de poésie Intempérie, traduit en français, elle a publié : El sueño del cazador (« le rêve du chasseur », 1985), Un cristal en otro (« un cristal dans un autre », 1989), Aurora (« aurore », 1994), Éter es (« Éther, c’est », 1999), Música inaudita (« musique inouïe », 2002), Tragaluz de noche (« lucarne de nuit », 2003), Quimera (« chimère », 2003), Reliquia (« vestige », 2008).
Elsa RODRÍGUEZ BRONDO
■ Intempérie (Intemperie, 1997), Paris, L’Oreille du loup, 2009.
LÓPEZ DE AYALA Y MOLERO, Ángeles [SÉVILLE 1856 - MADRID 1926]
Féministe et libre-penseuse espagnole.
De famille libérale, nièce du dramaturge Adelardo López de Ayala, Ángeles López de Ayala y Molero adhère à la libre-pensée, épouse un franc-maçon et entre dans une loge d’adoption (1888). Elle publie dans de nombreuses revues et écrit des romans. En 1889, elle cofonde la Societad autónoma de mujeres (Sociedad progresiva femeninaà partir de 1898), d’où émane une école rationaliste à forte audience, Fomento de la instrucción libre (« développement de l’instruction libre »). Elle fonde des journaux alliant féminisme et libre-pensée (ElGladiator. Órgano oficial de la societad progresiva femenina y de la libertad de conciencia, 1906 ; El Libertador. Periódico defensor de la mujer y órgano nacional del librepensamiento, 1910). Elle milite alors en vain pour le vote des femmes.
Yannick RIPA
■ MARTÍNEZ C., LA PASCUA J. DE, PASTOR R., et al. (dir.), Mujeres en la historia de España. Enciclopedia biográfica, Barcelone, Planeta, 2000.
LÓPEZ DE BLOMBERG, Ercilia [ASUNCIÓN 1865 - BUENOS AIRES 1965]
Écrivaine paraguayenne.
Ercilia López de Blomberg est issue d’un milieu lié au sommet du pouvoir politique paraguayen. Son grand-père, Carlos Antonio López, a été le premier président constitutionnel du Paraguay entre 1844 et 1862. Ses cousins, Enrique Solano López et Arsenio López Decoud, sont encore considérés aujourd’hui comme deux des plus brillants représentants de l’intelligentsia paraguayenne. Elle vit en exil à Buenos Aires après la mort de son père, fusillé pour avoir conspiré contre le président lors de la guerre de la Triple Alliance (1864-1870). Dans la capitale argentine, elle commence son éducation et sa formation intellectuelle. À partir de 1915, elle met sa sensibilité et son talent artistique au service de plusieurs quotidiens argentins, en particulier La Prensa, et effectue des traductions. Bien qu’ayant vécu à l’étranger depuis son enfance, elle reste attentive à l’évolution de la vie culturelle de sa terre natale et manifeste son intérêt pour la langue d’origine du Paraguay en publiant une grammaire du guarani. Dans le même esprit, elle fait publier dans des revues de Buenos Aires les récits historiques ou de mœurs de plusieurs écrivains paraguayens, en plus de ses propres écrits. Sa production poétique est modeste et peu connue, probablement à cause de son histoire familiale agitée. Écrit en 1920, le roman Don inca, une publication posthume, la rend célèbre. C’est un témoignage fondamental sur la vie et les coutumes paraguayennes de la fin du XIXe siècle, qui dresse un portrait des personnages les plus connus de la société et de la politique de son pays.
Natalia GONZÁLEZ ORTIZ
LÓPEZ DE CÓRDOBA Y CARRILLO, Leonor [CALATAYUD V. 1363 - CORDOUE 1430]
Mémorialiste espagnole.
Issue de la plus haute aristocratie, apparentée à la famille royale, Leonor López de Córdoba y Carrillo est, depuis son enfance, mêlée aux turbulences politiques et aux luttes dynastiques de son temps. Ses mémoires, les chroniques de l’époque et divers documents signalent une vie accablée d’infortunes : elle subit la persécution politique et l’emprisonnement (elle passe, avec sa famille et son fiancé, huit ans dans la prison des Atarazanas de Séville) ; elle assiste à l’exécution de son père ; son mari meurt à la guerre, son aîné succombe à la peste. Elle jouit d’un pouvoir important dans le gouvernement du royaume de Castille − elle exerce la charge de camarera mayor (première femme de chambre) de la reine régente Catherine de Lancaster (1374-1418) − jusqu’à ce que l’hostilité de quelques courtisans provoque sa chute et son exil en 1412. Elle retourne à Cordoue, où elle réunit une fortune importante, fonde deux majorats pour ses enfants, Leonor et Martín, et demeure jusqu’à sa mort. Elle est l’auteure du premier texte autobiographique féminin de langue espagnole. Elle s’attache à rendre compte des souffrances de sa vie, à défendre son honneur et celui de sa descendance. À cet effet, entre 1401 et 1404, elle dicte, devant notaire, un testament. Dans une prose claire et simple, elle raconte ses expériences extraordinaires pendant les quarante premières années de sa vie, récit qui se conclut avec le décès de son fils aîné et qui ne livre aucune précision sur sa vie politique. Elle expose les événements historiques qu’elle a vécus et dessine un tableau précieux des mœurs de son temps : les épidémies de peste en 1374 et en 1400, les assauts contre la juiverie cordouane en 1391, et les détails sur l’histoire des rapports familiaux. Ce testament, presque toujours cité comme « mémoires », est conservé, sous forme d’une copie du XVIII siècle, à la Bibliothèque capitulaire et colombienne de Séville ; il en existe plusieurs éditions en espagnol et des traductions en anglais, en italien et en français.
María José VILALTA
■ GÓMEZ SIERRA E., « La experiencia femenina de la amargura como sustento de un discurso histórico alternativo, Leonor López de Córdoba y sus memorias », in SEGURA GRAÍÑO C. (dir.), La voz del silencio, fuentes directas para la historia de las mujeres, siglos VIII-XVIII, Madrid, Asociación cultural al-Mudayna, 1992 ; RIVERA M. M., « Leonor López de Córdoba », in CABALLÉ A. (dir.), Por mi alma os digo, de la Edad Media a la Ilustración, la vida escrita por las mujeres, Barcelone, Lumen, 2004.
LÓPEZ MILLS, Tedi [MEXICO 1959]
Poétesse mexicaine.
Après des études de philosophie à l’Université nationale autonome du Mexique et de lettres à la Sorbonne, Tedi López Mills publie son premier recueil de poèmes, Cinco estaciones (« cinq stations », 1989). Son deuxième recueil, Un lugar ajeno (« un lieu étranger », 1993) sort quatre ans plus tard. En 1994, elle obtient le prix national de poésie Efraín-Huerta pour Segunda persona (« deuxième personne »). Sa voix poétique est modelée par le paysage qu’elle observe, puis nuancée par le travail de l’intériorité. Parfois plus narrative que poétique, sa parole part du regard et de la sensation pour se déplacer, à la manière de la poésie américaine contemporaine, au domaine du poétique. Elle a publié une dizaine de recueils, parmi lesquels Luz por aire y agua (« lumière dans l’air et dans l’eau », 2002) et Contracorriente (« contre-courant », 2006). Le prix Xavier-Villaurrutia lui a été décerné en 2010 pour son livre Muerte en la rúa Augusta (« mort dans la rue Augusta », 2009). Par ailleurs, une sélection de ses poèmes a été traduite et publiée en anglais sous le titre While Light is Built en 2004.
Elsa RODRÍGUEZ BRONDO
LOPEZ-TIEMPO, Edith [BAYOMBONG 1919 - DUMAGUETE CITY 2011]
Écrivaine philippine.
Seule femme à avoir été déclarée « Artiste nationale de littérature » des Philippines (1999), Edith Lopez-Tiempo est romancière, poétesse, critique littéraire et enseignante. Elle commence des études de droit à l’Université des Philippines, interrompues par son mariage avec l’écrivain Edilberto K. Tiempo. En 1947, elle obtient sa licence de sciences de l’éducation à l’Université Silliman de Dumaguete City (île de Negros), où son époux enseigne. En 1947, le couple s’installe aux États-Unis, où ils ont obtenu plusieurs bourses. E. Lopez-Tiempo obtient une maîtrise de lettres en 1949 à l’université de l’Iowa. Elle participe à l’atelier d’écriture créative de Paul Engle. En 1958, elle termine un doctorat d’anglais à l’université de Denver (Colorado). De 1947 à 1966, elle enseigne aux États-Unis. Elle fonde et dirige avec son époux l’atelier des écrivains de l’Université Silliman, de laquelle elle sera directrice du département d’anglais pendant douze ans.
Les époux Tiempo ont considérablement influencé la littérature philippine de langue anglaise et formé certains des meilleurs écrivains. L’écriture d’E. Lopez-Tiempo est caractérisée par une fusion de savoir-faire et de perspicacité. Le style est descriptif sans être alourdi de détails. Ses poèmes sont des expressions verbales complexes d’expériences significatives (comme Bonsai et The Little Marmoset qui signifie « le petit ouistiti »). Elle a écrit, entre autres, le roman A Blade of Fern (« une lame de fougère », publié en feuilleton dans This Week Magazine, 1978), le recueil de nouvelles Abide, Joshua, and Other Stories (« endurez, Joshua, et autres nouvelles », 1964) et le recueil de poèmes The Tracks of Babylon and Other Poems (« les chemins de Babylone et autres poèmes », 1966). Elle a reçu plus d’une dizaine de prix et distinctions.
Elisabeth LUQUIN
■ Abide, Joshua, and Other Stories, Manille, A. S. Florentino, 1964 ; The Tracks of Babylon and Other Poems (1966), Quezon City, Giraffe Books, 1998 ; His Native Coast (1979), Quezon City, University of the Philippines Press, 2000 ; The Builder, Manille, Anvil, 2004.
■ ZAPANTA-MANLAPAZ E. et al, An Edith Tiempo Reader, Quezon City, University of the Philippines Press, 1999.
■ MENDEZ VENTURA S., « Here, there and everywhere : an analysis of Edith L. Tiempo’s His Native Coast », in Review of Women’s Studies, vol. 18 no 1, janv.-juin 2008.
LORANGER, Françoise [SAINT-HILAIRE 1913 - MONTRÉAL 1995]
Auteure dramatique canadienne d’expression française.
À 36 ans Françoise Loranger signe un premier roman, Mathieu (1949), qui devient un classique de la littérature québécoise. Mais elle se fait surtout connaître par une série télévisée, Sous le signe du lion, en 1958, qui témoigne de l’histoire du Québec et de son évolution. En 1965, sa pièce Une maison, un jour porte sur la déchéance d’une famille de la classe moyenne et Encore cinq minutes, en 1967, dépeint des épisodes dramatiques de la vie d’une mère de 45 ans. Vers la même époque, F. Loranger est responsable de la direction artistique du Théâtre du Trident à Québec et donne des cours de création littéraire à l’université Laval. Elle rompt ensuite avec le théâtre traditionnel pour favoriser un discours politique et contestataire soulevant la controverse : Double jeu (1969) offre au public de participer au jeu des acteurs ; Le Chemin du Roy (1969) met en scène sur un mode satirique ce qui oppose Québec et Ottawa après la venue de Charles de Gaulle en 1967 ; Médium saignant concerne le conflit linguistique entourant l’adoption de la loi 63 visant à promouvoir la langue française au Québec en 1969. En 1971, paraissent deux nouveaux textes, Jour après jour, un « téléthéâtre », et un scénario, Un si bel automne.
Farah GHARBI
■ CRÊTE J.-P., Françoise Loranger, la recherche d’une identité, Montréal, Leméac, 1974.
LORAUX, Nicole [PARIS 1943 - ARGENTEUIL 2003]
Historienne française de la Grèce ancienne.
De compétences pluridisciplinaires, Nicole Loraux donnait à l’histoire le puissant auxiliaire de la philologie ; elle la critiquait depuis la psychanalyse ou au moins depuis l’audace du Freud de Moïse et le Monothéisme ; elle s’en faisait une alliée contre une anthropologie qui immobilisait la Grèce dans des tables de catégories antinomiques ou encore elle l’introduisait dans la philosophie en jugeant que celle-ci était, elle aussi, traversée des mêmes tensions que le reste de la culture grecque. Comme son maître Pierre Vidal-Naquet, elle a préféré le format des articles à celui des livres. Elle s’est concentrée sur l’imaginaire politique des Athéniens de la période classique, sans s’interdire des incursions dans Rome ou dans la période contemporaine, et en est très vite venue à interroger les dénis, les non-dits, les glissements. Dans les oraisons funèbres prononcées à l’occasion des funérailles des soldats morts dans l’année de guerre écoulée, les citoyens étaient conviés à exalter les valeurs de leur démocratie. Là, face à des cercueils identiques, ils entendaient réaffirmer leur solidarité civique comme celle d’hommes égaux, travaillant héroïquement et dans une unité totale, à la grandeur paradoxalement aristocratique de leur cité. Mais alors s’imposait de saisir comment la cité, au moment même où elle fabriquait ce monolithe d’orthodoxie, disait, ailleurs ou en filigrane, ce qu’elle essayait sans fin de se cacher. Dans l’épopée homérique qui se récitait lors des grandes fêtes religieuses ou dans laquelle les écoliers apprenaient l’essentiel de ce qu’ils avaient à savoir, les hommes/mâles pleuraient et avaient peur ; un des plus grands héros de la geste grecque, Héraclès, se vêtait en femme tout en filant la laine ; Tirésias, l’homme qui, un temps, avait connu la condition de femme, révélait la supériorité du plaisir féminin et soldats comme philosophes disaient l’effort, voire la douleur, du combat et de la pensée sur le mode de ceux de l’enfantement. Certes, les femmes étaient tenues en dehors de la citoyenneté et d’une bonne partie de la vie civique, mais le féminin, conçu par N. Loraux comme un opérateur d’altérité et de dissociation, venait comme l’objet le plus désiré du masculin, tout occupé à l’intégrer pour le réduire, cela même qui fractionnait son unité. D’où la parenté troublante du féminin et de l’essence même du politique grec : le conflit (en grec la stasis), ce qui produit du deux, ce qu’on condamne sans cesse mais qui revient et constitue une contradiction dynamique : « un lien de division ». C’est là que la tragédie, que N. Loraux a tant étudiée et traduite, intervient, comme le lieu de « l’antipolitique », celui dans lequel sont systématiquement interrogées, en pleines fêtes religieuses civiques, les valeurs essentielles de la cité démocratique. Là, des femmes de cités ou de peuples étrangers, appartenant à un monde aristocratique mythique, occupent le devant de la scène, crient la souffrance du deuil quand le présent démocratique en tempère l’expression et, quand celui-ci recommande l’oubli fédérateur des maux, affirment la force subversive du non-oubli, de la colère de longue mémoire (mênis) qui maintient toujours ouverte la faille de la division. En miroir, N. Loraux choisit un style de pensée qui se défie de l’unité et de la trop belle systématicité au point que toute conclusion sitôt posée est immédiatement interrogée pour plus de profondeur, pour que soit donné « un tour de plus ». Car tel était ce qui fascinait N. Loraux dans l’imaginaire politique grec : sa « belle complexité ».
Catherine DARBO-PESCHANSKI
■ Les Expériences de Tirésias, le féminin et l’homme grec, Paris, Gallimard, 1989 ; L’Invention d’Athènes, Paris, Payot, 1993 ; Nés de la terre, mythe et politique à Athènes, Paris, Le Seuil, 1996 ; La Cité divisée, Paris, Payot, 1997 ; La Voix endeuillée, essai sur la tragédie grecque, Paris, Gallimard, 1999 ; La Tragédie d’Athènes, la politique entre l’ombre et l’utopie, Paris, Le Seuil, 2005.
LORD, Nancy [NEW HAMPSHIRE 1959]
Écrivaine et militante écologiste américaine.
Après un diplôme en sciences humaines au Hampshire College, Nancy Lord obtient son MFA (Master of Fines Arts) en creative writing au Vermont College. À 24 ans, elle s’installe avec son compagnon à Homer, en Alaska, où elle enseigne l’écriture fictionnelle et autobiographique au Kenai Peninsula College (université d’Alaska) pendant plusieurs années. Écrivaine indépendante, elle écrit des œuvres de fiction, des ouvrages généraux, des essais et des articles, dont l’Alaska lui fournit le matériau et les thèmes principaux. Auteure de plusieurs recueils de nouvelles, elle se fait connaître par ses livres sur l’Alaska, Fishcamp : Life on an Alaskan Shore (1997), Green Alaska : Dreams from the Far Coast (1999), Beluga Days : Tracking a White Whale’s Truths (2004), Rock, Water, Wild : An Alaskan Life (2009) et Early Warming : Crisis and Response in the Climate-Changed North (2011). Travaillant dans le secteur de la pêche depuis plusieurs années, elle exerce également comme naturaliste et historienne sur des navires de croisière. Très impliquée dans les causes politiques et environnementales, elle a également écrit et enregistré des commentaires pour l’émission de radio Living on Earth sur les ondes de NPR. Ses nouvelles et essais ont été publiés dans plusieurs magazines et revues critiques (Alaska Quarterly Review, North American Review, Ploughshares, More, entre autres), et des extraits de ses textes figurent dans de nombreuses anthologies. Elle a été nommée écrivain lauréat d’Alaska pour la période 2008-2010.
Beatrix PERNELLE