CLEVER, Edith [WUPPERTAL 1940]
Actrice et metteuse en scène allemande.
Après une formation en art dramatique à la prestigieuse Otto Falckenberg Schule à Munich et un premier passage au Staatstheater de Cassel, Edith Clever est engagée par Kurt Hübner en 1966 au Theater de Brême où elle rencontre ses futurs partenaires de scène (Peter Stein, Peter Zadek, Bruno Ganz et Jutta Lampe*). L’affirmation du pathos, la maîtrise de l’alexandrin, la diction et l’expressivité de son jeu font d’elle la « tragédienne » du théâtre allemand. Très jeune, elle incarne Antigone, lady Macbeth, Nora et Luise Miller. Entre 1971 à 1989, elle travaille à la Schaubühne de Berlin, notamment avec Luc Bondy, Peter Stein et Klaus Michael Grüber (Les Bacchantes, 1973). Elle incarne Warwara dans Les Estivants de Gorki, Ruth dans La Trilogie du revoir de Botho Strauss, Clytemnestre dans L’Orestie d’Eschyle, Olga dans Les Trois Sœurs de Tchekhov. Sa rencontre avec le metteur en scène et réalisateur Hans-Jürgen Syberberg l’amène à explorer une esthétique radicale de la langue et de la durée au cinéma comme au théâtre (le film La Nuit dure six heures). En 1887, seule en scène, elle joue dans Penthésilée de Kleist tous les rôles en 24 séquences. De 1992 à 1998, elle met en scène Stella de Goethe, Médée d’Euripide (dont elle tient le rôle-titre), Der Hausbesuch de Rudolf Borchardt et Jeffers Akt I et II de B. Strauss. P. Stein l’engage pour interpréter Cléopâtre dans Antoine et Cléopâtre de Shakespeare à Salzbourg. Elle triomphe dans les mises en scène de L. Bondy (Die Eine und die Andere, « l’une et l’autre », de Botho Strauss en 2005 et Les Bonnes de Genet en 2008). Surnommée la « reine des alexandrins » par la critique allemande, E. Clever incarne la puissance et la fonction poétique du théâtre allemand.
Angela KONRAD
■ SYBERBERG H. J., Penthesilea, Heinrich von Kleist/Edith Clever/Hans Jürgen Syberberg, Berlin, Hentrich, 1988.
CLEWS PARSONS, Elsie [NEW YORK 1875 - ID. 1941]
Anthropologue et militante féministe américaine.
Née dans une riche famille de New York dont elle s’émancipe très tôt, Elsie Clews Parsons a été l’une des premières étudiantes du Barnard College avant de préparer un doctorat en sociologie à l’université Columbia. Élève brillante, elle obtient aussitôt un poste universitaire et enseigne la sociologie de 1899 à 1902. Sa carrière peut être divisée en deux périodes. La première est sociologique. Elle est marquée par des réflexions théoriques sur l’effet des conventions sur l’individu. Elle les développe dans ses livres The Family (1906), Religious Chastity (1913), The Old-Fashioned Woman (1913), Fear and Conventionality (1914) et Social Rule (1916). Pionnière du féminisme, elle considère que la division sexuelle du travail représente un problème pour les deux sexes et plaide pour l’accès des femmes aux postes à responsabilités. Militante combative, elle participe à la création de deux groupes féministes new-yorkais d’avant-garde : Heterodoxy et Heretics. La seconde partie de sa carrière se caractérise par des recherches anthropologiques et folkloriques influencées par Franz Boas. Avec lui, elle réalise une enquête de terrain chez les Pueblo en 1919, puis élargit ses observations aux groupes tewa, zuni et hopi. Elle mène parallèlement des recherches sur les Aztèques au Mexique et les Peguch en Équateur, dans une perspective comparée avec les groupes nord-américains. Très engagée dans l’anthropologie visuelle, elle enregistre des scènes illustrant la culture des populations noires d’Amérique du Nord et publie plusieurs livres sur la tradition orale de groupes originaires du Cap-Vert et des Antilles. Reconnue de son vivant pour l’ensemble de son œuvre, elle a été élue première femme présidente de l’American Anthropological Association en 1940.
Carla CABRAL et Miriam GROSSI
■ Pueblo Indian Religion (1939), Lincoln, University of Nebraska Press, 1996.
■ DEEGAN M. J., « Elsie Clews Parsons », in Women in Sociology : A Bio-bibliographical Sourcebook, New York/Westport/Londres, Greenwood Press, 1991 ; FRIEDLANDER J., « Elsie Clews Parsons », in GACS U., KAN A., MCINTYRE J., WEIBERG R. (dir.), Women Anthropologists, Urbana, University of Illinois Press, 1989.
CLICQUOT, Barbe Nicole (née PONSARDIN, dite Veuve) [REIMS 1777 - BOURSAULT 1866]
Entrepreneuse française.
La Veuve Clicquot fut l’une des premières femmes d’affaires des temps modernes et la première femme à diriger une maison de champagne. À la mort de son mari, François Clicquot, en 1805, elle hérita de l’entreprise familiale fondée en 1772, qui s’occupait entre autres de vin et deviendrait sous sa direction une maison de champagne d’envergure internationale à laquelle elle donna son nom : Veuve Clicquot-Ponsardin. Elle osa envoyer des représentants en vin, tel Louis Bohne, à travers toute l’Europe à l’époque troublée des guerres napoléoniennes, bravant notamment le blocus continental. Elle connut en particulier un grand succès sur le marché russe où elle devança les maisons concurrentes. Édouard Werlé, entré en 1828 dans l’entreprise comme employé de commerce, devint son directeur commercial puis son associé et contribua largement à développer la maison. La Veuve Clicquot se passionna également pour la technique des caves et inventa la table de remuage, qui permet d’obtenir des vins plus clairs. Elle conçut ainsi le premier champagne moderne. Peu à peu, elle acquit des vignes parmi les meilleurs crus, se constituant un exceptionnel patrimoine viticole, et elle fit construire pour sa fille le château de Boursault (1842-1849). À sa mort, la maison commercialisait 750 000 bouteilles dans de nombreux pays. En 1972, la société Veuve Clicquot-Ponsardin créa en son honneur le prix Veuve Clicquot qui récompense des femmes chefs d’entreprise.
Alban WYDOUW
■ BRISSAC E. de, Voyage imaginaire autour de Barbe Nicole Ponsardin veuve Clicquot, Paris, Grasset, 2009 ; MAZZEO T. J., The Widow Clicquot : The Story of a Champagne Empire and the Woman Who Ruled It, New York, HarperCollins Publishers, 2008.
CLIFFORD BARNEY, Natalie [DAYTON, ÉTATS-UNIS 1876 - PARIS 1972]
Écrivaine et salonnière américaine d’expression française.
Née dans l’Ohio, Natalie Clifford Barney a beaucoup voyagé dans son enfance et a séjourné en Europe. De sa mère, Alice Pike Barney, peintre, elle tient sans doute son amour de l’art et son mépris des contraintes. Son père, homme autoritaire et puritain, lui laisse une fortune considérable, qui lui permet de s’installer à Paris en 1902. Depuis ses années de pension à Fontainebleau, elle maîtrise parfaitement le français, langue dans laquelle elle publie dès 1900 Quelques portraits-sonnets de femmes, d’inspiration saphique. Suivent des mémoires, essais, romans et épigrammes. Mais c’est de sa vie que celle qui « veut vivre sans masque » va faire son véritable chef-d’œuvre. Le salon qu’elle tient pendant plus de soixante ans au 20 rue Jacob et l’académie des femmes qu’elle y établit en 1927 sont au centre du Paris-Lesbos. Le 20 rue Jacob rassemble des femmes créatrices expatriées telles que Gertrude Stein*, Djuna Barnes*, Romaine Brooks*, Dolly Wilde (nièce d’Oscar) ou Renée Vivien*. Colette*, mais aussi Gide, Valéry, Cocteau fréquentent son salon. Belle, riche, charmante et séductrice, lesbienne sans complexes ni culpabilité, elle est une source d’inspiration et de soutien pour ses amies. Certaines font son portrait dans leurs œuvres : elle est Valérie Seymour dans Le Puits de solitude de Radclyffe Hall*, « Flossie » dans Idylle saphique de Liane de Pougy*, roman qui décrit leur liaison amoureuse. Féministe, dont l’idéal de beauté s’inspire de la poésie de Sapho* découverte à l’adolescence, N. Clifford Barney dénonce par sa vie et son œuvre les limites imposées aux femmes par la société patriarcale occidentale.
Tama Lea ENGELKING
■ Je me souviens, Paris, Sansot, 1910 ; Éparpillements (1910), Paris, Persona, 1982 ; Aventures de l’esprit (1929), Paris, Persona, 1982 ; Souvenirs indiscrets Paris, Flammarion, 1960 ; Traits et portraits (1963), New York, Arno, 1975.
■ CHALON J., Portrait d’une séductrice, Paris, Stock, 1976 ; VIVIEN R., Une femme m’apparut (1904), Paris, Régine Deforges, 1977 ; BENSTOCK S., Femmes de la Rive gauche, Paris 1900-1940, Paris, Des femmes-Antoinette Fouque, 1987.
CLINTON, Hillary RODHAM [CHICAGO 1947]
Avocate et femme politique américaine.
Diplômée en droit de la prestigieuse université Yale, Hillary Rodham Clinton est considérée comme l’une des meilleures avocates américaines. Puis, au début des années 1990, elle s’engage entièrement dans l’action politique. Jeune fille, proche du Parti républicain, elle s’en éloigne à la fin des années 1960 en ralliant les mouvements contre la guerre au Vietnam et pour les droits civiques. Après son mariage avec Bill Clinton, elle le suit en Arkansas, dont il est élu gouverneur en 1978, et commence à s’impliquer dans les questions de santé publique, notamment celle des enfants. En 1992, après l’élection de son mari à la Maison-Blanche, elle fait partie du groupe de ses conseillers et conseillères en matière de santé. Première dame des États-Unis, elle fait de la réforme du système de santé l’un de ses principaux chevaux de bataille afin qu’il protège un plus grand nombre d’Américaines et d’Américains. Elle devient la cible privilégiée des conservateurs, son projet de réforme se heurte à une vive opposition parlementaire. Très engagée pour les droits des femmes dans le monde, lors de la 4e Conférence des Nations unies sur les femmes, à Beijing (Pékin) en 1995, à la tête de la délégation américaine elle défend pied à pied, avec les représentantes de la délégation européenne, les libertés et les droits des femmes. Ensemble elles parviennent en particulier à faire barrage à leur remise en cause par les représentants d’États conservateurs, ultrareligieux, dont l’Iran et le Vatican. Forte d’une majorité appréciable, elle est élue sénatrice de New York en 2000 et devient ainsi la première first lady à se présenter à des élections et à obtenir un siège au Congrès. En 2006 elle sera réélue au Sénat (avec 68 % des voix). Candidate au ticket démocrate pour les élections présidentielles de 2008, elle n’obtient pas l’investiture du parti lors des primaires face au sénateur de l’Illinois, Barack Obama. Les résultats sont très serrés, il n’y a que 0,5 % d’écart entre les voix obtenues par l’une et l’autre et, malgré des résultats contestés dans certains États, H. Clinton annonce en juin son ralliement à B. Obama. Considérée par de nombreux analystes politiques comme l’une des femmes politiques les plus brillantes de l’histoire des États-Unis, elle nourrissait depuis de nombreuses années l’ambition de se présenter à la présidence de son pays. Au moment de la campagne pour l’investiture, elle a dû faire face à de violentes attaques des conservateurs contre ses positions en matière de droit à la santé et de droit des femmes et, dans le camp démocrate, sa popularité n’a pas suffi face aux divisions suscitées au sein du mouvement féministe par son attitude au moment de l’affaire « Monica Lewinsky » ; une partie de ses soutiens lui reprochant en effet d’avoir continué à défendre son mari même après qu’il eut été reconnu coupable de parjure devant la Cour suprême des États-Unis. Élu en novembre 2008 44e président des États-Unis, B. Obama la nomme au Département d’État en janvier 2009. Malgré les manœuvres politiciennes des conservateurs contre son investiture, elle reçoit l’aval du Sénat et devient secrétaire d’État des États-Unis. Responsable de la politique étrangère américaine, elle dirige la diplomatie – l’un des postes les plus élevés de la hiérarchie du pouvoir politique exécutif aux États-Unis, et l’un des plus influents sur la politique mondiale. Elle intervient fréquemment en faveur du respect des droits humains lors de ses visites officielles, notamment en Chine, et reste attentive aux droits et aux libertés des femmes dans le monde. Le 1er février 2013, alors qu’elle est la personnalité politique la plus populaire des États-Unis, elle quitte le gouvernement pour « reprendre une vie privée », mais il semble qu’une candidature de sa part à la présidentielle de 2016 ne soit pas à exclure.
Manon TREMBLAY
■ Mon histoire (Living History, 2003), Paris, Fayard, 2003 ; Le Temps des décisions – 2008-2013 (Hard choices, 2014), Paris, Fayard, 2014.
■ GERTH J., VAN NATTA D., Hillary. Histoire d’une ambition (Her Way. The Hopes and Ambitions of Hillary Rodham Clinton, 2007), Paris, J.-C. Lattès, 2007.
CLORI VOIR RAMIREZ DE GUZMÁN, Catalina Clara
CLOSE, Glenn [GREENWICH, CONNECTICUT 1947]
Actrice, chanteuse, scénariste et productrice américaine.
Glenn Close débute sur scène en jouant William Congreve, Luigi Pirandello, Carson Mc Cullers*, Tom Stoppard. Elle chante dans des comédies musicales comme Barnum et Sunset Boulevard. En 2002, à Londres, elle incarne Blanche Du Bois dans Un tramway nommé désir, de Tennessee Williams. Ayant débuté à la télévision en 1975, elle ne se contente pas de jouer la comédie : elle est aussi productrice. Sa beauté pleine de distinction et sa forte personnalité lui valent de tourner son premier film dans un rôle important (Le Monde selon Garp, 1982). Deux rôles de séductrices maléfiques font de G. Close une star : la morbide Alex de Liaison fatale (1987), d’Adrian Lyne ; et, l’année suivante, la marquise de Merteuil dans Les Liaisons dangereuses, de Stephen Frears, d’après le roman de Choderlos de Laclos. L’actrice incarne la victime dans Le Mystère von Bülow (1990), de Barbet Schroeder, et la reine Gertrude (Hamlet, de Shakespeare, par Franco Zeffirelli, 1990). Dans La Tentation de Vénus (1991), d’Istvan Szabo, elle est une diva d’opéra, avant de se livrer à la savoureuse caricature de Cruella dans Les 101 Dalmatiens (1996). Autre rôle humoristique : l’épouse du président dans l’extravagant Mars Attacks ! (1996), de Tim Burton. L’actrice avait joué Off-Broadway, dans la mise en scène de Simone Benmussa*, une adaptation d’Albert Nobbs, roman de George Moore : au XIXe siècle, pour trouver du travail, une femme se travestit en homme. En 2011, elle est coscénariste, productrice et protagoniste du film réalisé par Rodrigo Garcia.
Bruno VILLIEN
CLOSTRE, Adrienne [THOMERY 1921 - SERRIÈRES 2006]
Compositrice française.
L’éducation générale d’Adrienne Clostre bénéficie du sens poétique de sa mère et de la passion de son père pour l’histoire. Elle entre au Conservatoire national supérieur de Paris dans la classe d’Yves Nat, où elle obtiendra un prix de piano. Elle travaille aussi l’harmonie puis la composition avec Darius Milhaud et Jean Rivier ainsi que l’analyse avec Olivier Messiaen. Elle obtient en 1949 le premier grand prix de Rome de composition musicale, l’année même où Robert Biset, qui deviendra son mari, en est récompensé en architecture. Ce sont des philosophes, des poètes, des peintres, des révolutionnaires, des alpinistes, dont la grandeur mais aussi les faiblesses se projettent au travers de sa production, destinée essentiellement à la scène. Ses héros prennent vie grâce à une prodigieuse osmose du vocal, du parler et du penser dans un paysage sonore qui impose sa force, illustre, interprète et soulève l’émotion. En 1970, après huit années de réflexion sur l’adaptation du sérialisme à sa pensée et sur la problématique de la déclamation lyrique, voit le jour Julien l’Apostat. Suivra Nietzsche (1975), « action musicale » en un prologue et 12 séquences, que la compositrice considérait comme très représentative de son travail. Le Secret (1981) est conçu comme une « lecture musicale » du journal de Kierkegaard : six séquences, une petite scène, quatre instrumentistes, un pianiste-acteur et un chanteur-acteur-mime. L’Albatros (1987), « action dramatique en musique », se déroule comme une « suite de flashes » sur la vie de Baudelaire. En 1988, elle écrit Annapurna Premier 8000, action dramatique d’après l’ouvrage qui raconte cette expédition. Le rythme des huit séquences répond à l’aspiration des hommes à conquérir les cimes éblouissantes dans la renonciation, la souffrance, le délire même, mais grâce à la raison et à la volonté. Le chœur des moines tibétains guide la pensée vers la recherche d’absolu tandis que des éléments instrumentaux et thématiques interviennent à titre symbolique dans la partition, comme repères pour évoquer les élans ou hésitations de ces personnalités ardentes. Dans la perspective d’un regroupement de plusieurs de ses ouvrages lyriques dont elle voulait montrer la cohérence, elle a achevé en 2003 Lénine ou la Récréation, fresque dont les épisodes évoquent la puissance du leader, figurée par la manipulation d’un groupe d’adolescents-marionnettes. Cette vaste production d’œuvres destinées à la scène est entrecoupée, au fil des années, de mélodies ou de cantates de chambre, de non moindre densité. L’Italie, sa seconde patrie, y est souvent présente, dès les Tre Fioretti di San Francesco d’Assisi de 1953, puis dans les Cinq scènes de la vie italienne, ou les Variations italiennes pour piano (1980). Elle confie à l’orgue seul le Premier Livre des Rois en 1980, et l’évocation de certains épisodes de l’histoire biblique de La Reine de Saba (1990). Autre page destinée à l’orgue, Le Combat avec l’Ange (1982) y associe la trompette dans une coloration spécifique de son goût pour la brillance des timbres. Toute sa pâte musicale est colorée d’une instrumentation rutilante : cuivres et percussion y dominent. Les textes choisis pour les mélodies sont porteurs d’images qui font rayonner son imaginaire, ainsi des neuf poèmes de Borges : El tigre de oro y sombra (1979). Dans la cantate radiophonique Peinture et liberté le texte parlé, partiellement dû à Michelet, énonce des réflexions sur l’engagement du peintre David auprès de Robespierre, la mission et le rôle de l’artiste dans la société. Parmi ces êtres tourmentés, déchirés, portés aux extrêmes qui constituent chez A. Clostre un « théâtre de l’âme », il y a Greta Garbo*, la solitaire, pour violoncelle et voix amplifiée (1992), Virginia Woolf* dans Waves, lecture pour piano (1990) et Sun, neuf séquences pour quatuor à cordes (1992), et Camille Claudel*, sculpteur, mélodrame pour voix de femme, flûte et deux percussions. Sa profonde spiritualité se révèle tant dans les interrogations de Julien l’Apostat ou dans Le Reniement de saint Pierre, voire dans le cri lancé par Ad te clamavi que dans la foi qui habite messes, musique d’orgue, motets, chorals et psalmodies.
Pierrette GERMAIN
■ ASSOCIATION FEMMES ET MUSIQUE, Compositrices françaises au XXe siècle, Sampzon, Delatour France, 2007.
CLUNES, Amaya [CHILI XXe siècle]
Scénographe et costumière chilienne.
Après des études de théâtre au Chili, Amaya Clunes poursuit sa formation à l’Université du Québec à Montréal, où elle enseigne la scénographie et la création de costumes. Elle conçoit des décors et des costumes pour le théâtre, la danse, la télévision et le cinéma. Au Chili, elle participe aux créations scéniques de ses compatriotes : Los invasores (« les envahisseurs »), d’Egon Wolff, dans une mise en scène de Víctor Jara (1963) ; Los papeleros (1962) ; Los que van quedando en el camino (1969) ; El retablo de Yumbel (1986), d’Isidora Aguirre*. Au Canada, elle collabore avec le metteur en scène et concepteur visuel Serge Ouaknine : Marianne intérieur-nuit (1989) ; Les Sorcières de Colomb (1992). Elle travaille aussi avec l’écrivain et dramaturge Larry Tremblay : Les Mille Grues (1985) ; The Dragonfly of Chicoutimi. Elle réalise des clips et des compositions scénographiques appelées « costumes-sculptures », comme Barroco clunesien (1988), présenté à Montréal, à Montevideo et à Washington. Enfin, elle illustre et écrit des livres pour enfants : A piros kopivevirág (« le copihue rouge », Budapest, 1980). Dans le cadre de sa carrière à l’université, elle donne des cours de scénographie en Argentine et au Mexique, et publie des articles.
Stéphanie URDICIAN
CLUTHA, Janet VOIR FRAME, Janet
COBBE, Frances POWER [DONABATE 1822 - HENGWRT 1904]
Journaliste et féministe irlandaise.
Fille d’un propriétaire terrien anglo-irlandais, Frances Cobbe vit mal les deux années passées dans une école pour jeunes filles, sans intérêt éducatif, alors qu’elle se passionne pour l’étude dans la bibliothèque familiale. À la mort de sa mère (1836), elle tient la maison de son père à qui elle s’affronte sur les questions religieuses. Agnostique, puis déiste, elle publie en deux parties, anonymement, sur l’éthique et la religion (The Theory of Intuitive Morals, 1855 et 1857), et craint l’athéisme et le « relâchement » potentiel des mœurs. Son questionnement, en rupture avec son époque et son sexe, reste conservateur. À la mort de son père, bien que sans revenu, elle choisit de voyager au Moyen-Orient, en France, en Grèce et en Italie, où elle rencontre Mary Lloyd, qui sera sa compagne. À son retour en Angleterre, elle s’essaie au travail social auprès d’enfants indigents d’écoles et d’asiles. Installée à Londres, elle devient une journaliste célèbre antivivisectionniste et féministe, deux domaines où elle excelle à dénoncer les abus. Elle gagne sa vie en rédigeant des chroniques dans des périodiques nationaux. Elle rencontre de nombreux contemporains comme John Stuart Mill et sa belle-fille Helen Taylor* ou les suffragistes Lydia Becker et Millicent Garrett Fawcett* dans les deux premières sociétés suffragistes (1867). Après 1870, pour mieux militer chez les antivivisectionnistes, elle abandonne son métier de journaliste. En 1884, épuisée, elle se retire au pays de Galles avec M. Lloyd. Conservatrice et unioniste farouche, F. Cobbe devient prépondérante au sein de la Primrose League, association de femmes liée au Parti conservateur. À la fois contestée et admirée, elle continue d’écrire pour le féminisme et contre la vivisection jusqu’à sa mort.
Myriam BOUSSAHBA-BRAVARD
■ CRAWFORD E., The Women’s Suffrage Movement. A Reference Guide, 1866-1928, New York, Routledge, 2001 ; CAINE B., Victorian Feminists, New York, Oxford University Press, 1992.
COCCIA, Maria Rosa [ROME 1759 - ID. 1833]
Compositrice et maître de chapelle italienne.
Maria Rosa Coccia commence très jeune des études musicales et manifeste vite un talent remarquable. Elle écrit d’abord des Sonates pour le clavecin (vers 1772) et, la même année, un oratorio, Daniello, qui est présenté, fait exceptionnel pour une femme, à l’oratoire de Saint-Philippe-de-Néri. Elle poursuit des études de contrepoint et est la première musicienne à concourir pour accéder au titre de Maestra compositora décerné par l’académie Sainte-Cécile de Rome. Elle obtient le diplôme, mais n’est pas autorisée à exercer à l’église les fonctions, réservées aux hommes. Elle est aussi, en 1779, nommée membre de l’Académie philharmonique de Bologne, centre actif de production et de promotion musicale. Elle entretient au fil de sa vie des relations avec le Padre Martini, Métastase et le castrat Farinelli.
Elle écrit beaucoup de musique religieuse, dont un Magnificat pour quatre voix et orgue (1774), un Dixit Dominus pour double chœur et orgue, dédié au grand-duc de Toscane. Ces œuvres, de style concertant, montrent un réel sens dramatique qui se retrouve dans les cantates profanes Arsinoé (1783) et Le Triomphe d’Énée, dont l’instrumentation est particulièrement colorée.
Pierrette GERMAIN
■ FELICI C., Maria Rosa Coccia, Rome, Colombo/Fondation Adkins Chiti, Donne in Musica, 2004.
COCEA, Dina [BUCAREST 1912 - ID. 2008]
Actrice roumaine.
Dina Cocea appartient à une célèbre famille d’intellectuels roumains. À 14 ans, elle arrive à Paris chez sa tante, l’actrice et chanteuse Alice Cocea, et, avec son soutien, suit des cours d’art dramatique au Conservatoire. Diplômée en 1934, elle débute au cinéma dans trois films français, parmi lesquels La Jeune Fille d’une nuit, de Reinhold Schünzel. L’année suivante, en Roumanie, elle entame une longue et prestigieuse carrière théâtrale. En 1940, avec un groupe de jeunes artistes, elle fonde dans le sous-sol de la salle Comedia (où elle a fait ses débuts bucarestois dans Typhoon de Melchior Lengyel) « Notre Théâtre », fermé en 1949 lors de la nationalisation de toutes les compagnies théâtrales. Elle entre ensuite dans la troupe du Théâtre national de Bucarest. D’une beauté légendaire, traversant tous les âges et les grands titres du théâtre classique et contemporain, elle marque par sa présence plus de 100 rôles, depuis Eliza, la jeune fille à éduquer dans Pygmalion de George Bernard Shaw, jusqu’à la reine Élisabeth dans Marie Stuart de Schiller. De 1952 à 1962, elle est doyenne de la faculté de théâtre de Bucarest, préparant plusieurs générations d’acteurs, vivement impliquée dans la vie publique et politique de son pays. De 1979 à 1989, après Lucia Sturdza-Bulandra* et Costache Antoniu, elle préside l’Association des gens de théâtre et musiciens de Roumanie jusqu’à sa mort. Surnommée « la reine du théâtre roumain », elle a également participé à une dizaine de films et à plusieurs productions télévisées et radiophoniques. À partir de 1956, elle a représenté la Roumanie dans des congrès et conférences organisées par l’Onu et l’Unesco à travers le monde.
Mirella PATUREAU
COCKBURN, Catherine (née TROTTER) [LONDRES vers 1679 - LONG HORSLEY 1749]
Philosophe et écrivaine britannique.
Née de parents écossais, largement autodidacte et d’une précocité notoire, Catherine Cockburn publie d’abord anonymement un roman, Olinda’s Adventures (1693), avant que ses pièces, toutes représentées dans les théâtres londoniens, et son œuvre poétique ne lui vaillent la notoriété littéraire. Par son œuvre philosophique, elle apporte une contribution originale à la philosophie morale anglaise du XVIIIe siècle. Elle publie en 1702 A Defense of Mr. Locke’s Essay, où elle réfute la critique de l’empirisme lockéen de Thomas Burnet. En s’appuyant sur l’épistémologie lockéenne, elle suggère de nouvelles approches du concept de raison, sous le signe de l’autonomie de l’individu et de son mouvement réflexif, tant au niveau de la démarche cognitive que de la morale et de l’éthique du comportement. Sa réflexion sur les concepts de rationalité et de personne la conduit à un examen critique de la question religieuse comme de celle des rapports de sujétion entre les sexes. Locke lui exprimera son estime et sa gratitude et Leibniz demandera à prendre connaissance de ses écrits avant de publier sa propre critique de l’Essai. Dans ses travaux sur Samuel Clarke, notamment les Remarks upon Some Writers… Concerning the Foundation of Morality (1743), puis dans les Remarks upon the Principles and Reasonings of Dr. Rutherforth’s Essay (1747), elle poursuit sa réflexion sur la question prédominante de la théorie morale dont les fondements ne résideraient pas seulement dans la raison ni dans la religion, mais aussi dans le « sens moral », une capacité individuelle en toute circonstance, innée, propre à chacun, ermite ou athée, une sorte de logique de la sensation morale. Érudite, elle a composé une œuvre où dialoguent nombre de grands penseurs de son époque, et dans laquelle sont mises en question, en particulier dans son théâtre, publié à un très jeune âge, les normes et conceptions prévalant dans les rapports entre les sexes. Audace et liberté dans l’exercice de la pensée comme dans la conduite de l’existence, en dépit d’une situation matérielle toujours précaire, font d’elle une figure significative de la vie intellectuelle anglaise d’alors et de l’émancipation des femmes, sur laquelle la critique féministe et les études de genre ont commencé à se pencher.
Isabelle ETIENNE
■ BIRCH (dir.), The Works of Mrs. Catharine Cockburn, Theological, Moral, Dramatic, and Poetical : Several of Them Now First Printed, Revised and Published, with an Account of the Life of the Author (2 vol., 1751), Londres, Routledge/Thoemmes, 1992 ; KELLEY A., Catharine Trotter : An Early Modern Writer in the Vanguard of Feminism, Aldershot, Ashgate, 2002 ; SHERIDAN P. (dir.), Catharine Trotter Cockburn : Philosophical Writings, Peterborough, Broadview Press, 2006.
COCONNIER, Clémence [BORDEAUX 1978]
Danseuse, chorégraphe et trapéziste française.
Formée au Centre des arts du cirque du Lido de Toulouse, Clémence Coconnier travaille particulièrement le trapèze – avec Lili Dehais et Zoé Maistre – et la danse contemporaine, pour créer en 2005 son premier duo, Trapezi, en collaboration avec Pénélope Hausermann. Elle utilise le trapèze comme support à des performances très graphiques, développant un travail affranchi de la prouesse technique qui, selon sa propre expression, « s’apparente aux arts plastiques, aux installations ». Collaborant avec des auteurs de différents champs artistiques, C. Coconnier ouvre ainsi un nouvel espace, très expérimental, au cirque contemporain. Ont ainsi été créés : Vertige, en 2007 à La Villette, avec le musicien Olivier Benoit ; Mue, court-métrage de trapèze-danse avec le graphiste dessinateur Yannick Calvez en 2009 ; BLOB avec Émilie Gallier et Plis à la Fondation Royaumont, en 2010 ; Les Temps tiraillés au Centre Pompidou - Monumenta, Bestiole et Une lente mastication en 2011 ; Replis en 2012 avec Kasper T. Toeplitz dans une chorégraphie de Myriam Gourfink*.
Marika MAYMARD
CODE, Lorraine [CALGARY 1937]
Philosophe canadienne.
Diplômée des universités Queen’s et Guelph (Canada) et professeure à l’Université York (Toronto), Lorraine Code jouit aujourd’hui d’une renommée internationale pour avoir posé les jalons d’une nouvelle épistémologie féministe (Is the Sex of the Knower Epistemologically Significant ? , « le sexe du sujet connaissant, quelle pertinence épistémologique ? », 1981). Docteur honoris causa de l’Université Guelph, membre de la Société royale du Canada, récipiendaire de prestigieuses subventions de recherche, elle est professeure et conférencière invitée dans de nombreuses universités et congrès à travers le monde. Quatre livres importants témoignent de l’évolution de sa pensée. Le premier, Epistemic Responsibility (1987), propose une réinterprétation de l’épistémologie à la lumière de l’éthique, pour élaborer une théorie d’une connaissance responsable. Le second, What Can She Know ? Feminist Theory and the Construction of Knowledge (1991), revient à la question primordiale du sujet connaissant. Démasquant la conception traditionnelle de la philosophie anglo-américaine, selon laquelle ce sujet (présumé mâle) serait entièrement neutre et sans a priori, elle rappelle l’importance des contextes historique, politique, social et personnel. Elle souligne l’influence des théories traditionnelles de la connaissance sur les institutions sociopolitiques et l’évolution d’une autorité cognitive essentiellement masculine. Le troisième livre, Rhetorical Spaces (1995), examine la production et la diffusion de la connaissance, surtout dans ses rapports avec les subjectivités masculine et féminine. Elle s’intéresse aux « projets épistémiques » qui occupent une place centrale dans la vie quotidienne, et au défi que représentent pour la connaissance de l’autre les rapports asymétriques du pouvoir et du privilège. Son ouvrage Ecological Thinking (2006) étudie le potentiel d’une pratique écologiste pour une théorie de la connaissance. Ce faisant, L. Code élabore une critique de la rationalité instrumentaliste, de l’individualisme abstrait et de l’exploitation des êtres et des lieux dont l’épistémologie traditionnelle occidentale serait responsable. Par le biais d’une étude de deux domaines éminemment producteurs de connaissance, la médecine et le droit, elle démontre l’importance d’une épistémologie responsable qui tienne compte de la diversité et de la spécificité. Ses recherches actuelles approfondissent les concepts élaborés dans ses ouvrages antérieurs, en explorant le tissu des rapports entre le pouvoir et l’expertise qui régissent la production et la diffusion de la connaissance, et en examinant les contextes et les responsabilités des sujets connaissants à l’intérieur de ce réseau de rapports.
Kathryn HAMER
■ Avec BURT S., DORNEY L., Changing Patterns : Women in Canada, Toronto, McClelland and Stewart, 1988 ; avec BURT S., Changing Methods : Feminists Transforming Practice, Peterborough, Broadview Press, 1995.
■ NORMAN R., « What can she know ? Feminist theory and the construction of knowledge », in Postmodern Culture, vol. 2, no 2, janv. 1992 ; BAL M., « First person, second person, same person : narrative as epistemology », in New Literary History, vol. 24, no 2, 1993.
COE, Sue [TAMWORTH 1951]
Peintre et illustratrice britannique.
Issue d’une famille d’ouvriers, diplômée de la Chelsea School of Art et du Royal College of Art de Londres, Sue Coe s’installe à New York, où elle enseigne jusqu’en 1978, avant de se consacrer à la peinture et à l’illustration pour la presse, avec, pour thématique commune, la protestation contre tous les abus de pouvoir sociaux et politiques. Lors de ses premières années à New York, elle se familiarise avec le mouvement dada, né en 1916 à Zurich, et celui de la Nouvelle Objectivité – actif entre 1918 et 1933 en Allemagne –, et dont les œuvres engagées s’attaquaient aux travers de la société, avec une ferveur révolutionnaire. Également activiste, elle adopte un style figuratif aiguisé et épuré, dégagé de tout élément nuisant au message fort qu’elle veut transmettre, quitte à associer à ses dessins des mots ou des symboles pour en simplifier la lecture. Les premiers sujets de S. Coe concernent tous types d’inégalités : la violence urbaine apparaît dans une série de toiles, puisant dans sa propre histoire ou dans des faits divers, comme Woman Walks into Bar, Is Raped by Four Men on the Pool Table, While 20 Watch (1983), retraçant le viol d’une femme de 21 ans. La discrimination raciale est mise en scène avec un réalisme criant dans des œuvres représentant les cruautés du Ku Klux Klan ou de l’Apartheid. Ses dessins et ses peintures deviennent de plus en plus expressionnistes dans les années 1980, lorsqu’elle dénonce la politique internationale des États-Unis : l’invasion américaine des Caraïbes en 1983 dans U. S. Military Successfully Bombs a Mental Hospital in Grenada (1984) en est un exemple. La maltraitance des animaux devient, à cette époque, un thème dominant : elle y consacre, à partir de 1988, la série Porkopolis, et, en 1995, le livre Dead Meat dans lequel elle s’attaque aux dérives de l’industrie agro-alimentaire. Ses œuvres, associant la peinture, le dessin et le collage, dans un style proche des compositions violentes d’Otto Dix (1891-1969), deviennent alors plus sombres.
Fanny DRUGEON
■ Porkopolis : Sue Coe’s Jungle (catalogue d’exposition), Amherst, Mead Art Museum, 1993 ; Directions (catalogue d’exposition), Washington, Hirshhorn Museum and Sculpture Garden, 1994 ; Sheep of Fools (catalogue d’exposition), Beauchamp M. (dir.), Seattle/Londres, Fantagraphics/Turnaround, 2005.
COELHO LISBOA, Rosalina [RIO DE JANEIRO 1900 - ID. 1975]
Écrivaine, journaliste et diplomate brésilienne.
Fille d’un sénateur, Rosalina Coelho Lisboa publie ses premiers vers à l’âge de 15 ans, dans les revues Fon-Fon et Careta. Son premier recueil de poèmes, O rito pagão (« le rite païen », 1921), reçoit les éloges de la critique littéraire, ainsi qu’un prix de l’Académie brésilienne des lettres. Elle écrit de nombreux articles dans la presse quotidienne (Jornal do Brasil, A noite…) et publie un livre de chroniques, O desencantamento encantamento (« le désenchantement enchantement »), en 1927. Elle participe au Congrès international des femmes à Porto Alegre en 1930, et elle est la première femme nommée par le gouvernement brésilien pour une mission culturelle à l’étranger en 1932. Son premier roman, Les Moissons de Caïn, est publié en 1952. Tout au long de sa vie, elle est chargée de nombreuses autres missions diplomatiques, en Uruguay, aux États-Unis, au Pérou, au Chili, en Espagne et auprès de l’Organisation des Nations unies.
Wilton José MARQUES
■ Les Moissons de Caïn (A seara de Caim, romance da revolução no brasil, 1952), Paris, Plon, 1955.
COGHILL, Joy [FINDLATER, SASKATCHEWAN 1926]
Actrice et directrice canadienne de compagnies de théâtre.
Pionnière et défenseure acharnée des arts de la performance, Joy Coghill est reconnue pour son talent de comédienne (répertoire et création) et pour sa vision, sa détermination courageuse et sa conviction que « la santé d’une nation dépend de la santé des arts ». Tout au long de sa carrière, elle ne cesse de prendre des initiatives. Elle est ainsi la première femme à diriger la Vancouver Playhouse Theatre Company et la section anglaise de l’École nationale de théâtre du Canada. Elle fonde le premier théâtre professionnel anglophone pour jeune public au Canada, l’Holiday Theatre (1953), dont elle est la directrice artistique, ainsi que le premier théâtre professionnel pour performeurs âgés, la Western Gold Theatre Society (1994), pour s’opposer à la discrimination injuste fondée sur l’âge. Elle crée le Performing Arts Lodge, dont la mission est l’accueil et le logement de personnes âgées ayant fait carrière dans les arts du spectacle, et où elle s’installe avec son époux dès l’ouverture (2006). Récompensée pour sa « contribution extraordinaire au théâtre canadien » par des doctorats honorifiques et de nombreux prix, elle est membre de l’Ordre du Canada (1990).
Cynthia ZIMMERMAN
COHEN, Annie [SIDI-BEL-ABBÈS, ALGÉRIE 1944]
Écrivaine et plasticienne française.
Issue d’une famille juive algérienne, Annie Cohen quitte définitivement l’Algérie en 1967. Son identité de Française prend, selon elle, un sens dans le mouvement de 1968 et dans le Mouvement de libération des femmes*. L’Algérie de l’enfance perce toutefois dans les textes autobiographiques avec, en filigrane, l’ombre d’Albert Camus. Si elle parle d’une « enfance d’ailleurs », elle refuse cependant d’être un « écrivain de l’exil ». Les œuvres autobiographiques donnent ainsi à lire les failles de l’auteure, terme à entendre dans son sens géologique – l’écrivaine a soutenu en 1973 une thèse de géographie sur la ségrégation scolaire en milieu urbain. Son intérêt pour ce domaine se retrouve dans sa volonté de dessiner un « alphabet en devenir, une graphie en mouvement, à déchiffrer, à écrire, transcription d’un monde secret, indicible, tâtonnement ou traduction ésotérique, confidentielle », comme elle l’écrira dans Géographie des origines (2007), jusque dans sa pratique plastique : rouleaux d’écriture exposés au Centre Pompidou en 1991, dessins à l’encre de Chine. Le motif du fil et de la cartographie qui traverse ses œuvres met en évidence un parcours placé sous le signe de Saturne et de la mélancolie, touchant les limites du réel et de la fiction, de l’intérieur et de l’extérieur, notamment dans La Dentelle du cygne (1979). La mort de son premier amour, M. G., en 1963, est à l’origine de l’écriture et s’inscrit dans les initiales de ses personnages de fiction. L’écriture émerge donc tout à la fois depuis et contre ce parcours accidenté et mélancolique, comme en témoigne l’évocation de son accident vasculaire cérébral en 1999 ou de sa dépression en 2001. Donner à voir l’écriture et les mots en leurs érosions tout comme en leurs espaces de l’imaginaire infinis, telle serait la visée de l’œuvre de A. Cohen, conférant à ses textes une dimension lyrique et symbolique indéniable : « Nous sommes des égarés vivants, empêtrés d’espace, encombrés de vide. Habitants de villes en ruines » (Les Sabliers du bord de mer, 1981).
Sylvie LOIGNON
■ Le Peignoir à plumes, Paris, Des femmes, 1984 ; Pierre de nuit, rouleaux d’écriture, Paris, Les Petits Classiques du grand pirate, 1991 ; L’Homme au costume blanc, Arles, Actes Sud, 1994 ; Le Marabout de Blida, Arles, Actes Sud, 1996 ; Bésame mucho, Paris, Gallimard, 1998 ; LaDure-Mère, Paris, Gallimard, 2001 ; Les Cahiers bleus, Monaco, Éditions du Rocher, 2004.
COHEN, Lynne [RACINE, WISCONSIN 1944]
Photographe américaine.
Depuis les années 1970, Lynne Cohen développe une œuvre conceptuelle, dont le sujet invariable est celui des espaces intérieurs, vides, photographiés en argentique à la chambre. Étudiante en sculpture au milieu des années 1960, elle s’intéresse à la manière dont les artistes du pop art exaltent le banal, le quotidien et les objets courants, ce qui la conduit à réaliser, vers 1969-1970, ses premiers environnements ready-made : elle délimite physiquement, comme des scènes de crime, des sites qu’elle considère extraordinaires, et explique au public où se tenir et quoi regarder. À la même époque, elle découpe des images d’intérieurs domestiques et de produits de consommation dans des catalogues commerciaux afin de réaliser des estampes et des sérigraphies, avant d’en venir à photographier directement des lieux de particuliers en 1971, date officielle de son premier cliché. Ces premiers tirages contacts en noir et blanc révèlent un regard neutre – une neutralité qui rappellera parfois l’art minimal ou l’Artand Language –, mais l’ameublement et le décor sont néanmoins cadrés dans un souci de composition symétrique.Par ailleurs, son projet n’est pas documentaire : l’artiste est guidée par les sentiments de fascination et de répulsion que suscitent en elle ces espaces banals. À la fin des années 1970, elle abandonne ce thème et se tourne vers des lieux publics tels que les clubs pour hommes ou les salons de beauté. En 1982, elle commence à agrandir ses épreuves pour en renforcer l’aspect sculptural et permettre au spectateur d’entrer physiquement et psychologiquement dans l’espace de l’image. Après avoir longtemps refusé la couleur, elle cède à son usage en 1998 et exploite son rendu peu naturel et l’impression de prise de vue à distance. Ces dernières années, afin de nourrir une réflexion plus vaste et critique sur les lieux de contrôle et de manipulation des individus, L. Cohen photographie des stands de tirs, des salles de cours ou encore les établissements thermaux. Objets ouverts sur le monde, ses photographies en format tableau sont chargées de références à l’histoire de l’art, revendiquées par l’artiste elle-même.
Damarice AMAO
■ Camouflage, Cherbourg-Octeville, Le Point du jour, 2005 ; Cover (catalogue d’exposition), Barriet D. (dir.), Cherbourg-Octeville, Le Point du jour, 2009.
■ THOMAS A., No Man’s Land, les photographies de Lynne Cohen, Paris, Thames &Hudson, 2003.
COHEN, Yolande [AUBAGNE 1950]
Historienne canadienne.
Née en France, alors que ses parents séjournent dans un camp de transit à Marseille et se préparent à partir pour Israël, Yolande Cohen grandit à Meknès au Maroc d’où sa famille est originaire et où le couple est finalement retourné vivre. Elle quitte le Maroc à 18 ans et, tout en participant au mouvement étudiant de 1968, choisit, pour parfaire sa formation politique, de s’inscrire en licence d’histoire-géographie à Paris. Passionnée par l’histoire, elle entreprend une thèse de troisième cycle sur les mouvements de jeunesse en France au tournant du siècle (publiée sous le titre Les Jeunes, le socialisme et la guerre, histoire des mouvements de jeunesse en France, 1989). En 1976, elle rejoint ses parents qui ont émigré à Montréal, où elle commence une carrière d’enseignante-chercheuse à l’université du Québec à Montréal. Forte de son projet d’étudier les sociabilités et les processus d’interventions publiques et politiques des groupes marginalisés, Y. Cohen continue de travailler sur les jeunes et commence à explorer l’histoire des femmes. Tout en participant à l’institutionnalisation des études sur les femmes, elle s’intéresse aux rapports de pouvoir entre les sexes dans une perspective d’histoire politique et dirige plusieurs publications sur cette question : Femmes et politique (1981), Femmes et contre-pouvoirs (1987) et Pouvoir, politique, bureaucratie (avec Nicole Laurin-Frenette et Kathy Ferguson, 1984). Elle montre aussi comment des groupes de femmes rurales québécoises ont favorisé une sociabilité féminine et l’intervention publique des femmes (Femmes de parole, histoire des cercles de fermières, 1990). Elle poursuit son enquête dans ce domaine en scrutant la professionnalisation des infirmières et leur formation (Profession infirmière, une histoire des soins dans les hôpitaux du Québec, 2000), puis en analysant l’influence des groupes de femmes sur les politiques publiques à travers l’étude d’associations volontaires et philanthropiques (Femmes philanthropes, catholiques, juives et protestantes dans les organisations caritatives au Québec, 1880-1945, 2010). Y. Cohen s’intéresse par ailleurs aux migrations juives marocaines dans une perspective comparée, ayant publié Les Juifs marocains à Montréal, avec Marie Berdugo-Cohen et Joseph Lévy (1987), et édité plus récemment Identités sépharades et modernité (avec Jean-Claude Lasry et Joseph Lévy, 2007). Depuis 2012, elle est présidente de l’Académie des arts, des lettres et des sciences humaines de la Société royale du Canada.
Linda GUERRY
COHENDY, Christiane [CLERMONT-FERRAND V. 1940]
Actrice et metteuse en scène française.
Pionnière du théâtre d’avant-garde et égérie de nombreux jeunes dramaturges, c’est auprès d’Alain Françon, Évelyne Didi* et André Marcon que Christiane Cohendy fait ses premières armes en fondant avec eux le Théâtre éclaté à Annecy (1971). Elle est, de 1975 à 1979, comédienne permanente du Théâtre national de Strasbourg dirigé par Jean-Pierre Vincent. Dès lors, elle côtoie les plus grands noms du théâtre public français et européen : Patrice Chéreau, Georges Lavaudant, Matthias Langhoff, Klaus Michael Grüber, André Engel, Jean-Louis Martinelli et Jorge Lavelli. Amoureuse des mots, férue de littérature, elle nourrit son jeu de ce goût du texte, cette appréhension sensible de la langue qui colle à la peau des personnages qu’elle interprète. Elle prête son talent aux œuvres de jeunes écrivains tels que Madeleine Laïk* et Bernard-Marie Koltès, et participe à des lectures publiques, des dramatiques radiophoniques. Présente essentiellement sur les scènes du théâtre public, elle s’autorise quelques détours par le théâtre privé (Le Caïman d’Antoine Rault ; Equus de Peter Shaffer). Elle ne néglige pas pour autant le répertoire classique : Le Misanthrope, La Cerisaie, Les Trois Sœurs, L’Orestie ou Légendes de la forêt viennoise. Elle fait quelques incursions au cinéma : Chantal Akerman* lui confie un rôle dans Toute une nuit (1982), Jean-Paul Rappeneau dans Le Hussard sur le toit (1995), Albert Dupontel dans Le Créateur (1999) et Jacques Audiard dans Sur mes lèvres (2001). Une dizaine de téléfilms vient s’ajouter à la carrière de cette actrice complète et passionnée, qui cumule les récompenses dont le Molière de la meilleure comédienne pour Décadence de Steven Berkoff (1996). Mais c’est au théâtre que va sa flamme et, soucieuse de la transmettre, elle enseigne depuis 2006 au Conservatoire national supérieur d’art dramatique.
Mireille DAVIDOVICI
COHEN-LEVINAS, Danielle [PARIS 1959]
Philosophe, musicologue française.
Professeure de musicologie et de philosophie à l’université Paris 4-Sorbonne depuis 1998, Danielle Cohen-Levinas est spécialiste de l’idéalisme musical allemand, de l’opéra et de la philosophie de la musique. Elle est aussi chercheuse associée aux Archives Husserl de Paris et a été directrice de programme au Collège international de philosophie. En 1998, elle a créé le Centre d’esthétique, musique et philosophie contemporaine de l’OMF/Université Paris 4-Sorbonne où elle organise de nombreux colloques et journées d’étude. En 2008, elle fonde le Collège des études juives et de philosophie contemporaine. Depuis 2007, elle a de multiples activités éditoriales. Mariée au compositeur Michaël Levinas et belle-fille du philosophe Emmanuel Levinas, elle conjoint la rencontre entre ces deux champs disciplinaires, comme en témoignent ses essais et plusieurs ouvrages collectifs sous sa direction, consacrés aux rapports, de proximité comme de désaccord, entre la musique et la philosophie, de même qu’à des créateurs contemporains (Schoenberg, Luciano Berio, Jean-Marc Bustamante, Gérard Grisey) et à l’archéologie des formes et des langages (« art total », opéra). Abordant la question de l’art par ses dimensions les plus inactuelles, elle s’intéresse d’abord à ce qui fait événement dans la musique, au-delà des registres cognitif, phénoménologique ou « pathétique » même. Dans La Voix au-delà du chant (2006) – peut-être sa contribution la plus remarquable –, elle interroge l’attrait irrésistible qu’exerce la voix et en fait le lieu privilégié de sa réflexion, le point précis où se touchent et résonnent de manière intime et singulière musique et philosophie : « Derrière toute expérience musicale, se cacherait un visage vocal. » Sa fine écoute la tourne aussi vers le chant du poème ou du psaume : Un bruit dans le bruit (2004) et Qui est comme Dieu (2012) portent ses questions sur les limites du langage et l’inouï à un tout autre niveau d’intensité encore. Parallèlement à l’étude des différentes modalités par lesquelles les arts, la musique et la philosophie se confrontent et interagissent – fil rouge de toute cette œuvre de pensée –, elle s’intéresse également à la littérature (Blanchot, Kafka, Celan surtout) et à la philosophie contemporaines (Nancy, Lacoue-Labarthe), et de manière toute particulière à la philosophie juive, à partir de questions touchant à la justice et à la mémoire, à l’exil et au messianisme, à la responsabilité et à l’éthique : les œuvres de Levinas, qu’elle a eu pour maître, de même que celles de Rosenzweig, Benjamin, Adorno et Derrida, sont au cœur de son travail philosophique.
Ginette MICHAUD
■ (dir.) Le Style et l’Idée, Arnold Schoenberg (1997), Paris, Buchet-Chastel, 2002 ; (dir.), Emmanuel Levinas, pour une philosophie de l’hétéronomie, Paris, Bayard, 2006 ; (dir.), Le Siècle de Schoenberg, Paris, Hermann, 2010 ; avec BENSUSSAN G., L’Impatience des langues, Paris, Hermann, 2010 ; L’Opéra et son double, Paris, Vrin, 2013 ; (dir.) Eros, littérature et philosophie, in E. LEVINAS, Œuvres complètes, t. 3, Paris, Grasset, 2013.
COHN, Lotte [CHARLOTTENBURG, AUJ. BERLIN 1893 - TEL-AVIV 1983]
Architecte israélienne.
Pionnière de l’architecture du XXe siècle, Charlotte, dite Lotte, Cohn est issue d’une famille juive allemande, sympathisante sioniste. Après avoir passé son baccalauréat, elle s’inscrit en 1912 à l’École royale supérieure technique de Charlottenburg, dont elle est la troisième femme à obtenir un diplôme d’architecte. Elle connaît sa première expérience professionnelle durant la Grande Guerre, à l’occasion de la reconstruction des villes et villages détruits de la Prusse-Orientale. Après avoir émigré en Palestine mandataire en 1921, dont elle est la première femme architecte diplômée, elle assiste, jusqu’en 1927, l’architecte et urbaniste Richard Kauffmann (1887-1958) à Jérusalem et participe à la conception de lotissements pour les coopératives agricoles des kibboutz et mochav, ainsi qu’à celle du premier faubourg-jardin juif. Parmi ses projets phares des années 1920 figurent l’école agricole de filles du mochav Nahalal (1925) et la première maison d’enfants du pays, dans le kibboutz Hefzi-bah (1926). En 1923, elle est la seule femme parmi les membres fondateurs de l’Association des architectes de Palestine (Jérusalem). Au début des années 1930, elle est aussi la première à ouvrir sa propre agence à Tel-Aviv où elle exerce jusqu’en 1967 et collabore avec Yehuda Lavie (né Ernst Levinsohn 1910-1998) à partir de 1953. Les premières années, elle conçoit des maisons types pour des lotissements destinés à des familles juives allemandes émigrantes, dont celles à toit terrasse de Pardess Hanna (1934) et une maison individuelle minimum (1937). Elle construit également de nombreuses habitations particulières, dont la maison Mendelsohn (Kfar Chmaryahou 1936), en collaboration avec Julius Posener (1904-1996) ou la maison Zlocisti sur le mont Carmel, près d’Haïfa (1937), à l’architecture moderne marquée par une bande de fenêtres en longueur. Son œuvre la plus connue est la pension Kaete Dan (1932) sur la plage de Tel-Aviv, aujourd’hui détruite. Dans le quartier de la Ville-Blanche, elle a aussi réalisé des immeubles et un bâtiment de bureaux, le Chimon Binyan (rue Allenby). Après la fondation de l’État d’Israël, en 1948, elle se consacre essentiellement au logement social et planifie des quartiers d’habitations au nord et à l’est de Tel-Aviv. Durant presque un demi-siècle, elle a joué un rôle essentiel dans l’édification architecturale d’Israël, et, toujours consciente de ses responsabilités sociales, a su adapter ses projets aux conditions régionales et climatiques.
Ines SONDER
■ SONDER I., Lotte Cohn. Pioneer Woman Architect in Israel. Catalogue of Buildings and Projects, Tel-Aviv, Bauhaus Center, 2009 ; ID., Lotte Cohn – Baumeisterin des Landes Israel. Eine Biographie, Berlin, Jüdischer Verlag, 2010 ; WARHAFTIG M., Sie legten den Grundstein. Leben und Wirken deutschsprachiger jüdischer Architekten in Palästina 1918-1948, Tübingen/Berlin, E. Wasmuth, 1996 ; ID., Deutsche jüdische Architekten vor und nach 1933. Das Lexikon, Berlin, D. Reimer, 2005.
COIGNARD, Gabrielle DE [V. 1550 - TOULOUSE 1594]
Poétesse française.
Poétesse pieuse originaire de Toulouse, Gabrielle de Coignard est la fille de Jean de Coignard, qui fut maître ès Jeux floraux pendant plus de trente ans, et la femme de Pierre de Mansencal, président du Parlement. L’œuvre qu’elle composa durant son veuvage fut publiée à titre posthume par ses deux filles, Jeanne et Catherine de Mansencal, qui voulaient faire connaître la vie exemplaire de leur mère. Parues à trois reprises (1594, 1595, 1613), les Œuvres chrestiennes contiennent 129 sonnets, suivis de 21 poèmes de plus grande étendue et de forme plus souple parmi lesquels on trouve des complaintes, des stances, des hymnes et des discours, et même un poème épique qui célèbre la victoire de Judith sur Holopherne et la délivrance du peuple hébreu des persécutions païennes. G. de Coignard porte une grande admiration à Ronsard qu’elle a très probablement rencontré lors des concours poétiques à l’académie des Jeux floraux, mais elle finit par se détourner de l’inspiration antique (et païenne) et de l’esthétique recherchée (« le style haut ») qu’on associe d’ordinaire au Vendômois. Bien que la poétesse évoque à l’occasion ses préoccupations mondaines (l’importance qu’elle attache au bien-être de ses filles encore jeunes, le regret d’avoir perdu un si bon mari, la double pression familiale et sociale pour qu’elle se remarie, ses soucis de santé) ou encore l’actualité (l’apparition d’une comète, une épidémie de coqueluche), elle consacre la majeure partie de ses sonnets à la louange de Dieu et surtout au repentir, à la prière et à la méditation qui sont les moyens suggérés par Ignace de Loyola dans ses Exercitia spiritualia (1548) pour se rapprocher de Dieu. Les poèmes de la seconde partie portent essentiellement sur des sujets de méditation : la passion et la mort de Jésus-Christ, les lamentations de la Vierge Marie à la vue du Christ en croix, le mystère de l’Incarnation, l’effroi de la mort et du Jugement dernier, les vertus chrétiennes. Enfin, en accord avec l’épanouissement d’une spiritualité toute féminine dans la seconde moitié du XVIe siècle, les Œuvres chrestiennes proposent aux « dames dévotieuses » à qui elles s’adressent le modèle de femmes pieuses comme la Vierge Marie, Tabithe, Sarepte et Judith, soulignant de la sorte le rôle primordial des femmes dans la transmission de la foi.
Colette H. WINN
■ Œuvres chrestiennes (1594), Winn C. H. (éd.), Genève, Droz, 1995.
■ SOMMERS P., « Gendered distaffs : Gabrielle de Coignard’s revision of classical tradition », in Classical and Modern Literatures, t. 18, no 3, 1998 ; ID., « Gendered readings and “The Book of Judith” : Guillaume du Bartas and Gabrielle de Coignard », in Romance Quarterly, no 48, 2001.
COIGNET, Clarisse (née GAUTHIER) [MONTAGNEY 1823 - DAMPIERRE-SUR-LE DOUBS 1918]
Philosophe française.
Grande figure du mouvement saint-simonien, Clarisse Coignet, influencée par Kant, avance la notion d’une moralité indépendante de la religion, nourrie par la raison et l’introspection, et née de la liberté individuelle qui est un fait irréductible de la nature humaine. Cette liberté morale, réalisée par l’intelligence, relève de la conscience du devoir, des droits et des responsabilités. Or l’être humain, créateur autonome de la moralité, est une fin en soi dont les efforts assurent la maturité morale et le développement de la justice sociale. Quoique l’instinct religieux fasse partie de la nature et de l’âme humaines, la religion organisée représente une entrave absolue à l’autonomie qui est la condition sine qua non de la moralité souveraine et authentique. Cette « nouvelle science de la moralité » est élaborée dans son œuvre majeure, La Morale indépendante dans son principe et dans son objet (1869). Quoiqu’elle réclame dans ce livre la reconnaissance de la femme comme fin en soi, et comme l’égale de l’homme selon le principe de l’indépendance de la raison et de la moralité, elle ne cherche pas à bouleverser les structures sociales et familiales, mais à renouveler leur modalité vitale.Ses mémoires sont publiés hors commerce à Lausanne entre 1899 et 1904 ; à 88 ans elle publie De Kant à Bergson, réconciliation de la religion et de la science dans un spiritualisme nouveau (1911), qui servira à clarifier sa pensée.
Jeremy WORTH
■ ALLEN J., « Clarisse Coignet », in WAITHE M. E., The History of the Women Philosophers, vol. 3, Dordrecht, Kluwer, 1991 ; JOLIOT J., « Clarisse Coignet et l’enseignement féminin au XIXe siècle », Besançon, Procès-verbaux et mémoires de l’Académie de Besançon, vol. 187, 1986-1987.
COIGNY, Aimée DE [PARIS 1769 - ID. 1820]
Mémorialiste et romancière française.
Dotée d’une remarquable culture pour une femme de son époque, Aimée de Coigny est éduquée au château de Vigny par la princesse de Rohan-Guéménée, qui lui enseigne les lettres classiques. En 1785, son mariage avec le duc de Fleury lui permet d’être admise aux honneurs de la Cour. Pleine de charme, elle fréquente les salons parisiens et mène une vie libertine, ce qui fit couler beaucoup d’encre, notamment celle de Mme de Genlis*, d’Horace Walpole et de Laure d’Abrantès*. Menacée par les lois contre les émigrés pendant la Terreur, elle entame une correspondance avec son ancien amant, le duc de Lauzun, devenu le général Biron. Ses lettres dans lesquelles elle se compare à Zilia, l’amante dévouée des Lettres d’une Péruvienne, de Françoise de Graffigny, témoignent de ses lectures. Elle est incarcérée à Saint-Lazare en 1794. Elle y croise André Chénier qui l’immortalise dans la célèbre ode à « la Jeune Captive », écrit, dit-on, la veille de la mort du poète. Elle est sauvée de la guillotine par la mort de Robespierre qui met fin à la Terreur. Amie de Talleyrand, elle conspire contre Napoléon. Sous la Restauration, artistes, hommes politiques, intellectuels se pressent dans son salon de la place Beauvau. En 1902 paraissent pour la première fois ses Mémoires, et, en 1911, des exemplaires perdus de son roman Alvare. Derrière l’héroïne romantique, Charles Maurras croit découvrir une écrivaine engagée (comme semble en témoigner son activisme contre Napoléon Ier vers la fin de sa vie), et le baron de Charlus médite à son tour sur « l’admirable Aimée de Coigny de Maurras » dans Le Temps retrouvé. Ses écrits inédits, recueillis par Talleyrand, furent publiés en 1981 avec des fragments de ses Mémoires sous le titre Journal d’Aimée de Coigny, La Jeune Captive.
Joanna AUGUSTYN
■ Mémoires, Lamy É. (dir.), Paris, Calmann-Lévy, 1902, 1906 ; « Lettres d’Aimée de Coigny au général Biron », in Mémoires secrets du beau Lauzun, Pilon E. (dir.), Paris, Colbert, coll. « Au temps jadis », 1943 ; Journal d’Aimée de Coigny, La Jeune Captive, Grangé A.-M. (dir.), Paris, Perrin, 1981.
■ HUERTAS M. de, Aimée de Coigny, Paris, Pygmalion, 2001.
COINDET, Delphine [ALBERTVILLE 1969]
Artiste multimédia française.
Après ses études à l’École supérieure des beaux-arts de Nantes, Delphine Coindet intègre l’Institut des hautes études en arts plastiques de Paris (créé par Pontus Hultén). Très vite, elle met au point une méthode de travail singulière, qui va lui permettre de réaliser des peintures et des sculptures sans se soumettre aux contraintes de l’atelier : elle utilise l’informatique, le dessin numérique, les logiciels 3D, puis confie la réalisation de ses projets à des fabricants industriels. Son univers formel se nourrit aussi bien d’éléments et objets de notre environnement (fleurs, plumes, cailloux, gouttes d’eau, scies, tapis, rochers, nuages), de formes plus abstraites (cylindres, cônes, sphères, croix), de l’univers publicitaire ou des jeux vidéo. L’artiste met ainsi en jeu une suite d’« écarts » entre l’objet, sa représentation, sa recréation matérielle (qui lui permet de jouer sur toutes les ambiguïtés de matières et de textures), son exposition, sa reproduction. « Je prends sans cesse en compte ces différents “états” de l’œuvre : le dessin, l’image, la fabrication, l’objet, l’exposition, l’icône. Je ne veux pas considérer l’œuvre comme un objet clos et fini, ni même comme un aboutissement, mais plutôt comme une forme intermédiaire et révélatrice du contexte qui la rend possible », dit-elle. Cette œuvre, qui s’impose comme une réflexion sur le monde de la représentation à l’époque de l’informatique, n’en ouvre pas moins un espace foncièrement imaginaire, voire poétique, déjouant, avec une gentille insolence et une belle désinvolture, tous les traquenards idéologiques et formels liés aux nouvelles technologies, aussi bien qu’à l’usage abusif du ready-made.
Bernard MARCADÉ
■ La Belle Hypothèse (catalogue d’exposition), Ivry-sur-Seine, Credac, 2004 ; Delphine Coindet, Douroux X., Fronsacq J., Gauthier M. (textes), Dijon, Les Presses du réel, 2006 ; Chausse-Trappes (catalogue d’exposition), Fribourg, Fri Art, 2008 ; Encore une fois (catalogue d’exposition), Chamarande, Domaine de Chamarande, 2008 ; Miroir-miroir (catalogue d’exposition), Thiers, Le Creux de l’enfer, 2008.
COINTREAU, Béatrice [FRANCE 1960]
Chef d’entreprises viticoles française.
Béatrice Cointreau est issue d’une longue lignée de vignerons et de distillateurs. Originaire d’Anjou, elle descend de Rabelais du côté maternel, est l’arrière-petite-fille du fondateur de la maison Cointreau et la petite-fille du fondateur de la marque Rémy Martin. Élevée à Paris, elle est titulaire d’une maîtrise de droit, d’un diplôme de marketing, d’un master of business administration de Cornell University (États-Unis), et elle complète ses études par une formation en œnologie à l’Institut de Bordeaux. Après un bref passage par la publicité dans le groupe Havas, elle intègre la maison familiale Cognac Frapin – domaine de 350 hectares dont 250 de vignes – à l’âge de 24 ans. Quelques années plus tard, elle en devient directrice. En 1994, la maison Champagne Gosset devient la propriété de l’entreprise familiale : B. Cointreau en est la présidente, relève tous les défis et fait passer la production annuelle de 350 000 bouteilles à plus d’un million. Elle entreprend de développer la notoriété et le rayonnement de la marque en créant de nombreuses cuvées de prestige, notamment en 1995 la cuvée Célébris – élaborée à 100 % grands crus de chardonnay de la Côte des Blancs et de pinot noir de la Montagne de Reims et de la Grande Vallée de la Marne – qui deviendra le fleuron des champagnes Gosset. La création d’un trophée Célébris récompensant chaque année les restaurants présentant les meilleures cartes de vins de Champagne contribuera à l’essor de la cuvée. Les Célébrissimes du vin et de la restauration – qui regroupent des femmes françaises et étrangères du monde du vin et de la gastronomie – renforcent le prestige de la maison Gosset. Après vingt-cinq ans passés aux commandes des entreprises familiales, elle se tourne vers l’événementiel, mais toujours en lien avec l’art de vivre à la française et son rayonnement international. Elle dirige désormais By BC, une société d’investissement et de conseil dans le monde du vin et des spiritueux.
Marie-Claude FONDANAUX
■ Sens et quintessence, Paris, Le Cherche midi, 2009.
COIT, Elisabeth [SALEM, MASSACHUSETTS 1892 - AMHERST, ID. 1987]
Architecte et urbaniste américaine.
Figure de premier plan du développement du logement social aux États-Unis et principale urbaniste de la New York City Housing Authority de 1948 à 1962, Elisabeth Coit est née d’un père architecte de Boston. Après des études au Radcliffe College, elle obtint sa licence d’architecture à l’Institut de technologie du Massachusetts (MIT) en 1926, avant de travailler dans le cabinet new-yorkais de Grosvenor Attebury, de s’inscrire à l’Ordre des architectes et d’ouvrir son propre cabinet. En 1929, elle est devenue membre de l’Institut américain des architectes (AIA) et en 1951 fellow, « sociétaire », en étant la troisième femme à obtenir ce statut. Son activité professionnelle fut intense durant les années 1930. Elle réalisa des habitations privées, des bâtiments industriels et administratifs, tels que les laboratoires Walker Gordon, à Plainsboro dans le New Jersey (1929), et une cafétéria, la Consumer’s Cooperative Service Cafeteria, à New York (1939). Cependant, sa carrière prit une nouvelle orientation quand elle reçut la Langley Award de l’AIA. Première femme à obtenir cette bourse de recherche de deux ans, elle put développer son intérêt pour les logements destinés aux personnes à faibles revenus. En 1941, elle publia Notes on the Design and Construction of the Dwelling Unit for the Low-Income Family (« notes pour les plans et la construction d’une habitation pour une famille à faibles revenus »), dans la revue The Octagon, à partir d’entretiens réalisés avec des résidents peu fortunés. Elle soutint que leurs demandes et leurs opinions devaient guider la conception des plans d’habitation. De 1942 à 1947, elle a été rédactrice de Public Housing Design et a commencé une carrière de consultante sur les questions de logement social, qu’elle a poursuivie jusque dans les années 1960. En 1970, elle est entrée au conseil d’administration de la New York City Landmarks Preservation Commission.
Kate HOLLIDAY
■ ALLABACK S., The First American Women Architects, Urbana, University of Illinois Press, 2008.
COJEAN, Annick [BREST 1957]
Journaliste française.
Exerçant le métier dont elle avait rêvé dès l’adolescence, Annick Cojean s’impose en journalisme par le reportage et l’interview, qu’elle pratique avec les mêmes qualités de curiosité profonde, d’intensité, d’attention aux personnes et d’écriture vive et soignée. Grand reporter au Monde, elle reçoit en 1996 le prix Albert-Londres pour cinq reportages sur « Les Mémoires de la Shoah ». En 1997, elle gagne une notoriété mondiale par une interview de Diana Spencer, princesse de Galles, qui se trouve être la dernière recueillie avant qu’elle ne soit tuée dans un accident. Lors du trentième anniversaire du vote de la loi libéralisant l’avortement, elle participe par un entretien avec Simone Veil* à son livre Les hommes aussi s’en souviennent, une loi pour l’histoire (2004). Un reportage secret en Lybie nourrit Les Proies, dans le harem de Kadhafi (2012) : A. Cojean y révèle les séquestrations et violences sexuelles systématiquement pratiquées par Kadhafi lors de sa dictature. Parallèlement, une collaboration avec la chaîne de télévision France 5 s’établit ; elle est la directrice générale d’« Empreintes » (2007-2013) : 165 portraits de personnalités marquant la seconde moitié du XXe siècle et le début du XXIe siècle. Après ce succès, elle s’engage avec la même chaîne pour la série « Duels », dédiée à des personnalités observées « au prisme de leur rivalité ».
Catherine GUYOT
■ Avec CHAINE C., Marc Riboud, 50 ans de photographie, Paris, Flammarion, 2004 ; Martine Franck, Arles, Actes Sud, 2007.
COLAÇO, Amélia REY [LISBONNE 1898 - ID. 1990]
Actrice, metteuse en scène et directrice de compagnie théâtrale portugaise.
Issue d’une famille de grands musiciens, Amélia Rey Colaço était destinée à une carrière de violoniste. Mais après avoir assisté en 1913, à Berlin, aux grands spectacles de Max Reinhardt, elle décide d’être actrice. Elle suit à Lisbonne les cours du comédien Augusto Rosa et débute en 1917 au Teatro da República, dans Marianela de Bénito Pérez Galdós. En 1919, elle intègre la compagnie de Robles Monteiro qu’elle épouse l’année suivante ; ensemble, ils créent la compagnie Rey Colaço-Robles Monteiro, avec un premier spectacle, Zilda, d’Alfredo Cortez, en 1921. À la tête du Teatro Nacional (qui deviendra Dona Maria II en 1939), les metteurs en scène innovent avec un cycle de spectacles en plein air, dont la représentation de A Castro (António Ferreira) avec A. Rey Colaço dans le rôle-titre, sur le parvis du monastère d’Alcobaça (1935), restée mythique. Le « style » du D. Maria II, fait de sophistication, de « bon goût » et de diction jugée déclamatoire, prend forme, même si la critique lui trouve encore des traces de « boulevard ». À partir de 1943, en programmant la trilogie d’Eugene O’Neill, Le deuil sied à Électre, la comédienne donne un nouveau souffle à la compagnie. Très novateur pour l’époque, le répertoire comprend Strindberg, Gogol et des auteurs allemands, français, espagnols, anglais et italiens. Parmi les auteurs nationaux figurent José Régio, Bernardo Santareno ou Luiz Francisco Rebello (surveillés par la dictature). La troupe devient aussi un vivier de comédiens, et A. Rey Colaço y reste inoubliable dans La Visite de la vieille dame (Friedrich Dürrenmatt) ou La Célestine (Fernando de Rojas). Après la révolution des Œillets (1974), la compagnie met fin à ses activités, et il faudra quelques années pour que soient reconnus sa valeur artistique et ses apports considérables à l’histoire du spectacle portugais.
Graça DOS SANTOS
■ DOS SANTOS G., « Du théâtre officiel au théâtre indépendant : directeurs de théâtre au Portugal, avant et après l’État nouveau de Salazar », in GOETSCHEL P., YON J.-C. (dir.), Directeurs de théâtre XIXe-XXe siècles, histoire d’une profession, Paris, Publications de la Sorbonne, 2008 ; DOS SANTOS V. P., A Companhia Rey Colaço-Robles Monteiro, 1921-1974, correspondência, Lisbonne, Museu Nacional do Teatro, 1989.
COLBERT, Claudette (née Émilie CHAUCHOIN) [SAINT-MANDÉ 1903 - SPEIGHTSTOWN, BARBADE 1996]
Actrice américaine.
Claudette Colbert émigre aux États-Unis avec ses parents à l’âge de 9 ans. Elle fait ses débuts sur scène en 1923 et à l’écran en 1927. Jouant à Broadway à partir de 1924, on peut la voir dans une dizaine de spectacles où elle se spécialise dans les rôles d’ingénues. Déçue par sa première expérience cinématographique – L’Homme le plus laid du monde (For the Love of Mike, Frank Capra, 1927) rencontre un succès très limité –, elle ne revient au cinéma qu’avec l’avènement du parlant. Dans ses luxueux films en costumes, Cecil B. De Mille fait d’elle une séductrice, lui offrant un premier grand succès dans Le Signe de la croix (The Sign of the Cross, 1932) puis avec le rôle-titre de Cléopâtre* (1934). La même année, son interprétation de l’héritière fantaisiste de New York-Miami (Frank Capra) lui vaut un oscar, et le couple qu’elle forme avec Clark Gable devient très populaire. Dans une autre comédie brillante, La Huitième Femme de Barbe-Bleue (Bluebeard’s Eight Wife, Ernst Lubitsch, 1938), elle a Gary Cooper pour partenaire. L’actrice prouve qu’elle possède également un tempérament dramatique avec Zaza (George Cukor, 1938), film qui, jugé obscène, fait scandale aux États-Unis. Elle tourne deux films en France : Destinées (segment « Elisabeth », Marcello Pagliero, 1954), où elle incarne une veuve de guerre, et Si Versailles m’était conté (Sacha Guitry, 1953), en Madame de Montespan. C. Colbert joue aussi dans quelques téléfilms, notamment dans The Dark, Dark Hours (1954) où elle a James Dean et Ronald Reagan comme partenaires. Après un dernier film en 1961, elle se retire dans sa propriété de la Barbade (Petites Antilles), avec son mari médecin.
Bruno VILLIEN
■ QUIRK L. J., Claudette Colbert : An Illustrated Biography, New York, Crown Publishers, 1985.
COLDEN, Jane [NEW YORK 1724 - ID. 1766]
Botaniste américaine.
Fille d’un couple d’Écossais émigrés à New York en 1718, Jane Colden reçoit son instruction de sa mère et de précepteurs. C’est son père, médecin, physicien et homme politique qui l’initie à la botanique. Il lui apprend notamment la méthode de classification de Linné, initiateur d’un langage international de dénomination des plantes. J. Colden est la première Américaine à adopter une démarche véritablement scientifique dans un domaine plutôt réservé aux collectionneurs ou à la connaissance empirique des économies domestiques. De 1753 à 1758, elle répertorie les spécimens végétaux propres à la vallée de l’Hudson et consigne ses classifications, observations et dessins – qu’elle imprime elle-même à l’encre – dans un « Manuscrit botanique » aujourd’hui conservé au département d’histoire naturelle du British Museum. Avec ce travail, elle obtient la reconnaissance des plus éminents botanistes des deux côtés de l’Atlantique, mais sa réputation reste dans la confidence des échanges et correspondances privés. Coldengham, la propriété des Colden, devient le passage obligé de tous les naturalistes en exploration. Le médecin Alexander Garden, émigré en Caroline du Sud, figure parmi ses principaux soutiens ; signe d’une sympathie réciproque, elle baptise « Gardenia » un hypericum virginicum jusqu’alors non répertorié. Son contemporain John Ellis reprend plus tard ce nom pour une autre espèce. Ses écrits n’ayant jamais véritablement circulé de son vivant, il faut attendre le XXe siècle pour que J. Colden prenne sa place dans l’histoire des sciences et soit considérée comme une pionnière. Le Botanic Manuscript est publié en partie en 1963 par le Garden Club of Orange and Dutchess Counties. Dans les années 1990, une réserve botanique est créée en son honneur, proche de sa maison, à New Windsor.
Nathalie COUPEZ
■ Botanic Manuscript of Jane Colden, New York, Garden Club of Orange and Dutchess Counties, 1963.
■ HARRISON M., « Jane Colden : Colonial American Botanist », in Arnoldia, printemps 1995, vol. 55, no 2 ; SMITH B. S., « Jane Colden (1724-1766) and her Botanic Manuscript », in American Journal of Botany, vol. 75, 1988.
COLEMAN, Kit (Catherine FERGUSON, dite) [CASTLEBLAKENEY, IRLANDE 1856 - HAMILTON, ONTARIO CANADA 1915]
Journaliste, éditorialiste et correspondante de guerre canadienne.
La vie professionnelle de Kit Coleman commence en 1889, alors qu’elle a 25 ans et deux jeunes enfants. Sa vie de famille rend a priori inaccessibles les moindres possibilités de travail réduites auxquelles une femme cultivée du XIXe siècle peut aspirer – enseignante, infirmière et gouvernante. Mais l’éditeur du Toronto Daily Mail remarque son talent d’écrivaine. Sa première série d’éditoriaux, Fashion Notes and Fancies for the Fair Sex (« carnets de mode et fantaisies pour le beau sexe », 1889), est nourrie de sujets dits « typiquement féminins » : la cuisine, la maison, la mode et l’amour. Peu à peu, ses textes se teintent de commentaires politiques, littéraires et sociaux. Elle signe « Kit », de sorte que personne ne sait si l’auteur est un homme ou une femme. Son style varie selon le sujet de ses articles, sensible et maternel quand elle parle d’enfants, sage et expérimenté pour parler de la famille, astucieux et acéré quand il est question de politique, de religion ou de réforme sociale. Parmi ses très nombreux lecteurs, on compte le premier ministre Wilfrid Laurier. Ses éditoriaux sont rebaptisés Women’s Kingdom (« le royaume des femmes »), et Kit devient l’une des journalistes d’enquête les plus appréciées de l’époque. À Londres, en 1897, pour raconter les fastes du soixantième anniversaire de l’accession au pouvoir de la reine Victoria, elle s’habille en ouvrier et part à la découverte du côté obscur de la ville. Ses reportages rencontrent un grand succès. Un an plus tard, elle raconte, depuis Cuba, la guerre hispano-américaine. Ses descriptions sensibles des brutalités et des désespoirs dont elle est témoin lui valent l’éloge de ses lecteurs et de ses collègues. Elle est la première femme accréditée par le secrétariat américain de la Guerre en tant que correspondante de guerre et la première présidente du Club de presse des femmes canadiennes.
Francesca MUSIANI
■ FREEMAN B. M., Kit’s Kingdom : the Journalism of Kathleen Blake Coleman, Ottawa, Carleton University Press, 1989.
COLERIDGE, Mary Elizabeth [LONDRES 1861 - HARROGATE 1907]
Écrivaine et poétesse britannique.
Mary Elizabeth Coleridge fréquente très tôt les nombreux écrivains invités par ses parents, dont Browning, Tennyson, ou le peintre préraphaélite Millais. Elle enseigne au London Working Women’s College et écrit de la poésie sous le pseudonyme d’Anodos. Elle écrit cinq romans, dont le plus célèbre est The King with Two Faces (« le roi aux deux visages », 1897), des essais (dont un sur William Holman Hunt), de nombreux poèmes, dont la plupart ont été mis en musique, et elle laisse des centaines de poèmes inédits, inspirés de Christina Rossetti*, conventionnels dans la forme et le sujet mais radicaux dans la morale. Le motif récurrent de ses textes, c’est l’image du voyageur errant et de l’étranger, auquel correspond l’image de la poétesse que l’héritage littéraire masculin refuse d’accueillir. Loin d’être le stéréotype de la vieille fille victorienne refoulée, et ce malgré les apparences, ni athée ni agnostique, plutôt panthéiste, c’est une écrivaine déconcertante, qui utilise une typologie chrétienne subvertie par sa propre dénonciation des contradictions et de l’hypocrisie religieuse, qui rejette les conventions culturelles et sociétales et qui ne cache pas son intérêt pour l’occulte.
Michel REMY
■ CHAPMAN A., « Mary Elizabeth Coleridge and the flight to lyric », in Yearbook of English Studies, vol. 37, no1, janv. 2007.
COLET, Louise (née RÉVOIL) [AIX-EN-PROVENCE 1810 - PARIS 1876]
Écrivaine française.
Huitième et dernière fille d’une famille de la riche bourgeoisie aixoise, Louise Colet, née Révoil, est une enfant ravissante, rêveuse, imaginative et passionnée de lecture, qui s’isole de ses frères et sœurs pour se réfugier dans les livres. À la mort de son père en 1824, la famille se retire au château de Servanne, dans la bibliothèque duquel Louise passe des heures à lire les grands poètes français. Elle apprend le grec et le latin, l’italien et l’anglais, et acquiert de bonnes connaissances en histoire. Elle écrit des poèmes qui sont remarqués par Julie Périer, dont le mari est directeur des beaux-arts de Nîmes. Encouragée, Louise envoie des poèmes dans les journaux de Marseille, Lyon, Paris. Un jeune musicien, Hippolyte Colet en met quelques-uns en musique. En 1835, sa mère, qu’elle aimait beaucoup, meurt. Cette même année, elle épouse Colet, qui vient d’être nommé professeur au Conservatoire de Paris. Sa carrière littéraire commence véritablement en 1836, avec la publication de Fleurs du midi. Cette notoriété se confirme par l’attribution du grand prix de poésie de l’Académie française pour Le Musée de Versailles trois ans plus tard. Celle qu’on appelle déjà Vénus pour sa beauté est jalousée. Elle est couronnée trois fois pour ses poésies – injustement, disent les mauvaises langues qui attribuent sa belle réussite à ses charmes et son habileté à s’en servir. On sait pourtant que Vigny, Hugo et d’autres l’ont soutenue sans connaître son identité. Sans doute sa production littéraire est-elle inégale, mais il est vrai aussi qu’elle écrit souvent par nécessité, comme beaucoup de ses contemporaines, et parfois rapidement, surtout après la naissance de sa fille Henriette en 1840, la séparation d’avec son mari en 1847, et la mort de celui-ci en 1851. Cette femme exceptionnellement douée aura toute sa vie à combattre les préjugés, dans un monde littéraire dominé par les hommes, qui représentent les femmes écrivains comme des bas-bleus incapables d’avancer sans l’appui d’un maître. Une idée toute faite met également en lumière son rôle d’amante, de muse, et de correspondante principale de Gustave Flaubert à l’époque de Madame Bovary. Quand ils se rencontrent, en 1846, la renommée littéraire de L. Colet n’est plus à faire, alors que ce jeune écrivain de 25 ans est encore inconnu. Pareillement l’histoire littéraire retient le plus souvent la liste de ses amants (qu’elle avait le bon goût de choisir parmi les plus intelligents et les plus créateurs de son époque) plutôt que celle de ses œuvres, tout aussi impressionnante, et oublie sa présence active d’écrivaine sur la scène sociale et politique. À partir de 1842, elle devient l’une des figures du salon de Mme de Récamier, puis, à la mort de celle-ci en 1849, tient son propre salon chez elle, rue de Sèvres. On y voit Émile de Girardin, Flaubert, Vigny, Leconte de Lisle, Musset et autres gloires littéraires de l’époque. Elle s’intéresse à la politique et à l’histoire aussi bien qu’à la poésie et publie un grand nombre d’ouvrages dans ces domaines ; elle s’essaie au récit de voyage, à la biographie, et au roman autobiographique. C’est une féministe avouée, consciente de la position subordonnée de la femme et du besoin de lutter pour éviter la servitude. En 1869, elle assiste à l’inauguration du canal de Suez comme journaliste pour Le Siècle. Parce qu’elle est femme, les autres membres de la délégation française, tous hommes, la déconsidèrent et la traitent mal. Le récit de ce voyage en Égypte, Les Pays lumineux, qui ne paraît que de façon posthume en 1879, fait pendant au Voyage en Égypte de Flaubert. En 1871, elle fait partie du petit nombre d’écrivains connus qui soutiennent pleinement la Commune et qui accusent le parti des Versaillais. Elle publie, en Italie pour éviter des représailles, La Vérité sur l’anarchie des esprits en France (1873), où elle médite sur les raisons globales de l’échec de la Commune dans le contexte des révolutions précédentes. Souvent malade et solitaire dans sa vieillesse, mais écrivant encore, Louise Colet mourra à Paris chez sa fille le 8 mars 1876.
Janet BEIZER
■ Poésies complètes, Paris, Librairie de Charles Gosselin, 1854 ; La Vérité sur l’anarchie des esprits en France, Milan, F. Legros, 1873 ; Les Pays lumineux, Voyage en Orient, Paris, E. Dentu, 1879.
■ FLAUBERT G., Correspondance, 6 vol., Bruneau J. (dir.), Paris, Gallimard, 1973-2007.
■ CLÉBERT J.–P., Louise Colet, La Muse, Paris, Presses de la Renaissance, 1986.
COLETTE (Gabrielle Sidonie COLETTE, dite) [SAINT-SAUVEUR-EN-PUISAYE 1873 - PARIS 1954]
Écrivaine française.
Née en Bourgogne, Gabrielle Sidonie Colette entre dans les milieux journalistiques et littéraires parisiens de la fin du XIXe siècle par l’intermédiaire de son premier mari, Willy, qu’elle épouse en 1893. Après des débuts anonymes, puisque Willy fait paraître sous son seul nom la série des Claudine, elle signe son premier livre en 1904 et adopte définitivement le nom de plume Colette à partir du Blé en herbe en 1924. Parallèlement à son travail d’écrivaine, elle se fait tour à tour mime, actrice, journaliste, conférencière et même marchande de produits de beauté, déployant une activité intense à laquelle l’oblige aussi la nécessité de gagner sa vie. Multiforme, son œuvre se déploie de la chronique journalistique au cinéma, à la musique (livret de L’Enfant et les Sortilèges pour Maurice Ravel) et au théâtre (adaptation de ses propres œuvres en collaboration avec Léopold Marchand, critiques dramatiques réunies dans La Jumelle noire), en passant par toutes les formes de la prose narrative (contes, nouvelles, romans), sans oublier une correspondance abondante. Elle explore plus particulièrement les multiples possibilités offertes par la forme brève dont elle joue avec souplesse, entre écriture narrative et évocation poétique. Oscillant entre romans au fort arrière-plan personnel (La Vagabonde, 1910 ; Chéri, 1920) et écriture autobiographique toujours subtilement contournée, elle se plaît aussi, dans La Naissance du jour (1928) ou dans ses nouvelles de la fin des années 1930, à jouer avec les frontières génériques. Elle use, de même, de formes très ductiles quand il s’agit, dans Le Pur et l’Impur (1941), d’évoquer entre essai réflexif et souvenirs narrés « ces plaisirs qu’on nomme, à la légère, physiques », ou de tirer parti, dans ses derniers écrits (L’Étoile Vesper, 1945 ; Le Fanal bleu, 1949), de toute la palette des notations qui, entre sensations, anecdotes et souvenirs, naissent d’un quotidien que la maladie a rendu immobile. Trop souvent maintenue dans une vision simplificatrice, entre aura scandaleuse et lecture consensuelle, l’œuvre de Colette révèle progressivement, depuis trente ans et grâce au renouvellement des approches critiques, toute sa complexité. Sa capacité à déjouer les catégories génériques va de pair avec la sophistication des dispositifs textuels qu’elle met en place, quand il s’agit de construire une position énonciative qui noue avec son lecteur des relations à la fois subtiles et ambiguës. Les textes où s’élabore le mythe de Sido (La Maison de Claudine, 1922 ; La Naissance du jour, 1928 ; Sido, 1929) donnent à voir, en même temps que le travail d’écriture qui préside à l’élaboration de la figure maternelle, l’imaginaire complexe de la relation mère-fille. Mais la voix que fait entendre l’auteure propose aussi toute une exploration de cet univers fascinant qu’est le corps, dans son rapport sensible au monde comme dans son rapport problématique aux autres, entre désir, gourmandise et cruauté. Se fait jour également une interrogation très personnelle sur le « genre » et les catégories du masculin et du féminin, ainsi que sur la dimension sociale de l’identité sexuée que chacun est censé assumer. Au-delà des pratiques hétéro, homo ou bisexuelle, dont l’œuvre explore avec nuance les divers registres, c’est bien la différence des sexes qui est questionnée. Apte à se libérer des conventions sociales, le regard de Colette sur le monde apparaît volontiers tératologue : les formes du monstrueux, l’improbable et poreuse frontière entre humanité et animalité sont autant d’espaces-limites qu’elle explore sans crainte, avec fascination parfois, dans une dynamique sans cesse renouvelée d’étonnement qu’elle affirme héritée de Sido et auquel elle s’emploie à initier son lecteur.
Marie-Odile ANDRÉ
■ Œuvres, Pichois C. (dir.), 4 vol., Paris, Gallimard, 1984-2001.
■ BRUNET A., PICHOIS C., Colette, Paris, De Fallois, 1999 ; Dugast-Portes F., Colette, les pouvoirs de l’écriture, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 1999 ; DUPONT J., Physique de Colette, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 2003.
COLIGNY, Louise DE (princesse D’ORANGE) [CHÂTILLON-SUR-LOING 1555 - FONTAINEBLEAU 1620]
Épistolière française.
Fille de Gaspard de Coligny et de Charlotte de Laval, Louise de Coligny est une figure de premier plan du parti huguenot dans le contexte troublé des guerres de Religion. En 1572, elle perd son père et son premier époux lors du massacre de la Saint-Barthélemy. En 1583, elle devient la quatrième épouse de Guillaume d’Orange dont elle éduque soigneusement les enfants, en particulier les six filles nées de son union avec Charlotte de Bourbon*. Elle donne naissance à un fils, peu avant l’assassinat de son mari, en 1584. Sa correspondance, qui nous est parvenue incomplète (192 lettres écrites entre 1573 et 1620), témoigne d’un profond engagement dans la vie politique et d’une attention humaine et affectueuse à la vie de ses proches.
Daniel MARTIN
■ Correspondance de Louise de Coligny, princesse d’Orange, 1555-1620, Marchegay P., Marlet L. (éd.), Genève, Slatkine, 1970 ; « Lettres de Louise de Coligny, princesse d’Orange, aux membres de sa famille aux Pays-Bas et en France », Couchman J. (éd.), in Lettres de femmes, textes inédits et oubliés du XVIe au XVIIIe siècle, Paris, H. Champion, 2005.
■ DELABORDE J., Louise de Coligny, princesse d’Orange, Genève, Slatkine, 1970.
COLITA (Isabel STEVA HERNÁNDEZ, dite) [BARCELONE 1940]
Photographe espagnole.
Née dans une famille aisée, Colita étudie la civilisation française à la Sorbonne. À son retour dans sa ville natale, elle fait la connaissance des photographes Oriol Maspons, Julio Ubiña et Xavier Miserachs, qui lui apprennent le métier. En 1962, travaillant aux archives du film Los Tarantos de Francisco Rovira Beleta, elle se lie d’amitié avec l’actrice principale, la danseuse de flamenco Carmen Amaya*, se passionne pour cet art et s’installe à Madrid. Elle photographie alors des danseurs de flamenco tels qu’Antonio Gades et La Chunga Amaya*. Nostalgique de la Méditerranée, elle retourne à Barcelone. Ce sont les dernières années du franquisme et elle collabore avec la presse progressiste et l’École de Barcelone, un courant cinématographique progressiste, opposé au régime, qui lui permet de travailler avec les meilleurs directeurs de la photographie du moment. Colita se spécialise dans le portrait, avec un sens de l’humour caractéristique. Considérée comme la photographe de la « Gauche divine » catalane, un mouvement de professionnels, d’intellectuels et d’artistes d’origine bourgeoise qui a gagné Barcelone dans les années 1960-1970, elle réalise des portraits d’artistes de renom. À la fin du franquisme, elle photographie Barcelone, dont elle saisit les évolutions et la vie culturelle et sociale. En quarante ans, elle a réalisé plus de 40 expositions et publié plus de 30 livres. En 2010, à 70 ans, elle prépare une anthologie des femmes photographes du XIXe siècle, cherchant celles qui sont restées anonymes et auxquelles on n’a pas donné la place qui leur est due dans l’histoire de la photographie.
Laura NAVARRO
■ Avec CABALLERO J. M., Luces y sombras del flamenco, Barcelone, Editorial Lumen, 1975 ; avec MISERACHS X., Memòries de Barcelona, Barcelone, Lupita Books, 2008.
COLLARD, Catherine [PARIS 1947 - ID. 1993]
Pianiste française.
Fille du pianiste André Collard, Catherine Collard laisse le souvenir d’une musicienne accomplie, se donnant sans compter à son art et à sa transmission, tant auprès du public le plus large que des jeunes musiciens. Elle entre à 14 ans au Conservatoire de Paris, où elle travaille avec Yvonne Lefébure* et Jean Hubeau. Elle en sort en 1964 avec le premier prix de piano, et, en 1966, le premier prix de musique de chambre. Puis elle se perfectionne en troisième cycle avec Yvonne Loriod*, avant de remporter en 1969 les concours Claude-Debussy et Olivier-Messiaen. Elle est aussi lauréate des concours Casella, Busoni et Viotti et, en 1970, elle remporte le prix de la Fondation de la Vocation, ce qui l’a conduite à se produire dans les plus grands festivals et dans les salles de concert les plus prestigieuses. En 1970, au Festival de Royan, elle crée Archipel IV d’André Boucourechliev. Elle a donné tout au long de sa carrière une place de choix à l’enseignement et à la musique de chambre, dirigeant notamment les Rencontres internationales de piano en Pays basque, et animant les Festivals de Perros-Guirec et du Périgord vert ou encore l’académie Maurice-Ravel de Saint-Jean-de-Luz. Profondément attachée à la musique de chambre, elle a eu plusieurs partenaires privilégiés : la pianiste Anne Quéfellec, avec qui elle a formé un duo renommé, les violonistes Catherine Courtois et Régis Pasquier, et, dans les dernières années de sa vie, la violoncelliste Sonia Wieder-Atherton* et la contralto Nathalie Stutzmann. À l’instar d’Y. Lefébure, elle a été une grande interprète de la musique de Gabriel Fauré et, plus généralement, de la musique française, mais son goût pour les romantiques allemands l’a aussi incitée à interpréter et à enregistrer les œuvres de piano et de musique de chambre de Johannes Brahms et de Robert Schumann, deux compositeurs auxquels elle était particulièrement attachée. Elle a également consacré plusieurs disques à Joseph Haydn. Elle a été professeure au Conservatoire de Saint-Maur-des-Fossés à partir de 1976.
Bruno SERROU
COLLETT, Camilla [KRISTIANSAND 1813 - CHRISTIANIA, AUJ. OSLO 1895]
Écrivaine et féministe norvégienne.
Voyageant en Europe dès les années 1830, Camilla Collett découvre le mouvement Junges Deutschland (« Jeune-Allemagne »), dont les représentants, républicains, veulent obtenir la démocratie, la liberté et la justice sociale. La jeune femme s’imprègne de leurs écrits ancrés dans la réalité et destinés au plus grand nombre. En 1841, elle conclut un mariage de raison avec Peter Jonas Collett, qui l’encourage à écrire et à publier, ce qu’elle fait d’abord anonymement. Dans son premier essai imprimé, Strikketøisbetraktninger (« considérations de tricoteuse », 1842), elle accuse les hommes scandinaves de ne vouloir partager avec les femmes ni leur instruction ni leur pouvoir. Veuve dès 1851, elle doit, pour des raisons économiques, envoyer ses quatre fils vivre chez des membres de la famille et passer le restant de sa vie dans des hôtels bon marché. En 1854, elle publie anonymement le premier volume des Filles du préfet (1854-1855), un roman psychologique qui évoque le manque de liberté des filles de fonctionnaires, soumises à des mariages arrangés. Cette critique sociale fait date dans la littérature romanesque norvégienne, mais l’auteure est identifiée et accusée d’exagération. Il faut attendre les années 1960-1970 pour que le public découvre, à la faveur notamment des lectures féministes, la densité de la structure symbolique de ce texte, sa richesse métaphorique, et son esquisse des désirs érotiques contradictoires et voués à la résignation de l’héroïne. En 1860, l’écrivaine publie Fortællinger (« contes »), fruit de la collecte parmi les populations paysannes du sud-est du pays de récits et contes de la tradition orale. En 1862, paraît I de lange nætter (« dans les longues nuits »), que l’auteure réédite en 1892 après l’avoir retravaillé en mettant l’accent sur le statut des veuves. Lors de ses voyages dans les capitales européennes, elle envoie à la presse norvégienne des chroniques où, à partir de la description de menues occupations féminines, elle formule une critique féministe. À partir de 1873, elle signe ses essais de son propre nom. Ils paraissent dans trois grands recueils, dont Fra de Stummes Leir (« du camp des muettes », 1877), qui renferme notamment l’essai intitulé Kvinden i Litteraturen (« la femme dans la littérature »). C. Collett est à l’origine du mouvement féministe norvégien qui parvient à imposer le suffrage féminin en 1913.
Irene IVERSEN
■ Les Filles du préfet (Amtmandens Døttre, 1854-1855, 1878), Genève, Zoé, 2010.
■ ØRJASÆTER K., Selviakttakelsens poetikk. En lesning av Camilla Wergelands dagbok fra 1830-årene, Oslo, Unipub, 2002 ; ID., Camilla. Norges første feminist, Oslo, Cappelen, 2003.
COLLEVILLE, Anne-Hyacinthe DE (née GEILLE DE SAINT-LÉGER) [PARIS 1761 - ID. 1824]
Écrivaine française.
Fille de médecin, Mlle de Saint-Léger se fait connaître, à l’âge de 20 ans, avec deux romans épistolaires libertins : Lettres du chevalier de Saint-Alme et de Mlle de Melcourt (1781), et Alexandrine, ou l’Amour est une vertu (1782). Elle correspond avec Rétif de La Bretonne, publie des vers dans Le Mercure et devient, en 1783, la première femme reconnue à écrire pour le théâtre forain. Sa pièce en un acte, Les Deux Sœurs, très applaudie au théâtre des Variétés, lui ouvre alors les portes de la Comédie-Italienne pour une œuvre d’inspiration rousseauiste, Sophie et Derville (1788). Brisée par la Révolution, elle ne reprend la plume que dix ans plus tard, en traduisant un ouvrage de Hugh Kelly (Les Dangers d’un tête-à-tête, 1800). Après le succès de son roman autobiographique, Mme de M***, ou la Rentière (1802), et sa suite publiée en 1804 (Victor de Martigues), elle signe un dernier roman, Salut à messieurs les maris (1806), puis vit retirée du monde jusqu’à sa mort.
Aurore EVAIN
■ EVAIN A., « Mlle de Saint-Léger, “femme écureuil” et autrice de théâtre », in Revue des études rétiviennes, no 37, 2005.
COLLIER, Jane [STEEPLE LANGFORD V. 1714 - LONDRES 1755]
Essayiste britannique.
Fille d’un pasteur philosophe et impécunieux, Jane Collier résida à compter de 1716 à Salisbury, recevant avec sa sœur Margaret et Sarah Fielding*, leur amie d’enfance, un enseignement classique dispensé par l’un des frères. Le but était de les préparer à devenir des préceptrices. Après la mort de leurs parents, Margaret fut engagée chez les Fielding et Jane chez Richardson, l’imprimeur-auteur, qui admirait le savoir de son employée : il ne l’empêchait pas, disait-il, d’accomplir ses tâches domestiques. Il publia An Essay on the Art of Ingeniously Tormenting (« essai sur l’art de bien tourmenter autrui », 1753), une excellente satire générique que J. Collier avait rédigée avec les conseils de son amie et ceux, peut-être, de James Harris, le grammairien. Cet essai est réédité dix fois jusqu’en 1811. The Cry (1754), ouvrage complexe décrivant le combat des héroïnes contre les mauvaises langues dans une société indisciplinée, est encore le fruit de l’entente des deux amies. J. Collier meurt l’année suivante, laissant un projet (The Laugh, « le rire ») inachevé et un remarquable commonplace book – mélange de florilège de citations et de scrapbook –, recopié par sa sœur et qui vient d’être découvert. Henry Fielding a fait l’éloge de son « intelligence plus que féminine (sic), mêlée à des vertus quasi plus qu’humaines » dans sa dédicace à une édition de Horace (1754). Il reste beaucoup de travail à faire sur cette auteure innovante.
Françoise LAPRAZ SEVERINO
■ RIZZO B., Companions Without Vows : Relationships Among Eighteenth-Century British Women, Athens, University of Georgia Press, 1994.
COLLIN, Françoise [HAINAUT 1928 - SAINT-SAUVEUR, BELGIQUE 2012]
Écrivaine et philosophe belge d’expression française.
Après une enfance passée dans sa région natale au sein d’une famille de résistants pendant la guerre, Françoise Collin obtient un doctorat en philosophie à l’université de Louvain et effectue deux années de spécialisation à Paris. Elle voyage dans les pays de l’Est avec les jeunesses communistes. Ses premiers poèmes sont publiés en 1959 dans la revue Écrire de Jean Cayrol, qui édite aussi ses deux premiers romans, Le Jour fabuleux (1960) et Rose qui peut (1963), dans lesquels elle invente sa propre narratologie en conjuguant différents thèmes réalistes et fantastiques. Avec son amie, l’artiste Marthe Wéry* (1930-2005), elle réalise un livre-objet, Ici (1966). Après la publication d’un essai pionnier sur Maurice Blanchot et la question de l’écriture (1971), elle fonde en 1973 les Cahiers du Grif, première revue féministe francophone éditée à Bruxelles, où l’entreprise politique se poursuit avec la création d’une Université des femmes. Dans les années 1980, elle s’installe à Paris où elle est requise à part entière par ses activités professionnelles, militantes et éditoriales (elle dirige la collection « Grif » aux éditions de Minuit et « Littérales » aux éditions Tierce). Elle intègre la question féministe à sa réflexion philosophique, contribue à la traduction et à la connaissance de l’œuvre de Hannah Arendt* en France (L’Homme est-il devenu Superflu ? Hannah Arendt, 1999) et publie une série de textes majeurs. Elle enseigne à l’Université américaine et au Collège de philosophie. Avec Le Rendez-vous (1988), face-à-face poignant entre une fille et sa mère, non romancé mais d’une parole très littéraire, elle réaffirme la primauté de l’écriture quel que soit le référent, réel, théorique ou fictionnel. Je partirais d’un mot (1999) questionne, à partir des différentes pratiques d’écriture fictionnelle, théorique et politique, les rapports entre sexuation et champ symbolique. F. Collin revient à la poésie en 2008, avec On dirait une ville, des « stances du peu », mais somptueuses.
Jeannine PAQUE
■ 331 W 20, lection [sic] du président, Bruxelles, Transédition, 1975 ; Le Monde est rond, Paris, Tierce, 1984 ; Le Jardin de Louise, Montréal, La Barre du jour, 1988.
■ (dir.) Le Sexe des sciences, les femmes en plus, Paris, Autrement, 1992 ; avec PISIER É., VARIKAS E., Les Femmes de Platon à Derrida, anthologie critique, Paris, Plon, 2000 ; avec DEUTSCHER P. (dir.), Repenser le politique, l’apport du féminisme, Paris, Campagne première, 2005 ; avec KAUFER I., Parcours féministe, Bruxelles, Labor, 2005.
■ HAASE-DUBOSC D., ROCHEFORT F., « Entretien avec Françoise Collin, philosophe et intellectuelle féministe », in Clio, no 13, 2001.
COLLINS, Lottie (Charlotte Louisa COLLINS, dite) [LONDRES 1865 - ID. 1910]
Chanteuse de music-hall britannique.
Fille d’un producteur de music-hall, Lottie Collins commence sa carrière à 11 ans, avec ses deux sœurs, dans le spectacle The Three Sisters Collins en 1877. Elle connaît son premier grand succès en 1886 avec un spectacle burlesque intitulé Monte Cristo Junior, à Londres, puis devient une actrice très recherchée en Angleterre comme aux États-Unis pour ses sketches divertissants et souvent osés pour l’époque, comme dans Tar-ra-ra-boom-de-ay ! qu’elle réalise la première fois à Londres en 1891. Cette chanson, originaire du Mississippi, qu’elle avait entendue lors d’une tournée aux États-Unis, et qu’elle chantait en effectuant une chorégraphie burlesque, est son succès majeur. Parmi ses sketches les plus populaires dans les années 1890, citons The Little Widow, ainsi que Daddy Wouldn’t Buy Me a Bow-Wow.
Christine DOUXAMI
COLLOBERT, Catherine [PARIS 1962]
Philosophe canadienne.
D’origine et de formation française, professeure agrégée de philosophie ancienne à l’université d’Ottawa, Catherine Collobert est très active dans les cercles académiques nord-américain et européen. Dans sa thèse de doctorat, elle procède à une interprétation du Poème de Parménide, qu’elle envisage comme « l’histoire de la formation du mot to eon » et offre une contribution originale aux études parménidiennes. Le thème du temps reste au cœur de ses préoccupations, comme en témoignent sa traduction commentée du Traité du temps d’Aristote (1995), ses études sur la conception héroïque de l’immortalité et du temps chez Homère, sur la mémoire poétique, sur la dimension éthique du temps et, lié à ce thème, sur celui de la justice civique et de la responsabilité morale. Prônant le dialogue entre Antiquité et modernité, elle s’intéresse Aux origines de la philosophie (1999) et propose quelques pistes pour répondre à la question : L’Avenir de la philosophie est-il grec ? (2002). Des contributions stimulantes s’attachent à l’interprétation d’autres textes de philosophes engagés dans la lecture des Grecs : Gadamer, Heidegger, Husserl et Schleiermacher. La ligne directrice du recueil porte sur la nature de la pensée et de la philosophie grecque et, en corollaire, sur la « tâche d’une philosophie à venir », comme elle le précise. De son intérêt à l’égard de l’actualité de la philosophie grecque témoignent aussi ses relectures des modernes qui retournent aux sources de la pensée grecque, tels Nietzsche ou Castoriadis. Elle travaille aussi sur les relectures intertextuelles des Anciens, au sein de la tradition grecque elle-même. Elle pose le problème de la naissance de l’herméneutique en Grèce ancienne, de la fiction avec l’Odyssée ou de la critique littéraire avec la Poétique d’Aristote, et s’interroge sur les usages, les fonctions et le statut du mythe dans la philosophie platonicienne, sur les conceptions de la poésie, notamment d’Homère, et sa critique chez Platon. Elle s’intéresse à la réception philosophique de la littérature chez Platon et à la philosophie de la littérature ainsi qu’à un sujet peu étudié dans la pensée grecque : les émotions et les sentiments ; là encore, elle allie une solide connaissance des sources littéraires et philosophiques à un sens innovateur de l’interprétation.
Gabriela CURSARU
■ L’Être de Parménide ou le Refus du temps, Paris, Kimé, 1994 ; Aux origines de la philosophie, Paris, Fayard, 1999 ; (dir.), L’Avenir de la philosophie est-il grec ? , Montréal, Fidès, 2002 ; Parier sur le temps, la quête héroïque de l’immortalité, Paris, Les Belles Lettres, 2011.
COLLOBERT, Danielle [ROSTRENEN 1940 - PARIS 1978]
Poétesse française.
Née de parents résistants, Danielle Collobert passe son enfance en Bretagne puis à Paris, et fait des études de géographie en Sorbonne. Elle commence par publier les poèmes de Chant des guerres. Elle soutient le FLN et travaille pour Révolution africaine. De la Méditerranée à l’Indonésie, de l’Europe de l’Est aux Amériques, elle multiplie les voyages à l’étranger, faits de rencontres, de ruptures et de « passages » où redéployer l’horizon des possibles et tromper sa hantise de la fin. Taraudée par l’angoisse et le désir, la pensée de la mort et de la folie, elle se suicide le jour de son anniversaire. Défendu par Queneau, le recueil de proses Meurtre (1964) présente une suite de brèves chroniques de morts, épreuves et exorcismes. L’écriture elliptique de pièces radiophoniques (Bataille, 1970 ; Polyphonie, 1973 ; Discours, 1976) affûte encore son goût du cadrage et du détail visuel, son sens de la catastrophe. Dire I et II (1972) approfondit cette poétique de la fulguration, en des fragments hachés de blancs et de tirets. Oscillant entre le masculin et le féminin et mesurant sans relâche l’infinie distance ou confusion possible entre les mondes du dehors et de l’intime, les « essais » de « voix » aux bords du corps, des mots et des continents du monde cèderont finalement à l’incarnation d’un « indéfini sujet » impersonnel (Il donc, 1976), à la « voix étrangère » d’infinitifs en saccades, à un « souffle » tendu jusqu’à l’insoutenable point de dissolution de la cohérence et des fixités de la syntaxe, lieu de l’inhabitable (Survie, 1978).
Aline BERGÉ
■ Œuvres I, Paris, POL, 2004 ; Œuvres II, Paris, POL, 2005.
■ RABATÉ D., « Danielle Collobert », in JARRETY M. (dir.), Dictionnaire de poésie de Baudelaire à nos jours, Paris, Presses universitaires de France, 2001.
COLLOT, Marie-Anne [PARIS 1748 - NANCY 1821]
Sculptrice française.
On ne sait rien de sa famille, si ce n’est qu’elle confia la très jeune Marie-Anne Collot à l’enseignement du sculpteur Jean-Baptiste II Lemoyne, surtout connu pour la vie qu’il insufflait à ses bustes. À 15 ans, elle rejoint l’atelier d’Étienne Falconet, qui fut son maître de longue date, lui tint lieu de père et se chargea de l’introduire auprès de la société des Lumières et de lui gagner la faveur des commanditaires. Seules les sources littéraires nous renseignent sur la qualité des bustes perdus de Diderot et du prince Golitzyne, réalisés avant son départ pour la Russie. En 1766, elle suit É. Falconet appelé auprès de la très francophile Catherine II* la Grande pour réaliser la statue équestre du tsar Pierre le Grand. Cette longue saison au service de l’impératrice – douze ans – fut la période la plus fertile de sa carrière, récompensée par une confortable pension qui permit à cette très jeune sculptrice – la première, croit-on alors – de vivre de son art. Sa reconnaissance est immédiate : dès son arrivée, elle est élue à l’Académie impériale des beaux-arts de Saint-Pétersbourg. Au service de l’impératrice, elle multiplie les bustes et les médaillons de celle-ci et de son entourage. Elle représente tantôt la souveraine en impératrice antique, couronnée de lauriers, tantôt en paysanne russe, coiffée de l’ancienne coiffure des femmes des boyards, le kokoshnik. Le médaillon du comte Orlov, orné de branches de chêne qui signalent les services rendus à son pays lors de la peste de Moscou, atteste une réflexion iconographique. L’impératrice lui commande également des bustes qui doivent orner son musée imaginaire des Lumières situé au palais de l’Ermitage où ils sont demeurés : Voltaire (1770), Diderot (1772), ami et correspondant d’É. Falconet et de sa jeune élève – son buste par la sculptrice aurait forcé l’admiration d’É. Falconet au point de lui faire recommencer sa propre effigie de l’encyclopédiste –, D’Alembert, dont on ne sait s’il a jamais été réalisé. Des bustes de grands monarques et ministres éclairés, antérieurs aux Lumières françaises et à l’impératrice Catherine II, sont également requis : Sully, Henri IV. Les bustes de marbre que M.-A. Collot sculpte d’après modèle ont été jugés meilleurs, plus vivants, plus enlevés, plus proches sans doute de l’art animé de Jean Antoine Houdon – l’autre « sculpteur des Lumières », dont on sait qu’il avait dans son atelier parisien des plâtres tirés des œuvres russes de la sculptrice – que de celui d’É. Falconet. Le plus connu est sans doute l’effigie d’É. Falconet lui-même commandé par la reine. Relativement informelle, la pièce traduit la vivacité et l’esprit du sculpteur, que manifestent ses yeux levés de visionnaire, l’intelligence de son front haut et le sourire espiègle accroché à ses lèvres. Pour réaliser les bustes et médaillons posthumes ou à distance qui lui sont commandés, elle travaille d’après des masques que lui fait parvenir J.-B. II Lemoyne, d’après d’autres représentations sculptées ou des portraits peints. C’est le cas de la pièce la plus importante dont elle fut chargée : la tête de la statue équestre de Pierre le Grand, réalisée par É. Falconet, qui témoigne de la confiance que ce dernier mettait en l’art de sa jeune élève. Les modèles préparatoires pour le chef du tsar proposés par Falconet n’avaient pas été agréés par Catherine II ; celui de la sculptrice, qui rend une image idéale et volontaire du tsar, rencontra son agrément ; elle mit ainsi la main au grandiose et colossal « cavalier de bronze », chanté depuis par Pouchkine. La fin du séjour d É. Falconet et de M.-A. Collot dans la jeune capitale de toutes les Russies voit coïncider l’arrivée du fils du sculpteur, Pierre-Étienne Falconet, qui épouse la jeune artiste en 1777, et la défaveur de l’impératrice. En 1778, après avoir mis au monde une fille, la sculptrice regagne la France. Soit que ses soucis conjugaux, qui la contraignent à la séparation et au voyage, l’aient détournée de son art, soit que les commandes se soient raréfiées, soit enfin que le fruit considérable de son art russe lui épargne désormais le travail, sa production diminue fortement. À partir de 1783, elle veille sur son ancien maître partiellement paralysé, jusqu’à sa mort en 1791. Au cœur de la tourmente révolutionnaire, cette ancienne sculptrice de cour se retire en Lorraine avec sa fille, où elle mène une existence sereine mais, à cette nouvelle échelle, toujours mondaine.
Anne LEPOITTEVIN
■ DELLAC C., Marie-Anne Collot, une sculptrice française à la cour de Catherine II, 1748-1821, Paris, L’Harmattan, 2005 ; La France et la Russie au siècle des Lumières, relations culturelles et artistiques (catalogue d’exposition), Paris, Association française d’action artistique, 1987.
■ RÉAU L., « Une femme sculpteur française au XVIIIe siècle, Marie-Anne Collot (1748-1821) », in Bulletin de la Société de l’histoire de l’art français, 1924.
COLMENERO, María Luisa [BUENOS AIRES 1933 - BARCELONE 2011]
Designer argentine.
Pionnière du design graphique en Argentine, María Luisa Colmenero est spécialisée en design institutionnel. Elle intègre l’équipe technique du Centro de investigación de diseño industrial (CIDI) et complète son cursus des beaux-arts à l’école Prilidiano Pueyrredón avant de commencer des études d’architecture à l’université de Buenos Aires. Elle y fait la connaissance de Julio Colmenero, qu’elle épousera et qui deviendra un important designer industriel des années 1960-1970. Entre 1960 et 1962, ils résident dans La Rioja, région du nord-ouest de l’Argentine, et travaillent à l’École de design et de technique artisanale pour un programme régional de soutien aux artisans (tisseuses et potiers) visant à la conservation et à la mise en valeur de leurs produits. Elle s’occupe de l’atelier libre de peinture de l’école d’art. Le projet prend fin pour des raisons politiques, et ils rentrent à Buenos Aires. Julio intègre le département de recherche du CIDI en 1963, elle y entre en 1967 en tant que designer graphique. Le CIDI dépendait de l’Institut national de technologie industriel (INTI), premier centre de recherche à faire le lien entre l’industrie et la promotion du « buen diseño » en Argentine. M. L. Colmenero développe l’image et la communication graphique complète du CIDI : documents institutionnels, affiches, catalogues, stands et montage des expositions. Elle voyage en Uruguay, au Chili, au Pérou et en Bolivie pour la mise en place des expositions L’Argentine dans le design industriel. Le premier projet présenté dans le Centre est Etiqueta de buen diseño (« label du bon design »), gage de qualité pour les produits industriels. Son design, quelque peu influencé par l’école suisse, se reconnaît à la sobriété de ses ressources et à la cohérence qui ont donné au Centre une identité visuelle homogène et remarquable (format du papier, typographie helvétique, rouge orangé pour les papiers institutionnels, noir, blanc et argent, avec des images de synthèse, sur les documents de promotion). Elle quitte le CIDI en 1972 et commence à travailler de manière indépendante. Elle reconnaît l’importance que le cinéma, la littérature et la peinture ont dans sa vie. En 1998 elle dessine ses derniers projets.
Silvia FERNÁNDEZ
■ MANGIONI V., « CIDI y la promoción del diseño en la Argentina en la década del ´60 », in Ulm, La Plata, 5, La Plata, Edición nodal, 2003.
COLOMB, Catherine (née Marie-Louise REYMOND) [SAINT-PREX 1892 - PRILLY 1965]
Romancière suisse d’expression française.
Orpheline de mère à 5 ans, Catherine Colomb est élevée par sa grand-mère maternelle. Elle passe son enfance au pied du Jura, puis à Lausanne, où elle achève des études classiques. Pendant ses études, elle est l’hôte en Angleterre de Lady Ottoline Morrell (1873-1938), femme de lettres et mécène proche du Bloomsbury Circle. Elle commence à écrire autour des questions de la mémoire et de l’oubli, publiant Pile ou face (1934), premier roman de forme classique. La trilogie qui suit s’accomplit dans une profonde solitude créatrice et semble commandée par l’exigence d’exprimer le déchirement qui a marqué son enfance. Mélancolique et vengeresse, la remémoration serait l’origine d’une vocation et le principe d’une forme singulière. Avec Châteaux en enfance (1945), elle découvre l’esthétique polyphonique qui lui permet d’exorciser le passé. Virulente, la critique sociale contraste avec un élan lyrique célébrant la nature et les éléments. Les Esprits de la terre (1953) retracent le destin d’une famille de propriétaires sur la Côte vaudoise, au début du XXe siècle, et le Temps des anges (1962) ouvre sur les événements de la Seconde Guerre mondiale et les mythes de l’Apocalypse, du Jugement dernier et du châtiment. Ses choix narratifs et stylistiques inscrivent la romancière dans la mouvance de son époque. Elle travaille jusqu’à sa mort sur un dernier roman, Les Royaumes combattants, resté inachevé.
Anne-Lise DELACRETAZ
■ Œuvres complètes, Lausanne, L’Âge d’homme, 1993.
■ FAVRE L., Catherine Colomb, Fribourg, Éditions universitaires, 1993.
■ DELACRÉTAZ A.-L., « Catherine Colomb », in Francillon R. (dir.), Histoire de la littérature en Suisse romande, vol. 3, Lausanne, Payot, 1998.
COLOMB, Denise (née LOEB) [PARIS 1902 - ID. 2004]
Photographe française.
Si elle est connue pour ses portraits de personnalités du monde artistique réalisés pour la plupart dans les années 1959-1960, Denise Colomb est aussi l’auteure de nombreuses photographies prises au cours de ses voyages. Apparenté à l’esprit de la photographie humaniste de l’après-guerre, son travail s’inscrit dans la tradition française du réalisme poétique, pour laquelle la composition de l’image est tout aussi importante que l’intérêt porté à la condition humaine. C’est au cours d’un séjour en Extrême-Orient (1935-1937) avec son mari qu’elle commence à prendre des photos. En 1948, à l’invitation d’Aimé Césaire, elle réalise son premier grand reportage aux Antilles pour le centenaire de l’abolition de l’esclavage. Grâce à lui, elle va participer à la mission dirigée par Michel Leiris aux Antilles françaises en 1948. Elle voyage par la suite aux Indes, en Israël et en Europe. Ses portraits destinés à illustrer des carnets de voyage ethnographiques témoignent d’une curiosité et d’un respect constants pour les autres. Elle collabore à diverses revues (Regards, Le Photographe) et effectue des travaux de commande pour Point de vue - Images du monde : le médecin de campagne à Paris, les cochers, les souterrains, l’île de Sein. En 1947, son premier portrait d’artiste, ayant pour sujet Antonin Artaud, est décisif pour sa carrière. Son frère Pierre Loeb, galeriste, l’introduit auprès de peintres et sculpteurs qu’elle photographie dans l’environnement intime et familier de leur atelier : de Staël, César, Chagall, Miró, Giacometti, Calder, Picasso, Vieira da Silva* et son compagnon Árpád Szenes. Sa première exposition de portraits a lieu dans la galerie de son frère en 1957, suivie d’une autre au musée des Arts décoratifs (1969). Elle a su montrer au travers de ses photographies dénuées d’artifice la solitude de l’artiste face à la création. Toujours à l’affût de nouvelles techniques pour ses recherches plastiques, elle a pratiqué le photomontage, la surimpression, la solarisation, notamment pour ses nus féminins et ses portraits. En 1991, D. Colomb fait don de l’ensemble de son œuvre à l’État français.
Sixtine DE SAINT-LÉGER
■ Denise Colomb (catalogue d’exposition), Paris, Ministère de la Culture, 1982 ; Portraits d’artistes, les années 50/60, Paris, Studio 666, 1986.
■ LEMAGNY J.-C., Denise Colomb, portraits, Lyon, La Manufacture, 1996.
COLOMBINE VOIR CIRCÉ-CÔTÉ, Éva
COLOMBINE VOIR BURGOS, Carmen DE
COLOMBO, María del Carmen [BUENOS AIRES 1950]
Poétesse argentine.
María del Carmen Colombo a étudié la philosophie et les lettres à l’université de Buenos Aires et fait partie du groupe littéraire El Ladrillo (« la brique »). Dans le recueil de poésie Blues del amasijo (« blues du pétrissage », 1985), les mythes populaires cheminent entre musique, religion et littérature. La tension entre langue familière et littérature qui a marqué la rupture des années 1960 est également perceptible. Dans le recueil La muda encarnación (« l’incarnation muette », 1993), l’écrivaine s’approprie une tradition littéraire savante à l’aspect baroque. Ce livre marque son passage à la saynète, à la parodie, à la gauchesca (genre qui consiste à représenter la culture et le mode de vie du gaucho, gardien de vaches de la Pampa). Cette poétique se poursuit dans La familia china (1999), où le caractère « oriental » apparaît comme un condensé des différents sens que peut avoir ce mot en Argentine : les rites de la Chine ancienne, mais aussi ce qui est en rapport avec l’Uruguay (désigné par l’adjectif « oriental »), ou encore la china, l’épouse du gaucho, ainsi qu’une référence à différentes immigrations que Buenos Aires a connues – japonaise, coréenne et chinoise, entre autres. Les éléments étrangers se fondant avec les aspects populaires et l’actualité urbaine. M. del C. Colombo a reçu le Grand Prix de poésie du Cinquième Centenaire (1992).
Silvia JUROVIETZKY
COLONNA, Vittoria [MARINO, LATIUM 1490 - ID. 1547]
Poétesse italienne.
Fille du condottiere Fabrizio Colonna et d’Agnese di Montefeltro – la fille du duc d’Urbino Federico di Montefeltro –, Vittoria Colonna reçut une éducation raffinée, étudia les classiques et la littérature vulgaire. Elle épousa à 19 ans le condottiere Ferrante Francesco D’Avalos, marquis de Pescara. Tandis que son mari combattait au service du roi de Naples, du pape Jules II puis de l’empereur Charles Quint, V. Colonna resta chez les D’Avalos, fréquentant ainsi la cour aragonaise de Naples. Son amour pour son mari, la nostalgie que lui causèrent ses longues absences et son deuil, en 1525, constituent le sujet des poèmes de style pétrarquisant qu’elle composa durant ces années-là. Ces Rime profane (« poèmes profanes », 1538) sont le premier recueil écrit par une femme et publié. V. Colonna voulut se retirer dans un couvent, mais le pape Clément VII et les pressions familiales l’en dissuadèrent. Elle s’installa alors à Rome, où elle entreprit une intense activité publique et diplomatique en faveur de sa famille, et soutint son idéal de réforme moralisatrice de la vie religieuse. Elle s’entoura d’un important réseau de connaissances et d’amitiés, surtout parmi les intellectuels et les religieux de son temps, comme en témoigne son Carteggio (« correspondance », 1892). En 1530, à Naples, elle approfondit la méditation des Évangiles, influencée par les thèses de Juan de Valdés ; en 1537, elle avait songé à prendre part à une croisade, mais elle resta finalement à Ferrare où prêchait Bernardino Ochino, défenseur des idées réformistes et protégé de Renée de France. Elle continua à écrire des vers, mais d’inspiration morale et religieuse, comme les Rime sacre e morali (« poèmes sacrés et moraux »). En 1544, elle se retira dans le couvent Sant’Anna, à Rome. Son amitié avec Michel-Ange, qui lui consacra quelques sonnets, lui fut d’un grand réconfort.
Marta SAVINI
■ BULLOCK A. (dir.), Rime, Bari, Laterza, 1982 ; DOGLIO M. L., Lettera e donna, scrittura epistolare al femminile tra Quattro e Cinquecento, Rome, Bulzoni, 1993 ; PAGANO S. M., RANIERI C. (dir.), Nuovi documenti su Vittoria Colonna e Reginald Pole, Cité du Vatican, Archivio Vaticano, 1989 ; RAGIONIERI P. (dir.), Vittoria Colonna e Michelangelo, Florence, Mandragora, 2005.
COLONNA-ROMANO, Gabrielle (Gabrielle DREYFUS, dite) [1883-1981]
Actrice française.
Engagée par André Antoine pour une tournée en Amérique du Sud, Gabrielle Colonna-Romano crée Vers l’amour de Léon Gandillot au Théâtre Antoine en 1905, puis, toujours sous sa direction à l’Odéon, elle participe à la création de L’Armée dans la ville, première pièce de Jules Romains en 1911. Elle se présente au Conservatoire et obtient un premier prix de tragédie dans Phèdre en 1909. Elle fait ses débuts à la Comédie-Française en 1913 et accède au sociétariat en 1926. Elle évolue des rôles de « grandes amoureuses » aux jeunes premières et reines de tragédie ; héroïne des pièces d’Alfred de Musset, elle est Camille d’On ne badine pas avec l’amour et Marianne des Caprices de Marianne. Sa prestance, sa voix grave et profonde en font l’interprète privilégiée de Corneille et de Racine : Phèdre, Hermione, Bérénice, Esther, Rodogune ou Chimène. Selon la tradition classique, elle joue dans le répertoire comique Molière – Armande dans les Femmes savantes, Elmire dans Tartuffe –, et, dans le registre romantique, elle interprète Hugo – la reine de Ruy Blas et Dona Sol dans Hernani. Elle s’intéresse aussi au théâtre contemporain, à Gabriele D’Annunzio et Émile Verhaeren. Elle est à plusieurs reprises le modèle d’Auguste Renoir. Après sa retraite de la Comédie-Française en 1937, elle poursuit sa carrière sur les scènes parisiennes, à Marigny, Chaillot ; elle réapparaît dans la tragédie avec Athalie, Phèdre, et interprète l’émouvant personnage de Rose Mamaï dans L’Arlésienne d’Alphonse Daudet. Militante des mouvements sociaux et politiques, elle se fit infirmière durant la guerre de 1914 ; proche du Front populaire, elle participa à la Résistance sous l’Occupation. Elle fut successivement l’épouse de deux Comédiens-Français, Georges Grant et Pierre Alcover ; sa petite fille, la comédienne Catherine Alcover, a poursuivi la tradition familiale.
Noëlle GUIBERT
COLPRON, Liliane [CHÂTEAUGUAY, QUÉBEC 1934]
Entrepreneuse canadienne.
Issue d’une famille d’agriculteurs, Liliane Colpron est une femme d’affaires autodidacte qui a exclusivement travaillé dans le domaine de la boulangerie. En 1972, elle ouvre sa première entreprise, la Boulangerie des Prairies. Puis elle fonde une boulangerie de quartier, Au bon croissant, ainsi que les boulangeries industrielles Mansion Inc., qui vendent des produits précuits aux entreprises. En 1992, elle fonde à Vaudreuil-Dorion, en partenariat avec ses trois enfants, les boulangeries Première Moisson. Soucieuse de la provenance et de la qualité des grains, elle s’associe à des agriculteurs locaux et à un moulin pour avoir un contrôle sur les farines utilisées. En proposant du pain et des produits de qualité dans ses boulangeries artisanales, elle a contribué à améliorer l’alimentation des Québécois. Cette entrepreneuse a également modifié les façons de faire de l’industrie de la culture du blé au Québec en étant la première à utiliser de la farine de blé cultivée localement, sans blanchiment ni traitement chimique. Depuis, l’entreprise s’est étendue au-delà de Montréal en vendant ses produits au Québec et en Ontario. En parallèle, L. Colpron siège à différents conseils d’administration. Le prix Femmes d’affaires du Québec, dans la catégorie Réalisations, lui a été décerné en 2005.
Gwenaëlle REYT
COLSON, Elizabeth [MINNESOTA 1917]
Anthropologue américaine.
C’est sous la direction de Clyde Kluckhohn, à l’université Harvard, qu’Elizabeth Colson commence ses études en anthropologie. Elle consacre sa recherche à une communauté amérindienne de l’État de Washington : Les Makah, étude d’une assimilation (1945). Elle obtient ensuite un poste au Rhodes Livingston Institute (RLI), dans le nord de la Rhodésie, où Max Gluckman, le directeur, crée alors le nouveau département d’anthropologie de l’université de Manchester. Dans ce cadre, elle est aussitôt à sa place, travaillant à la fois sur le terrain et au cœur de la création de la nouvelle école. Elle s’intéresse à des sujets comme la pauvreté, la déstructuration, le déplacement de populations et la migration dans un espace colonial tardif, et même postcolonial.
Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, le Rhodes Livingston Institute va jouer un rôle d’auxiliaire sur la voie de la décolonisation africaine, notamment dans une étude communautaire pionnière développée à partir des travaux d’E. Colson. Ses méthodes – établies à l’origine pour ses travaux sociologiques à propos de l’impact de la crise économique sur les petites communautés américaines lors de la Dépression – ont représenté une rupture importante avec celles qui prédominaient jusqu’alors dans l’étude des sociétés tribales. Allant sur le terrain à de très nombreuses reprises pendant de longues périodes (entre 1946 et 1992), E. Colson a rencontré quantité d’informateurs de divers groupes linguistiques africains, la plupart travaillant dans des mines, vivant dans des cités, et n’étant pas issus d’une même communauté linguistique villageoise. Ainsi, à partir de 1956, elle a conduit pour le Rhodes Institute un long travail de terrain en Zambie, auprès des Gwembe Tonga, pour étudier les effets des déplacements forcés des populations. De nombreuses études ou conférences sont issues de ses travaux sur les processus d’assimilation et de résistance, peu ont été publiées. Une monographie s’impose : Les Conséquences sociales du déplacement de population, l’impact du Kariba sur les Gwembe Tonga (1971). Ce livre constitue à la fois un tournant dans l’étude des transferts de populations après guerre et, bien au-delà, une référence sur les flux migratoires pour les études en anthropologie et dans les sciences sociales en général.
Après l’université de Manchester, E. Colson est rentrée aux États-Unis et a travaillé au Goucher College, à l’université de Boston et à l’université Berkeley de Californie, dont elle est aujourd’hui professeure émérite.
Karen SKYES
■ « Biases : Place, Time and Stance », in VICKERY K. (ed.), The Tonga-Speaking Peoples of Southern Zambia and Zimbabwe, Lanham, University Press of America, 2003.
COLTER, Mary Jane [PITTSBURGH 1869 - SANTA FE 1958]
Architecte américaine.
Grande connaisseuse de la culture indienne du sud-ouest des États-Unis, Mary Colter a créé une architecture rustique lui faisant écho, à la fois fonctionnelle et attrayante pour les touristes, et s’inscrivant parfaitement dans le paysage unique du Grand Canyon en Arizona. Elle a ainsi bâti sa réputation d’architecte tout en faisant découvrir aux Américains la valeur de la civilisation qui les a précédés. M. Colter a fait ses études dans une école de dessin à Oakland, en Californie. Les architectes californiens s’intéressaient alors au mouvement Arts & Crafts et à la renaissance du style colonial espagnol. Diplômée en 1890, elle revint à Saint Paul, dans le Minnesota, pour enseigner le dessin à l’école des Arts et Techniques, tout en suivant une formation d’ingénieur en métallurgie, qu’elle a utilisée par la suite dans ses projets. Sa collaboration avec la société Fred Harvey, qui devait durer toute sa vie, débuta en 1902. Associée aux chemins de fer de Santa Fe, la compagnie ouvrit le sud-ouest des États-Unis grâce à ses hôtels et restaurants, mais M. Colter mit la culture indienne au premier plan. C’est avec cette volonté qu’elle conçoit Hopi House, située au bord du Grand Canyon, qui fut, en 1905, son premier grand projet. Bâti avec des matériaux indigènes, cet édifice était à la fois un musée, un lieu de création d’art et une boutique. D’autres projets similaires suivirent : Hermit’s Rest et Lookout Studio en 1914, Phantom Ranch en 1922, Descut View Watchtower en 1932 et Bright Angel Lodge en 1935-1937. Si ses projets, hôtels ou cafés, suscitent l’admiration, Descut View Watchtower reste le chef-d’œuvre de M. Colter. Il fait écho aux ruines de Mesa Verde, et est composé d’une kiva, une pièce ronde et enterrée, et d’une tour impressionnante. Chaque pierre a été soigneusement appareillée et les surfaces intérieures ont été peintes, sur trois étages, par des artistes indiens, unissant art et espace dans une grande harmonie.
Catherine BARRETT
■ BERKE A., Mary Colter, Architect of the Southwest, New York, Princeton Architectural Press, 2002 ; GRATTAN V. L., Mary Colter, Builder upon the Red Earth, Grand Canyon, Grand Canyon Natural History Association, 1992.
COLVIN, Shawn [VERMILLION 1956]
Auteure-compositrice-interprète et guitariste américaine.
Admiratrice des Beatles et de Joni Mitchell*, Shawn Colvin grandit au sein d’une famille mélomane ; elle chante dans une chorale d’église, apprend la guitare en autodidacte et écrit ses premiers textes. Adolescente, elle fonde son propre groupe hard rock, puis se produit dans une formation country. À 25 ans, elle part à New York et fait la connaissance du bassiste John Leventhal ; ils entament alors une collaboration féconde où elle écrit et lui compose. En 1989, son premier opus Steady on, dont est extrait le succès Diamond in the Rough, est élu meilleur album folk de l’année ; il est le début d’une longue série (Fat City, Cover Girl, A Few Small Repairs, Holiday Songs and Lullabies, Whole New You, These Four Walls). Chaque album réserve de nouvelles surprises, une évolution musicale et des textes intimistes portés par une voix fragile. Dans les années 2000, S. Colvin s’ouvre à la collaboration, notamment avec Sting (bande originale du film Kuzco, l’empereur mégalo). Si la carrière de cette artiste folk, dans le sillage de Tracy Chapman* ou de Suzanne Vega*, reste encore confidentielle en France, elle obtient de nombreuses distinctions outre-Atlantique.
Anne-Claire DUGAS
■ Polaroids : A Greatest Hits Collection, Sony, 2004.
COMANECI, Nadia [ONEŞTI 1961]
Gymnaste roumano-américaine.
Les Championnats d’Europe de gymnastique artistique, disputés début mai 1975 en Norvège, révèlent l’exceptionnelle virtuosité d’une enfant de 13 ans et demi ; étonnante aux barres asymétriques et à la poutre, Nadia Comaneci supplante les Soviétiques, se classant première du concours général. Née dans la région moldave de la Roumanie, elle est entrée à l’âge de 6 ans au lycée sportif d’État de Gheorghiu-Dej (aujourd’hui Oneşti), loin de Bucarest, où elle a accepté les contraintes imposées par Béla Károlyi, entraîneur à poigne et au verbe haut. Aux Jeux olympiques de Montréal, elle n’a pas 15 ans. Le 17 juillet 1976, sous les feux du Forum archicomble, elle est stupéfiante, en particulier aux barres asymétriques et à la poutre. Jamais jusqu’alors n’avait été attribuée la note idéale de 10 sur 10 ; programmés sur trois chiffres jusqu’à 9,95, les tableaux électroniques indiquent « 1,00 » qu’il faut lire 10,0. Ce jour, puis dans les finales par appareil, elle ne récolte pas moins de sept 10, avec deux ors complémentaires (poutres, barres asymétriques – total parfait de 20 sur 20). Les médias se l’arrachent ; mais sur les plateaux d’interview, elle apparaît détachée sinon mélancolique. Deux ans plus tard aux Championnats du monde à Strasbourg, son physique indique qu’elle est sortie de l’enfance. Ce corps différent modifie un peu les données ; pourtant l’or de la poutre reste sien. En 1979, de l’autre côté de l’Atlantique à Fort Worth, elle est en tête du concours général lorsqu’elle se blesse ; elle ne participe donc pas à la victoire par équipes enfin acquise par les Roumaines sur les Soviétiques. Mais en juillet 1980, les Jeux se déroulent à Moscou ; N. Comaneci reste l’étoile vers laquelle sont tournés tous les regards. Le concours général ne se décidera qu’au dernier passage à la poutre de Nadia ; un 9,95 lui donnerait le titre ; la délibération du jury ne dure pas moins de vingt-huit minutes… et se traduit finalement par un 9,85 ; c’est l’argent, ainsi qu’au concours par équipes ; et deux fois l’or, à la poutre et au sol. Elle ne sera plus là en 1984 pour Los Angeles. Les années qui suivent sont sombres. On l’apprendra plus tard : N. Comaneci est en butte aux assiduités de Nicu Ceauşescu, fils de celui qui depuis 1974 tient la Roumanie d’une poigne terrible. Fin novembre 1989, elle franchit de nuit la frontière hongroise, échappant au régime – qui au reste va s’écrouler quelques semaines plus tard. Elle s’envole vers les États-Unis où elle retrouve Bart Conner, champion des barres parallèles à Los Angeles en 1984, avec qui elle se marie en 1996.
Jean DURRY
■ Letters to a Young Gymnast, New York, Basic Books, 2004.
■ LAFON L., La petite communiste qui ne souriait jamais, Paris, Actes Sud, 2013.
COMANI, Daniela [BOLOGNE 1965]
Photographe et plasticienne italienne.
Le travail de Daniela Comani interroge avec humour l’identité sous toutes ses formes. Formée à l’Académie des beaux-arts et à l’université de Bologne, puis à la Hochschule der Künste de Berlin, elle se fait connaître au milieu des années 1990 avec ses Double Drawings, présentant des silhouettes tirées de magazines, qui s’interpénètrent dans des configurations inattendues. Dans la série de photographies Un mariage heureux (2003), elle endosse les deux rôles, masculin et féminin, pour critiquer les stéréotypes relatifs aux différents genres. Ce jeu sur une ambiguïté androgyne se poursuit dans une série de faux articles ou couvertures de magazines (Conversations, 2009). La mise en évidence du partage des tâches dans le couple rappelle l’œuvre de Michel Journiac, 24 heures de la vie d’une femme ordinaire (1974), mais le dédoublement gémellaire, rendu plus évident grâce au traitement numérique, évoque une inquiétante société contre-utopique, fondée sur le clonage des êtres humains. Dans la série Nouvelles parutions (2008), D. Comani détourne les titres et parfois les illustrations des couvertures de grands classiques de la littérature européenne. Dans ses éditions, les sexes sont échangés, comme, par exemple, pour Madame Bovary qui devient Monsieur Bovary. Toujours autour de l’identité, l’artiste explore le rapport entre l’individu et l’histoire dans C’était moi, journal 1900-1999, œuvre installée sur la façade du centre d’art la Passerelle à Brest en 2009, dans laquelle les événements du XXe siècle apparaissent sous forme de brèves journalistiques, classées en fonction de leur jour d’occurrence, du 1er janvier au 31 décembre, et présentées à la première personne. La chronologie chahutée fait apparaître l’histoire sous le jour d’une répétition constante d’accidents, de meurtres, d’opérations militaires, mais aussi de faits culturels, dont l’artiste, comme le spectateur, est partie prenante, à la fois observateur et acteur, coupable et victime. Les œuvres de D. Comani sont régulièrement exposées, notamment en Allemagne, en France et en Italie.
Marie FRETIGNY
■ C’était moi, journal 1900-1999 (catalogue d’exposition), Brest/Arles, La Passerelle/Analogues, 2010.
■ MARRA C., L’Immagine infedele, Milan, Mondadori, 2006.
■ ZANELLI M., « Strategie del quotidiano tra arte e vita », in Tranches de vie, Ex-convento di Santa Maria, Gonzaga, 2001.
COMASTRI MONTANARI, Danila [BOLOGNE 1948]
Écrivaine italienne.
Après des études de pédagogie et de sciences politiques, Danila Comastri Montanari devient professeure d’histoire. Seize de ses romans policiers à caractère historique se déroulent dans la Rome antique et ont pour personnage principal Publio Aurelio Stazio (Olympia, Saturnalia, Ars moriendi…). D’autres se situent au XIXe siècle : Il panno di mastro Gervaso (« le drap de maître Gervais », 1997) ; La campana dell’arciprete (« le carillon de l’archiprêtre », 2001), de même que les récits rassemblés dans le volume Ricette per un delitto (« modes d’emploi pour un meurtre », 2002). Plusieurs de ses livres ont été traduits en français.
Graziella PAGLIANO
■ Cave canem (1993), Paris, 10/18, 2004 ; Morituri te salutant (1994) Paris, 10/18, 2004 ; Parce sepulto (1996), Paris, 10/18, 2005 ; Cui prodest ? (1997), 10/18, 2006 ; Spes, ultima dea (1999), Paris, 10/18, 2006 ; In corpore sano (2000), Paris, 10/18, 2007 ; Mors tua (2000), Paris, 10/18, 2008.
COMBES, Françoise [FRANCE 1952]
Astrophysicienne française.
Ancienne élève de l’École normale supérieure, Françoise Combes est agrégée de physique et titulaire d’un doctorat d’État (1980). Elle travaille au Laboratoire d’études du rayonnement et de la matière en astrophysique (Lerma) de l’Observatoire de Paris. Ses recherches portent sur de nombreux aspects de la physique des galaxies, en particulier leur dynamique. Elle accomplit un travail de pionnière, exerçant un impact considérable auprès de la communauté nationale et internationale. Elle participe à la rédaction et à l’édition de nombreux ouvrages, tout en jouant un rôle essentiel dans la formation et l’encadrement des jeunes astronomes à l’observatoire de Paris. F. Combes débute ses recherches en effectuant des simulations sur ordinateur de la morphologie des galaxies, domaine encore très peu développé à la fin des années 1970. Elle découvre ainsi un mécanisme nouveau : la formation de structures en forme de boîte ou de cacahuète par interaction entre deux galaxies qui s’approchent transitoirement l’une de l’autre. Grâce à cette méthode et à son perfectionnement ultérieur, on comprend aujourd’hui beaucoup mieux l’évolution des galaxies. Ces simulations, basées d’abord uniquement sur le contenu stellaire des galaxies, prennent ensuite en compte leur contenu gazeux (essentiellement l’hydrogène), prédisant la formation d’anneaux riches en gaz moléculaire, phénomène détecté plus tard par la radioastronomie. Elles permettent aussi d’affiner la compréhension de la formation d’un éventuel trou noir central. L’astrophysicienne s’intéresse également aux propriétés du milieu interstellaire des galaxies et se penche sur les galaxies lointaines en traquant des raies d’absorption moléculaires dans les spectres des quasars. Enfin, F. Combes initie une recherche de gaz moléculaire dans les courants de refroidissement repérés dans les régions centrales des amas de galaxies et contribue au développement d’un modèle original de matière noire dans l’Univers, sous forme de gaz moléculaire froid doté d’une structure fractale. L’astrophysicienne participe à la préparation des instruments Herschel, ALMA et SKA devant permettre de sonder l’Univers avec une sensibilité inégalée dans le domaine infrarouge lointain, submillimétrique et radio. Membre de nombreux conseils et comités français et internationaux, parmi lesquels le Comité de l’Année mondiale de l’astronomie 2009 (Ama), F. Combes organise nombre de réunions et de congrès mondiaux. Au sein de l’Union astronomique internationale, elle préside la commission Galaxies de 2006 à 2009. En 2001, elle reçoit la médaille d’argent du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), et en 2009, l’Union astronomique européenne lui décerne le prix Tycho-Brahé. Elle est membre de l’Académie des sciences depuis 2004.
Florence DURRET
■ BRÉZIN É. (dir.), Demain, la physique, Paris, Odile Jacob, 2004.
COMEAU, Antoinette VOIR CONCELLO, Antoinette
COMÉDIE-FRANÇAISE
La Comédie-Française de l’Ancien Régime plaçait ses comédiennes à l’égal des hommes dans la gestion des affaires courantes de la troupe : elles siégeaient aux assemblées et prenaient part aux décisions de plein droit. Elles étaient généralement nommées « mademoiselle » ou familièrement « la ». Leur influence résidait dans la place qu’elles tenaient en scène et auprès d’admirateurs plus ou moins influents. Après Madeleine Béjart* et Geneviève Béjart (1624-1675), signataires de la troupe fondatrice, l’Illustre-Théâtre, avec Molière, après Armande Béjart*, sa veuve en 1673, qui apporta aux côtés de Charles de Lagrange, fidèle compagnon de Molière, la force de son expérience à la Comédie-Française nouvellement créée en 1680, l’histoire de la Compagnie fut marquée par des actrices telles que Charlotte Desmares (1682-1753), modèle de Watteau, Marie-Anne de Chateauneuf (1670-1748), dite Mlle Duclos, tragédienne à la déclamation parfaite, dont se démarquait la sensible Adrienne Lecouvreur*, puis Mlle Clairon*, qui milita, avec son partenaire Lekain, en faveur de la réforme du costume de scène et de réflexions sur la « mise en scène ». S’en distinguaient l’instinctive Marie Dumesnil* ou l’imposante Françoise Raucourt*… Concentrant regards et ferveurs, les comédiennes du XVIIIe siècle lancèrent de nouvelles modes vestimentaires, comme les « coiffures à la Suzanne » après la création du rôle par Louise Contat*, qui ralliait tous les suffrages dans le Mariage de Figaro en 1784. Les femmes de la famille royale s’intéressèrent aux affaires des théâtres. Anne-Christine de Bavière (1660-1690) signa les règlements de 1685, dits de la Dauphine, mais rien n’égala la passion de la reine Marie-Antoinette pour la comédie, qu’elle aimait jouer elle-même. En se ralliant à l’un ou l’autre camp, celui du Théâtre de la République et de Talma, ou celui du Théâtre de la Nation favorable à la monarchie, les comédiennes prirent une part active, parfois courageuse, durant la Révolution, aux événements qui bouleversèrent l’histoire de la Comédie-Française. L’écrivaine Olympe de Gouges* parvint en 1789 à faire jouer sur la scène du Français un audacieux plaidoyer anti-esclavagiste, L’Esclavage des nègres.
Dans les Cahiers, plaintes et doléances de Messieurs les comédiens français de 1789, on lit : « M. Naudet a demandé qu’avant toute chose les Dames fussent tenues de se retirer parce qu’étaient exclues par les lois de toutes les fonctions viriles. Mlle Raucourt a répliqué que ces lois étaient absurdes. » Une altercation annonciatrice de l’évolution d’un XIXe siècle, à bien des égards misogyne, où les femmes furent évincées des instances de décisions de la Comédie-Française : selon le décret de Moscou de 1812, le comité d’administration était uniquement composé de « six hommes membres de la société ». La force de leur talent, leur art de l’intrigue valurent pourtant à certaines de dominer la vie de la Maison de Molière à plusieurs reprises. Si la rivalité de Mlle Duchesnois* et de Mlle George* empêcha que l’une d’elles tînt le rang de Talma dans la troupe, il y eut un temps dominé par Mlle Mars*, créatrice du Doña Sol dans Hernani. Cette influence féminine fut déterminante durant les années Rachel*, dont le succès, indispensable aux finances du théâtre, autorisait tous les caprices sur le choix des pièces et les demandes de congé. Le premier titulaire du poste d’administrateur nommé par l’État, Arsène Houssaye, était son candidat. Sarah Bernhardt*, à la génération suivante, ne put se maintenir plus de dix ans dans une Comédie-Française pourtant mieux structurée et gouvernée. Progressivement, les comédiennes furent réintégrées dans les instances dirigeantes : un décret de 1910 prévoyait deux femmes sur dix membres du comité de lecture ; cette mesure fut étendue au comité d’administration en 1919. Ce n’est qu’en 1926 que la distinction n’est plus faite. Il faut attendre 1975 pour que le comité compte plus de deux femmes, et encore seulement trois. À l’initiative de l’administrateur Jacques Toja, par une note de service de 1980, l’ordre de préséance, mentionné sur les affiches et programmes, se limite à l’ancienneté sans distinguer les hommes des femmes, permettant ainsi à Yvonne Gaudeau (1921-1991), et après elle à Claude Winter (1931-2011), à Catherine Samie*, à Christine Fersen*, à Catherine Hiegel* et à Dominique Constanza (1948) de devenir doyen, soit le (ou la) sociétaire le plus ancien dans la troupe. En 2006, la nomination de Muriel Mayette* comme administrateur général de la Comédie-Française atteste des changements de mentalités.
Traditionnellement, les femmes sont toujours moins nombreuses que les hommes dans la troupe, 12 actrices contre 15 acteurs en 1680, 21 contre 36 en 2008. Cette tendance persistante s’explique par la forte proportion de rôles masculins dans les pièces du répertoire, essentiellement écrites par des hommes malgré l’entrée récente au répertoire de Marguerite Duras*, Marie NDiaye* et Naomi Wallace*. Les femmes metteurs en scène furent d’abord des actrices de la troupe comme Véra Korene*, Françoise Seigner*, Catherine Hiegel*, Muriel Mayette*. Vinrent ensuite dans les années 2000 des femmes metteurs en scène extérieures à la Comédie-Française comme Brigitte Jaques-Wajeman*, Célie Pauthe (1976), Sandrine Anglade, Irène Bonnaud (1971), Julie Brochen*, Anne Delbée (1946) et Anne-Laure Liégeois. L’évolution des fonctions administratives et techniques vers la mixité s’est accentuée depuis les cinquante dernières années dans les services de la direction générale, régie-souffleur, régie générale, bibliothèque… Avec Suzanne Lalique (1892-1989), nommée décoratrice en chef dès 1938, les ateliers de décors et de costumes se féminisent. Traditionnellement, à côtés des lingères, repasseuses, habilleuses, modistes, travaillant indifféremment pour les actrices et acteurs, les couturières réalisent les costumes féminins, alors que les tailleurs coupent les costumes masculins, une répartition longtemps liée au besoin d’intimité des actrices lors des essayages, plus encore qu’à la permanence de schémas socioprofessionnels classiques, encore visible dans les services techniques du plateau essentiellement composés d’hommes, mais tapissiers et accessoiristes s’ouvrent à la mixité. À l’accueil du public, les distinctions entre les fonctions d’ouvreuse, inspection de salle, contrôle, caisses s’estompent de façon visible…
Joël HUTHWOHL
COMÉDIENNES – THÉÂTRE [France XVIIe siècle]
En 1688, La Bruyère remarquait dans Les Caractères que les Français de son temps ne parvenaient pas à se décider sur la manière de considérer les acteurs : entre l’adulation et le mépris – observation qui s’appliquait doublement aux comédiennes, tantôt idolâtrées, tantôt ravalées au rang de prostituées. Même si le théâtre constituait alors le principal divertissement de la bonne société, s’y exhiber pour de l’argent était considéré comme une déchéance, voire, du point de vue minoritaire mais influent des rigoristes religieux, comme une infamie justifiant l’excommunication par principe. On assimilait d’autant plus facilement la femme de théâtre à une fille publique qu’on associait la vie de troupe à une promiscuité sexuelle débridée. Par ailleurs, la société d’Ancien Régime n’accordait pas à la femme de personnalité juridique, en faisant une mineure à vie qui ne quittait la tutelle parentale que pour passer sous tutelle maritale. La comédienne, par sa relative indépendance, représentait ainsi une anomalie que l’on ne tolérait que pour la marginaliser. Pourtant, les comédiennes étaient presque toujours mariées et, pour la plupart, s’efforcèrent de mener une vie exemplaire, assistant aux offices avec régularité, s’occupant d’œuvres de charité, tentant d’effacer par une fin édifiante l’opprobre que leur avaient valu leurs activités. Toutefois, rien ne parvint à dissiper le soupçon qui pesait sur l’ensemble de la profession. Il est à ce titre tout à fait symptomatique que le seul texte nominalement dévolu à une femme de théâtre publié au XVIIe siècle soit un violent pamphlet anonyme de 1668, La Fameuse Comédienne ou Histoire de la Guérin, auparavant femme et veuve de Molière, où Armande Béjart* s’y voit traitée de « femme galante » dont le « prétendu mérite » dans l’art dramatique s’efface derrière une litanie d’aventures amoureuses.
Dans la première moitié du siècle, le manque de documents ne permet pas de retracer l’activité des premières comédiennes professionnelles françaises. Non que les femmes fussent considérées comme secondaires : elles incarnaient parfois le rôle principal sur scène (de plus en plus manifestement vers la fin du siècle, surtout dans la tragédie et l’opéra) et s’engageaient très activement dans la vie de la troupe, avant même d’être officiellement admises comme sociétaires au même titre que les hommes. Mais elles n’étaient que très rarement mentionnées dans les documents légaux et les archives, à tel point qu’il est souvent impossible de déterminer par qui furent créés les rôles féminins. Une telle invisibilité tranche avec l’apport crucial des femmes dans les troupes italiennes de commedia dell’arte, très présentes à Paris depuis 1571. La Vénitienne Angela Maloni (Virginia sur scène) gérait sa propre compagnie, qui se produisit à l’Hôtel de Bourgogne en été 1603, tandis que les fameux Gelosi de Padoue, invités personnels d’Henri IV et de Marie de Médicis* en 1603-1604, étaient codirigés par Francesco et son épouse Isabella Andreini*, poétesse et femme de lettres reconnue autant que comédienne.
Par contraste, les actrices françaises se contentèrent longtemps d’épauler leurs camarades dans un relatif anonymat : Paquette Soleil, dite Isabelle Legendre, Marie Venière, dite Mlle La Porte, et sa sœur Colombe Venière, Isabelle Dispanet, Marguerite Béguin, Élisabeth Mestivier, Jeanne Buffequin, dite Mlle La Fleur, Madeleine Lemeine, Marguerite Baloré, Françoise Petit, ou encore Nicole Gassot, principale interprète des rôles féminins à l’Hôtel de Bourgogne au milieu du siècle, restent au mieux des figures subalternes, connues principalement à travers la carrière de leur mari. Il n’était pas rare qu’elles fussent également fille et sœur de comédien, car la pratique du théâtre, relevant de l’artisanat plus que de l’art, se transmettait en famille.
L’évolution du statut des comédiennes s’explique d’abord par la qualité croissante des rôles qui leur furent proposés : le théâtre français, tout au long du XVIIe siècle, ne cessa en effet de se « féminiser » – Boileau s’en plaint amèrement en 1677 dans L’Art poétique. L’importance progressive accordée aux personnages féminins, tout en exigeant beaucoup des interprètes, les mettaient en valeur, leur donnant ainsi un pouvoir nouveau, y compris celui d’inciter les auteurs à écrire des rôles spécifiquement pour ces comédiennes : le cas le plus notoire reste la collaboration symbiotique entre Racine et la Champmeslé*, aussi productive que scandaleuse. C’est alors que l’interprétation des comédiennes, plus que leurs attraits physiques, devient un facteur de poids dans le succès des pièces.
Dans le dernier tiers du siècle, une demi-douzaine de femmes occupaient le premier plan de la scène parisienne, dont les trois étoiles de la troupe de Molière – Madeleine Béjart*, Catherine Leclerc du Rosé, dite Mlle de Brie, Mlle Du Parc* – et, à l’Hôtel de Bourgogne, outre Mlle Champmeslé, Françoise Pitel de Longchamp, dite Mlle Raisin, Marie-Anne de Châteauneuf, dite Mlle Duclos, et Alix Faviot, dite Mlle Desœillets. Ce sont elles qui ont créé les grands rôles de ce que nous appelons le répertoire classique, en particulier dans le genre de la tragédie, se prêtant mieux à faire briller les actrices ; car à cette époque il semblait inconcevable qu’une femme puisse se ridiculiser dans un grand rôle comique, et c’était le plus souvent un homme qui jouait en travesti les rôles féminins grotesques, d’ailleurs souvent des personnages de « vieilles ». Bien que les actrices ne pussent s’affranchir totalement du système patriarcal où elles demeuraient « femme de » ou « fille de », elles trouvaient dans le milieu théâtral une situation relativement égalitaire tout à fait inusitée pour l’époque. Une troupe se constituait en effet par un contrat d’association dont les signataires reconnaissaient mutuellement l’importance de leur participation à l’entreprise : dans le document fondateur de l’Illustre Théâtre de Molière (1643), M. Béjart fit stipuler la prérogative « de choisir le rôle qui lui plaira ». En revanche, les actrices ne devenaient jamais écrivaines, contrairement à leurs camarades masculins, assez fréquemment tentés par l’écriture dramatique. Au tournant du XVIIIe siècle, le statut des femmes de théâtre alla en se renforçant par l’entremise du vedettariat, désormais bien établi tant au Théâtre-Français qu’à l’Opéra et dans les théâtres forains : comédiennes (Adrienne Lecouvreur*, Claire Josèphe de La Tude, dite Mlle Clairon*, Marie-Justine Duronceray, dite Mlle Chantilly, épouse de Charles Favart), chanteuses (Marie-Anne-Catherine Quinault, Sophie Arnould*, Marie Fel) et danseuses (Marie-Anne de Cupis, dite la Camargo*, Marie Sallé*), exercèrent une réelle influence sur l’univers des spectacles grâce à leur talent et à leur capacité à enthousiasmer le public.
Guy SPIELMANN
■ Écrivains de théâtre, 1600-1649, documents du Minutier central des notaires de Paris, HOWE A. (éd.), Paris, Centre historique des Archives nationales, 2005 ; MONGRÉDIEN G., Dictionnaire biographique des comédiens français du XVIIe siècle, suivi d’un inventaire des troupes (1590-1710), Paris, Éditions du CNRS, 1961 ; ID., La Vie quotidienne des comédiens au temps de Molière, Paris, Hachette, 1966.
COMÉDIENNES – THÉÂTRE [France XVIIIe siècle]
L’historien du théâtre le sait : les actrices ont joué un rôle capital dans l’évolution de l’art dramatique au XVIIIe siècle. Si les comédiennes sont souvent confondues avec les « filles de l’opéra » et autres femmes entretenues – de la prostituée occasionnelle ou misérable à la courtisane de haut vol –, certaines grandes dames de la scène ont incontestablement contribué à réformer et moderniser la représentation théâtrale. La plus célèbre d’entre elles est, sans conteste, la fameuse Adrienne Lecouvreur*. Elle fut l’une des premières à vouloir rompre avec la déclamation emphatique et presque chantée des tragédiens, et à imposer un timbre naturel, plus proche de la phrase parlée. Dans son sillage, Mlle Dumesnil* poursuivit son œuvre en renouant avec la spontanéité de la langue et des gestes. Mme Saint-Huberty et Mlle Clairon* furent, elles aussi, les artisanes d’une révolution de la mise en scène et de la diction. La première renouvela la façon de déclamer le vers chanté ; elle s’investit dans la réforme des costumes de scène, rejointe en cela par la Clairon qui, avec Lekain et Voltaire, débarrassa la scène des sièges des spectateurs, rejeta définitivement l’usage inconsidéré des robes à paniers et des perruques. Voltaire se lamentait sur les cendres d’A. Lecouvreur, privée de sépulture : « Que direz-vous, race future/Lorsque vous apprendrez la flétrissante injure/Qu’à ces arts désolés font des hommes cruels ?/Ils privent de la sépulture/Celle qui dans la Grèce aurait eu des autels. » Sur ce terrain encore, de la dignité et des droits des comédiens face au pouvoir de l’Église, Mlle Clairon peut être considérée comme une militante dont l’action eut un impact réel sur la vie sociale de l’acteur.
Valérie ANDRÉ
■ JULLIEN A., Histoire du costume au théâtre depuis l’origine du théâtre en France jusqu’à nos jours, Paris, G. Charpentier, 1880 ; MCMANNERS J., Abbes and Actresses, the Church and the Theatrical Profession in Eighteenth Century France, Oxford, Clarendon Press, 1986 ; PAPILLONDE LA FERTÉ D. P. J., Journal de Papillon de La Ferté, intendant et contrôleur de l’argenterie, menus-plaisirs et affaires de la chambre du roi (1756-1780), l’administration des menus, Paris, P. Ollendorf, 1887.
■ VISSIÈRE I., « La vie privée des femmes de théâtre d’après Les Causes célèbres », in Dix-huitième siècle, no 36, 2004.
COMÉDIENNES PHILANTHROPES [France XIXe siècle]
Dans le climat philanthropique du XIXe siècle cherchant à limiter les désastreux effets sociaux de la nouvelle ère industrielle et de son productivisme, des comédiennes se sont attachées à soulager des souffrances, à défendre la condition des femmes et la culture pour tous. Marie Laurent (1825-1904), sœur de René Luguet, gendre de Marie Dorval*, bénéficie de l’expérience de la grande actrice. Elle appartient à la troupe de l’Odéon à partir de 1849 puis elle évolue sur d’autres scènes. Elle est de la création de François le Champi de George Sand*, des Contes d’Hoffmann de Jules Barbier et Michel Carré, de Maître Favilla de G. Sand, des Érinnyes de Leconte de Lille, de La Grand-Mère de Victor Hugo. « Marie Laurent a incarné la mère. Elle a, en fondant l’Orphelinat des arts, fait de la maternité en action. Là, elle a essuyé des larmes ; au théâtre, elle les faisait couler. » (Jules Claretie, Profils de théâtre, 1936). Pensionnaire de la Comédie-Française, Rachel Boyer (1864-1935) créa en 1913 une fondation portant son nom, l’Union des arts ; elle fut par ailleurs la vice-présidente puis la présidente de l’Orphelinat des arts. Grâce à une rente, elle institua le premier cours public et gratuit d’histoire de l’art destiné à tous ceux qui n’avaient pas la possibilité de fréquenter les musées. Marguerite Durand* eut un destin aussi contrasté. Également pensionnaire à la Comédie-Française, elle incarna à la scène des ingénues mutines et usa à la ville de ses dons de séduction auprès de personnalités politiques influentes. En 1897, elle fondait un quotidien du matin, La Fronde. Avec le soutien de Séverine* (Caroline Rémy), journaliste pionnière, elle réunit une équipe de femmes de lettres militantes ; elle finança des œuvres dont la bibliothèque publique du 13e arrondissement de Paris, dédiée à l’histoire des femmes et du féminisme, est le fleuron… Ces actrices animées par l’idée de progrès restent des modèles.
Noëlle GUIBERT
■ COQUART E., La Frondeuse, Paris, Payot, 2010.
COMENCINI, Cristina [ROME 1956]
Écrivaine et cinéaste italienne.
Diplômée de la faculté d’économie et de commerce, Cristina Comencini publie son premier roman, Les Pages arrachées (1991), sur les rapports père/fille ; puis Passion de famille (1994), sur l’enfer du jeu ; Sœurs (1997), sur les liens affectifs très étroits qui unissent des sœurs aux tempéraments opposés appartenant toutes deux à la génération de Mai 1968 ; Matriochka (2002), où la narratrice interviewe une femme peintre dont elle doit écrire la biographie et qui lui rappelle sa propre mère, qui les a abandonnés, elle et son père. D’abord coscénariste avec son père, Luigi Comencini, pour Cuore (1984) et La Storia (1985), C. Comencini réalise ensuite ses propres films : Zoo, l’appel de la nuit (1989), Les Amusements de la vie privée (1992), La fine è nota (« la fin est connue », 1993), Va’ dove ti porta il cuore (« va où ton cœur te porte », 1996), adapté du livre de Susanna Tamaro*, La Bête dans le cœur (2005). En 2006, elle publie la pièce Due partite (« deux parties »). En 2010, elle crée le groupe Di nuovo avec sa sœur Francesca Comencini*, puis elle écrit une courte pièce, Libere (« libres »), montée par des collectifs féminins, et contribue à lancer le mouvement « Si ce n’est pas maintenant, alors quand ? » autour d’un manifeste signé par quelque 50 000 femmes. Elle est ainsi à l’origine des manifestations du 13 février 2011 – plus d’un million de personnes – contre la dégradation, sous le gouvernement de Silvio Berlusconi, de la situation et de l’image de la femme en Italie.
Graziella PAGLIANO
■ Les Pages arrachées (Le pagine strappate, 1991), Lagrasse, Verdier, 1994 ; Passion de famille (Passione di famiglia, 1994), Lagrasse, Verdier, 1997 ; Sœurs (Il cappotto del turco, 1997), Lagrasse, Verdier, 1999 ; Matriochka (Matrioška, 2002), Lagrasse, Verdier, 2002.