NABUCO, Carolina (Maria Carolina NABUCO DE ARAÚJO, dite) [RIO DE JANEIRO 1890 - ID. 1981]
Écrivaine brésilienne.
Arrière-petite-fille et petite-fille de barons du côté maternel, et fille de Joaquim Nabuco, célèbre homme d’État et écrivain, Carolina Nabuco est initiée au français par sa mère et, à 9 ans, elle lit déjà dans cette langue. Elle éprouve très tôt un vif intérêt pour la littérature. La carrière diplomatique de son père la conduit à passer de longues périodes à l’étranger, où elle perfectionne sa formation intellectuelle et littéraire. Retrato dos Estados Unidos a luz da sua literatura (« portrait des États-Unis à la lumière de leur littérature », 1967) est le fruit d’un séjour aux États-Unis, où elle passe son adolescence parce que son père y est ambassadeur. Dans ce livre de critique littéraire et culturelle, outre des textes sur des auteurs tels que Edgar Allan Poe, Ralph Waldo Emerson et Walt Whitman, elle offre au lecteur brésilien un panorama de la littérature américaine et de l’histoire culturelle du pays en analysant ses différentes étapes, à partir de l’arrivée des premiers colons. Elle acquiert une grande notoriété en publiant une biographie de son père, A vida de Joaquim Nabuco (« la vie de Joaquim Nabuco », 1928), qui, d’une certaine façon, fait un peu d’ombre à sa littérature fictionnelle. Son roman le plus connu, A sucessora (« la préférée », 1934), fait l’objet d’une polémique parmi les critiques littéraires, car, peu de temps après sa publication, paraît Rebecca de Daphné du Maurier*, avec des personnages et une structure narrative très similaires. C. Nabuco publie un autre roman, Chama e cinzas (« flamme et cendres », 1947), et écrit son autobiographie, intéressante non seulement sur le plan littéraire mais aussi sur le plan historique. Dans Oito décadas, memórias (« huit décennies, mémoires », 1973), elle inscrit ses souvenirs personnels dans le contexte politique, culturel, social et économique brésilien et international. Parmi ses autres titres, se distingue Meu livro de cozinha (« mon livre de cuisine », 1977), une œuvre sociologique sur les habitudes alimentaires brésiliennes.
Regina CRESPO
NABULSI, Layla [TOURNAI 1961]
Metteuse en scène et écrivaine belgo-palestinienne.
Après des études théâtrales à Bruxelles, Layla Nabulsi participe à la création de nombreux spectacles. En 1990, elle signe son premier roman, Terrain vague, puis une nouvelle Wanoulélé, que s’est-il passé ? Le récit, monologue d’une femme rwandaise durant les massacres de 1994, recevra le premier prix de la nouvelle Radio France International en 1994, puis sera adapté au théâtre par l’auteure. Sa pièce Debout les morts (1995) a également été récompensée par de nombreux prix, dont le Grand Prix RFI/ACCT. L’écriture tragique de l’écrivaine tente de donner voix à ceux qui n’en ont pas, dans un monde envahi par l’anonymat et le silence. Elle a abondamment puisé dans le folklore arabe traditionnel, tout en le représentant de façon très novatrice.
Névine EL-NOSSERY
■ Le Peuple sans nom ou la Colère du fleuve, Carnières/Morlanwelz, Lansman, 2006.
NA CASTELOSA [LE PUY V. 1233]
Trobairitz (ou femme troubadour) française.
Plus encore que pour d’autres trobairitz, le contraste est frappant entre les maigres informations que nous livre la vida de Na Castelosa et la richesse des quatre chansons qu’on lui attribue. Comme pour la comtesse de Die*, les données biographiques se contentent de mettre en scène le triangle amoureux courtois : elles nous présentent le mari, Turc, seigneur de Meyronne (situé près du Puy-en-Velay en Haute-Loire) qui a ramené son surnom des croisades, et l’ami, Armand de Bréon dont le prénom est, par ailleurs, absent des documents qui concernent cette famille auvergnate. On peut supposer qu’elle a gravité autour de la cour de Dauphin d’Auvergne (vers 1155-1235), protecteur des troubadours et poète lui-même. La tonalité douloureuse de ses chansons a frappé les critiques au point de leur faire voir dans son comportement face à la souffrance amoureuse une forme de masochisme. Certes, elle persiste à aimer, au risque d’en mourir, celui qui la trahit et, en dépit du manque de réciprocité, elle va même jusqu’à lui demander de ne rien changer à sa conduite. On peut déceler toutefois dans cette attitude de soumission de la part de la dame, l’image inversée de l’amant chez les troubadours. Le fait de devenir le sujet et non plus seulement l’objet du discours amoureux renverse la position dominante : c’est la poétesse maintenant qui, purifiée par le martyre d’amour, se trouve exaltée et ennoblie par la souffrance.
Madeleine JEAY
■ BEC P., Chants d’amour des femmes-troubadours, Paris, Stock, 1995 ; BOGIN M., Les Femmes troubadours (1976), Paris, Denoël, 1978.
■ HUCHET J.-C., « Trobairitz : les femmes troubadours », in Voix de femmes au Moyen Âge, savoir, mystique, poésie, amour, sorcellerie, XIIe-XVe siècles, RÉGNIER-BOHLER D. (dir.), Paris, R. Laffont, 2006.
NACHED, Rafah [ALEP 1947]
Psychanalyste syrienne.
Son arrestation à l’aéroport de Damas, le 10 septembre 2011, alors qu’elle se rendait à Paris, aura suscité une vague de protestations internationales qui aura mis en lumière la barbarie et la répression qui s’abattait déjà sur une population civile en train de se révolter pacifiquement contre une dictature de plus de quarante ans. Nous en étions au tout début d’une révolution syrienne, pas encore engluée dans le sinistre piège de la guerre civile, et les morts ne se comptaient pas par dizaine de milliers. Libérée deux mois plus tard mais toujours en butte à la surveillance malveillante et aux pressions en tout genre des sbires du régime, elle continue sans bruit, mais avec un courage dont elle ne se départ pas, à écouter ceux qui peu à peu ont vaincu la peur et cherchent à faire entendre leur voix. Née à Alep, cette ville-comptoir sur la route de la soie et des épices, Rafah Nached se tourne en premier vers la philosophie. Elle l’étudiera à Beyrouth puis l’enseignera quelques années, non sans sentir le poids de la répression intellectuelle qui régnait déjà au sein même de l’Université. Suivant son mari à Paris – venu faire son doctorat en histoire ancienne et devenu depuis un assyriologue de renom –, elle commencera une formation analytique et de 1979 à 1985 fera des études de psychopathologie à l’université Paris-VII. Rentrée à Damas, et connaissant l’interdit qui pèse sur Freud et la psychanalyse, elle se lance dans une expérience novatrice, d’abord dans un hospice de personnes âgées à Alep puis dans un centre pour handicapés mentaux. À la recherche de l’homme assoupi sous le masque de la peur ou de la maladie mentale, elle formera à l’écoute de la détresse psychique des professionnels de toutes disciplines devenus bénévoles de ces associations. Souffrant eux-mêmes de la chape de plomb qui pèse sur la société syrienne, ils décidèrent d’accorder leur écoute aux plus démunis dans une expérience de solidarité qui a gagné depuis tout le pays. La création de l’École psychanalytique de Damas et de la revue Kalimat ainsi que sa pratique quotidienne, en partie clandestine, tout comme les conférences qu’elle organisera à la Maison des Jésuites à Damas sur des thèmes comme la sexualité féminine, le mysticisme ou l’inconscient, la placèrent dans le viseur d’un pouvoir qui a, depuis longtemps, compris la portée éminemment subversive de la découverte freudienne. Aujourd’hui, grâce à elle, la psychanalyse parle arabe en Syrie.
Chantal TALAGRAND
NACRO, Fanta Régina [TENKODOGO 1962]
Réalisatrice burkinabé.
Fanta Régina Nacro est originaire du Burkina Faso, considéré comme « le » pays du cinéma en Afrique grâce à l’Institut africain d’études cinématographiques (Inafec), première école du cinéma de l’Afrique subsaharienne francophone qui ouvre ses portes à Ouagadougou en 1977, et au Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco), plus grand festival de films africains créé en 1969. F. R. Nacro sera d’ailleurs élève dans la première et récompensée dans le second. Après l’obtention de son diplôme de cinéma (1986) et un travail de scripte sur Le Choix (Yam Daabo, 1986), de son compatriote Idrissa Ouédraogo, elle complète sa formation par un DEA d’études cinématographiques et audiovisuelles à Paris (1989). Comme nombre de ses consœurs sur ce continent et ailleurs, elle crée sa maison de production, Les Films du Défi, en 1993. Son premier court-métrage, Un certain matin (1992), considéré comme la première fiction réalisée par une Africaine, est primé au Festival de Carthage et lui ouvre quelques portes. Ses courts et moyens-métrages de fiction suivants (en particulier Puk Nini en 1995 et Le Truc de Konaté en 1998) confortent le succès de celle qui est dorénavant vue comme « la représentante de la Nouvelle Vague africaine ». Bintou (2001), premier de ses films sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes, remporte le Prix du meilleur court-métrage au Fespaco en 2001. Réalisé avec l’aide du Fonds Sud (CNC), son premier long-métrage de fiction, La Nuit de la vérité (2004), portant sur les conflits ethniques, confirme l’engagement de cette cinéaste contre « la cruauté et la haine de l’homme ». Distribués sur plusieurs continents, primés dans autant de festivals, ses films semblent parvenir à (ré)concilier les attentes des publics africain et européen.
Brigitte ROLLET
NADEN, Constance [BIRMINGHAM 1858 - LONDRES 1889]
Philosophe, scientifique et poétesse britannique.
Fille d’un architecte de Birmingham, Constance Naden étudie la philosophie, la logique et les sciences au Mason College. Elle déménage à Londres en 1888. Admirée d’O. Wilde, de W. Gladstone et de H. Spencer, elle est disciple du philosophe matérialiste Robert Lewins. Elle fonde une société consacrée à H. Spencer, est membre de l’Aristotelian Society et s’engage à Londres pour les droits des femmes. Dans ses poèmes, elle est attentive à la situation sociale des femmes en même temps qu’elle approfondit sa réflexion sur la science et les mœurs (Songs and Sonnets of Springtime, « chansons et sonnet du printemps », 1881 ; A Modern Apostle, The Elixir of Life, and Other Poems, « l’apôtre moderne, l’élixir de vie et autres poèmes », 1887 ; The Complete Poetical Works of Constance Naden, « œuvres poétiques complètes de Constance Naden », 1894). En philosophie, pour sortir de l’opposition entre idéalisme et matérialisme, elle propose « l’hylo-idéalisme », selon lequel le psychique n’est pas distinct du matériel. Son but est de montrer la nature humaine « non comme une dualité, mais comme une unité sous différents aspects », qui relie le soi et l’autre.
Amanda GIBEAULT
■ The Complete Poetical Works of Constance Naden. Londres, Bickers & Son, 1894.
■ Avec ARDEN C., « The identity of vital and cosmical energy », in The Journal of Science, vol. XIX, 1882.
NÂDIYA (Nadia ZIGHEM, dite) [TOURS 1973]
Chanteuse française.
Promise à un avenir sportif de haut niveau – en 1989, elle est championne de France junior du 800 mètres –, Nâdiya abandonne pourtant la compétition et, inspirée par Barry White, Whitney Houston et Aretha Franklin*, se tourne vers la chanson. En 1997, après avoir participé au télé-crochet Graine de star, elle grave son premier single qui passe inaperçu. En 2000, un duo avec Stomy Bugsy et l’enregistrement de son premier opus Changer les choses favorisent son retour. Elle décroche une Victoire de la musique à la sortie de son deuxième album 16/9 dont sont extraits les tubes Parle-moi et Et c’est parti : elle impose ainsi une présence féminine dans le milieu très masculin du rap, du hip-hop et du R’n’B. Le conte de fées se poursuit avec Roc et Amies-ennemies qui caracolent en tête des hit-parades. En 2008, dans son dernier album Électron libre, elle travaille avec Enrique Iglesias et chante un duo avec l’une des chanteuses de Destiny’s Child. Elle incarne, à ce jour, la chanteuse de R’n’B la plus populaire en France.
Anne-Claire DUGAS
■ La Source, Columbia, 2007.
NAGEL, Hanna [HEIDELBERG 1907 - ID. 1975]
Graveuse et dessinatrice allemande.
Fille d’une institutrice et d’un commerçant, Hanna Nagel suit une formation de relieuse avant de s’inscrire à l’Académie des beaux-arts de Karlsruhe en 1919. Cette institution ayant mis en place, dès le début du siècle, un atelier de gravure et de lithographie, la jeune artiste se tourne assez naturellement vers ces techniques dans lesquelles elle fait preuve d’une grande habileté. Elle fréquente les cours de Walter Conz, de Wilhelm Schnarrenberger et surtout de Karl Hubbuch, chef de file de la branche badoise de la Nouvelle Objectivité (Neue Sachlichkeit), courant allemand d’après-guerre, qui met l’accent sur une représentation vériste du monde contemporain. Commence alors une première période dans l’œuvre de l’artiste : elle suit l’exemple de son professeur tant dans le choix des thèmes, à fort contenu social, que dans le style vif et tranchant, généralement peu flatteur pour les modèles. Mais, contrairement à K. Hubbuch, elle choisit de traiter ces figures seules, isolées de leur environnement, leur donnant ainsi une étrange présence (Zigeunerin [« gitane »], galerie Hasenclaver, Munich, 1928 ; Mädchen mit Blauem Mantel [« jeune fille au manteau bleu »], The Art Institute, Chicago, 1929). En 1929, elle s’installe à Berlin, où elle fréquente les cours de Hans Meid et d’Emil Orlik à l’Académie des beaux-arts. Elle épouse en 1931 le peintre Hans Fischer. C’est la fin de sa période vériste. Avec les cours d’E. Orlik, et plus encore après son mariage, elle préfère à la gravure le dessin à la plume et change sa manière du tout au tout. À la représentation de la réalité succède la mise en scène d’un monde intérieur. En 1933, elle obtient le prix de Rome et, Hans Fischer l’ayant reçu peu après, tous deux s’installent durant deux ans dans la capitale italienne. De retour en Allemagne, elle commence un travail d’illustration, d’auteurs russes en particulier, qu’elle ne cessera plus jusqu’à sa mort. En 1937, elle obtient une médaille d’argent dans la section graphique de l’Exposition internationale de Paris. L’un des chefs-d’œuvre de cette seconde période est l’interprétation libre qu’elle donne des préludes de Chopin dans une série de dessins réalisés en 1945. En 1998, la ville de Karlsruhe a créé un prix Hanna-Nagel destiné à récompenser chaque année une artiste de plus de 40 ans.
Marie GISPERT
■ Hanna Nagel, Zeichnungen und Lithographien (catalogue d’exposition), Hagen, Karl Ernst Osthaus-Museum, 1972 ; Hanna Nagel, Das frühe Werk (catalogue d’exposition), Fribourg, K. Schilinger, 1975 ; Hanna Nagel, Frühe Werke, 1926-1933 (catalogue d’exposition), Karlsruhe, Städtische Galerie, 2007.
■ Allemagne années 1920, la Nouvelle Objectivité (catalogue d’exposition), Paris/Grenoble, Réunion des musées nationaux/Musée de Grenoble, 2003.
NAGIB, Lúcia [SÃO PAULO 1956]
Historienne du cinéma et critique brésilienne.
Après une licence de droit à l’université de São Paulo, une intense activité de critique cinématographique et de traductrice (elle traduit au Brésil des ouvrages de Werner Herzog, Lotte Eisner*, Peter Buchka, Paulo Emilio Salles Gomes et Donald Richie), Lúcia Nagib se consacre à une série de travaux importants sur, notamment, les cinémas allemand, japonais et brésilien. Elle dirige en 1990 deux volumes collectifs sur Ozu Yasujiro (Ozu - o extraordinário cineasta do cotidiano) et Mizoguchi Kenji (Mestre Mizoguchi - uma lição de cinema), avant de publier deux études remarquables, issues de thèses universitaires, sur W. Herzog (Werner Herzog – o cinema como realidade, 1991) et Oshima Nagisa (Nascido das Cinzas – Autor e Sujeito nos Filmes de Oshima, 1995), ainsi qu’un profitable volume d’entretiens (Em torno da nouvelle vague japonesa, 1993) avec sept cinéastes japonais – Oshima, Shinoda Masahiro, Imamura Shohei, Hani Susumu, Yoshida Kijû, Suzuki Seijun et Teshigahara Hiroshi. Elle dirige ensuite deux volumes collectifs autour du cinéma brésilien contemporain, O cinema da retomada : depoimentos de 90 cineastas dos anos 90 (2002) et The New Brazilian Cinema (2003), et publie en portugais, puis en anglais un recueil d’essais sur la question de l’utopie dans le cinéma brésilien, A utopia no cinema brasileiro : matrizes, nostalgia, distopias (2006)/Brazil on Screen : Cinema Novo, New Cinema, Utopia (2007). La pluralité de ses intérêts ainsi que le cosmopolitisme de ses recherches et de ses publications lui ont valu de devenir en 2005 professeur de World Cinema (« cinémas du monde ») à l’université de Leeds, en Grande-Bretagne, où elle dirige également un centre d’études sur ce sujet, et fait preuve d’un très intense effort de réflexion, qui a débouché sur Realism and the Audiovisual Media (codirigé avec Cecília Mello, 2009), Theorizing World Cinema (codirigé avec Chris Perriam et Rajinder Dudrah, 2011), World Cinema and the Ethics of Realism (2011) et Impure Cinema : Intermedial and Intercultural Approaches to Film (avec Anne Jerslev, 2013).
Mateus ARAUJO SILVA
NAGL-DOCEKAL, Herta [WELS, AUTRICHE 1944]
Philosophe autrichienne.
Professeur émérite de l’Institut de philosophie de l’université de Vienne, membre de l’Académie autrichienne des sciences et de l’Institut international de philosophie de Paris, Herta Nagl-Docekal est depuis 2008 vice-présidente de la Fédération internationale des sociétés de philosophie. Elle a été professeur invité dans les universités d’Innsbruck, d’Utrecht, de Francfort-sur-le-Main, de Constance, de Saint-Petersbourg et à l’université libre de Berlin. Son rayonnement est international, surtout en Amérique du Nord et du Sud, en Chine, au Japon et en Corée du Sud. Ses domaines de recherche dans le champ de la philosophie pratique couvrent la philosophie de l’histoire, de la religion, du droit, de la morale, et la philosophie politique. H. Nagl-Docekal donne des orientations décisives à la philosophie féministe en revendiquant une transformation de toutes les disciplines partielles de la philosophie dans la perspective de l’égalité des sexes (Feministische Philosophie, Ergebnisse, Probleme, Perspektiven, « philosophie féministe, résultats, problèmes, perspectives », 2000). Elle est très active dans la discussion initiée par Jürgen Habermas et qui porte sur une transposition des motifs normatifs de la religion dans la langue séculaire, où elle relève cependant un manque de différenciation entre les trois domaines du droit, de la morale et de la religion. Elle propose une relecture de la conception kantienne de la raison. Dans des contributions plus récentes, elle met l’accent sur la notion d’amour en se référant à Hegel : « L’amour en tant que reconnaissance réciproque sert d’échelle critique pour mettre à nu la dureté de cœur des préjugés sociaux. » Pour ses ouvrages, H. Nagl-Docekal a obtenu le prix Käthe-Leichter (1997) et le Prix pour les sciences humaines et sociales (Vienne, 2009).
Brigitte BUCHHAMMER
■ Postkoloniales Philosophieren : Afrika (« philosophie postcoloniale : Afrique »), Vienne, Oldenbourg Wissenschaftsverlag, 1992 ; Continental Philosophy in Feminist Perspective, University Park, Pennsylvania State University Press, 2000 ; Geschichtsphilosophie und Kulturkritik, Damstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 2003 ; Glauben und Wissen, Ein Symposium mit Jürgen Habermas, Berlin, Oldenbourg Akademieverlag, 2007 ; Hegel Ästhetik als Theorie der Moderne, Berlin, Oldenbourg Akademieverlag, 2013.
NAGLEROWA, Herminia [ZALISKI 1890 - LONDRES 1957]
Femme de lettres polonaise.
La carrière littéraire de Herminia Naglerowa commence dans la Pologne de l’entre-deux-guerres avec un recueil de poèmes, Otwarte oczy (« les yeux ouverts », 1921), et des recueils de nouvelles que la critique loue pour leur peinture, entre réalisme et expressionnisme, de la grisaille quotidienne de gens sans histoires : Czarny pies (« le chien noir », 1924), Matowa kresa (« un trait couleur mat », 1929). Cette tendance se confirme dans son roman en trois tomes, Krauzowie i inni (« les Krauze et les autres », 1936), vaste saga familiale sur fond d’événements historiques. Membre actif de l’Union des écrivains et du Pen Club polonais, H. Naglerowa collabore en même temps activement avec plusieurs revues. Arrêtée par le NKVD (police politique russe) en 1940 et déportée au Kazakhstan, elle est libérée en 1941, après la normalisation des relations entre la Pologne et l’Union soviétique. Elle intègre alors l’armée polonaise, en train de se former en Union soviétique, sous le commandement du général Anders. Elle y fait partie d’une unité composée de femmes, la Pomocnicza służba kobiet, (« service d’assistance féminine ») et anime, dans ce cadre, plusieurs revues destinées aux membres de l’armée. Elle écrit également une pièce à destination des troupes : Tu jest Polska (« c’est ici qu’est la Pologne », 1942). Évacuée avec son corps en Perse en 1942, elle suit ce dernier jusqu’en Italie et s’installe, après la guerre, en Grande-Bretagne. Dans ses œuvres, elle décrira désormais des destinées de déportées et de prisonniers, et s’appuiera souvent sur ses propres souvenirs : Ludzie sponiewierani (« les gens opprimés », 1945), réédité sous le titre de Kazachstanskie noce (« nuits du Kazakhstan », 1958), Sprawa Józefa Mosta (« l’affaire Józef Most », 1953), Wspomnienia o pisarzach (« souvenirs autour d’écrivains », 1960), et Wierność życiu (« fidélité à la vie », 1967) qui dépeint de manière suggestive une communauté de femmes enfermées dans une prison soviétique.
Anna SAIGNES
■ KAZIMIERCZYK B., « Sprawa naglerowej », in Odrodzenie, no 32, 1988 ; MIKULEC W., « Paradoks nieobecności Naglerowej, W setną rocznicę urodzin », in Koniec wieku, no 1, 1990.
NAGY, Kriszta (ou Tereskova) [SZOLNOK, JÁSZ-NAGYKUN-SZOLNOK 1972]
Chanteuse et artiste visuelle hongroise.
De 1991 à 1998 Kriszta Nagy fait des études de peinture et d’intermédia à l’Académie hongroise des beaux-arts. Sous le nom de Tereskova (du nom de la première cosmonaute, Valentina Terechkova*), elle est chanteuse du groupe qui porte le même nom. Dans le domaine des beaux-arts, sa première œuvre étonnante est sa série de photographies 200 000 HUF (1997), évoquant Vénus en manteau de fourrure de Rubens, où elle pose elle-même à la manière de Vénus, exposant des seins nus différents sur chacune des six photos. Sur une affiche géante (1998), elle accompagne une photo parodiant une publicité de lingerie de la légende : « Je suis une peintre contemporaine ». Les textes et les images participent à égalité aux messages de ses dessins, photos et peintures. Ses tableaux, semblables à des dessins d’enfants, sont couverts de phrases tracées d’une écriture enfantine qui évoquent des fragments de journaux intimes. Son attitude artistique se définit par l’adoption successive de rôles différents ; la créatrice s’intéresse à des thèmes qui renvoient les uns aux autres : le corps féminin, l’identité ou le comportement sexuel, l’art et le marché d’art, la situation de la femme artiste, l’art comme marchandise, les médias et le capitalisme. À côté de ses projets provocants, elle recourt aux médias pour toucher un large public avec ses créations subversives.
Erzsébet TATAI
■ BENCSIK B. (dir.), Nagy Kriszta x-T Eddig, Budapest, ACAX-WAX, 2007.
NAGY, Zsuzsa L. [BUDAPEST 1930 - ID. 2010]
Historienne hongroise.
Fille d’un officier de l’armée, Zsuzsa Nagy étudie l’histoire à la faculté de philosophie de l’université Loránd-Eötvös dont elle est diplômée en 1953. En 1964, secrétaire de la Société historique hongroise, elle obtient le grade intermédiaire de la prestigieuse Académie des sciences dont elle est docteure en 1976. De 1953 à 1992, elle est membre de l’institut des études historiques de cette même académie, dont elle devient conseillère scientifique. De 1987 à 1997, elle enseigne à l’université Lajos-Kossuth (université de Debrecen) et préside un temps le département d’histoire. Elle est également membre correspondant de la Royal Historical Society de Londres. Historienne prolifique, spécialiste de la franc-maçonnerie, Z. Nagy se spécialise dans l’histoire politique, sociale et culturelle de l’entre-deux-guerres. Elle travaille sur l’opposition libérale bourgeoise et sa base populaire, ainsi que sur la franc-maçonnerie moderne. Elle étudie également la politique de la municipalité de Budapest, la classe dirigeante de la capitale et le niveau de vie des artisans et des commerçants de Hongrie. Elle publie une vingtaine de monographies et plus d’une centaine d’essais. Ses livres les plus importants sont : A párizsi békekonferencia és Magyarország, 1918-1919 (« la Conférence de la Paix, 1918-1919 », 1965), Két háború között, Magyarország krónikája (« entre les deux guerres, chronique hongroise », 1992) et Várospolitika és városatyák Budapesten, 1873-1941 (« politique urbaine et pères de Budapest », 1992). Elle fait œuvre pionnière en mettant au jour les caractéristiques du libéralisme hongrois à Budapest et dans tout le pays (The Liberal Opposition in Hungary, 1919-1945, 1983). Elle explore également les racines de la franc-maçonnerie hongroise dans Szabadkőművesség a XX. században (« la franc-maçonnerie au XXe siècle », 1977) et Szabadkőművesek (« francs-maçons », 1988). Elle a reçu plusieurs distinctions dont, en 1998, le prix Arnold-Ipolyi « pour le développement de la science ».
Mária PALASIK
■ ANGI J., BARTA J. (dir.), Emlékkönyv L. Nagy Zsuzsa 70. születésnapjára, Debrecen, Multiplex Media-DUP, 2000 ; PALASIK M., « Nagy Zsuzsa L. », in BALOGH M., PALASIK M.(dir.), Nők a magyar tudományban, Budapest, Napvilág Kiadó, 2010.
NAGYAJTAI, Teréz (née PAUSPERL) [ZALATNA, ROUMANIE 1897 - BUDAPEST 1978]
Décoratrice et costumière hongroise.
Teréz Nagyajtai fait ses études à l’École supérieure d’arts décoratifs et commence sa carrière à l’Opéra de Budapest en 1926, sous la direction de Gusztáv Oláh qui est peintre, musicien et qui introduit toute une série de solutions techniques modernes pour renouveler les spectacles lyriques. Elle reste au Théâtre national de 1928 à 1965. Figure déterminante, c’est elle qui fait, jusqu’en 1948, les costumes de presque tous les spectacles. Puis d’autres théâtres, à Budapest et en province, l’invitent à travailler. En tant que décoratrice sollicitée et comme professeure de l’École supérieure d’arts décoratifs, elle transmet son savoir-faire aux générations suivantes. Entre 1964 et 1973, elle est également costumière au théâtre Kisfaludy Károly à Győr. Un talent de dessinateur, un sens du style sans défaut et une richesse en couleurs caractérisent son travail et, pendant des décennies, elle suit les changements de style des metteurs en scène. Ses dessins, plans de travail et aquarelles sont conservés à l’Institut d’histoire du théâtre hongrois.
Anna LAKOS
NAHEED, Kishwar [BULANDSHAHR, INDE 1940]
Poétesse pakistanaise.
Kishwar Naheed figure parmi les pionnières de la poésie féministe. Témoin des violences (enlèvement de jeunes filles et viols) qui ont émaillé la partition de 1947, elle a pris le chemin de l’émigration en 1949, sa famille s’étant résolue à s’installer au Pakistan. Comme nombre de jeunes filles de sa génération, elle a suivi une scolarité atypique. Éduquée dans le cadre domestique, elle a complété son cursus scolaire grâce à des cours par correspondance et s’est ensuite inscrite à l’université du Pendjab à Lahore, dont elle est sortie titulaire d’une maîtrise d’économie. Mariée au poète Yousuf Kamran, elle a mené de front une vie de mère de famille et une carrière institutionnelle qui l’a amenée à différents postes de responsabilités officielles. Directrice générale du Conseil national des arts, elle s’est en parallèle investie dans la gestion du magazine littéraire Mahe Now, s’efforçant de soutenir les différentes communautés littéraires et linguistiques avec lesquelles elle se trouvait en contact. S’agissant du secteur humanitaire, K. Naheed est directement à l’origine de la création de l’ONG Hawwa (Eve), qui assiste les femmes financièrement dépendantes en commercialisant les produits artisanaux de leur travail. Au cours de sa longue carrière de poétesse de langue ourdou, elle a publié pas moins de six volumes regroupant ses œuvres. Un bon nombre de ces dernières ont été traduites en espagnol et en anglais. Son poème le plus célèbre s’intitule « Nous les pécheresses ». Comme d’autres textes de son cru, cette œuvre ose aller au-delà des restrictions traditionnellement imposées aux voix féminines et traite de thèmes comme la sexualité ou les injustices. L’auteure elle-même en a convenu : écrire au grand jour sur ces sujets représente pour elle un moyen de secouer le joug de la tradition et de faire évoluer les relations hommes-femmes dans son pays. K. Naheed s’est également illustrée en produisant des textes destinés aux enfants. Son recueil Dais dais ki kahanian (« nouvelles de tous pays », 1995) s’est vu récompensé par l’Unesco.
Roshan GILL
■ Dais Dais Ki Kahanian, Lahore, Sang-e-Meel Publications, 1995 ; Aankh Macholi, Lahore, Sang-e-Meel Publications, 1996.
NA HYESÔK [SUWON 1896 - SÉOUL 1947 ou 1948]
Romancière et peintre coréenne.
Na Hyesôk appartient à la première génération des écrivaines et féministes modernes, aux côtés de Kim* Myôngsun et de Kim* Wônju. Son nom de plume est Chôngwôl. Dès 1914, elle publie, dans Hakchikwang, une revue littéraire d’étudiants coréens au Japon, Isangjôk puin (« femme idéale »), probablement le premier essai féministe. Sa nouvelle Kyônghûi paraît dans Yôjagye, en 1918. Le pendant de Hakchikwang, cette revue créée en 1917, est celle de l’Association des étudiantes coréennes au Japon, dont Na Hyesôk est devenue secrétaire générale à un moment où les déclarations en faveur de l’indépendance se multiplient (la Corée est sous la botte japonaise depuis 1905), provoquant la répression policière. L’auteure sera détenue pendant cinq mois à la suite du mouvement indépendantiste de mars 1919. En raison de ses relations avec un étudiant coréen au Japon, son père l’oblige à rentrer pour la marier, ce à quoi elle échappe en prenant un poste d’institutrice. Son héroïne Kyônghûi, issue comme elle d’une bonne famille, tente de résister au mariage arrangé par son père. Elle s’affirme comme une personne à part entière, capable et libre de prendre ses propres décisions. La communauté de pensée avec les nouvelles de Kim Wônju et de Kim Myôngsun, ainsi qu’avec le texte fondamental de Yi Kwangsu, Chosôn kajôngûi kaehyôk (« réforme de la famille coréenne », 1916), est flagrante. Na Hyesôk souligne à la fois un véritable problème et un mouvement de fond chez les jeunes modernes, et pas seulement chez les femmes. Caricaturiste et peintre de talent (elle sera la première femme à vivre de son art), elle participe à l’expérience brève mais essentielle, pour elle comme pour le pays, du premier journal féminin, Sinyôja (« femme nouvelle »), créé en 1920 d’après Seito, la revue de la féministe japonaise Hiratsuka* Raicho. Fermé après quatre numéros, Sinyôja a le temps de donner le la des revendications féminines et des devoirs des écrivaines : défendre les femmes, soutenir leur émancipation grâce à l’enseignement, accompagner l’éveil national moderne d’une prise de conscience des femmes. Na Hyesôk y publie son premier essai, Sanyônjônûi ilgi chung’esô (« extrait de mon journal d’il y a quatre ans »). Ayant bénéficié d’études à l’étranger, elle devient rapidement une figure importante des lettres et du féminisme. Elle continuera à peindre et à écrire après son mariage en 1920. Puis elle rejoint la revue passablement pessimiste P’yehô (« ruines »), où elle publie des poèmes. Un tour du monde avec son mari accentue chez elle l’intérêt pour les arts occidentaux et un mode de vie plus libéral. Son divorce tourne au scandale et elle perd tout droit de revoir ses enfants. Sous l’influence de la féministe Kim Wônju, elle s’intéresse au bouddhisme en tant que moyen de surmonter ses difficultés personnelles. Elle continue à lutter, et Ihon kobaekchang (« confessions sur mon divorce », 1934) condamne l’hypocrisie sociale. La réprobation publique est quasi unanime. La revue moderniste Samch’ôlli, acceptant ses articles sur ses voyages et sur les questions féminines, lui permet néanmoins de vivre. En 1937, elle écrit sa dernière nouvelle, Ômôniwa ttal (« mère et fille »), traitant à nouveau du mariage, puis elle passe l’essentiel du reste de sa vie dans des temples.
Patrick MAURUS
■ KIM Y.-H., « A Critique of Traditional Korean Family Institutions : Kim Wônju’s “Death of a Girl” », in Korean Studies, U. Hawai’i Press, 1999 ; ID, « Creating New Paradigms of Womanhood in Modern Korean Literature : Na Hye-sôk’s Kyônghûi », in Korean Studies, University of Hawai’i Press, vol. no 26, 2002.
NAIDU, Sarojini [HYDERABAD 1879 - LUCKNOW 1949]
Poétesse indienne d’expression anglaise.
À la fois poète, leader politique, oratrice talentueuse et féministe avant la lettre, Sarojini Naidu est la première femme indienne à présider le Congrès et à être élue gouverneur d’un État de l’Inde indépendante. Fille de lettrés brahmanes bengalis, elle grandit dans un milieu très cultivé, et elle est façonnée à la fois par la riche culture musulmane d’Hyderabad par l’ethos hindou traditionnel de sa famille et par les influences occidentales de son instruction et de ses années d’études en Angleterre. Sa poésie, beaucoup lue, continue de l’être par des gens qui ne connaissent pas forcément d’autres poèmes en anglais mais apprécient la richesse des images, la délicatesse de ses vers et leur rythme cadencé, proche de la chanson. Comme Toru Dutt*, à qui on l’associe, elle a écrit une œuvre poétique en anglais, publiée en Angleterre, à une époque où très peu d’Indiennes avaient accès à l’instruction. Après la ferveur nationaliste, son œuvre a cependant essuyé de vives critiques, accusée d’être écrite pour un public occidental et de véhiculer une vision exotique, homogénéisante et idéalisée de l’Inde. Le critique Edmund Gosse l’a exhortée à être « une authentique poétesse du Deccan ». S. Naidu semble avoir suivi ce conseil et « indianisé » ses vers. Les tisserands, les porteurs de palanquins, les vendeurs de bracelets, les héroïnes des grandes épopées indiennes sont le sujet de ses poèmes qui empruntent au folklore et à la mythologie religieuse. L’univers est raffiné, l’atmosphère est lyrique, passionnée, sentimentale, et les formes métriques font écho à la poésie romantique britannique. Cette œuvre s’inscrit néanmoins dans une tradition indienne qui tire ses influences de la poésie persane et du ghazal ourdou, du formalisme sanskrit et de la poésie vishnouite. Après sa rencontre en 1914 avec Gandhi, dont elle est une ardente disciple, elle abandonne la poésie pour s’engager dans le mouvement pour l’indépendance et devient l’égérie du Congrès. Elle est emprisonnée trois fois. Son œuvre prend alors une résonance nationale et l’épithète « Rossignol de l’Inde » dont Gandhi la baptise, fait d’elle une personnalité publique à part, très populaire.
Laëtitia ZECCHINI
■ The Golden Threshold, Londres, Heinemann, 1905 ; The Bird of Time, Londres, Heinemann, 1912 ; The Broken Wing, Londres, Heinemann, 1917.
NAIM, Yael [PARIS 1978]
Auteure-compositrice-interprète franco-israélienne.
Née à Paris, Yael Naim grandit en Israël et, selon la légende, décide d’apprendre le piano après avoir visionné le film de Milos Forman, Amadeus. Dix années de conservatoire, une sensibilité pour les Beatles mais aussi pour Aretha Franklin* et Joni Mitchell* complètent sa formation. En 2000, après sa participation à un concert caritatif parisien, elle rencontre Élie Chouraqui qui l’engage dans ses comédies musicales, Les Dix Commandements puis Gladiator, et lui commande une chanson pour son film Harrison’s Flowers. En 2004, elle croise David Donatien, percussionniste de Bernard Lavilliers. Il la persuade de chanter en hébreu et, par une orchestration diversifiée, offre une dimension plus colorée à ses compositions folk intimistes. L’alchimie entre les deux sensibilités donne naissance à Yael Naim, un album au succès international, porté notamment par le single New Soul que la marque Apple choisit comme bande sonore d’une publicité. Y. Naim sort en 2010 un nouvel opus, She Was a Boy, où sa voix limpide et un brin mélancolique est à nouveau magnifiée par un arrangement musical subtil.
Anne-Claire DUGAS
■ Yael Naïm, Tôt ou tard, 2007.
NAIR, Mira [ORISSA 1957]
Réalisatrice et productrice indo-américaine.
Ayant résidé aux États-Unis puis en Afrique du Sud, Mira Nair, la plus célèbre des cinéastes non-resident Indian (« Indiens vivant à l’étranger »), qui produit elle-même ses films, reste profondément attachée à l’Inde, dont elle a fait l’objet ou le contexte de toute son œuvre. Après des études à Harvard, elle entame une carrière de documentariste (avec notamment India Cabaret, en 1985, sur les strip-teaseuses de Bombay), puis se tourne rapidement vers la fiction avec un premier long-métrage en 1988 : Salaam Bombay !, description très réaliste du quotidien des enfants des rues dans la capitale économique de l’Inde, qui remporte la Caméra d’or à Cannes. Le scénario a été écrit par sa collaboratrice attitrée, Sooni Taraporevala. La cinéaste ne cesse ensuite de mêler sa culture indienne et la liberté d’expression dont elle bénéficie en Occident – ses films sont soumis à une sévère censure dans son pays d’origine – pour créer des films aussi divers et provocateurs que Kama Sutra, une histoire d’amour (Kama Sutra : A Tale of Love, 1996), qui raconte la rivalité sexuelle entre deux amies d’enfance, sans la pudeur caractéristique des productions de Bollywood, ou Le Mariage des moussons (Monsoon Wedding, 2001), Lion d’or à Venise, comédie de mœurs moquant la tradition des mariages arrangés. La plupart de ses œuvres, même hollywoodiennes comme Mississippi Masala (1991), sur l’exil d’une famille indienne d’Ouganda aux États-Unis, traitent du déracinement et du choc des cultures. M. Nair trouve ainsi chez l’auteur de Vanity Fair, William M. Thackeray – Britannique ayant longtemps vécu en Inde au XIXe siècle –, une excellente occasion de construire un pont entre Orient et Occident. Malheureusement, son adaptation de cette œuvre, Vanity Fair, la foire aux vanités, sortie en 2005, échoue sur une fresque historique confuse, peu révélatrice de ses intentions. Elle réalise alors son film le plus personnel, Un nom pour un autre (The Namesake, 2006), adapté du best-seller de Jhumpa Lahiri*, qui évoque la crise identitaire d’un jeune Indien né aux États-Unis, tiraillé entre des origines sans cesse rappelées par ses parents et la culture qu’il s’est forgée à l’école américaine. Plus que de mettre en scène une simple histoire, il s’est agi pour la réalisatrice de fixer sur pellicule la contradiction inhérente à son univers, entre exacerbation de l’appartenance et aspiration à l’universalité.
Ophélie WIEL
NAITÔ, Rei [HIROSHIMA 1961]
Sculptrice et artiste multimédia japonaise.
Connue pour ses installations, Rei Naitô apprend le design à l’université d’art Musashino. À l’issue de ses études, elle présente Apocalypse Palace (1985-1987), qui s’apparente à un jardin miniature construit comme un autel rituel ; tel un sanctuaire érigé dans l’espace quotidien, l’œuvre invite à une méditation. Mais c’est avec Chijyô ni hitotsuno basho o (« une place sur la terre », 1991-2003) qu’elle se fait connaître auprès d’un large public. Cette célèbre installation, qui a fait le tour du monde, et dont la visite est limitée à une seule personne, est conçue comme un utérus et séparée de l’extérieur par des rideaux. Cette présentation a deux buts : garantir à chaque visiteur une liberté totale et le laisser seul face à l’œuvre, comme s’il était face à lui-même ou face au monde. Ses installations plus récentes renoncent à l’espace fermé et aspirent à dialoguer avec l’espace-temps d’origine qui les accueille. Takusan no mono ga yobidasareteiru (Being Called, 1997) est réalisé à Francfort, dans le cloître d’un couvent carmélite, dont les murs sont ornés d’une fresque du XVe siècle : 300 oreillers d’organdi alignés appellent aussi bien les vivants que les morts, l’œuvre laissant ainsi intervenir l’imprévisible. Réalisée sur la petite île japonaise de Naojima, sa première installation permanente atteste aussi de cette ouverture : Konokoto Wo (2001), une vieille maison datant du XVIIIe siècle que R. Naitô a rénovée pendant six mois, est devenu un espace d’installation, lieu d’échanges avec le monde extérieur et le présent. Situé en bord de la mer, Henrei (« cadeau en retour », 2005-2006) est composé d’un long tuyau dans lequel le souffle du visiteur peut provoquer des vagues sur la surface de la mer. Les œuvres de R. Naitô présentent de façon dramatique les contrastes entre le permanent et l’éphémère, la fragilité et la puissance, la fiction et la réalité – des contrastes entre lesquels s’insère la vie humaine. Elles ne sont pas conçues à partir d’a priori : le sens vient les habiter lorsque chaque spectateur y découvre le bonheur de la vie.
OGAWA MIDORI
■ Sekai ni yotte mirareta yume, Tokyo, Kadokawa-shoten/Chikuma-bunko, 1990 ; Chijyô ni hitotsuno basho o (catalogue d’exposition), Tokyo, Chikuma-bunko, 2002 ; avec NAMAKURA T., Bokei Tetsutarô, Tokyo, Sayû-sha, 2009.
NAJLIS, Michèle [GRANADA, NICARAGUA 1946]
Écrivaine et théologienne nicaraguayenne.
D’ascendance française et d’origine juive, Michèle Najlis devient théologienne du centre œcuménique Antonio-Valdivieso. Partisane puis opposante à la politique sandiniste, elle produit une œuvre qui reflète les deux périodes de la littérature nicaraguayenne marquées par la révolution. Son premier recueil de poésie, El viento armado (« le vent armé », 1969), paraît alors que le Front sandiniste de libération nationale, face au dictateur Anastasio Somoza, commence à élaborer son programme. Préfigurant les préoccupations du Front des étudiants révolutionnaires de l’Université nationale autonome du Nicaragua, son œuvre développe les thèmes de la révolution armée, de la violence et de la recherche de la justice, ce qui la situe dans le courant de la poésie « extérieuriste », de caractère nationaliste et antidictatorial, dont l’objectif principal est la mise au point d’un projet de libération. En 1972, M. Najlis émigre au Costa Rica, où elle collabore indirectement à la lutte des sandinistes. De retour au Nicaragua en 1979, après le renversement de Somoza, elle occupe le poste de première directrice du ministère de la Migration et des Affaires étrangères, sur l’invitation de Tomas Borge. En 1981, elle publie son deuxième recueil de poèmes, Augurios (« présages »), annonçant la littérature post-sandiniste, qui s’achemine vers la rupture avec le projet politique de l’époque. En 1988, après avoir collaboré au Nuevo Diario (« nouveau journal ») et avoir été conseillère du ministère de l’Éducation, encore dirigé par le théologien de la libération Ernesto Cardenal, elle s’initie à la prose, dans son livre Ars combinatoria (« art combinatoire », 1988), mettant en évidence l’appropriation d’un langage métaphorique, psychologisant et individuel, ne respectant plus les règles poétiques extérieuristes et s’appropriant une tradition érudite et classique. Désormais, les titres en latin, la réinterprétation de la mythologie grecque, les constantes allusions aux mathématiques et à la physique marquent une période poétique qui culmine avec Cantos de Ifigenia (« chants d’Iphigénie », 1991) et son livre inédit, Salmos desde la muerte (« psaumes d’outre-tombe »). En souvenir de la révolution, elle publie, la même année, une sélection d’articles journalistiques écrits entre 1982 et 1987 : Caminos de la estrella polar (« chemins de l’étoile polaire »).
Silvia COLMENERO MORALES
NAKAJIMA SHŌEN (ou TOSHIKO) VOIR KISHIDA TOSHIKO
NAKAYAMA MIKI [NARA 1798 - ID. 1887]
Fondatrice de la religion tenrikyō japonaise.
Née dans une riche famille de propriétaires terriens à Yamato (Nara), Nakayama Miki est mariée à l’âge de 13 ans à Nakayama Zenbeï. En 1838, alors qu’elle tenait le rôle de prêtresse pour guérir une personne de sa famille, elle entendit une voix qui disait : « Je suis le Dieu de l’origine, le Dieu réel. Je descends maintenant sur terre pour sauver le monde. » La période où elle ouvre une nouvelle religion issue du shinto, le tenrikyò correspond à celle où le gouvernement de Meiji (1868-1912) libéra le shinto de sa position subordonnée au bouddhisme, en lui donnant le statut de « shinto national » (kokka-shinto) qui servira de fondement idéologique à l’Empire japonais. Au milieu du XIXe siècle (de la dernière période d’Edo aux premières années de Meiji), sont apparues de nombreuses religions populaires. Parmi ces nouvelles branches appelées « kyouha-shinto », le Tenrikyō, qui est le seul à avoir eu une femme comme fondatrice, devint le plus puissant. L’expérience lui ayant montré que les biens suscitent le malheur, Nakayama Miki recommande d’abord l’abandon de la fortune. Le nombre des croyants a augmenté du fait de l’aide qu’elle a apportée aux gens. Elle se penche sur le sort des femmes aux prises avec les douleurs de l’accouchement, les rassure en conjurant leur peur par la prière et une amulette appelée « obiya-yurushi ». Elle a également soigné des lépreux. Pour Nakayama Miki, c’est à partir de la pauvreté qu’on peut atteindre le bonheur et établir le hinokishin. Ce principe de pauvreté reflète la situation de l’humanité qui souffre des guerres, des maladies et des désastres. Le salut de Dieu est ici représenté comme un balai qui éloigne le malheur en faisant sortir du cycle de la réincarnation. Le dogme du Tenrikyō a été rédigé entre 1866 et 1882 et comporte deux canons, Mikagurauta (« les chants de Mikagoura ») et Ofudesaki (« le style »). La vie et la pratique religieuses de Nakayama Miki sont à l’opposé de la modernisation de l’époque Meiji, totalement dirigée par des hommes.
OHASHI KANTARO
■ Mikagurauta/Ofudesaki, S. Murakami (éd.), Tokyo, Heibon-sha, 1977.
■ IKEDA S., Nakayama miki no sokuseki to gunzo, Tokyo, Akashi Shoten, 2007.
NAKOU, Lilika [ATHÈNES V. 1899 - ID. 1989]
Écrivaine et journaliste grecque.
Issue d’une famille d’hommes politiques et de lettrés, Lilika Nakou grandit à Athènes et, à partir de 1911, à Genève, après le divorce de ses parents. En 1923, elle s’installe à Paris, fait la connaissance d’intellectuels français (Romain Rolland, Henri Barbusse, André Gide) et, dès 1928, fait paraître des nouvelles dans des publications françaises. En 1930, elle s’installe en Grèce où elle publie le recueil de nouvelles I xepartheni (« déflorée »). La longue nouvelle qui porte ce titre se réfère au choix conscient d’une jeune femme qui décide d’élever l’enfant qu’elle a eu hors mariage, et à la réaction hypocrite de son entourage familial corrompu qui aboutit au meurtre de l’enfant. La thématique féministe, qui met en avant le droit de la femme à l’égalité dans l’amour ainsi que son droit au travail comme source d’indépendance, a déterminé la réception positive de ce texte. Le roman I parastratimeni (« les dévoyés », 1935) a pour thème les remous idéologiques, artistiques et sociaux à Genève durant la Première Guerre mondiale, tels que les vit une jeune Grecque qui parvient, à travers ces expériences, à la maturité et à la conscience de son sexe. Le texte repose sur un matériau autobiographique mais tente de présenter les événements de plusieurs points de vue. Sa réception a été très positive parce que sa thématique dépassait les cadres grecs et que sa technique d’écriture, combinant réalisme et description psychologique, correspondait aux demandes de l’époque. À partir de 1936, L. Nakou travaille comme journaliste, publiant de nombreuses biographies romanesques : I zoi tou Edgar Poe (« vie d’Edgar Poe », 1936), Prosopikotites pou gnorisa (« personnalités que j’ai connues », 1966, prix d’État de biographie littéraire), I zoi tou Semmelweis (« vie de S. », 1983, prix d’État de biographie littéraire). Durant l’Occupation allemande, elle manque mourir de faim et est sauvée par la Croix rouge grecque ; elle travaille alors comme infirmière volontaire pour enfants, et transcrit ce vécu dans les nouvelles du recueil L’Enfer des gosses. Ces textes sont publiés dans les journaux suisses et seront l’étincelle qui déclenchera l’aide humanitaire à la Grèce occupée. Le recueil paraît en livre en 1944 à Alexandrie. Durant la guerre civile, elle s’installe en Suisse où elle travaille comme journaliste (1947-1955). À son retour paraît le roman I kyria Doremi (« madame Dorémi », 1955), où elle transpose sa courte expérience d’enseignante (1934-1936). Une jeune femme enseignant le français et la musique, ayant grandi à Paris, est nommée à Réthymnon (Crète) ; elle se heurte aux conceptions patriarcales de son entourage. Les romans Anthropina pepromena (« destins humains », 1955) et Yia mia kenouryia zoi (« pour une nouvelle vie », 1960) ont pour ambition de constituer un roman-fleuve dans lequel, autour de la jeune protagoniste et à l’aide d’éléments autobiographiques, apparaît une image réaliste de la Grèce d’avant-guerre.
Maria NIKOLOPOULO
■ L’Enfer des gosses, douze récits des temps de misère (I kolasi ton paidion, 1944), Lausanne, Spès, 1946 (nouvelle éd : L’Enfer des enfants, Saint-Brieuc, Presses bretonnes, 1978).
■ DIMADIS K. A., Diktatoria, polemos ke pezografia, 1936-1944, Athènes, Estia, 2004 ; PYLARINOS T. (dir.), Lilika Nalou, Meletimata, Athènes, Vivliothiki Trapezas Attikis, 2003 ; TANNEN D., Lilika Nakos, Boston, Twayne Publishers, 1983.
NAŁKOWSKA, Zofia [VARSOVIE 1884 - ID. 1954]
Écrivaine polonaise.
Après des études supérieures à l’« Université volante » (université clandestine qui proposait aux femmes qui n’avaient alors pas accès à l’université, des cours dispensés par les plus grands spécialistes de l’époque), Zofia Nałkowska complète sa formation par ses propres lectures. Écrivaine très productive – elle publie son premier poème dans une revue à l’âge de 14 ans –, elle est également très active en politique et dans le domaine associatif. Dans la nouvelle Pologne indépendante, elle travaille au gouvernement dans le domaine de la politique étrangère, milite dans des organisations de femmes, participe à la création du Syndicat professionnel des écrivains polonais et est un membre actif du Pen Club. Pendant l’Occupation, qu’elle passe à Varsovie, elle se rapproche des communistes. Elle fait partie de la KRN, un parlement communiste clandestin, destiné à devancer le gouvernement polonais en exil. Elle est élue à l’Assemblée constituante en 1947 et à la Diète en 1952. Z. Nałkowska a rapidement abandonné la poésie pour la prose. Dans ses premiers romans (Lodowe pola, « les champs de glace », 1904) qui explorent la psychologie féminine, l’influence du climat intellectuel de la fin du siècle est encore très perceptible. Son talent se révèle pleinement après 1918, lorsqu’elle décide de porter son regard sur la Pologne contemporaine. C’est alors que voient le jour un recueil de nouvelles, Charaktery (« les caractères », 1922), et deux romans, Romans Teresy Hennert (« la liaison de Teresa Hennert », 1924) et Choucas (1927). Granica (« la frontière », 1935) est un immense succès, récompensé par plusieurs prix et deux fois porté à l’écran (1938 et 1977) : dans la Pologne de l’entre-deux-guerres, un jeune homme issu d’une famille modeste de propriétaires terriens, étudiant aux idées révolutionnaires, se transforme progressivement en homme politique capable de faire tirer sur des ouvriers. Virulente critique du régime autoritaire de Sanacja (mis en place après le coup d’État du maréchal Piłsudski en 1926), le roman est aussi une réflexion sur les circonstances qui déterminent les actions humaines. Le recueil Medaliony (« médaillons », 1946) est le fruit de la participation de Z. Nałkowska à la Commission d’enquête sur les crimes nazis en Pologne et réunit sept nouvelles inspirées par des récits de rescapés et de témoins. De 1899 jusqu’à la veille de sa mort, Z. Nałkowska a également rédigé un journal, document précieux sur l’époque et notamment la guerre, publié en plusieurs volumes entre 1972 et 2000, une série de portraits des représentants de la vie artistique et intellectuelle polonaise, ainsi qu’un commentaire de sa propre œuvre et de son itinéraire intellectuel.
Anna SAIGNES
■ Choucas, roman international (Choucas, powieść internacjonalna, 1927), Paris, E. Malfère, 1936 ; Près de la voie ferrée (« Przy torze kolejowym », in Medaliony, 1946), Paris, Allia, 2009.
■ FRĄCKOWIAK-WIEGANDTOWA E., Sztuka powieœciopisarska Zofii Nałkowskiej, 1935-1954, Wroclaw, Zakład Narodowy im. Ossolińskich, 1974.
NALOUTI, Aroussia [DJERBA 1950]
Écrivaine tunisienne.
Après avoir passé une partie de son enfance en Algérie et suivi des études à Tunis, Aroussia Nalouti obtient, en 1974, une maîtrise de langue et littérature arabes et commence une carrière de professeure, qu’elle interrompt pour s’installer en 1976 à Paris, où elle participe à l’animation culturelle dans le milieu des étudiants tunisiens. En 1993, de retour en Tunisie, elle entre dans l’administration, où elle occupe des postes aux ministères de la Culture et de l’Éducation. Nourrie d’une culture bilingue ouverte sur les œuvres littéraires arabes et françaises, A. Nalouti s’est illustrée avec des contes pour enfants, un recueil de nouvelles, Al-bu’d al-khâmis (« la cinquième dimension », 1975) et deux romans. Dans tous ses écrits, A. Nalouti semble vouloir transcender la réalité. Elle procède par transposition d’un vécu situé dans le contexte socio-économique difficile qui, à la fin des années 1960, a suivi l’abandon de l’expérience du socialisme collectiviste en Tunisie. Dans ses nouvelles, elle brosse des rapports de tension entre des personnages souvent anonymes et en rupture avec leur environnement. L’auteure décrit une société malade et empreinte d’un profond sentiment d’angoisse. Son premier roman, Marâtij (« mortaises », 1985), qui prône le changement et le désir d’agir, voit le jour au cours d’une décennie qui, en Tunisie, connut de graves crises sociales. Le roman présente un personnage d’intellectuel clivé, fragmenté, et sans prise sur le monde qui l’entoure. Dans Zaynab, ou les brèches de la mémoire (1995), l’écrivaine semble encore à la recherche d’une solution aux échecs et aux marasmes dans lesquels se débattent ses personnages. Dans une composition assez complexe, on assiste à la mise à nu d’un père tué par sa propre fille, à la révolte contre un homme décrit comme l’archétype du patriarche autoritaire. L’écriture romanesque s’avère ici un moyen de transgresser les codes imposés.
Hasna TOUATI
■ Zaynab, ou les brèches de la mémoire (Tamâss, 1995), Arles, Actes Sud, 2005.
■ FONTAINE J., « Arusiyya Al-Nâlûti, écrivaine tunisienne », in Le Maghreb Littéraire, vol. 1, no 1, 1997 ; MONTORO MURILLO R., « La mujer tunecina en busca de un papel social, la obra literaria de Arûsiyya al-Nâlûti », in Miselanea de Estudias Arabes y Hebraicos, no 40-41, 1991-1992.
NAMIAND, Arlette [LYON 1950]
Comédienne, auteure dramatique, metteuse en scène et journaliste française.
Arlette Namiand a eu la révélation du théâtre à 16 ans, en assistant à une représentation de Cripure d’après Louis Guilloux dans une mise en scène de Marcel Maréchal. Après quelques années de journalisme lié au théâtre (Théâtre/Public, Art-Press, Alternatives théâtrales, Autrement, Acteurs), sa rencontre avec Jean-Paul Wenzel (1980) la conduit vers l’écriture théâtrale et la création. Suivront une dizaine de pièces lues et montées en France et à l’étranger, des adaptations théâtrales (Guy de Maupassant, Thomas Berger, Arthur Koestler, Primo Levi) et une collaboration artistique et dramaturgique sur les spectacles de J.-P. Wenzel. Après la fin du contrat de ce dernier aux Fédérés, ils créent la Dorénavant Compagnie (2003) et s’installent en Île-de-France où ils animent des ateliers d’écriture et des chantiers professionnels, rencontrant les publics et s’inspirant des événements sociaux. Leur fille, Lou Wenzel, est comédienne. L’univers d’A. Namiand est pessimiste, plus près du cauchemar que du rêve. Ses personnages sont révoltés contre les injustices : celles faites aux femmes (Oma, 2002), aux humbles (Le Regard des voleurs, 1989 ; Les Yeux d’encre, 1991). Le thème de l’aveuglement (Rêves flambés, 1991) y est récurrent. Elle structure souvent « de petits bouts de vie » (Ombres portées, 2011). Elle est également l’auteure d’un roman inédit, Une fille brusque, dont la pièce Une fille s’en va (2000) est adaptée. Ses œuvres sont publiées au Tapuscrit (Théâtre Ouvert), aux éditions de l’Avant-Scène Théâtre (Quatre-Vents) et aux Solitaires intempestifs.
Danielle DUMAS
NAMOK, Rosella [LOCKHART RIVER 1979]
Peintre australienne.
D’origine aagngkum et ungkum (groupes aborigènes du Nord-Est australien), Rosella Namok est une membre fondatrice de Lockhart River Art Gang, collectif créé en 1996 pour promouvoir les gravures, les peintures et les sculptures produites par une dizaine d’artistes âgés de moins de 30 ans, avec le soutien des initiés de la communauté. Ils réinterprètent librement un vocabulaire iconographique qui appartient à un monde de croyances ancestrales, dans des compositions expérimentales s’inspirant de la vie contemporaine. R. Namok, Fiona Omeenyo et Samantha Hobson sont les trois artistes les plus prolifiques du collectif et leurs œuvres évoquent les thématiques de la tradition, de la famille et de la violence. Comme la plupart des Aborigènes, R. Namok a participé dès son enfance à des cérémonies de danses au cours desquelles sont tracés au doigt sur le corps des danseurs des motifs claniques ancestraux. Les dessins de sable relèvent de la même appréhension du geste et du verbe. R. Namok et F. Omeenyo se sont inspirées de ces pratiques ancestrales pour tracer en creux des motifs sur la toile à l’aide de couteaux, de brindilles ou des doigts. L’artiste s’est fait connaître avec le sujet Kaapay and Kuyan qui symbolise les relations et les obligations sociales entre deux clans au sein de la société aborigène. Elle réalise aussi des compositions abstraites autour des variations de lumière dans des paysages de sable blanc, de mangroves ou d’étendues de mer. Généralement exécutées sur de très grands formats, ces peintures explorent la relation que l’artiste entretient avec des lieux spécifiques et des histoires créées par les ancêtres et révélées par les initiés. Les lieux représentés sont ceux sur lesquels elle a des droits fonciers déterminés par sa parenté. L’œuvre de R. Namok est représentée dans les plus grandes collections d’art contemporain du monde.
Géraldine LE ROUX
■ BUTLER S., Our Way, Contemporary Aboriginal Art from Lockhart River, St Lucia/Londres, University of Queensland, 2008.
■ BUTLER R., « Rosella’s choice », in Australian Art Collector, no 21, 2002.
NAMOP (IRRAWADI NAWAMANON, dite) [BANGKOK 1951]
Romancière thaïlandaise.
Après avoir obtenu une licence de langues (français-espagnol) à l’université Chulalongkorn, Irrawadi Nawamanon poursuivit des études en français et en sciences de l’environnement aux États-Unis. Les écrits de Namop ont souvent trait à la féminité et à la maternité. Dans le roman historique Khu Hatha Khrong Phiphop (« la main qui dirige le monde »), elle met en scène l’amour d’une mère pour son fils et montre le rôle des femmes dans la famille. L’intrigue se déroule dans une famille aristocratique à l’époque du roi Rama VI (1910-1925), alors que le Siam était toujours une société patriarcale où la polygamie n’avait pas encore été abolie. Ce roman eut un tel succès que la romancière en composa une suite : Khu Hatha Khrong Phiphop Jopsakon (« la main qui dirige l’univers »). Au fil de ses romans, Namop s’oppose à l’idéologie paternaliste ambiante et s’attache à montrer que les femmes peuvent, elles aussi, accéder au pouvoir. Elle met en scène des personnages féminins qui exercent des métiers traditionnellement considérés comme masculins – l’héroïne de 111 (« agent 111 ») et de Tong Nung (« être première ») est ainsi agente secrète dans la police. Plébiscités par le lectorat, beaucoup des romans de Namop ont été adaptés pour la télévision. C’est notamment le cas de Khu Hatha Khrong Phiphop (1995) et de Baan Bussababan (« la maison Bussababan », 1997).
Chairat POLMUK
NAMTCHYLAK, Sainkho [TOUVA 1957]
Chanteuse russe.
Originaire de Touva, petite république de la Fédération de Russie située aux confins de la Sibérie méridionale et de la Mongolie, Sainkho Namtchylak est l’héritière de grands-parents nomades et de parents instituteurs. Elle étudie la musique dès le collège et rejoint l’Université de musique de Kyzyll, capitale du Touva, où elle intègre la troupe folklorique nationale Sayani. Elle est attirée par le khöömei, un chant diphonique réservé aux hommes, hérité de la tradition chamanique de cette région, réprimée du temps de l’URSS. Après des débuts dans Elegest, un groupe folk-rock de Touva, elle rejoint Moscou au début des années 1980 pour poursuivre ses études de musique en parallèle des tournées de la troupe Sayani, à l’École Ipolitova-Ivanova puis à l’Institut Gnesin, où elle présente une thèse en 1988 sur « les styles vocaux dans la musique de culte rituelle de Sibérie ». Elle intègre la même année le groupe de jazz expérimental Tri-O, qui tourne en Europe en 1990, et concrétise des projets pour le théâtre et le cinéma. Sa carrière explose deux ans plus tard : S. Namtchylak se produit au Japon, mais également en Angleterre, Allemagne, Autriche, Suisse, Russie, Suède et au Danemark. Elle publie en 1993 Out Of Tuva, qui lui vaut le prix Futura de Meilleure découverte de la BBC. Enregistré en quatre ans à Kyzyl, Moscou, Paris et Bruxelles, le disque est considéré comme un chef d’œuvre ethno-pop. En 1995, elle débute une collaboration avec le Moscow Composers Orchestra, qui se concrétise par quatre albums en trois ans. Naked Spirit est élu en 1998 Album de musique du monde de l’année en Allemagne, et l’emmène aux États-Unis, en Italie, en France et en Espagne. La réalisatrice Erickavon Müller lui consacre le film documentaire Sainkho (2002). Avec les albums Stepmother City et Who Stole the Sky ? (« qui a volé le ciel ? », 2004), la chanteuse confirme son goût pour l’avant-garde en mêlant poésie, musique et électronique. S. Namtchylak compose en parallèle pour des livres de poésie, mêlant le russe à sa langue maternelle. Elle crée un nouveau groupe avec les jazzmen William Parker (contrebasse) et Hamid Drake (batterie), et collabore également avec Lao Wu, guitariste du groupe de heavy metal chinois Tang Dynasty. Sa voix exceptionnelle a transporté des traditions chamaniques oubliées sur les scènes du monde entier, les confrontant aux styles classique, jazz et contemporain ainsi qu’au théâtre et au cinéma, avec près d’une trentaine d’albums en autant d’années.
Jean BERRY
■ Out of Tuva, Crammed Discs, 1993 ; avec PARKER E., Mars Song, Victo, 1998 ; Cyberia, Music Development Company, 2011.
■ Freedom Now, Guy Girard, 45 min, La Huit, 2008.
NANA VOIR ROCHDI, Chafia
NANA ASMAOU (ou NANA ASMA’U) [DÉGUEL 1793 - WOURNO 1865]
Poétesse et enseignante nigériane d’expression peule.
La vie et l’œuvre de Nana Asmaou s’inscrivent dans l’aventure historique initiée par son père, Ousmane Dan Fodio, fondateur de l’une des plus grandes formations politiques de l’Afrique occidentale et centrale, le califat de Sokoto (1804-1904). Elle appartient à une grande famille de marabouts tôrobbé installée dans la région depuis plusieurs générations et qui comptait déjà une vingtaine d’enfants à la naissance de N. Asmaou et de son frère jumeau Hassan. Les Tôrobbé se consacrent principalement aux activités intellectuelles et religieuses et constituent l’une des catégories sociales qui structurent les populations de langue peule (haal-pulaar) de la vallée du fleuve Sénégal. Tout le monde dans l’entourage de la poétesse était instruit, tant les hommes que les femmes, parmi lesquelles sa mère, Maymouna, dont l’enseignement était suivi par plusieurs disciples femmes. Engagés dans des campagnes de prédication à travers l’État haoussa du Gobir, son père et son oncle, Abdoullahi Dan Fodio, s’insurgeaient contre l’obscurantisme et le paganisme qui, à leurs yeux, entachaient l’islam pratiqué dans la région, mettant tout particulièrement en avant l’enseignement. Car pour eux, comme pour l’écrivaine plus tard, seul l’accès direct au savoir pour tous peut éclairer le fidèle dans sa foi et sa conduite en société. Mal perçus par le pouvoir, ils sont victimes d’une répression sanglante en 1804. Il s’ensuit une période de guerre ouverte avec le roi du Gobir qui aboutit en 1808 à la prise d’Alkalawa, la capitale du royaume. L’un des textes de l’auteure, Filitaago (« parcours circulaire »), écrit en 1839, est consacré à ces événements qui ont profondément marqué le destin familial. Elle témoigne des faits marquants du califat, survenus après le décès de son père en 1817, sous le règne de son frère, Muhammad Bello, dans d’autres écrits dont les plus connus sont Gawaakake famarde (« la bataille de Gawâkaké, poème abrégé », 1836) et Gawaakake mawnde (« la bataille de Gawâkaké, poème étendu », 1857). Comme la plupart de ses ouvrages, ils sont composés en ajami (usage de l’alphabet arabe pour une langue non arabe) selon le canon de la prosodie arabe classique. La poétesse s’est en effet servie de trois langues, le peul, le haoussa et l’arabe, à des degrés différents. Son premier texte, l’un des rares en prose, est un traité moral en arabe intitulé Tanbîh al-Ghâfilîn (« admonitions à l’adresse des négligents », 1820). Mais elle a signé peu d’écrits dans cette langue qui n’était accessible qu’à une poignée d’intellectuels, préférant s’exprimer avant tout en peul, notamment dans un grand nombre d’élégies dédiées à ses proches. Cependant, le peul n’étant pas compris par la majorité du public féminin qu’elle visait en priorité, elle fut amenée à traduire et à adapter certaines de ses œuvres en haoussa, qui était et reste encore la langue véhiculaire de la région. Cette production littéraire intense, N. Asmaou l’a menée de front avec d’autres activités. Elle a organisé avec ses disciples femmes un mouvement éducatif aux ramifications étendues, les groupements de Y’an-Taro. Inspiré des institutions traditionnelles haoussa, ce mouvement lui a survécu et continue à promouvoir son œuvre jusqu’à nos jours.
Aliou MOHAMADOU
■ Collected Works of Nana Asma’u, Daughter of Usman ‘dan Fodiyo (1793-1864), Beverly B. M., Boyd J. (dir.), East Lansing, Michigan State University Press, 1997.
■ BOYD J., The Caliph’s Sister : Nana Asma’u 1793-1865, Teacher, Poet and Islamic Leader, Londres, F. Cass, 1989 ; TRIMINGHAM J. S., A History of Islam in West Africa, New York, Oxford University Press, 1970.
NANA BENZ [Togo XXe siècle]
Les Nana Benz (nana signifiant « mère » en éwé) ou Mama Benz désignent une génération de femmes commerçantes togolaises qui se sont enrichies par la revente des pagnes wax hollandais – un tissu inspiré du batik javanais aux motifs très colorés – dont elles ont obtenu le monopole de distribution en Afrique de l’Ouest. Elles doivent leur surnom à l’introduction au Togo des Mercedes-Benz dans lesquelles elles circulaient. Ces femmes illettrées, d’origine rurale, sont reconnues pour leur dynamisme, leur habileté stratégique (on leur reprochera leurs liens ambivalents avec la politique) et leur sens aigu des affaires. Leur contribution à l’économie togolaise au cours des décennies 1960 à 1980 est indéniable. Elles inventent de fait le métier de grossiste et établissent habilement des réseaux commerciaux internationaux et régionaux. Elles voyagent et, dans les années 1960, vont même aux Pays-Bas conseiller les stylistes quant aux couleurs et motifs des tissus. Solidaires, elles créent en 1967 l’Association professionnelle des revendeuses de pagnes du Togo (APRT), seule association professionnelle autorisée dans ce pays et dont Dédé Rose Crepy deviendra présidente. Grâce aux Nana Benz émerge un espace entrepreneurial féminin, mais les difficultés se conjuguent depuis les années 1990 : crise sociopolitique au Togo, récession économique en Afrique, concurrence et contrefaçon ; le pouvoir et la fortune des Nana Benz déclinent. Mais elles ont investi dans l’instruction de leurs filles : les Nanettes, Nana Toyota ou Golden Ladies des deuxième et troisième générations. Diplômées d’écoles de commerce, ces dernières organisent aujourd’hui plus rationnellement les activités de leurs mères et les diversifient : import-export de produits manufacturés et de véhicules, cybercafés, produits de grande consommation. Enfin, pour maintenir leur position sur le marché africain des textiles, elles commercent avec la Chine, devenue productrice de wax.
Jacqueline PICOT
■ BUGUL K., « L’œil de ma rivale », in Libération, 6-7-2010.
NANANAN KIRIKO [TSUBAME 1972]
Auteure de bandes dessinées japonaise.
S’inscrivant dans le sillage artistique d’Okazaki* Kyōko, l’œuvre de Nananan Kiriko fait apparaître une même obsession pour peindre avec minutie et sensibilité des portraits de jeunes femmes, pour décrire au mieux les tourments et les perturbations des sentiments qui s’emparent d’êtres à un âge où rien ne paraît stabilisé. En ce sens, Nananan Kiriko donne à comprendre, par d’émouvantes fictions introspectives, une jeunesse japonaise contemporaine. Elle commence à publier en 1993 dans le magazine d’avant-garde Garo puis pour d’autres revues. Plusieurs récits courts ont fait l’objet de compilations : Amours blessantes (1997), Water (1998) et Rouge bonbon (2007). Elle y déploie comme personne toute sa verve pour saisir des instants furtifs que l’on dirait dérobés à de véritables journaux intimes. Cette sensation d’intrusion dans l’intimité des personnages mis en scène est également ressentie dans Everyday (1999), Strawberry Shortcakes (2002) et Blue (1997), son probable chef-d’œuvre, qui narre comment une amitié entre deux lycéennes se mue en souffrance amoureuse. Le style de Nananan Kiriko est reconnaissable à son trait, aérien, épuré, se focalisant sur les visages pour parfois céder la place au texte seul, flottant sur un fond noir ou blanc.
Christian MARMONNIER
■ Blue (Burü, 1997), Paris, Casterman, 2004 ; Amours blessantes (Itaitashï Love, 1997), Paris, Casterman, 2008 ; Water (Water, 1998), Paris, Casterman, 2009 ; Everyday (Everyday, 1999), Paris, Casterman, 2005 ; Strawberry Shortcakes (Sutoroberī shōto keikusu, 2002), Paris, Casterman, 2006 ; Rouge bonbon (Candī no iro wa aka, 2007), Paris, Casterman, 2008.
NANDI, Ítala (Ítala Maria Helena PELLIZZARI NANDI, dite) [CAXIAS DO SUL 1942]
Actrice brésilienne.
C’est en 1959 qu’Ítala Nandi commence sa carrière, dans sa ville natale, avec Un mot pour un autre, de Tardieu, avant de jouer, l’année suivante, dans La Cantatrice chauve de Ionesco. Après quelques spectacles, elle apparaît dans Le Baiser sur l’asphalte, de Nelson Rodrigues, au Teatro dos Sete (« théâtre des sept »). Ayant épousé Fernando Peixoto, elle se rend à São Paulo. Au théâtre Oficina (« l’atelier »), elle joue dans À quatre dans une chambre, de Valentin Kataev (1962), puis dans Les Petits Bourgeois, de Gorki (1963). Elle est administratrice du théâtre lors du coup d’État de 1964. Un incendie détruit le théâtre ; elle reprend les anciens succès et propose O Rei da vela (« le roi de la bougie »), d’Oswald de Andrade (1967), spectacle « tropicaliste » qui obtient un très bon accueil. Elle y confirme son talent, son intelligence, son charisme. Elle s’affirme comme une femme libre dans un pays encore traditionnellement machiste. Puis Í. Nandi part pour Paris avec sa troupe, qui joue O Rei da vela en France et en Italie. Elle participe au montage de Galileo Galilei, de Brecht (1968), et joue dans Dans la jungle des villes, de Brecht (1969), splendide spectacle dans lequel, confirmant sa beauté et sa liberté de femme, elle présente avec simplicité et poésie le premier nu frontal en pleins feux. Puis elle se fixe à Rio de Janeiro. On la retrouve dans : Simbad le marin, création collective du groupe Du pain et des Jeux (1975) ; Les Bonnes, de Jean Genet, aux côtés de Dina Sfat ; Œdipe Roi, de Sophocle (1983) ; Navalha na carne (« le couteau dans la plaie »), de Plínio Marcos (dir. I. Nandi, 1996) ; Vassa, de Gorki (2000). Apparaissant également dans de nombreuses telenovelas et de nombreux films, Í. Nandi est une figure marquante tant au théâtre qu’au cinéma.
Richard ROUX
NĀNG KÈOKENGNĀ (ou NĀNG KÈOLŌTFĀ) [CAMBODGE entre 1300 et 1350]
Princesse laotienne.
Après la mort du roi Jayavarman IX (vers 1336), Samré dit le Concombre sucré (Trasak Phaem), fondateur de la dynastie post-angkorienne, donna sa fille Nāng Kèokengnā, princesse cambodgienne plus connue sous le nom de Nāng Kèolōtfā, à Fā Ngum, un prince lao réfugié à la cour d’Angkor. Suivi d’une armée de 10 000 soldats khmers, celui-ci entreprit d’unifier le royaume lao et de le baptiser Lane Xang (« terre d’un million d’éléphants »). Fā Ngum monta sur le trône de Xiengdong Xiengthong – aujourd’hui Luang Phrabang – en 1353. À cette époque, la population de Luang Phrabang pratiquait le culte des esprits et des génies, sacrifiant, selon les rites en vigueur, nombre d’animaux. Fervente bouddhiste, Nāng Kèokengnā ne put supporter ces atrocités. Avec l’accord de Fā Ngum, elle adressa directement une requête à son père, le roi d’Angkor : faire venir le bouddhisme theravāda (doctrine des anciens) au royaume du million d’éléphants « afin de pacifier les sauvages ». En réponse à la sollicitation de sa fille, celui-ci ordonna aux vénérables Phra Mahā Nanthā Thera et Phra Mahā Thep Lancā, accompagnés de vingt moines et de trois lettrés ayant achevé leur étude du Tripitaka ou Trois Corbeilles – recueil de textes fondateurs du bouddhisme theravāda –, d’introduire cette religion au royaume de Lane Xang. En outre, il offrit, à cette occasion, la précieuse statue d’or du nom de Phrabāng, considérée depuis comme l’emblème mystique du Laos.
Le bouddhisme mahāyāna (grand véhicule) est arrivé au nord du Laos avec le roi Khun Boulom au début du VIIe siècle ; le bouddhisme theravāda a atteint le nord-ouest du Laos dès le début du second millénaire ; le bouddhisme actuel, d’origine angkorienne inspirée de l’école du sud de Ceylan, est bien la religion importée par la princesse Nāng Kèokengnā, et pratiquée par la majorité des Lao.
Khamphanh PRAVONGVIENGKHAM
■ SILĀ VIRAVONG M., Phongsavadane Lao, Vientiane, Publications du ministère de l’Éducation, 1973.
NANSEN, Betty Anna Marie (née MÜLLER) [COPENHAGUE 1873 - FREDERIKSBERG 1943]
Actrice, metteuse en scène et directrice de théâtre danoise.
Née dans une famille d’acteurs itinérants, Betty Anna Marie Nansen fréquente peu l’école avant 11 ans et se destine très jeune à une carrière de comédienne. À 19 ans, elle n’est pas sélectionnée pour entrer à l’École d’art dramatique du Théâtre royal danois (Det Kongelige Teater), mais un an après, elle se fait remarquer dans le rôle de Magda, dans Heimat, d’Hermann Sudermann, dans l’un des plus grands théâtres privés de Copenhague, le Casino. Affermissant sa réputation, elle donne une interprétation innovante du rôle titre de La Dame aux camélias, de Dumas fils, et restitue avec talent la finesse psychologique des personnages féminins. Après plusieurs années de va-et-vient entre les théâtres et de tournées en Scandinavie, elle tente sa chance comme actrice de cinéma aux États-Unis, de 1914 à 1916. Puis, déçue de son manque de succès, elle revient dans son pays et crée en 1917 le théâtre Betty-Nansen, une scène vouée au théâtre littéraire contemporain et à des expériences de mise en scène. Son premier spectacle est L’Éventail, comédie de Flers et Caillavet où elle tient le rôle de Gisèle. Elle introduit au Danemark des dramaturges modernes, tels Pirandello et O’Neill, ainsi que des auteurs scandinaves, comme Ibsen, Bjørnson et Strindberg. Elle invite des troupes étrangères, notamment en 1921 celle du Théâtre-Français. Avec son second mari, Henrik Bentzon, elle joue Les Revenants, d’Ibsen, au Théâtre de l’Œuvre, en 1925. Son répertoire, d’abord centré sur un théâtre psychologique et réaliste, devient plus social, saisi sous un angle nettement politique, notamment avec Hop là, nous vivons, d’Ernst Toller, en 1928. Son rôle dans la diffusion du théâtre littéraire pendant l’entre-deux-guerres, au Danemark, ne peut être sous-estimé.
Alette SCAVENIUS
NANSÔRHÔN VOIR HÔ NANSÔRHÔN
NANTEUIL, Agnès DE LA BARRE DE [PARIS 1922 - PARAY-LE-MONIAL 1944]
Résistante et agente de liaison française.
Née dans une famille de vieille noblesse normande et parisienne, Agnès de la Barre de Nanteuil connaît une enfance heureuse à Paris et en Bretagne, et s’investit dans les mouvements de jeunes, en particulier l’Action catholique et le scoutisme. À 14 ans déjà, elle déclare vouloir devenir une femme de caractère. Pendant la Seconde Guerre mondiale, elle est aide médicale à la Croix-Rouge, puis s’engage vite dans la Résistance, à la suite de sa mère, Sabine de la Barre de Nanteuil (née Cochin), participant de près à l’organisation de l’évasion des aviateurs alliés en Bretagne. Intrépide, voulant farouchement se battre du côté de la France libre, elle devient agente de liaison en 1942, pour le compte de Paul Chenailler, alias « colonel Morice », responsable de la Résistance dans le Morbihan, et pour le général Audibert, grande figure du réseau de résistance Libération-Nord, formé dans le Morbihan. Mais le 14 mars 1944, elle est arrêtée à Vannes, au domicile de sa mère, à la suite de la trahison d’un membre de l’Armée secrète (AS), puis torturée. Déportée à bord du fameux « train de Langeais », elle est grièvement blessée lorsque le convoi est mitraillé par l’aviation alliée. Les Allemands en fuite la laissent sans secours ; elle meurt à Paray-le-Monial, à 22 ans seulement. Dès lors, elle devient un modèle pour de nombreux jeunes, frappés par son charisme et le don de soi sans réserve qu’elle a fait pour son prochain et son pays. Marraine de la promotion EMCTA 2002 (École militaire du corps technique et administratif), elle est aujourd’hui la seule femme, avec Jeanne d’Arc*, à avoir donné son nom à une promotion d’élèves officiers.
Elisabeth LESIMPLE
■ CARICHON C., Une vie offerte, Agnès de Nanteuil, 1922-1944, Perpignan, Artège, 2010.
NAOMI, Omi Intan [DENPASAR, BALI 1970 - YOGYAKARTA, JAVA 2006]
Poétesse indonésienne.
Née dans une famille de poètes et d’artistes javanais de tradition protestante, Omi Intan Naomi a laissé une œuvre très fournie et variée : poésies, nouvelles, critiques d’art, traductions, chroniques, essais. Avant même d’entrer à l’université, elle a déjà publié plusieurs recueils de poèmes. Nommée rédactrice en chef de la revue du campus, elle anime des groupes d’activités littéraires et de théâtre. En 1996, deux ans avant la chute du régime Suharto, paraît sa thèse, Anjing Penjaga, Pers di Rumah Orde Baru (« les chiens de garde, la presse sous l’Ordre nouveau »), sur l’absence de liberté de la presse. Maniant l’humour comme une arme, elle traite les sujets politiques avec subjectivité et se penche sur la question du genre. Elle parvient souvent dans ses textes, écrits aussi bien en anglais qu’en indonésien, à faire la synthèse entre l’Orient et l’Occident. Ses nombreux essais (pédagogie, linguistique, questions politiques et idéologiques) ont paru dans diverses revues internationales. Chargée d’une rubrique régulière dans le journal Suara Merdeka, elle est, en Indonésie, une pionnière de la diffusion de la littérature par Internet. Se tenant éloignée des milieux littéraires à la mode de Jakarta, l’écrivaine a mené une existence austère et solitaire, consacrée à la poésie, à l’art et à l’étude. Sa poésie allie révolte et spiritualité. Sa réflexion sur le monde actuel s’appuie sur la mythologie javanaise ou chrétienne. Face aux questions sociopolitiques, elle adopte une attitude critique passant par l’ironie cinglante, le sarcasme, le lyrisme et la révolte. Peu de romantisme, même dans ses tout premiers poèmes, mais amertume et violence. Une de ses dernières œuvres publiées en anglais, Dog Days Eve (2002), est en partie autobiographique.
Jacqueline CAMUS
■ Puisi Cinta, Surakarta, Taman Budaya, 1986 ; Sembilu, Yogyakarta Arts Council, 1991 ; Gegar Gender, Yogyakarta, Pustaka Semesta, 1997.
NAPANGARDI, Dorothy [PIKILYI 1956]
Peintre australienne.
C’est au cœur du désert du Tanami, en territoire aborigène warlpiri, que Dorothy Napangardi voit le jour, au moment où la multiplication des élevages de bétail menace le fragile écosystème du centre de l’Australie. Les Warlpiri, voyant leurs ressources s’amoindrir, sont forcés de se réfugier dans les camps de rationnement du gouvernement et les missions catholiques en charge des programmes de « protection » autochtones. Elle grandit à Yuendumu, aujourd’hui la plus grande communauté aborigène du désert, à plusieurs centaines de kilomètres de Mina Mina, sa terre natale. Cet éloignement sera au cœur de son œuvre. En 1987, elle s’installe à Alice Springs et commence à peindre dans un style traditionnel certaines espèces végétales totémiques du désert, les wanakiji, nourritures physiques et spirituelles de son peuple. Dix ans plus tard, son style opère un changement radical. La jeune artiste peint le site de Mina Mina en abandonnant l’iconographie classique warlpiri pour n’en retenir qu’une épure de points blancs quadrillant un fond noir. De manière quasi obsessionnelle, ce motif est appliqué sur la toile, retissant le lien entre l’artiste et son lieu d’origine. Sa vision minimaliste des paysages du désert provoque une sensation hypnotique et crée l’illusion d’un étrange mouvement qui parcourt la toile. La juxtaposition des points forme des lignes ; traces des femmes ancestrales qui dansent à Mina Mina et modèlent le paysage. Après son association avec la galerie Gondwana à Alice Springs, elle enchaîne les expositions et obtient en 2001 le National Aboriginal and Torres Strait Islander Telstra Award pour son œuvre Salt on Mina Mina. En 2002, le musée d’Art contemporain de Sydney lui consacre une rétrospective intitulée Dancing Up Country : the Work of Dorothy Napangardi. Les œuvres de cette artiste, présentes dans toutes les collections publiques australiennes, symbolisent la force de l’art aborigène, capable d’innover et d’expérimenter, loin de ses bases, sans renier une inspiration ancestrale.
Arnaud MORVAN
■ NICHOLLS C. (dir.), Dancing Up Country : the Work of Dorothy Napangardi, Sydney, Museum of Contemporary Art, 2002 ; ID., « The three Napangardis », in RYAN J., Colour Power : Aboriginal Art Post 1984, Melbourne, National Gallery of Victoria, 2004.
NAPPAALUK, Mitiarjuk [KANGIRSUJUAQ 1931 - ID. 2007]
Écrivaine canadienne.
Considérée par les Inuits du nord du Québec comme une pionnière dans le domaine de la préservation culturelle et de la promotion de l’enseignement traditionnel, Mitiarjuk Nappaaluk fut la première écrivaine à publier un roman en inuktitut. Édité en 1983, Sanaaq est le récit au quotidien d’une femme du Grand Nord canadien, qui raconte les traditions, les légendes, les croyances de sa communauté entre 1920 et 1950. Il est diffusé dans toutes les écoles inuits. Une traduction française a vu le jour en 2003, grâce au travail de l’anthropologue Bernard Saladin d’Anglure. L’auteure a traduit en inuktitut le missel catholique et compilé dans une encyclopédie le savoir traditionnel, les légendes et l’histoire naturelle des Inuits.
Lise GAUVIN
NAPURRULA, Ningura [WATULKA 1938]
Peintre aborigène australienne.
Née dans le désert occidental australien, au sud de l’actuelle communauté de Kiwirrkura, Ningura Napurrula s’établit en 1962 à Papunya, un camp créé trois ans plus tôt par le gouvernement australien pour sédentariser et assimiler les tribus nomades. Les Pintupi, groupe linguistique dont elle fait partie, maintinrent des liens avec leurs terres traditionnelles grâce à la transmission des cérémonies et des peintures rituelles. À l’instar des autres femmes de son groupe, elle débute sa carrière de peintre en aidant son époux Yala Yala Gibbs Tjungurrayi à terminer ses toiles, en y apposant les petits points qui firent la renommée du mouvement artistique de Papunya au début des années 1970. Avec le processus de décentralisation des communautés aborigènes amorcé quelques années plus tard, de nombreuses familles retournèrent vivre sur leur territoire traditionnel. N. Napurrula s’installe dans la communauté de Kintore, qui devient rapidement le centre du renouveau artistique dans la région. Au milieu des années 1990, le succès retentissant d’une exposition collective de la coopérative Papunya Tula à laquelle elle participe l’incite à peindre ses propres histoires. En 2000, la galerie William Mora de Melbourne lui consacre sa première exposition en solo. En 2003, l’une de ses peintures représentant un trou d’eau sacré à Walyuta est reproduite pour une édition limitée de timbres australiens. Elle est sélectionnée pour représenter le peuple Pintupi dans la commande publique d’art aborigène du musée du quai Branly à Paris. Son œuvre, située sur les murs et plafonds du premier étage du bâtiment administratif, représente le site sacré de Wirrulnga. Ses créations à l’acrylique dépeignent les trous d’eau, rochers et dunes créés sur son territoire par des femmes ancestrales qui ont institué les rituels féminins toujours célébrés aujourd’hui. Elles se distinguent par des compositions linéaires dynamiques et par la densité de la texture obtenue grâce à l’application de couches épaisses de peinture. Les motifs principaux, représentant les reliefs du paysage, sont presque recouverts par les couches de remplissage de couleur plus claire : lignes et points se confondent pour donner à ses compositions une profondeur vertigineuse, telles des peintures sculptées.
Jessica DE LARGY HEALY
■ FINK H., PERKINS H., (dir.), Papunya Tula : Genesis and Genius, Sydney, Art Gallery of New South Wale, 2000 ; COLLECTIF, Australian Indigenous Art Commission : commande publique d’art aborigène au musée du quai Branly, Sydney, Art & Australia, 2006.
NARANJO, Carmen [CARTAGO 1928 - SAN JOSÉ 2012]
Écrivaine costaricaine.
Carmen Naranjo est l’une des intellectuelles costaricaines majeures de la seconde moitié du XXe siècle. Elle fait partie d’un groupe d’auteurs qui se forme dans le cadre modernisateur de la Deuxième République de 1948. Son œuvre comprend plus de 25 titres depuis la publication de Canción de la ternura (« chanson de la tendresse », 1964). En poésie comme en prose, elle assume une position critique vis-à-vis de la société, d’un point de vue féministe. Innovatrice, elle inclut à ses textes la langue familière de la rue. En 1966, elle publie le roman Los perros no ladraron (« les chiens n’ont pas aboyé »), dont le personnage principal se retrouve happé par la machine bureaucratique. Avec ce livre, dans une prose fragmentée et polyphonique, elle explore la ville, espace agressif et impersonnel, peuplé de personnages dont l’individualité a été diluée et qui sont seulement des voix dans une réalité désordonnée, dénuée de cohérence et de sens. La technique qu’elle utilise atteint son apogée dans Diario de una multitud (« journal d’une multitude », 1974), critique acerbe des valeurs de la classe moyenne, de la corruption institutionnelle et de l’invasion des capitaux étrangers. Dans les années 1970, elle publie aussi des essais, dont Cinco temas en busca de un pensador (« cinq sujets à la recherche d’un penseur », 1977). À partir de cinq expressions populaires, l’écrivaine fait une lecture très personnelle de la singularité du Costaricain. Elle écrit également un premier recueil de nouvelles, Hoy es un largo día (« aujourd’hui est une longue journée », 1974), emblématique de sa production des années 1980. En 1983, dans Ondina, autre recueil de nouvelles, elle revient sur les relations familiales ou l’identité des genres, souvent sur le ton de l’ironie. Dans Otro rumbo para la rumba (« autre cap pour la rumba », 1989), la politique est centrale. Le cycle se clôt avec En partes (« en parties », 1994), une réflexion parallèle sur la dissolution de l’idée de nouvelle et la dégradation d’un être humain. C. Naranjo est aussi l’auteure d’une œuvre dramatique encore largement inédite. Sa pièce la plus connue, Manuela siempre (« Manuela toujours », 1984), a pour sujet la féministe Manuela Sáenz, compagne de Simón Bolívar. C. Naranjo a été ministre de la Culture dans les années 1970, ainsi que diplomate, elle a défendu les droits de l’homme et le modèle démocratique du Costa Rica.
Uriel QUESADA
■ MARTÍNEZ L. I., Carmen Naranjo y la narrativa femenina en Costa Rica, San José, EDUCA, 1987.
NARBIKOVA, Valeria [MOSCOU 1958]
Écrivaine russe.
Valeria Spartakovna Narbikova a fait des études à l’Institut de littérature de Moscou. Elle commence à écrire, et aussi à peindre, dans les années 1980. Ses romans ont été assez mal reçus en Russie. Elle fait partie des jeunes écrivains qui, dans les années 1990, dans le chaos qui a suivi la perestroïka, ont levé un certain nombre de tabous littéraires, notamment celui de l’érotisme. Son premier roman, Éros est russe ou l’Équilibre de la lumière des étoiles du jour et de la nuit, a été publié en URSS en 1988. Il conte les aventures d’un ménage à trois en utilisant des provocations stylistiques et narratives. Même chose dans Échos, où deux sœurs tombent amoureuses du même homme. La description sans fard des actes sexuels, la syntaxe débridée, l’usage d’un vocabulaire cru, et parfois de jurons empruntés au mat (langage obscène qui est l’apanage des hommes) ont énormément choqué le public. Sa prose est donc une voix de femme qui ne se limite pas à décrire un univers féminin, mais, au contraire, détache les personnages féminins de leurs rôles traditionnels. Elle a reçu le prix Nabokov en 1995 et 1996. La complexité de ses jeux de langage, la richesse de sa prose et son ironie la placent effectivement dans la lignée littéraire de l’auteur de Lolita.
Marie DELACROIX
■ Éros est russe ou l’Équilibre de la lumière des étoiles du jour et de la nuit (Ravnovesie svieta dnievnykh i notchnykh zviozd, 1988), Paris, Horay, 1991 ; Échos (Okolo ekolo, 1990), A. Michel, 1991 ; Outre (Skvoz’), Paris, Temps et périodes, 2008.
NARGIS (Fatima RASHID, dite) [CALCUTTA 1929 - BOMBAY 1981]
Actrice indienne.
Fille de Jaddanbai, célèbre chanteuse musulmane également réalisatrice et compositrice (l’une des pionnières du cinéma indien), Fatima Rashid commence sa carrière à l’âge de 5 ans, sous le pseudonyme de Baby Nargis. Mais c’est neuf ans plus tard, dans Taqdeer (Mehboob Khan), que l’on découvre véritablement l’adolescente Nargis (« narcisse », en hindi). Dans les années 1950, elle brille dans les réalisations du génial acteur Raj Kapoor, le Chaplin indien, son amant à la ville comme à l’écran. Elle tourne avec lui une dizaine de films, dont certains, comme Awaara, le vagabond (Awaara, 1951) ou Shree 420 (1955), sont aujourd’hui des classiques de Bollywood. Elle peaufine alors son personnage de femme moderne et occidentalisée mais attachée aux valeurs traditionnelles de son pays, ce qui plaît à un très large public dépassant les frontières indiennes : comme Raj Kapoor, Nargis est aussi une star en Union soviétique, où le cinéma indien commercial fait fureur. À l’instar de nombreux acteurs indiens, elle tourne énormément : 35 films entre 1948 et 1957, où elle est l’égale, pour la première fois à Bollywood, des grandes stars masculines de l’époque (Dilip Kumar, Raj Kapoor, entre autres), figurant même parfois en tête du générique. Son jeu presque naturaliste et sa beauté assez discrète lui permettent d’être une parfaite « Mother India » dans le film éponyme de Mehboob Khan (1957), où elle interprète une paysanne brisée par les vicissitudes de la vie, conservant néanmoins courage et honnêteté, au point de sacrifier son fils à la terre indienne quand celui-ci menace les valeurs qui la guident. Mother India, premier film indien à être nommé à l’Oscar du meilleur film étranger, est aussi le chant du cygne de Nargis. À la suite de son mariage avec l’acteur Sunil Dutt, elle se retire progressivement des écrans pour se consacrer à des œuvres caritatives, notamment la troupe culturelle Arjanta Arts qu’elle crée pour divertir les soldats indiens lors de la guerre avec le Pakistan en 1971. Décédée en 1981, elle reste la première et la plus grande star féminine du cinéma indien, la seule en tout cas qui a su dépasser le rôle d’éternelle amoureuse partagée entre deux hommes, pour incarner un pays tout entier.
Ophélie WIEL
NASRALLAH, Émilie (née ABI RASHED) [KFEIR 1931]
Écrivaine libanaise.
Née d’un père maronite et d’une mère orthodoxe, Émilie Nasrallah passe sa prime enfance dans son village natal dans le sud du Liban. D’abord institutrice, elle exerce comme journaliste à la revue Al-Sayyād (1955-1970). Elle est ensuite nommée conseillère aux affaires culturelles et aux relations publiques de l’université de Beyrouth. Elle a publié des romans, des nouvelles et des livres pour enfants. L’un de ses romans, Al-iqlā‘ ‘aks al-zaman (1981), a été traduit en anglais sous le titre : Flight Against Time (1987). Ses fictions prennent essentiellement pour cadre la campagne du sud du Liban et le Canada, pays d’immigration. Elles développent particulièrement trois thèmes : l’immigration des jeunes, qu’on retrouve dans Tuyūr’aylūl (« oiseaux de septembre », 1962) et dans Mā hadatha fī guzur tāmāyā (« ce qui s’est passé aux îles Tamaya », 2006) ; la situation des femmes dans le milieu rural ; et la guerre et ses terribles conséquences. La description de la nature et des paysages tient une grande place dans ses récits. L’usage qu’elle fait du dialogue et la note de romantisme qu’elle ajoute pour tempérer les drames donnent à son écriture un style alerte, fluide et très expressif. L’écrivaine milite également pour les droits des femmes, dans ses activités comme dans son œuvre.
Nehmetallah ABI-RACHED
NASRAOUI, Radhia [TUNIS 1953]
Avocate et militante tunisienne des droits de l’homme.
Issue d’une famille instruite et militante, Radhia Nasraoui obtient une maîtrise de droit à 20 ans. Dans cette décennie 1970 où les révoltes étudiantes sont réprimées par le pouvoir de Bourguiba, elle milite pour que les avocats défendent les étudiants incriminés dans des procès politiques et fonde son cabinet spécialisé dans la défense des prisonniers d’opinion. En 1981, elle épouse Hamma Hammami à sa sortie de neuf ans de détention. Mère de trois enfants, elle ne cessera de mener une vie de femme libre et engagée. Dès le début des années 1990, son mari, devenu porte-parole du Parti communiste des ouvriers tunisiens (PCOT, légalisé en 2011), est à plusieurs reprises arrêté et incarcéré. Harcèlement, cambriolages, agressions physiques, intimidations sont le lot quotidien de R. Nasraoui et de ses filles. Elle alerte l’opinion par plusieurs grèves de la faim et cofonde en 2003 l’Association de lutte contre la torture en Tunisie (ALTT), qu’elle préside. Elle a ainsi dénoncé au monde l’existence de cette pratique en Tunisie. Elle siège également à l’Organisation mondiale contre la torture, et est en 2004 vice-présidente de la commission d’enquête de l’Onu sur la violation des droits humains en Côte d’Ivoire. Aux premières élections libres d’octobre 2011 en Tunisie, elle a conduit une liste Alternative révolutionnaire, alliée au PCOT.
Jacqueline PICOT
■ AFASPA, Femmes d’Afrique, bâtisseuses d’avenir, Paris, Tirésias, 2010.
NÂSREEN, Tâslimâ [MYMENSINGH 1962]
Auteure bangladaise d’expression bengali.
Ce qui rend l’œuvre de Tâslimâ Nâsreen exceptionnelle dans la littérature féminine en langue bengali n’est ni son esprit de révolte et de résistance ni la dénonciation des carcans sociaux qui emprisonnent la femme, thèmes communs à des auteures aussi différentes que Rassundari Devî* ou Rokeyâ Sâkhâwât Hossâin*. La voix autobiographique, axe principal de son œuvre, s’exprime sur des sujets particulièrement sensibles de la société bangladaise et dépasse la simple critique de la fausse identité sociale de la femme. Les violentes attaques qu’elle a subies dans son pays et en Inde de la part des fondamentalistes, mais aussi de milieux plus progressistes, ne portent pas uniquement sur son combat en faveur de la condition féminine, sur ses revendications frontalement laïques, son rejet radical de la religion, ses positions politiques foncièrement anticommunautaristes – dans Un retour (1993), et La Honte (1993), son œuvre la plus célèbre – qui condamnent aussi bien les fondements idéologiques de la Partition de 1947 que les brutalités envers les hindous du Bangladesh après l’attaque de la mosquée Babri en 1992. Ce qui dérange, c’est qu’elle ait l’audace de parler de sa subjectivité, et d’aborder la question du désir et de la jouissance féminine. Très tôt, en effet, ses poèmes comme ses chroniques journalistiques choquent par son refus de la domination sexuelle masculine et par le regard qu’elle porte sur une société qui taxe de putain, de dépravée une femme qui rejette cette autorité, et considère son viol comme quasi légitime. Il n’y a pas de plénitude de la condition humaine de la femme, « si elle ne jouit pas d’une pleine liberté dans son esprit et dans son corps » (Rumeurs de haine, 2004). S’appuyant sur sa vie de médecin et d’écrivain, sur sa vie familiale et amoureuse, ses chroniques et documentaires-fictions, comme elle les appelle, dressent un tableau des situations sociales et des contextes politiques de l’oppression vus de l’intérieur. L’exigence non négociable de construire avec l’homme une relation autre, loin de ses visées totalitaristes, y occupe une place centrale. Exilée de l’intérieur, « éternelle proscrite », T. Nâsreen est finalement condamnée à quitter le Bengale : ses derniers poèmes (rassemblés dans Bandini, « la prisonnière », 2008) sont hantés par l’enfermement et la douleur de la fuite, de la dépossession et de l’abandon. Après un nouveau départ quasi forcé d’Inde, ils expriment le désespoir et le découragement de celle qui dit n’être plus « qu’une voix désincarnée ».
Olivier BOUGNOT
■ Femmes, manifestez-vous ! (Nirbachita Column, 1991), Paris, Des femmes-Antoinette Fouque, 1994 ; La Honte (Lajjâ, 1993), Paris, LGF, 1996 ; Un retour (Pherâ, 1993), Paris, LGF, 1997 ; Vent en rafales (Uttâl Hâoyâ, 2002), Paris, Seuil, 2009 ; Rumeurs de haine (Seisab Andhakâr, 2004), Paris, Seuil, 2007.
NASSIF, Malak Hifni (ou Bahithat AL-BADIYA) [LE CAIRE 1886 - ID. 1918]
Militante féministe et femme de lettres égyptienne.
Malak Hifni Nassif est considérée comme l’une des féministes égyptiennes les plus célèbres dans le monde des lettres arabes du début du XXe siècle. Institutrice, elle publie en 1910, sous le pseudonyme de Bahithat al-Badiya (« l’exploratrice des champs »), un recueil d’articles intitulé Al-nisa’iyat (« féminités », réédité au Caire en 1998), qui préconise un certain nombre de revendications : enseignement du Coran aux jeunes filles, accès à l’éducation, droit de sortir en société avec ou sans voile. Elle s’élève contre la polygamie et le divorce arbitraire, et demande aux autorités gouvernementales de contrôler l’âge du mariage. De même que May Ziyada*, elle contribue à la création et au développement de groupes littéraires et sociaux, dont les discussions alimentent le débat intellectuel sur le nationalisme et l’identité politique et culturelle égyptienne. Son originalité réside dans sa conception d’un féminisme arabisé qui cadre avec les structures religieuses et sociales de l’Égypte, sans chercher à se calquer sur le féminisme occidental. S’exprimant dans un style convaincant et élaboré, elle ose exiger la réforme des pratiques religieuses et sociales de son époque, tout en soulignant que les valeurs occidentales ne correspondent pas nécessairement aux aspirations des femmes égyptiennes ou arabes, et ne peuvent donc pas être prises comme modèles.
Antoine SASSINE
NATAVAN, Khurchidbanu [CHOUCHA, AZERBAÏDJAN 1832 - ID. 1897]
Poétesse azérie.
Fille du dernier khan du Karabagh, Mehdi Kulu Khan Djavanchir, Khurchidbanu Natavan reçoit une excellente éducation d’inspiration laïque, pratique la peinture, parle le français, le persan, l’arabe. Son pseudonyme, Natavan, signifie « seule, abandonnée ». En 1858, elle fait la connaissance d’Alexandre Dumas, qui l’évoque dans Caucase sous le nom de « princesse Khassar Outsmiyeva ». L’écrivain français se montre admiratif de l’intérêt porté par la famille du khan à la culture et à la littérature françaises. Les poésies lyriques de K. Natavan, où elle évoque notamment la mort de son fils, lui valent l’estime et l’admiration des poètes de son époque. Elle organise à Choucha, qui fait partie de l’Empire russe, des soirées de poésie «Medjlis-i-uns» (« réunion des amis »). Dans ses poèmes en azerbaïdjanais, elle aborde des réflexions et thèmes moraux et philosophiques, ainsi que la condition des femmes azéries privées de droits. Son activité publique est très appréciée de la population : elle fait notamment construire des canalisations afin que Choucha soit alimentée en eau potable et contribue au développement de l’éducation. À Choucha et à Bakou, des monuments ont été élevés à la gloire de la poétesse.
Konul BUNYADZADE
NATIONAL MUSEUM OF WOMEN IN THE ARTS (NMWA) [États-Unis depuis 1987]
Le Musée national des femmes dans les arts a ouvert à Washington en 1987 ; fondé par Wilhelmina et Wallace Holladay, il est le seul musée de ce genre à avoir un lieu d’exposition permanent. L’exposition inaugurale American Women Artists, 1830-1930 a fait date.
Wilhelmina Cole Holladay est née en 1922 à New York. Après des études d’histoire de l’art, elle commence, avec son époux l’homme d’affaires Wallace Holladay, à collectionner des œuvres d’art dans les années 1950. Lors d’un voyage en Europe, ils découvrent les tableaux de Clara Peeters*, peintre hollandaise du XVIIe siècle, alors absente des catalogues les plus importants de l’époque. Ils se spécialisent dans l’acquisition d’œuvres de femmes méconnues comme Élisabeth Vigée Le Brun*, Artemisia Gentileschi*, Angelica Kauffmann*. À la fin des années 1970, après le refus que le musée oppose à la donation que Wilhelmina Holladay se propose de faire de sa collection, refus dû à des préjugés antiféministes, le couple décide de fonder le National Museum of Women in the Arts et acquiert, en 1987, un ancien temple maçonnique à Washington. Outre les œuvres d’artistes du XVIe au XXe siècle, originaires de 28 pays – plus de 4 000 aujourd’hui –, le musée comprend une importante bibliothèque de livres et d’archives.
Wilhelmina Holladay a été élue au National Women’s Hall of Fame en 1996, et a reçu en 2006 la National Medal of Arts. En 2015, le NMWA a reçu le prix Simone-de-Beauvoir pour la liberté des femmes.
Catherine GUYOT
NATIONAL ORGANIZATION FOR WOMEN (NOW) [États-Unis depuis 1966]
La National Organization for Women (NOW) a été créée en juin 1966 par une trentaine de femmes engagées dans le mouvement des droits civiques et les droits des femmes, dont Betty Friedan*, auteure de La Femme mystifiée (1963), et Pauli Murray, professeur de droit à l’université Yale et membre de la commission présidentielle sur le statut des femmes. Présentes à la troisième conférence de cette commission consultative mise en place en 1961 par le président Kennedy, et révoltées par ses tergiversations et ses réserves, elles se retrouvent le soir dans une chambre d’hôtel et décident de créer un groupe pour passer à l’action. Ce sera NOW, « maintenant ».
En octobre 1966, lors de sa première assemblée, le groupe compte déjà 300 membres, hommes et femmes. B. Friedan en est élue présidente, et une déclaration d’intention est adoptée : « Nous, hommes et femmes qui constituons ici la NOW, croyons que le temps est venu d’un nouveau mouvement en faveur d’une véritable égalité pour toutes les femmes en Amérique et d’un partenariat pleinement égal entre les sexes, s’inscrivant dans la révolution mondiale des droits humains en cours dans et hors de nos frontières. »
Le combat majeur de la NOW, au cœur de son action depuis 1967, est l’adoption de l’Equal Rights Amendment (ERA) – un amendement constitutionnel garantissant aux femmes l’égalité dans tous les domaines. Il faudra une détermination, une énergie, une endurance exceptionnelles et la mobilisation de centaines de milliers de femmes pour obtenir les premiers résultats, en particulier l’adoption de l’ERA par les deux Chambres du Congrès en 1972. Mais, quarante ans plus tard, l’amendement n’est toujours pas en vigueur, faute d’avoir été ratifié par suffisamment d’États, dans le seul pays occidental qui n’a pas non plus ratifié la Convention pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (CEDAW), qu’il a pourtant signée en 1980.
Tout au long de son histoire, la NOW s’est également engagée pour la légalisation de l’avortement, la lutte contre les discriminations au travail, les violences contre les femmes, l’accès aux mandats politiques, les droits des lesbiennes… En 1970, elle organise la « Grève des femmes pour l’égalité », qui réunit 50 000 femmes sur la 5e Avenue de New York et aboutira quelques années plus tard à des rappels massifs de salaires pour les femmes discriminées. En 1982, elle obtient la prorogation de l’ERA. L’année suivante, toutes les lois anti-IVG promues dans les États de l’Union par une droite conservatrice qui en fait son cheval de bataille sont rejetées. Elle organise ou co-organise de gigantesques manifestations pour le droit à l’IVG ou « pour les vies des femmes » qui rassemblent 155 000 personnes en 1986, 350 000 en 1989, 750 000 en 1992. Celle de 2004, avec 1 150 000 manifestants, est la plus grande marche pour les droits humains de l’histoire des États-Unis.
Pour l’essentiel, la politique de la NOW est libérale et réformiste. Dès 1968, un grand nombre de femmes l’ont quittée pour créer le Women’s Liberation Movement (WLM), bien plus radical. Elle reste cependant aujourd’hui l’une des plus importantes organisations féministes américaines, avec un demi-million de membres dans tous les États, et continue la lutte pour la ratification de l’ERA.
Manon TREMBLAY
NAUMANN, Cilla (CECILIA) [ENSKEDE, PRÈS DE STOCKHOLM 1960]
Romancière suédoise.
En 1995, Cilla Naumann fait ses débuts avec le roman primé Vattenhjärta (« cœur d’eau »). Parmi les livres qu’elle publie ensuite, Dom (« jugement », 2001) traite de la culpabilité et de la responsabilité à travers l’histoire d’une avocate et d’un médecin qui, bien que mariés depuis longtemps, ne se connaissent pas, et dont le fils, un jeune chercheur prometteur, est arrêté par la police qui le soupçonne de meurtre. Dans Dem oss skyldiga äro (« ceux qui nous ont offensés », 2002), les fils conducteurs de deux récits évoluent en parallèle pour se nouer d’une façon inattendue. Dans l’un, Katrin, une idéaliste qui a perdu ses illusions, rentre en Suède avec sa famille après avoir passé quinze ans en Amérique latine. Dans l’autre, Maria, une Sud-Américaine, ne peut s’empêcher de rêver aux jumeaux nouveau-nés qui auraient pu devenir ses enfants adoptifs si la famille de Katrin ne lui avait été préférée. Fly (« fuis », 2004) se prête à différentes interprétations et montre combien le mal peut être dangereusement proche du bien. Vad ser du nu (« que vois-tu maintenant », 2007) est le portrait d’une femme insaisissable dépeinte par quatre de ses proches qui l’aiment sans parvenir à la cerner. Peut-être est-ce justement l’essence de l’amour que de ne pas donner prise. Dans une langue pénétrée de psychologie, pleine de vie et de grâce, l’auteure se demande comment fonctionne la mémoire, ce qui définit le mensonge et la vérité, où se trouve la frontière entre la réalité et la fiction. Beaucoup de questions sont laissées sans réponse et la précarité fondamentale de l’existence est mise à nu. Les milieux où se déroule le récit sont décrits dans toute la richesse de leurs ambiances, qu’il s’agisse de l’archipel au large de Stockholm ou du centre de Paris. I cirklarna runt (« tourner en rond », 2009) s’interroge sur l’importance de l’ancrage dans un lieu de vie. Cilla Naumann a également écrit des livres destinés aux adolescents : Värsta brorsan (« le pire frangin », 2006), Kulor i hjärtat (« des balles dans le cœur », 2009) et 62 dagar (« 62 jours », 2011).
Inger LITTBERGER CAISSOU-ROUSSEAU
■ PETTERSSON C., Märkt av det förflutna ? Minnesproblematik och minnesestetik i den svenska 1990-talsromanen, Göteborg, Makadam, 2009.
NAVARRA, Gilda (née GARCÍA DAUBÓN) [1921]
Danseuse, actrice et metteuse en scène portoricaine.
Gilda Navarra étudie la danse contemporaine à partir de 1944, à New York, avec George Balanchine, Lincoln Kirstein et Martha Graham*, la danse espagnole, avec notamment Pilar López qu’elle accompagne en Espagne, où elle devient membre de la compagnie du Ballet espagnol. À Porto Rico, elle fonde, avec sa sœur Ana García, les Ballets de San Juan, qui posent les prémices de la danse professionnelle au Porto Rico. De 1961 à 1964, elle suit à Paris les cours d’Étienne Decroux, puis de Jacques Lecoq. À son retour à Porto Rico, elle met en scène un spectacle de mime fondé sur La Marmite de Plaute, avec les Ballets de San Juan. Elle enseigne à l’université de Porto Rico, puis fonde la compagnie El Taller de los Histriones (1971-1985), qui fait d’elle une des figures les plus importantes du monde théâtral de Porto Rico. Ses spectacles, mélange de danse, de mime et de commedia dell’arte, se caractérisent par leur grande qualité et la beauté des images. Les 16 mimodrames qu’elle met en scène sont le résultat d’adaptations d’œuvres classiques (comme Ocho mujeres, « huit femmes », fondé sur La Maison de Bernarda Alba ; La mujer del abanico, « la femme à l’éventail », d’après Hanjo de Mishima) ou de récits précolombiens, avec les thèmes populaires de l’imaginaire indien et l’exploration des mythes, qu’elle utilise à plusieurs reprises. Ses mises en scène portent sur des sujets très divers comme Los tres cornudos (« les trois cocus », 1971) sur les idées populaires de l’époque romaine ; Soleá (1980), dialogue sur le jazz et le flamenco. Elle continue à enseigner à l’université de Porto Rico et, en 2001, elle collabore avec Rosa Luisa Márquez à l’adaptation des contes de l’écrivain argentin Osvaldo Dragún.
Manuel GARCÍA MARTÍNEZ
NAVARRO, Julia [MADRID 1953]
Journaliste, romancière et essayiste espagnole.
Journaliste politique, Julia Navarro collabore à plusieurs organes de communication : l’agence Europe Press, les revues Panorama, Tiempo et Interviu, la radio et la télévision. Parmi ses premiers textes figurent PSOE, el desafío socialista, (« PSOE, le défi socialiste », 1977), Nosotros, la transición, 1982-1996, entre Felipe y Aznar, (« nous, la transition, 1982-1996, entre Felipe et Aznar », 1996), Castro Raimundo, la izquierda que viene (« Castro Raimundo, la gauche qui arrive », 1998). Une biographie, intitulée Señora presidenta (« Mme la présidente »), est publiée en 1999. Dans El nuevo socialismo (« le nouveau socialisme », 2001), elle revient sur les questions politiques, sujet de prédilection de ses chroniques journalistiques. Son roman historique, La hermandad de la Sábana santa (« la confrérie du drap saint », 2004), devenu un best-seller, traite de l’énigme du linceul qui aurait couvert le corps du Christ après sa crucifixion. Elle utilise des éléments historiques qu’elle reprend dans Le Secret d’argile (2005), où des trafiquants d’œuvres d’art, meurtriers professionnels sans scrupules, des curés complices, des êtres puissants agissent dans l’ombre. Le protagoniste de La sangre de los inocentes (« le sang des innocents », 2007) est un descendant des cathares à la recherche du Graal, à la veille de la Seconde Guerre mondiale ; le roman renvoie aux assassinats commis tout le long de l’histoire par le fanatisme religieux. L’auteure affirme que ce texte lui a été inspiré par la lecture des journaux actuels, bien que ce fanatisme soit aussi vieux que le monde. Dime quién soy (« dis-moi qui je suis », 2010) est l’histoire d’un journaliste à la recherche de son arrière-grand-mère, témoin des événements politiques du XXe siècle. Ses livres, dont plusieurs sont traduits en une trentaine de langues, connaissent un succès international. Écrivaine, J. Navarro tient aussi à son métier de journaliste, qu’elle juge indispensable à la démocratie et à la liberté.
Concepció CANUT
■ Le Secret d’argile (La biblia de barro, 2005), Saint-Victor-d’Épine, City, 2012.
NAVONE, Paola [TURIN 1950]
Designer et architecte d’intérieur italienne.
Diplômée d’architecture à l’université de Turin en 1973, Paola Navone publie, avec Bruno Orlandoni, son texte « Architettura radicale » l’année suivante, dans Casabella. Jusqu’en 1978, elle est consultante du Centrokappa (Kartell). En 1977, elle y organise, avec Andrea Branzi, l’exposition Il design italiano degli anni cinquanta (« le design des années 1950 ») ainsi que l’exposition textile de Naj Oleari et une exposition de chaises en plastique. En 1977, elle est consultante pour le magazine Modo. Elle dirige des recherches au Domus Study Center, à Milan. Elle travaille avec le groupe Global Tools et elle participe à plusieurs expositions avec Alchimia. Dans le même temps, elle commence à travailler avec l’entreprise Abet Laminati en tant que directrice artistique et comme designer, consultante et chercheuse pour plusieurs entreprises : Alessi ; Knoll (fauteuil, 1981) ; Gervasoni (canapé Helva 03, 1998) ; Driade (linge de lit, vases en aluminium Posh Pots, en 1995, dessus de lit Zita I-III, en 1998) ; Fiat ; la Casa Minimale ; Piazza Sempione (meubles de rangement, showroom et boutiques, 1998) ; Arcade (collections de vases, 1999) ; Antonongeli (collections de lampes, 2000) ; Casamilano (collections de meubles, de 2000 à 2002) ; Roche-Bobois (collection Ping Pong, 2002) ; Swarovski (lustre Morgana, 2002) ; Molteni & C (le lit Cité, le canapé Rivoli, le fauteuil Passy, en 2003, le canapé Marais, en 2004), ou Zanotta. Avec Giulio Cappellini et Rudi Dordoni, elle crée la marque Mondo pour Cappellini (canapé et fauteuil Mondo, 1988). Elle s’illustre en architecture et décoration d’intérieur avec le restaurant Interni à Athènes, en 1999, ou le restaurant Pane e acqua à Milan, les bureaux du Art Trading Group à Moscou et la ferme Fattoria Toscana habitée par Pino Brusone. En 1983, elle reçoit le Design Award au premier Festival du design international d’Osaka. Elle reçoit le prix Designer de l’année au Salon Maison&Objet à Paris, en 1999, et le prix Designer de l’année par le magazine Architektur & Wohnen à la Möble Messe de Cologne, en 2000. Le service New Baroque, édité par le porcelainier allemand Reichenbach, est lauréat du Design Plus 2005 Award. Elle intervient dans les universités d’architecture à Reggio Calabria et à Florence et au CPF Institute à Modène. À Milan, elle a installé ses bureaux et son logement dans une ancienne réserve à gorgonzola. L’endroit est aménagé avec des objets du monde entier. Ses fréquents voyages l’inspirent. Avec un raffinement inégalé, elle aime mêler les cultures pour créer des objets cosmopolites.
Marguerite DAVAULT
■ BERTI G., Nuove intenzioni del design, Milan, Ricerche Design Editrice, 1982 ; BRANZI A., Le Design italien, la Casa calda, Paris, Éditions de l’Équerre, 1985 ; BYARS M., The Design Encyclopedia, New York, The Museum of Modern Art, 2004 ; COLLECTIF, The AZ of Modern Design, Londres, Merrell, 2006 ; SATO K., Alchimia, Never Ending Italian Design, Tokyo, Rikuyo-Sha Publishing, 1985.
■ DORTIGNAC G., « Une ferme aussi décontractée que raffinée », in Côté Sud, août-sept. 2007.
NAVRATILOVA, Martina [PRAGUE 1956]
Joueuse de tennis tchéco-américaine.
Demeurée l’une des plus grandes joueuses de tennis du XXe siècle, Martina Navratilova, outre son palmarès impressionnant, tient une place à part dans le tennis féminin par son implication dans les luttes du « Women’s Lob », ainsi qu’on nomma spirituellement cet aspect spécifique du « Women’s Lib », où, dans la lignée de Billie Jean King*, elle s’est à son tour engagée pleinement, rebelle et non-conformiste dans l’âme.
En 1975, demi-finaliste de l’US Open, la Tchécoslovaque choisit de rester aux États-Unis ; apatride, elle devra attendre 1981 pour obtenir la nationalité américaine. Mais, dès 1978, cette gauchère au jeu fondé sur l’enchaînement service-volée, d’où le vif intérêt de ses fréquentes confrontations avec le jeu du fond de court de l’Américaine Chris Evert, met à profit la rapidité du gazon de Wimbledon pour entamer la série record de ses neuf victoires en simple jusqu’en 1990, part d’un formidable palmarès (quatre US Open, trois Open d’Australie, deux Roland-Garros) – étayé sur une préparation poussée dans tous les domaines possibles. C’est en 1978 également qu’elle devient numéro 1 du classement mondial, rang qui sera le sien jusqu’en 1986. En 1983 par exemple, son tableau de chasse alignera 86 victoires pour un seul match perdu. Son féminisme affirmé, son homosexualité revendiquée n’altèrent en rien une popularité planétaire engendrée, derrière ses lunettes à monture dorée, par sa personnalité extravertie et sa longévité sur les courts, matérialisée par plusieurs réapparitions après ses premiers « adieux » de 1994 au Madison Square Garden, jusqu’à un dernier titre de l’US Open 2006 (avec Bob Bryan) à deux mois de ses 50 ans. Au bout du compte, elle aura multiplié les victoires : 167 compétitions acquises en simple et 178 en double dames (dont la plupart avec Pam Shriver pour partenaire), sans même parler des mixtes. Longtemps proscrite par le régime communiste, elle a recouvré, en 2008, la nationalité tchèque.
Jean DURRY
■ Avec VECSEY G., Martina raconte Navratilova , Paris, Carrère, 1986.
NAWAL (Nawal MLANAO, dite) [COMORES 1965]
Auteure-compositrice-interprète, musicienne comorienne.
Surnommée la Voix des Comores, Nawal est la première femme de son pays à oser se produire sur scène. L’écoute passionnée des dieux du rock (James Brown, Jimi Hendrix), des chanteurs français exigeants (Jacques Brel, Claude Nougaro), ainsi que des chants soufis, de la musique arabo-perse et des rythmes bantous forment son oreille d’enfant. Arrivée à Paris, elle décide de promouvoir le patrimoine métissé des îles de la Lune à travers un répertoire engagé, décliné en quatre langues, qui prône l’amour, le respect des cultures et des religions, et l’émancipation de la femme. Artiste complète, elle s’accompagne invariablement de son luth traditionnel ou de sa guitare. À partir de 2006, elle compose des bandes originales pour différents cinéastes et collabore avec d’autres artistes. Après Kweli (2001) et Aman (2008), sa discographie s’est enrichie d’un troisième album, Caresse de l’âme (2011).
Anne-Claire DUGAS
■ Aman, Nawali Prod., 2008.
NAWAMANON, Irrawadi VOIR NAMOP
NAY, Catherine [PÉRIGUEUX 1944]
Journaliste politique française.
Après avoir expérimenté plusieurs filières dans l’enseignement supérieur à la fin des années 1960, Catherine Nay opte pour le journalisme et entre aussitôt à L’Express, éblouie par la personnalité de Jean-Jacques Servan-Schreiber et de Françoise Giroud*. Elle apprend son métier au service politique (1967-1975), notamment en compagnie de Michèle Cotta* et d’Irène Allier. Le trio se partage le suivi de la politique française – elle-même est responsable des dossiers de la droite – et recueille un vif succès, d’autant plus que les mœurs politiques françaises étaient en mutation profonde et que la place des femmes s’affirmait de plus en plus. À partir de 1991, elle collabore au Figaro magazine et assure une chronique à Valeurs actuelles dès 1993. Deux ans plus tard, recrutée par Étienne Mougeotte, elle devient directrice adjointe de la rédaction à Europe 1. Son introduction auprès de la garde rapprochée du général de Gaulle et de ses barons, son lien personnel avec Albin Chalandon, et l’amitié respectueuse de Pierre Messmer lui ouvrent les portes du sérail gaulliste qui apprécie la franchise de ses propos. Elle ne se contente pas d’être une éditorialiste de talent et une journaliste politique de renommée internationale. En 1980, sa plume acérée choisit pour cible Jacques Chirac et Valéry Giscard d’Estaing dans son livre La Double Méprise. Avec Le Noir et le Rouge (1984) et Les Sept Mitterrand ou les Métamorphoses d’un septennat (1988), elle tente de percer la personnalité complexe de François Mitterrand. Elle y décortique les contradictions de celui qui, après avoir servi Vichy, intégré la Résistance puis incarné la Gauche, a été porté au pouvoir suprême comme président de la République en 1981. Dans Le Dauphin et le Régent (1994), elle essaie de démêler l’écheveau des rapports difficiles entre Chirac et Mitterrand. En 2007, elle publie Un pouvoir nommé désir dans lequel elle analyse les raisons de l’irrésistible ascension de Nicolas Sarkozy. Un livre d’autant plus mordant que cette biographie est tout à la fois officielle et clandestine. Qualifiée de « spécialiste » des grands fauves de la politique française, C. Nay compte parmi les plus brillantes journalistes politiques françaises de ce début du XXIe siècle.
Jacques BARRAT
■ L’Impétueux, tourments, tourmentes, crises et tempêtes, Paris, Grasset, 2012.
NAYLOR, Gloria [NEW YORK 1950]
Romancière américaine.
D’origine modeste, Gloria Naylor est missionnaire pour les témoins de Jéhovah de 1968 à 1975, avant de s’installer à New York pour y faire ses études tout en travaillant comme réceptionniste. Pour son master préparé à l’université Yale, elle soumet ce qui deviendra son deuxième roman publié, La Colline aux tilleuls (1985). Son premier ouvrage, Les Femmes de Brewster Place (1982), est un succès immédiat et donne lieu à une adaptation télévisée dans laquelle Oprah Winfrey* joue l’un des rôles principaux (1989). Prenant comme modèle L’Œil le plus bleu, de Toni Morrison*, G. Naylor réécrit l’Enfer de Dante avec La Colline aux tilleuls. Puis paraissent Maman Soleil (1988), Bailey’s Café (1992), qui sera adapté pour le théâtre, et The Men of Brewster Place(1998). Les univers des romans de cette écrivaine, qu’ils soient urbains comme le quartier noir de Brewster Place ou ruraux comme l’île de Willow Springs, sont des univers de chaos qui font cependant une place à la transcendance et à la rédemption, dans une tension extrême. Sur les traces de Faulkner, G. Naylor construit une géographie imaginaire. L’intertextualité avec la littérature canonique (Dante ou Shakespeare) joue un grand rôle dans ses ouvrages, en écho aux écrivains noirs américains (Imami Amiri Baraka) et caribéens (Derek Walcott, Aimé Césaire) : Maman Soleil est une réécriture de La Tempête. Alors que le naturalisme de ses deux premiers romans se situait dans la ligne de The Street d’Ann Petry, le « réalisme magique » de Maman Soleil repose sur le lien à la culture africaine des esclaves et aux ancêtres. Dans son œuvre, G. Naylor met en scène des personnages féminins forts, aborde de front l’homophobie et dénonce l’exploitation des femmes. Récipiendaire d’une bourse Guggenheim (1988) et de prix prestigieux, G. Naylor enseigne dans plusieurs universités américaines et étrangères. Dans 1996 (2005), elle raconte la surveillance électronique dont elle dit faire l’objet de la part des services secrets américains depuis cette date.
Claudine RAYNAUD
■ Les Femmes de Brewster Place (The Women of Brewster Place, 1982), Paris, P. Belfond, 1987 ; La Colline aux tilleuls (Linden Hills, 1985), Paris, P. Belfond, 1990 ; Maman Soleil (Mama Day, 1988), Paris, O. Orban, 1990 ; Bailey’s Café (Bailey’s Café, 1992), Paris, Gallimard, 1994.
■ ANDRÈS E., RAYNAUD C., TANIS-PLANT S. (dir.), Entre apocalypse et rédemption, l’écriture de Gloria Naylor (colloque), Paris, L’Harmattan, 2010 ; GATES H. L., APPIAH K. A. (dir.), Gloria Naylor : Critical Perspectives Past and Present, New York, Amistad/Penguin USA, 1993.
NAZAR, Nigar [PAKISTAN 1948]
Dessinatrice pakistanaise de bande dessinée.
Ses dessins, publiés dès la fin des années 1960, ont fait de Nigar Nazar la première caricaturiste du Pakistan, et peut-être même du monde musulman. Gogi, son personnage féminin, qui apparaît en 1970 dans le journal pakistanais The Sun, se distingue par ses tenues à pois et son visage espiègle. Gogi lutte avec ses petits moyens dans une société sujette à de multiples discriminations, en particulier à l’égard des femmes. Le personnage devient très célèbre, et les bandes dessinées qui le mettent en scène ont été traduites en de multiples langues. Militante, N. Nazar dénonce les mariages arrangés, la violence domestique, les kamikazes, la misogynie, la corruption politique, le sida. Désormais reconnue à l’échelle internationale dans le monde des cartoonistes, elle a créé un studio de dessin animé, enseigne dans des écoles d’art et participe à de nombreux jurys internationaux. Elle participe aussi à des campagnes nationales et ses planches ont circulé dans tout le pays pour une campagne d’éducation sur les bus en faveur de l’environnement, de l’instruction des femmes et de l’unité nationale.
Cécile MÉADEL
NAZAR AHARI, Shiva [1984]
Journaliste, blogueuse et militante des droits de l’homme, iranienne.
Très jeune activiste, Shiva Nazar Ahari est à l’origine de plusieurs associations œuvrant pour la défense des droits de l’homme, la protection des enfants et des femmes. Ses articles sur le site Internet du Comité des reporters des droits humains lui valent les foudres du régime iranien, terrifié à la perspective d’une alliance entre le Mouvement vert (réformiste) et les étudiants activistes. Elle fait partie des membres fondateurs de la Société des femmes de Tara, qui se consacre à la défense pacifique des droits de la femme, et participe au lancement de la campagne One million of signatures (« un million de signatures ») contre la discrimination des femmes en Iran, initiée par Shirin Ebadi*, Prix Nobel de la paix. Vite repérée, elle fait partie des étudiants marqués d’un astérisque, classification initiée par Mahmoud Ahmadinejad depuis son arrivée au pouvoir en 2005. Trois astérisques conduisent à la prison. Son diplôme d’ingénierie civile en poche, S. Nazar Ahari se voit refuser l’inscription à l’examen d’entrée de l’école nationale. Elle est arrêtée plusieurs fois et emprisonnée pendant plusieurs semaines. L’inculpation la plus inquiétante a lieu en 2009 pendant les manifestations contre l’élection de M. Ahmadinejad. Emprisonnée durant trois mois, elle est relâchée puis de nouveau enfermée en décembre de la même année à la prison d’Evin, avec d’autres militants qui se rendaient aux funérailles du grand ayatollah Hossein Ali Montazeria. Elle passe plus de cent jours en isolement dans des conditions terribles : alimentée avec de la nourriture avariée, enfermée dans une cage, selon ses propres dires, et encourant la peine de mort à cause de son implication présumée dans l’Organisation des moudjahiddines du peuple iranien (Ompi), un groupe d’opposition exilé en Irak et considéré comme terroriste par les États-Unis. La militante dément toute implication dans le mouvement et obtient finalement une libération sous caution après le versement de 500 000 dollars à l’issue de son procès en 2010.
Audrey CANSOT
NDAGNOU, Joséphine [GALIM 1964]
Actrice et réalisatrice camerounaise.
Après des études secondaires au Cameroun, Joséphine Ndagnou part en France se former à l’École supérieure de réalisation audiovisuelle de Paris, avant de préparer une maîtrise en réalisation à la Sorbonne. De retour au Cameroun au début des années 1990, elle entame une carrière d’actrice dans divers téléfilms, notamment Japhet et Ginette et L’Étoile de Noudi où son interprétation du personnage de Ta Zibi lui permet d’accéder à la notoriété. Après quelques rôles dans le court-métrage de Jean-Marie Teno, Le Dernier Voyage (1990), et des réalisations pour la télévision camerounaise (CRTV), elle incarne Natou dans Les Saignantes de Jean-Pierre Bekolo Obama (2005). Deux ans plus tard, elle réalise Paris à tout prix (2007), son premier long-métrage de fiction, où elle joue le rôle principal. Film sur l’immigration, il a été primé au Festival panafricain du cinéma de Ouagadougou (Fespaco) 2009 ainsi qu’au festival de cinéma Vues d’Afrique à Montréal, et constitue l’un des plus grands succès du cinéma camerounais des vingt dernières années.
Dorine EKWE
NDEGEOCELLO, Meshell (MICHELLE LYNN JOHNSON, dite) [BERLIN 1968]
Chanteuse et musicienne soul, jazz, hip-hop américaine.
Élevée à Washington où elle étudie à la Duke Ellington School of the Arts, Michelle Lynn Johnson adopte à l’âge de 17 ans le pseudonyme Meshell Ndegeocello, qui signifie « libre comme un oiseau » en swahili. Bassiste, elle fait ses débuts avec la scène go-go funk de Washington, avant de signer en 1993 son premier album, Plantation Lullabies. L’année suivante, elle enregistre un titre avec Herbie Hancock pour la compilation Red Hot + Cool, en faveur de la lutte contre le sida. Le grand public la découvre grâce à son duo avec John Mellencamp, Wild Night (1994), et au tube dance Who Is He (and What Is He To You), qu’elle produit en 1996. Elle développe un style unique, mixant différentes influences afro-américaines contemporaines (funk, soul, hip-hop, jazz), et joue avec des artistes prestigieux tels que le bassiste Marcus Miller ou le groupe gospel The Blind Boys of Alabama. Elle travaille entre autres avec Madonna*, la chanteuse soul Chaka Khan, Alanis Morissette*, et participe au film Standing in the Shadows of Motown. Malgré un univers singulier et une personnalité discrète, M. Ndegeocello, nominée dix fois aux Grammy Awards, est une artiste et productrice très influente aux États-Unis. Elle collabore également avec des artistes établis en Europe, comme le groupe Zap Mama* (2009), et réalise l’album Time du poète et slameur trinitéen Anthony Joseph, paru début 2014. Son nouvel album, Comet Come To Me, paraît la même année.
Jean BERRY
■ Peace Beyond Passion, Maverick, 1996 ; The Spirit Music Jamia : Dance of the Infidel, Shanachie, 2005 ; Pour une âme souveraine : A Dedication to Nina Simone, Naïve, 2012.
NDIAYE, Marie [PITHIVIERS 1967]
Romancière et dramaturge française.
Née d’une mère française et d’un père d’origine sénégalaise, dès l’adolescence Marie NDiaye se consacre à l’écriture, avant d’entreprendre en Sorbonne des études de linguistique. Après un séjour à la villa Médicis à Rome, elle publie son premier roman, Quant au riche avenir, en 1985. D’abord romancière, l’auteure compose aussi des nouvelles (Tous mes amis, 2004) et des drames (Papa doit manger, entré au répertoire de la Comédie-Française ; Puzzle, co-écrit avec Jean-Yves Cendrey). Son œuvre déploie les thèmes de l’imposture, de la dépossession et de l’aliénation (La Femme changée en bûche, 1989 ; En famille, 1990 ; Rosie Carpe, prix Femina 2001). La lutte pour la reconnaissance, la revendication d’une identité menacée, voire indistincte animent ses personnages. La honte, la culpabilité, la peur de l’exclusion, l’obsession du complot sont les affects majeurs d’êtres marginaux, investis d’une clairvoyance et d’une puissance surhumaines (La Sorcière, 1996) ou bien victimes égarées de l’ingratitude et de l’oppression. La famille apparaît souvent pathogène, le village inhospitalier, la société hostile. La réalité, empirique elle-même, présente jusque dans sa trivialité, est énigmatique, opaque, et soumise à d’inquiétantes métamorphoses (Un temps de saison, 1994 ; Autoportrait en vert, 2005). Dans cette œuvre peuplée de fantômes, qui fait prendre l’hallucination pour la perception, le fantasme pour le réel, le lecteur est entraîné par une fantaisie proche de la folie. La duplicité des expériences et le renversement des apparences sont la marque de son œuvre. Que l’ampleur de la phrase et le fantastique des fictions s’imposent ou s’apprivoisent, la trahison des siens et des liens l’obsède. Mon cœur à l’étroit, premier roman à la première personne, raconte une série de refoulements et relégations induits par la peur, tandis que Trois femmes puissantes, qui obtient le prix Goncourt en 2009, met l’accent sur le courage et la rage de vivre. L’œuvre romanesque se caractérise par l’exotisme des situations et des impressions et par la force des émotions passionnelles.
Marie-Hélène BOBLET
■ En famille, Paris, Éditions de Minuit, 1990 ; La Sorcière, Paris, Éditions de Minuit, 1996 ; Hilda, Paris, Éditions de Minuit, 1999 ; Providence, Chambéry, Comp’act, 2001 ; Les Serpents, Paris, Éditions de Minuit, 2004 ; Les Grandes Personnes, Paris, Gallimard, 2011.
NDIAYE KANDJI, Woré [BRAZZAVILLE ]
Essayiste congolaise.
De mère congolaise et de père sénégalais, après des études à Dakar, en 1995, elle consacre une année à des actions communautaires dans les zones rurales de plusieurs régions du Sénégal avec le GEEP (Groupe d’études pour l’enseignement aux populations). Elle poursuit des études de commerce à New York. Exerçant dans l’industrie de la mode, elle fréquente les salons internationaux de commerce ou le trade show de New York. Elle rejoint ensuite l’UNA-USA (association des Nations unies aux États-Unis), où, en collaboration avec le ministère de l’Éducation de la Ville de New York, elle enseigne le programme de « Global Classrooms » au sein de plusieurs établissements scolaires. Elle est membre du Indaba Africa Center de New York et a fondé une organisation spécialisée dans l’éducation et la diffusion de pratiques de sauvegarde de l’environnement. À travers son roman-essai Nous sommes tous coupables (2011), elle invite à une réflexion sur le rôle et la responsabilité des femmes africaines. Elle collabore au magazine féminin Amina et traite sur Network de la situation des femmes africaines exceptionnelles.
Alexandra AHOUANDJINOU
NDOYE, Mariama [RUFISQUE 1953]
Romancière et poétesse sénégalaise.
Originaire du Sénégal, Mariama Ndoye a longtemps vécu en Côte d’Ivoire, au Cameroun et en Tunisie avant de rentrer au Sénégal. Publié en 2001, son roman Comme du bon pain regroupe un certain nombre des thèmes traditionnels du roman féminin africain – polygamie, stérilité comme moyen de pression exercé par la belle-famille sur le mari afin qu’il prenne une deuxième épouse et faiblesse de ce dernier à résister aux exigences familiales. Elle innove cependant par son inscription de ces questions dans une représentation érotique du corps féminin. À l’instar de Mariama Bâ* ou d’Angèle Rawiri, M. Ndoye retrace le destin d’une femme de 40 ans dont le mari vient d’épouser une femme plus jeune qu’elle et, qui plus est, enceinte. Allant plus loin que M. Bâ dans Un chant écarlate et s’inscrivant dans la lignée de Ken Bugul* dans Riwan, elle explore la question de la séduction, de la sensualité et de l’intimité. Autant de thèmes qui apparaissent dans ses nouvelles, De vous à moi, ainsi que dans les romans populaires qu’elle écrit pour la collection « Adoras ». De retour à Dakar, elle organise des rencontres littéraires depuis 2011 en tant que directrice du livre et de la lecture au ministère de la Culture.
Odile CAZENAVE
■ De vous à moi, Paris, Présence africaine, 1990 ; Sur des chemins pavoisés, Abidjan, Ceda, 1993 ; Parfums d’enfance, Abidjan, NEI, 1995 ; Soukey, Abidjan, NEI, 1999 ; Comme du bon pain, Abidjan, NEI, 2001.
NEATBY, Hilda [SUTTON, GRANDE-BRETAGNE 1904 - SASKATOON 1975]
Historienne canadienne.
D’origine britannique, les parents de Hilda Neatby et leurs huit enfants émigrent en Saskatchewan en 1906. Après avoir exercé la médecine, son père devient agriculteur-défricheur dans une région de colonisation offrant des conditions d’existence difficiles. De retour à Saskatoon en 1919, la jeune femme s’inscrit en histoire à l’université de Saskatchewan. Après avoir brièvement envisagé de devenir professeure de niveau secondaire et enseigné l’histoire canadienne à l’université de Saskatchewan, elle se lance dans un doctorat à l’université du Minnesota, qu’elle obtient en 1934. Elle accepte ensuite un temps partiel au collège Regina, filiale de l’université de Saskatchewan où elle demeure douze ans. Elle est, durant cette période, invitée comme professeure remplaçante en histoire à l’université de Toronto qui ne lui offre jamais de poste permanent. C’est finalement à l’université de Saskatchewan que H. Neatby trouve, en 1946, un poste de professeure régulier, première position professionnelle en histoire offerte à une femme dans une université canadienne. Elle-même ne facilite pas particulièrement l’embauche d’autres femmes dans le département d’histoire, dont elle est directrice de 1958 à 1969. H. Neatby joue un rôle important dans la commission Massey (1949-1951) qui permet notamment la création du Conseil des arts et de la Bibliothèque nationale du Canada et le renforcement de l’Office national du film au cours des années 1950. Seule femme de la commission, elle est, avec Georges-Henri Lévesque, le bras droit du commissaire principal, Vincent Massey. À la suite de cette expérience, H. Neatby publie So little for the Mind (1953), son ouvrage le plus célèbre, où elle propose une vision de l’éducation qui suscite de nombreux débats et l’élève au rang d’intellectuelle publique incontournable dans le champ de l’éducation. Elle y pourfend les systèmes provinciaux d’éducation publique (surtout anglo-canadiens), qui s’inspireraient trop des thèses de John Dewey et des principes de la « nouvelle éducation » centrée sur l’enfant et l’action. Elle considère que ces nouvelles approches affaiblissent la transmission des connaissances et des méthodes nécessaires à une formation intellectuelle rigoureuse. Première femme présidente de la Société historique du Canada en 1962, H. Neatby poursuivit intensivement son travail de professeure et d’historienne, malgré une santé très fragile, jusqu’à son décès.
Hélène CHARRON
■ HAYDEN M., So Much To Do, So Little Time : The Writings of Hilda Neatby, Vancouver, University of British Columbia Press, 1983 ; WRIGHT D., The Professionalization of History in English Canada, Toronto, University of Toronto Press, 2005.
NEBOUT, Claire [BOURG-LA-REINE 1964]
Actrice française.
Formée à la danse contemporaine au Centre national de danse de Paris, Claire Nebout fait ses débuts au cinéma à 19 ans. André Téchiné la révèle dans Le Lieu du crime (1986), aux côtés de Catherine Deneuve*. Son allure androgyne lui permet d’incarner des personnages très différents : Claude Zidi (Associations de malfaiteurs, 1987) et Christopher Franck (Spirale, 1987), puis plus tard Vincent Ravalec (Cantique de la racaille, 1998) vont lui donner des rôles de femme fatale, et Danièle Dubroux* celui d’une dominatrice (Eros Thérapie, 2004). En 1996, elle s’impose pour jouer le chevalier d’Éon, célèbre travesti du XVIIIe siècle, dans Beaumarchais l’insolent, d’Édouard Molinaro. Cliente désinvolte et exhibitionniste de Vénus Beauté Institut (1999) pour Tonie Marshall*, elle incarne une discrète épouse de président de la République pour Lionel Delplanque (2006). Elle a joué de nombreux rôles pour la télévision et le théâtre, notamment dans Huis clos de Jean-Paul Sartre, mis en scène par Robert Hossein (2000), ou Les Monologues du vagin d’Eve Ensler* (2003) sous la direction d’Isabelle Ratier.
Marina MOURRIN
NECHIT, Irina [ANTONEȘTI 1962]
Auteure et critique littéraire moldave.
Diplômée de la faculté de journalisme de l’université d’État de Moldavie, Irina Nechit écrit, entre 1990 et 2000, des articles sur des événements artistiques et culturels pour l’hebdomadaire Literatura şi arta (« la littérature et l’art ») et, à partir de 2005, pour le quotidien Jurnal de Chișinău. Elle fait ses débuts littéraires avec le recueil Șarpele mă recunoaște (« le serpent me reconnaît », 1992), pour lequel elle reçoit le Prix du meilleur écrivain débutant de l’Union des écrivains moldaves, qui primera aussi son recueil Cartea rece (« le livre froid », 1996). Sa poésie, de laquelle émane un tragique diffus, se veut un témoignage personnel sur la condition et la sensibilité féminines. Le langage minimaliste du recueil Copilul din mașina galbenă (« l’enfant de la voiture jaune », 2010), l’associe aux générations littéraires plus récentes. Le volume de critique théâtrale Godot, eliberatorul (« Godot, le libérateur », 1999) reçoit le Prix du meilleur critique décerné par l’Union du théâtre de Moldavie. I. Nechit écrit elle-même des pièces de théâtre : Proiectul unei tragedii (« projet d’une tragédie », 2001) actualise, dans le registre parodique, l’antique Iphigénie en Tauride d’Euripide ; 7 aprilie 2009 et Coridorul morții (« le corridor de la mort ») sont écrites dans la foulée des révoltes de Chișinău d’avril 2007 ; le monodrame Nudiștii (« les nudistes »), mis en scène au théâtre national Mihai-Eminescu de Chișinău en 2010, met en cause un certain nombre d’idées reçues associées à la féminité dans une société patriarcale. I. Nechit a collaboré à des projets d’histoire orale et réalisé des entretiens sur les problèmes liés à la condition des femmes dans la société : Femeia în labirintul istoriei (« la femme dans le labyrinthe de l’histoire », 2003), Democraţia la feminin (« la démocratie au féminin », 2005), Femeia ca factor de stabilitate în zonele de conflict (« la femme comme facteur de stabilité dans les zones de conflit », 2006).
Aurélia BORZIN et Petru NEGURĂ
■ CIMPOI M., « Irina Nechit », in O istorie deschisă a literaturii române din Basarabia Bucarest, Editura fundaţiei culturale române, 2008 ; RACHIERU A. D., « Irina Nechit, între suferință și așteptare », in Poeți din Basarabia, Chișinău, Academiei române/Știința, 2010.
NECKER, Suzanne (née CURCHOD) [CRASSIER 1737 - LAUSANNE 1794]
Écrivaine suisse et pionnière de l’hygiène dans les hôpitaux en France.
Fille d’un ministre protestant du Pays de Vaud, Suzanne Curchod reçut une éducation soignée. Restée orpheline et sans ressources, elle suivit une bienfaitrice à Paris où elle épousa le banquier suisse Jacques Necker en 1765, et éleva sa fille Germaine, née en 1766, future Mme de Staël*. Le salon littéraire qu’elle fonda la même année devint l’un des plus prisés de la capitale. En 1779, elle créa aussi l’hospice de Charité, sur les paroisses de Saint-Sulpice et du Gros-Caillou (devenu l’hôpital Necker), et son travail, notamment sur l’instauration de règles d’hygiène, eut une répercussion importante sur l’état sanitaire des hôpitaux en France. Les difficultés politiques essuyées par son mari forcèrent le couple à retourner en Suisse où elle mourut en 1794. S. Necker écrivit beaucoup, mais publia peu : son seul texte paru de son vivant s’intitule Des inhumations précipitées (1790) ; son mari se chargera de publier le reste : Réflexions sur le divorce (1794) ; Mélanges (1798) et Nouveaux mélanges (1801). Bien qu’incomplets et sans ordre chronologique, ces cinq volumes révèlent une fébrile activité d’écriture qui se manifeste dans ses journaux intimes, ses maximes et réflexions, ainsi que dans les innombrables lettres qu’elle échangea avec une multitude de correspondants.
Nadine BÉRENGUIER
■ DUBEAU C., « L’épreuve du salon ou le monde comme performance dans les Mélanges et les Nouveaux mélanges de Suzanne Necker », in Cahiers staëliens, no 57, 2006 ; GOODMAN D., « Le spectateur intérieur : les journaux de Suzanne Necker », in Littérales, no 17, 1995.
NÉDEY-SAIAG, Marie-Claude [1953]
Pédopsychiatre française.
Ancienne interne des Hôpitaux de Paris (1978), ex-chef de clinique, praticienne attachée au service de psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent à l’hôpital Robert-Debré à Paris, Marie-Claude Nédey-Saiag est spécialiste des enfants hyperactifs. Ce trouble du comportement, appelé trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH), affecte le contrôle de soi et la concentration, mais aussi les relations avec les membres de la famille et l’apprentissage scolaire. Selon une étude américaine, 3 à 5 % des enfants en souffriraient à des degrés variables. Ces enfants « ingérables », qui agissent avant de réfléchir (le trouble influe sur la partie du cortex qui permet de réfréner ses impulsions) et ne vivent que dans la satisfaction immédiate de leurs envies, épuisent et exaspèrent leur entourage. Explications, réprimandes, sanctions sont inefficaces. Les parents, impuissants, acceptent mal que ces enfants normalement intelligents soient incapables de se maîtriser. Les psychiatres ne reconnaissent pas l’existence du TDAH. Beaucoup considèrent que l’hyperactivité n’est qu’un symptôme parmi d’autres, manifestant des difficultés plus générales d’ordre psychologique.
M.-C. Nédey-Saiag est une des premières, en France, à animer des groupes de parents d’enfants hyperactifs en ayant adapté un programme mis au point par le chercheur américain Russell A. Barkley, d’inspiration comportementale. Il ne s’agit pas de guérir le trouble, mais d’aider les parents à mieux gérer le comportement des enfants hyperactifs, comportement qui peut rester difficile, même si le traitement par le méthylphénidate (plus connu sous le nom de Ritaline) est efficace. Le travail avec les parents porte sur deux grands axes : la cohérence, pour inciter les parents à réagir ensemble, et toujours de la même façon, à un comportement donné ; l’approche positive, pour les amener à prêter attention à tout ce que l’enfant fait bien, et restaurer une meilleure relation. La grande préoccupation de M.-C. Nédey-Saiag est d’améliorer le fonctionnement familial.
Yvette SULTAN
■ Avec DUGAS M., ALBERT E. et al., L’Hyperactivité chez l’enfant, Paris, Presses universitaires de France, 1987 ; avec BIOULAC S, BOUVARD M., Comment aider mon enfant hyperactif ? , Paris, O. Jacob, 2007.
NEDREAAS, Torborg [BERGEN 1906 - NESODDEN 1987]
Écrivaine norvégienne.
Après une formation de pianiste et de professeure de musique, Torborg Nedreaas épouse, en 1931, Nicolai Kieding dont elle aura deux enfants, mais demande la séparation en 1938 et se met à écrire, avec succès, des nouvelles pour des magazines et revues, sous le nom de Tob Kieding. Après son divorce, elle reprend son nom de naissance et écrit deux recueils de nouvelles qui paraissent en 1945, après la grève lancée par la Société des écrivains et les grandes maisons d’édition pour protester contre le régime nazi. Le recueil Derrière l’armoire, la hache (1945), aux motifs guerriers et à tendance antihéroïque, est salué par la critique. Plusieurs nouvelles évoquent avec indulgence des femmes qui ont eu des liaisons avec des Allemands, alors que les « bons » Norvégiens sont présentés sous un jour ironique. Comme Cora Sandel*, Torborg Nedreaas est encline à briser les tabous. En 1947, elle se remarie avec le juriste Aksel Bull Njå et publie La Nuit volée, qui relate la vie tragique d’une femme et décrit en détail plusieurs avortements volontaires et illégaux. Très critiqué lors de sa parution, ce roman conquiert de très nombreuses lectrices et est adapté au théâtre et à la télévision. L’œuvre principale de l’écrivaine est un récit d’enfance et d’apprentissage que l’on pourrait aussi qualifier d’« autofiction » décliné en trois volumes : Trylleglasset (« le prisme magique, 1950) ; Musique d’un puits bleu (1960) et Ved neste nymåne (« à la prochaine lune », 1971). Ce récit comporte une description réaliste d’un milieu socialement composite de Bergen aux alentours de la Première Guerre mondiale, ponctuée de critiques ayant pour cibles l’injustice sociale et le cynisme des commerçants qui profitent de la guerre. Dans ce décor, une jeune fille animée par un ardent besoin de contacts est négligée par ses parents. Les recueils Stoppested (« arrêt », 1953) et Den siste polka (« la dernière polka », 1965), dont plusieurs nouvelles sont adaptées au théâtre radiophonique, parlent d’enfants ou de femmes marginales sous une forme souvent métaphorique et suggestive, souvent onirique. Communiste convaincue sans avoir jamais été membre du parti, T. Nedreaas reste loyale à ses idéaux quand son mari est exclu en 1950.
Irene IVERSEN
■ Derrière l’armoire, la hache (Bak skapet står øksen, 1945), Paris, Cambourakis, 2011 ; La Nuit volée (Av måneskinn gror det ingenting, 1947), Paris, Cambourakis, 2010 ; Musique d’un puits bleu (Musikk fra en blå brønn, 1960), Paris, Cambourakis, 2009.
■ SVENSEN Å., De ti sannheter, Bergen, Fagbokforlaget, 2007.
NEEL, Alice [MERION SQUARE 1900 - NEW YORK 1984]
Peintre américaine.
Après des études à la Philadelphia School of Design for Women, Alice Neel se rend avec son mari, le peintre Carlos Enríquez (1900-1957), à La Havane, où elle fréquente l’avant-garde artistique cubaine. La maladie mortelle de sa première fille, Santillana, marquera l’esprit de sa peinture, hantée par la question de la maternité jusqu’à la fin de sa vie. A. Neel s’installe à New York en 1926. La naissance de sa deuxième fille, Isabetta, lui inspire un tableau à la fois cruel et grotesque (Well Baby Clinic, « clinique pour nouveau-nés », 1928), dans lequel la maternité prend des airs d’hôpital psychiatrique. En 1930, C. Enríquez retourne à Cuba avec leur fille. A. Neel entre alors dans une période de dépression et fait une tentative de suicide. Après un séjour d’un an dans une institution psychiatrique de Philadelphie, elle revient à New York en 1931, où elle peint une série de portraits de personnages typiques de la vie new-yorkaise, comme celui du « clochard céleste » de Greenwich Village, Joe Gould, dont le corps nu se voit affublé d’une kyrielle de pénis. Dans les années 1930-1940, son œuvre, consacrée pour l’essentiel au portrait, est empreinte d’une dimension à la fois sexuelle et politique. C’est ainsi qu’elle se lie, sentimentalement et politiquement, avec les membres du parti communiste américain, dont elle réalisera de nombreux portraits. Sa relation amoureuse avec le cinéaste, photographe et critique Sam Brody (avec qui elle aura un enfant) s’accompagne d’une intense activité militante dans la presse communiste des États-Unis. C’est surtout à la fin des années 1960 qu’A. Neel devient une véritable icône, à la faveur de l’influence grandissante du Mouvement de libération des femmes. Son portrait de la féministe Kate Millet* pour la couverture de Time Magazine la met sous les feux des projecteurs. En 1974, le Whitney Museum of American Art lui consacre une grande rétrospective. Depuis sa mort en 1984, l’importance de cette peintre n’aura de cesse de s’accroître. Son petit-fils, Andrew Neel, lui consacre un film en 2007, et son exposition posthume (Alice Neel Painted Truths), organisée par le Museum of Fine Arts de Houston en 2010, est également présentée à la Whitechapel Gallery de Londres et au Moderna Museet de Malmö en Suède.
Bernard MARCADÉ
■ HOBAN P., Alice Neel : The Art of Not Sitting Pretty, New York, St Martin’s Press, 2010.
NEERA (Anna ZUCCARI, dite) [MILAN 1846 - ID. 1918]
Écrivaine italienne.
Orpheline très jeune, Anna Zuccari fut élevée par de vieilles tantes à Caravaggio, en Lombardie. Dès l’enfance, elle ressentit le besoin d’écrire et de se raconter, bien qu’elle n’ait pas eu l’occasion d’approfondir ses études, contrairement à ses frères. En 1871, elle épousa Emilio Radius. À Milan, elle entretint des amitiés de haut niveau (Luigi Capuana, Matilde Serao*, Giovanni Segantini). Une première nouvelle, publiée dans Il Pungolo en 1875 et signée Neera, lui permit d’entamer une prestigieuse collaboration avec la revue Il Fanfulla et d’entreprendre une brillante carrière littéraire, largement encouragée par L. Capuana et surtout par Benedetto Croce, qui publia en 1919 son autobiographie inédite, Una giovinezza del secolo XIX (« une jeunesse du XIXe siècle »). En dehors de ses récits – Novelle gaie (« nouvelles gaies », 1879) –, de ses études morales – L’amor platonico (« l’amour platonique », 1897), Les Idées d’une femme sur le féminisme (1908) – et d’une comédie – Laura –, Neera écrivit surtout de nombreux romans où elle analysa la condition féminine à son époque et rendit hommage aux femmes courageuses s’étant sacrifiées pour un idéal supérieur et pour le bien de leur famille.
Marta SAVINI
■ Thérèse (Teresa, 1886), Paris, Hachette, 1899 ; Les Idées d’une femme sur le féminisme (Le idee di una donna, 1908), Paris, V. Giard et E. Brière, 1908.
■ ARSLAN A., PASQUI M., Ritratto di signora, Neera (Anna Radius Zuccari) e il suo tempo, Milan, Comune di Milano, 1991 ; FOLLI A., Penne leggere, Neera, Ada Negri, Sibilla Aleramo, scritture femminili italiane fra Otto e Novecento, Milan, Guerini, 2000.
NÉFERTITI (XVIIIe dynastie) [V. 1370 à 1333 - 34 aV. J.-C.]
Le nom de Néfertiti, comble de gloire et d’énigmes, est une hypothèse. La beauté est inscrite en ce nom – Néfertiti signifiant « la Belle est venue ». Outre le buste célèbre qui fascine toujours ceux qui le contemplent, et son titre officiel de Grande Épouse royale, diverses appellations soulignent un aspect remarquable – ordinaire et universel – de sa vision du monde : une exigence d’amour. On la nomme et surnomme « l’aimée », « la bien-aimée », « douceur d’amour », « dame de grâce », « possédée du charme ». Mais, par-delà images, sentiments et fantasmagories, la notion de « beauté », identifiée à la plénitude d’être, vise à donner tout son éclat à un personnage de femme tenue, par différents chercheurs, historiens et penseurs, pour la créatrice du monothéisme. En liaison intime avec son tout jeune époux, le pharaon Amenhotep IV-Akhenaton (XVIIIe dynastie, 1375-1358 avant l’ère chrétienne), Néfertiti aurait, en donnant au concept de dieu unique (solaire) à la fois sa puissance d’« Unique » au delà du divin, sa charge d’« Humanité » et son être de « Raison », imprimé à la culture humaine une avancée d’une portée incommensurable. Le relais, assuré par le monothéisme juif avec ses séquences légendaires (esclavage en Égypte, révélation sinaïque, alliance mosaïque), a permis, par-delà d’épouvantables tragédies, de maintenir jusqu’à ce jour l’héritage néfertitien, saisi, oserait-on dire, à sa racine, sa « source de vie » : chaque année, à l’occasion de la Pâque juive, un rituel immémorial relance le leitmotiv fondateur le plus poignant de l’historicité juive : « Nous sommes sortis du pays d’Égypte, de la maison d’esclavage. »
Freud a consacré son dernier ouvrage, l’un des plus hardis, L’Homme Moïse et la Religion monothéiste (1939), à l’analyse de la transmission de l’invention monothéiste. Moïse, prêtre égyptien de l’entourage d’Akhenaton, aurait choisi une population de nomades juifs retenus esclaves en Égypte pour être dépositaire de la croyance nouvelle, que s’acharne à détruire, à la mort du jeune pharaon hérésiarque, la caste sacerdotale traditionnelle. « Ce fut le seul homme Moïse qui a créé les Juifs », tranche le père de la psychanalyse, qui signale néanmoins d’autres facteurs à l’œuvre : tendance à l’unité politique du vaste empire pharaonique, influences idéologiques venues d’Asie. Il rappelle que « nombre d’épouses royales furent des princesses asiatiques, et il se peut même que des incitations directes au monothéisme vinrent de Syrie. » (En note, unique référence à la femme créatrice : « peut-être même Néfertiti, épouse aimée d’Amenhotep ».)
Longtemps avant Freud, Karl Abraham, un des premiers analystes, avait traité du sujet sous le titre : « Amenhotep IV (Echnaton). Contribution psychanalytique à l’étude de sa personnalité et du culte monothéiste d’Aton » (1912). Son analyse se fonde sur l’incontournable complexe d’Œdipe : attachement du jeune roi à la mère, relation conflictuelle avec le père. Pour « abattre » ce dernier, souverain suprême, le fils en appelle à un principe supérieur, la divinité solaire Rê, qu’il élève au rang de puissance universelle unique, sous le nom d’Aton. Il l’inscrit dans son propre nom, Akhenaton, et crée à quelques centaines de kilomètres au nord de Thèbes, capitale aux mains du clergé adorateur d’Amon, la ville nouvelle d’« Akhen-Aton », l’actuel Tell-el-Amarna, site des précieuses découvertes qui nous éclairent sur la « culture amarnienne » à laquelle est associé le nom de Néfertiti.
Il semble admis que Néfertiti a joué, au sein du couple pharaonique engagé dans l’aventure monothéiste, un rôle original et durable. Akhenaton, affligé de l’« agressivité » névrotique que décrit Karl Abraham, traite le « Dieu-Soleil » en puissance politico-religieuse totalitaire. Mais il désigne aussi Aton comme source de vie, dispensateur de toute forme d’existence – la Vie même, appréhension d’allure « scientifique », proche d’un athéisme ou d’un panthéisme à la Spinoza, qui desserre les emprises de la mort, Thanatos, si actives dans la civilisation égyptienne (tombeaux, pyramides, momies). Néfertiti pousse encore plus loin la perspective vitaliste. De par ses origines (« orientales » ?), son milieu (présence sensible des mères), mais surtout la structure même de sa personnalité, Néfertiti introduit des valeurs affectives peu sollicitées à l’époque : amoureuses (tendresse, attachement), féminines (beauté), maternelles (procréatrice de vie, elle a engendré six filles). L’esthétique « amarnienne » réfracterait la perception néfertitienne de la réalité, approchée avec spontanéité, ingénuité, respect, gratitude.
S’interrogerait-on sur la persistance, au sein du judaïsme, d’un certain refoulé néfertitien – on ne manquerait pas de prendre acte d’une tenace quoique obscure dimension féminine (à dominante maternelle) qui court et diffuse à travers divers commentaires talmudiques et kabbalistiques. Vient à l’esprit, parmi tant d’autres, pour son titre si éloquent, l’ouvrage, écrit en arabe, du poète juif Salomon Ibn Gabirol (1020-1053), Makor Haïm, La Source de vie – ou encore les retrouvailles de la figure de gloire nommée « Chekhina », « Présence divine » chaleureuse et mystique, perçue réalistement comme avatar d’un statut de « mère judaïque-néfertitienne ».
Roger DADOUN
NEGRI, Ada [LODI, LOMBARDIE 1870 - MILAN 1945]
Écrivaine italienne.
Née dans une famille pauvre, Ada Negri perd son père très jeune. Grâce aux efforts de sa mère, tisseuse, qui travaille dur pour subvenir seule aux besoins de sa famille, elle obtient un diplôme d’institutrice en 1887. Après avoir enseigné dans un pensionnat pour filles, elle est envoyée dans une école de la province de Pavie. Encouragée par la publication de certains de ses poèmes dans un journal local, elle envoie quelques-uns de ses textes à Illustrazione Popolare, revue publiée en supplément du Corriere della Sera et dirigée par Raffaello Barbiera. C’est pour elle le début d’une nouvelle vie intellectuelle. Elle reçoit la visite décisive de l’écrivaine Sofia Bisi Albini qui, avec R. Barbiera, mettra tout en œuvre pour que soit publié un recueil de ses poèmes. En 1892 paraît Fatalità, œuvre de dénonciation antibourgeoise qui devient rapidement un phénomène littéraire ; la colère avec laquelle est décrite la misère des classes les plus pauvres vaut à A. Negri le surnom de « vierge rouge ». En 1892, elle emménage à Milan où elle fait la connaissance de la gynécologue et militante féministe Anna Kuliscioff, du socialiste Filippo Turati et des époux Luigi et Ersilia Majno, à l’initiative de nombreuses actions sociales. En 1894, elle remporte le prix Giannina Milli de poésie. En 1895, paraît son deuxième recueil de poèmes, Tempeste. L’année suivante, A. Negri épouse l’industriel Giovanni Garlanda, admirateur de sa poésie, avec lequel elle aura deux filles, dont l’une mourra un mois après sa naissance. Son expérience de mère lui inspire le recueil Maternità, poésies (1904). Entre 1913 et 1916, la poétesse s’installe à Zurich où sa fille a été envoyée par son père dans un pensionnat. Cette expérience lui fournit la matière des vers du recueil Esilio (« exil », 1914) et la pousse à rédiger sa première œuvre en prose, Les Solitaires (1917), publiée à son retour en Italie grâce aux encouragements de Margherita Sarfatti*. Pendant la guerre, elle s’engage en portant assistance aux blessés. Parmi ses publications suivantes, L’Étoile du matin (1921), récit autobiographique à la troisième personne de son enfance et de son adolescence, fait l’unanimité auprès de la critique. En 1929 paraît le recueil de récits Sorelle, qui témoigne de l’admiration de l’écrivaine pour les femmes luttant pour affirmer leur personnalité, tout comme son adhésion au club international Soroptimist, un mouvement interprofessionnel engagé en faveur des droits des femmes. Son recueil Vespertina (« soirée », 1930) remporte un large succès, annonçant le prix Mussolini du Corriere della Sera pour les lettres, qui lui sera remis en 1931. En 1940, A. Negri est la première femme nommée à l’Académie italienne.
Giorgio NISINI
■ Maternità, poésies (Maternità, 1904), Paris, A. Messein, 1907 ; Les Solitaires (Le solitarie, 1917), Paris/Budapest/Turin, L’Harmattan, 2002 ; L’Étoile du matin (Stella mattutina, 1921), Paris, Stock/Delamain et Bouteleau, 1926.
■ GORINI SANTOLI A., Invito alla lettura di Ada Negri, Milan, Mursia, 1995.
NEGRO, Marylène [LA TRONCHE 1957]
Artiste visuelle française.
Dans son travail aux formes très variées, Marylène Negro s’intéresse particulièrement à la quête de l’autre, à l’attente de l’apparition et de la disparition de son image. Au début des années 1990, entre logique conceptuelle et stratégie publicitaire décalée, elle joue sur une forme d’esthétique relationnelle. Elle édite par exemple des tee-shirts portant l’inscription « I Love Art » (depuis 1994), réalise des œuvres participatives, comme Donnez-moi une photo de vous (depuis 1997), ou Dites-moi quelque chose (1999). Dans Viens (2004), un numéro de téléphone laissé sur une affiche invite le passant à laisser un SMS ou un message sur un répondeur. Elle a aussi rassemblé dans un livre des photos de mannequins de vitrines, comme autant de visages anonymes, froids, étrangement familiers (1998). Peu à peu, son travail se décale vers la photographie, avec un constant désir de se glisser dans la peau d’un autre, comme avec Dehors (2003), une série d’images saisies derrière l’épaule de touristes en train de prendre des photos. Mais c’est surtout par la vidéo que M. Negro s’exprime au cours des dernières années, avec des films au style le plus souvent dépouillé, comme La Fleur (2001). L’artiste aime les espaces insolites, souvent des intérieurs vus comme des paysages, ou bien de grands espaces naturels à l’allure mystérieuse. Si le sentiment de la perte et de la disparition immédiate baigne ses œuvres, les décors sont aussi propices à des apparitions, celles de l’autre, d’esprits ou de fantômes. L’artiste s’efface devant ses images mais se manifeste pourtant, comme en négatif, à travers les tremblements de la caméra (L’Homme atlantique, 2008). Elle explore, plus radicalement encore mais avec autant d’élégance, les méthodes du cinéma expérimental. Dans A Whiter Shade (2009), la matière du cinéma devient la forme et le sujet de l’œuvre. Il s’agit d’une photographie d’une photographie, hallucination blanche d’une évaporation. La question du temps et de sa nécessité habite l’œuvre de M. Negro.
Anaël PIGEAT
■ LEGUILLON P. (dir.), Negro toi-même, Paris, Isthme éditions, 2005 ; Eux/Them (catalogue d’exposition), Paris, Sotteville-lès-Rouen/Monpellier, Galerie Jennifer Flay/Frac Haute-Normandie/Frac Languedoc-Roussillon, 2001 ; I Y Art (catalogue d’exposition), Beaumont-du-Lac/Montpellier, Frac Languedoc-Roussillon, 1998.