ÉGÉRIE [fin IVe siècle-Ve siècle]

Pèlerine.

Sans une lettre écrite par Valérius du Bierzo, moine galicien vers 680, une des premières chrétiennes connues à avoir fait un pèlerinage resterait anonyme. C’est grâce à lui que nous savons que la dame de noble extraction qui a visité les lieux saints en 381-384 et les a décrits s’appelait Égérie (et non Éthérie). Était-ce une moniale, une abbesse, voire une femme pieuse, fascinée par le monachisme ? Résidait-elle dans le sud de la Gaule ou en Espagne (Galice) ? Sur ces questions, la prudence est de mise. Durant ses trois années de pèlerinage, Égérie a parcouru la Palestine, l’Égypte et la Syrie, avec plusieurs séjours à Jérusalem, tantôt accompagnée de soldats, qui lui ont permis de traverser sans encombre les régions peu sûres, tantôt d’ecclésiastiques ou de moines, qui lui ont servi de guides. Fine observatrice, elle a visité les sites célébrant la mémoire des patriarches et des prophètes, de Jésus et de ses disciples ; son haut rang social lui a valu d’être très bien reçue partout ; évêques, moines et fonctionnaires impériaux ne se sont pas privés de l’accueillir et de s’entretenir avec elle. Soucieuse que ses « sœurs » restées en Occident profitent de son pèlerinage, Égérie rédigea à leur intention un journal de voyage et une description détaillée de la liturgie de Jérusalem, qu’elle leur envoya depuis Constantinople. Écrit avec simplicité et fraîcheur, ce récit, dont nous n’avons conservé qu’une partie, témoigne de la forte personnalité de cette femme, qui connaît très bien la Bible (mais moins la culture classique) et qui n’est pas insensible à la beauté de la nature et des villes qu’elle traverse. Dans cette œuvre, qui constitue pour les historiens une source irremplaçable d’informations sur le christianisme de la fin du IVe siècle, Égérie annonce avoir d’autres projets de voyage ; elle souhaite en particulier aller prier sur le tombeau de l’apôtre Jean, à Éphèse. A-t-elle pu le faire ? Nous l’ignorons, mais l’impressionnante énergie et la fortune de cette pèlerine à la curiosité exemplaire donnent à penser qu’elle l’a fait.

Rémi GOUNELLE

Avec DÍAZ Y DÍAZ M. C., MARAVAL P., VALÉRIUS DU BIERZO, Journal de voyage (Itinéraire)/Égérie ; introduction, texte critique, traduction, notes et cartes par Pierre Maraval ; Lettre sur la Bse Égérie/Valérius du Bierzo ; introduction, texte et traduction par Manuel. C. Díaz y Díaz, Paris, Éditions du Cerf, 2002.

MARAVAL P., Récits des premiers pèlerins chrétiens au Proche-Orient (IVe-VIIe siècle), textes choisis, présentés et traduits par Pierre Maraval, Paris, Éditions du Cerf, 1996.

ÉGÉRIES ROMANTIQUES AU THÉÂTRE [France XIXe siècle]

Elles furent amantes surtout, épouses parfois, actrices souvent, et inspirèrent ou accompagnèrent les poètes, muses emblématiques dont Musset se fit le chantre. Jenny Colon (1808-1842), chanteuse à l’Opéra-Comique, est pour Gérard de Nerval la réincarnation d’un amour de jeunesse ; elle est le personnage d’Aurélia des Filles du feu, ou de Sophie des Mémorables. Comme Suzanne Gontard (1735-1802 ?) pour Friedrich Hölderlin, qui en fit la Diotima de son Hyperion, J. Colon incarne pour G. de Nerval l’idéal féminin ; il la célèbre dans son éphémère feuille du Monde dramatique. Sa mort en 1842 le laisse inconsolable, bien qu’elle l’ait déjà quitté. Leur correspondance amoureuse témoigne de cette liaison. Ida Ferrier (Marguerite-Joséphine Ferrand, 1811-1859), maîtresse d’Alexandre Dumas père, qui l’imposait dans ses pièces ; leur mariage ne survécut pas aux infidélités réciproques du romancier et de la comédienne. Juliette Drouet (Juliette Gauvin, 1806-1883), la plus connue grâce à Hugo qui la découvrit en 1833 interprétant dans son drame Lucrèce Borgia le petit rôle de la princesse Négroni ; fidèle jusqu’à la mort, elle accompagna le poète dans son exil à Jersey en 1852 puis en 1855 à Guernesey. Épistolière infatigable aujourd’hui célébrée dans des spectacles littéraires, J. Drouet témoigne d’un talent d’écriture, influencé par le style de son amant. Harriet Smithson (1800-1854), actrice irlandaise qui connut le sommet de sa célébrité en 1827-1828, alors qu’elle faisait redécouvrir William Shakespeare au public parisien. Sa présence scénique combla Victor Hugo, Eugène Delacroix, Émile Deschamps, Théophile Gautier, Alexandre Dumas. Lors d’un retour à Paris en 1832, elle conquit le cœur d’Hector Berlioz : « Shakespeare, en tombant ainsi sur moi à l’improviste, me foudroya », écrit-il dans ses Mémoires. Leur union ne fut pas heureuse et se conclut par un divorce en 1844.

Noëlle GUIBERT

EGERSZEGI, Krisztina [BUDAPEST 1974]

Nageuse hongroise.

En Hongrie, établissements de bains publics et piscines sont une part de l’art de vivre. Le pays a donné nombre de fiers nageurs, et le premier champion olympique de la discipline fut le Hongrois Alfréd Hajós. À la fin du XXe siècle, Krisztina Egerszegi sera la seule, après l’Australienne Dawn Fraser* au 100 mètres nage libre, à avoir réussi l’exploit de s’adjuger puis de conserver sur trois olympiades la médaille d’or de son épreuve favorite, le 200 mètres dos.

Distinguée dès l’âge de 7 ans par l’entraîneur du Spartacus de Budapest, Lazlo Kiss, en 1987, elle a déjà remporté, à 13 ans, six titres des Championnats d’Europe de Strasbourg. Adolescente, elle fait sensation à Séoul en septembre 1988, se haussant à la deuxième place du 100 mètres dos, à moins de sept dixièmes de l’Allemande de l’Est Kristin Otto, et un infime centième de seconde devant une autre Wundermädchen*, Cornelia Sirch. Sur 200 mètres dos, trois jours plus tard, en 2 min 9 s 29, elle bat les Allemandes de l’Est Katrin Zimmerman et C. Sirch – dont elle améliore de 53 centièmes le record d’Europe. La victoire olympique n’est qu’un premier maillon. Son entraînement toujours plus poussé et varié inclut une préparation physique hors de l’eau. Désormais elle sera rarement battue – la dernière fois par les nageuses de l’Allemagne de l’Est en 1989 aux Championnats d’Europe – pour rebondir chaque fois plus haut. 1991 est une grande année : double championne du monde en janvier à Perth (100 mètres dos et 200 mètres dos), elle récidive en août aux Championnats d’Europe d’Athènes : 1 min 0 s 31 (le record d’Ina Kleber, RDA, tenait depuis les Jeux de l’Amitié en août 1984 à Moscou) et 2 min 0 s 62 (soit près de 2 secondes plus vite que l’Américaine Betsy Mitchell). Et voici déjà les Jeux olympiques de Barcelone : elle va avoir 18 ans et gagne en moins d’une semaine le 400 mètres quatre nages, les 100 et 200 mètres dos (y creusant un écart de 2 s 40). Quatre fois championne d’Europe en 1993 à Sheffield, elle semble débordée par la Chinoise He Cihong aux Championnats du monde de 1994 à Rome. Mais les performances des nageuses de la République populaire suscitent le doute : un mois plus tard, aux Championnats asiatiques d’Hiroshima, une épidémie de contrôles positifs stoppe pour un temps leur montée en puissance. K. Egerszegi reprend en 1995 le cours de ses succès à Vienne, portant à neuf le total de ses titres européens, avec le 200 mètres dos et le 400 mètres quatre nages. Elle devient un modèle pour les entraîneurs du monde entier. Aux XXIIIes Jeux olympiques d’été à Atlanta, elle termine en bronze au 400 mètres quatre nages et, dans le 100 mètres dos du relais quatre fois 100 mètres quatre nages, elle nage plus vite que la gagnante du 100 mètres dos individuel. Le 25 juillet 1996, partie très vite, elle fait sa course seule en tête ; à l’arrivée, elle a oublié à 4 s 15 sa suivante, l’Américaine Whitney Hedgepeth. En 2 min 7 s 83, elle obtient sa troisième médaille d’or consécutive au 200 mètres dos, devenant ainsi la première nageuse cinq fois lauréate individuelle des Jeux, autant de titres qu’il y a d’anneaux de couleur dans le fameux logo dessiné en 1913 par Pierre de Coubertin.

Jean DURRY

EGERTON, Sarah (née FYGE) [LONDRES 1670 - WINSLOW 1723]

Pamphlétaire britannique.

Née dans une famille de six filles, Sarah Egerton est élevée dans un milieu aisé et elle étudie la philosophie, la mythologie et la géographie. Forcée par son père à quitter Londres et à vivre à la campagne, elle mène la vie romantique d’une poétesse dont la notoriété est souvent due à une conduite peu morale. Après un mariage interrompu par la mort de son mari, elle se remarie avec un cousin dont elle veut divorcer la même année, ce qui lui est refusé. En 1686, elle publie The Female Advocate, sous-titré Answer to a Late Satyr Against the Pride, Lust and Inconstancy, &c, of Woman (« défense de la femme, en réponse à une satire stigmatisant son orgueil, sa concupiscence et son inconstance, etc. »), brûlot en réponse à plusieurs pamphlets misogynes, composé en distiques rimés, qui montre comment la femme rend l’homme parfait en le complétant et démonte les arguments théologiques qui distinguent l’homme de la femme lors de la création. Les 56 poèmes de Poems on Several Occasions (1703) dénoncent les stéréotypes de la différence des genres, défendent le droit des femmes à l’instruction et leur rôle dans la société, critiquant les règles de la société qui visent à maintenir les femmes en servitude.

Michel REMY

EGGENDORFFER, Marie-Madeleine (née DE BOFFE) [FRIBOURG 1744 - ID. 1795]

Libraire et éditrice suisse.

Fille du libraire Jean-Charles de Boffe, Marie-Madeleine de Boffe acquiert les rudiments du métier dans la boutique de son père. À sa mort en 1769, elle hérite du fonds avec son frère Joseph, mais ils se séparent pour former deux commerces distincts. À partir de 1768, la librairie abrite un atelier de reliure dirigé par un jeune Autrichien, Ludwig Wilhelm Eggendorffer, auquel Marie-Madeleine unit son destin. La faillite de son frère, en 1771, fait d’elle l’unique libraire de la ville. Sa correspondance avec son principal fournisseur, la Société typographique de Neuchâtel, une importante maison d’édition neuchâteloise (1769-1789), apporte des informations sur ses commandes. Celles-ci révèlent la personnalité de cette femme ayant l’expérience du commerce, instruite et bien informée des nouveautés de la République des lettres, qui ne craint pas de braver les autorités en achetant et en débitant sous le manteau des ouvrages encyclopédiques et philosophiques, voire des livres scandaleux, tels Le Gazetier cuirassé ou Anecdotes scandaleuses de la Cour de France de Charles Théveneau de Morande. Grâce à ce commerce, risqué dans ce canton catholique gouverné par des autorités conservatrices promptes à censurer tout ouvrage illicite, la libraire contribue à propager les idées nouvelles parmi les élites qui s’ouvrent peu à peu aux Lumières. En relations d’affaires avec d’autres libraires suisses et étrangers, M.-M. Eggendorffer publie aussi quelques ouvrages, seule ou en coédition, comme l’importante Histoire militaire et diplomatique de la Suisse de Beat Emanuel von May en huit volumes in-8o (1788).

Michel SCHLUP

Archives de la Société typographique de Neuchâtel déposées à la Bibliothèque publique et universitaire de Neuchâtel ; ANDREY G., « Madeleine Eggendorffer, libraire à Fribourg et la Société typographique de Neuchâtel (1769-1788) », in Aspects du livre neuchâtelois, Neuchâtel, Bibliothèque publique et universitaire, 1986.

EGLOFF, Lydia [LORRAINE XXe siècle]

Chef cuisinière française.

Cuisinières à La Bonne Auberge à Stiring-Wendel à la frontière depuis plus de trente ans, Lydia Egloff et sa sœur Isabelle sont les deux Lorraines les plus estimées des gourmands de la région et au-delà. La chef, Lydia, couronnée par de nombreux guides gastronomiques, est aussi dotée d’une étoile au guide Michelin. En 2000, elle est l’une des premières femmes à entrer dans le cercle très fermé des Maîtres cuisiniers de France. Elle est l’une des trois seules femmes au milieu de 300 cuisiniers à avoir réussi ce tour de force : elle figure parmi les meilleurs chefs du monde. L. Egloff mêle habilement des saveurs méditerranéennes à celles de sa région, une originalité qui fait courir les amoureux de sa cuisine. Ses spécialités, comme la dorade en croûte de sel, les châtaignes à la crème de céleri ou encore les mirabelles en gratin, sont un concentré de terroirs.

Véronique ANDRÉ

ÉGYPTE – LITTÉRATURE ET FÉMINISME [XXe siècle]

Le mouvement féministe égyptien s’entrelace souvent avec l’expression littéraire. Quelques repères chronologiques : 1887, publication du premier roman écrit par une femme ; 1900, parution d’un manifeste pour la libération des femmes ; 1929, première inscription d’une étudiante à l’université ; 1956, obtention du droit de vote pour les femmes. Le rôle des femmes est déjà notable dans la société littéraire cairote ou alexandrine avant même les années 1950 : souvent directrices d’associations culturelles ou de revues, elles animent des salons, tels celui de MariaCavadia qui reçoit l’élite intellectuelle et artistique égyptienne des années 1930, d’AmyKher, de Jehan d’Ivray* ou de NellyVaucher-Zananiri. Niya Salima, de son vrai nom Eugénie Brun, publie sa correspondance Harem et musulmanes d’Égypte (1900), puis Les Répudiées (1908). J. d’Ivray, collaboratrice de la revue féministe L’Égyptienne, rencontre au Caire Hoda Chaaraoui* et CézaNabarawi (1897-1985), ardentes féministes.

À l’orée du XXe siècle, de nombreux d’ouvrages à caractère social témoignent de la condition des femmes égyptiennes. La lignée de ces romans s’infléchit en sagas familiales dans les œuvres de Paula Jacques*, d’Out-el-Kouloub* ou de Fawzia Assaad*. Al-bab al-maftuh – publié en anglais sous le titre TheOpen Door en 2002 – de Latifa el-Zayat* est le premier roman féminin considéré par la critique en 1960. À la même époque, Mudakkarāt tabība (1965) – publié en anglais sous le titre Memoirs of a Woman Doctor en 1988 – de Nawal el-Saadawi* (1931) est remarqué. Afîfa Rif’at, écrivaine autodidacte, revendique l’épanouissement affectif et sexuel.

Le militantisme politique inspire des œuvres fondées sur la dénonciation de la violence sociale et politique. La littérature carcérale devient un genre relativement fréquent, illustré par des femmes parmi lesquelles la militante et romancière Salwa Bakr*. Ekbal Baraka* et Sékina Fouad, ne perdant pas de vue la lutte de leurs aînées, s’appliquent à préserver leur legs par de nouveaux acquis et à contrer toute idée qui risquerait de provoquer une régression. Elles s’arrogent le droit d’intervenir dans tous les problèmes politiques et sociaux.

Les écrivaines arabes privilégient l’autobiographie, le conte ou le récit de rêve. Raconter sa vie revient à accorder une valeur propre aux femmes, en dehors du groupe patriarcal. C’est aussi un instrument d’information pour les autres femmes. La nouvelle génération aime à pratiquer les formes narratives brèves, en particulier la nouvelle, genre le plus utilisé par les écrivaines égyptiennes, peut-être issu de la tradition de transmission orale par les femmes. La distance entre écriture romanesque et dimension poétique s’abolit. Les femmes sont devenues de véritables sujets d’écriture, à l’expérience singulière, telles Miral al-Tahawy* et May Telmissany*. Les œuvres de Somaya Ramadan*, de Sahar el-Mougui et de Mona Aref se distinguent par un retour vers le passé, à travers une mémoire qui permet d’effectuer une descente au plus profond du moi pour se retrouver, se reconnaître.

Marc KOBER et Nadia ANDRAOUS

EHIN, Kristiina [RAPLA 1977]

Poétesse et nouvelliste estonienne.

Fille du poète surréaliste Andres Ehin et de la traductrice de poésie Ly Seppel, Kristiina Ehin a fait des études de folklore et de littérature à l’université de Tartu, où elle a soutenu en 2004 un mémoire de master sur les possibilités d’interprétation des chants populaires estoniens dans une perspective féministe. Elle a publié ses premiers poèmes dans les années 1990, d’abord dans des revues, puis dans les publications du groupe littéraire de Tartu Erakkond (« le parti des ermites »), avant que ne voie le jour en 2000 son premier recueil, Kevad Astrahanis (« le printemps à Astrakhan »). Tout en se fixant de hautes exigences esthétiques, sa poésie se veut accessible au plus grand nombre : elle se caractérise par une grande simplicité, le refus de l’hermétisme et la place importante accordée à la confession intimiste. Ses poèmes revêtent des formes variées, depuis des mètres classiques rigoureux jusqu’au vers libre et au poème en prose. On y trouve çà et là des réminiscences de la poésie populaire estonienne. La thématique amoureuse occupe dans son œuvre une large place. Elle est traitée avec pudeur et retenue, de façon souvent allusive, en préservant une part d’ombre et de mystère. Les six recueils de K. Ehin ont connu dans son pays un succès exceptionnel et ont réconcilié de nombreux lecteurs avec la poésie. L’un des plus appréciés, Kaitseala (« zone protégée », 2005), qui mêle aux poèmes des extraits de journal intime, rend compte de son expérience de « gardienne d’île » : douze mois passés sur une île déserte pour surveiller une réserve naturelle. L’isolement et le face-à-face quotidien avec les éléments donnent à ces textes une intensité et une force d’émotion particulières. Des poèmes de K. Ehin ont été traduits en anglais, en allemand, en suédois, en finnois et en français. Elle est également l’auteure de trois recueils de récits, contes et nouvelles.

Antoine CHALVIN

EHRNROOTH, Johanna [HELSINKI 1958]

Peintre finlandaise.

C’est à Paris que Johanna Ehrnrooth fait ses études, d’abord à l’académie Julian (1977-1978), puis à l’École nationale supérieure des beaux-arts où, de 1978 à 1983, elle acquiert différentes techniques, avec Nicolas Wacker, dans le sillage de Kokoschka, de Leonardo Cremonini et de Pierre Carron. Dès 1976, elle participe à des expositions collectives à Helsinki et, à partir de 1982, à Paris, Galerie Jean-Pierre Lavigne, puis au Salon des jeunes peintres qui se tient au Grand Palais en 1983. Ses expositions personnelles se succèdent à un rythme soutenu depuis 1993, à Helsinki et à Stockholm principalement, Stockholm où elle reçoit en 1966 le Stina Krok’s Award. Elle est nominée au Ars Fennica Award 2001. J. Ehrnrooth travaille le motif en explorant ses possibles par divers dispositifs : mise en abyme, variations des angles de vue, jeu des séries, quadrillages, triptyques, polyptyques portent à toute extrémité. Sur les lignes de faille du dessin et dans l’extraordinaire surabondance des couleurs (La Ligne de la rupture, 2008). De sorte que le miroir, le pli, le vêtement, la scène d’intérieur, qui sont en principe les classiques attendus de la peinture, se troublent et deviennent ici, au contraire, les marqueurs d’une étrange quête du monde ; un monde en retrait, invaginé, dont ne parviennent que des signes à interpréter. Davantage : ils portent à regarder les choses quotidiennes d’un œil inhabitué qui les fictionne. Ou les rêve. Sous ce regard, hypersensibilisé, inquiet et émerveillé, tout est énigme. La toile se fait surface réfléchissante, miroir vénitien aux facettes multiples (Tarkkailija, « observateur », huile sur panneau, 2006 ; Fading Memory, pastel sur papier, 2008), croisée de fenêtres, reflets dans la psyché où la scène se morcelle, se brouille, s’efface (Male Memory, pastel sur papier, 2004 ; L’Ombre du futur, 2008). Cadres qui décadrent par effet de gros plan, sur des plis d’étoffe, un bras de fauteuil, visages dérobés qui se perdent dans la matière picturale : il y a effraction du réel par l’art. Ainsi la série des grands pastels, Masquerade (2008), à la fois fait écran et reçoit les projections les plus intimes. C’est un théâtre d’ombres (séries Varjoteatteri, Théâtre des ombres et Théâtre des ombres chinoises, 2003), une polyvision, un vertige d’émotions. Si elle est proche de Vuillard et Bonnard pour l’intimisme, et s’apparente à Ernst Fuchs par le symbolisme et la somptueuse sensualité chromatique, la peinture de J. Ehrnrooth est très singulière par sa façon de créer, avec chaque tableau, une union des contraires. On reste partagé entre la narration qui s’esquisse et la prépondérance de la matière qui déborde, entre le fragmentaire et l’organique, entre le contour du trait qui délimite et le camaïeu des couleurs qui creuse infiniment la profondeur de champ. La surface est un spectrographe, le tableau un voyant qui veille (A Long Night’s Goodbye, 2008), qui s’écarquille sur le noir de La vie privée, livre le huis-clos de la chambre (Inner Picture) ou au contraire se fascine aux tons chair de l’intimité (Intimae ; Wet Orange ; Sentiment d’intimité). En fait, il s’agit toujours de la scène de la peinture-même qui cherche formes dans les replis des matières et le mouvement des supports (un grand paravent s’intitule : Le moment de Grimm). Plusieurs tableaux de J.Ehrnrooth se trouvent dans les collections du Musée national d’art moderne d’Helsinki KIASMA, du Amos Andersson Art Museum d’Helsinki ainsi que dans celles du EMMA, Espoo Museum of Modern Art. Les portraits de J. Ehrnrooth sont signés Irmeli Jung*.

Alice LE GALL

Marginalia till Johanna Ehrnrooths malevi, catalogue avec texte de Bo Carpelan, Helsinki, 1999 ; Johanna Ehrnrooth, Imagines Intimae, catalogue avec texte de Juha Siltanen, Helsinki, 2009.

EIDENBENZ, Élisabeth [WILA, SUISSE 1913 - ZURICH 2011]

Institutrice et infirmière suisse.

Le nom d’Élisabeth Eidenbenz est lié à l’histoire de la Maternité d’Elne (1939-1944), oasis de vie au milieu des camps de concentration du Roussillon. Son œuvre est emblématique du dévouement de milliers de femmes anonymes, infirmières, aides sociales, qui se sont consacrées à l’aide humanitaire. Issue d’une famille nombreuse, fille de pasteur, É. Eidenbenz reçoit une éducation protestante, austère et solidaire. Institutrice pendant trois ans en Suisse et au Danemark, elle part en 1937 en Espagne, dans le cadre du Service civil international. Elle distribue des vivres à la population de Madrid, près du front, puis à Valence, où elle s’occupe des enfants évacués. Lors de la chute de Barcelone et de l’occupation franquiste de la Catalogne, elle rentre en Suisse, mais, deux mois plus tard, elle s’occupe des réfugiés de « La Retirada » : près de 500 000 républicains espagnols entassés dans différents camps du Sud de la France, où le sort des femmes enceintes et des enfants est particulièrement dramatique, la mortalité des nouveau-nés s’élevant à 95 %. Karl Keller de « La Ayuda suiza » et du Service civil propose alors à É. Eidenbenz de fonder une maternité, d’abord à Brouilla – où sont nés 33 enfants, entre le 3 avril et le 6 septembre 1939 –, puis à Elne, dans un château abandonné. Début décembre 1939, cette nouvelle maternité accueille les femmes des camps d’Argelès, de Saint-Cyprien, puis de Gurs et de Rivesaltes. Des distributions de vivres sont organisées à Argelès et une pouponnière est installée à Banyuls. Du fait de l’occupation nazie, ce sont bientôt les enfants des mères juives de différentes nationalités qui affluent : 597 enfants de 22 nationalités seront ainsi sauvés de la mort pendant les cinq ans d’existence de cette maternité qu’en dépit de son jeune âge – elle a alors 26 ans –, É. Eidenbenz dirige avec fermeté et douceur. Elle travaille comme infirmière, parfois même comme sage-femme, mais elle est surtout la gestionnaire qui se bat pour obtenir des fonds, et aussi des visas pour que les mères puissent rentrer en Espagne, trouver un travail en France ou se rendre en Amérique. Malgré le soutien de la Croix-Rouge à partir de 1942, la maternité doit fermer ses portes en 1944. Tout au long de sa vie, É. Eidenbenz s’est consacrée à l’aide humanitaire : en 1946, avec les Églises évangéliques de Suisse, elle s’occupe des réfugiés des pays de l’Est, puis elle dirige des maisons d’accueil pour les femmes en vue de leur réinsertion professionnelle. Elle passe les dernières années de sa vie à Rekawinkel, à 30 km de Vienne, en Autriche, et finit ses jours à Zurich. Après des années d’oubli, l’œuvre de la maternité d’Elne est reconnue grâce à Guy Eckstein, qui y est né et qui, au milieu des années 1980, avec Nicolas Garcia, le maire d’Elne, a entrepris de sauver ce lieu de mémoire. En 2002, É. Eidenbenz revient au château, restauré par François Charpentier, et reçoit la Médaille des « Justes parmi les Justes entre les Nations » de l’institut Yad-Vashem. Elle est aussi honorée par les gouvernements d’Espagne, de Catalogne et de France.

Mercedes BOIXAREU

OLIVA BERENGUER R., Éxodo : del Campo de Argelès a la Maternidad de Elna, Barcelone, Editorial Viena, 2006 ; CASTANIER I PALAU T., Femmes en exil, mères des camps. Élisabeth Eidenbenz et la Maternité suisse d’Elne (1939-1944), Canet, Éditions Trabucaire, 2008 ; MONTELLÀ A., Maternitat d’Elna : Bressol dels exiliats, Barcelone, Ara Llibres, 2005.

EIRIZ, Antonia [LA HAVANE 1929 - MIAMI 1995]

Peintre cubaine.

Formée à l’académie des beaux-arts de San Alejandro à La Havane, Antonia Eiriz obtient son diplôme en 1957. Réfractaire à l’académisme de l’institution, elle adhère, en 1954, au Grupo de los once (« groupe des onze »), dont les membres rejettent la « cubanité » et le style pittoresque des premiers modernistes au profit d’un langage abstrait aux accents expressionnistes. En 1959, le milieu artistique cubain salue avec espoir le triomphe de la révolution commandée par Fidel Castro, ouvrant une courte période de libre et fébrile activité culturelle. La peintre développe donc l’essentiel de son œuvre pendant les années 1960 : elle abandonne alors l’abstraction et en garde l’approche expressionniste. Figure centrale de la Nouvelle Figuration cubaine, elle est invitée à ce titre à la Biennale de São Paulo de 1961. Les personnages monstrueux qui peuplent ses grandes toiles et ses dessins – notamment pour la revue critique Lunes – transmettent une vision tragique de l’humanité, qui reflète sa déception progressive vis-à-vis du nouveau régime. Son œuvre la plus connue est une Annonciation (1963), dont l’apparition, qui fait reculer de terreur la femme enceinte assise devant sa machine à coudre, n’est autre que l’ange de la mort. Quand Cuba rejoint l’orbite soviétique à la fin des années 1960, les artistes sont soumis à la propagande du réalisme soviétique. En protestation, A. Eiriz cesse brusquement de peindre en 1968 mais poursuit cependant son activité pédagogique en tant que professeure dans plusieurs institutions officielles, ce qui aura un énorme impact sur les générations artistiques suivantes. La dégradation des conditions de vie dans son pays après la chute de l’URSS la plonge dans une profonde dépression. Grâce à une ordonnance médicale, elle obtient, avec son mari, l’autorisation de quitter le pays en 1993. À peine arrivée aux États-Unis, à Miami, elle recommence à peindre : 25 toiles de grand format, une pour chaque année de silence, peintes entre 1993 et 1995, année de sa mort, prolongent sa vision tragique. Vereda tropical (« chemin tropical », 1995) dénonce ainsi violemment le dogmatisme réactionnaire des exilés de Miami ; le titre reprend celui d’une chanson populaire faisant partie intégrante de l’imaginaire nostalgique qui sous-tend leur militantisme. Mais si ce chant évoque une promenade idyllique dans un chemin luxuriant, le tableau présente, quant à lui, un chemin menant vers un horizon où la lumière d’un soleil mourant dévoile un champ semé de têtes coupées.

Liliana PADILLA-AREVALO

Antonia Eiriz : Tribute to a Legend (catalogue d’exposition), Martinez J. (textes), Fort Lauderdale, Museum of Art, 1995.

EISENMAN, Nicole [VERDUN 1965]

Peintre et dessinatrice américaine.

Née en France de parents américains, Nicole Eisenman sort diplômée de la Rhode Island School of Design en 1987. L’inspiration de ses œuvres vient des peintures allégoriques de l’art ancien (Rubens), mais aussi de la culture populaire (bandes dessinées, publicités, séries télévisées et films de série B), avec une dette particulière au dessinateur Robert Crumb : la profusion de personnages qui caractérise ses créations nous immerge ainsi dans une cosmologie vaguement familière. Mais le réalisme satirique de certains dessins gigantesques fait aussi écho aux fresques murales du Works Progress Administration des années 1930, une agence instituée dans le cadre du New Deal et qui commandita à des artistes de grands projets décoratifs. Enfin, son style ainsi que l’esprit de critique sociale qui caractérise son travail empruntent à l’expressionnisme allemand. Son travail, à la facture variable, procède autant de la satire que de la réappropriation. Dans cette révision de l’histoire de l’art, l’artiste déplace des éléments provenant d’œuvres connues dans un milieu punk lesbien et une ambiance grotesque et hallucinatoire. Par l’ironie qu’elle emploie, elle est proche de créateurs contemporains, tel John Currin, ou des peintres allemands de l’école de Leipzig, mais elle se propose de revoir les conventions machistes de l’iconographie dominante grâce à ses objets à forte connotation sexuelle, qui dégagent une joyeuse vulgarité. Son univers est peuplé de foules orgiaques, de sacrifices dionysiaques, de scènes allégoriques et héroïques où les rôles importants sont tenus par des femmes. Les figures mythiques sortent de leurs rôles et entreprennent d’audacieuses vengeances, telles les Amazones chassant le Minotaure de Pablo Picasso, avec une libido ouvertement agressive et jouissive très éloignée des normes (The Minotaur Hunt, 1992). Parmi ses travaux les plus récents, le thème de la maternité lesbienne s’impose. Elle livre également des portraits empreints de tristesse qu’elle oppose à l’obsession du bonheur.

Fabienne DUMONT

Nicole Eisenman : Selected Works 1994-2004, Victor M. (dir.), New York, Leo Koenig, 2005.

HIRSCH F., « Tides and tidings », in Art in America, no 9, oct. 2006.

EISNER, Lotte [BERLIN 1896 - PARIS 1983]

Historienne et critique de cinéma française.

D’origine allemande, Lotte Eisner étudie l’histoire de l’art, l’histoire ancienne et l’archéologie à Berlin et à Munich, et commence dès 1927 à écrire pour Film-Kurier, la plus célèbre revue de cinéma de l’époque, ce qui fait d’elle l’une des premières critiques de films. En 1933, elle émigre en France. Arrêtée sous l’Occupation, elle est déportée au camp français de Gurs, dans les Pyrénées. À la Libération, elle entre à la Cinémathèque française et y sera conservatrice des films et de la collection du musée du Cinéma jusqu’en 1975. En contact avec la jeune critique allemande, elle donne des cours aux séminaires de cinéma de l’université de Münster. Elle écrit des articles pour les Cahiers du cinéma et La Revue du cinéma, ainsi qu’une monographie sur F. W. Murnau et un livre sur Fritz Lang. Son ouvrage le plus célèbre reste L’Écran démoniaque (1952), sur la genèse du cinéma expressionniste allemand et son influence sur la montée du nazisme. Lotte Eisner reçoit en Allemagne, en 1974, le Filmband in Gold pour son œuvre de valorisation du cinéma allemand.

Sarah DELLMANN

EISSLER, Ruth (née SELKE) [ODESSA 1906 - NEW YORK 1989]

Médecin et psychanalyste américaine.

Fille d’un directeur de banque allemande, Ruth Selke fait ses études de médecine à l’université de Fribourg et se spécialise en psychiatrie dans les années 1930 avant d’exercer à Heidelberg et Stuttgart. À l’arrivée d’Adolf Hitler au pouvoir, elle s’exile à Vienne où elle commence une analyse avec Theodor Reik, mais elle doit changer d’analyste lorsque ce dernier quitte Vienne pour les Pays-Bas, et elle poursuit alors sa formation avec Richard Sterba. C’est à Vienne qu’elle fera la connaissance du philosophe et médecin Kurt Eissler, qui deviendra psychanalyste et co-fondateur des Sigmund Freud Archives. Deux ans après leur mariage, en 1938, ils émigrent aux États-Unis pour s’installer d’abord à Chicago, où elle exerce comme psychiatre d’enfants au Michael Reese Hospital et comme médecin dans une institution de jeunes filles délinquantes, puis à New York en 1948. Pendant de nombreuses années, c’est à R. Eissler, ainsi qu’à Anna Freud* et Marianne Kris*, qu’incombe la tâche de diriger la revue The Psychoanalytic Study of the Child. En plus de ses nombreux articles, elle a écrit des poèmes et des nouvelles. Son ouvrage de référence, Physical Illness and Handicap in Childhood, est paru à Londres en 1977.

René MAJOR

EIZNER, Nicole [PARIS 1931 - ID. 2006]

Sociologue française.

Issue d’une famille juive originaire de Russie et de Pologne dont les grands-parents ont immigré en France à la fin du XIXe siècle, Nicole Eizner grandit à Paris dans un cadre aisé et religieux. En 1943, elle est au collège lorsque ses parents sont arrêtés à Cannes et déportés à Auschwitz : elle ne les reverra plus et fait désormais partie des « orphelins de la Shoah ». Après la Libération, de retour chez ses grands-parents à Paris, elle finit ses études secondaires, puis, étudiante en psychologie et sociologie, elle partage l’effervescence intellectuelle et artistique du Saint-Germain-des-Prés de l’après-guerre. Après avoir mené des études de motivation dans le secteur privé pendant dix ans, elle est recrutée au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et intègre le Groupe de sociologie rurale. Elle y entame une longue collaboration avec Marcel Jollivet, dès les années 1970, comme en témoigne sa participation à la publication des Collectivités rurales françaises. Selon la sociologue, les paysans sont « l’autre absolu ». N. Eizner poursuit et termine sa carrière au Laboratoire dynamiques sociales et recompositions des espaces (LADYSS), équipe pluridisciplinaire localisée à l’université Paris 10-Nanterre. Elle collabore activement à la revue Études rurales de l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) et élargit son champ de recherche aux questions de l’environnement et de l’alimentation. Ses travaux, menés le plus souvent en collaboration, ont marqué la sociologie rurale : loin d’exalter les vertus traditionnelles des sociétés paysannes, ils ont analysé celles-ci sous l’angle des rapports sociaux, y compris de classe. N. Eizner se méfiait des idéologies qui se fixent sur l’appropriation de la terre et qui peuvent conduire à des conflits meurtriers. Militante de gauche, elle s’est engagée dans les combats contre le colonialisme et pour les droits des Palestiniens.

Maryse TRIPIER

Avec HERVIEU B., Anciens paysans, nouveaux ouvriers, Paris, L’Harmattan, 1979 ; avec COULOMB P., Les Paradoxes de l’agriculture française, essai d’analyse à partir des États, Paris, L’Harmattan, 1985 ; avec JOLLIVET M., L’Europe et ses campagnes, Paris, Presses de Sciences Po, 1996.

MENDRAS H., JOLLIVET M. (dir.), Les Collectivités rurales françaises, Paris, A. Colin, 1974.

EKACHAI, Sanitsuda [BANGKOK 1955]

Journaliste thaïlandaise.

Sanitsuda Ekachai est née dans une fratrie de six enfants dont les parents étaient tous deux journalistes. C’est leur exemple qui lui a donné l’envie de suivre leurs pas, et le constat que ses frères avaient plus de droits qu’elle, jeune fille modèle, qui a suscité son intérêt pour les problèmes d’inégalités entre hommes et femmes, tant dans la société que dans la religion bouddhiste. Elle étudie à l’université Chulalongkorn de Bangkok de 1973 à 1976, pendant les trois années de démocratie que connaît le pays entre la chute d’une junte militaire chassée par une révolte étudiante et son retour au pouvoir par un coup d’État. Si elle avoue ne pas avoir été politiquement active à cette époque, elle reconnaît qu’elle ne peut qu’avoir été influencée par les événements de ces années-là. Elle travaille deux ans au journal Daily Time, puis part préparer une maîtrise de sciences politiques à l’université du Wisconsin-Madison, aux États-Unis (1981). Elle rentre ensuite en Thaïlande et est engagée par le quotidien anglophone Bangkok Post, pour lequel elle devient responsable de la section culturelle et sociale. Spécialisée dans les problèmes de société, les questions relatives aux femmes, la religion, l’environnement et le développement rural, elle aborde dans une rubrique hebdomadaire l’oppression des femmes, l’exploitation des travailleurs immigrés, l’arrogance de l’administration et le mépris des pauvres. Active au sein de divers organismes et associations, S. Ekachai a écrit Behind the Smile (« derrière le sourire », 1990), qui présente sous forme d’interviews la vie quotidienne de villageois des provinces rurales. Keeping the Faith : Thai Buddhism at the Crossroads (« garder la foi : le bouddhisme thaïlandais à la croisée des chemins », 2001) développe la thèse selon laquelle la hiérarchie bouddhique actuelle peine à s’adapter à une société dont le développement économique a transformé les valeurs. Selon elle, l’avancement de la démocratie dans la société doit trouver un écho dans la religion elle-même pour éviter que le bouddhisme ne soit coupé de la réalité sociale. S. Ekachai se déclare « fière de prendre part à la lutte contre les préjugés sociaux ».

Xavier GALLAND

EKBERG, Anita [MALMÖ 1931 - ROCCA DI PAPA, ITALIE 2015]

Actrice suédoise.

Sa beauté sculpturale lui vaut de recevoir le titre de Miss Suède à l’âge de 20 ans. Après avoir été mannequin et artiste de cabaret, elle débute modestement à Hollywood en 1953 dans un film d’aventures. Elle apparaît dans la comédie Artistes et modèles (Artists and Models, Frank Tashlin, 1955) avec Jerry Lewis – qu’elle retrouve dans Un vrai cinglé de cinéma (Hollywood or Bust, 1959), du même réalisateur –, puis dans un film noir de William Wellman, L’Allée sanglante (Blood Alley, 1955). De retour en Europe, elle tourne à Rome Guerre et paix (War and Peace, 1956) du légendaire King Vidor, d’après Tolstoï, avec Audrey Hepburn*, Vittorio Gassman et Anna Maria Ferrero. Elle enchaîne avec une farce aux côtés de Fernandel, et un péplum italien. Federico Fellini la remarque : dans La dolce vita (1960), elle entraîne Marcello Mastroianni pour une baignade nocturne en pleine fontaine de Trevi. La séquence assure à la comédienne une notoriété internationale, d’autant plus que son personnage d’actrice à scandale s’inspire de ses altercations avec les paparazzi. Dans le film à sketches Boccace 70 (Boccaccio 70, 1962), Fellini fait d’elle le fantasme d’un vieil homme, Eduardo de Filippo, soumis à « la tentation du Dr Antonio ». Le cinéaste retrouve brièvement Anita Ekberg dans Les Clowns (I clowns, 1970), et plus longuement pour une Intervista mélancolique face à Mastroianni (1987). Elle travaille avec d’autres cinéastes reconnus : Robert Aldrich pour le western humoristique Quatre du Texas (4 for Texas, 1963, avec Frank Sinatra et Ursula Andress) ; de nouveau Frank Tashlin pour ABC contre Hercule Poirot (The Alphabet Murders, 1965, d’après Agatha Christie*) ; Vittorio De Sica dans Sept fois femme (Woman Times Seven, 1967, avec Shirley MacLaine* et Vittorio Gassman). À partir des années 1970, elle fait des apparitions dans des films de genre : en Italie, Suor omicidi (« la nonne qui tue », Giulio Berruti, 1979) ; en Espagne, Bámbola (Bigas Luna, 1996) ; en Belgique, Le Nain rouge (Yvan Le Moine, 1998), son dernier rôle.

Bruno VILLIEN

EKEBLAD, Eva (née DE LA GARDIE) [1724-1786]

Agronome suédoise.

Eva de la Gardie est la fille de Hedvig Catharina Lillie, femme politique dont les salons étaient réputés, et du général et homme d’État Magnus Julius de la Gardie. À 16 ans, elle épouse Claes Claesson Ekeblad. Ils ont cinq enfants. Le couple réside à Stockholm et fait partie de la très haute noblesse suédoise. E. Ekeblad évolue dans un milieu influent et riche culturellement. Elle fait des expériences et étudie notamment les dérivés de la pomme de terre. À 24 ans, elle envoie le fruit de ses recherches à l’Académie des sciences de Suède. Elle propose d’utiliser les pommes de terre pour produire de l’alcool, évitant de gâcher les grains tels que l’avoine et l’orge qui pourraient ainsi être conservés pour la production de farines pour l’alimentation. Elle établit le procédé d’obtention de la poudre d’amidon de pomme de terre, ou fécule de pomme de terre, et suggère de l’utiliser comme poudre à perruque. Elle joint des échantillons de cette poudre. Ses travaux sont présentés à des scientifiques qui reconnaissent leur validité et leur intérêt. La même année, ses résultats sont publiés dans des journaux. Elle devient ainsi la première femme élue à l’Académie des sciences de Suède. Les années suivantes, elle met au point une méthode de blanchiment du coton et des fibres végétales et se distingue par la volonté de rendre ses résultats accessibles et utilisables. Au-delà de l’intérêt intrinsèque de ses travaux, elle a amené la communauté scientifique de l’époque, exclusivement masculine, à s’ouvrir aux femmes.

Carole ÉCOFFET

EKMAN, Kerstin [RISINGE 1933]

Écrivaine suédoise.

Licenciée ès lettres de l’université d’Uppsala, Kerstin Ekman se consacre au cinéma et enseigne dans une école populaire supérieure pendant quelques années. Son premier livre, qui paraît en 1959, est un roman policier, mais ses livres suivants montrent qu’elle maîtrise de nombreux genres. Dans Mörker och blåbärsris (« nuit et myrtille », 1972), elle explore la relation de l’homme avec la nature et l’état sauvage, un thème également abordé dans Hunden (« le chien », 1986), qui relate la lutte d’un chien égaré pour survivre dans la nature sauvage, dans Les Brigands de la forêt deSkule (1988), une histoire fantastique qui se déroule sur cinq siècles et dont le personnage principal est un troll, et dans Crimes au bord de l’eau (1993), un roman particulièrement remarqué. Dans les années 1970, elle entame un cycle romanesque au sujet du développement industriel de la Suède sur un siècle : Häxringarna (« ronds de sorcières », 1974), Springkällan (« la source vive », 1976), Änglahuset (« la maison des anges », 1979) et En stad av ljus (« une ville de lumière », 1983). Avec humour, du point de vue des femmes et des enfants, elle décrit le travail des ouvrières : dur, sale, mais nécessaire. La femme moderne, éparpillée et désespérée, est présentée comme forcée de vivre dans une société qui n’est pas construite pour elle. Dans le drame en vers Knivkastarens kvinna (« la femme du lanceur de couteaux », 1990), l’auteure approfondit la thématique maternelle. Une femme dont on a enlevé l’appareil génital se réveille dans un hôpital. Telle la déesse Inanna du mythe sumérien, elle doit descendre dans les ténèbres du Royaume des morts pour pouvoir retourner à la vie. La trilogie rassemblée sous le titre Vargskinnet (« la peau du loup ») se déroule dans un village de montagne du Jämtland et décrit son développement pendant la plus grande partie du XXe siècle. Ayant elle-même vécu dans cette région pendant plus de vingt ans, l’auteure donne une description pénétrante de la vie loin des villes : dépendants les uns des autres pour survivre, confrontés à un climat rigoureux et à une nature féroce, les êtres humains doivent faire preuve de beaucoup de connaissances et de ruses. En 2007 paraît son recueil d’essais Herrarna i skogen (« les maîtres de la forêt »), résultat d’une vaste recherche sur l’histoire culturelle de la forêt et son importance dans la vie des habitants du Nord de l’âge du bronze jusqu’au XXIe siècle. En partant sur les traces des chasseurs, des botanistes, des inspecteurs des Eaux et Forêts, des loups, des poètes, des elfes et des brigands, K. Ekman s’interroge sur la place de l’homme dans la nature. L’Académie suédoise, dont elle est officiellement membre à vie depuis 1978, ne condamne pas la fatwa émise contre Salman Rushdie en 1989 après la publication des Versets sataniques. En guise de protestation, l’écrivaine laisse alors son fauteuil vide.

Christina SJÖBALD

Hiver des mensonges (Pukehornet, s. d.), Paris, Écriture, 2002 ; Les Brigands de la forêt deSkule (Rövarna i Skuleskogen, 1988), Paris, Seuil, 1993 ; Crimes au bord de l’eau (Händelser vid vatten, 1993), Arles, Actes Sud, 1995 ; Le Signe de jadis (Urminnes tecken, 2000), Arles, Actes Sud, 2007.

FORSÅS-SCOTT H., Swedish Women’s Writing 1850-1995, Londres, Athlone, 1997.

EKOTTO, Frieda [YAOUNDÉ 1959]

Romancière camerounaise.

D’origine camerounaise, Frieda Ekotto enseigne le français et la littérature comparée à l’université du Michigan à Ann Arbor. Publié en 2006, Chuchote pas trop est sa première œuvre de fiction. À travers une écriture poétique, quelquefois contrariée par des accents didactiques, elle y raconte l’histoire de deux femmes, Ada et Siliki, nées en pays fulani, un univers dans lequel le système patriarcal s’approprie le corps féminin et le marque du sceau de la violence. Sous la plume de F. Ekotto, la condamnation des traditions africaines misogynes est sans concession. La relation hétérosexuelle est uniquement envisagée en termes de violence : « Faire l’amour ou être violée, comme dans un moule, ces deux concepts fondent l’un dans l’autre et personne ne comprend clairement la différence. » L’existence féminine se décline sous le paradigme de la souffrance jusqu’au jour où Ada et Siliki se rebellent. Siliki vit dans un réduit près d’un marigot en marge du village, et Ada quitte la concession familiale et la rejoint. Toutes les deux orphelines de mère, elles éprouvent un amour divin pour ces êtres absents. À travers le destin des deux femmes, F. Ekotto offre une critique acerbe de la violence du mariage forcé, du silence imposé et de l’intolérance qui prévaut dans certaines contrées africaines. Le projet de libération féminine adopte une esthétique de l’abjection à laquelle s’adjoint une poésie du langage amoureux. Siliki, la femme sans jambes dont les vêtements exhalent une odeur insupportable, et Ada, que tout le village considère comme une anomalie, s’aiment d’un amour pur. Paradoxalement, bien qu’elles soient victimes d’ostracisme au sein de leur communauté, leur isolement se transforme en une aventure salvatrice. À travers une écriture où la sensualité est à fleur de peau, F. Ekotto chante les champs du possible lesbien. Ce chant d’amour absolu entre femmes serait-il l’unique alternative à la loi des Pères ?

Nathalie ETOKE

Chuchote pas trop, Paris, L’Harmattan, 2005 ; Portrait d’une jeune artiste de Bona Mbella, Paris, L’Harmattan, 2010.

ELDERSHAW, Flora VOIR BARNARD ELDERSHAW, M.

ÉLECTROACOUSTICIENNES [XXe-XXIe siècle]

La musique électroacoustique utilise la technologie pour enregistrer, produire, créer, manipuler et diffuser le son. La plupart des compositions électroacoustiques usent de sons préenregistrés de nature acoustique, instrumentale ou synthétique. Cette musique est issue de deux courants : la musique concrète inventée en France par Pierre Schaeffer en 1948, et la musique électronique développée par Stockhausen au début des années 1950 à Cologne, où il crée le Studio de musique électronique de la radio ouest-allemande WDR. Il veut maîtriser formellement tous les paramètres des sons sur partition avant de les fabriquer. P. Schaeffer, de son côté, à travers les deux expériences fondatrices de la recherche de l’objet sonore, le sillon fermé et la cloche coupée, élargit le champ de son écoute. Oubliant délibérément toutes références à des causes instrumentales et à des significations musicales préexistantes, il développe, à travers l’« écoute réduite » – attitude d’écoute qui consiste à écouter le son pour lui-même, comme objet sonore –, une méthode de description phénoménologique de l’objet sonore dans son Traité des objets musicaux (1966). Cet objet perceptif n’appartient ni au monde physique ni au monde subjectif, sa vérité appartient à cette relation qui lie le monde physique à la conscience qu’on en a. Il crée en 1951 le premier Groupe de recherche de musique concrète (GRMC), qui devient en 1958 Groupe de recherche musicale (GRM).

Actuellement, on distingue dans la musique électroacoustique des courants aussi divers que la musique acousmatique, la musique mixte, le live electronic ou le paysage sonore. Pour éviter la confusion que génèrent les termes « musique concrète », on emploie de préférence maintenant le terme « acousmatique » : un son acousmatique est un son dont la source n’est pas identifiée, qu’on écoute pour lui-même hors de son contexte. Cette forme de composition élabore en studio une matière sonore créatrice d’images porteuses de sens, de liens. Fixée sur un support, cette musique est diffusée sur un orchestre de haut-parleurs.

Parmi les compositrices de musique électroacoustique bénéficiant d’un renom international (mais cette liste n’est nullement exhaustive), citons : en France, Éliane Radigue, Françoise Barrière, fondatrice de l’Institut de musique expérimentale de Bourges (IMEB), Michèle Bokanowski, Marie-Hélène Bernard, Pôm Bouvier, Ana Dall’Ara Majek, Christine Groult*, Bérangère Maximin, Agnès Poisson, Lucie Prod’homme, Carole Rieussec, Julie Rousse, Gwenaëlle Roulleau, Isabel Trocellier ainsi que les Franco-Argentines Elsa Justel et Beatriz Ferreyra*. Plusieurs autres compositrices dans le monde s’illustrent aussi avec des œuvres électroacoustiques, comme en Pologne Elzbieta Sikora *qui a été formée en France par P. Schaeffer et François Bayle ; en Belgique Annette Vande Gorne, fondatrice de Musiques et recherches, Elizabeth Anderson, Ingrid Drese ; en Angleterre Natasha Barrett, Katherine Norman, Manuella Blackburn, Helena Gough ; en Écosse Diana Salazar ; au Danemark Else Marie Pade* ; en Argentine Graciela Castillo ; en Espagne Charo Calvo, Ariadna Alsina, Joseba Torre ; au Canada Marcelle Deschênes*, Monique Jean, Micheline Coulombe Saint-Marcoux*, Roxanne Turcotte*, Laurie Radford, Diane Labrosse*, Delphine Measroch, Hélène Prévost, Jocelyn Robert, Shane Turner, Chantale Laplante ; au Japon Takahashi Sachiyo ; aux États-Unis Hildegarde Westerkamp, Elainie Lillios, Elizabeth Hoffman et la Russe Véra Ivanova* ; au Chili Cecilia García-Gracia ; en Uruguay Renée Pietrafesa ; en Nouvelle-Zélande Lissa Meridan, Susan Frykberg ; au Brésil Flo Menezes ; en Suède Hanna Hartman, Paulina Sundin ; en Norvège Jana Winderen ; en Colombie Claudia Tamayo ; en Hongrie Andrea Szigetvári.

L’expansion de cette option musicale ne cesse de croître et les compositrices semblent ne pas y trouver les contraintes qui demeurent souvent pour elles dans les voies plus traditionnelles.

Michèle FRIANG

ELEMENTO, Nathalie [SAINT-NAZAIRE 1965]

Sculptrice française.

Nathalie Elemento intègre l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris (1983) en section peinture, puis l’Institut des hautes études en arts plastiques (1992), sous la direction de Pontus Hultén. En 1988, elle se tourne vers la sculpture. Dès ses premiers travaux (Ni l’un, virgule, pas l’autre, 1989 ; Les Oreillers, 1990), elle part du postulat que « tout a été fait dans le musée ; la maison reste donc un champ d’investigation possible », et développe une œuvre composée d’objets essentiellement domestiques, qui se situent à mi-chemin entre design et sculpture. En représentant toutes les possibilités d’aborder les espaces intérieurs et communs – bureau, table, bibliothèque, chaise, radiateur –, elle constitue un véritable bestiaire domestique. Cependant, à l’image de Légèrement décalé (2007), titre donné à l’une de ses œuvres, si ses sculptures revêtent la forme traditionnelle et possèdent les attributs du mobilier ordinaire, il ne s’agit pas de ready-made, mais de formes détournées, issues du quotidien : dans Le Banquet (2000), des tables sont réunies pour former une table de banquet, dont la disposition rend l’utilisation difficile ; Petit meuble rouge (2007) est un meuble, dont les poignées prennent d’étranges formes ; In Three Parts (2007) est une bibliothèque, dans laquelle des livres sont simulés. Ainsi, l’artiste pense une nouvelle architecture d’intérieur, où les éléments sont interchangeables ; dans Se parer (2006), le radiateur fait également office de paravent. Bien qu’épousant des formes atypiques, ces meubles-sculptures n’en demeurent pas moins utilisables. En effet, le détournement de l’objet n’en neutralise pas la fonctionnalité, il la perturbe, simplement. Quoique surdimensionnés, les interrupteurs de Blanche-Neige et les 7 nains (2006) remplissent leur vocation. Cependant, la démarche de N. Elemento s’inscrit bel et bien dans le champ de l’art ; elle-même se revendique comme sculptrice et désigne ses œuvres sous le nom de sculptures. Les formes qu’elle propose semblent procéder, pour certaines, d’une esthétique constructiviste, et pour d’autres, de l’art minimal, ou encore d’objets surréalistes. Ses pièces ont la faculté de s’exposer comme des œuvres, de fonctionner comme des objets usuels, et de répondre à une esthétique propre au design.

Ludovic DELALANDE

ÉLEPHANTIS (ou ÉLEPHANTINÉ) [Ier siècle aV. J.-C.]

Auteure érotique égyptienne.

Marella NAPPI

DE MARTINO F., « Per una storia del “genere” pornografico », in PECERE O., STRAMAGLIA A. (dir.), La letteratura di consumo nel mondo greco-latino, Bari, Levante, 1996 ; PAULY A., WISSOWA G., Realenzyklopädie, vol. V, no 2, 2324-2325 ; PLANT I. M., Women Writers of Ancient Greece and Rome : an Anthology, Norman, University of Oklahoma Press, 2004.

ELFYN, Menna [SWANSEA 1951]

Poétesse britannique.

Féministe chrétienne, galloise et militante pour la sauvegarde des langues régionales – cause pour laquelle elle est emprisonnée en 1993 –, Menna Elfyn a considérablement renouvelé la tradition de la poésie galloise et contribué à sa reconnaissance internationale. Elle a composé en gallois 21 recueils de poésie (Cusan Dyn Dall/Blind Man’s Kiss, « le baiser de l’aveugle », 2001 ; Perfect Blemish : Selected Poems 1995-2007, « parfaite imperfection : poèmes choisis », en 2007), deux livres pour enfants, des pièces de théâtre, des adaptations et des scénarios pour la radio et la télévision. Ses textes poétiques ont deux centres, l’un domestique, l’autre universalisant, l’un politique, l’autre géographique, d’où une tonalité souvent satirique, une écriture qui veut traverser les frontières, être à la marge, partagée entre la langue maternelle et la richesse de la langue anglaise.

Michel REMY

ELIACHEFF, Caroline [1947]

Psychanalyste française.

Docteure en médecine et titulaire d’un diplôme d’études spécialisées en psychiatrie infantile, auteure de plusieurs essais, Caroline Eliacheff a suivi pendant deux ans les consultations de Françoise Dolto* avec qui elle est « née professionnellement ». Psychanalyste pendant une quinzaine d’années à l’hôpital Necker-Enfants-Malades où elle a côtoyé Ginette Raimbault*, elle a publié en 1993 À corps et à cris. Être psychanalyste avec les tout-petits. Elle est présidente de l’association La Cause des bébés, créée en 2005 pour aider les parents dans l’accompagnement respectueux et non violent de l’enfant. Fille de Françoise Giroud*, elle évoque les différentes facettes du lien entre la mère et la fille, dans le livre Mères-filles : une relation à trois (2002), écrit avec la sociologue Nathalie Heinich. Chroniqueuse radio à France Culture, elle est également scénariste de films et a travaillé avec Claude Chabrol pour La Cérémonie, Merci pour le chocolat et La Fleur du mal. C. Eliacheff s’engage contre le fondamentalisme en publiant Comment le voile est tombé sur la crèche, les vrais enjeux de l’affaire Baby-loup (2013).

COLLECTIF PSYCHANALYSE ET POLITIQUE

Avec RAIMBAULT G., Les Indomptables. Figures de l’anorexie (1989), Paris, O. Jacob, 2001 ; avec SOULEZ LARIVIÈRE D., Le Temps des victimes, Paris, A. Michel, 2006.

ELINA, Lise [PARIS 1913 - BOULOGNE-BILLANCOURT 1993]

Journaliste française.

Incarnant pour des milliers d’auditeurs d’avant-guerre la jeune fille conventionnelle et sans histoire, Lise Elina a pourtant été une pionnière de la TSF. Jeune collaboratrice du journal L’Intransigeant, elle est recrutée en 1936 par Radio Cité, la station que vient de reprendre le publicitaire Marcel Bleustein-Blanchet. À une époque où très peu de femmes sont au micro, sa voix est familière pour les auditeurs. Chroniqueuse au journal parlé, elle interviewe des personnalités et participe à de multiples émissions. Elle devient un personnage central de l’un des plus célèbres feuilletons radiophoniques d’avant-guerre, la célèbre Famille Duraton, qui sera reprise après la guerre sur Radio Luxembourg et durera jusqu’en 1966. Une famille y commente l’actualité pendant douze minutes avec bon sens, ironie et… publicité. L’humour est bon enfant, peu critique, et les auditeurs se passionnent davantage pour les fiancés de Lisette Duraton que pour les commentaires plus généraux. L. Elina continue parallèlement une petite carrière d’actrice et apparaît, dans son propre rôle au micro, dans La Règle du jeu de Jean Renoir. Elle épouse le futur directeur de la RTF (Radio Télévision de France) et est recrutée après la guerre comme journaliste et productrice par la radio publique, avant de travailler à la télévision.

Cécile MÉADEL

Le Micro et moi, Paris, Horay, 1992.

ELION, Gertrude [NEW YORK 1918 - CHAPELL HILL 1999]

Biochimiste américaine.
Prix Nobel de médecine 1988.

Gertrude Belle Elion est lauréate en 1988 du prix Nobel de physiologie ou médecine pour avoir développé de nouveaux médicaments basés sur la modification de la synthèse d’acides nucléiques. Née de parents émigrés, elle obtient à l’âge de 15 ans son diplôme d’études secondaires, mais n’a pas les moyens de s’inscrire à l’université. Elle entre au City Hunter College de New York, qui accepte gratuitement des femmes méritantes. Après des études de chimie, elle enseigne dans un lycée, tout en travaillant sur sa thèse qu’elle soutient en 1941. Elle se voit alors offrir le poste d’assistante de George Hitchings dans les laboratoires de recherche de Burroughs Welcome, une compagnie pharmaceutique anglaise installée à Tuckahoe (État de New York). G. Elion et G. Hitchings observent que le métabolisme des acides nucléiques des cellules normales d’origine humaine diffère de celui des cellules cancéreuses ou de celles trouvées chez les protozoaires, les bactéries ou les virus. En modifiant la synthèse d’acides nucléiques, des médicaments sont développés, qui permettent de traiter des maladies aussi diverses que les leucémies, le paludisme, les infections virales ou la goutte. G. Elion et G. Hitchings produisent ainsi entre 1950 et 1951 la thioguanine et la 6-mercaptopurine. Avec la collaboration du Sloan-Kettering Institute, une investigation clinique utilisant la 6-mercaptopurine chez des enfants atteints de leucémie aiguë a permis d’obtenir une rémission totale mais souvent temporaire. Aujourd’hui, associé avec d’autres antileucémiques, ce médicament permet d’atteindre une guérison complète dans 80 % des cas. En 1957, la mise au point de l’azathioprine (Imuran) a empêché le rejet d’organes transplantés et, en 1963, celle de l’allopurinol a permis de traiter la goutte. Selon les mêmes principes est développé en 1977 l’acyclovir, premier médicament pour le traitement des infections virales telles que l’herpès. Le dernier-né de cette série est l’azidothymidine (AZT), développé en 1985 par des chercheurs du même institut, qui est utilisé pour le traitement du SIDA. À la retraite de G. Hitchings, G. Elion est promue chef du département de thérapie expérimentale. Membre d’associations de recherche contre le cancer ou la malaria, elle est également professeure en médecine et pharmacologie à l’université Duke. Première femme inscrite au National Inventors Hall of Fame, elle reçoit de nombreuses distinctions prestigieuses, dont le prix Nobel de physiologie ou médecine en 1988, qu’elle partage avec Sir James W. Black et George H. Hitchings.

Madeleine COTTENET-HAGE et Doris MÉNACHÉ-ARONSON

« Gertrude B. Elion, Autobiography », in The Nobel Prizes 1988, Frängsmyr T. (dir.), Stockholm, Nobel Foundation, 1989.

ELIOT, George (Mary Ann(e) EVANS, dite) [NUNEATON 1819 - LONDRES 1880]

Romancière britannique.

Élevée dans la tradition évangélique conformiste, qu’elle rejettera, George Eliot reçoit une bonne éducation privée et lit énormément. À 21 ans, elle rencontre Charles Bray, philosophe libre penseur qui la convertit à l’agnosticisme et chez qui elle côtoie Harriet Martineau*, Robert Owen et Emerson. En 1846, elle complète une traduction de La Vie de Jésus de David Friedrich Strauss et devient critique littéraire à Coventry. Elle s’installe à Londres en 1850 où elle devient rédactrice adjointe pendant quatre ans de la Westminster Review, revue littéraire de gauche et noue une liaison de vingt-cinq ans, et jugée scandaleuse avec un homme marié, le philosophe positiviste George Henry Lewes. Celui-ci l’encourage à traduire L’Essence du christianisme de Feuerbach et à écrire. Avec The Sad Fortunes of the Reverend Amos Barton (1857), publié anonymement, et les trois récits de Scènes de la vie du clergé (1858), première œuvre écrite sous son pseudonyme, elle donne le ton de toute son oeuvre : une observation fine et délicate, véhicule d’une philosophie rationnelle consciente d’elle-même, le positivisme d’Auguste Comte. Dans le même temps, elle critique les romans de ses contemporains dans un essai retentissant, « Silly Novels by Lady Novelists » (1856), et développe sa propre esthétique, foncièrement innovatrice dans le style comme dans les thèmes abordés (Adam Bède, 1859 ; Le Moulin sur la Floss, 1860 ; Silas Marner, 1861). À partir de Romola (1863), roman d’amour historique écrit après un séjour en Italie, son point de vue devient plus intellectuel. Elle donne Middlemarch (1871-1872), son chef-d’œuvre, et Daniel Deronda (1876). Dans ces romans, G. Eliot refuse toute vision romantique ; pour elle, la psychologie est comme une donnée scientifique inscrite dans un contexte socioculturel précis où tous les êtres sont reliés par un altruisme foncier et nécessaire, d’où la forme du roman à intrigues et à points de vue multiples qu’elle inaugure, bousculant la relation univoque entre roman réaliste traditionnel et lecteur, en introduisant par exemple le discours indirect libre. Henry James la considérait comme le premier romancier moderne. Elle laisse aussi 12 volumes de poésie dont The Spanish Gypsy (1868), drame en vers, et The Legend of Jubal (1874). Négligée peu après sa mort, elle est devenue un monument de la littérature anglaise.

Michel REMY

Scènes de la vie du clergé (Scenes of Clerical Life, 1858), Toulouse, Ombres, 2001 ; Le Moulin sur la Floss (The Mill on the Floss, 1860), Paris, Hachette, 1918 ; Romola, ou Florence et Savonarole (Romola, 1863), Paris, Hachette, 1887 ; Romans (Adam Bède (Adam Bede), 1859 ; Silas Marner (Silas Marner), 1861 ; Middlemarch, 1872), Paris, Presses de la cité, 1995.

UGLOW J., George Eliot, Londres, Virago, 2008.

ÉLISABETH [début du Ier siècle apr. J.-C.]

Figure biblique, mère de Jean le Baptiste.

Dans le Nouveau Testament, elle n’apparaît que dans le premier chapitre de l’Évangile de Luc, dans un récit très structuré aux allures légendaires, qui présente, en parallèle, l’annonce de la naissance de Jean le Baptiste et celle de Jésus, le « fils du Très-Haut ». La signification du nom hébraïque Elisheba est imprécise : « Mon Dieu est serment » ou peut-être « Mon Dieu est plénitude ». D’emblée, Élisabeth est présentée comme une femme juive exemplaire, pieuse et juste, de la descendance d’Aaron (dont la femme se nomme aussi Élisabeth), lui-même frère de Moïse et ancêtre de tous les prêtres de la Bible. Femme du prêtre Zacharie, elle est âgée et stérile. Cette situation bloquée rappelle l’histoire de Sara et d’Abraham (Genèse, chap. 18) et fait naître une espérance. Selon Luc, l’ange Gabriel apparaît à Zacharie et lui annonce la naissance d’un fils du nom de Jean (connu comme « Jean le Baptiste ») qui sera le précurseur de Jésus. Élisabeth conçoit en effet un enfant mais ne divulgue pas la nouvelle de sa grossesse. Cet événement est pour elle la réponse de Dieu à sa détresse de femme stérile (Luc I, 25). Elle est à nouveau mise en scène dans l’épisode célèbre de la « visitation » (Luc I, 39-45), souvent représenté dans l’iconographie chrétienne (par exemple Bartolo di Fredi, XIVe siècle). Sa cousine Marie, future mère de Jésus, lui rend visite. Élisabeth est alors brusquement « remplie de l’Esprit Saint », comme jadis les prophètes de l’Ancien Testament. Le tressaillement de l’enfant qu’elle porte est le signe annonciateur de la venue du salut, et la déclaration prophétique d’Élisabeth confirme le rôle de Marie et l’accomplissement des promesses divines. Les versets suivants forment le « Magnificat » (Luc I, 46-55), cantique de louanges célèbre, placé dans la bouche de Marie par une partie de la tradition manuscrite, tandis que d’autres témoins l’attribuent à Élisabeth comme suite logique de sa prophétie. Malgré la place importante laissée à Zacharie dans le premier chapitre de Luc, c’est pourtant Élisabeth qui prend la parole pour donner le nom de l’enfant, contrairement à la tradition qui consiste à nommer l’enfant d’après le nom du père : « Non, il s’appellera Jean » (Luc I, 60). L’évangéliste accorde ainsi dès l’abord une importance remarquable à Élisabeth dans l’histoire du salut.

Thierry LEGRAND

BOVON F., L’Évangile selon saint Luc (1, 1-9, 50), Genève, Labor et Fides, 1991 ; GERBER D., « Il vous est né un Sauveur », la construction du sens sotériologique de la venue de Jésus en Luc-Actes, Genève, Labor et Fides, 2008.

ÉLISABETH IRE D’ANGLETERRE (née Élisabeth TUDOR) [GREENWICH 1533 - RICHMOND 1603]

Reine d’Angleterre et d’Irlande (1558-1603).

Surnommée la « Reine vierge » parce qu’elle ne se mariera jamais, Élisabeth est la fille du roi Henri VIII (1491-1547) et de sa seconde épouse, Anne Boleyn (1501 ou 1507-1536). Demi-sœur de Marie Ire Tudor, comme elle écartée un temps de la succession à la couronne d’Angleterre, elle lui succède à sa mort le 17 novembre 1558. Son règne est l’un des plus longs de l’histoire anglaise (quarante-cinq ans). Les années suivant la mort d’Henri VIII, qui a rompu avec Rome, sont marquées par l’instabilité du climat politique et religieux. Élisabeth Ire monte sur le trône dans des circonstances difficiles et fera preuve d’une grande habileté pour gouverner. L’Angleterre est alors prise en tenaille entre le royaume d’Écosse et la France. Pour compliquer les choses, si le titre d’Élisabeth à la couronne anglaise, après sa demi-sœur Marie, lui a bien été reconnu par un Acte de succession de 1543, la loi de 1536 qui l’en a écartée est toujours en vigueur. Élisabeth Ire sera reine d’Angleterre et d’Irlande jusqu’à sa mort. Elle devra sa longévité politique et, plus encore, la survie de la Couronne à son génie politique et à son aptitude à interpréter les aspirations de la nation et à leur donner corps. À l’extérieur, elle conclut la paix de Cateau-Cambrésis (1559), qui restitue Calais à la France et met ainsi fin à la présence anglaise sur le continent. Elle s’abstient en outre de toute lutte ouverte contre la papauté. En Angleterre, elle se repose sur le Parlement, où ses soutiens sont pourtant incertains, de préférence à l’assemblée de l’Église anglicane. En 1559 elle fait voter un Acte de suprématie et un Acte d’uniformité (religieuse) qui jettent les bases du règlement de la question confessionnelle. Par l’Acte de suprématie, elle devient « gouverneur suprême » de l’Église. D’une part l’expression est un gage donné aux catholiques, car elle évite le terme de « chef ». D’autre part la suprématie, selon Élisabeth Ire, a vocation à s’exercer du dehors, avec l’appui de la législature. Par l’Acte d’uniformité, un Livre de prière commune est imposé sur toute l’étendue du royaume. C’est le troisième du genre. Il vise à assurer l’uniformité de la pratique religieuse afin de prévenir les divisions civiles. En 1563, les « Trente-Neuf Articles » confèrent enfin à l’Église d’Angleterre un corps de doctrine, qui intègre en particulier le dogme calviniste de la prédestination. Ils règlent aussi le gouvernement de l’Église et la nature de ses rapports avec le souverain. Le puritanisme, expression de l’exigence d’une réforme protestante plus radicale, a pris naissance. Ce règlement politique élisabéthain fait de l’Église anglicane, et d’elle seule au Royaume-Uni, l’Église établie de l’Angleterre. Il constitue un moyen essentiel de consolidation de la monarchie, et donc du maintien de l’indépendance de l’Angleterre dans un contexte troublé sur les plans dynastique et diplomatique. Il évite au pays les guerres de religion dont sont affectés, au même moment ou presque, de nombreux pays européens, singulièrement la France. Bien qu’Élisabeth Ire ait été courtisée au fil de son règne par de nombreux prétendants – le roi d’Espagne, l’archiduc d’Autriche, et, en un temps de relations délicates avec la France, le roi Charles IX, puis ses deux frères –, elle fit le choix politique du célibat pour ne pas répéter l’erreur de sa demi-sœur Marie Tudor en se plaçant, et avec elle son royaume, dans la dépendance d’une puissance étrangère. Quant à épouser un Anglais, cela aurait exposé le pays au risque d’une guerre de religion. Son règne a également marqué l’entrée de l’Angleterre dans la compétition coloniale européenne (Francis Drake réalise sa circumnavigation en 1577-1580 et la Compagnie des Indes est fondée en 1600). Les connaissances scientifiques, tirées par les besoins de la navigation, particulièrement en cartographie et en astronomie, commencent à se développer, de même que les connaissances en géographie se perfectionnent. Au cours de cette période, l’Angleterre connaît également un grand essor intellectuel, dans les domaines littéraire (Ben Jonson, Christopher Marlowe, William Shakespeare, Edmund Spenser, Philip Sidney), philosophique (Francis Bacon), musical (William Byrd, Thomas Campion), mais aussi architectural (Inigo Jones). Le grand dynamisme industriel, économique et démographique du pays au cours de cette période a élevé l’Angleterre au rang des grandes puissances.

Antoine MIOCHE

DORAN S., Monarchy and Matrimony. The Courtships of Elizabeth I, Londres, Routledge, 1996 ; DUCHEIN M., Élisabeth Ire d’Angleterre. Le Pouvoir et la Séduction, Paris, Fayard, 1992 ; RUGGIU F.-J., L’Angleterre des Tudors aux premiers Stuarts, 1509-1660, Paris, SEDES, 1998 ; STARKEY D., « Elizabeth : woman, monarch, mission », in ID., DORAN S. (dir.), Elizabeth. The Exhibition at the National Maritime Museum (catalogue d’exposition), Londres, Chatto & Windus/National Maritime Museum, 2003.

ÉLISABETH II [LONDRES 1926]

Reine du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, chef du Commonwealth.

Petite-fille du roi George V et fille aînée du duc et de la duchesse d’York, Elizabeth Alexandra Mary Windsor n’était a priori pas destinée à devenir souveraine. Mais l’abdication de son oncle Édouard VIII et, par conséquent, l’accession de son père au trône en font l’héritière principale de la couronne en 1936. La majorité atteinte, elle devient ainsi « conseillère d’État en l’absence du roi ». Au lendemain du second conflit mondial, durant lequel elle obtient de son père le droit de servir symboliquement parmi les volontaires de l’Auxiliary Territorial Service, elle épouse le prince Philippe de Grèce (20 novembre 1947), duc d’Édimbourg, en dépit des réticences du roi. Le couple aura quatre enfants : Charles (prince de Galles, né en 1948), Anne (princesse royale, née en 1950), Andrew (duc d’York, né en 1960) et Edward (comte de Wessex, né en 1964). C’est au cours d’un déplacement au Kenya, en février 1952, qu’elle apprend le décès de son père et, par la force des choses, le début de son règne, à l’âge de 25 ans. Couronnée en juin 1953, elle devient Élisabeth II, reine du Royaume-Uni ainsi que de 16 États (les « royaumes du Commonwealth »), et chef du Commonwealth des nations. Celle qui fut élue « Femme de l’année 1952 » par le magazine Time a su tenir son rôle dans les affaires du royaume, acquiesçant même, au début des années 1990, à l’adoption d’une loi soumettant sa fortune à l’impôt. Ses fonctions pourtant a priori simplement protocolaires et symboliques ne l’ont pas empêchée de susciter le respect de la plupart des chefs de gouvernement qu’elle a vus se succéder. On se souviendra, par exemple, des propos élogieux de Winston Churchill évoquant sa « sagesse » et son « intelligence » ou de ceux, plus malicieux, d’Harold Wilson, conseillant à son successeur de ne pas oublier de « faire ses devoirs » avant une audience royale. À l’heure de la célébration, en 2012, de son jubilé de diamant, le second seulement de l’histoire de la Grande-Bretagne après celui de la reine Victoria, en 1897, la reine Élisabeth II recueille dans les sondages 80 % d’avis favorables. De plus, 69 % des personnes interrogées considèrent que, sans la monarchie, la situation « serait pire ». Ainsi, soixante ans de règne ont fait de cette femme le symbole de la stabilité, de la sérénité et de l’identité nationale.

Jérôme TOURNADRE

ÉLISABETH DE BOHÊME (princesse palatine) [HEIDELBERG 1618 - HERFORD, WESTPHALIE 1680]

Écrivaine, femme politique et abbesse palatine.

Fille de l’électeur palatin Frédéric V de Wittelsbach et d’Élisabeth Stuart, Élisabeth de Bohême fut élevée à la cour de Berlin par la femme de son oncle Georg Wilhelm, électeur de Brandebourg, et par sa grand-mère paternelle. À l’âge de 10 ans, elle rejoint ses parents exilés aux Provinces-Unies, où des professeurs de l’université de Leyde lui enseignent les mathématiques, l’histoire et les auteurs classiques. Afin de rester fidèle à la religion protestante, elle refuse d’épouser le roi de Pologne, Ladislas IV. Après les traités de Westphalie (1648) qui rétrocèdent le Palatinat à l’électeur de Bavière, elle vit à la cour du frère de celui-ci, dans la ville universitaire de Heidelberg. Elle y établit des contacts avec plusieurs intellectuels, dont Jean Freinsheim, le futur biographe de Christine* de Suède. Le théologien Johannes Coccejus l’encourage à poursuivre son étude de la Bible. En 1661, elle entre au couvent luthérien de Herford en Westphalie. Elle y devient abbesse, titre qui lui donne un siège à la Diète allemande. Elle meurt à Herford en 1680. Sa créativité se manifeste exemplairement par son activité politique et ses réflexions philosophiques, qui se trouvent imbriquées dans sa fameuse correspondance avec Descartes de 1643 à 1649 (elle échangea ensuite quelques lettres avec Leibniz et Malebranche). Elle y confronte la preuve de la distinction des substances, pensante et corporelle, et son expérience concrète : celle de l’esprit engagé dans un corps souvent souffrant, aux prises avec les « affaires » et la « fortune », au cœur d’une vie politique tumultueuse dont il est bien difficile de comprendre comment l’âme, si « grande » ou « forte » soit-elle, peut raisonnablement faire abstraction. Ces lettres rencontrèrent un large écho dans les milieux cartésiens, particulièrement dans les salons, où la princesse palatine devint une figure de l’émancipation intellectuelle des femmes. De fait, elle réalisa de façon tout à fait originale la synthèse de deux courants : celui qui se fonde sur les acquis de la distinction des substances et sur la revendication de l’universalité du bon sens pour revendiquer le caractère asexué de l’esprit, donc la capacité des femmes à raisonner aussi droitement que les hommes ; et celui qui recherche dans la physique mécaniste le moyen d’éclairer de façon concrète la façon dont l’esprit interagit en permanence avec le corps auquel il est joint.

Delphine KOLESNIK

DESCARTES R., Correspondance avec Élisabeth et autres lettres, Paris, Garnier-Flammarion, 1989 ; HARTH E., Cartesian Women : Versions and Subversions of Rational Discourse in the Old Regime, Ithaca/Londres, Cornell University Press, 1992 ; SHAPIRO L., The Correspondence Between Princess Elisabeth of Bohemia and René Descartes, Chicago/Londres, University of Chicago Press, 2007.

DELON M., « Cartésianisme(s) et féminisme(s) », in Europe, no 594, oct. 1978.

ELIYA, Ilana [JÉRUSALEM 1952]

Chanteuse israélienne.

Née dans un quartier populaire de Jérusalem, Ilana Eliya baigne dans la musique depuis toujours. Son père, chantre dans une synagogue, travaille à la préservation des chants liturgiques judéo-kurdes et entretient un lien fort avec sa région d’origine par le biais de la radio. Sa mère tient à ce que sa fille étudie le chant et la guitare dès son plus jeune âge. Pourtant, I. Eliya débute professionnellement comme employée de banque : la culture de sa famille lui interdit de se produire en public et elle ne commence véritablement sa carrière de chanteuse qu’à la fin des années 1980, quelques années après le décès de son père. Son premier album autoproduit, Gabaliyo, sort en 1993. Elle s’entoure pour celui-ci d’un groupe cosmopolite : le compositeur et arrangeur marocain Armand Sabach, le violoncelliste Rali Margalit, le spécialiste yougoslave des bois Tibi Golan et le percussionniste Oren Fried. Dans son album suivant, éponyme, elle part à la recherche de ses racines, entre musique traditionnelle kurde et influences bibliques. Au fil de sa carrière, elle chante en kurde, arabe et hébreu, et met en lumière un patrimoine relativement méconnu hérité de son père et de ses recherches (chants d’amour, des montagnes, des bergers), ainsi que la musique classique arabe avec des reprises d’Oum Kalsoum*, et divers chants séculaires et religieux, qu’ils soient latins, andalous, marocains ou espagnols.

Jean BERRY

Gabaliyo, autoproduit, 1992 ; Ilana Eliya, MCA, 1997 ; Aram, autoproduit, 2007.

ELIZABETH VOIR ARNIM, Elizabeth VON

ELKABETZ, Ronit [BEER-SHEVA 1966]

Actrice et réalisatrice israélienne.

Née dans une famille juive marocaine immigrée en Israël en 1963, Ronit Elkabetz fait des études de stylisme et des débuts dans la mode à la fin des années 1980. C’est par hasard qu’elle passe le casting de Le Prédestiné (Hameyuad, Daniel Wachsmann, 1990) et obtient le premier rôle féminin, début d’une riche carrière. Elle travaille pour la télévision et au théâtre, puis obtient en 1994 le Prix de la meilleure actrice aux Israeli Film Academy Awards pour Sh’Chur (Shmuel Haspari). En 1997, elle arrive en France (sans parler un mot de français), et est remarquée l’année suivante au Festival d’Avignon pour sa mise en scène d’une biographie de Martha Graham*, spectacle qui sera repris à Paris. Elle joue dans son premier film français, Origine contrôlée (Ahmed et Zakia Tahiri* Bouchaâla, 2001), et en 2009 dans La Fille du RER (André Téchiné). Elle partage sa vie entre Paris et Tel-Aviv. Son retour au cinéma en Israël en 2001 lui vaut de nouvelles récompenses pour son rôle de Judith dans Mariage tardif (Hatouna Meuheret, Dover Kossashvili). Prostituée dans Mon trésor (Or, Keren Yedaya, Caméra d’or au Festival de Cannes 2004), femme seule nostalgique de son enfance dans La Visite de la fanfare (Bikour Hatizmoret, Eran Kolirin, 2007), R. Elkabetz, souvent considérée comme porte-voix du cinéma moderne israélien, prend position politiquement et artistiquement. En 2003, elle écrit et réalise, avec son frère Shlomi, le premier volet d’une trilogie en cours : Prendre femme (Velakahta Leha isha, 2004), suivi de Les Sept Jours (Shiva, 2008). Ses racines familiales se ressentent dans les thèmes traités, notamment le poids de l’orthodoxie religieuse sur la condition des femmes. D’un film à l’autre, on retrouve certains personnages, dont le couple central, Viviane (R. Elkabetz elle-même) et Eliahou, juif très religieux qui lui refuse le divorce. La mise à mal de la liberté de l’individu face au groupe est ainsi l’une des questions qui traversent l’ensemble de son travail.

Sarah ELKAÏM

ELKRIEF, Ruth [MEKNÈS 1960]

Journaliste de télévision française.

Journaliste politique, Ruth Elkrief est une pionnière et une figure de premier plan des télévisions d’information continue en France. Sa famille, venue du Maroc, s’installe en France lorsqu’elle a 14 ans. Diplômée de l’Institut d’études politiques de Paris puis du Centre de formation des journalistes, polyglotte (elle parle anglais, espagnol, hébreu, et comprend l’arabe), elle débute au quotidien Le Matin de Paris. Elle entre ensuite à TF1 en 1987, recrutée par Michèle Cotta*. Correspondante à Washington, puis chef du service politique, elle présente le journal de 23 heures le week-end de 1991 à 1992. À la création de LCI, première chaîne française d’information continue (1994), elle présente Le Grand Journal  avec David Pujadas, et mène une interview quotidienne : elle maintiendra ce rythme intensif des années durant tout en étant mère de deux enfants. La journaliste participe en 2005 au lancement de BFMTV, où elle présente Duo BFM, émission économique et politique, avec Hedwige Chevrillon (2006-2007), et Midi Ruth Elkrief, avec Stéphanie de Muru et Gilane Barret (2008-2010). Elle présente également, en 2007 puis à partir de septembre 2010, les débats de 19h Ruth Elkrief. Elle est connue pour son engagement contre l’antisémitisme, l’extrême-droite et l’islamisme, et pour favoriser le dialogue entre les Juifs et les Palestiniens.

Catherine GUYOT

ELLERMAN, Annie Winifred VOIR BRYHER

ELLIOTT, Ellen [ANGLETERRE 1901 - TORONTO 1973]

Éditrice canadienne.

Après des études de langue et littérature anglaise au Hampshire’s Barton Peveril College, Ellen Elliott enseigne à Hampshire et Portsmouth avant d’émigrer à Toronto en 1920. Après avoir occupé diverses fonctions aux éditions Macmillan Canada, elle en devient la responsable éditoriale en 1940. Deux ans plus tard, elle est élue au comité de direction, devenant ainsi la première femme à occuper un poste de direction dans l’édition canadienne sans le devoir à l’influence de son mari. Alors que les éditeurs locaux se heurtent à des ressources insuffisantes, une instabilité économique et des mouvements sociaux, elle travaille sans relâche pour maintenir la maison d’édition à flot et attirer des auteurs. Consciente de leur importance, elle entretient les liens étroits de Macmillan Canada avec la compagnie mère à Londres et avec la filiale new-yorkaise. Contribuant à la croissance de Macmillan Canada, elle fait de cette succursale une maison d’édition à part entière, en travaillant étroitement avec des écrivains et des écrivaines comme Irene Baird, Audrey Alexandra Brown ou Mona Gould. En 1946, quand son confrère John Morgan Gray revient de la guerre, il est nommé directeur général de Macmillan et elle est contrainte de démissionner l’année suivante. Après vingt-sept années passées au service de la maison d’édition, elle est admirée pour sa maîtrise du champ éditorial, et son départ est considéré comme regrettable par ses confrères.

Ruth PANOFSKY

ANDREWS E., Ellen Elliott : a Pioneer, Toronto, Ginn, 1972.

ELLIS, Alice THOMAS (ou Anna HAYCRAFT, née Anna Margaret LINDHOLN) [LIVERPOOL 1932 - LONDRES 2005]

Romancière et essayiste britannique.

Alice Thomas Ellis reçoit son éducation à l’école secondaire de Bangor et étudie à la Liverpool School of Art. À 19 ans, elle se convertit au catholicisme et commence son noviciat au couvent Notre-Dame de Namur à Liverpool, mais elle doit le quitter. Les années 1950 sont une période de vie de bohème à Chelsea. Elle rencontre son mari, Colin Haycraft, qui dirige la maison d’éditions Duckworth et l’embauche comme éditrice sous le nom d’Anna Haycraft, et elle donne au Spectator une rubrique hebdomadaire sur la vie domestique racontée dans ses aspects les plus chaotiques. C’est à la mort de l’un de ses sept enfants qu’elle se met à écrire, des romans spirituels et mordants, combinaison de tragique et de comique noir – à l’image du macabre The Sin Eater (« le mangeur de péché », 1977), le premier qu’elle publie –, non dénués de forts relents de conservatisme. Bien que ses personnages féminins soient des femmes indépendantes et fortes, elle est antiféministe et se dresse contre la libéralisation de l’Église catholique (The Serpent on the Rock, « le serpent sur le rocher », 1994). Elle publie quatre recueils des ses « billets », dix livres d’essais sur divers sujets et trois livres sur l’alimentation.

Michel REMY

Le Vingt-Septième Royaume (The 27th Kingdom, 1982), Paris, Éditions des Cendres, 1991 ; La Trilogie du jardin d’hiver (Summerhouse Trilogy, 1987), Paris, Éditions de l’Olivier, 2006.

ELLIS, Sarah STICKNEY [RIDGMONT 1799 - HODDESDON 1872]

Écrivaine et pédagogue britannique.

Ardente avocate de l’éducation féminine et auteure de nombreux ouvrages d’édification du caractère à l’usage de la femme anglaise – dont les plus connus sont The Women of England (1839), The Daughters of England (1842) et Education of the Heart : Women’s Best Work (1869) –, Sarah Stickney Ellis fonda puis dirigea pendant plusieurs années une école pour jeunes filles, Rawdon House, près de la cure de son mari dans la banlieue de Londres, où elle put mettre ses théories en pratique. Intimement convaincue de l’infériorité morale de l’homme, elle ne cessa de promouvoir la mission religieuse et sociale de la femme qu’elle considérait comme primordiale pour l’avenir de la nation. Dans ses manuels de conduite, elle recommandait à toutes les bonnes épouses de devenir la « seconde conscience » de leur mari. De confession quaker, elle se convertit au congrégationalisme en épousant le révérend William Ellis en 1837. Profondément unis par des goûts et des convictions communs et un activisme inlassable en faveur de la tempérance, ils moururent à une semaine d’intervalle, après trente-cinq ans de mariage consacrés à la bienfaisance et à la cause missionnaire, dont W. Ellis fut l’un des pionniers dans le Pacifique sud.

Martine MONACELLI

Devoirs et condition sociale des femmes dans l’état du mariage, Paris, Amyot, 1847.

ELSNER, Gisela [NUREMBERG 1937 - MUNICH 1992]

Romancière et poétesse allemande.

Considérée comme une auteure antibourgeoise et maniériste, Gisela Elsner effectue des études de philosophie à Vienne jusqu’en 1959, puis vit successivement à Starnberger See, Francfort, Londres, Hambourg, Paris et Munich où elle se suicide en 1992. Après ses premiers récits (dont des coopérations avec son futur mari Klaus Roehler), en 1962 et 1963 elle participe aux rencontres du Groupe 47, qui rassemble les écrivains allemands les plus importants de l’époque. En 1962, Les Nains-Géants marque ses débuts romanesques, dans un langage stylisé et répétitif, qui lui valent le prix Formentor deux ans plus tard. Inspirée par Franz Kafka, elle crée un tableau de mœurs petites-bourgeoises et y porte un regard froid sur un monde hiérarchique et bizarre peuplé de pédants sadiques. Une critique largement défavorable n’empêche pas Les Nains-Géants, traduit en 16 langues, d’être un succès littéraire. Défense de toucher marque en 1970 un changement de forme : G. Elsner libère son langage du maniérisme, mais conserve un style ampoulé et distant. Le roman fait scandale à cause d’une sexualité parfois violente, qui anticipe l’« anti-pornographie » d’Elfriede Jelinek*. L’époque de la « révolution sexuelle » s’y présente comme une exploitation mutuelle des égoïstes. La romancière s’oriente désormais vers un style plus réaliste, mais les succès publics deviennent rares. Elle rejoint le parti communiste DKP et exprime sa sympathie pour le socialisme de la RDA. En 1992, isolée dans son art et dans sa vie, elle se défenestre d’un hôpital munichois.

Robert BEST

Les Nains-Géants (Die Riesenzwerge, 1963), Paris, Gallimard, 1964 ; La Génération montante (Der Nachwuchs, 1968), Paris, Gallimard, 1970 ; Défense de toucher (Das Berührungsverbot, 1970), Paris, Gallimard, 1973 ; Vainqueur aux points (Der Punktsieg, 1977), Paris, Gallimard, 1979.

ELSSLER, Fanny (née Franzizka ELSSLER) [GUMPENDORF 1810 - VIENNE 1884]

Danseuse et chorégraphe autrichienne.

Fille d’un musicien au service de Haydn, Fanny Essler rejoint ses sœurs Anna et Thérèse à l’école de danse de Horschelt à Vienne. Elles sont engagées au Kärtnertor Theatre, où Fanny débute en 1818. Elle entame alors une carrière internationale et se produit, entre 1825 et 1850, à Naples, Vienne, Berlin, Londres, Paris, mais également en Amérique et en Russie. Sa dernière apparition sur scène a lieu en 1851, à Vienne. F. Elssler bénéficie du soutien de sa sœur Thérèse, qui compose plusieurs ballets à son intention, parmi lesquels La Volière à l’Opéra de Paris en 1838, et la choisit souvent comme partenaire en travesti. Travailleuse acharnée, elle perfectionne d’abord à Naples sa technique de pointes et forge, auprès d’Auguste Vestris, le style qui fera sa gloire à Paris. Avec sa danse légère, vive et précise, ses pointes tacquetées, elle fait des danses nationales stylisées sa spécialité. Sa cachucha du Diable boiteux de Coralli (1836) la consacre comme la meilleure danseuse de son temps, au même niveau que Marie Taglioni*, pour des critiques unanimes, parmi lesquels Théophile Gautier. Face à la danse éthérée de M. Taglioni, sa danse terrestre se charge d’un érotisme raffiné qui surprend le public de l’Opéra de Paris et emporte son adhésion. Elle conforte son succès dans la cracovienne de La Gipsy (Mazilier, 1839) et la tarentelle de La Tarentule (Mazilier, 1840). Elle est également appréciée pour ses qualités dramatiques. Très perfectionniste, elle travaille ses rôles dans les moindres détails. On admire sa capacité à garder la même intensité expressive tout au long du ballet, y compris dans ses variations dansées qui ne sont pas de simples démonstrations techniques. Ses reprises de rôle sont chaque fois une re-création. Elle renouvelle ainsi l’interprétation de La Fille mal gardée (Dauberval) et celle d’Esmeralda (Perrot) d’une manière qui fera date à Saint-Pétersbourg. Mais surtout, elle échappe au registre du drame charmant qui caractérisait les interprétations des danseuses, pour atteindre une dimension qui la fera comparer aux plus grandes tragédiennes de théâtre de son temps. Dans le rôle de Fenella de La Muette de Portici, qui lui vaut en 1837 les éloges enthousiastes de Berlioz, et dans Giselle qu’elle interprète pour la première fois à Londres en 1843, elle bouleverse le public par la profondeur et la vérité de son interprétation.

Marie-Françoise BOUCHON

GUEST I., Fanny Elssler, Londres, Adam & Charles Black, 1970.

ELSTOB, Elizabeth [NEWCASTLE 1683 - LONDRES 1756]

Essayiste et traductrice britannique.

Jonathan Swift était si fier de Proposal for Correcting, Improving and Ascertaining the English Tongue (1712) que, contrairement à ses habitudes, il le fit paraître sous son nom. Mal lui en prit : dans An Apology for the Study of Northern Antiquities, préface à Rudiments of Grammar for the English-Saxon Tongue, la première grammaire de l’anglo-saxon rédigée en anglais (1715), Elizabeth Elstob, tout en acceptant certaines analyses de Swift, s’irritait de son mépris pour les linguistes, de ses lacunes manifestes quant aux origines de l’anglais, de son rejet des mots monosyllabiques et des consonnes. Formée par son frère William, pasteur et éminent spécialiste du pédagogue du XVIe siècle Roger Ascham, et par l’érudit George Hickes, doyen de la cathédrale de Worcester, qui avait refusé de prêter serment à l’accession au trône du roi William en 1689, elle avait d’ailleurs déjà attiré l’attention en publiant en 1709 An English-Saxon Homily on the Birthday of St Gregory (« homélie anglo-saxonne pour l’anniversaire du pape saint Grégoire »). L’année précédente, elle avait fait paraître An Essay upon Glory, traduction du Discours sur la gloire (1674) de Madeleine de Scudéry*. Cette « nymphe saxonne » (ainsi surnommée par l’académicien Ralph Thoresby) connaissait huit langues et était pleinement consciente de ses talents, comme on peut le voir dans ses préfaces « féministes » adressées à la reine Anne. En 1715, elle donna encore The English-Saxon Homilies of Aelfric. À la mort de son frère, elle ouvrit une école à Evesham mais, devenue pauvre et oubliée, ne dut sa survie qu’à l’aide de la reine Caroline puis de lady Margaret, duchesse de Portland.

Françoise LAPRAZ SEVERINO

MURPHY M., « The Elstobs, scholars of old english and anglican apologists », in Durham University Journal 55, 1966.

ELTIT, Diamela [SANTIAGO DU CHILI 1949]

Romancière, essayiste et critique littéraire chilienne.

Après des études à la Faculté de philosophie et de lettres de l’Université catholique, Diamela Eltit se spécialise en littérature, au département d’études humanistes, où elle rencontre les futurs acteurs de la vie culturelle du pays. Pendant la dictature de Pinochet, entre 1975 et 1985, elle fonde le Colectivo de Acciones de Arte (« collectif d’actions artistiques ») avec l’artiste visuelle Lotty Rosenfeld, le peintre Juan Castillo, le poète Zurita et le sociologue Fernando Balcells, afin d’ouvrir d’autres horizons à la population, encadrée par le régime. Il convient d’aborder le projet littéraire de D. Eltit par la lecture des relations qu’elle établit entre l’art et la politique aux différents moments de l’histoire récente du Chili. Certains de ses romans évoquent les crises sociales provoquées par la dictature, comme Lumpérica (1983) et Por la patria (« pour la patrie », 1986). D’autres se font l’écho de l’écriture « surveillée » pendant la transition politique, comme Los vigilantes (« les surveillants », 1994), lauréat du prix José-Nuez-Martín en 1995. Avec Mano de obra (« main-d’œuvre », 2002), qui se déroule pour l’essentiel dans un supermarché, et Jamás el fuego nunca (« jamais le feu, jamais », 2007), l’écrivaine questionne la possibilité de construire un roman social dans un contexte de capitalisme hyperglobalisé. Elle problématise également le genre du témoignage, notamment dans El padre mío (« mon père », 1989) ou Puño y letra (« de sa propre main », 2005) et s’intéresse à la combinaison texte-image, comme dans El infarto del alma (« infarctus de l’âme », 1994), élaboré avec la photographe Paz Errázuriz. La poétique de D. Eltit se transforme : les personnages héroïques, féminins, marginaux, métissés des premiers textes, exclus du projet nationaliste de Pinochet, s’effacent pour faire place à des sujets « blanchis » et nationalisés par l’uniforme du supermarché ; le langage, d’abord néo-baroque, change de registre pour accueillir massivement clichés et mots familiers. Sous sa plume, la tradition narrative chilienne prend une dimension politique. Elle est accueillie dans les universités de New York, de Berkeley et à l’Université catholique, en résidence d’écrivain ou en tant que professeure invitée. Attachée culturelle sous le gouvernement du président Patricio Aylwin, elle obtient en 1985 la bourse Guggenheim pour la création littéraire, puis, en 1988, celle de l’association américaine Social Science Research Council, pour mener des recherches sur les écrivaines chiliennes.

Rubí CARREÑO BOLÍVAR

Lumpérica (1983), Paris, Des femmes-Antoinette Fouque, 1993 ; Quart-monde (El cuarto mundo, 1988), Paris, C. Bourgois, 1992.

PÉLAGE C., Diamela Eltit, les déplacements du féminin ou la poétique en mouvement au Chili, Paris, L’Harmattan, 2011.

EMA TAHOKO (dite SAIKŌ) GAKI, PROVINCE DE MINO, AUJ. PRÉFECTURE DE GIFU 1787 - ID. 1861]

Peintre, calligraphe et poétesse japonaise.

Fille aînée d’un médecin lettré, Ema Tahoko perd sa mère à l’âge de 3 ans. Sans descendance masculine, même après un remariage, son père lui enseigne le chinois et les bases de la calligraphie et de la peinture. Précocement douée, celle qui prendra « Saikō » comme nom de pinceau étudie la peinture auprès d’un moine de Kyoto, Gyokurin (1751-1814), spécialisé dans la peinture de bambous. En 1804, voulant se consacrer pleinement à la peinture, elle refuse d’épouser l’homme que son père lui destine. En 1813, l’influent lettré et historien Rai San’yō (1780-1832) la prend pour disciple et la demande en mariage. L’opposition paternelle puis l’engagement de Rai San’yō auprès d’une autre femme contrarient ce projet d’union. Affectée, la jeune femme, tout en conservant le célibat, continue à cultiver une amitié et une affection platoniques avec son maître, lequel l’instruit en poésie chinoise et en calligraphie. Vers 1817, sous sa direction, elle devient l’élève du peintre Uragami Shunkin (1779-1846). Marquée par la tradition lettrée chinoise, elle se concentre sur la peinture de ce que l’on nomme Les Quatre Gentilshommes ou Les Quatre Princes (orchidée, bambou, chrysanthème, fleur de prunier), comme en témoigne Bambou et rocher (1852), mais elle élargit aussi son répertoire aux « fleurs et oiseaux » et aux paysages (Paysage, 1852). Elle use souvent d’une encre monochrome et ajoute parfois de très légers coloris, qualités de dépouillement chères aux lettrés (Chrysanthèmes). Conformément à cette tradition, elle accompagne souvent ses peintures de poèmes. Rai San’yō l’introduit auprès de plusieurs bunjin (« lettrés ») de Kyoto, parmi lesquels Uragami Shunkin, Nakabayashi Chikutō, Ōkura Ryūzan. Elle acquiert bientôt une renommée certaine à Kyoto et devient une figure majeure de la vie culturelle à Ōgaki. Elle sera membre de plusieurs sociétés de poésie : Hakuōsha (« société de la mouette blanche »), Reiki Ginsha et Kōsaisha dont elle prendra la tête. Ses poèmes sont publiés dans différents recueils. En 1856, elle reçoit le patronage de l’épouse du daimyo Toda et est invitée au château d’Ōgaki. Une attaque cérébrale l’emportera en 1861. Elle demeure l’une des premières femmes lettrées à gagner une véritable considération et reconnaissance dans un domaine alors dominé par les hommes. Attachant une attention particulière aux mérites des autres femmes lettrées, elle conserva dans sa collection un rouleau rassemblant des peintures et calligraphies réalisées par près de 22 artistes femmes.

PENG CHANG MING

FISTER P. (dir.), Japanese Women Artists, 1600-1900 (catalogue d’exposition), Lawrence, Spencer Museum of Art, University of Kansas, 1988 ; WEIDNER M. S. (dir.), Flowering in the Shadows : Women in the History of Chinese and Japanese Painting, Honolulu, University of Hawaii Press, 1990.

EMAM, Mahassen AL- [JÉRUSALEM XXe siècle]

Journaliste jordanienne.

Malgré les réticences de son entourage et de sa famille, Emam al-Mahassen devient journaliste. Diplômée en médias au Pakistan, pionnière en Jordanie, où la presse est le domaine des hommes, elle est en 1976 la première femme journaliste à être acceptée par l’Association de la presse jordanienne et à faire partie de son conseil. Elle collabore à de nombreux journaux en tant que reporter ou chef de rubrique et dirige la rédaction d’hebdomadaires tels que Quiff, Soutal-Mara`h ou Al-Bilad. C’est en travaillant pour al-Dustour (« la constitution ») qu’elle s’intéresse à la condition féminine avant de rejoindre la rédaction de Al-Shaab (« le peuple »), où elle réalise des portraits de femmes ayant réussi, bien que parties de rien. Brillante, célèbre, respectée mais aussi décriée par certains pour son franc-parler et sa combativité, M. al-Emam se met en congé et paie elle-même son voyage en Irak pour couvrir le conflit avec l’Iran, contre la volonté de son rédacteur en chef. À partir de 1994, elle est rédactrice en chef – une première pour une femme en Jordanie – de l’un des hebdomadaires les plus populaires de son pays, Al-Bilan, dont elle est renvoyée en 2002. La publication d’un article révélant la production gouvernementale de légumes à l’aide d’hormones et d’eau sale lui vaut un procès qu’elle gagne. En 1999, elle crée l’Arab Women Media Center, une fondation œuvrant pour la formation et l’intégration de ses paires, soutenue par l’Unesco et par la princesse Basma Bint Talal. Seul organisme de ce type dans le monde arabe à l’époque, il compte aujourd’hui plus de 200 membres. M. al-Emam écrit pour des publications londoniennes et françaises et a reçu de nombreuses récompenses pour son action.

Audrey CANSOT

EMECHETA, Buchi [LAGOS 1944]

Romancière nigériane.

Née de parents igbo, Buchi Emecheta se distingue dès son jeune âge par sa résistance et sa détermination à obtenir une éducation à une époque où les femmes devaient rester au foyer pour aider aux tâches domestiques. Après avoir convaincu ses parents de l’envoyer à l’école missionnaire, elle obtient une bourse pour l’école Methodist Girls. Mariée à 16 ans, elle suit son mari à Londres, où il est étudiant. Avec cinq enfants en six ans de mariage, et une relation conjugale difficile, voire violente – son mari ira jusqu’à brûler son premier roman –, B. Emecheta trouve sa bouffée d’oxygène dans l’écriture. Fuyant le domicile conjugal avec ses cinq enfants, elle va dès lors subvenir aux besoins de sa famille en travaillant comme bibliothécaire, tout en menant de front des études de sociologie. Romancière prolifique, figurant parmi les pionnières anglophones, son œuvre se caractérise par son combat contre toute forme d’oppression à l’encontre des femmes. En marge de romans tels que Les enfants sont une bénédiction (1979), qui aborde des questions de stérilité, et Destination Biafra (1982), qui revient sur la guerre du Biafra, le contexte de l’émigration à Londres constitue la toile de fond d’une partie importante de sa production. Son premier roman, La Cité de la dèche (1972), à caractère semi-autobiographique, reprend notamment ce contexte. Auteure de nouvelles et de nombreux articles de journaux auxquels elle contribue régulièrement, B. Emecheta écrit également des ouvrages destinés à la jeunesse, tels que Nowhere to Play (« nulle part où jouer », 1980) et Le Corps à corps (1980).

Odile CAZENAVE

Citoyen de seconde zone (Second-Class Citizen, 1974), Larbey, Gaïa, 1994 ; La Cité de la dèche (In the Ditch, 1972), Larbey, Gaïa, 1995 ; La Dot (The Bride Price, 1976), Paris, 10-18, 2006.

EMERSON, Claudia [CHATHAM 1957]

Poétesse américaine.

Née et élevée en Virginie, Claudia Emerson a poursuivi ses études supérieures à l’université de Greensboro en Caroline du Nord pour obtenir, en 1991, un MFA (Master of Fine Arts) en poésie. Elle exerce actuellement comme professeure de littérature anglaise à l’université de Mary Washington à Fredericksburg (Virginie), où elle a occupé les fonctions de rédactrice en chef de The Greensboro Review et de Shenandoah. Elle ne commence véritablement à écrire qu’à l’âge de 28 ans et publie plusieurs recueils de poèmes, dont Pharaoh, Pharaoh (« pharaon, pharaon », 1997) ; Pinion : An Elegy (« plume : une élégie », 2002) ; Late Wife (« feu cette épouse », 2005) pour lequel elle reçoit le prix Pulitzer en 2006 ; Figure Studies (« étude de silhouettes », 2008). Ses poèmes ont également été publiés dans de nombreuses revues et publications littéraires, parmi lesquelles Shenandoah, Poetry, Blackbird et The Southern Review. Ancrée dans la littérature traditionnelle du Sud, la poésie de C. Emerson est marquée par l’influence de Ellen Bryant Voigt*, de Betty Adcock* et de William Faulkner. Elle a été récompensée par la Library of Congress, la Virginia Commission for the Arts, et le National Endowment for the Arts. En 2008, elle a été nommée poète lauréat de Virginie pour une durée de deux ans.

Beatrix PERNELLE

BYRNE E., « Everything we cannot see : Claudia Emerson’s Late Wife », in Valparaiso Poetry Review, no 8, hiver 2006-2007 ; KENNEDY S., « An interview with Claudia Emerson », in Shenandoah, vol. 56, no 3, hiver 2006 ; WILLIAMS S. S., « Review of Pinion : An Elegy, by Claudia Emerson », in Blackbird : An Online Journal of Literature and the Arts, vol. 1, no 2, 2002.

EMERY, Florence Beatrice VOIR FARR, Florence Beatrice

EMIN, Tracey [LONDRES 1963]

Plasticienne, artiste visuelle et multimédia britannique.

Issue d’une famille d’origine chypriote turque, Tracey Emin est diplômée du Maidstone College of Art et de la Royal Academy of Art. Cette artiste polyvalente exprime son art sur des supports et par des formes extrêmement divers : dessin, vidéo, sculpture, broderie, livre, peinture, néons, photographie. Elle s’expose elle-même, utilisant des événements de sa vie et exprimant crûment ses humiliations, ses blessures, ses succès. Ses œuvres évoquent des histoires d’amour vécues dans un mélange de déchirures, de déception et de jouissance. Si un féminisme s’exprime dans son œuvre, c’est uniquement par le biais d’une réalité autobiographique et intime. Sa première exposition personnelle a lieu en 1993 dans la galerie londonienne White Cube, alors composée d’une salle blanche de quatre mètres de côté, espace expérimental dirigé par Jay Jopling, qui se veut le plus petit espace d’exposition possible dans lequel peut s’exprimer un jeune artiste qui n’y serait pas représenté une seconde fois. Son exposition, qui porte le sous-titre ironique de My Major Retrospective (« ma rétrospective majeure »), consiste en un entassement de toutes sortes de pièces et d’images réalisées entre 1983 et 1993. Elle met ensuite en œuvre le projet du Tracey Emin Museum. Ne disposant pas d’atelier, elle loue une boutique sur Waterloo Road puis émet des titres, les Emin Bonds, qu’elle vend pour 50 ou 500 livres, sous forme de gravures sur bois dont elle garantit le doublement de la cote sur une année ou le remboursement. Leur succès lui permet de louer le local et d’acheter du matériel. Au cours des années 1990, elle fait partie des Young British Artists (comme Sarah Lucas*, les frères Chapman ou Marc Quinn), mouvement lancé et soutenu par le galeriste et collectionneur Charles Saatchi et l’artiste Damien Hirst. À ce titre, elle participe, en 1997, à l’exposition Sensation, à la Royal Academy of Art, qui connaît un fort succès à parfum de scandale. En 1999, elle se trouve parmi les quatre artistes retenus et exposés pour le très prestigieux Turner Prize – qui récompense un artiste britannique de moins de 50 ans. Elle provoque un esclandre en proposant My Bed : son propre lit défait, laissé tel quel après sa séparation d’avec son amant, couvert de préservatifs usagés, de sous-vêtements souillés de sang et de cadavres de bouteilles. Ses œuvres ressassent de manière obsessionnelle le viol qu’elle a subi dans son adolescence, ses fausses couches, son rapport au sexe. Ainsi, l’une des plus célèbres, Everyone I Ever Slept With, 1963-1995 (« tous ceux avec lesquels j’ai dormi »), se compose d’une petite tente dont l’intérieur est assemblé selon la technique de l’appliqué (assemblage de pièces de tissus) et tapissé des noms des personnes avec lesquelles elle a « dormi ». En 1996, elle se fait enfermer pendant deux semaines dans une pièce aménagée dans une galerie, pourvue seulement de matériel de peinture, dans l’espoir d’exorciser ses démons picturaux. Des lentilles placées dans les murs permettent de l’observer peindre nue. Commençant dans un style et avec une imagerie proche des œuvres d’Egon Schiele, d’Edvard Munch ou d’Yves Klein, elle finit par trouver son style dans un déversement d’images autobiographiques. La pièce a été conservée dans son intégrité. À propos de son rapport provocateur avec le public, à qui elle demande d’agir comme voyeur, elle explique dans un entretien publié en 2007 par la revue Art Press : « Nous sommes le centre de nos rêves et […] nous créons tout dans le rêve, y compris les autres protagonistes. Dans le rêve je suis celle qui parle mais aussi les autres personnes qui interviennent, et je me regarde à travers elles. » Durant la même année, elle surprend le public par la retenue relative avec laquelle elle occupe le pavillon de la Grande-Bretagne lors de la LIIe Biennale de Venise. Elle présente des phrases écrites au néon, dans un graphisme évoquant l’écriture manuelle et exprimant la vivacité de « phrases dites ». Elle montre aussi une série d’aquarelles réalisées après son avortement. Élue membre à vie de la Royal Academy of Art en 2007, elle bénéficie l’année suivante d’une exposition personnelle à la galerie d’Art moderne d’Édimbourg.

Anne MALHERBE

Ten Years : Tracey Emin (catalogue d’exposition), Amsterdam, Stedelijk Museum, 2002 ; Tracey Emin : Works 1963-2006, Freedman C., Fuchs R., Winterson J. (textes), New York, Rizzoli, 2006.

BROWN N., Tracey Emin, Londres, Tate Publishing, 2006 ; MERCK M., TOWNSEND C. (dir.), The Art of Tracey Emin, Londres, Thames & Hudson, 2002.

Avec SCHWABSKY B., « Tracey Emin, au centre de ses rêves » (entretien), in Art Press, juin 2007.

ÉMISSIONS DE CUISINE – TÉLÉVISION [France XXe-XXIe siècle]

Dès les débuts de la télévision, les émissions de cuisine s’installent sur le petit écran. De 1954 à 1966, l’émission Art et magie de la cuisine institue un rendez-vous hebdomadaire entre Raymond Oliver, le chef du restaurant parisien Le Grand Véfour, triplement étoilé au Michelin, et la speakerine Catherine Langeais*, surnommée la Fiancée des Français, faisant office de médiatrice entre le chef et les téléspectatrices. En 1960, pour aider les femmes qui sont de plus en plus nombreuses à avoir une activité professionnelle, tous deux lancent l’émission La Cuisine pour les hommes. Cette formule d’émissions est reprise régulièrement : par exemple, en 1976, dans La Cuisine légère, Anne-Marie Peysson reçoit Michel Guérard ; dans les années 1980, dans La Cuisine sans cuisson, Lyvia d’Alche invite des chefs.

Dès la fin des années 1970, la présence active des femmes dans les émissions de cuisine télévisées se renforce. Dans des émissions souvent régionales, elles apportent plus particulièrement leurs connaissances des traditions culinaires, leur savoir-faire, leur sens de la cuisine simple et quotidienne. Ainsi, entre 1983 et 1995, dans La Cuisine des mousquetaires, deux femmes solides, à l’accent du Sud-Ouest, Maïté Ordinez et Micheline Banzet, font la cuisine, simplement, à l’écran : elles apportent un ancrage terrien et une connaissance des traditions régionales. Ce n’est que depuis les années 2000 que les femmes jouent un rôle de premier plan dans les émissions télévisées de cuisine où elles sont à la fois animatrices, prescriptrices et expertes : Carinne Teyssandier, après avoir réalisé Côté cuisine sur France 3 Bourgogne Franche-Comté, lance en avril 2001 la première chaîne dédiée à la cuisine, Cuisine TV ; elle y anime l’émission Fiches de cuisine censée marier les plaisirs d’une cuisine agréable, d’un « art de vivre », avec les astuces traditionnelles des ménagères. Elle prend également en charge la rubrique gourmande de Télématin sur France 2 qu’elle tient depuis 2007.

Alors que les émissions de chefs continuent d’occuper les écrans, d’autres styles d’émissions voient le jour, moins étroitement spécialisées et plus ouvertes aux femmes : Julie Andrieu présente depuis 2005 sur France 5 Fourchette et sac à dos, qui apparaît comme un « carnet de voyage culinaire » faisant découvrir des produits, des pays et des goûts inconnus et qui s’est prolongé par la publication de Julie cuisine le monde chez vous (2010). À partir de septembre 2009, elle est chroniqueuse dans l’émission quotidienne C à vous, présentée par Alessandra Sublet sur France 5. Sur TF1, le programme MasterChef, animé par Carole Rousseau et plébiscité par les téléspectateurs depuis 2010, présente un concours de cuisiniers amateurs devant un jury de chefs attentifs, prêts à décerner le titre de Masterchef au plus talentueux ; Anne Alassanne en a été la lauréate en 2010.

Evelyne COHEN

EMMA LA CLOWN (Meriem MENANT, dite) [LE MANS 1968]

Clown française.

EMMANUELLE, Sœur (Madeleine CINQUIN, dite) [BRUXELLES 1908 - CALLIAN, VAR 2008]

Religieuse franco-belge.

Née dans une famille aisée, Madeleine Cinquin mène une enfance paisible jusqu’à la mort de son père, l’année de ses 6 ans. Diplômée de sciences philosophiques et religieuses, elle entre en 1931 chez les sœurs de Notre-Dame-de-Sion, une congrégation tournée vers l’enseignement, et devient professeure sous le nom de sœur Emmanuelle. Elle exerce son métier quinze ans en Turquie et cinq ans en Tunisie avant de rejoindre l’Égypte où elle passera l’essentiel de sa vie.

Elle a 60 ans quand elle demande à sa supérieure générale l’autorisation d’aller enseigner au Caire dans une petite école en milieu populaire. C’est là que sœur Emmanuelle découvre ces parias que sont les 30 000 chiffonniers du bidonville du quartier de Mokattam, qui vivent dans une très grande misère. Elle décide de se mettre entièrement à leur service et, bientôt soutenue par des dons venus du monde entier, fait construire des écoles, des jardins d’enfants et des dispensaires. Pour professionnaliser ses actions, elle fonde en 1980 l’association Asmae-association Sœur Emmanuelle avec l’aide de sœur Sarah (Sarah Ayoub Ghattas), une autre sœur de sa congrégation. En 1993, après presque trente ans au service des démunis, sœur Emmanuelle rentre en France sur ordre de sa hiérarchie pour prendre sa retraite dans un foyer de la communauté Notre-Dame-de-Sion dans le Var. Dans sa vieillesse, cette femme insatiable n’hésite pas à s’occuper encore de SDF en majorité algériens au sein de l’association Les amis de Paola, dans un centre situé près de Fréjus, et publie trois ouvrages en deux ans : Le Paradis c’est les autres, Jésus tel que je le connais et Yalla, en avant les jeunes ! Son courage et sa générosité sont récompensés par des distinctions honorifiques, et sa disparition suscite une vive émotion dans l’opinion publique internationale. Outre la scolarisation des enfants démunis et son engagement en faveur de la libération des femmes, son action aura permis de faire diminuer les violences interreligieuses en favorisant le dialogue entre juifs, musulmans et chrétiens. Au Caire, les religieuses coptes poursuivent aujourd’hui son œuvre autour de sœur Sarah.

Elisabeth LESIMPLE

EMPOWERMENT [XXe-XXIe siècle]

Le terme empowerment est un néologisme anglo-saxon employé dès les années 1960 dans le radicalisme noir nord-américain et dans le travail communautaire de « conscientisation », inspiré notamment par Paolo Freire au Brésil puis dans de nombreux pays du Sud. Au milieu des années 1980, les féministes latino-américaines et caribéennes revendiquent l’empoderamiento pour interroger ces deux vecteurs de la domination masculine que sont le patriarcat et le colonialisme, et pour mettre l’accent sur l’importance de la conquête de l’estime de soi individuelle et collective. L’émergence du terme sera en particulier portée par le réseau féministe international DAWN (Development Alternatives with Women for a New Era), constitué autour de la plateforme d’organisations non gouvernementales de la Conférence internationale pour les femmes de Nairobi, en 1985. Articulant les trois niveaux – individuel, collectif et organisationnel – de la théorie de l’oppression de P. Freire, la définition de l’empowerment combine, dans le registre individuel, la capacité à maîtriser sa vie et, dans le registre collectif, le changement des rapports « de genre » dans les différentes sphères. Dans le domaine institutionnel, la United States Agency for International Development (USAID) et la Banque mondiale confient à l’université Harvard l’élaboration d’un premier cadre d’analyse. La grille proposée met en évidence l’importance du rôle des femmes dans le développement ; elle interroge en cela les niveaux individuel et collectif, sans remettre en cause le niveau organisationnel de reproduction des relations de pouvoir sexuées. La Conférence de Pékin de 1995 constitue une étape supplémentaire dans la reconnaissance institutionnelle de l’empowerment comme stratégie clé de développement. Le paragraphe 13 de la Déclaration de Pékin affirme ainsi que « l’empowerment des femmes et leur pleine participation dans des conditions d’égalité dans toutes les sphères de la société, incluant la participation aux processus de décision et l’accès au pouvoir, sont fondamentaux pour l’obtention de l’égalité, du développement et de la paix ». À l’occasion de cette conférence, le Programme des Nations unies pour le développement publie un index qui associe l’empowerment à l’augmentation du revenu, à la participation au marché du travail et aux décisions politiques. Plusieurs auteures et actrices dénoncent une conception fondée plus sur la lutte contre la pauvreté et le maintien de la paix sociale que sur la dénonciation du système socioculturel patriarcal. Revendiquant un dépassement de cette approche individualiste et directive, des féministes et des ONG de développement abordent l’empowerment comme un double processus identitaire, individuel et collectif. Instaurée en 1993, auprès du ministre belge de la Coopération au développement, la Commission Femmes et Développement distingue ainsi « à la Foucault » quatre types de pouvoir : le « pouvoir sur », le « pouvoir de », le « pouvoir avec » et le « pouvoir intérieur ». Pouvoir d’autonomisation, l’empowerment ne se réduit donc pas à la capacité d’accéder aux ressources – économiques, professionnelles… –, mais est aussi la « capabilité » d’agir véritablement selon ses choix, comme l’a analysé le Prix Nobel Amartya Sen. Dans cette perspective, s’il doit permettre la présence significative des femmes à des postes de pouvoir, c’est parce qu’au-delà de la promotion des capacités individuelles il questionne plus largement la manière dont les structures sociales – non seulement les institutions et les lois, mais aussi les codes collectifs implicites – déterminent la place et le rôle des différents acteurs et actrices. Afin d’être un instrument de transformation, et pas seulement un outil technocratique et comptable, le terme empowerment doit porter une réflexion et une pratique articulant le local et le global, l’émancipation individuelle et la prise de conscience collective de la dépendance sociale, économique et politique. Les diverses traductions françaises rendent difficilement compte de la complexité de ce terme interrogeant les liens entre pouvoir, puissance et autonomie.

Réjane SÉNAC

ENCHI FUMIKO [TOKYO 1905 - ID. 1986]

Romancière et dramaturge japonaise.

Imprégnée de littérature classique par sa grand-mère, lui récitant souvent des paroles du théâtre kabuki ou des passages célèbres de Takizawa Bakin, Enchi Fumiko appréciera toujours la vivacité, une certaine indécence et la force des intrigues du théâtre populaire de la fin de l’époque d’Edo. Sa pièce de théâtre Banshun sōya (« la fin du printemps, le soir bruyant », 1928) est publiée dans la revue Nyonin geijutu (« les arts au féminin »). Après Sekishun (« regret du printemps », 1935), son premier recueil de pièces de théâtre, elle se tourne vers le roman. Himojī tsukihi (« période de faim », 1953) marque le début de sa reconnaissance. L’écrivaine réinvente souvent des classiques : Envoûtement (1956) avec Ise monogatari ; Nise no en/shūi (« un lien qui transcende la mort/suite », 1957) avec un conte d’Ueda Akinari ; Chroniques glorieuses (1959-1961) avec Eiga monogatari. Elle subit également l’influence de Tanizaki Jun’ichirō, et dans Fuyu no tabi (« voyage en hiver », 1971) le fantôme de Mishima fait son apparition. Masque de femme (1958), dont les titres de chapitres correspondent aux masques de nō, met en scène l’inexpressivité du visage de la femme. Les femmes soumises dominent les romans de Enchi Fumiko en tant que narratrices exerçant un don de manipulation, voire de pouvoir chamanique. Dans Chemin de femmes (1957), une femme soumise devient le plus redoutable garant du patriarcat et meurt en victime du système qu’elle a voulu maintenir. Ce roman jette une lumière sur les plaintes secrètes des femmes, transmises à travers des générations. Enchi Fumiko a par ailleurs traduit en japonais moderne plusieurs classiques de la littérature japonaise, dont le célèbre Dit du Genji.

UEDA AKIKO

ENCINA, Paz [ASUNCIÓN 1971]

Cinéaste et scénariste paraguayenne.

ENCISO, Pilar [MADRID 1926 - ID. 2008]

Dramaturge et metteuse en scène espagnole.

Figure majeure du théâtre jeune public en Espagne, Pilar Enciso est diplômée de l’École royale supérieure d’art dramatique de Madrid (Resad) et, dès 1954, se lance avec Lauro Olmo, son mari, dans l’écriture et la mise en scène, à quatre mains, de pièces pour enfants comme El león engañado (1954) ou El raterillo (1960). En 1953, ils fondent la compagnie Teatro Popular Infantil, qui, dans les années 1960, s’efforce de dépasser la vision didactique et moralisante du théâtre pour enfants pour en offrir une approche plus libre, interactive, accordant une grande importance à la qualité littéraire et artistique. Ces courtes pièces, publiées en recueil (Teatro infantil, 1969), s’inspirent pour la plupart de fables, de grands récits fondateurs (Ésope, La Fontaine, Panchatantra), revisités et actualisés. Teintées d’humour, du lyrisme des chansons populaires, d’un certain animisme, elles affichent une portée éthique et sociale. De même que dans les Fables de La Fontaine, elles mettent en scène des animaux imitant les humains, et laissent lire entre les lignes une véritable critique, politique et sociale, dans une Espagne peu favorable à la liberté d’expression. Ces pièces témoignent aussi d’un véritable effort d’adaptation aux spécificités de leurs destinataires : écrites en fonction de l’évolution de l’enfant et organisées comme telles dans le recueil, elles cherchent à favoriser le dialogue intergénérationnel. Textes et représentations sont bien accueillis par le public et la critique, donnant lieu à plusieurs rééditions ainsi qu’à des adaptations pour la télévision. On retient de la trajectoire de P. Enciso la collaboration fertile avec son mari, leur combat commun contre le franquisme et leur engagement du côté des plus démunis.

Monique MARTÍNEZ

ENCKELL, Monique [NEUILLY-SUR-SEINE 1948]

Dramaturge, scénariste et romancière française.

ENCRENAZ, Thérèse [FRANCE 1946]

Astrophysicienne française.

Après avoir soutenu une thèse sous la direction d’Ichtiaque Rasool, Thérèse Encrenaz entre au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) en 1971, devient directrice de recherches en 1984 et directrice de recherches de classe exceptionnelle en 2007. Son domaine principal est la planétologie, en particulier l’étude des atmosphères planétaires et des comètes. Spécialisée dans la spectroscopie infrarouge, elle participe à de nombreuses missions spatiales d’exploration du système solaire (Voyager, Galileo, Vega, Phobos, Mars Express, Rosetta) et joue un rôle essentiel dans la préparation, la coordination et l’analyse des observations des objets du système solaire avec le satellite infrarouge ISO. Ses travaux, qui portent sur la quasi-totalité des planètes, contribuent à la découverte de nombreuses espèces chimiques dans les atmosphères des planètes et des comètes. On lui doit, entre autres, la première observation, en 2003, du peroxyde d’hydrogène (H2O2) dans l’atmosphère de Mars – un élément oxydant recherché depuis longtemps –, et celle, très inattendue, des espèces oxygénées (H2O, CO, CO2) dans les atmosphères supérieures des planètes géantes. Depuis 2010, elle a étendu ses recherches aux études sur les atmosphères d’exoplanètes. Reconnue au-delà de la communauté liée à la planétologie, elle assure nombre de responsabilités au niveau national et européen : direction du Département de recherche spatiale (1992-2001), vice-présidence de l’observatoire de Paris (2007-2011), présidence (2008-2012) du Comité d’évaluation sur la recherche et l’exploration spatiales (Ceres) du Centre national d’études spatiales (CNES). Par ailleurs, elle a signé une douzaine d’ouvrages de vulgarisation ou à l’usage des spécialistes. Elle reçoit la médaille d’argent du CNRS en 1998. Passionnée de musique et de peinture, elle est aussi l’auteure de centaines d’aquarelles essentiellement marines et ouessantines.

Emmanuel LELLOUCH

ENDER, Maria VLADIMIROVNA [SAINT-PÉTERSBOURG 1897 - ID. 1942]

et

ENDER, Xénia VLADIMIROVNA [SLOUTSK 1895 - LÉNINGRAD, AUJ. SAINT-PÉTERSBOURG 1955]

Peintres russes et théoriciennes de l’art.

Les sœurs Ender sont, avec leur frère Boris (1893-1960), les principales artistes de l’école de Mikhaïl Matiouchine, qui représente le courant « organiciste » de l’avant-garde russe des années 1910-1920. Elles font leur apprentissage artistique en 1919-1922 dans les Ateliers libres (Svomas) de Petrograd, au sein de la classe du « réalisme spatial » de M. Matiouchine. Entre 1923 et 1926, Maria Ender collabore à la section scientifique dédiée à la culture organique du Ghinkhouk (Institut d’État de culture artistique) à Pétrograd-Léningrad. En 1923, elle accompagne au piano une composition à quatre tons, créée et jouée au violon par M. Matiouchine (le jeune Chostakovitch assiste au concert). Après la fermeture du Ghinkhouk, elle est consultante pour les mises en forme colorées de plusieurs gares et maisons de la culture de Léningrad. Aidée de son maître, M. Matiouchine, elle élabore une théorie de la couleur et participe, avec sa sœur et d’autres membres organicistes, à l’établissement des tableaux explicatifs intitulés Interaction de la forme, de la couleur et du son, qui seront montrés en Europe par Malévitch en 1927. Elle dirige en 1927 une section réservée à l’« utilisation de la perception périphérique de la forme colorée ». De 1930 à 1932, elle enseigne la théorie de la couleur à l’Institut pour un art prolétarien et contribue à la rédaction du traité, le Lexique de la couleur, de M. Matiouchine. Elle meurt en 1942, pendant le blocus de Léningrad. En rapport avec les recherches d’Helmholtz sur l’excitation de l’appareil nerveux visuel (l’ophtalmoscope) et sur la « vision occipitale », les travaux de sa sœur aînée, Xénia Ender, sont consacrés à la théorie de la « vision élargie », qui lui permet de créer des paysages « à 360 degrés ». Elle participe à la Biennale de Venise en 1924. Les œuvres des sœurs Ender oscillent entre la non-figuration (l’objet noyé dans le magma coloré) et l’abstraction d’une iconographie cellulaire aux « formes sans forme », aux déroulements capricieux, aux couleurs très chaudes alliant des bleus, des jaunes, des rouges et des verts, dans une palette expressionniste très « slave ». Leur peinture annonce l’abstraction de Serge Poliakoff. La collection Costakis du musée national d’Art contemporain de Thessalonique possède une grande partie de leurs tableaux.

Jean-Claude MARCADÉ

RUDENSTINE A. Z. (dir.), Russian Avant-Garde Art : The George Costakis Collection, New York., Abrams, 1981 ; KLOTZ H. (dir.), Matjuschin und die Leningrader Avant-Garde, Stuttgart/Munich, Octogon, 1991 ; MARCADÉ J.-C., L’Avant-garde russe 1907-1927 (1995), Paris, Flammarion, 2007.

ENEIDA VOIR MORAIS, Eneida Costa DE

ENFANCE ESPOIR – ASSOCIATION [France depuis 1982]

Enfance Espoir est une association fondée en 1982 par l’enseignante française Claude Daniel dans le but de favoriser la garde des enfants orphelins dans le pays en voie de développement dans lequel ils sont nés. L’association et sa fondatrice ont reçu, en 2000, le Grand Prix de l’association humanitaire.

Cette association loi 1901-ONG/OSI, reconnue d’utilité publique en 1995, intervient au Togo, au Burkina Faso, au Maroc, en Mauritanie, à Madagascar, au Bengladesh, au Cambodge, au Vietnam, en Inde, en Roumanie, au Chili. Elle met au point des programmes de soutien scolaire, de construction d’écoles, de dispensaires, d’hôpitaux, de centres de santé primaire, de centres d’accueil. Elle recherche des parrainages qui permettent de prendre en charge les enfants durant leur scolarité dans leur pays d’origine. Une action médicale toute particulière est développée pour les enfants malvoyants orphelins qui étaient, jusque-là, mélangés aux enfants handicapés mentaux. Le premier centre est créé au Vietnam, à Hô Chi Minh-Ville, avec le soutien de l’Union européenne. C’est à la lecture d’un article de presse sur le sujet que le Dr Linh Goichot, ophtalmologiste, ancienne interne des Hôpitaux de Paris, décide de se rendre plusieurs fois par an au Vietnam pour faire des diagnostics précis du type de cécité dont souffrent les enfants malvoyants : certains bénéficient maintenant d’un traitement médical. Elle apporte les soins nécessaires et établit des fiches de suivi pour chaque enfant. Ceux qui sont totalement aveugles apprennent uniquement le braille, ceux qui ont une faible vision apprennent le braille, mais vont aussi à l’école publique pour apprendre à écrire. L. Goichot soutient également l’association en recueillant des fonds grâce à l’organisation de concerts et de manifestations publiques. Quatre internats sont aujourd’hui consacrés aux enfants malvoyants. Après celui d’Hô Chi Minh-Ville, deux autres se situent au Vietnam, à Huê et à Nha Trang ; le quatrième est créé au Cambodge.

Yvette SULTAN

ENGELBRETSDATTER, Dorothe [BERGEN 1634 - ID. 1716]

Poétesse norvégienne.

Per BUVIK

ENGERER, Brigitte [TUNIS 1952 - PARIS 2012]

Pianiste française.

Nostalgique, torturée, sujette à de terribles angoisses – comme elle se définissait elle-même –, mais aussi extrêmement attentive et généreuse, Brigitte Engerer est l’une des artistes les plus sensibles et profondes de sa génération. Inquiète pour l’avenir de la musique, elle vouait un véritable culte à Ludwig van Beethoven. Depuis sa création en 1981, le Festival international de piano de La Roque d’Anthéron n’avait pas connu d’édition sans elle. Elle commence le piano à 5 ans à Tunis. À 10 ans, elle entre dans la classe de Lucette Descaves au Conservatoire de Paris, après avoir remporté le Premier Prix du Tournoi du Royaume de la musique. En 1968, elle se voit attribuer le Premier Prix de musique de chambre, dans la classe de Jean Hubeau. Lauréate du Concours Long-Thibaud en 1969, elle se rend l’année suivante au Conservatoire de Moscou, où elle devient l’élève de Stanislas Neuhaus. Les leçons de ce grand maître et pianiste remarquable la marquent de façon inaltérable et influencent toute sa carrière et sa pensée de musicienne. En 1974, elle est lauréate du Concours Tchaïkovski à Moscou et, en 1978, du Concours Reine Elisabeth à Bruxelles. L’année suivante, elle rencontre Herbert von Karajan, qui l’invite à se produire en concert avec l’Orchestre philharmonique de Berlin. C’est le début d’une extraordinaire carrière internationale où la musique de chambre occupe une place importante. Professeure adulée au Conservatoire de Paris, elle a formé en vingt ans quelques-uns des meilleurs pianistes de la jeune génération. C’est au Théâtre des Champs-Élysées, où elle avait donné son premier récital public à 9 ans, que B. Engerer a fait ses adieux à la scène dans le Concerto de Schumann.

Bruno SERROU

EN-HEDU-ANA [UR XXIIIsiècle aV. J.-C.]

Astronome et poétesse mésopotamienne.

On ne connaît pas le nom de la plus ancienne femme astronome, on la désigne seulement par sa fonction : En-hedu-ana, c’est-à-dire Prêtresse de l’ornement du ciel. Elle serait la fille de l’empereur babylonien Sargon Ier, qui en fait la grande prêtresse de Nanna, la déesse de la Lune. En tant que telle, elle supervise les activités des temples, qui sont, à l’époque, les maisons du savoir, où l’on observe étoiles et planètes. Véritable astronome avant la lettre, En-hedu-ana aurait donc dirigé les observatoires babyloniens. Son soutien à un opposant au roi en place qui était pourtant son neveu lui vaudra la disgrâce. Malheureusement, aucune preuve scientifique écrite de sa main n’est parvenue jusqu’à nous.

Yaël NAZÉ

En-hedu-ana est considérée par certains historiens comme le premier auteur connu de l’histoire de la littérature, avec près de six œuvres littéraires révélées lors de la mise au jour des archives d’un temple de la ville d’Ur, située au sud de la Mésopotamie. Parmi ces textes aux thèmes essentiellement religieux figurent les mythes d’Inanna et d’Ebih, deux hymnes à la déesse Inanna (protectrice de la dynastie d’Akkad) – parmi lesquels son œuvre la plus célèbre parfois appelée « Exaltation d’Inanna » –, deux autres dédiés au dieu-lune et un recueil d’hymnes adressés à différents temples. Rédigées en sumérien, langue de l’élite des habitants de la région, et recopiées dans les écoles de scribes paléo-babyloniennes, ses œuvres font partie du corpus littéraire classique de la civilisation akkadienne. Cependant, la communauté scientifique a récemment émis quelques réserves sur la réalité de son activité littéraire – s’agirait-il d’un pseudonyme ou d’un prête-nom ? –, car un certain nombre de ses écrits recèlent des anachronismes, tant dans les descriptions que dans les tournures linguistiques utilisées.

Gassia ARTIN

ENLUMINEUSES [Moyen Âge]

Au Moyen Âge, la place des femmes dans les métiers du livre est assurée, au regard des études récentes portant sur ce milieu, tant dans les contextes laïcs que religieux. Si les diverses sources attestent de leur présence active au sein des ateliers, la rareté des œuvres qui peuvent leur être attribuées avec certitude rend cependant difficile l’établissement de l’histoire de leur production. L’une des premières activités reconnues des femmes dans le domaine du livre est la transcription des textes et non leur enluminure. Les premiers témoignages, tirés de la littérature hagiographique, mentionnent en effet leur participation au travail de copie et de diffusion des textes canoniques comme de leurs gloses et commentaires. C’est ainsi que le moine Gerontius rapporte dans sa biographie de Mélanie la Jeune (vers 383-410) que saint Jérôme avait confié à la sainte la copie de sa traduction de la Bible (la Vulgate) et de ses commentaires. C’est pour ce même rôle de copiste que saint Boniface distingue Eadburg, abbesse du monastère de Thanet, en lui offrant un stylet d’argent destiné à la transcription en lettres d’or de l’Épître de saint Pierre. Cette pratique de la copie dans un contexte religieux, qui associe les femmes à la diffusion de la culture écrite faute de les accepter parmi ses créateurs, se poursuit et s’organise dans les siècles qui suivent.

Dans les monastères

C’est principalement au sein des doubles monastères, regroupant moines et moniales, que s’établit une production féminine de livres depuis le haut Moyen Âge jusqu’au XIIe siècle. L’histoire de l’activité des femmes comme peintres de manuscrits s’articule autour de cette première fonction de copiste. C’est ainsi qu’est inscrit, vers 800, le nom d’une certaine Malaberta au sein d’une initiale, ornée d’entrelacs tracés à l’encre, dans un sacramentaire conservé à Cambrai (BM, Ms. 300, f. 155) et que, au cours du XIIe siècle, la nonne Guda de Schwarzenthann se représente dans la panse d’une lettrine au cœur d’un homéliaire dont elle signe la copie (Francfort, Stadt-und Universitätsbibliothek, Ms. Barth. 42, f. 110v). Jusqu’à l’extrême fin du Moyen Âge, le monde monastique va représenter le cadre du travail des enlumineuses (ou « enlumineresses » selon la graphie médiévale). Il faut toutefois distinguer deux types de production. Le premier est d’ordre « professionnel » : de fait, certains des volumes produits sont destinés à être vendus à d’autres communautés et atteignent une qualité identique à celle produite par les ateliers laïcs contemporains. C’est ainsi le cas des codices mis en œuvre dans certains monastères germaniques ou des Pays-Bas, plus particulièrement dans ceux des clarisses, dominicaines ou cisterciennes, entre le XIIIe siècle et la fin du Moyen Âge. Parallèlement à cette production émerge, à la même période, un second type de création de livres exclusivement destinés aux communautés qui en sont les auteures et désignés dans le monde germanique sous l’appellation de nonnebücher. Réalisés dans le contexte de communautés féminines comme celle des béguines, ces manuscrits sont copiés et enluminés de façon beaucoup plus modeste, les techniques utilisées pouvant apparaître comme simples, voire simplistes. Cependant, certaines enluminures dénotent une liberté iconographique rare et surtout absente de la production masculine contemporaine. Ces sœurs enlumineuses créent, de fait, et malgré leur peu de maîtrise technique, des images spirituelles rares et puissantes.

Au sein des ateliers

La production des manuscrits dans le domaine laïc à partir du XIIIe siècle, placée dans un premier temps sous l’autorité unique de l’université avant de prendre son autonomie dans les derniers siècles de la période, laisse également apparaître la présence des femmes au sein des ateliers. Celles-ci travaillent alors aux cotés de leur époux et de leurs enfants, la cellule familiale constituant à cette époque le socle de la pratique de la majeure partie des métiers urbains. Les statuts juridiques des peintres enlumineurs ne font pas mention de la formation des femmes. Cependant, les ordonnances tournaisiennes, conservées dans leur version de 1480, font exception. Les rédacteurs des statuts des peintres et des verriers, auxquels sont affiliés les enlumineurs, définissent en effet les conditions d’accès à l’apprentissage des « apprentis et apprentices », de leur pratique au sein de la corporation et du statut de leur « serviteurs ou serviteresses ». Au sein de ce texte apparaît également clairement le cadre familial dans l’autorisation qui est donnée aux « fils et filles d’enlumineurs » de travailler auprès de « leur père ou mère » une fois l’apprentissage accompli et une fois acquittés les droits d’accès au métier. Les textes d’archives témoignent plus largement de ces modalités de formation et de travail qui ne font pas toujours l’objet d’une législation. Il en est ainsi pour Bourge (Boujot), fille du libraire parisien Guérin l’Anglois, qui, à la fin du XIIIe siècle, travaille auprès de son père, pour Bourgot, fille de Jean Le Noir, célèbre enlumineur parisien de la seconde moitié du XIVe siècle, ou pour la fille de Guillaume de la Rue, libraire rouennais actif au tournant du XVe siècle, pour laquelle les témoins d’une enquête attestent de son activité d’enlumineuse au sein de l’atelier paternel. Le nombre des femmes actives en tant que peintres dans les ateliers demeure difficile à évaluer. À Paris, seulement 11 à 15 % des artistes s’acquittant de la taille sont des femmes, et, à Bruges, la présence féminine passe de 12 à 25 % dans les listes de peintres entre 1454 et 1480. Ces chiffres ne reflètent cependant qu’une image déformée de la réalité, en raison du fait que la plupart des enlumineuses ne surgissent de l’ombre qu’au moment de leur veuvage qui les oblige à prêter serment pour reprendre la librairie familiale et pérenniser l’activité.

Pascale CHARRON

ENNADRE, Dalila [CASABLANCA 1966]

Réalisatrice et productrice marocaine.

ENQUIST, Anna (Christa WIDLUND-BROER, dite) [AMSTERDAM 1945]

Écrivaine néerlandaise.

Fille d’un professeur de physique, Anna Enquist grandit à Delft. Psychologue clinicienne, elle étudie aussi le piano au conservatoire, mais renonce à une carrière de concertiste et s’installe comme psychanalyste. Elle épouse le violoncelliste suédois Bengt Widlund, avec qui elle a deux enfants. Ses débuts littéraires sont tardifs : elle publie son premier recueil de poèmes, Soldatenliederen (« chansons de soldats »), en 1991. Ensuite, romans, récits et poésie se succèdent à un rythme régulier : en vingt ans, elle publie cinq romans, sept recueils de poèmes et trois volumes de nouvelles. En outre, sa passion pour la musique l’amène à enregistrer des poèmes ou des extraits de ses romans accompagnés des pièces musicales qui l’ont inspirée ou auxquelles elle fait référence. Sa collaboration avec le pianiste Ivo Janssen aboutit à la parution de six albums, exemple unique dans le domaine néerlandais d’un dialogue fécond entre littérature et musique classique. La poésie d’A. Enquist exprime avec force émotions des thèmes propres à la « seconde mi-temps » de l’existence (métaphore sportive qui donne son titre à son cinquième recueil) : éloignement des enfants, nostalgie d’un bonheur en partie révolu, mais également consolation de l’art et maturité des amitiés. L’auteure s’insurge contre la fuite du temps, qu’elle tente d’apprivoiser dans le poème, et défie la finitude sur le ton de la révolte ; cette thématique prend un sens plus douloureux après la disparition de sa fille Margit dans un accident de la circulation en 2001. Dans sa prose, sa double formation de musicienne et de psychanalyste lui permet de proposer une interprétation pluridimensionnelle du roman d’artiste : Le Chef-d’œuvre (1994) adapte l’argument du Don Juan de Mozart à une crise familiale dans un milieu artistique ; Le Secret (1997) explore les non-dits du passé chez une pianiste à la recherche de sa virtuosité perdue. Dans Contrepoint (2008), l’écrivaine offre en hommage à sa fille une lecture intimiste des Variations Goldberg de Bach. Quant au roman historique Le Retour (2005), il évoque sur le mode de l’empathie les épreuves que subit l’épouse du capitaine Cook, aventurier de l’âge des Lumières pour lequel elle éprouve une fascination, perceptible également dans certains cycles de poèmes. A. Enquist s’est attaché les faveurs d’un public cultivé, en préservant une écriture authentique et subtile qui réussit à éviter les écueils du sentimentalisme. La quasi-totalité de son œuvre en prose a été traduite en français, fait plutôt rare pour une écrivaine néerlandaise.

Dorian CUMPS

ENRIGHT, Anne [DUBLIN 1962]

Romancière irlandaise.

Sylvie MIKOWSKI

ENRIQUEZ, Micheline (née JOLY) [CHÂLONS-SUR-MARNE 1931 - VAUX-LE-PÉNIL 1987]

Psychanalyste française.

Après avoir passé son enfance à Sézanne, Micheline Joly arrive à Paris à l’âge de 18 ans pour s’inscrire à l’Institut de psychologie. Elle obtient des diplômes de psychologie expérimentale, de psychologie appliquée, de psychopédagogie et de psychopathologie. Soucieuse d’élargir ses connaissances, elle suit aussi des cours à l’Institut des langues orientales et à l’Institut des études politiques avant de travailler comme psychologue dans le service du professeur Jean Delay à l’hôpital Sainte-Anne. Elle fait deux analyses, l’une avec Serge Leclaire, l’autre avec Serge Viderman, et se lie d’amitié avec Piera Aulagnier* qu’elle suivra au Quatrième Groupe, dont elle sera une figure importante. Épouse d’Eugène Enriquez – psychosociologue connu pour son livre De la horde à l’État, essai de psychanalyse du lien social (1983) et pour sa critique du pouvoir –, elle écrira de nombreux articles, dont certains avec lui, dans La Nouvelle Revue de psychanalyse et dans la revue Topique. Elle reçoit le prix Maurice-Bouvet en 1978 pour trois articles : « D’un corps à l’autre. Réflexions sur le masochisme » (1972), « Fantasmes paranoïaques : différence des sexes, homosexualité, loi du père » (1973), et « Analyse possible ou impossible » (1977). Son article « Libres pensées », issu de sa participation au colloque Confrontation de 1976, sera publié l’année suivante dans Comment l’interprétation vient au psychanalyste (1977). « Le délire en héritage » (1986), qui traite du masochisme, de l’homosexualité et de la différence des sexes, paraîtra dans Transmission de la vie psychique entre générations (1993) et « L’enveloppe de mémoire et ses trous »(1987) dans Mémoire et réalité : hommage à Micheline Enriquez (1988). Mais on peut lire ses contributions majeures dans Aux carrefours de la haine – paranoïa, masochisme et apathie (1984). Psychanalyste estimée, tant en France qu’à l’étranger, elle verra son œuvre traduite en anglais, en espagnol et en italien, et son influence exercée dans plusieurs pays, principalement en Amérique latine.

René MAJOR

« Libres pensées », in MAJOR R. (dir.), Comment l’interprétation vient au psychanalyste, Paris, Aubier, 1977 ; « Le délire en héritage », in KAËS R. et FAIMBERG H. (dir.), Transmission de la vie psychique entre générations, Paris, Dunod, 1993.

ENSLER, Eve [NEW YORK 1953]

Dramaturge, comédienne et militante américaine.

Née dans une famille de la classe moyenne américaine, Eve Ensler est abusée sexuellement par son père de sa cinquième à sa dixième année. Son adolescence est chaotique : fugues, rébellion, conduites autodestructrices. À 18 ans, interne dans un collège du Vermont, elle découvre la poésie et la littérature. Sa résilience et sa créativité passeront désormais par l’écriture, le théâtre et l’engagement militant. Auteure de nombreuses pièces représentées aux États-Unis, E. Ensler a connu la célébrité avec Les Monologues du vagin, écrits en 1996 et mis en scène dans le monde entier. Fondée sur les témoignages de plus de 200 femmes, cette pièce se propose de lever les tabous réprimant la parole des femmes sur leur intimité sexuelle. Traduit en une cinquantaine de langues, joué dans plus de 130 pays, y compris en Turquie, au Pakistan ou en Arabie Saoudite, où ont été organisées des lectures clandestines, ce spectacle a eu une portée pédagogique, politique, culturelle et médiatique considérable. E. Ensler a donné un prolongement militant à son geste théâtral en fondant une association d’aide aux femmes victimes de violence, V-Day, qui a recueilli plusieurs dizaines de millions de dollars. En 2004, elle publie et met en scène Un corps parfait où elle dénonce la tyrannie exercée par le fantasme d’un corps féminin idéal. En 2007, elle codirige avec Mollie Doyle Des mots pour agir contre les violences faites aux femmes : souvenirs, monologues, pamphlets et prières, recueil de témoignages où mémoires de femmes meurtries, paroles révoltées et exhortations à agir composent un immense appel à la solidarité. E. Ensler a reçu de nombreux prix et titres honorifiques, dont le Guggenheim Fellowship Award dans la catégorie théâtre.

Jean-Pierre SAG

Avec DOYLE M., Des mots pour agir, Paris, Des femmes-Antoinette Fouque, 2009.

ENTERLINE, Nathalie [MILTON 1965]

Danseuse et jongleuse américaine.

Ayant débuté son apprentissage de danseuse à l’âge de 3 ans au sein de l’Enterline Performing Arts Center à Milton et avec le Williamsport Civic Ballet, institutions possédées et gérées par ses parents, Nathalie Enterline apprend également la technique du twirling baton, remporte le championnat du monde de la discipline (1978), puis complète sa formation à la New York School of Ballet. À l’occasion d’une démonstration à Montréal en 1980, elle rencontre le légendaire jongleur allemand Francis Brunn. Leur histoire d’amour, doublée d’une intense complicité professionnelle, ne s’achèvera qu’avec la disparition de F. Brunn en 2004. Elle devient sa partenaire et l’assiste tout au long de sa carrière tandis qu’il l’aide à développer un exceptionnel numéro où ses talents de danseuse et de manipulatrice hors pair se conjuguent avec élégance et virtuosité. Elle présente son numéro pour la première fois au Big Apple Circus où se produit également F. Brunn (1983). Le succès est tel que Paul Binder, le directeur du cirque, l’envoie à Paris pour participer au Festival mondial du Cirque de demain où elle remporte une médaille d’or (1984). Depuis le début de sa carrière, N. Enterline se produit sur les scènes et les pistes les plus prestigieuses du monde.

Pascal JACOB

ENYEDI, Ildikó [BUDAPEST 1955]

Réalisatrice hongroise.

Après des études en sciences sociales et économiques, Ildikó Enyedi poursuit sa formation au Conservatoire des arts dramatique et cinématographique (1979-1984). Elle réalise plusieurs courts-métrages au sein du studio Béla Balázs avant de signer son premier long-métrage en 1989, Az én XX századom (« mon XXe siècle »), récompensé par la Caméra d’or du Festival de Cannes et nombre d’autres prix prestigieux. Histoires d’amour et histoire universelle s’entremêlent dans son univers fictif, fortement imprégné par une vision quasi mythique du temps : le 31 décembre 1899, un voyage frôlant le burlesque à bord de l’Orient-Express en compagnie de jumelles courant vers une époque qui profitera des grandes inventions du siècle précédent, dont l’électricité et la psychanalyse, constitue le scénario d’Az én XX századom. Son troisième film, Bűvös vadász (1994), transpose la légende du Chasseur magique (d’après l’opéra de Carl Maria von Weber, Der Freischütz, 1821) dans un thriller contemporain où un tueur à gages doit protéger un joueur d’échecs au risque de perdre sa femme. Tamás et Juli (« Thomas et Julie », 1997) est un conte de fées de la fin du XXe siècle, plongé dans le décor hyperréaliste d’une mine au fin fond de la campagne hongroise, et Simon le Mage (1998) a pour protagoniste un homme étrange venu d’Europe de l’Est débarquant dans le Paris de 1888 pour aider la police, défier son vieux rival et rencontrer une jeune fille.

Zsófia MOLNÁR

Európából Európába, 36 min, 2003 ; Tender Interface (Szelíd interface), 2006.