PERFORMEUSES ET TECHNOLOGIES NUMÉRIQUES [XXe-XXIe siècle]
Alors que les femmes ont souvent innové dans la conception et l’usage des technologies nouvelles, telle Ada Lovelace* (1815-1852), tenue pour être la créatrice du premier programme informatique, elles ont dû lutter pour s’imposer dans un domaine qui reste encore très masculin. En 1976, à New York, la création de la fondation Franklin Furnace a favorisé l’appropriation des nouvelles technologies par des artistes comme Laurie Anderson* ou Charlotte Moorman (1933-1991), violoncelliste et collaboratrice de Nam June Paik, fondateur coréen de l’art vidéo. C’est à la même époque que Joan Jonas* se fait connaître tandis que Sherrie Rabinowitz fait appel à la technologie des satellites pour connecter par exemple des performances entre New York et Los Angeles et que Nina Sobell utilise la vidéo en circuit fermé pour créer des performances interactives à destination d’un seul spectateur. Le Wooster Group, pionnier du théâtre expérimental, fondé en 1980 et dirigé par Elizabeth LeCompte* associe matériaux bruts, traitements sonores, films et vidéos. Lynn Hershman Leeson crée dès 1971 l’un des premiers modèles de vidéodisque interactif. Brenda Laurel, dans son livre Computers as Theatre (1991), dégage de la Poétique d’Aristote des lois de structures dramatiques applicables au champ de l’interaction homme-machine. Elle développe avec Rachel Strickland, dans Placeholder (1992), de nouveaux paradigmes pour la narration digitale dans un environnement de réalité virtuelle. En Europe, Valie Export*, artiste autrichienne liée aux actionnistes viennois dont elle se distingue cependant par la radicalité de son propos féministe (Tap and Touch Cinema, 1968-1971), collabore avec Peter Weibel pour créer des performances, des vidéos et des productions multimédias comme Voices from the Interior (1988). En France, ORLAN*, après une série de performances chirurgicales, se lance dans les Self-Hybridations (2000) à partir de photos et de logiciels infographiques.
Aujourd’hui, le nombre de créatrices ayant recours aux nouvelles technologies ne cesse d’augmenter : aux États-Unis, Adriene Jenik et Lisa Brenneis, du groupe du Théâtre Desktop, Helen Thorington (théâtre multimédia), Rebecca Allen (chorégraphies multimédias avec Twyla Tharp*) ; à Cuba, Coco Fusco ; en Grande-Bretagne, Kira O’Reilly, Anna Furse*, Katie Mitchell ; en Estonie, Mare Tralla* ; en Australie, Suzon Fuks ; en Nouvelle-Zélande, Helen Varley Jamieson, en collaboration avec le groupe Avatar Body Collision ; au Canada, Thecla Schiphorst travaille avec des technologies portables, Erin Manning explore les correspondances entre les champs électromagnétiques et le mouvement, Susan Kozel allie pratique du corps, technologie digitale et philosophie.
Des artistes, notamment françaises, conjuguent intimité et espace public. Edit Kaldor traite de la solitude face à l’écran ; Lucile Calmel et Agnès de Cayeux explorent la sphère du désir à l’ère du numérique : la première est à la croisée des réseaux de la performance, de la musique expérimentale et de la poésie sonore ; la seconde initie depuis 2008, avec le théâtre Paris-Villette, X-réseau. Certaines artistes plongent le spectateur dans des environnements interactifs ou animés en temps réel : Keiko Courdy, s’appuyant sur l’imaginaire de la science-fiction, place le public dans une zone d’observation de la terre et des mers, les spectateurs pédalant pour fabriquer de l’électricité. Anne Roquigny invente les « webjockeys » (WJs) qui prennent le contrôle d’un dispositif multi-écrans et surfent simultanément sur plusieurs fenêtres de navigateurs pour créer de nouvelles formes de narration. D’autres, comme Annie Abrahams, jouent sur l’esthétique propre aux nouvelles technologies. D’autres encore comme Marianne Weems* et Véronique Caye interrogent la possibilité de faire du théâtre avec une scénographie virtuelle, sans acteurs présents, ou même, pour Cécile Saint-Paul, sans spectateurs réels. Le vacillement des frontières entre réel et fiction peut aussi provenir d’une orchestration d’images ou de scènes en direct et d’images déjà tournées comme chez Magali Desbazeille. Parfois, les technologies permettent de rendre le texte interactif : vidéos projetées et animées via des logiciels spécifiques par un informaticien qui devient partenaire de jeu à part entière (Clyde Chabot*).
Dans les performances de femmes, la prédominance de la machine est généralement moindre. Cécile Babiole tente d’équilibrer les parts dévolues à l’ordinateur et à l’imagination de l’artiste en temps réel : avec humour, elle transforme des photocopieurs en instruments de musique et réalise une performance sonore pour machines à coudre dans l’ancienne filature DMC de Mulhouse. Parfois, la complexité technique permet de voiler une certaine fragilité féminine ou d’affirmer une démarche politique comme chez ConstanzaCamelo. Outre les nouvelles technologies introduites dans les domaines de la lumière (Su Wen-Chi), du son, de l’interactivité (Isabelle Choinière*) et du pilotage de la représentation en temps réel (Myriam Gourfink), il existe des potentialités scéniques dans les technologies médicales (Neha Choksi*) ou scientifiques. Les technologies industrielles du siècle dernier sont aussi revisitées par des écritures sonores contemporaines. Enfin, la critique de l’hypertechnologie des sociétés de contrôle n’est pas oubliée avec les interventions de la performeuse multimédia Valérie Cordy*.
Les possibilités d’exploration et de déformation de la perception du réel par les nouvelles technologies sont immenses : changement d’angles et de perspectives, jeux sur les focales qui métamorphosent les choses et les êtres, courts-circuits sonores, temporels et spatiaux, mélange du fictif et du vécu. On est cependant en droit de se demander si le souci artistique est toujours premier dans le maniement de ces nouveaux outils. Mobilisant toute leur attention sur les appareils et matériels électroniques, certaines créatrices n’ont peut-être pas encore eu les moyens d’élaborer des projets artistiques neufs, sinon celui – ce qui est déjà un pas important – de combiner l’art du spectacle vivant avec l’art du numérique.
Clyde CHABOT et Maria CHATZICHRISTODOULOU
PÉRIALLA [VIe-Ve siècle aV. J.-C.]
Pythie de Delphes.
Prophétesse (promantis) de Delphes, Périalla fait partie des rares pythies qui, comme Aristoniké*, Phêmonoê* et Thémistocléa*, ne sont pas restées anonymes. Celle qui est, selon son nom, « supérieure aux autres » doit cependant sa réputation au fait d’être la seule pythie connue pour avoir été destituée de sa dignité. Hérodote relate l’histoire de deux rois de Sparte, l’un légitime (Démarate), l’autre prétendant (Cléomène), qui se disputent le trône sur fond de naissance illégitime. Interrogée quant à la filiation royale, Périalla déclare (v. 500 av. J.-C.), corrompue par Cléomène, que Démarate ne serait pas le fils du roi précédent, Ariston. La déchéance de la seule Périalla paraît curieuse, car elle n’est qu’un chaînon dans le processus oraculaire, probablement le personnage le moins capable de se défendre. D’autant qu’une pythie (sauf cas d’oracle par tirage au sort) ne produit pas de réponses claires afin de ne pas compromettre le dieu en cas d’erreur, de solliciter le concours structurel du prêtre-« porte-parole (prophêtês) » et l’interprétation personnellement responsable du demandeur d’oracle selon l’impératif du « Connais-toi toi-même ! ». Le cas de Périalla permet de comprendre – de façon plus exemplaire qu’avec Aristoniké – que l’Oracle de Delphes était au centre des enjeux politiques.
Eberhard GRUBER
■ HÉRODOTE, Histoires, Livre IV, 61-70.
■ DELCOURT M., L’Oracle de Delphes (1955), Paris, Payot, rééd. 1981 ; CRAHAY R., La Littérature oraculaire chez Hérodote, Paris, Les Belles Lettres, 1956.
PERI ROSSI, Cristina [MONTEVIDEO 1941]
Écrivaine uruguayenne.
Issue de la classe moyenne, Cristina Peri Rossi obtient une licence en littérature comparée et enseigne très jeune à l’université de Montevideo. Dès 1963, elle publie un recueil de nouvelles, Viviendo (« en vivant »), puis, en 1968, Los museos abandonados (« les musées abandonnés »), un recueil de récits remarqué, tout comme son roman El libro de mis primos (« le livre de mes cousins », 1969), pour son originalité, sa maîtrise de la langue et de l’ironie. En 1970, paraît Indicios pánicos (« signes de panique »), un ouvrage de récits dépeignant l’horreur face à un monde qui s’écroule et à la violence politique. En 1971 sort son dernier livre publié en Uruguay, Evohé, un recueil de poèmes sur l’amour, où le désir érotique lesbien réinvente le corps féminin. Son œuvre poétique ayant été interdite par les militaires avant même le début de la dictature (1973-1985), elle s’exile à Barcelone, devient espagnole et publie des recueils de poèmes, comme Descripción de un naufragio (« description d’un naufrage », 1974), et des recueils de textes courts : Le Soir du dinosaure (1976), La rebelión de los niños (« la rébellion des enfants », 1980). En 1984, la parution de son roman La nave de los locos (« la nef des fous ») l’élève au rang des meilleures romancières du XXe siècle. Elle peint l’exil de façon allégorique, pastichant la littérature de voyages. Entre satire et empathie, C. Peri Rossi présente un tableau du monde contemporain et propose un projet utopique qui doit conduire à l’harmonie si le système patriarcal cède la place, après des siècles de domination. Après le succès de ce roman, elle publie notamment les récits Una pasión prohibida (« une passion interdite », 1986), Desastres íntimos (« désastres intimes », 1997) et Por fin solos (« enfin seuls », 2004). Elle publie également de nombreux recueils de poèmes, dont Europa después de la lluvia (« l’Europe après la pluie », 1987), où Berlin surgit à travers le regard mélancolique d’une étrangère, Estado de exilio (« état d’exil », 2003), Estrategias del deseo (« stratégies du désir », 2004), et des romans, comme La última noche de Dostoievski (« la dernière nuit de Dostoïevski », 1992) et El amor es una droga dura (« l’amour est une drogue dure », 1999), ainsi que des essais, comme Quand fumer était un plaisir (2002).
María Rosa OLIVERA-WILLIAMS
■ Le Soir du dinosaure (La Tarde del dinosaurio, 1976), Arles, Actes Sud, 1985 ; L’Amour sans elle (Solitario de amor, 1988), Paris, Phébus, 1997 ; Quand fumer était un plaisir (Cuando fumar era un placer, 2002), Paris, Toute latitude, 2006.
PERJOVSCHI, Lia [SIBIU 1961]
Performeuse, dessinatrice et écrivaine roumaine.
Dans les années 1980, sous le régime communiste le plus brutal d’Europe de l’Est, Lia Perjovschi commence à réaliser dans son appartement des performances, au cours desquelles son corps est la matière principale. Après la révolution de 1989, dans son studio, en collaboration avec son mari, l’artiste Dan Perjovschi, elle pose les fondements du Contemporary Art Archive (CAA) : un espace de documentation et de consultation programmant des débats réguliers autour de leurs collections de livres, de publications, de cartes postales et de diapositives sur l’art international de l’Ouest de l’Europe et des États-Unis, ainsi que de la Roumanie. Son objectif est de rassembler et d’organiser cette masse d’informations sous la forme la plus accessible pour les artistes et le public. Le couple organise des séances de lecture ou des discussions, afin de partager les connaissances, mais aussi les fantasmes sur la production artistique et l’histoire de l’art occultée dans une partie du monde jusqu’à la chute du régime communiste. Ce projet inspire une série de dessins et de textes que L. Perjovschi fait paraître en 2004, sous le titre My Subjective Art History, 1990-2004. Vers la fin des années 1990, à travers des expositions et la publication de bulletins, CAA devient une base de données inestimable pour la communauté artistique roumaine ; elle représente, en effet, une alternative à l’enseignement de l’art ainsi qu’un centre d’archives autonome, sans soutien financier de l’État. L. Perjovschi se présente comme une « détective de l’art », dont l’activité mêle lecture, dessin, pratique du copier-coller et mixage de concepts, de textes et d’images. Elle travaille actuellement sur le projet d’un musée imaginaire, Plans for a Knowledge Museum, fondé sur ses fichiers accumulés pendant les années d’activité du CAA ; elle le perçoit comme une approche interdisciplinaire, un musée, géré par une artiste, où accéder aux archives et aux méthodes d’apprentissage et d’éducation serait une démarche naturelle.
Nataša PETRESIN
■ Cordially Invited, Episode 3 : Who if not we… ? : 7 Episodes on (Ex) changing Europe (catalogue d’exposition), Hlavajova M. (textes), Utrecht, BAK, 2004 ; Interrupted Histories (catalogue d’exposition), Badovinac Z.(dir.), Ljubljana, Moderna Galerija, 2006 ; States of Mind : Dan and Lia Perjovschi (catalogue d’exposition), Stiles K. (dir.), Durham, Nasher Museum of Art, 2007.
PERKINS, Frances [BOSTON 1880 - NEW CASTLE 1965]
Femme politique américaine.
Très attentive aux questions sociales, Frances Perkins propose plusieurs réformes qui la font connaître auprès des autorités des États-Unis. Nommée membre de la commission d’enquête sur les usines, où ses interventions furent très remarquées, elle est élue en 1919 présidente du Comité de l’industrie de l’État de New York. Elle est nommée secrétaire au Travail par le président Roosevelt, fonction qu’elle occupe de 1933 à 1945 – ce qui fait de F. Perkins la première femme à exercer les fonctions de ministre aux États-Unis. De 1946 à 1953, elle est l’une des membres de la Commission administrative des États-Unis. Elle publie en 1946 Roosevelt, dont le succès fut considérable. Son legs est important : adoption de la sécurité sociale, assurance chômage, lois régulant le travail des enfants et salaire minimum.
Fabienne PRÉVOT
■ Roosevelt (The Roosevelt I Knew, 1946), Paris, Le Livre du jour, 1963.
PERKINS, Rachel RULKA [1970]
Réalisatrice et productrice australienne.
Après trois ans passés à Imparja Television, première chaîne commerciale autochtone, pour laquelle elle produit et réalise des programmes, Rachel Perkins, Aborigène arrernte et kalkadoon, travaille à Sydney en tant que productrice à l’unité de télévision aborigène de la chaîne SBS. Elle y produit quatre documentaires, Blood Brothers, sur leur histoire vue par des réalisateurs aborigènes. Dans cette série, elle réalise Freedom Ride qui retrace le parcours de son père, Charles Perkins, militant pour les droits civiques aborigènes. En 1993, elle fonde sa compagnie de production, Blackfella Films. Le premier projet, From Spirit to Spirit, est une coproduction internationale en 13 épisodes avec des réalisateurs sami, maori et canadiens. En 1995, elle reçoit la première bourse indigène pour étudier la production à l’Australian Film Television and Radio School ; elle est aussi engagée comme consultante par l’Australian Film Commission afin de développer la première série de l’Indigenous Drama Initiative, From Sand to Celluloid, une collection de six courts-métrages. R. Perkins est ensuite nommée productrice à l’unité des programmes indigènes de la chaîne publique ABC où elle initie la série Songlines, qui explore la musique aborigène. À partir de 1996, elle prend ses distances avec la télévision pour se lancer dans le cinéma. En 1998, elle réalise Radiance, sur un script du dramaturge aborigène Louis Nowra, et One Night the Moon en 2001. Via Blackfella Films et Indigenous Screen Australia, elle poursuit l’œuvre politique de son père en la portant à un niveau artistique : la série First Australians (2009), qu’elle a écrite, produite et réalisée, s’inscrit dans ce travail militant et pédagogique, de même que son film Mabo qui retrace la vie et le combat d’Edward Koiki Mabo pour les droits aborigènes à la terre. En 2010, R. Perkins a également réalisé le long-métrage Bran Nue Dae, qui explore avec humour la mémoire aborigène de l’époque coloniale.
Martin PRÉAUD
■ COLLINS F., DAVIS T., Australian Cinema after Mabo, Cambridge/Port Melbourne, Cambridge University Press, 2004 ; KLEINERT S., NEALE M., BANCROFT R. et al., The Oxford Companion to Aboriginal Art and Culture, Melbourne/New York, Oxford University Press, 2000.
PERLMAN, Radia [PORTSMOUTH, VIRGINIE 1952]
Informaticienne américaine.
Radia Joy Perlman est une développeuse logiciel et une ingénieure réseau. Diplômée d’une licence et d’un master en mathématiques au Massachusetts Institute of Technology (MIT), elle développe le premier moyen technique permettant à des enfants non lecteurs de programmer des ordinateurs. En 1980, elle entre chez Digital Equipment Corporation et y conçoit de nombreux algorithmes rendant les divers protocoles de routage sur Internet robustes et évolutifs. En 1983, elle invente l’élément principal d’une structure appelée « pontage », et en particulier ce que l’on désigne par « algorithme de l’arbre » ou Spanning Tree Protocole (STP). Le principe en est le suivant : pour se rendre d’un point à un autre, les réseaux doivent avoir un chemin unique. La présence de boucle au cours du trajet génère des « tempêtes de diffusion » (broadcast storm) qui engorgent le réseau. Un réseau fiable doit aussi inclure une redondance du matériel pour fournir un chemin alternatif en cas de panne. L’algorithme de minimum spanning tree fournit des chemins redondants dans un réseau tout en évitant les boucles de routage. En somme, R. Perlman a mis en place les règles de base du trafic sur Internet. En 1988, elle soutient au MIT un doctorat sur le routage dans des environnements où des pannes dues à la malveillance se produisent sur le réseau, puis travaille pour Sun Microsystems, en particulier à la solution Trill (Transparent Interconnection of Lots of Links, ou « interconnexion transparente de liens multiples »). Selon R. Perlman, Trill pourrait rendre les réseaux plus stables, moins vulnérables et capables de calculer de meilleurs chemins. Également spécialiste en sécurité réseau, elle étudie les améliorations pouvant être apportées aux routeurs pour une protection DoS (déni de service) accrue, et une technologie de sécurité appelée « suppression assurée », qui donne aux systèmes de chiffrement de fichiers la possibilité de rendre ces derniers inutilisables après un certain temps et impossibles à récupérer. Dépositaire d’environ 80 brevets, elle fut classée à deux reprises, en 1992 et en 1997, parmi les 20 personnes les plus influentes de l’industrie par Data Communications Magazine.
Isabelle COLLET
■ Avec KAUFMAN C., SPECINER M., Network Security : Private Communication in a Public World, Englewood Cliffs, PTR Prentice Hall, 1995 ; Interconnections : Bridges, Routers, Switches, and Internetworking Protocols, Reading, Addison Wesley, 2000.
PERÓN, Eva (dite EVITA) [LOS TOLDOS, BUENOS AIRES 1919 - BUENOS AIRES 1952]
Femme politique argentine.
Fruit d’amours ancillaires, María Eva Duarte, surnommée Evita, a 25 ans et est speakerine à la populaire radio Belgrano lorsqu’elle rencontre, durant un gala en faveur des sinistrés d’un tremblement de terre, l’homme fort d’un récent coup d’État militaire : le colonel Juan Domingo Perón, alors secrétaire d’État au Travail. Elle devient la concubine puis, en 1945, l’épouse de celui qui jouera un rôle politique majeur en Argentine dans les années suivantes. J. D. Perón, qui restera à la tête du pays de 1946 à 1955, mettra en place un régime à la fois antilibéral et nationaliste, autoritaire et populiste, s’appuyant sur les « sans-chemise » et les syndicats, dont il veille à éloigner les militants anarchistes, socialistes et communistes. Eva Perón se voit confier, à 26 ans, l’émission de radio Hacia un futuro mejor (« vers un avenir meilleur »), dans laquelle elle évoque les situations de détresse matérielle et morale des nombreux pauvres du pays, qu’elle oppose, non sans manichéisme, aux situations des riches. Soulevant l’émotion d’une population si profondément catholique, elle rencontre un immense succès. Cependant, soutenues par les États-Unis, favorables à la chute des régimes autoritaires d’Amérique du Sud, de grandes manifestations rassemblant étudiants, couches moyennes et couches supérieures de la population entraînent le départ de l’état-major dont fait partie J. D. Perón, lequel est démis de ses fonctions et emprisonné. Avec les dirigeants syndicalistes, E. Perón mobilise les ouvriers des usines et les habitants des quartiers pauvres, et obtient la libération de son époux. Puis elle participe activement à la campagne présidentielle de 1946 à l’issue de laquelle celui-ci sera élu à la tête de l’Argentine : oratrice inspirée, elle enflamme son public, fait remonter les doléances du peuple jusqu’à J. D. Perón et promet le droit de vote aux femmes. Épouse du président, elle crée une fondation d’aide sociale portant son nom et reçoit de grands moyens publics, syndicaux et privés. Elle prend une part active à l’adoption de la plupart des avantages sociaux du pays, qu’il s’agisse de la sécurité sociale, des congés payés et plus largement des droits des travailleurs. En trois ans, de 1949 à 1952, elle bâtit un nombre important d’écoles, de dispensaires et de logements ouvriers, accorde des prêts et des bourses scolaires. Une grande partie de la population accède enfin à l’école et aux soins dentaires. Le 23 septembre 1947 est adoptée une loi sur l’égalité des droits politiques entre les sexes, et peu de temps après les femmes sont admises dans l’enseignement supérieur. En même temps, E. Perón crée le Parti péroniste féminin, sous forme de réseau d’unités de base interdit aux hommes. Le général Aramburu, qui renverse J. D. Perón en 1955, interdit, sous peine de prison, de prononcer son nom ainsi que celui de son époux dans les lieux publics. Cette femme adulée, morte à 33 ans, reste l’une des figures les plus populaires d’Argentine.
Pierre TRIPIER
■ DUJOVNE ORTIZ A., Eva Perón, Paris, Grasset, 1995 ; LAINÉ P., La Légende vraie d’Evita, Paris, Fayard, 2004 ; SIGAL S. et VERÓN E., Perón o muerte, los fundamentos discursivos del fenómeno peronista, Buenos Aires, Eudeba, 2003 ; SPENCER J., Eva Perón, Paris, Bartillat, 2007.
PERPÉTUE [CARTHAGE 181 - ID. 203 apr. J.-C.]
Martyre chrétienne d’Afrique du Nord.
Jeune femme issue d’une respectable famille païenne et qui avait reçu une bonne éducation, Vibia Perpétue se convertit au christianisme et fut martyrisée, en 203 apr. J.-C., à Carthage, colonie romaine depuis 40 av. J.-C. Perpétue est vénérée comme sainte par plusieurs églises chrétiennes (protestante, évangélique, anglicane). Ses reliques se trouvent aujourd’hui dans l’église Notre-Dame de Vierzon. En 202, l’empereur Septime Sévère avait décidé d’arrêter la diffusion du christianisme par une loi interdisant la conversion à cette religion. Arrêtée, enchaînée, insultée et jetée en prison alors qu’elle était une jeune épouse venant de mettre au monde un enfant, Perpétue refuse de renier sa foi et de se plier aux volontés de l’autorité romaine, et ce malgré les prières de son père et les menaces des soldats venus l’arrêter. Désobéissante envers la famille, la société et l’État, Perpétue persévéra dans son engagement envers Dieu et sa foi intransigeante. Le récit de son martyre (Passio Perpetuae et Felicitatis) nous est connu grâce au texte d’un rédacteur anonyme, qui donne plusieurs informations biographiques sur Perpétue et cite des pages qu’elle écrivit durant sa captivité. On prend ainsi connaissance des événements des derniers jours qui ont précédé son exécution ainsi que des sentiments qui l’ont habitée : la peur pour son fils qu’elle allaitait ; son angoisse pour la souffrance causée à son père par ses choix ; son deuil de la mort prématurée de son jeune frère ; l’angoisse et l’attente de la mort. Une grande place est faite aux visions qui apparurent en rêve à la jeune femme pendant cette période. Inspirés par la divinité, ces rêves rassurants révèlent en Perpétue la forte conviction qu’après cette dure épreuve le paradis l’attend. Le martyre est minutieusement décrit, dans un style franc et sans ornements : traînée à l’amphithéâtre en compagnie de Félicité, son esclave, les deux femmes sont livrées à la sauvagerie des bêtes qui s’acharnent sur elles jusqu’à ce que le fer mette fin à leur supplice.
Le sort infligé à Perpétue fut partagé par de nombreux martyrs chrétiens, mais Perpétue nous a laissé des traces du calvaire des derniers jours de sa vie. Bien que la plupart des vies des martyrs chrétiens soient fictives, le récit de la Passion de Perpétue est considéré comme un document original, fiable, dont la valeur historique n’est pas douteuse. L’ouvrage suscite toutefois des hésitations quant à l’attribution des passages à la première personne : si le texte est véritablement le cahier de prison de Perpétue, il s’agit du premier témoignage littéraire de ce type, écrit par une femme, dont nous disposions. Il nous livre un rare et émouvant aperçu des sentiments d’une jeune femme chrétienne sur le point de subir le martyre, inébranlable dans sa foi. Perpétue fut très populaire et une basilique lui fut dédiée à Carthage. Son souvenir resta vivant pendant des siècles, entretenu par la lecture de son récit édifiant, chaque année, le jour anniversaire de son martyre, dans les églises d’Afrique du Nord (le texte circulait en grec et en latin).
Marella NAPPI
■ FORMISANO M., La passione di Perpetua e Felicita : testo latino a fronte, Milan, BUR, 2008 ; HEMELRIJK E. A., Matrona docta : Educated Women in the Roman Élite from Cornelia to Julia Domna, Londres/New York, Routledge, 1999 ; LEFKOWITZ M. R., Heroines and Hysterics, Londres, Duckworth, 1981 ; SALISBURY J. E., Perpetua’s Passion : The Death and Memory of a Young Roman Woman, Londres/New York, Routledge, 1997.
PERREAU, Camille [STRASBOURG 1975]
Artiste de rue française.
Camille Perreau fonde, en 2004, la compagnie Entre chien et loup avec une équipe réunie autour de son premier spectacle : Les Lampes de Paulette Wolkenwürze. D’abord scénographe, elle s’attache dès ce premier projet à une figure de femme, évoquée à travers des témoignages enregistrés, des lettres lues, mis en scène dans un petit habitacle planté dans la rue et où quelques installations sont éclairées par les lampes présumées de Paulette Wolkenwürze. Ce premier essai marque l’esthétique de la compagnie : l’importance du souvenir, l’interaction avec le spectateur prié d’aller d’installation en installation et de s’emparer des casques qui lui permettront d’entendre les bandes son préparées avec le plus grand soin. L’ordre d’écoute est donc aléatoire, mais une vie entière est recomposée. S’appuyant sur un principe similaire, la dernière production en date de la compagnie, Un état des lieux (2009) se présente comme une « exposition habitée ». La place de la femme dans la société contemporaine y est abordée avec force témoignages enregistrés, rappels de lois ou de données scientifiques, documents d’archives et autres supports (objets, photos, vidéos) qui permettent au visiteur de plonger dans l’univers du féminin présenté par l’artiste. Un appartement vide est, cette fois, choisi comme réceptacle de la proposition, au sein de laquelle évolue également une comédienne qui, de temps en temps, joue des saynètes extraites du quotidien : le rapport de la femme à la beauté et au vieillissement, la violence conjugale.
Floriane GABER
PERRIAND, Charlotte [PARIS 1903 - ID. 1999]
Designer, architecte, urbaniste et photographe française.
Après avoir étudié la décoration à l’École de l’union centrale des arts décoratifs de 1920 à 1925, Charlotte Perriand est rendue immédiatement célèbre par le Bar sous le toit, présenté au Salon d’automne de Paris en 1927, qui lui ouvre les portes de l’atelier de Le Corbusier. Avec René Herbst et Jo Bourgeois, elle fonde l’Unité de choc et expose au Salon des artistes décorateurs (Sad) la Salle à manger 1928 : sa première table extensible et ses fauteuils tournants. Associée pendant dix ans de Le Corbusier et de Pierre Jeanneret, C. Perriand participe à l’atelier de la rue de Sèvres et y étudie l’architecture. Une première synthèse de leurs recherches, L’Équipement d’une habitation, est présentée au Salon d’automne de 1929 : des tables en tube d’avion et dalles de verre, des sièges en tube d’acier et toile tendue, etc. Elle fonde avec d’autres créateurs − dont Hélène Henry*, Sonia Delaunay*, Eileen Gray* − l’Union des artistes modernes (Uam) ; leur première exposition a lieu au Musée des arts décoratifs de Paris en 1930. Elle participe à l’équipement du pavillon suisse de la Cité universitaire internationale de Paris et de la Cité refuge de l’Armée du salut, et se spécialise dans l’architecture préfabriquée de loisirs destinée à un public populaire. Elle réalise aussi une œuvre photographique et crée des photomontages géants, dont La Misère de Paris (1936) dénonçant les conditions d’habitat dans la capitale. Dans le cadre de l’Exposition internationale des arts et techniques dans la vie moderne de 1937, elle expose le prototype d’une cabine sanitaire réalisée par Jacob Delafon, et un refuge bivouac de haute montagne. Elle participe avec Fernand Léger à l’illustration du programme du ministère de l’Agriculture du Front populaire et assure la maîtrise d’ouvrage du pavillon des Temps nouveaux de Le Corbusier et Jeanneret. Elle quitte l’atelier de la rue de Sèvres cette année-là. Elle n’a pas 35 ans, et son expérience exceptionnelle lui a déjà permis de rencontrer les plus grands architectes du monde. Elle s’intéresse à l’architecture vernaculaire, au mobilier paysan en bois, un matériau qu’elle utilisera à partir de 1935. En 1938, elle conçoit ses premières « tables en forme » à partir de madriers de sapin, crée pour Jean-Richard Bloch une « table manifeste » comportant deux dessins de Picasso et deux de Léger. Fin 1939, elle ouvre avec G. Blanchon, P. Jeanneret et J. Prouvé, un bureau à Paris pour la mise au point de bâtiments préfabriqués destinés à loger provisoirement des ouvriers. Invitée au Japon pour une mission de conseil en art industriel, elle en présente, en 1941, la synthèse dans l’exposition Tradition, sélection, création, à Tokyo et à Osaka, où des objets traditionnels sont confrontés à de nouveaux produits « à l’occidentale » conçus pour l’exportation (interprétation en bambou de la célèbre chaise longue en tube d’acier de 1928). Toujours à Tokyo, suivra en 1955 l’exposition Synthèse des arts, Le Corbusier, Fernand Léger, Charlotte Perriand : elle y présente ses meubles réalisés au Japon, comme la chaise empilable en contreplaqué cintré teinté noir Ombre, la bibliothèque Nuage, la banquette Tokyo. Après avoir passé deux ans au Japon et vécu en Indochine, elle rentre en France en 1946, où Peter Lindsay lui demande de reprendre ses études de 1938 pour l’architecture intérieure et le mobilier des bâtiments de la station de Méribel-les-Allues, en Savoie (1946-1948). Le Corbusier lui demande d’assurer la conception de l’équipement de l’Unité d’habitation de Marseille ; Paul Nelson lui confie l’équipement de la Maison familiale minimum, présentée au Grand-Palais en 1947. Elle poursuit ses recherches sur la normalisation d’un élément de rangement et dépose le brevet d’un tiroir avec accessoires en métal ou en plastique qui sera édité en 1956 par la Galerie Steph Simon ainsi que d’autres meubles conçus dans le cadre d’une collaboration entre elle et les Ateliers Jean Prouvé. Seront ainsi conçus l’aménagement et l’équipement des chambres d’étudiants de la Maison de la Tunisie (bibliothèque-banquette) et de la Maison du Mexique (bibliothèque à joues) pour la Cité universitaire de Paris. En 1949, elle réalise la sélection et conçoit la scénographie de la section habitation de l’exposition de l’Uam Formes utiles, objets de notre temps et participe à la création du groupe Formes utiles. Après l’aménagement d’agences d’Air France, à Londres, à Paris et à Tokyo, elle construit, en 1960, son propre chalet à Méribel. Pendant les années 1960, elle voyage en Amérique latine et au Brésil, où elle découvre avec intérêt le musée d’Art populaire brésilien conçu par Lina Bo Bardi* à Bahia. En 1966, elle retrouve, à Paris, J. Sakakura, qui réalise la résidence de l’ambassadeur du Japon et lui offre la responsabilité de l’architecture intérieure. En 1967 commence la construction de la station des Arcs, en Savoie, qui se prolongera jusqu’en 1982 ; Roger Godino, créateur de la future ville nouvelle, demande à C. Perriand d’animer le bureau d’études composé d’architectes et d’ingénieurs. Elle intervient comme designer, architecte et urbaniste, appliquant à la lettre les résolutions de la charte d’Athènes pour la montagne, dont elle a été l’une des instigatrices en 1937. En 1993, elle réalise une maison de thé éphémère pour les jardins de l’Unesco, merveille de légèreté, de simplicité et de modernité. À plus de 90 ans, Charlotte Perriand délivre toujours le même message : « Il faut vivre pleinement dans son époque, sans nostalgie, en utilisant les matériaux et les techniques du temps présent, et sans oublier de tenir compte des personnes, des lieux et des coutumes. C’est ce qui permet de créer la diversité, source de vie. »
Joëlle MALICHAUD
■ Contact avec l’art japonais, à compte d’auteur, 1942 ; Une vie de création, Paris, Odile Jacob, 1998 ; Charlotte Perriand et la photographie, l’œil en éventail (catalogue d’exposition), Milan, 5 continents, 2011.
■ BARSAC J., Charlotte Perriand, un art d’habiter, Paris, Norma, 2005 ; ID., Charlotte Perriand et le Japon, Paris, Norma, 2008.
LA PERRICHOLI (María Micaela VILLEGAS Y HURTADO DE MENDOZA, dite) [LIMA 1748 - ID. 1819]
Actrice péruvienne.
La Perricholi fait ses débuts de comédienne, dès l’âge de 15 ans, au théâtre principal de Lima, le Coliseo de comedias, qu’elle dirigera ensuite avec son mari, Fermín Vicente Echarri. Son personnage est inspiré de la Dama Tapada, figure de la femme libre de Lima qui dissimule son identité sous un châle. Cette femme est également célèbre pour son rôle dans l’histoire du Pérou et son influence sur le vice-roi Manuel, dont elle fut la maîtresse : c’est sous son impulsion que sont édifiées les grandes constructions de la Lima coloniale. Dans son roman radiophonique La Perricholi (1946), la Péruvienne María Alvarado souligne sa contribution à l’émancipation nationale et la présente comme l’allégorie de l’indépendance et de la liberté du Pérou. La Perricholi consacre les dernières années de sa vie à des œuvres de bienfaisance au sein de la communauté carmélite. Son histoire est nourrie autant par la légende que par les chroniques et les biographies polémiques, et elle passe à la postérité comme mythe historique et national, puis littéraire, notamment avec Le Carrosse du Saint-Sacrement, de Prosper Mérimée (1829), et La Périchole, de Jacques Offenbach (1868).
Stéphanie URDICIAN
■ CAMPANA DE WATTS L., La Perricholi, estudio sobre un mito literario peruano, Mexico, Editores mexicanos unidos, 1969 ; PAGES G., Micaela Villegas, La Perricholi (1749-1819), historia de una mujer en el Perú del virrey Amat, Sant Cugat del Vallès Barcelona, Arpegio, 2011.
PERRIER, Anne (épouse HUTTER) [LAUSANNE 1922]
Poétesse suisse d’expression française.
Figure marquante de la poésie romande et de la vie littéraire aux côtés de l’éditeur Jean Hutter, la vocation poétique d’Anne Perrier fut précoce et très tôt reconnue. Elle avait rêvé dans sa chambre d’enfant de devenir compositrice : elle a transposé la musique, le rythme et le souffle qu’elle portait en elle en mots-sons, en images et en silences habités. Toute la polyphonie du monde se fait entendre dans son chant étrangement solitaire. Sa poésie est ainsi comme une porte qui s’ouvrirait sur l’invisible, mais laisserait entrer le monde ordinaire avec ses données sensorielles et sensibles. Le mystère de vivre reste entier, entre beauté et finitude. Quatre étapes marquent l’évolution de sa poésie selon les thèmes majeurs de ses recueils : la première, Trouée mystique, regroupe ses trois premiers livres (Selon la nuit, 1952 ; Pour un vitrail, 1955 ; Le Voyage, 1958) ; la vision annule les intermédiaires, le ciel et la terre communiquent directement, et les oiseaux, le vent, les anges, le chant de la flûte sont des passeurs libres et indépendants. La deuxième, Un monde duel, avec Le Petit Pré (1958) et Le Temps est mort (1967), cherche à équilibrer les mondes antagonistes, l’humain et le divin, la beauté et la laideur, le silence et la parole. La troisième, La mort à l’œuvre, compte Lettres perdues (1971), Feu les oiseaux (1975) et Le Livre d’Ophélie (1979), et se concentre sur le versant tragique de l’univers avec, en contrepoint, les victoires ténues de la vie : le rire de l’enfant ou la résistance du brin d’herbe en plein béton. La quatrième, Les chemins du vent, réunit les quatre derniers livres : La Voie nomade (1986) ; Les Noms de l’arbre (1989) ; Le Joueur de flûte (1994) et L’Unique Jardin (1999). Elle donne voix au désert, aux confins comme à l’intime ; elle s’aventure ainsi, à la fois ferme et mélancolique, jusqu’au dernier passage, glissement simple « de l’un à l’autre Été ». La poésie de A. Perrier tient d’abord en une économie de moyens, avec une métrique minimaliste, un vocabulaire simple et net, choisi pour affirmer ; puis, en un principe de liberté et de souplesse dans l’organisation des vers, avec le choix délibéré de l’enjambement qui permet tantôt l’étirement, tantôt la chute grâce au vers monosyllabique, sauvegardant ainsi le mouvement, l’émotion première, choc ou consentement. Enfin, elle joue avec les possibilités de l’analogie universelle, qui est au fondement de toute la poésie occidentale et notamment biblique, pour déployer un réseau de comparaisons et de métaphores, selon des variations toujours recommencées ; elle incarne cette impatience des limites, d’où, de poème en poème, une circulation en spirale qui permet d’entrevoir le large. Traduite en une quinzaine de langues, lauréate du Grand prix de l’Académie royale de Belgique, la poétesse a reçu le Grand Prix de poésie à Paris en 2012.
Doris JAKUBEC
■ La Voie nomade et autres poèmes, œuvres complètes, Chauvigny, L’Escampette, 2008 ; « Mise en voix », in Arts poétiques, Genève, La Dogana, 1996 ; Le Voyage et autres recueils, Lausanne, Empreintes, 2011.
■ BAUDE J.-M., Anne Perrier, Paris, Seghers, 2004 ; DUPUIS S., « Métamorphose d’Ophélie : travail du mythe, travail du deuil », in Kunz Westerhoff D. (dir.), La Réinvention des mythes chez les femmes écrivains, Genève, Georg, 2008.
PERRIN, Carmen [LA PAZ 1953]
Plasticienne suisse.
Fille du cinéaste et fermier d’origine suisse, Alberto Perrin, Carmen Perrin émigre en Suisse à l’âge de 6 ans, fuyant la dictature bolivienne. Diplômée de l’École supérieure des beaux-arts de Genève en 1980, où elle enseigne par la suite, elle commence sa carrière en réalisant des sculptures reposant sur l’expérimentation des interactions entre les possibilités physiques des matériaux – principalement des éléments industriels (fil de fer, caoutchouc, chambres à air, briques) – et les potentialités du corps de l’artiste (Sans titre, 1986). La mise en forme de la matière brute à partir de gestes élémentaires crée une « écriture spatiale », faite de pleins et de vides, qui révèle, sur le mode de la mise en tension, l’architecture et l’histoire du lieu dans lequel elle s’insère. À partir des années 1990, C. Perrin intervient à plus grande échelle, souvent in situ ; mais qu’il s’agisse de constructions éphémères dans des lieux d’exposition ou d’interventions pérennes dans l’espace public, on retrouve les éléments constitutifs de son langage plastique : l’usage presque expérimental de matériaux industriels confrontés à la mesure de son propre corps, la volonté de prendre la mesure d’un lieu, l’intérêt pour le « marquage » d’un territoire (Contextes, 2004). Ses interventions sont souvent réalisées en collaboration avec des architectes : Daniele Marquès pour la maternité de Lucerne en 1996-1997 ; Georges Descombes à Grenay dans le Pas-de-Calais (Bleu Grenay, 2009), où l’esplanade est revêtue d’un tapis de pierre bleue, dont l’aspect change selon le climat et l’ensoleillement. Par la suite, elle continue son expérimentation de son propre corps dans l’espace qui l’environne, en intégrant le dessin : les Tracés tournés, série commencée en 2008, sont de grands dessins au graphite, où les cercles sont tracés à l’aune de l’envergure de son corps. C. Perrin en parle elle-même comme d’un travail de sculpture : « En travaillant, j’ai vraiment l’impression de faire “monter” un dessin, comme le céramiste fait monter la forme d’un pot en argile entre ses mains. »
Claire BERNARDI
■ Attention au départ, 1983-1996 (catalogue d’exposition), Gauville H. (textes), Baden, L. Müller, 1996 ; L’Écran, le seuil, la trouée (catalogue d’exposition), Laurent H., Verna L. (textes), Beaumont-du-Lac, Cac de Vassivière-en-Limousin, 1997.
PERRIN, Mimi (Jeannine PERRIN, dite) [SAINT-MAURICE 1926 - PARIS 2010]
Chanteuse et pianiste de jazz française.
Mimi Perrin joue du piano depuis toute petite, écoute les compositeurs classiques, affine sa technique, découvre après la guerre les V-discs américains, le chef d’orchestre Glenn Miller et le fabuleux pianiste Art Tatum. Elle fréquente les clubs de Saint-Germain, accompagnant les musiciens au piano. Grâce aux pianistes René Urtreger et Martial Solal, M. Perrin décroche un prix et joue au Blue Note. Les musiciens l’acclament, dont un jeune guitariste de jazz, Sacha Distel, qui lui conseille de rejoindre le groupe vocal fondé par la pianiste américaine Blossom Dearie, les Blue Stars. C’est eux qui ont révélé la chanteuse Christiane Legrand et son frère Michel, dont les compositions légères et jazzy seront bientôt couronnées au cinéma. L’horizon de M. Perrin s’élargit à l’écoute du trio de jazz vocal Lambert, Hendricks & Ross : elle veut orchestrer la langue française de manière instrumentale et swing comme Jon Hendricks a modelé l’anglais avec des monosyllabes et un accent tonique plus fort que le français, aux vocables assez longs. La compositrice choisit de marquer certaines syllabes en plaçant l’accent là où il n’existe pas. Elle s’entoure de Christiane Legrand et de Louis Aldebert, animateur de clubs de jazz, baptise le groupe Double Six et s’associe à l’arrangeur et chef d’orchestre Quincy Jones. Ils compteront dans leurs rangs, entres autres musiciens, Eddie Louiss et Bernard Lubat. Le premier disque paraît en 1959. Le deuxième, en 1961, est consacré au répertoire de Count Basie adapté en chanson. Les Double Six enregistrent avec Dizzy Gillespie et reprennent Ray Charles. Ils reçoivent deux fois le prix de la revue Down Beat, en 1965 et 1966 – exploit rarement réussi par un groupe français. En 1963, Sarah Vaughan* leur déclare sa flamme dans les colonnes du Melody Maker. Après le succès, M. Perrin se retire du monde de la musique et se consacre au métier de traductrice, adaptant, entre autres, John Le Carré et Stephen King.
Stéphane KOECHLIN
■ The Double Six of Paris, Capitol, 1961 ; Swingin’Singin’, Philips, 1962 ; Dizzy Gillespie and the Double Six of Paris, Philips, 1963 ; The Double Six of Paris Sing Ray Charles, Philips, 1964.
PERRON, Alice VOIR DARSONVAL, Lycette
PERROT, Claude-Hélène [LEMBACH, BAS-RHIN 1928]
Historienne française.
Originaire du Jura, Claude-Hélène Perrot est devenue au fil d’une longue carrière universitaire une figure de l’anthropologie historique de l’Afrique, spécialiste de l’aire culturelle akan (Côte-d’Ivoire et Ghana actuels) et des sources et traditions orales. Formée dans le sillage de Georges Balandier, elle appartient à la génération des historiens et historiennes qui, dans les années 1960 à 1980, ont contribué à la réhabilitation de l’histoire ancienne du continent. Ses travaux sont pionniers sur l’analyse des pouvoirs lignagers (c’est-à-dire des sociétés improprement dites « sans État ») et des rapports entre politique et religieux dans le sud-est de la Côte d’Ivoire. Son apport est décisif en matière de recueil et d’exploitation des sources orales. Sa thèse de troisième cycle – consacrée à la rencontre entre les Sotho (peuple de l’ancien Basutoland devenu Lesotho, en Afrique australe) et les missionnaires européens au XIXe siècle (1970) – est pourtant exclusivement fondée sur des archives écrites. C’est en optant pour une thèse d’État sur le rapport au pouvoir des Anyi-Ndényé du sud-est de la Côte d’Ivoire aux XVIIIe et XIXe siècles (1982) que C.-H. Perrot affirme son intérêt pour les sources orales dans leur diversité (récits, chants, généalogies, proverbes). Elle dirige par la suite un colloque qui fait date sur le sujet : Sources orales de l’histoire de l’Afrique (1989). Sa démarche scientifique s’accompagne d’un engagement personnel auprès des populations qu’elle étudie : après avoir vécu et enseigné en Côte d’Ivoire de 1963 à 1970, elle revient très fréquemment non seulement en pays anyi – elle acquiert une maison et fait bâtir un musée dans une petite ville appelée Zaranou –, mais aussi, durant quarante ans, chez les Éotilé, peuple de pêcheurs riverain de la lagune Aby (Les Éotilé de Côte d’Ivoire aux XVIIIe et XIXe siècles, pouvoir lignager et religion, 2008). Cet ancrage local et une démarche proche de celle de la microstoria italienne sont demeurés une de ses priorités, comme elle le rappelle dans Lignages et territoire en Afrique aux XVIIIe et XIXe siècles, stratégies, compétition, intégration (2000). Elle prend également part aux débats sur l’écriture de l’histoire africaine (Afrocentrismes, l’histoire des Africains entre Égypte et Amérique, avec François-Xavier Fauvelle-Aymard et Jean-Pierre Chrétien, 2000) et s’intéresse aux pouvoirs monarchiques dans l’Afrique contemporaine (Le Retour des rois, les autorités traditionnelles et l’État dans l’Afrique contemporaine, avec F.-X. Fauvelle-Aymard, 2003). Toujours à l’affût de sources inédites, elle exhume le journal du commerçant Marie-Joseph Bonnat, capturé en 1869 par les Ashanti, dont le royaume s’étendait alors sur la partie méridionale du Ghana (l’ancienne Gold Coast), observateur exceptionnel des dernières années d’un royaume africain (Marie-Joseph Bonnat et les Ashanti, journal 1869-1874, 1994).
Pascale BARTHÉLÉMY
PERROT, Michelle (née ROUX) [PARIS 1928]
Historienne française.
Michelle Perrot est sans doute l’historienne la plus célèbre en France, à plusieurs titres : comme universitaire et directrice de thèses ; pour ses travaux publiés et couronnés dont son Histoire de chambres (2009, prix Fémina Essai) ; pour ses interventions dans la presse écrite, à la télévision, et surtout à la radio, son médium préféré – elle est productrice des Lundis de l’histoire ; comme participante engagée dans la vie publique et politique. Née dans le 12e arrondissement de Paris, où son père était négociant en cuirs, elle prépare, après des études d’histoire à la Sorbonne, un doctorat sous la direction d’Ernest Labrousse. Mariée à l’historien Jean-Claude Perrot et mère d’une fille, elle enseigne dans le secondaire à Caen jusqu’en 1957, puis est nommée à la Sorbonne. Ayant participé « intensément » aux événements de mai 1968, elle choisit d’enseigner dans la nouvelle université Paris 7-Jussieu, où elle devient professeure en 1973. Soutenue par une large culture et refusant tout dogmatisme, la pensée de M. Perrot, qui n’a pas craint de faire son autocritique, s’est formée au rythme de la France d’après-guerre. Très jeune, de formation chrétienne, elle sympathise avec l’expérience des prêtres-ouvriers ; ensuite brièvement membre du parti communiste, elle se consacre pendant de longues années à l’histoire du mouvement ouvrier, voulant faire entendre la voix des ignorés. Sa thèse, Les Ouvriers en grève (1870-1890), publiée en 1974, permet de la légitimer auprès du monde des historiens français, masculin et peu accueillant envers l’histoire des femmes. Avec le mouvement des femmes des années 1970, M. Perrot se souvient d’avoir trouvé « la possibilité de concilier un projet politique – le mouvement des femmes –, un projet intellectuel – écrire l’histoire des femmes – et un projet existentiel et personnel ». Pour elle, le vécu et le symbolique sont les deux pôles d’une histoire qui est toujours à saisir et à critiquer dans son contexte évolutif. Elle soutient alors la recherche en histoire des femmes à Paris 7 et participe à certains colloques fondateurs, dont celui sur les femmes et la classe ouvrière, avec Madeleine Rebérioux* (Vincennes, 1978). Elle joue ainsi le rôle d’une passeuse en œuvrant pour la visibilité d’une histoire restée longtemps cachée, à la fois au sein de l’université et auprès du grand public.
Dans les années 1980-1990, M. Perrot dirige un grand nombre d’ouvrages collectifs : numéros spéciaux du Mouvement social ; actes du colloque Une histoire des femmes est-elle possible ? (1984) et avec Georges Duby, les cinq volumes de la monumentale Histoire des femmes en Occident, de l’Antiquité à nos jours (1991-1992). Ses propres contributions prennent souvent la forme d’articles, de synthèses, de chapitres et d’introductions qui sont réunis dans deux ouvrages : Les Femmes ou les Silences de l’histoire (1998) ; Mon histoire des femmes (2006). Par ailleurs, les communications réunies dans Les Ombres de l’histoire, Crime et châtiment au XIXe siècle (2001) dévoilent l’un des centres d’intérêt constants de M. Perrot : le monde pénitentiaire, dans lequel les femmes occupent une place minoritaire. Autre passion durable : la vie et les écrits de George Sand*, sur lesquels elle ne cesse de travailler. En 2014, le prix Simone-de-Beauvoir pour la liberté des femmes lui est attribué.
Sian REYNOLDS
■ « L’air du temps », in NORA P. (dir.), Essais d’égo-histoire, Paris, Gallimard, 1987.
■ MARUANI M., ROGERAT C., « L’histoire de Michelle Perrot », in Travail, genre et sociétés, no 8, 2/2002 ; ROCHEFORT F., THÉBAUT F., « Entretien avec Michelle Perrot : itinéraire d’une pionnière », in Clio HFS, no 32, 2010.
PERRY, Lilla CABOT [BOSTON 1848 - HANCOCK 1933]
Peintre et poétesse américaine.
Descendante des Lowell et des Cabot, familles de la haute société bostonienne, Lilla Cabot reçoit une éducation traditionnelle propre à son rang, où rien ne semble devoir la pousser à devenir peintre professionnelle. En 1874, elle épouse Thomas Sergeant Perry, écrivain, professeur et spécialiste de la littérature anglaise du XVIIIe siècle. La jeune femme écrit d’abord de la poésie – le premier de ses quatre volumes de poèmes, Heart of Weed (« cœur de mauvaises herbes »), est publié en 1886 – et réalise des travaux de traduction, avant de se tourner vers la peinture, notamment sous l’influence de son beau-frère, l’artiste John La Farge. Elle suit les cours privés du portraitiste Alfred Quentin Collins puis, à la Cowles Art School de Boston, ceux de Robert Vonnoh et de Dennis Miller Bunker qui l’initient aux techniques « pleinairistes ». À partir de 1887, elle fréquente les académies Colarossi puis Julian, à Paris. Deux de ses œuvres sont acceptées au Salon de la Société des artistes français de 1889, dont un portrait de son mari Thomas Sergeant Perry. La visite d’une exposition de Claude Monet la décide à rencontrer le maître à Giverny. Se prenant d’amitié pour elle, il lui fait connaître les principes de la peinture impressionniste. Lorsqu’elle rentre à Boston en 1889, elle rapporte avec elle l’une de ses toiles d’Étretat ; elle jouera un rôle essentiel dans l’introduction de l’œuvre du peintre français et de l’impressionnisme aux États-Unis. Un séjour de trois ans au Japon lui permet d’observer au plus près l’art japonais, alors même que le japonisme inspire les impressionnistes en Europe. Elle y réalise plus de 80 œuvres, représentant essentiellement la population et des paysages, et garde de ce voyage un traitement presque calligraphique du dessin, qui restera très présent dans ses peintures. De retour à Boston, elle connaît un succès certain comme portraitiste et se fait une spécialité des scènes d’intérieur avec femmes et enfants. Reconnue pour ses portraits qui restent relativement éloignés de l’esthétique impressionniste, elle réalise également de nombreux paysages pour lesquels elle s’autorise une touche beaucoup plus libre. Si plusieurs de ses tableaux, comme A stream Beneath Poplars (« un ruisseau sous des peupliers », Hunter Museum of American Art, Chattanooga, vers 1890-1900), sont peints lors de séjours à Giverny, les paysages états-uniens l’inspirent également. À Hancock, où elle terminera sa vie, les montagnes du New Hampshire, les couleurs de l’automne et les paysages de neige deviendront d’inlassables sources d’inspiration.
Marie GISPERT
■ The Jars of Dreams : A Book of Poems, Boston/New York, Houghton Mifflin, 1923 ; Lilla Cabot Perry : A Retrospective Exhibition (catalogue d’exposition), New York, Hirschl and Adler Galleries, 1969 ; Lilla Cabot Perry : An American Impressionist (catalogue d’exposition), Martindale M. (dir.), Washington, National Museum of Women in the Arts, 1990.
PESAVENTO, Sandra JATAHY [PORTO ALEGRE 1946 - ID. 2009]
Historienne brésilienne.
Après des études dans l’État de Rio Grande do Sul, Sandra Jatahy Pesavento soutient son doctorat en histoire économique à l’université de São Paulo en 1987. Elle effectue ensuite, au cours des années 1990, plusieurs séjours de recherche à Paris (EHESS, Paris 7 et Paris 4). Elle devient professeure titulaire de l’université fédérale du Rio Grande do Sul en 1991. Elle enseigne également à plusieurs reprises comme professeure invitée dans des institutions étrangères. Elle est chercheuse au sein du Conseil national de développement scientifique et technologique (CNPq) et coordonnatrice du groupe de travail en histoire culturelle de l’Association nationale d’histoire (ANPUH). Cette historienne laisse une œuvre importante et constitue une référence en histoire culturelle au Brésil : elle s’est en effet intéressée à l’histoire culturelle urbaine, à l’imaginaire et aux représentations, aux relations entre histoire et littérature, au patrimoine et à la mémoire. Elle a participé à de très nombreux congrès, publié des articles dans des revues nationales et internationales, ainsi que des contributions remarquables dans des livres collectifs. Elle a écrit ou dirigé 51 ouvrages, parmi lesquels : Os Sete Pecados da Capital (« les sept péchés de la capitale », 2008), qui analyse, à partir d’une vaste documentation, les représentations des femmes divulguées par l’élite de la ville de Porto Alegre à la fin du XIXe siècle ; História e História Cultural (« histoire et histoire culturelle », 2003), Imaginário da cidade : representações do urbano. Paris, Rio de Janeiro e Porto Alegre (« imaginaire de la ville, représentations de l’urbain, Paris, Rio de Janeiro et Porto Alegre », 1999) ; Visões do Cárcere (« visions de prison », 2009), sa dernière parution.
Janine GOMES DA SILVA
■ « Dossiê Sandra Jatahy Pesavento : A historiadora e suas interlocuções », in Fênix - Revista de História e Estudos Culturais, vol. 6, n° 4, 2009.
PESSARRODONA, Marta [TERRASSA 1941]
Écrivaine espagnole d’expression catalane.
Après avoir suivi des études de philosophie et d’histoire, Marta Pessarrodona devient lectrice d’espagnol à l’université de Nottingham (Angleterre). Ses talents sont multiples : poétesse, essayiste, enseignante, collaboratrice de revues scientifiques et culturelles, elle a aussi été directrice de collection pour Plaza & Janés ; elle a dirigé le Festival de poésie de Sant Cugat, ville où elle réside, et voyagé comme conférencière. Traductrice en catalan de Doris Lessing*, Virgina Woolf*, Susan Sontag*, Marguerite Duras* et Simone de Beauvoir*, elle a dirigé un séminaire sur le groupe de Bloomsbury et a été commissaire de l’exposition consacrée à ce groupe, en 1986, à Barcelone. Auteure dramatique, elle publie D’altres veus en un mateix àmbit (« d’autres voix dans un même milieu ») et El segle de les dones (« le siècle des femmes »), pièces représentées avec grand succès, respectivement en 2002 et 2003, à Barcelone. La poésie, domaine où s’exerce sa créativité depuis 1968, l’emporte sur les autres genres : en 2007, son anthologie (Poemes, 1969-2007) réunit ses textes les plus représentatifs. Coordinatrice de la Commission internationale de la diffusion de la culture catalane, elle contribue à faire connaître la richesse intellectuelle d’un peuple ayant une langue minoritaire. Ses portraits d’écrivains présentent des auteurs méconnus, surtout parmi les femmes. En 2008, son ouvrage Mercè Rodoreda i el seu temps (« Mercè Rodoreda* et son temps ») rend hommage à l’écrivaine, à l’occasion du centenaire de sa naissance. Loin d’être une biographie officielle, il s’agit plutôt d’une esquisse biographique, accompagnée d’une excellente analyse du contexte politique de la Catalogne qu’a connue M. Rodoreda.
Concepció CANUT
■ BALLART P., JULIÀ J., « La poesia memorable de Marta Pessarrodona », in Lletra UOC, Barcelone, 2008 ; ESCALES C., « Marta Pessarrodona, la poesia no sempre és un bàlsam, a vegades inquiéta », in El Periódico, 14 mai 2008.
PESTEL, Véra [MOSCOU 1886 - ID. 1952]
Peintre, dessinatrice et designer russe.
Véra Efimovna Pestel se forme, entre autres, auprès du peintre hongrois Simon Hollosy à Munich, entre 1909 et 1911. Elle voyage par la suite à travers l’Allemagne, l’Italie, la France. En 1912-1913, elle est l’élève de Le Fauconnier et de Metzinger à la Palette à Paris. Vers 1915-1916, ses toiles sont proches de l’alogisme de Malévitch : profusion de plans géométriques et d’éléments hétéroclites (chiffres, lettres, fragments d’objets). Sous l’influence du suprématisme, elles deviennent de plus en plus abstraites et se distinguent par une grande sensibilité colorée et la finesse des constructions. Elle participe à la Dernière exposition futuriste de tableaux 0, 10 en 1915 à Pétrograd – là où apparaît pour la première fois « le suprématisme de la peinture » de Malévitch –, ainsi qu’à l’exposition Magasin, organisée par Tatline à Moscou. Elle ne fera jamais le saut dans l’abstraction sans objet, radicale, et introduira le plus souvent sur les surfaces de ses tableaux, où toute stéréométrie est bannie, des éléments concrets : à côté d’éventails de quadrilatères dans des tonalités marron, noires et grises se trouvent, tels des collages, des lettres de l’alphabet cyrillique, voire des fragments d’instruments musicaux, héritage du cubisme européen. Après les révolutions de 1917, V. Pestel fait partie de la Fédération de gauche (c’est-à-dire d’avant-garde) de l’Union des artistes moscovites. Au cours de cette période, elle conçoit une œuvre que l’on pourrait qualifier de « cubofuturiste-suprématiste ». Dans les années 1920 et jusqu’à sa mort, elle abandonne la non-figuration et se consacre au design théâtral. En 1922, elle montre 17 cartes à jouer à la célèbre Erste Russische Kunstausstellung de la galerie van Diemen à Berlin. En 1925, elle participe à la septième exposition du groupe L’Araignée à la galerie Dewambez à Paris, consacrée aux « caricaturistes soviétiques », qui est, en fait, une exposition de dessins. Elle se joint, entre 1922 et 1926, au groupe figuratif de tendance spiritualiste Makoviets, qui proclame notamment que « la renaissance de l’art n’est possible que dans une stricte continuité avec les maîtres du passé et dans la résurrection effective de ce qu’il y a en lui de vivant » (Tchékryguine).
Jean-Claude MARCADÉ
■ MARCADÉ J.-C., MARCADÉ V., L’Avant-Garde au féminin, Moscou-Saint-Pétersbourg-Paris, 1907-1930, Paris, Artcurial, 1983 ; RUDENSTINE A. Z. (dir.), Russian Avant-Garde Art : The Costakis Collection, New York., Abrams, 1981.
PÉTER, Rózsa (née POLITZER) [BUDAPEST 1905 - ID. 1977]
Mathématicienne hongroise.
Après des études de chimie à l’université Pázmány-Péter, la plus grosse université de Budapest, Rózsa Péter se rend vite compte que son intérêt la porte plutôt vers les mathématiques. Elle a alors les meilleurs professeurs, comme Lipót Fejér, József Kürschák et plus particulièrement Laszló Kalmár, qui attire son attention à cause de la théorie des fonctions récursives. Un doctorat obtenu en 1935 ne lui permet pas de trouver du travail, et elle alterne des périodes de chômage ou de temps partiel pendant dix-huit ans. Ce temps libre contraint lui permet de développer ses recherches en logique mathématique. Logicienne de renom dès 1930, elle donne en 1932 une conférence à Zurich devant le Congrès international de mathématiques. Pendant l’occupation de la Hongrie par l’Allemagne nazie, elle est interdite d’enseignement, mais après la guerre, elle fait partie du comité de rédaction de nombreuses revues internationales en mathématiques et enseigne de 1945 à 1955. C’est à cette période qu’elle publie son travail le plus important sur les fonctions récursives, contribuant ainsi à fonder un nouvel espace de recherche. Elle publiera au cours de sa vie une cinquantaine d’articles sur ce sujet. En 1955, son université ferme ; elle rejoint alors une autre université de Budapest où elle obtient un poste de professeur. De 1952 à 1970, le gouvernement hongrois lui décerne plusieurs prix pour ses travaux. Finalement, elle est la première femme élue à l’Académie des sciences de Hongrie. Elle se soucie de la diffusion des mathématiques dans le public et écrit Jeux avec l’infini (1961), traduit en 14 langues. En 1967, elle signe Recursive Functions, ouvrage majeur permettant de faire le lien entre son travail mathématique et les langages de programmation. C’est le second livre hongrois de mathématiques à être publié par l’Union soviétique car il est considéré comme indispensable en informatique.
Isabelle COLLET
■ Jeux avec l’infini, voyage à travers les mathématiques (Playing with Infinity, Mathematics for Everyman, 1961), Paris, Seuil, 1962.
■ OGILVIE M., HARVEY J. (dir.), Biographical Dictionary of Women in Science, New York/Londres, Routledge, 1986.
PETERSEN MARKS, Toni Pihl VOIR LANDER, Toni
PETIBON, Patricia [MONTARGIS 1970]
Soprano française.
Patricia Petibon est aujourd’hui l’une des cantatrices françaises les plus demandées dans le monde. Artiste éclectique, elle se fait connaître dans le répertoire baroque français, avant d’aborder les œuvres classiques avec Wolfgang Amadeus Mozart et néoclassiques avec Francis Poulenc. Particulièrement à l’aise dans les emplois d’amoureuse, d’ingénue libertine, de bergère ou d’excentrique, elle aborde en 2010 l’un des rôles les plus complexes de l’histoire de l’opéra, loin de son registre habituel : Lulu d’Alban Berg. Après avoir chanté dans le groupe vocal Renaissance et avoir suivi des études de chant au Conservatoire de Paris, où elle a notamment été l’élève de Rachel Yakar et de William Christie, elle se tourne vers la musique baroque, avant de s’attacher rapidement au répertoire classique et, la maturité venue, de s’ouvrir à la création contemporaine. Elle sait exécuter comme peu de chanteurs une partition baroque, où tout n’est pas précisément noté. « Il faut pouvoir se l’accaparer, dit-elle, colorer son personnage, lui donner du relief en imaginant des cadences qui correspondent à la fois au rôle et à sa personnalité vocale. » C’est en 1996, dans Hyppolite et Aricie de Jean-Philippe Rameau, qu’elle fait ses débuts à l’Opéra de Paris, avant de poursuivre sa carrière avec des rôles très divers. Elle est Blondchen dans L’Enlèvement au sérail de Mozart, Zerbinetta dans Ariane à Naxos et Sophie dans Le Chevalier à la rose de Richard Strauss, Norina dans Don Pasquale de Donizetti, Ophélie de Hamlet d’Ambroise Thomas, Olympia dans Les Contes d’Hoffmann d’Offenbach… Elle se produit au Deutsche Oper am Rhein (Düsseldorf), aux opéras de Lyon et Nancy, au Théâtre du Capitole de Toulouse, à l’Opéra du Rhin (Strasbourg), avant de faire sa première apparition à l’Opéra Bastille, à l’Opéra de Zurich, et à l’Opéra d’État de Vienne. En 2006, elle interprète Susanna dans Les Noces de Figaro de Mozart pour la première fois à l’Opéra de Nancy. Au Théâtre du Châtelet, elle joue dans Orphée et Eurydice de Gluck sous la direction de John Eliot Gardiner et chante Ginevra dans Ariodante de Haendel au Grand Théâtre de Genève. Elle remporte un vif succès en Giunia dans Lucio Silla de Mozart au Theater an der Wien. Mais elle élargit de plus en plus son répertoire, ne craignant pas d’interpréter Lulu, rôle dans lequel elle excelle et s’impose en 2010 à Genève, au Festival de Salzbourg, puis à Barcelone en 2011.
Bruno SERROU
PÉTIGNY DE SAINT-ROMAIN, Marie-Louise-Rose (née LEVESQUE) [V. 1768 - V. 1801]
Écrivaine française.
Auteure précoce, Marie-Louise-Rose Levesque écrivit, encore adolescente, ses Idylles ou Contes champêtres en 1786, dédiées à ses parents. Ses récits bucoliques (Les Dangers de l’amour ; L’Amour filial ; Le Songe ; Palemon ; La Bienfaisance ; Lise et Alexis ; Le Poème de Daphnis ; Le Serin de Délie) laissent entrevoir une voix romantique champêtre, non dénuée de quelque mièvrerie. Fréron, Palissot, Florian louèrent de concert ce recueil qui fut comparé aux Idylles pastorales de Salomon Gessner (dont La Mort d’Abel fut traduite par Mme du Boccage en 1760). Les Idylles, qui furent rééditées, puis traduites en allemand, sont manifestement un hapax, car on ne connaît pas d’autres œuvres de l’auteure. Son fils, conseiller de préfecture, qui s’adonnait à l’étude des lettres et de l’Antiquité, rédigea des ouvrages archéologiques sur le Vendômois et sur l’époque mérovingienne, couronnés de plusieurs prix (Montyon, Gobert), et sa belle-fille, Clara de Pétigny, fit paraître divers petits livres à l’usage de la jeunesse.
Charlotte SIMONIN
■ BUSONI P., Chefs-d’œuvre poétiques des dames françaises depuis le treizième siècle jusqu’au dix-neuvième, Paris, Paulin, 1841.
PETIT, Chantal (dite CHANTALPETIT) [AGADIR 1951]
Peintre et sculptrice française.
Après être brièvement passée par les Arts déco et les Beaux-Arts de Paris, Chantal Petit dessine pour la presse, puis elle participe à l’aventure de la troupe de théâtre GEL fondée par le Cubain Edouardo Manet et par Véronique Petit*, sa sœur. Elle réalise la scénographie de plusieurs spectacles de Roger Blin. Ses peintures sont exposées pour la première fois à l’occasion d’un hommage au groupe Panique de Topor. Elle épouse le graphiste Roman Cieslewicz en 1979.
À travers la pratique de la peinture, de la sculpture et du dessin, mais aussi avec des installations et des vidéos, elle produit une œuvre fertile et protéiforme, qui explore la mémoire collective à la recherche des origines et du sacré. Son œuvre se crée par cycles et séquences autour de différentes thématiques qui font parfois appel à l’histoire de la peinture et composent une vaste scénographie, comme en témoignent les séries Épiphanies (2002-2003), seize grands dessins consacrés au Caravage, et Le Festin des dieux, un ensemble constitué d’une quarantaine de toiles de grand format ainsi que de sculptures, commencé en 2004, poursuivi et remanié régulièrement depuis ; c’est une peinture sans fin, une œuvre en mouvement. En 2011, la Maison Rouge, à Paris et à Berlin, expose un diptyque de cette série dans Tous cannibales, tandis qu’une autre séquence est installée dans la chapelle Saint-Louis des Gobelins. En 2013, quand Marseille est désignée capitale européenne de la culture, une nouvelle partie de cette œuvre monumentale est présentée dans la chapelle des Pénitents bleus à la Ciotat. Au cœur du dispositif se déploie un retable de neuf mètres d’envergure. C. Petit vit et travaille à Malakoff, près de Paris ; elle enseigne à l’ESAG (École supérieure des arts graphiques) depuis 1987.
Marie-Laure BERNADAC
■ Chantalpetitlivre 1, Paris, Ateliers Clot, 1995 ; Chantalpetitlivre 2, Liancourt, Bernard Dumerchez, 1999.
■ ChantalpetitDVD, Maison des arts de Malakoff, 2008.
PETIT, Christine [LAIGNES, CÔTE-D’OR 1948]
Médecin française, spécialiste de génétique et de physiologie cellulaire.
Après un doctorat en médecine (1974) puis un doctorat de sciences (1982) à Paris, Christine Petit poursuit une carrière de chercheuse à l’Institut Pasteur. Elle est nommée professeure en 1996 et dirige l’unité de Génétique des déficits sensoriels à l’Institut Pasteur. Élue à l’Académie des sciences en 2002, elle occupe la chaire de génétique et physiologie cellulaire au Collège de France.
Au tout début, ses recherches concernent les mécanismes moléculaires à l’origine des inversions sexuelles chez l’homme, mais rapidement elle se tourne vers la génétique moléculaire et cellulaire des handicaps sensoriels, en particulier des surdités héréditaires. Elle identifie les gènes concernés dans cette pathologie par l’étude de familles malentendantes vivant dans des isolats géographiques. Elle découvre 20 des 45 gènes connus, qui, lorsqu’ils sont défectueux, sont à l’origine d’une lésion de la cochlée. En 1995, elle identifie le premier gène responsable du syndrome de Usher, qui associe surdité et cécité. Une approche pluridisciplinaire lui permet d’isoler les protéines codées par les gènes divers de la surdité. La surdité sévère chez l’enfant apparaît majoritairement d’origine héréditaire. Christine Petit s’attache aussi à l’étude des facteurs de prédispositions génétiques dans les cas de surdité chez les personnes âgées, que l’on appelle la presbyacousie. Son laboratoire est associé au service d’ORL de l’hôpital d’enfants Armand-Trousseau à Paris et également à une équipe de l’université Bordeaux 2. Elle est responsable d’un projet national de recherche sur la surdité et les troubles de l’équilibre, qui regroupe neuf laboratoires et services hospitaliers à Paris, Lyon, Lille, Bordeaux, Toulouse, Clermont-Ferrand et Marseille. Elle coordonne aussi la recherche sur les surdités et l’audition dans un vaste projet européen : 25 laboratoires couvrant des champs d’expertise scientifique différents et complémentaires développent une approche multidisciplinaire du fonctionnement de l’organe sensoriel auditif, des surdités et de leurs traitements.
C. Petit a reçu le prix L’Oréal-Unesco (2004) pour avoir « élucidé les bases moléculaires et cellulaires de la surdité et autres déficits sensoriels héréditaires chez l’homme » ; le prix Louis-Jeantet de médecine (2006) ; le Grand Prix Inserm de la recherche (2007) pour ses contributions scientifiques majeures à la connaissance des surdités et de l’audition ; et le Brain Prize (2012), prix international de recherche sur le cerveau. Elle poursuit ses conférences au Collège de France.
Yvette SULTAN
■ Avec DEHAENE S. (dir.), Parole et musique, aux origines du dialogue humain, Paris, O. Jacob, coll. « Collège de France », 2009.
■ Avec GUILFORD P., BEN ARAB S. et al., « A non-syndromic form of neurosensory, recessive deafness maps to the pericentromeric region of chromosome 13q », in Nature Genetics, vol. 6, janv. 1994 ; avec LEVILLIERS J., HARDELIN J.-P., « Molecular genetics of hearing loss », in Annual Review of Genetics, vol. 35, déc. 2001 ; « From deafness genes to hearing mechanisms : harmony and counterpoint », in Trends in molecular medicine, vol. 12, fév. 2006.
PETIT, Gabrielle [TOURNAI 1893 - SCHAERBEEK 1916]
Infirmière et agente de renseignements belge.
Gabrielle Petit est sur le point de se marier lorsque les troupes allemandes envahissent soudain la Belgique, en 1914. Reportant son mariage, la jeune Wallonne de 21 ans s’engage comme infirmière tandis que son fiancé, Maurice Gaubert, rejoint son régiment. Blessé lors des premiers combats, celui-ci est fait prisonnier mais s’évade presque aussitôt, gagne la Hollande, puis l’Angleterre, avant de retourner en Belgique. Dans ce périple mouvementé, G. Petit l’accompagne et le soutient, souhaitant vivement elle aussi se battre contre l’envahisseur. En terre alliée, après une courte formation en espionnage, on lui propose une mission, qu’elle accepte. De retour à Bruxelles dès la fin juillet 1915, elle recueille et transmet aux états-majors alliés les positions et les mouvements des troupes ennemies dans le secteur de Maubeuge et de Lille. Usant d’incroyables ruses, changeant de tenue et d’attitude en fonction des circonstances, elle distribue également de la presse clandestine. La police secrète allemande la suspecte une première fois, l’arrête et l’interroge. Mais, faute de preuves, elle doit la relâcher. La jeune femme prend alors la fausse identité de Mlle Legrand pour poursuivre ses missions. Cependant, en janvier 1916, trahie par un message, elle est de nouveau arrêtée. Le 3 mars, un tribunal militaire allemand la condamne à mort après un procès où elle surprend tout le monde par son étonnant sang-froid. Après son exécution est organisée une cérémonie en son honneur, en pleine occupation. Dans l’église Saints-François-et-Gudule de Bruxelles, alors collégiale, se presse la foule, prévenue par cartes postales. Lors de ses funérailles nationales, en mai 1919, Élisabeth de Bavière, reine de Belgique, dépose la croix de l’Ordre de Léopold sur son cercueil, dans un grand moment d’émotion populaire. La Grande Fusillée est devenue une figure emblématique des femmes combattantes en Belgique.
Elisabeth LESIMPLE
■ ANCIAUX M., L’héroïsme des jeunes, Paris, A. Savaete, 1925 ; BINOT J.-M., Héroïnes de la Grande Guerre, Paris, Fayard, 2008.
PETITEAU, Natalie [BESANÇON 1963]
Historienne française.
Née d’une mère dactylographe et d’un père ingénieur chef d’entreprise, Natalie Petiteau fait ses études à l’université de Besançon et obtient l’agrégation en 1986. Elle mène ensuite, de front, son travail d’enseignante dans le secondaire (1986-1994) et son doctorat qui lui permet d’être recrutée à l’université d’Avignon en 1996. Publiée l’année suivante sous le titre Élites et mobilités, la noblesse d’Empire au XIXe siècle (1808-1914), sa thèse montre à la fois les processus d’ascension et de déclassement et les voies d’affirmation des identités politiques et sociales. En 1999, Napoléon, de la mythologie à l’histoire revisite un autre thème, cher à l’histoire du Premier Empire : la mythologie napoléonienne. L’historienne, qui souligne les insuffisances de l’historiographie de cette période, tente, dans le cadre d’une réflexion collective, de fonder les jalons d’une autre histoire, plus scientifique et inscrite dans le long terme du XIXe siècle. Elle y invite aussi par un colloque, Voies nouvelles pour l’histoire du Premier Empire, territoire, pouvoirs, identités, dont les actes paraissent en 2003. Si N. Petiteau continue de s’intéresser aux élites, elle ne néglige pas pour autant les plus humbles. Dans Lendemains d’Empire, les soldats de Napoléon dans la France du XIXe siècle, elle se révèle particulièrement attentive aux changements initiés par l’anthropologie historique. Élue professeure des universités à Poitiers en 2003, elle rejoint, deux ans plus tard, Avignon où elle enseigne encore aujourd’hui. Elle y diversifie ses centres d’intérêts. Paru en 2008, Les Français et l’Empire (1799-1815) analyse les attitudes politiques des Français à l’égard du régime impérial. Ses travaux les plus récents portent sur la place occupée par la mémoire dans la culture politique, nationale et romantique. Publié en 2012, son livre Écrire la mémoire, mémorialistes de la Révolution et de l’Empire met l’accent sur le passage à l’écrit des Français qui ont connu une période exceptionnelle et fondatrice. N. Petiteau, qui a toujours assumé parallèlement des fonctions d’administration de la recherche, travaille à une biographie de Napoléon.
Cédric AUDIBERT
PÉTONNET, Colette [POITIERS 1929 - ID. 2012]
Anthropologue française.
Chercheuse au CNRS depuis 1969, Colette Pétonnet a été également chargée de cours à l’université Paris 10-Nanterre. Après avoir vécu au Maroc, elle suit les cours de Roger Bastide, entre au Centre de formation à la recherche ethnologique et, avec André Leroi-Gourhan, part sur le terrain parmi les paysans normands. Au moment où les autres ethnologues en formation s’en vont au loin, elle choisit comme sujet de thèse un terrain en banlieue parisienne. En 1968, elle publie Ces gens-là, première œuvre en France à proposer un regard ethnographique sur la vie quotidienne des gens à faibles revenus, chômeurs, travailleurs peu qualifiés, qui peuplent les quartiers entourant les grandes villes. Elle poursuit ses recherches en intégrant dans son analyse les premières vagues d’immigrés étrangers dont les livres On est tous dans le brouillard et Espaces habités rendent compte. En 1982, elle édite avec Michelle Perrot* un numéro d’Ethnologie française sur « L’anthropologie culturelle dans le champ urbain ». En 1984, elle fonde au CNRS le laboratoire d’anthropologie urbaine, en collaboration avec Jacques Gutwirth. Puis une étude de terrain auprès des populations noires aux États-Unis donne lieu à l’article « Pâleur noire », publié dans L’Homme (1986) : les subtilités des relations de classe et de couleur aboutissent à une analyse critique et innovatrice de la notion de culture dans la société contemporaine. C. Pétonnet approfondit ses réflexions sur le phénomène urbain dans « Variations sur le bruit sourd d’un mouvement continu » (1987) et « L’anonymat ou la pellicule protectrice » (1987). Elle explore divers thèmes dans ses articles et ses films, des ordures de la métropole (1992) aux jardins (1994), des animaux domestiques (1988) aux collections muséologiques (2008). Grâce à son esprit curieux, elle a su, mieux et plus tôt que beaucoup d’autres, adapter l’anthropologie aux scénarios de l’avenir, léguant des pistes fécondes de recherche aux futures générations.
Claudia FONSECA
■ Ces gens-là, Paris, Maspéro, 1968 ; On est tous dans le brouillard. Ethnologie des banlieues, Paris, Galilée, 1979 ; Espaces habités. Ethnologie des banlieues, Pétonnet C., Perrot M. (dir.), Paris, Galilée, 1982.
■ Avec PATRIS G., Le petit chat est mort, 52 min, 1988.
PETRACCINI, Maria Magdalena [FLORENCE 1759 - BAGNACAVALLO 1791]
Chirurgienne italienne.
Dans un XVIIIe siècle où la médecine italienne est renommée, Maria Magdalena Petraccini apprend la chirurgie avec son mari Francesco Ferretti, puis suit en 1788 l’enseignement novateur d’obstétrique à l’université de Florence, et sort de l’université de Ferrare diplômée en chirurgie. À la fois scientifique, pédagogue et mère de famille, elle publie en 1789 Memoria per servire alla fisica educazione dei bambini, mémoire avant-gardiste à une époque où près du quart des enfants mouraient avant l’âge d’un an. Elle prône la libération des mouvements des nourrissons enserrés dans des bandages, préconise l’allaitement maternel plutôt que la mise en nourrice des nouveau-nés, et la diversification de l’alimentation des enfants. Elle obtient du Conseil des sages de Bagnacavallo une subvention pour prodiguer des soins chirurgicaux et obstétricaux aux femmes pauvres. Sa fille Zephyra Ferretti s’est, elle aussi, consacrée à la chirurgie, qu’elle a pratiquée avec son père.
Annie DURANTE et Jacqueline PICOT
PETRAŞCU, Miliţa (Melania NICOLAEVICI, dite) [CHIŞINĂU 1892 - BUCAREST 1976]
Sculptrice et portraitiste roumaine.
Elle compte parmi les sculpteurs les plus importants de Roumanie et de Moldavie du XXe siècle. Elle passe son enfance à Nisporeni, petite ville du centre de la Bessarabie, où elle expérimente le modelage en argile. Elle étudie la sculpture à l’École des arts de Moscou avec Natalia Gontcharova*, représentante de l’avant-garde russe du début du XXe siècle. En 1910, elle s’inscrit à l’Académie des beaux-arts de Munich ; elle s’inspire de Vassily Kandinsky et Alekseï von Jawlensky, illustres représentants de l’art expressionniste, et prend contact avec l’équipe de création de la revue Jugend. Entre 1912 et 1924, elle étudie la sculpture à Paris dans les ateliers d’Antoine Bourdelle et d’Henri Matisse. Elle se lie d’amitié avec les époux Delaunay, Apollinaire, ou encore l’écrivain Ilia Ehrenbourg. En 1919, elle expose un buste au Salon des indépendants et fait la connaissance de Constantin Brancusi, qui l’initie à la sculpture moderne. À partir de 1925, elle s’installe à Bucarest. Elle adhère aux mouvements de plasticiens d’avant-garde « Grupul nostru » (qui deviendra « Grupul plastic » en 1934), « Contimporanul », « Criterion », rassemblés autour de revues. Durant les années 1930, elle expose ses travaux dans le cadre de nombreux salons d’art internationaux, aux Pays-Bas, en Italie, en Allemagne et en France. Ses bustes les plus connus sont ceux qui représentent Brancusi, le poète George Bacovia et l’actrice Elvira Godeanu. L’artiste réalise également une série de peintures à l’huile, entre autres les portraits du poète Ion Eugen Iovanaki, dit Ion Vinea, du compositeur Mihail Jora et de l’écrivain Liviu Rebreanu. L’œuvre de M. Petraşcu conjugue, dans un certain équilibre, un classicisme formel et une sensibilité toute moderne. Ses compositions, surtout les portraits, appliquent la rigueur de l’ancienne école, tout en empruntant certaines idées novatrices à Brancusi, à Rodin ou à d’autres artistes modernes : simplification, finissage irrégulier ou amputation.
Aurélia BORZIN et Petru NEGURĂ
■ CRISTEA-VIERU M., Sculptura feminină interbelică, Bucarest, Maiko, 1999 ; VLASIU I., Maeștri basarabeni din secolul XX, Miliţa Petraşcu, Arbore N., Vida G. (dir.), Chişinău, Arc, 2004.
PETRE, Zoe [BUCAREST 1940]
Historienne roumaine.
Fille de l’historien et académicien Emil Condurachi, Zoe Petre fait ses études au lycée classique de Bucarest puis à la faculté d’histoire. Elle bénéficie de stages de formation en France, en Suisse et en Angleterre, qui lui ouvrent de nouvelles perspectives de recherche notamment dans le domaine de l’anthropologie historique. Elle soutient en 1978 une thèse sur la formation de l’idéologie démocratique en Grèce ancienne. Les travaux qu’elle publie se placent dans la lignée du structuralisme, adopté au contact de ses maîtres et amis Pierre Vidal-Naquet et Jean-Pierre Vernant. On note, parmi ses écrits les plus fameux, Commentaire aux Sept contre Thèbes d’Eschyle (en collaboration avec Liana Lupaş, 1981), et Cetatea greacă între real şi imaginar (« la cité grecque, entre réel et imaginaire », 2000). Faisant carrière à l’université de Bucarest avant d’être tour à tour doyenne de la faculté d’histoire, directrice de l’école doctorale et responsable de la chaire d’histoire ancienne, Z. Petre sensibilise plusieurs générations de jeunes historiens à l’anthropologie historique, à l’histoire des représentations, à la question de l’altérité et à l’historiographie. Un second versant de son œuvre est consacré à l’étude des pratiques religieuses des Gètes (peuple qui occupait durant l’Antiquité l’espace actuel de la Roumanie et le nord de la Bulgarie), sur lesquelles elle a notamment publié une monographie intitulée Practica nemuririi, o lectură critică a izvoarelor greceşti privitoare la geţi (« la pratique de l’immortalité, une lecture critique des sources grecques concernant les Gètes », 2004). Son intérêt pour le fonctionnement de la démocratie grecque va de pair avec son engagement civique. Plaidant pour une société plus ouverte après la parenthèse totalitaire, sa notoriété va grandissant lorsqu’elle s’investit dans la vie politique d’après-1989. Ses responsabilités politiques culminent lorsqu’elle est nommée conseillère présidentielle sur les questions de politique intérieure et extérieure et qu’elle devient coordinatrice du département des politiques publiques du président roumain Emil Constantinescu (1996-2000). Z. Petre continue par la suite d’exercer un rôle significatif dans l’espace public et dans les médias roumains en tant qu’éditorialiste et membre de plusieurs sociétés savantes et think tanks.
Madalina DANA
■ PAVEL D., HUIU I., Nu putem reuşi decât împreună, o istorie analitică a Convenţiei Democratice, Iaşi, Polirom, 2003.
PÉTREMENT, Simone [ENGHIEN-LES-BAINS 1907 - ID. 1992]
Philosophe française.
Condisciple de Simone Weil* à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm après être passée avant elle par la classe d’Alain, agrégée de philosophie comme elle en 1931, Simone Pétrement quitte l’enseignement pour raisons de santé et, de 1937 à sa retraite en 1985, fait une carrière de conservatrice à la Bibliothèque nationale, à Paris. En 1936-1937, elle rédige un travail en vue d’une thèse, intitulé L’Idée séparée, qui resta cependant inédit. C’était une sorte de Méditation à la Descartes qui remontait du dualisme cartésien partagé par Alain, entre la pensée et l’étendue, au dualisme platonicien entre la chose sensible et la vérité intelligible identifiée au Bien. De ce travail, S. Pétrement tire les deux thèses qu’elle soutient en 1947, Le Dualisme chez Platon, les gnostiques et les manichéens et Le Dualisme dans l’histoire de la philosophie et des religions. Il faut souligner l’originalité de ces travaux dans le contexte de l’exégèse moderne de Platon : alors que, sous l’influence du néokantisme, celle-ci s’efforce de réduire ou de nier tout dualisme chez Platon, S. Pétrement soutient qu’Aristote a bien compris Platon en dénonçant la séparation des Idées. Auteure de la biographie de référence de S. Weil, elle écrivit aussi divers articles sur la pensée d’Alain ; elle laisse surtout un important ouvrage sur le gnosticisme, significativement intitulé, près d’un demi-siècle après son premier travail, Le Dieu séparé.
Michel NARCY
■ Le Dualisme dans l’histoire de la philosophie et des religions, Paris, Gallimard, 1946 ; Le Dualisme chez Platon, les gnostiques et les manichéens (1947), Brionne, G. Monfort, 1982 ; Le Dieu séparé, les origines du gnosticisme, Paris, Éditions du Cerf, 1984 ; La Vie de Simone Weil (1973), Paris, Fayard, 1997.
PETREU, Marta (Rodica Marta VARTIC, née CRIŞAN, dite) [JUCU, COMTÉ DE CLUJ 1955]
Poétesse et essayiste roumaine.
Diplômée de la faculté de philosophie de l’université de Cluj, Marta Petreu y est actuellement professeure. Elle a travaillé comme rédactrice à la revue Echinox et rédactrice en chef au mensuel littéraire Apostrof, qu’elle a fondé en 1990. Elle a publié plusieurs recueils de poèmes, dont l’anthologie Apocalipsa după Marta (« l’apocalypse selon Marta », 1999). Ses premiers vers au fort accent programmatique affirment la volonté d’imprimer une nouvelle force vitale aux mots, revigorant la communication avec le concret de l’être, en opposition avec les conventions, les codes, les règlements et les lois imposés de l’extérieur. Ses poèmes se définissent comme des « thèses » sui generis, qui contrastent avec les normes rigides fixées dans les traités, les synthèses et les encyclopédies concernant la logique, la rhétorique ou les codes de comportement. Un discours lyrique concentré, nerveux, ironique et incisif appelle à l’abandon de tout masque et à une sincérité tranchante de l’expression de soi. La « brute lucide, affamée » et « le cerveau jeune, gourmand » pourraient être les métaphores emblématiques d’un « je » poétique qui associe les impulsions vitales et le contrôle intellectuel des attitudes. Ces termes de l’équation intime développent avec plus de force, dans Dimineaţa tinerelor doamne (« la matinée des jeunes dames », 1983), le spectacle d’un psychodrame qui présente de vraies « leçons de vivisection devant le miroir », des « inventaires » et des « fiches cliniques » conférant au discours amoureux une puissante note dramatique. Cette tension sera confirmée et portée à son paroxysme dans les manifestations expressionnistes de la révolte des derniers livres. « L’impudeur » et « la fureur » dominent un discours qui amplifie jusqu’à des dimensions apocalyptiques la vision d’une existence humaine humiliée par une divinité impitoyable et indifférente. Parmi les essais de l’écrivaine, ceux dédiés à Ionesco et à Cioran ont eu un écho particulier dans les milieux intellectuels roumains, grâce à l’approche nouvelle et pénétrante de certains aspects de leurs biographies et de leurs œuvres.
Ion POP
■ Poèmes sans vergogne (Poeme neruşinate, 1993), Paris, Le temps qu’il fait, 2005.
■ MANOLESCU N., Istoria critică a literaturii române, Piteşti, Paralela 45, 2008 ; POP I., Viaţă şi texte, Cluj-Napoca, Dacia, 2001 ; SIMION E., Scriitori români de azi, vol. 4, Bucarest, Cartea românească, 1989.
PETRI, Romana [ROME 1955]
Écrivaine italienne.
Professeure de français et traductrice, Romana Petri a publié, dans le registre fantastique, Il gambero blu e altri racconti (« la crevette bleue et autres récits », 1990, prix Mondello et Rapallo) ; Il ritratto del disarmo (« le portrait du désarmement », 1991) ; Il baleniere delle montagne (« le baleinier des montagnes », 1993) ; L’antierotico (« l’antiérotique », 1995). Dans son roman La Guerre d’Alcina (1997, prix Rapallo), dont l’histoire se situe au cours des deux dernières années de la Seconde Guerre mondiale, un frère et une sœur se retrouvent face aux fascistes, aux soldats allemands et aux partisans. Le recueil de récits I padri degli altri (« les pères des autres », 1999) a pour sujet les rapports entre un père et son fils. En 2002, R. Petri publie Dagoberto Babilonio, un destino, et en 2005 Esecuzioni (« exécutions »). Ovunque io sia (« partout où je suis », 2008) est une saga familiale qui se déroule au Portugal et retrace la vie de trois femmes et de leur expérience de la maternité. Dans Ti spiego (« je t’explique », 2010), une femme répond aux lettres de son ex-mari, dont elle est divorcée depuis quinze ans, et revient sur leur histoire et sur sa vie. Tutta la vita (« toute la vie », 2011) est le récit d’une histoire d’amour qui débute en Ombrie pendant la guerre et se poursuit en Argentine sous la dictature.
Graziella PAGLIANO
■ La Guerre d’Alcina (Alle case Venie, 1997), Paris, Fayard, 2002.
PETRIGNANI, Sandra [PLAISANCE 1952]
Écrivaine italienne.
Sandra Petrignani vit à Rome où elle est journaliste auprès de quotidiens et de magazines. Après des débuts littéraires en poésie, elle publie en 1987 son premier roman, La Navigation de Circé, un voyage autour du thème des métamorphoses – sentimentales et autres – des femmes. Par la suite, elle publie des nouvelles, entre journalisme et récit, comme Le Catalogue des jouets (1988) ou Vecchi (« les vieux », 1999), et des romans : Come cadono i fulmini (« comme tombe la foudre », 1991) ; Care presenze (« chères présences », 2004) ; un livre de voyages, Ultima India (« la dernière des Indes » 1996). Certaines de ses nouvelles, basées sur la reconstitution de souvenirs d’enfance, soulignent l’importance de se remémorer des épisodes lointains, même traumatisants, pour en atténuer les répercussions, comme c’est le cas pour les personnages de Trois fois rien (1993). Son roman le plus connu, notamment pour le scandale qu’il suscita au moment de sa parution, est Come fratello e sorella (« comme frère et sœur », 1999), une longue lettre que la protagoniste écrit à son frère, suicidé, dans laquelle elle raconte leur amour incestueux. Attentive au thème de l’écriture féminine, S. Petrignani est également l’auteure des ouvrages suivants : Le signore della scrittura (« les femmes de l’écriture », 1984), un recueil d’entretiens avec dix écrivaines italiennes ; La scrittrice abita qui (« l’écrivaine habite ici », 2002), un voyage dans l’intimité du foyer et de la vie sentimentale de quelques-unes des plus grandes écrivaines du XXe siècle (Grazia Deledda*, Marguerite Yourcenar*, Colette*, Alexandra David-Néel*, Karen Blixen*, Virginia Woolf*), conjuguant toujours journalisme et narration.
Francesco GNERRE
■ La Navigation de Circé (Navigazioni di Circe, 1987), Paris, Flammarion, 1997 ; Trois fois rien, nouvelles (Poche storie, 1993), Paris, Flammarion, 1997 ; Le Catalogue des jouets (Il catalogo dei giocattoli, 1988), Nantes, Le Passeur-Cecofop, 1999.
PETŘÍKOVÁ-PAVLÍKOVÁ, Milada [TÁBOR, BOHÊME 1895 - PRAGUE 1985]
Architecte et décoratrice d’intérieur tchèque.
Après l’obtention de son diplôme à l’Université technique tchèque (1921), Milada Petříková-Pavlíková a travaillé comme architecte indépendante et décoratrice d’intérieur à Prague. Dans l’entre-deux-guerres, elle a été active au sein du mouvement libéral féministe et a conçu de nombreux projets de bâtiments sociaux pour les organisations féministes et charitables. Elle est l’auteure de deux bâtiments pour la Maison d’accueil pour les femmes seules (Prague, 1923-1934), de l’intérieur de la Maison Budeč pour les étudiantes (Prague, 1924), ainsi que de la maison refuge Domovina de Charlotte Garrigue-Masaryk*, dédiée à la Protection tchécoslovaque des intérêts des femmes, en collaboration avec Theodor Petřík (Prague, 1923-1928). Son projet le plus connu est le bâtiment du Club des femmes tchèques, qui comprend un logement (Prague, 1931-1933). Cette réalisation et les projets précédents lui ont permis de créer des lieux d’hébergement et de séjour de type hôtelier ou avec self-services collectifs, comme le préconisait l’Américaine Charlotte Gilman*. En 1921, elle épousa l’architecte Theodor Petřík et, durant les années 1920 et 1930, a collaboré avec lui à quelques projets, notamment de maisons individuelles.Tout d’abord sous l’influence de son mari, M. Petříková-Pavlíková se situa dans le sillage du style national rondo-cubiste, qui utilisait des formes cylindriques, rondes et tronquées. À partir de 1930, elle a développé un langage fonctionnaliste plus mûr avec le projet de la crèche et du jardin d’enfants du Dr Vacek, conçu à Prague avec Jan Mayer entre 1947 et 1950. Après la nationalisation des agences d’architecture, elle a travaillé comme urbaniste dans les agences de Stavoprojekt Praha et Rudný Projekt. Durant la période de l’entre-deux-guerres, M. Petříková-Pavliková s’est activement battue pour faire admettre que la profession d’architecte était parfaitement adaptée aux femmes.
Hubert GUZIK
■ MACHONIN J. (dir.), Povolání, architekt[ka]/Profession : [Woman] Architect, Prague, Kruh, 2003.
■ GUZIK H., « Diogenovarodina, kolektivizacebydlení v Čechách 1905-1948 », in Umení/Art LIV, no 2, 2006.
PETRO, Rita (épouse FILIPI) [TIRANA 1962]
Éditrice et poétesse albanaise.
Diplômée de l’université de Tirana en langue et en littérature albanaises, Rita Petro a travaillé pendant treize ans aux éditions du livre scolaire, pour le compte du ministère de l’Éducation. En 1999, elle a ouvert ses propres éditions scolaires, les éditions Albas, qui sont aujourd’hui parmi les mieux placées sur le marché du livre destiné à l’école albanaise, tant en Albanie qu’au Kosovo et en Macédoine. Parallèlement à sa fonction d’éditrice, R. Petro exerce également dans sa propre maison d’édition comme auteure et rédactrice, ainsi que comme directrice de la revue mensuelle pour la jeunesse Alba. Écrivant régulièrement des poèmes depuis son plus jeune âge, elle ne publie son premier recueil de poésie qu’en 1994 : Vargje të përfolura (« des vers préjugés »), suivi, en 1998, du très piquant Shija e instinktit (« le goût de l’instinct »), qui la fait connaître et attire l’attention du public, puis, en 2003, de Këtu poshtë këndohet live (« on chante en direct ici-bas »). Les trois recueils sont publiés sous son nom d’épouse. Pour R. Petro, écrire ne relève pas d’un engagement, ni d’une quelconque esthétique moderne : l’écriture ne se justifie que par la passion qu’elle inspire et ne vise que sa propre liberté. Écrire, c’est apprendre au quotidien à se connaître et à se dévoiler, quitte à briser des tabous, tant comme femme que comme poétesse. Cas atypique dans les lettres albanaises, elle a le secret d’insuffler à ses poèmes, qui parfois frôlent l’érotisme, la substance même de son être, sans artifices ou autre raffinement d’esthète. Loin d’être de la provocation, sa poésie s’invite comme jubilation des sens et festin de visions paradoxales. Une poésie émancipatrice, dans le sens le plus libre et le moins didactique du terme.
Ardian MARASHI
■ Një mbrëmje me mua, Tirana, Albas, 2006.
PÉTROSSIAN, Mariné [EREVAN 1960]
Poétesse arménienne.
Licenciée ès lettres de l’université d’Erevan, Mariné Pétrossian se passionne pour les auteurs antiques et pour François Villon. Elle se révèle en 1987 dans la revue Garoun (« printemps »), durant la perestroïka, riche de futurs changements en Arménie soviétique. Sans être une écrivaine contestataire, elle se montre pourtant réfractaire à toute idéologie et transmet un souffle de liberté dans ses courts poèmes délicatement ciselés, tant par son travail sur la langue que par son rejet des formes traditionnelles, en opposant au réalisme la poésie du quotidien. Les bouleversements économiques, sociaux et culturels en Arménie, indépendante depuis 1991, lui ont inspiré la volonté de se « resituer dans le monde », en jouissant de la liberté « d’une langue non normative » (Banassdéghtsoutiounèr, « poèmes », 1993 ; Canonagan badmoutiounèr, « histoires canoniques », 1997). Grâce à l’écrivain genevois Vahé Godel (La Poésie arménienne du Ve siècle à nos jours, 2006), ses poèmes traduits en français l’ont gratifiée d’une certaine notoriété en Occident.
Anahide TER-MINASSIAN
PETROUCHEVSKAÏA, Ludmila [MOSCOU 1938]
Auteure dramatique russe.
Journaliste de formation, Ludmila Petrouchevskaïa fait partie de la « nouvelle vague » soviétique qui émerge dans les années 1970. Parallèlement à ses récits et à ses scénarios de films, elle s’exprime sous la forme théâtrale : ses premières pièces, « illégales », ne reçoivent pas le visa de censure nécessaire ; elles sont néanmoins jouées par des amateurs ou dans des lieux de fortune. Sa première pièce longue, Trois jeunes filles en bleu, écrite en 1980, montée en 1984 par Mark Zakharov dans un grand théâtre de Moscou, sera interdite à plusieurs reprises. Ses pièces courtes, comme L’Amour, Leçons de musique, Le Verre d’eau, Cinzano, L’anniversaire de Smirnova, La Chanson du XXe siècle, sont identifiées comme appartenant à la tchernoukha (littérature aux sujets vulgaires, présentant une vision du monde dégradée et pessimiste). Mais l’œuvre de L. Petrouchevskaïa, enfin jouée et publiée depuis 1988, est extrêmement travaillée : son écriture est, en elle-même, un mode de résistance contre la langue de bois. Les situations extrêmes comme les sujets sont traités sans complaisance. Ses pièces dressent un saisissant instantané de personnages rendus monstrueux par l’enfer domestique de la cohabitation forcée et les manques de toutes sortes (argent, sexe, temps). Leur style sec et lucide, qu’elle rattache sans vouloir en définir les particularités à un regard de femme, est marqué par la drôlerie du désespoir. L’aventure de la maternité est un de ses thèmes de prédilection, avec d’inoubliables personnages féminins dans Moskovskij hor (« le chœur de Moscou »), mis en scène par Oleg Efremov en 1988 et Lev Dodine en 2002. La production de L. Petrouchevskaïa touche à tous les arts : elle peint, écrit des chansons qu’elle interprète, réalise des dessins animés. Considérée aujourd’hui comme une des grandes figures de la littérature russe, elle est traduite et jouée en Europe et en Amérique.
Béatrice PICON-VALLIN
■ Immortel amour (Bessmertnaja Ljubov’, 1988), Paris, R. Laffont, 1991 ; La nuit m’appartient (Vremja noči), Paris, R. Laffont, 1994 ; Cinzano, Lausanne, L’Âge d’homme, 2003 ; La Petite Fille de l’hôtel Métropole (Malen’kaja devočka iz Metropolja), Paris, C. Bourgois, 2009.
■ PICON-VALLIN B., « Les spécificités de l’écriture théâtrale de L. Petrouchevskaïa », in Lyrisme et féminité, Presses universitaires de Bordeaux, 1991 ; ID., « Amère revanche des corps à l’Est », in Le Corps en jeu, Paris, CNRS, 1993.
PETROVIĆ, Ljiljana VOIR BUTTLER, Ljiljana
PETROVNA, Vera VOIR BARTÉNÉVA, Iekatérina GRIGORIEVNA
PETROVYKH, Maria [NORSKIÏ POSSAD 1908 - MOSCOU 1979]
Poétesse et traductrice russe.
Maria Sergueïevna Petrovykh a passé son enfance près de la vieille ville de Iaroslavl. En 1925, elle entre à l’Université d’État de Moscou, puis publie ses premiers poèmes. Au début des années 1930, elle fait la connaissance des plus grands poètes de son époque : Arseni Tarkovski, Boris Pasternak, Anna Akhmatova*, Ossip Mandelstam (qui lui dédie un de ses plus beaux poèmes, « Maîtresse des regards coupables »). Sa poésie, connue et très estimée de ce cercle restreint d’amis, comporte des poèmes lyriques relativement sombres, pleins d’angoisse devant la mort et devant son époque, plus lumineux et paisibles par la suite (poèmes sur l’Arménie et sur le spectacle de la nature) et des textes métapoétiques s’interrogeant sur son usage des mots, sa place dans la poésie de son siècle : « Ni la douceur d’Akhmatova/Ni la colère de Tsvetaïeva*… ». À partir de 1934, en raison des purges, et plus encore après la naissance de sa fille et la déportation de son mari, elle se tourne vers la traduction, un travail politiquement moins risqué que la création littéraire. Elle traduit des poèmes du yiddish, de l’arménien et de nombreuses langues slaves. L’essentiel de sa production poétique reste dans ses tiroirs : les quelques poèmes qu’elle soumet aux éditeurs en 1943 sont jugés « trop pessimistes », et son seul recueil est publié en 1968 à Erevan par ses amis arméniens. Durant les années 1960 et 1970, elle travaille également comme professeur et éditrice. L’intégralité de ses poèmes a été éditée après la perestroïka.
Marie DELACROIX
■ FORRESTER S., « Mariia Petrovykh », in TOMEI C. D. (dir.), Russian Women Writers, New York, Garland Publishing, 1999.
PÉTRY, Irène [WAREMME 1922 - UCCLE 2007]
Femme politique belge.
Secrétaire nationale des Femmes prévoyantes socialistes (FPS) de 1953 à 1982, Irène Pétry devient vice-présidente en 1966, et présidente en 1972, du Conseil international des femmes socialistes, et vice-présidente du bureau de l’Internationale socialiste à partir de 1976. Elle fait partie en 1978 de la commission interfédérale des Femmes du PS – commission institutionnalisée dans les statuts du parti en 1984 – qui, en 1980, remet la conclusion, alarmiste mais sans surprise, de ses travaux sur la sous-représentation politique des femmes. D’abord conseillère communale à partir de 1958, elle est nommée en janvier 1973 secrétaire d’État à la Coopération au Développement. Elle est congédiée dès le mois d’octobre lors d’un remaniement ministériel, en même temps qu’une autre secrétaire d’État, Maria Verlackt. L’éviction des deux seules femmes présentes au gouvernement suscite l’indignation des féministes sur la façon dont les femmes sont les jouets des hommes. De 1974 à 1984, elle est parlementaire (PS) : d’abord à la Chambre des représentants (1974-1977), puis au Sénat (1977-1984). Elle est également membre du Conseil régional wallon de 1980 à 1984, présidente du Conseil de la communauté française en 1982, membre de la Cour d’arbitrage en 1984, dont elle devient présidente en 1992, puis présidente émérite cette même année où elle revient au gouvernement comme ministre d’État. I. Pétry n’a jamais voulu séparer les revendications féminines de la lutte des classes, privilégiée par le parti socialiste : « C’est pour la cause des femmes et pour la cause du socialisme que nous combattons jour après jour », déclare-t-elle en 1972. Elle se présente elle-même comme « un homme politique de sexe féminin » (1980). Aussi réfute-t-elle toute solidarité féminine transversale ou au-dessus des partis politiques. Comme secrétaire des FPS, elle refuse de s’associer au soutien des ouvrières grévistes de la fabrique nationale d’armes d’Herstal en 1966, à cause de la composition pluraliste du comité organisateur qui réunit différentes associations féminines : « Il n’est pas vrai qu’il y a communauté d’intérêt entre l’ouvrière d’Herstal et l’épouse, la complice, du capitaliste qui se trouve à l’autre bout de la chaîne du processus économique d’exploitation », dira-t-elle. Elle se rapproche toutefois d’autres organisations sur des thèmes précis comme l’avortement. Elle fait même front en 1978 avec les sénatrices Paula d’Hondt et Nora Steels, du parti chrétien CVP, pour l’exécution de la directive européenne sur l’égalité de l’accès à la formation professionnelle.
Armelle LE BRAS-CHOPARD
PETTERSSON, Aline [MEXICO 1938]
Écrivaine mexicaine.
Romancière, essayiste et poétesse, Aline Pettersson s’intéresse dans ses nouvelles et ses romans à différentes problématiques de l’univers féminin, comme la solitude des femmes célibataires (Sombra ella misma, « elle-même une ombre », 1986), la séparation amoureuse (Los colores ocultos, « les couleurs cachées », 1986), l’oppression familiale (Círculos, « cercles », 1977 ; Querida familia, « chère famille », 1991), ou encore la maladie (Las muertes de Natalia Bauer, « les morts de Natalia Bauer », 2006). Elle s’intéresse également à des sujets qui affectent l’ensemble de la société, comme la violence quotidienne (La noche de las hormigas, « la nuit des fourmis », 1997). En tant qu’essayiste, elle a étudié les œuvres de Rosario Castellanos*, Josefina Vicens*, Inés Arredondo* et José Emilio Pacheco, entre autres. A. Pettersson a dirigé plusieurs ateliers d’écriture en les combinant à ses activités dans l’édition, le journalisme et la traduction.
Patricia ORTIZ
PÉTURSDÓTTIR, Kristin VOIR TÓMASDÓTTIR, Halla
PETZOLD, Elisa [NÉE À TOEPLITZ 1850]
Écuyère autrichienne.
Ayant appris l’équitation avec Gustav Steinbrecht, Elisa Petzold débute au cirque Loisset en 1867, à Paris, où elle est saluée comme une nouvelle étoile montante dès sa première apparition, bien droite sur Convy, petit cheval puissant qu’elle mène avec une parfaite maîtrise dans l’exécution d’airs de haute école d’une difficulté croissante. Le directeur de l’Hippodrome de l’Alma, Charles Zidler, commande à Jules Chéret une lithographie de la jeune écuyère, qu’il diffuse dans la capitale. Cette fille de commerçants, dont l’ambition est d’égaler, à l’instar d’autres écuyères de l’époque, les femmes de la noblesse, devient une grande amie d’Élisabeth d’Autriche qui, en échange de ses conseils, lui offre un cheval d’école et bon sauteur d’obstacles, Lord Byron. Celle qu’on nomme Elisa de Vienne, avance, sévère, exemplaire, dans la voie qu’elle s’est tracée, formant avec son cheval un ensemble harmonieux qui semble se jouer des difficultés abordées. Ses rivales, comme Émilie Loisset* ou Anna Fillis, multiplient les prouesses pour ne pas être éclipsées. Le rêve se termine lorsque des détracteurs empoisonnent Lord Byron. Mariée au comte de la Blachère, jeune encore et au sommet de son art, elle abandonne le cirque et l’équitation et vit retirée du monde jusqu’à plus de 80 ans. E. Petzold est représentée avec son cheval Lord Byron sur deux tableaux d’Edmond Grandjean, Écuyère de haute école, et Mademoiselle Elisa de Vienne, présenté au Salon de 1883. Elle partage avec É. Loisset, et Fanny Ghyka, sans doute, le personnage de Julia Forsell dans L’Ecuyère, roman d’Alain Bauquesne (pseudonyme d’Octave Mirbeau) publié en 1882.
Marika MAYMARD
■ VAUX B. de, Écuyers et écuyères : histoires des cirques d’Europe (1680-1891), Paris, J. Rothschild, 1893.
PEVERELLI, Luciana [MILAN 1902 - ID. 1986]
Écrivaine italienne.
Auteure de 70 romans, tous écrits entre 1930 et 1957, et de récits, publiés dans des revues féminines telles que Novella, Alba, Rakam ou Cerchio Verde, consacrée au genre policier, Luciana Peverelli est aussi directrice de Stelle et de Stop (1963-1986), et elle a écrit pour les quotidiens Stampa Sera et Gazzetta del Mezzogiorno. La trame de ses livres rappelle celle des romans d’amour, mais peu s’achèvent par un mariage, bien que des couples se forment dans la plupart d’entre eux. Certains ont même une fin tragique. Les valeurs véhiculées sont la fidélité, l’amour et la famille, même si les jeunes femmes manifestent souvent une volonté d’indépendance : Giovanotti e signorine (« jeunes gens et demoiselles », 1932) ; L’amante del sabato inglese (« l’amante du samedi anglais », 1933) ; Piacere agli uomini (« plaire aux hommes », 1936) ; I nostri folli amori (« nos folles amours », 1979) ; Dannata e felice (« damnée et heureuse », 1980).
Graziella PAGLIANO
PEYROT, Fernande [GENÈVE 1888 - ID. 1978]
Compositrice et pédagogue suisse.
Fernande Peyrot est issue de la grande bourgeoisie genevoise. D’emblée, elle suit les cours d’Émile Jaques-Dalcroze et restera fidèle toute sa vie à l’institut qui porte son nom à Genève. Ses autres professeurs sont Ernest Bloch à Genève, ainsi que Paul Dukas et André Gedalge à Paris. Ils lui ont permis d’acquérir le métier dont elle avait besoin pour pratiquer la composition au sens d’un artisanat, dans la continuité de l’histoire et toujours en ayant le public en tête. Elle aborde tous les genres musicaux et laisse plus de 80 œuvres, qui ont été jouées avec succès de son vivant par les interprètes les plus renommés de son pays. Professeure d’harmonie à l’institut Jaques-Dalcroze pendant près de cinquante ans, cette activité est celle que l’historiographie a retenue d’elle et non celle de compositrice. Connue et reconnue de son vivant, l’œuvre de F. Peyrot est tombée dans l’oubli après sa mort, comme pour beaucoup de ses collègues.
Irène MINDER-JEANNERET
■ MINDER-JEANNERET I., « Fernande Peyrot (1888-1978) », in DEUBER-ZIEGLER E., TIKHONOV N. (dir.), Les Femmes dans la mémoire de Genève, Genève, S. Hurter, 2005.
PEYTON, Elizabeth [DANBURY, CONNECTICUT 1965]
Peintre américaine.
L’œuvre d’Elizabeth Peyton rencontre un écho immédiat au début des années 1990 et contribue alors au renouveau de la peinture figurative. Sa première exposition new-yorkaise en 1993, au légendaire Chelsea Hotel, marque un tournant dans sa carrière. Ses petits formats, des portraits, dégagent une technique picturale remarquable, des traits rapides, tranchants, un sens des couleurs qu’elle tient en partie des dessins de David Hockney. On y décèle l’originalité de son projet : une véritable fascination pour les stars et leur aura, pour la beauté et l’adolescence, obsession qui croise avec force celle d’Andy Warhol et de la société contemporaine, hantée par l’impossible retour de la jeunesse. Sa galerie de portraits, réalisée à partir de ce geste séminal, est constituée d’hommes jeunes, principalement modèles, qu’elle choisit parmi ses amis, des personnages historiques de la monarchie européenne et des célébrités populaires. Réalisés à l’huile dans une touche épaisse, rapide et colorée, ces tableaux ont toujours pour origine une photographie. L’artiste peint d’abord les détails du dessin, avant de passer une couche de base, utilise toujours les mêmes petits formats (toile et surtout carton préalablement enduits afin de supporter la couleur) et intitule ses peintures par le seul prénom du personnage représenté. Son tableau de Kurt Cobain rappelant un peu les chérubins de la Renaissance révèle l’intensité, l’émotivité avec laquelle elle cherche à sublimer un moment précis du destin de ses sujets, leur beauté idéale, ce moment ambigu pris entre l’intime et le voyeurisme de la vie publique. Anticipant, en quelque sorte, sur le mouvement de « peopolisation », elle intègre le phénomène de fétichisation, tout en évitant la distance, la dimension critique et discursive que l’on voudrait lui attribuer. Parlant de son travail et de l’usage qu’elle fait de la photographie, la peintre dit : « Chercher à concevoir une image d’image, à saisir ce qui se cache derrière l’expression. Tout passe si vite sur un visage et disparaît aussitôt. Les photos n’y peuvent rien. Dans l’esprit, la mémoire, peut-être, mais c’est différent. Je pense que les visages peuvent tout révéler. » (2005)
Stéphanie MOISDON
■ Elizabeth Peyton : 16 artists (catalogue d’exposition), Salzbourg, Salzburger Kunsverein, 2002 ; Elizabeth Peyton, New York, Rizzoli, 2005 ; Live Forever (catalogue d’exposition), Hoptman L. J. (dir.), Londres/New York, Phaidon, 2008 ; Ghost (catalogue d’exposition), Eckmann S. (dir.), Ostfildern, Hatje Cantz, 2011.
PFAFF, Judy [LONDRES 1946]
Artiste multimédia américaine.
Diplômée de Yale en 1973, Judy Pfaff a étudié dans plusieurs universités américaines. À partir de 1998, elle devient professeure au Bard College. Connue pour ses installations, elle a représenté les États-Unis à la Biennale de São Paulo en 1998. Son travail de sculpture, de peinture et de dessin, montré dans le monde entier, est présent dans diverses collections, notamment celle du Museum of Modern Art et du Whitney Museum of American Art à New York. Il développe le thème de la relation entre le monde naturel et les créations de l’homme, à travers des structures évoquant des organismes proliférants ; il montre à la fois des objets naturels et construits, tout en faisant référence à des mouvements artistiques tels que l’abstraction, le cubisme ou le surréalisme. L’artiste se définit elle-même comme postminimaliste et s’intéresse davantage aux processus qu’aux effets visuels. Depuis 1975, J. Pfaff a réalisé plus de 40 installations temporaires ou permanentes. Cirque, cirque (1995), l’une des plus célèbres et des plus impressionnantes, destinée au Philadelphia Convention Center, est une pièce de plus de 6 500 mètres carrés, composée de multiples sphères et tubes, et réalisée à partir d’acier inoxydable, de peinture pour automobile, d’aluminium et de verre ; des sphères de verre bleues et jaunes y sont disposées, comme sur le plafond de Grand Central Station à New York (source d’inspiration). L’ensemble produit des effets de surface d’eau : les phénomènes d’expansion, de développement tentaculaire sont traités sur un mode poétique et musical, qui caractérise le plus souvent ses œuvres. Dans ses pièces murales et ses dessins, elle exploite les mêmes thèmes de l’extension et du débordement (Horror Vacui, « horreur du vide », 1988). À l’aide de matériaux tels que le verre, la fibre de verre, le tissu, elle crée également des ensembles saturés, colorés, faisant référence à une abstraction fondée sur une recherche de la couleur et du mouvement (Superette, 1987 ; 3 D, 1983). Ses installations les plus récentes, telles que Wild Rose (2008) ou… All of the Above (« tout ce qui précède », 2007), tout en lignes et en suspensions, se déploient de manière plus aérienne encore. Parallèlement, J. Pfaff poursuit un travail de sculptures très légères, en fil d’acier, et de dessins fondés sur l’association d’objets, avec une profusion de lignes formant d’immenses réseaux.
Marion DANIEL
■ Judy Pfaff (catalogue d’exposition), Manchester, Hudson Hills Press, 2003.
PFANOVA, Dora [ZEMUN, BELGRADE 1897 - ZAGREB 1989]
Écrivaine croate.
Après des études à la faculté de lettres et de philosophie de l’université de Zagreb, et une thèse de doctorat sur Snovi i njihovi uzroci (« les rêves et leurs causes ») en 1927, Dora Pfanova enseigna le français et l’allemand au lycée. Elle écrivit des essais poétiques, de la prose et de la poésie, publiée dans deux recueils : Pjesme I (« poèmes I », 1932) et Pjesme II (« poèmes II », 1938). Polyglotte, elle fit également des traductions de l’anglais.
Son œuvre est considérée par la critique contemporaine comme un plaidoyer pour une poésie qui relève du « domaine magique de la liberté imaginative », selon Dunja Detoni-Dujmić. La poétesse lui accordait un effet quasi thérapeutique, une capacité de soulager la souffrance, l’attente, le silence, la fragilité et les aspirations insaisissables de l’âme. Son intérêt pour les rêves et la dimension irrationnelle de l’expérience humaine témoigne d’une singularité artistique, dans un contexte général où la poésie est largement tournée vers les aspects sociaux.
Lada ČALE FELDMAN
■ DETONI-DUJMIĆ D., Ljepša polovica književnosti, Zagreb, Matica Hrvatska, 1998.
PFEIFFER, Ida Laure (née REYER) [VIENNE 1797 - ID. 1858]
Voyageuse autrichienne.
Issue de la bourgeoisie viennoise, Ida Laure Reyer a été élevée par un père peu conventionnel, selon des principes qui conjuguaient liberté, austérité et frugalité. Une fois veuve, sa mère entreprend de faire du « garçon manqué » une demoiselle comme les autres. Le processus, douloureux, semble réussir lorsque la jeune fille épouse docilement le mari qu’on lui a choisi, Anton Pfeiffer. Durant vingt-sept ans, elle est une épouse soumise et une mère aimante. Mais, confiera-t-elle dans ses mémoires, passionnée de géographie, elle ne renonce pas à réaliser un jour ses rêves. Ses enfants grandissent, s’installent. L’année de ses 47 ans, elle décide de passer à l’acte. Prudemment, elle fait part d’une simple intention de rendre visite à une connaissance résidant à Constantinople. En réalité, elle a résolu de faire le tour du monde. Elle en fera même deux, et ne s’arrêtera de voyager que pour mourir, quinze ans plus tard. Brésil, Chine, Singapour, Ceylan, Inde, Mésopotamie, Perse, Kurdistan, Polynésie, Bornéo, Madagascar…, elle est certainement la première voyageuse au sens moderne du terme : elle ne voyage ni pour accompagner son mari ni pour chercher fortune ou protecteur, ni pour espionner. Elle est aussi sans doute la première auteure à vivre de ses récits de voyages : chaque nouvelle publication lui permet de repartir, car sa modeste rente lui suffit à peine. Sa résistance à la fatigue et à la douleur l’autorise d’ailleurs à se contenter de peu : elle dort souvent à la belle étoile ou sous un porche, et marche pieds nus quand ses chaussures sont usées. Elle embarque sur les seuls bateaux de ligne qui lui cèdent une place gratuite – à même sur le pont s’il le faut. La surprise provient de ce que son audace, son courage, son indépendance vont de pair avec un regard qui reste indéfectiblement marqué par son appartenance sociale, avec ses défauts (elle fustige le laisser-aller des bédouines qui portent des robes déchirées) et ses qualités (elle entreprend aussitôt de donner des leçons de couture aux « indolentes »). Son esprit, cependant, n’est pas aussi étroit que ses récits ont pu le laisser croire ; ainsi note-t-elle que les femmes des peuples primitifs ne sont pas si opprimées que l’écrivent les voyageurs masculins, qu’elles le sont en tout cas moins que les petites ouvrières de Vienne. « Il n’y a pas de sort plus malheureux que celui de la femme pauvre en Europe », déclare-t-elle sans craindre de bousculer ses lecteurs. Chassée de Madagascar par la reine Ranavalona Ire en 1857 pour s’être malencontreusement mêlée d’un complot de palais, I. L. Pfeiffer mourra le 28 octobre 1858 des séquelles d’une fièvre contractée sur la grande île.
Christel MOUCHARD
■ Voyage d’une femme autour du monde, Paris, Arthaud, 1991.
PHAKA, Kham (LAKKHANA PANWICHAI, dite) [CHIANG MAI 1972]
Journaliste et essayiste thaïlandaise.
Diplômée en histoire de l’université de Chiang Mai, Kham Phaka obtient une bourse du gouvernement japonais pour aller à Kyoto faire des études sur l’Asie du Sud-Est. Elle y reste sept ans et, à partir de 1995, écrit pour le journal Siam Rath une chronique intitulée Jotmaï jaak Kyoto (« lettres de Kyoto »), traitant, avec une ironie mordante, des différences culturelles entre la Thaïlande et le Japon. Un recueil de ces lettres sera publié en 2002. Revenue en Thaïlande, elle démarre la rubrique Krathu Dok Thong dans le magazine Matichon. En thaï, l’expression Dok Thong (littéralement « fleur d’or ») est une locution très grossière signifiant prostituée. Krathu Dok Thong signifie ainsi « la lettre de la pute » (ou « des putes ») et c’est de là que vient le pseudonyme Kham Phaka qui signifie aussi « fleur d’or », mais avec des mots neutres, sans connotation. S’inscrivant en faux contre les valeurs traditionnelles de la société thaïlandaise, elle se rebelle contre les stéréotypes de la femme-mère et de la femme-épouse, et contre les discriminations qu’elle constate à l’encontre de celles qui ne rentrent pas dans ce moule. Son livre, publié en 2003, sous le même titre que sa chronique Krathu Dok Thong est une réflexion sur l’image de la femme à travers des œuvres littéraires thaïlandaises. D’après l’auteure, les personnages féminins de la littérature thaïlandaise n’incarnent qu’une féminité artificielle, construite par la culture, les normes sociales et les idéologies religieuses et politiques. Sa thèse de doctorat s’intitule d’ailleurs « Sexualité et nationalisme en Thaïlande (1930-1990), le cas des romans d’amour ». K. Phaka n’est pas seulement féministe, elle est aussi humaniste et intéressée par les problèmes de société. En 2010, elle publie Ko Phraï Ni Ka (« oui, je suis une prolo »), une critique de phénomènes sociaux. Ce livre est un recueil d’articles parus entre 2007 et 2009 dans l’hebdomadaire Matichon Sud Sapda. L’écrivaine critique sans relâche la société thaïlandaise et sa voix porte plus loin et plus fort depuis qu’elle est devenue animatrice de l’émission Kid Len Hen Tang (« pensons autrement ») sur Voice TV. Se voulant délibérément choquante et provocatrice dans le but de susciter une réflexion, voire une prise de conscience, et revendiquant haut et fort son goût pour la sexualité et son droit à la pratiquer, K. Phaka n’a pas hésité, en 2004, à poser nue pour la couverture du magazine GM Plus.
Banthun RATMANEE
PHANOSTRATÉ [ACHARNES, ATTIQUE IVe siècle aV. J.-C.]
Médecin grecque.
Une inscription funéraire trouvée à Acharnes, en Attique, et qui date de la première moitié du IVe siècle av. J.-C., mentionne Phanostraté comme maia, « sage-femme », et iatros, « médecin ». Les deux titres attribués conjointement à la défunte, représentée assise sur le bas-relief de la stèle, montrent que l’activité professionnelle des femmes médecins ne se réduisait pas à la seule obstétrique. En principe, les compétences et les tâches d’une femme médecin étaient multiples : maniement des drogues et des potions, accouchement, avortement, grossesse et plus généralement tout ce qui touchait au corps et à la santé des femmes. D’après Platon (Théètète, 149-150), la mère de Socrate, Phénaréte, célèbre sage-femme, avait fait preuve de tous ces talents. Aucune femme ne porte toutefois le titre de « médecin » avant Phanostraté. Dans son épitaphe, le terme iatros est encore utilisé au masculin. Le féminin, iatriné, se trouve en revanche sur une épitaphe du IIe ou Ier siècle av. J.-C. commémorant la femme médecin Mousa, signe sans doute qu’à cette époque il y avait une reconnaissance publique du métier de femme médecin. Si l’on en croit le témoignage d’Hygin (Fables, 274), Agnodice*, la plus ancienne femme médecin mentionnée dans les sources grecques, qui vécut probablement au VIe ou au Ve siècle av. J.-C., s’était déguisée en homme pour assister aux leçons de médecine, car cet enseignement était interdit aux femmes athéniennes. La condition sine qua non pour exercer la profession (techne) de gynécologue et d’obstétricienne était l’âge : il fallait être ménopausée et ne pas être stérile. Ce qui revient à dire qu’une gynécologue obstétricienne devait posséder une connaissance de l’art médical par expérience personnelle. À l’époque hellénistique et impériale, nous connaissons, principalement par des épitaphes ou des inscriptions funéraires, plusieurs noms de femmes médecins. Le médecin Galien et le naturaliste Pline l’Ancien mentionnent aussi des femmes auteures de recettes de médicaments ou d’ouvrages sur les soins corporels, la dermatologie, la gynécologie ou la pharmacopée : Antiochis, Cléopatra, spécialiste de cosmétique, Salpé, Sotira (autant de femmes dont on sait peu de choses). Olympias de Thèbes, obstetrix auteure de remèdes préparés à l’aide de composants d’origine végétale ou animale, fut une source importante pour Pline, qui puisa à plusieurs reprises dans son œuvre.
Marella NAPPI
■ BIELMAN A., Femmes en public dans le monde hellénistique, Paris, Sedes, 2002 ; ID, « L’éternité des femmes actives », in BERTHOLET F., BIELMAN A., FREI-STOLBA R. (dir.), Égypte-Grèce-Rome, les différents visages des femmes antiques, Berne, P. Lang, 2008.
■ FLEMMING R., « Women, writing and the medicine in the classical world », in Classical Quarterly, vol. 57, no 1, 2007 ; GAZZANIGA V., « Phanostrate, Metrodora, Lais and the others. Women in the medical profession », in Medicina nei Secoli, vol. 9, no 2, 1997 ; POMEROY S. B., « Technikai kai Mousikai : The education of women in the Fourth Century and in the Hellenistic Period », in American Journal of Ancient History, vol. 2, 1977.
PHÊMONOÊ [IXe siècle aV. J.-C.]
Première pythie de Delphes.
On situe Phêmonoê avant Homère (v. 850 av. J.-C.), dans les temps dits « mythiques », ou à l’époque historique de la fondation des lieux delphiques (à partir du XIV e s. av. J.-C.). Cette duplicité s’inscrit aussi bien dans son nom que dans la tournure « fille d’Apollon » qui la qualifie par rapport à son dieu tutélaire. Bien que ce titre associe d’ordinaire la prêtresse au dieu de l’Oracle, il confère non moins une importance accrue aux pythies comme si c’étaient justement ces « filles »-là qui faisaient vivre, symboliquement, leur dieu, en rappelant son souvenir. Quant au nom « Phêmonoê », il signifie « l’esprit [oraculaire] qui parle » et « celle qui parle selon l’esprit ». La difficulté vient ici de la correspondance entre « Phêmonoê » et Apollon. Apollon parle par une autre « voie » (pythique) ; Phêmonoê se fait « voie » d’autrui (apollinien). Dans les deux cas, Phêmonoê est la voie d’une voix. Il faut cependant rappeler qu’Apollon perpétue un partage, étant lui-même héritier des divinités précédentes, titulaires de Delphes, Thémis et Gaia et par suite leur obligé (Thémistocléa*).
Cette duplicité sémantique et référentielle rejoint la structure oraculaire générale où il s’agit de gérer la « relève » (Aufhebung) d’une domination préalable : si l’historiographie tente, en l’absence de preuves tangibles, de reléguer Phêmonoê parmi les mythes, un raisonnement moins catégorique valorise, sous son nom, l’oralité constitutive de tout signe matériel (R. Thomas, Literacy and Orality in Ancient Greece [1992]) ou bien une fictivité précédant toute perception ou affirmation, un carmen necessarium (Cicéron) – le « chant nécessaire » de la Justice qui est un préalable à la constitution de toute suite (Fögen 2007). Thémis, la déesse de la Loi et des Assemblées justes, est à l’origine de l’oracle delphique : elle veille à la juste répartition des parts et des tributs (timaï), mais sans s’imposer. On peut donc reconnaître en Phêmonoê celle qui a inventé l’hexamètre pour exprimer ses oracles (Pausanias, Description de la Grèce, X, v, 7) ; et considérer que d’autres, femme (Boeo) ou homme (Olen), étaient aussi historiquement nommés (X, v, 7-8). Et de même lui reconnaître ou non un mérite capital en philosophie : Antisthène dit que la fameuse maxime delphique « Connais-toi toi-même » est de Phêmonoê, que Chilôn se la serait appropriée, alors que Diogène Laërce (Vies et doctrines des philosophes illustres) donne aussi Thalès comme son auteur (I, 40). Vouloir priver Phêmonoê de son importance à la fois historique et conceptuelle soulève deux objections : les poètes romains considéraient encore Phêmonoê comme synonyme de prophétesse par excellence (F. Voigt). Un constat incite à la prudence et dissuade de fictionnaliser la première pythie : Pythagore qui, selon son nom, « proclame (egoreuein) comme la pythie », jouit d’une immense réputation historique alors qu’il n’a pas écrit le moindre livre (du moins nul ne nous est parvenu), cependant que Thémistocléa*, à laquelle Pythagore a emprunté, selon Aristoxène, la plupart de ses doctrines éthiques (Diogène Laërce VIII, 8 et 6 : plagié insinue Héraclite [Diels-Kranz B CXXIX]), disparaît de l’histoire faute de traces écrites. Pourtant, Aristote attribue la maxime delphique à Phêmonoê (Clément d’Alexandrie, Stromata, II, 69 et 83), Pline évoque notamment un Orneosophium, traité des augures ornithologiques (Histoire naturelle, X, III, 7 ; XI, 21), et Porphyre relate, dans sa Vie de Pythagore (§ 41), que le philosophe donnait des enseignements qu’il disait avoir reçus de l’Aristocléa delphique (doublet de Thémistocléa*).
Peut-être le « Connais-toi toi-même » se retourne-t-il contre celui qui tend à nier l’importance de la première pythie : nier Phêmonoê, la figure oraculaire historique et conceptuelle, ce serait affirmer une emprise exclusive contre laquelle justement la pythie se dresse. Transgresser la logique delphique, qui est une équivalence à l’œuvre, reviendrait à se méprendre soi-même : Méconnais la pythie, tu méconnaîtras toi-même !
Eberhard GRUBER
■ PAULY A. F., Paulys Realencyclopädie der classischen Altertumswissenschaft, München, A. Druckenmüller, t. 38, 1938 (F. Voigt : bibliographie).
■ GRIMAL P., Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine, Paris, Presses universitaires de France, 1951 ; DELCOURT M., L’Oracle de Delphes, Payot, 1955 ; MEYER U. I., BENNENT-VAHLE H., Philosophinnen-Lexikon, Leipzig, Reclam Verlag, 1997 ; FÖGEN M. T., Das Lied vom Gesetz, München, C.F. von Siemens Stiftung, 2007.
PHILAENIS [SAMOS IVe siècle aV. J.-C.]
Auteure érotique grecque.
Philaenis de Samos était connue comme auteure d’un traité érotique obscène, Peri Aphrodision akolaston suggramma, décrivant dans un style simple et sans artifices des techniques de séduction amoureuse et de volupté raffinée, postures érotiques (aphrodisia schemata ou figurae veneris) et, plus généralement, les secrets et les jouissances de l’amour (Athénée, VIII, 335b et X, 457d). De ce manuel, écrit dans le dialecte ionien typique de la prose technique et didactique, nous ne connaissons que l’incipit grâce à quelques fragments livrés par un papyrus du IIe siècle apr. J.-C. retrouvé en Égypte (Oxyrhynchus Papyri, XXXIX, 2891). Quoique réduits à peu de chose, ces fragments donnent un aperçu significatif sur le genre des manuels sexuels, sortes de Kâmasûtra, guides pratiques pour tous ceux qui voulaient apprendre les techniques de l’amour physique et leur apprentissage progressif. Philaenis ne manque d’ailleurs pas d’enjouement, car dans l’introduction elle plaisante sur la nature scientifique de son œuvre, mentionnant la quantité de travail qu’elle lui a demandée. Ce livre, qui rappelle le célèbre ouvrage latin d’Ovide sur l’art d’aimer (Ars amatoria), était très probablement illustré et dut connaître une grande diffusion. Les auteurs anciens le mentionnent très souvent : ainsi le philosophe Chrysippe, dans son Traité sur le bien et le plaisir, Cléarque dans ses Proverbes ou l’historien Polybe dans son Histoire (XII, 13, 1). Malgré ces témoignages, plusieurs critiques considèrent que Philaenis ne serait qu’un pseudonyme sous lequel se cacherait l’identité d’un auteur masculin. Ils s’appuient en particulier sur deux épigrammes funéraires de l’Anthologie palatine, composées respectivement par Aeschrion de Samos (VII, 345) et par Discoride (VII, 450), poètes du IIIe siècle av. J.-C. Philaenis y est mise en scène prononçant une auto-défense, censée être inscrite sur l’épitaphe de son tombeau, dans laquelle elle nie avoir écrit ce manuel érotique et mené une vie de femme publique et luxurieuse, et dit son espoir de voir un jour révélé le nom du véritable auteur de cet ouvrage impudique (ce serait Polycrate d’Athènes, rhéteur du IVe siècle av. J.-C.) et de se trouver ainsi lavée de la déshonorante renommée qu’on lui a faite. Ce genre de discours apologétique était un exercice rhétorique très courant dans l’Antiquité ; il fut peut-être écrit en réponse à une satire de Polycrate contre Philaenis. Les deux épigrammes ne permettent donc pas de façon décisive de retirer à Philaenis l’attribution du traité érotique. Leur intérêt tient surtout à la reprise parodique des paroles contenues dans le manuel de Philaenis.
Les manuels érotiques étaient par ailleurs très souvent attribués à des hetairai, professionnelles censées être les seules à même de fournir des indications fiables sur la sexualité des femmes. Et Philaenis, praeceptrix amoris, était la plus célèbre de ces courtisanes. Le nom Philaenis, qui rappelle l’amour, était fréquemment porté par des dames de plaisir (avec son diminutif Philaenion). Il est souvent mentionné dans l’Anthologie palatine (par ex. V, 162, 186 et 202) et il est attesté également dans les Dialogues des courtisanes de Lucien de Samosate (V, 1). L’auteur de mimes Hérodas présente Philaenis comme le prototype même de la prostituée (I, 5). Il est possible que Philaenis ait été un nom fictif, pseudonyme utilisé par d’autres écrivains pour publier des livres pornographiques censés avoir été écrits par une femme. Ou tout simplement Philaenis était le nom prêté par antonomase à l’auteur qui donna forme littéraire à cette tradition populaire érotique. D’autres femmes étaient connues pour avoir écrit des ouvrages érotiques, voire pornographiques, mais nous ne connaissons guère que quelques noms : Niko de Samos, célèbre courtisane du Ve siècle av. J.-C., dont le nom figure souvent dans les épigrammes amoureuses de l’Anthologie palatine ; Callistraté de Lesbos et Cyrène. On attribuait un traité Peri aphrodision également à l’historienne Pamphila* (Ier siècle apr. J.-C.). Les Anciens considéraient en tout cas que Philaenis et Élephantis* avaient été les premières à consacrer des livres didactiques à ces sujets érotiques. Philaenis serait donc l’auteure du plus ancien Peri aphrodision de la littérature occidentale.
Marella NAPPI
■ DE MARTINO F., « Per una storia del “genere” pornografico », in PECERE O., STRAMAGLIA A. (dir.), La letteratura di consumo nel mondo greco-latino, Bari, Levante, 1996 ; PARKER H. N., « Love’s body anatomized : The ancient erotic handbooks and the rhetoric of sexuality », in RICHLIN A. (dir.), Pornography and Representation in Greece and Rome, Oxford/New York, Oxford University Press, 1992 ; PLANT I. M., Women Writers of Ancient Greece and Rome : an Anthology, Norman, University of Oklahoma Press, 2004.
PHILIP, Marlene NourbeSe [MORIAH, TOBAGO 1947]
Poétesse et essayiste canadienne.
Originaire de Tobago, fille d’un avocat, Marlene NourbeSe Philip reçoit une éducation britannique, mais l’anglais ne lui fait pas oublier le langage vernaculaire des Caraïbes. Dans son recueil de poésie She Tries Her Tongue, Her Silence Softly Breaks (« elle essaie sa langue, son silence se brise doucement », 1989), elle considère d’ailleurs que la langue anglaise reste un instrument de colonisation, et elle la travaille et la détourne jusqu’à la rapprocher du jazz. À l’université de Kingston en Jamaïque, elle se fait très tôt remarquer lorsque, pour protester contre la présence de la CIA américaine au sein de l’université, elle enferme le chancelier dans son bureau. Activiste, elle n’a pas peur d’exprimer ses convictions, quoi qu’il lui en coûte. Elle emménage au Canada en 1968, s’inscrit en sciences politiques avant de poursuivre en droit à l’université de Western Ontario. Avocate à Toronto pendant sept ans, elle trouve refuge après son divorce dans l’écriture, véritable catharsis à laquelle elle n’avait jamais pensé auparavant. Elle se dirige alors sur la voie de la poésie et, dès 1982, se consacre pleinement à l’écriture. Son combat en faveur de la justice sociale et de l’égalité ne s’arrête pas pour autant. Elle fait cohabiter des genres tels que l’essai et la poésie de manière originale, ce qui lui offre le moyen d’illustrer sa lutte continuelle contre le racisme. Ses œuvres retracent l’expérience coloniale dans les Caraïbes et traduisent à la fois une volonté de reconstruire une histoire refoulée au profit d’une autre et le souhait de désenclaver les marginalités. Avant d’être primé, son premier roman Harriet’s Daughter (1988) a essuyé de nombreux refus de la part des éditeurs canadiens, ce qui n’a fait que renforcer le souci de l’auteure de promouvoir les minorités, en commençant au sein même du monde de l’écriture canadienne. L’Elizabeth Fry Society de Toronto lui attribue le Rebels for a Cause Award en 2001. Elle a enseigné la création littéraire et l’écriture des femmes à l’université York et à celle de Toronto ; elle a été auteure en résidence à McMaster (2003), puis à Windsor et à Bellagio (Italie). Elle obtient le Guggenheim Fellowship de poésie en 1990, quelques années avant que la ville de Toronto ne lui attribue le prix des Arts. Elle est la mère d’Amai Kuda, chanteuse canadienne de Toronto, très impliquée elle aussi dans des activités militantes.
Élodie VIGNON
■ Genealogy of Resistance and Other Essays, Toronto, Mercury Press, 1997 ; Zong ! , Wesleyan, Poetry, 2008.
PHILIPE, Anne (Nicole NAVAUX, épouse FOURCADE, dite) [BRUXELLES 1917 - PARIS 1990]
Écrivaine et ethnologue française.
Après des études en Belgique, Anne Philipe s’installe en France en 1939. Ethnologue, elle crée avec Jean Rouch le Comité du film ethnographique. Première Française à avoir effectué la traversée du Xinjiang en suivant la Route de la soie (1948), elle en tire Caravanes d’Asie (1954). Auteure de reportages pour Le Monde et Libération, elle assure aussi une tribune critique dans Les Lettres françaises. C’est Gérard Philipe, qu’elle épouse en 1951, qui lui donne son nom de plume. Proches du Parti communiste français, ils partagent le même idéal intellectuel ; mais le comédien succombe brutalement en 1959. A. Philipe publie Le Temps d’un soupir (1963), œuvre biographique consacrée à celui qu’elle a déjà évoqué dans Gérard Philipe (en collaboration avec Claude Roy, 1960). Son écriture pudique tisse des variations subtiles autour de la mort, de l’enfance et du partage spirituel. Ses romans (Les Rendez-vous de la colline, 1966 ; Un été près de la mer, 1977 ; Le Regard de Vincent, 1987) révèlent sa finesse psychologique. D’autres (Spirale, 1971 ; Ici, là-bas, ailleurs, 1974) intègrent poèmes et prose poétique. En 1980, Promenade à Xian la ramène vers la Chine.
Christiane BLOT-LABARRÈRE
■ Les Résonances de l’amour, Paris, Gallimard, 1982 ; Je t’écoute respirer, Paris, Gallimard, 1984.
PHILIPPINES – CHORÉGRAPHES [XXe siècle]
Très tôt, les chorégraphes philippines s’illustrent dans la redécouverte des danses de l’archipel, étape essentielle de leur démarche créative. Francisca Reyes-Aquino est pionnière en la matière et entreprend la collecte ainsi que l’étude systématique des danses de l’archipel dès la fin des années 1920. Elle codifie, enseigne, et publie ensuite le résultat de ses recherches dans sa thèse Philippine Folk Dances and Games. Son élève, Leonor Orosa-Goquinco, s’illustre dans le renouveau des danses locales qu’elle adapte au ballet. Parmi ses œuvres les plus connues, Trend : Return to the Native (« mouvement : retour aux origines », 1941), est le premier ballet folklorique philippin, et Filipinescas : Philippine Life, Legend and Lore in Dance (« Filipinescas : la vie philippine, légende et tradition en danse », 1961) est une saga dansée s’inspirant des diverses traditions de l’archipel. Dans la même lignée, Lucrecia Reyes-Urtula, chorégraphe du Bayanihan Philippine National Folk Dance Company, passe plus de quarante ans à étudier les danses de l’archipel et à les adapter à la scène internationale. La danseuse Ligaya Fernando-Amilbangsa *se démarque par son approche des danses musulmanes. S’intéressant à la forme mais aussi au fond, elle cherche à saisir le sens profond de ces danses afin de transmettre les valeurs culturelles et sociales qu’elles véhiculent. Agnes D. Locsin, directrice artistique du Ballet des Philippines depuis 1989, adopte une attitude nuancée en différenciant sa production d’une pratique traditionnelle en contexte. Elle élabore ainsi une réflexion sur les danses qu’elle crée, et qu’elle nomme « néo-ethniques ».
Le ballet, apparu aux Philippines au tout début du XXe siècle, occupe enfin une place considérable. Parmi les précurseurs, Remedios Totoy de Oteyza marque les débuts du ballet abstrait et forme des générations de danseurs au Classic Ballet Academy. Puis suivent Alice Reyes (Ballet Philippines), Felicitas Layag-Radaic (Dance Theater Philippines avec Julie Borromeo et Eddie Elejar, St Theresa’s College Scholl of Dance), Fe Sala-Villarica (Cebu Ballet Center), Inday Gaston-Mañosa (Hariraya Ballet, avec de Oteyza) ainsi que Corazon Generoso-Iñigo (University of the East Dance Troupe) qui laissent toutes leur nom dans la direction de troupes prestigieuses.
Enfin, la danse contemporaine et expérimentale se développe à travers les pas de J. Borromeo, principale figure de la danse jazz, de Rosalia Merino-Santos, qui fonde le FEU Experimental Dance Group en 1958, et de Myra Beltran et son Dance Forum ouvert en 1995.
Elsa CLAVÉ-ÇELIK
PHILIPPINES – ÉCRIVAINES [XXe siècle]
Il reste peu de traces d’expressions littéraires de femmes durant la colonisation espagnole, hormis les poésies, écrites en ilocano, de Leona Florentino à la fin du XIXe siècle. Interdites d’accès à l’éducation par le régime espagnol, malgré la protestation exprimée dans une lettre par les « femmes de Malolos » (1888), c’est paradoxalement la colonisation américaine qui permet l’émergence, à partir des années 1920-1930, de la première génération d’écrivaines philippines reconnues, qui écrivent et sont publiées en anglais : Loreto Paras-Sulit, Paz Latorena et surtout Paz Marquez-Benitez*. Celle-ci, considérée depuis comme la « mère des écrivaines », questionne le patriarcat de la société philippine dans une nouvelle publiée en 1925, Dead Stars, la première nouvelle en anglais publiée par une femme dans l’archipel. En 1940, Angela Manalang-Gloria publie un poème « Revolt from Hymen », évoquant le viol conjugal. Avant guerre, rares sont les écrivaines en langues vernaculaires, à l’exception remarquable de Magdalena Jalandoni*, dont les écrits se font l’écho des oppressions subies par les femmes.
À partir des années 1970, les écrivaines s’engagent dans la lutte contre le régime de F. Marcos, notamment grâce à l’organisation Women (Women Writers in Media Now, « femmes écrivaines dans les médias aujourd’hui »), créée en 1981 par des écrivaines, dont Marra Lanot. Les mouvements de femmes qui émergent alors comptent dans leurs rangs de nombreuses écrivaines : Makibaka (« lutte »), par exemple, est créé par la poétesse Lorena Barros. Certaines écrivaines de cette génération sont incarcérées en raison de leurs engagements politiques, comme Ninotchka Rosca* (en 1973) ou Mila Aguilar (en 1972 et en 1984), qui écrit en prison des poèmes, dont « A comrade is as precious as a rice seedling » (« un camarade est aussi précieux qu’un semis de riz »). Certaines écrivaines choisissent, à cette époque, d’abandonner l’anglais pour le tagalog ou d’autres langues, comme M. Lanot, Genoveva Edroza-Matute*, Austregelina Espina-Moore* ou Gardeopatra Quijano (connue sous le nom Inday Garding) qui écrit exclusivement en cebuano.
L’inspiration féministe des écrivaines philippines contemporaines les amène fréquemment à revisiter l’histoire nationale, en évoquant notamment le rôle des femmes dans la révolution de 1896. Beaucoup explorent les multiples facettes de la sororité en renouvelant la tradition des femmes babaylan (chamans) ou en évoquant, comme M. Lanot (2000), les femmes des minorités culturelles philippines. La quête d’une sororité internationale inspire la plupart des auteures expatriées, notamment Fatima Lim-Wilson* ou Merlinda Bobis* : leurs fictions abordent notamment les nombreux aspects de l’exploitation des femmes philippines migrantes.
Certaines écrivaines se sont attaquées à l’image de la femme philippine, décrite comme timide et chaste, et se sont emparées de la question de la sexualité : des abus sexuels, comme Estrella Alfon*, dans Magnificence (1960) ; des identités sexuelles, comme Nice Rodriguez, dans Throw it to the River (« jette-le dans la rivière », 1993) ou de la domination masculine, comme Lualhati Bautista*, dans Bata Bata… Paano Ka Ginawa ? (« enfant, enfant… comment as-tu été conçu ? », 1984).
Depuis le milieu des années 1980, plusieurs anthologies de textes d’écrivaines féministes sont parues, notamment éditées par Women, et deux revues majeures, Caracoa et Ani, ont consacré un numéro aux écrivaines philippines. Des anthologies ultérieures, comme celles dirigées par Tina Cuyugan, Forbiden Fruit, Women write the Erotic (« fruit défendu, des femmes écrivent l’érotisme », 1992) et Thelma Kintanar, Women’s Bodies, Women’s Lives (« le corps des femmes, la vie des femmes », 2001), abordent la sexualité et la contraception. La richesse de la production de ces écrivaines s’est traduite, à partir des années 1990, par le développement d’une critique littéraire féministe, notamment portée par T. Kintanar, Lilia Quindoza-Santiago et Sylvia M. Ventura. Le développement récent des études de genre doit beaucoup à la présence de nombreuses écrivaines féministes, comme Aida F. Santos, dans les milieux académiques.
Gwénola RICORDEAU
■ KINTANAR T., Women Reading… Feminist Perspectives on Philippine Literary Texts, Quezon City, University of the Philippines Press, 1992 ; LANOT M., Witchs’Dance at Iba pang Tula sa Filipino at Espanol, Pasig City, Anvil, 2000 ; REYES S. S. (dir.), Ang Silid na Mahiwaga : Katipunan ng Kuwento’t Tula ng Mga Babaeng Manunulat, Manille, Anvil, 1994.
PHILIPPINES – HISTORIENNES [XXe siècle]
La pionnière Encarnación Alzona est la première femme docteur du pays. Diplômée de l’Université des Philippines (1917), elle passe son doctorat à l’Université Columbia (1923) avant de revenir enseigner à Manille. Brillante historienne, c’est une figure essentielle de la communauté scientifique de l’époque. Elle fonde avec deux de ses collègues, Teodoro Agoncillo et Gregorio Zaide, la Philippine Historical Association en 1955. Ses écrits, qui concernent l’histoire sociale et économique des femmes, traitent en particulier du développement de l’éducation aux Philippines. Outre ces thèmes, elle réalise les biographies de figures féminines d’exception, comme Paz Guazon et Librada Avelino, et traduit les œuvres des intellectuels de la révolution philippine, José Rizal et Graciano Lopez-Jaena. Sa carrière et sa vie, tournées vers le progrès de la condition féminine, l’amènent à la présidence de la Philippine Association of University Women en 1928, où elle se bat pour le droit de vote des femmes. Membre de la délégation philippine à l’Unesco, elle préside également le Sub-Committee on Social Science en 1946, avant de diriger le National Historical Institute (1959-1966). Sa carrière exceptionnelle lui vaut enfin le titre de « Scientifique nationale des Philippines », décerné en 1985. Sa contemporaine Guadalupe Fores-Ganzon suit un parcours similaire. Diplômée cum laude de l’Université des Philippines en 1929, elle obtient un doctorat de l’université Stanford en 1949. Professeure réputée, elle se spécialise dans l’histoire du nationalisme philippin, qu’elle enseigne à des générations d’historiens à l’Université des Philippines, où elle fait sa carrière. Bernardita Churchill, la présidente de la Philippine National Historical Society, possède, quant à elle, une triple formation. Diplômée comme ses prédécesseures des Philippines et des États-Unis, elle obtient un doctorat à l’Université nationale australienne. Spécialiste de l’époque coloniale des Philippines, elle s’intéresse à l’histoire des Chinois d’outre-mer et se retrouve au centre de nombreuses conférences et collaborations.
La directrice des Presses de l’Université des Philippines et membre de la faculté d’histoire, Luisa Camagay, s’est formée en France, à l’École des hautes études en sciences sociales, après des études aux Philippines. Elle travaille sur les relations franco-philippines, mais se spécialise surtout dans l’histoire sociale de son pays, en particulier celle des femmes. Elle reprend en cela l’héritage de E. Alzona, à qui elle consacre d’ailleurs un ouvrage. Son étude, Working Women of Manila in the 19th Century (1995), restitue la place des femmes dans le milieu professionnel et urbain de Manille au XIXe siècle. Ses travaux, qui ouvrent une nouvelle perspective historique, sont salués par le prix du National Book, qu’elle remporte à deux reprises (1993 et 1995). Milagros C. Guerrero, membre fondatrice de la Philippine Studies Association en 1984, s’illustre dans son travail sur la révolution philippine. Soulignant la place centrale du révolutionnaire Andrés Bonifacio, elle apporte un éclairage différent sur une période clé de l’histoire philippine. Elle réalise également plusieurs travaux d’histoire sociale et économique sur la paysannerie locale et les élites, les Chinois des Philippines, ainsi que sur les relations philippino-japonaises. Enfin, elle rédige avec Teodoro Agoncillo, History of the Filipino people (1970), un ouvrage qui reste une référence dans les études de l’histoire philippine.
Elsa CLAVÉ-ÇELIK
■ ALZONA E., The Filipino Women : Her Social, Economic and Political Status 1565-1933, Quezon city, University of the Philippines Press, 1934 ; CAMAGAY L., Kasaysayan Panlipunan ng Maynila (1765-1898), Quezon City, Echanis Press, 1992 ; CHURCHILL B., The Philippines Independence Missions to the United States (1919-1934), Manille, National Historical Institute, 1983 ; GUERRERO M. C., International Commercial Rivalry in Southeast Asia in the Interwar Period, New Haven, Yale Center for International and Area studies, 1994.
PHILIPPINES – JOURNALISTES [XXe-XXIe siècle]
Considéré comme l’un des pays les plus dangereux pour les journalistes, les Philippines comptent quelques grandes femmes dans la presse nationale et internationale. S’illustrant dans le journalisme d’investigation, elles jouent un rôle important dans le développement de la profession et participent à l’ouverture de plusieurs médias. Eugenia Duran-Apostol, qui débute sa carrière au magazine Mr. & Ms. en dénonçant les abus du président Marcos (1983), fonde le Philippine Daily Inquirer (1985), qui devient l’un des plus importants quotidiens philippins. Elle est récompensée en 2006 par le prix Ramon Magsaysay, la plus haute distinction philippine en journalisme. Travaillant dans la presse télévisée à ABS-CBN, Cheche Lazaro fonde Probe productions en 1988, aidée par Luchi Cruz-Valdes et Maria Ressa. Son programme vedette, « Probe Team », devient la première émission d’investigation du pays et est récompensée au niveau national (Cultural Center of the Philippines) et international (New York Film Festival, 1992, 1999). Dans le même domaine, Jessica Soho, vice-présidente de GMA News, remporte le troisième prix au New York Film and Television Festival pour sa couverture de la prise d’otages de Cagayan Valley. Parmi une vingtaine de distinctions, elle reçoit le très convoité George Foster Peabody Award (1999) pour ses documentaires Kidneys for Sale business (« le commerce des reins à vendre », 1999) et Kamao death sport (« kamao, sport de combat jusqu’à la mort », 1999), et remporte l’Asian Television Awards (2008). Sheila Coronel, directrice du Toni Stabile Center for Investigative Journalism à l’université de Columbia (2006), a également sa part dans le développement du journalisme local, puisqu’elle fonde, avec huit autres journalistes, le Philippine Center for Investigative Journalism (PCIJ). Ce centre de recherche et de formation, qui concentre entre autres son travail sur la corruption de l’appareil d’État, est à la source de la chute du président Estrada en 2001. C’est en effet à cette époque qu’une enquête de S. Coronel dévoile la corruption présidentielle. Promue au rang de « the Philippines’outstanding print journalist », elle est récompensée en 2003 par le prix Ramon Magsaysay. Malou Mangahas est l’une des fondatrices du PCIJ. Également très critique à l’égard du gouvernement philippin, elle est emprisonnée trois mois et demi pour ses idées, sous le président Marcos. La journaliste continue malgré tout sa carrière et devient éditrice en chef du Manila Times en 1994. Appréciée pour son intégrité et son éthique du travail, elle prend la tête du Philippines Press Institute Committee on Ethics en 1997 et passe une année à la Nieman Foundation for Journalism de Harvard (1998-1999). Continuant à diversifier le paysage médiatique philippin, Glenda M. Gloria cofonde le journal en ligne Newsbreak (2001) dont elle reste longtemps rédactrice en chef, avant d’être nommée responsable d’ABS-CBN News Channel. Forte d’une expérience des médias de plus de vingt années – débutée au Philippine Daily Inquirer en 1986, puis poursuivie en 1994 au Manila Times –, elle enquête sur l’armée philippine, la fortune inexpliquée des généraux ou encore l’implication des militaires dans les fraudes électorales et le commerce illégal. Le deuxième pilier de Newsbreak, Marites Dañguilan-Vitug, travaille, quant à elle, sur les militaires et porte un intérêt particulier à l’islam en Asie du Sud-Est. Auteure de trois ouvrages, dont Jalan-jalan : A journey through EAGA (« jalan-jalan : un voyage dans la zone de croissance de l’ASEAN orientale », 1998) et Power from the forest : The politics of logging (« le pouvoir de la forêt : la politique de l’exploration forestière », 1993), elle coécrit avec G. Gloria un livre sur la rébellion musulmane de Mindanao, Under the Crescent Moon : Rebellion in Mindanao (« sous le croissant de lune : rébellion à Mindanao », 2000, IPD). Cofondatrice du PCIJ, elle est aussi éditrice en chef de ABS-CBNnews.com. Dans un tout autre domaine, Niñez Cacho-Olivares se fait remarquer par ses chroniques politiques et écrit pour le Bulletin Today, le Philippine Daily Inquirer, le Business World ou The Daily Tribune, dont elle est la rédactrice en chef. À l’international, il faut compter avec Maria Ressa, longtemps basée à Jakarta, qui est en charge du bureau régional de CNN international. Couvrant les événements importants du Timor oriental, d’Indonésie, de Malaisie et des Philippines, des années 1990 aux années 2000, elle travaille aussi en Chine, au Japon, en Corée du Sud et en Inde. Outre la période de transition politique sur laquelle elle travaille depuis 1998 en Indonésie, elle se spécialise dans le séparatisme, ainsi que dans les violences ethniques et religieuses. Après les attentats du 11 septembre 2001, elle mène une série d’enquêtes sur le terrorisme en Asie du Sud-Est et écrit Seeds of Terror : An Eyewitness Account of Al-Qaeda’s Newest Center of Operations in Southeast Asia (« Graines de terreur : un témoignage du tout nouveau centre des opérations d’Al-Qaïda en Asie du Sud-Est », 2003). Enfin, loin de la scène nationale et internationale, Carolyn Arguillas dirige le MindaNews, un site d’information basé à Mindanao, l’île la plus agitée des Philippines. Toujours en première ligne et animant un réseau d’informations rare dans la région, elle débute sa carrière par un travail sur le Alsa Masa, un groupe anticommuniste de Davao, et sur la branche armée du communisme, la New People’s Army, dans les années 1980.
Elsa CLAVÉ-ÇELIK
■ CORONEL S. S., BALGOS C. C. A., Pork and Other Perks : Corruption and Governance in the Philippines, Pasig, Philippine Center for Investigative Journalism, Evelio B. Javier Foundation, Institute for Popular Democracy, 1998 ; DAÑGUILAN-VITUG M., GLORIA G. M., Under the Crescent Moon : Rebellion in Mindanao, Quezon City, Ateneo Center for Social Policy and Public Affairs/Institute for Popular Democracy, 2000.
■ An Affair to Remember : President Cory Aquino’s Love Affair With the Philipino People (M. Ressa., C. Lazaro), Manille, Ateneo Television, Probe Productions, 67 min.
PHILIPS, Katherine (née FOWLER) [LONDRES 1631 - ID. 1664]
Poétesse anglaise.
Katherine Philips est élevée dans un milieu puritain et fait ses études dans un pensionnat presbytérien. Elle suit sa mère, remariée, au Pays de Galles. À 16 ans, elle épouse un parent de son beau-père, parlementaire cromwellien, alors que, ayant brisé tout lien avec sa religion d’origine, elle professe des idées ardemment royalistes. Elle constitue autour d’elle une petite communauté littéraire dont les membres portent des noms de pastorales, par nostalgie du platonisme précieux de la cour de Charles Ier (1600-1649). Elle devient l’idéal de la femme vertueuse, brillante et pleine d’esprit et compose de nombreux poèmes qui circulent sous forme manuscrite. En 1655, elle donne naissance à un fils qui meurt dix jours plus tard. Sous le nom resté célèbre de « matchless Orinda » (« l’incomparable Orinde »), elle devient l’apôtre des amitiés féminines. Sa poésie bucolique, ses tragédies, ses épîtres sont saluées par Vaughan et Cowley. Elle traduit le Pompée de Corneille et de nombreux poèmes français. Dans les 120 poèmes et le volume de discours et de lettres qu’elle laisse, elle chante l’amitié féminine avec toute son intensité passionnelle mais platonique, dénigrant l’amour physique, égoïste et limité, démontrant comment les femmes peuvent trouver leur réconfort l’une dans l’autre. Sans que soient exclus les moments de découragement et de désespoir, elle peint un monde pastoral, presque extatique, dominé par Éros, où l’érudition, la discipline et l’idéalisme se rencontrent.
Michel REMY
PHILLIPS, Catherine (ou Catharine, née PAYTON) [DUDLEY 1727 - TRURO 1794]
Mémorialiste britannique.
Les renseignements biographiques concernant Catherine Phillips sont succincts (une éducation scolaire tardive et un mariage, en 1772, avec un veuf) mais dans Memoirs of the Life of Catherine Phillips : to Which Are Added Some of her Epistles (« mémoires de C. Phillips et quelques-uns de ses sermons », publié en 1797 par son beau-fils), cette pasteure quaker raconte une existence peu commune : après une enfance méthodiste, elle entre dans le ministère à l’âge de 22 ans, prêche dans le Pays de Galles, en Irlande et en Écosse. Elle part ensuite pour l’Amérique, qu’elle sillonne, découvrant les nouvelles implantations religieuses telles que New Garden en Caroline du Nord. Elle expose au fil des pages les problèmes de santé et les dangers du voyage, les ravages de l’alcoolisme, les difficultés relationnelles entre ministres, et aborde la question de l’égalité des sexes. Ses textes, ses lettres, son poème contre l’esclavage « The Happy King », adressé à George III (1794), sont encore cités de nos jours.
Françoise LAPRAZ SEVERINO
■ SKIDMORE G. (dir.), Strength in Weakness, Writings by Eighteenth-Century Quaker Women, Walnut Creek, AltaMira Press, 2003.
PHILLIPS, Marion [SAINT KILDA, MELBOURNE 1881 - LONDRES 1932]
Historienne et politicienne britannique.
Marion Phillips est éduquée par des gouvernantes puis au Presbyterian Ladies’ College (Melbourne). Elle obtient par la suite une licence d’histoire et de philosophie à l’Université de Melbourne (1904) et part aussitôt étudier à la London School of Economics (LSE). Elle y prépare en 1907 un doctorat, publié en 1909 (A Colonial Autocracy : New South Wales Under Governor Macquarie, 1810-1821). Elle obtient un poste à la LSE (en 1911, et de 1918 à 1920), mais son militantisme l’amène à une carrière politique. Elle commence, dès son arrivée à Londres, des recherches pour les célèbres réformateurs Sidney et Beatrice Webb et contribue à l’ouvrage English Poor Laws Policy (1910). Forte de cette expérience, elle devient assistante à la Royal Commission on the Poor Laws. Membre dès 1907 de la Fabian Society et de l’Independent Labour Party, elle s’engage l’année suivante dans la Women’s Labour League, dont elle devient secrétaire permanente en 1912 et dont elle édite la revue, Labour Woman, jusqu’à sa mort. Elle milite également à l’association suffragiste National Union of Women’s Suffrage Societies, dont elle est secrétaire à partir de 1910. Mais c’est le Parti travailliste qui l’attire : élue conseillère à Londres en 1912, elle met en œuvre certaines réformes d’envergure (cliniques d’enfants, cantines scolaires, logements sociaux). Au sein du Parti travailliste, elle encourage la création d’organisations indépendantes pour les femmes, et publie une série d’essais sur le sujet (Women and the Labour Party, 1918). S’étant engagée dans plusieurs organisations chargées du travail féminin pendant la guerre, elle devient, en 1917, secrétaire du Standing Joint Committee of Industrial Women’s Organizations, qui rassemble syndicats féminins, coopératives et la Women’s Labour League. Elle est, l’année suivante, secrétaire permanente des organisations féminines du Parti travailliste, fonction qu’elle occupera jusqu’à sa mort (elle est la première femme à occuper un poste permanent dans ce parti). Quelque 2 000 sections féminines sont créées pendant ces quatorze années. Elle est élue au parlement anglais en 1929, devenant la première Australienne à siéger dans un parlement national, bien avant l’élection de la première députée au parlement australien (Dame Enid Lyons) qui n’intervient qu’en 1943.
Susan FOLEY et Charles SOWERWINE
■ HARRISON B., « Phillips, Marion (1881-1932) », in Oxford Dictionary of National Biography, Harrison B., Matthew H. C. G., (dir.), Oxford, Oxford University Press, 2004.
PHILLIPS, Teresia Constantia [WEST CHESTER 1709 - KINGSTON, JAMAÏQUE 1765]
Mémorialiste britannique.
Teresia Constantia Phillips, courtisane bien connue, est peut-être mémorialiste, mais il reste à prouver qu’elle est bien l’auteure de son Apology. Après une enfance chaotique et un bref contact avec l’enseignement, elle aurait été violée en 1721 par un Mr Grimes, qui ne serait autre que le futur 4e comte de Chesterfield. Pour faire face à des difficultés financières, elle se serait mariée deux fois, ces unions entraînant des complications juridiques. Elle arrive une première fois à la Jamaïque en 1738, se découvre un talent pour commenter la vie politique locale, ce qu’elle fait parfois en vers. Elle mène une vie agitée, se marie à nouveau deux fois, devenant, à la surprise de certains, « Master of the Revels » (« maîtresse de cérémonie ») de Kingston, la mort la sauvant de ses créanciers. L’art de la provocation de cette « Dalila-Jézabel-Messaline », comme H. Fielding l’appelait, et sa détermination à montrer les tensions du sexe et de l’argent chez la femme, loin de tout sentimentalisme, intéressent les critiques modernes.
Françoise LAPRAZ SEVERINO
■ DUGAW D. (dir.), Memoirs of Scandalous Women, An Apology for the Conduct of Mrs Teresia Constantia Phillips (1748), Londres, Pickering and Chatto Publishers, 2011.