THÉÂTRE [Québec XXe siècle]

Il faut remonter aux années 1930 pour voir émerger une voix de femme avec les drames de mœurs Cocktail (1935) et Le Jeune Dieu (1936) d’Yvette Ollivier Mercier-Gouin, qui n’ont toutefois pas survécu à leur époque. C’est ensuite dans les années 1950 et surtout dans le sillage de la Révolution tranquille (1960-1964) que deux auteures de talent se manifestent : d’une part, la romancière et poétesse Anne Hébert* fait jouer quelques pièces dont Le Temps sauvage (1966), un drame symboliste qui entame « le procès d’une époque » ; d’autre part, Françoise Loranger* pointe les symptômes d’un étiolement de la cellule familiale dans ses drames psychologiques Une maison, un jour (1965) et Encore cinq minutes (1967). En 1968, les Belles-sœurs de Michel Tremblay, qui réunit 15 femmes de condition modeste aux prises avec une « maudite vie plate », préfigure à sa façon une ère de radicalisation de la parole des femmes sur les scènes québécoises.

Dans un premier temps, la vogue de la création collective favorise une prise de parole brute, dans un climat d’urgence qu’accompagne la montée en puissance de la génération des baby-boomeurs. Divers collectifs de femmes voient alors le jour, tantôt pour s’inquiéter des ratés de la vie de couple (Un prince, mon jour viendra, collectif de femmes du Grand cirque ordinaire, 1972), tantôt pour dénoncer l’esclavage domestique des femmes, tantôt encore pour revendiquer le droit à l’avortement (Théâtre des cuisines, 1973-1981). Coup sur coup, trois créations feront événement en lançant dans l’espace public des propos délibérément provocateurs, sous les auspices du Théâtre du Nouveau Monde, une institution montréalaise vouée au grand répertoire international. D’abord, La Nef des sorcières (collectif, 1976) fait entendre la parole d’une « oppression systématique », à travers des monologues écrits et joués par des femmes. Ensuite, Les fées ont soif (1978) de la poétesse Denise Boucher* provoque un scandale en déboulonnant une statue de la Vierge, sous le feu croisé d’une « Mère » et d’une « Marie-Madeleine », figures volontairement stéréotypées de la condition féminine aliénée. Enfin, La Saga des poules mouillées (1981) de Jovette Marchessault met en présence quatre écrivaines marquantes du Québec – Laure Conan*, Germaine Guèvremont*, Gabrielle Roy* et A. Hébert –, en une vibrante célébration de la créativité féminine, thème central de cette auteure prolifique à qui l’on doit en outre plusieurs pièces poético-biographiques comme La Terre est trop courte, Violette Leduc (1981), Anaïs, dans la queue de la comète (1985) ou Le Voyage magnifique d’Emily Carr (1990).

D’autres femmes pratiquent diverses déclinaisons du réalisme et du mode satirique : la question de l’inceste qu’aborde crûment Un « reel » ben beau, ben triste (1979) de Jeanne-Mance Delisle côtoie ainsi les drames psychologiques de Marie Laberge*, de Maryse Pelletier (Duo pour voix obstinées, 1985), d’Anne Legault (La Visite des sauvages, 1986), d’Hélène Pedneault (La Déposition, 1988) et les comédies dramatiques Bernadette et Juliette (1978) et Appelle-moi (1995) d’Élizabeth Bourget. À la même époque, plusieurs auteures se consacrent à la dramaturgie pour la jeunesse, notamment Suzanne Lebeau* (Une lune entre deux maisons, 1979 ; Contes d’enfants réels, 1993) et Jasmine Dubé* (Bouches décousues, 1984 ; La Bonne Femme, 1995).

La mouvance féministe engendre une intense exploration des langages scéniques et de la représentation du corps féminin. En 1979, le Théâtre expérimental des femmes (TEF) de Montréal, cherchant à soustraire les échanges entre femmes à toute interférence phallocratique, propose même un moment de réserver les représentations au seul public féminin.

Un fort courant contemporain a conduit plusieurs comédiennes à écrire des spectacles en solo, assumant dès lors les fonctions d’auteure, d’actrice et de metteuse en scène. La palette expressive du monologue s’enrichit notamment par le recours aux langages corporels. Louisette Dussault avec Moman (création en 1979), un monodrame autofictionnel, fait s’entrecroiser une multitude de personnages colorés, rencontrés à l’occasion d’un voyage en autocar. Pour sa part, Pol Pelletier*, au retour d’un séjour en Inde, crée sa « Trilogie des histoires » qu’elle jouera par la suite en France : Joie (1993), Océan (1995) et Or (1997) ; elle y fait le récit, bariolé d’anecdotes et de commentaires historiques, de sa quête artistique et existentielle des deux décennies précédentes, que la charge pulsionnelle de son jeu (voix parlée-chantée, partition rythmique, gestuelle) magnifie. D’autres créatrices sont allées encore plus loin en se tournant vers la performance : Nathalie Derome avec La Paresse (1987) et Le Retour du refoulé, théâtre perforé (1990), Carole Nadeau avec Rouge (1993) et MeMyLee Miller (2000) et Marie Brassard, une émule douée de Robert Lepage, avec entre autres Jimmy, créature de rêve (2001) et Peep-show (2005), spectacles qu’elle a joués un peu partout dans le monde.

Plusieurs auteures contemporaines prennent leurs distances par rapport au féminisme militant, se tournent vers des univers oniriques ou fantasmatiques, sans se soucier de la portée sociale de leur écriture. La dramaturgie de Carole Fréchette* se détache nettement à cet égard, en adoptant une approche distanciée qui s’avère féconde, pendant que Lise Vaillancourt (Billy Strauss, 1991), Évelyne de La Chenelière* (Des fraises en janvier, 1999) et Marie-Christine Lê-Huu (Jouliks, 2002) se tournent vers des formes métathéâtrales ou franchement ludiques.

Gilbert DAVID

THÉÂTRE [Roumanie XIXe-XXIe siècle]

La naissance et l’évolution du théâtre en Roumanie sont étroitement liées à l’éveil national, et la présence des femmes sur scène témoigne de ce processus de lente émancipation, dans un monde où le modèle oriental et féodal persiste jusqu’au milieu du XIXe siècle. Au début, le théâtre culte est le fait d’une jeune princesse, Domnitza Ralou, fille du prince Caragea (ou Caradja), régnant en Valachie, et qui fait construire en 1817 au cœur de Bucarest le théâtre de la Fontaine rouge, devenu mythique dans l’histoire culturelle des Roumains. À l’époque, les femmes ne montent pas sur scène ; leurs rôles sont interprétés par des hommes.

La première actrice roumaine est Marghioala Bogdănescu dans le rôle de Phèdre. Après une période de dilettantisme, le théâtre se professionnalise et s’institutionnalise avec la création, en 1846 et 1847, des théâtres nationaux à Jassy et à Bucarest, où, en 1864, sont fondés des conservatoires de musique et de déclamation : les femmes y sont désormais admises sans restriction. Le théâtre et son public mûrissent au fur et à mesure que le répertoire se met en résonance avec les couleurs du temps. Dans ce contexte apparaissent les premières grandes interprètes, telle Aristizza Romanescu (1854-1918).

À la même génération, circulant désormais avec aisance sur les scènes européennes, appartient Agatha Bârsescu (1857-1939) qui après des études à Vienne est engagée au Burgtheater, joue au Deutsches Theater de Berlin ou au Stadttheater de Hambourg, mais fait aussi des tournées fréquentes en Roumanie après 1890. Marioara Voiculescu (1889-1976) débute sur la scène du Théâtre national de Bucarest en 1904 ; elle est aussi un des noms légendaires du théâtre roumain, mais elle refuse de jouer sous le régime communiste et meurt dans un grand dénuement. D’autres actrices roumaines choisissent de rester en France : Alice Cocea*, Elvire Popesco*, Génica Athanasiou*, chacune avec des enjeux différents. Dans ce contexte, il faut mentionner également quelques actrices d’origine roumaine, présentes sur la scène de la Comédie-Française : Élisabeth Nizan (1896-1969) ou Maria Ventura (1886-1954), la première femme à signer une mise en scène à la Comédie-Française en 1938 (Iphigénie de Racine).

Dans les premières décennies postérieures à 1947 (année de l’étatisation des théâtres en Roumanie), les femmes, même si elles abordent sans complexes d’autres domaines, continuent à s’imposer surtout comme de grandes interprètes, le théâtre roumain moderne étant traditionnellement dominé par la figure du metteur en scène. Avec quelques exceptions : Sorana Coroamă, Cătălina Buzoianu pour la mise en scène ou Lucia Demetrius, Sidonia Drăgăşanu pour la dramaturgie. Les choses changent complètement depuis la dernière décennie, aboutissant à un renversement radical de tendance. Dans le groupe dramAcum (en roumain : « le drame maintenant, le drame comment »), créé en 2002 et véritable mouvement générationnel, illustré par les noms de Gianina Cărbunariu*, Andreea Vălean, Vera Ion, Ana Mărgineanu, Nicoleta Esinencu*, ce sont les femmes qui imposent un changement de ton et de codes esthétiques. Les femmes, facteurs dynamiques du paysage théâtral, y occupent une place prépondérante comme auteurs et metteurs en scène. Ainsi, après quelques coups d’éclat dus à Saviana Stănescu* ou à Alina Nelega*, une nouvelle génération de dramaturges-réalisatrices surgit, souvent décriée parce que, turbulente, violente, elle ne respecte pas les codes du passé, ose employer les mots tels qu’ils sont, et derrière ceux-ci, décrire une réalité brute, immédiate et sans fard. En dehors de ces traits stylistiques communs qui peuvent choquer des sensibilités trop traditionnelles, il ne faut pas oublier l’essentiel ; en effet, les raisons de leur colère, parfois désordonnée et provocatrice, sont presque toujours les mêmes : désillusion, dégoût de la société consumériste mais aussi des anciennes idéologies, recherche de nouveaux repères. Et dans une dernière tendance apparue pendant ces temps de crise et de désarroi qui intensifient l’appel à un nouveau type de théâtre et à la réinvention d’un théâtre-document, social et engagé, ce sont encore quelques noms de jeunes femmes qui s’imposent sur le devant de la scène.

Mirella PATUREAU

ALTERESCU S. (dir.), Istoria Teatrului în România, 1919-1944, t. 3, Bucarest, Academiei, 1973 ; GHIŢULESCU M., Istoria dramaturgiei române contemporane, 1900-2000, Bucarest, Albatros, 2000 ; MASSOFF I., Teatrul românesc, privire istorică, t. 1 et 2, Bucarest, Pentru literatură, 1961, 1966.

THÉÂTRE [Russie XVIIIe-XXIe siècle]

Dès la fin du XVIIIe siècle, les femmes de Russie se sont illustrées dans les théâtres de serfs organisés par les nobles dans leurs propriétés. Ainsi, Praskovia Jemtchougova (1768-1803), paysanne élevée dans la maison des comtes Cheremetiev, devient la première actrice et chanteuse lyrique de leur théâtre à Kouskovo, avant de recevoir sa liberté en 1798. Entre humiliations et gloire, sa vie d’actrice et de femme révèle les particularités de la situation des comédiennes en Russie où elles sont à la fois abaissées et adulées. Les plus grands poètes et écrivains russes leur ont consacré poèmes et essais. C’est dire l’importance de la place qu’elles tiennent dans la vie culturelle russe. Les auteurs de théâtre – Ostrovski (Innocents coupables), Tchekhov (La Mouette) – écrivent des rôles destinés à des comédiennes précises et leur confient des personnages forts.

La première actrice de l’école réaliste russe, Ekaterina Semionova (1786-1849), est issue d’une famille de serfs. Après une carrière à succès où elle rivalise avec Mlle George, qui joue alors à Saint-Pétersbourg, elle épouse le prince Gagarine. Au XIXe siècle, dans les théâtres impériaux, les actrices font le plus souvent partie de grandes familles ou de dynasties de théâtre : Alexandra Karatyguina (1802-1880) ; Glikeria Fedotova* ; Olga Sadovskaïa (1849-1919), que Stanislavski considère comme « la pierre précieuse du théâtre russe » ; Maria Savina (1854-1915), qui se fait connaître jusqu’à Berlin et qui, comme beaucoup de ses consœurs, ajoute à son œuvre théâtrale une intense activité sociale pour défendre la profession d’acteur.

Les comédiennes sont souvent très engagées dans leur travail. Varvara Assenkova (1817-1841), remarquable actrice de vaudeville sous le règne de Nicolas Ier, appréciée tant dans des rôles de travesti que comme première interprète d’Ophélie, assure à elle seule le succès des spectacles. Polina Strepetova (1850-1903), interprète de femmes des couches populaires, est renvoyée plusieurs fois du théâtre Alexandrinski ; Vera Komissarjevskaïa (1864-1910), quant à elle, le quitte pour ouvrir son propre théâtre. Et si Ekaterina Rochtchina-Insarova (1883-1970) émigre après la révolution, Maria Ermolova* (1853-1928) devient artiste du peuple de l’URSS.

Quand commence à se développer le rôle du metteur en scène, les actrices sont souvent associées en tant qu’épouses à leur carrière. Ainsi Maria Lilina* demeure dans l’ombre de Stanislavski et Alissa Koonen* règne sur le théâtre de Taïrov. Les grandes comédiennes de la période soviétique incarnent des héroïnes nouvelles : Vera Pachennaïa (1887-1962) assume le rôle-titre de Lioubov Iarovaïa, pièce de Trenev. Elles sont souvent membres du Parti, comme Klavdia Elanskaïa (1898-1972) et Alla Tarassova*, qui est également députée au Soviet suprême. D’autres interprètent avec un art neuf de la composition contrastée des personnages complexes et sont dites actrices « excentriques » : Ioudif Glizer (1904-1968), Serafina Birman (1890-1976), Faïna Ranevskaia (1896-1984), Elena Tiapkina (1900-1984). Malgré le fait que les écoles de théâtre créées après la révolution accueillent garçons et filles pour des formations longues dans toutes les professions relatives aux arts de la scène, on compte peu de femmes metteurs en scène en Russie. L’une des premières, Nina Litovtskaïa, épouse de l’acteur Katchalov, est plutôt assistante et répétitrice. En 1920, Natalia Sats (1903-1993) ouvre et dirige à Moscou le premier théâtre pour enfants, avant de fonder, en 1965, le premier théâtre musical pour enfants qui aujourd’hui porte son nom. Maria Knebel* dirige le Théâtre central pour enfants dans les années 1950. À Moscou, Galina Voltchek, metteur en scène principal au théâtre Sovremmenik, et Henrietta Ianovskaïa*, directrice du théâtre du Jeune spectateur, continuent de représenter des exceptions dans la profession de metteur en scène, ainsi qu’en province Vera Efremova, metteur en scène principale du théâtre de Tver depuis 1974, et Tatiana Frolova, directrice du théâtre de Komsomolsk-sur-l’Amour.

Depuis Alexandra Exter* et Lioubov Popova*, les célèbres « constructrices » et leaders dans le renouvellement du décor de théâtre, peu de femmes (notons cependant Sofia Iounovitch et Nadejda Bakhvalova au théâtre Okolo) ont laissé des traces marquantes dans la scénographie. En revanche, beaucoup sont devenues de grandes costumières de théâtre et travaillent à égalité avec les scénographes : Valentina Komolova, Maria Danilova, Olga Koulaguina, Olga Reznichenko, Irina Cherednikova. Mais les femmes ont joué et jouent d’autres rôles très importants dans les équipes de création, dans les troupes et dans la riche vie théâtrale russe : secrétaires, assistantes, organisatrices, fondatrices et rédactrices de revues, pédagogues, critiques et théâtrologues, telles Natalia Krymova (1930-2003), Alla Mikhaïlova, Irina Ouvarova, Maia Tourovskaïa, Rimma Kretchetova, Dina Schwartz. Elles forment d’infatigables bataillons sur lesquels reposent la force de résistance, la vitalité et la diffusion du théâtre russe aux XXe et XXIe siècles.

Totalement absente de ce domaine jusqu’au début du XXe siècle (Marina Tsvetaïeva*), c’est surtout vers la fin de ce dernier que l’activité des femmes russes se déploie dans la dramaturgie (mouvement dit de la nouvelle dramaturgie et du théâtre documentaire). Les directions sont assez hétérogènes : fantastique et rêve (Nina Sadour*), description crue des rapports humains (Ekaterina Narshi). Les pièces de Ludmila Petrouchevskaïa* demeurent parmi les plus innovantes.

Succédant à la génération des Alla Demidova* (théâtre Taganka) et Ina Tchourikova (théâtre Lenkom), les comédiennes de l’atelier Fomenko sont devenues des figures marquantes de la société de la perestroïka (Polina Agureïeva, Galina Tiounina, Madlena Djabraïlova et les jumelles Ksenia et Polina Koutepova). Les traditions du XIXe siècle perdurent en Russie où le public témoigne toujours de son amour pour les artistes par des fleurs ou des cadeaux offerts au moment des saluts. Sans doute des foules enthousiastes n’attendent-elles plus dans la rue la sortie d’une V. Komissarjevskaïa, mais comme au long du XIXe siècle, les grandes actrices sont au XXe siècle les représentantes sensibles des transformations de la société et du statut des femmes : elles ont symbolisé, chaque fois que c’était possible, un esprit de liberté souvent matérialisé par leur action en dehors du plateau, leurs prises de position dans les débats, leurs écrits et leurs cours.

Béatrice PICON-VALLIN

THÉÂTRE [Slovaquie XIXe-XXIe siècle]

L’histoire des femmes dans le théâtre slovaque commence au XIXe siècle. Les divertissements sont alors assurés par des troupes invitées, venant d’Allemagne ou d’Italie. Seules existent, dans les petites villes, des représentations d’amateurs lors de bals, de fêtes religieuses et dans des institutions scolaires indépendantes. Après l’effondrement du régime féodal austro-hongrois et la constitution de la première République démocratique tchécoslovaque en 1918, des institutions professionnelles slovaques sont instaurées.

On peut décrire deux étapes de la venue des femmes dans le théâtre : lors de la première étape, au cours du XIXe siècle, les femmes s’engagent dans l’activité théâtrale sporadiquement, la plupart en fonction de leur prise de conscience patriotique, mais elles doivent recevoir l’assentiment de leurs parents. La première actrice slovaque, Anička Jurkovičová*, apparaît en 1841 au Théâtre national slovaque de Nitra. Avec elle, les deux sœurs Koleni (Anna et Zuzana Koléniová), Zuzana Dubovská et d’autres. Les femmes mariées commencent à jouer au cours des années 1870. La plupart tiennent des rôles graves ou dignes, ou récitent des poèmes nationaux. Le théâtre n’a pas encore de fonction esthétique mais éthique, éducative et patriotique. Il ne s’agit pas de savoir ce qui se joue, le répertoire étant la plupart du temps de médiocre qualité, mais pourquoi l’on joue, ce que l’on veut démontrer, à savoir que la nation vit et crée, même dans d’âpres conditions. Le théâtre slovaque compte une dizaine de ces actrices patriotes. Elles appartiennent à des familles bourgeoises et ouvrières, ce sont des filles d’instituteurs ou de prêtres évangélistes, comme Božena et Marína Hodžová, Mariana Miková, Antónia Meličková, Anna Kohútová, Anna Kašovicová, Marína Oľga Horváthová, PaulínaViestová, Anna Mudroňová, Mária Pietrová. Le théâtre amateur le plus affirmé, joué par le Chœur slovaque de Martin, tient lieu de théâtre professionnel. Le théâtre amateur est présent dans les villes slovaques et à Budapest où vit une forte minorité slovaque. En 1869, les femmes fondent leur propre groupe, Živena, à Martin, dans le but de développer le slovaque, améliorer les conditions des femmes, cultiver le patriotisme, partager des activités culturelles et organiser des représentations. Ce groupe soutient les femmes qui étudient dans les universités étrangères.

La seconde étape, celle d’après 1918, voit la fondation du Théâtre national slovaque professionnel à Bratislava avec trois troupes (drame, opéra, ballet). Le début du XXe siècle apporte un changement radical dans la position des femmes. Les premières décennies sont consacrées à l’émancipation. Des actrices professionnelles accèdent à la scène : leur but premier étant de jouer, d’attirer l’attention de l’assistance et de divertir. Dans l’enceinte du Théâtre national slovaque, on ne se consacre pas à un pur divertissement, mais à un but hautement artistique, dans lequel excellent des femmes éduquées et instruites, comme Hana Meličková* et Oľga Országhová-Borodáčová qui ont joué un rôle primordial dans le répertoire mondial et national. Elles acquièrent, dans leur profession d’actrice, honneur et reconnaissance du public.

La première moitié du XXe siècle est surtout dominée par le drame et l’opéra. L’opérette et le cabaret se tiennent à la périphérie. Après 1939, date de la création de la première République slovaque, lorsque le Théâtre national slovaque s’affirme, apparaissent de nouvelles troupes permanentes, à Nitra, Prešov et Martin. Après la rupture de 1945 et lors de l’expansion économique de la Slovaquie des années 1950 et 1960, avec sa modernisation et ses changements structurels importants, la présence des femmes évolue au théâtre et au cinéma. Elles sont appréhendées comme de vraies femmes, avec leurs problèmes, leur caractère tragique et leurs défauts. Enfin, d’autres contraintes s’effacent et la femme-actrice peut être à la fois hautement morale, raisonnable et sensuelle. Elle peut avoir un grand cœur ou au contraire jouer les courtisanes. En Slovaquie, on apprécie beaucoup la voix enjouée de Naďa Hejná (1906-1994), mais aussi celle suave, parfois naïve, de Mária Kráľovičová (1927), ainsi que le talent riche et émouvant de Božidara Turzonovová (1942). Les sœurs Emília et Magda Vášáryová* (1942 et 1948) excellent dans de nombreuses mises en scène, campant des rôles d’irresponsables et de rebelles aux hommes. Beaucoup d’actrices sont populaires au théâtre, au cinéma, à la radio et à la télévision : Viera Strnisková (1929), Kveta Stražanová (1942), Soňa Valentová (1946), Zuzana Kronerová (1952), Eva Pavlíková (1960). Zdena Studenková (1954) est considérée comme la Marilyn Monroe* slovaque en raison de son comportement et de son style de vie.

Au XXIe siècle, de plus en plus de ressemblances entre les actrices slovaques et leurs collègues de l’Europe occidentale se font jour, avec quelques différences culturelles : elles ont les mêmes soucis, les mêmes espoirs, mais elles créent dans une petite aire culturelle, ce qui les gêne dans l’appréhension d’une conscience européenne plus large.

Milos MISTRÍK et Danièle MONMARTE

THÉÂTRE [Slovénie XIXe-XXIe siècle]

Les femmes, traditionnellement minoritaires dans la société slovène qui, comme partout en Europe, est dominée par les hommes, s’imposent progressivement vers la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Quelques peintres, quelques poétesses, écrivaines ou journalistes apparaissent sur la scène publique. Dans le domaine du spectacle vivant, ce sont des comédiennes et des danseuses, classiques ou modernes.

Après la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement communiste pose l’égalité des sexes comme principe. Les femmes ont leur propre travail et leur propre salaire. Rares sont celles qui vivent des ressources de leur conjoint. Dans les écoles d’art, les femmes ne sont plus des exceptions, et elles sont tout aussi reconnues et respectées que les hommes en tant qu’artistes. Dans le domaine du spectacle vivant, les artistes slovènes s’affirment comme des innovatrices, dans l’enseignement artistique comme dans la direction d’un certain nombre d’institutions théâtrales. Dans les années 1950 et 1960 apparaissent les premières scènes expérimentales et de recherche, où les femmes – metteurs en scène et comédiennes – se montrent les plus audacieuses. Deux d’entre elles fondent deux nouvelles scènes à Ljubljana : Balbina Battelino Baranovič* fonde le Théâtre expérimental, premier théâtre de ce type sur le territoire yougoslave de l’époque, et Draga Ahačič (1924), le théâtre Ad hoc, deux structures où elles explorent les nouvelles formes d’expression théâtrale. À la même époque, Mija Janžekovič (1930) est la seule femme à se lancer dans la mise en scène des jeunes auteurs dramatiques sur la Scène 57, premier lieu de la nouvelle dramaturgie slovène, fondé en 1957.

Dans le domaine de la critique théâtrale, dominée par les hommes, il faut mentionner Rapa Šuklje (1923), grande dame dont les écrits sur le théâtre couvrent toute la deuxième moitié du XXe siècle, et qui est toujours active aujourd’hui, souvent beaucoup plus cosmopolite, raffinée et ouverte aux formes nouvelles que ses collègues masculins. Les grandes actrices sont sans doute plus emblématiques du théâtre slovène que les acteurs, notamment, avant et après-guerre : Marija Vera*, Marija Nablocka (1890-1969), Sava Sever (1905-1979), Duša Počkaj (1924-1982), Majda Potokar (1930-2001), Štefka Drolc (1923), Ivanka Mežan (1926), Iva Zupančič (1931), ou encore Mira Sardoč (1930-2008) et Lidija Kozlovič (1938-2009). À la fin des années 1960 apparaissent des comédiennes novatrices, engagées dans le domaine de la recherche et des spectacles d’anthologie, telles Alja Tkačeva (1934-1991), Jožica Avbelj (1951), Milena Zupančič (1946), Olga Kacjan (1952), Marinka Štern (1947) ou Milada Kalezić (1954). Parmi les générations récentes, les metteurs en scène se font plus rares : Barbara Novakovič-Kolenc (1963) dans le domaine du théâtre indépendant et de recherche, et Mateja Koležnik (1962), Barbara Hieng-Samobor (1961)ou Katja Pegan (1965) dans les institutions. Les deux dernières dirigent aussi deux théâtres, le théâtre de la Ville à Ljubljana (MGL) et le théâtre de Koper. Parmi les auteures dramatiques, Draga Potočnjak (1958), Saša Pavček (1960) sont également comédiennes, et Svetlana Makarovič*, la plus importante poétesse slovène, a commencé sa carrière comme comédienne et a également écrit pour le théâtre de nombreuses pièces pour enfants et des pièces poétiques.

Le théâtre slovène compte aussi d’importantes créatrices de costumes : Mija Jarc (1911-1989), Alenka Bartl (1930) et Meta Hočevar*, qui est aussi la plus importante scénographe slovène. Dans ces métiers, les hommes sont beaucoup moins présents que les femmes. Un autre métier du théâtre est largement dominé par les femmes, celui de conseiller dramaturgique : actuellement, dans les théâtres slovènes, à deux exceptions près, tous les postes sont occupés par des femmes.

Jana PAVLIČ

THÉÂTRE [Suède XVIIe-XXIe siècle]

Pour les premières troupes de théâtre et le corps de ballet suédois formés au milieu du XVIIe siècle, la reine Christine de Suède* (1626-1689), qui invite Descartes à sa cour, établit les premières bases de l’art de la scène. Un siècle plus tard, la reine Lovisa Ulrika (1720-1782), née en Prusse et mère de Gustave III, apporte en Suède les coutumes et les traditions de la cour royale allemande. Elle modèle le théâtre et le style dit « gustavien », invite des troupes italiennes et françaises et fonde le premier théâtre permanent professionnel, financé par le budget privé de la famille royale.

À l’époque, comme partout, les troupes itinérantes ont une structure familiale et portent le nom du père, les femmes restant anonymes. L’Allemand Johan Christoffer Heusermann (citoyen suédois en 1877), qui introduit dans le pays la marionnette Polichinelle, travaille avec sa femme, Maria Wisbar. Si celle-ci chante et joue de plusieurs instruments, ses fonctions ne sont jamais précisées. La recherche théâtrale reste encore ignorante des tâches féminines dans ces théâtres modestes.

En Suède comme en Europe, le XIXe siècle est marqué par l’ouverture du théâtre à un public bourgeois et à des vedettes féminines, nationales comme internationales. Celles-ci conquièrent des positions respectées et une indépendance économique. Dans la deuxième moitié du siècle, des écrivaines acquièrent une place importante. Des dramaturges telles qu’Ann-Sofie Leffler, Frida Stéenhoff* (1865-1945) et Victoria Benedictsson* (1850-1888) écrivent des drames sur la situation des femmes qui, à une époque dominée par Henrik Ibsen et August Strindberg, arrivent à attirer un public nombreux. Le mouvement pour le droit de vote des femmes regroupe des intellectuelles et des artistes, notamment l’écrivaine Selma Lagerlöf* (1858-1940). En 1906, la tournée de la danseuse américaine Isadora Duncan* est d’une grande portée pour l’avènement de la danse moderne en Suède.

Le XXe siècle voit la position des femmes dans le milieu du théâtre aller vers une indépendance plus équilibrée dans diverses sphères. En 1938, la première directrice de la scène nationale qu’est le Dramaten (Kungliga Dramatiska Teatern, « théâtre dramatique royal ») est l’actrice Pauline Brunius (1881-1954). Le théâtre de la ville de Stockholm (1960) a une directrice dynamique, Vivica Bandler* (1917-2004), qui, entre 1969 et 1980, crée un répertoire fort, faisant de ce théâtre la scène la plus intéressante de Suède. Elle organise une scène particulière pour le jeune public, Unga Klara (« jeune Claire »), dont la directrice artistique est Suzanne Osten* (1944). Depuis 2009, la scène nationale a sa deuxième directrice, Marie-Louise Ekman (1944), peintre, scénographe et ancienne directrice du Kungliga Konsthögskolan (« institut des beaux-arts »). Dans le domaine de la danse, les femmes gardent pendant le XXsiècle une position très forte, avec Birgit Cullberg* (1908-1999), fondatrice du Ballet Cullberg, et Birgit Åkesson* (1908), représentante d’un style plus pur, moderniste, et mère artistique de la génération suivante : Margaretha Åsberg (1939), Efva Lilja (1956), Eva Lundqvist.

Les femmes accèdent à de nouveaux domaines, comme la scénographie. Bente Lykke Møller (1956) propose des scénographies d’une grande force minimaliste et Ulla Kassius (1951), des travaux scénographiques d’un dénuement raffiné. L’art de l’éclairage se développe rapidement, surtout dans la danse, avec les nouvelles technologies virtuelles, dont Ellen Ruge tire remarquablement parti. Les programmes gouvernementaux encouragent les femmes à s’investir dans des postes dirigeants, là où la domination masculine reste toujours stable. Dans le domaine de la mise en scène, on tend vers la parité. Dans le domaine de l’écriture pour la scène, les femmes gardent une place importante depuis le XIXsiècle. La période florissante des années 1970 voit naître un parnasse féminin, avec S. Osten, Margareta Garpe (1944) et la poétesse Kristina Lugn* (1948). La génération suivante en offre un nombre encore plus imposant : Sofia Fredén (1968), Martina Montelius (1975), Marja Unge, dans une tradition plus proche du réalisme, et Christina Ouzounidis (1969), marquée par une perspective philosophique et linguistique.

Margareta SORENSON

THÉÂTRE [Suisse XXe-XXIe siècle]

Quelques membres du Syndicat suisse romand du spectacle (SSRS) fondent, en 1987, l’association Femmes de théâtre, afin de soutenir le travail des femmes engagées dans les arts de la scène. Majoritaires à 60 % environ, les comédiennes peinent en effet tout particulièrement à trouver de l’emploi en Suisse romande, les distributions restant à dominante masculine malgré une offre que l’écriture dramatique contemporaine tend à équilibrer. Cette situation motive la création de compagnies composées de femmes, telles que la compagnie du Revoir, qui se fait connaître en 1987 dans WC Dames, mis en scène par Anne Bisang*. Seules les directions de théâtre parviennent à atteindre la parité à Genève, voire à inverser le rapport, entre 2006 et 2011. Trois des cinq théâtres majeurs de la ville ont alors à leur tête une directrice : la même A. Bisang à la Comédie de Genève, première femme à diriger une grande institution théâtrale, Françoise Courvoisier au Poche, Maya Bösch et Michèle Pralong au théâtre du Grütli.

En Suisse italienne et en Suisse allemande, les conditions sont un peu meilleures grâce au maintien de troupes qui assurent un emploi durable. Le prestigieux Schauspielhaus de Zurich est dirigé depuis 2009 par Barbara Frey*. De 1957 à 2013, parmi les 60 lauréats de l’Anneau Hans-Reinhart, la plus haute distinction nationale dans le domaine du théâtre, ne figurent pourtant que 20 femmes : quatre d’entre elles, Marguerite Cavadaski, Gisèle Sallin, Véronique Mermoud et Yvette Théraulaz, ont fait carrière en français, et Ketty Fusco en italien.

Eric EIGENMAN

THÉÂTRE [Taïwan XVIIe-XXIe siècle]

À Taïwan, c’est à travers les formes traditionnelles que les femmes sont présentes dans l’univers du théâtre. Tant dans les troupes de nanguan que dans les compagnies de gezaixi (opéra de rue de Taïwan), la présence des femmes est majoritaire dans la mesure où les rôles principaux sont systématiquement dévolus aux femmes, qui se travestissent pour les rôles d’hommes. Ce phénomène, observé depuis la fin de la dynastie Ming, renvoie à une idéalisation des qualités masculines et féminines réunies dans le corps de l’actrice, dans un geste transgressif exutoire qui séduit un public féminin vivant dans une société très patriarcale.

Les créatrices théâtrales aujourd’hui occupent sur scène une position dominante, laissant aux hommes l’enseignement et la recherche. C’est à partir des années 1980 qu’apparaît la première troupe de théâtre expérimental, Lan Ling Theatre Workshop, qui est le berceau de plusieurs femmes de théâtre. Au milieu des années 1990, avec l’émergence des mouvements féministes, les femmes metteurs en scène abordent dans leur travail les thèmes liés au pouvoir masculin et au poids des traditions confucéennes dans le cercle familial. Pour se défaire du silence dans lequel est maintenu par les médias leur travail créatif au profit exclusif des hommes, des femmes comme Fu Yu-hway montent Nu jie (Taiwan Women Theatre Festival), premier événement quadriennal produit et organisé exclusivement par des femmes. L’année 1996 marque ainsi un tournant important dans le développement du théâtre féminin. Au-delà de la critique de la société machiste et conservatrice, est abordée une approche libérée de la féminité dans son ensemble et la dénonciation des tabous liés à l’homosexualité féminine ou à la sexualité féminine. Le second événement majeur se produit en 1997 avec la fondation de Creative Society, nouvelle structure qui réunit six intellectuels, hommes et femmes, du théâtre contemporain et d’avant-garde, issus de diverses petites compagnies et de l’enseignement universitaire, dans le but de fédérer les énergies de ce milieu jusque-là dispersées. Elle se présente comme un organe de production et de création pour venir en aide tour à tour à chacun de ses membres. À la différence du festival du théâtre féminin de 1996, la philosophie de la Creative Society est d’inscrire son action dans une diversité créatrice, à l’écart d’une exclusive féministe, et de sortir la création féminine d’un bouillonnement fécond mais quelque peu brouillon. Aujourd’hui issues de toutes ces petites formes du théâtre féminin, des metteurs en scène présentent des créations se référant aux codes du théâtre d’avant-garde, tout en y intégrant des matériaux issus de la culture taïwanaise traditionnelle et populaire qui peuvent fusionner avec un orchestre occidental. Ce mélange, pour le moins étonnant, est devenu une des caractéristiques du théâtre taïwanais en général, croisant différentes disciplines et techniques taïwanaises et occidentales, comme le théâtre, le cinéma et l’opéra, dans une recherche d’identité esthétique toujours en devenir. Cette recherche se fonde aussi sur un travail de mise en scène basé sur l’improvisation, aspect de la création qui révèle une rupture avec l’opéra chinois traditionnel appuyé sur des codes très précis et une absence d’improvisation. En effet, cette codification de chaque action dispense de la présence d’un metteur en scène, tant la simple lecture d’un livret en induit toute la mise en scène.

Un élément important de ce milieu réside dans les opportunités économiques qui sont proposées aux metteurs en scène. Tributaires d’un subventionnement et d’un mécénat aléatoires et plutôt centralisés sur Taipei, elles ne connaissent pas la stabilité nécessaire pour envisager un travail sur le long terme avec des équipes permanentes. Les principaux théâtres de petite forme, tous créés par des femmes, se trouvent dans le sud de Taïwan.

LIAO LIN-NI

THÉÂTRE [Ukraine XVIIe-XXIe siècle]

Les femmes ont joué un rôle très important dans l’affirmation et l’évolution du théâtre ukrainien, sur lequel les premiers documents remontent au XVIIe siècle. Caractérisé par une forte recherche d’identité, il trouve son origine au croisement de différentes cultures (russe, polonaise, austro-hongroise). En même temps, le théâtre a dû combattre pour son existence du fait des contraintes extérieures (interdiction fréquente de la langue ukrainienne par le tsar). La complexité de la situation a fortement marqué la culture et le théâtre de ce pays, développé une résistance créatrice et déterminé l’exigence des actrices, pédagogues, historiennes et dramaturges ukrainiennes qui s’occupent du développement de la théâtralité, de son maintien et de sa diffusion : souvent leur travail a une signification politique au-delà de la seule dimension esthétique.

La présence des femmes dans le milieu théâtral ukrainien est très ancienne, et leur condition a influencé leur participation à la vie théâtrale, où elles trouvent un moyen d’expression ouvert. Au XIXe siècle, l’origine sociale de certaines comédiennes, issues de familles paysannes, n’entrave pas leur carrière et permet même au théâtre ukrainien de s’enraciner, dans un premier temps, dans le folklore des villages auquel toute une communauté participe.

À mesure que le théâtre ukrainien se professionnalise, avec la fondation de troupes comme le théâtre des Coryphées, des comédiennes se consacrent à l’interprétation des premières héroïnes de la dramaturgie ukrainienne. Lioubov Pavlovna Lynitska, Maria Karpovna Sadovska-Barilotti (1855-1991), Ekaterina Andreevna Rubtsakova, Filomena Nikolaevna Lopatinska, Mariia Michaïlovna Starytska apportent une grande contribution à l’évolution de l’art de l’acteur et à la diffusion du théâtre dramatique, notamment dans le cadre de tournées appréciées à Moscou et Saint-Pétersbourg. Le premier théâtre permanent ukrainien est fondé à Kiev à l’initiative de Maria Zankovetska (1854-1934), après son refus de faire partie des Théâtres impériaux. En ce qui concerne la dramaturgie, l’œuvre de Lesia Oukraïnka* reste incontournable pour la force avec laquelle elle a élevé la littérature dramatique ukrainienne au niveau mondial. Dans les années 1920, des théâtres académiques sont fondés et des actrices contribuent à faire rayonner le théâtre ukrainien (Sofia Vladimirovna Fedorsteva, Natalia Ouzviï*, Valentina Tchistiakova*, Natalia Vasilivna Lotostka, Anna Ivanovna Boriskolebska, Olga Iakovlevna Kysenko, Ioulia Semionova Tkiatchenko).

Durant la période soviétique, la scène ukrainienne est dominée par le théâtre Berezil de Les Kourbas : les femmes y travaillent à la création d’une culture ukrainienne indépendante de la tendance pro-russe et des manifestations populaires trop expressives. L’énorme élan donné par le projet de L. Kourbas à la création d’une culture nationale ukrainienne de niveau européen permet la formation d’actrices, qui, après la suppression du collectif, enseignent dans les instituts théâtraux les plus importants, en contribuant à émousser le caractère provincial du théâtre ukrainien et en donnant un élan exceptionnel à de nouvelles générations d’acteurs.

Après la dissolution de l’Union soviétique, alors que le pays souffre de l’instabilité politique et sociale, les femmes occupent des postes importants dans les théâtres conventionnels tels que le centre national Les Kourbas, l’institut Karpenko-Karyï et la Société ukrainienne du théâtre.

Erica FACCIOLI

THÉÂTRE – ADAPTATRICES ET TRADUCTRICES [XXe-XXIe siècle]

Avant les années 1960, les femmes n’ont guère accès à la mise en scène et à l’écriture dramatique et signent peu d’adaptations, à l’exception de contes et récits pour le jeune public. L’adaptation, explorant de nouvelles potentialités scéniques ou permettant de réinterroger les œuvres, enrichit la scène contemporaine. Dès 1976, Simone Benmussa* transpose à la scène les textes de Virginia Woolf*, de Gertrude Stein*, de Nathalie Sarraute*, suivie par Anne-Marie Lazarini (Un silence à soi d’après V. Woolf), Viviane Théophilidès (Ida d’après G. Stein). En 1979, Ariane Mnouchkine* réalise l’adaptation et la mise en scène de Mephisto, roman de Klaus Mann.

Certaines adaptatrices optent pour le simple montage de textes ou de documents originaux : soit le texte est préalable à la mise en scène (Jeanne Champagne, Trilogie de Jules Vallès en 1998 ; les écrits politiques de George Sand* en 2004), soit le spectacle est composé directement au plateau (Chantal Morel* avec Dostoïevski). D’autres réalisent une recomposition libre par rapport à l’œuvre de départ : quand Hélène Cixous* écrit La Ville parjure ou le Réveil des Érinyes pour A. Mnouchkine, elle s’inspire de très loin des Euménides d’Eschyle et signe une création à part entière sur des thèmes contemporains comme la chute de l’Empire soviétique et l’affaire du sang contaminé. Helgard Haug en Allemagne injecte dans Wallenstein de Schiller des personnalités d’aujourd’hui et la Lettone Banuta Rubess monte Escape from Troy : Les Troyennes revue à l’aune de l’histoire de son pays. Gilberte Tsaï* propose un parcours sensible dans l’œuvre d’un écrivain : Conversation entre onze heures et minuit d’après Balzac (1996). Isabelle Pousseur* réalise Le Géomètre et le Messager d’après Le Château de Kafka (Avignon 1988).

Des metteurs en scène choisissent de mettre en lumière les femmes oubliées de l’histoire, ainsi Anne Delbée avec Camille Claudel* (1982) ; d’autres explorent les sources de la littérature et du théâtre et revisitent des figures telles que Phèdre : Maricla Boggio en Italie ; Magda Puyo en Espagne (Fedra+Hipolit d’après Sarah Kane* et Racine). Cette dernière aborde aussi Médée (Medea Mix, 1995) tout comme Emma Dante en Italie, Christa Wolf* ou Dea Loher en Allemagne. Elfriede Jelinek* prolonge l’intrigue de Maison de poupée d’Ibsen avec Nora ou ce qu’il advint quand elle eut quitté son mari et le soutien de la société. Certaines auteures réalisent leurs propres adaptations : Marguerite Duras* écrit L’Éden cinéma (1977), pièce fleuve inspirée de son roman Un barrage contre le Pacifique. Liliane Atlan* adapte au théâtre ses récits autobiographiques et ses vidéo-textes. Avec La Dernière Interview (2010), Catherine Boskowitz propose un dialogue entre Jean Genet et Dieudonné Niangouna. Certaines partent d’autres univers comme Anne Bogart aux États-Unis qui compose Hotel Cassiopeia d’après l’œuvre visuelle de Joseph Cornell (2006) ou Martine Wijckaert* en Belgique qui écrit Ce qui est en train de se dire à partir de La Passion selon saint Jean de Bach (2002).

La traduction théâtrale a longtemps été confondue avec l’adaptation, parce qu’elle tendait à transposer le texte source dans le contexte du pays dans lequel la pièce est portée à la scène. Désormais, traductrices et traducteurs de théâtre prennent le contrepied de ce qu’on a appelé les « traductions à la française », qui gommaient l’étrangeté, l’altérité du texte original. Les retraductions elles aussi respectent au plus près la langue d’origine. À l’instar d’une des premières traductrices de théâtre, Anne Dacier, qui en 1683 livra des versions en langue moderne des comédies de Plaute et d’Aristophane loin des traductions savantes ou ampoulées de l’époque, les femmes se tournent désormais vers cette discipline et sont aujourd’hui plus nombreuses que les hommes. Aux côtés de traductrices du répertoire classique aussi connues que Florence Dupont* (Plaute, Sénèque), Florence Delay* (Calderon), Hélène Henry* (Tchekhov), d’autres participent à la découverte de pièces contemporaines étrangères (Mirella Patureau, Virginie Symaniec). Elles contribuent notamment à ouvrir les scènes francophones à des auteures telles que Caryl Churchill* (Isabelle Famchon), Naomie Wallace* (Dominique Hollier), Zinnie Harris (Blandine Pélissier et D. Hollier), Anja Hilling (Silvia Berutti-Ronelt), Lucy Caldwell (Séverine Magois). D’autre part, certaines auteures dramatiques se laissent parfois tenter par la traduction : M. Duras, Noëlle Renaude, Pauline Sales, Karin Serres*.

Mireille DAVIDOVICI

THÉÂTRE – ARCHITECTES [France XXe-XXIe siècle]

THÉÂTRE – COMÉDIENNES [Hongrie XIXe-XXe siècle]

Même si les origines du théâtre hongrois sont plus anciennes, si l’on prend en considération les théâtres scolaires, la première troupe en langue hongroise n’a été créée qu’en 1790, à une époque où les citadins avaient fait connaissance avec le théâtre par le biais de troupes allemandes, ambulantes ou fixes. Il n’existait alors ni répertoire, ni lieux, ni troupes pour un théâtre hongrois. Ainsi, les nombreuses troupes ambulantes qui ont vu le jour et sillonné le pays au début du XIXe siècle ont joué un rôle essentiel dans la lutte pour l’indépendance nationale et linguistique du pays ; en outre les adaptations des grandes œuvres ont été décisives dans la réforme de la langue.

Le début du XIXe siècle donne déjà naissance à une série de grandes œuvres comme la première tragédie nationale, Bánk bán de József Katona, ou les premiers opéras de Ferenc Erkel. Avec le compromis austro-hongrois (1867) commence une floraison culturelle où se distinguent théâtres et actrices. Toutes sortes d’œuvres sont créées en hongrois, dont des drames populaires alors très à la mode, qui ont permis de sauvegarder un trésor folklorique et de valoriser des actrices comme Lujza Blaha* ou Mari Jászai*. Au tournant du XXe siècle, la construction d’un réseau de théâtres favorise la diversification des répertoires dans différentes salles : à Budapest, on inaugure le Népszinház (« théâtre du peuple », 1875) ; l’Opéra (1884) ; le Vígszínház (« la gaieté », 1896) ; le Népopera (« opéra du peuple », 1911) ; le fameux théâtre des Opérettes (1922), qui subsiste toujours. En 1920, le Vígszínház, premier théâtre bourgeois entièrement privé de la capitale, présente des pièces de Tchekhov ou de Pirandello. C’est avant tout pour cette troupe que Ferenc Molnár a écrit ses pièces, qui selon certains sociologues ont servi de modèle à la bourgeoisie.

Emblèmes de la nation

Les grandes vedettes féminines ont joué un rôle décisif dans ce processus. Leurs carrières embrassent une longue période, du début du XIXe siècle aux années 1980. Au moment de la naissance du théâtre de langue hongroise, elles ont pu symboliser l’importance du parler hongrois et s’ériger en emblèmes de la nation. Ainsi est né le culte des acteurs et de la prima donna. En jouant en hongrois, en créant des rôles dans des pièces écrites en langue nationale, des figures mythiques comme L. Blaha, « le Rossignol de la nation », ou Róza Széppataki* (alias Mme Déry) ont promu le théâtre en général et servi de modèles à plusieurs générations. Autre figure légendaire, Róza Laborfalvi* a participé à la vie publique et est devenue, avec son mari, le romancier Mór Jókai, un emblème de la révolution de mars 1848. Le cas de M. Jászai, la « Sarah Bernhardt hongroise », montre combien la personnalité des actrices peut avoir une influence sur la société. Venant d’une famille pauvre, cette tragédienne d’envergure nationale symbolisait les possibilités d’ascension sociale par la culture. Elle pouvait user de son nom en faveur de grandes causes, comme les droits politiques des femmes.

Idoles porteuses de sens

Les plus grandes figures de la scène ont écrit leurs journaux, des Mémoires, des articles relatifs aux grands mouvements d’idées. Ce rôle de porte-parole des grandes causes a changé au XXe siècle, mais l’importance des actrices demeure. Ainsi, la grande prima donna Hanna Honthy* a fini par devenir le symbole de l’opérette, genre dominant et emblématique de la monarchie austro-hongroise, le symbole d’une Hongrie heureuse, dansant et chantant sous François-Joseph, ainsi que de la belle vie dans le Budapest de jadis – images erronées, mais d’autant plus puissantes.

À partir des années 1960, un certain libéralisme culturel se met en place. Les personnages héroïques commencent à côtoyer des figures grotesques, et le ton des pièces devient plus varié. De grandes comédiennes extrêmement populaires, comme Klári Tolnay*, Hilda Gobbi* ou Éva Ruttkai*, jouent un rôle majeur, non seulement en attirant le public au théâtre, mais en devenant des idoles porteuses de sens. K. Tolnay, qui a joué la petite ingénue dans les films commerciaux légendaires d’avant-guerre, évoque par son visage et sa voix cette autre période révolue, qui suscite à son tour de nouveaux sentiments nostalgiques. H. Gobbi, ayant participé elle-même au mouvement ouvrier et à la libération de Budapest en 1945, représente, avec sa forte carrure et sa voix grave, la femme forte et résistante. É. Ruttkai, qui joue à perfection toutes les héroïnes bourgeoises, entre autres tous les grands rôles des pièces de F. Molnár, incarne l’élégance du monde ancien et l’humour raffiné des vaudevilles à la française. Ainsi, chacune joue son rôle à merveille pour amuser un public démoralisé, puis de plus en plus libre, mais toujours avide des souvenirs du bon vieux temps.

Ilona KOVÁCS

THÉÂTRE – ÉCLAIRAGISTES [France XXe-XXIe siècle]

THÉÂTRE – JEUNE PUBLIC [XXe-XXIe siècle]

Le théâtre pour les jeunes en France vit une forte expansion après-guerre lorsque Jean Vilar s’y intéresse après Léon Chancerel ou Jacques Copeau, en association avec l’actrice Suzanne Bing*. Dans la construction du réseau de théâtre jeune public, Catherine Dasté (1929, petite-fille de J. Copeau) est une grande pionnière : avec la compagnie La Pomme verte, fondée en 1969 à Sartrouville, elle entame une véritable politique de création théâtrale pour la jeunesse. Programmée à Avignon en 1969, elle met en scène de nombreux spectacles écrits avec des enfants.

Pour circonscrire la place des femmes au début du XXIe siècle dans le théâtre jeune public, se pose la question de leur représentativité. Les deux rapports de Reine Prat, réalisés en 2006 et 2009 pour la Direction de la musique, de la danse, du théâtre et des spectacles (DMDTS), ont pointé du doigt une situation peu équilibrée, confirmée par l’enquête de l’association Scène(s) d’enfance et d’ailleurs. Peu de femmes metteurs en scène dans les grosses productions de théâtre jeune public en France, si l’on excepte Anne-Laure Liégeois avec Le Bruit des os qui craquent de Suzanne Lebeau*, créée en 2010 à La Comédie-Française. Il faut cependant signaler que le Molière du jeune public a récompensé trois femmes en six éditions : Florence Lavaud en 2006 pour Un petit chaperon rouge ; Sylviane Fortuny en 2008 pour L’hiver quatre chiens mordent mes pieds et mes mains de Philippe Dorin ; Michèle Nguyen en 2011 pour Vy du collectif belge Travaux publics. Il en va différemment du théâtre publié. Beaucoup de collections spécialisées sont dirigées par des femmes : Françoise Du Chaxel* chez Théâtrales, Sabine Chevalier à Espaces 34, Claire David chez Actes Sud, Janine Pillot chez La Fontaine, Cécile Raphanel au Bonhomme vert et Brigitte Smadja (1955) à l’École des loisirs. Sur le total de 1 000 pièces auquel on peut estimer aujourd’hui le répertoire jeunesse français et francophone, les femmes sont également très nombreuses. Elles y ancrent et développent différents courants esthétiques puissants qu’elles contribuent à vivifier.

Du côté des dramaturgies du quotidien, on peut mentionner Nadine Brun-Cosme (1960), Fanny Carel, Sylvaine Jaoui (1962) ou encore B. Smadja avec Drôles de zèbres (1992)et surtout Bleu, blanc, gris (1995). Du côté des dramaturgies du conte, le théâtre de Catherine Anne* construit un univers mêlant parole du conte et parole sur le monde actuel, ainsi avec Ah ! Anabelle, brève pour trois (1995)ou Petit (2002). Dans Je vois des choses que vous ne voyez pas (2008), Geneviève Brisac* réécrit La Belle au Bois dormant, Caroline BaratouxLe Petit Poucet (2008), de même que Claudine Galea (1960) dans Petite Poucet (2009). Estelle Savasta avec Seule dans ma peau d’âne (2008)adapte le conte pour mieux parler du passage de l’enfance à l’âge adulte, comme Patricia Giros en son temps avait réécrit Barbe-Bleue (1989).

Ailleurs dans le monde se développe un regard sans concession, souvent dur mais affirmant une puissante parole de vie. Liliane Atlan* propose un théâtre de l’après Auschwitz, ainsi dans Monsieur Fugueou le Mal de terre, dont se rapproche Yolé Tam Gué (2000) de Nathalie Papin*. En Italie, Federica Iacobelli (1975) raconte les effets désastreux de la mafia avec Il était de mai (2009). Au Québec, Marie-LineLaplante (1953) traite de l’engrenage de la violence dans Le Garçon aux sabots (2008). Louise Bombardier (1953) explore dans Le Champ l’animalité d’un jeune homme qui fuit la guerre. Dans L’Arche de Noémie, Jasmine Dubé* livre une orpheline aux eaux de la solitude. En Suède, Suzanne Osten*, avec Per Lysander, actualise l’infanticide antique dans Les Enfants de Médée (2009). En relation avec le féminisme, l’Italienne Tiziana Lucattini (1952) explore les modes de défense de deux jeunes fillesdans Les Souliers rouges (1996) ; la Québécoise Isabelle Hubert (1970) s’en prend aux traditions machistes dans La Robe de Gulnara (2007) ; Marion Aubert* s’intéresse aux filles tuées à la naissance dans Les Orphelines (2009) et Marie Desplechin* à celles que l’on sacrifie aux traditions dans La Vraie Fille du volcan (2004). Sur des thématiques purement contemporaines (chômage, divorce, écologie), on peut lire L’Héritage de Darwin (2008) de Évelyne de La Chenelière* (1975), Aujourd’hui dimanche (2010) d’Esther Ebbo, La Terre qui ne voulait plus tourner et Autrefois, aujourd’hui, demain (2010) de F. Du Chaxel.

À ces dramaturgies du monde semblent s’opposer des dramaturgies de l’intime. Dans La Morsure de l’âne (2008), N. Papin trace un chemin de la mort à la vie. L’Acadienne Emma Haché dans Azur (2007) raconte le voyage initiatique d’un enfant mort. Dans Les Trois Petits Vieux qui ne voulaient pas mourir (2005), la Néerlandaise SuzanneVan Lohuizen (1953) s’amuse avec la mort. D’autres auteures explorent la relation aux sensations, ainsi Dominique Paquet*dans Son parfum d’avalanche (2003) ou l’Allemande Anja Hilling (1975) dans Sens (2007). En réalité, c’est entre dramaturgies du monde et dramaturgies de l’intime que se construisent les plus grandes œuvres, que l’on pourrait qualifier de dramaturgies de la quête. S. Lebeau explore des sentes humanistes avec une acuité qui n’exclut pas l’approche poétique. N. Papin construit une quête obstinée entre perte et humour, comme une métaphysique mise en fiction, dans des formes de théâtralité proches de celles du théâtre symboliste.D. Paquet met en jeu de façon détournée des personnages ou des courants de la philosophie tout en se livrant aux richesses voluptueuses de la langue. Karin Serres* cède aux délices de l’étrangeté, mettant la scène au défi d’une fantaisie parfois surréaliste. Catherine Zambon*, au plus près des êtres et de leur origine, explore des territoires intimes entre tragédie et quotidien.

Marie BERNANOCE

BERNANOCE M., À la découverte de cent et une pièces, Répertoire critique du théâtre contemporain pour la jeunesse, Montreuil-sous-Bois/Grenoble, Théâtrales/SCEREN-CRDP de Grenoble, 2006 ; ID., Vers un théâtre contagieux, Répertoire critique du théâtre contemporain pour la jeunesse, vol. 2, Montreuil-sous-Bois, Théâtrales, 2012 ; FAURE N., Le Théâtre jeune public, un nouveau répertoire, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2009 ; PLANSON C., Accompagner l’enfant dans sa découverte du spectacle, Nantes, La Scène, 2008.

THÉÂTRE – METTEUSES EN SCÈNE [France XXe-XXIe siècle]

Le mot de « metteur en scène » n’apparaît qu’en 1874, et l’accession des femmes à ce métier date du début du XXe siècle, avec Nelly Roussel (1878-1922) et Vera Starkoff*, militantes socialistes féministes, qui écrivent et font jouer leurs pièces dans les « Universités Populaires ». En 1943, Marguerite Jamois*, prenant la succession de Gaston Baty, signe les mises en scène du Théâtre Montparnasse. Marcelle Tassencourt (1914-2001) l’imite de 1952 à 1985. En 1968, à Avignon, apparaît Judith Malina*, avec le Living Theatre. Ariane Mnouchkine*, qui a commencé son travail théâtral en 1964, est reconnue comme metteuse en scène en 1970 avec 1789, après « l’explosion de 1968 ». Elle devient « une fondatrice » dans un domaine réservé aux hommes. Si les jeunes metteuses en scène peuvent se revendiquer comme « filles d’Ariane », elles doivent aussi beaucoup à Antoine Vitez, qui enseigna au Conservatoire national supérieur d’art dramatique (CNSAD) à partir de 1970. À l’École nationale supérieure des arts et techniques du théâtre (ENSATT), la section « décor et scénographie » est confiée à Claire Dehove en 1990. Mais la formation spécifique aux métiers de la mise en scène n’apparaît qu’à la fin du XXe siècle. Il existe donc un « effet générationnel ». Toutefois, l’évolution est lente. Alors qu’en 1986 Jeanne Champagne, Michèle Guigon, Anne Artigaut, Michèle Marquais, Pascale Murtin signaient un tiers des spectacles, au Festival d’Avignon, aucune metteuse en scène n’était programmée en 2006. A. Mnouchkine y a signé huit spectacles, Claire Lasne, cinq mises en scène, Geneviève de Kermabon et la marionnettiste Émilie Valantin*, quatre ; Isabelle Pousseur* fut invitée à trois reprises comme Sophie Loucachevsky* qui, elle, dénonce « la misogynie de l’institution ». On n’a vu qu’une fois Catherine Anne*, Claude Buchevald, Brigitte Jaques*, Catherine Marnas, Gilberte Tsaï, Hélène Vincent*…

Sorties des écoles nationales, elles ne se cantonnent pas à la mise en scène. Elles sont souvent des comédiennes passées à la mise en scène (B. Jaques, C. Lasne, Michèle Foucher, Sabine Anglade, Louise Doutreligne*, Camille Chamoux). Elles ont suivi des cursus universitaires (Macha Makeïeff*, Anne-Marie Lazarini*, Stéphanie Tesson), des stages chez leurs aînées (Lisa Wurmser) ou sont issues de milieux artistiques, comme Irina Brook, Anne Delbée, Jacqueline Recoing, Marion Bierry, Stéphanie Loïk, Frédérique Lazarini. Elles ont voulu accéder « à une position de maîtrise » (B. Jaques) et casser les stéréotypes. Elles théorisent peu. « Tout a déjà été écrit », dit A. Mnouchkine, qui donne à ses comédiens des « règles de base ». Toutes souhaitent « qu’on parle de leur travail artistique plutôt que de leur identité féminine ». B. Jaques assure que « le théâtre libère de soi » et transfigure « l’identité » ; Anne-Laure Liégeois et Julie Brochen*, récusant le qualificatif de « féminin », parlent de « rapport humain ». Pour A.-M. Lazarini, « mettre en scène est une affaire de désir », et Laurence Février précise : « désir d’indépendance ». Pour Muriel Mayette*, ce n’est pas simplement « diriger les comédiens », c’est « défendre une vision globale de l’œuvre ». Pour toutes, c’est un « travail d’équipe ».

Danielle DUMAS

Femmes de théâtre : pour une scène sans frontières, Études théâtrales, no 8, Centre d’études théâtrales, Université catholique de Louvain, Belgique, 1995 ; Metteuses en scène : le théâtre a-t-il un genre ? , Benhamou A.-F. (dir.), Outrescène, no 9, mai 2007.

SUREL-TURPIN M., « Les Femmes et le Théâtre », in Actes du colloque « Le patriarcat comparé et les institutions américaines », Francis McCollum Feeley (dir.), Université de Savoie à Chambéry, avril 2007.

THÉÂTRE – PASSEUSES ET CHERCHEUSES [XXe-XXIe siècle]

Des études récentes parues en France et en Amérique du Nord montrent une forte masculinisation de la profession dans le domaine de l’art dramatique. Selon un rapport pour la Direction de la musique, de la danse, du théâtre et des spectacles, les hommes dirigent 86 % des établissements d’enseignement en France. Au Canada, de 1978 à 1982, les femmes représentent 25 % des jurys des écoles. Il va sans dire que ces données conditionnent l’acte même de la transmission.

On peut repérer quatre modèles de femmes pédagogues. D’abord celui des « pédagogues passeuses », diffusant l’enseignement de maître(s) dont elles sont les proches collaboratrices ; et celui des « pédagogues spécialistes » divulguant des techniques précises (de la langue, du corps ou de la voix) ; dans ces deux cas, la légitimité de l’acte pédagogique est encore à chercher dans une étroite dépendance avec un maître ou une institution. Ce sont ensuite des « pédagogues actrices », tirant de leurs propres expériences des principes d’enseignement ; et enfin des « chercheuses », chefs de troupe et/ou metteurs en scène, qui assurent une formation globale de l’acteur en continuant d’inventer avec eux une méthode singulière. Ces deux modèles supposent un relatif et progressif affranchissement du discours de la femme pédagogue. S’il va de soi que ces caractéristiques ne sont pas exclusives – nombre de femmes occupant plusieurs de ces fonctions à la fois –, ces quatre catégories permettent de préciser le contexte de l’acte pédagogique et montrent combien le statut des femmes reste un enjeu sociétal. On peut dater des années 1960 l’apparition des « pédagogues chercheuses », alors que le modèle des « pédagogues passeuses » est plutôt l’apanage d’un XXe siècle commençant.

Maria Knebel* est la figure emblématique du modèle de la pédagogue passeuse. De même, Natalia Zvereva (1937) – qui a travaillé plus de vingt ans sous la direction de M. Knebel et enseigné le jeu de l’acteur à l’Académie russe des arts du théâtre (Gitis) – s’inscrit dans la droite ligne de cet héritage, étant d’abord reconnue pour les synthèses remarquables qu’elle produit de la recherche des maîtres qui l’ont précédée. Toutes deux montent plusieurs spectacles remarqués. La pédagogue passeuse est donc forte d’avoir été le témoin direct de l’enseignement de maîtres et de son expérience vécue. La valeur suprême de la pédagogie est alors à chercher du côté de la transmission de l’œuvre originelle d’un chercheur et découvreur. De ce fait, les pédagogues passeuses accomplissent d’abord un devoir de mémoire.

Les pédagogues spécialistes, reconnues pour leur haute maîtrise d’une technique, sont fréquemment liées à une ou plusieurs institutions. Ainsi Irina Promptova (1937), directrice du département de la voix scénique au Gitis de Moscou, ou Madeleine Marion (1929-2010), pensionnaire de la Comédie-Française, metteur en scène et pédagogue avec « l’atelier de la parole proférée » qu’elle conduit à Chaillot à la demande d’Antoine Vitez. Elle veut transmettre un peu de son expérience de la langue, de l’alexandrin classique, celui de Victor Hugo ou le vers libre de Paul Claudel. La pédagogue spécialiste entend le métier comme un exercice où l’habileté tiendrait à un patient apprentissage. Dès lors, la technique est une dimension essentielle de la création : elle explore, découvre activement et force à apparaître ce qui était latent. Mais elle reste également délibérément fragmentaire en supposant, pour une formation complète de l’acteur, l’apport conjoint d’autres pédagogues.

Tania Balachova* incarne le modèle de la pédagogue actrice. Elle commence à enseigner l’art dramatique selon sa propre méthode dès 1945 au théâtre du Vieux-Colombier en s’inspirant du réalisme psychologique de Stanislavski. Son théâtre-école est très vite réputé, des acteurs renommés comme Antoine Vitez, Delphine Seyrig*, Laurent Terzieff, Véronique Nordey ou Jean-Louis Trintignant en sortent. Elle s’entoure de quelques comédiens de renom qui assurent des cours en divers lieux, elle-même continuant d’enseigner dans son atelier jusqu’en 1973, et son assistante, Véra Gregh, lui succède. Les pédagogues actrices donnent à leur enseignement la force d’une signature. Fortes de leurs rencontres artistiques diverses et éclectiques, elles assoient leur légitimité sur la notion de métier entendu comme synthèse nécessairement subjective d’un parcours artistique. Elles constituent une famille artistique, l’excellence du lignage suffisant à dénoter la valeur de leur approche pédagogique. Ainsi les pédagogues actrices contribuent à la constitution de groupes conscients de leur commune identité professionnelle.

Depuis les années 1960, on assiste à l’émergence de pédagogues chercheuses. Le plus souvent metteurs en scène, elles conçoivent le théâtre comme un lieu utopique où un groupe, réuni par une nécessité artistique commune, veille à explorer et transformer les modèles sociaux dominants. Pour ce faire, la vie quotidienne est directement intégrée au travail théâtral, qui s’en voit à son tour transformé. Judith Malina* ou Ariane Mnouchkine* créent des collectifs d’acteurs où l’esthétique n’est pas déliée de l’éthique. Cette conviction repose sur le postulat que le choix du théâtre est d’abord choix global de vie, fait d’idéal, voire d’idéologie.

Si on peut décrypter, au travers de ces quatre modèles, les places et statuts accordés aux femmes au sein du théâtre comme dans la société, il est alors question d’un long cheminement vers l’émancipation.

Sophie LUCET

CARNICKE S. M., « Michaël Checkhov et Maria Knebel », in AUTANT-MATHIEU M.-C., Michaël Checkhov, de Moscou à Hollywood, du théâtre au cinéma, Paris L’Entretemps, 2009.

BANU G., TRIAU C. (dir.), « Les penseurs de l’enseignement, de Grotowski à Gabily », in Alternatives théâtrales, nos 70-71, 2001 ; DONNAT O., « La féminisation des pratiques culturelles », in Développement culturel, Bulletin du Département des études, de la prospective et des statistiques, no 147, juin 2005 ; OCTOBRE S., « La fabrique sexuée des goûts culturels », in Développement culturel, Bulletin du Département des études, de la prospective et des statistiques, no 150, déc. 2005.

THÉÂTRE – PHOTOGRAPHES [France]

Moins nombreuses, plus effacées que les hommes, les femmes photographes de théâtre sont assez peu connues et leur travail est rarement commenté. La photographie de théâtre est un domaine de moins en moins considéré (le numérique laissant croire à beaucoup que n’importe qui peut prendre une photographie) et conserve toujours cette image d’art se nourrissant de l’œuvre du metteur en scène.

La reconnaissance de l’œuvre photographique d’Agnès Varda* ne doit pas masquer la réalité : cette notoriété est avant tout due à la renommée de Gérard Philipe, et c’est bien au cinéma que son talent s’épanouira. Pour Martine Franck*, photographe attitrée du théâtre du Soleil, la situation n’a guère été plus enviable : Ariane Mnouchkine* « tolère » les photographes (Michèle Laurent travaille aussi au Soleil) à condition « qu’ils ne revendiquent pas le droit à la création d’une œuvre personnelle » car elle « tient à ce qu’ils respectent son œuvre ». L’immense talent de M. Franck est d’avoir réussi la quadrature du cercle : faire une œuvre personnelle en respectant les créations collectives du théâtre du Soleil.

Elles ont en commun de n’être les photographes que d’une seule aventure théâtrale et d’avoir fait l’essentiel de leur œuvre loin des scènes dramatiques. C’est de plus en plus le cas de nombreuses photographes : Martine Voyeux, Claudine Doury, Laure Vasconi, Flore font des incursions au théâtre tout en réalisant des photographies d’art dans de nombreux autres domaines. Elles ne sont pas à proprement parler des photographes de théâtre à part entière.

Ce sont Anna Birgit, Laurencine Lot, Brigitte Enguérand, Anne Gayan, qui représentent le mieux cette profession. Ces quatre photographes ont fait du théâtre la matière première de leur activité. A. Birgit a un itinéraire très particulier puisqu’elle est, de 1968 à 2002, la seule photographe salariée d’un théâtre, le théâtre de la Ville. D’origine danoise, elle impose une vision très « personnelle et poétique » qui déroute un directeur enclin à vouloir une photo « fidèle » et « valorisante » pour le spectacle plutôt qu’une œuvre sensible. B. Enguérand a créé en 1981 avec son mari une association de photographes de théâtre, le principal diffuseur durant de longues années des clichés de théâtre dans la presse. Aujourd’hui, elle travaille avec de nombreux théâtres et les metteurs en scène qu’elle a toujours suivis. L. Lot, qui a commencé sa carrière au début des années 1970, a toujours été indépendante. Elle a couvert une grande partie de la vie théâtrale avec quelques lieux de prédilection : le théâtre de l’Est parisien puis le théâtre de la Colline de Jorge Lavelli, la Comédie-Française, le théâtre du Marais de Jacques Mauclair, par exemple. Elle expose régulièrement dans les théâtres et – chose très rare dans ce métier – publie de nombreux ouvrages qui mettent en valeur son talent à rendre compte de la création théâtrale. La dernière venue dans le métier, A. Gayan, est conceptrice lumières et photographe, position originale qui explique la qualité de la lumière dans ses images. Elle collabore depuis 1997 avec la Comédie-Française et devient à partir de 1999 photographe officielle du Conservatoire national supérieur d’art dramatique, ce qui ne l’empêche pas de travailler pour les Amandiers, l’Odéon, la Colline, la Manufacture des œillets.

D’autres photographes ont à un moment ou à un autre pris des clichés sur les scènes françaises. Sabine Strosser a, durant de nombreuses années, été la photographe attitrée du Théâtre national de Strasbourg. Claude Lê-Anh, si elle s’est spécialisée dans la photographie de danse – elle est la photographe habituelle de Carolyn Carlson* – a néanmoins pris en photo de nombreux spectacles de théâtre. Car les photographes de scène, ne pouvant plus se spécialiser dans les images d’un théâtre dont la place dans les médias est très réduite, sont de plus en plus éphémères.

Chantal MEYER-PLANTUREUX

THÉÂTRE – SCÉNOGRAPHES [XXe-XXIe siècle]

Scénographes en France

Le XXe siècle a vu le passage du décor à la scénographie. Cette mutation du masculin au féminin, qui redéfinit le rôle de l’espace dans la représentation, coïncide avec la féminisation de ce secteur. Peintre-décorateur était un métier d’homme ; les femmes scénographes sont aujourd’hui de plus en plus nombreuses. Dans les écoles, les effectifs sont en majorité féminins. Si Valentine Hugo*, Suzanne Lalique*, Lila De Nobili (1916-2002) étaient des exceptions, bien des décors et costumes sont, de nos jours, créés par des femmes. Claude Lemaire*, Claudie Gastine (1942), Chloé Obolensky* ont ouvert la voie. Formées auprès de René Allio, Christine Laurent (1948) et Françoise Darne (1948) proposent des espaces empreints de l’influence de Brecht, des lieux métaphoriques faisant écho aux personnages. Christine Marest (1942) et Danièle Rozier (1947), formée au Théâtre national de Strasbourg (TNS), ont travaillé avec Yannis Kokkos. C. Marest s’est tournée vers l’opéra, le théâtre musical et la mise en scène. D. Rozier a œuvré pour le Théâtre des jeunes années à Lyon. Claire Belloc, ou Isabelle Huchet (1955), sorties de l’école de la rue Blanche, Gilone Brun (1949), architecte de formation, Nathalie Holt (1959), Chantal Thomas (1959), Noëlle Ginefri, Chantal Gaiddon (1962), issue de l’école du TNS, Laurence Villerot (1967) doivent être signalées pour avoir fait évoluer ce métier. Toutes ces femmes ont en commun de proposer des scénographies inventives, préoccupées de favoriser par l’espace la relation avec le spectateur.

Scénographes dans le monde

Les constructivistes russes Lioubov Sergueïevna Popova* (1889-1924) et Varvara Fiodorovna Stepanova (1894-1958) ont révolutionné la scène, sans que soient définitivement écartées les traditions décorative ou naturaliste. Au XXe siècle, les courants antagonistes de la décoration et de la scénographie se sont manifestés dans le monde. La Britannique Daphne Dare (1929-2000), qui a réalisé un grand nombre de spectacles pour la Royal Shakespeare Company, est un exemple de cette oscillation. Jocelyn Herbert (1917-2003) a marqué le théâtre britannique par son approche brechtienne au Royal Court Theatre, devenant la première scénographe anglaise au sens contemporain du terme. Les scénographies de Tanya Moiseiwitsch (1914-2003) ont donné naissance au Stratford Festival Theatre. Susan Benson*, Britannique émigrée en 1966 au Canada, qui s’est fait connaître par son apport à ce festival de 1975 à 2005, a travaillé pour le ballet et l’opéra. La Québécoise Danièle Lévesque (1958) a développé un sens métaphorique et une variété stylistique remarquables. Christina Poddubiuk, Sue LePage, Teresa Przybylski, Louise Campeau, Dany Lyne, Eo Sharp ont confirmé la vitalité de la scène canadienne.

Aux États-Unis, les scénographes sont marquées par le naturalisme, avec des intérieurs débordant d’accessoires – ce qui semble être une conséquence de l’Actor’s Studio –, ou bien par Broadway et ses codes scéniques spectaculaires. Ainsi Anna Louizos (1957) travaille avec talent pour la comédie musicale. D’autres, se démarquant avec brio, proposent des scénographies métaphoriques épurées et peu accessoirisées, comme Maria Björnson (1949-2002), Heidi Ettinger (1951), Adrianne Lobel (1955), Christine Jones (1968), Sandra Goldmark (1975). La scénographe cubaine María Elena Molinet de la Peña (1919) s’est spécialisée dans le costume au théâtre et au cinéma.

La Pologne est un pays de longue tradition scénographique avec Lidia Minticz-Skarżyńska (1920-1994), Zofia Wierchowicz (1924-1978) ou Krystyna Zachwatowicz (1930) par ailleurs également créatrice de costumes, actrice et femme du cinéaste Andrzej Wajda. Malgorzata Szczesniak (1954) s’est fait connaître par ses réalisations spatiales radicales. Dans les plus jeunes générations, Anna Bocek (1973), Justyna Łagowska-Klata (qui conçoit également ses lumières), Magdalena Maciejewska (1962) confirment la vitalité plastique de la scène polonaise à l’égale de l’école tchèque avec Jana Zborilova ou Klara Zieglerova, émigrée aux États-Unis.

En Allemagne, on doit citer Ilona Freyer (1943-1984), Anna Viebrock (1951), complice de Christoph Marthaler dont elle précède toujours les créations par des propositions scénographiques riches d’évocations concrètes, ou Caroline Neven Du Mont (1961) qui multiplie les réalisations pour le théâtre, l’opéra, le cinéma.

La Néerlandaise Mirjam Grote-Gansey (1954) travaille avec le même brio pour le théâtre, l’opéra, la danse, le cinéma, la télévision et l’exposition, aussi bien pour le répertoire classique que contemporain. Monika Pormale (1974), après des études en art du textile et en scénographie à Riga en Lettonie, est représentative de nouvelles expressions croisant scénographie, installation, performance, photographie et vidéo.

Scénographes de costumes en France

La création des costumes est une branche de plein exercice de la scénographie, spécialité souvent distincte où l’on peut discerner le costume d’époque et le costume contemporain, la création originale d’après des maquettes dessinées et l’assemblage avec le recours à la fripe. Les créatrices de costumes ont souvent un riche parcours. D’origine polonaise, Barbara Rychlowska accompagne depuis le début des années 1960 le scénographe André Acquart. Mine Barral-Vergez a créé une entreprise de costumes de scène et de haute couture travaillant pour le théâtre, l’opéra, le cinéma, la télévision et les fêtes costumées. Formée aux Beaux-Arts, Pascale Bordet s’est très vite tournée vers le croquis et la création de costumes de scène. Elle a commencé au théâtre du Trèfle (1979-1982) et aux ateliers de l’opéra Garnier (1982-1986) avant de s’imposer comme conceptrice. Dominique Borg a été comédienne chez Jean-Louis Barrault et Denis Llorca tout en concevant les costumes, fonction créatrice qu’elle n’a cessé de tenir au théâtre, à l’opéra ou au cinéma ; elle a par ailleurs réalisé nombre de scénographies. Caroline de Vivaise a la réputation de bien maîtriser la conception de costumes d’époque moderne ou contemporaine, collaborant avec Patrice Chéreau quand il met en scène un auteur contemporain. Nathalie Prats-Berling conçoit également décors et costumes.

Scénographes de costumes dans le monde

L’Allemande Moidele Bickel (1937), qui signe aussi des scénographies, se spécialise dans les costumes pour Robert Wilson, Patrice Chéreau (pour les costumes historiques) ou Luc Bondy. L’Italienne Franca Squarciapino (1940) a travaillé notamment pour Giorgio Strehler. Cidalia Silva Da Costa a réalisé les costumes de près de 145 spectacles depuis 1983. La Tchèque Dunya Ramicova (1950), émigrée aux États-Unis en 1968, travaille avec Peter Sellars. Patricia Zipprodt (1925-1999) et Marianne Custer, active depuis le début des années 1970, sont des créatrices de costumes américaines renommées.

Scénographes d’exposition en France

La scénographie d’exposition s’est développée en France à partir du début des années 1980 dans la dynamique du renouvellement de la muséographie, sous l’influence du spectacle et de ses techniques avec pour objectif la mise en valeur des œuvres. Cette activité consiste à s’attacher particulièrement au rapport du visiteur à l’objet exposé et à son parcours dans l’exposition. Marie-Laure Mehl (1953), qui a fondé son atelier en 1987, dénommé Mehl’Usine en 1992, est architecte. Agnès Badiche (1967) est architecte d’intérieur comme Nathalie Crinière. Marianne Klapisch (1969) est architecte, associée avec Mitia Claisse (1974) architecte d’intérieur. Marie-Gabrielle Verdoni, fondatrice en 1997 de Pied à coulisse, agence de designers indépendants, est une designer diplômée en 1987 de l’École nationale supérieure de création industrielle. Anne Carles et Hélène Robert, tout en étant spécialisées dans l’exposition, ont conçu des scénographies de spectacle. Les jeunes générations, telles Marion Lyonnais (1975) ou Anne Lebas (1975), ont reçu une formation initiale spécialisée à la scénographie.

Marcel FREYDEFONT

THÉÂTRE – THÉORICIENNES [France XXe siècle]

Elles furent, elles sont, pédagogues, chercheuses, bibliothécaires, conservatrices de bibliothèque, de musée.

Madeleine Horn-Monval (1885-1972), fille de Jean Mondain-Monval, comédien et bibliothécaire à la Comédie-Française, établit le classement de l’inventaire du fonds Auguste-Rondel, collection pionnière dans le domaine des arts du spectacle, transformée en département de la Bibliothèque nationale en 1976 à l’initiative de Cécile Giteau (1930), dont l’enseignement à l’École des bibliothécaires forma des générations de professionnels, et qui initia à Louvain-la-Neuve de nombreux documentalistes à leur métier. À ses cotés, Marie-Françoise Christout (1928), spécialiste de la danse, contribua largement à l’enrichissement des collections. Ce travail effectué dans la discrétion et l’anonymat des bibliothèques, musées, centres de documentation est mis en valeur par la recherche et l’enseignement universitaires et donne lieu à des articles dont certains sont publiés dans la Revue de la Comédie-Française par sa bibliothécaire, Sylvie Chevalley, ou dans la Revue d’histoire du théâtre dont Rose-Marie Moudouès assure le secrétariat général depuis plus de cinquante ans.

Les chercheuses les plus créatrices se nomment Marie-Antoinette Allevy (alias Akakia-Viala, 1903-1969), la plus ancienne et la plus méconnue : elle fut la cheville ouvrière du laboratoire Art et Action entre 1919 et 1933 (voir Louise Lara*) et soutint une thèse, tout à fait originale à une époque qui considérait le théâtre comme un simple canton de la littérature, sur La Mise en scène en France dans la première moitié du XIXe siècle (publiée en 1938) ; Anne Ubersfeld (1918-2010), qui ambitionna d’amener les amateurs de théâtre à aiguiser leur plaisir par toute une série d’ouvrages (Lire le théâtre et L’École du spectateur) qui tentèrent de concilier l’histoire, le marxisme et la sémiologie. Sémiologie qui tenta, pendant une génération, de renouveler l’approche critique du théâtre et donna lieu aux travaux de recherche pointue de l’Allemande Erika Fischer-Lichte (1943). Sans oublier une pléiade d’universitaires plus classiques, comme Jacqueline de Jomaron (XXe siècle-2006), qui contribua à faire mieux connaître Georges et Ludmilla Pitoëff*, et dirigea un ouvrage – Le Théâtre en France – original par son propos : présenter l’histoire du théâtre non du côté des auteurs mais du côté de ceux qui l’ont fait vivre : acteurs, directeurs de troupes, metteurs en scène, public, institutions privées et publiques. Ces travaux fondateurs ont été poursuivis par Monique Surel-Tupin, Béatrice Picon-Vallin, Chantal Meyer-Plantureux, Marie-Madeleine Mervant-Roux, dans de vastes synthèses et publications spécialisées liées à leurs activités professionnelles, comme celles de Colette Scherer à la Bibliothèque Gaston-Baty de Paris III ou Noëlle Guibert au département des Arts du spectacle de la BnF, pour ne citer que quelques noms.

Michel CORVIN

THÉÂTRE AUX ARMÉES [XXe siècle]

Créé durant la guerre de 1914 à l’initiative de l’auteur dramatique Émile Fabre, futur administrateur de la Comédie-Française, avec un soutien d’abord timide du gouvernement, le Théâtre aux armées donna des représentations théâtrales sur le front avec la participation de nombreuses personnalités féminines des théâtres de Paris, comme Sarah Bernhardt*, alors amputée d’une jambe, qui voulait jouer « sur un front bien front ». Elle fut exaucée puisque le Théâtre aux armées parcourut le front « des dunes des Flandres jusqu’au Grand-Couronné, des marécages de l’Yser aux boues de la Champagne, des collines du Soissonais aux montagnes des Vosges » et même devant Verdun, devait rappeler É. Fabre, qui indique que la première représentation eut lieu en février 1916, dans un hangar transformé en salle de spectacle, devant des soldats de la division coloniale, avec la participation de la grande Julia Bartet (1854-1941), qui lut la Lettre au petit soldat d’Eugène Brieux, de Béatrix Dussane*, qui entonna de vieilles chansons de marche, de la cantatrice Marguerite Carré (1880-1947), qui chanta des refrains d’Offenbach ; on termina par La Marseillaise. Les actrices de la Comédie-Française, dont Cécile Sorel*, Andrée de Chauveron (1890-1965), Béatrice Bretty (1893-1982), Gabrielle Robinne (1886-1980), Madeleine Roch (1883-1930), Catherine Fonteney (1879-1966), particulièrement dévouées, se virent proclamer « marraines des poilus ». On relevait aussi le concours de la cantatrice Lucienne Bréval*, de la spirituelle Jeanne Granier (1852-1939), de l’étoile de l’Opéra Carlotta Zambelli*. Encourager le moral des troupes, réconcilier les combattants avec l’arrière lors d’une guerre qui s’éternisait était une préoccupation des autorités militaires. Imitée par les Allemands et les Anglais dès avant la fin des hostilités, la formule du Théâtre aux armées connut des participations féminines d’artistes célèbres de cinéma et de variété lors des grands conflits mondiaux ultérieurs : Joséphine Baker* parmi les GI avant le débarquement de 1940, Marlène Dietrich*, ralliée à la cause des Alliés, Marilyn Monroe* au Vietnam, qui manifestaient aux troupes le soutien des civils sur des lieux d’opérations particulièrement éloignés de leurs bases.

Noëlle GUIBERT

FABRE É., De Thalie à Melpomène, souvenirs de théâtre, Paris, Hachette, 1947.

THÉÂTRE BELGE D’EXPRESSION FRANÇAISE [XXe-XXIsiècle]

De la fin des années 1930, où débute la professionnalisation d’un art dramatique belge, jusqu’au milieu des années 1970, la fonction essentielle confiée aux femmes au théâtre est l’interprétation. Leurs débuts et leurs carrières sont presque obligatoirement liées à quatre scènes principales. Au Rideau de Bruxelles, fondé en 1943 par Claude Étienne, s’épanouissent Denyse Périez (1924-2007), Gisèle Oudart (1936), Janine Patrick (1936-1998), Nicole Valberg… Au Théâtre national de Belgique, fondé en 1945 sous l’impulsion de Sarah Huysmans, sont associées Suzy Falk (1922), Catherine Fally (1922-1996), Anne Marev (1932), Françoise Oriane (1940). Au Théâtre du Parc jouent Marthe Dugard* (1905-1984), Bobette Jouret (1934), Nicole Lepage (1926-2006). Enfin, au Théâtre des Galeries se produisent Christiane Lenain (1935-1999), Suzanne Colin (1938), Louise Rocco (1939). Parallèlement, certaines actrices cofondent des compagnies, principalement pour y jouer, comme Jacqueline Bir* (1934) et la comédie Claude-Volter, créée en 1963, ou Lesly Bunton (1947) et la compagnie Baudouin-Bunton, créée en 1969.

À la révolution sexuelle correspond le mouvement du « jeune théâtre ». Les créateurs s’émancipent des institutions et créent leur dynamique à travers un lieu nouveau ou une compagnie souvent itinérante. Parallèlement à la création, par l’État, de la Commission du jeune théâtre (1975), Elvire Brison (1944) fonde le Théâtre du Sygne en 1973, Martine Wijckaert* (1952) le Théâtre de la Balsamine en 1974, Margarete Jennes (1951) le Petit Théâtre hypocrite en 1976, avec Philippe Geluck, Isabelle Pousseur* (1957) le Théâtre du Ciel noir en 1982, qui deviendra Océan Nord. Nele Paxinou* (1942) met sur pied le Théâtre du Miroir en 1979, qui deviendra Les Baladins. Enfin, Patricia Ide (1957), cofondatrice du théâtre Le Public (1994), et Nathalie Uffner (1962), fondatrice du théâtre de la Toison d’Or (1996), lancent au départ des initiatives proches du théâtre privé, mode de fonctionnement quasiment inexistant et irréalisable en Belgique, étant donné les limites de l’audience potentielle. Ces actrices, parfois metteurs en scène, revendiquent des fonctions de gestionnaire, d’adaptatrice ou d’auteure.

L’exiguïté du milieu théâtral et la durée d’exploitation réduite des titres conduisent les interprètes à différencier leurs activités tant par les genres que par les lieux, ce qui permet aux comédiennes reconnues d’incarner de 150 à 200 rôles durant leur carrière. Les grandes actrices travaillent désormais indifféremment sur les scènes traditionnelles et au sein des nouvelles compagnies : Colette Emmanuelle (1943), Marie-Line Lefebvre (1954), Patricia Houyoux (1956), Hélène Theunissen (1956), Martine Willequet (1947), Janine Godinas. Certaines d’entre elles réalisent régulièrement des mises en scène ou enseignent l’art dramatique dans les hautes écoles.

En outre, chaque génération a produit au moins une interprète de réputation internationale : Madeleine Ozeray (1908-1989), Berthe Bovy* (1887-1977), Denise Volny (1904-1997), Marianne Basler* (1964) et récemment Françoise Gillard (1973). Ces actrices ont pour la plupart développé leur carrière dans les deux capitales, Bruxelles et Paris.

Avec le précédent d’Anne Jottrand, assistante de Jacques Huisman au Théâtre national de Belgique de 1958 à 1985, les années 1980 voient l’accession des femmes à la gestion des institutions, mais généralement aux côtés d’un confrère reconnu comme directeur artistique. À ce jour les femmes n’ont pas atteint pleinement l’égalité avec les hommes concernant l’attribution de la direction des principales scènes dramatiques.

Dans l’écriture dramatique féminine, Suzanne Lilar* et Liliane Wouters* font figure de pionnières. Une génération d’auteurs féminins éclot à partir de la fin du XXsiècle, en relation avec la situation générale du paysage théâtral présentant un marché de l’emploi exigu avec un très grand nombre d’actrices diplômées. Ainsi, les auteures sont souvent des actrices interprétant ou mettant en scène leurs propres textes : Geneviève Damas (1970), Valérie Lemaître (1968), Veronica Mabardi (1962), Layla Nabulsi* (1961, belge d’origine palestinienne), Isabelle Wéry (1970)…

À l’image de la profession, les femmes de théâtre belges francophones se définissent majoritairement comme laïques, le plus souvent de gauche. Si la culture flamande, avec son goût pour une allégorie empreinte de religiosité et pour la farce burlesque, a influencé le théâtre francophone – plusieurs artistes importantes étant flamandes de naissance ou de formation –, cette tendance semble céder le pas à une ouverture internationale. À cet égard et en dépit des différends communautaires, Bruxelles, carrefour européen, demeure le creuset de rencontres interculturelles qui marquent la création dramatique.

Jean-François VIOT

THEATRE COMPANY JERUSALEM – TCJ [depuis 1982]

Tout a commencé il y a vingt ans, lorsque Gabriella Lev, comédienne et directrice du Jerusalem Drama Workshop, se penche sur l’histoire de Bruria, femme paradoxale du Talmud. Sur ce terrain de recherche la rejoignent l’auteure et poétesse Aliza Elion-Israeli (1948-2008), la chanteuse et comédienne Ruth Wieder-Magan et Joyce Miller, metteur en scène : elles créent la Theatre Company Jerusalem (TCJ) qui, à travers différents langages, explore les textes bibliques touchant au féminin. Chaque création, dans une mise en scène moderne, poétique et allégorique, est une interrogation sur la place de la femme dans cet héritage et vise les strates profondes de l’être, afin de « l’élever » plus que de le divertir. La TCJ a également mis en place des programmes éducatifs novateurs dans l’enseignement supérieur, en lien avec sa recherche expérimentale et autour de « la narration juive comme pratique théâtrale », qui ont changé considérablement l’approche des textes bibliques dans l’enseignement en Israël. La TCJ a produit plus de 20 pièces en Israël et à l’étranger, souvent avec des figures bibliques ou talmudiques féminines : Ma’aseh Bruria (1982) ; Ester (1993) ; Sara Take 2 (1994) ; Sota (1999) ; Noshek B’zman (2001). Shulem (2005) et Rondo (2008) portent quant à eux sur la mémoire juive des camps et sur la relation homme-femme en Israël. Certains spectacles sont mis en scène ou en lumière par Serge Ouaknine, dont l’expérience grotowskienne est venue consolider le sens de ce théâtre rituel en brisant la conception frontale du théâtre classique. Toutes les pièces de la TCJ, bien que relevant du mythe et de l’universalité de la tradition, demeurent vouées à une recherche permanente visant à s’adapter aux mutations de la société contemporaine. La compagnie a organisé des résidences courtes d’artistes aux États-Unis, afin d’ancrer la culture juive au sein des communautés. Elle a également élaboré un vaste projet sur le « pouvoir des femmes à travers le Theatre-Beit Midrach », en direction d’un large public de femmes israéliennes en difficulté.

Isabelle STARKIER

THÉÂTRE D’AMATEURS [France XVIIe-XXIe siècle]

Inscrire parmi les « femmes créatrices » les actrices – au sens large – du théâtre d’amateurs, c’est aller contre deux idées reçues : l’amateurisme ne serait qu’un non-professionnalisme médiocre ou négligent – soupçon dont les femmes pratiquant les arts en dehors de toute perspective professionnelle ont particulièrement pâti –, et le sentiment qu’à l’intérieur de ce théâtre, les femmes n’occuperaient aucune place notable. Témoignant d’une même difficulté du discours culturel officiel à inscrire dans la sphère esthétique les activités dilettantes et les activités féminines, ces clichés renforcent l’hypothèse selon laquelle les femmes qui, du XVIIe au XXIe siècle, participent à la réalisation de spectacles dans le cadre de théâtres de société, de cercles familiaux ou amicaux, de groupements associatifs ou militants, portent à son extrémité la manière originale dont les amateurs font l’expérience de l’art et incitent à redéfinir l’art. Au théâtre, la création n’est ni l’œuvre écrite, ni la mise en scène, mais l’événement au présent, dans le vif de la performance et de l’écoute des spectateurs. On le vérifie avec plus de force dans le théâtre d’amateurs. Reconsidérant sur cette base le développement de la fonction dramatique dans les sociétés européennes, on aperçoit le rôle qu’ont pu jouer les femmes dans sa diffusion et revitalisation permanente.

Théâtre d’éducation

Le répertoire du théâtre d’éducation « ne révèl[e] pas de chef-d’œuvre inconnu », écrit Marie-Emmanuelle Plagnol (1997), qui précise qu’aucune de ces pièces « destinées à la scène privée du pensionnat ou complètement occasionnelle du cercle familial » n’a voulu « encourir les risques de la représentation publique sur un théâtre officiel ». Le caractère privé ou semi-privé des spectacles ne leur retire pourtant a priori aucune potentialité esthétique. Ainsi, l’activité théâtrale des jésuites, dont les élèves étaient des garçons, est depuis longtemps reconnue comme un terreau de la vie théâtrale en Europe. Il en va assurément de même des pratiques organisées dans les institutions de jeunes filles. Le film Saint-Cyr de Patricia Mazuy (1999) montre l’établissement saisi par la puissance du théâtre : quelque modestes que soient les séances initiales, le travestissement, les jeux avec l’identité, l’exhibition devant un public activent l’intelligence du corps et la contagion des passions. Après une tentative pour corriger le répertoire (Esther, 1689), le constat de l’effet structurel des pratiques dramatiques entraîne leur suppression. Démonstration est ainsi faite sur cet exemple paradoxal que c’est le plaisir du théâtre et les fondements de cet art qui se transmettaient par ces exercices.

Théâtre de société

La famille est le premier lieu d’épanouissement de la scène amateur au XVIIIe siècle. Petite fille, Mme de Genlis* assume le rôle de l’Amour dans une fête. Le texte est de sa mère et toute la maison participe, y compris son institutrice et les femmes de chambre. Elle aime tellement son déguisement qu’elle le porte pendant des mois. On peut voir par cet exemple que les beautés bricolées des costumes, des textes et des airs de musique sont créatives et créatrices. La théâtromanie touche presque toutes les couches de la société. Comme elles le font dans les salons, les femmes jouent un rôle de premier plan dans ces activités officiellement recluses, mais dont le dynamisme diffuse bien au-delà des murs, au profit de l’esprit, là où il est banni – Émilie du Châtelet* et son théâtre de Cirey ; au profit du futile, là où la règle étouffe – Marie-Antoinette au Petit Trianon. « Ce que Marie-Antoinette veut perpétuer, écrit Chantal Thomas (2003), c’est un état de légèreté et d’irresponsabilité, l’émotion d’un moment, l’instant du lever de rideau, la grâce d’une première fois qui se répéterait à l’infini. »

Laboratoires dramatiques et scéniques

Odile Krakovitch a décrit comment les auteures dramatiques du XIXe siècle auxquelles les scènes professionnelles restaient fermées ont trouvé dans le théâtre de société un lieu où faire exister leurs pièces, et notamment permettre un théâtre féministe. L’exemple de George Sand* permet de montrer comment, à la richesse dramaturgique des textes, peut s’ajouter une réinvention des pratiques scéniques – dispositif, décor, costumes, mode de jeu, relations avec les spectateurs –, directement liée au caractère amateur des séances. Elle, qui avait joué dans sa jeunesse alors qu’elle était pensionnaire dans un couvent, transforme son salon en salle de spectacle et crée « pour [s]a famille un théâtre renouvelé de l’antique procédé italien, dit commedia dell’arte [… ] ». L’aventure commence par des séances de pantomimes accompagnant les improvisations pianistiques de Chopin, lequel adapte sa musique aux costumes improvisés. Ainsi se constitue un « théâtre-laboratoire » où Claudie – entre autres – est monté et où s’affirme une « contre-création » (Bara 2010) dont les traits sont ceux des spectacles d’amateurs : la personne sociale ne disparaît pas dans le jeu ; l’enracinement local s’articule à la liberté poétique. Quant au théâtre de marionnettes, il est pour elle l’occasion de créer des « acteurs » de bois. Le rapport à l’enfance anime ce travail ludique et libérateur.

« Entre les actes »

D’après de récentes enquêtes sociologiques, les « amateurs », aujourd’hui, en France, dans le domaine du théâtre, seraient majoritairement des femmes (deux tiers de femmes, un tiers d’hommes, ce que confirment les observations effectuées dans les différents milieux concernés : ville, campagne, quartiers, entreprises, universités). Les femmes n’interviennent pas seulement comme actrices, mais, à l’image des grandes figures évoquées dans cet article, animent des groupes, écrivent ou adaptent des textes et, de plus en plus fréquemment, mettent en scène, éclairent, sonorisent (c’est une femme, Suzanne Héleine, qui a dirigé l’Adec-Maison du théâtre amateur de Rennes, de 2000 à 2012). C’est comme si l’on assistait à la manifestation dans l’espace social de l’art à la frontière du privé et du public. Selon l’historien Elie Konigson, « le théâtre oscille [… ], durant les quelque deux mille cinq cents ans où nous suivons à peu près son aventure, entre la ville et la maison ». Virginia Woolf* le suggère dans son roman Entre les actes, les créations en amateur sont l’image paradigmatique du pôle oublié de l’oscillation.

Marie-Madeleine MERVANT-ROUX

BARA O., Le Sanctuaire des illusions, George Sand et le théâtre, Paris, Presses de l’Université Paris-Sorbonne, 2010 ; BORDEAUX M.-C., CAUNE J., MERVANT-ROUX M.-M. (dir.), Le Théâtre des amateurs et l’expérience de l’art, Montpellier, L’Entretemps, 2011 ; MERVANT-ROUX M.-M. (dir.) Du théâtre amateur, approche historique et anthropologique, Paris, CNRS éditions, 2004 ; PLAGNOL-DIEVAL M.-E., Madame de Genlis et le théâtre d’éducation au XVIIIe siècle, Oxford, Voltaire Foundation, 1997 ; THOMAS C., La lectrice-adjointe suivi de Marie-Antoinette et le théâtre, Paris, Mercure de France, 2003.

THÉÂTRE DES OSSES [Suisse depuis 1979]

Véronique Mermoud (Genève 1947) et Gisèle Sallin (Fribourg 1949) se sont rencontrées au Casino Théâtre de Genève en 1977, toutes deux comédiennes dans la traditionnelle Revue. Deux ans plus tard elles fondent ensemble le théâtre des Osses, qui rend leurs carrières respectives pour ainsi dire indissociables. V. Mermoud a suivi les cours du Conservatoire populaire de Genève puis du Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris (1967-1971), d’où elle gardera une technique très pure. G. Sallin s’est formée au conservatoire de Genève (1970-1973) puis à Paris auprès de Maria Casarès* et Jean Gillibert, à qui elle doit peut-être sa prédilection pour la mise en scène. V. Mermoud joue les premiers rôles au théâtre des Osses (installé à Givisiez près de Fribourg en 1990) et assure la direction jusqu’en 2001. G. Sallin, qui reprend alors la direction, assume les mises en scène : Le Malentendu de Camus, Medea de Jean Vauthier, Solange et Marguerite de Jean-Pierre Gos, puis des textes de Corinna Bille*. Elles se retrouvent pour collaborer avec Benno Besson à la Comédie de Genève de 1982 à 1985. L’une joue, l’autre assiste le metteur en scène dans L’Oiseau vert de Gozzi, Hamlet de Shakespeare et Le Médecin malgré lui de Molière. Elles montent ensuite au théâtre des Osses plusieurs pièces par an, toujours en commun : Antigone, Les Femmes savantes, Phèdre, avec V. Mermoud dans le rôle éponyme, Diotime et les lions d’Henry Bauchau en 1994 (prix Sacha Pitoëff pour la comédienne), Le Triomphe de l’amour, Mère Courage ou L’Orestie. De son côté, G. Sallin signe notamment, en 1996, deux mises en scène à Montréal. Devenu Centre dramatique fribourgeois en 2002, le théâtre des Osses constitue un phare culturel et pédagogique pour toute la région.

Eric EIGENMAN

THÉÂTRE FÉMINISTE [XXe-XXIe siècle]

Le mouvement pour les droits des femmes s’accompagne d’une première vague d’écriture dramatique. En France, ce sont Véra Starkoff (1867-1923), Nelly Roussel (1878-1922) et Maria Szeliga (née en 1854). En Grande-Bretagne, deux troupes lancent un théâtre féministe : The Women’s Theater et The Pionners Players. Aux États-Unis, on assiste à la même mobilisation avec Susan Glaspell* (1876-1948), auteure de pièces percutantes.

Mais ce théâtre est mis en veilleuse, jusqu’à l’apogée du mouvement des femmes après 1968. En France, les spectacles militants se multiplient dans les cafés-théâtres ou dans des salles plus importantes : dénonciation des injustices, revendication de l’avortement. Renata Scant (1940) et les troupes La Carmagnole et Les Trois Jeanne parlent haut et fort. D’autres s’intéressent à des femmes du passé. Ainsi, Anne-Marie Lazarini* (1943) et Simone Benmussa* (1931-2001) mettent en scène Virginia Woolf* (1882-1941) et Katherine Mansfield* (1888-1923). Anne Delbée (1946) fait connaître Camille Claudel* (1864-1943). Rachel Salik* (1937-2007) monte des pièces sur Gertrude Stein* (1874-1946) et Dorothy Parker* (1893-1967). En Grande-Bretagne, au lendemain de la guerre, Joan Littlewood* (1914-2002) reprend la lutte et, à partir de 1974, le Women’s Theatre Group et le Monstruous Regiment Theatre Company pratiquent un théâtre d’intervention pour faire connaître les revendications des femmes. À Londres, en 1980, se crée le Women’s Playhouse Trust, association de production indépendante gérée par des femmes. Des auteures féministes engagées, comme Pam Gems *(1925-2011), Caryl Churchill* (1938) et Micheline Wandor* (1940), sont jouées au Royal Court Theatre et dans les salles expérimentales de la Royal Shakespeare Company.

Aux États-Unis, le Woman’s Art Centre (New York), le Women’s Project, le Spidewoman Theater travaillent dans une perspective strictement féministe. Le travail de Megan Terry (1932) a un grand retentissement. Les femmes chicanas jouent des pièces en espagnol et en anglais pour livrer leur combat. Les femmes noires luttent en s’interrogeant aussi sur leurs racines.

En Afrique du Sud émerge un théâtre féministe avec, en 1986, un spectacle commémorant une grande manifestation de femmes et d’autres qui dénoncent l’asservissement des femmes de la campagne et le viol des petites filles.

En Italie, un mouvement de femmes très actif donne naissance au Teatro Delle Donne animé par Maricla Boggio (1937) et au théâtre La Maddalena de Dacia Maraini* (1936), fer de lance du théâtre féministe italien. À partir de témoignages, ces femmes parlent de divorce, d’avortement, de conditions de travail et de patriarcat. D’autres, au Teatro Settimo notamment, font pression sur le pouvoir médical masculin. En 1984, à Cagliari, a lieu « L’Altra meta della ricerca » (« l’autre but de la recherche »), dernière manifestation du Teatro Delle Donne.

En Espagne, après la disparition du franquisme, les auteures féministes sont de plus en plus nombreuses, encouragées par deux prix : le prix Marqués de Bradomin et le prix María-Teresa-León. Lourdes Ortiz* (1943), Concha Romero (1945), Gracia Morales (1973), Itziar Pascual (1967) s’attaquent aux tabous, démystifient la sexualité, dénoncent la maltraitance des femmes et le pouvoir patriarcal. Elles créent l’association Maria Guerreras pour la promotion du théâtre des femmes.

En Amérique latine, des femmes guatémaltèques expriment, moitié en espagnol, moitié en quechua, la dureté de leur vie dans des spectacles de rue. Au Costa Rica, le groupe Ubu monte des pièces féministes. Ana Istarú* (1960) et Claudia Barrionuevo sont des auteures reconnues. En Argentine, le théâtre reprend vie à partir de 1983, et on assiste à une explosion d’auteures féministes, avec Diana Raznovitch (1945), Lucía Laragione (1946), Adriana Gento, Maria de Gracia, Liliana Perez. Certaines reçoivent le prix María-Teresa-León.

En Allemagne, des auteures comme Marieluise Fleisser* (1901-1974) analysent les rapports homme-femme, mais le nazisme éteint ce mouvement. Puis les femmes reprennent la parole. Gerlind Reinshagen (1926) commence à écrire en 1967, montrant que les femmes sont toujours victimes de la répression, quelle qu’elle soit. C’est aussi ce que pense Friederike Roth* (1948), qui, sensible au rapport de forces, écrit entre rêve et réalité. L’Autrichienne Elfriede Jelinek* (1946), Prix Nobel, est la plus radicale. Sa critique vise le système économique et politique, dont les effets se répercutent sur la vie des femmes que l’homme détruit comme il a détruit le monde.

Au Québec, dans les années 1980, les Folles Alliées montent des shows dynamiques et pleins d’humour. Pol Pelletier* (1947) est, en 1979, l’une des fondatrices du Théâtre expérimental des Femmes.

En Union soviétique et dans l’actuelle Russie, il est difficile de parler de théâtre féministe. On peut signaler le regard original de Ludmila Petrouchevskaïa* (1938), interdite sous Leonid Brejnev, qui montre dans la vie quotidienne moscovite la difficulté de vivre des femmes.

Actuellement, le théâtre féministe prend d’autres formes. Il peut être récupéré et devenir un produit marchand, comme Les Monologues du vagin, de l’Américaine Eve Ensler* (1953). Il peut être plus intime, comme avec la Française Michèle Guigon et son cancer du sein ou avec l’Italienne Carlota Clerici et le combat d’une femme pour la maternité. Un grand nombre de femmes, encadrées par des professionnelles du théâtre dans des groupes amateurs, choisissent le théâtre pour mener leur combat. Le théâtre féministe est remarquable par sa liberté de ton, son imagination, sa pratique du travail collectif et la ferveur de son public.

Monique SUREL-TUPIN

THÉÂTRES PRIVÉS – DIRECTRICES [France depuis le XVIIIe siècle]

Les comédiennes se sont investies très tôt dans les entreprises de spectacle : Madeleine Béjart*, puis Armande Béjart* après la mort de Molière. Mais c’est au XVIIIe siècle que se développent les théâtres privés, tolérés dans le cadre des Foires annuelles (Saint-Laurent, Saint-Germain et boulevard du Temple), qui ouvrent les salles qui susciteront tout un répertoire. Marianne Dujardin (1680-1746) promène sa troupe de Paris à La Haye, ouvrant la voie à d’autres femmes, telle Mme Saqui*, acrobate et danseuse de corde très renommée, qui obtient en 1816 le privilège d’occuper une salle devenue fameuse boulevard du Temple. Marguerite Brunet Montansier* bénéficie d’une protection pour ouvrir un premier théâtre à Versailles, puis un second à Paris (futur Théâtre du Palais-Royal), Virginie Déjazet* achète le sien en 1859 pour son fils, et lance son jeune protégé, Victorien Sardou. Le XIXe siècle freine la féminisation qui reprend vers 1880.

À l’image de Georges et Ludmilla Pitoëff*, émigrés de Géorgie (1920-1939), errant de théâtre en théâtre, la figure du couple s’impose dans la direction des théâtres du XXe siècle, souvent deux créateurs s’inspirant l’un l’autre, comme Marguerite Jamois* et Gaston Baty au Théâtre Montparnasse (1930-1943), Jean et Simone de Létraz au Palais-Royal (1942-1954), Marcelle Tassencourt jouant les pièces de son mari Thierry Maulnier au Théâtre Montansier (1960-1993). À la mort de Harry Baur, sa veuve, Rita Radifé, reprend la direction des Mathurins, mais son nom s’efface sous celui de son mari. Madeleine Renaud* et Jean-Louis Barrault, après le Théâtre Marigny (1954-1956), le Sarah-Bernhardt (1957), le Palais-Royal (1958-1959), l’Odéon (1959-1968), aménagent des lieux inappropriés, l’Élysée-Montmartre (1968-1973), la gare d’Orsay (1972-1981), enfin la patinoire du Rond-Point (1981-1991), pour en faire leur théâtre idéal qui portera leurs noms jusqu’à ce que Jean-Michel Ribes en prenne la direction. Simone Valère* et Jean Desailly passent du Théâtre Hébertot à l’Édouard-VII, puis s’installent à la Madeleine (1980-2002). Quelquefois, l’un crée, l’autre administre, comme Peter Brook et Micheline Rozan (Bouffes-du-Nord de 1974 à 2008, structure mixte), Étienne Bierry et Renée Delmas (Poche-Montparnasse de 1958 à 2011). Danièle Franck dirige Hébertot avec son mari Pierre Franck.

Il existe aussi des associations pour une direction bicéphale : Paquita Claude et Georges Herbert (création du La Bruyère en 1943), Arlette Téphany* et Pierre Meyran à la Limousine, structure mixte (1986-1995), comme Lucien et Micheline Atoun au Théâtre Ouvert. Au Saint-Georges, on verra Mary Morgan et Marie-Rose Belin (1943-1948), Marie-France Mignal et France Delahalle (1984-2004). Depuis la mort de cette dernière, M.-F. Mignal assume seule la direction. Dominique Bourde et Anne-Marie Lazarini* ont imaginé, aux Artistic-Athévains, un théâtre populaire.

Dans certains lieux règnent des femmes de tête, comédiennes devenues directrices, choisissant les textes, les auteurs, les lançant quelquefois : Sarah Bernhardt* (Théâtre de la Renaissance, 1895, puis Théâtre des Nations auquel elle donne son nom, 1900), Réjane* (1905, Nouveau Théâtre rebaptisé Théâtre Réjane, puis Théâtre de Paris après sa mort), Yvonne Printemps* (Michodière), Elvire Popesco* (Théâtre de Paris, 1955 ; puis Théâtre Marigny, 1965-1978). L’élégant Théâtre des Ambassadeurs est dirigé de 1940 à 1944 par l’actrice d’origine roumaine Alice Cocea (1889-1970). Simone Berriau, dès 1943, au Théâtre Antoine, révèle Jean-Paul Sartre, Tennessee Williams, William Faulkner. Sa fille, Héléna Bossis, révèle Yasmina Reza*. Marie Bell* (Gymnase), Claude Génia (1958-1966), puis Jacqueline Cormier à l’Édouard-VII font découvrir de grands acteurs. Véra Korène*, après la Seconde Guerre mondiale, redonne à la Renaissance ses lettres de noblesse. Tandis que disparaît le Théâtre des Arts, ancien théâtre Verlaine, rue Rochechouart, dirigé par Alexandra Roubé-Jansky (1953-1969), Silvia Monfort*, d’abord sous chapiteau, conçoit le sien sur le terrain des abattoirs de Vaugirard (structure mixte), mais meurt avant de l’avoir inauguré. Denise Petitdidier, Suzy Volterra, Hélène Martini ont eu une préférence pour le music-hall, Arlette Thomas (Paris-Villette) pour le classique, Françoise Spira*, puis Josyane Horville ont diversifié les genres à l’Athénée (structure mixte), Madona Bouglione* au Ranelagh. Denise Moreau-Chantegris vouait sa salle (Nouveautés) à la comédie.

Aujourd’hui, Myriam Feune de Colombi (depuis 1984 au Montparnasse avec Bertrand Thamin), Laura Pells et Véronique Deshaires (à l’Atelier depuis 1999), Jacqueline Bœuf (Théâtre de la Tête d’or à Lyon, depuis 1980) maintiennent une tradition de qualité. Stéphanie Fagadau-Mercier réorganise la Comédie des Champs-Élysées et son Studio après la mort de son père, Michel Fagadau. Marguerite Mourgue dirige le La Bruyère, Catherine Develay anime le Ranelagh, Stéphanie Tesson préside aujourd’hui aux destinées du Poche-Montparnasse avec Charlotte Rondelez. Il y a parmi ces directrices des personnalités remarquables dont l’histoire reste à écrire.

Danielle DUMAS

THÉÂTRES PUBLICS – DIRECTRICES [XXe-XXIe siècle]

Silvia Monfort* (Carré Silvia Monfort), Anne-Marie Lazarini* (théâtre Artistic Athévains), Ariane Mnouchkine* (La Cartoucherie), Josyane Horville (théâtre de la Commune à Aubervilliers). En France, on compte sur les doigts de la main, dans les années 1970, les femmes à la tête de théâtres publics. Pourtant elles sont déjà nombreuses à l’époque à s’être lancées dans la mise en scène et à avoir créé leur compagnie. Une évolution se fait jour durant les années 1980. Dès 1982, J. Horville prend la direction du théâtre de l’Athénée devenu théâtre public. Mais ce n’est qu’en 1986, quarante ans après la fondation du premier centre dramatique national (CDN), qu’Arlette Téphany* accède à la codirection de celui de Limoges. La première femme à être nommée, seule, à la tête d’un CDN est Anne Delbée, à Nancy, en 1988. En Belgique, Martine Wijckaert* fonde en 1974 le théâtre La Balsamine, autre exception dans le paysage européen.

Les années 1990 marquent le pas. À défaut de tenir les cordons de la bourse, nombre de femmes, surtout en Europe du Nord, accèdent à des postes de directrices artistiques : Katie Mitchell à la Shakespeare Company, Catrine Telle au Den National Scene de Bergen en Norvège, Elisabeth Schweeger au Marstall/Bayerisches Schauspielhaus de Munich, Andrea Breth* à la Schaubühne de Berlin, JoAnne Akalaitis, au New York Shakespeare Festival, après avoir dirigé de 1991 à 1993 le Public Theater de New York. En Italie, Barbara Nativi fonde le Teatro della limonaia en 1988. En Angleterre, Yvonne Brewster lance le Talawa, théâtre noir ; Jill Greenhalgh initie le Magdalena Project qui rassemble de 1987 à 1999 au Pays de Galles des femmes de tous horizons avant d’essaimer dans d’autres pays. En France, Agathe Alexis (aujourd’hui directrice du théâtre de l’Atalante) est nommée à Béthune, Stéphanie Loïk à Thionville, Brigitte Jaques-Wajeman dirige le théâtre de la Commune d’Aubervilliers en compagnie de François Regnault, Chantal Morel* le CDN de Grenoble avec Ariel Garcia-Valdès le temps d’une saison. Elles sont rejointes par Gilberte Tsaï* à Montreuil, Claire Lasne à Poitiers, Anne-Laure Liégeois à Montluçon. Élisabeth Chailloux codirige le théâtre des Quartiers d’Ivry à partir de 1992. Nicole Gautier prend les rênes du théâtre de la Cité internationale en 1991 et Claudia Stavisky celles des Célestins en 2000.

Cependant, « en France, aucune femme n’a jamais dirigé aucun des cinq théâtres nationaux » ! Le rapport de Reine Prat, réalisé sous l’égide du ministère de la Culture, fait l’effet d’une bombe en 2006. Il révèle que malgré la présence massive de femmes dans les espaces de création, elles sont sous-représentées au sein des institutions culturelles à l’instar de tous les lieux de pouvoir. Depuis, la situation a évolué : en 2006, Muriel Mayette accède à la tête de la Comédie-Française. Nomination suivie, en 2008, de celles de Julie Brochen* au Théâtre national de Strasbourg et de Dominique Hervieu à la codirection du Théâtre national de Chaillot. Dans les centres dramatiques nationaux et régionaux, on passe de 7 % à 16 % de directrices. Si la répartition des postes dans de grandes structures reste inégale, le mouvement est néanmoins amorcé et, dans la foulée, une association, H/F – pour la parité homme femme dans la sphère culturelle – est lancée à Lyon par Sylvie Mongin-Algan, et fait des émules dans d’autres régions.

En Allemagne, une quinzaine de femmes obtiennent la direction artistique au sein des quelque 150 établissements publics : E. Schweeger du Schauspielfrankfurt (2001-2009) ; Regula Gerber du Nationaltheater de Mannheim (2005) ; Amélie Niermeyer, après le Theater Freiburg, prend la tête du Schauspielhaus de Düsseldorf, dirigé auparavant par Anna Badora. À Vienne, A. Breth est en résidence au Burgtheater et Emmy Werner prend les rênes du Volkstheater. En Suisse, la Comédie de Genève passe sous la houlette d’Anne Bissang en 1999. Isabelle Pousseur* devient artiste associée du Théâtre national de la communauté française de Belgique en 2005. K. Mitchell accède à la direction artistique du National Theatre de Londres en 2007 et C. Tell à celle du Oslo Nye Teater en 2010.

Les femmes d’Europe du Sud ou d’Amérique latine semblent moins bien loties : par exemple Madga Puyo, à la tête du festival de Sitges depuis 2001 jusqu’à sa disparition en 2004, est l’une des seules femmes à diriger une institution en Espagne. Les metteurs en scène femmes ne sont pas encore nombreuses en Amérique latine, encore moins aux commandes des établissements culturels, cependant elles n’en sont pas moins actives et gagnent progressivement du terrain.

Le Canada, surtout le Québec, où le théâtre naît en même temps que la montée du féminisme, fait figure d’exception : les femmes se sont d’emblée trouvées aux manettes des théâtres institutionnels, comme Lorraine Pintal au théâtre du Nouveau Monde, Ginette Noiseux* à l’Espace GO, Marie-Thérèse Fortin au théâtre d’Aujourd’hui, Lise Vaillancourt au théâtre de la Ville à Longueil ou encore Denise Filiatraut, directrice artistique du Rideau vert fondé en 1949 par Yvette Brind’Amour* et Mercedes Palomino. Marie-Hélène Falcon crée le Festival de théâtre des Amériques et Brigitte Haentjens* dirige le Carrefour international de théâtre du Québec.

Mireille DAVIDOVICI

PRAT R., Rapport Mission Égalités, Pour une plus grande et une meilleure visibilité des diverses composantes de la population française dans le secteur du spectacle vivant. 1. Pour l’égal accès des femmes et des hommes aux postes de responsabilité, aux lieux de décision, à la maîtrise de la représentation, ministère de la Culture et de la Communication, mai 2006.

PÉRENNOU Y., « Égalité homme-femmes, un essor des revendications pour plus de parité », in La lettre du spectacle, no 250, avril 2010.

THÉBAUD, Françoise [FRIÈRES-FAILLOUËL 1952]

Historienne française.

Issue d’une famille modeste marquée par les deux guerres mondiales, engagée à 21 ans dans des recherches sur l’histoire des femmes, Françoise Thébaud a consacré l’ensemble de sa vie professionnelle à promouvoir cette histoire dans une démarche de transmission qui a largement dépassé le milieu universitaire. Élève de l’école normale supérieure de Fontenay-aux-Roses, elle rencontre Michelle Perrot* à l’université Paris 7 et réalise, sous sa direction et à six mains (avec Mathilde Dubesset et Catherine Vincent), un mémoire sur les munitionnettes de la Grande Guerre (1973-1974). Agrégée en 1975, elle enseigne dans le secondaire tout en préparant une thèse sur la maternité, nouvel objet d’histoire. Publié en 1986, peu après La Femme au temps de la guerre de 14, l’ouvrage qui en est issu – Quand nos grand-mères donnaient la vie, La maternité en France dans l’entre-deux-guerres – explore les comportements démographiques, la politique familiale et nataliste, la médicalisation de l’accouchement et le vécu des mères. Sollicitée pour diriger le cinquième volume de l’Histoire des femmes en Occident consacré au XXe siècle, F. Thébaud y écrit un chapitre comparatiste qui analyse l’expérience de la Grande Guerre sous l’angle du genre (volume réédité et augmenté en 2002). Cette expérience du comparatisme, renouvelée dans l’ouvrage collectif Féminismes et identités nationales (avec Yolande Cohen*, 1998) et enrichie par sa connaissance des débats américains autour de la gender history, préfigure une nouvelle orientation de ses travaux vers l’écriture et l’épistémologie de l’histoire. Outre de nombreux articles en plusieurs langues sur la question, le livre issu de son habilitation à diriger des recherches, Écrire l’histoire des femmes (réédité et complété en 2007 sous le titre Écrire l’histoire des femmes et du genre), est une introduction incontournable à ce champ d’investigation. Assistante puis maître de conférences à l’université de Lyon 2 (1985-1997), F. Thébaud est ensuite professeure à l’université d’Avignon jusqu’à la retraite. Durant ces années, elle met en œuvre ce qu’elle nomme un « militantisme académique ». En créant et dirigeant la revue Clio, Histoire, femmes et sociétés (publiée en version bilingue français/anglais à partir de 2013) avec Michelle Zancarini-Fournel* puis Florence Rochefort*, elle contribue à la légitimation de l’histoire des femmes en France et à sa visibilité hors des frontières. Son souci de transmission auprès des nouvelles générations se manifeste aussi dans des publications collectives de vulgarisation ou à destination des enseignants : Les Mots de l’histoire des femmes (2004), La Place des femmes dans l’histoire, Une histoire mixte (2010) ou La Fabrique des filles, L’éducation des filles de Jules Ferry à la pilule (avec Rebecca Rogers*, 2010). Fondatrice et présidente (2001-2009) de l’Association pour le développement de l’histoire des femmes et du genre-Mnémosyne, elle œuvre pour faire accepter l’usage de la catégorie de genre en histoire dans le milieu universitaire et auprès des responsables de l’enseignement scolaire. Elle travaille sur la perspective biographique avec un ouvrage sur Marguerite Thibert*, historienne, intellectuelle engagée et fonctionnaire internationale (1886-1982).

Rebecca ROGERS

« Entre parcours intellectuel et essai d’ego-histoire. Le poids du genre », in Genre & histoire, no 4, printemps 2009.

THEILADE, Nini [POERWOKERTO, JAVA 1915]

Danseuse et chorégraphe danoise.

D’une mère d’origine javanaise et européenne qui fut son premier professeur et d’un père danois, Nini Theilade est inscrite à l’école de ballet d’Asta Mollerup en 1926 quand la famille s’installe au Danemark. Refusée en dépit de ses dons par l’école de ballet du Théâtre royal, la fillette de 12 ans part à Paris avec sa mère, suit les cours de Carina Ari* et se perfectionne chez Madame Egorova. À 14 ans, elle débute brillamment à La Haye avec un récital de solos réglés par elle et A. Mollerup. Sol Hurok devient son imprésario et, dès 1933, l’invite en Amérique. Entre 1931 et 1936, Max Reinhardt fait appel à elle dans ses spectacles donnés à Berlin, Vienne, Salzbourg et Florence. Dans sa production du Songe d’une nuit d’été, elle danse le rôle de la première fée et en achève la chorégraphie après la brouille de M. Reinhardt avec Bronislava Nijinska*. Joignant à la perfection de ses lignes un rayonnement poétique et exotique, N. Theilade se révèle créatrice. En 1934, elle crée, dans le style néoclassique, son premier ballet Psyché à Londres, avec l’Open Air Theater, puis avec le Ballet royal danois à Copenhague (1936) ; suivi de Cirklen (« le cercle », 1938), sur la Symphonie no 6 de Tchaïkovski. Entre 1938 et 1940, elle est étoile aux Ballets russes de Monte-Carlo, et Léonide Massine crée pour elle plusieurs rôles. Elle est ensuite réinvitée au Théâtre royal de Copenhague où elle crée Metaphor, ballet expressionniste sur une musique de Niels Viggo Bentzon, et Concerto de Schumann. Elle règle un des premiers ballets pour la télévision danoise, Græstrået (« le brin d’herbe », 1965), et dirige à Lyon son Académie de danse de 1969 à 1978. En 1990, elle retourne au Danemark, où elle mène une vie artistique très active : elle enseigne à l’école d’art dramatique d’Odense, participe à des représentations dramatiques et de danse, écrit ses mémoires… Un film sur sa vie est en cours de tournage.

Erik ASCHENGREEN

THEIN, Swee Lay [MALAISIE 1952]

Médecin chercheuse anglo-malaisienne.

Née en Malaisie, Swee Lay Thein y fait toutes ses études jusqu’à son doctorat en médecine, qu’elle obtient en 1976. Elle part ensuite à Leeds en Angleterre, comme interne, puis comme résidente en médecine générale, avant de se spécialiser en hématologie à l’école de médecine du Hammersmith Hospital et dans le département d’hématologie du Royal Free Hospital de Londres. Peu après, elle est acceptée dans le Medical Research Council (MRC), dans l’unité d’hématologie moléculaire et au John Radcliffe Hospital à Oxford. La recherche de S. L. Thein concerne les mécanismes moléculaires et cellulaires qui sont en jeu dans les maladies des globules rouges, telles que les thalassémies et la drépanocytose. Elle a contribué à la compréhension des facteurs génétiques qui déterminent ces maladies et aux tests qui permettent de les identifier, non seulement chez les malades, mais aussi lors d’un diagnostic anténatal chez le fœtus, dans les cas graves homozygotes. On comprend son engagement quand on sait que les thalassémies sont extrêmement répandues en Malaisie (plus de 60 000 conductrices et plus de 5 000 sujets atteints de bêta-thalassémies majeures), maladies extrêmement graves, souvent mortelles avant l’âge de 20 ans. La qualité de ses travaux et ses compétences lui font cumuler sa situation de consultante à l’hôpital de King’s College à Londres et de professeure d’hématologie moléculaire à la tête du département de thérapie génique et cellulaire à l’école de médecine de King’s College. En outre, elle est conseillère scientifique de la Société anglaise d’hématologie et du National Institute of Health (NIH), membre du MRC College of Experts. Elle siège aux comités de rédaction de nombreux journaux scientifiques de renommée internationale dans le domaine de l’hématologie. C’est une pionnière dans les progrès qui ont été faits pour le diagnostic et la prévention de ces graves maladies héréditaires de l’hémoglobine.

Yvette SULTAN

Avec VASAVDA N., ULUG P.et al., « Circulating DNA : a potential marker of sickle cell crisis », in British Journal of Haematology, vol. 139, no 2, oct. 2007 ; « Genetic modifiers of the beta-haemoglobinopathies », in British Journal of Haematology, vol. 141, no 3, mai 2008.

THE MATCHLESS ORINDA VOIR PHILIPS, Katherine

THÉMISTOCLÉA [VIe siècle aV. J.-C.]

Prêtresse de Delphes.

« Thémistocléa » signifie « gloire de Thémis », la déesse de la justice, titulaire, avec Gaia, de l’oracle delphique avant qu’Apollon n’en prenne possession. Protagoniste d’une oralité archaïque qui précéda l’émergence de la société de l’écrit (R. Thomas, Literacy and Orality in Ancient Greece [1992]), elle doit sa réputation aux seuls témoignages attestant la production et la transmission verbales de sa sagesse (quoique Josef Calasanz Poestion [Griechische Philosophinnen, Norden, Fischer Verlag, 2/1885, 69] évoque une correspondance perdue avec Pythagore). Diogène Laërce (IIIe s. apr. J.-C., Vies et doctrines des philosophes illustres, éd. M.-O. Goulet-Cazé) rapporte d’Aristoxène de Tarente (IVe s. av. J.-C.) « que Pythagore a emprunté la plupart de ses doctrines éthiques à Thémistocléa, la prêtresse de Delphes » (VIII, 8). L’importance de son enseignement n’est mise en doute ni par Gilles Ménage (Histoire des femmes philosophes, 1690/2003) ni par J. C. Poestion, bien que son nom apparaisse aussi sous le doublet « Aristocléa » (Porphyre, La Vie de Pythagore) et « Théocléa » (Souda, s.v.Pythagoras). L’authenticité de son existence pose cependant parfois problème. Personnage de « légende » pour les uns (K. von Fritz) et ailleurs écarté (Der neue Pauly, t. 12.1 [2002]), Thémistocléa est qualifiée d’« instructrice » de Pythagore par d’autres (M. Nühlen). Elle passe de maître à penser à fable. Deux problèmes se chevauchent : d’une part l’authentification des textes, lettres ou fragments anciens. Outre la difficulté de repérer les auteurs d’un texte, il y a eu, notamment dans l’Antiquité grecque, des périodes où la pseudonymie, l’imitation, le plagiat, voire la falsification des textes faisaient partie de la politique culturelle et de ses enjeux (M. E. Waithe, A History of Women Philosophers, t. I [1987], 59-74). D’autre part, il y a la tendance à argumenter à charge contre l’historicité des femmes remarquables, comme si leur émergence était moins vraisemblable que celle des hommes (ou dépendait d’eux). Dans le doute, on déréalise plutôt qu’on ne valorise l’indication historique. « Thémistocléa serait à Pythagore ce que Diotime est à Socrate dans le Banquet », écrit Luc Brisson (Diogène Laërce VIII, 8, no 7), cependant que la réalité historique de Diotime* de Mantinée est déjà fortement mise en doute (Dictionnaire des Philosophes Antiques, II [1994], dir. R. Goulet, s.v.Diotime : L. Brisson). Qui induirait de la proportion Thémistocléa est à Pythagore ce que Socrate est à Platon une quelconque fictivité de Socrate (bien que la philosophie platonicienne pose mutatis mutandis le problème de l’authenticité de l’auteur par sa forme « dialogique ») ? C’est Platon qui écrit. Toutefois, il ne suffit pas d’affirmer le contraire pour écarter toute incertitude. De toutes les pythies « seule Thémistocléa est vraiment authentique » (Jos. Scherf), tandis que les autres « filles d’Apollon » (Aristoniké*, Périalla*, Phêmonoê*), d’ordinaire anonymes, disparaissent du coup de la scène historiographique.

L’interrogation qui se pose, en somme, porte moins sur le rapport femme/homme que sur l’incontournable prise en compte du féminin, sur les enjeux conceptuels de sa reconnaissance sexuée ou proto-sexuée et les stratégies de sa récupération (Wersinger, 2010, 2011). Il faut aussi apprendre à lire la tournure « fille d’Apollon » au génitif objectif, valorisant le féminin, afin de rééquilibrer une lecture générique.

Eberhard GRUBER

PAULY A.F., Paulys Realencyclopädie der classischen Altertumswissenschaft, München, A. Druckenmüller, suppl.-VII, 1940 (K. von Fritz) ; MEYER UI., BENNENT-VAHLE H., Philosophinnen-Lexikon, Leipzig, Reclam Verlag, 1997 (M. Nühlen) ; CANCIK H., SCHNEIDER H. (dir.), Der neue Pauly. Enzyklopädie der Antike, t. 10, Stuttgart/Weimar, J.B. Metzler Verlag, 2001 (Jos. Scherf).

WERSINGER A.G., « Platon et la philosophie comme “figure” d’énonciation », in Philosophia (Académie d’Athènes), 40, 2010 ; ID., « La voix d’une “savante” : Diotime de Mantinée dans le Banquet de Platon (201d-212b) », in Cahiers Mondes anciens, 2, 2012.

THÉNON, Susana [BUENOS AIRES 1935 - ID. 1991]

Poétesse et photographe argentine.

À l’instar d’Alejandra Pizarnik* et de Juana Bignozzi*, Susana Thénon est classée parmi les écrivains de la génération des années 1960, qui se caractérisent par l’usage d’une langue familière et par la prédominance des thèmes sociaux. De multiples tons et registres parcourent ses poèmes. Dans ceux de la première période (Edad sin tregua, « époque sans trêve », 1958 ; Habitante de la nada, « habitant du néant », 1959 ; De lugares extraños, « au sujet de lieux étranges », 1967) abondent des images romantiques où le sujet poétique cherche à se définir tout en se construisant une voix mal à l’aise face au modèle poétique hérité. La deuxième période est rassemblée dans Distancias (« distances », 1984), un livre écrit entre 1968 et 1984 dans lequel on retrouve l’esprit de Mallarmé. Fortement expérimental, il explore la valeur sonore et spatiale des mots. Comme dans la danse, qui passionne l’auteure, le mot se fragmente et se place sur la page en association avec un rythme et un dessin précis. Ova completa (« ulve complète », 1987), son livre le plus connu, illustre une dernière période où la poétesse élabore une voix qui revisite toute son œuvre antérieure, souvent sur le mode parodique. Elle remet en question avec humour le savoir académique, le ton dramatique d’un certain discours poétique et les lieux communs attribués à l’écriture des femmes. Le langage, familier et direct, agit comme un miroir déformant : il reflète une réalité par moments grotesque en même temps qu’il remet en cause sa capacité à l’exprimer. La morada imposible I y II (« l’habitation impossible I et II », 2001) reprend son œuvre complète ainsi qu’une sélection de lettres et de poèmes inédits.

Carolina ESSES

THÉODORA [CONSTANTINOPLE début VIe siècle - ID. 548]

Impératrice d’Orient.

Épouse de l’empereur Justinien Ier, Théodora occupe le trône de Byzance de 527 à 548. Rien, dans ses origines, ne semble la préparer à un destin aussi brillant. Elle est issue des bas-fonds de la société. Son père était montreur d’ours à l’Hippodrome. Elle faisait partie des gens du spectacle dont les dignitaires de l’empire louaient les services pour agrémenter les fins de soirées, mais que l’on méprisait et qu’il était interdit d’épouser. À la mort de leur père, Théodora et ses sœurs se font danseuses et mimes. Très belle, Théodora doit surtout son succès à sa drôlerie et à sa liberté de comportement. Vive et moqueuse, elle prend, en dansant, des poses licencieuses voire obscènes, et n’hésite pas à se mettre nue en public. Sans en avoir fait profession, elle a dû se livrer à la prostitution. Elle en garde mépris et haine pour les hommes, surtout pour les plus hauts dignitaires. Devenue impératrice, elle s’en vengera cruellement. Avant le mariage, elle fait un long voyage en Méditerranée orientale, en Libye comme concubine du gouverneur, puis, après qu’il l’a chassée, en Égypte et en Syrie, où elle reçoit l’aide de moines sectateurs de l’hérésie monophysite qui la convertissent à leur foi et celle, plus utile, d’une grande dame d’Antioche qui la recommande à de puissants personnages de Constantinople. De retour dans la capitale, elle se retire du monde et adopte la vie d’une repentie. Cette conversion était indispensable pour que son mariage avec Justinien l’empereur soit possible. Cet Empire romain d’Orient, que l’on imagine figé dans les traditions, compassé dans le respect des convenances et pénétré de préjugés aristocratiques, est donc gouverné, à son apogée, par un couple impérial formé d’un fils de paysan et d’une danseuse légère. Justinien confère à Théodora de vrais pouvoirs. Les dignitaires doivent accomplir devant elle la proskynèse jusqu’alors réservée à l’empereur. Ses appartements comportent des prisons secrètes, où elle jette ses ennemis. Un partage des rôles s’est établi entre Justinien et elle. Quand l’empereur soutient les orthodoxes, Théodora, dans un souci d’équilibre, protège les hérétiques monophysites. Après sa mort, les moines monophysites célèbrent sa sainteté.

Georges TATE

PROCOPE DE CÉSARÉE, Histoire secrète, Paris, Les Belles Lettres, 1990 ; TATE G., Justinien, l’épopée de l’empire d’Orient, 527-565, Paris, Fayard 2004.

THÉODORA RAOUL CANTACUZÈNE PALÉOLOGUE [EMPIRE DE NICÉE vers 1240 - ID. 1300]

Princesse et femme de lettres byzantine.

Théodora, qui, selon la coutume de l’aristocratie byzantine, accumule les noms des lignages de ses parents ou de son mari, naît vers 1240 dans l’empire de Nicée alors que les Latins occupent Constantinople. L’empereur la marie en 1256 à Georges Mouzalôn. En 1258, à la mort de l’empereur, Georges, qui doit être régent, est assassiné sous les yeux de Théodora. L’oncle de celle-ci, Michel Paléologue, prend le pouvoir. Il entre à Constantinople en 1261 et règne seul (Michel VIII). Il remarie Théodora à l’un de ses grands officiers, Jean Raoul, qui meurt en 1274, après avoir eu d’elle plusieurs enfants. Théodora entre en religion comme l’avait fait sa mère Irène avant elle. Michel VIII est alors engagé dans une politique religieuse d’union avec l’Église latine qui suscite une vive opposition jusque dans sa famille : sa nièce, Théodora, et sa sœur, Irène, hostiles à l’union, sont emprisonnées. Après la mort de Michel VIII (1282), son fils Andronic II change de politique. Irène et Théodora rentrent à Constantinople et, en 1284, Théodora se retire dans le petit monastère constantinopolitain qu’elle a restauré.

Cette princesse courageuse et pieuse est considérée par ses contemporains comme la femme la plus cultivée de son époque. Deux manuscrits copiés de sa main avant 1274 nous sont parvenus. Passionnée de littérature antique, elle s’entoure de lettrés : son père spirituel est Georges-Grégoire de Chypre, patriarche de Constantinople, lui aussi épris d’Antiquité, et elle est la protectrice du moine Maxime Planude, acteur majeur de la renaissance à Byzance. Elle se constitue une importante bibliothèque et finance un atelier de copie, auquel on rattache une quinzaine de manuscrits conservés (des lectionnaires à miniatures). Il reste d’elle une « Vie de saint Théophane le Confesseur et de son frère Théodore », écrite à la demande de sa mère Irène pendant les années d’exil. Théophane et Théodore (les « Tatoués ») ont confessé la foi sous l’empereur iconoclaste Théophile, et leurs épreuves rappellent celles de Théodora et de sa mère. Le grec savant qu’emploie Théodora, ses nombreuses références à des auteurs profanes montrent sa culture. La date de la mort de Théodora, le 6 décembre 1300, est connue par une note de Maxime Planude dans un manuscrit de Thucydide.

Marina DETORAKI

NICOL D. M., The Byzantine Lady : Ten Portraits, 1250-1500, Cambridge, Cambridge University Press, 1994 ; PAPADOPOULOS-KERAMEUS A., Analekta Hiérosolumitikès Stachuologias, IV, Saint-Pétersbourg 1897.

THÉOPHILIDÈS, Viviane [PARIS 1939]

Comédienne, auteure dramatique et metteuse en scène française.

Viviane Théophilidès débute au Théâtre quotidien de Marseille comme comédienne. Elle joue ensuite au Théâtre de Bourgogne, au Grenier de Toulouse, participe à la création du Théâtre populaire des Pyrénées et fonde, en 1968, sa propre compagnie, où elle joue d’abord des classiques (Paul Claudel, Molière, Alfred de Musset), puis aborde la création contemporaine comme comédienne (Albert Camus) et comme metteuse en scène (Armand Gatti, Denise Bonal*, Philippe Minyana), soutenue par le Théâtre Ouvert de Micheline et Lucien Attoun. De 1975 à 2002, sa compagnie, devenue en 1980, avec Micheline Uzan, compagnie « Des femmes dans le texte » (subventionnée par l’État), choisit un répertoire contemporain (Jean Ristat, Michel Vinaver, Federico García Lorca, Rainer Werner Fassbinder, Jean-Pierre Léonardini). V. Théophilidès aborde l’histoire en adaptant les auteurs qui répondent à ses exigences poétiques et politiques (Gertrude Stein*, Hélène Cixous*, et Louis Aragon). Une de ses héroïnes favorites est Jeanne* d’Arc (celle de Joseph Delteil) à qui elle fait brandir un drapeau rouge (2007). Elle écrit sa première pièce, Joé Bousquet, rue de Verdun, en résidence à la Chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon (Centre national des écritures du spectacle). Elle travaille avec la chanteuse Anne Sylvestre* et avec des musiciens, écrit des histoires pour le jeune public. Après Conte d’hiver et de neige (2007), qu’elle a écrit et mis en scène, elle présente en 2010, au Festival d’Avignon, L’Homme atlantique de Marguerite Duras*. Pendant six ans, V. Théophilidès a été professeur au Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris et, pendant trois ans, lectrice au CNL. En 2011, elle n’a pas hésité à mettre en scène Cache-cash, d’un jeune auteur, Nicolas Haudelaine, et à jouer dans la pièce de J.-P. Wenzel, Frangins. Fidèle à son idéal, elle s’est engagée à servir un théâtre populaire et élitaire. J.-P. Léonardini affirme qu’elle est et demeure une « guerrière opiniâtre ».

Danielle DUMAS

Avec LIGER C., Saint Don Juan ; François d’Assise d’après J. Delteil, in L’Avant-scène théâtre, no 872/873, juin-juil. 1990.

SYLVESTRE A., Lala et le cirque du vent : comédie musicale, in L’Avant-scène théâtre, no 945, mars 1994.

THÉORET, France [MONTRÉAL 1942]

Poétesse et romancière canadienne d’expression française.

Membre du comité de direction de la revue La Barre du jour, puis cofondatrice des Têtes de pioche et de Spirale et, pendant près de vingt ans, enseignante de littérature, France Théoret s’est impliquée dans la création d’un réseau culturel et institutionnel indispensable au renouvellement de la société québécoise post-Duplessis. Son œuvre protéiforme se situe à la croisée des genres : la poésie imprégnée du formalisme des années 1970 jouxte le théâtre collectif – elle participa à l’expérience de La Nef des sorcières, pièce phare de la création théâtrale de l’époque –, le récit, le journal intime et l’essai. Mais c’est l’écriture poétique expérimentale qui fit la réputation de l’auteure. De Bloody Mary (1977) à Intérieurs (1984), les stratégies de l’écriture au féminin se manifestent dans la création poétique à travers l’hybridité générique et, surtout, le lyrisme d’un « je » écorché vif, évoquant des lieux psychiques et physiques à l’origine d’un malaise dans la culture. Le choix du roman, à partir du milieu des années 1980, renoue avec les voix féminines de générations antérieures. Nous parlerons comme on écrit s’applique à la quête identitaire d’une jeune narratrice qui, à l’intérieur d’Huis clos entre jeunes filles (2000), cherche à se libérer des tabous et de la censure propres à la « Grande Noirceur » (période de l’après-guerre jusqu’au décès de Maurice Duplessis en 1959), et à se frayer un chemin vers la liberté en dépit d’Une belle éducation (2006).

Andrea OBERHUBER

L’Homme qui peignait Staline, Montréal, Les Herbes rouges, 1989 ; Journal pour mémoire, Montréal, L’Hexagone, 1993.

CARRIÈRE M., Writing in the Feminine in French and English Canada, a Question of Ethics, Toronto, University of Toronto Press, 2002 ; DUPRÉ L., Stratégies du vertige, trois poètes : Nicole Brossard, Madeleine Gagnon, France Théoret, Montréal, Remue-ménage, 1989 ; SMART P., Écrire dans la maison du père, l’émergence du féminin dans la tradition littéraire du Québec (1988), Montréal, XYZ, 2003.

THÉORIE - FICTION [Québec XXe siècle]

Si les années 1960 ont été marquées, au Québec, par une nouvelle donne politique, accompagnée d’une réflexion soutenue de la part des écrivains sur le rôle et la fonction de la littérature dans l’économie générale d’une société, les années 1970 ont été surtout remarquables par les prises de position de mouvements féministes, dont l’objet premier sur le plan de l’écriture était d’interroger la parole elle-même comme lieu et enjeu de pouvoir ou de libération.

C’est à la revue La Barre du jour que revient d’avoir, la première, ouvert le débat au Québec. Fondée en 1965, elle se distingue des publications précédentes, et notamment de la revue indépendantiste Parti pris, par le choix d’une écriture résolument moderne. À partir de 1973, un numéro spécial, « Transgressions », attaque une grammaire ayant pour règle le fait que le masculin l’emporte sur le féminin. Ce coup d’envoi sera suivi de plusieurs événements destinés à mettre au jour la nécessité de faire émerger le féminin dans la langue. Organisatrice de la rencontre québécoise internationale portant sur la femme et l’écriture, à l’automne 1975, Nicole Brossard*, dans sa conférence inaugurale, pose la question préalable, celle d’une différence « évacuée, oubliée, rejetée ; ou parfois assimilée par la pensée phallocentrique, qui à l’occasion y tire un bénéfice marginal ». Et elle en conclut : « Explorer cette différence, c’est nécessairement l’inscrire dans un langage qui questionne le sexisme des langues que nous parlons et écrivons. » L’exploration se poursuit dans un numéro spécial « Femme et langage », qui constitue un éventail représentatif des avancées théoriques. Dans « E muet mutant », N. Brossard annonce la venue du « texte féminin, c’est-à-dire d’une écriture qui n’efface pas son origine, qui au contraire la tente et la creuse ». Cette écriture n’hésitera pas à transgresser un certain ordre du discours, à dire le détail et l’insignifiant, à laisser parler le corps et ses interdits, à user de la forme litanique comme de toute forme susceptible de capter la mouvance de l’« écriture-femme ». France Théoret* revendique le passage obligé de la théorie par la fiction. Il s’agit d’écrire pour trouver sa propre langue, pour retrouver sa trace dans la langue, pour (re-)configurer cette trace en l’écrivant. Projet dont l’apposition des termes « Je, langue, mère » montre bien la dimension existentielle. La non-maîtrise est affichée comme condition initiale de l’écriture, comme disposition nécessaire à l’enfantement de soi, par et à travers la langue. De son côté, Yolande Villemaire* propose un texte-tourbillon aux phrases déroutantes et Madeleine Gagnon* précise que la révolution féministe ne se fera qu’au niveau du pouvoir réel : économique, politique, idéologue.

Désignée désormais comme La Nouvelle Barre du jour, la revue publie un numéro intitulé « Le corps, les mots, l’imaginaire », dans lequel se poursuit l’exploration de l’écriture au féminin. Alors que M. Gagnon en appelle à une « rhétorique des profondeurs » qui la conduirait à sa langue « étrangère et maternelle » et à une parole des commencements qu’elle nomme « parole archéologique », que Carole Massé se demande « par où commencer à parler », Louky Bersianik entreprend sa dénonciation du « verbe mâle ». Si l’on ajoute à ces textes ceux de Louise Cotnoir sur la réception des écritures au féminin et sur « le genre marqué », mise en garde contre le danger d’embrigadement dans une nouvelle doxa féministe, on a un ensemble significatif des réflexions théoriques de celles qui n’ont pas hésité à se déclarer, à la suite de Claudine Herrmann, des « voleuses de langues ».

Les prises de position féministes apparaissent également dans des textes manifestes qui empruntent leur forme à d’autres genres, comme le roman, la poésie et le théâtre. Dans Pour les femmes et tous les autres, suivi de Poélitique, M. Gagnon se propose de donner la parole aux représentants des classes opprimées, au premier rang desquels se trouvent les femmes. Transgressif et ludique, le roman L’Euguélionne, de L. Bersianik, se présente comme une réécriture parodique de l’Évangile par une narratrice femme ; une extraterrestre observe, étonnée et enjouée, les habitants de notre planète, et dénonce, par le biais de l’humour, les normes et acquis de la société patriarcale. Les Fées ont soif, œuvre théâtrale de Denise Boucher*, s’attaque non seulement aux rôles sociaux, mais également aux images et aux symboles sur lesquels repose la civilisation occidentale. Si L. Bersianik attaque de préférence la sémantique et la grammaire, M. Gagnon et D. Boucher utilisent une langue démaquillée pour dénoncer les modes d’organisation sociale aussi bien que leurs systèmes de représentation.

Parce que l’écriture au féminin est un espace flou, indéfini, qui tire de sa non-définition même les principes de sa spécificité, les femmes, qui ont écrit dans la conscience d’avoir à inventer de nouvelles manières de dire, ont fait ce qu’elles ont désigné elles-mêmes sous le nom de « théorie-fiction » : fictions se situant sur une frontière flottante entre prose et poésie comme entre le romanesque et l’autobiographique, voire l’essai. Dans ce domaine, signalons tout particulièrement l’ouvrage de Madeleine Ouellette-Michalska*, L’Échappée des discours de l’œil (1981), mise en question des représentations de la femme dans la philosophie occidentale, ou encore les points de vue analytiques de Suzanne Lamy (D’elles, 1979) et de Louise Dupré* à propos de la spécificité de l’écriture au féminin (Stratégies du vertige, 1989). Signalons encore la fondation, en 1981, de la revue Arcade par Claudine Bertrand*, consacrée à l’écriture au féminin.

Lise GAUVIN

BERSIANIK L., L’Euguélionne, Montréal, La Presse, 1976 ; BOUCHER D., Les Fées ont soif (1979), Montréal, Typo, 1989 ; BERTRAND C., COTNOIR L., 80 voix au féminin, anthologie Arcade 1981-1996, Trois-Rivières, Arcade, 1996 ; BROSSARD N. (dir.), La Théorie, un dimanche, Montréal, Remue-ménage, 1988 ; DUPRÉ L., Stratégies du vertige, Montréal, Remue-ménage, 1989 ; GAGNON M., Autographie, Montréal, VLB éditeur, 1982 ; LAMY S., D’elles, Montréal, L’Hexagone, 1979 ; OUELLETTE-MICHALSKA M., L’Échappée des discours de l’œil, Montréal, Nouvelle optique, 1981.

« La femme et l’écriture », in Liberté, Montréal, vol. 18, nos 4-5, juil.-oct. 1976 ; « Femme et langage », in La Barre du jour, Montréal, no 50, hiver 1975.

THEPYASUWAN, M. L. Boonlua VOIR BOONLUA

THÉRAME, Victoria [MARSEILLE 1937]

Écrivaine française.

Lorsqu’elle cesse ses études à 16 ans, Victoria Thérame est formée par son père – qui la destine également au mariage – pour reprendre la boutique de change familiale. Mais en 1959, Françoise d’Eaubonne*, lectrice chez Julliard, retient son premier roman, Morbidezza, publié l’année suivante sous le pseudonyme Thérame, alliage forgé de l’italien terremoto (devenu terramoto) de Dante et d’Érasme (Journal d’une dragueuse, 1990). Afin de s’assurer une stabilité financière, elle suit des études d’infirmière à Marseille puis, de retour à Paris, travaille de nuit dans le milieu hospitalier pendant dix ans. En 1970, elle publie ses premiers poèmes, Trans-viscère-express, et devient conductrice de taxi. Viennent ensuite deux romans, publiés aux éditions des femmes, qui la font connaître du public : Hosto Blues (1974) et La Dame au bidule (1976). Pigiste à la fin des années 1970 (Charlie Hebdo), auteure d’une quinzaine de textes (romans, nouvelles, poèmes et pièce de théâtre), son travail littéraire s’érige, en partie, sur l’écriture de son expérience, notamment professionnelle, en prise directe avec la réalité sociale et politique qui suscite sa révolte.

Audrey LASSERRE

NAUDIER D., « Sociologie d’un miracle éditorial dans un contexte féministe », in Genèses, no 64, sept. 2006.