LA PRESSE FÉMININE INDONÉSIENNE [depuis 1906]

L’histoire de la presse féminine indonésienne est à mettre en relation avec le développement de l’enseignement occidental dans le cadre de la « politique éthique » des autorités coloniales néerlandaises. Elle commence en 1906, avec la parution dans Tiong Hoa Wi Sien Po, journal réformiste chinois, d’une section réservée aux femmes. Paru en 1908 à Batavia (l’actuelle Jakarta), Poetri Hindia (« filles des Indes »), premier périodique entièrement destiné aux femmes, publiait des conseils pratiques relatifs à la vie quotidienne, des feuilletons et des articles concernant surtout l’émancipation féminine. Les revues parues ensuite jusqu’en 1914, telle Soenting Melajoe (« parure malaise »), fondée en 1912 à Padang, étaient, comme les précédentes, des tentatives isolées. Poetri Mardika (« filles libres », 1914), organe éponyme de la première organisation pour la promotion de l’éducation féminine, créée avec l’assistance de l’organisation masculine Boedi Oetomo (« noble aspiration »), marque le début d’une période pendant laquelle les périodiques féminins sont le plus souvent les organes d’organisations de femmes (1914-1942). Cette revue, qui voulait aider les femmes à se libérer, critiquait des coutumes telles que le mariage d’enfants, le mariage forcé et la polygamie. Lui succédèrent des revues comme Soeara’Aisjijah (« la voix d’Aisjijah »), lancée en 1925 par la branche féminine de l’association musulmane Moehammadijah, ou Soeara Perempuan (« la voix des femmes »), parue à Padang en 1918, émanant de l’organisation proprement féminine Pergerakan Perempoean (« mouvement des femmes »). Cette dernière revue critiquait, entre autres, l’idée qu’études et travail pouvaient détourner les femmes de leurs tâches traditionnelles. Certaines revues n’étaient pas rattachées à une association, telle Isteri Merdika (« l’épouse libre »), parue en 1923 à Bandung, qui réclamait des droits égaux en matière d’héritage, la suppression de la prostitution, le droit de vote. En 1928, des associations féminines se regroupèrent en une fédération qui prit, en 1929, le nom de Perikatan Perhimpoenan Istri Indonesia (fédération des associations d’épouses indonésiennes) et lança la même année le mensuel Istri (« l’épouse ») qui fit paraître, à partir de 1931, des articles politiques, certains indiquant que l’objectif principal du peuple indonésien était l’obtention de l’indépendance, sans bien définir le rôle des femmes dans ce combat. D’autres revues d’associations féminines étaient plus déterminées, par exemple Sedar (« consciente »), lancée en 1930 à Bandung par l’association Istri Sedar (« l’épouse consciente »).

La guerre du Pacifique mit fin à presque toutes les organisations et revues féminines. Parmi les revues parues à nouveau après l’occupation japonaise, certaines sont les organes d’organisations réapparues ou créées ; d’autres, des entreprises individuelles. Suara Perwari (« la voix de Perwari »), devenue Trisula (« trident ») en 1959, est, par exemple, l’organe de la Persatuan Wanita Republik Indonesia (union des femmes de la république d’Indonésie) créée en 1945. Il donnait, entre autres, des nouvelles des démêlés de l’association avec le gouvernement sur la question de la loi matrimoniale. Certains périodiques étaient publiés par des associations de femmes dont les maris exerçaient la même profession, telle Mekar (« floraison »), revue de l’association des épouses de militaires fondée en 1946 ; d’autres, par des associations de femmes ayant un programme politique précis, comme celle créée en 1956 par Gerwani, mouvement féminin d’obédience communiste, et appelée Berita Gerwani (« nouvelles du Gerwani »). Parmi les périodiques lancés individuellement, citons Keluarga (« famille »), créé en 1952 à Jakarta, comprenant recettes de cuisine, nouvelles sur la mode et conseils pratiques divers pour les parents.

Le coup d’État de 1965 porta un coup dur aux organisations. Beaucoup furent supprimées (entre autres, Gerwani) et, avec elles, leurs publications. Les revues féministes furent remplacées par des revues féminines à la présentation attrayante, richement illustrées, traitant surtout de la mode, des soins de beauté et de cuisine. La plupart d’entre elles cependant (notamment Wanita, Kartini, Sarinah, Dewi, Famili, Femina) avaient une rubrique littéraire, permettant à des écrivaines de publier nouvelles et feuilletons. Cette tendance s’est poursuivie après la reformasi (depuis 1998). Jurnal Perempuan (« revue des femmes ») est quasiment la seule revue féministe, lancée en 1996 par la fondation Yayasan Jurnal Perempuan, elle-même créée en 1995 pour promouvoir et diffuser des informations sur les droits et les problèmes des femmes en Indonésie. On y trouve ainsi des dossiers comme « Discours sur le corps des femmes », « Femmes et culture pop », « Le mouvement international des femmes », « Les femmes dans la littérature » ou « Considération sur la polygamie ».

Monique ZAINI-LAJOUBERT

SALMON C., « Presse féminine ou féministe ? », in Archipel, no 13, 1977.

LA PRESSE FÉMININE MALAISIENNE [depuis 1930]

Le premier périodique féminin apparaît en Malaisie en 1930, à une époque où les idées modernistes venues d’Occident et d’Égypte, relatives en particulier à l’éducation des filles, se développent. Il s’agit de la revue Bulan Melayu (« mensuel malais », 1930-1941), entièrement prise en main par des femmes et publiée par le Persekutuan Guru-guru Perempuan Melayu Johore, association des enseignantes malaises de Johor fondée en 1929 par Ibu Zain, qui dirige la revue et rédige la plupart des articles. L’éducation y est mise en avant, considérée comme clé de l’amélioration de la condition des femmes par Ibu Zain. Cette dernière incite cependant les femmes malaises à conserver leurs caractéristiques traditionnelles, à ne pas se laisser influencer par les idées de l’Occident et des modernistes, concernant, en particulier, les rapports entre les sexes. Ainsi, l’influence que pouvait avoir sur elles le roman Hikayat Faridah Hanom (« histoire de Faridah Hanom », 1925-1926), de l’écrivain Syed Sheikh al-Hadi, promouvant l’émancipation féminine selon les idées des modernistes égyptiens, l’inquiétait.

Cet organe ouvrit la voie à d’autres revues féminines, telles Dewan Perempuan (« conseil des femmes », 1935), Puteri Melayu (« filles malaises », 1947), qui, comme Bulan Melayu, comportaient une rubrique réservée aux contributions des femmes, Ibu (« mères », 1952), Puteri (« filles », 1962) ou Taman Wanita (« jardin des femmes », 1968). La publication en 1969 de Wanita (« femmes ») par Utusan Melayu Bhd, publiant par ailleurs les journaux Utusan Melayu et Utusan Malaysia, marque un tournant dans le développement des périodiques féminins. Sa fondation répond au besoin que ressentaient alors les écrivaines d’une revue « capable de refléter les progrès et le mouvement des femmes sous tous leurs aspects ». Wanita domine dès lors le marché des périodiques féminins, influençant ou entravant le développement d’autres revues féminines. Avec le renouveau de l’islam dans les années 1970 se développe l’idée que la religion ne se limite pas à la mort, au paradis ou aux péchés, qu’elle ne peut être séparée de la vie de tous les jours. Il paraît alors pour la première fois, dans les années 1980, des revues féminines musulmanes au contenu plus concret. Il existait, dans ces années-là, cinq revues de ce genre, certaines soutenues par le mouvement extrémiste musulman Al-Arqam, interdit en 1994.

Si 53 revues paraissent après Wanita, peu d’entre elles parviennent à subsister plus de deux ans. En novembre 1998, il en restait cependant encore 18. Parmi ces dernières, quatre seulement sont restées solides : Wanita, la principale revue, Jelita (« jolie », 1976), Perempuan (« femmes », 1990) et Nona (« mademoiselle », 1986). Certaines de ces revues furent d’abord dirigées par des hommes avant d’être prises en main par des femmes. C’est, par exemple, le cas de Jelita qui, à sa fondation, fut dirigée par A. Samad Ismail et A. Shukor Harun avant qu’ils ne soient remplacés par Adibah Amin, puis par Zaharah Nawawi*.

Monique ZAINI-LAJOUBERT

ABDUL RAHMAN HAJI ABDULLAH, Pemikiran Islam di Malaysia, Sejarah dan Aliran, Jakarta, Gema Insani Press, 1997 ; CAMPBELL C., Contrary Visions : Women and Work in Malay Novels Written by Women, Kuala Lumpur, Dewan Bahasa dan Pustaka, 2004 ; HAMEDI MOHD ADNAN, Penerbitan Majalah di Malaysia. Isu-isu dan Cabaran, Shah Alam, Karisma Publications, 2003 ; ROSNAH BAHARUDIN, Wacana Wanita Melayu dan Sastera, Bangi, Universiti Kebangsaan Malaysia, 2003.

LA PRESSE FÉMININE THAÏLANDAISE [depuis 1922]

À partir de 1922, les femmes commencent à prendre une part active dans le développement de la presse féminine. C’est d’abord une revue intitulée Satri Sap (« trésors féminins ») qui paraît sous la direction d’une éditrice, Pha-op Pongsrichan. Celle-ci déclare que ce magazine a pour vocation d’être le porte-parole des femmes qui doivent subir les contraintes exercées par les hommes. C’est ensuite, en 1925, la création d’une autre revue hebdomadaire, Satri Thai (« femme de Thaïlande »), dont le slogan, « Pour éclairer toutes les femmes », figure en toutes lettres sur la couverture. Ce périodique est lui aussi dirigé par une éditrice, Chalam Jirasuk. Satri Sap et Satri Thai constituent le premier appel aux femmes siamoises pour qu’elles reconsidèrent leur statut dans la société. Après la réforme politique de 1932 (abolition de la monarchie absolue) et les deux guerres mondiales, la presse féminine continue son parcours et plus 25 magazines pour les femmes apparaissent entre 1947 et 1957. Satri Sarn (« le magazine des femmes »), dont le premier numéro date du 10 mars 1948, est le plus connu de ces périodiques féminins. De 1951 à 1996, sous la direction ferme et constante de Nilawan Pinthong*, ce magazine occupa une position prépondérante parmi les titres de la presse périodique. De nos jours, les magazines s’adressant aux femmes (Kulsatri, « femme du monde » ; Khwan Ruen, « la fée du logis ») ont perdu leur côté féministe pour retrouver un ton plus « féminin » et ils remettent l’accent sur l’image traditionnelle de la femme (cuisine, famille…). Parallèlement, la presse féminine regorge de traductions de titres étrangers tels Cosmopolitan, Elle, Harper’s Bazaar, Madame Figaro ou Marie Claire.

Banthun RATMANEE

PRESTON, Gaylene [WELLINGTON 1947]

Réalisatrice néo-zélandaise.

Gaylene Preston est l’une des cinéastes les plus réputées de Nouvelle-Zélande, aussi talentueuse dans le drame que dans le genre documentaire et très admirée pour sa capacité à survivre, depuis plus de trente ans, dans une industrie difficile. Après avoir étudié l’art à l’école des beaux-arts d’Ilam (1965-1967), elle s’est formée comme art-thérapeute en Grande-Bretagne. Elle réalise son premier film, The Animals and the Lawnmower (« les animaux et la tondeuse », 1972), avec les patients de l’hôpital anglais de Fulbourn. Cette expérience lui montre le pouvoir du cinéma de donner la parole aux gens ordinaires. Durant son séjour en Grande-Bretagne, elle s’implique dans Scarlet Women, le groupe féministe de l’université de Cambridge, et dessine pour des publications, telles Spare Rib et Bloody Women. De retour en Nouvelle-Zélande en 1977, elle tourne son premier documentaire indépendant, All the Way Up There (« en route vers le sommet », 1978), sur le montagnard Graeme Dingle et ses efforts pour permettre à un jeune homme atteint d’infirmité motrice de réaliser son rêve : « escalader » une montagne. Son premier long-métrage, Mr. Wrong (1985), est un thriller dans lequel une pakeha (« femme d’origine européenne ») débrouillarde déjoue les manœuvres de son bourreau et réussit à s’échapper. Ces deux tendances, la sensibilité féministe d’une part et le désir de faire parler les gens grâce au cinéma de l’autre, se retrouvent dans l’ensemble de son œuvre. G. Preston a dirigé cinq longs-métrages, dont un biopic intitulé Bread and Roses (1993) sur Sonja Davies, déléguée syndicale et parlementaire travailliste, dans la tradition de Margarethe von Trotta* et son Rosa Luxemburg (1987). Son dernier film, Perfect Strangers (2003), est une comédie noire avec Sam Neill et Rachel Blake. Elle a tourné 15 documentaires, dont des portraits d’artistes : sur Keri Hulme*, lauréate du Booker Prize (Kai Purakau : Keri Hulme teller of tales, 1987) ; sur le poète maori Hone Tuwhare (Hone Tuwhare No Other Lips, 1996) et sur la peintre pionnière Rita Angus* (Lovely Rita, 2007). Consacré au cancer du sein, son documentaire Titless Wonders (2005) suit une amie proche dans un traitement alternatif éprouvant qui échoue. G. Preston est considérée comme une novatrice pour les documentaires sur l’histoire orale, qui lui donnent l’occasion de réaliser des films envoûtants au rythme lent, sans montage dérangeant. Dans War Stories Our Mothers Never Told Us (1995), elle interroge sa propre mère au cours d’un entretien captivant sur son expérience de la guerre.

Deborah SHEPARD

PRÊTRESSES GRECQUES VOIR LYSIMACHÉ ; CETRANIA SEVERINA

PRÉVOST, Françoise [PARIS 1681 - ID. 1741]

Danseuse et chorégraphe française.

Fille d’un surveillant du personnel de l’Opéra, élève de Michel Blondy, Françoise Prévost fait tôt ses débuts sur la scène de ce théâtre, en octobre 1695, ce qui lui vaut le surnom de « la petite Prévost ». Elle y poursuit une prestigieuse carrière, s’affirmant comme la principale soliste de la troupe après le départ de Mlle de Subligny. Elle quitte la scène en 1730, laissant place à ses élèves et héritières Marie Sallé* et Marie-Anne de Camargo*. Danseuse élégante, excellente technicienne dont on loue la légèreté et la précision, elle aborde avec succès une palette variée de rôles. Novatrice, elle se fait remarquer dans une scène mimée des imprécations de Camille d’Horace (Corneille) qu’elle interprète devant le cercle de la duchesse du Maine (1714). Chorégraphe, elle s’impose dans les Caractères de la danse (1715), symphonie chorégraphique qu’elle inspire à Jean-Féry Rebel, et règle pour elle-même un solo où elle déploie les multiples facettes de son talent.

Nathalie LECOMTE

ASTIER R., « Françoise Prévost : The Unauthorized Biography », in BROOKS L. M. (dir.) Women’s Work : Making Dance in Europe Before 1800, Madison, University of Wisconsin Press, 2008.

PRICE, Leontyne (née Mary Violet Leontyne PRICE) [LAUREL 1927]

Soprano américaine.

L’ascension internationale de Leontyne Price remonte aux années 1960. Elle est née dans un faubourg réservé aux Noirs du Mississipi isolés par la ségrégation. Son talent pour la musique se manifeste très tôt, tant et si bien qu’elle obtient une bourse pour le programme d’éducation musicale de la Central State University de Wilberforce, dans l’Ohio, puis une autre pour la Juilliard School de New York. Le compositeur Virgil Thomson l’engage pour une reprise de son opéra Four Saints in Three Acts donné à Broadway en 1952. Elle se voit offrir son premier grand succès avec Bess en 1954 dans la production de Porgy and Bess de George Gershwin à travers les États-Unis et en Europe. En 1955, elle est engagée par le NBC TV Opera pour chanter dans une représentation en anglais de Tosca de Giacomo Puccini. La distribution d’une cantatrice noire – à l’époque une première à la télévision – suscite des controverses, et plusieurs chaînes refusent de relayer le programme. Ce qui n’empêche pas L. Price de rencontrer un vif succès. Deux ans plus tard, elle fait ses débuts à l’opéra dans le rôle de Mme Lidoine pour la première américaine des Dialogues des carmélites de Francis Poulenc à l’Opéra de San Francisco. En 1958, après une audition à Carnegie Hall pour Herbert von Karajan, ce dernier l’invite à l’Opéra de Vienne pour le rôle d’Aïda : c’est un triomphe… Ils se produiront souvent ensemble, notamment dans Le Trouvère de Verdi à Salzbourg en 1962, et en concert avec les Requiem de Mozart et de Verdi et la Missa solemnis de Beethoven, tandis qu’en studio ils enregistrent Tosca et Carmen. En 1961, elle est Léonore du Trouvère de Verdi au Metropolitan Opera. Son arrivée au « Met » est considérée comme un pas important du combat pour les droits civiques. En 1966, pour l’ouverture de la nouvelle salle du « Met » au Lincoln Center, elle participe à la création d’Antony and Cleopatra que Samuel Barber a écrit pour elle. En 1969, elle crée également un cycle de chants que Barber lui a dédié, Despite and Still. Après s’être faite assez discrète à l’opéra pendant une dizaine d’années, elle revient en 1977 au Festival de Salzbourg pour y chanter Le Trouvère dirigé par Karajan. Ses adieux à l’opéra ont lieu au Met en 1985. Elle concentre alors sa carrière sur le récital, offrant un programme qui associe mélodie française, lied, negro spiritual, airs d’opéra et chants populaires. Elle donne des master-classes à la Juilliard School et dans plusieurs autres institutions.

Bruno SERROU

PRICE, Margaret [BLOCKWOOD 1941]

Soprano britannique.

Dame Margaret Price est célèbre pour ses interprétations de Mozart et pour son enregistrement de Tristan und Isolde de Wagner sous la direction de Carlos Kleiber, qui l’a expressément choisie comme Isolde alors qu’elle n’en possédait pas les moyens vocaux. Issue d’une famille de mélomanes, elle commence tôt à chanter pour le plaisir, mais envisage de devenir professeure de biologie. Lorsqu’elle a 15 ans, son professeur de musique organise une audition avec Charles Kennedy Scott qui la convainc d’étudier avec lui au Trinity College of Music de Londres. Les années suivantes, elle suit une formation de mezzo-soprano, et, après ses études, elle rejoint l’ensemble vocal The Ambrosian Singers. Elle débute à l’opéra en 1962 en Chérubin des Noces de Figaro de Mozart au Welsh National Opera. La même année, elle entre au Covent Garden de Londres, où elle se voit confier quantité de petits rôles, jusqu’à ce qu’elle devienne subitement célèbre en remplaçant Teresa Berganza*, cette fois encore dans le rôle de Chérubin. Elle reçoit, entre autres, le soutien d’Otto Klemperer, qui dirige son premier enregistrement d’un rôle principal dans un opéra intégral, Fiordiligi dans Così fan tutte de Mozart. Au Festival de Glyndebourne, elle est Constance de L’Enlèvement au sérail et Fiordiligi. En 1969, elle est invitée à l’Opéra de San Francisco où elle est Pamina dans La Flûte enchantée de Mozart puis Nanetta dans Falstaff de Verdi, et, en 1971, elle triomphe à l’Opéra de Cologne en Donna Anna de Don Giovanni. Elle est dès lors considérée comme l’une des grandes mozartiennes de son temps, ce qui lui vaut d’être invitée à l’Opéra de Munich, à Chicago, à l’Opéra de Paris, où elle est en 1973 la Comtesse des Noces de Figaro, Fiordiligi, et Desdémone de l’Otello de Verdi, accompagnant la troupe de l’Opéra en tournée en Amérique du Nord, occasion de ses débuts au Metropolitan Opera de New York. Pour le bicentenaire de la Scala de Milan en 1978, elle est Élisabeth de Valois dans Don Carlos de G. Verdi. Appréciant peu les voyages, elle a toujours gardé une scène d’attache où elle peut chanter la majeure partie de l’année. Ainsi, ce fut d’abord Covent Garden, à Londres, puis l’Opéra de Cologne, enfin l’Opéra de Bavière à Munich, de 1971 à 1999. Elle a également interprété des rôles comme Amelia d’Un bal masqué de Verdi, Ariane à Naxos de Strauss et Adriana Lecouvreur* de Francesco Cilea. Elle aime aussi interpréter le lied.

Bruno SERROU

PRICHARD, Katharine Susannah [LEVUKA 1883 - PERTH 1969]

Écrivaine australienne.

Née aux îles Fidji, où son père est rédacteur en chef du Fiji Times, Katharine Susannah Prichard a 3 ans lorsque sa famille retourne vivre en Australie. Après ses études secondaires, la jeune femme devient gouvernante dans l’Outback, l’arrière-pays sauvage et reculé d’Australie. Dès son retour à Melbourne, elle entame une carrière de journaliste avant de repartir en 1908 travailler à Londres en free-lance pour le Melbourne Herald. Bouleversée par les conditions de pauvreté dans lesquelles vit la classe ouvrière londonienne, elle deviendra plus tard l’un des membres fondateurs du parti communiste australien. Puisant dans les carnets tenus au cours de son séjour dans l’Outback, elle écrit The Pioneers (1915), roman historique qui dépeint la colonisation du Gippsland. En 1919, elle épouse un vétéran de Gallipoli, le lieutenant Hugo ‘Jim’Throssell, et le jeune couple s’installe, au début des années 1920, à Greenmount, dans la banlieue de Perth où naîtra leur fils, Ric, en 1922. L’auteure se consacre alors aux deux grandes passions de sa vie, la politique (d’orientation marxiste) et l’écriture. Traduite dans de nombreuses langues, son œuvre socioréaliste s’inscrit directement dans la tradition littéraire nationaliste australienne de la fin du XIXe siècle. Deux romans des années 1920, Working Bullocks (« bœufs de labour ») et Coonardoo, scelleront la réputation internationale de l’écrivaine. Salué par la critique littéraire comme un ouvrage courageux, Coonardoo (1929) fait outrage à l’opinion publique car il traite de questions considérées comme taboues par la société blanche de l’époque et met en scène une Aborigène. K. S. Prichard publiera ensuite de nombreux romans, pièces de théâtre, essais et recueils de poésie. Profondément marquée par le suicide de son mari en 1933, puis désarçonnée par la vague du mouvement anticommuniste qui déferle sur le monde occidental dans les années 1950, elle ne renoncera pourtant jamais à son engagement politique.

Sheila COLLINGWOOD-WHITTICK

Coonardoo (Coonardoo : The Well in the Shadow, 1929), Boulogne-Billancourt, La Petite Maison, 1991.

BIRD D., Katharine Susannah Prichard : Stories, Journalism and Essays, St Lucia, Queensland University Press, 2000 ; THROSSEL R., Wild Weeds and Wind Flowers : The Life and Letters of Katharine Susannah Prichard, Sydney, Angus & Robertson, 1975.

ELLIS C., « Social realism in the Australian literary Context », in Journal of Australian Studies, 1997.

PRIDA, Dolores [CAIBARIÉN 1943]

Auteure dramatique et journaliste cubaine.

Émigrée aux États-Unis en 1961, Dolores Prida fait ses débuts en 1976 dans une création collective du groupe Teatro Popular, pour lequel elle écrit des pièces brèves. Elle développe son œuvre dans les théâtres hispaniques de New York, dont elle devient l’une des figures les plus importantes dans les années 1980-1990. Ses pièces, fondées sur des stéréotypes (personnages, langage, situations), reflètent la situation des Cubaines aux États-Unis, partagées entre la tradition de la culture populaire latine et la culture nord-américaine, obligées de s’adapter à un monde moderne qui les considère toujours comme différentes. Las Beautiful Señoritas (1977) montre le décalage des jeunes filles d’origine cubaine voulant satisfaire les clichés de la société traditionnelle dans un concours de beauté, mais vivant les expériences des jeunes filles aux États-Unis ; Casa propia (« une maison à soi ») évoque la difficulté du rejet par les femmes de l’autorité patriarcale masculine. Coser y cantar (« coudre et chanter », 1981), peut-être sa pièce la plus surprenante, montre les deux facettes d’une même femme, She et Ella, parlant respectivement l’anglais et l’espagnol, et divisée entre deux cultures. Botánica (1991) montre la difficulté, pour les jeunes filles latino-américaines, à faire des études et à s’adapter hors des quartiers où elles ont grandi. Avec des dialogues vifs et souvent comiques, où elle mélange l’espagnol et l’anglais, elle inclut toujours une partie musicale, des chansons populaires cubaines, qui rattachent son œuvre aux comédies musicales américaines.

Manuel GARCÍA MARTÍNEZ

PRIETO, Marta Susana [PUERTO CORTÉS 1944]

Écrivaine hondurienne.

Membre fondateur du Centre culturel pour les enfants de San Pedro Sula, collaboratrice de la revue littéraire Tragaluz (« lucarne ») et de la rubrique littéraire des journaux La Prensa et Tiempos, Marta Susana Prieto fait aussi partie de l’Académie hondurienne de la langue. Son premier roman, Melodía de silencios (« mélodie de silences », 1999), se place dans la perspective du souvenir et de la prose poétique. Il s’agit d’une immersion dans les profondeurs et la complexité des sentiments et des réactions de l’individu face aux autres et face à la différence. Son recueil de nouvelles Animalario (2002) est plus réaliste. Les histoires qui le composent se déroulent dans l’univers du quotidien, dans les diverses expériences qui constituent la trame d’une vie : les voyages, un retour sur le lieu de son enfance, les présages d’une mort qui s’annonce inéluctable. Si quelques textes d’Animalario se tournent vers d’autres dimensions et d’autres modalités, notamment le symbolique et le fantastique, avec l’introduction de l’inexplicable et de l’insolite dans le quotidien, la ligne directrice est toujours une réflexion sur la liberté, sur ce qui pousse l’individu à l’imaginer, à la vouloir, à la vivre et à s’engager pour qu’elle fasse partie de son être. Le deuxième roman de M. S. Prieto, Memoria de las sombras (« mémoire des ombres », 2005), recrée les années de la conquête et de l’affrontement entre les indigènes amérindiens et les Espagnols dans le territoire qui est devenu par la suite le Honduras en 1538. C’est le fruit de plusieurs années de recherches sur l’histoire de l’Amérique centrale et du Mexique, un travail qui lui permet de transformer l’histoire en fiction, de la revisiter et de la représenter à partir de perspectives inédites qui viennent se juxtaposer à celles formulées par l’histoire officielle. Dans ce roman historique qui retrace la violence et la destruction des peuples et des cultures, l’événement le plus important – la rébellion de Lempira, un personnage devenu mythique – est perçu à travers l’histoire de la jeune indigène Ixchel qui, pour Prieto, incarne le drame de la conquête. Ce roman, qui aspire à répondre à certaines énigmes de l’histoire et à affirmer le texte littéraire comme lieu de mémoire, a connu un grand succès au Honduras et a également été remarqué par la critique.

Fernando MORENO

PRIETO DE LANDÁZURI, Isabel (Isabel Ángela PRIETO GONZÁLEZ BANGO, dite) [ALCÁZAR DE SAN JUAN, ESPAGNE 1833 - HAMBOURG, ALLEMAGNE 1876]

Auteure dramatique et poétesse mexicaine.

Premier auteur romantique mexicain, Isabel Prieto de Landázuri est aussi l’une des premières femmes entrées dans le canon littéraire du XIXe siècle. Née en Espagne, elle est encore enfant quand sa famille s’installe à Guadalajara, au Mexique, où elle reçoit une éducation éclairée qui lui permet de maîtriser les langues étrangères et de se consacrer à la littérature. La critique célèbre sa poésie, ainsi que ses traductions des auteurs romantiques européens. Elle écrit 17 pièces, la plupart en vers, dont cinq furent présentées de son vivant ; Las dos flores (1861) est la première pièce publiée par une Mexicaine. I. Prieto de Landázuri est la seule femme admise au sein de la société d’auteurs mexicains Liceo Hidalgo. Longtemps considérée comme le poète de la maternité, elle a produit une œuvre dont la portée mérite d’être réévaluée. À une époque où l’on attribue à la femme le rôle d’épouse et de mère éducatrice des nouveaux citoyens, I. Prieto de Landázuri a l’audace de s’emparer du théâtre pour aborder la politique et proposer, entre les lignes, un modèle de société plus favorable aux femmes. Ainsi, dans sa comédie politique Los dos son peores (1860), elle dénonce l’hypocrisie du discours dominant à propos des femmes et présente une troisième voie politique aux partisans conservateurs et libéraux qui s’entretuent pendant la Guerre de Réforme (1857-1861). La mort la surprend à Hambourg, où elle vivait alors avec son mari, consul.

Manuel ULLOA

PRIGOGINE, Hélène (née JOFÉ) [SAINT-GILLES 1921 - IXELLES 1988]

Écrivaine belge d’expression française.

Mariée à Ilya Prigogine, prix Nobel de chimie en 1977, après leur divorce, Hélène Prigogine garde son nom d’épouse comme nom de plume. Son œuvre comprend deux périodes bien distinctes : d’une part, ses premiers recueils dont la sensibilité se veut toujours sobre et concise, avec Sang lointain (1953), Ici commence un autre temps (1958), et Ponts suspendus (1965) ; d’autre part, après un assez long silence, deux textes en prose, L’Objet de cet objet (1983) et La Double Échancrure (1984), très influencés par les recherches littéraires, notamment celles de Ricardou, avec qui l’auteure entretint, tout comme avec René Char, une longue correspondance. Elle a notamment été critique pendant de longues années à la revue internationale Synthèses.

Liliane WOUTERS

PRIMO DE RIVERA Y SÁENZ DE HEREDIA, Pilar [MADRID 1907 - ID. 1991]

Femme politique espagnole.

Née dans une grande famille de l’aristocratie catholique et conservatrice, orpheline de mère à 2 ans, Pilar Primo de Rivera est élevée, comme ses frères, par sa grand-mère et sa tante paternelles, son père, Miguel, se vouant entièrement à sa carrière militaire. L’accès au pouvoir de celui-ci suite au pronunciamiento de 1923 ne change pas leurs relations ; elle ne le suit pas dans son exil en 1930. Son frère José Antonio, dont elle est très proche, fonde en 1933 la Phalange, ennemie de la République. Sous sa pression, il accepte qu’elle crée, avec des camarades du Sindicato de estudiantes dont elle est militante, la Sección femenina de la Falange (SFF), dont la fonction est logistique. Dès le début de la guerre civile, elle organise à Madrid l’Auxilio azul pour aider la fuite des partisans des rebelles. Parvenue à Séville, elle met la SFF au service des nationalistes. L’exécution de José Antonio en novembre 1936 la transforme en dépositaire de la mémoire de son frère qu’elle élève au rang de héros. Elle reprend à son compte sa définition de la féminité (reconnaissance et valorisation des femmes au sein de la famille, sublimation de la maternité, abnégation et sacrifice – qualités naturelles des femmes) et du féminisme (respect et défense de la « place naturelle » des femmes). Cette récupération du charisme fraternel la propulse sur la scène politique où elle se place sous l’autorité de Franco : à la suite du décret d’unification d’avril 1937 (création de la Phalange espagnole traditionaliste et des Jeunesses ouvrières nationales syndicalistes), elle devient déléguée nationale de la SFF et prend la tête de la mobilisation féminine nationaliste grâce à l’auxilio social (« aide sociale »). La victoire franquiste consolide sa position. Durant la dictature, elle demeure à la tête de la SFF, transformée en organisme étatique, et s’inspire des fascismes d’Allemagne et d’Italie (voyages en 1940 et 1942) pour éduquer – ou rééduquer – les femmes (sur le modèle del angel del hogar, « l’ange du foyer »), et les contrôler grâce au servicio social, rendu obligatoire en 1940 pour toutes les femmes entre 17 et 35 ans. De 1942 à 1977, elle est procuratrice aux Cortes où elle continue de défendre sa définition du féminin ; en 1975, elle accepte pourtant la réforme du code civil et le code du commerce. À la mort de Franco elle démissionne de toutes ses fonctions. Nostalgique de la SFF, elle crée l’association Nueva andadura (« nouvelle marche », 1977) et publie en 1983 Recuerdos de una vida (« souvenirs d’une vie »).

Yannick RIPA

GALLEGO MÉNDEZ M. T., Mujer, falange y franquismo, Madrid, Taurus, 1983 ; MARTÍNEZ C., PASTOR R., LA PASCUA J. DE, TAVERA S. (dir.), Mujeres en la historia de España. Enciclopedia biográfica, Barcelone, Planeta, 2000.

PRIMROSE, Diana [1630]

Poétesse anglaise.

A Chaine of Pearls, or a Memorial of the Peerless Graces and Heroick Virtues of Queene Elizabeth of Glorious Memory, composée en 1630, sous le règne de Charles 1er, par la « noble dame Diana Primrose » est un panégyrique à la gloire d’Elizabeth* (1553-1601), et une critique à peine voilée du règne de Jacques Ier (1566-1625). Cette « chaîne » est composée de dix perles, poèmes assez courts détaillant les qualités et vertus de la reine, chasteté, religiosité, tempérance, prudence, patience… Le pseudonyme renvoie à la déesse Diane, souvent utilisée pour allégoriser Elizabeth, et « Primrose » est la primevère, fleur symbole de l’Angleterre, qui renvoie également à cette reine, la première des roses… L’influence d’Edmund Spenser et de sa « Faerie Queene » y est très sensible. Dans ces poèmes, de toute évidence destinés à un public féminin, Elizabeth incarne la fusion du masculin et du féminin, et la capacité des femmes à faire de la politique.

Michel REMY

PRIMUS, Pearl [TRINIDAD 1919 - NEW YORK 1994]

Danseuse et chorégraphe américaine.

En 1923, sa famille émigre et se fixe à Harlem. Après un diplôme en biologie, Pearl Primus obtient un doctorat en anthropologie. Elle travaille parallèlement à la National Youth Administration où elle découvre la modern dance. Première Noire à obtenir une bourse d’études pour le New Dance Group en 1941, elle se perfectionne auprès de Martha Graham*, Doris Humphrey* et Hanya Holm*. Ses premières chorégraphies, solos évoquant l’expérience afro-américaine (Strange Fruit, 1943) ou un hommage à l’Afrique (African Ceremonial, 1943), sont remarquées par la critique. Elle se produit aussi à Broadway, avant de décrocher une bourse d’études pour un long voyage en Afrique de l’Ouest (1949). Avec son mari Percival Borde, elle séjourne à Monrovia à la demande du Liberia pour y développer un centre artistique (1959-1961). Aux États-Unis, avec une petite compagnie qui tourne aussi à l’étranger jusqu’en 1981, elle crée, en le stylisant, le matériau recueilli en Afrique : Impinyuza (solo), Excerpts from an American Journey (ensemble, 1951). À partir des années 1960, et presque jusqu’à sa mort, elle travaille pour divers groupes dont l’Alvin Ailey American Dance Theater (1974) et se consacre à l’action éducative à travers la transmission de la danse traditionnelle africaine, en particulier pour les enfants et au sein de la Primus-Borde School of Dance, fondée à New York en 1963. P. Primus incarne, par son dynamisme dramatique, l’une des figures majeures de la danse noire, aussi engagée politiquement qu’artistiquement à travers une œuvre porteuse de sens et d’idéal social.

Virginie GARANDEAU

PRINGLE, Colombe (COLOMBE MARJOLAINE ANNABELLE PRINGLE, dite) [BOULOGNE-BILLANCOURT 1948]

Journaliste française.

Issue d’une famille aisée et cultivée – sa mère est la romancière Flora Groult* –, Colombe Pringle plonge sans faire d’études, dès ses 17 ans, dans la vie professionnelle. D’abord attirée par la mode, elle est coursière de l’émission de télévision Dim Dam Dom, puis stagiaire à Elle avant de passer par l’agence de style Mafia* (1968-1971). De retour à Elle, elle devient grand reporter puis rédactrice en chef adjointe. Dès lors, elle enchaîne des postes de rédaction en chef et de direction. À Vogue (1986-1994), elle encourt les foudres des annonceurs du magazine de luxe en consacrant une couverture de Noël à Nelson Mandela (1993). Après un passage par L’Express, elle devient rédactrice en chef puis directrice de la rédaction de Point de Vue (2004). En 2013, elle quitte ce poste pour devenir conseillère de la direction du journal, et semble attirée par la télévision : elle est chroniqueuse à La Nouvelle Édition (Canal +), et participe fréquemment à C dans l’air (France 5). C. Pringle a mis au monde et élève trois fils et une fille, et se déclare volontiers féministe, consciente de la faible proportion de femmes aux postes de direction dans les médias, et de l’inégalité des salaires. Cela la rapproche de sa tante, l’écrivaine Benoîte Groult*.

Catherine GUYOT

Telles qu’Elle , cinquante ans d’histoire des femmes à travers le journal Elle, Paris, Grasset, 1995.

PRINS, Annemarie [AMSTERDAM 1932]

Metteuse en scène, actrice et auteure dramatique néerlandaise.

Entamant sa carrière comme actrice, Annemarie Prins s’oriente, très vite, vers la mise en scène d’un théâtre d’innovation, où les formes expérimentales sont placées au premier plan et le texte inclus dans un ensemble interdisciplinaire. Directrice artistique du théâtre universitaire de Leyde, elle s’implique dans le champ politique, s’intéresse au théâtre expressionniste et aux approches artistiques croisées. Elle se rend un temps en Pologne pour partager la florissante vie théâtrale de la capitale. De retour aux Pays-Bas, elle fonde Terzijde (1965-1969), première compagnie de théâtre politique du pays, dont la première pièce, Een zaak Lorca is ons niet bekend (« l’affaire Lorca nous est inconnue »), traite du meurtre de Federico García Lorca sous le régime de Franco. Son spectacle sur la guerre du Vietnam, Vietnam Terzijde, est particulièrement bien reçu. A. Prins met au point des compositions fondées sur le son, les images audiovisuelles, le mouvement et des textes de sources diverses ; elle utilise les voix et les corps des acteurs comme du matériau. Dans les années 1970, elle propose du théâtre expérimental à la radio et à la télévision, faisant appel à des éléments musicaux et audiovisuels. Elle part ensuite pour Groningue, où elle dirige des acteurs amateurs dans des pièces de Bertolt Brecht. En 1985, elle fonde un nouveau groupe, De Salon (« le salon »), qui monte, entre autres, des pièces de Samuel Beckett, où les êtres humains et leurs motivations tiennent la première place. Dans les années 1990, elle monte elle-même sur scène et reçoit un prix pour sa performance dans le spectacle autobiographique Harmoniehof (« cour d’harmonie », 1997), base de son livre Zelfbeheersing (« maîtrise de soi », 2002). Elle se fait connaître du grand public par des séries télévisuelles comme Oud Geld (« vieux riche », 1998-1999) et Annie M. G. Schmidt (2010). Elle se rend par ailleurs régulièrement à l’étranger pour des créations théâtrales, par exemple pour un projet avec des actrices cambodgiennes sur le régime de Pol-Pot.

Mercita CORONEL

PRINTEMPS, Yvonne (Yvonne WIGNIOLLE, dite) [ERMONT 1894 - NEUILLY-SUR-SEINE 1977]

Chanteuse, actrice et directrice de théâtre française.

Yvonne Printemps fait ses débuts en chantant des revues à la Cigale, aux Capucines, aux Folies Bergère ou encore à la Gaîté lyrique. Ses succès dans les œuvres d’André Messager, de Reynaldo Hahn et de Maurice Yvain font d’elle une reine de Paris. Elle connaît une histoire d’amour avec l’aviateur Georges Guynemer, avant d’épouser Sacha Guitry en 1919. Celui-ci écrit pour elle des opérettes comme Mozart, dont elle incarne le rôle-titre en travesti, L’Amour masqué, ou Mariette. Après treize ans de mariage, Y. Printemps quitte S. Guitry pour Pierre Fresnay, que son mari lui avait donné pour partenaire. Ils vivent pendant quarante-trois ans une union tumultueuse. Ils tournent huit films ensemble, dont La Dame aux camélias, de Fernand Rivers et Abel Gance (1934), et Adrienne Lecouvreur, de Marcel L’Herbier (1938). Le duo chante dans Trois valses et La Valse de Paris, où P. Fresnay incarne Jacques Offenbach et Y. Printemps sa fantasque interprète, Hortense Schneider. Ensemble, ils dirigent le Théâtre de la Michodière, où ils jouent Père, d’Édouard Bourdet.

Bruno VILLIEN

CIUPA K., Yvonne Printemps, l’heure bleue, Paris, R. Laffont, 1989.

PRIOLLI, Maria Luiza DE MATTOS [RIO DE JANEIRO 1915 - ID. 1999]

Compositrice brésilienne.

Maria Luiza de Mattos Priolli étudie piano, harmonie, contrepoint et fugue à l’Institut national de musique de Rio de Janeiro, puis part se perfectionner à Londres en piano, analyse et composition ; elle y obtient ses diplômes (Trinity College of Music) en 1937. À son retour, elle enseigne l’harmonie à l’École nationale de musique de l’université du Brésil où elle est titularisée en 1946. Elle publie alors à Rio de Janeiro plusieurs ouvrages de caractère didactique. Ses compositions se répartissent entre 1937 et 1975. Elle est l’auteure d’un Trio (1938), d’un Quatuor et d’un Concertopour piano et orchestre (1940), de trois Études pour violon (1942). Sa Sonate pour piano (opus 42) date de 1968 ; suivent Fuga pour orgue (1969) et Lundu carioca pour piano (1974). On lui doit aussi des mélodies et de la musique sacrée.

Philippe GUILLOT

CACCIATORE O. G. (dir.), Dicionário biográfico de música erudita brasileira, Rio de Janeiro, Forense Universitária, 2005.

PRÎTAM, Amritâ [GUJRANWALA, PAKISTAN 1919 - NEW DELHI 2005]

Auteure indienne d’expression penjabi.

« J’ai l’impression que tout le genre féminin a cristallisé son angoisse et en a modelé mon âme », dit Amritâ Prîtam dans son autobiographie Kâlâ gulâb (« rose noire », 1968). De fait, elle écrit avec véhémence et passion la tragédie de la condition féminine dans des œuvres brutales, franches et révoltées. Poétesse, romancière, essayiste et autobiographe prolifique, elle représente l’une des plus grandes voix de la littérature penjabi, et plus largement de la littérature indienne. Dès la fin des années 1930, les premiers recueils de la très jeune poétesse (Thandiân Kirânân, « rayons froids », 1935 ; Amrit Laharân, « vagues de nectar », 1936) reflètent une éducation pieuse, traditionnelle et les idéaux romantiques d’une adolescente sensible. Mais dans les années 1940, sa conscience sociale s’affirme, inspirée du réalisme marxiste du groupe des écrivains progressistes dont elle est proche. Lok pîr (« l’angoisse du peuple », 1944) ou Patthar gite (« gravier », 1946) confirment déjà ce qui fait l’originalité de l’œuvre : la souffrance d’un peuple, d’un genre, se compose avant tout de souffrances individuelles. Cette tension entre oppression et souffrance individuelle est au centre de Sunehâre (« messages », 1955) et de Kâgaz te kânvâs (« le papier et la toile », 1973), texte adressé au peintre Imroz. Le sombre destin de la femme, soumise aux volontés d’une société patriarcale, décrit dans ces livres, obsède d’ailleurs l’œuvre entière, de la poésie aux romans tels que Ik sî Ânitâ (« il était une fois Anita », 1964) ou Châk nambar châttî (« circonscription no 36 », 1964). Son roman « féministe » le plus accompli est son tout premier, Pinjar. Le Squelette (1950), adapté au cinéma en 2003. Le roman décrit les exactions, les violences, les humiliations dont furent victimes les femmes au moment de la Partition du pays, la démence masculine et celle de la morale sociale, quand la victime est bannie, blâmée, stigmatisée. La force de l’œuvre est d’offrir un vaste terrain de réflexion sur la condition féminine. Considéré comme l’un des grands romans de la Partition, Pinjar élabore un point de vue essentiellement féminin, privilégiant par exemple le monologue intérieur ou l’expression onirique. Par le récit de destins brisés ou bouleversés, A. Prîtam raconte également l’une des plus sombres ruptures de l’histoire de l’Inde. Elle-même exilée, elle décrit ce déchirement dans un poème superbe et poignant « Âj âkhan Wâris Shâh nu » (« j’en appelle aujourd’hui à Waris Shah »). Elle y invite le peuple du Panjab à se réconcilier dans cette culture commune représentée par Waris Shah (XVIIIe s.), auteur de la très populaire tragédie amoureuse Hir Ranjha. Si cet appel s’enracine dans un contenu « familier », il exploite également le genre poétique traditionnel du sadd où l’amant, à qui s’adresse le message, est ici remplacé par le poète Waris Shah. À travers ce texte, A. Prîtam articule ainsi un discours contemporain et une forme traditionnelle, comme elle montre ailleurs sa capacité à explorer des formes nouvelles. C’est d’ailleurs une insoumission obstinée, dans l’écriture comme dans l’existence, dont l’auteure témoigne avant tout dans ses œuvres autobiographiques, dont Le Timbre fiscal (1976) représente le volume le plus abouti. L’originalité de ce texte est l’extrême franchise dont fait preuve l’auteure, qui y raconte une jeunesse solitaire privée de mère, ses fantasmes d’adolescente, le traumatisme de la Partition, ses relations avec certaines figures du monde littéraire, son divorce et ses douloureuses conséquences, sa rencontre avec son compagnon le peintre Imroz… « Mon histoire est l’histoire des femmes de chaque pays, écrit-elle dans Kâlâ Gulâb, et plus nombreuses encore sont les histoires qui ne sont pas écrites sur du papier mais sur le corps et sur l’âme des femmes. »

Anne CASTAING

Pinjar. Le Squelette (Pinjar, 1950), Paris, Kailash, 2003 ; Le Timbre fiscal (Rasidî Ticket, 1976), Paris, Des femmes-Antoinette Fouque, 1989 ; La Vérité (Ih sacc hai, 1979), Paris, Des femmes-Antoinette Fouque, 1989.

MATRINGE D., « Nomen omen : Partition intime et accomplissement dans Pinjar d’Amritâ Prîtam (1950) », in MONTAUT A. (dir.), Littératures et poétiques pluriculturelles en Asie du Sud, Purusârtha, no 24, 2004 ; MATRINGE D., « Amritâ Prîtam », in CASTAING A. (dir.), Ragmala, les littératures indiennes traduites en français : anthologie, Paris, L’Asiathèque, 2005.

PRIX FEMINA [France 1917]

C’est en 1917 que le prix Vie heureuse, fondé en 1904 par Caroline de Broutelles, directrice du journal pour femmes du même nom, devient le prix Femina. Le jury est composé uniquement de femmes mais le récipiendaire annuel du prix peut être un homme ou une femme. Il est fondé en réaction au prix Goncourt qui, soupçonnait-on, ne récompenserait jamais l’ouvrage d’une femme. Il est vrai que la première lauréate du prix Goncourt, Elsa Triolet*, ne le reçut qu’en 1944. Étant donné les humbles origines de ce prix – La Vie heureuse n’était pas une publication littéraire, et les prix qu’on associait traditionnellement avec le journal étaient des concours entre les lectrices dans des domaines typiquement domestiques : meilleure recette, plus belles fleurs, etc. –, il fallut un certain temps avant que cette distinction soit prise au sérieux. Pour André Billy, président de l’académie Goncourt en 1953, le Femina n’était qu’une pauvre imitation du Goncourt, un « prix publicitaire… créé par Mme de Broutelles pour faire parler du magazine Vie heureuse, qu’elle dirigeait ». En ne voyant dans le prix Femina qu’une forme de publicité, Billy l’associe avec la culture de masse et passe sous silence ses origines féministes et contestataires.

Étant donné des débuts aussi peu favorisés, comment est-il devenu le prestigieux prix Femina que nous connaissons aujourd’hui ? Surtout par la capacité des membres de son jury à reconnaître et à récompenser le talent littéraire. Les prix littéraires s’associent le prestige de leurs lauréats et c’est ainsi, par la justesse répétée de ses choix, qu’un prix voit son étoile monter. Un article paru dans Le Petit Parisien en 1914 témoigne de la montée de la fortune du prix Vie heureuse au cours de sa première décennie d’existence : « On avait un peu “souri”, sur le boulevard et dans les cafés où l’on tient des parlotes littéraires, quand, il n’y a pas tout à fait dix ans, l’académie des Femmes de lettres fut fondée sous le titre modeste de “comité du prix de la Vie heureuse”. On l’avait, pas très drôlement, baptisée le “rayon des bas-bleus”. Et puis, on passa à un autre genre d’exercice… Puisque cette académie était pourvue d’argent, et qu’elle distribuait des prix littéraires, on lui fit de beaux sourires : mais la paradoxale assemblée ne se montra pas autrement émue de ces grâces intéressées. Elle alla chercher par la main, sans se préoccuper des “coteries” arrivistes, les timides, les maussades inconnus qui lui parurent mériter les flatteuses distinctions dont elle disposait, et elle affirma ainsi sa volonté bien arrêtée de ne récompenser que le talent. » (dossier Femina) Au palmarès des écrivains débutants couronnés par le comité du prix Vie heureuse-Femina figurent Romain Rolland, Edmond Jaloux, Marguerite Audoux*, Roland Dorgelès, Georges Bernanos et Antoine de Saint-Exupéry.

La création de ce prix a-t-elle facilité l’accès des femmes au pouvoir culturel ? Certains soutiennent que non. Dans ses souvenirs, Lucien Descaves suggère que les femmes de lettres auraient été considérées plus sérieusement pour le prix Goncourt « si, à l’imitation du prix Goncourt, ne s’était fondé, dès 1904 [… ] un autre prix, prix Vie heureuse [… ], attribué par un jury féminin. On pensait que ce “pendant” du Goncourt ne manquerait pas de donner aux “chères consœurs” les compensations de gloire et de succès que les Dix étaient présumés ne pas vouloir leur accorder. » Le prix Vie heureuse a récompensé 12 ouvrages de femmes avant que le prix Goncourt récompense une femme pour la première fois en 1944. Il est vrai qu’il a donc récompensé plus d’œuvres d’hommes que de femmes pendant cette période, mais chaque édition du prix a permis aux femmes de lettres d’exprimer publiquement leur jugement sur la littérature de leur époque, une liberté dont elles ne jouissaient pas avant 1904.

En plus de l’attribution de son prix annuel, le jury du prix Femina a joué un rôle capital dans la création de liens entre les femmes de lettres. Le premier jury du prix était composé de 22 femmes. Plusieurs étaient d’importantes journalistes, romancières et poétesses de la Belle Époque. D’autres avaient des liens aristocratiques ou étaient des femmes et filles d’auteurs canoniques mais elles avaient, elles aussi, publié des ouvrages de mérite. Si l’on en juge par la correspondance échangée par les membres du jury, le prix a beaucoup contribué à créer des liens de confraternité entre les jurées, qui écrivaient des comptes rendus des ouvrages de leurs « consœurs » et restaient au courant de l’actualité littéraire en faisant la connaissance du récipiendaire annuel du prix. Les lauréates étaient souvent invitées à siéger au jury. Ce prix a ainsi créé un espace public inédit dans le monde littéraire où les auteures professionnelles pouvaient se rencontrer et former des amitiés et des alliances. C’est en cela, surtout, que le prix Femina a eu d’importantes répercussions quant à l’intégration des femmes dans l’institution littéraire.

Margot IRVINE

DESCAVES L., Mes Goncourt, Paris, Calmann-Lévy, 1949 ; DO, T. P.-T., « Aux prises avec les prix, les Femmes du Femina. », Richmond, University of Western Ontario, 1998 ; Dossier Femina, Bibliothèque Marguerite Durand, Paris ; DUCAS S., « Le prix Femina, la consécration littéraire au féminin », in Recherches féministes, 16.1, 43-95, 2003.

PRIYAMVADÂ, Ushâ [KANPUR 1930]

Auteure indienne de langue hindi.

Il existe peu de travaux sur l’œuvre d’Ushâ Priyamvadâ, bien que ses nouvelles permettent souvent d’illustrer le style et les thématiques du mouvement Naî kahânî (« nouveau roman ») hindi qui émerge au début des années 1950. En dépit de sa discrétion, elle est l’une des voix les plus accomplies, mais également l’une des plus contemporaines : en 1983, elle publie l’un de ses meilleurs recueils de nouvelles, Ek koî dûsrâ (« quelqu’un d’autre »). Romancière mais surtout nouvelliste, elle entame sa carrière universitaire en Inde avant de s’expatrier aux États-Unis, où elle enseigne jusqu’à sa retraite. À l’instar de figures emblématiques de la Naî kahânî comme Râjendra Yadâv, Mohan Rakesh ou Mannû Bhandârî*, l’auteure situe essentiellement les intrigues de ses récits dans des contextes urbains et des univers domestiques, où les relations familiales et conjugales favorisent l’expression des déceptions, des frustrations individuelles, mais surtout le silence, invisible fil conducteur de l’œuvre : non-dits, incommunicabilité, malentendus sont rendus palpables par la rareté des dialogues et la récurrence des monologues intérieurs, où ce qui s’exprime n’est finalement jamais dit. Échec de la communication, échec de l’existence, les personnages ont presque toujours à dire : « J’ai raté ma vie. » Corollairement, elle explore la solitude féminine. Son œuvre témoigne en effet des bouleversements sociaux et familiaux liés à l’urbanisation et à l’occidentalisation du mode de vie, où la femme, se libérant de son rôle domestique, se trouve dès lors aux prises avec son individualité. Dans la nouvelle Koî nahî (« personne »), elle tisse avec finesse le portrait d’une femme célibataire qui, confrontée, après sept ans de séparation, à un homme qu’elle n’a jamais pu oublier, le laisse pourtant repartir sans un mot. Dans la nouvelle Chuttî kâ din (« jour de congé »), elle décrit l’immense solitude, la rage et le sentiment d’échec d’une femme professeure dans une université de province. Enfin, la nouvelle Kitnâ barâ jhûth (« un si gros mensonge », 1972) dépeint la douleur refoulée d’une femme mariée et mère de deux enfants, qui apprend le mariage de son amant avec une femme plus jeune qu’elle.

Anne CASTAING

PROBA, Faltonia Betitia [V. 322 - V. 370 apr. J.-C.]

Poétesse romaine.

Poétesse latine la plus importante et la plus influente de l’Antiquité tardive, Faltonia Betitia Proba, chrétienne, appartenait à une riche famille aristocratique romaine. Épouse d’un notable fonctionnaire de l’Empire (Clodius Celsinus Adelphius, praefectus urbis en 351), elle eut beaucoup de succès dans un genre littéraire, le centon, qui empruntait les vers à des œuvres connues et les réarrangeait de manière à former un nouveau texte. Nous avons des exemples de centones depuis le Ier siècle av. J.-C., composés notamment à partir de l’œuvre d’Homère, mais c’est surtout durant l’Antiquité tardive et le Moyen Âge que ce genre fut très pratiqué, notamment par des femmes. L’impératrice byzantine Eudocie* Athénaïs (Ve siècle apr. J.-C.), poétesse et sainte, était l’auteure d’un centon homérique en grec, associant thématiques chrétiennes et formes classiques.

Le poème épique de Proba, Cento Vergilianus de laudibus Christi, que certains datent des environs de 362, est l’une des œuvres les plus anciennes écrites par une femme chrétienne ; elle témoigne du mélange entre paganisme et christianisme typique du IVe siècle. Il s’agit d’un centon de 694 hexamètres, tirés de l’Énéide, qui raconte des épisodes de l’Ancien Testament (création du monde) et du Nouveau Testament (baptême de Jésus, tentation dans le désert, marche sur l’eau, dernière Cène, crucifixion, résurrection, ascension). Jésus y figure comme le nouveau héros épique dans le sillage des anciens héros de la littérature classique (comme Énée). À la fin de son poème, Proba s’adresse à son mari, dans l’espoir qu’il embrasse lui aussi la foi chrétienne et qu’ensemble ils préservent la pureté de leurs enfants. Blâmée par les uns (le pape Gélasius I, à la fin du Ve siècle, interdit la lecture en public de ce texte apocryphe), louée par les autres, cette narration biblique, dédiée à l’empereur Honorius, a un intérêt certain en tant qu’il témoigne, notamment, de la tentative de préserver le patrimoine littéraire classique païen, tout en le conciliant avec les valeurs prônées par le christianisme. Reconnu pour ses qualités poétiques, le centon de Proba devint un texte pour l’école, qui permettait d’apprendre à la fois l’histoire sainte et l’œuvre de Virgile. Proba, qui dans son introduction se définit comme vatis, chantre inspirée par la divinité, a peut-être écrit son centon en réponse au décret de l’empereur Julien interdisant aux chrétiens d’enseigner les auteurs classiques. L’édition imprimée du De laudibus Christi, à Venise, en 1472, fut probablement la première d’une œuvre composée par une femme. Le nombre de manuscrits et d’éditions du centon virgilien de Proba est par ailleurs plus élevé que pour toute autre œuvre d’auteur femme de l’Antiquité. La popularité dont l’œuvre de Proba jouissait au Moyen Âge est également indiquée par Boccace (1313-1375), qui fait de la poétesse l’une des 106 femmes illustres de son œuvre De mulieribus claris (1362). Proba est représentée dans plusieurs miniatures de manuscrits français du XVe siècle contenant la traduction de l’ouvrage de Boccace. Parfois on la confond avec sa petite-fille, Anicia Faltonia Proba (morte en Afrique en 432), qui avait composé une épigraphe pour son mari Petronius Probus ainsi que, probablement, un Carmen contra Paganos.

En tant que matrone romaine au service de la foi chrétienne, Proba fut ensevelie dans la basilique Sainte-Anastasie à Rome. Née dans une famille païenne, elle s’était convertie à la religion chrétienne à l’âge adulte. C’est sans doute pour cette raison que nous ne gardons aucune trace d’un autre poème d’elle, d’inspiration païenne, que la poétesse cite dans son centon, uniquement pour le renier. Cet ouvrage perdu, le Constantini bellum adversus Magnentium, portait sur les conflits civils qui dans les années 350-353 opposèrent Constance à l’empereur Magnence.

Marella NAPPI

CLARK A., HATCH D. F., The Golden Bough, The Oaken Cross : The Vergilian Cento of Faltonia Betitia Proba, Chico (Ca), Scholars, 1981 ; PAULY A., WISSOWA G., Realenzyklopädie, vol. XXIII, no 1, 33-34 ; PLANT I. M., Women Writers of Ancient Greece and Rome : an Anthology, Norman, University of Oklahoma Press, 2004 ; SNYDER J. M., The Woman and the Lyre : Women Writers in Classical Greece and Rome, Carbondale/Edwardsville, Southern Illinois University Press, 1989.

BARNES T. D., « An urban prefect and his wife », in Classical Quarterly, vol. 56, no 1, 2006 ; GREEN R. P. H., « Proba’s Cento : its date, purpose and reception », in Classical Quarterly, vol. 45, no 2, 1995 ; SIVAN H., « Anician women, the Cento of Proba, and aristocratic conversion in the Fourth Century », in Vigiliae Christianae, no 47, 1993.

PROCHAZKA, Elsa [VIENNE 1948]

Architecte autrichienne.

Après des études d’architecture à Vienne, à l’Université technique et à l’Académie des beaux-arts, dans l’atelier d’Ernst Anton Plischke, de 1966 à 1973, Elsa Prochazka ouvre sa propre agence. Elle développe dès lors une activité ininterrompue et occasionnellement menée en collaboration, touchant aux édifices publics, en particulier culturels et scolaires, aux logements, à l’urbanisme, et mène parallèlement une carrière d’enseignante. Elle s’est fait un nom avec la scénographie : après avoir mis en scène plusieurs expositions, elle est primée pour son travail sur le Musée juif de Hohenems (1990-1991), puis réaménage l’Österreichisches Volkskundemuseum (musée ethnographique autrichien de Vienne, 1992-1994). Elle conçoit des aménagements muséographiques spécifiques pour les Musikergedenkstätten (1992-1995), lieux de mémoire constitués par les appartements viennois de musiciens renommés – Haydn, Mozart, Beethoven, Schubert et Johann Strauss. Dans le domaine des bâtiments d’habitation comme d’enseignement, E. Prochazka a plusieurs opérations à son actif : du groupe fragmenté d’immeubles du Margarete-Schütte-Lihotzky Hof (1994) à l’ensemble Atemgasse (2004-2008), primé ; de la crèche du Carminweg (1994-1996) au Technikum Wien (1999-2003). Au nombre de ses réalisations marquantes, figurent des transformations d’édifices existants : le centre Arnold-Schönberg (1996-1998) et les bureaux de Coca-Cola (1998-2000), pour lesquels elle reçoit le prix Aluminium Architektur. Son œuvre, exposée en 1996 à la galerie berlinoise Aedes, a été couronnée par le prix de l’Architecture de Vienne ; E. Prochazka a participé plusieurs fois à la Biennale de Venise. Enseignant parallèlement le projet urbain à l’université de Kassel, de 1992 à 1996, puis invitée par le département d’architecture de l’University College London, de 1998 à 2001, elle est actuellement professeure à l’université des Arts et du Design industriel de Linz.

Elke KRASNY

Wiener Orte. 19 Arbeiten von Elsa Prochazka (catalogue d’exposition), Berlin, Aedes, 1996 ; SARNITZ A., Architektur Wien. 700 Bauten, Vienne/New York, Springer, 2008 ; ZACEK P. (dir.), Frauen in der Technik von 1900 bis 2000, Vienne, Eigen, 1999.

PROCHÁZKOVÁ, Petra ESKÝ BROD 1964]

Journaliste tchèque.

Petra Procházková débute sa carrière au journal Lidové noviny (« le quotidien du peuple »), après des études de journalisme à l’université de Prague. En 1992, elle devient correspondante à Moscou et couvre les conflits de la région : l’Abkhazie, puis la Tchétchénie, l’Ossétie, l’Afghanistan. Elle est à Groznyï lorsque la ville est bombardée pour la première fois et travaille le plus souvent sans accréditation. En 2000, son visa russe lui est retiré et elle doit quitter le pays. Mais témoigner ne lui suffit pas. Dès le début des années 2000, elle s’engage dans la voie humanitaire et fonde en 2001 l’association Berkat (« bonheur », en tchétchène). Parmi ses premières missions, cette ONG vient en aide aux enfants des orphelinats de Groznyï. Depuis, l’organisation concentre principalement ses efforts en Tchétchénie et en Afghanistan.

Luce MICHEL

La Guerre russo-tchétchène. Paroles de femmes (Aluminiová královna : rusko-čečenská válka očima žen, 2003), Paris, Le Serpent à plumes, 2006.

PROCTER, Adelaïde Anne [LONDRES 1825 - ID. 1864]

Poétesse britannique.

Née dans un milieu cultivé, qui comptait Elizabeth Gaskell*, William Hazlitt et Leigh Hunt parmi ses habitués, Adelaïde Anne Procter apprend le français, l’italien et l’allemand, les mathématiques et le piano. Quand, en 1850, elle entre au Queen’s College, récemment fondé par F.D. Maurice, elle a déjà commencé sa carrière littéraire en publiant, dès l’âge de 18 ans, dans Health’s Book of Beauty. Le magazine de Dickens, Household Words, accepte 73 de ses textes sous le nom de Mary Berwick, et All the Year Round, sept autres textes. Sa poésie, fortement influencée par sa fervente conversion au catholicisme en 1851, traite presque exclusivement de la pauvreté, du dénuement des sans-logis et de la condition des femmes déchues. Poétesse favorite de la reine Victoria*, elle connaît le succès. Aidée par Emily Faithfull*, elle devient rédactrice en chef de Victoria Regia, revue féministe, lance avec Barbara Leigh Smith Bodichon* le English Women’s Journal en 1858 et la Society for the Promotion of the Employment of Women, qui organise des cours de comptabilité, de vente et de gestion, en 1859. Malgré quelques prétendants, elle ne se marie pas, vraisemblablement à cause de tendances lesbiennes et de ses relations avec Matilda Hays. Dans ses poèmes, la référence à la Vierge Marie est utilisée pour dénoncer l’oppression des femmes, décrire les émotions des femmes de la classe ouvrière et les pousser à ne pas vivre à l’ombre des hommes. Son sentimentalisme est compensé par une formidable énergie, simple et directe, qui explique sa phénoménale popularité.

Michel REMY

GOUBERT E., Essai de traduction de quelques poésies d’Adélaïde-Anne Procter, précédé d’une notice sur A. A. Procter par C. Dickens, Rennes, Oberthür et fils, 1880 ; GREGORY G., The Life and Work of Adelaide Procter : Poetry, Feminism and Fathers, Aldershot, Ashgate, 1998.

PROCTOR, Elaine [JOHANNESBURG 1960]

Scénariste et réalisatrice sud-africaine.

L’une des rares cinéastes sud-africaines, Elaine Proctor étudie le cinéma à la Film School de Londres (1982). L’année suivante, elle crée la société Loy Films, pour former des techniciens noirs. Réalisé pour la télévision, son premier documentaire, Sharpeville Spirit (1986), évoque les massacres perpétrés dans cette ville vingt-cinq ans plus tôt. Après deux documentaires pour le cinéma, elle réalise son premier long-métrage de fiction, On the Wire (1990), primé par le British Film Institute. Mais c’est avec Friends (1993) qu’elle obtient une consécration et une reconnaissance hors du continent : sélectionné au Festival de Cannes, le film obtient la Caméra d’or et une mention spéciale. Situé à la fin des années 1980, avant l’abolition de l’apartheid, il évoque l’amitié entre trois femmes vivant sous le même toit : d’origine différente, chacune évoque et symbolise un aspect de l’Afrique du Sud contemporaine. Son dernier long-métrage, Kin (2000), est une histoire d’amour mixte sur fond de trafic d’éléphants en Namibie. En 2012, E. Proctor publie un premier roman, Rhumba, l’histoire d’un jeune Congolais exilé à Londres.

Brigitte ROLLET

PRODUCTRICES-ANIMATRICES TV [France depuis les années 1960]

À une époque où les fonctions à la télévision étaient encore peu féminisées, les années 1960-1980 accueillent de grandes professionnelles, parfois transfuges de la radio, dans des fonctions qui glissent les unes sur les autres, surtout après la disparition de la Société française de production, créée par l’ORTF en 1975 et rachetée par un groupe privé en 2001. Maritie Carpentier en est le meilleur exemple, toujours associée à son mari Gilbert dans la production de mythiques émissions de music-hall et de divertissement d’abord pour la radio puis pour la télévision des années 1960-1990, ne paraissant jamais à l’antenne à la différence de Denise Glaser (1920-1983) et son fameux Discorama, à l’origine de nombreuses carrières de chanteurs. Elle-même chanteuse, Michèle Arnaud*, étiquetée intellectuelle de la chanson, déniche des talents, dont le fleuron est Serge Gainsbourg dans ses Raisins verts en 1963. Aimée Mortimer (1900-1978), ancienne chanteuse lyrique, le fait aussi en tant que productrice et présentatrice des années 1950-1960 de l’émission L’École des Vedettes, où un jeune artiste est parrainé par une vedette : Johnny Hallyday, alors inconnu, apparaît pour la première fois à la télévision en 1960, chaperonné par Line Renaud*, tandis que Mireille*, compositrice et interprète de ses propres tubes (Couchés dans le foin), présente dans son Petit Conservatoire de la chanson, créé à la radio en 1954, un cours pour jeunes débutants invités à l’appeler « Madame », dans un style aussi efficace que suranné. Daisy de Galard* produit DIM, DAM, DOM, émission des années 1965-1970 d’abord destinée à un public féminin, où l’on découvre Mireille Darc*, France Gall*, Marie Laforêt*, Sheila*… Danièle Gilbert (1943) joue les complices des artistes et pratique déjà le mélange des genres en invitant des hommes politiques qui viennent jouer de l’accordéon dans son émission de midi. Simone Garnier (1931) présente Intervilles, jeu de compétition entre différentes localités, une émission populaire qu’animent Léon Zitrone et Guy Lux, qui anime aussi différentes émissions de variétés en compagnie de la speakerine Anne-Marie Peysson (1935) ou l’humoriste Sophie Darel (1944), tandis que sur un mode plus académique Lucienne Bernadac (1905-1973) éduque l’oreille musicale d’un public à conquérir (La Musique est pour vous), comme le fera une décennie plus tard Ève Ruggiéri (1939) avec un talent de conteuse. Dans des magazines de société, les productrices affichent des profils militants : Maïté Célérier de Sannois (1925), journaliste à Marie-Claire et créatrice du Magazine féminin dès 1954, Pascale Breugnot (1940), également réalisatrice et scénariste, ou Catherine Barma (1950), fille du réalisateur Claude Barma, ont associé audace et originalité. Elles ont encouragé de nouvelles consœurs, productrices-animatrices, comme Dorothée*, découverte par Jacqueline Joubert*, dont les émissions – Récré A2, Le Club Dorothée – enchantent les plus jeunes de 1973 à 1997 avant de disparaître, victimes de l’usure ; Mireille Dumas (1953), avec des Vies privées, vies publiques souvent consacrées au monde du spectacle, sur le mode de la confidence-confession ; Daniela Lumbroso (1961), qui réconcilie le passé et le présent de la chanson à la radio et à la télévision, comme le font sur le mode générationnel Claude Sarraute (1927) dans les émissions humoristiques de Laurent Ruquier, ou encore Sophie Davant (1963), transfuge de l’équipe météo, spécialiste des émissions caritatives à grand spectacle comme Toute une vie. Depuis 2011, Élisabeth Quin (1963) impose un ton incisif au magazine « 28 minutes » sur Arte.

Bien que les animatrices françaises soient loin d’avoir le pouvoir de leur homologue américaine Oprah Winfrey*, gageons que, parité oblige, les femmes seront de plus en plus présentes sur les plateaux et dans les talk-shows de la télévision.

Noëlle GUIBERT

PRODUCTRICES – CINÉMA [France XXe-XXIe siècle]

La première productrice française de cinéma est la réalisatrice Alice Guy* (1873-1968). Il faut attendre ensuite les années 1950 pour que des femmes se lancent dans la production. L’actrice Suzy Prim (1896-1991) produit deux comédies, tandis qu’Andrée Debar (1920-1999), une autre actrice, se consacre à l’écrivain Jean Giono : elle produit Crésus (1960), qu’il écrit et réalise lui-même, et Un roi sans divertissement (1963). Adry de Carbuccia (1900-1994), qui tient un salon politico-littéraire marqué à droite, produit Ali Baba et les Quarante Voleurs (1954), de Jacques Becker, avec Fernandel, et Le Caporal épinglé (1962), de Jean Renoir. Après avoir participé à la Résistance, Christine Gouze-Rénal (1914-2002) se consacre à Brigitte Bardot*, pour laquelle elle produit La mariée est trop belle (1956) et La Femme et le Pantin (1959), de Julien Duvivier, ou encore Vie privée, de Louis Malle. Elle produit également les films réalisés par son mari, Roger Hanin, dont Soleil (1997), avec Sophia Loren*. L’actrice Danièle Delorme* (1926) produit avec son mari, l’acteur et cinéaste Yves Robert, de grands succès publics (La Guerre des boutons) et des films d’auteur (trois œuvres de Jacques Doillon). Née Rotschild, Nicole Stephane (1923-2007) débute comme actrice, avec Jean Cocteau notamment. Elle produit par la suite : Mourir à Madrid (1962), documentaire de Frédéric Rossif sur la guerre d’Espagne ; L’Une et l’Autre, de René Allio, avec Malka Ribowska* ; Phèdre (1968), avec Marie Bell* ; Détruire, dit-elle (1969), de Marguerite Duras* ; Promised Lands (1974), de Susan Sontag* ; Sarah (1988), documentaire d’Edgardo Cozarinsky sur Sarah Bernhardt*, narré par Delphine Seyrig*. D’abord journaliste à Elle, Mag Bodard (1916) se consacre à : Jacques Demy (Les Parapluies de Cherbourg, 1964) ; Maurice Pialat (L’Enfance nue, 1968) ; Agnès Varda* (Le Bonheur, 1965) ; Robert Bresson (Une femme douce, 1969, avec Dominique Sanda*) ; Michel Deville (Benjamin ou les Mémoires d’un puceau, 1968). Elle s’intéresse ensuite à la télévision. Avec Les Films du losange, Margaret Ménégoz (1941) produit quant à elle : Wim Wenders ; Éric Rohmer (Perceval le Gallois, 1978, avec Arielle Dombasle* et Fabrice Luchini) ; Andrezj Wajda (Danton, 1983) ; Agnieszka Holland (Europa Europa, 1990) ; Michael Haneke (Le Ruban blanc, 2009). Pascale Dauman (1938-2007) produit des films de Wim Wenders et de Peter Greenaway.

Bruno VILLIEN

PROGRAMME D’ACTION DU CAIRE – ONU [1994]

La Conférence internationale sur la population et le développement (CIPD) s’est tenue au Caire, en Égypte, du 5 au 13 septembre 1994. Troisième conférence sur ce thème, après celles de Bucarest en 1974 et de Mexico en 1984, elle a rassemblé quelque 180 gouvernements et plus de 1 200 organisations non gouvernementales. Première du genre à se centrer sur les besoins et les droits des individus plutôt que sur des objectifs démographiques précis, elle a produit un programme d’action qui inscrit les droits sexuels et génésiques comme droits humains fondamentaux et a pour axe essentiel l’amélioration du statut des femmes. Le constat fait pour l’occasion quant aux violations des droits fondamentaux des femmes partout dans le monde était accablant : un moindre accès des femmes à la nourriture, à l’éducation et à la terre, par rapport aux hommes ; des violences sexuelles et le viol utilisés comme armes de guerre ; l’avortement de fœtus femelles ; la traite de femmes et de filles à des fins de prostitution ; la propagation du VIH-sida due au fait, pour les femmes, de ne pouvoir disposer librement de leur corps ; 500 000 décès de femmes par an des suites de grossesses précoces et répétées, de complications liées à l’accouchement, d’avortements clandestins.

Face à cette réalité, la CIPD a mis en lumière l’importance du renforcement des moyens d’action des femmes et de la réalisation effective de l’égalité, passage obligé pour parvenir à une croissance économique soutenue et à un développement durable, ainsi que pour ouvrir la voie à un accroissement de la population qui soit équilibré et viable. Un consensus s’est ainsi formé pour reconnaître que la réduction de la pauvreté, la défense des droits des femmes et la protection de l’environnement sont inextricablement liés, et que l’accès des femmes à la santé génésique constitue une priorité. Les droits en matière de procréation, tels que les définit la Conférence du Caire, incluent : a) le droit des couples et des individus de décider librement du nombre de leurs enfants, de pouvoir espacer les naissances et d’obtenir l’information et les moyens d’action dont ils ont besoin ; b) le droit d’accès à la santé sexuelle et génésique ; c) le droit à la libre décision dans ce domaine, sans discrimination, ni pression, ni contrainte.

Nadine PUECHGUIRBAL

PROGRAMMEUSES DE L’ENIAC [États-Unis XXe siècle]

Entre les années 1944 et 1955, aux États-Unis, six femmes ont été les programmeuses du premier ordinateur, l’Electronic Numerical Integrator Analyser and Computer (Eniac). Cet ordinateur a été à l’origine conçu et construit à l’université de Pennsylvanie, de 1943 à 1946, par John Mauchly et John Eckert. Il avait pour objectif de remplacer les calculs manuels. Déplacé à Aberdeen dans le Maryland, en 1947, il y est resté en service jusqu’en 1955.

En 1942, Kathleen Antonelli (1921-2006) et Frances Spence (1922), nouvellement diplômées en mathématiques, furent recrutées par l’armée américaine pour calculer des trajectoires de tir, d’abord à la main, puis avec un analyseur différentiel, c’est-à-dire un calculateur capable de résoudre des équations différentielles. Leur profil de poste les désignait littéralement comme des computers (« calculatrices »).

Marlyn Meltzer (? - 2008) et Ruth Teitelbaum (1924-1986), également diplômées en mathématiques, étaient elles aussi des « calculatrices ». Elles ont été les premières à se former aux fonctionnalités de l’Eniac. En 1945, elles suivirent, avec K. Antonelli, Frances Holberton (1917-2001), diplômées en journalisme, et Jean Bartik (1924-2011), diplômée en mathématique, une formation aux systèmes IBM de cartes perforées, avant d’entamer le travail en 1946, rejointes par F. Spence.

La programmation des calculs sur l’Eniac consistait à identifier les différentes étapes du programme et leur enchaînement, à les mettre en œuvre physiquement en raccordant les différentes parties de l’ordinateur, et à faire les tests indispensables pour vérifier que la machine fonctionnait. Constitué d’environ 17 000 tubes à vide, 7 000 diodes, 70 000 résistances et 5 millions de joints soudés à la main, ce monstre de 27 tonnes avait en effet de nombreuses raisons de tomber en panne. Le rôle des programmeuses de l’Eniac était de recâbler physiquement la machine qui, ne disposant pas de mémoire pour les logiciels, devait être reprogrammée entièrement pour chaque nouveau type de calcul.

Quand l’Eniac fut transféré à Aberdeen, seules R. Teitelbaum, F. Spence et K. Antonelli poursuivirent leur travail sur l’Eniac. K. Antonelli épousa un des concepteurs de l’Eniac, J. Mauchly, avec lequel elle continua à collaborer. J. Bartik continua dans le développement logiciel avec les machines qui ont succédé à l’Eniac, le Binac et l’Univac 1. Enfin, F. Holberton est celle qui a mené le plus loin sa carrière dans l’informatique et la programmation : elle a en particulier contribué au développement du langage C-10, mais aussi à la mise en place des premiers standards du Cobol et du Fortran, et était considérée par Grace Murray Hopper* comme la plus grande des programmeuses.

Les six programmeuses de l’Eniac font toutes partie du Hall of Fame de Women in Technology International, une association créée en 1986 qui rassemble environ 100 000 femmes actives dans les nouvelles technologies.

Anne-Laure BUISSON

WEIK M. H. « The Eniac story », in Ordnance, Washington, janv.-fév. 1961.

PROKEŠOVÁ, Viera [BRATISLAVA 1957]

Poétesse et critique littéraire slovaque.

Diplômée de l’université Comenius de Bratislava, où elle a étudié le slovaque et le bulgare, Viera Prokešová devient rédactrice de la maison d’édition Slovenský spisovateľ de 1982 à 2000. Depuis, elle travaille à l’Institut de littérature étrangère de l’Académie slovaque des sciences à Bratislava. En 1984, elle publie son premier recueil de poèmes, Cudzia (« l’étrangère »). Dans sa poésie simple, pleine de tendresse, de sensibilité et de calme, l’écoulement du temps, le rythme des saisons se mêlent à son propre univers. Les réflexions sur l’amour, sur les relations entre les hommes et les femmes, sur le sens même de sa vie caractérisent ce premier recueil très lyrique. À la tristesse, à la confusion et au doute s’ajoutent, à partir du second recueil, Slnečnica (« le tournesol », 1988), la solitude, le désir du bonheur et plus tard le vide. Sa poésie est néanmoins dominée par une attitude positive. Le recueil Retiazka (« la chaînette », 1992) reflète ses expériences de traductrice et sa rencontre avec l’ancienne poésie féminine chinoise. Les textes des chansons de la comédie musicale Mária Stuartovna, réalisée en 1995, font partie de son dernier recueil, Pleť (« le teint »), publié en 1998.

Diana LEMAY

COLLECTIF, Slovník slovenských spisovateľov 20, storočia, Bratislava, Literárne informačné centrum, 2008 ; MIKULA V. (dir.), Slovník slovenských spisovateľov, Bratislava, Kalligram & Ústav slovenskej literatúry SAV, 2005.

PROKHOROVA, Irina [MOSCOU 1956]

Éditrice russe.

Irina Prokhorova est issue d’une famille d’intellectuels cultivés et ouverts, hantés par le souvenir des répressions staliniennes. Docteure en philologie, elle aurait pu suivre une carrière universitaire, mais son attachement à la liberté d’expression était incompatible avec la censure des œuvres littéraires étrangères en URSS. Elle travaille à la télévision puis à la Literaturnoe Obozrenie, revue littéraire académique. Avec la glasnost initiée en 1985 et la chute du mur de Berlin en 1989, un vent de liberté et de créativité souffle sur la Russie soviétique. En août 1991, I. Prokhorova est sur les barricades avec les Moscovites contre les putschistes qui tentent de destituer Gorbatchev. L’année suivante, elle crée et dirige la Novoe Literaturnoe Obozrenie (NLO, « nouvel observateur littéraire »), première revue indépendante, et aujourd’hui la principale du monde slave. En 1995, elle fonde sa propre maison d’édition du même nom, par passion pour la création, dit-elle. NLO publie de jeunes auteurs en langue russe, hongroise ou polonaise et comprend plus de 20 collections, dont littérature historique, philosophie, sociologie, culture de la vie quotidienne. Deux autres revues complètent la révolution éditoriale d’I. Prokhorova : Neprikosnovennyi Zapas (« réserve intouchable »), qui conjugue l’interdisciplinarité en sciences sociales, et Teoria Modi, une culturologie de la mode. Esprit libre et optimiste, elle sait s’entourer des meilleurs talents, sollicite des contributions étrangères, suscite partout des débats de critique littéraire et souhaite fédérer les éditeurs indépendants en association. Avec son frère milliardaire, elle crée et dirige en 2004 une fondation caritative innovante, destinée à soutenir les créations culturelles dans diverses régions de Russie, notamment en Sibérie d’où était originaire son père. Son projet est ambitieux : transformer la société russe postsoviétique en développant la culture dans tous les sens du terme et en la promouvant dans le monde. La fondation Mikhaïl-Prokhorov a, entre autres, créé avec succès en 2007 un festival du livre à Krasnoïarsk et financé la manifestation culturelle « Sibérie inconnue » à Lyon en 2010. Ses réalisations ont été récompensées par plusieurs distinctions et prix littéraires.

Jacqueline PICOT

PROM SOTH THIDA VOIR PECH SANGVAVAN

PROOPS, Rebecca Marjorie [WOKING, SURREY 1911 - LONDRES 1996]

Journaliste britannique.

Pendant son enfance, Rebecca Marjorie Proops habite au-dessus des pubs dont son père est propriétaire à Londres. Souffrant du sobriquet de « Becky la Juive », elle choisira plus tard d’écrire sous son deuxième prénom. Elle débute dans la presse en publiant des dessins dans divers magazines féminins. Le Daily Mirror l’engage en 1939 pour dessiner et tenir une rubrique sur la mode, mais c’est pour le magazine Good Taste qu’elle écrit son premier article de presse, pendant la Seconde Guerre mondiale. En 1945, elle devient rédactrice de mode pour le Daily Herald, puis éditrice de la page « femmes ». Pendant cette période, elle s’inquiète du courrier du cœur qui s’entasse au journal. Avec l’aide d’un psychologue pour les cas difficiles, elle commence à y répondre. De nouveau engagée au Daily Mirror en 1954, elle en devient la chroniqueuse la plus en vogue. Considérée comme une star sexy et glamour, elle côtoie des légendes du cinéma et vole la vedette aux politiciens de tous bords. Vers la fin des années 1960, elle aborde des sujets tels que la contraception féminine, l’avortement ou la drogue. Elle prend en charge le courrier des lecteurs du Woman’s Mirror, puis celui du Daily Mirror. Pour qu’aucune lettre ne reste sans réponse, elle s’entoure d’experts, médecins, policiers, hommes d’église, et d’une équipe de secrétaires. En 1978, elle est nommée assistante d’édition du Mirror. Favorable à l’éducation sexuelle, elle défend les droits des femmes et réclame la création d’un suivi particulier pour les victimes de viol. Impliquée dans la campagne de Leo Abse pour décriminaliser l’homosexualité, elle participe également à deux commissions du gouvernement, l’une sur la famille monoparentale, l’autre sur le jeu. Elle est élue « Femme de l’année » en 1984.

Marion PAOLI

VENCENZI P., « Obituary : Marjorie Proops », in The Independant, 12-11-1996.

PROPHÉTESSES BIBLIQUES

Parmi tous les prophètes et prophétesses de la Bible, le corpus talmudique cite 48 hommes et sept femmes. Pourtant ces visionnaires furent bien plus nombreux, et il existait même, dans l’Israël biblique, des écoles de prophètes où l’on s’initiait à diverses techniques de méditations ou d’incantations (1 Samuel 10, 5). Mais ce ne sont que ceux ou celles « dont la prophétie concerne toute les générations », précise le Talmud de Babylone (traité Meguila 14a), qui ont été conservés. Aussi la page talmudique retient-elle Sarah, Myriam, Déborah, Hannah, Abigail, Houlda et Esther, justifications scripturaires ou exégétiques à l’appui.

Sarah, la première des matriarches*, est d’abord appelée Saraï, puis Sarah en Genèse 17, 16, enfin Yiska (Targoum Pseudo-Jonathan sur Genèse 11, 29 et Meguila 14a), d’une racine hébraïque qui signifie « voir ». Dans la tradition juive c’est en effet elle qui voit que l’engagement de l’Alliance et toutes les promesses qui l’accompagnent, dont l’héritage de la terre d’Israël, conclu entre Dieu et Abraham, se poursuivra au travers de leur fils Isaac et non d’Ismaël, l’enfant que le patriarche a eu en premier avec Agar. « Tout ce que Sarah te dira, écoute sa voix » (Genèse 21, 12) déclare Dieu à Abraham. Selon la tradition juive, Abraham et Sarah étaient aussi liés dans l’enseignement du monothéisme, c’est pourquoi toutes les personnes qu’ils initiaient étaient comptées comme « des âmes qu’ils avaient faites » (Midrash Genèse Rabba sur Genèse 12, 5). Sarah inaugure ici, par son souci de la pérennité de l’Alliance associée au don de l’enseignement, l’une des caractéristiques des prophétesses de la Bible.

Le verset qui énonce la qualité de Myriam est d’une littéralité explicite : « Myriam la prophétesse, sœur d’Aaron, prit en main un tambourin » (Exode 15, 20) avant d’entamer, à l’instar de son frère Moïse, un cantique de louanges. Le peuple d’Israël venait de traverser la mer Rouge et de sortir sain et sauf d’Égypte après des siècles d’esclavage. Les femmes d’Israël suivirent Myriam en chantant et en dansant, et la tradition juive de nous dire qu’elles atteignirent là un degré de prophétie rarement atteint (cf. le Midrash Mekhilta). Pourquoi le don de prophétie de Myriam n’est-il énoncé en ne la présentant dans le verset biblique que comme sœur d’Aaron et non comme sœur de Moïse interroge le Talmud ? Précisément parce qu’elle prophétisa alors qu’elle n’était que sœur d’Aaron, en annonçant que sa mère enfanterait un fils qui sauverait le peuple d’Israël.

Myriam enseigna aussi la Torah (Pentateuque) aux femmes (Midrash Yalkout Chimoni sur Nombres 12, 12), et son mérite de visionnaire engagée était tel que la tradition juive rappelle qu’un puits nommé d’après son nom suivait le peuple d’Israël tout au long de ses quarante ans d’errance dans le désert. Comme si les eaux vives et spirituelles étaient ici réunies.

En plus d’être prophétesse, Déborah était aussi juge, cheffe des armées et poétesse ; un cantique lui est en partie attribué (Juges 5) : « Et Déborah, une prophétesse, femme de Lapidot, était juge [au sens aussi de gouverner] sur Israël à cette époque. Elle siégeait au pied du Palmier de Déborah [… ] dans la montagne d’Efraïm » (Juges 4, 4-5). « Femme de Lapidot » peut aussi se lire « femme de lumières », car elle fabriquait des mèches pour les candélabres du Temple, plus symboliquement parce qu’elle dispensait la lumière au travers de ses prophéties. Mais la littérature talmudique est ambivalente à son sujet, raillant un peu son nom qui signifie « abeille », la traitant d’arrogante ou s’offusquant qu’une femme puisse assumer tant de fonctions d’autorité. Relevons d’ailleurs que, jusqu’à présent, les femmes ne peuvent être juges dans les tribunaux rabbiniques orthodoxes, c’est pourquoi Déborah est encore et toujours une pionnière… Même s’ils minimisent parfois la dimension de juge de Déborah en avançant l’hypothèse qu’elle ne faisait « qu’enseigner des lois », des commentaires talmudiques nous donnent en quelque sorte le mode d’emploi de sa singularité édifiante. Elle ne pouvait juger que « grâce à l’inspiration divine » mais surtout « parce que le peuple l’avait acceptée » (Commentaire des Ba’alé Tossfot sur les traités Baba Kama 15a et Guittin 88b). Ce point de vue souligne qu’en matière de loi juive, le statut des femmes peut évoluer en fonction de l’évolution des consciences et du consentement d’une communauté. Ouvrage auquel les féministes juives orthodoxes s’appliquent en s’appuyant sur la figure paradigmatique de Déborah.

Hannah était stérile et, lors d’un pèlerinage dans la ville biblique de Shilo, pria pour avoir un enfant. Sa prière fut exaucée, elle écrivit elle aussi un cantique (1 Samuel 2, 1-10), et son fils Samuel, comme elle, devint prophète. De la supplication de Hannah (1 Samuel 1, 1-10 et 2, 1-10), les sages d’Israël tirèrent de nombreux enseignements au sujet de la prière. De ses modalités, d’abord – le fait d’être concentré(e), d’articuler la prière avec ses lèvres mais de ne pas élever la voix – ; de ses termes ensuite car Hannah nomme Dieu d’une manière jusqu’alors inusitée ; du nombre de ses bénédictions qui serviront de modèle à l’une des prières essentielles quotidiennes juives (la « Hamida ») ; de sa stratégie pour convaincre Dieu d’être attentif à ses demandes. À telle enseigne que sa prière figure dans la célébration du jour de Rosh Hashana, le nouvel an hébraïque (voir traité Berakhot 4, 1 du Talmud de Jérusalem et ibid. 13a du Talmud de Babylone). Hannah, dont le nom se traduirait par « grâce » parce qu’elle l’incarnait et exprimait de la compassion à l’égard d’autrui, figure ainsi parmi ceux ou celles qui ont le plus inspiré le livre de prières hébraïques.

Le récit biblique décrit Abigail comme une femme « belle et intelligente » (1 Samuel 25, 3). Elle va à la rencontre de David afin de le dissuader de tuer son mari Nabal qui, ingrat alors même que David avait pris soin de son bétail, lui avait refusé quelques vivres. Elle le persuade aussi de ne pas abuser d’elle alors qu’elle est une femme mariée. Elle use de divers arguments se rapportant à la loi juive selon le Talmud qui revisite leur dialogue, comme par exemple le fait de ne pas juger de procès criminels la nuit. Elle fait appel également à la prophétie, « cette fois-ci, ne sera pas pour toi un écueil » (ibid. 25, 31), faisant allusion à la faute que commettra plus tard David en prenant Bethsabée alors épouse d’Uri. Mais elle prédit également que sa faute sera pardonnée grâce à son repentir et que « son âme restera liée au faisceau des vivants » (ibid. 29). Expression que le Talmud interprète comme l’une des rares références à la survie de l’âme des défunts et à l’existence d’un monde futur dans la Bible.

Houlda était de la famille du prophète Jérémie. En l’absence de ce dernier, ou préférant la mansuétude supposée des femmes, le roi Josias choisit de consulter la prophétesse. Non point que Houlda eût pu changer la teneur de la prophétie mais du moins aurait-elle pu, d’après le Talmud, davantage que ses homologues masculins, invoquer la clémence divine. L’un des traits les plus caractéristiques de Houlda était aussi qu’elle enseignait la Torah, non seulement aux femmes mais également aux hommes. Le Talmud, une fois de plus, dès qu’une femme a une fonction d’autorité, exprime son ambivalence en rappelant notamment que son nom signifie « belette »… Cependant, l’exemple de Houlda fait bel et bien partie du corpus biblique.

Comme sa personnalité et son nom dont l’une des traductions signifie « cachée », la dimension prophétique d’Esther est subtile. Le Talmud et le Zohar (3 ; 19) la disent inspirée dans ses démarches et stratégies afin de sauver son peuple. Le fait qu’elle ait pu convaincre les sages de son époque d’insérer le Livre d’Esther qu’elle avait rédigé avec son cousin Mardochée est également considéré comme un acte de prophétie. Car ne sont gardées comme prophéties que celles qui ont encore des enseignements à nous transmettre. Le Rouleau d’Esther* qui nous montre comment les Juifs ont échappé à une extermination totale en est une illustration.

Sonia Sarah LIPSYC

EISENBERG J., La Femme au temps de la Bible, Paris, Stock, 1993 ; MARCIANO A., Traité Meguila, la Guemara, New York, Mesorah Publications, 2004.

GUGENHEIM C. A., « Les femmes prophétesses à partir du traité Meguila 14b du Talmud de Babylone », in ELKOUBY J., LIPSYC S. S. (dir.), Quand les femmes lisent la Bible, Paris, In Press, 2007.

PROSPERI, Carola [TURIN 1883 - ID. 1981]

Écrivaine et journaliste italienne.

En 1908, Carola Prosperi commence à collaborer à La Gazzetta del Popolo della Domenica, puis à La Stampa, à La Nazione, à Novella, si bien qu’elle abandonne son métier d’institutrice et publie des nouvelles, des romans (une trentaine), des articles, des interviews d’actrices, une histoire de Turin, des fables et des récits pour enfants. Elle épouse Gino Pestelli, journaliste à La Stampa, qui en sera limogé en 1929 pour ses positions antifascistes, et vit à Turin, sa ville natale, où elle fréquente des intellectuels et des écrivains. Dans La profezia e altre novelle (« la prophétie et autres nouvelles », 1907), elle offre une peinture de la vie quotidienne dans toute sa tristesse et sa pauvreté. Son premier roman, Paura di amare (« peur d’aimer », 1914), décrit la passion d’une femme pour un artiste, qui s’achève à la mort de ce dernier. Soutenue par sa mère, l’héroïne finit par se marier sans amour et meurt en accouchant d’un enfant qui ne lui survivra pas. L’estranea (« l’étrangère », 1915) débute par la mort d’une actrice dont la fille tentera vainement d’imiter la carrière, au prix de maintes difficultés que seule l’amitié d’une femme l’aidera à supporter. Vergine madre (« une mère vierge », 1928) est le récit de la maternité d’une fille mère, contrainte à un mariage sans amour. L’héroïne de Tempesta intorno a Lyda (« tempête près de Lyda », 1931) aime le mari d’une de ses amies. Dans L’indifesa (« sans défense », 1940), une femme, dont la mère meurt au début du récit, aime un homme qui ne veut vivre avec elle qu’une simple aventure. Grâce à un style d’une simplicité et d’une clarté extrêmes, C. Prosperi réussit à raconter, du point de vue des femmes, des mariages sans amour, des passions aux issues tragiques, des histoires de femmes sensibles et généreuses, faibles et vaincues, incapables de décider par elles-mêmes. En 1959, elle reçoit le prix Saint-Vincent du journalisme.

Graziella PAGLIANO

COLLECTIF, Carola Prosperi, una scrittrice non femminista, Florence, Olschki, 1995.

PROULX, Monique [QUÉBEC 1952]

Écrivaine canadienne d’expression française.

Après avoir étudié la littérature et le théâtre à l’université Laval de Québec, Monique Proulx a été successivement animatrice de théâtre, professeure de français et agente d’information à l’université du Québec, avant de se consacrer exclusivement à l’écriture. Comme écrivaine, elle s’est d’abord fait connaître dans les médias en produisant deux dramatiques pour Radio-Canada, ainsi que deux autres créations, Un aller simple (1979) et Les Gens de la ville (1980), diffusées à la télévision de Radio-Canada. C’est dans les années 1980 que sa double carrière de nouvelliste et de romancière prend véritablement forme. Son premier recueil de nouvelles, Sans cœur et sans reproche, paraît en 1983 ; le deuxième, Les Aurores montréales, en 1996. Entre-temps, elle publie deux romans promis à un brillant avenir : Le Sexe des étoiles (1987) qui sera adapté au cinéma à partir d’un scénario signé de sa main, et Homme invisible à la fenêtre (1993) ; ce texte très soigné sur le plan du style et de la forme demeure l’œuvre sinon la plus populaire de l’auteure, du moins la plus estimée par la critique. M. Proulx y tisse habilement deux histoires, celle d’un peintre impotent, qui fournit le cadre et le prétexte de l’intrigue, et celle d’une aventure amoureuse aux multiples rebondissements. Après ce coup de maître, elle publie deux autres romans, Le Cœur est un muscle involontaire (2002), dans lequel elle évoque la figure mythique qu’est devenu l’auteur québécois « invisible » Réjean Ducharme, et Champagne (2008). Parallèlement à sa production prolifique dans le domaine du roman et de la nouvelle, elle s’est tournée récemment vers la scénarisation à la suite du succès retentissant obtenu par le film Le Sexe des étoiles, réalisé par Paule Baillargeon en 1993. Elle tire un deuxième scénario de son roman Homme invisible à la fenêtre pour le film de Jean Beaudin, Souvenirs intimes (1999), tout en collaborant à d’autres projets de films avec les réalisateurs Charles Binamé et Denis Chouinard.

Gilles DUPUIS

BOIVIN A., « Homme invisible à la fenêtre ou la renaissance au monde », in Québec français no 147, Québec, automne 2007 ; MARCATO FALZONI F., « Le Sexe des étoiles de Monique Proulx : le roman et le film », in Littérature et cinéma du Québec no 20, Rome, Bulzoni, 1997.

PROUST, Françoise [1947-1996]

Philosophe française.

Agrégée de philosophie et docteure, professeure à l’université Paris 1, Françoise Proust a également participé aux activités du Collège international de philosophie. Son œuvre n’est pas celle d’une historienne des idées ni d’une philosophe spéculative. Ce qui anime sa réflexion, à travers ses livres, articles et interventions, c’est le motif de l’ouvrage De la résistance, publié en 1997, une résistance qui incombe à chacun, quelle que soit sa place, et qui s’exprime tant par le témoignage et le récit que par la réflexion et l’action. Car il s’agit non pas de fonder l’être mais de conjurer ce qui le menace – le désastre. Ses travaux philosophiques ne sont pas seulement l’expression d’une idée, mais toujours aussi l’articulation d’une écriture. Dans cette entreprise, elle convoque principalement Kant (Kant, le ton de l’histoire, 1991), Benjamin (L’histoire à contretemps, le temps historique chez Walter Benjamin, 1994), et Hannah Arendt* (elle intervient entre autres dans le premier colloque organisé en 1981 en France). D’autre part, après la mort prématurée de Sarah Kofman*, qui avait été sa professeure à la Sorbonne, elle co-organise une journée d’hommage, parue dans un numéro spécial des Cahiers du Grif. Elle publie plusieurs livres de réflexion philosophique, de nombreux articles, des traductions de l’allemand et intervient dans divers colloques, avant sa disparition à l’âge de 49 ans.

Françoise COLLIN

Points de passage, Paris, Éditions Kimé, 1994 ; avec COLLIN F., Sarah Kofman, in Les Cahiers du Grif, hors-série no 3, Paris, Descartes et Cie, 1995 ; De la résistance, Paris, Éditions du cerf, 1997 ; avec ALLIEZ É. (dir.), Gilles Deleuze, immanence et vie, Paris, Collège international de philosophie/Presses universitaires de France, 1997.

PROWSE, Anne VOIR LOCKE, Anne

PRUSAC, Lola (Léontine PRUSAC, dite) [LODZ 1893 - PARIS 1985]

Styliste de mode et joaillière française.

D’origine polonaise, Lola Prusac a 16 ans à son arrivée à Paris. En 1927, elle est engagée par Émile Hermès pour insuffler un goût nouveau à la célèbre maison. Elle crée des dessins de foulards, des vêtements de ski, des vestes de sport taillées dans des couvertures de cheval, des pull-overs ornés de motifs cubistes et des costumes de bain d’avant-garde. En 1937, elle ouvre sa maison à Paris, au 93, rue du Faubourg-Saint-Honoré, qui reste en activité jusqu’en 1980. Elle se passionne pour le tissage à la main et les soies peintes et redécouvre les broderies traditionnelles. Elle commande à des sculpteurs des bijoux en métal martelé, qui lui assurent une véritable notoriété. Elle réussit à fidéliser une clientèle, séduite par sa créativité et ses innovations. Refusant l’uniformité de la mode, elle prône la diversité. Chaque femme doit, selon elle, rechercher son style et choisir les vêtements qui lui correspondent.

Zelda EGLER

KAMITSIS L., REMAURY B. (dir.), Dictionnaire international de la mode, Paris, Éditions du regard, 2004 ; MÜLLER F., Les Paruriers, bijoux de la haute couture, Bruxelles, Fonds Mercator, 2006.

« Rencontre avec Lola Prusac », in La Vie des métiers, n° 356, janv. 1977 ; « Lola Prusac, 50 années de couture parallèle », in Jardin des Modes, déc.-janv. 1979.

PRZYBYSZEWSKA, Dagny JUEL [KONGSVINGER 1867 - TIFLIS, AUJ. TBILISSI, GÉORGIE 1901]

Écrivaine norvégienne.

Issue d’une famille aisée, Dagny Juel Przybyszewska mène une enfance et une adolescence sans histoires. Elle quitte sa ville natale pour étudier le piano à Christiana (aujourd’hui Oslo), puis à Berlin où elle fait partie du milieu de la bohème scandinave : des artistes et écrivains des deux sexes qui se réunissent au café Zum Schwarzen Ferkel. Son pouvoir d’attraction sur les hommes et son rôle de muse la font vite connaître. En 1893, elle épouse le poète polonais Stanislaw Przybyszewski, puis donne naissance à deux enfants. Malgré de longs séjours à Cracovie, le couple mène une vie nomade. Bien que souvent mentionnée pour son caractère mythique de bohémienne et d’inspiratrice de créateurs masculins, elle écrit des pièces de théâtre traduites de son vivant en tchèque et en polonais, dont Den stærkere (« le plus fort »), publiée en 1896 dans la revue d’avant-garde culturelle norvégienne Samtiden. Ses écrits, symbolistes et stylisés, façon Art nouveau, gravitent autour de l’amour passion, triangle de désir, d’angoisse et de culpabilité. Dans la culture de cette fin de siècle, la manière dont elle parvient à exprimer la subjectivité et le désir au féminin est remarquable. Certes, son œuvre est modeste, mais elle comporte quelques très beaux poèmes qui expriment les ambivalences de la femme créatrice, l’amour maternel et la vulnérabilité de la mère et de l’enfant dans la vie turbulente de la femme artiste.

Anne Birgitte RØNNING

LISHAUGEN R., Dagny Juel, tro, håp og undergang, Oslo, Andresen & Butenschøn, 2002 ; NORSENG M. K., Dagny. Dagny Juel Przybyszewska, Seattle, University of Washington Press, 1991.

PRZYBYSZEWSKA, Stanisława [MYŚLENICE 1901 - GDAŃSK 1935]

Auteure dramatique polonaise.

Fille de l’écrivain Stanisław Przybyszewski, Stanisława Przybyszewska a hérité de son père un caractère tourmenté et excentrique. Après quelques années très actives, durant lesquelles elle participe à l’action politique de la gauche et est incarcérée, elle s’installe à Gdańsk, où elle vit dans un grand isolement. Très attirée par l’histoire, en particulier par la Révolution française, elle y consacre toute son œuvre et en dissèque les mécanismes dans ses drames successifs : Dziewięćdziesiąty trzeci (« l’année 93 », adaptation télévisée à titre posthume en 1969), L’Affaire Danton (mis en scène en 1931, traduit en plusieurs langues et repris au cinéma en 1982 par Andrzej Wajda), remarquable histoire de la prise du pouvoir, et Thermidor (écrit en allemand et mis en scène en 1971). Ce cycle est complété par un roman, Ostatnie noce ventose’a (« la dernière nuit de Ventôse », 1958), rédigé sous la forme d’un monologue intérieur rapportant les pensées de Robespierre. D’autres romans, comme Tworczość Gerarda Gasztowta (« l’œuvre de Gérard Gasztowt ») et Wybraniec losu (« l’élu du destin »), possèdent également une dimension psychologique. Bien que la grande sensibilité de S. Przybyszewska et ses capacités intellectuelles exceptionnelles soient difficilement compatibles avec son refus du monde et de la société, son malaise, auquel elle tente de remédier par la drogue, et son repli sur elle-même ne l’empêchent pas de créer des chefs-d’œuvre.

Maria DELAPERRIÈRE

L’Affaire Danton (Sprawa Dantona, 1929), Lausanne, L’Âge d’homme, 1983.

GRACZYK E., Ćma, o Stanisławie Przybyszewskiej, Varsovie, Open, 1994 ; INGDAHL K., A Gnostic Tragedy : A Study in Stanisława Przybyszewska’s Aesthetics and Works, Stockholm, Almqvist & Wiksell International, 1997.

PSYCHANALYSE ET POLITIQUE [France depuis 1968]

Dès les premiers moments du Mouvement de libération des femmes* (MLF) qu’elle cofonde en octobre 1968, Antoinette Fouque* crée Psychanalyse et Politique, un groupe de recherche théorique et pratique, connu sous le nom de « Psych et Po », une université populaire permanente, qui fera l’originalité du MLF français. En réponse aux impasses du gauchisme qui domine alors le champ intellectuel et culturel, elle propose d’analyser « ce qu’il y a d’inconscient dans les choix politiques et de politique dans l’inconscient», d’articuler « révolution du politique et révolution de l’intime », de questionner « l’action par la pensée et la pensée par l’action ». Elle invite les militantes à une lecture critique des grands textes politiques (Marx, Lénine, Clara Zetkin*, Engels) et des grands textes psychanalytiques (Freud, Lacan, Mélanie Klein*…), qui constituent le seul discours sur la sexualité. Sans rejeter la découverte freudienne au prétexte de son phallocratisme, comme le font alors le women’s lib américain et le féminisme français, elle s’attache à l’enrichir d’une pensée de la différence des sexes : « Si le coup de force de Freud a été de lever la censure que le conscient fait peser sur l’inconscient, le coup de force des femmes devrait être de lever la censure que l’inconscient fait peser sur le corps. »

Dans des réunions assidues, à 20, à 100 ou à 500, dans des fêtes, des rencontres à la mer, à la campagne, dans des maisons, des cafés, des universités, des femmes mettent en travail les conceptions freudienne et lacanienne qui érigent la sexualité masculine en modèle exclusif. Elles déconstruisent le phallocentrisme et le nom du père. Lacan ne s’y trompe pas lorsqu’il cite, avec ironie sans doute, mais à plusieurs reprises, le MLF. Au postulat selon lequel il n’y a qu’une libido pour les deux sexes et qu’elle est phallique, A. Fouque répond : « il y a deux sexes », il y a donc deux libidos. Et elle nomme d’abord « libido 2 », puis « libido femelle » ou « utérine » et enfin libido creandi cette libido enfouie, interdite ou aliénée, que les militantes de « Psych et Po », « chacune suivant sa singularité et ensemble », tentent de faire émerger à partir de leur expérience propre. En explorant les zones archaïques et refoulées d’avant l’œdipe, de la relation première à la mère, de l’« homosexualité native », elles s’emploient à sortir du continent noir l’expérience de la grossesse, « cette compétence qu’ont les femmes à créer du vivant parlant et pensant, trop longtemps renvoyée à la seule nature, alors qu’elle est hautement culturelle ». Elles veulent faire advenir la gestation au niveau symbolique, là d’où Lacan l’avait exclue dans son séminaire sur les psychoses : « Il y a tout de même une chose qui échappe à la trame symbolique, c’est la procréation dans sa racine essentielle – qu’un être naisse d’un autre. » S’invente ainsi, au sens où inventer signifie « découvrir » ou « mettre en évidence ce qui existe », un espace de pensée où « femme » existe dans son universalité, sa permanence sous les différentes figures du genre que sont le maternel, le féminin ou le féminisme.

Un tract de 1970, « Femmes, sexualité et politique », distribué en AG du MLF, recense les thèmes du travail de Psychanalyse et Politique depuis deux ans et pour de longues années ensuite : « Analyse de nos contradictions internes et subjectives… Relation à la mère : matricide, fondement de notre culture ; généalogie femelle ; la mère, premier corps d’amour…/Sexualité : quelle libération sexuelle ? Hystérie et frigidité ; le sexe sans/avec le corps…/Procréation : l’envie d’utérus chez les hommes ; mère d’un fils, mère (?) d’une fille…/Les femmes et la psychanalyse : questionnement de la théorie et de la pratique analytiques ; une seule libido, mâle, pour les deux sexes (Freud) ? ; refoulement du corps par la psychanalyse ; oralité-génitalité écrasées par analité-phallicité ; forclusion du corps de la mère par le symbolique…/Homosexualités : primaire (relation à la mère) et secondaire (identification au père et lesbianisme)… »

La critique constructive des textes canoniques – plutôt que l’interprétation en boucle des psychoses, névroses et perversions fabriquées par le matricide et l’éternel œdipe –, l’engagement intime dans une recherche de vérité, orientent la théorie et la clinique vers la dimension créatrice de l’inconscient, l’énergie procréatrice, et la venue au monde permanente du vivant.

Comme le MLF est un mouvement d’action, Psychanalyse et Politique est un mouvement de pensée qui mène la « révolution du symbolique ». Il a inauguré un travail sur le politique qui ne peut plus désormais faire abstraction de la réalité de l’inconscient ni de celle de la différence des sexes.

Jacqueline SAG

COLLECTIF, Génération MLF, 1968-2008, Paris, Des femmes-Antoinette Fouque, 2008 ; DE COURTIVRON I., MARKS E. (dir.), New French Feminisms, New York, Shocken Books, 1981 ; FOUQUE A., Il y a deux sexes, essais de féminologie, 1989-1995, Paris, Gallimard, 1995 ; ID., Gravidanza, Paris, Des femmes, 2007 ; LECLAIRE S., Rompre les charmes, Paris, Inter éditions, 1981.

PTCHILKA, Olena (Olha KOSSATCH-DRAHOMANOVA, dite) [HADIATCH 1849 - KIEV 1930]

Femme de lettres, ethnographe et éditrice ukrainienne.

Née dans une famille cultivée, Olena Ptchilka fait des études supérieures en tant qu’auditrice libre à la faculté d’histoire et de philologie de Kiev. Influencée par son frère, l’historien et idéologue Mykhaïlo Drahomanov, et dans le contexte général de l’oukase d’Ems interdisant toute production en langue ukrainienne, elle s’engage pour la défense des valeurs ukrainiennes et marque un intérêt prononcé pour le mouvement féministe. Elle s’installe en 1895 avec son mari à Kiev et y mène une activité publique très intense. Elle participe à la création du cercle littéraire la Pléiade, du Club ukrainien et du club Rodyna (« la famille »), et elle est membre de plusieurs organisations, dont la Société littéraire et artistique, la Société pour l’instruction publique Prosvita ou la commission chargée de réunir des fonds pour élever un monument à Taras Chevtchenko à Kiev. Cofondatrice, rédactrice et éditrice de la revue Ridny kraï (« le pays natal », 1905-1916), elle travaille après 1924 dans différentes commissions de l’Académie des sciences d’Ukraine, dont elle devient membre-correspondante en 1925. Après des ouvrages ethnographiques et des traductions, elle publie des récits et des nouvelles dans des revues galiciennes (Pygmalion, 1884 ; Zabavny vetchir, « une soirée amusante », 1886 ; Tovarychky, « les amies », 1887 ; Artychoky, « artichauts », 1898). Parmi ses écrits poétiques, qui chantent souvent le passé glorieux de l’Ukraine, le poème « Kozatchka Olena » (« la Cosaque Olena », 1883) se distingue par le personnage féminin éponyme, habité par le patriotisme. Ses pièces de théâtre s’attachent, elles, à décrire la vie quotidienne des gens ou les bienfaits des connaissances apportées par les érudits dans le peuple. Elle écrit enfin des livres pour enfants (Zeleny haï, « le bosquet vert », 1917 ; Knyjka-pizdvianka dlia diteï, « le petit livre de Noël pour enfants », 1919 ; Chtchaslyvy den Tarassa Kravtchenka, « une journée heureuse de Taras Kravtchenko », 1920) où elle décline sa pédagogie, fondée, comme dans l’ensemble de son œuvre, sur la conscience patriotique et l’identité nationale. O. Ptchilka est la mère de la grande poétesse Lessia Oukraïnka* (1871-1913).

Tatiana SIROTCHOUL

ISKORKO-HNATENKO V., « Ptchilka Olena », in Oukraïnska literatoura ou portretakh i dovidkakh, Kiev, Lybid’, 2000 ;

LOUHOVY O., Vyznatchne jinotstvo Oukraïny, Kiev, Dnipro, 1994.

PTOLÉMAÏS DE CYRÈNE [V. 50 aV. J.-C. - Ier siècle]

Théoricienne de musique.

L’œuvre de Ptolémaïs de Cyrène, Principes pythagoriciens de la musique, écrite sous forme d’une série de questions et de réponses, est connue grâce au philosophe néoplatonicien Porphyre de Tyr (IIIe siècle). Dans son Commentaire aux Harmoniques de Ptolémée, il cite trois extraits dans lesquels Ptolémaïs définit le concept de canon musical (kanoniké pragmateia) chez les Pythagoriciens et discute la question de la relation entre mathématiques et musique et entre perception par les sens (aisthesis) et raison (logos) dans différentes écoles de pensée (notamment celles des mousikoi et des kanonikoi). Malgré le titre de son œuvre, Ptolémaïs ne doit pas être considérée comme une philosophe pythagoricienne (quoique Poestion soutienne le contraire), car elle critique certains principes de la théorie musicale pythagoricienne. Seule femme théoricienne de musique connue dans l’Antiquité, Ptolémaïs a le mérite d’illustrer les fondements de la théorie musicale antique avec une certaine impartialité.

Marella NAPPI

POMEROY SB., Women in Hellenistic Egypt : From Alexander to Cleopatra, New York, Schocken Books, 1984 ; PLANT I. M., Women Writers of Ancient Greece and Rome : An Anthology, Norman, Oklahoma University Press, 2004.

ROCCONI E., « Un manuale al femminile, L’Introduzione pitagorica alla musica di Tolemaide di Cirene », in CELENTANO M. S., Ars/Techne, il manuale tecnico nelle civilità greca e romana, Alexandrie, Edizioni dell’Orso, 2003.

PUCEANU, Romica [BUCAREST 1926 - ID. 1996]

Chanteuse roumaine.

Comparée parfois à Billie Holiday* pour la pureté légèrement voilée et la douceur mélancolique de sa voix haut perchée, Romica Puceanu grandit dans une banlieue pauvre de Bucarest. Les quartiers Floreasca et Herestrau – qui portent le nom de « mahala », un patronyme hérité de l’Empire ottoman – abritent bon nombre de migrants, notamment tsiganes, venus des campagnes en quête d’un travail dans la capitale. Il s’y développe une musique particulière, alliance de chansons traditionnelles paysannes, d’influences orientales et d’arrangements sophistiqués destinés à la clientèle urbaine des cafés et des mariages. À 14 ans, accompagnée des frères Gore, Victor à l’accordéon et Aurel au violon, la chanteuse tsigane débute une longue carrière qui fait d’elle la reine des cantece de mahala, les « chansons des faubourgs », un style musical plus tard nommé musica lautareasca, la « musique des troubadours », par le régime socialiste qui ne souhaitait pas employer le terme « tsigane », jugé négatif et communautariste. Avec les frères Gore ou l’orchestre de son mari, l’accordéoniste Bebe Serban, dit « Bebe de la Petrichioaia », R. Puceanu enregistre de nombreux 33-tours et joue abondamment dans les fêtes de mariage de tout le pays. L’abus d’alcool assombrit cependant la fin de sa carrière et un accident de voiture au retour d’une noce y met définitivement un terme alors que le public populaire se tourne vers un nouveau style de musique tsigane, le manele, sorte de pop orientale enregistrée à grands renforts de synthétiseurs.

Thierry SARTORETTI

Songs from a Bygoneage, 2 CD, Asphalt Tango, 2006.

PUCHOL, Jeanne [PARIS 1957]

Illustratrice et auteure de bandes dessinées française.

Illustratrice pour la presse (Le Monde, La Croix) et l’édition jeunesse, Jeanne Puchol affirme indéniablement un penchant pour le noir, comme en témoignent les livres qu’elle a illustrés : Meurtres pour mémoire, à partir de 1984 avec Didier Daeninckx, Traquenards (1986), Les Jarnaqueurs (1998) ou encore Le Docteur Petiot (2009) et Le Vampire (2010) d’après des scénarios de Rodolphe. Avec la scénariste Anne Baraou*, elle crée le personnage de Judette Camion dans le mensuel À Suivre en 1995, publié en album sous les titres Excusez-moi d’être une fille (1998) et Et avec qui je veux (1999). Elle donne ensuite naissance, en solo, à une bouchère dans l’Espagne de l’Inquisition (Haro sur la bouchère ! , 2003 et La Bouchère au bûcher, 2004). Cofondatrice et présidente d’Artémisia, association pour la promotion de la bande dessinée féminine, J. Puchol, convaincue que les talents féminins en bande dessinée sont peu connus et reconnus, affirme néanmoins qu’« il n’y a pas une BD féminine et une BD masculine. En revanche, il y a sûrement des thèmes féminins et une ou des manières féminines de les aborder ». Déjà, en 1985, elle s’était exprimée avec Nicole Claveloux*, Florence Cestac* et Chantal Montellier* sur les dérives d’une bande dessinée racoleuse et sexiste à travers le pamphlet Navrant publié dans le quotidien Le Monde.

Camilla PATRUNO

PUDUHEPA [XIIIe siècle aV. J.-C.]

Reine hittite.

Épouse du grand roi Hattušili III et peut-être mère de Tudhaliya IV, elle a régné sur le pays de Hatti aux côtés de son époux, puis du fils de celui-ci. Puduhepa est sans conteste la reine hittite la mieux documentée par les textes cunéiformes de l’Anatolie ancienne. Elle est à l’origine de la rédaction d’au moins 14 compositions écrites : des prières, des vœux, un décret et des lettres envoyées à divers souverains étrangers. Elle est également la commanditaire d’un relief rupestre du site de Fraktın, dans la région de Kayseri (Turquie). Sur ce relief, Puduhepa offre une libation à la déesse Hepat et, à côté, son époux Hattušili fait de même en l’honneur du dieu de l’orage. Outre son rôle prédominant dans le culte étatique, à l’instar des autres reines hittites, Puduhepa est responsable de plusieurs mariages diplomatiques. Elle arrange deux unions successives entre des princesses royales hittites et le pharaon d’Égypte Ramsès II. Pour cela, elle correspond directement avec le roi égyptien. Dans ses lettres, Ramsès II l’appelait « ma sœur », ce qui indique qu’il la considérait comme d’un rang égal au sien et à celui de Hattušili. Dans une réponse, Puduhepa décrit ses nombreuses contributions à la grandeur de la famille royale hittite : elle arrange des unions entre des princes hittites et des princesses babylonienne et syrienne, prend soin des princesses royales hittites et de leurs enfants, les élevant et les préparant à leurs hautes responsabilités au sein de l’État hittite. Dans plusieurs récits historiques, Hattušili indique que Puduhepa est la fille d’un prêtre de la déesse Šaušga de Lawazantiya du nom de Pentipšarri. Selon lui, la déesse Šaušga lui aurait ordonné en rêve de prendre Puduhepa pour épouse. Puduhepa devait avoir 14 ou 15 ans. Bien que son père ait été prêtre dans la ville de Lawazantiya, Puduhepa est née au Kizzuwatna, à la frontière sud de l’Anatolie hittite, région où cohabitaient Louvites et Hourrites. On pense que Puduhepa est à l’origine de l’introduction massive d’éléments religieux hourrites à la cour de Hatti. Tudhaliya IV, fils et successeur de Hattušili III, a intégré beaucoup de divinités hourrites et kizzuwatniennes dans son panthéon officiel. Offrant objets votifs et sacrifices, la reine n’a cessé d’implorer les dieux hittites de veiller sur Hattušili, dont la santé était fragile. Dans son « autobiographie », Hattušili dit vivre avec Puduhepa un amour sincère et indéfectible. Il montre l’entière confiance qu’il a en elle en la laissant intervenir et apparaître à ses côtés au sommet de l’État hittite. Puduhepa, pense-t-on, est morte âgée, peut-être vers 90 ans.

Alice MOUTON

PUELLÆ DOCTÆ [Espagne XVe-XVIe siècle]

Ces femmes humanistes, écrivaines et philosophes et auteures représentent l’idéal des laïques érudites, expertes en culture et langues classiques ; elles ont joué un rôle essentiel dans les cours royales, où régnait l’esprit de la Renaissance, notamment celles des Rois Catholiques et de l’empereur Charles Quint (1500-1558). L’éducation de certaines femmes privilégiées, évoluant en particulier dans les cercles intellectuels des reines, leur a valu prestige et renommée auprès de leurs collègues masculins et a contribué au développement d’une prise de conscience féminine. La majorité d’entre elles sont connues grâce à la correspondance en latin qu’elles ont entretenue avec l’humaniste d’origine sicilienne Lucio Marineo Sículo (1460-1533), conservée dans De rebus Hispaniae memorabilibus (« des choses mémorables de l’Espagne », 1530). Menéndez Pelayo a pu en identifier 39, mais leurs œuvres écrites ne nous sont pas parvenues en totalité.

Luisa Sigea de Velasco (1522-1560), humaniste et poétesse, était la fille de Diego Sigeo, un humaniste français. Elle parlait le français, l’espagnol et l’italien, maîtrisait le latin, le grec, l’hébreu et le chaldéen ou syriaque, et était versée dans la philosophie, la poésie et l’histoire. Elle a été au service de la reine Marie de Portugal (1521-1577) et de Marie d’Autriche (1505-1558), future reine consort de Hongrie. Parmi ses meilleures œuvres figurent le poème élégiaque en distiques latins Syntra (publié à Paris en 1566) et le Dialogue de deux jeunes filles sur la vie de cour et la vie de retraite (1552). Elle a aussi écrit l’opuscule Dialogus de differentia vitae rusticae et urbanae (« dialogue sur la différence entre la vie rurale et urbaine »), des lettres d’une grande qualité, et des poèmes. Dame de la cour de Germaine de Foix (1488-1538) – seconde épouse de Ferdinand le Catholique –, Ana Cervató (comté de Cerdagne, XVIe siècle) a entretenu une abondante correspondance avec différents humanistes. On lui attribue De Sarracenorum apud Hispaniam damnis (« défaite des sarrasins en Espagne »).

Luisa Oliva Sabuco* de Nantes y Barrera (Alcaraz, 1562) fut une philosophe formée dans un environnement de médecins, d’avocats et d’humanistes. Son œuvre la plus connue, la Nueva filosofía de la naturaleza del hombre, no conocida ni alcanzada por los grandes filósofos antiguos, la cual mejora la vida y la salud humana (« nouvelle philosophie de la nature de l’homme, ni connue ni atteinte par les grands philosophes antiques, laquelle améliore la vie et la santé humaine »), fut éditée pour la première fois en 1587 ; elle y explique comment les émotions fortes détériorent la santé et causent le décès prématuré ; elle invite donc les médecins à traiter le patient dans son ensemble, corps, esprit et âme. Cette œuvre didactique pionnière, destinée à transmettre à tous la culture sanitaire des élites, ose remettre en question les méthodes médicales en vigueur et réclame leur révision à partir de la connaissance détaillée des caractéristiques réelles de la nature humaine. L’auteure a joui d’une grande renommée parmi ses contemporains – Lope de Vega et Juan de Sotomayor en ont fait l’éloge –, et son ouvrage a été divulgué à travers toute l’Europe, avec des éditions au Portugal, en France et en Angleterre.

Issue d’une famille d’hidalgos, Beatriz Galindo* a suivi des cours de grammaire à l’université de Salamanque. Elle parlait, lisait et traduisait le latin et les textes classiques dès sa jeunesse. Auteure de poésies en latin, et d’œuvres non attestées avec certitude, comme Notas y comentariossobre Aristóteles (« notes et commentaires sur Aristote ») et Anotaciones sobre escritores clásicos antiguos (« annotations sur les anciens auteurs classiques »), elle a étudié la théologie et la médecine, a enseigné et est devenue la conseillère de la reine Isabelle Ire de Castille (1451-1504) et de ses enfants. Elle a fondé l’hôpital Santa Cruz (1506) et le couvent de la Concepción Jerónima à Madrid, auquel elle a légué sa bibliothèque. Un quartier de Madrid, où elle a vécu, a hérité de son surnom, La Latina.

De Juana de Contreras, on sait seulement qu’elle était la nièce du musicien Lope de Baena (1460-1520), auteur d’un Cancionero de palacio (« recueil de chansons de palais »), et qu’elle fut l’élève de l’humaniste Lucio Marineo Sículo (1460-1533), qui l’a définie comme savante, ingénieuse et auteure très élégante en latin. Issue d’une famille noble, contemporaine de Beatriz Galindo, Luisa de Medrano Bravo de Lagunas Cienfuegos (1484-1527) a enseigné le latin et le droit à l’université de Salamanque (des documents l’attestent pour l’année scolaire 1508-1509). Elle fut probablement la première femme professeure d’université du monde. Il subsiste, de son œuvre poétique et philosophique, perdue ou ignorée, quelques témoignages de ses contemporains qui louaient son savoir et son éloquence.

María Pacheco (née López de Mendoza y Pacheco) (1496-1531) a adopté le nom de famille de sa mère pour se différencier de ses sœurs. Instruite parmi l’élite aristocratique de son père, elle avait des connaissances en latin, en grec, en mathématiques, en lettres et en histoire, et se passionnait pour les débats philosophiques. Enfant, elle avait assisté, en 1500, au premier soulèvement morisque, dans le quartier de l’Albaicín à Grenade. Mariée à l’hidalgo Juan de Padilla, elle a pris part à la révolte et à la guerre des Communautés de Castille en 1520, comme collaboratrice intellectuelle et révolutionnaire de son époux. Quand il fut exécuté, elle s’enfuit avec son fils au Portugal, où elle mourut dans la solitude.

Francisca de Nebrija, fille d’Elio Antonio de Nebrija, auteur de la première Gramática castellana (1492), possédait une vaste culture en langues classiques et a collaboré à la rédaction de la célèbre grammaire. À la mort de son père (1522), elle l’a remplacé à la chaire de rhétorique de l’université d’Alcalá de Henares.

Parmi les humanistes appartenant à ce groupe d’intellectuelles, de linguistes et d’auteures de la Renaissance dans la péninsule ibérique figurent aussi Florencia Pinar*, Isabel de Vergara, Ángela de Carlet, Ana Girón de Rebolledo (éditrice des œuvres de son époux, le poète et traducteur Juan Boscán), Ana Osorio, Catalina dePaz, Juliana Morella, Lorenza Méndez de Zurita, Catalina de Rivera, María Sabiote, Catalina Trillo de Armenta, María Urrea, Ángela Mercader Zapata, María Téllez (traductrice) et leur cadette, dans la seconde moitié du XVIe siècle, Magdalena de Padilla.

L’imposition, après le concile de Trente, d’une nouvelle morale catholique confinant les femmes dans l’espace domestique a ensuite freiné toute forme de promotion et d’action publique des femmes intellectuelles.

María José VILALTA

PUERTO, Elena VOIR FÓRMICA, Mercedes

PUÉRTOLAS, Soledad [SARAGOSSE 1947]

Écrivaine espagnole.

À l’âge de 3 ans, Soledad Puértolas ainsi que sa mère, atteintes du typhus, passent un mois cloîtrées dans la maison de la grand-mère maternelle à Pampelune. Cet alitement est propice à la lecture, plaisir que mère et fille, étroitement liées, partagent. L’adolescente a 14 ans quand sa famille s’installe à Madrid. Elle fait des études de journalisme et de sciences politiques, et mène une vie mouvementée à l’université, dont elle sera expulsée en raison de son engagement politique. De 1968 à 1970, elle travaille à la revue España Económica. Elle se marie en 1969 ; le couple part peu après en Norvège, puis en Californie, où naît son premier enfant, Diego Pita. De retour en Espagne en 1975, elle s’établit près de Madrid. En 1979, son premier roman, Le Bandit doublement armé, reçoit le prix Sésame. Sa carrière culmine avec Queda la noche (« reste la nuit », 1989), qui obtient le prestigieux prix Planeta. Elle travaille quelque temps au ministère de la Culture, dirige les éditions Destino, collabore à la revue Qué leer. Elle fonde une librairie-café et lui donne le nom de sa première œuvre. Romans, articles, récits se succèdent. Ses écrits évoluent du réalisme symbolique vers l’intimisme : elle crée des personnages nostalgiques, voués à une solitude honnie, et dont la vie s’écoule en vaines attentes. Con mi madre (« avec ma mère », 2001), consacré à la mort de sa mère, évoque la poignante douleur de la perte et de l’absence, mais aussi la lutte contre l’oubli. Dans Compañeras de viaje (« compagnes de voyage », 2010), elle exprime son admiration pour les femmes et sa complicité avec elles. Bordeaux (1986) témoigne de l’influence de la littérature et de la culture française dans son œuvre. Plusieurs de ses livres ont été traduits en français. L’écrivaine jouit d’une renommée internationale et a récolté plusieurs grands prix littéraires. Le 28 janvier 2010, cinquième femme à mériter cet honneur, elle entre à l’Académie royale de langue espagnole.

Àngels SANTA

Le Bandit doublement armé (El bandido doblemente armado, 1980), Paris, J. Chambon, 1989 ; Hôtel de charme (Días del Arenal, 1992), Paris, Denoël, 1997 ; Bordeaux (Burdeos, 1986), Paris, J. Chambon, 1998 ; Ils étaient tous à mon mariage (Gente que vino a mi boda, 1998), Paris, Mercure de France, 2001.

CABALLÉ A. (dir.), « Soledad Puértolas », in Lo mío es escribir, siglo XX, la vida escrita por las mujeres, vol. 4, Barcelone, Círculo de lectores, 2003.

PUGA, Maria Luisa [MEXICO 1944 - ID. 2004]

Écrivaine mexicaine.

Maria Luisa Puga s’installe à Londres en 1968, où elle suit des cours de littérature, de théâtre et de psycholinguistique. Elle vit ensuite dans différents pays, notamment en Italie, où elle travaille pour la Food and Agriculture Organization. À son retour au Mexique, au début des années 1980, elle est traductrice pour la maison d’édition Siglo XXI. C’est son roman, Las posibilidades del odio (« les possibilités de la haine », 1978), qui la rend célèbre, car, loin d’être une recherche intimiste, ce livre décrit, à travers des témoignages, le colonialisme tel qu’il était ressenti dans la ville de Nairobi, au Kenya, où elle a vécu plusieurs années. En 1983, elle reçoit le prix Xavier-Villaurrutia pour son roman Pánico o peligro (« panique ou danger »), bien accueilli par la critique, qui propose une réflexion sur l’acte d’écriture d’une femme, dont le récit est centré sur l’exploration, la recherche et la rencontre d’une identité propre. À travers l’écriture de plusieurs cahiers, qui forment la structure même de l’œuvre, le personnage principal, une citadine appartenant à la classe moyenne, raconte à son partenaire son parcours sentimental et intellectuel, de l’enfance à l’âge adulte. Dans ses six autres romans, toujours narrés par des femmes, se côtoient des récits intimes, des chroniques et des contes pour enfants. Les thèmes abordés vont de la condition des femmes à la province, où elle a vécu, dans l’État du Michoacán, donnant des cours d’initiation à la littérature pour des enfants et des adultes. En 1996, elle a reçu le prix Juan Ruiz de Alarcón pour l’ensemble de son œuvre. Son dernier ouvrage, Diario del dolor (« journal de la douleur », 2004), raconte son apprentissage de la souffrance alors qu’elle est atteinte d’une maladie dégénérative. Ce livre dévoile la relation entre le processus d’écriture, auquel elle ne peut renoncer, et la douleur.

Patricia ORTIZ

PUGET, Loïsa (Louise-Françoise PUGET, dite) [PARIS 1810 - PAU 1889]

Chanteuse et compositrice française.

Loïsa Puget est formée d’abord par sa mère, la cantatrice Jeanne-Françoise Stassny, puis par Adolphe Adam. Douée d’un sens mélodique séduisant et ayant une bonne connaissance de l’harmonie, elle compose très jeune des romances de forme légère et gracieuse. Vive, spirituelle, elle en assure elle-même la promotion, les chantant en concert et s’accompagnant au piano. « Ne montant pas trop haut, ne descendant pas trop bas, ces romances se trouvaient faciles à chanter dans les salons », note le critique Pierre Scudo, qui attribue également leur succès au fait qu’écrites sur des paroles fort mesurées du poète Gustave Lemoine, son futur mari, elles reflètent les goûts et les idéaux de la moyenne bourgeoisie. Entre 1833 et 1853, L. Puget effectue des tournées et publie chaque année un album que l’on s’arrache. Présentant l’Album 1840 dans la Revue et gazette musicale de Paris, Henri Blanchard écrit qu’« elle est la reine de ce genre de musique et préside aux destinées de la romance comme S.M. Victoria veille à celles de l’Angleterre ». Il ajoute, à propos de l’Album 1841, « il répond admirablement aux besoins de toutes les classes de la société pour lesquelles la musique est une douce distraction et non une affaire d’État ». Dans cette œuvre, une exception : Le Rhin allemand que, dans un élan patriotique, la compositrice emprunte à Musset. En 1836, L. Puget se lance dans le lyrique léger avec Le Mauvais Œil, livret d’Eugène Scribe et G. Lemoine, qui sera joué à l’Opéra-Comique. Elle fait partie des six femmes admises dans cet établissement entre 1805 et 1868. Représentée 26 fois, l’œuvre ne remporte qu’un succès mitigé, en dépit du jugement de Berlioz, qui trouve du charme à cette musique légère. Après 1845, l’étoile de L. Puget commence à décliner. Elle tente, en 1869, une opérette : La Veilleuse ou les Nuits de Milady. P. Scudo estime que « par la facilité et la correction de ses accompagnements, par l’entrain et la gaieté de son esprit, L. Puget appartient à cette famille de compositeurs aimables illustrée par MM. Auber et Adam », mais H. Blanchard, s’il lui reconnaît fraîcheur d’idées mélodiques et élégance harmonique, regrette « un goût tellement exquis qu’il tombe parfois dans la manière à l’égard de la prosodie et des nuances du chant dont, probablement, elle ne s’occupe guère après le premier jet mélodique ».

Michèle FRIANG

PUHL-DEMANGE, Marguerite [METZ 1933 - NANCY 1999]

Journaliste et éditrice française.

Diplômée de l’Institut d’études politiques de l’université de Strasbourg, Marguerite Puhl-Demange débute dans le journalisme en 1952 comme secrétaire de son père, fondateur du Républicain lorrain. Nommée directrice générale du quotidien régional en 1958, elle en prend la présidence, en 1971, à un moment clé de son histoire. En effet, l’époque est marquée non seulement par la concurrence de la radio et de la télévision, mais également par l’émergence de nouvelles technologies de l’information et de la communication. Afin d’affronter ce double défi, elle compte sur le soutien de Claude Puhl, son mari, qu’elle fait entrer au quotidien en tant que directeur de la communication et des ventes. Élu président du Syndicat national de la presse quotidienne de 1978 à 1988, puis président de la Fédération nationale de la presse française de 1987 à 1993, celui-ci assure le lien avec les grandes organisations de la presse écrite tandis que M. Puhl-Demange s’implique au niveau régional et dans le développement du journal dont elle est l’âme. Elle n’a de cesse d’améliorer les contenus rédactionnels : supplément électoral dès le lendemain des scrutins ; supplément dominical (1979) ; lancement de Parade (1983), supplément offrant une rétrospective de l’année écoulée ; personnalisation de l’information – courrier des lecteurs, signature des articles – ; recours à des contributeurs parisiens prestigieux ; création de nouveaux services de documentation et multimédia. Elle développe le point de vue régional avec 12 éditions quotidiennes et 23 agences locales, améliore la qualité d’impression avec la photocomposition. Elle multiplie les initiatives caritatives telles que l’association Noël de joie au profit des déshérités, et n’hésite pas à ouvrir ses colonnes en faveur des victimes des grands tremblements de terre en Algérie et en Italie ; autant de valeurs étrangères à la logique financière de la presse régionale. Elle a hérité de son père l’idée d’un journalisme « citoyen » et veille au professionnalisme de ses rédacteurs. Toujours courtoise, jamais hautaine ni familière, elle en impose aux élus lorrains comme aux décideurs parisiens. Sous sa direction, le quotidien devient la conscience de la Lorraine en crise et plaide pour une diversification économique. M. Puhl-Demange en prolonge l’écho au Conseil économique et social de Lorraine, avant d’en être exclue en pleine crise sidérurgique (1982). Elle s’investit également dans la vie sociale et culturelle de la région, obtient la création d’une université à Metz (1969), crée en 1977 les Éditions Serpenoise pour soutenir les écrivains lorrains et promouvoir l’histoire et le patrimoine de la région. En 1978, elle est à l’origine de la création de l’Orchestre philharmonique de Lorraine et en 1993 de l’Ensemble orchestral Appassionato.

Elle a fait du Républicain lorrain – racheté par le groupe Crédit mutuel en 2007 – le dernier grand quotidien régional indépendant en France.

Gérald ARBOIT

La Lorraine au quotidien, entretiens avec Georges Suffert et Jean-Marie Pelt, Paris, Le Centurion, 1986 ; Au fil des mots, éditoriaux 1952-1998, Metz, Serpenoise, 1999.

LE BIHAN O., Portraits lorrains, Metz, Serpenoise, 1989 ; THULL P., Marguerite Puhl-Demange, une vie en majuscule, Metz, Serpenoise, 2006.

PUIG-ROGET, Henriette [BASTIA 1910 - PARIS 1992]

Pianiste et compositrice française.

Compositrice, pianiste, organiste, chef de chant, pédagogue d’exception, et chef d’orchestre à l’occasion, Henriette Puig-Roget fut une musicienne complète et une figure mythique du monde musical. Prodigieuse lectrice, elle était capable de réduire à vue n’importe quelle partition d’orchestre, avec transposition si nécessaire, en faisant preuve d’un art certain pour aller, dans l’instant, à l’essentiel, ce qui suppose un don bien au-delà de l’habileté pianistique et de la virtuosité solfégique. H. Puig-Roget représente, sur ce point, la quintessence d’une tradition française, héritée du XIXe siècle. Sa vocation se détermina très tôt et pas moins de six premiers prix du Conservatoire de Paris (piano, orgue et improvisation, accompagnement, harmonie, histoire de la musique) sonnèrent la fin de l’adolescence. Un prix de composition, obtenu dans la classe d’Henri Büsser, s’ajouta en 1932 à cette prestigieuse série, juste avant le premier grand prix de Rome de 1933 qui la clôtura. Commence alors une carrière hors-normes marquée par une activité et une énergie sans limite. Elle fut aussi très aimée. On a loué la pianiste et l’organiste dans l’interprétation des classiques, mais c’est surtout son action au service des compositeurs de son temps qui a marqué les mémoires. On se souvient des créations de Messiaen (Les Préludes), du Bolivar de Darius Milhaud et d’un grandiose Requiem de Fauré avec André Cluytens, Fischer-Dieskau et Schwarzkopf*, ou de son rôle déterminant en tant que chef de chant à l’Opéra pour la création des Dialogues des carmélites. En 1957, elle succéda à Nadia Boulanger* à la classe d’accompagnement du Conservatoire. La passion pédagogique la mena jusqu’au Japon où, en 1979, elle accepta un poste de professeur à l’université Geidai de Tokyo. Sa capacité d’admiration et d’engagement au service de la musique des autres a peut-être occulté sa carrière de compositrice. Jusque dans les années 1950, pourtant, elle écrivit un nombre d’œuvres conséquent : plusieurs grandes pages d’orchestre (Sardanes et Coblas catalanes, Sinfonia andorra), des pièces de piano, et surtout quelques importantes partitions pour orgue (Concerto, Triptyque, Cortège funèbre à la mémoire de son frère Jean), ou encore de remarquables quatuors vocaux ainsi qu’une Prière pour chœurs, quatuor à cordes, harpe et orgue. Sa musique connut en son temps la faveur des plus grands interprètes. Par-delà sa saveur particulière, ensoleillée et « pyrénéenne », elle frappe par son impressionnante science d’écriture. Grand témoin et acteur des principaux mouvements artistiques de son époque, H. Puig-Roget a su gagner un respect unanime parce qu’elle n’ignorait rien des enjeux de la création. Elle a mis son honneur à la servir, sans jamais trahir le contrat moral qui la liait aux plus hautes formes de la musique.

Alexis GALPÉRINE

COHEN A. I. (dir.), International Encyclopedia of Women Composers, New York/Londres, Bowker, 1981.

PUISIEUX, Madeleine DE (née D’ARSANT) [PARIS 1720 - ID. 1798]

Romancière française.

Orpheline de père et peu fortunée, elle reçoit toutefois une éducation de qualité à Port-Royal de Paris. En 1737, elle épouse Philippe-Florent de Puisieux (1713-1772), avocat au parlement de Paris, puis traducteur, et donne le jour à un fils. Entre 1745 (ou 1746) et 1750, Mme de Puisieux entretient une liaison avec Diderot. À la même époque, elle écrit les Conseils à une amie, publiés en 1749. L’année suivante, elle fait paraître les deux parties des Caractères (1750-1751), La Femme n’est pas inférieure à l’homme, traduit de l’anglois de Miledi P****, et Dissertation dans laquelle on prouve que la femme n’est pas inférieure à l’homme, ouvrage réédité en 1751 sous le titre Le Triomphe des dames, traduit de l’anglois de Miledi P****, accompagné du même sous-titre. Entre 1755 et 1768, Mme de Puisieux signe cinq romans : L’Éducation du marquis de*** ou Mémoires de la comtesse de Zurlac (1753) ; Zamor et Almanzine, ou l’Inutilité de l’esprit et du bon sens (1755) ; Alzarac ou la Nécessité d’être inconstant (1762) ; Histoire de Mlle de Terville (1768) et Mémoires d’un homme de bien (1768). Elle a, en outre, écrit deux contes : Le Plaisir et la volupté, conte allégorique (1752) et Céphise, conte moral, resté à l’état de manuscrit. En 1763, l’auteure publie une pièce de théâtre, Le Marquis à la mode, comédie en trois actes. Enfin en 1772, elle fait éditer le Prospectus sur un ouvrage important, qui concerne l’éducation des enfants des classes aisées, suivi du Prospectus d’un plan d’éducation pour les enfants du peuple.

Sonia CHERRAD

LABORDE A., Diderot et Mme de Puisieux, Saratoga, Anma Libri, « Stanford French and Italian studies », 198 ; VANOFLEN L., « Réécrire l’histoire de la femme : un roman de Mme de Puisieux », in Dix-huitième siècle, no 36, 2004.

PUJADE-RENAUD, Claude [BIZERTE, TUNISIE 1932]

Romancière et nouvelliste française.

Danseuse, chorégraphe, professeure, Claude Pujade-Renaud a contribué à la diffusion de la danse moderne américaine en France. Son style conserve la trace de cette expérience : le rythme et la respiration sont travaillés comme dans une chorégraphie. La psychanalyse la confronte de façon aiguë à la mémoire et au deuil, thèmes que l’on retrouvera dans ses textes. C’est en 1978 qu’elle publie un premier récit, La Ventriloque. En 1985, elle crée avec l’écrivain Daniel Zimmermann la revue Nouvelles nouvelles et écrit avec lui plusieurs livres à quatre mains. Les thèmes abordés dans ses ouvrages sont la création, notamment à travers la danse, la relation au corps, le deuil. Elle obtient le prix Goncourt des lycéens pour Belle mère (1994) et le Grand Prix de la Société des gens de lettres pour l’ensemble de son œuvre en 2004.

Sabrinelle BEDRANE

Les Enfants des autres, Arles, Actes Sud, 1985 ; La Danse océane (1988), Arles, Actes Sud Babel, 1996 ; Chers Disparus, Arles, Actes Sud, 2004.

PUKHRAJ, Malika [MIRPUR, INDE 1912 - LAHORE 2004]

Chanteuse pakistanaise.

Malika Pukhraj a longtemps figuré parmi les chanteuses les plus populaires du Pakistan. Son interprétation du long poème Abhi to main jawan hoon (« je suis encore jeune ») de Hafeez Jalandhri reste encore très appréciée au Pakistan mais aussi en Inde. Elle a d’abord suivi les enseignements d’Ustad Ali Baksh Kasuri, maître renommé du khayal sindhi (style de chant classique). Repérée pendant une cérémonie de couronnement de maharaja à Jammu, elle a été engagée comme chanteuse curiale à l’âge de 9 ans et a occupé cette place pendant neuf années, avant de devoir la quitter sous la pression des intrigues de palais et des tensions croissantes entre hindous et musulmans. Capable de pratiquer plusieurs genres, comme le thumri, le ghazal ou le bhajan, elle s’est rapidement hissée parmi les grandes vedettes de la chanson dans l’Inde d’alors sous tutelle britannique. Après la partition de 1947, elle a émigré à Lahore et a construit sa célébrité à travers une série d’interprétations radiophoniques menées en collaboration étroite avec le compositeur Kale Khan. On lui doit également la création d’un ensemble de chansons en ourdou écrites par Hafeez Jalandhri, auteur de l’hymne national du Pakistan. Les autorités pakistanaises lui ont témoigné leur haute estime à plusieurs reprises. Invitée en 1977 en Inde pour célébrer le jubilé d’or de All India Radio, elle s’y est vu remettre le prix Légende de la voix. L’ouvrage Song Sung True, qu’elle a rédigé en ourdou dans les années 1990, et qui a été repris en traduction anglaise, nous livre ses Mémoires et éclaire sa façon de voir le monde. Comme elle le précise dans ce texte, l’un de ses chants thumri préférés était Sab din howat nahin samaan (« aucun jour n’est pareil à l’autre »), dans lequel se trouvent évoqués le passage des saisons, les naissances, la jeunesse, le vieillissement, la pauvreté et la mort. Sa manière toute personnelle d’interpréter les poèmes ourdou, qualifiée de mélancolique, se marie à des mélodies inspirées de la musique classique indienne et du folklore de l’Himalaya.

Roshan GILL

Song Sung True : A Memoir, New Delhi, Kali for Women, 2003.

Ghazals by Malika Pukhraj, EMI Pakistan, 2011 ; Aap ki pasand, EMI Pakistan, 2011.

PUMAIN, Denise [MONTBARD 1946]

Géographe française.

Professeure à l’université Paris I et membre de l’Institut universitaire de France, Denise Pumain est membre de l’Academia Europaea, docteure honoris causa des universités de Lausanne et de Liège, prix Vautrin-Lud en 2010 et corresponding fellow de la British Academy et de l’Académie autrichienne des sciences. Elle a construit un cursus d’enseignement des méthodes quantitatives en géographie, et mené des recherches comparatives et modélisatrices en géographie urbaine. Elle a constamment défendu le principe d’une recherche en équipe, instrumentée et valorisée au niveau international. Elle est connue pour avoir élaboré une théorie évolutive des villes, qui montre le rôle très important des réseaux d’échange dans la construction et le maintien des systèmes urbains. Dans cette entreprise, D. Pumain a été pionnière de l’utilisation de la théorie de l’auto-organisation et des modèles dynamiques non linéaires transposés depuis les sciences physiques vers les sciences sociales, et a travaillé avec les équipes de Ilya Prigogine, de Hermann Haken et des Instituts des systèmes complexes. Elle a fondé en 1996 Cybergeo, Revue européenne de géographie, première revue électronique en sciences sociales. Co-fondatrice en 1984 avec Thérèse Saint-Julien* et Violette Rey* du laboratoire Géographie-cités, elle dirige depuis 2006 un Groupe de recherche européen (Simulation spatiale pour les sciences sociales).

Marie-Claire ROBIC

La Dynamique des villes, Paris, Economica, 1982 ; avec SANDERS L., SAINT-JULIEN T., Villes et auto-organisation, Paris, Economica, 1989 ; avec SAINT-JULIEN T., La France, t. 2 de Géographie universelle, Paris/Montpellier, Hachette/Reclus, 1990 ; avec LEPETIT B. (dir.), Temporalités urbaines, Paris, Anthropos, 1999 ; (dir.), Hierarchy in Natural and Social Sciences, Dordrecht, Springer, 2006.

PURSER, Sarah [KINGSTON, AUJ. DUN LAOGHAIRE 1848 - DUBLIN 1943]

Peintre irlandaise.

Née à une époque où la principale institution artistique irlandaise, la Royal Hibernian Academy (RHA), fondée en 1823, reste fermée aux femmes, Sarah Purser ne peut accéder en Irlande à la véritable formation artistique à laquelle elle aspire. Après avoir passé six ans dans une école d’art dublinoise, elle part donc à Paris en 1878. Elle fréquente pendant six mois l’académie Julian. D’un profil atypique, plus âgée que la plupart de ses condisciples et peu fortunée, elle doit rentrer à Dublin dès 1879. Elle y ouvre son atelier en 1881, mais elle ne renonce nullement à la modernité picturale qu’elle a découverte dans la capitale française, où elle se rendra régulièrement jusqu’en 1930. En 1899, elle est à l’origine de l’une des premières présentations d’œuvres à Dublin d’Édouard Manet, de Claude Monet et d’Edgar Degas. Sans être véritablement d’avant-garde, son art présente toutefois une certaine modernité, notamment quand on le compare à l’académisme qui règne alors à la RHA. E. Degas, surtout, semble avoir exercé sur elle une influence considérable. L’un de ses tableaux les plus célèbres, Le Petit Déjeuner (National Gallery of Ireland, Dublin), peint à Paris en 1885, montre ainsi le portrait d’une jeune femme dans un café : la composition de l’image et l’indicible atmosphère de mélancolie qui se dégagent de l’ensemble ne sont pas sans rappeler les œuvres du peintre. Assez rapidement la jeune femme se spécialise dans les portraits. Les commandes affluent alors, d’Irlande et même d’Angleterre. On apprécie son talent pour saisir la ressemblance du modèle tout en parvenant à garder une certaine légèreté de touche. En 1903, l’artiste fonde le premier atelier irlandais de vitrail, An Túr Gloine (« une tour de verre »). La RHA l’élit première femme membre associée en 1923 puis membre à part entière en 1924. Sa seule exposition personnelle, organisée en 1923, qui regroupe les œuvres de plus d’un demi-siècle, donne lieu à un véritable succès critique.

Marie GISPERT

Irish Women Artists From the Eighteenth Century to the Present Day (catalogue d’exposition), Dublin, National Gallery of Ireland, 1987 ; O’GRADY J. The Life and Work of Sarah Purser, Dublin, Four Courts Press, 1996 ; The Irish Impressionists : Irish Artists in France and Belgium, 1850-1914 (catalogue d’exposition), Dublin, National Gallery of Ireland, 1984.

PUSHPAMALA N. [BANGALORE 1956]

Sculptrice et photographe indienne.

Pushpamala N. étudie la sculpture à la Faculty of Fine Arts de la M. S. University de Baroda, où son professeur, l’artiste K. G. Subramanyan (1924) exerce une profonde influence sur ses travaux des années 1980 : des bustes et des reliefs en terre cuite. Elle perfectionne sa technique du modelage jusqu’à changer radicalement la figuration des corps animal et humain – principalement féminin –, comme avec The Fool (1984-1985). Elle porte un soin particulier à la gestuelle de figures de plus en plus grandes. À travers son réalisme descriptif, son goût pour le détail, pour la théâtralité, et ses références à l’histoire de l’art incluant les cultures populaires, elle questionne les normes avec ironie et autodérision. Elle expose ses œuvres à Bangalore, à New Delhi – elle y participe notamment à l’exposition Seven Young Sculptors (1985) – et à Bombay, aux côtés de l’artiste Alex Mathew (1957). Pushpamala N. s’interroge sur les conséquences de la vie politique et sociale en Inde, au début des années 1990, puis travaille de nouveau sur l’identité féminine. Elle abandonne la sculpture pour la photographie vers 1995, radicalise sa méthode pour se moquer du réel et le questionner, en se mettant en scène. Depuis sa première série de photographies, Phantom Lady or Kismet : A Photoromance (1996-1998), jusqu’à sa réflexion sur le monde colonial avec les clichés « anthropologiques » de Native Women of South India : Manners and Customs (2000-2004), elle ne cesse de convoquer la mémoire collective indienne pour dénoncer les stéréotypes culturels, dont elle modifie et critique les codes, grâce à un travail minutieux de mise en scène et l’utilisation de nombreuses références (artifices cinématographiques ; évocation de personnages de cinéma, d’éléments architecturaux réels, d’images et mythes tirés de la culture populaire et classique) qui lui permet de brouiller les genres et de multiplier les niveaux de lecture. Entourée de collaborateurs, à la fois sujet et objet, Pushpamala N. est conceptrice, directrice et actrice principale d’histoires, où se côtoient humour, mélancolie et nostalgie, où le sérieux sourd de la mascarade.

Judith FERLICCHI

Indian Lady (catalogue d’exposition), Jakimowicz M., Prasad M. (textes), New York, Bose Pacia, 2004 ; Native Women of South India : Manners and Customs (catalogue d’exposition), New Delhi/New York, Nature morte/Bose Pacia, 2006.

PUŠIĆ, Bosiljka UPRIJA, SERBIE 1936]

Écrivaine et peintre monténégrine.

Diplômée en philosophie, Bosiljka Pušić vit et travaille à Herceg Novi. Poursuivant en parallèle une activité de peintre, elle a réalisé 15 expositions individuelles et participé à une trentaine d’expositions collectives. Depuis la publication de son premier livre en 1970, l’écrivaine a achevé sept recueils de poésies parmi lesquels Pelin u reveru (« l’absinthe dans le revers », 1976) et Rukom prema snu (« main tendue au rêve », 1980) et plusieurs livres de nouvelles, dont Kavez (« cage », 1981) et Otapanje (« fonte », 1994). Elle a également publié quelques romans, tels que Otvaranje lutke (« ouverture de la poupée », 1985) ou Knjiga o Vojinu (« livre sur Vojin », 2008), des récits humoristiques (Kako preživeti brak, « comment survivre au mariage », 2002) et plusieurs livres pour enfants. Apparaissant dans des anthologies de poésie contemporaine, elle collabore à de nombreuses revues littéraires. Entrée en littérature par la poésie, elle a suscité dernièrement un intérêt marqué auprès des critiques et des lecteurs pour ses œuvres narratives, en particulier grâce à sa trilogie romanesque intitulée Naranče pod šlemom (« les oranges sous le casque », 2008). Regroupant les ouvrages Naranča i nož (« l’orange et le couteau »), Naranča i žuč (« l’orange et la bile ») et Naranča i žeđ (« l’orange et la soif »), parus indépendamment, cette trilogie reprend certains éléments propres à son œuvre poétique avec un langage métaphorique hautement élaboré et un imaginaire mélancolique et sombre. Son goût du réalisme et son écriture aux confins du documentaire sont ici mis au service d’une interprétation littéraire de l’histoire contemporaine de Dubrovnik et de son entourage immédiat, en particulier la ville de Herceg Novi, prise dans la tourmente des conflits yougoslaves des années 1990. Les trois romans, reliés par une intrigue centrale relative à la désintégration d’une famille de Herceg Novi, sont ainsi à la fois une fiction historique remarquable et une saga familiale.

Robert RAKOCEVIC

KRALJ M., « One koje volimo, Bosiljka Pušić. Otvaranje pjesme », in Pobjeda, juin 2004 ; MILANOVIĆ M., « Porodična priča u bojama juga », in Dnevnik, sept. 2003.

PUTINO, Angela [NAPLES 1946 - ID. 2007]

Philosophe italienne.

Après des études de philosophie à Naples, Angela Putino a donné des cours de bioéthique et de philosophie des sciences à l’université de Salerne, en mettant au centre de son enseignement les contradictions politiques et théoriques découlant de la pensée féministe face au biopouvoir, c’est-à-dire aux techniques qui gouvernent le vivant. Sa formation s’enracine dans le féminisme italien des années 1970 et 1980. Elle a collaboré aux revues DWF et Madrigale. Dans les années 1980 et 1990, elle a pris part aux discussions politiques et philosophiques du Centre Virginia-Woolf, lieu principal du féminisme romain, et de la communauté philosophique féminine Diotima* de Vérone. Sa façon de faire de la philosophie est marquée par le goût de la polémique, l’art d’être « guerrière », obligeant l’interlocuteur, ébranlé dans ses positions acquises, à se mettre à découvert et à donner le meilleur de lui-même dans le conflit (Donna guerriera, 1988). Sa passion pour la théorie, vue comme le cœur de la pensée féminine, ne dédaigne pas le caractère concret des pratiques. Elle a ainsi entrepris en 2006 la revue on-line Adateoriafemminista. Une polémique ouverte avec une partie du féminisme italien a trouvé son expression dans Amiche mie isteriche (« mes amies hystériques », 1998), où elle critique la valorisation de la relation fusionnelle à la mère qui empêche la joie expérimentale de la divergence. Elle soutient la nécessité de construire l’extranéité entre femmes comme un don et une ouverture. Elle a consacré deux livres à la pensée de Simone Weil, Simone Weil e la passione di Dio (« Simone Weil et la passion de Dieu », 1997) et Simone Weil, un’intima estraneità (« une intime extranéité », 2006), à qui elle a repris – comme style de vie et moteur de pensée – le désir de se déraciner pour s’ouvrir à l’infini, acte qui, au lieu de l’éloigner du monde, l’a chaque fois ramenée au débat contemporain.

Chiara ZAMBONI

Cittadinanza, biopolitica e differenza tra i sessi, in Filosofia e teologia, no 2, 1998.

BORRELLO G., TARANTINO S., Exercices de composition pour Angela Putino, Naples, Liguori, 2010.

PUTMAN, Andrée (née AYNARD) [PARIS 1925 - ID. 2013]

Designer d’espaces et d’objets française.

Se destinant à la musique depuis l’enfance, Andrée Putman devient pourtant journaliste et passe de L’Œil à la rubrique décoration de Elle. En 1958, à l’invitation de Denise Fayolle, elle devient styliste pour Prisunic et imagine pour cette enseigne, en 1966, une collection de lithographies pour les acheteurs de meubles contemporains. Avec la complicité de son mari, l’éditeur d’art Jacques Putman, elle invite des artistes comme Bram Van Velde, Pierre Alechinsky, Jean Messagier, Roberto Matta, Wilfredo Lam. Le succès est immédiat. À la fin des années 1960, A. Putman rejoint Mafia*, l’agence que D. Fayolle vient de fonder avec Maïmé Arnodin. Elle devient, en 1971, directrice artistique de Créateurs et industriels, agence créée par Didier Grumbach pour faire connaître de jeunes stylistes, tels Issey Miyaké, Jean-Charles de Castelbajac. En 1978, elle ouvre ECART, showroom et bureau d’études en architecture intérieure, puis ECART International, qui lui permet de rééditer des meubles et objets emblématiques : tapis d’Eileen Gray*, tabouret de Pierre Chareau, chaise en métal de Mallet Stevens, lampe projecteur de Mariano Fortuny, entre autres. Découvreuse dans l’âme, elle édite également les créations de jeunes designers, comme Sacha Kétoff, Sylvain Dubuisson ou Patrick Naggar. Elle conçoit, avec une équipe pluridisciplinaire, l’aménagement d’espaces extrêmement différents : hôtels (Morgan’s Hotel à New York en 1984 ; Im Wasserturm à Cologne en 1990 ; Pershing Hall Hotel à Paris en 2001) ; musées (le CAPC, musée d’Art contemporain de Bordeaux en 1988 ; le musée des Beaux-Arts de Rouen de 1985 à 1992) ; restaurants, cafés, boutiques, sièges de sociétés, théâtres, mairies ; bureaux pour des ministres (celui de la Culture en 1984 ; des Finances en 1987 ; de l’Éducation nationale en 2002) ; l’intérieur du Concorde pour Air France en 1993 ; l’espace VIP du Stade de France en 2008 ; et bien sûr appartements privés. Elle crée des objets pour Baccarat, Bernardaud, Christofle, Swarovski, la Monnaie de Paris et des meubles pour les italiens Bisazza et Poltrona Frau, l’ébéniste anglais Litton, l’Américain Emeco, mais aussi des collections pour le catalogue des 3 Suisses (1997-1998-1999). Elle défend une certaine simplicité, parfois teintée de facétie, et aime l’efficacité des bâtiments industriels. À l’occasion de la rénovation du Morgan’s et de l’inauguration du spa de la boutique Anne Fontaine sur Madison avenue, le service culturel de l’ambassade de France de New York lui consacre une rétrospective, Beyond Style, à l’automne 2008. En 2009, elle donne les rênes de son agence à ses enfants, Olivia et Cyrille. Comme une transition, le piano Voie lactée qu’elle a signé pour Pleyel (laqué de noir à l’extérieur, intérieur bleu nuit pour le couvercle, pupitre habillé de damiers noirs et blancs) est au cœur de la scénographie que l’agence Andrée Putman réalise pour le concert du chanteur Christophe donné le 14 juillet 2009 à Versailles. La musique continue toujours de l’accompagner.

Joëlle MALICHAUD

Andrée Putman, ambassadrice du style (catalogue d’exposition), Paris, Skira-Flammarion, 2010.

ROUSSEAU F.-O., Andrée Putman, Paris, Éditions du regard, 1991.

PUTNAM, Helen [STOCKTON, MINNESOTA 1857 - PROVIDENCE 1951]

Médecin, éducatrice et réformatrice sociale américaine.

Diplômée en 1883 de la Harvard’s Sargent School of Physical Training, Helen Putnam retourne à Vassar College, où elle avait étudié, en tant que directrice d’éducation physique jusqu’en 1888. Elle occupe également le poste de vice-présidente de l’American Association for the Advancement of Physical Education. Désireuse de parfaire ses connaissances médicales, elle étudie au Women’s Medical College of Pennsylvania où elle se spécialise en gynécologie-obstétrique, et obtient son doctorat de médecine en 1889. Interne au Boston’s New England Hospital for Women and Children pendant deux ans, elle s’installe ensuite à Providence (Rhode Island) où elle ouvre un cabinet médical ; elle y exercera la gynécologie pendant quarante-trois ans. Préoccupée par la santé de l’enfant, elle préconise l’instauration d’une médecine prénatale et néonatale auprès des familles indigentes, et milite pour l’inspection par le gouvernement des laiteries et usines d’emballage de produits laitiers. En 1907, elle participe à une conférence internationale à Londres, à la suite de laquelle elle prend la résolution de relever le taux de survie des nouveau-nés. Présidente de l’Académie de médecine, elle participe en 1909 à l’organisation d’une conférence sur la mortalité infantile, dont naîtra l’Association américaine pour l’étude et la prévention de la mortalité infantile. Dans une série d’articles qu’elle réunit en 1913, elle prône l’éducation physique pour le développement de l’enfant, encourage les parents à promouvoir activement la salubrité des écoles et met l’accent sur la nécessité d’une étroite coopération entre éducateurs et médecins. Pour faire appliquer ces principes, ainsi que l’enseignement de l’hygiène et de l’éducation sexuelle à l’école, elle fonde en 1923, avec le Dr Abraham Jacobi, l’American Child Health Association. Elle se consacre aussi à l’amélioration du bien-être physique et du statut politique de la femme. Membre de divers conseils d’administration, elle est élue à l’Académie de médecine. En 1939, elle fait don d’une fortune importante à l’hôpital Butler de Providence et à la Rhode Island School of Design. Elle contribue à établir le Helen Putnam Fellowship for Advanced Research à Radcliffe College ainsi qu’une bourse en l’honneur de Marie Zakrzewska*, médecin pionnier, à la Western Reserve University à Cleveland, Ohio.

Jocelyne SILVER et Doris MÉNACHÉ-ARONSON

Supervision of School Gymnastics by Medical Specialists, Providence, Snow and Farnham, 1892 ; School Janitors, Mothers and Health, Easton, American Academy of Medecine Press, 1913.

PYM, Barbara [OSWESTRY 1913 - FINSTOCK 1980]

Romancière britannique.

Née dans une famille qui reçoit chez elle les autorités religieuses locales, Barbara Pym fait ses études d’anglais à Oxford, s’engage dans la Women’s Royal Navy Service pendant la Seconde Guerre mondiale et travaille au service de la censure. Elle est ensuite embauchée à l’Institut de Londres où elle collabore à la publication de son magazine Africa. En 1950, elle publie son premier roman, Comme une gazelle apprivoisée, qui est suivi de 13 autres, en tenant compte d’une interruption entre 1963 et 1977, période où elle ne trouve plus d’éditeur malgré sa notoriété. Cette année-là, un article de Larkin et de David Cecil dans le Times Literary Supplement la consacre « auteure la plus sous-estimée du siècle », ce qui permet au public de redécouvrir ses comédies de mœurs, chroniques de vies tranquilles pleines d’humour, de détails cocasses et d’ironie qui représentent une sorte de subversion du genre.

Michel REMY

Comme une gazelle apprivoisée (Some Tame Gazelle, 1950), Paris, Fayard, 1989 ; Une corne d’abondance (A Glass of Blessings, 1958), Paris, C. Bourgois, 1992 ; Une demoiselle comme il faut (An Unsuitable Attachment, 1982), Paris, C. Bourgois, 1994.

SOLOW H., Felicity and Barbara Pym, Gwynedd, Cinnamon Press, 2010.

PYRKE, Gillian Barbara VOIR LYNNE, Gillian