WIEVIORKA, Annette [PARIS 1948]
Historienne française.
Issue d’une famille d’origine polonaise, Annette Wieviorka est fille de militants de la Jeunesse socialiste juive, héritière du Bund. Élevée en banlieue parisienne dans des conditions matérielles difficiles, elle se tourne, après une licence de lettres, vers l’étude de l’histoire au moment de Mai 68. À la Sorbonne, elle suit les cours de Madeleine Rebérioux* et soutient une maîtrise sur « L’Humanité, la République populaire de Chine et la rupture sino-soviétique ». Elle enseigne la civilisation française pendant deux ans dans la région de Canton. À son retour, en 1976, elle rompt avec son engagement maoïste et publie le récit de cette rupture, L’Écureuil de Chine, en 1979. C’est au cours de recherches sur l’itinéraire de son grand-père paternel, journaliste et écrivain yiddish, immigré en France, mort à Auschwitz, que A. Wieviorka découvre un ouvrage retraçant la vie des Juifs de Żyrardów, sa ville natale. Elle s’intéresse à un corpus de quelque 400 Yizker-bikher, livres du souvenir écrits par les survivants pour reconstituer l’histoire des communautés juives détruites par le génocide. L’analyse de ces sources l’amène à écrire en 1983, avec Itzhok Niborski, Les Livres du souvenir, mémoriaux juifs de Pologne, étude qui défriche le champ, encore largement inexploré, de la construction de la mémoire collective. En 1985, Ils étaient Juifs, résistants, communistes confronte des récits de résistants de la Main-d’œuvre immigrée (Moi) à une analyse de la politique qu’ils furent amenés à suivre. La difficile réception de l’ouvrage auprès des acteurs de la période pose de manière aiguë, pour A. Wieviorka, la question des contraintes de l’histoire orale. Agrégée en 1989, l’historienne soutient une thèse sous la direction d’Annie Kriegel, Déportation et Génocide, entre la mémoire et l’oubli (1992). Recrutée au CNRS, elle est directrice de recherche au Centre de recherche d’histoire quantitative de Caen, puis au Centre de recherches politiques et au centre Identités, relations internationales et civilisations de l’Europe, à la Sorbonne. Au cours des années 1990 et 2000, dans son atelier d’historienne aussi bien que dans l’espace médiatique, elle poursuit son travail sur l’histoire et la mémoire de la Shoah. Elle analyse l’irruption de la figure du témoin sur la scène publique et insiste sur le tournant que constitue à cet égard le procès d’Adolf Eichmann en 1961 (L’Ère du témoin, 2002). Elle participe, entre 1997 et 2000, à la Mission d’étude Mattéoli sur la spoliation des Juifs de France, pour laquelle elle étudie plus particulièrement le pillage des appartements et le camp de Drancy. À l’occasion du soixantième anniversaire de la libération du camp, elle publie Auschwitz, la mémoire d’un lieu (2004), puis, en collaboration avec Sylvie Lindeperg, Univers concentrationnaire et Génocide, voir, savoir, comprendre (2008). Attentive à une écriture de l’histoire qui laisse une large place aux acteurs, A. Wieviorka ne néglige pas les questionnements historiographiques propres à l’histoire des femmes. En 2010, elle consacre une recherche à Maurice et Jeannette, biographie du couple Thorez (2010), proposant, pour la première fois, d’étudier ensemble l’itinéraire du secrétaire général du Parti communiste français et celui de son épouse.
Jean-Baptiste PÉRETIÉ
■ 1945, la découverte, Paris, Seuil, 2015.
WIEZELL, Elsa [ASUNCIÓN 1926 - ID. 2014]
Poétesse et peintre paraguayenne.
Elsa Wiezell est une des voix féminines les plus représentatives de son époque. Fondatrice du musée d’Art moderne d’Asunción et du journal El Feminista (porte-parole de la lutte pour les droits politiques et civils des femmes au Paraguay), dont elle est la rédactrice en chef dans les années 1950, elle est également à l’origine de l’école des beaux-arts Miserere, qu’elle dirige de 1956 à 1968. Elle se distingue d’abord comme peintre, en exposant dans des galeries et centres culturels du Paraguay, puis en tant que poétesse, en donnant des conférences et en dirigeant des ateliers de poésie. Appartenant au groupe des poètes des années 1950, une génération confrontée à l’expérience de la guerre civile de 1947, témoin de la violence et de la haine, elle produit des œuvres à caractère intimiste et mélancolique. Certains de ses poèmes abordent des sujets historiques et sociaux, comme « Hombre del Chaco », sur la guerre du Chaco (1932-1935), qui fait partie de son Antología poética (1982). Elle a publié une trentaine de recueils, parmi lesquels : Poemas de un mundo en brumas (« poèmes d’un monde sous les brumes », 1950), Por las calles de Cristo (« au fil des rues du Christ », 1961), Mensaje para hombres nuevos (« message pour des hommes nouveaux », 1966), Virazón (« brise du large », 1972), Los dos y el mar (« les deux et la mer », 1994), Memoria de amor efímero (« mémoire d’amour éphémère », 1996), Temblor de acacias (« tremblement d’acacias », 2003), Del amor al olvido (« de l’amour à l’oubli », 2005) et Este es mi pueblo (« voici mon peuple », 2007). Ses œuvres ont été traduites en anglais, en suédois et en allemand.
Zulai MACIAS OSORNO
WIGMAN, Mary (née Karoline WIEGMANN) [HANOVRE 1886 - BERLIN 1973]
Danseuse et chorégraphe allemande.
Née dans une famille de la bourgeoisie protestante, Mary Wigman fait une partie de sa scolarité dans un pensionnat anglais. En 1910, en rupture avec sa famille, elle entre à l’Institut de gymnastique rythmique d’Hellerau, dirigé par Émile Jaques-Dalcroze. En 1913, renonçant à une carrière de professeure, elle rejoint l’École de l’art du mouvement, ouverte par Rudolf Laban, et entreprend cinq années d’un travail expérimental. Laban entend redonner au mouvement un rôle actif dans la culture, capable de favoriser le sens communautaire, la créativité individuelle et l’ouverture spirituelle. Elle l’accompagne dans cette recherche des fondements d’un langage chorégraphique moderne. Durant cette période, elle crée de nombreux solos, mais ne commence sa vie d’interprète qu’en 1919, lors de sa première tournée dans une Allemagne en pleine révolution. Forte de ses années passées loin du conflit mondial, elle ouvre une école à Dresde, où la rejoignent celles qui formeront en 1923 le premier Groupe Wigman : Gret Palucca*, Yvonne Georgi, Margarita Wallmann*, Hanya Holm*… Elle partage alors ses activités entre l’enseignement, la création et les tournées qui la conduisent en Europe et plusieurs fois aux États-Unis. Elle construit une œuvre prolifique autour de cycles de solos (Scènes d’un drame dansé, 1923-24 ; Chants de l’espace, 1926 ; Danses des femmes, 1934…). De son cheminement avec Laban, elle reprend et développe le rapport à l’espace qu’elle aborde en architecte, ainsi qu’une conception de la musique comme accompagnement né du rythme de la danse, installant un important orchestre de percussions dans son école. En affinité avec le courant expressionniste, elle approfondit le travail d’improvisation et de composition, partageant l’idée que la forme émerge d’un processus intérieur, fruit de forces inconscientes. Artiste habitée, usant souvent de la transe, son répertoire, au registre à la fois démoniaque (Danse de sorcière, Danse macabre, 1926 ; Sacrifice, 1929) et extatique (Rêves, Danses extatiques, 1917 ; Célébration, 1923-1928 ; Visions, 1925-1930), porte les traces de ses expériences limites. Plaçant son art au centre du processus créatif et voulant lui donner une place majeure au théâtre, elle n’hésite pas à se nommer « prêtresse » d’une « danse absolue ». Au tournant des années 1930, elle est une personnalité incontournable du paysage artistique. Admirée par des écrivains, des peintres expressionnistes ainsi que des théologiens, qui voient dans son esthétique visionnaire un lieu de renaissance de forces vitales, elle est aussi critiquée par l’avant-garde de gauche (Valeska Gert*, Carl Sternheim, Yvan Goll) qui assimile son style aux travers de la bourgeoisie. Sa première œuvre chorale, Monument aux morts, créée en 1930 à Munich en souvenir de la guerre, est un événement largement débattu dans la presse. Son école, ouverte aux amateurs et professionnels, compte dix filiales allemandes, une filiale new-yorkaise et presque 2 000 étudiants. Aussi, lorsque Hitler arrive au pouvoir, la question de l’exil ne se pose pas à la chorégraphe, contrairement à l’historiographie d’après-guerre qui a voulu l’assimiler aux victimes taxées de « dégénérescence ». Patriote et nationaliste, elle assimile sa mission artistique à une entreprise de défense de la culture allemande. Elle poursuit ainsi l’ensemble de ses activités, répond à des commandes officielles avec sa compagnie, participe à la politisation des discours sur « l’art de la danse allemande » dans un livre éponyme publié en 1935, tourne avec ses solos jusqu’à ses adieux à la scène en 1942 (Danse de Brunhilde, Danse de Niobe, Adieu et merci), et participe en 1943 à la création de Catulli Carmina de Carl Orff. De même, elle enseigne dans son école et au sein des Deutsche Meisterstätten für Tanz, académie fondée par Laban au ministère de la Propagande, puis participe à partir de 1942 à l’ouverture de la section danse du conservatoire de Leipzig, nouveau pôle de la mouvance moderne du régime. Après la guerre, M. Wigman reste en zone d’occupation soviétique jusqu’en 1949, où elle créé Orphée et Eurydice de Gluck, puis ouvre une école à Berlin-Ouest. L’arrivée de nouvelles générations l’émancipe des critiques américaines formulées à son égard dans les années 1930. Jusqu’en 1967, elle met ses talents de pédagogue au service de ses élèves, telle Susanne Linke*, et créé plusieurs œuvres chorales et de groupe, dont Le Sacre du printemps de Stravinski, interprété en 1957 par Dore Hoyer*. Certains de ses solos les plus poignants ont traversé le temps et ont été repris dans les années 1980-1990 par Armagard von Bardeleben et Arila Siegert. Sa pédagogie a été transmise en France par Karin Waehner* et Jacqueline Robinson* et en Allemagne par Katharine Sehnert.
Laure GUILBERT
■ LAUNAY I., À la recherche d’une danse moderne : Mary Wigman, Rudolf Laban, Paris, Chiron, 1996.
■ FRITSCH-VIVIÉ G., Mary Wigman, Reinbeck, Rowohlt, 1999 ; MANNING S., Ecstasy and the Demon : Feminism and Nationalism in the Dances of Mary Wigman, Minneapolis, University of Minnesota press, 2006 ; MÜLLER H., Mary Wigman. Leben und Werk der grossen Tänzerin, Berlin, Quadriga, 1992.
■ LAZARUS H. (dir.), Die Akte Wigman, CD-Rom, Olms, 2006.
WIIK, Maria [HELSINKI 1853 - ID. 1928]
Peintre finlandaise.
Catharina Maria Wiik découvre très jeune la vie culturelle et artistique de Helsinki. Elle étudie sous la direction du peintre réaliste Adolf von Becker (1873), puis à l’école de dessin de la Société finlandaise des beaux-arts (1874-1875). Elle parfait ensuite son éducation artistique à l’académie Julian, à Paris, où elle est l’élève de Tony Robert-Fleury (1875-1876 et 1877-1880). Elle affirme sa réputation d’artiste avec Marietta (1880) et Hilda Wiik (1881), à la palette sobre et élégante : on remarque dans ces deux œuvres l’influence très nette du naturalisme français. Le portrait de Hilda sera exposé au Salon de Paris en 1881 et reconnu par la critique pour sa très grande qualité. Les années 1880 sont une période féconde dans sa vie d’artiste. Elle voyage entre la France et la Finlande, séjournant parfois longuement en Bretagne (Concarneau, Pont-Aven) et en Normandie (Veules-les-Roses, Carolles), où elle réalise des tableaux de petit format, dont les scènes de genre lumineuses témoignent de son enthousiasme pour la peinture de plein air. Elle aime représenter les femmes et les enfants dans leur quotidien, portant sur ses modèles un regard à la fois tendre et réaliste, mais sa production s’enrichit également d’un grand nombre de natures mortes. En 1889, elle est l’élève de Pierre Puvis de Chavannes dans l’atelier d’Henri Bouvet. En compagnie de son amie Helene Schjerfbeck*, elle se rend à St Ives (Angleterre) en juillet 1889. Elle y exécute l’une de ses œuvres majeures, Maailmalle (« le monde », 1889), récompensée par une médaille de bronze à l’Exposition universelle de Paris en 1900 : une jeune femme s’apprête à quitter la maison pour rentrer dans le monde du travail sous le regard de sa grand-mère. Outre l’allusion directe à la condition féminine de son époque, la peintre adopte pour ce tableau un style différent : elle utilise les couleurs en aplats et organise sa palette autour d’un dégradé de tons sombres. Après 1890, elle voyage davantage en Scandinavie. Portraitiste réputée, elle représente des membres importants de la haute société finlandaise. Son style évolue avec les années, influencé par le mouvement symboliste. En 1917 et en 1919, elle expose dans la galerie Gösta Stenman à Helsinki.
Guénola STORK
■ De drogo till Paris, nordiska konstnärinnor på1880-talet (catalogue d’exposition), Stockholm, Liljevalchs, 1988 ; KONTTINEN R., Maria Wiik, Helsinki, Otava, 2000.
WIKSTRÖM, Elin [GÖTEBORG 1965]
Performeuse et artiste multimédia suédoise.
Elin Wikström a toujours été une « interventionniste » en interaction avec le tissu social. Entre 1987 et 1992, elle étudie à Valand, les Beaux-Arts de Göteborg, où elle produit des sculptures et des constructions architectoniques. En 1993, elle achève son œuvre la plus connue : au milieu d’un supermarché ICA, elle installe un lit et s’y allonge pour une durée de trois semaines. Au-dessus d’elle, on lit : « Qu’est-ce que ça donnerait si tous les gens faisaient pareil ? » Le repos et le refus du travail s’insèrent au cœur même de la société de consommation. Le public est exaspéré, au point que certains essaient même de la tirer hors du lit. En 1997, elle fait partie du « Skulptur Projekte » de Kaspar König à Munster, pour lequel elle produit Returnity, des bicyclettes qui vont en arrière si l’on pédale en avant. Cette forme de surréalisme social ironise sur l’idée de modernité et de progrès, mais propose également, comme la plupart des œuvres du courant de l’« esthétique relationnelle », une manière différente d’agir dans le monde. En 2008, E. Wikström inaugure un projet de recherches scientifiques intitulé « Några jordklot till » (« encore quelques planètes »). Les invités d’un séminaire acceptent de n’utiliser ni eau ni courant électrique pendant trois jours. En échange, ils reçoivent un blackout kit contenant des lampes à kérosène, des bougies, un réchaud à gaz et un puzzle. Après le moment de la mise en pratique, puis celui de la discussion, une fête est organisée au restaurant Ugglan à Stockholm, qui accueille cinq musiciens, parmi lesquels la chanteuse Robin ; l’artiste et les participants coupent alors l’électricité et l’eau. Des chandelles sont allumées, et les artistes continuent de jouer. « Si l’on contribue aux problèmes, il faut aussi contribuer aux solutions », affirme-t-elle. Dans son livre Research Processes in Fine Art : Investigating the Investigation (2009), elle insiste sur le risque que la culture se réduise à sa fonctionnalité, ou à sa valeur spectaculaire. Il faut donc encourager des pratiques artistiques critiques, qui ne soient ni instrumentalisées par les institutions ni complètement rejetées de la scène artistique.
Sinziana RAVINI
■ Avec BODE M., SUPERFLEX, Three Public Projects, Karlskrona, Blekinge museum, 1999 ; avec BAERS M., SANDER K., Research Processes in Fine Art : Investigating the Investigation, Umeå, Umeå Academy of Fine Arts, 2009.
WILDE, Jane Francesca (née ELGEE, dite SPERANZA) [DUBLIN 1826 - LONDRES 1896]
Poétesse et folkloriste irlandaise.
Collaborant au journal The Nation, organe du mouvement nationaliste des Jeunes Irlandais, sous le nom de Speranza, Jane Francesca Wylde se rend célèbre pour un article où elle en appelle au soulèvement armé contre les Anglais, et pour lequel le journal est condamné par la justice. Ses traductions de certains chapitres de l’Histoire des Girondins de Lamartine et des Impressions de voyage en Suisse d’Alexandre Dumas sont très appréciées. Oscar est son second fils, issu de son mariage avec le médecin William Wilde ; elle a également une fille, Isola, qui décède à l’âge de 9 ans. L’excentrique W. Wilde partage avec elle un vif intérêt pour le folklore irlandais, à l’origine de la composition de plusieurs recueils de mythes et légendes, et tous deux tiennent un salon littéraire dans leur maison de Dublin. Le couple est impliqué dans un scandale de mœurs concernant leur bonne, à l’issue duquel lady Wilde est condamnée pour diffamation. Les deux filles illégitimes de son mari meurent dans un incendie et un an plus tard son mari décède, à la suite de quoi elle s’installe à Londres, où on la surnomme la « Mme Récamier de Chelsea ». Outre divers poèmes à tonalité nationaliste, elle publie Ancient Legends, Mystic Charms and Superstitions of Ireland (1887), contenant la nouvelle restée célèbre « The Child That Went with the Fairies » (« l’enfant qui partit avec les fées ») puis Ancient Cures, Charms and Usages of Ireland (« anciens remèdes, coutumes et charmes irlandais », 1890). Elle meurt dans une relative pauvreté alors que son fils Oscar purge une peine de prison. On dit que c’est elle qui conseille à son fils de ne pas fuir sur le continent avant son procès.
Sylvie MIKOWSKI
■ MELVILLE J., Mother of Oscar : The Life of Jane Francesca Wilde, Londres, John Murray, 1994.
WILDERMUTH, Ottilie (née ROOSCHÜZ) [ROTTENBURG AM NECKAR 1817 - TÜBINGEN 1877]
Écrivaine allemande.
Ottilie Wildermuth grandit à Marbach am Neckar. Son éducation rudimentaire ne cesse de lui peser et explique probablement le fait qu’en 1840 encore, elle s’inscrive à un cours d’anglais à Tübingen. Captivée par les livres dès sa première jeunesse, elle se met tôt à l’écriture. Dès son mariage, en 1843, avec l’instituteur Johann David Wildermuth, celui-ci l’y encourage. Sans négliger ses devoirs domestiques – elle a cinq enfants entre 1844 et 1856, dont deux meurent peu après leur naissance – elle réussit, à partir de 1847, à s’établir comme écrivaine réputée. Le Morgenblatt (« le matin »), publié par Johann Friedrich Cotta, fait régulièrement paraître ses Genrebilder aus einer kleinen Stadt (« tableaux de genre d’une petite ville ») et, à partir de 1857, ses Récits et tableaux de la vie souabe, qui jouissent rapidement d’un grand succès. À la suite d’ouvrages en quelque sorte programmatiques, tels Aus der Kinderwelt (« du monde des enfants », 1854) et Quelques esquisses de vies de femmes (1855), les parutions se succèdent de plus en plus rapidement. Une première édition intégrale paraît déjà en 1862, suivie de la « Volksausgabe » (« édition populaire ») de ses édifiants Jugendschriften (« écrits pour la jeunesse », 1871-1873), comprenant 14 volumes. À partir de 1853, elle est en contact, à travers Justinus Kerner, avec le cercle d’écrivains souabe, et correspond sporadiquement avec Jeremias Gotthelf, Adalbert Stifter et Paul Heyse. Respectée pour son engagement chrétien-social, elle reçoit en 1871, du roi Charles de Wurtemberg la Grande médaille d’or des Arts et Sciences. À l’initiative de la féministe Mathilde Weber, un monument est érigé en son honneur en 1887. O. Wildermuth, « le fleuron de Souabe », décrivait la famille comme un univers en petit, que la plume devait dépeindre, voire éduquer. Elle représente le type, pas inhabituel en milieu protestant, de la femme largement autonome.
Anett LÜTTEKEN
■ Récits et tableaux de la vie souabe (Bilder und Geschichten aus Schwaben), Neuchâtel, Ch. Leidecker, 1856 ; Quelques esquisses de vies de femmes (Aus dem Frauenleben, 1855), Paris, C. Meyrueis, 1862.
■ WILDERMUTH R. (adapt.), « Ottilie Wildermuth 1817-1877 », in Marbacher Magazin, no 37, 1986.
WILHELMINE DE BAYREUTH (Wilhelmine Frédérique Sophie, margrave de BAYREUTH) [BERLIN 1709 - BAYREUTH 1758]
Compositrice allemande.
Fille ainée de Frédéric-Guillaume Ier de Prusse (1688-1740) – le Roi-Sergent – et de Sophie-Dorothée de Prusse, née princesse de Hanovre (1687-1757), la princesse Wilhelmine fut tout sauf une fillette choyée et entourée de soins. Le roi, ennemi de l’art, montrait peu de compréhension pour les talents artistiques de ses enfants, et exigeait de sa progéniture une obéissance absolue. Elle apprit, comme la plupart des femmes de haut rang, à chanter, à jouer du luth et du clavecin. Temporairement elle put bénéficier de l’enseignement du célèbre luthiste et compositeur Silvius Leopold Weiss. De ses compositions de jeunesse, il ne nous reste qu’une sonate pour flûte et clavecin en la mineur redécouverte en 2003. Entre Wilhelmine et son frère cadet Frédéric, futur roi Frédéric le Grand, se développa une profonde amitié. Ils passaient leur temps libre ensemble, à lire, discuter et faire de la musique. Cédant à la pression de son père, elle épousa en 1731 le prince héritier Frédéric de Brandebourg-Bayreuth (1711-1763). En 1732, elle mit au monde sa fille unique Élisabeth Frédérique Sophie. Pour transformer et enrichir la vie musicale à la cour, elle invita des instrumentistes de renom, tel le luthiste Adam Falckenhagen et, en 1734, engagea Johann Pfeiffer (1697-1761) comme maître de chapelle et professeur de composition. C’est alors qu’elle composa son concerto pour clavecin. En 1735, son mari devint margrave de Bayreuth. Wilhelmine multiplia ses efforts pour transformer Bayreuth en un haut lieu de la culture – avec les mœurs françaises et la musique italienne. En 1737, elle se chargea de la direction de l’opéra de cour qui connut alors un véritable essor. Elle engagea pour la chapelle de la cour des instrumentistes, chanteurs et chanteuses de renom. Des commandes furent passées entre autres aux compositeurs Carl Heinrich et Johann Gottlieb Graun, Franz Benda, Johann Joachim Quantz et Johann Adolf Hasse. Chaque année, plusieurs opéras étaient représentés.
En 1740, elle termina la composition de son opéra Argenore. Fortement autobiographique et foncièrement pessimiste, il dépeint le drame du roi Argenore qui, par une politique dominatrice, mène l’État et la famille royale à la ruine. En renonçant à un dénouement heureux, et par l’absence d’un héros masculin vainqueur, Wilhelmine rompait avec les conventions alors en vigueur. En tant que souveraine, elle pouvait se permettre de projeter une image non enjolivée de la tyrannie absolutiste. En 1748 fut inauguré le somptueux édifice de l’Opéra du margraviat, érigé sous le contrôle de la margrave. Cet opéra offrait, avec celui de Dresde, la scène la plus grande et techniquement la mieux équipée d’Allemagne. Wilhelmine écrivait également des livrets d’opéra. En 1750, elle travailla au livret Sémiramis (crée en 1753), d’après une tragédie de Voltaire, avec lequel elle était liée d’amitié et entretenait une correspondance suivie. En 1751, elle rédigea Deukalion und Pyrrha (créé en 1752) d’après Ovide, sur le thème du rapport des sexes, puis L’Huomo (1754), Amalthéa (1756) et Attalie. Outre ses activités musicales et littéraires, Wilhelmine se consacrait avec passion à la peinture ainsi qu’à la planification de parcs et de châteaux. Les jardins qu’elle a dessinés devançaient leur époque et préfiguraient le futur jardin paysager romantique. La décoration d’intérieur qu’elle a imaginée pour les Spiegelkabinette de l’Ermitage et du nouveau château – de petits morceaux de glace irréguliers dans lesquels l’observateur se voit de manière fragmentaire, comme brisé ou déchiré – présentait le plus vif contraste avec la pompe des salles d’apparat de son temps. Les châteaux dont elle a tracé les plans devaient, par leur aspect extérieur, évoquer des ruines. Avec sa mort, le 14 octobre 1758, prit fin à Bayreuth la période de floraison de l’opéra baroque et rococo qu’elle y avait introduite. De toutes ses œuvres musicales, on ne conserve aujourd’hui que l’opéra Argenore, deux arias pour l’opéra L’Huomo, un concerto pour clavecin en sol mineur ainsi qu’une sonate pour flûte et clavecin. Bon nombre de ses partitions furent probablement détruites par le feu qui ravagea l’ancien château en janvier 1753.
Danielle ROSTER
■ Mémoires de Frédérique Sophie Wilhelmine, margrave de Bayreuth (1810), Paris, Mercure de France, 2001.
■ MÜLLER-LINDENBERG R., Wilhelmine von Bayreuth, Die Hofoper als Bühne des Lebens, Cologne, Böhlau, 2005.
WILKE, Hannah (née Arlene Hannah BUTTER) [NEW YORK 1940 - ID. 1993]
Plasticienne et performeuse américaine.
Formée à la Tyler School of Art de Philadelphie, considérée comme une pionnière parmi les artistes féministes conceptuelles, Hannah Wilke compose une œuvre faite de sculptures, dessins, collages, photographies, vidéos, performances et installations. Elle se fait connaître dans les années 1960 par ses représentations de vulves, petites sculptures en terre cuite qu’elle déclinera par la suite dans d’autres matériaux. Une grande partie de sa démarche s’appuie sur le retour obsessionnel et exacerbé de sa propre image, en écho aux représentations féminines dans l’art et dans les médias de cette époque. SOS Scarification Object Series (1974-1982) est constitué d’une série de photographies insérées dans une grille, dans lesquelles l’artiste prend des poses glamour, provocantes et artificielles, inspirées par l’imagerie de la mode, qui sont des réponses immédiates à la marchandisation massive des corps des célébrités – souvent féminines – utilisés pour stimuler le désir du consommateur. Sa peau est recouverte de petits bouts de chewing-gum mâchés puis collés. La structure de la grille rappelle la manière dont Andy Warhol encadrait ses images de stars, reproduites en série comme autant de produits. Parmi ses réalisations marquantes figurent Hello Boys (1975), la captation d’une performance réalisée à la galerie Gerald Piltzer à Paris : derrière la vitre d’un grand aquarium, l’artiste, nue, se livre à un répertoire de postures érotiques sur fond de musique rock, suggérant la figure mythologique de la sirène, à la fois sexuellement envoûtante et vulnérable. Cette double stratégie de surexposition et de transparence trouve son aboutissement avec Through the Large Glass (1976), où l’artiste se joue des codes – et de l’histoire de l’art et de la mode –, son style vestimentaire rappelant celui des icônes d’Helmut Newton ou d’Yves Saint Laurent dans les années 1970. Filmée à travers Le Grand Verre de Marcel Duchamp au musée de Philadelphie, elle se livre à un strip-tease, adopte des attitudes sexualisées et décline avec une certaine absurdité tous les schémas de la représentation glamour. Atteinte d’un lymphome dans les années 1990, elle transforme activement son vécu souffrant en l’image d’un exosquelette blessé, où des marques réelles ainsi que des signes construits autour de sa douleur sont exhibés sur son corps et par lui. Par cette transformation, H. Wilke parvient à exprimer une position critique face aux préjugés culturels qui sont rattachés à (l’image de) sa maladie. Elle laisse une œuvre posthume, Intra-Venus (1994), recueil de photographies prises par son mari, Donald Goddard, dépeignant sa lente dégradation physique.
Stéphanie MOISDON
■ A Retrospective (catalogue d’exposition), Kochheiser T. H. (dir.), Columbia, University of Missouri Press, 1989 ; Intra-Venus (catalogue d’exposition), Jones A. (textes), New York, Donald Feldman Fine Arts, 1995 ; Hannah Wilke 1940-1993 (catalogue d’exposition), Kreuzer S. (textes), Berlin, Neue Gesellschaft für Bildende Kunst, 2000 ; Hannah Wilke, Princenthal N. (textes), Munich/New York, Prestel, 2010.
WILKINS FREEMAN, Mary Eleanor [RANDOLPH 1852 - METUCHEN 1930]
Écrivaine américaine.
Née dans une Nouvelle-Angleterre sur le déclin, d’un père charpentier qui ne parvient pas à faire vivre sa femme et ses deux filles, Mary Eleanor Wilkins Freeman prend la plume pour contribuer à l’économie familiale. Quand elle publie sa première histoire dans Harper’s Bazaar, elle n’a pas 30 ans et a perdu tous les siens. Elle s’installe alors chez son amie de cœur, Mary Wales, et écrit vingt années durant au deuxième étage de la ferme de Randolph. Parmi ses nombreux recueils de récits, les plus célèbres sont A Humble Romance and Other Stories (« une humble romance et autres histoires », 1887) et A New England Nun and Other Stories (« une nonne de Nouvelle-Angleterre et autres histoires », 1891), des textes qui s’inscrivent dans la lignée des esquisses villageoises de Sarah Orne Jewett* ou de Harriet Beecher-Stowe* dont raffole alors le lectorat américain. Mais M. E. Wilkins Freeman imprime sa marque au genre, avec un ton plus sombre, une extravagance plus rebelle, un désespoir plus vengeur. Échafaudages discordants, ses récits disent une Nouvelle-Angleterre inquiète dont le centre s’est effondré, un lieu désaccordé du chant tonitruant d’une nation aux rêves impériaux. À la différence de S. O. Jewett, M. E. Wilkins Freeman s’essaie par ailleurs au roman social, avec Pembroke (1894) et The Portion of Labor (1901). Elle échappe ainsi à l’opprobre du sentimentalisme et est dédouanée de toute compromission avec le culte de l’art pour l’art, quand la plupart de ses consœurs écrivaines de la « couleur locale » sont balayées de la carte des lettres américaines pour avoir péché contre la doxa réaliste. Elle a même l’heur d’être célébrée de son vivant par ses pairs : amie de William Dean Howells et de Rudyard Kipling, correspondante de S. O. Jewett, invitée de Mark Twain, elle reçoit en 1926 la médaille d’or décernée par l’American Academy of Letters et devient, avec Edith Wharton*, la première femme à entrer au panthéon des lettres américaines, le National Institute of Arts and Letters. Si la critique féministe, qui, à partir des années 1980, contribue à un regain d’intérêt pour ses textes, regarde d’un œil ambivalent une telle « canonisation » par une institution des plus patriarcales, il reste que les portes de bronze de l’institut sont encore ornées de la dédicace « à la mémoire de Mary Wilkins Freeman et des femmes écrivains d’Amérique ».
Cécile ROUDEAU
■ GLASSER L. B., In a Closet Hidden : The Life and Work of Mary E. Wilkins Freeman, Amherst, University of Massachusetts Press, 1996 ; MARCHALONIS S. (dir.), Critical Essays on Mary Wilkins Freeman, Boston, G. K. Hall, 1991 ; REICHARDT M. R., A Web of Relationship : Women in the Short Stories of Mary Wilkins Freeman, Jackson, University Press of Mississippi, 1992.
■ ROUDEAU C., « À quoi rêvent les vieilles filles ? Éros au féminin ou la débandade du roman domestique en Amérique », in E-rea, 1.1. 2003.
WILKINSON, Ellen [MANCHESTER 1891 - PENN 1947]
Syndicaliste et femme politique britannique.
Issue d’une famille conservatrice et méthodiste, Ellen Wilkinson adhère à l’Independent Labour Party en 1907. Trois ans plus tard, elle obtient une bourse pour étudier l’histoire à l’université de Manchester, où elle milite dans les différents groupes socialistes qui y sont implantés : section et groupe des femmes de la Fabian Society, University Socialist Federation. C’est également à cette époque qu’elle intègre la National Union of Women’s Suffrage Society, dont elle devient l’une des permanentes en 1913. Les années de guerre la voient rejoindre les rangs de la National Union of Distributive & Allied Workers, où elle a notamment en charge l’organisation d’employées participant à des conflits sociaux. Cet engagement syndical se double rapidement d’une entrée en politique. E. Wilkinson contribue ainsi à la création du Parti communiste de Grande-Bretagne (CPGB) en 1920, puis est élue au conseil municipal de Manchester trois ans plus tard. Cependant, elle quitte le CPGB en 1924 et, la même année, est élue députée travailliste dans la circonscription de l’est de Middlesborough. C’est à la Chambre des communes qu’elle gagne le surnom d’« Ellen la Rouge », en référence tant à la couleur de ses cheveux qu’à ses prises de position en faveur du monde ouvrier. Elle se retrouve ainsi aux côtés des syndicats dans la conduite, en 1926, d’une grève générale de soutien aux revendications salariales des mineurs. Cette expérience la pousse à multiplier les réunions publiques et nourrit le livre qu’elle coécrit avec R. W. Postgate et J. F. Horrabin, A Workers’History of the Great Strike (« une histoire ouvrière de la grande grève », 1927). Ramsey McDonald la nomme secrétaire parlementaire du ministre de la Santé au lendemain des élections générales de 1929. Mais son opposition à la formation d’un gouvernement national explique en partie sa défaite lors du scrutin de 1931. Elle consacre les années qui suivent à l’écriture d’essais politiques, d’un roman (The Division Bell Mystery, « le mystère de la sonnerie du Parlement », 1932) et de divers articles pour des revues de gauche comme Time & Tide. E. Wilkinson retrouve cependant le chemin de la Chambre des communes en 1935, en s’imposant dans la circonscription de Jarrow, l’une des villes les plus pauvres du Royaume-Uni. Un an plus tard, elle fonde la revue Tribune, avec l’aide d’autres représentants de la « gauche » du Labour, dont Aneurin Bevan et Victor Gollancz. Elle est également de ceux qui, dans l’Europe de la fin des années 1930, militent en faveur de la constitution d’un front populaire européen capable d’endiguer le fascisme. Elle en appelle par ailleurs à un soutien armé aux républicains espagnols. Membre du gouvernement de coalition que dirige Winston Churchill entre 1940 et 1945, elle est aussi la première femme à occuper le poste de ministre de l’Éducation après sa nomination par Clement Attlee en 1945. Épuisée par ses années d’engagement, elle succombe à une crise cardiaque le 6 février 1947, après avoir ingéré une surdose de médicaments.
Jérôme TOURNADRE
WILLIAMS, Betty [BELFAST, IRLANDE DU NORD 1943]
Pacifiste britannique. Prix Nobel de la paix 1976.
Betty Williams s’installe en Floride après l’échec de son premier mariage avec un marin. Elle épouse alors un manager du pétrole. Entre-temps, elle s’est engagée pour la fondation des Peace People, à la suite de l’escarmouche entre l’Ira et des soldats britanniques, le 10 août 1976, dans laquelle trois enfants ont trouvé la mort. B. Williams a peut-être assisté au drame ; le fait est contesté. Quoi qu’il en soit, elle se hâte d’ameuter les catholiques et, en trois jours, mobilise 6 000 femmes. Le 13 août, 10 000 personnes suivent les cercueils des enfants. Le mouvement ne cesse de gagner en ampleur. L’une des premières à signer l’appel de B. Williams est Mairead Corrigan*, qui fait un émouvant appel à la télévision. Elles sont alors toutes les deux femmes au foyer, nullement féministes. Mais dans le monde entier, elles donnent aux femmes en lutte pour la paix un rôle décisif. Le trio qu’elles forment avec le journaliste Ciaran McKeown exerce un puissant rayonnement sur les sympathisants des Peace People. Mais bientôt des conflits brisent leur force. M. Corrigan et B. Williams sont accusées de tirer profit de leurs voyages à l’étranger. Les querelles d’argent détériorent leur relation, qui prend fin en 1986. Aujourd’hui, B. Williams est membre du comité de parrainage de la Palestine au tribunal Russel.
Nicole CASANOVA
WILLIAMS, Esther [INGLEWOOD 1921 - BEVERLY HILLS 2013]
Danseuse aquatique et actrice américaine.
« On me surnomma la sirène de l’Amérique parce que je pouvais rester sous l’eau indéfiniment », confiait-elle volontiers. Championne de natation, Esther Williams est remarquée des producteurs de la MGM, alors qu’elle participait au spectacle de Rose Aquacade Billy, juste au moment où Louis B. Meyer cherchait à créer une vedette du sport capable de rivaliser avec Sonja Henie*, la star du patinage, sous contrat à la Fox. E. Williams signe avec la MGM en 1941. Elle tourne en vedette une série de films dans la décennie 1940-1950, connus sous le nom d’« aqua-musicals », à partir des spectacles conçus sur de la natation synchronisée. Elle participe ainsi à la création tant d’un genre cinématographique que d’une discipline sportive. Partenaire de Johnny Weissmuller et des grandes vedettes masculines du cinéma américain, elle a tourné plus de 40 films mettant en valeur ses qualités de nageuse, sa beauté athlétique et son sourire. Elle fait ses adieux au cinéma en 1961 avec La Fontaine magique. Le plus célèbre de ses films reste l’un des premiers, Le Bal des sirènes (Bathing beauty) de Georges Sidney, tourné en 1944.
Noëlle GUIBERT
■ The Million dollar mermaid. An autobiography, New York, Simon & Schuster, 1999.
WILLIAMS, Helen Maria [LONDRES 1759 - PARIS 1827]
Poétesse et essayiste britannique, naturalisée française.
De mère écossaise et de père gallois (un officier mort quand elle avait 8 ans), Helen Maria Williams reçoit une modeste éducation, enrichie à son arrivée à Londres par Andrew Kippis, pasteur « non-conformiste », bien introduit auprès de l’intelligentsia, bas-bleus comprises. Poems (1786) ouvre ses publications : elle y aborde la religion, la politique coloniale de l’Espagne et la guerre. En 1788, elle écrit contre l’esclavage « On… the Slave Trade », poème loué par Burns. Alors que la France entre en révolution, elle s’y rend, défendant cette cause dans son roman Julia (histoire sentimentale et politique de deux cousines, attentivement analysée par les gender studies), dans ses poèmes comme « A Farewell for Two Years to England », « The Bastille », et ses Lettres écrites de France à une amie en Angleterre pendant l’année 1790, commentées par Laetitia Matilda Hawkins*. Après les massacres de 1792, elle est du côté des girondins et accueille dans son salon Mary Wollstonecraft*, Francisco de Miranda et T. Paine. Emprisonnée avec sa famille, elle s’occupe en rédigeant la traduction de Paul et Virginie, dont les mérites seront reconnus. Délivrée, elle se réfugie en Suisse, où la rejoint John Hurford Stone, réformateur radical et éditeur : leur liaison fait scandale car il n’est pas encore divorcé. Bien que traitée de « putain écrivassière » par Walpole, elle continue à composer des poèmes pieux et publie en 1798 un récit de ses voyages agrémenté de remarques politiques, A Tour in Switzerland. Le temps apporte la désillusion, et Aperçu de l’état des mœurs et des opinions dans la République française vers la fin du XVIIIe siècle (1801) en est marqué. Napoléon l’envoie en prison une journée à la parution de son ode « The Peace Signed Between the French and the English ». Naturalisée française en 1818, elle meurt à Paris et repose au cimetière du Père-Lachaise.
Françoise LAPRAZ SEVERINO
■ Lettres écrites de France à une amie en Angleterre pendant l’année 1790 (Letters Written in France, 1790), Paris, Impr. de Garnéry, 1791 ; Aperçu de l’état des mœurs et des opinions dans la République française vers la fin du XVIIIe siècle (Sketches of the State of Manners and Opinions in the French Republic, 1801), Paris/Strasbourg, Chez les frères Levrault, 1801 ; Recueil de poésies, extraites des ouvrages d’Helena-Maria Williams, Paris, F. Cocheris fils, 1808.
■ BLAKEMORE S., Thomas Paine, Mary Wollstonecraft, Helen Maria Williams, and The Rewriting of The French Revolution, Londres, Associated University Presses, 1997 ; KENNEDY D., Helen Maria Williams and the Age of Revolution, Lewisburg, Bucknell University Press, 2002.
WILLIAMS, Jody [BRATTLEBORO, VERMONT 1950]
Militante américaine des droits de l’homme. Prix Nobel de la paix 1997.
Jody Williams a reçu le prix Nobel de la paix en 1997 pour son action internationale pour l’interdiction des mines terrestres. Diplômée de l’École des hautes études internationales de l’université Johns-Hopkins à Washington, elle participe, dans les années 1990, au développement de projets d’assistance humanitaire en Amérique centrale. En 1992, elle crée et coordonne un réseau international d’organisations non gouvernementales qui lance la « Campagne internationale pour l’interdiction des mines terrestres ». En 2006, elle est l’une des fondatrices du mouvement « Initiative des femmes Nobel », dont l’objectif est de promouvoir les droits des femmes à travers le monde.
Nadine PUECHGUIRBAL
■ Avec GOOSE S. D. et WAREHAM M. (dir.), Banning Landmines : Disarmament, Citizen Diplomacy and Human Security, Lanham (Maryland), Rowman & Littlefield, 2008.
WILLIAMS, Mary Lou (Mary Elfrieda SCRUGGS, dite) [ATLANTA 1910 - DURHAM 1981]
Pianiste, arrangeuse et compositrice de jazz américaine.
En 1930, un morceau, Night Life, vient égayer les années noires de la Grande Dépression. Seule à son piano, Mary Lou Williams, jeune femme de 20 ans, y célèbre la vie nocturne avec une formidable et joyeuse énergie, un jeu sautillant et vif. Gravé à Chicago, Night Life évoque surtout les nuits de Kansas City, qui, depuis la fin des années 1920, fait la fête, indifférente à la crise. Les grands orchestres ont investi de luxueux palais musicaux. M. L. Williams, comme Memphis Minnie*, arpente un domaine exclusif où elle s’impose en pionnière : l’instrumentation et la composition. En décembre 1942, elle épouse le trompettiste Harold « Shorty » Baker, de l’orchestre de Duke Ellington, qui lui demande de travailler sur l’œuvre du grand compositeur. La réputation de M. L. Williams augmente, et elle arrange bientôt les œuvres d’Andy Kirk, de Benny Goodman, Earl Hines, Tommy Dorsey... Ce travail l’amène à concevoir une œuvre ambitieuse, The Zodiac Suite, inspirée des compositions de Stravinsky. Le producteur Norman Granz lui propose de la monter au Carnegie Hall, avec flûtes, cuivres, cordes, piano, basse ; et elle fait appel à quelques musiciens de renom, Ben Webster et Mouse Randolph. La critique juge cette « création du futur » « audacieuse », « pleine de courage ». Elle atteint son apogée au milieu des années 1940, entamant une belle série de succès : Blue Skies ; Cloudy ; How High the Moon ; Humoresque ; Boogie Misterioso et Waltz Boogie… La pianiste découvre pendant la guerre les vertus du be-bop – l’inverse de son école esthétique, celle du swing, du blues –, au Minton’s Playhouse de New York, où elle rencontre des musiciens étonnants, Parker, Gillespie et Monk. La compositrice est la première à voir dans cette génération nouvelle et révolutionnaire l’avenir du jazz. Son appartement dans le quartier chaud de Harlem accueille soirées musicales et discussions théoriques. Les artistes s’y arrêtent pour composer et jouer, prendre des conseils de leur mentor et professeure, qui apporte aussi son aide aux musiciens en manque de travail, les engageant ou les recommandant à d’autres orchestres. Malgré une période religieuse tournée vers le gospel, l’inventive M. L. Williams restera toute sa vie proche du blues.
Stéphane KOECHLIN
■ Mary’s Idea, Decca, 1936 ; The Zodiac Suite, Smithsonian Folkways, 1945 ; Mary Lou Williams Presents Black Christ of the Andes, Smithsonian Folkways, 1963 ; My Mama Pinned a Rose on Me, Pablo, 1977 ; Solo Recital, Original Jazz Classic, 1978.
WILLIAMS, Roberta (née HEUER) [LA VERNE, CALIFORNIE 1953]
Créatrice de jeux vidéo et de contes interactifs américaine.
En 1980, son mari, Ken Williams, lui offre un jeu sur ordinateur. À l’époque, il faut taper des instructions sur le clavier pour progresser dans l’intrigue et résoudre les énigmes. Roberta Williams invente alors un jeu avec des illustrations en noir et blanc, que son mari programme : Mystery House, le premier jeu d’aventure graphique. Vendu dans quatre boutiques de Los Angeles avec une petite publicité dans Micro Magazine, le jeu rencontre un succès immédiat. Le couple fonde une start-up, On-Line Systems, qui deviendra Sierra On-Line, et lance une série de six jeux appelés Hi-Res Adventures, édités entre 1980 et 1982. R. Williams dessine ensuite le premier jeu d’aventure en couleur, The Wizard and the Princes (« le magicien et les princes »). Pour Time Zone, en 1982, elle fait appel à d’autres designers. Des icônes remplacent les commandes et les décors sont peints à la main. Sa célébrité s’étend avec King’s Quest I, le premier jeu d’animation en 3D, édité en 1984. Cette saga des aventures d’une famille royale comprend huit jeux dont l’univers séduit tous les publics. En1994, elle conçoit Phantasmagoria, un jeu d’horreur avec lequel une nouvelle étape est franchie. Les personnages sont de vrais acteurs filmés sur fond bleu puis insérés dans des décors en 3D. En 1996, les Williams vendent leur société, devenue un des leaders mondiaux du jeu vidéo.
Marion PAOLI
WILLIAMS, Sue [CHICAGO HEIGHTS 1954]
Peintre américaine.
Sue Williams fait ses études d’art à la Cooper Union de New York, passe son diplôme au California Institute of the Arts en 1976, puis déménage à New York dans les années 1980. Ses premiers dessins en noir et blanc sont fortement influencés par le style des bandes dessinées et des cartoons. Les sujets qu’elle peint sont des scènes de violence domestique et d’abus sexuels envers les femmes, que l’artiste montre comme un geste de provocation et de satire (The Art World Can Suck My Proverbial Dick, 1992 ; Are You Pro-Porn or Anti-Porn ? , 1992). Une importante composante autobiographique est à la base de ses tableaux ; elle raconte avoir vécu plusieurs relations violentes avant de rencontrer son mari. Elle exprime dans ses toiles un sentiment tragi-comique, qui mélange des aspects troublants de la réalité avec un humour inattendu. Depuis le début de sa carrière, elle est engagée en tant que femme contre l’acceptation passive et récidiviste du sexisme et du machisme dans la société contemporaine. Au milieu des années 1990, S. Williams commence à accentuer l’aspect esthétique et pictural de son travail : les tableaux deviennent de plus en plus abstraits, décoratifs, presque calligraphiques, avec un entrelacement de lignes colorées. En réalité, un regard plus attentif permet de découvrir une multiplicité de figures cachées : organes sexuels et parties du corps sont dissimulés dans une composition abstraite, qui ne manque pas de rappeler les drippings de Pollock (Patriotic with Three Unfortunately Infected Testicles, 1997). Elle participe à plusieurs éditions de la Biennale du Whitney Museum of American Art, et à la Biennale de Venise en 1992. Dans les années 2000, elle développe un style expressionniste qui converge vers l’abstraction figurative. Ses formes biomorphiques sont peintes avec des couleurs vives et de larges touches de peinture flottant sur un fond blanc. En 2002, la Sécession de Vienne et l’Institut d’art moderne de Valence lui consacrent l’exposition personnelle Art for the Institution and the Home ; ce titre joue sur la double vie menée par plusieurs femmes, qui se partagent entre le travail et la vie domestique, et sur le risque pour un certain type de peinture de devenir un geste seulement décoratif. S. Williams participe en 2005 à l’exposition Extreme Abstraction, à l’Albright Knox Art Gallery à Buffalo ; son adresse new-yorkaise, la 303 Gallery, accueille en 2010 une rétrospective, Al-Qaeda Is the CIA, en l’honneur de ses vingt ans de carrière.
Lucia PESAPANE
■ Avec CHADWICK H., CROSS D., EISENMAN N. et al., Bad girls (catalogue d’exposition), Londres, Institute of Contemporary Arts, 1993 ; Art for the Institution and the Home (catalogue d’exposition), Rike F. (dir.), Cologne, König, 2002.
WILLIAMS, Venus Ebony Starr [LYNWOOD, CALIFORNIE 1980]
etWILLIAMS, Serena Janeka [SAGINAW, MICHIGAN 1981]
Joueuses de tennis américaines.
Il faut attendre 1956 pour que la première Noire, Althea Gibson, avant même ses homologues masculins, fasse son apparition dans les palmarès de tennis en remportant Roland-Garros, puis Wimbledon et les Internationaux des États-Unis l’année suivante. Comment alors imaginer que deux sœurs issues de la communauté afro-américaine pourraient un jour dominer le monde des manieuses de raquette ? De semblables destinées peuvent-elles être programmées dès la petite enfance ? Autant de questions soulevées par le parcours de Venus, l’aînée de quinze mois, et Serena Williams qui ont étalé leur règne sur trois lustres après qu’à 17 ans la première d’entre elles a, lors de l’US Open, frappé à la porte d’une finale d’un tournoi du grand chelem. De 1999 à 2012, leur duo s’est imposé à 39 reprises lors des quatre fleurons du tennis : soit par addition 22 simples, 13 doubles de leur indissociable tandem, et 4 doubles mixte, sans oublier 4 médailles d’or olympiques (1 simple et 3 doubles). C’est leur père, Richard Williams, qui, très tôt, caresse l’ambition d’en faire un jour des professionnelles et prend lui-même en main leur entraînement en 1995 ; quatre ans plus tard, lorsque ses filles se présentent de part et d’autre du filet de la finale de Key Biscayne, il est là, brandissant des pancartes provocatrices aux côtés de sa compagne, Oracene Price, et il faudra longtemps avant que leur présence se fasse plus rare, une fois le règne de leur progéniture sur la planète tennis assuré. S’il revient à Serena, qui n’a pas alors 18 ans, de s’imposer la première à l’US Open, en battant cette même Suissesse, Martina Hingis, qui avait privé Venus de la victoire en 1997, nul doute que cette dernière, physiquement plus élancée (1, 85 m, 72 kilos) aura été le modèle et l’aiguillon de sa cadette, de complexion plus massive (1, 75 m, 70 kilos). Cette émulation et leur confiance l’une dans l’autre pour faire face à toute concurrence, les ont conduites au sommet. C’est donc Venus qui a montré le chemin, avec ses 7 simples – doublé Wimbledon et US Open en 2000 et 2001, Wimbledon à nouveau en 2005, 2007 et 2008, et dès 1998 deux titres du mixte en Australie et à Roland-Garros. Mais dans leur duel familial, la puissance de Serena a pris peu à peu l’avantage, soit 13 confrontations sur 23, en des matches souvent acharnés. Le fait que lorsque Serena remporta successivement Roland-Garros, Wimbledon et l’US Open en 2002 puis l’Open d’Australie en 2003, son ultime adversaire dans les quatre finales ait été Venus, suffit à démontrer leur hégémonie. Malgré certaines éclipses dues à diverses blessures, mais aussi parce que d’autres centres d’intérêt tels que la mode et le monde du spectacle les ont, par périodes, éloignées des courts, la plus jeune a engrangé 5 succès en Australie (entre 2003 et 2010), 1 à Roland-Garros, 5 à Wimbledon et 4 à l’US Open (entre 2002 et 2012), ainsi que le simple olympique de 2012, en ne laissant aucune chance à Maria Sharapova (6/0, 6/1), et 3 Masters. Pour autant leur entente fusionnelle se manifeste lors des doubles dames où elles sont pratiquement imbattables : 13 victoires en grand chelem (4 en Australie, 2 à Roland-Garros, 5 à Wimbledon, 2 à l’US Open), et 3 médailles d’or olympiques à Sidney 2000, Pékin 2004, Londres 2012. Leurs personnalités différentes mais tendrement complémentaires, se sont inscrites non seulement sur les courts de tennis mais dans les annales du sport et de l’évolution de l’image et du rayonnement des femmes.
Jean DURRY
WILLIAMSON, Sue [LICHFIELD, ANGLETERRE 1941]
Plasticienne sud-africaine.
Arrivée en Afrique du Sud à l’âge de 7 ans, Sue Williamson est notamment diplômée de la Michaelis School of Fine Art de Cape Town en 1983. Frappée par la violence des rapports socio-politiques à l’œuvre dans le pays, elle puise dans le passé la matière d’un questionnement du temps présent et documente, de manière critique, l’actualité dont elle est témoin. En 1977, elle assiste pendant sept jours à la démolition par des agents de l’État de 2 000 habitations d’une communauté de squatters, installée à la sortie du Cap ; quatre ans plus tard, la destruction des derniers logements du District 6 dans la même ville l’incite à réaliser The Last Supper Revisited (1993) : accompagnée des témoignages des habitants expulsés, l’installation donne à voir les déchets récupérés dans la démolition ; objets intimes se mêlent aux récits oraux, aux bruits de bulldozers ou aux appels à la prière pour faire revivre la mémoire du quartier. En 1990, l’artiste crée For Thirty Years Next to His Heart, un assemblage de photographies effectué à partir du passbook de Ncithakalo John Ngesi, sorte de passeport interne, « symbole de terreur », selon elle, que tout Noir africain devait porter sur lui, sous peine d’être immédiatement arrêté – pendant longtemps, les Noirs n’étaient pas autorisés à vivre ou à travailler dans une zone « blanche » en Afrique du Sud. Ce document contenait la mention des différents emplois de son propriétaire, datés et localisés depuis 1955, la confirmation qu’il payait ses taxes et autres renseignements. Accrochées selon les principes d’une grille moderniste, mêlant l’intime au juridique, le mémoriel à l’administratif, ces pages semblent plonger l’individu dans l’anonymat, alors que pendant trente ans elles constituaient son unique papier d’identité. Dans la série Better Lives présentée à la Biennale de Dakar en 2004, des migrants venus au Cap racontent leurs parcours souvent douloureux. S. Williamson a exposé dans de nombreuses expositions collectives et individuelles, ainsi qu’au sein de plusieurs biennales. Artiste mais également critique et éditrice, elle contribue, à sa façon, à promouvoir les artistes sud-africains, tout en poursuivant une action politique et militante.
Maureen MURPHY
■ Sue Williamson : plasticienne, Bester R. (textes), Montreuil, Éd. de l’œil, 2005.
■ JOUANNAIS J.-Y. (dir.), Un art contemporain d’Afrique du Sud, Paris, Plume, 1994.
WILLIS, Beverly [TULSA, OKLAHOMA 1928]
Architecte et artiste américaine.
Après avoir étudié l’ingénierie et les beaux-arts dans les universités de l’Oregon et d’Hawaï, Beverly Willis a ouvert un atelier, réalisant des œuvres multimédias et des peintures murales pour le Sheraton Hawaiian Village, à Honolulu. En 1958, elle a fondé l’agence Beverly Willis Architects à San Francisco. Au cours des trente années suivantes, et sur plus de 700 projets, soit en tant que conceptrice, soit en tant que consultante, elle a souvent été à la pointe de l’innovation architecturale, sur les plans esthétique, social et technologique. La rénovation et l’extension primées de boutiques de San Francisco, les Union Street Stores (1963-1954), et l’ensemble résidentiel Vine Terrace Apartments (1972-1975) ont été internationalement reconnus pour leur approche novatrice dans un contexte urbain. Avocate majeure du post-modernisme dans l’architecture américaine des années 1970, elle a conçu nombre de bâtiments culturels qui réunissent son art, son sens du plan et ses connaissances d’ingénieure. Son projet le plus célèbre est le bâtiment du Ballet de San Francisco (1979-1982) qui répond à l’échelle, à la texture et à l’esprit de l’architecture néo-Renaissance de l’environnement, tout en comblant les besoins d’espace des danseurs. B. Willis a été une personnalité essentielle du monde de l’architecture américaine. Son agence, qui a compté 35 employés, a été l’une des premières à introduire la conception de plans assistés par ordinateur avec le programme Carla (Computerized Approach to Residential Land Analysis, 1971), créé et développé dans son cabinet. En 1995, elle a fondé l’Architecture Research Institute à New York et a été l’une des initiatrices, en 2001, de R-Dot (Rebuild-Downtown Our Town), un groupe de citoyens dont l’objectif est de soutenir les actions « socialement durables » dans la partie basse de Manhattan. Elle a également créé la fondation Beverly Willis Architecture, en 2002, pour faire progresser le statut des femmes qui travaillent dans l’architecture et les disciplines qui y sont liées. Membre de l’Institut américain des architectes (AIA), elle a été plusieurs fois honorée : en 1969, elle a reçu la médaille d’or Phoebe-Hearst pour son travail à San Francisco et, en 1982, un doctorat honoris causa de la très sélective université des arts du Mount Holyoke College.
Cynthia HAMMOND
■ Invisible Images : the Silent Language of Architecture, Washington National Building Museum, 1997.
■ LORENZ C., Women in Architecture, a Contemporary Perspective, New York, Rizzoli, 1990.
WILLS, Helen (ou WILLS MOODY) [BERKELEY 1905 - CARMEL 1998]
Joueuse de tennis américaine.
Durant l’entre-deux-guerres, Helen Wills a succédé à Suzanne Lenglen* à la tête du tennis féminin. En juillet 1923 – déjà finaliste l’année précédente mais, à moins de 18 ans, nettement battue (3/6, 1/6) –, H. Wills avait mis un terme à la suprématie américaine de Molla Bjurstedt Mallory (sept titres en huit éditions depuis 1915) sur le tournoi de Forest Hills (6/2, 6/1). Elle s’y imposera encore à six reprises (1924, 1925, 1927 à 1929, 1931). Il est encore trop tôt pour Wimbledon, dont elle a atteint la finale en 1924 – année d’un premier retrait de S. Lenglen, en mauvaise santé –, menant par un set et manquant quatre balles de 5/1 en sa faveur dans le second, avant de laisser Kitty McKane, coqueluche des Anglais, refaire son retard et prendre le dessus. Double gagnante des Jeux olympiques de Paris en 1924, elle y affirme à moins de 19 ans sa classe internationale, dans le simple et le double (avec Hazel Wightman). À partir de 1927, tout est au point. Avec son jeu fondé sur la qualité de son service et de son coup droit qui lui donne depuis le fond du court un ascendant sans faille, elle va, sans perdre (après le premier tour) un set non plus qu’en aucune autre compétition entre 1927 et 1933, remporter huit fois Wimbledon (1927 à 1930, 1932 et 1933, 1935, revenant une dernière fois en 1938 pour surpasser le record des sept victoires de Dorothea Lambert Chambers) et les Internationaux de France à quatre reprises (1928 à 1930, 1932). Impassible sur les terrains, elle semblait hautaine et détachée, ne logeant que dans les plus grands hôtels, fréquentant la haute société, s’isolant des autres joueuses et ne partageant pas sa voiture. En revanche, elle ne discutait jamais une décision d’arbitre, se déplaçant durant les parties à son rythme et sans effort inutile afin de garder une réserve d’énergie. Sous la visière protégeant son regard bleu et en socquettes – car c’est elle qui en 1927 à Wimbledon se débarrassa des bas à élastiques au-dessus du genou jusque-là de rigueur –, H. Wills maîtrisait le jeu et ses adversaires. Une seule d’entre elles refusa cette supériorité, Helen Jacobs (1908-1997), née également à Berkeley, mais dans un milieu plus modeste. Aimée du public, H. Jacobs, qui fut en 1933 la première femme à porter des shorts à Wimbledon, fut en quatre occasions finaliste malheureuse face à H. Wills. En fait, elle ne l’emporta qu’une fois dans leurs duels, à Forest Hills en 1933 ; mais le retrait d’H. Wills dominée 3/0 au troisième set et incapable de poursuivre, dos bloqué en raison d’un problème vertébral qui allait l’immobiliser plusieurs mois, la priva du plaisir d’une victoire complète. Derrière ses airs stoïques, H. Wills dissimulait en fait une réelle sensibilité artistique et poétique.
Jean DURRY
■ COCHET H., Histoire du tennis, Paris, Stock, 1980.
WILMS MONTT, Teresa [VIÑA DEL MAR 1893 - PARIS 1921]
Écrivaine et poétesse chilienne.
Mariée à 17 ans contre la volonté de sa famille, Teresa Wilms Montt commence à écrire à 19 ans, comme si elle trouvait là une façon, pour son esprit indépendant et rebelle, d’échapper aux conflits conjugaux. Elle vit d’abord à Santiago, à Valdivia, puis à Iquique où elle fréquente les milieux littéraires, politiques et francs-maçons. Après la découverte de son infidélité, elle est séparée de ses deux filles et cloîtrée par la famille de son mari au couvent de la Preciosa Sangre à Santiago, en 1915. Elle commence alors à rédiger son journal intime, qui sera publié longtemps après sa mort. En 1916, elle s’échappe du couvent avec l’aide de son ami le poète Vicente Huidobro. Ils fuient ensemble à Buenos Aires, où elle publie ses deux premiers livres : Inquietudes sentimentales, un recueil de 50 poèmes d’inspiration surréaliste qui a connu un grand succès dans les cercles intellectuels de la capitale argentine ; et Los tres cantos (« les trois chants »), également reconnu, qui explore l’érotisme et la spiritualité. En 1918, l’écrivaine s’installe à Madrid où elle fréquente les grands auteurs de son époque et publie Anuarí, un ouvrage inspiré de sa relation amoureuse avec un poète argentin qui s’est suicidé. En la quietud del mármol (« dans la tranquillité du marbre », 1918), avec une introduction de Ramón María del Valle-Inclán, est publié à Barcelone et Cuentos para los hombres que todavía son niños (« contes pour les hommes qui sont encore des enfants », 1919), à Buenos Aires. Il s’agit du récit de son enfance et d’autres expériences de sa vie, à travers une narration originale teintée de fantastique. Après cinq années de séparation, elle retrouve ses filles à Paris, en 1920, et continue d’écrire et de collaborer à plusieurs revues littéraires. En 1921, après le départ de ses filles qui retournent au Chili, elle s’empoisonne. Dans les dernières pages de son journal, elle écrit : « Mourir, après avoir tout ressenti et n’être rien… » Ses œuvres complètes ont été publiées en 1995 à Mexico sous le titre Libro del camino.
Felipe ABÉ
■ GONZÁLEZ-VERGARA R., Teresa Wilms Montt, un canto de libertad, Santiago, Grijalbo, 1993.
WILSON, Cassandra [JACKSON, MISSISSIPPI 1955]
Chanteuse de jazz et de blues américaine.
Enfant prodige, Cassandra Wilson a commencé sa carrière au berceau, sous la férule de son père, bassiste. Entre 6 et 12 ans, elle apprend le piano classique puis la guitare, nourrie d’Ella Fitzgerald*, de Billie Holiday*, de Sarah Vaughan* et de folk songs. En 1986, elle publie son premier album, Point of View, mais trouve son style quelques années plus tard, lorsqu’elle affirme son intérêt pour le blues dans Blue Light Til’Dawn, en 1993, où elle reprend des classiques de Robert Johnson. « Je n’ai découvert le blues qu’à 20 ans », dit-elle. « Pour Belly of the Sun, j’ai tenu à revoir le Mississippi, où se trouvent tant de grands musiciens comme ce vieux pianiste de Greenville, Boogaloo Ames, mort depuis. J’ai installé l’équipe dans une gare désaffectée pour mieux sentir l’ambiance. » En 2003, elle participe au film de Wim Wenders sur le blues, The Soul of a Man, où elle interprète Vietnam Blues, un morceau de J. B. Lenoir. Mais son vrai sommet demeure certainement Thunderbird, enregistré avec le guitariste américain Marc Ribot, ballade moderne inspirée par le Delta du Mississippi. La diva imprime sa marque sur la musique noire contemporaine et a été l’une des premières chanteuses à réconcilier les idiomes de la pop et du jazz.
Stéphane KOECHLIN
■ Dance to the Drums Again, Columbia, 1992 ; Blue Light Til’Dawn, Blue Note, 1993 ; New Moon Daughter, Blue Note, 1995 ; Rendez-Vous, Blue Note, 1998 ; Thunderbird, Blue Note, 2006.
■ The Soul of a Man, Wim Wenders, 103 min, 2003.
WILSON, Deirdre [1941]
Linguiste britannique.
Étudiante en philosophie à Oxford, Deirdre Wilson s’oriente ensuite vers la linguistique. Elle poursuit ses études au Massachusetts Institute of Technology (MIT), où elle fait une thèse en 1974 sous la direction de Noam Chomsky. De retour en Angleterre, elle devient professeure à l’University College de Londres, en sciences du langage. Elle a contribué à créer un modèle cognitiviste de la pragmatique, notamment par l’élaboration, avec Dan Sperber, d’une théorie dite « de la pertinence » (relevance), exposée dans La Pertinence, communication et cognition (1986). Ce modèle théorique caractérise du point de vue cognitif certains aspects des actes de langage en situation, et montre en particulier la relation qui existe entre le coût des efforts d’interprétation (les inférences) et celui des effets produits, dans un contexte déterminé comme pertinent par l’interlocuteur. Ses travaux en font une autorité internationalement reconnue en pragmatique, et dans le domaine plus général des sciences du langage.
Thomas VERJANS
■ Avec SPERBER D., La pertinence, communication et cognition (Relevance, Communication and Cognition, 1986), Paris, Éditions de Minuit, 1989.
■ Presuppositions and Non-Truth-Conditional Semantics, Londres, Academic Press, 1975 ; avec SMITH N., Modern Linguistics : the Results of Chomsky’s Revolution, Bloomington, Indiana University Press, 1979.
WILSON, Sandra [REIMS XXe siècle]
Entrepreneuse canadienne.
Sandra Wilson est considérée comme la chef de file du mouvement des mères entrepreneuses ou « mompreneurs ». Licenciée de Canadian Airlines après huit ans passés dans l’entreprise, cette mère d’un petit garçon de 18 mois inventa les chaussons pour bébés Robeez, pourvus de semelles souples, et créa son entreprise à domicile en 1994. D’un produit conçu pour améliorer le bien-être de son enfant, elle fit ainsi une affaire très rentable. Elle lança en 1997 son site Internet et s’installa en 1999 dans de véritables locaux, dans la banlieue de Vancouver. Elle exporta rapidement ses chaussons aux États-Unis puis en Europe, et son chiffre d’affaires explosa au cours des années 2000. En 2005, Robeez fabriqua 130 000 paires de chaussons de 70 modèles différents. S. Wilson revendit en 2006 l’entreprise artisanale devenue une société multinationale au groupe américain Stride Rite.
Alban WYDOUW
■ CAILLIAU J., « Quand maman se lance dans les affaires », in Les Affaires, Montréal, 4-7-2009 ; MARTIN L., « Mères au foyer… et entrepreneurs », in Le Nouvel Observateur, 9-10-2008.
WIMMEN’S COMIX – MAGAZINE DE BANDE DESSINÉE [États-Unis XXe siècle]
« Nous avons parcouru la scène underground pour conclure qu’elle n’était qu’un club pour garçons à la porte bien verrouillée, et sans aucune pièce pour les femmes. » C’est ainsi que Trina Robbins* parlera plus tard de son voyage à San Francisco, à la fin de l’année 1969, une ville considérée alors comme La Mecque de la bande dessinée underground. Et c’est en réaction à cette attitude misogyne que T. Robbins et d’autres dessinatrices américaines avant elle ont eu l’idée et l’envie de se regrouper pour fonder des comic books de femmes, destinés aux femmes, qui traiteraient de sujets jusqu’alors évités, voire maltraités, par les hommes. Historiquement, le premier de ces fascicules collectifs s’intitule It Ain’t Me, Babe Comix. Édité en 1970 par Last Gap, sous-titré Women’s Liberation, il regroupe quelques-unes des auteures que l’on retrouvera au fil des pages de Wimmen’s Comix. Deux ans plus tard, les lignes directrices de cette revue sont données lors d’une réunion à laquelle assistent 11 fondatrices : Michelle Brand, Lora Fountain, Karen Marie Haskell, Aline Kominsky, Lee Marrs, Pat Moodian, Terry Richards, T. Robbins, Sharon Rudahl, Shelby Sampson et Janet Wolfe Stanley. « Elles ont organisé une direction éditoriale tournante, explique Denis Kitchen (dans Comix, the Underground Révolution, 2004), de sorte que chaque membre a eu la possibilité d’éditer au moins un numéro, et n’importe quelle contributrice qui pouvait assister aux réunions avait son mot à dire pour le développement de chaque parution. Ayant connu l’expérience de l’exclusion, le collectif de Wimmen’s Comix a fait attention à ne pas en provoquer d’autres. » Chaque numéro provoquait en revanche de nouvelles contributions provenant des États-Unis et, par la suite, d’Europe. Citons entre autres Alison Bechdel*, Julie Doucet*, Mary Fleener, Melinda Gebbie, Phoebe Gloeckner, Roberta Gregory*, Diane Noomin, Caryn Lescher, Carol Lay, Dori Seda, Leslie Sternbergh ou Carol Tyler qui collaborèrent à un ou plusieurs des 17 numéros parus entre novembre 1972 et août 1992. Plus que d’autres périodiques du même esprit, Wimmen’s Comix a eu une influence considérable, notamment parce qu’il offrait des récits autobiographiques et ce, dès le premier numéro (un récit signé A. Kominsky). Les bandes publiées ont abordé l’ensemble des préoccupations qui touchaient les femmes durant ces deux décennies, sensibilisant les lectrices sur leur rôle, leur statut dans la société, leur valeur vis-à-vis des hommes, leur sexualité, leur santé ou leur maternité.
Christian MARMONNIER
WINCHELSEA, Anne Finch, comtesse de VOIR FINCH, Anne
WINCKELMANN, Maria Margarethe (épouse KIRCH) [PANITSCH 1670 - BERLIN 1720]
Astronome allemande.
Fille d’un pasteur luthérien établi près de Leipzig, Maria Margarethe Winckelmann est initiée à l’astronomie par une figure locale, l’astronome et paysan Christoph Arnold. Elle rencontre chez lui son futur mari, Gottfried Kirch, astronome allemand le plus connu de l’époque et de trente ans son aîné, auprès de qui elle trouve l’opportunité d’assouvir sa passion. En 1700, G. Kirch obtient le titre prestigieux et envié d’astronome royal et le couple déménage à Berlin. L’observatoire de Berlin devient alors une affaire de famille, l’astronome dirigeant les travaux de sa femme et de ses trois sœurs. Chaque soir, les époux s’installent sous la coupole et observent les cieux. Travaillant en symbiose, ils effectuent des observations inaccessibles à une personne seule. En 1702, lors d’une de ces nuits studieuses, M. M. Winckelmann découvre une comète inconnue. Ce fait aurait dû lui valoir une reconnaissance et l’entrée dans la prestigieuse communauté des découvreurs d’astres. Cependant, bien que G. Kirch lui-même ne cesse de répéter et d’écrire que sa femme est bien l’auteure de la découverte, le rapport adressé au roi de Prusse, ainsi que sa publication dans les Acta Editorium, ne mentionne que son nom. Pour la jeune Académie de Berlin, la découverte d’une comète représente un exploit scientifique et les enjeux sont trop importants pour être laissés aux mains d’une femme. M. M. Winckelmann signe pourtant sous son propre nom trois traités importants sur les aurores boréales, la conjonction de Vénus et de Saturne de 1709, et celle de Jupiter et de Saturne de 1712. Par ailleurs, le couple se consacre également à un projet d’envergure : l’établissement d’un calendrier prussien, catholiques et protestants d’Allemagne utilisant des calendriers différant de dix jours. À la mort de son mari en 1710, M. M. Winckelmann se présente à un poste officiel d’astronome qui, malgré le soutien de Leibniz, lui est refusé par l’Académie de Prusse, au motif que celle-ci ne peut risquer d’endurer le ridicule d’un calendrier établi par une femme. L’astronome quitte l’observatoire de Berlin et s’installe à Dantzig, dans l’ancien observatoire d’Elisabeth Hevelius*. Devant l’incompétence du successeur de G. Kirch, l’Académie décide de nommer son fils, Christfried, à la tête de l’observatoire, étant entendu que, peu expérimenté, il pourrait profiter des conseils de sa mère. Cependant, dès 1717, on lui reproche de trop se mêler des affaires de la Société d’astronomie et de ne pas s’effacer lorsque des étrangers visitent l’observatoire. Elle est de nouveau contrainte de quitter l’observatoire et fait installer des instruments à son nouveau domicile afin de poursuivre son observation des astres.
Eric SARTORI
■ GILLISPIE C. C., Dictionary of Scientific Biography, New York, Charles Scribner’s Sons, 1970-1990 ; OGILVIE M. B., Women in Science : Antiquity Through the Nineteenth Century, a Biographical Dictionary With Annotated Bibliography, Cambridge, The MIT Press, 1990.
■ SCHIEBINGER L., « Maria Winckelmann at the Berlin Academy : A turning point for women in science », in Isis, Journal of the History of Science Society, Berlin, Springer-Verlag, no 78, 1987.
WINEHOUSE, Amy [LONDRES 1983 - ID. 2011]
Chanteuse et compositrice de pop et de soul anglaise.
Fille d’une pharmacienne et d’un chauffeur de taxi, Amy Winehouse se révèle à 20 ans avec son premier disque, le remarqué Frank. La presse britannique découvre en cette chanteuse très étonnante une passionnée de jazz (par Sarah Vaughan*, entre autres), mais aussi une forte personnalité. Son talent éclate surtout dans son deuxième album, Back to Black, sensation de l’année 2006. La première surprise demeure la voix vigoureuse, très chaude et rauque, en opposition avec la pâle figure de la jeune femme figurant sur la pochette. La deuxième vient de sa musique, formidable héritage de la grande musique noire. A. Winehouse s’y révèle excellente compositrice. Ses chansons, Rehab – évoquant ses nombreuses cures de désintoxication – et You Know I’m No Good, rappellent la soul des années 1970, Roberta Flack en particulier ; les chœurs et cuivres de Me and Mr. Jones, l’époque de Tamla Motown* et de groupes comme les Shangri-Las ou les Marvelettes, et le titre Back to Black semble avoir emprunté ses arrangements aux Supremes. Drogues et alcool viendront à bout de la chanteuse, qui meurt en 2011, à l’âge de 27 ans.
Stéphane KOECHLIN
■ Frank, Island, 2003 ; Back to Black, Island, 2006 ; Lioness : Hidden Treasures, Island, 2011.
WINFREY, Oprah [KOSCIUSKO, MISSISSIPI 1954]
Journaliste, productrice de télévision, femme d’affaires et philanthrope américaine.
Certainement la journaliste américaine la plus connue au monde, Oprah Winfrey n’est ni la première journaliste noire ni la première femme à animer une émission de grande écoute, ni sans doute la première afro-américaine millionnaire, mais sa trajectoire est unique. Elle anime le programme supposé être le plus regardé au monde et est une des femmes les plus riches d’Amérique, alors que toutes les mauvaises fées du social s’étaient penchées sur son berceau : la pauvreté, la violence et, à 14 ans, la maternité précoce suivie par la mort de son enfant. Pourtant, avant même d’avoir 18 ans, elle commence à travailler pour une station de radio. En moins de trois ans, entre 1983 et 1986, elle fait d’un talk-show peu écouté d’une télévision de Chicago une émission diffusée dans toute l’Amérique. Bien qu’il n’ait en lui-même rien de très original, l’Oprah Winfrey Show, relayé par plus de 200 chaînes affiliées à CBS, sans parler des télévisions étrangères, provoque un séisme audiovisuel à la seule idée de son interruption. Les personnalités qu’Oprah Winfrey interroge sont, certes, de plus en plus célèbres, mais le succès est surtout dû à la personnalité de la journaliste. À l’écoute de ses invités, elle pleure et rit avec eux, évoque sa propre expérience dans ce qu’elle a de plus intime, mettant en scène ce que l’on a pu considérer comme des thérapies de groupe diffusées devant des millions de personnes. À sa manière, rassembleuse et non polémique, elle fait aussi campagne pour des causes telles que la défense de l’homosexualité, la dénonciation de la guerre, la promotion des femmes, le goût de la littérature. La rumeur veut que son engagement en faveur de Barack Obama lui aurait apporté des millions de dollars et plus d’un million de voix lors des primaires démocrates. Désormais à la tête d’un véritable empire, avec ses émissions de radio et de télévision, son magazine et ses productions de films, elle a lancé, en 2011, sa propre chaîne câblée : Oprah Winfrey Network. Ses activités philanthropiques sont à la mesure de sa fortune : colossales. En Afrique du Sud, pendant trois semaines avec toute son équipe, elle visite écoles et orphelinats, offrant des cadeaux et appelant les téléspectateurs américains à faire des dons pour l’Afrique et la lutte contre le sida. Elle est régulièrement à la tête du palmarès des personnalités les plus influentes du monde établi par le magazine Forbes.
Cécile MÉADEL
■ ILLOUZ E., Oprah Winfrey and the Glamour of Misery : An Essay on Popular Culture, New York, Columbia University Press, 2003.
WINGER, Debra [CLEVELAND HEIGHTS 1955]
Actrice et productrice américaine.
Issue d’une famille juive orthodoxe, Mary Debra Winger part vivre dans un kibboutz en Israël en 1972, avant de suivre des cours d’art dramatique aux États-Unis. Elle obtient son premier grand rôle en 1980 dans Urban Cowboy de James Bridges. Elle est nommée une première fois aux Oscars en 1983 pour son rôle dans Tendres passions, de James L. Brooks, aux côtés de Shirley MacLaine* et de Jack Nicholson, puis à nouveau en 1990 pour Les Ombres du cœur, de Richard Attenborough. Elle se retire ensuite du monde du cinéma pendant plusieurs années, décision qui inspirera à la comédienne Rosanna Arquette* la production et la réalisation d’un documentaire où elle interroge de nombreuses comédiennes sur leur vie et leur travail. En 2011, D. Winger fait partie du jury du VIe Festival international du film de Rome.
Annie SCHMITT
WINITCHAIKUL, Wo (WINITA DITHIYON, née WINITCHAIKUL, dite) [BANGKOK 1949]
Romancière thaïlandaise.
L’auteure signa du nom de Wo Winitchaikul ses romans réalistes et historiques, écrivit sous celui de Kaew Kao des romans de science-fiction, psychologiques et fantastiques, et utilisa aussi les pseudonymes Rakroy Paramita Wasika et Aksonrani. Diplômée de l’université Chulalongkorn et de la Northern Colorado University, elle fut enseignante au département de littérature thaïlandaise de l’université Silapakorn. De nombreuses œuvres de Wo Winitchaikul se virent décerner des récompenses tant publiques que privées. Parmi ces œuvres, on peut citer : Rattanakosin, Song Fang Khlong, « les deux rives du canal » ; Sen Mai Si Ngeun, « le fil de soie argenté » ; Pha Thong, « l’étoffe dorée » ; Malai Sam Chai, « la guirlande de fleur à trois franges » ; Ratri Pradap Dao, « la nuit étoilée ». Outre des romans, elle écrivit aussi des nouvelles, comme Wattachak (« cycle »), primée dans la catégorie « Roman scientifique » par la revue Miti Thi 4 en 1985, et des livres d’enquête comme Saw Kap Suay pay America (« jeune et jolie en Amérique »). D’autres prix et nominations jalonnèrent sa carrière, parmi lesquels le prix pour la Préservation du patrimoine linguistique et littéraire de Thaïlande (1994) et le prix de la Culture thaïlandaise (1997). Elle fut déclarée Artiste nationale des lettres en 2004 et, en 2008, reçut le prix Surintracha pour son travail de traductrice. Son style est reconnaissable par un choix de mots et un rythme qui lui sont propres. Les thèmes qu’elle aborde sont modernes, mais elle les inscrit dans le contexte plus large de l’histoire, de la culture, des coutumes, de la littérature et des arts thaïlandais. Présentant de façon agréable et distrayante des leçons sur la vie et la société, elle inclut aussi parfois des enseignements et préceptes bouddhiques. Nombre de ses œuvres ont été adaptées pour le cinéma, la télévision et le théâtre.
Pantipa CHUENCHAT
WINKELMANN, Emilie [AKEN, SAXE-ANHALT 1875 - DETMOLD, RHÉNANIE-DU-NORD-WESTPHALIE 1951]
Architecte allemande.
Formée de 1892 à 1902 dans l’atelier de charpenterie de son grand-père, notamment au dessin de plans, puis chez des architectes de Berlin, Dortmund et Bochum, Emilie Winkelmann a été exceptionnellement acceptée comme auditrice du département d’architecture de l’École supérieure technique de Hanovre, de 1902 à 1907, après avoir fait preuve de ses talents particuliers, mais ne put, en tant que femme, passer le diplôme. Elle fut la première femme à ouvrir une agence en Allemagne, après avoir remporté le concours ouvert en 1907 à Berlin pour une salle des fêtes et un théâtre. Achevé en 1908, le bâtiment fut largement commenté dans la presse, et sa conception fut admirée. Dans la foulée, elle obtint des commandes de villas bourgeoises et, en 1909, remporta un concours pour le dessin de la façade d’une pension, puis fut chargée de la transformation d’un hôtel. Le succès fut tel que des clients lui confièrent les transformations et constructions de leur propriété hors de Berlin. Elle en réalisa plus d’une soixantaine jusqu’au début des années 1930. En 1910, E. Winkelmann construisit un immeuble à loyer bourgeois dans le quartier berlinois de Westend. Comme les villas, il se caractérise par une architecture de qualité et de prestige, avec un dessin de façade clair. Les plans sont fonctionnels, les matériaux et éléments décoratifs sont traités avec une grande attention dans les détails. En 1912, elle présenta à l’exposition berlinoise Die Frau in Haus und Beruf (« la femme à la maison et au travail ») 33 projets qui furent pour la plupart réalisés. Participant au mouvement des femmes, elle obtint ainsi quelques commandes, dont le pavillon de la Haus der Frau, la « maison de la femme », à l’exposition de l’industrie du livre et du graphisme, à Leipzig, en 1914, pour laquelle elle obtint la Médaille d’or décernée par la Ville. Elle employait alors 14 personnes dans son agence. À la suite de la participation à d’autres concours, elle reçut la commande du foyer d’étudiants Victoria et d’un théâtre, à Charlottenburg (1914-1916). Par ses projets, ses participations aux expositions et ses publications, E. Winkelmann avait atteint une telle reconnaissance que l’Institut orientaliste de l’Université de Berlin lui commanda un travail préparatoire pour une Haus der Freundschaft (« maison de l’amitié ») à Constantinople, regroupant des salles de conférences et d’expositions, des lieux d’études et des appartements. Elle en dessina deux versions, monumentale et néoclassique. Après la Première Guerre mondiale, son succès fut moindre. Elle chercha à renouer avec les évolutions en cours, en s’inscrivant non dans le Mouvement moderne mais dans le programme de logements de la nouvelle République, et participa à plusieurs expositions et concours. En 1928, elle fut admise à l’Union des architectes allemands (BDA) et réalisa encore une grande maison à Berlin-Grunewald. Elle participa à l’exposition berlinoise de l’Association allemande des citoyennes, Die gestaltende Frau (« la femme créatrice »), en 1930. En 1938, elle devint membre de la Chambre de la culture du Reich et continua de se dédier à la transformation de grandes propriétés de campagne. Exerçant jusqu’à sa mort, E. Winkelmann ne sortit de l’oubli qu’à l’occasion de l’exposition sur l’histoire des femmes architectes organisée en 1984 par l’Union internationale des femmes architectes. Six de ses maisons à Berlin sont protégées au titre des Monuments historiques et une rue porte son nom à Bergkamen.
Kerstin DÖRHÖFER
■ DÖRHÖFER K., Pionierinnen in der Architektur. Eine Baugeschichte der Moderne, Tübingen, Wasmuth, 2004.
■ SCHMIDT-THOMSEN H., « Frauen in der Architektur, Neue Berufswege seit der Jahrhundertwende », in UNION INTERNATIONALE DES FEMMES ARCHITECTES, SEKTION BUNDESREPUBLIK (dir.), Architektinnenhistorie, Berlin, 1984.
WINNICOTT, Clare (née BRITTON) [LONDRES 1907 - ID. 1984]
Psychanalyste britannique.
Assistante sociale, Clare Britton s’est beaucoup occupée, au cours de la Seconde Guerre mondiale, des enfants anglais évacués des villes lors des bombardements et c’est à cette époque qu’elle rencontre Donald Winnicott, qu’elle épouse. Elle deviendra psychanalyste tout en poursuivant son travail auprès d’enfants délaissés et en dispensant un enseignement à la London School of Economics. Devenue une figure exemplaire du travail social, dans les milieux les plus défavorisés, elle sera l’inspiratrice d’un ouvrage de référence de Joël Kanter sur ce qui aura été la grande aventure de sa vie : Face to Face with Children. The Life and Work of Clare Winnicott (2004), regroupant des articles, des interviews, des correspondances et des conférences de celle qui restera la fidèle compagne de travail et d’élaborations cliniques de D. Winnicott. Avec lui, elle collaborera à plusieurs ouvrages dont Deprivation and Delinquency (1984) et Babies and their Mothers paru en 1987.
René MAJOR
■ Avec WINNICOTT D., Le Bébé et sa mère (Babies and Their Mothers, 1987), Paris, Payot, 1992.
■ KANTER J., Face to Face with Children. The Life and Work of Clare Winnicott, Londres, Karnac Books, 2004.
WINSNES, Hanna [DRAMMEN 1789 - HAMAR 1872]
Auteure norvégienne de livres de cuisine et d’économie domestique.
Orpheline à 15 ans, Hanna Winsnes a commencé sa vie professionnelle en dirigeant le ménage de sa sœur aînée mariée à un riche commerçant provincial. Mariée à 28 ans à un pasteur luthérien député à l’Assemblée nationale, elle devient responsable de l’administration d’une grande maison. Dans le même temps, cette autodidacte publie des poèmes, des contes populaires où l’on peut reconnaître l’influence de romanciers étrangers, comme le Français Paul de Kock, des romans et des guides culinaires. Son roman Grevens datter (« la fille du comte »), où elle prend partie en faveur de la Constitution norvégienne qu’elle juge plus démocratique que la Constitution danoise, a été interdit au Danemark. Son principal ouvrage, grand classique de l’art culinaire norvégien, est le Laerebog i de forskjellige grene af husholdningen (« manuel de l’art domestique », 1845) dont on connaît 13 éditions. Membre de l’élite, elle écrivait surtout pour les classes aisées, mais elle a aussi publié For fattige husmødre (« pour les femmes de ménages pauvres », 1857), un projet lancé par Eilert Sundt, le grand pionnier de la sociologie en Norvège.
Henry NOTAKER
WINTER, John Strange (Henrietta Eliza VAUGHAN STANNARD, dite) [YORK 1856 - PUTNEY 1911]
Romancière et nouvelliste britannique.
John Strange Winter tente de publier une histoire à l’âge de 14 ans, Clotilde Vengeance or the Story of the French Revolution, sans succès, et commence à écrire pour des magazines, dont le Family Herald en 1874 sous le pseudonyme Violet Whyte, des récits sentimentaux surtout relatifs à la vie militaire. En 1885, deux de ses histoires (Bootles Baby, « histoire de lanciers rouges » ; A Born Soldier, « un soldat né ») sont publiées en feuilleton et établissent sa réputation. Elle devient une auteure prolifique, avec plus de 100 livres divertissants, légers et amusants. Elle fonde et dirige un journal de 1891 à 1894, Winter’s Weekly. Journaliste infatigable, elle partage les préoccupations et luttes féministes de l’époque. Elle a été la première présidente du Writers’Club et, de 1901 à 1903, présidente de la Société des femmes journalistes. Si son œuvre n’est guère originale – histoires d’infidélités où se testent l’innocence et la culpabilité –, elle n’en reflète pas moins parfaitement la vie des classes moyennes auxquelles elle appartenait.
Michel REMY
WINTERS, Margaret [XXe siècle]
Linguiste américaine.
Après des études de français dans les universités de Riverside (Californie) et de Reims, puis de philologie romane à l’université de Pennsylvanie, Margaret Winters devient professeure à l’université de Wayne (Michigan). Spécialiste de l’histoire des langues, notamment romanes, ses recherches s’orientent dans deux directions : l’édition de textes, avec les publications de Hunbaut (1984) et du Lai de l’ombre (1986), et les modélisations à fondements cognitifs du changement linguistique, avec une application à la linguistique diachronique des travaux de la psychologue Eleanor Rosch* autour de la notion de prototype.
Thomas VERJANS
■ The Romance of Hunbaut, an Arthurian Poem of the Thirteenth Century, Winters M. (éd.), Leyde, Brill, 1984 ; RENART J., The Lai de l’ombre, Edited from Manuscript E, Winters M. (éd.), Birmingham, Summa, 1986.
■ PÜTZ M. (dir.), « Diachrony Within Synchrony : The Challenge of Cognitive Grammar », in Thirty Years of Linguistic Evolution, Amsterdam, J. Benjamins, 1992.
■ « Diachronic Prototype Theory : On the Evolution of the French Subjunctive », in Linguistics, no 27, 1989.
WINTERSON, Jeanette [MANCHESTER 1959]
Romancière britannique.
Élevée par des parents adoptifs d’un milieu ouvrier du nord de l’Angleterre, Jeanette Winterson quitte très jeune le domicile familial, subvenant à ses besoins par des travaux de toute sorte tout en poursuivant ses études. Elle écrit son premier roman en 1984 à sa sortie d’Oxford où elle étudiait la littérature, et devient écrivaine à part entière à partir de 1987. Elle passe ainsi son temps entre une boutique de traiteur de luxe qu’elle a ouverte à Londres dans le quartier branché au nord de la City et sa maison dans le Gloucestershire, où elle écrit ses romans et contribue à de nombreux journaux. Si on a qualifié ses romans de sulfureux, c’est qu’elle y met en scène des personnages hors normes et entraîne le lecteur bien loin des sentiers battus par son imagination absolument débordante et une écriture sans cesse surprenante.
Geneviève CHEVALLIER
■ Les oranges ne sont pas les seuls fruits (Oranges Are Not the Only Fruit, 1985), Paris, Des femmes-Antoinette Fouque, 1991 ; La Passion de Napoléon (The Passion, 1987), Paris, Robert Laffont, 1989 ; Pourquoi être heureux quand on peut être normal ? (Why Be Happy When you Could be Normal ? , 2011), Paris, Éditions de l’Olivier, 2012.
■ REYNIER C., Jeannette Winterson, le miracle ordinaire, Pessac, Presses universitaires de Bordeaux, 2004.
WINTHROP, Margaret (née TYNDAL) [ESSEX vers 1591 - BOSTON 1647]
etWINTHROP, Lucy (épouse DOWNING) [GROTON MANOR, SUFFOLK 1601 - LONDRES 1679]
Épistolières américaines.
Les premiers écrits des puritains de l’Amérique du XVIIe siècle sont apparus essentiellement sous la forme de récits à la première personne, dans des journaux intimes et dans des lettres adressées aux familles et aux amis demeurés en Europe, souvent écrits par des femmes qui pouvaient ainsi raconter leur propre histoire, mais peu de ces documents ont subsisté jusqu’à nos jours. S’il exerçait une oppression sur la culture de la période coloniale et sur le développement de la littérature féminine, le puritanisme a fait de l’écriture un moyen privilégié pour l’exploration de l’âme en prônant l’importance du Salut comme expérience personnelle, et, paradoxalement, a ainsi offert aux voix féminines la possibilité de s’exprimer dans des lettres et dans des poèmes.
À côté d’auteures communément reconnues telles que Anne Bradstreet ou Mary White Rowlandson, en raison du contenu de leurs écrits, considérés comme socialement acceptables par leurs homologues masculins, les échanges épistolaires entre les premières Américaines évoquent, subtilement mais subversivement, des sujets non admis portant sur les questions sociales, culturelles et politiques de leur temps. Bien que l’accès à l’instruction ait été souvent négligé, voire refusé aux femmes dans de nombreuses colonies, en Nouvelle-Angleterre, et notamment dans la colonie de Massachusetts Bay dirigée par le gouverneur John Winthrop, les femmes de la famille Winthrop, sans avoir reçu d’instruction formelle, savaient toutes lire et écrire. Dans un contexte puritain très strict, les lettres ne leur servaient pas seulement à communiquer en exprimant leur foi et l’importance de Dieu dans leur vie, mais aussi à évoquer certains sujets tabous : statut légal et instruction des femmes, mariage, maternité, ainsi que des sujets plus politiques comme la question des Indiens. Le plus gros de leur correspondance s’est échangé entre Margaret Winthrop et sa belle-sœur Lucy Winthrop. Margaret, certainement la plus connue des femmes de la famille, est née en Angleterre et a grandi à Great Maplestead, dans une famille profondément religieuse. Troisième épouse de John, elle a rejoint son mari en 1631 dans le Massachusetts. Femme intelligente et pieuse, elle occupe une place centrale au sein de l’activité sociale et politique de la colonie. Les échanges épistolaires révèlent sa position centrale dans la communauté. Sa prolifique belle-sœur, Lucy, sœur de John, est également une auteure importante de la période coloniale. Ses talents d’écrivaine témoignent d’études poussées et d’un caractère libre qui transparaît dans son ton, très éloigné du style soumis caractéristique des femmes de la communauté puritaine. D’autres femmes de la famille, Mary Winthrop, Martha Fones Winthrop, belles-filles de Margaret, ainsi que Martha Downing Peters, fille de Lucy, ont également échangé des lettres. À côté d’elles, d’autres femmes encore ont pris la plume : Susanna Moseley et Katherine Marbury Scott, sœur d’Anne Hutchinson*, exprimèrent leur résistance à la norme culturelle ; Barbara Smith et Mary Herendean Pray se firent connaître pour leurs descriptions de la vie politique dans les colonies du XVIIe siècle.
Il reste très peu de lettres ou de journaux intimes de cette période ; néanmoins, on estime que c’est le tout début d’une littérature « féministe ». Longtemps considérés comme « non littéraires », ces premiers écrits féminins correspondent à des schémas esthétiques non traditionnels, ce qui a motivé leur exclusion jusqu’à une époque récente. Ces lettres ont ouvert la voie à l’implication sociale et intellectuelle des femmes : partant de l’échange privé d’idées philosophiques, elles ont évolué ensuite vers une expression publique dans des écrits postérieurs, dont certains traits stylistiques se retrouvent dans la littérature des XIXe et XXe siècles.
Beatrix PERNELLE
■ WINTHROP J., WINTHROP M., TWICHELL J. H., Some old Puritan love-letters : John and Margaret Winthrop, 1618-1638, New York, Dodd, Mead and Co., 1894.
■ MORGAN E. S., The Puritan Dilemma : The Story of John Winthrop, New York, Longman, 1999 ; HARRIS S. M. (éd.), American Women Writers to 1800, New York, Oxford University Press, 1996 ; WALDRUP C. C., Colonial women : 23 Europeans who helped build a Nation, Jefferson, McFarland, 1999.
WINTOUR, Anna [LONDRES 1949]
Journaliste de mode britannique.
Fille et sœur de journalistes britanniques réputés, Anna Wintour connaît le monde de la presse depuis l’enfance. Son caractère s’affirme très tôt. À 16 ans, elle déclare que la mode ne s’apprend pas et interrompt ses études pour se lancer dans le journalisme pour les magazines New York et Home & Garden. En 1970, elle devient assistante au magazine Harper’s Bazaar (à l’époque Harpers & Queen), à New York. Dès lors, elle ne cesse d’enrichir son expérience et d’entretenir ses réseaux de créateurs, photographes, designers. Rédactrice de mode de l’édition américaine de Harper’s Bazaar en 1975, ses conflits avec le rédacteur en chef lui valent un licenciement moins d’un an après. Sa conception innovante de la photographie de mode serait à l’origine du différend. Elle devient alors rédactrice en chef mode au magazine Viva en 1977, puis au nouveau magazine féminin Savvy, en 1980. Le public ciblé lui correspond : femmes actives, carriéristes, indépendantes. Un an plus tard, elle est au magazine New York. Edward Kosner, rédacteur en chef et éditeur, la laisse travailler librement. Elle innove en imposant des photographies de personnalités célèbres en couverture. En 1983, elle intègre Vogue au poste de directrice de la création, spécialement créé pour elle. Pour donner à l’édition britannique une orientation plus américaine, afin de toucher un public féminin concerné par l’argent et les affaires, elle réorganise l’équipe et exerce un contrôle sans précédent sur le magazine et sur la mise en page des photos. Lorsqu’elle prend la direction du magazine House & Garden, à New York, elle y introduit mode et célébrités. Ses remaniements sont tels que le public abonné ne suit pas, persuadé qu’il s’agit d’un nouveau magazine. Mais le groupe Condé Nast la transfère au poste qu’elle attendait et, en 1988, A. Wintour dirige l’édition américaine de Vogue, qui devient la référence internationale en matière de luxe et de glamour. Derrière l’icône à l’apparence maîtrisée, aux habitudes de travail ritualisées, se dessine le profil d’une femme exigeante et passionnée qui a su bousculer les critères traditionnels, mélangeant tous les styles, haute couture et prêt-à-porter, donnant à l’univers du luxe un aspect libéré. En 2003, le prix Geoffrey-Beene du Conseil des créateurs de mode américains lui est attribué.
Marion PAOLI
■ OPPENHEIMER J., Anna Wintour, The Cool Life and Hot Times of Vogue’s Editor in Chief, New York, St. Martin’s Press, 2005.
WIRTEMBERSKA, Maria [VARSOVIE 1768 - PARIS 1854]
Écrivaine polonaise.
D’origine princière, fille d’Adam Kazimierz Czartoryski et d’Izabela Fleming, Maria Wirtemberska reçoit une éducation très soignée. Elle épouse contre son gré le prince Ludwig von Würtenberg-Montbéliard, dont elle divorce lorsqu’il s’allie avec les ennemis de la Pologne en 1792. Elle tient alors une grande place dans le salon aristocratique familial de Puławy. Après l’insurrection de 1830, elle émigre à Paris. Son roman « Malwina » czyli domyślność serca (« Malvina ou les soupçons du cœur », 1816) lui confère une grande renommée et frappe par son analyse subtile de sentiments jusqu’alors étrangers à la littérature polonaise. Ses Powieści wiejskie (« romances campagnardes », 1819) complètent l’œuvre de sa mère intitulée Pielgrzym w Dobromilu (« pélerin à Dobromile »). Son expérience de l’exil se reflète dans Niektóre zdarzenia, myśli i uczucia doznane za granicą (« de quelques événements, pensées et sentiments découverts à l’étranger »), écrit en 1816-1817 mais publié seulement en 1978.
Maria DELAPERRIÈRE
■ SZARY-MATYWIECKA E., « Malwina », czyli głos i pismo powieści, Varsovie, IBL PAN, 1994.
■ ALEKSANDROWICZ-ULRICH A., « Nieznana “Podróż” sentymentalna Marii Wirtemberskiej », in Pamiętnik literacki, no 2, 1968.
WIRTH, May [BUNDABERG 1894 - SARASOTA 1978]
Écuyère australienne.
Fille de John Edward Zinga, un artiste de cirque de l’île Maurice, et de sa seconde épouse, Marie Dezeppo, May Wirth est l’une des dernières grandes écuyères romantiques. Après la séparation de ses parents, elle est adoptée en 1901 par Mary Elizabeth Victoria Wirth, écuyère et sœur des propriétaires du Wirth Brothers’Circus. Multidisciplinaire, comme les enfants de la balle de son temps, M. Wirth est une bonne acrobate au sol, contorsionniste et fildefériste. Elle apprend la voltige à cheval et maîtrise le saut périlleux arrière sur le dos de sa monture. À 10 ans, elle est considérée comme une écuyère accomplie, alliant charme et virtuosité en s’appuyant sur une technicité sans faille. À l’instar de l’écuyère italienne Zorah Truzzi qui l’exécutait en robe longue, M. Wirth est l’une des très rares femmes de l’histoire du cirque à tourner régulièrement un saut périlleux de cheval à cheval. Après avoir triomphé à Sydney où elle dirige huit poneys et tourne de parfaits sauts périlleux sur un puissant cheval gris, l’écuyère s’embarque pour les États-Unis pour un contrat de deux ans avec le cirque Barnum & Bailey, où elle occupe la piste centrale âgée seulement de 17 ans. Elle revient en Europe, à Londres, avec le Carl Hagenbeck’s Wonder Zoo and Circus, avant de repartir pour une longue tournée en Australie. Engagée de nouveau aux États-Unis en 1917 et en 1919, M. Wirth y épouse son agent, Frank White, et poursuit ses tournées à travers le monde, notamment sur la scène de l’Empire à Paris en 1934, jusqu’en 1937, où elle décide de mettre un terme à sa carrière. Elle est intronisée au Circus Hall of Fame en 1964.
Pascal JACOB
■ MULLE R., « Une écuyère acrobatique hors-série : May Wirth », in Le Cirque dans l’univers, no 70, 1968.
WISE, Gillian [ILFORD, ESSEX 1936]
Plasticienne britannique.
Membre du mouvement constructiviste anglais des années 1950-1960, Gillian Wise opte pour la version américaine du modernisme, alors dominant en Angleterre. Cette artiste géométrique travaille le relief, les structures en volume et la peinture dans l’espace, avec, selon ses propres mots, « un sens formaliste de la logique et de la sensibilité ». Dans les années 1970, elle tente de créer un groupe, Arts Research Syndicate. Dans ses textes, elle exprime ses idées sur la politique, la culture et la société. Elle s’intéresse également au cinéma et a été affiliée aux universités américaines, notamment au Center for Advanced Visual Studies du Massachusetts Institute of Technology. Ses œuvres sont présentes dans plusieurs collections publiques, dont la Tate Gallery, le Henry Moore Institute. Enfin, elle a mené des projets importants, notamment dans des contextes architecturaux, comme au Barbican Arts Center à Nottingham, où elle joue sur le développement cinétique d’une forme. G. Wise définit le constructivisme comme une variation stricte de l’abstraction géométrique se développant dans les trois dimensions et utilisant les ressources des sciences. Son œuvre répond aux principes d’expérimentation et de réduction aux unités premières (ligne, couleur et plan). Ses structures jonglent avec l’effet de la géométrie lumineuse sur les matériaux industriels, ainsi qu’avec le contraste entre la transparence et les couleurs primaires. Le développement de la ligne dans l’espace est l’une de ses préoccupations ; dans Expanding Revolving Line : XRL (1965-1966), l’un de ses premiers travaux importants, des carrés en métal se détachent d’une structure en plastique, à la manière d’un jeu d’échecs ; dans Nine Squares on Two Planes (Closed Loop), créé en 1975, la ligne s’est libérée de la structure du carré. Au cours des années 1960-1970, elle explore l’intérieur d’un cube et entreprend des expérimentations sur les matériaux. À partir des années 1970, elle fait intervenir la lumière, grâce à l’utilisation de néons puis de la fibre optique. Ses reliefs, dessinés à partir du développement d’une ligne, s’inscrivent dans la tradition de Vladimir Tatline. Elle utilise par la suite l’ordinateur, comme en témoignent les séries Red, réalisées depuis 2002.
Marion DANIEL
■ Low frequency, Grande-Bretagne, [s. n.], 2003.
■ GRIEVE A., Constructed Abstract Art in England After the Second World War : A Neglected Avant-Garde, New Haven, Yale University Press, 2005.
WISEMAN, Adele [WINNIPEG 1928 - TORONTO 1992]
Romancière et auteure dramatique canadienne.
Issue d’une famille ayant émigré d’Ukraine au Manitoba dans les années 1920, Adele Wiseman obtient des diplômes d’anglais et de psychologie à l’université du Manitoba en 1949 et entame une carrière d’assistante sociale. Son premier roman, The Sacrifice, paraît en 1956 et remporte le prix du Gouverneur général. Tout comme son autre roman, Crackpot (« tordu », 1974), il traite de l’héritage des familles d’immigrés juifs et de leurs conditions de vie pendant la Seconde Guerre mondiale, de leur adaptation à la vie au Canada. A. Wiseman s’oppose ouvertement à la guerre et trouve refuge dans les Prairies du Manitoba. Elle célèbre la vie dans ce qu’elle a de plus paradoxal, parfois sur un ton satirique. Sa critique sociale imprègne aussi ses créations théâtrales, notamment avec Testimonial Dinner (1974) qui revisite le thème de la famille juive sur plusieurs générations, mettant en exergue le phénomène d’acculturation des jeunes issus de l’émigration. La nécessité de s’adapter et de tout recommencer « à zéro », ou presque, la lutte pour la survie sont décrites de manière obsédante. Elle est convaincue que chaque expérience partagée entre individus les nourrit mutuellement. Cette conception de la générosité intellectuelle et artistique imprègne son œuvre : l’art s’apparente à l’hospitalité. Old Woman at Play (1978), son livre le plus autobiographique, nous initie à son processus créatif. A. Wiseman est également auteure d’essais et d’ouvrages de fiction pour la jeunesse. Auteure en résidence à l’université de Windsor à la fin de sa vie, elle a été invitée par de nombreuses universités. Entre 1987 et 1991, elle dirige le programme d’écriture du Banff Centre for the Arts. De nombreuses récompenses dont des subventions du Guggenheim et de la Fondation canadienne lui ont été attribuées.
Élodie VIGNON
■ Selected letters of Margaret Laurence and Adele Wiseman, Toronto, University of Toronto Press, 1997.
■ PANOFSKY R., Adele Wiseman : Essays on Her Works, Toronto, Guernica, 2001.
WITBOOI, Myrtle [AFRIQUE DU SUD XXe siècle]
Syndicaliste sud-africaine.
Devenue travailleuse domestique en 1966, faute de pouvoir continuer ses études, Myrtle Witbooi, révoltée par la situation de quasi-esclaves qui est la sienne et celle de ses semblables, se lance dans l’action syndicale. Les travailleurs domestiques, très majoritairement des femmes, n’ont alors aucun droit. Celles et ceux qui s’expriment sont licenciés, les autorités violent leurs portes, se saisissent de leurs enfants. Leader née, elle sera leur voix. En 1969, elle adresse une lettre d’indignation, qui fera grand bruit, à un journal qui les a dénigrés, et elle organise une première réunion qui rassemble 250 personnes. Elle aide les travailleurs à s’organiser en syndicat. En 1983, le syndicat devient national mais doit arrêter son action en 1997 faute de financement. M. Witbooi le fonde à nouveau sous le nom de South African Domestic Service and Allied Workers Union (SADSAWU) en 2000. Fortement dévoué aux travailleuses, il les aide à connaître leurs droits, à se défendre contre la violence et les abus des employeurs comme des maris, organise des formations sur le sida. Le SADSAWU compte aujourd’hui plus de 25 000 membres et a obtenu d’importantes avancées. En 2010, il a négocié la convention internationale sur le travail domestique de l’Organisation internationale du travail adoptée en juin 2011. M. Witbooi est également présidente du Réseau international des travailleurs domestiques, qui représente dix pays et mène son action dans le monde entier.
Michèle IDELS
WITT, Katarina [BERLIN 1965]
Patineuse artistique allemande.
Star du patinage artistique des années 1980, Katarina Witt fut d’autant plus remarquée pour sa grâce irradiante et son constant sourire que, venue de « l’autre côté » du mur de Berlin, pur produit, revendiqué, des filières de la République démocratique d’Allemagne, elle était l’antithèse de générations d’athlètes aux épaules trop larges et à la voix trop grave. À 8 ans, sur la patinoire de Karl-Marx-Stadt, elle ne put échapper au regard acéré de Jutta Müller, qui allait devenir l’entraîneur aux 50 médailles. C’est en 1982 que, dans la hiérarchie du patinage, K. Witt apparaît au deuxième rang européen à Lyon, et s’affirme, à 16 ans à peine, avec sa médaille d’argent des Championnats du monde à Copenhague. À partir de l’année suivante, sa suprématie en Europe est exclusive, avec de 1983 à 1988 six titres, de Dortmund à Budapest (1984), Göteborg ou Copenhague (1986). Le 18 février 1984, à Sarajevo, elle remporte les Jeux olympiques d’hiver, malgré les efforts de l’Américaine Rosalynn Summers, championne du monde 1983. La voilà au sommet. Les couronnes mondiales se succèdent. Ottawa (1984) et Tokyo (1985) d’abord. Mais à Genève, en 1986, une Américaine noire, Debi Thomas, 19 ans, fait sensation et s’impose. C’est le début d’une rivalité qui électrise les audiences. En 1987 à Cincinnati, le perfectionnisme de K. Witt reprend l’avantage ; elle n’était pourtant que cinquième après les « imposés » ; son interprétation éblouissante sur la musique de West Side Story renverse la situation en sa faveur. 1988 sera l’année parfaite. Après les Championnats d’Europe de janvier, les XVes Jeux d’hiver sur la patinoire de Calgary s’annoncent passionnants. Curieusement, pour le programme des « libres », K. Witt et D. Thomas ont toutes deux choisi la même partition, Carmen de Georges Bizet ; les nerfs de l’Américaine cèdent sous la pression. Sans égale, K. Witt devient la seule, après S. Henie, à avoir conservé son titre olympique. Le 26 mars enfin, à Budapest, quatrième couronne mondiale sur la tête, à 22 ans, elle met un terme à sa carrière dans les rangs amateurs. Au mois d’août 1988, on annonce la signature d’un contrat de six mois avec Holiday On Ice. Elle fait maintenant partie du monde professionnel. Les tournées se succèdent ; elle est une étoile. Ses tenues glamour, ses chorégraphies, ses programmes thématiques ont renouvelé et modernisé le patinage féminin. Elle n’a désormais plus de contraintes, d’autant que tombera bientôt le Mur. En 1994, le Comité international olympique ayant accepté les professionnels requalifiés, elle revient pour les Jeux d’hiver à Lillehammer, mais la roue a tourné : modeste septième, ce qui ne ternit pas son aura ; elle arrête là sa trajectoire.
Jean DURRY
WITT-SCHLUMBERGER, Marguerite DE [PARIS 1853 - VAL-RICHER 1924]
Militante féministe française.
Issue de la bourgeoisie protestante, mère de six enfants, Marguerite de Witt-Schlumberger s’engage dans les œuvres de bienfaisance pour lutter contre les problèmes sociaux dont les femmes sont les premières victimes. Fille d’Henriette Guizot-de Witt, fondatrice et présidente du Patronage des détenues libérées, elle lui succède dans cette œuvre philanthropique. Au début du XXe siècle, elle rejoint le Conseil national des femmes françaises comme présidente de la section de lutte contre la traite des femmes. Après des années d’efforts pour faire amender la loi concernant le traitement des prostituées et de lutte contre l’alcoolisme des hommes, elle arrive à la conclusion que seule une modification des lois existantes pourra venir à bout de ces maux. Les hommes n’étant pas prêts à voter les réformes nécessaires, il est du devoir des femmes de lutter pour l’obtention de leur droit de vote. En 1911, M. de Witt-Schlumberger devient ainsi présidente de l’Union française pour le suffrage des femmes. Pendant la guerre de 1914-1918, elle invite ses membres à rejoindre les organisations de secours et à faire marcher tous les rouages du pays en l’absence des hommes. La guerre terminée, elle reprend son action militante dans le cadre de l’Alliance internationale pour le suffrage des femmes dont elle est vice-présidente. M. de Witt-Schlumberger devient ensuite vice-présidente de la Fédération des associations françaises pour la Société des nations et est nommée chevalier de la Légion d’honneur en 1921.
Catherine COSTE
WITTIG, Monique [DANNEMARIE 1935 - TUCSON 2003]
Écrivaine et essayiste française.
Née dans le Haut-Rhin et morte dans l’Arizona, Monique Wittig n’a cessé, littéralement et dans tous les sens, de battre en brèche les frontières. Son premier livre, L’Opoponax, prix Médicis 1964, est salué par la critique internationale comme par les nouveaux romanciers ; il sera traduit dans 12 langues. Après des études à la Sorbonne et sa traduction de L’Homme unidimensionnel de Marcuse (1968), elle est cofondatrice du Mouvement de libération des femmes et publie Les Guérillères (1969). Elle est de celles qui déposent, en août 1970, une gerbe sous l’Arc de triomphe à la femme du soldat inconnu. Membre des Gouines rouges et des Féministes révolutionnaires, elle écrit Le Corps lesbien (1973). En 1975, elle fait paraître, en collaboration avec sa compagne, Sande Zeig, un dictionnaire du lesbianisme, Brouillon pour un dictionnaire des amantes. En 1976, elle abandonne « Paris la politique » pour vivre aux États-Unis. Récusant l’idée de « littérature féminine », elle refuse bientôt le terme même de « femme » pour lui préférer celui de « lesbienne » qui ne se définit plus par ses relations aux hommes, et est essentiellement transfuge. Avec The Straight Mind, qui réunit des essais écrits pour l’essentiel entre 1978 et 1990, elle dénonce ce qu’il est convenu de percevoir comme « naturel » (les notions d’homme, de femme, la procréation) et invite les femmes à s’affranchir du système féodal hétérosexuel et à devenir politiquement lesbiennes. Elle prend également pour cibles ce qu’elle appelle le féminisme différentialiste, le French feminism, et l’ensemble des savoirs qui, selon elle, restent gardiens de l’ordre symbolique, comme la psychanalyse et l’anthropologie structurale. Elle publie Virgile, non (1985), des nouvelles et cinq pièces de théâtre, dont Le Voyage sans fin, monté par la compagnie Renaud-Barrault au théâtre du Rond-Point : autant de textes hors genres, qui s’attachent à redéployer Le Chantier littéraire (selon le titre du mémoire qu’elle soutient sous la direction de Gérard Genette en 1986 à l’École des hautes études en sciences sociales). Espace de liberté possible, le langage doit permettre de se rebeller contre la sexuation pour « construire une idée du neutre qui échappe au sexuel ». C’est toute son œuvre littéraire qui se veut « machine de guerre » : contre l’hétéronormativité, la fiction, l’invention littéraire et théorique deviennent des armes de combat.
Catherine BRUN
■ BOURCIER M.-H., ROBICHON S. (dir.), Parce que les lesbiennes ne sont pas des femmes, autour de l’œuvre politique, théorique et littéraire de Monique Wittig, Actes du colloque des 16-17 juin 2001, Columbia University, Paris, Éditions gaies et lesbiennes, 2002 ; ÉCARNOT C., L’Écriture de Monique Wittig. À la couleur de Sappho, Paris, L’Harmattan, 2002.
■ « Spécial Monique Wittig », in Vlasta, no 4, 1985.
WIWATHANACHAI, Anchalee VOIR ANCHAN
WOESER, Tsering [LHASSA 1966]
Journaliste, blogueuse et écrivaine tibétaine.
Fille de deux membres du parti communiste, cette enfant de la Révolution culturelle, bien que tibétaine, est élevée et éduquée comme une Chinoise. Après avoir étudié la littérature à l’Université des nationalités du Sud-Ouest, Tsering Woeser commence sa carrière comme reporter pour le Ganzi Daily Newspaper (« Kardze », en tibétain), puis opère un retour aux sources en s’installant à Lhassa comme rédactrice en chef du journal Tibetan Literature and Art, « Xizang Wenyi ». Elle publie un recueil intitulé Xīzàng Zài Shàng (« Tibet d’en haut ») en 1999 et devient une écrivaine reconnue, appartenant au Chinese Writer’s Group. Composé d’auteurs tibétains écrivant en chinois, il est tenu en haute estime par la critique. En 2003, la publication de Xijang Biji (« notes sur le Tibet »), un recueil de nouvelles à grand succès, fait d’elle l’ennemie des autorités chinoises qui l’érigent en menace pour « l’unité de la nation » et interdisent la diffusion de son livre. Renvoyée de son travail, elle s’exile à Pékin, publie ses ouvrages à Taïwan et tient un site Internet critique à l’égard du pouvoir chinois. Surveillé par les autorités, le site est victime de plusieurs attaques informatiques en 2008 et 2010, notamment de la part d’un groupe de hackers nationalistes, The Chinese Hongke Alliance, qui appelle à la violence contre l’auteure. Sa maîtrise de la langue chinoise et l’utilisation massive des médias alternatifs (Internet, blogs, Tweeter, Facebook) permettent à T. Woeser d’être la voix de la culture jusqu’ici cachée ou opprimée des Tibétains. Malgré sa notoriété internationale, attestée par plusieurs prix, le gouvernement chinois surveille et limite ses déplacements, lui refuse toute sortie du territoire et l’arrête à plusieurs reprises en 2007 et en 2008.
Audrey CANSOT
■ Mémoire interdite, témoignages sur la Révolution culturelle au Tibet, Paris, Gallimard, 2010.
WOHMANN, Gabriele [DARMSTADT 1932]
Romancière et nouvelliste allemande.
Après des études de littérature et de philosophie et une expérience dans l’enseignement, Gabriele Wohmann s’est consacrée dès les années 1960 à une riche production littéraire. Les débuts de sa carrière la voient en contact avec le Groupe 47, dont elle s’éloigne vite pour se frayer son propre chemin. Dès le recueil Erzählungen (« nouvelles »), paru en 1966, sa prose se met au service d’une introspection psychologique approfondie, qui caractérisera désormais ses œuvres. Le roman Ernste Absicht (« intention sérieuse », 1970) met en scène une jeune écrivaine qui, contrainte de faire un long séjour en hôpital et confrontée à l’idée de la mort, fait le point sur sa vie, ses relations (notamment celle avec son ex-mari) et son travail. Portrait de la mère en veuve, publié en 1976, décrit l’état d’esprit conflictuel d’une fille à l’égard de la mère restée veuve. Dans le tourbillon de sentiments que comporte leur relation – culpabilité, énervement, soulagement, affliction –, un petit geste, un regard ou un mot acquièrent une importance exceptionnelle et font l’objet d’une digression. Depuis Schönes Gehege (« le bel enclos », 1979), et Le Cas de Marlène Z. (1980), le style de G. Wohmann s’est teinté d’une touche d’ironie et de cynisme, qui rend certaines descriptions satiriques et lapidaires.
Chiara NANNICINI STREITBERGER
■ Portrait de la mère en veuve (Ausflug mit der Mutter, 1976), Paris, Albin Michel, 1989 ; Le Cas de Marlène Z. (Ach wie gut, dass niemand weiss, 1980), Paris, Albin Michel, 1985.
■ FERCHL I., Die Rolle des Alltäglichen in der Kurzprosa von Gabriele Wohmann, Bonn, Bouvier, 1980 ; HAENTZSCHEL G., Gabriele Wohmann, Munich, C.H. Beck, 1982.
WOLF, Christa [LANDSBERG AN DER WARTHE 1929 - BERLIN 2011]
Écrivaine allemande.
Âgée de 16 ans à la fin de la guerre, Christa Wolf est devenue l’une des principales auteures de la RDA et de toute l’Allemagne. Après des études d’allemand, elle fut collaboratrice de l’Union des écrivains allemands puis rédactrice de la revue Neue Deutsche Literatur (NDL). Son récit Le Ciel partagé (1963) traite d’une histoire d’amour que la construction du mur transforme en conflit insoluble entre le désir individuel du bonheur et les exigences politiques. La différenciation psychologique des personnages est la clé du détachement de l’auteure par rapport aux doctrines du réalisme socialiste. Elle accompagne son processus d’écriture de réflexions intenses, qui aboutiront, outre un recueil volumineux d’essais, discours et entretiens (Die Dimension des Autors, 1987), à une littérature autoréflexive, liant sur le plan formel les aspects documentaires à la subjectivité. Avec son roman Christa T. (1968), elle se détache définitivement des directives politiques. Ce récit à perspectives multiples correspond à l’idée de « l’authenticité subjective » qu’elle a développée. L’expérience subjective de l’auteure confrontée à son matériau succède à l’idée du réalisme tout en posant le problème du rapport entre individu et société, sans oublier la réflexion sur le processus du travail dans l’écriture. Cette nouvelle manière d’écrire trouve son expression dans une redécouverte du romantisme initiée par Anna Seghers* (entre autres Aucun lieu, nulle part, 1979). Ses réflexions sur le romantisme lui servent à s’explorer elle-même et en tant qu’écrivaine. En 1976 paraît Trame d’enfance, roman qui entreprend une quête dans le temps, en enfreignant le mythe de l’origine antifasciste de la RDA. Si la mort de l’écrivaine Brigitte Reimann et celle d’Ingeborg Bachmann* sont insérées dans Trame d’enfance, dans Scènes d’été (1976-1989) des amitiés sont célébrées sous forme d’élégie. La mort (celle de Maxie Wander) ou le départ de la RDA de maints amis (dont Sarah Kirsch*) sont à l’origine de son livre le plus personnel. Les amies réelles, les prédécesseurs historiques – auteures ou personnages littéraires –, les personnages féminins de ses propres textes deviennent la clé de voûte de son autoréflexion littéraire. La découverte de personnages féminins mythologiques fait avancer l’innovation littéraire, car l’échec de ces femmes sert de reflet historique, littéraire et psychologique. La prophétesse Cassandre (1983) incarne un contre-projet à la rationalité masculine identifiée à la guerre et à la destruction. La multitude de voix qui émanent de Médée (1996) formulent la critique de la société patriarcale et font de ce texte un point culminant de l’œuvre. Lors de la chute du mur, C. Wolf, très sceptique face à la réunification, lutte pour le maintien d’une RDA démocratique. La publication, en 1990, du récit écrit en 1979 Ce qui reste, dans lequel elle relate de façon autobiographique sa surveillance par le Service de sécurité, déclenche un débat passionné. Sa réaction littéraire à ces expériences douloureuses est Adieu aux fantômes (1994) et Ici même, autre part (1999). Dans Le Corps même (2002), son seul texte en prose depuis, l’écroulement physique de la protagoniste, tel un courant de conscience lucide et rêveur, devient la métaphore de l’effondrement de la RDA. Ainsi l’œuvre de C. Wolf demeure jusqu’à présent indissociable de l’histoire des deux Allemagnes et gagne de ce fait – au-delà de son originalité littéraire – une importance capitale. En octobre 2010, C. Wolf reçoit le prix Thomas-Mann pour l’ensemble de son œuvre.
Wiebke VON BERNSTORFF
■ Christa T. (Nachdenken über Christa T., 1968), Paris, Seuil, 1972 ; Aucun lieu, nulle part (Kein Ort, nirgends, 1979), Paris, Stock, 1994 ; Cassandre, les prémisses et le récit (Kassandra, Erzählung und Voraussetzungen einer Erzählung, 1983), Paris, Stock, 2003 ; Ce qui reste (Was bleibt, 1990), Paris, Stock, 1996 ; Adieu aux fantômes (Auf dem Weg nach Tabou, 1994), Paris, Fayard, 1996 ; Médée (Medea-Stimmen, 1996), Paris, Stock, 2001 ; Ici même, autre part (Hierzulande Andernorts, 1999), Paris, Fayard, 2000.
WOLFENSTEIN, Martha [CLEVELAND 1911 - NEW YORK 1976]
Psychanalyste américaine.
Diplômée du Radcliffe College, Martha Wolfenstein fit d’abord des études de psychologie avant d’obtenir un doctorat en esthétique. Se destinant à la psychanalyse, sans pour autant étudier la médecine, elle choisit comme analyste un historien d’art, Ernst Kris. N’étant pas médecin, elle ne put devenir membre de l’Association américaine de psychanalyse, ce qui ne l’empêcha nullement d’être remarquée et appréciée à la fois pour son travail clinique et pour la qualité de son enseignement. Ayant perdu sa mère très tôt, dans son jeune âge, elle écrivit plusieurs textes devenus classiques sur les deuils difficiles ou impossibles de l’enfance. Ses articles seront publiés dans la revue Psychoanalytic Study of the Child. Elle consacrera par ailleurs des études importantes à deux peintres, Magritte et Goya. Avec Margaret Mead* et Ruth Benedict*, elle dirigea l’ouvrage collectif Childhood in Contemporary Cultures (1955). Ses principaux ouvrage seront consacrés aux ressources mentales de l’enfant avec Children’s Humor : A psychological analysis (1954) ou à l’impact dans la vie psychique des événements catastrophiques avec Disaster (1957).
René MAJOR
■ « How is Mourning Possible », in The Psychoanalytic Study of the Child, no 21, 1966 ; « Loss, Rage and Repetition », in The Psychoanalytic Study of the Child, no 24, 1969 ; « The Image of the Lost Parent », in The Psychoanalytic Study of the Child, no 28, 1973.
WOLFF, Betje (née Elisabeth BEKKER) [FLESSINGUE 1738 - LA HAYE 1804]
etDEKEN, Aagje (née Agatha PIETERS DEKEN) [AMSTELVEEN 1741 - LA HAYE 1804]
Écrivaines néerlandaises.
Elisabeth Bekker, issue d’un milieu de négociants de Zélande et d’une mère d’origine wallonne, fréquente l’école dite « française », puis apprend le latin et l’anglais. En 1759, elle se marie avec Adrianus Wolff, pasteur dans le Beemster, de trente et un ans son aîné. Bespiegelingen over het genoegen (« considérations sur les agréments de la vie », 1763) marque ses débuts comme poétesse. Elle fait également œuvre de traductrice : 23 ouvrages, dont 13 issus du français, pourvus de notes abondantes, lui permettant de s’exprimer sur le contenu. Par des lettres et des pamphlets, elle critique vivement ses contemporains qui s’indignent des esprits tolérants et éclairés. Parmi ses adversaires se trouve Aagje Deken, auteure de poésie édifiante, qui, en 1776, lui envoie une lettre de remontrances. C’est le début d’une amitié solide qui aboutira à une collaboration littéraire unique en son genre. Aagje Deken, fille d’un éleveur, a grandi à Amsterdam dans un orphelinat protestant pieux. Elle a débuté dans la revue Vaderlandsche Letteroefeningen en 1772. En 1775, elle a fait paraître Stichtelijke gedichten van Maria Bosch en Agatha Deken (« poèmes édifiants »), fruit de son activité de dame de compagnie auprès de M. Bosch. Après la mort du pasteur Wolff en 1777, elle s’installe chez B. Wolff. Le duo débute par des Brieven (« lettres », 1777), un recueil de poèmes de forme épistolaire, s’engageant à développer une œuvre littéraire au service de l’éducation de la jeune femme bourgeoise. Dans Essai sur l’éducation (1779), signé par B. Wolff et pourvu d’une préface de A. Deken, elles abordent le rôle de la femme comme mère éducatrice. Ensuite, elles travaillent en commun aux Economische liedjes (« chansons économiques », 1781), dont la thématique repose sur un plaidoyer pour la moralisation des classes laborieuses. Dans Histoire de Mademoiselle Sara Burgerhart (1782), roman de formation publié par lettres et situé dans le milieu bourgeois hollandais, elles défendent les vertus nationales contre les effets funestes du mode de vie français ainsi que les excès de l’incroyance. Propres à leur style sont les scènes intimes de la vie familiale et les anecdotes savoureusement racontées. Leur succès les amène à produire les romans épistolaires Historie van den heer Willem Leevend (« histoire de M. Willem Leevend », 1784-1785), Brieven van Abraham Blankaart (« lettres de Abraham Blankaart », 1787-1789) et Historie van mejuffrouw Cornelia Wildschut (« histoire de Mlle Cornelia Wildschut », 1793-1796). En 1788, elles doivent quitter la République orangiste du fait de leurs sympathies pour les patriotes révolutionnaires. Le recueil Wandelingen door Bourgogne (« promenades en Bourgogne », 1789) reflète leurs impressions d’exil à Trévoux (Ain). Ruinées, elles retournent en 1797 en Hollande, entre-temps devenue République batave, et passent leur vieillesse à La Haye. Dans Geschrift eener bejaarde vrouw (« Mémoires d’une femme âgée », 1802), elles donnent une rétrospective de leur vie en soulignant l’importance d’une bonne éducation pour les orphelines. A. Deken ne survivra que neuf jours à la mort de son amie.
Jeanne VERBIJ-SCHILLINGS
■ Essai sur l’éducation (Proeve over de opvoeding, Amsterdam, Johannes Allert, 1779), La Haye, I. Van Cleef, 1785 ; Histoire de Mademoiselle Sara Burgerhart (De historie van mejuffrouw Sara Burgerhart, ‘s Gravenhage, I. Van Cleef, 1782), Lausanne, Grasset, 1787.
■ ALTENA P., EVERARD M., Onbreekbare burgerharten, de historie van Betje Wolff en Aagje Deken, Nimègue, Vantilt, 2004.
WOLFF, Charlotte [RIESENBURG, PRUSSE-OCCIDENTALE 1897 - LONDRES 1986]
Médecin et psychologue britannique d’origine allemande.
Juive allemande nationalisée britannique après son exil en 1933, psychologue, Charlotte Wolff a travaillé à Berlin dans une clinique de planning familial. Elle a partagé les centres d’intérêt du sexologue Magnus Hirschfeld : l’émancipation sexuelle, la fin de la classification comme « anormaux » des homosexuels ou bisexuels. Elle a notamment publié Love Between Women (« l’amour entre femmes », 1971) et Bisexualité (1977). Fuyant l’antisémitisme, elle a vécu un temps à Paris, où ses études sur la « chirologie », la « lecture de la main » (la taille, la forme, le modelé, voire les lignes), lui ont valu l’intérêt des surréalistes (La Main humaine, 1942). À la fin de sa vie, elle a écrit une importante étude biographique sur M. Hirschfeld, A Portrait of a Pioneer in Sexology (« portrait d’un pionnier de la sexologie », 1986). Sa correspondance avec la romancière Christa Wolf* a été publiée en 2006 : Oui, nos cercles se touchent.
Nicole CASANOVA
■ Bisexualité (Bisexuality : a Study, 1977), Paris, Stock, 1981 ; La Main humaine (The Human Hand, 1942), Paris, Presses universitaires de France, 1952 ; Oui, nos cercles se touchent (Ja, unsere Kreise berühren sich, 2004), Paris, Des Femmes-Antoinette Fouque, 2006.
WOLLEY, Hannah [LONDRES 1623 - ID. V. 1675]
Écrivaine culinaire britannique.
Hannah Wolley est l’une des premières écrivaines à gagner sa vie en publiant des livres de cuisine. Orpheline à 14 ans, ayant maîtrisé le chant, la danse et plusieurs instruments de musique grâce à ses sœurs, elle travaille de 1639 à 1646 comme domestique dans une maison de riches bourgeois où elle apprend plusieurs remèdes médicaux. En 1646, elle épouse le directeur de l’école de Newport où elle enseigne ses principes. Ils ouvrent une autre école à Hackney et elle donne naissance à quatre garçons et deux filles. Son mari meurt en 1661. Réputée pour ses connaissances médicales, elle devient gouvernante d’une maison et commence à publier des recueils de recettes et de conseils domestiques, agrémentés d’anecdotes, sur la broderie, l’écriture d’une lettre, la façon de refuser l’entrée à un visiteur indésirable ou de réaliser une eau parfumée pour combattre la peste… Ses nombreux guides, plus d’une dizaine, sont très populaires (The Cook’s Guide, 1664 ; The Ladies’Directory, 1661, 1662 ; The Queen-like Closet, 1670). Elle rejoint Jane Sharp* dans son désir d’éduquer les femmes dans tous les domaines, surtout s’il s’agit de domestiques ou de femmes des classes moyennes.
Michel REMY
WOLLIASTON, Elsa [JAMAÏQUE 1945]
Danseuse, chorégraphe et directrice de compagnie américaine.
Née à la Jamaïque, de père africain et de mère américaine, élevée au Kenya, Elsa Wolliaston part aux États-Unis étudier la musique, la danse avec Merce Cunningham, Katherine Dunham*, Alexandra Danilova*, puis s’installe en 1969 à Paris où elle travaille et enseigne toujours. Elle poursuit sa formation auprès de Jerome Andrews et Lilian Arlen et enseigne à l’American Center. Tout en se produisant comme interprète, elle collabore avec des chorégraphes contemporains dont Christiane de Rougemont. Lors de ses tournées, elle mène des recherches sur les danses traditionnelles, à Bali et surtout en Afrique centrale. En 1975, elle fonde à Paris, avec le chorégraphe Hideyuki Yano, la compagnie Mâ Danse Rituel Théâtre. Ils écrivent ensemble de nombreuses pièces (de Rivière-Sumida, 1975 ; à Ishtar et Tammuz, 1986) jusqu’à la mort de Yano. Elle travaille simultanément avec sa propre compagnie de danseurs et musiciens créée en 1984, One Step ; elle collabore souvent fidèlement avec de grands musiciens de jazz tel le saxophoniste Steve Lacy. Citons : Ouverture (1979), Privilège (1986), La Solitude d’être (1988), Réveil (réécriture du Sacre du printemps, 1997), Pourquoi pas (2004), etc. Elle a beaucoup chorégraphié pour le théâtre et l’opéra et travaille régulièrement avec Peter Stein, Patrice Chéreau et Luc Bondy. E. Wolliaston est aussi mondialement connue comme pédagogue de danse contemporaine d’expression africaine, et son travail a marqué de nombreux interprètes et chorégraphes en France. Elle puise dans les traditions africaines les bases d’une technique toujours en questionnement et évolution, qui refuse d’être enfermée dans des définitions. Ses créations sont marquées par de véritables métissages culturels auxquels elle imprime sa personnalité ouverte et généreuse. Elle est surtout l’une des premières à véritablement introduire en France une réflexion sur l’expression africaine, sur les questions d’identité et d’héritage culturel. Elle est lauréate du prix Mulheres de la fondation Calouste Gulbenkian au Portugal (1986), et du Prix national d’auteur aux Rencontres internationales chorégraphiques de Seine-Saint-Denis (1996) avec Espoir 95.
Hélène MARQUIÉ
WOLLSTONECRAFT, Mary [LONDRES 1759 - ID. 1797]
Philosophe et romancière féministe britannique.
Romancière (Mary, 1788), philosophe (Défense des droits des hommes, 1790), historienne (An Historical and Moral View of the Origin and Progress of the French Revolution, 1794), Mary Wollstonecraft est considérée comme la « mère du féminisme » parce qu’elle fut l’une des premières à revendiquer les droits des femmes et à faire apparaître le genre comme une construction sociale. Ses traités audacieux sur l’éducation des filles (Thoughts on the Education of Daughters, 1787) ou l’assujettissement des femmes (Défense des droits des femmes, 1792 ; Maria ou le Malheur d’être femme, roman publié à titre posthume en 1798) la placent parmi les théoriciennes les plus accomplies de l’émancipation féminine. Faisant voler en éclat le concept de nature féminine, elle s’attacha à démonter les mécanismes de la subordination des femmes. Son appartenance aux milieux radicaux anglais puis jacobins pendant la Révolution française, mais surtout sa vie tumultueuse firent d’elle une paria : éperdument amoureuse du peintre Fuseli, elle tenta sans succès de le convaincre d’accepter un ménage à trois avec la femme de celui-ci ; l’aventurier américain Gilbert Imlay la quitta après la naissance de leur fille et elle tenta de se suicider ; enfin, elle vécut en union libre avec l’anarchiste William Godwin, qu’elle finit par épouser. M. Wollstonecraft meurt quelques jours après la naissance de sa seconde fille, la future Mary Shelley*. W. Godwin voulut lui rendre hommage en retraçant sa vie mais, contrairement à ses intentions, son ouvrage contribua à aggraver sa réputation sulfureuse et empêcha la perpétuation de sa mémoire pendant plus d’un siècle.
Martine MONACELLI
■ Une Anglaise défend la Révolution française, réponse à Edmund Burke (A Vindication of the Rights of Men, 1790 ; An Historical and Moral View of the Origin and Progress of the French Revolution, 1794), Paris, Éditions du CTHS, 2003 ; Défense des droits des femmes (A Vindication of the Rigths of Woman, 1792), Paris, Buisson, 1792 ; Maria ou le Malheur d’être femme (The Wrongs of Woman, or Maria, 1798), Saint-Étienne, Publications de l’université de Saint-Étienne, 2005.
■ GODWIN W., Memoirs of the Author of A Vindication of the Rights of Woman (1798), Peterborough, Broadview Press Ltd., 2001.
WOLSKA, Maryla [LWÓW, AUJ. LVIV 1873 - ID. 1930]
Poétesse polonaise.
Issue d’une famille de tradition patriotique, Maryla Wolska étudie d’abord la peinture à Munich et à Paris avant d’épouser, en 1884, un riche industriel qui encourage sa passion pour la littérature. Leur maison se transforme vite en salon littéraire, fréquenté par des hommes de lettres et des artistes. La jeune artiste débute, en 1901, avec un recueil poétique, Thème varié, publié en français. Paraît ensuite toute une série de poèmes : Symfonia jesienna (« symphonie d’automne », 1901), Święto słońca (« soleil sacré », 1903), Z ogni kupalnych (« feux minéraux », 1905), et Dzbanek malin (« un petit pot de framboises », 1929), son dernier recueil, le plus maîtrisé. Elle publie également une pièce dramatique, Swanta (1906), et un recueil de nouvelles, Dziewczęta (« jeunes filles », 1910). M. Wolska utilise divers pseudonymes : Zawrat, D-moi, Iwo Płomienczyk ou encore Tomasz Zawrat. Emplies d’une délicatesse mélancolique, ses œuvres témoignent d’un pessimisme et d’une attente vague propres à son époque. Elle y exprime, en filigrane, un sentiment d’inaccomplissement sous-tendu par un désir érotique subtilement occulté. Son journal intime est publié en 1974 par sa fille, Beata Obertyńska*.
Maria DELAPERRIÈRE
■ SIEROTWIŃSKI S., Maryla Wolska, środowisko, życie, twórczość, Varsovie, Zakład Narodowy Imienia Ossolińskich, 1963.
WOLSTENHOLME-ELMY, Elizabeth CLARKE [MANCHESTER 1833 - ID. 1918]
Essayiste, poétesse et suffragette britannique.
Décédée six jours après le passage de la première loi qui fit des femmes des citoyennes à part entière, Elizabeth Wolstenholme-Elmy peut-être considérée comme la doyenne des suffragettes anglaises. Malgré sa désapprobation des tactiques violentes et, en dépit de son grand âge, déterminée à obtenir le droit de vote pour les femmes, elle fut l’une des premières à rejoindre les bataillons des suffragettes formées par les Pankhurst*. Prédisposée à l’activisme par sa naissance dans un des haut lieux de l’agitation populaire anglaise, elle prit part, avec un zèle inégalé, au mouvement en faveur du droit de vote et à tous les combats féministes de son temps – promotion du travail et de l’éducation des femmes (dont elle fut cruellement privée), campagne contre leur exploitation sexuelle, réformes de la législation envers les épouses, droit des mères – et elle vécut librement avec un instituteur aux idées avancées, Benjamin Elmy, qu’elle n’épousa qu’à l’âge 40 ans. Ils écrivirent probablement conjointement Woman Free (1893), The Human Flower (1894) et Baby Buds (1895), sous le pseudonyme d’Ellis Ethelmer. Toutefois, il ne fait aucun doute qu’E. Wolstenholme-Elmy savait manier la plume, comme en témoignent ses nombreuses publications, articles de journaux, pamphlets et essais militants (The Education of Girls : Its Present and Its Future, 1869 ; Infant Mortality Its Causes and Remedies, 1871 ; Woman’s Franchise : The Need of the Hour, 1907). Elle n’a intéressé la critique féministe que très récemment.
Martine MONACELLI
■ WRIGHT M., Elizabeth Wolstenholme Elmy and the Victorian Feminist Movement : the Biography of an Insurgent Woman, Manchester, Manchester University Press, 2012.
WOLZOGEN, Caroline VON [RUDOLSTADT 1763 - IÉNA 1847]
Femme de lettres allemande.
Fille de l’inspecteur supérieur des Eaux et Forêts de Rudolstadt Karl Friedrich von Lengefeld et de Luise von Wurmb, Friederike Sophie Caroline épouse à l’âge de 21 ans le juge de la cour de Rudolstadt, Friedrich von Beulwitz. Après un divorce en 1794, elle épouse Wilhelm von Wolzogen, avec lequel elle part habiter à Weimar. Sa sœur cadette Charlotte est mariée à l’écrivain et poète Friedrich Schiller. En 1792, elle publie la pièce Der leukadische Fels (« le rocher de Leukas ») dans le journal de Schiller Neue Thalia (« nouvelle Thalia »). Son premier roman, Agnes von Lilien, un roman d’éducation et d’apprentissage féminin, paraît en 1798. Durement touchée par la mort prématurée de Schiller en 1805, suivie peu d’années après par celle de son mari, elle se retire à Iéna et publie deux volumes de contes en 1827-1828 et une « vie de Schiller » (1830).
Gaby PAILER et Karen ROY
■ Gesammelte Schriften, 6 vol., Boerner P. (dir.), Hildesheim, Olms, 1988-1990.
■ GOLZ J. (dir.), Caroline von Wolzogen 1763-1847, Weimar, Weimarer Schillerverein, 1998.
WOMEN ARTISTS ACTION GROUP [Irlande 1987-1991]
Le Waag, Women Artists Action Group, est un collectif rassemblant plus d’une centaine d’artistes, d’historiennes, de critiques d’art et de curatrices, actives en Irlande dans les années 1987-1991. Ses membres proposent une aide à la promotion des artistes irlandaises dans leur propres pays et en Europe, au travers de la constitution d’un réseau de contacts, d’expositions, de débats, et l’élaboration d’une banque d’images (diapositives) ; elles cherchent à améliorer leurs conditions de travail et militent auprès des services publics en faveur d’une meilleure représentation des femmes dans les arts visuels et leur accès aux commandes. Leurs œuvres tendent vers l’art corporel et féministe européen, avec une prédominance pour la performance, l’image projetée et la vidéo. Présidente du collectif, Pauline Cummins (1949) a notamment réalisé une installation vidéo et un diaporama, Inis t’Oírr (« danse d’Aran », 1985), puisant – tout en les bouleversant – dans le nationalisme culturel, l’artisanat et les traditions de l’ouest de l’Irlande. Elle associe étroitement le paysage au corps féminin. À l’occasion, elle collabore également avec Breeda Mooney, Alanna O’Kelly (1955), Louise Walsh (1963).
C’est dans un hangar à houblon de Guinness, à Dublin, qu’a lieu la première exposition de Waag en 1987, avec 90 artistes. La première conférence du groupe est organisée à Derry en Irlande du Nord en 1988 ; parmi les intervenantes figurent Anne Crilly, Fionna Barber, Helen Chadwick*, Aileen McKeogh, Moira Roth, May Stevens*. Le collectif s’associe à IAWA (International Association of Women in the Art), créé à la suite de la conférence organisée par Intakt (Autriche) à Retzhof en 1986 ; ce réseau comprend des ramifications en Allemagne, Grande-Bretagne, Hollande, Italie, Suisse. En 1989, Waag participe à l’exposition Art Beyond Barriers, organisée par l’IAWA au Frauen Museum à Bonn ; l’autre volet du projet se déroule au Royal Hospital Kilmainham à Dublin, sur des propositions de P. Cummins, Mary Duffy, Alice Maher* et Patricia McKenna, qui incluent 45 artistes. En 1991, alors que Dublin est capitale européenne de la culture, Waag invite un artiste, sélectionné parmi chaque groupe membre de l’IAWA, à réaliser une œuvre in situ, autour de la rivière Liffey. Le vernissage de Women and the Environment est inauguré par Mary Robinson*, présidente de la République d’Irlande. Son discours est suivi d’une présentation des Guerrilla Girls*. Basés également sur un système d’enquêtes critiques intenses, d’autres collectifs d’artistes activistes de la même période, engagés socio-politiquement sur les questions du genre et d’identité, sont à mentionner : l’IWAG (Irish Women Artists Group) et Blue Funk.
Caroline HANCOCK
■ Art Beyond Barriers, Shifting Ground : Selected Works of Irish Art, 1950-2000, Dublin, éditions des auteures, 1989.
■ BURKE U., JONES R. (dir.), And the One Doesn’t Stir Without the Other (catalogue d’exposition), Belfast, Ormeau Baths Gallery, 2005 ; DEEPWELL K. (dir.), Dialogues : Women Artists from Ireland, Londres, I. B. Tauris/Palgrave McMillan, 2005.
WOMEN INVESTMENT PORTFOLIO HOLDINGS [Afrique du Sud]
Women Investment Portfolio Holdings (Wiphold) est le premier fonds d’investissement spécifiquement destiné au financement de l’entrepreneuriat féminin. Les actionnaires de ce fonds sont exclusivement des femmes. Louisa Mojela, première lauréate du prix de l’African Business Leadership créé en 2009, et Wendy Luhabe en sont les fondatrices, en 1994, avec Gloria Tomatoe Serobe et Nomhle Gcabashe. L. Mojela et W. Luhabe sont aujourd’hui considérées comme les femmes les plus influentes dans ce pays. Noires nées sous l’apartheid, elles sont toutes deux diplômées de l’Université du Lesotho et ont occupé des postes à responsabilité dans des entreprises européennes ou américaines avant de revenir en Afrique du Sud. La fin de l’apartheid ouvre le monde des affaires aux entrepreneurs noirs. Si la Constitution de 1996 donne enfin aux femmes le droit de signer des contrats, leur accès au financement bancaire est très limité et le pouvoir économique des Noires est pratiquement inexistant. Les fondatrices de Wiphold sont animées par le souci de l’indépendance économique des femmes dans la nouvelle Afrique du Sud. Elles y contribuent de plusieurs manières : le capital du fonds d’investissement s’ouvre aux plus modestes des milieux ruraux, les dividendes versés améliorant leurs revenus et ainsi leur dignité ; ce fonds finance des investissements dans les secteurs où les femmes sont salariées (tourisme, télécommunications, services financiers), favorisant ainsi leur emploi ; une partie des dividendes est distribuée à de grandes organisations féminines et à des ONG ayant des projets éducatifs et médicaux. Wiphold deviendra en 1999 la première société de femmes cotée à la Bourse de Johannesburg, mais s’en retirera en 2003 pour s’assurer que ses actions restent majoritairement entre leurs mains. En 2010, cette société de capital-investissement, qui compte plus de 200 000 bénéficiaires, est détenue à 50 % par des Noirs et à 70 % par des femmes. Elle est considérée comme un modèle d’innovation. Le rêve de L. Mojela et de W. Luhabe est de le développer dans d’autres pays d’Afrique, pour « voir chaque Africaine debout et libre ».
Jacqueline PICOT
■ LUHABE W., Defining moments : Experiences of Black Executives in South Africa’s Workplace, Scottsville, University of KwaZulu-Natal Press, 2002.
WOMEN’S CAUCUS FOR GENDER JUSTICE – ONU [depuis 1997]
Créé à New York, en 1997, dans la foulée des conférences mondiales des Nations unies sur les droits humains (Vienne, 1993) et sur les femmes (Pékin, 1995), le Caucus des femmes pour la justice de genre est un réseau international de personnes et de groupes engagés dans le plaidoyer en faveur des droits des femmes. Il a pour objectif de renforcer l’accès des femmes à la Cour pénale internationale (CPI) pour la création de laquelle il a activement milité. Il veille à ce que les cas de violences contre les femmes soient effectivement pris en considération par cette institution, de même que par d’autres mécanismes de justice. Grâce à son travail de mobilisation, sept femmes sur dix-huit juges ont été élues à la CPI.
Le Caucus a également soutenu la mise sur pied d’un tribunal international des crimes de guerre afin que les témoignages des Japonaises contraintes à l’esclavage sexuel pendant la Seconde Guerre mondiale puissent être entendus et que justice soit rendue. Par ailleurs, le Caucus collecte les cas d’exploitation et d’abus commis par les Casques bleus des Nations unies sur les populations locales des pays de mission, afin de faire sanctionner ces hommes en attirant sur eux l’attention des médias.
Nadine PUECHGUIRBAL
WOMEN’S COOPERATIVE GUILD [Grande-Bretagne depuis 1883]
La Women’s Cooperative Guild (WCG) prône l’indépendance économique des épouses ouvrières pour améliorer leur condition de femmes, ce qui, avant la Première Guerre mondiale, constitue une remise en question radicale des rôles sexués dans le monde ouvrier. Branche du mouvement coopératif, fondée en 1883 pour rompre l’isolement des épouses ouvrières, elle est dotée d’une rubrique dans Cooperative News. Créée à la croisée du mouvement ouvrier et de celui des femmes, sans affiliation politique, cette organisation démocratique fondée sur l’expression des adhérentes les incite à siéger aux comités scolaires et à ceux d’aide aux indigents.
Margaret Llewelyn Davies (1861-1944), secrétaire de 1889 à 1921, et Sarah Reddish (1850-1928) – qui sera présidente de la WCG en 1897 – ancrent solidement le groupe au sein du mouvement coopératif. Elles combattent l’isolement, la subordination et l’esprit de sacrifice dont sont victimes les épouses. La collaboration de ces deux femmes est emblématique des forces qui animent l’organisation : M. Davies, issue de la grande bourgeoisie réformiste et qui, pendant trente-deux ans, inscrivit tous les combats de la WCG au service de l’émancipation des femmes, et S. Reddish, ouvrière textile à 11 ans, puis syndicaliste, sont aussi suffragistes. Les Coopératrices collaborent avec les syndicats féminins et le Women’s Industrial Council, les organisations suffragistes, les clubs de jeunes ouvrières. À travers ces collaborations, les femmes des classes moyennes découvrent la condition des ouvrières. Certaines Fabiennes (Fabian Women’s Group), comme Charlotte Wilson – fondatrice et première éditorialiste de Freedom (1886) – ou Barbara Swanwick – universitaire, elle donna des cours aux membres de la WCG – adhèrent à la WCG, qui mène des actions pour un salaire minimum et pour l’amélioration des conditions de travail des femmes à travers leurs témoignages. L’information est recueillie en interne par des questionnaires, puis diffusée dans le pays, par exemple sur les conditions de vie des mères et des enfants (Maternity. Letters from Working Women, 1915). Cette stratégie est particulièrement efficace en appui aux campagnes pour l’allocation de grossesse, pour le contrôle des naissances, contre la violence conjugale, et dans la commission d’enquête parlementaire sur le divorce (1910). Cette organisation existe aujourd’hui sous le nom de Co-operative Women’s Guild.
Myriam BOUSSAHBA-BRAVARD
■ BANKS O., The Biographical Dictionary of British Feminists, 2 vol., Brighton, Wheatsheaf/Harvester, 1985-1990 ; SCOTT G., Feminism and the Politics of Working Women : the Women’s Cooperative Guild, 1880s to the Second World War, Londres/Bristol, UCL Press, 1998.
WOMEN’S FORUM FOR THE ECONOMY AND SOCIETY [France XXIe siècle]
Manifestation créée par Aude de Thuin* en 2005, le Women’s Forum se veut un lieu de débat, de partage, de réflexion et d’action donnant la parole aux femmes. Dès 2007, le Financial Times le classa parmi les cinq forums les plus influents au monde. À la tête d’une base de données de 25 000 personnes, c’est aussi l’un des plus vastes réseaux internationaux de femmes. Apolitique et indépendant, il a pour objectif de promouvoir la vision des femmes sur les grands sujets économiques et sociétaux actuels, et de favoriser l’accès des femmes à des postes de responsabilité au sein des entreprises. Anne Lauvergeon*, Mercedes Erra*, Patricia Barbizet, Dominique Hériard Dubreuil, Véronique Morali* et Laurence Parisot* font partie de ses membres fondateurs et participent à ses travaux. Le Women’s Forum, qui se tient chaque année au mois d’octobre à Deauville, réunit environ 1 200 participants venus du monde entier. Toutes les interventions y sont effectuées en anglais. Les intervenants sont des femmes mais aussi des hommes (25 %) influents et de tous horizons. Ont participé ainsi aux premières éditions Lubna al-Qasimi, Barbara Hendricks*, Hong Huang*, Anne-Marie Idrac, Taslima Nasreen*, Simone Veil*, Zhang* Xin, Maasouma Moubarak, Michèle Alliot-Marie*, Antoinette Batumubwira, Diane Kurys*, Christine Lagarde*, Nicole Notat*, Patricia Russo, Dora Akunyili, May Chidiac*, Phumzile Mlambo-Ngcuka, Ayo Obe, Ana Palacio, Irina Bokova*, Clara Rojas, Fadela Amara*, Meglena Kouneva, Karen Kornbluh, Anousheh Ansari, Louise Arbour, mais aussi Muhammad Yunus, Carlos Ghosn… En 2008 fut également organisée à Shanghai la première édition du Women’s Forum Asia qui accueillit 700 participants. Parmi ses actions concrètes, le Women’s Forum soutient les créatrices d’entreprise au moyen des Cartier Women’s Initiative Awards, un concours international de business plans (« plans de développement de l’entreprise ») pour les femmes, créé en 2006, dont les lauréates – une par continent – reçoivent un accompagnement sur mesure et un prix de 20 000 dollars. En 2007, A. de Thuin lança également le programme « Rising Talents » qui vise à tisser un réseau international de jeunes femmes identifiées comme de futurs grands talents dans les domaines politique, économique, scientifique et culturel. Le Women’s Forum a été racheté en 2009 par le groupe Publicis, et est présidé depuis 2011 par Véronique Morali*. L’édition de 2012 fut placée sous le signe de la croissance et des défis sociaux et environnementaux qu’elle doit relever.
Alban WYDOUW
■ DOUZET F., « Les femmes à la conquête de l’économie mondiale », in Hérodote, Paris, La Découverte, no 136, 1er trimestre 2010.
WOMEN’S LIB [États-Unis de 1967 aux années 1990]
Né en 1967, dans la foulée des luttes pour les droits civiques et des luttes anti-impérialistes contre la guerre du Vietnam, le Women’s Liberation Movement (WLM) est non mixte. La non-mixité est immédiatement acceptée, le Black Power ayant constitué un précédent en créant un mouvement exclusivement noir. Le terme de « libération », qui sera adopté dans plusieurs pays d’Europe, est emprunté aux mouvements de libération des pays du tiers-monde. Les femmes du mouvement entendent réorienter tout le système économique et culturel de leur pays, mettre fin à la domination mâle, à la famille patriarcale et se réapproprier leur corps.
Les Radical Women of New York, à l’initiative de Shulamith Firestone, Pamela Allen, Susan Brownmiller, Robin Morgan, entre autres, mettent en place les premiers groupes de prise de conscience. En janvier 1968, elles organisent un enterrement symbolique des rôles traditionnels des femmes au cimetière militaire d’Arlington. C’est à cette occasion que le fameux slogan « Sisterhood Is Powerful » aurait été créé, avant d’être repris dans la première anthologie de textes publiée en 1970, et incluant le manifeste de Scum (Society for cutting up men, « association pour émasculer les hommes »), écrit en 1968 par Valerie Solanas. Mais ce puissant slogan de solidarité entre sœurs exclut les mères. « En dépit de ses nombreuses victoires, le mouvement des femmes aux États-Unis semble buter sur une ligne de partage “mère-fille” », écrira bien plus tard Susan Faludi* dans un article de 2011 : « Le féminisme malade de ses filles ». Elle précise que le conflit des générations sous-tend la plupart des difficultés du mouvement. Dans son livre Of Woman Born (« nés d’une femme », 1976), la poétesse Adrienne Rich* avait déjà attiré l’attention sur cette « matrophobie » qui, à des degrés divers, semble concerner tous les mouvements féministes de cette époque.
La protestation des Radical Women contre le concours de Miss America, en septembre 1968 à Atlantic City, est très médiatisée. Mais c’est en novembre 1968, dans l’annonce d’une conférence nationale qui se tient à Chicago, qu’apparaît pour la première fois la formule Women’s Liberation Movement. À partir de leur aliénation au travail, les femmes s’interrogent sur les priorités pour la construction d’un mouvement de libération des femmes.
S. Firestone quitte les Radical Women pour fonder les Redstockings (« bas rouges »). Dans The Dialectics of Sex (1970), elle dit souhaiter que les femmes soient libérées de la « barbarie » de la grossesse et de l’accouchement par les nouvelles technologies, et que la différence des sexes et la discrimination soient enfin abolies. Cette théorie anti-femmes est bientôt contestée par d’autres femmes américaines, en particulier celles qui sont réceptives à ce qu’elles appellent le « New French Feminism » – travail théorique sur la différence des sexes et la psychanalyse, sur l’affirmation d’une identité spécifique et positive des femmes – travail entamé dès 1968 par Antoinette Fouque* avec le groupe de recherche Psychanalyse et politique* du MLF*, puis Luce Irigaray* ou Hélène Cixous*.
Les Women’s studies débutent en 1969 à l’université de Cornell, de San Diego, puis essaiment : s’ensuivent publications, diplômes, colloques, centres de recherches et bourses. Dans les années 1980, l’appellation de Gender studies (« études de genre ») vient peu à peu remplacer Women’s studies, avant de devenir Queer studies dans les années 1990.
Le mouvement du Self-Help, pour la réappropriation par les femmes de leur corps, avec le droit de décider de faire ou non des enfants, est très important aux États-Unis. Des health groups se forment partout. Trois d’entre eux sont pionniers : à Boston, Washington et Los Angeles. Entre 1969 et 1975, presque 2 000 lieux où se pratique le self-help sont créés. À Boston, en mai 1969, l’assistante sociale Nancy Myriam Hawley crée l’atelier « Women and their bodies », auquel se joint Jane Pincus afin de contester le pouvoir médical et scientifique qu’elles estiment paternaliste, normatif et répressif. Elles publient en 1972 Notre corps, nous-mêmes, qui sera traduit en 23 langues. La psychiatrie traditionnelle est également remise en question, et Phyllis Chesler publie la même année Les Femmes et la folie.
Afin de maintenir le droit légal à l’avortement là où il existe et le faire avancer dans les autres États, est créée en 1969 la National Abortion Rights Action League (qui compte aujourd’hui 500 000 membres). En 1970, le droit de vote des femmes a 50 ans et le 26 août la National Organization for Women* (NOW) lance un mot d’ordre de grève pour l’égalité. Dans la seule ville de New York, elles sont 50 000 à défiler. Les lesbiennes, un temps traitées de « Lavender Menace » (« menace lavande ») par Betty Friedan*, présidente de la NOW, quittent l’organisation pour fonder les Radical Lesbians. Elles publient avec Rita Mae Brown* le manifeste The Woman-Identified Woman.
En 1971, une conférence des femmes latinas, « Mujeres por la raza », se tient à Houston. Dans un texte fondateur, An Argument for Black Women’s Liberation as a Revolutionary Force, Mary Ann Weathers affirme la sororité incontournable de toutes les femmes, de toutes races et de tous milieux, et fustige l’aliénation des femmes noires, complices des hommes. Elle est désavouée par certaines, et en 1973 sera créée la National Black Feminist Organization, constituée uniquement de femmes noires. Le groupe disparaît en 1975.
Les premières librairies de femmes voient le jour, la maison d’édition Feminist Press est créée ; Kate Millett* publie Sexual Politics ; le journal Off Our Backs, qui paraîtra jusqu’en 2008, est lancé : par, pour et sur les femmes, il propose informations, idées, théories et analyses. Gloria Steinem, journaliste féministe, crée le mensuel MS Magazine, proche du réformisme de la NOW. En 1992, la librairie A Women’s Place ouvre à Oakland, près de l’université de Berkeley.
En 1972, l’Equal* Rights Amendment (ERA), qui avait été proposé sans succès à chaque session du Congrès de 1923 à 1972, est voté et envoyé aux différents États pour ratification. C’est une victoire du jeune mouvement, mais, à ce jour, il n’a pas encore été ratifié par les deux tiers des 52 États, ce qui constitue un préalable à son intégration dans la Constitution. Les États-Unis demeurent le seul pays occidental à n’avoir pas inscrit dans sa Constitution l’égalité entre les hommes et les femmes.
Toujours en 1972, sont créés le premier refuge pour femmes battues à Urbana (Illinois) et le premier rape crisis center (« centre contre le viol ») à Washington. Les deux structures vont se multiplier dans le pays.
En 1973, la Cour suprême permet les avortements pendant le premier trimestre de la grossesse et attaque les lois des États qui interdisent l’avortement. Cette autre victoire va rapidement se heurter à la répression : dès 1976, le Congrès barre l’accès aux crédits médicaux fédéraux pour les femmes à bas revenus. La lutte des organisations de femmes et de la Ligue nationale pour le droit à l’avortement est encore un thème majeur dans la campagne électorale de 2012.
En 1975 a lieu la première marche « Take Back the Night » (« reprenons la nuit ») à Philadelphie. La même année, S. Brownmiller écrit Le Viol, ouvrage de référence. En 1977 est publié The Woman Room, retentissant roman féministe de Marilyn French, publié en français sous le titre Toilettes pour femmes (1978).
En 1978, le Pregnancy Discrimination Act assure que les femmes peuvent prendre du temps sur leur travail pendant la grossesse, ou après, sans risquer d’être pénalisées par l’employeur ; de même pour les pères. Si le pas est important, le principe est très peu appliqué : en 2012, seuls deux États, la Californie et le New Jersey, ont voté une loi pour un congé de maternité payé.
Malgré la contre-révolution, qui a commencé dès les années 1980, les femmes sont restées combatives, en se mobilisant notamment au niveau international. Bella Abzug, députée féministe démocrate de 1970 à 1976, qui s’affirme comme une leader dès la première Conférence des Nations unies sur les femmes (1975), crée en 1990 un réseau d’ONG, la Women’s Environment and Development Organization (WEDO), qui rassemble 1 500 femmes de 83 pays à Miami pour préparer la Conférence de Rio sur l’environnement (1992). Lors des conférences suivantes, elle met en place le Women’s Caucus*, lieu d’échange d’informations et d’élaboration de plateformes alternatives qui permet aux femmes des ONG d’influer sur les décisions internationales et devient une instutition onusienne.
Catherine GUYOT
■ BROWNMILLER S., Le Viol (Against our Will. Men, Women and Rape, 1975), Paris, Stock, 1976 ; CHESLER P., Les Femmes et la folie (Women and Madness, 1972), Paris, Payot, 1976 ; Collectif du groupe de santé de Boston, Notre corps, nous-mêmes (Our Body, Ourselves, 1972), Paris, A. Michel, 1977 ; FALUDI S., Backlash. La Guerre froide contre les femmes, (Backlash. The Undeclared War Against Women, 1991) Paris, Des femmes-Antoinette Fouque, 1993.