SCHARRER, Berta (née VOGEL) [MUNICH 1906 - NEW YORK 1995]
Biologiste et docteure ès sciences américaine.
Après avoir étudié la zoologie à l’université de Munich, Berta Scharrer obtient son doctorat en 1930, dans le laboratoire de Karl von Frisch, Prix Nobel en 1973. Chercheuse associée à l’Institut de recherche en psychiatrie de Munich, puis à l’Institut Edinger de neurologie de Francfort, elle suit son mari, Ernst Scharrer, en exil aux États-Unis en 1937. Visiting scientist à Chicago, New York, Cleveland et Denver, elle obtient en 1950 son premier titre universitaire de professeure assistante. En 1955, à la création du Albert Einstein College of Medicine de Yeshiva University à New York, elle est nommée professeure d’anatomie (et donc enfin rémunérée). De 1928 à 1937, elle reprend avec son mari l’observation de la sécrétion de peptides par certains neurones de l’hypothalamus du poisson Phoxinus. L’idée que les cellules nerveuses puissent avoir une activité de sécrétion est tellement révolutionnaire qu’elle est d’abord reçue avec beaucoup de scepticisme. À l’époque, la fonction neurologique est tenue pour un phénomène exclusivement électrique. Ce n’est que vers les années 1950 que l’hypothèse de neurosécrétion est enfin reconnue et devient l’un des fondements de la neuroendocrinologie. B. Scharrer travaille d’abord sur Drosophila puis sur Leucophaea maderae, un cancrelat du bois. Elle découvre la fonction de plusieurs ensembles neuroglandulaires de la tête, notamment le corpus allatum et le corpus cardiacum. Elle observe que l’ablation du corpus allatum affecte le développement du cancrelat, provoquant un déséquilibre hormonal qui entraîne une métamorphose prématurée des nymphes et affecte le développement de l’œuf chez la femelle. Par contre, l’ablation du corpus cardiacum ne produit aucun effet observable, celui-ci ne servant qu’à entreposer et à transporter des hormones en provenance des cellules neurosécrétrices le long de l’axone neural. Ces dernières observations ont fourni la preuve irréfutable de la production, du transport et de la sécrétion d’hormones par les cellules du système nerveux des insectes. En 1963, les Scharrer publient Neuroendocrinology, ouvrage devenu un classique. Après la mort accidentelle de son époux en 1965, B. Scharrer s’engage dans une nouvelle direction, utilisant la microscopie électronique pour étudier les vésicules et la structure des cellules neurosécrétrices. B. Scharrer est élue à la National Academy of Sciences et à l’American Academy of Arts and Sciences en 1967, et nommée à la Deutsche Akademie des Naturforscher Leopoldina en 1972. Elle reçoit notamment la National Medal of Science en 1983. Une espèce de cancrelat trouvée en Australasie a été nommé scharrerae en son honneur.
Madeleine COTTENET-HAGE et Doris MÉNACHÉ-ARONSON
■ Avec SCHARRER E., Neuroendocrinology, New York, Columbia University Press, 1963.
■ « Recent progress in comparative neuroimmunology », in Zoological Science, vol. 9, no 6, 1992.
SCHELL, Maria [VIENNE 1926 - PREITENEGG, AUTRICHE 2005]
Actrice autrichienne-suisse.
Fille d’une actrice autrichienne et d’un écrivain suisse, Maria Schell est la sœur de l’acteur et cinéaste Maximillian Schell. Elle quitte l’Autriche à 12 ans en 1938, année où elle joue dans son premier film. Après la guerre, le film allemand Le Dernier Pont (1954) lui vaut un prix d’interprétation au Festival de Cannes. Elle incarne ensuite Gervaise, la blanchisseuse d’Émile Zola, dans le film de René Clément (1956). Luchino Visconti fait d’elle l’héroïne évanescente de Nuits blanches (1957), d’après Fiodor Dostoïevski, avant qu’elle joue dans Les Frères Karamazov (1958), de Richard Brooks, d’après le même auteur. Dans Une vie (1958), Alexandre Astruc la transforme en héroïne de Guy de Maupassant. Elle tourne dans deux westerns à Hollywood : La Colline des potences (1959), de Delmer Daves avec Gary Cooper ; La Ruée vers l’Ouest (1960). Elle sait aussi faire preuve d’humour, dans Le Diable par la queue (1969), de Philippe de Broca, ou dans Folies bourgeoises, de Claude Chabrol. Dans C’est mon gigolo (1978), de David Hemmings, elle croise David Bowie et Marlene Dietrich*. Elle joue avec Romy Schneider* dans La Passante du Sans-Souci (1982), de Jacques Rouffio, avant de se retirer en 1985.
Bruno VILLIEN
SCHELLINCK, Marie-Jeanne [GAND 1757 - MENIN 1840]
Combattante belge au service de la France.
Son père étant mort jeune et sa mère ne s’occupant pas d’elle, Marie-Jeanne Schellinck vit une enfance difficile. Elle perd le travail qu’elle avait dans une auberge, à cause de son français imparfait, puis est poussée dans la prostitution par sa mère. Arrêtée et emprisonnée à l’abbaye Saint-Pierre, à Gand, elle épouse à sa libération son premier mari, François Desaegher. C’est quand celui-ci rejoint l’armée, en 1790, que son destin prend un tour particulier, puisqu’elle décide de le suivre au front, déguisée en homme. Sergent au 2e bataillon belge, elle est blessée en 1792 à Jemappes, où elle montre un courage exceptionnel. Une fois rétablie, nommée sous-lieutenant, elle repart pour la campagne d’Italie menée par le général Bonaparte et se distingue à Arcole, en novembre 1796. La même année, elle épouse son deuxième mari, Louis Decarnin, qu’elle a rencontré dans sa nouvelle unité, le 8e régiment d’infanterie légère. Cette femme soldat participe ainsi à la plupart des batailles napoléoniennes. En 1808, elle est solennellement remerciée par l’Empereur, qui fait devant ses troupes cette déclaration exceptionnelle : « Messieurs, inclinez-vous respectueusement devant cette femme courageuse. C’est une des gloires de l’Empire. » Comblée, « la brave » se retire avec modestie et mourra à l’âge de 83 ans.
Elisabeth LESIMPLE
■ BRICE R., La Femme et les armées de la Révolution et de l’Empire (1792-1815), Paris, Ambert, s. d. ; PIGEARD A., Dictionnaire de la Grande Armée, Paris, Tallandier, 2002.
SCHÉMBORI, Tana [ASUNCIÓN 1970]
Metteuse en scène, réalisatrice et actrice paraguayenne.
Formée à l’école de l’Arlequín Teatro (Asunción), Tana Schémbori participe en 1991, à la mise en scène, par Agustín Núñez, de Yo el supremo (« moi, le suprême »), d’Augusto Roa Bastos. Elle enseigne le jeu d’acteur à l’école d’art dramatique de l’Institut municipal d’art et monte de nombreux spectacles avec ses élèves : Debajo del cielo (« sous le ciel »), Seis acciones y un eclipse (1997), El beso (« le baiser », 1998), Chacarita (1999). De ce laboratoire théâtral naît Kurusú (« la croix », en guarani), pièce qu’elle a créée avec ses élèves d’après l’observation des résidents d’un hôpital psychiatrique, puis remontée avec des acteurs professionnels en 2003. Dans cette œuvre expérimentale comme dans la plupart de ses créations, T. Schémbori valorise le travail de plateau et de création collective, et exploite un langage chorégraphique universel plutôt que verbal. Créatrice d’images audiovisuelles éclectiques, scénariste et réalisatrice infatigable, elle touche à tous les genres : série télévisuelle, documentaire, court et long-métrage de fiction, vidéo expérimentale. En 1996, elle a créé Maneglia Schémbori Realizadores, société de production audiovisuelle, avec le réalisateur et scénariste Juan Carlos Maneglia.
Stéphanie URDICIAN
SCHENDEL, Mira (née Myrrha Dagmar DUBB) [ZURICH, SUISSE 1919 - SÃO PAULO 1988]
Peintre et plasticienne brésilienne.
Fille d’un père juif tchèque germanophone et d’une mère italienne judéo-chrétienne, Mira Schendel passe son enfance et son adolescence à Milan. De 1941 à 1949, sa fuite pour échapper au nazisme puis, dans l’après-guerre, son passeport de « personne déplacée » la forcent à un exil itinérant en Europe qui l’empêche de poursuivre ses études. La conscience de n’avoir aucune attache, ni à un pays ni à une discipline particulière, ainsi que les dualismes inhérents à sa condition – le judaïsme tchèque et le catholicisme italien, par exemple – influencent très certainement l’œuvre de cette autodidacte. Dès son arrivée au Brésil en 1949, Mira – qui simplifie alors ainsi son prénom – dessine, sculpte, mais se consacre surtout à la peinture. Sa démarche, focalisée sur le sujet (scientifique, religieux) beaucoup plus que sur la forme, la rapprochera, en particulier après 1955, d’un cercle d’intellectuels, et notamment du physicien et critique d’art Mário Schenberg. En 1951, elle participe à la Biennale de São Paulo. Sa préoccupation pour la dimension corporelle de la peinture, déjà présente dans ses premières toiles, figuratives, inspirées du travail de Giorgio Morandi, se radicalise au début des années 1960 avec la série Pinturas matéricas, où la surface picturale explorée se voit saturée des traces laissées par des gestes perturbateurs. Son enquête se poursuit, entre autres, avec un support léger, sur lequel elle intervient à peine : c’est la série Monotypias (deux tiers de son œuvre totale, réalisée entre 1964 et 1967), faite de petites feuilles de papier de riz imprégnées de l’encre que l’artiste a préalablement appliquée sur des planches en bois. Composés d’abord de traits minimes, ces travaux comportent ensuite des caractères calligraphiques, puis typographiques. Ce dispositif permet de saisir les dualismes qui l’obsèdent (son héritage judéo-latin), avec notamment une lisibilité possible de gauche à droite comme de droite à gauche. Quelques monotypes suspendus entre deux plaques de plexiglas deviennent les Objetos gráficos, exposés en 1968 à la Biennale de Venise. Par période, elle pratique aussi la peinture a tempera, dont sa dernière série, Sarrafos, reste inachevée. Elle conçoit également des sculptures, en papier toujours, les droguinhas (« petites choses », 1966). Au début des années 1970, les séries Cadernos (« cahiers ») et Datiloscritos (« encre sur papier ») prolongent ses recherches sur et avec l’écriture, qui, malgré le retour à ses premiers motifs figuratifs dans les années précédant sa mort, constituent l’apport fondamental de cette artiste solitaire, intellectuelle et mystique. Elle a bénéficié de nombreuses expositions, notamment la rétrospective Tangled Alphabets (« alphabets enragés »), où son œuvre est présentée en 2009 avec celle de l’argentin León Ferrari au Museum of Modern Art de New York.
Liliana PADILLA-AREVALO
■ Mira Schendel (catalogue d’exposition), Dias G. de S. (textes), Paris, Galerie nationale du Jeu de Paume, 2001 ; Mira Schendel, Marques M. E. (dir.), São Paulo, Cosac & Naify, 2001.
SCHENFELD, Rina [TEL-AVIV 1938]
Danseuse, chorégraphe et directrice de compagnie israélienne.
Après avoir étudié la danse avec Mia Arbatova, pédagogue israélienne d’origine russe qui pratique une technique très exigeante dans l’école qu’elle a fondée en Palestine en 1924, Rina Schenfeld suit des cours à la Juilliard School et aux studios de Martha Graham*. Elle intègre la Batscheva Dance Company, fondée en 1963 par la baronne Bethsabée de Rothschild et M. Graham, et qui reprend les chorégraphies de celle-ci. Elle y interprète jusqu’en 1967 les rôles de M. Graham dans Errand to the Maze, Diversion of Angels, Cave of the Heart, puis danse des œuvres de Jerome Robbins et de John Cranko. Elle fonde sa propre compagnie en 1977, The Rina Schenfeld Dance Theater, où elle crée des solos remarquables : Threads (1978), Silk and Threads (1983), The Thin Dance (1983), A Woman Journey Through Dance (1994). Dans ces solos, elle utilise toute une gamme d’objets quotidiens avec lesquels elle construit un monde poétique. Marquée par une double formation classique et contemporaine, elle est une remarquable technicienne douée d’une sensibilité à fleur de peau. Invitée régulièrement en Europe, entre autres au Théâtre de la Ville à Paris, sa compagnie est appréciée par le public. R. Schenfeld est considérée comme « la mère de la danse israélienne ».
Geneviève VINCENT
■ LE MOAL P., Dictionnaire de la danse, Paris, Larousse, 2008.
SCHER, Paula [WASHINGTON 1948]
Graphiste et designer américaine.
Diplômée de la Tyler School of Art de Philadelphie, Paula Scher commence sa carrière dans les années 1970 en tant que directrice artistique de CBS/Atlantic Records. En 1991, elle rejoint l’agence pluridisciplinaire Pentagram, dont elle devient une associée et, rapidement, une des figures emblématiques. Elle crée pour tous les supports du graphisme : images de marque, signalétiques, emballages, publications. Citons parmi ses commanditaires : le New York Times, dont elle signe l’identité visuelle ; le Ballet Tech du Metropolitan Opera et le City Ballet de New York. Ses images font désormais partie de celles de la ville de New York. Son style, très contemporain, s’adresse à tout un chacun, avec finesse et sensibilité. Parmi de nombreuses récompenses, elle reçoit, en 2000, aux États-Unis, le Chrysler Award for Innovation in Design ; la médaille d’or de l’American Institute of Graphic Arts (Aiga), dont elle est présidente de la section graphique de 1998 à 2001. Depuis 2006, elle est membre de la Commission des arts de la ville de New York. Elle est exposée dans de nombreuses manifestations internationales et ses travaux font partie des collections permanentes de divers musées, dont le Cooper-Hewitt National Design Museum et le MoMa, à New York ; le Museum für Gestaltung, à Zürich ; la Bibliothèque nationale de France et le centre Georges-Pompidou, à Paris. Elle enseigne depuis plus de vingt ans à la School of Visual Arts de New York, à Yale University et à la Tyler School of Art.
Margo ROUARD-SNOWMAN
■ Make It Bigger, New York, Princeton Architectural Press, 2002 ; Paula Scher, Paris, Pyramid, 2008.
SCHERCHEN, Tona [NEÛCHATEL, SUISSE 1938]
Compositrice française.
Tona Scherchen se dit plutôt « habitante de la planète terre » qu’Européenne, évoquant ainsi son histoire personnelle et sa vocation à l’universel. Fille du grand chef d’orchestre Hermann Scherchen – qui, d’origine juive lithuanienne, dut fuir le nazisme en prenant la nationalité suisse, et, communiste, conduisit sa famille en URSS puis en Chine populaire –, et de la compositrice Xiao Shuxian, Tona vit son adolescence en Chine. Sa grand-mère maternelle lui donne sa première formation musicale, qu’elle poursuit au Conservatoire de Pékin et à l’académie de musique de Shanghai en apprenant la musique traditionnelle. Cependant, si un grand nombre de ses futures compositions portent un titre à résonance chinoise (Khouang, 1966-1968, pour orchestre symphonique ; Shen, 1968, pour six percussions ; Wai, de la même période, pour mezzo-soprano et quatuor à cordes), l’influence de l’Extrême-Orient sera plutôt d’ordre conceptuel que purement esthétique. Seulement quelques réminiscences, comme dans Yi (1973), suite écrite pour deux exécutants et un grand marimbaphone, hommage à cette mère dont T. Scherchen fut séparée pendant plusieurs décades par le contexte politique. La jeune compositrice quitte la Chine en 1956. De 1961 à 1963, elle aura pour maître Hans Werner Henze au Mozarteum de Salzbourg, puis Olivier Messiaen au Conservatoire de Paris (1963-1966), ou elle obtient un premier prix de composition. Pierre Schaeffer et, surtout, György Ligeti, dont elle reçoit l’enseignement privé à Vienne (1966-1967), complètent sa formation. Récompensée à plusieurs reprises, elle est notamment distinguée aux États-Unis en 1979 par le prix Koussevitzky pour l’ensemble de son œuvre. Parmi ses œuvres, citons Tsu V (1964) pour orchestre symphonique ; Œil de chat (1976-1977) pour grand orchestre symphonique ; des spectacles multimédias (Between, 1978-1986) ; desinstallations (Aquariums musicaux, 1983). Attentive à la grande poésie cosmique de Saint-John Perse elle compose, inspirée par Amers, les Éclats d’obscur (1981-1982), œuvre radiophonique pour récitant, soprano, violoncelle, piano et percussion. Travaillant en résidence aux États-Unis, à Amsterdam, Berlin, Glasgow, Lyon, cette artiste développe d’innombrables activités parallèles à la création musicale (travaillant à la direction de la Galerie d’art contemporain à New York comme au Musée d’ethnologie de Bâle). T. Scherchen est à l’image de son Invitation au voyage, œuvre composée pour orchestre de chambre (1977-1978).
Marie-Françoise VIEUILLE
■ COHEN A. I. (dir.), International Encyclopedia of Women Composers, New York/Londres, Bowker, 1981 ; SADIE J. A., SAMUEL R. (dir.), The New Grove Dictionary of Women Composers, Londres, Macmillan, 1994.
SCHEURSON-MISHKOWSKY, Zelda VOIR ZELDA
SCHIAPARELLI, Elsa [ROME 1890 - PARIS 1973]
Grand couturier italienne.
Issue d’une famille aristocratique cultivée, Elsa Schiaparelli épouse en 1914 le théosophe William de Wendt de Kerlor, avec qui elle voyage en France, en Angleterre et aux États-Unis où elle demeure cinq ans. Séparée de son mari et sans ressources, elle revient à Paris où elle se lie avec les membres du mouvement dada. Elle conçoit dans son petit appartement rue de l’Université des sweaters qu’elle fait tricoter par des Arméniennes. En 1927, elle ouvre une boutique à l’enseigne Schiaparelli pour le Sport au 4, rue de la Paix, à Paris. Rapidement, des tenues de golf et de ski, des maillots de bain et des pyjamas de plage s’ajoutent aux pull-overs. Le sweater à motif de nœud en trompe-l’œil, reproduit dans Vogue en 1927, connaît un grand succès. Diversifiant sa création, elle propose à ses clientes des robes de ville et du soir. De nombreux parfums voient le jour : Souci, Salut (1934), Schiap (1937), Shocking (1938), Sleeping et, pour homme, Snuff (1939). Elle est assistée par une jeune Américaine très élégante, Bettina Jones. En 1933, elle inaugure une succursale à Londres. En 1935, elle s’installe au 21, place Vendôme avec, au rez-de-chaussée, l’une des premières boutiques de prêt-à-porter. Pendant la guerre, elle vit à New York, mais sa maison demeure en activité. À la Libération, elle revient à Paris et dessine quelques collections intéressantes, avec dans son équipe Hubert de Givenchy et Pierre Cardin. Cependant, ne retrouvant pas la place qu’elle occupait avant guerre, elle ferme son salon en 1954. Elle se contente alors de créer des articles sous licence et de rédiger son autobiographie, Shocking Life. Rivale redoutée de Coco Chanel*, E. Schiaparelli est l’une des créatrices les plus marquantes des années 1930. Elle subjugue par l’évidence de sa modernité et par l’efficacité de ses formules nouvelles. Se moquant de la notion de bon goût, elle apporte à la couture fantaisie et humour. Elle se définit comme une « artiste inspirée », mettant à profit l’imagination de ses amis (Jean Cocteau, Christian Bérard, Salvador Dalí). Certaines de ses créations s’inspirent du surréalisme comme le manteau à poches-tiroirs, la robe d’organdi imprimé d’un grand homard et ses étonnants chapeaux en forme de soulier ou de côtelette, ou encore ses gants noirs ornés de griffes dorées. Elle choisit pour ses collections des thèmes variés et souvent poétiques : la mer (printemps 1938), le cirque (été 1938), la mythologie (automne 1938), le cosmos (hiver 1938-1939), la commedia dell’arte (printemps 1939) ou la musique (hiver 1939-1940). Elle s’amuse à imaginer des accessoires bordés de dentelle anglaise, façon napperon de pâtissier, place des détails piquants sur ses modèles, comme des boutons en forme de cygne et de caniche, utilise des matériaux incongrus, tel le plastique transparent pour la collection de « verre » (Stop, Look and Listen, été 1935), ou un crêpe strié de ridules baptisé « écorce d’arbre ». Elle aime la couleur et choisit des teintes étonnantes qu’elle associe de manière subtile. Sa couleur préférée est le célèbre rose shocking, un magenta vif qui devient sa signature.
Zelda EGLER
■ BLUM D. E., Elsa Schiaparelli, Philadelphie/Paris, Philadelphia Museum of Art/Musée de la Mode et du Textile, 2004 ; COLLECTIF, Hommage à Elsa Schiaparelli, Paris, Musée de la Mode et du Costume, 1984 ; DESLANDRES Y., MÜLLER F., Histoire de la mode au XXe siècle, Paris, Somogy, 1986 ; KAMITSIS L., REMAURY B. (dir.), Dictionnaire international de la mode, Paris, Éditions du regard, 2004.
SCHIFFRIN, Deborah [1951]
Linguiste américaine.
Après des études de sociologie à l’université Temple de Philadelphie et l’obtention en 1982 d’un PhD à l’université de Pennsylvanie sur les marqueurs discursifs, sous la direction de William Labov, Deborah Schiffrin obtient un poste de professeure de linguistique en 1996 à l’université de Georgetown, où elle enseigne depuis 1982. Ses recherches, orientées sur les marqueurs du discours et les interactions verbales, ont renouvelé l’analyse du discours et la sociolinguistique. Dans ce dernier domaine, elle a montré comment, à partir d’une théorie combinant les notions de positionnement, d’espace et de vocalisation, pouvait s’analyser la projection des identités aux niveaux textuel, interactionnel et culturel.
Thomas VERJANS
■ Discourse Markers, Cambridge, Cambridge University Press, 1987 ; Approaches to Discourse, Oxford, Basil Blackwell, 1994 ; In Other Words : Variation in Reference and Narrative, Cambridge, Cambridge University Press, 2006.
SCHILLER, Iris Sara [HAÏFA 1955]
Sculptrice et vidéaste israélienne.
Après des études à l’École des beaux-arts de Bezalel à Jérusalem, Iris Sara Schiller s’installe à Paris. Son œuvre conjugue sculpture, photographie, vidéo, dessin et textes. Elle affronte avec passion et lucidité les questions qui nous hantent, transgressant ainsi les tabous de la naissance, de la sexualité, des liens familiaux et du deuil. Elle commence par la sculpture : les matériaux utilisés sont tout d’abord la terre cuite, puis le bois ; ils donnent naissance à des formes organiques, sensuelles, évoquant Hans Arp et son érotisme biomorphe de la fécondité. Après ce besoin de vérité qu’elle trouve dans des composants naturels, l’artiste s’attaque à d’autres techniques – le ciment, la pierre, la résine –, puis le plâtre qui va devenir son matériau de prédilection. « Le recours au moulage du corps est apparu, dit-elle, en réponse à la mort d’un proche. » Ses préoccupations s’inscrivent désormais dans un « rite de deuil », état d’âme qui a provoqué en elle une nouvelle attitude vis-à-vis du corps humain, en légitimant l’affectif et l’apparition de l’objet figuratif dans son travail (2002). Mouler un corps humain, comme on prend l’empreinte d’un visage défunt pour garder la trace, la mémoire de cette enveloppe charnelle, de cette peau. I. S. Schiller est passée du noyau des êtres à leur enveloppe. Que devient le corps après la mort ? « Dans des études sur la Kabbale, j’ai trouvé le terme énigmatique et séduisant de tselem : une gaine subtile qui revêt l’âme » (2002). La question du double, de la dualité féminin-masculin se décline alors de multiples façons dans des figures hybrides, souvent associées ou jumelées. I. S. Schiller cherche à donner forme à l’état fusionnel de l’amour, tant maternel que filial ou fraternel, se posant ainsi la question de la part de projection de soi dans l’autre. Elle travaille souvent sur les fragments du corps, privilégiant les bras, le torse, le cœur et ses artères. Les figures de plâtre, étalées quasi cliniquement sur l’acier de tables de chirurgie, le corps suspendu d’une fillette, jambes écartées, les chaises percées, les bassines évoquent un monde froid et menaçant où se déroulent d’étranges cérémonies. En 2005, elle reçoit le Grand prix du 50e Festival du court-métrage d’Oberhausen pour la vidéo La Tresse de ma mère, aucours de laquelle, la chevelure, celle de la mère et de la fille, joue un rôle central. Faite de violence et de sensualité, cette œuvre est représentative de la démarche d’I. S. Schiller, qui allie des gestes archaïques à des souvenirs biographiques.
Marie-Laure BERNADAC
■ Une fille est une fille est une fille d’une fille (catalogue d’exposition), Antibes/Paris, Musée Picasso/Hazan, 2003.
SCHIMMEL, Annemarie [1922-2003]
Protestante et orientaliste allemande.
Elle a connu une trajectoire comparable à celle d’Eva de Vitray-Meyerovitch* : la rencontre avec Muhammad Iqbal et la découverte du soufisme a été un élément décisif pour sa vie. Titulaire à 19 ans d’un doctorat en langues et civilisation islamique de l’université de Berlin, elle enseigne l’islam à l’Université de Marburg dès 1946, et y obtient un doctorat en histoire des religions (1954). Recrutée alors à l’Université d’Ankara, elle est la première femme, et la première non-musulmane, à y enseigner la théologie. Elle enseignera également à Harvard de 1967 à 1992. Bien qu’ayant publié plus de 50 livres sur la mystique et la littérature de l’islam, A. Schimmel est restée luthérienne.
Anne-Laure ZWILLING
■ Introduction au monde du soufisme, Saint-Jean-De-Braye, Dangles, 2004 ; Islam au féminin, la femme dans la spiritualité musulmane, Paris, Albin Michel, 2000 ; L’Incendie de l’âme, l’aventure spirituelle de Rûmî, Paris, Albin Michel, 1998.
SCHJERFBECK, Helene [HELSINKI 1862 - SALTSJÖBADEN 1946]
Peintre finlandaise.
Issue d’une famille d’origine suédoise, la petite Helene Schjerfbeck pratique les arts plastiques avec précocité et assiduité. Adolf von Becker, membre influent de la Société finlandaise des beaux-arts, autorise la fillette à s’inscrire dans son école de dessin en 1873. En ce XIXe siècle finissant, la Finlande place déjà les artistes des deux sexes sur un plan d’égalité. Nantie d’une bourse gouvernementale, la jeune fille fait ses premières armes en France, où elle se forme à l’académie parisienne Colarossi (1881-1884), avant de séjourner à Concarneau et à Pont-Aven, colonie artistique à la mode avant même la venue de Paul Gauguin, de Charles Laval et d’Émile Bernard en 1886. Ses pochades de l’époque s’inscrivent dans un style réaliste international. Parallèlement à ses scènes paysannes pittoresques mais encore conventionnelles, elle expérimente, dès cette époque, une peinture plus audacieuse : ainsi, La Porte (1884) frappe par son dépouillement, son absence de repères perspectifs et sa monochromie. Simultanément, l’artiste découvre le pleinairisme de l’école de Barbizon : en sont témoins ses paysages forestiers brossés avec énergie au début des années 1880 (L’Allée, 1882-1884). Rapidement, elle se détache de l’apprentissage formel et des sujets normatifs, tout en continuant à pratiquer un style consensuel pour les œuvres qu’elle fait concourir : La Convalescente (1888) remporte une médaille de bronze lors de l’Exposition universelle de 1889, à l’heure où P. Gauguin, É. Bernard, C. Laval et Louis Anquetin dévoilent le synthétisme. On ne sait si, alors à Paris, elle a visité l’Exposition Volpini – première manifestation du groupe impressionniste et synthétiste. Toujours est-il que, dans la foulée de l’Exposition universelle, son style gagne en cohérence. Son oscillation entre naturalisme et pleinairisme tend à disparaître en faveur d’une peinture linéaire, où l’à-plat de couleur pure remplit des arabesques décoratives. Mais, plus qu’aux Nabis, c’est à James Abbott McNeill Whistler (Ma mère, 1902) et à Édouard Manet (Jeunes filles lisant, 1907) que ses peintures, en particulier des portraits, silencieux et monumentaux, font songer. Après 1910, revenue définitivement en Finlande, elle reprend inlassablement les mêmes motifs, donnant plusieurs versions du même tableau à une ou deux décennies d’intervalle. Sa production se cantonne à trois ou quatre genres (portraits, natures mortes, paysages, réinterprétations de tableaux anciens, dont ceux du Greco), délaissant les grands sujets symboliques ou narratifs, typiques de la peinture finlandaise nationaliste d’un Akseli Gallen-Kallela. Elle se concentre aussi sur l’étude de son entourage. À l’instar d’Henri Matisse, qu’elle admire, elle propose la transposition tour à tour coloriste, graphique, décorative ou matiériste d’un thème donné, alternant supports et techniques. Il ne s’agit jamais d’études pour un tableau final mais de variations sur un même thème. Indépendante, elle se tient cependant au courant des révolutions picturales qui agitent l’Europe. À maintes reprises, elle frôle le fauvisme d’un Kees Van Dongen, l’expressionnisme d’un Egon Schiele, voire l’abstraction ; les séries des Compositions de 1915 et des Fenêtres d’église de 1919 trahissent une forte tension entre l’attachement au réel et la tentation de dissolution du sujet. L’amour du quotidien se heurte à la volonté permanente d’expérimentation, de renouvellement des modes de représentation, et à la distorsion. Ce développement expressionniste prend toute son ampleur avec ses autoportraits de vieillesse. Plus encore que le vieux Pierre Bonnard, plus violemment que Edvard Munch dans les mêmes années 1940, elle insiste sur le délabrement du corps en infligeant à son visage une déformation, une simplification destructrice qui abrase, comme de l’acide. Géométrisés, estompés, grattés, tordus, biffés, les traits du visage se réduisent à la sombre effigie spectrale d’Une vieille artiste peintre (1945), ultime face-à-face de la peintre avec elle-même. Travailleuse solitaire, elle suit un parcours d’abord fulgurant puis silencieux, introspectif, celui d’un « moine peintre » tourné tout autant vers l’étude acharnée de la figure humaine que vers la recherche de solutions formelles inédites.
Clément SIBERCHICOT
■ Helene Schjerfbeck, Finland’s Modernist Rediscovered (catalogue d’exposition), New York, National Academy of Design, 1992 ; Helene Schjerfbeck, 1862-1946 (catalogue d’exposition), Görgen A., Gassner H. (dir.), Paris, Paris musées, 2007.
■ Lumière du monde, lumière du ciel (catalogue d’exposition), Paris, Paris musées, 1998.
■ FACOS M., « Helene Schjerfbeck’s self-portraits : revelation and dissimulation », in Woman’s Art Journal, vol. 16, no 1, 1995.
SCHLEGEL, Dorothea (ou Dorothea VEIT, née BRENDEL MENDELSSOHN) [BERLIN 1764 - FRANCFORT 1839]
Femme de lettres allemande.
Redécouverte vers la fin des années 1970, Dorothea Schlegel fut une grande romancière, épistolière, essayiste et traductrice. Elle a contribué non seulement à la diffusion des idées romantiques mais aussi à l’émancipation des femmes. Elle grandit dans un milieu cultivé et reçoit de son père, le philosophe Moses Mendelssohn, une éducation juive traditionnaliste. À 19 ans, se pliant au vœu paternel, elle épouse le banquier Simon Veit. Ce mariage sans amour lui insuffle le courage de revendiquer son droit au bonheur, fut-ce au prix de la transgression des normes de la tradition juive et de la bienséance bourgeoise. La fréquentation du salon littéraire de son amie Henriette Herz (1764-1847) à Berlin est déterminante dans sa formation intellectuelle. Elle y rencontre Friedrich Schlegel, dont le roman Lucinde retranscrit leur relation fusionnelle. Après son divorce, elle suit F. Schlegel à Iéna, où ils forment le cercle du jeune romantisme qui compte August Wilhelm et Caroline Schlegel*, Novalis, Tieck et Schelling. À Paris, en 1804, ils se marient et se convertissent au catholicisme à Cologne, en 1808. Après un séjour de vingt ans à Vienne, D. Schlegel rejoint, à la mort de son mari, son fils Philipp Veit à Francfort. Le roman de D. Schlegel, Florentin, est édité par F. Schlegel sans mention de son auteure. Les pérégrinations du héros, artiste dilettante traversant l’Europe à la recherche du bonheur, les remarques satiriques à l’encontre des Lumières, les réflexions sur l’amour, l’enchevêtrement des genres littéraires sont autant de caractéristiques du roman qui le rapprochent de ses modèles (Wilhelm Meister de Goethe et Franz Sternbalds Wanderungen de Tieck). On doit également à D. Schlegel des traductions d’œuvres françaises, dont Corinne de Germaine de Staël*, ainsi que des critiques littéraires très pertinentes.
Sophie FLORIS
■ Briefe von und an Friedrich und Dorothea Schlegel, in Kritische Friedrich-Schlegel-Ausgabe, Behler E. (dir.), Paderborn, Schöningh, 1980-1987.
■ STERN C., « Ich möchte mir Flügel wünschen », Das Leben der Dorothea Schlegel, Reinbek, Rowohlt, 1990.
SCHLEGEL-SCHELLING, Caroline [GÖTTINGEN 1763 - MAULBRONN 1809]
Femme de lettres et épistolière allemande.
Personnalité hors du commun, tantôt admirée, tantôt diabolisée – « la Dame Lucifer », selon Schiller, est aussi raillée par Goethe, qui la qualifie de « magicienne aux multiples hommes » –, Caroline Schlegel-Schelling a été proche d’intellectuels dans des périodes d’intense créativité et a exercé sur eux un fort ascendant. Outre une correspondance très riche, elle est aussi l’auteure de critiques littéraires, qu’elle ne publie pas sous son nom, et d’un projet de roman inabouti. Elle collabora également aux traductions de Shakespeare par August Wilhelm Schlegel et œuvra comme secrétaire auprès de ce dernier et de Schelling. Fille de l’orientaliste Michaelis, elle grandit dans un milieu baigné de l’esprit des Lumières. Veuve après un mariage de convenance, elle se rend en avril 1792 à Mayence auprès de son amie d’enfance Therese Huber*. C’est dans cet espace de liberté et de bouillonnement politique, dans la première république sur le sol allemand, que C. Schlegel-Schelling, en quête d’épanouissement personnel, trouve un point d’ancrage affectif et idéologique, ainsi qu’un ton, une plume et l’affirmation d’une sensibilité républicaine. Mais ces mois font d’elle une paria. Le 25 mars 1793, Georg Forster quitte Mayence pour Paris, porteur d’une demande officielle de rattachement de Mayence à la France. C. Schlegel-Schelling, qui tente de rejoindre Gotha en compagnie de sa fille, est arrêtée et emprisonnée à la forteresse de Königstein dans le Taunus, non loin de Mayence. Là se conjuguent deux souffrances, celle, publique, de l’accusation d’immoralité et de prosélytisme politique, et celle, tenue secrète, de la grossesse illégitime, fruit d’une liaison avec un jeune officier français qu’elle refusera d’épouser. Dans ses lettres de Mayence et de Königstein, maniant subtilement l’ironie, elle fait œuvre littéraire aux accents de satire et de pamphlet contre le pouvoir arbitraire de la Prusse. Libérée au début du mois de juillet grâce à l’intervention de son frère auprès du roi, c’est finalement à Lucka, près de Leipzig, qu’elle va attendre la naissance de « l’enfant de la passion et de la nuit ». Visiteur assidu de C. Schlegel-Schelling dans sa retraite, Friedrich Schlegel admire en elle le choix de donner forme à sa vie. Son exemple et ses convictions républicaines nourrissent sa propre réflexion sur la Révolution française et son projet d’émancipation d’une humanité régénérée par l’union du masculin et du féminin. Lasse de l’ostracisme social dont elle est victime, elle épouse en 1796 A. W. Schlegel. Tous deux s’installent à Iéna, où se forme bientôt sous leur toit, en 1799-1800, le cercle qui devient l’âme du premier romantisme et rassemble autour des frères Schlegel, de C. Schlegel-Schelling et de Dorothea Schlegel*, Fichte, Novalis, Tieck, le théologien Friedrich Schleiermacher et le jeune philosophe Schelling. Par son rayonnement, sa personnalité et son travail (elle contribue à la revue Athenäum, cofondée par les frères Schlegel, organe du premier romantisme), elle exerce une influence déterminante sur le groupe. La rencontre avec Schelling bouleverse profondément sa vie – elle est de 12 ans son aînée –, et le cercle de Iéna, déchiré par les désaccords, se sépare quand une relation amoureuse intense se noue entre eux, qui lui vaudra la vindicte de Friedrich et de Dorothea. La mort d’Auguste, sa fille de 15 ans, dont elle est très proche, l’éprouve durement, provoquant une crise morale si profonde qu’elle rompra avec Schelling et tentera de se rapprocher d’A. W. Schlegel. Cependant le divorce est prononcé en 1803 sur l’intervention de Goethe. C. Schlegel-Schelling, à qui Karl Jaspers attribue dans sa biographie de Schelling une influence intellectuelle décisive sur celui-ci, épouse le philosophe peu après. Tout entière dévouée à sa carrière, souffrant du climat de médisances alimenté par ses anciens amis et de la « furie de la persécution politique » en Allemagne, elle meurt de la dysenterie. « Scandaleuse », elle reste l’un des phares d’une féminité en quête de réalisation personnelle, envers et contre le modèle dominant du XIXe siècle.
Véronique DALLET-MANN
■ BECKER-CANTARINO B., Schriftstellerinnen der Romantik, Epoche, Werke, Wirkung, Munich, C.H. Beck, 2000 ; DAMM S. (dir.), Begegnung mit Caroline, Leipzig, Reclam, 1984 ; ID. (dir.), Die Kunst zu leben, Francfort, Insel, 1997.
SCHLESINGER, Therese (née ECKSTEIN) [VIENNE 1863 - BLOIS 1940]
Publiciste, femme politique et journaliste autrichienne.
Issue d’une famille de la bourgeoisie viennoise, Therese Schlesinger ne fait pas d’études, contrairement à ses frères, et toute sa vie sera hantée par la peur de mourir ignorante. Autodidacte, veuve très jeune, elle rejoint les « féministes bourgeoises ». Elle revendique l’accès des femmes à l’enseignement supérieur et au suffrage, ainsi qu’une plus grande liberté sexuelle. En 1896, elle est membre de la Commission d’enquête sur la situation des travailleuses viennoises, et, un an plus tard, elle rejoint la social-démocratie, devenant l’une de ses plus actives publicistes et polémistes. Elle s’illustre notamment dans le débat sur le révisionnisme bernsteinien. Pendant la Première Guerre mondiale, elle est l’une des principales représentantes de l’aile pacifiste de la gauche sociale-démocrate autrichienne. Fin 1918, elle édite avec Adelheid Popp Die Wählerin (« l’électrice »). En 1919, elle est l’une des premières femmes à entrer au Parlement. De 1923 à 1930, T. Schlesinger siège au Conseil fédéral, le sénat autrichien. Elle est l’une des rares sociales-démocrates, avec Käthe Leichter*, à être capable de rédiger des textes à destination des femmes de la classe ouvrière, par exemple dans Die Unzufriedene (« l’insatisfaite ») ou dans Die Frau (« la femme »), et des textes théoriques et polémiques dans les revues spécialisées de la social-démocratie comme Der Kampf (« le combat »). Après avoir publié un ouvrage sur les femmes au XIXe siècle en 1902, elle rédige en 1919 une brochure consacrée à la « travailleuse intellectuelle » puis une autre, deux ans plus tard, sur l’éducation des enfants de la classe ouvrière. En 1926, elle rédige les parties concernant les revendications féminines du Programme de Linz de la social-démocratie, alors qu’elle défend des positions bien plus radicales que celles de la direction du parti. Condamnée à quitter le pays après l’Anschluss, en 1938, elle meurt sur le chemin de l’exil à Blois, en 1940.
Paul PASTEUR
SCHLIEBEN-LANGE, Brigitte [STÖTTHAM 1943 - FRANCFORT 2000]
Romaniste allemande.
Après avoir étudié la romanistique et la philologie en Allemagne et en France, Brigitte Schlieben-Lange a développé son activité scientifique dans plusieurs directions : l’étude des langues occitane et catalane, la linguistique romane, envisagée notamment d’un point de vue sociolinguistique et pragmatique, et l’histoire des idées linguistiques. Dans ce dernier domaine, elle s’est surtout penchée sur les idéologues en Europe, en confrontant plus particulièrement le métalangage à l’activité linguistique. Elle a occupé la chaire de linguistique d’E. Coseriu à l’université de Tübingen où elle a mené différents projets sur les langues romanes et sur les idéologues.
Thomas VERJANS
■ Idéologie, révolution et uniformité de la langue, Liège, Mardaga, 1996.
■ Okzitanisch und Katalanisch, Ein Beitrag zur Soziolinguistik zweier romanischer Sprachen, Tübingen, Gunter Narr, 1971 ; Linguistische Pragmatik (1975), Stuttgart, Kohlhammer, 1979.
LES SŒURS SCHLUMBERGER
Mécènes et philanthropes françaises.
Toutes trois filles de Louise Delpech et de Conrad Schlumberger, polytechnicien, scientifique et industriel qui a fait fortune avec son entreprise de recherche pétrolière, Annette Schlumberger, Dominique de Ménil et Sylvie Boissonnas ont chacune contribué par leur activité à l'essor de l'enseignement, de la culture ou de l'art.
Annette Schlumberger (Rodez 1905 - Paris 1993) quitte clandestinement la France en 1940 pour rejoindre à Houston, où se trouve la société Schlumberger, son mari Henri Doll, polytechnicien, avec qui elle aura trois filles. Dans les années 1950, indépendante et nomade, elle revient en Europe, s’éprend de la Grèce au cours de ses voyages, et commence sa vie de philanthrope en donnant des bourses à de jeunes étudiants grecs. À partir de 1965, elle crée avec la bibliothécaire Geneviève Patte l’association La Joie par les livres et fait construire par l’architecte Gérard Thurnauer une bibliothèque pour enfants à Clamart, au milieu des HLM. Suite à cette initiative, 22 bibliothèques similaires naîtront en Grèce. En 1981, elle crée également l’Académie musicale de Villecroze dans le Var où viennent enseigner ou travailler de grands artistes tels que Jessye Norman*, Yo-Yo Ma, Huguette Dreyfus*. En 1986, elle transforme le domaine des Treilles (près de Villecroze) en une fondation reconnue d’utilité publique où elle organise des rencontres scientifiques, littéraires et pluridisciplinaires.
Après des études scientifiques à la Sorbonne, Dominique de Ménil (Paris 1908 - Houston 1998) se convertit au catholicisme, et agit pour l’œcuménisme. Elle épouse en 1930 Jean de Ménil avec lequel elle aura cinq enfants. Le couple est initié à l’art contemporain par le Père Couturier, dominicain qui s’intéresse à la place de l’art contemporain au sein de l’église, puis part pour Houston où D. de Menil vivra la plus grande partie de sa vie. Après la guerre, elle commence à collectionner de l’art moderne et contemporain, mais aussi étrusque, cycladique, byzantin, premier. Avec son époux, elle fait construire ce qui s’appellera la chapelle Rothko, du nom du peintre auquel elle a commandé les huit panneaux qui ornent l’intérieur. Puis, dans les années 1980, elle confie à Renzo Piano la construction d'un musée à Houston pour héberger sa collection. En 1986, elle crée avec Jimmy Carter la fondation Carter-Menil pour les droits humains qui décernera des prix jusqu’en 1992, notamment à des dissidents russes, des opposants aux dictatures en Amérique latine et à l'apartheid.
Sylvie Boissonnas (Paris 1912 - id. 1999) épouse en 1935 Éric Boissonnas, géophysicien, avec lequel elle aura quatre enfants. En 1946, la famille rejoint les deux sœurs à Houston. De retour en France, en 1959, S. Boissonnas se lance dans l’alphabétisation des femmes du bidonville de Nanterre. Elle accompagne son mari dans la réalisation d’une station de sports d’hiver, dont l’architecte est Marcel Breuer, à Flaine, en Haute-Savoie. Elle y ouvre en 1970 un centre d’art où elle organise avec Bénédicte Pesle plus de 70 expositions en vingt-cinq ans. Là, elle travaille avec Aline Luque à la sauvegarde de la mémoire des habitants des vallées alentour en enregistrant, pendant huit ans, des entretiens sur leur vie. Ce projet se concrétise en neuf films, les Portraits en altitude. Dans le même temps, elle contribue à partir de 1976 au développement du tout nouveau Musée national d’art moderne (MNAM) à Paris, à travers notamment de nombreuses donations d'œuvres. Elle est présidente de la Société des amis du MNAM de 1980 à 1987.
Martine LUX
SCHLÜPMANN, Heide [BETZDORF AN DER SIEG 1943]
Théoricienne du cinéma allemande.
Après avoir suivi l’enseignement de Hans Gadamer, Ernst Bloch et Theodor W. Adorno, Heide Schlüpmann fait son doctorat de philosophie en 1975 sur Nietzsche, puis se tourne vers le cinéma. À partir de 1979, elle est membre de la rédaction de Frauen und Film (« femmes et film ») et de la commission du Festival de films d’Oberhausen dans les années 1980. Depuis 1991, elle est professeure en études cinématographiques à l’université de Francfort-sur-le-Main. H. Schlüpmann travaille principalement sur le cinéma des premiers temps, le cinéma comme lieu social et esthétique, et sur la réception par les spectateurs, et plus particulièrement par les spectatrices. Tenante d’une critique féministe du cinéma et d’une critique sociale via l’esthétique, elle a publié de nombreux ouvrages. Engagée dans le mouvement des femmes des années 1960-1970, elle est en 2001 l’une des fondatrices de la cinémathèque Asta-Nielsen (à Francfort-sur-le-Main), qui projette les œuvres des femmes cinéastes.
Sarah DELLMANN
■ The Uncanny Gaze : The Drama of Early German Cinema (Unheimlichkeit des Blicks : das Drama des frühen deutschen Kinos, 1990), Urbana, University of Illinois Press, 2010.
SCHMIDEBERG, Melitta (née KLEIN) [ROSENBERG, SLOVAQUIE 1904 - LONDRES 1983]
Médecin et psychanalyste britannique.
Fille aînée de Melanie Klein*, Melitta Schmideberg assiste dès l’âge de 15 ans aux réunions de la Société psychanalytique de Budapest où ses parents, viennois d’origine, s’étaient installés. Suivant sa mère lorsque celle-ci quitte la Hongrie pour l’Allemagne, elle fait ses études de médecine à Berlin. Elle apparaît sous le nom de Lisa dans un article de M. Klein datant de 1923 sur « Le rôle de l’école dans le développement libidinal de l’enfant ». À Berlin, M. Schmideberg aurait été en analyse successivement avec Max Eitingon, Hanns Sachs et Karen Horney*. C’est à cette époque qu’elle rencontre Walter Schmideberg, un analyste autrichien émigré à Berlin, qu’elle épouse en 1924. Trois ans plus tard, comme M. Klein, ils quittent Berlin pour Londres. Elle y fait une autre analyse avec Ella Sharpe*, écrit de nombreux articles, devient membre de la Société britannique de psychanalyse. C’est au cours d’une cinquième analyse, avec Edward Glover, qu’elle rompt violemment avec sa mère, en combattant le prosélytisme kleinien. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, elle émigre aux États-Unis où elle participe à la fondation de l’Association pour le traitement des délinquants auxquels elle entendait se consacrer désormais. En 1948, elle publie à Londres Children in Need, et lance la revue The International Journal of Offender Therapy and Comparative Criminology. Après la mort de M. Klein, en 1960, elle revient à Londres mais elle démissionne, en 1962, de la Société britannique de psychanalyse et, jusqu’à la fin de sa vie, se tiendra à l’écart aussi bien de ses collègues que de sa famille.
René MAJOR
SCHMIDT, Élisabeth [PARIS 1908 - CASTRES 1986]
Pasteure française.
Fille d’un député des Vosges et d’une professeure d’allemand, Élisabeth Schmidt étudie la philosophie à la Sorbonne et la théologie à Genève où elle obtient, en 1934, le prix de prédication. Désirant, malgré l’inaccessibilité de la fonction aux femmes, être pasteure, elle est assistante de paroisse de 1935 à 1941 à Sainte-Croix-Vallée-Française (Cévennes), où elle organise notamment des cours ruraux et une Union chrétienne de jeunes filles. En 1941, à la demande de la Cimade (Comité inter-mouvements auprès des évacués), É. Schmidt se porte au secours des réfugiés du camp de Gurs. Elle y attrape la typhoïde. Après son évacuation du camp, elle est envoyée à l’Église réformée de Sète en 1942. À la demande de cette paroisse, elle est consacrée pasteure le 20 octobre 1949 (à condition de rester célibataire) : elle devient ainsi la première femme pasteure de l’Église réformée de France. De 1958 à 1963, elle exerce ses fonctions dans la paroisse de Blida-Médéa en Algérie, puis à Nancy pour les dernières années de son ministère pastoral, avant sa retraite en 1972. Elle a écrit plusieurs livres dont J’étais pasteur en Algérie, en ces temps de malheur (1958-1962) (1976), où elle retrace ses expériences de « pionnière du pastorat féminin », et Quand Dieu appelle des femmes, le combat d’une femme pasteur (1978).
Lucie VEYRETOUT
■ ENCREVÉ A. (dir.), Dictionnaire du monde religieux dans la France contemporaine, 5, Les Protestants, Paris, Beauchesne, 1993 ; GAUSSENT J.-C., « La question du ministère pastoral féminin dans l’Église Réformée de France », Évangile et liberté, no 125, sept. 1999.
SCHMIDT, Eva [BUDAPEST 1948 - DISTRICT DES KHANTY-MANSI 2002]
Ethnologue et linguiste hongroise.
C’est à l’âge de 16 ans qu’Eva Schmidt découvre la langue et l’épopée khanty. Elle s’inscrit dès lors dans une lignée d’illustres folkloristes hongrois. Dans le cadre de ses études à l’université de Budapest, elle effectue un premier stage linguistique à l’université de Leningrad et à l’institut Herzen (1969-1970), où elle est formée par le scientifique khanty Nikolaj Ivanovič Terëškin, dont elle retranscrira en lettres latines, dans les années 1980, les matériaux de terrain en divers dialectes septentrionaux et orientaux. À Leningrad, elle suit des études d’anthropologie et d’ethnologie (1979) et soutient une thèse consacrée au culte ougrien de l’ours (1989). Elle revient ensuite dans le district autonome des Khanty-Mansi pour une collaboration avec les peuples éponymes qui durera plus de trente ans. Titulaire de la chaire de finno-ougristique de l’université de Budapest, elle conçoit le fonds scientifique d’archives du folklore des Khanty du Nord, créé en mai 1991. Cette institution a pour but de collecter des données, de créer une bibliothèque, d’organiser des rituels et des fêtes autour de ceux et celles qui « savent » encore, de dépouiller et de déchiffrer de nouveau tous les matériaux recueillis par les folkloristes hongrois et finnois depuis le XIXe siècle, de diffuser l’héritage culturel ob-ougrien, de « réinvestir » les sites sacrés, d’élaborer un enseignement des langues plus adapté et de constituer un réseau de collecteurs amateurs formés à ce travail. Nommée à la tête de ce fonds, elle s’entoure de collaborateurs, tous khanty, qu’elle a elle-même formés. Avec la même rigueur mise à organiser ces archives envers et contre tout, E. Schmidt a organisé sa mort le 4 juillet 2002, laissant pour certaines d’entre elles un délai de communicabilité de vingt ans, d’autres étant définitivement incommunicables.
Dominique SAMSON NORMAND DE CHAMBOURG
■ « Trends in 20th century ob-ugric oral tradition », in HONKO L., VOIGT V., Adaptation, Change and Decline in Oral Literature, Helsinki, Suomalaisen Kirjallisuuden Seura, 1981 ; « Bear cult and mythology of the Northern ob-ugrians », in HOPPÁL M., PENTIKÄINEN J., Uralic Mythology and Folklore, Budapest, Ethnographic Institute of the Hungarian Academy of Sciences, 1989 ; S ljubov’ju i bol’ju. K 60-letiju so dnja roždenija Evy Šmidt, Khanty-Mansijsk, Poligrafist, 2008.
SCHMIDT, Vera (née FEDOROVNA) [ODESSA 1889 - MOSCOU 1937]
Pédagogue et psychanalyste russe.
Née de parents médecins, Vera Fedorovna fut très tôt influencée par sa mère qu’elle voyait soigner des enfants atteints de troubles neurologiques. De 1908 à 1912, elle fit ses études supérieures à Saint-Pétersbourg, au cours Bestoujev, où elle obtint son diplôme d’enseignante. C’est en 1913 qu’elle rencontre Otto Schmidt, mathématicien de renom, qu’elle épouse la même année. Passionnée de psychanalyse, tout comme son mari, c’est dans le texte allemand qu’elle lit Sigmund Freud. Depuis les années 1910, un embryon de Société de psychanalyse existait en Russie, qui ne sera officiellement reconnue qu’en 1924 par l’Association psychanalytique internationale. Pendant la révolution de 1917, son mari, occupant la haute fonction de vice-président de l’Académie des Sciences d’URSS, fera bénéficier de son appui financier et scientifique les institutions analytiques et, dirigeant les éditions d’État, publiera en russe deux ouvrages de S. Freud, Totem et Tabou (1913) et Introduction à la psychanalyse (1916). La grande aventure de V. Schmidt restera la révolution qu’elle promeut dans l’éducation de la petite enfance et qui prend place dans le contexte de deux autres révolutions : la révolution psychanalytique, qui prônait l’épanouissement de l’enfant, et la révolution russe, qui souhaitait l’avènement de « l’homme nouveau ». C’est en août 1921 qu’elle crée à Moscou le laboratoire expérimental Detski Dom. Cette institution pour enfants est soutenue financièrement à la fois par l’État et par un syndicat allemand. Elle reçoit une douzaine d’enfants de 2 à 4 ans, encadrés par de nombreux éducateurs. Les principes y sont non répressifs, laissant la sexualité infantile s’y déployer sans punition et demandant aux adultes de tenir compte des besoins de l’enfant. La Nomenklatura soutient ce projet et le fils de Joseph Staline y est élevé, de même que son propre fils. Elle tiendra un journal quotidien sur son travail dans cette maison d’enfants et sur l’évolution de son fils. Elle écrit, en 1924, sur l’éducation psychanalytique en Union soviétique et, plus tard, un rapport sur le Home d’enfants expérimental de Moscou (1921-1934). Elle est aussi l’auteur de l’article « Le développement de la pulsion de savoir chez un enfant » qui paraîtra dans un ouvrage signé par elle et Annie Reich* à Paris, en 1979, sous le titre Pulsions sexuelles et éducation du corps. Wilhelm Reich, qui a visité le Home, y voit « la première tentative dans l’histoire de la pédagogie pour donner un contenu pratique à la théorie de la sexualité infantile » et, à ce titre, elle revêt à ses yeux « une importance historique, comparable, quoique sur une tout autre échelle, à la Commune de Paris ». V. Schmidt rend visite à S. Freud en 1923 pour lui faire part de ses travaux et se faire reconnaître comme psychanalyste. Elle sera nommée secrétaire de la Société de psychanalyse en 1927. Cependant, la psychanalyse, et en particulier la conception freudienne de la sexualité qu’elle promeut, s’attire rapidement les foudres du régime communiste. Le bolchevisme, qui avait cru pouvoir utiliser la psychanalyse pour détruire l’autorité du père et les liens de la famille afin qu’il n’y ait plus que des enfants de la Nation et du Père des peuples, la qualifie très vite d’« idéologie réactionnaire » et de « science bourgeoise », afin de masquer ce que la prise en compte de la libido pouvait avoir de profondément inconciliable avec l’asservissement de l’homme à une quelconque idéologie. Ce qui entraîne en août 1925, avec la fermeture définitive du Home d’enfants, décrétée par le ministère de l’Instruction publique, la fin de l’expérience pédagogique que V. Schmidt avait courageusement menée jusque-là. Elle se tournera dès lors vers la recherche en pathologie cérébrale chez l’enfant. Elle participa à l’une des célèbres expéditions polaires du Tchelouskine dirigées par son mari.
Michelle MOREAU RICAUD
■ Avec REICH A., Pulsions sexuelles et éducation du corps, Paris, Union générale d’éditions, 1979.
SCHMITT PANTEL, Pauline [VIALAS 1947]
Historienne française.
Pauline Schmitt Pantel étudie l’histoire et la géographie à Lyon. Agrégée d’histoire en 1969, elle enseigne quelques années dans le secondaire puis à l’université Paris 7, tout en préparant une thèse d’État en histoire ancienne soutenue en 1987 à l’université Lyon 2. Cette thèse sur les banquets publics dans les cités grecques lui ouvre en 1988 la porte du professorat qu’elle exerce à l’université de Picardie d’abord puis, à partir de 1997, à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Membre du Centre Louis-Gernet depuis 1970, elle fonde en 2000 avec Louise Bruit Zaidman une équipe de recherche spécialisée dans l’histoire culturelle du monde grec et romain, Phéacie, puis participe à la création de l’UMR ANHIMA (Anthropologie et histoire des mondes anciens), dont elle fait partie depuis 2010. Héritière de plusieurs courants historiographiques en histoire ancienne, anthropologie historique, histoire des religions, histoire des images, épigraphie, P. Schmitt Pantel a conçu une œuvre historique originale et pionnière dans bien des domaines. Son travail sur La Cité au banquet (1992), Public et privé en Grèce ancienne (1998), Athènes et le Politique (2007) – en collaboration pour ces deux derniers avec François de Polignac – et les Hommes illustres à Athènes (2009) a profondément renouvelé l’histoire des pratiques sociales et culturelles dans le monde grec aux époques archaïque et classique, tandis que La Religion grecque, publié en collaboration avec L. Bruit Zaidman, est devenu l’ouvrage de référence dans ce domaine, en France comme à l’étranger. Prenant la relève des travaux du Centre Louis-Gernet sur le politique, P. Schmitt Pantel réussit la synthèse d’une réflexion sur les structures mentales qui ont présidé au fonctionnement de la cité grecque et d’une histoire des mœurs renouvelée. Historienne des femmes et du genre, elle a créé en 1973 à Paris 7, avec Michelle Perrot* et Fabienne Bock, un cours intitulé « Les femmes ont-elles une histoire ? ». Elle a également dirigé le volume consacré à l’Antiquité dans la collection « Histoire des femmes en Occident » éditée par Georges Duby et M. Perrot (1991), et rédigé de nombreux articles qui font date dans notre compréhension des logiques de genre dans le monde grec aux époques archaïque et classique. Ces articles sont accessibles aujourd’hui sous le titre Aithra et Pandora, femmes, genre et cité dans la Grèce antique (2009). Elle est aussi membre du comité scientifique de la revue Clio, histoire, femmes et sociétés depuis sa création et du comité scientifique de l’Institut Émilie-du-Châtelet. Ses travaux scientifiques comme son enseignement lui ont donné l’occasion de former une génération d’hellénistes qui, aujourd’hui regroupés autour de Violaine Sebillote Cuchet, lui ont rendu hommage à l’occasion de sa retraite de l’université en 2010 dans Le Banquet de Pauline Schmitt Pantel.
Sophie LALANNE
■ AZOULAY V., GHERCHANOC F., LALANNE S. (dir.), Le Banquet de Pauline Schmitt Pantel, Paris, Publications de la Sorbonne, 2012.
SCHMOCKER-WILLI, Ursula (née WILLI) [BÂLE 1938]
Paysagiste suisse.
Après un apprentissage à l’École horticole de jeunes filles de Niederlenz de 1955 à 1957, Ursula Schmocker-Willi a poursuivi sa formation à la pépinière de la Ville de Zurich, avant d’élargir son expérience pratique dans le sud de la France et en Suède. De retour en Suisse, elle est entrée en 1962 dans l’agence de Verena Dubach* et a suivi parallèlement des cours de dessin à l’École des arts appliqués de Zurich. Dès 1964, elle a étudié l’architecture paysagère à l’École supérieure des beaux-arts de Cassel, en Allemagne. De retour en Suisse, elle a travaillé chez l’architecte paysagiste Fred Eicher, avant d’ouvrir en 1968 sa propre agence à Zurich. Elle a collaboré ponctuellement avec l’Institut pour l’aménagement du territoire de l’École polytechnique fédérale de Zurich. Depuis 1974, elle vit et travaille à Oberrieden, près de Zurich. Elle fut, en 1986, la deuxième femme, après V. Dubach, à entrer à l’Association suisse des architectes paysagistes et a fait partie de son comité directeur de 1994 à 2000. Parmi ses réalisations figurent l’aménagement de jardins et de sites de grands complexes scolaires, notamment le centre de formation de Zofingen (1976-1977), l’école secondaire de Baden (1977-1978), l’école de formation d’institutrices de Brugg (1977-1978), l’École polytechnique fédérale de Lausanne, à Ecublens (1976-1984) et l’école Rudolf-Steiner-Sihlau à Adliswil (1983-1984). U. Schmocker-Willi a également aménagé les jardins des centres religieux, à Kloten (1971-1972) et Oberrieden, et des cimetières, dont celui de Chilisbäum, à Rümlang (1976-1977). Les parcs de loisirs des studios de la télévision suisse à Zurich (1976) et le jardin de l’Hôpital universitaire de Zurich (1990-1993) sont également ses œuvres. Dans ses interventions, elle a travaillé en collaboration étroite avec les architectes, notamment avec son époux Fritz Schmocker, agissant dès la conception du projet d’architecture. Ses réalisations témoignent de la recherche de solutions techniques, de matériaux, de matières végétales, et accordent une attention particulière à la topographie des lieux et à l’équilibre entre effet, usage et maintenance. Son intérêt pour l’environnement urbain comme espace social et la promotion de l’aspect communautaire et social des espaces verts comme lieu de rencontre et de récréation ont établi sa réputation.
Katia FREY
■ LERCH G., « Un métier, un art, une passion. Porträt einer eigenwilligen, unprätentiösen und verantwortungsbewussten Gestalterin », in Anthos, no 3, 2009.
SCHMÜCKLE-MOLLARD, Christiane [CHAMBÉRY 1946]
Architecte française.
Diplômée de l’École des beaux-arts en 1970 et de l’Université technique de Munich en 1977, Christiane Schmückle-Mollard exerce une activité libérale à Bruxelles et à Munich entre 1970 et 1977, avant de devenir architecte consultante à la direction départementale de l’équipement du Val-de-Marne jusqu’en 1981. En 1979, elle obtient le diplôme du Centre d’études supérieures d’histoire et de conservation des monuments anciens puis, ayant réussi le concours de recrutement d’architecte en chef des Monuments historiques, elle est en 1982 la première femme à assurer cette fonction. En charge des départements de l’Aude, de la Lozère et de l’Hérault, elle met notamment en place la zone de protection du patrimoine architectural et urbain de Sète (1985-1988). Après avoir restauré l’hôtel de Croisilles à Paris (1988), elle œuvre également dans la Sarthe, l’Orne et le Val-de-Marne. Au Mans, elle dirige, entre autres, les travaux de restauration de la cathédrale Saint-Julien (1994) et de l’abbaye Saint-Vincent (1996). Architecte en chef du musée de l’Œuvre-Notre-Dame et de la cathédrale Notre-Dame de Strasbourg depuis 1999, elle poursuit les travaux de restauration de la façade nord et engage ceux des vitraux. Dans les années 2000, elle restaure le château de Grosbois à Boissy-Saint-Léger (XVIIe-XVIIIe siècle) et le château de Sucy-en-Brie (XVIIe-XIXe siècle).
Élise KOERING
■ Avec LOYER F. (dir), Façadisme et identité urbaine, Paris, Éditions du patrimoine, 2001.
SCHNAPPER, Dominique (née ARON) [Paris 1934]
Sociologue française.
Fille du philosophe, sociologue et journaliste Raymond Aron, Dominique Schnapper partage avec son père l’engagement dans le débat intellectuel et politique. En 1957, elle obtient le diplôme de l’Institut d’études politiques de Paris, un doctorat de sociologie à la Sorbonne en 1967, puis un doctorat ès lettres à l’université Paris 5 en 1979. Ses préoccupations de recherche tournent autour d’une question centrale en sociologie depuis Durkheim : l’intégration sociale. D’abord centrée sur l’intégration économique et sociale – comme en témoigne son étude publiée en 1981 et rééditée en 1994, L’Épreuve du chômage –, elle questionne ensuite la problématique de la citoyenneté à l’échelle de la France puis de l’Europe. Son ouvrage La France de l’intégration, sociologie de la nation en 1990 (1991) connaît un grand retentissement. On lui doit la formalisation du « modèle d’intégration républicain » qui fonctionne comme un idéal-type de la singularité française mais aussi comme un idéal politique. Dans ce modèle, l’intégration, conçue comme individuelle, s’opère grâce à des instances de socialisation laïques et égalitaires telles que l’école. Cette conception n’exclut pas le pluralisme, mais refuse une fragmentation durable du corps social sur la base des origines. Pour D. Schnapper, la question de la citoyenneté, centrale dans ses ouvrages, est une utopie créatrice, face aux défis que constitue la montée de l’individualisme, de la diversité culturelle et du primat de l’économisme que véhicule le processus de mondialisation. Dans le vocabulaire contemporain, c’est la question du « vivre ensemble » que la sociologue cherche à résoudre. L’essentiel de sa carrière se déroule à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) où, directrice d’études depuis 1980, elle mène des recherches et forme ses étudiants. Elle occupe parallèlement un poste d’experte au sein de commissions initiées par les pouvoirs publics : commission Marceau Long sur la réforme de la nationalité (1987), Commission 2000 du Commissariat général au plan (1989), commission Henrion sur la drogue (1994), commission Fauroux sur l’éducation (1995-1996). Elle préside la Société française de sociologie de 1995 à 1999. Le couronnement de sa carrière de sociologue politique, reconnue à la fois par les institutions républicaines et académiques, est sa nomination au Conseil constitutionnel par le président du Sénat en février 2001. En 2013 elle publie ses mémoires : Travailler et aimer.
Maryse TRIPIER
■ L’Europe des immigrés, essai sur les politiques d’immigration, Paris, F. Bourin, 1992 ; La Communauté des citoyens, sur l’idée moderne de nation, Paris, Gallimard, 1994 ; La Compréhension sociologique, démarche de l’analyse typologique, Paris, Presses universitaires de France, 1999 ; La Démocratie providentielle, essai sur l’égalité contemporaine, Paris, Gallimard, 2002 ; Au fur et à mesure, chroniques 2001-2002, Paris, O. Jacob, 2003.
SCHNEEMANN, Carolee [FOX CHASE, PENNSYLVANIE 1939]
Performeuse et cinéaste américaine.
Carolee Schneemann est la première artiste américaine à avoir étendu le champ de la performance au body art. Avec des mises en scènes crues et libératoires de son propre corps, le corps féminin devient lieu, objet, mais aussi sujet de l’action, dans une exploration protoféministe volontiers scandaleuse des rapports entre art, érotisme et normes sociales. Elle a suivi une formation de peintre, notamment à l’université Columbia. Ses premières œuvres, inspirées par l’expressionnisme abstrait, tendent vers le néo-dadaïsme. Proche de nombreux artistes comme Stan Brakhage ou Robert Rauschenberg à New York, influencée par Allan Kaprow, elle participe aux premiers happenings. En 1963, pour Eye Body, Errό la photographie nue, le corps couvert de graisse, de craie, de plastique, et même de serpents, dans un environnement de panneaux peints, de miroirs et de parapluies. En 1964, la troupe du Judson Dance Theater donne la performance Meat Joy à Paris, à Londres et à New York. Cette œuvre orgiaque repose sur l’improvisation et se veut un manifeste du corps dans sa dimension érotique et sexuelle, à la fois objet désiré et sujet désirant. C. Schneemann développe aussi une activité de cinéaste : Fuses (« détonateurs », 1964-1967) est sélectionné au Festival de Cannes en 1969, en section parallèle ; elle tourne l’un des premiers films contre la guerre du Vietnam (Viet Flakes, « peaux mortes de viêts », 1965). En 1975, la performance Interior Scroll (« spirale interne ») affirme le corps féminin comme lieu de la créativité. Après avoir pris des poses traditionnelles de modèle, l’artiste extrait de son vagin un rouleau, dont elle lit le contenu, possible contrepoint aux interprétations phalliques du travail des peintres expressionnistes abstraits. Depuis les années 1980, C. Schneemann poursuit ses recherches sur les tabous liés à la sexualité. Fresh Blood : A Dream Morphology (« sang frais, une morphologie de rêve », 1981-1987) explore ainsi la symbolique de la menstruation. Tout au long de sa carrière, elle a exercé une activité d’enseignement et d’écriture (Cézanne, She Was a Great Painter, 1976).
Carole BENAITEAU
■ Up to and Including Her Limits (catalogue d’exposition), New York, New MoCA, 1996.
■ BÜHLER K. O., Autobiografie als Performance, Carolee Schneemanns Experimentalfilme, Marbourg, Schüren, 2009 ; KUBITZA A., Fluxus, Flirt, Feminismus ? : Carolee Schneemanns Körperkunst und die Avantgarde, Berlin, Reimer, 2002.
SCHNEIDER, Anne-Marie [CHAUNY 1962]
Dessinatrice française.
Formée aux Beaux-Arts de Paris, Anne-Marie Schneider est avant tout reconnue pour ses dessins, bien qu’elle réalise également des sculptures et des films. En 1997, elle est une des jeunes artistes françaises sélectionnées par Catherine David pour participer à la Documenta X de Kassel, en Allemagne. La même année, le Fonds régional d’art contemporain de Picardie organise sa première exposition personnelle de dessins. Si son art fragile est délibérément figuratif, les motifs ne sont pas toujours immédiatement identifiables. Elle aime transcrire à sa manière la réalité telle qu’elle la perçoit à la télévision, dans les journaux, lors de ses déplacements en ville. Ce sont des images d’un quotidien violent, parfois désespérant. Parallèlement à ces dessins évoquant des êtres marqués par une existence laborieuse, pénible et précaire, A.-M. Schneider réalise depuis toujours des œuvres plus énigmatiques dont les sujets naissent de son imaginaire, hors du quotidien, ou transformant celui-ci en un monde onirique qui mêle animaux, corps-objets et formes hybrides. L’utilisation croissante de la couleur – aquarelle et gouache en particulier – rend son travail plus complexe et lui permet de se rapprocher tout naturellement de la peinture qui, depuis plusieurs années, se révèle pour elle un terrain d’expérimentation. Le dessin reste néanmoins sa principale préoccupation, car, comme elle l’écrivait déjà en 1995 : « Mon dessin est une écriture quotidienne. Cela m’évite d’écrire avec des mots ! » Outre des expositions à la Galerie Nelson à Paris (en 2000 et 2007) et chez Tracy Williams à New York (2006), son travail est également représenté par les galeries Tanya Rumpff de Haarlem et Elisa Platteau et Cie de Bruxelles. Le musée d’Art moderne de la Ville de Paris lui consacre des expositions personnelles, en 2003 et en 2008, et le Frac de Picardie en 1997 et 2007. Le Museum Het Domein, à Sittard en Hollande, lui consacre une grande exposition en 2009. En France, ses œuvres sont notamment conservées par le musée national d’Art moderne, le musée d’Art moderne de la Ville de Paris et par le Frac de Picardie.
Jonas STORSVE
■ Anne Marie Schneider (catalogue d’exposition), Lecointre Y. (dir.), Amiens, Frac de Picardie, 1997 ; Anne-Marie Schneider, fragile incassable (catalogue d’exposition), Scherf A. (dir.), Paris, Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, 2003.
SCHNEIDER, Maria [PARIS 1952 - ID. 2011]
Actrice française.
Élevée par sa mère, son père ne l’ayant pas reconnue, Maria Schneider arrête l’école à 15 ans et quitte le foyer maternel. Pour survivre, elle vend des dessins, tout en prenant des cours de théâtre. Figurante dans Les Femmes de Jean Aurel, en 1969, elle fait la connaissance de Brigitte Bardot*, qui l’héberge pendant deux ans – et qui rendra hommage, lors de son décès, à « Maria, l’insurgée ». Après quelques petits rôles, elle est révélée par Le Dernier Tango à Paris (1972). Elle a 19 ans lorsque Bernardo Bertolucci lui propose le rôle, initialement prévu pour un garçon, de jeune fille prise dans une passion charnelle avec un quadragénaire suicidaire (Marlon Brando). Le film fait scandale, il est interdit en Italie, et elle-même n’en sortira pas indemne. Elle insistera plus tard sur le côté mortifère et pervers du texte : « Je me suis sentie violentée ; oui, mes larmes étaient vraies », dira-t-elle, estimant avoir perdu ensuite plusieurs années de sa vie – entre drogues et dépression – à repousser des propositions malsaines. Cependant, dans Profession : reporter (1975) de Michelangelo Antonioni, elle apporte au film, face à Jack Nicholson, l’énergie de sa jeunesse. Elle tourne ensuite La Baby-Sitter (1975) de René Clément, puis Voyage au jardin des morts de Philippe Garrel (1976), avec Laurent Terzieff. En 1981, Jacques Rivette l’appelle pour Merry-Go-Round avec Joe Dallesandro. Sa dernière apparition au cinéma sera pour Cliente, film de Josiane Balasko* (2008). Militante, celle qui fut appelée « féministe rock n’roll » se révolte contre les seuls rôles de « sex-symbol ou de mamie » laissés aux femmes. M. Schneider « vénérait » trois grandes actrices : « Greta Garbo* pour son ambiguïté, Anna Magnani* pour sa force et Vivien Leigh* pour sa fragilité. »
Joëlle GUIMIER
■ Violenta, Daniel Schmid, 55 min, 1977 ; L’Imposteur (Cercasi Gesù), Luigi Comencini, 105 min, 1982 ; Au pays des Juliets, Medhi Charef, 94 min, 1992.
■ GARCIA L., Je te vengerai, Maria Schneider, Michalon, Paris, 2013.
SCHNEIDER, Monique [1935]
Psychanalyste française.
Normalienne, agrégée de philosophie, membre de la Société de psychanalyse freudienne, directrice de recherche émérite au CNRS, Monique Schneider a enseigné la philosophie puis la psychanalyse à l’université Paris 8 et animé un séminaire à l’École normale supérieure. Sensible aux lignes de force et aux tensions qui habitent les grandes théories philosophiques et psychanalytiques, elle est attentive aux moments où les chaînes discursives de la pensée fonctionnent sur le mode de la dénégation et du clivage. Au fil de ses ouvrages, elle réinterroge les concepts figés portant sur les questions de la filiation et du trauma, de l’inceste, du féminin et de l’altérité. L’appareil critique de M. Schneider se nourrit des travaux des philosophes, psychanalystes et anthropologues qui lui ont permis de quitter les chemins balisés des grands dogmes. Elle a ainsi fréquenté Sarah Kofman* sur les bancs de la Sorbonne, lu Jacques Derrida dans son exégèse de Sigmund Freud et Nicole Loraux* dans sa mise au jour du caractère factice de la place faite aux femmes dans la société occidentale, ainsi que Françoise Héritier* qui lui ouvre la voie d’une réflexion sur la distribution sociale selon les sexes. Dès son premier livre, De l’exorcisme à la psychanalyse, le féminin expurgé (1979), M. Schneider interroge la supériorité hiérarchique accordée par S. Freud à la paternité, planant dans la spiritualité et l’assomption symbolique, alors que la maternité est reléguée dans la sphère de la pure sensibilité, de la nature, voire de l’animalité. Après La Parole et l’Inceste (1980), Freud et le Plaisir (1980), Père, ne vois-tu pas… ? (1985), sa réflexion sur le « partage sexué » se prolonge à travers Généalogie du masculin (2000). Elle se réfère à Emmanuel Levinas qui a su reconnaître la fonction fondatrice de la vulnérabilité, mais qui ne prend pas suffisamment en compte cette « participation au féminin » comme lieu de l’étrangeté de l’autre et qui appelle à une éthique de l’hospitalité. Dans Le Paradigme féminin (2006), elle interroge notamment la valorisation du schéma de dévoration imputé aux mères et aux femmes. La question du trauma parcourt également son œuvre depuis Le Trauma et la Filiation paradoxale, de Freud à Ferenczi (1988) et La Part de l’ombre, approche d’un trauma féminin (1992). Dans La Détresse, aux sources de l’éthique (2011), elle questionne les différentes positions de S. Freud sur la détresse inaugurale. Elle retrouve la fécondité du nebenmensch, le proche qui porte secours à l’enfant et donne sens à son malaise, notion abordée dans l’Esquisse, mais qui disparaît ensuite du système freudien pour laisser place au binôme nourrisson-objet (sein), et donc à une problématique de maîtrise de l’excitation au détriment de la dimension de mouvement-vers. M. Schneider entend ainsi penser la « mise à vie » rendue possible par la proximité psychique et l’attention à l’autre.
Catherine DURIEUX BENASSEM
SCHNEIDER, Romy (Rosemarie ALBACH-RETTY, dite) [VIENNE 1938 - PARIS 1982]
Actrice française.
Fille d’un couple de comédiens célèbres – Magda Schneider et Wolf Albach-Retty –, Romy Schneider fait ses débuts au cinéma à l’âge de 15 ans, en compagnie de sa mère. Les trois « Sissi », films dans lesquels elle incarne l’impératrice Élisabeth d’Autriche, lui apportent la célébrité. Elle tourne alors Jeunes filles en uniformes (1958), remake du film de Léontine Sagan*, avant que Luchino Visconti lui fasse abandonner son image de jeune première romantique : il demande à Coco Chanel* de créer son costume dans Boccace 70 (1962), où elle incarne une bourgeoise délurée. Elle tourne ensuite avec Orson Welles dans Le Procès (1962), d’après Franz Kafka, puis, sous la direction de Jules Dassin, dans Dix heures et demie du soir en été (1966), d’après Marguerite Duras*. Jacques Deray met en valeur sa sensualité dans La Piscine (1968), avec Alain Delon, son ancien compagnon à la ville. Les deux acteurs ont également joué ensemble sur scène, à Paris, dans Dommage qu’elle soit une putain (1961), où ils incarnaient un duo incestueux, sous la direction de L. Visconti. R. Schneider s’est aussi produite dans La Mouette (1962), d’Anton Tchekhov. Engagée pour les droits des femmes, elle est l’une des signataires du Manifeste des 343* pour la légalisation de l’avortement, en 1971. À l’écran, Joseph Losey la dirige dans L’Assassinat de Trotsky (1971, avec A. Delon en meurtrier et Richard Burton en Trotsky). Elle retrouve alors L. Visconti pour incarner l’impératrice d’Autriche face à Louis II de Bavière (Helmut Berger) dans Ludwig ou le Crépuscule des dieux (1972). Après avoir tourné à trois reprises avec Claude Sautet, elle est la partenaire de Philippe Noiret dans Le Vieux Fusil (1975), de Robert Enrico. Francis Girod lui fait jouer le rôle de Marthe Hanau, La Banquière (1980) des Années folles, avant que Dino Risi ne fasse d’elle un bouleversant Fantôme d’amour (1981). Dans son dernier film, elle incarne La Passante du Sans-Souci (Jacques Rouffio, 1982), confrontée aux drames du passé de l’Allemagne. Elle a eu deux enfants. Son fils meurt accidentellement ; sa fille, Sarah Biasini, née en 1977, deviendra comédienne.
Bruno VILLIEN
■ BROMBERG S., Romy dans L’Enfer, les images inconnues du film inachevé d’Henri-Georges Clouzot, Paris, Albin Michel, 2009 ; MCBRIDE W., Romy Schneider, souvenirs photographiques, Paris 1964, Paris, De la Martinière, 2003.
SCHNEIDERMAN, Rose (Rachel, dite) [SAWIN, POLOGNE 1882 - NEW YORK 1972]
Dirigeante syndicaliste et suffragiste américaine.
Née en Pologne de parents juifs, Rose Schneiderman émigre à New York avec sa famille en 1890. Très pauvre, elle commence à travailler dans le milieu textile du Lower East Side dès l’âge de 13 ans. Elle s’intéresse au syndicalisme pendant un séjour à Montréal en 1902 et commence à organiser la lutte des femmes de son usine lorsqu’elle revient à New York en 1903. Elle se fait connaître pour son rôle décisif pendant une grève dans une usine de fabrication de casquettes en 1905. Élue secrétaire de l’union syndicale au niveau local, puis déléguée à New York, elle devient vite un membre très actif de la Women’s Trade Union League (WTUL, « ligue syndicale des femmes »), syndicat d’ouvrières soutenu par des femmes de la haute société). Elle est élue en 1908 vice-présidente de la branche new-yorkaise. Elle quitte l’usine pour travailler à la ligue et reçoit une bourse pour étudier. En 1911, un incendie dans une usine provoque la mort de 146 ouvrières, enfermées dans leur atelier, sans possibilité d’en sortir. Au cours d’un grand meeting, R. Schneiderman interpelle violemment les membres privilégiés de la WTUL, qu’elle accuse d’être indifférents au sort des ouvrières et ouvriers malgré la multiplication de ces tragédies dans des dizaines d’ateliers de confection de New York. L’année suivante, la syndicaliste essaie de militer dans une organisation syndicale mixte, mais la domination masculine est telle qu’elle retourne travailler avec la WTUL. En 1912 – parce que « les femmes qui travaillent veulent le droit de vivre, pas simplement d’exister » –, elle soutient une grande grève de travailleurs du textile, en majorité des femmes migrantes. Elle lance alors un slogan devenu célèbre : « Les travailleurs doivent avoir du pain, ils doivent aussi avoir des roses » (Bread and Roses). En 1926, elle devient, jusqu’en 1950, présidente nationale de la WTUL et fait également partie des membres fondateurs de l’American Civil Liberties Union (« union pour les libertés civiles »), qui promeut les droits constitutionnels de tous les citoyens américains. Elle est en 1933 la seule femme nommée par le président Franklin D. Roosevelt à la National Recovery Administration’s Labor Advisory Board (« administration nationale du conseil consultatif du travail »), mise en place pour préparer le New Deal. Elle milite pour des réformes en faveur des pauvres, l’extension des droits à la sécurité sociale et l’attribution de salaires décents pour les employées domestiques. Au moment de la montée du nazisme en Allemagne, elle prend part à la campagne destinée à sauver et accueillir les émigrants juifs aux États-Unis. Au cours des années 1910, militante suffragiste de la première heure, elle avait fait campagne pour le droit de vote avec la National American Woman Suffrage Association (NAWSA). Elle restera cependant opposée à l’Equal Rights Amendment, jugeant qu’une stricte égalité priverait les femmes travailleuses des quelques protections et dérogations auxquelles elles ont droit en raison de leur sexe. À partir de 1949 elle se retire peu à peu de la vie publique et se consacre à la rédaction de ses mémoires, All for One, qui paraissent en 1967.
Béatrice TURPIN
■ ORLECK A., Common Sense and a Little Fire. Women and Working-Class Politics in the United States, 1900-1965, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 1995.
SCHNITTER, Beate [ZURICH 1929]
Architecte suisse.
Beate Schnitter est, par sa naissance, prédestinée à l’architecture (nièce de la première femme architecte suisse Lux Guyer* et fille de l’ingénieur Erwin Schnitter), et son enfance est marquée par de fréquents déménagements dans toute l’Europe, liés à la profession de son père. Elle fréquente ainsi divers types d’écoles à la pédagogie innovante, en Irlande et aux Pays-Bas, qui renforcent sa sensibilité au contexte social. En 1941 la famille revient en Suisse, et elle entame des études à l’École polytechnique de Zurich dont elle sort diplômée en 1953. Elle part travailler à Amsterdam et à Paris, chez Guy Lagneau (1915-1996) ; l’expérience la plus marquante pour son devenir professionnel est son emploi chez le trio d’architectes Haefeli, Moser et Steiger, célèbres représentants du Mouvement moderne à Zurich. En 1955, à la mort de L. Guyer, elle reprend l’agence de sa tante qui l’a désignée comme héritière, comptant sur elle pour soutenir les préoccupations des femmes architectes. Trois ans plus tard, elle est l’une des cofondatrices du groupe zurichois pour l’urbanisme ZAS, qui marque le début de son engagement en faveur de la planification urbaine et la politique. Elle devient ainsi, en 1973, conseillère et membre de la direction de la branche suisse du mouvement de préservation du patrimoine Heimatschutz et membre permanent du comité d’évaluation de l’Inventaire fédéral des sites construits à protéger en Suisse (Inventar schützenswerter Ortsbilder der Schweiz). Caractérisée par une attention scrupuleuse portée aux bâtiments existants et au contexte, son œuvre se démarque aussi, dans ses édifices nouveaux, par une création sensible liée au site et par une articulation des intérieurs. En sus des rénovations et des transformations de bâtiments historiquement remarquables – citons, à Zurich, le foyer d’étudiantes de L. Guyer (Neuer Lindenhof 1927-1928) rénové en 1959 ou l’Observatoire de Gottfried Semper (1803-1879) construit en 1865 et transformé en 1988 –, elle a surtout construit des maisons d’habitation et de vacances. Qu’il s’agisse d’une villa ou d’un bâtiment d’agriculture, de la villégiature de Claudia Moser (Valbella 1962-1963) ou du lotissement de vacances Hotelplan (Hyères 1955-1957), ses réalisations se distinguent par la prudence de son intervention dans le paysage et l’environnement. Elle fait partie des rares femmes de sa génération qui débattent publiquement de la place et du rôle des femmes dans l’architecture.
Anna SCHINDLER
■ Avec LAMUNIÈRE I., RUCHAT-RONCATI F., SAFFA 1928, 1958… 1988 ? und heute, Bâle, Architekturmuseum, 1989.
■ INEICHEN H. (dir.), Beate Schnitter. Bauten und Projekte 1955-2005, Sulgen, Niggli, 2005.
SCHOLLER, Marie-Christine [PARIS 1945]
Ethnobotaniste et homéopathe franco-costaricaine.
Cette ancienne élève de l’École alsacienne de Paris grandit entre le jardin du Luxembourg et la faculté de pharmacie. Pendant ses vacances dans le Berry, Marie-Christine Scholler fait connaissance avec la nature et ses secrets. Marquée très jeune par le livre de Gilbert Cesbron Il est minuit docteur Schweitzer (1952) et par ses lectures ethnologiques, elle part à Londres, puis à Saragosse et, lors d’une mission de prévention pour le ministère de la Santé du Costa Rica, découvre les volcans de ce pays, dont le Rincon de la Vieja que protège une chamane légendaire. Ayant acquis la double nationalité, elle cofonde le lycée franco-costaricain à San José en 1969, où elle participe, en 1980, au projet de l’Université pour la Paix créée par l’Onu. En 1983, elle soutient à la Sorbonne un doctorat intitulé : « Approche sémiotique des supports de la culture ». En 1987, elle prépare à l’Unesco les dossiers des candidats aux Prix internationaux d’alphabétisation, puis revient à San José, professeure détachée par l’université de Paris 13 pour enseigner l’homéopathie. Elle fonde l’Association franco-costaricaine des professionnels en homéopathie, crée un laboratoire de production de médicaments homéopathiques et un jardin botanique avec son mari, Jorge Monge, dont la thèse de doctorat est consacrée aux Awapa, chamanes de l’ethnie des Bribri, dans la région de Talamanca. Initié à leurs chants, à leurs plantes médicinales, à leurs emplâtres, à leurs pierres magiques et à leurs pratiques spirituelles, le couple s’intéresse à l’action de la lumière solaire et des champs électromagnétiques sur la santé – et sur les distillations qu’ils préparent. En 1994, elle ouvre la Clinica la Paz, puis crée le Laboratorio de la Dra. Scholler (homéopathique) en 1996. Le groupe s’agrandira ensuite avec la Farmacia Homeopatica, à Los Yoses, et la boutique Naturasofia, à Escazu, où sont vendus tous les produits de la gamme Scholler, les fleurs de Bach et des huiles essentielles entres autres. La société Distribuidora Homeopatía Scholler La Pacifica S.A. est chargée de fournir des produits homéopathiques aux principales pharmacies du GAM (Gran Área Metropolitana). La clinique s’agrandit pour devenir un lieu de soin intégral et d’enseignement, où M.-C. Scholler poursuit leur rêve : jeter des ponts entre les cultures, et entre les médecines modernes et traditionnelles.
Claudine BRELET
SCHOLTZ, Alina [LUBLIN 1908 - VARSOVIE 1996]
Paysagiste polonaise.
Alina Scholtz étudie l’art du paysage et des jardins entre 1926 et 1932 à l’École centrale d’agriculture de Varsovie, où elle enseigne par la suite (1933-1939, puis 1945-1949). Dans les années 1930, elle contribue au projet du parc mémorial autour de la maison natale de Chopin à Żelazowa Wola, avec Franciszek Krzywda-Polkowski (1881-1949). Elle collabore également à la création des mémoriaux Józef-Piłsudski (Zułów, aujourd’hui Zalavas, Lithuanie 1935-1939 et Sowiniec, Cracovie 1936-1939), tous deux conçus par Romuald Gutt (1888-1974), éminent représentant du modernisme en Pologne. Après guerre, pour le BOS (bureau de reconstruction de la capitale), elle participe à la reconstruction du jardin saxon Ogród Saski (1948-1949), toujours avec R. Gutt, et à l’aménagement du paysage de la nouvelle voie WZ (« est-ouest », 1949). En 1952, elle dessine les parcs du quartier Powiśle à Varsovie. De 1958 à 1980, elle est au service de la coopérative de logement WSM et d’Inwestprojekt. Son œuvre majeure est un jardin paysager, préservant les arbres fruitiers préexistants, pour le lotissement Sady-Żoliborskie (« les vergers de Żoliborz », Varsovie 1957-1965), dû à Halina Skibniewska*. Sa collaboration avec R. Gutt a constitué une importante partie de son activité, consacrée à la réalisation de mémoriaux tels que le cimetière des victimes du soulèvement du quartier de Wola (1945-1947) et le monument sur le site de l’ancien camp de concentration et d’extermination de Majdanek (Lublin). Personnalité clé de l’architecture de paysage en Pologne, discipline qu’elle a introduite au sein de la SARP (association des architectes polonais), elle a été cofondatrice, en 1948, de l’IFLA (International Federation of Landscape Architects).
Edyta BARUCKA et Tadeusz BARUCKI
■ Projekt parku strojnego przy Zamku Królewskim w Warszawie, Varsovie, Wydawnictwo Szkoły Głównej Gospodarstwa Wiejskiego, 1934 ; avec PIĄTKOWSKA K., Rekreacja w osiedlu, Varsovie, Zakład Wydawnictw CRS, 1976.
SCHÖN, Elizabeth [CARACAS 1921 - ID. 2007]
Poétesse vénézuélienne.
Figure importante de la littérature vénézuélienne du XXe siècle, Elizabeth Schön a notamment publié les recueils de poésie La gruta venidera (« la grotte à venir », 1953), El abuelo, la cesta y el mar (« le grand-père, la corbeile et la mer », 1965), Mi aroma de lumbre (« mon arôme de feu », 1971), Aún el que no llega (« toujours celui qui n’est pas arrivé », 1993), Árbol del oscuro acercamiento (« arbre de l’obscur rapprochement », 1994), La flor, el barco, el alma (« la fleur, la barque, l’âme », 1995) et Luz oval (« lumière ovale », 2007). La poésie d’E. Schön explore et se réfère à l’origine des choses, à leur substance ; elle procède de l’être et montre une réalité unique où les différences et les oppositions n’existent plus. Située à la confluence entre la sensibilité et la raison, la parole poétique recrée le monde du sujet et celui du lecteur, unis dans un seul principe. Le rapport du sujet avec la nature est du même ordre : le monde naturel fascine et le poète doit être capable de l’écouter, de s’extasier et de le comprendre. La création littéraire de l’écrivaine s’alimente de la pensée orientale et gréco-latine ; elle puise ses sources dans la philosophie classique (les présocratiques, Plotin) et chez Martin Heidegger, avec pour axe de réflexion principal les rapports entre l’essence et le monde, dans la mesure où, pour lui, le langage est la maison de l’être. Ainsi, l’œuvre d’E. Schön explore inlassablement les énigmes du monde et de l’être humain, avec pour dessein l’exploration de multiples domaines, en entrelaçant l’être poétique et la poétique de l’être. Elle a obtenu le Prix municipal de poésie en 1971 et le Prix national de littérature en 1994.
Fernando MORENO
SCHÖNBEIN, Ilka [DARMSTADT 1958]
Marionnettiste allemande.
Formée à la danse eurythmique de Rudolf Steiner puis auprès du marionnettiste Albrecht Roser, Ilka Schönbein joue d’abord avec divers théâtres de marionnettes en Allemagne, puis choisit de se produire dans la rue et crée sa compagnie itinérante, le Theater Meschugge. Son premier spectacle, Métamorphoses, fruit d’une lente élaboration au contact de la rue, fait sensation dans les festivals off de Charleville-Mézières et de Périgueux (grand prix de la critique, Mimos, 1994), avant d’être adapté en salle sous le titre Métamorphose des métamorphoses. Nourries de la culture yiddish, ces deux créations, aux images souvent cauchemardesques, montrent une jeune femme aux prises avec des figures mi-humaines, mi-animales, nées de son propre corps. Suivent Le Roi grenouille (1998), Le Voyage d’hiver (2003), Chair de ma chair (2006), La Vieille et la Bête (2010), fondés eux aussi sur des dédoublements et des transformations inquiétantes.
Didier PLASSARD
SCHOPENHAUER, Johanna [DANZIG 1766 - IÉNA 1838]
Salonnière et femme de lettres allemande.
Quand elle arrive à Weimar en 1806 pour fonder sa célèbre « table à thé » autour de laquelle se réunissent les notables de la ville (parmi lesquels Goethe et Christoph Martin Wieland), Johanna Schopenhauer est une veuve fortunée de 39 ans, mère d’Arthur, futur philosophe, et d’Adele, future écrivaine. Son époux, un riche négociant de Gdansk, s’est donné la mort en 1805. Quand, en 1819, une mauvaise administration de sa banque la met au bord de la ruine, elle est progressivement poussée à écrire pour vivre. Elle publie alors vite et beaucoup. Les romans Gabriele (3 vol., 1818-1821, 2000), Die Tante (2 vol., 1823), Sidonia (3 vol., 1828) parlent de femmes qui se soumettent à un époux non aimé au nom de la raison et qui renoncent par là au bonheur familial et à toute descendance. Ses romans ont souvent été considérés comme typiquement féminins et, de ce fait, comme littérature subalterne. Son autobiographie Jugendleben und Wanderbilder (« vie de jeunesse et impressions de voyage ») est éditée par sa fille de façon posthume en 1839. À côté de sa contribution à la culture de salons, les récits de ses voyage qui couvrent toute l’Europe, sont remarquables sur un plan social et historique. Ses lettres et ses mémoires sont saisissants sur le plan stylistique et rendent compte de la vie sociale de Weimar au début du XIXe siècle, notamment pendant le siège de la ville par les Français en 1806.
Sigrid NIEBERLE
■ La Tante et la nièce (Die Tante), Paris, A. Bertrand, 1825 ; Souvenirs d’un voyage à Bordeaux en 1804 (Promenaden unter südlicher Sonne, die Reise durch Frankreich 1804), Ruiz A. (éd.), Lormont, Éditions de la presqu’île, 1992 ; Promenades françaises (Reise von Paris durch das südliche Frankreich bis Chamouny), Fontaine B. (éd.), Paris, Le Félin, 2000.
■ BÜCH G., Alles Leben ist Traum, Adele Schopenhauer, eine Biographie, Berlin, Aufbau, 2002 ; GILLEIR A., Johanna Schopenhauer und die Weimarer Klassik, Hildesheim, Olms, 2000.
SCHOR, Naomi [NEW YORK 1943 - NEW HAVEN 2001]
Essayiste américaine.
Issue d’une famille d’intellectuels et d’artistes polonais émigrée aux États-Unis en 1941, Naomi Schor a fait ses études à New York dans un milieu francophile. Elle a mené aux États-Unis une brillante carrière universitaire comme professeure de littérature française. Elle a été la compagne de l’écrivain français Serge Doubrovsky et a été mariée au poète breton Paol Keineg, puis au médiéviste américain Howard Bloch. La psychanalyse, la thématique de Jean-Pierre Richard, les travaux de Roland Barthes, de Jacques Derrida, de René Girard et de Michel Riffaterre – dont elle fut l’élève à Columbia University et dont elle a gardé les exigences en matière d’analyse des textes littéraires – ont été ses grandes et fidèles sources d’inspiration. Dès la fin des années 1970, elle a publié en français des articles importants dans plusieurs revues (Littérature, Cahiers naturalistes, Romantisme, les colloques de Cerisy) qui portent sur des romanciers du XIXe siècle (Zola, Flaubert, Balzac) et qui se caractérisent par une grande intelligence des enjeux philosophiques et esthétiques sous-jacents et par une grande finesse dans l’analyse et l’interprétation du détail des textes, jointes à un souci toujours solidement argumenté de l’interprétation psychanalytique. Trois livres importants ont synthétisé et théorisé à la fois son intérêt pour la question du réalisme (la question du détail), son approche psychanalytique et ses prédilections littéraires (les grands écrivains français du XIXe siècle) : Zola’s Crowds (1978), Lecture du détail (1987), George Sand and Idealism (1993). N. Schor ne s’est jamais laissée enfermer ni dans une phraséologie à la mode ni dans une méthodologie ni dans des chapelles critiques, diversifiant et élargissant sans cesse ses objets de réflexion (les écrivains fin de siècle, la photographie, la chanson, la carte postale – Bad Objects : Essays Popular and Unpopular, 1995), tout en se rapprochant de plus en plus (par un essai, par des articles, par la direction d’importants ouvrages collectifs) des gender studies et de l’histoire culturelle (Breaking the chain : Women, Theory and French Realist Fiction, 1985), sans jamais perdre ce souci de la matérialité stylistique et de la contextualité des textes littéraires qui fait l’originalité de sa démarche. Son œuvre critique peut passer aujourd’hui à juste titre comme exemplaire de ce qu’il y a eu de meilleur dans la rencontre entre la théorie française et la théorie américaine dans cette grande période 1970-2000.
Philippe HAMON
■ Lectures du détail (Reading in detail : Aesthetics and the Feminine, 1987), Paris, Nathan, 1994.
■ « French Feminism is a Universalism », in Différences : A Journal of Feminist Cultural Studies, vol. 7, no 1, 1995 ; « Anti-Semitism, Jews and the Universal », in October 87, hiver 1999 ; « Blindness as Metaphor », in Différences : A Journal of Feminist Cultural Studies, vol. 11, no 2, 1999 ; « Pensive Texts and Thinking Statues : Balzac with Rodin », in Critical Inquiry, vol. 27, no 2, hiver 2001.
SCHORR, Collier [NEW YORK 1963]
Photographe américaine.
Formée à la School of Visual Arts de New York, Collier Schorr intervient dans les années 1990 à un tournant de l’art, quand la photographie devient le médium dominant et se développe en marge des circuits habituels, tels les magazines, la mode, portée par une nouvelle génération de critiques et d’artistes hantés par la jeunesse. Elle collabore à de nombreux supports de presse (Purple ; Frieze ; Dazed and Confused) et contribue à renouveler l’iconographie usée de l’adolescence, en produisant des séries de portraits qui se situent à la lisière entre le réalisme documentaire et la fiction, entre l’intime et la représentation sociale et historique. Souvent qualifiés de conceptuels, ses travaux renvoient à la culture de la guerre, de la violence, aux fantasmes nationalistes : pour son projet Neue Soldatten en 1998, elle juxtapose de vrais documents de l’armée suédoise à des images de faux soldats, interprétés par des adolescents allemands ; ces jeunes hommes réapparaissent en 2001 dans Forests and Fields, affublés d’uniformes de l’armée israélienne, américaine, ou de la Weimar. Ces différents dispositifs de falsification et de détournement du signe militaire questionnent avant tout la manière dont il circule dans les images, comme dans la sexualité, et conditionne les formations identitaires. Ce qui frappe dans ces photographies, c’est la relation étrange entre l’artiste et ceux qu’elle photographie, c’est-à-dire ceux qu’elle imagine. « Je crée l’univers d’un garçon depuis l’esprit d’une fille. Je ne sais pas vraiment ce que cela veut dire d’être un homme, donc je les montre avec une certaine douceur, une forme d’androgynie », dit-elle, indiquant comment ses images déconstruisent la propriété assumée d’un corps, d’un genre, d’un imaginaire. Son projet récent, There I Was (2007 -2008), est traversé par l’imaginaire américain, la vraie-fausse biographie d’un jeune garçon, Charlie Snyder, photographié par son propre père en 1967, pour un magazine de voitures, avant que l’adolescent ne meure au Vietnam. À partir de cette incidence indirectement autobiographique, C. Schorr rassemble divers éléments (dessins, documents sous vitrines, photographies) pour produire une sorte de mémorial néo-conceptuel du soldat méconnu et disparu. À travers cet ensemble minutieusement dramatisé, elle regarde au plus près la culture de la guerre en Amérique, inextricablement liée à celle de la fabrication et de l’industrie des images.
Stéphanie MOISDON
■ Other Women (catalogue d’exposition), Londres, Stuart Shave Modern Art, 2006 ; There I Was (catalogue d’exposition), Göttingen, Steidl, 2008 ; German Faces (catalogue d’exposition), Lisbonne, Berardo Museum, 2010.
SCHØSLER, Lene [ODENSE 1946]
Linguiste danoise.
Pendant ses études à l’université d’Odense (1966-1971), Lene Schøsler s’est consacrée aux langues romanes (français, italien, portugais et roumain) et aux langues classiques (notamment le latin tardif). Sa thèse d’État (1984) avait pour thème la disparition de la déclinaison bicasuelle en ancien français. C’est l’une des premières linguistes à s’intéresser aux phénomènes de disparition dans l’évolution des langues. Elle se spécialise ensuite dans l’étude du français médiéval (linguistique et philologie) et dans celle de l’évolution des langues, qu’elle appréhende notamment au travers du fonctionnement des verbes, engageant ainsi une réflexion majeure sur le rôle des corpus. Ses travaux, internationalement reconnus, lui ont valu d’être associée à de nombreux projets en Europe comme aux États-Unis.
Thomas VERJANS
■ Les Temps du passé dans Aucassin et Nicolette, l’emploi du passé simple, du passé composé, de l’imparfait et du présent « historique » de l’indicatif, Odense, Odense University Press, 1973 ; La Déclinaison bicasuelle de l’ancien français, son rôle dans la syntaxe de la phrase, les causes de sa disparition, Odense, Odense University Press, 1984.
SCHOUA, Ana María VOIR SHUA, Ana María
SCHOULTZ, Solveig VON [PORVOO 1907 - HELSINKI 1996]
Écrivaine finlandaise de langue suédoise.
Dans la littérature finlandaise d’expression suédoise, Solveig von Schoultz représente les modernistes de la deuxième génération. Influencée par ses prédécesseurs, notamment dans son attitude envers l’écriture, elle estime que sincérité et conscience artistique doivent guider le poète. Bien qu’ayant pratiqué plusieurs genres littéraires, elle s’est surtout illustrée par ses poèmes et nouvelles où elle a peint avec une clairvoyance aiguë les tribulations de l’homme. Sa prédilection pour les thématiques liées à l’univers féminin a fait d’elle un modèle pour les féministes des générations suivantes, par exemple Märta Tikkanen*. Elle débute en littérature en 1932 avec un livre destiné aux jeunes filles, mais c’est le succès du recueil de poèmes Min timme (« mon heure », 1940) qui est décisif pour sa carrière de poète lyrique. Ses explorations de l’accouchement, de la petite enfance et d’une maternité mythique sont pionnières dans la poésie de langue suédoise. Elle est également acclamée pour ses poèmes naturalistes. Pour elle, l’homme habite le monde au même titre que les animaux, les plantes et les choses. Son humble respect pour la vie et la nature renferme une certaine spiritualité laïque. Sans doute en lien avec son mariage en secondes noces avec le compositeur Erik Bergman, elle s’intéresse, dans les années 1980-1990, aux problèmes de la création et de l’héritage culturel de l’humanité à travers des interprétations lyriques et des poèmes-portraits d’œuvres d’artistes comme Käthe Kollwitz*, George Sand* ou Frédéric Chopin. Du point de vue stylistique, elle évolue d’une diction riche, symbolique et subjective vers une expression plus concise et une perspective objective. Cette évolution est manifeste dès le recueil de poèmes Allt sker nu (« tout arrive maintenant », 1952) et s’amplifie au fil des années. Sa poésie lyrique ultérieure, tel son dernier ouvrage, Molnskuggan (« l’ombre du nuage », 1996), s’inspire de celle de la poétesse polonaise Wislawa Szymborska*. Dans ses nouvelles Ansa och samvetet (« Ansa et sa conscience », 1954) et Där står du (« te voilà debout », 1973), l’écrivaine dépeint son adolescence comme une idylle sous-tendue par des tensions morales. Ce qui caractérise son activité littéraire est une perspective existentielle et éthique sur les situations concrètes de la vie quotidienne. Elle considère qu’une amélioration de la société doit s’amorcer dans les relations personnelles.
Anna MÖLLER-SIBELIUS
■ MÖLLER-SIBELIUS A., Mänskoblivandets läggspel. En tematisk analys av kvinnan och tiden i Solveig von Schoultz poesi, Åbo, Åbo Akademis förlag, 2007 ; SCHOOLFIELD G. C., A History of Finland’s Literature, Lincoln, University of Nebraska Press, 1998.
SCHREIBER, Baptista [1886-1956]
Écuyère et directrice de cirque suédoise.
Née d’un écuyer belge arrivé en Suède en 1870 et de Bertha Lindberg, d’une famille de cirque suédoise qui, de 1889 à 1922, reprend l’exploitation du cirque Schreiber après la mort de son mari, Baptista Schreiber se révèle une excellente écuyère, à la fois voltigeuse et écuyère de haute école. Elle enchaîne les engagements dans les cirques européens et sera accueillie sur la scène de l’Olympia de Paris dans les années 1920. Elle nourrit le projet de devenir à son tour directrice d’un grand cirque dans son pays, ce que son mariage avec Chuy Mijares, danseur de corde mexicain, et l’aide de son beau-frère Manuel, lui permettent de réaliser. Le Mijares-Schreiber Cirkus, dont le programme comprend des exercices équestres et de haute école réalisés par sa directrice B. Schreiber et les numéros acrobatiques des deux frères, obtient un succès immédiat qui ne se dément pas. Ernest Carré, petit-fils du maître écuyer Oscar Carré, prend en charge le dressage et certaines présentations de sa cavalerie (1938). L’écuyère agrandit le cirque pour tourner avec un chapiteau à trois pistes, à l’américaine (1948-1949). Dans les années 1950, l’enseigne figure au rang des cirques suédois les plus importants, avec Schumann, Scott et Altenburg.
Marika MAYMARD
■ DANIELSSON A., « Cirques de Scandinavie », in RENEVEY M. (dir), Le Grand Livre du cirque, vol. 1, Genève, Edito-Service, 1977.
SCHRÖDER, Hannelore [HALLE 1935]
Politologue féministe allemande.
Inquiétée par les autorités, Hannelore Schröder quitte la République démocratique allemande (RDA) en 1955 pour terminer sa formation à l’Ouest. Elle obtient son doctorat en politologie à l’université de Francfort, sur « la privation des droits de la femme dans l’État de droit » (1975), s’appuyant sur la philosophie de Fichte. Confrontée de façon répétée à des complications professionnelles en Allemagne et plus tard aux Pays-Bas, elle fait la grève de la faim en 1983 et en 1985 pour combattre l’injustice sexiste dans l’administration universitaire allemande. Elle crée à Leipzig la Fondation Olympe-de-Gouges, qui lutte contre la suppression des droits des femmes. Elle mène une critique de la partialité sexiste dans la tradition des droits de l’homme depuis le XVIIIe siècle et explore l’histoire du féminisme à la même époque. On lui doit la mise à jour des travaux d’Olympe de Gouges* ainsi que du combat pro-féministe de John Stuart Mill et de son épouse Harriet Taylor Mill*. H. Schröder s’est engagée pour la prévention des abus sexuels, de la prostitution, de la pornographie et du trafic de femmes et a soutenu la Coalition Against Trafficking of Women (« coalition contre la traite des femmes »). En 2000, elle a publié Menschenrechte für weibliche Menschen (« droits de l’homme pour les êtres humains féminins »), et en 2001 Widerspenstige, Rebellinnen, Suffragetten, feministischer Aufbruch in England und Deutschland (« récalcitrantes, rebelles, suffragettes, irruption féministe en Angleterre et en Allemagne »).
Heidemarie BENNENT-VAHLE
SCHUMANN, Clara (née WIECK) [LEIPZIG 1819 - FRANCFORT 1896]
Pianiste et compositrice allemande.
« Grande prêtresse de l’art » selon Franz Liszt, « saint Graal de la musique » selon George Bernard Shaw, Clara Schumann, identifiée sur son seul prénom dans le monde entier, est l’icône des compositrices. Pianiste prodige, elle est formée à Leipzig par son père, le pédagogue Friedrich Wieck, et reçoit également des cours de violon, chant, improvisation, théorie, composition. À 9 ans, elle donne son premier concert public avant de sillonner l’Europe avec son père, puis sans lui. À 18 ans, elle doit ainsi organiser seule sa vie artistique. La cause de la rupture est son amour pour Robert Schumann (1810-1856), de dix ans son aîné, qu’elle finira par épouser en 1840. Leurs treize années de vie conjugale sont jalonnées par la naissance de huit enfants et assombries par la maladie de son époux. À sa mort, Clara n’a que 36 ans. Il lui reste quarante années à vivre. Admirée par les hommes de son entourage, parmi lesquels Johannes Brahms, elle ne se remariera jamais. Sa carrière d’adulte, qui la conduit 19 fois en Angleterre, la ramène en France et en Russie, n’a guère à envier à celle, éblouissante, de la jeune fille. Elle donne des concerts pour pouvoir élever ses enfants et parce qu’elle a l’irrépressible goût de transmettre son art. Après avoir vécu à Leipzig, Dresde et Düsseldorf du temps de son mariage, ses ports d’attache seront Berlin, Baden-Baden, puis Francfort où, à partir de 1878, elle enseigne au conservatoire. Avec l’aide de Brahms, elle mène à bien l’édition complète des œuvres de R. Schumann. Elle publie une partie de leur correspondance de fiancés et veille sur leurs journaux intimes respectifs qui, trois ans durant, avaient fusionné en « journal conjugal ». Ses compositions s’échelonnent de 1830 à 1853. Clara et R. Schumann ont toujours composé l’un pour l’autre, et divers « thèmes de Clara » hantent l’imaginaire du fiancé puis du mari. En 1839, l’homme des « voix intérieures » écrit à sa lointaine fiancée : « À l’écoute de ta Romance j’ai entendu une nouvelle fois que nous devions devenir mari et femme. Tu me complètes comme compositeur, de même que moi pour toi. Chacune de tes pensées provient de mon âme, de même que je te dois toute ma musique. [… ] Nos affinités sont si étranges. » Et il ajoute : « Nous publierons beaucoup de choses sous nos deux noms réunis ; la postérité doit nous regarder comme un seul cœur et une seule âme, et ne pas éprouver ce qui est tien et ce qui est mien. » De la pure mystique. « Créer tant qu’il fait jour », avait dit Robert : en 1854, il fera nuit pour tous les deux. Clara n’a pourtant jamais si bien composé qu’en 1853 mais, fidèle à son idéal de fusion conjugale, elle enfouira dorénavant les chants de l’aube impossible. Contrairement à Fanny Mendelssohn* et à Alma Mahler*, peu soutenues dans la voie créatrice dans une Autriche-Allemagne pudibonde, Clara n’a rencontré que des encouragements. Son père s’émerveille : « Elle improvise, privilège unique, qui ne se retrouve chez aucune pianiste », et s’enorgueillit qu’elle soit en mesure de publier à 11 ans Quatre Polonaises. Sur les 23 opus publiés de la créatrice, 11 sont de Clara Wieck, 11 de Clara Schumann, avec, au centre, le recueil androgyne (Liebesfrühling opus 37/12) façonné par les jeunes mariés. Voici d’abord des polonaises, valses, caprices, romances, scherzos, Pièces caractéristiques, Soirées musicales, et le Concerto en la mineur que la virtuose crée à Leipzig sous la direction de Mendelssohn, son soutien indéfectible. Ce premier apport, frais, coloré, papillonnant, fait l’admiration de Paganini, Mendelssohn, Chopin et Liszt. Sa trentaine de lieder d’une rare qualité émotionnelle, ses Variations sur un thème de Schumann et sa musique de chambre (Trio avec piano, Romances pour violon) se parent de couleurs plus intensément schumanniennes et tissent un entrelacs plus contrapuntique au moment de leur immersion conjugale dans l’œuvre de Bach. Il est difficile d’imaginer un destin artistique plus exceptionnel, dans le bonheur et le malheur, et plus accompli que celui de C. Schumann.
Brigitte FRANÇOIS-SAPPEY
■ BORCHARD B., Clara Schumann, Ihr Leben, Francfort, Ullstein, 1991 ; CHISSELL J., Clara Schumann, a Dedicated Spirit, a Study of her Life and Work, Londres, Hamilton, 1983 ; FRANÇOIS-SAPPEY B., Clara Schumann, Genève, Papillon, 2002 ; REICH N. B., Clara Schumann, The Artist and the Woman, Ithaca (NY), Cornell University Press, 1985/1996 ; WEISSWEILER E., Clara Schumann, Eine Biographie, Hambourg, Hoffmann und Campe, 1991.
SCHUMANN, Elisabeth [MERSEBURG SUR LA SAALE 1888 - NEW YORK 1952]
Soprano américaine d’origine allemande.
Cantatrice favorite de Richard Strauss (dont elle a découvert la musique en 1905 et qui aimait à la recevoir chez lui pour travailler ses rôles), de Wilhelm Furtwängler, d’Otto Klemperer et de Bruno Walter, proche de Lotte Lehmann*, admirée pour son raffinement musical, son élégance, sa vivacité et sa beauté, Elisabeth Schumann est l’une des figures les plus attachantes du chant allemand. Elle se voit très tôt inculquer ses premières notions de musique par son père organiste. Très vite, elle manifeste ses dons naturels pour le chant, qu’elle étudie à Berlin, Dresde et Hambourg, où elle fait ses débuts à l’Opéra en 1909 dans le rôle du Berger de Tannhäuser. Elle commence par des rôles de soubrette, Susanna, Zerline, Blondchen, puis se tourne peu à peu vers des rôles plus lyriques et quelques colorature, voire dramatiques : Eva des Maîtres chanteurs de Nuremberg et Sophie du Chevalier à la rose, dont elle fera son rôle fétiche. Elle travaille à Hambourg jusqu’en 1919, tout en chantant Sophie au Metropolitan Opera de New York durant la saison 1914-1915, personnage qui lui ouvre également les portes du Covent Garden de Londres en 1924. De 1919 à 1938, elle est l’une des vedettes de l’Opéra de Vienne. Merveilleuse mozartienne, elle se produit chaque été depuis sa création en 1922 au Festival de Salzbourg, jusqu’en 1937. En 1938, année de l’Anschluss, elle émigre à New York. Pendant la Seconde Guerre mondiale, elle donne des récitals, mais se consacre principalement à l’enseignement qu’elle dispense au Curtis Institute de Philadelphie et en cours privés. Après la guerre, elle donne quantité de récitals en Europe, faisant notamment un comeback triomphal en Angleterre, au Festival d’Édimbourg en 1947, et enregistrant à 60 ans passés des disques de toute beauté révélant une voix inoxydable. Elle excelle dans le lied, peignant de sa voix cristalline de bouleversantes saynètes dans des pages de Franz Schubert, Robert Schumann, Johannes Brahms, Hugo Wolf et R. Strauss.
Bruno SERROU
■ German Song, New York, Chanticleer Press, 1948.
SCHUMANN, Katja [COPENHAGUE 1949]
Écuyère danoise.
Fille du maître écuyer Max Schumann, Katja Schumann fait sa première apparition en piste à l’âge de 10 ans en ballerine à cheval. Elle participe à la plupart des grands numéros équestres créés par sa tante Paulina Schumann*. La fermeture du cirque Schumann en 1969 oblige la famille à se disperser et l’écuyère démarre une nouvelle carrière en se produisant à travers l’Europe, ambassadrice de l’excellence de l’éducation équestre familiale. En 1974, elle remporte le Prix de la Dame du cirque au premier Festival international du cirque de Monte-Carlo et une médaille d’or au Circus World Championships à Londres en 1976. En 1981, K. Schumann entame une saison au États-Unis avec le Big Apple Circus de New York. Jusqu’en 2004, elle va créer chaque année une nouvelle présentation équestre, chorégraphie, musique et costumes, en accord avec le thème choisi par l’équipe artistique. Elle présente, en 1986 et en 1989-1990, sa version du classique Courrier de Saint-Pétersbourg. L’écuyère rentre en Scandinavie en 2007 où elle travaille, entre autres, avec le cirque Dannebrog.
Pascal JACOB
SCHUMANN, Paulina [BARCELONE 1921]
Écuyère et chorégraphe espagnole.
Fille du clown Charlie Rivel, Paulina Luisa Andreu est formée à toutes les disciplines de la piste. En 1926, lors d’un engagement de la troupe familiale au théâtre de l’Empire à Paris, elle présente à 5 ans une parodie de Joséphine Baker*. En 1930, la famille s’embarque pour l’Argentine où Paulina apprend le tango et crée un duo virtuose avec son frère Juanito. Elle conçoit également un numéro de fil avec lequel elle tourne pendant près de trente ans. Lors de la Seconde Guerre mondiale, la famille émigre en Scandinavie où Paulina rencontre Albert, fils du directeur Oskar Schumann, et l’épouse en 1946. Après la naissance de ses deux fils, Benny et Jacques, aujourd’hui respectivement clown et psychologue, son beau-père lui offre de présenter une cavalerie « en liberté » en dépit de son inexpérience en matière équestre. Elle accepte, mais introduit dans sa présentation une recherche musicale et artistique inhabituelle, très coûteuse, présidant notamment à la création de fastueux costumes. Impressionné, le producteur britannique Tom Arnold accepte d’investir chaque année dans la réalisation de somptueux tableaux équestres imaginés par P. Schumann. Inspirée par le folklore international, elle crée de véritables événements dans lesquels plusieurs dizaines de chevaux jouent le rôle principal, comme le Carnaval de Venise, Madame Bovary, Fiesta à Séville… En 1958, les Schumann se produisent à Londres chez Bertram Mills où ils ont déjà été vedettes entre 1937 et 1946. L’écuyère, désormais officiellement chorégraphe équestre de la troupe, puise son inspiration dans les grands films de la période : Docteur Jivago, My Fair Lady, Robin des Bois ou Gigi. En 1965, sa création équestre sur la Rhapsody in Blue de George Gershwin pose les bases de la présentation moderne des chevaux « en liberté » où les bêtes évoluent sans artifice. Séparée d’Albert, Paulina rejoint son père en 1972 : elle joue le rôle du clown blanc auprès du célèbre auguste jusqu’à la disparition de celui-ci. Retirée à Cubelles, en Espagne, elle préside le musée du cirque Josep-Vinyes à Berga. En 2008, elle est distinguée de la médaille d’or des Beaux-Arts remise par le roi d’Espagne, Juan Carlos, et reçoit le Grand Prix de la culture de Catalogne.
Pascal JACOB
■ JANÉ J., « Paulina Schumann », in Le Cirque dans l’univers, no 192, 1999.
SCHUMANN-HEINK, Ernestine (née RÖSSLER) [LEBEN 1861 - HOLLYWOOD 1936]
Contralto tchéco-américaine.
Vantée pour la beauté de son timbre, la solidité de sa voix et sa technique sans faille, Ernestine Schumann-Heink est née dans un faubourg de Prague, dans une famille de langue allemande. À Graz, où elle vit avec ses parents, elle prend à 13 ans ses premières leçons de chant. En 1877, elle fait ses débuts professionnels dans la Symphonie no 9 de Beethoven à Graz, et, l’année suivante, à l’opéra sur la scène du Semperoper de Dresde, dans le rôle d’Azucena du Trouvère de Verdi. Sa carrière s’envole lorsque, à Hambourg, elle remplace sans répétition la titulaire des rôles de Carmen, Fides (Le Prophète) et Ortrud (Lohengrin) en trois soirées, ce qui lui vaut un contrat de dix ans avec le théâtre. Elle élargit son répertoire sous la direction de Gustav Mahler à l’Opéra de Vienne et au Covent Garden de Londres, puis au Metropolitan Opera de New York, se produisant principalement dans les rôles wagnériens, qui font sa réputation. Elle y gagne l’estime de la veuve de Richard Wagner, Cosima, qui l’invitera pendant dix-huit ans au Festival de Bayreuth, de 1896 à 1914. En 1909, elle interprète Clytemnestre lors de la création à Dresde de l’Elektra de Richard Strauss. Elle s’installe aux États-Unis, d’abord dans le New Jersey puis en Californie, et prend la nationalité américaine. À partir de 1900, elle enregistre plusieurs disques, notamment en duo avec le ténor Enrico Caruso. Pendant la Première Guerre mondiale, elle effectue une tournée aux États-Unis, participant ainsi à l’effort de guerre par ses cachets. En 1915, elle joue son propre rôle dans le film documentaire Mabel and Fatty Viewing the World’s Fair at San Francisco de Fatty Arbuckle. Elle fait ses adieux à la scène en 1931 dans le rôle d’Erda du Ring de Wagner, à 71 ans.
Bruno SERROU
SCHUTTE, Ofelia [CUBA 1945]
Philosophe cubaine.
Établie en Floride avec sa famille depuis 1960, Ofelia Schutte obtient un doctorat en philosophie à l’université Yale en 1978. Professeure émérite de philosophie à l’université de Floride du Sud, à Tampa, elle a dirigé le département des Women’s and Gender Studies pendant cinq ans. Ses domaines de recherches incluent la philosophie de Nietzsche (Beyond Nihilism : Nietzsche without Masks, 1984), la philosophie continentale actuelle, notamment tout ce qui concerne la culture et la philosophie postcoloniales en Amérique latine (Cultural Identity and Social Liberation in Latin American Thought, 1993). Elle a notamment travaillé sur le projet esthétique et émancipatoire de José Martí. Elle a contribué à doter la langue espagnole de termes ressortissant à la catégorie de genre et suscité un profond renouvellement du programme féministe, qu’elle a engagé sur trois voies : accroître la « visibilité » des femmes dans les différents ordres de la vie et de la connaissance ; aller plus avant dans la reconnaissance légale et la consolidation des droits des femmes ; repenser et dénoncer les zones socioculturelles sexistes et les discriminations dont les femmes sont victimes, comme tous ceux qui occupent une « position-femme » en tant que sujets subalternes, inférieurs ou marginaux.
Maria Luisa FEMENIAS
■ Avec FEMENÍAS M. L., « Feminist Philosophy », in Labrys, estudos feministas, juil.-déc. 2011-janv.-juin 2012.
SCHÜTTE-LIHOTZKY, Margarete [VIENNE 1897 - ID. 2000]
Architecte autrichienne.
La vie de Margarete Schütte-Lihotzky, l’une des plus célèbres pionnières parmi les architectes, a traversé tout le XXe siècle, dominée par ses engagements. Ses prises de position politiques comme son architecture sociale et fonctionnelle lui ont valu une reconnaissance tardive, d’autant que ses réflexions novatrices sur l’aménagement tayloriste de l’espace ménager ont souvent occulté le reste de son œuvre. Issue de la bourgeoisie autrichienne, elle est la première femme à étudier l’architecture à l’École des arts décoratifs de Vienne. Entre 1915 et 1919, elle y est l’élève d’Oskar Strnad (1879-1935) et de Heinrich Tessenow (1876-1950) et reçoit en 1917 le prix Max-Mauthner de la chambre de commerce et d’industrie pour sa proposition de cuisine habitable et, en 1919, le prix Lobmeyr de la Société pour la promotion de l’École des arts décoratifs. Elle ouvre son premier atelier à Vienne et part à Rotterdam, où elle travaille dans une agence d’architecture. En 1920, elle gagne le quatrième prix d’un concours pour des jardins ouvriers sur le massif du Schafberg, ce qui lui ouvre les portes du service, encore embryonnaire, du logement social à Vienne. En 1921, elle est engagée dans la première coopérative de logements des invalides de guerre et participe à un projet de maisons en bande avec Adolf Loos (1870-1933) avant d’entrer dans les bureaux de l’Österreichischen Verbandes für Siedlungs und Kleingartenwesen (« association autrichienne pour les lotissements et les jardins ouvriers »). En 1924, elle participe, aux côtés de Karl Dirnhuber (1889-1953) et Franz Schuster (1892-1972), à la conception des habitations bon marché du Otto-Haas Hof et collabore à la réalisation du Winarskyhof. Son activité dans la conception de logements sociaux explique qu’Ernst May (1886-1970), alors à la tête des services d’urbanisme de Francfort, l’ait sollicitée en 1925 pour une collaboration qui durera jusqu’en 1930. Dans ce cadre, elle conçoit la très célèbre « cuisine de Francfort », selon des principes tayloristes et des observations empiriques de l’organisation compacte des wagons-restaurants. Elle la présente en mars 1926 et l’expose jusqu’en 1928. Par la suite, elle, qui ne cuisine pas, s’élèvera contre cette réduction sexiste de son œuvre à cette seule cuisine. En 1927, elle épouse l’un de ses collègues de Francfort, Wilhelm Schütte (1900-1968), avec lequel elle participe à Francfort en 1929 au deuxième Congrès international d’architecture moderne (CIAM). En parallèle, elle crée deux maisons modèles pour le lotissement du Werkbund à Vienne. Lorsque, en 1930, E. May émigre en Union soviétique, le couple fait partie de sa « brigade ». C’est ainsi qu’elle y construira, les sept années suivantes, des logements ouvriers, des écoles et des jardins d’enfants. En 1933, son travail est présenté à l’Exposition universelle de Chicago, à l’invitation de l’Association des femmes architectes et, en 1934, elle est conviée à animer des conférences au Japon et en Chine. En 1937, les difficultés politiques conduisent le couple à s’installer à Paris, puis à Istanbul, où elle enseigne à l’Académie des beaux-arts et réalise plusieurs maisons individuelles. En 1940, elle part pour Vienne avec l’architecte Herbert Eichholzer (1903-1943), un communiste qui organise la résistance antifasciste autrichienne à Istanbul, mais est rapidement arrêtée par la Gestapo, condamnée à quinze ans de prison et emprisonnée à Aichach en Bavière. Libérée en 1945, elle part pour Sofia où elle dessine un an durant des crèches et des jardins d’enfants, puis revient à Vienne où elle s’installe à son compte en 1947. Elle travaille comme conseillère pour l’Allemagne de l’Est, la Chine, où elle effectue un voyage, et Cuba, où elle participe à un projet d’enseignement pour le ministère de l’Éducation (1963). Durant ces années, elle construit à Vienne des logements dans la Schüttelstrasse (1952-1956), l’imprimerie Globus (1953-1956) avec Fritz Weber, Karl Eder et W. Schütte (dont elle s’était séparée en 1951), et une crèche dans la Rinnböckstrasse (1961-1963). Elle refuse en 1988 d’être honorée par Kurt Waldheim, alors président de la République d’Autriche, en raison de son comportement contestable durant la guerre, et, en 1995, traîne en justice, avec d’autres déportés autrichiens rescapés, le politicien d’extrême droite Jörg Haider, qui a qualifié les camps de concentration nazis de « camps de prisonniers ». À 92 ans, elle reçoit un doctorat honoris causa de l’Université technique de Graz puis, à 96 ans, la distinction honorifique pour les sciences et l’art autrichienne, l’Ehrenzeichen für Wissenschaft und Kunst, l’année où une rétrospective de son œuvre est présentée à Vienne.
Elke KRASNY
■ Erinnerungen aus dem Widerstand. Das kämpferische Leben einer Architektin von 1938-1945, Vienne, Promedia, 1994 ; Warum ich Architektin wurde, Salzbourg, Residenz, 2004 ; Millionenstädte Chinas : Bilder- und Reisetagebuch einer Architektin (1958), Vienne, Springer, 2007.
■ FRIEDL E., Nie erlag ich seiner Persönlichkeit… Margarete Lihotzky und Adolf Loos. Ein sozial- und kulturgeschichtlicher Vergleich, Vienne, Milena, 2005 ; NOEVER P. (dir.), Margarete Schütte-Lihotzky. Soziale Architektur. Zeitzeugnis eines Jahrhundert, Vienne, Böhlau, 1996.
SCHÜTZ-ZELL, Catherine [STRASBOURG 1498 - ID. 1562]
Écrivaine française.
Rien ne destinait cette fille d’un maître menuisier strasbourgeois à devenir l’une des voix les plus originales de la Réforme : bien formée en langue vulgaire, possédant quelques notions rudimentaires de latin, elle épouse, en 1523, le pasteur desservant la cathédrale de Strasbourg, Matthieu Zell, alors que la ville n’avait pas encore adopté officiellement la Réforme (elle le fait en 1529). C. Schütz-Zell avait dédié sa vie à Dieu, dès l’âge de 10 ans, mais elle était sans doute loin de penser à cette époque à la forme que prendrait sa consécration. La Réforme accordait, il est vrai, une place nouvelle aux laïcs, en raison du sacerdoce universel des fidèles : il n’y avait plus « ni hommes, ni femmes, ni juifs, ni grecs », ni prêtres, ni laïcs dans la théologie luthérienne qui inspirerait toujours C. Schütz-Zell. Chaque fidèle était prêtre, et dépositaire de la foi. Mais la vocation particulière au ministère pastoral continuait d’être considérée comme un appel adressé à certains, mais pas à tous. De ce fait, dans le concret de la nouvelle ecclésiologie, les tâches du pasteur ne pouvaient être accomplies par n’importe quel fidèle, a fortiori indifféremment par l’un et l’autre sexe, même si pour Calvin le silence des femmes dans les assemblées, recommandé par l’apôtre Paul, n’était qu’une question secondaire, un adiaphoron. Pourtant, en valorisant la femme non plus comme moniale mais comme épouse et mère, la Réforme protestante avait accordé au « deuxième sexe » un statut social reconnu, et promu pour elles une éducation qui devait les y préparer. Certaines femmes, comme C. Schütz-Zell ou comme Marie Dentière*, ne se satisfaisaient pas de cet état de fait. Elles revendiquaient le droit de prêcher, en particulier, ce qui leur semblait la conséquence légitime des avancées humanistes autant que théologiques de la Réforme. Pour C. Schütz-Zell, la parole publique, celle de la prédication, est une obligation et un droit : elle revendique ce devoir pour défendre la vérité de la foi, dénoncer et corriger les actes délictueux des dirigeants de la société civile et enseigner aux chrétiens. Dès son mariage, elle participe activement au ministère de Matthieu Zell : ne lui demande-t-il pas d’être « une mère pour les pauvres et les réfugiés » ? Ce principe va guider sa vie. Associée plus encore comme helfer, « ministre assistant », par son mari pour son ministère, et celui d’autres réformateurs, elle accomplit des tâches catéchétiques et pastorales : visite de malades et de prisonniers, assistance des mourants, instruction des simples, cure d’âme. Passionnée d’Évangile, C. Schütz-Zell publie tout au long de sa vie, de 1524 à 1558 : des écrits destinés à des femmes (Weyber zuo Kentzingen) et aux familles (Lobgsäng), des lettres aux Réformateurs Fagius, Pellican et Bucer, au gouvernement municipal de Strasbourg, à de simples fidèles ; elle conçoit puis publie en partie des méditations sur les psaumes. Elle rédige aussi une Trost-Brief, une lettre de consolation aux femmes souffrant pour leur foi, des catéchismes pour pères et mères de famille (elle qui avait perdu ses deux enfants en bas âge), un sermon prononcé sur la tombe de son mari le 11 janvier 1548 (Klag red und Ermahnung) – malgré l’interdiction qui lui avait été opposée de le faire –, un traité théologique sous la forme d’une longue lettre (1553) au spiritualiste Caspar Schwenckfeld, une émouvante « défense » de son mari et de son activité pastorale (Entschuldigung). Pour C. Schütz-Zell, cette vocation se résumait dans ce titre de « mère de l’Église » qu’elle n’a jamais explicité, mais qui désignait pour elle une femme pieuse, vouée à Dieu, proclamant le Seigneur, et vivant pour servir les pauvres et les simples. Deux modèles bibliques l’ont inspirée : l’ânesse de Balaam, Nombres 22, pour l’appel à la prédication (« Quelqu’un pourrait m’objecter, écrit Catherine : Ceci [la prédication] n’est pas à vous. Cela incombe à quelqu’un d’autre pas à vous ! À quoi je répondrai : n’est-il pas vrai que jadis une ânesse a parlé… ») ; et Anne, la vieille veuve dépeinte en Luc 2, 36-38, modèle de mère de l’Église.
Annie NOBLESSE-ROCHER
■ SÉGUENNY A (dir.), Bibliotheca dissidentium, répertoire des non-conformistes religieux des seizième et dix-septième siècles, T. 1, Baden-Baden, V. Koerner, 1980.
■ MCKEE E. A., « Katharina Schütz-Zell (1498-1562), une réformatrice laïque parle », in ARNOLD M. (éd.), « Autour du 500e anniversaire de Catherine Schütz-Zell (1498-1562), paroles féminines, discours sur les femmes dans le protestantisme (XVIe-XVIIe siècles) : actes de la journée d’études organisée le 29 octobre 1998 à la Faculté de théologie protestante par le GRENEP », in Positions luthériennes, no 47, 1999.
SCHWAIGER, Brigitte [FREISTADT 1949 - VIENNE 2010]
Écrivaine autrichienne.
Wie kommt das Salz ins Meer (« comment vient le sel dans la mer », 1977, publié en français sous le titre Marie-toi, ma fille), premier roman à succès de Brigitte Schwaiger porté par la vague féministe, décrivait le désarroi d’une jeune fille de la petite bourgeoisie entre traditions et aspirations émancipatrices. Observatrice avertie de la société autrichienne dont elle contestait les règles et normes, l’écrivaine y faisait déjà preuve d’un talent d’écriture qui allait se confirmer au fil d’une œuvre comprenant, à ce jour, une trentaine de romans, récits, recueils de poèmes, pièces pour le théâtre et radiophoniques. De Nestwärme (« la chaleur du nid ») et Mein spanisches Dorf (« mon village espagnol »), publiés en 1978, à Der Himmel ist süss (« les douceurs du ciel », 1984, version remaniée 1999), elle n’a cessé d’explorer le rapport à l’autorité (paternelle, conjugale, institutionnelle) et la difficulté de s’en affranchir, notamment pour les femmes. Après des incursions dans d’autres domaines de la création artistique, elle a renoué avec le succès avec son autobiographie Fallen lassen (« laisser tomber », 2006), récit sans ménagement d’un parcours qui l’avait amenée au bord de la folie. B. Schwaiger, collaboratrice occasionnelle du quotidien Die Presse, vit aujourd’hui en Autriche.
Ingeborg RABENSTEIN-MICHEL
■ Marie-toi, ma fille (Wie kommt das Salz ins Meer, 1977), Paris, R. Laffont, 1978.
SCHWARTZ, Anna JACOBSON [NEW YORK 1915 - ID. 2012]
Économiste monétariste américaine.
Ayant obtenu un master d’économie en 1935 puis un doctorat (PhD) en 1964 à l’université Columbia, Anna Jacobson Schwartz a travaillé pour le ministère de l’Agriculture américain (1936) puis comme associée de recherche au centre de recherche en sciences sociales de l’université Columbia, avant d’être chercheuse principale au National Bureau of Economic Research (Nber, 1941), où elle restera toute sa vie. Elle a également été membre du comité éditorial de nombreuses revues scientifiques de premier plan, notamment l’American Economic Review, le Journal of Money, Credit and Banking et le Journal of Monetary Economics. Enfin, elle a présidé la Western Economic Association en 1987 et 1988, et a reçu de nombreuses distinctions. A. J. Schwartz a commencé par étudier les fluctuations de la croissance et les cycles économiques, en particulier ceux du Royaume-Uni durant la première moitié du XIXe siècle. Puis elle a réalisé un travail statistique et analytique considérable sur l’offre de monnaie et ses effets sur l’activité économique, avec Milton Friedman, jeune économiste du NBER qui recevra seul le prix Nobel d’économie en 1976. Dans un grand nombre d’articles et de livres, les deux économistes ont montré l’importance d’une politique monétaire discrétionnaire pour atteindre la stabilité des prix. Ils ont ainsi relancé l’école monétariste, dont l’influence avait diminué avec le succès des politiques keynésiennes incarnées par le New Deal de Franklin D. Roosevelt. Leurs recherches ont été à l’origine de la « contre-révolution monétariste » dirigée contre John Maynard Keynes (Blaug, 1999). Selon A. J. Schwartz et M. Friedman, contrairement à ce qu’a montré J. M. Keynes, la demande de monnaie est stable, c’est-à-dire que la quantité d’encaisses réelles détenues est constante pour un niveau de production de plein emploi. Ainsi, la demande de monnaie dépend négativement des taux d’intérêt. De plus, il existe une relation entre la quantité de monnaie et le niveau général des prix. Cela signifie que les variations de l’offre de monnaie influencent l’activité réelle, la production et les prix. Pour autant, la manipulation de la quantité de monnaie en circulation peut engendrer de graves déséquilibres macro-économiques en générant de l’inflation. L’utilisation de la politique monétaire comme politique économique n’est donc pas de nature à limiter les cycles économiques, mais plutôt à les accentuer en perturbant les comportements des agents économiques. Seule une politique monétaire discrétionnaire, c’est-à-dire indépendante de l’activité économique, est compatible avec la stabilité. Les dernières recherches d’A. J. Schwartz ont porté sur les interventions des banques centrales sur le marché des changes.
Mathilde LEMOINE
■ Avec FRIEDMAN M., A Monetary History of the United States, 1867-1960, Princeton, Princeton University Press, 1963 ; avec FRIEDMAN M., Monetary Trends in the United States and the United Kingdom : Their Relation to Income, Prices and Interest Rates, 1867-1975, Chicago, University of Chicago Press, 1982.
SCHWARTZ, Martha [PHILADELPHIE 1950]
Paysagiste américaine.
Intéressée par le paysage comme moyen d’expression artistique et culturelle, Martha Schwartz a créé des œuvres qui puisent dans les objets et matériaux quotidiens, remettant en question les pratiques professionnelles et construisant de nouveaux paysages souvent minéraux. Diplômée de l’École d’architecture et de design de l’université d’Havard en 1973, et détentrice d’un master de l’université du Michigan en 1977, elle ouvre une agence à Boston en 1982, déplacée à New York l’année suivante. En 1987 elle s’associe à Peter Walker (1932) et travaille avec Ken Smith et David Meyer. Elle dirige aujourd’hui l’agence Martha Schwartz Partners, fondée en 1990 à Cambridge, avec une annexe à Londres. Sa première œuvre est le Bagel Garden (Boston 1979), qui fit la couverture du Landscape Architecture Magazine, transposant la traditionnelle broderie des parterres en bagels faits de résine et placés sur des bandes de gravier pourpre. Elle a exercé son talent dans de nombreuses directions, concevant des installations éphémères, tels le Necco Garden (Cambridge, Massachusetts 1980) ou le Turf Parterre Garden du Columbia Center (New York 1988). Elle a également signé des jardins publics, comme celui de l’institut médical Whitehead (Cambridge, Massachusetts 1986), et privés, pour la Dickenson Residence (Santa Fe 1991). Son domaine de prédilection est l’aménagement d’espaces urbains, parmi lesquels ceux du Rio Shopping Center (Atlanta 1989) ; de la place du palais de justice fédéral (Minneapolis 1997) ; de l’ensemble résidentiel (Fukuoka, Japon 1997) réalisé entre autres par Christian de Portzamparc (1944), Rem Koolhaas (1944) et Steven Holl (1947) ; ou de l’esplanade du bâtiment du HUD (Housing Urban Development, New York 1998) conçu par Marcel Breuer (1902-1981). En 2005, elle réalise un jardin public dans un ancien village de mineurs de charbon (Castleford, Yorkshire). Toutes ses œuvres sont marquées par une approche géométrique et abstraite, parfois ironique, et une forte présence d’éléments architecturaux et artificiels convenant bien au monde urbain dans lequel ils s’insèrent. Nommée professeure à la Graduate School of Design de l’université d’Harvard en 1990, elle y est titulaire depuis 2007. Elle est aussi professeure à demeure de l’Académie américaine de Rome. Elle s’est vu décerner en 2004 le titre de membre honoraire du RIBA (Royal Institute of British Architects) et a reçu de nombreuses distinctions, dont un prix d’excellence « Femmes dans le design » de la Boston Society of Architects (2004), le prix national Cooper-Hewitt (2006), et, en 2007, le prix du « Meilleur projet nouveau à caractère mondial » décerné par le Chicago Athenaeum pour son travail sur la péninsule de Leamouth à Londres, et le prix d’honneur de l’ASLA (Société américaine des architectes paysagistes) pour le centre d’arts de Mesa en Arizona.
WAY THAISA
■ LANDECKER H., MEYER E. K., Martha Schwartz. Transfiguration of the Commonplace, Washington, Spacemaker Press, 1998 ; RICHARDSON T., Les Paysages iconoclastes de Martha Schwarz, Paris, Thames & Hudson, 2003.
SCHWARTZ, Nancy L. [FORT WAYNE, INDIANA 1939 - ID. 1981]
Économiste américaine, spécialiste des sciences de la décision.
Professeure en sciences de la décision, Nancy L. Schwartz a été la première femme à diriger une chaire à la Kellogg School of Management de l’université Northwestern (Chicago), dont elle a également dirigé le programme doctoral jusqu’à sa mort. Elle a été éditrice adjointe de la revue Econometrica, éditrice de la prestigieuse American Economic Review et membre du conseil de l’American Economic Association et de l’Institute of Management Science. Ayant commencé ses études d’économie à l’Oberlin College, N. L. Schwartz a continué son cursus à l’université Purdue (Indiana), où elle a obtenu un doctorat (PhD) en 1964. Après avoir enseigné à la Graduate School of Industrial Administration de l’université Carnegie-Mellon (Pittsburg, Pennsylvanie), elle a été nommée professeure à l’université Northwestern en 1970. Centrées sur l’organisation industrielle, en particulier sur l’influence de la structure industrielle sur l’innovation, ses recherches ont montré que les monopoles pouvaient être plus favorables aux innovations quand la demande était également élastique par rapport aux prix, c’est-à-dire quand la demande adressée au monopole ou au secteur concurrentiel réagissait de la même façon aux prix. En revanche, dès qu’une industrie bénéficie d’une élasticité supérieure de la demande, l’incitation à innover est plus forte. N. L. Schwartz a en outre élaboré une nouvelle méthode d’optimisation dynamique, reposant sur l’utilisation d’outils mathématiques et la prise en compte des contraintes, pour la détermination de la solution optimale à un problème économique. Ayant appliqué ses résultats mathématiques à la théorie de John Hicks, elle a montré que le progrès technique ne se traduisait pas systématiquement par des suppressions d’emplois.
Mathilde LEMOINE
■ Avec KAMIEN M. I., Market Structure and Innovation, Cambridge/New York, Cambridge University Press, 1982 ; avec KAMIEN M. I, Dynamic Optimization : The Calculus of Variations and Optimal Control in Economics and Management (1981), Amsterdam/New York, North Holland/Elsevier, 1991.
SCHWARZ, Elena [LENINGRAD, AUJ. SAINT-PÉTERSBOURG 1948 - ID. 2010]
Poétesse russe.
Elena Andreïevna Schwarz est l’une des figures les plus marquantes de la poésie russe de la seconde moitié du XXe siècle. Elle commence à écrire alors qu’elle est encore écolière, se fait rapidement connaître et devient l’un des acteurs principaux de la culture underground du Leningrad des années 1970. Elle débute grâce au samizdat, puis est publiée dans des revues russes en Occident, où ses premiers recueils voient le jour dans les années 1980, comme Tantsouiouchtchiï David (« David dansant ») ou Stikhi (« poèmes »). Sa première publication en URSS, le recueil Kroug (« le cercle », 1985), date de la même époque. Aujourd’hui, son œuvre poétique compte plus d’une dizaine de recueils auxquels s’ajoutent les quatre volumes de ses œuvres complètes. Ses poèmes sont traduits en plusieurs langues. Sa poétique originale a pour principes constructifs la polymétrie et la polyphonie. Sa poésie se distingue par un travail sur le rythme et la combinaison de mesures métriques différentes et acquiert une rythmique qui évoque la musique du début du XXe siècle (jazz, swing). Parallèlement, la multiplicité des voix lyriques, qui va de pair avec une organisation narrative des poèmes, rapproche ses œuvres d’une pièce théâtrale (elle est diplômée de théâtre et a longtemps travaillé comme traductrice pour les théâtres de Saint-Pétersbourg). Elle est lauréate de plusieurs prix littéraires russes, notamment le prix Andreï-Bielyï en 1979, le prix Triomphe pour la poésie, en 2003, et le prix de la revue Znamia, en 2006.
Anna SHCHERBAKOVA
■ La Vierge chevauchant Venise et moi sur son épaule, Évian, Alidades, 2003.
SCHWARZ, Sibylle [GREIFSWALD 1621 - ID. 1638]
Poétesse allemande.
Fille du maire de Greifswald en Poméranie, Sibylle Schwartz, jeune poétesse, meurt à 17 ans. Son œuvre, inspirée par le pétrarquisme, chante la misère et la désolation de la guerre de Trente Ans et traite les thèmes de l’amitié et de la mort. De façon bucolique, sa poésie se donne comme une expérience de convivialité entre amis. Sa maîtrise du « je » lyrique est particulièrement remarquable, d’autant qu’elle ne permet pas une simple approche autobiographique de son œuvre. Sa biographie peut même être abordée comme une mise en scène mythologique, centrée sur les activités des femmes, d’une « sibylle » virginale. Reconnue comme poète de circonstance, elle passe pour une jeune fille extraordinairement éduquée pour son époque, tout autant familière de la poésie traditionnelle que de la poétique de la Réforme (particulièrement celle de Martin Opitz). Elle meurt de dysenterie le matin du mariage de sa sœur. Son ami et prédicateur Samuel Gerlach édite en 1650 ses œuvres complètes.
Sigrid NIEBERLE
■ Deutsche poëtische Gedichte (1650), Ziefle H. W. (dir), Berne, P. Lang, 1980 (fac-sim.).
■ GANZENMUELLER P., Wider die Ges(ch)ichtslosigkeit der Frau, Weibliche Selbstbewusstwerdung zu Anfang des 17. Jahrhunderts am Beispiel der Sybille Schwartz (1621-1638), Vancouver, Diss., 1998 ; ZIEFLE H. W., Sybille Schwartz, Leben und Werk, Bonn, Bouvier, 1975.
SCHWARZ, Solange [PARIS 1910 - RAMATUELLE 2000]
Danseuse et professeure française.
Issue d’une famille de danseurs, Solange Schwarz entre en 1921 à l’école de danse de l’Opéra de Paris, puis est engagée en 1924. Étoile de l’Opéra-Comique en 1932, elle revient à l’Opéra en 1937 et y est nommée étoile en 1941. Après 1945, elle est invitée aux Ballets des Champs-Élysées, au Covent Garden de Londres, à l’Opéra de Munich, au Grand Ballet du marquis de Cuevas et aux Ballets de l’Étoile de Maurice Béjart qui a été son partenaire dans de nombreux galas. Après un retour à l’Opéra de Paris où elle fait de brillants adieux en 1957 dans Coppélia, elle enseigne au Conservatoire national supérieur de Paris jusqu’en 1979. À l’Opéra-Comique, elle interprète des ballets de Carina Ari* et Constantin Tcherkas (La Pantoufle de vair) et de Léonide Massine. Appréciée par Serge Lifar pour son élégance, sa féminité expressive, elle s’illustre à l’Opéra dans Alexandre le Grand (1937), en danseuse de Degas d’Entre deux rondes (1940), en princesse-biche dans Le Chevalier et la Damoiselle (1941), dans Les Animaux modèles, Joan de Zarissa (1942) et Suite en blanc (1943). Son jeu spirituel, sa rigueur technique et sa taille menue lui valent un succès particulier dans le rôle-titre de Coppélia.
Florence POUDRU
SCHWARZ-BART, Simone (née BRUMANT) [SAINTES 1938]
Romancière française.
Rentrée en Guadeloupe à 3 ans, Simone Brumant fait des études à Pointe-à-Pitre, puis à Paris et à Dakar. À 18 ans, elle rencontre André Schwarz-Bart (qui obtiendra en 1959 le prix Goncourt pour Le Dernier des justes). Ils écrivent ensemble un premier roman, Un plat de porc aux bananes vertes, en 1967. Ils vivent successivement au Sénégal, en Suisse, à Paris, puis en Guadeloupe. S. Schwarz-Bart publie seule Pluie et vent sur Télumée Miracle (1972). Considéré comme un chef-d’œuvre de la littérature caribéenne, le roman est traduit en 12 langues. Elle y crée un langage au mitan du créole et du français, ancré dans les traditions populaires et la vie du petit peuple de l’île et surtout de celle d’une « dynastie » de femmes superbes. Le succès auprès du public ne s’est pas démenti. Dans la même veine linguistique, Ti Jean l’Horizon (1979) est la réécriture d’un conte antillais, chargé de multiples apports. L’auteure compose une pièce de théâtre en un acte, Ton beau capitaine (1987), jouée à Paris. Elle rédige encore conjointement avec son mari une encyclopédie en six volumes, Hommage à la femme noire (1989), où sont présentées des figures de femmes noires de tous les continents, des origines à nos jours.
Christiane CHAULET ACHOUR
■ GYSSELS K., Le Folklore et la littérature créole dans l’œuvre de Simone Schwarz-Bart, Bruxelles, Académie royale des sciences d’outre-mer, 1997 ; SAÏD G., Ti Jean l’Horizon de Simone Schwarz-Bart, Paris, L’Harmattan, 2006.
■ BERNABÉ J., « Le travail de l’écriture chez Simone Schwarz-Bart », in Présence africaine, no 121-122, 1982.
SCHWARZENBACH, Annemarie [ZURICH 1908 - SILS-EN-ENGADINE 1942]
Journaliste et écrivaine suisse.
Annemarie Schwarzenbach a écrit ses œuvres, entre autres Nouvelle lyrique, le journal de voyage Hiver au Proche-Orient et La Vallée heureuse, dans les années 1930 et 1940. Elle s’est fait une réputation dans la presse suisse en tant que journaliste de voyage et photographe. Artiste et homosexuelle née d’une famille influente, elle est obligée de manœuvrer entre une maison paternelle traditionaliste et un entourage littéraire et culturel innovateur autour de Klaus et Erika Mann. Son œuvre se révèle surtout intéressante quant à la dynamique littéraire de l’entre-deux-guerres. Durant ses voyages à travers l’Orient, l’Europe, les États-Unis et l’Afrique, sont nés des écrits divers montrant une dialectique entre des traditions issues de l’histoire littéraire et des tendances contemporaines. Outre des reportages et des feuilletons traitant des thèmes sociaux et politiques (entre autres Loin de New York), elle écrit des récits de voyage, des fictions brèves et des romans, tous caractérisés par des ambiguïtés aussi bien sur le plan du contenu que de la forme, par exemple dans Le Refuge des cimes, Orient exils, Rives du Congo/Tétouan et Les Quarante Colonnes du souvenir. La recherche d’une « nouvelle langue » et le mélange de différentes traditions discursives reflètent sa vision critique de la langue et provoquent une prose expérimentale qui focalise sur l’intérieur des protagonistes. Ses textes se situent à l’intersection des styles journalistique et littéraire, des faits et de la fiction, de l’exprimable et de l’inexprimable. Depuis sa redécouverte à la fin des années 1980, l’œuvre de A. Schwarzenbach a fait couler beaucoup d’encre. Un grand nombre de ses textes font l’objet soit d’une réédition, soit d’une première publication.
Sofie DECOCK
■ La Vallée heureuse (Das Glückliche Tal), Lausanne, l’Aire, 1991 ; Loin de New York, reportages et photographies, 1936-1938 (Jenseits von New York), Paris, Payot & Rivages, 2000 ; Orient exils (Bei diesem Regen), Paris, Payot & Rivages, 2000 ; Le Refuge des cimes (Flucht nach Oben), Paris, Payot et Rivages, 2004 ; Rives du Congo/Tétouan (Kongo-Ufer/Aus Tetouan), Noville-sur-Mehaigne, Esperluète, 2005 (éd. bilingue) ; Hiver au Proche-Orient, journal d’un voyage (Winter in Vorderasien), Paris, Payot & Rivages, 2006 ; Les Quarante Colonnes du souvenir (Die Vierzig Säulen der Erinnerung), Noville-sur-Mehaigne, Esperluète, 2008 (éd. bilingue).
■ MIERMONT D.-L., Annemarie Schwarzenbach ou le Mal de l’Europe, Paris, Payot & Rivages, 2005.
SCHWARZER, Alice [WUPPERTAL-ELBERFELD 1942]
Journaliste, rédactrice en chef, militante féministe allemande.
Grande figure du féminisme, Alice Schwarzer devient journaliste en 1966 et travaille en free-lance, à Paris, de 1970 à 1974, tout en étudiant la psychologie et la sociologie à l’université anti-académique de Vincennes, où elle rencontre Simone de Beauvoir*, à laquelle elle consacrera plusieurs ouvrages. Très engagée, elle fait partie des premières militantes du Mouvement de libération des femmes (MLF) dont elle répand les idées en Allemagne. Elle y importe le Manifeste des 343* en faveur de la libéralisation de l’avortement, sous la forme d’un appel publié par le Stern. Son livre Frauen gegen den Paragraph 218 (« des femmes contre le paragraphe 218 », 1971) doit son titre au paragraphe du code pénal allemand qui pénalise l’avortement. Favorable à l’autonomie financière de la femme, elle combat pour l’abrogation de la loi imposant aux femmes mariées d’avoir l’accord de leur mari pour travailler à l’extérieur de leur domicile. Cette loi est supprimée en 1976. Elle lutte contre la prostitution et contre sa légalisation, qui intervient en Allemagne en 2002. Sa revue féministe et politique, Emma, fondée en 1977, parvient à toucher un large public malgré son radicalisme. Son livre La petite différence et ses grandes conséquences (1977) est un succès de librairie qui sera traduit en 13 langues. En 1987, A. Schwarzer mène la campagne « PorNO », visant à interdire la pornographie en raison de son caractère dégradant pour la femme, en particulier dans ses formes les plus extrêmes. De 1992 à 1993, elle présente Zeil um Zehn, talk-show télévisé de la Hessischer Rundfunk. Son ouvrage collectif Die große Verschleierung : Für Integration, gegen Islamismus (« la grande dissimulation : pour l’intégration, contre l’islamisme », 2010) participe au débat sur l’interdiction du voile et de la burqa à l’école, qui représentent selon elle les « étendards de l’islamisme ». On lui doit environ 15 livres en tant qu’éditrice et 16 comme auteure, dont les biographies de Romy Schneider* et de Marion Dönhoff*.
Audrey CANSOT
■ La Petite Différence et ses grandes conséquences (Der Kleine Unterschied und seine grosse Folge, 1977), Paris, Des femmes-Antoinette Fouque, 1997 ; Entretiens avec Simone de Beauvoir (Simone de Beauvoir : Weggefährtinnen im Gespräch, 1983), Paris, Mercure de France, 2008.
SCHWARZKOPF, Elisabeth (née Olga Maria Friederike SCHWARZKOPF) [JAROCIN 1915 - SCHRUNS 2006]
Soprano allemande naturalisée britannique.
D’une voix splendide, Elisabeth Schwarzkopf a révélé, le temps passant, une personnalité controversée, aussi bien politiquement qu’humainement. Elle est reçue à la Hochschule für Musik de Berlin en 1934. Elle fait ses débuts en 1938 en Fille-fleur dans Parsifal de Richard Wagner dirigé par Karl Böhm, puis comme l’un des trois Pages de La Flûte enchantée de Mozart. Elle n’a pas encore 18 ans lorsqu’Hitler arrive au pouvoir en Allemagne. Comme nombre de jeunes artistes, elle s’inscrit dès 1935 au syndicat des étudiants nazis. En 1938, elle demande son adhésion au Parti national-socialiste, mais elle soutiendra par la suite ne pas en avoir reçu la carte. En 1942, le chef d’orchestre Karl Böhm l’invite à Vienne, où elle touche un public de connaisseurs dans ses récitals de lieder. Ce début de carrière est brutalement interrompu par une tuberculose. Guérie, elle fait ses grands débuts à Vienne en 1944, en Rosine du Barbier de Séville, puis Blondine de L’Enlèvement au sérail, et Zerbinetta d’Ariane à Naxos. Après la défaite de l’Allemagne, elle passe devant le tribunal de dénazification des artistes de Berlin. Acquittée, elle commence une carrière internationale. En 1946, à Vienne, elle chante Mimi de La Bohème de Puccini et Violetta de La Traviata de Verdi. En 1947, elle est Donna Elvira de Don Giovanni de Mozart à Londres et Suzanne des Noces de Figaro au Festival de Salzbourg. Karajan l’engage à la Scala de Milan où elle chante Mozart, Wagner, Gounod, Strauss, Debussy. En 1951, elle crée à Venise le rôle d’Anne Trulove dans The Rake’s Progress d’Igor Stravinski sous la direction du compositeur. En 1952, avec Karajan, ce sont ses débuts en Maréchale du Chevalier à la rose à la Scala de Milan. Elle ne fait sa première apparition au Metropolitan Opera de New York qu’en 1964, dans Le Chevalier à la Rose. De 1960 à 1967, elle se consacre surtout aux rôles mozartiens – Donna Elvira, une admirable comtesse Almaviva, Fiordiligi –, et à ses deux rôles fétiches des opéras de R. Strauss – la Maréchale du Chevalier à la rose et la comtesse Madeleine de Capriccio. Elle se retire de la scène lyrique en 1971 et renonce à sa carrière en 1979. Elle se consacre dès lors à l’enseignement et donne, de par le monde, des master-classes, notamment à Paris.
Bruno SERROU
■ La Voix de mon maître : Walter Legge (1982), Paris, Belfond, 1983 ; avec TUBEUF A., Les Autres Soirs, Paris, Tallandier, 2004.
SCHWEISGUTH, Odile [REMIREMONT 1913 - SAULIEU 2002]
Spécialiste française d’oncologie pédiatrique.
Née dans une famille nombreuse, dans les Vosges, Odile Schweisguth entreprend des études de médecine. Interne des Hôpitaux de Paris en 1942, elle poursuit ses études de pédiatrie pendant la guerre à l’hôpital Necker-Enfants malades. Elle s’oriente d’abord vers la cardiologie. La réforme Debré découpe alors la pédiatrie en plusieurs spécialités et, à cette occasion, est créé un service de tumeurs de l’enfant à Villejuif, à l’Institut Gustave-Roussy, où elle est affectée. En dix ans, elle en fait un service extrêmement actif, qui reçoit plus de 300 nouveaux cas par an. Elle y consacre sa vie et poursuit le diagnostic et la classification des cancers. Au début, la chimiothérapie ne peut s’adapter aux cas pédiatriques mais, petit à petit, la découverte de nouvelles molécules additionnées à la chirurgie guérissent de plus en plus de cas. En 1969, elle crée la Société internationale d’oncologie pédiatrique (Siop), qui rassemble des pédiatres de France, d’Europe et des États-Unis. La recherche clinique pédiatrique est sa grande spécialité et sa force. Elle forme ses internes à une observation approfondie et respectueuse des symptômes cliniques. Sa mémoire prodigieuse lui permet de faire état, lors des présentations de malades auxquelles on la prie d’assister, de cas semblables qu’elle a rencontrés. Elle a employé sa retraite à sillonner la France pour aller voir des patients qu’elle a guéris vingt ans auparavant. C’est l’intérêt et l’amour qu’elle portait à ses patients qui ont fait d’elle un médecin exceptionnel.
Yvette SULTAN
■ Tumeurs solides de l’enfant, Paris, Flammarion, 1979.
SCHWIMMER, Rózsa (Rózsika, dite) VOIR BEDY-SCHWIMMER, Rózsa
SCHYGULLA, Hanna [KATOWICE, SILÉSIE, AUJ. POLOGNE 1943]
Actrice allemande.
Hanna Schygulla débute dans la troupe théâtrale munichoise Antiteater, créée par Rainer Werner Fassbinder, qui écrit et met en scène des pièces contestataires. Quand il passe au cinéma et devient un réalisateur aussi discuté que productif, H. Schygulla prête son charme mystérieux à une dizaine de ses films : de L’amour est plus froid que la mort (Liebe ist kälter als der Tod, 1969) aux rôles-titres d’Effi Briest (Fontane Effi Briest, 1974), du Mariage de Maria Braun (Die Ehe der Maria Braun, 1979) à Lili Marleen (1981). Elle tourne avec d’autres jeunes cinéastes : Jean-Marie Straub, Wim Wenders, Volker Schlöndorff, Margarethe von Trotta*. Sa carrière devient internationale avec Ettore Scola (La Nuit de Varennes, 1982), Jean-Luc Godard (Passion, 1982), Carlos Saura (Antonieta, 1982). En 1983, au Festival de Cannes, elle remporte le Prix d’interprétation féminine pour L’Histoire de Piera (Storia di Piera), de Marco Ferreri. Elle retrouve le cinéaste dans Le futur est femme (Il futuro è donna, 1984). Elle tourne avec le Polonais Andrzej Wajda Un amour en Allemagne (1983) ; avec les Israéliens Amos Kollek (Prise/Forever, Lulu, 1987) et Amos Gitaï (Golem ; Gibellina, 1992 ; Terre promise, 2004 ; Lullaby to my Father, 2012). Vivant à Paris depuis 1981, elle aborde la comédie chorale avec Aux petits bonheurs (Michel Deville, 1994). Dans les années 1990, elle se lance également dans le chant et la poésie.
Bruno VILLIEN
■ Life, Love and Celluloïd, Juliane Lorenz, 90 min, 1998.
SCIAMMA, Céline [PONTOISE 1980]
Réalisatrice et scénariste française.
Étudiante du département scénario de la Fémis, Céline Sciamma réalise en 2007, alors qu’elle a 26 ans, son premier long-métrage, Naissance des pieuvres, à partir de son scénario de fin d’études. Elle y filme très justement la naissance du désir chez trois adolescentes qui pratiquent la natation synchronisée, captant le trouble des corps qui changent. Naissance des pieuvres, qui révèle par ailleurs la jeune actrice Adèle Haenel, est salué par la critique et remporte le prix Louis-Delluc du premier film. Après Pauline, court-métrage de la série « Jeune et homo, sous le regard des autres », C. Sciamma réalise un deuxième long-métrage, Tomboy (« garçon manqué », 2011), véritable succès en salles pour un film d’à peine plus d’un million d’euros de budget. Tomboy s’attache encore une fois à la mise en scène du désir, doublé du thème de l’identité sexuelle. La jeune héroïne, Laure, fillette d’une dizaine d’années, profite du déménagement de ses parents pour se faire passer pour un garçon auprès de ses nouveaux camarades. Cette fois encore, la finesse du point de vue soulignant le trouble est salué par la critique. En 2012, C. Sciamma participe à l’écriture de la série Les Revenants, diffusée sur Canal Plus. Dans Bande de filles (2014), elle suit une bande de quatre adolescentes de banlieue en virée initiatique et euphorisante.
Marianne FERNANDEZ