ANTHROPOLOGUES [Inde XXe siècle]
Il existe en Inde une profonde opposition entre l’idéalisation du féminin, à travers l’archétype de la déesse mère, et la réalité des conditions de vie de la majorité des femmes. L’exaltation de la femme, sur un plan religieux et symbolique, va ainsi de pair avec une relative indifférence à son sort réel. Dans cette société patriarcale et patrilinéaire où règne une inégalité statutaire fondamentale entre les deux sexes, des femmes issues de milieux très disparates ont su faire entendre leurs voix pour défendre des grandes causes sociales, politiques ou écologiques. Ce « mouvement des femmes » reconnaît que les femmes sont opprimées en raison de leur sexe. Mais le terme de « féministe » ne fait pas l’unanimité : certaines intellectuelles indiennes rejettent cette épithète imprégnée, pour elles, d’impérialisme culturel occidental.
Le mouvement des femmes, qui a pris des formes multiples au cours de son évolution, est né au début du XXe siècle avec la lutte pour l’indépendance à laquelle les Indiennes ont largement contribué. La question émerge pour la première fois dans les discours politiques, notamment celui où la poétesse Sarojini Naidu* (1879-1949) explique que les femmes doivent être admises à voter, en tant que mères, afin d’ancrer la conscience nationale dans l’âme de leurs enfants. Ce mouvement milite d’abord pour une révision des fondements juridiques traditionnels de la famille hindoue. Il remet en question certaines coutumes, dont la sati (immolation des veuves sur le bûcher funéraire de leur mari) et le mariage des enfants. Afin d’établir un équilibre entre hommes et femmes, il encourage l’éducation des filles. Toutefois, ce combat concerne davantage les femmes issues des hautes castes. Une fois l’indépendance acquise en 1947, beaucoup s’en tiennent aux promesses d’égalité des sexes inscrites dans la Constitution et mettent fin à leur militantisme. Il faut attendre les années 1970 pour voir le mouvement reprendre vigueur, la majorité des femmes n’ayant finalement pas bénéficié des progrès escomptés. Qualifié de « deuxième vague », il se compose alors d’intellectuelles et de militantes engagées dans des organisations qui apportent un soutien matériel, moral et financier ainsi qu’un véritable cadre de travail à des femmes en difficulté. La revue Manushi, créée en 1979 par Madhu Kishwar et Ruth Vanita, est un bon exemple de cette synergie de la recherche et du militantisme. Dans le domaine de l’édition, deux intellectuelles, Urvashi Butalia* et Ritu Menon*, fondent en 1984 Kali for Women, première maison d’Asie du Sud spécialisée dans les textes de femmes, qui a largement participé à la diffusion des women’s studies indiennes. La question des femmes devient ainsi un sujet à part entière alors qu’elle avait été longtemps négligée ou considérée d’un point de vue strictement masculin par des universitaires.
Hormis quelques travaux précurseurs, comme ceux de la sociologue Chandrakala Hate (1903-1991), c’est la publication en 1974 du rapport Towards Equality par le Comité sur le statut des femmes en Inde qui marque le commencement des études universitaires sur ces questions. Beaucoup d’intellectuelles se sentent concernées par la détérioration du statut des femmes dans le monde du travail. Elles veulent une meilleure reconnaissance pour celles qui sont majoritairement employées dans le secteur informel et qui souffrent d’« invisibilité ». Maithreyi Krishnaraj, économiste et spécialiste des études féministes, est l’une des premières à soulever le problème de la définition de la notion d’activité économique. Ela Bhatt*, fondatrice de l’organisation Self Employed Women’s Association, propose de valoriser le travail des femmes dans le secteur informel par la dénomination self-employed workers ; elle crée une coopérative d’employées indépendantes, puis une banque destinée à financer leurs activités. Nirmala Banerjee, sociologue et économiste, dénonce le système de sous-traitance par les industriels et la forte dégradation des revenus des femmes qui en découle.
D’autres études menées sur la question des femmes, notamment par des sociologues et anthropologues indiennes comme Veena Das, Tulsi Patel ou encore Veena Mazumdar, permettent aussi de penser autrement les notions de caste, de classe, de famille, de parenté et de patriarcat. Adoptant une approche comparative entre l’Asie du Sud et l’Asie du Sud-Est, l’anthropologue Leela Dube est l’une des premières à montrer à quel point les différences dans les systèmes de parenté et dans les structures familiales rendent compte de variations décisives concernant les relations entre les sexes dans chaque société. Par la suite, certaines intellectuelles innovent dans leur manière de questionner la famille : la sociologue Patricia Uberoi explore les contradictions qui perdurent dans la famille indienne et la façon dont celles-ci sont représentées dans les médias populaires contemporains. Son étude analyse les défis de la modernité dans le domaine de la vie privée où les idéaux d’autonomie individuelle et de liberté de choix et d’action sont limités par la structure de la famille élargie aux dépens des besoins et des désirs de chacun. On peut également citer la démarche originale de la sociologue Kamala Ganesh qui, après avoir étudié les interfaces entre le sexe, la parenté et la caste dans le contexte indien, a mené une étude de terrain aux Pays-Bas sur la famille et l’État-providence : un des rares exemples de « recherche inversée » où des anthropologues du tiers-monde utilisent leurs propres outils théoriques pour comprendre la société et la culture occidentales. Le mouvement des femmes donne aussi naissance à un courant théorique et politique minoritaire, « l’écoféminisme », qui met en parallèle l’exploitation de la nature et l’exploitation des femmes par l’homme. Selon l’une des représentantes de l’écoféminisme, Vandana Shiva*, physicienne et philosophe des sciences, la mort de Prakriti (« la terre ») signifie le commencement de la marginalisation des femmes, de leur déclassement et de l’idée qu’elles ne sont pas fondamentalement indispensables. La crise écologique est, dans ses racines mêmes, la mort du principe féminin.
À côté des intellectuelles et des militantes engagées, des femmes issues de basses castes et le plus souvent illettrées manifestent leur combativité et leur créativité dans des mouvements de contestation populaires dont elles sont parfois les initiatrices. L’un d’eux, Chipko, débuté en 1972-1973 dans le nord de l’Inde, constitue une remarquable illustration de la façon dont des villageoises ont opté avec clairvoyance pour la protection de la forêt et de l’environnement contre des projets de développement destructeurs. Elles ont tenté d’empêcher la coupe des arbres en s’attachant à eux, en les « étreignant » (ce que signifie chipko). Le combat de ces femmes, souvent en opposition aux hommes du village, est devenu un mouvement de lutte contre les inégalités entre les sexes. Depuis 2005, Sampat Pal Devî*, issue d’une basse caste, encourage les pauvres, en particulier les femmes, à s’organiser pour se défendre elles-mêmes, faire valoir leurs droits et réclamer justice. Elle a formé le Gulabi Gang, « gang des saris roses », un groupe de femmes qui organise sit-in et opérations coup de poing contre la corruption des forces de police, les violences domestiques et les abus sexuels, là où la police et le gouvernement de l’État de l’Uttar Pradesh refusent d’intervenir. Le mouvement anti-arack, né en 1992 dans l’État de l’Andra Pradesh, reflète aussi la détermination et l’inventivité de femmes rurales pauvres, ces dalit (« intouchables ») sans aucune expérience politique, mais décidées à mettre fin aux dégâts dus à la consommation excessive d’arack (un alcool local) par leurs époux. Pour empêcher l’approvisionnement d’alcool dans leur village, elles ont mené des actions collectives non violentes en chantant et dansant. Leur mouvement est en même temps une forme d’opposition à un gouvernement autoritaire, qui, au lieu de venir en aide à leur population en détresse, contribue à l’appauvrir par des taxes élevées, notamment sur l’alcool. De surcroît, ce combat les a conduites à mettre en cause les frontières entre la maison et le monde extérieur, le privé et le public, et à faire changer les relations entre les sexes au niveau du village.
Alexandra QUIEN
■ BANERJEE N., Women Workers in the Unorganised Sector : The Calcutta Experience, Londres/Delhi, Sangam Books, 1991 ; GANESH K., PALRIWALA R., RISSEEUW C., Care, Culture and Citizenship : Revisiting the Politics of the Dutch Welfare State, Amsterdam, Het Spinhuis, 2005 ; PATEL T. (dir.), The Family in India, Structure and Pratice, New Delhi, Sage Publications, 2005 ; SHIVA V., Staying Alive : Women, Ecology and Survival, New Delhi, Women Unlimited, 2010 ; UBEROI P., Freedom and Destiny. Gender, Family, and Popular Culture in India, New Delhi/New York, Oxford University Press, 2009.
ANTILLANO, Laura [CARACAS 1950]
Écrivaine vénézuélienne.
Considérée comme l’une des écrivaines vénézuéliennes contemporaines les plus prolifiques, Laura Antillano s’est essayée à plusieurs genres, de la nouvelle au roman en passant par l’essai et le conte pour enfants. Elle a publié des recueils de nouvelles comme La bella época (« la belle époque », 1969) et Dime si adentro de ti no oyes tu corazón partir (« dis-moi si en toi tu n’entends pas ton cœur se briser », 1983), des romans tels que La muerte del monstruo come-piedra (« la mort du monstre mange-pierre », 1971) et Las aguas tenían reflejos de plata (« les eaux avaient des reflets argentés », 2002) et des poèmes, rassemblés dans Poesía completa 1968-2005 (2005). Avec le réalisateur Olegario Barrera, elle a coécrit le scénario du film Pequeña revancha (« petite revanche », 1986), qui a obtenu le prix du meilleur scénario au Festival international de cinéma de Mérida (Venezuela). Dans les années 2000, elle organise des ateliers littéraires, publie une chronique hebdomadaire dans le journal Notitarde et participe à l’émission de radio La palmera luminosa. Professeure à l’université et coordinatrice du département de littérature pour enfants de la Casa de las Letras Andrés-Bello, elle s’installe à Valencia, au Venezuela, où elle dirige la fondation La Letra Voladora. La construction de ses textes, parsemés d’éléments autobiographiques, révèle une sensibilité originale : son regard de femme s’élabore depuis l’expérience la plus immédiate, celle du quotidien, en suivant les fils de la mémoire. Son écriture adopte des formes variées, combinant des modes d’expression multiples, comme le langage familier ou publicitaire, l’écriture intime, le discours poétique. La quête de ses personnages féminins, à la recherche d’une place dans le monde, ainsi que la construction de leur identité dans la rencontre avec le passé constituent la trame essentielle de ses nouvelles et romans. Elle a consacré une grande partie de son activité à la promotion de la lecture et des valeurs humanistes chez les enfants et les adolescents.
Pablo DOMÍNGUEZ GALBRAITH
ANTIN, Eleanor [NEW YORK 1935]
Plasticienne et performeuse américaine.
Artiste pionnière de l’art contemporain californien, Eleanor Antin développe une œuvre – photographies, vidéos, performances ou installations –, qui allie humour et narration pour aborder des problématiques identitaires et postmodernes : l’identité et sa représentation, les liens entre la réalité, la fiction et la transformation, ou bien encore la relation entre biographie et autobiographie. Après ses premières recherches conceptuelles marquées notamment par Blood of a Poet Box (1965), une boîte contenant des centaines d’échantillons sanguins, l’artiste a réalisé 100 Boots (1971-1973), des paires de bottes de l’US Navy photographiées dans différents lieux de Californie ; détournant les voies de diffusion artistique traditionnelles, elle a présenté les images sous forme de cartes postales et les a envoyées à des centaines de critiques, artistes ou musées. De la même manière, en 1972, Carving : A Traditionnal Sculpture propose une série de 144 photographies de son corps, prises au cours d’une période de 36 jours de régime ; avec une objectivité quasi scientifique, son corps devient sa propre sculpture. Peu à peu, E. Antin en vient à interroger la notion de fiction, en se mettant en scène sous diverses apparences, lors de performances. Dans la série de photographies, dessins et performances, Recollections of My Life with Diaghilev (1974-1989), elle apparaît sous les traits d’Elanora Antinova, la première ballerine (fictive) des Ballets russes, témoignant alors de son intérêt pour les rapports entre l’histoire et la mémoire. Depuis 2001, trois séries de photographies basées sur l’Antiquité, The Last Days of Pompei, Roman Allegories et Helen’s Odyssey, illustrent l’attention et le regard renouvelés qu’elle porte sur les relations du passé et du présent, de l’histoire vécue et de l’imagination, mais aussi sur la société et sa démarche personnelle. Son œuvre ne peut, en effet, être regardée indépendamment de ses « revendications » sociales, et, en même temps, de sa propre biographie. Après une longue carrière de professeure à l’université de Californie à San Diego, E. Antin continue d’explorer, grâce à des personnages de fiction, les problématiques liées au féminisme, à l’autobiographie ou à l’histoire sociale.
Maïa KANTOR
■ Ghosts (catalogue d’exposition), Winston-Salem, Southeaster Center for Contemporary Art, 1996 ; Eleanor Antin (catalogue d’exposition), Bloom L. E. (textes), Los Angeles, Los Angeles County Museum of Art, 1999.
ANTOINETTE – MENSUEL DE LA CGT [France 1955 - 1989]
Comment contrecarrer les poisons capitalistes de la presse féminine ? Un syndicat, la Confédération générale du travail (CGT), s’y emploie aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale, puisque les femmes semblent enfin reconnues comme participantes actives des mouvements sociaux. Un premier bulletin, modeste, La Revue des travailleuses, est d’abord expérimenté en 1952, suivi en 1955 par le mensuel Antoinette, également intitulé « revue féminine syndicale de la CGT ». Il est confié à Madeleine Colin (1905-2001), employée du téléphone et secrétaire confédérale de la CGT, qui restera sa directrice pendant vingt ans avant de laisser la place à Chantal Rogerat, issue du catholicisme social.
Le nom choisi pour le journal est plus marqué par l’ouvriérisme que par le féminisme : il s’inspire du film de Jacques Becker, Antoine et Antoinette, Palme d’or à Cannes en 1947, qui raconte la vie et les tribulations d’un couple, dont le mari est ouvrier dans une imprimerie et la femme employée dans un Prisunic. L’ambiguïté demeure tout au long de l’existence d’Antoinette autour d’une question : le journal peut-il servir à la fois les ouvriers et les femmes ? La rédaction est partagée entre les contraintes d’éducation politique et syndicale voulues par le bureau confédéral et les aspirations à des thèmes plus directement propres aux femmes, à des combats pour leurs droits.
Entre les deux, il trouve à peu près sa voie, faisant circuler dans le milieu mâle et paternaliste du syndicalisme un vent de liberté contestataire. Le journal défend le droit des femmes, l’égalité professionnelle mais aussi politique ou syndicale, milite pour la libéralisation de la contraception et de l’avortement. Ironie de l’histoire, les femmes syndicalistes se voient contester cet espace d’expression quand la gauche arrive au pouvoir en 1981. Leurs revendications effraient les autorités syndicales depuis la fin des années 1970. La rédaction est donc licenciée et Antoinette devient un bulletin annexe du journal La Vie ouvrière. Sa parution cesse en 1989.
Cécile MÉADEL
■ COLIN M., Traces d’une vie dans la mouvance du siècle, Paris, Syllepse, 2007 ; OLMI J., Oser la parité syndicale. La CGT à l’épreuve des collectifs féminins, 1945-1985, Paris, L’Harmattan, 2007.
ANTONAKAKIS, Souzana Maria (née KOLOKYTHA) [ATHÈNES 1935]
Architecte grecque.
Formée à la faculté d’architecture de l’Université technique nationale d’Athènes (NTUA) entre 1954 et 1959, Souzana Maria Antonakakis fonde en 1965 l’Atelier 66, avec son mari, l’architecte Dimitris Antonakakis (1933), et Elèni Gousi Desylla (1938), rejoints ensuite par de nombreux collaborateurs, avec l’idée alors en vogue de créer une structure collective de recherche. La vision critique du couple Antonakakis et l’originalité de leur langage puisent à des sources aussi diverses que l’ordre modulaire de Mies van der Rohe, les formes sculpturales de Le Corbusier ou encore l’organisation structuraliste néerlandaise. Leur œuvre s’inscrit dans le sillage de celles de Dimitris Pikionis et d’Aris Konstantinidis. Leur travail, dont l’influence est considérable, est reconnu comme étant l’expression même du régionalisme critique, une architecture dont le modernisme est infléchi par le souci d’une intégration à son contexte, tant matériel que culturel. Dès leurs premiers travaux, ils utilisent des combinaisons tout en exploitant les potentialités du site et de la topographie, et en laissant la pierre et le béton apparents, comme dans l’ensemble résidentiel de Distomo (1969), le musée archéologique de Chio (1965-1972), ou encore la maison de Montevardia, à Khaniá en Crète (1975). Par la suite, ils signent des équipements culturels sur l’île, comme l’École polytechnique de Khaniá (1982) et la faculté de philosophie de Rethimnon (1981-2004). Ils réalisent aussi plusieurs opérations de logements collectifs dont l’immeuble des rues Benaki (1972-1975) et Doxapatri (1978) à Athènes, et des complexes hôteliers comme celui d’Hermionis (Ermióni 1965), ou de Lyttos (Hersonissos, Crète 1979). Mais ils ont surtout conçu de nombreuses maisons individuelles : à Perdika (île d’Égine 1981) et à Nea Kifissia dans un faubourg d’Athènes (1990) ; sur les îles d’Hydra (1980), de Sífnos (1984-1985) et en Crète à Iráklion (1997) ; plus récemment, les maisons Gorgoyannis (Poliani 2003), Papalambrou (Spata 2007) et Logotheti (Varkiza 2008). Reconnue pour ses travaux dans le monde professionnel et universitaire, S. Antonakakis a été membre de la direction d’associations nationales, telles que la Chambre des architectes grecs, de 1982 à 1984, et internationales, comme l’UIA (Union internationale des architectes), de 1982 à 2002 ; elle a été nommée en outre docteure honoraire à l’École d’architecture de l’université de Thessalonique en 2007.
Lydia SAPOUNAKI-DRACAKI
■ Katoflia. 100+7 chorografimata, Athènes, Futura, 2011.
■ FRENCH H., Key Urban Housing of the Twentieth Century, Londres, Laurence King, 2008 ; FRAMPTON K., LEFAIVRE L., TZONIS A., Atelier 66. The Architecture of Dimitris and Suzana Antonakakis, New York, Rizzoli, 1985 ; FESSAS-EMMANOUIL H., New Public Buildings. D.+S. Antonakakis, A. Tombazis, N. Valsamakis (catalogue d’exposition), Athènes, Greek Ministry of Culture, 1991.
ANTONI, Janine [FREEPORT, BAHAMAS 1964]
Sculptrice et artiste multimédia américaine.
Janine Antoni a fait ses études au Rhode Island School of Design. Sa démarche se situe entre la performance et la sculpture, avec, comme ligne d’horizon, les gestes de la vie quotidienne qu’elle cherche à transformer, selon ses propres mots, « en processus sculpturaux ». Ses œuvres les plus connues, Chocolate Gnaw (« rongement du chocolat ») et Lard Gnaw (« rongement du saindoux », 1992), sont issues de performances (non publiques), au cours desquelles elle ronge deux blocs de 300 kilos – l’un de chocolat, l’autre de saindoux –, à l’aide de ses dents, jusqu’à ce que les masses finissent par devenir des objets sculpturaux. Avec Loving Care (« tendresse », 1992), elle balaie le sol de la galerie londonienne Anthony d’Offay avec ses cheveux trempés dans une teinture. Butterfly Kisses (« baisers de papillon », 1996-1999) est, de la même manière, un dessin réalisé par les battements de cils de l’artiste, enduits de mascara. Lick and Lather (« lécher et faire mousser », 1993) joue sur la question de l’identité : cette œuvre est constituée de 14 moulages de son propre buste (sept bustes en chocolat et sept en savon), qu’elle transforme en léchant les pièces de chocolat et en faisant mousser celles faites de savon. Dans Mom and Dad (1993), elle prend le masque de son propre père et pose alternativement avec ses parents, déjouant les lois traditionnelles du « genre ». Si le corps est au centre du travail de J. Antoni, ce n’est jamais de manière spectaculaire, car ce qui est mis en avant, c’est essentiellement le résultat d’un processus performatif, plutôt que l’action elle-même.
Bernard MARCADÉ
■ Janine Antoni, Cameron D., Cappellazzo A., Lajer-Burcharth E. (dir.), Küsnacht/Ostfildern, Ink Tree/Hatje Cantz, 2000 ; Falk Visiting Artist (catalogue d’exposition), Greenboro, Weatherspoon Art Museum, 2007.
ANTONIUS, Soraya [JÉRUSALEM aV. 1948]
Romancière et journaliste palestinienne d’expression anglaise.
Fille du nationaliste George Antonius, auteur de The Arab Awakening, Soraya Antonius est née avant la création de l’État d’Israël. Ses romans explorent la période qui a mené à la destruction de la Palestine : du mandat britannique à l’instauration d’Israël. Ils montrent les débuts de la résistance palestinienne face à la cruauté des Britanniques, mettent en parallèle le double aveuglement des Arabes, incapables de percevoir la menace sioniste, et des Anglais qui se pensent intouchables. La romancière recrée dans ses œuvres (The Lord, 1986 ; Where the Jinn Consult, 1987) la vie et les coutumes de villages palestiniens disparus et dresse le portrait de l’élite éduquée de Jérusalem, déchirée entre son désir de souveraineté pour la Palestine et sa fierté d’être occidentalisée. Elle a, par ailleurs, réalisé le film Resistance. Why ? (« résistance, pourquoi ? », 1971) qui traite de la résistance palestinienne.
Jacqueline JONDOT
ANTTONNEN, Sari [HELSINKI 1966]
Designer de meubles et d’espaces finlandaise.
Ébéniste de formation, Sari Anttonnen s’oriente rapidement vers le design de meubles. Elle est remarquée par la presse en 1994 lorsqu’elle obtient le premier prix du concours Ikea. Passionnée par tous les matériaux, elle travaille le bois, le métal (chaises en tôle recyclée Tulab, fabriquées au Sénégal en 1995) et des matériaux flexibles auxquels elle associe des textiles (série d’armoires Superheroes en 1996 ; meubles capitonnés Prêt-à-porter en 1997). Ses pièces uniques, qui semblent parfois sorties de bandes dessinées, sont caractéristiques de la fin des années 1990, marquée, en Finlande comme dans le reste de l’Europe, par une transgression des codes du good design, mais s’inspirant malgré tout des formes organiques chères à Alvar Aalto. C’est pourtant dans le domaine du design industriel que S. Anttonnen se fait connaître internationalement en 1998, grâce à la chaise de collectivité Kiss, créée pour le fabricant de meubles Piiroinen qui exporte dans le monde entier. Tout en respectant la culture de cette entreprise dont les designers réalisent habituellement des meubles en tube et en bois aux formes très classiques, elle choisit d’utiliser les plastiques au lieu du bois. Elle conçoit un excellent produit industriel à la fois simple et innovant : l’assise et le dossier de Kiss sont parfaitement identiques, fabriqués en mousse de polyuréthane totalement recyclable, les deux pièces étant fixées au cadre en tube métallique de la chaise par simple pression. Grâce à cette expérience, elle découvre tout l’intérêt d’une collaboration avec l’industrie et profite de la structure de Piiroinen pour développer une recherche fondamentale sur l’utilisation des plastiques recyclés dans le domaine de l’ameublement. Celle-ci a débouché sur la création de nouveaux modèles très innovants et se poursuit toujours. Également designer d’espaces, elle aménage en 1995 l’une des boutiques du célèbre fabricant de tissus finlandais Marimekko, à Helsinki, et conçoit l’exposition d’inauguration du musée Kiasma en 1998 (œuvre de l’architecte new-yorkais Steven Holl). Par ailleurs, elle enseigne le design de meubles à l’École des arts et du design d’Helsinki. Elle met l’accent sur les matériaux et les techniques, encourage les étudiants à trouver de nouvelles applications, et à inventer des procédés qui respectent la planète.
Joëlle MALICHAUD
ANYANWU, Christina [NIGERIA 1951]
Femme politique, entrepreneuse, rédactrice en chef et auteure nigériane.
Révélée au grand public par la NTA (Nigerian Television Authority), le réseau public du pays, Christina Anyanwu est une pionnière des médias nigérians. Elle conçoit et produit l’émission Newsline, qui détient le record de longévité à l’antenne de la NTA. Commissaire d’État à l’Information, à la Jeunesse, aux Sports, à la Culture et à la Protection sociale dans l’État d’Imo de 1987 à 1989, elle fonde et dirige, en 1990, The Sunday Magazine, un hebdomadaire indépendant important consacré aux problèmes politiques. Parallèlement, elle est également spécialiséedans l’énergie pour le compte de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep). En 1995, C. Anyanwu est arrêtée pour avoir publié des articles sur l’échec du coup d’État contre le gouvernement du dictateur Sani Abacha et les arrestations perpétrées à sa demande. Après un procès bâclé dans un tribunal militaire qui lui interdit de faire appel, elle est condamnée à la perpétuité et enfermée dans une prison connue pour ses mauvais traitements. Privée de médicaments, elle frôle la cécité mais en réchappe en juin 1998, après la mort du dictateur. Elle se rend alors à Paris, où elle reçoit le Prix mondial de la liberté de la presse Unesco/Guillermo-Cano, ainsi que celui que l’association Reporters sans frontières lui a décerné en 1995, après son emprisonnement. C. Anyanwu séjourne deux ans en Virginie, où elle rédige The Days of Terror (« les jours de terreur », 2001), sur l’expérience de la prison, puis revient au Nigeria faire face à ses bourreaux afin de témoigner. Par la suite, elle fonde et dirige la Spectrum Broadcasting Company Nigeria Limited, consacrée à la production et à la diffusion de programmes pour la télévision et la radio, et œuvre à la création de TSM TV. De plus en plus influente dans son pays, elle obtient un poste de sénatrice en 2007. Elle a publié six livres, dont Power Sharing in Nigeria (« le partage du pouvoir au Nigeria »), qui porte sur le déséquilibre du pouvoir.
Audrey CANSOT
ANYTÉ [TÉGÉE, ARCADIE IIIe siècle aV. J.-C.]
Poétesse grecque.
Les informations et les témoignages concernant la vie d’Anyté sont rares. Originaire de Tégée, en Arcadie, cette poétesse hellénistique est l’auteur de poèmes lyriques (lyriké, melopoios) et de vers héroïques (d’après Pausanias X, 38, 13) aujourd’hui perdus, mais elle a un rôle de premier plan dans l’histoire littéraire grecque, surtout pour avoir donné ses lettres de noblesse au genre de l’épigramme, l’affranchissant de son style impersonnel et austère et de son caractère circonstanciel. Elle avait probablement édité elle-même ses épigrammes en un recueil, alors que les épigrammes sont à l’origine de véritables inscriptions funéraires gravées sur les stèles tombales ou des dédicaces inscrites sur des objets offerts aux dieux. Au début de l’époque hellénistique, ce genre littéraire abandonne le ton de la réflexion morale, politique et gnomique pour s’ouvrir à l’expression de sentiments plus personnels, vécus dans leur dimension quotidienne et antihéroïque. L’Anthologie palatine a conservé 21 épigrammes d’Anyté (plus trois dont l’authenticité n’est pas reconnue à ce jour), écrites en dialecte dorien, généralement de quatre vers et de sujets variés : dédicaces d’objets, descriptions des éléments de la nature, mais surtout épitaphes funéraires, réelles ou fictives, centrées autour de la thématique de la mort ante diem, chère à la poésie hellénistique (Anthologie palatine VII, 646). Dans son anthologie (Couronne) de poètes, Méléagre de Gadara (IIe-Ier siècle av. J.-C.) cite les « lis rouges d’Anyté » (Anth. pal. IV, 1, 5), évoquant ainsi le ton tendre et délicat de ses poèmes. Les distiques d’Anyté décrivent en effet avec élégance et mesure la campagne ou les moments de la vie quotidienne, avec une tendresse particulière pour les jeunes filles mortes avant d’avoir goûté les douceurs de la couche nuptiale, pour les jeux et les pleurs des enfants, pour les bergers et les humbles, ainsi que pour les petits animaux qui habitent le paysage. La poétesse imprime une touche personnelle à ses poèmes, les enrichissant d’allusions homériques et d’images fraîches et évocatrices, qui font ressortir une mélancolie pensive et contenue.
Anyté, comme Nossis*, appartient à la zone dorienne de la première épigramme hellénistique, caractérisée par une prédilection pour les descriptions de paysages, par le réalisme des situations et des détails, par une tonalité tendre et apaisée. Anyté doit sans doute cette touche pastorale à ses origines arcadiennes. L’Arcadie est une région de la Grèce connue comme contrée sauvage et primitive, habitée par des bergers vivant en harmonie avec la nature, symbole d’un âge d’or dont la thématique littéraire fournit maintes images aux poètes bucoliques latins. Anyté fut non seulement parmi les premiers poètes bucoliques de l’époque hellénistique, mais ce fut aussi elle qui la première composa des épitaphes pour des animaux. Le genre de l’épigramme funéraire eut par la suite beaucoup de succès, notamment avec Théocrite et Asclépiade. Une des épigrammes les plus connues et les plus poignantes d’Anyté est consacrée à une sauterelle et à une cigale, ravies par l’implacable Hadès à la tendresse d’une petite fille, affligée par cet événement cruel et inexplicable (Anth. pal. VII, 190). L’épigrammatiste Antipater de Thessalonique (Ier siècle apr. J.-C.), qui célébrait Anyté parmi les neuf poétesses aux divins accents, voyait en elle un « Homère au féminin » (Anth. pal. IX, 26, 3), sans doute en raison de l’esprit guerrier, du ton épique et du vocabulaire homérique qui caractérisent ses vers (par exemple dans l’épigramme où est évoquée la prise de Milet par les Galates en 277 av. J.-C., Anth. pal. VII, 492), ainsi que pour l’admiration dont elle faisait l’objet (ses concitoyens lui dédièrent une statue en bronze, autour de 290 av. J.-C.).
Marella NAPPI
■ BARNARD S., « Anyte : poet of children and animals », in DE MARTINO F. (dir.), Rose di Pieria, Bari, Levante, 1991 ; BATTISTINI Y., Poétesses grecques, Paris, Imp. nationale, 1998 ; GEOGHEGAN D. (dir.), Anyte. The Epigrams : A Critical Edition, Rome, Edizioni dell’Ateneo & Bizzarri, 1979 ; GUTZWILLER K., Poetic Garlands : Hellenistic Epigrams in Context, Berkeley, University of California Press, 1998 ; SNYDER J. M., The Woman and the Lyre : Women Writers in Classical Greece and Rome, Carbondale/Edwardsville, Southern Illinois University Press, 1989.
ANZALDÚA, Gloria [JESUS MARIA OF THE VALLEY, TEXAS 1942 - SANTA CRUZ, CALIFORNIE 2004]
Écrivaine américaine chicana.
Issue d’une famille d’ouvriers agricoles, Gloria Evangelina Anzaldúa grandit dans une ferme du sud du Texas et travaille très tôt avec ses parents dans les champs. La mort de son père, quand elle a 14 ans, l’oblige à avoir une activité professionnelle pour pouvoir financer ses études. À travers son écriture, caractérisée par un usage créatif de la langue, elle cherche à subvertir et à transformer les circonstances défavorables du milieu imprégné de racisme et de sexisme dans lequel elle a vécu. Son engagement en tant que lesbienne féministe chicana, contre la discrimination et l’exclusion des femmes de couleur s’affirme dès ses débuts. En 1981, elle codirige avec Cherríe Moraga* l’anthologie This Bridge Called My Back : Writings by Radical Women of Color, qui permet d’établir une articulation théorique entre race et féminisme, et de rendre visible la participation des femmes de couleur à l’histoire sociale et intellectuelle des États-Unis, d’autant plus que celle-ci avait été ignorée aussi par les mouvements féministes blancs. Sa contribution à cet ouvrage, « La Prieta », éclaire sa méthode narrative qui passe de l’expérience vécue à la connaissance sociale. Elle revient sur plusieurs moments déterminants de son enfance qui l’ont amenée à une prise de conscience de hiérarchies idéologiques, comme le racisme lié à la classe ou une sexualité définie par le genre. Dans son livre Borderlands/La Frontera : The New Mestiza (1987), elle explore par la langue (comme dans le chapitre intitulé « How to Tame a Wild Tongue », « comment domestiquer une langue sauvage ») les frontières qui constituent son identité. Cet ouvrage contenant des illustrations empruntées à l’iconographie indienne inaugure un nouveau genre littéraire baptisé « autohistoria », qui entrelace l’expérience personnelle, l’histoire familiale de l’écrivaine et l’imaginaire, l’histoire de sa communauté. Il se présente comme un manifeste féministe (de couleur) et géopolitique, qui raconte autrement l’histoire culturelle de la frontière mexico-américaine. En 1990, elle publie l’anthologie Making Face, Making Soul/Haciendo Caras : Creative and Critical Perspectives by Women of Color, qui prolonge la recherche amorcée dans This Bridge. Cette anthologie marque le passage de l’expérience vécue vers une théorisation plus consciente de soi, centrée sur l’intériorité et l’extériorité de l’écrivain et sur l’acte subversif de « making faces », c’est-à-dire de faire des grimaces et de se dessiner ainsi à soi-même un visage. Elle publie également des livres pour enfants (Friends from the Other Side/Amigos del otro lado, 1993, et Prietita and the Ghost Woman/Prietita y La Llorona, 1995). Ses histoires, à caractère autobiographique, privilégient une sensibilité chicana, à travers les noms hispaniques des personnages, le choix du sud-ouest du Texas comme décor et le double langage du texte qui rassemble l’espagnol des migrants, mais aussi l’anglais standard du narrateur omniscient. L’œuvre de Gloria Anzaldúa trace une voie – de la Frontière à la Nouvelle Métisse – vers la libération de soi, de son désir, et peut-être de l’avenir.
Melina BALCÁZAR MORENO
■ ALVAREZ A. R., « Gloria Anzaldúa’s Coatilcue State : A postmodern Rupture into Liberation Theology », in Liberation Theology in Chicana/o Literature : Manifestations of Feminist and Gay Identities, New York/Londres, Routledge, 2007 ; HEDRICK T., « Queering the Cosmic Race : Esotericism, Mestizaje, and Sexuality in the Work of Gabriela Mistral and Gloria Anzaldúa », in Aztlán : A Journal of Chicano Studies, vol. 34, no 2, automne 2009 ; MAH Y BUSCH J. D., « Gloria Evangelina Anzaldúa », in WEST-DURÁN A. (dir.), Latino and Latina Writers, vol. 1, New York, Charles Scribner’s Sons, 2004.
ANZIEU, Annie [1922]
Psychanalyste française.
Après des études de philosophie et de psychologie avec Daniel Lagache, Annie Anzieu fait ses premiers pas de clinicienne à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière où elle poursuivra toute sa carrière. Elle se consacre aux troubles du langage chez les enfants – elle occupe en 1958 le premier poste hospitalier d’orthophoniste – et, très vite, fait des psychothérapies. Elle intègre le service de psychiatrie, rencontre Daniel Widlöcher et crée avec lui le Département de psychothérapie d’enfants qu’elle dirige pendant plusieurs années. Elle fait une analyse didactique avec Georges Favez et devient membre de l’Association psychanalytique de France fondée en 1964. Elle est à l’initiative d’un travail de groupe avec les thérapeutes et les différents personnels hospitaliers concernés par la prise en charge des enfants en souffrance et notamment autistes. Ce travail est à l’origine de la création, avec Florence Guignard*, de l’Association pour la psychanalyse de l’enfant en 1983, et de la Société européenne pour la psychanalyse de l’enfant et de l’adolescent (SEPEA), en 1994. Mélanie Klein*, Winnicott – dont elle a l’occasion d’observer la pratique –, Herbert Rosenfeld et Bion nourrissent sa réflexion sur la clinique, qui est sa passion. C’est sur le terreau de ses échanges avec son mari, le psychanalyste Didier Anzieu, que s’élaborent certains concepts comme les enveloppes psychiques et le Moi-peau (1974). Sa relation avec les enfants et sa conception du contre-transfert, très proche de celle de Paula Heimann*, l’amènent tout naturellement à s’intéresser à la féminité. Dans son livre La femme sans qualité, Esquisse psychanalytique de la féminité (1989), elle souligne la continuité entre la vie prénatale, les souvenirs « d’au-dedans du corps » et l’attachement premier à la mère. La femme ne peut être définie comme manquante : elle porte en elle « ce creux de vie » qui la rend « sensible au mystère de la nidification continue de l’Être, métaphore ou figure de l’inconscient – à moins qu’il ne soit l’inconscient même ». Et c’est peut-être cet « intérieur invisible et fécond » qui porterait les femmes, dit-elle, vers la profession de psychanalyste.
COLLECTIF PSYCHANALYSE ET POLITIQUE
■ Avec BARBEY L., BERNARD-NEZ J., DAYMAS S., Le Travail du dessin en psychothérapie de l’enfant, Paris, Dunod, 1996 ; avec ANZIEU-PREMMEREUR C., DAYMAS S., Le Jeu en psychothérapie de l’enfant, Paris, Dunod, 2000 ; Le Travail du psychothérapeute d’enfant, Paris, Dunod, 2003.
■ BRACONNIER A., « Entretien avec Annie Anzieu », in Le Carnet/psy, no 9, 2004.
ANZOÁTEGUI DE CAMPERO, Lindaura (dite EL NOVEL ou TRES ESTRELLAS) [TOJO 1846 - SUCRE 1898]
Écrivaine bolivienne.
Dans l’esprit des écrivains du XIXe siècle, Lindaura Anzoátegui de Campero signe sept de ses huit romans tantôt sous le pseudonyme masculin d’El Novel, tantôt sous celui de Tres Estrellas. Dès l’âge de 16 ans, elle participe à la vie culturelle de Sucre, et son journal souligne son passage par le Centre de la lecture. Issue d’une famille aristocratique, elle épouse à 26 ans son oncle, le général Narciso Campero, alors âgé de 59 ans, qui est ministre de la Guerre. Après Juana Manuela Gorriti*, injustement éliminée de l’histoire de la littérature bolivienne, L. Anzoátegui est considérée comme la première écrivaine bolivienne. Parmi les écrits qui lui donnent son identité d’écrivaine et révèlent le caractère pionnier de son écriture, paraissent en 1891 La Madre : leyenda (« la mère : légende ») et Una mujer nerviosa (« une femme nerveuse »). Son œuvre est diffusée grâce au système éducatif : deux de ses livres, à caractère historique, sont étudiés dans les écoles – Don Manuel Ascencio Padilla, episodio histórico (1976) et Huallparrimachi (1894). Son œuvre (Luis : Episodio, 1892 ; Cómo se vive en mi pueblo, 1892 ; Cuidado con los celos, 1893 ; En el año 1815, 1895), fidèle au style du XIXe siècle, traite de la place des femmes dans la nouvelle république par rapport à celle des indigènes amérindiens, relevant leurs points communs : le nouvel État exige d’eux servitude, abnégation, sacrifice, et ne leur accorde aucun pouvoir dans les sphères publique et privée. Son projet idéologique et d’écriture est guidé par la figure de la combattante de l’Indépendance, Juana Azurduy de Padilla*. Elle en imite le discours littéraire pour défendre son pays dans la guerre du Pacifique aux côtés de son mari, devenu président de la République (1880-1884). Sa conception de l’indigène se fonde sur le réalisme du costumbrismo, qui reprend les traits de la chronique coloniale Historia de la Villa Imperial de Potosí de Bartolomé Arzans de Orsúa y Vela. Elle contribue ainsi à ce qui sera l’un des courants les plus importants de la littérature bolivienne et péruvienne du XXe siècle. L’œuvre de L. Anzoátegui peut être comparée à celle de la Péruvienne Clorinda Matto de Turner, car elles ont toutes deux mis leur plume au service de la cause péruvo-bolivienne, encouragé les salons littéraires et donné naissance à ce qu’on a appelé la « littérature indigéniste ».
Virginia AYLLÓN
■ ANZOÁTEGUI DE CAMPERO L., Desafío de mujer : vivir sin velo de la ilusión : Obras de Lindaura Anzoátegui de Campero, La Paz, Plural, Letras Fundacionales, 2006.
AOUAD BASBOUS, Thérèse [BHERSAF 1934]
Écrivaine libanaise.
Après des études secondaires au Liban, Thérèse Aouad se rend à Paris où elle obtient une licence de lettres modernes à l’université de la Sorbonne, puis un DEA en arts plastiques et en sculpture contemporaine. D’abord journaliste, elle enseigne ensuite, de 1968 à 1998, les lettres arabes et françaises à l’Université libanaise. En 1967, elle épouse Michel Basbous, célèbre sculpteur. Elle écrit des recueils poétiques en français et en arabe : Clair-obscur (1983), qui réunit des poèmes en prose et en vers libres, et Ana wal hajar (« moi et la pierre », 1993). Par la suite, elle se consacre à l’écriture romanesque et dramaturgique en langue française. S’attaquant aux codes de la langue, elle s’interroge sur la signification de la syntaxe et des mots, jouant avec eux par le biais de l’imaginaire. L’amour et l’absence, la différence des sexes occupent les thèmes centraux de ses œuvres.
Carmen BOUSTANI
■ Mon roman, Paris, L’Harmattan, 1995 ; La Nonne et le Téléphone, Paris, L’Harmattan, 1996 ; Temps interdits, Genève, La Joie de lire, 2009.
APGAR, Virginia [WESTFIELD, NEW JERSEY 1909 - NEW YORK 1974]
Médecin américaine.
Après des études en zoologie et en chimie, Virginia Apgar s’inscrit au College of Physicians and Surgeons de l’université de Columbia où elle obtient son diplôme de médecin en 1933. Elle fait son stage d’interne en chirurgie au Columbia Presbyterian Hospital de New York. À la fin de son internat, elle effectue un stage de deux ans en anesthésiologie, durant lequel elle étudie à Columbia ainsi qu’à l’université du Wisconsin – premier département consacré à ce domaine –, puis au Bellevue Hospital de New York. En 1938, elle est nommée à la tête du service d’anesthésiologie du Columbia Presbyterian. En 1949, elle obtient un poste de professeure. Première femme à atteindre ce rang à Columbia, elle se verra cependant préférer un homme pour diriger le département. Elle décide de se spécialiser en anesthésie obstétricale et de former de futurs obstétriciens anesthésistes. Elle s’attache à mettre au point une méthode de dépistage des anomalies chez le nouveau-né. Cette méthode qui porte son nom, Apgar (acronyme de appearance, pulse, grimace, activity, respiration), comporte cinq examens effectués une minute après la naissance et assigne une note à chacun des cinq signes cliniques : aspect de la peau, rythme cardiaque, réflexes en réponse à un stimulus, tonicité musculaire et respiration. Le résultat combiné des cinq examens constitue le score d’Apgar. Un score inférieur à 7 incite à rechercher des anomalies et à intervenir rapidement. Vers la fin des années 1950, une étude portant sur 17 000 nourrissons prouve la pertinence de cette méthode qui, utilisée dès 1949, sera codifiée, publiée en 1953, et finalement universellement appliquée. V. Apgar s’intéresse également aux effets sur le nouveau-né de l’anesthésique utilisé sur la mère, du cyclopropane en particulier. Avec le pédiatre L. Stanley James et l’anesthésiste Duncan Holaday, elle constate une corrélation entre un score d’Apgar bas, une détresse respiratoire et une acidose métabolique due au cyclopropane. Elle cesse alors d’employer cet anesthésiant et sera bientôt suivie par d’autres médecins après publication de ses résultats. En 1959, elle obtient une maîtrise en santé publique à l’université Johns Hopkins et commence une nouvelle carrière : elle prend la tête du programme de recherche de l’organisation The March of Dimes jusque-là orientée vers la prévention de la poliomyélite – et porte son attention sur les malformations congénitales du nouveau-né. Elle multiplie les conférences, lève des fonds pour la recherche en néonatologie, tout en occupant un poste de chercheuse à Johns-Hopkins et la première chaire de professeure de clinique en néonatologie de l’université Cornell. V. Apgar a reçu un grand nombre de récompenses prestigieuses et elle a été nommée Femme de l’année 1973 par le Ladies’Home Journal. Un prix à son nom a été créé par l’Académie américaine de pédiatrie et, en 1994, a été émis un timbre-poste à son effigie.
Madeleine COTTENET-HAGE et Doris MÉNACHÉ-ARONSON
■ Avec BECK J., Is My Baby All Right ? A Guide to Birth Defects, New York, Trident Press, 1972.
■ « A proposal for a new method of evaluation of the newborn infant », in Current Researches in Anesthesia & Analgesia, vol. 32, 1953.
APPANAH, Nathacha [MAHÉBOURG 1973]
Écrivaine mauricienne d’expression française.
Descendant d’une famille d’engagés indiens venus travailler à Maurice à la fin du XIXe siècle, Nathacha Appanah publie ses premiers textes dès l’adolescence dans le quotidien local L’Express. En 1998, elle décide de s’installer en France où elle devient journaliste. Son premier roman, Les Rochers de Poudre d’Or (2002), prix RFO du livre, lève le tabou de l’engagisme dans la littérature francophone, en choisissant de raconter l’histoire de ces ouvriers indiens engagés par les grandes compagnies sucrières de l’île après l’abolition de l’esclavage, pour travailler sous contrat dans les plantations de canne. Elle fait partie de la nouvelle génération d’écrivains mauriciens qui choisissent d’écrire en français malgré la domination de l’anglais sur l’île. Qu’elle traite de l’histoire de l’île Maurice, de sa communauté d’origine ou de la douloureuse alchimie des relations humaines, Nathacha Appanah développe une écriture intimiste, au style limpide et sobre. Elle décrit avec délicatesse et sensualité la complexité émotionnelle de ses personnages, en peignant l’infinie palette de leurs sentiments.
Claire RIFFARD
■ Blue Bay Palace, Paris, Gallimard, 2003 ; La Noce d’Anna, Paris, Gallimard, 2005 ; Le Dernier Frère, Paris, L’Olivier, 2007.
APPEL DE 343 FEMMES, DIT « MANIFESTE DES 343 » [5 avril 1971]
Moment phare de la lutte pour l’avortement libre et gratuit en France, « Un appel de 343 femmes », connu aujourd’hui sous le nom de Manifeste des 343, est paru dans Le Nouvel Observateur du 5 avril 1971 (n°334). Il trouve son origine dans les contacts entre le Mouvement de libération des femmes et une journaliste de l’hebdomadaire, Nicole Muchnik. Trois idées essentielles caractérisent cette action, venues de l’inventivité et de la résolution des femmes du MLF : la revendication d’une action illégale, qui lève la peur infligée par une loi très répressive ; la composition de la liste des premières signataires, sans distinction entre vedettes et inconnues, militantes et sympathisantes ; la demande de gratuité, qui ne fait pas l’unanimité, mais qui est inscrite lors de la publication, sous la forme d’une note : « Parmi les signataires, des militantes du “Mouvement de libération des femmes” réclament l’avortement libre et GRATUIT. »
Voici le texte de l’Appel et la liste de ses signataires, tous deux historiques. « Un million de femmes se font avorter chaque année en France. Elles le font dans des conditions dangereuses en raison de la clandestinité à laquelle elles sont condamnées, alors que cette opération, pratiquée sous contrôle médical, est des plus simples. On fait le silence sur ces millions de femmes. Je déclare que je suis l’une d’elles. Je déclare avoir avorté. De même que nous réclamons le libre accès aux moyens anticonceptionnels, nous réclamons l’avortement libre. »
J. Abba-Sidick, Janita Abdalleh, Monique Anfredon, Catherine Arditi, Maryse Arditi, Hélène Argellies, Françoise Arnoul*, Florence Asie, Isabelle Atlan, Brigitte Auber, Stéphane Audran*, Colette Audry*, Tina Aumont, L. Azan, Jacqueline Azim, Micheline Baby, Geneviève Bachelier, Cécile Ballif, Néna Baratier, D. Bard, E. Bardis, Anna de Bascher, C. Batini, Chantal Baulier, Hélène de Beauvoir, Simone de Beauvoir*, Colette Bec, M. Bediou, Michèle Bedos, Anne Bellec, Loleh Bellon*, Édith Benoist, Anita Benoit, Aude Bergier, Dominique Bernabe, Jocelyne Bernard, Catherine Bernheim*, Nicole Bernheim, Tania Bescomd, Jeannine Beylot, Monique Bigot, Fabienne Biguet, Nicole Bize, Nicole de Boisanger, Valérie Boisgel, Y. Boissarie, Sylvina Boissonnas*, Martine Bonzon, Françoise Borel, Ginette Bossavit, Olga Bost, Anne-Marie Bouge, Pierrette Bourdin, Monique Bourroux, Bénédicte Boysson-Bardies, M. Braconnier-Leclerc, M. Braun, Andrée Brumeaux, Dominique Brumeaux, Marie-Françoise Brumeaux, Jacqueline Busset, Françoise De Camas, Anne Camus, Ginette Cano, Ketty Cenel, Jacqueline Chambord, Josiane Chanel, Danièle Chinsky, Claudine Chonez, Martine Chosson, Catherine Claude, M.-Louise Clave, Françoise Clavel, Iris Clert, Geneviève Cluny, Annie Cohen*, Florence Collin, Anne Cordonnier, Anne Cornaly, Chantal Cornier, J. Corvisier, Michèle Cristofari, Lydia Cruse, Christiane Dancourt, Hélène Darakis, Françoise Dardy, Anne-Marie Daumont, Anne Dauzon, Martine Dayen, Catherine Dechezelle, Marie Dedieu, Lise Deharme, Claire Delpech, Christine Delphy*, Catherine Deneuve*, Dominique Desanti*, Geneviève Deschamps, Claire Deshayes, Nicole Despiney, Catherine Deudon, Sylvie Dlarte, Christine Diaz, Arlette Donati, Gilberte Doppler, Danièle Drevet, Evelyne Droux, Dominique Dubois, Muguette Dubois, Dolorès Dubrana, C. Dufour, Elyane Dugny, Simone Dumont, Christiane Duparc, Pierrette Duperray, Annie Dupuis, Marguerite Duras*, Françoise d’Eaubonne*, Nicole Echard, Isabelle Ehni, Myrtho Elfort, Danièle El-Gharbaoui, Françoise Elie, Arlette Elkaim, Barbara Enu, Jacqueline d’Estrée, Françoise Fabian*, Anne Fabre-Luce, Annie Fargue, J. Foliot, Brigitte Fontaine*, Antoinette Fouque-Grugnardi*, Eléonore Friedmann, Françoise Fromentin, J. Fruhling, Danièle Fulgent, Madeleine Gabula, Yamina Gacon, Luce Garcia-Ville, Monique Garnier, Micha Garrigue, Geneviève Gasseau, Geneviève Gaubert, Claude Genia, Elyane Germain-Horelle, Dora Gerschenfeld, Michèle Girard, F. Gogan, Hélène Gonin, Claude Gorodesky, Marie-Luce Gorse, Deborah Gorvier, Martine Gottlib, Rosine Grange, Rosemonde Gros, Valérie Groussard, Lise Grundman, A. Guerrand-Hermès, Françoise de Gruson, Catherine Guyot, Gisèle Halimi*, Herta Hansmann, Noëlle Henry, M. Hery, Nicole Higelin, Dorinne Horst, Raymonde Hubschmid, Y. Imbert, L. Jalin, Catherine Joly, Colette Joly, Yvette Joly, Hemine Karagheuz, Ugne Karvelis, Katia Kaupp*, Nenda Kerien, F. Korn, Hélène Kostoff, Marie-Claire Labie, Myriam Laborde, Anne-Marie Lafaurie, Bernadette Lafont*, Michèle Lambert, Monique Lange, Maryse Lapergue, Catherine Larnicol, Sophie Larnicol, Monique Lascaux, M.-T. Latreille, Christiane Laurent, Françoise Lavallard, G. Le Bonniec, Danièle Lebrun, Annie Leclerc*, M.-France Le Dantec, Colette Le Digol, Violette Leduc*, Martine Leduc-Amel, Françoise Le Forestier, Michèle Leglise-Vian, M. Claude Lejaille, Mireille Lelièvre, Michèle Lemonnier, Françoise Lentin, Joëlle Lequeux, Emmanuelle de Lesseps, Anne Levaillant, Dona Levy, Irène Lhomme, Christine Llinas, Sabine Lods, Marceline Loridan*, Édith Loser, Françoise Lugagne, M. Lyleire, Judith Magre*, C. Maillard, Michèle Manceaux, Bona de Mandiargues, Michèle Marquais, Anne Martelle, Monique Martens, Jacqueline Martin, Milka Martin, Renée Marzuk, Colette Masbou, Cella Maulin, Liliane Maury, Édith Mayeur, Jeanne Maynial, Odile du Mazaubrun, Marie-Thérèse Mazel, Gaby Memmi, Michèle Meritz, Marie-Claude Mestral, Maryvonne Meuraud, Jolaine Meyer, Pascale Meynier, Charlotte Millau, M. de Miroschodji, Geneviève Mnich, Ariane Mnouchkine*, Colette Moreau, Jeanne Moreau*, Nellv Moreno, Michèle Moretti*, Lydia Morin, Mariane Moulergues, Liane Mozere, Nicole Muchnik, C. Muffong, Véronique Nahoum, Éliane Navarro, Henriette Nizan, Lila de Nobili, Bulle Ogier*, J. Olena, Janine Olivier, Wanda Olivier, Yvette Orengo, Iro Oshier, Gege Pardo, Élisabeth Pargny, Jeanne Pasquier, M. Pelletier, Jacqueline Perez, M. Perez, Nicole Perrottet, Sophie Pianko, Odette Picquet, Marie Pillet, Élisabeth Pimar, Marie-France Pisier*, Olga Poliakoff, Danièle Poux, Micheline Presle*, Anne-Marie Quazza, Marie-Christine Questerbert, Susy Rambaud, Gisèle Rebillion, Gisèle Reboul, Arlette Reinert, Arlette Repart, Christiane Ribeiro, M. Ribeyrol, Delya Ribes, Marie-Françoise Richard, Suzanne Rigail-Blaise, Marcelle Rigaud, Laurence Rigault, Danièle Rigaut, Danielle Riva, M. Riva, Claude Rivière, Marthe Robert*, Christiane Rochefort*, J. Rogaldi, Chantal Rogeon, Francine Rolland, Christiane Rorato, Germaine Rossignol, Hélène Rostoff, G. Roth-Bernstein, C. Rousseau, Françoise Routhier, Danièle Roy, Yvette Roudy*, Françoise Sagan*, Rachel Salik, Renée Saurel, Marie-Ange Schiltz, Lucie Schmidt, Scania de Schonen, Monique Selim, Liliane Sendyke, Claudine Serre, Colette Sert, Jeanine Sert, Catherine de Seyne, Delphine Seyrig*, Sylvie Sfez, Liliane Siegel, Annie Sinturel, Michèle Sirot, Michèle Stemer, Cécile Stern, Alexandra Stewart, Gaby Sylvia, Francine Tabet, Danièle Tardrew, Anana Terramorsi, Arlette Tethany, Joëlle Thevenet, Marie-Christine Theurkauff, Constance Thibaud, Josy Thibaut, Rose Thierry, Suzanne Thivier, Sophie Thomas, Nadine Trintignant*, Irène Tunc, Tyc Dumont, Marie-Pia Vallet, Agnès Van-Parys, Agnès Varda*, Catherine Varlin, Patricia Varod, Cleuza Vernier, Ursula Vian-Kubler, Louise Villareal, Marina Vlady*, A. Wajntal, Jeannine Weil, Anne Wiazemsky*, Monique Wittig*, Josée Yanne, Catherine Yovanovitch, Annie Zelensky*.
Marie-José LE MAGOUROU
APPI, Hadja Amina [UNGUS MATATA, TANDUBAS, TAWI-TAWI 1925 - ID. 2013]
Tisseuse de nattes philippine.
Hadja Amina Appi a reçu le Gawad Manlilika ng Bayan (Prix des trésors nationaux vivants) en 2005, la plus haute distinction accordée par le gouvernement dans le domaine des arts traditionnels. Ses nattes sont caractérisées par des motifs complexes, rendus par la technique du plissage, qui s’inspirent de la nature : fruits de certaines plantes, animaux marins. H. A. Appi a surtout été reconnue pour ses motifs appelés ambak-amak (« accordéon ») ou représentatifs d’un type de danse (salendang) des Malais voisins. Les nattes sont tissées à partir des feuilles épineuses du pandanus cueillies à l’état sauvage puis laborieusement transformées en longues bandes fines et souples. Traditionnellement, les nattes font partie de la compensation matrimoniale, et de nos jours elles servent aussi de cadeaux, par exemple pour la cérémonie de remise des diplômes. H. A. Appi a transmis son savoir-faire aux femmes, en particulier le difficile processus de plissage et de conception des motifs, effectués simultanément pour créer une composition symétrique avec un arc-en-ciel de couleurs. Certaines de ses nattes se trouvent dans les collections du Musée national des Philippines, de la Commission nationale de la culture et des arts, ou encore chez des particuliers. Ces œuvres ont notamment été exposées au musée de l’Art de Yan Huang, à Pékin (Asian Wonders, ASEAN Arworkt exhibition, 2006).
Norma A. RESPICIO
■ SAKILI A. P., Space and Identity : Expressions in the Culture, Arts and Society of the Muslims in the Philippines, Quezon City, Asian Center, University of the Philippines, 2003.
APPLE, Fiona [NEW YORK 1977]
Auteure-interprète de pop américaine.
Fille de chanteuse et de comédien née à Manhattan, Fiona Apple se révèle en 1996 avec un excellent premier album, Tidal. Elle montre du style : une belle voix soul, des arrangements folk jazz, une écriture complexe et simple, des mélodies riches (Criminal). Le public découvre une jeune fille un peu instable, traumatisée par un viol, une artiste absolue. Perfectionniste, exigeante, elle met trois ans avant de publier la suite, mais When The Pawn ne rencontre pas le même succès, et son producteur Jon Brion refuse de sortir son troisième disque, The Extraordinary Machine, ne le jugeant pas assez commercial. Les fans de la chanteuse protestent et créent sur la Toile le site « Free Fiona ». Leur mobilisation permet ainsi à l’œuvre maudite de voir le jour. En seulement trois albums, Fiona Apple, souvent comparée à Joni Mitchell* et à Ricky Lee Jones*, s’est frayé son propre chemin, et sa voix compte dans le paysage du rock contemporain.
Stéphane KOECHLIN
■ Tidal, Epic, 1996 ; When the Pawn, Epic, 1999 ; Extraordinary Machine, Epic, 2005.
APPLEBROOG, Ida [NEW YORK 1929]
Peintre américaine.
Ida Applebroog étudie à l’Institute of Applied Arts and Sciences de New York, puis à l’Art Institute de Chicago (1966-1968), ville animée par des traditions picturales autres que celles de l’expressionnisme abstrait new-yorkais. L’artiste reste concentrée sur la figure et des modes de représentation empruntant à des systèmes narratifs – allant de la télévision au graffiti, en passant par la bande dessinée –, bien arrimés au monde trivial répudié par le modernisme pictural. Ses vignettes, séquences, saynètes dessinées ou peintes, théâtralisées par leur cadre – une fenêtre, un écran, des rideaux de scène, les limites physiques d’un panneau – ont souvent traité des incertitudes s’immisçant dans les mécanismes de la communication interpersonnelle : des silences, des trous, des failles, des incohérences et incompréhensions, formant la réalité d’un monde, « dont la signification est en perpétuelle hémorragie » (Cussans 2002). Sa carrière commence en 1972 après son installation à San Diego, où elle enseigne, ce qui lui permet sans doute de rencontrer le féminisme artistique, fort répandu sur la côte Ouest américaine. À son retour à New York, elle expose sa première série, Galileo Works, au Women’s Interart Center (1976) et entreprend de diffuser par la poste une série de livres autoproduits, alors qu’elle s’engage dans la revue Heresies : A Feminist Publication on Art and Politics en 1977. En 1981, sa première exposition personnelle à la galerie Ronald Feldman Fine Arts propose une série de « vues » dessinées à l’encre rouge et au Rhoplex sur Mylar ou vélin, panneaux découpés, où les drames souvent familiaux du sexisme, de l’homophobie, de l’angoisse ou de l’isolement s’insinuent silencieusement entre des stores à demi-clos. L’artiste propose une vision aperçue subrepticement, comme en passant. Par la suite, les panneaux changent de taille, et la peintre fait appel au montage pour composer différents modes de figuration, voire diverses couches de matières, ce qui lui permet de citer et de représenter « toutes sortes d’événements mis ensemble », remplis d’informations contradictoires, afin de réinterpréter la réalité comme un lieu, où il n’y a plus de frontière entre la norme et son dépassement. L’artiste a participé à de nombreuses manifestations internationales, dont les Documenta 8 et 13 à Kassel en 1987 et en 2012.
Élizabeth LEBOVICI
■ Are You Bleeding Yet ? (catalogue d’exposition), Lignel B. (dir.), New York, La Maison Red, 2002 ; Monalisa (catalogue d’exposition), New York, Hauser & Wirth, 2010.
AQUINO, Cory (née Maria CORAZON SUMULONG COJUANGCO, dite) [MANILLE 1933 - ID. 2009]
Femme politique philippine.
Cory Aquino est la première femme à présider les Philippines entre 1986 et 1992. Rien ne prédestinait cette femme très croyante à une carrière politique. Mais l’assassinat de son mari, Benigno Aquino, dès son retour d’exil, change sa vie. Devenue, aux yeux des Philippins, un symbole de l’opposition au régime du président Marcos, C. Aquino se présente à l’élection présidentielle de 1986. Dans le contexte troublé de l’élection, chaque camp proclame alors un vainqueur. Une manifestation non violente, rassemblant plus d’un million de personnes au centre de Manille, la neutralité de l’armée et diverses manœuvres diplomatiques internationales contraignent le président Marcos à l’exil. L’élection de C. Aquino met un terme, sans violence, à un régime dictatorial et corrompu. Sa gouvernance permet de restaurer la démocratie, notamment grâce à l’adoption en 1987 d’une nouvelle Constitution, qu’elle avait présentée dans un discours, The Challenge of the Constitution : A Just, Progressive, and Democratic Philippines, prononcé le 28 novembre 1986 au Folk Arts Theater de Manille. L’économie connaît ensuite une croissance constante pendant plusieurs années, mais, prise entre l’insurrection communiste et les complots de l’armée, elle ne parvient pas à mener à bien les réformes sociales et économiques indispensables. Elle réussit à se maintenir au pouvoir en dépit de plusieurs tentatives de coups d’État militaires, qui échouent grâce à la loyauté du général Fidel Ramos. Il lui succède à l’élection présidentielle suivante en 1992.
Nada AUZARY-SCHMALTZ
AQUINO, Melchora DE VOIR RAMOS, Melchora DE
ARABIAN, Ghislaine [CROIX 1948]
Chef cuisinière française.
On oublie souvent qu’avant de participer au jury de l’émission de télévision médiatique Top chef sur M6, Ghislaine Arabian fut une très grande chef qui pouvait revendiquer avec fierté ses deux étoiles dans les années 1990. Cette autodidacte d’origine belge, mère de deux enfants, fut chef du brillantissime restaurant Ledoyen à Paris. Puis elle disparut un temps, effectuant plusieurs allers et retours à l’étranger. Une ouverture de bistrot dans un quartier branché de Paris a récemment remis au goût du jour sa cuisine aux accents du Nord de la France. Leader de brigade en cuisine, elle prouve qu’elle fait partie des femmes qui savent s’imposer. Sa verve et sa connaissance des fourneaux font courir les amateurs de spécialités du Nord et des Flandres. Le Tout-Paris aime sa gouaille légendaire et apprécie de se faire bousculer dans son petit bistrot du 14e arrondissement, Les Petites Sorcières, dans la promiscuité et le bruit. Mais, dans l’assiette, c’est l’authenticité des traditionnels plats du Nord qui ravit toutes les papilles. Sa maîtrise des plats mijotés est une ode à sa région.
Véronique ANDRÉ
ARABIAN, Karine [PARIS 1967]
Styliste de mode française.
Fille d’un tailleur et petite-fille d’un bottier, Karine Arabian se forme à Esmod et au Studio Berçot. Après un stage chez Mariot Chanet (Michèle et Olivier Chatenet), elle décide de se tourner vers la création d’accessoires. Soutenue par Marthe Lagache, elle obtient le prix du concours du Festival des arts de la mode d’Hyères, en 1993. Elle travaille d’abord pour les bijoux Swarovski, puis pour Chanel. Ayant mis fin à ses contrats avec ces derniers, elle lance sa ligne d’accessoires (chaussures et sacs) en 2000 et installe son studio au 4, rue Papillon, à Paris, en 2001. K. Arabian a l’amour des matières nobles et des savoir-faire ancestraux. Portant ses créations, elle produit des pièces qui associent graphisme et lignes féminines, pour des femmes actives et élégantes. Mariant des matières différentes (cuir, métal), jouant sur les asymétries de couleurs et de formes, elle propose des modèles originaux, tels le sac baguette, la chaussure ceinturée, la bottine Nero ainsi que celle au talon sculpté, et les ballerines aux formes rondes.
Sophie KURKDJIAN
■ RICHOUX-BERARD S. (dir.), Karine Arabian et les Arméniens de la mode, XVIIe- XXIe siècle, Marseille, Musée de la Mode, 2007.
ARAKI, Yuko [OSAKA 1965]
Graphiste japonaise.
Autodidacte, Yuko Araki est d’abord graphiste puis directrice artistique, de 1988 à 2006, au sein du studio Hundred Design créé par Keizo Matsui à Osaka. Elle fonde ensuite son propre atelier, Landsat Grafico. Y. Araki enseigne au département de communication visuelle de l’université de Kobé et siège à plusieurs reprises comme membre de jurys lors de compétitions internationales. Elle a reçu depuis 1990 de très nombreuses distinctions prestigieuses : la médaille d’argent du Art Directors Club de New York, la médaille d’or du Stuttgart Calendar Show, le grand prix de la Biennale de Packaging Design du Japon. Elle est également l’une des rares femmes membres de Jagda, association des graphistes japonais, et du très prestigieux Tokyo Type Directors Club. Y. Araki destine son travail à de nombreux supports (packaging, affiches, éditions) et met au service de la publicité dessins et photos où elle mêle tradition nipponne et formes contemporaines. Ses réalisations font alterner, dans un style efficace et épuré, la poésie des idéogrammes, l’art de l’origami et des images-haïkus inspirées par l’espace de la méditation. Elle affirme que l’on peut travailler dans la publicité avec exigence tout en menant un travail d’auteur. Elle incarne à la perfection cette nouvelle génération de graphistes japonaises, indépendantes et perfectionnistes.
Margo ROUARD-SNOWMAN
ARAL, Inci [DENIZLI 1944]
Écrivaine turque.
Après des études de pédagogie à Manisa, puis de peinture à l’institut supérieur Gazi d’Ankara, Inci Aral enseigne dans différentes institutions et lycées de 1964 à 1984. Elle quitte alors l’enseignement pour ouvrir une galerie d’art à Istanbul et la dirige jusqu’en 1992. En 1977, elle commence à publier ses textes dans des revues littéraires de renom : Türk Dili, Varlık, Soyut. Le recueil qui la fait connaître, Scènes de massacres : femmes d’Anatolie (1984), évoque un épisode marquant de la guerre civile des années 1970 : le massacre de Kahramanmaraş, une ville du sud de la Turquie. Engagée en politique et de plus en plus féministe, l’écrivaine est attentive au tragique de l’existence et aux non-dits d’une société traversée par l’adaptation à la vie démocratique et à la modernité. Son recueil de nouvelles Les Insomniaques est publié en 1984. Récompensée par plusieurs prix littéraires, elle connaît un succès populaire plus large au début des années 2000 avec ses romans, en particulier Mor (« violet », 2003).
Timour MUHIDINE
■ Scènes de massacres : femmes d’Anatolie (Kıran Resimleri, 1984), Paris, L’Harmattan, 1989 ; Les Insomniaques (Uykusuzlar, 1984), Paris, Publisud, 1994.
ARASTOUI, Shivâ [TÉHÉRAN 1961]
Écrivaine iranienne.
À la fois nouvelliste, poétesse et romancière, Shivâ Arastoui dit être devenue écrivaine « par accident ». Née au sein d’une famille lettrée, elle appartient à la nouvelle génération d’auteures qui a émergé en Iran après la révolution de 1979. Dans les thèmes qu’elle aborde et dans son style, on décèle des préoccupations nouvelles autour de l’engagement de l’homme dans la société et de son identité. Ainsi son premier roman, Ou râ ké didam zibâ shodam (« de le voir m’a rendue belle », 1991), est le récit halluciné et déchirant d’une femme engagée volontairement comme infirmière pendant la guerre et de sa perte de repères face à la souffrance humaine. Dans ses poèmes et ses nouvelles, elle évoque la perte d’identité, l’abîme qui sépare les hommes et les femmes, l’impossibilité de rejoindre l’autre, comme l’indique le titre évocateur de son recueil de poèmes Gom (« perdue », 1994). L’une de ses nouvelles, Âmadeh boudam bâ dokhtaram tchâi bokhoram (« j’étais venue prendre le thé avec ma fille », 1997), relate l’histoire d’une femme, humiliée et bafouée par son mari metteur en scène, qui disparaît sans laisser de trace alors même qu’on l’attend pour lui remettre le prix de la meilleure actrice. S. Arastoui est aussi comédienne et a tourné en particulier dans des courts-métrages. En 2003, elle reçoit le prix Houshang-Golshiri et le prix Yaldâ pour Âftâb mahtâb (« clairs de soleil et de lune »), un recueil de nouvelles où les seules échappatoires à la réalité semblent être l’imaginaire ou la folie. Son dernier roman, Afioun (« opium »), paru en Allemagne en 2005, a été censuré en Iran. Il décrit le parcours d’une romancière opiomane qui se retrouve dans un asile après plusieurs tentatives de suicide et dont la mémoire disloquée retrouve par bribes hallucinatoires des souvenirs d’amours perdus, de tortures et de ruptures.
Leili ANVAR
ARAÚJO, Maria Carolina NABUCO DE VOIR NABUCO, Carolina
ARAÚJO, Matilde Rosa [LISBONNE 1921 - ID. 2010]
Écrivaine pour la jeunesse et pédagogue portugaise.
Auteure d’une des œuvres les plus marquantes de la littérature portugaise pour et sur l’enfance, Matilde Rosa Araújo a publié plus de 40 ouvrages. Licenciée en philologie romane, détentrice d’une formation musicale acquise au Conservatoire de Lisbonne, elle s’oriente par vocation vers les causes pédagogiques et sociales. Professeure de l’enseignement technique, elle a donné le premier cours de littérature pour l’enfance au Portugal et s’est consacrée diligemment à la défense des droits des enfants, en tant que membre fondateur du comité portugais pour l’Unicef (« Os direitos da criança », « les droits de l’enfant », poème, 1977). Ses livres de contes et de poésie (O cantar da Tila – poemas para a juventude, « le chant de Tila – poèmes pour la jeunesse », 1967, 8e édition en 1986 ; A escola do Rio Verde, « l’école de Rio Verde », 1981 ; O chão e a estrela, « le sol et l’étoile », 1994), qui témoignent d’une fine sensibilité au monde de l’enfance, sont magnétisés et dictés soit par l’euphorie ou l’éblouissement du regard d’un enfant devant le mystère et le secret de l’incommensurable, soit par la gravité d’une voix adulte qui parle des relations de l’enfant avec le monde et la nature. Ils dévoilent des univers oniriques heureux, mais aussi faits de blessures et toujours placés sous l’injonction de la transformation. L’écrivaine a également porté une grande attention au thème de l’enfance dans la création littéraire en général et à l’importance de la poésie dans la formation de l’enfant. Elle s’est vu décerner, entre autres distinctions, le Grand Prix de littérature pour l’enfance de la fondation Calouste-Gulbenkian en 1980.
Hugo MENDES AMARAL
ARAXE, Claude VOIR LAURE
ARBAN, Dominique (Natacha HUTTNER, dite) [MOSCOU 1903 - PARIS 1991]
Critique littéraire française.
Élevée à Moscou dans un milieu prospère, Dominique Arban s’exile à Paris avec sa famille lorsqu’éclate la Première Guerre mondiale. Elle ne retournera jamais en Russie. Après ses études, elle est embauchée comme dactylographe chez un éditeur, puis comme lectrice, entrant ainsi dans le milieu littéraire parisien, dont elle va devenir une figure réputée. Juive d’origine mais non de foi, elle a pour amant un collaborateur et antisémite notoire, le journaliste Henri Massis. Convertie au catholicisme pendant la Seconde Guerre mondiale, elle découvre le poids de sa judaïté, prend le pseudonyme de Dominique Arban, doit fuir et se cacher, et apprend la déportation et la mort de ses parents, qu’elle raconte dans La Cité d’injustice (1945).
Journaliste éminente, elle abandonne la presse pour se consacrer à des recherches sur la littérature russe, et plus particulièrement sur Dostoïevski. Elle devient secrétaire de rédaction pour Marianne, l’hebdomadaire politique et littéraire créé en 1932 par Gaston Gallimard et dirigé par Emmanuel Berl, puis directrice littéraire du journal Combat, issu des mouvements de la Résistance. Elle tient la rubrique littéraire de journaux importants comme France Observateur, Le Figaro littéraire, Le Monde, et anime à la radio publique l’émission Étranger mon ami, qui atteste de son intérêt pour les romans d’autres cultures. Son activité l’amène à échanger et à correspondre avec les plus grands noms de la littérature, ce dont elle rend compte dans ses mémoires, Je me retournerai souvent (1990). À la veille de la retraite, D. Arban entre au CNRS en tant que spécialiste de Dostoïevski, étudie sa vie, traduit certaines de ses œuvres et sa correspondance.
Cécile MÉADEL
■ La Cité d’injustice, Paris, Julliard, 1945 ; Je me retournerai souvent… Souvenirs, Paris, Flammarion, 1990.
ARBATOVA, Maria (Maria GAVRILINA, dite) [MOUROM 1957]
Écrivaine et militante féministe russe.
Diplômée de la faculté de philosophie de l’université d’État de Moscou, membre de l’Union des écrivains de la capitale ainsi que de celle des auteurs de théâtre, Maria Ivanovna Arbatova a publié 14 pièces, une vingtaine d’ouvrages (romans, nouvelles, prose autobiographique), et de nombreux articles. C’est en tant que militante féministe et anticonformiste qu’elle devient célèbre, refusant d’emprunter les circuits classiques de l’ascension sociale, ouvrant un « salon hippie » dans sa chambre donnant sur la rue de l’Arbat (d’où son pseudonyme) à Moscou, faisant cohabiter sous son toit ses deux maris successifs et ses deux enfants. En 1991, elle fonde le club Harmonie, qui se consacre à la « réhabilitation psychologique des femmes ». Elle dirige également, depuis 1996, le Club des femmes qui se mêlent de politique, et a animé plusieurs émissions radiophoniques et télévisées dédiées aux femmes. Elle a été membre de plusieurs partis politiques.
D’abord auteure de théâtre (sa dernière pièce date de 1994) elle est devenue prosatrice et militante féministe. Ses livres sont inspirés de sa propre vie et de ses engagements, elle y raconte les différents aspects de la condition féminine dans la Russie postsoviétique, comme dans Mon nom est femme. Ses textes font une description acerbe de la domination masculine (harcèlement sexuel, violences conjugales), mais aussi de la psychologie héritée de l’époque soviétique. Comme beaucoup de ses contemporaines, elle s’emploie à briser les tabous et accorde une place importante à la description détaillée de ses expériences sexuelles et de celle de ses héroïnes. L’un de ses derniers livres, Degoustatsiia Indii (« dégustation de l’Inde », 2006), relate son voyage en Inde, au cours duquel elle poursuit sa réflexion sur la condition des femmes et la plus intime quête d’elle-même.
Marie DELACROIX
■ Mon nom est femme (Menia zovout jenchtchina, 2001), Nîmes, J. Chambon, 2001.
ARBER, Agnes ROBERTSON [LONDRES 1879 - CAMBRIDGE 1960]
Botaniste britannique.
Agnes Robertson grandit dans une famille d’artistes et d’érudits, et découvre à 13 ans l’Essai sur la métamorphose des plantes, essai novateur de Goethe qui la passionnera toute sa vie et qu’elle traduira en 1946. Elle publie sa première recherche scientifique à 15 ans dans le journal du North London College, où elle étudie. Sa rencontre avec la botaniste Ethel Sargant est déterminante : cette dernière l’initie à l’examen microscopique des plantes et à la recherche privée. Docteure en sciences en 1905, elle travaille au Balfour Biological Laboratory for Women jusqu’à sa fermeture. Elle publie, en 1912, un premier ouvrage fondamental, Herbals, Their Origin and Evolution. Après un livre sur les plantes aquatiques, le premier du genre, paraît, en 1925, son étude sur les monocotylédones, projet initié par E. Sargant, et qu’elle illustre de ses propres dessins. On lui doit aussi, en 1935, un ouvrage sur les graminées, plantes vitales pour les sociétés humaines. De 1927 à la Seconde Guerre mondiale, elle poursuit seule des recherches indépendantes dans le petit laboratoire qu’elle a aménagé dans sa maison de Cambridge. D’une grande érudition, cette pionnière scientifique acquiert une renommée internationale et est en 1946 la troisième femme élue à la Royal Society. Spécialiste de botanique, elle est aussi historienne des sciences. Ne pouvant maintenir l’activité de son laboratoire pendant la guerre, elle se consacre par la suite à la philosophie de la morphologie des plantes. Son dernier ouvrage intègre des considérations scientifiques, religieuses et mystiques. Sa fille Muriel Arber deviendra géologue-paléobotaniste.
Annie DURANTE et Jacqueline PICOT
■ The Natural Philosophy of Plant Form, Cambridge, University Press, 1950 ; The Mind and the Eye, a Study of the Biologist’s Standpoint, Cambridge, University Press, 1954.
ARBULJEVSKA, Olga [NIŠ, AUJ. SERBIE 1949]
Poétesse macédonienne.
Après des études à la faculté de philosophie de Skopje, Olga Arbuljevska a travaillé comme journaliste au quotidien national Nova Makedonija. Elle est rédactrice pour la chaîne de télévision Telma à Skopje. Dès la publication de son premier recueil en 1972 (Kanurki), elle devient membre de l’Association des écrivains de Macédoine. Elle attire l’attention des lecteurs et de la critique avec ses sujets inhabituels et sa façon d’exprimer le monde poétique : « Souris à toi-même/À ta soif de profondeur/Les mers sont asséchées//Souris à toi-même/À ta faim de hauteur/Les cieux sont descendus » (Ikitelija, 1981). « Sa poésie se caractérise par l’expérimentation de la langue, l’élargissement du champ sémantique, la rupture avec la tradition, l’insistance sur l’ironie et une certaine mise à distance des effusions directes et, par conséquent, par le rejet du lyrisme pathétique », écrit le critique macédonien Eftim Kletnikov. Le langage poétique d’O. Arbuljevska est métaphorique. Elle choisit des images fortes, souvent hermétiques. Le thème de l’oiseau revient fréquemment dans ses poèmes : l’aigle, le faucon, le hibou. Ce sont des symboles qui suggèrent l’espace et le temps transportés dans le rêve et l’éternité. Dans cette éternité dérivée du rêve, la poétesse découvre tout un monde de choses perdues, l’émotion amoureuse qui ouvre les replis de la tendresse et confère sens à l’existence, mais qui creuse aussi les recoins sombres de la mort. Chez O. Arbuljevska, le monde extérieur est, de façon générale, le reflet du monde intérieur.
Maria BÉJANOVSKA
ARBUS, Diane (née NEMEROV) [NEW YORK 1923 - ID. 1971]
Photographe américaine.
Née dans une famille aisée de l’élite new-yorkaise, Diane Arbus prend ses premières photographies au début des années 1940. Mariée à 18 ans au photographe Allan Arbus, elle travaille avec lui comme photographe de mode, pour les magazines Glamour ou Vogue. Après la Seconde Guerre mondiale, elle se sépare de son époux, s’installe avec ses deux filles et poursuit sa collaboration comme photographe indépendante avec les magazines Harper’s Bazaar, Show, Glamour, Esquire, The New York Times. Élève de Berenice Abbott* et d’Alexey Brodovitch, directeur artistique de Harper’s Bazaar, de 1955 à 1957, à la New School à New York, elle étudie également avec Marvin Israel et Richard Avedon. Vers 1956, sa rencontre avec Lisette Model*, auprès de laquelle elle se forme pendant deux ans, est décisive. Toutes deux adoptent le moyen format, et chacune accorde une grande importance à son sujet, souvent des marginaux. L. Model encouragea D. Arbus à se concentrer sur les photographies d’individus. Ses premiers travaux sont réalisés grâce à un appareil photo 35 millimètres. Dans le courant des années 1960, elle adopte un Rolleiflex twin-lens offrant un format carré et une haute définition d’image lui permettant une attention plus grande aux détails (Jumelles identiques, 1967). Elle utilise le flash même à la lumière du jour, mettant en avant le sujet par rapport à l’arrière-plan. Fascinée par les personnages hors normes et les phénomènes de foire, D. Arbus cherche à photographier la singularité de chacun de ses modèles. Le traitement, fait d’empathie et de distance critique, est identique pour tous (Géant photographié chez lui avec ses parents dans le Bronx, 1970). Dans les années 1950 et 1960, des foules de Coney Island aux promeneurs de Central Park, ses photographies donnent à voir une certaine vision de l’Amérique. Elle devient une des actrices les plus marquantes de la street photography, mais elle se montre plus attentive à la figure. Ses clichés forment une anthropologie contemporaine : classe moyenne américaine, portraits de couple, enfants, performeurs de carnavals, nudistes, ou bien encore travestis (Jeune homme aux bigoudis chez lui, 1966). Elle explore de nouveaux sujets envisagés dans une intimité jusque-là ignorée. Par un certain angle de vue, comme le portrait frontal brut et contemplatif (Garçon avec un chapeau de paille participant à une manifestation en faveur de la guerre, 1967) ou la mise en valeur d’accessoires, la part d’étrangeté des individus considérés comme « normaux » est soulignée et, en même temps, elle s’interroge sur la façon de faire atteindre l’universel à ses clichés particuliers. Tous ses modèles apparaissent comme des allégories de l’Amérique d’après-guerre. En 1959, elle commence à tenir des carnets, ce qu’elle fera jusqu’à sa mort. Au cours de cette période, elle inaugure une série des clichés pris dans les cirques, qui ouvre un nouveau champ pour toute une génération de photographes. L’homme tatoué, la femme avalant des épées, tous sont traités de front et avec un certain respect. Le Petit garçon à la grenade dans Central Park, New York (1962), est peut-être une de ses photographies les plus emblématiques. Un rictus traverse le visage de l’enfant qui tient dans sa main un jouet. Le contraste entre l’innocence souvent prêtée à l’enfant et son expression maniaque accentue l’effet d’étrangeté de l’image, par ailleurs d’une facture simple et efficace. D. Arbus obtient deux fois la bourse du Guggenheim, en 1963 et en 1966 pour son projet « American Rites, Manners, and Customs », qui documente le rôle des croyances et des rituels dans le quotidien : parade de Thanksgiving, festival de San Gennaro, Halloween. À la même époque, elle acquiert une certaine indépendance professionnelle, et commence à faire quelques séries de portraits. Elle est exposée au MoMA en 1964, puis en 1967 à l’occasion de l’exposition New Documents, qui marque la reconsidération du statut de la photographie. La même année, elle devient la première photographe américaine exposée à la Biennale de Venise. Femme masquée dans une chaise roulante (1970) est symbolique de ses derniers travaux dans des résidences pour personnes handicapées mentales entre 1969 et 1971. En 1970, elle réalise un portfolio de tirages originaux intitulé Une boîte de 10 photographies. D. Arbus se suicide à 48 ans en 1971. Publiée par Aperture, elle est découverte par un large public qu’elle marque de façon décisive et définitive.
Sixtine DE SAINT-LÉGER
■ Revelations, Diane Arbus, New York, Random House, 2003.
■ BOSWORTH P., Diane Arbus, une biographie, Paris, Seuil, 2007 ; ISRAEL M. (dir.), Diane Arbus : An Aperture, New York, Aperture, 2006.
ARBY, Khaira [TOMBOUCTOU 1961]
Chanteuse malienne.
Grande chanteuse du Nord malien et proche d’Ali Farka Touré, Khaira Arby maîtrise comme lui plusieurs langues (bambara, sonraï, peul, tamashek) et se fait l’ambassadrice de son peuple. Née d’un père touareg et d’une mère sonraï, elle chante depuis son plus jeune âge dans les mariages et les fêtes traditionnelles, où elle devient vite célèbre. Elle fait ses classes au sein de l’orchestre régional de Tombouctou, mais son père, puis son mari font pression pour qu’elle arrête de chanter. Elle consacre donc quelques années de sa vie à être femme au foyer avant de se lancer de plus belle dans la musique, cette fois au sein de l’orchestre Badema National. Le Mali est alors un pays organisé sur un mode socialiste et la culture est largement soutenue par l’État : les formations régionales permettent de repérer et de former les talents qui passent ensuite dans les orchestres nationaux. En 1992, elle est la première femme du nord du Mali à se lancer dans une carrière sous son nom. C’est l’époque de la deuxième rébellion touarègue et K. Arby chante la paix, l’union, deux credo qu’elle n’a cessé de défendre depuis. Musicalement, elle mêle instrumentation traditionnelle (ngoni et njarka) et électrique, comme si elle cherchait à amplifier les rythmes et les musiques de son peuple. En 2011, elle reçoit un Tamani Award, le Grammy Award malien. Alors qu’elle est unanimement connue et respectée au Mali, la chanteuse attendra 2010 pour se lancer à l’assaut du reste du monde.
Elisabeth STOUDMANN
■ Ya rassoul, Camara Production, 2008 ; Timbuktu tarab, Clermont Music, 2010.
ARCADIE – ACADÉMIE LITTÉRAIRE [Italie XVIIe-XVIIIe siècle]
Cette Académie fut fondée à Rome le 5 octobre 1690 par 14 hommes de lettres qui faisaient partie de l’entourage de la reine Christine de Suède*. Pour la première fois dans l’histoire des Académies italiennes et étrangères, les femmes furent admises à participer aux séances au même titre que les hommes. Si la première séance se tint à Rome, le lieu ne fut pas fixé avant 1726, quand l’Académie décida de se réunir au bois de Parrhasius au pied du Janicule.
L’Arcadie souhaitait que la culture italienne retrouvât sa place au sein de l’Europe par sa recherche d’une conception plus rationnelle de la poésie, contre les excès du marinisme et du baroque. Inscrite dans la tradition de structures analogues qui s’étaient formées à Rome à la fin du XVIIe siècle, comme l’Accademia Reale fondée en 1674 par Christine de Suède, l’Arcadie se distingua par un élément caractéristique, le travestissement : chaque membre devait adopter un pseudonyme pastoral, et les activités académiques devaient se dérouler dans ce que l’on croyait être le style de vie de cette région éponyme de la Grèce antique. Avec le syrinx du dieu Pan comme insigne, l’Académie fut placée sous la protection de l’Enfant Jésus, afin de souligner son lien profond avec le milieu culturel de la curie romaine. L’Arcadie était dirigée par un gardien ou custode generale ; le premier, Giovanni Mario Crescimbeni, guida la nouvelle institution dans ses débuts agités. Entre 1696 – année où l’intellectuel et juriste Gianvincenzo Gravina codifia tous les éléments associatifs de l’Académie en XII tables rédigées en latin – et 1711 – année où il l’abandonna définitivement pour créer le schisme d’Arcadie –, cette assemblée culturelle connut un tel succès qu’elle devint un nouveau cénacle au sein du monde civil, politique et littéraire italien.
Parmi les élans novateurs, une impressionnante présence féminine : si les femmes avaient été complètement ignorées lors de la fondation de l’Académie, ses membres se rendirent compte que l’ambitieux projet de renouvellement de la culture et de restauration du bon goût nécessitait la présence de l’élément féminin. Les premières femmes entrées à l’Arcadie, en 1691, étaient la princesse napolitaine Beatrice Spinelli Carafa et la poétesse Maria Selvaggia Borghini, originaire de Pise. Ces deux membres honoraires témoignent de ce que les mouvements périphériques tâchaient alors d’obtenir une visibilité culturelle. À la fin du siècle, sur une vingtaine de femmes italiennes, deux seulement résidaient à Rome et étaient en mesure de fréquenter les réunions arcadiennes. Au début du nouveau siècle, G. M. Crescimbeni affirma que l’Arcadie devait accueillir et cultiver tout genre littéraire ou scientifique utile à la chose publique. Se distinguant du modèle austère de G. Gravina, il imagina une académie ouverte aux femmes et à leurs salons, sièges des conversations, des débats, des rites de la vie sociale. Opposé au modèle de Catherine de Suède, ce modèle féminin lié à l’aspect social et mondain domina en Arcadie, visant à la formation d’une élite féminine aristocratique, à la promotion de l’honneur et de la réputation, ainsi qu’à la diffusion du bon goût dans les lieux où les femmes complétaient leur formation culturelle : salons, collèges, ordres religieux. En 1700, G. M. Crescimbeni définit les critères d’admission des femmes : être âgée de 24 ans – ce à quoi on pouvait déroger –, avoir de bonnes mœurs et pratiquer la poésie. Les bergères romaines entrèrent alors réellement dans la vie de l’Académie, participant aussi bien aux réunions générales du bois de Parrhasius qu’aux académies particulières qui se tenaient chez les membres de l’Arcadie, dans les salons. Cette phase où les femmes devinrent des protagonistes de la culture fut initiée en 1695 par Prudenza Gabrielli Capizucchi, qui lança des débats littéraires dans son palais. Son salon devint le centre des plus importantes réunions de femmes à Rome, notamment grâce aux deux poétesses les plus renommées de la première Arcadie : Petronilla Paolini Massimi* et Faustina Maratti*. Dans leurs salons extraordinairement animés, les femmes, costumées et d’une aisance gracieuse, pratiquaient une poésie basée sur un pétrarquisme affirmé et sur un discours amoureux empreint de platonisme. Ce modèle se répandit dans toute l’Italie à travers le système des colonies, authentiques centres culturels périphériques. En 1716 furent publiées à Venise les Poesie italiane di rimatrici viventi, un texte représentatif de la poésie féminine et du goût de l’époque.
À la mort de G. M. Crescimbeni en 1728, l’activité des poétesses s’essouffla, notamment sur le plan du renouvellement des thèmes littéraires. Son successeur, Francesco Lorenzini, réduisit l’activité de l’Arcadie aux réunions canoniques, évitant que les membres ne se rencontrent en d’autres occasions. Les tendances furent également modifiées : au modèle de Pétrarque, désormais considéré comme trop tendre et délicat, succéda celui de Dante, énergique et puissant. Sous la direction de Michele Giuseppe Morei, s’amorça une variation des thèmes et des langages et la reprise de l’improvisation chantée, qui avait rencontré un certain succès dès les débuts de l’Académie. M. G. Morei accueillit en Arcadie un groupe important de femmes qui la pratiquaient, selon une conception de la poésie ouverte et attentive au goût de l’époque. Avec cette mode, l’image de la poétesse pétrarquiste, vertueuse et platonique s’estompa. Livia Accorigi, Anna Parisotti Beati, Maria Louisa Cicci*, Teresa Bandettini et Fortunata Sulgher Fantastici se distinguèrent dans cette discipline, sans toutefois égaler la poétesse de cour Maria Maddalena Morelli, plus connue sous son nom pastoral, Corilla Olimpica*. Elle incarne le passage de l’Arcadie mélodramatique de Métastase à cette phase de la seconde moitié du XVIIIe siècle de l’Arcadie dite « philosophique », où la poétesse devint une professionnelle de la scène, présentant la poésie sous forme de spectacle et d’amusement. C’est elle qui marqua la naissance de la poétesse écrivant, agissant et récitant, applaudie par un public. En 1778, quand le futur custode Luigi Godard lut en Arcadie la Novità poetica (« nouveauté poétique »), un texte qui mêlait la culture française, la culture anglaise et la culture italienne traditionnelle, il posa les bases d’une nouvelle tendance, celle du préromantisme, qui allait inspirer des poétesses déjà actives en Arcadie, comme la sensible et passionnée Diodata Saluzzo Roero*.
Anna Teresa ROMANO CERVONE
■ « Arcadia Accademia letteraria italiana », in Atti e memorie, série 3, vol. IX, fasc. 2, 3, 4 - Convegno di studi (15-18 maggio 1991), III Centenario dell’Arcadia, Rome, 1991-1994.
ARCE, Elia [COSTA RICA 1961]
Performeuse costaricaine.
Installée aux États-Unis, artiste pluridisciplinaire à mi-chemin entre les arts scéniques et plastiques, Elia Arce pratique l’écriture, la performance, le cinéma, le théâtre expérimental, les installations vidéo et la performance photo. Formée à la marionnette (avec le Bread and Puppet Theatre), au cinéma et aux arts plastiques, elle intègre ces arts à ses travaux, notamment les deux premières créations qu’elle écrit, interprète et met en scène : I Have So Many Stitches That Sometimes I Dream That I’m Sick (1993), Stretching My Skin Until It Rips Whole (« étirer ma peau jusqu’à ce qu’elle se déchire complètement », 1995). Ses très nombreuses performances portent une forte empreinte sociale et politique. Elle prend pour sujets et interprètes des membres des populations marginalisées : malades atteints du VIH (Don’t Tell Anybody, « ne le dites à personne »), employées souffrant d’un cancer du sein (With Our Breasts on the Table, « avec nos seins sur la table »), SDF d’un foyer de Los Angeles (Los Angeles Poverty Department). La composition de First Woman on the moon (« première femme sur la Lune », 2001) explore la quête d’un espace à soi, physique et émotionnel. Au travers d’un kaléidoscope d’images autobiographiques nourries par sa condition de nomade – d’immigrée latino –, l’artiste revendique la nécessité de repenser les territoires autrement, et parvient à représenter la simultanéité de lieux, non-lieux ou lieux lunaires, comme autant de tentatives pour trouver sa place. Dans The Fifth Commandment (« le cinquième commandement », 2006), pièce multimédia portant sur la guerre, sa légitimité et l’éthique au cœur de l’armée, elle s’intéresse aux soldats américains de retour d’Irak.
Stéphanie URDICIAN
ARCEO, Liwayway [MANILLE 1920 - ID. 1999]
Écrivaine, journaliste et actrice philippine.
Auteure de centaines de nouvelles en tagalog et en filipino, dont Banyaga (« étranger »), prix Palanca de la meilleure nouvelle en 1962, Liwayway Arceo est aussi l’auteure de plusieurs romans critiques de la société philippine et de feuilletons. Son premier roman Titser (« enseignant »), écrit en 1953 mais publié en 1995, traite du peu de considération de la société philippine pour le statut d’enseignant, et de la façon dont une enseignante affronte les difficultés individuelles et familiales liées à sa profession. Son roman le plus connu, Canal de la Reina (« canal de la reine », 1985), raconte la pauvreté, l’inquiétude et l’activisme des habitants de Tondo (Manille), et décrit également la corruption et la cruauté du monde qui les entoure. Elle a par ailleurs traduit des œuvres religieuses, et écrit des biographies de personnalités religieuses, telle Francisco ng Assisi (« saint François d’Assise », 1987). Elle a publié des feuilletons dans le magazine Liwayway, dont elle était éditrice. Son feuilleton radiophonique Ilaw ng tahanan (« lumière du foyer », 1949-1958) a été adapté pour la télévision à la fin des années 1970. Son talent d’actrice a par ailleurs été révélé dans le film philippino-japonais Tatlong Maria (« trois sœurs », 1944), et elle a écrit des scénarios pour la radio et la télévision.
Asuncion FRESNOZA-FLOT
■ SMYTH D. (dir.), The Canon in Southeast Asian Literatures, Surrey, Curzon Press, 2000.
■ TORRES-YU R., « Re-imahinasyon ng ina sa panitikan ng kababaihan, isang imbestigasyon sa ideolohiyang maternal sa panitikan », in Humanities Diliman, vol. 1, Quezon City, 2000.
ARCHER, Robyn [ADÉLAÏDE 1948]
Chanteuse, actrice et directrice artistique australienne.
Robyn Archer se fait d’abord connaître comme chanteuse/performeuse avec quelques disques mémorables, enregistrés avec le London Sinfonietta (Songs For Bad Times, 1981), et avec son one-woman-show consacré aux grandes divas (A Star is Torn, 1980). Elle s’impose ensuite comme une figure influente de la culture australienne en tant qu’écrivaine, metteur en scène, directrice artistique et défenseur des arts ; parallèlement, elle continue à interpréter un répertoire éclectique, y compris ses propres compositions. Directrice artistique de plusieurs festivals, elle a toujours ardemment défendu les œuvres nouvelles et novatrices, tant australiennes qu’internationales, notamment à la tête du Festival national de théâtre australien de Canberra (1993-1995), du festival d’Adélaïde (1998-2000), du Festival international des arts de Melbourne (2002-2004), et de Ten Days (« dix jours ») sur l’île de Tasmanie (2001-2007). En 2011, elle élabore le programme du Ve Sommet mondial des arts et de la culture (Melbourne) et prépare les célébrations du 150e anniversaire de la National Gallery of Victoria. Elle a travaillé à l’organisation du Centenaire de Canberra (2013). Elle est titulaire de nombreuses décorations.
Alison CROGGON
ARCHER, Violet (née BALESTRERI) [MONTRÉAL 1913 - OTTAWA 2000]
Compositrice et instrumentiste canadienne.
Compositrice, professeure, pianiste, organiste et percussionniste, Violet Archer étudie le piano avec Dorothy Shearwood Stubington et l’orgue dès 1930 avec John Weatherseed au McGill Conservatory (où elle enseignera de 1944 à 1947), ainsi que la composition avec Claude Champagne et Douglas Clarke. Elle est percussionniste pour la Symphonie féminine de Montréal (1940-1947) avant de composer sa première œuvre officielle : son Scherzo Sinfonico, qui sera créé par le Montreal Orchestra (dirigé par D. Clarke) en 1940. Elle profite de séjours à New York durant l’été 1942 pour prendre des leçons particulières avec Béla Bartók (elle découvre alors les airs folkloriques hongrois et la technique des variations), puis à l’université Yale avec Paul Hindemith (1947-1949). À Yale, elle remporte le prix Woods-Chandler (1949) pour son imposante composition pour chœur et orchestre The Bell. Elle devient ensuite percussionniste à l’Orchestre symphonique de New Haven (1947-1949) et enseigne à l’école d’été de l’université de l’Alberta (1948-1949), où elle est nommée professeure en 1962 au département de matières théoriques et de composition ; elle en deviendra la directrice entre 1962 et 1978. V. Archer se distingue dans l’écriture de l’orchestre, favorisée par une parfaite maîtrise de la clarinette, des instruments à cordes, des percussions et des cuivres (Concerto pour piano, 1956 ; Sinfonietta, 1968 ; Little Suite, 1970). Elle manifeste un intérêt grandissant pour la liberté rythmique de la musique folklorique (Trio à cordes no 2, 1961) ainsi que pour des sonorités expressionnistes (Prelude-Incantation, 1964). Elle est également marquée par les paysages canadiens (Evocations, 1987) et intègre dans certaines de ses œuvres des thèmes inuits et autochtones. La compositrice comptabilise une importante production : plus de 330 œuvres qui ont été diffusées dans plus de 30 pays. Parmi ses œuvres essentielles, citons les opéras Sganarelle, d’après Molière (1973), et The Meal, d’après un livret de Rowland Holt-Wilson (1983) ; les œuvres pour piano Four Contrapuntal Moods (1978), Eight Little Canons (1978), Here and Now (1980), Kerby (1982) ; et les œuvres pour orgue Sonatine (1944), Two Chorale Preludes (1948), Chorale Improvisation on « O Worship the King » (1967), Prelude and Fantasy on « Winchester New » (1978). Récipiendaire de nombreuses distinctions, elle a été élue en 1975 au conseil de la Ligue canadienne des compositeurs et nommée membre de l’Ordre du Canada en 1983 avant de recevoir le titre, l’année suivante, de compositeur de l’année par le Conseil canadien de la musique. Un festival Violet Archer de trois jours a eu lieu à Edmonton en octobre 1985.
Sophie STÉVANCE
ARCHINTO, Rosellina [GÊNES 1933]
Éditrice italienne.
Née dans une famille bourgeoise, Rosellina Archinto achève ses études d’économie à Milan et part aux États-Unis suivre des cours de psychologie à l’université Columbia de New York. De retour à Milan, en 1963, elle cofonde la maison d’édition Editrice milanese. Trois ans plus tard, elle fonde Emme edizioni, qu’elle préside jusqu’en 1985. Mère de cinq enfants, elle change radicalement l’offre en matière de littérature pour la jeunesse en Italie. L’innovation consiste à rendre disponibles les œuvres les plus connues et les plus appréciées de la littérature internationale pour la jeunesse. En outre, elle réussit à convaincre des auteurs tels qu’Italo Calvino ou Alberto Arbasino d’écrire pour son jeune public et Natalia Ginzburg* de diriger une des collections les plus appréciées de 1974 à 1976. Dans les années 1970, elle s’engage dans la création d’une collection de psychopédagogie, en insérant dans le catalogue les œuvres de Walter Benjamin. Emme edizioni joue un rôle très important dans le panorama de l’édition éducative en proposant des ouvrages d’une grande qualité littéraire mais aussi des outils didactiques précieux. En 1986, Rosellina Archinto fonde une maison d’édition à son nom dont la ligne éditoriale s’adresse aux adultes, avec essentiellement des essais littéraires et des correspondances, dont les lettres de l’écrivain italien Carlo Emilio Gadda, de Rilke, de Goethe, de Stevenson, et de Virginia Woolf*. De 1987 à 1996, elle dirige également la revue culturelle mensuelle Leggere.
Jacopo BASSI
■ TAGLIAVINI A. et al., Alla lettera emme : Rosellina Archinto editrice, Bologne, Giannino Stoppani, 2005.
■ DI STEFANO P., « Archinto. Crichton e Follet, libri da buttare », in Corriere della Sera, 13-07-2001 ; ROSASPINA E., « L’uomo nuovo è una donna cinque volte mamma. E Rosellina Archinto si scopre candidata sindaco », in Corriere della Sera, 18-6-1992.
ARCHIPPÉ [KYMÉ IIe siècle aV. J.-C.]
Bienfaitrice publique grecque.
Appartenant à l’élite sociale de Kymé, en Éolide, Archippé est une bienfaitrice publique, dont les actions sont attestées par les nombreuses marques de reconnaissance que lui a values sa générosité. Elle était fort probablement l’héritière d’une famille d’évergètes (bienfaiteurs), ce qui la poussa à s’occuper des affaires de sa cité dès son jeune âge. Deux piliers de marbre, provenant de Kymé, portent des inscriptions faisant état des largesses déployées par Archippé envers sa cité et des honneurs reçus en retour, pendant l’époque tourmentée de la formation de la province romaine d’Asie (vers 130-100 av. J.-C.). Ces documents (huit décrets au total) constituent un témoignage précieux sur le rôle de premier plan exercé dans sa cité par Archippé. Elle aurait pris en charge les frais pour la reconstruction du Bouleutérion, un complexe architectural destiné à abriter banquets et réunions officielles. En retour de ses bienfaits (entre autres collations et dons d’argent aux habitants de la cité), elle reçut des honneurs équivalents à ceux qu’on accordait d’ordinaire aux bienfaiteurs masculins : érection d’une statue en bronze la montrant couronnée par le Peuple, exemption des liturgies, proédrie (place d’honneur dans les concours organisés par la cité), honneurs funèbres. L’exemple d’Archippé montre qu’à la basse époque hellénistique, l’évergétisme, qui était une institution ancienne pendant longtemps réservée aux seuls hommes, commença à s’ouvrir peu à peu aux femmes qui disposaient d’importantes ressources économiques. En consacrant son temps et ses moyens au bien collectif, Archippé acquit dans la cité une position exceptionnelle si on la compare à celle des femmes de son temps. Elle est souvent considérée pour cette raison comme le paradigme de la femme évergète grecque. Toutefois elle n’occupait aucune fonction religieuse dans la cité, alors que généralement, pour les femmes, l’un des principaux mobiles de leur activité évergétique était la prêtrise. L’ampleur des actes d’évergétisme d’Archippé la rapproche de célèbres évergètes qui s’illustrèrent dans les provinces d’Asie sous l’Empire romain, ainsi que des reines hellénistiques, souvent engagées pour des raisons de propagande politique dans le financement de réalisations sociales ou culturelles. C’était le cas notamment d’Arsinoé III, qui soutint le festival des Mouseia, à Thespies, en l’honneur des Muses, ou de Laodicé III, qui dans une lettre aux habitants de Iasos leur annonce son désir d’améliorer leurs conditions matérielles (à la fin du IIIe siècle av. J.-C.). Les exemples de femmes bienfaitrices se multiplièrent surtout à la période impériale, témoignages éloquents de l’autonomie économique et juridique obtenue alors par les femmes.
Marella NAPPI
■ BIELMAN A., Femmes en public dans le monde hellénistique, Paris, Sedes, 2002 ; FERRANDINI-TROISI F., La donna nella società ellenistica, Testimonianze epigrafiche, Bari, Edipuglia, 2000 ; SAVALLI-LESTRADE I., « Archippè di Kymè, la bienfaitrice », in LORAUX N. (dir.), La Grèce au féminin, Paris, Les Belles Lettres, 2003 ; VAN BREMEN R., The Limits of Participation : Women and Civic Life in the Greek East in the Hellenistic and Roman Periods, Amsterdam, J. C. Gieben, 1996.
ARCHITECTES [Allemagne 1907-2009]
Les pionnières
L’histoire des femmes architectes en Allemagne commence au début du XXe siècle. La première étudiante en architecture, Elisabeth von Knobelsdorff*, s’inscrit en 1909 à l’École supérieure technique (TH) de Charlottenburg et en sort diplômée en 1911. En 1907, Emilie Winkelmann* est la première femme à ouvrir sa propre agence, encore à Berlin, après avoir fait des études à Hanovre, qu’elle ne peut valider officiellement. Grâce à de nombreuses commandes, elle emploie jusqu’à 14 collaborateurs. En l’espace de neuf ans, elle signe une œuvre plus considérable qu’aucune autre femme architecte avant la Seconde Guerre mondiale : des écoles, des usines, des théâtres, des hôtels, mais surtout des maisons de campagne et des grands domaines. Parmi les édifices qui existent encore à Berlin, six sont protégés au titre des Monuments historiques.
D’autres architectes appartiennent à la génération de Winckelmann, qui sont autant de personnalités singulières ou exceptionnelles, comme Victoria, princesse de Bentheim et Steinfurt, Margarete Wettke, Cornera Serger von Panhuys, Cornera Monzel, Janina von Muliewicz, Gertrud Ferchland et Lotte Cohn*. Elles sont employées par l’État et travaillent durant la Première Guerre mondiale dans l’administration militaire et les services communaux, ainsi qu’à la reconstruction de la Prusse-Orientale. E. von Knobelsdorff est la première femme membre de l’association professionnelle Architekten und Ingenieurverein (AIV) et la première qui, en 1921, réussit l’examen pour devenir architecte dans la fonction publique (Regierungsbaumeister). En 1923, elle ouvre sa propre agence et construit des maisons d’habitation ou communales. Margarete Knüppelholz-Roeser (1886-1949) remporte le concours Haus der Frau, « maison de la femme », organisé pour l’exposition du Werkbund, à Cologne, en 1914, et réalise dans la foulée le bâtiment et l’aménagement du jardin. Therese Mogger (née en 1875) exerce à Düsseldorf et expose des esquisses de maisons d’habitation, en 1912, lors de la célèbre exposition berlinoise Die Frau in Haus und Beruf (« la femme à la maison et au travail »). Après des études à l’École d’art et d’artisanat de Breslau, Grete Schroeder-Zimmermann (1887-1955) travaille chez Hans Poelzig, puis collabore au sein de diverses administrations communales, concevant des ponts, des casernes de pompiers, des écoles et des maisons d’ouvriers agricoles. À partir de 1925, elle étudie à l’École supérieure technique (TH) de Charlottenburg où elle devient assistante. Dans les temps difficiles qui suivent la Seconde Guerre mondiale, elle enseigne le dessin géométral au sein de l’École supérieure des beaux-arts, la Hochschule für Bildende Künste de Berlin.
Durant la république de Weimar, le nombre des étudiantes en architecture au sein des écoles techniques augmente lentement mais de façon constante. Elles représentaient 2 à 3 % des étudiants en architecture avant 1914 et 5 à 6 % au début du IIIe Reich. Au cours des années 1920 et au début des années 1930, période de renouvellement et de changements politiques, l’image des femmes change : elles obtiennent le droit de vote, l’accès à des formations diversifiées, et peuvent être actives professionnellement et donc indépendantes. La construction de logements de masse est l’un des devoirs de l’État, afin d’offrir aux ouvriers des logements sains et financièrement accessibles. Ces temps nouveaux trouvent leur expression dans une architecture esthétique et fonctionnelle. Les plans types de logements, la standardisation des équipements, la normalisation des éléments de construction et la rationalisation des processus de construction et de la gestion ménagère sont les principes de base du Mouvement moderne en Allemagne. Le nouveau logement doit recevoir lumière, air et soleil, aussi les villes encouragent-elles la réalisation de lotissements dans des zones vertes. Les femmes participent à l’élaboration de cette nouvelle forme d’habitat. GertrudLincke (née en 1887), de Dresde, se distingue dans la rationalisation de la construction. Elle développe un type de maisons en bande à structure métallique, économique et flexible. L’Autrichienne Ella Briggs*, qui en 1925-1926 a construit à Vienne l’avant-gardiste Pestalozzi-Hof, peut réinvestir ses expériences lors de la réalisation du lotissement Mariendorf dans le quartier de Tempelhof à Berlin, entre 1929 et 1930. Edith Dinkelmann*, qui a étudié à Munich auprès de Theodor Fischer, est la première à soutenir son diplôme à l’École supérieure technique (TH) de Braunschweig en 1919. Elle réalise plusieurs ensembles de logements à Dessau puis à Magdeburg pour des sociétés coopératives de construction. Hanna Loev* est l’une des personnalités majeures du courant architectural qui, à mi-chemin entre modernisme et tradition, se fait une spécialité de la réalisation d’édifices postaux en Haute-Bavière, entre 1920 et 1934. L’ancienne étudiante du Bauhaus, Gerda Marx, travaille à Königsberg et fait, par la suite, partie de la brigade d’Ernst May en URSS avec d’autres architectes fuyant le nazisme et prônant le constructivisme.
Durant la crise économique de 1929, l’activité immobilière se ralentit. On édifie surtout des lotissements pour chômeurs, des maisons individuelles bon marché, des abris, des maisons à prix fixes. Les femmes architectes développent alors des solutions fonctionnelles et adaptées. Paul Maria Canthal*, Stefanie Zwirn*, Hildegard Dörge-Schröder et Hedwig Steinthal se consacrent à ces travaux modestes, mais soignés jusque dans les détails. P. M. Canthal remporte, avec son associé, de nombreux concours pour de grands projets dont les réalisations restent en suspens. En 1928, Kattina Both (1905-1985), qui a étudié à Cassel, Halle et au Bauhaus de Weimar puis de Dessau, présente lors de l’exposition munichoise Heim und Technik (« habitat et technique »), avec l’agence Luckhardt & Anker, un petit logement qui est à la base des projets d’habitation et de lotissements qu’elle conçoit par la suite au sein de l’agence d’Otto Haesler, à Celle. L’un des grands thèmes est alors le logement pour femmes seules et actives, celui des « femmes célibataires », auquel se consacrent Gretel Norkauer, Gertrud Droste et Liselotte von Bonin*. Leurs œuvres vont d’esquisses présentées lors d’expositions à la réalisation de petites maisons dont certaines existent encore à Berlin.
Lilly Reich*, Marlene Poelzig* et Martina Richter appartiennent à la catégorie d’architectes qui, au-delà du quotidien et du fonctionnel, se dédient à la recherche de la forme. L. Reich, qui travaille avec Mies van der Rohe comme architecte d’intérieur, présente lors de l’exposition Deutsche Bauausstellung de 1931 de nouveaux meubles au sein d’espaces fluides et continus. M. Poelzig, qui collabore comme jeune sculptrice au sein de l’agence de Hans Poelzig, l’épouse, donne naissance à trois enfants et se passionne tant pour l’architecture qu’elle se charge aussi de projets personnels et extraordinaires, comme la maison de sa famille. Marie Frommer*, architecte et docteure en architecture, construit des maisons de commerce en centre-ville à l’esthétique moderne, soucieuse de la qualité de l’expression. Deux paysagistes acquièrent la notoriété : Martha Willings-Göhre, qui collabore avec Leberecht Migge, le rénovateur de la conception paysagère, ainsi que Herta Hammerbacher*, associée à Hermann Mattern. Après la Seconde Guerre mondiale, elle est la première professeure à l’Université technique (TU) de Berlin et conçoit par la suite de nombreux jardins en Allemagne.
Durant le IIIe Reich, entre 1933 et 1945, le nombre de femmes architectes indépendantes liées au Mouvement moderne diminue. L’une des rares architectes national-socialiste fut Gerdy Troost, la femme de Paul Ludwig Troost, « premier architecte » d’Adolf Hitler. Elle continue de diriger leur agence après la mort de son mari. Marilene Hermann construit durant ces années une maison à Berlin ; Elisabeth von Rossig travaille avec Karl Gonser, architecte de l’État à Stuttgart ; Ruth Gerner à Mannheim, Potsdam et Berlin ; Theodora Koch passe en 1935 le grand examen d’architecture de l’État et devient fonctionnaire à Lunebourg. Si le pourcentage des étudiantes en architecture est de 7 % durant le IIIe Reich et augmente durant la Seconde Guerre mondiale, car leurs homologues masculins sont intégrés à l’armée, le nombre d’architectes indépendantes diminue. Beaucoup sont juives et émigrent, comme L. Cohn, E. Briggs, M. Frommer ou Gusti Hecht (1903-1950), qui avait remporté un premier prix pour une synagogue. Certaines changent de profession comme P. M. Canthal, alors que d’autres sont poursuivies et assassinées, à l’instar de S. Zwirn.
Dans l’Allemagne divisée, les années de l’après-guerre sont celles de la reconstruction et des idées neuves. Le pourcentage des étudiantes en architecture augmente de nouveau, atteignant 15 % des effectifs. Quelques-unes, qui ont étudié avant-guerre, notamment au Bauhaus, sont alors actives dans l’architecture ou l’urbanisme. Ainsi Annemarie Mauck planifie-t-elle le plan d’aménagement de la commune de Grund. Gertrud Ursula Weiß travaille pour les services de la construction et du logement de Berlin, et Annemarie Wimmer, conseillère pour la reconstruction de Postdam, prend part à la planification de la région de l’Oderbruch. Lotte Beese* devient, en 1946, architecte en chef du service d’urbanisme de Rotterdam, après avoir épousé l’architecte hollandais Mart Stam. Lotte Gerson se marie avec Edmund Collein, urbaniste fonctionnaire de la République démocratique allemande (RDA) et travaille à Berlin-Est. Après avoir débuté à Vienne, Karola Bloch (1905-1994), épouse du philosophe Ernst Bloch, émigre avec lui à New York, où elle est employée au sein d’agences d’architecture pour maintenir la famille hors de l’eau. Après son retour, en 1949, elle développe un modèle de jardin d’enfants pour l’Académie d’architecture de Berlin-Est.
Les femmes architectes qui prennent part à la reconstruction de Berlin, comme Margot Zech-Weymann*, Luise Seitz*, Ludmilla Herzenstein* et Hanna Blank, ont commencé leurs études avant le IIIe Reich. H. Blank participe à la définition du premier projet pour la reconstruction de Berlin. M. Zech-Weymann réalise une œuvre remarquable, embrassant de nombreuses maisons, écoles et hôpitaux. Sous la direction d’Hans Scharoun, L. Seitz et L. Herzenstein travaillent à la reconstruction de Berlin comme architectes communales. Cette dernière s’occupe des fondements sociaux de l’urbanisme des nouveaux lotissements et de leur infrastructure, et conçoit avec H. Scharoun la « cellule d’habitation Friedrichshain », aujourd’hui dans la Karl-Marx Allee, une idée novatrice pour répondre au besoin de logement, marquée par la Nouvelle objectivité. Hilde Weström* imagine, dans le dénuement de l’immédiat après-guerre, des bâtiments provisoires et des maisons pour les émigrants, jusqu’à ce qu’elle fonde sa propre agence en 1949. Elle se consacre principalement au logement social et signe une œuvre considérable. Anita Bach reste après ses études dans l’École supérieure d’architecture de Weimar, où elle passe une thèse en 1960 avant d’y devenir professeure en 1969. Iris Grund, après avoir étudié avec Selman Selmanagic et collaboré avec Hermann Henselmann à la Bauakademie, devient architecte municipale à Neubrandenburg.
Wera Meyer-Waldeck*, Mia Seeger (1903-1991) et H. Weström figurent parmi les rares femmes qui, en 1957, présentent à l’Interbau, à Berlin-Ouest, des contributions sur le logement de l’avenir. Lucy Hillebrand* a sa propre agence à Francfort depuis 1928. En 1932-1933, elle est la seule femme à prendre part à la conception du lotissement du Kochenhof, à Stuttgart. Elle s’intéresse après la guerre de façon intensive aux bâtiments d’enseignement et la liste de ses œuvres embrasse environ 110 projets.
Avec la division de l’Allemagne, qui devient une réalité concrète avec la construction du mur de Berlin en 1961, le paysage de l’architecture allemande se scinde également. En RDA, bien qu’il n’y ait quasiment plus d’architectes indépendantes, quelques noms émergent parmi celles qui travaillent en collectifs : Lotte Schildhauer, Waltraud Volk, Editha Bendig (1900-1983), Edith Diehl, Heidelore Karl, Dorothea Krause et Ute Baumbach. Elles participent à des projets de logements et de lotissements, ainsi qu’à ceux de bâtiments techniques tels que des casernes de pompiers, des garages, des vélodromes, des transformateurs. Elles ont aussi l’occasion de concevoir des musées, des bibliothèques ou des ministères. À la fin des années 1960, une attention particulière est portée en RDA à l’aménagement des centres-villes. Dorothea Tscheschner joue un rôle important dans la conception des grandes places de Berlin-Est ; Erika Bärhold dans celle de la place Lénine et de la bibliothèque municipale ; Solveig Steller dans la reconstruction du centre ville ; quant à la paysagiste Heidrun Günther elle crée, avec d’autres, le parc Thälmann.
À l’Ouest débute le temps des couples architectes qui s’investissent dans la conception des lotissements des années de reconstruction. Parmi eux, les plus notables sont : Friedrich et Ingeborg Spengelin, Hardt-Walther Hämer et Brigitte Hämer-Buro (1924), Peter et Dorothea Haupt, Günter et Ursula Plessow, Hans-Rudolf et Christel Plarre, Anatol et Ingrid Ginelli, Gerd et Magdalena Hänska, Hans et Traudl Maurer, Horst et Christine Redlich. Cette tradition se poursuit avec un éventail plus large de programmes par Ralf Schüler et Ursulina Schüler-Witte, Jörn Peter et Helga Schmidt-Thomsen, Joachim et Margot Schürmann (1924-1998), Christoph et Brigitte Parade, Walther et Bea Betz (1928), Gernot et Johanne Nalbach, Klaus et Verena Trojan, Kay Zareh et Ruth Golan (1944-2012).
Rares sont celles qui ont eu leur propre agence comme Nina Kessler, qui construit des logements, des maternelles et une ferme-école ; ou Ellinor Neumann, qui réalise un vaste ensemble d’habitation à Berlin et est longtemps la seule femme mentionnée dans un guide d’architecture. Merete Mattern, fille de la paysagiste H. Hammerbacher, connaît une précoce mais courte célébrité à la fin des années 1960 grâce à une esquisse urbaine visionnaire. Sigrid Kressmann-Zschach* a une position exceptionnelle, jouant un rôle de premier plan dans le développement architectural rapide du Berlin-Ouest de l’après-guerre. Comme architecte, mais aussi maître d’ouvrage, elle emploie jusqu’à 300 collaborateurs, réalisant plusieurs milliers de logements, de maisons de commerce, d’hôtels, de bâtiments sociaux et de villas.
Parmi celles qui ont débuté avec un partenaire, certaines deviennent indépendantes par la suite, à l’instar d’Inken Baller*, de Monika Krebs ou de la paysagiste Regina Poly. D’autres se font connaître au-delà de leur région, comme Myra Warhaftig* par son action en faveur d’un « habitat équitable pour les femmes » et de la mémoire des architectes juifs ; ou Ingeborg Kuhler* par la réalisation du musée régional de la Technique et du Travail et par celle des studios de la Süddeutschen Rundfunk, à Mannheim. Verena Dietrich* est reconnue par ses réalisations techniques audacieuses ainsi que par son livre sur les femmes architectes contemporaines. Il faut encore mentionner Christine Jachmann et Anne Rabenschlag, qui construisent principalement des logements et des bâtiments sociaux ; Ulla Schreiber, qui s’engage en faveur d’une construction écologique, ainsi que les paysagistes Hannelore Kossel et Cornelia Müller. Le nombre de femmes architectes augmente : le pourcentage des étudiantes atteint 25 % environ dans les années 1960 et 40 % dans les années 1980, à la suite de la réforme des écoles supérieures (Hochschulen).
Après la réunification, à la fin du XXe siècle, il y a autant d’étudiantes que d’étudiants en architecture. Le pourcentage de femmes inscrites en tant qu’architectes indépendantes auprès des Chambres régionales d’architectes est en moyenne de 10 % vers 1995. Il grimpe à 20 % en 2009. Durant les années 1990, de nombreuses villes d’Allemagne lancent des concours destinés aux femmes architectes, dont l’objectif est non seulement de développer de nouvelles formes d’habitat, mais aussi de les encourager à fonder leur propre agence. Parmi les femmes actuellement en activité, plusieurs doivent être mentionnées. Julia Bolles-Wilson (1948) conçoit, entre autres, avec son mari Peter Wilson, un théâtre à Rotterdam. Charlotte Frank réalise le bâtiment de la Chancellerie fédérale avec son associé Axel Schultes. Helga Timmermann (1953), associée à Hans Kollhoff, construit des bâtiments de logements et d’activités, et Louisa Hutton (1957) crée, avec Matthias Sauerbruch (1955), des édifices amorphes et colorés. Hilde Léon (1953) est l’auteure d’une œuvre d’importance et gagne avec son équipe le concours international lancé par la Libye pour la réalisation d’un nouveau quartier gouvernemental à Tripoli. Dörte Gatermann (1956) dirige depuis 1984, avec Elmar Schossig, une grande agence de Cologne. Doris Thut* est engagée, dans le sud de l’Allemagne, dans la construction de logements avec son mari. Ulrike Lauber (1955) est installée à Munich où elle conçoit des édifices de bureaux et d’administration. Gesine Weinmiller (1963) réalise le tribunal du travail d’Erfurt et le centre de justice d’Aix-la-Chapelle. Enfin, Dagmar Richter exerce en Allemagne et aux États-Unis, se consacrant surtout à l’enseignement du projet architectural et à ses méthodes.
Christiane BORGELT et Kerstin DÖRHÖFER
■ Architektinnenhistorie, Berlin, UIFA/Sektion Bundesrepublik, 1984 ; DIETRICH V., Architektinnen, Ideen, Projekte, Bauten, Stuttgart, Kohlhammer, 1986 ; DÖRHÖFER K., Pionierinnen in der Architektu. Eine Baugeschichte der Moderne, Tübingen, Wasmuth, 2004 ; MAASBERG U., PRINZ R., Die Neuen kommen ! Weibliche Avantgarde in der Architektur der zwanziger Jahre, Hambourg, Junius Verlag, 2004 ; PEHNT W., Deutsche Architektur seit 1900, Munich, DVA, 2005.
ARCHITECTES [Amérique du Nord depuis la fin du XXe siècle]
En ce début de XXIe siècle, l’architecture est toujours un métier avant tout masculin. Ainsi aucune femme n’a-t-elle encore obtenu la Médaille d’or de l’Institut américain des architectes (AIA), depuis sa création en 1907. À la fois dans l’exercice de leur métier et dans les postes de direction, les femmes architectes sont loin derrière celles qui travaillent dans d’autres secteurs, y compris la médecine et le droit. Aujourd’hui, elles représentent environ 15 % des architectes en exercice en Amérique du Nord et, à en croire les statistiques, chaque année le nombre de patentées, directrices ou associées dans des agences d’architecture ou employées dans l’enseignement, augmente. Le Canada et les États-Unis sont à égalité dans tous les domaines sauf dans l’enseignement, où le Canada se place légèrement derrière les États-Unis. Le Mexique est en retrait de ces voisins nordistes dans tous les domaines.
Étant donné la lenteur bien connue de la progression de la carrière d’architecte, indépendamment du sexe, ceux qui sont nés après 1950 commencent tout juste à être reconnus ; reste à savoir si les femmes progressent au même rythme que leurs pairs. Les institutions professionnelles nord-américaines, l’AIA et l’Institut royal d’architecture du Canada (Irac) se sont engagés à augmenter le nombre des femmes en exercice par d’ambitieux programmes de recrutement, d’orientation et de maintien de service. Ironiquement, au moment où celles qui sont nées après 1950 seraient en position d’occuper des postes de direction, la nature de la profession a profondément changé et il est plus clair que jamais qu’il s’agit d’un travail d’équipe et de réseau. Bien qu’il y ait toujours des vedettes, il est peu vraisemblable qu’une femme nord-américaine apparaisse et endosse le manteau que Frank Gehry et Rem Koolhaas n’ont pas vraiment passé à Zaha Hadid*. Toutefois, les femmes obtiennent des commandes plus importantes, plus visibles, qui ont un impact majeur sur les lieux où elles sont implantées. Dans toute l’Amérique du Nord et ailleurs, il y a des tours de bureaux, des palais de justice, des théâtres, des musées, des hôpitaux, des bibliothèques ou d’autres bâtiments dessinés par des femmes nées après 1950. Au nombre des œuvres remarquables, citons l’American Folk Art Museum de New York (2001), signé par Billie Tsien (1949) et son associé Tod Williams ; le musée Mercedes-Benz de l’automobile à Stuttgart, dû à Asymptote, l’agence de Lise-Anne Couture (1959) et Hani Rashid ; l’Aqua Tower (2010), réalisée par le Studio Gang, dirigé par Jeanne Gang (1964) à Chicago ; ou encore la Corkin Gallery, à Toronto, conçue par Brigitte Shim (1958) et Howard Sutcliffe.
Il n’est pas anodin que des femmes de premier plan comme Elizabeth Diller*, B. Tsien et A. Couture aux États-Unis ou Patricia Patkau *et B. Shim au Canada exercent souvent leur profession avec leurs maris. Bien sûr cela reflète l’intensité de l’architecture en tant que « mode de vie » et, pour des jeunes femmes, l’exercice du métier avec un compagnon de vie est souvent une suite de l’expérience d’immersion totale qu’est la formation à l’architecture. Cela dit, elles sont de plus en plus nombreuses à diriger leur propre cabinet, comme J. Gang à Chicago et Toshiko Mori* à New York, qui ont établi leur réputation en travaillant seules.
Ces femmes, qui atteignent leur maturité d’architectes en ce début de XXIe siècle, ont terminé leurs études après les soulèvements sociaux des années 1960 et le mouvement féministe des années 1970, et bénéficient des efforts pionniers de celles qui ont organisé la protestation, bien que le sexisme et l’inégalité des sexes persistent en architecture. Les jeunes diplômées, qui se considèrent comme postféministes, ont souvent l’impression de jouer sur un pied d’égalité. Cette façon de percevoir la situation les laisse démunies devant la discrimination. Elles connaissent un réveil souvent brutal quand elles commencent à travailler dans de grandes agences. Les plus âgées, déjà établies, hésitent à dénoncer la discrimination ou à plaider la cause des femmes, de crainte d’être marginalisées ou considérées comme des « femmes architectes » plutôt que comme des architectes tout court.
L’un des changements les plus importants est le nombre croissant d’étudiantes en architecture. Dans beaucoup d’institutions, surtout après la licence, elles représentent presque la moitié des étudiants inscrits, à tel point que certains critiques proclament maintenant que la profession « risque » de se féminiser. Toutefois, l’écart entre le pourcentage des jeunes femmes parmi les étudiants (environ 40 %) et celui des femmes diplômées et inscrites au registre professionnel (environ 20 %) démontre le contraire. Cet écart est une source d’inquiétude pour l’avenir du métier. Nombreuses sont les jeunes femmes qui se plaignent des longues heures de travail, des plannings contraignants et rigides, des bas salaires, du long apprentissage et des faibles possibilités d’avancement, autant d’éléments qui contribuent à leur faire quitter l’architecture.
Il est cependant possible d’exercer le métier d’architecte sans licence, aussi l’immatriculation à l’ordre des architectes n’est-elle pas un bon indicateur de la féminisation de la profession. Beaucoup font leur carrière en évitant tout projet qui, en raison de son échelle ou de sa catégorie, nécessiterait des plans contrôlés. Cette situation est très commune dans les zones urbaines où une grande partie du travail consiste à rénover ou à restaurer. Cependant, la plupart considèrent que la patente (l’inscription au registre) est nécessaire au succès professionnel, même si les plus jeunes diffèrent souvent le long processus d’immatriculation en raison du coût et du temps qu’il exige.
Gabrielle ESPERDY
■ ADAMS A., TANCRED P., L’Architecture au féminin, une profession à redéfinir, Montréal, Éditions du Remue-Ménage, 2002 ; FOWLER B., WILSON F., « Women Architects and Their Discontents », in Sociology, vol. 38, no 1, fév. 2004.
ARCHITECTES [Amérique latine depuis la fin du XXe siècle]
Les jeunes femmes architectes formées dans les années 1980 en Amérique latine disposent de plus en plus d’espaces de travail et de reconnaissance, comme on peut en juger par la variété et le nombre de leurs œuvres. Leurs préoccupations vont de l’exercice de la profession à la conception d’objets, en passant par l’urbanisme et l’architecture, la création et la restauration. Généralement en binôme ou en petits groupes, elles semblent avoir trouvé dans les organisations collectives une voie de travail féconde. Certains bureaux au Brésil et à São Paulo, comme MMBB ou Una Arquitetos, ont acquis une reconnaissance internationale par une architecture contemporaine qui capte la tradition brésilienne.
Le MMBB, créé en 1990, réunit Marta Moreira à Fernando de Mello Franco et Milton Braga, tous trois diplômés dans les années 1980 de la faculté d’architecture et d’urbanisme de l’université de São Paulo (Fau). Ils ont reçu, entre autres, le prix de la IVe Biennale internationale d’architecture pour le garage souterrain du Trianon, à São Paulo (1999). Una Arquitetos, fondée en 1996, se compose de quatre architectes, les couples Fernanda Barbara et Fábio Valentim, Cristiane Muniz et Fernando Viegas, tous diplômés dans les années 1990 par la Fau. Entre autres récompenses, ils ont reçu un prix ex-æquo lors de la septième édition du Prix des jeunes architectes de l’Institut des architectes du Brésil pour une école de la Fondation pour le développement de l’éducation (Fed) réalisée à Campinas.
Deux autres portraits illustrent la variété des profils des jeunes architectes latino-américaines. Après avoir obtenu un diplôme d’architecture à l’Université catholique de Valparaiso au Chili en 1983, Cazú Zegers suit des cours d’éclairage et de représentation graphique aux États-Unis et travaille dans l’agence Delgado Architectes Gilbride, à New York, de 1987 à 1988. Depuis 1990, elle exerce sa profession en mode libéral et a fondé, en 1997, el Taller Aira (art, imagination, discipline et amour) qu’elle dirige depuis. Elle réalise une série de maisons privées comme la Casa del Fuego, à Lago Maihue, la Casa Haiku, à Quillota ou la Casa Cala, à Lago Ranco, dans le sud du Chili qui, parfaitement intégrée à la nature environnante et élaborée à partir de matériaux et de techniques locales, lui a valu le Grand Prix latino-américain d’architecture à la Biennale de Buenos Aires, en 1993.
L’Équatorienne Ana Cecilia Barriga Ordóñez, diplômée en architecture à l’Université centrale d’Équateur en 1985, fait ensuite des études de gestion dans une école de commerce privée, l’INCAE, à Alajuela. Depuis 1983, elle travaille avec son partenaire, Walter Magallanes Rivadeneira Piedra, au sein du bureau Rivadeneira Arq SA Barriga, qui offre des services répondant à toutes les étapes du développement de projets immobiliers ou urbains, à commencer par leur montage financier. Elle réalise des bureaux administratifs et commerciaux à Quito, Guayaquil, Ibarra, Ambato et Tulcán, et conçoit également des meubles. Entre 1991 et 2004, elle publie avec W. Rivadeneira, des articles sur le logement, l’architecture contemporaine et les nouvelles voies du Design en Équateur.
Ana Gabriela GODINHO LIMA
■ Cazú Zegers, Santiago do Chile, ARQ, 2008 ; ZEGERS C., Cazú Zegers : carpinterías, Madrid, AITIM, 2008.
■ « Claudia Carrizosa, obra reciente », in Proa, no 347, 1986.
ARCHITECTES [Argentine depuis le début du XXe siècle]
Les pionnières
L’histoire des femmes architectes en Argentine est liée à celle du mouvement moderne. Les femmes peuvent accéder à l’éducation dès la fin du XIXe siècle, ce qui permet de niveler une société bouleversée par une forte émigration. Mais leurs droits civiques restent limités, et elles sont subordonnées à la tutelle des hommes jusque dans les années 1920. Attirées par le domaine de la santé, elles se dirigent d’abord vers les carrières médicales, phénomène que l’on peut également observer dans d’autres pays latino-américains.
La première architecte est diplômée en 1929, au moment où Le Corbusier, en visite en Argentine, donne quelques conférences (réunies dans Précisions sur un État présent de l’architecture et de l’urbanisme, 1930). C’est Finlandia Elisa Pizzul (Buenos Aires 1902 - id. 1987). Elle suit les cours d’un ancien élève de Victor Laloux (1850-1937), l’architecte français émigré René Karman (1875-1951), enseignant à Buenos Aires de 1914 à 1946, et dont plusieurs générations d’architectes modernes seront les élèves. De cet admirateur d’Auguste Perret (1874-1954) et marquant protagoniste de la culture locale, F. Pizzul apprend la recherche du « parti », l’idée directrice qui guide la réponse à toutes sortes de programmes, et le recours aux techniques les plus nouvelles pour offrir un meilleur confort. Sa carrière se fait au service de l’architecture publique. Fonctionnaire du Secrétariat d’hygiène publique, dépendant de la Direction générale des bâtiments et de l’ingénierie sanitaire, elle conçoit en 1941 l’Hospital común regional à Río IV, dans la province de Córdoba, et beaucoup d’autres édifices civils. Elle apporte ainsi une contribution importante à l’urbanisme, alors en pleine expansion. Cette artiste complète participe à la Ire Exposition des arts plastiques organisée en 1938 par la Société centrale des architectes d’Argentine, dont elle est membre. Elle fait partie du groupe fondateur de la faculté d’architecture de l’université de Buenos Aires (UBA) en 1948 et est la première directrice de sa bibliothèque, qu’elle oriente vers les principes et théories pédagogiques du Bauhaus. Également aventurière, elle sera aussi l’une des premières aviatrices.
C’est cependant Ítala Fulvia Villa (Buenos Aires 1913 - id. 1991) que l’on considère comme la première femme architecte d’Argentine. Deux ans après son diplôme de la faculté de Buenos Aires (1934), elle devient fonctionnaire au sein de divers organismes publics liés à l’urbanisme. Elle est membre du groupe fondateur du Grupo Austral (1938-1941), premier groupe argentin d’architecture d’avant-garde, qui réunit de jeunes architectes diplômés entre 1936 et 1940, parmi lesquels Jorge Ferrari Hardoy (1914-1977), Juan Kurchan (1913-1972) et Antoni Bonet i Castellana (1913-1989), ayant participé à la conception du plan de Buenos Aires au sein de l’atelier de Le Corbusier dans les années 1937-1938.
Dans ce cadre, F. Villa dirige, avec Simón Ungar (1912-1971), plusieurs études sur l’habitat commandées par l’Union des ouvriers de la construction. En 1945, elle dessine, avec Horacio Nazar, le projet d’urbanisation de Bajo Flores (arrondissement de la capitale situé près du Riachuelo), qui obtient le premier prix du Salon national d’architecture et qui constituera la base de la loi d’assainissement de cette zone, puis la construction d’une cité-jardin ouvrière. Elle a cosigné un ouvrage sur l’évolution de Buenos Aires et fait partie de la Direction générale du plan régulateur de la ville à la fin des années 1950. Elle a en outre enseigné dans différentes écoles secondaires techniques et a été, avec Francisco García Vázquez (1921-1990), responsable du cours d’introduction à l’urbanisme de l’UBA, entre 1962 et 1964.
Deux faits marquent les générations nées après 1950 en Argentine : la dictature militaire, entre 1976 et 1983, et la crise économique, fin 2001. En 1976 un groupe d’architectes, jusque-là très actifs au sein de l’UBA, crée en dehors un espace d’enseignement alternatif, la Escuelita (« la petite école »). Justo Solsona (1931) et Tony Díaz (1938), deux professeurs expulsés par la junte militaire, ainsi que des professionnels tels qu’Ernesto Katzenstein (1931), Eduardo Leston (1940) et Jorge Francisco Liernur (1946) relancent ainsi un débat à distance des pressions politiques, mais avec la conscience des faiblesses engendrées par l’idéologisation excessive de la discipline. Étudiants et jeunes architectes participent à ces ateliers et conférences, à la publication de la revue Materiales et même à l’élaboration de projets. Ils introduisent les idées du postmodernisme, invitant des protagonistes de l’architecture internationale, comme l’Italien Aldo Rossi (1931-1997), le Portugais Álvaro Siza Vieira (1933) et des architectes argentins émigrés : Mario Gandelsonas (1938), Rodolfo Machado (1942) et Jorge Silvetti (1942). D’autres initiatives similaires, comme celle du Laboratoire d’architecture dirigé par Alberto Varas (1943) dans le contexte du CAYC (« centre d’art et de communication »), ont suscité la visite en Argentine d’architectes internationaux au début des années 1980, tels l’Américain Peter Eisenman (1932), le Britannique Kenneth Frampton (1930) ou l’Italien Manfredo Tafuri (1935-1994).
C’est de ce contexte marginal et stimulant que se nourrit Maria Hojman (1955). Fille d’architectes diplômée en 1978, elle rejoint la Escuelita jusqu’en 1981. En 1979, elle participe avec A. Rossi au concours international des Halles à Paris. Avec l’avènement de la démocratie, les professeurs expulsés de la faculté d’architecture sont réintégrés, et M. Hojman reprend des études dans l’atelier d’Horacio Baliero (1927-2004) en qui elle a découvert un maître. Puis elle enseigne à l’UBA jusqu’en 1990. Son bagage théorique alimente une activité professionnelle, exercée de 1978 à 1996, avec Pablo Pschepiurca (1953) et son frère Javier Hojman (1957), puis en association avec Aisenson, l’une des agences les plus prestigieuses d’Argentine fondée en 1934. Dans ce milieu de la construction, traditionnellement masculin, M. Hojman est reconnue pour ses multiples rôles dans la création comme dans la gestion. Son œuvre se caractérise par une attention portée aux exigences du marché immobilier, le souci de la qualité des espaces publics et le respect du tissu urbain. L’agence a signé des centaines de bâtiments, dont de nombreux logements et tours de bureaux pour une population à moyens et hauts revenus. Un des derniers projets auquel elle a participé est la tour Bellini (Palermo, Buenos Aires), qui contraste par son élégante finesse dans le panorama massif.
Dans un contexte similaire, Laura Spinadel (1958) parcourt un chemin différent. Fille d’une prestigieuse mathématicienne, Vera W. de Spinadel (1929), elle est diplômée avec brio en 1982. En 1986, meilleure élève et protégée d’H. Baliero, elle ouvre une agence à Buenos Aires, BUSarchitektur, avec Claudio Blazica (1956-2002). En 1992, ils s’installent à Vienne, ville natale de son père, et ouvrent une filiale à Séville. Leur œuvre s’appuie sur une critique de la cité industrielle et de ses cloisonnements et cherche l’amélioration de la qualité de vie métropolitaine. En 1998, ils obtiennent le prix Otto Wagner pour le complexe viennois Homeworkers, qui articule de façon inhabituelle programmes publics et privés, logements, lieux de travail et commerces. Toujours à Vienne, quelques projets singuliers sont le reflet de leur architecture austère et appropriée aux besoins contemporains : avec l’Autrichien Rainer Lalics (1945), une maternelle (2001) – conçue dans un endroit dépourvu d’espaces verts et définie comme une maison-arbre offrant différents points de vue aux enfants – ou l’ensemble Hoffmann Geht Spazieren (2002-2006), qui avec sa structure en U transpose l’esprit du barrio porteño. Depuis 2002, L. Spinadel dirige l’agence qui a remporté le concours international lancé pour la définition du plan d’aménagement de l’université d’Économie de Vienne, un site de 90 000 mètres carrés. Admiratrice de Diana Agrest*, L. Spinadel a toujours poursuivi une activité d’enseignement en Allemagne, en Autriche, en Argentine, en Espagne, en Hongrie et au Mexique.
Dans les années 1990, l’enthousiasme suscité par la démocratisation retombe. L’avidité d’entrer dans l’économie globale conduit à la domination de la frivolité, à une architecture imitant les plus complaisantes images des revues internationales, profitant d’un bref moment d’importation de matériaux plus performants. Durant cette période d’interventions urbaines à grande échelle, certaines donnent de bons résultats, comme les transformations entreprises à Rosario (deuxième ville d’Argentine), quand d’autres sont controversées au vu de leurs résultats, comme la reconversion du jeune quartier de Puerto Madero (Buenos Aires). Dans les principales villes du pays, le marché immobilier et les grands travaux publics sont concentrés par quelques agences liées à des acteurs financiers puissants.
Une expérience particulière, lancée par la mairie de Córdoba, consistant à ordonner et à assainir les zones vertes et les cours d’eaux, permet l’intervention de jeunes architectes, via des concours, dont plusieurs d’entre eux sont gagnés par Mónica Bertolino (1957) associée à Carlos Barrado (1955). Diplômée en 1981 de l’université de Córdoba, elle ouvre la même année l’agence Barrado-Bertolino, tout en poursuivant des études avec Marina Waisman (1920-1997), une des historiennes majeures de l’architecture et du patrimoine latino-américain. Elle fortifie ainsi un esprit critique qui la conduit, comme plusieurs jeunes architectes cordobais, à s’opposer au postmodernisme dominant. Ses explorations théoriques et critiques prennent corps dans une série de dessins et de textes à l’allure de bande dessinée : Modulor contraataca (« Modulor contre-attaque », du nom de la silhouette humaine standardisée servant à concevoir la structure et la taille des unités d’habitation imaginées par Le Corbusier en 1945). Commencée en 1995, la série raconte les vicissitudes d’un « héros proportionné et prévisible face à l’imprévisible et la disproportion du monde quotidien ». Une autre série, Hipótesis de violencia (2000), exprime la réalité sociale des grandes villes et la cruauté de la vie urbaine. Peintre et sculptrice, elle base sa méthode d’observation et de projet sur le dessin à main levée. Son architecture est déterminée par la nature des matériaux et construite de façon traditionnelle, sans main-d’œuvre spécialisée, ce qui garantit la durabilité des œuvres. L’ensemble de places et de parcs publics réalisés pour Córdoba entre 1991 et 1999 révèle l’esprit civique de son architecture. Sa production comprend une vingtaine de maisons individuelles et collectives, des bâtiments institutionnels et des interventions urbaines à différentes échelles, dont, à Córdoba et dans sa région, un étonnant groupe de pavillons pour une ferme à Capilla del Monte (2006), un petit pont exclusivement composé de tiges d’acier utilisées pour le béton armé (2008) et le Centre d’interprétation du Río Suquía, récompensé. M. Bertolino voit poindre la reconnaissance internationale qu’elle mérite, comme en témoignent des expositions (Quito, Pampelune) et des publications.
Dans ce contexte se dessine aussi la figure d’Ana Etkin (1965). Diplômée de la faculté de Córdoba en 1992, elle soutient une thèse à l’université La Sapienza à Rome. Influencée par ses études sur l’œuvre de l’architecte baroque Francesco Borromini (1599-1619), elle développe une architecture d’une forte expression plastique. En 1995 elle construit la bibliothèque centrale de l’université de Río Cuarto (province de Córdoba), en béton armé et brique, combinaison de volumes articulés par de suggestives entrées de lumière. Elle partage sa pratique de l’architecture avec sa passion pour la peinture et les recherches qu’elle réalise avec ses élèves sur l’élaboration de nouveaux matériaux, à partir du recyclage de déchets de l’activité industrielle et quotidienne. Elle cherche à établir une harmonie entre le lieu, le milieu et un espace imaginé, activé par les capacités sensorielles de l’homme.
La crise de 2001 laisse l’enseignement suivant : faire du manque une vertu. Les nouvelles générations sont marquées par la volonté de produire simplement une bonne architecture qui valorise les éléments disponibles.
Claudia SHMIDT
■ LIENUR J. F., Arquitectura en la Argentina del siglo XX. La construcción de la modernidad, Buenos Aires, Fondo nacional de las artes, 2001 ; ID., PSCHEPIURCA P., La Red austral. Obras y proyectos de Le Corbusier y sus discípulos en la Argentina (1924-1965), Bernal, Universidad nacional de Quilmes/Prometeo 3010, 2008 ; SHMIDT C., « The architecture of Puerto Madero in the 1990’s », in LIENUR J. F. (dir.), Puerto Madero Waterfront, Munich/Cambridge (Mass.), Prestel/Harvard University Graduate School of Design, 2007.
■ SHMIDT C., « Sweet home Buenos Aires : la oportunidad de la arquitectura », in Block, no 7, sept. 2006.
ARCHITECTES [Australie depuis le début du XXe siècle]
Les pionnières
L’émergence des femmes architectes est indissociable du développement de la profession et de l’enseignement dans ce pays, mais aussi fortement liée à l’évolution particulière de chaque État. Florence Taylor* est, vers 1902, la première femme architecte « qualifiée » en Nouvelle-Galles du Sud. Son exemple est suivi, dans le Victoria, par Ruth Alsop et, dans le Queensland, par Lily I. M. Addison, diplômée en 1914 du Brisbane Central Technical College, Dorothy Brennan et Beatrice May Hutton (1893-1990), première femme à être admise par le Queensland Institute of Architects, en 1916. Dans le Victoria, Eileen Good est en 1921 la première diplômée de l’université de Melbourne. Dans les États plus isolés, l’apparition de femmes architectes est plus tardive. En Australie-Occidentale, la pionnière, Margaret Pitt Morison (1900-1985), ne s’inscrit au tableau des architectes de cet État qu’en 1924, après quatre années d’apprentissage dans une agence de Perth. En Tasmanie, Margaret Keitha Findlay (1916) n’obtient son diplôme du Sydney Technical College, par correspondance, qu’en 1942 et se consacre d’ailleurs par la suite à l’enseignement.
Après la Première Guerre mondiale, le changement d’attitude envers les femmes et l’institutionnalisation de l’enseignement de l’architecture au sein des universités favorisent la féminisation de la profession. À Melbourne, Muriel Stott est l’une des premières à posséder sa propre agence, mais elle émigre en Afrique du Sud dans les années 1930. Sa dernière maison, Little Milton (1926), dont le jardin est conçu par Edna Walling*, fait notamment l’objet d’une publication dans le magazine Australian Home Beautiful. Elina Emily Mottram (1903-1996) est la première à établir son agence dans le Queensland, à Brisbane, en 1924, et c’est celle dont l’activité est la plus durable. L’année suivante, c’est au tour d’Ellice Maud Nosworthy (1897-1972), diplômée en 1922 de l’université de Sydney et inscrite au tableau des architectes l’année suivante, de fonder une agence consacrée aux rénovations de maisons. Rosette Edmunds (1900-1956), diplômée en 1924 avec un mémoire sur l’architecture néogothique à Sydney, travaille au sein de la firme Clement Glancey qui, plus ouverte aux femmes que d’autres, lui permet de concevoir des églises néoromanes en brique sombre, comme St-Francis-Xavier, à Arncliffe, en Nouvelle-Galles du Sud (1931). Férue d’histoire, elle publie notamment Architecture, an Introduction Survey (« Architecture, étude introductive », 1938). Après la Seconde Guerre mondiale, elle s’installe comme urbaniste indépendante et devient, en 1955, la première présidente du Royal Institute of Architects, à Canberra. Heather Sutherland, sœur de la cantatrice Joan Sutherland*, travaille elle aussi chez Clement Glancey, avant d’ouvrir une agence avec son mari, Malcolm Moir, réalisant alors des dizaines de maisons modernistes à Canberra, (maison Rafferty, Griffiths, ACT, 1939). Moir & Sutherland emploient, à leur tour, de jeunes architectes prometteuses, comme Eva M. Buhrich (1915-1976), émigrée d’Allemagne en 1939 et devenue une critique influente à Sydney. Winsome Hall Andrew (1905-1997), diplômée en 1928, débute chez Clement Glancey avant de partir travailler en 1934 dans diverses agences londoniennes, une habitude de plus en plus fréquente à l’époque pour de nombreux jeunes architectes australiens. De retour à Sydney, elle engage un partenariat professionnel orageux avec son mari Eric W. Andrew, qui débute avec la réalisation du Manly Surf Pavilion (1936-1939), un élégant assemblage de volumes aux toitures en terrasse suivant la courbe de la plage, typique du modernisme australien naissant. Ils produisent une œuvre importante jusqu’à sa retraite, dans les années 1950.
L’œuvre de ces femmes est généralement domestique, comprenant des maisons et quelques immeubles de logements collectifs, et ne concerne que rarement des constructions publiques. Le fait que certaines aient travaillé au sein d’agences de confrères masculins a contribué à occulter leur qualité de créatrices de bâtiments remarquables, ceux-ci ayant été attribués à ces agences par les historiens de l’architecture. Ellison Harvie (1902-1984), fille d’ingénieur, fait de brillantes études à l’Atelier architectural de l’université de Melbourne après un passage au collège technique de Swinburne, des stages dans diverses agences et un voyage en Europe. Elle se spécialise dans la conception de grands hôpitaux, tels que le Queen Victoria Hospital (1928) ou le Royal Melbourne Hospital (1939-1942), au sein de la grande agence de Melbourne Stephenson & Meldrum (& Turner après 1937), ce qui lui vaut de devenir partenaire de la firme, en 1946, et première femme reconnue professionnellement par le titre de Fellow in Architecture, « sociétaire en architecture », en Australie et en Grande-Bretagne. Cynthea Teague (1907-2007), fille d’architecte, fait une carrière d’architecte des bâtiments publics au sein du Commonwealth Department of Works, dont elle devient directrice adjointe en 1964.
Parmi les femmes qui réussissent à conjuguer vie familiale et carrière en solo, on note Eleanor Cullis-Hill (1913-2001), dont l’activité débute, après un diplôme soutenu en 1938, par la réalisation d’une maison familiale en style néogéorgien, Rathven, à Warrawee, Sydney (1938-1939). Elle y vit, élève ses quatre enfants et conçoit des dizaines de projets domestiques, de jardins d’enfants, d’écoles et de constructions paroissiales entre 1946 et 1981. Plus inhabituel encore est le parcours de Judith MacIntosh qui, après des études brillantes achevées en 1944, collabore successivement avec Emil Sodersten, puis E. M. Nosworthy, avant de réaliser quelques maisons dans l’agence fondée avec son mari. Entre 1955 et 1957, après son divorce, elle part aux États-Unis et en Europe pour y rencontrer des architectes influents. À son retour, elle se tourne vers la théorie, enseigne à l’université de Nouvelle-Galles du Sud à partir de 1963 et obtient son doctorat en 1972.
En 1950, l’Australie comptait plus de 100 femmes architectes « qualifiées ». Si leurs trajectoires sont toujours spécifiques, certaines constantes s’en dégagent tout de même : diplôme, collaborations avec des agences établies ou des institutions publiques, mariage avec un confrère, voyage d’étude en Europe et association professionnelle en couple. C’est notamment le cas de Marjorie Simpson (1924-2003), qui s’est associée en 1969 avec son mari Peter et travaille avec lui jusqu’en 1989 sur divers projets à Adélaïde, comme l’Institut pour aveugles de la Royal Society, à Gilles Plain. Citons enfin Phyllis Murphy (1924), diplômée en 1949, mariée en 1950 à John Murphy avec lequel elle ouvre aussitôt une agence à Melbourne. Leur activité démarre par de petites commandes d’habitat individuel, puis la victoire remportée avec Kevin Borland et Peter McIntyre au concours pour la piscine olympique de Melbourne en 1952 (achevée en 1956) les propulse sur le devant de la scène locale. Parfois associés à d’autres agences, ils exercent jusqu’en 1982, produisant une architecture moderne saluée pour ses qualités fonctionnelles, appliquée à toute la gamme des bâtiments : maisons, écoles, usines et même une station de télévision (1962). Dans le même temps, l’intérêt de P. Murphy pour la conservation du patrimoine fait d’elle l’une des meilleures expertes australiennes en papiers peints anciens.
Rares sont les femmes qui s’attaquent à des projets d’échelle urbaine. Fait exception Margaret Feilman (1921). Après un diplôme obtenu en 1943 au Perth Technical College et des années d’apprentissage dans diverses institutions publiques, elle suit des études de planification urbaine en Grande-Bretagne qui font d’elle la première femme d’Australie-Occidentale diplômée dans ce domaine. En 1950, elle ouvre à Perth une agence d’architecture et d’urbanisme. Son projet pour la ville nouvelle de Kwinana, destinée à accueillir les employés d’une raffinerie BP, suscite un grand intérêt, ce qui lui vaut d’influencer par la suite de manière significative le développement urbain de Perth et de ses environs, à partir de préoccupations centrées sur l’environnement et le patrimoine.
Comme ailleurs, les femmes exerçant l’architecture en leur nom sont beaucoup moins nombreuses que celles qui étudient la discipline et obtiennent leur diplôme. En 2009, elles ne représentent que 23 % des membres du Royal Australian Institute of Architects (Raia), alors qu’elles constituent la moitié des effectifs des écoles d’architecture. Certaines exercent néanmoins comme architectes libérales, seules ou en couple, pour des clients privés ou des instances publiques comme l’Office des bâtiments publics de chaque État, ou en tant que partenaires au sein de firmes commerciales où elles signent en leur nom les projets qui leur sont confiés. Leurs approches stylistiques recoupent largement les tendances de l’architecture contemporaine dans le pays.
À Melbourne, Suzanne Dance (1941) assemble de manière ludique, voire fantaisiste, des matériaux populaires, recyclés à l’occasion, dans le but déclaré d’articuler la vie urbaine à la qualité environnementale. Elle est l’une des premières à utiliser la tôle ondulée en revêtement des parois extérieures dans l’atelier d’un acteur à North Melbourne (1977) et en gaine également le volume évasé en corolle de l’extension d’une maison à Brunswick. Beverly Garlick (1944) fonde son activité sur un double militantisme à l’égard des questions environnementales et de la promotion des femmes dans l’architecture. Diplômée de l’université de Melbourne en 1974, elle s’installe à Sydney où elle est engagée comme architecte des bâtiments publics. En 1984, elle est la première femme à recevoir un prix pour une réalisation non résidentielle : un collège professionnel à Petersham, une banlieue de Sydney. Parmi ses projets domestiques, sa réalisation la plus spectaculaire est sans doute la maison Bullio, près de Mittagong (1995), une « retraite » isolée dans le paysage sauvage dont les trois pavillons, définis par de longues façades en pans continus de verre ou de métal, sont surmontés par des toitures opaques en demi-tonneau, en tôle cintrée rouge ou argent. Comme la plupart de ses consœurs, cette architecte soucieuse de transmission est engagée depuis toujours dans l’enseignement – une pratique courante en Australie chez les architectes à la tête de petites agences plus ou moins expérimentales – et fait beaucoup pour donner aux femmes une voix dans les institutions professionnelles. Brit Andresen mène depuis 1977 dans l’État de Queensland une triple carrière de praticienne, d’enseignante et de chercheuse, notamment sur l’architecture d’Alvar Aalto, qui lui vaut, en 2002, la Médaille d’or du Raia. Née en Norvège, elle passe une partie de son enfance à Sydney, mais étudie l’architecture à l’université de Trondheim. Après des années d’exercice et d’enseignement à Cambridge, en Angleterre, elle s’installe à Brisbane où elle s’associe avec son confrère Peter O’Gorman, qu’elle épouse, puis continue en solo après sa mort. Son architecture cherche à redéfinir par l’habitat une relation essentielle au lieu, en combinant l’expérience de l’abri primitif et la mémoire des maisons traditionnelles de Norvège ou du Japon. Ses réalisations les plus abouties – une demeure rurale à Mount Mee (1996), une maison de vacances à Stradbroke Island (1998) – explorent les possibilités constructives et visuelles des bois durs australiens, avec un raffinement de détails.
Parmi les femmes dont les débuts dans la profession coïncident avec l’émergence de l’architecture australienne sur la scène internationale, Wendy Lewin (1953) démarre sa carrière en 1986 à Sydney, en partenariat avec Alec Tzannes. Tout en réalisant des maisons urbaines définies par des murs maçonnés aux proportions rigoureuses, elle s’impose par sa conception d’aménagements intérieurs et de mobilier. Elle fonde sa propre agence en 1993, ajoutant à ses réalisations domestiques des aménagements de lieux publics, comme le restaurant Malaya à King Street Wharf (2001), servis eux aussi par le pragmatisme des solutions spatiales et fonctionnelles et l’évidence des détails. Elle s’associe, à l’occasion, avec son époux Glenn Murcutt pour des projets d’échelle supérieure, comme le remarquable Arthur & Yvonne Boyd Education Centre, à Riversdale (1999), et le centre d’éducation de l’Université de Wollongong, à Moss Vale (2007). Virginia Kerridge revendique une architecture basée sur l’interface entre les climats extérieur et intérieur, dont la matérialité sophistiquée s’exprime de manière presque picturale, à l’exemple de la maison Stening (2006). Établie à Melbourne, Kerstin Thompson (1965) se distingue par une production importante adossée à une réflexion théorique : construire des environnements poétiques dont l’expérience spatiale se dévoile par degrés successifs, pour donner à ressentir le lieu dans toutes ses dimensions, ainsi que l’illustre la maison Morgan, à Lorne (1992).
Les femmes exercent souvent en duos ou en couples. Helen Holgar, réfugiée polonaise arrivée en Australie en 1952, est connue pour ses intérieurs fameux et de nombreuses maisons créées à Melbourne avec John Holgar. À Melbourne toujours, Dione McIntyre conçoit dans les années 1950, avec son mari Peter, une série de maisons aux structures en bois innovantes, dont leur résidence, célèbre pour ses extraordinaires porte-à-faux, la maison « papillon » à Kew (1954). Oline Richards étudie au Perth Technical College et exerce avec son mari Duncan jusqu’au milieu des années 1980, se spécialisant dans l’évaluation de la richesse patrimoniale des paysages d’Australie-Occidentale. Maggie Edmond s’associe, après deux années d’un exercice personnel dédié à des petits projets domestiques, à son mari Peter Corrigan, en 1974, pour former l’agence la plus flamboyante et polémique du pays. Leur architecture, inspirée par les idées de Robert Venturi et Denise Scott-Brown*, parie sur la capacité de la culture populaire ordinaire à féconder l’architecture savante pour forger les emblèmes de l’Australie suburbaine, associant de manière provocante les géométries et les matériaux multicolores (église de la Résurrection à Keysborough, 1976 ; maison Athan, 1988 ; bâtiments universitaires du RMIT, 1994).
Kerry Clare travaille depuis 1979 avec Lindsay Clare au sein de Clare Design. Installés sur la Sunshine Coast, au nord de Brisbane, ils se sont fait connaître dès les années 1980 avec d’élégantes maisons subtropicales, les maisons Goetz, Thrupp et Summers. Leur nomination à Sydney comme architectes des bâtiments publics de l’État de Nouvelle-Galles du Sud leur donne accès à des projets d’échelle et de nature plus variées. Les réalisations qui jalonnent cette carrière atypique leur valent la Médaille d’or du Raia en 2010, attribuée pour la première fois à un partenariat mixte. À Sydney, Phoebe Pape cherche avec Peter Stutchbury à fusionner les leçons du modernisme international et le sentiment du paysage local, dans la veine de leurs maîtres G. Murcutt et Richard Leplastrier, comme ils l’ont exprimé dans une maison de Kangaroo Valley (1998).
En 2005, Camilla Block et Neil Durbach se font remarquer par-delà les frontières avec une spectaculaire promenade publique perchée au-dessus d’une carrière du parc olympique de Sydney. Tina Engelen produit, au sein de l’agence Engelen & Moore, des bâtiments en enduit blanc et en verre, mélange de rigorisme technique et de minimalisme formel telle la maison Price O’Reilly, à Redfern (1995). Rachel Neeson et Nick Murcutt explorent un modernisme plastique aux géométries précises qui, dans la maison de Whale Beach (2008) par exemple, joue des contrastes entre des enveloppes en bois et des intérieurs clairs et fluides. À Melbourne, Rachel Nolan et Patrick Kennedy produisent depuis 1999 des maisons aux volumes calmes, comme à St Kilda East (2000), caractérisées par le traitement sculptural ou graphique en façade d’un élément inattendu. Parmi les associées d’agences plus grandes et plus commerciales, citons Yvonne von Hartel (Peck-Von Hartel), Eli Giannini (MGS) et Debbie-Lynn Ryan (McBride Charles Ryan).
Depuis 1998, le Marion Mahony Griffin Prize, institué par la branche de Nouvelle-Galles du Sud du Raia, récompense une femme pour sa contribution à l’architecture de l’État. Il a été notamment attribué à W. Lewin (2007), B. Garlick (2005) et Louise Cox (2003) qui fut la première femme présidente du Raia (1994-96), puis de l’UIA, l’Union internationale des architectes (2008-2011). Doivent également être citées Lecki Ord, architecte indépendante depuis quarante ans et première femme maire de Melbourne en 1987, et Melinda Dodson qui, à la tête de la firme GHD Architecture à Adelaïde, est devenue en 2009 la plus jeune présidente du Raia, à 39 ans.
Françoise FROMONOT
■ GOAD P., BINGHAM-HALL P., New Directions in Australian Architecture, Balmain, Pesaro Pub., 2001 ; WILLIS J., BRONWYN H., Women Architects in Australia 1900-1950, Red Hill, Raia, 2001.
■ L’Architecture d’Aujourd’hui, Spécial Australie, no 285, fév. 1993 ; BRONWYN H., « Australia’s Early Women Architects : Milestones and Achievement », in Fabrications, vol. 12, no 1, juin 2002 ; McKay J., « Early Queensland Women Architects », in Transition, hiver 1988.