SCIENCE-FICTION ET UTOPIE FÉMININE – LITTÉRATURE [États-Unis depuis le début du XXe siècle]

Il est courant de penser que la science-fiction féminine n’apparaît que dans les années 1960-1970 à cause de la domination du marché par l’éditeur américain John Wood Campbell Jr, ainsi que des consignes tendant à effacer du genre plusieurs thèmes embarrassants, comme le sexe, la violence et la sentimentalité. Certains font toutefois remonter les origines du genre à Mary Shelley* et à son Frankenstein, publié en 1817. Peut-on pour autant qualifier de spéculation scientifique l’histoire mythique de ce golem moderne ? On parlera plus volontiers de genre gothique, la littérature de science-fiction traitant avant tout de science. Comme il s’agit d’un domaine dont les femmes sont en principe exclues, les éditeurs américains les publiaient souvent avec réticence ou condescendance. Il faut donc du temps pour reconnaître que la science-fiction féminine existe, que les femmes occupent une place majeure dans le genre, en recourant parfois à des pseudonymes masculins pour plaire au lectorat frileux et qu’elles introduisent souvent des thèmes peu traités dans la science-fiction masculine. C’est même un corpus littéraire où, plus qu’ailleurs, comme on l’observera avec l’utopie féminine, le genre est un enjeu de l’intrigue et où les écrivaines sont finalement mieux acceptées que dans d’autres publications, osant même créer des planètes organisées selon un modèle socialiste ou des mondes écologiques en avance sur leur temps. Ainsi, dans The Fate of the Poseidonia (« le sort du Poséidon », 1927), Clare Winger Harris (1891-1968) propose un space opera dans lequel de méchants Martiens vont voler l’eau de la Terre pour irriguer leur planète aride. Connue sous le pseudonyme de Francis Stevens, Gertrude Barrows Bennett (1883-1948), admirée par H. P. Lovecraft, est la pionnière du genre fantastique noir, se situant entre le fantastique et le gothique. Dans The Nightmare (« le cauchemar », 1918), un homme voyageant sur le paquebot Lusitania se réveille sur une île tropicale, entouré de créatures monstrueuses. Avec No Woman Born (« aucune femme née », 1944), Catherine Lucille Moore (1911-1987) provoque un tournant dans la science-fiction féminine en introduisant des robots, reprenant ce thème en vogue en l’humanisant et l’allégeant. Connue également sous les pseudonymes de Lawrence O’Donnell et de Lewis Padgett, elle pose de façon moderne la question du genre et de la construction sociale. En évoquant la sensualité et l’émotion, peut-être répond-elle à des nouvelles traitant avec humour, comme Helen O’Loy (1938), de Lester Del Rey, des fantasmes masculins de la femme robot ? Même si les éditeurs constatent que « les ventes aux adolescents baissent quand ils voient un nom de femme », Margaret Saint Clair (1911-1995) et Judith Merril (1923-1997) continuent de publier avant et après la Seconde Guerre mondiale. J. Merril publie, en 1948, la nouvelle That Only a Mother (« seulement une mère »), qui décrit une mère en proie à une psychose puerpérale face aux malformations de son enfant. Le thème des mutations génétiques y invite à repenser la guerre et ses conséquences, ainsi que le rôle maternel.

L’utopie féminine des années 1960-1970

De semblables préoccupations, parallèles à l’essor du féminisme, sont développées dans l’utopie féminine, qui connaît son apogée dans les années 1960. Les premiers textes expriment, dans des pamphlets polémiques, des revendications politiques. Ainsi, dans Three Hundred Years Hence (« à trois cents ans d’ici », 1836), Mary Griffith (1772-1846) décrit une communauté dans laquelle les femmes ont inventé une source d’énergie supérieure, ont acquis des propriétés, sont éduquées et où elles partagent les tâches domestiques avec les hommes. Dans Mizora : A Prophecy (1881), Mary Bradley Lane invente un monde de femmes situé au pôle Nord, dont le progrès scientifique et technologique en matière d’organisation domestique et de nutrition permet la subsistance et une vie ménagère moins pesante. Il s’agit là d’applications emblématiques des utopies du monde réel dont Charles Fourier et Jean-Baptiste André Godin se firent les champions. La féministe active Charlotte Perkins Gilman* (1860-1935) révolutionne l’utopie avec son roman Herland (« pays des femmes », 1915). Elle y raconte avec humour comment une communauté de femmes vivant en autarcie selon un système matriarcal débusque les « pièges » des « visiteurs » masculins venus les observer. Le ton prétendument naïf, le renversement des clichés de l’utopie masculine et le recours aux valeurs pastorales font de ce texte une anticipation féministe convaincante. Devinant un marché potentiel, les éditeurs des magazines bon marché (pulp fiction magazines) publient des nouvelles écrites par des femmes. Ainsi, Amazing Stories présente en 1929 The Moon Woman (« la femme lunaire »), de Minna Irving (1857-1940), une utopie « céleste » qui présente des anges venus de la Lune, et Science Wonder Quarterly propose, dans un numéro de 1930, Into the 28th Century, une histoire de Lilith Lorraine (1874-1967) qui décrit un futur peuplé de féministes radicales et de socialistes ayant découvert le voyage dans le temps. En 1937, soit onze ans avant la parution de 1984, de George Orwell, l’anti-utopie Swastika Night de Katharine Burdekin* fait date dans l’histoire des dystopies féministes. L’auteure imagine en effet un monde fasciste dominé par les hommes où les femmes n’existent plus en tant qu’individus mais uniquement comme troupeaux destinés à la reproduction. L’écrivaine canadienne Margaret Atwood* reprend ce thème dans La Servante écarlate (1985).

L’utopie féminine des années 1960-1970 constitue la réponse des femmes aux utopies classiques et expose leurs revendications dans un contexte de luttes féministes. Les écrivaines osent transgresser un certain nombre de règles en créant des fictions postmodernes. Utilisant le prétexte du vers shakespearien dans Where Late the Sweet Birds Sang (« où autrefois les doux oiseaux chantèrent »), paru dans la revue Orbit dès 1974, Kate Wilhelm (1928) adapte la forme du conte folklorique pour évoquer le clonage et la déshumanisation. Sous le pseudonyme de James Tiptree Jr, Alice Bradley Sheldon (1915-1987) mélange les genres en présentant des histoires sur fond de troubles psychosexuels qui orientent une réflexion sur les rôles masculins et féminins. Dans The Women Men Don’t See (« les femmes que les hommes ne voient pas »), comme dans d’autres nouvelles, elle évoque explicitement la différence sexuelle en plaçant littéralement souvent hommes et femmes sur des planètes différentes. Avec L’Autre Moitié de l’homme (1975), Joanna Russ (1937-2011) offre un roman à la structure complexe dont le style et les thèmes reflètent les contraintes de genre (dans l’écriture et le rapport masculin-féminin). Dans son roman utopique La Main gauche de la nuit (1976), l’anthropologue Ursula K. Le Guin* (1929) prend le prétexte d’une mission interplanétaire pour évoquer un monde où serait abolie la différence sexuelle. Dans ses 21 romans, elle évoque toujours les différences sexuelles, la violence et la nature du processus de création. Dans le récit Woman on the Edge of Time (« femme à la lisière du temps », 1976), Marge Piercy* introduit une réflexion sur la diversité culturelle et l’écologie.

La science-fiction depuis les années 1980 et ses nouveaux espaces de liberté

Depuis les années 1980, les écrivaines intègrent définitivement le genre et inventent des formes hybrides qui mêlent quête policière et voyage spatial, comme Joan D. Vinge (1948). Elizabeth A. Lynn (1946) publie la série des Chroniques de Tornor (1979-1980), où sont explicitement décrites des communautés lesbiennes. Souvent citée parce que les auteures de science-fiction noires sont sous-représentées, Octavia E. Butler (1947-2006) publie 12 romans et est traduite en plus de 10 langues. Dans Liens de sang (1979), elle raconte l’histoire d’une Afro-Américaine qui voyage dans le temps pour se porter au secours de celui qui fut le maître de sa grand-mère esclave. La stratégie de fiction spéculative permet de repenser l’esclavage. Enfin, les textes des écrivaines hispaniques, célébrés dans les années 1970, paraissent à nouveau vers l’an 2000. Daína Chaviano (1960) écrit en anglais à propos de la communauté hispanique cubaine. Les écrivaines investissent, en les subvertissant, les genres de l’utopie et de la science-fiction pour débattre de la différence sexuelle et recréer des univers de liberté.

Claude COHEN-SAFIR

SCLIAR, Esther [PORTO ALEGRE 1926 - RIO DE JANEIRO 1978]

Compositrice, pianiste et professeure brésilienne.

SCOTT, Charlotte ANGAS [LINCOLN 1858 - CAMBRIDGE 1931]

Mathématicienne britannique.

Première femme à obtenir un doctorat de mathématiques en Angleterre, Charlotte Angas Scott a créé et dirigé le département de mathématiques du Bryn Mawr College aux États-Unis et fait de cette école un centre réputé d’enseignement supérieur scientifique pour jeunes filles. Elle joue un grand rôle dans le développement de la communauté mathématique américaine. C. A. Scott est la seconde d’une famille de sept enfants. Dès l’âge de 7 ans, elle manifeste une vive intelligence et son père, pasteur de l’église congrégationaliste et président du Lancashire Independant College, veille à son éducation. À 18 ans, elle entre à Hitchin College, devenu le premier collège pour jeunes filles en Angleterre. Quatre ans plus tard, elle obtient une permission spéciale pour passer les examens du mathematical tripos de l’université de Cambridge. Brillamment classée huitième, elle n’est pas autorisée à recevoir le titre honorifique de eigth wrangler (huitième major), cette épreuve étant réservée aux hommes. À la proclamation des résultats, les jeunes hommes crient son nom et font un tel chahut que l’opinion s’en émeut. Une pétition circule en Angleterre et l’université de Cambridge doit accepter que les femmes aient le droit de passer les examens (mais continue à refuser de leur décerner les diplômes jusqu’en 1948). C. Angas Scott obtient son doctorat sous la direction d’Arthur Cayley en 1885 à l’université de Londres. La même année, aux États-Unis, à l’initiative de quakers, est fondé en Pennsylvanie le Bryn Mawr College, première institution éducative offrant aux femmes la possibilité d’obtenir des diplômes allant jusqu’au doctorat (PhD). C. Scott accepte un poste d’assistante professeure, organise les études de mathématiques, met en place et développe une bibliothèque de grande qualité, tout en s’occupant du bien-être et de la santé des étudiantes. Elle écrit de nombreux ouvrages, dont An Introductory Account of Certain Modern Ideas and Methods in Plane Analytical Geometry (1894), qui prolonge les idées algébriques de A. Cayley et fait un point précis sur l’ensemble du savoir de l’époque en géométrie projective et abstraite, sous les deux aspects synthétique et analytique. Ses recherches en géométrie portent sur des problèmes liés aux courbes algébriques, sur les géométries et leurs groupes linéaires de transformations (projective, euclidienne et non euclidienne). La communauté des mathématiciens américains, qui se constituait à cette époque, doit beaucoup à son énergie, à son dévouement et aux nombreux liens qu’elle a continué à entretenir avec les mathématiciens européens. Elle fait pour le bulletin de l’American Mathematical Society le compte-rendu du deuxième Congrès international de mathématiques de 1900, célèbre par la présentation faite par David Hilbert des 23 problèmes futurs couvrant toutes les branches des mathématiques. Elle siège dans d’innombrables comités, dont celui de la New York Mathematical Society, et, en 1892, elle est l’un des membres fondateurs de l’American Mathematical Society dont elle deviendra la première femme vice-présidente en 1905.

Anne-Marie MARMIER

SCOTT, Elisabeth WHITWORTH [BOURNEMOUTH 1898 - ID. 1972]

Architecte britannique.

Première femme à avoir remporté un concours d’architecture majeur en Grande-Bretagne, Elisabeth Scott est aussi la première à avoir reçu une importante commande publique. Féministe, elle comprend qu’elle doit travailler pour gagner sa vie et affronter de nombreux préjugés. Inspirée par l’exemple de ses grands-oncles, les célèbres architectes sir George Gilbert Scott (1811-1878) et George Frederick Bodley (1827-1907), elle suit les enseignements de l’Architectural Association de Londres de 1919 à 1924, puis travaille les quatre années suivantes dans une agence, tout en participant à des concours pendant ses loisirs. En 1928, son projet pour le concours international du Shakespeare Memorial Theatre (Stratford-upon-Avon) est choisi parmi 72 dossiers sous pli anonyme. Durant l’entre-deux-guerres, sa victoire, qui galvanise les femmes architectes britanniques et incite les jeunes à choisir ce métier, joue un rôle crucial pour la promotion des femmes dans une profession dominée par les hommes. Par ailleurs, le Stratford Theatre permet de briser le carcan les limitant à l’architecture domestique tout en mettant en avant leur capacité à réaliser d’importants édifices publics. La force de composition et la simplicité de traitement de sa façade, inspirée par l’architecture nord-européenne, et de son intérieur conçu après un voyage d’études en Allemagne, ont valu à E. Scott l’admiration des examinateurs, de même que celle du dramaturge George Bernard Shaw, qui considérait son projet comme le seul à faire preuve d’un sens du théâtre. On a prétendu à l’époque qu’une femme n’aurait jamais pu dessiner cet édifice, insinuations réfutées par de récentes recherches prouvant que le concept lui revenait intégralement. Sa société, Scott, Chesterton, Shepherd et Breakwell, a réalisé de nombreux édifices dans l’entre-deux-guerres, dont le plus célèbre est le Fawcett Building du Newnham College (Cambridge 1938).

Lynne WALKER

SCOTT, Joan WALLACH [NEW YORK 1941]

Historienne américaine.

Fille de deux professeurs d’histoire, Joan Wallach Scott fréquente l’université de Brandeis jusqu’en 1962, puis obtient un doctorat de l’université du Wisconsin, tout en militant contre la guerre du Vietnam et pour les droits civiques. Sa thèse, publiée en 1974, porte sur l’organisation sociale et politique des verriers de Carmaux entre 1856 et 1895. Prenant ses distances avec l’histoire ouvrière classique, elle constate qu’il n’existe « pas de relation nécessaire entre les conditions de classe et la conscience de classe » et se refuse à toute approche essentialiste ou déterministe de l’identité. À l’université de l’Illinois, où elle est l’assistante de George Mosse, elle découvre Foucault et Rancière. À la Northwestern University de Chicago, seule femme professeure d’histoire, elle crée des cours d’histoire des femmes. Elle publie en 1978, avec Louise Tilly*, Women, Work and Family (Les Femmes, le travail et la famille, traduction française en 1987). Cette enquête sur la place des femmes dans les familles ouvrières met en évidence les continuités avec l’ancienne économie familiale, le travail des femmes restant rythmé par les activités reproductrices et les besoins de la famille. J. W. Scott enseigne ensuite à North Carolina, Rutgers, et Brown (1980-1985) où elle fonde en 1981 le Pembroke Center for Teaching and Research on Women et la revue Differences. Titulaire de la chaire Harold F. Linder à la School of Social Science de l’Institute for Advanced Studies à Princeton depuis 1985, elle se fait alors connaître par son projet de conceptualiser le genre comme outil d’analyse historique. Son intervention au colloque de l’American Historical Association de 1985 est considérée comme fondatrice de l’histoire du genre. Pour J. W. Scott, qui publie en 1988 Gender and the Politics of History, l’histoire des femmes doit déboucher sur un cadre d’analyse qui transforme les canons de la discipline historique : ce sera le gender, défini comme un élément constitutif des rapports sociaux fondé sur des différences perçues entre les sexes et une façon première de signifier des rapports de pouvoir. La différence sexuelle est utilisée pour marquer la différenciation et légitimer la hiérarchie. L’historien doit donner à voir, derrière l’apparence « naturelle » et immuable de la distinction entre hommes et femmes, les politiques et les discours inspirés par le genre et les façons dont il construit les rapports sociaux. Ainsi, comme le montre « La travailleuse », chapitre de L’Histoire des femmes en Occident (1991), la répartition sexuée du travail au moment de la révolution industrielle ne résulte pas prioritairement de conditions objectives mais plus fondamentalement des discours de l’époque fondant sur une différence de nature les oppositions foyer/travail, production/reproduction et donc le statut subalterne des femmes sur le marché du travail. Persuadée que l’expérience est toujours médiatisée par le langage, J. W. Scott, qui s’est aussi tournée vers la critique littéraire et la philosophie (Laplanche, Lacan, Foucault et Derrida) pour « étudier la façon dont on produit des définitions », a été au cœur de la querelle du « linguistic turn », mais elle a permis un renouvellement majeur de l’histoire des femmes et du genre. Ainsi pour l’histoire du féminisme français : pas plus qu’il n’existe une essence de la féminité, il n’y a de continuité de la cause féministe et de ses revendications. Dans Only Paradoxes to Offer (1996), elle renonce à un récit linéaire et cumulatif des luttes féministes pour étudier le féminisme français dans son contexte historique discursif. Elle aborde dans Parité ! L’Universel et la différence des sexes (2005) et The Politics of the Veil (2007) la crise de l’universalisme français. Deux recueils d’articles parus en français montrent une pensée en mouvement : après Théorie critique de l’histoire (2009), De l’utilité du genre (2012) retrace sa réflexion sur l’écriture de l’histoire, notamment son usage critique de la psychanalyse (lacanienne), non pas science prescrivant des normes anhistoriques, mais « théorie qui postule que la différence sexuelle représente un dilemme impossible » et « perpétuel principe de mise en question ».

Irène JAMI

« Ce que la gender history veut dire », in Pensées critiques, Dix itinéraires de la revue Mouvements 1998-2008, Paris, La Découverte, 2009 ; avec PERREAU B., « La question du genre », in Genre, sexualités et sociétés, automne 2010.

SCOTT, Sarah (née ROBINSON) [YORK 1720 - CATTON, NORWICH 1795]

Romancière britannique.

Sœur d’Elizabeth Montagu*, l’âme des Bluestockings (« bas-bleus »), Sarah Scott épouse en 1751 un personnage falot dont sa famille la sépare bientôt. Elle vit dès lors à Bath avec lady Barbara Montagu, la sœur de lord Halifax, faisant le bien, particulièrement auprès des femmes. Elle semble n’avoir écrit, et sous le couvert de l’anonymat, que par nécessité financière et en mettant à profit l’air du temps. Cependant, elle présente souvent des personnages féminins appartenant aux classes moyenne et inférieure, qui luttent contre la soumission à l’homme. Sa production débute en 1750 avec The History of Cornelia, jeune fille sage et pieuse. Après une traduction du français, elle rédige une série d’histoires à la manière des Mille et Une Nuits, A Journey through Every Stage of Life (1754). En 1760 et 1761, elle publie The History of Gustavus Ericson, King of Sweden et The History of Mecklenburg, en profitant de l’arrivée sur le trône de George III et de la reine Charlotte. Elle doit son inspiration à Samuel Richardson pour The History of Sir George Ellison (1766), un roman utopique, et à Tobias Smollett pour The Test of Filial Duty (1770), roman épistolaire s’intéressant au droit d’une fille à choisir son mari. Dans The Life of Théodore Agrippad’Aubigné (1772), elle utilise cette haute figure protestante pour s’insurger contre le populisme et l’absolutisme royal. Son plus grand succès, A Description of Millenium Hall (1762, quatre fois réédité), est à rapprocher de son désir de créer un véritable établissement utopique dans le Buckinghamshire, où Sarah Fielding* l’aurait rejointe. Sa sœur lui alloua terres, bétail et personnel sur ses deniers, mais le projet échoua.

Françoise LAPRAZ SEVERINO

FARWELL M. R., « Heterosexual plots and lesbian subtexts : toward a theory of lesbian narrative space », in KARLA J., GLASGOW J. (dir.), Lesbian Texts and Contexts, New York, New York University Press, 1990.

BANNET E. T., « The Bluestocking sisters : women’s patronage, Millenium Hall, and “The Visible Providence of a Country” », in Eighteenth-Century Life, vol. 30, no 1, hiver 2005.

SCOTT BROWN, Denise (née LAKOFSKI) [NKANA, RHODÉSIE DU NORD, AUJ. ZAMBIE 1931]

Architecte et urbaniste américaine.

En tant que créatrice, designer, critique, théoricienne et enseignante, Denise Scott Brown, avec son approche interdisciplinaire et incisive, a apporté une importante contribution à différents domaines de l’architecture et de l’urbanisme. Elle fréquente l’université du Witwatersrand à Johannesburg, puis l’Architectural Association à Londres. Là, elle adhère aux idées du nouveau brutalisme, rencontre Peter et Alison Smithson* ainsi que d’autres membres de l’Independent Group, et s’interroge sur la pertinence d’introduire la culture de masse et l’esthétique du quotidien dans la pratique architecturale. En 1955, elle obtient son diplôme et épouse l’architecte Robert Scott Brown. Le couple émigre aux États-Unis et entame des études à l’université de Pennsylvanie, mais R. Scott Brown décède brutalement en 1959. D. Scott Brown poursuit ses études et obtient un master d’urbanisme en 1960 puis d’architecture en 1965, tout en commençant à enseigner et à collaborer avec Robert Venturi (1925). En 1964, celui-ci ouvre, avec John Rauch (1930), un bureau à Philadelphie qu’elle rejoint en 1967, année où elle épouse R. Venturi ; l’agence prend par la suite le nom de Venturi Scott Brown & Associates (VSBA). Depuis, elle y dirige des projets situés dans des pays très divers, dont de nombreux concernent des campus universitaires tels que le Perelman Quadrangle de l’université de Pennsylvanie (Philadelphie 1993-2000), l’ensemble du Palmer Drive de l’université du Michigan (Ann Arbor 1999-2005) et le plan de développement de l’université Qīnghuá (Pékin 2004-2005). Citons également la rénovation et l’aménagement des espaces extérieurs du musée Benjamin-Franklin (Philadelphie 1972-1976), la réalisation de l’hôtel Mielmonte Nikko Kirifuri (Nikko, Japon 1992-1997) et l’hôtel du département de Haute-Garonne (Toulouse 1990-1999). Elle a enseigné dans de nombreuses institutions, dont l’université de Californie à Berkeley (UCLA) et l’École d’architecture de Yale où, avec R. Venturi et Steven Izenour (1940-2001), elle a développé les ateliers Learning from Las Vegas en 1968 et Learning from Levittown en 1970, qui ont débouché sur la publication de leur célèbre ouvrage, L’Enseignement de Las Vegas. Elle a formulé des critiques contre le Mouvement moderne, mené des débats sur le postmodernisme, développé des idées sur le symbolisme architectural et établi des rapports cinglants sur les inégalités de genre dans la profession d’architecte. Ses écrits démontrent son approche pluraliste de l’architecture et de l’urbanisme et plaident pour une architecture responsable au plan social et esthétiquement sensible à l’environnement contemporain. Elle cite, entre autres influences, celles du sociologue Herbert Gans (1927) et des artistes pop.

Katherine SMITH

Avec IZENOUR S., VENTURI R., L’Enseignement de Las Vegas (Learning from Las Vegas, 1972), Bruxelles, Mardaga, 2008.

Having Words, Londres, Architectural Association, 2009.

« Learning from Pop », in Casabella, nos 359-360, déc. 1971.

VON MOOS S., Venturi, Rauch & Scott Brown. Buildings and Projects, New York, Rizzoli, 1987 ; ID., Venturi, Scott Brown & Associates. 1986-1998, New York, Monacelli Press, 1999.

SCOTT DE PLAGNOLLES, Nelly VOIR MARTYL, Nelly

SCOTT-LEMOINE, Jacqueline [PORT-AU-PRINCE 1923 - DAKAR 2011]

Actrice et auteure dramatique sénégalo-haïtienne.

Jacqueline Scott-Lemoine incarne tout un pan de la mémoire culturelle noire, de la négritude au théâtre de la décolonisation, et son itinéraire transcende l’imaginaire de l’Atlantique noir par un « retour en Afrique » réussi. Sa vocation théâtrale doit sans aucun doute beaucoup à l’extraordinaire conjoncture qui invite, dans le paysage culturel haïtien des années 1940 et 1950, la troupe Renaud-Barrault, Aimé Césaire, André Breton et Louis Jouvet. Après une formation au centre d’art dramatique de l’Institut français d’Haïti, puis au conservatoire d’art dramatique de Port-au-Prince, l’étape décisive est Paris et la « vraie » rencontre avec A. Césaire et Jean-Marie Serreau : elle crée le rôle de Mme Christophe, aux côtés de Douta Seck. En 1966, c’est La Tragédie du roi Christophe qui, après une longue tournée européenne, la conduit avec son époux, le comédien, auteur et metteur en scène Lucien Lemoine, au Sénégal, où la pièce d’A. Césaire est l’invitée d’honneur du premier Festival mondial des arts nègres. Elle joue aussi dans La Fête à Harlem, de Melvin Van Peebles, dans Gouverneurs de la rosée, adaptation du roman de Jacques Roumain par Hervé Denis, et dans de nombreuses pièces au théâtre national Daniel-Sorano de Dakar, dont elle est pensionnaire pendant plus de dix-huit ans. En 2007, elle publie une pièce intitulée La Ligne de crête. Elle appartient pleinement à l’histoire culturelle du Sénégal, dont elle a adopté la nationalité en 1976 et où elle a encadré avec son mari un atelier de recherches et de pratiques théâtrales à l’université Cheikh-Anta-Diop à partir de 1990.

Yolaine PARISOT

Les Nuits de Tulussia, Paris/Dakar, Présence africaine, 2005 ; La Ligne de crête, Dakar, Le Nègre international, 2007.

LEMOINE L., Douta Seck ou la Tragédie du roi Christophe, Paris/Dakar, Présence africaine, 1993.

SCOTT THOMAS, Kristin [REDRUTH, ANGLETERRE 1960]

Actrice franco-britannique.

Fille d’un officier d’aviation, Kristin Scott-Thomas suit à Paris les cours de l’École de la rue Blanche. Elle joue sur scène des pièces d’Arthur Schnitzler et de Marguerite Duras*, avant de faire ses débuts à l’écran en 1985. Trois ans plus tard, elle tient l’un des rôles principaux du film de Marie-France Pisier*, Le Bal du gouverneur. Elle tourne désormais en France, en Grande-Bretagne ou à Hollywood. Éclectique, elle joue aussi bien des personnages dramatiques qu’humoristiques. Le Patient anglais (1996), d’Anthony Minghella, drame romantique où son personnage est l’amante d’un aviateur pendant la guerre, lui vaut une nomination aux Oscars. Elle tourne ensuite dans L’Homme qui murmurait à l’oreille des chevaux, de et avec Robert Redford (1998), avant d’incarner une lady sarcastique dans Gosford Park (2001), comédie policière de Robert Altman. Elle joue le rôle d’une femme qui sort de prison et doit se confronter à sa sœur (Elsa Zylberstein) dans Il y a longtemps que je t’aime (2008), de Philippe Claudel qu’elle retrouve en 2013 dans Avant l’hiver. En 2009, elle tourne avec Catherine Corsini* (Partir). En 2010, elle interprète dans Elle s’appelait Sarah (de Gilles Paquet-Brenner d’après le roman de Tatiana de Rosnay) une journaliste américaine enquêtant sur la rafle du Vél’d’Hiv, rôle pour lequel elle reçoit le prix Lumière de la meilleure actrice en 2011, décerné par la presse étrangère. En 2012, on la voit dans Bel Ami, d’après Guy de Maupassant. La même année, elle tourne Dans la maison de François Ozon, face à Fabrice Luchini. Sur scène, à Paris, elle incarne Bérénice (2001) de Racine, dans une mise en scène de Lambert Wilson. À Londres et à Broadway, elle joue Anton Tchekhov (2007-2008) et Trahisons (2011), de Harold Pinter.

Bruno VILLIEN

SCOUTISME [France depuis 1909]

C’est en Angleterre que naît en 1909 le scoutisme féminin. Agnes Baden-Powell*, sœur de l’illustre fondateur du scoutisme lord Robert Baden-Powell, dit B.-P. [bipi], a lancé, un an après la création des Boy Scouts et sur leur modèle, les Girl Guides. Le succès du mouvement est tel qu’il essaime très rapidement dans les pays du Nord et jusqu’au Canada. En France, c’est dès 1912 qu’apparaissent les premières « compagnies » d’éclaireuses, au sein des Unions chrétiennes de jeunes filles (UCJF).

La Fédération française des éclaireuses (FFE), première organisation scoute féminine de France, est le fruit d’initiatives locales variées, vécues de façons fort différentes, aux débuts parfois inorganisés. C’est dans ce contexte que Marguerite Walther* s’engage dans un travail social au centre social de la « Maison pour tous » (ex-« Chez nous ») devenu « La Mouffe », rue Mouffetard à Paris. La méthode scoute semble répondre à de nombreuses attentes en matière d’éducation de la jeunesse, et particulièrement au sein des UCJF, groupe féminin né en 1891, correspondant aux Unions chrétiennes de jeunes gens (UCJG), première association de jeunesse en France à dimension mondiale, créée en 1852. C’est au sein des UCJF que surgissent les premières éclaireuses, notamment au pays de Montbéliard dès 1912. À cette date, Suzanne Carr* présente le scoutisme comme un complément au travail spirituel des Unions. La section d’éclaireuses de la rue de Naples à Paris naît aussi dans ce milieu, en 1912. Le premier problème est celui de l’adaptation pédagogique de la méthode scoute aux jeunes filles françaises et aux différentes spiritualités. S’y ajoute une tension, voire une concurrence, entre les groupes lors des premiers essais de regroupements. Conjugaison d’initiatives et de directives reçues de personnalités fortes, la FFE se constitue de façon chaotique. Le mouvement est héritier des UCJF, mais s’y pose très vite la question de l’ouverture à d’autres tendances. Les garçons ont créé deux mouvements distincts – les Éclaireurs unionistes de France (ÉUF), d’inspiration protestante, et les Éclaireurs de France, (ÉDF), mouvement laïc –, mais la FFE a fait du principe fédératif un des éléments fondateurs de son identité. En 1921, son premier congrès à Épinal jette les bases d’une section unioniste (protestante) et d’une section neutre (laïque). Le Foyer de Naples, fondé par Elisabeth Fuchs*, n’a rejoint la FFE qu’un peu plus tard. Les unités israélites seront affiliées en 1928. Quelles femmes avaient ainsi pu s’accorder pour faire naître, en 1921, un mouvement qui a perduré jusqu’en 1964 ? Cinq noms émergent des textes, cinq femmes qui travaillaient ensemble et s’appelaient elles-mêmes « la Main » ; des femmes de familles spirituelles différentes qui ont su, ensemble, trouver des chemins nouveaux pour une humanité autre. Un œcuménisme avant la lettre existait, fécond, avec le respect des valeurs et des différences. Ces cinq femmes étaient Georgette Siegrist*, Marguerite Walther*, Violette Mouchon*, Renée Sainte-Claire Deville* et Madeleine Beley*.

En 1923, les Guides de France (GDF) sont officiellement créées par Albertine Duhamel, Marie Diémer et Renée de Montmort. Ces deux dernières, d’origine protestante, toutes deux en relations avec la FFE, sont à l’origine du mouvement de scoutisme féminin catholique en France, indépendamment du travail d’Albertine Duhamel.

Créé en 1924, le mouvement des Éclaireurs israélites de France (ÉIF) apparaît comme un petit mouvement confessionnel, au sein duquel naît en 1926 une branche féminine qui a toujours gardé la double appartenance, aux ÉIF et à la FFE. Si cette démarche est due à Violette Mouchon*, pour la création et le suivi des groupes d’éclaireuses israélites, il faut citer les noms de Denise Gamzon, Jeanne Hammel et Evelyne Askenazi.

Denise OLIGATI

CHOLVY G., CHÉROUTRE M.-T., Le scoutisme, quel type d’hommes, quel type de femmes, quel type de chrétiens ? , Paris, Éditions du cerf, 1994 ; POUJOL G., Un féminisme sous tutelle, les protestantes françaises 1810-1960, Paris, Éditions de Paris, 2003 ; TÉTARD F., Ce que femme veut… De nouvelles archives pour une vieille histoire, la Fédération Française des Éclaireuses des origines à 1964, Paris, FFE, 1998.

SCRIBES [Mésopotamie IIIe millénaire - VIIe siècle av. J.-C.]

Si l’immense majorité des textes de la Mésopotamie antique a été rédigée par des hommes, quelques femmes scribes sont pourtant attestées et l’activité scribale, au moins jusqu’au IIe millénaire av. J.-C., est placée sous le patronage de la déesse Nisaba. La plus ancienne mention d’une femme scribe remonte au milieu du IIIe millénaire av. J.-C., les dernières datent du VIIe siècle av. J.-C., et la plupart des cas avérés du début du IIe millénaire av. J.-C. Le phénomène semble donc constant, même s’il est documenté de façon très inégale selon les lieux et les époques.

Les femmes scribes semblent avoir travaillé surtout dans deux milieux : celui des femmes des palais et celui des femmes consacrées à une divinité. Dans les deux cas, le recours à des scribes de sexe féminin paraît avoir été motivé par le désir de limiter les contacts avec les hommes. Par exemple, dans le palais de Mari, en Syrie, au XVIIIe siècle av. J.-C., elles sont au service des épouses et concubines du souverain. Dans ce type de cour, les scribes ont probablement un statut servile. Le second milieu dans lequel on rencontre des femmes scribes est celui des religieuses consacrées à une divinité et vivant recluses. La communauté la mieux connue est celle de la ville de Sippar, en Irak, aux XIXe et XVIIe siècles av. J.-C. On connaît par leur nom près d’une vingtaine de femmes ayant rédigé, pour des religieuses, des contrats d’achat de terres ou d’esclaves, de mise en fermage de champs, voire de minutes de procès en cas de litiges liés au statut de leurs biens. Peut-être perçoivent-elles, comme les hommes écrivant pour des personnes privées, une rémunération pour chaque tablette rédigée. Reconnues comme de véritables professionnelles, elles peuvent toutefois avoir d’autres sources de revenus, comme leur dot, dans le cas des religieuses.

On peut supposer que des princesses ainsi que certaines femmes de milieux aisés savent lire et écrire sans pour autant en faire profession. C’est suffisamment remarquable en soi pour mériter qu’on le mentionne, car la plupart des livres traitant de l’écriture et de la lecture en Mésopotamie envisagent implicitement ces activités comme étant réservées aux hommes.

Brigitte LION

HARRIS R., « The Female “Sage” in Mesopotamian Literature », in GAMMIER J. G., PERDUE L. G. (dir.), The Sage in Israel and in the Ancient Near East, Winona Lake, Eisenbrauns, 1990 ; LION B., « Literacy and Gender », in RADNER K., ROBSON E. (dir.), Oxford Handbook of Cuneiform Culture, Oxford/New York, Oxford University Press, 2011.

LION B., « Dame Inanna-ama-mu, scribe à Sippar », in Revue d’assyriologie vol. 95, no 1 2001 ; LION B., ROBSON E., « Quelques textes scolaires paléo-babyloniens rédigés par des femmes », in Journal of Cuneiform Studies, vol. 57, 2005 ; ZIEGLER N., Le Harem de Zimrî-Lîm, Florilegium marianum IV, coll. « Mémoires de N.A.B.U. » no 5, Paris, Sepoa, 1999.

SCRIPTES – CINÉMA [France XXe-XXIe siècle]

La fonction de scripte (ou script-girl) existe depuis les débuts du cinéma ; on la nommait alors « secrétaire de plateau ». Son importance s’est ensuite étoffée en lien avec les avancées techniques du cinéma, plus précisément lors du passage du cinéma muet au cinéma parlant. C’est pourquoi ce métier, associé dans le passé à celui de monteuse, vint à s’en dissocier. Bien qu’il ne soit pas fermé aux hommes, le métier est généralement exercé par une femme.

La scripte constitue la véritable « mémoire » d’un film en cours de production, à la fois sur le plan artistique, technique et financier, et surveille au jour le jour tout ce qui assure la cohérence de la continuité d’un film, les parties de séquences n’étant pas tournées dans l’ordre. Dans les rapports détaillés qu’elle rédige chaque soir, elle consigne tous les renseignements – costumes, accessoires, maquillage, jeu des acteurs – nécessaires au bon enchaînement des scènes. Elle rédige à l’intention des producteurs un rapport de tournage relatif au nombre de plans tournés par jour, au matériel utilisé et au minutage, afin d’éviter les retards. Présente chaque soir au visionnage des rushes, elle relève les prises retenues et consigne les éventuels changements dans les dialogues, souhaités par le réalisateur. Ce métier exige une bonne résistance physique, car la scripte est en permanence « sur le pied de guerre », pendant et après le tournage, en tout lieu et par tous les temps. La fonction exige également une grande mémoire visuelle, de l’ordre, de la méthode et une attention sans défaut.

Collaboratrices privilégiées du réalisateur, nombre de scriptes ont fini par constituer un tandem avec celui-ci, telle Jeanne Witta (1908-1984), associée à Christian-Jaque et qui a laissé des mémoires, La Lanterne magique. Mémoires d’une scripte (1980), Lucie Lichtig (1912-1999), proche de Max Ophuls et d’Edmond T. Gréville avant sa longue carrière internationale, ou Sylvette Baudrot (1928), collaboratrice régulière de Jacques Tati, Alain Resnais et Roman Polanski. Le nom de Suzanne Schiffman (1929-2001) fut ainsi inséparable de celui de François Truffaut, avant qu’elle ne devienne scénariste puis réalisatrice.

Noëlle GIRET

SCRIVENER, Christiane (née FRIES) [MULHOUSE 1925]

Femme politique française.

L’entrée en politique de cette « technocrate » qu’est Christiane Scrivener se fait par le haut, lorsque, en 1976, le président de la République, Valéry Giscard d’Estaing, la nomme secrétaire d’État à la Consommation. Elle est reconduite à ce poste jusqu’en 1978, durant trois gouvernements. Cette Européenne convaincue, proche de Simone Veil*, est élue députée au Parlement européen en 1979 et rapporte sur le budget de la Communauté en 1984. Nommée ensuite Commissaire européen, elle est chargée de la fiscalité, des douanes et de la politique des consommateurs de 1989 à 1994 : c’est elle qui réussit à harmoniser le système de TVA.

Mariette SINEAU

DENÉCHÈRE Y., Ces Françaises qui ont fait l’Europe, Paris, Louis Audibert, 2007.

SCUDÉRY, Madeleine DE [LE HAVRE 1608 - PARIS 1701]

Écrivaine française.

Souvent considérée comme une figure de la préciosité, Madeleine de Scudéry s’impose surtout comme l’écrivain féminin le plus célèbre et le plus célébré au siècle de Louis XIV. Sa prestigieuse carrière, qui couvre presque cent ans, étonne si l’on songe à ses modestes origines. Issue de la petite noblesse provinciale, d’une famille passablement ruinée, orpheline de bonne heure, elle dut peut-être à cette insignifiance même le célibat qui lui donna la disponibilité nécessaire à une carrière littéraire. Élevée par un oncle généreux, elle bénéficia d’un autre soutien familial déterminant, celui de son frère Georges de Scudéry, lui-même devenu écrivain. Elle le rejoignit à Paris vers 1635, entra dans les cercles lettrés, participa au salon de la marquise de Rambouillet*, et commença à écrire, sans doute en collaboration avec Georges, des œuvres que son frère était seul à signer : Ibrahim ou l’Illustre Bassa (1641), Les Femmes illustres ou les Harangues héroïques (1642). De retour à Paris en 1647, après avoir vécu trois ans à Marseille où elle avait suivi son frère, c’est en pleine Fronde qu’elle publia – toujours sous le pseudonyme fraternel – les dix tomes d’Artamène ou le Grand Cyrus (1649-1653), vaste récit d’aventures héroïques et amoureuses où se devinent, sous le masque de l’Antiquité perse, les exploits des nobles frondeurs : ce roman à clef fut compris comme un hommage au Grand Condé et à son clan, ce qui explique sans doute une partie de son immense succès. L’échec de la Fronde ayant entraîné la nécessité pour Georges de s’éloigner de Paris, c’est à peu près au même moment que la romancière commença à tenir salon chaque samedi dans sa maison du Marais, ce dont témoigne le recueil des Chroniques du samedi. C’est d’ailleurs ce salon même, ou plutôt cette « ruelle » pour employer le terme alors en usage, qui nourrit l’écriture de son autre grand roman, Clélie, histoire romaine (1654-1660), première œuvre pour laquelle la question de l’attribution ne pose pas problème. Sous le déguisement de la Rome antique, ce sont les participants, les mille et un événements et surtout les conversations du salon scudérien qui se trouvent en effet transposés dans la fiction romanesque. Dans le premier tome figure en particulier la célèbre Carte de Tendre, où l’on voit les trois fleuves d’Estime, de Reconnaissance et d’Inclination mener par divers chemins allégoriques aux trois cités de Tendre, tandis que les terrae incognitae amoureuses se trouvent reléguées à l’horizon de la carte. Sous la forme d’une géographie imaginaire plaisante se trouvent ainsi condensés les principes sentimentaux de celle qui préféra toujours « l’amitié tendre » aux tourments de la passion, ce dont témoigne sa durable et fidèle relation avec l’académicien Paul Pellisson. Quant aux conversations qui se développent dans Clélie au préjudice du traditionnel romanesque héroïque, elles participent à l’élaboration du modèle mondain et littéraire de la galanterie, véritable esthétique sociale appelée à fonder les liens d’une communauté choisie. Cette esthétique galante, qui donne aux femmes une place prépondérante en matière de goût, conduit à leur accorder également un rôle moteur dans le code éthique qui préside au fonctionnement de cette sociabilité nouvelle, et c’est ainsi que prennent sens les conversations à la tonalité parfois très féministe que M. de Scudéry insérait dans ses récits. Ayant conquis sa célébrité par des romans longs, elle sut adapter après 1660 son écriture au succès grandissant de la nouvelle, d’où Célinte (1661), Mathilde (1667), La Promenade de Versailles (1669), longues nouvelles qui abandonnent le cadre antique sans renoncer vraiment aux codes romanesques traditionnels. Mais ce sont surtout ses dix volumes de conversations morales, parues entre 1680 et 1692, certaines reprises de ses romans, mais beaucoup complètement inédites, qui firent perdurer sa notoriété. La dernière partie de sa très longue carrière fut ainsi marquée par une reconnaissance institutionnelle (prix d’éloquence de l’Académie française lors de la création de ce concours en 1671, pension du roi à partir de 1683) qui manifeste l’estime et l’admiration presque unanimes qu’elle avait suscitées chez ses contemporains.

Nathalie GRANDE

Célinte, nouvelle première, Paris, A.-G. Nizet, 1979 ; De l’air galant et autres conversations (1653-1684), Paris, H. Champion, 1998 ; Artamène ou le Grand Cyrus, Paris, Flammarion, 2005.

DENIS D., SPICA A.-E, Madeleine de Scudéry, une femme de lettres au XVIIe siècle, Arras, Artois presses université, 2002 ; NIDERST A., Les Trois Scudéry, Paris, Klincksieck, 1993.

SEACOLE, Mary [KINGSTON 1805 - LONDRES 1881]

Voyageuse et aventurière jamaïcaine.

Aucun signe ne laissait présager son destin d’aventurière. Sa mère antillaise tenait à Kingston, en Jamaïque, une pension de famille fréquentée par des officiers britanniques en convalescence. La première traversée que Mary Seacole effectue à l’âge de 19 ans a pour objectif d’aller à Londres vendre une cargaison d’épices indiennes et de conserves de fruits exotiques. L’activité lui plaît : jusqu’à ses 25 ans, elle gagne sa vie en sillonnant les îles pour négocier fruits, dents de requins et autres spécialités tropicales. Nantie d’une dot qu’elle s’est elle-même constituée, elle épouse un Antillais et reprend la gestion de la pension de famille. Quinze ans passent ; son mari meurt. En 1848, le goût du voyage reprend bientôt M. Seacole, qui part rejoindre son frère au Panama – l’endroit est, à cette date, le lieu de passage d’une foule de chercheurs d’or en route vers la Californie, et tous deux profitent de l’opportunité pour y monter un hôtel. Dans une baraque de planches disposant d’un dortoir et proposant un repas unique, elle accueille des milliers de voyageurs que non seulement elle nourrit, mais qu’elle soigne aussi, car elle a hérité de sa mère un savoir-faire de guérisseuse et d’infirmière. Une épidémie de choléra lui permet de donner toute la mesure de sa compétence ; elle y gagne le surnom de « The Yellow Doctoress » (« yellow » signifiant « café au lait »). La petite fortune qu’elle a bâtie dans l’hôtellerie, elle la perdra aussi vite qu’elle l’a gagnée : elle l’investit dans une mine d’or qu’elle va chercher en pirogue, à travers les marécages, au cœur de la forêt équatoriale, et qui, en réalité, n’existe pas. Son aventure suivante se déroule en 1855, en Crimée, où les Britanniques, alliés à l’Empire ottoman, font la guerre à l’Empire russe. Après avoir proposé sans succès ses talents à Florence Nightingale*, qui vient d’organiser le premier service d’infirmières de guerre, elle décide de partir seule au front, comme cantinière. Dans l’auberge qu’elle ouvre au plus près des tranchées, soldats et officiers trouvent des soins et un réconfort que F. Nigthingale, dont l’hôpital est bien plus loin, ne peut apporter. C’est là que l’aventurière parvient à la célébrité. En effet, si elle revient à Londres ruinée et souffrante, elle trouve auprès de ses anciens clients un soutien inattendu : ils organisent non seulement une collecte pour la sauver de la faillite, mais les plus aristocrates d’entre eux vont l’introduire à la cour, où elle devient une familière de la princesse de Galles, Alexandra de Danemark. Elle finit ses jours choyée par toute une nation. Aujourd’hui encore il existe en Grande-Bretagne une association d’infirmières qui porte son nom.

Christel MOUCHARD

Mémoires d’une mal-blanchie, Paris, Phébus, 1991.

SEARS, Djanet [LONDRES 1959]

Actrice, auteure dramatique et metteuse en scène canadienne.

Djanet Sears joue un rôle remarquable dans l’émergence du théâtre afro-canadien. Son œuvre originale comporte des anthologies, des études, des numéros spéciaux de revues et des pièces de théâtre brillantes, dont Afrika Solo (1987) et The Adventures of a Black Girl in Search of God (« les aventures d’une fille noire à la recherche de Dieu », 2001). Son séjour prolongé en Afrique dans les années 1980 produit une prise de conscience de son identité socioculturelle particulière de femme noire née en Angleterre et élevée au Canada, aussi bien que de l’impact idéologique d’approches esthétiques, techniques et dramaturgiques. Dès lors, elle veut représenter les expériences de ceux et de celles dont les histoires sont encore aujourd’hui passées trop souvent sous silence. Son emploi du conte oral, de la musique, de la danse et de rythmes corporels met en évidence son adoption de techniques inspirées par des traditions africaines. Elle conteste dans ses textes dramatiques le sexisme et le racisme des discours dominants, et représente la douleur qui se manifeste sur le parcours de personnages à la recherche de leur identité. Elle cofonde, en 1997, l’AfriCanadian Playwrights Festival pour encourager, célébrer et nourrir la créativité d’artistes. En 1999, elle fonde la compagnie Obsidian Theatre, associée au réseau de théâtres afro-américains.

Louise H. FORSYTH

(Dir.), Testifyin’: Contemporary African Canadian Drama, 2 vol., Toronto, Playwrights Union of Canada, 2000-2003 ; Tellin’It Like It Is : A Compendium of African Canadian Monologues for Actors, Toronto, Playwrights Union of Canada, 2000.

SEBBAR, Leïla [AFLOU, ALGÉRIE 1941]

Écrivaine française.

De père algérien et de mère française, Leïla Sebbar passe toute son enfance en Algérie, avant de partir à 20 ans en France, où elle devient enseignante. Écrivaine prolifique, L. Sebbar a produit essais, romans, nouvelles, récits autobiographiques, carnets de voyage, scénarios… Elle collabore à des journaux, à des revues littéraires, et a dirigé des recueils collectifs, dont Une enfance d’ailleurs, 17 écrivains racontent (1993) ou Une enfance outremer (2001). Très attachée à ce stade précoce de la vie, elle l’évoque dans des récits à forte résonance autobiographique et choisit de s’adresser à de jeunes lecteurs au travers de textes correspondant à leur âge et à leur sensibilité. L’Algérie, au cœur de son œuvre, est montrée tantôt dans sa réalité originelle, tantôt à travers ses représentants en France, les immigrés. Parfois, l’être physique de la terre des ancêtres s’impose à son imaginaire, comme dans Le Vagabond (2007) ; parfois, la difficulté de l’existence au quotidien des exilés occupe le devant de la scène, comme dans Les Algériens au café (2003) et C’était leur France, en Algérie, avant l’indépendance (2007). De l’histoire de ce pays, elle retient surtout l’époque coloniale et la guerre de libération nationale. Le motif du conflit armé est fondamental dans sa mythologie personnelle, objet de variations infinies dans les romans et les nouvelles : dans Le Chinois vert d’Afrique (1984), il prend l’allure d’une persécution policière injustifiée exercée sur un immigré algérien ; dans Le Fou de Shérazade (1991), il est lisible à travers des allusions au conflit israélo-palestinien. Elle est également fascinée par la langue arabe, langue qu’elle ignore mais qu’elle cherche à inscrire dans son texte pour continuer à vivre dans la proximité du père disparu. Dans l’expressivité intense de la narration, l’écrivaine brigue la netteté et la poésie de la photographie, par ailleurs très présente dans ses textes, soit dans sa réalité iconographique, soit comme donnée diégétique.

Hager BEN YOUSSEF

On tue les petites filles, Paris, Stock, 1978 ; Fatima ou les Algériennes au square, Paris, Stock, 1981 ; Je ne parle pas la langue de mon père, Paris, Julliard 2003 ; Mes Algéries en France, St-Pourçain-sur-Sioule, Bleu autour, 2004 ; avec GARANGET M., Femmes des hauts-plateaux, Algérie 1960, Paris, La Boîte à documents, 1990 ; Le Pays de ma mère. Voyage en France, St-Pourçain-sur-Sioule, Bleu autour, 2013.

LARONDE M., Leïla Sebbar, Paris, L’Harmattan, 2003.

SEBERG, Jean [MARSHALTOWN, IOWA 1938 - PARIS 1979]

Actrice et réalisatrice américaine.

Alors qu’elle n’a que 19 ans, Jean Seberg est choisie par Otto Preminger parmi des milliers de postulantes pour incarner la Sainte Jeanne (1957), de Bernard Shaw. Il lui offre ensuite le rôle d’une héroïne de Françoise Sagan* dans Bonjour tristesse (1958). Une carrière d’actrice s’ouvre à elle : elle prête sa fraîcheur et sa spontanéité à la vendeuse de journaux américaine d’À bout de souffle, de Jean-Luc Godard, face à Jean-Paul Belmondo (1960), et l’on fait d’elle le symbole de la jeune femme moderne. Robert Rossen lui confie un rôle complexe dans Lilith (1964), qui, pour certains critiques, représente le sommet de sa carrière. Elle tourne avec Claude Chabrol La Ligne de démarcation (1966) et la comédie La Route de Corinthe (1967). En 1959, elle rencontre l’écrivain Romain Gary, qui écrit et réalise deux films dont elle est la protagoniste. Elle l’épouse en 1963 ; ils ont un enfant. Après la comédie musicale La Kermesse de l’Ouest (1969), de Joshua Logan avec Clint Eastwood, elle tourne L’Attentat (1972), film politique d’Yves Boisset, et Les Hautes Solitudes (1974), de Philippe Garrel avec Laurent Terzieff. Son dernier rôle est Le Canard sauvage (1976), d’après Henrik Ibsen. En 1974, elle réalise un court-métrage : Ballad For Billy the Kid. Son engagement en faveur des Black Panthers lui vaut d’être violemment attaquée par une partie des médias américains en 1970. J. Seberg connaît une fin tragique.

Bruno VILLIEN

ALEXANDRE J.-L., Jean Seberg ou la Tentation de l’échec, Biarritz/Paris, Atlantica Séguier, 2007.

SEBESTYÉN, Márta [BUDAPEST 1957]

Chanteuse hongroise.

Née dans une famille d’intellectuels de la capitale hongroise, Márta Sebestyén est sensibilisée dès l’enfance au répertoire traditionnel et paysan magyar. Sa mère a pour professeur le compositeur et ethnomusicologue Zoltán Kodály, ami du compositeur Béla Bartók et tout comme lui collectionneur d’enregistrements sonores de terrain. Par son père économiste invité aux États-Unis, elle découvre les enregistrements de la bibliothèque sonore du Smithsonian Institute. Passionnée par le chant et animée par une volonté de retour à une certaine authenticité musicale, elle est à l’origine, vers la fin des années 1970, d’un mouvement de contre-culture nommé « Tancház », du nom des salles de bal où se réunissent les amateurs de danses paysannes. Son chant accompagne des groupes comme Muzsikás et l’ensemble Sebö, où prédominent le violon et les instruments populaires de Transylvanie, tels le bratsch et le gardon. Désormais parmi les grandes voix de la musique populaire hongroise, M. Sebestyén poursuit une carrière internationale en solo, avec un répertoire aux inspirations tant européennes qu’indiennes.

Thierry SARTORETTI

Morning Star, Hannibal, 1997 ; Marta Sébestyen sings-Dudoltam én, Hungaroton, 1987.

SECHEHAYE, Marguerite (née BURDET) [GENÈVE 1887 - ID. 1964]

Psychanalyste suisse.

Née dans une famille protestante d’origine cévenole, Marguerite Sechehaye, après ses études, suit les conférences sur la linguistique de Ferdinand de Saussure. C’est en partie grâce aux notes de M. Sechehaye que Charles Bally et Albert Sechehaye, son mari, rédigent et coéditent en 1916 le Cours de linguistique générale. Elle étudie la psychologie à l’Institut Jean-Jacques-Rousseau dirigé par Édouard Claparède dont elle devient l’assistante. Malgré quelques réticences liées à son éducation protestante, elle fait une psychanalyse avec Raymond de Saussure, fils du linguiste, et devient psychanalyste. Dans les années 1930, un premier cercle de psychanalystes se forme en Suisse autour de R. de Saussure et d’elle-même. M. Sechehaye fréquente les principaux spécialistes freudiens de la psychanalyse pour enfants – Melanie Klein*, Donald Winnicott et Anna Freud* – et n’hésite pas à avancer ses propres idées originales et résolument innovantes. Sa pratique analytique avec des patients schizophrènes l’amène à développer sa méthode : la « réalisation symbolique » qu’elle décrira dans son livre, Journal d’une schizophrène (1950). Cet ouvrage, qui présente l’originalité d’allier les réflexions de la thérapeute à l’auto-observation de la patiente, eut une grande influence sur les courants psychiatriques et sur les interrogations concernant le statut de la folie. Elle donne une série de conférences à l’université de Zurich pour les médecins de la clinique du Burghölzli. Son approche de la schizophrénie, pour laquelle elle recevra de nombreux honneurs, lui donne une place particulière dans la psychiatrie suisse.

Nicole PETON

Journal d’une schizophrène, Paris, Presses universitaires de France, 1950.

SECHEVERELL, Charlotte VOIR CHARKE, Charlotte

SEDAKOVA, Olga [MOSCOU 1949]

Écrivaine russe.

Après plusieurs années passées en Chine, où travaille son père, Olga Alexandrovna Sedakova fait ses études à l’Université d’État de Moscou dans les années 1970. Elle soutient une thèse sur les rites funéraires des anciens Slaves et participe à la vie de l’underground. Ses textes ne sont publiés qu’en samizdat jusqu’à la fin du régime soviétique. Depuis 1990, ses poésies et sa prose sont régulièrement rééditées et traduites en Europe. Elle reçoit de nombreux prix littéraires et distinctions, en Russie comme à l’étranger. Elle traduit Rainer Maria Rilke, Paul Celan, Paul Claudel, saint François d’Assise… Son œuvre poétique est imprégnée d’un sentiment religieux qui questionne la modernité en la confrontant à d’autres époques : l’Antiquité (Stely i nadpissi, 1990), le Moyen Âge (Tristan i Izol’da, 1982), la Chine ancienne (Le Voyage en Chine, 1990)Ses héros lyriques cherchent une réponse éthique et spirituelle aux défis moraux lancés par son époque : l’oppression politique et le rapport au pouvoir dans les années 1980 (Eleguiia, prevrachtchaiouchtchaïa v rekviem, 1984), l’intolérance religieuse, ou, plus récemment, la société de consommation. Ses poèmes, en vers libres, se caractérisent par leur rythme et leur musicalité, la profusion et la complexité de ceux de jeunesse ont évolué vers un lyrisme apaisé. Elle a également écrit une œuvre en prose, mais n’aborde ni la fiction ni le roman. Ses récits mêlent réflexions philosophiques, critique littéraire, souvenirs personnels, souvent traités avec autodérision. À partir d’un événement personnel, souvenirs d’enfance (Éloge de la poésie, 1982), récit de voyage (Le Voyage à Briansk, 1984), elle aborde les thèmes du rôle et de la place de la culture et de la poésie, celui des rapports entre art et pouvoir, s’interroge et témoigne sur la nature de l’inspiration poétique, d’une façon érudite, toujours inattendue et renouvelée. Elle a aussi écrit de nombreuses études sur de grands textes littéraires et organisé, entre 1995 et 2005, des séminaires de poétique à l’Université d’État de Moscou.

Marie-Noëlle PANE

Éloge de la poésie (Pokhvala poezi, 1982), Lausanne/Paris, L’Âge d’homme, 2001 ; Le Voyage en Chine et autres poèmes (Kitaïskoe poutechestvie), Paris, Caractères, 2004 ; Voyage à Tartu, Sauve, C. Hiver, 2005 ; Voyage à Briansk (Poutechestvie v Briansk, 1984), Sauve, C. Hiver, 2008.

SEDIRA, Zineb [GENNEVILLIERS 1963]

Artiste multimédia française.

Née de parents algériens immigrés, Zineb Sedira suit des études d’art graphique en France, puis poursuit sa formation à Londres, à la Central Saint Martins College of Art and Design et au Royal College of Art, entre autres. Artiste multimédia, elle s’intéresse à l’expression de l’intime, du personnel, du biographique, intégrée dans une problématique multiculturelle. Elle confronte ainsi les images usuelles occidentales et les rituels arabes : la vidéo A Scream for Liberation (1995) consiste en un gros plan unique sur la bouche d’une femme, dont le cri rappelle le « youyou » ; tradition orale chez les femmes du Maghreb et du Moyen-Orient, ces longs cris très aigus et modulés sont utilisés pour exprimer leurs émotions lors de cérémonies (naissances, mariages, mais aussi décès), ou bien comme alertes, véritables appels de résistance pendant la guerre en Algérie.

En 1996, le film Autobiographical Patterns montre la main de l’artiste, sur laquelle elle écrit frénétiquement en français, en arabe et en anglais son histoire personnelle, depuis sa naissance en France jusqu’à son installation à Londres. Cette superposition de différents textes et de calligraphies multiples symbolise son identité plurielle et la confusion identitaire qu’elle peut engendrer. Z. Sedira pratique également la photographie : dans le triptyque Self Portraits or the Virgin Mary (2000), elle se met en scène, vêtue d’un haïk blanc, long voile traditionnel algérien, devant un fond blanc. Cette superposition de tons clairs illumine le sujet comme une représentation de la Vierge Marie. L’artiste aborde de la sorte l’opposition supposée entre l’imaginaire religieux chrétien et musulman.

L’année 2002 marque un tournant dans son œuvre, alors qu’elle retourne en Algérie après plus de dix ans d’absence. Ce voyage, dont elle tire une série de photographies de paysages, l’amène à proposer un travail plus universel. La même année, elle réalise Mother Tongue (« langue maternelle »), un ensemble de trois vidéos diffusées simultanément : sur la première, l’artiste dialogue en français avec sa mère qui lui répond en arabe ; sur la deuxième, elle parle en français à sa fille qui lui répond en anglais ; la dernière vidéo montre enfin la communication impossible entre la petite-fille et la grand-mère, puisqu’elles n’ont plus de langue commune. Cette œuvre explore ainsi les différences entre les générations, et comment l’intégration dans une société se produit au détriment de sa propre généalogie. Dans la même perspective, Z. Sedira part de son histoire personnelle pour élargir sa réflexion vers l’histoire qui lie la France à l’Algérie, avec la vidéo Mother, Father and I (2003), dans laquelle ses parents relatent leur parcours respectif. En 2005, à travers une vidéo de voyage et de rencontres, And the Road Goes on… (2005), elle dresse un portrait de l’Algérie contemporaine, sortant d’une guerre civile.

À partir de la vidéo Saphir (2006), elle s’oriente vers une mise en scène plus cinématographique, en portant une attention particulière à l’image, ce qui contraste avec les œuvres précédentes, plus expérimentales et dépouillées. Saphir a pour sujet l’hôtel Es-Safir, inauguré en 1930 à Alger, et ses alentours. Filmées au bord de la mer, près du port, les deux vidéos composant l’installation évoquent le départ et la migration vers l’Europe, à travers les déambulations d’un homme dans la ville et l’hôtel. Dans un style contemplatif – la mise en scène se compose principalement de panoramiques et de ralentis –, Saphir se veut avant tout un rêve urbain universel. Dans MiddleSea (2008), le même personnage, dans une posture d’attente, arpente le pont d’un ferry, vide, reliant Alger à Marseille. Dans cette vidéo rythmée par le bruit des vagues et les sons émanant du bateau, c’est bien la langueur du trajet, le voyage chargé d’espérances et de promesses, qui sont retranscrits, les points de départ et d’arrivée n’ayant finalement que peu d’importance. Floating Coffins (« cercueils flottants », 2009) peut être considéré comme le troisième volet de ce triptyque, où la mer établit un lien entre chaque œuvre ; d’abord échappatoire puis frontière, elle devient prison. L’installation est constituée de 14 écrans aux formats différents et de huit haut-parleurs. Les vidéos ont été tournées à Nouadhibou en Mauritanie, dans une réserve d’oiseaux migrateurs qui est aussi le lieu de passage des migrants subsahariens clandestins tentant de rejoindre l’Europe, malgré le danger que représente la traversée. Le site est aussi connu pour son cimetière de bateaux.

Priscilla MARQUES

Saphir (catalogue d’exposition), Londres/Paris, Photographer’s Gallery/Paris musées-Galerie Kamel Mennour, 2006.

BAILEY DA., TAWADOS G. (dir.), Veil : Veiling, Representation and Contemporary Art (catalogue d’exposition), Cambridge, MIT Press, 2003.

SÉE, Geneviève (née BECHMANN) [PARIS 1904 - ID. 1997]

Architecte, historienne, écrivaine et illustratrice française.

Fille de l’architecte Lucien Bechmann (1880-1968), Geneviève Sée naît au sein de la grande bourgeoisie juive laïque de la Belle Époque. Très productive, moderne dans ses intérêts, ses explorations multiples s’axeront principalement autour du thème de l’objet. En 1924, reçue major au concours d’admission à l’École nationale des beaux-arts, elle interrompt ses études pour épouser Albert Dreyfus-Sée, industriel à Valenciennes. Elle invente alors une pédagogie active pour leurs cinq enfants non scolarisés. En 1934, elle achève ses études d’architecture et reçoit la médaille de bronze du meilleur diplôme pour son projet de « chartreuse laïque ». Elle produira peu, hormis quelques réalisations comme des aménagements intérieurs de bâtiments publics (écoles) et surtout de nombreux projets et études, non réalisés. Entre-temps, sous le nom d’Amélie Dubouquet, pseudonyme endossé avant la guerre, elle écrit et illustre des livres d’apprentissage éducatif. Ses rencontres avec les pédagogues Célestin Freinet, Roger Cousinet ou le Néerlandais Kees Boeke ont fait d’elle une figure de l’École nouvelle française, l’association fondée en 1945 par R. Cousinet. En 1946, Inexpérience ou l’Enfant éducateur remporte un succès en librairie. Après guerre, elle collabore à la revue L’Architecture d’aujourd’hui d’André Bloc, en liaison avec le groupe Espace, produisant des articles très avant-gardistes sous le nom de G. Dreyfus-Sée, sa signature d’architecte. Au cours des années 1960-1970, elle écrit et illustre, sous le nom d’A. Dubouquet, des albums pour la célèbre collection du Père Castor des éditions Flammarion. Ses préoccupations architecturales, dont l’architecture scolaire, se prolongeront durant des années dans l’écriture d’ouvrages d’histoire de l’art, signés Geneviève Sée, sur l’époque romane ou sur l’Égypte antique. Écrivaine prolifique, elle est l’auteure d’une vingtaine de livres dont certains seront traduits en plusieurs langues. Elle a évoqué dans La Maison des collines (1970) ses années de cultivatrice entre 1939 et 1945 en Dordogne, où son mari, résistant, a été fusillé en 1944, et la mort d’une de ses filles, à 18 ans, dans La Vie intérieure des enfants (1961).

Dorothée LAGARD

DREYFUS-SÉE G., Architecture scolaire, Paris, École nouvelle française, 1955 ; DUBOUQUET A., Tant de soleil… La Vie intérieure des enfants, Lyon, E. Vitte, 1961 ; ID., Histoire du bébé lion qui n’avait plus faim, Paris, Flammarion, 1963 ; ID., La Maison des collines, Ivry, SERG, 1970 ; SÉE G., Sculpture, poésie et musique de la France médiévale, Ivry, SERG, 1971 ; ID., Naissance de l’urbanisme dans la vallée du Nil, Ivry, SERG, 1973.

DREYFUS-SÉE G., « Architecture industrielle », in L’Architecture d’aujourd’hui, no 37, oct. 1951 ; BECHMANN G., « Projet de diplôme : maison dite domaine de l’Hospitalet », in Enseignement Architecture Ville, no 15 (2009-2010).

SEEFRIED, Irmgard Theresia [KÖNGETRIED 1919 - VIENNE 1988]

Soprano allemande.

Irmgard Seefried est l’une des très grandes cantatrices qui se sont imposées dans l’immédiat après Seconde Guerre mondiale. Sa voix, d’une grande limpidité, présente une palette infinie qu’elle adapte selon le répertoire abordé. Elle étudie le chant à Augsbourg et à Munich, et fait ses débuts à Aix-la-Chapelle en 1940 en Prêtresse dans Aïda de Verdi. En 1942, elle y aborde les grands rôles, dont Agathe du Freischütz de Weber. En 1943, elle fait ses débuts à l’Opéra de Vienne en Eva des Maîtres chanteurs de Nuremberg, dirigée par Karl Böhm. Elle appartiendra à la troupe de ce théâtre jusqu’à la fin de sa carrière, en 1976. Bien que soprano aigu, elle est choisie en 1944 par Richard Strauss pour les célébrations de son 80e anniversaire pour chanter le Compositeur dans son Ariane à Naxos et Octavian dans son Chevalier à la rose, deux rôles de mezzo-soprano. À partir de 1946, et jusqu’en 1964, elle se produit au Festival de Salzbourg dans les grands rôles de Mozart (Susanna, Zerlina, Fiordiligi, Pamina), mais aussi Fidelio de Beethoven et le Compositeur dans Ariane à Naxos. Elle y donne aussi concerts et récitals. Elle paraît au Covent Garden de Londres de 1947 à 1949, à la Scala de Milan, au Festival d’Édimbourg, à l’Opéra de Paris. Elle ne se produira au Metropolitan Opera de New York qu’en 1953 pour seulement cinq représentations des Noces de Figaro. Partout elle émerveille public et musiciens. Célébrée pour son sens inné du chant mozartien et ses interprétations de R. Strauss, elle s’est aussi imposée dans Didon et Enée de Purcell, Cléopâtre de Giulio Cesare de Haendel, Eva des Maîtres chanteurs de Nuremberg, Blanche des Dialogues des carmélites, Marie de Wozzeck et le rôle-titre de Katia Kabanova de Leoš Janáček. Hans Werner Henze a écrit pour elle et son mari, le violoniste Wolfgang Schneiderhan, Ariosi en 1964, et Frank Martin Maria Triptychon en 1968. Elle a également créé trois Motets de Paul Hindemith en 1951 et Von der Liebe de Gottfried von Einem en 1961. Dans les années 1960, elle se consacre de plus en plus au concert, notamment dans les lieder de Franz Schubert, puis à l’enseignement, à l’Académie de musique de Vienne, au Mozarteum de Salzbourg et à l’abbaye de Royaumont dans l’Oise.

Bruno SERROU

SEFCHOVICH, Sara [MEXICO 1949]

Écrivaine et sociologue mexicaine.

Chercheuse à l’Institut de sciences sociales de l’Université nationale autonome du Mexique depuis 1988, Sara Sefchovich travaille sur la culture, les idées et la littérature au Mexique. Elle s’est intéressée au pouvoir politique et à la place des femmes dans l’histoire, la vie politique et la littérature. Dans son livre México, país de ideas, país de novelas (« Mexique, pays d’idées, pays de romans », 1988), elle analyse le lien entre histoire nationale et littérature. Elle présente les écrivaines de la littérature latino-américaine du XXe siècle dans Mujeres en espejo (« femmes dans le miroir », 1983-1985). Son étude sociopolitique La suerte de la consorte (« le destin de la conjointe », 1999) lui a permis d’aborder la situation de l’épouse de celui « qui possède le pouvoir », de la fin du XIXe siècle au début du XXIe siècle, un thème entrevu dans Las primeras damas (« les premières dames », 1982). Elle publie ensuite un essai à contenu également politique : Las prielecciones, historia y caricatura del dedazo (« les élections du PRI, histoire et caricature de la désignation du candidat », 2002). Sa carrière d’écrivaine commence avec Demasiado amor (« trop d’amour », 1990), un premier roman épistolaire, remarqué et adapté au cinéma en 2002. Dans La señora de los sueños (« la femme des rêves », 1993), l’écrivaine expérimente toutes les possibilités que fournit la littérature, mais d’une manière plus philosophique. En 2000, paraît Vivir la vida (« vivre la vie »). Ses héroïnes sont des personnages pleins de vie, des citadines appartenant à la classe moyenne qui, grâce aux ressources que leur offrent l’imagination, le rêve ou le voyage, vivent pleinement leur solitude ou leur sexualité. S. Sefchovich se penche sur toutes les situations où les femmes peuvent se retrouver prisonnières d’un quotidien établi par la tradition familiale, et elle opte pour l’aventure sous ses multiples visages, allant même jusqu’à l’excès.

Patricia ORTIZ

SNOW P., Sara Sefchovich’s La señora de los sueños : evolving realities, evolving forms, New Haven, Southern Connecticut State University, 2001.

SEGAL, Hanna ÓDŹ 1918 - LONDRES 2011]

Psychanalyste britannique.

Née en Pologne, dans une famille juive assimilée, Hanna Segal passe son adolescence à Genève dans un milieu cosmopolite, très ouvert culturellement et politiquement. Elle découvre très tôt l’œuvre de Sigmund Freud et celle de Marcel Proust en même temps que la philosophie allemande et française et se sent proche des idées socialistes. À 16 ans, elle manifeste le désir de retourner dans son pays d’origine pour terminer sa formation et commence des études de médecine à Varsovie, mais, du fait de la guerre, doit les poursuivre à Paris, puis à Édimbourg. C’est Ronald Fairbairn qui lui fait découvrir le travail de Melanie Klein* ; elle part alors à Londres où elle persuade celle-ci de la prendre en analyse. En 1947, elle est admise à la Société britannique de psychanalyse. Durant sa formation, Joan Riviere* et Paula Heimann* sont ses superviseuses. Pendant les années 1950, elle fait partie, avec notamment Wilfred Bion et Herbert Rosenfeld, du cercle d’analystes exceptionnellement créatif autour de M. Klein. Elle y apporte une contribution majeure par son souci de mettre en évidence la fécondité des concepts kleiniens. S’intéressant en particulier aux mécanismes schizoïdes et à l’interaction des positions schizo-paranoïde et dépressive, elle écrit deux articles : « Quelques aspects de l’analyse d’un schizophrène », en 1950 ; « Mécanismes schizoïdes sous-jacents à la formation de la phobie », en 1954. Elle devient la plus grande interprète de l’œuvre kleinienne de l’après-guerre et publie notamment Introduction à l’œuvre de Melanie Klein, en 1964. Elle-même est à l’origine d’élaborations théoriques originales, toujours fondées dans sa clinique, concernant la nature des fantasmes inconscients, la pertinence de la notion de pulsion de mort ou l’interaction du transfert et du contre-transfert. Sa recherche concernant le symbolisme au sein du développement psychique constitue une référence : « J’ai eu la chance d’avoir parmi mes tout premiers patients à la fois des psychotiques et des artistes inhibés dans leur travail. Ces deux catégories de patients rendaient nécessaire la compréhension de leurs processus symboliques. » Elle étudie le rôle de l’identification projective dans le destin du symbolisme, formation de symptôme ou sublimation, ainsi que l’intrication et la différenciation du processus psychotique et du processus créatif. À tous les champs de la création, esthétique, littéraire, ou politique, elle applique les idées psychanalytiques. Son article « Le vrai crime, c’est le silence » (1987), réflexion critique sur la « logique » de la guerre nucléaire, en est un exemple significatif. H. Segal avait la passion de la vie ; elle a eu trois fils et de nombreux petits et arrière-petits-enfants. Personnalité généreuse et modeste, elle se définissait elle-même comme une praticienne, une étudiante et une enseignante de la psychanalyse. Elle a été présidente de la Société britannique de psychanalyse de 1977 à 1980 et deux fois vice-présidente de la Société internationale de psychanalyse.

COLLECTIF PSYCHANALYSE ET POLITIQUE

Avec COMBY A., CHAMBRIER J., VINCENT C., Délire et créativité, essais de psychanalyse clinique et théorique, Paris, Des femmes, 1987 ; Rêve, art et phantasme, Paris, Bayard, 1993 ; Psychanalyse clinique, Paris, PUF, 2004.

SEGAL, Lore (née GROSZMANN) [VIENNE, AUTRICHE 1928]

Écrivaine américaine.

Envoyée à la hâte en Angleterre avec un groupe de 500 écoliers juifs après l’annexion de l’Autriche par Hitler en 1939, pendant les treize années suivantes, Lore Groszmann se déplacera de pays en pays et de famille en famille. Elle parvient néanmoins à poursuivre des études supérieures à l’université de Londres et obtient un BA (Bachelor of Arts) de littérature anglaise au Bedford College. En 1951, elle émigre à New York. Dix ans plus tard, elle se marie avec un éditeur, David Segal. Son premier roman, Du thé pour Lorry (1964), autobiographie romancée parue d’abord dans le New Yorker en épisodes, s’inspire très largement de son expérience d’enfant réfugiée. Le livre obtient la Clifton Fadiman Medal en 2007. De 1968 à 1978, tout en enseignant la rédaction littéraire dans plusieurs universités américaines, elle commence à écrire et à traduire des livres pour enfants, dont un recueil des Contes de Grimm illustré par Maurice Sendak. En 1976, elle retourne à la fiction pour adultes avec Lucinella. En 1985, son roman Son premier Américain est récompensé par l’American Academy and Institute of Arts and Letters. En 2007, son recueil de nouvelles Shakespeare’s Kitchen fait partie des trois finalistes du prix Pulitzer. Si la prose travaillée de L. Segal met en lumière une histoire personnelle, indissociable de son héritage juif et de son passé de réfugiée, son principal centre d’intérêt se trouve surtout dans la technique de narration elle-même. Ses livres pour enfants sont écrits comme des contes de fées contemporains, et elle déclare ne pas vouloir adopter un mode de narration conventionnel dominé par la chronologie et la relation de cause à effet. Narration et réalité se mêlent étroitement dans ses textes.

Beatrix PERNELLE

Son premier Américain (Her First American, 1985), Paris, Liana Levi, 1997 ; Du thé pour Lorry (Other People’s Houses, 1964), Paris, Liana Levi, 2003.

MEYER A., « Lore Segal », in SHAPIRO A. (dir.), Jewish American Women Writers, Wesport, Greenwood Press, 1994.

CAVENAUGH P., « The present is a foreign country : Lore Segal’s fiction », in Contemporary Literature, vol. 34, no 3, 1993.

SEGAL, Miri [HAÏFA 1965]

Artiste multimédia israélienne.

Depuis la fin des années 1990, Miri Segal élabore des installations vidéo, des photographies et des objets, qui engagent le spectateur dans un processus de remise en question de ce qui lui est donné à voir. Avant de poursuivre une formation en arts visuels à l’Art Institute de San Francisco, elle obtient à l’université de Jérusalem un doctorat en mathématiques, discipline dont elle a hérité le goût pour les mécanismes de la perception et la construction des illusions qui stimulent les sens. Au moyen de projections vidéo, de jeux de miroirs et d’expérimentations physiques, elle construit des espaces théâtralisés, souvent empreints de sensualité. Ses premiers travaux intègrent un principe d’interactivité qui immerge le spectateur dans l’œuvre. Ainsi, son médium privilégié est moins la vidéo que l’image projetée, qui donne une présence physique aux images et permet d’intégrer le corps de l’observateur au cœur du champ de projection. Ses dispositifs sont inédits : The Circus of the Beautiful Hours (« place de la bonne heure », 2005) est une installation à spectateur unique, où le siège et le projecteur opèrent une révolution sur eux-mêmes ; dans Downcast, Autumn Dale (« yeux baissés, vallée de l’automne », 2004), une flaque d’eau fait office d’écran ; Beam From Between Your Eyes (« rayon entre vos yeux », 2008) est une projection étirée de biais, dont l’image ne se reconstruit par anamorphose qu’à un seul point précis de la salle. À partir de la fin des années 2000, l’artiste entame une exploration du monde virtuel. En 2007, elle réalise le documentaire BRB, tourné dans le jeu en réseau Second Life, et qui montre le parcours de l’avatar de l’artiste au travers de ces paysages numériques, où elle crée son propre espace d’exposition. En 2010, elle fonde avec Or Even Tov, la société fictive Gooble Inc., pastiche de Google, et imagine un ordinateur, le Gmind, qui, fixé sur le crâne, fonctionne directement à partir des pensées de son utilisateur. À la manière de ses premières installations, cette fiction aux accents de réel offre une réalité augmentée, qui vient se superposer à la perception sensorielle concrète. Le travail de M. Segal a été montré dans de nombreuses expositions collectives et lors d’expositions individuelles au Museum of Modern Art PS 1 à New York, au Museum of Art et à la Dvir Gallery à Tel-Aviv, à la Lisson Gallery à Londres et à la galerie parisienne Kamel Mennour.

Hanna ALKEMA

Interfaces (catalogue d’exposition), Tel-Aviv, Tel-Aviv Museum of Art, 2002.

SEGAL, Zohra (née Mumtaz-ullah KHAN’) [SAHARANPUR, UTTAR PRADESH 1912 - NEW DELHI 2014]

Danseuse et actrice indienne.

Fille d’aristocrates musulmans, Zohra Segal ressent sa vocation d’artiste dès son plus jeune âge. Après ses études universitaires, elle quitte l’Inde, rejette les traditions vestimentaires et les contraintes de l’islam et suit durant trois ans des études de danse à l’école de Mary Wigman*, à Dresde (Allemagne). Mais une représentation de Shiva Parvati par la troupe d’Uday Shankar décide de son destin. Dès 1935, elle suit une formation et participe à toutes les tournées de cette troupe. En 1942, elle épouse Kameshwar Segal, peintre et danseur. Tous deux forment un duo productif à Lahore, où elle ouvre une école de danse. Mais les tensions sociales préludant à la partition de l’Inde les contraignent à partir. À Bombay, elle est actrice dans la troupe du Prithvi Theatre (dont sa sœur, Uzra Butt, est l’une des dirigeantes) et rejoint également la troupe gauchiste de l’Indian People Theatre Association, dont le film Neecha nagar (« la ville basse »), de Chetan Anand, obtient un Grand Prix du Festival international du film de Cannes en 1946. Sa carrière se déploie alors entre le théâtre, le cinéma, la chorégraphie et la production de spectacles (dans les prisons), tandis que son mari s’investit dans la direction de films hindi. À la mort de celui-ci, en 1959, Z. Segal dirige la Natya Academy de New Delhi, puis s’installe à Londres en 1962, pour y enseigner et jouer durant une vingtaine d’années, en particulier pour la BBC dans une adaptation de La Libération de Pluffles, de Rudyard Kipling, puis dans les 26 épisodes de la série Padosi (« les voisins », 1976-1977). Elle apparaît en 1983 dans le film The Courtesans of Bombay (« les prostituées de Bombay »), d’Ismail Merchant et James Ivory, et en 1984 dans la série télévisée The Jewel in the Crown. De retour en Inde en 1990, elle multiplie les engagements et crée en 1993 la pièce Ek thi nani (« il était une fois une grand-mère »), inspirée de sa séparation avec sa sœur Uzra au moment de la partition du pays et de leurs retrouvailles quarante ans plus tard ; la pièce est acclamée au Pakistan et en Inde. Surnommée « une grand-mère pour toutes les saisons », Z. Segal reçoit en 2010, du gouvernement indien, la distinction suprême Padma Vibhushan.

Milena SALVINI

SÉGALAS, Anaïs [PARIS 1819 - ID. 1895]

Femme de lettres française.

Fille d’une Créole de Saint-Domingue, Anaïs Ségalas livre son premier recueil poétique en 1831. Ce début littéraire, en pleine floraison romantique, avait pour inspiration la prise d’Alger, qui annonçait l’expansion coloniale de l’empire colonial français. Poétesse, dramaturge, romancière et critique littéraire, elle est l’auteure d’œuvres qui s’avèrent aussi diverses que l’époque. La jeune féministe revendique les droits de la femme et prend parti dans ses poésies pour l’émancipation des esclaves noirs (1831, 1836, 1847), et en même temps, mère bourgeoise, elle partage les préjugés de son temps à l’encontre de la femme émancipée. Elle s’exprime d’ailleurs avec une plume beaucoup plus conservatrice dans Enfantines (1844). Ainsi occupe-t-elle une place honorable dans l’histoire littéraire en tant « poète des mères, des enfants et de la famille ». Quoique la critique de l’époque ait passé sous silence son témoignage sur le monde colonial et ses positions abolitionnistes, les origines créoles d’A. Ségalas laissent une empreinte ambiguë dans son étude des mœurs coloniales (Récits des Antilles, 1885).

Adrianna PALIYENKO

Les Algériennes, poésies, Paris, C. Mary, 1831 ; La Femme, Poésies, Paris, Vve L. Janet, 1847 ; Récits des Antilles, Le Bois de la Soufrière (1885), Paliyenko A. (éd.), Paris, L’Harmattan, 2004.

CZYBA L., «Anaïs Ségalas », in Femmes poètes du XIXe siècle, une anthologie, Planté C. (dir.), Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1998.

SEGALEN, Martine [FRANCE 1940]

Ethnologue et sociologue française.

Après une formation en sciences politiques et à la suite d’un voyage au Mexique, Martine Segalen décide, à la fin des années 1960, d’étudier l’ethnologie et de consacrer ses travaux à l’étude de la parenté dans les sociétés européennes, notamment en Normandie et en Bretagne. Mari et femme dans la société paysanne (1980) et Quinze générations de bas-Bretons, parenté et société dans le pays bigouden sud, 1720-1980 (1985) comptent parmi les ouvrages incontournables sur le thème de la parenté en contexte européen. Si nombre d’ethnologues de ces années-là se consacrent à l’étude de la société française, la spécificité de M. Segalen réside dans son interdisciplinarité. Tout en pratiquant l’ethnographie sur le terrain, elle adopte une perspective historique et se penche sur les aspects démographiques peu abordés jusqu’alors, ce qui l’entraîne vers la sociologie. Elle s’intéresse également à l’anthropologie urbaine (L’Autre et le semblable, regards sur l’ethnologie des sociétés contemporaines, 1989) et mène une recherche sur la vie familiale dans une ville de banlieue (Nanterriens, les familles dans la ville, une ethnologie de l’identité, 1990). En 1968, elle rejoint le Centre d’ethnologie française et mène des enquêtes en relation avec le musée national des Arts et Traditions populaires (MNATP), recueillant objets, vêtements et autres éléments du patrimoine rural. À partir de 1973, au CNRS, elle se penche sur les questions relatives à la famille et aux rituels, tout en suivant le déménagement des collections du MNATP vers le musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée à Marseille. L’intérêt de M. Segalen pour la famille ne s’est jamais démenti. Elle a codirigé une Histoire de la famille (1986), œuvre de référence internationale. Ces dernières années, elle a observé les relations entre les générations, en particulier le rôle que jouent les grands-parents dans les sociétés européennes. Professeure émérite depuis 2007, M. Segalen anime la revue Ethnologie française et poursuit ses recherches.

Cécile LEGUY

Les Confréries dans la France contemporaine, les Charités, Paris, Flammarion, 1975 ; Amours et mariages de l’ancienne France, Paris, Berger-Levrault, 1981 ; Rites et rituels contemporains (1998), Paris, A. Colin, 2009 ; avec LAPIERRE N., ATTIAS-DONFUT C., Le Nouvel Esprit de famille, Paris, O. Jacob, 2002 ; Ethnologie, concepts et aires culturelles, Paris, A. Colin, 2004.

SÉGARA, Hélène (née RIZZO) [SIX-FOURS-LES-PLAGES 1971]

Auteure-interprète française.

Repérée très jeune lors d’un concours de chant, Hélène Ségara se heurte à la désapprobation parentale. À l’âge de 15 ans, elle abandonne ses études, s’émancipe, et armée d’un répertoire de standards français et anglais, écume les bars de la Côte d’Azur. En 1996, après avoir enregistré un premier single passé inaperçu, elle arrive à Paris et rencontre son futur compositeur Christian Loigerot et son mentor Orlando. Son premier album Cœur de verre, dont est extrait le tube Je vous aime adieu, voit le jour la même année et séduit le public, frappé par la pureté de sa voix et sa sensibilité à fleur de peau. Un duo avec Andrea Bocelli (Vivre pour elle) et un rôle-titre dans la comédie musicale Notre-Dame de Paris lui offrent une notoriété nationale et internationale. En 2000, après une opération délicate des cordes vocales, elle enregistre Au nom d’une femme, un nouvel album produit par Orlando et certifié disque de diamant. Son disque Humaine sort trois ans plus tard, suivi de Quand l’éternité, premier opus qui inclut des textes de sa composition et marque un tournant musical vers des sonorités plus rock. En 2010, elle chante en avant-première La Vie avec toi, un single issu de son opus Parmi la foule sorti en 2011. Membre de diverses associations humanitaires, cette femme de cœur incarne la voix romantique et puissante de la chanson française contemporaine.

Anne-Claire DUGAS

Les 50 plus belles chansons, Mercury, 2007.

SEGELCKE, Tore Dyveke [FREDRIKSTAD 1901 - OSLO 1979]

Actrice norvégienne.

Tore Dyveke Segelcke débute en 1921 au Det Norske Teatret (« le théâtre norvégien »), à Oslo, et devient célèbre en 1924 en jouant au Det Frie Teater (« le théâtre libre », Oslo) le rôle de Stella dans la comédie surréaliste de Fernand Crommelynck, Le Cocu magnifique. Elle se produit ensuite au Den Nationale Scene de Bergen où le rôle d’Ophélie dans Hamlet lui assure un grand succès, ainsi que d’autres rôles de Shakespeare comme dans Othello et Le Songe d’une nuit d’été. Elle tient également le rôle principal d’Anne Pedersdotter, prétendue sorcière du XVIe siècle à Bergen, dans la pièce éponyme de Hans Wiers-Jenssen. À partir de 1928, elle est engagée par le Nationaltheatret d’Oslo, et travaille aussi au Det Ny Teater (« le théâtre nouveau ») en 1933-1935, où elle accomplit une performance de légende dans le rôle d’Abbie (Le Désir sous les ormes d’Eugène O’Neill). Au Nationaltheatret, elle joue un répertoire plutôt moderne, mais aussi de grands classiques norvégiens comme Bjørnstjerne Bjørnson et Henrik Ibsen (Peer Gynt, Brand, Le Constructeur Solness, et notamment le rôle de Gina dans Le Canard sauvage). Elle interprète également Nora dans Une maison de poupée en 1936, dans la mise en scène de Halfdan Christensen, et entame une longue tournée internationale avec cette pièce, à Paris, Stockholm, Helsinki ainsi qu’aux États-Unis et au Mexique. À partir des années 1950, elle tient des rôles de femmes âgées, comme Médée de Jean Anouilh, ou la mère dans la pièce du même nom de Bertolt Brecht en 1972.

Knut Ove ARNTZEN

SEGHERS, Anna (Netty RADVÁNY, née REILING, dite) [MAYENCE 1900 - BERLIN 1983]

Romancière allemande.

En 1928, Anna Seghers, auteure alors encore inconnue, reçoit pour ses récits La Révolte des pêcheurs de Sainte-Barbara (1928) et Grubetsch (1926-1927) le prix Kleist. Sa longue carrière littéraire – près de soixante ans – marquera de manière décisive l’histoire de la littérature allemande du XXe siècle. En 1928, elle rejoint l’Union des écrivains prolétaires révolutionnaires et le parti communiste allemand. Dans son premier roman de montage, Die Gefährten (« les compagnons », 1932), elle crée, sous des perspectives multiples, des personnages de la lutte internationale de la classe ouvrière. La technique du récit à trames multiples la révèle tôt comme auteure avant-gardiste. En 1933, elle s’enfuit et rejoint Paris où elle milite avec les exilés allemands. Sa période parisienne est une des plus fructueuses, avec des romans qui tentent d’analyser les raisons qui ont mené au fascisme. Die Rettung (« le sauvetage », 1937), un roman sur les ouvriers mineurs, se distingue par l’absence d’un jugement idéologique sur les personnages. Bien que mourante à la suite d’un avortement, Katharina, personnage central aux côtés des hommes, est le miroir d’un possible bonheur, qui restera pourtant inaccessible. Nombre de personnages féminins partagent ce sort cruel. L’écrivaine réussit à créer des situations dramatiques qui éclairent comme à travers un prisme l’individualité de ses personnages ainsi que le panorama social. Dans son roman le plus célèbre, La Septième Croix (1942), qui relate l’évasion de sept prisonniers d’un camp de concentration, elle satisfait aux exigences d’un art pictural saisissant la nature humaine, l’individu et la condition sociale. C’est la « lueur d’espoir » qui lui importe et qui survit à l’échec de la résistance. Ses textes sont d’un figuratif extrêmement condensé dans lequel se traduisent des idées de rédemption messianique et chrétienne transposées au niveau social. En 1939, elle fuit vers le sud non occupé de la France pour rejoindre ensuite le Mexique. Son roman Transit, écrit en 1941 et paru en 1944, se déroule à Marseille. La narration y apparaît comme une vocation identitaire dans des situations de crise. Rescapée d’un grave accident de voiture, elle écrit en 1946 L’Excursion des jeunes filles qui ne sont plus. À travers les destins d’une classe d’école de jeunes filles, ce roman, qui relate la destruction de l’Allemagne par le nazisme, se veut un requiem pour la culture germano-juive et pour sa mère, qu’elle ne put sauver de la déportation. En 1947, elle retourne en Allemagne, profondément ébranlée par la ruine du pays, de ses habitants et par l’évolution de la guerre froide. Naissent alors les récits sur son pays d’exil, le Mexique, et les îles Caraïbes : Crisanta (1950-1951), plus tard les deux romans sur la RDA Die Entscheidung (« la décision », 1959) et Das Vertrauen (« la confiance », 1968). Par son écriture chiffrée et indépendante des doctrines du réalisme socialiste, A. Seghers est avec Brecht un important modèle pour la Aufbaugeneration (« génération de départ ») de la littérature de la RDA. Ce bleu, exactement (1967), et Reisebegegnung (« rencontre de voyage », 1970), sont, grâce à leur plaidoyer en faveur de l’imagination et du rêve comme partie de la réalité sociale, décisifs pour libérer le romantisme du reproche de la décadence. Les derniers textes d’A. Seghers sont marqués par la destruction de l’espoir. L’analyse des raisons qui y ont conduit et la représentation des victimes de l’histoire en sont autant de motifs. Cette perte s’impose dans Drei Frauen aus Haiti (« trois femmes de Haïti »). Les personnages féminins deviennent muets afin de ne laisser que le deuil face à la destruction du bonheur individuel et général.

Wiebke VON BERNSTORFF

La Révolte des pêcheurs de Sainte-Barbara (Aufstand der Fischer von Sankt Barbara, 1928), Paris, L’Arche, 1971 ; La Septième Croix (Das siebte Kreuz, 1942), Paris, Gallimard, 1985 ; Transit (Transit, 1944), Paris, LGF, 2004 ; Ce bleu, exactement (Das wirkliche Blau, 1967), Paris, Autrement, 1997.

Argonautenschiff, Jahrbuch der Anna-Seghers-Gesellschaft, Berlin/Mayence, Aufbau-Verlag, 2004.

BERNSTORFF W. von, Fluchtorte, Göttingen, Wallstein, 2006 ; ZEHL ROMERO C., Anna Seghers, Eine Biographie, 2 vol., Berlin, Aufbau-Verlag, 2000-2003.

SEGOND-WEBER, Eugénie [PARIS 1867 - ID. 1945]

Actrice française.

Élève au Conservatoire de Paris dans la classe d’Edmond Got, Eugénie Segond-Weber est engagée à l’Odéon en 1885 et remporte ses premiers succès dans Les Jacobites de François Coppée et Michel Pauper d’Henry Becque. Elle entre à la Comédie-Française en 1887 pour un an. Elle joue ensuite dans divers théâtres avant de revenir triomphalement dans la Maison de Molière en 1900. Sociétaire en 1902, elle prend sa retraite en 1926 et est nommée sociétaire honoraire en 1927. Elle est avant tout une tragédienne, incarnant par sa diction et sa gestuelle les héroïnes de Corneille et de Racine, notamment Agrippine, Cléopâtre et Athalie, avec un talent exceptionnel. Elle compte aux yeux de ses contemporains parmi les « monstres sacrés » du théâtre, selon l’expression de Jean Cocteau. Ses qualités vocales, sa prestance lui permettent d’affronter le théâtre de plein air alors relancé aux Arènes de Nîmes, au Théâtre d’Orange. Très remarquée pour son interprétation de Guanhumara des Burgraves de Victor Hugo en 1902, E. Segond-Weber joue aussi des textes tragiques renouvelés par les contemporains et crée La Torche sous le boisseau de Gabriele d’Annunzio. Pendant la Grande Guerre, elle participe au Théâtre aux armées. Elle inaugure en 1920 les « matinées poétiques » à la Comédie-Française.

Joël HUTHWOHL

LEHMAN L., Madame Segond-Weber et la tragédie, Paris, Nizet, 1980.

SÉGUR, comtesse DE (Sophie ROSTOPCHINE, née Sofia ROSTOPCHINA, dite) [SAINT-PÉTERSBOURG 1799 - PARIS 1874]

Romancière française d’origine russe.

La comtesse de Ségur est issue de la haute aristocratie russe. Son père, ministre du tsar Paul Ier, lui-même parrain de Sophie, est nommé gouverneur de Moscou par Alexandre Ier en 1812, année où les troupes napoléoniennes entrent dans la capitale. Les Rostopchine quittent la Russie pour la France en 1817. Sophie, convertie au catholicisme à l’âge de 15 ans, épouse Eugène de Ségur en 1819. Ils ont huit enfants. Comme tant d’autres écrivaines du XIXsiècle, la comtesse de Ségur vient tardivement à l’écriture. Après avoir publié à compte d’auteure un ouvrage d’hygiène (La Santé des enfants, 1855), elle naît à la littérature à 57 ans avec la parution chez Hachette de ses Nouveaux contes de fées (1856). Si ces récits s’inscrivent dans la tradition merveilleuse du genre (princes, fées, métamorphoses), ils témoignent aussi de préoccupations spécifiques à la culture et à l’imaginaire du XIXsiècle. Ces valeurs (vertus du travail, bienfaits de la modération, devoirs de charité, obligations des riches, responsabilités des pauvres…) trouvent dans la forme romanesque le moule le mieux adapté à leur expression. C’est donc en 1858, avec la parution des Petites Filles modèles, premier volume de la trilogie romanesque qui inclura Les Vacances (1859) et Les Malheurs de Sophie (1859), que la comtesse de Ségur inscrit son nom dans l’histoire littéraire et marque celle de l’édition en contribuant largement au succès de la « Bibliothèque rose illustrée » lancée par Louis Hachette. Alors que certains aspects moralisateurs ou historiques de l’œuvre ont perdu de leur pertinence (les personnages de bonnes, par exemple, n’ont plus grande signification aujourd’hui pour un jeune lectorat), la dimension réaliste de ses écrits, tant d’un point de vue social que psychologique, explique en partie son succès continu. Elle y décrit des phénomènes socio-économiques comme le développement industriel et l’ascension sociale dans La Fortune de Gaspard (1865). Elle y évoque surtout le quotidien de l’enfance, ses plaisirs (la nourriture), ses terreurs (voir l’épisode des Petites Filles modèles où Sophie et Marguerite se perdent dans la forêt), ses jeux (la construction d’une cabane, une partie de cache-cache), ses douleurs (l’expérience de la mort). Si elle met en scène des personnages caricaturaux qui provoquent le rire ou l’indignation telle la marâtre de Sophie, Madame Fichini, et d’autres qui sont trop parfaits pour être « vrais » (Camille et Madeleine, les petites filles modèles, par exemple), la comtesse de Ségur sait aussi témoigner de la fausseté des étiquettes identitaires. Dans son univers, tous les parents biologiques ne sont pas nécessairement de bons parents, comme le démontrent François le bossu (1864) et Quel amour d’enfant ! (1866), pas plus que toutes les petites filles et les femmes ne sont passives ou dépendantes. Ces descriptions, ces personnages et ces scénarios sont portés par un style dont la vivacité et la diversité sont les facteurs primordiaux de la longévité de l’œuvre. Les dialogues y sont rapides et les réparties prises sur le vif : le théâtre n’est pas loin. La forme brève de la vignette ou de la saynète, ces instantanés qui cristallisent l’expérience, y côtoie le récit se déployant dans la durée avec la densité plus traditionnelle du roman. On y trouve des récits où les narrateurs sont des enfants (Les Bons Enfants, 1862) et d’autres où les animaux parlent (Les Mémoires d’un âne, 1860). On y lit des histoires de naufrage et une robinsonnade en bonne et due forme (Les Vacances, 1859). Cette écriture à la fois alerte et formelle fait que, si l’œuvre de la comtesse de Ségur est certes ancrée dans la société de son temps, ses qualités stylistiques et la richesse singulière de son univers lui permettent de s’en libérer et de faire œuvre littéraire.

Bénédicte MONICAT

Correspondance, Strich M.-J. (dir.), Paris, Scala, 1993.

DORAY M.-F., La Comtesse de Ségur, une étrange paroissienne, Paris/Marseille, Rivages, 1990 ; VINSON M.-C., L’Éducation des petites filles chez la comtesse de Ségur, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1987.

SEIBERT, Florence [EASTON 1897 - ST. PÉTERSBOURG, FLORIDE 1991]

Biochimiste et docteure ès sciences américaine.

Née en Pennsylvanie, Florence Barbara Seibert contracte la poliomyélite à l’âge de 3 ans. Elle étudie la biochimie et la zoologie à Baltimore, obtient son PhD à l’université Yale en 1923 sous la direction de Lafayette B. Mendel, un des pionniers de la biochimie des protéines. Elle exerce ensuite à l’université de Chicago, tout d’abord comme instructrice puis comme professeure assistante de biochimie, de 1924 à 1928. En même temps, elle collabore avec Esmond R. Long, qu’elle suivra en 1932 au Henry Phipps Institute (institut de traitement et de recherche sur la tuberculose) associé à l’université de Pennsylvanie à Philadelphie. Là, elle gravit les échelons pour devenir professeure titulaire de biochimie. Après sa retraite, elle poursuit des recherches sur des bactéries associées à certains cancers dans un petit laboratoire au Mound Park Hospital en Floride. En 1968, elle publie ses Mémoires. Ses recherches commencent avec la préparation de son doctorat, période durant laquelle elle se voit confier l’identification de la protéine responsable des réactions fébriles (dites à pyrogènes) parfois observées après l’administration intraveineuse de solutions contenant des protéines. Elle découvre que l’agent responsable n’est pas une protéine, mais l’eau administrée qui se trouve contaminée par des bactéries (microbes). Elle développe alors un appareil à distiller l’eau, qui sera ainsi débarrassée de toute contamination bactérienne. Cette technique aura une très grande importance lorsque, plus tard, la transfusion de produits dérivés du sang devient d’utilisation standard pour de nombreuses interventions chirurgicales. En collaboration avec E. R. Long, elle poursuit des recherches sur la tuberculose pendant plus de trente ans. De 1937 à 1938, avec une bourse Guggenheim, elle travaille à l’université d’Uppsala (Suède), dans le laboratoire de Theodor Svedberg, Prix Nobel de chimie en 1926. Elle y apprend de nouvelles techniques de purification des protéines, qu’elle applique à son retour aux États-Unis pour purifier la préparation initiale de Koch OT, obtenue par bouillon de culture de bacilles tuberculeux. Elle nomme le matériel obtenu « PPD » (Purified Protein Derivative). En 1941, elle prépare avec J. T. Glenn un lot de PPD qui est adopté comme standard aux États-Unis et un an plus tard par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Cette substance protéique (tuberculine) est utilisée pour le test cutané de dépistage de la tuberculose. F. Seibert a reçu de nombreuses récompenses pour son travail sur la tuberculose, dont le National Achievement Award que lui a décerné Eleanor Roosevelt*, en 1944. Elle est inscrite au National Women’s Hall of Fame en 1990.

Doris MÉNACHÉ-ARONSON et Jocelyne SILVER

Pebbles on the Hill of a Scientist, St. Petersburg (Floride), St. Petersburg Press, 1968.

Avec GLENN J. T., « Tuberculin purified protein derivative : preparation and analyses of a large quantity for standard », in American Review of Tuberculosis, vol. 44, 1941.

SEIDELMAN, Susan [PHILADELPHIE 1952]

Réalisatrice et scénariste américaine.

Après des études de stylisme et d’art à l’université Drexel, Susan Seidelman étudie le cinéma à la New York University. Ses premiers courts-métrages, ouvertement féministes, glanent des prix à travers le monde et attirent l’attention de l’industrie du cinéma. Elle peut ainsi réaliser en 1982 Smithereens, premier film américain indépendant à être présenté en compétition pour la Palme d’or au Festival de Cannes. Le film est un échec commercial mais jouit d’une grande diffusion dans les festivals. La réalisatrice connaît ensuite un succès fulgurant en 1985 avec Recherche Susan désespérément (Desperately Seeking Susan), film à gros budget qui lance la carrière d’actrice de Madonna*. S. Seidelman devient alors la réalisatrice la plus rentable d’Hollywood. Pourtant, ses films suivants, exclusivement des comédies, seront des échecs au box-office : Et la femme créa l’homme parfait (Making Mr. Right, 1987), un film de science-fiction brocardant le consumérisme de la société américaine ; Cookie (1989), une comédie sur la Mafia ; La Diable (She-Devil, 1989), adapté du roman de l’écrivaine féministe britannique Fay Weldon*. Elle se tourne alors vers la télévision et réalise en 1998 le pilote ainsi que certains épisodes de la série Sex and the City. En 2001, elle revient au cinéma avec Gaudi Afternoon, un film de détective s’amusant à brouiller les pistes et les genres, ayant pour héroïnes une hétérosexuelle (Judy Davis), une transsexuelle (Marcia Gay Harden), deux lesbiennes (Lili Taylor et Juliette Lewis). Mais ce n’est qu’en 2005 qu’elle renoue avec le succès critique et public en dirigeant Boynton Beach Club, d’après l’expérience de sa mère dans une communauté du troisième âge, qui est l’un des rares films hollywoodiens à parler de la sexualité des personnes âgées. De même avec The Hot Flashes (« bouffées de chaleur », 2012), toujours dans le registre de la comédie, où un groupe d’anciennes amies reconstituent une équipe de basket afin de récolter des fonds pour la lutte contre le cancer du sein.

Jennifer HAVE

SEÏFOULLINA, Lydia (ou Lidia SEIFOULLINA) [VARLAMOVO 1889 - MOSCOU 1954]

Écrivaine russe.

Fille d’un orphelin devenu prêtre orthodoxe, Lydia Nikolaïevna Seïfoullina passe son enfance en Sibérie. Institutrice dans une petite ville avant la révolution d’Octobre, elle est une « militante » de l’éducation : éducatrice des enfants sans foyer, « liquidatrice » de l’analphabétisme au sein de l’Armée rouge et auprès des ouvrières. Elle exerce aussi les métiers d’actrice dans une troupe de province et de bibliothécaire. D’abord socialiste révolutionnaire, elle devient bolchevique, fascinée par Lénine, mais reste indépendante intellectuellement. Du point de vue littéraire, elle se considère comme une « écrivaine prolétarienne » tout en se comptant parmi les écrivains « compagnons de route ». Elle reste néanmoins marquée par la phraséologie bolchevique. Elle devient populaire dans les années 1920 grâce à son recueil de récits Pravonarouchiteli (« les délinquants », 1921), histoire d’enfants abandonnés et délinquants, réformés par une éducation virile dans une colonie de travail. À l’instar de Gorki, elle accorde une réelle confiance à l’éducation pour transformer tous ceux que l’on considère comme les rebuts de la société. C’est l’idée principale de son roman L’Humus (1922), qui décrit de manière naturaliste les bouleversements causés par la révolution chez les paysans. Ses pièces de théâtre (1926-1927) font partie du répertoire soviétique. Elle y traite notamment du thème de la dignité de la femme. À partir des années 1930, elle n’est plus publiée et tombe peu à peu dans l’oubli, ses récits devenant plus pessimistes, comme Tania (1934).

Carole HARDOUIN-THOUARD

L’Humus, Lausanne/Paris, L’Âge d’homme, 1988 ; Virineya, suivi de La Vieille, et d’Enfance dorée, Paris, Gallimard, 1930.

SEIGNER, Françoise [PARIS 1928 - ID. 2008]

Actrice et metteuse en scène française.

Fille de Louis Seigner, sociétaire de la Comédie-Française, Françoise Seigner suit les cours de Denis d’Inès et entre au Conservatoire de Paris. En 1953, elle est engagée à la Comédie-Française, qu’elle quitte au bout de trois ans pour jouer dans des théâtres privés. Elle réintègre la troupe en 1967, devient sociétaire en 1968 et reste trente ans avant d’être nommée sociétaire honoraire en 1998. Comédienne de tempérament, elle excelle dans les personnages ayant leur franc-parler – un trait de caractère qui lui est naturel –, et donne toute leur vigueur et leur générosité aux servantes et aux mères de la comédie classique, notamment Toinette dans Le Malade imaginaire et Mme Jourdain dans le Bourgeois gentilhomme de Molière, ou Costanza dans La Trilogie de la villégiature de Carlo Goldoni mise en scène par Giorgio Strehler. Elle crée La Commère de Marivaux en 1967. Son interprétation de Mme Gervaise dans Le Mystère de la Charité de Jeanne d’Arc de Charles Péguy remporte un large succès. Dans le répertoire moderne et contemporain, elle joue Henry James, Georges Bernanos, Jean Giraudoux, Nathalie Sarraute*, Italo Svevo, Jean Audureau… F. Seigner est aussi l’auteure d’une douzaine de mises en scène, dont la remarquée Esther de Racine à la Comédie-Française. Au cinéma, elle a tourné sous la direction de François Truffaut et Robert Hossein. Ses nièces, Emmanuelle, Mathilde et Marie-Amélie Seigner, perpétuent la tradition familiale dans les domaines du cinéma et de la chanson, exemplaire dynastie d’artistes du spectacle.

Joël HUTHWOHL

SEIGNER F., Louis Seigner, une biographie affective, Monaco, Éditions du Rocher, 2007.

SEIP, Anne-Lise [BERGEN 1933]

Historienne norvégienne.

Anne-Lise Seip suit une formation universitaire à Oslo, où elle soutient un doctorat d’histoire en 1974. Elle entre en 1975 à l’Institut d’histoire de l’université d’Oslo, dont elle devient professeure dix ans plus tard. Ses recherches se situent à l’intersection de l’histoire du politique, des idéologies et des sciences. Elle est célèbre pour ses travaux pionniers sur la politique sociale et l’État-providence : Socialhjelpstaten blir til, norsk sosialpolitikk fra 1740-1920 (« la naissance de l’État-providence, 1740-1920 », 1984) et Veiene til velferdsstaten, norsk sosialpolitikk 1920-1970 (« les chemins de l’État-providence, la politique sociale en Norvège 1920-1970 », 1994), où elle mêle approches empiriques et développements théoriques. À la fin des années 1980, elle est à la tête d’un programme d’étude sur l’État-providence et la démocratie, avant de former avec des collègues danois un large réseau de recherche d’histoire comparée des États-providence nordiques. En 1997, elle contribue à une vaste histoire de la Norvège (Aschehougs Norgeshistorie), en écrivant le volume VIII sur la construction de la nation entre 1830 et 1870. Au milieu des années 1970, décennie durant laquelle elle s’engage également dans la politique municipale, A.-L. Seip contribue avec un groupe d’étudiantes à développer l’histoire des femmes en tant que discipline. Elle codirige alors – avec Sølvi Sogner*, Ida Blom* et Ståle Dyrvik – un vaste projet sur le travail des femmes nordiques dans la société et dans la famille entre 1870 et 1940. Plusieurs de ses étudiantes se sont distinguées depuis en histoire des femmes. Les recherches d’A.-L. Seip ont porté sur l’histoire de l’enfance, des femmes, de la santé, des professions, ainsi que sur l’histoire politique et idéologique. Elle est membre depuis 1988 de l’Académie norvégienne des scienceset, depuis 1997, de la Société royale des sciences du Danemark.

Ida BLOM

BENUM E., HAAVE P., IBSEN H. et al. (dir.), Den mangfoldige velferden, festskrift til Anne-Lise Seip, Oslo, Gyldendal Akademisk, 2003.

SEI SHŌNAGON [Xe-XIe siècle]

Écrivaine japonaise.

On ne connaît ni son année de naissance, ni celle de sa mort, ni son vrai nom. Fille du poète Kiyohara no Motosuke, surnommée Sei Shōnagon, elle est célèbre en tant qu’auteure de Notes de chevet (Makura no sōshi). Elle a laissé également quelques waka. Elle était dame de cour (servante de haut rang) au service de l’impératrice Fujiwara no Teishi, épouse de l’empereur Ichijō. Au début du XIe siècle, l’empereur Ichijō avait deux impératrices, cas exceptionnel dans l’histoire de la politique au Japon. L’une s’appelait Fujiwara no Shōshi, fille de Fujiwara no Michinaga, l’autre Fujiwara no Teishi, fille de Fujiwara no Michitaka. Les dames qui servirent Fujiwara no Shōshi furent Murasaki-shikibu*, Izumi-shikibu, Akazome-emon. Et Sei-shōnagon fut celle qui servit Fujiwara no Teishi. Leurs deux « salons » étaient en concurrence. Dans celui de Fujiwara no Shōshi, l’élégance consistait à ne pas faire étalage de ses connaissances, tandis que dans celui de Fujiwara no Teishi, au contraire, on faisait montre de sa culture dans des conversations pleines d’esprit ; ce qui fait penser au salon de Mme de Guermantes ou à celui de Mme Verdurin dans À la recherche du temps perdu. Mais après la mort de Fujiwara no Michitaka, le clan Teishi disparut entièrement : Fujiwara no Teishi mourut avant l’âge de 30 ans, ainsi que ses frères. Notes de chevet est une œuvre née de la transcription des événements de l’époque où Fujiwara no Teishi animait un salon raffiné et brillant. Le livre, qui ne mentionne ni la mort de Teishi ni la disparition du clan, se révèle comme la mémoire de ceux qui ont disparu.

KATŌ MASAYOSHI

SEITŌ – REVUE LITTÉRAIRE [Japon XXe siècle]

Seitō (« les bas-bleus ») est la première revue littéraire exclusivement féminine au Japon. Les six tomes, soit 52 numéros, ont été édités entre septembre 1911 et février 1916. Le titre Seitō, traduction de blue stocking, provient de la légende d’un salon littéraire londonien du XVIIIe siècle où les femmes, contrairement aux usages, portaient des bas bleus. Le but de la revue est de « promouvoir la littérature féminine, aider chaque femme à développer pleinement son talent et faire naître un jour un génie féminin ». La revue comporte des textes de différents genres : roman, critique, poésie, tanka, essai, pièce de théâtre. Les poèmes de Hiratsuka* Raichō et de Yosano* Akiko dans le premier numéro expriment l’élan de la nouvelle féminité. Les romans montrent le désir des femmes conscientes d’elles-mêmes. Ikichi (« sang », 1911) de Tamura* Toshiko dévoile le mythe de la virginité dans le désir d’avant la vie maritale. Shūchaku (« attachement », 1912) de Katō Midori montre l’égoïsme d’un homme qui veut que sa femme soit à la fois indépendante et soumise. Junjitsu no tomo (« l’amie de dix jours », 1915) de Sugahara Hatsu raconte le désir de la narratrice pour une séductrice. Parmi les pièces de théâtre, Hasegawa Shigure, fondatrice de la revue Nyonin geijutsu (« les arts au féminin »), aborde la question des groupes discriminés et décrit le rapport entre un père et sa fille dans Aruhi no gogo (« l’après-midi d’un jour », 1912). La plupart des écrivaines de la revue s’essaient à des genres littéraires différents de ceux auxquels elles sont accoutumées. De nombreuses traductions sont publiées, ainsi que des critiques collectives sur les représentations de pièces de théâtre.La revue ouvre également des débats sur la chasteté, l’avortement et la prostitution. La direction revient à une jeune anarchiste, Itō Noe ; la revue, interdite à plusieurs reprises, compte 150 membres. Elle offre à beaucoup de lectrices une première occasion de s’exprimer. Nogami Yaeko et Okamoto* Kanoko ont grandi avec la revue. Seitō a ouvert la voie à différents mouvements de libération des femmes au Japon. Son aspect littéraire suscite un grand intérêt aujourd’hui.

UEDA AKIKO

Seitō, Tokyo, Fuji shuppan, 1983.

YONEDA S. et al., « Seitō » o manabu hito no tameni, Kyoto, Sekai shisō-sha, 1999.

SEITZ, Luise (née ZAULECK) [WEIDENAU-AN-DER-SIEG, WESTPHALIE 1910 - HAMBOURG 1988]

Architecte allemande.

Après avoir étudié l’architecture à l’École supérieure technique de Berlin-Charlottenburg où elle a suivi les cours d’Heinrich Tessenow, Luise Seitz a obtenu son diplôme en 1936 et travailla dans l’agence de Walter Loeffler, un assistant de Tessenow, puis dans celle de Günther Wenzel. En 1938, admise à la Reichskulturkammer, la Chambre de la culture du Reich, elle put travailler en tant qu’architecte indépendante et réalisa, à Postdam, le quartier Rehbrücke ainsi que les maisons Urban et Röse, marquées par l’influence de Tessenow. En 1942, elle dessina, pour l’agence de l’architecte Otto Rauter, des bâtiments agricoles dans les provinces orientales. Après la guerre, L. Seitz fut invitée par Hans Scharoun à rejoindre le collectif de planification pour la définition du plan de reconstruction de Berlin auquel collaborait, entre autres, Ludmilla Herzenstein*. À la tête du service de planification du logement, elle travailla avec Peter Friedrich à la définition des Wohnzellen, les « cellules de logements » préconisées par H. Scharoun, qui donna lieu à un article Wie soll der Städter künftig wohnen, (« comment le citadin doit habiter à l’avenir », 1946) publié dans Demokratischer Aufbau (« construction démocratique »). Son travail aboutit à un ensemble composé d’immeubles à coursives sur un tapis de maisons individuelles. En 1946, H. Scharoun l’invita à le rejoindre à l’Institut d’architecture de l’Académie des sciences allemandes de Berlin où elle resta jusqu’en 1951. Elle suivit alors son mari Otto Seitz, nommé à l’École supérieure des beaux-arts de Hambourg. En 1965, elle construisit leur maison dans la Mörickestraße, la dotant d’une architecture où l’influence de H. Tessenow est perceptible. Se dédiant ensuite à la diffusion de l’œuvre de son mari, qu’elle remit en 1969 à une fondation, L. Seitz a également participé à des publications sur l’urbanisme moderne et fut, de 1971 à sa mort, présidente de la Société Heinrich-Tessenow.

Christiane BORGELT

BAUER C. I., Bauhaus-und Tessenow-Schülerinnen. Genderaspekte im Spannungsverhältnis von Tradition und Moderne (thèse), Cassel, université de Cassel, 2003 ; DÖRHÖFER K., Pionierinnen in der Architektur. Eine Baugeschichte der Moderne, Tübingen, Wasmuth, 2004.

SEKULIĆ, Dara [KORDUNSKI LJESKOVAC, AUJ. CROATIE 1930]

Poétesse bosnienne.

La vie et l’œuvre de Dara Sekulić ont été marquées par la guerre. Sa maison natale est incendiée en 1942. Après la mort de ses parents, elle passa sa jeunesse dans des orphelinats et des internats. La dernière guerre en Bosnie-Herzégovine (1992-1995) la conduisit en exil. Elle ne rentra à Sarajevo qu’en 2002. Pour autant, cette ville est très présente dans son œuvre poétique. Le recueil de poèmes Gorak konak (« l’auberge amère », 1970) est ainsi consacré aux toponymes de Sarajevo. Également fascinée par l’inventeur Nikola Tesla, elle lui dédia son livre Moj brat Tesla (« mon frère Tesla », 2000). Les critiques considèrent D. Sekulić comme une « poétesse de l’amour et du cœur pur ». L’amour, la solitude et la souffrance sont les thèmes récurrents de son œuvre. Le recueil Sretna skitnica (« vagabond heureux », 2008), inspiré de sa biographie, est dédié aux vagabonds et aux solitaires, contraints de changer constamment de foyer, de lit, de ville, de village. Mais son vagabond est heureux parce qu’il a eu la chance de survivre, de retrouver sa ville et son lit. Les poèmes de D. Sekulić ont été traduits et publiées dans de nombreuses anthologies. « Méditerranée accueillante » a ainsi été publié dans l’anthologie Les Poètes de la Méditerranée (2010).

Dragana TOMAŠEVIČ

« Méditerranée accueillante », in ERRERA E., Les Poètes de la Méditerranée, Paris, Gallimard, 2010.

STOJANOVIĆ B., Sarajevsko jato, studije i impresije o srpskim piscima iz Bosne i Hercegovine, Belgrade, Svet Knjige, 2007.

SELASIH (Sariamin ISMAIL, dite) [TALU, SUMATRA-OUEST 1909 - PEKANBARU, EST DE SUMATRA 1995]

Poétesse et romancière indonésienne.

Née dans une famille de l’aristocratie terrienne, Sariamin Ismail, connue sous le pseudonyme de Selasih, peut accéder à l’école néerlandaise réservée à une petite minorité de la société indigène. Elle dirige une école de filles et publie à 17 ans un article intitulé « Importance de l’éducation pour les jeunes femmes ». Plusieurs journaux ont alors déjà fait paraître ses poèmes qui conservent les formes de la littérature malaise traditionnelle. Elle rejoint ensuite les courants nouveaux des jeunes poètes indonésiens, qui publient ses poèmes dans leurs revues. Dans les années 1930 paraissent ses romans Kalau Tak Untung (« si la malchance… », 1933), sur la difficulté qu’éprouvent les jeunes gens à se réaliser dans un environnement social de pauvreté, et Pengaruh Keadaan (« la force des circonstances », 1937), qui traite des difficultés des mariages interethniques. L’auteure publie également de nombreux articles écrits sous au moins sept pseudonymes différents afin d’échapper aux poursuites de la police coloniale, dans lesquels elle s’oppose à la polygamie, aux mariages des enfants et à la prostitution, mais dénonce aussi les transferts de population et réclame des droits politiques. En 1941, elle épouse Ismail, leader de la lutte sociale. En 1945, à l’indépendance, elle devient présidente de l’Union des femmes de Riau, puis députée de 1947 à 1949, et elle revendique à l’Assemblée la place des femmes. Sa longue carrière de professeure (jusqu’en 1968) est interrompue par trois années de prison. Arrêtée lors de la révolte de sa province contre le gouvernement, elle verra beaucoup de ses écrits détruits dans la fouille de sa maison. Entre 1983 et 1987, elle écrit neuf ouvrages en minangkabau (la langue régionale de Sumatra-Ouest) ainsi que des livres pour enfants et de nombreux ouvrages pédagogiques.

Jacqueline CAMUS

Kalau Tak Untung, Jakarta, Balai Pustaka, 1933 ; Pengaruh Keadaan (1937), Jakarta, Balai Pustaka, 1974 ; Kembali ke Pangkuan Ayah, Jakarta, Mutiara Sumber Widya, 1986.

SELDEN, Camille (Élise DE KRIMITZ, dite) [V. 1830 - ORSAY 1896]

Femme de lettres française.

Camille Selden s’entoura toute sa vie d’une aura de mystère, notamment quant à ses origines : née au début des années 1830 en Souabe, en Prusse ou en Hongrie, dans une famille modeste, elle aurait été adoptée très tôt par les Krimitz, avant de venir vivre, enfant, à Paris. Très jeune, elle devient la secrétaire, la lectrice, et l’amie d’Heinrich Heine, alors très malade. Cette relation étroite est ponctuée d’un échange de lettres et de poèmes dédiés à « la Mouche », surnom que lui avait donné le poète. Bien plus tard, en 1884 (Heine est mort en 66), elle publiera le récit de cette amitié teintée de passion. C. Selden a également connu Taine dont elle possédait 400 lettres, et à qui elle a sans doute été fiancée. Il l’a encouragée à écrire et l’a soutenue par ses contacts dans les revues, et par les comptes rendus toujours élogieux de ses livres. S’étant choisi un nom de plume ambigu, C. Selden a été perçue comme un auteur masculin. Entre 1861 et 1886, elle publie une soixantaine d’articles, de notes de voyages, d’historiettes, dans des revues telles que La Vie parisienne, La Revue nationale et étrangère, La Revue des deux mondes, La Revue moderne, La Nouvelle Revue et La Revue germanique. Elle fait également paraître plusieurs recueils d’articles, comme L’Esprit des femmes de notre temps (textes sur Charlotte Brontë*, Rahel Varnhagen*, Eugénie de Guérin), ou Portraits de femmes, (sur Mme de Maintenon*, Lady Montagu*, Madame Vigée Le Brun*, Elisabeth Browning*, entre autres). Daniel Vlady, Histoire d’un musicien, roman d’artiste sur le génie musical, a été rapproché du Jean-Christophe de Romain Rolland. Grâce à sa parfaite connaissance de l’Allemagne et de la France, elle fut une interprète lucide de ces deux cultures. Malgré un accueil critique assez positif, ses autres publications n’ont cependant pas eu le retentissement de son livre de souvenirs, Les Derniers Jours d’Henri Heine. Son destin est somme toute paradoxal : indépendante, jamais mariée, à cheval entre deux cultures, mais toujours un peu en marge d’une franche réussite littéraire, elle est surtout devenue un personnage familier de la critique heinéenne.

Sarah Juliette SASSON

L’Esprit moderne en Allemagne, Paris, Didier, 1869 ; La Musique en Allemagne, Mendelssohn, Paris, Baillière, 1866 ; En route, Paris, Calmann-Lévy, 1881.

WRIGHT J., Un intermédiaire entre l’esprit germanique et l’esprit français sous le Second Empire, Camille Selden, sa vie, son œuvre, Paris, H. Champion, 1931.

SELEK, Pinar [ISTANBUL 1971]

Sociologue et militante des droits des femmes turque.

Pinar Selek est une figure indomptable de la lutte en Turquie, où elle s’est engagée pour la démocratie, la défense des droits des femmes et des minorités discriminées. Elle est née dans une famille engagée à gauche : la pharmacie de sa mère est un lieu d’échanges et de rencontres ; son père, avocat, est un défenseur des droits de l’homme ; son grand-père a été l’un des fondateurs du Parti des travailleurs (TIP). Pendant ses études de sociologie, son sens de la solidarité l’amène à s’intéresser aux populations marginales qui vivent dans les rues d’Istanbul (SDF, Roms, transsexuels), où elle lie de nombreux contacts. Mais elle souhaite aussi analyser les blocages et les évolutions de la société turque. Pour un projet d’histoire orale dans son cursus de sociologie, elle mène en 1998 des enquêtes sur le conflit interne avec le sud-est anatolien kurde auprès de militants du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), qui ont choisi la lutte armée. Arrêtée et torturée, elle ne donne pas de noms ; la police l’accuse alors d’avoir déposé une bombe le 9 juillet 1998 au marché aux épices d’Istanbul et passe deux ans et demi en prison. Ayant bénéficié en Turquie d’un soutien exceptionnel et du travail d’un collectif d’avocats, elle est acquittée quatre fois par la cour d’assises d’Istanbul en 2006, 2008, 2011 et 2014. Quatorze ans de procédures et d’acharnement juridique contre elle ne l’ont cependant pas empêchée de continuer à se battre. En 2000, à sa sortie de prison, P. Selek organise à Diyarbakir une grande « Rencontre des femmes pour la paix », suivie d’autres encore dans différentes villes. En 2001, elle cofonde l’association Amargi, qui s’engage contre les violences faites aux femmes et pour la paix ; coordonne en 2002 la « Marche des femmes les unes vers les autres » vers la ville de Konya ; ouvre la première librairie de femmes à Istanbul et publie en 2006 la revue Amargi, dont elle est rédactrice en chef. Invitée par le Pen Club en Allemagne dans le cadre du programme « Écrivains en exil », elle demeure en Europe et vit aujourd’hui en France, où elle prépare une thèse sur les mouvements d’émancipation en Turquie. Elle fait partie de l’association Chercheurs sans frontières – Free science (CSF), et de l’association lesbienne La Lune, engagée dans les luttes pour les droits des femmes. Elle a publié Barisamadik (« nous n’avons pas pu faire la paix », 2004) sur les mobilisations pour la paix en Turquie et Sürüne sürüne erkek olmak (« devenir homme en rampant », 2008) sur la culture de la masculinité militaire, ainsi que des contes pour enfants. Elle continue à travailler avec les associations de femmes turques grâce aux nouvelles techniques de communication.

Christine LAMY

Loin de chez moi… mais jusqu’où ? , Donnemarie-Dontilly, Éd. iXe, 2012.

SELIGMANN, Françoise [MARSEILLE 1919 - PARIS 2013]

Journaliste et femme politique française.

Françoise Seligmann trouve tôt des raisons d’agir contre les injustices. Sa mère, Laure Beddoukh, figure du féminisme marseillais dans les années 1920, est exclue de l’enseignement en raison de sa judéité. La jeune fille doit abandonner ses études pour gagner sa vie et devient assistante sociale puis éducatrice. Elle entre dans la Résistance en décembre 1941 et rejoint le réseau Combat, responsable d’une filière d’évasion entre Lyon et la Suisse. Elle franchit maintes fois la frontière pour sauver les enfants juifs qui lui sont confiés et participe à d’autres missions tout aussi risquées. Pendant cette période, elle rencontre son futur mari, François-Gérard Seligmann, résistant et humaniste. Après avoir participé avec Albert Camus et Claude Bourdet au journal clandestin du mouvement résistant, F. Seligmann fonde à la Libération un journal féministe, La Française, engagé dans la lutte pour la parité sociale. Parallèlement, elle milite à la Ligue des droits de l’homme dont elle devient présidente d’honneur en 1994. Après la guerre, elle se bat notamment pour la cause des Finaly, des enfants juifs dont les parents sont morts en camps et que leurs sauveurs catholiques veulent soustraire à la famille. Plus tard, elle dénonce avec force les injustices de la guerre d’Algérie. À partir de 1955, elle travaille avec Pierre Mendès France au sein de l’Union des forces démocratiques. Trois ans plus tard, elle lance avec la Ligue des droits de l’homme la revue de documentation politique Après-demain. En 1974, F. Seligmann adhère au Parti socialiste. Collaboratrice de François Mitterrand, elle participe à sa campagne électorale, devient secrétaire nationale aux organismes centraux en 1983 puis est élue sénatrice des Hauts-de-Seine en 1992. À la mort de son mari, en 1999, elle crée la fondation Seligmann qui combat, par l’éducation, les sources du racisme et du communautarisme, les fondamentalismes religieux et les séquelles du colonialisme. Elle est l’auteure de Liberté, quand tu nous tiens (deux tomes, 2000 et 2003) et Les Socialistes au pouvoir (deux tomes, 2005).

Nathalie COUPEZ

SELLERIO, Elvira (née GIORGIANNI) [PALERME 1946 - ID. 2010]

Éditrice italienne.

En 1969, Elvira Giorgianni crée une maison d’édition avec Enzo Sellerio, qui deviendra son mari, et avec l’appui de l’écrivain Leonardo Sciascia et de l’anthropologue Antonino Buttitta, deux des principaux intellectuels palermitains de l’époque. Au début, la ligne éditoriale de la maison est marquée par une production à tirage limité et de haute qualité, destinée à un public confidentiel de passionnés. En 1979, après la séparation des conjoints, la maison d’édition est scindée en deux : Enzo Sellerio édite les livres d’art ; elle, les fictions et les essais. Au-delà des questions politiques d’actualité, elle s’intéresse aux auteurs locaux et aux rééditions. La collection « La Memoria », née de sa collaboration avec L. Sciascia et vouée à la publication d’œuvres courtes, est couronnée de succès : on y trouve des textes des écrivains Andrea Camilleri et Gesualdo Bufalino, deux découvertes de Sellerio Editore, devenue aujourd’hui la plus connue des maisons d’édition indépendantes siciliennes. En littérature étrangère, l’éditrice publie notamment les romans policiers historiques de l’écrivaine canadienne Margaret Doody (1939), inaugurée avec Aristotele detective (« Aristote détective », 1999), et la série de romans policiers critiques et politiques du couple d’écrivains suédois Maj Sjöwall et Per Wahlöö. En 1987, E. Sellerio est décorée du Cavaliere del lavoro. En 1991, elle obtient une licence de lettres honoris causa de l’université de Palerme. De 1993 à 1994, elle occupe la charge de conseiller d’administration de la RAI (radio-télévision italienne).

Jacopo BASSI

CALABRÓ A., « Un cavaliere di nome Elvira », in La Repubblica, 30-6-1989 ; DINO C., « Elvira Sellerio, una donna sul ponte di comando. Quarant’anni da Sciascia a Camilleri », in La Repubblica, 15-4-2001 (éd. de Palerme) ; GULLO T., « Sellerio Editore : la fabbrica di best-seller », in La Repubblica, 4-4-2007 (éd. de Palerme).

SELLERS, Catherine [PARIS V. 1931]

Actrice et metteuse en scène française.

Avec son regard sombre et sa voix musicale, Catherine Sellers met son jeu d’actrice au service de grands rôles tragiques. Dans Dialogues des carmélites (1952), de Georges Bernanos, elle incarne Blanche de La Force, mise en scène par Marcelle Tassencourt, qui la dirigera par la suite en Chimène du Cid, de Corneille. Albert Camus la met en scène à son tour dans Requiem pour une nonne (1956), d’après William Faulkner, et Les Possédés (1959), d’après Fiodor Dostoïevski. Du même écrivain, elle incarne Nastassia dans L’Idiot (1966). Elle fait une incursion dans l’humour, avec Le Rendez-vous de Senlis (1954), de Jean Anouilh, face à Jacqueline Pagnol. Avec Jean-Louis Barrault, elle joue dans des pièces de Paul Claudel : Prouhèze dans Le Soulier de satin (1958), puis Tête d’or, avec Laurent Terzieff. Avec J. L. Barrault encore, elle incarne l’Andromaque (1962) de Racine. D’Anton Tchekhov, elle joue Nina, puis Arkadina, deux personnages de La Mouette, avant d’être Lioubov dans La Cerisaie, mise en scène par Simone Benmussa*. Elle incarne aussi Virginia Woolf* dans Virginia (1981) d’Edna O’Brien* et joue Le Peintre et ses modèles, d’après Henry James. Elle est enfin L’Amante anglaise, de Marguerite Duras*, qui la dirige dans trois films. Son mari, Pierre Tabard, la met en scène dans Madame de La Carlière, de Denis Diderot, puis c’est elle qui, à son tour, le dirige dans La Chute, de Camus.

Bruno VILLIEN

SELMER, Wenche (née FOSS REIMERS) [PARIS 1920 - OSLO 1998]

Architecte norvégienne.

Wenche Selmer compte parmi les rares femmes architectes norvégiennes reconnues du XXe siècle. Diplômée en 1945 de l’École nationale des arts décoratifs d’Oslo (SHKS), elle épouse l’architecte Jens Andreas Selmer (1911-1995) en 1954 et ouvre une agence avec lui. Ensemble, ils recevront le prix Sundt en 1963 pour leur maison à Trosterudstien 1, et le Timber Award en 1969, pour leur œuvre d’architecture en bois. De 1976 à 1987, elle enseigne à l’École d’architecture d’Oslo. Avec une centaine de réalisations, dont 36 grandes maisons unifamiliales, situées surtout à Oslo, et 37 maisons de loisir sur la côte méridionale du pays, son œuvre est principalement constituée de petites demeures résidentielles ou de maisons de loisir en bois. Dans ses compositions, elle a cherché à réunir les aspects artistiques, techniques et économiques, en créant des maisons durables et agréables. Sa réflexion sur l’environnement et sur la manière d’utiliser les bâtiments l’a conduite à réinterpréter la tradition norvégienne (l’utilisation du bois) et à l’adapter à la vie moderne. L’intérêt porté à son œuvre s’est traduit par l’exposition itinérante Norwegian Wood – Architect Wenche Selmer, en 2002.

Linnéa ROLLENHAGEN TILLY

FINDAL W., Mindretallets mangfold. Kvinner i norsk arkitektur-historie, Oslo, Abstrakt, 2004 ; TOSTRUP E., Norwegian Wood : the Thoughtful Architecture of Wenche Selmer, New York, Princeton Architectural Press, 2006.

SELVA, Blanche [BRIVE 1884 - SAINT-AMANT-TALLENDE 1942]

Pianiste et compositrice française.

Le nom de Blanche Selva est resté dans l’histoire de la musique comme celui d’un des plus grands pianistes français du début du XXe siècle, interprète des grands compositeurs du passé, mais aussi de nombre de ses contemporains. Son activité de compositrice a par contre longtemps été ignorée. Formée à la composition par Vincent d’Indy à la Schola Cantorum, en élève « titulaire » pendant au moins six ans, elle maîtrisait parfaitement l’écriture musicale de son temps. Elle esquisse ses activités créatrices de 1904 à 1912, avec notamment Rosaire, une longue mélodie en plusieurs épisodes sur un poème de Francis Jammes, le plus brillant témoignage de cette première période. C’est à partir de 1924, après de longues années consacrées aux concerts, à la pédagogie du piano et à la musicologie, qu’elle se remet à la composition. Barcelonaise d’adoption, elle écrit notamment en 1928 une mélodie sur un poème catalan, Muntanya Blava (« montagne bleue »), puis les Cants de Llum (« chants de lumière ») dédiés au violoniste Joan Massià, son partenaire de musique de chambre d’alors. Un accident cérébral met fin en 1930 à sa grande carrière de pianiste. Elle publie en 1931 un recueil de pièces pédagogiques pour le piano, Primer jocs (« premiers jeux ») ; la même année voit la composition d’un autre recueil de ce type, resté manuscrit, Entremaliadures/Souvenirs et espiègleries. Quatre pièces pour violon et piano, pour le moment introuvables, datent aussi de cette époque. Ont par contre subsisté dix admirables mélodies, d’amples proportions, ses Deu cançons originals, sur des poèmes catalans de divers auteurs, qui datent de 1935 et ont été primées dans un concours de composition à Barcelone. Les titres en catalan de ses œuvres et ses écrits enthousiastes célébrant la lumière catalane et la blavor (« bleueur ») de la Méditerranée témoignent de son bonheur de vivre en Catalogne. Malgré le déchirement que représente en 1936 le retour en France, son désir de composer restera vif : elle se plonge dès 1937 dans un projet d’oratorio sur un poème catalan de Miquel Melendres. Elle aborde donc l’écriture orchestrale. La correspondance avec ses amis montre qu’elle pense aussi à d’autres pièces de musique de chambre. Elle pratique l’improvisation à l’église. Déjà gravement malade, elle reprend pourtant, peu de temps avant sa mort, son oratorio. Cette œuvre a disparu. Dans ce qui est resté de ses pièces, B. Selva donne la preuve d’une inspiration originale, sous-tendue par la foi chrétienne. Les éléments essentiels de son écriture étaient présents dès ses premières œuvres : l’inspiration populaire et méridionale, perceptible dans les thèmes et les rythmes, notamment par des effets d’ostinati et de carillons dans un esprit soit méditatif soit jubilatoire, l’écriture contrapuntique dépouillée, et la simplicité harmonique, privilégiant des accords au rythme régulier, de caractère hymnique ; des éléments qui ne feront que s’épurer dans les œuvres suivantes.

Florence LAUNAY

COLLECTIF, Blanche Selva, naissance d’un piano moderne, Lyon, Symétrie, 2009.

SELVINI PALAZZOLI, Mara [MILAN 1916 - ID. 1999]

Médecin et psychanalyste italienne.

Après avoir fait ses études de médecine et de psychiatrie à Milan, Mara Selvini Palazzoli entreprend une analyse dans les années 1950 et, en 1963, entre à l’Institut de psychothérapie de Milan. Elle s’intéresse tout particulièrement aux cas de jeunes filles anorexiques. En 1967, avec sept autres psychanalystes et psychologues, elle fonde, à Milan, le premier Centre italien de thérapie familiale. Dans les années 1970, avec quelques autres thérapeutes, elle développe une théorie de la communication, inspirée des travaux de Gregory Bateson et de Paul Watzlawick de l’école de Palo Alto, qui deviendra connue sous le nom de « Modèle milanais ». Elle fut la pionnière de la thérapie familiale en Italie et se présentait elle-même davantage comme chercheuse que comme thérapeute. En 1982, elle crée, à Milan, le Nouveau Centre d’études de la famille. En 1981 c’est avec son fils qu’elle rassemble, dans un ouvrage intitulé L’anoressia mentale, la somme de trente années de travail sur la thérapie familiale.

Chantal TALAGRAND

SELZ, Dorothée [PARIS 1946]

Sculptrice et peintre française.

Née dans une famille d’amateurs d’art, Dorothée Selz épouse, à la fin des années 1960, l’artiste catalan Antoni Miralda, avec qui elle travaillera jusqu’en 1972. En 1967, à l’occasion de Noël, le couple envoie à ses amis une carte de vœux représentant l’enfant Jésus en pâte d’amande, emballé dans un étui en plastique ; cette création inaugure une longue recherche plastique autour de la nourriture et de nos habitudes alimentaires. Inscrivant son travail dans le prolongement du mouvement Eat Art, l’artiste réalise des « sculptures éphémères comestibles » : objets insolites, paysages urbains, sculptures monumentales, où se mêlent le visuel, le gustatif et le festif. En 1970, elle organise un repas en quatre couleurs, où chaque convive peut manger un plat monochrome bleu, rouge, jaune et vert. Elle forme, avec son époux et les artistes catalans Joan Rabascall et Jaume Xifra, le groupe des « traiteurs-coloristes », qui réalise des performances autour de la nourriture, réactivant des formes sociales de partage et d’échange. Divorcée en 1972, elle se consacre plus particulièrement à la peinture et au dessin. Proche du mouvement féministe, elle fait partie des fondatrices de Femmes en lutte, mouvement lancé en 1975, en réaction contre le Salon de l’Union des femmes peintres et sculpteurs jugé trop normatif, et revendiquant les mêmes droits pour les artistes que pour les travailleurs. En 1978, elle assure le commissariat de l’exposition Sucre d’art au musée des Arts décoratifs de Paris, où elle réunit des productions populaires d’Amérique latine, d’Asie et d’Europe, des chefs-d’œuvre de pâtisserie, des créations d’art brut et des œuvres de la collection Daniel Spoerri. En 1980, elle participe au festival L’Attrape-Tripes de Chalon-sur-Saône. En 1991, elle réalise, pour la galerie nationale du Jeu de paume, une « fresque colorée comestible » longue de 40 mètres. « Dans ces sculptures, il s’agit surtout de nourrir un peu l’invisible », explique-t-elle. Depuis les années 2000, D. Selz se penche principalement sur la peinture et des séries de dessins réalisés à partir d’images imprimées anciennes : Batman, Spoutnik, images de guerre ou de cahiers d’écolier.

Nathalie ERNOULT

Dorothée Selz (catalogue d’exposition), Vitry-sur-Seine, [s. n.], 2002 ; Offrandes (catalogue d’exposition), Paris/Clermont-Ferrand, LDAC/Un, deux… quatre, 2003 ; Sage comme les images (catalogue d’exposition), Épinal, Musée de l’image, 2003.

SEMBACH-KRONE, Christel [MUNICH 1936]

Dresseuse et directrice de cirque allemande.

Fille de Frieda Krone* et de Carl Sembach, Christel Sembach-Krone appartient à l’une des plus prestigieuses familles de cirque européennes. La légende familiale dit qu’elle savait monter à cheval avant de savoir marcher. Formée par de remarquables experts dans les arts équestres, elle fait sa première apparition en public à l’âge de 10 ans. Écuyère de haute école, elle maîtrise parfaitement le travail aux longues rênes et l’essentiel du répertoire académique. À partir de 1968, elle remplace son père à la tête des grands carrousels équestres qui font la réputation de la maison, dont les écuries abritent des dizaines de chevaux, de races et de robes différentes, souvent issus de lignées prestigieuses. À la tête de l’entreprise depuis la mort de sa mère, C. Sembach-Krone administre avec fermeté la ville ambulante qui entoure le chapiteau de 5 000 places pour les tournées, ainsi que l’infrastructure du Krone Bau (cirque stable) de Munich, où sont présentés trois spectacles différents de janvier à mars. Elle s’attache à maintenir la même exigence de qualité et de renouvellement qui a présidé au développement de l’entreprise depuis 1905.

Pascal JACOB

HAMEL Ch., « Au cirque Krone, les femmes ont pris le pouvoir », in Le Cirque dans l’univers, no 187, 1997.

SEMEND, Sima [AKHBARAN, AUJ. EN ARMÉNIE 1933 - ARMÉNIE 2008]

Écrivaine arménienne.

Les grands-parents de Sima Semend font partie des Yézidis ayant fui l’Empire ottoman au XVIIIe siècle. En 1958, elle obtient un diplôme de philologie à l’université d’Erevan. Elle est la première femme à être publiée en kurde kurmandji avec deux recueils. Ses nouvelles racontent notamment la condition des femmes et leur participation à la société et à l’économie du pays. Xezal (« gazelle », 1961), son premier ouvrage, évoque l’histoire d’une jeune fille travaillant dans les kolkhozes mais contrainte aux traditions au sein de sa famille. Refusant de se marier avec un homme qu’elle n’aime pas, son personnage décide de s’établir en ville pour faire des études de médecine. Elle échappe ainsi à un destin dont elle ne voulait pas, gagne sa liberté et rencontre l’amour. Xezal incarne la figure de la femme idéale, qui travaille avec ses « camarades » et refuse d’accepter la loi féodale. Par ses nouvelles, S. Semend s’emploie à montrer que les femmes peuvent créer, participer aux tâches politiques et sociales, et décider elles-mêmes de leur vie. Son engagement pour la radio d’Erevan en est l’illustration. Cette radio a longtemps été la seule voix kurde qui traversait les frontières et amenait les dengbêj (chanteurs traditionnels kurdes) au Kurdistan de Turquie, là où leur langue était encore strictement interdite. Les trente dernières années de sa vie, elle y prépare des programmes littéraires et fait des lectures quotidiennes pour les enfants dont elle écrit les textes. S. Semend a été la femme du célèbre poète kurde Karlanê Cacanî dont elle a eu quatre filles.

Ibrahim Seydo AYDOGAN

SEMIYE, Emine (dite Emine VAHIDE) [ISTANBUL 1864 - ID. 1944]

Écrivaine turque.

Fille de Cevdet Pacha, historien et juriste, sœur cadette de l’écrivaine Aliye Fatma*, Emine Semiye suit des cours particuliers pour apprendre l’arabe, le persan, le français et le piano. Elle s’installe à Salonique en 1896 avec son époux et occupe également la fonction d’inspectrice dans les écoles de filles. À partir de 1922, elle se déplace dans différentes villes et fait de longs séjours en France. Mariée deux fois, elle perd plusieurs de ses enfants en bas âge. Seuls deux vivront. Cette douleur est perceptible dans la trame de ses textes. Sa vie littéraire commence au journal Hanımlara Mahsus Gazete (« journal réservé aux femmes »), où elle publie des nouvelles, d’abord sous le pseudonyme d’Emine Vahide, puis sous son véritable nom, devenant spécialiste du domaine de l’éducation. Éditorialiste de Mütalaa (« étude », 1896), Kadın (« femme », 1908-1910), İnci (« perle », 1919-1921), elle rédige des articles didactiques sur l’éducation ou sur des sujets de vulgarisation scientifique pour diverses publications. Elle est l’une des premières femmes à écrire sur des sujets politiques. Activiste, elle fait partie des rares femmes qui prennent part à la vie politique, et fonde, en 1908, la branche féminine du parti Union et progrès, le parti qui déclenche le régime constitutionnel. Au moment de la guerre avec la Grèce, elle participe à la fondation de l’association d’entraide Şevkat-i Nisvan (1898). Comme beaucoup de femmes favorisées, elle s’implique dans des associations de bienfaisance. Pendant la guerre des Balkans (1912-1913), elle se met au service de l’armée en s’engageant comme infirmière. Proche amie de la poétesse Nigâr Hanım*, elle lui dédie son roman intitulé Sefalet (« la misère », 1909). Leur échange épistolaire paraît en partie dans la presse de l’époque. E. Semiye publie également ses impressions et souvenirs de Salonique et de Serez dans des journaux. L’éducation est l’un des thèmes majeurs de son œuvre. Dans Terbiye-i Etfâle Ait Üç Hikaye (« trois histoires sur l’éducation des enfants », 1895), elle compare l’éducation à l’occidentale et celle à l’orientale et opte pour le juste milieu. Son roman Muallime (« l’institutrice », 1899) met l’accent sur l’éducation des jeunes filles et sur le choix des institutrices.

Gül METE-YUVA

SEMPÉ, Inga [PARIS 1968]

Designer française.

Initiée au dessin et à la sensibilité plastique du monde par son père, le dessinateur Jean-Jacques Sempé, et par sa mère, Mette Ivers, peintre et illustratrice d’origine danoise, Inga Sempé a toujours montré du plaisir à dessiner les objets et les outils usuels pour l’habitat. Sa formation à l’École nationale supérieure de création industrielle (Ensci), à Paris, dont elle est diplômée en 1993, l’oriente vers le design industriel. Après un passage chez Georges Sowden, à Milan, puis chez Marc Newson, c’est auprès d’Andrée Putman*, de 1997 à 1999, que son talent se confirme. Elle ouvre son agence à Paris en 2000. Ses objets pour la maison, sofas, fauteuils, tables, pendules, luminaires, se conçoivent dans une combinatoire inattendue de formes, de matériaux et de systèmes qui leur confère une familière étrangeté. Tous se réfèrent à des modèles archétypaux, comme le plissé, le coussin, la brosse, un dessin de moustaches, une loupe, un étau, mais tous sont utilisés autrement qu’à l’habitude. Ce déplacement résiste aux convenances et provoque une drôlerie distanciée et singulière, qui relève d’un esprit secrètement rebelle. Elle travaille avec des entreprises prestigieuses : LucePlan, Ligne Roset, Cappellini, Edra, Artecnica, Domestic, David Design, Almedahl’s, Baccarat, Tectona. Elle enseigne à l’école Camondo, à Paris. Pensionnaire de la Villa Médicis, à Rome, de 2000 à 2001 (Académie de France), prix de la Critique de la presse internationale en 2000, elle participe à de nombreuses expositions, dont une, personnelle, au musée des Arts décoratifs en 2003. Elle a reçu le grand prix de la Création en design de la Ville de Paris en 2003. Une carte blanche du VIA en 2007 lui permet d’engager des recherches et d’explorer de nouveaux principes d’objets.

Jeanne QUÉHEILLARD

FÈVRE A.-M., « Sempé toujours simple », in Libération, 30 juin 2003 ; PHILLIPS I., « New York Style » in Times Magazine, oct. 2004 ; SERAFIN A., FRAME, n°63, juil./août 2008 ; SILIEC Y., « Portrait, géant de papier », in Intramuros n° 132, sept.-oct. 2007.

SEMPER, Ene-Liis [TALLINN 1969]

Vidéaste, scénographe et metteuse en scène estonienne.

Ene-Liis Semper devient une figure marquante de la scène culturelle estonienne dès ses études de scénographie à l’Institut des beaux-arts d’Estonie (1989-1995). Elle s’initie à la performance avec son compagnon de l’époque, Raoul Kurvitz, fondateur du groupe de jeunes artistes Rühm T (« Groupe T »). Après la disparition du système répressif soviétique, elle découvre les nouvelles possibilités d’expression artistique offertes par la société de consommation, telles les médias de masse, où elle joue avec des identités changeantes. Elle commence à utiliser la vidéo dès que ce média devient accessible en Estonie, pour mettre en scène sa propre personne à travers des actions souvent physiquement éprouvantes (Lakutud Ruum, « pièce léchée », 2000-2002 ; Oaas, « oasis », 1999). Ses vidéos ne sont pas de simples documentations de performances. Elle saisit l’essence du médium, comme dans FF/REW (1998), où elle exploite une propriété technique de la vidéo qui permet de rompre la linéarité narrative, pour rendre visible l’obsession du suicide, questionnant aussi d’une manière troublante ce qui, dans cette obsession, relève du spectacle et ce qui relève de la réalité. La vidéo lui permet d’explorer l’intimité pour s’intéresser, par exemple, à l’émotion liée au pouvoir (Tugevama õigusega, « le droit du plus fort », 1998) ou aux situations limites auxquelles l’être humain est confronté (Fundamental, 1997). Ses œuvres sont basées sur une expérience physique qui dévoile la complexité psychologique. Elles fascinent par leur simplicité formelle et l’universalité des thèmes abordés, mais leur sens reste aussi insaisissable et ouvert à l’interprétation que leur effet émotionnel, qui oscille entre angoisse et rire. En 2001, l’artiste représente l’Estonie à la biennale de Venise. Sa vidéo FF/REW (1998) y est sélectionnée par le commissaire Harald Szeemann pour l’exposition internationale Plateau de l’Humanité. Depuis 2005, son œuvre est étroitement liée au théâtre. Avec son compagnon, le metteur en scène Tiit Ojasoo, elle fonde la compagnie NO99, pour laquelle elle crée des mises en scène et réalise des scénographies intégrant souvent la vidéo. Dans leurs créations engagées, qui abordent les sujets brûlants de la société estonienne (Nafta, « pétrole » ; ГЭП ehk Garjatšije estonskije parni, « ГЭП ou les mecs estoniens chauds » ; Kuidas selgitada pilte surnud jänesele, « comment expliquer des tableaux à un lièvre mort » ; Ühtne Eesti Suurkogu, « congrès général de l’Estonie unie »), ils expérimentent de nouvelles formes scéniques qui sortent de l’espace traditionnel du théâtre.

Kadriann SOOSAAR

SEMPLE, Ellen CHURCHILL [LOUISVILLE 1863 - WEST PALM BEACH 1932]

Géographe américaine.

Connue pour avoir diffusé aux États-Unis une géographie humaine inspirée du géographe allemand Friedrich Ratzel, alors que seule la géographie physique y était dispensée, Ellen Churchill Semple a contribué à l’institutionnalisation de la géographie américaine. Au cours d’une longue carrière d’enseignante, de chercheuse et de conférencière, elle a occupé en pionnière des positions remarquables : étudiante à l’université de Leipzig, acceptée par les professeurs en séminaires de géographie, d’économie et de statistiques (1891 et 1895), à un moment où aucune femme ne pouvait être inscrite officiellement, elle devient élève et traductrice de F. Ratzel. Membre fondateur de l’Association of American Geographers (1904) aux côtés de William Morris Davis (présidente en 1921), enseignante, dès sa création, au département de géographie de l’université de Chicago (1906-1924), puis première professeure d’anthropogéographie à Clark, Massachusetts (à partir de 1921), elle a enseigné à une bonne partie de la deuxième génération des géographes américains. Ses premières publications ont été bien accueillies en Grande-Bretagne et aux États-Unis, car elle tentait de justifier l’existence d’une discipline scientifique attachée à l’étude de l’influence des conditions d’espace et de milieu sur les modes de vie des groupes humains et sur la croissance des États. En cela, elle contribuait à la promotion de l’anthropogéographie et de la géographie politique, que plusieurs géographes européens développaient également, mais en accordant à la liberté humaine ou aux contingences de l’histoire un rôle inégal. En France, elle a été l’objet de vives critiques en raison d’une réputation de géographe « déterministe ».

Marie-Claire ROBIC

American History and Its Geographic Conditions, Boston/New York, Houghton/Mufflin, 1903 ; Influences of Geographic Environment, On the Bases of Ratzel’s System of Anthropogeography, New York, H. Holt, 1911 ; The Geography of the Mediterranean Region : Its Relation to Ancient History, New York, H. Holt, 1931.

BUSHONG A. D., « Ellen Churchill Semple 1863-1932 », in Geographers, Biobibliographical Studies, vol. 8, 1984.

SEN, Aparna [CALCUTTA 1945]

Actrice et réalisatrice indienne.

Très peu de femmes dans le cinéma indien ont accompli un parcours aussi brillant sur un chemin aussi difficile. Fille du célèbre critique de cinéma bengali Chidananda Dasgupta, Aparna Sen tourne à 16 ans pour Satyajit Ray dans 3 Filles (Teen Kanya, 1961). Elle poursuit une carrière de comédienne à Calcutta, sans toutefois connaître le succès de sa compatriote Sharmila Tagore, car sa véritable passion est la réalisation : en 1981, son premier long-métrage, 36 Chowringhee Lane, très inspiré des productions Merchant/Ivory auxquelles elle a collaboré – Le Gourou (The Guru, J. Ivory, 1969) ; Bombay Talkie (id., 1970) –, impose déjà son goût pour les sujets audacieux traités avec minutie et délicatesse. 36 Chowringhee Lane raconte l’histoire d’une vieille institutrice anglaise qui, pour combattre la solitude, se lie d’amitié avec un jeune couple indien, sans se rendre compte qu’il profite de sa naïveté. Le film obtient un succès inespéré, mais il faudra cependant qu’A. Sen s’arme de courage pour continuer à tourner comme elle l’entend et devienne, vingt ans plus tard, l’une des seules grandes cinéastes indiennes connues dans son pays. Comme son mentor S. Ray, elle se fait chantre d’un cinéma réaliste, attaché à des problématiques sociales contemporaines : Paroma (1984) ose aborder l’idée de l’émancipation féminine ; Sati (1989) dénonce le traditionnel sacrifice des veuves. Récusant néanmoins le titre de cinéaste « engagée » ou « féministe », bien qu’elle ait été longtemps rédactrice en chef du magazine féminin Sananda, elle préfère s’attacher à des portraits de femmes fragiles et faibles, dont les révoltes ne durent pas et qui se laissent le plus souvent porter par leur condition, telle la jeune épouse hindoue qui fuit son amour pour un musulman afin de maintenir un cocon familial qui ne lui demande pas d’effort (Mr. and Mrs Iyer, 2002). Quelles que soient les faiblesses de ses héroïnes, la cinéaste les magnifie ; et la plus remarquable d’entre toutes est peut-être la jeune schizophrène de 15 Park Avenue (2005), qui s’est inventé un monde imaginaire où elle est seule à pouvoir résider. Ce personnage est incarné par la propre fille d’A. Sen, Konkona Sen Sharma, devenue à Bombay l’une des actrices les plus en vue du cinéma non bollywoodien.

Ophélie WIEL

SEN, Sova (ou Shobha SEN) [BENGALE 1923]

Actrice indienne.

Ayant débuté en 1944 dans Nabanna (« nouvelles moissons »), de Bijon Bhattacharya, production de l’Indian People Theatre Association (IPTA), Sova Sen devient rapidement populaire par son jeu naturel et puissant. Attachée à l’IPTA, elle se produit dans Dalil (« document »), de Ritwik Ghatak, en 1951, et Nildarpan (« le miroir indigo »), de Dinabandhu Mitra, en 1952. Son jeu réaliste dans les films Paribartan (« transformation », 1949), de Satyen Bose, Chhinnamul (« le déraciné », 1950), de Swarnakamal Bhattacharya, et Nagarik (« le citoyen », 1952), de R. Ghatak, lui ouvre également une carrière cinématographique qui comprendra plus de 150 films. Éloignée des circuits de l’IPTA, elle aborde en 1969 une nouvelle phase de sa carrière théâtrale avec le Little Theatre Group (LTG) de l’auteur, acteur et metteur en scène Utpal Dutt, dont elle interprète Angar (« le charbon ») en 1959 et qu’elle épouse en 1961 : elle devient sa collaboratrice et partage son idéal d’un renouveau du théâtre au Bengale. La diversité de son jeu lui vaut des rôles majeurs dans Macbeth, Le Songe d’une nuit d’été et Roméo et Juliette, de William Shakespeare, traduits en bengali, dans Siraj-ud-Daulah (du nom du héros), de Girish Ghosh, dans Tapati (du nom de l’héroïne), de Rabindranāth Tagore, et dans Almik babu (« un homme étrange »), de Jyotirindranath Tagore. Avec le LTG, qui devient le People’s Little Theatre (PLT) en 1969, S. Sen et son mari produisent, entre autres, des œuvres personnelles d’U. Dutt dont certaines véhiculent son idéal marxiste : Manusher Adhikar (« les droits de l’homme », 1967), Surya Shikar (« chasser le soleil ») et Tiner taloar (« le sabre aiguisé »). Ils montent également des productions de style Jatra (théâtre populaire bengali de forme composite), dont Rifle en 1968. À la mort d’U. Dutt, en 1993, S. Sen assure la supervision du PLT et devient administratrice de l’Utpal Dutt Foundation for International Theatre Studies.

Milena SALVINI

SENEDU GEBRU (ou SENEDDU GÄBRU) [ADDIS-ALEM, CHOA 1916 - ADDIS-ABEBA 2009]

Poétesse et dramaturge éthiopienne d’expression amharique.

Fille de Weyzero Kassaye Yelemtu, issue de la noblesse du Wello, et de Gebru Desta, premier kentiba (« maire ») de la ville royale de Gondar en 1896 et premier vice-président du Parlement éthiopien à sa création en 1930, Senedu Gebru reçoit une éducation traditionnelle où elle apprend l’amharique et la langue classique (le guèze) jusqu’à l’âge de 6 ans ; puis elle suit un enseignement moderne successivement à l’école de la Mission suédoise d’Addis-Abeba et en Europe (1928-1933). Elle étudie la littérature à l’université de Lausanne où elle commence à écrire. À son retour de Suisse, elle exerce le métier d’enseignante, alors que les forces italiennes fascistes envahissent le pays (1935-1936). Refusant l’exil, elle rejoint ses frères dans la résistance active et crée les premières structures de la Croix-Rouge éthiopienne afin de venir en aide aux blessés de guerre. Déportée à Asinara en Sardaigne (1937) avec d’autres femmes dont sa sœur cadette, puis rapatriée (1939), elle continue sa lutte contre l’occupant. Après la défaite italienne et le retour de l’empereur Hailé Sélassié Ier (1941), elle occupe diverses fonctions et joue un rôle important dans la vie intellectuelle et culturelle du pays. Elle figure ainsi parmi les pionnières, non seulement comme écrivaine, enseignante et directrice d’école soucieuse de l’éducation en général, et de celle des jeunes filles en particulier, mais aussi en tant que parlementaire élue (1955-1959) et enfin comme diplomate : elle est attachée culturelle en Allemagne (1960) où elle écrit beaucoup sans toutefois publier. En 1949-1950, elle fait paraître son premier livre, un recueil de poèmes et de pièces de théâtre intitulé Yäləbbe mäsəhaf (« le livre de mon cœur »). Plusieurs de ses pièces sont montées dans le cadre de l’école de jeunes filles Etege Menen dont elle est la directrice (1943-1944), et jouées en public par les élèves. À cette époque, l’école sert aussi de lieu de représentations théâtrales publiques. Contemporaine des grands auteurs et dramaturges des années 1930-1950 comme Yoftahe Neguse, Melaku Begosew et Haddis Alemayehu, l’écrivaine a contribué au développement du théâtre en Éthiopie. De retour d’Allemagne (1974-1975), elle consacre sa retraite à l’écriture. Un grand nombre de ses manuscrits est conservé à l’Institut d’études éthiopiennes de l’université d’Addis-Abeba.

Delombera NEGGA

SÉNÉGALAISES CONTRE L’ESCLAVAGE [1820]

L’histoire de ces femmes sénégalaises du XIXe siècle qui décidèrent de se sacrifier ensemble pour échapper aux esclavagistes maures constitue l’une des pages les plus marquantes du continent noir. Les habitants de Nder, village phare du Walo, province prospère et très convoitée du Sénégal, vivaient principalement de transactions commerciales avec les marchands de Saint-Louis, première capitale coloniale du pays. Un jour de novembre 1820, les femmes furent surprises par l’arrivée d’une armée de Maures lorgnant depuis longtemps sur les richesses d’un commerce florissant. Protectrices, armées de coupe-coupe, de lances et de quelques fusils, elles livrèrent un combat qui tourna rapidement à l’avantage des soldats aguerris. Ne se résolvant pas à vivre en captives, les survivantes se réunirent dans une église et l’embrasèrent. De retour de la chasse, les hommes trouvèrent le village ravagé et pillé, et l’église en cendres… En mémoire de cet événement, à Nder, chaque deuxième mardi du mois de novembre, toutes les activités commerciales et administratives sont interrompues. Héroïsme pour certains, folie pour d’autres, la réputation de courage de ces femmes a depuis dépassé les frontières.

Corinne SE SE

KANE A. E., Le Songe des flamboyants de la Renaissance, Paris, Acoria, 2008.