MULLER, Jennifer [YONKERS 1944]
Danseuse, chorégraphe et directrice de compagnie américaine.
Élève à la Juilliard School of Music, au sein de la division danse, section fondée en 1951 qui proposait une double formation technique moderne et classique ainsi que des cours d’anatomie, de musique et d’histoire de la danse, Jennifer Muller a comme professeurs José Limón et Pearl Lang* dont elle intègre les compagnies entre 1963 et 1971. Sa danse est fortement marquée par la technique Doris Humphrey* - José Limón qui met en avant l’ampleur du mouvement et l’opposition entre la chute et le redressement sur l’axe vertical du corps. Avant de fonder sa propre compagnie en 1974, The Works, elle est directrice associée de la compagnie de Luis Falco où elle crée le délirant Tub (1973). Elle est régulièrement invitée à travailler avec des compagnies, notamment au Nederland Dance Theater (Strangers, 1975), au Ballet de l’Opéra de Lyon (Kite, 1986), au Ballet du Nord (Lovers, 1995). Chorégraphe sensuelle et énergique, elle privilégie le plaisir de danser tout en portant un regard acéré sur le monde contemporain.
Geneviève VINCENT
MÜLLER, Josine (née EBSEN) [HAMBOURG 1884 - ID. 1930]
Psychanalyste allemande.
C’est à Fribourg, en 1906, que Josine Ebsen commence ses études de médecine, en même temps que son amie Karen Horney*, et qu’elle rencontre Carl Müller-Braunschweig. Après l’obtention de son diplôme en 1911, elle travaille à l’hôpital de Berlin et dans un sanatorium pour enfants, où elle suit une formation en neurologie et en psychiatrie. Elle fait une analyse didactique avec Karl Abraham en 1912 et 1913, devient membre de l’Association psychanalytique de Berlin en 1921 et poursuit son analyse avec Hanns Sachs de 1923 à 1926. Très attentive à l’émancipation des femmes, et s’appuyant sur ses propres observations cliniques auprès des enfants, elle présente une contribution sur le développement libidinal de la fille, lors d’une réunion de la Société allemande de psychanalyse (DGP), le 10 novembre 1925. Elle suggère qu’il doit exister des motions vaginales précoces chez la petite fille et évoque une « libido vaginale infantile » : ce précoce investissement du vagin est ensuite réprimé au profit du clitoris, ce qui favorise une offense narcissique qui alimente l’envie de pénis. Ces explications furent reprises par Janine Chasseguet-Smirgel* dans La Sexualité féminine. J. Müller n’a pu mener à terme le travail qu’elle préparait sur « Le narcissisme infantile de la féminité ».
COLLECTIF PSYCHANALYSE ET POLITIQUE
■ « Contribution à la problématique du développement libidinal de la fille à la phase génitale », in HAMON M.-C. (dir.), Féminité mascarade, Études psychanalytiques, Paris, Seuil, 1994.
MÜLLER, Maria [THERESIENSTADT, AUJ. TEREZÍN 1898 - BAYREUTH 1958]
Soprano tchéco-autrichienne.
Maria Müller a marqué le chant wagnérien par la fraîcheur juvénile et la clarté de sa voix, un peu petite pour répondre aux exigences des grands rôles de soprano dramatique, mais compensant par sa grâce et sa sincérité. D’abord formée au Conservatoire de Prague, elle étudie avec Erik Schmedes et Anna Bahr-Mildenburg*, avant de faire ses débuts en Elsa de Lohengrin à l’Opéra de Linz en 1919. Elle est très vite engagée à Brno, au Deutsches Theater de Prague, où elle chante entre autres le rôle de Nettchen lors de la création de la version révisée de Kleider machen Leute d’Alexandre Zemlinsky, et à l’Opéra de Munich où elle chante le répertoire wagnérien. En 1925, elle est Sieglinde au Metropolitan Opera de New York, où elle se produit jusqu’en 1935. Elle excelle en Elsa, Elisabeth, Sieglinde, Senta, Eva, et chante les premières américaines de Madonna Imperia de Franco Alfano, Fra Gherardo d’Ildebrando Pizzetti, Simon Boccanegra de Verdi et L’Affaire Sorochinsti de Moussorgski. En 1926, elle est engagée par Bruno Walter pour chanter Euryanthe de Weber au Städtische Oper de Berlin, ce qui lui vaut d’être engagée par l’Opéra d’État de Berlin dès l’année suivante. Berlin devient alors le centre de sa vie d’artiste jusqu’en 1945, tandis que Winifred Wagner l’intègre en 1930 à la troupe de chanteurs piliers du Festival de Bayreuth où elle est jusqu’en 1944 Senta, Elisabeth, Elsa, Eva et Sieglinde. Elle chante également au Festival de Salzbourg, et rencontre de grands succès au Covent Garden de Londres en Eva des Maîtres chanteurs de Nuremberg en 1934 et Sieglinde dans le Ring en 1937. Son répertoire comprend non seulement les rôles wagnériens, mais aussi les rôles-titres dans Hélène l’Égyptienne de Strauss, Jenufa de Leoš Janáček et Iphigénie en Tauride de Gluck, ainsi que Marguerite, Tosca et Pamina. Elle était particulièrement appréciée dans La Fiancée vendue de Bedrich Smetana, rôle parfaitement adapté à sa voix et à ses origines tchèques. Elle est régulièrement invitée à la Scala de Milan, à l’Opéra de Vienne, de Paris, de Bruxelles, de Dresde et d’Amsterdam. Après la guerre, M. Müller se retire dans sa maison de Bayreuth, mais elle retrouve la Städtische Oper de Berlin en 1950, pour d’ultimes interprétations de Sieglinde, Elisabeth et Ariane.
Bruno SERROU
MULSANT, Florentine [DAKAR, SÉNÉGAL 1962]
Compositrice et pianiste française.
Florentine Mulsant suit durant douze ans une formation traditionnelle au Conservatoire de Paris en harmonie, contrepoint, fugue, analyse, orchestration, auprès de grands maîtres français. En 1987, elle obtient, à l’unanimité du jury, le premier prix de composition à la Schola cantorum, auprès d’Allain Gaussin. À Sienne en Italie, elle bénéficie à l’academia Chigiana des cours de Franco Donatoni, puis, de retour à Paris, elle se perfectionne auprès d’Alain Bancquart, professeur de composition au Conservatoire. De 1991 à 1998, elle enseigne l’écriture musicale à l’université Paris IV-Sorbonne, puis elle se consacre à la composition. Amers, pour piano, inspiré par le poète Saint-John Perse, est primé au concours international Premio Città di Pescara. La musique de chambre l’attire. Commandé par Radio France en 2004, son Quatuor à cordes opus 26 lui vaut la médaille d’or au Concours international de composition de l’académie de Lutèce. La même année, le violoncelliste Henri Demarquette crée la Sonate pour violoncelle opus 27, qui lui est dédiée, et la jeune pianiste Lise de La Salle lui commande une pièce pour piano pour le festival Les solistes aux serres d’Auteuil, à Paris, La Passacaille opus 29. En 2005, le Quintette à vent opus 30 est créé à Clermont-Ferrand, et l’année suivante La Symphonie pour cordes opus 32, commande de Radio France pour le festival Présences, œuvre dédiée à sa mère. Le parcours de F. Mulsant prolonge l’héritage post-sériel. Le prix Henri-Sauguet lui est décerné pour la Suite sacrée opus 31 pour grand orgue, au concours international de composition de Saint-Bertrand-de-Comminges, en 2006. Sur commande d’État, elle écrit sa seconde symphonie, Exil, pour grand orchestre, créée au festival Prague Premières en 2008.
Martine CADIEU
■ Chamber Music, Coda, 2007.
MUMBU, Marie-Louise (dite BIBISH) [BUKAVU 1975]
Auteure dramatique congolaise.
Marie-Louise « Bibish » Mumbu fait des études de journalisme à Kinshasa, à l’Institut technique des sciences de l’information, et en sort diplômée en 2002. Elle se consacre alors au journalisme culturel, écrit pour la revue Africultures pour laquelle elle est correspondante à Kinshasa et publie un ouvrage sur le plasticien congolais Francis Mapuya. Elle participe activement à l’effervescence artistique qui marque le Congo des années 2000 et travaille auprès du chorégraphe congolais Faustin Linyékula pour la mise en place des Studios Kabako à Kisangani. Elle accompagne également la jeune metteur en scène montante Astrid Mamina*. Ses chroniques de la vie quotidienne de Kinshasa, Mes obsessions : j’y pense et puis je crie ! (2004), constituent le matériau du spectacle de F. Linyékula Festival des mensonges, et lui donnent une première visibilité comme auteure. En 2007, Fratrie errante est mis en scène par F. Linyékula pour le Festival international des francophonies, puis repris au Festival d’Avignon. Dès lors, elle ne cesse d’écrire et bénéficie en 2009 d’une résidence d’écriture à la Maison des auteurs de Limoges. Née dans l’ex-Zaïre des années 1970, elle témoigne d’un monde explosé où il faut pourtant continuer à vivre pour résister. « Je demeure dans l’urgence de poser un acte, en cris ou en écrits qu’importe. C’est mon acte de foi », dit-elle. Elle travaille sur la déconstruction et le chaos sans trame narrative, privilégiant la friction des langues et des sons qui se télescopent et emportent le lecteur-spectateur dans un tourbillon où théâtre, danse, vidéo, musique, installation plastique s’entremêlent dans une joyeuse hybridation : brassage et macération préparatoire à une fermentation créatrice garante de renouveau.
Sylvie CHALAYE
MUMTAZ, Khawar [PAKISTAN V. 1950]
Militante pakistanaise des droits des femmes.
Diplômée de l’université de Karachi en relations internationales, Khawar Mumtaz s’engage pour le développement, l’environnement, les femmes et la santé génésique. Au Pakistan, elle cofonde le Women’s Action Forum et dirige le Centre de ressources pour les femmes, Shirkat Gah ; elle est à la tête du Forum des ONG pakistanaises qu’elle représente au niveau des institutions onusiennes. Militante infatigable, elle plaide pour l’autonomisation des femmes par l’amélioration de leur accès à l’information, aux ressources et à la prise de décision. Elle a notamment publié Women of Pakistan : Two Steps Forward, One Step Back ? (1986), Women, Environment and Development (1993) et Internal Conflicts in South Asia (1996). En 2006, elle s’est vu décerner le Sitara-e-Imtiaz, la troisième plus haute distinction accordée par le Pakistan, pour les services sociaux et la défense des droits des femmes.
Michèle IDELS
MUN CHÔNGHÛI (ou MOON CHUNG-HEE) [POSONG 1947]
Poétesse sud-coréenne.
Mun Chônghûi rencontre un grand succès populaire et critique depuis ses débuts en 1969. Elle enseigne la création littéraire à l’université Dongguk de Séoul. Son lyrisme concret, qui n’hésite pas devant les envolées passionnées, se penche sur la vie quotidienne des femmes, ses limites et ses joies infimes, notamment dans Namjarûl wihayô (« pour les hommes », 1996) et Ora kôjit saranga (« viens, amour mensonger », 2001). Sans cesse confrontée à l’échec de ses désirs de liberté, elle ne renonce pourtant pas à rechercher l’harmonie qui la fuit. Les petits renoncements de la vie sont-ils autant de reculs ou bien le prix à payer pour rejoindre l’autre ? La possibilité de laisser s’exprimer les corps, conçus comme des éléments d’une Nature à laquelle il nous faut nous unir, apparaît comme la solution ultime. La poétesse s’est aussi essayée à la scène, en proposant en particulier une version théâtrale chantée (p’ansori) du roman classique de Kim Man-jung, Kuunmong (« le rêve des neuf nuages », 1687-1688).
Patrick MAURUS
■ KLTI (dir.), Korean Writers : The Poets, Séoul, Minumsa, 2005.
MUNDO, Fe DEL [MANILLE 1911 - QUERZON CITY 2011]
Pédiatre philippine.
Le décès en bas âge de trois de ses sept frères et sœurs pousse Fe del Mundo à étudier la médecine. Elle acquiert sa licence en 1933 à l’Université des Philippines de Manille, et est reçue 3e du concours la même année. Pendant la seconde partie de ses études, elle travaille en province et prend conscience de la nécessité de soigner les enfants et les femmes enceintes. En 1936, grâce à une bourse du gouvernement philippin, elle devient la première Philippine et la seule femme à être inscrite à Harvard Medical School. Elle restera aux États-Unis jusqu’en 1941, années pendant lesquelles elle passe son internat à l’hôpital Billings de l’université de Chicago et à l’hôpital pour enfants de Harvard Medical School. Elle passe aussi un master en bactériologie à l’université de Boston en 1940. De retour au pays en 1941, Dr Fe del Mundo rejoint la Croix-Rouge internationale et se porte volontaire pour soigner les enfants des étrangers emprisonnés à l’Université Santo Tomás, où elle est surnommée l’Ange de Santo Tomás. De 1943 à 1948, elle dirige un hospice pour enfants, qui devient le North General Hospital. Conjointement, elle exerce dans sa petite clinique privée. Frustrée par la bureaucratie de l’hôpital public, elle vend tous ses biens, emprunte, et crée en 1957 le premier hôpital pour enfants de son pays, le Children’s Medical Center à Quezon City. En 1966, elle crée l’Institute of Maternal and Child Health. Son travail est récompensé par le prix Elizabeth-Blackwell. F. del Mundo a écrit plus d’une centaine d’articles sur des sujets divers, tels que les maladies infectieuses, la fièvre dengue, la poliomyélite, les soins en milieux ruraux et la contraception, ainsi que des manuels de pédiatrie. Ses cinquante années de recherche et de pratiques pédiatriques sont récompensées par le prix Ramon Magsaysay pour le service public et par celui de l’Association internationale de pédiatrie en 1977. Elle reçoit aussi le titre honorifique de « Scientifique nationale des Philippines » en 1980.
Elisabeth LUQUIN
■ NAVARRO M. J., National Scientists of the Philippines (1978-1998), Pasig City, Anvil, 2000.
■ CHUA P. S., « Fe del Mundo, M.D. : At 94, still in the practice of Pediatrics », in The Sunday Times Magazine, 27 avril 2003.
MUNDY, Hilda (Laura VILLANUEVA ROCABADO, dite) [ORURO 1912 - LA PAZ 1982]
Écrivaine bolivienne.
Fille de l’architecte Emilio Villanueva, constructeur de La Paz, Hilda Mundy est aussi l’épouse du poète avant-gardiste Antonio Avila et la mère de la poétesse Silvia Mercedes Avila, qui lui dédie sa première œuvre poétique, Tu nominas los sueños (« tu nommes les rêves », 1963). Au moment de la guerre du Chaco entre la Bolivie et le Paraguay (1932-1935), à l’origine du nationalisme qui domine la scène politique bolivienne au XXe siècle, elle écrit Impresiones de la guerra del Chaco (paru en 1989 dans Cosas de fondo) et publie des articles dans les journaux de sa ville natale sous les pseudonymes de Jeanette, Mme Adriane et Maria d’Aguileff. Plus tard, sous le pseudonyme d’Ana Massina, elle écrit pour le journal La Nación de La Paz, où sa chronique connaît un certain succès. À contre-courant du modèle établi en Bolivie pendant la guerre du Chaco, Pirotecnia, ensayo miedoso de literatura ultraista (« pyrotechnie, essai timoré de littérature ultraïste », 1936) est le seul de ses livres qui suit les avant-gardes littéraires du début du XXe siècle. Suivant cette influence, ses écrits de guerre sont empreints d’ironie. Son œuvre poursuit une fin non pas moralisatrice, mais plutôt « désacralisante », où il n’est pas question de principes mais plutôt d’ambiguïtés, de remises en question. Concernant les femmes, elle établit, comme pour la guerre, un contre-discours du contre-discours : tout en se plaçant du côté des luttes émancipatrices, elle se démarque du féminisme institutionnalisé. Elle se rapproche en cela de la proposition d’Alfonsina Storni*, qui parle de « féminisme parfumé ». Plus globalement, H. Mundy s’oppose à toute institutionnalisation, y compris celle de la parole. Pour elle, la littérature est un processus de « dés-écriture » permanente. La poétesse et critique littéraire Blanca Wiethüchter* a montré comment ses textes annoncent clairement les anti-poèmes du poète chilien Nicanor Parra.
Virginia AYLLÓN
■ WIETHÜCHTER B., « La clausura », in Hacia una historia crítica de la literatura en Bolivia, La Paz, Programa de Investigacíon Estratégica en Bolivia, 2002.
MUNIZ SODRÉ BITTENCOURT, Niomar [SAN SALVADOR DE BAHIA 1916 - RIO DE JANEIRO 2003]
Journaliste brésilienne.
Après avoir travaillé comme journaliste à Rio de Janeiro, passionnée par les arts plastiques, elle participe à la fondation du musée d’Art moderne de la ville dans les années 1950. En 1963, après la mort de son époux, Paulo Bittencourt, Niomar Muniz Sodré prend la direction du journal dont il était propriétaire, Correio da Manhâ (« le courrier du matin »), qui joua d’abord un rôle important contre la présidence de Joâo Goulart. Néanmoins, après le coup d’État de 1964, son journal défend les droits des prisonniers politiques de la dictature militaire. Censuré, il subit de nombreuses pressions économiques. En 1974, elle est emprisonnée et le journal ferme. Avant de pouvoir retourner au Brésil, elle passe près de vingt années en exil à Paris.
Mirta VARELA et Ana Lía REY
MUÑOZ, Eunice [AMARELEJA, ALENTEJO 1928]
Actrice portugaise.
Eunice Muñoz s’essaye au théâtre dès l’âge de 5 ans dans la troupe ambulante familiale. À 13 ans, remarquée par la compagnie Rey Colaço-Robles Monteiro, elle joue au Teatro Nacional D. Maria II à Lisbonne dans Vendaval, une pièce de Virgínia Vitorino. Étudiante au Conservatoire, elle est, en 1943, une mémorable Maria dans le classique d’Almeida Garrett, Frère Luís de Sousa. Elle enchaîne comédies sentimentales, farces et opérettes, et, en 1946, joue au cinéma dans Camões de José Leitão de Barros. En 1947, mariée et jeune mère, elle retourne au théâtre comme tête d’affiche avec A noite de 16 de Janeiro (« la nuit du 16 janvier ») de Ayn Rand. L’année d’après elle rejoint la compagnie Comediantes de Lisboa, et obtient un très grand succès en 1949 dans Outono em flor (« automne en fleurs ») de Júlio Dantas. En 1952, elle décide d’abandonner sa carrière, mais se reprend et fait un retour triomphal, en 1955, dans le rôle-titre de L’Alouette de Jean Anouilh. Les succès s’enchaînent alors (La Nuit des rois de Shakespeare ; Cher menteur de Jérôme Kilty, 1963). Elle s’essaye également au théâtre expérimental, aux pièces de boulevard et à la télévision. Ses adieux à la compagnie Rey Colaço-Robles Monteiro, en 1971, sont pour O duelo (« le duel ») de Bernardo Santareno, auteur phare du XXe siècle, très surveillé par la dictature. Après la révolution des Œillets (1974), elle marque l’histoire du théâtre portugais dans Mère courage et ses enfants de Brecht (1986) ou Le Récit de la servante Zerline de Hermann Broch (1988). La romancière Lídia Jorge* lui offre A Maçon (« la franc-maçon », 1997) ; Maria Velho da Costa* écrit pour elle et pour Eva Wilma Madame (2000). Le XXIe siècle ne ralentit pas l’appétit de la scène de cette actrice reconnue et célébrée au Portugal et hors frontières.
Graça DOS SANTOS
■ Eunice Muñoz, 50 anos de da vida de uma actriz (catalogue d’exposition), Dos Santos V. P. (org.), Lisbonne, Museu nacional do Teatro, 1991.
■ RAMOS J. L., Dicionário do cinema português (1962-1988), Lisbonne, Editorial Caminho, 1989.
MUÑOZ, Isabel [BARCELONE 1951]
Photographe espagnole.
Au début des années 1970, Isabel Muñoz étudie la photographie au Fotocentro de Madrid, puis au Department of Visual and Cultural Studies de l’université de Rochester (New York). Elle reviendra à plusieurs reprises aux États-Unis pour se familiariser avec les différentes techniques de prises de vue et de laboratoire. Sa première exposition personnelle a lieu en 1986 à Madrid, et marque le début d’une longue série. Depuis le milieu des années 1970, elle développe une œuvre qui se présente comme un véritable hymne au corps humain et à ses diverses possibilités expressives. Par la photographie, elle souhaite capturer les mouvements du corps, notamment à travers la danse, qui constitue un moyen d’expression privilégié. Ce fil conducteur sous-tend l’ensemble de ses séries, dont chacune des thématiques procède d’un voyage, d’une rencontre avec une nouvelle population. La photographe explore toutes sortes de danses – classique ou contemporaine, populaire ou folklorique –, l’univers du flamenco (Flamenco, 1989), du tango (Tango, 1989), de la danse orientale (Danse orientale, 1992), de la danse cubaine (Danza cubana, 1995) ou encore du ballet classique (Ballet national de Cuba, 2001). Ses questionnements sur le corps en mouvement se prolonge dans d’autres types de langage corporel, tels que la lutte (Lucha turca), les arts martiaux (Capoeira, 2000), la contorsion (Contorsionistas, 1998) ou la tauromachie (Toros, 1992). Certaines séries comme Man et Sumar Etiopia (2002-2006) sont consacrées au corps en tant que support expressif, comme les corps scarifiés ou parés. L’artiste cherche à rendre compte de toutes les émotions corporelles et à en traduire le langage, valorisé par l’utilisation du platinotype, procédé photographique ancien, caractéristique de son œuvre, qui lui permet de sublimer la texture et les nuances des corps représentés. Selon un processus lent, elle travaille la matière et réalise elle-même ses tirages : des grands formats, généralement en noir et blanc, bien que la couleur fasse de ponctuelles apparitions, notamment dans les séries les plus récentes (Maras ; Amor y extasis). Ainsi, tout en renouant avec une certaine tradition de la photographie, I. Muñoz se singularise par une vision personnelle et poétique du corps, qui en fait une des grandes figures de la photographie espagnole.
Ludovic DELALANDE
■ Isabel Muñoz (catalogue d’exposition), Armada A., Caujolle C. (textes), Arles, Actes Sud, 2004 ; Obras maestras, Madrid, La Fábrica, 2010.
MUÑOZ YEGROS, Gloria [ASUNCIÓN 1949]
Écrivaine et dramaturge paraguayenne.
Bien qu’ayant commencé à écrire assez tôt, Gloria Muñoz Yegros publie peu de textes avant la fin de la dictature d’Alfredo Stroessner (1954-1989). À la fin des années 1980, elle fonde le Centre de recherche et de diffusion théâtrale et représente le Paraguay dans le Réseau latino-américain de producteurs indépendants d’art contemporain, dont elle est toujours membre. Elle édite Canto de poetas (« chant de poètes », 1988), un recueil destiné aux enfants. Elle reçoit le premier prix au concours Néstor-Romero-Valdovinos pour sa nouvelle La navaja de don Ruperto (« le couteau de don Ruperto ») en 1993, ce qui lui permet de publier ensuite le recueil de nouvelles du même nom. La pièce Tragedia de la cárcel pública (« tragédie de la prison publique ») paraît dans le recueil éponyme en 2000. La divina comedia de Colón (« la divine comédie de Colomb ») est mise en scène pour la première fois en 1992, à l’occasion des 500 ans de la découverte de l’Amérique. S’appuyant sur la tradition de la littérature picaresque espagnole, l’auteure présente Christophe Colomb en simple plébéien qui devient amiral puis vice-roi et gouverneur des territoires découverts. La pièce, très ambitieuse, reprend toute son histoire, depuis son entretien avec la reine Isabelle la Catholique jusqu’à sa mort. G. Muñoz Yegros a aussi mis en scène, à Asunción, ses adaptations de Yo, el supremo (« moi, le Suprême ») d’Augusto Roa Bastos, en 1991, de Vidas y muerte de Chirito Aldama (« vies et mort de Chirito Aldama ») de Juan Bautista Rivarola Matto, en 1993, et d’El romance de la niña Francia (« la romance de la fille Francia ») de María Concepción Leyes de Chaves*, en 1994. Sa propre pièce, Cenizas desolladas (« cendres écorchées »), représentée en 2004, a été publiée en 2005. Madejas de Clío (« écheveaux de Clio », 2007) réunit des nouvelles qui ont pour cadre la période de la dictature de José Gaspar Rodríguez de Francia (1817-1840). Les personnages féminins, participant à un double jeu référentiel, tissent un fil narratif qui permet de parcourir l’histoire du Paraguay.
Natalia GONZÁLEZ ORTIZ
MUNRO, Alice (née LAIDLAW) [WINGHAM 1931]
Nouvelliste et romancière canadienne. Prix Nobel de littérature en 2013.
Alice Munro commence à écrire alors qu’elle fréquente l’université de Western Ontario, qu’elle quitte en 1951 pour Vancouver où elle crée la librairie Munro’s Books avec son mari. En 1972, elle revient seule dans cette même université en tant qu’auteure en résidence, ce qu’elle sera ensuite en 1980 dans les universités de Colombie-Britannique et de Queensland. Elle rencontre le succès dès La Danse des ombres heureuses (1968), son premier recueil de nouvelles qui remporte le prix du Gouverneur général – qu’elle reçoit à nouveau pour Pour qui te prends-tu ? (1978) et pour The Progress of Love (1986). Celle que la critique et romancière Cynthia Ozick* appelle « notre Tchekhov » recevra de nombreuses autres récompenses, jusqu’au prestigieux Man Booker International Prize, en 2009, qui lui confère la reconnaissance de toute sa carrière.
A. Munro use dans ses œuvres de ce qui semble futile mais génère pourtant de réelles tragédies. Elle imbrique plusieurs histoires les unes dans les autres, tisse des liens qui s’emmêlent agréablement, efface les frontières du temps, place au premier plan ce qui paraît devoir être relégué au second, fait jouer le destin. Elle abuse du silence et de l’entre-deux, de l’incertain, du vacillement. Ses personnages féminins sont tiraillés entre l’envie de changer de vie et le poids de la société qui les cloue sur place. Fugitives (2004) exprime leur désir de fuite, leur recherche de liberté… et leur renoncement – qui demeure inévitable chez A. Munro. Blessures, cicatrices, trahisons, secrets et mensonges jalonnent son œuvre, enserrant ses femmes asservies dans un univers clos d’où elles ne peuvent s’échapper. Certains de ses récits sont considérés comme autobiographiques, mais ce que l’auteure réussit, c’est véritablement à renvoyer le lecteur à sa propre vie.
Élodie VIGNON
■ La Danse des ombres heureuses, nouvelles (Dance of the Happy Shades, 1968), Montréal, Québec/Amérique, 1979 ; Pour qui te prends-tu ? (Who Do You Think You Are ? , 1978), Montréal, Québec/Amérique, 1981 ; Secrets de polichinelle (Open Secrets, 1994), Paris, Rivages, 1995 ; Fugitives (Runaway, 2004), Paris, L’Olivier, 2008 ; Loin d’elle (Carried Away : A Selection of Stories, 2006), Paris, Rivages, 2007 ; Du côté de Castle Rock (The View from Castle Rock, 2006), Paris, L’Olivier, 2009 ; Trop de bonheur (Too Much Happiness, 2009), Paris, L’Olivier, 2013.
■ COX A., Alice Munro, Tavistock, Northcote House, 2004.
MUNRO, Rona [ABERDEEN 1959]
Auteure dramatique britannique.
Très en vue en Grande-Bretagne depuis trente ans, Rona Munro est l’auteure de pièces données à Édimbourg et à Londres (de Fugue en 1983 à The Last Witch, « la dernière sorcière », en 2009). Elle a également écrit un scénario, Ladybird (1994), pour le cinéaste anglais Ken Loach. Dans ses pièces, la vie privée et ordinaire des personnages se déroule sur un arrière-fond politique et social. Dans Bold Girls (« filles audacieuses », 1991), l’histoire des personnages, essentiellement féminins, est située à la fin du XXe siècle, pendant les troubles en Irlande du Nord. Dans Barreaux (2002), la relation d’une mère emprisonnée et de sa fille ainsi que le système pénal britannique sont mis en question. Tantôt épique et historique, tantôt humainement dramatique, jamais polémique bien que soulignant l’injustice faite aux femmes, son théâtre résulte de sa capacité de camper des personnages détaillés et convaincants, et de ses recherches historiques et sociologiques approfondies. Appelée auteure « féministe », elle met les protagonistes féminins et leur héroïsme au centre de l’action, comme dans The Last Witch, qui traite des dernières sorcières écossaises mortes sur le bûcher.
Clare FINBURGH
MÜNTER, Gabriele [BERLIN 1877 - MURNAU 1962]
Peintre et graveuse allemande.
Née dans une famille protestante appartenant à la classe moyenne supérieure, Gabriele Münter s’inscrit en 1897 à Düsseldorf à la Malschule für Damen (« école pour dames »). Après un séjour de deux ans aux États-Unis, elle s’installe à Munich en 1901 pour poursuivre sa formation artistique, se tournant assez rapidement vers les cours organisés par la nouvelle association artistique Phalanx (« la phalange »). Elle apprend la gravure sur bois auprès d’Ernst Neumann, la sculpture avec Wilhelm Hüsgen, mais suit surtout les cours de nu de Vassily Kandinsky. En 1902, le maître et l’élève affichent au grand jour leur relation amoureuse. Découvrant la peinture en plein air, la jeune femme peint des paysages par petites touches qu’elle pose au couteau, dans des couleurs en nombre limité (Kandinsky beim Landschaftmalen [« Kandinsky dans un paysage »], Städtische Galerie im Lenbachhaus, Munich, 1903). Entre 1902 et 1906, le couple voyage, avant de se fixer à Sèvres, près de Paris. G. Münter commence à être reconnue comme une artiste à part entière : ses toiles sont acceptées au Salon des indépendants, ses gravures au Salon d’automne, et une sélection de ses gravures sur bois est présentée dans la revue Tendances nouvelles en 1906. En 1908, de retour en Allemagne et installé à Munich, le couple découvre, durant l’été, la petite ville de Murnau, au pied des Alpes bavaroises, qu’ils vont fréquenter régulièrement avec Alexei Jawlensky et sa compagne Marianne von Werefkin*. Dans les nombreux paysages qu’elle réalise de Murnau et de ses environs, la peintre délaisse touche et couleurs impressionnistes pour des compositions synthétiques, traitées en larges à-plats de couleurs franches. Les contours sont simples, les formes vont à l’essentiel, souvent marquées par des cernes noirs, hérités du cloisonnisme de Paul Gauguin que A. Jawlensky a fait connaître à ses compagnons (Landschaft mit Weisser Mauer [« paysage au mur blanc »], Karl Ernst Osthaus-Museum, Hagen, 1910). Membre fondatrice, en 1909, de la Neue Künstlervereinigung München (« nouvelle association des artistes munichois »), elle crée finalement, avec V. Kandinsky et Franz Marc, le Blaue Reiter (« cavalier bleu »), groupe d’artistes qui réunit les partisans du nouvel expressionnisme allemand. Continuant à se rendre à Murnau, où elle a acheté une maison surnommée la Maison des Russes, elle découvre les peintures sur verre bavaroises. Marqué par la naïveté et le primitivisme de la forme dont ces objets témoignent, le couple les collectionne et les fait apparaître dans leurs œuvres. Par la suite, des paysages et natures mortes de la peintre, comme Maske mit Rosa (« masque noir avec rose », 1912), montrent l’influence du formalisme d’un Pablo Picasso ou de l’expressionnisme allemand du groupe Die Brücke (« le pont »). Le marchand Herwarth Walden découvre alors son art et s’engage pour elle : en 1913, elle est la première artiste du Blaue Reiter à bénéficier d’une exposition personnelle à la galerie Der Sturm. Exilée pendant la guerre, séparée de V. Kandinsky – rentré en Russie en 1915 –, elle connaît des périodes difficiles à son retour en Allemagne en 1920. En 1930, avec son nouveau compagnon, l’historien d’art Johannes Eichner, elle s’installe définitivement à Murnau où, durant le restant de sa vie, elle déclinera des motifs similaires à ceux des années 1910. En 1957, elle fait don de 25 œuvres de jeunesse de V. Kandinsky et de plusieurs de ses propres œuvres à la Städtische Galerie im Lenbachhaus de Munich. Longtemps éclipsée par l’aura de V. Kandinsky, elle a fait l’objet en 1992 d’une grande rétrospective qui a su montrer le rôle essentiel qu’elle avait joué dans la naissance de l’art moderne en Allemagne.
Marie GISPERT
■ Gabriele Münter, 1877-1962, Retrospektive (catalogue d’exposition), Munich, Prestel, 1992 ; avec KANDINSKY V., Wassily Kandinsky und Gabriele Münter in Murnau und Kochel 1902-1914, Briefe und Erinnerungen (1994) (catalogue d’exposition), Hoberg A. (dir.), Munich/Berlin/Londres, Prestel, 2005 ; Gabriele Münter, Das Druckgraphische Werk (catalogue d’exposition), Friedel H., Eichner-Stiftung J. (dir.), Munich/New York, Prestel, 2000 ; Gabriele Münter (catalogue d’exposition), Hoberg A., Friedel H. (dir.), Munich/Berlin/Londres, Prestel, 2004.
MURAKAMI MICHIKO [FUKUOKA 1942]
Spécialiste de cuisine domestique et nutritionniste japonaise.
Après avoir enseigné la nutrition pendant une quinzaine d’années dans l’école dont elle est sortie diplômée, Murakami Michiko ouvre, à Tokyo et à Fukuoka, des classes de cuisine (kukkingu stutajio) qui s’adressent aux adultes comme aux enfants. Son activité dans le domaine de l’éducation nutritionnelle s’illustre aussi dans l’édition, la participation à des programmes de télévision, en particulier sur la chaîne éducative NHK, ou dans des conférences. Insistant sur l’importance d’une alimentation saine et équilibrée pour la bonne santé et l’énergie, elle a pour devise « Il faut bien manger pour vivre ». Son répertoire culinaire couvre aussi bien la cuisine domestique traditionnelle dans le monde que le sevrage du bébé ou l’alimentation destinée aux malades et à ceux qui subissent des traitements médicaux lourds. Elle a collaboré à quelque 250 ouvrages qui se sont vendus à plus de cinq millions d’exemplaires, y traitant aussi bien de recettes tirant partie des techniques contemporaines (congélation, micro-ondes) que d’une utilisation optimale de la cuisine en tant que lieu, ou encore des travaux domestiques en général. Plusieurs de ces ouvrages sont traduits dans d’autres langues asiatiques (thaï, coréen et chinois). Murakami Michiko a été pionnière au Japon de l’utilisation du micro-ondes pour la cuisine. Elle a notamment mis au point la confection du pain à l’aide de cet appareil, ainsi que les contenants appropriés correspondants. Elle a créé de nombreux autres objets culinaires, en particulier des couteaux spéciaux et les boîtes à bento.
Sylvie GUICHARD-ANGUIS
MURARO, Luisa [MONTECCHIO MAGGIORE, VICENCE 1940]
Philosophe et féministe italienne.
Au début de son parcours, Luisa Muraro enseigne et participe au projet L’erba voglio d’Elvio Fachinelli sur la pratique non autoritaire à l’école. En 1975, elle fait partie des fondatrices de la Libreria delle donne di Milano, la « bibliothèque des femmes de Milan », lieu d’études, de débats politiques et culturels, agissant dans les luttes féministes ; de 1976 à 2005, elle enseigne la philosophie théorétique à l’université de Vérone, où elle participe à la création de la Comunità filosofica Diotima* (1983). En 2007, elle fonde la Scuola di scrittura pensante. Théoricienne de la différence sexuelle, elle introduit l’œuvre de Luce Irigaray* en Italie. En 1981, elle s’impose sur la scène philosophique italienne avec Maglia o uncinetto, racconto linguistico-politico sulla inimicizia tra metafora e metonimia (« tricot ou crochet : récit linguistico-politique sur l’inimitié entre métaphore et métonymie »). Dans cet ouvrage, en s’appuyant sur la linguistique structurelle, sur la psychanalyse de Lacan et la réflexion féministe, elle montre l’alliance entre production symbolique et ordre social patriarcal qui, se développant sur l’axe métaphorico-théorique du discours, efface « la productivité symbolique de la matière » qui serait liée en revanche à l’axe métonymique, historiquement caché et confié aux femmes. En 1991, dans L’Ordre symbolique de la mère, elle affirme que la « langue maternelle » et les relations qu’elle privilégie, comme l’affidamento, la confiance entre femmes, constituent des modèles alternatifs à la société basée sur l’ordre symbolique du père. En 1994, elle publie Tre lezioni sulla differenza sessuale e altri scritti. C’est à partir de sa longue confrontation avec les mystiques chrétiennes comme Marguerite* Porete, Hadewijch* d’Anvers, Angèle* de Foligno, Thérèse* de Lisieux, Simone Weil* ou encore Clarice Lispector*, que naît, en 2003, le livre Le Dieu des femmes. Selon L. Muraro, l’expérience de la rencontre des femmes avec Dieu ne peut s’exprimer que dans la langue maternelle, langue intime, irréductible au langage institutionnel. Al mercato della felicità, la forza irrinunciabile del desiderio (« au marché du bonheur, la force incontournable du désir », 2009) propose une « politique du symbolique » selon laquelle le réel est impensable sans une valorisation publique de la vie intime et du désir, qui seuls nous donnent la possibilité d’« esquiver » la prise que le pouvoir exerce sur nous. En 2011, elle a publié Non è da tutti, l’indicibile fortuna di nascere donna (« ce n’est pas donné à tout le monde, l’indicible chance de naître femme »).
Anna CALLIGARIS
■ L’Ordre symbolique de la mère (L’ordine simbolico della madre, 1991), Paris, L’Harmattan, 2003 ; Le Dieu des femmes (Il Dio delle Donne, 2003), Bruxelles, Éditions Lessius, 2006.
MURARO, Rose Marie [RIO DE JANEIRO 1930 - ID. 2014]
Éditrice et écrivaine brésilienne.
Née presque aveugle dans une des familles les plus riches du pays, ayant perdu son père à 15 ans, Rose Marie Muraro rejette son milieu d’origine et s’engage auprès du futur évêque Hélder Câmara, fondateur des mouvements chrétiens de gauche qui foisonnent au Brésil dans les années 1950-1960, mais sont vivement combattus par le gouvernement militaire installé en 1964. Avec une licence de physique et une autre d’économie, cette écrivaine contestataire devient, dans les années 1970, éditrice chez Vozes, maison appartenant aux jésuites de l’Université catholique de la ville de Petrópolis. Elle accroît le catalogue traditionnel, jusqu’alors essentiellement consacré aux ouvrages religieux, de titres polémiques et novateurs, faisant une large place aux idées et aux penseurs, comme Michel Foucault. Elle travaille durant dix-sept ans aux côtés du religieux et théologien Leonardo Boff, et ces deux fortes personnalités participent à la naissance du mouvement appelé « théologie de la libération ». De surcroît, elle participe à la naissance du mouvement brésilien de libération des femmes. En 1986, ils sont tous deux expulsés de Vozes sur ordre du Vatican, R. M. Muraro à la suite de son livre Por uma erótica cristã (« pour une érotique chrétienne »), L. Boff pour sa défense acharnée d’un christianisme de gauche actif dans les milieux défavorisés. En 1990, R. M. Muraro crée, avec l’actrice Ruth Escobar* (1936), la première maison d’édition féministe du Brésil, Rosa dos Tempos (« rose des temps »). Parmi les titres qu’elles éditent se trouve en particulier le fameux Malleus maleficarum (« marteau des sorcières »), écrit en 1484 par les inquisiteurs Heinrich Kramer et James Spranger, sur les femmes sous l’Inquisition, œuvre qui a connu plusieurs éditions. Rosa dos Tempos fait actuellement partie du grand groupe éditorial Record mais a gardé son autonomie éditoriale.
Maura SARDINHA et Ligia VASSALLO
■ Avec CINTRA R. (dir.), Poemas para encontrar Deus, Rio de Janeiro, Rosa dos Tempos, 1990 ; avec BOFF L., Feminino e masculino, uma nova consciencia para o encontro da diferenças, Rio de Janeiro, Sextante, 2002.
MURASAKI-SHIKIBU [Xe-XIe siècle]
Écrivaine japonaise.
Cette écrivaine, active entre la seconde moitié du Xe siècle et la première moitié du XIe siècle, est la fille du poète Fujiwara no Tametoki. Surnommée Murasaki-shikibu, elle est célèbre en tant qu’auteure du Dit du Genji. Elle a laissé également un journal (Murasaki-shikibu nikki) et des poèmes (Murasaki-shikibu-shū). Dame de cour ayant servi l’impératrice Fujiwara no Shōshi, elle a enseigné le kanbun (le chinois) à cette dernière. Le Journal de Murasaki-shikibu nous fait parvenir plusieurs épisodes instructifs quant à l’attribution à Murasaki-shikibu du Dit du Genji : son père enseignait le kanbun à Nobunori, frère de Murasaki-shikibu ; alors que ce dernier ne retenait rien, Murasaki-shikibu, qui écoutait à côté, a pu tout comprendre. Fujiwara no Michinaga, le père de l’impératrice Fujiwara no Shōshi, a trouvé un éventail laissé par Murasaki-shikibu et a plaisanté en disant : « Je vais faire la cour à cette femme. » Fujiwara no Michinaga, qui a lu le Dit du Genji et sachant qu’elle en était l’auteure, s’est imaginé qu’elle était une libertine. Dirigées par Shōshi, les dames de cour s’étaient appliquées à copier des manuscrits du Dit du Genji. Pour l’offrir à l’empereur, un manuscrit luxueux a été préparé par les collègues de Murasaki-shikibu sous le patronage de l’impératrice. Ce sont ces passages du Journal qui permettent d’attribuer le Dit du Genji à Murasaki-shikibu. Étant donné qu’il n’y avait ni le nom de l’auteur ni l’année de la rédaction dans le manuscrit, le Journal de Murasaki-shikibu est le seul document faisant la preuve de cette attribution. Mais ce texte n’est pas un « journal » à proprement parler : il relate des événements tels que la naissance des héritiers de l’empereur et comporte des lettres adressées à sa fille ; et les faits rapportés se déroulent sur une période de seulement trois ans. La lecture du Dit du Genji ou du Journal de Murasaki-shikibu ne nous éclaire guère sur sa vie et ses pensées.
KATŌ MASAYOSHI
■ Journal de Murasaki-shikibu (Murasaki-shikibu nikki), Paris, Publications orientalistes de France, 1978, et in Journaux des dames de cour du Japon ancien, Arles, P. Picquier, 1998 ; Poèmes de Murasaki-shikibu (Murasaki-shikibu-shū), Paris, Publications orientalistes de France, 1986.
■ YAMAMOTO J., Genji monogatari no jidai, Tokyo, Asahi sensho, 2007.
MURAT, Henriette-Julie DE CASTELNAU, comtesse DE [BREST OU PARIS V. 1670 - LA BUZARDIÈRE 1716]
Femme de lettres française.
D’origine noble – son père, le marquis de Castelnau, était gouverneur de Brest –, elle se marie en 1691 avec un colonel, le comte de Murat. Figure active de la vie littéraire et mondaine parisienne, Mme de Murat fréquente Mme de Lambert* et, en 1697, prétend répliquer à la misogynie des Mémoires de la vie du Comte D** *de Saint-Évremond par les Mémoires de Mme la Comtesse de M***. Mais Mme de Murat est surtout connue dans l’histoire littéraire comme auteure de contes de fées dont, à la suite de Mme d’Aulnoy*, elle a exploité le succès auprès d’un large public mondain : elle publie ainsi les Contes de fées en 1697, suivis des Nouveaux contes des fées (1698) ; dans la même veine du merveilleux féérique, elle fait paraître en 1699 un volume d’Histoires sublimes et allégoriques et un recueil de récits, intitulé Voyage de campagne. Elle est ensuite élue à l’académie des Ricovrati de Padoue. Une dernière salve de contes paraîtra encore en 1714 : L’Esprit follet ou le Sylphe amoureux. Marquée par un esprit badin et léger, l’œuvre à succès de Mme de Murat sera rééditée à plusieurs reprises au XVIIIe siècle. Un autre aspect de sa vie mérite toutefois d’être mentionné : à partir de la fin des années 1690, l’écrivaine est l’objet d’une surveillance de la part du lieutenant de police de Paris, René d’Argenson, qui donne lieu, entre 1699 et 1701, à des rapports faisant état de comportements « indécents », de propos blasphématoires et de manifestations publiques d’homosexualité. Arrêtée et condamnée à l’enfermement au château de Loches en avril 1702, elle tente de s’enfuir vainement en 1706. En 1709, on l’autorise à résider en semi-liberté chez sa famille en Limousin et, en 1715, le Régent accepte de lui accorder sa grâce. Malade, elle se retire au château de la Buzardière, près du Mans, où elle meurt peu après. Cette incarcération a occasionné l’écriture d’un journal sous forme épistolaire, encore inédit (1708-1709). Cet aspect de la vie de Mme de Murat a suscité l’intérêt de recherches récentes sur l’histoire de l’homosexualité et les études gays et lesbiennes.
Mathilde BOMBART
■ Contes, Patard G. (éd.), Paris, H. Champion, 2006.
■ GENIEYS-KIRK S., « Narrating the self in Mme de Murat’s Mémoires de Mme la Comtesse de M*** avant sa retraite, servant de réponse aux Mémoires de Mr Évremond (1697) », in TRIBOUT B., WHELAND R. (dir.), Narrating the Self in Early Modern Europe, l’écriture de soi dans l’Europe moderne, Berne, P. Lang, 2007.
MURAT, Laure [1967]
Journaliste, historienne et essayiste française.
Exploratrice des frontières de genres, dans tous les sens du terme, Laure Murat partage son temps d’études entre l’histoire de l’art et des engagements professionnels dans la presse (Beaux-Arts magazine, L’Objet d’art…). Sa rubrique sur les lieux de pouvoir, dans Profession politique, est la première expression de son intérêt pour les lieux, confirmé ensuite par plusieurs livres d’histoire littéraire : Paris des écrivains, 1996 ; Passage de l’Odéon, Sylvia Beach*, Adrienne Monnier* et la vie littéraire à Paris dans l’entre-deux-guerres (2003). Entretemps, elle articule cette recherche avec l’histoire de la folie et de la psychiatrie (La Maison du docteur Blanche, Histoire d’un asile et de ses pensionnaires, de Nerval à Maupassant, 2001). Son doctorat d’histoire est consacré à la question du « genre » telle qu’on l’entend dans les années 2000 : La Loi du genre, une histoire culturelle du « troisième sexe » (2006). Il met en rapport des discours ordinairement séparés (littérature, rapports de police, études médicales, sexologiques, psychiatriques…) ainsi que les théories féministes et queer (J. Butler*). Enseignante à l’University of California Los Angeles (UCLA) depuis 2006, L. Murat reçoit une bourse Guggenheim en 2012 pour une recherche dédiée aux vies de Lucia Joyce, Adèle Hugo et Camille Claudel* et à leurs effets « de folie et de créativité » sur leurs familles et leurs proches (« Les femmes comme symptôme, ou la folie à l’œuvre »).
Catherine GUYOT
■ L’homme qui se prenait pour Napoléon, pour une histoire politique de la folie, Paris, Gallimard, 2011 ; (IRIS CASTOR, pseud.) avec STAHULJAK Z., Zoé, la nuit, Paris, J.-C. Lattès, 2010.
MURAVSKAJA, Tanja [PÄRNU 1978]
Photographe estonienne.
Tanja Muravskaja a d’abord fait des études de journalisme. En travaillant pour la presse écrite, elle prend conscience du caractère évocateur de l’image et décide d’étudier la photographie à l’Académie des beaux-arts d’Estonie (2002-2010). D’origine ukrainienne, elle s’intéresse aux manifestations du nationalisme dans l’Estonie postsoviétique et aux conditions d’appartenance des individus à un État fondé sur l’idée de nation. Dans sa série Positsioonid (« positions », 2007), les drapeaux nationaux flottent comme des draperies décoratives recouvrant partiellement la nudité des portraiturés, posant ainsi la question de l’identité des citoyens construite par les symboles extérieurs de l’État. La série Nemad, kes laulsid koos (« ceux qui chantaient ensemble », 2009) et la série de vidéos Lucky Losers (2008) offrent respectivement des portraits d’Estoniens ayant travaillé, vingt ans plus tôt, au rétablissement de l’indépendance, et de représentants de l’élite russophone locale. T. Muravskaja excelle dans le portrait photographique dépouillé. Ses images, de la mise en scène à la lumière, sont très contrôlées. S’inspirant des grands maîtres de la peinture, elle recherche la perfection technique pour donner forme à ses idées.
Kadriann SOOSAAR
MURDOCH, Iris [DUBLIN 1919 - OXFORDSHIRE 1999]
Romancière et philosophe britannique.
Née en Irlande d’un père fonctionnaire britannique et d’une mère protestante irlandaise chanteuse, c’est à Londres qu’Iris Murdoch est élevée, avant de faire des études d’histoire et de philosophie à Oxford (où elle enseigne de 1948 à 1963) puis à Cambridge. Ses premiers écrits sont des essais philosophiques (notamment, en 1953, un essai sur Sartre, première étude en anglais sur le philosophe, rencontré dans les années 1940 alors qu’elle est membre active du parti communiste), veine qu’elle entretiendra jusqu’à la fin de sa vie, notamment avec un ouvrage intitulé Metaphysics as a Guide to Morals (1992). C’est en 1954 que paraît son premier roman, Sous le filet, suivi d’une trentaine d’autres, dont Les Cloches (1958), Le Château de la licorne (1963) ou La Mer, la mer (1978). Ses romans portent l’empreinte de sa formation de philosophe, surtout existentialiste. I. Murdoch aborde des questions fondamentales d’identité et de liberté, d’éthique et de religion à travers des intrigues jouant avec le surnaturel, le grotesque ou la comédie, et dont les personnages se trouvent à chercher un sens à leur vie dans des situations extraordinaires. Elle fait appel à l’allégorie et la mythologie pour traiter des problèmes existentiels de ses contemporains.
Geneviève CHEVALLIER
■ Sous le filet (Under the Net, 1954), Paris, Gallimard, 1985 ; Les cloches (The Bell, 1958), Paris, Gallimard, 1985 ; Le Château de la licorne (The Unicorn, 1963), Paris, Mercure de France, 1965 ; La Mer, la mer (The Sea, the Sea, 1978), Paris, Gallimard, 1992.
■ CONRADI P. J., Iris Murdoch : A Life, New York, Norton, 2001.
MURGIA, Michela [CABRAS 1972]
Écrivaine italienne.
Michela Murgia explore dans ses livres différents aspects de la Sardaigne, contemporaine et ancestrale. Né d’un blog tenu lors de son expérience, son premier livre, Il mondo deve sapere (2006), relate le quotidien des travailleurs d’un centre d’appels. Adapté au théâtre, il inspire le scénario d’un film de Paolo Virzi. La narratrice de son deuxième roman, Accabadora (2009), est « fillus de anima », comme on appelle en Sardaigne « les enfants doublement engendrés, de la pauvreté d’une femme et de la stérilité d’une autre ». Elle met en scène avec douceur la tradition sarde de la « dernière mère », celle qui abrège la vie des mourants. Dans le huis clos d’un village pauvre, la jeune fille découvre le poids de l’héritage et des coutumes. Traduit en 15 langues, ce roman lui vaut le prix Campiello en 2010. Ave Mary (2011), réflexion sur le rôle des femmes dans la religion catholique, connaît également un grand succès en Italie.
Fleur D'HARCOURT
■ Accabadora (2009), Paris, Seuil, 2011 ; La Guerre des saints (L’incontro, 2012), Paris, Seuil, 2013.
MURIÀ, Anna [BARCELONE 1904 - TERRASSA 2002]
Journaliste et écrivaine espagnole d’expression catalane.
Anna Murià suit des cours du soir à l’Ateneu encyclopédique populaire. Elle devient fonctionnaire de la Generalitat de Catalunya, et, pendant la guerre civile, secrétaire de l’Institution des lettres catalanes. Bien qu’elle ne se déclare pas ouvertement féministe, la question féminine l’intéresse vivement. Attirée par la politique, elle milite à Acció catalana (« action catalane »), Esquerra republicana (la gauche républicaine) et Estat català (« état catalan »). Elle compte parmi les membres fondateurs du Groupe syndical d’écrivains catalans. Elle commence par écrire dans divers magazines et journaux (La Dona Catalana ; La Rambla ; La Nau ; Meridià ; Diari de Catalunya). Son premier roman, Joana Mas, paraît en 1933 ; son premier essai, La revoluciómoral (« la révolution morale »), en 1934, suivi en 1937 de El 6 d’octubre (« le 6 octobre ») et El 19 de juliol (« le 19 juillet »). À la fin de la guerre civile, elle s’exile en France avec sa famille. Elle vit à Roissy-en-Brie et fréquente des écrivains catalans, dont Mercè Rodoreda* et Agustí Bartra, qui devient son époux. En 1940, le couple part pour la République Dominicaine, Cuba, puis le Mexique, où ils demeurent pendant trente ans. Traductrice, elle collabore aux publications des exilés catalans en Amérique, Catalunya à Buenos Aires, Germanor à Santiago, et à trois magazines littéraires au Mexique. C’est là qu’elle publie des nouvelles lyriques et le conte El nen blanc i el nen negre (« l’enfant blanc et l’enfant noir », 1947). Son style poétique, riche et imaginatif, excelle dans Crònica de la vida d’Agustí Bartra (« chronique de la vie d’Agustí Bartra », 1967) et L’obra de Bartra (« l’œuvre de Bartra », 1975), où elle témoigne de la vie passée au côté de son mari et de son aventure intellectuelle. De retour en Catalogne en 1970, elle reprend la création littéraire avec des récits, une correspondance avec M. Rodoreda, une pièce et des contes pour enfants, et elle rejoint les revues en langue catalane, Cavall Fort, Tretzevents et Serra d’Or. Elle reçoit le prix Josep María Folch i Torres pour El meravellós viatge de Nico Huehueti a través de Mèxic (« le merveilleux voyage de Nico Huehueti à travers le Mexique », 1974) et les prix Cassà de la Selva (1973) et El Recull (1978). En 1990, elle est décorée de la Creu de Sant Jordi, la plus grande distinction de la Generalitat de Catalunya.
Amàlia PRAT
■ ABRAMS D. S., Anna Murià i la seva crònica de la vida d’Agustí Bartra, Barcelone, Pòrtic, 1990 ; BACARDÍ M., Anna Murià, el vici d’escriure, Barcelone, Pòrtic, 2004 ; GRIFELL Q., Anna Murià, àlbum de records, Argentona, L’Aixernador, 1992.
■ IBARZ M., « La literatura com a vici moral », in El Temps, 20 avr. 1992.
MURIEL DE LA TORRE, Josefina [MEXICO 1918 - ID. 2008]
Historienne mexicaine.
Considérée au Mexique comme la fondatrice des recherches sur l’histoire des femmes de l’époque coloniale, Josefina Muriel de la Torre publie 18 ouvrages sur ce sujet tout en élevant quatre filles. Titulaire en 1946 d’un doctorat de l’Université autonome nationale du Mexique (UNAM), elle est chercheuse associée à cette institution pendant toute sa carrière. Publié cette même année, Conventos de Monjas en la Nueva España (« couvents de nonnes en Nouvelle Espagne ») inaugure un champ de recherches et devient un classique, tandis qu’elle continue de travailler sur les institutions et les personnalités religieuses, élargissant son propos aux écoles pour filles, aux hôpitaux et aux institutions de bienfaisance. Paru en 1985, Cultura Femenina Novohispana (« culture féminine de Nouvelle Espagne ») montre la forte présence des femmes dans la littérature, la poésie, les chroniques et les écrits mystiques. Elle écrit aussi bien des monographies (par exemple sur l’école basque pour filles de Mexico) que de vastes synthèses comme Las mujeres de Hispanoamérica en la época colonial (« les femmes de l’Amérique espagnole à l’époque coloniale », 1992). Son attention aux détails et ses recherches minutieuses ont fait de ses ouvrages des sources riches et fiables d’information, tandis que son engagement pour l’histoire des femmes a favorisé cette approche au sein de l’historiographie mexicaine. J. Muriel de la Torre fonde la revue Estudios de Historia Novohispana en 1966. Elle crée et dirige Las Vizcaínas, centre des archives de l’école basque et lieu de dépôt de sources pour l’histoire des femmes. Elle est admise en 1993 à l’Académie d’histoire du Mexique.
Asunción LAVRIN
MURILLO, Christine (Christine MANUEL, dite) [1951]
Actrice française.
Fille de la chorégraphe Léone Mial et du comédien français Robert Manuel, Christine Murillo est la sœur cadette de Catherine Salviat*. Formée au Conservatoire d’art dramatique par Louis Seigner, Jean-Paul Roussillon et Antoine Vitez, elle entre à la Comédie-Française en 1977, après des débuts au café-théâtre. Elle joue Éric Westphal, Jean Anouilh, François Billetdoux. Promue sociétaire, elle fait des soubrettes du répertoire un grand emploi, avant d’aborder Carlo Goldoni, Henry Becque, Maxime Gorki, affirmant la diversité de ses talents. Elle joue Ivanov d’Anton Tchekhov, sous la direction de Claude Régy, La Ronde d’Arthur Schnitzler, dans une mise en scène d’Alfredo Arias à l’Odéon. Un Molière de la comédienne dans un second rôle la récompense pour La Mouette (1989, mise en scène d’Andrei Konchalovsky). En 1988, elle renonce à la Comédie-Française. Dès lors, elle prête son talent surtout au répertoire contemporain. Elle excelle dans les personnages truculents de Hanokh Levin (sous la direction de Michel Didym ou de Laurent Pelly). Elle reçoit le Molière 2005 de la comédienne pour Dis à ma fille que je pars en voyage de Denise Chalem* (mise en scène par l’auteure) ; Vers toi terre promise de Jean-Claude Grumberg (mise en scène par Charles Tordjman) lui vaut une nomination en 2009. La personnalité de C. Murillo séduit les réalisateurs : Benoît Jacquot dans La Vie de Marianne, mais aussi Coline Serreau*, Gérard Oury et Ariane Mnouchkine*, et plus récemment Francis Girod, Anne le Ny ou Albert Dupontel. Elle écrit avec Grégoire Oestermann et Jean-Claude Leguay Le Baleinié, dictionnaire des tracas, composé de mots inventés, devenu un succès théâtral en plusieurs épisodes de 2006 à 2012 sous les titres de Xu, Ugxu et Oxu. Pour elle et sa sœur, Pierre Notte a écrit une jolie pièce créée en 2009, Voyage de deux petites dames vers le nord.
Mireille DAVIDOVICI et Noëlle GUIBERT
■ Le Baleinié, 3 vol., Paris, Seuil, 2003-2007.
MURILLO, Rosario [MANAGUA 1951]
Poétesse nicaraguayenne.
Au début des années 1970, Rosario Murillo fonde un groupe culturel d’opposition à la dictature de Somoza. Sept ans plus tard, elle s’exile pour des raisons politiques. Elle revient dans son pays en 1979, lors du triomphe de la Révolution sandiniste. Elle a été la rédactrice en chef de Ventana (« fenêtre »), supplément culturel du journal Barricada (« barricade »), et a occupé plusieurs postes publics dans le secteur culturel au Nicaragua. Sa poésie a pour fil conducteur une voix historique qui énonce le présent pour le comprendre et le combattre, en lien avec la Révolution sandiniste. Tous ses livres mettent en scène une voix poétique critique, interrogeant son entourage et assumant son engagement politique, qui somme le lecteur de s’engager. R. Murillo explore par ailleurs les relations entre la poétique et l’histoire, à partir d’une vision cyclique : tout se répète ; l’homme doit donc être prêt à affronter sans cesse les nouvelles attaques pour faire reculer l’injustice. Le Nicaragua est présent dans tous ses poèmes, tel un abri offert à tout être humain désemparé devant l’histoire. Dans Las esperanzas misteriosas (« les espérances mystérieuses », 1990), la poétesse propose de « chanter au monde amoureusement », ce qui reflète sa vision positive de la parole poétique comme forme de communion avec l’univers. Elle a publié plusieurs recueils, dont Un deber de cantar (« chanter est un devoir », 1981), En las espléndidas ciudades (« dans les villes splendides », 1985), et un essai, El pais que soñamos (« le pays dont nous avons rêvé », 2001), dans lequel elle poursuit sa réflexion amorcée en poésie. Elle est l’épouse de l’actuel président du Nicaragua, Daniel Ortega.
Ingrid SOLANA
MURPHY, Catherine [CAMBRIDGE, MASSACHUSETTS 1946]
Peintre américaine.
Diplômée en 1967 du Pratt Institute de New York, Catherine Murphy réalise des toiles qui sont présentes dans de nombreuses collections publiques, dont le Whitney Museum of American Art, le Museum of Modern Art, le Metropolitan Museum of Art, le Hirsshorn Museum et la Phillips Collection. Son œuvre figurative complexe traite avant tout de sujets simples et quotidiens, sans puiser dans des références photographiques. La reprise de motifs tels que la croix, les scènes répétées dans la toile avec des procédés comme les miroirs, les reflets, et enfin le sens de la géométrie sont autant d’éléments qui tirent son travail du côté de l’abstraction. La peintre accorde une attention toute particulière à la lumière, à la surface et aux reflets. Ainsi, dans Xmas Lightsz (2007), plusieurs sources de lumière concordent : celle des couleurs primaires encadrant la scène, celle provenant de la fenêtre représentée, et celle de la vue donnant sur un paysage ; la lumière est bien le sujet de cette peinture. Les images sont souvent provocatrices : dans Pendant (2005), un décolleté, orné d’un gigantesque pendentif en crucifix, le sexe, la peau, la religion sont convoqués simultanément. Les gros plans sur le bas d’un visage, dont une partie est plongée dans l’ombre (Persimmon, « kaki », 1991), le corps présenté sous forme de fragments dans une peinture telle que Two Feet (Ben Busch) (1992) sont autant d’éléments saisis dans l’instant, caractéristiques de la manière dont C. Murphy procède, par cadrages très spécifiques. Dans un entretien donné à Francine Prose dans Bomb Magazine (no 53, 1995), revenant sur son intérêt pour la capture de la lumière à un moment précis, elle déclare : « I am a compulsive Abstract Expressionist. » Elle désigne ainsi, avec humour et décalage, une intention et un désir réels de saisir les mouvements, les rythmes et la lumière, qu’elle traduit de la manière la plus juste possible, mais aussi une filiation avec le mouvement de l’expressionnisme abstrait.
Marion DANIEL
■ New Paintings and Drawings, 1980-1985 (catalogue d’exposition), New York, X. Fourcade, 1985.
MURPHY, Pat [DUBLIN 1951]
Réalisatrice irlandaise.
C’est grâce à cette réalisatrice que la notion de « cinéma de femmes » émerge pour la première fois en Irlande et, aujourd’hui, Pat Murphy est considérée comme l’une des plus importantes et des plus novatrices réalisatrices dans ce pays. Après des études en art à Londres, elle est la première Européenne récipiendaire de la bourse d’études du Whitney Award à New York. Elle réalise un premier court-métrage (Rituals of Memory, 1977) alors qu’elle est encore étudiante. C’est surtout avec son premier long-métrage, Maeve (1981), qu’elle se fait connaître. À partir d’une forme narrative expérimentale, elle s’interroge sur les sentiments d’aliénation de sa protagoniste. Dans son second film de fiction, Anne Devlin (1984), P. Murphy choisit une construction narrative plus classique. Dédié aux « femmes oubliées par l’histoire », le film est basé sur le journal de son héroïne éponyme, emprisonnée dans l’Irlande du XIXe siècle pour avoir défendu la liberté de son pays. Dans Nora (2000), coproduction germano-italienne, la réalisatrice s’inspire de la vie de Nora Barnacle, amante de l’écrivain James Joyce.
Brigitte ROLLET
MURRAY, Elizabeth [CHICAGO 1940 - WASHINGTON COUNTY 2007]
Peintre et sculptrice américaine.
Elizabeth Murray a consacré sa vie à repousser les frontières de la peinture et à la revitaliser dans les années 1970-1980, en la traitant comme un objet à part entière. Après avoir grandi dans l’Illinois au sein d’une famille catholique d’origine irlandaise, elle est diplômée de l’Art Institute de Chicago en 1962, et du Mills College d’Oakland (Californie) en 1964, tandis qu’elle suit parallèlement un apprentissage pictural académique. En 1967, elle s’installe à New York avec son époux, le sculpteur Don Sunseri (1939-2001). Marquée par la peinture de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, elle se réfère tout particulièrement à Cézanne (1839-1906) et à Picasso (1881-1973). Dans les années 1970, sous l’influence du pop art – celui de Claes Oldenburg (1929) en particulier –, elle réalise ses premières peintures-objets et ses sculptures. Elle commence également à enseigner au Rosary Hill College de Buffalo (État de New York), et mènera régulièrement une activité pédagogique au Bard College d’Annandale-on-Hudson (1974-1977) et à la School of Visual Arts de New York (1978-1980). Elle se distingue des courants artistiques contemporains tels que l’art minimal ou l’art conceptuel, en abandonnant, en 1971, les œuvres en trois dimensions pour se concentrer sur la peinture proprement dite, à l’huile. Dès l’année suivante, elle participe pour la première fois à une manifestation d’envergure : sa toile Dakota’s Red (1971-1972) est présentée au Whitney Annual du Whitney Museum of American Art. Elle expose seule à la Jared Sable Gallery de Toronto en 1975, puis sera représentée par la Paula Cooper Gallery de New York. En parallèle, elle découvre les tableaux concaves et convexes de Ron Gorchov (1930) ; elle commence alors à travailler sur des formats qui vont à l’encontre des canons traditionnels : à côté de ses toiles rectangulaires, elle choisit d’expérimenter des châssis aux contours déformés. Ainsi, la peinture n’a plus vocation à être une fenêtre ouverte sur le monde, dans la lignée de la Renaissance italienne : elle devient elle-même un objet avec sa propre profondeur. À la fin de la décennie, E. Murray adopte un style de plus en plus abstrait, tout en incorporant quelques éléments figuratifs. Ses œuvres aux couleurs vives font penser à des sculptures associant des formes géométriques et des formes biomorphiques irrégulières et ondulantes, proches en cela du corps humain, comme Children Meeting, peinture de grand format présentée à la Biennale du Whitney en 1978. En 1980, elle rencontre le poète Bob Holman (1948), qu’elle épouse deux ans plus tard, et avec qui elle aura deux filles. Ses peintures de l’époque se déploient progressivement dans l’espace et se déclinent en éléments hybrides, entre abstraction géométrique et formes surréalistes, avec une palette systématiquement vive : Art Part (1981) est constitué de fragments géométriques accrochés au mur, à la façon d’un puzzle éclaté. Les natures mortes deviennent alors son sujet de prédilection, et elle réinterprète les objets du quotidien à la façon de Dis Pair (1989-1990), une paire de chaussures monumentales, qui vacille entre figuration et abstraction. Ses dernières peintures, à trois dimensions, évoquent le monde de la bande dessinée et celui des graffitis, associant formes géométriques, fragments corporels, objets usuels et éléments symboliques. E. Murray se voit décerner de nombreux prix et décorations honorifiques. Elle devient membre, en 1992, de l’American Academy and Institute of Arts and Letters ; elle est également nommée docteure honoris causa de l’Art Institute de Chicago en 1992 et de la New School de New York, en 2001. Au cours de l’été 1995, elle est commissaire de la deuxième exposition du Museum of Modern Art, consacrée aux femmes artistes, Artist’s Choice, Elizabeth Murray : Modern Women. Outre leur présentation dans de nombreuses rétrospectives, ses œuvres exubérantes et énergiques font partie des plus grandes collections américaines.
Fanny DRUGEON
■ Drawings, 1980-1986 (catalogue d’exposition), Gardner P., Harris A. S. (textes), Pittsburgh/New York, Carnegie Mellon University Press/Harper & Row, 1986 ; Paintings and Drawings (catalogue d’exposition), Smith R. (textes), New York, Abrams, 1987 ; Recent Paintings (catalogue d’exposition), New York, PaceWildenstein, 1997 ; Paintings 1999-2003 (catalogue d’exposition), Prose F. (textes), New York, PaceWildenstein, 2003 ; Elizabeth Murray (catalogue d’exposition), New York/Londres, MoMA/Thames & Hudson, 2005.
MURRAY, Judith SARGENT [GLOUCESTER 1751 - NATCHEZ 1820]
Écrivaine américaine.
Penseuse, essayiste et pionnière de la lutte pour l’émancipation des femmes, qui ne se voit que tardivement accorder la place qui lui revient dans l’histoire et dans les lettres américaines, Judith Sargent Murray appartient à une famille riche et cultivée et reçoit une éducation plutôt exceptionnelle pour une femme de son époque. Grande lectrice, intéressée par l’histoire, la philosophie, la théologie, la littérature, elle commence à écrire très tôt. À partir de 1774, elle décide de garder des copies de son abondante correspondance, fait remarquable à une époque où les femmes ne considèrent pas que leurs pensées valent l’attention de la postérité. Son second mari, John Murray, prêcheur universaliste qu’elle épouse en 1788, l’encourage dans ses ambitions littéraires. Dans un texte de catéchisme écrit pour l’Église universaliste en cours de fondation et paru en 1782, J. S. Murray soutient publiquement l’idée de l’égalité des hommes et des femmes, noyau de sa pensée. Deux ans plus tard, dans un essai qu’elle publie dans un magazine de Boston sous le pseudonyme de Constantia, elle dénonce les mécanismes sociaux insufflant la fausse idée du caractère naturel de la modestie et de la mésestime de soi chez les femmes, et expose sa philosophie faisant une place essentielle à l’éducation et à l’émancipation des femmes. C’est en 1790 que paraît, dans le Massachusetts Magazine, l’un de ses textes de référence : On the Equality of the Sexes (« de l’égalité des sexes »). Elle y attaque l’une des idées maîtresses de l’époque, le caractère naturel et immuable des différences intellectuelles entre les hommes et les femmes qui justifierait le maintien de ces dernières dans l’ignorance et y explique que ces différences sont en réalité socialement construites à travers le manque d’accès des femmes à l’éducation. Elle soutient l’égalité des deux sexes, notamment pour ce qui est de la capacité de raisonner, et milite pour un changement dans l’éducation des jeunes femmes. J. S. Murray expose certaines idées qui préfigurent les mouvements internationaux pour les droits des femmes. En 1790, à l’occasion d’un voyage à Philadelphie et à New York, elle rencontre de nombreuses personnalités politiques, commence à s’intéresser à la vie politique et sent grandir ses ambitions littéraires. En 1792, en plus de sa rubrique « The Repository » (« le dépôt »), qu’elle signe Constantia, elle tient une nouvelle rubrique dans le Massachusetts Magazine, qu’elle signe du pseudonyme masculin Mr. Gleaner (« monsieur le Glaneur ») pour mieux propager ses idées auprès des hommes. Ses essais publiés sous ce nom (1792-1794) deviennent vite très populaires et livrent l’essentiel de sa pensée sur des questions très diverses (égalité des femmes, santé, travail, religion, philosophie, histoire, voyage, politique). Ils brossent un tableau vivant des enjeux culturels et sociaux de l’Amérique de la fin du XVIIIe siècle. En outre, certains de ces essais engagent une réévaluation de l’histoire, et tout particulièrement de l’histoire des femmes, interprétée comme fondamentalement progressive. Le « Glaneur » écrit également un roman sentimental moderne, The Story of Margaretta. En 1798, J. S. Murray rassemble les textes signés sous ce pseudonyme et les publie à compte d’auteur, devenant la première femme américaine à le faire. L’écrivaine est également dramaturge, auteure de comédies traitant notamment de patriotisme et de structure de classes et mettant en scène de fortes figures féminines. Après 1800, à cause d’un mouvement contre le droit des femmes à travers les États-Unis et de difficultés économiques et personnelles, elle écrit moins, et plutôt de la poésie. En 1812, elle aide son mari à éditer et à publier une collection de ses ouvrages, puis en 1816, visant à consolider le rôle historique de ce dernier dans l’avènement de l’universalisme, elle fait paraître son autobiographie : Records of the Life of the Rev. John Murray (« récit de la vie du rév. John Murray »).
Denisa-Adriana OPREA
■ SKEMP S. L., First Lady of Letters : Judith Sargent Murray and the Struggle for Female Independence, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 2009 ; HARRIS S. M., « Introduction », in MURRAY J. S., Selected Writings of Judith Sargent Murray, HARRIS S. M. (dir.), New York, Oxford University Press, 1995.
MURSAL, Maryam [SOMALIE 1950]
Chanteuse somalienne.
Dès l’âge de 16 ans, Mariam Mursal commence à chanter dans les clubs de Mogadiscio. Déterminée et aimant défricher, elle chante aussi bien la tradition en formation réduite que des compositions modernes, mélange de blues, de soul et de rythmes somaliens. Grande dame du somali jazz, elle chante aussi avec Waaberi, la troupe nationale de danse et de musique avec qui elle se produit à l’étranger. Témoin de l’oppression toujours plus active du gouvernement de Mohammed Siad Barré, elle compose Ulimada, une critique à peine voilée du régime. Elle est mise à l’index par les autorités qui lui interdisent de se produire en public. En 1991, la Somalie plonge dans une guerre civile sanglante. M. Mursaal fuit avec ses cinq enfants. À pied et à dos d’âne, elle rejoint Djibouti par le Kenya et l’Éthiopie, où l’ambassade danoise lui offre l’asile. En Europe, elle réalise simultanément deux disques très différents. New Dawn, un enregistrement traditionnel, avec quelques membres de Waaberi réfugiés à Londres et The Journey, beaucoup plus moderne avec des guitares, des séquenceurs et la voix de Peter Gabriel en toile de fond. The Journey est le journal musical de sa longue marche jusqu’à Djibouti. M. Mursal vit actuellement au Danemark et espère toujours rentrer dans son pays.
Elisabeth STOUDMANN
■ New Dawn, Realworld, 1997 ; The Journey, Realworld, 1998.
MUSA, Gilda [FORLIMPOPOLI, FORLÌ 1926 - MILAN 1999]
Écrivaine et poétesse italienne.
Gilda Musa fait ses débuts dans le monde littéraire en 1953 avec la publication d’un recueil de poésie lyrique, Il porto quieto (« le port tranquille »), auquel font suite de nombreux autres recueils : Amici e nemici (« amis et ennemis », 1961) ; Lettere senza francobolli (« lettres sans timbres », 1972) ; l’anthologie personnelle Notizie in bianco e nero (« nouvelles en noir et blanc », 1983). Mais elle est surtout connue comme spécialiste de littérature de science-fiction. Elle a dirigé, avec son mari Inìsero Cremaschi, l’anthologie I labirinti del terzo pianeta (« les labyrinthes de la troisième planète », 1964) et a publié des romans de science-fiction à succès traversés par un lyrisme suggestif et caractérisés par l’originalité des situations et des personnages : Giungla domestica (« jungle domestique », 1975), Esperimento donna (« expérience femme », 1979) et Fondazione Id (« fondation ID », 1981). Certaines de ses nouvelles, publiées dans les revues Futuro et Interplanet, ont été traduites en français sous le titre « Identités remarquables ».
Francesco GNERRE
■ « Identités remarquables » (Mascherature parallele, 1976) in Fiction spécial no 30, Demain l’Italie… , Paris, Nouvelles éditions Opta, 1979.
MUSABEGOVIĆ, Jasmina (née ALIĆ) [VOGOŠĆA, AUJ. BOSNIE-HERZÉGOVINE 1941]
Écrivaine et critique littéraire bosnienne.
Née à la gare de Vogošća, dans les environs de Sarajevo, Jasmina Musabegović y revient dans son premier roman, Skretnice (« les aiguillages », 1986). Conçu comme une chronique familiale, et aussi comme celle de la période précédant et suivant la Seconde Guerre mondiale, le roman suit la vie d’une femme musulmane, déchirée entre les valeurs traditionnelles et la modernité. La femme est également au centre de ses romans Most (« le pont », 1994/2003) et Žene, glasovi (« femmes, voix », 2005). Elle a également publié de la poésie et des essais littéraires : Tajna i smisao književnog djela (« secret et sens de l’œuvre littéraire », 1977) et Naličje historije (« l’envers de l’histoire », 1999). Spécialiste de littérature française, elle a traduit Marguerite Duras* et Tahar Ben Jelloun.
Dragana TOMAŠEVIČ
MUSCHIETTI, Delfina [ENTRE RÍOS 1953]
Poétesse, critique et traductrice argentine.
Depuis son recueil Los pasos de Zoe (« les pas de Zoé », 1993), son écriture oscille entre rêve et réalité. Dans El rojo Uccello (« le rouge Uccello », 1996) et Enero (« janvier », 1999), la lumière et la couleur traduisent l’intensité des perceptions et des sentiments amoureux du moi poétique. Dans Olivos (« oliviers », 2000), l’expérience – de la petite fille, de la jeune femme et de la femme adulte – s’inscrit, telle une trace, dans la mémoire de certains lieux, dans certains noms. D. Muschietti traduit la poésie de Pier Paolo Pasolini sous le titre La mejor juventud (« la meilleure jeunesse », 1996), celle de Giuseppe Ungaretti et, en collaboration, celle de Sylvia Plath*. En tant que critique, elle s’est intéressée aux œuvres de César Vallejo, Oliverio Girondo, Juan L. Ortiz, Alejandra Pizarnik*, Arturo Carrera, Néstor Perlongher et Alfonsina Storni*. Elle a coordonné le cycle de poésie La Voz del Erizo (« la voix du hérisson », 1993-2002), lieu de rencontre de poètes de plusieurs générations.
Silvia JUROVIETZKY
MUSFY, Leila A. [LIBAN ? XXe SIÈCLE]
Graphiste et typographe libanaise.
Entre 1975 et 1981, Leila A. Musfy étudie à l’université américaine de Beyrouth, au Kansas City Art Institute, puis intègre la prestigieuse Cranbrook Academy of Art, dans le Michigan, aux États-Unis. Elle enseigne depuis 1992 le design graphique dans le cadre du département d’architecture et de design de l’université américaine de Beyrouth. L. A. Musfy travaille pour de très nombreux clients au Moyen-Orient, tels que le Beiteddine Festival, l’Organisation des architectes arabes, le théâtre de Beyrouth et plusieurs galeries d’art et institutions publiques ou privées. Conférencière, membre de jurys, animatrice de work-shops, elle a exposé à Amsterdam, à Zagreb, à Séoul, à Damas, à Los Angeles, à New York, ainsi qu’à Paris, à l’Institut du monde arabe, dans le cadre de l’exposition Femmes artistes au Liban. Par son rayonnement et son engagement, L. A. Musfy offre au public européen un exemple du dynamisme du graphisme au Moyen-Orient. Parmi ses réalisations, on trouve des identités visuelles pour une entreprise de construction ou pour un festival de musiques, des catalogues, des livres… Passionnée par l’adaptation de la calligraphie arabe aux mutations technologiques et culturelles contemporaines, elle puise largement son inspiration dans la musique, la peinture, la couleur, la photographie, qu’elle associe toujours à une excellente typographie jouant sur le double sens de lecture, de gauche à droite et de droite à gauche.
Margo ROUARD-SNOWMAN
MUSHKIN, Selma J. [CENTERVILLE 1913 - WASHINGTON 1979]
Économiste américaine, spécialiste de la santé et de l’éducation.
Au cours de sa carrière, Selma J. Mushkin a navigué entre l’enseignement, la recherche en économie et l’administration américaine. Responsable des études financières de la sécurité sociale américaine en 1937, elle fut économiste pour l’administration américaine de santé publique de 1949 à 1960 et a obtenu un doctorat de la New School for Social Research, de l’université Columbia, en 1956. Puis, elle a enseigné à l’université Johns-Hopkins (Baltimore) et à l’université George-Washington (Washington), où elle a fini sa carrière en tant que directrice du laboratoire des services publics qu’elle a créé. De 1968 à 1970, elle a également dirigé le Urban Institute (Washington), centre indépendant de recherche et d’évaluation des politiques publiques. Cette économiste, considérée comme une pionnière de l’économie de la santé, a mis en évidence l’importance de la santé dans le capital humain. Cette dernière permettant d’améliorer la qualité de la force de travail, il fallait, pour favoriser la croissance, non seulement qu’il y ait plus de travailleurs, mais également que ceux-ci reçoivent une meilleure éducation et soient en meilleure santé. Dans un article fondateur intitulé « Health as an investment » (1962), S. J. Mushkin a montré que les progrès des travailleurs sont souvent attribués à l’éducation, alors que celle-ci est indissociable de la santé. Des politiques de santé permettent une augmentation du nombre de travailleurs disponibles, mais surtout une qualité de travail plus grande. Par ailleurs, cette économiste a proposé une méthode d’évaluation de la rentabilité des dépenses de santé, reposant sur la théorie du capital humain, qui est encore largement utilisée. Ayant estimé le coût économique de la maladie de 1900 à 1975, les coûts directs et indirects, elle en a conclu que la recherche biomédicale expliquait de 20 à 30 % de la réduction du taux de mortalité observée durant cette période et que chaque mort prématurée coûtait 76 000 dollars. Ce chiffrage a permis une prise de conscience de l’importance de l’investissement public en recherche médicale et en santé dans le développement économique. Enfin, en matière d’éducation, S. J. Mushkin a montré que les États devaient accompagner le baby-boom des années 1960 en finançant un service public d’enseignement secondaire et supérieur.
Mathilde LEMOINE
■ Avec LANDEFELD J. S., Biomedical Research : Costs and Benefits, Cambridge (Mass.), Ballinger, 1979.
■ « Financing secondary school expansion », in REIFMAN L. (dir.), Financing of Education for Economic Growth, Paris, OCDE, 1966 ; « Terminal illness and incentives for health care use », in MUSHKIN S. L. (dir.), Consumer Incentives for Health Care, New York, Prodist, 1974.
MUSICIENNES À LA CROISÉE DES ARTS [XXe-XXIe siècle]
Certaines compositrices modernes, qui ajoutent à leur formation classique la connaissance d’autres arts ou d’autres cultures, tentent des alliances originales. Parmi les Françaises se distinguent ainsi Nicole Lachâtre (1934-1991), qui étudia la composition avec Darius Milhaud et Jean Rivier au Conservatoire de Paris, ainsi qu’avec André Jolivet, et écrivit d’abord des œuvres de type traditionnel (sonate pour piano, quintette avec clarinette, 1965). Toutefois elle ressentit vite le besoin, pour traduire l’intense spiritualité qui l’habitait, de s’exprimer en élargissant ses « outils » grâce à l’utilisation de la bande, de l’électroacoustique, des mathématiques, grâce aussi à l’adjonction d’images et à l’intervention de comédiens. Son catalogue, très vaste, comprend notamment Hommage à Amiel (1974), Galant de neige (1980), Noce avec la folie (1983), Le Jardin des tortues (1984). Jeannine Richer (1924), formée par Max Deutsch et initiée à l’électroacoustique par Jean-Étienne Marie, possède un catalogue instrumental diversifié et, conçu essentiellement au début des années 1970, un choix d’œuvres électroacoustiques (Oiseaux fous, 1975). Elle a participé aussi à des spectacles chorégraphiques. Passionnée par le monde du théâtre, Anne-Marie Fijal (1942) réalise avec de nombreux metteurs en scène (dont Jean-Louis Barrault) ou danseurs (dont Carolyn Carlson* pour L’Or des fous, 1979) des représentations scéniques qui correspondent depuis les années 1970 à son désir de traiter les arts dans leur complémentarité. Elle écrit pour le cinéma (La terre qui flambe de F. W. Murnau, 1998) et sa qualité de pianiste, diplômée du Conservatoire de Paris, l’incite souvent à imaginer des « récitals spectacles » (Les Sourdes Clameurs, 1988). Pascale Criton *a participé à des expériences théâtrales dans lesquelles la musique et plus généralement l’audiovisuel ont une place importante (Écrans noirs, centre Georges-Pompidou, 1982). Ses études poursuivies avec Ivan Wyschnegradsky, Gérard Grisey et J.-É. Marie ainsi que sa formation en électroacoustique et informatique musicale correspondent à l’intérêt qu’elle porte à l’écriture en micro-intervalles, au modelage d’un continuum sonore et aux problématiques d’une nouvelle lutherie. La Ritournelle et le Galop est composée pour guitare en un seizième de ton. Cécile Le Prado (1956), qui a collaboré avec le Groupe de recherches musicales (GRM) et l’Ircam, se plaît à envelopper de paysages sonores des lieux qui semblent ordinaires mais possèdent une histoire que la mémoire peut réveiller. Elle imagine donc des installations sonores, conçues grâce à des enregistrements de bruits de machines, de pas, de voix, de vent, etc. et diffusés par des haut-parleurs, entre lesquels les auditeurs évoluent. Ainsi dans Folia réalisée au Fort Foucault à Niort, des sons provenant des ateliers de peausseries se mêlent-ils à ceux d’une viole de gambe et d’une vielle. Pascale Jakubowski (1960) a travaillé l’harmonie et la composition électroacoustique au conservatoire national de région (CNR) de Bordeaux. Elle s’investit aussi dans l’exploration des musiques improvisées et des musiques extra européennes tout en portant un grand intérêt aux sciences. Ces approches diversifiées de la voix et de l’instrument lui permettent de participer à des réalisations multidisciplinaires qui associent musiciens, plasticiens, vidéastes et chorégraphes. Son Concertino pour saxophone, soprano et octuor de violoncelles (1998) a été créé au Festival international de Fiuggi (Italie). Si Sophie Lacaze (1963) s’adresse le plus souvent aux instruments traditionnels et notamment à la flûte, elle les aborde dans l’esprit du théâtre musical, sous-tendant leurs interventions par des textes poétiques ou des récits : Voyelles (poème de Rimbaud) en 1993, Broken Words (poème de Henry Kendall) en 2000 ou, la même année, And Then There Was the Sun in the Sky sur une légende aborigène. En quête (1996) est présentée comme un « parcours musical » sur des photographies de Guy Bompais et des poèmes de Jean-Pierre Rosnay. Marie-Hélène Fournier (1963) réalise des travaux au Studio électronique de Bâle (Hippogriffe III et IV, 1989 et 1991), et s’intéresse parallèlement à l’expérience sensitive et tactile avec les instruments acoustiques, notamment avec Digitigrade pour piano (1999), où de longues pédales « offrent à l’oreille le temps de goûter un univers vibratoire ». Elle explore les relations entre le son et l’espace, abordant la dramaturgie (Poker pour une harpiste et sa harpe) et s’investissant dans des recherches sur la lutherie aussi bien traditionnelle qu’expérimentale (Corps noir convexe pour saxophone contrebasse tubax).
Barbara Heller (1936), pianiste allemande, a étudié la composition à l’académie Chigiana de Sienne et à Darmstadt. Vers les années 1980, elle s’oriente vers les arts visuels et les installations sonores (Traumereise, 1991). C’est aussi poussée par les courants avant-gardistes de Darmstadt des années 1960 que Myriam Marbé, compositrice roumaine (1931-1997), commence son catalogue par des œuvres instrumentales (piano, lieder, musique de chambre, etc.) aux techniques avancées. Peu à peu, attirée par le pouvoir sonore des mots articulés, elle les intègre à son discours musical, ainsi dans Rituel pour la soif de la terre (1968) pour voix solistes, chœurs et piano préparé ad libitum, ou dans Les Oiseaux artificiels (d’après Shakespeare) pour instruments solistes et récitant. Journaliste, rédactrice de cinéma et musicologue, elle a travaillé en particulier sur le rôle des femmes dans le folklore. La compositrice néo-zélandaise Dorothy Buchanan (1945), formée à l’université de Canterbury, qui a joué un grand rôle comme pédagogue, associe littérature, peinture et cinéma à son univers musical. Elle compose en 1987 Cinq vignettes de femmes pour flûte et chœur de femmes.
Plusieurs compositrices américaines orientent leurs travaux vers l’association arts et techniques multiples. Née en 1934, Lucia Dlugoszewski, passionnée de poésie, cherche à travailler la consistance des sons. Elle use du piano préparé, en agissant sur les cordes, et emploie des objets de percussion dont la fabrication originale est due au sculpteur Ralph Dorazio. Elle écrit des partitions pour la compagnie de danse Erick Hawkins, pour le théâtre et le cinéma, pour percussion et, parmi ses nombreuses œuvres symphoniques, Abyss and Caress pour trompette et orchestre de chambre (1975) a été créée par Pierre Boulez. Sheila Silver, née en 1946 à Seattle, étudie, entre autres, avec Ligeti, et manifeste un grand intérêt pour le jazz. Également peintre et très influencée par l’art oriental et les mythologies anciennes, elle se forge un style qui mêle ces diverses sources. Son catalogue compte un opéra, The Thief of Love (1986), et de la musique de chambre essentiellement (Six mélodies sur des poèmes de Sappho, 1978). Meredith Monk (1943) produit des spectacles de théâtre musical. Outre la voix – utilisée dans ses possibilités musicales et extramusicales, souvent en désarticulant les textes –, elle y intègre la danse, la gestique et le cinéma. Elle s’inspire à la fois de cultures populaires, d’un exotisme parfois imaginaire et use de procédés répétitifs. Chanteuse elle-même, elle écrit aussi pour la voix soliste ou pour des ensembles vocaux et, en 1978, fonde le Meredith Monk Vocal Ensemble qui se fait entendre en Amérique et en Europe. Parmi ses opéras, Education of Girlchild (1975) a été primé à la Biennale de Venise. Suivent Quary (1976) et notamment Atlas (1991). Libby Larsen (1950) mène une carrière très active de compositrice et d’éducatrice. Ses œuvres traduisent à la fois son goût pour la musique populaire, pour les techniques traditionnelles, électroacoustiques et pour le jazz. Elles laissent apparaître aussi son intérêt pour la cause féministe. Quelques titres indiquent ces diverses tendances : Since Armstrong, concerto de piano (1990), Schoenberg, Schenker and Schillinger, quatuor à cordes (1991), Mrs Dalloway opéra d’après Virginia Woolf* (1993), Mary Cassatt, hymne varié.
La Canadienne Rosemary Mountain *explore les diverses cultures et religions. Après avoir enseigné au Portugal, elle est maintenant professeure d’électroacoustique à l’université Concordia de Montréal. Pour les créatrices asiatiques, les traditions locales fécondent les apports occidentaux. C’est le cas pour Lam Bun-Ching (Macau 1954), influencée par l’esprit de la poésie et la peinture chinoise dont elle nuance les éléments avant-gardistes de son style. La Chinoise Qiang Wang (1935) conserve, elle aussi, l’héritage de ses racines spécifiques dans une production d’œuvres instrumentales et de partitions de films forgée grâce à la connaissance de l’écriture occidentale, mais inspirée de découvertes folkloriques dues à de longues années de voyages, notamment en Mongolie. Pour Xu Yi*, d’origine chinoise aussi mais naturalisée française, l’empreinte des études menées à Paris est très forte. Elle y a suivi à l’Ircam un cursus d’informatique musicale et, au Conservatoire de Paris, la classe de composition de G. Grisey, « le seul maître, au sens chinois », dit-elle. Cette assimilation de courants féconds la conduit à unir dans ses œuvres des procédés électroniques et spectraux à une pensée orientale : « La vraie fusion entre les cultures occidentales et orientales doit être réalisée non seulement sur le plan spirituel mais aussi sur celui de la technique. » C’est à partir de 1990 que ses œuvres répondent à cette ambition avec Yi pour trio à cordes et bande magnétique, Le Plein du vide (1997), Crue d’automne, spectacle qui associe à la musique (instruments et électronique), la poésie et les images.
Pierrette GERMAIN
MUSIDORA (Jeanne ROQUES, dite) [PARIS 1889 - ID. 1957]
Actrice, journaliste, écrivaine et réalisatrice française.
De mère suffragette et de père répétiteur de chant, Musidora fait ses débuts comme actrice de théâtre, chanteuse d’opérette et artiste aux Folies-Bergère. De 1914 à 1917, elle tourne 40 films avec Louis Feuillade, des vaudevilles aux récits d’aventures. En particulier, le rôle d’Irma Vep, dans la série criminelle Les Vampires, lui apporte la célébrité : elle devient le symbole de la femme fatale qui se joue des hommes. Après avoir tourné dans des œuvres patriotiques, elle est La Vagabonde (1917, d’après Colette*), film dont elle écrit le scénario et qu’elle coréalise. Elle écrit, réalise et produit Vincenta (1919), Pour don Carlos (1920) et Sol y sombra (1922). Sous la direction de Germaine Dulac*, elle incarne La Jeune Fille la plus méritante de France (1918). Célébrée par les surréalistes, elle poursuit sa carrière d’actrice jusqu’en 1925. Au théâtre, elle écrit et joue Le Maillot noir et La Vie sentimentale de George Sand*. Auteure de critiques cinématographiques, de romans et de chansons, elle devient, à la fin de sa vie, directrice du service de documentation de la Cinémathèque française, créée en 1936 par Henri Langlois et Georges Franju.
Bruno VILLIEN
■ CAZALS P., LACASSIN F., Musidora, la dixième muse, Paris, H. Veyrier, 1978.
MUTAFČIEVA, Vera [SOFIA 1929 - ID. 2009]
Historienne bulgare.
Historienne spécialiste de l’Empire ottoman et des Balkans, membre de l’Académie bulgare des sciences, promue au titre prestigieux d’académicienne en 2004, Vera Mutafčieva est l’une des premières à avoir tenté de démythifier et de nuancer la période de domination ottomane, faisant ainsi figure de pionnière dans une Bulgarie alors communiste, nationaliste et hostile aux Turcs. Au-delà de ses travaux universitaires novateurs, elle est l’auteure de plusieurs romans historiques, dont notamment Letopis na smutnoto vreme (« chronique des temps troublés », 1966), Slučajat Džem (« l’affaire Džem », paru en français sous le titre Le Prince errant) en 1966, Moi, Anne Comnène en 1991, et contribue à libérer le genre des carcans imposés par le réalisme socialiste. Sous couvert d’exigence historique, elle se fait résolument moderne en abolissant les frontières grâce à un dialogue permanent entre passé et présent, morts et vivants, et en usant d’une narration polyphonique et d’une temporalité non linéaire. Parmi ses œuvres essentielles, citons encore Kărdžalijsko vreme (« le temps des Kărdžalis », 1962), Alkiviad veliki (« Alcibiade le Grand », 1976) ; Kniga za Sofronij (« livre sur Sofroni », 1978) ; Bivalici (« de choses et d’autres », 4 tomes, 2000-2005). En 1981, elle est la scénariste du film à succès Khan Asparuh qui retrace le règne de celui qui fut à la tête du premier État bulgare, et reçoit le prix Golden Rose du festival de cinéma de Varna l’année suivante. Elle a par ailleurs endossé de prestigieuses responsabilités : directrice de l’Institut d’études bulgares en Autriche (1980-1982), secrétaire de la section « Prose » de l’Union des écrivains (1982-1985), vice-présidente de l’Académie des sciences (1993-1996), docteur honoris causa de l’université de Sofia et de la Nouvelle université bulgare. Maintes fois primée, elle a reçu, entre autres, le prix international Gottfried-von-Herder en 1980 pour l’ensemble de son œuvre, la médaille de chevalier de l’ordre Cyrille et Méthode en 1989, ainsi que le prix Ivan-Vazov en 2005. Elle laisse une œuvre féconde et des méthodes nouvelles à ses nombreux disciples.
Marie VRINAT-NIKOLOV
■ Le Prince errant (Slučajat Džem, 1966), Paris, Stock, 1987 ; Moi, Anne Comnène (Az, Anna Komnina, 1991), Sofia, Anubis, 2001.
■ COLLECTIF, Proučvanija v čest na profesor Vera Mutafčieva, Sofia, Amicitia, 2001 ; KARABELOVA M., Romanăt Mutafčieva, Debat za igrača v istorijata, Sofia, Iztok-Zapad, 2006.
■ VRINAT-NIKOLOV M., « L’Affaire Džem et Moi, Anne Comnène de Vera Mutafčieva : de l’Histoire-héros à l’Histoire-prétexte », in La Revue des études slaves, t. 73, fasc. 1, 2001.
MUTER, Mela (épouse MUTERMILCH, dite) [VARSOVIE 1876 - PARIS 1967]
Peintre franco-polonaise.
Née Maria Melania Kingsland, dans une famille juive aisée et cultivée, Mela Muter suit les cours de l’école de peinture et de dessin pour femmes de Milosz Kotarbinski jusqu’en 1900. Elle s’installe ensuite à Paris, en compagnie de son mari, Michal Muttermilch, journaliste socialiste, et s’inscrit à l’académie Colarossi puis à celle de la Grande Chaumière. Elle devient une personnalité importante de ce que l’on nomme l’École de Paris. En 1902, elle présente ses œuvres au Salon des beaux-arts, où elle expose ensuite régulièrement. Trois ans plus tard, elle participe pour la première fois au Salon d’automne et au Salon des indépendants. Elle est alors remarquée par le marchand Ambroise Vollard. D’abord influencée par le symbolisme, sa peinture évolue rapidement vers une facture à la touche expressionniste et aux couleurs éclatantes, où transparaît son intérêt pour l’art de Vincent Van Gogh comme de Paul Cézanne ou d’Édouard Vuillard. Parallèlement, ses nombreux séjours en Bretagne, et notamment à Concarneau entre 1905 et 1912 la familiarisent avec l’école de Pont-Aven. Sa personnalité conquiert le Paris de Montparnasse ; elle entretient, entre autres, des contacts avec les écrivains Henri Barbusse et Romain Rolland, l’architecte Auguste Perret, les compositeurs Maurice Ravel et Erik Satie. Elle rencontre le journaliste Raymond Lefebvre, activiste socialiste qui mourra en 1920 en URSS, et, en 1925, se lie d’une vive amitié avec Rainer Maria Rilke. Présente à l’Exposition internationale de 1937, elle y obtient une médaille d’or. Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate, quoique naturalisée française depuis 1927, elle se trouve menacée par ses prises de position politiques de gauche et ses origines juives, et se réfugie en Avignon. En 1953, 120 de ses œuvres sont présentées à Paris. Trois mois avant sa mort, en 1967, Hammer Galleries (New York) lui consacre une rétrospective.
Ada ACKERMAN
■ Mela Muter, 1876-1967 (catalogue d’exposition), Puget C. (dir.), Pont-Aven, musée de Pont-Aven, 1993.
■ Autour de Bourdelle, Paris et les artistes polonais 1900-1918 (catalogue d’exposition), Grabska E. (dir.), Paris, Paris musées, 1996 ; Peintres polonais en Bretagne (1890-1939) (catalogue d’exposition), Brus-Malinowska B., Delouche D., Tyczynska A. et al. (dir.), Plomelin/Quimper, Éditions Palantines/Musée départemental breton, 2004.
MUTOLA, Maria de Lurdes [MAPUTO 1972]
Athlète mozambicaine.
Lors des XXes Jeux d’été, ceux de la trentième Olympiade des temps modernes en septembre 2000 à Sidney, l’athlétisme féminin a vu notamment la victoire de deux jeunes femmes d’exception dont le succès portait bien au-delà des limites d’une arène sportive. Cathy Freeman*, qui avait jailli quelques jours avant d’une gerbe d’eau pour allumer la vasque lors de la cérémonie d’ouverture, incarnation de l’histoire du peuple aborigène, portée par une énorme clameur, s’adjugeait au 400 mètres la centième médaille d’or australienne. Née moins de trois années avant que son pays n’arrache son indépendance au Portugal, Maria de Lurdes Mutola, elle, sur 800 mètres, donnait au Mozambique sa toute première couronne olympique. Parce qu’elle a réussi malgré les chances infimes que lui offrait son environnement naturel, par sa longévité athlétique, parce qu’elle s’est consacrée au long de vingt années de joutes à une même épreuve, le double tour de piste, la solide athlète (1,62 mètre, 61 kilos) constitue un cas à part. Jouant au football avec des garçons, elle est remarquée par le poète populaire José Craverinhas qui lui conseille la course. À 15 ans et demi, le Mozambique l’envoie aux Jeux olympiques de Séoul, où elle ne dépasse pas le cap des séries. Quel peut être son avenir ? En 1991, le CIO (Comité international olympique), par le truchement de la « Solidarité olympique », lui octroie une bourse d’études et d’entraînement aux États-Unis, à Eugene dans l’Oregon, et la voici déjà quatrième des Championnats du monde. Un an plus tard, aux Jeux de Barcelone, elle se classe cinquième du 800 mètres en 1 min 57 s 49 et neuvième du 1 500 mètres. 1993 : tandis que l’armada chinoise de Ma Junren accapare les podiums, nourrissant un fort sentiment de malaise, l’accession au tout premier rang de M. Mutola suscite l’admiration et le respect ; à 20 ans et demi, elle est championne du monde à Stuttgart (1 min 55 s 49), mais également championne du monde en salle. Ce dernier titre, elle le confortera à 6 reprises entre 1993 et 2006. 1994, meilleure performance personnelle, 1 min 55 s 19, à Zürich. En 1995, invaincue depuis trois ans (42 victoires consécutives), elle est disqualifiée en demi-finale à Göteborg pour s’être rabattue trop tôt dans le premier tour ; en revanche à Bruxelles elle bat le record du monde du 1 000 mètres en 2 min 29 s 94, distance dont elle s’adjugera aussi le record en salle en 1999 à Stockholm (2 min 30 s 94). Après Göteborg, elle ne perd de nouveau plus une course jusqu’à la déception mitigée des Jeux olympiques d’Atlanta 1996, car si elle ne termine que troisième, cette médaille est la première de l’histoire du Mozambique. Mais le meilleur est à venir. Après le bronze des Mondiaux d’Athènes 1997 et l’argent de Séville 1999, elle partage cette année-ci avec la Roumaine Gabriela Szabo le million de dollars des Grands Prix de la Golden League, et en 2003 elle est la seule à remporter les cinq Grands Prix de la saison. Ainsi aux Jeux olympiques de Sidney 2000, elle mène parfaitement sa course, passe ses rivales à 50 mètres du but : elle est championne olympique en 1 min 56 s 15, primauté que confirmeront deux nouveaux titres mondiaux, en 2001 à Edmonton et 2003 à Paris Saint-Denis. Elle a maintenant la trentaine et, bien que légèrement en retrait, tient sa partie : déjà lauréate des Jeux du Commonwealth à Kuala Lumpur (1998) et Manchester (2002), elle s’y classe encore 3ème en 2006, tandis qu’aux Jeux olympiques d’Athènes 2004 elle est quatrième à un rien du podium. À Pékin 2008 enfin, pour sa sixième participation olympique, c’est au cinquième rang qu’à deux mois de ses 36 ans elle met un point final à un parcours sans équivalent. Devenue un modèle vivant pour la jeunesse et les femmes africaines, c’est vers elle que se tourne en octobre 2011 Caster Semenya dont elle devient l’entraîneur et qu’elle mènera jusqu’à une méritoire médaille d’argent du 800 mètres aux Jeux olympiques de Londres 2012.
Jean DURRY
MUTSAERS, Charlotte [UTRECHT 1942]
Écrivaine et peintre néerlandaise.
Issue d’un milieu bourgeois, Charlotte Mutsaers fait des études de néerlandais puis fréquente la Gerrit Rietveld Academie (beaux-arts) à Amsterdam, où elle devient enseignante. Après des débuts en peinture influencés par Pierre Bonnard et Édouard Vuillard, elle adopte un style cloisonniste et expressif, aux couleurs contrastées, qu’on a pu rapprocher de la nouvelle figuration. La naïveté apparente de ses tableaux cache une symbolique personnelle qui « défamiliarise » le spectateur avec le monde. Confrontée aux limites de l’art plastique, C. Mutsaers fait le choix de l’écriture dans les années 1980. Texte et image restent cependant étroitement liés, notamment dans ses essais où la réflexion se construit souvent autour d’une illustration. Elle connaît la notoriété grâce au roman Rachels rokje (« la jupe de Rachel », 1994). La jupe fonctionne comme métaphore de la vie, mais aussi du texte, et les plis de ce vêtement structurent en courts chapitres un récit complexe et stratifié qui explore l’amour d’une lycéenne pour son professeur de néerlandais. Koetsier Herfst (« Cocher Automne », 2008) raconte l’amour passionné mais voué à l’échec entre un auteur paralysé par l’angoisse de la page blanche et une jeune activiste du Front de libération des homards. Il est récompensé par le prestigieux prix P. C. Hooft en 2010. Auteure postmoderniste, C. Mutsaers transgresse les genres. Romans, essais et écriture autobiographique se mêlent chez elle pour évoquer une même thématique, traitée à travers des réminiscences de l’enfance (la relation avec les parents), l’amour des animaux (chiens, chevaux), des motifs récurrents (sapins, poissons) ou encore des citations d’autres écrivains. Ses observations, à première vue légères et naïves, cachent une recherche du vrai. Angoissée par les consensus sociaux, elle cherche à donner une cohérence personnelle et unique à la réalité. Cette lutte contre la « dépoétisation », son désir de voir le réel au travers de l’imagination, est plus qu’une simple nostalgie de l’enfance : le paradis perdu, selon elle, n’est pas forcément idyllique. Le secret des choses met l’artiste sur la piste de son propre secret, de sa cohérence intérieure. L’écriture de C. Mutsaers propose ainsi un cheminement parallèle à son œuvre picturale, au style direct et faussement simple.
Kim ANDRINGA
■ Paardejam, Amsterdam, Meulenhoff, 1996 ; Zeepijn, Amsterdam, Meulenhoff, 1999.
■ HERMANS T., HOOGENDONK M., Fik & snik, over Charlotte Mutsaers, schilderes en schrijfster, Amsterdam, Meulenhoff, 2000 ; CARTENS D. (éd.), Charlotte Mutsaers, paraat met pen en penseel, Amsterdam, De Bezige Bij, 2009.
MUTTER, Anne-Sophie [RHEINFELDEN 1963]
Violoniste allemande.
Anne-Sophie Mutter, que son mentor, le chef d’orchestre autrichien Herbert von Karajan, qualifiait de « révélation du siècle » après l’avoir découverte alors qu’elle n’avait que 13 ans, est aujourd’hui très impliquée dans la création musicale contemporaine, à la fois parce qu’elle compte de nombreuses pièces récentes à son répertoire, dont elle est pour certaines la dédicataire, et à travers le soutien qu’elle apporte aux jeunes solistes, notamment par l’intermédiaire de la Fondation Anne-Sophie Mutter, qui aide les jeunes du monde entier à débuter dans le métier. Elle commence le piano à 5 ans, puis le violon peu après. À 7 ans, elle remporte le concours fédéral des Jeunesses musicales. Dispensée d’obligation scolaire, elle se consacre pleinement à son art, et étudie avec Erna Honigberger, élève de Carl Flesch, puis avec Aida Stucki. H. von Karajan la fait débuter au Festival de Lucerne 1976 et la convie à jouer en 1977 avec l’Orchestre philharmonique de Berlin, au Festival de Pâques et au Festival d’été de Salzbourg. En Angleterre, elle se produit avec l’English Chamber Orchestra dirigé par Daniel Barenboïm. À 15 ans, elle enregistre son premier disque, les Concertos n° 3 et n° 5 de Mozart avec l’Orchestre philharmonique de Berlin dirigé par Karajan. Elle est nommée « artiste de l’année 1979 ». L’année suivante, elle fait sa première apparition aux États-Unis, avec l’Orchestre philharmonique de New York dirigé par Zubin Mehta. En 1983, elle devient présidente honoraire de la Mozart Society de l’université d’Oxford. Parmi les nombreuses œuvres qu’elle a créées, Chain II en 1986 et Partita en 1990 de Witold Lutoslawski, En Rêve de Norbert Moret en 1988, Gesungene Zeit de Wolfgang Rihm en 1992, le Concerto n° 2 « Métamorphoses » en 1995 et la Sonate pour violon et piano en 2000 de Krzysztof Penderecki, Sur un même accord d’Henri Dutilleux en 2002, trois Concertos avec violon d’André Previn en 2002, 2007 et 2009, In Tempus praesens de Sofia Gubaïdulina en 2007. A.-S. Mutter possède deux stradivarius, l’Emiliani de 1703 et le Lord Dunn-Raven de 1710, ainsi qu’un violon moderne du luthier bolognais Roberto Regazzi.
Bruno SERROU
MUTU, Wangechi [NAIROBI 1972]
Plasticienne kenyane.
En 1992, Wangechi Mutu quitte le Kenya pour Londres, puis s’installe aux États-Unis, où elle étudie à l’université Yale, dont elle sort diplômée en arts plastiques en 2000. Elle s’est imposée comme l’une des artistes contemporaines africaines majeures au cours de la dernière décennie. Ses sculptures, vidéos et installations sont surtout influencées par l’esthétique surréaliste et l’histoire postcoloniale africaine. Au début des années 1990, ses œuvres – pour la plupart des collages sur papier et sur Mylar – sont marquées par l’univers féminin et son histoire personnelle, notamment ses rêves, fantasmes et obsessions. Afin de réaliser ses créations hybrides, l’artiste découpe, rassemble des images, puis conçoit un paysage indistinct, où figurent des femmes déformées et inquiétantes ; ces présences constantes, peuplant ses collages chaotiques et ironiques, évoquent les contradictions entre l’identité postcoloniale et l’identité culturelle africaine. Représentées souvent seules ou en présence d’un animal menaçant, dans un monde incertain et flou, les femmes adoptent des poses agressives ou érotiques : le diptyque Yo Mama (2006) montre le portrait d’une pionnière du féminisme nigérian, tenant fermement un serpent ensanglanté et sans tête, au sein d’une végétation surréaliste. Selon elle, « les femmes portent les marques, le langage et les subtilités de leur culture plus que les hommes. Tout ce qui est désiré ou méprisé est toujours placé sur le corps féminin ». Avec mélancolie et violence, ses tableaux critiquent les dérives de l’anthropologie et de la globalisation : dans le collage sur papier d’illustration médicale Adult Female Sexual Organs (2005), l’image d’une femme émerge des fragments de magazine découpés, dont les détails révèlent un corps mutilé et difforme. À travers son expérience personnelle – de femme et d’émigrée –, W. Mutu signe une œuvre témoignant des menaces qui pèsent sur le mythe de l’héritage culturel. Son travail a été exposé dans des musées internationaux, tels que la Tate Modern à Londres, le Wiels, centre d’art contemporain à Bruxelles, ou le Centre Georges-Pompidou à Paris.
Maïa KANTOR
■ A Shady Promise (catalogue d’exposition), Singleton D. (dir.), Bologne, Damiani, 2008 ; In Whose Image ? (catalogue d’exposition), Matt G. (dir.), Nuremberg, Verlag für Moderne Künst, 2009 ; Wangechi Mutu : This You Call Civilization ? (catalogue d’exposition), Moos D. (dir.), Toronto, Art Gallery of Ontario, 2010.
MUUSFELDT, Agnete [COPENHAGUE 1918 - NØRRE ASMINDRUP 1991]
Paysagiste danoise.
Diplômée de l’École royale vétérinaire et d’agriculture de l’université de Copenhague, Agnete Muusfeldt est ensuite l’élève du paysagiste Carl Theodor Sørensen (1893-1979) à l’École d’architecture de l’Académie des beaux-arts. En 1948, elle fonde une agence avec son mari, le paysagiste Erik Mygind (1916-1978), avec lequel elle travaille jusqu’en 1961, puis elle s’associe avec la paysagiste Inger Ravn de 1978 à 1987. Elle crée un grand nombre de jardins autour d’immeubles, d’écoles et d’institutions, privilégiant des aires de jeux déstructurées. Elle est dotée d’un sens exceptionnel des compositions végétales et a pour principe de constituer un espace vert où cohabitent luxuriance paradisiaque et dynamique du vivant. À grande échelle, il s’agit de plantations naturelles et structurantes, telle la forêt de l’hôpital de Frederikssund (1979). Dans d’autres lieux, elle recherche la solidité au quotidien, ainsi pour les lycées de Vallensbæk, Frederikssund, Rungsted et Espergærde (1969-1984) ou l’ensemble de Kildeskovshallen où elle travaille aux côtés de Karen Clemmensen*. Elle a livré ses expériences dans nombre d’articles, révélant de véritables qualités de photographe. Ses clichés du jardin d’Ulkerup pris dans les années 1960 mettent en évidence son talent à créer des plantations fleuries et nuancées, aux détails poétiques.
Anne-Marie LUND
■ LARSEN J. (dir.), Dansk kvindebiografisk leksikon, Copenhague, Rosinante, 2000-2001 ; LUND A., Guide to Danish Landscape Architecture (1997), Copenhague, Arkitektens forlag, 2003.
MUVAHHIT, Bedia [ISTANBUL 1897 - ID. 1994]
Actrice turque.
Issue de la classe moyenne et élevée aux Dames de Sion, école de filles catholique, Bedia Muvahhit est d’abord professeure de français dans un lycée. En 1921, elle épouse Ahmet Muvahhit, acteur vedette du théâtre municipal, alors appelé Darulbedayi (« la maison de la beauté »). Sa carrière d’actrice commence en 1923 par un film sur la guerre d’indépendance, Ateşten Gomlek (« une chemise de feu »). La même année, elle accompagne la troupe municipale lors d’une tournée à Izmir et Kemal Atatürk, qu’elle rencontre, l’encourage à se lancer dans le théâtre. De retour à Istanbul, son premier rôle, celui de Desdémone dans Othello, lui vaut un grand succès. Dans La Rivale d’Henry Kistemaeckers, elle joue avec Elisa Binemecian*. Quelques années après la mort de son mari, emporté par la tuberculose en 1927, B. Muvahhit épouse un pianiste autrichien et poursuit sa carrière d’actrice jusque dans les années 1980 : elle endosse quelquefois des rôles dramatiques, comme ceux de Zehra dans Izmirli Kiz, adapté de L’Arlésienne d’Alphonse Daudet, mais elle brille particulièrement dans les rôles comiques tel celui de Hisse-i Saia, adaptation du Prétexte de Daniel Rich. Elle reste particulièrement populaire pour ses interprétations dans des pièces de Molière comme George Dandin (1925) et Le Bourgeois gentilhomme (1941).
Aysin CANDAN
■ AKCURA G., Bedia Muvahhit, Istanbul, İBB Kültür İşleri Yayınları, 1993 ; MADAT A., Sahnemizin Degerleri, vol. 2, Istanbul, Osmanbey Basımevi, 1943.
MUZART, Zahidé [CRUZ ALTA, RIO GRANDE DO SUL 1939]
Éditrice brésilienne.
Après avoir effectué l’essentiel de sa carrière à l’Université fédérale de Santa Catarina, dans la ville de Florianópolis, Zahidé Lupinacci Muzart dirige depuis longtemps l’Editora Mulheres (« éditions des femmes »), une maison fondée en 1996 avec Elvira dos Santos Sponholtz (1938) et Suzana Bornéo Funck (1944), toutes trois professeures. Cette petite maison d’édition, sans caractère commercial, s’adresse à un public aux intérêts bien définis et a pour but la sauvegarde de la mémoire culturelle et de l’histoire littéraire, ainsi que l’exposition des rapports entre femmes et littérature. Le projet de Mulheres consiste à rééditer les œuvres d’écrivaines brésiliennes allant du XVIIe au début du XXe siècle, moment où leurs écrits sont occultés progressivement par la nouvelle esthétique de l’avant-garde. Les auteures du XIXe siècle ont, pour la plupart, été systématiquement exclues des anthologies et des canons littéraires, qui reposent uniquement sur l’historiographie et les critères critiques masculins. Les éditions Mulheres publient exclusivement des femmes, qu’elles soient auteures de romans, de poèmes, de pièces de théâtre ou de mémoires, mais aussi des récits de voyage d’étrangères en visite au Brésil au XIXe siècle. Sont également publiées des études actuelles sur la question des genres, des textes critiques, des anthologies, des dictionnaires, etc. Parmi les titres de ce riche catalogue, on peut citer les œuvres de Nísia Foresta (nom de plume de Dionisia Gonçalves Pinto), première féministe brésilienne (1810-1885) ; le Journal de voyage (1842-43) de la baronne de Langsdorff (1812), venue au Brésil à l’occasion du mariage d’une des princesses impériales ; l’édition en facsimilé de Mulheres illustres do Brazil (« femmes illustres du Brésil », 1899), de la Bahianaise Inês Sabino*, sur les femmes qui se sont distinguées soit dans l’histoire soit dans la littérature du pays ; Escritoras Brasileiras do Século XIX (« écrivaines brésiliennes du XIXe siècle »), coordonné par Z. Muzart, paru en deux volumes, soit près de 2 000 pages. La création de Mulheres a été acclamée par la presse comme par les lecteurs.
Maura SARDINHA et Ligia VASSALLO
■ (Dir.), Escritoras Brasileiras do Século XIX, Antologia, Florianópolis, Mulheres/Edunisc, 1999.
MWANA KUPONA [PATE V. 1810 - ID. V. 1860]
Poétesse kenyane d’expression swahilie.
Ayant vécu à Pate, un important centre culturel de l’archipel de Lamu au nord du Kenya, Mwana Kupona binti Msham était la dernière femme du cheikh Mataka al-Famau, le seigneur de Siyu, un personnage bien connu de l’histoire swahilie, qui a mené pendant plus de deux décennies une guérilla contre le sultan de Zanzibar, Said bin Sultan al-Busaid. Elle eut avec lui deux enfants, un garçon et une fille. Mwana Kupona est la seule poétesse célèbre de l’époque classique, même si nous savons que beaucoup de femmes dans la région de Lamu ont été expertes en composition poétique. Sa réputation est liée à un seul poème, simplement intitulé Utendi wa Mwana Kupona (« poème de Mwana Kupona »). Le terme utendi ou utenzi est l’une des formes poétiques swahilies les plus connues, utilisée surtout pour de longs poèmes épiques. Il est composé de strophes de quatre octosyllabes dont les trois premiers sont liés par la rime, tandis que la rime du quatrième reste la même dans tout le poème. L’auteure a composé son œuvre deux ans environ avant sa mort, alors qu’elle était déjà veuve et gravement malade. C’est une sorte de testament spirituel dédié à sa fille Hashima (morte en 1933), qui inclut des instructions sur les devoirs religieux, conjugaux et le comportement général d’une jeune fille. La poétesse donne aussi des conseils sur la gestion de la maison, sur les relations sociales et la charité envers les pauvres. Elle se souvient du bonheur de sa propre vie conjugale et du chagrin d’avoir perdu son mari. Enfin, envisageant sa disparition imminente, elle recommande ses enfants, ses parents et elle-même à Dieu, dans une émouvante prière. De tels poèmes à caractère didactique et moralisateur ont été souvent composés à l’usage des membres des familles musulmanes de la côte swahilie. Elle réussit à instiller dans cette œuvre qui reflète la vie sociale des classes aisées swahilies, son expérience personnelle, exprimée avec un grand sens artistique. Utenzi wa Mwana Kupona est l’un des poèmes les plus populaires de la littérature swahilie, comme l’attestent de nombreuses copies manuscrites encore existantes. La raison de sa renommée réside surtout dans sa simplicité et sa relative brièveté (102 strophes), combinées à une langue peu difficile dont le ton dénote sincérité et passion. Publié en Europe dès 1934, il est bien connu des chercheurs occidentaux.
Elena BERTONCINI
■ ALLEN J. W. T., Tendi : Six Examples of a Swahili Classical Verse Form, Londres, Heinemann, 1971 ; HICHENS W., WERNER A., The Advice of Mwana Kupona upon the Wifely Duty, Medstead, Azania Press, 1934 ; KNAPPERT J., Traditional Swahili Poetry : An Investigation into the Concepts of East African Islam as Reflected in the Utenzi Literature, Leiden, E. J. Brill, 1967.
MWAN’A NGEMBO VOIR MAMA KANZAKU
MWANGI, Ingrid [NAIROBI 1975]
Performeuse et artiste visuelle kenyane.
De 1996 à 2002, Ingrid Mwangi étudie à l’école des beaux-arts de l’université de la Sarre, à Sarrebruck (Allemagne). Après deux ans d’arts graphiques, elle opte pour le multimédia sous la direction de l’artiste vidéaste allemande Ulrike Rosenbach* (ancienne élève de Joseph Beuys), qui l’encourage à développer un art qui entre directement en relation avec la société par, entre autres, la performance. Filmés et photographiés, les événements éphémères sont au cœur du travail de l’artiste qui se met presque systématiquement en scène pour questionner son rapport au monde, son identité et, par extension, la représentation de son corps de femme et d’Africaine. De père kenyan et de mère allemande, la jeune femme, devenue Ingrid Mwangi Robert Hutter après son mariage avec le vidéaste Robert Hutter en 2005, interroge sa double appartenance pour mieux critiquer les idées reçues et les stéréotypes liés à l’Afrique. Dans Neger Don’t Call Me (« nègre ne m’appelle pas », 2000), elle utilise ses cheveux pour créer une série de masques qui prennent des formes animales, évoquant des sculptures africaines ou encore des cagoules de voleurs. Animalité, criminalité, art anthropomorphe : ces transformations opérées à même le visage condensent et dénoncent différentes facettes d’un imaginaire lié à l’Afrique. Dans Demonic Dancer (« danseuse démoniaque », 2007), le combat s’opère dans la chair même de la créatrice qui utilise son corps pour dire l’aliénation, la possession et la souffrance. Si la plupart de ses performances ont lieu en studio ou dans un cadre artistique institutionnel à l’occasion d’expositions, certaines sont réalisées dans des lieux publics : dans Being Bamako (« être Bamako », 2007), l’artiste déambule dans les rues de la capitale malienne et questionne sa place dans cette ville qu’elle ne connaît pas. Des photographies telles que Homeland (« patrie », 2008) ou If (« si », 2003) constituent un autre aspect de son travail, centré, celui-ci, sur l’Allemagne, son histoire et son identité. Elle utilise par ailleurs ce médium en Afrique comme en Europe pour mieux interroger les liens et les contradictions unissant les deux continents. Le spectre des sujets est large : des paysages aux portraits, des corps mutilés aux saisies de performances.
Maureen MURPHY
■ Man’s World-Man’s Fantasy : Robert Hutter (catalogue d’exposition), Sarrebruck, Stadtgalerie Saarbrücken, 1998 ; Your Own Soul : Ingrid Mwangi (catalogue d’exposition), Sarrebruck, Stadtgalerie Saarbrücken, 2003 ; Ingrid Mwangi Robert Hutter : Along the Horizon (catalogue d’exposition), Genève, Trifoglio Nero, 2008.
MWANGI, Serah [KENYA V. 1950]
Éditrice kényane.
Après une thèse de sciences de l’éducation, Serah Mwangi occupe un poste administratif à l’école Kianda à Nairobi, la première école de filles multiraciale, fondée en 1977, qui vise les trois aspects, intellectuel, spirituel et humain, du développement personnel et s’appuie sur des relations étroites entre parents et enseignants. En 1991, avec sa sœur Rose et deux amies, elle fonde Focus Publications Ltd (Nairobi), reprend la diffusion de Character Building, un cours de sciences de l’éducation traduit de l’espagnol, et de deux autres nouveaux titres dans les écoles. Un prêt de la Dag Hammarskjöld Foundation Loan Guarantee Scheme permet de résoudre l’éternel problème d’accès au capital des maisons d’édition africaines. The River and the Source du Dr Margaret Atieno Ogola gagne, en 1995, le prix littéraire Jomo-Kenyatta et le Prix du meilleur premier livre d’auteurs du Commonwealth, avant d’être traduit en italien et en espagnol. Depuis, le catalogue s’est enrichi de manuels scolaires et professionnels prenant en compte les réalités culturelles du pays (comme la peur des mathématiques) et d’ouvrages de fiction d’auteurs kényans, parfois sponsorisés par le British Council du Kenya, et régulièrement primés par des prix kényans de littérature. Ces publications dont le rythme de vente est lent sont délaissées par les autres éditeurs kényans et font de Focus Publications un éditeur militant.
Brigitte OUVRY-VIAL
MYA MYINT ZU VOIR LUDU DAW AMAR
MYERSON, Golda VOIR MEIR, Golda
MYRDAL, Alva (née REIMER) [UPPSALA 1902 - DANDERYD 1986]
Sociologue et femme politique suédoise.
Prix Nobel de la paix 1982.
Féministe et socialiste, Alva Myrdal a posé dans les années 1930 les jalons des grandes réformes scolaires et familiales qui furent appliquées en Suède après 1945, tout en s’occupant des droits des femmes, des handicapés, de l’aide au tiers-monde, de la paix et du désarmement. Première femme chef de la commission des Affaires sociales de l’Onu (1949), elle fut aussi la première ambassadrice suédoise (Inde, 1955-1961) et la première femme chef de la délégation à la conférence de Genève sur le désarmement. En Suède, elle a été plusieurs fois ministre sans portefeuille. En 1924, année de son doctorat, elle épouse Karl Gunnar Myrdal (prix Nobel de sciences économiques en 1974), avec lequel elle aura trois enfants. Elle a publié plusieurs ouvrages : avec son mari Kris i befolkningsfrågan (« la crise dans le problème de la population », 1934), et avec Viola Klein Women’s Two Roles, Home and Work (1956).
Fabienne PRÉVOT
■ Avec VINCENT P.-E., Sommes-nous trop nombreux ?, Paris, Dunod, 1950.
MYRO VOIR MOERO
MYRTIOTISSA (Théoni DRAKOPOULOU, dite) [CONSTANTINOPLE V. 1881 - ATHÈNES 1968]
Poétesse grecque.
Fille de diplomate, Myrtiotissa vécut son enfance et sa jeunesse à Constantinople, en Crète et à Athènes. Élève au lycée de jeunes filles Hill, elle manifestait déjà un fort intérêt pour les arts. Elle suivit des cours de théâtre et participa en amateur à des représentations de la compagnie théâtrale Néa Skini de Constantin Christomanos et à la troupe de la comédienne Kyvéli. Elle épousa Spyros Papas, avec lequel elle s’installa à Paris et eut un enfant, le futur acteur Georges Papas, puis divorça. Rentrée à Athènes, elle y travailla comme professeur de diction. Ses relations avec les poètes Lorentzos Mavilis et Kostis Palamas furent décisives pour sa vie et son œuvre. La mort de son fils en 1958 fut pour elle un coup terrible.
Après quelques poèmes parus dans les revues Panathinaia et Noumas en 1911, Myrtiotissa publia son premier recueil poétique, Tragoudia (« chansons »), en 1919. Suivirent les recueils de poèmes Kitrines floyes (« flammes jaunes », 1925), avec une préface de K. Palamas, Ta dora tis agapis (« les dons de l’amour », 1932), qui reçut le prix de l’Académie d’Athènes en 1933, et Kravyès (« cris », 1939), qui obtint le prix de Poésie de l’État grec en 1940. Ses Œuvres complètes, qui parurent en 1965, comportent encore les séries de poèmes Skorpii Stichi (« vers épars »), Tiskatochis (« écrits de l’Occupation »), Afieromata (« hommages »), Ston akrivo mou yio (« à mon cher fils ») et, entre autres textes en prose, O Yiorgos Papas sta pedika tou chronia (« Georges Papas quand il était enfant », 1962). Elle publia également Ellinika piimata katallila yia apangelia (« poèmes grecs pour la récitation », 1921) et une Pediki antholoyia (« anthologie enfantine », 2 vol., 1930), préfacée par K. Palamas. Elle écrivit, en collaboration avec Arsinoé Tabakopoulou, le livre de lecture scolaire Krinoloulouda (« fleurs de lis »), qui reçut un prix, et traduisit, entre autres, la Médée d’Euripide et des poèmes de la comtesse de Noailles*.
Essentiellement lyrique, sa poésie est empreinte d’une tendance à la confidence. Les thèmes dominants en sont l’amour, qui s’exprime sans détours ni affèteries, et la mort. La nature, l’amitié, la maternité et l’expression de la solidarité féminine y occupent une place importante. Elle a également écrit des poèmes patriotiques inspirés par l’occupation allemande. Elle utilise la langue parlée (démotique) et la versification traditionnelle. Avec le temps, la forme de ses poèmes s’améliore. La critique de son temps a, la plupart du temps, accueilli son œuvre favorablement. Elle est considérée comme l’une des poétesses les plus reconnues de son époque.
Nina PALEOU
■ Apanta, Athènes, Alvin Redman Hellas, 1965.
■ MERAKLIS M. G. (dir.), « Myrtiostissa », in I elliniki piisi, Antholoyia-Grammatoloyia, Romantiki-Epochi tou Palama-Metapalamiki, vol. II, Athènes, Sokolis, 2000.
MYRTIS [ANTHÉDON, BÉOTIE VIe-Ve siècle aV. J.-C.]
Poétesse grecque.
En raison de sa « douce voix » (glykyachea, IX, 26.7), Myrtis était considérée par Antipater de Thessalonique comme l’une des neuf meilleures poétesses grecques. Rien de son œuvre ne nous a été conservé, mais nous savons qu’elle était très appréciée, si l’on en croit les témoignages anciens, qui font de Pindare et de Corinne* ses élèves (Souda, IV, 132 et III, 157). Corinne reprochait à la « mélodieuse » (ligoura) Myrtis d’avoir osé, elle, une femme, entrer en compétition avec Pindare. Ces anecdotes sont sujettes à caution, posant notamment des problèmes de datation (voir Corinne) ; mais on y décèle la volonté des Anciens d’associer étroitement les trois poètes lyriques béotiens, censés traiter les mêmes sujets, dans le même langage, ou partageant le même imaginaire. Plutarque nous a transmis un résumé en prose d’un des poèmes de cette poétesse lyrique (poietria melon). Il s’agit d’une légende étiologique, révélant l’origine d’une étrange coutume de Tanagra, où il était interdit aux femmes d’entrer dans le sanctuaire d’Eunostos. Selon cette légende (Moralia, 300d-f), le héros Eunostos avait péri victime d’une fausse accusation portée par les frères d’Ochna, sa cousine, qui, tombée amoureuse de lui mais se trouvant éconduite, l’avait accusé de lui avoir fait violence. Livrée aux plus cruels remords, elle avoua finalement son mensonge et se précipita du haut d’un rocher. Ce récit, inconnu par ailleurs, était sans doute lié à la petite ville de Béotie d’où venait Myrtis. Comme Pindare et Corinne, Myrtis prenait pour sujet des légendes locales, choisies à la fois pour leur caractère agréable et pour leur valeur étiologique.
Marella NAPPI
■ BATTISTINI Y., Poétesses grecques, Paris, Imp. nationale, 1998 ; PLANT I. M., Women Writers of Ancient Greece and Rome : an Anthology, Norman, University of Oklahoma Press, 2004 ; SNYDER J. M., The Woman and the Lyre : Women Writers in Classical Greece and Rome, Carbondale/Edwardsville, Southern Illinois University Press, 1989.
LE MYSTÈRE DES VOIX BULGARES – CHORALE DE FEMMES [depuis 1950]
Le nom du Mystère des voix bulgares a été inventé par le pionnier des musiques balkaniques, Marcel Cellier, qui sillonne les pays d’Europe de l’Est dès les années 1950. Musicien suisse et homme de radio, il anime une émission hebdomadaire sur le premier programme de la Radio Suisse Romande (De la Mer noire à la Baltique) et donne pour intitulé à une série d’émissions sur les chorales bulgares Le Mystère des voix bulgares. En 1975, il sort une compilation du même nom qui regroupe plusieurs morceaux de différentes formations dont le chœur de la radio et télévision de Sofia. Il est fasciné par la puissance et la sensibilité de ces chants qui tiennent sur trois accords. Il n’est pas le seul puisque, réédité sur le label anglais Elektra Nonesuch en 1986, ce disque est l’un des tout premier grand succès de ce que l’on appelle alors la world music. D’autres compilations sortent, le deuxième volume dépasse le million d’exemplaires vendus et remporte un Grammy Award. Le chœur de la radio et de la télévision de Sofia, soutenu par l’État bulgare, s’approprie alors ce nom devenu prestigieux et se met à tourner en Occident. D’un concept, Le Mystère des voix bulgares devient un groupe qui a su séduire les connaisseurs et le grand public avec des polyphonies vocales aussi épurées que puissantes.
Elisabeth STOUDMANN
■ Volume I (1975), ElektraNonesuch, 1986 ; Volume II, ElektraNonesuch, 1988 ; Volume III, Disques Cellier, 1989.
MYSTIQUES [France Moyen Âge]
On observe, du XIIe au XVe siècle, une floraison de saintes femmes et d’écrits qui rendent compte de leur expérience « mystique ». Ce phénomène, qui témoigne de l’épanouissement de la religiosité auprès des laïques, s’explique par un ensemble de causes. Dans le cadre de la réforme grégorienne, des prédicateurs itinérants comme Robert d’Arbrissel s’adressent au peuple, notamment aux femmes. À partir du XIIIe siècle, la pastorale des franciscains et des dominicains s’inscrit dans la lutte contre l’hérésie cathare et suscite un besoin de textes en langue vernaculaire ; il faut aussi prendre en compte le développement du culte de la Vierge Marie* et de Marie-Madeleine*, toutes deux médiatrices, et images de pardon et de rédemption. À cette époque, l’accès des femmes aux ordres religieux traditionnels se fait cependant plus difficile, ce qui conduit à la mise en place de formes d’engagement religieux, de vocations et d’aspiration à la sainteté, hors de la clôture monastique, dans les tiers ordres ou dans des communautés de béguines.
La question qui se pose à propos de ces écrits est celle de l’authenticité de la voix féminine, du filtrage que les autorités ecclésiastiques ont pu exercer. En effet, le scénario classique met en présence une mystique, médiatrice de la parole divine, et son directeur spirituel dont la fonction sera de la transcrire, soit parce que la visionnaire est illettrée, soit parce qu’il devra lui donner plus d’autorité en traduisant en latin ce qu’elle aura consigné dans sa langue d’usage. Le couple archétypal est celui constitué par Hildegarde* von Bingen et Volmar, son partenaire spirituel et secrétaire. Parmi les plus notables figure l’association entre Marie d’Oignies et Jacques de Vitry – tout en œuvrant pour celle-ci, il se disait inspiré par elle –, Thomas de Cantimpré et Lutgarde d’Aywières, Élisabeth de Schönau et son frère Eckbert, Catherine* de Sienne et Raymond de Capoue ou Brigitte* de Suède et ses différents secrétaires. En fait, la réalité du dialogue qui se développe entre la mystique et son directeur spirituel remet en cause notre conception individualiste de la création. Les pratiques médiévales de l’écriture revêtent un caractère collaboratif où l’oralité trouve sa place et dont les textes rendent compte puisque l’échange entre les deux partenaires y est mis en scène. On ne peut dénier toute crédibilité aux scribes qui confirment à maintes reprises leur fidélité aux propos de la mystique – relais de la parole divine – ni à cette dernière qui engage des procédures détaillées pour s’en assurer. Parmi bien d’autres, on peut noter les exemples du Mémorial d’Angèle* de Foligno qui porteles traces du dialogue avec son scribe ou de Brigitte qui a appris le latin avec ses enfants pour mieux vérifier l’exactitude des traductions de ses secrétaires.
Source d’admiration ou même d’inspiration, les écrits qui évoquaient la biographie ou les comptes rendus d’expérience des saintes exemplaires, circulaient et étaient lus dans les communautés. Par l’abondante correspondance qu’elle a entretenue, on évalue l’impact qu’a exercé Hildegarde sur les abbesses de couvents qui la consultaient, en Allemagne ou aux Pays-Bas. La bénédictine Élisabeth reconnaît le rôle qu’elle a joué dans sa décision de mettre ses propres visions par écrit ; la Vie de sainte Hildegarde, rédigée par Guibert de Gembloux, abbé des abbayes de Florennes et de Gembloux, a contribué à assurer le lien entre elle et le climat spirituel en Belgique. Elle va établir pour les siècles qui suivent un ensemble de traits propres à l’hagiographie mystique. Parmi les biographies de saintes belges, celles de Marie d’O. et de Christine de Saint-Trond furent les plus influentes. Margery Kempe raconte, à la fin du XVe siècle, comment elles lui furent lues : c’est en effet parmi les filles des familles urbaines aisées de Belgique et des Pays-Bas que commencèrent à se développer les réseaux de spiritualité et d’amitiés féminines. Leur rayonnement est attesté en Allemagne, au monastère cistercien de Helfta, notamment par l’intermédiaire de la béguine Mechthilde de Magdebourg.
On observe de ce fait des thèmes communs à la peinture de la sainteté féminine. Sans être propres aux femmes, les manifestations corporelles du mysticisme occupent une place centrale dans le récit de leur expérience : expériences d’ascétisme – souvent extrêmes –, de jeûne, de privation de sommeil, de macérations, accompagnées de phénomènes paranormaux. Il s’agit de visions, d’états de transe avec larmes, rires et danse, remarquables chez Béatrice de Nazareth ou Margery, d’extases qui peuvent aller jusqu’à la lévitation comme chez Douceline de Digne, de saignements semblables aux stigmates du Christ chez Catherine ou Christine de Sommeln. La mystique du dépouillement, l’exaltation de la pauvreté sont associées à la pratique des œuvres de charité dont l’exemple le plus populaire est celui d’Élisabeth de Hongrie. Ce parcours culmine dans la capacité d’accomplir des miracles énumérés et décrits en détail dans les biographies. Par leur excès même, les conduites de mortification trouvent leur sens dans le désir de s’identifier à la souffrance christique et de prendre part à sa mission rédemptrice, en se sacrifiant en particulier pour le rachat des âmes du purgatoire. Loin de s’expliquer par l’intériorisation des règles religieuses, ce parti pris d’ascétisme est une façon de s’affirmer, au mépris de la modération que prêchaient les autorités ecclésiastiques. Le cas le plus éloquent de la vénération pour les souffrances du Christ lors de sa crucifixion est celui de Claire de Montefalco, puisqu’après son décès, on aurait constaté les instruments de la Passion gravés sur son cœur. L’union de l’âme avec le Christ n’est pas une simple allégorie : elle peut emprunter au vocabulaire de l’érotisme comme chez Angèle, s’inspirer de la littérature courtoise et des images de la fin’amor chez Hadewijch* d’Anvers ou conduire au mariage mystique chez Catherine. S’il y a une pratique identifiée comme inhérente aux femmes, c’est leur dévotion à l’Eucharistie et leur fréquent recours à la communion. En s’abstenant de tout autre nourriture, la sainte femme devient le corps du Christ ; elle s’identifie à ce dieu qui s’offre comme nourriture. Il en découle une identification à la Vierge, à la mère du Christ, ainsi qu’on l’observe chez Julienne de Norwich, Brigitte ou Dorothée de Montau avec leurs grossesses mystiques.
Transcender sa propre douleur – celle de la maladie ou des mortifications pour partager la souffrance humaine – et en faire un agent de rédemption est une position commune aux femmes et aux hommes, qui relève de la théologie. L’autorité charismatique de ces femmes mystiques leur a permis de jouer un rôle de conseillères et de médiatrices, d’exercer un apostolat qui ne leur était pas officiellement autorisé par l’institution ecclésiastique et qui ne s’est pas limité aux communautés de religieuses ou de dévotes, même si l’incidence politique qu’ont pu avoir Catherine ou Brigitte reste exceptionnelle. Leur possibilité d’expression va toutefois se réduire, et à partir du XIVe siècle, le contrôle ecclésiastique se resserrer, notamment à l’égard des groupes de femmes non cloîtrées comme les béguines, et face aux expériences mystiques. Si au XIIIe siècle, un Thomas de Cantimpré a pu convertir en manifestation de sainteté et en preuve de la victoire divine les comportements aberrants de Christine, il a fallu beaucoup de talent à Margery pour faire accepter les siens. Les attaques de Jean de Gerson, chancelier de l’Université de Paris, vis-à-vis du mysticisme féminin, témoignent de la suspicion accrue des autorités ecclésiastiques.
Madeleine JEAY
MYSTIQUES [France XVIIe siècle]
Le désir de rendre compte d’une expérience intérieure qui anime au XVIIe siècle des religieuses et des dévotes laïques les amène vers l’écriture. Elles rédigent ainsi une multitude de textes intimes, des écrits destinés à leur communauté religieuse ou à des cercles dévots et d’autres à visée plus apostolique. Beaucoup de ces textes circulent sous forme manuscrite, et seule une partie en a été publiée à l’époque. La fondation de nouveaux ordres réformés de contemplatives semble d’ailleurs avoir alimenté le mouvement mystique. Henri Bremond constate dans son Histoire littéraire du sentiment religieux en France la présence importante de femmes dans la mystique française du XVIIe siècle. À côté des plus célèbres comme Jeanne* de Chantal, Marie Guyart, dite Marie* de l’Incarnation, Jeanne-Marie Guyon*, il rappelle l’existence d’une foule d’écrivaines mystiques moins connues. Leszek Kolakowski suggère de considérer l’expérience mystique comme un fait social qui a des retentissements dans le monde. C’est dans cette perspective et en s’appuyant sur les textes conservés qu’il devient intéressant de s’interroger sur la spécificité de l’expérience féminine et de son rapport à l’écriture.
Le raisonnement anthropologique et doctrinal qui caractérise la femme comme ignorante faisait d’elle, selon les défenseurs des mystiques, le réceptacle idéal de toute communication divine. Cette spécificité est reprise et souvent accentuée dans le discours des mystiques elles-mêmes. La visitandine Marguerite-Marie Alacoque (1647-1690), Jeanne Chézard de Matel (1596-1670), fondatrice de l’ordre du Verbe incarné, et Jeanne-Marie Pinczon du Houx (1616-1677) conçoivent leur action apostolique comme la conséquence de la faveur divine dont elles bénéficient : grâce à des visions, des songes, des révélations ou des directives divines, elles se sentent destinées à une mission qui relève directement de la volonté divine. Elles parlent et écrivent sous la dictée du Christ ou du Saint-Esprit. Même s’il s’agit souvent de femmes savantes, qui ont bien lu les textes des mystiques précédentes (notamment Catherine* de Sienne et Thérèse* d’Avila), elles soulignent leur ignorance. Le témoignage de J.-M. Guyon apparaît ici comme exemplaire : « Je me mis à écrire sans savoir comment, et je trouvais que cela venait avec une impétuosité étrange. Ce qui me surprenait le plus était que cela coulait du fond et ne passait point par ma tête. » L’absence d’enseignement méthodique permet d’attribuer à la femme un savoir supposé sur la vie intérieure, sur ce que Mme Guyon appelait son « expérience », c’est-à-dire sur la « science des saints » (Bergamo). Beaucoup ont dispensé leur enseignement à travers une correspondance spirituelle intense : Jeanne de Chantal, mais aussi la carmélite de Beaune Marguerite Parigot (Marguerite du Saint-Sacrement, 1619-1648) ou la bénédictine du Saint-Sacrement Catherine de Bar (mère Mechtilde du Saint-Sacrement, 1614-1698).
Dans la plupart des cas, c’est la relation entre le directeur spirituel et sa dirigée qui est à l’origine du dialogue spirituel entre doctes et « ignorantes ». Les mystiques écrivent leurs méditations, opuscules, traités, autobiographies sur l’invitation de leur directeur. Leurs écrits composés « par obéissance » doivent servir à l’édification des lecteurs (en premier lieu les directeurs eux-mêmes), en évitant tout orgueil. Elles s’intéressent rarement à la conservation de leurs écrits : ainsi Antoinette Journel (Antoinette de Jésus, 1612-1678) brûle-t-elle la plupart de ses écrits. Souvent, ce sont les directeurs qui décident de la publication des œuvres, ce qui signifie que la tâche de corriger les expressions tâtonnantes de l’indicible et de les rendre acceptables leur revient. Cet élément peut d’ailleurs être cité en défense, comme dans le cas de Mme Guyon qui se justifie devant Bossuet : « Pour ce qui regarde le fond de la doctrine, j’avoue mon ignorance. J’ai cru que mon directeur ôterait les termes mauvais, et qu’il corrigerait ce qu’il ne croirait pas bien. » Les écrits se trouvent fréquemment cités à l’intérieur des biographies des dévotes et servent autant que la présentation stylisée de la vie de leurs auteurs à la production d’exemples édifiants : c’est le cas de l’Idée de la véritable piété en la vie, vertus et écrits de demoiselle Marguerite Pignier, femme de feu noble Claude-Aynart Romanet avocat au souverain Sénat de Savoie (1669) par le R. P. Paul du Saint-Sacrement ou de La Vie et les vertus de la vénérable mère Catherine de Jésus Ranquet, religieuse ursuline native de la ville de Lyon (1670) par Mgr Gaspard d’Augery, pour n’en nommer que deux exemples. Seule Antoinette Bourignon (1616-1680) fait imprimer ses œuvres dans sa propre imprimerie.
Les mystiques travaillent directement avec des hommes d’Église, par leurs paroles, leurs écrits ou par leurs lettres. L’union spirituelle entre Marie de Valence (Marie Teysonnier, 1576-1648) et le père Pierre Coton, entre François de Sales et Jeanne de Chantal, entre Mme Guyon et Fénelon, a amené ces hommes à reconnaître l’importance des savoirs de ces femmes : ces unions étaient si intriquées qu’il était souvent difficile de déceler l’apport de chacun, d’autant plus qu’il fallait éloigner le soupçon d’une direction féminine, qui renversait les rapports hiérarchiques traditionnels et qui pouvait donc provoquer des réactions violentes de la part des autorités. Dès le début du XVIIe siècle, l’écriture mystique se voit en effet confrontée à des critiques : les mystiques luttent pour différencier la « vraie » mystique d’une « fausse » ; face à l’accusation menaçante d’hétérodoxie, ils essaient continuellement de corriger le langage qui leur sert à rendre compte de leurs expériences. Autocensure et dissimulation prennent une place importante dans ce processus. La crise se cristallise vers la fin du siècle avec la querelle du quiétisme, dans laquelle se trouvent aussi mêlées les femmes mystiques. Il ne s’agit plus seulement de discernement doctrinal : l’hétérodoxie supposée des textes devient une affaire d’État, comme le montrent l’enfermement et la prise en charge des interrogatoires de Mme Guyon par la police de la France de Louis XIV. Cette politisation de la sphère religieuse alimente la création textuelle. Accusées d’hérésie, de folie ou de fanatisme, Louise de Bellère* du Tronchay, dite Louise du Néant, A. Bourignon ou Mme Guyon essaient, chacune de manière très différente, de défendre la validité de l’expérience mystique, mais elles parlent un langage qui devient de plus en plus incompréhensible. La question reste ouverte de l’importance de la concentration des mystiques sur « l’intériorité » dans l’essor du récit de soi, ainsi que celle du lien entre le rapport spécifique entre auteur et lecteur que leurs textes impliquent et le développement d’une rhétorique séculière.
Xenia VON TIPPELSKIRCH
■ BERGAMO M., La Science des saints, le discours mystique au XVIIe siècle en France, Grenoble, J. Millon, 1992 ; BREMOND H., Histoire littéraire du sentiment religieux en France, Grenoble, J. Millon, 2006 ; CERTEAU M. de, La Fable mystique, XVIe-XVIIe siècles, Paris, Gallimard, 1982 ; HOUDARD S., Les Invasions mystiques, spiritualités, hétérodoxies et censures au début de l’époque moderne, Paris, Les Belles Lettres, 2008 ; LE BRUN J., La Jouissance et le trouble, recherches sur la littérature chrétienne de l’âge classique, Genève, Droz, 2004.
MYSTIQUES [Pays germanophones XIe-XIVe siècle]
Au Moyen Âge, les femmes qui écrivent constituent une exception, et le peu de textes qui nous ont été transmis ont toujours une teneur spirituelle. Ils sont rédigés par des nonnes ou des moniales, ayant accès aux œuvres théologiques. Nombre d’entre elles sont restées anonymes. Ainsi, de la poétesse Roswitha* de Gandersheim (seconde moitié du Xe siècle), nous savons seulement qu’elle a vécu dans un couvent de femmes appartenant à la noblesse situé à Gandersheim, où elle a écrit ses œuvres. Elle-même était vraisemblablement issue de la haute noblesse saxonne. Elle a rédigé des légendes de saints dans lesquelles la défense de la virginité en tant que bien suprême occupe une place centrale. Ses dialogues de théâtre reprennent la forme employée par le dramaturge romain Térence, très prisé à l’époque. Cependant, tandis que Térence évoque toujours l’amour et son accomplissement sexuel, Roswitha prône le renoncement à la chair, y compris au prix d’une mort en martyre. Ses œuvres historiques se composent d’un poème sur les hauts faits de l’empereur Otton et d’une histoire du cloître de Gandersheim. La première poétesse de langue allemande dont nous connaissons l’identité se nomme elle-même à la fin de son œuvre Das letzte Gericht (« le Jugement dernier ») : Frau Ava (« dame Ava », XIe-XIIe siècle [1127]). Selon d’autres indications biographiques qu’elle nous a livrées, nous savons qu’elle a mené une vie séculière avant de se retirer dans un couvent. Ses œuvres décrivent l’histoire du Salut en s’appuyant sur la Bible. Leben Jesu (« la vie de Jésus ») constitue la partie majeure de ses écrits. On suppose qu’elle a travaillé en s’appuyant sur les modèles de la Bible, des apocryphes, des règles bénédictines, des sermons, des hymnes et d’autres textes en moyen haut allemand. Il est presque impossible de juger l’œuvre de Herrade de Landsberg*, car elle appartient à un ouvrage collectif, le Hortus Deliciarum. Religieuse augustine, Herrade vivait en Alsace dans le couvent de Hohenbourg, sur le mont Sainte-Odile. Après la mort de sa supérieure Relindis (1169), qui a pris part elle aussi à la rédaction de l’Hortus, elle est devenue abbesse. La recherche actuelle considère que la participation d’Herrade a consisté essentiellement à réunir les diverses sources des textes de l’Hortus. L’œuvre constitue une encyclopédie exhaustive des connaissances de l’époque, comprenant des exégèses de la Bible, des textes liturgiques, du droit canonique, de la catéchèse, des enseignements sur la nature et des récits historiques. Elle passe en outre pour un des manuscrits les mieux enluminés du Moyen Âge. Un des aspects importants de la mystique médiévale est l’unio mystica, c’est-à-dire l’aspiration à vivre l’union de l’individu avec Dieu, expérience qui transcende la raison et la conscience ordinaire, et dont la communication au lecteur fait partie intégrante du processus. Souvent, les mystiques soulignent l’impossibilité de transcrire cette expérimentation en mots ; sinon, ils tentent d’en rendre compte au plus près par le biais de moyens linguistiques tels que le paradoxe, l’oxymore, la métaphore ou l’hyperbole. Dans le domaine de la mystique chrétienne, les femmes jouent un rôle significatif depuis le XIIe siècle, en sorte que, pour le XIIIe siècle, il est possible de parler d’un temps fort d’une mystique proprement féminine. Ce « mouvement des femmes » mystique est particulièrement marqué par la mystique de l’amour et de Jésus développée par Bernard de Clairvaux (vers 1090-1153), qui a interprété le Cantique des cantiques de l’Ancien Testament dans le sens explicite d’une union de nature érotique entre l’âme de la fiancée et le fiancé Dieu/le Christ. Les béguinages ont eu une importance particulière pour la mystique. Des femmes, d’origine noble ou patricienne la plupart du temps, se rassemblaient dans de petites communautés dans lesquelles elles vivaient volontairement dans la pauvreté et la chasteté, priant et gagnant leur subsistance au moyen de soins prodigués aux malades et/ou de l’artisanat. À l’origine, le mouvement semble avoir débuté dans le duché du Brabant (diocèse de Liège), au tournant du XIIe siècle ; c’est là qu’on trouve toute une série de femmes qui écrivent dans la langue populaire néerlandaise : par exemple Béatrice de Nazareth (1200-1268) avec son œuvre Seven manieren van minne (« sept degrés de l’amour ») ainsi qu’Hadewijch* d’Anvers (XIIIe siècle), dont la production littéraire est plus ample, avec 45 « poèmes en strophes », 14 « visions » et 31 « lettres en prose ».
L’espace de langue allemande a produit trois grandes mystiques, dont la plus importante pour l’histoire de la littérature médiévale est Mechthild de Magdebourg (vers 1207-1210 – vers 1282). Probablement issue de la noblesse et ayant reçu une éducation courtoise, elle vit sa première expérience de vision à l’âge de 12 ans, s’enfuit vers 1230 de la maison familiale, probablement pour aller dans un béguinage à Magdebourg. Vers 1250, elle commence à écrire sur l’injonction de son confesseur dominicain Heinrich von Halle et, vers 1270, elle est acceptée dans le monastère cistercien de Helfta. Son œuvre, Das fliessende Licht der Gottheit (« la lumière fluente de la Divinité »), se compose au total de sept livres qu’on ne peut classer dans un seul genre. Il s’agit de prose souvent rythmée ou comprenant des passages lyriques. Mechthild décrit l’âme comme la fiancée de Dieu, initiée par leur acte d’amour à la sagesse suprême. Dans une langue à teneur érotique, la mystique transcrit par exemple le grand voyage céleste de l’âme tendant vers l’Amour (Minnen). Dieu l’embrasse lors de son arrivée et pose sa main sur sa poitrine. D’autres passages critiquent la déchéance morale des religieux de l’époque, donnent des instructions en vue d’une vie en conformité avec le Tout-Puissant ou constituent des textes de prière. Les rencontres divines de l’âme sont souvent dialoguées, comme une conversation intime avec le partenaire amoureux divin. Mais, outre les aspects de ravissement, Mechthild traite aussi de l’effondrement émotionnel de l’âme lorsqu’elle se trouve éloignée de Dieu. Du point de vue linguistique, son écriture fait preuve d’une originalité exceptionnelle dans sa recherche pour restituer le caractère ineffable de son expérience d’unio mystica au moyen de nombreuses métaphores non conventionnelles, fréquemment issues du domaine de la lumière et du mouvement fluent. Mechthild de Hackeborn (1241-1298) et Gertrude d’Helfta (ou Gertrude la Grande, 1256-1301) ont passé leur existence dans le même monastère cistercien à Helfta, Gertrude étant l’élève de Mechthild. Du reste, les œuvres des deux mystiques – des textes de vision et de prière sous l’influence manifeste de Das fliessende Licht – doivent être comprises davantage comme une production commune des sœurs d’Helfta que comme des textes écrits par des individus. Le monastère d’Helfta près de Eisleben a été transformé par la sœur de Mechthild, Gertrude de Hackeborn (1250-1291), en un centre spirituel et mystique. Issue de la famille noble des barons de Hackeborn, Mechthild est entrée au couvent à l’âge de 7 ans. Elle a tenu ses visions secrètes jusqu’à l’âge de 50 ans. Par la suite, ces dernières ont été notées par son élève Gertrude d’Helfta et par d’autres consœurs entre 1290 et 1310. Les visions contenues dans le Liber specialis gratiae, qui est devenu un des ouvrages les plus célèbres de la mystique occidentale, sont liées à des événements religieux, tels que la célébration de la messe, la communion ou la prière du chœur. Elles reflètent la spiritualité des cisterciennes d’Helfta, marquée par l’héritage de Bernard de Clairvaux ou de Richard de Saint-Victor. Gertrude, qui a été confiée au monastère d’Helfta à l’âge de 5 ans, est considérée dans la philologie de manière plus enthousiaste que sa consœur Mechthild, d’où le surnom de « la grande ». Elle se considère elle-même comme une prophétesse appelée par Dieu. Le Legatus divinae pietatis, qui contient ses révélations, passe pour son ouvrage le plus important mais, là encore, il s’agit du fruit d’un travail collectif.
La mystique dominicaine du XIVe siècle est illustrée par les Revelationes de Margarethe Ebner (vers 1291-1356), une dominicaine du monastère Maria Medingen près de Dillingen, le livre Von der genaden uberlast de la dominicaine d’Engelthal Christine Ebner (1277-1356) et les Revelationes d’Adelheid Langmann (1311-1375).
Ute SIEWERTS
■ FRAU AVA, Leben Jesu, Maurer F. (éd.), Tübingen, ATB, 1966 ; HERRAD VON LANDSBERG, Hortus deliciarum, Gillen O. (éd.), Neustadt-Weinstrasse, Pfälzische Verlagsanstalt, 1979 ; HROTSVITHA VON GANDERSHEIM, Hrotsvithae Opera, Winterfeld P. (éd.), Berlin, Weidmann, 1965 ; MECHTHILD VON HACKEBORN, GERTRUD VON HELFTA, Revelationes Gertrudianae ac Mechthildianae, Paris, Oudin, 1877 ; MECHTHILD VON MAGDEBURG, Das fliessende Licht der Gottheit, Neumann H. (éd.), Munich/Zurich, Artemis, 1993.
MYSTIQUES ET VISIONNAIRES [Europe depuis le XIIe siècle]
Les premières figures de femmes mystiques et visionnaires datent du début du XIIe siècle, et ce, au sein des monastères bénédictins de Rhénanie. Sujettes à des visions et apparitions, quelques moniales décrivent leurs expériences du mystère divin. C’est le cas de l’abbesse allemande Hildegarde* de Bingen, issue d’une famille aristocrate rhénane et entrée dans un couvent bénédictin à l’âge de 8 ans. En effet, son ouvrage le Scivias est le témoignage de ses visions divines. À partir du XIIIe siècle, le courant mystique se développe dans le milieu des béguines rhéno-flamandes. Certaines d’entre elles relatent, de manière très personnelle, leurs expériences spirituelles dans des ouvrages, comme Hadewijch* d’Anvers, Mathilde de Magdebourg (1207-1282), Béatrice de Nazareth et Marguerite Porete*. Le mouvement mystique continue de se répandre au sein des monastères et des couvents féminins d’Europe avec Marguerite d’Oingt*, Gertrude d’Helfta (1256-1301 ou 1302) et Brigitte* de Suède au XIVe siècle.
Issue de la noblesse, Brigitte de Suède fut une femme influente, tant politiquement que religieusement, comme Catherine de Sienne*. De ses visions, la dominicaine Catherine tire des écrits et des conseils, notamment pour le pape Grégoire XI. Le courant mystique s’étend en France avec Jeanne-Marie Guyon* et Marguerite-Marie Alacoque (1647-1690), en Angleterre avec Julienne de Norwich*, jusqu’en Prusse orientale avec Dorothée de Montau (1347-1394), au Sud avec Thérèse d’Avila*, Angèle de Foligno* et Marie-Madeleine de Pazzi*. Les siècles suivants connaissent également de célèbres mystiques et visionnaires féminines, comme Thérèse* de Lisieux, de son vrai nom Thérèse Martin, auteur de Histoire d’une âme. Le message de cette carmélite se caractérise par son affirmation de l’amour de Dieu. Elle meurt très jeune de la tuberculose. « L’étoile du pontificat » de Pie XI est béatifiée par ce pape en 1923 et canonisée en 1925, enfin proclamée « docteur de l’Église » en 1997 par Jean-Paul II. Les apparitions mariales contemporaines, reconnues par l’Église catholique concernent surtout des jeunes filles, telles CatherineLabouré (1806-1876) qui a pour mission, à la suite de trois visions de la Vierge Marie, de faire frapper une médaille réputée miraculeuse, et Bernadette Soubirous. Bernadette est connue pour avoir eu plusieurs apparitions de la Vierge, à partir de février 1858, dans la grotte de Massabielle près de Lourdes, « alors que Bernadette ramasse du bois avec deux autres petites filles ». Après avoir découvert une source d’eau sur les indications de la Vierge, Bernadette est chargée de transmettre le message selon lequel il faut bâtir une chapelle et organiser des pèlerinages sur le lieu de la grotte. Ces apparitions sont reconnues par l’Église catholique et suscitent de nombreux pèlerinages enthousiasmés par les récits de miracles qui se produisent à Lourdes. Pour sa part, Bernadette réalise son souhait d’être religieuse et entre au couvent des Sœurs de la Charité à Nevers en 1866. Malade, elle meurt en 1879. Pie XI la béatifie en 1925 et la canonise en 1933. Bernadette raconte ses apparitions et ses impressions dans Carnet de notes intimes. Au XXe siècle, d’autres expériences d’apparitions mariales sont rapportées, comme celles vécues par Marthe Robin (Châteauneuf-de-Galaure 1902-1981) et Marija Pavlovic (Bijakovici 1965).
Marthe est une jeune femme paralysée qui connaît des visions de la Vierge et de Jésus dès 1921. À partir de 1930, son expérience spirituelle est marquée par des stigmates et une alimentation faite exclusivement d’hosties. Marthe apporte beaucoup aux autres, notamment lors des visistes qui lui sont faites. Elle met en place en 1936, avec le prêtre lyonnais Georges Finet, le premier Foyer de Charité dans sa commune de Châteauneuf-de-Galaure. Son expérience vécue est rapportée dans La douloureuse passion du Sauveur et Le secret de Marthe Robin : paroles inédites.
Marija Pavlovic est une jeune fille quand, en 1981, elle aperçoit pour la première fois la Vierge Marie à Medjugorje, en Bosnie-Herzégovine, sur la colline Crnica. La Vierge lui révèle neuf « secrets » et des messages qu’elle doit rendre publics. Depuis, Marija, voit la Vierge tous les jours. Cette apparition à Medjugorje n’est pas reconnue par l’Église catholique mais suscite de nombreux pèlerinages.
Lucie VEYRETOUT
■ BERNET A., Bernadette Soubirous : la guerrière désarmée, Paris, Perrin, 1994 ; DEMEULENAERE B., Sainte Brigitte de Suède, mystique et femme de tête, Monaco, Éditions du Rocher, 1996 ; MILLOT C, La Vie parfaite, Paris, Gallimard, 2006 ; MOTTET G., Marthe Robin, la stigmatisée de la Drôme, étude d’une mystique du XXe siècle, Toulouse, Érès, 1989 ; VUARNET J. N., Le Dieu des femmes, Paris, L’Herne, 1989.