COURTHS-MAHLER, Hedwig [NEBRA 1867 - ROTTACH-EGERN 1950]

Romancière allemande.

Avec 208 romans publiés entre 1905 et 1948 (dont certains parus sous les pseudonymes de Gonda Haack, Relham ou Hedwig Brandt), qui ont été diffusés dans le monde entier à plus de 100 millions d’exemplaires, Hedwig Courths-Mahler est la romancière la plus populaire et la plus traduite de la littérature germanophone. Son œuvre s’inscrit dans la tradition du roman féminin sentimental ; les intrigues de ses romans suivent le plus souvent le schéma de Cendrillon. Son succès s’explique par des textes qu’elle appelle elle-même des « contes pour adultes » et qui, en offrant une évasion dans un antimonde, ont une fonction stabilisante à une époque de grands bouleversements sociaux. Un texte qui se démarque de son œuvre par une plus grande densité narrative et par son détachement du schéma noir et blanc est le roman autobiographique Unser Weg ging hinauf (« notre chemin menait vers le haut », 1914), qui s’apparente aux romans réalistes d’auteurs dans le style de Zola.

Birte CHRIST

ATZENHOFFER R., Écrire l’amour kitsch, approches narratologiques de l’œuvre romanesque de Hedwig Courths-Mahler (1867-1959), Berne, P. Lang, 2005.

COUSIS, Catherine VOIR FRANCONI, Mmes

COUSTURE, Arlette [SAINT-LAMBERT 1948]

Romancière canadienne d’expression française.

Arlette Cousture exerce divers métiers dans le domaine de la communication avant de publier Le Chant du coq en 1985, auquel succédera l’année suivante Le Cri de l’oie blanche. Le succès populaire de ces deux premiers tomes des Filles de Caleb, qui s’explique par son habileté à faire revivre sur le mode nostalgique le Québec rural des XIXe et XXe siècles par le truchement de deux générations de femmes, est tel qu’ils sont respectivement adaptés pour la télévision en 1989 (Émilie) et 1993 (Blanche). Avant de conclure Les Filles de Caleb avec L’Abandon de la mésange (2003), qui n’éveille pas le même intérêt que les tomes précédents, elle entreprendra Ces enfants d’ailleurs, une seconde saga familiale en deux tomes, à son tour adaptée pour le petit écran en 1997.

Sandrina JOSEPH

DEMERS F., « La Ville, la campagne, l’anglais, Les Filles de Caleb et la mémoire historique, notes sur quelques liens difficiles à démêler », in Francophonies d’Amérique, Ottawa, no 21, 2006 ; ROBERT L., « Alphonsine Moisan ou Emma Bovary ? Le choix douloureux d’Émilie Bordeleau », in POTVIN C., WILLIAMSON J. (dir.), Women’s Writing and the Literary Institution/L’Écriture au féminin et l’institution littéraire, Edmonton, University of Alberta, 1992.

COUSTURIER, Lucie (née B) [PARIS 1876 - ID. 1925]

Peintre française, critique d’art et militante anticolonialiste.

Née dans un milieu aisé et novateur – ses parents fabriquent les premières poupées en caoutchouc –, Lucie Brû est une femme non conformiste. Elle épouse en 1900 l’écrivain Edmond Cousturier, avec qui elle a un fils en 1901, année au cours de laquelle elle présente pour la première fois ses œuvres au Salon des indépendants, à Paris. En 1906, elle expose au Salon de la libre esthétique de Bruxelles, et montre aussi quelques toiles à la Berliner Secession de Berlin. Sa première exposition personnelle a lieu à Paris, chez Eugène Druet, en 1907 : peintre pointilliste, L. Cousturier y révèle une prédilection pour le paysage, la peinture en plein air, et, bien sûr, pour la lumière des paysages du sud de la France. À partir de 1911, elle se consacre aussi à la rédaction d’articles et de monographies sur les membres importants du néo-impressionnisme, qui font d’elle la première spécialiste de ce mouvement. En 1916, alors que le couple séjourne à Fréjus pendant la guerre, l’artiste apprend à lire et à écrire à des tirailleurs sénégalais, dont le camp est voisin. Transformée par cette rencontre, elle s’engage dans une réflexion anticolonialiste. Après la guerre, elle publie des récits autobiographiques, notamment Des inconnus chez moi (1920). Missionnée pour étudier « le milieu indigène familial et spécialement le rôle de la femme », elle effectue un voyage de dix mois en Afrique de l’Ouest (1921) ; des articles, parus dans le journal Paria, témoignent de ses convictions politiques. Son regard sur le peuple africain tranche avec les représentations exotiques de nombre d’artistes coloniaux alors en vogue : ses dessins et ses lavis représentent des individus différenciés et non des archétypes africains. À l’occasion de la réouverture en 1923 de sa galerie de Bruxelles, Georges Giroux accueille une exposition de Paul Signac et de la peintre dont des aquarelles et des dessins de son voyage sont montrés. Souffrante, l’artiste décède en juin 1925. Ses écrits et son travail sur ses camarades africains font désormais l’objet de nombreuses recherches.

Catherine GONNARD

Seurat, Paris, G. Crès, 1921 ; La Forêt du Haut-Niger, Bruges/Paris, Impr. Sainte-Catherine/Les Cahiers d’aujourd’hui, Paris, 1923 ; K.-X. Roussel, Paris, Bernheim-Jeune, 1927.

LITTLE L, Lucie Cousturier, les tirailleurs sénégalais et la question coloniale, Paris, L’Harmattan, 2008 ; MAUS M. O., Évocation de Lucie Cousturier, Paris, Lemarget, 1930.

COUVELAS, Agnès (née PANAGIOTATOU) [ATHÈNES 1943]

Architecte grecque.

En 1966, Agnès Couvelas obtient un diplôme d’architecte à l’université technique nationale d’Athènes (NTUA). À 24 ans, elle crée sa propre agence, travaillant sur des projets divers par leur ampleur comme par leur nature. Ses travaux proposent une sorte d’échange constant avec le genius loci. Cette relation se manifeste de manière dynamique par un dialogue entre les réalités physique, sociale et culturelle du site. Un sens de l’équilibre et une cohérence déterminent ses œuvres, comme si elle souhaitait répondre avec un minimum de moyens aux exigences de chaque projet. Durabilité, viabilité et énergie sont prises en charge dans la définition de ses bâtiments, toujours respectueux de l’environnement. Elle a travaillé dans de nombreux domaines, de l’aménagement de banques et de magasins à des équipements pour les enfants, comme la crèche de Vrilissia (Athènes 2005). Elle a également réalisé plusieurs édifices culturels : le parc archéologique de Grotta (1990) et le musée In-Situ (Chora 1999) sur l’île de Náxos, le parc archéologique de Marathon (2003), ou la rénovation du Musée préhistorique de Thíra sur l’île de Santorin (2000). L’une de ses plus célèbres réalisations est la « maison des Vents » sur cette même île (1997), conçue pour s’ouvrir sur le magnifique environnement et répondre à la fois aux conditions climatiques. Le résultat est sculptural et rude, organisé autour d’une terrasse protégée des vents par de massifs murs enduits. Certaines de ses œuvres ont été présentées à l’étranger, lors des expositions consacrées à l’architecture grecque aux musées d’architecture de Francfort et de Rotterdam, en 1999, ou à l’occasion de la 10e Biennale d’architecture de Venise, en 2006.

Lydia SAPOUNAKI-DRACAKI

The Phaidon Atlas of Contemporary World Architecture, Londres, Phaidon, 2004 ; Best of Europe : Color, Leinfelden-Echterdingen, A. Koch, 2005 ; GOETZ S. (dir.), 1000 x European Architecture, Berlin, Braun, 2007 ; SKOUSBØLL K., Greek Architecture Now, Athènes, Studio Art Bookshop, 2006 ; THIÉBAUT P. (dir.), Old Buildings Looking for New Use, Stuttgart, A. Menges, 2007.

LA COUVERTURE VIVANTE [XXIe siècle]

Initiée le 8 mars 2008 par la cinéaste Doris Buttignol (1962), la Couverture vivante est une création collective internationale invitant toutes les femmes à fabriquer un autoportrait sur tissu et à y associer une information. L’objectif est de faire exister la plus vaste expression collective jamais réalisée par des femmes, un message pour la paix et la préservation du vivant.

La Couverture vivante est une collecte d’histoires. Après les avoir cousues dans chaque carré de tissu, il fallait les rassembler dans un espace où elles se répondraient les unes aux autres. C’est un site Internet qui va exposer les carrés composant la couverture et les visions que recèle chacun. Les informations collectées sont organisées en cinq thèmes, constituant la colonne philosophique de la Couverture vivante : terre, femme, corps humain, savoir-faire, variations du monde. C’est une expérience d’art actuel, pauvre car non marchand, et sociologique en ce sens qu’elle envahit la cité et donne la parole à tous. Son actualité est son adéquation avec l’époque : renouant avec le geste dans sa simplicité bienfaisante, l’idée est transmise par les technologies actuelles, les informations collectées sont archivées et mises en ligne dans un tissage collectif de réseaux, d’idées, d’alternatives. En amplifiant sa résonance, de nouveaux espaces d’échanges sont ouverts.

Entreprise nomade, la Couverture vivante offre une expansion internationale à la créativité locale. Local ne signifie pas forcément traditionnel ; il s’agit ici plus de créations territoriales issues d’imaginaires singuliers et convergeant vers un même but.

Le site Internet Couverturevivante.org, conceptualisé et développé par Mona Savard, analyste en technologies informatiques, utilise une des pistes technologiquement interactives qui ont déjà commencé à façonner le nouveau millénaire. Alors que les savoir-faire semblent disparaître de la mémoire collective, les mémoires vives de l’espace cybernétique s’allument. L’art en contexte réel est transmuté sur la toile et se propage dans une nouvelle dimension de l’expression collective de milliers de singularités au service d’une autre vision du monde.

La Couverture est vivante : dès son élaboration, elle circule sous forme d’expositions, d’ateliers, de forums dans les communautés humaines. Le 8 mars 2008, le projet est lancé officiellement dans la Drôme par le collectif artistique des Brasseurs de cages. Six mois après, elle est invitée à participer à l’événement WACK ! L’art et la révolution féminine, initié par le musée d’Art contemporain de Los Angeles, et accueillie par le musée des Beaux-Arts de Vancouver. Elle se décline sous des formes sans cesse renouvelées : craftivism, film, installations multimédias…

En octobre 2009, l’appel à participation commence à circuler dans la francophonie avec l’ambition de l’étendre à l’ensemble de la planète, générant un réseau international de femmes. La Couverture vivante est invitée pour une exposition très symbolique au Sénat par Michèle André*, présidente de la délégation aux droits des femmes, puis sera exposée de manière plus accessible dans la galerie de l’Espace des femmes-Antoinette Fouque, à Paris.

En 2010, des dizaines d’ateliers se mettent en place : en France et au Canada, les deux principaux pôles du projet, mais aussi au Mexique où le groupe Aelsat (approche de la schizophrénie par le lien social et l’accompagnement thérapeutique) organise spontanément une série d’ateliers avec des malades qui généreront environ 200 autoportraits textiles exposés au musée d’Art contemporain Alfredo-Zalce, dans la ville de Morelia.

En France, les autoportraits sont assemblés en pans de 25 carrés et l’objet Couverture vivante fait sa première apparition « portée » dans la rue lors du lancement de la Marche mondiale des femmes en juin 2011, à Paris.

Parallèlement, D. Buttignol a réalisé un film qui, à travers l’histoire d’un autoportrait réalisé en hommage à une des disparues de la dictature argentine, raconte l’histoire du projet et évoque ses différentes dimensions.

En 2012, avec plus de 1 400 autoportraits textiles référencés, la Couverture vivante amorce une nouvelle phase de son développement.

Doris BUTTIGNOL

Tr’âmes, la Couverture vivante, 53 min, 2010.

BAUMGARDNER J., RICHARDS A., ManifestA : Young Women, Feminism, and the Future, New York, Farrar, Straus, and Giroux, 2000 ; BOUISSET M., Arte Povera, Paris, Éditions du regard, 1994.

BRATICH J., « The other world wide web : popular craft culture, tacticle media, and the space of gender », in Revision for Critical Studies in Media Communication, 2006.

COUVREUR, Janine [PHILIPPEVILLE 1934 - PECQ, HAINAUT 1958]

Poétesse belge d’expression française.

Avec un mémoire consacré à La Démarche poétique de Paul Eluard, Janine Couvreur obtient une licence en philologie romane à l’Université libre de Bruxelles. Alors qu’elle est promise à une belle carrière, tant sur le plan de la poésie que sur celui de l’enseignement, tous les espoirs fondés sur elle sont interrompus par une mort brutale : on la retrouve sans vie dans son bain, la veille de ses 24 ans. Elle n’a laissé qu’un recueil, Feuille ou marbre (1957), qui donnera lieu à une édition posthume augmentée et précédée d’un texte de René Char (1962) : « Sa parole est bien une parole personnelle, pure, chaude, qui se porte immédiatement aux confins de la poésie et du mystère où seuls quelques élus ont accès. »

Liliane WOUTERS

COVITO, Carmen [CASTELLAMMARE DI STABIA 1948]

Écrivaine italienne.

Aujourd’hui installée à Milan, Carmen Covito a enseigné pendant quelques années. Ses débuts en tant qu’écrivaine remontent à 1992, avec le roman Tout pour plaire, best-seller traduit dans de nombreuses langues et dont ont été tirés un film et un monologue théâtral. Il raconte, avec ironie et désenchantement, les aventures et mésaventures d’une femme de 40 ans qui refuse de se cantonner au rôle que les autres voudraient lui imposer. Par la suite, C. Covito publie : Del perché i porcospini attraversano la strada (« pourquoi les hérissons traversent la route », 1995), où la protagoniste, avec beaucoup d’autodérision, fait face à des situations hors de toute règle. Benvenuti in questo ambiente (« bienvenue en ce lieu », 1997) est un roman d’amour virtuel entre un immigré clandestin de 19 ans et une femme qui lui parle derrière un écran. Ces titres sont suivis du recueil de nouvelles Scheletri senza armadio (« des squelettes sans armoire », 1997) et du roman La rossa e il nero (« la rouge et le Noir », 2002), œuvre pleine de désinvolture et d’autodérision, où la protagoniste, après s’être libérée d’un mari insupportable, se reconstruit lors d’une mission archéologique en Syrie. Parmi les dernières parutions de C. Covito, se distingue L’arte di smettere di fumare (« de l’art d’arrêter de fumer », 2005). L’œuvre narrative de cette écrivaine se caractérise par la contamination des genres et des langages et fait émerger avec légèreté et ironie un mode de représentation anticonformiste de la condition féminine.

Francesco GNERRE

Tout pour plaire (La bruttina stagionata, 1992), Paris, Grasset, 1996.

COWLEY, Hannah (née PARHOUSE) [TIVERTON, DEVON 1743 - ID. 1809]

Dramaturge et poétesse britannique.

Fille d’un libraire, Hannah Parhouse est très jeune une grande lectrice, et la culture classique et philosophique ainsi acquise se reflète dans ses œuvres. Elle épouse Thomas Cowley en 1772 et ils s’installent à Londres, où il travaille dans le journalisme et la critique théâtrale. À l’issue d’une soirée au théâtre, elle décide de se lancer dans l’écriture théâtrale, activité lucrative non négligeable étant donné la situation financière du couple. The Runaway (« la fugitive ») est acceptée en 1776 par le directeur du théâtre de Drury Lane, David Garrick, connu pour encourager les talents féminins. Malgré la rivalité avec les autres dramaturges féminines, H. Cowley connaît à nouveau le succès en 1780 avec The Belle’s Stratagem. En 1783, son époux trouve un travail pour la Compagnie des Indes et quitte l’Angleterre pour ne plus y revenir. Elle élève alors seule leurs enfants et vit de son écriture. Ses pièces, jouées aussi bien en Europe qu’outre-Atlantique par les actrices alors en vogue, ont pour thème principal le mariage et mettent en scène des femmes qui défendent leur indépendance, dénonçant sous une forme satirique et comique la société contemporaine et le pédantisme régnant. Sa poésie, et en particulier ses échanges avec le poète Robert Merry (surnommé Della Crusca), est très sentimentale.

Geneviève CHEVALLIER

ESCOTT A., The Celebrated Hannah Cowley : Experiments in Dramatic Genre, 1776-1794, Londres, Pickering & Chatto, 2011.

COWLEY, Joy [LEVIN 1936]

Romancière néo-zélandaise.

Mieux connue pour ses quelque 600 livres pour enfants, Joy Cowley a publié sept romans et deux recueils de nouvelles pour adultes. En 1966, un éditeur américain, ayant lu une de ses nouvelles, lui demande un roman. Ce sera Nest in a Falling Tree (« nid dans un arbre qui tombe », 1967), qui connaît tout de suite un grand succès. Roald Dahl en adaptera le scénario au cinéma dans The Night Digger, réalisé par Alastair Reid. Entre 1967 et 1979 paraîtront chez le même éditeur cinq romans traitant tous des rapports familiaux et explorant divers aspects de la sexualité. Cette attitude libérale l’amène à dépeindre les tensions entre spiritualité innée et croyances fixes, dogme et vie affective, conformisme et liberté personnelle. Dans son premier roman, Red, 17 ans, amoureux d’une femme plus âgée, finit par l’abandonner. Man of Straw (« homme de paille », 1970) explore le thème de l’adultère chez un homme, père de deux filles ; la trahison est cependant tolérée par sa femme et la cadette meurt lors d’une fugue provoquée par les difficultés familiales et sociales. La technique narrative mettant en scène deux personnages aux comportements différents est à la base de plusieurs des livres de la romancière : dans Growing Season (« période de croissance », 1979), les rapports conflictuels entre deux frères ne sont résolus que lorsqu’ils sont confrontés à la maladie en phase terminale de leur père. Dans Of Men and Angels (« d’hommes et d’anges », 1972), le couple oppositionnel est celui de deux colocataires, une catholique mal mariée et une femme aux mœurs libres, toutes deux finalement unies par le besoin de la plus âgée d’être mère. Si l’auteure dresse souvent le portrait de familles divisées, comme dans The Mandrake Root (« racine de mandragore », 1975), la dynamique narrative entraîne nécessairement révélations et, le plus souvent, conciliations ; c’est le cas notamment de deux romans plus contemporains, Classical Music (2000) et Holy Days (« jours de fête », 2001). Plusieurs distinctions ont été accordées à J. Cowley, dont l’Order of the British Empire (1992), un doctorat honoris causa (Massey University, 1993), l’A. W. Reed Award (2004) et le Distinguished Companion of the New Zealand Order of Merit (2005). Ses livres pour adultes restent néanmoins encore peu étudiés.

Jean ANDERSON

Of Men and Angels, New York, Doubleday, 1972 ; The Mandrake Root, Londres, Hodder & Stoughton, 1975 ; The Silent One, New York, Knopf, 1981 ; Heart Attack and Other Stories, Auckland, Hodder & Stoughton, 1985 ; The Complete Short Stories, Auckland, Flamingo, 1997.

CRAIK, Dinah (née MULLOCK) [STOKE-ON-TRENT 1826 - BROMLEY 1887]

Romancière et poétesse britannique.

Fille d’un pasteur non conformiste, Dinah Craik fréquente la Brampton House Academy à Newcastle, où elle aide sa mère à tenir une école. Elle étudie le français, l’italien et le latin qu’elle enseigne ensuite à ses jeunes élèves. Elle écrit de nombreux poèmes et, à la mort de sa mère en 1846, elle s’établit à Londres, décidée à vivre de sa plume. Elle commence à écrire pour les enfants, répondant en cela à une forte demande populaire, et accède peu à peu à la célébrité avec The Ogilvies (1849), dédié à sa mère, Le Chef de famille (1851), dédié à E.B. Browning et, surtout, John Halifax, gentleman (1856) traduit en plusieurs langues. Elle écrit 13 romans, d’abord pour ses enfants – ses héros sont alors des enfants qui souffrent d’un handicap – puis pour un public adulte des classes populaires, récits pleins de générosité et de fortitude morale que l’on peut juger trop sentimentaux. Elle compose aussi trois volumes de poésie qui racontent ses voyages en Cornouailles et en Irlande et un essai, A Woman’s Thoughts about Women (1858), qui connaît 38 éditions en quarante ans. Elle se marie en 1864 avec George Craik, l’un des responsables de la maison d’éditions Macmillan, et ils adoptent un enfant trouvé en 1869.

Michel REMY

Le Chef de famille (The Head of the Family, 1851), Paris, Grassart, 1857 ; John Halifax, gentleman (John Halifax Gentleman, 1856), Paris, Grassart, 1878.

HOGAN R., Mrs Craik, author of John Halifax, Gentleman, Londres, Atheneum, 2009.

CRANZ, Christl [BRUXELLES 1914 - OBERSTAUFEN 2004]

Skieuse allemande.

La première championne de ski a pour nom Christl Cranz. Elle n’eut pas son égale durant la décennie précédant la Seconde Guerre mondiale et fut, avec la patineuse Sonja Henie*, l’héroïne des Jeux olympiques d’hiver de 1936 à Garmisch-Partenkirchen, impressionnante démonstration, six mois avant Berlin, de la puissance conquérante du national-socialisme, dont les nations présentes ne tirèrent nul enseignement. Membre du parti nazi, C. Cranz incarne par là même, au-delà des seules performances, la question d’un détournement des athlètes en dehors de la sphère sportive en tant qu’images et porte-drapeaux d’un régime totalitaire. Le ski alpin de compétition, par opposition au ski de fond ou ski nordique, se développe à partir des années 1920 et, pour les femmes, des années 1930, en particulier sous l’impulsion de l’Anglais Arnold Lunn, qui parvient à faire introduire le ski alpin au programme olympique. C’est dans sa vingtième année que se fait connaître C. Cranz, lors des Concours internationaux de Saint-Moritz, Championnats du monde avant la lettre, où elle s’adjuge le slalom et le combiné, tandis que la Suissesse Anny Rüegg la précède en descente. Si en 1935 elle s’oriente vers l’École supérieure d’éducation physique de Berlin et prépare son entrée à l’université de Fribourg, le ski est au centre de sa vie. Dans son style offensif, elle réaffirme sa supériorité avec les titres de la descente, cette fois, et du combiné. À partir de 1936, les épreuves – hommes et femmes – prennent le titre officiel de Championnats du monde de la Fédération internationale de ski (FIS), laquelle tient à les organiser à Innsbruck deux semaines après les Jeux de Garmisch ; à C. Cranz le slalom. De 1937, en descente à Chamonix, à 1939, elle règne. À Zakopane, où la tourmente annonce celle qui va s’abattre sur l’Europe, elle est outrageusement la meilleure, avec 5 secondes d’avance au slalom et 12 à la descente, ce qui lui assure évidemment au combiné sa douzième couronne mondiale en six ans. Elle l’emporte encore deux fois en 1941 à Cortina d’Ampezzo, mais le Congrès de 1946 de la FIS annulera ces épreuves auxquelles seuls quelques pays avaient participé. Associée durant la guerre à diverses tournées et manifestations impliquant les sportifs, mariée à un lieutenant de la Luftwaffe, la skieuse s’installe dans les Alpes de Bavière, à Steibis. Quand l’Allemagne fédérale est réintégrée dans la Communauté des nations, C. Cranz représente la RFA au comité Descente-Slalom de la FIS et fait partie de plusieurs jurys olympiques.

Jean DURRY

LUNN A., Histoire du ski, Paris, Payot, 1953 ; BERLIOUX M., Des Jeux et des crimes, 1936, le piège blanc olympique, Biarritz, Atlantica, 2007.

CRASSET, Matali [CHÂLONS-EN-CHAMPAGNE 1965]

Designer française.

Diplômée des ateliers de l’École nationale supérieure de création industrielle (Ensci) en 1991, Matali Crasset est designer industrielle. Son projet de fin d’études, « La Trilogie domestique », est présenté à la Triennale de Milan. Elle fait ses premières expériences auprès de Denis Santachiara, en Italie. Elle collabore pendant cinq ans avec Philippe Starck dans son agence et pour Thomson Multimédia. En 1994, elle est responsable du Design Center de Thomson, Tim Thom. En 1998, elle fonde son propre studio, à Paris, dans une ancienne imprimerie réhabilitée. Inspirée par son enfance dans une ferme où travail et vie familiale sont intimement liés, elle conçoit ses projets au milieu des enfants et des voisins. À l’image de la colonne d’hospitalité Quand Jim monte à Paris, elle invente un autre rapport à l’espace et aux objets du quotidien à partir d’une observation fine des usages. Elle développe des typologies qui s’articulent autour de la modularité, de l’appropriation, de la flexibilité et du réseau. Elle réalise des scénographies, du mobilier, des travaux d’architecture et de graphisme. Elle collabore avec des acteurs variés : artisans (Pol’arisation avec les métiers d’art de Nontron) ; hôteliers (Hi Hotel à Nice) ; une commune rurale (Capsule, un pigeonnier installé à Caudry, France) ; industriels (luminaires, mobilier, objets électroniques) ; musées (SM’s à s’Hertogenbosch, Pays-Bas) ; artistes (Peter Halley et la galerie Thaddaeus Ropac à Paris) ; musicien (Laurent Garnier). De nombreuses expositions lui permettent de développer ses réflexions (Liquid Architecture ; Casaderme). Plusieurs prix couronnent son travail : le grand prix du Design de la Ville de Paris (1997) ; le grand prix de la Presse internationale de la critique du meuble contemporain (1999) ; le British Interior Design Award (2004) ; le prix du Créateur de l’année au Salon du meuble de Paris (2006). Des publications accompagnent les projets, tandis qu’un site Internet et un blog les diffusent largement.

Jeanne QUÉHEILLARD

COLENO N., Le Lit de Matali, Paris, Éditions du regard, 2002 ; LALLEMENT E., Minimax 0/99, Hyères, Villa Noailles-Hyères, 2001 ; ID., Matali Crasset, Open Collection, Paris, Domeau & Perès 2002 ; ID., Matali Crasset Spaces 2000-2007, Cologne, Éditions daab, 2007 ; MIDAL A., Matali Crasset, transplant, Milan, galerie Luisa delle Piane, 2007 ; WILLIAMS G., Matali Crasset, Paris, Pyramyd, 2003.

CRAVERO, Alexandra [MARSEILLE 1977]

Compositrice, interprète, altiste et chef d’orchestre française.

Née dans une famille de musiciens, Alexandra Cravero commence le violon alto à l’âge de 6 ans. Elle obtient diplômes et médailles dans cette discipline, à laquelle elle ajoute le chant et la composition. Très jeune, à 15 ans, elle aborde ensuite la direction d’orchestre. Étudiante en master de direction au Conservatoire national de Paris en 2011, elle travaille régulièrement avec de grandes formations. Directrice musicale de plusieurs orchestres, en France et à l’étranger, elle se produit également en tant que soliste. Premier prix d’alto au Conservatoire national supérieur de musique de Lyon en 2003 dans la classe de Tasso Adamopoulos, elle tient à décloisonner la pratique du violon et interprète avec le même bonheur, et la même virtuosité, des partitions tant classiques que contemporaines. Elle fonde en 2007 l’orchestre Du bout des doigts, ensemble musical avec instrumentistes et chanteurs, qu’elle dirige et avec lequel elle se produit régulièrement dans toute la France.

Pierrette GERMAIN

CRAWFORD, Joan (née Lucille FAY LESUEUR) [SAN ANTONIO, TEXAS 1904 - NEW YORK 1977]

Actrice et productrice américaine.

Après avoir travaillé très jeune comme blanchisseuse, serveuse puis vendeuse, Joan Crawford remporte un concours de charleston au cours duquel elle est remarquée par un responsable de la Metro-Goldwyn-Mayer. Cela lui ouvre les portes du cinéma : elle fait ses débuts à l’écran en 1925 et incarne la flapper (« femme indépendante ») dans Sally, Irene and Mary (Edmund Goulding, 1925) et dans The Taxi Dancer (Harry F. Millarde, 1927). C’est en danseuse de night-club qu’elle connaît son premier grand succès, avec Les Nouvelles Vierges (Our Dancing Daughters, Harry Beaumont, 1928). Elle tourne dans plus de 20 films muets avant l’avènement du parlant. Quand bien des actrices ne peuvent se faire à cette révolution technologique, J. Crawford continue à enchaîner les rôles auprès des plus grands réalisateurs. Elle joue ainsi des femmes qui travaillent et ambitionnent de s’élever dans la société, comme dans Grand hôtel (Edmund Goulding, 1932) ou dans Après nous le déluge (Today We Live, Howard Hawks, 1933). Elle impose un maquillage qui souligne ses sourcils et ses lèvres, son visage pouvant dès lors offrir plus de contrastes à l’écran noir et blanc, et lance la mode des vestes aux épaules carrées. Elle tourne successivement dans huit films avec Clark Gable pour autant de succès, notamment : Fascination (Possessed, Clarence Brown, 1931) ; Le Tourbillon de la danse (Dancing Lady, Robert Z. Leonard, 1933) ; Le Cargo maudit (Strange Cargo, Frank Borzage, 1940). Au cours des années 1940, elle se tourne vers les rôles de nobles victimes, comme celui de la mère sacrifiée qu’elle incarne dans Le Roman de Mildred Pierce (Mildred Pierce, Michael Curtiz, 1945), rôle qui lui vaut un Oscar. Elle se lance alors dans la production, avec Le Masque arraché (Sudden Fear, David Miller, 1952). Elle incarne ensuite une flamboyante héroïne de western dans Johnny Guitare (Nicholas Ray, 1954). En 1962, elle fait un retour triomphal face à Bette Davis* dans Qu’est-il arrivé à Baby Jane ? (What Ever Happened to Baby Jane ?), le film d’horreur de Robert Aldrich. Elle continue dans cette veine jusqu’en 1970. Mariée quatre fois, notamment avec les acteurs Douglas Fairbanks Jr. et Franchot Tone, elle adopte quatre enfants. Après sa mort, sa fille Christina fait d’elle un portrait cruel dans Cette chère maman (1978), ouvrage adapté au cinéma sous le titre Maman très chère (Mommie Dearest, Frank Perry, 1981), avec Faye Dunaway dans le rôle-titre.

Bruno VILLIEN

A Portrait of Joan : The Autobiography of Joan Crawford (1962), Whitefish, Literary Licensing, 2011 ; My Way of Life, New York, Simon & Schuster, 1971.

CRAWFORD C., Cette chère maman (Mommie Dearest, 1978), Paris, Robert Laffont, 1980.

CRAWFORD, Patricia [SYDNEY 1941 - PERTH 2009]

Historienne australienne.

Après des études d’histoire et de littérature à l’université de Melbourne, Patricia Marcia Crawford soutient un doctorat en histoire moderne anglaise à l’université de Western Australia (UWA) en 1971, et reçoit une bourse d’Oxford en 1974. Elle enseigne à UWA à partir de 1972 mais ce n’est qu’en 1976, après la révocation de l’interdiction pour les femmes mariées de détenir des postes permanents, qu’elle devient titulaire. Elle devient en 1995 la première femme nommée à une chaire d’histoire dans cette université. Le premier livre de P. Crawford, Denzil Holles 1598-1680 : A Study of his Political Career (1979), reçoit le Whitfield Prize de la Royal Historical Society. Elle se tourne ensuite vers l’histoire des femmes et devient célèbre avec « Attitudes to menstruation in seventeenth-century England » (Past and Present, 1981), qui étudie un sujet resté tabou jusque-là. Son travail culmine avec Women and Religion in England 1500-1720 (1993). Ses essais sur la maternité, la puériculture et l’identité sexuelle sont publiés sous le titre Blood, Bodies and Families in Early Modern England (2004). Suit Women in Early Modern England 1500-1720 (1998), avec Sara Mendelson, et Women’s Worlds in Seventeenth-Century England (2000), avec Laura Gowing. P. Crawford écrit également sur la politique et l’histoire australiennes (Women in Western Australian History, 1983 ; Women as Australian Citizens : Underlying Histories, 2001, avec Philippa Maddern). Avec son mari Ian Crawford, archéologue connu, elle remporte en 2004 le prix d’histoire du Premier ministre de Nouvelle-Galles du Sud pour Contested Country : A History of the Northcliffe Area, Western Australia (2003), qui analyse à la fois les passés indigène et colonisateur de cette région, les luttes pour la terre, et l’avenir des forêts de karri (variété d’eucalyptus), menacées par le développement. Son dernier livre, Parents of Poor Children in England 1580-1800, paraît en 2009. Elle est considérée comme une analyste novatrice de l’Angleterre moderne et de l’histoire de la condition féminine.

Susan FOLEY et Charles SOWERWINE

GOWING L., « Patricia Crawford », in The Guardian, 25-5-2009 ; MENDELSON S., « Patricia M. Crawford, 1941-2009 », in History Workshop Journal, 71, 2011.

CRÉATRICES D’ENTREPRISE [depuis le XVIIIe siècle]

Les créatrices d’entreprise constituent une catégorie de femmes longtemps oubliée de l’histoire et de la sociologie. L’entrepreneuriat féminin connaît cependant aujourd’hui un développement notable. S’il progresse plus lentement en France que dans d’autres pays du Nord, il a explosé dans les années 1990 aux États-Unis, où les femmes se sont mises à créer deux fois plus d’entreprises que les hommes.

Les entrepreneuses sont confrontées à des obstacles spécifiques. Historiquement, elles ont dû surmonter leur privation d’autonomie aussi bien juridique qu’économique. D’autres difficultés demeurent : financières, les banques se montrant parfois plus réticentes à financer le projet d’une femme ; commerciales, en particulier dans le domaine des services aux entreprises où les femmes ne sont pas toujours prises au sérieux. Enfin, les femmes d’affaires évoquent souvent la difficulté de concilier vie familiale et vie professionnelle.

Au XVIIIe siècle, en France, le développement du commerce d’articles de mode ouvre un premier espace pour les femmes dans les affaires. Rose Bertin*, la modiste de la reine Marie-Antoinette, fut ainsi le principal visage de l’entrepreneuriat féminin à la fin de l’Ancien Régime. Si le concept moderne d’entrepreneur fait véritablement son apparition avec la révolution industrielle, les créateurs de grandes entreprises furent presque exclusivement des hommes tout au long du XIXe siècle, si bien que la plupart des femmes d’affaires de l’époque restent des inconnues. Barbe Nicole Clicquot-Ponsardin*, qui bâtit sa maison de champagne sur la base de l’entreprise dont elle hérita de son mari, fut une personnalité hors du commun. Quelques figures de créatrices émergent au début du XXe siècle aux États-Unis : Mabel Baker crée en 1909 son entreprise de bougies à l’origine de la marque PartyLite, et la cinéaste française Alice Guy*-Blaché fonde en 1910 le studio Solax en Californie. À la même époque, à New York, Alice Foote MacDougall commence sa carrière de négociante en café pour ensuite multiplier ses restaurants à New York. L’Américano-Canadienne Elizabeth Arden* ouvre son premier salon de beauté. Cette dernière devient la première bâtisseuse d’empire dans la cosmétique. Elle est suivie, après la Seconde Guerre mondiale, par Estée Lauder* puis, dans les années 1960, par Mary Kay Ash*. Dans les années 1970, Ruth Fertel* et Evelyn Overton*créent respectivement Ruth’s Chris Steak House et The Cheesecake Factory, deux chaînes de restaurants populaires et réputées. Debbi Fields fonde Mrs Field, empire de la pâtisserie ; Lane Nemeth* crée plusieurs grandes entreprises de vente directe. Plus récemment, des femmes investissent dans les nouvelles technologies : Natalie Massenet* est fondatrice de Net-a-Porter, société de vente en ligne de vêtements et accessoires de luxe ; Judy Odom*, quant à elle, a contribué au développement des logiciels informatiques.

Même aux États-Unis, le nombre de grandes entreprises fondées et dirigées par des femmes reste très faible. En 2008, seule PC Connection, la société de Patricia Gallup*, faisait partie du prestigieux classement des 1 000 plus grandes entreprises américaines du magazine Fortune – et encore fut-elle cofondée par un homme, David Hall. En France, les entreprises créées par des femmes sont en général très petites, et le restent le plus souvent.

Plusieurs tendances actuelles devraient favoriser l’essor de la création d’entreprise au féminin. Le développement du microcrédit peut aider les femmes à monter leur société en contournant le système bancaire traditionnel, particulièrement dans les pays en développement mais aussi en Europe, grâce à l’action de Maria Nowak*. Les nouvelles technologies de l’information et de la communication offrent elles aussi des possibilités. En France, plusieurs femmes ont tiré leur épingle du jeu sur le Web : Anne-Sophie Pastel* (Aufeminin.com), Pauline d’Orgeval* (1001listes), Yseulys Costes* (1000mercis), Orianne Garcia* (Caramail) sont des figures emblématiques de la nouvelle économie. Internet permet notamment aux femmes de concilier plus facilement vie de famille et vie professionnelle. De jeunes mères, dites « mompreneurs », peuvent désormais créer une société internationale à domicile, à l’image de la Canadienne Sandra Wilson*. On trouve aussi des femmes créatrices de laboratoires, telles Marie Béjot* avec Œnobiol, Colette Robert*, cofondatrice d’Arkopharma, ou encore Mathilde Thomas*, créatrice de Caudalie, marque de cosmétique. Geneviève Lethu* s’est distinguée en créant la marque qui porte son nom. Catherine Neressis-Jolly* fonde le journal De Particulier à particulier, concept innovant de lien direct entre vendeurs et acheteurs. Catherine Painvin* crée plusieurs marques de vêtements, d’accessoires et de meubles.

Le monde des affaires est longtemps resté à distance des mouvements sociaux, et les rapports entre féminisme et création d’entreprise sont ambigus. Même les sympathisantes de la cause féministe, comme la publicitaire Paula Green*, se sont tenues à l’écart du militantisme politique.

Une solidarité voit cependant le jour entre les créatrices d’entreprise. En France, des militantes de l’entrepreneuriat féminin constituent des réseaux. Danièle Rousseau, fondatrice de plusieurs petites entreprises, a par exemple créé en 1998 l’association Dirigeantes. Anne-Laure Constanza, créatrice d’Envie de fraises, site d’e-commerce dédié aux femmes enceintes, fédère depuis 2008 les mères entrepreneuses françaises. Le Women’s Forum organisé depuis 2005 par Aude de Thuin* est animé par des femmes d’affaires et se veut le plus vaste réseau de femmes au monde. Après avoir organisé une première conférence en Chine en 2008, il ambitionne de se développer sur tous les continents. Il pourrait permettre de faire émerger des entrepreneuses en dehors de l’Amérique du Nord et de l’Europe. Des personnalités telles que Maha al-Ghunaim* dans le monde arabe et Chiyono Terada* au Japon font en effet toujours figure d’exceptions.

Alban WYDOUW

DOUZET F., « Les femmes à la conquête de l’économie mondiale », in Hérodote, Paris, La Découverte, no 136, 1er trimestre 2010 ; FOUQUET A, « Les femmes chefs d’entreprise : le cas français », in Travail, genre et sociétés, Paris, La Découverte, n13, 2005 ; MARTIN L., « Mères au foyer… et entrepreneurs », in Le Nouvel Observateur, 9-10-2008 ; YEAGER M. A., « Regard sur l’histoire américaine des affaires », in Travail, genre et sociétés, Paris, La Découverte, n13, 2005.

CRENNE, Hélisenne DE (Marguerite BRIET, épouse FOURNEL, dite) [V. 1510 - V. 1552]

Romancière et traductrice française.

On possède peu de documents contemporains attestant l’existence d’Hélisenne de Crenne, et l’ensemble de son œuvre, en apparence autoréférentielle, constitue la source la plus détaillée, quoique des plus incertaines, de sa vie. Le succès de ses œuvres n’en a pas pour autant été modeste : trois de ses textes au cœur desquels évolue le personnage d’Hélisenne – Les Angoysses douloureuses qui procèdent d’amours (1538) ; Les Epistres familieres et invectives (1539) ; Le Songe de Mme Hélisenne (1540) – ont été réunis sous le titre Œuvres dès 1543, puis en 1550 par Claude Colet. Quatre aspects fondamentaux du corpus permettent d’esquisser des stratégies d’écriture propres à l’auteure : l’ambiguïté des visées rhétoriques, la diversité des pratiques narratives, la cohérence intertextuelle des trois textes et le recours à l’imitation de la tradition narrative vernaculaire. Malgré cette ambiguïté évoquée, l’épître dédicatoire des Angoysses expose quatre objectifs rhétoriques dont le premier concernerait les amoureux : ils doivent s’évertuer à « bien et honnestement aymer ». Le texte engage ensuite le lecteur à « eviter ociosité », à « s’occuper à quelques honnestes exercices », puis à inciter à « la discipline de l’art militaire » et, plus essentiellement, à « instiguer à résistance contre [la] sensualité ». Atout indispensable du travail littéraire de l’auteure, la diversité des formes poétiques exploitées forme aussi un des agréments de la trilogie, où la divergence des points de vue et des attitudes garantit à nouveau le défilement de personnages différents. Ce souci de plaire aux lecteurs par l’utilisation de plusieurs « manières » s’inscrit dans une captatio benevolentiae destinée à faire des Epistres un haut lieu de la diversité supposée attrayante : d’abord par la pluralité des voix épistolaires, ensuite par celle des registres, qui réhabilite, dans la partie « invective », la structure argumentative éristique, celle de la disputatio scolastique. Si l’agrément d’une telle pratique paraît assuré, son profit rhétorique l’est peut-être davantage, car la réapparition du personnage romanesque dans un cadre épistolaire « familier et invectif », puis dans celui du songe allégorique traditionnellement réservé aux instances auctoriales fortes, comme celles de Guillaume de Lorris et de Jean de Meun, favorise l’effet de véridiction. Par ailleurs, dans Les Epistres, le statut de la femme écrivain est discuté de manière explicite et on y revendique un accès féminin à la culture, comme c’est le cas aussi dans le Songe où Hélisenne conteste la prétendue incapacité des femmes à se servir de la raison. Parmi les influences de l’écrivaine, il faut mentionner Boccace, Jacopo Caviceo et Jean Lemaire de Belges, qui lui prêtent thèmes amoureux, voire développements entiers issus parfois d’autres sources, bibliques et patristiques. Sa traduction des Quatre premiers livres des Eneydes du tres elegant poete Virgile (1541) s’inscrit dans la continuité des œuvres précédentes, en établissant cette fois un lien entre la romancière et Didon, une héroïne particulièrement présente dans l’imaginaire de la Renaissance. Elle suggère aussi, en conclusion du corpus, une analogie entre le personnage central des œuvres de l’auteure et celui de l’Énéide, puisque le nom de Didon, anciennement « Helisa/Elissa », dans sa signification phénicienne veut dire « virago, exerçant œuvre virile ». Ainsi, Hélisenne – personnage et auteure – a, elle aussi, exercé œuvres viriles, d’abord en ne niant pas ses désirs amoureux, ensuite en assumant l’ethos d’écrivain, tout chargé de l’autorité masculine.

Mawy BOUCHARD

Les Epistres familieres et invectives de ma dame Helisenne (1539), Nash J. C. (éd.), Paris, H. Champion, 1996 ; Les Angoysses douloureuses qui procedent d’amours (1538), Buzon C. de (éd.), Paris, H. Champion, 1997 ; Le Songe de Mme Helisenne (1540), Beaulieu J.-P., Desrosiers-Bonin D. (éd.), Paris, H. Champion, 2007.

BEAULIEU J.-P., DESROSIERS-BONIN D. (dir.), Hélisenne de Crenne, l’écriture et ses doubles, Paris, H. Champion, 2004.

CRÉOLES FRANCOPHONES – ÉCRIVAINES [Caraïbes XXe-XXIe siècle]

Sont rassemblés sous la dénomination de « mondes créoles » des espaces géographiques – américains, indo-océaniques, caribéens –, des sociétés ayant connu la traite négrière et l’esclavage des Noirs, résultant d’un processus de créolisation. Le terme désigne en linguistique la formation de langues créoles, en sociologie et en anthropologie, les divers agencements du contact culturel. Gerry L’Étang le définit « comme le processus d’interaction et d’hybridation de traits culturels déterritorialisés, adoptés/adaptés, hérités et inventés en contexte plantationnaire ». La genèse des sociétés créoles a été accélérée par le contexte singulier de « la plantation, qui a agi comme un accélérateur d’adaptation et d’interaction ». Elles sont disséminées à la surface du globe dans différents pays, du fait de l’histoire de la colonisation et des migrations modernes. Les femmes écrivaines et anthropologues de la Caraïbe francophone montrent, de manière non exhaustive, comment dialoguent des femmes créatrices œuvrant dans deux domaines différents qui s’enrichissent mutuellement.

Le matériel fourni par la littérature n’est pas à négliger en anthropologie. Le roman permet de saisir des mécanismes relevant du social et donne à voir les normes et valeurs véhiculées par une société. Pour Maryse Condé*, le roman est à la fois « le monde intime qu’un écrivain entrouvre » et « un témoignage social ». Plusieurs auteures créoles ont pour point commun de mettre en lumière des processus de résistance par la littérature. Ina Césaire*, fille d’Aimé Césaire, écrivaine et ethnologue, a travaillé sur la littérature orale martiniquaise (Contes de mort et de vie aux Antilles, coécrit avec l’ethnolinguiste Joëlle Laurent). Pour ces deux chercheuses martiniquaises, les contes reflètent, comme le créole, la rencontre de différents mondes. Les esclaves les utilisaient pour exprimer leurs sentiments, leur vie et leur révolte : c’est en cela que le conte antillais constitue un véritable révélateur et joue un rôle de critique sociale, même si elle est larvée et volontairement masquée. Dans son essai sur des romancières des Antilles de langue française, M. Condé souligne le rôle occulté de la femme dans la lutte contre l’esclavage et évoque la Jamaïcaine Nanny of the Maroons, figure légendaire qui a dirigé une colonie de « Nègres marrons », esclaves insurgés en fuite qui s’étaient réfugiés en forêt, et la Mulâtresse Solitude, Guadeloupéenne, héroïne de la lutte pour l’émancipation. L’écrivaine explique son désir de « croire à l’unité du “monde caraïbe” », qui dépasse les différences de schémas socioculturels. C’est dans la généalogie des femmes marronnes que Carole Edwards situe les dramaturges antillaises, même si elles ne s’y réduisent pas. « La femme antillaise écrivain est doublement marronne : son évasion est le marronnage littéraire de tout Antillais qui écrit, augmenté du marronnage féminin, celui de toute femme qui entre en littérature dans un tel contexte, en osant braver en outre les interdits liés à sa condition de femme. » Dans son essai, l’auteure analyse neufs pièces d’écrivaines antillaises : M. Condé, Simone Schwarz-Bart*, Michèle Césaire et I. Césaire, Gerty Dambury* et Suzanne Dracius. Elle révèle la nature syncrétique de la performance caribéenne. Malgré la diversité dans la structure des pièces analysées, certains traits se retrouvent dans chacune d’elles et situent le travail de ces dramaturges antillaises dans le « théâtre de la cruauté » qui « réveille brutalement les Antillais à l’histoire communautaire de l’esclavage liée au traumatisme de la mer et du bateau, de l’exil, de la colonisation, du retour à la terre mère, du despotisme et de l’héritage africain, et enfin du racisme et de la tradition ».

Juliette Sméralda, qui se définit comme afro-descendante et indo-descendante de la Martinique, s’intéresse aux relations entre les groupes et appréhende la question des relations raciales d’un point de vue scientifique et non plus idéologique. Ses recherches sur l’identité indo-martiniquaise permettent de sortir du clivage Noirs versus Blancs et de la triade Blancs-mulâtres-Noirs en prenant en compte la variable indo-martiniquaise. Ce faisant, elle restitue « l’Indo-Martiniquais à un espace social dont il est resté longtemps exclu ». Cette étude permet de dépasser « les clichés qui tenaient lieu de savoir sur l’intergroupe, voire l’intragroupe des Indo-Martiniquais » et ouvre un nouveau champ de recherche. Sociologue de formation, elle développe une approche socio-anthropologique teintée de psychologie sociale ; la pratique de l’interdisciplinarité lui permet d’appréhender le social sous un angle plus large. Son travail a également l’originalité d’intégrer le groupe social des békés – descendants de colons européens qui constituent un groupe minoritaire mais économiquement dominant –, qui sont les grands absents des différents discours et études.

Les sociétés caribéennes et créoles en général sont des sociétés récentes. Travailler sur ces cultures et leurs productions culturelles nécessite un détour obligatoire par l’histoire. Les travaux ici évoqués, qu’ils soient littéraires ou socio-anthropologiques, prennent tous en compte la dimension historique, mais ne représentent qu’une partie du monde créole : la Caraïbe francophone entretient depuis 1973 des liens universitaires et littéraires avec l’anglophone (Jamaïque, Trinidad, Sainte-Lucie, Antigua…), l’hispanophone (Porto Rico, Cuba) et aussi avec les espaces créoles sud-américains (Guyane, Panama) et indo-océaniques (îles de La Réunion, Maurice).

Yaotcha D'ALMEIDA

CRESPI, Giulia Maria [MILAN 1923]

Dirigeante de presse italienne.

Descendante de la famille milanaise propriétaire entre 1882 et 1974 du principal quotidien italien libéral et modéré Il Corriere della Sera (« le courrier du soir »), Giulia Maria Crespi commence à avoir de l’influence dans ce journal au début des années 1960, puis en devient propriétaire et directrice éditoriale. Elle occupe ce poste jusqu’en 1975 avec une fermeté qui lui vaut le surnom, plus ou moins bienveillant, de « Tsarine ». En 1972, elle provoque la seule « révolution » du quotidien sous la gestion Crespi : la nomination de Piero Ottone, qui conduit la rédaction du journal à porter une attention particulière aux mouvements de contestation étudiant et ouvrier qui bouleversent l’Italie depuis 1968. Cette ligne éditoriale amène à la fois un vaste élargissement du public du Corriere et de sévères critiques de la part de la bourgeoisie milanaise, qui y voit une déformation de la tradition modérée du journal. Pour le Corriere, 1973 est une date aux multiples significations : elle marque le divorce du quotidien d’avec une de ses plumes historiques, Indro Montanelli, mais aussi un record de ventes, avec une moyenne quotidienne de 700 000 exemplaires. En 1974, G. M. Crespi laisse cet héritage quand elle cède ses actions à Andrea Rizzoli. En 1975, elle crée le Fonds pour l’environnement italien (Fai), une organisation à but non lucratif destinée à la protection du patrimoine artistique et naturel, inspirée du modèle du National Trust britannique. Pendant ses trente-quatre années à la tête de la fondation, celle-ci a compté jusqu’à 80 000 membres, 500 sponsors, 6 000 volontaires et restauré environ 40 biens culturels. En 2009, à 86 ans et après cinq cancers, G.-M. Crespi cède la présidence, mais ne prend pas pour autant sa retraite. Son prochain objectif est l’élaboration d’un plan touristique national durable, à opposer au « tourisme d’aéroports » qui domine selon elle l’Italie d’aujourd’hui.

Francesca MUSIANI

CRESPIN, Régine [MARSEILLE 1927 - PARIS 2007]

Soprano française.

Fine, drôle, d’une vivacité extrême, Régine Crespin restera dans les annales de l’art lyrique pour sa voix puissante au timbre clair, son phrasé tout en nuances, son articulation parfaite, la délicatesse de ses interprétations. Elle passe son enfance à Nîmes et s’aperçoit très vite qu’elle possède une voix souple, facile et au beau métal, tandis qu’elle prend des cours de chant à 16 ans. Un concours local dont elle obtient le premier prix avec un extrait de Sigurd d’Ernest Reyer décide de son orientation. Elle entre alors au Conservatoire de Paris, dont elle sort avec les premiers prix de chant, d’opéra et d’opéra comique. Elle fait ses débuts à Reims en 1948 dans le rôle de Charlotte de Werther, et entre en 1951 dans la troupe de l’Opéra de Paris et à l’Opéra-Comique. Tout en peaufinant les rôles de Tosca et de la Maréchale du Chevalier à la rose, elle sert l’opéra français dans les Dialogues des Carmélites de Francis Poulenc et Les Troyens d’Hector Berlioz. En 1957, André Cluytens l’impose à Wieland Wagner pour chanter Kundry dans Parsifal au Festival de Bayreuth, rôle qu’elle prépare avec Germaine Lubin*. Elle est Kundry de 1958 à 1961 et Sieglinde dans La Walkyrie en 1961. L’année suivante, elle est invitée pour la première fois au Metropolitan Opera de New York dans Le Chevalier à la rose, et devient l’une des cantatrices préférées du public américain. Elle interprète Brünnhilde dans La Walkyrie au Festival de Pâques de Salzbourg en 1967 et 1968 sous la direction de Herbert von Karajan, avec qui elle enregistre le rôle, ainsi qu’au Metropolitan en 1968. Dans les années 1970, elle se tourne peu à peu vers les rôles de mezzo-soprano, comme Santuzza, Charlotte de Werther, Carmen, la Comtesse de La Dame de Pique, Mme de Croissy dans les Dialogues des Carmélites. Elle se plaît aussi à chanter Jacques Offenbach, excellant dans La Vie parisienne, La Belle Hélène et La Grande Duchesse de Gérolstein. Elle brille aussi dans le lied et la mélodie. Ses récitals et enregistrements des Nuits d’été de Berlioz et de Shéhérazade de Ravel dirigés par Ernest Ansermet, ainsi que les lieder de Schumann et mélodies de Duparc, Poulenc, Fauré et Canteloube sont des références discographiques qui restent inégalées. R. Crespin enseigne au Conservatoire de Paris de 1976 à 1992. En 1989, elle interprète Carmen dans le feuilleton télévisé L’Or du Diable, et fait ses adieux à la scène l’année suivante.

Bruno SERROU

L’Amour et la Vie d’une femme, Paris, Fayard, 1982.

CRESPIN DU GAST, Camille [PARIS 1868 - ID. 1942]

Sportive et pilote de course française.

Issue de la haute bourgeoisie parisienne fortunée, cette très belle femme ne se conformera pas au rôle que son milieu et son époque attendent d’elle. Camille Crespin du Gast est la deuxième Française à passer son permis de conduire en 1898. Avec son mari comme copilote, elle participe à des courses automobiles prestigieuses. Dans ce milieu très masculin où il est malséant qu’une femme prenne le volant, il fallait de l’audace pour braver les préjugés misogynes. Les constructeurs d’automobiles n’hésitent pas cependant à lui confier leurs bolides. Seule femme à participer au Paris-Berlin en 1901, elle arrive trentième. Mais en 1904, elle est interdite de course par l’Automobile Club de France, pour cause de « nervosité féminine ». Elle se tourne alors vers la course en bateau à moteur et remporte la transméditerranéenne Alger-Toulon en 1905. Athlète accomplie, elle pratique le parachutisme – elle sera la première Française à sauter en parachute –, l’alpinisme, la luge, le ski, l’escrime, l’aéronautisme. Après la mort de son mari, elle voyage et explore le Maroc seule à cheval. Elle a suscité l’admiration des femmes et, par ses performances, participé à leur émancipation. Elle a été vice-présidente de la Ligue française des droits des femmes après la Grande Guerre. Elle continue ses exploits sportifs jusqu’en 1910, puis se consacre à la Société protectrice des animaux dont elle restera présidente de 1910 à 1942. Organisatrice de manifestations contre les corridas, elle engage ses propres fonds pour la rénovation du refuge animalier de Gennevilliers. Elle a œuvré à la création de centres de soins pour les orphelins et les femmes pauvres, dont elle s’occupera jusqu’à sa mort en 1942.

Annie SCHMITT

« Le rôle des sports dans la victoire féministe », in VIVIANI R., ROBERT H., MEURGÉ A. et al., Cinquante ans de féminisme (1870-1920), Paris, Éditions de la Ligue française pour le droit des femmes, 1921.

JAEGER-WOLFF E., La Dernière Amazone, Haguenau, Bastberg, 2007.

CRESPO DE BRITTON, Rosa María VOIR BRITTON, Rosa María

CRESSON, Édith (née CAMPION) [BOULOGNE-SUR-SEINE 1934]

Femme politique française.

Diplômée de l’École des hautes études commerciales de jeunes filles (HEC-JF) et docteur en démographie, Édith Cresson a hérité de son père, haut fonctionnaire, la passion pour la chose publique. Grâce à une amie d’HEC-JF, Paulette Decraene, elle participe à l’équipe de campagne de François Mitterrand, candidat unique de la gauche lors de la présidentielle de 1965. C’est le point de départ d’une longue trajectoire politique, qui conduira É. Cresson, quelque vingt-cinq ans plus tard, jusqu’aux fonctions de Premier ministre. Son premier engagement date de 1965, lorsqu’elle adhère à la Convention des institutions républicaines (CIR), formation dirigée par F. Mitterrand. Dès 1967, elle est la seule femme à figurer parmi les neuf dirigeants de la CIR. En 1971, elle entre au Parti socialiste nouvellement créé. Lors de la présidentielle de 1974, elle fait à nouveau campagne pour F. Mitterrand. L’année suivante, elle affronte le suffrage universel à Châtellerault, lors d’une législative partielle qu’elle perd de justesse. Dès 1975, grimpant dans les instances dirigeantes du PS, elle est promue au comité directeur et au secrétariat national, alors en charge de la jeunesse et des étudiants. Aux municipales de 1977, elle gagne son premier mandat, devenant maire de Thuré, commune proche de Châtellerault. C’est le début d’un long cursus sur ce territoire de Poitou-Charentes, où elle sera successivement députée, conseillère générale, maire (de Châtellerault), puis présidente du conseil régional. En 1979, elle est élue députée européenne. Elle participe activement à la campagne présidentielle de 1981, qui porte enfin F. Mitterrand à l’Élysée. Dès lors, et durant dix ans, elle sera de tous les gouvernements de gauche. Dans le premier gouvernement socialiste de la Ve République, elle est nommée à l’Agriculture, secteur masculin s’il en est. À ce poste jusqu’en 1983, elle a des rapports difficiles avec la Fédération nationale des exploitants agricoles (FNSEA), tout en affrontant de violentes attaques sexistes, y compris de la part des agricultrices. Elle est ensuite nommée, en 1983, ministre du Commerce extérieur. Lors du second septennat de F. Mitterrand, elle joue un rôle actif dans la construction européenne, devenue la grande affaire du président. De 1988 à 1990, elle est ministre des Affaires européennes. Le 15 mai 1991, le président de la République, F. Mitterrand, fier de briser un tabou, la désigne comme « la plus apte à diriger le gouvernement ». Elle devient la première femme Premier ministre. Le pari élyséen paraît d’abord gagné. Les 15 et 16 mai 1991, près des deux tiers des Français et Françaises se déclarent plutôt satisfaits d’avoir une femme chef de gouvernement. Mais l’état de grâce est de courte durée. Dès juillet 1991 commence la longue descente aux enfers de l’impopularité, orchestrée par une campagne de dénigrement et de misogynie sans précédent, véritable « lynchage médiatique » que dénonce, entre autres, son amie Edwige Avice. Cette séquence ne sera close que par la défaite électorale des socialistes aux régionales de mars 1992, puis par la démission de l’intéressée, le 2 avril 1992. En tant que Premier ministre, É. Cresson ouvre plusieurs chantiers, notamment le développement industriel, l’essor de la formation professionnelle par l’apprentissage et la délocalisation des emplois publics. Elle fait un retour à la politique en 1995, nommée Commissaire européen, chargée de la science, du développement, de l’éducation et de la formation. En 2001, elle prend la présidence de la Fondation des Écoles de la deuxième chance. Quatre-vingts écoles de ce type voient le jour sous son impulsion.

Mariette SINEAU

Histoires françaises, Monaco/Paris, Éditions du Rocher, 2006.

SCHEMLA E., Édith Cresson, la femme piégée, Paris, Flammarion, 1993.

CRESSY-MARCKS, Violet (née RUTLEY) [LONDRES 1895 - HERTFORDSHIRE 1970]

Exploratrice et cinéaste britannique.

Née dans une famille fortunée, Violet Rutley se marie à deux reprises et donne le jour à trois enfants. Pourtant, son activité principale, tout au long de sa vie, sera le voyage en solitaire. En 1925, après son divorce, elle commence par un périple du Cap au Caire, puis accomplit une expédition en traîneau de la Scandinavie à Mourmansk. En 1929, elle part durant deux ans explorer à pied et à pirogue le nord-ouest de l’Amazonie. Après un premier tour du monde, son premier film est consacré à l’Éthiopie en guerre, où elle séjourne en 1930. En 1937, en Chine, elle réalise une interview de cinq heures de Mao Zedong, au quartier général du Parti communiste chinois, dans les grottes de Yenning. Pendant la guerre, elle devient correspondante de guerre dans ce pays, puis couvre le procès de Nuremberg pour le Daily Express. Cette véritable nomade aura accompli au total huit tours du monde complets. Elle rapporte à chaque fois des films et des photos dont les sujets, souvent archéologiques, sont aussi ethnographiques et animaliers. On soupçonne qu’une partie de ses aventures ont été entreprises en liaison avec les services de renseignements britanniques : son testament, qui demande à ce que toute biographie fasse l’objet d’une autorisation du M15, le laisse penser, ainsi que sa présence dans toutes les zones sensibles de la planète dans l’entre-deux-guerres. Comme Gertrude Lowthian Bell*, Freya Stark* et le colonel Lawrence, son goût pour l’archéologie n’aurait donc pas été le fait de la seule curiosité intellectuelle. Dans son testament figure aussi la création d’une bourse « attribuée à des recherches géographiques menées par une femme ».

Christel MOUCHARD

Up the Amazon and Over the Andes, Londres, Hodder & Stoughton, 1932 ; Journey Into China, Londres, Hodder & Stoughton, 1940.

CRIBIER, Françoise [1930]

Géographe française.

Directrice de recherche au CNRS, spécialiste de géographie de la population et de géographie sociale, Françoise Cribier fut l’une des premières géographes françaises à étudier des sous-populations tout au long de leur vie, en relation avec leurs lieux d’habitation, inventant en quelque sorte des histoires de vie géographiques. Elle pratiqua ces analyses d’une manière quantifiée, en se penchant d’abord sur le phénomène naissant du tourisme de masse et ses conséquences sur la spécialisation des petites villes touristiques littorales, ainsi que sur les résidences secondaires des citadins dans les campagnes françaises. Sa grande œuvre est une étude longitudinale, effectuée par des enquêtes à passages répétés sur une cohorte représentative de Parisiens retraités en 1972, qu’elle a suivis pendant plus de vingt-cinq ans (un des plus longs suivis de la gérontologie) à travers leurs changements de résidence, leur vie familiale et les modalités de leur hébergement. Elle a ainsi constitué un remarquable corpus sur les parcours de fin de vie, et s’est aussi intéressée plus largement à la protection sociale des personnes âgées.

Denise PUMAIN

La Grande Migration d’été des citadins en France, Paris, CNRS, 1969.

Avec KYCH A., « La migration de retraite des Parisiens, une analyse de la propension au départ », in Population, vol. 47, no 3, 1992 ; avec FELLER E., « Regards croisés sur la protection sociale de la vieillesse », in Cahiers d’histoire de la sécurité sociale, no 1, 2005.

CRITIQUES D’ART [France XIXe siècle]

Tout au long du XIXe siècle, les femmes sont présentes dans la vie artistique française, en tant qu’artistes peintres et sculptrices mais aussi en tant que critiques d’art. Sous la monarchie de Juillet, une trentaine de femmes écrivent des comptes rendus du Salon ; leur nombre décroît sous le Second Empire, sans que la voix des femmes critiques d’art devienne marginale. Le Salon, l’exposition d’art contemporain dont l’entrée était sanctionnée par un jury, est alors à peu près la seule occasion pour les critiques d’art d’exercer un métier qui en est encore à ses balbutiements. Pendant le Salon, le feuilleton disparaît de la première page des quotidiens, remplacé par une série d’articles qui décrivent toutes les œuvres exposées en suivant le plus souvent la hiérarchie des genres fixée par l’Académie. Comme elle l’est pour leurs collègues masculins, cette activité, souvent alimentaire, ne peut donc être que saisonnière. Elle s’inscrit généralement dans le cadre plus large d’une carrière littéraire ou artistique : Marie d’Agoult*, Delphine de Girardin*, Anaïs Ségalas*, Marc de Montifaud*, Camille Selden*, Mathilde Stevens*, Judith Gautier*, toutes ces femmes sont des personnalités littéraires et artistiques reconnues et estimées, qui pratiquent la critique d’art de façon régulière. Comme la plupart de leurs consœurs écrivaines, elles sont issues de la bourgeoisie et de l’aristocratie, elles ont reçu une éducation solide et possèdent donc toutes les qualités décrites par Marie Sophie de Flavigny (M. d’Agoult/D. Stern, 1843) pour devenir un bon critique d’art : un instinct pour la beauté, une bonne connaissance de l’Antiquité et des techniques artistiques. Ces femmes n’écrivent pas exclusivement pour la presse féminine ; certaines, comme D. de Girardin (vicomte de Launay), Marie Sophie de Flavigny (M. d’Agoult) et Marie-Amélie de Montifaud (M. de Montifaud), publient leurs critiques dans des organes de presse aussi importants que La Presse et L’Artiste.

Même si la presse et la presse féminine, en particulier, ne sont pas homogènes, on retrouve certaines constantes dans leur approche des œuvres d’art qu’elles choisissent de décrire. Beaucoup utilisent leurs articles pour mettre en avant les œuvres des femmes artistes et là, la plupart des critiques sont d’accord. Elles plaident pour la reconnaissance des femmes et pour leur accès à l’éducation et à la profession d’artiste, que beaucoup considèrent comme une excellente voie à suivre pour les femmes qui auraient besoin de gagner leur vie. Dans Le Journal des femmes (1834), Lina Jaunès (Caroline de Jaunez-Sponville) exige que les femmes soient admises à l’école des Beaux-Arts pour qu’elles puissent acquérir la technique nécessaire à entreprendre des tableaux d’histoire car, selon elle, ce n’est pas que les femmes aient moins de talent que les hommes, mais leur manque d’éducation limite leur carrière à la peinture de portraits, de natures mortes ou de miniatures. Certaines, comme Madeleine Séguret (1845), exhortent même les femmes peintres à avoir plus de courage et à se mesurer aux hommes en utilisant leur imagination, leur esprit et leur sensibilité, qualités essentiellement féminines mais aussi indispensables à un bon artiste.

Des critiques écrivant pour des revues destinées aux jeunes filles et aux mères de famille (La Mère de famille ; Le Citateur féminin ; La Gazette des femmes) voient le Salon comme un endroit privilégié, car il montre des exemples de femmes artistes reconnues par les institutions et poursuivant une carrière respectable, et c’est aussi un endroit où les femmes peuvent s’éduquer tout en se distrayant au contact des chefs-d’œuvre du moment. Le Salon devient même un endroit où la femme, le temps d’une visite, peut se libérer et voyager sans contraintes d’un continent à un autre (L. Jaunès, 1834). Dans ces magazines, l’importance est mise sur l’éducation ; la pratique des arts plastiques est considérée comme essentielle pour toute jeune fille bien élevée, car elle l’aide à échapper à ce vice qu’est l’ennui. Les comptes rendus du Salon jouent donc un rôle majeur dans ces publications.

Pour ces femmes critiques d’art, l’éducation est la principale vocation de la femme : elles ont donc mis leur plume à son service ; leurs critiques encouragent d’un côté le professionnalisme des femmes artistes, et de l’autre reconnaissent le rôle essentiel que pouvait jouer dans l’éducation des femmes une institution comme le Salon. Malgré un discours qui peut nous paraître aujourd’hui relativement conservateur, ce journalisme artistique donna aux écrivaines un moyen efficace d’opérer sur la scène publique.

Véronique CHAGNON-BURKE

CRITIQUES DE THÉÂTRE – RADIO, TV [France XXe-XXIe siècle]

Sur les ondes, sur le petit écran, les journalistes ont largement participé à la diffusion de la production théâtrale et à sa critique.

Comédienne, journaliste, reporter, créatrice de la jeune fille de La Famille Duranton, feuilleton de Radio-Cité en 1936, Lise Elina* a animé à la télévision les magazines Les Trois Coups et Place au théâtre avec Max Favalelli et Paul-Louis Mignon ; elle ne s’est pas seulement intéressée aux sujets de société : commentant les événements politico-mondains comme la visite de la reine d’Angleterre en 1957, elle assure en direct des reportages sur les premières théâtrales, commentatrice bienveillante, cherchant à faire rêver l’auditeur. France Roche*, spécialiste de cinéma (France-Soir, direction P. Lazareff) et de spectacle, entre davantage dans le fond de la critique théâtrale, toujours sur un ton de bonne compagnie qui met en valeur les qualités des œuvres, tout en sachant entraîner ses interlocuteurs vers une introspection anticipant ainsi sur l’interview actuelle. Laure Adler *fait ses classes à la radio, puis à la télévision dans l’émission polémique de Michel Polac Droit de réponse (1981-1987). Journaliste-productrice, elle couvre les champs littéraires et théâtraux dans des émissions telles que Le Cercle de minuit en 1993. Responsable de deux séries radiophoniques, Hors-champs sur France Culture et Studio-Théâtre sur France Inter, biographe de Marguerite Duras*, de Hannah Arendt*, de Françoise Giroud*, elle est considérée comme une personne ressource de la culture et du spectacle dans les médias, de même que Fabienne Pascaud (1955), biographe de personnalités du spectacle (notamment Ariane Mnouchkine* ou Macha Makeïeff [1953]) : rédactrice en chef puis directrice de la rédaction de Télérama, elle a tenu les rubriques théâtrales dans des émissions dédiées au spectacle à la télévision et intervient fréquemment dans les émissions culturelles de Radio France. Dominique Poncet intervient dans les journaux de la 3e chaîne sur des sujets de l’actualité théâtrale qu’elle commente et présente, comme le fit en son temps Dominique Darzacq, collaboratrice au Monde et à la chaîne TF1. Cette dernière a réalisé Mémoire de théâtre, une série d’entretiens-portraits de grandes figures du théâtre contemporain. À la télévision, il convient aussi de mentionner un magazine original, savamment mis en scène, Cinéma-Cinéma, diffusé de 1982 à 1991, signé par Anne Andreu et Michel Boujut. Enfin, on ne saurait oublier le travail d’Armelle Héliot, référence du Masque et la Plume, émission mythique de la radio à laquelle elle apporte sa collaboration régulière, en marge de son activité au Figaro, comme le fit ponctuellement Brigitte Salino, critique du Monde, et une jeune journaliste, Charlotte Lipenska, animatrice, sur France Inter, de l’émission Voulez-vous sortir avec moi ? , qui recherche un auditoire plus branché. Joëlle Gayot, à France Culture, dédie au théâtre l’émission hebdomadaire Changement de décor. De nouveaux visages apparaissent à la télévision : Elisabeth Tchoungui, chroniqueuse dans Semaine critique, a pris les manettes de Avant-premières en 2012, tandis qu’Annette Gerlach (1964) et Marie Labory (1975) continuent à animer Arte Culture. Quant à l’éphémère Aïda Touhiri (1977), elle lance un nouveau magazine culturel : Grand PublicSachant que la part dévolue au théâtre à la radio et à la télévision est de plus en plus congrue.

Mireille DAVIDOVICI et Noëlle GUIBERT

CRITON, Pascale [PARIS 1954]

Compositrice française.

Née dans un milieu où se côtoient peinture, musique et poésie, Pascale Criton mène des études en musicologie. Dans les années 1970, elle découvre un univers qui la passionne : celui des gammes de sons aux micro-intervalles, celui d’un continuum sonore, celui des spectres sonores. La pianiste Martine Joste lui fait découvrir Ivan Wyschnegradsky avec qui elle travaille (et qui sera à l’origine de sa thèse Total chromatique et continuum sonore, une problématique de la pensée musicale du XXe siècle). Jean-Étienne Marie encourage l’emploi de l’électronique et Gérard Grisey guide son expérimentation de la vie interne des sons. Sa participation aux activités du Théâtre musical des Ullis l’initie à l’écriture scénique, et elle doit à Gilles Deleuze l’approfondissement de sa réflexion sur le mouvement, l’évolution des formes et les questions sur les dynamiques. Son doctorat d’État de musicologie, des ouvrages et articles rendent compte de ses observations, tel, publié en 2006 dans la revue Filigrane, l’article « Dynamismes et expressivité ». C’est à un piano accordé en seizième de ton qu’en 1982 elle destine Mémoires, créé par M. Joste. Elle poursuit ses recherches en collaborant avec le Centre international de recherche musicales (Cirm) qui lui commande en 1985 La forme incontournée pour deux pianos, l’un classique, l’autre accordé en seizième de ton. Ce travail dans des systèmes micro-tempérés va de pair avec l’approche de la synthèse des sons que son séjour à l’Ircam, dès 1986, lui permet de pratiquer. Thymes (1988) est écrit pour un piano accordé irrégulièrement en quart de ton et une bande dont la synthèse numérique est réalisée à l’Ircam, comme celle qui intervient dans Clines (1989). Les instruments à cordes donnent aisément cette flexibilité de modelage sonore, source pour P. Criton d’une expressivité soutenue, par ailleurs, par d’infimes variations de durée et d’intensité. Ainsi Entre-deux l’éternité (commande d’État en 1996) associe harpe celtique, guitare et bande ; Territoires imperceptibles (1997), flûte, guitare (en seizième de ton) et violoncelle. Cette dernière œuvre est une commande de l’Ensemble 2e2m, créateur de plusieurs de ses pièces. En 2001 elle compose Artefact pour 11 instruments, qui est aussi une commande d’État. Depuis plusieurs années, elle compose plus particulièrement pour la voix, notamment dans Elle est mignonne (2001), libre montage en hommage à Nathalie Sarraute*, ou Gaïa (2004) qui en appelle aussi à un dispositif visuel en temps réel. L’architecture elle-même n’échappe pas à la curiosité aiguë de P. Criton qui, nourrie d’expérimentations acoustiques, en exploite maintenant les ressources. Après Bord à bord pour percussion, captations live et dispositif visuel (2008) ou Positions (2008), Plis pour ensemble instrumental et électronique (commandes d’État en 2009) se propose de capter les vibrations internes des milieux matériels environnant l’instrumentiste, comme pour associer leurs réactions intimes aux inflexions de jeu du musicien.

Pierrette GERMAIN

Pascale Criton, les Univers microtempérés, Champigny-sur-Marne, Ensemble 2e2m, 1999.

CROCE, Elena [NAPLES 1915 - ROME 1994]

Écrivaine italienne.

Fille aînée du philosophe Benedetto Croce, Elena Croce a longtemps vécu à Turin où elle a fréquenté, dans les années 1930-1940, les milieux antifascistes. Elle a fondé la revue Lo Spettatore Italiano avec son mari, Raimondo Craveri, a été la promotrice de nombreuses initiatives à caractère culturel, dont Italia nostra, et a fait partie des fondateurs de l’Institut italien pour les études philosophiques de Naples. Auteure d’essais, entre autres sur De Sanctis et Di Giacomo, elle a également publié des textes narratifs dans lesquels elle se remémore la figure paternelle et le monde culturel italien et européen de la première moitié du XXe siècle : Ricordi familiari (« souvenirs de famille », 1962), L’infanzia dorata (« une enfance dorée », 1966), Lo snobismo liberale (« le snobisme libéral », 1964) et Periplo italiano (« périple italien », 1977).

Francesco GNERRE

CROFT, Brenda L. [PERTH 1964]

Photographe australienne.

D’origine aborigène, Brenda Croft appartient à la nation gurindji (Territoire du Nord). Membre fondatrice de Boomalli Aboriginal Artists Cooperative, elle en occupe le poste de coordinatrice de 1990 à 1996. Après un master en administration culturelle, elle se dédie à sa pratique artistique parallèlement à une carrière de consultante qui l’amène à promouvoir le travail d’artistes femmes aborigènes. À la demande du musée du Quai Branly à Paris, elle sélectionne huit artistes aborigènes pour réaliser des fresques sur la façade et les plafonds du bâtiment administratif de l’établissement. Pour fêter le 30e anniversaire de la National Gallery of Australia en 2008, B. Croft crée la première triennale d’art aborigène. Elle expose pour la première fois en 1986 dans Contemporary Aboriginal and Islander Photographers, puis fait partie de la grande exposition Inside Black Australia : Recent Acquisitions at the Australian National Gallery, en 1988. Ses premières œuvres sont des reportages photo qui témoignent des manifestations pour les droits aborigènes. The Big Deal Is Black (1993) rend hommage au système matrilinéaire de la société aborigène et offre des portraits intimes de mères et de grand-mères. En 1998, elle explore une nouvelle imagerie, empreinte d’éléments autobiographiques. In My Father’s House est une série de photographies numériques mettant en scène des figurines d’angelots et de saintes noires portant des messages d’espoir, de croyance et de charité associées à des documents tirés de l’époque des « générations volées », dont son père fut l’une des victimes. B. Croft, au fil de ses créations, dépasse la question de la condition de son peuple pour s’interroger plus généralement sur les droits des autochtones dans le monde. L’installation Fever (You Give Me) explore l’impact de la colonisation en Australie et en Amérique. L’artiste questionne les descriptions stéréotypées des premiers contacts entre colons et autochtones.

Géraldine LE ROUX

CARUANA W., ISAACS J. (dir.), « The land, the city : the emergence of urban aboriginal art », in Art Monthly Australia Supplement, no 30, 1990.

CROISILLE, Nicole [NEUILLY-SUR-SEINE 1936]

Chanteuse française.

Nicole Croisille débute à 16 ans comme danseuse figurante à la Comédie-Française et au Châtelet dans Le Chanteur de Mexico. Elle apprend en même temps les bases du chant classique, puis entre dans la troupe du mime Marceau, où elle passe quatre ans. Également passionnée de jazz, elle passe ses nuits à chanter, pour le plaisir, dans des clubs parisiens, finit par obtenir un contrat dans une maison de disques et enregistre une adaptation de Ray Charles, Hallelujah, I love her so, qui obtient un succès d’estime. Sa parfaite connaissance de l’anglais lui vaut ensuite un engagement dans une troupe des Folies-Bergère qui reprend, à Las Vegas, le spectacle de Paris. De retour en France, N. Croisille rencontre Claude Lelouch, qui vient de tourner Un homme et une femme et lui propose d’enregistrer la bande originale du film. Les paroles de la chanson de Francis Lai n’étant pas terminées, elle fredonne « ba da ba da » sur une partie de la mélodie. C. Lelouch décide de conserver cette improvisation. Un an après, elle crée I’ll never leave you, sous le pseudonyme de Tuesday Jackson. En 1972, c’est sous son véritable patronyme qu’elle remporte la Rose d’or d’Antibes avec Quand nous n’aurons que la tendresse. Un succès d’estime qui l’incite à créer des couplets plus populaires. Parlez-moi de lui est son premier grand succès. En 1976, forte de l’accueil de Femme, elle se retrouve pour la première fois en tête d’affiche à l’Olympia. En 1981, elle propose au Théâtre des Champs-Élysées un spectacle mêlant à la chanson la danse, le mime et la comédie. En 1987, elle revient à ses premières amours avec Jazzille, un album qui pulvérise le record des ventes de disques de jazz en France. Au Casino de Paris, elle interprète ensuite Black et blanche, synthèse de bossa nova, de jazz et de gospel. En 1992, elle est choisie par des producteurs américains pour interpréter Hello Dolly en anglais, au Châtelet, à Paris. Ces 66 représentations lui permettent de concrétiser un rêve de toujours : jouer dans une comédie musicale. Elle s’est donné pour règle de ne pas enregistrer de disques à date fixe et n’y a jamais dérogé. Sa carrière est faite de multiples occasions, qui finissent par constituer un fil conducteur cohérent. La conséquence du hasard. Ou du destin.

Jacques PESSIS

CROMPTON, Richmal [BURY, LANCASHIRE 1890 - CHISLEHURST 1969]

Romancière britannique.

Richmal Crompton fréquente le pensionnat de St Elphin – où allaient toutes les filles de pasteurs – à Warmington en 1901, puis à Matlock en 1904. Se destinant à l’enseignement, elle gagne une bourse pour le Royal Holloway College à Londres en 1911 et prend alors part au mouvement suffragiste, retournant ensuite enseigner à St Elphin en 1914 et à Bromley en 1917. En 1923, une attaque de poliomyélite l’empêche de continuer à travailler et elle se consacre entièrement à l’écriture. Elle atteint une certaine notoriété avec les histoires de Just William (premier volume, Just William, 1922), 38 volumes qui narrent les aventures d’un écolier de 11 ans, de ses camarades – les « outlaws » (les « hors-la-loi ») – et de leurs « ennemis », soit des fermiers en colère, des oncles, des frères aînés, des nazis, des professeurs méprisants et, surtout, des filles. On y voit à la fois un esprit de rébellion et d’audace mais aussi une imagination généreuse et une prédilection pour les faibles, une fine observation, une vitalité sans bornes et une grande compréhension de l’esprit des enfants que forment et font évoluer les contraintes familiales et sociales. On estime qu’elle a vendu 12 millions de livres de « Just William » dans la seule Angleterre. Elle a aussi écrit neuf recueils de nouvelles, six pièces pour la radio et la télévision et 48 romans pour adultes, centrés sur la vie de la classe moyenne edwardienne.

Michel REMY

William le conquérant (William The Conqueror, 1926), Paris, Gallimard, 1989 ; William le hors-la-loi (William the Outlaw, 1927), Paris, Gallimard ; La Ménagerie de William (William and the Space Animal, 1956), Paris, Gallimard, 1990.

CADOGAN M., The Woman Behind William : A Life of Richmal Crompton, Londres, Pan Macmillan, 1993.

CRONE, Moira [GOLDSBORO 1952]

Écrivaine américaine.

Née en Caroline du Nord, Moira Crone étudie à Johns Hopkins University puis au Smith College (Massachusetts), la plus grande université américaine pour femmes. Auteure largement publiée, elle a signé trois recueils de nouvelles (The Winnebago Mysteries and Other Stories, 1982 ; Dream State, 1995 ; What Gets Into Us, 2006) et deux romans (Un temps de réclusion, 1986, et The Not Yet, 2012). Ses œuvres de fiction sont parues dans de nombreux périodiques ; certains de ses textes non fictionnels ont été publiés par Oxford American ou l’e-communauté Beliefnet. Également présente dans nombre d’anthologies, elle a obtenu plusieurs prix dont le prix William-Faulkner de la nouvelle en 2004 et le Robert Penn Warren Award for Fiction pour l’ensemble de son œuvre en 2009. Elle a dirigé le programme de creative writing, méthode d’écriture enseignée dans les universités anglophones, à Baton Rouge, au sein de l’université d’État de Louisiane, où elle enseigne. Écrivaine sudiste, elle manifeste dans ses fictions un vif intérêt pour la religion : ses nouvelles, parfaites illustrations de l’esprit du « Nouveau Sud », sont souvent qualifiées de « Southern Gnostic ». Sa propension à fragmenter la phrase, l’univers étouffant et confiné du Sud profond dans lequel évoluent ses héroïnes, sa prose élégante et son style ciselé explorant les ambivalences de la foi chrétienne dans les communautés blanche et noire du Sud ségrégationniste donnent à son œuvre un caractère singulier.

Beatrix PERNELLE

Un temps de réclusion (A Period of Confinement, 1986), Paris, Gallimard, 1989.

GREEN S. D., « Awakening the essence of blue : the emerging southern women of Kate Chopin and Moira Crone », in ABNEY L., CRONE M., GREEN S. D. (dir.), Songs of the New South : Writing Contemporary Louisiana, Westport, Greenwood, 2001 ; ROHRBERGER M., « An interview with Moira Crone », in IFTEKHARUDDIN F., ROHRBERGER M., LEE M. (dir.), Speaking of the Short Story : Interviews with Contemporary Writers, Jackson, University Press of Mississippi, 1997.

CROSS, Dorothy [CORK 1956]

Plasticienne irlandaise.

Dorothy Cross étudie, entre autres, au San Francisco Art Institute aux États-Unis (1980-1982) ; elle choisit néanmoins de revenir vivre en Irlande à Dublin, puis dans le Connemara. Depuis le milieu des années 1980, son travail comprend simultanément la sculpture, la photographie, la vidéo et l’installation. Elle réinvestit les lieux ou les matériaux qu’elle utilise dans de nouvelles associations métaphoriques, sondant les mœurs sexuelles et religieuses contemporaines et les constructions d’identité. Elle exploite l’univers animal (requins, méduses, vaches, crabes, oiseaux, serpents) afin d’interroger les stéréotypes sur la masculinité ou la féminité, et les notions de pouvoir, de dépendance, de fécondité. Réalisée entre 1990 et 1994, la série Udder (« mamelles », jeu de mots phonétique créé avec other) comprend notamment Virgin Shroud (« linceul de la vierge », 1993), imaginé à partir de la robe de mariée de sa mère et Saddle (« selle », 1993). De son expérience de quelques années dans une usine électrique naissent des objets-environnements, qu’elle explore par la photographie : les « résidus », dont Control Room, Dresser ou Parthenon, sont présentés à l’exposition Powerhouse en 1991. En 1993, elle représente l’Irlande à la Biennale de Venise. Une commande publique en 1999 lui permet de concevoir Ghost Ship : pendant trois semaines, Albatross, le bateau-phare abandonné, est recouvert de peinture fluorescente ; sa disparition est ainsi illuminée dans la baie de Dublin. Suivent des projets de performances ou spectacles multimédia dans des endroits insolites : Chiasm (1999) se déroule sur des terrains de handball, avec, en superposition, des images tournées à Poll na Peist sur les îles d’Aran. S’interrogeant sur le rôle de l’artiste dans un monde de changements environnementaux et culturels, D. Cross cherche à repositionner l’humain dans la nature. Sa passion pour la botanique, la zoologie et la science la mène, par exemple, sur l’île de la Nouvelle-Irlande dans le Pacifique sud, et vers l’Antarctique pour de nouveaux travaux. Ses sculptures en bronze, Conglomerate (2010), sont comme des signaux d’alarmes.

Caroline HANCOCK

Powerhouse (catalogue d’exposition), Philadelphie, Institute of Contemporary Art/University of Pennsylvania, 1991 ; Even (catalogue d’exposition), Bristol, Arnolfini, 1996 ; Dorothy Cross (catalogue d’exposition), Dublin/Milan, Irish Museum of Modern Art/Charta, 2005 ; Stage (catalogue d’exposition), Ede S., Hunt I., Nixon N. et al. (textes), Shrewsbury, Shrewsbury Museum, 2010.

CROSS, Elsa [MEXICO 1946]

Poétesse mexicaine.

Poétesse brillante, Elsa Cross a reçu différents prix. Trois sujets se croisent dans son écriture : la mystique orientale, la culture préhispanique et la civilisation grecque. Elle est en quête d’une identité à même de dépasser l’individu et de réunir l’humanité dans le métissage des cultures. La plupart de ses recueils sont brefs et centrés sur un seul thème. Elle s’intéresse aux mythes, qu’elle considère comme un moyen d’explorer l’être humain, notamment dans Naxos (1966) et dans Bomarzo (2009). Sa poésie s’affirme en bouleversant jusqu’au plus profond de l’essence humaine. Saint-John Perse, Georges Séféris, Odysséas Elytis, Giuseppe Ungaretti et Octavio Paz sont essentiels dans sa formation poétique, au même titre que ses études en philosophie orientale. Une partie de son œuvre est traduite en français, en anglais et en portugais.

María GARCÍA VELASCO

Miroir au soleil, Le Cormier, Bruxelles, 1997 ; Les Songes, élégies, Écrits des forges, Trois-Rivières, 2003 ; Jaguar et autres poèmes, Paris, Caractères, 2009.

DAUSTER F., « La poesía de Elsa Cross, el círculo de la iluminación », in Revista de Literatura Mexicana Contemporánea, no 8, 1998.

CROW, Sheryl [KENNETT, MISSOURI 1962]

Auteure-compositrice-interprète et multi-instrumentiste américaine.

Héritière des talents de ses parents musiciens, Sheryl Crow étudie le piano avant de composer ses premiers textes à l’adolescence. En 1986, après avoir enseigné la musique à des enfants autistes, elle décide de faire carrière dans la chanson et part à Los Angeles où elle devient choriste pour Michael Jackson, Sting, Rod Stewart et Joe Cocker. Au début des années 1990, elle rencontre le producteur Bill Bottrell et signe en 1994 son premier opus Tuesday Night Music Club dont les singles Leaving Las Vegas, inspiré par le roman de John O’Brien, et All I Wanna do passent en boucle sur les ondes américaines et internationales, à tel point que l’album est certifié à sept reprises disque de platine dans son pays. Ses deuxième (Sheryl Crow) et troisième albums (The Globe Sessions) offrent un style plus éclectique – savant dosage de rock, folk, country et blues. Dans le même temps, elle collabore à l’écriture de la bande originale de Demain ne meurt jamais avant d’éditer un album live où sont conviés ses amis Keith Richard, Chrissie Hynde et Eric Clapton. Artiste pop rock engagée dans ses chansons (mouvement antinucléaire, avortement…), elle contribue à la recherche pour la sclérose en plaques, prend position contre l’invasion américaine en Irak. En 2010, elle sort 100 Miles From Memphis, un album soul dédié à ses inspirateurs, Ray Charles, Diana Ross* et les Marvelettes.

Anne-Claire DUGAS

Tuesday Night Music Club, A&M, 2009.

CROWDY, Rachel Eleanor [LONDRES 1884 - OUTWOOD, SURREY 1964]

Fonctionnaire internationale britannique.

Rachel Crowdy a conçu, avec une grande énergie, une véritable politique internationale dans des domaines ignorés jusque-là : trafic des femmes et des enfants, accueil de réfugiés, protection de l’enfance. Infirmière volontaire de la Croix-Rouge britannique en France et en Belgique pendant la Première Guerre, elle prend en charge tous les volontaires de ces territoires. Appelée en 1919 par le Secrétaire général de la Société des nations, elle devient chef de la section des questions sociales et de celle du trafic de l’opium à Londres puis à Genève, fonctions qu’elle conserve jusqu’en 1931. C’est la seule femme à avoir occupé un tel poste pendant toute l’histoire de la SDN.

Michel MARBEAU

MARBEAU M., « Rachel Crowdy », in DEUBER ZIEGLER E., TIKHONOV N., Les Femmes dans la mémoire de Genève, du XVe au XXe siècle, Genève, S. Hurter, 2005.

CROWE, Dame Sylvia [BANBURY 1901 - LONDRES 1997]

Architecte paysagiste britannique.

Après avoir grandi dans la campagne anglaise, Sylvia Crowe entame des études au Swanley Horticultural College (Kent 1920-1922), complétées par un apprentissage comme paysagiste (1926-1927). Influencée par le modernisme, elle remporte un vif succès avant la guerre. Après 1945, elle se met à son compte en tant que paysagiste et se consacre à une grande variété de projets dans le secteur public. Certains sont d’échelle et de portée immenses, comme l’aménagement des espaces extérieurs de centrales nucléaires et du réservoir d’eau de Rutland Water, visant à concilier des usages potentiellement conflictuels du lac et des environs – une idée inspirée de sa collègue, Brenda Colvin (1897-1981). Son œuvre la plus marquante, pour la Forestry Commission (l’office des forêts britannique) auprès de qui elle a été consultante de 1963 à 1976, est un projet de millions d’hectares, qu’elle a reconceptualisés à des fins de loisirs, de protection de l’environnement et de production forestière. Présidente d’organisations professionnelles d’architectes paysagistes, elle a également été une écrivaine d’influence, dont l’ouvrage le plus diffusé, Garden Design (1958), a connu plusieurs rééditions.

Lynne WALKER

MOGGRIDGE H., « Crowe, Dame Sylvia (1901-1997) », in MATTHEW C., HARRISON B. (dir.), Oxford Dictionary of National Biography, Oxford, Oxford University Press, 2004.

CROZIER, Lorna (ou Lorna UHER) [SWIFT CURRENT, SASKATCHEWAN 1948]

Poétesse canadienne.

Après une enfance passée à Swift Current, Lorna Crozier poursuit ses études à Saskatoon puis à l’université de Saskatchewan, dont elle sort diplômée en 1969. Auteure de dix recueils de poésie (dont les premiers signés Lorna Uher, du nom de son premier mari), distinguée par le prix du Gouverneur général, en 1992, pour son recueil Inventing the Hawk (« inventer le faucon »), elle est l’une des poétesses les plus reconnues au Canada. Marqués par sa vie dans la région des Prairies, ses poèmes explorent les aspects sensuels et violents de la nature, de la sexualité et des relations familiales. De retour à Swift Current, elle enseigne l’anglais et contribue à fonder le Moose Jaw Movement, atelier d’écrivains régionaux. En 1980, elle obtient une maîtrise en création littéraire de l’université de l’Alberta et poursuit son œuvre. Elle enseigne la création littéraire et la littérature des Prairies à l’université de Saskatchewan, codirige la publication de plusieurs recueils dont A Sudden Radiance (« un rayonnement soudain », 1987), avec Gary Hyland, qui rassemble les œuvres de poètes du Saskatchewan, et, plus tard, avec son second mari le poète Patrick Lane, plusieurs recueils de poésie canadienne contemporaine : Breathing Fire : Canada’s New Poets (« le feu qui respire, les nouveaux poètes canadiens », 1995) et Breathing Fire 2 (2004). En 2004, elle est nommée professeure émérite à l’université de Victoria, où elle enseigne depuis 1991.

Catherine DHAVERNAS

Small Beneath the Sky : A Prairie Memoir, Vancouver, Greystone Books, 2009.

CRUSOE KID VOIR ROSE, Calypso

CRUSSARD, Claude (Germaine CRUSSARD, dite) [PARIS 1893 - SINTRA, PORTUGAL 1947]

Pianiste, musicologue et chef d’orchestre française.

Pianiste, claveciniste, musicologue et chef d’orchestre, Claude Crussard recueille le répertoire de musique ancienne dans les bibliothèques européennes. Elle fonde, en 1935, un orchestre de chambre, « Ars rediviva », qu’elle dirige afin de faire connaître le répertoire des XVIIe et XVIIIe siècles dans des concerts en France et à l’étranger. Elle réalise et édite nombre de ces pages, pour beaucoup inédites. Elle est une des premières à faire découvrir l’œuvre pour violon de Jean-Marie Leclair, et elle rédige, dès 1945, une étude remarquable sur Marc-Antoine Charpentier. Sa disparition prématurée en 1947 dans un accident d’avion à Cintra, au Portugal, a privé la musique française d’une personnalité de premier plan.

Marcelle BENOIT

Un musicien français oublié, Marc-Antoine Charpentier, 1634-1704, Paris, Floury, 1945.

CRUZ, Ágata VOIR MACHADO, Luz

CRUZ, Celia (Celia DE LA CARIDAD CRUZ ALFONSO, dite) [LA HAVANE 1924 - FORT LEE, NEW JERSEY 2003]

Chanteuse cubaine.

Née dans une famille pauvre du quartier Santo Suárez, Celia Cruz est encouragée dès l’adolescence dans sa vocation artistique par sa mère et sa tante. À 15 ans, elle remporte le premier d’une série de ces concours radiophoniques alors très en vogue à Cuba. Elle intègre le milieu des cabarets de La Havane où elle accompagne notamment le groupe de danseuses Las Mulatas del Fuego, et réalise ses premiers enregistrements, alternant un répertoire de chants rituels afro-cubains et de guarachas qui lui vaudront ses surnoms de « Reina Rumba » et « Guarachera de Cuba ». En 1949, elle intègre le célèbre orchestre La Sonora Matancera, où elle fait la connaissance du trompettiste Pedro Knight, qui deviendra son époux et manager en 1962. Avec ce groupe cubain parmi les plus populaires de l’époque, C. Cruz assoit sa notoriété et fait connaître son fameux cri de guerre : « ¡Azucar ! » (« du sucre ! ») dans toute l’Amérique latine. En 1960, au lendemain de la révolution, la Sonora Matancera au complet profite d’une tournée au Mexique pour s’exiler. Elle ne remettra plus les pieds dans son pays. Au cours des années 1960, la chanteuse multiplie les allers-retours entre Mexico – où elle participe à plusieurs longs métrages – et New York, où elle finit par s’établir. Elle y grave huit albums avec le « Roi du Mambo » Tito Puente entre 1966 et 1971. Ces disques ne remportent pourtant pas le succès escompté et C. Cruz semble contrainte à une retraite anticipée quand une génération de jeunes musiciens fédérés par le label Fania lance la révolution de la salsa, qui adapte la musique latine à la dureté du ghetto new-yorkais. En 1974, elle publie avec le directeur artistique du label Johnny Pacheco un album entier, Celia y Johnny, dont le succès pousse la chanteuse à multiplier les duos avec plusieurs grands noms de la salsa des années 1970. Surtout, C. Cruz est la seule femme à intégrer le Fania All Stars, ce groupe où tous les musiciens du label se retrouvent à l’occasion de concerts événements à travers le monde. Lors de leur première apparition à l’Olympia en 1980, elle interprète Bemba colorá (« lèvre colorée »), l’un de ses anciens tubes qui, dépoussiéré en mode salsa, devient un hymne dont le refrain est repris par le public partout où elle se présente. Sa voix grave et puissante, son énergie scénique débordante et son extravagance – robes à froufrou ou en lamé, maquillage et coiffures inénarrables – font d’elle la « Reine de la Salsa », icône d’une musique latine par ailleurs essentiellement masculine. En 1990, son album en duo avec Ray Barretto, Ritmo en el corazón, lui vaut de remporter son premier Grammy Award. Deux ans plus tard, elle renoue avec le cinéma en jouant dans le film The Mambo Kings, avec Antonio Banderas. Suite à la faillite de la maison Fania, elle rejoint ensuite, comme beaucoup de ses confrères, le label RMM de l’impresario Ralph Mercado.

Contre toute attente, C. Cruz s’offre l’un des plus gros succès de sa carrière en 1999 avec La vida es un carnaval, une chanson qui met de la pop dans sa salsa sur un rythme de candombé urugayen. Plus populaire que jamais, elle signe chez Sony et récidive avec les albums Siempre viviré (I Will Survive en espagnol) et La negra tiene tumbao (« la Noire a du rythme »). Septuagénaire toujours à l’assaut des dance floors, elle sort un disque de remixes électro et multiplie les collaborations. Sa vie a fait l’objet d’une comédie musicale off-Broadway, Celia : The Musical (The Life and Music of Celia Cruz).

Yannis RUEL

Celia Cruz con la Sonora Matancera, Tumbao, 1950-1953 ; Celia y Johnny, Fania Records, 1974

CRUZ, Lourdes (née JANSUY) [TANZA, CAVITE 1942]

Biochimiste philippine.

Après des études de chimie à l’Université des Philippines, Lourdes Cruz obtient en 1968 un doctorat de biochimie à l’Université de l’Iowa. Ses contributions scientifiques dans ce domaine ont permis de comprendre les propriétés des toxines isolées à partir du venin d’escargots marins (Conus sp.). Elle devient maître de conférences en 1970, puis professeure en 1977 à l’Université des Philippines. Parallèlement, elle mène des recherches à l’université d’Utah. En 2001, elle élabore et met en place un programme de développement dans les zones rurales pauvres (Rural Livelihood Incubator). Elle est membre de la National Academy of Science and Technology (NAST) et du Marine Science Institute (Université des Philippines), où elle poursuit ses recherches sur les peptides neuro-actifs et autres toxines marines. Elle a publié plus d’une centaine d’articles dans son domaine. Elle a reçu le titre honorifique de « scientifique national » des Philippines en 2008 et s’est vu décerner le prix Unesco L’Oréal en 2010.

Elisabeth LUQUIN

GORGONIO L., The Filipino Scientists, Manille, Loacan Publishing House, 1998 ; LEE-CHUA Q., Ten Outstanding Filipino Scientists, Barrio Ugong, Philippines, Anvil, 2000.

OCAMPO Y., « The Filipino Champion : Top-notch Scientists, Proud to Be Pinoy », in The Manila Times, 8-6-2008.

CRUZ, Mafalda Ivo [LISBONNE 1959]

Musicienne, romancière et essayiste portugaise.

Formée au piano dès l’âge de 5 ans, Mafalda Ivo Cruz entre au Conservatoire national de Lisbonne à l’âge de 10 ans, puis part poursuivre ses études musicales à Paris à 21 ans. Jusqu’à la fin des années 1990, elle donne des leçons de piano tout en cultivant sa passion pour l’écriture. Son dévouement total à la littérature jaillit de façon intempestive : elle ferme le piano, mais la musique résonne. Son expérience littéraire profondément musicale et auditive s’accompagne de références à Beethoven, à Schumann, à Brahms et à Schoenberg. Elle écrit à l’oreille, modulant l’expression par des fulgurations rythmiques qu’elle enchaîne avec le silence. Elle compose ses textes musicalement (Um requiem português [« requiem portugais »], 1995). Chez elle, la littérature agit comme caisse de résonance du passé : elle commence là où l’histoire se termine. Son écriture, proche de celle de Marguerite Duras* et de Samuel Beckett, se place sous le règne de la nuit obscure, cette « nuit sombre et très longue » qu’elle évoque dans une lettre à Fátima Maldonado*, Uma carta a Fátima (2001), fragment qui pourrait constituer une épigraphe à toute son œuvre. Lieu des formes indistinctes qui habitent le cœur des choses dans l’écriture, cette nuit noire où tout naît accueille des mondes de différences, hantés par la faiblesse et le mal mais aussi par la rédemption et la bonté. Différences soumises au jeu de l’attraction, qui dictent une sorte d’errance au cœur du texte. La faute, le mal, les spectres du châtiment planent comme des « thématiques » récurrentes, chorégraphiées par des superpositions d’images, par des contagions artistiques (la photographie, la peinture, sous le signe de la musique omniprésente) qui s’appuient sur le tissu de l’écriture appelant une sorte de beauté sans échelle ni symétrie. Beauté musicale, non visible dans la majorité des cas, sans dimension traditionnellement humaine : « À toi, beauté, je te reconnais par l’odeur, parce que tu arrivais maintenant même du royaume obscur, maintenant même, avec les mains carrées, le groin frais, le ventre. »

Hugo MONTEIRO

CRUZ, Penélope [MADRID 1974]

Actrice espagnole.

De mère coiffeuse et de père mécanicien, Penélope Cruz étudie la danse classique. À 16 ans, elle débute à la télévision. Deux ans plus tard, sa beauté sensuelle et sa personnalité enjouée font sensation au cinéma dans Jambon, jambon (Jamón jamón, Bigas Luna, 1992). Elle y a pour partenaire Javier Bardem, dont elle deviendra la compagne en 2007 et l’épouse en 2010 (ils ont deux enfants). De 1993 à 1996, elle ne tourne pas moins de dix films en Espagne et en Italie. Épris des actrices aux tempéraments originaux, Pedro Almodóvar l’engage pour En chair et en os (Carne trémula, 1997). Il la retrouve dans Tout sur ma mère, où elle incarne une nonne enceinte ; Volver (2006), qui vaut à l’actrice le prix Goya 2007 et plusieurs autres prix prestigieux, dont celui de la meilleure actrice au Festival de Cannes 2006, prix qu’elle partage avec toutes les comédiennes du film ; Étreintes brisées (Los abrazos rotos, 2009) ; Les Amants passagers (Los amantes pasajeros, 2013). En 1998, P. Cruz fait ses débuts en anglais dans le western The Hi-Lo Country, de Stephen Frears. Dans De si jolis chevaux (All the Pretty Horses, Billy Bob Thornton, 2000), elle a pour partenaire Matt Damon ; dans Vanilla Sky (Cameron Crowe, 2001), elle joue au côté de Tom Cruise ‒ avec lequel elle va vivre jusqu’en 2004. Elle tourne aussi avec Johnny Depp : Blow (Ted Demme, 2001) et Pirates des Caraïbes, la fontaine de jouvence (Pirates of the Caribbean : On Stranger Tides, Rob Marshall, 2011). Dans la comédie musicale Nine (Rob Marshall, 2009), elle chante et danse avec Daniel Day-Lewis et Sophia Loren*. Son humour n’échappe pas à Woody Allen : dans Vicky Cristina Barcelona (2008), elle est la première Espagnole à obtenir l’Oscar de la meilleure actrice dans un second rôle, en 2009 ; elle retrouve Allen en 2012, dans To Rome With Love, où elle incarne une pétulante prostituée. En France, elle tourne Don Juan de Molière, adapté, mis en scène et joué par Jacques Weber (1998), et elle succède à Gina Lollobrigida* dans Fanfan la Tulipe (Gérard Krawczyk, 2003, avec Vincent Perez).

Bruno VILLIEN

CSAKY, Marianne [BUDAPEST 1959]

Artiste visuelle hongroise.

Lors de ses études à Budapest, Marianne Csaky élabore un langage visuel qui s’articule autour d’un postulat : l’impossibilité d’exprimer par des mots les symboles quotidiens, la richesse intérieure, les désirs et les expériences. L’artiste s’interroge sur le rapport au corps et à l’image de soi que celui-ci renvoie, image à laquelle il est parfois si difficile de s’identifier. À cet égard, « elle prend pour référence le mythe d’Hermaphrodite et l’ambivalence d’Androgyne, selon Platon. Elle s’inspire également des œuvres de Sade, de Virginia Woolf* et de Freud. Dans ses compositions et installations, qui s’appuient sur ses propres œuvres sculpturales et picturales, voire sur de vieilles photos de famille retrouvées, elle relègue à l’arrière-plan ce que l’on croit voir tout en jouant sur la représentation brute des corps, de l’érotisme et de la sexualité, comme l’écrit László Százados. Ces expériences bouleversent les points de vue habituels et conduisent à interroger les tabous. Les rôles sont souvent inversés, le passé et le présent mélangés, de manière à renverser les schémas et les stéréotypes de la pensée quotidienne. Elle vit à Budapest et publie souvent des poèmes, des essais, des traductions et autres écrits.

Judit FALUDY

ANDRÁS E., « Fájdalmas búcsú a modernizmustól = a painful farewell to modernism », in Omnia Mutantur (catalogue d’exposition), Venise, 1997 ; ID., « A test reprezentációja a kortárs magyar képzőművészetben = the representation of the body in contemporary Hungarian art », in Erotika és szexualitás a magyar képzőművészetben = Erotica & Sexuality in Hungarian Art, Budapest, Liga, 1999.

CÚ CHOC, Maya Rossana [GUATEMALA 1968]

Poétesse guatémaltèque.

Maya Rossana Cú Choc a publié dans des journaux, des revues et des anthologies au Guatemala ainsi qu’à l’étranger. Membre de l’association chorale El Derecho, à l’université de San Carlos de Guatemala, elle collabore avec de nombreuses organisations culturelles. Elle a publié La rueda (« la roue », 1997) et El recorrido (« l’itinéraire », 2005). Sa poésie explore l’univers culturel indigène du Guatemala, dans lequel de nombreuses questions d’ordre sociopolitique sont énoncées et affirmées de manière catégorique. Nostalgique, elle tente de montrer les relations harmonieuses entre les êtres humains, qui forment une unité, bien que l’univers soit constitué de choses apparemment contraires. Certaines références mythologiques affleurent, dans une poésie qui fait constamment allusion au retour aux sources, aux origines, à la terre natale ou aux lieux de l’enfance. Sa poésie s’intéresse à la condition universelle des êtres humains, et plus particulièrement à celle des femmes.

Pablo DOMÍNGUEZ GALBRAITH

CUELLO DE LIZARAZO, Ketty [SAN JUAN DEL CESAR 1951]

Écrivaine et journaliste colombienne.

D’abord collaboratrice des journaux El Heraldo et El Tiempo, puis directrice de la revue Nueva et scénariste de programmes éducatifs pour la télévision, Ketty María Cuello de Lizarazo voit son style littéraire influencé par les techniques audiovisuelles. Son roman San Tropel Eterno (« San Tropel éternel », 1985) est reconnu dans le pays lorsqu’il est adapté à la télévision en 1989. Il met en évidence les problèmes qui surgissent quand les traditions des provinces sont confrontées aux influences « extérieures » typiques des sociétés capitalistes latino-américaines. Depuis son premier roman, Algun día brillará el sol (« un jour, le soleil brillera », 1977), elle aborde un pilier de la tradition : la virginité de la femme. Son roman Mandinga sea ! (« que noir il devienne ! », 1989) montre le dénouement tragique provoqué par des agents modernisateurs dans un petit village, caractérisé par son ésotérisme et sa culture traditionnelle caribéenne où la femme est consciente du système machiste dans lequel elle se débat. Ce roman est inspiré d’un motif récurrent où un lieu bucolique se trouve soudain « contaminé », et, par conséquent, n’existe pas au moment de la narration, à la manière du mythe de l’Arcadie. Ce tableau des coutumes de la Caraïbe colombienne est complété par deux autres romans, Retrato bajo la tempestad (« portrait sous la tempête », 1994) et El ángel del acordeón (« l’ange de l’accordéon », 2001). Ce dernier, adapté au cinéma sous le même titre, raconte l’histoire d’un célèbre interprète accordéoniste de vallenato (musique populaire colombienne), mieux connu sous le nom de Poncho. Il peut être lu comme un hymne à la vie et un hommage à la ténacité avec laquelle on peut défendre ses rêves.

Victor MENCO HAECKERMANN

CUEVA Y SILVA, Leonor DE LA [MEDINA DEL CAMPO XVIIe siècle - ID. 1705]

Poétesse et auteure dramatique espagnole.

Sa date de naissance − probablement dans les premières décennies du XVIIe siècle − reste inconnue. On sait en revanche que sa famille appartient à la noblesse, qu’elle est la nièce de Francisco de la Cueva, philologue, juriste et dramaturge, et la fille d’Agustín de la Rúa. Leonor de la Cueva y Silva dédie un sonnet à la reine Isabelle de Bourbon (1603-1644) à sa mort, puis un autre à Marie-Louise d’Orléans (1662-1689), dans les mêmes circonstances. Si l’on possède peu d’informations sur ses œuvres, car elle n’a guère publié de son vivant, elle est cependant considérée comme la plus importante poétesse de son temps, époque où très peu de femmes se consacraient à la poésie. La Bibliothèque nationale d’Espagne conserve le manuscrit original de La firmeza en la ausencia (« le courage pendant l’absence », vers 1647), pièce qui n’a jamais été représentée au théâtre, mais jouée à Madrid, dans des salons. L’intrigue de cette comédie palatine se déroule à la cour du roi Philibert de Naples. L’auteure y prend la défense des femmes, représentées comme sages et fidèles, récusant la réputation de versatilité dont elles sont souvent la cible et les victimes.

Concepció CANUT

HUERTA J. et al., Teatro español de la A a la Z, Madrid, Espasa, 2005.

GONZÁLEZ SANTAMERA F., « Leonor de la Cueva y Silva, una escritora ausente », in Autoras, actrices en la historia del teatro español, Madrid, L. G. Lorenzo, 2000.

CUEVAS COB, Briceida [TEPAKÁN 1969]

Poétesse mexicaine.

Porte-parole de la communauté amérindienne, membre de l’Association des écrivains de langues indiennes du Mexique, Briceida Cuevas Cob décrit, dans la langue maya yucatèque de ses ancêtres, le quotidien des femmes indigènes amérindiennes. Dans sa poésie, qui s’appuie sur une archéologie du minuscule, l’univers de la nature est chiffré en symboles qui s’articulent harmonieusement grâce à un langage synthétique et moderne. Chez elle, le rythme s’accorde à la simplicité du langage. Des figures de rhétorique telles que la répétition et l’allitération traversent sa poésie pour créer un espace harmonique et submerger le lecteur. Même quand son œuvre se trouve traversée par la douleur devant la mort, la pauvreté ou l’injustice, ses vers ouvrent sur un monde d’espérance. Ses premiers textes paraissent dans des revues nationales et dans des anthologies telles que Flor y canto, cinco poetas indígenas del sur (« fleur et chant, cinq poètes indigènes du sud », 1993) et Tumben Ik’t’anil ich Maya T’an/Poesía contemporánea en lengua maya (« poésie contemporaine en langue maya », 1994). En 1995, paraît le recueil U yok’ol auat pek’ti u kuxtal pek’ (El quejido del perro en su existencia, « la plainte du chien dans son existence ») et, en 1998, Je bix k’in (Como el sol, « comme le soleil »). Plusieurs de ses textes ont été traduits en français et publiés dans des revues, notamment Action poétique (2001) et Jointure (2007), et dans les anthologies Poésies du monde (2003) et En marge de la frontière (2011).

Ingrid SOLANA

CUISINIER, Jeanne [FRANCE 1890 - PARIS 1964]

Ethnologue française.

Les travaux de Jeanne Cuisinier, spécialiste des cultures de l’Asie du Sud-Est, se distinguent par leur description, à l’intérieur d’un rituel localisé, des traits spécifiques et de ceux qui traduisent les influences éventuellement reçues de l’hindouisme, du bouddhisme, de l’islam, de la Chine. Après avoir suivi les séminaires de Marcel Mauss à la section des sciences religieuses de l’École pratique des hautes études et appris le malais à l’Institut des langues et civilisations orientales (Inalco), elle réalise des monographies locales ou thématiques, finement documentées et appuyées sur une vaste connaissance des civilisations des différents peuples de l’Indochine et de l’Indonésie. Dans son premier livre, Danses magiques de Kelantan (1936), qui porte sur le chamanisme malais et thaïlandais, l’ethnologue décrit les qualités sociales et psychologiques qui sont requises chez les bomor ou sorciers-guérisseurs. Elle obtient un doctorat d’État après avoir soutenu une thèse principale sur les Muong du Nord-Vietnam (1948) et une thèse complémentaire sur leurs rites agraires (1951). Au début des années 1950, elle enseigne l’ethnologie à l’université Gadjah Mada de Yogyakarta. Elle mène une étude sur une école coranique pour jeunes filles, fondée au Minangkabau (Sumatra) en 1923 par une jeune femme, Rahma el-Junusia qui, par sa ténacité, joua un rôle important dans l’accès des femmes indonésiennes à une éducation moderne. À 70 ans, elle entreprend une nouvelle enquête de terrain à Bali, sur les rituels de crémation.

Alain CHENU

Les Mu’ò’ng, géographie humaine et sociologie, Paris, Institut d’ethnologie, 1948 ; Prières accompagnant les rites agraires chez les Muong de Mân-Duc, Paris, Publications de l’École française d’Extrême-Orient, 1951 ; Sumangat, l’âme et son culte en Indochine et en Indonésie, Paris, Gallimard, 1951 ; La Danse sacrée en Indochine et en Indonésie, Paris, Presses universitaires de France, 1951 ; Le Théâtre d’ombres à Kelantan, Paris, Gallimard, 1957.

« Les Madrasah féminines de Minangkabau », in Revue des études islamiques, 1955.

CULLBERG, Birgit [NYKOPING 1908 - STOCKHOLM 1999]

Danseuse, chorégraphe et directrice de compagnie suédoise.

Après des études dans une école d’art et de littérature à l’université de Stockholm, douée de multiples talents pour la peinture, la musique et la danse, Birgit Cullberg décide de se consacrer à la danse classique et moderne. Sa rencontre avec Kurt Jooss, chorégraphe de La Table verte, lui révèle la possibilité de mélanger les techniques et de les mettre au service d’inspirations politiques et sociales. Elle part donc en Angleterre étudier dans son école de Darlington Hall (1935-1939). De retour en Suède, elle se présente tant en solo qu’avec de jeunes danseurs, tel Ivo Cramér. Le public découvre et succombe vite à sa personnalité, son humour, sa pertinence. En 1944, elle fonde une compagnie à son nom et se distingue particulièrement en 1950 lorsqu’elle crée Mademoiselle Julie, d’après Strindberg. Cette chorégraphie, qui allie classicisme et modernité, est immédiatement inscrite au répertoire du Ballet royal de Stockholm, suscitant un renouveau d’intérêt du public pour la danse et consacrant la renommée internationale de B. Cullberg. Engagée comme chorégraphe à l’Opéra royal (1951-1956), celle-ci conçoit avec Médée un autre portrait de femme, puis Renne de lune, commande de l’Opéra royal danois (1957) interprétée dans le monde entier, suivi de Lady from the Sea (1960) et Phèdre (1967), œuvres inspirées de sources littéraires mais passées au filtre de son regard acéré. Expérience partiellement inspirée par les rencontres new-yorkaises avec Martha Graham*, le Ballet Cullberg est fondé en 1967 pour offrir à la chorégraphe un foyer de créativité en Suède. Il présente Eurydice est morte (1968) et Roméo et Juliette (1969). Déjà réputée en 1961 comme chorégraphe de télévision pour La Reine méchante (prix Italia), B. Cullberg poursuit ses recherches sur la danse filmée et obtient de nouveau le prix Italia avec Vin rouge dans des verres (1970). Attirant un large public, elle participe amplement à la démocratisation de la danse en Suède. S’exprimant également par l’écrit, comme M. Graham et Agnes De Mille*, elle est l’une des premières femmes à s’imposer dans un univers essentiellement masculin.

Erik NÄSLUND

Balletten och vi (1952), Lund, Gleerups, 1965 ; Ballet Flight and Reality, New York, Dance Perspectives, 1967.

NÄSLUND E., Birgit Cullberg, Stockholm, Norstedt, 1978.

CULTURE DE COUR ALLEMANDE DE L’ÂGE BAROQUE

La fête en tant que mise en scène répétée d’une forme de vie intense est, surtout aux XVIe et XVIIe siècles, un moyen particulièrement adapté de rehausser la vie de tous les jours par un cérémonial somptueux afin de faire valoir son pouvoir. Il existe trois types de manifestations festives : les fêtes religieuses, les festivités de Cour avec des contre-projets tendancieux ou ouvertement subversifs, mais aussi des fêtes populaires comme le carnaval. La noblesse, par sa représentation dominante et sa forte visibilité, exerce à l’époque une importante fonction culturelle de catalyseur. La multitude de manifestations possibles est encore aujourd’hui impressionnante : à la cour de Jean-Georges II de Saxe – et ce n’est pas un cas isolé –, on s’amuse en organisant des tournois traditionnels, des concours de tir suivis de feux d’artifice, des parties de traîneaux en bonne société ou des mascarades entrecoupées de ballets ; on célèbre aussi la « réception solennelle » du fiancé ainsi que la « reconduite de la mariée dans sa maison ». Mariages, naissances et décès sont célébrés ; le successeur au trône est solennellement installé, et des fêtes de carnaval parfois très dispendieuses, mais aussi très débridées, sont organisées. La complexité du cérémonial, à chaque fois adapté à la circonstance, avec une foule d’allusions allégoriques ciblées, favorise la création de traditions iconographiques fixes (par exemple, l’apparition de divinités planétaires comme Diane et Mercure, ou la stylisation de Jean-Georges II en « Hercule saxon »).

Hormis le rôle passif échu aux femmes dans ces contextes, comme celui d’accompagner le souverain pour lequel une fête est organisée, en tant que fiancée ou mère de ses enfants, l’influence réelle des femmes sur ces mises en scène, organisées comme des œuvres d’art complètes, ne doit pas être sous-estimée. La cour de Brunswick-Lunebourg, à l’entretien de laquelle la duchesse Sophie-Élisabeth* a très largement contribué, en est un exemple particulièrement remarquable. Malgré la situation économique de la cour, qui limitait de manière drastique les mascarades calquées sur le faste des modèles anglais et français, elle a tout entrepris pour assouvir la soif de plaisir de ses contemporains à se déguiser et à se livrer aux jeux de rôle en tout genre. Trois de ses idées de mascarade nous sont parvenues, qui montrent à quel point de telles fêtes sont génératrices de création, suscitant non seulement des poésies improvisées et des casualcarmina (chants et poèmes de circonstance), mais aussi des chants, des livrets de vaudevilles à couplets et des pièces de théâtre. Dans le Freuden-Festin à l’occasion du soixante-quinzième anniversaire de son époux en 1654, la duchesse apparaît dans le rôle de la Nature, accompagnée par les Cinq Sens, mais aussi par le Soleil, la Lune, Mars et d’autres divinités figurant dans les signes du zodiaque. Une centaine de personnes participent à ce cortège de fête encadré de prestations musicales. Après l’écoute d’un long discours laudatif à l’adresse du souverain, les convives s’adonnent aux plaisirs de la danse et du souper. Suit, pour couronner les festivités, la visite de la Maison de la comédie (Komödienhaus) où l’on présente, après le prologue d’un page, le « Singspiel » Seelewig de Harsdörffer. Sophie Élisabeth, grâce à ses talents musicaux très développés, a réussi à créer un climat particulièrement favorable à la promotion de telles activités, qui devaient en même temps servir à des fins panégyriques.

C’est surtout la princesse palatine Charlotte-Élisabeth de Bavière* qui a montré, à de multiples reprises dans ses nombreuses lettres, combien on pouvait être critique et prendre ses distances à l’égard des servitudes inévitables en pareilles circonstances. S’agissant de la pompe de la cour de France, elle la jugeait d’une féodalité absolue, mais persistait à en faire partie. Certaines normes comme le port de souliers à talons hauts, cause de nombreuses chutes, l’amusaient, mais le contrôle social, l’« admiration » des courtisans, devint pour elle une contrainte de tous les jours. En tant que femme politique vigilante, elle s’était forgé une opinion toute personnelle sur cette forme d’oppression sociale. Elle a regretté sa vie durant d’être une femme et d’être princesse électrice : « Pouvoir dire la vérité m’aurait davantage convenu que d’être Madame. » Le culte de la personnalité qui entourait Louis XIV l’irritait profondément, ne serait-ce qu’à cause du fait qu’elle disposait elle-même, si ce n’est d’une intelligence pénétrante, au moins certainement du « sens commun », qu’elle contestait définitivement chez de nombreuses personnes de son entourage.

Anett LÜTTEKEN

ASSMANN A., « Fest », in WEIMAR K. (dir.), Reallexikon der deutschen Literaturwissenschaft, Berlin/New York, de Gruyter, 2007 ; SMART S., Doppelte Freude der Musen, Court Festivities in Brunswick-Wolfenbüttel, 1642-1700, Wiesbaden, Harrassowitz, 1989.

CULTURE DE COUR [Japon Xe-XIVe siècle]

La culture japonaise s’appuie sur l’empereur, l’impératrice et la noblesse, ainsi que sur leurs dames de cour (servantes de haut rang). Certes, des poétesses et de nombreux waka excellents existaient aussi entre le VIIe et le VIIIe siècle (Man’yō-shū, « recueil des dix mille feuilles »). Mais comme le hiragana n’était pas encore inventé, il n’y avait de littérature qu’en kanji (des signes graphiques utilisés par les hommes). Le hiragana, inventé au IXe siècle, permet de transcrire les sons parlés en signes graphiques. Appelé onna-de (« la main de la femme ») ou onna-moji (« les signes graphiques féminins »), le hiragana est utilisé par les femmes pour les documents privés. C’est par la généralisation des hiragana que la littérature féminine va connaître tout son épanouissement. Au Xe siècle, l’empereur et les hommes nobles commencent aussi à utiliser le hiragana, ce qui permet aux femmes de participer pleinement à la création littéraire.

La première des écrivaines dites de la littérature féminine de cour est Ise, poétesse active dans la seconde moitié du IXe siècle. Dame de cour préférée de l’empereur Uda, elle a aussi servi l’impératrice Fujiwara no Onshi. En tant que poétesse de cour, Ise a composé beaucoup de waka magnifiques ; elle a également écrit un journal et le rapport des événements en hiragana. Ses activités littéraires ont égalé en qualité celles des hommes nobles. Mémoires d’une éphémère (Kagerō nikki) de Fujiwara no Michitsuna no haha, Le Dit du Genji (Genji monogatari), de Murasaki-shikibu*, ainsi que les waka composés par les hommes nobles seront tous fortement influencés par la littérature d’Ise. De la fin du Xe au début du XIe siècle, Fujiwara no Michinaga détient le véritable pouvoir politique. Ayant réussi à faire impératrice sa fille Shōshi, qui donne un prince héritier à l’empereur Ichijō, il devient le grand-père du prince héritier et acquiert le pouvoir absolu. Comme il n’y a pas de guerre à cette époque, des salons raffinés sont créés, et les belles-lettres et les beaux-arts se développent. Les dames qui ont servi Shōshi sont Murasaki-shikibu, auteure du Dit du Genji, Izumi-shikibu, auteure du Journal d’Izumi-shikibu, Akazome-emon, auteure d’Eiga monogatari (« récit de la magnificence »). À la même époque, la dame Sei-shōnagon*, auteure de Notes de chevet (Makura no sōshi), sert l’autre impératrice de l’empereur Ichijō, Fujiwara no Teishi. Encore à la même époque, au cœur du temple shintoïste Kamo, Senshi Naisin’nō ouvre un salon réservé aux femmes. Surnommée Daisaiin (« la reine des prêtresses »), elle compose plusieurs monogatari (récits) et waka avec les dames qui la servent. À la fin du XIe siècle, la pensée bouddhiste annonçant la fin du monde (la pensée mappō) se répand. À partir de la fin du XIIe siècle, la chute du pouvoir impérial est amorcée, et les samouraïs de la province du Kantō prennent le pouvoir politique. Au XIIIe siècle, l’empereur et la noblesse à Kyoto n’ont plus aucun pouvoir. Paradoxalement, de belles œuvres littéraires naissent de cette décadence. L’empereur et les Fujiwara, qui ont lu avec ferveur les œuvres d’antan comme Kokin wakashū (« recueil de poèmes anciens et modernes »), les Contes d’Ise ou Le Dit du Genji, produisent à leur tour une œuvre d’avant-garde comme Shin kokin wakashū (« nouveau recueil de poèmes anciens et modernes »), un nostalgique Fūyō wakashū (« recueil de poèmes du vent et des feuilles ») et le Gyokuyō wakashū (« recueil de poèmes des joyaux et des feuilles »), marqué par une tristesse raffinée. Ils s’appliquent d’autant plus à la renaissance culturelle qu’ils sont dépourvus de pouvoir politique. L’empereur Gotoba et l’empereur Fushimi créent les salons de la « dernière splendeur » de la culture de cour. À travers le culte pour la littérature féminine de cour du XIe siècle, les empereurs et la noblesse de Kyoto du XIIIe au XIVe siècle reproduisent en miniature cette sublimation de la décadence. À cette époque, les dames comme Kunaikyō (fille de Fujiwara no Shunzei), Kenrei Mon’in Ukyō no Daibu, Abutsu-ni*, Ben no naishi, Nakatsukasa naishi, Eifuku mon’in, au service de l’empereur et de l’impératrice, ont laissé plusieurs waka et des journaux. À partir du XVe siècle, la littérature féminine de cour disparaît au Japon, à cause de la sécession de la famille impériale ou des guerres successives, parce que l’empereur et la noblesse de Kyoto n’étaient plus en mesure d’avoir des salons littéraires tenus par les dames de cour, ou encore à cause de l’incapacité des samouraïs du Kantō dans ce domaine. En effet, la littérature féminine de cour n’aurait pu exister sans la protection absolue de l’empereur et de la noblesse à Kyoto.

KATŌ MASAYOSHI

CUMMING, Hildelith (née Barbara Theresa CUMMING) [BATTERSEA 1909 - STANBROOK 1991]

Imprimeure et musicienne britannique.

L’année de sa conversion au catholicisme, en 1941, Barbara Theresa Cumming rejoint l’ordre des recluses bénédictines de Stanbrook Abbey, Worcestershire, et prend le nom d’Hildelith. L’abbaye possède la seule imprimerie privée d’Angleterre restée en activité régulière depuis ses débuts, en 1876. Bien que les travaux effectués à Stanbrook, au début du XXe siècle, aient été remarquables, l’imprimerie a beaucoup décliné jusqu’aux années 1950, quand Hildelith, sœur cellière, est nommée imprimeure en 1955. Elle a la chance de recevoir l’aide de Robert Gibbings, un des fondateurs de la Société des graveurs, qui lui apprend les critères et exigences strictes de l’imprimerie en impression typographique. La grande période de l’imprimerie commence alors, en 1957, après une visite du typographe hollandais Jan Van Krimpen. Les caractères de Van Krimpen (Romanée, Spectrum, Haarlemer, et d’autres) sont utilisés pour la plupart des beaux-livres après 1958. La renaissance de l’imprimerie privée de Stanbrook et son ascension vers la suprématie au sein des imprimeries anglaises privées est parachevée par l’apport de la calligraphe et artiste Margaret Adams, qui fournit des illustrations, des lettrines enluminées, et d’autres travaux artistiques pour l’impression. Ses œuvres et contributions aux nombreuses publications de l’imprimerie en font des ouvrages uniques, en particulier quand il s’agit de produire différentes enluminures pour un même texte. Sœur Hildelith est l’âme et le moteur de l’imprimerie qui, à partir de 1957, apparaît comme l’un des ateliers d’impression typographique les plus remarquables et les plus impressionnants du XXe siècle. L’ouvrage qui établit la réputation internationale de l’imprimerie est The Path to Peace de Siegfried Sassoon’s (1960) qui, comme le Patriarch Tree de Raïssa Maritain* (1965), est un chef-d’œuvre. L’imprimerie continue à produire livres, fascicules, cartes et autres ouvrages en impression typographique jusqu’en 1988, date du passage à l’impression en offset.

Larry E. SULLIVAN

(Dir.), Music for Evening Prayer from the Divine Office, [Music by] The Benedictine Nuns of Stanbrook Abbey, Londres, Collins, 1978. 

CUNARD, Nancy [NEVILL HOLT 1896 - PARIS 1965]

Écrivaine, éditrice et militante britannique.

Née dans une richissime famille de la haute bourgeoisie anglaise – père propriétaire d’une célèbre ligne de navigation transatlantique et mère, riche héritière américaine –, Nancy Cunard rejette très tôt les valeurs conservatrices de sa famille et milite toute sa vie contre le fascisme, le colonialisme et le racisme, quitte à défrayer la chronique par sa grande liberté de mœurs. Au divorce de ses parents en 1910, elle est placée dans plusieurs pensionnats en France et en Allemagne, puis rejoint sa mère à Londres qui entretient tout un cercle d’artistes, de musiciens et de politiciens. Après un mariage qui dure deux ans, elle contribue avec plusieurs poèmes à la revue d’Edith Sitwell Wheels (novembre 1916) et s’installe à Paris en 1920 où, remarquée pour sa stupéfiante beauté, elle devient la muse de nombreux artistes, hommes et femmes, tous plus ou moins ses amants. Elle participe aux différents courants esthétiques d’alors et publie de nombreux poèmes. En 1927, elle lance une petite maison d’éditions, The Hours Press, qui soutient la poésie expérimentale, tout comme elle soutient Hemingway, Pound*, Joyce, Man Ray (qui la photographie), William Carlos Williams, et publie les premières œuvres de Beckett. En 1928, elle se lie avec Henry Crowder, musicien de jazz afro-américain, et devient l’un des chantres de la négritude et des droits de l’homme. Elle publie Negro, an Anthology (850 pages de textes, fictions, poèmes et essais très engagés en hommage à la culture noire), qui lui vaut des lettres de haine et de menaces. Scandalisée, sa mère la renie. En réponse, elle publie Black Man and White Ladyship (1931), où elle dénonce le racisme de sa mère. Dans les années 1930, elle se dresse contre le fascisme mussolinien et franquiste, y voyant les prémisses d’une future guerre, et collecte des fonds pour les réfugiés. Elle édite Authors Take Sides on the Spanish War, recueil des positions de 150 écrivains et artistes, un volume de poèmes de Neruda, Auden et Tzara, entre autres, contre la guerre, puis, en 1942, une plaquette de poèmes et dessins en soutien aux enfants et aux femmes de la Russie soviétique, Salvo for Russia. Aggravée par l’alcoolisme, la drogue, une pauvreté grandissante et des pulsions autodestructrices, sa santé décline. Elle est brièvement internée et meurt peu de temps après sa sortie.

Michel REMY

BUOT F., Nancy Cunard, Paris, Fayard/Pauvert, 2008 ; FORD H., Nancy Cunard, Brave Poet, Indomitable Rebel, Philadelphie, Chilton Books, 1968.

CUNEO, Anne [PARIS 1936 - ID. 2015]

Écrivaine suisse d’expression française.

D’origine italienne, Anne Cuneo passe son enfance en Italie et en Suisse. Après des études de lettres à Lausanne, elle se consacre à la traduction et au journalisme. Son œuvre, riche d’une trentaine de titres, aborde tous les genres. Dans les années 1970, elle privilégie l’autobiographie avec Passage des Panoramas (1978), écriture d’une dépression, ou Une cuillerée de bleu (1979), journal d’une maladie. Station Victoria (1989) ouvre une série de romans dont l’efficace simplicité de la narration lui gagne un large lectorat. Le Trajet d’une rivière (1993), récit historique qui a pour héros un musicien anglais du XVIIe siècle, est un grand succès, que prolongent les enquêtes policières d’Âme de bronze (1998) ou Hôtel des cœurs brisés (2004).

Anne-Lise DELACRETAZ

Gravé au diamant, Lausanne, L’Aire/Rencontre, 1967 ; Mortelle maladie, Lausanne, L’Aire/Rencontre, 1969 ; Portrait de l’auteur en femme ordinaire, Vevey, B. Galland, 1980-1982 ; Prague aux doigts de feu, Yvonand, B. Campiche, 1990 ; Le Sourire de Lisa, Yvonand, B. Campiche, 2000 ; Zaïda, fragments d’une vie, Orbe, B. Campiche, 2007.

FRANCILLON R. (dir.), Histoire de la littérature en Suisse romande, vol. 4, Lausanne, Payot, 1999.

CUNILLÉ, Lluïsa [BADALONA 1961]

Auteure dramatique espagnole.

Originaire de Catalogne, Lluïsa Cunillé est un des grands noms espagnols de la scène théâtrale européenne à la charnière des XXe et XXIe siècles. Dramaturge née, elle possède une personnalité entière et une plume personnelle, qu’elle soumet de 1990 à 1993 à l’épreuve de l’atelier d’écriture dramatique de la Sala Becket de Barcelone. Parallèlement à son activité d’écriture en catalan et en castillan, elle cofonde en 1995, avec Lola López et Paco Zarzoso, la Companyia hongaresa de teatre, puis en 2008, avec Lola Davó et Xavier Albertí, la compagnie La Reina de la Noche, qui montent et diffusent régulièrement ses pièces. Son écriture se caractérise par une dramaturgie minimaliste, où l’intrigue se résume souvent à un fil a priori insignifiant, les personnages à leurs dialogues désemboîtés, et le temps et l’espace à ces zones que dessine une parole ajourée. Une telle « poétique de la soustraction » (Sanchis Sinisterra, 1996) est mise au service d’une exploration des rapports humains dans le cercle énigmatique de la famille (Rodéo), de l’amour-amitié (L’aniversari ; Libración), du travail (La venda ; Passatge Gutenberg), du voisinage (Barcelona, mapa d’ombres). Tout au long de sa prolifique carrière, L. Cunillé ne cesse d’expérimenter : elle se soumet volontiers à des commandes (Après moi, le déluge), revisite des genres anciens comme la zarzuela (El dúo de la africana), réalise des adaptations dramatiques et des scénarios pour le cinéma (Febrer). Entre Rodéo (prix Calderón de la Barca en 1991) et Aquel aire infinito (Prix national de littérature dramatique en 2010), une quarantaine de ses œuvres ont été portées à la scène.

Monique MARTÍNEZ

Un aire ausente/Un air absent, suivi de Rodéo/Rodéo, Toulouse, Presses universitaires du Mirail/Théâtre de la digue, 2004.

SANCHIS SINISTERRA J., « Una poètica de la sostracció », in CUNILLÉ L., Accident, Barcelone, Institut del Teatre, 1996.

CUNITZ, Maria (ou Maria CUNITIA) [WOHLAU, SILÉSIE 1610 - SCHWEIDNITZ, ID. 1664]

Astronome silésienne.

Bien que n’ayant pas fréquenté l’école, Maria Cunitz reçoit une solide éducation grâce à la bibliothèque bien fournie de son père, médecin et philosophe, et à de brillants professeurs particuliers. Dès son plus jeune âge, elle excelle dans de nombreuses disciplines : les mathématiques, la médecine, l’histoire, la poésie, la musique et la peinture, et maîtrise sept langues (allemand, polonais, italien, français, latin, grec, hébreu). À l’âge de 19 ans, elle épouse l’un de ses professeurs, le jeune mathématicien Elias von Löwen. Selon certaines sources, c’est lui qui l’oriente vers l’astronomie et la dissuade de s’adonner à l’astrologie. Figure féminine la plus marquante depuis l’Antiquité dans le domaine des sciences, M. Cunitz reçoit les surnoms de Pallas silésienne et Seconde Hypatie*. Copernicienne, elle est l’une des premières personnes à comprendre la richesse des travaux de Johannes Kepler sur le mouvement des planètes. Le seul ouvrage qui subsiste d’elle, intitulé Urania propitia (Uranie était la Muse de l’astronomie et de l’astrologie), est un livre de 144 pages qui comprend 286 tables, publié en 1650 ; il inclut des éphémérides qu’elle a elle-même recalculées à partir des Tables rudolphines de J. Kepler, ainsi que les premières éphémérides pour les phases de Vénus. M. Cunitz rédige l’ouvrage en deux langues (latin et allemand) afin de le rendre accessible à un plus grand nombre de lecteurs. Elle contribue ainsi à établir les bases de l’allemand scientifique et à propager la connaissance sur le mouvement des planètes. Malheureusement, l’essentiel de sa correspondance a été détruite lors d’un incendie en 1656, et l’on sait peu de choses de la vie, la carrière et la pensée de cette femme exceptionnelle.

Grazyna STASINSKA

GUENTHERODT I., « Maria Cunitia, “Urania propitia”, intendiertes, erwartetes und tatsächliches Lesepublikum einer Astronomin des 17. Jahrhundert », in Daphnis, Zeitschrift für Mittlere Deutsche Literatur, vol. 20, 1991.

CUNNINGHAM, Imogen [PORTLAND 1883 - SAN FRANCISCO 1976]

Photographe américaine.

Durant ses études de chimie à Seattle, Imogen Cunningham achète, vers 1905, son premier appareil et débute en développant ses clichés de manière artisanale. Elle devient rapidement l’assistante d’Edward S. Curtis, le célèbre photographe des Indiens d’Amérique, et découvre la photographie pictorialiste dans Camera Work, la revue d’Alfred Stieglitz. À l’automne 1909, elle part pour Dresde faire des recherches sur l’amélioration des papiers photosensibles. De retour à Seattle en 1910, elle ouvre un studio et se spécialise dans le portrait aux contours flous, comme le pratiquent alors Clarence H. White ou Edward Steichen, ainsi que dans les scènes allégoriques (Eve repentant, 1910). Elle se situe alors pleinement dans la mouvance pictorialiste du groupe Photo-Sécession et manipule négatifs et papiers. Sous l’influence des photographes Gertrude Käsebier* et Annie Brigman*, elle pratique assidûment la photographie de nu, qu’elle contribue à révolutionner. Les corps sont montrés de façon naturaliste, pour leur beauté formelle, et la femme n’est pas présentée comme objet de désir mais comme lieu matriciel (série Two Sisters, 1928). Pour ses nus masculins, également fixés dans la nature, le graveur Roi Partridge, qu’elle a épousé en 1915, lui sert de modèle – ces photographies n’en choqueront pas moins ses contemporains. En 1917, elle s’installe avec sa famille en Californie, où elle côtoie Dorothea Lange* et Edward Weston, chef de file de la « photographie directe ». Tout en recevant ses premières commandes de portraits, elle pratique la photographie expérimentale : parallèlement aux abstractions lumineuses, elle travaille sur des motifs botaniques (Magnolia Blossom et Tower of Jewels, 1925). Ces images la rapprochent du mouvement d’Albert Renger-Patzsch, leader photographique de la Nouvelle Objectivité allemande, et de son équivalent américain, le précisionnisme. Dans cette perspective, elle photographie, dès 1928, les paysages industriels américains. À la fin des années 1920, devenue une photographe de tout premier plan sur la scène internationale, elle est introduite dans les milieux modernistes, et en particulier à l’exposition Film und Foto (Stuttgart, 1929), par E. Weston qui ne tarit pas d’éloges. En 1931 commence sa collaboration fructueuse avec la danseuse Martha Graham*, dont les clichés sont publiés dans Vanity Fair, expérience qui lui donne l’occasion d’approfondir les techniques du photomontage et de la surimpression. Dans les années 1930, elle photographie des célébrités sans retouches et de façon plus naturelle qu’en studio. Elle se trouve ainsi entraînée, avec Ansel E. Adams et E. Weston, dans l’aventure du groupe f/64 qui défend la « photographie directe ». Elle s’essaie à la photographie documentaire urbaine à New York, puis participe à l’essor du photojournalisme en voyageant dans l’Ouest américain pour photographier scieries et raffineries de pétrole. Après la guerre, elle enseigne à la California School of Arts, où sa consœur Lisette Model* lui ouvre les portes du milieu new-yorkais : le Museum of Modern Art (MoMA) lui commande des tirages, et la Limelight Gallery lui offre, pour ses 73 ans, sa première exposition individuelle, en 1956. Elle retrouve la veine documentaire à New York avec ce qu’elle appelle des « documents de rue » (Boy in New York, 1956), mais aussi en Europe où elle prend de nombreuses images et rencontre des photographes comme Man Ray, dont elle réalisera plusieurs portraits en 1961. Ce séjour ravive son goût pour la photographie expérimentale et, jusqu’à la fin de sa vie, elle pratique solarisations, inversions, double expositions et superpositions de négatifs. Les années 1960 sont aussi celles de la contestation, et elle photographie de nombreux défilés et rassemblements pacifistes. En 1970, elle obtient de la fondation Guggenheim une bourse pour tirer ses anciens négatifs. Elle connaît la gloire à la fin de sa vie : en 1973 ont lieu d’importantes expositions au Metropolitan Museum of Art et à la Witkin Gallery de New York. Elle continue de photographier jusqu’à sa mort tout en archivant son travail. Sa dernière série After Ninety (« après 90 ans »), ensemble de portraits de personnes âgées, est publiée en 1977, à titre posthume. Ses Photographies sont exposées en 1984 à la galerie* des femmes à Paris. I. Cunningham fut féministe sans être militante. Sa carrière exceptionnellement riche, synthèse de technique et de poésie, donna raison au court texte-manifeste qu’elle écrivit en 1913, Photography as a Profession for Women, en montrant qu’une femme pouvait devenir une très grande photographe.

Anne REVERSEAU

After Ninety (1977), Seattle, University of Washington Press, 1987 ; Imogen Cunningham, 1883-1976, Heiting M. (dir.), Cologne/New York, Taschen, 2001.

DATER J., Imogen Cunningham : A portrait, Londres, Gordon Fraser, 1979.

CURCHOD, Alice [LAUSANNE 1907 - LOSSY 1971]

Romancière suisse d’expression française.

Issue d’un milieu modeste, Alice Curchod devient institutrice de la petite enfance, puis fonde et dirige une école d’assistantes sociales et d’éducatrices (1949-1959) avant de créer à Lausanne, en 1962, les Éditions du Verdonnet, sous l’enseigne desquelles elle publie des livres pour enfants. Ses trois romans, Le Pain quotidien (1936), L’Amour de Marie Fontanne (1942) et Les Pieds de l’ange (1950), dessinent les trajectoires de femmes malmenées par l’existence, tant sur le plan matériel qu’affectif. Si ces figures sont les victimes d’un destin présenté comme inéluctable, Alice Curchod déjoue les pièges du sentimentalisme et de la dénonciation explicite en recourant à une narration minimaliste et à une écriture dépouillée, orientée par une volonté de stylisation des personnages et des intrigues. Misant sur la maladresse concertée d’une langue qui, par sa simplicité, a parfois été comparée à celle de Ramuz, elle réussit la gageure d’exprimer des parcours de « petites gens » sans misérabilisme et avec une belle intensité.

Daniel MAGGETTI

RIVAZ A., « Alice Curchod, romancière vaudoise », in Ce nom qui n’est pas le mien, Vevey, B. Galland, 1980.

CURIE, Marie (née SKLODOWSKA) [VARSOVIE 1867 - PASSY 1934]

Physicienne française.
Prix Nobel de physique 1903 et de chimie 1911.

Internationalement reconnue pour son courage et son engagement dans un monde scientifique masculin, Marie Curie a reçu par deux fois la suprême récompense du prix Nobel : le Nobel de physique en 1903, pour ses recherches sur les radiations, et le Nobel de chimie en 1911, pour ses travaux sur le polonium et le radium.

Elle a vécu en Pologne jusqu’à l’âge de 24 ans. En 1891, elle rejoint sa sœur aînée à Paris pour étudier la physique, les mathématiques et la chimie à la Sorbonne. Licenciée en physique en 1893 et en chimie en 1894, elle épouse Pierre Curie en 1896. Après avoir été reçue au concours d’agrégation, elle écrit sa thèse de doctorat sur l’émission spontanée de rayonnement par l’uranium, sous la direction d’Henri Becquerel. Elle découvre que l’uranium mais aussi le thorium émettent un rayonnement, qu’elle appelle radioactivité. En collaboration avec son mari, elle découvre qu’un autre élément encore inconnu émet une radioactivité supérieure, élément qu’ils appellent le polonium. Six mois plus tard, ils découvrent une nouvelle substance encore plus radioactive, le radium. En 1903, leur recherche est couronnée par le Nobel de physique, prix que le couple partage avec H. Becquerel. La chaire de physique, créée en 1904 à la Sorbonne, est alors attribuée à P. Curie. C’est après la mort accidentelle de P. Curie, en 1906, que, seule à connaître la physique des radiations, elle obtient le poste de professeur en Sorbonne qu’occupait son mari. En 1910, elle publie son Traité de radioactivité. La droite nationaliste s’insurge contre sa candidature à l’Académie des sciences et, profitant de sa liaison avec Paul Langevin, déclenche un scandale pour tenter de la détruire. Loin de ce tumulte, le jury du prix Nobel lui décerne, en 1911, un deuxième prix Nobel – fait unique dans l’histoire –, en chimie. Ses travaux ont également eu une importance capitale en médecine : ils ont permis la mise en place de la radiologie qu’elle impose aux armées. Pendant la guerre de 1914, elle fait transporter au front un appareil de radiologie portatif qui facilite le travail des chirurgiens en localisant les projectiles à extraire. Au sortir de la guerre, la fondation de l’Institut du radium met au point la radiothérapie, également utilisée dans le traitement des cancers. En 1920, l’Université manquant d’argent pour extraire des quantités suffisantes de radium et poursuivre les recherches, la physicienne lance un appel aux femmes américaines : grâce à leurs souscriptions, elle obtient un gramme de radium, puis un autre gramme l’année suivante. M. Curie est morte des suites des irradiations qu’elle a eu à subir pendant toute sa carrière. Irène Joliot-Curie*, sa fille aînée, a poursuivi l’œuvre maternelle et Ève Curie, la cadette, a écrit une biographie de sa mère. Les cendres de P. et M. Curie ont été transférées au Panthéon le 20 avril 1995.

Yvette SULTAN

CURIE È., Madame Curie, Paris, Gallimard, 1938.

CURIE, Parvine [NANCY 1936]

Sculptrice française.

Parvine Curie suit des études à Bordeaux, puis voyage en Europe, notamment en Espagne. Sa découverte de l’art roman catalan l’incite, dès 1957, à vivre majoritairement dans ce pays jusqu’en 1969. Elle pratique la sculpture en autodidacte, suivant les conseils du sculpteur Marcel Marti. Ils auront ensemble un fils, le poète et peintre David Marti (1959-2007). De retour à Paris en 1970, elle occupe un atelier à la Cité internationale des arts. Avec Première mère, un assemblage monumental de planches de bois teint et de laiton jaune, elle se fait remarquer au Salon de la jeune sculpture, au jardin du Luxembourg, par le sculpteur François Stahly. Avec sa femme, Claude Stahly, il l’invite à travailler à l’atelier collectif du Crestet (Vaucluse), où elle apprend les bases de son métier. Elle développe une recherche d’harmonie entre l’architecture, l’homme et la nature. Mère murs est créée in situ. Suit une série de « Mères », un thème majeur de l’artiste : Mère citadelle, Mère croix. Avec F. Stahly, elle s’installe pour six mois aux États-Unis, alors qu’il réalise un Jardin labyrinthique monumental à Albany (1973). Les montagnes Rocheuses, les vestiges précolombiens du Mexique et du Guatemala influencent leurs œuvres respectives. Grâce à l’architecte Jean Balladur, P. Curie reçoit sa première commande publique pour le collège Bégon à Blois. Suivra, entre autres, Mère cathédrale, achetée par la Ville de Paris pour l’inauguration du musée de Sculpture en plein air. Un jury composé de sculpteurs éminents lui décerne le prix Bourdelle (1979). L’architecture vernaculaire, les paysages et la flore de certains pays influencent son œuvre : les Arbres (sacrés), la pyramide (Guizeh, 1987) et l’escalier (La Porte étroite, 1991). Après de nombreuses créations hiératiques et architecturées, elle innove dans les années 1990 avec des figures du déséquilibre : Couple ailé (1992) ; Envol III (1999) ; Personnages presque couchés (1999) ; Double envol (2003). Dans ces années, elle explore de nouvelles matières pour les bijoux qu’elle confectionne ; elle réalise aussi des tanghkas suspendus en tulle et de multiples collages. Ses campaniles sont exposés dans le parc du château de Fougères (1997), et le monastère de Pedralbes et la galerie Maeght de Barcelone accueillent une importante rétrospective (1999).

Scarlett RELIQUET

Parvine Curie, Paris, Collection Prisme, 1982 ; Parvine Curie, Monastère de Pedralbes, Barcelone, Angers, Présence de l’art contemporain, 1999 ; Parvine Curie, Paris, Somogy, 2010.

CURTIS, Jamie Lee VOIR LEIGH, Janet

CUSSET, Catherine [PARIS 1963]

Écrivaine française.

Agrégée de lettres classiques, normalienne, Catherine Cusset a quitté la France à 23 ans pour devenir lectrice à l’université Yale (États-Unis) et y préparer un doctorat sur l’œuvre de Sade (1990). Spécialiste de la littérature du XVIIIe siècle, elle a enseigné pendant douze ans à cette même université, avant de s’installer à New York en compagnie de son époux d’origine roumaine. De cette expérience de vie, l’écrivaine a extrait le substrat de ses romans. La France et les États-Unis (en particulier Paris, la Bretagne, New Haven et New York) sont l’occasion d’un regard croisé sur les deux cultures et introduisent la thématique de l’exil et du déracinement (Un brillant avenir, 2008). Depuis 1990 (La Blouse roumaine), elle a signé une dizaine de romans, au sein desquels elle met en scène le désir et l’ordre moral à travers la sexualité, le couple, l’adultère ou encore la famille.

Audrey LASSERRE

Le Problème avec Jane, Paris, Gallimard, 1999 ; La Haine de la famille, Paris, Gallimard, 2001 ; Confessions d’une radine, Paris, Gallimard, 2003 ; Amours transversales, Paris, Gallimard, 2004 ; New York, journal d’un cycle, Paris, Mercure de France, 2009.

CUTRUFELLI, Maria Rosa [MESSINE 1946]

Écrivaine italienne.

Après avoir étudié à Bologne, Maria Rosa Cutrufelli s’installe à Rome. Elle commence à publier dans les années 1970, au moment où les premières maisons d’édition de femmes naissent en France et en Italie. Parmi ses travaux sur la condition féminine et sur le monde du travail, se trouvent : L’invenzione della donna (« l’invention de la femme », 1974) ; Operaie senza fabbrica (« ouvrières sans usine », 1977). Dans un essai traduit en français, Des Siciliennes (1975), elle analyse les racines sociales, économiques et idéologiques de l’exploitation des femmes. Il cliente, inchiesta sulla domanda di prostituzione (« le client, enquête sur la prostitution », 1981) et Il denaro in corpo (« l’argent au corps », 1996) abordent les questions de la prostitution et de la pornographie. Avec le roman La Briganta (1990), elle se rapproche de l’écriture créative en racontant l’histoire d’une femme qui, après l’unification de l’Italie, combat aux côtés de brigands contre l’État unitaire considéré par une bonne partie des populations méridionales comme une nouvelle forme d’oppression. À la base de ce roman, se trouve la volonté de récupérer des figures féminines oubliées de l’histoire. Son deuxième roman, Complice il dubbio (« avec la complicité du doute », 1992), évoque, à partir d’une intrigue de roman noir, le désir et l’amour entre deux femmes, sans l’expliciter. Dans son troisième roman, Canto al deserto (« le chant au désert », 1994), une journaliste se rend en Sicile pour interviewer une jeune mafieuse. Dans Il paese dei figli perduti (« le pays des enfants perdus », 1999), une jeune femme part à la recherche de son père en Australie. En 2004 paraît J’ai vécu pour un rêve : les derniers jours d’Olympe de Gouges. M. R. Cutrufelli a également publié deux livres de voyages : Mama Africa (1993) et Giorni d’acqua corrente (« les jours d’eau courante », 2002). Directrice du magazine littéraire féminin écrit par des femmes Tuttestorie, elle a dirigé les anthologies d’écrivaines Il pozzo segreto (« le puits secret », 1993) et Nella città proibita (« dans la ville interdite », 1994).

Francesco GNERRE

Des Siciliennes (Disoccupata con onore, 1975), Paris, Des femmes, 1977 ; La Briganta (La briganta, 1990), Paris, V. Hamy, 1995 ; J’ai vécu pour un rêve (La donna che visse per un sogno, 2004), Paris, Autrement, 2008.

GIACOBINO M., Orgoglio e privilegio, viaggio eroico nella letteratura lesbica, Milan, Il Dito e la luna, 2003.

ČUVIDINA, Umihana (SEVDA, dite) [SARAJEVO V. 1794 - ID. V. 1870]

Poétesse bosnienne.

Première poétesse musulmane de Bosnie, Umihana Čuvidina débuta en poésie en 1813, après la mort de son fiancé Čamdzi Mujo Bajraktar dans une bataille contre les insurgés serbes. Elle écrivait en langue populaire bosniaque, mais en alphabet arabe, l’aljamiado. Influencée par la poésie populaire, et non par les écrits religieux, elle chanta son deuil et son amour en les mêlant à des épisodes de combats épiques. Conformément aux conventions de l’époque, U. Čuvidina n’évoquait jamais l’amour ou la fin tragique de son fiancé, se contentant de vanter sa beauté et son courage. Nombre de ses poèmes sont considérés comme faisant partie de la poésie populaire. Par son deuil exemplaire et son refus de se marier, la poétesse fut connue dans le peuple sous le nom de Sevda (d’après sevdah, « tristesse », « mélancolie »). « Sarajlije idu na vojsku protiv Srbije » (« les Sarajeviens vont à la guerre contre la Serbie »), composé de 79 vers octosyllabiques et décasyllabiques, est son seul poème préservé sous forme écrite.

Dragana TOMAŠEVIČ

ZAHIROVIĆ́ A., Od stiha do pjesme : Poezija žena Bosne i Hercegovine, Tuzla, Univerzal, 1985.

CUZENT, Pauline [QUÉBEC 1815 - PARIS 1852]

Écuyère française.

Née dans la troupe familiale dirigée par son frère aîné Paul, Louise Pauline Cuzent est la fille de Louis Antoine Cuzent, imprimeur de musique, et de Marie Françoise Josèphe Fouant, dite Jolibois, musicienne. Des trois filles du couple, Pauline est celle qui se produit le moins sur les pistes, une légère claudication lui interdisant l’acrobatie dans laquelle excellent ses sœurs Julie Hermantine, dite Armantine, danseuse et écuyère de voltige, et Antoinette Lejars* (épouse de l’écuyer Jean Lejars). Sa rencontre avec François Baucher (1796-1873), maître écuyer, est décisive. Il entraîne P. Cuzent, qui abandonne son emploi de musicienne au théâtre Séraphin dans lequel la cantonnait son infirmité, pour faire ses débuts d’écuyère de haute école en 1836. Son maintien aristocratique, renforcé par la fluidité et la précision dans l’exécution d’exercices ou « airs » compliqués par la monte en amazone, la parfaite entente entre la cavalière et Auriol, son cheval sauteur, l’élégance de sa silhouette en uniforme de colonel des Suisses ou des Hussards, lui attirent aussitôt la rivalité d’écuyères très en vogue à Paris comme Caroline Loyo*. En Russie, où elle rejoint ses frères et sœurs, elle remporte les mêmes succès et se voit proposer d’enseigner à l’aristocratie. Mais sa santé, fragile, se détériore sous le climat froid du pays. Rentrée à Paris, elle décède d’une maladie de poitrine. Comme d’autres écuyères romantiques, P. Cuzent inspire poètes et artistes plasticiens, et figure sur de nombreuses gravures et lithographies.

Marika MAYMARD

VAUX B. de, Écuyers et écuyères : histoires des cirques d’Europe (1680-1891), Paris, J. Rothschild, 1893.

CYNISCA [SPARTE V. 440 aV. J.-C.]

Athlète grecque.

Riche princesse, appartenant à une des deux familles royales de Sparte, Cynisca était la fille d’Archidamos II, qui avait assumé la conduite de la guerre du Péloponnèse, contre Athènes (431-404 av. J.-C.), et la sœur du roi Agésilas II, dernier roi de Sparte. Elle est célèbre surtout pour avoir été la première femme de l’histoire à remporter une victoire olympique (Pausanias, III, 8, 1-2 ; III, 15, 1 ; VI, 1, 6). Conduisant un char attelé de quatre chevaux (tethrippon ou quadriga), elle remporta le prix de la course et fut couronnée, une première fois en 396, puis à nouveau en 392 av. J.-C. Pour immortaliser ses victoires, elle fit ériger à Olympie un groupe sculpté en bronze, situé à proximité du temple de Zeus : sur un piédestal en pierre étaient représentés un char attelé de chevaux conduits par un aurige et, à côté, Cynisca elle-même, œuvre d’Apelle. Le monument est identifié par une inscription à la première personne, encore lisible aujourd’hui (voir Anthologie palatine, XIII, 16), qui exalte l’exploit de Cynisca, seule femme de toute la Grèce à avoir remporté la couronne au concours du quadrige. De telles distinctions honorifiques illustrent bien sa renommée.

L’exploit de Cynisca doit en fait être replacé dans un contexte historique et culturel précis. L’éducation des jeunes filles, à Sparte, à la différence de ce que nous voyons dans la plupart des cités de la Grèce, prévoyait l’entraînement à la gymnastique, ainsi que l’apprentissage de l’équitation et de la chasse. Les Lacédémoniennes participaient aux exercices de lutte et de course avec les jeunes gens, sans autre vêtement qu’une tunique courte, et ce jusqu’à l’âge du mariage (Platon, Lois, 806a et 833c-834d ; Euripide, Andromaque, 595-600). Toutefois, à l’époque classique et hellénistique, les femmes (sans doute aussi les Lacédémoniennes) n’étaient pas autorisées à participer aux compétitions olympiques. Les activités sportives des femmes s’inscrivaient dans une perspective religieuse et rituelle : elles avaient pour but de développer la beauté, la santé et l’harmonie du corps, marquant surtout l’initiation au mariage et à la vie adulte. Les seules épreuves sportives officielles qui leur étaient accessibles – en tant qu’entraîneurs ou propriétaires de chevaux, et non en tant qu’auriges –, étaient les jeux équestres, qui avaient lieu dans une zone séparée : l’hippodrome. Par leur participation à des concours hippiques (c’était souvent une tradition familiale), les femmes appartenant à l’élite sociale contribuaient à étendre le prestige et la renommée de leur clan.

Si les témoignages sur les femmes victorieuses dans des compétitions équestres (bige ou quadrige) abondent à partir du IIIe siècle av. J.-C., surtout parmi les Lacédémoniennes, les Thessaliennes et les Macédoniennes (Bilistiché, maîtresse de Ptolémée II Philadelphe, roi d’Égypte, et Bérénice II, épouse de Ptolémée III ; Euryléonis, Mnasimaché, Timareta, Cassia), il faut attendre l’époque impériale pour qu’elles entrent dans le stade et participent personnellement aux épreuves athlétiques des grands concours panhelléniques. Parmi les témoignages sur des femmes athlètes (obligatoirement jeunes filles célibataires, voire fillettes), une célèbre inscription de Delphes, datée de 45 apr. J.-C., évoque les victoires de trois sœurs athlètes, filles d’Hermésianax, citoyen de Césarée Tralles : Tryphosa, Hedea et Dionysia, qui avaient remporté en particulier la course du stade aux Jeux pythiques, aux Jeux isthmiques et aux Jeux néméens, et l’épreuve du char de guerre aux Jeux isthmiques.

Marella NAPPI

ARRIGONI G., « Donne e sport nel mondo greco. Religione e società », in ARRIGONI G. (dir.), Le donne in Grecia, Rome, Bari, 1985 ; BIELMAN A., Femmes en public dans le monde hellénistique, Paris, Sedes, 2002 ; SCANLON T. F., Eros and Greek Athletics, Oxford-New York, Oxford University Press, 2002.

BÉRARD C., « L’impossible femme athlète », in Annali dell’Istituto universitario orientale di Napoli, no 8, 1986.