MARGULIS, Lynn (née Lynn Petra ALEXANDER) [CHICAGO 1938 - AMHERST 2011]

Microbiologiste américaine.

Lynn Margulis est surtout connue pour ses travaux sur le rôle de la symbiose dans l’évolution des cellules eucaryotes, c’est-à-dire pourvues de noyau. Elle soutient dans un article théorique, publié en 1967, que les cellules eucaryotes résultent de processus symbiotiques impliquant des bactéries. Contrairement à l’hypothèse néo-darwinienne dominante supposant que la sélection naturelle s’effectue à partir de mutations, elle affirme que les péripéties qui aboutissent aux cellules eucaryotes débutent lorsqu’une bactérie respirant de l’oxygène s’immisce dans un micro-organisme à fermentation anaérobie : elle finit par évoluer en un symbiote permanent vivant à l’intérieur de son hôte et par devenir un organite intracellulaire permanent – la mitochondrie, qui, pour des mammifères tels que nous, est transmise par la mère. Le rôle de l’endosymbiose dans l’évolution avait déjà fait l’objet de débats, mais avait été en général rejeté en raison de son caractère hypothétique. L. Margulis non seulement réhabilite ces idées, mais elle les convertit en un ensemble d’hypothèses vérifiables annonçant les liens génétiques et métaboliques spécifiques entre la mitochondrie et les chloroplastes d’une part, et les bactéries existantes d’autre part. Malgré les obstacles – dont le préjugé répandu qui incline à considérer les microbes comme des éléments pathogènes et non comme les ancêtres de toutes les formes de vie existante, la supposition que l’évolution est un lent processus dû uniquement à des mutations, le mépris envers les femmes de science –, elle persiste. Elle publie, en 1970, Origin of Eukaryotic Cells (« l’origine des cellules eucaryotes »), et quelque dix ans après Symbiosis in Cell Evolution (« la symbiose dans l’évolution de la cellule »). Avec une remarquable ouverture d’esprit, elle y traite aussi de la profonde interaction entre la biosphère et la planète elle-même. Exceptionnelle théoricienne de l’évolution, elle est devenue une fervente partisane du rôle de la symbiogenèse dans l’émergence des groupes biologiques majeurs. Suivant la tradition inaugurée par Linné et Haeckel, elle reclasse toutes les créatures vivantes, visibles et invisibles, en cinq règnes. En un tour de force magistral, elle a changé notre conception de la biosphère, insistant sur le fait qu’aucun organisme ne demeure reclus dans un état de pureté. Entre autres distinctions, elle reçoit la médaille Darwin-Wallace en 2008.

Antonio LAZCANO

Avec SAGAN D., L’Univers bacterial, Les nouveaux rapports de l’homme et de la nature (Microcosmos : Four Billion Years of Evolution From Our Microbial Ancestors, 1986), Paris, A. Michel, 1989.

MARI, Pierrette [NICE 1929]

Compositrice française.

Fine analyste, aimant suivre le parcours des poètes, proche de Louis Aragon, au temps des Lettres françaises, Pierrette Mari compose de nombreuses mélodies sur des poèmes de Baudelaire, Valéry, Rilke, García Lorca, Aragon, Éluard, entre autres. En 1961, elle reçoit le grand prix de la mélodie française décerné par l’Union nationale des arts. Après ses premières études à Nice, elle intègre le Conservatoire de Paris, où elle a pour maîtres Noël Gallon, Tony Aubin et Olivier Messiaen – à qui elle rend hommage en 1964 en lui consacrant un livre. Elle y remporte les prix de composition et de fugue. En 1970, son étude sur Béla Bartók lui vaut le prix Bartók à Budapest. Elle signe également deux livres sur Henri Dutilleux. En 1954, elle compose Psaumes et Cantate biblique pour un récitant et orchestre. Son Concerto pour guitare (1971) nous fait entendre le jeu raffiné d’Alexandre Lagoya. Que ce soit pour hautbois, pour piano, pour voix, ses œuvres sont jouées dans divers festivals, ainsi Besançon, Strasbourg, Nice, Paris. 140 opus… Sur ce sujet, P. Mari est modeste, comme sur ses participations à des concerts de musique de chambre ou ses écrits dans les revues musicales. Si vous lui demandez ses goûts, elle sourit : « La montagne, la mer, et tout ce qui se rapporte à la nature ! »

Martine CADIEU

Olivier Messiaen, l’homme et son œuvre, Paris, Seghers, 1965 ; Bartók, Paris, Hachette, 1970 ; Henri Dutilleux, Paris, Hachette 1973 ; Henri Dutilleux, Paris, A. Zurfluh, 1988.

MARÍA DE JESÚS DE ÁGREDA (née FERNÁNDEZ CORONEL Y ARANA) GREDA 1602 - SORIA 1665]

Écrivaine et mystique espagnole.

Connue comme la Vénérable, la Dame bleue ou Sœur Ágreda, María de Jesús de Ágreda naît au sein d’une famille noble et entre très jeune dans les ordres. À 25 ans, elle est nommée abbesse du couvent de religieuses déchaussées de l’Immaculée Conception d’Ágreda, fondé grâce aux donations de ses parents. Elle atteint la notoriété par son intelligence et par ses pénitences, accompagnées d’extases mystiques. La légende raconte qu’elle avait le don de bilocation, lequel suscita les soupçons de l’Inquisition qui ouvrit une enquête pour élucider ce phénomène : elle fut absoute. Sa célébrité incite le roi Philippe IV d’Habsbourg (1605-1665) à la connaître. Très impressionné, il la rencontre fréquemment, puis ils entretiennent une correspondance de 1643 à leur mort. On conserve 311 lettres de l’auteure et 301 du roi, compilées à plusieurs reprises, notamment dans Cartas de Sor María de Jesús de Ágreda y de Felipe IV ; elles revêtent une grande valeur documentaire et historique en ce qu’elles témoignent de la vie privée, de la morale et des coutumes religieuses de l’époque. Ses écrits, proches de la tradition scolastique, relèvent en majorité du genre ascétique et mystique. La censure des autorités religieuses l’empêche d’en publier une grande partie. Parmi ses œuvres figurent Escala para subir a la perfección y aprovechar en el camino de la virtud (« échelle pour atteindre la perfection et emprunter le chemin de la vertu », 1627), Leyes de la esposa (« lois de l’épouse », 1637, 1642), Pasión de Nuestro Señor Jesucristo (1642) ; la plus importante, La mística ciudad de Dios, milagro de su omnipotencia y abismo de la gracia, historia divina y vida de la Virgen Madre de Dios (« la mystique ville de dieu, miracle de sa toute-puissance et abîme de grâce, histoire divine et vie de la vierge, mère de dieu »), en quatre volumes, est publiée à titre posthume en 1670. Sa traduction la fait connaître dans toute l’Europe, mais le caractère surnaturel qu’elle donne à son texte (dicté par la Vierge) alerte son confesseur qui ordonne la destruction du premier manuscrit ; une fois publié, celui-ci est censuré par l’Inquisition espagnole (1672), le Saint-Office (1681) et l’Université de Paris (1696), pour être finalement inclus dans l’Index des livres interdits, en 1713. Elle décède à 63 ans, dans son couvent, laissant inachevée une autobiographie familiale. Son procès en béatification, engagé par Clément X en 1765 – il la déclare Vénérable –, n’a pas eu de suite.

María José VILALTA

Cartas de Sor María de Jesús de Ágreda y de Felipe IV, in SECO SERRANO C. (dir.), Biblioteca de autores españoles, vol. 108-109, Madrid, Atlas, 1958.

BARANDA C. (dir.), Correspondencia con Felipe IV, religión y razón de Estado, Madrid, Castalia-Instituto de la mujer, 1991 ; COLLECTIF, El papel de Sor María de Jesús de Ágreda en el barroco español, Soria, Diputación provincial de Soria, 2002.

MARIE [IIIe-IIe siècle aV. J.-C.]

Alchimiste grecque.

Souvent citée par les sources anciennes sous le nom de Marie la Juive, Maria Hebraea ou Maria Prophetissa, Marie vécut probablement à l’époque hellénistique, entre le IIIe et le IIe siècle av. J.-C. (ou au plus tard au Ier siècle apr. J.-C.). Parfois considérée comme la fondatrice de cette science occulte, elle fait partie des alchimistes les plus célèbres et fut très appréciée en particulier au Moyen Âge. Son nom figure dans la liste canonique des premiers alchimistes, expérimentateurs qui s’intéressaient notamment aux processus chimiques. On lui a attribué l’invention de nombreuses recettes et techniques, dont le bain-marie, auquel elle a donné son nom, ainsi que de plusieurs variétés d’eaux de soufre et d’instruments faits de métal, de verre ou d’argile, utilisés pour la cuisson ou la distillation de métaux et d’autres substances (mercure, soufre, etc.) : le kerotakis (vase pour la distillation) et le tribikos (alambic en cuivre à trois becs). Elle aurait écrit un traité « sur les fourneaux et les instruments » (Peri kaminon kai organon). Plusieurs fragments de son œuvre, incluant illustrations et descriptions de récipients, sont transmis par Zosime de Panopolis et par Olympiodore, deux auteurs grecs alexandrins respectivement de la fin du IIIe et de la fin du IVe siècle apr. J.-C. Alexandrie d’Égypte était le centre de la science grecque et ce fut surtout grâce aux alchimistes arabes des siècles suivants (Ibn Umail et Abu Abdullah) que la plupart des doctrines de Marie sur la nature des métaux ont pu arriver jusqu’à nous. Bien qu’il fasse de nombreuses références à la « divine Marie » et cite fréquemment son œuvre, Zosime ne donne aucune indication sur la période de son activité. Nous connaissons les noms d’autres femmes alchimistes, comme Théosébéia, sœur de Zosime, qui avait peut-être collaboré à l’encyclopédie de son frère, et surtout Cléopâtre, auteure d’un traité sur la fabrication de l’or (Chrysopoeia), dans lequel elle illustrait le kerotakis.

Marella NAPPI

PATAI R., The Jewish Alchemists : a History and Source Book, Princeton, Princeton University Press, 1994 ; PLANT I. M., Women Writers of Ancient Greece and Rome : an Anthology, Norman, University of Oklahoma Press, 2004.

MARIE [V. 19 aV. J.-C. - JÉRUSALEM OU ÉPHÈSE V. 45]

Figure biblique, mère de Jésus.

L’étymologie du nom Marie, en hébreu Myriam, est controversée. Peut-être s’agit-il d’un nom d’origine égyptienne comme on le suppose pour Moïse (en hébreu Moshé). Son nom complet (c’est-à-dire avec la filiation) n’est pas indiqué dans le Nouveau Testament, mais le Protévangile de Jacques dit que les parents de Marie s’appelaient Joachim et Anne. Le nom complet de Marie serait donc en hébreu Myriam bat Yehôyâkîm. Le Coran, suivant une autre tradition, donne Maryam bint ‘Imrân, c’est-à-dire « Marie, fille de ‘Imrân », ce qui correspondrait à l’hébreu Myriam bat ‘Amrâm. Aucun document ancien n’indique sa date de naissance, mais on peut la déduire de la naissance de Jésus (probablement - 5 ou - 3), ce qui donnerait pour Marie une fourchette située entre - 19 et - 16. Certains historiens optent pour une date de décès vers 45, à Jérusalem ou Éphèse.

Le Nouveau Testament lui donne une place beaucoup plus discrète que celle que les théologiens ou la dévotion populaire lui accordent dans le catholicisme et dans l’orthodoxie. Elle est l’humble vierge qui donna naissance à Jésus, connue (seulement dans Matthieu, ch. 1-2, et Luc, ch. 1-2) pour la naissance miraculeuse de son fils Jésus. Ce thème n’était pas nouveau à l’époque de la rédaction des textes évangéliques. On le retrouve dans l’hindouisme à propos de Krishna, dans le mithriacisme à propos de Mithra et dans le bouddhisme à propos de Bouddha : il signifie que la naissance de certains hommes, futurs Sauveurs, dépasse l’humaine condition, qu’une nouvelle ère s’ouvre pour l’humanité. Dans le cas de Marie, il s’agit non seulement d’une naissance miraculeuse, mais d’une naissance virginale. Le Protévangile de Jacques (évangile chrétien non canonique, rédigé vers 150 de notre ère) affirme même que Marie est restée vierge après l’accouchement. C’est le début de la croyance en la virginité perpétuelle de Marie. Au fur et à mesure des siècles, le statut et le rôle de Marie vont croître : l’idée de sa Dormition (c’est-à-dire sa mort en état de très grande paix spirituelle et l’incorruptibilité de son corps) s’impose au fil du temps. En 1854, l’Église catholique proclame l’Immaculée Conception de Marie (sa conception sans péché originel), et, plus tard, son Assomption (1950), c’est-à-dire son enlèvement au ciel et sa présence auprès de Dieu. Dès lors, Marie est considérée comme médiatrice, pouvant intercéder pour les hommes auprès de Dieu, collaborant à l’œuvre rédemptrice du Christ et régnant avec lui. Le culte marial a dans le catholicisme un statut intermédiaire entre la vénération des saints et le culte rendu à Dieu. Après la déification de Jésus aux premiers siècles du christianisme, l’Église catholique a presque déifié Marie. Ce phénomène n’a pas touché le protestantisme, lequel s’y est même opposé. Il est aussi moins apparent dans l’orthodoxie. Cette progression constante de la place de Marie est sans doute liée à la demande des fidèles d’une figure féminine forte à laquelle ils puissent s’identifier, dans une religion où dominent les figures masculines (Jésus, les 12 apôtres et les prêtres : tous hommes et célibataires dans le catholicisme). L’influence de Marie fut grande aussi dans la création des ordres monastiques féminins. Marie est également présente dans l’islam. Dans le Coran (3, 37), elle est intimement liée à la racine RZQ qui signifie « donner abondamment et par pure grâce des dons tant matériels que spirituels ». Le verbe a pour sujet Dieu (c’est Dieu qui donne), et le fait qu’il donne des subsides tant matériels que spirituels met l’accent sur le caractère indissociable de la chair et de l’esprit. Dans le texte coranique, chaque fois que Zacharie, tuteur de Marie, entre dans le Saint des Saints du Temple de Jérusalem, il trouve auprès d’elle un rizq, c’est-à-dire à la fois une Grâce et un don. Il faut ici souligner la situation très inhabituelle dans laquelle se trouvent les deux personnages : Marie est jeune et femme, Zacharie est son tuteur, déjà âgé et sans descendance. C’est cette jeune femme qui annonce à son maître spirituel la voie à suivre : la confiance dans le Dieu qui donne sans compter. Et Dieu fera don de Jean-Baptiste à Zacharie. Quant à Marie, elle laissera elle aussi s’accomplir le dessein de Dieu en s’ouvrant à l’ange qui fera croître en elle l’enfant Jésus sans l’intervention d’un mâle (Coran 3, 47). Cette situation ressemble donc à celle qui est évoquée dans l’Évangile de Luc (I, 26-38) ; à l’annonce faite par Gabriel qu’elle portera le « fils du Très-Haut », elle répond simplement : « Je suis la servante du Seigneur. Que tout se passe pour moi comme tu l’as dit ! » (Luc I, 38). Marie se met à la libre disposition de Dieu. Elle est celle qui ouvre la voie à la création par Dieu. Elle n’est ni créatrice, ni procréatrice à proprement parler, mais elle accueille en elle la puissance créatrice de Dieu, le fiat divin. Marie est réputée dans le catholicisme (mais non dans le protestantisme) pour ses facultés théophaniques. Elle apparaît souvent à d’humbles humains, comme à Bernadette Soubirous à Lourdes (1858), à trois enfants bergers à Fatima (1917), à deux enfants bergers à La Salette (1846), aux humbles foules d’Égypte, chrétiennes et musulmanes (en 1968 et en 2000, apparitions photographiées pour la première fois dans l’histoire), à Zeitoun, un quartier du Caire (1968) et à Assiout (2000). Marie est donc aussi créatrice de liens entre chrétiens et musulmans, du fait qu’elle est mentionnée et dans le Coran et dans la Bible. On pourrait interpréter le message de ses apparitions récentes en Égypte comme soulignant, à travers cette référence commune, la proximité entre le christianisme et l’islam, et l’urgence à cultiver cette familiarité pour la paix dans le monde.

Ralph STEHLY

BOSC J., Le Protestantisme et la Vierge Marie, Paris, Je sers, 1950 ; BRUNE F., La Vierge de l’Égypte, Paris, Le Jardin des livres, 2009 ; RAHNER K., Marie, mère du Seigneur, Paris, 1960 ; ZOBEL P., La Vierge Marie, Tours, Mame, 1969.

« Marie (Vierge) », in Dictionnaire de spiritualité, Paris, Beauchesne, 1977-1980.

MARIE D’ALANIE [XIe siècle]

Impératrice byzantine.

Fille du roi géorgien Bagrat IV, Marie d’Alanie épouse vers 1073 l’empereur byzantin Michel VII, dont elle a un fils, Constantin Doukas. En 1078 Nicéphore III Botaniatès s’empare du pouvoir, évince l’empereur et épouse Marie. En acceptant ce mariage transgressif, elle tente de sauvegarder la couronne pour son fils. Elle s’allie à la puissante famille des Comnène, qui donnera plusieurs empereurs byzantins, et adopte Alexis Ier Comnène qui sera, grâce à son aide, empereur en 1081. Peu après, se heurtant à l’opposition des Doukas et de son mari, et avec des assurances quant à l’avenir de son fils, elle doit se retirer au monastère des Manganes. Elle en fait une cour parallèle à celle de l’Empereur, avec lequel elle continue à être en relation. Elle s’y fait aimer pour sa générosité à l’égard des pauvres et des orphelins et pour sa piété.

Fabienne PRÉVOT

MARIE DE FRANCE [ANGLETERRE ? XIIe siècle]

Écrivaine française.

Le nom de « Marie de France » a été forgé au XVIe siècle par Claude Fauchet à partir d’un vers de l’épilogue de ses Fables : Marie ai nom, si sui de France (« J’ai pour nom Marie, et je viens de France »). En réalité, nous ne connaissons d’elle que son prénom, Marie, indiqué dans les trois œuvres qui lui sont généralement attribuées depuis le XVIIIe siècle : les Lais (vers 1170), les Fables (vers 1180) et l’Espurgatoire seint Patrice (après 1189). Dès la fin du XIIe siècle, un certain Denis Piramus, clerc qui réprouve l’immoralité des œuvres profanes, fait état de la notoriété de « dame Marie » et du succès de ses Lais auprès du public aristocratique, en ajoutant que comtes, barons et chevaliers aiment à se les faire lire et relire, et qu’ils sont tout particulièrement appréciés par les dames (Vie de saint Edmund, vers 1180). En revanche, on ne sait rien de l’identité de l’écrivaine, sinon ce que ses œuvres révèlent de sa culture et de son environnement. Réalisées plus d’un siècle plus tard, quelques miniatures censées la représenter dans deux manuscrits des Fables ne sont en rien des portraits. Le « noble roi » à qui elle dédie ses Lais est très vraisemblablement le roi Henri II Plantagenêt. La langue même du texte (avec des caractéristiques anglo-normandes), le fait qu’elle cite quelques mots bretons et anglais, la référence à des traditions orales « bretonnes » et sa culture (elle connaît Ovide et les premiers « romans antiques » : Roman de Thèbes et roman d’Eneas, 1150-1160) concordent bien avec le milieu de la cour d’Henri II. Son recueil de Fables, traduites d’un ouvrage anglais que le « roi Alfred » aurait lui-même traduit du latin, est dédié à un « comte Guillaume » qui pourrait être Guillaume de Mandeville, compagnon d’Henri II. Premier exemple conservé d’« ysopet » en français ou recueil de fables à la manière d’Ésope, il inaugure un genre bien attesté au Moyen Âge et fournit la première version française de fables dont certaines sont aujourd’hui encore bien connues grâce à La Fontaine (« Le Loup et l’agneau » ; « Le Corbeau et le renard »). L’Espurgatoire, traduction assez fidèle d’un texte latin d’Henri de Saltrey, moine cistercien anglais, est un récit de voyage vers l’au-delà ; tout imprégné de traditions celtiques, dans la lignée du Voyage de saint Brendan (début du XIIe siècle), il contient aussi l’une des premières représentations du purgatoire, inconnu des auteurs plus anciens. L’œuvre la plus connue de Marie est sans contredit le recueil des Lais, qui en comporte 12, précédés d’un prologue, selon la version la plus complète (conservée dans un seul manuscrit). Ce sont de brefs récits d’amour et d’aventure en octosyllabes, inspirés de « lais » musicaux bretons. Plusieurs d’entre eux sont imprégnés de merveilleux d’origine celtique, et tous s’enracinent dans le folklore de la Grande ou de la Petite Bretagne, comme en témoigne l’onomastique ; cependant, ils sont aussi marqués par l’idéologie courtoise, alors en plein essor. L’auteure réinterprète ces éléments de façon très personnelle : chaque lai constitue une nouvelle variation sur l’amour, un amour idéalisé qui ne peut se réaliser que dans un autre monde réservé aux amants ; ces récits, où il est peu question d’exploits chevaleresques, accordent souvent une place inhabituelle à la parole féminine. Longtemps considérés par les critiques comme une œuvre mineure, les Lais de Marie de France jouissent aujourd’hui d’un grand prestige et apparaissent comme l’une des plus belles réussites narratives et poétiques du XIIe siècle.

Anne PAUPERT

Lais de Marie de France, WARNKE K. (éd.), HARF-LANCNER L. (trad.), Paris, LGF, 1990 ; Les Fables, BRUCKER C. (éd. et trad.), Paris/Louvain, Peeters, 1998 ; L’Espurgatoire seint Patriz, PONTFARCY Y. de (éd. et trad.), Paris/Louvain, Peeters, 1995.

BLOCH R. H., The Anonymous Marie de France, Chicago, University of Chicago Press, 2003 ; KOBLE N., SÉGUY M. (éd. et trad.), Lais bretons (XIIe-XIIIe siècles, Marie de France et ses contemporains, Paris, H. Champion, 2011 ; SIENAERT E., Les Lais de Marie de France, du conte merveilleux à la nouvelle psychologique, Paris, H. Champion, 1978.

MARIE DE L’INCARNATION (Marie GUYART, dite) [TOURS 1599 - QUÉBEC 1672]

Écrivaine et missionnaire française.

Veuve de Claude Martin, Marie Guyart fonda et dirigea le collège des Ursulines de Québec de 1639 à 1672. Elle est l’auteure d’une correspondance considérable (plus de 13 000 lettres selon certains), mais aussi d’écrits religieux et autobiographiques. Malgré la quantité de documents publiés, Marie de l’Incarnation se révèle une écrivaine dont la production n’était nullement préméditée : au cours de ses échanges épistolaires, elle dit souvent écrire avec « une grande précipitation » (Correspondance, 1649) sans même pouvoir se relire. L’histoire se souvient d’elle autant comme femme d’action, supérieure du premier pensionnat de jeunes filles en Nouvelle-France, que comme contemplative. À ce titre, elle composa plusieurs traités sur l’oraison et la théologie, mais c’est aujourd’hui son œuvre autobiographique, les relations de sa vie – celles de 1633 et de 1654 –, et bien sûr ses lettres spirituelles qui retiennent l’attention. Elles se révèlent une source documentaire de premier plan sur la petite histoire de la colonie canadienne. Celle que l’on surnomme parfois la Thérèse du Canada fait partie sans contredit des plus fortes personnalités féminines de son temps.

Marie-Christine PIOFFET

Écrits spirituels et historiques, Martin C. puis Jamet A. (éd.), Québec/Paris, Action sociale/Desclée de Brouwer, 1929-1935.

BRODEUR R. (dir.), Marie de l’Incarnation, entre mère et fils, le dialogue des vocations, Sainte-Foy, Presses de l’université Laval, 2000 ; BRODEUR R., « Marie de l’Incarnation : une expérience théologique », in JAMES G. (dir.), De l’écriture mystique au féminin, Québec/Paris, Presses de l’université Laval/L’Harmattan, 2005 ; DEROY-PINEAU F., Marie de l’Incarnation, Marie Guyart femme d’affaires, mystique, mère de la Nouvelle-France, 1599-1672, Montréal, Fides, 1999.

MARIE DE MAGDALA (ou MARIE MADELEINE) [début du Ier siècle]

Figure biblique, disciple de Jésus.

Le nom « Marie » était courant à l’époque de Jésus. Plusieurs femmes portent ce nom dans les évangiles : Marie*, mère de Jésus ; Marie de Magdala ; Marie, sœur de Marthe (Marie de Béthanie) ; Marie, mère de Jacques le Mineur et de Joset… L’identification de chacune n’est pas aisée dans le Nouveau Testament, et la tradition chrétienne a souvent mêlé ces différents personnages : par exemple, dans la tradition catholique, Marie de Magdala est assimilée à Marie de Béthanie. Avec Marie la mère de Jésus, Marie Madeleine est la plus connue des femmes du Nouveau Testament et de la tradition chrétienne. Elle apparaît dans plusieurs passages des évangiles sous le nom de « Marie de Magdala » (ou « la Magdaléenne »), Magdala étant un village de pêcheurs du lac de Galilée. Les informations biographiques sont rares, mais selon Luc (VIII, 2), Jésus aurait délivré Marie de Magdala de sept démons (cf. Marc XVI, 9). Selon Marc, elle aurait été l’une des disciples qui accompagnèrent Jésus jusqu’à sa mort (Marc XV, 40-41). De fait, son nom se lit surtout dans les récits de la mort et la résurrection de Jésus. Les évangiles transmettent des versions différentes de ces épisodes décisifs, et la personnalité ou les réactions de Marie de Magdala y sont présentées de manière contrastée : joie, tristesse, crainte, silence… mais c’est l’Évangile de Jean qui lui attribue un rôle central dans l’annonce de la Résurrection (Jean XX, 1-18) et dans la conclusion de cet écrit. Marc souligne aussi qu’elle fut la première à voir le Christ après sa résurrection : « Il apparut premièrement à Marie de Magdala [… ] » (Marc XVI, 9). Mais il insiste également sur le fait que Marie de Magdala se heurte à l’incrédulité des disciples quand elle leur annonce la résurrection de Jésus (Marc XVI, 11 ; cf. Luc XXIV, 11). Chez Matthieu (XXVIII, 1-10), c’est la rencontre des femmes (« Marie de Magdala et l’autre Marie ») avec le Christ ressuscité qui frappe le lecteur : Jésus « salue » les deux femmes et les envoie en mission auprès des disciples. Marie de Magdala a donc une place importante dans les évangiles, même si l’on perçoit quelques différences dans l’appréciation de ce rôle dans les premiers récits de la vie de Jésus. L’Église primitive ne semble pas avoir voulu gommer la place de choix des femmes dans la propagation de la bonne nouvelle. Ainsi « Pour les siècles à venir, les femmes longtemps humiliées devront être les messagères de Pâques [… ] », écrit Élisabeth Dufourcq dans Histoire des chrétiennes (p. 1182). Les écrits apocryphes des premiers siècles de l’ère chrétienne témoignent également de la notoriété de Marie de Magdala et de sa place singulière à cette époque. Chez les Pères de l’Église, la figure de Marie de Magdala est régulièrement associée, par exemple, à la femme « pécheresse », pardonnée, de l’épisode de Luc VII, 36-50 : une femme, anonyme, à la chevelure dénouée, couvre les pieds de Jésus de baisers en y répandant du parfum. Cette scène étonnante fut diversement interprétée, et les Pères de l’Église, comme plus tard les théologiens chrétiens du Moyen Âge, établiront des parallèles avec Ève (la première pécheresse) et avec le Cantique des cantiques (évocation de l’union de l’Église/épouse avec son Sauveur). La figure de Marie de Magdala rejoindra alors celle de cette femme pécheresse « exemplaire » qui convertit son péché en amour pour le Christ. De ce fait, de la fin de l’Antiquité au Moyen Âge, une ferveur dévotionnelle pour Marie Madeleine se développe en Orient comme en Occident. Des légendes tardives la font venir jusqu’à l’abbaye de Vézelay (Sainte-Marie-Madeleine de Vézelay), où des reliques sont exposées dès le XIe siècle, mais d’autres traditions l’associent à la région de Provence où son culte sera particulièrement développé. Aujourd’hui encore, la personnalité de Marie de Magdala et sa place en tant que femme aux côtés de Jésus intriguent : était-elle seulement disciple de Jésus ou bien, plus, sa maîtresse ? Si l’on s’en tient aux passages évangéliques où elle est clairement identifiée, Marie de Magdala est présentée comme une disciple fidèle et appliquée, la première messagère de l’Évangile.

Thierry LEGRAND

DUFOURCQ É., Histoire des chrétiennes, Montrouge, Bayard, 2008 ; FOCANT C., WÉNIN A., Vives, femmes de la Bible, Bruxelles/Paris, Lessius/Éditions du cerf, 2007 ; RENAUD-CHAMSKA I., Marie Madeleine en tous ses états, typologie d’une figure dans les arts et la littérature (IVe-XXIe siècle), Paris, Éditions du cerf, 2008.

MARIE DE MÉDICIS [FLORENCE 1575 - COLOGNE 1642]

Reine de France.

Souvent mésestimée par les historiens ou effacée derrière des figures aux accents plus sombres ou romanesques comme Catherine de Médicis* ou Marguerite de Valois*, Marie de Médicis a pourtant marqué la vie politique française de la première moitié du XVIIe siècle, au sortir des guerres de Religion. Satisfaisant les intérêts de la couronne de France dont les grands-ducs de Toscane étaient des financiers privilégiés, le mariage de la fille de François de Médicis et de Jeanne d’Autriche avec Henri IV est conclu en 1600, avec une dot conséquente à la clé. L’assassinat du roi en 1610 propulse la jeune reine au statut de régente, pendant la minorité de son fils, Louis XIII. Son gouvernement se caractérise par le choix de l’alliance avec l’Espagne, concrétisée par la célébration, en 1612, des mariages de ses deux enfants avec des infants, puis par une série de conflits intérieurs et d’agitation accrue des grands de France, renforcée par la supposée faiblesse du pouvoir en place. La contestation aboutit à la convocation des États généraux de 1614, qui représentent un moment décisif dans l’affirmation du pouvoir absolu puisque le pouvoir monarchique s’y impose comme une instance arbitrale nécessaire.

La régence de M. de Médicis est aussi marquée par le ministère de Concino Concini, puis du duc de Luynes, cible de violentes polémiques, comme emblème du règne de la faveur et de l’arbitraire. C’est d’ailleurs par un « coup d’État » entraînant l’assassinat de ce dernier et la disgrâce de sa mère que Louis XIII manifeste sa décision de prendre en main les rênes du royaume (1617). M. de Médicis sera dès lors en conflit constant avec son fils : en témoignent l’épisode connu sous le nom de la « guerre de la mère et du fils » en 1623 et 1624, et surtout sa relégation définitive du pouvoir après la journée des Dupes en 1630, qui marque la victoire à la Cour et auprès du roi du cardinal de Richelieu contre la reine et ses alliés. Désormais en exil (en Belgique, Angleterre et Allemagne) jusqu’à sa mort, la régente déchue réorganisera une cour autour d’elle, qu’elle tentera d’imposer en pôle d’opposition à Louis XIII, suscitant ou soutenant différents troubles. L’importance effective du rôle politique de M. de Médicis reste encore à mesurer : les historiens hésitent souvent, dans l’interprétation de ses actions, entre une analyse qui insiste sur ses ambitions personnelles ou ses qualités de chef de « clan » (le « parti dévot ») et un point de vue mettant en exergue son engagement idéologique au service d’une conception plus traditionnelle du pouvoir monarchique, défendant, à une époque charnière de la sécularisation des pratiques et de la théorie politiques, une vision chrétienne du gouvernement des hommes. Plus largement, son statut pose aussi la question du rapport de la monarchie française aux femmes, exclues du pouvoir par l’invention de la loi salique (invoquée pour la première fois au XVIe siècle), mais investies du rôle de perpétuation de la lignée et surtout pouvant périodiquement exercer une influence politique discrète ou plus affirmée en cas de régence. La position de M. de Médicis à la tête du pouvoir lui a aussi permis d’être active dans la promotion des arts : sa cour des années 1620 s’est révélée être un vivier d’hommes de lettres que Richelieu saura ensuite attirer sous sa propre influence – le poète François Le Métel de Boisrobert, notamment, a reçu une gratification de sa part. Elle est surtout reconnue en tant que commanditaire du palais du Luxembourg, dont les plans ont été dessinés par l’architecte Salomon de Brosse et la décoration intérieure confiée à Rubens, avec en point d’orgue le fameux cycle des 24 tableaux relatant sa propre histoire, exposé dans la galerie inaugurée en 1625.

Mathilde BOMBART

BASSANI-PACHT P., CRÉPIN-LEBLOND T., SAINTE-FARE-GARNOT N. (dir.), Marie de Médicis, un gouvernement par les arts, Paris/Blois, Somogy/Château de Blois, 2003 ; CARMONA M., Marie de Médicis (1981), Paris, Fayard, 1988 ; COSANDEY F., La Reine de France, symbole et pouvoir, XVe-XVIIIe siècle, Paris, Gallimard, 2000.

MARIE DE RUSSIE (Marie PAVLOVNA ROMANOVA, dite) [SAINT-PÉTERSBOURG 1890 - MAINAU 1958]

Fondatrice russe de maison de couture.

Grande-duchesse de Russie et cousine du dernier tsar Nicolas II, Marie de Russie épouse en secondes noces le prince Serge Mikhailovitch Poutiatine, en 1917. Pendant la révolution, son père, le grand-duc Paul, est exécuté et le couple émigre à Paris, puis à Londres. Face au manque d’argent, Marie pratique la couture, le tricot et la broderie pour gagner sa vie. Durant l’automne 1920, à Paris, son frère, le grand-duc Dimitri, lui présente sa maîtresse, Gabrielle Chasnel*. Cette dernière s’intéresse alors beaucoup à la broderie, qu’elle cherche à produire à moindre coût. Aussi Marie lui propose-t-elle ses services. En 1922, Marie ouvre un atelier de broderie, Kitmir, au 5, rue Saint-Augustin à Paris, et fournit exclusivement la maison Chanel. Sa première collection est un triomphe. En 1924 elle s’installe au 7, rue Montaigne. Rompant son contrat d’exclusivité, Kitmir travaille alors pour de nombreuses maisons et s’associe au brodeur Pierre Hurel, mais l’atelier perd peu à peu son unité de style et son originalité. À ses débuts, Kitmir n’emploie que trois ou quatre brodeuses russes, issues de l’aristocratie, mais, devant l’afflux des commandes, « cinquante jeunes filles et tout un état-major de modélistes et de techniciens » travaillent pour la maison (Une princesse en exil, 1933) et des ateliers sont ouverts en province. Cependant, malgré la médaille d’or obtenue à l’Exposition des arts décoratifs de 1925, Kitmir connaît de sérieuses difficultés financières, auxquelles s’ajoute un désintérêt grandissant envers la broderie. En 1928, la maison est absorbée par la société Fritel-Hurel. Marie part alors pour Londres, puis pour New York où elle publie ses Mémoires L’Éducation d’une princesse (1931) et Une princesse en exil qui deviennent des best-sellers.

Zelda EGLER

L’Éducation d’une princesse, Paris, Stock, 1931 ; Une princesse en exil, Paris, Stock, 1933.

Souvenirs moscovites, 1860-1930, Paris, Paris musées, 1999 ; GARNIER G., Paris-couture-années trente, Paris, Musée de la Mode et du Costume, 1987 ; VASSILIEV A., Beauty in Exile, New York, Harry N. Abrams, 2000.

MARIE DE VENTADOUR [VENTADOUR V. 1165 - ID. V. 1222]

Trobairitz (ou femme troubadour) française.

Bien qu’il ne reste de Marie de Ventadour qu’une tenson avec Gui d’Ussel, elle a joué, au tournant des XIIe-XIIIe siècles, un rôle important de mécène et d’inspiratrice de troubadours. Elle s’inscrit ainsi dans la tradition familiale de son mari, le vicomte Èble V, dont l’arrière-grand-père, Èble II dit le Chanteur, était contemporain de Guillaume IX. Outre Bertrand de Born qui célébra sa beauté et celle de ses deux sœurs, nombreux sont ceux qui l’ont chantée. On peut énumérer les troubadours Gui et ses trois frères, Pierre de Vic dit le moine de Montaudon, Gausbert de Poicibot, Pons de Capduelh, Giraut de Calenson et surtout Gaucelm Faidit qui lui consacra son « service d’amour ». Elle figure dans les envois ou dans les razos de plusieurs de leurs chansons. Le débat poétique que Marie a proposé à Gui aurait eu pour origine une dispute de casuistique amoureuse avec son ami, Hugues IX de Lusignan, comte de la Marche : il s’agissait de savoir si un amant loyal et fidèle pouvait prétendre à autant de suzeraineté sur sa dame qu’elle sur lui, ce que la trobairitz niait. Elle pria donc le poète de traiter ce sujet avec elle afin de le ramener à la poésie à laquelle il avait renoncé à la suite d’une déception amoureuse. On voit aux détails de cette histoire qu’il est difficile de faire la part des thèmes qu’exploitent les chansons et de la réalité des comportements.

Madeleine JEAY

BEC P., Chants d’amour des femmes-troubadours, Paris, Stock, 1995 ; BOGIN M., Les Femmes troubadours (1976), Paris, Denoël, 1978.

HUCHET J.-C., « Trobairitz : les femmes troubadours », in Voix de femmes au Moyen Âge, savoir, mystique, poésie, amour, sorcellerie, XIIe-XVe siècles, RÉGNIER-BOHLER D. (dir.), Paris, R. Laffont, 2006.

MARIE-MADELEINE DE PAZZI (née CATERINA DE’PAZZI) [FLORENCE 1566 - ID. 1607]

Mystique italienne.

Sa vocation pour la vie religieuse se révéla dès sa prime jeunesse, et, malgré l’opposition de sa famille, Caterina de’Pazzi commença en 1582 son noviciat dans l’ordre des carmélites, au monastère Santa Maria degli Angeli à Florence ; en 1583, elle prit le voile sous le nom de Marie-Madeleine. Le jour de ses vœux, elle vécut sa première extase mystique ; visions, extases et élans mystiques se succédèrent jusqu’en 1591-1592 et furent mémorisés et transcrits par ses consœurs. Elle connut ensuite une période douloureuse de silence de l’âme, comme en témoigne le Libro della probazione (« le livre de la probation ») écrit par la fidèle Maria Pacifica del Tovaglia. Au plus profond de son extase, elle dicta des lettres (qui ne furent jamais envoyées) dans lesquelles elle invitait le pape Sixte Quint et des personnalités ecclésiastiques à appliquer les dispositions tridentines pour la réforme de l’Église. Tous ses textes (dont Extases et lettres, 1945) furent publiés après sa mort. Elle fut canonisée en 1669.

Marta SAVINI

Extases et lettres, Paris, Seuil, 1946.

Tutte le opere di santa Maria Maddalena de’Pazzi, dai manoscritti originali, Florence, Centro internazionale del Libro, [s.d.].

POZZI G. (dir.), Le parole dell’estasi, Maria Maddalena de’Pazzi, Milan, Adelphi, 1984 ; BREZZI F. (dir.), Maria Maddalena de’Pazzi, invito alla lettura, Cinisello Balsamo, San Paolo, 2000.

MARIE ROBINE [HÉCHAC 1399]

Visionnaire française.

Trois témoignages permettent de connaître la recluse Marie Robine, originaire des environs de Madiran (Hautes-Pyrénées), qui vécut en Avignon à la fin du XIVe siècle : ses 12 Révélations, transcrites en latin par son confesseur, sont archivées à la bibliothèque de Tours (manuscrit 520) ; un passage du Songe du vieil pèlerin de Philippe de Mézières raconte comment elle fut miraculeusement guérie de paralysie sur la tombe du saint cardinal Pierre de Luxembourg ; lors du procès de réhabilitation de Jeanne d’Arc*, Jean Érault, professeur de théologie, mentionna la vision qu’elle eut d’armes destinées à une pucelle qui s’apprêtait à venir libérer le royaume. L’absence de cette prophétie dans le manuscrit des Révélations permet de supposer l’existence d’une tradition orale autour de Marie. Matthew Tobin, son éditeur, voit en elle une « fonctionnaire spirituelle » de la papauté d’Avignon au service de Clément VII et de Benoît XIII qui l’envoya en mission diplomatique auprès de Charles VI. Ses visions prophétiques attestent d’une réflexion théologique personnelle, teintée d’optimisme : elle rejette l’idée d’un châtiment éternel en enfer et relativise la gravité des peines du purgatoire. Selon Marie, le jugement de Dieu est marqué par la miséricorde.

Madeleine JEAY

JEAY M., « Marie Robine et Constance de Rabastens : humbles femmes du peuple, guides de princes et de papes », in Le Petit Peuple dans l’Occident médiéval, BOGLIONI P., DELORT R., GAUVARD C. (dir.), Paris, Publications de la Sorbonne, 2002 ; TOBIN M., « Le Livre des révélations de Marie Robine (1399) : étude et édition », in Mélanges de l’École française de Rome, t. 98, 1986.

MARIE SARA (MARIE BOURSEILLER, dite) [BOULOGNE-BILLANCOURT 1964]

Rejoneadora (torera à cheval) française.

Fille du metteur en scène Antoine Bourseiller et de la comédienne Chantal Darget*, Marie Bourseiller découvre la tauromachie à l’adolescence, dans les arènes de Mélanès, en Camargue : c’est une révélation. À force de ténacité, elle parvient à se faire une place dans le milieu très fermé et masculin de la tauromachie. Elle devient, et restera, une rejoneadora reconnue. En 1979, elle rencontre Simon Casas, imprésario et ex-torero, figure du milieu, qui deviendra son apoderado et son manager. Sous le nom de Marie Sara, elle porte pour la première fois les habits de lumière aux arènes de Vinaròz en 1984. En 1990, elle se produit au Venezuela et au Portugal. L’année suivante, dans les arènes de Nîmes, elle reçoit son alternative des mains de Conchita Cintrón, la mythique torera péruvienne. Son alternative est confirmée à Madrid en 1994. En 2009, elle est désignée pour gérer les arènes de Mont-de-Marsan aux côtés de Simon Casas, puis en 2011 celles de Saintes-Maries-de-la-Mer. Au début des années 1990, elle crée la ligne de vêtements Mari Sara. Elle est également apoderada et éleveuse de vaches d’origine Zalduendo (avec Simon Casas et Christophe Lambert). En 1997, elle publie son autobiographie : La Vie pour de vrai.

Audrey CANSOT

MARIE STUART [LINLITHGOW 1542 - FOTHERINGAY 1587]

Reine d’Écosse, poétesse et épistolière écossaise d’expression française.

Seul enfant survivant de Jacques V d’Écosse (1512-1542) et de Marie de Guise (1515-1560), Marie Stuart hérite du trône à l’âge de six jours, en une période de conflit avec l’Angleterre. Son existence ouvre la voie à un règlement par ses fiançailles avec le futur Édouard VI, selon les termes du traité de Greenwich (1er juillet 1543). Toutefois, le traité est bientôt dénoncé par les Écossais. Marie est couronnée le 9 septembre 1543. Pour prix du soutien militaire français, elle est fiancée au dauphin, le futur François II (1544-1560, roi en 1559). De 1548 à 1561, elle séjourne en France. Admirée pour sa beauté, elle y reçoit une éducation courtoise où musique, chant et danse se mêlent aux lettres latines. Par sa naissance, elle se trouve dans la ligne de succession directe à la couronne d’Angleterre. À ce titre, elle est non seulement une pièce maîtresse dans une lutte pour la prééminence que se livrent depuis deux siècles France et Angleterre, mais elle sert la politique conduite par sa mère, régente à compter de 1554, d’assimilation de l’Écosse à la France catholique. Son mariage en 1558 a pour condition la reconnaissance d’un monarque unique pour les deux royaumes. À la mort de son royal époux, M. Stuart cesse d’intéresser la cour de France dans ses calculs anglais. Il ne lui reste plus qu’à regagner son pays natal. Cependant, elle restera jusqu’à la fin de sa vie animée par son amour de la culture française, comme en témoignent souvent sa correspondance et ses poésies, pour la plupart composées en français. À son arrivée en 1561, la catholique M. Stuart sait se faire accepter par l’establishment protestant. Sa volonté de stabilisation du compromis politico-religieux forgé en Écosse n’est pas étrangère à sa place dans la succession à la couronne du royaume méridional. Elle ne peut que chercher un accommodement avec Élisabeth Ire* qui, cependant, ne peut s’engager sur la succession sans compromettre sa propre position en son royaume. En choisissant de ne pas désigner de successeur tant qu’elle ne serait pas elle-même mariée, ou officiellement décidée à ne pas se marier, elle place M. Stuart dans l’obligation de s’abstenir elle-même ou de choisir un époux conforme aux intérêts anglais. Son mariage en 1565 avec son cousin également catholique Henry Stuart, Lord Darnley, situé juste derrière elle dans l’ordre anglais de succession, rompt l’équilibre politico-religieux précédemment maintenu. Darnley fournit en effet un point de ralliement aux déçus du régime, notamment les catholiques. L’influence de ces derniers grandit dans l’entourage de M. Stuart, qui opte au début de 1566 pour une politique de promotion active du catholicisme. Darnley, dont les prétentions à l’exercice du pouvoir agacent, est assassiné en 1567. Marie est probablement innocente, mais pas ses conseillers. Sa réputation en est durablement entachée. Violée et enlevée par le comte de Bothwell, elle accepte de l’épouser en mai, suscitant la réaction hostile des chefs de la noblesse, principalement protestants et pro-anglais. La reine doit abdiquer le 24 juillet en faveur de son fils Jacques, né en 1566. Emprisonnée, elle échappe à la vigilance de ses gardiens, et se réfugie en Angleterre en 1568. Élisabeth Ire est placée devant un dilemme. Elle ne peut paraître sanctionner une rébellion compte tenu de la précarité de son règne, à l’intérieur comme à l’étranger (le nord de l’Angleterre se soulève en 1569 ; le pape l’excommunie en 1570). Mais les rebelles écossais sont aussi ses alliés, et Marie, qui continue de figurer dans l’ordre de succession à la couronne d’Angleterre, lui fournit un otage garant de la bonne conduite des catholiques anglais. M. Stuart, quant à elle, oscille entre une attitude de conciliation envers Élisabeth et la noblesse écossaise, et une politique d’hostilité, jouant de son catholicisme et de ses légitimes prétentions à la couronne d’Angleterre pour s’appuyer sur l’Espagne et le mouvement de la contre-réforme. Elle est le centre de multiples complots. En 1586, un soulèvement catholique s’organise pour donner à M. Stuart la couronne anglaise. Le 23 novembre, elle est convaincue de trahison. Le 8 février 1587 elle est exécutée. Sa chute consolide les deux réformes protestantes anglaise et écossaise.

Antoine MIOCHE

Lettres, instructions et mémoires de Marie Stuart, reine d’Écosse, Labanoff A. (dir.), Londres, C. Dolman, 1844 ; En ma fin est mon commencement, écrits religieux et moraux de la reine Marie Stuart suivis des réactions et commentaires sur sa vie, son emprisonnement et sa mort, Paris, L’Harmattan, 2008.

DUCHEIN M., Marie Stuart, la femme et le mythe, Paris, Fayard, 1988 ; ERLANGER P., Marie Stuart, Paris, Perrin, 2006 ; ZWEIG S., Marie Stuart (1931), Paris, LGF, 2001.

MARIE-SUZANNE (née Alice NOVIAL, dite sœur) [PARIS 1889 - LYON 1957]

Religieuse française à l’origine d’un vaccin antilépreux.

Fille d’industriels, Alice Novial se destinait à des études de médecine quand elle entre dans la Société de Marie à l’âge de 17 ans. En 1910, elle fonde avec d’autres sœurs maristes la léproserie de Makogaï aux îles Fidji, qui devient un modèle d’accueil et de soins pour les malades. Pendant vingt-trois ans, elle y soigne les lépreux, étudie la maladie et devient spécialiste en ce domaine. De retour en France, elle poursuit ses recherches à l’Institut Pasteur et à l’hôpital Saint-Louis de 1938 à 1942. Deux ans plus tard, elle cofonde un laboratoire d’étude sur la lèpre aux facultés catholiques de Lyon, où elle travaille avec des professeurs de la faculté de médecine. Elle est la première à obtenir une culture d’un bacille de la lèpre, le bacille « Chauviré » qui, injecté à des rats, provoque les mêmes lésions que le bacille de Hansen (mis en évidence en 1873 et dont aucune culture in vitro n’a pu être réalisée, ce qui constituait un obstacle majeur à la recherche). En 1949, elle met au point et teste un vaccin préventif antilépreux, qui obtient un visa de santé publique en 1955. Elle fait connaître sa découverte aux missionnaires des léproseries, participe à des congrès et donne des conférences aux États-Unis. Son travail scientifique, bien qu’inachevé, a stimulé la recherche lyonnaise sur la lèpre et permis des avancées dans le traitement de cette maladie.

Jacqueline PICOT

ESSERTEL Y., L’Aventure missionnaire lyonnaise, 1815-1962, Paris, Cerf, 2001.

MARIKA, Raymattja [YIRRKALA, TERRITOIRE DU NORD 1959 - ID. 2008]

Éducatrice et activiste aborigène australienne.

Fille aînée de Roy Marika, pionnier des luttes foncières des Aborigènes yolngu de la Terre d’Arnhem, Raymattja Marika est membre du clan Rirratjingu, propriétaire de la terre sur laquelle fut construite la mission de Yirrkala en 1936. Elle a consacré sa vie à l’amélioration de l’enseignement dans les écoles aborigènes, œuvrant pour la reconnaissance des traditions intellectuelles yolngu. Maîtrisant une dizaine des dialectes du groupe linguistique yolngu-matha, enseignante, linguiste et traductrice, elle a participé, au début des années 1980, à la conception d’un modèle d’apprentissage biculturel « two-way » qui intègre non seulement les langues locales, mais encore des concepts clés du système de savoir yolngu. Le projet d’éducation Ganma, qui en yolngu fait référence au point de confluence entre l’eau douce et l’eau de mer, vise à transformer le système éducatif en place depuis les premières écoles missionnaires et à faire de l’école de Yirrkala un lieu privilégié du mélange des savoirs entre les cultures. Elle a prononcé en 1998 une allocution passionnée en faveur de l’éducation biculturelle lors des séminaires Wentworth. Parallèlement, elle a enseigné sa langue pour former de nombreux fonctionnaires blancs en poste dans les services de santé ou d’éducation aborigènes. Face à la menace minière qui pesait sur les terres sacrées de son peuple, elle a fondé en 1992 Dhimurru Land Management, une corporation aborigène chargée de la protection de l’environnement. Directrice du groupe de pression Reconciliation Australia et membre du bureau de l’Australian Institute of Aboriginal and Torres Strait Islander Studies, son travail a été déterminant dans le développement de nouvelles approches des échanges interculturels. Respectée au sein de son peuple, elle a été l’une des directrices de la fondation Yothu Yindi qui organise le festival Garma de musique et de danse traditionnelles yolngu. Son dernier projet a été d’établir à Yirrkala un centre des savoirs et de multimédia aborigènes, Mulka, afin d’accompagner les jeunes dans la transition vers l’ère numérique.

Jessica DE LARGY HEALY

Avec CHRISTIE M., « Yolngu metaphors for learning », in International Journal of the Sociology of Language, vol. 113, 1995 ; « The 1998 Wentworth lecture », in Australian Aboriginal Studies, mars 1999.

MARIKO MITSUI [AKITA 1948]

Avocate, militante féministe et femme politique japonaise.

Mariko Mitsui s’implique dans les groupes de libération des femmes au Japon dès le début des années 1970. En 1985, elle part étudier un an aux États-Unis et revient convaincue de l’importance de l’action politique. Elle se présente alors comme candidate socialiste au conseil municipal de Tokyo. Élue en avril 1987, elle demande que cessent les pratiques discriminatoires envers les femmes. Elle occupe cette fonction jusqu’en 1993, année où elle quitte le parti socialiste, le jugeant frileux sur certaines prises de position féministes. Elle dirige le Centre d’Osaka pour l’égalité des sexes de 2000 à 2003, avant d’en être écartée, car elle dénonce la politique des groupes de droite au pouvoir à Osaka. L’affaire donne lieu à des poursuites judiciaires. Après quoi, enseignante à l’université de Tokyo, elle dispense des cours sur les femmes et les changements sociaux, ainsi que sur les pays nordiques.

Luce MICHEL

DELAMOTTE E., MEEKER N., O’BARR J., Women Imagine Changes. A Global Anthology of Women’s Resistance, New York, Routledge, 1997 ; FUJIMURA-FANSELOW K., KAMEDA A., Japanese Women. New Feminist Perspectives on the Past, Present and Future, New York, Feminist Press at the City University of New York, 1995.

MARIN, Maguy [TOULOUSE 1951]

Danseuse, chorégraphe et directrice de compagnie française.

Après une formation au conservatoire de Toulouse, puis avec Nina Vyroubova, Maguy (Marguerite) Marin débute à l’Opéra de Strasbourg, découvre l’art dramatique au Théâtre national de Strasbourg avant d’entrer à Mudra, l’école fondée par Maurice Béjart à Bruxelles. Danseuse soliste au Ballet du XXe siècle (1972-1976), elle s’oriente vers la chorégraphie, participe avec Micha Van Hoecke à la création du groupe Chandra, et fonde en 1978 avec Daniel Ambash le Ballet Théâtre de l’Arche, accueilli à la Maison des arts de Créteil dès 1981. Devenue directrice du Centre chorégraphique national de Créteil (1984-1994), elle fonde en 1998 celui de Rillieux-la-Pape près de Lyon, qu’elle quitte en 2011. Chorégraphe résidente du Ballet de l’Opéra de Lyon (1991-1994), elle est invitée à Amsterdam, Paris ou Genève. Elle a également ouvert dans la région lyonnaise Ramdam, lieu de création destiné aux jeunes chorégraphes. Danseuse soliste chez Béjart, elle interprète notamment Ce que l’amour me dit, Notre Faust, Héliogabale, Le Molière imaginaire, avant de se lancer dans la création. Fille d’un couple espagnol ayant fui le régime franquiste, elle laisse parfois transparaître ses origines, notamment dans Nieblas de niño (1978) qui lui vaut le premier prix du concours de Bagnolet. Elle développe un propos centré sur les relations entre les individus et révèle les faiblesses de l’homme. Inspiré par Samuel Beckett, May B (1981) fait date dans la danse. Rompant avec le caractère savant du mouvement des danseurs, elle présente des corps vieillis et blanchis. Elle parodie le monde contemporain dans Babel Babel (1982), Ramdam (1995) et célèbre à l’Opéra de Paris de saisissantes Leçons de ténèbres (1987). Aimant à s’éloigner des canons esthétiques, elle conçoit un monde où l’opulence physique est joyeuse dans Grossland (1989). Les déformations physiques conçues par la décoratrice costumière Montserrat Casanova, avec qui elle forme un duo très créatif, s’observent également dans sa version de Cendrillon (1985). Avec sa compagnie, M. Marin demande parfois aux danseurs de produire rythmes et musique avec le corps (Waterzooï, 1993). Le duo d’Eden (1986) est une prouesse : portée par son partenaire, la danseuse ne touche presque jamais le sol. Grosse fugue (2001) est une interprétation de la musique de Beethoven. Depuis sa rencontre avec le musicien Denis Mariotte (Cortex, 1991), mue par la conviction que l’art revêt un rôle social, elle ancre son propos dans le réel, notamment en explorant le rire dans Ha ! Ha ! (2006) ou le De natura rerum dans Turba (2007). En 2014, elle met en scène Singspiele au Théâtre de la Cité Internationale.

Florence POUDRU

Avec BRICAGE C., Maguy Marin : photographies d’une chorégraphie May B, Paris, Armand Colin, 1993 ; avec MARIOTTE D., Ça quand même, Saint-Benoît-du-Sault, Tarabuste, 2004.

PROKHORIS S., Le Fil d’Ulysse, retour sur Maguy Marin, Dijon/Paris, Les Presses du réel, 2012.

MARIN, Mariana [BUCAREST 1956 - ID. 2003]

Poétesse roumaine.

Diplômée de la faculté de langue et littérature roumaines de l’Université de Bucarest (1980), Mariana Marin a travaillé comme professeure à Bucarest et comme bibliothécaire à la Bibliothèque centrale universitaire (1986-1988). Son premier livre, Un război d’o sută de ani (« une guerre de cent ans », 1981), fait entendre une des voix les plus originales de la poésie roumaine de cette époque. Solidaire de la « génération 80 », visant la conquête d’une nouvelle authenticité du discours lyrique, elle se penche sur les données concrètes du vécu. Sa révolte et son refus des conventions poétiques rappellent le non-conformisme des avant-gardes. Au discours moderniste, métaphorique par excellence, elle oppose le réalisme brutal de la vie. La poétesse sait que « le temps du poème haut et vertigineux est passé ». Dans le livre suivant, Aripa secretă (« l’aile secrète », 1986), elle écrit : « Le poème est un être démocratique./Un être moral :/Sa tête grandit/même sous les bottes en marche. » Ce livre gravement tronqué par la censure a pu voir le jour en mettant son discours sur le compte… d’Anne Frank et en le faisant figurer uniquement comme une protestation contre la guerre et le régime hitlérien. Centrée plutôt sur le fait concret et dépouillée de tout ornement extérieur, cette poésie dévoile néanmoins une structure complexe qui cultive la métaphore insolite, l’aphorisme, l’apologue et l’allusion culturelle. Dans Les Ateliers (1992), le personnage-sujet se définit comme un intellectuel marginalisé, réduit à la condition de spectateur impuissant face à un univers aliénant et hostile. Le mot « poète » évoque « une sorte d’arrêt à domicile » dans un « atelier » où écrivains et artistes se trouvent entassés, mais qui ressemble aussi à une « prison sainte » où l’on travaille « avec le bistouri, l’orgueil et l’humilité », à la recherche d’un « matin peut-être plus vrai ». Le jeu ironique intertextuel met en question les inerties des conventions littéraires qui font obstacle à l’expression directe et sincère de soi et du monde. La poésie de M. Marin se manifeste comme un cri d’indignation contre les « affaires ténébreuses de l’histoire », avec ses totalitarismes destructeurs, et comme un appel pathétique à la sauvegarde de l’existence et de la poésie authentiques face aux menaces des mécanismes aliénants de la société contemporaine. En 1999, elle publie Mutilarea artistului la tinereţe (« la mutilation du jeune artiste »). Un recueil de 2002 rassemble la quasi-totalité de son œuvre sous le titre Zestrea de aur (« la dot d’or »).

Ion POP

Au carrefour des grandes routes commerciales, Paris, Est-Samuel Tastet, 1990 ; Les Ateliers (Atelierele 1980-1984, 1990), Paris, Est-Samuel Tastet, 1992.

GRIGURCU G., Poezie română contemporană, vol. 1, Laşi, Convorbiri Literare, 2000 ; MINCU M., Poeticitate românească postbelică, Constanţa, Pontica, 2000 ; SIMION E., Sfidarea retoricii, Bucarest, Cartea Românească, 1985.

MARINELLI, Lucrezia [VENISE 1571 - ID. 1653]

Essayiste italienne.

C’est probablement son mariage tardif – à plus de 50 ans – qui permit à Lucrezia Marinelli de se consacrer à ses études dans la riche bibliothèque de son père, un médecin très cultivé, de formation aristotélicienne, qui avait rédigé plusieurs ouvrages sur les maladies des femmes. En 1600, L. Marinelli publiait La nobiltà e l’eccellenza delle donne co’difetti e mancamenti de gli uomini (« la noblesse et l’excellence des femmes avec les défauts et les lacunes des hommes »), un hommage à l’humaniste Cornelius Agrippa. Dans cet ouvrage, l’écrivaine se propose d’étudier les causes de l’infériorité féminine, tout en soulignant les capacités et les vertus des femmes, mais aussi en faisant appel à l’égale dignité de l’âme et du corps. Elle s’appuie surtout sur Aristote, dont l’influence est encore très forte dans de nombreux domaines culturels, pour qui la famille naturelle est une institution prioritaire dans la société, inaltérable et éternelle même dans les relations entre mari et femme, entre maître et serviteur : l’homme aurait une disposition naturelle à commander et la femme à obéir ; l’homme serait un être supérieur, la femme un être inférieur ; l’esclave serait dépourvu de facultés intellectuelles, la femme en posséderait, mais très faibles, l’enfant ne les aurait pas encore développées. Rejetant ces classifications, L. Marinelli soutient l’égalité des fonctions. Chez Platon, elle admire l’égalité de fonctions pour les deux sexes, telle qu’elle se trouve évoquée dans les Lois et dans la République : art militaire, activités sportives, fonctions de conseiller du roi. Elle se penche également sur le mythe des Amazones, convaincue que les arguments tirés de l’histoire peuvent aider à démonter les préjugés masculins. C’est grâce au recours au modèle supériorité/infériorité, propre au code d’expression de son époque, que L. Marinelli amorce l’analyse de l’infériorité féminine, son explication historique et la critique des conditions sociales. À partir de là, elle avance la première demande de changements et de réformes dans l’instruction.

Ginevra CONTI ODORISIO

CONTI ODORISIO G., Donna e Società nel Seicento, Lucrezia Marinelli e Arcangela Tarabotti, Rome, Bulzoni, 1979 ; COLLIN F., PISIER E., VARIKAS E., Les Femmes de Platon à Derrida, Paris, Plon, 2000.

MARINESCU, Angela (Basaraba-Angela MARCOVICI, dite) [ARAD 1941]

Poétesse roumaine.

Après des études de médecine à Cluj et de psychologie à l’Université de Bucarest, Angela Marinescu est psychologue dans un hôpital de Bucarest, puis assistante médicale. Elle est aussi rédactrice correspondante à la revue Vatra de Târgu Mureş. À partir de 1969, elle publie plusieurs recueils de poèmes et réunit ses réflexions et confessions dans Satul prin care mă plimbam rasă în cap (« le village à travers lequel je me promenais la tête rasée », 1996) et Jurnal scris în a treia parte a zilei (« journal écrit dans la troisième partie de la journée », 2003). Ses vers, qu’on peut qualifier de néo-expressionnistes, cultivent les manifestations exacerbées des états d’âme et traduisent la tension froide d’une sensibilité qui se prévaut du contrôle de la raison afin d’exciter ses révoltes et exaspérations « noires » et d’agir avec la précision d’un bistouri pour découper l’image la plus prégnante. À partir de Structura nopţii (« la structure de la nuit », 1979), ses textes dénotent l’aggravation de l’état de crise intérieure et l’accentuation des efforts pour discipliner aussi bien les ferveurs de la chair que celles de l’esprit. L’atmosphère lyrique s’assombrit et la poétesse construit avec « rigueur » et « détachement » son « masque tragique d’intellectuelle noire » dans un espace de « tensions concentrées », marquées par des « spasmes » et des « stridences ». Dominante, l’obsession de la mort se veut atténuée par l’excitation extrême des sens, par l’obstination avec laquelle le « je » lyrique oppose à l’agressivité du monde sa propre énergie, poussée paradoxalement vers les limites de l’autodestruction – réplique d’une vitalité qui refuse toute limite. De là les puissants accents tragiques, déplacés parfois vers le grotesque qui grossit et déforme les lignes du dessin. Dans des livres plus récents, tels Fugi postmoderne (« les fugues postmodernes », 2000) et Je mange mes vers (2003), la frénésie du vécu atteint des dimensions encore plus aiguës, suggérant un anti-esthétisme manifeste et l’option pour un lyrisme des expériences fortement individualisées, qui engagent d’une manière pathétique la propre biographie de l’écrivain. C’est pour cela que la poésie d’A. Marinescu a été ressentie comme très actuelle par la nouvelle génération « authenticiste » affirmée en Roumanie après 1989. Elle a été couronnée par le prix national Mihai-Eminescu.

Ion POP

Je mange mes vers (Îmi mănânc versurile, 2003), Paris, L’Oreille du loup, 2011.

MANOLESCU N., Istoria critică a literaturii române, Piteşti, Paralela 45, 2008 ; NEGOITESCU I., Scriitori contemporani, Cluj-Napoca, Dacia, 1994 ; POP I., Pagini transparente, Cluj-Napoca, Dacia, 1997.

MARINI, Giovanna [ROME 1937]

Chanteuse, compositrice et ethnomusicologue italienne.

G. Marini grandit dans une famille de musiciens, et étudie la guitare au conservatoire Sainte-Cécile, à Rome. Elle découvre le chant social et l’histoire orale chantée. Elle inventera plus tard un système de notation musicale, en collectant les « modes » urbains et ceux des campagnes. Elle rencontre Pasolini, Italo Calvino, Roberto Leydi. Après 1960, à travers les expériences du chant populaire lui vient le goût du théâtre. Spécialiste de la musique traditionnelle italienne, Giovanna Marini participe au travail du Nuovo Canzoniere Italiano, groupe de recherche fondé en 1962. En 1964, Bella Ciao, spectacle politico-social évoquant les situations italiennes brûlantes, provoque un scandale au Festival des Deux Mondes à Spolète. G. Marini y donne à entendre la voix du paria, la plainte des mendiants, de l’émigré, le lamento de la fille blessée, des ouvrières des rizières, les cris dans la prison, l’usine. Dès 1965, elle compose des ballades, qu’elle chante seule en s’accompagnant à la guitare, de Vi parlo dell’America à Eroe (1974). En 1974, elle fonde l’École populaire de musique du Testaccio à Rome, et, en 1975, crée son Quatuor Vocal, pour lequel elle écrit plusieurs « cantates », dont Correvano coi carri (1976), Sibemolle (1998) et La Cantate del secolo breve. Elle écrit plusieurs oratorios : La grande madre impazzita (« la mère géante devenue folle », 1979) ; Le Cadeau de l’Empereur (1983), avec fanfare, voix naturelles et percussions, commandé par la France ; La Déclaration des droits de l’homme (1989), pour le bicentenaire de la Révolution française. En 1985, elle compose un Requiem, en 1997, le Concerto per Leopardi et, en 2003, une musique pour le Woyzeck de Büchner, mis en scène par Giancarlo Cobelli. Ses liens avec la France sont très forts. Entre 1991 et 2000, G. Marini enseigne l’ethnomusicologie appliquée au chant de la tradition orale italienne à l’université Paris 8 Saint-Denis. Elle compose aussi des musiques de films pour Nanny Loy, Paolo Pietrangeli, Yervant Gianikian et Angela Ricci Lucchi. Pasolini l’inspire toujours : en 2005, elle met en musique Les Cendres de Gramsci, pour chœur et voix solistes, créé à Bologne par le chœur Arcanto. En 2006, auprès de l’acteur Umberto Orsini, guitare et voix accompagnent le texte anglais de La Ballade de la geôle de Reading, d’Oscar Wilde. Elle réalise aussi de nombreux enregistrements, dont le célèbre Sento il fischio del vapore (« j’entends la sirène du bateau »).

Martine CADIEU

MACCHIARELLA I., Giovanna Marini, Il canto necessario, Arles, Actes Sud, 2007 (livre-CD).

MARINI, Marcelle [1932 - PARIS 2007]

Critique française.

Normalienne, agrégée de lettres classiques, Marcelle Marini participe à la fondation de l’université Paris 7 où elle enseigne, jusqu’en 1992, la littérature et la psychanalyse. Dans ce contexte d’interdisciplinarité, son activité critique se consacre aux œuvres des écrivaines françaises du XXe siècle, et en particulier à celle de Marguerite Duras* (Territoires du féminin, 1977). Théoricienne, auteure du chapitre « La critique psychanalytique » de l’ouvrage Introduction aux méthodes critiques pour l’analyse littéraire (1996), elle présente dans son œuvre une démarche originale, éloignée de toute psychanalyse appliquée. Sa lecture, enrichie par son expérience de l’analyse, ne se contente pas de décrire, mais interroge les concepts analytiques, comme le montre le livre qu’elle consacre à Jacques Lacan (1986). C’est par l’exploration approfondie de la délicate question de l’écriture féminine, et plus largement par sa détermination à promouvoir un nouvel imaginaire de la différence des sexes, qu’elle met en évidence la force de son engagement féministe.

Florence DE CHALONGE

DUBY G., PERROT M. (dir.), Histoire des femmes en Occident, t. 5, Paris, Plon, 1997.

MARINI, Marilù [BUENOS AIRES 1945]

Actrice argentine.

De mère allemande et de père italien, Marilù Marini débute comme danseuse. Son premier rôle au théâtre est celui de Mère Ubu dans Ubu roi d’Alfred Jarry. À Buenos Aires, elle crée avec Alfredo Arias le groupe TSE. Ils s’installent à Paris où ils jouent Vingt-quatre heures (1975-1976). Dans Les Peines de cœur d’une chatte anglaise de Geneviève Serreau* (d’après Honoré de Balzac), elle remporte un immense succès en incarnant Beauty, la chatte blanche. La Femme assise, de Copi (d’après sa bande dessinée parue dans le Nouvel Observateur), vaut un triomphe à l’actrice, dont la personnalité mêle humour et poésie, soulignés par un accent délicieusement chantant. Toujours avec Arias, elle incarne Caliban dans La Tempête de Shakespeare ; la grand-mère fantasque de Mortadella ; la fameuse actrice argentine Nini Marshall* ; Solange dans Les Bonnes de Jean Genet. En 2003, elle joue Winnie dans Oh les beaux jours, de Samuel Beckett, dans la mise en scène d’Arthur Nauzyciel, et, en 2011, Le Récit de la servante Zerline, de Hermann Broch. En 2012, elle retrouve Les Bonnes, mais dans le rôle de Madame (mise en scène Jacques Vincey). En 2013, elle crée Ça va ? , la nouvelle pièce de Jean-Claude Grumberg.

Bruno VILLIEN

MARININA, Alexandra (Marina ANATOLIEVNA ALEXEÏEVA, dite) [LVOV, AUJ. LVIV, UKRAINE 1957]

Romancière russe.

Diplômée de la faculté de droit de l’Université d’État de Moscou en 1979, Alexandra Marinina est d’abord fonctionnaire de la milice, où elle travaille à la brigade criminelle, notamment pour étudier la personnalité de criminels déséquilibrés. Le premier roman signé Alexandra Marinina, Chestikryliï serafim (« le séraphin à six ailes », 1992), a été écrit à quatre mains avec son collègue Alexandre Gorkine et publié dans la revue Militsiia. Elle poursuit seule l’aventure avec ce pseudonyme, et écrit de 1992 à 1994 trois nouveaux romans dans lesquels elle crée le personnage d’Anastasia Kamenskaïa. Depuis le milieu des années 1990, ses romans sont d’immenses succès de librairie, tant en Russie qu’à l’étranger (vendus à plus de 35 millions d’exemplaires, ils sont traduits en 20 langues). Ils mettent en scène le Moscou des années 1990, l’apparition sur la scène socio-économique du grand banditisme, et s’intéressent aux changements dans la vie quotidienne et dans la langue intervenus après la perestroïka. Fonctionnaire de police, elle décrit avec minutie le travail et les méthodes d’investigation des enquêteurs. Le personnage de Kamenskaïa symbolise la jeune femme idéale de ces années, irréprochable, incorruptible, professionnellement très forte, mais payant son indépendance par une solitude amoureuse. Ses aventures ont été adaptées en deux séries télévisées en 1999 et en 2001. En 2009, elle abandonne le roman policier et publie un cycle romanesque, une saga familiale, qui lui permet d’évoquer les grandes ruptures de l’histoire soviétique et russe.

Marie DELACROIX

Le Cauchemar, Paris, Seuil, 1997 ; Celui qui sait, roman, Paris, Seuil, 2009.

MARINOF, Ewelyn [1975]

Acrobate et directrice de troupe roumaine.

Lorsqu’elle paraît en piste pour la première fois avec ses parents, Marian et Rodica Marinof, en tournée avec la troupe de sauteurs à la bascule des Cretzu, Ewelyn Marinof n’a pas 6 ans. Elle apprend très vite le métier et crée, à 20 ans, avec de jeunes artistes, une troupe à son nom, qui remporte un Clown d’or au 20e Festival international du cirque de Monte-Carlo. Ce prix, décerné en février 1996, récompense son énergie et les prouesses techniques présentées, dont le double saut périlleux de la voltigeuse avec une arrivée en cinquième hauteur. Exigeante, E. Marinof veille à tout, de la tenue de la troupe et du niveau technique et artistique du numéro, jusqu’à la conception des costumes.

Marika MAYMARD

RICHARD J., « XXe Festival de Monte-Carlo », in Le Cirque dans l’univers, no 180, 1996.

MARINOPOULOS, Sophie [PARIS 1958]

Psychologue et psychanalyste française.

Après avoir travaillé avec Serge Lebovici, Sophie Marinopoulos assiste aux consultations de nourrissons de Caroline Eliacheff*, lorsqu’elle prend la succession de Françoise Dolto* au Centre médico-psychologique d’enfants d’Issy-les-Moulineaux. Depuis 1985, elle dirige la consultation du Centre de planification et d’éducation familiale à l’hôpital mère-enfant du CHU de Nantes. Durant l’année 1992, elle effectue, avec son mari et ses quatre enfants, un voyage autour du monde, au cours duquel elle fait des recherches sur l’abandon d’enfant et l’adoption, qui resteront ses thèmes de prédilection. Elle fonde ensuite l’Association pour la prévention et la promotion de la santé psychique et en dirige le lieu d’accueil et d’écoute des familles (« Les pâtes au beurre », Nantes). Depuis 2002, elle est directrice générale de l’Adoption Filiation International Consulting Group, et reçoit, à Paris, des familles adoptantes et leurs enfants. Son livre, Dans l’intime des mères (2005), rend compte de son travail auprès des femmes qui font l’expérience, désirée ou non, de la grossesse et de la maternité. Elle est l’une des premières thérapeutes à militer pour faire reconnaître la réalité du « déni de grossesse » et à témoigner devant les tribunaux, expliquant comment un traumatisme psychique peut être à l’origine d’un « silence physique » de la grossesse. Elle poursuit sa recherche et publie en 2011, avec le Pr Israël Nisand, Elles accouchent et ne sont pas enceintes, Le déni de grossesse. Elle crée, en 2010, en association avec Actes Sud, la maison d’édition Les Liens qui libèrent, pour interroger la crise des représentations dans les sociétés occidentales.

COLLECTIF PSYCHANALYSE ET POLITIQUE

La Vie ordinaire d’une mère meurtrière, Paris, Fayard, 2008 ; avec NISAND I., LETOMBE B., Et si on parlait de sexe à nos ados, Paris, O. Jacob, 2012.

MARION, Frances (née OWENS) [SAN FRANCISCO 1888 - LOS ANGELES 1973]

Scénariste et écrivaine américaine.

Après une carrière de comédienne et de modèle, Frances Marion devient l’assistante de Lois Weber*. Elle commence à écrire des scénarios, et son talent est repéré par Mary Pickford* pour laquelle elle écrit nombre de films qui connaissent un grand succès, dont Une pauvre petite fille riche (The Poor Little Rich Girl, Maurice Tourneur, 1917). En 1918, elle met sa carrière entre parenthèses pour devenir correspondante de guerre en France, puis retrouve avec succès le chemin d’Hollywood. Auteure de 13 scénarios (notamment pour King Vidor, Frank Borzage, Victor Sjöström), elle ne connaît pas de temps mort dans sa carrière. Elle est la première femme à recevoir l’Oscar de la meilleure adaptation pour The Big House (George W. Hill, 1930) et celui de la meilleure histoire originale pour Le Champion (The Champ, K. Vidor, 1931). Au sommet de son art et de sa renommée, elle quitte pourtant Hollywood en 1946 pour écrire des pièces de théâtre et des romans.

Jennifer HAVE

MARIONNETTISTES [XIXe-XXIe siècle]

Les théâtres de marionnettes traditionnels, longtemps entre les mains des hommes, ont été soumis aux mêmes règles que le théâtre d’acteurs, et donc, dans certaines cultures ou à certaines époques, à l’interdiction faite aux femmes de monter sur scène. Les premiers spectacles de marionnettes dirigés par des femmes l’ont donc souvent été dans des cercles privés ou semi-privés, l’espace de la prise de parole publique (fût-elle médiatisée par la représentation théâtrale) leur étant refusé.

Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, en Europe où le développement de traditions nationales et régionales de la marionnette, destinées à un public populaire, repose très souvent sur une économie de type familial, chacun trouve à s’employer et les femmes jouent parfois un rôle-clé pour la bonne marche de l’entreprise (cousant les costumes, tenant la caisse et les comptes, faisant la parade, prêtant leurs voix et manipulant les marionnettes pour les rôles féminins), et, dans certains cas, pour la direction de l’établissement ou sa transmission. Ainsi, dans les dynasties de montreurs forains du nord de la France, les filles héritent souvent du théâtre ambulant de leurs parents.

Parallèlement, à l’intérieur des cercles littéraires et artistiques, des personnalités telles que George Sand* et Judith Gautier* contribuent à modifier le regard porté sur la marionnette. Elles sont suivies, pendant la première moitié du XXe siècle, par un grand nombre de femmes : certaines réalisent des poupées artistiques destinées à l’exposition plutôt qu’à la scène, telles Lotte Pritzel (1887-1952), Grietje Kots (1905-1993), Hannah Höch* (1889-1978) ; d’autres, pédagogues ou militantes, décident de se consacrer au théâtre de marionnettes, telles Maria Weryho-Radziwiłłowicz (1858-1944) ou Leonora Schpet ; d’autres encore, peintres ou scénographes, y voient un terrain propice à la réalisation complète d’un projet artistique, comme Natalia Gontcharova*, Sophie Taeuber-Arp*, Alexandra Exter*. Avec la danse, et bien avant le théâtre d’acteurs, le théâtre de marionnettes devient en quelques décennies le lieu où des femmes peuvent entièrement concevoir, réaliser un spectacle et s’affirmer pleinement comme metteurs en scène, dès les années 1910-1930, en Russie, en Europe centrale et au Canada, telles Ioulia Slonimskaia (1884-1957), Nina Simonowitch-Efimova*, Rosalynde Osborne (1888-1990) ; après la Seconde Guerre mondiale dans le reste du monde. Aujourd’hui encore, la proportion de femmes à la tête de compagnies et d’institutions du théâtre de marionnettes, sans atteindre celle des artistes chorégraphes, semble plus importante que dans le théâtre d’acteurs. Une autre spécificité de la marionnette est le nombre élevé de compagnies reposant sur un couple : on peut lire dans ce phénomène à la fois la marque d’une économie très fragile, construite sur la polyvalence et l’artisanat, et la trace de l’ancienne organisation familiale de cet art, proche encore sous bien des aspects de ses origines populaires.

La présence active des femmes dans le théâtre de marionnettes contemporain a plusieurs incidences. Tout au long du XXe siècle, le répertoire destiné au jeune public et, plus généralement, les missions pédagogiques ou éducatives prennent une importance croissante. Dans les pays communistes en particulier, on peut émettre l’hypothèse qu’un lien étroit s’est ainsi constitué entre trois évolutions parallèles : l’accès des femmes à des fonctions de responsabilité artistique, de direction administrative ou de politique culturelle dans le domaine de la marionnette ; l’institutionnalisation plus ou moins poussée de cet art ; la part grandissante des spectacles pour enfants. Les fonctions d’éveil du goût et de la sensibilité, de transmission des valeurs, d’apprentissage des conduites et de découverte de l’héritage culturel occupent dès lors une place de premier plan dans les productions, en lieu et place du comique, de l’héroïsme, du romanesque ou de l’insolence qui faisaient la force des spectacles traditionnels. Les femmes ont donc largement contribué à l’entrée du théâtre de marionnettes dans la modernité, mais cette évolution, au moins dans un premier temps, s’est accompagnée du recentrement autour d’un rôle féminin bien connu : celui d’éducatrice.

L’implication des femmes dans le domaine de la marionnette conduit, dans certains cas, à l’apparition de nouvelles thématiques. La marionnette peut par exemple être utilisée pour parler de la condition féminine dans des spectacles à vocation militante, mais peu de personnalités marquantes se sont durablement engagées dans cette voie. En revanche, depuis les années 1990, certaines créatrices ont recours aux marionnettes, aux masques et aux effigies théâtrales pour traiter de thématiques directement liées aux questions de l’identité féminine, du rapport au corps, de la sexualité et de l’enfantement notamment. Scènes d’accouchement dans les spectacles d’Ilka Schönbein*, images d’agression sexuelle, de naissance monstrueuse et de dévoration chez Nicole Mossoux*, fantasmes érotiques mis en scène chez Gisèle Vienne* : marionnettes, objets et mannequins sont, pour ces artistes, les instruments privilégiés d’une exploration scénique des zones les plus troubles ou les plus inquiètes de la conscience.

Didier PLASSARD

MARISALDI, Eva [BOLOGNE 1966]

Plasticienne italienne.

Eva Marisaldi appartient à une génération qui envisage l’art dans sa dimension de communication et conçoit l’œuvre comme le vecteur d’un dialogue entre l’artiste et le spectateur, qu’elle implique au travers de dispositifs ludiques ou intrigants. Portant en particulier sur le langage, son travail utilise la performance, l’installation, la vidéo, le dessin, la sculpture. Elle s’intéresse aussi beaucoup au son et collabore régulièrement avec son compagnon, le musicien et programmeur Enrico Serotti. Après des études à l’Accademia di belle arti de Bologne, elle attire l’attention de la critique italienne dès le début des années 1990, par son exploration des situations de communication problématiques : dans la performance Scatola di montaggio (« boîte de montage », 1991), l’artiste est enfermée dans une boîte et les visiteurs peuvent communiquer avec elle, sans qu’il y ait de contact visuel. Dans son exposition personnelle, Ragazza materiale (1993), on ne peut accéder qu’à la moitié de la galerie, séparée en deux par une cloison, et l’on doit se fier aux descriptions données par d’autres visiteurs pour se faire une idée de l’espace qui nous est interdit. Les Disegni persi (« dessins perdus », 1996) disent, quant à eux, la fragilité du signe : un dessin de limaille de fer se défait et se refait, prenant sans cesse de nouvelles formes sous les yeux du spectateur, mouvement rendu possible par un petit véhicule aimanté et téléguidé, invisible pour le public. Ses tapis ouvragés, réalisés dans les matériaux les plus divers depuis la fin des années 1990, définissent des territoires imaginaires. Si la recherche de la simplicité et d’une certaine évidence dans ses dispositifs inscrit sa pratique dans une tradition plutôt craft (« artisanale »), E. Marisaldi met parfois en œuvre des technologies récentes, comme pour ses robots animés. Reconnue dans son pays comme à l’étranger, elle a été invitée à la Biennale de Venise à deux reprises (1993 et 2001), ainsi qu’à la Biennale d’Istanbul en 1999, et à celle de Lyon en 2004. Par ailleurs, ses œuvres ont fait l’objet de nombreuses expositions personnelles.

Marie FRETIGNY

Avec ALIGHIERO & BOETTI, ANSELMO, ARIENTIet al., Pittura italiana (catalogue d’exposition), Milan, Charta, 1997 ; Tempesta (catalogue d’exposition), Paiano R., Volpato E. (textes), Turin, Hopefulmonster, 2002.

MARISCAL, Ana (Ana María RODRÍGUEZ ARROYO, dite) [MADRID 1923 - ID. 1995]

Actrice, productrice et réalisatrice espagnole.

Révélée par Raza (1942), film de propagande de José Luis Sáenz de Heredia d’après un scénario du général Franco lui-même, l’actrice Ana Mariscal est une star lorsqu’elle crée la société de production Bosco Films au début des années 1950. Parallèlement à sa carrière d’actrice, elle réalise dix longs-métrages entre 1953 et 1968. Segundo Lopez, aventurero urbano (« Segundo Lopez, aventurier urbain », 1953), son premier et plus célèbre film, dépeint la misère dans le Madrid de l’après-guerre dans un style proche du néoréalisme italien. Citons également Con la vida hicieron fuego (« de la vie, ils ont fait du feu », 1959), La quiniela (« la loterie », 1960), El camino (« le chemin », 1963) ou El paseíllo (« le paseíllo », 1968). Une filmographie aussi importante pour une réalisatrice est remarquable dans l’Espagne de l’époque et s’explique notamment par sa renommée d’actrice et par l’indépendance qu’elle a pu acquérir en produisant elle-même ses films. La carrière d’A. Mariscal doit aussi beaucoup au caractère conventionnel de son travail et au conservatisme des valeurs qu’elle y défend. Beaucoup d’historiens s’accordent à la classer parmi les cinéastes officiels du régime franquiste, mais d’autres ont tenté de réhabiliter son œuvre en soulignant sa dimension sociale. Au début des années 1970, elle se retire du cinéma pour créer une compagnie théâtrale qui sillonnera l’Amérique latine. Elle écrit également plusieurs romans. Définitivement rentrée en Espagne en 1992, elle reçoit la médaille d’or des arts avant de mourir à Madrid en 1995.

Marcos UZAL

FONSECA V., Ana Mariscal, una cineasta pionera, Madrid, Egeda, 2002.

MARISOL (Maria Sol ESCOBAR, dite) [PARIS 1930]

Sculptrice américano-vénézuélienne.

Fille d’une opulente famille vénézuélienne, Maria Sol Escobar connaît une enfance rythmée par les voyages et les agapes mondaines de ses parents. Sa formation artistique se fait de manière discontinue et éclectique, largement autodidacte : elle étudie aux Beaux-Arts de Paris en 1949, se fixe à New York en 1950 et y fréquente brièvement l’Art Students League puis, plus longuement (1951-1954), la Hans Hofmann School, située dans le Greenwich Village de la Beat Generation. L’expressionnisme abstrait, style dominant de l’Amérique de l’immédiat après-guerre, marque ses jeunes années. Pourtant, les racines de son œuvre sont à chercher chez son maître H. Hofmann et sa théorie de la couleur dite « push and pull » (des associations chromatiques se repoussant ou s’attirant). Mais la jeune femme préfère la sculpture à la peinture et, si elle choisit de colorer ses œuvres, c’est hors de tout héritage formel contemporain qu’elle travaille les matières, le bois en particulier, mais aussi, plus tard, le plâtre, les objets, ou encore l’électricité. Dès le début des années 1960, son style est fixé et sa réputation faite. En 1963, son rôle dans le film expérimental Kiss d’Andy Warhol, immortalise son appartenance au pop art. Dans les magazines, sa réputation de « Party Girl », ainsi que le seul nom de Marisol (« mer et soleil ») la placent au rang d’icône. Pourtant, bien que ses sujets au spectre large soient souvent extraits de cette actualité « triviale » qui a fait la fortune du pop art, les œuvres qu’elle expose, dès 1958, à la galerie Castelli à New York, puis à la fameuse Stable Gallery – suprême consécration et début de sa célébrité –, en 1962, et, plus tard et entre autres, à la Biennale de Venise, se démarquent d’autant plus de ce mouvement qu’elles possèdent une forte composante de satire sociale. Ses grands groupes de personnages aux formes simples et rigides associent les deux et les trois dimensions de manière inédite. Sur des blocs de bois brut, souvent rectangulaires, desquels elle n’extrait par exemple que les jambes et des têtes multifaces (Women and Dog, 1964), elle peint les différents points de vue (face, profils, dos) de ses figures. Seules échappent à cette plate frontalité qui rappelle la fixité des statues-colonnes de l’art médiéval et les totems de l’art amérindien tout autant que les théories de H. Hofmann, les têtes qui émergent, collées, peintes ou sculptées, parfois les mains, uniques signes d’expression de ces masques atones juxtaposés, côte à côte, dans une volontaire solitude. Ainsi arrachés au bloc, comme disséqués, ces éléments (mains, seins, têtes) mettent en avant des objets assemblés qui tiennent du ready made ou sont façonnés par l’artiste : une laisse, un sac, des photos, la tête naturalisée du chien de Women and Dog. La sculptrice peut aussi utiliser des prothèses de plâtre pour figurer les seins, très présents dans une œuvre qui passe au vitriol la société américaine des années 1960 : le statut de la femme et de la famille traditionnelle (The Family, 1962), la société de consommation, mais aussi les grands de ce monde et les stars, comme le fait A. Warhol que d’ailleurs elle portraiture (1962-1963). Dans les années 1970, elle restitue à la sculpture son antique fonction de célébration et rend hommage à ses maîtres d’art, et, dans les années 1980, à des personnalités importantes de l’histoire américaine. Quand elle ne représente pas un personnage particulier, le président Charles de Gaulle (1967), Louise Nevelson*, John Wayne, Mark Twain ou la reine Élisabeth, l’artiste prend pour modèle sa propre effigie et multiplie son image dans de singuliers autoportraits. Elle dîne théâtralement avec elle-même (Dinner Date, 1963), s’épouse (The Wedding, 1962-1963), passe ses soirées avec 14 de ses doubles (The Party, 1965-1966). Elle représente son visage peint sur les corps de sinueux poissons (la série des Fish) qu’elle fabrique dans les années 1970. En 1982, une spectaculaire Cène (Last Supper, 1982) la montre assise, contemplant le Christ de pierre et ses apôtres de bois. Ses sculptures recomposent l’image assez complète et étonnante d’une société aujourd’hui datée.

Anne LEPOITTEVIN

Magical Mixtures : Marisol Portrait Sculpture (catalogue d’exposition), Grove N. (dir.), Washington, Smithsonian Inst. Press, 1991.

Kuspit D. B., « Two versions of Marisol, overlapping and underlapping », in Art Criticism, 2001, no 16 ; PACINI M., « Tracking Marisol in the fifties and the sixties », in Archives of American Art Journal, 2007, no 46.

MARITAIN, Raïssa (née OUMANÇOFF) [ROSTOV-SUR-LE-DON 1883 - PARIS 1960]

Poétesse et essayiste française.

Née en Ukraine, Raïssa Maritain arrive en France pour suivre des études de philosophie à la Sorbonne. Elle rencontre Jacques Maritain, lui-même philosophe, qu’elle épouse en 1904. Juive, elle se convertit au catholicisme en 1906. Le couple inaugure alors une œuvre de réflexion morale et théologique dont leurs destins sont inséparables. Dévouée à Dieu et à la religion catholique, marquée par la lecture de saint Thomas d’Aquin, l’écrivaine élabore un travail qui obéit à une double direction : d’une part, elle écrit des ouvrages de réflexion sur la foi et la puissance divine comme Notes sur le Pater (1962) ; d’autre part, elle est l’auteure d’une œuvre poétique qui se veut chant perpétuel, accompagnant la venue de Dieu parmi les hommes. Dans La Vie donnée (1935) et Lettres de nuit (1939), une poésie, construite sur les cantiques et les prières répétées, part à la conquête du divin contre tous les doutes. Son abondant Journal (1963) met en œuvre une foi éprouvée dans les difficultés du quotidien.

Johan FAERBER

Avec MARITAIN J., De La vie d’oraison, Paris, L’Art catholique, 1925 ; Les Grandes Amitiés, Paris, Desclée de Brouwer, 1941 ; Poèmes et essais, Paris, Desclée de Brouwer, 1968.

MARIZA (Marisa DOS REIS NUNES) [MAPUTO 1973]

Chanteuse portugaise.

Métisse – sa grand-mère est noire et africaine – Mariza rejoint à l’âge de 10 ans le quartier populaire de Mouraria, à Lisbonne, un des lieux historiques du fado des petites gens. Des origines lointaines et des racines dans la tradition : ce sont là, peut-être, la force et la source de cette fadista découverte au lendemain de la disparition d’Amália Rodrigues*, qui régnait sans partage sur ce genre musical. Mariza publie son premier disque aux Pays-Bas, Fado en mim, et reçoit un accueil triomphal aux États-Unis, puis dans le reste du monde. L’adoubement du public portugais ne vient qu’avec le deuxième album, Fado curva (« fado sinueux »). Il fallait d’abord accepter un « après-Amália » et ce visage hors des canons esthétiques du fado traditionnel avec sa coiffure platine et afro. Aujourd’hui, Mariza est la fadista la plus connue internationalement après Amália, symbole d’un genre musical renouvelé, musicalement métissé. Elle a chanté en duo avec Sting, a participé au projet Africa Calling avec les artistes Youssou N’Dour, Peter Gabriel et Angélique Kidjo (2005), et est en prise avec le marché international des musiques du monde.

Thierry SARTORETTI

Fadoemmim, World Connection, 2000 ; Fadocurvo, World Connection, 2003 ; Concerto em Lisboa, Virgin, 2006 ; Terra, Virgin, 2008 ; Fadotradicional, EMI, 2011.

MARK, Anna (née Anna MÁRKUS) [BUDAPEST 1928]

Peintre et dessinatrice hongroise.

Après ses années d’apprentissage avec Róbert Berény, Anna Mark travaille, de 1950 à 1956, comme dessinatrice au théâtre des Marionnettes de Budapest. Installée en Allemagne entre 1956 et 1959, elle vit ensuite à Paris. Les œuvres les plus remarquables de l’artiste se caractérisent par l’utilisation de formes géométriques, offrant une synthèse entre constructivisme et abstraction lyrique. À partir de la fin des années 1970, elle commence à élargir les frontières de son expression picturale (sérigraphies, gouaches) à travers des séries de reliefs. La fragmentation et les effets de réfraction de la lumière l’intéressent depuis les années 1980. C’est à la même époque qu’elle commence également à publier des livres théoriques : Concerto (1980) ; Genèse (1983) ; Petit Glossaire (1983), avec Kamill Major ; Heraklit Fragmente (1984) ; Un dessin pour chaque mois (1995). Chaque jour, depuis le début de sa carrière, elle dessine sur les pages de son journal. Elle crée des reliefs souvent monochromes en utilisant de la poudre de marbre, de sable et de résine artificielle, où elle accentue la présence de l’ombre. Bon nombre de ses œuvres sont présentes dans l’espace public : Alfombra (Mobilier-National, Paris 1973) ; Décoration (collèges Raspail, Rosny-sous-Bois 1978 et Paul-Langevin, Saint-Ouen 1978) ; au ministère de la Culture du Land de Basse-Saxe (Hanovre 1981, 1987).

Judit FALUDY

CZIFKA P., Márk Anna festészete, bulletin du musée hongrois des Beaux-Arts, 1984 ; GRAZIANI A., Anna Mark (catalogue d’exposition), Paris, Clivages, 1995.

CONLAN B., Anna Mark, in Pictures on Exhibit, vol. 28. no 3, déc. 1964 ; FAUCHER M., « Anna Mark », in Cimaise, no 217, avril-mai 1992.

MARK, Haykanouch (ou HAYGANUŞ) [CONSTANTINOPLE, AUJ. ISTANBUL 1885 - ID. 1966]

Écrivaine et journaliste turque d’expression arménienne.

Figure marquante du féminisme arménien en Turquie au XXe siècle, Haykanouch Mark hérite de sa mère, une femme énergique et sans instruction, le volontarisme et l’éducation, et de Markar, son père aveugle, le nom et l’imagination. Elle étudie au collège de filles Essayan et acquiert la maîtrise de l’arménien classique et moderne auprès de l’arménologue Hagop Kourkèn. Très jeune, elle enseigne l’arménien dans l’orphelinat de l’hôpital national Saint-Sauveur (1901) et publie dans la presse arménienne des poèmes et une nouvelle qui lui rapporte un prix littéraire (1903). Son féminisme et son engagement précoces, son esprit clair et ses connaissances linguistiques l’amènent à gérer le secrétariat de multiples associations féminines arméniennes. Elle fonde et dirige avec le journaliste Vahan Tochikian, son futur époux, Tzarik (« fleur », 1905-1907), un hebdomadaire « uniquement destiné aux femmes ». Elle suit son mari à Smyrne où il va diriger les journaux arméniens Archalouys (« aurore ») et Artzakank (« écho », 1907-1909). Dans cette ville cosmopolite plus moderne que Constantinople, outre de riches commerçants et industriels, la petite communauté arménienne du Haynotz inclut des écrivains, des traducteurs, des femmes cultivées, enseignantes du collège Hrpsimian (Takouhi Khandjian, V. Spartal, Melkouhi Navassartian, spécialiste de travaux d’aiguille et de broderie). H. Mark collabore avec la presse smyrniote et se singularise par ses idées avancées sur le statut des femmes et par sa campagne en faveur des animaux et contre le sacrifice du mouton. Après l’ivresse de la révolution jeune-turque (1908), le couple revient à Constantinople où la journaliste publie régulièrement dans la presse arménienne (Louyss ; Manzoumé ; Burakn ; Jamanak ; Chante ; Almanach Téodik). Peu après l’armistice de 1918, elle fonde le mensuel Hay Guine (« femme arménienne », 1919), un pari audacieux quatre ans seulement après la tragédie de 1915. Jusqu’à son interdiction en 1932, elle se consacre corps et âme à la revue dont elle veut faire la « citadelle éveillée des causes féminines ». Hay Guine qui dénonce les violences faites aux femmes privées de droits, et lutte pour leur émancipation et leur éducation, suscite des échos dans toutes les colonies de la diaspora arménienne et même dans la presse turque. Citoyenne et minoritaire dans la Turquie kémaliste, l’écrivaine élude la question politique, mais pose la question des rapports hommes/femmes dans le mariage et hors mariage ; elle exhorte la femme à se libérer de « l’esclavage », à « rompre le silence », à s’instruire, à être « moderne » sans sombrer dans l’extravagance, à « bien parler », à avoir de la « tenue » et de la « fierté ». Soucieuse de présenter « la vie réelle de la femme » au quotidien, elle fait l’éloge de l’économie domestique et la convainc de tenir « l’aiguille, la louche et la plume » sans négliger la culture des fleurs. En 1921, elle publie Tzoulouitian bahérèss (« de mes instants de paresse »), un recueil d’aphorismes poétiques. Elle collabore au journal Nor Lour (« nouvelle récente »), créé par son mari en 1936, anime dans le quotidien Jamanak la rubrique Lettres à mon ami (1944), et établit des liens avec l’Arménie soviétique via l’Église arménienne et le patriarcat d’Istanbul. En 1954, son jubilé à Istanbul donne lieu à l’édition d’un ouvrage de 350 pages qui rassemble ses souvenirs du collège Essayan, une étude sur Sybille*, des nouvelles, des poèmes, une série d’articles intitulée Our kerta… ? (« où va… ? ») et une précieuse bibliographie. Celle qui a servi avec dévouement la femme et la presse arméniennes s’éteint dans une quasi-solitude à Istanbul en 1966.

Anahide TER-MINASSIAN

Yerkèr, Istanbul, [s. n.], 1954.

ABRAHAMIAN G., Jamanakakits istanbulhay kroghnère, Antilias, Catholicossat de Cilicie, 2004 ; AZARIAN T., Hamaynabadkèr hanrabédagan chertchani istanbulhay kraganoutian, Istanbul, Association des élèves de l’école Aramian, 1957 ; HADDEDJIAN R., Bdouyd hay kraganoutian koulisnéroun métch, Istanbul, [s. n.], 2007.

MARKARIAN, Maro [CHOULAVER, GÉORGIE 1915 - EREVAN 1999]

Poétesse arménienne.

Maro Markarian mène des études secondaires dans sa ville natale, passe une année à l’Académie des beaux-arts de Tiflis, puis est admise à la faculté de philologie d’Erevan, dont elle sort diplômée en 1938. Son entrée dans le monde littéraire coïncide avec les purges staliniennes et la Seconde Guerre mondiale. Elle publie en 1940 son premier recueil de poésie, Medérmoutioun (« intimité »), suivi de Banassdértsoutiunnèr (« poèmes », 1945), titre sobre qu’elle reprend pour son dernier ouvrage en 1985. Elle fait paraître successivement More tzaïne (« la voix de la mère », 1950), Pchadéni (« argousier », 1954), Lirikagan loussabatz (« aube lyrique », 1957). Chantre lyrique de l’intime, de la famille, de la nostalgie, du village et de l’Arménie, sa voix se libère dans les années 1960. En 1968, elle fait partie des instances dirigeantes du Comité des relations culturelles avec la diaspora, une fonction qui lui permet de nouer des contacts chaleureux avec les intellectuels et les poètes arméniens exilés. En 1983, elle reçoit une haute distinction en Arménie soviétique. Sa poésie a fait l’objet de nombreuses traductions dans les langues de l’URSS mais aussi en français, en anglais et en polonais. Elle est inhumée aux côtés de son frère, Benyamin Markarian, un astrophysicien réputé, dans le cimetière du célèbre observatoire arménien de Buragan.

Anahide TER-MINASSIAN

Banassdértsoutiunnèr, Erevan, Éd. d’État, 1985.

HAMPARTZOUMIAN N., Maro Markariani knaryérkoutioune, Erevan, Éd. d’État, 2003.

MARKETAKI, Tonia [ATHÈNES 1942 - ID. 1994]

Réalisatrice et scénariste grecque.

Tonia Marketaki est considérée comme l’une des réalisatrices les plus importantes du Nouveau Cinéma grec. Étudiante à l’Idhec en même temps que son compatriote Theo Angelopoulos, elle travaille quelques années comme critique (1963-1967) avant de tourner en 1967 son premier court-métrage O Giannis ki’o dromos (« Jean et la route »). Emprisonnée, elle doit ensuite s’exiler. Ioannis o Viaios (« Johan le violent », 1973), son premier long-métrage, a reçu trois prix au Festival international de films de Thessalonique et une ovation critique au Festival de Berlin. Elle réalise ensuite une série télévisée, To lemonodasos (« le bois de citronnier », 1978) puis, en 1983, le long-métrage I timi tis agapis (« le prix de l’amour ») également primé par sept récompenses nationales. Avant sa mort soudaine en 1994, elle a tourné Krystallines nyhtes (« les nuits de cristal », 1992), lui aussi récompensé et sélectionné dans la section « Un certain regard » du Festival de Cannes. Inspirée par la littérature grecque moderne, T. Marketaki oscille entre réalisme et poésie tout au long de sa carrière de cinéaste, mais aussi de traductrice et d’auteure de prose et de poésie. Elle a par ailleurs travaillé comme productrice à la radio et assistante du P-DG. de la télévision nationale.

Brigitte ROLLET

DÉMOPOULOS M. (dir.), Le Cinéma grec, Paris, Centre Georges Pompidou, 1995.

MARKHEL, Tatiana RYGORAVNA [1939]

Actrice biélorussienne.

Diplômée de l’Institut biélorussien du théâtre et des arts en 1963, Tatiana Rygoravna Markhel commence sa carrière dans les théâtres de Grodno et de Moguilev, avant d’intégrer la troupe du second théâtre d’État biélorussien Iakoub-Kolas de Vitebsk, puis le théâtre-studio des acteurs de cinéma de Minsk, en 1987. Forte du titre d’artiste émérite de Biélorussie (1984), elle devient l’une des principales actrices du théâtre La Scène libre de Minsk, fondé en 1990 par le metteur en scène Valery Mazynski. Elle excelle alors dans les rôles du répertoire biélorussianophone, dont elle maîtrise la langue et la musicalité, associant à ses compositions une voix unique, capable de rendre les plus beaux chants du pays. Mais c’est en jouant le rôle tragique et muet d’Ingrid, cantatrice ayant perdu sa voix dans « Les Femmes de Bergman », du jeune Nikolaï Roudkovski, qu’elle révèle à l’ancien théâtre Scène libre, rebaptisé Théâtre républicain de la dramaturgie biélorussienne en 2001 et dirigé par Valery Anisenka, toute la profondeur et la mesure de son talent. Pour les critiques de son pays, elle symbolise « l’essence même du caractère national ».

Virginie SYMANIEC

MARKIEVICZ, Constance [LONDRES 1868 - DUBLIN 1927]

Féministe et femme politique irlandaise.

Constance Markievicz est la fille de lady Georgina Gore-Booth Hill et de sir Henry Gore-Booth, philanthrope, explorateur et grand propriétaire terrien dans le nord-ouest de l’Irlande. Elle connaît une jeunesse privilégiée. Elle effectue en 1886 un grand tour du continent européen, à la mode du XVIIIe siècle, avant d’aller étudier en 1893 à la prestigieuse Slade School of Art de Londres. Elle est présentée l’année suivante à la reine Victoria (1819-1901). À Paris, où elle approfondit ses études artistiques, elle fait la connaissance du comte Casimir Dunin-Markievicz (1874-1932), veuf polonais. Ils se marient à Londres en 1900. Leur fille, née en 1901, est bientôt confiée à lady Gore-Booth. À Dublin, les Markievicz se mêlent activement aux cercles de la renaissance littéraire et artistique. Mais c’est vers un nationalisme plus politique que culturel que s’oriente Constance. En 1908 elle adhère à Inghinidhe na hÉireann (« filles d’Irlande »), mouvement créé par Maud Gonne*, et participe à la fondation du premier journal nationaliste féminin, Bean na hÉireann (« femmes d’Irlande »), dans lequel elle publiera abondamment. Quelques années auparavant elle avait déjà milité à Londres en faveur du droit de vote des femmes auprès de la National Union of Women’s Suffrage Societies (NUWSS). Elle n’abandonnera jamais cette cause, mais, en cette même année 1908, elle rejoint le Sinn Féin. Ce parti, créé en 1905 par l’absorption de groupes nationalistes de fondation antérieure, attire un mélange hétérogène de partisans de l’action armée, de membres du parti nationaliste favorables à une action politique, de pacifistes et de féministes. En 1909, C. Markievicz fonde Na Fianna Éireann, mouvement de jeunesse pour la promotion de la langue irlandaise et l’indépendance du pays. En 1911, devenue membre exécutif du Sinn Féin et d’Inghinidhe na hÉireann, elle est arrêtée pour avoir manifesté contre la visite officielle du roi George V à Dublin. Elle se rapproche graduellement du socialisme et du syndicalisme révolutionnaire et apporte son soutien en 1913 aux ouvriers de Dublin en grève générale. Elle contribue à la formation de la milice ouvrière de l’Irish Citizen Army, avec laquelle elle prend part, comme commandante de la brigade féminine, à une rébellion contre l’administration britannique. Condamnée à mort, elle voit d’abord sa peine commuée en bagne à vie, en raison de son sexe, puis bénéficie d’une amnistie générale en juin 1917. À sa libération, elle se convertit au catholicisme. Emprisonnée à nouveau en 1918 pour sa participation à un complot supposé avec l’Allemagne, elle se porte candidate aux législatives de décembre et devient la première femme élue à la Chambre des communes. Elle n’y siégera pas, tous les députés du Sinn Féin refusant de jurer allégeance au souverain britannique. Libérée, elle devient ministre du Travail du premier Parlement nationaliste irlandais. Arrêtée encore en 1919 et 1920, elle bénéficie d’une nouvelle amnistie qui accompagne la signature en 1921 du traité anglo-irlandais qui met fin à la guerre et définit les limites de l’État libre d’Irlande, devenu la République d’Irlande. En 1923, C. Markievicz siège au Parlement de cet État libre. Trois ans plus tard, elle adhère au Fianna Fáil d’Eamon de Valera (1882-1975), grande figure républicaine en rupture avec le Sinn Féin. Le poète W. B. Yeats a consacré en 1927 un poème à sa mémoire et à celle de sa sœur, Eva Gore-Booth*, militante du suffrage féminin.

Antoine MIOCHE

HAVERTY A., Constance Markievicz. An Independent Life, Londres, Pandora, 1988 ; JOANNON P., Le Rêve irlandais. Thèmes et figures du nationalisme irlandais, La Gacilly, Artus, 1988 ; ID., Histoire de l’Irlande et des Irlandais, Perrin, Paris, 2006 ; NORMAN D., Terrible Beauty. A Life of Constance Markievicz, Londres, Hodder & Stoughton, 1987.

MARKIEWICZ-LAGNEAU, Janina [BORSUK, POLOGNE 1938 - PARIS 1987]

Sociologue française.

L’ouvrage de Janina Markiewicz-Lagneau, Éducation, égalité et socialisme (1969), traduit en espagnol, en allemand, en portugais et en italien, constitue la première grande synthèse sur les systèmes de stratification sociale et sur les inégalités d’accès aux diplômes en Europe de l’Est. Formée à la sociologie à l’université de Varsovie, elle joue un rôle de passeuse entre les sociologies française et polonaise. Avec le concours de l’Académie des sciences, elle organise en Pologne des enquêtes sur la fréquentation des musées qui s’inscrivent dans la préparation de l’ouvrage dirigé par Pierre Bourdieu et Alain Darbel, L’Amour de l’art, les musées et leur public (1966). Elle soutient une thèse d’État en 1978, puis exerce successivement comme professeure à l’université Bordeaux 2 et à l’université Paris 5-René Descartes. Publiée en 1982, sa thèse est consacrée à l’histoire de la sociologie polonaise ; elle y entrecroise l’étude des bouleversements qu’a connus la société, l’analyse des institutions académiques et les biographies des grandes figures qui ont illustré la sociologie polonaise et leurs influences intellectuelles.

Alain CHENU

La Formation d’une pensée sociologique, la société polonaise de l’entre-deux-guerres, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1982.

BOUDON R., « In memoriam, Janina Lagneau-Markiewicz, 1938-1987 », in Revue française de sociologie, vol. 23, no 2, 1987.

MARKOVA, Alicia (Lillian Alicia MARKS, dite) [LONDRES 1910 - BATH 2004]

Danseuse, professeure et directrice de compagnie britannique.

Menue et gracieuse, Alicia Markova débute à l’âge de 10 ans dans une pantomime et devient l’élève de Serafina Astafieva, puis d’Enrico Cecchetti et Nicolas Legat. À 14 ans, elle est engagée aux Ballets russes de Diaghilev, crée le rôle-titre du Chant du rossignol (Balanchine, 1925) et ne cesse de développer une énergie et une technique d’acier sous une apparente fragilité. Après le décès de Diaghilev, elle devient une figure majeure dans l’essor du ballet britannique, simultanément ballerine du Ballet Club et du Vic-Wells Ballet, puis de l’American Ballet. Elle inspire à la fois Frederick Ashton qui conçoit pour elle les rôles principaux de La Péri, Façade (1931), Les Rendez-vous, Les Masques (1933) ; et Ninette De Valois* qui lui confie des rôles de caractère dans Bar aux Folies-Bergère (1934) et The Rake’s Progress (1935). Cette dernière demande aussi à Nicolas Sergueïev de reprendre les classiques Giselle, Casse-Noisette, Lac des cygnes pour mettre la danseuse en valeur. En 1935, A. Markova s’associe avec Anton Dolin pour fonder le Markova-Dolin Ballet (1935-1937). Tous deux créeront en 1950 une nouvelle compagnie nommée le Festival Ballet. La danseuse fait partie des Ballets russes de Monte-Carlo (1938-1941), de l’American Ballet Theatre (1941-1945), puis est invitée par nombre de grandes compagnies internationales avant de faire ses adieux à la scène en 1963. Éclectique, elle présente aussi un programme de danses de l’Inde avec Ram Gopal. Essentiellement associée au répertoire classique et romantique, exquise Taglioni du Pas de quatre (Dolin, 1941), la danseuse se révèle aussi coquette ou dramatique dans des créations de Michel Fokine, Antony Tudor (Roméo et Juliette, 1943), Léonide Massine (VIIe Symphonie, 1938 ; Aleko, 1942), Bronislava Nijinska*, George Balanchine, John Taras, Ruth Page*. Après sa retraite, elle donne des master-classes et fait travailler des solistes, tout en s’associant à la reprise des ballets qu’elle a interprétés. Elle assure également les responsabilités de directrice de ballet au Metropolitan Opera de New York (1963-1969), governor du Royal Ballet à partir de 1973, et présidente du London Festival Ballet, devenu English National Ballet en 1986.

Jane PRITCHARD

DOLIN A., Alicia Markova : Her Life and Art, Londres, W. H. Allen, 1953.

MARKOVIĆ, Danica AČAK, SERBIE 1879 - BELGRADE 1932]

Poétesse serbe.

Poétesse la plus connue de l’époque serbe dite « moderne », Danica Marković doit la vie à sa poésie. Condamnée à mort après l’insurrection contre les forces d’occupation bulgares à Toplica, en 1917, elle est amnistiée grâce au poète bulgare Ivan Vazov. Son premier poème avait été publié en 1900 dans la revue Zvezda (« étoile »), et son premier recueil, Trenuci (« instants », 1904), avait été bien accueilli par des critiques comme Jovan Skerlić et Antun Gustav Matoš. Elle est la seule femme à figurer dans l’« anthologie de la nouvelle poésie lyrique serbe » de Bogdan Popović. Plus tard, la poétesse tombera dans l’oubli. En 1919, elle participe au Grupa umetnika, « groupe d’artistes », un projet créé par quelques-uns des plus éminents écrivains serbes du XXe siècle. Son deuxième recueil, Trenuci i raspoloženja (« instants et humeurs »), est élu meilleur livre de l’année 1928. Première femme lauréate du prix de l’Académie royale des sciences de Serbie, elle écrit une poésie lyrique intimiste. Dans ses poèmes d’amour, le point de gravité se déplace ; elle glisse d’une attitude sentimentale vers l’expression dénudée et franche d’une voix féminine, passe d’une douleur sensuelle à l’attitude dominante d’une femme qui s’apitoie sur l’homme. Première poétesse à introduire le motif de l’homme aimé, disparu dans la poésie serbe, elle écrit également de la poésie patriotique. La philosophe Ksenija Atanasijević* la range parmi les auteurs les plus importants de son pays, à l’instar de Jovan Dučić et de Milan Rakić. J. Skerlić souligne sa capacité à s’affranchir des conventions et à « aller au bout de la confession lyrique ». Il la compare notamment à Marceline Desbordes-Valmore* et la considère comme « la meilleure poétesse de la littérature serbe ». D. Marković publie sa première nouvelle en 1902, mais ses œuvres en prose resteront longtemps méconnues. Le recueil de ses récits, Kupačica i zmija (« la nageuse et le serpent ») ne sera publié qu’en 2003. Dans ses nouvelles, elle se tourne vers le fantastique folklorique et les traditions populaires, mais utilise aussi des procédés techniques plus modernes et des thèmes liés à la vie urbaine contemporaine. À la fin de sa vie, elle écrit un roman qui se déroule à Belgrade et qui raconte un drame basé sur les rapports entre les générations de femmes d’avant et d’après la Grande Guerre. Ses manuscrits ont été détruits pendant les bombardements de Belgrade, lors de la Seconde Guerre mondiale.

Aleksandar JERKOV

PEKOVIĆ S. (dir.), Trenuci Danice Marković, Belgrade/Čačak, Institut za književnost i umetnost, 2007 ; SKERLIĆ J., Istorija nove srpske književnosti, Belgrade, Izdanje knjižare G. Kona, 1921.

MARKOVYTCH, Maria VOIR VOVTCHOK, Marko

MARKS, Lillian Alicia VOIR MARKOVA, Alicia

MARKS AYRTON, Hertha [PORTSEA, HAMPSHIRE 1854 - SUSSEX 1923]

Physicienne britannique.

Orpheline de père à l’âge de 7 ans, Hertha Marks est élevée chez son oncle et sa tante maternels, directeurs d’une école à Londres. Son professeur de mathématiques, Eliza Orne, obtient le soutien financier de Helen Taylor* et Barbara Bodichon* pour son entrée en 1876 au Girton College, fondé par des féministes britanniques. Son examen d’entrée, qui dépend de l’université de Cambridge, la distingue en anglais et mathématiques. À cette époque, les femmes ne peuvent prétendre aux diplômes universitaires ; elle obtient néanmoins un baccalauréat en sciences et un « Mathematical Tripos » en 1880. En 1884, elle invente et fait breveter un instrument de mesure qui permet de diviser des droites en parts égales, application utile aux artistes, aux architectes et aux ingénieurs. Cette réussite l’encourage à poursuivre une carrière scientifique. Toujours soutenue par B. Bodichon, elle intègre le Finsbury Technical College pour y suivre des cours d’électricité. Un an après, elle épouse son professeur, l’ingénieur William Ayrton. H. Ayrton collabore aux recherches de son mari mais développe ses propres programmes. À l’époque, les lampes à arc, utilisées pour l’éclairage public, ne donnent pas satisfaction. Instabilité et sifflements constants en sont les problèmes majeurs. Elle travaille donc sur l’arc électrique et les relations entre la longueur de l’arc, l’intensité du courant, la puissance fournie et le potentiel. Elle constate que l’arc électrique le plus efficace est obtenu entre deux pointes de carbone les plus fines et les plus proches – elle publiera en 1902 un livre qui fait référence en la matière. Elle s’intéresse également à l’hydrodynamisme, et sa théorie des ripple marks (rides du sable) lui vaut d’être la première femme à pouvoir présenter elle-même ses travaux devant l’éminente assemblée de la Royal Society.

Nathalie COUPEZ

GRINSTEIN L. S., ROSE RK., RAFAILOVICH M. H. (dir.), Women in Chemistry and Physics, Westport (CT), Greenwood Press, 1993.

TATTERSALL J., MCMURRAN S., « Hertha Ayrton : A persistent expérimenter », in Journal of Women’s History, vol. 7, no 2, été 1995.

MARLY, Anna (Anna BETOULINSKY, dite) [SAINT-PÉTERSBOURG 1917 - PALMER, ALASKA 2006]

Chanteuse, guitariste et compositrice française.

Le père d’Anna Betoulinsky meurt pendant la révolution russe. Après un parcours en Europe, elle arrive à Londres en 1941. Elle s’engage dans les Forces françaises libres et participe notamment au Théâtre aux armées. Surnommée « le barde des Alliés », elle chante, s’accompagne à la guitare et compose le Chant des partisans, d’abord sur des paroles russes qui laissent ensuite place au texte poétique de Maurice Druon et Joseph Kessel. A. Marly, qui est aussi auteure de plusieurs centaines de chansons, a été nommée chevalier de la Légion d’honneur en 1985.

Pierrette GERMAIN

MARNIER-LAPOSTOLLE, Alexandra [PARIS 1957]

Chef d’entreprises viticoles française.

Arrière-petite-fille d’Alexandre Marnier-Lapostolle, créateur de la célèbre liqueur Grand Marnier, Alexandra Marnier-Lapostolle se révèle la digne héritière d’une famille par ailleurs bien implantée dans le monde du vin depuis plusieurs générations. Après des études d’économie à Paris, A. Marnier-Lapostolle se marie avec Cyril de Bournet et le couple s’installe à Genève. Passionnée depuis sa jeunesse par le monde du vin et des spiritueux, elle rejoint les entreprises familiales, entamant ainsi un parcours professionnel qui l’amènera à sillonner la planète. Sa carrière prend un tournant décisif en 1994, lorsqu’elle décide de créer sa propre société, une exploitation vinicole au Chili. C’est ainsi qu’en véritable pionnière, A. Marnier-Lapostolle – curieuse de constater l’évolution des cépages français sous le climat sud-américain – crée, sur 380 hectares, le Clos Apalta, les vins Lapostolle et, avec eux, de nombreuses cuvées prestigieuses distribuées dans plus de 60 pays et saluées par tous les connaisseurs. Depuis 2007, A. Marnier-Lapostolle est présidente d’une filiale basée à New York et s’occupe plus particulièrement du marketing de Grand Marnier, Lapostolle et Château de Sancerre sur le continent nord-américain. Elle assure la vice-présidence du groupe Marnier-Lapostolle depuis 2008 et continue à recevoir des récompenses. Ainsi, le millésime 2005 de Clos Apalta a été classé, en 2008, à la très convoitée première place des meilleurs vins du monde par le prestigieux magazine américain Wine Spectator. En 2011, les trois sites du vignoble Lapostolle – cultivés depuis plusieurs années selon les méthodes de biodynamie – ont reçu le label de certification 100 % culture organique. A. Marnier-Lapostolle a été décorée, en 2010, de la Bernardo O’Higgins Medal dans le grade de Commander – la plus haute distinction à laquelle un citoyen d’origine étrangère puisse accéder au Chili – pour sa contribution à l’essor de l’industrie des vins chiliens.

Marie-Claude FONDANAUX

MARNITI, Biagia (Biagia MASULLI, dite) [RUVO DI PUGLIA, POUILLES 1921 - ROME 2006]

Poétesse italienne.

Bibliothécaire à Sassari, puis à Pise et à Rome, Biagia Marniti est l’auteure de nombreux recueils de poésie où elle privilégie une langue sobre et classique : Nero amore rosso amore (« amour noir amour rouge », 1951) ; Più forte è la vita (« la vie triomphe toujours », 1957) ; Giorni del mondo (« jours du monde », 1967) ; Il cerchio e la parola (« le cercle et la parole », 1979), prix Marsica en 1980 ; La ballata del mare e altre poesie (« la ballade de la mer et autres poèmes », 1984) ; Un suono cosmico (« un son cosmique », 1988) ; Il gomitolo di cera (« la boule de cire », 1990). Elle a également publié Lettere di Vittoria Aganoor a Domenico Gnoli (« lettres de Vittoria Aganoor* à Domenico Gnoli », 1967) et contribué, avec Eurialo De Michelis et Ferruccio Ulivi, à l’ouvrage Letteratura del Novecento (« littérature du XXe siècle », 1977-1980).

Graziella PAGLIANO

GUASTALLA A., Il respiro della vita, invito alla lettura di Biagia Marniti, Rome, Studium, 2001.

MAROIE DE DIERGNAU [DIERGNAU V. 1300 - ID. 1350]

Troveresse (ou femme trouvère) française.

C’est l’une des rares troveresses (ou femmes trouvères) dont le nom nous soit parvenu. Deux manuscrits ou « chansonniers » (recueils de chansons) attribuent à Maroie de Diergnau une chanson d’amour dont une seule strophe a été conservée, avec sa musique dans le style des cansos troubadouresques, imitées en langue d’oïl par les trouvères. La locutrice féminine y chante la joie d’amour. C’est sans doute la même que la « dame Maroie » qui échange avec une « dame Margot » dans un jeu-parti, poème dialogué en forme de débat (Je vos pri, dame Maroie [… ]) sur la question de savoir quelle attitude adopter devant un amant trop timide. Dame Maroie (désignée sous le diminutif de « dame Marote » en tête des strophes III et IV) est d’avis que la dame doit prendre les devants et déclarer son amour, tandis que dame Margot soutient que cette initiative n’est pas convenable pour une dame. M. de Diergnau est aussi, semble-t-il, la destinataire d’une chanson du trouvère Andrieu Contredit d’Arras, Bonne, belle et avenant, dont « l’envoi » est adressé « vers Dergan » (Diergnau), avec un message pour une certaine « Marote la vaillans ». Ces éléments concordants rendent probable l’existence de cette poétesse dont on ne sait rien de plus.

Anne PAUPERT

AUBRAY E., DOSS-QUINBY E., GRIMBERT J. T. et al. (éd. et trad.), Songs of the Women Trouvères, New Haven/Londres, Yale Universtity Press, 2001.

MAROIS, Pauline [QUÉBEC 1949]

Femme politique canadienne.

Pauline Marois est titulaire d’une maîtrise en administration des affaires de l’université de Montréal. Mariée et mère de quatre enfants, elle est élue députée à l’Assemblée nationale du Québec en 1981. Elle a été ministre à plusieurs reprises et a dirigé d’importants ministères – dont l’Éducation, les Finances, le Revenu et la Santé. En juin 2007, elle devient la première femme à diriger un parti politique représenté au Parlement du Québec, le Parti québécois (PQ) et, suite aux élections législatives provinciales de 2008, la première femme chef de l’opposition officielle à l’Assemblée nationale du Québec. Depuis le 19 septembre 2012, elle est Première ministre du Québec.

Manon TREMBLAY

MARÓTHY-ŠOLTÉSOVÁ, Elena [KRUPINA 1855 - MARTIN 1939]

Femme de lettres, féministe et figure du mouvement national slovaque.

Elena Maróthy-Šoltésová devient vice-présidente de l’organisation de femmes Živena en 1883 et la préside à partir de 1894, année où elle publie également son premier roman, Proti prúdu (« à contre-courant »). Mais ce sont surtout les années 1910-1918 et les années de l’entre-deux-guerres qui voient E. Maróthy-Šoltésová s’affirmer comme l’une des principales figures féminines de la littérature et de la vie culturelle slovaques. À la tête de la revue Živena, qui compte parmi les principales publications de la province, elle contribue à imposer le « réalisme slovaque » en littérature, publie inlassablement des articles remettant en cause la condition sociale des femmes et est à l’origine, après l’indépendance tchécoslovaque, de la fondation de la première école supérieure pour filles en Slovaquie (1919). Au début des années 1920, la parution dans plusieurs pays de Moje deti (« mes enfants »), suite de récits écrits entre 1879 et 1884 à propos de ses enfants précocement disparus, achève de la situer dans le paysage littéraire européen de l’époque. En 1925, à l’occasion de son soixante-dixième anniversaire, le président Tomáš Garrigue Masaryk rend hommage à son œuvre littéraire et d’émancipation, tandis qu’en 1929, elle figure en bonne place parmi les 30 femmes européennes « précurseures » recensées dans le livre d’Elga Kern*, Führende Frauen Europas.

Maxime FOREST

MAROUANE, Leïla (Leyla Zineb MÉCHENTEL, dite) [DJERBA 1960]

Romancière algérienne.

Née en Tunisie, Leïla Marouane a vécu en Algérie jusqu’en 1990 avant de s’installer en Suisse, puis en France. Après avoir suivi des études de littérature française en Algérie, elle s’est orientée vers le journalisme pour ensuite entrer en littérature. Bien qu’elle ait opté pour la fiction, elle fait une large part à la réalité de l’Algérie contemporaine et aux difficultés rencontrées par ses compatriotes aux prises avec les violences intégristes. Ses préoccupations tournent autour de la condition de la femme algérienne et des notions de liberté et de modernité. L. Marouane ne cesse de militer en faveur d’une évolution de la société dans son pays, qui serait le fruit d’une remise en question des traditions et d’une condamnation des préjugés et des superstitions caractérisant les mentalités conservatrices dont sont souvent victimes ses personnages de fiction féminins. La langue employée par la romancière est investie d’une fonction vindicative qui peut emprunter à la fantaisie et à l’humour leur force décapante. Avec une tendance à « raconter le tragique sur un ton burlesque », elle ne s’interdit pas des tonalités plus graves et plus âpres, généralement liées à une exhibition provocatrice du corps et de la sexualité. Aussi, la critique algérienne lui a-t-elle reproché sa liberté de ton et la verdeur de sa langue. On observe en effet chez elle la volonté de s’attaquer aux tabous sexuels et aux interprétations erronées ou abusives de la loi coranique relative à la place de la femme dans la famille et dans la société.

Hager BEN YOUSSEF

La Fille de la Casbah, Paris, Julliard, 1996 ; Le Châtiment des hypocrites, Paris, Seuil, 2001 ; L’Algérie des deux rives, Paris, Mille et une nuits, 2003 ; La Vie sexuelle d’un islamiste à Paris, Paris, Albin Michel, 2007 ; Gens d’ici et d’ailleurs, Paris, Éditions du Rocher, 2007.

MERTZ-BAUMGARTNER B., « Ravisseur », in Le Maghreb littéraire, vol. 3, no 6, 1999 ; ID., « La jeune fille et la mère », in Le Maghreb littéraire, vol. 10, no 20, 2006.

MAROVIĆ, Ana Marija (ou FILOTEA) [VENISE 1815 - ID. 1887]

Écrivaine, musicienne et peintre monténégrine.

Considérablement influencée par le prêtre qui a été son précepteur, Ana Marija Marović a voué sa vie à des efforts littéraires et spirituels, ainsi qu’à des œuvres de charité chrétienne. Le processus de béatification par l’Église catholique a été approuvé par le pape Benoît XVI en 2007. Curieuse de nature, elle s’est tournée assez tôt vers la littérature, se confrontant à la poésie, à la prose à thématique religieuse, aux livres de prières et aux lettres pieuses. Souvent abritée derrière le pseudonyme de Filotea, en référence à sa foi, l’écrivaine a entretenu une correspondance avec les plus grandes autorités ecclésiastiques de Venise. Ses compositions musicales ont été interprétées dans des opéras vénitiens, et ses peintures ont embelli des églises et les demeures de riches Italiens, mais aussi de l’impératrice d’Autriche. A. M. Marović avait pour vocation d’améliorer le sort de la femme : en plus d’une société religieuse féminine, elle a fondé l’Institut pour filles et femmes abandonnées, visant à aider les personnes qui peinaient à retrouver une place dans la société, notamment après des expériences carcérales. Reconnue comme écrivaine, elle a produit une vingtaine d’œuvres en italien, pour la plupart prenant pour objet la vie du Christ ou des personnages saints, tels que sainte Dorothée. Certains textes prônent la dévotion spirituelle des femmes, d’autres leur donnent des conseils vestimentaires. Dans son livre de souvenirs, resté inachevé, elle a dévoilé une partie de sa vie intime. Son œuvre la plus accomplie demeure les sonnets intitulés Versi (« versets ») et traduits en serbe dans les années 1960. Ces vers inspirés annonçaient une écriture harmonieuse et mature, dont le thème était, entre autres, le désir de communiquer avec le divin et la confiance en l’éternité de l’âme.

Robert RAKOCEVIC

PERČIN V., Ana Marija Marović. Monografski prikaz života i rada, Zagreb, Dva srca, 1997.

VUKOVIĆ J., « U tuđem jeziku i zemlji, Ana Marija Marović i Ida Verona », in KALEZIĆ S., Crnogorska književnost u književnost kritici II. Racionalizam, romantizam, Podgorica, Obod, 2000.

MARQUES DA SILVA, Maria José [PORTO 1914 ou 1915 - ID. 1994]

Architecte portugaise.

Fille du célèbre architecte José Marques da Silva (1869-1947), Maria José Marques da Silva fréquente l’École supérieure des beaux-arts de Porto où elle obtient son diplôme d’architecte en 1943, devenant ainsi la première femme diplômée de cette école et la deuxième dans le pays après Maria José Estanco*. En adhérant au syndicat national des architectes, elle est la première femme architecte à appartenir à ce groupement. C’est dans le cercle professionnel de son père qu’elle rencontre l’architecte et urbaniste David Moreira da Silva (1909-2002) avec lequel elle se marie et codirigera une agence durant plus d’un demi-siècle. Parmi leurs projets majeurs, citons les propositions urbaines des années 1940, dont Praia de Âncora, Moledo do Minho, Monte Real, Matosinhos e Águeda, et plusieurs bâtiments tels que le Palácio do comércio (1946-1954) et la coopérative des Maçons (1934-1939), tous deux à Porto. Toutefois, ces projets et réalisations sont, encore aujourd’hui, considérés comme l’œuvre du seul Moreira da Silva. Elle s’est également distinguée par sa contribution active au sein de la direction régionale du Nord de l’Association des architectes portugais, entre 1983 et 1986 ; et s’est consacrée à la création de la fondation Marques da Silva, dédiée à la divulgation de l’œuvre de son père.

Patrícia SANTOS PEDROSA

LÔBO M. S., Planos de urbanização. A época de Duarte Pacheco, Porto, Faculté d’architecture de l’université de Porto, 1995 ; PEDROSA P. S., « Being a female architect in Portugal : a short introduction to a long ride », in Ist International Meeting EAHN European Architectural History Network – CD of Papers, Guimarães, CHAM/EAUM/EAHN, 2010 ; PIRES M. do C., « David Moreira da Silva e Maria José Marques da Silva Martins. Um primeiro olhar sobre um atelier do Porto do século XX », in FERREIRA-ALVES N. M. (dir.), Artistas e artífices no mundo de expressão portuguesa, Porto, CEPESE, 2008.

MARQUET, Claudette [AVIGNON 1941]

Productrice de télévision et pasteur française.

Une des premières femmes pasteurs de l’Église réformée de France, Claudette Marquet baigne dès l’enfance dans une culture et un lieu affectés par la Réforme et la persécution séculaire des protestants. Après avoir suivi un programme d’investissement paroissial et étudié la théologie protestante à l’université de Genève, en 1966, elle effectue son stage pastoral à l’église réformée de la ville du Raincy, en Seine-Saint-Denis. Parallèlement, elle devient attachée de presse au Conseil œcuménique des Églises à Genève, puis accomplit des missions plus ou moins longues dans des paroisses et au Centre d’études et de recherches du protestantisme de Villemétrie, dans l’Oise. À partir de septembre 1976, C. Marquet dirige le service d’information de la Fédération protestante de France qui publie le Bulletin d’information protestant (BIP), tout en collaborant à l’émission télévisée dominicale Présence protestante. Elle apprend alors à travailler pour la télévision – sur la première chaîne de télévision (devenue TF1) puis sur Antenne 2 (devenue France 2) dans le cadre de la mission de service public de la radiotélévision française – avec le créateur, producteur et réalisateur de l’émission, le pasteur Marcel Gosselin, puis avec son successeur. En 1990, elle prend la relève et se démarque rapidement en mettant l’accent sur les problèmes de société et surtout sur l’œcuménisme qui fait l’objet de l’émission Agapè – réalisée en commun avec Le Jour du seigneur en 1991 –, encore diffusée à ce jour. Entourée d’une équipe efficace, dont l’animatrice Virginia Crespeau, ex-comédienne convertie au protestantisme, C. Marquet s’en tient à ses responsabilités de productrice et s’attache à réfléchir sur les thèmes des futurs débats et documentaires pour rendre compte du pluralisme dans les manières d’être chrétien. Elle est également pendant un temps présidente de l’Association des producteurs religieux. En 2004, elle confie les rênes de Présence protestante à Séverine Boudier et se retire dans l’Isère pour parachever ou actualiser ses écrits sur le protestantisme et les protestants.

Michel MATHIEN

Le Protestantisme, Paris, Seghers, 1977 ; Femme et homme il les créa, Paris, Les Bergers et les mages, 1999 ; Les Protestants (1998), Toulouse, Milan, 2006.

CABRIÈS J., GOSSELIN M. (dir.), La Télévision et les Protestants, les Protestants et la Télévision, Paris, Éditions du Cerf, 1984.

MARQUETS, Anne DE [V. 1533 - POISSY 1588]

Poétesse française.

Probablement née à Marques (Normandie), issue de la noblesse provinciale, Anne de Marquets reçoit au sein du foyer familial les rudiments de son éducation, avant d’être envoyée vers 1542-1543 au prieuré Saint-Louis de Poissy. Elle y acquiert les bases d’une culture solide, apprenant le latin et sans doute le grec, sous l’égide, entre autres, de l’humaniste Henri Estienne. C’est à l’occasion du colloque de Poissy, convoqué en 1561 par Charles IX, que la dominicaine compose un premier recueil poétique, les Sonets, prieres et devises en forme de pasquins, afin de soutenir le cardinal Charles de Lorraine et les prélats catholiques dans leur confrontation avec les ministres protestants. Salué par Dorat et Ronsard, ce premier ouvrage révèle l’intérêt de son auteure pour la poésie de la Pléiade, et plus particulièrement pour le Songe de Du Bellay. Lors du colloque, A. de Marquets se lie également avec Claude d’Espence et Marguerite de Valois*, sur l’instance desquels, après quelques modestes contributions, elle publie en 1568 un volume mixte, associant à une traduction des Carmina de Marco Antonio Flaminio un ensemble de pièces religieuses de son propre cru. À partir de 1568, elle travaille à son œuvre maîtresse, un épais recueil de Sonets spirituels, qui ne verra le jour que dix-sept ans après sa mort. Cet ouvrage remarquable, joignant aux potentialités du cheminement lyrique traditionnel celles du cycle liturgique, fait d’A. de Marquets l’un des précurseurs d’un genre de poésie qui ne prendra son essor qu’à la fin des années 1570. La poétesse s’éteint à Poissy, non sans avoir formé toute une génération de jeunes femmes.

Éléonore LANGELIER

Sonets spirituels (1605), Ferguson G. (éd.), Genève, Droz, 1997.

BERRIOT-SALVADORE É., « “Une nonain latinisante” », Anne de Marquets », in BLUM-CUNY P., MANTERO M. (dir.), Poésie et bible de la Renaissance à l’âge classique, Paris, H. Champion, 1999.

FERGUSON G., « Le chapelet et la plume ou quand la religieuse se fait écrivain, le cas du prieuré de Poissy », in Nouvelle revue du seizième siècle, no 19, 2001.

MÁRQUEZ-BENÍTEZ, Paz [LUCENA CITY, QUEZON 1894 - MANILLE 1983]

Nouvelliste et essayiste philippine.

Fille d’une éminente famille de la province de Quezon, Paz Márquez-Benítez obtient sa licence ès lettres à l’Université des Philippines en 1912 (elle fait partie de la première génération de Philippins à avoir bénéficié du système d’éducation américain). En 1919, elle fonde le Woman’s Home Journal, premier journal de femmes régulièrement publié. Avec ses sœurs, elle fonde en 1920 le Philippines Women College (« université réservée aux femmes »), et commence parallèlement l’enseignement de l’écriture de nouvelles en anglais à l’Université des Philippines. Son travail de création littéraire et d’enseignement a contribué au développement de la culture et à l’éducation des femmes philippines. P. Márquez-Benítez est l’auteure de la première nouvelle moderne de langue anglaise, Dead Stars (« étoiles mortes »), publiée dans le Philippines Herald en 1925. En 1928, elle compile la première anthologie de nouvelles philippines écrites en anglais, Filipino Love Stories, composées par ses étudiants. En 1931, sa seconde nouvelle A Night in the Hills (« une nuit dans les collines ») est publiée dans le Literary Apprentice (Université des Philippines). Elle a influencé de nombreux écrivains. En 1951, et pendant plus de vingt ans, elle devient éditrice du Philippine Journal of Education de l’Université des Philippines. Entre 1952 et 1977, elle a produit environ 200 essais. La conférence Paz-Márquez-Benítez, consacrée à la contribution des écrivaines philippines à la littérature philippine en anglais, lui rend hommage annuellement.

Elisabeth LUQUIN

BENITEZ-LICUANAN V., Paz Márquez-Benítez : One Woman’s Life, Letters, and Writings, Quezon City, Ateneo de Manila University Press, 1995 ; ZAPANTA-MANLAPAZ E., Our Literary Matriarchs 1925-1953 : Angela Manalang Gloria, Paz M. Latorena, Loreto Paras-Sulit, and Paz Márquez-Benítez, Quezon City, Ateneo de Manila University Press, 1996.

MARQUINA, Nani [BARCELONE 1952]

Designer espagnole.

De 1970 à 1975, Nani Marquina étudie le design industriel à l’Escola Massana à Barcelone. En 1975, elle entre dans l’atelier de son père, Rafael Marquina, The Selles-Marquina Estudio Arquitectura. En 1978, elle ouvre sa propre entreprise de décoration d’intérieur, Self Decor. En 1980, elle fonde une agence spécialisée dans la création de produits textiles et surtout de tapis. Entre 1981 et 1983, Faitesa produit sa première collection. En 1984, le tapis Dama est nominé aux Delta Awards de design industriel. En 1986, elle créé son label, Nanimarquina. Elle invite d’autres designers, tels Eduard Samso ou Javier Mariscal, à signer leurs propres pièces. Le succès de ses produits lance la marque au niveau international. En 1989, la boutique du MoMA commercialise la collection Begonia. En 1993, elle commence à fabriquer ses collections dans une manufacture du nord de l’Inde. Le travail à la main et l’expérimentation de nouvelles techniques de fabrication deviennent des facteurs de différenciation pour la marque. N. Marquina participe à plusieurs expositions de groupe, dont la Primavera del diseny (Festival de design international) à Barcelone, en 1995 ; Women Made, en Catalogne et aux Baléares, en 1999 ; Diseno espanol, présentée à Salamanque en 2002, puis à Berlin et à Vienne. Reprenant la gestion nationale et internationale en 2002, Nanimarquina donne plus d’importance au design d’objets (vase Potten ; table Tapete). La marque remporte des prix prestigieux, dont le Red Dot Design Award pour la collection Topissimo et une nomination aux Delta Awards pour la collection Cuks, en 2003, ou le Elle Deco International Design Award pour le tapis Little Field of Flowers, en 2008. N. Marquina elle-même reçoit en 2006 le Premio Fidem a la Mujer emprendedora 2006 (prix Fidem de la femme d’affaires) et l’International Women’s Entrepreneurial Challenge Award de la Chambre de commerce de Manhattan. Dès ses premières collections, elle a innové tant avec l’utilisation de matériaux bruts (pneus de vélos recyclés pour le modèle Bicicleta) que dans leur transformation et dans les processus de production. Ses tapis sont fabriqués à la main, en utilisant des techniques artisanales du monde entier et de nouveaux outils pour réaliser des modèles uniques.

Marguerite DAVAULT

Nani Marquina : catalogue 2006, Barcelone, nanimarquina, 2006.

BYARS M., The Design Encyclopedia, New York, The Museum of Modern Art, 2004 ; SCOTTO C., « La diva du tapis », in Elle Décoration, nov. 2007.

MARRACK, Philippa [EWELL 1945]

Biologiste anglo-américaine.

Anglaise de naissance, Philippa Marrack émigre aux États-Unis pour effectuer ses études postdoctorales et devient américaine après son mariage avec John Kappler. Elle fait ses études à New Hall (université de Cambridge), où elle travaille au laboratoire de biologie moléculaire avec Alan Munro, et débute un travail sur les cellules T du système immunitaire. Elle obtient son doctorat en 1970. Dans les années 1973-1974, elle travaille au département de microbiologie à l’université de Rochester (État de New York), où elle est nommée professeure assistante en 1975-1976. En 1979, on lui offre un poste de professeure associée au département de médecine du National Jewish Hospital à Denver. C’est là qu’elle fait le reste de sa carrière, comme professeure d’immunologie à l’université du Colorado, en 1994, et en tant que chef de la division d’immunologie fondamentale au National Jewish Medical and Research Center et chef du secteur recherche sur l’allergie et l’asthme. P. Marrack fait des découvertes fondamentales dans le domaine des cellules T du système immunitaire. Elle et son époux isolent le récepteur de ces cellules et découvrent les superantigènes, stimulateurs puissants du système immunitaire, responsables du choc toxique, de l’empoisonnement alimentaire et de beaucoup d’autres maladies. Son travail sur les cellules T mémoires, qui survivent après une infection et préviennent la réinfection par les micro-organismes, est crucial dans le développement de vaccins, dans la recherche sur le VIH et dans le traitement de l’allergie et de la crise d’asthme. Élue à l’Académie des sciences américaine, elle reçoit notamment le prix Louisa-Gross-Horwitz en 1994 et, en 2004, le prix L’Oréal-Unesco pour les femmes et la science.

Yvette SULTAN

Avec KAPPLER J. W., ROEHM N., « T cell tolerance by clonal elimination in the thymus », in Cell, vol. 49, no 2, avr. 1987 ; avec KAPPLER J. W., STAERZ U. et al., « Self-tolerance eliminates T cells specific for Mis-modified products of the major histocompatibility complex », in Nature, vol. 332, no 6159, 1988 ; avec KAPPLER J. W., « The staphylococcal enterotoxins and their relatives », in Science, vol. 248, no 4956, mai 1990.

MARRON, Marie-Anne CARRELET DE [DIJON 1725 - BOURG-EN-BRESSE 1778]

Écrivaine française.

Fille d’un receveur général des finances de Bourgogne, mariée dès 1752 au baron de Marron de Meillonnas, elle le suivit en Bresse, où ils établirent, en 1761, une faïencerie à Meillonnas et firent construire, en 1774, un hôtel particulier à Bourg. Elle montra un grand talent pour la réalisation des décors de fleurs, de fruits et de feuillages, caractéristiques des faïences bressanes, mais s’adonna aussi à la littérature, regroupant autour d’elle, à Bourg, une petite société très active. Ses essais dramatiques, pour la plupart inédits, témoignent de l’influence du drame moral et du genre sombre. Ce sont souvent des réécritures de sujets traités par des auteurs connus. La Comtesse de Fayel est le seul qui ait été imprimé (Lyon, 1770), avec le sous-titre Tragédie de société ; il reprend le sujet du Fayel de Baculard d’Arnaud et de la Gabrielle de Vergy, écrite par de Belloy, parus quelques mois auparavant.

Jean-Noël PASCAL

BEACH C., French Women Playwrights Before the Twentieth Century : A Checklist, Westport, Greenwood Press, 1994 ; BRIQUET F., Dictionnaire historique, littéraire et bibliographique des Françaises et des étrangères naturalisées en France, Paris, Treuttel et Würtz, 1804 ; PASCAL J.-N., Le Cœur terrible, Gabrielle de Vergy, Fayel, Gabrielle de Passy, Perpignan, Presses universitaires de Perpignan, 2005.

MARRYAT, Florence [BRIGHTON 1833 - LONDRES 1899]

Romancière et actrice britannique.

Florence Marryat grandit entourée des livres de son père, capitaine de la Royal Navy et écrivain. Elle devient romancière, éditrice, dramaturge, actrice et chanteuse, écrit plus de 90 livres et en adapte certains pour la scène. De 1872 à 1874, elle publie ses récits dans London Society, revue dont elle est l’éditrice, et joue les trois années suivantes des opérettes de Gilbert et Sullivan et dans une revue. Convertie au catholicisme en 1874, son ardente croyance dans le spiritisme se reflète dans la plupart de ses récits – dont le célèbre Il n’y a pas de mort (1891), récit de communications avec l’au-delà –, romans à sensation abondant en histoires gothiques où se heurtent l’humain, l’émotionnel et le scientifique (The Dead Man’s Message, « le message de l’homme mort, 1894 ; Her Father’s Name, « le nom de son père », 1876 ; The Blood of the Vampire, « le sang du vampire », 1897). À noter le curieux concept qu’elle invente en 1890 avec The Fate of Fenella, roman dont les 24 chapitres sont écrits par des auteurs différents (dont Bram Stoker et Conan Doyle), histoire d’une femme adultère évoquant la question de la féminité, mais aussi vue panoramique des différentes attitudes envers les femmes à la fin du XIXe siècle.

Michel REMY

Il n’y a pas de mort (There is no Death, 1891), Paris, P. Leymarie, 1929 ; L’Enfer d’une âme (A Soul on Fire, 1898), Lyon, La Belle Cordière, 1951.

MARS Mlle [PARIS 1779 - ID. 1847]

Actrice française.

Fille naturelle d’une actrice et de Monvel, célèbre comédien et auteur dramatique, Mademoiselle Mars est engagée comme ingénue à la Comédie-Française. À côté des comédies et des tragédies du répertoire, elle crée des œuvres d’auteurs emblématiques du romantisme. Dans Henri III et sa cour, d’Alexandre Dumas père, elle incarne la duchesse de Guise ; Alfred de Vigny lui confie le rôle de Desdémone dans son adaptation d’Othello de Shakespeare, Le More de Venise. Le jeune Victor Hugo admire l’actrice, qui crée le rôle de Doña Sol dans Hernani – alors qu’elle a dépassé la cinquantaine, Mlle Mars a toujours l’air d’une jeune fille amoureuse. De Hugo encore, elle incarne la courtisane Tisbé dans Angelo, tyran de Padoue, avec Marie Dorval*. Sa sensibilité et son élégance font merveille en Araminte (Les Fausses confidences, de Marivaux) et en Elmire (Tartuffe, de Molière). Avec Talma, elle joue la comédie L’École des vieillards, de Casimir Delavigne. L’écrivain Jules Janin loue « cette voix sonore et pure faite pour charmer les échos d’une nuit de printemps ». L’actrice fait ses adieux à la Comédie-Française en 1841, en incarnant Célimène du Misanthrope.

Bruno VILLIEN

Mémoires de Mademoiselle Mars, BEAUVOIR R. de (éd.), 2 vol., Paris, Gabriel Roux et Cassanet, 1849.

BOUDET M., Mademoiselle Mars, l’inimitable, Paris, Perrin, 1987.

MARS, Evgenija (Evgenija BONČEVA-ELMAZOVA, dite) [SAMOKOV 1877 - SOFIA 1945]

Écrivaine bulgare.

Peu reconnue pour sa propre littérature, Evgenija Mars est injustement demeurée dans les mémoires avant tout comme l’inspiratrice de l’écrivain Ivan Vazov (1850-1921), surnommé le Patriarche des lettres bulgares. Née dans une famille aux mœurs traditionnelles, elle fait ses études secondaires dans le prestigieux lycée de jeunes filles de Sofia et, malgré son goût pour les livres, la littérature et le français, elle n’entreprend pas d’études supérieures en raison de son mariage en 1895. Toutefois, son époux, Mihail Elmazov, fin lettré, l’encourage à écrire et elle publie quelques récits dans la presse, qui lui valent l’amitié et la protection sans faille d’I. Vazov, surpris par sa culture et sa finesse. Son premier recueil de nouvelles, Iz života (« tiré de la vie »), paru en 1906, rassemble des scènes de la vie quotidienne des femmes. Suivra, en 1909, le recueil Lunna nošt, razhodka iz Carigrad (« nuit de lune, promenade dans Constantinople »). Ce n’est qu’après la mort du poète qu’elle s’éloigne du registre féminin dans lequel il l’avait confinée par ses conseils et aborde des sujets de société dans son dernier recueil, Čovekăt s dripi (« l’homme aux guenilles », 1935). Elle écrit également des drames, dont deux (Božana, 1912 et Magda, 1918) sont mis en scène au Théâtre national de Sofia. E. Mars est l’une des premières écrivaines à faire de sa maison un salon où, tous les jeudis, se réunit un cercle choisi de musiciens, d’écrivains, de critiques littéraires et d’acteurs, autour de l’actualité culturelle, littéraire et politique. En 1929, elle est élue présidente de l’Union des femmes bulgares pour la culture et l’instruction. Elle participe à la fondation du Club des écrivaines bulgares qu’elle dirige de 1932 à 1938, tout en présidant la section bulgare du Groupe des femmes slaves en 1935, avant d’être admise, en 1940, au sein de l’Union des écrivains.

Marie VRINAT-NIKOLOV

SIMOVA Ž., Običana i otričana, Kniga za Evgenija Mars, Sofia, Universitetsko izdateltsvo Sv. Kliment Oxridski, 1998.

SIMOVA Ž., « Evgenija Mars – văv i otvăd marginalnostta », in KIROVA M. (dir.), Neslučenijat kanon, bălgarski pisatelki, Sofia, Altera, 2009.

MARSDEN, Dora [MARSDEN 1882 - DUMFRIES 1960]

Essayiste et militante féministe britannique.

Contrainte de travailler dès l’âge de 13 ans pour aider sa mère abandonnée par son mari avec cinq enfants, puis pour rembourser ses études à l’université de Manchester, Dora Marsden fit la preuve de son tempérament fougueux et passionné en rejoignant la Women’s Social and Political Union (WSPU), association suffragiste radicale fondée par Emmeline Pankhurst* à Manchester. De 1908 à 1911, elle s’y consacra corps et âme. Emprisonnée pour son militantisme violent, gréviste de la faim, elle donna autant de fil à retordre à ses geôliers qu’aux chefs de file de la WSPU, dont elle finit par démissionner. La même année, elle fonda sa propre revue féministe, véritable tribune personnelle, The Freewoman, qui prônait des idées radicales avant-gardistes et ne s’interdisait aucun des sujets délicats de son temps. Ayant froissé bien des susceptibilités, il dut s’interrompre avant de reparaître sous le nom de The Egoist en 1914, cette fois sous le contrôle éditorial et financier de la journaliste activiste Harriet Shaw Weaver. La revue s’assura des contributeurs de renom (dont H. G. Wells, Rebecca West*, Ezra Pound) et devint progressivement la voix de la littérature moderniste. Après la guerre, retirée dans le Lake District avec sa mère, elle se consacra à la philosophie et à la lecture critique des individualistes anarchistes Benjamin Tucker et Max Stirner, qui lui inspirèrent son magnum opus paru en deux volumes : The Definition of the Godhead (1928) et Mysteries of Christianity (1930). Mais ces quinze années passées à écrire en recluse la laissèrent nerveusement épuisée. Elle sombra dans la mélancolie et mourut dans un asile après vingt-cinq ans de dépression.

Martine MONACELLI

DELAP L., The Feminist Avant-Garde : Transatlantic Encounters of the Early Twentieth Century, Cambridge, Cambridge University Press, 2007.

MARSH, Ngaio (Edith MARSH, dite) [CHRISTCHURCH 1895 - ID. 1982]

Actrice, metteuse en scène et dramaturge néo-zélandaise.

Auteure de 32 romans policiers, Ngaio Marsh a eu une influence considérable sur le théâtre anglophone, ce qui lui a valu d’entrer, en 1948, dans l’Order of the British Empire (OBE), et d’y être élevée, en 1966, au rang de Dame Commander. Son grand-père maternel avait créé un théâtre pour les patients de l’asile qu’il dirigeait, et sa mère était une actrice amateur. À l’âge de 13 ans, elle codirige, devant des paroissiens, sa propre pièce, The Moon Princess. En 1919, elle débute sa carrière dans la Allan Wilkie Shakespeare Company, lors d’une tournée (1919-1920). Elle passe ensuite quelque temps dans la Rosemary Rees English Comedy Company, et fait une tournée avec une pièce de sa création, Little Housebound (« petit gars confiné à la maison »). Elle travaille aussi avec une association caritative. En 1941, elle s’investit dans la mise en scène d’une pièce à la demande d’étudiants et y associe des acteurs professionnels et des compositeurs, qui contribuent par des musiques originales. Ainsi commence une grande série de productions de William Shakespeare, de Hamlet en 1943 à Henry V en 1972. Nombre de ses étudiants ont fait carrière dans le théâtre et le cinéma en Angleterre et aux États-Unis, et la grande majorité des acteurs de l’époque ont joué dans ses productions. En revanche, son expérience avec une troupe professionnelle, la British Commonwealth Theatre Company (1951), est un échec, en raison de problèmes pratiques. N. Marsh est partisane d’un théâtre stylisé, avec de grandes compositions visuelles et des moments de grande intensité. Elle accorde moins d’importance à la notion de personnage qu’à la dimension musicale, faisant de la déclamation des vers un élément central, et écartant l’accent local au profit de l’accent anglais.

Llewellyn BROWN

RAHN B. J. (dir.), Ngaio Marsh : The Woman and Her Work, Metuchen/Londres, The Scarecrow Press, 1995 ; STAFFORD J., « Marsh, Edith Ngaio », in Dictionary of New Zealand Biography. Te Ara - The Encyclopedia of New Zealand, 2010.

MARSHALL, Nini (ou MITZY, née Marina Esther TRAVERSO, dite) [BUENOS AIRES 1903 - ID. 1996]

Comédienne, scénariste, humoriste et chanteuse argentine.

Fille d’immigrants espagnols, après la naissance de sa fille, Nini Marshall commence à écrire des articles humoristiques dans des organes de presse comme La novela semanal (« le roman hebdomadaire ») et Sintonía (« syntonie »), sous le pseudonyme de Mitzy. En 1934, elle fait ses débuts comme chanteuse dans une radio locale, puis dans de nombreuses autres stations. Les paroles de ses chansons, en plusieurs langues, associent des imitations de personnages à des textes sur l’immigration et les transformations sociales accélérées de la société argentine. À la fin des années 1930, elle crée le personnage qui l’accompagnera toute sa vie, lui donnera son nom et lui vaudra une ample notoriété : Nini Marshall. Malgré ses réticences initiales, ses personnages figurent bientôt dans des films. En 1938 est tourné Mujeres que trabajan (« femmes qui travaillent »), qui donne vie à son célèbre personnage de cuisinière italo-argentine : Catita. Elle tourne plus de 30 films en Argentine et au Mexique. Certains sont des comédies folles et humoristiques, comme Catita es una dama (« Catita est une dame », 1956) et Cleopatra era Cándida (« Cléopatre était Candide », 1964). D’autres évoquent des questions sociales : Divorcio en Montevideo (« divorce à Montevideo », 1939), La alegre casada (« la joyeuse mariée », 1950). En 1943 ses interventions sont jugées néfastes pour la langue argentine, et elle s’installe au Mexique pour fuir la censure, puis en 1950 à Montevideo car ses imitations d’Eva Perón ne font pas l’unanimité. Sa carrière de comédienne la conduit pendant des décennies sur les plus grandes scènes argentines, dans les cafés-concerts et à la télévision, lui apportant de très nombreuses distinctions et récompenses. Ce n’est qu’à 85 ans qu’elle interrompt sa carrière, même si sa popularité lui vaut encore de nombreuses invitations sur les plateaux de télévision.

Ana Lía REY et Mirta VARELA

ETCHELET R., Niní Marshall, la biografía, Buenos Aires, La Crujía, 2005 ; DELGADO J., Niní Marshall : todas las voces, Buenos Aires, Aguilar, 2006.

MARSHALL, Paule (née Valenza Pauline BURKE) [NEW YORK 1929]

Écrivaine américaine.

Paule Marshall vient au monde à Brooklyn. Ses parents originaires de la Barbade ont émigré aux États-Unis durant la Première Guerre mondiale. Pendant son enfance, au cours de la Grande Dépression, elle fait de fréquents voyages dans cette colonie antillaise animée du langage et des discussions fleuries des femmes. Plus tard, Paule Marshall aimera à dire qu’elle a appris son métier d’écrivaine dans les cuisines barbadiennes. Après des études au Brooklyn College, puis au Hunter College dont elle sort diplômée en 1955, elle travaille comme journaliste et effectue plusieurs reportages au Brésil et aux Antilles. Son premier roman, Fille noire, pierre sombre (1959), décrit l’atmosphère de son enfance, la quête d’origine d’une adolescente déracinée. La recherche d’identité culturelle ou personnelle constitue l’un de ses thèmes centraux, et l’auteure insiste sur la nécessité d’effectuer un retour en arrière, de remonter le temps afin de se réconcilier avec son propre passé. Elle trouve ainsi dans l’écriture un moyen de clarifier ses relations avec un milieu familial multiculturel (américain, antillais et afro-américain). Sa technique narrative se fonde sur une manipulation du temps qui lui permet de juxtaposer les images et de créer des oppositions, à l’instar des conventions de la tradition orale africaine. Elle revient sur la place de la femme noire dans l’histoire avec L’Île de l’éternel retour (1969), puis avec Racines noires (1983). P. Marshall a enseigné dans plusieurs universités américaines, dont l’université Yale, ainsi qu’à l’Iowa Writer’s Workshop. Elle a reçu de nombreux hommages et récompenses, dont une bourse Guggenheim en 1961, le National Endowment for the Arts Grant en 1966 et le Dos Passos Prize for Literature en 1989.

Beatrix PERNELLE

Fille noire, pierre sombre (Brown Girl, Brownstones, 1959), Paris, Balland, 1983 ; Racines noires (Praisesong for the Widow, 1983), Arles, B. Coutaz, 1988.

DELAMOTTE E. C., Places of Silence, Journeys of Freedom : The Fiction of Paule Marshall, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 1998 ; DENNISTON D. H., The Fiction of Paule Marshall : Reconstructions of History, Culture, and Gender, Knoxville, University of Tennessee Press, 1995.

MARSHALL, Tonie [NEUILLY-SUR-SEINE 1951]

Actrice, scénariste et réalisatrice franco-américaine.

Fille de l’actrice Micheline Presle* et du cinéaste américain William Marshall, Tonie Marshall hérite du regard bleu lumineux de sa mère. Au théâtre, elle joue avec Raymond Rouleau (Le Cheval évanoui, de Françoise Sagan*), Robert Hossein ou Jean-Michel Ribes. Elle fait ses débuts au cinéma avec Jacques Demy en 1972, puis tourne plusieurs comédies avec Jacques Davila, Gérard Frot-Coutaz, Jean-Claude Biette. À la télévision, elle joue dans la série Merci Bernard (Ribes, 1982-1983), qui remporte un vif succès. En 1990, elle débute comme scénariste et réalisatrice avec Pentimento. Suivent Pas très catholique (1994), Enfants de salauds (1996), et Vénus Beauté (institut), qui lui vaut en 2000 le premier César attribué à une femme réalisatrice. Le film est décliné ensuite à la télévision, dans la veine d’humour tendre qui est sa signature. En 2008, elle tourne Passe-passe, avec Nathalie Baye* et Édouard Baer. Elle revient au théâtre dans Batailles, de Topor et Ribes.

Bruno VILLIEN

MARSTEIN, Trude [1973]

Écrivaine norvégienne.

Formée à l’université de Telemark, Trude Marstein suit les cours d’écriture créative dispensés par Eldrid Lunden*. Son premier roman, Sterk sult, plutselig kvalme (« grande faim, nausée soudaine », 1998), lui vaut le prix des débutants Tarjei Vesaas. Dans le roman Plutselig høre noen åpne en dør (« entendre une porte qui s’ouvre soudainement », 2000), une jeune universitaire élève seule sa fille de 4 ans. Tout en étudiant pour obtenir son diplôme de maîtrise et en essayant de s’affranchir de l’idéal de la femme et de la mère, elle tente de lui donner une éducation parfaite. Mais, à force de tout analyser, elle en vient à la maltraiter et frôle la folie. Au lendemain du décès de son épouse, le narrateur d’Elin og Hans (« Elin et Hans », 2002) se remémore ses années de mariage. Hans se demande comment l’affection et la joie des premières années ont pu faire place à la résignation et au dégoût. Au moyen d’une écriture précise et directe, l’auteure analyse la faille qui s’est ouverte dans cette relation amoureuse fragile entre un homme conservateur et une femme contrainte d’assumer un rôle traditionnel de ménagère. Il devient peu à peu évident que Hans aurait pu éviter l’accident qui a causé la mort d’Elin, et la tension est maintenue jusqu’à la fin du roman. La composition de Faire le bien (2006) rappelle La Vie mode d’emploi, de Georges Perec, avec pour thème les liens invisibles et souvent fortuits qui se forment entre les individus. Les voix d’une centaine de personnages défilent et s’entrecroisent autour d’un personnage absent : Karoline, une femme belle et manipulatrice attendue pour célébrer son cinquantième anniversaire. Considérant que la littérature ne connaît pas de morale et qu’elle accède à la qualité par la forme, T. Marstein est reconnue pour ses textes narratifs expérimentaux et formellement aboutis.

Inger ØSTENSTAD

Faire le bien (Gjøre godt, 2006), Paris, Stock, 2010.

EYDOUX É., Histoire de la littérature norvégienne, Caen, Presses universitaires de Caen, 2007.

MARTEL, Lucrecia [SALTA 1966]

Réalisatrice, scénariste et productrice argentine.

Après des études de communication à l’Université de Buenos Aires et de cinéma à l’École nationale du film, Lucrecia Martel écrit et réalise des courts-métrages remarqués, dont Besos Rojos (« rouges baisers », 1991) et Rey Muerto (« le roi mort », 1995, Prix du meilleur scénario au Festival de La Havane). Elle aborde le long-métrage avec La ciénaga (« le marécage », 2001, avec Graciela Borges* et Mercedes Morán), qui reçoit un excellent accueil critique et remporte des prix aux Festivals de Berlin, de La Havane, de Toulouse et de Sundance. Son deuxième film, La Fille sainte (La niña santa, 2004, avec M. Morán, María Alché et Mía Maestro), est nominé pour la Palme d’or au Festival de Cannes et la confirme comme figure majeure du cinéma argentin et obtient des prix en Argentine, à La Havane et en Équateur. Son dernier film, La Femme sans tête (La mujer sin cabeza, avec María Onetto et María Vaner, sélectionné au Festival de Cannes 2008), complète ce qui apparaît comme une trilogie. Ses films, complexes, demandent une participation active du spectateur, les dialogues reposant sur plusieurs niveaux de signification et l’intrigue sur des situations apparemment sans rapport, dont le lien n’apparaît que plus tard. Le scénario s’articule sur le non-dit. Le récit s’attache à ce qui est tu, dit mais pas entendu, entendu mais pas compris, compris mais indicible. L. Martel tourne toujours dans sa province natale. Elle crée des atmosphères tantôt oppressantes, tantôt empreintes d’un humour subtil, autour des thèmes de l’incommunicabilité, l’éveil sexuel, la religion, l’éthique et la politique, la société dans ses clivages et ses fonctionnements pervers. La Femme sans tête traite ainsi allégoriquement d’un déni partagé par toute la société argentine : celui de la terreur subie sous la dernière dictature militaire. Une caméra qui saisit méticuleusement les détails de la réalité, une direction d’acteurs attentive et une grande virtuosité sonore participent à la construction d’œuvres très maîtrisées. L. Martel a obtenu en 2011 le prix Konex décerné aux cinq plus grands réalisateurs argentins de la décennie 2000-2010.

Alberto PAPO et Eleonora C. VALLAZZA

MARTINEZ A. C., Diccionario de directores del cine argentino, Buenos Aires, Ediciones Corregidor, 2004 ; OUBIÑA D., Estudio crítico sobre La ciénaga, entrevista a Lucrecia Martel, Buenos Aires, Picnic Editorial, 2007.