GARBORG, Hulda (née BERGERSEN) [STANGE, COMTÉ DE HEDMARK 1862 - ASKER, PRÈS D’OSLO 1934]
Écrivaine norvégienne.
Après avoir passé son enfance à la campagne puis dans la petite ville de Hamar, elle s’établit à Christiania (aujourd’hui Oslo) vers 1880. Mariée en 1887 à Arne Garborg, écrivain renommé du naturalisme norvégien, Hulda Garborg fait partie du milieu bohème radical et intellectuel de l’époque. À ses côtés, elle s’engage dans le mouvement en faveur d’une langue norvégienne populaire, à base de norrois (langue scandinave médiévale) et de dialectes des régions rurales : le landsmaal ou nynorsk (« néonorvégien »). Son premier livre, Et frit forhold (« une liaison libre », 1892), est un roman naturaliste au titre ironique. Il raconte la vie d’une jeune fille de la campagne qui, arrivée dans la grande ville, devient contre son gré la maîtresse du patron du magasin où elle travaille comme vendeuse. S’éloignant du naturalisme, Hulda Garborg exprime par la suite une critique de la modernité, moins en termes économiques qu’en termes idéologiques, mais toujours d’un point de vue féministe, mettant l’accent sur la différence entre les sexes et sur l’amour et le désir féminins comme forces de la culture. Dans ce domaine, elle s’inspire de Jean-Jacques Rousseau, auquel elle consacre une étude : Rousseau og hans Tanker i nutiden (« Rousseau et sa pensée aujourd’hui », 1909). L’ambiguïté de sa position est perceptible dans son roman-essai Kvinden skapt av manden (« la femme créée par l’homme », 1904), où s’engage un dialogue entre le journal intime d’une femme « moderne » et le discours misogyne de l’Autrichien Otto Weininger dans son essai philosophique Sexe et Caractère (1903), dialogue où le sujet féminin est autorisé à exprimer son esprit et sa sensualité tout en affrontant le discours masculin puis en y cédant. Auteure de plusieurs pièces de théâtre – comédies, farces, tragédies, drames folkloriques et expérimentaux –, H. Garborg est une force motrice dans l’établissement d’un théâtre national en néonorvégien à Oslo. Prolifique, elle a publié en tout plus de 50 titres dont de nombreux écrits culturels d’instruction populaire, notamment sur l’alimentation et les costumes folkloriques.
Anne Birgitte RØNNING
■ FJØRTOFT K., « Bohem i bunad. Hulda Garborg », in ENGELSTAD I. et al. (dir.), Norsk kvinnelitteraturhistorie, t. 2, Oslo, Pax Forlag, 1989 ; ID, « Sprogkamp og fredssag på scenen. Om Hulda Garborg », in MØLLER JENSEN E. et al. (dir.), Nordisk kvindelitteraturhistorie, t. 3, Copenhague, Rosinante, 1996 ; OBRESTAD T., Hulda, Oslo, Gyldendal, 1992.
GARCÍA, Dora [VALLADOLID 1965]
Plasticienne espagnole.
Après des études d’arts plastiques à l’université de Salamanque et à la Rijkakademie d’Amsterdam, Dora García s’installe à Bruxelles. Travaillant à partir de textes, de documents d’archives, d’éléments sonores, elle narre des histoires réelles ou fictives pour questionner et ébranler la société. À travers une œuvre protéiforme (vidéos, écriture, performances et installations), elle s’amuse à bousculer les rapports traditionnels entre l’œuvre et son spectateur, au sein de l’espace d’exposition. Ses mises en scène, alliant fiction et réel jusqu’à les confondre, créent des situations originales, à la fois intellectuelles et ludiques, où une participation active du public est requise, parfois obligatoire, dans la création, l’activation ou la destruction de l’œuvre : dans Steal This Book (« volez ce livre », 2009), sur l’invitation lancée par l’artiste, le visiteur vole un livre, autrement dit l’œuvre, à l’insu du gardien de salle ; dans Forever (2004), une caméra filme le public dans l’espace d’exposition, tandis que l’image est retransmise en temps réel sur Internet. Plus qu’une simple interaction, le spectateur constitue l’objet même de l’œuvre ; dans Instant narrative (2002-2008), ses faits et gestes sont décrits en temps réel sur un ordinateur, dont l’image est projetée sur un mur. En plus de l’espace d’exposition, ses fictions prennent pour décors les espaces d’échanges urbains, tels que les places publiques et les réseaux de transports, ainsi qu’Internet, auquel elle a souvent recours (Heartbeat, « battements de cœur », 2000). Outre la performance et la vidéo, l’écriture constitue un moyen d’expression privilégié pour D. García. Elle se présente sous différents supports (papier [Lettres à d’autres planètes, 2005] ; lettres adhésives [Golden Sentence, 2005-2009] ; vidéo [Oui ou Non, 2005]). Les œuvres de cette artiste majeure de la scène contemporaine espagnole ont été exposées à l’occasion de manifestations internationales (Manifesta 2, Luxembourg, 1998 ; Biennale d’Istanbul 2003 ; Biennale de Venise, 2011) et d’expositions personnelles et collectives (musées d’Art contemporain de Barcelone et de Castilla y León ; Fonds régional d’art contemporain de Lorraine, Metz ; De Appel Foundation, Amsterdam ; musée Reina Sofía, Madrid ; SMAK, Gand).
Ludovic DELALANDE
■ La Pared de cristal (catalogue d’exposition), Valence, Generalitat valenciana, 2001 ; El Futuro debe ser peligroso (catalogue d’exposition), Dijon, Frac Bourgogne, 2005.
GARCIA, Nicole [ORAN 1946]
Comédienne, scénariste et réalisatrice française.
Premier prix de comédie moderne au Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris en 1969, Nicole Garcia joue au théâtre sous la direction de Jean-Pierre Bisson, Jean-Pierre Miquel ou Roger Planchon. L’intelligence et l’acuité de son regard, sa détermination et son énergie, derrière lesquelles se perçoit une indéniable force, alliées à un grand pouvoir de séduction, intéressent des réalisateurs parmi les plus exigeants. Bertrand Tavernier lui offre son premier grand rôle dans Que la fête commence… (1975), et Le Cavaleur (1979), de Philippe de Broca, lui vaut un César de la meilleure actrice dans un second rôle et la rend populaire. Elle tourne ainsi avec Alain Resnais (Mon oncle d’Amérique, 1980), Jacques Rivette (Duelle, 1976), Pierre Schœndœrffer (L’Honneur d’un capitaine, 1982), Laurent Heynemann (La Question, film évoquant la torture en Algérie et longtemps interdit en France, 1977), Michel Deville (Péril en la demeure, 1985), Claude Miller (Betty Fisher et autres histoires, 2003 ; La Petite Lili, 2002), Claire Simon* (Les Bureaux de Dieu, 2008 ; Gare du Nord, 2013), Brigitte Roüan (Outremer, 1989 ; Tu honoreras ta mère et ta mère, 2012). N. Garcia travaille aussi régulièrement pour la télévision et a notamment tourné avec Pierre Boutron, Christopher Franck, Jacques Doillon, Josée Dayan* ou Lucas Belvaux. Elle passe à la réalisation en 1986, avec un court-métrage 15 août, puis Un week-end sur deux (1990), dans lequel elle s’attache très subtilement à une mère (superbement incarnée par Nathalie Baye*) convaincue de son incapacité à pouvoir élever ses deux enfants. Dans ses films suivants, à l’exception de Place Vendôme (1998), avec Catherine Deneuve* qui recevra le prix d’interprétation à la Mostra de Venise, elle recentre ses récits sur des figures masculines, fragilisées, pour questionner les liens familiaux. Ainsi Le Fils préféré, avec Gérard Lanvin (1994), L’Adversaire (2002, avec Daniel Auteuil), qui s’inspire de l’affaire Romand, mythomane meurtrier, Selon Charlie (2006), ou Un balcon sur la mer (2010), dans lequel elle évoque l’Algérie en guerre de son adolescence. En 2014, elle préside le jury de la Caméra d’or au Festival de Cannes. Elle a deux fils, Frédéric Bélier-Garcia, metteur en scène, et Pierre Rochefort, comédien.
Laurence LIBAN
■ SUSINI M., Je m’appelle Anna Livia, lu par Nicole Garcia, Paris, Des femmes-Antoinette Fouque, « Bibliothèque des voix », 1985 ; FLAUBERT G., « Un cœur simple », lu par Nicole Garcia, Paris, Des femmes-Antoinette Fouque, « Bibliothèque des voix », 1987 ; JULIET C., L’Incessant, suivi de Poèmes et autres textes, lus par l’auteur et par Nicole Garcia, Paris, Des femmes-Antoinette Fouque, « Bibliothèque des voix », 2005.
GARCIA, Orianne [PARIS 1972]
Entrepreneuse française.
Orianne Garcia est une personnalité emblématique de l’Internet français. Après des études littéraires, elle créa Lokace, pionnier des moteurs de recherche, avec deux amis ingénieurs, Alexandre Roos et Christophe Schaming (1995). La même équipe créa en 1997 Caramail, le premier fournisseur d’adresses e-mail gratuit et francophone, qui connut un succès phénoménal. L’entrepreneuse eut la chance de vendre la société en 2000, au plus fort de la bulle Internet, au portail scandinave Spray. Devenue directrice générale, directrice commerciale et chef du marketing de Lycos France, repreneur de Spray (2002-2004), elle accumula parallèlement des expériences à la télévision comme animatrice de l’émission 3x+Net sur France 3 (1999-2001) et comme chroniqueuse sur Paris Première (2001-2003). Avec ses deux complices A. Roos et C. Schaming et un opticien allemand, elle créa en 2005 Lentilles-moins-chères.com, un site de vente en ligne de lentilles de contact, puis elle lança en 2007 Badiliz.fr, un site communautaire féminin de petites annonces. Depuis 2010, elle est directrice du marketing de la nouvelle filiale française du groupe américain Glam Media.
Alban WYDOUW
■ Comment je suis devenue millionnaire grâce au Net… sans rien y comprendre, Paris, Albin Michel, 2011.
GARCÍA BALMASEDA, Joaquina [MADRID 1837 - ID. 1893]
Écrivaine et actrice espagnole.
Passionnée de lecture et de musique depuis l’enfance, Joaquina García Balmaseda étudie au Conservatoire de Madrid, et devient comédienne dans la compagnie de Joaquín Arjona. Au bout de quatre ans, elle quitte les planches pour la littérature. Elle publie de nombreux articles dans des journaux et des revues comme La Educanda et El Correo de la Moda, dont elle est la directrice pendant dix ans. En 1868, elle collabore à la fondation de l’Ateneo des dames, à côté de Faustina Sáez de Melgar* et de Fernando de Castro. Écrivaine prolifique, elle laisse entrevoir dans ses écrits son amertume pour le manque de liberté des femmes de son époque. Auteure de théâtre, l’une des plus importantes de la seconde moitié du XIXe siècle, elle publie notamment Un pájaro en el garlito (« un oiseau pris au piège », 1871), El ángel del hogar (« l’ange du foyer »), A grandes males… (« aux grands maux… »). Parmi ses poèmes figurent Entre el cielo y la tierra (« entre ciel et terre », 1868) et Ecos de otra edad (« échos d’un autre âge »), édité à titre posthume en 1906 mais jamais distribué. Son intérêt pour l’éducation des enfants et pour les femmes est manifeste dans La madre de família, diálogos instructivos sobre la religión, la moral y las maravillas de la naturaleza (« la mère de famille, dialogues édifiants à propos de la religion, la morale et les prodiges de la nature », 1860) et Historia de una muñeca escrita por ella misma (« histoire d’une poupée écrite par elle-même », 1889). Elle écrit les paroles d’une ballade composée par José de Benito Cosme, La niña y la rosa (« l’enfant et la rose ») et fait quelques traductions du français et de l’anglais. Elle signe parfois sous un pseudonyme : Baronesa de Olivares, Aurora Pérez Mirón, Adela Samb ou Zahara.
Cristina SOLÉ CASTELLS
■ CALDERA E., « La perspectiva femenina en el teatro de Joaquina Balmaseda y Enriqueta Lozano », in MAYORAL M. (dir.), Escritoras románticas españolas, Madrid, Fundación Banco exterior, 1990 ; SÁNCHEZ LLAMA I., Antología de la prensa periódica isabelina escrita por mujeres (1843-1894), Cadix, Publicaciones de la Universidad de Cádiz, 2001.
GARCÍA BERGUA, Ana [MEXICO 1960]
Écrivaine et éditrice mexicaine.
Ana García Bergua a étudié la littérature française et le théâtre. Elle anime aujourd’hui la maison d’édition Clío et rédige depuis plusieurs années une chronique dans le supplément culturel La Jornada Semanal (« l’hebdomadaire »), ainsi que des articles variés dans des revues culturelles de Mexico. Son premier livre traduit en français, L’Île aux fous (2007), s’inspire de faits réels : il raconte l’histoire d’une garnison de soldats installés en 1906 avec femmes et enfants sur l’île de Clipperton, dans l’océan Pacifique, abandonnés à un sort tragique par le gouvernement révolutionnaire mexicain. La prose d’A. García Bergua, toute en humour et en ironie, tire de l’oubli la tradition, l’histoire et le quotidien des femmes pour révéler l’insolite dans les petits événements. Elle fait, dans un langage simple, un minutieux travail de construction littéraire.
Elsa RODRÍGUEZ BRONDO
■ L’Île aux fous (Isla de bobos, 2007), Paris, Mercure de France, 2009.
GARCIA FALLAS, Jacqueline [SAN JOSÉ 1970]
Philosophe de l’éducation costaricaine.
Après des études de philosophie à l’université du Costa Rica, Jacqueline Garcia Fallas obtient un doctorat en pédagogie. Elle enseigne et se consacre aux activités de recherche. Sa réflexion se développe sur différentes thématiques : la pédagogie, l’épistémologie, la sociologie, et notamment le rôle des nouvelles technologies face aux transformations socioculturelles. Membre de la commission du Conseil national des recteurs du Costa Rica, où elle représente le domaine des sciences sociales pour le Comité éthique et scientifique du vice-rectorat, elle fait partie du comité éditorial de différentes revues : Biocenosis, Actualidades investigativas en educación et Revista de filosofía de la Universidad de Costa Rica.
Chiara PALERMO
■ Ambientes con recursos tecnológicos, escenarios para la construcción del conocimiento, San José, Editorial Universidad Estatal a Distancia, 2004.
GARCÍA MARRUZ, Fina (Josefina GARCÍA-MARRUZ BADÍA, dite) [LA HAVANE 1923]
Poétesse et essayiste cubaine.
Membre du groupe de poètes réunis autour de José Lezama Lima, Fina García Marruz fait partie du comité de rédaction de la revue Clavileño (1943) et collabore assidûment à Orígenes (« origines », 1944). En 1961, elle obtient un doctorat en sciences sociales à l’Université de La Havane. Elle effectue des recherches en littérature, publie plusieurs ouvrages sur José Martí, des éditions critiques des œuvres de Juana Borrero*, et signe l’avant-propos d’un recueil de fragments de l’œuvre de Sor Juana Inés de la Cruz*, Dolor fiero (« douleur atroce », 1999). Elle passe aisément du transcendentalisme religieux au ton conversationnel et à la description du quotidien. Elle explique en ces termes sa volonté de s’approprier des expériences dissemblables : « Le poète est cet étrange chasseur qui n’atteint sa cible que lorsque l’oiseau, libre, sautille. La poésie, c’est intégrer, ne pas détruire, soupçonner que celui qui n’est pas comme nous détient peut-être le secret de notre nom. » Chercheuse avide et inspirée, elle a revalorisé l’œuvre de nombreux créateurs cubains, en proposant des analyses critiques novatrices. Lucide et efficace, sa poésie, tout comme sa critique, révèle les ramifications de la création et leur sens. Ses premiers textes sont centrés sur l’expérience religieuse ; les suivants sont davantage tournés vers la réalité culturelle et historique latino-américaine. Ses poèmes explorent le paysage cubain (palmiers, tabac, cochons) et le paysage intérieur, caractérisé par un raffinement des sensations. F. García Marruz est l’une des écrivaines les plus représentatives de la tradition poétique hispano-américaine, avec Transfiguración de Jesús en el Monte (« transfiguration de Jésus au Mont », 1947), Las miradas perdidas 1944-1950 (« les regards perdus », 1951), Visitaciones (« visitations », 1970), Viaje a Nicaragua (« voyage au Nicaragua », 1986), Créditos de Charlot (« générique de Charlot », 1990) et Habana del centro (« La Havane du centre », 1997). Elle a obtenu le Prix national de littérature en 1990 et le Prix ibéro-américain de poésie Pablo-Neruda au Chili en 2007.
Zaida CAPOTE CRUZ
■ ARCOS J. L., En torno a la obra poética de Fina García Marruz, La Havane, Unión de Escritores y Artistas de Cuba, 1990.
■ GARRANDÉS A., « La libertad de los arquetipos », in Unión, oct.-déc. 1997.
GARCÍA MIRANDA, Vicenta [CAMPANARIO 1816 - ID. V. 1887]
Poétesse espagnole.
Le XIXe siècle se caractérise par la place conquise par les femmes dans le monde littéraire. Le fait de sortir de la sphère privée est alors vécu comme une transgression par les écrivaines, qui essaient de trouver leur voie dans une société sexiste. Vicenta García Miranda appartient à un groupe de poétesses qui échangent des poèmes de solidarité et d’amour, en créant un espace littéraire d’où les hommes sont exclus. L’acte d’écrire est une auto-affirmation, mettant en question le rôle social des femmes, lesquelles sont définies par leur sexe et non en tant que personnes. En outre, l’auteure vit dans un hameau, fort éloigné des milieux culturels privilégiés. Elle est donc un être doublement exclu : dans sa propre communauté, et du cercle des poétesses urbaines qu’il lui est impossible de rencontrer. Elle se compare, dans ses poèmes autobiographiques, à Carolina Coronado*, qu’elle admire profondément, et dont la découverte a été pour elle un choc qui l’a éveillée à l’écriture. Cette renaissance textuelle surgit, en partie, de l’identité poétique d’une autre. Précédé du recueil Flores del valle (« fleurs de la vallée », 1855), Recuerdos y pensamientos (« souvenirs et pensées », 1849) est un poème élogieux, fait de connivence et de confessions, dont C. Coronado est la destinataire privilégiée. Notas biográficas y breve antología poética de Vicenta García Miranda, poetisa de Campanario (1981) rassemble une brève anthologie de ses œuvres.
Concepció CANUT
■ MANZANO GARÍAS A., « De una década extremeña y romántica (1845-1855) », in Revista de Estudios Extremeños, 1969 ; TABOADA L., « Cuando yo era romántico », in Intimidades y recuerdos, Madrid, Administración de El Imparcial, 1900.
GARCÍA RAMÍS, Magalí [SAN JUAN 1946]
Écrivaine et journaliste portoricaine.
Après des études d’histoire à l’université de Porto Rico, et de journalisme à l’université de Columbia (New York), ainsi qu’un doctorat en études latino-américaines à Mexico, Magalí García Ramís travaille au journal El Mundo jusqu’à son départ à New York, en 1968, puis à El Imparcial (1971-1972) et à la revue littéraire Avance jusqu’en 1973. À partir de 1977, elle enseigne à l’École de communication de Porto Rico et collabore régulièrement aux journaux et revues de son pays. C’est à New York qu’elle écrit sa première nouvelle, Todos los domingos (« tous les dimanches », 1971), qui lui vaut le prix de l’Athénée portoricain. La familia de todos nosotros (« la famille de nous tous », 1976) réunit six nouvelles qui traitent avec humour de la vie familiale, de la cohabitation des générations, ainsi que de la culture politique et de l’identité portoricaines. Son premier roman, Felices días, tío Sergio (« joyeuses journées, oncle Serge », 1986), reprend tous ces thèmes en insistant sur les dissensions familiales et sociales qu’introduisent les sempiternelles luttes politiques entre partisans de l’adhésion aux États-Unis et partisans de l’indépendance. Son autre leitmotiv est la perte progressive de l’identité portoricaine par la fascination généralisée pour les cultures américaine et européenne au détriment de la culture d’origine. Son univers aborde également les problèmes de la discrimination sexuelle. Ses narratrices sont souvent des petites filles, ce qui permet une dénonciation par le biais de descriptions « innocentes », sans jugement explicite. Avec la nouvelle La viuda de Chencho el loco (« la veuve de Chencho, le fou », 1974), M. García Ramís aborde avec dextérité les problèmes de toutes les strates sociales avec un changement de registre de langue qui introduit le parler populaire. Son deuxième roman, Las horas del sur (« les heures du sud », 2005), retrace l’histoire politique et artistique de l’île. En 1993, elle a réuni des essais journalistiques sous le titre La ciudad que me habita (« la ville qui m’habite »). Ses romans et ses nouvelles ont été largement traduits en anglais et publiés aux États-Unis.
Yaël WEISS
■ VILLANUA R. (éd.), Feux sur la ligne, vingt nouvelles portoricaines, 1970-1990, Québec/Neuvy-le-Roi/Paris, L’Instant même/Alfil/Unesco, 1997.
GARCÍA RODERO, Cristina [PUERTOLLANO, ESPAGNE 1949]
Photographe espagnole.
Diplômée des beaux-arts de l’université de Madrid en section peinture (1968-1972), Cristina García Rodero se consacre très vite exclusivement à la photographie. Active depuis le milieu des années 1970, elle développe de nombreuses séries, résultant d’un travail d’investigation approfondi sur le thème du folklore espagnol. De 1974 à 1989, elle sillonne les routes du pays à la rencontre de manifestations populaires, religieuses ou païennes, et donne naissance à la célèbre série España occulta, récompensée par le Prix du livre du Festival de la photographie à Arles, en 1989. Son œuvre s’étend aussi à l’Europe méditerranéenne (Vida tradicional, fiestas cultlis y ritos en el Mediterráneo Europeo, 1989) ainsi qu’à Haïti, où l’artiste s’est rendue régulièrement pendant quatre ans pour photographier les rituels vaudou. Si les scènes photographiées sont constitutives de l’identité culturelle d’une population, d’une région ou encore d’un pays, et qu’elles s’inscrivent dans le genre du documentaire et du reportage, son travail ne se présente pas comme un simple témoignage, car son traitement et sa présentation relèvent d’une pratique purement artistique. À travers des photographies en noir et blanc, réalisées dans la plus pure tradition, elle essaye de capturer l’essence des manifestations populaires, d’en révéler les moments intenses de joie, de douleur, de ferveur, d’effervescence et de passion, de photographier, selon ses propres mots, « l’âme mystérieuse, vraie et magique » des sujets représentés. Ainsi, sa participation à l’exposition d’Harald Szeeman, Le Plateau de l’humanité, lors de la Biennale de Venise en 2001, transcende la frontière entre les genres et réduit la distinction entre photojournalisme et photographie artistique. Artiste significative de la scène contemporaine espagnole, C. García Rodero est la première femme à devenir membre de l’agence Magnum (2009). Ses photographies ont été récompensées par de nombreux prix prestigieux (prix Eugène-Smith, 1989 ; prix Dr Erich-Salomon, 1990 ; Grand Prix de photographie de Barcelone, 1997 ; prix Bartolomé-Ros, 2000).
Ludovic DELALANDE
■ Espagne occulte, Caujolle C., Nori C. (textes), Paris, Contrejour, 1990 ; Europa, el Sur (catalogue d’exposition), Madrid, Consorcio para la Organización de Madrid Capital europea de la cultura, 1992 ; Espagne, fêtes et traditions, Caballero Bonald J. M. (textes), Madrid/Barcelone, Lunwerg, 1994 ; Rituales en Haití, Caujolle C., Hurbon L. (textes), Madrid, TF, 2001.
GARDEN, Mary [ABERDEEN 1874 - ID. 1967]
Soprano britannique.
Femme d’une très grande beauté, Mary Garden reste à jamais la Mélisande rêvée de Claude Debussy. Elle grandit à Chicago où elle est arrivée à 6 ans, et y étudie le violon et le piano. Elle se tourne ensuite vers le chant, qu’elle perfectionne à Paris. Le 10 avril 1900, deux mois après la création de l’ouvrage, elle éblouit l’Opéra-Comique dans Louise de Gustave Charpentier, en remplaçant au pied levé Marthe Rioton dans le rôle-titre. L’année suivante, elle interprète La Traviata, Manon et, en 1902, Debussy lui confie la création de Mélisande, en dépit des protestations de son librettiste, Maurice Maeterlinck, qui voulait le rôle pour sa femme, Georgette Leblanc. En 1904, elle crée La Demoiselle élue de Debussy et La Reine Fiamette de Xavier Leroux. Invitée à Londres, elle chante Manon. Sa performance convainc Jules Massenet d’écrire pour elle Chérubin qu’elle donne en première mondiale en 1905 à l’Opéra de Monte-Carlo. De 1907 à 1910, elle enthousiasme le public du Manhattan Theater de New York dans Le Jongleur de Notre-Dame, Sapho et Grisélidis de Massenet, et chante en 1909 Salomé de Strauss. En 1910, elle entre dans la troupe de l’Opéra de Chicago où elle fait ses débuts dans Pelléas et Mélisande. Elle dirige ce théâtre en 1919-1920 et y travaille jusqu’en 1931. En 1921, elle dépense une fortune pour y donner la création de L’Amour des trois oranges de Prokofiev, imposant ainsi la version française de l’ouvrage. Elle confie le rôle de Léandre au grand Hector Dufrane, et participe aux premières exécutions américaines de Résurrection de Franco Alfano en 1925 et de Judith d’Arthur Honegger en 1927. Après une série de triomphes aux États-Unis (Don Giovanni de Mozart, Cléopâtre de Massenet, Tosca de Puccini, Monna Vanna d’Henri Février), elle se retire de la scène en 1931 après avoir chanté Carmen à l’Opéra de Chicago, et donne des récitals jusqu’en 1934. En 1935, elle enseigne au Collège musical de Chicago et, de 1949 à 1955, elle consacre son temps à des conférences sur Debussy à travers les États-Unis. Ce dernier lui a dédié ses Ariettes oubliées et Albert Roussel la mélodie Vœu.
Bruno SERROU
■ Avec BIANCOLLI L., Mary Garden’s Story, New York, Simon & Schuster, 1951 ; L’Envers du décor, Paris, Les Éditions de Paris, 1952 ; Souvenirs de Mélisande, Liège, Dynamo, 1962.
GARDINER, Muriel (née MORRIS) [CHICAGO 1901 - PRINCETON 1985]
Psychiatre et psychanalyste américaine.
Issue d’une famille particulièrement privilégiée, Muriel Morris fit preuve toute sa vie d’une conscience aiguë des injustices sociales et politiques de son temps. Elle a tout juste 20 ans quand elle se mobilise en faveur de Sacco et Vanzetti, les deux anarchistes italiens condamnés à la chaise électrique. À la suite de ses études de lettres, elle quitte les États-Unis, en 1926, dans l’intention de faire une analyse avec Sigmund Freud. Celui-ci la confie à Ruth Mack-Brunswick*. Au cours de sa formation analytique, et de ses études de médecine qu’elle poursuit à la faculté de Vienne, elle se trouve engagée, dès 1934, dans la lutte antifasciste ; elle milite dans la clandestinité, sous le nom de Mary, et participe à la fabrication de faux passeports qui permettront à beaucoup de Juifs de quitter l’Autriche. C’est au sein de ce mouvement clandestin qu’elle rencontre Joseph Buttinger, chef de la résistance sociale-démocrate, dont elle deviendra la compagne puis la femme. On connaît de lui Le Précédent autrichien, livre traduit en français par Pierre Klossovski et publié à Paris en 1956. Muriel Gardiner témoignera de ces années de plomb dans Le Temps de l’ombre, qui paraîtra d’abord en français, à Paris, en 1981, puis en anglais, en 1983, sous le titre Code name « Mary ». Au cours de son analyse avec R. Mack-Brunswick, M. Gardiner fit la connaissance de Sergueï Pankejeff, plus connu sous le nom de « l’Homme aux loups », le célèbre patient de S. Freud, qui lui donne des leçons de russe. Elle publiera, en 1971, L’Homme aux loups par ses psychanalystes et par lui-même, qui inclut les notes prises par Ruth Mack-Brunswick, qui fut sa seconde analyste, et ses propres souvenirs à elle. Puis, en 1983, elle fait paraître « The Wolf Man’s last years » dans le numéro 31 du Journal of American PsychoanalyticAssociation. Dès son retour aux États-Unis, en 1939, elle se consacre aux enfants criminels et aux délinquants dont elle publiera, en 1976, de bouleversants témoignages, regroupés dans l’ouvrage Ces enfants voulaient-ils tuer ? Parmi les manifestations de sa générosité proverbiale, nous lui devons la création de la New-Land Foundation qui contribuera à la réalisation du Freud Museum de Londres. Son autobiographie inspirera Lillian Hellman* pour l’écriture du scénario du film Julia porté à l’écran par Fred Zinnemann. Avec Samuel Guttman, elle créa un groupe de recherche, Advanced Psychoanalytic Studies, qui réunissait tous les deux ans à Aspen, dans le Colorado, des psychanalystes en renom pour discuter librement de leur pratique. En 1972, Anna Freud* lui écrivait : « J’aime beaucoup ma propre vie mais, si je n’avais pas pu la vivre et s’il m’avait fallu en choisir une autre, je crois que cela aurait été la vôtre. »
René MAJOR
■ L’Homme aux loups par ses psychanalystes et par lui-même (The Wolf-Man by the Wolf-Man, 1971), Paris, Gallimard, 1981 ; Ces enfants voulaient-ils tuer ? (The Deadly Innocents, 1976), Paris, Payot, 1978 ; Le Temps de l’ombre : souvenirs d’une Américaine dans la résistance autrichienne, 1934-1939, Paris, Aubier, 1981.
GARDNER, Ava [GRABTOWN, CAROLINE DU SUD 1922 - LONDRES 1990]
Actrice américaine.
D’une famille pauvre de six enfants, Ava Gardner devient mannequin avant d’être engagée par la Metro-Goldwyn-Mayer. Elle joue de nombreux petits rôles à Hollywood, dont Retour en France (Reunion in France, Jules Dassin, 1942). En 1946, elle est lancée par le film noir de Robert Siodmak Les Tueurs (The Killers, avec Burt Lancaster, d’après Ernest Hemingway), où sa voix grave souligne son érotisme. Elle chante dans Show Boat (George Sidney, 1951) et, la même année, incarne une énigmatique séductrice dans Pandora (Pandora and the Flying Dutchman, Albert Lewin). Dans Mogambo (1953), John Ford l’oppose à Grace Kelly* : elle est la perdante magnifique, dont la générosité l’emporte sur la jalousie. En 1954, Joseph Mankiewicz lui offre son plus beau rôle, La Comtesse aux pieds nus (The Barefoot Contessa). George Cukor la dirige dans La Croisée des destins (Bhowani Junction, 1956, film qui se déroule en Inde) et dans L’Oiseau bleu (The Blue Bird, 1976, d’après le conte de Maurice Maeterlinck), où elle incarne le Plaisir. Héroïne de Tennessee Williams dans La Nuit de l’iguane (The Night of the Iguane, John Huston, 1964), elle tourne également avec Stanley Kramer, Nicholas Ray ou John Frankenheimer. À la télévision, elle incarne Agrippine*, la mère de Néron. Elle a été mariée à l’acteur Mickey Rooney, au chef d’orchestre de musique légère Artie Shaw et au chanteur Frank Sinatra.
Bruno VILLIEN
■ Ava, Paris, Presses de la Renaissance, 1991.
■ SERVER L., Ava Gardner, Paris, Presses de la Cité, 2008.
GARDNER, Helen Louise [FINCHLEY, MIDDLESEX 1908 - BICESTER 1986]
Universitaire britannique.
En 1926, Helen Louise Gardner étudie la littérature anglaise à Oxford. Elle enseigne au Royal Holloway College en 1931 et à l’université de Birmingham de 1935 à 1941. En 1942, elle est la première femme à obtenir le poste de professeur à la chaire Merton d’Oxford en littérature anglaise. Spécialiste incontestée de Thomas Stearns Eliot (The Art of T.S. Eliot, 1949), de Milton et des poètes dits « métaphysiques » de la première moitié du XVIIe siècle, elle écrit d’innombrables essais et articles, contribuant à démontrer que l’obscurité de la poésie d’Eliot n’est qu’apparente et qu’elle disparaît à sa lecture à haute voix. Elle exécute un travail colossal d’édition des textes du XVIIe siècle en veillant à leur ponctuation. Elle est appelée à la barre lors du procès contre le livre de Lawrence, L’Amant de Lady Chatterley’s, et ne cachait pas ses sympathies pour le Parti travailliste.
Michel REMY
GARDOT, Melody [PHILADELPHIE 1985]
Auteure-compositrice-interprète et pianiste américaine.
À l’âge de 19 ans, cette jeune pianiste nourrie de jazz (Duke Ellington, Miles Davis, George Gershwin…) et de rock (Radiohead, The Mamas and the Papas…) est victime d’un grave accident de voiture qui la condamne à abandonner la pratique de son instrument. Afin de surmonter cette épreuve, elle entreprend une rééducation basée sur la musicothérapie, et s’exerce à la guitare. Immobilisée sur son lit d’hôpital, elle prend goût à l’écriture et se lance dans la composition de chansons. Sa convalescence correspond à la sortie de son premier album Worrisome Heart. Produit par une maison de disques spécialisée en jazz, son disque a conquis le label grâce à la chaleur de sa voix, son répertoire – savant mélange de jazz, de blues et de rythmes brésiliens – et son orchestration à cordes. En 2009, son deuxième opus, My One and Only Thrill, dont sont extraits la reprise d’Over the Rainbow de Judy Garland* et le titre Baby, I’m a Fool, transporte définitivement le public et la profession et l’introduit dans le cénacle des jeunes chanteuses de jazz aux côtés de Norah Jones* et Diana Krall*. Un statut confirmé par The Absence, paru en 2012 : elle effectue une grande tournée mondiale suite à la sortie de l’album qui la conduit à participer à de nombreux festivals de jazz, notamment en France.
Anne-Claire DUGAS
■ Worrisome Heart, Universal Music, 2008.
GARDUÑO, Flor [MEXICO 1957]
Photographe mexicaine.
Flor de María Garduño Yanez étudie les arts visuels à l’Université nationale de Mexico, où sa professeure, Kati Horna (1912-2000), l’influence profondément. En 1979, elle cesse ses études pour assister l’éminent photographe mexicain, Manuel Álvarez Bravo, au tirage de ses portfolios. À la suite à cette expérience, elle se consacre à des travaux photographiques personnels. De 1981 à 1982, elle est chargée d’illustrer des manuels scolaires au Secrétariat de l’éducation publique : elle visite des régions reculées du Mexique afin de documenter les activités et les coutumes des Indiens, affinant ainsi sa compréhension de ces cultures oubliées, qui nourriront sa manière de photographier. En 1982, une première exposition personnelle lui est consacrée à la galerie José Clemente Orozco, à Mexico. En 1985, elle publie, avec le soutien éditorial de Francis Toledo, son premier livre, Magia del juego eterno (« magie du jeu éternel »). Une exposition éponyme est présentée à la Chambre claire en 1986, pendant le Mois de la photo à Paris. En 1988, elle réalise une campagne photographique en Amérique latine, qui fait l’objet de Testigos del tiempo (« témoins du temps »), recueil d’images rares de la survivance des traditions indiennes ; paru en 1992, traduit en cinq langues, cet ouvrage est un succès international et reçoit le prix Kodak de la critique photographique, la même année. Une exposition montrant une centaine d’images du livre circule, de 1992 à 1999, dans le monde entier. Régulièrement récompensée pour son travail, l’artiste est présente dans de nombreuses collections institutionnelles : l’Art Institute of Chicago, le musée de l’Élysée à Lausanne, entre autres. Depuis les années 2000, elle poursuit un travail plus formaliste, centré sur les objets, la nature et notamment le nu féminin. Ses images en noir et blanc, au rendu pictural, révèlent des univers de quiétude, de volupté et d’immuabilité poétique, proches des photographies d’Edward Weston.
Damarice AMAO
■ Gardiens du temps, Paris, Arthaud, 1992 ; Vestales (catalogue d’exposition), Paris, Galerie Thessa Hérold, 2009.
GARG, Mridulâ [CALCUTTA 1938]
Écrivaine indienne d’expression hindi.
Auteure d’une vingtaine d’ouvrages traduits dans une dizaine de langues, Mridulâ Garg incarne un féminisme littéraire musclé dont les accents parfois forcés laissent néanmoins entrevoir une réflexion plus vaste sur l’individu, soumis aux nombreux paradoxes de sa condition biologique, sociale et historique. Si l’œuvre entière vise à dénoncer l’exploitation physique et spirituelle de la femme, notamment dans le cadre conjugal, l’issue qu’elle propose se situe au-delà du simple renversement des rapports de domination : la nature, perçue comme libératrice, incarne un renouvellement et une gestation dégagés des contraintes de la confrontation masculin/féminin, où l’individu s’épanouit dans l’indétermination sexuelle. L’accumulation des métaphores végétales dans l’œuvre, des premières nouvelles comme Daifodil jal rahe hai (« les narcisses sont en feu », 1978) au très abouti roman à cinq voix Kâthgulâb (« bois de rose », 1996), est relayée dans ce dernier par une convocation de la figure mythique de l’Ardhanarishwar, le dieu hermaphrodite, qui permet au personnage masculin de repousser une virilité agressive et de témoigner d’un désir maternel. Si l’assujettissement de la femme à la brutalité masculine est au cœur de ce roman, M. Garg dénonce surtout dans son œuvre la violence des institutions qui régissent les relations de couple : le roman Cittakobrâ (1979) oppose ainsi un mariage arrangé où la sexualité est vécue comme un viol institutionnalisé à un adultère où la sexualité est vécue comme une exaltation charnelle. Mais l’originalité de Cittakobrâ est surtout de donner libre cours à une conscience féminine accrue du désir et de l’acte sexuel, insoumise à ce sentiment de culpabilité que l’auteure décrit comme la triste métaphore de la femme. Le roman enflamme d’ailleurs la critique dès sa publication : M. Garg est arrêtée et condamnée pour obscénités. Le roman Usse hisse kî dhûp (« sa part de soleil », 1976) déploie les mêmes arguments : si le mariage annihile l’amour, l’individu (et pas uniquement la femme) pourra s’accomplir dans une relation déchargée du rite institutionnel. La dualité omniprésente chez l’auteure, et dont témoigne jusque dans son titre le roman Main aur main (« moi et moi », 1984), invite ainsi à penser l’œuvre au-delà du simple argumentaire féministe. En déployant une poétique du conflit et du paradoxe, l’écriture de M. Garg interroge l’ambivalence aux racines de la condition humaine. À commencer par le conflit qui oppose la femme à sa chair, où l’exigence de la maternité détermine à la fois son aliénation et sa puissance. De même, l’exploration des zones grises de l’humanité est au cœur d’Anitya (1980), roman historique qui décrit la lutte pour l’Indépendance mais où, plus que la glorification du mouvement nationaliste, sont mis en avant les dilemmes de l’individu, condamné à choisir entre son intérêt personnel et l’intérêt de la nation.
Anne CASTAING
GARGALLO, Francesca [SICILE 1956]
Philosophe et écrivaine italo-mexicaine.
Venue au Mexique en 1979, Francesca Gargallo passe sa licence en philosophie à l’Université La Sapienza de Rome, et poursuit sa formation à l’Université nationale autonome de México, où elle obtient en 1987 son doctorat en études latino-américaines. Elle est directrice de l’équipe de chercheurs pour la paix du Centre d’études centraméricaines de relations internationales (CECARI) entre 1988 et 1993, et depuis 2002 enseignante fondatrice et chercheuse à l’Universidad Autónoma de la Ciudad de México (UACM). La question de l’existence de féminismes dans le contexte latino-américain au-delà des traditions occidentales l’a conduite à adopter une approche historique et anthropologique des idées féministes dans le continent, à la fois dans un cadre académique et au cours d’entretiens avec des militantes de diverses communautés indigènes d’Amérique latine. Elle a publié en 2012 Feminismos desde Abya Yala. Ideas y proposiciones de las mujeres de 607 pueblos en Nuestra América (« féminismes du Abya Yala, idées et propositions des femmes de 607 villages de Notre Amérique »). Elle est engagée dans de multiples activités scientifiques et administratives. Elle est, entre autres, membre fondatrice de la Société d’études culturelles de notre Amérique (2004), membre de l’Association internationale de critiques d’art (1999-2003), collaboratrice de l’Académie mexicaine des droits de l’homme (1999-2001).
María Victoria MARTÍNEZ ESPÍNOLA et Mercedes MOLINA GALARZA
■ Tan derechas y tan humanas. Manual ético de derechos humanos de las mujeres, México, Academia mexicana de derechos humanos, 2000 ; Ideas feministas latinoamericanas, México, UACM, 2006.
GARLAND, Judy (Frances GUMM, dite) [GRAND RAPIDS, MINNESOTA 1922 - LONDRES 1969]
Chanteuse et actrice américaine.
Ses parents étant artistes de music-hall, Judy Garland débute sur scène à 3 ans. À 13 ans, elle est engagée par Louis B. Mayer, le directeur de la Metro-Goldwyn-Mayer, qui la fait débuter à Hollywood. Elle fait sensation dans Mélodie de Broadway (Broadway Melody of 1938, Roy Del Ruth, 1937), où elle chante Dear Mr Gable pour Clark Gable. Elle apparaît en duo avec Mickey Rooney ; ils vont tourner ensemble neuf comédies musicales à succès. En 1939, dans Le Magicien d’Oz (The Wizard of Oz, Victor Fleming), elle fait triompher la chanson Over the Rainbow, qui lui vaut un oscar spécial en 1940. Après avoir tourné avec Busby Berkeley, elle est dirigée par Vincente Minnelli dans Le Chant du Missouri (Meet Me in St Louis, 1944) et Ziegfeld Follies (1945). Passant aux rôles dramatiques, elle remporte un immense succès dans Une étoile est née (A Star Is Born, George Cukor, 1954) et tourne Jugement à Nuremberg (Judgment at Nuremberg, Stanley Kramer, 1961) et Un enfant attend (A Child Is Waiting, John Cassavetes, 1962). La fille qu’elle a eue avec V. Minnelli, Liza Minnelli (née en 1946), est une célèbre chanteuse et actrice.
Bruno VILLIEN
■ MORELLA J., EPSTEIN E., Judy Garland, Paris, H. Veyrier, 1977.
GAROUSTE, Élisabeth (née ROCHLINE) [PARIS 1949]
Designer française.
Ancienne élève de l’académie Charpentier, Élisabeth Garouste entre à l’école Camondo et travaille à des décors et à des costumes de théâtre. Afin de soutenir les débuts comme peintre de Gérard Garouste, qu’elle a épousé, elle travaille pendant dix ans dans le commerce de ses parents. Un « pari réussi », puisqu’elle développe ensuite sa propre carrière. En 1979, première collaboration avec Mattia Bonetti pour l’aménagement du Privilège, le restaurant du club parisien Le Palace. En 1982, ils s’associent sous la signature B.G. Renouant avec le meuble de décorateur, ils participent au renouveau des arts décoratifs français, initiant le design barbare. Ils revisitent les styles − le barbare et le primitif, le baroque flamboyant et le modernisme −, que ce soit pour l’aménagement des salons de la maison de couture Christian Lacroix (1987) ou pour des objets produits industriellement (la carafe Ricard, le flaconnage pour Nina Ricci). Les matériaux utilisés (bois, pierre, cuir, métal, céramique) se réfèrent à l’idée de nature et de matière vivante. De nombreux meubles et accessoires ont été édités par la galerie Néotu : table Rocher (1982), chaise Prince Impérial (1985), cabinet en terre cuite sur piètement en fer forgé (1986), lampe Napoli (1987), commode Belgravia (1990), et par la boutique En Attendant les Barbares : tabouret Râ (1987), table basse Fourche (1987) et chaise L’Arlésienne (1990), tous trois en fer battu et oxydé, lampes Masque (1984) ou Lune (1985). Ils obtiennent l’Oscar de l’emballage (1992) pour « Le Teint Ricci ». Des tapis pour la chaîne de magasins Habitat aux fèves pour le pâtissier Lenôtre, du jouet le Miroir magique pour Smoby (2001) au mobilier urbain pour la ville de Montpellier (France) ou à l’aménagement intérieur de la première ligne du tramway (2000/2006), leurs créations restent emblématiques d’une théâtralité décorative. Ils font l’objet de nombreuses expositions (dont une au centre Georges-Pompidou en 1997) et d’une rétrospective au Grand Hornu (Belgique) en 2001-2002. Leurs créations sont présentes dans des collections nationales et internationales. En 2002, É. Garouste et M. Bonetti se séparent. Elle poursuit ses activités et s’occupe, avec G. Garouste, de l’association La Source, visant à faire découvrir l’art à des enfants en difficulté.
Jeanne QUÉHEILLARD
■ ALBUS V. et al., Garouste & Bonetti, Francfort, Verlag Form GmbH, 1996 ; BYARS M., The Design Encyclopedia, New York, The Museum of Modern Art, 2004 ; LEMAIRE G.-G. et al., Elizabeth Garouste et Mattia Bonetti, Paris, Michel Aveline éditeur, 1990 ; STAUDENMEYER P. et al., Garouste et Bonetti, Paris, Éditions Dis Voir, 1998.
GARRÉTA, Anne [FRANCE 1962]
Écrivaine française.
Normalienne, universitaire, spécialiste du XVIIIe siècle, Anne F. Garréta est membre de l’OuLiPo depuis 2000. Dans son premier roman, Sphinx (1986), publié alors qu’elle a 24 ans, la contrainte se fait outil d’exploration des indéterminations de genre puisque le récit se déploie en privant le lecteur de tout indice grammatical permettant de déterminer l’identité sexuelle du narrateur et du personnage de A***, dont il raconte la relation amoureuse. Peu après, l’écrivaine justifie cette contrainte d’ordre sémantique et syntaxique par une proposition polémique en forme de dialogue : Pour en finir avec le genre humain (1987). Son deuxième roman, Ciels liquides (1990), raconte le destin d’un personnage perdant l’usage de la langue. Dans La Décomposition (1999), un serial killer utilise comme modus operandi les personnages de À la recherche du temps perdu. De son côté, Pas un jour (prix Médicis 2002) explicite le cadre pragmatique qui préside à la production d’une série de textes courts déclinant 12 rencontres érotiques et/ou amoureuses entre la narratrice et ses amantes. Entre remerciements à un certain J. R. et distances prises avec les complaisances autobiographiques et autofictionnelles qui dominent la production éditoriale contemporaine, la romancière se réapproprie l’écriture de la contrainte comme outil d’exploration critique des mœurs sexuelles et des fausses évidences intellectuelles de notre époque.
Marie-Odile ANDRÉ
■ Avec ROUBAUD J., Éros mélancolique, Paris, Grasset, 2009.
GARRIGUE-MASARYK, Charlotte (née GARRIGUE) [BROOKLYN, AUJ. NEW YORK 1850 - PRAGUE 1923]
Féministe et traductrice tchèque.
Charlotte Garrigue est née au sein d’une famille unitarienne de onze enfants. Son père, issu d’une vieille famille huguenote, est l’un des principaux actionnaires d’une importante société d’assurances de la côte Est, et sa mère provient d’une lignée remontant au Mayflower. Elle épouse en 1878, à New York, Tomáš Masaryk, un jeune professeur de philosophie tchèque qui deviendra, en 1918, le premier président de la République tchécoslovaque. En 1881, le couple déménage à Prague. Dès 1882, C. Garrigue-Masaryk est introduite au sein du Club américain pour dames, première société féminine progressiste tchèque, fondée en 1865. Elle mène une intense activité sociale et culturelle, adressant des articles à des journaux américains, soutenant des artistes tchèques comme Smetana, et elle réalise la première traduction en tchèque de De l’assujettissement des femmes de John Stuart Mill, dès 1890. En 1905, ses activités prennent un tour plus politique, avec son adhésion au Club des femmes tchèques (Ženský klubu český), une organisation suffragiste qui associe des femmes issues de diverses mouvances progressistes. Son époux, une première fois élu au Reichsrat en 1892 comme député du Parti jeune tchèque, assume des positions de plus en plus polémiques, tant vis-à-vis de l’Empire que des travers du nationalisme tchèque. Il est contraint de s’exiler avec sa fille cadette et condamné à mort par contumace pour haute trahison, tandis que C. Garrigue-Masaryk demeure à Prague aux côtés de ses trois autres enfants. L’aînée, Alice Masaryková*, est emprisonnée en 1915, et sa mère entretient avec elle une correspondance passée à la postérité. En 1918, C. Garrigue-Masaryk, victime d’affections chroniques, est déclarée irresponsable pour la préserver des persécutions de Vienne et placée dans un sanatorium. C’est là que vient la chercher son époux, lors de son triomphal retour des États-Unis en décembre 1918. Si les forces manquent à C. Garrigue-Masaryk pour s’impliquer directement dans l’édification du nouvel État, son influence est déterminante dans les pressions exercées par T. Masaryk sur une Assemblée provisoire conservatrice, pour inclure dans la Constitution, outre l’égalité devant le suffrage, l’article 106 selon lequel la nouvelle république « ne reconnaît aucun privilège lié au sexe ». Léguant à sa fille Alice, élue députée, les fonctions de représentation associées à son statut de première dame, elle s’éteint trois ans après l’adoption de la Constitution.
Maxime FOREST
GARRO, Elena [PUEBLA 1916 - CUERNAVACA 1998]
Écrivaine mexicaine.
Personnage fascinant et polémique, Elena Garro a considérablement influencé le développement de la littérature mexicaine des années 1960. Sa vie est marquée par de nombreux voyages (États-Unis, Europe, Japon), où elle travaille comme éditrice, journaliste et traductrice. Ses premiers textes s’inspirent de son enfance à Iguala, dans le sud du Mexique, pendant la guerre des cristeros qui oppose le bas clergé catholique au gouvernement anticlérical issu de la Révolution mexicaine. Son premier roman, La Maîtresse d’Ixtepec (1963), est couronné par le prix Xavier-Villaurrutia. Le travail de E. Garro aborde la réalité sous un angle nouveau : elle repense et critique les mythes politiques et culturels ancrés dans les consciences, emploie de nouvelles techniques d’écriture et utilise une grande variété d’éléments provenant du surréalisme, du réalisme magique, de la littérature fantastique et du roman policier. Ses sujets de prédilection sont le temps, l’espace, la mémoire, l’expérience du double, le pouvoir de l’imagination et de la poésie. Ses œuvres se distinguent par la mise en avant des voix oubliées des indigènes amérindiens, des enfants et des femmes, notamment dans le recueil de nouvelles Andamos huyendo Lola (« nous fuyons, Lola », 1980) et dans le roman Testimonios sobre Mariana (« témoignages sur Mariana », prix Grijalbo, 1981). Parallèlement, dès les années 1940, E. Garro adapte des scénarios pour le cinéma mexicain, comme Las ratas, « les rats », inspiré de la nouvelle de José Bianco (1948) ou Paulina, basé sur un récit d’Adolfo Bioy Casares (1951) ; et quelques-unes de ses propres créations sont portées à l’écran. Son intérêt pour l’histoire et la politique du Mexique transparaît, notamment dans la pièce Felipe Ángeles (1979), une critique des violences et des trahisons entre factions politiques pendant la Révolution mexicaine. En 1968, elle se lie aux dirigeants du mouvement de contestation étudiant et effectue une série de reportages qui seront rassemblés dans Revolucionarios mexicanos (1997). La répression du mouvement par le gouvernement met en péril sa sécurité personnelle : d’abord signalée comme faisant partie des leaders, elle est ensuite accusée de délation. Après un exil volontaire en Espagne entre 1975 et 1981, elle s’installe en France de 1981 à 1993, et publie plusieurs romans : Reencuentro de personajes (« retrouvailles de personnages », 1982), La casa junto al río (« la maison près de la rivière », 1983), Y matarazo no llamó… (« et Matarazo n’a pas appelé… », 1991). Après son retour au Mexique, elle publie notamment une pièce de théâtre, Sócrates y los gatos (« Socrate et les chats », 1997). Première épouse d’Octavio Paz (1937-1959), elle passe les dernières années de sa vie au Mexique en compagnie de sa fille Helena Paz Garro et de ses 30 chats.
Margarita LEÓN VEGA
■ L’Arbre, Paris, Alfil, 1994 ; La Maîtresse d’Ixtepec (Los recuerdos del porvenir, 1963), Paris, L’Herne, 2003.
■ GUTIÉRREZ DE VELASCO L. E. et PRADO G. (dir.), Elena Garro, recuerdo y porvenir de una escritura, Mexico/Monterrey, Conaculta/Universidad Iberoamericana, 2006.
GÄRTNER, Anna VOIR LEICHTER, Käthe
GARUFI, Bianca [ROME 1918 - ID. 2006]
Écrivaine italienne.
D’origine sicilienne, non seulement écrivaine, mais également analyste jungienne, Bianca Garufi a en outre traduit de nombreux ouvrages, entre autres de Claude Lévi-Strauss et de Simone de Beauvoir*. Elle débute par un roman écrit avec Cesare Pavese en 1946, Fuoco grande (« grand feu », 1959). Ce livre, où un homme et une femme racontent les mêmes faits au fil des chapitres, mais chacun de son point de vue, constitue un véritable « cas littéraire » en révélant des aspects inédits de la création de l’écrivain, et suscite un grand intérêt. Par la suite, B. Garufi publie d’autres romans caractérisés par la complexité de leur structure (avec parfois l’alternance de la première et de la troisième personne) et par une analyse psychologique profonde des personnages féminins (Il fossile, 1962 ; Rosa cardinale, 1968), et un recueil de poésie (La fune, « la corde », 1965). Sa pièce de théâtre Femminazione (« fémination », 1974) aborde la question de l’émancipation des femmes.
Francesco GNERRE
GASKELL, Elizabeth (née CLEGHORN STEVENSON) [LONDRES 1810 - HOLYBOURNE 1865]
Romancière et écrivaine britannique.
Seule survivante avec son frère d’une fratrie de huit enfants, Elizabeth Gaskell est adoptée par sa tante quand sa mère meurt trois mois après sa naissance. Élevée dans le Cheshire, décor de ses romans, elle épouse un pasteur unitarien en 1832 et vit à Manchester, lieu d’une industrialisation galopante. Elle commence à écrire des romans pendant que son mari éduque les enfants pauvres du voisinage dans son bureau. Ils fréquentent alors le milieu non conformiste des réformateurs sociaux, dont Ruskin, Dickens et Harriet Beecher Stowe*. En 1848, Marie Barton, publié anonymement, histoire de la fille d’un syndicaliste déchirée entre deux amours, connaît un succès immédiat, défendu par Carlyle et admiré par George Eliot* et Ruskin. De 1851 à 1853, elle publie en feuilleton Cranford dans le magazine de Dickens, Household Words, petits drames situés dans un milieu de vieilles filles placides, derniers feux d’une Angleterre tranquille et très collet monté non loin du tumulte de la révolution industrielle. Ruth (1853) est l’histoire d’une séduction et d’une naissance illégitime qui mène une femme à la prostitution. Dans Nord et Sud (1855), récit alors jugé subversif, E. Gaskell s’élève contre le laissez-faire du gouvernement qui accepte un Nord misérable et affamé et un Sud agricole rayonnant, et elle milite pour un compromis économico-politique. En 1857, elle écrit une Vie de Charlotte Brontë, première étude sur les sœurs Brontë*. Dans ses six romans et sa vingtaine de nouvelles, elle utilise la satire, le mélodrame et le documentaire dans des récits menés sur un ton satirique et critique de la politique sociale où les personnages féminins bousculent les consciences par une indignation humaniste.
Michel REMY
■ Marie Barton (Mary Barton, 1848), Paris, Hachette, 1856 ; Cranford (Cranford, 1851/1853), Paris, L’Herne, 2009 ; Nord et Sud (North and South, 1854/1855), Paris, Fayard, 2005 ; Vie de Charlotte Brontë (The Life of Charlotte Brontë, 1857), Paris, Grassart, 1877.
■ WRIGHT T., « We are not angels » : Elizabeth Gaskell, Basingstoke, Macmillan, 1995.
GASNIER DE L’ESPINAY, Marie-Gabrielle (née CHAMBON) [SAINT-DOMINGUE 1742 - NANTES 1834]
Combattante et médiatrice française.
Petite-fille du marquis de Sabran qui fuit la peste en 1721 et s’installa à Saint-Domingue, Marie-Gabrielle Gasnier de l’Espinay s’illustra dans les guerres de Vendée. Fort riche par ses deux mariages et se trouvant à la tête d’immenses plantations de cannes à sucre, elle sait diriger son monde. Son deuxième mari vient de mourir quand éclate la révolte des Noirs. Bravant l’adversité, elle défend alors ses plantations avec l’aide d’une petite troupe de fidèles, puis donne asile aux colons à bord de son yacht. Les incendies et les massacres finissent par l’obliger à fuir ; elle réussit à s’embarquer sur le dernier navire regagnant le port de Nantes, où elle arrive au printemps de 1793 avec ses enfants et une servante indigène. Mais la ville est en pleine tragédie : Jean-Baptiste Carrier, représentant du peuple, pratique les exécutions sommaires. Suspectée et arrêtée, elle est libérée mais doit désormais se cacher. Après plusieurs déménagements, elle s’installe dans un logement contigu de celui d’un certain Albert Ruelle, nouveau représentant du peuple, prêt à mettre fin à la révolte vendéenne par des moyens accrus, dans un esprit de conciliation. Gagnant la confiance du représentant de la Convention, elle l’invite à dîner avec le général de l’armée de l’Ouest Jean Baptiste Camille de Canclaux, puis imagine une rencontre avec le général Charette de la Contrie en personne, dont elle avait pris la sœur, Marie-Anne, à son service comme cuisinière. Accompagnée de cette dernière, elle se rend ainsi à La Roche-sur-Yon pour parler au général Charette. Celui-ci, après bien des réticences mais séduit par « la belle créole », donne enfin son accord pour l’ouverture de pourparlers. Par le traité de pacification de La Jaunaye (17 février 1795), les Vendéens reconnaissent la République, qui leur accorde en échange la liberté de culte, l’abolition de la conscription, le droit d’armer une milice en partie soldée par l’État, ainsi que de substantielles indemnités. Grâce à ce succès, Mme Gasnier reste très populaire. Mais dès la mort du dauphin Louis XVII, la trêve est rompue et Charette est exécuté. Mme Gasnier assiste impuissante au désastre et doit fuir en Angleterre. Elle ne rentrera à Nantes qu’à la Restauration, venant en aide aux victimes de la guerre. Décédée à 92 ans, ayant gardé jusqu’au bout toute sa vivacité d’esprit et son franc-parler, cette personnalité romanesque appelée « la belle créole » par toute une littérature s’est ainsi distinguée dans l’histoire des guerres de Vendée par ses qualités d’intermédiaire, qui rendirent possibles des négociations très importantes.
Elisabeth LESIMPLE
■ CHAUVEAU J., Charette et l’épopée vendéenne, la Vivante Histoire, Paris, Nouvelles Éditions latines, 1993.
GASPAR DE ALBA, Alicia [EL PASO, ÉTATS-UNIS 1958]
Écrivaine mexicaine chicana.
Issue d’une famille mexicaine émigrée aux États-Unis, Alicia Gaspar de Alba est marquée par ce qu’elle appelle la « schizophrénie culturelle ». Tiraillée entre deux cultures, son écriture explore toutes les significations de la frontière. Les poèmes de Beggar on the Cordoba Bridge (1989), publiés dans l’ouvrage collectif Three Times a Woman : Chicana Poetry, retracent son enfance entre El Paso et Ciudad Juárez – villes frontières séparées par le Rio Grande – et donnent à lire la complexité de la vie sur une frontière ressentie comme une blessure. En 1993, paraît son recueil de nouvelles The Mystery of Survival and Other Stories, qui raconte la pauvreté dans laquelle vivent les Chicanos, la discrimination des Latinos, la marginalisation et le racisme. Ces histoires sont écrites en anglais et en espagnol, ou en faisant alterner les deux langues. Son premier roman, Sor Juana’s Second Dream (1999), raconte la vie de Sor Juana Inés de la Cruz*, religieuse et poétesse mexicaine du XVIIe siècle, et se concentre sur son homosexualité présumée, niée par ses biographes. Le roman entrelace le récit de sa vie au couvent à Mexico pendant l’Inquisition avec de longues citations de ses poèmes, des extraits d’un journal fictif, des lettres, des citations du livre d’Octavio Paz : Sor Juana Inés de la Cruz ou Les Pièges de la foi. En 2005, paraît son roman policier autour du « féminicide » de Ciudad Juárez, Desert Blood : The Juárez Murders. Le dernier roman de A. Gaspar de Alba, Calligraphy of the Witch (2007), se situe à nouveau au XVIIe siècle, au moment du procès des « sorcières » de Salem. Une reconstitution historique précise lui permet de relier la Nouvelle Espagne de Sor Juana à la Nouvelle Angleterre des « sorcières* ». Par ailleurs, elle entretient un dialogue avec l’art chicano, dans son essai Chicano Art Inside/Outside the Master’s House : Cultural Politics and the CARA Exhibition (1998), qui retrace les débats des années 1990 autour du multiculturalisme et essaie de situer l’art chicano à partir de sa visite de l’exposition Chicano Art : Resistance and Affirmation (CARA). Elle continue ce dialogue dans Velvet Barrios : Popular Culture & Chicana/o Sexualities (2003), qui rassemble plusieurs essais sur l’esthétique revendiquée par les Chicanos sous le nom de rasquache (mot d’origine náhuatl, connoté négativement au Mexique, car il désigne la laideur due à la pauvreté et à la précarité des classes défavorisées). Son dernier ouvrage critique (Our Lady of Controversy, 2011) réunit des textes autour de l’œuvre digitale controversée Our Lady, de l’artiste plastique Alma López. Enfin, A. Gaspar de Alba associe à son travail littéraire une carrière académique en tant que professeure à l’université de Californie. Elle écrit aussi un blog « Cooking with Sor Juana ».
Melina BALCÁZAR MORENO
■ ALLATSON P., « Review of Sor Juana’s Second Dream », in Aztlán : A Journal of Chicano Studies, vol. 26, no 2, automne 2001 ; CASTILLO D. A. et TABUENCA CÓRDOBA M. S., Border Women : Writing from la Frontera, Minneapolis, University of Minnesota Press, 2002 ; CHÁVEZ SILVERMAN S., « Memory Tricks : Re-Calling and Testimony in the Poetry of Alicia Gaspar de Alba », Rocky Mountain Review of Language and Literature 53, no 1, printemps 1999.
GASPARD, Françoise [DREUX 1945]
Sociologue, socialiste et féministe française.
Agrégée d’histoire et diplômée en sciences politiques et en droit public, Françoise Gaspard entre à l’École nationale d’administration (Ena) en 1975. Avant même la fin de ses études, elle est élue maire socialiste de Dreux en 1977, devenant ainsi le plus jeune mairesse de France d’une ville de plus de 30 000 habitants. En 1983, elle perd cette ville qui a connu durant son mandat une forte poussée de la droite et de l’extrême droite ; elle fait l’analyse politique de cette expérience dans son livre Une petite ville en France. Entre-temps, elle est sortie de l’Ena conseillère au tribunal administratif de Versailles, et a été élue députée au Parlement européen en 1979. À la fin des années 1980, elle se retire de l’action politique locale. Elle est élue députée à l’Assemblée nationale en 1986. Au Parti socialiste, elle milite pour une meilleure représentation des femmes. Au début des années 1990, elle s’engage dans le mouvement pour la parité, dont elle sera l’une des figures de proue. Experte du réseau européen « Femmes dans la prise de décision », elle crée en France, avec Claude Servan-Schreiber, l’association Parité-Infos et participe à divers réseaux, multipliant manifestations, conférences à travers le monde et écrits sur ce thème. De 1998 à 2000, elle représente la France à la Commission de la condition de la femme à l’Organisation des Nations unies (Onu), puis, à partir de 2001, est experte au sein du comité de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes* de l’Onu. F. Gaspard a joué un rôle de pionnière dans l’introduction des études gays et lesbiennes en France. Elle a d’abord dirigé un séminaire de recherche à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), entre 1998 et 2004, sur la sociologie des homosexualités. Puis, depuis le printemps 2006, elle codirige avec Bruno Perreau le premier cours français sur l’homosexualité à l’Institut d’études politiques de Paris.
Nadine PUECHGUIRBAL
■ Avec BATAILLE P., Comment les femmes changent la politique, Paris, La Découverte, 1999 ; (dir.), Les Femmes dans la prise de décision en France et en Europe, Paris/Montréal, L’Harmattan, 1997 ; avec SERVAN - SCHREIBER C. et LE GALL A., Au pouvoir citoyennes ! Liberté, Égalité, Parité, Paris, Seuil, 1992.
GASPERINI, Brunella (Bianca ROBECCHI, dite) [MILAN 1918 - ID. 1979]
Écrivaine et journaliste italienne.
À partir de 1952, Brunella Gasperini collabore à des revues féminines, Novella et Annabella. Tout au long d’une collaboration qui dure vingt-cinq ans, elle écrit aux lectrices 250 000 lettres qui seront réunies en plusieurs volumes : elle parle des relations affectives, de la nature, des adolescents et, dans les années 1960-1970, de la drogue, de l’homosexualité et de la contraception. Elle est l’auteure d’une dizaine de romans, écrits pour la plupart à la première personne par une narratrice journaliste submergée par ses problèmes familiaux, liés à son mari, à ses enfants et à ses animaux domestiques (chiens, chats, oiseaux, tortues) : I fantasmi nel cassetto (« les fantômes au fond du tiroir », 1970) ; Siamo in famiglia (« nous sommes en famille », 1974) ; Storie d’amore storie d’allegria (« histoires d’amour histoires de bonheur », 1976) ; Una donna e altri animali (« une femme et d’autres animaux », 1978) ; Così la penso io (« c’est ce que je pense », 1979) ; Impressioni su fatti e problemi della vita di tutti i giorni (« impressions sur les événements et les problèmes de la vie quotidienne », 1979), où différents rôles de femme sont peints avec humour.
Graziella PAGLIANO
■ TOMMASO M., Brunella Gasperini, la rivoluzione sottovoce, Reggio Emilia, Diabasis, 1999.
GASTINEL, Anne [TASSIN-LA-DEMI-LUNE 1971]
Violoncelliste française.
Née de parents musiciens, membre d’une fratrie de musiciens, Anne Gastinel commence le violoncelle à 4 ans et pratique en parallèle le piano et le hautbois. Élève de Patrick Gabard, Jean Deplace et Philippe Muller, elle donne à 10 ans son premier concert télévisé en soliste avec orchestre. Âgée de 11 ans, elle entre au Conservatoire national supérieur de musique de Lyon dans la classe de J. Deplace dont elle occupe aujourd’hui le poste, et se voit attribuer le premier prix de violoncelle quatre ans plus tard, en 1986. Elle est la première à intégrer directement, à l’unanimité, le troisième cycle du Conservatoire de Paris, et remporte parallèlement les Concours internationaux de Scheveningen et de Prague. Elle achève ses brillantes études en 1989, année où elle se produit déjà dans une cinquantaine de villes d’Europe. Elle complète sa formation auprès notamment de Paul Tortelier, Janos Starker et Yo-Yo Ma. Révélée au grand public en 1990 par la retransmission européenne du Tournoi Eurovision qui se déroule à Vienne et par le Concours Rostropovich à Paris qu’elle remporte à l’unanimité, elle joue sous la direction de chefs prestigieux comme Kurt Sanderling, Emmanuel Krivine, Louis Langrée, Alain Lombard, Michel Plasson, Semyon Bychov… Parallèlement, sa production discographique, en musique de chambre et avec orchestre, reçoit l’éloge de la presse internationale et de nombreuses distinctions. Elle est notamment la seule instrumentiste à avoir obtenu une Victoire de la Musique dans les trois catégories : « espoir », « enregistrement de l’année » et « soliste de l’année ». Elle est choisie en 1997 par Marta Casals-Istomin pour jouer, pendant un an, avec le Matteo Gofriller de Pablo Casals. Nommée en 2000 marraine du festival Voyage musical d’hiver à Lyon, elle parraine celui des Rencontres de musique de chambre de Lyon, et continue parallèlement de séduire toutes les scènes du monde, privilégiant toujours le plaisir de l’échange, qui est l’essence de la musique à ses yeux. Depuis 2008, elle est présidente d’honneur du Festival de Montmerle. Nombre de compositeurs écrivent pour elle, à l’instar d’Éric Tanguy et de Suzanne Giraud. Elle joue actuellement sur un violoncelle de Carlo Giuseppe Testore de 1690 prêté par le Fonds instrumental français.
Bruno SERROU
GASTRONOMIE - CLUBS [XXe siècle]
Les clubs gastronomiques féminins sont apparus en France, plus précisément à Paris, à la fin des années 1920 : Les Belles Perdrix, club fondé en 1928 par Marie Croci et Gabrielle Réval, et le Cercle des gourmettes, créé en 1929 par Mmes Ettinger et Gaudin, toutes quatre épouses de membres des clubs gastronomiques masculins Le Grand Perdreau (1910) et le Club des cent (1912). Selon les principes des clubs tels qu’ils naissent au XIXe siècle, les femmes n’y étaient pas admises. Comme le font parfois leurs homologues masculins, les deux premiers clubs féminins organisent une fois par an un dîner où des membres masculins sont invités selon un protocole propre à chacun. Si cette invitation peut prendre un certain air de revanche sociale à l’égard des invités eux-mêmes, la création de ces clubs est surtout le signe d’un changement de statut du restaurant au cours de l’entre-deux-guerres, celui-ci s’ouvrant désormais aux femmes « convenables ». Comme son pendant masculin à la vocation culturelle, le club Les Belles Perdrix réunit en majorité des femmes de lettres et accorde deux prix : l’un à un jeune romancier, l’autre à un jeune peintre. Le Cercle des gourmettes a, quant à lui, une dimension plus strictement culinaire et militante, à l’instar du Club des cent : il s’est doté d’une école de cuisine et s’engage à développer le tourisme en France en soutenant les bons restaurants, récompense « les cuisinières et cuisiniers méritants » afin d’encourager « la bonne cuisine familiale et la gastronomie régionale ». En outre, il souhaite combattre la vie chère en sélectionnant des fournisseurs de qualité et favoriser la création de cours et d’écoles de cuisine et d’art ménager. Si le club des Belles Perdrix ne survécut pas à la Seconde Guerre mondiale, le Cercle des gourmettes est toujours actif et poursuit ses activités, invitant des chefs connus pour des démonstrations de cuisine et organisant des voyages et des sorties gastronomiques pour ses membres.
Bénédict BEAUGÉ
■ CURNONSKY, ANDRIEU P., Les Fines Gueules de France, Paris, Quereuil, 1935 ; RÉVAL G., CROCI M. (dir.), Recettes des Belles Perdrix, Paris, Albin Michel, 1930.
GATELL, Angelina [BARCELONE 1926]
Écrivaine et poétesse espagnole.
Proche du monde théâtral grâce à son mari, Eduardo Sánchez, Angelina Gatell a fondé avec lui l’un des premiers théâtres expérimentaux, El Paraíso, et a contribué, avec José Hierro, Manrique de Lara et Aurora de Albornoz*, à animer des débats littéraires dans les années 1950. Elle a cultivé le roman, l’essai et la biographie, consacrant dans ce registre ses ouvrages à Neruda (Neruda, 1971) ainsi qu’aux poétesses Delmira Agustini* et Alfonsina Storni*. Elle a aussi été critique littéraire pour les revues Poesía Española, Sábado Gráfico (« samedi graphique »), Cuadernos Hispanoamericanos (« cahiers hispano-américains ») et El Urogallo (« le coq de bruyère »). Mais elle est surtout connue pour sa créativité en poésie : Poema del soldado (« poème du soldat »), couronné du prix Valencia en 1954 ; Las claudicaciones (1969). Dans l’anthologie Mujer que soy, la voz femenina en la poesía social y testimonial de los años cincuenta (« femme que je suis, la voix féminine dans la poésie sociale, témoignage des années 1950 », 2006), elle a rassemblé, outre ses propres poèmes, ceux d’une dizaine d’écrivaines espagnoles, dont Carmen Conde*, Concha Zardoya*, Gloria Fuertes*, Acacia Uceta* et A. de Albornoz*, précédés d’une notice biobibliographique. Toutes ont vécu la guerre, ce qui permet à l’auteure d’étayer sa thèse : les femmes se sont engagées et ont joué un rôle actif dans la poésie sociale de l’après-guerre ; la conflagration de 1936 les aurait marquées et forcées à chercher un nouveau langage, une nouvelle voie d’expression. Dans le prologue à cette anthologie, elle s’attache, en partant de son époque, à remonter les siècles pour mieux saisir la contribution des femmes espagnoles à l’art poétique et pour conclure que la poésie critique, loin d’être une tendance isolée, est le résultat d’un phénomène collectif. Elle s’est aussi consacrée à la littérature pour enfants ainsi qu’à la traduction dans ce domaine. Elle a produit des adaptations et exercé des activités de doublage pour le cinéma et la télévision, média où elle fut également actrice et scénariste.
Carme FIGUEROLA
GATENS, Moira [LONDRES 1954]
Philosophe féministe australienne.
Professeure à l’Australian Research Council de l’université de Sydney, titulaire de la chaire Spinoza à l’université d’Amsterdam en 2010, Moira Gatens est l’auteure d’importants ouvrages en philosophie sociale et politique féministe (Feminism and Philosophy, 1991 ; Between the Sexes, 1995). Elle critique la distinction entre sexe et genre, sans succomber à la réification des différences ni à l’élimination des particularités (Imaginary Bodies, 1996). M. Gatens s’inspire de Michèle Le Dœuff* et Luce Irigaray* et elle s’appuie sur l’œuvre de Spinoza pour aborder les questions de politique contemporaine telles la différence, la liberté et la relation entre individu et communauté (Collective Imaginings, 1999 ; ou Feminist Interpretations of Benedict Spinoza, 2009). Lisant Deleuze à partir d’une perspective spinoziste, elle soutient que la personne est un tout complexe, en échange perpétuel avec son environnement. Éliminant les dualismes traditionnels de la philosophie, elle cherche à créer de l’espace pour des relations sociales plus équitables. Son travail récent concerne la littérature et la philosophie : elle étudie les contributions philosophiques de George Eliot* concernant le statut éthique du roman et la possibilité de repenser le genre (masculin et féminin) et les genres littéraires. Elle aborde la question en analysant la relation que Marian Evans (« George Eliot ») entretenait avec George Henry Lewes, son partenaire.
Erin TARVER
■ Gender and Institutions, Cambridge, Cambridge University Press, 1998.
■ « Can human rights accommodate women’s rights ? », in Contemporary Political Theory, vol. 3, no 3, 2004 ; « The “disciplined imagination” : literature as an experimental philosophy », in Australian Feminist Studies, vol. 22, no 52, 2007 ; « Privacy and the body », in ROESSLER B. (dir.), Privacies, Stanford, Stanford University Press, 2004 ; « Beauvoir and Biology », in CARD C. (dir.), The Cambridge Companion to Simone de Beauvoir, Cambridge, Cambridge University Press, 2003.
GATES, Melinda (née FRENCH) [DALLAS 1964]
Philanthrope américaine.
Après ses études en informatique et économie à l’université Duke, Melinda French rejoint Microsoft en 1987 et pendant près de dix ans dirige le développement de nombreux produits multimédias. En 2000, elle crée avec son mari Bill Gates la fondation humanitaire qui porte leur nom. La Bill and Melinda Gates Foundation s’inscrit dans la tradition nord-américaine de philanthropie, considérée comme la contrepartie de l’enrichissement, qu’il faut rendre à la collectivité. Le couple consacre la quasi-totalité de son immense fortune au financement de projets innovants concernant l’éducation aux États-Unis et la santé publique dans les pays les plus démunis. Ont été ainsi financés des projets d’aide à la recherche de médicaments contre le paludisme, des campagnes massives de vaccinations contre la poliomyélite et les maladies infectieuses, des projets d’assainissement des eaux. L’objectif de la fondation est ambitieux et la démarche novatrice : il ne s’agit pas seulement d’être bailleur de fonds, mais aussi de soutenir les politiques gouvernementales de santé publique et de créer des alliances avec d’autres institutions. C’est ainsi que la fondation a participé à la création de Global Alliance for Vaccines and Immunisation, visant à vacciner les enfants des pays les plus pauvres. Convaincue qu’il faut déployer des financements massifs, M. Gates parcourt le monde, à l’écoute des habitants et plus particulièrement des femmes. Catholique pratiquante, elle milite pour que des millions de femmes des pays en développement puissent accéder à la contraception et aient ainsi la possibilité de déterminer leur avenir. Elle a co-organisé, en juillet 2012, le sommet international de Londres sur la planification des naissances, démarche inédite qui met les femmes au centre des programmes de santé et de développement.
Jacqueline PICOT
GATTAI, Zélia [SÃO PAULO 1916 - SALVADOR DE BAHÍA 2008]
Romancière, mémorialiste et photographe brésilienne.
Fille d’un couple d’Italiens ayant contribué à fonder une communauté anarchiste au Brésil à la fin du XIXe siècle, Zélia Gattai participe dès son enfance au mouvement ouvrier de São Paulo, où ses parents se sont installés. Cette situation imprègne son premier livre, Anarquistas, graças a Deus ! (« anarchistes, grâce à dieu », 1979). À 20 ans, elle épouse l’intellectuel militant Aldo Veiga, qu’elle quitte en 1945, après avoir fait la connaissance de l’écrivain Jorge Amado, avec qui elle plaide pour l’amnistie des prisonniers politiques. En 1948, le couple s’exile en Europe pendant cinq ans pour fuir la dictature de Getúlio Vargas. À Paris, elle participe avec J. Amado à la vie culturelle et noue des contacts avec Pablo Neruda, Jean-Paul Sartre, Nicolás Guillén et d’autres, tout en suivant de nombreux cours à la Sorbonne. En 1953, ils rentrent au Brésil et s’installent à Salvador de Bahía, dans la Casa do Rio Vermelho, aujourd’hui transformée en musée, jusqu’à la mort de J. Amado, en 2001. Z. Gattai s’occupe de ses manuscrits et immortalise la vie de leur couple grâce à de nombreuses photographies. C’est en 1979, à 63 ans, qu’elle écrit ses premiers textes. Après son premier livre, qui rencontre un grand succès, tant auprès du public que de la critique, elle publie d’autres titres, tels que Un chapeau pour voyager, La Reine du bal, Jardin d’hiver et Le Temps des enfants, mais aussi Crônica de uma namorada (« chronique d’une amoureuse », 1995), A casa do Rio Vermelho (« la maison du Rio Vermelho », 1999), Códigos de família (« codes de famille », 2001), Um baiano romântico e sensual (« un bahiano romantique et sensuel », 2002) et Memorial de amor (« mémorial d’amour », 2004), toujours centrés sur ses Mémoires, auxquels elle mêle la vie prolifique et aventureuse de son époux. Elle a également écrit des ouvrages de littérature jeunesse. De nombreuses fois primée et décorée, elle a été élue à l’Académie brésilienne des lettres en 2001.
Tânia PELLEGRINI
■ Un chapeau pour voyager (Um chapéu para viagem, 1982), Paris, Stock, 1984 ; La Reine du bal (Senhora Dona do Baile, 1984), Paris, Stock, 1985 ; Jardin d’hiver (Jardim de inverno, 1988), Paris, Stock, 1990 ; Le Temps des enfants (Chão de meninos, 1992), Paris, Ramsay, 1996.
GATTY, Margaret (née SCOTT) [BURNHAM-ON-CROUCH, ESSEX 1809 - ECCLESFIELD, YORKSHIRE 1873]
Écrivaine et naturaliste britannique.
C’est avec son père, aumônier d’amiraux célèbres de la marine royale avant d’être nommé vicaire, que Margaret Scott apprend les diverses langues qu’elle maîtrise et le goût de la lecture, du dessin et de la gravure. En 1839, elle épouse Alfred Gatty, écrivain et vicaire d’Ecclesfield, et lui donne dix enfants, dont deux meurent en bas âge. En 1842, elle écrit avec lui une vie de son père, décédé trois ans plus tôt. Mais surtout, entre 1855 et 1871, elle rédige des paraboles mêlant son éducation religieuse et morale à l’intérêt qu’elle porte à l’histoire naturelle et à la botanique. Elle est reconnue comme une véritable scientifique. Elle publie par ailleurs, et ce chaque année jusqu’à son décès, des contes pour enfants – principalement dans le Monthly Packet de Charlotte M. Yonge, certains ayant été rassemblés dans The Fairy Godmothers (« les bonnes fées », 1851) – et des paraboles morales à usage de la jeunesse (Aunt Judy’s Letters, « les lettres de tante Judy, 1859 ; Aunt Judy’s Tales, « les contes de tante Judy, 1862 ; Aunt Judy’s Magazine, à partir de 1866). À cette littérature viennent s’ajouter divers textes touchant aux sciences (sur les algues ou les cadrans solaires) dans lesquels elle s’inscrit en faux contre le darwinisme naissant au nom d’une théologie de la création.
Geneviève CHEVALLIER
■ Paraboles de la nature (Parables from Nature, 1855-1871), Tours, A. Mame, 1884 ; Contes de tante Judith (Aunt Judy’s Tales, 1862), Paris, Hachette, 1938.
GAUCKLER, Geneviève [FRANCE 1967]
Graphiste française.
Après avoir obtenu son diplôme de l’École nationale supérieure des arts décoratifs (Ensad) en 1991, Geneviève Gauckler travaille dans un premier temps dans l’édition (Les Humanoïdes associés, La Sirène) avant de réaliser des visuels de disques (Laurent Garnier, St Germain) et de concevoir des clips vidéo (Pierre Henry, le groupe Sparks). Parallèlement à ces multiples expériences artistiques, G. Gauckler est également directrice de la revue franco-japonaise Minimix, avec Eko Sato. En 1997, elle crée avec succès une série d’affiches pour l’association Act Up. Après un passage à Londres, où elle travaille à la réalisation de projets sur le Web pour l’agence de design Me Company, elle poursuit sa carrière graphique en indépendante. Ses mandalas, ses collages photographiques et ses personnages si caractéristiques sont repris pour des campagnes de publicité de Renault ou des cosmétiques Bourgeois. En 2003, elle participe à la création du collectif Pleix. Elle réalise des clips et des vidéos où, sans jamais se départir de son originalité, elle pointe certaines des dérives de la cybernétique ou de la chirurgie esthétique. En 2004, elle expose dans le magasin parisien Colette, et, en liaison avec la marque japonaise Comme des garçons, ses travaux sont exposés à Tokyo. En 2006, son exposition Around the World, à Auckland, est très remarquée. Pour cette manifestation, elle crée de nombreuses et très riches compositions photographiques. Quoi qu’elle fasse, G. Gauckler travaille avec insolence et un œil moqueur. Son style est un mélange osé et utopiste d’imagerie naïve tirée de la presse populaire et de la télévision.
Margo ROUARD-SNOWMAN
■ L’Arbre généalogique, Angoulême, Éditions de l’An 2, 2003 ; Geneviève Gauckler, Paris, Pyramid, 2003 ; avec ROUXEL L., Geneviève Gauckler : Gas book, Toronto, Design Exchange, 2004.
GAUDE, Eugénie-Marie VOIR VALREY, Max
GAUDIN DE LAGRANGE, Anne-Marie [MARSEILLE 1902 - SAINTE-MARIE DE LA RÉUNION 1943]
Écrivaine française.
D’ascendance française et écossaise, Anne-Marie Gaudin de Lagrange passe sa première enfance dans la propriété familiale de Beaumont, sur les Hauts de Sainte-Marie. Elle décide de se consacrer à la poésie en exaltant sa « petite patrie » insulaire. Loin de s’enfermer sur son île, elle mène une vie intellectuelle intense, découvre l’Inde, s’enthousiasme pour la lutte en faveur de l’indépendance et entretient une correspondance suivie avec Rabindranath Tagore. Elle fourmille de projets restés à l’état de manuscrits (Les Roses noires ; L’Âme vestale ; Pages descriptives et historiques sur la commune de Sainte-Marie ; Histoire romancée de la révolution irlandaise). Fait exceptionnel pour une femme de cette époque coloniale, elle a mené des études de droit, a écrit des poèmes ; son activité littéraire a fait d’elle la première écrivaine de l’île.
Michel BENIAMO
■ Reflets d’âme, Hongkong, Millington, 1939 ; Poèmes pour l’île Bourbon, Tananarive, Impr. de l’Imerina, 1941.
GAUHAR, Madeeha [KARACHI 1956]
Dramaturge pakistanaise.
Si le théâtre alternatif jouit aujourd’hui d’une certaine popularité au Pakistan, c’est dans une large mesure à Madeeha Gauhar qu’il le doit. Lectrice dans une institution de jeunes filles, cette militante féministe a créé en 1983 le théâtre Akoja, alors que le pays vivait sous le régime répressif du général Zia ul-Haq. La troupe a démarré avec des moyens très limités (donations), mais n’a pas tardé à se bâtir une notoriété dans les milieux militants et artistiques. N’hésitant pas à traiter de thèmes polémiques, comme le port du voile, l’intolérance religieuse, les droits des femmes et le sort des travailleurs déshérités, Akoja a permis à toute une série de causes exposées à la censure des forces armées et de leurs soutiens politiques de rester dans le débat public. Visant essentiellement à promouvoir la cause des femmes et les idées soufies, ce théâtre compte aujourd’hui parmi les troupes les plus avant-gardistes du pays. Plus de 40 pièces – œuvres originales et adaptations – figurent à son répertoire. Avec son époux dramaturge, qui écrit certaines pièces, M. Gauhar a su imposer une personnalité mêlant styles traditionnels, tendances modernistes et théâtre de rue. Sa formation universitaire de dramaturge lui confère une large palette d’expression. Ancienne comédienne de la télévision (pour la série Zanjeer), elle organise des ateliers destinés à former comédiens amateurs et militants. Elle s’est par ailleurs investie dans l’audiovisuel, via une société de production de feuilletons et de documentaires. Outre son implication dans les causes sociales, Akoja milite également pour l’apaisement des tensions entre l’Inde et le Pakistan. On lui doit l’organisation du premier festival de théâtre indo-pakistanais pour les femmes (Lahore, 2004). Toujours considérés comme suspects par les autorités, M. Gauhar et ses proches collaborateurs continuent de faire l’objet de surveillances et d’intimidations. Les fondamentalistes leur adressent régulièrement des menaces et leur ont intenté plusieurs procès en diffamation, arguant qu’ils portent atteinte à la dignité du Pakistan et à celle de l’islam. L’une de leurs pièces, Burqavaganza, a été censurée en 2007 car elle évoquait avec légèreté et humour une histoire d’amour au temps du djihad, abordant en filigrane la question du port du voile. En dépit de ces pressions, la troupe et sa fondatrice tentent de poursuivre leur action d’éveil de la société pakistanaise, et ont été distingués par plusieurs prix internationaux.
Roshan GILL
GAULLE-ANTHONIOZ, Geneviève DE (née de GAULLE) [SAINT-JEAN-DE-VALÉRISCLE 1920 - PARIS 2002]
Résistante française et militante des droits de l’homme.
Nièce du général de Gaulle, Geneviève de Gaulle-Anthonioz s’engage dès 1940 dans le réseau résistant du Musée de l’Homme et aide le mouvement Défense de la France. Déportée au camp de Ravensbrück à 22 ans, elle est « mise au bunker » sur l’ordre d’Himmler qui veut l’utiliser comme monnaie d’échange. Cinquante ans plus tard, elle racontera cette expérience dans son ouvrage La Traversée de la nuit. En 1958, membre du cabinet d’André Malraux, elle s’occupe de la recherche scientifique. En 1960, elle démissionne pour assister le père Joseph Wresinski au sein de l’association Aide à toute détresse (future ONG ATD Quart Monde). Dès lors, elle consacre sa vie à la lutte contre la pauvreté : elle préside la section française de l’ATD de 1964 à 1998, et devient un relais entre le quart monde, les volontaires et le monde politique dans lequel elle ne cessera d’exercer son influence, visant des actions concrètes. Elle se bat au sein du Conseil économique et social, puis à l’Assemblée nationale, pour faire adopter le projet de loi contre les exclusions qui sera voté en juillet 1998, et insiste sur l’importance d’introduire la culture et l’éducation artistique au sein du quart monde. Elle fait également œuvre de mémoire en participant à la création de l’association des anciennes déportées et internées de la Résistance, et témoigne sur Ravensbrück au procès de Klaus Barbie en 1987. Première femme décorée de la grand-croix de la Légion d’honneur, G. de Gaulle-Anthonioz entre au Panthéon en 2015.
Audrey CANSOT
GAUTHIER, Xavière (Mireille BOULAIRE, dite) [NORMANDIE 1942]
Écrivaine et éditrice française.
Après Surréalisme et sexualité en 1971 et Leonor Fini en 1973, Xavière Gauthier publie Rose saignée en 1974 : la ville d’Istanbul sert de décor à cette saison en enfer d’une femme qui, pour être la reine des hommes qui n’aiment que les hommes, entre dans la mascarade. En 1975, parce que les femmes « dansent, sauvages et irrécupérables, comme le désir », elle crée la revue littéraire et artistique Sorcières, qui paraît jusqu’en 1980. Figure du féminisme, elle consacre une part importante de son œuvre au combat des femmes dans la lutte pour l’avortement. Récusant toute approche réductrice ou simplificatrice de la question féminine, elle transcrit à l’état brut dans Les Parleuses (1974) ses entretiens avec Marguerite Duras*, fascinée par une vérité qui émanerait du désordre et des lacunes du discours. Elle se passionne pour la figure de Louise Michel* : elle édite ses œuvres majeures (Lettres d’Auberive en 2005 ; La Misère en 2006, avec Daniel Armogathe), publie ses lettres et devient son exigeante biographe ; son analyse vient battre en brèche la représentation iconique de la femme militante pour souligner sa complexité et ses contradictions. Elle est également journaliste et éditrice pour la jeunesse.
Marie-Anne LENOIR
■ La Vierge rouge, biographie de Louise Michel, Paris, Éditions de Paris, 1999 ; Naissance d’une liberté, avortement, contraception, le grand combat des femmes au XXe siècle, Paris, R. Laffont, 2002 ; Paroles d’avortées, Paris, La Martinière, 2004 ; Pionnières, de 1900 à nos jours, elles ont changé le monde, Paris, Flammarion, 2010.
GAUTIER, Judith [PARIS 1845 - SAINT-ÉNOGAT, AUJ. DINARD 1917]
Femme de lettres française.
Fille d’Ernesta Grisi (sœur de la célèbre ballerine Carlotta Grisi*) et de Théophile Gautier, Judith Gautier est élevée à la campagne dans une liberté complète. Très jeune, elle bénéficie du cercle intellectuel et artistique de son père, et rencontre Baudelaire, Flaubert, les Goncourt, Gustave Doré… Encouragée par son père, elle publie son premier article à 17 ans. C’est une critique de la traduction de Charles Baudelaire d’un livre d’Edgar Poe Eureka, que le poète applaudit. Son père ayant accueilli chez lui un mandarin chinois en exil, elle apprend le chinois. La Chine, mais aussi l’Égypte, le Japon, la Perse et l’Inde seront les sources d’inspiration de celle qui va bientôt être une auteure extrêmement prolixe. Romancière orientaliste, poétesse, auteure dramatique, sculptrice, peintre, marionnettiste, critique d’art, musicologue, rosicrucienne et sinologue, aussi belle que généreuse et excentrique, J. Gautier a fasciné le monde artistique de son temps, jusqu’à Victor Hugo avec lequel elle se lie après le retour d’exil du poète. Ayant noué contact avec les Parnassiens par son bref mariage avec Catulle Mendès, elle reste, grâce à son salon hebdomadaire, le centre de toute une mouvance artistique qui perpétue à travers le Symbolisme la tradition de l’artiste romantique et de l’art pour l’art. Comme son père, elle fournit régulièrement des critiques musicales et artistiques au Moniteur universel, mais aussi à La Presse, au Rappel, et au Journal officiel. Après avoir rencontré Richard Wagner en Suisse au bord du lac des Quatre-Cantons, elle va régulièrement le voir à Bayreuth et s’attache avec passion à faire accepter son œuvre en France. En 1910, elle est la première femme élue à l’académie Goncourt. Elle repose dans un cimetière breton juste à côté de sa villa à Saint-Énogat.
Véronique CHAGNON-BURKE
■ Le Collier des jours : souvenirs de ma vie (s.d.), Paris, L’Harmattan, 1990 ; Œuvres complètes, Daniel Y. (dir.), Paris, Classiques Garnier, 2011.
■ DANCLOS A., La Vie de Judith Gautier, égérie de Victor Hugo et de Richard Wagner, Paris, F. Lanore, 1996.
GAUTIER, Marthe [SEINE-ET-MARNE 1925]
Pédiatre française.
Marthe Gautier est connue pour avoir découvert l’anomalie portant sur un chromosome surnuméraire, appelée trisomie 21. Née en Île-de-France, cinquième d’une famille de sept enfants, elle effectue ses études de médecine à Paris. Reçue en 1952 au concours, encore peu féminisé à l’époque, de l’internat des Hôpitaux de Paris, elle choisit de se spécialiser en pédiatrie, avec pour but de se consacrer entre autres à la lutte contre la maladie de Bouillaud (rhumatisme articulaire aigu), qui ravage alors la France et beaucoup d’autres pays. Elle travaille à vulgariser la prophylaxie à la pénicilline pour éradiquer la maladie, et à gérer le traitement par la cortisone des malades atteints de cardiopathies graves. À la fin de son internat, elle reçoit une bourse pour aller à Harvard aux États-Unis, où, en plus de la cardiologie pédiatrique, elle apprend la technique de cultures cellulaires à partir de fragments d’aorte. De retour à Paris, c’est auprès du Pr Raymond Turpin, qui termine sa carrière à l’hôpital Trousseau, qu’elle trouve un poste. Le service est spécialisé dans la génétique, et plus particulièrement dans ce que l’on appelle alors l’« idiotie mongolienne », dont l’origine génétique est soupçonnée mais pas encore prouvée. Le Pr Turpin en a lui-même évoqué l’origine chromosomique dès 1937. Le nombre exact de chromosomes de l’espèce humaine vient juste d’être défini : il est de 46, contre 48 affirmé auparavant. M. Gautier se propose de déterminer le caryotype des « mongoliens », puisque personne ne semble en mesure de le faire à Paris à cette époque, dans le dénuement de la recherche qui suit la guerre. Seule, bénévolement et même au début à ses frais, dans un laboratoire de fortune à l’hôpital Trousseau, elle met au point une technique originale de détermination du nombre de chromosomes. C’est bien elle qui met en évidence la présence d’un chromosome supplémentaire dans les cellules des mongoliens. La situation devient conflictuelle lorsque Jérôme Lejeune, alors stagiaire au CNRS, qui étudie les dermatoglyphes des mongoliens, s’empare de la découverte. Il signe en premier l’article princeps, va présenter ces résultats au Canada et aux États-Unis, passant pour le découvreur de la trisomie 21. Il faut évoquer ici le rôle de J. Lejeune lorsque le diagnostic prénatal du mongolisme fut mis au point et qu’il fit campagne contre l’interruption de grossesse autorisée dans ce cas, avec son association Laissez-les vivre. M. Gautier dépasse cette épreuve et se consacre comme prévu à la cardiologie infantile, à l’hôpital Bicêtre. Pendant dix ans, elle acquiert des compétences, voit guérir de petits patients de leur cardiopathie congénitale ou acquise, et transmet son expérience aux jeunes générations de cardiologues et chirurgiens. Elle débute ensuite une troisième carrière comme directrice de recherche à l’Inserm, en se spécialisant dans l’anatomo-pathologie des malformations congénitales des voies biliaires. Malgré l’annulation scandaleuse de sa conférence par des huissiers de la fondation Jérôme-Lejeune, le grand prix de la Société française de génétique humaine a été attribué à M. Gautier en janvier 2014 par la Fédération française de génétique humaine pour son identification du chromosome 21. À sa retraite, elle se tourne vers la peinture botanique, elle compose des herbiers et peint les fleurs sauvages du pays d’Ourcq, les déclinant sur porcelaine pour les arts de la table.
Yvette SULTAN
GAUVARD, Claude [PARIS 1942]
Historienne médiéviste française.
Née dans une famille modeste, Claude Gauvard obtient l’agrégation d’histoire et de géographie en 1967. Elle se passionne pour l’histoire politique française de la fin du Moyen Âge dans le sillage de Bernard Guenée, fréquente à l’EHESS les séminaires de Jacques Le Goff, et intègre les apports de l’anthropologie historique. Elle soutient sa thèse de doctorat d’État en 1989 et enseigne l’histoire du Moyen Âge à l’université Paris 1-Panthéon-Sorbonne à partir de 1992. Publiée en 1991 sous le titre « De grace especial », Crime, État et société en France à la fin du Moyen Âge, la thèse de C. Gauvard prouve que l’histoire de la justice n’est pas réservée aux juristes. L’historienne y étudie la criminalité ordinaire, quotidienne, celle des petites gens, à partir des archives du parlement de Paris et des « lettres de rémission » (lettres par lesquelles le roi de France octroyait la grâce et le pardon à la suite d’un délit ou d’un crime). Elle adopte une démarche à la fois quantitative (7 500 lettres de rémission analysées dont 750 font l’objet d’un dépouillement informatisé) et d’anthropologie historique, toujours soucieuse des études de cas qui construisent une histoire par le bas. Son livre remet en cause de nombreux stéréotypes sur l’impulsivité et la violence gratuite des hommes et des femmes de la fin du Moyen Âge, hérités des travaux de Johan Huizinga ou de Norbert Elias. Les thèmes abordés y sont très nombreux : la violence codée et régulée, les émotions, les procédures d’arbitrages, l’infra-judiciaire, les modes de régulation du lien social, les mécanismes du gouvernement royal en France, les différentes formes de supplices et les peines infamantes. Le chapitre VI, qui s’intitule « Homme et femme », montre que la violence ordinaire est surtout masculine : les homicides impliquent 99 % de coupables et 79 % de victimes de sexe masculin, alors que les femmes sont davantage impliquées dans les vols. L’étude aborde également le viol, la prostitution, le célibat, le concubinage, l’adultère et le rôle que les femmes ont pu jouer dans la guerre de Cent Ans et dans les rituels de paix. C. Gauvard poursuit son étude des comportements sexués des gens ordinaires à la fin du Moyen Âge dans « Honneur de femme et femme d’honneur en France à la fin du Moyen Âge » (Francia, 2001). Elle continue, parallèlement à ses travaux de recherche, d’exercer avec brio son métier d’enseignante et à former de très nombreux historiens médiévistes. Elle se soucie de généraliser les connaissances les plus neuves, comme en témoigne l’un des manuels estudiantins les plus lus en histoire médiévale, La France au Moyen Âge du Ve au XVe siècle, paru en 1996, ou la codirection de l’imposant Dictionnaire du Moyen Âge (2002) qu’elle assure avec Alain de Libéra et Michel Zink. Depuis 1998, elle dirige aux côtés de Jean-François Sirinelli la Revue historique.
Didier LETT
■ CLAUSTRE J., MATTÉONI O., OFFENSTADT N. (dir.), Un Moyen Âge pour aujourd’hui, Mélanges offerts à Claude Gauvard, Paris, Presses universitaires de France, 2010 ; FORONDA F., BARRALIS C., SÈRE B. (dir.), Violences souveraines au Moyen Âge, Travaux d’une école historique, Paris, Presses universitaires de France, 2010.
GAUVIN, Lise [QUÉBEC 1940]
Écrivaine canadienne d’expression française.
Après des études à l’université Laval de Québec, à l’université de Vienne et à l’université Paris-Sorbonne, Lise Gauvin est professeure de littérature à l’université de Montréal, où elle a été directrice de la revue Études françaises de 1994 à 2000 et du département du même nom de 1999 à 2003. Particulièrement intéressée par les rapports entre les diverses littératures de langue française, elle a publié L’Écrivain francophone à la croisée des langues 1997, (prix France-Québec 1999), Langagement, l’écrivain et la langue au Québec (2000), Écrire, pour qui ? L’écrivain francophone et ses publics (2007) et Aventuriers et sédentaires, parcours du roman québécois (2012). En 2004, Fabrique de la langue, de François Rabelais à Réjean Ducharme, reçoit une mention spéciale du jury du Grand prix de la critique littéraire (Pen Club français). L. Gauvin est aussi l’auteure d’un essai-fiction plusieurs fois réédité (Lettres d’une autre, 1984), de recueils de nouvelles (Fugitives, 1991 ; Arrêts sur image, 2003), de récits (À une enfant d’un autre siècle, 1997 ; Un automne à Paris, 2005) et d’un court roman (Quelques jours cet été-là, 2007). Collaboratrice du journal Le Devoir à titre de responsable de la chronique des « Lettres francophones », elle a été élue en 2008 présidente de l’Académie des lettres du Québec.
Farah GHARBI
GAVALDA, Anna [BOULOGNE-BILLANCOURT 1970]
Écrivaine française.
Jusqu’à l’âge de 14 ans, Anna Gavalda vit à la campagne en Eure-et-Loir, dans une atmosphère « bucolique », entre des parents, « Parisiens bourgeois éclairés » qui avaient décidé de quitter la ville après 1968 pour vivre une existence moins contraignante. Elle est néanmoins envoyée dans une école religieuse stricte après le divorce de ses parents. Ce contraste rude amplifiera son goût pour la liberté et le refus des choses établies. Après des études de lettres classiques, elle exerce des travaux précaires, puis enseigne. L’aventure littéraire débute en 1992, lorsqu’elle est lauréate du prix France Inter avec La Plus Belle Lettre d’amour. La romancière devient le phénomène littéraire de l’année 2000 avec son premier recueil de nouvelles, Je voudrais que quelqu’un m’attende quelque part (1999), grâce à l’action des libraires, et du Grand prix RTL-Lire. En 2002, son premier roman, Je l’aimais, est tiré à plus d’un million d’exemplaires. Suivront un roman pour adolescents la même année, puis Ensemble, c’est tout en 2004, dont le succès de librairie est confirmé par son adaptation cinématographique en 2007. On lui a parfois reproché ses bons sentiments, mais le roman La Consolante (2008) dément sa réputation d’« auteure charmante ».
Marie-Noëlle CAMPANA
GAVET-SÉNÈS, Jacqueline [AILLANT-SUR-THOLON 1922]
Romancière française.
Sa rencontre avec le peuple kanak constitue, pour Jacqueline Gavet-Sénès, fille de médecin bourguignon, une aventure humaine sans précédent. Elle se lance dans une collecte de témoignages qu’elle poursuit pendant les trente années de son séjour calédonien. Consternée par l’ostracisme dont sont victimes les Kanak, elle leur donne la parole dans ses émissions radiophoniques. Ces radioreportages nourrissent également son œuvre littéraire. Ses romans se fondent essentiellement sur les récits recueillis auprès de ceux qui bâtirent la Nouvelle-Calédonie au temps colonial, et retracent l’histoire sous forme de saga. Primés, l’essai La Vie quotidienne en Nouvelle-Calédonie de 1850 à nos jours (1985) et le roman Terre violente (1987) sont emblématiques de sa passion pour l’histoire et la terre calédoniennes.
Virginie SOULA
■ Un pays nommé Caillou, Nouméa, IRN, 1981 ; La Patache, Nouméa, IRN, 1982 ; Terre et hommes de Nouvelle-Calédonie (1976), Nouméa, Éditions du Cagou, 1984.
GAVRILINA, Maria VOIR ARBATOVA, Maria
GAY, Delphine VOIR GIRARDIN, Delphine DE
GAY, Sophie [PARIS 1776 - ID. 1852]
Romancière, dramaturge, journaliste, musicienne et salonnière française.
Née dans une famille de la grande bourgeoisie et éduquée dans la même pension que Claire de Duras*, Sophie-Marie Françoise Nichault de la Vallette divorce de son premier mari en 1799 et épouse peu après Sigismond Gay. Elle tient un salon composite, où elle réunit acteurs, musiciens et gens de lettres. Ce n’est qu’après la mort de son mari en 1821 qu’elle se tourne sérieusement vers l’écriture et produit romans, pièces et articles de presse. Les premiers romans, sentimentaux et mondains, cèdent le pas à des romans historiques, parfois considérés comme licencieux. Sainte-Beuve estime que Léonie de Montbreuse (1813) est son meilleur ouvrage ; Anatole (1815) se range parmi les romans du « mal du siècle ». Elle compose également des chansons, collabore à quelques opéras comiques et plusieurs de ses pièces sont jouées au Théâtre-Français. Après la Restauration, elle contribue régulièrement à la presse du jour ; elle lance et dirige sa propre revue, Causeries du monde (1833-1834).
Cheryl MORGAN
■ Théobold, épisode de la guerre de Russie, Paris, Dupont, 1828 ; Physiologie du ridicule, ou Suite d’observations par une société de gens ridicules, Paris, Vimont, 1833 ; La Duchesse de Châteauroux, Paris, Dumont, 1834 ; Salons célèbres, Paris, Dumont, 1837.
■ MALO H., Une muse et sa mère, Delphine Gay de Girardin. Paris, Émile-Paul Frères, 1924 ; MORGAN C., « Entre le vrai et le vraisemblable, enjeux du roman historique chez Sophie Gay », in DEL LUNGO A., LOUICHON B. (dir.), La Littérature en bas-bleus. Romancières sous la Restauration et la monarchie de Juillet (1815-1848), Paris, Classiques Garnier, 2010 ; SAINTE-BEUVE C.A., « Madame Sophie Gay », in Causeries du lundi (15 vol.), Paris, Garnier, 1851-62, 6.
GAYET, Julie [SURESNES 1972]
Actrice, réalisatrice et productrice française.
Après une formation pluridisciplinaire (sciences humaines, histoire de l’art et cinéma à l’université Sorbonne Nouvelle-Paris 3, chant lyrique, école du cirque), Julie Gayet fait ses vrais débuts au cinéma dans Les Cent et une Nuits de Simon Cinéma d’Agnès Varda* (1994) puis dans Delphine 1, Yvan 0 de Dominique Farrugia (1996). Elle joue dans des comédies comme Les Menteurs (Élie Chouraqui, 1996), Camping à la ferme (Jean-Pierre Sinapi, 2005), ou bien encore Bab el web (Merzak Allouache, 2005), mais est aussi à l’affiche de nombreux films d’auteur : Select Hotel (Laurent Bouhnik, 1996), pour lequel elle obtient plusieurs récompenses dont le prix Romy-Schneider, La Confusion des genres (Ilan Duran Cohen, 2000) ou bien encore Novo (Jean-Pierre Limosin, 2002). Elle est remarquée pour son rôle dans Quai d’Orsay de Bertrand Tavernier, qui lui vaut une nomination au César de la meilleure actrice dans un second rôle en 2014. Elle tourne dans plusieurs courts et moyens-métrages, dont 14 millions de cris (Liza Azuelos, 2014) ayant pour thème le mariage forcé. À la télévision, elle est dirigée par Josée Dayan*, Bernard Stora, Alain Tasma. L’actrice est aussi productrice, et cofonde en 2007, avec Nadia Turincev, la maison de production Rouge international, qui travaille avec des réalisateurs de fictions et de documentaires du monde entier. Elle produit notamment 8 fois debout (réalisé par Xabi Molia en 2009), pour lequel elle remporte le prix de la meilleure actrice au Festival international du film de Tokyo. En 2013, J. Gayet cosigne avec Mathieu Busson Cinéast(e)s, un documentaire qui s’interroge sur la place des réalisatrices dans un art dominé par les hommes.
Audrey CANSOT
GAYNOR, Gloria (Gloria FOWLES, dite) [NEWARK, NEW JERSEY 1949]
Chanteuse de disco américaine.
Dès son premier succès en 1975, Never Can Say Goodbye, Gloria Gaynor s’est imposée comme l’une des grandes artistes disco. Elle a chanté beaucoup de reprises (dont Walk on by de Dionne Warwick), s’appuyant sur sa voix puissante et un rythme lourd. Son heure de gloire vient en 1979, avec l’énorme tube I Will Survive. La chanson est connue depuis pour avoir été l’hymne emblématique de l’équipe de France de football, victorieuse lors de la Coupe du Monde de 1998. On peut retenir la version pop-folk du groupe Cake, sur l’album Fashion Nugget en 1996. G. Gaynor n’a plus ensuite connu de succès comparable, disparaissant peu à peu des hit-parades.
Stéphane KOECHLIN
■ Never Can Say Goodbye, MGM, 1975 ; I’ve Got You, Polydor, 1976 ; Love Tracks, Polydor, 1978.
GAZIER, Michèle [BÉZIERS 1946]
Écrivaine, critique littéraire et éditrice française.
La langue espagnole, celle de sa mère, qu’elle a enseignée et qu’elle traduit, est le fil qui a conduit Michèle Gazier à une foisonnante activité littéraire. Fille d’une mère couturière et d’un père catalan combattant antifranquiste et résistant en France, elle attribue sa première vocation, professeure d’espagnol, à sa révolte contre « le mépris profond qui entourait cette langue et ceux qui la parlaient ». Elle se fait traductrice, puis critique littéraire, pour Libération et surtout pour Télérama (1983-2006). Son premier roman, Histoires d’une femme sans histoire, paraît en 1993. Il sera suivi de beaucoup d’autres, et de livres aux formes diverses, où s’expriment notamment ses admirations pour les artistes et les écrivains : Colette Deblé*, 2003 ; Nathalie Sarraute*, l’après-midi, 2010 ; Virginia Woolf* (avec Bernard Ciccolini), 2011… Elle a mis au monde deux filles. Son attention aux origines, le plus souvent évoquées par un travail de fiction, se lit dans les romans inspirés par la couture ou plus directement encore par sa mère (Le Fil de soie, 2001 ; Un soupçon d’indigo, 2008 ; La Fille, 2010) mais aussi dans L’Homme à la canne grise (2012), biographie de son père, ou encore dans l’anthologie Le Goût des mères (2012). M. Gazier écrit pour des émissions littéraires télévisées, comme George Sand*, une femme libre, avec G. Poitou-Weber (1994). Elle participe aux travaux du Centre national des lettres (CNL) et crée, en 2010, avec Marie-Claude Char, les éditions des Busclats.
Catherine GUYOT
GBEDO, Marie-Élise [MANKONO, CÔTE D’IVOIRE 1954]
Avocate, femme politique et militante pour les droits des femmes, béninoise.
Fille d’une sage-femme et d’un directeur d’entreprise, Marie-Élise Gbedo poursuit ses études universitaires au Bénin puis en France, à la Sorbonne, et prête son serment d’avocate en 1985 à Paris. De retour au Bénin, elle devient rapidement une juriste réputée et contribue à l’élaboration de la Constitution de 1990. En tant qu’avocate, elle découvre l’absence de pouvoir juridique des femmes béninoises. Elle n’aura de cesse de faire reculer l’emprise du « Coutumier du Dahomey », recensement de coutumes qui font loi en matière de famille, de mariage et de succession et qui privent les femmes de tout droit. En 1990, elle cofonde et préside l’Association des femmes juristes du Bénin, afin que les femmes béninoises prennent leur vie en main et connaissent leurs droits, grâce à des centres d’aide juridique gratuite, des publications et des « cliniques » juridiques mobiles. Ce combat militant aboutira en 2004 à la promulgation d’un code de la famille et des personnes. Nommée ministre du Commerce, de l’Artisanat et du Tourisme en 1998, sans appartenir à un parti, elle apprend à connaître le monde politique, qui supporte mal son indépendance. M.-É. Gbedo doit se démettre un an plus tard et reprend son métier d’avocate, tout en se mobilisant sur différents fronts : aide aux orphelins, lutte contre le sida, défense des femmes battues, scolarisation des filles. Elle est la première femme africaine à se présenter à une élection présidentielle en 2001, avec le seul soutien de sa famille et ses propres moyens financiers. Le faible score qu’elle réalise et les critiques envers cette femme libre, mère de famille divorcée, ne la découragent pas. Elle est à nouveau candidate aux élections de 2006 et 2011, avec son mouvement « L’heure a sonné », pour démontrer qu’une femme est capable d’exercer la magistrature suprême. Son programme est un véritable projet de société, fondé sur la sécurité alimentaire, la professionnalisation de l’agriculture et le développement humain. Garde des Sceaux depuis 2011 dans le gouvernement de Thomas Boni Yayi, elle nomme des femmes à des postes de haut rang, plaide pour que la Constitution prenne en compte la notion de parité et n’a pas hésité à dénoncer la corruption de la justice béninoise.
Luce MICHEL
■ Le Destin du roseau, Cotonou, Ruisseaux d’Afrique, 2009.
■ Association française d’amitié et de solidarité avec les peuples d’Afrique (AFASPA) (dir.), Femmes d’Afrique. Bâtisseuses d’avenir, Paris, Tirésias, 2010.
GBOWEE, Leymah [LIBERIA 1972]
Pacifiste libérienne.
Prix Nobel de la paix 2011.
La militante pacifiste Leymah Gbowee a contribué à mettre fin aux guerres civiles qui ont ravagé le Liberia jusqu’en 2003. Inversant les références auxquelles ont recours d’autres militantes, elle déclare dans Jeune Afrique, en 2011 : « N’attendez pas un Mandela, n’attendez pas un Gandhi, n’attendez pas un Martin Luther King, mais soyez votre propre Mandela, votre propre Gandhi, votre propre Martin Luther King. » Issue de l’ethnie Kpellé, de mère pharmacienne et de père fonctionnaire, elle est surnommée sur la scène internationale « guerrière de la paix ». Mais son arme principale est la prière – à quoi s’ajoute une grève du sexe, en 2003, qui oblige le régime de Charles Taylor à associer les femmes aux pourparlers de paix (il est contraint de quitter le pays peu après). Travailleuse sociale, L. Gbowee côtoie les enfants-soldats pendant la guerre. Elle décrit leur condition pire que misérable – drogués, armés – dans un documentaire sur le combat des femmes libériennes pour la paix : Pray the Devil Back to Hell. Pour parler de son combat et du gigantesque sit-in qu’elle a organisé dans la capitale, Monrovia, elle écrit dans son autobiographie : « Il s’agit d’une armée de femmes vêtues de blanc, qui se sont levées lorsque personne ne le voulait, sans peur, parce que les pires choses imaginables nous étaient déjà arrivées. » Elle est elle-même mère de six enfants et dédie son Nobel aux femmes africaines, qui auront désormais « leur mot à dire ». « Jamais la violence n’a réglé quoi que ce soit », déclare-t-elle également. Elle partage le prix Nobel 2011 avec la présidente du Liberia Ellen Johnson Sirleaf* et la Yéménite Tawakul Karman*. En février 2012, elle crée une fondation pour l’éducation des filles qui donne des bourses pour l’école et l’université.
Nicole CASANOVA
■ Notre force est infinie (Mighty Be Our Powers : How Sisterhood, Prayer, and Sex Changed a Nation at War, 2010), Paris, Belfond, 2012.
GEBARA, Ivone [SÃO PAULO 1944]
Théologienne brésilienne.
Membre de la congrégation des Irmãs de Nossa Senhora-Cônegas de Santo Agostinho (« Congrégation des sœurs de Notre-Dame-Chanoines de saint Augustin »), Ivone Gebara s’est vouée très jeune à la vie intellectuelle et religieuse. En 1974, elle fait un doctorat en philosophie à la PUC-SP (Pontificia Universidade Católica de São Paulo) sur « Le problème du mal dans l’herméneutique de Ricœur », puis, en 1998, un doctorat en théologie à l’Université catholique de Louvain sur « Le mal au féminin, une approche théologique à partir du féminisme ». Partie de São Paulo pour s’établir à Recife dans le Nordeste, elle exerce durant dix-sept ans comme professeure à l’Instituto de Teologia do Recife, jusqu’à sa dissolution, décrétée par le Vatican, en 1989. Actuellement, elle vit et travaille à Camaragibe, village dans l’État de Pernambuco, et voyage dans le monde entier, délivrant des cours et des conférences sur l’herméneutique féminine et sur le questionnement des références éthiques et anthropologiques du discours religieux et de ses fondements philosophiques. Elle fait partie de l’Asett (Association des théologiens du tiers-monde) et de la direction de l’institut Sedes Sapientie de São Paulo.
La démarche d’I. Gebara, très marquée par le politique, entend reconsidérer la religion depuis les inquiétudes théorico-philosophiques. Elle explore des sujets rarement abordés par la théologie, souvent conservatrice, tels le féminisme et les questions d’éthique touchant à l’avortement, à la pédophilie et à l’homosexualité. L’herméneutique féministe qu’elle développe rejoint en partie une phénoménologie du mal qui cherche à comprendre les processus d’interprétation qui se sont développés à l’endroit du sujet au cours de l’histoire de la théologie, tout particulièrement en ce qui concerne les femmes, singulières victimes dans cet itinéraire, comme le montrent ses livres As incômodas filhas de Eva na igreja da America Latina (« les dérangeantes filles d’Ève dans l’Église de l’Amérique latine », 1989), Teologia em ritmo de mulher (« la théologie au rythme de la femme », 1994), Le Mal au féminin, réflexions théologiques à partir du féminisme (1999), Rompendo o silêncio, uma fenomenologia feminista do mal (« rompre le silence, une phénoménologie féministe du mal », 2000), Fragile liberté (2005). Elle s’efforce de cerner par l’analyse phénoménologique le mal dont ont souffert les femmes au cours de l’histoire. Elle retrace ainsi une généalogie qui, de l’Inde aux pays d’Amérique latine, et à diverses régions du monde, permet d’appréhender la relation entre le mal et le corps féminin. Grâce à l’apport de l’anthropologie, de la sociologie, de la sexologie et des sciences politiques, elle considère la foi chrétienne dans sa démarche historique et sociale. La religion devient alors l’expression même des structures sociales dans lesquelles nous vivons. Héritière des études de genre, sa pensée dénonce l’universalisation du féminin, car ce sont précisément les thèses réductionnistes et universalistes des Saintes Écritures qui font que les femmes ont été des victimes. Elle montre comment la domination masculine dans la théologie a nourri, durant des siècles de répression symbolique, quantité de gestes de cruauté envers elles, et en quoi la marque de ce symbolisme qui les a persécutées les rend responsables, en tant que mères, de la transmission de ce mal.
L’audace politique des interprétations d’I. Gebara n’a pas été sans créer des heurts avec le Vatican, surtout en ce qui concerne ses œuvres récentes, où elle affirme que la sexualité est toujours une question politique. Elle considère favorablement tant l’interruption volontaire de grossesse que les politiques d’assistance sociale en faveur des prostituées et des travestis. Elle dénonce ainsi le conservatisme et l’hypocrisie des discours politiques et religieux de notre époque, lesquels continuent à maintenir une tradition masculine qui nomme « féminin » ce qui est en étroite liaison avec le mal. D’où la nécessité de retourner ces discours du « mal » par le biais d’une « phénoménologie féministe ».
Rafael HADDOCK-LOBO
■ Le Mal au féminin, réflexions théologiques à partir du féminisme, Paris, L’Harmattan, 1999.
GEBEYLI, Claire [ALEXANDRIE 1935]
Écrivaine libanaise d’expression française.
Égyptienne de naissance, grecque d’origine et libanaise par alliance, Claire Gebeyli a une identité multiple qui marque en profondeur sa création poétique et romanesque. Elle est l’auteure de quatre recueils de poésie : Poésies latentes (1968), Mémorial d’exil (1975), La Mise à jour (1982) et Dialogue avec le feu (1985), qui, à divers degrés, expriment son attachement à un Liban déchiré par la guerre et sans cesse renaissant. Elle a également publié un roman, Cantate pour l’oiseau mort (1996, prix Découverte Albert-Camus), dont la trame narrative se construit autour des motifs de l’exil, de l’enracinement et du déracinement : l’intrigue met en scène le périple de familles migrantes, en Grèce, en Égypte, au Liban ou encore en France, pays qui, au-delà de leur diversité culturelle ou religieuse, appartiennent à un même territoire symbolique, celui de la langue française.
Pascale ROUX
■ AOUN ANHOURI N., Panorama de la poésie libanaise d’expression française, Beyrouth, Dar al-Majani, 1996 ; BOUSTANI C., Effets du féminin, variations narratives francophones, Paris, Karthala, 2003.
GEDŐ, Ilka [BUDAPEST 1921 - ID. 1985]
Peintre et graphiste hongroise.
Ilka Gedő reçoit une formation artistique dans des écoles de peinture non officielles. Ses dessins exécutés en 1944 dans le ghetto de Budapest sont des documents saisissants sur la détresse et les souffrances des Juifs (Autoportrait au ghetto, 1944). Après la guerre, elle dessine des séries thématiques (Ouvriers de l’usine Ganz, 1948), mais cesse toute activité artistique entre 1949 et 1965. Elle fait paraître un ouvrage sur l’art de Lajos Vajda en 1954 et traduit en hongrois le Traité des couleurs de Goethe, dont l’influence se fera sentir sur sa peinture ultérieure. Sa seconde période est marquée par l’élaboration d’une méthode toute particulière : partant d’esquisses fixant des idées ou des sentiments, elle les transpose sur ses tableaux en les agrandissant proportionnellement, dans tous leurs détails. Ses meilleures œuvres, dont les séries de roseraies et de fleurs artificielles des années 1970, s’appuient pour la plupart sur des motifs figuratifs (Edina, 1971). Une grande rétrospective lui a été consacrée en 1980 par le musée István-Király de Székesfehérvár.
Katalin GELLER
■ BÍRÓ D., SZABÓ J., « In the Guise of Reality ».Ilka Gedő’s Art, Budapest, Új művészet, 1993 ; GYÖRGY P., MÉSZÁROS I., PATAKI G. et al., The Art of Ilka Gedő, Budapest, Új művészet alapítvány, 1997.
GEGO (Gertrud Louise GOLDSCHMIDT, dite) [HAMBOURG 1912 - CARACAS 1994]
Architecte et plasticienne vénézuélienne.
Née sixième de sept enfants dans une famille de banquiers juifs, Gertrud Louise Goldschmidt obtient un diplôme d’architecture et d’ingénierie à l’École technique de Stuttgart en 1938. Contrainte de quitter l’Allemagne à cause des persécutions racistes, elle arrive à Caracas en 1939, après un court séjour à Londres. C’est au Venezuela qu’elle commence sa production artistique en 1953, quand elle s’installe avec le peintre et sculpteur Gerd Leufert, à Tarma, une petite ville sur la côte. Après avoir exercé pour plusieurs architectes, elle se met à dessiner des paysages. À partir de 1957, elle réalise des dessins au crayon avec des lignes parallèles et confectionne ses premiers objets tridimensionnels. Entre 1957 et 1971, elle travaille avec des lignes parallèles en variant les matériaux, traçant d’abord des carrés de droites qu’elle traduit ensuite en sculpture. Elle est ensuite affiliée au mouvement cinétique, esthétique dont elle s’éloigne par son originalité. À partir de 1969, elle commence à utiliser de fins fils d’acier inoxydable et réalise les « Reticulárea », des pièces explorant la structure des mailles, trame où l’œuvre perd sa centralité et interagit avec l’espace en le modulant. Sa première « Reticulárea ambientación » (Environnamental reticulárea, 1969), installée au Museo nacional de Bellas Artes (Chili), comporte un énorme réseau de fils d’épaisseurs différentes, fragmentés et montés sans répondre à un plan ou à un système précis et contrôlé. Comme pour les œuvres précédentes, c’est un environnement sans début ni fin. La conception dynamique des formes abstraites de Gego est influencée par les nouvelles théories de physique nucléaire, concevant un espace cosmique qui n’est plus délimité et statique comme l’espace cartésien. Entre 1970 et 1971, elle crée une autre série d’œuvres intitulée « Chorros » (« jets ») qui consiste en des cascades de lignes verticales zigzagantes dans lesquelles l’effet chaotique est amplifié. De 1976 à sa mort, elle accomplit une dernière étape de son travail avec la série des « Dibujos sin papel », des pièces murales en fil de fer et autres matériaux d’usage quotidien (vis, écrou, bouton) ne comportant pas une unique configuration, mais plutôt une combinaison de systèmes. Avec cet ensemble, elle revient au papier et au dessin, support où son œuvre a pris naissance.
Annalisa RIMMAUDO
■ Gego, desafiando estructuras (catalogue d’exposition), Amor M., Bois Y.-A., Brett G. et al. (dir.), Porto, Museu Serralves, 2006 ; Gego 1957-1988, Thinking the Line (catalogue d’exposition), Rottner N., Weibel P. (dir.), Ostfildern, Hatje Cantz, 2006.
■ RAMIREZ M. C., PAPANIKOLAS T., Questioning the Line : Gego in Context, Houston, The Museum of Fine Arts, 2003.
GEIGER, Anna Bella [RIO DE JANEIRO 1933]
Artiste visuelle brésilienne.
Personnalité majeure de la scène artistique brésilienne des XXe et XXIe siècles, Anna Bella Geiger a suivi l’enseignement de Fayga Ostrower (1920-2001). En 1953, elle présente ses peintures à l’Exposition nationale d’art abstrait, aux côtés de futurs membres du groupe Frente et du néo-concrétisme. Au cours de la même période, elle séjourne à plusieurs reprises en Amérique du Nord et étudie l’histoire de l’art à New York. De 1960 à 1965, elle expose ses gravures abstraites lors de diverses manifestations sud-américaines et européennes, dont la 5e Biennale des jeunes à Paris, en 1967. Des récompenses et une renommée naissante l’amènent à enseigner au musée d’Art moderne de Rio de Janeiro à partir de 1968. Au milieu des années 1960, dans un contexte politique mouvementé, A. B. Geiger abandonne temporairement la peinture pour expérimenter d’autres médiums plus aptes à traduire son regard sur les réalités sociales de l’époque. Ainsi, elle combine le film en Super 8, la photographie et le texte dans l’installation Circumambulation (1972). Cet environnement artistique reflète ses préoccupations d’ordres anthropologique et géographique, exprimées, à partir de 1974, dans des photogravures et des pièces photographiques conceptuelles. En 1977, elle utilise la carte postale, forme pauvre et vernaculaire, afin d’interroger, sur le mode ironique, son statut d’artiste et de citoyenne : Brasil nativo/Brasil alienígena (« Brésil natal, Brésil étranger », 1977) fait écho à la condition paradoxale des indigènes, à la fois discriminés et idéalisés au sein de la société brésilienne. Dans les années 1980, A. B. Geiger revient à une production picturale et publie en 1987, avec Fernando Cocchiarale, Abstracionismo geométrico e informal, a vanguarda brasileira nos anos cinqüenta (« abstraction géométrique et informelle, l’avant-garde brésilienne dans les années 1950 »). Depuis les années 1990, elle réalise des objets en métal et en cire comme les Fronteiriços, des sculptures à la limite de la figuration et de l’abstraction. Ses œuvres, régulièrement exposées depuis les années 1960, sont conservées dans diverses collections internationales.
Damarice AMAO
■ Territórios, passagens, situações, Rio de Janeiro, Casa da Palavra, 2007.
GEIGER, Susan [ILLINOIS 1939 - MINNEAPOLIS 2001]
Historienne américaine.
Susan Geiger contribue de façon décisive à l’émergence de recherches sur l’histoire des femmes en Afrique subsaharienne. Engagée dès les années 1960 contre l’apartheid et la colonisation, elle se rend en Tanzanie, alors laboratoire actif de politiques et de réflexions révolutionnaires. Après avoir soutenu sa thèse à l’université de Dar es Salam en 1973, elle consacre l’essentiel de ses travaux à l’histoire des femmes de ce pays, tout en enseignant, de 1976 à 1999, à l’université du Minnesota. Son originalité scientifique est à la fois thématique, méthodologique et politique. Du point de vue thématique, S. Geiger place au centre de ses recherches l’histoire des femmes de Tanzanie et étudie notamment le mouvement de lutte nationaliste de la TANU (Tanganyika African Nationalist Union, fondée en 1954), auquel elle consacre un ouvrage majeur, TANU Women : Gender and Culture in the Making of Tanganyikan Nationalism, 1955-1965 (1997). Elle y remet en question l’assertion courante selon laquelle la mobilisation nationaliste reposerait exclusivement sur des élites masculines christianisées, bouleversant l’historiographie classique des nationalismes africains par son analyse de l’implication politique de femmes musulmanes, souvent illettrées. Sa méthodologie ouvre également de nouvelles perspectives : en privilégiant la collecte de sources orales (récits de vie de femmes engagées), elle en montre la richesse et l’intérêt pour mieux comprendre les trajectoires « subalternes » – notamment celles de femmes africaines. Elle expose et défend cette méthodologie proprement féministe dans plusieurs articles : « Women’s Life Histories : Method and Content » (Signs, 1986) ; « What’s so Feminist About Women’s Oral History ? » (Journal of Women’s History, 1990). L’engagement féministe de S. Geiger se retrouve non seulement dans ses productions scientifiques mais également dans l’énergie qu’elle investit dans les départements de l’université où elle enseigne (Department of Women’s Studies, Center for Advanced Feminist Studies, Department of Afro-American and African Studies). Elle forme nombre d’étudiant-e-s qui reprennent le flambeau pour essaimer ensuite dans des universités d’Amérique du Nord et d’Afrique orientale et australe. Elle apprécie enfin le travail collectif, comme le montre sa dernière contribution scientifique, l’édition avec Jean Allman et Nakanyike Musisi de Women in African Colonial Histories (2002).
Anne HUGON
GEIRHARDSDÓTTIR, Halldóra [REYKJAVIK 1968]
Actrice et clown islandaise.
Très tôt, Halldóra Geirhardsdóttir développe son sens artistique et, encore enfant, fait ses premiers pas sur la scène. Adolescente, elle monte de petits spectacles, tourne des courts métrages avec ses amis, joue du saxophone dans un groupe de rock et se fait appeler Dora Wonder. Son goût de la performance, du jeu et de l’autodérision la mène au Conservatoire national du théâtre. Engagée comme comédienne au théâtre de la Ville de Reykjavik dès sa sortie du Conservatoire, elle y tient de nombreux rôles, surtout comiques. Elle possède le don de faire rire sans effort, avec distance. Sa créativité se cristallise avec élégance et poésie dans le clown « Barbara » qu’elle a créé et qui reste loin des stéréotypes. Dans Le Roi Lear, elle joue le fou en tant que « Barbara ». Au sein de Théâtre de la Ville, elle fonde avec quelques comédiens un groupe de théâtre où elle continue à explorer ce personnage.
Raka ASGEIRSDOTTIR
GEIRINGER-VON MISES, Hilda [VIENNE 1893 - SANTA BARBARA, CALIFORNIE 1973]
Mathématicienne autrichienne.
Née dans une famille relativement aisée, Hilda Geiringer fait preuve très jeune d’une mémoire prodigieuse et se passionne dès le lycée pour les mathématiques. Après des études supérieures à Vienne, elle soutient en 1917 son doctorat sur les séries de Fourier à deux variables. Elle obtient en 1921 un poste d’assistante de Richard von Mises, une forte personnalité mathématique et l’un des fondateurs des mathématiques appliquées à Berlin ; c’est sans doute son influence qui la pousse à s’intéresser aux applications des mathématiques. Après un bref mariage avec Felix Pollacek et la naissance d’une petite fille, elle entreprend de soutenir une habilitation qu’elle a du mal à obtenir : parce que les travaux présentés contiennent une erreur (ce qui arrive plus souvent qu’on ne croit et la pousse à proposer un travail supplémentaire), parce qu’elle est seulement la deuxième femme après Emmy Noether* à soutenir une habilitation en Allemagne et, surtout, en raison de l’anathème jeté à l’époque sur les mathématiques appliquées. Elle devient professeure à Berlin jusqu’en 1933, année où elle perd son poste en raison de sa judéité ; s’ensuit une période d’errance durant laquelle une université turque l’accueille comme professeure, puis elle rejoint les États-Unis en 1939. Elle enseigne dans divers collèges universitaires et obtient un poste fixe à Wheaton, dans le Massachusetts, à 70 kilomètres de l’université où se trouve R. von Mises qu’elle épouse en 1943. Malgré des charges d’enseignement très lourdes, cette infatigable travailleuse publie un grand nombre d’articles sur la plasticité (capacité qu’ont certains matériaux à se déformer de façon définitive), les statistiques – en particulier les biostatistiques et la biométrie dans laquelle elle joua un rôle déterminant –, les probabilités, la dynamique des gaz. Après la mort de R. von Mises en 1953, tout en conservant son poste à Wheaton, elle commence à travailler à Harvard, où elle achève et publie de nombreux travaux de son mari. En 1956, l’université de Berlin l’élit professeure émérite et, en 1960, un an après son départ à la retraite, l’université de Wheaton lui décerne un doctorat honorifique en sciences. Souvent confrontée à des conditions matérielles précaires, dans un contexte scientifique difficile et avec des charges d’enseignement très lourdes, elle a pu compter sur le soutien de ses parents, de son époux, de quelques collègues et de ses amies, comme Anna Pell Wheeler* et Gerda Laski.
Anne BERTRAND-MATHIS
■ SIEGMUND-SCHULTZE R., « Hilda Geiringer-von Mises, Charlier series, ideology, and the human side of the emancipation of applied mathematics at the University of Berlin during the 1920s », in Historia Mathematica, vol. 20, 1993.
GEISER, Janie [BÂTON-ROUGE 1957]
Marionnettiste et cinéaste américaine.
Après des études artistiques à l’université de Géorgie, Janie Geiser fonde le Jottay Theatre en 1981 avec l’appui du Center for Puppetry Arts d’Atlanta. En 1990, elle s’établit à New York et diversifie sa production, comme illustratrice (notamment pour le New York Times) et comme créatrice d’installations multimédias (The Spider’s Wheels, « les roues de l’araignée », 2006). C’est pour ces installations qu’elle crée ses premières réalisations vidéo, avant de s’affirmer avec des films d’animation (The Secret Story, « l’histoire secrète », 1996 ; The Fourth Watch, « la quatrième veille », 2000), tout en continuant de créer des spectacles de marionnettes (Invisible Glass, « verre invisible », 2005 ; Frankenstein, 2009). Avec Susan Simpson, elle fonde en 2004, à Los Angeles, Automata, une association pour la promotion du théâtre d’objets animés, du cinéma expérimental et des nouvelles technologies. L’extraordinaire richesse de son univers plastique croise les héritages des cultures populaires des XIXe et XXe siècles, du fantastique, du surréalisme et du cinéma expérimental, pour des créations où les objets et les jouets les plus anodins se chargent d’une inquiétante étrangeté.
Didier PLASSARD
GELEERD, Elisabeth Rozetta [ROTTERDAM 1909 - NEW YORK 1969]
Psychanalyste américaine.
À l’âge de 10 ans, Elisabeth R. Geleerd perd sa mère puis un de ses frères. Ces événements traumatiques l’amènent à s’intéresser à la médecine et à la psychanalyse. Encouragée par son père, Moses Geleerd, juif athée, elle obtient son diplôme de médecine à l’université de Leyde en 1936. Elle part pour Vienne se former à l’analyse avec Anna Freud*. Elle s’exile en 1938 dans le sud de la France, puis en Angleterre, où elle termine sa formation d’analyste, et gagne les États-Unis en 1940, où elle travaille à la Menninger Clinic à Topeka (Kansas). Elle s’installe ensuite à New York où elle épouse l’un des tenants de la psychologie du moi, Rudolph Loewenstein, qui devient vice-président de l’Association internationale de psychanalyse (IPA). E. R. Geleerd a joué un rôle très important dans le développement de la psychanalyse des enfants aux États-Unis. Lors de la parution du livre posthume de Melanie Klein* sur le cas Richard, en 1963, elle écrit notamment « Evaluation of Melanie Klein : narrative of a child analysis » dans le Journal international de psychanalyse. Les archives du New York Psychoanalytic Institute possèdent une importante collection de lettres qu’elle a échangées avec Anna Freud, Marie Bonaparte* et d’autres psychanalystes contemporaines.
COLLECTIF PSYCHANALYSE ET POLITIQUE
■ « Clinical contribution to the problem of the early mother-child relationship », in Psychoanalytic Study of the Child, vol. 11, 1956 ; « Some aspects of ego vicissitudes in adolescence », in Journal of the American Psychoanalytic Association, no 9, 1961.
GELLHORN, Martha [SAINT-LOUIS, MISSOURI 1908 - LONDRES 1998]
Journaliste, correspondante de guerre et écrivaine américaine.
Fille d’une suffragette et d’un éminent gynécologue, juive et protestante, à 20 ans, Martha Gellhorn embarque pour l’Europe et écrit des articles pour différents journaux. Sa pratique du journalisme, engagée et participante, se forge à cette époque. Selon elle, l’objectivité du journaliste est un non-sens. Aussi milite-t-elle activement aux côtés des pacifistes, comprenant que la paix est impossible en Europe sans une réconciliation franco-germanique. Quatre ans plus tard, revenue aux États-Unis, elle fait des reportages sur la Grande Dépression, partageant la vie des plus pauvres, dénonçant les difficultés de la condition ouvrière et enquêtant dans les campagnes. Ses articles, impliqués mais sans pathos, réunis plus tard dans l’ouvrage Détresse américaine (1936), attirent l’attention de la famille Roosevelt, dont elle devient l’amie. Violemment hostile au fascisme, M. Gellhorn couvre toute la Seconde Guerre mondiale, dès ses prémices en Espagne où, avec Ernest Hemingway, dont elle est la troisième épouse, elle lutte aux côtés des républicains. Parcourant l’Europe et la Chine, elle suit toutes les opérations, assiste au débarquement sur la plage d’Omaha Beach, en Normandie, et à l’ouverture des portes du camp de Dachau. Elle suit tous les grands conflits du XXe siècle, dénonçant avec passion les conséquences épouvantables de la guerre sur les peuples. Ses reportages sont appréciés pour son sens du détail, son empathie à l’égard des témoins, son écriture nette, précise, éclairante, fuyant les vérités officielles et cherchant à faire entendre la voix des opprimés et des sans-voix.Très directe, courageuse, guidée par la volonté de découvrir la vérité, assumant son ambition et son caractère bien trempé, elle soulève nombre de critiques, qu’elle désarme pour partie par sa franchise et sa lucidité. Dans son premier roman, What Mad Pursuit (« quelle infernale poursuite », 1934), partiellement autobiographique, elle ne cache pas son goût pour l’aventure. Son souhait de voir ses talents professionnels reconnus a été exaucé par la création, après sa mort, du prix de journalisme qui porte son nom.
Cécile MÉADEL
■ Détresse américaine (The Trouble I’ve Seen, 1936), Paris, F. Sorlot, 1938 ; Quel temps fait-il en Afrique ? (The Weather in Africa, 1984), Paris, Calmann-Lévy, 2006.
■ MOOREHEAD C., Martha Gellhorn : A Life, Londres, Chatto & Windus, 2004.
GELTZER, Ekaterina [MOSCOU 1876 - ID. 1962]
Danseuse russe.
Issue d’une famille d’artistes – un père mime et un oncle peintre décorateur –, Ekaterina Geltzer fait une carrière brillante au Bolchoï de Moscou (1898-1935). Conjuguant une exceptionnelle technique avec un grand talent de comédienne, elle est un précieux atout pour les chorégraphes, en particulier Alexandre Gorski. Sa forte personnalité lui permet également d’imposer ses conceptions dans les nombreuses créations qu’il lui confie, comme pour Salammbô (1910) : elle exige qu’il mette en valeur sa virtuosité ainsi que ses dons pour la pantomime, si bien que l’œuvre, conforme aux attentes d’un public moscovite friand de grandiloquence et de prouesses, rencontre un exceptionnel succès. En 1927, Vassili Tikhomirov, qui fut son partenaire, lui chorégraphie sur mesure le rôle central du Pavot rouge, ballet mélodramatique fidèle aux canons du réalisme socialiste, très applaudi mais critiqué par les partisans d’un art plus neuf. Ces deux exemples montrent comment son conservatisme exerça une réelle influence sur l’esthétique du Bolchoï durant la période soviétique, favorisant l’alliance du narratif et du spectaculaire aux dépens d’une véritable modernité.
Sylvie JACQ-MIOCHE
GEMS, Pam (Iris Pamela PRICE, dite) [BRANSGORE 1925 - LONDRES 2011]
Dramaturge britannique.
Née dans le Dorset dans un milieu ouvrier, Pam Gems étudie la psychologie à l’université de Manchester avant de travailler comme assistante de recherche pour la BBC. Installée avec son mari sur l’île de Wight, où elle élève ses quatre enfants, elle revient à Londres en 1970 et se met à écrire pour le théâtre et la télévision, en pleine période d’essor du Fringe theatre (« théâtre alternatif ») et de l’engagement des femmes. Dans une écriture presque cinématique qui joue avec la linéarité du récit, son œuvre met le plus souvent en scène des personnalités remarquables à des moments clés de leur vie. C’est le cas de sa pièce sur le peintre Stanley Spencer, mais plus caractéristiques encore sont ses pièces et comédies musicales sur Édith Piaf*, Marlene Dietrich*, la reine Christine* ou Mrs Patrick Campbell*, qui témoignent de son souci de créer des rôles féminins forts pour souligner la difficile place des femmes dans notre société. Le rejet des conventions sociales et sexuelles s’exprime dans la parodie et la constante remise en question des formes théâtrales conventionnelles, que P. Gems conduit également dans ses adaptations d’œuvres d’auteurs aussi variés que Tchekhov, Lorca, Mann, Ibsen ou Marguerite Duras*.
Geneviève CHEVALLIER
■ GODIWALA D., Queer Mythologies : The Original Stageplays of Pam Gems, Bristol, Intellect, 2006.
GENCE, Denise [PARIS 1924 - ID. 2011]
Actrice française.
Après avoir suivi les cours de Raymond Girard, Denise Gence est admise au Conservatoire de Paris dans la classe de Béatrix Dussane* ; elle obtient un premier prix qui lui ouvre en 1946 les portes de la Comédie-Française. Ses interprétations du rôle-titre de Mademoiselle de Jacques Deval et de la Comtesse du Sexe faible d’Édouard Bourdet révèlent l’étendue de son talent, sa nature profonde, une fantaisie parfois dissimulée. Nommée sociétaire en 1958, elle a interprété à la Comédie-Française plus de 120 rôles, d’une diversité à laquelle elle apporte sensibilité, délicatesse et autorité. Une grande partie de sa carrière est vouée au répertoire classique : elle débute dans les rôles de composition comme Bélise des Femmes savantes de Molière ou Marceline du Mariage de Figaro de Beaumarchais, puis est choisie pour des rôles plus marqués comme Mme Jourdain chez Molière, Mme Argante chez Marivaux ou encore pour le rôle-titre de La Célestine de Fernando De Rojas et Sabina dans La Trilogie de la villégiature de Carlo Goldoni. Elle intervient peu dans la tragédie mais donne une Agrippine sans concession dans la version de Britannicus signée de Jean-Pierre Miquel. Très à l’aise avec le répertoire contemporain, dans sa composition de Félicité – rôle-titre de la pièce de Jean Audureau présentée par Jean-Pierre Vincent –, D. Gence met en valeur le personnage, comme elle a su le faire en interprétant Jacques Audiberti, François Billetdoux, Louis Calaferte ou Samuel Beckett, après son départ de la Comédie-Française en 1986.
Joël HUTHWOHL
■ GENCE D., Notes parlées : « quoi qu’on die », Paris, Ramsay, 1994.
GENCER, Leyla [ISTANBUL 1927 - MILAN 2008]
Soprano turque.
Leyla Gencer est l’une des cantatrices les plus marquantes de son époque, non seulement pour son art du chant, mais aussi pour ses dons d’actrice et pour la variété de son répertoire. Elle étudie à Ankara avec la grande soprano Giannina Arangi-Lombardi tout en y faisant quelques apparitions en concert. En 1950, elle se rend en Italie pour compléter ses études, et fait ses débuts sur scène trois ans plus tard à Naples en Santuzza de Cavalleria rusticana. L’année suivante, elle débute au Teatro San Carlo en Mme Butterfly, avant de devenir l’un des piliers de ce théâtre pendant plus de vingt ans. Elle se produit pour la première fois à la Scala de Milan, dans le rôle de Mme Lidoine, lors de la création mondiale des Dialogues des carmélites de Francis Poulenc, en 1957. Elle chante alors le répertoire classique italien de soprano lirico-spinto, Lucia di Lammermoor, Gilda (Rigoletto), Leonora (La Force du destin), Violetta (La Traviata), Amelia (Simon Boccanegra), Elisabetta (Don Carlos), Aïda, Gioconda, et bien d’autres. L’année 1958 marque le tournant de sa carrière, lorsqu’elle chante le rôle-titre d’Anna Bolena de Donizetti à la Rai de Milan. Sans renoncer à ses emplois précédents, elle s’oriente vers les œuvres de Rossini, Donizetti, Bellini et du jeune Verdi, mais aussi de Payr et Pacini. C’est ainsi qu’elle participe à de nombreuses exhumations d’ouvrages méconnus tels Elisabetta, regina d’Inghilterra, Medea in Corinto, Roberto Devereux, Maria Stuarda, Belisario, Lucrezia Borgia, Caterina Cornaro, Norma, Beatrice de Tenda, La Battaglia di Legnano, I due Foscari, Macbeth… Elle chante également Gluck et Mozart, ainsi que des partitions du XXe siècle, comme Francesca da Rimini. Outre Naples et Milan, elle se produit régulièrement à Venise, Florence, Parme, Vérone, Rome, San Francisco, Buenos Aires, Vienne, Salzbourg, Londres, Glyndebourne. Elle renonce à la scène en 1986, mais continue de donner des concerts jusqu’en 1992. Elle se tourne alors vers l’enseignement, et participe à de nombreux jurys de concours de chant. Ignorée des grandes maisons de disques, L. Gencer n’a fait aucun enregistrement commercial, mais quantité d’enregistrements « live » sont apparus depuis une vingtaine d’années.
Bruno SERROU
GENDER MAINSTREAMING – ONU [depuis 1985]
Cette approche consiste, selon la définition d’un comité d’experts du Conseil de l’Europe lors d’une conférence à Athènes en 1999, à faire prendre en compte les différences de situations et de besoins des femmes – et des hommes – dans l’ensemble des politiques et des actions des pouvoirs publics. Il en est question pour la première fois lors de la 3e Conférence mondiale des Nations unies sur les femmes (Nairobi 1985), concernant le rôle de celles-ci dans les pays en développement. Dix ans plus tard, le concept est officiellement inscrit dans la plate-forme d’action de la 4e Conférence mondiale des Nations unies sur les femmes (Pékin). Dès 1997, le Traité d’Amsterdam en fait une des grandes stratégies de l’Union européenne pour l’égalité des sexes, et la Commission européenne contribue dans une large mesure à sa promotion. Toutefois, son application est différente selon les pays de l’UE. Ce nouvel instrument est présenté comme le passage d’une politique sectorielle à une politique transversale d’égalité. Il ne se substitue pas aux mesures spécifiques à l’attention des femmes mais se veut complémentaire. La logique est en effet différente. L’action devrait se situer en amont de la construction des politiques publiques pour prévenir d’éventuelles actions discriminantes plutôt que de constater a posteriori des inégalités à compenser entre les femmes et les hommes. Cette approche conduit à faire reconnaître que chaque action politique ou programme peut avoir une incidence différente sur les femmes et les hommes, c’est-à-dire que les politiques publiques ne sont pas neutres. Elle concerne l’ensemble de l’appareil d’État et non plus les seules administrations en charge de l’égalité. En France, comme dans d’autres pays où le même constat a été effectué, l’application effective du gender mainstreaming dépend d’une volonté politique au plus haut niveau. Outre le débat sur son effectivité, les féministes européennes sont divisées sur l’opportunité de son utilisation pour la cause des femmes. Ses partisanes le présentent comme une stratégie plus efficace que les politiques antidiscriminatoires traditionnelles qui recourent à des mesures en faveur des femmes. Le concept, en révélant le modèle androcentrique des institutions, des cultures et des organisations, permettrait d’inscrire dans l’agenda politique des questions sur les femmes jusqu’alors marginalisées. A contrario, ses détractrices mettent l’accent sur les difficultés de sa traduction et de sa mise en application. Elles le considèrent comme un processus bureaucratique reposant sur une nécessaire coopération entre les sexes et oubliant, de fait, les résistances masculines au changement. Elles craignent de voir cette approche se substituer aux mesures positives et constatent des effets de dilution de la préoccupation d’égalité des sexes dans les politiques publiques. De ce point de vue, la question du genre, en devenant une préoccupation de tous les acteurs des politiques publiques, ne serait plus portée par aucun.
Sandrine DAUPHIN
GENÊT VOIR FLANNER, Janet
GÉNINI, Izza [CASABLANCA 1942]
Productrice et réalisatrice marocaine.
Izza Génini a étudié à la Sorbonne et à l’Inalco et vit à Paris depuis 1960. Elle y fonde une salle de projection, puis une société de production et de distribution, Sogeav (devenue Ohra), pour financer et distribuer en Afrique et en Europe des films marocains, notamment les siens. Elle produit ainsi Transe (Al Hal, Ahmed El Maânouni, 1981) sur le groupe Nass El Ghiwane. Avec la série de 11 documentaires Maroc, corps et âme (1987-1992), elle œuvre à la constitution d’un patrimoine musical et culturel qui est en même temps une recherche sur la place de la musique dans la construction des identités. Tambours battant (1999) s’inscrit dans la même veine. Elle est également l’auteure de documentaires sur la migration d’une famille, la sienne : Retrouver Oulad Moumen (1994) ; sur le fruit sacré dans la culture juive, la sienne : La Route du cédrat, le fruit de la splendeur (1997) ; sur les mains expertes des « embellisseuses » : Pour le plaisir des yeux (1997). Elle a produit et réalisé un long-métrage documentaire sur la musique arabo-andalouse, Nûba d’or et de lumière (2007), primé dans de nombreux festivals.
Patricia CAILLÉ
GENLIS, Stéphanie-Félicité DU CREST, comtesse DE [CHAMPCÉRI 1746 - PARIS 1830]
Écrivaine française.
De petite noblesse, autodidacte, Félicité du Crest, comtesse de Genlis par son mariage, proche de la duchesse de Chartres et maîtresse du futur Philippe Égalité devient « gouverneur » des enfants d’Orléans (dont le futur Louis-Philippe). Dans les années 1780, après son Théâtre à l’usage des jeunes personnes, elle prône son enseignement dans les Annales de la vertu, Adèle et Théodore, Les Veillées du château. Proche des orléanistes, elle rédige des Discours réformistes en 1790-1791. L’émigration en Angleterre lui inspire des romans. De retour en France en 1800, elle poursuit une œuvre de polygraphe à la Bibliothèque universelle des romans, au Mercure de France, chez l’éditeur Maradan : nouvelles et romans historiques ou gothiques, autobiographies (Mémoires, 1825), essais, ouvrages de vulgarisation et de compilation, journaux et éditions fortement orientées se succèdent. Cette production polymorphe, unifiée par sa visée pédagogique, admirée, puis rejetée pour ses opinions antiphilosophiques et contre-révolutionnaires, intéresse aujourd’hui l’histoire des femmes de lettres.
Marie-Emmanuelle PLAGNOL
■ BROUARD-ARENDS I., PLAGNOL-DIÉVAL M.-E., Femmes éducatrices au siècle des Lumières, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2007 ; PLAGNOL-DIÉVAL M.-E, Mme de Genlis, Paris/Rome, Memini, 1996.
GENOVESE, Alicia [BUENOS AIRES 1953]
Poétesse, critique et enseignante argentine.
Dans les livres d’Alicia Genovese, l’élément lyrique est toujours présent. El cielo posible (« le ciel possible », 1977) et El mundo encima (« le monde sur la tête », 1982) relient la perception sensorielle du monde à l’émotion. Dans Anónima (« anonyme », 1992), les masques – transmis par l’histoire de la culture – introduisent une étrangeté dans le moi poétique. Ce procédé se reproduit dans La hybris (« l’hubris », 2007), où les voix poétiques sont des personnages féminins. Dans Puentes (« ponts », 1999), un long poème, elle élabore une écriture liée au paysage urbain, alors que dans Química diurna (« chimie diurne », 2004), elle nous transmet des images instantanées de ses voyages, et pose tout particulièrement son regard sur le paysage du delta du Paraná. Elle est également l’auteure du livre d’essais La doble voz, poetas argentinas contemporáneas (« la double voix, poétesses argentines contemporaines », 1998).
Silvia JUROVIETZKY
GENRE ET/OU SEXE
Le « genre », traduction de l’anglais gender, vient du féminisme américain tel qu’il s’est développé sur les campus à partir des années 1970. Cette extension du domaine grammatical (masculin, féminin) au domaine de la lutte des sexes ne va pas sans inconvénients sémantiques : le « genre » humain, dont la définition implique la suspension de la différence des sexes, se trouve ainsi placé dans une fâcheuse confusion avec cette dernière. Et les « genres » artistiques (picturaux, littéraires, cinématographiques…) se voient eux aussi confondus avec la problématique de la sexuation, de sorte qu’un article sur « la question du genre au cinéma » tombera dans une irréductible ambiguïté quant à son sujet. Il serait pourtant si simple de parler de « différence des sexes » ou de « sexuation ».
Pourquoi avoir substitué « genre » à « sexe » ? La réponse est d’ordre philosophico-politique : c’est parce que celui-ci renverrait à une donnée biologique, donc naturelle, donc nécessaire, tandis que celui-là renverrait au « symbolique », relevant du « socialement construit», donc dispensable, donc modifiable. Le raisonnement sous-jacent est le suivant : la différence des sexes est une mauvaise chose car elle renvoie à des « rôles » considérés comme « aliénants » ou « contraignants », comme d’ailleurs tout ce qui relève du « social », lequel est considéré comme l’ennemi de l’individu libre et authentique. Il faut donc dénaturaliser le sexe en vertu de la croyance en la nécessité de la nature et en la contingence du social ; et ainsi s’en débarrasser pour laisser place à une société « ouverte », exempte de ce « pouvoir » qui influe sur nos « représentations » et fixe nos « identités ». C’est la base de la queer theory, que la France découvre entre 2000 et 2010, avec vingt ans de retard sur les États-Unis.
Que « différence » n’implique pas nécessairement « discrimination » et que la lutte contre le sexisme n’oblige pas automatiquement à se débarrasser de la différence des sexes semble ne plus être audible dans cette construction intellectuelle du « genre » qui sous-tend sa stigmatisation comme catégorie « socialement construite ». Il est permis de regretter le logicisme de ceux qui raisonnent en termes de « ou bien ou bien », et s’imaginent qu’on ne peut être que naïf réactionnaire, croyant au « tout naturel », à l’inné, ou bien avant-gardiste, convaincu que tout est acquis, « socialement construit ». En réalité, la différence des sexes n’est ni entièrement « naturelle » (le « sexe »), ni entièrement « construite » (le « genre »), mais constitue un mixte variable de données physiologiques et de représentations imaginaires et symboliques, avec leurs cortèges d’affects. Avec un peu plus de sens de ces continuités, et un peu moins d’ardeur dans la lutte des clans, un travail passionnant serait à mener sur les déplacements subtils de nos représentations et de nos actions entre ces deux pôles opposés. Un certain féminisme y gagnerait peut-être un visage un peu plus humain. Le « social » n’est pas forcément synonyme de « pouvoir » et d’« influences » néfastes : il est aussi pourvoyeur de repères, d’appartenances, de liens et de solidarités de tous ordres… Et les partisans du « genre » semblent ne rien vouloir savoir de la différence des sexes comme terrain de jeux, où existent désir et rapprochements entre hommes et femmes. Mais c’est peut-être justement ce qui leur fait horreur, et ce qui facilite la prolifération du « genre » – plus propre, assurément, que « sexe » – dans un vocabulaire universitaire d’importation nord-américaine.
Nathalie HEINICH
■ Le Débat, n° 160, mai-juin 2010.