KAROLY, Ilonka [HAMBOURG 1938]

Écuyère hongroise.

Hélène Lisbeth Marton Karoly, dite Ilonka, est la fille d’Emile Amadeus Marton Karoly, membre de la troupe équestre hongroise des Karoly, et de Mary Hélène Henriette Van Bever, écuyère et fildefériste néerlandaise. Née au cirque Paula Busch*, elle est élevée et formée au cirque Van Bever. Si elle se distingue très jeune comme remarquable voltigeuse équestre, exécutant la moindre figure debout, saut de rubans, de baguette et en s’élevant exceptionnellement haut au-dessus du cheval au galop, elle n’hésite pas à exécuter des exercices qui demandent une endurance et une force physique peu communes, comme Les Jeux romains ou la Poste hongroise, debout sur deux chevaux tenus d’une main. En 1953, I. Karoly est engagée au cirque Moreno au Danemark, avec un numéro de jockey et de sulky ; puis de 1954 à 1956 chez Ringling Bros. and Barnum & Bailey ; elle paraît chez Medrano à Paris (1957 et 1959) ; chez Adolf Strassburger dans le cirque stable de Scheveningen (1959) ; au cirque Boswell-Wilkie, en Afrique du Sud (1960) ; au cirque hollandais Toni Boltini (1964). Elle est mariée à Feri Baliga, de la troupe acrobatique des Larenty.

Marika MAYMARD

VAN DIXHOORN F., Van Bever, een Circus om van te houden, Bréda, Stiching APC, 1993.

KAROUI, Nicole EL- [PARIS 1944]

Mathématicienne française spécialisée dans la finance.

Nicole el-Karoui codirige le master 2 « probabilités et finance » du master « probabilités et applications », de l’université Pierre-et-Marie-Curie (Paris 6) et de l’École polytechnique (en cohabilitation). Elle est également directeur scientifique à l’institut Louis-Bachelier et coresponsable de chaires de recherche. Diplômée de l’École normale supérieure de jeunes filles (1964) et détentrice d’un doctorat en mathématiques (1971), N. el-Karoui a enseigné à l’université du Maine Le Mans-Laval puis à l’École normale supérieure de Fontenay-Saint-Cloud. Elle s’est distinguée par sa participation au développement des mathématiques financières. Dès 1990, elle a montré son intérêt pour l’utilisation des mathématiques dans la finance en créant un cours de mathématiques financières au sein du DEA « probabilités et applications » de l’université Paris 6, avec Hélyette Geman. Tout en l’enseignant, elle a largement développé l’axe de recherche centré sur l’optimisation des portefeuilles d’actifs et la prise en compte des imperfections du marché lors de la valorisation d’actifs. Le master qu’elle dirige est devenu le vivier des banques d’investissement, qui ont pu développer les « produits dérivés ». Ainsi, la mathématicienne a été propulsée au centre des débats économiques lorsque ces produits ont été désignés comme étant à l’origine de la diffusion et de l’amplification de la crise financière de 2007. Ils auraient en effet faussé l’évaluation du risque et permis la déconnexion du risque et de la rentabilité des produits financiers.

Mathilde LEMOINE

Avec QUENEZ M.-C., « Imperfect markets and backward stochastic differential equations », in ROGERS L. C. G. et TALAY D. (dir.), Numerical Methods in Finance, Cambridge, Cambridge University Press, 1997.

Avec GEMAN H. et ROCHET J.-C., « Changes of numéraire, changes of probability measure and option pricing », in Journal of Applied Probability, vol. 32, no 2, 1995 ; avec JEANBLANC M., « Optimization of consumption with labor income », in Finance and Stochastics, vol. 2, no 4, 1998 ; avec ROUGE R., « Pricing via utility maximization and entropy », in Mathematical Finance, vol. 10, no 2, 2000.

KARPINSKA, Louise VON [ZAKOPANE, POLOGNE 1871 - ID. 1937]

Psychologue polonaise.

Louise von Karpinska a fait partie des toutes premières femmes invitées par la Société psychanalytique de Vienne et, dans une édition de L’Interprétation des rêves postérieure à 1900, Freud cite l’un de ses articles, « Ein Beitrag zur Analyse “sinnloser” Worte im Traume » (« contribution à l’analyse de mots dénués de sens dans le rêve », 1914). Professeure de psychotechnique et de psychologie à l’université de Łódź, elle devient en 1920 directrice du Laboratoire municipal de psychologie. Cette institution, créée l’année précédente, est la première en Pologne à s’intéresser à la pédagogie à l’usage d’enfants handicapés. Elle travaille sur les théories pédagogiques, connues et enseignées à l’époque, du philosophe allemand J. F. Herbart (1776-1841), décrivant les processus mentaux comme des interactions dynamiques de représentations conflictuelles et qu’elle considère comme l’une des sources de la pensée de Freud. Cette hypothèse sera validée ultérieurement par les travaux de Maria Dorer (1932), Ernest Jones (1953) et Ola Andersson (1962).

COLLECTIF PSYCHANALYSE ET POLITIQUE

« Über die psychologischen Grundlagen des Freudismus », in International Zeitschrift fur arztliche Psychoanalyse, no 2, 1914.

MÜHLLEITNER E., « Les femmes et le mouvement psychanalytique à Vienne », in MIJOLLA-MELLOR S. DE, Les Femmes dans l’histoire de la psychanalyse, Le Bouscat (33), L’Esprit du temps, 1999.

KARPIŠKOVÁ, Betty (Božena, dite) [PRAGUE 1881 - RAVENSBRÜCK 1942]

Femme politique et féministe tchèque.

Issue d’un milieu ouvrier, Božena Karpišková embrasse précocement les thèses socialistes, et rejoint la social-démocratie au cours des premières années du XXe siècle. Simultanément, elle s’investit auprès de ses contemporaines du Parti socialiste-national Františka Zemínová* et Františka Plamínková* au sein d’un mouvement des femmes désormais dominé par la lutte pour les droits civils et politiques. En 1920, elle est l’une des premières députées femmes à siéger à l’Assemblée nationale du nouvel État tchécoslovaque et lorsqu’intervient l’année suivante la scission avec le Parti communiste, ses convictions féministes emportent sa décision de demeurer fidèle à la social-démocratie, qui la délègue auprès de l’Internationale ouvrière socialiste à compter de 1923. La même année, elle s’illustre par une proposition de loi audacieuse : afin de lutter contre la paupérisation des femmes liée à un cruel différentiel démographique en défaveur des hommes, elle suggère une sorte de « communisme des hommes », compris comme une bigamie instituée. Après les échecs essuyés dans les années 1920 par les parlementaires féministes dans leurs tentatives pour réviser le Code civil hérité de l’Autriche-Hongrie, ses vues se radicalisent. En 1933, elle s’associe à un projet de loi légalisant l’avortement sous certaines conditions et, suite à son échec, fonde en 1934 le planning familial tchécoslovaque. Désormais sénatrice, elle lutte également pour le maintien des femmes tchécoslovaques dans la main-d’œuvre salariée, alors que la crise mondiale encourage les forces conservatrices à favoriser l’emploi masculin. Elle entame en 1938 un ultime mandat au Sénat, avant sa dissolution à la suite des accords de Munich. Après l’occupation allemande, en mars 1939, elle intègre la direction clandestine du Parti social-démocrate. Le 6 mai 1941, elle est arrêtée avec 42 camarades dans le cadre d’une vaste action de représailles de la Gestapo, et déportée à Ravensbrück.

Maxime FOREST

KARP WEIR, Peggy TATS-UNIS XXe siècle]

Informaticienne américaine.

Dès le début des années 1970, Peggy Karp s’investit dans le projet Arpanet, puis Internet, après des études scientifiques dans les universités de Chicago et de Stanford. Steve Crocker la convainc de participer au projet Arpanet en tant qu’éditrice de Requests for Comments (RFC), mode d’échange de documentation et de spécifications techniques ouvert. Les RFC sont des documents de travail destinés aux chercheurs connectés au réseau qui prennent part à son évolution. Nés pour accélérer le cycle traditionnel d’échanges d’idées, ils sont diffusés d’abord sur papier, puis accessibles en ligne via Arpanet. Ce fonctionnement n’est pas élitiste : les étudiants de deuxième cycle peuvent faire des suggestions, tout comme leurs professeurs. P. Karp suit les propositions, les classe et les met à jour. En 1971, elle propose elle-même la RFC 226. Elle y pose les bases du système de nommage des hôtes du réseau Arpanet, premiers fondements vers les notions de nom de domaine et d’URL, autrement dit des adresses des sites Web.

Valérie SCHAFER

KARR, Carme [BARCELONE 1865 - ID. 1943]

Journaliste et écrivaine espagnole d’expression catalane.

Née dans une famille de la haute bourgeoisie catalane, élevée dans un environnement cosmopolite et cultivé où l’on pratique le français et l’allemand, Carme Karr fait du catalan sa langue d’expression. Mariée à Joseph Maria de Lasarte y de Janer, mère de quatre enfants, cette féministe convaincue fonde en 1913 la Llar (« la maison »), une résidence pour femmes, professeures et étudiantes, et préside l’organisation Acció femenina (« action féminine »). Évoluant dans le monde intellectuel et artistique – Joan Maragall et Eugeni d’Ors comptent parmi ses amis et interlocuteurs –, elle collabore à des revues comme Joventut (« jeunesse »), où elle commence à publier en 1902, et Or i Grana (« or et rouge »). Elle fonde et dirige la revue Feminal (1907-1917), dont le principal objectif est de faire connaître la créativité artistique de ses contemporaines. Elle est la première femme à intervenir en qualité de conférencière à l’Ateneu de Barcelone, où elle revendique, dans ses discours, le droit de vote pour les femmes et où elle donne des cours d’éducation féminine en 1910 et 1916. Dans ses romans (Clichés, 1906 ; De la vida d’en Joan Franch, « de la vie de Joan Franch », 1913) comme dans ses pièces de théâtre (Els ídols, « les idoles », 1911), le lyrisme s’allie à l’observation critique de certains comportements féminins à dépasser. Elle écrit aussi des contes pour enfants, Nick, conte de mitja nit (« Nick, conte de minuit », 1931) et Contes de l’àvia (« contes de la grand-mère », 1934). Par ailleurs, elle met en musique des poèmes, principalement ceux d’Apel∙les Mestres. L’un de ses pseudonymes, l’Escardot, qui joue sur la similitude de sonorité entre Karr et card (« chardon »), donne son titre à son œuvre musicale la plus célèbre, Flors d’escardot, cançons catalanes (1907). En Catalogne, plusieurs rues portent le nom de cette femme, dont l’activité sociale est indissociable de la création artistique.

María Teresa LOZANO SAMPEDRO

AINAUD DE LASARTE JM., « Carme Karr, escriptora i feminista », in Serra d’Or, Barcelone, n° 409, 1994 ; ARAGÓ N. J., « Carme Karr a la vila morta », in Revista de Girona, n° 166, 1994 ; ARNAU C., « El feminisme a l’Ateneu Barcelonès i a “Feminal”, Carme Karr », in Serra d’Or, Barcelona, n° 561, 2006.

KARRAS, Ruth MAZO [CHICAGO 1957]

Historienne américaine.

Née dans une famille d’universitaires, Ruth Mazo Karras s’intéresse très jeune au Moyen Âge. Elle étudie l’archéologie à Oxford et l’histoire à l’université Yale où elle soutient, en 1985, une thèse de doctorat sur l’esclavage en Scandinavie médiévale. Elle enseigne ensuite comme professeure adjointe à l’université de Pennsylvanie, puis comme professeure associée à l’université Temple qui la nomme sur une chaire en 1996. Depuis 2000, elle est professeure à l’université du Minnesota Twin Cities. Ses recherches, qui combinent habilement différents types de sources et perspectives, portent sur l’histoire des femmes, le genre et la masculinité dans différentes régions du nord-ouest de l’Europe à l’époque médiévale. Elles abordent également l’histoire de la sexualité, de la prostitution, du mariage, thèmes sur lesquels R. Karras a publié deux monographies et de nombreux articles. Common Women : Prostitution and Sexuality in Medieval England (1996) constitue un texte de référence sur l’histoire de la prostitution. Sexuality in Medieval Europe : Doing Unto Others (2005) analyse, dans leur complexité et leur conflictualité, un certain nombre de comportements sexuels de la culture médiévale. La masculinité et les rôles sociaux des hommes sont abordés dans From Boys to Men : Formations of Masculinity in Late Medieval Europe (2003), où l’historienne met l’accent sur le processus de socialisation des garçons et la création des identités masculines. Après avoir publié en 2008 « Thomas Aquinas’s Chastity Belt : Clerical Masculinity in Medieval Europe » (dans Gender & Christianity in Medieval Europe) qui combine étude sur la masculinité et la sexualité, elle entreprend l’approche comparée de la construction de l’amitié masculine dans les cultures médiévales chrétienne et juive. R. Karras est également rédactrice en chef de la collection d’histoire médiévale aux éditions University of Pennsylvania Press et coéditrice de la revue Gender & History. Pour ses recherches, son enseignement et ses publications, elle a été plusieurs fois récompensée. Son ouvrage Unmarriages : Women, Men, and Sexual Unions in Medieval Europe (2012) est colauréat du Joan Kelly Memorial Prize en histoire des femmes de l’American Historical Association.

Sari KATAJALA-PELTOMAA

KARSAVINA, Tamara [SAINT-PÉTERSBOURG 1885 - BEACONSFIELD 1978]

Danseuse et professeure russe.

Fille du danseur Platon Karsavin, formée à l’école du Théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg, Tamara Karsavina entre en 1902 dans le Ballet où elle interprète dès 1909 les grands rôles du répertoire (Le Corsaire, Le Lac des cygnes, La Bayadère, Paquita et Giselle). Parallèlement, elle intègre les Ballets russes de Diaghilev dont elle est la prestigieuse étoile jusqu’en 1926. Elle y crée les œuvres de Michel Fokine (Les Sylphides, Le Spectre de la rose, Carnaval, Cléopâtre…), de Vaslav Nijinski (Jeux), de Léonide Massine (Le Tricorne, Le Chant du rossignol, Pulcinella…), de Bronislava Nijinska* (Roméo et Juliette). Elle se produit également en artiste invitée sur les plus grandes scènes européennes et danse pour le Ballet Rambert en 1930-1931. Épouse du diplomate britannique Henry Bruce dont elle a un fils, elle quitte la Russie en 1918 pour s’installer à Londres. Artiste exceptionnelle, interprète subtile, elle investit chacun de ses rôles avec intelligence et sensibilité. Elle excelle dans le répertoire classique du Mariinsky, mais sait aussi se montrer disponible auprès de chorégraphes novateurs. Elle accompagne Michel Fokine dès ses premières chorégraphies dont elle reste une interprète inégalée. Formant avec Nijinski un couple de rêve, elle contribue au succès des premières saisons des Ballets russes et c’est avec L’Oiseau de feu (1910) qu’elle s’impose auprès du public européen. Intelligente et cultivée, sérieuse et spirituelle, elle gagne l’affection et l’estime de Diaghilev qui l’accueille au comité artistique de la compagnie. Lorsqu’elle cesse de danser, elle se consacre à l’essor du jeune ballet anglais aux côtés de Marie Rambert*. Vice-présidente de la Royal Academy of Dancing jusqu’en 1955, elle enseigne, publie des traités et contribue à la constitution d’un répertoire. Outre des conférences sur l’interprétation, elle transmet les œuvres qu’elle a dansées. Margot Fonteyn* reçoit ainsi ses rôles dans Le Spectre de la rose et L’Oiseau de feu, et Frederick Ashton la scène de mime du 2e acte de La Fille mal gardée qu’il intègre à sa propre version de l’œuvre.

Marie-Françoise BOUCHON

Ma vie : l’étoile des Ballets russes raconte (Theatre Street, 1930), Bruxelles, Éditions Complexe, 2004.

Ballet Technique : A Series of Practical Essays (1956), New York, Theatre Arts Books, 1976 ; Classical Ballet : The Flow of Movement (1962), New York, Theatre Arts Books, 1978.

SVETLOV V., Tamara Karsavina, Londres, C. W. Beaumont, 1922.

KARSCH, Anne-Louise (née DÜRBACH) [PRÈS DE SCHWIEBUS 1722 - BERLIN 1791]

Femme de lettres allemande.

Fille d’un couple d’aubergistes de Silésie, Anne-Louise Karsch, dite la Karschin, grandit dans des circonstances plutôt misérables. Après la mort de son père, elle vit de 1728 à 1732 chez son oncle, qui lui apprend à lire et à écrire. À 16 ans, elle se marie avec un tisserand, dont elle est séparée en 1748 alors qu’elle est sans ressources et mère de quatre enfants. De son deuxième mariage, conclu en 1749 avec un tailleur ivrogne du nom de Karsch, elle a trois autres enfants. Pour améliorer la situation économique de la famille, elle se met à composer des textes lyriques de circonstance en l’honneur de Frédéric II. Découverte en 1760 par Rudolf Gotthard, baron de Kottwitz, elle va dès lors faire à tel point sensation qu’elle est reçue en 1763 par le roi de Prusse à Sans-Souci. Malgré ses succès – ses Poèmes choisis de 1764 sont particulièrement populaires –, cette autodidacte restera sa vie durant tributaire de ses bienfaiteurs : en 1789, Frédéric-Guillaume II lui fait don d’une maison à Berlin, dans laquelle elle s’installe. À la fois reconnue et contestée comme auteure, elle est en contact permanent avec, entre autres, Gleim, Lessing, Mendelssohn, Ramler et Sulzer. L’œuvre de celle qui attribuait à l’écriture des fonctions de thérapie psychique comprend, outre quelques récits en vers typiques de l’époque (peu nombreux et peu originaux), des épîtres et des fables. De nombreuses mythifications problématiques de sa personne et de son itinéraire ont toujours rendu difficile la possibilité d’un jugement adéquat sur les poésies de cette « femme-miracle » (Gleim) : ses travaux ont été considérés comme ceux d’un soi-disant « génie naturel » et d’un outsider féminin qui s’insurgeait contre son destin ; de ce fait les qualités de son métier ont été négligées de manière tendancieuse. Elle est la mère de la femme de lettres Caroline Louise von Klencke et la grand-mère de la librettiste Helmina von Chézy.

Anett LÜTTEKEN

KITSCH A., «… offt ergreiff ich um Besser mein zu sein die feder… », Ästhetische Positionssuche in der Lyrik Anna Louise Karschs (1722-1791), Wurtzbourg, Königshausen & Neumann, 2002.

KARSKAYA, Ida (Ida GRIGORIEVNA SCHREIBMAN, dite) [BENDÉRY 1905 - PARIS 1990]

Peintre russe.

Née en Bessarabie, la jeune Ida Schreibman part en 1922 de cette région moldave, aux influences ukrainiennes, roumaines et judéo-slaves, pour la Belgique où elle étudie la médecine. En 1924, elle est à Paris et se spécialise dans la psychiatrie. Elle fréquente la bohème russe, est une proche amie du poète Boris Poplavski, amoureux de sa sœur Dina Grigorievna. En 1930, elle épouse le peintre et journaliste Serge Karsky. Dans les années 1930, elle se met à la peinture et, en 1936, expose au Salon des Tuileries. Elle est attentive aux débats intellectuels et philosophiques de l’émigration russe (les philosophes Berdiaev et Chestov, les soirées littéraires de « La Lampe verte » du couple Zinaïda Hippius-Mérejkovski), fréquente Soutine qui l’encourage à persévérer dans l’art pictural ; leur amitié durera jusqu’à la mort du peintre juif biélorusse. Au début de la Seconde Guerre mondiale, elle peint des foulards et des écharpes. Jean Paulhan l’aide, en 1942, à trouver refuge dans le Sud de la France avec sa famille. Sa première exposition personnelle a lieu à Montpellier à la Galerie Favier en 1943. Après 1945, elle se mêle aux milieux littéraires parisiens. En 1946, la galerie parisienne Pétridès organise une exposition dont le catalogue, Portraits de viande, est préfacé par Francis Carco. À la Galerie Breteau en 1949, elle expose 20 jeux nécessaires-40 gestes inutiles (le catalogue contient des textes de J. Paulhan, H. Calet, M. Bernard, F. Ponge et M. Nadeau). Ses tableaux sont alors abstraits ; elle les regroupe en cycles. Dans les années 1950, elle intègre sur les surfaces différents objets (fils de fer, feuilles, écorces, fragments d’objets). À partir des années 1960, ce sont des morceaux de poupées qui occupent ses œuvres. Suivront des expositions portant des titres originaux : Gris quotidiens (1959, Galerie La Roue), Peintures, collages, objets (1962, Galerie Karl-Flinker – le catalogue contient des textes de J. Paulhan et de Geneviève Bonnefoi), Les Invités de Minuit, en collaboration avec Esther Hess (1965, Galerie La Roue). L’artiste a fait l’objet de deux rétrospectives, en 1972 à l’Abbaye de Beaulieu, et en 1980 à la Fondation des Arts graphiques et plastiques, à Paris. I. Karskaya a créé un monde pictural, une galerie de reliefs et de sculptures où se mêlent subtils raffinements et paroxysmes barbares. Cette manipulatrice annonce les « faiseuses » ultérieures, une Annette Messager*, par exemple. Elle se passionne pour le bric-à-brac, les objets de rebut. Son prisme pictural est le gris, ce « gris quotidien » qui n’appartient qu’à elle, un gris de cendre où le noir et le blanc sont les acteurs principaux, un gris lumineux ouvrant sur des paysages métaphysiques, un gris de terre à la banalité sublime.

Jean-Claude MARCADÉ

KARTINI, Raden Adjeng [JEPARA, JAVA-CENTRE 1879 - REMBANG, ID. 1904]

Épistolière indonésienne.

Fille d’un aristocrate javanais au service de la puissance coloniale, Raden Adjeng Kartini reçut une éducation occidentale mais fut contrainte d’interrompre ses études, conformément à une coutume locale consistant à enfermer les jeunes femmes nobles de leur puberté à un mariage qui les ferait passer de la tutelle de leur père à celle de leur conjoint. Elle souffrit vivement de cette tradition qui brisait ses rêves d’avenir, et chercha à y échapper en lisant des livres occidentaux et en correspondant dans leur langue avec des Néerlandais. Une partie de sa correspondance (1899-1904) fut éditée à titre posthume par Abendanon, sous un titre emprunté à l’une de ses lettres. Adepte de la « politique éthique » (début XXe siècle) qui visait à faire progresser la colonie par le biais de l’instruction, cet ex-ministre de l’Enseignement avait en effet soutenu le combat de l’écrivaine en faveur d’une éducation des femmes destinée à combattre l’arriération et la sujétion de son peuple, et à travailler ainsi au perfectionnement de l’humanité. Les thèmes des lettres varient en fonction des interlocuteurs. R. A. Kartini transmet sa vision des relations de la colonie à la métropole, s’entretient de l’émancipation des femmes avec une jeune socialiste d’Amsterdam, interroge un missionnaire en pays Toraja sur son expérience et traite de sujets éthiques et religieux avec une protestante fervente. Bien qu’elle écrivît en néerlandais, l’auteure a, dans son pays, une importance considérable. Le président Sukarno la consacra héroïne de l’indépendance nationale, tandis que son successeur, Suharto, fit du jour anniversaire de sa naissance, le 21 avril, celui de l’émancipation des femmes indonésiennes. Elle a fondé une école pour les filles de l’aristocratie javanaise. Le retentissement exceptionnel de sa pensée est assuré par un certain nombre de traductions en indonésien, soundanais et javanais, mais aussi en anglais, français, japonais et arabe. Son œuvre épistolière a suscité nombre de commentaires et a nourri maints essais et fictions indonésiens. Le recours à l’expression autobiographique permit à R. A. Kartini de faire reconnaître sa personne et de promouvoir sa culture. Elle apparaît triplement fondatrice, puisque, au-delà du féminisme indonésien, elle préfigure aussi l’idéologie nationale et l’autobiographie locale.

Étienne NAVEAU

Door Duisternis tot Licht (1911), Amsterdam, Gé Nabrink & Zon, 1976 ; Brieven aan mevrouw Abendanon-Mandri en haar echtgenoot, Dordrecht, Foris Publications, 1987 ; Lettres de Raden Adjeng Kartini. Java en 1900 (1960), Damais L. C. (dir.), Jakarta, EFEO, 1999.

KARUSOO, Merle [RAE 1944]

Metteuse en scène estonienne.

Diplômée en 1976 de l’École d’art dramatique de Tallinn, Merle Karusoo travaille d’abord dans les théâtres publics, puis dans différentes troupes indépendantes, notamment la Société théâtrale de Pirgu (Pirgu Näitemänguselts, 1987-1998), qu’elle a fondée. À partir de 2006, elle travaille au Théâtre dramatique estonien, à Tallinn. Cette artiste qui a créé plus de 50 spectacles met en scène des textes modernes, tels que ceux de George Bernard Shaw ou d’Eugene O’Neill, et des pièces d’auteurs estoniens contemporains, dont Voldemar, du dramaturge Andrus Kivirähk (2007). Mais elle est surtout connue pour ses mises en scène à orientation sociologique, qui posent des questions gênantes sans offrir de solutions, et se distingue par le choix de sujets sensibles : alcoolisme et narcomanie des adolescents, nationalité, intégration de la minorité russe en Estonie. Elle s’occupe du projet « Qui suis-je ? », utilisant le théâtre pour intégrer des enfants étrangers à la société estonienne. Plusieurs de ses spectacles évoquant les traumatismes de l’histoire nationale (la répression stalinienne dans les années 1940, la vie sous le régime soviétique) visent à préserver la mémoire collective et à exercer une influence psychothérapique sur les spectateurs. M. Karusoo recourt aux méthodes du théâtre documentaire, s’appuyant sur des biographies individuelles, qui révèlent la nature humaine et constituent l’histoire d’un peuple. Ses mises en scène sont d’ordinaire minimalistes et statiques : l’acteur ne doit pas incarner un personnage, mais plutôt témoigner de la vie d’une personne. La culpabilité, la responsabilité morale de l’individu sont au centre de ses préoccupations. En suscitant des débats, elle veut donner à ses spectacles une vraie fonction sociale dans la société estonienne.

Ina PUKELYTĖ

EPNER L., « Telling life stories as a strategy of authentication ? Merle Karusoo’s Our Biographies and Today We don’t Play », in BOROWSKI M. et SUGIERA M., Worlds in Words : Storytelling in Contemporary Theatre and Playwriting, Newcastle upon Tyne (R.-U.), Cambridge Scholars, 2010.

KRUUSPERE P., « Merle Karusoo’s memory theatre », in Interlitteraria, no 7, juil. 2002.

KASCHNITZ, Marie Luise (née VON HOLZING-BERSTETT) [KARLSRUHE 1901 - ROME 1974]

Écrivaine allemande.

Marie Luise Kaschnitz commence à écrire dès les années 1930, en suivant son mari, l’archéologue Guido Kaschnitz von Weinberg, dans ses déplacements professionnels. En 1952, le recueil de nouvelles Das dicke Kind (« l’enfant obèse ») marque pour elle le début de la célébrité : excellant dans la représentation de l’Unheimlich (l’« inquiétante étrangeté » des théories freudiennes), elle crée des histoires fantastiques et énigmatiques, où une apparente normalité se teinte d’éléments étranges, pour aboutir à un coup de théâtre final. Ainsi, dans le roman Das Haus der Kindheit (« la maison de l’enfance », 1956), une journaliste, intriguée par l’édifice mystérieux qui porte ce nom, tâche d’en franchir le seuil et d’en arracher le secret, mais cette quête l’entraîne inexorablement dans l’exploration de sa propre enfance. Très agréable à lire, l’allemand de M. L. Kaschnitz affiche une clarté naturelle et aborde toutes sortes de situations paradoxales en gardant un style neutre, presque détaché et toujours mesuré. Avec les nouvelles Ombres allongées (1960), la prose limpide de l’auteure devient plus expérimentale. Beschreibung eines Dorfes (« description d’un village », 1956), donne vie au paysage enfantin à travers des descriptions concises, classées par sujets – images, couleurs, sons. Après la mort de son mari en 1958, elle change radicalement de ton. Dans les quatre volets de son autobiographie – Wohin denn ich (« quelle direction pour moi »), Jahre, Jahre, Tage (« des années, des années, des jours »), Steht noch dahin (« ce n’est pas certain ») et Orte (« lieux ») –, publiée de 1963 à 1973, le récit est mené à la première personne, de façon de plus en plus polyphonique. En même temps, les différents moments de la vie sont absorbés par l’emploi de formes narratives hétérogènes – journal, litanies, essai philosophique – qui, plus qu’un roman, génèrent un système d’« annotations » (Aufzeichnungen), selon le sous-titre choisi par l’auteur.

Chiara NANNICINI STREITBERGER

Lange Schatten, Ombres allongées, Munich, M. Hueber, 1969 (éd. bilingue) ; L’Oiseau roc, Arles, Actes Sud, 1986 ; Christine, Arles, Actes Sud, 1988.

GERSDORFF D. von, Marie Luise Kaschnitz, eine Biographie, Francfort, Insel, 1992 ; REICHARDT J. C., Zeitgenossin, Marie Luise Kaschnitz, Francfort, P. Lang, 1984 ; STRACK-RICHTER A., Marie Luise Kaschnitz, Francfort, P. Lang, 1979.

KÄSEBIER, Gertrude (née STANTON) [DES MOINES 1852 - NEW YORK 1934]

Photographe américaine.

Figure clé de la photographie du début du XXe siècle, Gertrude Käsebier est, avec Annie Brigman*, l’une des premières femmes élues au Linked Ring, la prestigieuse association britannique de photographes. Celle qui fut surtout connue pour ses scènes d’intérieur montrant une mère avec son enfant découvre la photographie alors qu’elle étudie la peinture à l’Institut Pratt de Brooklyn, où elle s’est inscrite à l’âge de 37 ans. En 1894, elle voyage en Europe, photographie des paysans en France, fréquente l’académie Julian à Paris, puis étudie la photographie à Berlin. Remarquée, elle présente sa première exposition au Boston Camera Club en 1896. En 1897-1898, elle photographie les Indiens de la troupe de Buffalo Bill à New York. Elle rencontre Alfred Stieglitz, avec lequel elle participe à la fondation de la Photo-Sécession, mouvement pictorialiste américain qui compte dans ses rangs Edward Steichen, Clarence White et Alvin Langdon Coburn. Dès 1898, dix de ses images sont sélectionnées par le prestigieux Salon de la photographie de Philadelphie, et, en 1903, le premier numéro de Camera Work lui consacre plusieurs pages. On l’admire alors pour ses scènes d’intérieur et de maternité. Le panneau décoratif intitulé Mother and Child de 1899 montre ainsi une mère penchée sur son enfant nu : la composition soignée, tout en courbes, et les clairs-obscurs, atténués par un léger flou, rendent l’image particulièrement évocatrice. Sa famille et ses amis posent pour ses photographies allégoriques, typiques de la production pictorialiste de la fin du XIXe siècle. Parallèlement, l’artiste rencontre un succès commercial comme portraitiste dans le studio qu’elle a ouvert à New York en 1897. Elle est appréciée pour la simplicité de ses images : les poses naturelles et la lumière ambiante s’opposent au ciel ou aux toiles de fond alors privilégiés. Au tournant du siècle, toute l’intelligentsia new-yorkaise vient poser chez elle, l’écrivain Mark Twain par exemple. Lors de ses séjours en France, elle réalise, vers 1906, une remarquable série autour du sculpteur Rodin. En 1912, elle rompt avec la Photo-Sécession pour fonder, aux côtés de C. White entre autres, Pictorial Photographers of America. Elle continue de photographier jusqu’en 1929, date à laquelle elle ferme son studio. Reconnue de son vivant puisqu’elle expose et publie régulièrement, et que la Bibliothèque du Congrès lui achète des épreuves en 1926, celle qui fut l’une des premières photographes professionnelles indépendantes reste une artiste dont se réclament notamment Laura Gilpin, paysagiste américaine, et Imogen Cunningham*.

Anne REVERSEAU

MICHAELS B. L., Gertrude Käsebier : The Photographer and Her Photographs, New York, H. N. Abrams, 1992.

KASHEVAROVA-RUDNEVA, Varvara [VITEBSK 1842 - STARAÏA-ROUSSA 1899]

Médecin russe.

Varvara Aleksandrovna Kashevarova-Rudneva est la première Russe diplômée en médecine. En 1857, l’impératrice Marie de Hesse, épouse d’Alexandre II, et sa tante Hélène Pavlovna incitent le tsar à créer un lycée de jeunes filles à Saint-Pétersbourg. En 1861, les candidates sont admises aux cours de l’académie militaire de médecine, mais, deux ans plus tard, le gouvernement interdit aux femmes de suivre ces cours. Seule V. Rudneva est autorisée à terminer ses études, car les Cosaques de Bachkirie, de religion musulmane, soucieux d’assurer des soins médicaux à leurs épouses, lui permettent d’obtenir une bourse. Diplômée en 1868, elle exerce son métier avec talent et succès. Les guerres, les épidémies de typhus, les décès en couches et la mortalité néonatale incitent le tsar et l’Académie de médecine à autoriser les femmes à étudier puis à exercer la médecine. En 1872, un décret impérial leur autorise la gynécologie. Mais en 1882, un nouvel interdit les contraint à se former en Suisse ou en France. Des pétitions mettent fin à cette interdiction et la ville de Saint-Pétersbourg crée, en 1897, une institution indépendante du ministère de la Guerre : le premier institut médical féminin.

Claude COLAS

LIPINSKA M., Les Femmes et le Progrès des sciences médicales, Paris, Masson, 1930.

KASIBULAN – COLLECTIF D’ARTISTES [Philippines XXe-XXIe siècle]

Kababaihan sa Sining at Bagong Sibol na Kamalayan (« les femmes dans l’art et la conscience émergente ») est un collectif d’artistes femmes de divers domaines artistiques, le seul de son genre aux Philippines. Il a été fondé en 1987 par un designer de sacs faits main (Ida Bugayong), une sculptrice (Julie Lluch Dalena*), et trois peintres (Brenda Fajardo*, Ana Fer et Imelda Cajipe-Endaya*, fondatrice-présidente). Issu d’une série de consultations avec des femmes de professions diverses, lancé par Remy Rikken et le personnel de la Commission nationale du rôle des Philippines (NCRFW), le collectif s’est épanoui dans l’environnement démocratique sous l’administration de Corazon Aquino*.

L’objectif du collectif est de renforcer le rôle des femmes, d’en donner des images positives et de créer des espaces alternatifs pour encourager réunions et débats sur la question des femmes. Il s’agit de soutenir la création indépendante, de promouvoir les œuvres artistiques des femmes. Plus globalement, ces actions permettent d’élargir la conscience sociale, économique, politique et culturelle des artistes femmes et de favoriser le développement des expressions féminines, en liaison avec la communauté plus large des artistes des Philippines et d’ailleurs. Kasibulan organise des expositions, des forums et des ateliers sur des thèmes liés aux femmes dans les arts et autres domaines, tels que la santé, le travail et la loi. Les expositions ont pour sujet les ouvrières immigrantes (Pilipina : Migranteng Manggagawa, 1993) et l’histoire des Philippines (Balintawak : A Centennial Year Exhibit of Philippine Art ; Tradisyon, Rebolusyon, Ebolusyon, 1998) ; les œuvres contestent les stéréotypes féminins (Babae et Sinaunang Habi, Makabagong Habi, 1992) et estompent les limites entre les beaux-arts, l’artisanat et le quotidien (Pasyonasyon, 2009).

Flaudette DATUIN

DATUIN F. M., Home, Body, Memory : Filipina Artists in the Visual Arts, 19th Century to the Present, Diliman, Quezon City, University of the Philippines Press, 2002.

CAJIPE -ENDAYA I., « Kasibulan and the parallels between the personal and the collective », in Ctrl+P Journal of Contemporary Art, Uploaded Issue no 6, mai 2007.

KASIBWE, Specioza [DISTRICT D’IGANGA 1955]

Femme politique ougandaise.

Médecin de formation, Specioza Kasibwe entre tôt en politique : élue chef de village à 32 ans, puis représentante des femmes du district de Kampala. Nommée plusieurs fois ministre entre 1991 et 1994, dont ministre du Genre et Développement communautaire, élue députée en 1996, elle devient en 1994 la première femme africaine vice-présidente de son pays. Elle prône des actions positives en matière de scolarisation des filles et de réduction de la pauvreté. Elle est en 1998 membre cofondateur du Comité des femmes africaines pour la paix et le développement (CFADP), qui plaide pour faire entendre leur voix dans les négociations de paix et les initiatives de développement. En 2003, elle est contrainte de démissionner pour avoir osé demander à divorcer de son époux qui la battait, et exhorté les femmes ougandaises à dénoncer les violences conjugales. Elle quitte le pays pour étudier à Harvard. Mère d’une famille nombreuse, engagée dans de nombreuses associations, elle s’efforce de susciter la collaboration d’une communauté scientifique africaine qui éclaire les décisions politiques concernant l’environnement et la santé publique.

Jacqueline PICOT

KASILAG, Lucrecia [SAN FERNANDO, LA UNION 1918 - MANILLE 2008]

Auteure, compositrice et interprète philippine.

Surnommée La Première Dame de la musique des Philippines ou encore Tita King, Lucrecia Kasilag a écrit plus de 250 compositions musicales pour l’opéra et l’orchestre, et fut pionnière de l’usage des instruments indigènes philippins dans des productions orchestrales. Ses œuvres les plus connues sont des compositions orchestrales (Love Songs ; Philippine Scenes ; Legend of the Sarimanok) et des musiques de chambre (Fantaisie on a 4-note Theme ; East Meets Jazz Ethnika). Elle est fondatrice du Bayanihan Folk Arts Center et a contribué au succès de la Bayanihan Philippine Dance Company.

Asuncion FRESNOZA-FLOT

VILLARUZ B. E., Treading through : 45 Years of Philippine Dance, Quezon City, University of the Philippines Press, 2006.

KASISCHKE, Laura [GRAND RAPIDS, MICHIGAN 1961]

Écrivaine et poétesse américaine.

Mêlant des origines allemandes, polonaises, russes et anglaises, Laura Kasischke passe son enfance dans le Michigan et compose des poèmes dès l’âge de 10 ans. À l’université, elle suit des cours d’écriture créative et se consacre à la poésie. Auteure de huit recueils de poèmes (dont le premier, Wild Brides, paraît aux États-Unis en 1992), elle remporte notamment le prix Frost Place en 2005 et la Bourse Guggenheim en 2009. Son dernier recueil, Space, in Chains (2001), qui lui vaut le National Book Critics Award pour la poésie, souligne l’empreinte du temps sur les choses et les gens au cours des différentes étapes de la vie. À 36  ans, elle signe son premier roman, À Suspicious River (Suspicious River, 1996). Paraissent ensuite huit autres ouvrages parmi lesquels Rêves de garçons (Boy Heaven, 2006), Les Revenants (The Raising, 2011), et Esprit d’hiver (Mind of Winter, 2014). Ses personnages sont des femmes de la classe moyenne américaine qui jouent apparemment un second rôle, soumises à l’inégalité sociale entre les sexes. L’auteure travaille sur l’évolution des personnages et scrute la dualité entre le conformisme apparent et la réalité cachée. Son univers est empreint d’obsessions funestes, de liens avec l’invisible et l’inconscient, et d’une atmosphère de tension et de violence. Deux de ses romans ont été adaptés au cinéma : Suspicious River (2000) par la réalisatrice Lynne Stopkewich et La Vie devant ses yeux (The Life Before Her Eyes) réalisé par Vadim Perelman. L. Kasischke est également professeure de langue anglaise au Residential College de l’Université du Michigan à Ann Arbor.

Marina MOURRIN

KASK, Eve [TALLINN 1958]

Artiste multimédia estonienne.

Eve Kask a étudié les arts graphiques à l’Institut des beaux-arts d’Estonie (1978-1984). Elle y enseigne à partir de 1997 et préside depuis lors la Triennale des arts graphiques de Tallinn. À la fin des années 1980, ses linogravures très colorées ont contribué à renouveler la gravure estonienne, jusqu’alors principalement monochrome. L’héritage culturel de différents peuples lui fournit des motifs quasi mythologiques qui revêtent dans ses œuvres des formes archétypales puisant dans l’inconscient collectif. Dans les années 1990, diversifiant ses moyens d’expression, elle fait des installations. La nature féminine de son travail devient plus nette et est renforcée par l’utilisation de matières quotidiennes et périssables, tel le pain (Leib ja sai, « pain noir et pain blanc », 2000) ou les baies (29 1/2, 1997 ; Ainult sõnad/Eesti tüdrukute nimed, « seulement les mots/les noms des filles estoniennes », 2001). Au milieu des années 2000, elle donne à son œuvre un aspect plus social et documentaire en photographiant par exemple systématiquement les abribus sur les routes estoniennes (Bussiputkad, « arrêt de bus », 2004, réalisé avec l’artiste Signe Kivi) ou les yeux de centaines d’Estoniens, accompagnés de leurs souhaits (Mida inimesed tahavad I, II, « ce que les gens veulent I, II », 2008).

Kadriann SOOSAAR

KASMÂI, Shams Jahân [YEZD 1883 - QOM 1970]

Poétesse persane.

Née dans une famille d’origine géorgienne, Shams Jahân Kasmâi est considérée comme l’une des pionnières de la poésie moderne persane. Après s’être mariée très jeune, elle va vivre en Russie dont elle revient dix ans plus tard, poussée par la révolution bolchevique. Instruite et très au fait des courants modernistes européens grâce à sa connaissance de la culture russe, elle fréquente les intellectuels iraniens et les poètes novateurs de son temps et compose des poèmes où, s’inspirant fortement des avant-gardes européennes, elle tente de briser les formes traditionnelles et où elle exprime essentiellement ses idées sociales, avec une insistance particulière relative à la situation des femmes. Elle s’est montrée très active dans le combat politique pour l’indépendance de l’Azerbaïdjan, combat sévèrement réprimé et qui coûta la vie à son fils. Ses poèmes ne sont parus que dans les journaux de son temps, en particulier Âzâdistân (« terre de liberté »), organe de propagande des indépendantistes azerbaïdjanais. Elle a marqué son époque, qui a vu en elle l’une des principales figures féminines de la modernité iranienne.

Leili ANVAR

KASSAB-HASSAN, Hanan [DAMAS 1952]

Théâtrologue et directrice d’établissement culturel syrienne.

Après un doctorat sur Jean Genet, Hanan Kassab-Hassan a traduit en arabe plusieurs des œuvres de cet auteur (Les Bonnes, 1991 ; Les Paravents, 2002), ainsi que Dans la solitude des champs de coton (2002) de Bernard-Marie Koltès. Professeure à l’université de Damas (depuis 1982), à l’Institut supérieur d’art dramatique de Damas (1985-2000), à l’université Saint-Joseph du Liban (2002-2008) et à l’Université arabo-européenne de Damas (2011), elle est membre du comité de rédaction de diverses revues (La Vie théâtrale, La Vie des arts plastiques) et du comité de direction du Festival du théâtre indépendant d’Amman (Jordanie), de l’ATTC (Centre de formation pour le théâtre arabe) et de l’association Jeem pour les arts plastiques. Commissaire générale de « Damas, capitale arabe de la culture 2008 », elle a dirigé l’Opéra de Damas de 2009 à 2011. H. Kassab-Hassan a écrit plusieurs ouvrages sur les arts du spectacle : Le Dictionnaire du théâtre, les termes et concepts du théâtre et des arts du spectacle (1997) et Exercices d’improvisation et de lecture dramaturgique, en collaboration avec Marie Elias (1988). Elle a également collaboré aux ouvrages The Image and its Visual Representations in the Arab Culture (2004-2005, association Bahithat) et The West and the Muslim World, A Muslim Position (2004, dirigé par Jochen Hippler). Présente sur tous les fronts, elle est un personnage clé de la vie culturelle et artistique syrienne.

Jean-Pierre WURTZ

KASSARI, Yasmine [JERADA 1970]

Réalisatrice et scénariste maroco-belge.

Yasmine Kassari, née au Maroc, étudie à l’Insas de Bruxelles et reste attachée à sa double nationalité, ses films portant essentiellement sur son pays d’origine. Après Le Feutre noir (1994), elle est remarquée pour les documentaires suivants : Chiens errants (1995), un court- métrage étonnant sur la liquidation des chiens vagabonds ; Linda et Nadia (2000) ; et surtout Quand les hommes pleurent (2001), qui capture avec une grande acuité les conditions de vie et les espoirs annihilés de travailleurs marocains ayant émigré en Espagne. Elle passe à la fiction avec L’Enfant endormi (2004), fondé sur la légende des femmes qui mettent leur grossesse en sommeil en attendant le retour de leur mari. À travers le parcours de deux femmes, ce film est une réflexion sur l’isolement, l’absence, et le désir.

Patricia CAILLÉ

KATAN, Anny (née ROSENBERG) [VIENNE 1898 - CLEVELAND 1992]

Psychanalyste austro-américaine.

C’est sans grande surprise qu’Anny Rosenberg entreprit sa formation médicale et psychanalytique dans sa Vienne natale, son père, Ludwig Rosenberg, et son oncle, Oskar Rie, étant tous deux des proches de la famille Freud. Elle fut, avec Anna Freud*, l’une des premières psychanalystes pour enfants. C’est aussi à Vienne qu’elle fit la rencontre de Maurits Katan, venu de Hollande pour faire son analyse. Elle l’épousera avant leur émigration aux Pays-Bas au moment de la Seconde Guerre mondiale. C’est avec de faux papiers qu’elle a pu survivre avec sa fille, alors que son mari et son fils, entrés dans la clandestinité, militaient dans la Résistance. Lors de l’Anschluss, elle aurait aussi aidé plusieurs analystes, dont Margaret Mahler*, à quitter Vienne. Ce n’est qu’à la fin de la guerre que son mari et elle s’expatrient en Amérique, à Cleveland dans l’Ohio. Sur le modèle de la Hampstead Clinic, créée par Anna Freud*, elle a développé un centre de recherches sur la psychanalyse des enfants, le Hanna Perkins Center for Child Development. Comme Marianne Kris-Rie*, sa cousine, elle a toujours ardemment défendu la pratique analytique par des non-médecins, à une époque où cette position n’était pas conforme aux normes américaines.

René MAJOR

KATERLI, Nina [LENINGRAD, AUJ. SAINT-PÉTERSBOURG 1934]

Écrivaine et militante politique russe.

Fille d’une célèbre écrivaine pour enfants des années 1950, Nina Semionovna Katerli a fait des études d’ingénieur et a travaillé comme chimiste pendant quinze ans. Dobro pojalovat’ (« bienvenue »), sa première publication littéraire, est parue dans la revue pour la jeunesse Kostior (« feu de camp ») en 1973. Très éloignés des canons du réalisme socialiste, ses textes ont d’abord circulé en samizdat. En 1981, son premier recueil de nouvelles, Okno (« la fenêtre »), est publié en URSS, en même temps que son premier roman, Treougol’nik Barsoukova (« le triangle de Barsoukov »), sort aux États-Unis. Située dans le Leningrad des années 1960 et 1970, l’action de ces récits se déroule hors du temps, dans un espace anonyme, fait de lieux et d’objets quotidiens. Les objets magiques sont de véritables dispositifs expérimentaux qui permettent de révéler les émotions et les comportements des personnages. Son style, comme celui de Nikolaï Gogol, a été qualifié de « réalisme fantastique ». Treougol’nik Barsoukova, qui relate la vie des habitants d’un appartement communautaire, a été publié en Russie en 1991 sous le titre Sennaïa plochtchad’(« la place aux foins »), haut lieu de l’imaginaire des écrivains de Saint-Pétersbourg et référence dostoïevskienne. Militante des droits de l’homme et juive, N. Katerli s’est toujours engagée. Cible d’« antisionistes » à la fin de la perestroïka, elle raconte ses démêlés judiciaires avec ces militants dans Isk (« action en justice », 1998). Elle a également écrit, en 2001, un livre avec Alexandre Nikitine relatant le procès et la réhabilitation de ce militant écologiste.

Marie DELACROIX

KATIN, Miriam [BUDAPEST 1941]

Illustratrice et auteure de bandes dessinées américaine.

Miriam Katin est âgée de 3 ans quand la Hongrie, son pays natal, est envahie par l’Allemagne. De famille juive, elle doit fuir les nazis avec sa mère. Son roman graphique Seules contre tous (2006) reconstruit cette vie brisée en alternant les scènes contemporaines situées à New York, où elle vit aujourd’hui, et la fin de la Seconde Guerre mondiale traitée dans des couleurs sépias. Seules contre tous évoque irrésistiblement le Maus d’Art Spiegelman, bien que M. Katin ait déclaré, à l’occasion d’interviews, s’être initialement méfiée de Maus en raison de ses préjugés quant à la capacité de la bande dessinée à aborder le thème de la Shoah. Illustratrice de livres pour enfants inédits en français, elle a aussi réalisé des décors de dessins animés pour Disney et MTV Animation ainsi que des publicités en Israël, où elle a effectué son service militaire au début des années 1960. La dessinatrice a été sélectionnée aux Eisner Awards en 2002 dans la catégorie « meilleure histoire courte » pour Oh to Celebrate ! , un récit publié dans le magazine français Bang ! en 2004 sous le titre Faut arroser ça. Seules contre tous a obtenu en 2008 le Grand Prix de la critique de l’ACBD (Association des critiques et journalistes de bande dessinée).

Camilla PATRUNO

Seules contre tous (We Are on Our Own, 2006), Paris, Seuil, 2006.

KATJAVIVI, Jane [LEEDS, ROYAUME-UNI 1952]

Éditrice anglo-namibienne.

Née au Royaume-Uni, Jane Katjavivi épouse un Namibien qu’elle suit dans son pays en 1990 après l’indépendance. Poussée par sa passion des livres et sa formation d’éditrice mais sans expérience commerciale du métier, elle crée New Namibia Books en 1989 pour contribuer à la diffusion d’écrits namibiens, dont près de 80 titres paraîtront en dix ans. Un partenariat avec Heinemann UK lui permet de lancer la fabrication de milliers d’exemplaires d’ouvrages scolaires après la réforme éducative. Les éditions se maintiennent pendant cinq ans, mais la concurrence des multinationales, l’absence de prêt bancaire et un comptable indélicat entraînent un déficit, et la maison d’édition est vendue en 1999 à une compagnie locale, branche de Macmillan UK. Entre-temps, en 1995, elle ouvre la librairie Onganda Y’Omambo (« maison des livres »), toujours en activité et qui, malgré le petit marché – 1,5 million d’habitants répartis sur un vaste territoire –, persiste à encourager la littérature locale. Le catalogue de New Namibia Books a permis de révéler l’existence d’une littérature namibienne, à laquelle est désormais consacré un cursus de l’université de Namibie reposant sur les titres publiés par cette maison d’édition. J. Katjavivi a publié ses mémoires, Undisciplined Heart, en 2010.

Brigitte OUVRY-VIAL

KATOPPO, Marianne [TOMOHON, NORD DE CÉLÈBES 1943 - BOGOR, JAVA-OUEST 2007]

Romancière indonésienne.

Ayant reçu une formation théologique dans divers instituts protestants à Jakarta et à l’étranger, Marianne Katoppo s’est d’abord illustrée dans ce domaine en publiant un ouvrage de théologie féministe, Compassionate and Free : An Asian’s Woman Theology (1979). Elle a travaillé, entre autres, à la Société biblique de Londres et pour l’Association œcuménique des théologiens du tiers-monde. Maîtrisant plusieurs langues, elle a enseigné la théologie dans différents pays entre 1981 et 1986 et a traduit en indonésien des ouvrages d’Elie Wiesel, Knut Hamsun et Nawal el-Saadawi*. Active au sein de la Fédération des Églises de son pays, elle participe au dialogue inter-religieux et rejoint, en 1991, le Forum Demokrasi, mouvement favorable à la démocratie et à la neutralité religieuse de l’État, que menaçaient à la fois le régime autocratique du président Suharto et la montée en puissance d’un islam politique. Titulaire de prix locaux et étrangers décernés pour la première fois à une Indonésienne, M. Katoppo est perçue comme une auteure populaire. Hormis Dunia Tak Bermusim (« un monde sans saison », 1977), sans doute inspiré par les négociations pour l’ouverture de relations diplomatiques entre l’Indonésie et la Corée du Sud, ses ouvrages évoquent souvent l’amour conjugal. Deux d’entre eux, Terbangnya Punai (« l’envol du pigeon », 1978) et Raumanen (1977), échappent cependant aux limites de la littérature populaire. À travers les désillusions sentimentales d’une Indonésienne résidant en Suède et amoureuse d’un Allemand déjà fiancé à Paris, le premier de ces romans brosse un tableau négatif de l’Occident où le progrès appauvrit les relations humaines. Le deuxième roman s’achève sur le suicide de l’héroïne dont il porte le nom et revient sur le thème des mariages interethniques, souvent traité par la littérature des années 1930.

Étienne NAVEAU

Raumanen (1977), Jakarta, Metafor Publishing, 2006.

HELLWIG T., In the Shadow of Change. Images of Women in Indonesian Literature, Berkeley, University of California, 1994 ; SUMARDJO J. Y., Pengantar Novel Indonesia, Jakarta, Anggota Ikapi, 1983 ; ZAINI-LAJOUBERT M., L’Image de la femme dans les littératures indonésienne et malaise, Paris, Association Archipel, 1994.

KATSELLI-CHARALAMPÍDOU, Rina (ou CATSELLI) [KYRENIA 1938]

Auteure dramatique chypriote.

Rina Katselli-Charalampídou vit à Chypre jusqu’à l’invasion des Turcs en 1974 : obligée de partir, elle devient une réfugiée. Elle écrit sa première pièce, O exadelphos (« le cousin »), en 1959. En 1962, O avaxios (« le vaurien »), mis en scène par l’Organisme du théâtre de Chypre, reçoit le prix du développement culturel chypriote. Elle écrit pour la radio et la télévision et, en 1970, publie sept volumes de ses pièces. En 1981, elle est élue membre de la chambre des Représentants, porte-parole des Grecs déplacés du district de Kyrenia, et garde ce poste jusqu’en 1996. En 1979, réfugiée à Nicosie, elle écrit La Baleine bleue, qui est monté en 1980 par l’Organisme du théâtre de Chypre et primé. Le même organisme met en scène Trellè giagia (« la grand-mère folle ») en 1986 et E xeniteia (« terres étrangères ») en 1989. Le théâtre Ena monte ses deux pièces’Ola kala (« tout va bien ») et E gettonia (« le voisinage »). Sa pièce Arkastos est choisie par le séminaire de l’Académie nationale des arts dramatiques de Rome, traduite en italien et présentée sur scène à Rome. Elle a écrit 30 pièces dont sept en un acte. Plusieurs d’entre elles ont été montées par des compagnies théâtrales de Chypre et d’ailleurs et ont été diffusées par la radio nationale chypriote. En 2010, elle est honorée du Prix d’excellence en lettres, arts et sciences de la République de Chypre.

Neophytos NEOPHYTOU

La Baleine bleue (Galadsia phalaina, 1979), édition bilingue, Nancy/Besançon, Praxandre, 1997.

KATZIR, Judith [HAÏFA 1963]

Romancière et nouvelliste israélienne.

Résidant à Tel-Aviv, Judith Katzir ne cesse de revenir à sa ville natale de Haïfa en évoquant avec beaucoup de tendresse la mer, l’odeur des pins, les paysages de son enfance. Éditrice, auteure de livres pour enfants et animatrice dans des ateliers d’écriture, elle raconte aussi sa ville d’adoption, un lieu où des hommes et des femmes venus d’ailleurs tentent de réaliser un rêve qui débouche souvent sur une désillusion. Dans ses nouvelles – deux recueils publiés en 1990 et en 1999 –, les personnages, principaux ou secondaires, pathétiques ou grotesques, sont profondément attachants : un cinéaste raté conserve les chaussures de Fellini dans l’espoir de les lui rendre un jour, une enseignante refuse le présent pour vivre dans le passé, une grand-mère diabétique dévore en cachette les gâteaux interdits qu’elle prépare pour les autres… Revendiquant sa féminité, J. Katzir explore dans ses œuvres les expériences les plus intimes du vécu féminin qu’aucun homme ne saurait raconter. La découverte de la sensualité, les premiers émois amoureux et les passions interdites constituent les principaux sujets de ses deux œuvres initiatiques, La mer est là, ouverte et Chère Anne – thèmes qu’elle aborde dès ses premières nouvelles. Relation amoureuse entre cousins, livrés à eux-mêmes pendant les vacances d’été, passion dévorante entre une étudiante et un homme marié ou une lycéenne et son professeur de littérature, jeune femme sensuelle mariée elle aussi. Dans tous ses récits, la transgression du tabou n’entraîne pas obligatoirement la perte de l’innocence, car l’initiation à l’amour et la découverte de la volupté s’accompagnent toujours d’une ouverture au monde. À la fois amant et mentor, le personnage adulte comble un vide affectif provoqué par l’absence d’une figure parentale et encourage la vocation artistique de la jeune amoureuse. La rupture douloureuse débouche sur la réalisation de cette vocation : l’écriture, nourrie par ces expériences, apporte l’apaisement en sauvant l’écrivaine du désespoir ; et l’amour, de l’oubli. Le passé surgit alors comme ces anciens cahiers que Rivi, l’héroïne de Chère Anne, déterre d’une cachette où ils étaient enfouis depuis des années. La lecture de son propre journal et sa réécriture replacent les événements dans une nouvelle perspective, conciliant ainsi le regard ingénu de l’adolescent et la vision critique de l’adulte.

Ziva AVRAN

La mer est là, ouverte (Le-Matisse yesh et ha-shemesh ba-beten, 1995), Paris, Joëlle Losfeld, 2003 ; Chère Anne (Hine ani mathila, 2003), Paris, Joëlle Losfeld, 2008 ; Schlafstunde, in AVRAN Z. (dir.), Anthologie d’écrivaines israéliennes, Genève, Metropolis, 2008.

KAUFFMANN, Angelica [COIRE 1741 - ROME 1807]

Peintre suisse.

Née dans le canton des Grisons, Angelica Kauffmann (ou Kauffman) se forme auprès de son père, le peintre Joseph Johann Kauffmann, d’origine autrichienne, lui-même auteur de portraits et de grands décors muraux. Elle l’accompagne dans ses déplacements à travers la Suisse, l’Autriche et l’Italie du Nord, et l’assiste dans la réalisation de ses fresques, en particulier pour des églises. Artiste précoce, elle aurait réalisé seule plusieurs portraits avant même l’âge de 15 ans. À Florence, en juin 1762, elle rencontre Benjamin West, jeune peintre américain arrivé de Rome, et Johann Friedrich Reiffenstein, graveur allemand, proche de Johann Joachim Winckelmann, célèbre archéologue et historien de l’art allemand, théoricien du néoclassicisme, dont un portrait par A. Kauffmann est conservé (Kunsthaus, Zurich, 1764). En 1763, elle se rend avec son père à Rome, alors capitale de ce nouveau courant artistique. Élue membre de l’Accademia di San Luca, elle étudie probablement avec Piranèse. Ses deux premiers tableaux de grande taille sont signés et datés de l’année 1764 : Pénélope devant son métier à tisser et Bacchus découvrant Ariane abandonnée à Naxos (Vorarlberger Landesmuseum, Bregenz). En 1766, elle rejoint Londres, deuxième capitale, après Rome, du néoclassicisme : elle y retrouve les artistes qu’elle avait croisés en Italie et fait la connaissance de Joshua Reynolds, premier président en 1768 de la Royal Academy of Arts, dont elle est membre fondateur ; avec Mary Moser (1744-1819), peintre de fleurs, elle est la seule femme à être dotée de ce statut. En 1781, elle épouse le peintre vénitien Antonio Zucchi, spécialiste de tableaux décoratifs d’intérieur. Ils s’installent à Venise – où elle est nommée à l’Académie –, puis à Rome, en 1782, où elle demeurera jusqu’à la fin de sa vie. Renommée et comblée d’honneurs, elle occupe une place de tout premier ordre dans la société romaine. Dès son retour sur le continent, elle avait rencontré le grand-duc Paul de Russie, premier d’une liste de prestigieux mécènes européens – dont le prince Youssoupov de Russie, le prince Poniatowski et le comte Potocki de Pologne, l’empereur Joseph II d’Autriche –, pour lesquels elle va désormais travailler. Sa mort, en 1807, donne lieu à des funérailles grandioses, célébrant l’artiste à l’exemple des plus grands, au cours d’une procession particulièrement fastueuse. Comme pour Raphaël, deux de ses œuvres seront portées en triomphe. Même si ses portraits sont appréciés et recherchés par les intellectuels et aristocrates de la communauté anglaise, A. Kauffmann refuse de se cantonner à ce genre tenu pour mineur. Son ambition la dirige vers la peinture d’histoire, les sujets mythologiques ou inspirés de la littérature, où le choix de modèles classiques se mêlent à une interprétation préromantique. Dès la première exposition de la Royal Academy londonienne, en 1769, elle présente des tableaux qui frappent par leur originalité dans le choix des sujets et dans leur force, notamment Les Adieux d’Hector et d’Andromaque et Vénus montrant le chemin de Carthage à Énée et à Achate (Saltram Collection, Plympton). Malgré son origine suisse et sa formation en Italie, elle est la première artiste à peindre des épisodes de l’histoire médiévale anglaise, ouvrant ainsi la voie à ses confrères. Les collectionneurs conservent toutefois une nette préférence pour le genre du portrait, lequel lui permet de générer des revenus confortables. Ses modèles, avant tout féminins, sont des personnages importants de la haute société. Plusieurs sont traités en allégories, ce qui les rapproche de la peinture d’histoire, à la manière de sir Joshua Reynolds. Elle a également peint des autoportraits, l’un d’entre eux étant destiné à la collection de portraits d’artistes du grand-duc de Toscane (galerie des Offices, Florence, 1778). Sa production, très abondante, a certainement contribué à diffuser auprès des collectionneurs le style néoclassique. La vivacité de sa touche, le charme de ses compositions, la richesse de sa palette, surtout dans les œuvres de la maturité, lui confèrent une place de tout premier rang dans l’histoire de la peinture du XVIIIe siècle.

Anne-Sophie MOLINIÉ

Angelica Kauffmann : A Woman of Immense Talent (catalogue d’exposition), Natter T. G. (dir.), Ostfildern, Hatje Cantz, 2007.

DE ROSSI G. G., Vita di Angelica Kauffmann, pittrice (1811), Londres, Cornmarket, 1970 ; MAYER D. M. P., Angelica Kauffmann, R. A., 1741-1807, Gerrards Cross, C. Smythe, 1972.

KAUPP, Katia D. [V. 1920 - 2008]

Journaliste française.

Journaliste doublement engagée, pour des causes politiques et dans la recherche d’une écriture « de poésie et de rigueur », selon son confrère Walter Lewino, Katia D. Kaupp est originaire de l’est de la France. Elle travaille à Paris-Match au début des années 1950, avant de rejoindre le premier Libération, quotidien fondé dans la Résistance. Au début des années 1960, elle passe à France-Observateur, qui va devenir en 1964 Le Nouvel Observateur. Excepté quelques interruptions, elle y restera jusqu’en 1992. « Grande vedette du journal », elle affronte avec talent et passion de nombreux sujets brûlants : de la mode au grand reportage à l’étranger, le franquisme en Espagne, le gauchisme, l’antisémitisme, le racisme en France. Son engagement pour les femmes est l’un des fils conducteurs. À partir de la création du MLF* en 1968, elle est en contact avec les militantes, signe le Manifeste des 343* (1971), écrit des articles rendant compte des actions menées, comme la Journée de dénonciation des crimes contre les femmes en 1972. Elle suit, au fil des années, les grands dossiers et les grandes figures du mouvement.

Catherine GUYOT

KAURANEN, Anja VOIR SNELLMAN, Anja

KAVURIĆ-KURTOVIĆ, Nives [ZAGREB 1938]

Peintre croate.

Professeure à l’Académie des beaux-arts de Zagreb, membre de l’Académie croate des sciences et des arts et appelée par la critique « première dame du surréalisme croate », Nives Kavurić-Kurtović a exposé dans plus d’une centaine de lieux en Croatie et à l’étranger. Elle a été récompensée par plusieurs prix internationaux, dont celui de la Biennale de Paris, en 1967. Bien que notablement influencée par le surréalisme – il serait plus juste de parler d’informel – sa peinture est marquée dans sa thématique par l’expérience féminine, sexuelle et maternelle. Dans le dessin libre, mais très précis, qui s’impose dans sa peinture, l’artiste explore la dimension autobiographique et inconsciente, en faisant ressortir ses angoisses et ses traumatismes. Sa noirceur est transcendée par un travail méditatif et analytique. Dans ses œuvres postérieures, influencée par la vidéo, le body painting et le living theatre, N. Kavurić-Kurtović sonde sans compromis la condition de l’homme abandonné dans l’univers, en recourant au motif du fœtus malformé, et rien dans son art n’obéit aux lois de la gravitation, pas même la peinture.

Iva GRGIĆ MAROEVIĆ

MAROEVIĆ T., Nives Kavurić-Kurtović, Zagreb, Nacionalna i sveučilišna knjižnica, 1986 ; SIMAT BANOV I., MAROEVIĆ T., Nives Kavurić-Kurtović, Zagreb, HDLU, 1998.

KAWAKAMI HIROMI [TOKYO 1958]

Romancière japonaise.

Kawakami Hiromi dirige une revue de science-fiction pendant ses années d’études, enseigne la biologie jusqu’à son mariage et reprend son activité rédactionnelle tout en élevant deux enfants. Son premier roman, Kamisama (« Dieu »), paraît en 1994 en tant que premier ouvrage couronné par le prix Pascal, décerné aux récits de jeunes écrivains au moyen d’une souscription sur Internet. L’histoire des relations de Moi et de Kuma (« ours »), qui vient de déménager tout près de chez Moi, transgresse la frontière entre le conte pour enfants et le roman réaliste. L’auteure y construit déjà un monde spécifique. Babā (« la vieille », 1995) traite d’une vieille femme mystérieuse et d’un autre monde accessible en passant par les cuisines. En 1996, Kawakami Hiromi reçoit le prix Akutagawa et gagne en notoriété avec Hebi wo fumu (« marcher sur un serpent »), où la distinction entre les animaux et les humains se fait floue. L’héroïne, qui habite avec le serpent incarné en homme, s’invite graduellement dans le monde des serpents. Outre les histoires d’êtres vivants énigmatiques, elle décrit aussi des échanges entre homme et femme, à travers le regard d’une héroïne. L’homme qu’elle aime, cependant, possède toujours une qualité éloignée de la quotidienneté, comme le personnage appelé « prototype », difficile à catégoriser en tant que machine ou en tant qu’homme dans Monogatari ga hajimaru (« une histoire commence », 1996), ou bien son professeur de japonais au lycée, bientôt septuagénaire, dans Les Années douces (2001) – ouvrage qui a eu un succès exceptionnel et a fait l’objet d’une série télévisée. Malgré sa carrière tardive, Kawakami Hiromi a à son actif de nombreux ouvrages et publie des récits, des romans, des essais, des recueils critiques ou des journaux oniriques évoquant le style des livres d’images. Son dernier roman, Manazuru (2006), dépeint la proximité entre la vie et l’autre monde, et la fragilité du couple. En 2007, elle est nommée membre d’un comité de sélection du prix Akutagawa avec Ogawa* Yōko.

TAKEDA MASAAKI

Abandons (Oboreru, 1999), Arles, Actes Sud, 2003 ; Les Années douces (Sensei no kaban, 2001), Arles, P. Picquier, 2003 ; Cette lumière qui vient de la mer (Hikatte mieru mono, are wa, 2003), Arles, P. Picquier, 2005 ; La Brocante Nakano (Furudōgu Nakano shōten, 2005), Arles, P. Picquier, 2007 ; Manazuru (2006), Arles, P. Picquier, 2009.

KAWAKUBO, Rei [TOKYO 1942]

Styliste de mode japonaise.

Diplômée de l’université des beaux-arts de Keio en 1964, Rei Kawakubo devient styliste publicitaire pour la société de produits chimiques Asahi Kasei. En 1966, elle quitte l’entreprise et poursuit son parcours en créant des vêtements. En 1969, elle lance sa marque, Comme des Garçons, et organise son premier défilé, à Tokyo, en 1975. En 1981, avec son alter ego, Yohji Yamamoto, elle s’impose à l’avant-garde de la mode japonaise lors de sa première collection à Paris. Dès 1978, elle lance une ligne pour homme, à laquelle vont succéder plusieurs autres, dans des domaines spécifiques comme le soir, l’homme d’affaires, les chemises d’homme ainsi qu’une ligne de meubles, en 1982. En 1994, elle crée son premier parfum (Comme des Garçons). Reconnue très vite, son originalité lui vaut de participer à de très nombreuses expositions au Japon et à l’étranger, en particulier à Florence, Bruxelles et Anvers. Son intérêt pour la publicité, la photo et le mobilier l’amène à de fructueuses collaborations. En 1997, elle est nommée docteur du Royal College of Art de Londres. Elle crée une collection pour H&M, en 2008. Son travail défie les conventions et révolutionne toutes les notions esthétiques. Remettant en question les conceptions occidentales du corps et de la construction du vêtement, elle fait de ses créations des œuvres d’art conceptuelles, empreintes de la sensibilité japonaise. Noirs, surdimensionnés et déstructurés, les modèles sont souvent coupés de manière dissymétrique. Taillés dans des textiles volontairement détissés, aux lisières laissées brutes, ils semblent vieux et usés. La créatrice coupe certains de ses modèles dans de la toile à patron, utilise les coutures apparentes comme des éléments décoratifs, et déforme le corps féminin à travers des rembourrages. Ses premières collections, qui semblent faire l’apologie de la laideur et de la pauvreté, font scandale et engendrent de nombreuses controverses. Son travail n’est réellement apprécié qu’à partir du milieu des années 1980, où il connaît un succès certain. L’œuvre de R. Kawakubo est à l’origine de tout un courant stylistique et exerce une influence profonde sur les créateurs français.

Zelda EGLER

COLLECTIF, Three Women : Madeleine Vionnet, Claire McCardell, and Rei Kawakubo, New York, Fashion Institute of Technology, 1987 ; GRAND F., Comme des Garçons, Paris, Assouline, 1998 ; KAMITSIS L., REMAURY B. (dir.), Dictionnaire international de la mode, Paris, Éditions du regard, 2004 ; MITCHELL L. (dir.), The Cutting Edge, Fashion from Japan, Sydney, Powerhouse Publishing, 2005 ; SUDJIC D., Rei Kawakubo and Comme des garçons, Londres, Fourth Estate Ltd, 1990.

KAWASE NAOMI [NARA 1969]

Réalisatrice japonaise.

Diplômée en photographie de l’École des arts visuels d’Osaka (1989), Kawase Naomi y enseigne pendant quatre ans et réalise plusieurs courts-métrages expérimentaux avant de se faire connaître par des documentaires d’un style nouveau : une approche intimiste, souvent autobiographique, de sujets sociaux, telle sa trilogie initiale sur la famille : Dans ses bras ou Étreinte (Ni tsutsumarete, 1992, Prix de l’encouragement au Forum de l’image de Tokyo), sur la recherche du père qui l’a abandonnée ; Katatsumori (« escargot », 1994, prix du Festival international du documentaire de Yamagata), sur sa grand-mère qui l’a élevée ; et Ten mitake (See Heaven, « regardez le ciel », 1995), de nouveau sur sa grand-mère. Parmi les 11 documentaires qu’elle a réalisés à ce jour : La Danse des souvenirs ou Lettre d’un cerisier jaune en fleur (Tsuioku no dansu, 2001), tourné à la demande du photographe Nishii Kazue, atteint d’un cancer, sur ses derniers jours ; Naissance et maternité (Tarachime, 2006), sur la naissance de son propre fils. Dans le domaine de la fiction, Suzaku (Moe no suzaku, 1997), son premier long-métrage, lui apporte une reconnaissance internationale : la Caméra d’or lui est décernée à Cannes (elle est la première Japonaise à la recevoir et la plus jeune lauréate), puis le prix Fipresci, à Rotterdam. Elle reçoit un second prix Fipresci en 2000, au Festival de Locarno, pour Lucioles (Hotaru). Shara (Sharasojyu) est présenté en 2003 au Festival de Cannes où, quatre ans plus tard, La Forêt de Mogari(Mogari no mori) obtient le Grand Prix du jury. Scénariste de tous ses films, Kawase Naomi en est parfois aussi la productrice, la monteuse ou la directrice photo, et elle y joue de petits rôles.

Olivier AMMOUR-MAYEUR

Still the water, 119 min., 2014.

NOVIELLI M. R., BARISONE L., CAUSO M. (dir.), Kawase Naomi, i film, il cinema, Cantalupa, Effata, 2002.

KAY, Jackie DIMBOURG 1961]

Poétesse et écrivaine britannique.

Jackie Kay est adoptée dès sa naissance par un couple écossais (sa mère adoptive est secrétaire générale du Comité pour le désarmement nucléaire, son père est membre du Parti communiste) et grandit dans un environnement stimulant et heureux. Elle s’inscrit un temps dans une école d’art dramatique pour devenir actrice mais le poète Alasdair Gray lit ses poèmes et l’encourage à poursuivre dans cette voie. Elle s’inscrit alors en Lettres à l’université de Stirling. Son premier recueil (The Adoption Papers, 1991), en grande partie autobiographique, porte sur la quête d’une identité culturelle. Elle reçoit de nombreux prix, dont celui du Guardian pour son roman Le trompettiste était une femme (1998), inspiré de la vie de Billy Tipton, né Dorothy Tipton, musicien de jazz qui vécut les cinquante dernières années de sa vie comme un homme. Elle écrit beaucoup pour la scène et l’écran et pour les enfants (Strawgirl, « la fille de paille », 2002). The Lamplighter (« l’allumeur de réverbères », 2007) est une enquête sur le commerce des esclaves et Red Dust Road (« une route rouge de poussière », 2010), le récit d’un voyage au Kenya à la recherche de ses parents. Dans sa trentaine d’ouvrages, elle donne la parole aux laissés-pour-compte, aux handicapés, aux déçus de la vie, multipliant les points de vue et évoquant la puissance de la langue comme clé de l’identité et de la relation à l’autre.

Michel REMY

Le trompettiste était une femme (Trumpet, 1998), Paris, Hachette, 2001.

KAYE, Nora (née KOREFF) [BROOKLYN 1920 - LOS ANGELES 1987]

Danseuse, chorégraphe et productrice américaine.

Fille de parents russes, Nora Kaye est l’élève de Michel Fokine, Anatole Viltzak, Ludmilla Schollar et des professeurs de la School of American Ballet. Elle entre dans le corps de ballet du Metropolitan Opera dont George Balanchine devient directeur (1936-1938). Elle le retrouve à Broadway (Great Lady, 1938) et plus tard au New York City Ballet (1951-1954). Dans l’intervalle, elle appartient brièvement au corps de ballet du Radio City Music Hall, mais intègre surtout le Ballet Theatre (1939-1951 et 1954-1959), à la direction artistique duquel elle est associée les dix dernières années de sa vie. Elle y danse les grands rôles du répertoire du XIXe siècle (la reine des Willis dans Giselle, Aurore dans La Belle au bois dormant, Odette-Odile dans Le Lac des cygnes) mais se distingue surtout dans de prestigieuses œuvres néo-classiques. Elle crée notamment les rôles dramatiques d’Hagar dans Pillar of Fire d’Antony Tudor (1946), et de Lizzie Borden dans Fall River Legend d’Agnes De Mille* (1948), auxquels il faut ajouter la dévorante Novice dans La Cage de Jerome Robbins (1951) pour le New York City Ballet. Onze ans après un bref mariage avec Isaac Stern, elle épouse Herbert Ross en 1959 et fonde avec lui le Ballet of Two Worlds, compagnie dont elle est la principale danseuse jusqu’en 1961. Elle quitte alors la scène pour se consacrer essentiellement à la production de spectacles et de films dont son mari signe la chorégraphie à Broadway (Tovarich, 1963 ; On a Clear Day You Can See Forever, 1965) ou la réalisation au cinéma (Le Tournant de la vie, 1977 ; Nijinsky, 1980). Surnommée « la Duse* de la danse », N. Kaye, danseuse à la technique irréprochable et au tempérament dramatique puissant, incarne pleinement les figures féminines à la psychologie complexe telles que les a campées le ballet néo-classique du XXe siècle.

Virginie GARANDEAU

KAYE-SMITH, Sheila [SAINT LEONARDS-ON-SEA 1887 - NORTHIAN, SUSSEX 1956]

Romancière et nouvelliste britannique.

Sheila Kaye-Smith passe la majeure partie de sa vie dans le Sussex. Elle se marie en 1924 avec un pasteur anglican. Ils se convertissent au catholicisme en 1929 et édifient à Northian une chapelle, dédiée à sainte Thérèse de Lisieux. Dès son premier roman, The Tramping Methodist (« le méthodiste vagabond », 1908), elle enracine sa fiction dans la réalité rurale du Sussex en lui donnant une dimension atemporelle et prenant pour sujets la crise agricole, les problèmes de propriété foncière, de succession, de changement de statut et du rôle des femmes et des effets de l’industrialisation. Dans ces décors où la sérénité de la région des Downs est exaltée, à la manière de Thomas Hardy, Mary Webb* ou D.H. Lawrence, ses héroïnes sont fragiles, menacées par l’infériorité de leur statut social. Elle écrit de nombreuses nouvelles et des articles pour journaux et magazines. En 1921, elle publie son plus célèbre roman, Joanna Godden. À la fin de sa vie, elle aborde des sujets d’ordre moral et spirituel, récits de conversions pleins de subtiles discussions théologiques, évoquant aussi le problème du divorce et du rôle des femmes dans la modernité. Son œuvre compte une cinquantaine d’ouvrages, dont certains autobiographiques (Three Ways Home, 1937), topographiques ou biographiques.

Michel REMY

Susan Spray (The History of Susan Spray, 1931), Paris, Plon, 1934 ; Rose Deeprose (Rose Deeprose, 1936) Paris, Plon, 1947 ; Tambourin, trompette et tambour (Tambourine, Trumpet and Drum, 1943), Paris, Charlot, 1947 ; Dernier week-end (The Lardners and the Laurelwoods, 1948), Paris, Arthaud, 1951.

WALKER D., Sheila Kaye-Smith, Boston, Twayne Publishers, 1980.

KAYGUSUZ, Sema [SAMSUN 1972]

Écrivaine turque.

Après des études à Izmir puis à l’université d’Ankara, Sema Kaygusuz commence à publier des nouvelles dans les années 1990. Avec cruauté et lyrisme, elle rapporte les infimes événements qui forgent les existences ordinaires et donne parfois l’impression de ressusciter les âmes des oubliés de l’histoire turque. Ses récits puisent dans l’inconscient et les non-dits de la nation. Elle a d’abord publié des recueils de nouvelles : Ortadan Yarısından (« odeur d’abîme », 1997), Doyma Noktası (« point de satiété », 2002) et Esir Sözler Kuyusu (« le puits des mots captifs », 2004). Son premier roman, La Chute des prières (2006), retrace à travers les contes et légendes d’Anatolie le parcours initiatique de Leylan, abandonnée par sa mère. Dans son deuxième roman, Yüzünde bir Yer (« une marque sur ton visage », 2009), récit du regard et du mutisme, le personnage d’Hızır, figure de compagnon du Prophète ayant gagné l’immortalité et l’ubiquité, retient plus particulièrement l’attention. Sous la forme d’un ectoplasme bienveillant, pourvoyeur des pauvres, il traverse les époques et les différentes histoires qui composent cette fresque de l’état de la culture turque, envisagée à travers ses racines populaires et mystiques. De nombreuses références autobiographiques, secrets familiaux, hontes et tabous qui assaillent les victimes de l’histoire constituent un camaïeu qui retrace les tragédies de la terre d’Anatolie. Rapidement traduite en plusieurs langues, lauréate de prix littéraires, dont le prix France-Turquie 2010, S. Kaygusuz a contribué au scénario du film de Yeşim Ustaoğlu*, La Boîte de Pandore, Grand Prix du festival de San Sebastian 2008.

Timour MUHIDINE

La Chute des prières (Yere Düsen Dualar, 2006), Arles, Actes Sud, 2009 ; « La Mémoire littéraire », in Siècle 21, no 15, 2009 ; « Odeur d’abîme », in Europe, nos 969-970, 2010.

JULIA A., « Sema Kaygusuz : une nouvelle plume du Levant », in La Revue des Deux mondes, Paris, sept. 2009.

La Boîte de Pandore, Yeşim Ustaoğlu, 112 min, 2008.

KAYLER, Françoise [BOIS-COLOMBES 1929 - MONTRÉAL 2010]

Journaliste et critique culinaire canadienne.

D’origine française, Françoise Kayler arrive jeune au Québec, en 1951. Elle entre au quotidien La Presse pour lequel elle écrit d’abord dans les pages féminines puis se spécialise dans les questions d’alimentation. Ce n’est qu’en 1974 qu’elle devient l’une des premières femmes au Québec à faire des critiques de restaurants aux côtés de ses collègues anglophones. De 1982 à 1987, elle tient la chronique « L’eau à la bouche » dans le magazine québécois L’Actualité. Témoin majeur de l’évolution de la gastronomie au Québec, F. Kayler, redoutée par les professionnels de la restauration et reconnue pour son indépendance et son intégrité, œuvre alors pour la promotion des talents culinaires et du travail des producteurs. Elle est aussi un des piliers du prix Renaud-Cyr qui récompense chaque année l’excellence dans le secteur agroalimentaire. Elle joue ainsi un grand rôle dans l’amélioration de la qualité de la cuisine offerte dans les restaurants québécois, notamment à travers son investissement dans un blog et dans une émission de radio. Elle s’est aussi beaucoup investie dans le mouvement Slow Food au Québec. Depuis 2005, une bourse d’étude portant son nom et destinée aux étudiants de l’Institut du tourisme et de l’hôtellerie du Québec (ITHQ) vise à promouvoir la relève dans la gastronomie québécoise.

Gwenaëlle REYT

BIZIER H.-A., Dans l’assiette de l’autre… avec Françoise Kayler, Anjou (Québec), Fides, 2012.

KAZANTZAKI, Galatia [HÉRAKLION, CRÈTE 1881 - ATHÈNES 1962]

Écrivaine, poétesse et dramaturge grecque.

Fille de l’éditeur Stylianos Alexiou, sœur de l’écrivaine Elli Alexiou* et du poète Leftéris Alexiou, Galatia Kazantzaki fut la première femme de l’écrivain Nikos Kazantzakis dont elle conserva le nom après leur séparation ; plus tard elle épousa l’homme de lettres et critique Markos Avyéris. Elle publie pour la première fois des poèmes et des traductions, en 1906, sous le pseudonyme de Lalo de Castro (dans la revue Pinakothiki). Elle commence à s’imposer comme écrivain en 1909 quand elle fait paraître sous son nom son premier long récit, Ridi Pagliaccio, texte influencé par le climat de l’esthétisme et de la décadence qui scandalisa le public bourgeois de l’époque. Dès lors démarre une collaboration ininterrompue avec un grand nombre de revues, dans lesquelles se trouve dispersée une partie de son œuvre d’écrivaine et d’essayiste. Elle fait jouer certaines de ses pièces et rédige des livres de lecture pour les enfants de l’école primaire, ouvrages pour lesquels elle obtient des prix. Dans ses œuvres plus purement littéraires de cette période, G. Kazantzaki traite, d’un côté, de sujets concernant les mœurs et, de l’autre, dissèque les rapports entre les sexes, la psychologie et les problèmes des femmes. Elle développe en même temps une abondante publication d’articles concernant des sujets féminins, en particulier sur le travail féminin, tout en exprimant certaines interrogations sur le franchissement des limites de l’indépendance féminine. Vers 1928, elle entre au parti communiste de Grèce et participe à la rédaction de revues grecques de gauche, comme Protopori et Nei Protopori. On distingue alors dans ses textes un effort pour combiner ses convictions de gauche avec ses principes esthétiques, qui finalement la détourne du dogmatisme et de l’étroite discipline de parti. G. Kazantzaki est persécutée pour son activité politique. On lui interdit même, en 1938, de publier des textes sous sa signature. C’est pour cette raison qu’elle se consacre, un temps, principalement au théâtre. Les pièces de cette période seront réunies et publiées ultérieurement, en 1959, dans Avlea (« rideau »). Dans ses œuvres de maturité, elle semble s’éloigner d’une écriture « à thèse » pour offrir un regard humaniste, et non didactique, sur le monde contemporain. Son écriture est réaliste et se distingue par sa sobriété expressive et la vigueur de sa langue. Elle a publié des recueils de nouvelles, comme, entre autres, Andres (« hommes », 1935), Krisimes stigmes (« moments critiques », 1952), et les romans Yinekes (« femmes », 1933) et Anthropi ke Yperanthropi (« hommes et surhommes », 1957), où elle esquisse la personnalité de N. Kazantzakis et décrit leur liaison. Elle a aussi écrit un grand nombre de livres, littéraires ou non, pour enfants, et a traduit entre autres Eschyle, Panaït Istrati, Anatole France, Léon Tolstoï et Anton Tchékhov.

Persa APOSTOLI

ARGYRIOU A., « Galatia Kazantzaki », in Pankosmio viografiko lexiko, vol. IV, Athènes, Ekdotiki Athinon, 1985 ; COLLECTIF, Galatia Kazantzaki, Is mnimin, Athènes, impr. Bolari, 1964 ; KASTRINAKI A., « Galatia Kazantzaki », in I paleoteri pezografia mas, vol. X, Athènes, Sokolis, 1997.

KAZANTZIS, Judith [OXFORD 1940]

Poétesse britannique.

Née dans la famille aristocratique, mais socialiste réformiste, des Longford, lady Judith Kazantzis obtient un diplôme d’histoire moderne, s’installe à Londres, puis aux États-Unis et enfin dans le Sussex. Elle travaille dans un premier temps pour le Parti travailliste et collabore à l’Evening Standard. Dans les années 1970, elle écrit de la poésie, de la fiction et s’adonne à la peinture et à l’imprimerie. En 1988, son poème « A Poem for Guatemala » marque son militantisme. Dans les années 1990, elle s’engage dans une association caritative des droits de l’homme, Kalayaan, qui vient en aide aux travailleurs immigrés, et se marie en 1998 avec Irving Weinman, homme de loi et écrivain. Elle quitte le Parti travailliste en 1999 et milite en faveur des territoires occupés palestiniens. En 2010, elle participe à un recueil de poésie politique mis en ligne, Emergency Verse : Poetry in Defence of the Welfare State (« vers d’urgence, poésie pour la défense de l’État providence »). Elle édite des anthologies de poésie et écrit 14 volumes de poésie, un roman (Of Love and Terror, 2002), histoire d’amour et de guerre de trois générations de femmes, et traduit un livre de L’Odyssée, ré-imaginant le texte d’un point de vue féministe, mêlant monologues, dialogues, lettres et chansons au carrefour de l’Antiquité et du monde contemporain (The Odysseus Poems, 1999).

Michel REMY

KAZIMIROWSKA-CIESZYŃSKA, Ewa [CZORTKÓW, AUJ. CHORTKIV, UKRAINE 1923 - WROCŁAW 1972]

Architecte, urbaniste et paysagiste polonaise.

Ewa Kazimirowska-Cieszyńska débute ses études au sein du département d’architecture de l’École polytechnique de Lviv (1944-1945) et les poursuit jusqu’en 1949 dans celle de Cracovie. Devenue aussitôt enseignante dans ce même établissement, elle y soutient, en 1963, un doctorat en ingénierie. Mais elle est révoquée pour raisons politiques en 1968 pour son soutien aux étudiants en grève et refuse d’y défendre son habilitation. Sa vie et son œuvre sont liées à la ville de Wrocław. Elle débute par l’architecture, réalisant en 1968 le bâtiment de la place PKWN (aujourd’hui Legionów), et s’oriente vers l’urbanisme, concevant en 1956 le plan général de Wrocław, lauréat du prix artistique du conseil municipal, et dessinant en 1962 avec Roman Tunikowski et Zenon Prętczyński celui du centre-ville d’Opole, pour lequel ils obtiennent un premier prix ex aequo. Elle se tourne ensuite vers le paysage, restaurant successivement les parcs Zachodni, Wschodni et Szczytnicki (Wrocław 1968), les jardins en terrasses du château de Książ en 1970 et le parc de la Culture de Basse-Silésie au pied du mont Ślęża en 1971, son projet majeur. À travers son enseignement et sa pratique, elle a développé l’idée d’un espace continu dans lequel les surfaces indéfinies sont des éléments aussi importants que les structures tridimensionnelles. Elle a introduit la notion d’espace architectural ouvert, devenue sujet d’un concours qui porte son nom. Organisé par la SARP (association des architectes polonais) et destiné aux jeunes architectes, il rend hommage à l’attachement manifesté à ses étudiants au cours des grèves politiques de 1968 qui ont entraîné sa révocation.

Edyta BARUCKA et Tadeusz BARUCKI

PRĘTCZYŃSKI Z., Wspomnienia o Profesorach Wydziału Architektury Politechniki Wrocławskiej, Wrocław, Oficyna Wydawnicza Politechniki, 2005 ; ID., Pamięci architektów Wrocławskich 1945-2005, Wroclaw, Dolnośląska Okręgowa Izba Architektów, 2010.

DRAPELLA-HERMANSDORFER A., « Ewa Cieszyńska – jedna z Trojga », in Pryzmat, no 253, mars 2012 ; ID., « Ewy Cieszyńskiej życie po życiu », in Pryzmat, no 254, avril 2012.

KAZIMOVA, Aygün [BAKU 1971]

Auteure-compositrice-interprète et actrice azerbaïdjanaise.

Aygün Kazimova partage ses jeunes années entre deux passions : la musique et le handball. Elle finit par abandonner le sport au profit de la chanson. Après avoir appartenu à un groupe, elle se lance dans une carrière solo à la fin des années 1980. Son premier opus Flowers of Love est réalisé avec la collaboration de Vagif Gerayzade, musicien azerbaïdjanais de renom. Il est suivi de cinq autres albums qui lui permettent de remporter nombre de prix et de distinctions et battent des records de vente. Loin de se satisfaire de son succès, elle se consacre à de nouvelles activités telles que le cinéma et surtout l’organisation de concerts caritatifs dans lesquels elle se produit, en faveur de l’enfance orpheline. A. Kazimova a réussi à s’imposer dans le cercle très confidentiel des grands artistes de son pays.

Anne-Claire DUGAS

Sevdim, Import, 2001.

KAZOVSZKIJ, El (née Jelena KAZOVSZKAJA) [LÉNINGRAD 1950 - BUDAPEST 2008]

Plasticienne, peintre et décoratrice hongroise.

Après des études à Budapest, El Kazovszkij commence sa carrière dans les années 1970 et développera, tout au long de sa vie, son propre monde mythologique. Peintre, elle fait aussi des spectacles (performances publiques) et crée des décors de théâtre. Sa vie et son univers, tous deux dirigés par une réflexion métaphorique, s’influencent réciproquement. Dans son œuvre, thèmes et motifs s’organisent toujours autour des mêmes topoï grecs archaïques. Ses créations ne sont en général pas narratives, même lorsqu’elles semblent placées dans un décor, comme Désert, bac à sable, ou le Petit Purgatoire, représenter Vénus, les Parques, des cyprès, des montagnes et des monuments – y compris son autoportrait iconographique, le chien. Elle utilise des contours appuyés et des couleurs très fortes. Les personnages sont souvent liés par des cordes symbolisant leur interrelation. « À partir de la fin des années 1970, elle organise la série de spectacles Djan-panoptique où elle mêle l’aspect traditionnel de la peinture et de la sculpture au mouvement, au texte et à la musique dans une volonté d’objectivité et de provocation qui oppose le personnel à l’impersonnel », résume Mária Molnár.

Judit FALUDY

FORGÁCS É., El Kazovszkij, Budapest, Új művészet, 1996 ; MARGÓCSY I., Az élő szobor mítosza, Budapest, Dovin, 1990.

FRANK J., Naive, avantgarde, pop, in New Hungarian Quarterly, no 50, hiver 1975.

KEANE, Molly (ou M. J. FARELL) [NEWBRIDGE 1905 - ARDMORE 1996]

Romancière irlandaise.

Née dans une famille anglo-irlandaise, Molly Keane publie d’abord dix romans sous le pseudonyme de M. J. Farrell. Découragée par les critiques négatives qui accueillent ses pièces de théâtre présentées à Londres, elle arrête d’écrire pendant vingt ans avant de recommencer à publier sous son nom de femme mariée. Ses romans de la « première période », tous situés dans le milieu de la « gentry » anglo-irlandaise, mettent en scène cette classe sociale aisée dans le décor de leurs confortables demeures à la campagne et dans l’ignorance absolue des conditions de vie de leurs voisins, les Irlandais de souche et catholiques. Les intrigues de ces premiers romans tournent autour de mariages imposés par des parents, souvent froids et snobs, à des jeunes filles en révolte contre leur milieu. Conversation Piece (« comment piquer la curiosité », 1932) introduit la première d’une série de mères affreusement hautaines, froides et autoritaires, que l’on retrouve dans tous ses autres romans. Les romans de la « seconde période » sont plutôt des comédies dont l’humour satirique et souvent cruel souligne la déconfiture complète de la classe des propriétaires terriens anglo-irlandais après l’indépendance de l’Irlande, alors que les anciens seigneurs et maîtres en sont réduits à survivre dans les décombres de leur splendeur déchue. Témoin privilégiée de cette décadence, elle préfère en rire qu’en pleurer, consciente de la part de responsabilité de la classe des protestants d’ascendance anglaise dans leur propre chute. En cela elle rejoint une autre romancière issue comme elle d’une famille de propriétaires terriens (d’une « Big House »), Elizabeth Bowen*.

Sylvie MIKOWSKI

Chassés-Croisés (Devoted Ladies, 1934), Paris, 10-18, 2000 ; Et la vague les emporta (The Rising Tide, 1937), Paris, J.-C. Godefroy, 1985 ; L’Amour sans larmes (Loving Without Tears, 1951), Paris, Quai Voltaire, 2000 ; Les Saint-Charles (Good Behaviour, 1981), Paris, 10-18, 1983.

KEATON, Diane [LOS ANGELES 1946]

Actrice, réalisatrice et productrice américaine.

Fille de Jack Hall, ingénieur, et de Dorothy Keaton, photographe amateur, Diane Keaton commence sa carrière sur les planches de New York après avoir abandonné des études d’art dramatique. Elle obtient son premier rôle au cinéma en 1970 : sous la direction de Francis Ford Coppola elle joue, dans les deux premiers volets de la trilogie du Parrain, la petite amie puis la femme de Michael Corleone. C’est ensuite son parcours avec Woody Allen, qu’elle rencontre en 1968, qui est déterminant pour sa renommée d’actrice. Compagne du réalisateur et première de ses actrices fétiches, elle collabore avec lui tout au long des années 1970, à partir de Tombe les filles et tais-toi (Play It Again, Sam !) en 1972. En 1977, elle incarne ainsi l’emblématique Annie Hall, personnage qu’elle a en partie inspiré, vivant le déclin d’une histoire d’amour. Le rôle lui vaut un Oscar et son apparence androgyne l’impose comme une icône de mode. Elle s’éloigne de la comédie pour des rôles plus dramatiques, dont plusieurs marquants, comme dans Reds, de Warren Beatty (1981) qui sera lui aussi son compagnon, ou À la recherche de Mr. Goodbar (Looking for Mr. Goodbar), film de Richard Brooks sorti en 1977. Son personnage double, incarnant une enseignante d’un admirable altruisme le jour, débordée par une sexualité trouble la nuit, se veut l’emblème d’une génération et incarne l’ambiguïté des dernières années de la révolution sexuelle. Poursuivant sa carrière d’actrice, elle diversifie ses activités au cinéma, réalisant des longs-métrages documentaires ou de fiction entre 1987 et 2000. Elle produit également quelques films, dont Elephant de Gus Van Sant en 2003.

Marianne FERNANDEZ

Une fois encore, Mémoires (Then Again : A Memoir, 2011), Paris, R. Laffont, 2011.

KEENE, Emily (dite LA CHARIFA D’OUEZZANE) [SURREY 1849 - TANGER 1941]

Écrivaine marocaine d’origine anglaise.

Petite-fille de l’archevêque de Canterbury, Emily Keene découvre le Maroc en 1872 et fait la connaissance de Sidi Hadj Abdeslam, grand chérif d’Ouezzane, descendant d’Idriss Ier, fondateur du premier royaume musulman du Maroc. En se mariant, les deux partenaires font dresser un acte de mariage peu banal dans lequel la jeune Anglaise tient à stipuler les clauses garantissant ses droits et intérêts. E. Keene a laissé un témoignage précieux sur sa vie au Maroc dans un récit intitulé Histoire de ma vie (1911). Ce document historique, ethnographique, sociologique et littéraire (traduit de l’anglais au français par les professeurs Sidi Mohamed el-Yamlahi Ouazzani et Mohamed-Saâd Zemmouri) évoque la situation sociale, politique et culturelle du Maroc et dresse également le portrait d’une personnalité spirituelle qui fut chef d’une influente confrérie dont les adeptes se comptaient par centaines de milliers au Maroc, en Algérie, en Tunisie et au Moyen-Orient, donnant l’exemple vivant d’un islam fait de tolérance, d’ouverture et d’échange. En annexe de son ouvrage Maximes et superstitions chez les Maures, Le Divorce et Les Sanctuaires sont d’autres documents sur le Maroc du XIXe siècle. E. Keene a introduit au Maroc le vaccin antivariolique et organisé plusieurs campagnes de vaccination à travers le pays ; elle a aussi créé à Tanger la première école des filles musulmanes et a su, grâce à son tact, maintenir d’excellentes relations avec, à la fois, la monarchie et les autorités du protectorat.

Sidi Mohamed EL-YAMLAHI OUAZZANI

ZEMMOURI M. S., « Regard d’une Anglaise sur la société marocaine à la fin du XIXe siècle à travers son récit de vie », in Littérature maghrébine et comparée, no 1, oct. 2006.

KEGELS, Anne-Marie (née CANET) [DUNES, TARN-ET-GARONNE 1912 - ARLON 1994]

Poétesse belge d’expression française.

Née dans une famille de vignerons avec un grand-père troubadour en langue d’oc, Anne-Marie Kegels s’installe dès 1942 à Arlon, dans la province de Luxembourg. C’est là qu’elle noue ses grandes amitiés littéraires et que s’épanouit sa vocation poétique : une dizaine de recueils couronnés de prix, notamment les prix Renée-Vivien, Desbordes-Valmore, Louise-Labé et le Grand Prix de poésie Albert-Mockel décerné par l’Académie royale de Belgique. Ses vers discrets évoquent la fusion avec la nature, la passion retenue mais violente, la nostalgie d’une âme solaire exilée.

Liliane WOUTERS

Chants de la sourde joie, Lyon, A. Henneuse, 1955 ; Haute vigne, Bruxelles, Éditions du Verseau, 1967 ; Lumière adverse, Bruxelles, A. De Rache, 1970 ; Les Chemins sont en feu, Mortemart, R. Rougerie, 1973 ; Porter l’orage, Bruxelles, A. De Rache, 1978.

KEIM, Claire [SENLIS 1975]

Comédienne, chanteuse et auteure-compositrice française.

Depuis toute jeune, Claire Keim cultive la passion de la musique et chante régulièrement au piano-bar de Senlis, sa ville natale, où elle découvre le plaisir de la scène. Elle se tourne ensuite vers le théâtre et suit les stages du cours Florent et le cours d’art dramatique de Dominique Minot. Dès le début de sa carrière, ses deux passions se mêlent : elle décroche son premier rôle en 1992 dans la comédie musicale de Jean-Jacques Debout, Paul et Virginie, puis tourne dans la série télévisée Les Yeux d’Hélène (1994), pour laquelle elle interprète la chanson du générique. Plusieurs tournages s’ensuivent (La Belle Verte de Coline Serreau*, J’irai au paradis car l’enfer est ici de Xavier Durringer – dans lequel elle interprète une chanteuse –, Le roi danse de Gérard Corbiaud), mais c’est en 2004 qu’elle est révélée au grand public avec la série télévisée Zodiaque. En 2013, elle partage l’affiche avec Agathe de la Boulaye* pour The Girl de Sande Zeig (scénario de Monique Wittig*), l’histoire d’une passion entre deux femmes. Parallèlement à son métier de comédienne, C. Keim continue à chanter ; on la retrouve régulièrement lors des tournées des Enfoirés, et en 2001, le duo que lui propose Marc Lavoine, Je ne veux qu’elle, est un tube. Cette même année, elle se produit en concert pour la première fois à la Cigale, avec le groupe électro-funk Ouakam. Dix ans plus tard, elle sort un premier album aux rythmes pop et folk, Où il pleuvra, qui marque l’aboutissement d’un travail de plusieurs années.

Anne-Charlotte CHASSET

KÉITA, Aoua [BAMAKO 1912 - ID. 1980]

Femme politique et écrivaine malienne.

En 1959, Aoua Kéita est la première femme élue députée à l’Assemblée nationale du Mali. Sage-femme et militante, elle a beaucoup contribué à l’amélioration du statut des femmes au Mali (à l’époque Soudan français) et à leur engagement en politique. Élève de l’école des filles puis de l’orphelinat des métisses, elle obtient son certificat d’études primaires en 1928 puis reçoit une formation de sage-femme à l’école de médecine et de pharmacie de Dakar, dont elle sort diplômée en 1931. Elle commence alors sa carrière de sage-femme à Gao où elle travaille, de 1932 à 1937, comme employée du Corps de santé colonial. En 1935, elle épouse M. Diawara, médecin progressiste qui l’initie à l’engagement politique. Le couple se lance dans l’activité politique clandestine et adhère au Syndicat des médecins, vétérinaires, pharmaciens, et sages-femmes (Symevetopharsa) et à l’Union soudanaise du rassemblement démocratique africain (USRDA). En 1949, le couple divorce sous la pression de la mère de M. Diawara, en raison du fait qu’elle ne peut avoir d’enfant. De retour à Gao après son divorce, elle milite jusqu’à sa mise à pied disciplinaire et son expulsion du Soudan français en 1951 (comme de nombreux autres militants de l’USRDA), à la suite de sa dénonciation de pratiques frauduleuses lors des élections. Elle passe ainsi deux ans en exil en Casamance au Sénégal, où elle pratique son métier de sage-femme. À son retour au Soudan français en 1953, à Nara près de la frontière mauritanienne, elle continue son activité syndicale et organise les femmes au sein de l’USRDA.

C’est en 1956 que le comité central de l’USRDA l’invite à prendre part aux discussions, et après un bref séjour d’études à Paris, elle s’établit à Bamako pour prendre la direction du Centre de protection maternel et infantile (PMI). La même année, elle représente l’USRDA au congrès du RDA à Ouagadougou en Haute-Volta puis à Bamako, avant d’être élue au comité central de l’USRDA à la clôture du congrès. Elle fonde aussi l’intersyndicat des Femmes travailleuses, qu’elle représente un an plus tard au congrès constitutif de l’Union générale des travailleurs d’Afrique noire (UGTAN). Poursuivant son action politique, elle organise la branche féminine du RDA en 1958. Elle est enfin élue députée de la Fédération du Mali pour la région de Sikasso le 8 avril 1959. Dorénavant à la tête de la Commission sociale des femmes au bureau politique national de la section soudanaise du RDA, elle participe activement à une campagne de réforme du code marital. Cette campagne est couronnée de succès, même si seules certaines mesures sont adoptées par le gouvernement. Sa participation à la création du Parti de la Fédération africaine lors d’un voyage à Paris et sa carrière politique s’achèvent brutalement avec l’effondrement de la Fédération du Mali en 1960.

En exil après le coup d’État de 1968, elle rejoint en 1970 son second mari, Mahamane Alassane Haidara (sénateur à l’Assemblée nationale de 1942 à 1959) au Congo-Brazzaville. Sa biographie, Femme d’Afrique, la Vie d’Aoua Kéita racontée par elle-même, écrite en exil et qu’elle publie en 1975, lui vaudra le Grand Prix littéraire d’Afrique noire en 1976. Militante avant tout, A. Kéita consacre la majeure partie de l’ouvrage aux élections territoriales au Soudan français. Elle partage ses souvenirs d’enfance et ses réflexions sur son éducation, mais révèle très peu sa vie sentimentale. Elle rentre au Mali en 1979, peu de temps avant sa mort à Bamako en 1980.

Caroline BESCHEA-FACHE et Jacqueline SOREL

Femme d’Afrique, La Vie d’Aoua Kéita racontée par elle-même, Paris, Présence Africaine, 1975.

KOM A., Dictionnaire des œuvres littéraires négro-africaines de langue française des origines à 1978, Sherbrook, Naamem, 1978.

SANANKOUA B., « Femmes et Parlement au Mali », in Afrique contemporaine, vol. 2, no 210, 2004 ; SOHAI M., « Qui êtes-vous Awa Kéita ? », in Awa, no 9, nov. 1964 ; TURRITTIN J., « Aoua Kéita and the Nascent Women’s Movement in the French Soudan », in African Studies Review, vol. 36, no 1, avril 1993.

KEÏTA, Fatou [SOUBRÉ 1955]

Romancière ivoirienne.

Après avoir étudié en France puis aux États-Unis, Fatou Keïta enseigne aujourd’hui l’anglais à l’université d’Abidjan. Remarquée pour ses romans, elle s’est également imposée comme auteure pour la jeunesse, notamment avec Le Petit Garçon bleu, La Voleuse de sourires, en 1996, et Sinabani, la petite dernière, en 1997. Avec le roman Rebelle (1998), elle montre, à travers le parcours de Malimouna, que le choix de la révolte et du refus se fait dès l’enfance (refus de l’excision, du mariage forcé à 14 ans, des difficultés d’intégration en France). La question de l’excision est envisagée sous plusieurs angles : le refus, à travers l’expérience de Malimouna enfant puis femme, la résistance – celle de sa mère –, les difficultés à vivre non excisée au sein de la communauté africaine immigrée, l’aspect juridique – des parents sont emprisonnés à la suite du décès de leur petite fille –, la difficulté de témoigner, la question du silence et de ce que l’auteure considère comme la pudeur autodestructrice des femmes. Outre l’excision, l’auteure traite dans ce roman de toute la gamme des difficultés auxquelles les femmes africaines doivent faire face : la question de leur statut et de leur rôle, la polygamie, les grossesses à répétition, le refus de la contraception, l’immigration et les difficultés des couples interraciaux. L’évolution du couple de Malimouna rappelle à bien des égards Une si longue lettre de Mariama Bâ*, ou La Voie du salut d’Aminata Maïga Ka*, ou encore Fureurs et cris de femmes d’Angèle Rawiri. F. Keïta souligne, en particulier, les changements du mari à l’égard de sa femme et de la femme envers son mari, ainsi que les différences de sensibilité et de personnalité. Elle observe notamment une distinction entre ce que l’homme encourage dans un premier temps et répudie ensuite – carrière professionnelle, aide aux autres femmes, modernité du couple, éloignement des traditions, refus de la violence envers ses enfants ou sa femme, refus de se faire servir, etc. L’originalité de F. Keïta réside dans le fait qu’elle aborde chacune de ces problématiques sous un angle différent et tout à fait inédit. Et l’aube se leva (2006) constitue une nouvelle étape dans l’engagement féministe de F. Keïta. Aux côtés de Tanella Boni* et de Véronique Tadjo*, elle choisit de traiter de la crise politique en Côte d’Ivoire et du contexte actuel d’instabilité dans lequel les femmes, quelle que soit leur classe sociale, sont particulièrement susceptibles de souffrir de la violence au quotidien.

Odile CAZENAVE

Rebelle, Paris, Présence africaine, 1998 ; Et l’aube se leva, Abidjan, Ceda, 2006.

KEKILOVA, Annasoltan [KIOCHI 1942 - ID. 1983]

Poétesse turkmène.

Née dans un village au pied du Köpet Dag, à la frontière iranienne, Annasoltan Kekilova est considérée comme la principale poétesse dissidente du Turkménistan soviétique. Diplômée de la faculté de lettres de l’université d’État d’Achgabat, elle profite de la période d’après-guerre plus favorable à l’expression d’une certaine liberté de ton et d’inspiration pour exprimer ses positions dans sa poésie. À la faveur du relatif dégel du début des années 1960, elle parvient à enseigner durant quelques années et à lire certains de ses poèmes à la radio, mais se voit ensuite accusée d’être opposante au régime soviétique. Durant l’hiver de 1971, elle envoie de nombreuses lettres critiques au comité central du parti communiste d’Union soviétique réuni pour son 24e congrès, et compose un virulent traité poétique de 56 pages. Elle perd son travail et le droit d’être publiée. Elle tente de demander l’asile politique à l’ambassade britannique à Moscou, mais est déclarée malade mentale le 28 août de la même année et enfermée dans un hôpital psychiatrique, à l’âge de 28 ans. Refusant d’écrire son autocritique, elle subit des tortures et restera internée jusqu’à sa mort en 1983. Son œuvre, composée d’un grand nombre de poèmes et de chansons, a été publiée dans trois recueils : Zenanlar (« les femmes », 1968), Gara Saçlarym (« les cheveux noirs », 1971) et Omruzaya Yyldyzym (« la foudre de vie », 1992) paru après sa mort.

Catherine POUJOL

KELETI, Éva [BUDAPEST 1931]

Photographe hongroise.

Éva Keleti suit des études de chimie et de physique mais ne les termine pas. Engagée en 1951 par l’agence Magyar Fotó, où elle a pour maîtres Ernő Vadas et Klára Langer*, elle y travaille comme photojournaliste jusqu’en 1976. De 1976 à 1989, elle est designer visuelle de l’hebdomadaire Új Tükör (« nouveau miroir »), puis rédactrice en chef (1991-1992) à l’agence de HTPress, Gamma, ainsi qu’à Europress Ferenczy (Axel Springer). En Hongrie, aucun comédien important n’a échappé à l’objectif de cette spécialiste de la photo de danse et de théâtre. Ses œuvres empreintes d’émotion respirent l’amour de l’art de la scène. Sa danseuse noire en costume blanc, Rhapsodie, est devenue une image emblématique de l’histoire de la photographie hongroise. Elle enseigne la pratique de la photo de presse en Inde en 1976, puis est professeure dans des instituts internationaux de journalisme. Membre du jury de la World Press Photo et de l’Interpress Photo, lauréate de plusieurs prix nationaux et internationaux, É. Keleti a obtenu plusieurs récompenses, dont celle d’Artiste honorable de la République hongroise (2008), et reçu le titre d’Artiste éminent de Hongrie (2012).

Csilla CSORBA

Oly távol és közel, So Far So Close, Budapest, Folpress, 2004 ; Visszapiilantás/Flashback, Szarka K. (textes), Budapest, Geopen, 2011.

AUER M., Encyclopédie internationale des photographes de 1839 à nos jours/Photographers Encyclopaedia International 1839 to the Present, Hermance (Suisse), Camera obscura, 1985.

KELLER, Evelyn FOX TATS-UNIS 1936]

Sociologue, historienne des sciences et physicienne américaine.

Figure atypique de la sociologie et de l’histoire des sciences, Evelyn Fox Keller ouvre un premier domaine de connaissance en interrogeant le modèle masculin de formalisation des sciences ; puis elle oriente ses analyses vers la portée des métaphores scientifiques pour illustrer le rôle du langage dans la science. Née de parents russes immigrés aux États-Unis, seule femme doctorante en physique théorique à la fin des années 1950 à Harvard, elle prépare une thèse sur les travaux de Richard Feynman. Objet de vexations de la part de ses condisciples masculins, elle décide de bifurquer vers la biologie moléculaire, matière de la thèse qu’elle soutiendra en 1963. Elle s’engage dès les années 1970 dans le mouvement féministe américain. Elle devient professeure d’histoire et philosophie des sciences au Massachusets Institute of Technology (MIT). Attirée très jeune par la psychanalyse, elle publie Reflections on Gender and Science (« réflexions sur le genre et la science », 1985). Dans cette série d’articles, elle analyse le caractère masculin de la formalisation des sciences actuelles, notamment la physique. Elle montre que la volonté de continuer à assimiler rationalité, scientificité et modèle classique de la physique aboutit à l’incapacité d’assumer la révolution scientifique de la théorie des quanta. E. F. Keller est connue du public français pour L’Intuition du vivant (1988), biographie consacrée à la lauréate du prix Nobel, Barbara McClintock (1902-1992) ; cet ouvrage emblématique de l’histoire d’une femme de sciences est accessible aux lecteurs non initiés et traite avec la même rigueur les enjeux scientifiques et la situation sociale de la lauréate. En 2002, dans son ouvrage traduit en français sous le titre Expliquer la vie, modèles, métaphores et machines en biologie du développement (2004), elle poursuit l’exploration des mécanismes de l’explication scientifique au XXe siècle en prenant le parti de l’analyse linguistique. Son étude s’appuie sur l’histoire de l’embryologie au XXe siècle et montre la diversité des «types de discours» utilisés successivement pour expliquer le développement. En 2005, elle est accueillie pour deux ans à la chaire internationale de recherche Blaise Pascal (École normale supérieure Paris 7-Denis Diderot).

Pierre TRIPIER

L’Intuition du vivant, vie et œuvre de Barbara McClintock, Paris, Tierce, 1988 ; Le Rôle des métaphores dans les progrès de la biologie, Le Plessis-Robinson, Institut Synthélabo pour le progrès de la connaissance, 1999 ; Expliquer la vie, modèles, métaphores et machines en biologie du développement (Making Sense of Life : Explaining Biological Development with Models, Metaphors and Machines, 2002), Paris, Gallimard, 2004 ; Le Siècle du gène, Paris, Gallimard, 2003.

Reflections on Gender and Science, New Haven, Yale University Press, 1985.

KELLER, Helen [TUSCUMBIA, ALABAMA 1880 - ARCAN RIDGE, CONNECTICUT 1968]

Militante et écrivaine américaine.

Devenue sourde, aveugle et muette peu après sa naissance, Helen Keller parvient à obtenir un diplôme, avec la plus haute mention, de l’université Radcliffe (Massachusetts). Elle publie son premier livre, Histoire de ma vie (1903). Socialiste radicale, elle devient membre du syndicat international Industrial Workers of the World (IWW) en 1912. Elle milite contre la guerre et pour le suffrage des femmes ainsi que pour la contraception. Elle fonde en 1915 l’organisation Helen Keller International, qui se consacre à la recherche sur la vision et la santé, aujourd’hui présente dans 22 pays. En 1920, elle est l’un des membres fondateurs de l’American Civil Liberties Union (ACLU, « union américaine pour les libertés civiles »). Elle écrit de nombreux articles et livres dont Out of the Dark (« hors de l’ombre », 1913) et une série d’essais sur le socialisme.

Béatrice TURPIN

Sourde, muette, aveugle. Histoire de ma vie (The Story of My Life, 1903), Paris, Payot & Rivages, 2001.

GIBSON W., The Miracle Worker (1960), New York, Scribner, 2008.

KELLER, Marthe [BÂLE 1945]

Actrice et metteuse en scène suisse.

Après avoir étudié la danse dans son enfance, Marthe Keller se tourne vers la scène à la suite d’un accident à l’âge de 16 ans. Elle se produit alors en Allemagne, avant de partir pour Paris où Philippe de Broca la dirige dans deux comédies à succès : Le Diable par la queue (1969) et Les Caprices de Marie (1970). Elle joue un rôle dramatique dans Vertiges (Per le antiche scale, 1975) de Mauro Bolognini, qui la dirige ensuite à la télévision en Sanseverina dans La Chartreuse de Parme (1982, d’après Stendhal). Pour le petit écran, elle incarne la populaire Demoiselle d’Avignon de Frédérique Hébrard. L’actrice part s’installer aux États-Unis en 1970 et joue alors sous la direction de réalisateurs hollywoodiens : Marathon Man (John Schlesinger, 1976) ; Bobby Deerfield (Sydney Pollack, 1977, avec Al Pacino, qui devient son compagnon) ; ou encore Fedora (Billy Wilder, 1978). Elle travaille par la suite avec le cinéaste russe Nikita Mikhalkov – Les Yeux noirs (Oci Ciornie, 1987) – et avec Benoît Jacquot (L’École de la chair, 1998). En 2010, elle est dirigée par Clint Eastwood dans Au-delà (Hereafter). Elle remporte un succès international comme metteuse en scène d’opéra, dirigeant notamment Dialogue des Carmélites, de Francis Poulenc, ainsi que Don Giovanni, de Mozart.

Bruno VILLIEN

KELLERMAN, Annette [SYDNEY 1887 - SOUTHPORT 1975]

Nageuse australienne.

Lorsque, vers 1905, Le Petit Journal placarde sur les murs de la ville une affiche « Aux gloires du sport », qui rassemble en médaillons les visages de 100 sportifs connus, seules deux femmes en font partie : la nageuse australienne Annette Kellerman et Camille Crespin du Gast*, conductrice du Paris-Madrid automobile de 1903. A. Kellerman s’est révélée aux Championnats de la Nouvelle-Galles du Sud en 1902 à Sydney, en s’adjugeant à 15 ans toutes les courses du 110 yards au mile, dans son style de double-over arm stroke. N’ayant plus d’adversaire à sa mesure dans les rangs des amateurs, A. Kellerman passe professionnelle pour venir en Europe où elle va acquérir une véritable célébrité, sous le regard de son père qui joue les imprésarios. En 1905, elle s’aligne dans la Traversée de Paris entre le pont de Tolbiac et le viaduc du Point-du-Jour. Sur les rives de la Seine se pressent plusieurs dizaines de milliers de personnes. Elle termine troisième, sur la même ligne que Thomas William Burgess et devant Montagu Holbein – deux noms fameux de l’histoire de la Traversée de la Manche. Cette traversée, elle-même, installée à Londres et sous l’égide du Daily Mail, va s’y attaquer à trois reprises, vainement, mais cela ne fait qu’accroître sa renommée. Elle sera la première sportive à exercer le métier d’actrice de théâtre et de cinéma. Aux États-Unis, bien avant Esther Williams*, elle est en vedette dans des shows aquatiques spectaculaires où elle joue les sirènes – comme naguère à ses débuts à Melbourne quand elle se montrait dans un aquarium géant –, puis occupe les écrans – on est au temps du muet – dans des productions telles que Queen of the Sea (Reine de la mer). Par sa liberté d’allure et de comportement, A. Kellerman aura été la première nageuse célèbre.

Jean DURRY

KELLY, Grace [PHILADELPHIE 1929 - MONACO 1982]

Actrice américaine.

Nièce de l’auteur dramatique à succès George Kelly, Grace Kelly débute à Broadway en 1949 dans Père d’August Strindberg, et à l’écran en 1951 dans Quatorze heures (Fourteen Hours) d’Henry Hathaway. Sa brillante carrière va durer quinze ans. Dans Le train sifflera trois fois (1952), western de Fred Zinnemann, elle est l’épouse fidèle de Gary Cooper, tandis que, dans Mogambo (John Ford, 1953), elle incarne une jeune femme dont s’éprend un chasseur de fauves (Clark Gable), au grand désespoir de la maîtresse de ce dernier (Ava Gardner*). Son jeu, son élégance et sa blondeur séduisent Alfred Hitchcock. Dans Fenêtre sur cour (Rear Window, 1954), elle est la compagne de James Stewart. Dans Le crime était presque parfait (Dial M for Murder, 1954), elle est une épouse injustement accusée de meurtre et dans La Main au collet (To Catch a Thief, 1955), une héritière qui charme Cary Grant. G. Kelly remporte l’Oscar de la meilleure actrice en 1955 pour Une Fille de la province (The Country Girl, George Seaton, 1954), en femme du chanteur alcoolique joué par Bing Crosby. Elle le retrouve dans la comédie musicale Haute Société (High Society, Charles Walters, 1956). Après Le Cygne (The Swan, Charles Vidor, 1956) où elle joue une princesse, elle met fin à sa carrière pour épouser le prince Rainier de Monaco. Quelques années plus tard, Hitchcock lui propose de jouer dans Marnie (1964), mais, à son vif regret, elle doit refuser. Elle aura deux filles et un fils, avant de mourir dans un accident de voiture.

Bruno VILLIEN

MITTERRAND F., Les Années Grace Kelly, princesse de Monaco, Milan, Skira, 2007.

KELLY, Isabella (ou Isabella HEDGELAND, née FORDYCE) [CAIRNBURGH, ÉCOSSE 1759 - LONDRES 1857]

Romancière et poétesse britannique.

Veuve d’un militaire mort à Madras, Isabella Kelly se remaria en 1816 avec un riche marchand. Parmi ses enfants, sir Fitzroy Kelly deviendra lord Chief Baron of the Exchequer, plus haut personnage des Finances à la cour. En 1794 paraît son recueil A Collection of Poems and Fables (où figure « To an Unborn Infant »). Ses 13 ouvrages romanesques furent publiés pour une bonne part chez Minerva Press, une maison d’édition de Londres créée par William Lane, et qui se spécialisait dans les genres sentimental et « gothique », comme on peut le vérifier avec les allusions qui y sont faites dans Northanger Abbey de Jane Austen*. On peut en détacher Madeline (1794) et Joscelina (1797). Matthew Lewis favorisa la publication de The Baron’s Daughter chez Bell et c’est encore à lui qu’I. Kelly confia combien il était dur d’écrire quand on était une femme, car il fallait affronter « la jalousie, la calomnie et la méchanceté ». D’autres titres renvoient à des livres de pédagogie, dont une grammaire du français (1805), une nouvelle, et la biographie de Mrs Henrietta Fordyce (1823), la veuve d’un cousin, auteur de Sermons to Young Women. The Abbey of St Asaph (1795) et The Ruins of Avondale Priory (1796) ont été réédités en 2011.

Françoise LAPRAZ SEVERINO

KELLY, Joan [NEW YORK 1928 - ID. 1982]

Historienne américaine.

Après un bachelor de St. Johns University en 1953 et un doctorat en histoire de la Renaissance à Columbia University, Joan Kelly obtient un poste à plein temps à la City University of New York, où elle enseignait déjà comme monitrice. Peu après, elle publie aux presses de l’université de Chicago Leon Battista Alberti, Universal Man of the Early Renaissance (1969, trad. fr. 1995). Très présente dans le milieu intellectuel new-yorkais engagé pour le développement de l’histoire des femmes, elle s’associe avec d’autres femmes universitaires pour créer des programmes et introduire des cours sur ce sujet. Alors que la monographie sur Leon Battista Alberti mettait en avant l’idée d’un « homme universel », « Did women have a Renaissance ? », qu’elle publie en 1977 et qui la fait connaître, démonte au contraire les prétentions universalisantes de l’histoire. J. Kelly y dénonce l’usage d’une périodisation commune appliquée à des ères historiques (la Renaissance, le temps des découvertes) et l’idée implicite que le sens général de ces périodes est valable pour tous, hommes et femmes, riches et pauvres. Elle prouve que les femmes, selon leur origine sociale, ne vivent pas la Renaissance de la même manière. Elle souligne que la Renaissance est un moment de restriction généralisée de l’indépendance des femmes et de renforcement de la hiérarchie entre hommes et femmes, devenue séculière et non uniquement religieuse. Aucun autre article de l’historienne n’a eu une telle influence et n’a été si souvent réimprimé. Il a appelé à bien des révisions de l’histoire traditionnelle, montrant la nécessité d’utiliser une « double vision » pour observer les femmes dans leurs foyers et dans la sphère publique. J. Kelly meurt prématurément d’un cancer en 1982.

Bonnie SMITH

LERNER G., « Joan Kelly », in WARE S. (dir.), Notable American Women : A Biographical Dictionary Completing the Twentieth Century, Cambridge (Mass), Belknap Press, 2004.

KELLY, Mary [FORT DODGE 1941]

Plasticienne américaine.

Après avoir étudié les beaux-arts et la musique au College of Saint Teresa, à Winona (Minnesota), puis les beaux-arts et l’esthétique à l’institut Pie XII à Florence, Mary Kelly sort diplômée du Central Saint Martins College of Arts and Design de Londres en 1970. Dès 1968, elle travaille à Londres en tant qu’artiste, professeure, commissaire d’expositions, éditrice et écrivaine. L’émergence du mouvement féministe au Royaume-Uni, le développement de la sémiotique et de la psychanalyse, puis l’analyse marxiste féministe de la division sexuelle du travail influencent fortement son œuvre. Elle participe au collectif féministe History Group, formé en 1970, auquel appartiennent aussi les britanniques Juliet Mitchell*, psychanalyste féministe, et Laura Mulvey (1941), théoricienne féministe du cinéma utilisant les outils de la psychanalyse. M. Kelly soutient alors qu’il n’existe pas de construction féminine en dehors des institutions sociales que sont la famille, le langage et la loi. La précision et la restriction formelle de ses œuvres empruntent au minimalisme, tout comme sa distanciation des discours culturels la rapproche de l’art conceptuel. Ses premiers travaux questionnent la division sexuelle du travail. Ainsi, le film expérimental en noir et blanc Nightcleaners (1970-1975), auquel elle collabore, documente la campagne qui tente de fédérer les femmes de ménage. L’artiste interroge ensuite les moments où les femmes se constituent comme sujets du discours, observant en ethnographe certains rituels sociaux au moment de la maternité et du vieillissement. En 1976, dans son projet le plus influent, Post-Partum Document, elle analyse la relation mère-enfant pendant les quatre premières années de vie de son fils par le biais de textes, de dessins, de graphiques, d’objets et de sons. L’œuvre propose un espace signifiant pour le discours maternel en écho à la pensée française contemporaine. Entre 1984 et 1989, Interim analyse la construction féminine par le biais des femmes qui, du fait de leur âge, ne sont plus valorisées pour leurs capacités à procréer ou leur potentiel de fétichisation. Les discours sur le corps, la structuration de la famille dans son rapport à l’argent, leur position au sujet de l’histoire des femmes et face aux statistiques sur leur pouvoir forment le tissu de son œuvre. En 1989, elle quitte Londres pour New York. Ses intérêts s’orientent alors vers une relecture des liens de domination dans des situations de conflits armés : la guerre du Golfe et les effets traumatisants des atrocités des guerres, les germes de l’endoctrinement nationaliste chez un enfant albanais du Kosovo. En 2005, l’installation Love Songs exposée à la Documenta XII de Kassel (Allemagne) marque le renouveau de son intérêt pour le féminisme et la mémoire collective. En 2012, elle présente Mimus, sorte de mini-documentaire en trois actes, parodiant l’idéologie de la guerre froide.

Fabienne DUMONT

Post-Partum Document (1985), Berkeley, University of California Press, 1999 ; Imaging Desire, Cambridge, The MIT Press, 1998 ; Mary Kelly : Rereading Post-Partum Document, Breitweiser S. (dir.), Vienne, Generali Foundation, 1999.

IVERSEN M., CRIMP D., BHABHA H. K., Mary Kelly, Londres, Phaidon, 1997.

KELTOUM (Aïcha ADJOURI, dite) [BLIDA 1916 - ALGER 2010]

Actrice algérienne.

Après avoir interprété de petits rôles dans des pièces françaises et allemandes au début des années 1930, Keltoum commence réellement sa carrière de comédienne à partir de 1935, lorsqu’elle est découverte par Mahieddine Bachetarzi qui lui apprend soigneusement les rudiments du métier. Elle fait la connaissance de grands hommes de théâtre comme Rachid Ksentini et Habib Réda, aux côtés desquels elle s’impose définitivement, donnant à voir et à apprécier l’étendue de son talent. Elle se métamorphose tour à tour en Desdémone, en 1952, en Mère Courage de Bertolt Brecht ou dans Les Enfants de la Casbah d’Abdelhalim Raïs, et en Poncia dans La Maison de Bernarda Alba de Federico García Lorca. Touchant à tous les genres, elle excelle dans les rôles de composition et réussit à rendre plus authentiques les personnages qu’elle interprète. Elle est également danseuse et chanteuse, et produit cinq disques. Elle fait ses débuts au cinéma grâce à André Swobada, qui la distribue dans son long métrage La Septième Porte, en 1948. Dès lors, elle n’arrête plus de tourner, apparaissant dans une vingtaine de films, dont Le Vent des Aurès, de Mohamed Lakhdar Hamina (1966). Mais sa préférence va au théâtre, auquel elle continue de s’adonner, jouant dans plus de 70 pièces du temps de M. Bachetarzi et, après l’indépendance, au Théâtre national algérien.

Ahmed CHENIKI

KEMBLE, Fanny [LONDRES 1809 - ID. 1893]

Actrice et écrivaine britannique.

Fille de l’acteur Charles Kemble et nièce de la célèbre actrice Elizabeth Siddons, Fanny Kemble est en grande partie élevée en France. Après avoir interprété le rôle de Juliette à Covent Garden en 1829, elle joue les principaux rôles féminins shakespeariens et connaît un succès grandissant. En 1823, une tournée aux États-Unis avec son père lui révèle la puissance du Nouveau Monde. En 1834, elle se retire de la scène pour épouser Pierce Butler, un très riche planteur de Géorgie, et publie Journal of Frances Anne Butler (1835) ; elle ne cache pas ses impressions, choquantes pour certains, et ce livre est un best-seller. Scandalisée par le traitement des esclaves de la plantation et devant le refus de son mari d’adoucir leurs conditions de vie, elle divorce en 1849. Journal of a Residence on a Georgian Plantation, écrit en 1838 et 1839, est un vibrant plaidoyer en faveur de l’abolition de l’esclavage. Écrit par « devoir de vérité », dit-elle, il influe sur la politique de l’Angleterre vis-à-vis de la Confédération sudiste lors de sa publication en 1863. Elle revient à Londres en 1877 et y mène une brillante vie sociale. Elle laisse un recueil de poèmes (1844), un livre de voyages (1847), un volume de pièces de théâtre, des traductions d’Alexandre Dumas et Frédéric Schiller, et cinq volumes de souvenirs, pleins de renseignements précieux sur la vie sociale et théâtrale de l’époque.

Michel REMY

ARMSTRONG M., Fanny Kemble : A Passionate Victorian, New York, Macmillan, 1938 ; CLINTON C., Fanny Kemble’s Civil Wars, New York, Simon & Schuster, 2000.

KEMPIN-SPYRI, Emilie [ZURICH 1853 - BÂLE 1901]

Juriste suisse.

Emilie Kempin-Spyri est la première femme en Suisse, et en Europe, à avoir acquis le doctorat et l’habilitation en droit. Devant le refus de son admission au barreau en tant qu’avocate, elle dépose la première plainte en Suisse au nom de l’égalité, plainte rejetée par le tribunal fédéral en 1887. Est également rejetée sa proposition au tribunal fédéral d’inclure le terme « femme » dans l’article constitutionnel sur l’égalité des droits. Suite à ses propositions, le canton de Zurich change sa loi sur le barreau en l’ouvrant aux femmes (1898).

René LEVY

KEMPNER, Salomea [PŁOCK 1880 - VARSOVIE V. 1940]

Médecin et psychanalyste polonaise.

Née en Pologne dans une famille juive, Salomea Kempner étudie la médecine à Berne et à Zurich où elle passe son doctorat en 1909. À partir de 1912, elle est médecin assistante à l’asile cantonal de Rheinau en Suisse, et devient membre de la Société suisse de psychanalyse. Admise en 1922 à la Société psychanalytique de Vienne, elle y donne, l’année suivante, une conférence sur l’érotisme oral. Son article « Some remarks of oral erotism », dans la revue International Journal of Psycho-Analysis, paraît en 1925. S. Kempner part à Berlin à l’automne 1923 et exerce comme psychanalyste à la policlinique de l’Institut psychanalytique. Membre de la Société en 1925, elle forme de nombreux analystes, dont Adelheid Koch*, Hjørdis Simonsen* et Nic Waal*, et tient ses consultations jusqu’en 1934 avant d’être interdite d’activité en tant que « juive étrangère » par la Société allemande de psychanalyse. Elle en est exclue en même temps que tous ses collègues juifs, qui émigrent soit en Grande-Bretagne soit aux États-Unis. Elle demeure pourtant à Berlin où elle est membre de l’Association internationale de psychanalyse, et continue, jusqu’en 1938, à pratiquer la psychanalyse dans son appartement berlinois. Sa trace se perd dans le ghetto de Varsovie.

Nicole PETON

KENAWY, Amal [LE CAIRE 1974 - ID. 2012]

Artiste visuelle égyptienne.

Après des études au Caire, à l’institut de cinéma de l’Académie des arts (1997-1998) puis à l’École des beaux-arts (1999), Amal Kenawy s’exprime à travers des sculptures, des animations vidéo, des dessins, des installations ou des performances. Elle traite de thèmes tels que la mémoire, le rêve, l’enfermement ou la mort, avec une poésie cruelle tissée de symboles, qui allie les contraires pour déjouer nos attentes. Ses premières œuvres sont réalisées avec son frère, Abdel Ghani Kenawy, entre 1997 et 2002 : il s’agit surtout de sculptures et d’installations, empruntant aux formes constructivistes ou au design, et dont les structures impliquent physiquement le spectateur. Ces travaux jouent du contraste entre l’opacité du métal et la légèreté translucide des voiles (The Inner space [« l’espace intérieur »], 1999). À partir de 2002, elle signe seule ses œuvres : on peut citer The Room (« la chambre », 2003), une vidéo accompagnée d’une performance, qui évoquent la question du mariage forcé. Associée à un papillon pris au piège d’une grille, revêtue d’une robe blanche, une femme brode des perles et de la dentelle sur un cœur de chair et de sang, tandis que l’artiste reproduit le geste sur un mannequin acéphale placé en face de l’écran. Le film d’animation The Purple Artificial Forest (« la forêt artificielle violette », galerie El Falaky, Le Caire, 2005) reprend cette combinaison surréelle en mêlant différents motifs récurrents dans son œuvre : figures d’insectes, organes amputés, fluide violet évocateur du sang. Dans l’installation vidéo Booby Trapped Heaven (« paradis piégé », galerie Masharabia, Le Caire, 2006), l’itinéraire en pointillé d’un petit avion se dessine sur le dos d’une femme immobile, face à un paysage qui défile comme lors d’un voyage en train. Pouvant faire écho au désir d’immigrer de nombreux Africains, cette vidéo exprime également l’idée d’enfermement, celle d’un chez-soi angoissant qui s’affirme peut-être d’abord toujours en soi. Riche et protéiforme, l’œuvre d’A. Kenawy esquisse les contours de la vulnérabilité des êtres, à la frontière entre rêve et réalité, poésie et violence. L’artiste s’est éteinte à 38 ans d’une leucémie.

Maureen MURPHY

Afrique : entendus, sous-entendus et malentendus (catalogue de la VIIBiennale de l’art contemporain africain), Dakar, Secrétariat général de la Biennale des arts, 2006 ; BERNADAC M.-L., NJAMI S. (dir.), Africa Remix, l’art contemporain d’un continent (catalogue d’exposition), Paris, Centre Pompidou, 2005.

WAHBEH I., « Powerful symbolism », in The Jordan Times Weekender, 15-2-2007 ; WILSON-GOLDIE K., « Purple ink, a beating heart, a wedding dress on fire », in The Daily Star, 20-3-2007 (éd. du Liban).

KEN BUGUL (Mariètou MBAYE BILÉOMA, dite) [RÉGION DU SINE-SALOUM 1947]

Romancière sénégalaise.

De son nom de plume Ken Bugul – qui signifie « personne n’en veut » –, Mariètou Mbaye Biléoma est une des plus importantes écrivaines francophones d’Afrique noire. Après des études secondaires au lycée de Thiès (à 70 km de Dakar) et une année à l’Institut des langues de l’université de Dakar, elle obtient une bourse OCDE pour la Belgique, et passe plusieurs années en Europe, où elle fait l’expérience de l’aliénation. De retour au Sénégal en 1980, un séjour au village chez un religieux musulman lui permet de récupérer son équilibre. Elle occupe ensuite un poste au sein de l’ONG International Planned Parenthood Federation (IPPF), qui s’occupe entre autres de planification familiale, dans le cadre duquel elle effectue des voyages au Kenya, au Congo et au Togo. Mariée à un médecin béninois, elle s’installe à Porto-Novo au Bénin, accouche d’une fille, puis doit faire face au décès de son mari six mois après. Son écriture reflète son parcours personnel et c’est véritablement dans l’autofiction que Ken Bugul excelle.

En 1982 paraît son premier roman, Le Baobab fou. Largement autobiographique, l’ouvrage obtient un succès immédiat, surtout dû à un effet de scandale : la description des aventures de l’héroïne livrée à des rencontres douteuses dans un milieu européen immoral et agnostique. Jamais une Africaine n’avait poussé si loin la franchise, ni évoqué avec cette précision sa révolte contre la famille et sa perturbation mentale au contact d’une culture étrangère. Dans Cendres et braises (1994), l’auteure conte son retour au Sénégal, sa réconciliation avec sa mère, et avec les usages et l’esprit de la tradition. À travers Riwan ou le Chemin de sable (1999), roman couronné la même année par le Grand Prix littéraire de l’Afrique noire, elle raconte sa rencontre et son amour pour un religieux musulman et polygame ; avec lui, elle découvre l’épanouissement affectif et sexuel, et accepte sa religion ; l’homme décède peu de temps après qu’il l’eut épousée selon la tradition, la laissant veuve mais apaisée. Avec La Folie et la mort (2000), Ken Bugul sort pour la première fois complètement de sa propre expérience. Elle décrit les tribulations de deux jeunes filles ayant fui leur village et les rites traditionnels. Elles courent mille dangers avant d’arriver dans la capitale (Dakar, non nommée mais reconnaissable). Description cauchemardesque de la société urbaine et du système politique corrompu, ce roman offre une construction subtile, plus élaborée que ses textes précédents. Il est cependant passé presque inaperçu, malgré ses évidentes qualités. De l’autre coté du regard (2003) constitue peut-être l’ouvrage le plus émouvant de Ken Bugul. Elle y évoque la vie d’une femme marquée par l’éloignement forcé de sa mère, durant son enfance et son adolescence. Ici l’auteure creuse profondément et exprime une souffrance toujours vive, malgré une vie, par ailleurs, réussie. Sur le plan de l’écriture, elle reprend le style litanique qu’elle avait inauguré dans La Folie et la mort. Ce style très proche d’une parole chuchotée est ici particulièrement bien adapté au sujet. Parole de femme, sénégalaise, urbaine, inimitable : on croirait presque un enregistrement, s’il n’y avait ces refrains qui ponctuent le débit, lui permettant de reprendre souffle. Là encore il semble que la critique n’ait pas remarqué la nouveauté et la réussite littéraire. Rue Félix-Faure (2005) évoque ses souvenirs d’avant son départ en Europe ; les personnages et les demeures qu’elle a fréquentés dans cette rue du vieux Dakar. Le roman constitue en quelque sorte des retrouvailles avec son adolescence. Son dernier roman en date, Mes hommes à moi (2008) est également fondé sur des souvenirs. Dans une formule originale qu’elle manipule avec talent et tendresse, l’auteure évoque différents personnages qui fréquentent un café où elle vient régulièrement écrire. Chaque individu, chaque couple a son histoire qu’elle devine ou invente.

Lylian KESTELOOT

KENDALL, Kay (Justine Kay KENDALL-MCCARTHY, dite) [WITHERNSEA, YORKSHIRE 1926 - LONDRES 1959]

Actrice britannique.

Enfant de la balle, Kay Kendall fait ses débuts sur scène à l’âge de13 ans, comme girl de music-hall. Elle joue ensuite de petits rôles au cinéma (à partir de 1944), comme dans César et Cléopâtre* (Caesar and Cleopatra, Gabriel Pascal, 1945, d’après Bernard Shaw). Elle rencontre enfin un grand succès en 1953, avec la comédie Geneviève (Genevieve, Henry Cornelius). Elle a alors la possibilité de tourner avec de grands cinéastes : ce sera par exemple George Cukor, qui l’oppose à Gene Kelly dans la comédie musicale Les Girls (1957) et lui permet de remporter un Golden Globe dans ce qui reste l’un de ses films les plus célèbres. Avec son mari, Rex Harrison, elle interprète Qu’est-ce que Maman comprend à l’amour ? (The Reluctant Debutante, Vincente Minnelli, 1958) et incarne l’épouse de Yul Brynner, devenu chef d’orchestre, dans Chérie recommençons (Once More, with Feeling ! , Stanley Donen, 1959).

Bruno VILLIEN

KENEBEL, Virginie [LYON 1819 - PARIS 1884]

Écuyère française.

Issue d’une famille d’écuyers, vedette dans la troupe dirigée par sa mère Sophie Avrillon, Virginie Kenebel débute à Paris au Cirque des Champs-Élysées, le 30 mai 1837, pour l’ouverture de la saison d’été. Avec l’écuyer Lalanne, elle danse un pas de deux à cheval, tiré du ballet La Sylphide créé par Marie Taglioni* à l’Opéra en 1832, et sera très vite surnommée la « Taglioni équestre » par ses admirateurs. Véritable danseuse avant même d’être écuyère, elle crée un Zapateado à cheval le jour même où ses créateurs, Mariano Camprubi et Dolorès Serral, font leur représentation d’adieu sur la scène du théâtre du Panthéon. Comparée à la danseuse Fanny Elssler*, elle vole de succès en succès. Elle épouse Victor Franconi, héritier d’une prestigieuse dynastie, qui crée pour elle un gymnase équestre où il dresse ses chevaux d’école. Elle crée un Pas grec sur trois chevaux, interprète Flore, Érigone et Zéphyr dans un ballet de dix chevaux, ou un toréador dans la pantomime Le Manteau espagnol. Célèbre, elle se produit au Circus Gymnasticus de Vienne, à Milan et dans de nombreuses capitales en Europe. Elle met un terme à sa carrière en 1845 pour se consacrer à l’éducation de ses enfants. Maria del Rosario Weiss, fille présumée du peintre Francisco de Goya, a dessiné V. Kenebel lors de son séjour à Bordeaux en 1832, prétexte à une célèbre lithographie.

Pascal JACOB

KENNEDY, Adrienne (née HAWKINS) [PITTSBURGH 1931]

Auteure dramatique américaine.

L’œuvre d’Adrienne Kennedy revendique rigueur et précision. Après son mariage avec Joseph C. Kennedy, elle entame des voyages à travers le monde. Elle commence par l’Europe, puis entreprend la grande traversée en sens inverse, vers l’Afrique. Des événements politiques de grande importance jalonnent son séjour africain, comme l’assassinat du révolutionnaire zaïrois Patrice Lumumba. Elle en sera bouleversée. On retrouve des bribes de ses expériences dans deux pièces : Funnyhouse of a Negro (1962) et The Owl Answers (1963). En 1968, elle écrit Sun : A Poem for Malcolm X inspired by his Murder, qui sera joué au théâtre Royal Court. Deux années auparavant, elle écrit A Rat’s Mass (1966), une production off-Broadway jouée au théâtre expérimental La MaMa en 1969. Entre 1968 et 1976, elle reçoit de nombreuses bourses prestigieuses qui lui permettent de se consacrer exclusivement à l’écriture. Touche-à-tout brillante, dramaturge aux centres d’intérêts multiples, elle produit un nombre de travaux impressionnant.

Frida EKOTTO

KENNEDY, Margaret [LONDRES 1896 - ADDERBURY, OXFORDSHIRE 1967]

Romancière britannique.

Née d’un père homme de loi écossais et d’une mère issue d’une famille d’artistes, Margaret Kennedy écrit dès 1912 pour le magazine de son école. Elle étudie l’histoire à Oxford, devient pianiste. A Century of Revolution (1922), un manuel d’histoire, est suivi, en 1923 de son premier livre de fiction, The Ladies of Lyondon. Son deuxième roman, La Nymphe au cœur fidèle (1924), lui assure succès et notoriété – Jean Giraudoux l’adapte en français pour la scène en 1934 sous le titre de Tessa – et ses autres romans, traitant d’adultères, d’enfants illégitimes ou de libre sexualité, connaissent un certain succès de scandale. En tout, elle publie 17 romans, deux recueils de nouvelles, cinq pièces de théâtre et quatre biographies. Dans un essai sur l’écriture du roman, The Outlaws of Parnassus (« les hors-la-loi du Parnasse », 1958), elle défend le plaisir du lecteur. On peut certes critiquer ses écrits pour la superficialité des intrigues et leur absence d’unité et de vérité psychologique, mais M. Kennedy n’en fait pas moins œuvre de pionnière dans sa défense des femmes soumises aux idées toutes faites et déchirées entre ambitions personnelles et devoirs domestiques, dans sa dénonciation de l’esprit victorien et sa satire de la respectabilité edwardienne.

Michel REMY

La Nymphe au cœur fidèle (The Constant Nymph, 1925), Paris, Plon, 1962.

POWELL V., The Constant Novelist : A Study of Margaret Kennedy 1896-1967, Londres, Heinemann, 1983.

KENTER, Yildiz [ISTANBUL 1928]

Actrice et metteuse en scène turque.

Issue de la classe moyenne, Yildiz Kenter connaît une jeunesse difficile qu’elle raconte par la suite dans une pièce, Hep ask vardi (« il y avait toujours de l’amour »). Elle trouve sa voie au tout nouveau conservatoire d’Ankara en 1945 auprès du professeur Carl Ebert, émigré allemand et ancien acteur sous la direction de Max Reinhardt. Une fois diplômée, elle entre au théâtre national d’Ankara où elle reste pendant onze ans. Elle tient son premier rôle professionnel dans La Nuit des rois, où elle joue Olivia. En 1950, elle reçoit une bourse Rockefeller pour aller étudier les méthodes de jeu américaines. De retour en Turquie, elle décide de monter à Istanbul sa propre compagnie avec son frère, l’acteur Musfik Kenter, et son mari, Sukran Gungor. Après plusieurs années de tournées, notamment en Europe et aux États-Unis, la troupe Kenter construit son propre théâtre au centre d’Istanbul. La salle est inaugurée en 1968, avec Hamlet. Devenue depuis lieu de culture, elle offre à la classe moyenne un accès au grand répertoire, mais également au théâtre turc et à des spécimens du nouveau théâtre : La Paix du dimanche (Look Back in Anger) de John Osborne en 1960 ; Qui a peur de Virginia Woolf ? d’Edward Albee en 1963 ; L’Opéra de quat’sous de Bertolt Brecht en 1964, qui est l’une des premières pièces de l’auteur jouées en Turquie ; ainsi que des pièces de Brian Friel, d’Arthur Miller, de Tchekhov, d’Athol Fugard, ou encore de Martin McDonagh. Y. Kenter, toujours dans les premiers rôles, joue une centaine de pièces et en dirige un grand nombre. Elle enseigne par ailleurs pendant plus de quatre décennies au conservatoire national d’art dramatique d’Istanbul. Tout au long de sa carrière, elle reçoit de nombreux prix dans son pays et à l’étranger, et se voit décerner, en 1998, le titre d’Artiste nationale.

Aysin CANDAN

KENT SIANO, Victoria [MÁLAGA 1892 - NEW YORK 1987]

Avocate et femme politique espagnole.

Issue d’un milieu de commerçants, Victoria Kent obtient en 1924 un doctorat de droit à Madrid. Elle est la figure même de la moderna (femme moderne) des années 1920 : première inscrite à la Residencia de señoritas foyer intellectuel et féministe –, membre en 1919 de la première organisation féministe l’Asociacíon nacional de mujeres españolas* (ANME) et de sa filiale la Jeunesse universitaire féminine, cofondatrice du Lyceum club femenino en 1926 et de l’Institut international des unions intellectuelles. Elle est la première femme à plaider devant un tribunal suprême militaire en défendant Álvaro de Albornoz à la suite du soulèvement de décembre 1930. Membre du Parti républicain radical-socialiste, elle y crée une section féminine. En avril 1931, la IIe République fait d’elle la première directrice des prisons ; émule de Concepción Arenal*, elle révolutionne le fonctionnement carcéral (fermeture des prisons insalubres, libre lecture de la presse, suppression des grilles, mesures pour la réinsertion des détenus). Députée en juin 1931, elle s’oppose à la suffragiste Clara Campoamor* en refusant le droit de vote aux femmes, qu’elle juge conservatrices, cléricales, ignorantes et donc dangereuses pour la République. Elle démissionne de sa fonction pénitentiaire en 1932 et est alors membre du Patronato (« patronage ») de protección de la mujer. Candidate du parti de la gauche républicaine, elle est battue en 1933, mais élue en février 1936, avec la victoire du Frente popular (Front populaire). Durant la guerre civile, secrétaire à l’ambassade d’Espagne de Paris, elle est déléguée du Conseil national de l’enfance évacuée. Traquée par l’État français, sur demande de Franco, elle vit cachée à Paris à partir de 1940 et écrit Cuatro años en Paris, 1940-1944 (1947) ; condamnée à trente ans de prison en Espagne, elle cofonde en France en 1944 l’Union des intellectuels espagnols. Puis, à Mexico, directrice de l’école de droit pour le personnel pénitencier (1948), elle cesse de militer pour la gauche républicaine et devient en 1950 membre de la section de Défense sociale des Nations unies à New York et, deux ans plus tard, conseillère du gouvernement républicain en exil. Elle en démissionne en 1954 et fonde le bulletin antifranquiste et antisalazariste Ibérica, qui paraît jusqu’à la mort de Franco, en 1975. En 1960, elle est conseillère de l’Acción republicana democrática de España (ARDE) créée à Paris. Après un bref séjour en Espagne en 1977, elle s’installe définitivement à New York.

Yannick RIPA

GUTIÉRREZ VEGA Z., Victoria Kent. Una vida al servicio del humanismo liberal, Malága, Universitad de Málaga, 2001 ; RAMOS M. D., Victoria Kent (1892-1987), Madrid, Ed. del orto, 2000 ; TELO M., Concepción Arenal y Victoria Kent, las prisiones. Vida y obra, Madrid, Instituto de la mujer, 1995.

KENYON, Cynthia Jane TATS-UNIS V. 1955]

Biologiste américaine.

Chercheuse en biochimie et biophysique, professeure de médecine, Cynthia Jane Kenyon est connue pour avoir, la première, découvert qu’il était possible d’agir biologiquement sur le vieillissement en altérant certains gènes. Diplômée de l’université de Georgia en 1976, elle sort major de sa promotion en chimie et biochimie. Elle obtient en 1981 son doctorat au Massachusetts Institute of Technology (MIT) à Boston, et mène des études pionnières sur les gènes au sein du laboratoire de Graham Walker. Elle rejoint alors le Laboratoire de biologie moléculaire à Cambridge, en Angleterre, où elle travaille auprès du Prix Nobel Syney Brenner sur le développement et la génétique du ver nématode Caenorhabditis elegans, puis retourne aux États-Unis en 1986 enseigner à l’université de Californie à San Francisco (UCSF). En 1993, elle découvre que la mutation d’un seul gène, le DAF-2, multiplie par deux la durée de vie du C. elegans. Par cette découverte majeure suivie de très nombreuses publications dans les revues scientifiques les plus prestigieuses et de conférences notoires (Harvey Lecture, Darwin Lecture), elle ouvre la voie à d’intensives recherches sur la biologie humaine des mécanismes de vieillissement et leur réversibilité. En 2004, elle cofonde et dirige Elixir Pharmaceuticals, une société de biotechnologie dont la vocation est de développer des médicaments s’attaquant aux modifications provoquées par l’âge. Elle dirige également divers organismes de recherche dont le Centre Hillblom (UCSF) où elle forme des dizaines de doctorants et postdoctorants. Professeure-chercheuse de l’American Cancer Society (UCSF), elle est membre de l’Académie nationale des sciences des États-Unis. Elle a reçu de nombreux prix et distinctions internationales récompensant les découvertes scientifiques majeures.

Michèle IDELS

KERALIO, Louise-Félicité GUINEMENT DE (épouse ROBERT) [VALENCE 1758 - BRUXELLES 1822]

Écrivaine et historienne française

Féministe, traductrice et historienne, Louise de Kéralio est la fille de Marie-Françoise Abeille de Kéralio*. Fait exceptionnel, elle est admise à l’académie d’Arras en 1785. Son apport le plus important est la Collection des meilleurs ouvrages françois, composés par des femmes, dédiés aux femmes françoises, 14 volumes compilés de 1786 à 1789. Dès le début de la Révolution, elle fonde Le Journal d’État et du citoyen dont elle est – et c’est une première – la rédactrice en chef, ce qui fait d’elle la cible de nombreux pamphlets misogynes. Elle fonde alors un nouveau journal, qu’elle codirige avec son père et son mari. Dans son Adresse aux femmes de Montauban (1790), elle déclare à celles qui ont participé activement au massacre de protestants qu’elles ont ainsi « dépassé les bornes de leur sexe ». « Femmes, dit-elle, entendez la voix de l’humanité.» Outre la compilation déjà citée, L. de Kéralio est l’auteure de deux importantes études historiques, dont l’Histoire d’Élisabeth, reine d’Angleterre (1786), qui dut se battre contre les puissants pour conserver son trône. Elle a également fait paraître deux romans, Adelaïde, ou Mémoires de la marquise de M*** (1782), et Amélia et Caroline, ou l’Amour et l’Amitié (1808).

François LE GUENNEC

GEFFROY A., « Louise de Kéralio, traductrice, éditrice, historienne et journaliste, avant 1789 », in BROUARD-ARENDS I. (dir.), Lectrices d’Ancien Régime, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2003.

KÉRALIO, Marie-Françoise DE (née ABEILLE) [XVIIIsiècle]

Romancière française.

Issue d’une famille de Rennes, Marie-Françoise Abeille reçoit une éducation libérale qui lui donne le goût de la littérature. Jeune femme cultivée, elle reste toutefois dans l’ombre de son mari, l’écrivain Louis-Félix Guynement de Kéralio (1732-1793), auteur d’ouvrages historiques, de traductions d’ouvrages allemands et rédacteur au Journal des savants, puis au Mercure national. Elle est la mère de la célèbre journaliste Louise-Félicité de Kéralio Robert, qui est reçue membre honoraire de l’académie d’Arras (18 avr. 1789) par Robespierre. M.-F. de Kéralio propose en 1759 la traduction des écrits du poète anglais John Gay, Fables, suivies du poème de l’Éventail, dont Fortunée Briquet relève la fidélité et l’élégance. Par la suite, elle édite un roman, Les Succès d’un fat (1762), dans lequel elle condamne la mondanité, les intrigues galantes et la corruption morale de l’aristocratie. On lui attribue peut-être à tort un roman à clés plus tardif, Les Visites de Mlle D** K*** (1792), qui recrée l’univers mondain de l’aristocratie sous la Révolution.

Huguette KRIEF

BRIQUET F., Dictionnaire historique, littéraire et bibliographique des Françaises et des étrangères naturalisées en France, Paris, Treuttel et Würtz, 1804 ; KRIEF H., Vivre libre et écrire, anthologie des romancières de la période révolutionnaire 1789-1900, Oxford, Voltaire Foundation, 2005.

KERBER, Linda K. [NEW YORK 1940]

Historienne américaine.

Titulaire d’un bachelor de Barnard College en civilisation américaine, Linda K. Kerber obtient un doctorat d’histoire de Columbia University en 1968. Elle expliquera plus tard que ces deux établissements faisaient partie des rares institutions universitaires d’élite à ne pas avoir de quotas d’étudiants juifs. Elle ne reçoit aucun enseignement en histoire des femmes mais fait pourtant dans ce domaine ses meilleurs travaux de recherche. Sa thèse de doctorat sur les oppositions fédéralistes à Thomas Jefferson est publiée en 1970 sous le titre Federalists in Dissent : Imagery and Ideology in Jeffersonian America (1970). Après plusieurs emplois temporaires, elle commence à enseigner en 1971 à l’université d’Iowa, où son mari, cardiologue, a un poste en médecine. Elle publie en 1980 Women of the Republic : Intellect and Ideology in Revolutionary America qui décrit tout à la fois les handicaps politiques des femmes et leur représentation comme symbole de la nouvelle union. Cette étude novatrice est suivie d’une anthologie intitulée Women’s America : Refocusing the Past. En 1998, No Constitutional Right to Be Ladies : Women and the Obligations of Citizenship s’appuie sur une série de procès pour analyser ce que signifient respectivement, pour les hommes et pour les femmes, les obligations citoyennes que sont le paiement des impôts ou la possibilité d’être jurés. Conséquence de son intérêt croissant pour le droit et de son expérience d’enseignement aux étudiants de cette discipline, cet ouvrage reçoit de nombreux prix. L. Kerber préside le département d’histoire de son université, l’Organisation des historiens américains et la prestigieuse American Historical Association.

Bonnie SMITH

KERBER L., « On the importance of taking notes (and keeping them) », in BORIS E., CHAUDHURI N. (dir.), Voices of Women Historians : The Personal, The Political, The Professional, Bloomington, Indiana University Press, 1999.

KERBRAT-ORECCHIONI, Catherine [1943]

Linguiste française.

Agrégée de grammaire en 1966, Catherine Kerbrat-Orecchioni soutient une thèse de sémantique en 1977 à l’université Lyon 2 (où elle mènera toute sa carrière universitaire), qu’elle situe d’emblée dans la perspective de la linguistique de l’énonciation. La même année, elle en publie une version abrégée, centrée sur le phénomène de La Connotation. L’enjeu consiste alors à renouveler la conception de Hjelmslev, que la sémiologie de Barthes avait rendue célèbre, et à dépasser la théorie classique du signe pour rendre compte de l’émergence du sens dans des contextes communicationnels, ceux dont la description met en jeu une dimension extra-linguistique. Ainsi, dès 1980, L’Énonciation, de la subjectivité dans le langage, qui s’imposera comme l’ouvrage le plus marquant de la linguiste, ne s’arrête pas au relevé des déictiques, et autres subjectivèmes en langue, mais envisage la manière dont les considérations énonciatives et pragmatiques fondent une typologie des énoncés. De la sémantique à la pragmatique, l’objet privilégié de C. Kerbrat-Orecchioni devient celui des interactions ; verbal et non verbal, oral ou écrit, ordinaire ou littéraire, le discours en interaction est aussi bien l’expression de la rue, de la famille ou du commerce, que l’enjeu de la scène théâtrale, de la fable et du roman. Ces travaux prennent place dans le groupe de recherches qu’elle dirige au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) de 1983 à 1999.

L’approche de C. Kerbrat-Orecchioni, plus large que l’analyse conversationnelle par la prise en compte des variations culturelles, est aussi plus spécifique que l’analyse de discours. C’est le dialogal, interactif, qui en constitue le centre et fait l’originalité de la démarche. Elle oriente actuellement ses recherches vers les négociations interactionnelles.

Florence DE CHALONGE

Les Interactions verbales, 3 t., Paris, A. Colin, 1990-1994 ; La Question, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1991 ; Le Trilogue, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1995 ; La Déclaration d’amour, Gênes, Erga, 1998 ; Le Discours en interaction, Paris, A. Colin, 2005.

KEREN ANN (Keren Ann ZEIDEL, dite) [CÉSARÉE, ISRAËL 1974]

Auteure-compositrice-interprète néerlandaise.

Après une enfance passée entre Tel-Aviv et La Haye, Keren Ann arrive en 1985 à Paris. En 1997, elle se fait connaître grâce au cinéma : elle compose K, chanson de la bande originale du film d’Alexandre Arcady. En 2000, elle se joint à Benjamin Biolay pour composer l’album Chambre avec vue, interprété par Henri Salvador, dont le triomphe aux Victoires de la musique contribuera à la révéler auprès du public français. Parallèlement, elle enregistre son premier opus La Biographie de Luka Philipsen, suivi de La Disparition en 2002. L’année suivante, elle expérimente le duo (Lady & Bird) en s’associant avec le chanteur islandais Bardi Johansson. En 2004, son premier album en anglais Not Going Anywhere, suivi de Nolita, est produit à New York. En 2010, elle renoue avec le cinéma : elle dirige la bande originale du film Thelma, Louise et Chantal de Benoît Pétré. Symbole discret de la nouvelle scène française, elle dévoile au public un univers personnel mélancolique, pétri de musique traditionnelle yiddish, de pop et de folk (Ailleurs ; Au coin du monde ; La Corde et les Chaussons…), et propose à ses interprètes une plume sensible.

Anne-Claire DUGAS

La Disparition, EMI, 2004.

KERGOMARD, Pauline (née RECLUS) [BORDEAUX 1838 - SAINT-MAURICE 1925]

Éducatrice, fondatrice de l’école maternelle et journaliste française.

Née dans une famille protestante, orpheline de mère à 10 ans, Pauline Kergomard vit un temps chez son oncle, pasteur, et sa tante, enseignante. Son père, Jean Reclus, est le premier inspecteur de l’enseignement primaire nommé en France. Elle gardera de cette éducation le goût de la rigueur et de la transmission du savoir. À l’âge de 18 ans, elle obtient le brevet de capacité lui donnant le droit d’enseigner dans le privé et fonde, en 1861, un cours libre pour jeunes filles à Paris. Grâce à l’appui de Jules Ferry et de Ferdinand Buisson, elle devient en 1879 déléguée pour l’inspection des salles d’asile – nom donné aux premières écoles maternelles –, puis, deux ans plus tard, inspectrice générale. Elle est l’instigatrice de la loi du 2 août 1881 substituant l’école maternelle à l’asile, pour rendre l’éducation des jeunes enfants moins rigide et surtout plus ludique. Choquée par l’absence d’hygiène et par le manque d’amour dont sont victimes les enfants, elle passe peu à peu de l’inspection de contrôle à la formation des enseignantes et des directrices d’écoles maternelles. À cette époque, ces fonctions restent très modestes et peu rétribuées. Pourtant, par son dévouement à la cause des enfants, P. Kergomard va leur donner des lettres de noblesse. Pendant près de vingt-huit ans, elle lutte contre les préjugés et l’ignorance. Auteure de plusieurs ouvrages et d’articles de presse consacrés à l’éducation, elle se voit confier par Hachette, en 1881, la direction du journal LAmi de l’enfance, revue pour les salles d’asile, dont elle compilera les articles dans LÉducation maternelle dans l’école.

En 1887, elle crée avec Caroline de Barrau l’Union française pour le sauvetage de l’enfance. Elle siège au sein du comité organisateur de la Société contre la mendicité des enfants (1891), dont elle rédige le bulletin pendant plus de vingt ans. Elle participe à la création de la Société libre pour l’étude de la psychologie de l’enfant (1899). Républicaine convaincue, dreyfusarde et pacifiste, elle est aussi une ardente féministe militante pour l’égalité intellectuelle et morale des deux sexes. Elle collabore à La Fronde de Marguerite Durand* et à d’autres journaux (L’Éducation enfantine, La Dépêche de Toulouse). Membre du Conseil national des femmes françaises – dont elle préside la section Éducation –, elle en devient membre d’honneur en 1901. Femme hors du commun, P. Kergomard a grandement œuvré pour l’humanisation et la modernisation de l’éducation ; elle a aussi contribué à bousculer les opinions de son époque sur la place des femmes dans la société. Pour honorer sa mémoire, son nom est donné à de très nombreuses écoles maternelles.

Alexandra BRUNOIS

L’Éducation maternelle dans l’école (2 vol., 1886-1895), Paris, Faber, 2009 ; Heureuse rencontre, Paris, Hachette, 1895 ; Les Écoles maternelles de 1837 jusqu’en 1910, aperçu rapide, Paris, Nathan, 1910 ; L’Enfant de deux à six ans, notes de pédagogie pratique, Paris, Nathan, 1928.