RAAB, Esther [PETAH-TIKVA 1894 - TEL-AVIV 1981]

Poétesse israélienne.

Fille d’une famille fondatrice du village agricole Petah-Tikva, Esther Raab rejoint le kibboutz Degania, près de la mer de Galilée, en 1913 et, pendant la Grande Guerre, rallie une commune ouvrière. Dès 1919, elle travaille en tant que professeure et écrit ses premiers poèmes, publiés en 1922. Par la suite elle s’établit à Tel-Aviv, où sa maison devient un lieu de rencontre d’auteurs et de peintres. Première poétesse en hébreu moderne native du pays d’Israël, auteure de prose et de poésie, elle compte parmi les représentantes littéraires les plus fines de la génération des pères fondateurs d’Israël. Cependant, son œuvre, lexicalement, est peuplée d’images masculines : entre autres, elle fait de son père un personnage mythique, décrit la terre du pays comme une femme désirée par « le jour blanc » et use très souvent de versets bibliques et d’expressions tirées de la prière juive quotidienne. La nature occupe une place importante dans sa poésie, où le paysage sauvage et primaire est une vraie source d’inspiration, en opposition à l’urbanisation de Tel-Aviv.

Masha ITZHAKI

Kimshonim, Tel-Aviv, Hazim, 1930 ; Shirei Esther Raab, Tel-Aviv, Massada, 1964 ; Tefilah aharonah, Tel-Aviv, Am oved, 1972 ; Gan she-harav, Tel-Aviv, Sifriat tarmil, 1983 ; Kol ha-shirim, Tel-Aviv, Zmora bitan, 1988.

RĀBI‘A AL-‘ADAWIYYA [BASRA, IRAK 714 - ID. 801]

Mystique musulmane soufie.

Esclave et musicienne (elle jouait de la flûte), Rābi‘a al-‘Adawiyya se livra de plus en plus à l’ascèse. Selon la tradition, son maître l’affranchit après avoir vu une lumière qui brillait au-dessus de sa tête, alors qu’elle priait. Certains ont dit qu’elle aurait mené une vie dissolue avant une « conversion » – phénomène fréquent dans les vocations mystiques –, mais la plupart des biographies indiquent qu’il s’agissait en fait d’un renoncement au monde : sollicitée par des hommes en vue, elle refusa le mariage pour se consacrer à Dieu. Rābi‘a al-‘Adawiyya invitait à un amour désintéressé, exclusif de Dieu. Ne transigeant pas avec le monde créé, pas même avec la Kaaba, qu’elle qualifiait d’« idole adorée sur terre », elle pourfendit l’ascèse qui préconise un rejet du monde ayant pour corollaire un désir quasi sensuel du paradis. Le paradis et l’enfer sont des voiles dans la quête de Dieu. C’est ce qu’exprime sa prière : « Mon Dieu, si je T’adore par crainte de ton enfer, brûle-moi dans ses flammes, et si je T’adore par convoitise de Ton paradis, alors prive-m’en. Je ne T’adore, Seigneur, que pour toi, car tu mérites l’adoration. Alors ne me refuse pas la contemplation de Ta face majestueuse. » Les premiers soufis irakiens se rendirent nombreux à son ermitage. Elle eut beaucoup de disciples hommes, tels Mālik Ibn Dīnār, Sufyān al-Thawrī et Shaqīq al-Balkhī, et fut même qualifiée de « diadème des hommes de Dieu » (tāj al-rijāl). Sa doctrine du « pur amour de Dieu » se fonde notamment sur la sourate 5, verset 54 : « Il [Dieu] les aime et ils L’aiment. » L’amour de Dieu pour les hommes précède toujours celui qu’ils peuvent lui rendre. Cette doctrine est parvenue à la cour de Saint Louis par son chroniqueur et ami Jean de Joinville (1225-1317). La figure mythifiée de Rābi‘a al-‘Adawiyya a encore nourri le débat théologique sur l’amour de Dieu qui agita la France au XVIIe siècle. On trouve également écho de sa légende dorée et de ses options spirituelles dans une nouvelle allemande du XXe siècle : Die schönen Hände, de Max Mell. Elle reste à ce jour la sainte musulmane la plus renommée. Un film égyptien raconte son histoire (1960).

Eric GEOFFROY

Chants de la recluse, Paris, Arfuyen, 1988.

ANNESTAY J., Une femme soufie en islam, Râbi‘a al-‘Adawiyya, Paris, Entrelacs, 2009 ; BENGHAL J.-E., La Vie de Râbi‘a al-‘Adawiyya, une sainte musulmane du VIIIe siècle, Paris, Éditions Iqra, 2000.

RABIKOVITZ, Dalia [RAMAT-GAN 1936 - TEL-AVIV 2005]

Poétesse israélienne.

Après avoir étudié à l’Université hébraïque de Jérusalem et à Oxford, Dalia Rabikovitz travailla comme journaliste et professeure de lycée. Son premier recueil de poèmes, Ahavat tapouah hazahav (« l’amour d’une pomme d’or »), publié en 1958, manifeste déjà une perfection poétique rare et passionne immédiatement les lecteurs israéliens. Très marquée lors de son enfance par la mort soudaine de son père, elle créa un univers intime, celui d’une « poupée mécanique », brisée, dont la reconstruction, douloureuse, est inachevée. Elle décrit un vécu intériorisé dans un langage littéraire très riche, basé sur la Bible et des sources traditionnelles postérieures ainsi que sur l’hébreu parlé. Dans les recueils suivants – Horef kasheh (« un hiver difficile », 1964) ; Ha-sefer ha-shlishi (« le troisième livre », 1969) ; Ahavah amitit (« un amour vrai », 1987) ; Ima im yeled (« mère d’un enfant », 1992) –, en exprimant la sensation de la perte et la souffrance à travers un minimalisme existentiel, elle crée un impact émotionnel immédiat et puissant. À partir des années 1980, surtout lors de la guerre du Liban, elle participe à l’entrée de la poésie israélienne sur la scène politique : elle exprime sa propre douleur dans des poèmes directs écrits en style prosaïque, véritables cris nés de son identification avec la souffrance humaine des vaincus. D. Rabikovitz a aussi publié de nombreux livres pour enfants et trois recueils de nouvelles, dont le dernier, paru en 2005, est posthume. Une anthologie de ses poèmes en anglais est parue en 1989 à New York. On lui doit également des traductions de Yeats et de T. S. Eliot. Considérée comme l’un des poètes israéliens les plus importants, elle a été lauréate de plusieurs prix littéraires prestigieux, dont le prix d’Israël en 1998.

Masha ITZHAKI

Marina Haddad, Asnières-sur-Seine, Nitabah, 2008.

Kol ha-shirim ‘ad ko, Tel-Aviv, Hakibbutz ha-meouhad, 1995 ; Shirim 1995-2005, Tel-Aviv, Hakibbutz ha-meouhad, 2006.

MOSES E. (dir.), Anthologie de la poésie en hébreu moderne, Paris, Gallimard, 2001.

RABY, Fiona [SINGAPOUR 1964]

Designer et architecte britannique.

Étudiante en architecture au Royal College of Art, Fiona Raby rencontre en 1986 Anthony Dunne, du département design. Diplômée en 1988, elle part avec lui au Japon et travaille dans l’agence Kei’ichi Irie Architects à Tokyo. Elle collabore avec Toyo Ito pour l’exposition Vision of Japan en 1992 au Victoria & Albert Museum. Après dix ans d’enseignement en architecture et un doctorat en design numérique, F. Raby intègre au Royal College le département de design interactif dont elle est une des fondatrices. Les évolutions électroniques et leurs conséquences sont interrogées au travers d’objets touchant au confort et à l’intimité, à l’heure où la surveillance électronique, les modifications biologiques du corps et les maladies se font plus inquiétantes. F. Raby préfère le contexte de l’objet, les systèmes, les réseaux et les distances aux objets eux-mêmes, dont se préoccupe Dunne. Cette alliance permet des projets radicaux, avec des débats entre les designers, l’industrie et le public au sujet des technologies existantes ou émergentes. Avec de nombreux médias (objets, installations, vidéos, expositions, écrits), ils pointent les craintes paranoïaques d’une manière ludique et drôle. Faraday Chair (1995) est un caisson de repos qui protège des champs électromagnétiques émis par l’ordinateur et le téléphone portable, Placebo une collection d’objets électroniques qui explorent le bien-être en réagissant aux champs électromagnétiques domestiques (2001). Evidence Dolls (2005), dans l’exposition D Day, au centre Georges-Pompidou, permet d’inscrire les codes génétiques des partenaires sexuels. Technological Dreams Series : n° 1, Robots (2007) tente des formes simplifiées pour des robots dans une relation sensible à l’environnement. Son travail est présent dans les collections du MoMA, au Victoria & Albert Museum, au Fonds régional d’art contemporain (Frac) Île-de-France, au Fonds national d’art contemporain (Fnac) et dans des collections privées.

Jeanne QUÉHEILLARD

Avec DUNNE A., Design Noir. The Secret Life of Electronic Objects, Londres/Bâle, August/Birkhäuser, 2001.

BARLEY N., Lost and Found. Objets trouvés, design britannique critique, Bâle/Londres, Birkhaüser/The British Council, 1999 ; DUNNE A., Hertzian Tales : A Combination of Essays and Design Proposals Exploring Aesthetic and Critical Possibilities for Electronic Products, New York, MIT Press, 2005 ; POYNOR R., La Loi du plus fort, la société de l’image, Paris, Pyramyd, 2002.

RACHED, Choubeila (Fatma ABBÈS, dite) [TUNIS 1933 - ID. 2008]

Chanteuse tunisienne.

Fille de la chanteuse Saliha*, vénérée pour son répertoire traditionnel pastoral, Choubeila Rached voit ses intentions artistiques contrariées par sa mère qui souhaite qu’elle entreprenne des études. Lors d’un mariage, sa voix puissante et modulée fascine le directeur de la Rachidia – association culturelle et artistique destinée à promouvoir la chanson tunisienne. Il persuade Saliha d’y inscrire sa fille ; sa carrière musicale débute donc en 1951 avec la complicité du compositeur Khemaïs Tarnane et du musicologue Salah El Mahdi qui lui proposent un répertoire modernisé de malouf, musique arabo-andalouse traditionnelle. En 1953, son mariage avec un homme conservateur met un point final à toute activité professionnelle et artistique. Dix-sept ans plus tard, elle divorce et relance sa carrière grâce à trois personnes convaincues de son talent, le compositeur et chef d’orchestre Abdelhamid Ben Aljia, le producteur de télévision Nourreddine El Fitni et l’animatrice de radio Najoua Ikram. Elle renoue ainsi avec la scène, et enregistre une quarantaine de chansons dont certaines appartiennent aujourd’hui au patrimoine musical tunisien.

Anne-Claire DUGAS

RACHEL (Rahel BLUWSTEIN, dite) [SARATOV, RUSSIE 1890 - TEL-AVIV 1931]

Poétesse russe de langue hébraïque.

Rachel, ou Rahel, écrit des poèmes en russe dès l’âge de 15 ans, mais part à Kiev, en Ukraine, à 17 ans, pour étudier la peinture. En 1909, elle visite la Palestine et décide de s’y installer. Elle habite à Rehovot où elle enseigne dans un jardin d’enfants. Son désir le plus cher étant de travailler la terre, elle quitte provisoirement la Palestine, en 1913, pour étudier l’agronomie à Toulouse. La Première Guerre mondiale éclate, et Rachel, ne pouvant rentrer en Palestine, retourne en Russie. Puis, en 1919, revenue en Palestine, elle choisit de vivre à Degania, le premier kibboutz fondé au bord du lac de Tibériade, auquel elle consacre plusieurs poèmes. Peu de temps après, on découvre qu’elle est atteinte de tuberculose. Obligée de quitter le kibboutz, c’est entre Safed, Jérusalem et Tel-Aviv qu’elle passe ses dernières années. Elle publie deux recueils de poèmes : Regain (1927) et Mineged (« à distance », 1930) ; puis, à titre posthume, le recueil Nebo est publié en 1932. Les titres de ces deux derniers recueils sont inspirés par l’histoire de Moïse, qui vit la terre d’Israël, sans pouvoir y entrer, depuis le mont Nébo. Ils font allusion à la vie tragique de la poétesse qui n’a pu réaliser ses aspirations et ses rêves. En 1935, l’ensemble de son œuvre est réuni pour la première fois en un volume intitulé Shirat Rachel (« la poésie de Rachel »). Ses premiers poèmes chantent l’amour du pays d’Israël et le travail de la terre. Par la suite, d’autres thèmes voient le jour, parmi lesquels la solitude, les amours déçues, le désir inassouvi d’un enfant. Influencés à la fois par la Bible et la poésie russe, ses poèmes se caractérisent par un lyrisme simple, une langue claire et très mélodieuse. Très populaires en Israël, ils sont toujours étudiés à l’école, mis en musique et chantés par tous les Israéliens.

Lily PERLEMUTER

Regain (Safiah, 1927), Paris/Orbey, Arfuyen, 2006.

ORNER, E. (dir.), Chacune a un nom, femmes poètes et artistes en Israël, Paris, Caractères, 2008.

RACHEL (Élisabeth FÉLIX, dite Mlle) [ENVIRONS D’AARAU, SUISSE V. 1821 - LE CANNET, FRANCE 1858]

Actrice française.

« Mademoiselle Rachel joue la tragédie comme si elle l’inventait. Il y a deux siècles que l’on n’a pas vu pareil miracle en France », disait Stendhal. Née d’une famille de pauvres colporteurs juifs fixés à Paris, Rachel est d’abord remarquée par le comédien Saint-Aulaire. Après un bref passage au Conservatoire, le Comédien-Français Joseph-Isidore Samson poursuit sa formation et développe ses qualités innées pour la tragédie. Il favorise ses débuts à la Comédie-Française en 1838 dans les rôles de Camille dans Horace et d’Émilie dans Cinna de Pierre Corneille, salués par Jules Janin et Alfred de Musset. Grâce à une maîtrise technique professionnelle enseignée par J.-I. Samson, elle transforme en qualité l’insignifiance de son apparence compensée par un feu intérieur qui l’anime d’une étrange beauté. Rachel va ainsi assurer le triomphe de la tragédie classique dont le renouveau consacre le déclin du drame romantique. Toutes les grandes héroïnes tragiques revêtent ses traits, mais elle joue aussi dans des drames contemporains écrits pour elle, comme Adrienne Lecouvreur* d’Eugène Scribe et Ernest Legouvé, à laquelle elle s’identifie ; Judith de Delphine Gay de Girardin* ; Marie Stuart* de Pierre-Antoine Lebrun, et dans quelques pièces romantiques, comme Mademoiselle de Belle-Isle d’Alexandre Dumas père ou Angelo, tyran de Padoue de Victor Hugo. Rare concession à la comédie, Rachel s’illustre dans un acte composé pour elle par Armand Barthet, Le Moineau de Lesbie, très applaudi. La nomination d’Arsène Houssaye, son protégé, comme administrateur de la Comédie-Française, favorise une situation de pensionnaire sur mesure dans des conditions financières inouïes. Elle parcourt alors l’Europe et la Russie en 1853, multiplie les triomphes avant un déclin provoqué par la maladie. Malgré la perte de sa sœur préférée, Rébecca Félix, nommée sociétaire, comme la cadette Dinah, malgré la phtisie qui la mine, elle fait une ultime création sur la scène du Français, La Czarine de Scribe. Le Conservatoire où elle a été nommée ne la verra jamais. Le succès de la tournée d’Adelaide Ristori*, sa rivale italienne, l’incite à partir aux États-Unis. Considérée comme la plus grande tragédienne de son temps, elle est inhumée au Père-Lachaise, accompagnée par des milliers d’admirateurs.

Noëlle GUIBERT

CHEVALLEY S., Rachel : « J’ai porté mon nom aussi loin que j’ai pu », Paris, Calmann-Lévy, 1989.

RACHILDE (Marguerite EYMERY, dite) [HAMEAU DU CROS 1860 - PARIS 1953]

Romancière française.

Née près de Périgueux d’une mère excentrique adepte du spiritisme et d’un officier militaire taciturne qui voulait un fils, Marguerite Eymery vit une adolescence difficile et compense sa solitude en lisant beaucoup, y compris Voltaire et Sade, et en s’entourant de bêtes sauvages (hibou, couleuvre, souris…) qui lui tiennent lieu d’amis. À 12 ans, elle écrit son premier conte, La Création de l’oiseau-mouche. Suivent, de 1877 à 1884, plus d’une centaine de contes et articles publiés pour la plupart dans des journaux régionaux. Deux événements marquent son adolescence : elle refuse, avec tentative de suicide à la clé, un fiancé militaire choisi par son père. Elle adopte le pseudonyme Rachilde, nom d’un gentilhomme suédois du XVIe siècle, lors d’une séance de table tournante. Auteure de plus de 65 ouvrages, romancière, dramaturge, essayiste et journaliste, sa légende a été lancée par Monsieur Vénus, roman publié en 1884 à Bruxelles et condamné pour obscénité. Cette histoire d’amour, teintée de sadisme, entre une jeune aristocrate virile et un fleuriste-peintre efféminé, établit sa notoriété et annonce les deux thèmes caractéristiques de sa fiction : le renversement des relations de pouvoir entre les sexes et la fluidité de l’identité, que l’on retrouve par exemple dans La Marquise de Sade (1887), L’Animale (1893), La Princesse des ténèbres (1896), La Femme-dieu (1934). Elle semble affectionner les extrêmes antithétiques : si ses héroïnes bafouent la prétendue supériorité des hommes, Rachilde éreinte aussi la femme et ses prétentions féministes. Quant à la sexualité, ses livres, jugés pornographiques, ne font que suggérer des perversions car, dit-elle, « dans mes romans on ne couche pas ». Tout n’est pas pose et artifice décadent dans sa fiction. Les années 1880 et 1890 sont celles d’escarmouches amoureuses quelquefois déchirantes avec Catulle Mendès, l’éditeur Léo d’Orfer, Maurice Barrès et (peut-être) Gisèle d’Estoc, l’amante de Maupassant. Un mariage de raison (1889) avec Alfred Vallette, éditeur du Mercure de France (où Rachilde a tenu la critique des romans de 1893 à 1925), lui apporte une certaine stabilité quoique plusieurs de ses romans des années 1890 (L’Animale, La Princesse des ténèbres) mettent en scène des relations de couple exaspérées, sinon folles. Les « mardis décadents » de Rachilde accueillent, au 5, rue des Écoles, des figures telles que Jean Moréas, Jean Lorrain, Oscar Méténier et Laurent Tailhade. Plus tard, aux mardis du Mercure, elle reçoit « le Tout-Paris des lettres et des arts », dont Paul Valéry, Willy, Remy de Gourmont, Henri de Régnier, Marcel Schwob, Pierre Louÿs. Ce n’est qu’au début des années 1980 que cette auteure étonnamment prolixe, longtemps considérée comme une curiosité, est reconnue comme une voix authentique et singulière de la fin de siècle.

Michaël FINN

Les Hors-Nature (1897), Paris, Séguier, 1994 ; La Jongleuse (1900), Paris, Des Femmes-Antoinette Fouque, 1982 ; Mon étrange plaisir (1934), Paris, J. Losfeld, 1993 ; Théâtre (Madame la mort, Le Vendeur de soleil, La Voix du sang), Paris, Savine, 1891 ; Le Meneur de louves, Paris, Mercure de France, 1905 ; Les Rageac, Paris, Flammarion, 1921 ; Pourquoi je ne suis pas féministe, Paris, Éditions de France, 1928 ; Portraits d’homme, Paris, Mornay, 1929 ; Quand j’étais jeune, Paris, Mercure de France, 1947.

Rachilde-Maurice Barrès, Correspondance inédite 1885-1914, Finn M. (dir.) Brest, Faculté des Lettres, Centre d’étude des correspondances et journaux intimes des XIXe et XXe siècles, CNRS, 2002.

RADCLIFFE, Ann (née WARD) [LONDRES 1764 - ID. 1823]

Romancière britannique.

Née dans un milieu de modestes commerçants anglicans londoniens, c’est après son mariage, à l’âge de 22 ans, avec William Radcliffe, et sous les encouragements de cet étudiant en droit d’Oxford passionné de littérature, qu’Ann Radcliffe se met à écrire. Tandis que son époux dirige le journal English Chronicle, elle écrit ainsi son premier roman, qui se situe dans l’Écosse moyenâgeuse et donne le ton d’une œuvre exemplaire du roman gothique, peuplée de jeunes femmes innocentes et héroïques dans des environnements pittoresques mais lugubres, et qui a influencé des auteurs comme Jane Austen*, Mary Wollstonecraft* ou Walter Scott. Elle cesse brutalement d’écrire à l’âge de 32 ans, alors même qu’elle est l’un des écrivains les plus lus de son temps. Ses romans pleins de sensibilité et de suspense n’en dénoncent pas moins les excès des sentiments, comme c’est le cas dans Les Mystères d’Udolphe, écrit en 1794, un des ses romans resté parmi les plus célèbres et auquel font référence Herman Melville, Henry James ou Tom Stoppard. Jane Austen le parodie dans Northanger Abbey comme pur exemple des clichés qui nourrissent l’imagination des jeunes filles.

Geneviève CHEVALLIER

Le Roman de la forêt (The Romance of the Forest, 1790), Paris, Éditions Classiques Garnier, 2011 ; Les Mystères d’Udolphe (The Mysteries of Udolpho, 1794), Paris, Gallimard, 2001 ; L’Italien ou le Confessionnal des pénitents noirs (The Italian, or the Confessional of the Black Penitents, 1797), Paris, Presses de la Renaissance, 1977.

RADCLIFFE, Mary Ann [1746 - ÉDIMBOURG V. 1810]

Pamphlétaire et mémorialiste britannique.

On n’a peu de données biographiques sur Mary Ann Radcliffe, si ce n’est qu’elle se marie secrètement et s’enfuit avec son mari à l’âge de 15 ans, donne naissance à sept enfants, dont deux meurent en bas âge ; ruinée par son mari, elle doit vendre tous ses biens et trouver du travail à Londres avant de retourner à Édimbourg où elle devient gouvernante. Elle défraie la chronique en 1792 avec la publication de son manifeste féministe, The Female Advocate, or an Attempt to Recover the Rights of Woman from Male Usurpation, véritable cri d’indignation contre l’infériorisation des femmes dans leur difficile accès à un métier et à l’éducation, ce en quoi elle voit l’origine de la prostitution. Elle compose plusieurs poèmes et deux œuvres d’inspiration très différente, The Fate of Velina (« le destin de Velina », 1790), roman épistolaire, et Manfroné, or the One-handed Monk (« le moine manchot », 1809), roman gothique à la troisième personne. En 1810, vivant dans un certain dénuement et sentant venir la mort, elle rédige ses Mémoires, récit de ses malheurs et de ses combats. L’existence malmenée de M. A. Radcliffe peut expliquer le didactisme moralisateur de ses écrits, fondé sur l’angoisse de la séparation et le dilemme de ses héroïnes entre vertu et pièges du monde, qu’elle a vécus, et la question : comment attaquer les structures patriarcales tout en apprenant à y survivre ? Dans ses récits, le gothique semble bien être le véhicule du féminin dans sa représentation d’héroïnes prisonnières des hommes.

Michel REMY

The Female Advocate, or an Attempt to Recover the Rights of Woman from Male Usurpation, in LURIA G. (dir.), Feminist Controversy in England 1788-1810, New York, Garland Publishing, 1974.

RADCLYFFE-HALL, Marguerite VOIR HALL, Radclyffe

RADEGONDE [ERFURT 520 - POITIERS 587]

Sainte française.

Radegonde est une princesse de Thuringe, nièce de Clovis. Après l’assassinat de son père, Berthaire, elle est amenée à l’âge de 3 ans à la cour de Hermanfried, roi de Thuringe. Clotaire, le fils de Clovis, l’enlève à son ennemi lors de la guerre qu’il conduisait afin de réunir la Thuringe à la Bourgogne, et l’emmène à la cour. Elle a 11 ans. Elle est élevée très religieusement par Ingonde, la femme de Clotaire. À la mort de cette dernière, Clotaire décide d’épouser Radegonde contre son gré ; elle devient donc reine des Francs. Sur la terre de Saix, que lui a donnée son époux, elle rassemble tous les estropiés et les aveugles mendiants de la région, étudie leurs maladies et prend en charge leur traitement. De temps en temps, elle prend conseil auprès des médecins de la cour et leur montre ses malades. Elle devient rapidement très habile à poser des diagnostics et à traiter les petits maux. Après l’assassinat de son frère par Clotaire, elle entre en religion. Son zèle est excessif, elle embrassait, dit-on, les pieds de ses patients et séchait leurs blessures avec ses longs cheveux. En 542, elle part pour Poitiers où elle fonde le monastère Notre-Dame, qui devient plus tard le monastère Sainte-Croix. En 550, elle vend tous ses bijoux et fait construire un grand hôpital où elle prend soin des malades en même temps qu’elle instruit 200 infirmières. Celles-ci réduisent les fractures, nettoient les blessures, préparent des remèdes et font les pansements. Elles passent le temps qu’il leur reste à copier des manuscrits. De riches femmes donnent à Radegonde de l’argent pour son hôpital, et Clotaire lui-même reconnaît qu’elle n’a jamais besoin de rien. On dit d’elle qu’elle ne reculait devant le traitement d’aucune maladie. On rapporte que des guérisons miraculeuses eurent lieu près de son tombeau. Elle fut déclarée sainte peu de temps après sa mort.

Yvette SULTAN

VENANCE FORTUNAT, La Vie de sainte Radegonde, Favreau R. (éd.), Paris, Seuil, 1995.

RADIDEAU, Marguerite [PARIS 1907 - ID. 1978]

Athlète française.

Record du monde de sprint, Marguerite Radideau s’est également distinguée aux deuxièmes Jeux mondiaux féminins en 1926 en Suède. De 1924 à 1931, elle a engrangé 11 championnats nationaux et 11 sélections, à une époque où les confrontations internationales étaient peu nombreuses, ne redoutant pas d’affronter les meilleures. En ces temps où le programme des compétitions féminines était encore incertain et mouvant sur des distances parfois bâtardes, son registre alla du 50 et du 60 au 250 mètres. En 1926, elle a 19 ans lorsqu’elle participe à Göteborg, avec sept autres coéquipières, aux Jeux mondiaux féminins, qui succèdent à ceux de Paris quatre ans auparavant. Le premier jour, elle remporte sa série, puis en finale, elle se détache à mi-parcours, devant l’Anglaise Rose Thomson et la Japonaise Kinue Hitomi, et s’adjuge le 100 yards en 11 s 4/5, gagne de nouveau sa série du 250 mètres (34 s), mais s’incline en finale derrière les Britanniques Eileen Edwards (33 s 2/5, record du monde) et Vera Palmer. Le 29, sur 60 mètres, elle gagne sa série à un cinquième du record du monde, et bondit sur la ligne dans un temps identique (7 s 4/5) pour ajuster les Britanniques Florence Haynes et R. Thomson. Revenant peu après vers la France par Stockholm, elle égale cette fois la performance de la Tchèque Marie Mejzlikova à Paris, en 1922 : 7 s 3/5. Enfin, elle conduit Lucienne Laudré, Geneviève Laloz et Yvonne Planche au succès dans la deuxième série et à la deuxième place (51 s 1/5) derrière les Britanniques (49 s 4/5, record du monde) au relais quatre fois 110 yards. En 1928, résultat d’un dur combat entre Alice Milliat, présidente de la Fédération sportive féminine internationale (FSFI) fondée en 1921, et le Comité international olympique, l’athlétisme féminin rejoint la natation, l’escrime et la gymnastique par équipes au programme des Jeux d’Amsterdam. M. Radideau est présente et permet au relais français (Georgette Gagneux, Y. Planche, Lucienne Velu et elle-même) de se classer quatrième derrière le Canada (48 s 4, record du monde), les États-Unis et l’Allemagne. En 1930 à Prague, lors des troisièmes Jeux mondiaux féminins, elle est encore finaliste du 60 mètres et du relais quatre fois 100 mètres, pour deux cinquièmes places. Le 21 septembre, à Paris au stade Élisabeth, c’est elle qui sur 80 mètres devance K. Hitomi, grande figure de l’athlétisme féminin disparue prématurément, tout comme G. Gagneux (24 ans), brillante équipière et rivale de leur club des Linnet’s de Saint-Maur. Les Linnet’s de Saint-Maur sont liées à un deuxième volet, méconnu, de la carrière sportive de M. Radideau. Les historiens du basket-ball occultent généralement l’existence en France d’un basket féminin avant l’incorporation en avril 1936 au sein de la Fédération française de basket-ball des joueuses de l’ex-Fédération féminine sportive de France. Or un championnat national existait dès 1920 avec comme premières lauréates des équipes alsaciennes, puis, de 1928 à 1930, les Linnet’s conduites par L. Velu et M. Radideau. Celles-ci feront partie des premières équipes de France, en particulier en 1930, où elles deviennent championnes d’Europe en juillet face à la Pologne à Strasbourg (33-17), ce qui les qualifie pour la finale des Jeux mondiaux de Prague où elles ne s’inclineront face aux redoutables Canadiennes que sur le score assez serré de 18 à 14. À 25 ans, M. Radideau se retire des grandes compétitions d’athlétisme et de basket. Elle épouse le nageur Émile Schoebel. Le couple aura plusieurs enfants, dont Pierre Schoebel, qui sera finaliste sur 110 mètres haies des Jeux olympiques de 1968 à Mexico.

Jean DURRY

RADZIWIŁŁ, Frantsichka OURCHOULIA (princesse KORYBUT-WISNIOWIECKA, dite) [TCHARTARYÏSK, AUJ. EN UKRAINE 1705 - DISTRICT DE NOVAHARODAK, BÉLARUS 1753]

Écrivaine biélorusse.

Issue d’une grande famille aristocratique, Frantsichka Ourchoulia Radziwiłł reçoit une excellente éducation et, très tôt, surprend ses précepteurs par ses multiples talents, son goût pour la poésie entre autres. Elle se marie à l’âge de 20 ans avec l’héritier de la plus grande et la plus riche famille princière du grand-duché de Lithuanie et s’installe à Niasvij. Elle donnera naissance à 18 enfants, dont quatre seulement atteindront l’âge adulte. Elle se consacre à la création poétique et se prend de passion pour le théâtre. Très vite, elle écrit ses propres pièces, à but moralisateur, mais de tonalité divertissante, puis des livrets d’opéra, genre tout à fait nouveau et encore peu élaboré à l’époque. Elle s’inspire des légendes slaves, des œuvres d’auteurs antiques ou encore des contes des Mille et Une Nuits. Ses personnages sont pour la plupart des femmes, dont l’auteure se plaît à observer le monde intérieur. Sa création se compose de 80 poèmes, 16 pièces de théâtre et 7 livrets d’opéra. Elle accorde par ailleurs une grande importance au développement de sa ville de Niasvij : on lui doit la construction du premier théâtre sur le territoire du grand-duché, mais aussi la réouverture de l’imprimerie et l’enrichissement de la bibliothèque du palais.

Jeanne VASSILIOUTCHEK

RAFENOMANJATO, Charlotte-Arrisoa [AMBOHIMALAZA 1936 - TANANARIVE 2008]

Écrivaine malgache d’expression française.

Après de longues années passées à l’étranger, Charlotte-Arrisoa Rafenomanjato s’engage dans l’écriture à la fin des années 1980 et entame une œuvre prolifique : théâtre, romans, nouvelles, poésie, essais. Nombre de ses créations restent inédites. Ses premières pièces (Le Prix de la paix ; La Pécheresse) lui valent le prix RFI en 1986 et 1987. Écrivaine bilingue, elle est l’un des principaux représentants du roman populaire, puisant dans les mythes, les croyances et les superstitions de l’univers malgache. Son écriture engagée est passionnément inscrite dans l’histoire contemporaine de Madagascar. Elle témoigne des problèmes sociaux et de la contestation du pouvoir politique sur la Grande Île. Pour l’auteure, l’une des principales tâches de l’écrivain est de « comprendre les catastrophes qui détruisent son pays ».

Claire RIFFARD

Le Pétale écarlate, Antananarivo, Société malgache d’édition, 1990 ; Le Cinquième Sceau, Paris, L’Harmattan, 1994 ; Les Amants d’Iarivo, Mpifankatian’i Iarivo, Antananarivo, Société malgache d’édition, 2004 ; Felana, Paris, Le Cavalier bleu, 2006.

RAGSDALE, Virginia [JAMESTOWN 1870 - GREENSBORO 1945]

Mathématicienne américaine.

Virginia Ragsdale est née juste après la guerre de Sécession. Comme l’imposait la loi, sa mère a dû abandonner son métier d’enseignante en épousant son père, un producteur de coton et un homme d’affaires important. Après avoir fréquenté l’école privée de Jamestown et reçu des cours particuliers, elle entre comme junior à la Salem Female Academy (qui devient ensuite Salem College). En 1887, elle en sort diplômée, classée première. Après une année au Guilford College de Greensboro, elle est la première à bénéficier d’une aide financière pour entrer en 1892 au Bryn Mawr College, en Pennsylvanie. Elle y étudie pendant cinq ans la physique et les mathématiques, mais aussi la chimie, l’allemand et le latin. Elle se distingue en mathématiques supérieures, gagne une bourse d’études en Europe et, recommandée par Charlotte Scott, rejoint à Göttingen les classes de Felix Klein et de David Hilbert en 1897-1898. À son retour d’Allemagne, elle enseigne à Baltimore, mais une bourse lui permet de retourner aux études en 1901 à Bryn Mawr. Elle peut ainsi passer son doctorat (PhD) sous la direction de C. Scott en 1904. Sa thèse porte sur le seizième de la fameuse liste des 23 problèmes non résolus énoncés par D. Hilbert lors du Congrès international des mathématiciens de 1900 à Paris. Il s’agit d’un problème topologique portant sur les positions, les unes par rapport aux autres, des branches réelles des courbes planes plongées dans le plan projectif. Pour une courbe lisse de degré pair, ces branches sont des ovales (c’est-à-dire des courbes homéomorphes à des cercles). V. Ragsdale distingue deux types d’ovales, suivant que l’ovale est contenu dans un nombre pair ou impair d’ovales, et pour chaque type, conjecture un majorant de leur nombre en fonction du degré de la courbe. Cette conjecture a été un problème important de géométrie algébrique réelle pendant quatre-vingt-dix ans ; Ivan G. Petrovskii a démontré, environ treize ans après, une conjecture plus faible proposée aussi par V. Ragsdale ; ensuite, les contre-exemples donnés par Oleg Viro et Ilia Itenberg l’ont réfutée sans qu’une majoration précise soit connue à ce jour. Tout en enseignant, elle maintient le contact avec Bryn Mawr. Elle gravit les échelons du professorat dans un établissement d’enseignement supérieur réservé aux femmes, à Greensboro (celui-ci sera renommé en 1919 North Carolina College for Women). Elle le dirige pendant les deux dernières années de sa carrière. Enseignante exigeante mais patiente avec les plus faibles, elle marque profondément le collège par sa personnalité. À 58 ans, elle se retire pour aider sa mère à administrer l’exploitation familiale. Après la mort de celle-ci, elle s’installe dans une belle maison sur le campus de Guilford College et s’investit dans les associations liées au collège. Elle lèguera sa maison à cette institution.

Anne-Marie MARMIER

« On the arrangement of the real branches of plane algebraic curves », in American Journal of Mathematics, vol. 28, no 4, 1906.

GREEN J., LADUKE J., Pioneering Women in American Mathematics : The Pre-1940 Phd’s, Providence, American Mathematical Society, 2009.

VIRO O., ITENBERG I., « Patchworking algebraic curves disproves the Ragsdale conjecture », in The Mathematical Intelligencer, vol. 18, no 4, 1996.

RAHEB, Waha AL- [LE CAIRE 1960]

Réalisatrice, scénariste, actrice et danseuse syrienne.

Depuis les débuts du cinéma syrien en 1962, Waha al-Raheb est, avec Diana el-Jeiroudi*, la seule femme ayant réussi à se faire un nom comme réalisatrice. Après des études aux Beaux-Arts de Damas et de cinéma à l’université Paris 8, elle rédige un mémoire sur la représentation des femmes dans le cinéma syrien de 1963 à 1986. Elle travaille comme réalisatrice pour la télévision mais aussi pour le cinéma, et ses films sont essentiellement centrés sur des problématiques féminines. Elle réalise un court-métrage de fiction, Manfa ikhtiyari (An Optional Exile, 1987), puis Nos grands-mères (Gueddatona, 1991) qui reçoit le prix de l’Union des femmes syriennes au Festival de Damas. La cinéaste y articule des scènes entre documentaire et fiction, et mêle des entretiens de femmes de la Syrie rurale avec la quête d’une jeune fille cherchant son identité en observant différents modes de vie féminins. Son long-métrage Visions chimériques (Ru’a halima, 2003), primé notamment aux festivals de Carthage et de Pyongyang, raconte l’histoire d’une jeune femme des classes moyennes qui échappe à l’autorité paternelle par ses rêves éveillés, visions parfois cauchemardesques.

Eylem ATAKAV

GIROD M., « Few oases in the desert », in HILLAUER R., Encyclopaedia of Arab Women Filmmakers, Le Caire/New York, The American University in Cairo Press, 2005 ; SALTI R., « Critical nationals : the parodoxes of syrian cinema », in ID., Insights into Syrian Cinema : Essays and Conversations with Contemporary Filmmakers, New York, Rattapallax Press, 2006.

RAHM, Berta [SAINT-GALL 1910 - NEUNKIRCH 1998]

Architecte suisse.

Entrée en 1929 à l’École polytechnique fédérale de Zurich où elle a pour professeur Otto Rudolf Salvisberg (1882-1940), Berta Rahm obtient son diplôme d’architecte en 1934. En 1940, elle ouvre son propre bureau, après avoir travaillé en agence et voyagé aux Pays-Bas et en Scandinavie, voyage qu’elle relatera dans le récit 1939 Reise nach Skandinavien und Finnland (1942). Célibataire, elle se dédiera à sa profession. Son activité touche essentiellement le domaine du logement : construction ou rénovation de maisons d’habitation (maison Hess à Zurich 1965) ou de vacances (Hasliberg-Hohfluh 1940), et de villas. Elle conçoit également un pavillon pour la SAFFA II (Schweizerische Austellung für Frauenarbeit, « exposition suisse du travail féminin », 1958). Ses commandes, toutes privées, proviennent de son cercle élargi de connaissances. Son parcours se singularise par sa spécialisation dans le domaine des fermes : en 1951, elle construit un ensemble agricole de pointe à Hallau, qui lui donne l’occasion de réaliser par la suite plusieurs transformations de fermes dans les cantons de Berne, Thurgovie, Zurich et Schaffhouse. En 1966, elle est contrainte d’abandonner son activité, à cause de préjudices subis du fait de son sexe. Ayant toujours eu des activités journalistiques et littéraires, elle prolonge sa vie professionnelle en fondant les éditions Ala Verlag en 1967, engagées en faveur de la défense des droits de la femme et de l’homme.

Stéphanie MESNAGE

Vom möblierten Zimmer bis zur Wohnung. Anregungen für das Einrichten von Einzelräumen und Wohnungen, Zurich, Schweizer Spiegel, 1947.

RÂHMÂN, Riziâ [1939]

Romancière bangladaise d’expression bengali.

Depuis ses romans Rakter Akshar (« mots de sang »), en 1978, et Bong theke Bânglâ (« Bânglâ vient de “Bong” »), en 1987, Riziâ Râhmân compte parmi les principaux écrivains du Bangladesh. Le second porte sur « l’histoire de la formation d’un territoire et d’un peuple », celui du Bengale, précise-t-elle dans l’introduction de son roman ; le premier a pour cadre un bordel. Très bien accueilli, ce roman démarre par une représentation de Galâpipârâ, le quartier des prostituées de Dacca, et part à la rencontre de ses très jeunes habitantes en revenant sur le parcours qui les a menées à vendre leur corps. Parmi ses birambanâ (terme officiel pour définir une femme violée, littéralement « abusée », « trompée »), se détachent plusieurs figures : Yasmin, une jeune femme éduquée, dont le frère a été exécuté par l’armée d’occupation, tandis qu’elle-même était violée par des militaires pakistanais pendant la guerre de libération et rejetée par les siens ; « Mâsi » qui vient d’une haute caste hindoue ; Phulmati, coupable d’avoir donné la vie à un enfant non désiré ; Piru, âgée d’à peine 14 ans et enlevée toute petite ; Parul, dont le père est mort lors de la famine de 1974, vendue par sa belle-sœur Morjina, et venue en ville dans l’espoir de trouver un emploi. Le petit monde des prostituées, des souteneurs est troublé par l’arrivée de Delwâr, un écrivain journaliste, qui incite Yasmin à se révolter contre les injustices, à prendre en main son destin. R. Râhmân figure parmi les auteurs qui cherchent à capter, par la fiction, la naissance d’une nation traversée de contradictions et de drames, à révéler également par la langue (mêlant mots sanskrits et expressions anglaises courantes) la coexistence des groupes et des identités qui la composent.

Olivier BOUGNOT

RAHMANI, Zahia [ATTOUCHE, ALGÉRIE 1962]

Écrivaine et historienne de l’art française.

Née en Kabylie, Zahia Rahmani arrive en France en 1967. Elle dirige actuellement le programme Art et mondialisation à l’Institut national d’histoire de l’art (INHA) et participe à un réseau international de recherches sur les cultures visuelles du monde. La prose fragmentaire et polyphonique de ses récits, Moze (2003), « Musulman » roman (2005, mention spéciale du jury Wepler) et France, récit d’une enfance (2006), inscrit la figure du harki dans la littérature mondiale de « l’homme banni », oppose l’enchevêtrement des origines et l’ouverture des cultures aux logiques d’exclusion des colonialismes et des orientalismes d’hier et d’aujourd’hui, et célèbre les alternatives que la littérature et les femmes peuvent opposer au tragique de l’histoire. Les écrits sur l’art pointent la nécessité critique et politique, mais aussi l’impensé des théories postcoloniales.

Aline BERGÉ

« Tourisme en postcolonie », in Chaoïd, no 9, 2005 ; « Écrire le peuple comme étranger », in Chaoïd, no 10, 2006.

BERGÉ A., « Trajets d’un souffle nomade, Zahia Rahmani », in LASSERRE A., SIMON A. (dir.), Nomadismes des femmes écrivains de langue française, Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, 2008.

RAHON, Alice (née Alice Marie-Yvonne PHILIPPOT) [CHENECEY-BUILLON 1904 - MEXICO 1987]

Peintre et poétesse française.

Désireuse de brouiller les repères de sa biographie, Alice Rahon disait être née en 1916, en Bretagne, où elle passait ses vacances. De ses prénoms, elle n’a gardé que le premier, en hommage à l’héroïne de Lewis Carroll, à qui elle s’identifie dans un de ses rares autoportraits (Autoportrait, 1951). Rahon est le nom de jeune fille de sa mère, qu’elle adopte en 1947 après son divorce d’avec le peintre autrichien Wolfgang Paalen rencontré en 1931. Tous ses recueils poétiques sont publiés sous son nom d’épouse. En 1936, elle sort aux Éditions surréalistes son premier recueil de poèmes, À même la terre, remarqué par André Breton. En 1938, au retour d’un long périple en Inde où elle rejoint la poétesse Valentine Penrose*, elle publie un autre recueil, Sablier couché. En 1939, avec son époux et leur amie et mécène la photographe suisse Eva Sulzer (1902-1990), elle entreprend un long voyage en Amérique du Nord sur les traces de l’art totémique. Au moment où éclate la Seconde Guerre mondiale, le trio est au Mexique. La jeune femme publie alors dans la revue Dyn, fondée par son mari, des tableaux-poèmes et des gouaches, Cristaux d’espaces (1942-1946). En 1941, paraît son dernier recueil, Noir animal. Après guerre, dans le Mexique devenu son pays d’adoption, elle développe un art pictural entre abstraction et figuration, proche d’un Paul Klee ou d’un Joan Miró. Son univers, onirique et primitif, souvent d’un bleu extrêmement lumineux comme dans La Ballade pour Frida Kahlo (1956), forme une géographie merveilleuse où, parmi d’imprévisibles métamorphoses, les oiseaux deviennent des îles (Oiseau sur la ville, 1943), les rivières des partitions (Le Fleuve Papaloapán, 1947) et les femmes des volcans (La Femme qui neige, 1945). En 1946, elle conçoit un ballet avec des marionnettes, Le Ballet d’Orion, qui ne sera jamais joué de son vivant. Elle cesse toute activité artistique après 1975. Le musée d’Art moderne de Mexico lui a consacré en 2009 une grande rétrospective.

Leïla JARBOUAI

Alice Rahon, una surrealista en Mexico (1939-1987) (catalogue d’exposition), Mexico, Museo de arte moderno, 2009.

« Alice Rahon, poèmes et peintures », in Pleine marge, no 4, 1986.

COLVILE G. M. M., « Alice Rahon au pays des merveilles », in Mélusine, Cahiers du centre de recherche sur le surréalisme, no 19, 1999 ; DEFFEBACH N., « Alice Rahon : poems of light and shadow, paintings in free verse », in Onthebus, nos 8 et 9, 1991 ; JOHNSON J., « Exposition Alice Paalen », in Dyn, no 1, avril-mai 1942.

RAI BACHCHAN, Aishwarya [MANGALORE 1973]

Actrice indienne.

Comme de nombreuses comédiennes de l’industrie hindi (ou Bollywood), Aishwarya Rai Bachchan a d’abord mené une carrière de mannequin, remportant en 1994 le titre de Miss Monde. Très vite sollicitée pour la perfection de ses traits, sa peau claire et ses yeux bleu-vert, elle tourne son premier film, Iruvar (1997), dans le sud du pays, sous l’égide du grand réalisateur tamoul Mani Ratnam. Son ascension est très rapide : en 1999, elle tient le rôle principal du deuxième long-métrage de Sanjay Leela Bhansali, Hum Dil De Chuke Sanam (« mon cœur est déjà pris »), pour lequel elle connaît un succès public et critique unanime. Mais c’est Devdas (toujours réalisé par Bhansali), grand mélodrame adapté d’un célébrissime roman indien, qui lui apporte une reconnaissance internationale. Elle y interprète la jolie mais pauvre Parvati, contrainte de se marier sans amour, la famille de son amant Devdas s’opposant à leur union. Présenté en ouverture du Festival de Cannes 2002, Devdas ouvre toutes les portes à A. Rai Bachchan : celles de L’Oréal, dont elle devient une des ambassadrices ; mais surtout celles du cinéma mondial. En 2003, elle est la première actrice indienne à être membre du jury de Cannes, puis elle tourne en 2004 Coup de foudre à Bollywood (Bride & Prejudice), de la Britannique Gurinder Chadha. Elle reste néanmoins très attachée à son pays ; elle est aujourd’hui l’une des stars les mieux payées de Bollywood et fait partie de la famille régnante du cinéma indien depuis son mariage très médiatisé avec l’acteur Abishek Bachchan, en 2007. Danseuse classique, aussi à l’aise dans la comédie que dans le drame, elle doit parfois subir les remarques acerbes des critiques indiens qui la jugent « artificielle ». À tort : plutôt pertinente dans ses choix, elle est l’une des seules actrices de Bollywood à s’être tournée vers le cinéma d’auteur – dans deux drames du Bengali Rituparno Ghosh (Chokher Bali, 2003 ; et Raincoat, 2004). Sa palette de jeu très étendue lui permet d’interpréter aussi bien les femmes battues (Provoked : A True Story, Jag Mundhra, 2006), révoltées contre leur statut inférieur (Kuch Naa Kaho, Rohan Sippy, 2003), que les reines légendaires de l’Inde (Mumtaz Mahal dans Taj Mahal, de Ganapathy Bharat, 2007 ; et Jodhaa Bai dans Jodhaa-Akbar, d’Ashutosh Gowariker, 2008). Ainsi est-elle devenue, en moins de dix ans, l’icône de la femme indienne.

Ophélie WIEL

RAIF HANIM, İhsan [BEYROUTH 1877 - PARIS 1926]

Poétesse turque.

Après avoir suivi des cours particuliers, notamment de piano et de français, İhsan Raif Hanım commence en 1908 à publier des poèmes dans la revue Mehâsin (« beautés »). Elle est déjà mère de trois enfants. En 1912, la revue Rübab publie d’autres poèmes. Deux ans plus tard, un recueil réunit l’ensemble de ses poèmes sous le titre Gözyaşları (« larmes », 1914). Il est divisé en quatre parties : Feryadlar (« les cris »), Yeisler (« les douleurs »), Garib Demler (« les moments étranges ») et Sevdalar (« les amours »). Rédigés pendant la guerre, ses poèmes retentissent d’exaltations patriotiques. La même année, elle publie un opuscule de 16 pages, Kadın ve Vatan (« la femme et la patrie », 1914). Les écrits d’İ. Raif Hanım évoquent l’atmosphère de la guerre, mais également le monde intimiste des objets du quotidien comme « İskarpinim » (« ma chaussure »), « Yastığım » (« mon oreiller »), « Gergef » (« le canevas »). Elle connaît un certain succès quand le courant de la littérature nationale s’amorce, car elle reprend les thèmes, les formes et le style des poèmes populaires. À l’avant-garde dans l’utilisation de la mesure syllabique, sa langue est simple, faisant usage de mots du quotidien. Comme beaucoup de poétesses de son temps, elle reprend des modèles de poèmes existants qu’elle rédige en se positionnant comme un homme. Ses poèmes sont mis en musique, parfois par elle-même, et aujourd’hui encore écoutés. Elle a écrit un long poème pour Pierre Loti (1919), publié dans la revue Genç Yolcular. À partir de 1908, date de la proclamation du régime constitutionnel, elle a milité dans le mouvement féministe.

Gül METE-YUVA

ÖZTÜRK C., İhsan Raif Hanım, Yaşamı, Sanatçı Kişiliği, Yayımlanmış ve Yayımlanmamış Bütün Şiirleri, Istanbul, Boğaziçi Üniversitesi Yayınevi, 2002.

RAÏKH, Zinaïda [BLIJNIE MELNITSI-ODESSA 1894 - MOSCOU 1939]

Actrice russe.

D’une famille de cheminots d’origine allemande, Zinaïda Raïkh entre en 1913 au Parti socialiste révolutionnaire (SR) et sera jusqu’à la chute de l’Empire étroitement surveillée par la police tsariste. En 1917, elle épouse le poète Sergueï Essenine dont elle aura deux enfants et elle abandonne la politique. En 1919, son mari la quitte : elle doit faire face à des problèmes de survie et de santé que la guerre civile aggrave. En 1920, elle trouve un travail au Narkompros (Commissariat à l’Instruction), elle entre au Parti communiste et rencontre Vsevolod Meyerhold. En 1921, elle est admise aux Gektemas (Ateliers supérieurs expérimentaux de théâtre) et se marie avec le metteur en scène, de vingt ans son aîné, qui adopte ses enfants. V. Meyerhold fera d’elle la grande actrice de son théâtre ; elle sera l’inspiratrice et la collaboratrice de la seconde partie de la vie créatrice du grand artiste. En 1924, elle interprète le rôle d’Aksioucha dans La Forêt d’Alexandre Ostrovski, qu’elle joue jusqu’en 1938. Placée au centre de la composition scénique que V. Meyerhold a établie, elle donne à ce personnage sa force intérieure, son courage, son désir de liberté. Elle sera Barbara dans Le Mandat de Nikolaï Erdman (1925), Anna Andréïevna dans Le Revizor de Nicolas Gogol (1926), la Femme phosphorescente dans La Grande Lessive de Vladimir Maïakovski (1930), Marguerite Gautier dans La Dame aux camélias d’Alexandre Dumas fils (1935), marquant ces rôles de son « audace scénique » (Mikhaïl Tchekhov). À la fin des années 1930, sous la répression stalinienne, son équilibre nerveux est gravement atteint. Vingt jours après l’arrestation de V. Meyerhold (juin 1939), qui sera déclaré ennemi du peuple, elle est assassinée à coups de couteau dans son appartement, sans que, à ce jour, la vérité ait été faite sur ce crime.

Béatrice PICON-VALLIN

PICON-VALLIN B., Meyerhold, Les Voies de la création théâtrale, vol. 17, Paris, CNRS, [1990], 2004.

RAIMBAULT, Ginette [ALGER 1924 - PARIS 2014]

Psychanalyste française.

Dès son Master of Science à l’université Columbia de New York en 1945, Ginette Raimbault s’intéresse aux enfants malades. Diplômée de l’Institut de psychologie de Paris en 1949, médecin en 1956, elle travaille avec Jenny Aubry* pendant plusieurs années et fait un stage à la clinique Tavistock avec Michael et Enid Balint*. Après une formation psychanalytique avec Jacques Lacan, elle devient, en 1963, membre de l’École freudienne de Paris. En 1965, elle introduit la pratique des groupes Balint à l’hôpital Necker-Enfants-Malades tout en travaillant à l’Inserm. Elle sensibilise les médecins aux conséquences psychiques d’une prise en charge médicale lourde et à l’importance de la relation du soignant avec l’enfant et la famille dans les maladies chroniques ou à pronostic réservé. Pionnière pour ses recherches sur le sentiment de mort chez l’enfant, elle joue un rôle moteur pour la transformation des pratiques médicales. L’Unité 158, unité spécifique, a été créée à l’Inserm en 1976 pour lui permettre de développer ses travaux. C’est là que s’est ouvert, en 1980, le Centre de recherche psychanalytique de l’hôpital des Enfants-Malades-clinique Robert-Debré. Dans ce centre de consultation gratuite, elle a autour d’elle Caroline Eliacheff*, Élisabeth Levy-Leblond, Danielle Silvestre. Lorsqu’elle quitte la direction de l’unité, G. Raimbault continue à animer une équipe de recherche travaillant notamment sur l’incidence de l’institution hospitalière sur le psychisme des patients et sur les relations soignants-soignés dans les traitements traumatisants pour l’enfant et son environnement familial. Elle a élaboré de nombreux programmes de recherche pédagogique pour former les étudiants en médecine à la relation avec le malade.

COLLECTIF PSYCHANALYSE ET POLITIQUE

L’Enfant et la mort. Des enfants malades parlent de la mort, problèmes de la clinique du deuil, Toulouse, Privat, 1975 ; avec ZYGOURIS R., Corps de souffrance, corps de savoir, Lausanne, L’Âge d’homme, 1976 ; Clinique du réel. La Psychanalyse et les frontières du médical, Paris, Seuil, 1982.

« Rencontre avec Balint », in Le Coq-Héron, no 5, 1969.

RAINE, Kathleen [ILFORD 1908 - LONDRES 2003]

Poétesse et essayiste britannique.

Kathleen Raine est née dans le sud de l’Angleterre mais passe son enfance dans le Northumberland septentrional. Sa mère, écossaise, l’initie très jeune à la culture classique et à la poésie. Elle entreprend des études de biologie à Cambridge, où elle fréquente un cercle de théoriciens et de poètes (William Empson, I.A. Richards, Malcolm Lowry et Bertrand Russell). Elle se lance dans une exploration de l’essence de l’être et de la vie, inspirée et soutenue par sa lecture des stoïciens, des kabbalistes, des mystiques musulmans et hindous et des traditionalistes comme Titus Burckhardt ou René Guénon. Sa vision d’une communauté spirituelle allant du Christ à Shiva et résistant aux assauts matérialistes de l’ego contemporain, fertilisée par l’expérience de la souffrance et du péché, lui inspire une poésie forte d’épiphanies et d’incarnations (Stone and Flowers, « pierre et fleurs », 1943, illustré par Barbara Hepworth* ; Living in Time, « vivre dans le temps », 1946 ; La Présence, 1987). De nombreuses études critiques de poètes et penseurs comme Coleridge, Blake, Yeats ou Thomas Taylor et plusieurs essais nostalgiques d’une période où le sens du sacré et du mystère divin était encore vivace, poursuivent son engagement spirituel. En 1981, elle fonde la revue Temenos (1981-1993) et en 1990 une académie interdisciplinaire du même nom où elle promeut l’enseignement d’une philosophie universaliste.

Michel REMY

Sur un rivage désert (On a Deserted Shore, 1973), Paris, Granit, 1978 ; Le Royaume inconnu (The Land Unknown, 1975), Paris, Stock, 1980 ; La Présence (The Presence, 1987), Lagrasse, Verdier, 2003 ; W. B. Yeats ou Le Pouvoir de l’imagination (W. B. Yeats and the Learning of the Imagination, 1999), Paris, Hermann, 2002.

RANI M., The Poetry of Kathleen Raine : A Pursuit of Patterns, New Delhi, Wisdom Publications, 1989.

RAINER, Yvonne [SAN FRANCISCO 1934]

Danseuse, chorégraphe et cinéaste américaine.

Figure importante de la scène des années 1960, engagée dans une critique radicale des conventions esthétiques de la danse moderne et classique, Yvonne Rainer participe aux grandes mutations impulsées par les avant-gardes artistiques. Très jeune, elle étudie la musique puis se passionne pour le théâtre. Dès 1956, elle s’inscrit à New York au Herbert Berghof Studio. L’année suivante, elle prend ses premiers cours de danse avec Edith Stephen qui pratique les techniques d’improvisation. Deux ans plus tard, elle se lance à corps perdu dans la danse aux cours de Martha Graham*. Elle y rencontre Simone Forti* qui lui parle d’Anna Halprin*, et part alors sur la côte Ouest suivre ses cours. À New York, elle devient élève de Merce Cunningham et suit les ateliers de Robert Dunn, qui développe l’improvisation et l’étude des structures musicales (John Cage, Erik Satie). Elle conçoit ses propres pièces tout en travaillant avec Aileen Passloff et James Waring. En 1961, elle présente son travail Three Satie Spoons au Living Theater. Elle rejoint le groupe du Judson Dance Theater et crée Terrain (1963), fondé sur la composition aléatoire. En 1966, elle crée Trio A, manifeste dansé qui refuse la virtuosité du corps dansant et le phrasé de la composition. Activiste politique dans les années 1970, elle dénonce, aux côtés des féministes et de l’extrême gauche américaine, la guerre du Vietnam dans Judson Flag Show (1970), et organise des concerts de soutien aux Black Panthers avec le collectif Grand Union.

Geneviève VINCENT

Y. Rainer est aussi une figure essentielle du cinéma expérimental américain. C’est de manière progressive mais inéluctable que le médium cinématographique s’est imposé à elle comme un nouveau champ d’exploration. Sa maturation artistique est considérablement marquée par les films de Maya Deren*, Hollis Frampton et Andy Warhol, qu’elle découvre aux prémices de sa carrière de danseuse. Elle commence à mêler film et danse dans ses chorégraphies à partir de 1967, considérant ses courts-métrages comme une extension de son travail sur le corps. Néanmoins, c’est son intérêt croissant pour la narration, le traitement des émotions et de l’intime qui l’engage à tourner son premier long-métrage, Lives of Performers (1972). Ce film, mettant en parallèle un triangle amoureux mélodramatique et le quotidien de danseurs, est pensé comme une chorégraphie. Par la suite, la carrière cinématographique d’Y. Rainer se caractérise par le développement d’une conscience politique et théorique acérée, à l’écoute des révoltes et des combats contemporains. Ainsi, Film About A Woman Who… (1974) et Kristina Talking Pictures (1976), évoquant les jeux de pouvoir dans les relations amoureuses hétérosexuelles, reflètent l’affirmation de sa sensibilité féministe ; Journeys from Berlin/1971 (1980) est une réflexion autour de la violence politique mettant en parallèle les agissements de la bande Baader-Meinhof et la lutte des femmes nihilistes russes ; The Man Who Envied Women (1985) s’inspire des théories féministes du cinéma tout en dénonçant la crise du logement à New York et l’impérialisme américain en Amérique centrale ; Privilege (1990) analyse les implications de la ménopause pour les femmes et dénonce les fictions liées à la race et au sexe ; enfin, MURDER and murder (1996) interroge la construction de l’identité lesbienne. Récurrent, le recourt de Y. Rainer à l’élément autobiographique semble illustrer le slogan féministe « le personnel est politique », en mettant en regard l’expérience subjective et les événements historiques. Jamais didactique, son cinéma questionne et malmène les discours politiques ou théoriques au moyen de la juxtaposition ironique et parodique d’une multiplicité de voix et d’idées. Ce faisant, elle s’empare de la narration tout en transgressant ses règles, créant un collage polyphonique et non linéaire qui donne la primauté au texte sur l’image et laisse aux spectateurs une entière liberté d’interprétation. Retournée à la chorégraphie dans les années 2000, Y. Rainer est parvenue à imposer son œuvre cinématographique complexe et plurivoque comme un jalon fondamental dans l’histoire du cinéma expérimental.

Johanna RENARD

Une femme qui… Écrits, entretiens, essais critiques (A Woman Who… Essays, Interviews, Scripts, 1999), Dijon, Presses du réel, 2008.

The Films of Yvonne Rainer, Bloomington, Indiana University Press, 1989 ; Feelings are Facts : A Life, Cambridge (Mass.), MIT Press, 2006.

RAITTILA, Anna-Maija [JOENSUU 1928 - HELSINKI 2012]

Poétesse finlandaise.

Considérée comme la plus grande figure de la poésie chrétienne en langue finnoise, Anna-Maija Raittila a beaucoup contribué au renouveau du psautier de l’Église luthérienne finlandaise en 1986. Élevée selon les préceptes du læstadianisme, une tendance de stricte observance du luthéranisme, elle l’abandonne lors d’une crise de jeunesse en faveur d’une approche plus œcuménique de la foi. Ses premiers poèmes, appels patriotiques d’une adolescente au cœur pur, datent de 1944, année de guerre totale en Finlande. Son premier recueil, Ruiskukkaehtoo (« la soirée des bleuets », 1947), est un chant d’amour divin et terrestre qui connaît un grand retentissement. Dans les années 1960, elle se radicalise à sa manière en découvrant la communauté des frères de Taizé dont elle se fait l’apôtre en Finlande. En suivant l’exemple de saint François d’Assise, auquel elle a consacré une œuvre remarquable, elle fonde une communauté qui se consacre à la vie silencieuse et s’occupe des marginaux. Vivant dans la nature, elle produit une quantité impressionnante d’ouvrages spirituels : traductions de classiques chrétiens, études bibliques, livres de jeunesse. Elle traduit Anna Akhmatova, Charles Péguy, Rainer Maria Rilke, et de nombreux poètes hongrois dont Mihály Váci. Son œuvre lyrique personnelle comprend notamment Päivänvarjopuu (« l’arbre-parasol », 1955), Aurinko on jäljellä (« le soleil demeure », 1957), Sinitiaisten tanssi (« la danse des mésanges bleues », 1969), Anna meidät kaikki toisillemme (« donne-nous les uns aux autres », 1974), Lehtimajanjuhla (« festival des cabanes », 1987), Paratiisini puut (« les arbres de mon paradis », 1999). Ayant écrit une centaine de cantiques pour le psautier de l’Église nationale, A. M. Raittila est nommée docteur honoris causa en théologie.

Osmo PEKONEN

TEINILÄ M., Anna-Maija Raittila, luottamuksen pyhiinvaeltaja, Helsinki, Kirjapaja, 2001.

RÂJAM KRISHNAN [MUSIRI 1925 - CHENNAI 2014]

Écrivaine indienne d’expression tamoule.

Issue d’une famille brahmane conservatrice, Râjam Khrishnan est mariée à 14 ans et son éducation s’en trouve interrompue. Jusqu’à 21 ans, elle ne connaît que la vie contrainte d’une famille étendue. Autodidacte, elle écrit en cachette. Sa première nouvelle est publiée en 1946. Depuis, elle a écrit plus de 40 romans, 200 nouvelles, 2 biographies, 20 pièces radiophoniques et a traduit plusieurs chefs-d’œuvre de la littérature malayalam en tamoul. Beaucoup de ses romans et nouvelles ont été adaptés au cinéma et à la télévision ou traduits dans des langues indiennes et étrangères. Elle a reçu prix et décorations en Inde et à l’étranger, dont le prix de la Sahitya Akademi pour son roman Verukku Neer (« de l’eau pour les racines », 1973) en 1973 et le prix Soviet Land Nehru pour son roman Valaikkaram (« le poignet avec des bracelets », 1969) en 1975. L’auteure s’intéresse à des sujets très divers : la vie des pêcheurs, les tribus des Nilgiri, les voleurs (dacoïts) de Chambal, les enfants ouvriers exploités par l’industrie des pétards, la lutte pour l’indépendance de Goa, les ouvriers dans les mines de sel, les valeurs gandhiennes… Son œuvre est un document authentique sur l’Inde contemporaine. Elle fait un travail de terrain, vit sur place, apprend parfois la langue, prend des notes, fait des recherches d’archives, interroge les gens, tient compte des points de vue opposés. Écrire est le sacerdoce de cette auteure sensible, toujours à l’écoute des sans-voix. Enquêtant sur la vie du poète tamoul Subramaniam Bharati, elle retrouve la trace de Manalur Maniamma, qui a lutté en faveur de l’indépendance contre le régime colonial anglais. Elle déniche de vieilles photos, va à la recherche de ses parents et de ses admirateurs, et restitue, dans son roman Padayil Padinda Adigal (« traces de pieds sur le chemin »), l’itinéraire de cette femme exceptionnelle que l’histoire a oubliée. Courageuse dans ses convictions, elle accepte d’écrire pour le journal communiste Thamarai (« le lotus ») sous le pseudonyme de Mitra, bien que son mari soit fonctionnaire. Son style est lyrique et empreint d’un humour discret. Un humanisme profond et un réalisme optimiste caractérisent son esthétique littéraire.

Vidya VENCATESAN

Veedu, Chennai, Pâri Puttakap Panai, 1980 ; Kutu kunjugal (1980), Madras, Pâri Puttakap Pannai, 1985 ; Aval, Madras, Dhagam, 1992 ; Angalodu Pengalum, Chennai, Dhagam, 1993 ; Alaikal karayile (1978), Madras, Tâkam, 2001.

When the Kurinji Blooms (2002), New Delhi, Orient Blackswan, 2009.

RAJU, Saraswati [1949]

Géographe indienne.

Professeure de géographie à l’université Jawaharlal Nehru à Delhi, spécialiste de géographie sociale et post coloniale, Saraswati Raju analyse les inégalités de genre dans le travail et l’éducation. Elle décrit le purdah, cette séparation sociale des hommes et des femmes qui conduit à l’effacement des femmes dans l’espace public. Elle montre la prégnance des régions culturelles qui ne coïncident pas avec le découpage des frontières politiques des États de l’Inde contemporaine, et dénonce les cartographies militantes des organisations nationalistes hindoues.

Denise PUMAIN

Avec BAGCHI D. (dir.), Women and Work in South Asia : Regional Patterns and Perspectives, Londres, Routledge, 1993 ; avec ATKINS P., KUMAR N. et al., Atlas of Women and Men in India, New Delhi, Kali for Women, 1999 ; avec SATISH KUMAR M., CORBRIDGE S. (dir.), Colonial and Post-Colonial Geographies of India, Cambridge, Barnes and Noble, 2006.

RAKKE, Kerttu (Kadi KUUS, dite) [VÕRU 1970]

Romancière et nouvelliste estonienne.

Après des études de langue et littérature estonienne à l’université de Tartu, Kerttu Rakke a travaillé dans différents journaux et agences de publicité. Elle a été pendant plusieurs années la scénariste de l’une des séries télévisées estoniennes les plus populaires, Kodu keset linna (« une maison dans la ville »), comptant plus de 600 épisodes. Elle a fondé en 2002 sa maison d’édition et publie désormais elle-même ses ouvrages. Après des débuts littéraires remarqués, avec un récit à la structure librement inspirée de l’épopée nationale estonienne Kalevipoeg (2000), ainsi que le recueil de nouvelles Mitu juttu (« plusieurs histoires », 2001), elle a publié principalement des romans, parmi lesquels Kolmas printsess (« la troisième princesse », 2001), Susanna ja mina (« Suzanne et moi », 2002) et Küpsiseparadiis (« le paradis du biscuit », 2007). Dans une langue familière, voire argotique, qui bouscule l’estonien standard, elle explore l’univers de jeunes femmes qui se réfugient dans l’alcool, le sexe ou le travail et ont avec les hommes des relations difficiles, souvent marquées par l’incompréhension. Elle a parfois été qualifiée de « naturaliste féministe ».

Antoine CHALVIN

RAKOTOSON, Michèle [TANANARIVE 1948]

Écrivaine et journaliste malgache d’expression française.

Fille d’intellectuels protestants, Michèle Rakotoson devient d’abord professeure de malgache, puis se lance dans l’écriture et la mise en scène de pièces de théâtre en malgache (Sambany, 1980 ; Hohahona, 1982). À cette même période, elle s’exile à Paris pour des raisons politiques et entame une carrière de journaliste et de romancière en langue française. Intellectuelle engagée, elle revisite les traditions et l’histoire de son pays par le ressassement. Cette forme, utilisée comme une thérapie, lui permet de dévoiler le « mal insulaire », façonné par une mémoire surchargée de violence (esclavage, colonisation, dictatures). Son écriture est à la fois limpide et obsessionnelle. Bilingue, l’écrivaine rejette l’idée d’authenticité culturelle. Dans Juillet au pays (2007), elle, « l’errante », « l’éternelle voyageuse », s’interroge sur la notion même d’identité, qui reste à ses yeux « quelque chose d’essentiellement mouvant ».

Claire RIFFARD

Dadabé, Paris, Karthala, 1984 ; Elle, au printemps, Saint-Maur, Sépia, 1996 ; Henoÿ, fragments en écorce, Avin, L. Wilquin, 1998 ; Lalana, La Tour-d’Aigues, Éditions de l’Aube, 2002.

MARSON M., « Michèle Rakotoson et Jean-Luc Raharimanana, dire l’île natale par le ressassement », in Revue de littérature comparée, no 318, 2006.

RALEA, Catinca [BUCAREST 1929 - ID. 1981]

Journaliste et traductrice roumaine.

Fille du sociologue et philosophe roumain Mihai Ralea, qui dirige après 1947 la Légation roumaine à Washington au début du régime communiste, Catinca Ralea fait ses études secondaires aux États-Unis et ses études supérieures à la faculté de langue et littérature française de l’université de Bucarest. Dans ses entretiens radiophoniques fins et élégants, elle pose des questions inédites à des personnalités internationales et met son influence et ses relations avec le monde libre au service du public, introduisant en Roumanie des œuvres artistiques, en particulier cinématographiques, en principe destinées à la censure. Elle réalise plusieurs films, dont Apa vie leac să-ţi fie (« que l’eau vive te guérisse », 1973), et traduit en roumain les œuvres de nombreux auteurs. À Bucarest, une rue et une salle de la Société roumaine de radiodiffusion portent son nom. En 2003, elle obtient le prix In memoriam du Conseil national de l’audiovisuel roumain.

Luciana RADUT-GAGHI

RAMA, Carol (Olga Carolina, dite) [TURIN 1918]

Peintre et dessinatrice italienne.

Artiste autodidacte, Carol Rama considère sa pratique comme une thérapie : son inspiration étant très largement autobiographique, le matériau tiré de sa mémoire est souvent transformé en des figures étranges, fortement chargées de pathos et d’une poésie insolite et crue. À l’âge de 12 ans, elle traverse une grave crise et fréquente pendant quelque temps un hôpital de jour, expérience qui la marque profondément, ainsi que les rencontres qu’elle y fait. À 15 ans, sa mère, de santé psychique fragile, est internée, et son père se suicide lorsque sa petite usine de bicyclettes fait faillite. À partir de 1936, la jeune femme réalise des dessins de corps tronqués, mutilés, voire de simples fragments détachés de ces corps. Ce travail se prolonge dans des aquarelles et des gravures. Elle est alors proche du peintre Felice Casorati, le chef de file des Six de Turin, dont la personnalité domine le contexte artistique turinois. Sa première exposition, qui devait se tenir juste après la Libération à la galerie Faber, est interdite par le gouvernement démocrate-chrétien, scandalisé par la charge ouvertement sexuelle et provocante de ses œuvres. Cette production de jeunesse ne sera plus montrée pendant une quarantaine d’années. Après la guerre, comme beaucoup d’artistes italiens, C. Rama évolue vers l’abstraction, qu’elle voit comme une occasion d’ordonner ses compositions avec une rigueur nouvelle. Elle se rapproche du Movimento Arte Concreta d’Atanasio Soldati, Gilles Dorfles, Bruno Munari, qui prône une peinture détachée de toute référence au réel. Elle est très ancrée dans le contexte turinois : son travail est défendu avec une grande constance par son ami, le poète et universitaire Edoardo Sanguineti, dont les récits sont aussi une inspiration pour elle. Elle est aussi proche de l’architecte et designer Carlo Mollino, de l’historien de l’art Paolo Fossati, de l’architecte Corrado Levi. Dès les années 1960, elle revient à une inspiration plus personnelle et élabore ce que E. Sanguineti a appelé ses « bricolages », reprenant ainsi la formule de l’anthropologue Claude Lévi-Strauss à propos de ces modestes assemblages, réalisés avec des éléments hétérogènes à portée de main : elle colle ainsi des griffes animales, des fume-cigarettes sur des fonds travaillés de larges taches. Au cours de la décennie suivante, elle voyage à travers l’Europe et les États-Unis avec son galeriste, Luciano Anselmino ; c’est alors qu’elle rencontre Andy Warhol, Orson Welles et surtout Man Ray. Ses œuvres portent sur des problématiques liées aux grandes peurs de l’après-guerre : la bombe atomique, la guerre froide. La série Napalm, constituée d’yeux de poupées répartis par grappes sur des fonds traités au spray, forme une image frappante de la culpabilité. L’artiste travaille aussi sur de grands formats avec des chambres à air usagées qu’elle découpe et colle sur la toile en des motifs géométriques, ou bien qu’elle suspend à un axe horizontal : les irrégularités du caoutchouc donnent à ces ensembles leur matérialité. Les années 1980 sont celles de la reconnaissance, notamment grâce à la critique d’art Lea Vergine et à son exposition L’Altra Metà dell’avanguardia (Milan, Rome, Stockholm, 1980). Cet événement, consacré aux artistes féminines, permet à C. Rama de montrer ses créations les plus anciennes ; stimulée par ce succès, elle reprend son mode de figuration initial, mettant en scène une humanité et un bestiaire fantaisistes et sans inhibition. Cette pratique est fondée sur le désir et sur les pulsions, qu’elle extériorise et expose, symbolisés par les langues tirées et une description sans complaisance des corps, en particulier des appareils génitaux. Elle dessine souvent, sur des papiers récupérés, des schémas de construction ou bien des dessins d’architecte, et transforme ce matériau en images sentimentales et érotiques à la fois. À la suite de l’exposition du Stedelijk Museum d’Amsterdam en 1998, d’importantes rétrospectives sont organisées à l’étranger autour de ses œuvres. La consécration arrive en 2003, lorsque C. Rama reçoit le Lion d’or de la Biennale de Venise. La panique sanitaire autour de la maladie de Creutzfeldt-Jakob lui a inspiré toute une série d’œuvres centrée sur l’image de la vache folle.

Marie FRETIGNY

Carolrama (catalogue d’exposition), Mundici C. (dir.), Milan, Charta, 1998 ; Edoardo Sanguineti, Carol Rama (catalogue d’exposition), Tozzato L., Zambianchi C. (textes), Turin, F. Masoero, 2002 ; Catalogo ragionato dell’opera incisa (catalogue d’exposition), Wetzel A. (dir.), Turin, F. Masoero, 2006.

VERGINE L. (dir.), L’Autre Moitié de l’avant-garde 1910-1940 : femmes peintres et femmes sculpteurs dans les mouvements d’avant-garde historiques, Paris, Des femmes, 1982.

RAMA, Honorata DE LA (dite ATANG) [MANILLE 1905 - ID. 1991]

Chanteuse et actrice philippine.

Atang débute à 7 ans sur les planches dans des vaudevilles sarsuela. À 15 ans, elle entame sa carrière de chanteuse dans le vaudeville Dalagang bukid (« la jeune fille de la campagne »). En 1919, cette pièce devient le premier film parlant philippin ; elle y interprète le rôle principal et la chanson Nabasag na Banga (« la jarre cassée »). Pendant l’occupation américaine, Atang se bat pour la sauvegarde des chansons traditionnelles appelées kundiman et les vaudevilles. Son combat porte aussi sur la démocratisation culturelle ; elle pensait que l’art devait toucher toutes les couches de la population. Ainsi, elle ne joue pas seulement à Manille aux Teatro Libertad et Teatro Zorilla, mais aussi dans les arènes de combats de coqs et sur les places publiques dans tout l’archipel. Elle va jusqu’à chanter devant les montagnards les plus isolés. Ses convictions la poussent à se produire internationalement, notamment aux États-Unis et en Asie. Atang est proclamée « reine du kundiman et du sarsuela » à 74 ans. Elle joue dans plus de 50 vaudevilles en espagnol, tagalog, pampango et ilocano. Elle a aussi écrit des pièces comme Anak ni Eva (« l’enfant d’Eva »), Aking ina (« ma mère ») et Bulaklak ng Kabundukan (« la fleur de la montagne »). Elle est reconnue « Artiste nationale des Philippines pour le théâtre et la musique » en 1987.

Elisabeth LUQUIN

Lagi Kitang Naaalala (chanson), Manille, Cultural Center of the Philippines, 2002.

MAE T. A., « The Filipinas as national artiste », in Malaya, Manille, 11 septembre 2003.

RAMADAN, Somaya [LE CAIRE 1951]

Romancière et nouvelliste égyptienne d’expression anglaise et arabe.

Après une licence en lettres anglaises, Somaya Ramadan réside en Angleterre, puis en Irlande, et soutient une thèse sur le roman irlandais au XIXe siècle. Elle écrit d’abord en anglais, puis publie au Caire, en arabe, un recueil de très courtes nouvelles, presque des poèmes, Khashab wa-nuhās (« bois et cuivre », 1995). Paru en 2002, son premier roman, Feuilles de narcisse, fera très rapidement l’objet d’une traduction en anglais, puis en français. Très éloignée d’une littérature de revendication, l’auteure entre dans un champ littéraire féminisé, où elle peut donner libre cours à un mode narratif éclaté, parfois onirique, toujours profondément intime. Ce récit de douleur et de folie décrit une lente descente aux enfers, faite d’insomnie et de dépression, et ses remèdes imparfaits : les somnifères, l’exil, la mort, et finalement le retour dans une famille étouffante. L’écriture est mise en perspective comme une question de vie ou de mort. Roman de la culpabilité et de l’émancipation, il installe en son cœur la métaphore du miroir, qui est celui de l’écriture, et l’échec de la fuite. L’alternative entre mourir ou écrire est clairement affirmée. Loin d’un romantisme vide, l’auteure révèle les difficultés auxquelles peut être confrontée une femme égyptienne, même issue d’un milieu bourgeois, et la valeur de salut que revêt la prise de parole littéraire.

Marc KOBER

Feuilles de narcisse (Awrāq al-narğis, 2002), Arles, Actes Sud-Sindbad, 2006 ; Le Puits, in Peuples méditerranéens, Nouvelles d’Égypte, no 76, juil.-sept. 1996.

KOBER M., « Écritures féminines contemporaines du Moyen-Orient », in Cultures Sud, no 172, L’Engagement au féminin, janv.-mars 2009.

RAMALHO, Lizá [PORTUGAL ]

Graphiste portugaise.

Diplômée de l’École supérieure des beaux-arts de l’université de Porto, Lizá Ramalho crée avec Artur Rebelo, en 1995, l’atelier R2 Design. Graphiste et directrice artistique de ce studio, elle enseigne depuis 1996 le design graphique à l’Institut polytechnique de Porto. En 2005, elle obtient un DEA en recherche sur le design, à l’université de Barcelone, obtient un doctorat tout en continuant d’exercer le graphisme dans son atelier. Beaucoup d’institutions culturelles (musées, théâtres) font appel à R2 Design pour de grandes campagnes d’identités visuelles, des affiches et la réalisation de catalogues. L. Ramalho a participé à de nombreuses expositions internationales. Elle obtient le grand prix de la Biennale internationale des arts graphiques à Brno, en République tchèque, en 2006, et le prix de la Triennale d’affiches à Toyama, au Japon. Elle cherche son inspiration dans le monde qui l’entoure. Elle enregistre des images, des impressions, photographie au hasard, et puise dans cette banque d’images de nouvelles idées. Ses réalisations utilisent la typographie dans le registre de la « déconstruction », mouvement très à la mode dans les années 1980, soit un mélange, au gré de l’information, des graisses de caractères, des polices et des corps de lettres. Les sens de lecture changent parfois. C’est une tendance internationale en réaction à la rigueur du fonctionnalisme et de ses règles strictes d’application. Ses travaux utilisent le noir et blanc, avec, parfois, des couleurs estompées.

Margo ROUARD-SNOWMAN

RAMAN, Ingegerd [STOCKHOLM 1943]

Designer d’objets suédoise.

Après avoir étudié la céramique à la Sweedish School of Art and Design de Stockholm et à l’Institut de la céramique de Faenza, en Italie, Ingegerd Raman commence à créer des objets en verre pour l’entreprise Johansfors Glasbruk AB dès 1968 et y demeure en tant que designer intégrée jusqu’en 1972. Elle démissionne pour ouvrir son propre atelier et reprendre sa pratique de céramiste, qu’elle poursuit encore aujourd’hui. Mais ce sont ses créations en verre qui la rendent célèbre. Le verre est historiquement l’un des matériaux les plus réputés des pays scandinaves, surtout en Finlande, mais partout les entreprises sont progressivement rachetées et regroupées. Les anciens employés de la verrerie Skruf Glasbruk AB, qui refusent cette fatalité, rachètent leur entreprise et invitent I. Raman à les rejoindre. À partir de 1981, elle travaille exclusivement pour Skruf Glasbruk AB, et obtient à plusieurs reprises le prix Excellence du design suédois dès 1983. Elle crée des services de verres (dont Lilla et Auguste), le service de table en verre Bellman, composé de plats, bols, assiettes, verres et d’une dizaine de carafes (pour l’eau, le vin, l’huile ou le vinaigre). Ses objets aux lignes pures sont présentés dans des expositions à Helsinki, Paris, Tokyo, New York, Rome, etc. Elle place l’usage et la fonction au cœur de ses recherches formelles et n’emploie jamais que le blanc, le noir et le transparent. Elle estime beaucoup plus facile de créer des formes excentriques et inutiles que des objets contemporains et pourtant intemporels. En 1998, l’entreprise suédoise Orrefors lui propose d’intégrer sa petite équipe de créateurs. Le succès est encore au rendez-vous, et les collections Skyline et Slowfox sont primées, respectivement en 2001 et 2002. Sa collection Slowfox Black, dont toutes les pièces sont en verre soufflé noir, est exposée pour la première fois en 2005 dans la galerie d’Orrefors & Kosta Boda, à Stockholm, sous le titre de Back in Black. Présentée à Helsinki, à Paris et à Milan, elle revient en Suède pour être exposée dans plusieurs musées. Alternant séries industrielles et verreries d’art, elle signe en 2005, également pour Orrefors, Caracala et Night and Day, éditées en série limitée. Ses pièces font partie des collections de la National Art Gallery de Stockholm, du Victorian & Albert Museum de Londres, du Corning Museum of Glass aux États-Unis ou du Stedelijk Museum d’Amsterdam.

Joëlle MALICHAUD

RAMBAM, Cyvia VOIR RAMBERT, Marie

RAMBELLI, Roberta [1928-1996]

Écrivaine italienne.

Sous différents pseudonymes, Roberta Rambelli a écrit des romans de science-fiction. Traductrice, directrice de collections telles que « Galaxy » et « Galassia » de 1961 à 1965, rédactrice en chef d’Urania, elle a publié diverses anthologies. Auteure de 16 romans qui reprennent le schéma narratif du roman d’aventure, dont I creatori di mostri (« les créateurs de monstres », 2007), elle a également écrit Perché la Terra viva (« pour que vive la Terre », 1960) ; Il libro di Fars (« le livre de Fars », 1961) ; La pietra di Gaunar (« la pierre de Gaunar », 1966) ; Il ministero della felicità (« le ministère du bonheur », 1972).

Graziella PAGLIANO

RAMBERG, Myriam VOIR RAMBERT, Marie

RAMBERT, Madeleine [LAUSANNE 1900 - CUSSET, FRANCE 1979]

Psychanalyste suisse.

Très tôt sensibilisée au problème des enfants dits « arriérés », Madeleine Rambert crée un établissement de soins près de Romainmôtier, qu’elle transfère à Lausanne afin de continuer sa formation de psychanalyste à l’Institut Jean-Jacques-Rousseau. Elle commence avec Raymond de Saussure une analyse qu’elle poursuit à Bâle, et devient psychanalyste d’enfants. En 1942, elle est membre de la Société suisse de psychanalyse et forme le personnel médical de l’Office médico-pédagogique vaudois. En 1945, elle publie La Vie affective et morale de l’enfant, douze ans de pratique psychanalytique (Lausanne, Delachaux et Niestlé), livre préfacé par Jean Piaget. Elle y présente sa méthode, « la thérapie des marionnettes », ou comment le jeu de guignols peut enrichir la technique psychanalytique. Étroitement associée à l’École de Vienne, M. Rambert décrira trois phases dans le traitement de l’enfant : l’extériorisation du conflit névrotique, sa résolution par le jeu et les modifications apportées au comportement. Elle forme des éducateurs à l’école Pestalozzi en Suisse et travaille auprès de femmes délinquantes.

Nicole PETON

RAMBERT, Marie (Cyvia RAMBAM ou Myriam RAMBERG, dite) [VARSOVIE, POLOGNE 1888 - LONDRES 1982]

Danseuse et directrice de compagnie britannique.

D’abord attirée par la danse populaire, Marie Rambert assiste en 1904 à un récital d’Isadora Duncan* à Varsovie. À Paris, elle participe à des spectacles de Raymond Duncan et conçoit ses propres récitals. Elle part ensuite étudier l’eurythmie auprès d’Émile Jaques-Dalcroze. En 1912, Diaghilev l’engage comme assistante de Nijinsky lors de la création du Sacre du printemps (1913). Durant cette année aux Ballets russes, elle tient de petits rôles, étudie avec Enrico Cecchetti, apprécie la qualité novatrice du répertoire et, notamment, l’art de Tamara Karsavina*. En 1914, elle émigre à Londres et travaille comme professeure, chorégraphe et danseuse avant de fonder en 1920 sa propre école, puis en 1926 sa petite compagnie, le Ballet Rambert (1935-1987). Elle apprécie l’héritage de Petipa et des Ballets russes mais encourage et suscite surtout la création. Les jeunes chorégraphes Frederick Ashton, Antony Tudor, Andrée Howard*, Walter Gore, s’y révèlent et donnent au ballet britannique son style et son caractère. Dans les années 1960, sa compagnie se compose d’un petit groupe créatif où alternent classes de danse classique et de danse contemporaine. M. Rambert a largement contribué à l’essor du ballet anglais et reste célèbre par la façon dont elle a affirmé son propre style à travers les jeunes chorégraphes et décorateurs qu’elle a révélés. Comme professeure, elle développe compréhension du style et théâtralité plus que technique et analyse du mouvement.

Jane PRITCHARD

Quicksilver, Londres, Macmillan, 1972.

KELLY B., Mim : A Personal Memoir of Marie Rambert, Alton, Dance Books, 2009 ; PRITCHARD J., Rambert, a Celebration, Londres, Rambert Dance Co., 1996.

RAMBOUILLET, Catherine SAVELLI DE VIVONNE, dame D’ANGENNES, puis marquise DE [ROME V. 1588 - PARIS 1665]

Femme de lettres et salonnière française.

L’aura de légende et de nostalgie qui entoure la célèbre « chambre bleue » dès la fin du XVIIe siècle a quelque peu offusqué l’œuvre de la marquise. Celle que Chapelain estime être « la plus rare femme de [son] siècle » et que Malherbe célèbre sous l’anagramme d’Arthénice est en effet plus qu’une femme du monde particulièrement douée pour la conversation et l’esprit de joie cher à François de Sales. Dessinatrice de talent et versée dans l’art libéral de l’architecture (c’est sur ses plans qu’est édifié l’hôtel de la rue Saint-Thomas-du-Louvre), elle anime avec Voiture « l’Académie » informelle la plus importante du siècle, où les grands esprits du temps côtoient la plus haute aristocratie. Elle compose des poèmes, un livre d’heures à son usage, et favorise la naissance d’un français moderne et raffiné. Dissimulant un savoir aussi étendu en sciences qu’en lettres, comptée par les Ricovrati parmi les Sept Merveilles de la République des lettres, elle sert de modèle durant plus d’un siècle à toutes celles qui veulent écrire sans se perdre de réputation, de Madeleine de Scudéry* à Mme de Lambert*. Qu’on les estime, elle et ses filles, les « originaux des précieuses » (G. Tallemant des Réaux), ou le parangon de la « belle et honnête galanterie », la marquise de Rambouillet devient l’icône d’un « siècle de Louis XIII » idéalisé par l’historiographie romantique. Auteure de Prières en prose, manuscrit calligraphié par Nicolas Jarry (mentionné dans la collection Jérôme Pichon en 1940), elle a aussi composé des poésies et des lettres qui n’ont pas été recueillies en volume.

Myriam DUFOUR-MAÎTRE

ARONSON N., Mme de Rambouillet ou la Magicienne de la Chambre bleue, Paris, Fayard, 1988.

RAME, Franca [PARABIAGO 1929 - MILAN 2013]

Actrice et auteure dramatique italienne.

La carrière de Franca Rame, à partir de 1958, s’inscrit presque entièrement dans l’aventure théâtrale menée avec son mari, Dario Fo, et se caractérise par l’engagement et le militantisme politiques (lutte ouvrière, féminisme, revendications des étudiants). La compagnie sort en 1968 des circuits officiels et transporte son théâtre – fondé à la fois sur les techniques de la farce ancienne et sur la nécessité de promouvoir une contre-information (Mort accidentelle d’un anarchiste, 1970) – dans des lieux insolites : écoles occupées et usines. Dans ce parcours, qui renouvelle les valeurs de formes populaires (le masque, le grommelot, la jonglerie) leur donnant une fonction sociale très percutante, F. Rame est, au même titre que son époux, animatrice et auteure, comédienne et agitatrice de consciences. Elle signe des textes significatifs, comme Lo stupro (« le viol », 1981), après avoir été enlevée et violée en 1973 par des militants néo-fascistes. Sénatrice en 2006, elle démissionne en 2008, en désaccord avec les priorités d’une classe politique – de droite ou de gauche – dangereusement éloignée, selon elle, de son rôle véritable et des nécessités urgentes, culturelles et sociales, du pays.

Angelo PAVIA

RAMÍREZ ABELLA, Chabela (Julia Isabel, dite) [MONTEVIDEO 1958]

Compositrice, chanteuse, danseuse et activiste uruguayenne.

Chabela Ramírez grandit à Palermo, l’un des quartiers noirs de Montevideo, où se pratique le candombe, genre musical afro-uruguayen. Les jours de fête, les tambours défilent dans la rue Ansina et sa mère essaie sans grand succès de l’empêcher de danser trop ostensiblement pour éviter que son père ne la voie. En effet, si le candombe a été déclaré Patrimoine national en 2006, et Patrimoine immatériel de l’humanité en 2009, il est à cette époque déprécié par la majorité blanche et parfois au sein même de la collectivité noire (qui représente 8 % de la population). Militante féministe du mouvement politique noir, C. Ramírez est la première femme à avoir joué du tambour sur la scène du carnaval de Montevideo. Cependant, après vingt ans de carrière dans les plus grands groupes carnavalesques, elle décide de ne plus participer à ce carnaval en dénonçant sa dimension folklorisante. En 1995, elle fonde au sein de Organizaciones Mundo Afro – association politique noire la plus importante des années 1990 – le chœur et groupe de danse Afrogama, entièrement composé de femmes avec lesquelles elle affirme la dimension militante mais également religieuse du candombe. C. Ramírez est une initiée de batuque, religion dédiée aux divinités du panthéon yoruba, les Orixás, et s’inspire de l’univers religieux afro-américain dans ses créations chorégraphiques et dans ses compositions. Afrogama, qui participe chaque année au Desfile de Llamadas, a ainsi fait pénétrer les Orixás dans le défilé annuel de candombe. Le chœur, uniquement accompagné par les tambours, chante des compositions originales et des standards de candombe. Les thématiques abordées – l’esclavage, le racisme, le lien avec l’Afrique et les Orixás – revendiquent une mémoire et un imaginaire afrodescendant dans un pays à l’idéologie nationale européocentriste. Depuis 2007, Afrogama fonctionne comme un groupe culturel indépendant qui a participé à de nombreuses activités en Uruguay et aussi en Argentine, au Brésil et au Venezuela. La vision du candombe défendue par C. Ramírez rencontre un large écho dans la société uruguayenne et fait de cette artiste, qui a initié nombre de bouleversements esthétiques, sociaux et politiques, une figure centrale de l’Uruguay et de la diaspora afro-américaine.

Clara BIERMANN

RAMÍREZ DE ESPINOZA, Gladys [NICARAGUA XXe siècle]

Metteuse en scène et directrice de théâtre nicaraguayenne.

Gladys Ramírez de Espinoza fait partie d’un groupe de femmes de théâtre qui, par leur travail comme directrices du Teatro Experimental de Managua (TEM, 1961-1978), ont modifié le paysage théâtral nicaraguayen de la seconde moitié du XXe siècle. Formée en Europe, diplômée de philosophie et d’art (Paris), elle étudie la littérature comparée aux États-Unis. De retour au pays, elle s’investit dans le cercle littéraire de la poétesse María Teresa Sánchez*. Journaliste de chroniques culturelles et théâtrales (La prensa literaria), elle défend dans ses productions au sein du TEM l’idée d’un théâtre comme outil d’éducation du peuple. Ministre de la Culture (1990-1996), elle poursuit son entreprise de promotion et de diffusion du théâtre en soutenant les projets de l’École nationale de théâtre et du théâtre Rubén-Darío (dirigé par Rosita Bernheim) et en créant le Festival d’auteurs nationaux (1991) et la Biennale du théâtre (1993). Son travail et celui du collectif du TEM ont été récompensés par plusieurs prix nationaux (Güegüense de Oro) pour les mises en scène de : Constance, de William Somerset Maugham ; La Maison de Bernarda Alba, de Federico García Lorca ; Virage dangereux, de John Boynton Priestley ; Les Parents terribles, de Jean Cocteau ; Bourg-les-Dames, des frères Álvarez Quintero ; Le Petit Chaperon rouge, L’Importance d’être constant, d’Oscar Wilde ; La zorra y las uvas (« la renarde et les raisins »), de Guillermo de Figueiredo.

Stéphanie URDICIAN

RAMIREZ DE GUZMÁN, Catalina Clara [LLERENA 1618 - ID. 1684]

Écrivaine espagnole.

Issue d’une famille aisée et puissante, Catalina Clara Ramirez de Guzmán reste célibataire toute sa vie – fait insolite à une époque où les options les plus respectées pour une femme sont le mariage ou le couvent. Grâce à son rang social, elle reçoit une éducation supérieure à celle que reçoivent la plupart des femmes de son temps, pour lesquelles l’accès à l’université reste très limité. Vivant loin de la cour et des centres culturels, elle écrit pour sa famille et ses amis sous le pseudonyme de Clori. Sa poésie se caractérise par la diversité des thèmes : l’amour, la beauté féminine, le courage, l’érotisme, la mort et la religion, mais aussi le quotidien féminin, les relations sociales et familiales, la nature, sans compter les descriptions burlesques de sa famille et d’elle-même. On remarque les portraits dédiés à son frère Pierre (Pyrame dans ses poésies), d’une surprenante affection fraternelle. Comme les autres poètes baroques, elle use de l’ironie et du sarcasme, mais son œuvre préserve la fraîcheur de l’immédiat et de l’authentique. Poétesse, elle défend son art et ose critiquer le travail des hommes ; femme de condition privilégiée néanmoins soumise à des normes étroites, elle demande l’approbation de ses lecteurs, surtout masculins. Elle interdit la transmission de ses vers et demande qu’ils lui soient rendus, une fois lus. Il ne reste de ses écrits que 118 poèmes, conservés à la Bibliothèque nationale de Madrid, recueillis et publiés par Joaquin de Entrambasaguas. Son livre à thème pastoral, El extremeño (« l’extrémadurien »), est perdu. La publication d’études sur sa poésie et sa personnalité a ravivé l’intérêt pour cette poétesse du XVIIe siècle.

Concepció CANUT

CARRASCO A., « La poetisa Catalina Clara Ramírez de Guzmán (1618-1684), noticias familiares », in La plaza mayor de Llerena y otros estudios, Valdemoro, Tuero, 1985 ; COLÓN I., « Catalina Clara Ramírez de Guzmán, autorretrato y erotismo », in DiEZ J. I., MARTIN A. (dir.), Venus venerada, tradiciones eróticas de la literatura española, Madrid, Editorial Complutense, 2006 ; ENTRAMBASAGUAS Y PEÑA J. de, Poesías de Doña Catalina Clara Ramírez de Guzmán, Badajoz, A. Arqueros, 1930.

BORRACHERO A., « El autorretrato en la poesía de Catalina Clara Ramírez de Guzmán », in Calíope n° 12, Université de Houston, 2006.

RAMNOUX, Clémence [PARIS 1905 - ID. 1997]

Philosophe française.

Normalienne, contemporaine entre autres de Simone Weil*, Clémence Ramnoux est agrégée de philosophie en 1931 et docteure d’État en 1959. Première femme invitée à Princeton (1955), elle participe à la création de l’université Paris 10-Nanterre aux côtés de Paul Ricœur et Jean-François Lyotard en 1965. Influencée par la pensée de Henri Bergson et de Georges Dumézil, C. Ramnoux s’intéresse aux présocratiques, en particulier à la cosmographie d’Hésiode et à la philosophie d’Héraclite, qu’elle lit à la lumière de Gaston Bachelard et de Jacques Lacan, s’interrogeant sur les « superstructures idéologico-systématiques de la transmission », et à la dualité entre discours mythique et discours savant.

Marta MARTÍNEZ VALLS

La Nuit et les Enfants de la nuit dans la tradition grecque, Paris, Flammarion, 1959 ; Héraclite ou l’Homme entre les choses et les mots (1959), Paris, Les Belles Lettres, 1968 ; Études présocratiques I, Paris, Klincksieck, 1969 ; Parménide et ses successeurs immédiats, Paris, Éditions du Rocher, 1979 ; Études présocratiques II, suivies de Études mythologiques ou De la légende à la sagesse, Paris, Klincksieck, 1983.

RAMOND, Michèle [NEUILLY-SUR-SEINE 1942]

Écrivaine et critique littéraire française.

Une vocation d’hispaniste, née sans doute du désir de faire revivre le père trop tôt disparu, conduit Michèle Ramond, après des études à l’École normale supérieure, à une thèse de doctorat d’État sur Federico García Lorca. Elle mène de front un enseignement universitaire et une œuvre de fiction qui est publiée à partir de 1987 : dans des récits poétiques et musicaux, l’histoire et l’Histoire sont toujours repérables sous le déploiement baroque, visionnaire et incantatoire des images. La Moureuse (1987) est une entrée en écriture saisissante avec ses diatribes où de multiples voix de femmes fustigent et tournent en dérision la domination masculine. L’expression métaphorique, antinarrative, d’un amour de transfert (Vous, 1988) orchestre les thèmes picturaux, musicaux et philosophiques qui signent l’œuvre : l’adresse à l’autre, le désert, l’arbre, la terrasse de l’entretien philosophique, la troublante frontière entre vie et mort. L’Occupation (1991) tente de conjurer la guerre, cadre de la petite enfance, souvenir obsédant et meurtrier. Inspirés par le Paraguay et la civilisation amérindienne, les entretiens, dans la jungle, de la narratrice avec le vieux Doctor et un Indien Mbyá (Les Nuits philosophiques du Doctor Pastore, 1997) relancent les débats transculturels sur la globalisation comme extension du champ de la domination et de l’horreur. La réflexion philosophique, incantatoire et ludique se poursuit dans Feu le feu (2004), hymne aux travailleurs de la sidérurgie en liquidation. Une femme portant le corps mort de sa mère (Voyage d’été, 2006) renoue avec les grands récits sur le passage dans l’au-delà. Lise (Lise et lui, 2008) est une femme révoltée par la violence qui conduit le monde à sa perte. Une œuvre en devenir qui allie sensuellement exigence idéologique et audace de l’écriture, modulant en ostinato les thèmes de la violence, de la révolte, du jardin comme berceau et cendres de l’humaine nature.

Milagros EZQUERRO

RAMONDINO, Fabrizia [NAPLES 1936 - GAÈTE 2008]

Écrivaine italienne.

Fabrizia Ramondino a publié des textes sur les batailles sociales du siècle dernier, ainsi que des romans et des récits de voyage, inspirés de ses séjours en Espagne, en France et en Allemagne : Althénopis (1981) ; Storie di patio (« histoires de patio », 1983), un recueil de récits ; Taccuino tedesco (« carnet allemand », 1987) ; Un jour et demi (1988), situé à Naples lors des événements de 1968 ; Dadapolis, caleidoscopio napoletano (« Dadapolis, kaléidoscope napolitain », 1989), en collaboration avec Andreas Friedrich Müller ; In viaggio (« en voyage », 1995) ; L’isola riflessa (« l’île reflétée », 1998), sur l’île de Ventotene dans le golfe de Naples (une île de pirates, de saints, de prisonniers, d’antifascistes bannis) ; Passaggio a Trieste (« passage à Trieste », 2000) ; Arcangelo e altri racconti (« Arcangelo et autres récits », 2005). F. Ramondino considérait Anna Maria Ortese* comme l’un de ses maîtres.

Graziella PAGLIANO

Althénopis (Althénopis, 1981), Paris, Flammarion, 1990 ; Un jour et demi (Un giorno e mezzo, 1988), Paris, Flammarion, 1994.

RAMOS, Melchora DE (née AQUINO, dite TANDANG SORA) [BALINTAWAK, CALOOCAN 1812 - BANLAT 1919]

Figure historique philippine.

Tandang Sora, déjà très âgée quand la révolution contre les colons espagnols éclate en 1896, a aidé les membres du mouvement révolutionnaire à échapper à la répression espagnole. Son aide consistait à les cacher, les nourrir, les soigner dans la forêt de Balintawak. Certaines réunions du Katipunan (mouvement indépendantiste contre les Espagnols) se sont déroulées dans sa maison. La même année, elle est arrêtée et déportée à Guam, aux îles Mariannes. Dès la prise de contrôle des Américains sur l’archipel en 1898, elle revient au pays. Surnommée la Grande Dame de la révolution et la Mère de Balintawak, elle a son effigie sur le billet de 100 pesos (1951-1966) et l’ancienne pièce de cinq centimes (1967-1992).

Elisabeth LUQUIN

DE GUZMAN J. V. et al. (dir.), Women of Distinction : Biographical Essays on Outstanding Filipino Women of the Past and the Present, Philippines, Bukang Liwayway, 1967.

RAMPLING, Charlotte [STURMER 1946]

Actrice britannique.

Après s’être lancée dans le mannequinat et le music-hall, Charlotte Rampling fait ses débuts au cinéma dans Le Knack… et comment l’avoir (1965), avant d’enchaîner les comédies à succès. Remarquée pour sa beauté raffinée et sa voix grave, elle est engagée par Luchino Visconti dans Les Damnés (1969) avant de tourner en Italie Dommage qu’elle soit une putain (1971), film pour lequel elle incarne une sœur incestueuse. Dans Portier de nuit (1974), Liliana Cavani* lui offre le rôle d’une survivante des camps confrontée à son bourreau (incarné par Dirk Bogarde). Elle s’installe en France au cours des années 1970 et tourne avec Patrice Chéreau qui la choisit pour incarner la victime dans La Chair de l’orchidée (1975). Elle joue également sous la direction d’Yves Boisset (Un taxi mauve, 1977) ou encore de Claude Lelouch (Viva la vie, 1984). Elle tourne aussi avec Woody Allen (Stardust Memories, 1980) et Sidney Lumet (Le Verdict, avec Paul Newman, 1982). Elle interprète Les Ailes de la colombe (1997), d’après Henry James, et La Cerisaie (1999), de Michael Cacoyannis, d’après Anton Tchekhov. En France, elle est appréciée de François Ozon qui la dirige dans Sous le sable (2000) ; Swimming Pool (2003) ; Angel (2007). Au théâtre, à Paris, elle joue notamment dans La Danse de mort (2007), d’August Strindberg, avec Didier Sandre.

Bruno VILLIEN

The Look, Angelina Macarone, 90 min, 2011.

RANAVALONA III [TANANARIVE 1862 - ALGER 1917]

Dernière reine du royaume malgache indépendant.

Fille de la princesse Raketaka et de son cousin Andriantsimianatra, Ranavalona III accède au trône à l’âge de 21 ans, après le décès de sa cousine, la reine Ranavalona II, le 14 juillet 1883, et en épousant le Premier ministre Rainilaiarivony. Elle est vite confrontée aux pressions occidentales et affiche une volonté farouche de conserver l’indépendance de son pays. Elle et son mari entament une réorganisation économique. Mais leur autorité est constamment remise en question par les autorités coloniales françaises. De 1883 à 1885, une guerre civile oppose les Malgaches aux forces coloniales françaises et, le 17 décembre 1885, Ranavalona III se résigne à signer le traité de Tamatave (auj. Toamasina) plaçant le royaume malgache sous la dépendance économique de la France. Contestant la validité de ce dernier, elle recherche en vain un allié auprès de la couronne d’Angleterre. En 1890, un accord franco-britannique cédant aux Anglais les prétentions françaises sur Zanzibar permet à la France de conserver le royaume malgache. Afin d’accélérer le processus de conquête, un régiment français mené par le général Duchesne débarque à Tamatave le 30 septembre 1895 et s’empare de Tananarive le jour suivant. La reine voit alors son pays en proie à des insurrections menées par le mouvement des Menalamba (« les toges rouges ») violemment réprimé par les forces occidentales. Le 18 janvier 1896, le gouverneur Hippolyte Laroche contraint Ranavalona III à signer un traité entérinant la « prise de possession » de Madagascar par la France. Le 28 février, le général Gallieni publie un arrêté abolissant la royauté. Le 6 août de la même année, Madagascar est déclarée colonie française et Ranavalona III, destituée, est exilée sur l’île de la Réunion puis à Alger. Malgré son exil, Ranavalona III demeure une reine honorée et respectée par les peuples étrangers. Ses cendres sont rapatriées le 10 octobre 1938 au Palais de la reine de Madagascar. Son règne, qui dura seize ans, constitua la parenthèse définitive de la monarchie Merina.

Corinne SE SE

ELLIS S., L’Insurrection des Menalamba, une révolte à Madagascar (1895-1898), Paris, Karthala, 1998 ; SERBIN S., Reines d’Afrique et héroïnes de la diaspora noire, Saint-Maur-des-Fossés, Sépia, 2004.

RANCOURT, Sylvie [1960]

Auteure de bandes dessinées canadienne d’expression française.

Au début des années 1980, Sylvie Rancourt, née dans la région d’Abitibi, danse nue dans des boîtes à strip-tease de Montréal sous le pseudonyme de Melody. Elle en tire une série qui relate de façon jubilatoire son passé professionnel. Cette première bande dessinée autobiographique canadienne, éditée en 1985 à compte d’auteure sous forme de fascicules en langue française, est vendue sur les lieux de travail de S. Rancourt puis en kiosque. Elle confie ensuite ses scénarios à Jacques Boivin, surnommé « l’enfant terrible de la BD québécoise » par l’hebdomadaire Tintin. Adepte d’un dessin moins naïf, J. Boivin traduit en anglais le premier numéro et le propose à un éditeur américain. De 1988 à 1995, dix volumes du comic book Melody, sous-titré The true story of a nude dancer, se vendent à plus de 120 000 exemplaires. Mais ce succès ne s’étend pas au Canada où l’histoire suscite controverses et polémiques. Un magazine de Toronto, Family Circle, crie au scandale pornographique. Des saisies ont lieu et, sous la pression, l’éditeur met un terme à l’importation du comic book en langue anglaise. Nul n’est prophète en son pays…

Camilla PATRUNO et Christian MARMONNIER

RANCY, Sabine [MARSEILLE 1929 - VELLETRI 2010]

Écuyère et directrice de cirque française.

Fille de Pierre Henri Rancy, dit Henry Rancy, et de Mathilde Price, dite Tilly Rancy*, rompue à toutes les disciplines de la piste, Sabine Rancy excelle très vite dans le domaine équestre. Son mariage avec l’écuyer Dany Renz est célébré à Lyon en 1950 par le président Édouard Herriot, maire de la ville. Le couple crée et présente de nombreux numéros équestres dans les plus grands cirques européens. En 1963, ils fondent le cirque Sabine Rancy où se succèdent de grandes productions : Zorro (1965), La Veuve joyeuse (1967), Féerie au Népal (1968), Tarass Boulba (1969). Elle poursuit seule l’exploitation du cirque après le décès accidentel de son mari en 1972 et se remarie en 1975 avec Aly Larible, grand nom du cirque italien. Tout au long de sa carrière, elle s’est attachée à maintenir la tradition équestre de sa famille, attentive aux moindres détails pour que chaque représentation soit aussi parfaite qu’à la première. Le soin apporté aux costumes a fait de tous les spectacles qu’elle a créés un modèle d’élégance et de raffinement. Par son ascendance, S. Rancy est apparentée à une vingtaine des plus célèbres patronymes de l’histoire du cirque.

Pascal JACOB

RANCY, Tilly [LONDRES 1895 - ROUEN 1977]

Artiste et directrice de cirque britannique.

Mathilde Price, appelée Tilly, est l’une des deux filles de John Price et Louise Renz, tous deux issus de vieilles familles de cirque anglo-saxonnes. Elle reçoit une instruction et une formation complètes d’acrobate et d’écuyère. Elle s’illustre particulièrement comme « charmeuse de pigeons » et, avec sa sœur Dolly, dans une forme ancienne de jonglage, récemment réadaptée à la piste, le diabolo. Les sœurs Tilly et Dolly, toutes de blanc vêtues, figurent au programme de l’Olympia (direction Paul Franck) en 1921 et 1922 et entre les deux guerres au cirque Ciniselli de Varsovie, dans une prestation de double diabolo, rapide et parfaitement synchronisée. Elle épouse Pierre Henri Rancy, dit Henry Rancy, en 1924 et met sa touche personnelle aux numéros équestres présentés en couple, Le Cheval et la Danseuse, ou une haute école à cheval exécutée au milieu d’évolutions de colombes dressées. En piste, elle restera toujours élégante, en robe de soirée, chapeautée et gantée, jusqu’à sa dernière apparition au Havre en 1953, dans une présentation de sa cavalerie « en liberté ». T. Rancy révèle ses capacités de gestionnaire, prenant sa part dans la direction des différents établissements, mais elle est avant tout femme de spectacle, mettant en scène pantomimes ou finals élaborés comme La Féerie à Sumatra, prétexte à chorégraphies et conception de costumes dont elle supervisait la confection. Elle est nommée chevalier dans l’Ordre des Arts et des Lettres et chevalier des Palmes académiques, et décorée de l’Ordre du Mérite social et du Mérite agricole.

Marika MAYMARD

GARNIER J., « Mme Henri Rancy », in Le Cirque dans l’univers, no 107 ; GUERRE M., « Wong Mow Ting, ses diabolos et ses prédécesseurs », in Le Cirque dans l’univers, no 58, 1965 ; OGER C., « Adieu à Henri Rancy », in Le Cirque dans l’univers, no 88, 1973.

RAND, Ayn (née Alissa ROSENBAUM) [SAINT-PÉTERSBOURG 1905 - NEW YORK 1982]

Philosophe américaine.

Lorsque Alissa Rosenbaum décide de devenir Ayn Rand, le changement est symbolique ; il marque à la fois la coupure radicale, véhémente et résignée, avec son passé et son pays natal – la Russie tsariste, devenue l’URSS, qu’elle quitte en 1926 –, et l’installation dans son pays d’adoption, les États-Unis. Ses écrits philosophiques et politiques tout comme son œuvre de fiction sont traversés par sa haine du communisme et parsemés de propos antisoviétiques : en témoigne notamment son roman dystopique, Anthem (1938), qui met en scène une société totalitaire. A. Rand débute comme scénariste à Hollywood, pour se consacrer par la suite à la rédaction de son premier roman, Nous, les vivants (1936), d’inspiration autobiographique. C’est avec son troisième roman, La Source vive (1943), qu’elle connaît la consécration. Avec les protagonistes de son dernier roman, La Grève (1957), tous ses personnages sont forts et indépendants, réfléchis et résolus, d’esprit pratique mais inébranlablement moraux, d’un égoïsme « rationnel », opposé à l’altruisme d’inspiration collectiviste. C’est sur ce même postulat que repose le courant philosophique qu’elle a fondé, l’objectivisme – à distinguer de la question philosophique de l’objectivité – (Introduction to Objectivist Epistemology, 1966). À l’instar d’Aristote, elle part du primat de la raison et du réalisme et affirme que la réalité existe objectivement dans les faits, indépendamment de la perception humaine des choses. En conséquence, nos raisonnements doivent être faits en fonction de prérogatives et par le biais de la raison, en tant que seul moyen d’acquérir des connaissances. En dehors de la métaphysique et de l’épistémologie, le système objectiviste s’articule autour de deux autres thèmes emboîtés : l’éthique, vue comme une « nécessité objective et métaphysique de la survie de l’homme », qui définit comme vertu cardinale la vertu de l’égoïsme individuel, de l’accomplissement de l’intérêt propre et de l’ego (La Vertu d’égoïsme, 1964) ; et le politique, qui pose le système du laissez-faire capitaliste comme le cadre le mieux approprié pour garantir les libertés individuelles (Capitalism : The Unknown Ideal, « capitalisme, l’idéal inconnu », 1966). Ces thèmes de recherche débouchent sur d’autres domaines, comme l’esthétique, la religion, l’écologie, l’environnement. La réflexion d’A. Rand porte également sur le féminisme, le racisme, l’homosexualité, le progrès, la culture de masse. Par ses critiques de l’étatisme et ses prises de position en faveur d’un État minimal, sa pensée a renouvelé la philosophie libérale contemporaine.

Gabriela CURSARU

Nous, les vivants (We the Living, 1936), Paris, Rive droite, 1996 ; La Source vive (The Fountainhead, 1943), Paris, Omnibus, 2007 ; La Vertu d’égoïsme (The Virtue of Selfishness, 1964), Paris, Les Belles Lettres, 2007 ; La Grève (Atlas Shrugged, 1957), Paris, Les Belles Lettres, 2011.

RANDERSON, Jo [AUCKLAND 1973]

Écrivaine, metteuse en scène et comédienne néo-zélandaise.

Fière de ses racines viking (Randers, au Danemark), Jo Randerson grandit à Wellington et obtient un BA (Bachelor of Arts) en études filmiques et théâtrales à l’université Victoria de Wellington. Elle publie trois recueils de nouvelles : l’ouvrage illustré The Knot (« le nœud », 1998), The Spit Children (« les enfants crachats », 2000), particulièrement salué par la critique, et The Keys to Hell (« les clés pour l’enfer », 2004), illustré par Taika Waititi. En 2001, elle est nommée Robert Burns Fellow à l’université d’Otago. Elle s’intéresse aux formes expérimentales et ses poèmes en prose présentent essentiellement des thèmes philosophiques. Elle publie également de nombreuses pièces de théâtre, dont The Unforgiven Harvest (« la récolte non pardonnée », 2000) et Fold (« pli », 2004). Comédienne, elle est fondatrice et directrice artistique de la compagnie de théâtre Barbarian Productions, qui se produit en Nouvelle-Zélande et à l’étranger. Cracks in the Garden (« fissures dans le jardin ») reçoit le prix de la meilleure comédie au Melbourne Fringe Festival en 2003. Comédie satirique sur l’obsession néo-zélandaise croissante du politiquement correct, Carry on Randerson (« continue, Randerson », 2007) est nominée pour le prix Best Comedy Innovation au NZ International Comedy Festival en 2004 ; cette pièce est jouée par la dramaturge et son frère Jeremy Randerson. En 2005, Skazzle Dazzle, pièce inspirée du théâtre de variétés, connaît un vif succès. Écrite et interprétée par l’auteure, Banging Cymbal, Clanging Gong (« coup de cymbale, coup de gong », 2003) est présentée au Danemark, en Norvège, en Australie et en Nouvelle-Zélande. En 2006, J. Randerson contribue à l’anthologie Are Angels OK ? The Parallel Universes of New Zealand Writers and Scientists, éditée par Paul Callaghan et Bill Manhire. À deux reprises, en 2006 et 2008, elle est sélectionnée pour l’International Prize in Modern Letters, qui encourage de jeunes auteurs. L’année 2008 marque également la naissance de son fils, Geronimo Ralph, et la remise d’un New Generation Award par l’Arts Foundation qui voit en elle l’un des cinq jeunes artistes les plus prometteurs du pays. Elle publie également Through the Door (« par la porte », 2009), un ouvrage illustré pour adultes. En septembre et octobre 2009, Good Night : The End est jouée au Downstage Theatre de Wellington ; cette comédie existentielle, entre réalisme magique et néogothique humoristique, est vivement saluée par la critique. En 2012, J. Randerson publie un recueil de nouvelles intitulé Tales from the Netherworld (« contes du monde des morts ») aux éditions Steele Roberts. Elle vit à Wellington avec son mari, Thomas LaHood.

Nelly GILLET

CALLAGHAN P., MANHIRE B. (dir.), Are Angels OK ? , Wellington, Victoria University Press, 2006.

RANDOIN, Lucie [BŒURS-EN-OTHE 1888 - PARIS 1960]

Biologiste et hygiéniste française.

Visionnaire, Lucie Randoin s’est très tôt intéressée à la nutrition, et lui a donné ses lettres de noblesse. Elle est directrice du laboratoire de physiologie de la nutrition à l’Institut national de la recherche agronomique de 1922 à 1953, directrice de celui du CNRS à partir de 1939, et, enfin, de celui de l’École pratique des hautes études. Elle dirige en 1942 l’Institut scientifique d’hygiène alimentaire, qui deviendra l’Inserm en 1964. Elle est la première femme à enseigner à la faculté de médecine de Paris. Ses ouvrages, notamment Les Vitamines (1957) et Tables de composition des aliments (1981), sont des références pour de nombreux diététiciens et nutritionnistes ; ils sont toujours réédités. L. Randoin élabore en 1935 les lois de la diététique et crée en 1945 une formation de « spécialiste en alimentation rationnelle », inaugurant ainsi la profession de diététicien.

Claude COLAS

RANJIT, Ashmina [KATMANDOU 1966]

Plasticienne et performeuse népalaise.

Ashmina Ranjit a étudié les beaux-arts au Lalit Kala Campus à Katmandou, à l’université de Tasmanie, en Australie, et à Columbia à New York. Jeune femme engagée politiquement et socialement, féministe active, elle s’est donné pour mission d’informer et d’inspirer par son art, en vue d’une action collective. Elle a mis ses principes en application lors du mouvement de protestation populaire d’avril 2006 contre l’autocratie royale, en organisant dans les rues des installations visant à éveiller la conscience des passants face aux excès de la machine gouvernementale. Quand elle commence à créer, en 1987, seules la peinture et la sculpture sont considérées comme de l’art au Népal. Elle fonde alors Sutra Art, un institut alternatif visant à remettre en question les formes d’art conventionnelles. Puis, associant d’autres personnes que des artistes à son projet, A. Ranjit crée Lasanaa, une organisation qui mène des actions politiques en collaboration avec Women Down the Pub, un réseau international d’artistes féministes qu’elle a découvert lors d’un voyage au Danemark. Ainsi, en 2008, pour les élections à l’Assemblée constituante, elle lance une campagne pour la parité : « Des voix différentes sur les panneaux publicitaires. » A. Ranjit compare la création artistique à un accouchement, en ce que tous deux combinent peine et plaisir d’une manière impossible à décrire pour qui ne l’a pas vécu. Elle ne sépare en aucune façon l’art et la vie et voit ceux qui sont amenés à regarder ses œuvres non comme des spectateurs, mais comme des participants. Elle a présenté ses conceptions de l’art dans une salle représentant un utérus et a souvent abasourdi son assistance par ses installations provocatrices. Artiste visuelle pluridisciplinaire, elle utilise la peinture, l’impression, la sculpture, mais aussi les installations, les arts vivants de la performance ainsi que la vidéo et le son. Elle dit « travailler » les questions sociales et politiques plutôt que prôner le changement. Elle a exposé dans de nombreux pays en Asie, en Europe et en Amérique, notamment à la Biennale de Dhaka, à la Triennale de Fukuoka et à la Troisième Triennale de Canton.

C.K. LAL et Marie LECOMTE-TILOUINE

RANKIN, Jeannette PICKERING [MISSOULA 1880 - CARMEL-BY-THE-SEA 1973]

Femme politique américaine.

Jeannette Rankin commence sa carrière en militant avec succès pour le droit de vote des femmes dans son État natal, le Montana, et devient ensuite la première femme élue à la Chambre des représentants des États-Unis en 1916. Membre du Parti républicain, elle vote néanmoins contre l’entrée du pays dans la Première Guerre mondiale, ce qui la rend très impopulaire et lui fait perdre la nomination du parti au Montana pour le Sénat en 1918. Elle continue à militer et devient assistante sociale jusqu’à son retour à la politique en 1940. Elle est alors réélue à la Chambre des représentants. Toujours pacifiste, elle est la seule personne au Congrès à voter contre la déclaration de guerre au Japon le lendemain de l’attaque de Pearl Harbor. Elle ne se représente pas aux élections en 1942 et consacre le reste de sa vie à militer pour les droits des femmes et contre la guerre.

Béatrice TURPIN

RANK-MINZER, Beata [NEUSANDETZ, POLOGNE 1886 - BOSTON, ÉTATS-UNIS 1967]

Psychanalyste américaine.

Née près de Cracovie dans une famille bourgeoise, Beata Minzer fut présentée par l’une de ses tantes à Otto Rank, qui avait été mobilisé à Cracovie de 1916 à 1918. À la fin de la guerre, le jeune couple rejoignait Vienne, la ville natale d’Otto, ce grand lecteur de philosophie et de littérature, venu d’un milieu modeste mais prolifique écrivain qui sera choyé par Sigmund Freud dès son entrée dans le Cercle psychanalytique de Vienne. Encouragée elle aussi par S. Freud, Beata suit séminaires et conférences et se joindra à son mari pour son travail de publication d’ouvrages psychanalytiques dans la principale maison d’édition de Vienne, la Internationale Psychoanalytische Verlag. Elle traduit en polonais l’essai de S. Freud Sur le rêve, paru en 1901, et présente, en 1923, une communication remarquée sur « le rôle de la femme dans le développement de la société », qui paraîtra l’année suivante dans la revue Imago. Après deux décennies de grande proximité entre O. Rank et S. Freud, leurs relations devaient se détériorer considérablement. Otto fait un premier voyage aux États-Unis, puis la famille s’installe pour un temps à Paris. L’émigration d’Otto et sa rencontre avec Anaïs Nin* signent la séparation du couple. Beata reste un moment à Paris avec leur fille. Mais, devant les menaces nazies qui se précisaient en Europe, elles quittent la France, en 1936, pour s’installer à Boston. Grâce à ses amis de Vienne, Felix et Helene Deutsch* qui l’avaient précédée, B. Rank-Minzer est accueillie à l’Institut psychanalytique où elle participera à la formation des analystes puis sera nommée professeur honoraire de psychiatrie à la Boston University School of Medecine. Avec Marion Putnam, elle fondera et dirigera le James Jackson Putnam Children’s Center, l’une des premières cliniques de jour destinées aux enfants d’âge préscolaire et à leurs parents.

Chantal TALAGRAND

« Zur Rolle der Frau in der Gesellschaft der menschlichen Entwicklung », Imago, n°10, 1924.

RANNEY, Helen Margaret [SUMMERHILL 1920 - SAN DIEGO 2010]

Médecin hématologue américaine.

Née d’une mère enseignante et d’un père fermier, Helen Ranney grandit dans l’État de New York. Après avoir terminé ses études secondaires au Barnard College, affilié à Columbia, elle se voit refuser son admission au College of Physicians and Surgeons (P&S) de l’université. Elle prend alors un poste de technicienne de laboratoire au New York Babies Hospital, mais le P&S finit par accepter sa candidature. Elle obtient son doctorat en médecine en 1947. En 1953, elle commence à travailler sur l’hémoglobine (pigment riche en fer contenu dans les globules rouges du sang qui transporte l’oxygène à partir du poumon vers d’autres tissus), et montre que les sous-unités isolées alpha et bêta de l’hémoglobine ont une grande affinité avec l’oxygène mais manquent de coopérativité, ce qui les distingue de la forme naturelle tétramérique (deux chaînes alpha et deux chaînes bêta). Avec Daniel Larson, elle parvient à différencier l’hémoglobine normale de celle des sujets atteints de thalassémie (HbS). En 1954, elle montre que l’hémoglobine S, présente chez les thalassémiques, et l’hémoglobine C (autre hémoglobine anormale) sont des allèles (formes différentes dérivées à partir d’un même gène), et parvient à élucider par des études familiales la transmission génétique de l’hémoglobinopathie SC. En 1960, elle quitte Columbia pour l’Albert Einstein College of Medicine à New York, où elle crée une clinique pluridisciplinaire des maladies héréditaires et forme des hématologistes de renom mondial. En 1973, première femme à occuper un tel poste, elle accepte la chaire de médecine à l’université de Californie, San Diego (UCSD). À son départ, l’université crée une chaire de recherche qui porte son nom pour honorer une femme professeur, la Helen M. Ranney Chair in Medicine. En 1972, H. Ranney reçoit le prix Martin-Luther-King-Jr. Medical Achievement Award. En 1973, elle est élue à la National Academy of Science. Elle est la première femme présidente de l’American Society of Hematology (ASH) et de l’Association of American Physicians (AAP) entre 1984 et 1985. À partir de 1991, elle est membre du conseil et consultante de l’Alliance Pharmaceutical Corporation à San Diego, où elle s’intéresse aux fluorocarbones en tant que transporteurs d’oxygène.

Madeleine COTTENET-HAGE et Doris MÉNACHÉ-ARONSON

Avec LARSON D. L., « Filter paper electrophoresis of human hemoglobin », in The Journal of Clinical Investigation, vol. 32, no 12, déc. 1953 ; avec LARSON D. L., MCCORMACK G. H. Jr., « Some clinical, biochemical and genetic observations on hemoglobin C », in The Journal of Clinical Investigation, vol. 32, no 12, déc. 1953 ; « Observations on the inheritance of sickle-cell hemoglobin and hemoglobin C », in The Journal of Clinical Investigation, vol. 33, no 12, déc. 1954.

RAO, Maya Krishna [NEW YORK 1953]

Danseuse, chorégraphe, metteuse en scène et actrice indienne.

Formée au théâtre dansé kathakali à partir de 1961, en particulier aux techniques des rôles masculins devenues pour elle sources d’inspiration, Maya Krishna Rao contribue dans les années 1970 à la création de Theatre Union, une troupe de théâtre de rue qui produit des spectacles à thématique féminine. Convaincue de la nécessité d’une pédagogie ouverte aux techniques du jeu théâtral dès l’enfance, elle conçoit un programme qu’elle expérimente en Angleterre dès 1982, au sein de la Leeds Playhouse Theatre-In-Education Company, et qu’elle poursuit à partir de 1990 à New Delhi, à la National School of Drama (NSD), dans le cadre d’objectifs éducatifs similaires. Elle reste ensuite attachée à la NSD par l’enseignement qu’elle y dispense et par ses créations. Le théâtre est pour elle un outil d’éducation tiré de la vie, un catalyseur d’expériences nées d’une curiosité instinctive. En 2003, pour la T. I. E. Company de la NSD, elle produit Sciva and Jagli sur l’identité et la différence, jouée dans les écoles avec des enfants de 10 ans. Ayant fondé en 1993 sa compagnie, Vismayah, elle crée son propre langage dramatique, principalement corporel, où se mêlent danse, théâtre, musique, texte purement verbal et autres modes d’expression. Chorégraphe de toutes ses productions, elle réalise avec sa troupe, en Inde et à l’étranger, notamment : Khôl do (« ouvre-le »), inspirée d’une œuvre de Saadat Hasan Manto et créée en 2006 pour le festival Lille 3000 ; The Job, d’après une nouvelle de Bertolt Brecht (1997) ; ainsi que des comédies aux titres déconcertants mais au pouvoir d’humour et d’émotion, comme la mosaïque sociopolitique de style cabaret A Deep Fried Jam (« un sacré sandwich », 2002) et l’ensemble d’improvisations inspirées d’images du journal télévisé Heads are Meant for Walking into (« les têtes sont faites pour y marcher », 2005). En 2010, pour le festival de la NSD, elle adapte et dirige Macbeth Revisited, puis conçoit et présente en 2011 Quality Street, à partir d’une nouvelle de l’auteure nigérienne Chimamanda Ngozi Adichie, avec projections, flashs vidéo, insertions musicales, paroles amplifiées, effets vocaux, objets substituts. Souvent qualifiées de hardies et d’elliptiques, ses créations échappent à toute logique de construction et émergent d’une recherche commune des membres de sa compagnie.

Milena SALVINI

RAPHAËL MAFAI, Antonietta [KAUNAS, LITUANIE V. 1895 - ROME 1975]

Peintre et sculptrice italienne d’origine lituanienne.

Artiste nomade, Antonietta Raphaël Mafai marque son art au fer de ses voyages : c’est sans doute ce qui fait sa spécificité dans le paysage romain des années 1920-1970. Née en Lituanie sous le signe de la diaspora, elle perd son père, le rabbin Simon, en 1903. En 1905, date à laquelle éclate la première révolution russe, elle suit sa mère à Londres. Diplômée de la Royal Academy, elle enseigne ensuite le piano et le français, et commence à fréquenter les cercles artistiques (les sculpteurs Ossip Zadkine et Jacob Epstein, le poète Isaac Rosenberg) et anarchistes. Après la mort de sa mère en 1919, elle se fixe à Paris, où elle fréquente le Montmartre de Chaïm Soutine et de Marc Chagall. En 1924, elle s’installe à Rome, où elle rencontre, l’année suivante, à l’Accademia di belle arti, le peintre Mario Mafai qui devient son compagnon de vie. Le couple aura trois filles, qu’Antonietta prend souvent comme sujets et modèles. Avec le peintre Gino Bonichi, dit Scipione, et le sculpteur Marino Mazzacurati, le couple forme la Scuola di via Cavour, devenue la Scuola romana (l’École de Rome), un groupe amplement marqué par l’influence lyrique et expressionniste de l’École de Paris. Jusqu’au début des années 1930, A. Raphaël Mafai pratique une peinture syncrétique, poétique, exubérante, aux parfums byzantins et orientaux, à la saveur « primitive » d’une ingénuité colorée rappelant les expériences récentes des Fauves et les inspirations tonales de C. Soutine, de Moïse Kisling, et de M. Chagall. En 1929, elle participe à une exposition collective de femmes, Otto pittrici e scultrici romane, qui rencontre le succès auprès des critiques, sinon auprès du grand public. Arrivée à Paris avec son mari en 1930, elle y fréquente une école du soir de sculpture, puis se rend à Londres, en 1932, où elle retrouve J. Epstein, avant de retourner s’installer à Rome en 1933. De nombreuses influences ont été invoquées, sans qu’aucune, Aristide Maillol excepté, ne semble décisive : son style reste totalement personnel. Miriam che dorme (« Myriam endormie », Rome, 1933), qui ouvre la voie à une longue série, montre à quel point ce choix de la sculpture renouvelle son art. Elle se limite à quelques sujets – son mari (dont ses propres voyages la séparent souvent) et ses filles – qui lui permettent d’expérimenter plusieurs figures du portrait et plusieurs expressions (le sommeil, le chant, le visage du créateur), mais aussi les postures de groupes (Le tre sorelle [« les trois sœurs »]), ainsi que quelques thèmes bibliques ou mythologiques. Le véritable sujet de ses œuvres est toujours de nature émotionnelle – la naissance, l’affection, la peur, la fatigue, la création, la mort. La poésie lente, solennelle, mélancolique, des corps qu’elle sculpte, généreux, massifs, alanguis, fermement campés dans l’espace, à la Maillol, tourne le dos à la joie éclatante des vives couleurs de sa peinture. Au début du XXe siècle, le visage est le champ d’expérimentation privilégié de la recherche plastique. Les masques délicatement archaïsants – ainsi atemporels et, en ce sens, classiques – de la sculptrice sont particulièrement sensibles aux notes lumineuses, aux expressions qui naissent des ombres et des reflets. La matière – le plâtre, le ciment, le bois, la terre cuite, la pierre, le bronze – y est abondamment travaillée, non pas lissée mais tailladée, marquée, fragmentée avec fougue et véhémence : « Le seul mot de “sculpture” suffit à m’emplir d’une peur presque religieuse. » L’empreinte du pouce, du burin, de la pointe, y est particulièrement sensible, sans qu’elle entrave en rien la douceur de ses formes. Dans la Rome effervescente des sculpteurs – Arturo Martini, Marino Marini, Mirko, Giacomo Manzù, Pericle Fazzini –, elle trouve une place pour ses corps tout à la fois classiques et, comme l’annonçait au début des années 1930 Fronte, la revue de la Scuola romana, antirhétoriques. En 1939, elle fuit Rome, où les lois raciales fascistes lui interdisent désormais d’exposer. Après quelques années à Gênes, elle se voit enfin reconnaître durant l’après-guerre : la Quadriennale de Rome, la Biennale de Venise, de nombreuses expositions personnelles. Ses sujets se font plus bibliques et ovidiens. Elle nourrit son art – sculpture, dessins, lithographies et peinture de nouveau, à partir des années 1960 – de voyages en Sicile, en Andalousie et en Chine. Le Journal qu’elle a laissé nous renseigne plaisamment sur ses techniques comme sur son imaginaire fantasque et affranchi, source vive de ses œuvres.

Anne LEPOITTEVIN

Antonietta Raphaël : materia e colore del sogno (catalogue d’exposition), Bonito Oliva A., Rivosecchi V. (dir.), Rome, [s. n.], 2000 ; Antonietta Raphaël, sculture, dipinti, disegni (catalogue d’exposition), Marcoaldi F. (textes), Bergame, Galleria Ceribelli/Lubrina, 2003.

COLLECTIF, Dizionario Bolaffi degli scultori italiani moderni, Turin, G. Bolaffi, 1972.

RAQUEL, Tereza (Theresinha BRANDWAIN DE LA SIERRA, dite) [RIO DE JANEIRO 1939]

Actrice et productrice brésilienne.

Ayant débuté dans Os Elegantes (1955), d’Aurimar Rocha, Tereza Raquel reçoit, pour son interprétation dans Prima Donna (1956), écrite et dirigée par José Maria Monteiro, le prix Révélation de l’Association des critiques de théâtre. Elle joue ensuite dans O Telescópio (1957), de Jorge Andrade, Romanoff et Juliette (1959), de Peter Ustinov, Patate (1959), de Marcel Achard, Mourir d’amour (1959), de Giuseppe Patroni Griffi. Après un voyage d’études en Italie et en France, elle produit Bonitinha, mas ordinára (« jolie mais vulgaire »), de Nelson Rodrigues, dans lequel elle joue également. On la voit encore dans Liberdade, liberdade (« liberté, liberté », 1965), de Flávio Rangel et Millôr Fernandes, spectacle du groupe Opinion, et dans la mise en scène historique du Balcon (1969), de Genet, au théâtre Ruth-Escobar de São Paulo. En 1971, elle fonde le théâtre Tereza-Raquel, qui devient l’un des grands théâtres de Rio et qu’elle inaugure avec La Mère, de Stanisław Ignacy Witkiewicz. Puis elle produit Tango (1972), de Sławomir Mrożek. Ces deux derniers spectacles sont d’avant-garde. Pour son interprétation dans La Chatte sur un toit brûlant (1976), de Tennessee Williams, elle obtient de nouveau les éloges de la critique. Elle joue ensuite dans Os Orfãos de Jânio (« les orphelins de Jânio », 1980), de Mario Fernandes, et La Demoiselle de Tacna (1980), de Vargas Llosa, puis interprète Blanche Dubois dans Un tramway nommé Désir (1985), de T. Williams. À la télévision, elle participe à une vingtaine de telenovelas. Au cinéma, on peut la voir dans de nombreux films. Excellente comédienne et grande productrice, T. Raquel est considérée par la critique comme « un véritable phénomène ».

Richard ROUX

RASCH, Albertina [VIENNE, AUTRICHE 1891 - WOODLANDS HILLS, ÉTATS-UNIS 1967]

Danseuse et chorégraphe américaine.

Après avoir appris la danse à l’école du ballet de l’Opéra de Vienne, Albertina Rasch y débute sa carrière, mais prend son essor à New York en 1911. Soliste sur les scènes les plus réputées, elle danse de la côte est à la côte ouest jusqu’au début des années 1920. En 1923, elle ouvre à New York une école rapidement florissante, d’où sont issues dès 1924 les fameuses Albertina Rasch Girls. La danseuse fait peu à peu place à la chorégraphe, dirigeant ses troupes très sollicitées sur scène et au cinéma jusque dans les années 1940. Son style chorégraphique, souvent conçu pour des effectifs considérables, inclut pour la première fois aux États-Unis la danse classique dans le travail de chorus line, sans négliger les claquettes. Spécialiste des tableaux d’envergure, elle est la première à chorégraphier Rhapsodie in Blue (1925) et Un Américain à Paris (1929) de George Gershwin. À Broadway comme à Hollywood, elle travaille avec les plus célèbres vedettes : Jeanette MacDonald, Agnes De Mille*, Norma Shearer, Cole Porter, Fred Astaire, entre autres. A. Rasch est l’une des rares femmes chorégraphes de la sphère du music-hall américain de haut niveau.

Virginie GARANDEAU

RASHID, Fatima VOIR NARGIS

RASIOWA, Helena [VIENNE 1917 - VARSOVIE 1994]

Mathématicienne polonaise.

Connue pour ses travaux en logique mathématique, plus particulièrement en logique algébrique, Helena Rasiowa est née à Vienne en Autriche dans une famille polonaise très patriote. En 1918, après plus d’un siècle de partition et d’occupation, la Pologne retrouve son indépendance et la famille rentre à Varsovie. La jeune fille grandit dans de bonnes conditions matérielles et intellectuelles ; cependant, le déroulement tragique de l’histoire polonaise va marquer sa vie et ses études. Pour étudier les mathématiques, qui l’attirent, elle entre à l’université juste avant la Seconde Guerre mondiale, mais elle doit vite interrompre ses études. Pour échapper aux bombardements allemands, les hauts fonctionnaires et les membres du gouvernement polonais sont évacués en Roumanie ; c’est ainsi que la famille Rasiowa va vivre un an à Lvov. En septembre 1939, après la prise de la ville par l’armée soviétique, ils rentrent à Varsovie. Sous l’occupation nazie, la vie en Pologne devient extrêmement difficile. En dépit du danger, H. Rasiowa poursuit ses études universitaires et prépare dans la clandestinité une thèse de maîtrise sous la direction de Jan Lukasiewicz et de Boleslaw Sobocinski. En 1944, lors du soulèvement de Varsovie puis de la destruction presque complète de la ville, sa thèse est brûlée avec la maison de sa famille. Elle survit en se réfugiant avec sa mère dans la cave. Après la guerre, H. Rasiowa enseigne dans le secondaire. Elle est contactée par le grand mathématicien polonais Andrzej Mostowski, dont les travaux marqueront la théorie des ensembles ; il la ramène à l’université. Sous sa direction, elle soutient son doctorat en 1950, puis son habilitation en 1956. Tout au long de sa vie universitaire, H. Rasiowa joue un grand rôle dans les institutions académiques polonaises en occupant diverses responsabilités importantes. Elle contribue au développement de l’école mathématique polonaise et à son rayonnement international. Elle est à l’initiative de Fundamenta Informaticae et Studia Logica et donne des conférences dans le monde entier. Dans les années 1970, deux courants principaux se développent en logique, souvent indépendamment : la théorie des modèles et la logique algébrique. Son œuvre se situe dans le champ de cette dernière, visant à étudier les relations entre la logique et l’algèbre, domaine dont George Boole est le précurseur. Sa contribution à ce domaine consiste en des preuves au moyen du formalisme algébrique de divers théorèmes de calcul des prédicats du premier ordre, mais aussi dans les logiques non classiques comme l’intuitionnisme, où ses résultats sont très originaux. C’est une pionnière dans la compréhension des liens entre la logique et les fondements de l’informatique.

Christine CHARRETTON

Introduction to Modern Mathematics, Amsterdam, North-Holland Pub. Co., 1973.

BARTOL W., ORLOWSKA E., SKOWRON A., « Helena Rasiowa, 1917-1994 », in Bulletin of the European Association for Theoretical Computer Science, vol. 62, 1997.

RAŠKAJ, Slava [OZALJ, AUJ. EN CROATIE 1877 - STENJEVAC, SERBIE 1906]

Peintre croate.

Sourde et muette de naissance, Slava Raškaj s’exprima par la peinture dès sa plus tendre enfance. À 8 ans, elle partit pour Vienne où elle fréquenta le Taubstummeninstitut. Elle s’y initia au dessin au crayon, à l’eau forte et apprit l’art de la vignette, un dessin décoratif très prisé dans les revues et les livres au début de la pré-Sécession viennoise. De retour à Ozalj, elle continua à dessiner, notamment des motifs floraux, et découvrit l’aquarelle, technique dans laquelle elle allait exceller. En 1895, S. Raškaj s’installa à Zagreb, où le directeur de l’Institut des sourds-muets mit à sa disposition un atelier dans les locaux d’une ancienne morgue. Le peintre Bela Csikos Sesia lui enseignait le dessin et la peinture académique. Sous son influence autoritaire, elle peignait des natures mortes aux tons sombres, avec de rares détails clairs, alors qu’à Ozalj ses paysages regorgeaient de lumière. En 1898, elle quitta B. Csikos Sesia, voyagea avec sa mère, se réinstalla dans la maison familiale à Ozalj et peignit en plein air. Dès lors, sa peinture prit un tournant plus personnel. En 1901, les premiers signes des troubles psychiques apparurent. Internée à l’asile psychiatrique de Stenjevac, près de Zagreb, S. Raškaj y mourut quatre ans plus tard. Aucune exposition individuelle de sa peinture ne fut organisée de son vivant, mais elle participa à plusieurs expositions collectives, dont celle de l’Association des artistes croates à Zagreb en 1898, à l’Exposition austro-hongroise de Saint-Pétersbourg et Moscou de 1900 et à l’Exposition universelle de Paris de 1901. La première rétrospective de son œuvre n’a été organisée qu’en 1957, à l’occasion du cinquantième anniversaire de sa mort, par l’Institut des beaux-arts de l’Académie yougoslave de Zagreb. En 2008, la galerie Klovićevi Dvori de Zagreb lui rendit hommage. Les paysages de S. Raškaj sont considérés par la critique comme le sommet de l’aquarelle croate, notamment ceux peints vers 1900 dans un style onirique et impressionniste.

Iva GRGIĆ MAROEVIĆ

Enciklopedija likovnih umjetnosti, Zagreb, Jugoslavenski leksikografski zavod, 1966 ; MATKO P., Slikari naših ljudi i krajeva : Slava Raškaj i Nikola Mašić, Zagreb, Dom i svijet, 2005 ; Slava Raškaj, katalog rektrospektive, Zagreb, Galerija Klovićevi dvori, 2008.

RASKOVA, Marina [MOSCOU 1912 - SARATOV 1943]

Aviatrice soviétique.

Très cultivée, parlant plusieurs langues dont le français, aimant autant la musique que les sciences, Marina Mikhaïlovna Raskova obtient son brevet de pilote d’avion en 1935. Ses exploits aériens et sa forte personnalité en font très vite un membre important du très influent Comité de défense du peuple soviétique. Au sein de ce dernier, elle réussit à persuader Staline en personne de constituer une unité de combat aérien entièrement féminine pour compenser le manque de pilotes masculins. Les femmes pilotes qu’elle sélectionne doivent d’abord suivre un stage de perfectionnement soutenu de six mois, à l’issue duquel elles sont orientées vers une spécialité : pilote de chasse, pilote de bombardier, radio-navigatrice, mécanicienne. Motivées par une propagande intensive au nom de la défense de la mère patrie menacée par l’envahisseur nazi, un grand nombre de volontaires veulent aussi apprendre un métier et faire quelque chose de leur vie. Trois régiments aériens féminins sont ainsi constitués : le 586e IAP, régiment de chasse ; le 587e BAP, régiment de bombardiers en piqué ; le 588e NBAP, régiment de bombardiers de nuit. Déclaré officiellement prêt au combat en mai 1942, le 588NBAP s’illustre d’abord en Ukraine et compte des navigatrices chevronnées et effrontées que les Allemands surnommeront vite « les sorcières de la nuit » et qui recevront le titre glorieux de « héros de l’Union soviétique ». Le 587e BAP, commandé par M. Raskova, s’illustre au-dessus de Stalingrad, de Koursk et de Smolensk, puis en Pologne. Grâce à leurs prouesses, toutes ces femmes pilotes gagnent le respect de tous. Les pilotes de la France libre rendront hommage à leur vaillance. M. Raskova ne survit pas à la guerre. Cette grande figure de l’aviation soviétique au féminin disparaît tragiquement dans le crash de son avion en 1943, au nord de Stalingrad, alors qu’elle convoie une formation de trois avions en pleine tempête de neige.

Elisabeth LESIMPLE

NOGGLE A., A Dance With Death : Soviet Airwomen in World War II, College Station, Texas A&M University Press, 1994.

RASSUNDARI DEVÎ [POTAJIA 1810]

Auteure indienne d’expression bengali.

Publiée en 1876, en un siècle de nouvelles expérimentations narratives pour la littérature bengali, Âmâr Jîban (« ma vie ») est l’une des toutes premières autobiographies en langue bengali, inaugurant un genre qui sera très prisé. Elle surprend par le statut de son auteure, simple maîtresse de maison, autodidacte qui aurait appris secrètement à lire et écrire dans une société qui considérait l’éducation des femmes comme un danger. Plus qu’une simple curiosité, cet unique texte de Rassundari Devî est remarquable par sa modernité. C’est un témoignage des réflexions intimes d’une femme hindoue, étouffée par les travaux ménagers, sans autre identité que celle, dictée par les hommes, d’une maîtresse de maison. Le style, très sobre, révèle une grande tristesse, un grand désarroi qui s’expriment avec beaucoup de douceur et de retenue. Sa rage, sa volonté inébranlable de maîtriser la lecture, ses efforts pour y parvenir sont, pour cette époque, un acte révolutionnaire d’insoumission qui justifie à lui seul l’écriture de l’autobiographie. Sa famille et son entourage se réduisent à une communauté, ni hostile ni alliée, mais simplement absente. Ce désintérêt, voire ce silence, est sans doute aussi passionnant que le récit des stratagèmes imaginés pour apprendre à écrire, de la terreur d’être découverte et blâmée, aussi étonnants que les critiques sans ambages contre les injustices de la société. Ce silence trahit de plus le sentiment d’isolement de la narratrice dont l’unique confident est Dieu qui, depuis l’enfance, la guide, apaise ses angoisses et ses frustrations. Transmise par la mère, l’intimité du lien qui unit les femmes d’alors au spirituel fait figure de résignation : si Dieu l’a voulu ainsi, il faut l’accepter. Finalement, la narratrice décide de lire pour les autres femmes ; bravant les interdits, elle organise des récitations pour leur permettre, à l’insu des hommes, l’accès aux textes dévotionnels. Née dans la solitude, la lecture devient le cœur des femmes entre elles. Ce don, et le récit qui en résulte, constitue un véritable acte d’insoumission. Il naît de la volonté d’une femme réfugiée dans un tissu traditionnel implicitement oppressif, qui puise son courage dans la colère et la foi qui l’habitent.

Olivier BOUGNOT

THARU S., LALITA K. (dir.), Women Writing in India, vol. 1, New Delhi, Oxford University Press, 1991.

RASY, Elisabetta [ROME 1947]

Écrivaine italienne.

Collaboratrice de quotidiens et de magazines, la journaliste Elisabetta Rasy fait partie des fondatrices, en 1975, des Edizioni delle donne (« éditions des femmes »). Auteure d’essais sur les figures et les mythes féminins, comme La lingua della nutrice (« la langue des nourrices », 1978) et Le donne e la letteratura (« les femmes et la littérature », 1984), elle a publié des récits qui conjuguent ses intérêts de chercheuse sur la littérature féminine avec sa volonté de raconter les histoires de personnages ayant réellement existé. Ainsi, dans son roman La Citoyenne de l’ombre (1999), situé à Paris en 1793, une jeune femme raconte à un aventurier américain sa vie de domestique au service d’une Anglaise excentrique qui se révèle être la célèbre auteure de Défense des droits de la femme, Mary Wollstonecraft*, dont le roman brosse le portrait et relate la vie aventureuse, tout en racontant le parcours de maturation de la domestique qui, grâce aux enseignements reçus, prend conscience de ses droits. Dans Trois passions, récits (1995), où l’auteure raconte les débuts littéraires de grandes écrivaines italiennes comme Grazia Deledda*, Ada Negri* et Matilde Serao*, se confondent également narration et étude de la littérature féminine.

Francesco GNERRE

La Première Extase (La prima estasi, 1985), Paris, Rivages, 1987 ; La Fin de la bataille (Il finale della battaglia, 1988), Marseille, Rivages, 1988 ; L’Autre Maîtresse (L’altra amante, 1990), Paris, Rivages, 1992 ; Trois passions, récits (Ritratti di Signora, 1995), Paris, Seuil, 1997 ; La Citoyenne de l’ombre (L’ombra della luna, 1999), Paris, Seuil, 2001.

RATHBONE, Eleanor Florence [LONDRES 1872 - ID. 1946]

Femme politique et militante féministe britannique.

Eleanor Rathbone est à l’origine de la création des allocations familiales. Brillante, elle laisse l’image d’une théoricienne féministe et d’une femme politique pragmatique, capable d’insuffler des réformes. Élevée dans la grande bourgeoisie cultivée et philanthrope de Liverpool, elle est cependant autodidacte, se nourrissant des livres de la bibliothèque familiale. À Liverpool, elle devient présidente de la société suffragiste locale, du Women’s Industrial Council et visiteuse sociale. Indépendante grâce à un legs paternel, elle développe une vision sociale et critique du marché. Elle rencontre Elizabeth Macadam (sa future compagne) à la Maison des femmes (Women’s Settlement) que toutes deux développent conjointement pour ancrer le mouvement local des femmes. Avec ses enquêtes sur le travail portuaire, le travail précaire et les veuves indigentes, E. Rathbone construit une analyse féministe des causes de la pauvreté familiale qui rend indispensables des allocations versées aux mères (The Disinherited Family, 1924). Première élue locale à Liverpool (1909-1935), elle maintient ses positions face à ses collègues masculins à la municipalité, comme plus tard au Parlement. Membre de la National Union of Women’s Suffrage Societies (NUWSS), elle démissionne un temps en 1912 lors du rapprochement avec les travaillistes, puis succède, de 1919 à 1929, à Millicent Garrett Fawcett* à la tête de la fédération devenue la National Union of Societies for Equal Citizenship (NUSEC). Pendant les deux guerres mondiales, elle organise l’aide aux familles pauvres et aux réfugiés, victimes du système économique. Élue députée (1919-1922 ; 1929-1946), elle fait campagne pour la cause de toutes les femmes, y compris celles de l’Empire britannique. Opposée à la politique des conservateurs dans les années 1930, indignée par la non-intervention des démocraties en Espagne en 1936, puis par le refus du pouvoir britannique d’accueillir les socialistes et les juifs d’Europe, elle contribue à faciliter l’accès de Churchill et des travaillistes à un gouvernement d’union nationale en 1940.

Myriam BOUSSAHBA-BRAVARD

CRAWFORD E., The Women’s Suffrage Movement. A Reference Guide, 1866-1928, New York, Routledge, 2001 ; PEDERSEN S., Eleanor Rathbone and the Politics of Conscience, New Haven, Yale University Press, 2004.

RAU, Virgínia [LISBONNE 1907 - ID. 1973]

Historienne portugaise.

Née d’une mère d’origine espagnole et d’un père d’ascendance allemande, Virgínia Rau commence, en 1927, des études en sciences historiques et philosophiques à la faculté des lettres de l’université de Lisbonne. Elle n’y reste qu’une année avant de partir étudier à l’étranger. Elle rentre au Portugal en 1939 et reprend ses études en histoire. Ses premiers travaux portent sur l’histoire médiévale portugaise : elle obtient son diplôme de maîtrise (licenciatura) en 1943, avec un mémoire sur les foires médiévales portugaises puis son doctorat, intitulé Sesmarias medievais portuguesas (la sesmaria est une concession de terre accordée au Brésil par le gouvernement portugais), en 1947. Elle devient professeure en 1951 et obtient l’année suivante une chaire d’histoire à la faculté des lettres de l’université de Lisbonne. Elle fonde en 1958 le centre d’études historiques de cette faculté (actuel Centro de história da universidade de Lisboa) et le dirige jusqu’à sa mort. Elle reste à ce jour la seule femme à l’avoir dirigé. Elle est simultanément à la tête de la faculté des lettres de l’université de Lisbonne de 1964 à 1969. Parmi ses nombreux travaux, qui portent sur l’histoire médiévale et moderne du Portugal, on peut citer Estudos de história medieval (1984) et Estudos sobre história económica e social do Antigo Regime (1985). V. Rau dirige également les cinq numéros de la revue Do Tempo e da História (1965, 1969, 1970, 1971 et 1972). Certains de ses travaux ont été traduits dans d’autres langues, en français notamment : Le Sel portugais, les courants du trafic du sel portugais du XIVe au XVIIIe siècle (1968) ; Les Emblèmes et l’histoire des techniques au Portugal au cours des XVe et XVIe siècles (1969) ; Les Portugais et la route terrestre des Indes à la Méditerranée aux XVIe et XVIIe siècles (1970) ; Notes sur la traite portugaise à la fin du XVe siècle et sur le Florentin Bartolomeo di Domenico Marchionni (1974). Elle a été nommée membre de l’Académie d’histoire du Portugal.

Anne COVA

RAUCH, Madeleine DE (née BOURGEOIS) [VILLE-D’AVRAY 1896 - PARIS 1985]

Grand couturier française.

Madeleine de Rauch appartient à une fratrie de quatre filles, toutes adeptes de nombreux sports : patinage, équitation, voile, golf, ski, chasse à courre. L’absence dans le commerce de tenues répondant à leurs besoins les conduit à tricoter elles-mêmes leurs ensembles. Ces derniers suscitent l’intérêt de leurs amies qui leur passent commande. M. de Rauch se lance alors dans la couture. En 1927, elle s’installe à Paris, au 18, rue Croix-des-Petits-Champs, et confie ses créations à des ouvrières à domicile. Elle puise son inspiration sur les terrains de golf ou aux courses. Les clientes, souvent membres de clubs sportifs, affluent. En 1937, la maison déménage au 37, rue Jean-Goujon, où elle demeure jusqu’en 1974, date à laquelle M. de Rauch se retire. Elle crée trois parfums : Peach, Belle de Rauch, Miss Rauch. Au cours des années 1960, elle signe des collections de prêt-à-porter. Parallèlement aux modèles de plage et de sport, souvent en maille, elle propose aussi des ensembles d’après-midi, des tailleurs et des robes du soir. Sobre et fonctionnel, son style sportif est néanmoins d’une grande élégance.

Zelda EGLER

GARNIER G. (dir.), Paris-couture-années trente, Paris, Musée de la Mode et du Costume, 1987 ; KAMITSIS L., REMAURY B. (dir.), Dictionnaire international de la mode, Paris, Éditions du regard, 2004.

RAUCOURT (Françoise SAUCEROTTE, dite Mlle) [PARIS 1756 - ID. 1815]

Actrice et directrice de théâtre française.

Fille de comédien, Mlle Raucourt débute à 16 ans à la Comédie-Française, en Didon. En 1776, elle est acclamée dans le rôle de la statue dans Pygmalion, de Jean-Jacques Rousseau. Elle fait scandale en s’habillant en homme – ce qui lui vaut de la prison – et en ne cachant pas son homosexualité. Elle part jouer en Russie, avant de revenir à la Comédie-Française en 1779. Les rôles d’Athalie, de Jean Racine, et de Cléopâtre, dans Rodogune, de Pierre Corneille, lui valent de grands succès. Fervente partisane de la monarchie, elle est emprisonnée en 1793. En 1796, elle forme un second Théâtre-Français au théâtre Louvois, puis à l’Odéon, et retrouve ses anciens partenaires, dont François-Joseph Talma, en 1799. Napoléon l’admire, et lui confie l’organisation d’une troupe française en Italie de 1807 à 1814. Elle découvre Mlle George*, élève qu’elle forme et qui devient une grande tragédienne. Catherine* de Médicis dans Les États de Blois est l’un de ses derniers rôles. Ses obsèques provoquent un scandale, le curé de l’église Saint-Roch, à Paris, ayant refusé d’accueillir le cercueil.

Bruno VILLIEN

BLANC O., Les Libertines, plaisir et liberté au temps des Lumières, Paris, Perrin, 1997 ; REUILLY J. (de) (pseud. d’Henri Vial), La Raucourt et ses amies, Paris, H. Daragon, 1909.

RAVERA, Camilla [ACQUI TERME 1889 - ROME 1988]

Écrivaine et femme politique italienne.

Avec Antonio Gramsci, Camilla Ravera fait partie des fondateurs du Parti communiste italien. Au début de la dictature fasciste en 1927, elle devient secrétaire du Parti (une première mondiale pour une femme dans l’histoire des mouvements politiques), fonction qu’elle remplit jusqu’en 1930, avant d’être arrêtée et condamnée à quinze ans de prison. Après cinq années d’emprisonnement, elle est exilée sur l’île de Ponza, puis à Ventotene. En 1939, elle est expulsée du Parti pour avoir condamné, avec Umberto Terracini, le pacte germano-soviétique pour le partage de la Pologne. Elle est réintégrée après guerre, lorsque Palmiro Togliatti reprend la direction du parti. Parlementaire de 1948 à 1958, elle a également été dirigeante de l’Unione donne in Italia (UDI, « union des femmes en Italie »). Elle se retire de la vie politique active en 1982 lorsque le président de la République Sandro Pertini, qui a lui aussi été persécuté pendant les années du fascisme, la nomme sénatrice à vie, une première pour une femme en Italie. C. Ravera est l’auteure d’écrits politiques et de mémoires : La resistenza, scritti e testimonianze (« résistance, écrits et témoignages », 1962) ; Diario di trent’anni (« un journal de trente ans », 1973) ; Breve storia del movimento femminile in Italia (« une brève histoire du mouvement féministe en Italie », 1978) ; Lettere al partito e alla famiglia (« lettres au parti et à la famille », 1979). Les archives historiques des femmes (Archivio storico delle donne), qui portent son nom, ont été constituées en 1987 par la commission féminine du Parti communiste italien, puis acquises par la fondation Gramsci.

Francesco GNERRE

RAVERA, Lidia [TURIN 1951]

Écrivaine italienne.

Journaliste, Lidia Ravera débute dans le monde littéraire en 1976 par un livre écrit à quatre mains avec Marco Lombardo Radice, Si les porcs avaient des ailes, publié sous deux pseudonymes. C’est le journal intime, sexuel et politique de deux adolescents : chacun raconte, de son point de vue, les expériences libératrices de mai 1968, et évoque les mythes et les idéaux de l’époque. Dans son deuxième roman, Ammazzare il tempo (« tuer le temps », 1978), la protagoniste raconte, avec une sincérité douloureuse, les illusions et les déceptions d’une génération qui revient sur les événements de mai 1968, considérés comme une grande occasion perdue. L. Ravera a publié de nombreux textes narratifs, dont Bambino mio (« mon enfant », 1979) ; Bagna i fiori e aspettami (« arrose les fleurs et attends-moi », 1986) ; Per funghi (« aux champignons », 1987) ; Se lo dico perdo l’America (« si je le dis je perds l’Amérique », 1988) ; Voi grandi (« vous les grands », 1990) ; Due volte vent’anni (« deux fois vingt ans », 1992) ; Sorelle (« sœurs », 1994) ; Nessuno al suo posto (« personne à sa place », 1996) ; Maledetta gioventù (« maudite jeunesse », 1999) ; Né giovani né vecchi (« ni jeunes ni vieux », 2000). Collaboratrice du quotidien L’Unità, elle écrit également des scénarios pour le cinéma et la télévision, ainsi que des billets d’humeur dans des magazines à grande diffusion.

Francesco GNERRE

Avec Marco Lombardo Radice, Si les porcs avaient des ailes (Porci con le ali, 1976), Bagneux, Le Livre de Paris, 1978.

RAWIRI, Angèle (ANGÈLE NTYUGWETONDO RAWIRI, dite) [PORT-GENTIL 1954 - RÉGION PARISIENNE 2010]

Écrivaine gabonaise.

Fille du poète et homme politique Georges Rawiri et orpheline de mère très jeune, Angèle Rawiri passe son baccalauréat en France, fait des études de traduction, et après deux ans à Londres où elle travaille comme interprète, traductrice, modèle et actrice, rentre au Gabon en 1979. Elle est l’auteure de trois romans. Elonga (1980) aborde la question du retour difficile au pays, qui peut être vécu comme un choc culturel, question que l’on retrouve chez d’autres romancières africaines des années 1980, cependant que G’amèrakano, au carrefour (1988) est détonnant, non seulement par les sujets abordés – l’attrait de la consommation de certains biens matériels, de la beauté qui s’achète comme un luxe quelconque, l’importance de l’apparence, notamment chez la femme, l’éclaircissement de la peau –, mais aussi par la qualité d’écriture et son attention au corps, au corporel, y compris aux troubles psychosomatiques. Cette écriture du corps, corps féminin, corps social, A. Rawiri la poursuit plus encore dans son troisième roman, Fureurs et cris de femmes (1989), pour la décliner sous le jour de l’anxiété, du deuil, de la douleur : douleur d’avoir perdu sa fille, de ne plus être mère, culpabilité aussi de ne pouvoir mener une grossesse à terme. C’est le corps dans tous ses états qui s’inscrit ici au fil des pages, corps enlaidi, corps souffrant, en détresse. Si ce dernier roman a été publié il y a plus de vingt-cinq ans, les questions qu’il aborde quant à la différence de statut et de parité homme-femme, comme celles du rejet et de l’exclusion en fonction des origines ethniques, restent tout à fait pertinentes.

Odile CAZENAVE

RAWLINGS, Marjorie KINNAN [WASHINGTON 1896 - SAINT AUGUSTINE 1953]

Écrivaine américaine.

Marjorie Kinnan Rawlings est associée à la Floride, qui constitue le cadre de la majeure partie de sa fiction. Après des études de lettres à l’université du Wisconsin-Madison, elle travaille à partir de 1918 comme journaliste pour divers quotidiens. Puis, lassée de ce qu’elle appelle « la confusion urbaine », elle achète en 1928 une orangeraie dans le hameau de Cross Creek, en Floride, et y emménage avec son premier mari. L’isolement du lieu l’enchante ; elle peut y mener une vie simple, proche de la nature. Ses deux premières publications, Cracker Chidlings et Jacob’s Ladder (1931), montrent à quel point la région et ses habitants l’influencent : l’intrigue met en scène des « crackers », descendants des premiers colons et des cowboys, et se déroule dans la Floride rurale. Puis elle se tourne vers la fiction longue et écrit Le Whisky du clair de lune (1933) et Les Pommes d’or (1935). Avec son troisième roman, Jody et le faon (1938), traduit en 13 langues dès 1942 et adapté pour le cinéma en 1946, M. K. Rawlings remporte le prix Pulitzer et assoit sa réputation, en particulier comme auteure de littérature pour la jeunesse. Tout aussi célèbres sont Le Pays enchanté (1942), autobiographique, et Cross Creek Cookery (« la cuisine de Cross Creek », 1942), témoignant de sa passion pour son hameau et pour la cuisine. Cependant, à la suite d’une plainte pour diffamation de l’une de ses amies, qui n’apprécie pas le portrait qu’elle a brossé d’elle, l’écrivaine, profondément affectée, part s’installer à Crescent Beach, près de Saint Augustine, et achète une vieille ferme dans l’État de New York pour s’imprégner de l’esprit du lieu qui sert de décor à son dernier roman, Comme l’ombre sur la terre (1953). Malgré son goût pour la solitude, elle ne vit pas en recluse, mais fréquente notamment Ernest Hemingway, Francis Scott Fitzgerald, Robert Lee Frost, Margaret Mitchell*, Zora Neale Hurston*, et rencontre Ellen Glasgow*. Elle admire les œuvres de ces écrivains mais ne se laisse pas influencer ; elle ne se préoccupe pas des courants littéraires et récuse l’étiquette de « régionaliste » que certains critiques lui attribuent. Son œuvre traduit surtout son attachement viscéral à une région et à ses habitants.

Brigitte ZAUGG

Le Whisky du clair de lune (South Moon Under, 1933), Paris, Albin Michel, 1950 ; Les Pommes d’or (Golden Apples, 1935), Paris, Albin Michel, 1948 ; Jody et le faon (The Yearling, 1938), Paris, Gallimard, 1994 ; Le Pays enchanté (Cross Creek, 1942), Paris, Albin Michel, 1951 ; Comme l’ombre sur la terre (The Sojourner, 1953), Paris, Albin Michel, 1956.

BIGELOW G., Frontier Eden : The Literary Career of Marjorie Kinnan Rawlings, Gainesville, University of Florida Press, 1966.