CARVAJAL Y MENDOZA, Luisa DE [JARAICEJO 1568 - LONDRES 1614]
Écrivaine et missionnaire espagnole.
Issue d’une famille aisée, orpheline très jeune, Luisa de Carvajal y Mendoza est élevée par ses oncles. Elle voyage beaucoup, envisage de se consacrer à la religion sans entrer dans les ordres, seul moyen d’être respectée pour une femme de la noblesse, et d’échapper aux deux voies qu’elle rejette : le mariage ou le couvent. Son autonomie financière et son appartenance à l’aristocratie lui confèrent un certain pouvoir dans les milieux religieux et politiques, et sa fortune lui permet de fonder un noviciat pour jésuites. Elle a gagné le droit d’exprimer ses opinions. Sur le conseil de son confesseur, elle écrit ses mémoires : elle s’inspire du modèle classique des autobiographies de religieux où se voit justifié, dès l’enfance, le choix de mettre sa vie au service du divin. La partie la plus controversée se rapporte aux pénitences de son adolescence : ses descriptions sont si détaillées qu’elles évoquent des tableaux érotiques. Escritos autobiográficos, manuscrit édité en 1966, offrent des scènes caractéristiques de la littérature sadomasochiste. Elle y expose comment ses souffrances d’enfant, dues à la discipline imposée par son tuteur et sa bonne, ont abouti à sa passion religieuse. Sa correspondance et son autobiographie informent sur les événements politiques de son pays comme sur les relations entre l’Espagne et l’Europe. L’Empire et la Contre-Réforme sont le fond idéologique où se développe la figure intellectuelle de cette écrivaine missionnaire, qui s’engage dans les luttes contre les Anglais, la révolte des Pays-Bas, les guerres contre les Turcs dans l’est de l’Espagne. Le contexte − une des époques les plus turbulentes de l’histoire espagnole − la pousse à l’action. Elle agit d’abord, ensuite elle écrit. Ses lettres (Cartas y poesía completa, 1965), tous ses manuscrits, à l’exclusion de ses poèmes (Poesías completas, 1966), dont ne restent que des copies, et son testament sont conservés dans le couvent de l’Encarnación.
Concepció CANUT
■ FULLERTON G., The Life of Luisa de Carvajal, Londres, Burns & Oates, 1873.
■ CRUZ A., « Luisa de Carvajal y Mendoza y su conexión jesuita », in Villegas J. (dir.), Actas Irvine-1992, Asociación Internacional de Hispanistas, vol. 2, Irvine, University of California Press, 1994.
CARVALHO, Dinorá GONTIJO DE [UBERABA 1895 - SÃO PAULO 1980]
Compositrice, pianiste et chef d’orchestre brésilienne.
Diplômée en piano en 1916 à São Paulo, Dinorá de Carvalho donne d’emblée des récitals incluant ses propres compositions ou improvisations. Une bourse de l’État du Minas Gerais lui permet de suivre en 1922 à Paris les cours de perfectionnement du pianiste Isidore Philipp. De retour au Brésil, elle continue de se former en composition tout en poursuivant sa carrière de soliste. Nommée inspectrice fédérale pour l’enseignement supérieur de la musique en 1939, elle fonde et dirige l’orchestre féminin de São Paulo, premier du genre en Amérique du Sud, tout en publiant un ouvrage sur la formation musicale de la jeunesse. La compositrice, primée dès 1936 avec Dois Corais pour chœur, est pleinement reconnue en tant que première femme à entrer à l’Académie brésilienne de musique, fondée en 1945 par Heitor Villa-Lobos. Les premières œuvres de la maturité comprennent des chœurs, Caramurus da Bahia, Procissão de cinzas em Pernambuco (1936) ; des pièces pour piano, Festa do santo rei, Sonatine (1949) ; des pièces pour orchestre, Serenata da saudade (1933), Fantasia-concerto avec piano (1937) ; des ballets, Escravos (1946). Par la suite elle aborde des formations variées : Tres danzas brasileiras pour piano, orchestre à cordes et percussions, Arraial, suite symphonique (1960). Autour des années 1970, son inspiration, d’abord fortement marquée par les traditions populaires brésiliennes, se rapproche d’un certain modernisme incluant atonalisme et sérialisme. Citons Contrastes pour piano et orchestre (1969), Concerto pour piano et orchestre no 2 (1972), Sonate pour piano (1975), Missa de profundis (1977).
Philippe GUILLOT
■ CACCIATORE O. G. (dir.), Dicionário biográfico de música erudita brasileira, Rio de Janeiro, Forense Universitária, 2005.
CARVALHO, Sara [PORTO 1970]
Compositrice portugaise.
Sara Carvalho débute très tôt ses études musicales et, sous la direction de Fernando Lapa, compose sa première œuvre en 1984. Entre 1990 et 1995, elle étudie la composition à l’université d’Aveiro, dans la classe de João Pedro de Oliveira. Grâce à une bourse (1996-1999), elle part en Angleterre, à l’université de York, pour y travailler la composition et obtient un master de musique suivit d’un doctorat en composition (DPhil). Elle participe à de nombreux stages sous la direction d’Emmanuel Nunes, de Betsy Jolas*, Kurt Schwertsik, Brian Ferneyhough, Michael Finnissy, Jonathan Harvey et Roger March. Elle est membre fondateur et directrice artistique du Contemporary Music Group Momentum Ensemble. À présent, elle dirige les classes de composition, analyse et orchestration du département art et communication de l’université d’Aveiro. Ses œuvres sont régulièrement jouées au Portugal et à l’étranger. Citons É-se, quatuor pour flûte, clarinette, cor et violoncelle (1997), créé à Londres par l’ensemble Lontano ; Blows Hot and Cold, quatuor à cordes (1996-1997) ; Solos I, pour violon (1997) ; Solos III, pour flûte (1999) ; Shards, pour deux flûtes et piano (1999), créé à Rome par le trio Dopler ; Nothing Can Both Be and Not Be, pour grand ensemble (2001) ; Surya Namaskara, pour ensemble de sept instruments (2003) ; et A Distant Mirror, pour piano solo (2003).
Fernanda SOARES
CARVEN (Carmen DE TOMMASO, dite) [CHÂTELLERAULT 1909]
Grand couturier française.
Formée à l’École des beaux-arts de Paris, puis par son beau-frère, l’architecte Robert Mallet-Stevens, Carmen de Tommaso retient de cet apprentissage le sens des proportions. Après avoir pensé devenir architecte décoratrice, elle choisit la couture et ouvre sa maison au rond-point des Champs-Élysées à Paris, en mai 1945. Elle crée sa griffe, Carven, en associant la première syllabe de son prénom à la dernière du nom de sa tante, Josy Boyriven. De petite taille, elle décide de créer une mode qu’elle ne trouve nulle part : simple, pratique, bien coupée et adaptée aux petites femmes. Sa première collection, avec sa silhouette fraîche et sûre d’elle, séduit la clientèle. Le modèle phare, « Ma Griffe », une robe taillée dans une cotonnade rayée vert et blanc, rencontre un tel succès que les rayures vert et blanc deviennent l’emblème de la maison. Ma Griffe est également le nom du parfum lancé en 1946. Voyageuse infatigable, Carven fait plusieurs fois le tour du monde, ramenant souvent de ses voyages de nouvelles sources d’inspiration, comme les tissus ethniques, qu’elle est l’une des premières à utiliser. Elle est la seule femme à rejoindre le groupe Couturiers associés (1950-1953) et la première à créer, après la guerre, une ligne de prêt-à-porter, Carven Junior. À partir de 1965, Carven Uniformes habille les hôtesses de l’air de nombreuses compagnies aériennes et Carven nombre d’actrices pour lesquelles elle conçoit également les costumes de scène. En 1995, elle se retire et sa maison, toujours en activité, passe entre différentes mains. En 2000, elle lègue au Louvre la collection d’œuvres d’art réalisée avec son second mari René Grog et offre, en 2001, l’intégralité des archives de sa maison de couture au musée Galliera qui organise, l’année suivante, une exposition rétrospective. Jupe sans histoire, tailleur sans souci et petite robe sans prétention sont les signatures de celle que l’on surnomma « la plus petite des grandes couturières ». Elle privilégie les couleurs pastel et les tons éclatants, à l’instar de sa couleur fétiche, un vert vif, dit aussi « vert Carven ». Tout au long de sa carrière, Carven a créé 10 parfums, dont un pour homme, et a développé très tôt de nombreuses licences (vêtements de sport, accessoires et soutiens-gorge).
Zelda EGLER
■ COLLECTIF, Madame Carven, grand couturier, Paris, Paris musées, 2002 ; KAMITSIS L., REMAURY B. (dir.), Dictionnaire international de la mode, Paris, Éditions du regard, 2004 ; PAULVE D., Carven, un demi-siècle d’élégance, Paris, Gründ, 1995.
CARY, Elizabeth (lady FALKLAND, dite) [BURFORD, OXFORDSHIRE 1585 - LONDRES 1639]
Poétesse et dramaturge irlandaise.
Déshéritée par son père, abandonnée par son mari, Henry Cary, futur vicomte de Falkland, interdite de liens avec ses enfants lorsqu’elle se convertit au catholicisme, Elizabeth Cary a écrit ce que l’on pourrait considérer comme les premières œuvres féministes en langue anglaise. Il reste très peu de traces de ses œuvres mais la biographie écrite par l’une de ses filles suggère une production précoce et notable de poèmes et de traductions de la part d’une femme extrêmement érudite. Première auteure dont on ait écrit la biographie, on lui doit la première pièce originale en anglais écrite par une femme (The Tragedy of Mariam, the Fair Queen of Jewry, « la tragédie de Myriam, la très belle reine des Juifs »), publiée en 1913 mais probablement écrite juste après son mariage, entre 1602 et 1608. Le choix de l’héroïne, la prophétesse Myriam*, est révélateur de sa volonté de défendre ses convictions et de ne pas se soumettre à l’autorité masculine et accepter son sort en silence. The History of the Life, Reign, and Death of Edward II (« la vie, le règne et la mort d’Édouard II ») est également la première biographie politique jamais écrite en anglais par une femme. E. Cary y dresse, surtout, un portrait véritablement féministe d’Isabelle de France*, cette reine d’Angleterre que les chroniqueurs avaient toujours ignorée.
Geneviève CHEVALLIER
■ The Tragedy of Mariam, The Fair Queen of Jewry ; with The Lady Falkland, her Life, by one of her daughters, Weller B., Ferguson M. W. (dir.), Berkeley, University of California Press, 1994.
CARY, Mary [née V. 1620]
Exégète millénariste et prophétesse britannique.
Mary Cary n’est connue que par ses prophéties et ses commentaires bibliques. Très jeune, elle étudie les Écritures et commence, dès 1645, à publier ses écrits (The Glorious Excellencie of the Spirit, 1645 ; A Word in Season, 1647). Entre 1648 et 1651, elle devient, par mariage, Mary Rande mais continue à écrire sous le nom de Cary. Très proche du mouvement millénariste de la Cinquième Monarchie, elle déchiffre l’histoire à la lumière de la Bible pour montrer que le Christ, par l’entremise des saints, est sur le point d’établir son règne sur terre. The Resurrection of the Witnesses (« la résurrection des témoins », 1648) met en parallèle la mort des deux témoins (Apocalypse, 11) avec le soulèvement irlandais de 1641, et interprète les premiers succès de l’armée de Cromwell comme leur résurrection. The Little Horns Doom and Downfall (« le destin et la chute de la petite corne », 1651), préfacé par des prédicateurs radicaux (Hugh Peter, Henry Jessey et Christopher Feake), est une explication systématique du Livre de Daniel : pour M. Cary, qui défend le tyrannicide, il ne fait pas de doute que le destin de la petite corne décrite au huitième chapitre de ce livre apocalyptique préfigure celui de Charles Ier. A New and More Exact Mappe (« une carte nouvelle et plus exacte », annexée à The Little Horns) est l’œuvre la plus riche de M. Cary : selon elle, les guerres civiles préludent à l’avènement de la Nouvelle Jérusalem (vers 1701). Dans ce paradis retrouvé, la guerre aura disparu, les inégalités économiques seront abolies et le travail épanouira l’individu. Enfin, dans The Twelve Humble Proposals (qui complète une réédition de 1653 de Resurrection of the Witnesses), elle répète la nécessité du recours à la force pour établir le royaume du Christ et mettre en œuvre le programme de la Cinquième Monarchie : abolition de la dîme, refonte de la common law, réforme des Églises et de l’Université, aide aux pauvres.
Claire GHEERAERT-GRAFFEUILLE
■ CAPP B. S., « Cary, Mary (b. 1620/21) », in Oxford Dictionary of National Biography, Oxford, Oxford University Press, 2004 ; GHEERAERT-GRAFFEUILLE C., « Tyranny and Tyrannicide in Mid-Seventeenth-Century England : A Woman’s Perspective », in Études Épistémè, 15, 2009 ; GILLESPIE K., Domesticity and Dissent in the Seventeenth Century : English Women Writers and the Public Sphere, Cambridge, Cambridge University Press, 2004 ; HINDS H., God’s Englishwomen : Seventeenth-Century Radical Sectarian Writing and Feminist Criticism, Manchester, Manchester University Press, 1996.
CASADESUS, Béatrice [PARIS 1942]
Peintre française.
Formée aux Beaux-Arts de Paris, Béatrice Casadesus choisit la peinture vers 1975. Attirée aussi par le spectacle vivant, elle participe au groupe de théâtre antique de la Sorbonne, aux côtés de Jean-Pierre Miquel. C’est également une passionnée d’architecture : elle reçoit des commandes pour des sites publics ou pour la Caisse des dépôts et consignations (à partir de 1966), enseigne dans les écoles d’architecture (à partir de 1968) et collabore régulièrement avec les architectes Antoine Stinco et Christian de Portzamparc (décor Grand livre des pas pour l’École de danse de l’Opéra de Paris, 1986). Les poètes et les philosophes sont pour elle des amis et collaborateurs proches (Jean-François Lyotard, Patrice Loraux, Jean-Michel Rey), avec qui elle réalise de nombreux livres uniques (1997-2001), entretenant ce rapport particulier entre poésie et peinture. Sa peinture se nourrit de celle de ses maîtres Léonard de Vinci, Masaccio, Seurat et Malevitch. Elle développe une recherche sur le point – toujours actuelle –, la trame et la vibration de la lumière. « Fascinée par le mouvement des taches de lumière qui filtrent à travers les feuillages, j’ai cherché des moyens plastiques pour transcrire les sensations de cette nature », explique-t-elle. Elle recherche le seuil d’apparition et de disparition de l’image (Suaires d’otages, 1990-1995). Le refus de la main, la répétition du geste outillé sont les conditions de la création d’une œuvre qui fait l’éloge de l’absence, voire de la fadeur. Comme pour les peintres traditionnels chinois, dont elle vénère les œuvres, le vide est pour elle synonyme d’absolu. Pour parvenir à cet effet, elle confectionne des « outils à peindre » qui impriment une trace sur la toile, tandis que l’œil du spectateur, selon l’éparpillement ou la densité des points, reconstitue sur sa rétine une image. Sa couleur – souvent délavée − doit se rapprocher d’une « couleur qui passe », au travers du support, aussi bien que dans le regard du spectateur. De fait, certains matériaux comme les rouleaux (Peintures sans fin, 1997-1999) ou les peintures boules froissées (Mues, 1997-2001) sont diaphanes et réversibles. Le résultat de ce processus créatif, qui tente de garder à distance la subjectivité de l’artiste, est une peinture qui met le spectateur en apesanteur. De récentes expositions (2010) à l’Arsenal de Soissons (Aisne) et au monastère royal de Brou (Bourg-en-Bresse) ont montré son attachement à l’histoire, créant pour ces sites des œuvres à très grande échelle.
Scarlett RELIQUET
■ Le Regard et la Trace, 1975-2000 (catalogue d’exposition), Soissons, Musée de Soissons, 2002.
■ BENHAMOU M., Tension superficielle, Le Muy, Unes, 1992.
CASADESUS, Gisèle (épouse PROBST) [PARIS 1914]
Actrice française.
Membre d’une famille d’artistes, fille du compositeur Henri Casadesus, Gisèle Casadesus fait des études de musique et de danse, mais c’est au Conservatoire d’art dramatique qu’elle remporte un premier prix de comédie en 1934. Engagée à la Comédie-Française, elle fait ses débuts dans le rôle de Rosine du Barbier de Séville. En trente ans de carrière, elle a su faire évoluer son emploi dans le répertoire classique et contemporain : ingénue, jeune première, soubrette et grand premier rôle, de Marivaux à Feydeau et Courteline, en marquant ses personnages de piquant et de sincérité dans Asmodée de Mauriac, comme dans le rôle de Suzanne du Mariage de Figaro. Retraitée en 1962, elle reparaît plus tard à la Comédie-Française avec le statut de sociétaire honoraire, joue dans La Folle de Chaillot de Giraudoux, et poursuit sa carrière sur les scènes extérieures, en reprenant notamment de grands rôles, dans Lorsque l’enfant paraît d’André Roussin ou Savannah Bay de Marguerite Duras* avec sa fille, la comédienne Martine Pascal, en 1995. Elle incarne Mme Frola dans À chacun sa vérité mis en scène par Bernard Murat en 2003 au Théâtre Antoine. À cette occasion, elle reçoit un Molière d’honneur pour l’ensemble de sa carrière. Elle participe à de nombreux films et téléfilms, donne des conférences, et a publié ses mémoires. En 2010, elle est la vedette du film La Tête en friche de Jean Becker, aux côtés de Gérard Depardieu. Elle a aussi tourné dans Ces amours-là, le film du « cinquantenaire » de Claude Lelouch et dans Elle s’appelait Sarah, de Gilles Paquet-Brenner, inspiré de la rafle du Vel’d’hiv’en 1942. Elle apporte une émouvante participation au film d’Anne-Marie Étienne, Sous le figuier, en 2013. Épouse du comédien Lucien Pascal (Lucien Probst), longtemps directeur de scène à la Comédie-Française, elle est aussi la mère de la plasticienne Béatrice Casadesus, du chef d’orchestre Jean-Claude Casadesus et du compositeur Dominique Probst.
Sa cousine, la spirituelle comédienne Mathilde Casadesus (1931-1965), fille du violoncelliste Marius Casadesus, connut le succès dans des comédies brillantes, La Bonne Soupe, Le Don d’Adèle, Chat en poche, et dans l’équipe des Branquignols, une carrière interrompue par la maladie. Elle fit épisodiquement partie de la troupe des Renaud*-Barrault.
Mireille DAVIDOVICI et Noëlle GUIBERT
■ Le Jeu de l’amour et du théâtre, Paris, P. Rey, 2007.
CASAL, Luz (María Luz CASAL PAZ, dite) [BOIMORTO 1958]
Auteure-compositrice-interprète espagnole.
À 19 ans, Luz Casal quitte son village natal et vient tenter sa chance à Madrid ; elle devient choriste pour plusieurs artistes dont Juan Pardo, joue dans la comédie musicale Las Divinas et rejoint un groupe de rock. Repérée grâce à ses multiples activités, elle enregistre son premier single El Ascensor qui recueille un succès remarquable. Invitée par l’auteur-compositeur-interprète Mark Knopfler à participer à l’enregistrement d’un disque caritatif, elle bénéficie alors d’un rayonnement médiatique inattendu. Elle poursuit sa carrière en s’impliquant davantage dans l’élaboration de ses albums : elle écrit et compose, variant habilement les styles. Entre 1982 et 1991, elle sort six albums, dont Los Ojos del gato et Luz V. En 1991, elle s’illustre en France et à l’étranger grâce à la bande originale du film de Pedro Almodóvar, Talons aiguilles, dont elle interprète deux titres, Piensa en mi et Un año de amor. À l’intention du public français, elle grave une édition spéciale agrémentée de reprises d’Étienne Daho, Marie Laforêt* et Francis Cabrel. La découverte d’une maladie grave l’oblige à interrompre sa carrière, mais elle décide très vite de se battre en effectuant une grande tournée et en reprenant le chemin des studios. Grande vedette du monde hispanophone, elle occupe une place privilégiée dans le cœur de la diaspora espagnole qui lui réserve, à chacun de ses passages en France, un accueil chaleureux.
Anne-Claire DUGAS
■ Un mar de confianza, Epic, 1999.
CASAMAYOR Y DE LA COMA, María Andrea [SARAGOSSE ? XVIIIe siècle - ID. 1780]
Écrivaine et mathématicienne espagnole.
Élevée dans un collège féminin, María Andrea Casamayor y de la Coma a sans doute poursuivi sa formation dans un collège masculin, fait inhabituel pour une femme. Elle a toujours écrit sous un pseudonyme masculin, Casandro Mamés de la Marca y Arioa, anagramme de ses prénom et nom, afin de s’assurer de la publication de ses ouvrages. Sa première et seule œuvre conservée est le Tirocinio aritmético, instrucción de las cuatro reglas llanas que saca a la luz Casandro Mamés de la Marca y Arioa (« cours d’arithmétique, instruction des quatre règles simples que met en lumière Casandro Mamés de la Marca y Arioa »), publié en 1738. Il s’agit d’un livre assez simple, à caractère didactique, destiné à favoriser l’enseignement des opérations de calcul en vue de leur application à la vie quotidienne et aux affaires. On y trouve une relation détaillée de tous les poids, mesures et monnaies de l’époque de la Couronne d’Aragon, avec leurs valeurs et équivalences, à l’usage des commerçants et des citoyens. Une seconde œuvre, non conservée, serait un manuscrit de 109 feuilles : El para sí sólo de Casandro Mamés de la Marca y Arioa, noticias especulativas y prácticas de los números, uso de las tablas de raíces y reglas generales para responder a algunas demandas que con dichas tablas se resuelven sin álgebra (« “pour lui-même”, de Casandro Mamés de la Marca y Araioa, remarques spéculatives et pratiques des nombres, utilisation des tableaux de racines et règles générales afin de répondre à quelques demandes, résolues sans avoir recours à l’algèbre »). L’auteure est considérée comme la première femme scientifique de langue espagnole dont on a conservé un écrit. Soucieuse de rapprocher l’arithmétique des classes populaires, elle s’est attachée à promouvoir les mathématiques appliquées.
María José VILALTA
■ CASADO RUIZ DE LÓIZAGA M. J., Las damas del laboratorio, mujeres científicas en la historia, Barcelone, Debate, 2006 ; DÍAZ DIOCARETZ M., ZAVALA I. M. (dir.), Breve historia feminista de la literatura española (en lengua castellana), Barcelone, Anthropos, 1993.
CASANOVA, Danielle (née Vincentella PERINI) [AJACCIO 1909 - AUSCHWITZ 1943]
Militante communiste française.
Danielle Casanova participe à la création, en 1936, de l’Union des jeunes filles de France (UJFF), dont elle devient responsable. Elle se marie en 1933 avec un étudiant en droit, Laurent Casanova, futur collaborateur de Maurice Thorez. Dès le lendemain de la Débâcle, elle participe à la reconstruction du Parti communiste français, devenu clandestin. En liaison avec sa direction nationale, elle est responsable de l’organisation clandestine des jeunes, des femmes et des intellectuels. Simultanément, elle participe à la mise sur pied des premiers groupes armés. Elle met en place des comités populaires féminins qui organisent des manifestations de ménagères réclamant du pain, de la viande, du lait. La police l’arrête le 15 février 1942. Elle est emprisonnée à la prison de la Santé puis au camp d’internement du fort de Romainville, fin août 1942. Elle est déportée le 24 janvier 1943 à Auschwitz, où elle meurt quelques mois plus tard, victime du typhus.
Fabienne PRÉVOT
■ DANIEL L. (pseud. d’Elsa Triolet), Les Amants d’Avignon, Paris, Éditions de Minuit, 1943 ; THIBAULT L. (dir.), Les Femmes et la Résistance, Paris, AERI/la Documentation française, 2006.
CASANOVA, Sofía [CULLEREDO 1861 - POZNAN 1958]
Écrivaine et journaliste espagnole.
Née dans une famille cultivée, Sofía Casanova reçoit une formation solide et progressiste, alors habituelle pour une femme en Espagne. Après la mort de son père, sa mère s’installe à Madrid avec ses trois enfants en 1873. Très jeune, elle fréquente les milieux littéraires de la ville, où elle fait la connaissance du philosophe polonais Wicenty Lutoslawski, qu’elle épouse en 1887. Le couple s’installe en Pologne, mais fait de fréquents voyages, ce qui permet à S. Casanova d’être le témoin d’importants événements historiques et de faire carrière comme journaliste. Elle écrit plus de 1 200 articles pour des journaux polonais et espagnols. Pendant la Grande Guerre, elle est la première Espagnole correspondante de guerre ; elle est aussi la première à obtenir un entretien avec Trotsky, lors du triomphe de la révolution bolchevique. Sa production littéraire est très abondante, bien qu’elle soit devenue presque aveugle en 1917. Elle est l’auteure de quatre recueils de poésie, dont le premier, Poesías (1885), est sponsorisé par la famille royale espagnole. Suivent Fugaces (1898), El cancionero de la dicha (« le chansonnier du bonheur », 1911) et Poesías inéditas (1941). Elle publie treize romans, dont El doctor Wolski (« le docteur Wolski », 1894), Lo eterno (« ce qui est éternel », 1907), El dolor de reinar (« la douleur de régner », 1925) et Como en la vida (« comme dans la vie », 1931), situé dans sa Galice natale. Elle écrit des récits, une pièce de théâtre, La madeja (« la pelote », 1913), et plusieurs volumes comprenant des recueils d’articles où elle fait d’intéressantes analyses sur la politique, les cultures et les sociétés qu’elle a connues. Parmi eux figurent Sobre el Volga helado (« sur la Volga glacée », 1903), consacré à Kazan – elle s’y établit avec sa famille en 1893 –, De la guerra, crónicas de Polonia y de Rusia (« de la guerre, chroniques de Pologne et de Russie », 1916), où elle prend parti pour le pacifisme et contre la guerre, La revolución bolchevista, diario de un testigo (« la révolution bolcheviste, journal d’un témoin », 1920), analyse de la révolution rouge.
Cristina SOLÉ CASTELLS
■ MARTÍNEZ R., Sofía Casanova, mito y literatura, Saint-Jacques-de-Compostelle, Xunta de Galicia, 1999.
■ CARDESO J., « Sofía Casanova, su niñez atormentada, cronista de guerras y revoluciones », in Anuario Brigantino no 15, 1992 ; MEISSNER K., « Las tres muertes de Sofía Casanova », in Razón Española, no 84, juil.-août 1997 ; SIMÓN M. C., « Infancia y juventud de Sofía Casanova, autógrafo inédito », in Revista de Literatura, t. 58, no 115, 1996.
CASARÈS, Maria [LA COROGNE, ESPAGNE 1922 - LA VERGNE, CHARENTE 1996]
Actrice française.
Fille d’un politicien républicain espagnol, Maria Casarès se réfugie en France avec sa famille en 1936. Elle sort en 1942 du Conservatoire de Paris et devient l’égérie d’Albert Camus, créant notamment Le Malentendu et Les Justes. En 1951, elle joue Le Diable et le Bon Dieu, de Jean-Paul Sartre. Après un passage comme pensionnaire à la Comédie-Française (de 1952 à 1954), elle entre au TNP de Jean Vilar, où elle incarne Lady Macbeth. Dans les années 1980, Patrice Chéreau la dirige dans Les Paravents, de Jean Genet, et dans Peer Gynt, de Henrik Ibsen. En 1993, elle relève le défi d’incarner Lear dans Le Roi Lear, de Shakespeare. Au cinéma, après avoir connu un grand succès dans Les Enfants du paradis (Marcel Carné, 1945), elle est l’héroïne maléfique des Dames du bois de Boulogne (Robert Bresson, 1945). Dans Orphée, Jean Cocteau fait d’elle la Mort au regard fixe. On retrouve l’actrice dans De sable et de sang (Jeanne Labrune, 1988) et La Lectrice (Michel Deville, 1988). M. Casarès est considérée comme l’une des plus grandes tragédiennes françaises du XXe siècle. Si sa filmographie comporte certaines des œuvres majeures du cinéma français, c’est bien au théâtre qu’elle donne la pleine mesure de son talent, comme le prouve le Molière qu’elle reçoit en 1989 pour sa prestation dans Hécube, d’Euripide (sous la direction de Bernard Sobel).
Bruno VILLIEN
■ Résidente privilégiée (1980), Paris, Fayard, 2003.
■ DUSSANE B., Maria Casarès, Paris, Calmann-Lévy, 1953.
CASARTELLI, Rosina [1898-1972]
Artiste et directrice de cirque italienne.
Née Eleonora Rosina Gerardi, de vieille famille banquiste, Rosina Casartelli épouse Umberto Casartelli et, tout en travaillant en duo avec lui comme écuyère, équilibriste et acrobate aérienne aux anneaux, donne naissance à trois filles et un garçon, Yonne (1919), Liliana (1921), Leonida (1924) et Lucina (1931). À la mort d’Umberto en 1933, celle qui devient La Signora Rosina, crée avec ses enfants, ses trois chevaux et une roulotte, l’Arena Rosa, petit cirque en palc (à ciel ouvert). Pendant huit années très difficiles, elle présente ses numéros de village en village avec ses enfants, qu’elle forme aux disciplines acrobatiques. Épaulée par les siens et par certains membres de la famille Togni, elle acquiert un vrai chapiteau et crée le Circo Arena Rosa, ouvrant ainsi une nouvelle page de l’histoire dynastique du cirque italien. L’un après l’autre, ses enfants s’allient à des familles et à des troupes de cirque italiens, les Togni, Swoboda-Medrano et De Rocchi. La grande dame du cirque a posé par son œuvre les bases d’un édifice considérable, celui d’un cirque italien qui rayonne d’autant plus dans son pays et hors de ses frontières que la famille Casartelli a fondé plusieurs enseignes, un important parc animalier et surtout une école, l’Academia del Circo de Cesenatico.
Marika MAYMARD
■ BASSANO E., Una donna, un circo, Gênes, Éditions La Stampa, 1975 ; CAPPA F., GELLI P., Dizionario dello Spettacolo del ‘900, Milan, Baldini & Castoldi, 1998.
CASAZOLA, Matilde [SUCRE 1943]
Poétesse et musicienne bolivienne.
La popularité des compositions musicales de Matilde Casazola Mendoza, poétesse, compositrice, interprète, chanteuse et guitariste, a fait d’elle une figure aimée du public bolivien. Sa chanson El regreso (« le retour ») est devenue l’hymne de tous ceux qui ont connu l’exil lors des dictatures militaires qui ont sévi dans les années 1970-1980. Elle a composé et publié en 1998 le chansonnier Canciones del corazón para la vida (« chansons du cœur pour la vie »). Obra poética (« œuvre poétique », 1996) réunit 12 de ses nombreux recueils de poésie. En 1997 est parue sa biographie, Matilde Casazola, un poco de tierra que adquirió el don milagroso del canto (« un peu de terre ayant acquis le don miraculeux du chant »), écrite par Beatriz Rosells. Dans son écriture, la tendresse s’inscrit en contrepoint de la violence et la célébration de l’amour répond au chagrin de la mort. M. Casazola suit les chemins poétiques tracés par les grands poètes du monde auxquels elle dédie de nombreux poèmes, confirmant ainsi sa volonté d’inscrire son œuvre dans la tradition immémoriale de la poésie.
Virginia AYLLÓN
CASGRAIN, Thérèse (née Marie-Thérèse FORGET) [MONTRÉAL 1896 - ID. 1981]
Femme politique et suffragiste canadienne.
Au nom de Thérèse Casgrain sont associées les luttes suffragistes au Québec, de 1921 à 1940. Cette bataille a porté ses fruits en bonne partie grâce à son influence au sein de la classe politique québécoise. Par ailleurs, en 1955, elle est élue présidente de la division québécoise du Nouveau parti démocratique du Canada, devenant la première Canadienne à prendre un tel leadership. Elle milite pour la paix dans le monde en créant, en 1961, l’aile québécoise de la Voix des femmes. En 1966 elle fonde la Fédération des femmes du Québec (FFQ), qui reste la principale organisation de femmes et d’associations de femmes dans la province. Elle est nommée au Sénat en 1970. Sa contribution remarquable à la société québécoise a été reconnue par de nombreuses décorations prestigieuses, en plus d’une dizaine de doctorats honoris causa.
Manon TREMBLAY
CASILE, Geneviève [BOULOGNE-BILLANCOURT 1937]
Actrice française.
Sortant du Conservatoire avec trois premiers prix, Geneviève Casile entre à la Comédie-Française en 1961, et y reste jusqu’en 1994. Blonde aux yeux bleus et au maintien plein de noblesse, elle incarne les héroïnes raciniennes : Bérénice, Andromaque, Agrippine*. De Molière, elle joue Célimène du Misanthrope et Elmire de Tartuffe. Elle remporte de grands succès chez Marivaux, Beaumarchais, Hugo, Musset. Parmi les auteurs modernes, elle joue Pirandello, Giraudoux, Montherlant. Elle crée des textes de Djuna Barnes*, Francesco Arrabal, David Mamet. Après avoir quitté la Comédie-Française, elle est une Madame de Maintenon* mélancolique dans un monologue tiré du roman de Françoise Chandernagor*, L’Allée du roi. Elle met son humour pince-sans-rire au service de Jean Anouilh, se moquant de son image de grande dame en incarnant une tragédienne despotique dans Colombe (1996, mise en scène de Michel Fagadeau) et une duchesse fantasque dans Léocadia (2010, mise en scène de Thierry Harcourt). En 2012, elle est Arsinoé dans Le Misanthrope de Molière, mis en scène par Francis Huster. Au cinéma, elle tourne en 2009 Divorces ! , de Valérie Guignabodet, et Partir, de Catherine Corsini*. À la télévision, elle tourne une adaptation des Hauts de Hurlevent (Jean-Paul Carrère, 1968, d’après Emily Brontë*), et incarne la reine Marie-Antoinette.
Bruno VILLIEN
ČÁSLAVSKÁ, Věra [PRAGUE 1942]
Gymnaste tchécoslovaque.
Tandis que sur le large podium des XVIes Jeux olympiques d’été de 1968, l’équipe de l’URSS s’apprête à recevoir ses médailles d’or, une femme au léger sourire lui fait carrément face, en muette protestation contre la sanglante répression du Printemps de Prague. En pleine possession de son art, victorieuse au concours général avec une marge inusitée de 1,40 point et trois autres médailles d’or (barres asymétriques, saut du cheval, exercices au sol ex aequo avec Larissa Petrik) sur quatre appareils, Věra Čáslavská se sent reine de Mexico, où 10 000 personnes font quelques jours plus tard, au Zócalo, escorte à son mariage avec son compatriote, le coureur de 1 500 mètres Josef Odložil (médaillé d’argent à Tokyo). Ces semaines de fièvre, de liberté et de bonheur, exception heureuse d’une vie tourmentée, Věra Čáslavská les a par la suite très durement payées. À Prague en 1962, son succès au cheval et sa deuxième place au concours général des Championnats du monde avaient marqué ses progrès constants depuis ses débuts internationaux quatre ans auparavant. Aux Jeux olympiques de 1964, les premiers organisés en Asie, elle avait détrôné la souveraine Larissa Latynina de 66 centièmes de point (poutre, saut de cheval) et entraîné pour la deuxième fois ses compatriotes vers l’argent par équipes, qu’ensemble elles transformeront en or aux Championnats du monde de Dortmund en 1966. Lors des Championnats d’Europe de Sofia (1965) puis d’Amsterdam (1967), elle accapare les cinq médailles individuelles en jeu. Ayant vibré à l’espérance du printemps 1968 et signé le Manifeste des 2 000 mots soutenant Alexander Dubček, elle échappe de peu à la répression, se cachant dans les montagnes où elle poursuit son entraînement. Les dirigeants, ayant besoin d’elle, décident finalement de la sélectionner pour Mexico. Après son retour en Tchécoslovaquie, elle est en butte à de constantes mesures de rétorsion. Exclue de son club, l’Étoile rouge, elle refuse de plier ; elle n’est autorisée qu’une fois, de 1979 à 1981, à sortir du pays, le président du Mexique ayant demandé qu’elle puisse entraîner l’équipe nationale. La Révolution de velours de novembre 1989 et l’arrivée au pouvoir de son ami Václav Havel mettent fin à vingt et un ans de disgrâce. Elle décline la proposition d’entrer au gouvernement, mais, portée à la présidence du Comité national olympique tchèque, elle entre en 1995 au Comité international olympique. Elle obtient du Président la grâce d’un de ses fils qui, en 1993, dans un café a frappé mortellement J. Odložil – dont elle avait divorcé. Une partie de l’opinion le lui reproche. Celle qui fut une athlète flamboyante, un point de référence de l’histoire de son sport, se retire alors de toute activité publique.
Jean DURRY
CASOTTO, Giovanna [DESIO 1962]
Auteure de bande dessinée italienne.
Giovanna Casotto aime à se mettre en scène dans ses bandes dessinées, et c’est ce qui fait toute l’originalité de son œuvre. Dessinatrice mais aussi actrice de ses récits polissons, elle donne libre cours à des fantasmes particulièrement portés sur le fétichisme du pied et l’autoérotisme. G. Casotto privilégie les histoires courtes et un noir et blanc nuancé de gris, le tout rehaussé par quelques touches de couleur et une pincée d’humour. Très inspirée par l’esthétique glamour des années 1950, dans sa constante contemplation des volumes du corps féminin, elle cherche à explorer le style dit « burlesque » en expérimentant aussi l’art de la photographie. Cette mère de famille italienne a fait connaître au public français ses formes sculpturales et son trait hyperréaliste par le biais de sept tomes dans le magazine érotique Selen, dans les années 1990. La revue italienne connaît à cette époque un remarquable succès dans son pays d’origine, et des signatures réputées telles que celles de Franco Saudelli ou Roberto Baldazzini sont garantes d’une haute qualité graphique. Depuis la fermeture du magazine, G. Casotto est publiée en France.
Camilla PATRUNO
CASSATT, Mary [ALLEGHENY, PENNSYLVANIE 1844 - MESNIL-THÉRIBUS, PICARDIE 1926]
Peintre américaine.
Née dans une des plus importantes familles d’industriels des États-Unis, Mary Stevenson Cassatt est connue pour ses nombreux portraits de femmes avec enfants, genre qu’elle modernise en s’intéressant aux relations entre enfants et adultes (mères, grand-mères, nourrices, bonnes). Observatrice pointue des changements en cours dans l’intimité des familles bourgeoises, elle met en scène les enfants et les femmes – parfois même un père –, qui construisent un monde nouveau, où l’enfant est un individu à part entière (Miroir ovale, 1899) ; elle scrute les gestes de tendres échanges, d’apprentissage, de transmission. Ses jeunes adolescentes s’instruisent et nourrissent des liens intellectuels avec d’autres femmes. De 1860 à 1963, M. Cassatt étudie à l’Académie des beaux-arts de Philadelphie, puis à Paris, dans l’atelier de Charles Chaplin, un des rares peintres à accepter des élèves de sexe féminin. Elle suit aussi les cours privés de Jean-Léon Gérôme, fait de la copie au Louvre et travaille le modèle vivant. Elle présentera régulièrement des œuvres au Salon, de 1868 à 1876. En 1870, la guerre franco-prussienne l’oblige à revenir en Pennsylvanie. Elle revient en France en 1871, voyage et perfectionne sa formation, notamment auprès de Carlo Raimondi. C’est en 1874 qu’elle rencontre Louisine Elder (1855-1929), qu’elle conseille pour les achats de sa collection qui formera, par la suite, le cœur du Metropolitan Museum of Art de New York. En 1877, invitée par Degas à exposer avec les impressionnistes, elle en profite pour représenter la vie moderne du côté des femmes, lesquelles revendiquent une place différente au sein de la société. Tout en s’appuyant sur l’histoire de l’art, elle subvertit les a priori du regard masculin sur celles-ci. Ses parents et sa sœur Lydia la rejoignent à Paris, car une femme de son statut social ne peut guère rester seule. En 1878, son travail est montré au pavillon américain de l’Exposition universelle qui a lieu dans la capitale. En 1882, solidaire de Degas – alors en désaccord avec quelques participants –, elle refuse d’exposer avec les impressionnistes. Aux côtés de Berthe Morisot*, elle est représentée en 1887 à la première grande rétrospective impressionniste, organisée par Paul Durand-Ruel, son marchand depuis 1881, à New York. Deux ans plus tard, elle rencontre enfin Henry Havemeyer, l’époux de L. Elder, qui la charge d’enrichir davantage leur collection. Elle se joint aussi à l’exposition annuelle des peintres-graveurs à la galerie Durand-Ruel. En 1890, elle se lance avec enthousiasme dans la lithographie en couleurs. En 1891, M. Cassatt ainsi que Pissaro sont exclus du troisième Salon des peintres-graveurs en raison de leurs origines étrangères. L’année suivante, l’artiste reçoit la commande d’une fresque ayant pour thème les femmes modernes, destinée au pavillon des femmes de l’Exposition universelle de Chicago ; à travers cette œuvre, elle développe ses idées féministes et en fait un manifeste de l’art nouveau. Sur le panneau central, un groupe de jeunes femmes cueillent les fruits de la science et de la connaissance : M. Cassatt refuse l’interprétation traditionnelle de la malédiction biblique pesant sur les femmes qui veulent s’instruire ; son jardin d’Éden est celui des impressionnistes, où l’on déambule, converse, lit, apprend et joue ; aucun serpent ne s’y promène. Dans le panneau de droite, des jeunes filles courent, telle une envolée vers la gloire, en opposition avec l’effacement et la retenue de rigueur chez les femmes de cette époque. En 1893, P. Durand-Ruel présente une grande rétrospective de son œuvre dans sa galerie parisienne, puis, en 1895, sa première exposition personnelle aux États-Unis. En 1911, déprimée par la mort de son frère, l’artiste délaisse ses pinceaux pendant deux ans. Elle participe en 1913 à l’Armory Show de New York et réside à Grasse durant une grande partie de la guerre. Mme Havemeyer organise en 1919 une grande exposition-vente d’œuvres de M. Cassatt et de Degas à New York afin de financer le mouvement suffragiste. L’année suivante, la peintre fait des dons aux musées américains, et la peinture Automne rejoint le musée du Petit Palais à Paris. Aveugle depuis un an, l’artiste meurt au château de Beaufresne en 1926.
Catherine GONNARD
■ Avec GONZALÈS E., MORISOT B., Les Femmes impressionnistes (catalogue d’exposition), Delafond M. (textes), Paris, Musée Marmottan/Bibliothèque des arts, 1993 ; Painter of Modern Women, Londres, Thames & Hudson, 1998.
■ MATHEWS N. M., Mary Cassatt : A Life, New York, Villard Books, 1994 ; ROUDEBUSH J., Mary Cassatt, Paris, Flammarion, 1979.
CASSIAN, Nina (Renée Annie CASSIAN-MĂTĂSARU, dite) [GALAŢI 1924 - NEW YORK 2014]
Écrivaine roumaine.
Élève de l’Institut Pompilian de Bucarest, Nina Cassian a suivi des cours de théâtre, d’arts plastiques et de composition avec des artistes réputés. Après des études de lettres, elle fréquente le cercle des surréalistes bucarestois, qui influence son premier recueil de poèmes, La scara 1/1 (« à l’échelle de 1/1 », 1947), où l’on remarque l’évolution d’un discours audacieux vers l’expression d’un imaginaire grotesque et angoissant qu’elle maîtrise avec une lucidité ironique. Publiés en pleine époque d’instauration du communisme, ces vers sont mal accueillis par la critique officielle. Néanmoins, entre 1949 et 1956, la poétesse souscrit à la doctrine du réalisme socialiste. Les recueils de 1957, Vârstele anului (« les âges de l’année ») et Dialogul vântului cu marea (« le dialogue du vent avec la mer »), renferment des poèmes d’amour et de brèves notations de paysages en aquarelle. Un lyrisme de l’intimité domestique se fait jour dans les vers publiés en 1961 sous le titre Sărbătorile zilnice (« les fêtes quotidiennes »), tandis que Spectacol în aer liber (« spectacle en plein air », 1961) est « une monographie de l’amour », tout comme le livre suivant, Să ne facem daruri (« faisons-nous des cadeaux », 1963). Une « étrange cruauté » et un « premier exercice de mort » s’insinuent dans les poèmes plus graves de Disciplina harfei (« la discipline de la harpe », 1965), à la tonalité anxieuse présente aussi dans les recueils Sângele (« le sang », 1966), Destinele paralele (« les destins parallèles », 1967), Ambitus (1969) et Marea conjugare (« la grande conjugaison », 1971). Ces derniers livres donnent la mesure de son originalité : ils affichent un lyrisme ambigu, associant d’une part une insouciance ludique soutenue par un art inventif et spectaculaire et, d’autre part, un fort et troublant sentiment d’angoisse. Le recueil de Loto-poeme (« loto-poèmes », 1972) propose la vision caricaturale et burlesque d’un monde à l’envers, à la fois absurde, grotesque et délectable en tant que farce énorme, dans la tradition de Jarry, de Lewis Carroll et des Roumains Tudor Arghezi ou Marin Sorescu. Le « je » poétique est un homo ludens engagé dans un spectacle qui se veut une réplique du grand univers et qui est aussi une vaste comédie du langage culminant avec les poèmes en langue « spargue », un idiome imaginaire qui joue sur les effets strictement formels du discours poétique. Des poèmes plus récents (Desfacerea lumii, « la décomposition du monde », 1985-1991) cultivent des tonalités à dominante élégiaque, sous-entendant par moments une tardive autocritique.
Le volume de Confidenţe fictive (« confidences fictives », 1976) rassemble ses textes en prose. Elle a composé quelques pièces de musique de chambre et chorale et effectué des traductions. Son journal témoigne des années de sa jeunesse « engagée » et du temps passé en exil aux États-Unis à partir de 1985.
Ion POP
■ MANOLESCU N., Literatura română postbelică, vol. 1, Braşov, Aula, 2001 ; NEGOITESCU I., Scriitori moderni, Bucarest, EPL, 1966 ; POP I., Jocul poeziei, Bucarest, Cartea Românească, 1985.
CASSIN, Barbara [BOULOGNE-BILLANCOURT 1947]
Philosophe et philologue française.
Directrice de recherche au CNRS, directrice du Centre Léon-Robin de recherche sur la pensée antique (2006-2010), fondatrice du Réseau des femmes philosophes à l’Unesco, Barbara Cassin a dirigé le conseil scientifique du Collège international de philosophie dont elle préside le conseil d’administration depuis janvier 2011. B. Cassin suit avec passion, en compagnie de Jean Beaufret et de René Char, le fameux séminaire du Thor de Heidegger, et entend, armée d’une science aussi multiforme qu’assurée (philosophie, Grèce ancienne, philologie), réintégrer dans la philosophie (mais est-ce la même ?) ce que la perspective ontologique du maître en exclut : sophistique, rhétorique, littérature. Pour inaugurer son combat, qui organise un vaste déplacement des frontières de la philosophie, elle s’appuie sur la traduction et le commentaire de deux textes : le Traité du non-être de Gorgias, que dans son Si Parménide (1980), elle met en dialectique avec ce traité de l’être qu’est le Poème de Parménide ; et le livre Gamma de la Métaphysique d’Aristote par rapport auquel elle opère un renversement de tous les jugements établis dans La Décision du sens (1989), écrit avec Michel Narcy. Cette offensive en faveur d’un complet déplacement de la fragile lisière entre philosophie et libre exercice des pouvoirs de la langue-pensée trouve un aboutissement provisoire dans L’Effet sophistique (1995) où elle déploie une argumentation historique, philologique, philosophique et littéraire en faveur de ce qu’elle nomme « logologie », et dont elle entend assurer la prévalence, ou l’antériorité, sur cette découpe restreinte que constitue l’ontologie. Ses interventions dans le monde contemporain sont multiformes elles aussi. On peut les distribuer dans quatre directions : l’étude amicale de certains penseurs d’aujourd’hui ; l’intervention active sur des points qu’on peut dire « de société » ; l’intérêt grandissant pour la relation homme/femme en philosophie ; l’incessante activité institutionnelle. Sur le premier point, notons l’intérêt constant porté à Hannah Arendt*, dont B. Cassin pense qu’elle a tissé, comme à l’envers de Heidegger, une proposition véritablement démocratique quant à ce que signifie l’exercice du jugement. Sur le second, il faut retenir l’attention portée aux procédures par lesquelles on a traité, dans la nouvelle Afrique du Sud délivrée de l’Apartheid, le terrible contentieux dont on héritait entre le personnel répressif de l’ancien régime blanc et la population noire. Ces procédures dites de « réconciliation » ont été fondamentalement langagières plutôt que strictement juridiques. Il fallait avant tout que les choses soient dites, en public, en commun, y compris et surtout par ceux qui les avaient faites. Elle s’est également engagée dans une analyse des procédures d’enregistrement des savoirs, de stockage, de classification et de restitution, qu’il serait urgent de remplacer par d’autres (Google-moi, la deuxième mission de l’Amérique, 2007). Sur le troisième, on mentionnera les deux petits livres écrits avec Alain Badiou (2010), faits de complicité et de contradiction : Il n’y a pas de rapport sexuel, qui propose deux lectures très divergentes de L’Étourdit de Lacan ; et Heidegger, le nazisme, les femmes, la philosophie, qui, s’il affirme de façon unifiée une position claire sur le « cas » Heidegger, n’en contient pas moins des débats fort animés sur le couple philosophie/politique, comme sur le rapport des philosophes à la féminité. Sur le quatrième, on ne saurait dénombrer les engagements de B. Cassin, pour défendre le CNRS dans une vision large et créatrice de son existence, pour animer tous les lieux où tente de survivre une étude active et neuve de la Grèce ancienne, pour diriger des collections, pour obtenir que les commissions diverses fassent des choix tournés vers l’avenir, pour donner voix aux protestations contre les ignominies du jour, comme le fait l’édition de L’Appel des appels, pour une insurrection des consciences (2009). Même le souci de la différence des sexes donne lieu à un engagement institutionnel (Réseau des femmes philosophes de l’Unesco). Mais il faut mentionner surtout la réalisation du décisif Vocabulaire européen des philosophies, dictionnaire des intraduisibles (2004). Ce monument dont se préparent des éditions dans une dizaine de langues concentre la volonté opiniâtre de B. Cassin de répondre, par des enquêtes aussi diverses et minutieuses que possible, à la question qui la hante, et dont elle pense que dépendent, jusque dans leur interdépendance complexe, la philosophie, la rhétorique, la littérature, mais aussi le juste droit, et enfin cette forme de vie commune qu’on nomme démocratie : que peuvent les mots ? Et comment être à la libre hauteur de ce pouvoir ?
Alain BADIOU
■ Avec ABENSOUR M. (dir.), Politique et Pensée, actes du colloque Hannah Arendt (1989), Paris, Payot, 1996 ; avec MATHIEU M., Voir Hélène en toute femme, d’Homère à Lacan, Paris, Les Empêcheurs de penser en rond, 2000 ; avec CAYLA O., SALAZAR P.-J. (dir.), Vérité, réconciliation, réparation, Paris, Seuil, 2004 ; Avec le plus petit et le plus inapparent des corps, Paris, Fayard, 2007.
■ (Éd.) PARMÉNIDE, Sur la nature ou sur l’étant, le grec, langue de l’être ? , Paris, Seuil, 1998.
CASSIRER-BERNFELD, Suzanne (née PARET) [BRUXELLES 1896 - SAN FRANCISCO 1963]
Médecin et psychanalyste américaine.
Bercée dès sa plus tendre enfance par les livres, Suzanne Cassirer-Bernfeld, nièce du philosophe Ernst Cassirer, est née d’une mère spécialiste de la civilisation italienne, thème sur lequel elle écrivit plusieurs ouvrages. Elle étudie d’abord la philosophie et l’histoire de l’art à Marburg et Hambourg, puis la médecine à Berlin. C’est là qu’elle commence une analyse avec Hanns Sachs puis, de 1932 à 1934, avec Sigmund Freud à Vienne. En 1934, installée en France, elle épouse le psychanalyste viennois Siegfried Bernfeld. Dès 1936, ils émigrent en Californie et deviennent membres de la Société psychanalytique de San Francisco à la fondation de laquelle Siegfried a activement participé. S. Cassirer-Bernfeld écrira, avec son mari, des travaux biographiques sur S. Freud. Quand Ernest Jones, dans le courant des années 1930, travaille à la biographie de l’inventeur de la psychanalyse, Suzanne et Siegfried Bernfeld sont, aux côtés d’Anna Freud* et de James Strachey, ses principaux interlocuteurs. Le premier texte du couple sur la petite enfance de S. Freud est publié en 1944, dans le Bulletin of the Menninger Clinic, sous le titre « Freud Early Childhood ».
Chantal TALAGRAND
CASTAÑEDA GARCIA, Carmen [GUADALAJARA 1941 - ID. 2007]
Historienne mexicaine.
Carmen Castañeda Garcia s’est distinguée en tant qu’historienne de la région de Jalisco dans l’ouest du Mexique mais ce sont surtout ses qualités de bibliophile et d’archiviste qui ont fait d’elle une figure de l’historiographie nationale. Elle débute en tant que professeure des écoles avant d’obtenir un master de l’université de Guadalajara puis de soutenir un doctorat au Colegio de Mexico en 1974. Elle fait partie de la première génération d’historiennes professionnelles du pays. Une de ses réalisations les plus importantes est la réorganisation des archives historiques de l’État de Jalisco alors qu’elle en est la directrice (1978-1985). Elle a développé parallèlement un rôle de bibliographe à la bibliothèque publique de cet État, rôle cristallisé en 1999 dans la publication de Imprenta, impresores y periódicos en Guadalajara, 1793-1821 (« imprimerie, imprimeurs et journaux de Guadalajara »), qui témoigne de son intérêt profond pour l’histoire du livre et des lecteurs au Mexique. Son ouvrage majeur, publié en 1984, est La educación en Guadalajara durante la colonia, 1552-1821, ouvrage qui a fait d’elle une spécialiste de l’histoire des institutions éducatives. Elle s’est également intéressée à l’histoire des femmes avec son Violación, estupro y sexualidad en la Nueva Galicia, 1792-1821 (« viol, stupre et sexualité en Nouvelle Galice », 1989). Se considérant avant tout comme enseignante, c’est en tant que telle qu’elle encourage la recherche et l’étude de nouveaux sujets historiques sur les élites sociales, l’université de Guadalajara, le développement urbain et le patrimoine culturel de cette ville. La plupart de ses travaux sur ces sujets sont publiés dans des livres collectifs ou sous la forme de petits ouvrages pour une diffusion grand public. En 1982, elle fait partie du groupe fondateur du Colegio de l’État de Jalisco et de son journal Encuentro. Dans les années suivantes, elle joue un rôle clé dans la recherche historique en tant que professeure au Centre de recherche et d’enseignement avancé en anthropologie sociale (CIESAS) : elle est l’une des premières femmes à avoir le statut de « chercheur national ». En 1994, elle devient membre de l’Académie mexicaine des sciences. Sa dernière publication concerne le rôle des peuples indigènes de la région lacustre de Chapala pendant les guerres d’indépendance.
Asunción LAVRIN
■ LUZ AYALA M. de la, FLORES PEREDO L., GABAYET L., « Homenaje a Carmen Castañeda García (Guadalajara 1941-2007) », in Takwá, 11-12, 2007.
CASTEL-BLOOM, Orly [TEL-AVIV 1960]
Écrivaine israélienne.
Orly Castel-Bloom a étudié la cinématographie à l’université de Tel-Aviv. Lauréate de nombreux prix en Israël et à l’étranger, elle a fait paraître en 1987 le recueil de nouvelles Lo rahoq mi-merkaz ha-‘ir (« pas loin du centre-ville ») et, depuis, plusieurs nouvelles, romans et livres pour enfants. Elle compte parmi les écrivains qui ont changé la littérature israélienne et influencé toute une génération en explorant de nouveaux itinéraires expressifs. Dans le panorama littéraire israélien contemporain, elle est considérée comme l’une des voix les plus importantes du postmodernisme, par sa façon d’utiliser la langue hébraïque et les thèmes qu’elle aborde. Cependant, une partie de la critique lui reproche parfois d’être encore trop liée dans son projet littéraire aux stéréotypes qu’elle cherche à subvertir. Dès le début, son œuvre est caractérisée par un style innovant et provocateur ainsi que par une volonté de détruire et de tourner en ridicule les mythes fondateurs de la société et de la culture israéliennes. La réalité urbaine, avec toutes les frustrations et les désillusions de l’homme moderne, est le scénario choisi par la romancière pour raconter ses histoires, qui s’ouvrent souvent sur une dimension onirique et grotesque et se développent à partir d’une déconstruction du langage et de ses conventions. Dans ses nouvelles très brèves et dans ses romans, la langue est bouleversée sans être pour autant atteinte dans ses principes. Au contraire, c’est l’adhésion à un système de règles qui permet à l’écrivaine d’en souligner sa nature conventionnelle. À la suite d’une lecture littérale des expressions, les choses sont les conséquences de leur nom. Cette recherche linguistique vise à une subversion des lieux communs de la société israélienne contemporaine dans une vision anti-utopique de la réalité, qui trouve avec l’ironie son point fort. Surtout dans la trilogie Où je suis, Dolly city, La Mina Lisa, O. Castel-Bloom aborde la recherche d’un parcours personnel et original, qui nécessite l’abandon des stéréotypes sur l’écrivaine, mais aussi celui des mythes fondateurs de la société israélienne. Le thème maternel, au cœur de son œuvre, se retrouve dans Dolly city, inscrit dans la collection « Œuvres représentatives » de l’Unesco. Dans ce roman l’écrivaine raconte l’histoire de Dolly, mère « malgré elle », et de son enfant, prénommé Fils, avec lequel elle entretient un rapport compliqué, caractérisé par une surprotection qui aboutit à la cruauté. Ce roman, qui dès sa sortie en Israël a soulevé beaucoup de polémiques, lui a valu en France une comparaison avec Kafka.
Elisa CARANDINA
■ Où je suis (Hekhan ani nimtse’t, 1990), Arles, Actes Sud, 1995 ; Dolly city (Dolly city, 1992), Arles, Actes Sud, 1993 ; La Mina Lisa (Ha-Mina Liza, 1995), Arles, Actes Sud, 1998 ; Les Radicaux libres (Radiqalim hofshiyyim, 2000), Arles, Actes Sud, 2003 ; Parcelles humaines (Halaqim enoshiyyim, 2002), Arles, Actes Sud, 2004 ; Textile (Teqstil, 2006), Arles, Actes Sud, 2008.
CASTELLANE, Victoire DE [NEUILLY-SUR-SEINE 1962]
Joaillière française.
Issue de la vieille noblesse française, Victoire de Castellane crée, très jeune, ses premiers bijoux. En 1982, elle entre chez Chanel, où elle dessine les collections d’accessoires et de bijoux fantaisie. Engagée chez Christian Dior, elle développe, en 1998, le département joaillerie. L’année suivante, elle présente sa première collection et ouvre une boutique Dior Joaillerie avenue Montaigne. Elle a insufflé à la joaillerie une nouvelle jeunesse en imposant son style fantasmagorique et sa poésie décalée. Elle apprécie l’exagération, fait se côtoyer l’énorme et le minuscule et s’amuse à imaginer des pièces de grande valeur qui ressemblent à des fausses. Elle puise son inspiration dans le monde de l’enfance et dans la nature : contes féeriques de Walt Disney, personnages miniatures japonais, scoubidous aux couleurs acides, ailes de papillon et fleurs étranges. En 2007, elle crée la collection Belladone Island. Les pièces sont ornées de plantes carnivores extraordinaires et de papillons. Le travail de la laque translucide aux couleurs acidulées, allant jusqu’au fluorescent ou aux paillettes, révèle la qualité d’exécution. À l’automne 2008, la collection Milly Carnivora, née des mêmes inspirations, propose des pièces plus petites. Le conte de fées à la fois idyllique et inquiétant se poursuit avec la bague « tueuse » Carnivora Devorus, qui ouvre ses pétales pour dévoiler l’insecte qui s’est fait manger.
Zelda EGLER
■ CASTELLANE V. de, MOCAFICO G., Belladone Island, [s.l.], Steidl & Partners, 2007.
■ HANOVER J., « Poeticus preciosus », in L’Officiel, n° 930, nov. 2008.
CASTELLANOS, Dora [BOGOTÁ 1924]
Poétesse colombienne.
Précoce, Dora Castellanos publie son premier recueil de poésie à l’âge de 15 ans. Diplomate puis fonctionnaire dans son pays, elle est la première femme admise à l’Académie colombienne de la langue. Sous l’influence des œuvres d’Alfonsina Storni*, de Delmira Agustini*, de Juana de Ibarbourou* et de Gabriela Mistral*, elle revisite le thème éternel de l’amour à travers des images traversées de rivières, de terres, d’astres, de personnes, de cultures. Chacun de ses poèmes renouvelle ce scénario et présente une originalité à l’intérieur d’un courant conservateur et classique, sous forme de sonnets sur l’amour, la nostalgie ou la foi, multipliant les métaphores et les allégories. La métrique et la rime traditionnelle se muent en impulsions, telles les marches d’un escalier conduisant à des lieux imaginaires toujours plus sublimes. Son écriture est symbolique, surtout quand elle recrée des ambiances érotiques, et fidèle au caractère suggestif de la poésie. Parmi ses œuvres se distinguent : Verdad de amor (« vérité d’amour », 1952), Hiroshima, amor mío (« Hiroshima, mon amour », 1971), Luz sedienta (« lumière sèche », 1972), Zodíaco del hombre (« zodiaque de l’homme », 1980), La Bolivaríada (« épopée de Bolívar », 1984) et Con luz de tus estrellas (« avec la lumière de tes étoiles », 2001).
Victor MENCO HAECKERMANN
CASTELLANOS, Rosario [MEXICO 1925 - TEL-AVIV 1974]
Écrivaine mexicaine.
Fille de propriétaires terriens du Chiapas, région où les indigènes amérindiens sont très présents, Rosario Castellanos grandit dans l’hacienda paternelle. Trouvant de l’affection auprès de sa nourrice indigène, qui la familiarise avec la sagesse ancestrale des peuples vaincus, elle souffre très tôt d’une tradition familiale où les femmes occupent une place subordonnée à celle des hommes ; elle considère que la situation de soumission des indigènes qui travaillent à l’hacienda de son père est similaire. Ces expériences précoces nourrissent sa vocation littéraire. Après avoir étudié la philosophie à Mexico et l’esthétique en Espagne, elle voyage en Europe. De retour au Mexique, elle s’engage dans les Instituts indigénistes du Chiapas et de Mexico, et donne des cours à l’Université nationale puis dans des universités américaines. Depuis sa jeunesse et jusqu’à sa mort, R. Castellanos cultive tous les genres littéraires. Les inquiétudes qui traversent son œuvre narrative sont la vision indigène du monde, la condition des femmes dans le contexte du sous-développement, l’obsession de la mort, les structures de pouvoir et d’oppression, le rôle de la parole. Elle commence sa carrière littéraire en tant que poétesse avec le recueil Trayectoria del polvo (« trajectoire de la poussière », 1948), suivi d’une vingtaine d’autres recueils, parmi lesquels Apuntes para una declaración de fe (« annotations pour une déclaration de foi », 1948), De la vigilia estéril (« de la veille stérile », 1950), Lívida luz (« lumière livide », 1960), Materia memorable (« matière mémorable », 1969). En 1972, elle réunit la quasi-totalité de sa production poétique dans l’anthologie Poesía no eres tú (« poésie ce n’est pas toi »). Son premier roman, Les Étoiles d’herbe (1957), rassemble ses souvenirs d’enfance, et l’écriture fonctionne comme une planche de salut alors que la réforme agraire du gouvernement de Cárdenas provoque la décadence de sa famille. Oficio de Tinieblas (« métier des ténèbres », 1962) recrée des mythes mayas et dénonce la domination exercée par la population blanche de San Cristobal de Las Casas sur les communautés indigènes tzotziles. Le recueil de nouvelles Ciudad Real (« cité royale », 1960) revisite la même problématique. D’abord classée parmi les écrivains indigénistes, R. Castellanos refuse cette affiliation, car ses récits ont pour objectif de briser la vision manichéenne du premier mouvement littéraire indigéniste d’Amérique latine. Dans le recueil de nouvelles Los convidados de agosto (« les convives d’août », 1964), elle s’intéresse à la vie des femmes blanches de classe moyenne dans le milieu asphyxiant de la province. Dans Álbum de familia (« album de famille », récits, 1971), elle revient sur la situation des femmes dans la classe moyenne de la capitale. Certaines intrigues se nouent dans les milieux intellectuels et artistes.
En raison de sa productivité dans des circonstances adverses, de l’engagement autobiographique avec lequel elle a abordé tous les sujets et de sa mort tragique (dans un accident, en 1974, alors qu’elle est ambassadrice en Israël), elle devient un personnage culte pour les mouvements féministes. L’édition de ses œuvres complètes est posthume, ainsi que la publication de nombreux textes inédits et articles journalistiques. Son œuvre a fait l’objet de nombreuses thèses, articles et livres.
Edith NEGRÍN
■ Les Étoiles d’herbe (Balún-Canán, 1957), Paris, Gallimard, 1962.
■ LÓPEZ GONZÁLEZ A., La espiral parece un círculo, Mexico, Universidad Autónoma Metropolitana, 1991 ; PONIATOWSKA E., ¡Ay vida, no me mereces ! , Mexico, Joaquín Mortiz, 1987.
■ BENMILOUD K., « Origine et gestation dans la trilogie du Chiapas de Rosario Castellanos », in Penser avec Antoinette Fouque, Paris, Des femmes–Antoinette Fouque, 2008.
CASTELLI FERRIERI, Anna [MILAN 1920 - ID. 2006]
Designer italienne.
Après l’obtention de son diplôme d’architecture à l’École polytechnique de Milan en 1943, Anna Castelli Ferrieri travaille dans l’agence de Franco Albini avec lequel, à partir de 1945, elle participe à la rédaction de la revue Casabella Costruzioni. Elle est parmi les membres fondateurs du Movimento di Studi per l’Architettura. En 1946, A. Castelli Ferrieri fonde son agence d’architecture. Elle crée des bâtiments pour Kartell, à Binasco, le siège de la Banca d’Italia, à Varèse, des bureaux pour Alfa Romeo, des hôpitaux, des églises, des entreprises industrielles et des habitations. À partir de 1952, elle est membre de l’Istituto nazionale di urbanistica. En 1965, elle s’établit en tant que designer. En 1966, conseil en design pour l’entreprise Kartell, fondée par son mari, Giulio Castelli, elle voit l’édition de ses tables en plastique rondes 4993/94. Un de ses objets les plus connus est le système de bacs en plastique ABS 4970/84 (bacs carrés) et 4966 (bacs ronds) créé en 1967 qui, sans fixations, s’élève par simple empilement pour former un meuble de rangement. En 1979, le tabouret 4822/44 est aussi une petite révolution grâce à la constitution de la mousse (fibre de verre et fragments de métal) de ses pieds, assez résistante pour lui faire prendre de la hauteur. Ses objets, dont les chaises empilables 4870 (Compasso d’Oro en 1987), seront surtout édités par Kartell de 1965 à 1988. Elle travaille, entre autres, avec Nirvana (fauteuil et lit d’enfant en 1947) ; Lanerossi (couverture Clipper et Party en 1974) ; Arflex (canapé Segnale en 1990). Devenue directrice artistique chez Kartell, elle enseigne aussi à l’École polytechnique de Milan, à la Domus Academy, intervient au RMIT Center of Design de Melbourne et à l’Art Center College of Design de Pasadena (Californie). Elle participe à de nombreuses expositions et reçoit plusieurs prix : Design Italian Style à la Hallmark Gallery à New York, en 1968 ; médaille d’or en 1947 et en 1950, Triennale de Milan ; Italy : The New Domestic Landscape au MoMA à New York, en 1972 ; Chicago Athenaeum (Good Design Award en 1996 et 2000). Son œuvre est présentée dans les collections permanentes de plusieurs musées, dont le MoMA, à New York, ou le Design Museum, à Londres.
Marguerite DAVAULT
■ Interfacce della materia, Milan, Domus Academy, 1991.
■ CASTELLI FERRIERI A., MORELLO A., Plastiche e Design, Milan, Arcadia, 1984 ; COLLECTIF, The AZ of Modern Design, Londres, Merrell, 2006 ; HIESINGER K., MARCUS G. H., Landmarks of Twentieth Century, New York, Abbeville Press, 1993.
CASTELLÓN, Blanca [MANAGUA 1958]
Poétesse nicaraguayenne.
La poésie de Blanca Castellón appartient au courant post-révolutionnaire ou post-sandiniste, qui cherche à dépasser les dogmes de l’« extérieurisme », mouvement privilégiant le concret à l’abstrait, cherchant à nommer les choses le plus exactement possible à travers la parole poétique, afin de refléter le contexte historique et politique. Son œuvre émerge comme en réponse à la tradition poétique de son pays. Elle est soutenue par sa génération, pour laquelle les mythes de la Révolution sandiniste n’ont plus la même résonance. Le retour à la forme même de la poésie et la remise en cause du matériau langagier nourrissent une nouvelle expression autour de problèmes nouveaux. Les préoccupations concernant le langage, dont témoigne déjà le recueil de poèmes Mentor de l’esprit (1995), sont prolongées par Flotaciones (« flottaisons », 1999), Orilla opuesta (« bord opposé », 2000) et par l’ouvrage collectif El sinónimo antónimo (« le synonyme antonyme », 2002). B. Castellón essaie de trouver ce qui donne une profondeur au lexique quotidien et n’hésite pas à insérer dans ses poèmes des références au monde technologique contemporain. Préoccupée par l’instant et par le silence, elle propose un univers poétique qui se prend lui-même pour objet.
Ingrid SOLANA
■ Mentor de l’esprit (Ama del espíritu, 1995), Paris, L’Harmattan, 2007.
CASTIGLIONE COLONNA, Adèle (née Adèle D’AFFRY, dite MARCELLO, duchesse DE) [FRIBOURG 1836 - CASTELLAMARE 1879]
Sculptrice, peintre et dessinatrice suisse.
Née dans une famille patricienne de Fribourg, Adèle d’Affry bénéficie d’une éducation soignée qui l’amène à Rome, où son compatriote le sculpteur Heinrich Maximilian Imhof l’initie à la sculpture italienne. En 1856, elle accède à la haute société romaine en épousant Carlo Colonna, duc de Castiglione-Altibrandti, qui meurt la même année. Sa rencontre avec Jean-Baptiste Carpeaux et Jean-Baptiste (dit Auguste) Clésinger, en 1861, la confirme dans ses ambitions de sculptrice, et la jeune femme, qui partage son temps entre Paris, Rome et Fribourg, fréquente assidûment les cours d’anatomie et – travestie en homme – ceux de dissection de l’École pratique de médecine de Paris, encore interdits aux femmes. Ce n’est qu’au Salon de 1863 que la « belle duchesse » propose trois de ses œuvres sous le pseudonyme italien et surtout masculin de Marcello, pratique courante chez les femmes artistes au XIXe siècle. Particulièrement remarqué, le buste sévère de Bianca Capello donne la mesure de son admiration pour la Renaissance toscane et tout particulièrement pour Michel-Ange. L’extrême contention de la pose de la légendaire Bianca rappelle la règle que se donne l’artiste : « Le mouvement précis, jamais l’exagération. » Copiée en différentes matières (bronze et marbre), l’œuvre est rehaussée, pour les copies de bronze, de doré et d’argenté – on commence à savoir que la sculpture antique n’était pas monochrome. Le buste est vendu à quelques artistes mais aussi à l’empereur Napoléon III, dont l’épouse introduit la très mondaine sculptrice à sa cour. Outre ses relations dans le monde, elle entretient également de nombreuses amitiés politiques (Adolphe Thiers, Victor Cousin) et artistiques (J.-B. Carpeaux, Eugène Delacroix, Léon Bonnat, Gustave Courbet, Prosper Mérimée, Charles Gounod ou Franz Liszt). Réalisée et très longuement perfectionnée en 1869 et en 1870, la haute Pythonisse (ou Pythie) de bronze juchée sur son trépied et surnommée tour à tour « Tripodesse », « Gypsy » et « Sibylle », en raison de son allure bohémienne et inspirée, fut achetée par Charles Garnier pour l’Opéra de Paris. Il parla de « silhouette caractérisée » pour qualifier l’œuvre majeure de la sculptrice, qui offre de fait une grande richesse de points de vue et rappelle formellement par son mouvement la figure serpentine des maniéristes italiens, tout comme sa statuette Rosina (1869). On a vu dans cet hymne au corps de la femme, pour lequel elle a moulé son propre buste, l’un des premiers jalons de l’Art nouveau. Ses bustes constituent l’essentiel de sa production sculptée, et nombreux sont ses commanditaires (l’impératrice Eugénie) et amis (A. Thiers, F. Liszt et J.-B. Carpeaux, le plus tourmenté et le moins académique de tous), qui posent pour elle ; elle s’aide également de photographies pour les modeler. D’autres bustes, sous des traits anonymes ou empruntés à ses connaissances, représentent des personnages mythologiques comme la Bacchante fatiguée ou littéraires comme le Paolo et Francesca que lui inspira Dante. Le parfum orientaliste de la Femme maure souriante et du Cheikh arabe (tous deux vers 1870) rappelle la grande admiration de la sculptrice pour E. Delacroix. Cependant, sa représentation des visages et, le cas échéant, des corps cherche toujours à restituer l’âme au moyen des traits ; c’est en ce sens qu’elle porte attention aux traités physiognomoniques de Johann Kaspar Lavater. Le Salon de 1863 avait accueilli la sculptrice très favorablement. Mais, bien qu’elle ne soit jamais « refusée » comme artiste, son succès critique restera cependant mitigé. Malgré cela, son œuvre fut diffusée, au moyen des photographies de son ami Nadar, dans des journaux illustrés aussi importants que L’Illustration, L’Illustrateur des dames et L’Artiste. En revanche, pour grands qu’aient été ses maîtres et soutiens en cet art, ses tentatives comme peintre ne furent guère couronnées de succès, et le Salon de 1874 refusa sa Conspiration Fieschi. Elle n’en laisse pas moins une importante œuvre graphique et d’innombrables dessins, ainsi qu’une abondante correspondance et des mémoires – inédits – s’apparentant à des écrits sur l’art et qui nous fournissent de très précieuses informations sur ses études techniques. Avant sa mort, elle réserva des œuvres ainsi qu’un pécule pour que soit édifié, dans sa ville natale, un musée qui lui rende hommage.
Anne LEPOITTEVIN
■ Marcello : Adèle d’Affry, duchesse Castiglione Colonna (catalogue d’exposition), Paris, musée Rodin, 1980.
■ BESSIS H., Marcello sculpteur, Fribourg, musée d’Art et d’Histoire, 1980 ; BLÜHM A. (dir.), The Colour of Sculpture, 1840-1910 (catalogue d’exposition), Amsterdam/Zwolle, Van Gogh Museum/Waanders, 1996.
■ PETROVSKI A., « “La Rosina” (1869) ou la silhouette caractérisée, une approche de la figure féminine sculptée par “Marcello”, Adèle d’Affry (1836-1879), duchesse Castiglione Colonna », in Studiolo, n° 4, 2006.
CASTILLO, Ana [CHICAGO 1953]
Écrivaine américaine chicana.
Issue d’une famille ouvrière d’origine mexicaine à Chicago, Ana Castillo écrit en tant que « femme de couleur » dans une société définie par la division entre Blancs et Noirs. Son œuvre s’inscrit dans cet intervalle qui la rend étrangère à ses propres origines. Ni Américaine ni Mexicaine, elle crée d’autres alliances, transnationales, pour s’opposer au racisme et au sexisme qui cherchent à la marginaliser. Elle rejoint le mouvement chicano à l’âge de 17 ans et, avec d’autres écrivaines, comme Norma Alarcón, Gloria Anzaldúa* et Cherríe Moraga*, elle aide à la construction d’une conscience chicana, distincte de la tendance masculine et machiste des années 1960-1970 du mouvement chicano. Dans Massacre of the Dreamers : Essays on Xicanisma (1994), elle explore son imaginaire indien et ses racines de femme de couleur en milieu hostile. Imprégné des luttes et du langage du mouvement des femmes tiers-mondistes des années 1970 aux États-Unis, ce livre développe le concept de xicanisma, qui décrit la position des féministes chicanas dans la lutte contre le racisme et le sexisme aux États-Unis tout en effaçant cette spécificité « brune » par l’utilisation du paradigme blanc/noir. Elle poursuit ses réflexions sur ses origines métisses par le biais de la fiction non sans rester critique vis-à-vis de la quête d’une authenticité ethnique, notamment dans le roman The Mixquiahuala Letters (1986), Sapogonia : An Anti-Romance in 3/8 Meter (1990) et dans Peel my Love Like an Onion (1999). Sa poésie – comme sa prose – donne forme à une critique sociale, notamment dans Women Are Not Roses (1984) et My Father Was a Toltec (1988), recueil en partie écrit en espagnol, mais aussi dans son dernier livre, I Ask The Impossible (2001), où elle retrace son expérience personnelle. Elle a aussi cofondé la revue littéraire Third Woman et participé au journal Humanizarte. Ses contributions à des projets collectifs comprennent également la coédition de livres qui ont fait date comme The Sexuality of Latinas (1989) et l’édition d’un recueil de textes consacrés à la Vierge de Guadalupe, Goddess of the Americas/La Diosa de las Américas (1996). Pour la jeunesse, elle a publié My Daughter, My Son, The Eagle, The Dove : An Aztec Chant (2000), dans lequel elle a repris des fragments de huehuehtlatolli, chants aztèques à caractère philosophique, théologique et moral adressés aux jeunes, qui lui permettent de continuer son effort pour renouer avec ses origines.
Melina BALCÁZAR MORENO
■ ALARCÓN N., « The Sardonic Powers of the Erotic in the Work of Ana Castillo », in HORNO-DELGADO A. et al. (dir.), Breaking Boundaries : Latina Writing and Critical Readings, Amherst, University of Massachusetts Press, 1989 ; GONZALES-BERRY E., « The (Subversive) Mixquihuala Letters : An Antidote for Self-Hate », in BÉRANGER J., CAZEMAJOU J., LACROIX J.-M. et al. (dir.), Multilinguisme et multiculturalisme en Amérique du Nord, l’ici et l’ailleurs, Talence, Maison des sciences de l’homme d’Aquitaine, 1991.
CASTILLO, Carmen [SANTIAGO 1945]
Cinéaste et écrivaine chilienne.
L’œuvre pluridisciplinaire de Carmen Castillo trouve son origine dans l’expérience dramatique de la clandestinité après le coup d’État militaire de Pinochet (1973), puis de l’exil. Son engagement politique et la quête d’une voix poétique subjective imprègnent cette œuvre essentielle, l’une des plus fortes de la diaspora chilienne. Parmi ses films, moyens et longs-métrages, on peut citer : Les Murs de Santiago (coréalisé avec Pierre Devert et Fabienne Servan-Schreiber, 1983) ; État de guerre, Nicaragua (avec Sylvie Blum, 1986) ; La flaca Alejandra (« Alexandra la maigre », avec Guy Girard, Fipa d’or du meilleur documentaire de création, Festival de Biarritz 1994) ; La Véridique Légende du sous-commandant Marcos (avec Tessa Brisac, 1995) ; Inca de Oro (avec Sylvie Blum, 1997) ; Maria Felix, l’insaisissable (2001) ; Misia, la voix du fado (2003) ; Le Chili de mon père (2005) ; Rue Santa Fé (Calle Santa Fe, 2007) ; Pour tout l’or des Andes (2010). Elle a par ailleurs publié, entre autres, deux biographies : Un jour d’octobre à Santiago (1980) ; Santiago-Paris, le vol de la mémoire, coécrit avec Mónica Etchevarría, sa mère (2002).
Gabriela TRUJILLO
■ Un jour d’octobre à Santiago (1980), Paris, Bernard Barrault, 1988 ; avec ETCHEVARRÍA M., Santiago-Paris, le vol de la mémoire, Paris, Plon, 2002.
CASTILLO, Gelia T. [PAGSANJAN, LAGUNA 1928]
Sociologue philippine.
Première sociologue philippine à s’engager dans des recherches collaboratives internationales, Gelia T. Castillo est considérée comme la pionnière de la sociologie rurale dans ce pays. La publication de ses nombreux travaux (articles, livres, rapports) a révélé aux Philippines et à l’étranger la situation sociale et économique des habitants des campagnes. Après avoir étudié la psychologie à l’université des Philippines (UP), elle s’oriente vers la sociologie rurale et soutient sa thèse à l’université Cornell (Ithaca) en 1960. Dans ses ouvrages les plus connus, elle dévoile les conséquences socio-économiques des nouvelles technologies agraires, introduites pendant la Révolution verte du dictateur Marcos au début des années 1990. Afin de mener à bien ses travaux, elle choisit une approche de développement participatif et propose une analyse sociologique approfondie des problèmes des milieux ruraux (emploi, migration, éducation). Responsable de la Social Science Commission et de la Social Research Division à l’UP-Los Baños, la sociologue a également contribué à la création du département de sociologie à l’UP-Diliman. En 1993, elle est nommée National Social Scientist par le Philippine Social Science Council, et, en 1999, National Scientist par Estrada, alors président des Philippines.
Asuncion FRESNOZA-FLOT
■ All in a Grain of Rice : A Review of Philippine Studies on the Social and Economic Implications of the New Rice Technology, Laguna, Southeast Asian Regional Center for Graduate Study and Research in Agriculture, 1975 ; Beyond Manila : Philippine Rural Problems in Perspective, Ottawa, International Development Research Centre, 1979.
■ LEE-CHUA Q., « National scientist Gelia Castillo », in Philippine Daily Inquirer, oct. 2007.
CASTILLO LEDÓN, Amalia DE [SANTANDER JIMÉNEZ 1898 - MEXICO 1986]
Auteure dramatique mexicaine.
Instigatrice infatigable d’aventures théâtrales et féministe, Amalia de Castillo Ledón est l’auteure de cinq pièces où transparaît le conformisme des femmes face à la société patriarcale : Cuando las hojas caen (« quand les heures tombent », 1929) et Peligro, deshielos (« danger, dégel », 1957) sont les plus remarquables. En 1928, elle devient haut fonctionnaire de Mexico et doit réduire son activité artistique. Elle fonde les groupes de théâtre nationaliste La Comedia mexicana (1928-1938) et le Teatro de masas (1940-1970). Elle fait aussi construire le Teatro del Pueblo et, avec la collaboration du peintre Diego Rivera, six carpas, chapiteaux où se perpétue la tradition du théâtre populaire. En 1934, elle fonde l’organisation féministe Ateneo mexicano de mujeres, décisive pour l’obtention du vote féminin en 1953. Plus tard, elle devient présidente de la Cour suprême du Mexique et première ambassadrice mexicaine.
Manuel ULLOA
CASTLE, Barbara (née BETTS) [CHESTERFIELD 1910 - BUCKINGHAMSHIRE 2002]
Femme politique britannique.
Née dans une famille engagée politiquement à gauche, Barbara Castle rejoint très jeune le Parti travailliste. Elle s’affirme comme leader dès l’université où elle étudie la philosophie, l’économie et les sciences politiques. En 1943, elle tient son premier discours à la conférence nationale du Parti travailliste, dont elle deviendra l’un des dirigeants les plus importants du XXe siècle. Elle épouse le journaliste Ted Castle, en juillet 1944, et travaille comme correspondante du Daily Mirror pendant la Seconde Guerre mondiale. En 1945, elle est élue à la Chambre des communes et se fait connaître pour ses positions en faveur de la décolonisation. Présidente du Parti travailliste (1958-1959) qui remporte les élections générales de 1964, elle occupe plusieurs postes ministériels dans le gouvernement Wilson entre 1964 et 1970. Ministre des Transports (1965-1968), elle introduit la vitesse limite à 70 miles par heure, l’Alcootest et la ceinture de sécurité obligatoire. En 1968, alors qu’elle est secrétaire d’État pour l’Emploi et la Productivité (1968-1970), elle s’illustre par le soutien décisif qu’elle apporte à la grève historique des couturières de l’usine Ford qui réclament des salaires égaux à ceux des hommes, et fait passer dans la foulée, en 1970, la première loi d’égalité des salaires entre les hommes et les femmes. Au retour des travaillistes au gouvernement, nommée secrétaire d’État aux Services sociaux (1974-1976), elle introduit les prestations familiales et établit le lien entre les retraites et les revenus. Elle est limogée par le nouveau Premier ministre Jim Callaghan dès son arrivée. Députée européenne (1979-1989), elle siège comme vice-présidente du groupe socialiste (1979-1986) et rejoint en 1990 la Chambre des lords. Ses agendas politiques et son autobiographie, Fighting All the Way (1993), apportent un éclairage inédit sur la vie politique.
Fabienne PRÉVOT
CASTRO, Amanda [TEGUCIGALPA 1962 - ID. 2010]
Poétesse hondurienne.
Après avoir obtenu un diplôme de lettres dans son pays, Amanda Lizet Castro Mitchell poursuit ses études supérieures aux États-Unis, puis enseigne à l’université du Colorado, tout en étudiant et en travaillant à la diffusion et à la promotion de la littérature écrite par les femmes du Honduras et d’Amérique centrale. Fondatrice de la maison d’édition Ixbalam, au Honduras, elle a écrit, entre autres, les livres de poésie Poemas de amor propio y de propio amor (« poèmes d’amour-propre et de propre amour », 1993), Celebración de mujeres (« célébration de femmes », 1996), La otra cara del sol (« l’autre face du soleil », 2001), Una vez un barco (« une fois, une barque », 2004), El paso de la muerte (« le passage de la mort », 2006), Desnuda y sin tregua (« nue et sans relâche », 2008). Certains de ses essais ont été publiés dans l’ouvrage collectif Otros testimonios, voces de mujeres centroamericanas (« autres témoignages, voix de femmes d’Amérique centrale », 2001), des contributions qui insistent sur la misère sociale et la souffrance dans lesquelles la société cantonne les femmes latino-américaines et sur l’élaboration de revendications aussi justes que nécessaires. Par ailleurs, elle a assuré la coordination et la traduction de Poetry by Contemporary Honduran Women (2002). La situation et les problèmes sociaux et politiques de son pays et de l’Amérique centrale, le contexte culturel des sociétés indigènes amérindiennes, et la mise en évidence de la marginalisation des femmes sont les axes de son travail poétique, auxquels viennent s’ajouter l’expression de l’érotisme et ses connotations lesbiennes à partir de Quizás la sangre (« peut-être le sang », 2001). L’image des femmes a toujours été au centre de la poésie d’A. Castro, qui ébranle les normes et dénonce les inégalités et la violence dont sont victimes les femmes. D’une manière directe, certains de ses textes évoquent l’entente amoureuse et harmonieuse entre deux femmes, la passion partagée, la sensualité débordante, les désirs sans limites du sujet poétique pour l’être aimé. Un autre thème est celui de la mort, expérience tragique de la perte des proches, ou chant aux amis disparus, mais aussi chemin inéluctable que doit parcourir le sujet poétique qui, malade, assume finalement son destin, satisfait du travail accompli. En 1993, A. Castro a reçu le prix de poésie des Jeux floraux de Quetzaltenango, au Guatemala.
Fernando MORENO
CASTRO, Juana [VILLANUEVA DE CÓRDOBA 1945]
Poétesse espagnole.
À l’issue de ses études, enseignante dans des écoles de sa province natale, Juana Castro privilégie néanmoins l’écriture, depuis sa prime jeunesse. Dès son premier livre, Cóncava mujer (« femme creuse », 1978), elle se situe d’emblée au cœur du mouvement féministe. Ses lectures, dont celle de la revue catalane Vindicación Feminista (« défense féministe »), la confortent dans sa défense de la condition des femmes et lui permettent d’échapper aux stéréotypes qui distinguent traditionnellement univers masculin et féminin. À l’héritage de la tradition poétique andalouse s’ajoute, dans ses écrits, l’influence de la « génération de 27 » ou celle du groupe Zubia, dont elle se rapproche entre 1977 et 1982. Sa poésie, qu’elle veut indépendante de toute école et qui lui a valu plusieurs prix, associe facture traditionnelle et innovation, grâce à la redécouverte des grands mythes ou à leur adaptation. L’aspect autobiographique de son œuvre, signalé par la critique, est confirmé par l’auteure : Del dolor y las alas (« de la douleur et les ailes », 1982) est écrit après la perte de son fils et témoigne de l’influence de son éducation religieuse ; Paranoia en otoño (« paranoïa en automne », 1985) s’inspire d’un épisode amoureux ; Los cuerpos oscuros (« les corps obscurs », 2005) donnent voix à ceux qui sont en train de perdre la mémoire. La pratique du vers libre ne l’empêche guère de cultiver la prose, notamment sous forme d’articles qu’elle publie dans la presse en tant que critique littéraire. Ainsi, elle a reçu, entre autres, le prix national destiné à promouvoir l’image de la femme véhiculée par les médias. Certains de ses titres ont fait l’objet de traductions en plusieurs langues. Elle est elle-même traductrice de poésie italienne. Fondatrice de l’Ateneo de Cordoue, elle est membre de l’Académie royale des sciences, des belles-lettres et des arts de cette ville ; quelques-uns de ses vers ornent des carreaux du palais de Viana.
Carme FIGUEROLA
■ UGLADE S. K. (dir.), Sujeto femenino y palabra poética, estudios críticos de la poesía de Juana Castro, Cordoue, Diputación, 2002.
■ PORRO M. J., « Juana Castro, del feminismo de la igualdad a la expresión de lo universal », in Boletín de la Real Academia de Córdoba de Ciencias, Bellas Letras y Nobles Artes, no 133, 1997.
CASTRO, Lourdes [FUNCHAL, MADÈRE 1930]
Peintre portugaise.
Après des études de peinture aux Beaux-Arts de Lisbonne, Lourdes Castro quitte le Portugal pour Munich (1957). Grâce à une bourse d’études de la fondation Gulbenkian, elle crée à Paris, avec le peintre René Bertholo, la revue expérimentale KWY (1958-1963), et accompagne le mouvement éponyme auquel s’associent Christo, Jan Voss et des artistes portugais comme Costa Pinheiro, José Escada, Gonçalo Duarte et João Vieira. Elle participe en 1959 à la première Biennale de Paris. Peu après, elle commence à abandonner l’abstraction lyrique et se rapproche des pratiques des nouveaux réalistes, créant des collages à partir d’objets de consommation, récupérés et assemblés dans des boîtes peintes de couleur argentée. Pierre Restany, théoricien du mouvement, la cite dans Le Plastique dans l’art (1973). Elle réalise aussi ses premiers essais de sérigraphie (1962) et conçoit des livres et des collages. Cerner l’évanescence de la réalité, par essence éphémère et insaisissable, tel est le sujet de sa vie d’artiste. Les silhouettes de ses amis peintes sur Plexiglas (Ombre projetée de Christa Maar, 1968), découpées ou brodées sur des draps (Ombres couchées, 1972) explorent le thème de l’objet et de son double. L’artiste s’inscrit dans une filiation qui va des profils découpés anonymes, rendus populaires dans toute l’Europe du XVIIIe siècle, passe par la figure de Peter Pan – dont les célèbres aventures le conduisent à retrouver son ombre abandonnée – et se poursuit dans le portrait découpé en ombre chinoise de Marcel Duchamp, Marcel dechiravit (1958). Elle anime ces silhouettes dans les spectacles qu’elle réalise à partir de 1966 dans son Théâtre d’ombres, en collaboration avec Manuel Zimbro, et qui sont présentés à travers l’Europe et au Brésil. Grand herbier d’ombres (1972), exposé à la fondation Cartier de Paris (2009), est le recueil des ombres d’une centaine d’espèces végétales fixées sur du papier héliographique, une sorte d’encyclopédie botanique qui relie symboliquement deux époques et deux géographies familières : Paris et Funchal. Elle représente le Portugal à la Biennale de São Paulo (2000), aux côtés de Francisco Tropa.
Scarlett RELIQUET
■ FERNANDES J. et al., Lourdes Castro, sombras a volta de um centro desenhos sobre papel, Lisbonne, Museu Serralves et Assirio & Alvim, 2003 ; O grande herbário de sombras, Lisbonne, Fundação Calouste Gulbenkian, 2002.
CASTRO, Luisa [FOZ 1966]
Chroniqueuse de presse et écrivaine espagnole d’expressions galicienne et castillane.
Des études de philologie hispanique, commencées à Saint-Jacques-de-Compostelle, conduisent Luisa Castro à Madrid, où elle collabore à divers médias, tout en se spécialisant en linguistique à l’université Complutense, avant d’aller approfondir ses études à Urbino (Italie). Elle écrit en galicien et en castillan, et publie son premier recueil poétique, Odisea definitiva, libro póstumo (« odyssée définitive, livre posthume »), en 1984. Elle obtient le premier prix Hiperión de poésie avec Los versos del eunuco (« les vers de l’eunuque ») en 1987, puis le prix du roi Juan Carlos de poésie pour Los hábitos del artillero (« les habitudes de l’artilleur »), publiés en 1989, ainsi qu’un recueil d’articles de presse, Diario de los años apresurados (« journal des années pressées »). Après un séjour aux États-Unis, où elle étudie le cinéma à Columbia et à l’université de New York, elle retourne en Espagne et devient, à Madrid, collaboratrice régulière de La Voz de Galicia, El Mundo et El País Semanal. Parmi ses œuvres figurent El somier (« le sommier »), finaliste du prix Herralde du roman en 1990, Ballenas (« baleines », 1992), édition bilingue du recueil de poèmes en galicien, Baleas e Baleas (1988), El secreto de la lejía (« le secret de l’eau de Javel »), prix Azorín en 2001, Viajes con mi padre (« voyages avec mon père », 2003), merveilleuse rétrospective de son univers poétique. Podría hacerte daño (« je pourrais te blesser ») reçoit le prix Torrente-Ballester en 2005 ; La segunda mujer (« la deuxième femme »), une histoire évoquant l’amour et l’âge, les classes sociales antagonistes et deux façons de concevoir l’éducation, obtient le prix Biblioteca breve en 2006. En 2007, elle écrit, avec le journaliste Raúl del Pozo, un roman d’amour à quatre mains, La sota de Esquilache (« le valet d’Esquilache »), publié en feuilleton dans Campus, le supplément d’El Mundo.
Montse VENDRELL BARDAJÍ
■ ENCINAR A., « En busca del secreto de la narrativa de Luisa Castro », in La pluralidad narrativa, escritores españoles contemporáneos (1984-2004), Madrid, Biblioteca nueva, 2005 ; RODRÍGUEZ B., « Luisa Castro o la escritura doble », in REDONDO GOICOECHEA A. (dir.), Mujeres novelistas, jóvenes narradoras de los noventa, Madrid, Narcea, 2003.
CASTRO, Rosalía DE (María Rosalía Rita DE CASTRO, dite) [SAINT-JACQUES-DE-COMPOSTELLE 1837 - PADRÓN 1885]
Poétesse et romancière espagnole.
Parmi les auteurs qui ont fondé l’identité nationale de la Galice moderne, Rosalía de Castro fait partie du courant romantique, aux côtés de Gustavo Adolfo Bécquer. Son acte de naissance la dit « née de parents inconnus », car sa mère est issue d’une famille de la petite noblesse et son père est prêtre. Ses tantes paternelles prennent soin d’elle jusqu’à ce que sa mère puisse s’en occuper, lorsqu’elle a 5 ans. À la mort de sa mère en 1862, quatre ans après son mariage, elle lui consacre un petit volume de poésies, A mi madre (1863), où s’exprime un sentiment de solitude qui ne la quittera jamais. Son premier recueil de poèmes, La flor (« la fleur »), très influencé par le romantisme, paraît en 1857. En 1859, elle publie son premier roman, La hija del mar (« la fille de la mer »). Sa naissance illégitime la tourmentait : si elle ne traite jamais directement ce sujet, le roman lui permet d’exprimer d’une manière voilée ses obsessions. La hija del mar est née de deux impulsions : l’une, intime, qui la pousse à révéler sa douleur profonde et ancestrale ; l’autre, à caractère social. Elle devient la voix de ceux qui n’en ont pas, des femmes abandonnées, des enfants sans père. Elle est aussi l’auteure de quatre autres romans et d’un recueil poétique exceptionnel, En las orillas del Sar (« sur les berges du Sar », 1884), écrit en castillan, d’une profonde tonalité secrète et d’une sombre beauté nocturne. En langue galicienne, elle est à l’origine de la Rexurdimento (« renaissance littéraire ») avec les Cantares gallegos (« chansons galiciennes », 1863), qui ressuscitent la voix du peuple galicien. Son dernier livre, Follas novas (« feuilles nouvelles », 1880), aborde la solitude existentielle la plus intime − saudade en galicien −, mais aussi les peines et les joies de son peuple à travers ses fêtes et ses misères, ses amours et les injustices subies, ses révoltes et surtout le problème douloureux de l’émigration. Elle décède d’un cancer à l’âge de 48 ans. Sa maison, La Matanza, est aujourd’hui un musée. Ses restes ont été transférés en 1891 au Panteón de Galegos ilustres, à Saint-Jacques-de- Compostelle, où reposent d’illustres Galiciens.
Àngels SANTA
■ Anthologie poétique, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2002.
■ Obras completas, Madrid, Librería de Hernando, 1909.
■ ALBERT M., Rosalía de Castro y la condición femenina, Madrid, Partenón, 1981 ; MAYORAL M., La poesía de Rosalía de Castro, Madrid, Gredos, 1974.
CATACH, Nina [LE CAIRE 1923 - PARIS 1997]
Linguiste française.
Après un doctorat d’État sur L’Orthographe française à l’époque de la Renaissance (publié chez Droz en 1968), Nina Catach fonde le groupe de recherches Histoire et structure de l’orthographe (Heso) au CNRS en 1962. Elle est considérée comme la plus grande spécialiste de l’orthographe française et de son histoire. Son système de description, présenté dans son Dictionnaire historique de l’orthographe française (1994), fait référence. En tant qu’experte, elle a participé à l’élaboration des rectifications orthographiques, lancées par Michel Rocard (1990). Elle a créé l’Association pour l’information et la recherche sur les orthographes et les systèmes d’écriture (Airoé), inscrite aujourd’hui dans le cadre du Réseau pour la nouvelle orthographe du français, qui fédère de nombreux pays francophones.
Thomas VERJANS
■ L’Orthographe, Paris, PUF, 1978 ; avec DUPREZ D., GRUAZ C., L’Orthographe française, Paris, Nathan, 1996.
CATALÀ, Víctor (Caterina ALBERT I PARADÍS, dite) [L’ESCALA 1869 - ID. 1966]
Écrivaine espagnole d’expression catalane.
Autodidacte, Víctor Català débute par des œuvres poétiques et théâtrales, mais elle atteint le succès avec la narration d’histoires brèves, sous le pseudonyme masculin de Virgili Alacseal, puis de Víctor Català. Fille aînée de riches propriétaires ruraux, elle est élevée dans un milieu cultivé. Son père, avocat et politique républicain, est temporairement exilé pour avoir pris part au soulèvement de 1869 ; sa mère écrit de la poésie et sa grand-mère connaît très bien le folklore et la culture populaires. Elle reçoit une formation élémentaire, complétée par des cours de dessin, peinture et sculpture, arts qu’elle pratiquera toute sa vie, avec l’écriture. Elle réside de temps à autre à Barcelone, où elle tisse des liens avec les écrivains catalans les plus prestigieux. Elle alterne l’administration du patrimoine familial avec des voyages en Europe et l’écriture. Elle décrit avec une rigueur inhabituelle, dans un style chargé de dialectalismes, parfois archaïsant, le monde rural, s’attirant ainsi le mépris de l’élite intellectuelle urbaine. Ces critiques l’amènent à chercher de nouveaux sujets et de nouvelles formes d’expression ; elle y perdra une partie de son originalité créative. Elle débute en 1898 avec le poème « Lo llibre nou » (« le nouveau livre ») et un monologue, La infanticida (« l’infanticide »). En 1901, elle publie le recueil Cant dels mesos (« chanson des mois »). Son parcours littéraire est jalonné de trois étapes distinctes : dans Drames rurals (« drames ruraux », 1902), la dureté de la jeune femme, qui souligne les aspects les plus noirs du monde rural, et l’absence de vision bucolique et idéalisée, attendue sous une plume féminine, ont donné lieu à un fameux scandale dans le monde littéraire catalan et à une immense curiosité à son égard. Suivent Ombrívoles (« ombragées », 1904) et Caires vius (« bords aiguisés », 1907). D’abord publié en feuilleton dans la revue Joventut, son roman Solitude obtient le premier prix Fastenrath aux jeux Floraux de Barcelone en 1909. Fondamental dans la littérature catalane contemporaine, il marque la deuxième étape et a fait l’objet de nombreuses traductions et d’une adaptation cinématographique. La description psychologique des personnages atteint une profondeur inédite, en particulier celle de la protagoniste Mila, symbole de la femme en lutte ; cependant, incapable de s’adapter au monde qui l’entoure, elle va vivre en recluse. À l’issue d’une période de silence, l’auteure s’essaie, sans grand succès, à de nouvelles formules narratives, entre 1918 et 1930, avec un roman urbain et des nouvelles. Après une nouvelle parenthèse, due en partie à la guerre civile, elle publie, en 1944, son seul livre en langue espagnole, Retablo (« retable ») ; elle conclut sa production littéraire avec de nouveaux recueils d’articles et de récits. Elle a été membre de l’Académie royale des belles-lettres de Barcelone (1923) et a donné son nom à un prix littéraire du roman, décerné de 1953 à 1977.
María José VILALTA
■ Solitude (Solitud, 1909), Paris, Denoël, 1938.
■ AYMERICH P., PESARRODONA M., Caterina Albert, un retrat, Barcelone, Generalitat de Catalunya, Institut català de la dona, 2004 ; CASTELLANOS J., « Victor Català », in MOLAS J., RIQUER M. de, COMAS A., (dir.), Història de la literatura catalana, part moderna [7-11], vol. 8, Barcelone, Ariel, 1986-1988.
■ RIVERA M. M., « Caterina Albert, Víctor Català », in CABALLÉ A. (dir.), La pluma como espada, del romanticismo al modernismo, la vida escrita por las mujeres, Barcelone, Círculo de lectores, 2003.
CATANI, Beatriz [ARGENTINE 1955]
Metteuse en scène, auteure dramatique et actrice argentine.
Après des études d’histoire à l’université nationale de La Plata dans les années 1970, époque marquée par la violence et un fort engagement politique, Beatriz Catani connaît sa première expérience d’actrice en 1989, au Festival international de Córdoba. Elle entame alors des études de théâtre à Buenos Aires, où se développe le théâtre indépendant, et se forme au jeu. Après son interprétation dans El líquido táctil (1997), de Daniel Veronese, elle commence à écrire pour le théâtre. Elle crée Cuerpos abanderados (« corps porte-drapeaux », 1998) puis Perspectiva Siberia (2001), autour des textes de Dostoïevski. Dramaturge et metteur en scène de la plupart de ses créations, elle interroge le fait théâtral dans son rapport à la réalité et à l’espace, notamment avec Edificios (2006), dramaturgie du réel à Madrid, tout en essayant de « réduire les marges du spectacle », notamment dans Ojos de ciervo rumanos (2003). Elle mène sa recherche expérimentale au théâtre La Hermandad del Princesa, qu’elle dirige à La Plata. Sa situation en marge de la capitale alimente un travail sur les contraintes spatiales et temporelles de la création. Dans Finales (2007) et Insomnio (2010), elle étire la durée de la représentation – une nuit entière pour Insomnio. Invitée dans de nombreux festivals, elle présente ses œuvres en Belgique, au Brésil, en Allemagne. En Argentine, elle collabore avec Vivi Tellas* dans le cadre du projet Biodramas (Los 8 de julio).
Stéphanie URDICIAN
■ Beatriz Catani, acercamientos a lo real, textos y escenarios, CORNAGO O. (éd.), Buenos Aires, Ediciones del Sur, 2007.
CATARGI, Mihaela [BUCAREST 1888 - ID. 1976]
Journaliste roumaine.
Descendante d’une famille de nobles très proche des milieux intellectuels, politiques et culturels de France, de Suisse et d’Angleterre, Mihaela Catargi passe sa jeunesse dans plusieurs capitales occidentales. Pendant la Première Guerre mondiale, elle participe à des œuvres de bienfaisance en direction des Roumains de l’étranger, puis se consacre à sa carrière de journaliste. Nommée en 1925 représentante de presse du ministère des Affaires étrangères auprès de la Société des Nations, elle se spécialise dans la politique internationale pour plusieurs journaux roumains et français comme Timpul (« le temps »), Adevărul (« la vérité »), Paris-Soir, France-Soir et Le Moment, quotidien antifasciste édité en français à Bucarest par Alfred Hefter. En 1928, elle crée son propre journal, Ultima oră (« la dernière heure »). Liée à la maison royale roumaine, elle est nommée en 1937 directrice de presse du ministère des Affaires étrangères et, l’année suivante, directrice générale du département de propagande. Dans ses conférences à Bucarest, Londres ou Paris, elle prend des positions antinazies fermes, ce qui lui vaut d’être persona non grata en Allemagne. En 1946, le ministre des Affaires étrangères l’envoie à Paris pour saisir l’état d’esprit français d’après-guerre, dont elle rend compte dans Paris, astăzi şi mâine (« Paris, aujourd’hui et demain », 1947). Avec ses amis journalistes et hommes politiques internationaux, elle essaie d’organiser des groupes de pression sans parvenir à infléchir la situation défavorable à la Roumanie lors de la Conférence de paix de Paris. Rentrée à Bucarest, M. Catargi est rapidement éloignée de la presse, arrêtée et emprisonnée pour espionnage en 1953. Après deux ans de prison, elle est envoyée dans la région de Bărăgan. De retour à Bucarest en 1956, elle vit de traductions jusqu’à la fin de sa vie.
Luciana RADUT-GAGHI
CATEL (Catherine MULLER, dite) [STRASBOURG 1964]
Auteure de bandes dessinées française.
Illustratrice pour la jeunesse, Catel se fait remarquer dans la bande dessinée avec les aventures d’une trentenaire, Lucie s’en soucie, écrites par Véronique Grisseaux. En 2004, elle s’associe à la scénariste Sophie Dieuaide pour Les Papooses, une série pleine d’espièglerie qui met en scène trois enfants indiens d’Amérique. Co-scénariste sur le psychodrame réaliste Le Sang des Valentines, avec Christian de Metter (2004, Prix du public au Festival d’Angoulême), elle dessine ensuite Quatuor (2008), un recueil de quatre courts récits signés de quatre scénaristes différents (Thierry Bellefroid, José-Louis Bocquet, Jacques Gamblin, Pascal Quignard), qui évoquent la danse et les rapports entre hommes et femmes. La première collaboration entre Catel et José-Louis Bocquet, Kiki de Montparnasse (2007), portrait subtil des Années folles à Paris, dans un noir et blanc faussement naïf, leur a permis d’obtenir, en 2008, l’Essentiel Fnac-Sncf au Festival d’Angoulême et le Grand Prix RTL de la BD. Forts de ce succès, les deux auteurs se retrouvent pour Olympe de Gouges* (2012), une biographie engagée à son tour récompensée par différents prix.
Camilla PATRUNO
■ Ainsi soit Benoîte Groult, Paris, Grasset, 2013.
CATHER, Willa [BACK CREEK VALLEY 1873 - NEW YORK 1947]
Romancière américaine.
Née dans une famille de fermiers prospères, Willa Cather découvre, à l’âge de 10 ans, les terres vierges du Nebraska que ses parents, comme d’autres pionniers américains ou européens, sont venus défricher. Après des études de lettres à l’université du Nebraska à Lincoln, capitale de l’État, puis une carrière de journaliste à Pittsburgh et à New York, elle trouve dans cette expérience inédite et déterminante de la Frontière la matière de ses premiers succès littéraires, en particulier de ses deux « romans de la terre » : Pionniers ! (1913) et Mon Ántonia (1918). Par la suite, elle situe ses œuvres dans d’autres parties du continent américain (Colorado, Nouveau-Mexique, Canada) ou en France, mais en explorant toujours les nouveaux départs, les frontières, les limites, les situations de transition, les difficultés extrêmes exigeant énergie et imagination. L’Un des nôtres (1922) lui vaut le prix Pulitzer. Chaque récit brode sur le thème commun de la transformation d’un matériau brut en une structure esthétiquement harmonieuse et rationnellement ordonnée. Chacun raconte inlassablement l’histoire d’une mise en forme, qu’il s’agisse de la conquête et de la domestication d’un nouveau territoire ou de la maîtrise d’un domaine artistique en mutation (musique, chant, sculpture, écriture). Bien souvent, c’est à des personnages féminins que l’écrivaine prête les qualités d’ascèse, d’endurance et d’intelligence nécessaires à la découverte de champs de connaissances non encore explorés. Ses musiciennes ou ses chanteuses d’opéra font œuvre de pionnières dans leur art, tout comme les fermières du Middle West qui « transforment le désert en paysage » (La Mort et l’Archevêque). W. Cather elle-même fait preuve d’avant-gardisme en choisissant l’épure d’un style « démeublé » pour s’attaquer aux conventions du roman réaliste en vogue à son époque et en situant ses romans dans des contrées jusque-là étrangères à la littérature. Comme Jim Burden, héros écrivain de son roman Mon Ántonia, elle peut revendiquer ce vers des Géorgiques de Virgile : « Je serai à coup sûr le premier, si je vis, à introduire les Muses dans mon pays. »
Marie-Claude PERRIN-CHENOUR
■ Pionniers ! (O Pioneers ! , 1913), Paris, Gallimard, 1989 ; Mon Ántonia (My Ántonia, 1918), Paris, 10-18, 1993 ; L’Un des nôtres (One of Ours, 1922), Paris, Payot et Rivages, 1999 ; La Mort et l’Archevêque (Death Comes for the Archbishop, 1927), Paris, Rivages, 1995.
■ LEE H., Willa Cather : A Life Saved Up, London, Virago Press, 2008 ; O’BRIEN S., Willa Cather : The Emerging Voice, Cambridge (Mass.), Havard University Press, 1997 ; WOODRESS J. L., Willa Cather : A Literary Life, Lincoln, University of Nebraska Press, 1987.
CATHERINE DE MÉDICIS [FLORENCE 1519 - BLOIS 1589]
Reine de France.
Fille de Laurent II de Médicis (1492-1519), duc d’Urbino, et de Madeleine de La Tour d’Auvergne, orpheline peu après sa naissance, Catherine de Médicis est élevée par sa tante paternelle dans une Italie en guerre et a pour tuteur son oncle Jules de Médicis, le futur pape Clément VII. À 15 ans, elle épouse le deuxième fils de François Ier, Henri, duc d’Orléans. Menacée de répudiation et éclipsée par la maîtresse de son mari, Diane de Poitiers*, qui occupe une grande place à la cour, elle donne enfin naissance, en 1544, à un héritier ; neuf autres enfants suivront, dont trois seront rois et deux, reines. À la mort de François Ier en 1547, son époux monte sur le trône sous le nom d’Henri II et elle est sacrée reine de France à la basilique de Saint-Denis. D’une grande intelligence et d’une haute culture, elle s’implique dans la vie du royaume. Après la mort de son mari en 1559, et celle, à 16 ans, de son fils aîné François II qui lui succède, elle se montre une grande reine. Régente à l’avènement de son jeune fils Charles IX, sa première action est de tenter de mettre un terme au violent conflit entre catholiques et protestants. Elle rompt avec la politique répressive à l’encontre de ces derniers et elle abolit la peine de mort en matière d’hérésie. Son esprit de tolérance et sa volonté pacificatrice sont inépuisables. Elle préfère la culture, l’art et les fêtes à la guerre, et veut y convertir les hommes. Elle est aussi considérée comme l’une des plus grandes mécènes du XVIe siècle français. Mais sa résolution et ses efforts ne suffisent pas à endiguer la violence guerrière et à empêcher le déclenchement de la première guerre de Religion avec le massacre de Wassy perpétré en 1562 par les troupes du duc François de Guise. En 1564, une paix précaire étant revenue, elle voyage durant vingt-huit mois à travers la France pour revivifier la foi monarchique de la population et lui présenter le jeune roi. Les troubles reprennent en 1567 lorsque le prince de Condé, calviniste, tente de s’emparer du roi par surprise. Après l’attentat raté contre l’amiral Coligny, allié de Condé, qui a tenté de dresser Charles IX contre sa mère pour l’entraîner dans une nouvelle guerre, C. de Médicis laisse les Guise organiser le massacre, dit de la Saint-Barthélemy, qui fera 2 000 morts, dont les principaux chefs huguenots, dans la nuit du 24 au 25 août 1572, et déclenchera immédiatement une nouvelle guerre. À l’avènement en 1574 de son troisième fils, Henri III, elle n’est plus régente mais continue à parcourir le royaume pour faire respecter les édits de paix et l’autorité du roi. Sa politique de conciliation triomphera après sa mort sous le règne d’Henri IV.
Fabienne PRÉVOT
■ CLOULAS I., Catherine de Médicis, Paris, Fayart, 1979 ; HÉRITIER J., Catherine de Médicis, Paris, Perrin, 1985 ; MARIÉJOL J.-H., Catherine de Médicis, Paris, Tallandier, 1979 ; ORIEUX J., Catherine de Médicis ou la Reine noire, Paris, Flammarion, 1986.
CATHERINE DE SIENNE [SIENNE 1347 - ROME 1380]
Mystique italienne.
Canonisée en 1461, Catherine de Sienne est l’une des quatre femmes ayant été déclarées docteurs de l’Église. Dès sa prime jeunesse, Caterina Benincasa manifesta une vocation religieuse prononcée et choisit la vie cloîtrée parmi les mantellate dominicaines. À la suite d’une vision qui l’invitait à se consacrer à l’apostolat, elle contribua largement au retour des papes d’Avignon à Rome ainsi qu’aux réformes de l’Église et de son ordre religieux. Son activité de missionnaire, sa spiritualité de haut niveau, sa force et sa ferveur mystique sont documentées par les nombreuses Lettres qu’elle dicta à ses secrétaires, dont le poète Neri Pagliaresi et le notaire Cristoforo Guidini. Ces lettres adressées aux papes, aux souverains, aux autorités religieuses, mais aussi à des gens communs, constituent un précieux exemple de la prose religieuse du XIVe siècle. Elles concernent en particulier le renouveau de l’Église et du mystère de la Passion, et sont structurées en paragraphes qui pouvaient être extraits et utilisés dans d’autres lettres. La pensée mystique de Catherine de Sienne est transcrite dans Le Livre des dialogues, composé de 167 chapitres divisés en traités. La Legenda maior, rédigée par le frère Raymond de Capoue, et la Legenda minor, par le frère Tommaso d’Antonio Caffarini, retracent sa vie.
Marta SAVINI
■ Le Livre des dialogues suivi de Lettres (Libro [o Dialogo] della Divina Provvidenza, [s.d.] ; Epistole, [s.d.]), Paris, Seuil, 2002.
■ AURIGEMMA L., Il volgare senese de Il dialogo di s. Caterina da Siena, Naples, Loffredo, 1988 ; DUPRÉ THESEIDER E., Il problema critico delle Lettere di santa Caterina da Siena, Rome, Tipografia del Senato, 1933 ; LEONARDI L., TRIFONE P. (dir.), Dire l’ineffabile, Caterina da Siena e il linguaggio della mistica, atti del Convegno, Siena 13-14 novembre 2003, Florence, Edizioni Galluzzo per la Fondazione Ezio Franceschini, 2006.
CATHERINE II DE RUSSIE (née Sophie AUGUSTE D’ANHALT-ZERBST, dite « la Grande ») [STETTIN 1729 - TSARSKOÏE SELO 1796]
Impératrice de Russie.
Princesse allemande, Catherine épouse Charles Frédéric, duc de Holstein-Gottorp, désigné par l’impératrice Élisabeth de Russie comme son successeur. Monté sur le trône en 1762 sous le nom de Pierre III, le nouveau tsar se rend immédiatement impopulaire par son parti pris pour la Prusse, avec laquelle la Russie est en guerre. Catherine participe à une conjuration qui le renverse et il est tué en prison. Elle est sacrée impératrice la même année. Avec elle, le pays entre dans l’ère moderne, devient un pouvoir dominant au Moyen-Orient et trouve sa place dans le concert des nations européennes. Au plan extérieur, elle poursuit la politique des tsars et étend les frontières vers la mer Noire, la Baltique et l’Europe centrale. En 1773, par un premier partage de la Pologne avec l’Autriche et la Prusse, elle acquiert deux millions de sujets ; elle remporte la guerre contre l’Empire ottoman et par le traité de 1774 obtient les places d’Azow et de Tangarok, la libre navigation sur la mer Noire et l’indépendance de la Crimée, qu’elle annexera en 1783. Elle gère personnellement ce vaste empire tout en transformant profondément le pays au plan intérieur. Animée de la pensée des Lumières, elle développe l’agriculture et l’industrie. La Russie devient le premier producteur mondial de fer, de fonte et de cuivre ; sa production industrielle est multipliée par deux, la valeur de son commerce intérieur et extérieur par trois. Catherine II envoie des expéditions scientifiques explorer les confins de l’empire, afin d’y étudier les productions et les ressources. Elle rédige les grandes lignes d’un nouveau code de lois en s’inspirant de Montesquieu, reconnaît aux villes une certaine autonomie. Elle protège et encourage les arts, la littérature et l’éducation, entretient une volumineuse correspondance avec les souverains et les esprits éclairés du temps. Elle fait l’admiration des philosophes des Lumières qu’elle accueille et protège, dont Voltaire, Grimm, Diderot, d’Alembert. Mais sa volonté modernisatrice se heurte au système féodal russe archaïque fait de sous-développement, d’esclavage paysan et de pouvoir politique autoritaire. Elle ne parvient pas à assouplir le servage et face aux révoltes des serfs qui vivent dans une plus grande misère que jamais, elle renforce au contraire les pouvoirs de la noblesse. Lorsque survient la Révolution française, elle rejoint la coalition contre la France, où elle veut faire rétablir l’Ancien Régime. Pour éviter la contagion à la Russie, elle intensifie la censure et accroît les exils en Sibérie. Durant son règne, elle aura remporté 78 victoires, érigé 29 nouveaux gouvernements, bâti 144 villes nouvelles et promulgué plus de 200 édits. Elle aura aussi écrit des comédies, un drame lyrique, ses mémoires, qui, comme sa correspondance, sont passés à la postérité.
Fabienne PRÉVOT
■ CARRIÈRE D’ENCAUSSE H., Catherine II de Russie, Paris, Fayard, 2002 ; MOUROUZY P., Catherine II, impératrice de toutes les Russies, Paris, France Empire, 1986 ; OLDENBOURG Z., Catherine de Russie, Paris, Gallimard, 1966 ; TROYAT H., Catherine la Grande, Paris, Flammarion, 1977.
CATHY VOIR SARRAI, Kalthoum
CATLETT, Elizabeth [WASHINGTON 1915 - CUERNAVACA, MEXIQUE 2012]
Peintre et sculptrice américaine.
Exclue de Dunbar High School du fait de sa couleur de peau, Elizabeth Catlett intègre d’autres universités, où elle suit les cours des peintres Lois Mailou Jones* et Grant Wood, spécialiste de l’Amérique rurale. Sa sculpture Mother and Child (1939), réalisée pour sa soutenance de thèse, lui vaut de décrocher le premier prix à l’American Negro Exposition de Chicago en 1940. La puissance visuelle et l’évidente appartenance ethnique de cette mère enlaçant son enfant remportent un grand succès. Installée à New York avec son mari Charles White – figure du réalisme social –, E. Catlett est initiée au cubisme par le sculpteur Ossip Zadkine. Parallèlement, elle s’investit au Harlem Artists Guild ainsi qu’au Harlem Community Art Center.En 1946, elle réalise « The Negro Woman », une série de lithographies, parmi lesquelles I Helped Hundreds to Freedom, représentant la « Moïse du peuple noir », Harriet Tubman*, conduisant avec force les esclaves vers la liberté. Ces lithographies inaugurent toute une série d’œuvres rendant hommage au courage et à la beauté des femmes afro-américaines. En 1947, E. Catlett étudie avec les figures de la sculpture mexicaine : Francisco Zúñiga et Jose L. Ruiz, dont la lutte pour produire un art au service du peuple l’inspire profondément. Vivant au Mexique avec son second mari, l’artiste Francisco Mora, elle est interdite de séjour aux États-Unis du fait de ses relations avec certains membres du parti communiste et socialiste. Malgré son statut d’expatriée, elle reste très engagée dans le mouvement des droits civiques et dans le Black Power, qui diffuse une de ses œuvres les plus célèbres : Malcolm X Speaks for Us (1969). Première femme nommée à la tête du département de sculpture de l’université de Mexico en 1959, elle remporte de nombreux prix comme le Tlatilco à la première Biennale de sculpture de Mexico en 1962. Surnommée la « Mère du Black Art Movement », elle n’est autorisée à retourner aux États-Unis qu’en 1971, à l’occasion d’une rétrospective de son œuvre organisée par le Studio Museum de Harlem.
Sonia RECASENS
■ BEARDEN R., HENDERSON H., A History of African-American Artists : From 1792 to the Present, New York, Pantheon Books, 1993 ; FARRINGTON L. E., Creating Their Own Image : The History of African-American Women Artists (2005), Oxford/New York, Oxford University Press, 2011 ; HILLSTROM K., HILLSTROM L. C., Contemporary Women Artists, Detroit, St. James Press, 1999 ; ZABUYAN E., Black Is a Color, une histoire de l’art africain-américain contemporain, Paris, Dis voir, 2004.
CAT POWER (Chan MARSHALL, dite) [ATLANTA 1972]
Auteure-compositrice-interprète américaine.
Chan Marshall a grandi dans la bourgade gigantesque d’Atlanta. Fille d’un pianiste de blues itinérant, elle prend la route assez tôt, commence à jouer dans les clubs de sa ville et des environs, puis adopte le nom de Cat Power. Elle s’intéresse au free jazz, à la musique expérimentale, mais se sent surtout attirée par le folk. Quand elle apparaît au milieu des années 1990, elle fascine et intrigue tout de suite le public. C’est son troisième disque, What Would the Community Think, qui la fait connaître en 1996. C. Marshall plaît par son style, mélange d’austérité, de voix sexy et d’arrangements minimalistes. Elle fait paraître deux disques, Moon Pix et The Covers Records, où elle donne ses propres interprétations de classiques rock, I Can’t Get No Satisfaction des Rolling Stones, I Found a Reason de Lou Reed, très éloignées des originaux. Fort productive, la chanteuse évolue sans changer son style langoureux, en convoquant le groupe du chanteur soul Al Green sur son sixième opus avec cordes, piano et cuivres, The Greatest, puis surprend encore, enveloppant son album suivant, Jukebox, d’une ambiance brumeuse. Sa musique suggestive, érotique, séduit les cinéastes : le réalisateur chinois Wong Kar-wai choisit The Greatest pour son film My Blueberry Nights (2007), dans lequel elle figure.
Stéphane KOECHLIN
■ Dear Sir, Plain, 1995 ; What Would the Community Think, Matador, 1996 ; Moon Pix, Matador, 1998 ; The Greatest, Matador, 2006 ; Jukebox, Matador, 2008.
CATS, Aurélia [ARÈS 1979]
Acrobate aérienne française.
Fille d’une enseignante et d’un mécanicien, Aurélia Cats s’inscrit à l’âge de 8 ans à l’École nationale de cirque Annie-Fratellini* où elle découvre sa vocation. À 10 ans, elle remporte un K d’or au Festival Première Rampe à Monte-Carlo. À l’école Fratellini, elle est formée par des professeurs de haut niveau, tous anciens artistes, mais ce sont Pauline Palacy et Sacha Dubrowski qui lui donnent les clés du travail aérien. A. Cats fait ses débuts professionnels en 1993, à 14 ans. Deux ans plus tard, son numéro est présenté au Lido, le légendaire cabaret parisien. Elle remporte une médaille d’or au Festival mondial du Cirque de demain en 1995, une médaille d’argent au Festival de Riva del Garda en Italie, et une autre médaille d’or au Festival des Princesses du cirque à Stockholm. Son numéro allie la contorsion au trapèze avec un mélange d’élégance, de puissance et d’humour. Elle réussit à développer une extraordinaire virtuosité dans sa manière d’utiliser un agrès devenu banal et réinvente littéralement l’approche de la discipline. Elle se produit partout dans le monde, enchaînant les références prestigieuses, du Cirque d’Hiver au Casino de Paris, de l’Olympia au Wintergarten, de l’Apollo au Tiger Palast, de Paris à San Francisco, de Francfort à Seattle, participant à des évènements organisés par le Cirque du Soleil et à des émissions télévisées, comme celle que Mireille Dumas lui a consacrée. A. Cats vit en Suisse où elle a fondé une agence artistique, Art Vision, avec notamment son compagnon, le jongleur Viktor Kee. Elle a été membre du jury du Festival mondial du Cirque de demain (2005) et du Festival international du cirque de Monte-Carlo (2008).
Pascal JACOB
CATT CHAPMAN, Carrie [RIPON, WISCONSIN 1859 - NEW ROCHELLE, NEW YORK 1947]
Femme politique et suffragiste américaine.
Carrie Catt grandit et fait ses études dans l’Iowa, où elle commence à militer pour le droit de vote des femmes en 1887. Ses dons d’organisatrice sont vite reconnus et elle grimpe dans la hiérarchie du mouvement jusqu’à remplacer Susan Anthony* au poste de présidente de la National American Woman Suffrage Association (NAWSA) en 1900. En 1904, elle est une des fondatrices de la Ligue internationale pour le suffrage des femmes à Berlin. La même année, elle renonce provisoirement à la présidence de la NAWSA, mais continue à militer pour le droit de vote ainsi que contre l’entrée de son pays dans la Première Guerre mondiale. En 1915, réélue au poste de présidente de la NAWSA, elle fait adopter son Winning Plan (« plan gagnant »), qui consiste à lutter pour le suffrage féminin à la fois au niveau de l’État et au niveau fédéral. Pari gagné avec le succès du référendum dans l’État de New York en 1917 qui lui permet de convertir le président Wilson en 1918. Les femmes gagnent finalement le vote avec la ratification du 19e amendement à la Constitution en 1920. La même année, elle fonde la League of Women Voters (« ligue des femmes électeurs »). Elle publie avec Nettie Rogers Shuler Woman Suffrage and Politics : The Inner Story of the Suffrage Movement (« les femmes le suffrage et la politique : le mouvement pour le suffrage des femmes », 1923). En 1933, faisant preuve d’une rare clairvoyance, elle fonde le Protest Committee of Non-Jewish Women Against the Persecution of Jews in Germany (« comité de femmes non-juives contre la persécution des juifs en Allemagne ») au moment de la montée au pouvoir d’Hitler. À l’issue d’une vaste campagne de sensibilisation, le comité envoie au dictateur nazi une lettre de protestation, signée par des milliers de femmes, contre les lois restrictives et les violences à l’encontre des juifs. Elle fait pression sur le Congrès américain pour qu’il modifie les lois d’immigration afin d’accueillir davantage de réfugiés juifs. Elle consacre ensuite le reste de sa vie aux causes de la paix et de l’abolition du travail des enfants.
Béatrice TURPIN
CATUNDA, Eunice [RIO DE JANEIRO 1915 - SÃO JOSÉ DOS CAMPOS 1990]
Pianiste et compositrice brésilienne.
Eunice Catunda donne son premier récital de piano à 12 ans. À 21 ans, elle interprète le Concerto en mi de Moszkowski avec l’orchestre symphonique du théâtre municipal de Rio de Janeiro. Pianiste précoce et virtuose, elle est aussi passionnée par l’analyse musicale et la composition. À São Paulo ses maîtres se nomment Furio Franceschini, d’origine italienne, l’un des meilleurs organistes de son temps, Camargo Guarnieri, grand compositeur inspiré par l’héritage proprement brésilien, et Hans-Joachim Koellreutter, d’origine allemande, compositeur et professeur, figure centrale du Brésil musical moderne, puisqu’il y a été l’initiateur à la fois de la musique baroque, du dodécaphonisme et de la musique orientale. Le succès qu’elle rencontre au concert comme en composition, notamment avec sa cantate O negrinho do pastoreio (1946), la conduit à poursuivre en Europe sa double carrière. Elle étudie la direction d’orchestre avec Hermann Scherchen et le sérialisme avec Bruno Maderna, tout en faisant connaître en Italie et ailleurs la musique de piano brésilienne. De retour au Brésil, elle déploie une intense activité comme concertiste ou conférencière, dirige l’orchestre de la radio nationale à São Paulo puis fonde un groupe expérimental, Piratininga, en 1957. Au retour d’une importante tournée aux États-Unis, en 1969, elle suit un cours de direction chorale donné par Isaac Karabtchevsky et des séminaires de musique électronique. Comme compositrice on lui doit, entre autres, Quatro cantos à morte pour orchestre (1948), Homenagem a Schoenberg pour cinq instruments (1949), un Concerto pour piano et orchestre (1955), Seresta pour quatre saxophones (1956), Momento de Lorca (1957) et Quatro momentos de Rilke (1958) pour piano, Cantiga de cego pour alto et piano (1964), Sonata funebre (1970).
Philippe GUILLOT
■ CACCIATORE O. G. (dir.), Dicionário biográfico de música erudita brasileira, Rio de Janeiro, Forense Universitária, 2005.
CAUCHOIS, Yvette [PARIS 1908 - ID. 1999]
Physicienne française.
Après avoir obtenu sa licence en physique en 1928, Yvette Cauchois rejoint le laboratoire de Jean Perrin (Prix Nobel de physique 1926). En 1934, elle présente une thèse sur l’utilisation des rayons X pour l’analyse de la matière. Elle met au point un appareil de mesure, le spectromètre Cauchois, qui sera longtemps employé. Elle se sert des rayons X pour l’analyse de diverses substances, atomes ou molécules, et applique cette technique à l’étude des atomes radioactifs. Elle s’intéresse aussi à la formation d’images sous rayons X. En 1963, elle est la première en Europe à proposer l’utilisation du rayonnement issu des accélérateurs de particules, ou synchrotrons, pour l’analyse de la matière. Faute d’être entendue en France, elle poursuit ses recherches en Italie. Ses découvertes ne seront mises en application qu’en 1970 au Laboratoire pour l’utilisation du rayonnement électromagnétique à Orsay. Ses travaux ont été récompensés par de nombreux prix – dont quatre de l’Académie des sciences – et décorations (Palmes académiques, Légion d’honneur, Mérite). Elle a reçu la médaille d’or de l’université de Paris en 1987 et l’honorariat de l’université de Bucarest, en 1993.
Carole ÉCOFFET
■ BONNELLE C., « Yvette Cauchois » in Physics Today, no 54/4, 2001.
CAUSSE, Michèle [MARTEL 1936 - ZURICH 2010]
Écrivaine et traductrice française.
Après des études de lettres et de langues à la Sorbonne où elle obtient un diplôme de traductrice de l’anglais et de l’italien, Michèle Causse partage son temps entre l’enseignement, la traduction et l’écriture, notamment à Rome où elle rejoint l’écrivaine Alice Ceresa* dont elle traduit La figlia prodiga (1967) en 1975. De retour à Paris dans les années 1970, elle participe aux luttes pour les droits des femmes en s’inscrivant dans une position ferme et sans concession visant à la reconnaissance de la cause lesbienne. Durant ses séjours de plusieurs années en Martinique puis à Montréal comme professeure invitée à l’université Concordia, elle poursuit son œuvre de traductrice de l’italien (Dacia Maraini*, Enzo Silone, Primo Levi) et de l’anglais (Jane Bowles, Herman Melville, Theodor Zeldin, Willa Cather, Gertrude Stein*, Alice Munro*, Djuna Barnes*). En 1983, elle participe avec Suzanne Robichon à la fondation de la revue Vlasta, fictions, utopies amazoniennes. Parallèlement, elle construit une œuvre polymorphe faite de fictions, d’essais, de poésies et de pièces de théâtre. Elle y travaille inlassablement la langue pour la renouveler, l’adapter en la libérant des carcans des genres et atteindre à un langage « où l’égalité des sexes serait effective ». En 2010, M. Causse prend la décision de mourir en ayant recours au suicide assisté à travers l’association suisse Dignitas et choisit de médiatiser son passage à l’acte pour appeler l’attention sur la question.
Chayma SOLTANI
■ L’Encontre, Paris, Des femmes-Antoinette Fouque, 1975 ; (), Montréal, Trois, 1987 ; Voyages de la grande naine en Androssie, Montréal, Trois, 1993.
CAUVIN, Colette [1944]
Géographe française.
Cette géographe cartographe universitaire a fait toute sa carrière à Strasbourg. Colette Cauvin a travaillé avec Sylvie Rimbert*, puis Henri Reymond. Très engagée dans la révolution théorique et quantitative, elle a entrepris de formaliser ce qui était alors appelé géographie de la perception pour développer une géographie cognitive, intégrant les apports de la psychologie. Sa thèse de 1984 sur la perception de l’espace en milieu urbain emploie aussi une méthode mathématique originale de comparaison de cartes par régression bidimensionnelle, mise au point par le cartographe américain Waldo Tobler. Ayant séjourné auprès de ce dernier à Santa Barbara, elle a diffusé et élargi à l’analyse spatiale les pratiques de cartographie transformationnelle, qui consistent à jouer sur les coordonnées des lieux, à partir des relations établies entre eux, par exemple en termes de temps de parcours ou d’intensité d’échanges, pour faire apparaître les structures de l’espace habité comme des « déformations » de l’espace habituellement représenté sur les cartes topographiques. Nombre de ses réalisations cartographiques ont été reprises par la Datar (Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale) pour illustrer les effets des migrations sur le territoire, ou par la SNCF pour démontrer où se produisent les gains de temps, en forme de raccourcis d’espace, acquis grâce au TGV.
Denise PUMAIN
■ Avec RIMBERT S., La Lecture numérique des cartes thématiques, Fribourg, Éditions universitaires de Fribourg, 1975 ; avec ESCOBAR F., SERRADJ A., Cartographie thématique, 5 vol., Paris, Hermès Science, 2008.
CAVAIGNAC, Marie-Julie (née OLIVIER DE CORANCEZ) [PARIS 1780 - ID. 1849]
Mémorialiste française.
Le père de Marie-Julie Cavaignac, Guillaume Olivier de Corancez, était l’un des fondateurs du Journal de Paris et un proche de Jean-Jacques Rousseau. Sa mère était la fille Jean Romilly, horloger et encyclopédiste. Sa famille recevait un grand nombre d’écrivains, dont Bernardin de Saint-Pierre et André Chénier. Elle est admise au collège Louis-le-Grand et à Sainte-Barbe. En 1797, elle épouse Jean-Baptiste Cavaignac, conventionnel montagnard ; de ce mariage naissent Godefroy (journaliste républicain), Louis-Eugène (général et chef du pouvoir exécutif en 1848) et Caroline.
Publiés en 1894, et ce malgré l’intervention de son petit-fils Godefroy Cavaignac (ministre sous la Troisième République), qui en demandait l’interdiction, Les Mémoires d’une inconnue sont un document important pour l’histoire de la Révolution française et de l’Empire. Ils contiennent de nombreux portraits des personnages de la Terreur et de la cour napolitaine, dont Mme Récamier et le maréchal Murat. On y trouve aussi exprimées les souffrances d’une mère qui pleure sa fille, des remarques sur l’éducation des femmes ou sur Jean-Jacques Rousseau, des positions conservatrices sur le mariage et le divorce. Malgré une vie marquée par les relations politiques de son mari (Robespierre, Cambacérès, Napoléon Ier, Murat), elle ne cherche pas à occuper le devant de la scène. Pendant les quatre ans passés à Naples, Joachim Murat nomme son mari conseiller d’État (1808-1812), mais elle refuse la place de dame du palais de Caroline Bonaparte. De retour en France, elle soutient Napoléon lors des Cent Jours ; après la Restauration, son mari est exilé et elle élève seule ses trois enfants. Instruite par Denis de Frayssinous et l’abbé Legris-Duval, elle devient dévote vers la fin de sa vie.
Raina UHDEN
■ HART K., Revolution and Women’s Autobiography in Nineteenth-Century France, Amsterdam, Rodopi, 2004.
■ CHARAVAY É., « Les Mémoires de Madame Cavaignac », in La Révolution française, Revue d’histoire moderne et contemporaine, juil.-déc. 1892 ; janv.-juin 1894 ; OUTRAM D., « Le langage mâle de la vertu : Women and the Discourse of the French Revolution », in The Social History of Language, Burke P., Porter R. (dir.), Cambridge, Cambridge University Press, 1987.
CAVALCANTI, Moema [RECIFE 1942]
Graphiste brésilienne.
Moema Cavalcanti est connue pour être la graphiste ayant créé le plus grand nombre de couvertures de livres au Brésil : plus de 1 200, conçues pour diverses maisons d’édition. Diplômée en pédagogie de l’université du Pernambouc et professeure de dessin, elle arrive à São Paulo dans les années 1960 et commence à travailler pour une grande maison d’édition de revues, Editora Abril. C’est dans ce milieu qu’elle fait véritablement ses classes de graphiste, loin de la rigueur formelle inculquée à l’université, qui était très proche à cette époque de l’enseignement dispensé à l’École d’Ulm, en Allemagne. Sa formation est plus ouverte que la formation rationaliste stricte, mais elle utilise toujours les grilles d’organisation inspirées du Mouvement moderne pour hiérarchiser les informations. M. Cavalcanti ouvre son agence en 1975, crée des logos, des programmes d’identité visuelle, des publications et des affiches. Elle a reçu plusieurs prix de graphisme et est devenue une référence dans le domaine du design éditorial brésilien. En 1994, elle est choisie pour représenter le Brésil à la Foire de Francfort, avec des livres, des affiches et des dépliants. M. Cavalcanti a créé toute la collection des livres de Funarte : des anthologies réunissant de grands intellectuels brésiliens autour de thèmes comme la passion, le regard, le silence des intellectuels, etc. Pour cette collection, elle ose inventer de nouvelles formes, en donnant par exemple des coups à la surface du papier, le trouant même parfois, un peu à la manière de l’artiste italien Lucio Fontana. Elle a également ajouté dans certains livres des détails qui renvoient au savoir féminin de la couture, transmis par sa mère.
Ethel LEON
■ WOLLNER, A., Design Visual 50 anos, São Paulo, Cosa & Naify, 2003.
■ TABORDA F., « Moema Cavalcanti, le Graphic Design d’une maison d’édition au Brésil », in Novum Gebrauchgraphik, 1990.
CAVALLI, Patrizia [TODI 1947]
Poétesse italienne.
Patrizia Cavalli commence à écrire de la poésie très tôt, étudie la philosophie et traduit des pièces de théâtre (Molière, Shakespeare). Toutefois, elle ne cultive aucune ambition littéraire jusqu’au jour où Elsa Morante* lui dit qu’elle est véritablement une poétesse. Elle lui dédie son premier livre, Le mie poesie non cambieranno il mondo (« mes poèmes ne changeront pas le monde », 1974). Dans ses écrits poétiques, caractérisés par une technique complexe, elle utilise les mesures métriques classiques tandis que son lexique et sa syntaxe appartiennent à la langue contemporaine. Sans « poétisme » ni maniérisme, le langage est naturel et familier, et le cadre est quotidien et courant. Avec le recueil Toujours ouvert théâtre (1999), elle obtient le prix Viareggio-Repaci. En 2006, elle publie Pigre divinità e pigra sorte (« divinités paresseuses et paresseux destin »). Mes poèmes ne changeront pas le monde (2007) rassemble le recueil éponyme et deux autres recueils – Le Ciel (1981) et Le moi singulier qui est le mien (2006). Dans ces poèmes parfois très courts, proches de l’aphorisme, l’expression subtile de sentiments, de sensations oppose une réalité toujours trop étroite à l’aspiration au grandiose ; l’écriture est intime, autobiographique, et le lyrisme côtoie l’humour et la dérision.
Maria Valeria CICOGNA
■ Toujours ouvert théâtre (Sempre aperto teatro, 1999), Paris, Payot & Rivages, 2002 ; Mes poèmes ne changeront pas le monde (Le mie poesie non cambieranno il mondo, 1974 ; Il Cielo, 1981 ; L’io singolare proprio mio, 2006), Paris, Des femmes-Antoinette Fouque, 2007.
CAVAN, Ruth SHONLE [TUSCOLA, ILLINOIS 1896 - DEKALB 1993]
Sociologue et criminologue américaine.
Fille de tailleur, Ruth Shonle Cavan travaille comme employée pour financer ses études. À l’université de Chicago, elle entreprend une thèse de sociologie sur le suicide, supervisée par Ellsworth Faris, qui sera publiée en 1928. Sous des statuts précaires, elle enseigne la sociologie et effectue des recherches sur la famille et sur la délinquance juvénile. En 1947, elle accède au statut d’assistant professor au Rockford College (Illinois), où elle exercera jusqu’à sa retraite. Ses travaux se situent dans le prolongement de ceux de William I. Thomas, qui accorde une importance particulière au concept de désorganisation sociale. Elle observe dans le Chicago des années 1920 le déclin de l’encadrement moral exercé par des institutions telles que la famille ou les organisations religieuses. Les valeurs d’enrichissement matériel ou de recherche du plaisir l’emportent, laissant les individus désemparés lorsque les satisfactions correspondantes leur font défaut. Dans sa thèse, R. Cavan fait une large place à l’étude de documents personnels, et notamment des écrits laissés par les personnes qui se sont suicidées. Elle met en évidence la fréquence d’un type de suicide que Durkheim aurait qualifié d’anomique – les règles que les personnes ont intériorisées ne leur permettent pas de faire face aux situations auxquelles elles sont confrontées. La crise de 1929 vient accroître la fréquence de tels dérèglements. Après la parution de sa thèse, la sociologue publie des manuels ainsi qu’un grand nombre d’articles de criminologie. Elle étudie en particulier les effets de la crise économique sur les relations intrafamiliales, la délinquance féminine, les relations sexuelles en prison ainsi que le continuum allant de l’extrême non-conformisme à l’extrême conformisme, en passant par diverses formes de déviances.
Alain CHENU
■ Suicide, Chicago, University of Chicago Press, 1928 ; avec RANCK K. H., The Family and the Depression : A Study of One Hundred Chicago Families, Chicago, Chicago University Press, 1938 ; The American Family, New York, Crowell, 1953 ; Juvenile Delinquency : Development, Treatment, Control, Philadelphia, Lippincott, 1962.
■ DEEGAN M. J., « Ruth Shonle Cavan », in Women in Sociology, A Bio-bibliographical Sourcebook, New York, Greenwood, 1991.
CAVANAGH, Kit (ou Christian DAVIES) [DUBLIN 1667 - LONDRES 1739]
Soldate irlandaise.
Née durant la guerre de 1689 dans une famille protestante, Kit Cavanagh hérite de sa tante une auberge qu’elle dirige de main de maître. Elle épouse l’un des hommes de chambre, Richard Welsh, qui disparaît alors qu’elle est enceinte de leur troisième enfant. Elle confie alors ses enfants à sa mère, se travestit en homme et part à la recherche de son époux en devenant soldat dans l’armée britannique où elle le sait engagé. Elle combat, est blessée, capturée par les Français, libérée, sans que quiconque soupçonne son véritable sexe. Elle devient célèbre pour sa rapidité d’esprit et son « indomptable courage ». Elle retrouve son mari treize ans plus tard, auprès d’une autre femme, et elle reste combattre auprès de lui. Elle devient alors connue comme « Mother Ross ». Ils se remarient et, six mois plus tard, il est tué à la bataille de Malplaquet (1709). La guerre finie, la reine Anne (1665-1714) lui offre une pension d’un shilling par jour à vie. Elle est enterrée avec tous les honneurs militaires à St Margaret’s Church, à Westminster. Daniel Defoe rédigea sa biographie, The Life and Adventures of Mrs. Christian Davies (1740).
Fabienne PRÉVOT
CAVANI, Liliana [CARPI, ÉMILIE-ROMAGNE 1933]
Réalisatrice italienne.
Doyenne du cinéma italien, Liliana Cavani, la plus « sulfureuse » des réalisatrices de la péninsule, étudie le cinéma au Centro sperimentale cinematografico (dont elle sort diplômée en 1961), les lettres classiques et la linguistique à l’université de Bologne. Après ses études, elle travaille comme documentariste à la Rai, où elle réalise des films sur des figures ou périodes historiques (procès de Pétain, Staline, entre autres). Son premier long-métrage de fiction, produit et financé par la Rai, concerne une autre figure, religieuse cette fois : François d’Assise (Francesco d’Assisi, 1966), et est suivi de peu de Galileo (1968) où l’anticléricalisme de la cinéaste choque. Dans une période marquée par la contestation, son adaptation de Sophocle, Les Cannibales (I Cannibali, 1969), dépasse l’original dans son portrait d’une jeunesse révoltée. Mais c’est Portier de nuit (Il Portiere di notte, 1974) qui déclenche le scandale. En filmant la relation sado-masochiste d’une ancienne déportée juive retrouvant son bourreau nazi, la réalisatrice rejoint les « enfants terribles » du cinéma italien (Bertolucci, Bellochio ou Ferreri). Issu d’une recherche pour un documentaire antérieur sur les femmes dans la Résistance, le film évoque de manière dérangeante les rapports entre victime et tortionnaire, même si la critique italienne s’indigne plutôt de voir l’héroïne prendre l’initiative dans les rapports amoureux dans un film réalisé par une femme. À une époque – les années de plomb – marquée par la violence politique, L. Cavani évoque aussi la tentation fasciste d’une société instable et tourmentée par ses anciens démons. L’ambiguïté du traitement et du message ont contribué à diaboliser le film et la réalisatrice. La suite de sa carrière a suivi un chemin quelque peu décalé – que l’on pense à sa libre adaptation de Nietzsche dans Au-delà du bien et du mal (Al di là del bene e del male, 1977) ou à celle du roman de Malaparte, La Peau (La Pelle, 1981). Femme cinéaste dans un pays qui en compte assez peu, L. Cavani ne peut être considérée comme féministe ni même intéressée par des problématiques féminines : son choix récurrent de « grands hommes » comme héros (son œuvre compte très peu d’héroïnes) ainsi que l’importance de leur regard dans des récits qui les privilégient contribuent à compliquer parfois la réception de ses films pour un public féminin (qui peine à s’identifier). Paradoxalement, certains hommes considèrent qu’elle outrepasse dans ses choix thématiques et esthétiques les prérogatives féminines.
Brigitte ROLLET
CAVARERO, Adriana [BRA 1947]
Philosophe italienne.
Professeure de philosophie politique à l’université de Vérone et visiting professor à New York University, Adriana Cavarero anime jusqu’en 1990 la communauté philosophique féminine Diotima*, qu’elle a créée en 1984 avec Luisa Muraro* et d’autres. Dès ses premiers travaux, elle souligne la difficulté de signifier la différence sexuelle dans le langage théorico-philosophique, c’est-à-dire au sein d’un ordre symbolique masculin et patriarcal dont le féminin est exclu : la femme reste en effet étrangère au discours philosophique, en tant qu’élément qui excède son modèle abstrait, neutre et universel (Per una teoria della differenza sessuale, « pour une théorie de la différence sexuelle », 1987). En relisant Platon (Nonostante Platone, figure femminili nella filosofia antica, « malgré Platon, figures féminines dans la philosophie ancienne », 1990), elle engage une déconstruction du texte métaphysique, ouvrant ainsi la voie pour une autre pensée du féminin fondée sur les catégories arendtiennes de « naissance » et d’« unicité ». Ce qui déconstruit le texte patriarcal dominant de la philosophie, c’est l’histoire d’une singularité vivante, corporelle, concrète et toujours sexuellement incarnée, qui vient au monde en s’exposant aussitôt à la relation à l’autre : telle une voix, unique et irremplaçable, au sein d’une pluralité de voix résonnant l’une avec l’autre (A più voci, filosofia dell’espressione vocale, « à plusieurs voix, philosophie de l’expression vocale », 2003). Résistant à toutes les réductions logiques du discours philosophique, cette nouvelle subjectivité est livrée à la narration de l’autre (Tu che mi guardi, tu che mi racconti, « toi qui me regardes, toi qui me racontes », 1997) : c’est à partir de cette « éthique narrative » – chaque soi unique devenant narrable par son exposition originaire à l’autre – qu’A. Cavarero propose de repenser autrement la politique et ses catégories. Poursuivant un dialogue entrepris de longue date avec la philosophe américaine Judith Butler*, elle interroge, dans Orrorismo, ovvero della violenza sull’inerme (« horrorisme, ou de la violence contre les désarmés », 2007), les formes contemporaines de l’horreur à travers la figure ambivalente d’une vulnérabilité constitutive : si chaque existence est livrée au soin de l’autre, elle est aussi désarmée face à sa violence. C’est ici que s’ouvre pour A. Cavarero la possibilité d’une éthique de la non-violence.
Laura ODELLO
■ BERNINI L., GUARALDO O. (dir.), Differenza e relazione, l’ontologia dell’umano nel pensiero di Judith Butler e Adriana Cavarero, Vérone, Ombre Corte, 2009.
CAVAZZANA-CALVO, Marina [VENISE 1959]
Pédiatre hématologiste française.
D’origine italienne, Marina Cavazzana-Calvo fait ses études de médecine à l’université de Padoue, et obtient en 1987 son diplôme de spécialité en pédiatrie. Elle soutient en 1993 à Paris un doctorat en sciences de la vie et de la santé. Le Pr Alain Fischer, qui a encadré son doctorat, l’a accompagnée dans la réflexion thérapeutique qui a permis le développement d’une nouvelle structure hospitalo-universitaire à l’hôpital Necker-Enfants malades. Nommée professeure des universités-praticien hospitalier en hématologie à l’université Paris-Descartes, en 2000, elle inaugure officiellement la création du département de biothérapie, placé sous sa direction en 2006. Cette structure assure le lien entre la recherche fondamentale et la recherche clinique, ainsi que la prise en charge thérapeutique des patients ayant subi une transplantation d’organes et de ceux recevant une greffe de cellules souches hématopoïétiques. L’équipe des Prs Fischer et Cavazzana-Calvo est spécialiste des déficits immunitaires héréditaires des enfants, connus sous le nom de « bébés bulles », qui, souffrant d’un déficit des capacités des globules blancs à lutter contre les infections, sont obligés de vivre dans une atmosphère protégée. Ces maladies peuvent être traitées par la greffe de cellules souches hématopoïétiques, dont le succès est conditionné par le degré de compatibilité entre donneur et receveur. En l’absence de donneur compatible, cette équipe a fait le pari de la thérapie génique : les cellules souches hématopoïétiques sont obtenues par ponction de la moelle osseuse de l’enfant ; les cellules sont transduites en laboratoire avec un rétrovirus qui sert de vecteur au gène sain ; les cellules réparées sont cultivées, se multiplient puis sont réinjectées. Cette technique pourrait être utilisée dans beaucoup d’autres maladies génétiques, en particulier diverses maladies de l’hémoglobine. En 1993, l’équipe commence les travaux expérimentaux qui ont permis de débuter le protocole clinique en 1999, date à laquelle les deux premiers enfants traités ont pu sortir du milieu hospitalier sans aucun autre traitement. Dix enfants ont été traités ainsi, mais la survenue d’une leucémie chez deux d’entre eux a interrompu les essais cliniques en 2002. L’équipe a alors entrepris de nouvelles recherches pour essayer de diminuer la toxicité de ce traitement. Les essais ont repris en 2009.
Marina Cavazzana-Calvo a reçu de nombreuses distinctions dont, en 1997, le prix Inserm de recherche clinique et thérapeutique pour les travaux sur le traitement de maladies du système immunitaire et, en 2012, le prix Irène Joliot-Curie de la femme scientifique de l’année. Elle est membre de nombreuses sociétés scientifiques et éthiques, et présidente du Comité d’orientation stratégique et de suivi des essais cliniques (Cossec) de l’Inserm depuis 2006.
Nadra OUNNOUGHENE
■ Avec HACEIN-BEY-ABINA S., GARRIGUE A. et al., « Insertional oncogenesis in 4 patients after retrovirus-mediated gene therapy of SCID-X1 », in The Journal of Clinical Investigation, vol. 118, vol. 9, sept. 2008 ; avec HACEIN-BEY-ABINA S., LE DEIST F et al., « Sustained correction of X-linked severe combined immunodeficiency (SCID-X1) by ex-vivo gene therapy », in The New England Journal of Medicine, vol. 346, no 16, avr. 2002.
CAVELL, Edith [SWARDESTON, ANGLETERRE 1865 - BRUXELLES 1915]
Infirmière et résistante britannique.
Fille d’un pasteur anglican et profondément marquée par son éducation religieuse, Edith Cavell se forme au métier d’infirmière au prestigieux Royal London Hospital, en 1896. Lorsque la Première Guerre mondiale éclate, la Croix-Rouge prend en main l’école d’infirmières et l’institut médicochirurgical dans lesquels elle travaille alors, à Bruxelles. Soignant d’abord sans distinction les blessés des armées alliées et allemandes, la jeune femme, farouche patriote, aide ensuite des centaines de soldats français, britanniques et belges à passer de la Belgique occupée aux Pays-Bas officiellement neutres, et ce, en violation de la loi militaire imposée par les occupants. Pour cela, elle transforme discrètement son centre de soins en foyer de transit et crée un vaste réseau d’évasion. La princesse Marie de Croÿ met son château de Bellignies à disposition des réfugiés. Ceux-ci sont ensuite conduits jusqu’à E. Cavell, qui leur fournit médicaments et faux-papiers avant de les confier à des passeurs. Le réseau fonctionne bien de novembre 1914 à juillet 1915. Puis les arrestations de certains membres commencent. E. Cavell est arrêtée le 15 juillet 1915, incarcérée, traduite devant une cour martiale allemande et condamnée à la peine capitale. La nuit précédant son exécution, elle déclare au révérend anglican venu lui rendre visite : « Le patriotisme n’est pas assez, je ne dois avoir ni haine, ni amertume envers quiconque. » Ces mots sont gravés sur son mémorial, à St Martin’s Place, près de Trafalgar Square, à Londres. Une rue et un institut médical portent son nom à Bruxelles. Elle est devenue une martyre populaire et une héroïne de l’histoire britannique.
Elisabeth LESIMPLE
■ BINOT J.-M., Héroïnes de la Grande Guerre, Paris, Fayard, 2008 ; GOT A., L’Affaire Miss Cavell, d’après les documents inédits de la justice allemande, Paris, Plon-Nourrit, 1921.
CAVEN, Ingrid (née SCHMIDT) [SARREBRUCK 1938]
Actrice et chanteuse allemande.
Comme Hanna Schygulla*, Ingrid Caven débute dans la troupe théâtrale de Rainer Werner Fassbinder. Avec lui, elle tourne son premier film, L’amour est plus froid que la mort (Liebe ist kälter als der Tod, 1969). L’année suivante, elle épouse le cinéaste, qui ne cache pas son homosexualité ; ils resteront mariés jusqu’en 1973. Ils vont tourner huit films ensemble, dont Les Dieux de la peste (Götter der Pest, 1970), Le Rôti de Satan (Satanbraten, 1976), Despair (1977, en anglais, avec Dirk Bogarde et Andréa Ferréol*) et L’Année des treize lunes (In einem Jahr mit 13 Monden, 1978). L’actrice est aussi chanteuse : sa voix grave et son raffinement la situent dans la lignée de Marlene Dietrich* et de Greta Keller. Elle enregistre des tours de chant à Paris, au Pigall’s (1978), et à Hambourg (1980). Elle interprète les airs d’Édith Piaf*, en 1983, d’abord en allemand puis en français. Au cinéma, elle tourne également avec Werner Schroeter – La Mort de Maria Malibran* (Der Tod der Maria Malibran, 1972) ; Le Jour des idiots (Tag der Idioten, 1981) – et avec H.-J. Syberberg – Ludwig, requiem pour un roi vierge (Requiem für einen jungfräulichen König, 1972), où elle est une flamboyante Lola Montez. Pour le Suisse Daniel Schmid, elle incarne une chanteuse dans La Paloma (1974, avec Bulle Ogier*) et tourne dans L’Ombre des anges (Schatten der Engel, 1976) et Hors saison (1992, avec Sami Frey). En France, elle tourne avec Jean Eustache (Mes petites amoureuses, 1974), Nelly Kaplan* (Néa, 1976), André Téchiné (Ma saison préférée, 1993), Raoul Ruiz (Le Temps retrouvé, 1999, d’après l’œuvre de Marcel Proust). Des réalisatrices la choisissent : Claire Denis* (35 rhums, 2008), Ulrike Ottinger* (Die Blutgräfin, 2011).
Bruno VILLIEN
■ SCHUHL J.-J., Ingrid Caven, Paris, Gallimard, 2000.
CAVENDISH, Jane [WELBECK, NOTTINGHAMSHIRE 1621 - CHELSEA, AUJ. LONDRES 1669]
etBRACKLEY, Elizabeth (née CAVENDISH) [WELBECK, NOTTINGHAMSHIRE 1626 - ASHRIDGE 1663]
Romancières et dramaturges britanniques.
Les dix enfants issus du premier mariage de William Cavendish, duc de Newcastle, ont grandi dans un milieu aristocratique d’hommes politiques et de gens de lettres (Ben Jonson, Pope, Dryden), amis de leur père passionné de littérature, et proches de la cour de Charles Ier. Partisan des royalistes, il dut s’exiler en France pendant la guerre civile (ce qui lui permit d’y rencontrer des savants comme Descartes, Hobbes ou Gassendi) laissant ses enfants gérer son domaine à sa place, puis y vivre sous l’autorité des troupes parlementaires à partir de 1645. C’est sans doute durant cette période de guerre que Jane Cavendish et sa sœur Elizabeth écrivirent en commun les plus nombreux de leurs poèmes, et le remariage de leur père avec Margaret Lucas leur inspire deux pièces de théâtre (A Pastoral ; The Concealed Fancies, « les penchants secrets »). À une époque où les femmes n’écrivaient pas pour la scène, c’est à un cercle restreint que leur œuvre s’adresse, mais elle est significative de ce que sera le « Closet Drama » dont leur belle-mère est une figure majeure et qui pose l’égalité intellectuelle des femmes dans tous les domaines, théâtre compris. En 1645, Elizabeth rejoint John Egerton, lord Brackley, épousé en 1641. Les écrits d’E. Brackley consistent par la suite principalement en méditations et essais sur le mariage, les enfants, la maladie ou le veuvage. Elle décède en donnant naissance à son dixième enfant. En 1654, Jane épouse Charles Cheyne, dont elle aura trois enfants, et continue d’écrire des élégies et des poèmes jusqu’à sa mort.
Geneviève CHEVALLIER
■ Early Modern Women’s Manuscript Poetry, Millman J. S., Wright G. (dir.), Manchester, Manchester University Press, 2005.
CAVENDISH, Margaret (née LUCAS) [COLCHESTER, ESSEX 1623 - ABBAYE DE WELBECK, NOTTINGHAMSHIRE 1673]
Écrivaine et philosophe britannique.
Margaret Cavendish naît dans une famille noble, où elle reçoit une éducation conventionnelle, centrée sur la musique et les travaux d’aiguille. Faisant fi du tabou qui impose le silence et la discrétion aux femmes de l’aristocratie, elle publie 16 volumes à compte d’auteur entre 1653 et 1668, dans une multitude de genres : poésie, fiction, philosophie naturelle, biographie, essais et théâtre. Brièvement dame de compagnie de la reine Henriette-Marie au début de la guerre civile, elle suit la cour en exil à Paris, où elle épouse en 1645 William Cavendish, marquis (puis duc) de Newcastle, de trente ans son aîné. Mécène et amateur de littérature, il lui apportera un soutien attentionné. Après un court séjour à Paris, où les Cavendish mènent grand train, recevant exilés anglais et intellectuels français, dont Hobbes, Gassendi et Descartes, le couple s’installe à Anvers en 1648. M. Cavendish se consacre à la littérature et à la philosophie naturelle, qui est à la mode dans les cercles cultivés. Cette aristocrate excentrique revendique l’absence d’éducation académique comme gage d’originalité et fait scandale en son temps. Rentrée en Angleterre à la Restauration de 1660, elle continue, malgré les critiques, à publier des œuvres inclassables. Elle est notamment l’auteure de ce qu’on a désigné comme le premier roman de science-fiction de langue anglaise, Le Monde glorieux, inspiré de Lucien de Samosate et de Cyrano de Bergerac. Conçu comme appendice à son traité Observations upon Experimental Philosophy (« observations sur la philosophie expérimentale », 1666), le roman met en scène le fabuleux voyage d’exploration de son héroïne, reflet transparent de l’auteure, dans un monde contigu au nôtre, où des êtres hybrides forment des sociétés de savants rappelant la Société royale, qui venait d’être créée. Le roman est une exploration jubilatoire des ressources de l’imaginaire ainsi qu’une truculente satire de la science « moderne ». M. Cavendish y dénonce le recours à un expérimentalisme privilégiant l’accumulation de faits plutôt que la méthode rationnelle.
Line COTTEGNIES
■ Le Monde glorieux (Blazing World, 1666), Paris, J. Corti, 1999.
■ COTTEGNIES L., WEITZ N. (dir.), Authorial Conquests. Essays on Genre in the Writings of Margaret Cavendish, Madison (New Jersey)/Londres, Fairleigh Dickinson University Press/Associated University Presses, 2003 ; WHITAKER K., Mad Madge. Margaret Cavendish, Duchess of Newcastle, Royalit, Writer and Romantic, Londres, Chatto and Windus, 2003.
CEBOTARI, Maria (Maria CIBOTARU, dite) [CHIȘINĂU 1910 - VIENNE 1949]
Soprano moldave.
Née en Bessarabie dans une famille modeste, Maria Cebotari est encouragée par le vicaire de son quartier à faire des études musicales. En 1926, elle est engagée par le comte Alexandre Virubov, ancien directeur du Théâtre artistique de Moscou, fasciné par sa voix. Après avoir donné plusieurs représentations à Bucarest, elle se rend à Paris pour poursuivre des études musicales, puis à Berlin, où elle étudie le canto. Le directeur de l’opéra de Dresde lui offre un contrat et, en 1931, la soprano débute avec le rôle de Mimi dans La Bohème de Giacomo Puccini. Le spectacle a un succès énorme, elle devient célèbre dans toute l’Europe ; sa voix lui permettant d’aborder un vaste répertoire, elle joue dans les opéras de Mozart, Richard Strauss, Tchaïkovski et Verdi. À partir de 1934, elle se produit à l’Opéra d’État de Berlin, et, en 1946, est engagée à celui de Vienne. Également vedette de cinéma, M. Cebotari joue le rôle principal dans la production italo-roumaine Odessa in fiami (« Odessa en flammes », 1942), apologie des troupes roumaines qui ont récupéré la Bessarabie en 1941 après l’occupation soviétique de 1940. La soprano aimait déclarer : « Que les Russes, les Italiens, les Allemands me revendiquent me flatte, néanmoins je reste ce que je suis : roumaine. »
Aurélia BORZIN et Petru NEGURĂ
■ PÂRIS A., Dictionnaire des interprètes, Paris, R. Laffont, 2004.
CECCONI-BOTELLA, Monic [COURBEVOIE 1936]
Compositrice française.
Imagination, liberté, diversité, enthousiasme sont les premiers mots qui viennent à l’esprit si l’on veut parler de la musique et de la carrière de Monic Cecconi-Botella. Il faudrait y ajouter aussi une vive intelligence très ouverte sur toutes les activités qui peuvent découler de son instinct musical et un goût du travail rigoureux hors normes. Et puis, bien sûr, il y a l’inspiration et la passion, qui sous-tendent toutes ces qualités, expliquant la place particulière que la compositrice, conférencière, chef d’orchestre et organisatrice tient dans le paysage de la création contemporaine. Au Conservatoire de Paris, elle fut l’élève d’Yvonne Lefébure*, Germaine Mounier, Maurice Duruflé, Simone Plé-Caussade, Jean Rivier et Henri Dutilleux et en sortit avec les prix d’harmonie, contrepoint, fugue, composition, ponctués en 1966 par un premier grand prix de Rome de composition musicale. Sur ces bases enviables, elle a bâti une œuvre riche d’une quarantaine de partitions touchant à de très nombreuses formes et à des instruments très divers, piano, trombone, contrebasse, violoncelle, violon, ondes Martenot, percussions, orgue, guitare, orchestre, sans oublier sept opéras dont trois pour enfants. Professeure d’analyse musicale au Conservatoire de Paris, elle a été partie prenante de l’important mouvement de l’Itinéraire au milieu des années 1970, a créé l’ensemble orchestral Thèmes et variations, puis l’Ensemble orchestre du Luberon, région où elle est aujourd’hui installée et où elle anime conférences et master classes, en travaillant à la promotion de jeunes chanteurs à travers la structure EOL-Les Saisons de la voix, avec la collaboration de très grands noms de l’art lyrique. Les multiples facettes de cette personnalité brillante et dynamique se retrouvent naturellement dans sa musique marquée d’un sens aigu et quasi berliozien des couleurs instrumentales et de leur rapport aux voix, comme en témoigne, exemple parmi tant d’autres, son bel opéra Il signait… Vincent, sur la vie de Van Gogh, qui fut créé au Grand Théâtre de Tours et dont le montage fit l’objet d’un documentaire de FR3. M. Cecconi-Botella est force vive de la création et de la vie musicale de notre temps.
Gérard MANNONI
■ ASSOCIATION FEMMES ET MUSIQUE, Compositrices françaises au XXe siècle, Sampzon, Delatour France, 2007.
CEDERNA, Camilla [MILAN 1911 - ID. 1997]
Écrivaine et journaliste italienne.
Licenciée en lettres, Camilla Cederna fait ses débuts en tant que journaliste en 1939, pour le quotidien L’Ambrosiano, dans les pages « mode ». En 1956, L’Espresso lui confie la rubrique « Il lato debole » (« le côté faible »), qu’elle rédige jusqu’en 1976. En 1977, ses articles sont publiés en volume. D’autres sont réunis dans Nostra Italia del miracolo (« l’Italie du miracle », 1980), où elle met en relief, avec ironie et intelligence, les défauts de ses compatriotes. Elle écrit aussi des essais : Noi siamo le signore (« nous sommes les femmes », 1958), La voce dei padroni (« la voix des patrons », 1962), Signore e signori (« femmes et hommes », 1966), Maria Callas (1968), Le pervestite (« habillées avec perversion », 1968). Après l’attentat meurtrier de la piazza Fontana à Milan, le 12 décembre 1969, C. Cederna engage dans ses livres une vive polémique d’ordre politique : Pinelli, una finestra sulla strage (« Pinelli, une fenêtre sur le massacre », 1971), Sparare a vista (« tirer à vue », 1975), Giovanni Leone, la carriera di un presidente (1978). En 1980, elle publie ses mémoires, présentés par Grazia Cherchi, Il mondo di Camilla (« le monde de Camilla »), puis Casa nostra (« notre maison »). Suivront Viaggio nei misteri d’Italia (« voyage au cœur des mystères italiens », 1983), Vicino e distante (« de près et de loin », 1984), De gustibus (1987) et Il meglio di Camilla Cederna (« le meilleur de Camilla Cederna »).
Graziella PAGLIANO