OSWALD, Marianne (née Sarah Alice BLOCH) [SARREGUEMINES 1901 - LIMEIL-BRÉVANNES 1985]
Chanteuse et actrice française.
Au milieu des années 1920, Marianne Oswald fait ses débuts dans la chanson dans des cabarets de Berlin. En 1930, la puissance grandissante du parti nazi lui fait choisir la voie de l’exil. Elle poursuit sa carrière et enregistre ses premiers couplets, En m’en foutant et Pour m’avoir dit je t’aime, en utilisant des techniques vocales inédites en France, inspirées par l’expressionnisme allemand : une diction parfaite, un « parlé-chanté », un accent mi-patois mosellan, mi-allemand. Elle trouve un engagement au Bœuf sur le toit, un cabaret célèbre des Champs-Élysées, où elle interprète Bertolt Brecht et Kurt Weill. Jean Cocteau, un familier des lieux, la découvre et promet de lui écrire des textes. Il va ainsi signer, pour elle, Anna la bonne, une « chanson parlée », et La Dame de Monte-Carlo. Surnommée « la pasionaria » par son interprétation d’une voix rauque et sauvage, dans une robe de velours rouge sombre, elle se produit aussi dans les music-halls, où elle devient la première à imposer, entre deux artistes fantaisistes, des couplets des poètes de son temps. Elle est parfois sifflée et des bagarres éclatent entre ses partisans et ses défenseurs. Parmi eux, il y a Jacques Prévert, dont elle va aussi inscrire des textes à son répertoire. En 1938, elle débute au cinéma dans Le Petit Chose, avec Arletty*. Au début de la guerre, elle s’exile aux États-Unis, où elle trouve des engagements dans les cabarets et à la radio. « Votre voix est un instrument qui fait corps avec l’orchestre », lui dit un soir Charlie Chaplin. De retour en France, elle choisit de se consacrer au cinéma, à la radio et à la production d’émissions pour les enfants, sur une télévision naissante, encore en noir et blanc. Son seul regret : le grand public ne l’a jamais vraiment suivie ; elle était trop en avance sur son temps.
Jacques PESSIS
OTERO DE BARRIOS, Clementina [MEXICO 1909 - ID. 1996]
Actrice mexicaine.
Clementina Otero de Barrios fait ses débuts au sein des groupes de théâtre expérimental Teatro de Ulises (1927-1928) et Teatro Orientación (1932-1938), tous deux animés par de jeunes intellectuels représentant le renouveau artistique et culturel du Mexique : les contemporáneos. Ces aventures collectives, auxquelles elle participe en jouant dans des pièces de Charles Vildrac, Jean Cocteau, Massimo Bontempelli, Jules Romains, Anton Tchekhov et Eugene O’Neill, présentent un répertoire contemporain tout en introduisant les pratiques du théâtre moderne européen. Plus tard, C. Otero de Barrios intègre la compagnie de Virginia Fábregas*, puis celles de María Tereza Montoya* et d’Alfredo Gómez de la Vega, où elle joue les premiers rôles et commence à enseigner aux apprentis comédiens. La critique attribue à son jeu une qualité « éthérée » qui donne à ses personnages une verticalité et une force particulières. Elle est l’une des premières actrices mexicaines à appliquer le système Stanislavski. Abandonnant définitivement les planches en 1945, après son interprétation de l’épouse de l’empereur Maximilien de Habsbourg dans le spectacle Carlota de México, elle se consacre à la fondation de la première École nationale d’art dramatique, qu’elle dirige plus tard. En tant que fonctionnaire, elle mène un travail intense pour le développement du théâtre jeune public, mais aussi de la danse classique, moderne et folklorique.
Manuel ULLOA
■ CUCUEL M., « Un groupe expérimental de théâtre au Mexique dans les années 30 : le Teatro Orientación de Celestino Gorostiza », in Le Théâtre latino-américain, tradition et innovation, Aix-en-Provence, Publications de l’Université de Provence, 1991.
OTSUKA AI [OSAKA 1982]
Auteure-compositrice-interprète japonaise.
Son enfance et sa jeune carrière peuvent se résumer en un seul mot : « tourbillon ». Otsuka Ai suit ses premiers cours de piano à 4 ans, jette ses premières chansons sur le papier à l’âge où ses camarades se contentent d’écouter de la musique, puis enregistre une série de premiers singles à succès (Momo no hanabira ; Sakuranbo ; Amaendo). Dès lors, elle incarne la jeune princesse de la musique japonaise populaire avec, à son actif, cinq albums studio (Love Punch ; Love Jam ; Love Cook ; Love Piece et Love Letter), deux compilations et une nuée de récompenses. Son répertoire, inspiré par les sonorités pop rock occidentales, alterne ballades sentimentales (Planetarium) et titres plus enjoués et nerveux (Smily). Le public japonais affectionne sa voix juvénile et son exubérance contagieuse sur scène, et aime la retrouver sur les ondes de la télévision et de la radio où elle anime ses propres émissions. Outre ses talents musicaux, elle développe un don pour le dessin qu’elle met à profit sur ses pochettes d’albums. Sa renommée ne saurait tarder à dépasser les frontières du Japon.
Anne-Claire DUGAS
■ Love Cook, Avex, 2005.
OTTER, Anne-Sofie VON [STOCKHOLM 1955]
Mezzo-soprano suédoise.
Fort demandée par les grands chefs d’orchestre, institutions et producteurs de disques du monde, Anne-Sofie von Otter est l’une des cantatrices les plus actives de sa génération. Elle commence ses études musicales à Stockholm, poursuit sa formation auprès de Vera Rozsa, Erik Werba et Geoffrey Parsons à la Guildhall School of Music de Londres, et débute en 1982 dans la troupe de l’Opéra de Bâle, en chantant Alcina dans Orlando Palatino de Haydn. Sa voix de mezzo-soprano la conduit à endosser les costumes de travestis, nombreux à l’opéra, et qui correspondent à ses particularités vocales. Ainsi, à Bâle, elle est successivement Chérubin, Hänsel et Orphée, mais aussi La Clairon* dans Capriccio de Richard Strauss. Elle entame par la suite une grande carrière internationale où les ouvrages scéniques de Mozart et Strauss, prédominants dans son répertoire, sont en bonne place, mais aussi, et surtout, les opéras baroques, particulièrement ceux de Haendel, mais aussi de Monteverdi, Purcell et Gluck. Elle se produit également dans les opéras d’Offenbach, de Tchaïkovski et de Massenet. Parallèlement, elle donne des récitals de mélodies dans le monde entier. Reconnue pour ses interprétations d’Octavian du Chevalier à la rose, elle se produit dans ce rôle sur toutes les scènes du monde, à Stockholm, Munich, Chicago, Londres, Paris, Vienne, New York, et au Japon. Parmi ses autres rôles les plus fameux, Dorabella, Ariodante, Sesto dans La Clémence de Titus de Mozart, Ismène dans Alceste, le Compositeur d’Ariane à Naxos… Elle chante Ramiro de La Finta Giardiniera de Mozart à Aix-en-Provence en 1984, fait ses débuts à Covent Garden en 1985, puis au Metropolitan Opera de New York en 1988 dans Chérubin. Elle a chanté dans les Opéras de Berlin, Munich, Rome et à la Scala de Milan. À Genève, elle est Orfeo et, au Théâtre du Châtelet, Alceste de Gluck. Elle est aussi l’hôte du Palais Garnier dans Ariodante de Haendel, Sesto de la Clémence de Titus de Mozart, Giulio Cesare de Haendel, La Clairon dans Capriccio de Strauss. Le rôle de Ruggerio dans Alcina de Haendel a marqué son retour au Festival de Drottningholm en Suède et au Festival de Glyndebourne, en Angleterre, où elle a chanté sa première Carmen. Elle se plaît à participer activement à la création contemporaine avec ses amis compositeurs.
Bruno SERROU
OTTINGER, Ulrike (née WEINBERG) [CONSTANCE 1942]
Réalisatrice, scénariste, peintre et photographe allemande.
Après des études d’art commencées à Munich en 1959, Ulrike Ottinger travaille comme peintre et photographe, de 1962 à 1968, à Paris où elle écrit son premier scénario. Elle fonde le ciné-club de Constance en 1969, qu’elle dirige jusqu’en 1972. Elle est scénariste, actrice, productrice et chef opératrice de son premier film, Laokoon & Söhne (« Laocoon & fils », 1975). Peu respectueuse des conventions de genre, elle s’intéresse aux désirs des femmes à travers un jeu sur les mythes féminins dans un univers qu’elle recrée, et joue sur l’ambiguïté sexuelle des comédiennes – dans Freak Orlando (1981) notamment. De même, dans quelques films, les actrices jouent des rôles d’hommes, par exemple dans Dorian Gray im Spiegel der Boulevardpresse (1985). Autour des années 1980, elle réalise trois films, dont Aller jamais retour (Bildnis einer Trinkerin, 1979), où l’alcool est métaphore de l’étrangeté et de l’exclusion sociale. Attirée par l’Asie, elle tourne en 1985 deux documentaires sur la Chine, puis un autre sur l’immigration juive à Shangai (Exil Shanghai, 1997). L’absence de commentaire lui permet de mettre en valeur l’image et les effets sonores. Son regard sur les non-Européens – et surtout les non-Européennes – évite l’exotisme pour s’attacher à l’esthétique propre de ce qui est filmé. Cette approche se retrouve dans Taiga (1992) et Jeanne d’Arc de Mongolie (Johanna d’Arc of Mongolia, 1989, dernier film de Delphine Seyrig*), mélange de fiction et de documentaire sur des femmes touristes enlevées par une tribu de femmes mongoles. Plus que de la narration, l’énergie et la force de cette œuvre proviennent des images et des costumes extraordinaires, qui permettent d’effacer la frontière entre réalité et rêve, quotidien et inconnu. Avec le film Madame X-Eine Absolute Herrscherin (1977), elle est intervenue dans les débats contemporains du féminisme lesbien, prenant position contre l’idée de séparatisme. Auteure d’une quinzaine de films depuis 1973, le dernier à ce jour étant le poétique Unter Schnee (« sous la neige », 2011), tourné au Japon, U. Ottinger a notamment reçu le Prix de la critique allemande en 2008 pour son documentaire Prater (2007).
Sarah DELLMANN
OTTO-PETERS, Louise [MEISSEN, SAXE 1819 - LEIPZIG 1895]
Écrivaine, journaliste et militante féministe allemande.
Surtout connue en tant que femme politique, Louise Otto-Peters a publié environ 60 œuvres entre 1843 et 1893, sous le nom de Louise Otto ou sous un pseudonyme (Otto Stern ou Malwine von Steinau), parmi lesquelles 26 romans et nouvelles, plusieurs recueils de poèmes, de nombreux écrits sur la question des femmes, l’art, la philosophie, l’histoire, les phénomènes de la nature et la vie quotidienne, ainsi que trois livrets d’opéra. Ont été réédités parmi ces œuvres le roman Schloss und Fabrik (« le château et l’usine »), pour la première fois en 1996 dans la version non censurée, l’écrit polémique Das Recht der Frauen auf Erwerb (« le droit des femmes au travail », 1997) et ses souvenirs. À l’âge de 16 ans, elle perd son père et sa mère, à l’âge de 21 ans son premier fiancé. L’écriture de son journal et de ses poésies lui permet de surmonter ces expériences douloureuses. Autodidacte, elle perfectionne ses connaissances en français afin de pouvoir lire dans le texte George Sand*, Lamartine et Victor Hugo. Ses deux premiers romans, Ludwig der Kellner (1843) suivi de Kathinka (1844), montrent clairement l’influence de G. Sand. Dans son quatrième roman, Schloss und Fabrik (1846), elle décrit la misère du prolétariat industriel à laquelle elle a été confrontée dès le début des années 1840. Les personnages féminins au centre de ses romans aspirent à surmonter les barrières sociales afin de pouvoir vivre indépendantes. Le mouvement de protestation religieux, auquel la luthérienne se sent liée, prend une place importante, notamment dans Römisch und Deutsch (1847). Le premier article de L. Otto-Peters paraît en février 1843 dans la revue de Leipzig Unser Planet, sous le titre « Zur Frauenemanzipation » (« de l’émancipation des femmes »). En septembre s’ensuit la « réponse » devenue célèbre à une contribution de Robert Blum dans les Sächsische Vaterlands-Blätter et qui soutient l’opinion de ce dernier selon laquelle la participation du monde féminin à la vie de l’État doit être considérée non seulement comme un droit mais comme un devoir. L. Otto-Peters soutient la révolution bourgeoise souhaitée de 1848-1849. En avril 1849, elle fonde le Frauen-Zeitung (« journal des femmes »), qui est interdit en Saxe fin 1850. Pendant les années de réaction, elle continue à agir, par ses publications sur des sujets historiques et d’actualité. À partir de 1860, elle vit et collabore avec son mari August Peters, homme de lettres et révolutionnaire engagé, qui sera condamné à de hautes peines de prison et mourra en 1864 à Leipzig. En 1865, elle devient la présidente de l’association des femmes allemandes Allgemeiner deutscher Frauenverein, qu’elle a cofondée et qui se bat pour le droit des femmes à l’éducation et au travail ainsi qu’à l’accès aux études universitaires Elle est en même temps auteure et codirectrice de publication de la revue de l’association, Neue Bahnen (« nouvelles voies »).
Johanna LUDWIG
■ LUDWIG J., « Otto-Peters, Louise », in SCHATTKOWSKY M. (dir.), Sächsische Biografie, Institut für Sächsische Geschichte und Volkskunde e.V., 2007.
OUDALTSOVA, Nadejda ANDREEVNA [OREL 1886 - MOSCOU 1961]
Peintre russe.
De 1905 à 1909, sous la direction du peintre impressionniste et symboliste Konstantin Iouon, Nadejda Andreevna Oudaltsova suit une formation artistique à l’École de peinture, de sculpture et d’architecture de Moscou. À Paris, inscrite à l’académie de La Palette, elle est successivement l’élève des cubistes français Henri Le Fauconnier, Jean Metzinger et André Dunoyer de Segonzac, dont l’influence sera déterminante, comme en témoignent ses œuvres à l’exposition du Valet de carreau de Moscou en 1914. De retour en Russie, elle collabore à La Tour, un atelier collectif libre, où, au contact de Mikhaïl Larionov, elle produit des travaux « rayonnistes », tout en se familiarisant avec les théories constructivistes de Vladimir Tatline. En 1915, elle change de trajectoire en adhérant au groupe Suprémus de Kazimir Malevitch et réalise des esquisses pour des coopératives paysannes et des œuvres suprématistes. En 1917, elle participe, sous la direction du peintre arménien Gueorgui Yakoulov, à un projet qui doit concrétiser l’aspiration des constructivistes – réunir l’art et la vie : la décoration du Café pittoresque à Moscou. À la suite de la révolution d’Octobre, elle travaille jusqu’en 1920 à la section des arts plastiques (IZO) du Narkompros (« commissariat à l’Instruction publique ») ; en 1922, elle participe à la première exposition russe de la galerie van Diemen à Berlin, et, en 1924, à la Biennale internationale de Venise. Désapprouvant l’orientation productiviste des constructivistes de l’INKHOUK, elle retourne avec son mari Alexandre Drévine à une peinture figurative, aux thèmes plus traditionnels – des paysages de la campagne soviétique – et aux couleurs audacieuses. Dénigrées comme « formalistes » par le régime, ses œuvres cessent d’être exposées dès 1934. Elle continuera à peindre jusqu’à sa mort, mais se tiendra désormais en marge des circuits officiels.
Ada ACKERMAN
■ BOWLT J., DRUTT M. (dir.), Amazons of the Avant-Garde : Alexandra Exter, Natalia Goncharova, Liubov Popova, Olga Rozanova, Varvara Stepanova and Nadezhda Udaltsova (catalogue d’exposition), New York, Guggenheim Museum, 2000 ; DRÉVINA E. (dir.), Aleksandr Drevin. Nadejda Oudaltsova, Moscou, Dom Nachokin, 1991 ; ID., Nadejda Oudaltsova, Moscou, Trilistnik, 1997 ; Künstlerinnen der Russischen Avant garde, 1910-1930 (catalogue d’exposition), Rubinger K. (dir.), Cologne, Galerie Gmurzynska, 1980.
OUDALTSOVA, Zinaïda VLADIMIROVNA [KISLOVODSK 1918 - MOSCOU 1987]
Historienne soviétique.
Zinaïda Oudaltsova fait ses études et sa carrière à l’université Lomonossov de Moscou. Considérée comme la fondatrice des études byzantines en URSS, elle acquiert une reconnaissance mondiale. Elle est l’auteure de 300 travaux et de quatre monographies et participe aussi à de nombreux ouvrages collectifs sur l’histoire et la culture byzantines du IVe au XIIe siècle. Ses articles paraissent dans des revues savantes en Tchécoslovaquie, en Allemagne, en Yougoslavie, Belgique, France, Italie. Disciple de l’académicien Evgueni Alexeevič Kosminski, elle dirige longtemps les revues spécialisées Pamjatniki Srednevekovoj Istorii Narodov Central’noj i Vostočnoj Evropy (« documents de l’histoire médiévale des peuples de l’Europe centrale et orientale ») et Vestnik Drevnej Istorii (« le messager de l’histoire ancienne »). Ses travaux, sous-tendus par des recherches en paléographie, papyrologie sphragistique et numismatique, réfutent les thèses sur la stagnation de la culture byzantine. Z. Oudaltsova insiste sur le syncrétisme spécifique à Byzance. Elle interprète les facteurs qui ont mené à la chute de l’Empire et à sa conquête par l’Empire ottoman, selon une approche marxiste. Parmi ses travaux, citons Italija i Vizantija v VI v. (« l’Italie et Byzance au VIe siècle », 1959) et Idejno-političeskaja bor’ba v rannej Vizantii IV-VII vv (« combats idéologiques et politiques dans la Byzance du IVe au VIIe siècle », 1974). Maître à penser de toute une génération d’historiens, Z. Oudaltsova est élue à de hautes fonctions dans la profession (présidente du Comité national des historiens soviétiques, vice-présidente de l’Association internationale des byzantinistes). Membre du parti communiste, elle est nommée membre correspondant de l’Académie des sciences de l’URSS en 1976 et membre étranger de l’Académie des sciences de la RDA en 1983. Elle participe à de nombreux congrès de byzantinistique et à tous les congrès internationaux de sciences historiques entre 1965 et 1985. À sa mort, une autre académicienne, Eugénie Goutnova (1914-1992), rassemble ses travaux sur la culture byzantine dans un ouvrage qui paraît à Moscou en 1988.
Évelyne ENDERLEIN
■ Vestnik drevnej istorii, no 1, 1988 ; Novaja i novejšaja Istorija, no 4, 2000.
OUÉDRAOGO, Joséphine [KOUDOUGOU 1949]
Femme politique et militante burkinabé.
Le père de Joséphine Ouédraogo était député sous la colonisation, puis ambassadeur. En 1961, sa famille s’installe à Paris, où elle poursuit ses études d’assistante de développement social et participe au mouvement de mai 1968. De retour dans son pays, elle mène pendant une dizaine d’années des travaux d’études sociologiques de terrain, notamment en société rurale. Elle y découvre la sous-estimation du travail des femmes, ignorées des stratégies de développement. C’est forte de son expertise et de sa double culture mossi et française qu’elle accepte en 1984 le poste de ministre de l’Essor familial et de la Solidarité nationale que lui propose le président Sankara, dont le gouvernement promeut la participation des femmes au développement du Burkina Faso : les paysannes prennent la parole, l’excision est interdite et la polygamie réglementée. J. Ouédraogo obtient l’élaboration du premier code de la famille burkinabé et l’autorisation d’importer et de diffuser des méthodes contraceptives. Après le renversement de Thomas Sankara en 1987, J. Ouédraogo s’exile pendant quelques années avec sa famille et continue à travailler sur des projets de développement incluant les femmes. Elle fonde un bureau d’études à Ouagadougou et est rappelée en 1995 par le ministère burkinabé des Affaires étrangères. Recrutée deux ans plus tard par l’Onu à la direction du Centre africain pour le genre et le développement (organisme chargé de mettre en œuvre les recommandations des conférences mondiales sur les femmes de Mexico et Pékin), J. Ouédraogo et son équipe obtiennent en 2007 la création d’un Idisa (Indice de développement et des inégalités entre les sexes en Afrique). Elle est, depuis 2007, secrétaire exécutive de Enda Tiers-monde, organisation non gouvernementale (ONG) internationale engagée dans la lutte contre la pauvreté.
Jacqueline PICOT
■ AFASPA, Femmes d’Afrique, bâtisseuses d’avenir, Paris, Tirésias, 2010.
OUELBANI, Mélika [TUNIS 1953]
Philosophe tunisienne.
Après des études de philosophie à l’Université de Tunis, Mélika Ouelbani est reçue docteure ès lettres à Paris IV-Sorbonne en 1988. Intégrée en 1979 à la Faculté des lettres et des sciences humaines de Tunis, elle enseigne la logique et la philosophie du langage. De 2005 à 2010, elle est professeure associée à Paris IV-Sorbonne. Véritable pionnière, elle introduit dans l’enseignement de la philosophie en Tunisie – jusqu’alors resté fidèle à la tradition continentale – le nouveau style de pensée de la philosophie analytique, et en particulier les travaux de la philosophie autrichienne. Tout en poursuivant ses activités scientifiques, elle assume des responsabilités administratives : présidente de la Société de philosophie analytique de langue française (2006-2009), membre de la Société française de philosophie des sciences et responsable de l’unité de recherche « Genèse de l’empirisme logique ».
Yasmina KEFI-GHODBANE
■ Introduction à la logique, Tunis, CPU, 2000 ; Le Cercle de Vienne, Paris, PUF, 2006 ; Qu’est-ce que le positivisme ? , PUF, Vrin, 2010.
■ « Philosophie des jeux de langage ou philosophie de l’intention ? », in L’Intention, Tunis, 2011.
OUELLETTE, Bella (Agnès Isabelle OUELLETTE, dite) [MONTRÉAL 1885 - ID. 1945]
Actrice québécoise.
Tout au long de sa carrière de quarante-sept ans, Bella Ouellette est considérée comme « artiste nationale » tant par les critiques que par le milieu théâtral. À 16 ans, elle fait ses débuts professionnels sur la scène du théâtre Saint-Henri. Ses rôles dans des mélodrames français lui valent d’être remarquée par Julien Daoust, auteur et metteur en scène canadien français qui fait appel à son talent lorsqu’il produit Pour le Christ. Elle devient l’étoile de sa troupe et sa femme en février 1906. Après leur rupture, en 1919, elle fonde sa propre troupe, puis en 1922 s’associe à une artiste française, Jeanne Demons, pour créer la troupe Ouellette-Demons. Au début des années 1930, elle participe à l’aventure du petit théâtre Stella, au sein de la troupe Duquesne-Barry. Elle épouse Fred Barry en 1944. Fin octobre 1937, accompagnée du quatuor Alouette, la troupe fait une tournée en France pour présenter, entre autres, un texte d’Henry Deyglun Vers la terre canadienne. Par la suite, elle joue dans les premiers feuilletons radiophoniques, mais n’abandonne pas la scène pour autant. Deux directeurs artistiques importants, Gratien Gélinas pour ses Fridolinades et Pierre Dagenais (directeur du théâtre de l’Équipe) l’invitent à se joindre à leurs productions. Elle tient son dernier rôle en 1945, dans l’adaptation de Mon curé chez les riches de Clément Vautel.
Renée NOISEUX-GURIK
OUELLETTE, Rose (dite LA POUNE) [MONTRÉAL 1903 - ID. 1996]
Actrice québécoise.
Comme Rose Ouellette l’affirme dans le titre de son autobiographie, Vous faire rire, c’est ma vie, durant plus d’une soixantaine d’années, sous un surnom dont elle fait son nom de scène, La Poune poursuit un unique but : divertir son public. À l’école, elle amuse ses camarades au lieu d’étudier et se retrouve rapidement en manufacture : pour égayer ses fins de semaine, attirée par le théâtre, elle participe à des concours amateurs et les gagne tous. Après avoir appris dans des tournées les rudiments du métier, elle crée avec son mari un duo comique qui se produit à Montréal. Remarquée, elle est engagée dans une troupe professionnelle de théâtre burlesque. C’est avec Olivier Guimond père dit Ti-Zoune, le grand comique d’alors, qu’elle approfondit le jeu complexe de la comédie bouffe à partir d’improvisation. Ils forment un duo inoubliable qui la propulse au firmament du genre. Elle assure successivement la direction artistique de deux théâtres qui perpétuent cette tradition : le théâtre Cartier (1928-1936) et le Théâtre national (1936-1948), temple du burlesque. Lorsque, dans les années 1950, le genre décline, sa renommée lui permet de s’intégrer à l’activité télévisuelle et cinématographique, de participer à des pièces de théâtre et de faire du cabaret avec sa comparse de toujours Juliette Petrie. Les disques qu’elle a enregistrés permettent de mesurer l’extraordinaire dynamisme de cette petite femme qui fut une grande artiste.
Renée NOISEUX-GURIK
OUELLETTE-MICHALSKA, Madeleine [SAINT-ALEXANDRE-DE-KAMOURASKA 1930]
Écrivaine canadienne d’expression française.
De 1976 à 1985, Madeleine Ouellette-Michalska se fait connaître en tant que chroniqueuse, notamment de littérature québécoise, à Radio-Canada, dans les magazines L’Actualité, Perspectives, Châtelaine ainsi qu’au journal Le Devoir. Titulaire d’un doctorat de l’université de Sherbrooke, elle donne des séminaires de création littéraire à l’Institut d’éducation de Constantine à Alger et à l’université d’Albuquerque aux États-Unis, ainsi qu’à l’École supérieure de musique Marguerite-Bourgeoys de Montréal et à l’université de Sherbrooke. En 1968, elle fait paraître un premier recueil de nouvelles, Le Dôme, et un second en 1979, La Femme de sable. Elle est également l’auteure de nombreux romans : La Maison Trestler ou le Huitième Jour d’Amérique (1984) ; La Danse de l’amante (1987) ; La Termitière, La Fête du désir (1989) ; L’été de l’Île de Grâce (1993) ; La passagère (1997) ; L’apprentissage (2006). Elle publie aussi des recueils de poésie : Entre le souffle et l’aine, Les sept nuits de Laura, L’Amérique un peu, au bord du rouge absolu avec James Sacré, Le Cycle des migrations. Elle se fait connaître en 1981 par un essai ambitieux, L’Échappée des discours de l’œil, dans lequel elle démonte le discours patriarcal à travers l’histoire et les mythes. Dans L’Amour de la carte postale (1987), M. Ouellette-Michalska explore les mécanismes d’exclusion fondés sur les notions de centre et de périphérie et, en 2007, les questions liées à l’Autofiction et [au] dévoilement de soi.
Farah GHARBI
OUERGHI, Najette [TÉBOURSOUK 1949]
Poétesse tunisienne.
Après une enfance passée dans sa ville natale, au nord-ouest de la Tunisie, et des études à Tunis, Najette Ouerghi poursuit sa formation au Canada puis en France, où elle obtient une maîtrise de langue et littérature françaises et une licence de russe. Elle enseigne le français, participe activement à la vie culturelle et collabore, dans les années 1990, à une émission radiophonique littéraire, Masâlik al-adab (« les voies de la littérature »). Mais N. Ouerghi est essentiellement poétesse ; bilingue, elle use des deux langues dans son œuvre. Dans son premier recueil, Nuages (1993), en français, le ciel et les nuées constituent le « personnage » central. Elle puise ses symboles et ses images à diverses sources d’inspiration : la mythologie grecque (Orphée, Pégase, Méduse) ; le bouddhisme (Nirvana) ; l’islam (Marabout) et, surtout, la nature, dont elle est si proche. Elle opte pour la langue arabe dans son deuxième ouvrage au titre insolite et provocateur, Anâ lastu sâ’ira… ! (« poétesse, je ne suis… ! », 1996), où elle continue à explorer son âme, à exprimer ses joies (Ladhâ’idh’ahlâmî, « mes doux rêves » ; Sultân al-Mûsîqâ, « la magie de la musique ») ; ses tristesses et ses déceptions, sa colère même (Al-Ghadab al-ahmar, « colère rouge ») ; la douleur que lui inflige un monde déchiré par les guerres (Souar min harb al-Busna, « scène de guerre en Bosnie »). La nature y prend aussi une large part et joue tantôt le rôle de source d’inspiration, tantôt celui de mode d’expression. Elle revient au français avec Amours proches et lointaines (2003), un recueil d’amour. Le sentiment amoureux y est célébré sous toutes ses formes, elle y exprime ses idéaux et son aspiration pour un monde où règnent l’entente et la paix. La poésie de N. Ouerghi est pleine de charme et n’obéit ni à un courant précis ni à une thématique définie. Ses œuvres sont parfois imprégnées d’une musicalité qui, sans être conventionnelle, tire ses rythmes d’un heureux assemblage entre les sons et les mots.
Hasna BOUZOUITA-TRABELSI
OUEST CANADIEN – POÉTESSES [XXe-XXIe siècle]
Les francophones de l’Ouest ont peu publié de poésie, comme si l’interdiction de la langue française par le système éducatif les avait empêchées de participer à l’aventure poétique. Seule Lise Gaboury-Diallo* dont l’œuvre poétique est reconnue au plan national représente une exception à cet égard. Aussi, les poétesses « de l’Ouest » sont-elles originaires d’une autre francophonie. Christine Dumitriu van Saanen (née en Roumanie en 1932 et décédée à Toronto en 2008), ingénieure et géologue de formation, a fondé la Société littéraire francophone de l’Alberta. Elle a signé huit recueils de poésie : Chansons (1979), Poèmes pour demain (1981), Le Poème des objets (1983), Les Fruits de la pensée (1991), Poèmes pour l’univers (1993), Millénaire (1995), Sablier (1996) et L’Univers est, donc je suis (1998). Elle a reçu de nombreuses distinctions, comme le premier prix du sonnet (Montréal, 1981), le prix Mauger-Kauffmann de l’Académie des poètes classiques de France (1982) et la Toison d’or de la Société des poètes français (1995). Inge Israël (née en Allemagne en 1927), établie au Canada depuis 1958, d’abord en Alberta et actuellement en Colombie-Britannique, a publié six recueils : trois en français, Réflexions (1978), Même le soleil a des taches (1980) et Aux quatre terres (1990) – qui lui a valu le prix Champlain 1992 –, deux en anglais, Raking Zen Furrows (1991), Unmarked Doors (1992), et un bilingue, Fêlures dans le visible/Rifts in the Visible (1997). Jocelyne Verret (née à Québec en 1944), d’origine acadienne mais établie en Alberta depuis 1976, dirige son propre établissement de création, révision et traduction de textes, ce qui lui a permis de publier deux recueils bilingues, Forêts et océans/Of Trees and Sea (1994) et Gens d’ici, gens d’ailleurs/People From Here and Afar (1995). Tchitala Nyota Kamba (née en République démocratique du Congo en 1958), établie depuis 1999 à Calgary où elle a fondé Apapi film & théâtre, a publié un seul ouvrage jusqu’ici, L’Exilée de Makelele (2007), mais son arrivée sur la scène permet de postuler un renouvellement du paysage poétique de l’Ouest.
Pamela SING
OUEST CANADIEN – ROMANCIÈRES [XXe-XXIe siècle]
Que l’écrivaine de l’Ouest franco-canadien la mieux connue, Gabrielle Roy*, ait quitté son Manitoba natal pour aller vivre et écrire en français à Montréal en dit long sur le sort des auteures d’expression française vivant dans un milieu majoritairement anglophone. Et pourtant, il s’agit d’une communauté littéraire dynamique, servie principalement par deux maisons d’éditions franco-manitobaines fondées dans les années 1970, et caractérisée, sur les plans thématique et discursif, par un trait tout particulier : la reconnaissance de soi comme membre d’une francophonie marquée par sa dualité linguistique et son hétérogénéité culturelle.
La doyenne des écrivaines nées et vivant dans l’Ouest, Marguerite-A. Primeau (née à Saint-Paul, en Alberta, en 1914), a produit une œuvre dans une langue soignée et travaillée qui, au fur et à mesure des ouvrages, n’en laisse pas moins entrevoir un imaginaire de plus en plus influencé par la culture anglophone. Professeure de langue et de littérature françaises à l’université de Colombie-Britannique, elle a écrit trois romans : Dans le muskeg (1960), Maurice Dufault, sous-directeur (1983) et Sauvage sauvageon (1984) – qui lui ont valu le prix littéraire Champlain –, et deux recueils de nouvelles, Le Totem (1988) et Ol’Man, Ol’Dog et l’enfant (1995), dont une édition augmentée est parue en 2004. Le tarissement de sa plume marque la fin d’une époque. Marie-Anna Roy (née à Saint-Léon, au Manitoba, en 1893 et décédée en 1998), enseignante dans des écoles rurales, a écrit une œuvre simple, riche en détails réalistes, dont Le Pain de chez nous, histoire d’une famille manitobaine (1954), Valcourt ou la Dernière Étape, roman du Grand Nord canadien (1958), Les Visages du vieux Saint-Boniface (1970) et Le Miroir du passé (1979, 1980). Annette Saint-Pierre (née à Saint-Germain-de-Grantham, au Québec, en 1925), fondatrice des Éditions du Blé et des Plaines au Manitoba, et cofondatrice du Centre d’études franco-canadiennes de l’Ouest, est l’auteure de cinq romans : La Fille bègue (1982), Sans bon sang (1987), Coups de vent (1990), Faut placer le père (1997), prix du Consulat général de France, et La Dérive (2002).
Mais c’est l’arrivée de Simone Chaput (née à Saint-Boniface, au Manitoba, en 1954) qui commence à renouveler le roman féminin. Professeure de langue et de littérature françaises, elle s’est exprimée en français dans trois romans, Une vigne amère (1990), Un piano dans le noir (1991) et Le Coulonneux (1998), et dans un recueil de nouvelles, Incidents de parcours (2000). Ensuite, à l’instar de ses personnages qui, de roman en roman se libèrent davantage du carcan de la communauté, l’auteure, deux fois récipiendaire du prix du journal La Liberté, s’est mise aussi à écrire en anglais.
En Alberta, les écrivaines francophones natives de la province en font autant depuis la fin des années 1980. En revanche, Gisèle Villeneuve (née à Montréal en 1950), traductrice et journaliste établie à Calgary depuis 1978, écrit son premier roman, Rumeurs de la haute maison (1987) en français, mais son deuxième, Visiting Elizabeth (2004), en anglais et en français, illustrant ainsi le potentiel poétique du code-switching (« alternance codique »). En Colombie-Britannique, les écrivaines d’expression française, encore actives aujourd’hui, sont d’origine européenne et s’expriment dans une langue classique. Monique Genuist (née à Saint-Mihiel, en France, en 1937), professeure de littérature québécoise à l’université de la Saskatchewan, a signé sept romans : Exorcismes (1973), C’était hier en Lorraine (1993), Le Cri du loon (1993), L’Île au cotonnier (1997), Paroles de chat (1997), Nootka (2003) et La Petite Musique du clown (2005).
Pamela SING
OUIDA (Maria Louise RAMÉ, ou DE LA RAMÉE, dite) [BURY ST EDMUNDS 1839 - VIAREGGIO, ITALIE 1908]
Romancière britannique.
Aussi rebelle qu’extravagante, Ouida adopta un style de vie très libre qui lui valut de nombreuses caricatures. Son premier roman, Held in Bondage or Granville de Vigne, écrit à 24 ans, fut un succès, et ses livres d’aventure, essais, contes, nouvelles et livres pour enfants témoignent d’une force narrative peu commune. Détestant profondément la provincialité de son Suffolk natal, elle choisit de vivre librement et fastueusement à Londres, entourée d’artistes, de politiciens et de poètes, s’inventant un environnement fantasque propice à l’écriture de ses fictions. Elle séjourna plusieurs fois en France, pays auquel elle resta profondément attachée en raison de ses racines familiales, mais finit par s’établir en Italie, où elle mourut pratiquement ruinée par ses dépenses inconsidérées. Grande épistolière, elle défendit des positions courageuses en faveur de l’indépendance italienne et des pauvres, et bien qu’opposée au vote des femmes, son engagement discret mais passionné en faveur de l’éducation intellectuelle de ces dernières et sa défiance vis-à-vis de la moralité sexuelle de son temps la placent malgré tout parmi les avocates de l’émancipation féminine.
Martine MONACELLI
■ Puck (Puck, 1870), Paris, Perrin, 1889 ; Amitié (Friendship, 1878), Paris, Hachette, 1878 ; Le Tyran du village (A Village Commune, 1881), Tours, A. Mame et fils, 1886 ; Les Napraxine (Princess Napraxine, 1884), Paris, Hachette, 1886.
■ SHROEDER N, HODGES HOLT S., Ouida the phenomenon : evolving social, political, and gender concerns in her fiction, Newark, University of Delaware Press/Cranbury, Associated University Presses, 2008.
OUJVIÏ, Natalia [LIOUBOML 1898 - KIEV 1986]
Actrice ukrainienne.
Née dans une famille paysanne, Natalia Mikhaïlivna Oujviï débute sa carrière d’actrice à Kiev, au théâtre d’État Chevtchenko. De 1925 à 1926, elle est la première actrice du Théâtre dramatique d’Odessa, quand elle rencontre le metteur en scène et théoricien Les Kourbas et la troupe du théâtre Berezil. Elle joue dans ce théâtre réformateur et moderniste environ 30 rôles et obtient de grands succès, notamment avec Oksana dans Les Gaïdamaky de Taras Chevtchenko (1926), Frumance dans Tripes d’or de Crommelynk (1926), et Maklena dans Maklena graza de Mykola Koulich (1933). Sa profondeur psychologique et sa disposition à exprimer la force de pensée de ses héroïnes à travers une diction plastique la font définir par la critique comme « poétesse de la scène ». Elle dédie sa vie à la renaissance culturelle ukrainienne et à ses activités politiques. Mais en 1936, lors des répressions staliniennes, elle est obligée de s’éloigner du collectif de L. Kourbas. Elle s’établit à Kiev et fait partie de la troupe du Théâtre national académique. Elle se détourne alors de l’esthétique expérimentale et revient avec succès à une interprétation classique (Ranevskaïa dans La Cerisaie de Tchekhov, 1946 ; Anna Andreevna dans Le Revizor de Gogol, 1952). Elle obtient de nombreuses reconnaissances : « Artiste du Peuple » (1944), prix Staline (1946, 1949, 1951), prix national ukrainien Chevtchenko (1984), et préside la Société ukrainienne de théâtre de 1954 à 1971. Par ailleurs, elle tient un rôle dans le film de Serguei Paradjanov Rhapsodie ukrainienne (1961).
Erica FACCIOLI
OUKA LEELE (Barbara ALLENDE, dite) [MADRID 1957]
Photographe espagnole.
Grand nom de la photographie plasticienne contemporaine, figure majeure de la Movida (mouvement culturel né après la fin du régime franquiste), Ouka Leele a contribué au renouveau de la photographie espagnole. Après un passage par le Fotocentro de Madrid, elle publie sa première série en noir et blanc en 1976, et expose pour la première fois en 1978. Son travail s’organise en plusieurs phases : tout d’abord, elle réalise des mises en scènes qu’elle photographie en noir et blanc ; puis elle repeint ces clichés manuellement en couleurs, le plus souvent à l’aquarelle ; elle en photographie enfin le résultat, créant alors des images hybrides, burlesques, insolites, à mi-chemin entre photographie et peinture, comme en témoigne Peluquería (1978), sa série, sans doute la plus célèbre, dans laquelle une succession de portraits sont coiffés de poulpes, de livres ou encore de fruits. Dans ses compositions, elle fait poser ses amis, ses proches, ses voisins, mais aussi des modèles, des vedettes ou des anonymes. La particularité de sa démarche consiste à détourner la photographie de sa fonction habituelle – reproduire le réel – et de l’utiliser comme dessin préparatoire d’une peinture. Ainsi, les thématiques développées font référence au genre pictural : portrait, nu, paysage, nature morte, scène de genre ; les règles de la peinture classique sont réappropriées au service de compositions décalées et délirantes, exacerbées par une palette criarde, tendre ou saturée, qui provoque des rapprochements extravagants et des télescopages ludiques. Cette pratique n’est pas isolée : elle s’est érigée en école, réunissant des artistes désireux de montrer la réalité plus fidèlement que ne pouvait le faire la simple utilisation de la photographie. L’aspect onirique et poétique de ses images est révélateur des préoccupations d’une jeunesse, soucieuse de s’émanciper, de provoquer, de transformer le monde et de s’affranchir des conventions de l’Espagne franquiste. En ce sens, récompensée par le Prix national de la photographie en 2005, Ouka Leele fait figure de proue.
Ludovic DELALANDE
■ En blanco y negro (catalogue d’exposition), Villasante C. (textes), Alcorcón, Centro municipal de las Artes, 2003 ; Inédita (catalogue d’exposition), Madrid, Museo del Traje, 2008.
■ DOLCET J., Fotografías, Madrid, Obra social Caja de Madrid/Taller de arte, 1997.
OUKRAÏNKA, Lessia (Laryssa PETROVNA KOSATCH-KVITKA, dite) [NOVOHRAD-VOLYNSKYÏ 1871 - SURAMI, GÉORGIE 1913]
Dramaturge et critique de théâtre ukrainienne.
Tout en subissant des persécutions, Lessia Oukraïnka joue un rôle clé dans la création d’une culture nationale ukrainienne de niveau européen, ainsi que dans la prise de conscience nationale qui anime l’Ukraine dans la seconde moitié du XIXe siècle. Issue d’une famille d’intellectuels actifs politiquement pour la renaissance culturelle ukrainienne, bien qu’atteinte de tuberculose, elle a la possibilité d’étudier les langues, la philosophie, l’art et la littérature dans son milieu familial. Elle s’installe à Kiev et se rapproche des courants intellectuels les plus radicaux. Elle publie des recueils de poésie, des essais d’histoire, des traductions de Dante, Shakespeare, Hugo, Byron, Hauptmann, Tourgueniev. Au cours de la dernière décennie de sa vie, elle se consacre à l’écriture dramatique. Sa conception cosmopolite du monde la conduit à s’éloigner du théâtre traditionnel ukrainien : elle lui préfère Maeterlinck, Ibsen, Hauptmann, car elle cherche à créer une culture nationale exigeante, en refusant autant la russification que la tendance « populaire ». Ses personnages ne font pas partie de l’histoire et de la culture ukrainiennes mais sont issus de diverses civilisations. Dans Vavylons’kyj polon (« la captivité de Babylone », 1903) ou Na ruïinakh (« sur les ruines », 1904), elle transpose l’univers ukrainien dans les civilisations romaine, babylonienne ou égyptienne. Elle revisite également la mythologie dans Orfejeve čudo (« le miracle d’Orfée », 1913). Ses pièces V katakombakh (« dans les catacombes », 1906), Oderjyma (« obsédé », 1901), Advokat Martian (« l’avocat martien », 1913) ou L’Amphitryon de pierre (1912) abordent les thèmes de la révolte de l’individu contre la société, la question du libre-arbitre, le rapport entre l’homme et la philosophie, la religion et l’histoire. Son chef-d’œuvre, le drame-fable Lisova pisnia (« le chant du bois », 1911), est une interprétation symbolique de la mythologie ukrainienne, où le contraste entre nature et culture se noue autour de l’amour d’un paysan pour la fille d’un esprit des bois.
Erica FACCIOLI
■ Œuvres choisies, Bruxelles, Amlbel, 1970 ; Cassandre, poème dramatique (Kassandra, 1907), Bruxelles, Amlbel, 1973 ; L’Amphitryon de pierre (Kaminnyj hospodar, 1912), Bruxelles, Imprimerie Amibel, 1974.
■ CADOT M. (dir.), Lessia Oukraïnka (Actes du Colloque de la Sorbonne des 23 et 24 avril 1982), Paris/Munich, Université de la Sorbonne Nouvelle-Paris III/Université ukrainienne libre, 1983.
OULANOVA, Galina [SAINT-PÉTERSBOURG 1910 - MOSCOU 1988]
Danseuse russe.
Issue d’une famille d’artistes attachée au Théâtre de Ballet et d’Opéra de Leningrad, Galina Sergeïevna Oulanova y fait ses études auprès d’Agrippina Vaganova*, intègre la troupe en 1928 et excelle dans les grands classiques. Sa forte personnalité et sa théâtralité faite de conviction et d’émotions (elle est adepte de la méthode Stanislavki) ouvrent la voie aux nouvelles héroïnes du dramballet, en particulier avec La Fontaine de Bakhtchisaraï (Rostislav Zakharov, 1934) et Roméo et Juliette (Leonid Lavrovski, 1940). En 1944, elle devient étoile au Bolchoï de Moscou où, après 1960, elle enseigne aux plus grandes ballerines de la troupe, comme Ekaterina Maximova*, Nadejda Pavlova*, Ghislaine Thesmar. Ses apparitions à l’Ouest, lors des tournées des années 1950, sont une véritable révélation en raison du caractère bouleversant de sa Giselle et de la spontanéité juvénile de sa Juliette, popularisée à travers le monde par le cinéma.
Sylvie JACQ-MIOCHE
■ LVOV-ANOKIN B., Galina Oulanova, Moscou, Éditions du Progrès, 1975.
■ The Best of the Bolshoi ballet at Covent Garden (1956), Paul Czinner, 292 min, 2008.
OULAYA (Beya BENT BÉCHIR BEN HÉDI RAHAL, dite FATATEL-MANAR ou) [TUNIS 1930 - ID. 1990]
Chanteuse et actrice tunisienne.
Sur les pas d’Oum Kalsoum*ou de Fairouz*, Oulaya s’imposa dans la seconde moitié du XXe siècle comme une grande diva arabe, particulièrement en Égypte. Élevée par son oncle, elle fut très tôt repérée par Ridha Kalaï, violoniste et époux de sa grande sœur. Il lui composa la chanson Dhalamouni habaïbi, qu’elle enregistra sous le pseudonyme de Fatatel-Manar à Radio Tunis à 12 ans. Elle apprit ensuite la musique à la Rachidia, une association culturelle et artistique créée en 1934 et dont la mission était à la fois la sauvegarde du patrimoine malouf, la musique arabo-andalouse, et l’encouragement de la créativité chez les jeunes musiciens. Elle s’illustra par la qualité de son interprétation, particulièrement dans les œuvres de son mentor Salah el-Mahdi, fondateur du Conservatoire national de musique, de danse et de théâtre de Tunis. Elle rejoignit la chorale de la radiotélévision de cette ville et incarna une nouvelle génération de chanteuses en quête de mélodies différentes et d’émancipation. En 1961, elle interpréta Béni ouatani (« ô, mes compatriotes »), qui accompagna la bataille pour l’évacuation des Français de la base navale de Bizerte en 1961. Elle domina la chanson tunisienne des années 1960, avec Naâma. Aux environs de 1970, elle se rendit au Caire à l’invitation de Ahmed Chafik Abou Aouf, président du Haut Comité de la musique arabe au Caire. Elle devint une spécialiste du qacid, poème en arabe classique, dont la mise en musique et l’interprétation vocale nécessite un haut niveau technique et une grande sensibilité artistique. Elle s’émancipa et se lança dans une carrière solo interprétant des chansons que de grands musiciens égyptiens composaient pour elle : Damaâ aïni damaâ, Tarh el hawa, Ghali wallah ghali. Oulaya avait été mariée très jeune en Tunisie par sa mère, qui voyait d’un mauvais œil sa carrière artistique. En Égypte, en 1981, à plus de 50 ans, elle épousa en secondes noces le compositeur Helmi Bakr, qui lui offrit sa chanson-phare : Alli gara. La chanteuse fut décorée par le président Anouar el-Sadate. Se produisant dans tous le monde arabe et diva de la chanson, Oulaya fut aussi actrice et comédienne. Ses enregistrements, pour la plupart en 45-tours, sont aujourd’hui difficilement trouvables.
Elisabeth STOUDMANN
OULITSKAÏA, Ludmila (ou Lioudmila) [DAVLEKANOVO 1943]
Écrivaine russe.
Issue d’une famille moscovite, Ludmila Evguenievna Oulitskaïa naît en Bachkirie, où ses parents sont alors réfugiés. Elle fait des études de biologie à l’Université d’État de Moscou puis travaille deux ans comme chercheur en génétique avant d’être licenciée en 1970 pour avoir diffusé de la littérature du samizdat. Elle se consacre alors à l’écriture, d’abord pour la radio et le théâtre, travaille dans un théâtre musical juif comme conseillère littéraire, écrit des essais, des pièces pour enfants, des scénarios pour des émissions radiophoniques et des textes pour le théâtre de marionnettes. Elle n’est reconnue comme auteure qu’après la chute de l’URSS. Le succès vient avec Sonietchka (1992), court roman pour lequel elle reçoit en 1996, en France, le prix Médicis étranger. Actrice majeure du renouveau de la littérature russe, elle développe un genre qui va progressivement s’imposer à partir du dégel, quand la fiction commence à privilégier la sphère privée et les sentiments. Écrivaine intimiste, elle présente un univers de femmes ordinaires où s’enchevêtrent des destins multiples, un univers animé par des personnages complexes, profonds, aux prises avec leurs problèmes quotidiens, leurs faiblesses, leurs préoccupations et leurs émotions. Elle excelle à décrire les différentes relations : à l’intérieur d’une famille (Le Cas du docteur Koukotski), à l’intérieur d’un groupe d’amis (De joyeuses funérailles), entre les générations (Médée et ses enfants), entre hommes et femmes (Sincèrement vôtre, Chourik). Fidèles à la tradition littéraire russe, ses héroïnes se dévouent aux autres, sont compréhensives et généreuses. L. Oulitskaïa aborde avec humanisme des thèmes universels tels que la solitude, le mensonge, l’amour, sans oublier de questionner des thèmes actuels, comme les rapports entre religion et science. Raffinée et érudite, sa prose est vibrante, colorée, riche en détails. Le contexte dans lequel évoluent ses personnages est évoqué de manière précise mais discrète, ce qui lui permet de brosser un tableau de la Russie moderne. La dimension psychologique de ses portraits, la compassion envers ses personnages et le réalisme de ses descriptions inscrivent son œuvre dans la tradition d’Anton Tchekhov.
Elle est l’auteure d’une quinzaine de romans, de quelques récits pour enfants et de plusieurs pièces de théâtre. Elle a reçu de nombreuses distinctions, notamment le Booker Prize russe, en 2001. Ses livres sont traduits en une trentaine de langues.
Federica VISANI
■ Médée et ses enfants (Medeia i ieio deti, 1996), Paris, Gallimard, 1998 ; De joyeuses funérailles (Vesiolye pokhorony, 1998), Paris, Gallimard, 1999 ; Le Cas du docteur Koukotski (Kazus Koukotskogo, 2000), Paris, Gallimard, 2003 ; Sincèrement vôtre, Chourik (Iskrenne vach Chourik, 2004), Paris, Gallimard, 2005 ; Daniel Stein, interprète (Daniel’Chtaïn, perevodtchik), Paris, Gallimard, 2008 ; Le Chapiteau vert (Zeliony chatior, 2010), Paris, Gallimard, 2014.
OUMAR, Fadimata Wallet (dite DISCO) [GARGANDO, TOMBOUCTOU V. 1960]
Chanteuse malienne.
Menant la vie d’une nomade touarègue pendant sa jeunesse, Fadimata Walett Oumar chante le soir autour du feu en s’accompagnant de l’anzad (un violon monocorde), des battements de mains et des youyous. Elle est très tôt surnommée « Disco ». Réfugiée au Burkina Faso en 1990, suite au déclenchement de la rébellion touarègue, elle continue à pratiquer la musique le soir où elle est repérée par un travailleur d’une ONG belge, séduit par la beauté et l’épurement de ces chants de femmes. En 1995, elle participe au festival Voix de femmes, à Liège. Deux ans plus tard, le label Network fait paraître Amazagh, le premier CD de Tartit, groupe majoritairement féminin dont F. W. Oumar est la coordinatrice. Ce sera l’une des toutes premières productions de musique touarègue moderne. Tartit a sorti deux autres CD et participé au spectacle Desert Blues de Michel Jaffrennou. Malgré les difficultés, la chanteuse poursuit son but : sauver la musique de son peuple et faire connaître sa culture et ses valeurs.
Elisabeth STOUDMANN
■ Amazagh, Network, 1997 ; Ichichila, Network, 2000 ; Abacabok, Crammed Dics, 2006.
OUMHANI, Cécile [NAMUR, BELGIQUE 1952]
Écrivaine franco-britanno-tunisienne.
Agrégée, docteure ès lettres anglaises, Cécile Oumhani enseigne à Paris et consacre la plupart de ses travaux de recherche aux littératures postcoloniales et à l’écriture féminine. Mariée à un Tunisien, elle s’attache au pays du jasmin où elle se rend fréquemment pour des cours et collabore à la page littéraire du quotidien tunisien La Presse. Sa vie et son imaginaire en sont imprégnés, et la plupart de ses récits sont ancrés dans un environnement tunisien. Fibules sur fond de pourpre (1995) dépeint des personnages soumis aux contraintes imposées par les traditions d’une société patriarcale. C’est de l’emprise sur la femme de ces mêmes traditions que témoigne Une odeur de henné (1999). La seule échappatoire au destin réservé à l’héroïne réside dans l’accès au savoir, pour lequel elle engage le combat contre la société et ses propres contradictions. Plus déterminée est l’héroïne de Plus loin que la nuit (2007), qui met toute la Méditerranée et l’Europe entre elle et sa communauté qui l’étouffe. Dans Les Racines du mandarinier (2001) et Un jardin à La Marsa (2003), la romancière aborde les conflits qui se nouent à l’intérieur des couples « mixtes » où se confrontent les cultures. Avec Le Café d’Yllka (2008), l’auteure entraîne son lecteur dans les drames récents des Balkans. Séparation, absence, solitude, errance, exil, quête du passé sont les thèmes récurrents des romans de C. Oumhani. Par ailleurs, l’écrivaine considère la poésie comme le « point de convergence où l’écriture croise la musique, le dessin et la peinture ». Aussi ses poèmes sont-ils parfois accompagnés de dessins ou de peintures, comme dans Chant d’herbe vive (2003) ou Demeures de mots et de nuit (2005). Ils disent l’oubli, le désir, la nuit, le rêve, le silence, l’invisible et l’indicible, mais sont aussi un questionnement sur l’existence. Au croisement de plusieurs cultures, nourrie de littératures anglophone et francophone, C. Oumhani a ressenti très tôt la force des mots écrits et compris leur pouvoir d’évocation.
Sabiha BOUGUERRA
■ À l’abside des hêtres, Famars, Centre Froissart, 1995 ; Loin de l’envol de la palombe, Charlieu, La Bartavelle, 1996 ; Vers Lisbonne, promenade déclive, Rueil-Malmaison, Encres vives, 1997 ; avec KIM M.-N., Demeures de mots et de nuit, Montélimar, Voix d’encre, 2005 ; Au miroir de nos poèmes, Rueil-Malmaison, Encres vives, 2008.
OUM KALSOUM (Fatima IBRAHIM AL-SAYYID AL-BELTAGUI, dite) [TAMAY AL-ZAHIRA V. 1904 - LE CAIRE 1975]
Cantatrice égyptienne.
Oum Kalsoum reçoit à sa naissance le prénom de la troisième fille de Mahomet. Fille de l’imam d’un petit village du delta du Nil, elle dira toute sa vie qu’elle a puisé ses forces dans ses origines pauvres, campagnardes et religieuses. Elle apprend à chanter en entendant son père enseigner les sourates à son frère aîné. Grâce à la persuasion de sa mère, elle va à l’école coranique et accompagne la petite troupe musicale de son père aux cérémonies religieuses. Ainsi commence le mythe de celle que l’on appelle déjà « le Rossignol du delta ». Remarquée et soutenue par des compositeurs réputés, elle se produit dans les années 1920 avec succès dans des théâtres du Caire en interprétant des chants religieux. Le poète Ahmed Rami et le compositeur Mohamed el-Kasabgi lui apporteront la culture et l’ouverture nécessaires : ils lui consacreront leur art et leur vie. Son premier disque profane est un succès retentissant. Elle demande alors à Ahmed Rami d’écrire en langue dialectale pour toucher un plus large public. Toujours en quête de nouveauté, elle s’ouvre aux nouvelles instrumentations, et se sert à merveille des médias qui naissent, cinéma et radio. Pour rassembler les nouvelles générations, elle s’associe à Mohamed Abdelwahab, autre grande figure de la musique arabe. De sa voix puissante, elle chante des chansons d’amour écrites pour des hommes, mais, avec l’arrivée au pouvoir de Nasser (1954), seul l’avenir de son pays semble vraiment la passionner. Durant sa tournée au Proche-Orient, elle exhorte les femmes à jeter leur voile et à prendre part à la vie de leur pays. Proche du président Nasser, elle apparaît comme la première patriote. En 1967, après la guerre des Six Jours, son nationalisme se mue en croisade, elle pousse ses frères au combat et entreprend une tournée à l’étranger pour contribuer à « l’effort de guerre ». Dans les années 1970, malade, elle revient vers les chants sacrés. Ses funérailles nationales sont suivies par plus de un million de personnes, et l’Égypte lui dédie un musée. Aujourd’hui, si Oum Kalsoum reste l’incarnation de la fierté du monde arabe, elle a aussi gagné ses lettres de noblesse en Occident, où elle est reconnue comme l’une des plus grandes voix de son temps. Mythe, elle est aussi devenue muse en inspirant des artistes de tous genres.
Ysabel SAÏAH-BAUDIS
■ Best Of, the Classics, Virgin, 2001 ; Ifrah ya qalbi, Sony, 2001 ; The Diva of the Arab World, Ioda, 2009.
■ SAÏAH-BAUDIS Y., Oum Kalsoum, l’étoile de l’Orient, Paris, Éditions du Rocher, 2004 ; ID., Oum Kalsoum, Forever, Ivry-sur-Seine, Orients, 2012.
OUM SOPHANY [PHNOM PENH 1950]
Écrivaine cambodgienne.
Après une scolarité à Phnom Penh puis des études supérieures à l’université d’archéologie, Oum Sophany se marie en 1975 avec Sou Nan et donne le jour à deux enfants. Toute sa famille a été déportée par les Khmers rouges à Takeo, au sud du pays, pour travailler dans les champs. Après la défaite du régime, elle a été nommée vice-présidente du bureau de recherches du département de protection. En 1989, elle occupe la fonction de vice-présidente du Musée national du Palais royal jusqu’en 1993, avant de diriger le bureau des guides. Terriblement marquée par les années de terreur des Khmers rouges, elle s’en inspire pour narrer dans son premier roman, Kraom damnak teuk phlieng (« sous les gouttes de pluie »), la vie des Cambodgiens durant cette période de « néant » où toute culture traditionnelle est prohibée au profit d’une culture révolutionnaire. L’auteure écrit : « Ils [les Khmers rouges] jouaient la musique traditionnelle du “Trot” mais sur des paroles révolutionnaires. Lorsque j’entends ces chants, je crois entendre les cris des fantômes à la recherche des âmes. » Cet ouvrage a reçu le troisième prix du « 7 janvier 1979 » en 1989 et a été traduit en anglais sous le titre Under the Drops of Falling Rain en 1997. Il est suivi de Loheut tè mouy (« le lien de sang », 2000) et Neak naa chie medaay khegnom ? (« qui est ma mère », 2000), tous deux couronnés du prix Santépheap en 1997 et en 2000.
Suppya Hélène NUT
■ Under the Drops of Falling Rain (Kraom damnak teuk phlieng, 1989), Phnom Penh, édition de l’auteure, 1997.
■ Phtey mék tè mouy, Phnom Penh, édition de l’auteure, 1990.
■ KHING H. D., « Oum Sophany (1950) », in Littérature cambodgienne du XXe siècle, écrivains et textes, Phnom Penh, Éditions Angkor, 2007.
OUNGARSYNOVA, Fariza [MANACH 1939]
Écrivaine kazakhe.
Née dans le district de Novobogatinsk, près de Gouriev (aujourd’hui Atyraou), au Kazakhstan, Fariza Oungarsynova, diplômée de la faculté de lettres de l’Institut pédagogique de Gouriev, devient institutrice, puis directrice d’école. Sa vie professionnelle connaît un premier tournant lorsqu’elle entame une carrière de journaliste qui durera trente ans, puis un second lorsqu’elle entre au Parlement du Kazakhstan en qualité de députée. Femme de lettres de la génération d’après-guerre, héritière d’une tradition de poètes combattants, personnalité d’un tempérament passionné, elle publie, en 1967, un premier recueil en langue kazakhe, Sandougach (« le rossignol »), suivi par Melodiia (« mélodie », 1970), Gordoe pokolenie (« une fière génération », 1972), Bespokoïnaïa epokha (« époque troublée », 1972), Boiaznia (« craintes », 1979). Elle publie ensuite quatre recueils écrits en russe et édités à Moscou : Nejnost’ (« la tendresse », 1977), Letiachtchaïa ptitsa (« l’oiseau volant »), Otkroveniia (« les révélations »), Ojidanije solntsa (« attentes du soleil », 1985). Également auteure de nouvelles, de critiques littéraires et d’essais, elle a traduit en kazakh des œuvres du poète russe Aleksandr Blok. Sa poésie mélodieuse, écrite dans une langue imagée et empreinte de forts sentiments, a souvent été mise en musique, en écho à la tradition de récitation poétique accompagnée par la dombra, instrument à cordes traditionnel kazakh, comme F. Oungarsynova le faisait elle-même durant ses jeunes années dans un trio musical. En 2009, à l’occasion de son soixante-dixième anniversaire, elle a reçu une récompense de la bibliothèque de l’Académie nationale d’Astana (capitale du Kazakhstan) pour l’ensemble de son œuvre.
Catherine POUJOL
OURANIA [IVe siècle apr. J.-C.]
Philosophe grecque.
Le martyr chrétien Agapius de Césarée, mort en 306 apr. J.-C., dédie son Heptalogos à une femme du nom d’Ourania, qu’il dit être sa « compagne en philosophie » (symphilosophos). Dans ce cas, il s’agit sans doute d’une philosophe platonicienne chrétienne hétérodoxe, qui vécut comme Agapius au IVe siècle apr. J.-C. Certains croient que la dédicataire de l’œuvre pourrait être une allégorie de la philosophie (ce qui cadrerait bien avec son nom, qui signifie « Céleste »), même si le résumé fait par Photius (Bibliothèque, 179), patriarche de Constantinople (IXe siècle apr. J.-C.), parle explicitement d’une « femme » (gyne).
Marella NAPPI
■ GOULET R. (dir.), Dictionnaire des philosophes antiques, vol. IV, Paris, CNRS, 2005, no 47.
OUROUSSOVA, Iekaterina [1747-m. après 1817]
Poétesse russe.
Iekaterina Sergueïevna Ouroussova est l’une des poétesses russes les plus connues du XVIIIe siècle, auteure de poèmes lyriques et héroïques, d’une allégorie et d’odes. En 1772, dans « Pis’mo Petrou Dmitrievitchou Eropkinou » (« lettre à Piotr Dmitrievitch Eropkine »), elle célèbre l’héroïsme de celui-ci lors d’une épidémie de peste à Moscou. En 1774, elle publie une célèbre allégorie en cinq chants, Polion, ili prosvetivchtchiïsia nelioudim (« Polion ou le misanthrope éclairé »), qui magnifie le pouvoir civilisateur de la femme et de l’amour. Polion s’oppose au Télémaque de Fénelon par le rôle dévolu à la femme (Télémaque doit s’arracher aux charmes de Circé alors que Polion est éclairé par une naïade) et par sa langue (celle parlée dans la bonne société russe opposée au slavon d’Église, utilisé par Trediakovski, traducteur de Fénelon). En 1777 paraissent ses Iroidy, mouzam posviachtchennya (« Héroïdes dédiées aux muses »). Revenue à la poésie dans les années 1790, elle compose et publie dans des revues (notamment dans celle de Karamzine, Aonidy) quelques poèmes empreints d’amour pour la vie : « Stepnaïa pesn’ » (« chant de la steppe ») publié en 1798-1799, « K Val’mine » (« à Valmina », 1804). Puis sa poésie se détache de plus en plus du monde pour se tourner vers l’au-delà et la vie spirituelle. Le thème de la lutte contre les passions apparaît dans « Routcheï » (« le ruisseau », 1796), « Moï semidesiatyï god » (« ma soixante-dixième année »), qui paraît en 1816 dans la revue Syn Otietchestva (« le fils de la patrie ») et « Moemou gueniiou » (« à mon génie »), publié en 1813 dans la revue Tchtenie v Besede lioubiteleï rousskogo iazyka (« lecture au Cercle des amateurs de la langue russe »). Dans ce dernier poème ainsi que dans « Vesna » (« le printemps », 1796) apparaissent les thèmes de la perte de la jeunesse et de la beauté, et celui de l’approche de la mort. En 1811, elle est admise comme membre honoraire du Cercle des amateurs de la langue russe d’Alexandre Chichkov. Un recueil de ses poèmes paraît en 1817, peu de temps avant sa mort.
Laure THIBONNIER-LIMPEK
■ CLYMAN T. W., GREEN D. (dir.), Women Writers in Russian Literature, Westport, Greenwood Press, 1994.
OUT-EL-KOULOUB (OUT EL-DEMERDACHIA, dite) [LE CAIRE 1892 - GRAZ, AUTRICHE 1968]
Écrivaine égyptienne d’expression française.
Fille d’un cheikh d’une importante confrérie soufie, Out-el-Kouloub est l’auteure, à partir de 1934, d’une œuvre romanesque écrite en français, langue de l’aristocratie égyptienne, et préfacée par des écrivains comme Paul Morand, André Maurois ou Jean Cocteau. L’accueil de ses romans a bénéficié en France du succès des récits de voyage et de la vogue orientaliste de l’époque. Après la confiscation de ses biens par le gouvernement de Nasser en 1961, elle s’exile en Europe et cesse de publier. L’écrivaine décrit la condition des femmes, de la fin du XIXe siècle aux années 1950 : le mariage imposé, l’organisation du harem, les rivalités entre femmes, la répudiation. La dimension ethnographique se manifeste dans l’évocation des grands événements du calendrier religieux et dans les tableaux de la vie égyptienne au quotidien. Dans Harem (1937) ou dans La Nuit de la destinée (1954), elle fait revivre le monde secret des femmes avec la figure de la magicienne (codia) et les rituels d’exorcisme (zar) contre la stérilité ou le manque de désir de l’époux. Dans Ramza (1958), la situation de l’héroïne, révoltée face à la loi patriarcale, est assimilée à celle du peuple égyptien sous domination britannique. Un prologue met en scène une femme de l’âge de la romancière, qui fait le bilan de l’évolution des rapports amoureux : les jeunes gens sont libres de s’aimer à présent. Le harem est une tradition qui s’estompe, mais il reste encore aux femmes à s’affranchir de leur mentalité d’esclaves. La romancière excelle aussi à montrer les hommes prisonniers d’une répartition des rôles qui leur donne l’avantage mais les enferme dans des impasses. Ainsi, Hefnaoui le Magnifique dépeint un héros en proie au doute, à la jalousie et à la folie. Les lecteurs ne peuvent qu’être touchés par le récit de ces vies perdues en raison de mœurs rétrogrades. De cette œuvre à tonalité toujours dramatique émerge un féminisme modéré, allié à une volonté culturelle patrimoniale et à un attachement à la nation égyptienne en train d’émerger.
Marc KOBER et Daniel LANÇON
■ LANÇON D., « Out-el-Kouloub », in CHAULET ACHOUR C. (dir.), Dictionnaire des écrivains francophones classiques, Paris, H. Champion, 2010.
■ DEPAULE J.-C., « Out-el-Kouloub, les lieux et la mémoire », in Autrement, no 12, 1985 ; MADŒUF J., « Out-el-Kouloub, femme de lettres égyptienne », in Entre Nil et sable, écrivains d’Égypte d’expression française (1920-1960), CNDP, 1999.
OUTINEN, Kati [HELSINKI 1961]
Actrice finlandaise.
Kati Outinen débute l’année où elle devient bachelière, dans Täältä tullaan, elämä ! (« Hé, la vie, nous voilà ! », 1980), film sur la jeunesse. Elle est connue dans le monde surtout pour les rôles principaux tenus dans plusieurs films d’Aki Kaurismäki, notamment La Fille aux allumettes (1990), Au loin s’en vont les nuages (1996), L’Homme sans passé (primé au Festival de Cannes en 2002 et nominé aux Oscars) et Les Lumières du faubourg (2006). Sa collaboration avec le réalisateur finlandais remonte à 1986 avec Ombres au paradis, et se poursuit toujours. Elle joue à plusieurs reprises des rôles de femmes finlandaises simples et fortes, dont le caractère recèle également poésie, rudesse, et parfois révolte. Outre ses rôles de théâtre contemporain finlandais, K. Outinen incarne Ina Terre dans À toute allure jusqu’à Denver d’Oliver Bukowski, la gamine dans Roberto Zucco de Bernard-Marie Koltès ou encore Irina dans Les Trois Sœurs de Tchekhov. Son jeu se caractérise par la sensibilité, la délicatesse et l’intelligence. Elle associe sa maîtrise de la technique à une combinaison de la pensée et du sentiment, trait également visible dans ses rôles au théâtre. Elle est également professeure d’art dramatique à l’École supérieure du théâtre d’Helsinki.
Hanna HELAVUORI
OUVAROVA, Praskovia SERGUEIEVNA [BOBRIKI, KHARKIV 1840 - DOBRNA, SLOVÉNIE 1924]
Historienne russe.
Praskovia Ouvarova est, avec la princesse Dachkova et Varvara Adrianova-Perets, l’une des trois femmes membres de l’Académie des sciences de la Russie impériale. Son nom ne figurait dans aucune encyclopédie soviétique et n’est réapparu qu’après 1991, grâce aux travaux de l’historienne Irina Yukina. Née dans une famille aristocratique, elle épouse en 1858 le comte Alexis Ouvarov dont elle a six enfants. Ce dernier, archéologue, l’entraîne dans ses recherches et ses voyages. Le couple visite Venise, Naples, Florence, Rome, Herculanum et Pompéi, séjourne à Paris et à Londres. De retour en Russie en 1861, les Ouvarov fondent à Moscou une société d’archéologie et invitent des célébrités comme l’historien allemand Theodor Mommsen ou l’orientaliste français Ernest Renan. La société excluant tout « élément féminin », P. Ouvarova n’en devient membre, et présidente, qu’après la mort de son mari (1885). Elle fonde une commission pour étudier les vieux manuscrits russes et l’histoire des langues slaves à Moscou et contribue à mettre en place le Musée historique de la ville. Elle se consacre surtout au Caucase, enrichissant les fonds des musées de Moscou et de Tiflis (auj. Tbilissi). Après plusieurs ouvrages sur les musées de diverses villes, elle publie en 1904 les trois tomes de ses Putevye zametki (« notes de voyage »), avant Mogil’niki severnogo Kavkaza (« les sépulcres du Caucase du Nord », 1905) et O zaščite pamjatnikov živoj stariny (« la défense des monuments anciens », 1914). Dans sa province de Kharkiv, P. Ouvarova œuvre pour développer l’instruction publique, des filles en particulier, soutenue par l’impératrice Maria Fedorovna. En 1915, la société archéologique de Moscou publie un recueil de 174 travaux signés de sa main. Les événements de 1917 mettent un point final à ses activités ; elle remet ses archives au Musée historique et quitte Moscou en octobre 1917. Elle séjourne encore deux ans au Caucase puis émigre finalement avec sa famille en février 1919. Ses arrière-petits-enfants font publier ses Mémoires en 2005.
Évelyne ENDERLEIN
■ Byloe, davno prošedšie ščastlivye dni, Moscou, Sabashnikov, 2005.
■ YUKINA I., Ženskij Peterburg, Saint-Pétersbourg, Aleteja, 2004.
OUZBÉKISTAN – TRADITION ET MODERNITÉ
L’Ouzbékistan, situé en Asie centrale, a une population de 29 millions d’habitants, dont 55 % de femmes. La période soviétique se traduit par l’emprise de l’idéologie marxiste-léniniste, mais n’empêche pas l’élite nationale intellectuelle de réhabiliter l’héritage philosophique d’avant la période coloniale. L’école philosophique dirigée par l’académicien Ibragim Muminov (1908-1974) s’attache à revivifier les valeurs de l’identité nationale. Dans son sillage se forme toute une génération de femmes philosophes, soucieuses de modernité. Parmi elles, Mahbuba Nurullaevna Abdullaeva (1938), qui poursuit ses études de physique à l’Université de Samarcande, rédige en 1971 un mémoire sur « la dialectique de l’abstrait et du particulier dans la connaissance (exemple du phénomène physique) ». Sa thèse de doctorat, en 1982, porte sur « le problème d’une réflexion adéquate de la connaissance scientifique aux plans théorique et empirique ». Ses quelque 400 publications abordent des problèmes d’épistémologie, de méthodologie de la connaissance scientifique et de philosophie des sciences. Son travail le plus récent analyse « les problèmes du rationalisme et de la connaissance dans la philosophie musulmane » (2011). Fozila Sulaymonova, philosophe ouzbèke, se consacre à des études comparées de philosophie antique : dans son ouvrage Est et Ouest (1997), en comparant historiquement les relations entre les cultures orientale et occidentale, elle opère un rapprochement entre le zoroastrisme d’Asie centrale et les doctrines philosophiques de la Grèce antique. Elle montre par ailleurs comment la période musulmane du développement de la culture et de la science, sous le califat, en Asie centrale et en Espagne, a marqué de son empreinte la civilisation européenne. Shahnoza Kahharova, docteure en philosophie, aborde le problème de la « fin de l’histoire » avec une perspective épistémologique dans son ouvrage en deux volumes La moralité globale est la base de l’idéologie globale (2009). Le principe de cette approche méthodologique est de prévenir les effets destructeurs de la globalisation en s’appuyant sur l’étude comparée des différents systèmes de mythologie, de religion, de philosophie et de science. L’ouvrage connaît un grand retentissement dans les milieux cultivés.
Le choix de l’indépendance, en 1991, ouvre une ère de réforme aux plans culturel, économique, politique et social. De 1992 à 2002, 88 chercheurs, dont 55 femmes, obtiennent le grade de docteurs en philosophie. Les nouvelles générations de femmes philosophes contribuent à introduire de nouvelles approches méthodologiques dans l’enseignement de la discipline. Nigina Shermuhamedova est l’auteure d’ouvrages qui reçoivent un accueil très favorable, dont un manuel d’épistémologie publié en 2009 et récompensé par le premier prix du concours du Meilleur manuel et aide d’enseignement de l’année. N. Shermuhamedova est à la tête de l’École scientifique de Philosophie et méthodologie des sciences, créée au sein du Département de philosophie de l’université. On doit à Dilbar Fayzihojaeva des innovations dans le domaine de la logique. Les relations d’études intergénérationnelles ont fait l’objet d’un projet présenté par la Commission des sciences et technologies d’Ouzbékistan, mettant en avant la spécificité de la logique et de l’activité cognitive dans la perspective de réformes sociales. Avec sa connaissance profonde des traditions de logique classique de l’Asie centrale, D. Fayzihojaeva apporte une précieuse contribution à la résolution des problèmes que pose le discours intergénérationnel dans son objectif de transformation nationale et mondiale. Le rôle des femmes de savoir dans la vie politique et sociale en Ouzbékistan va croissant, comme en témoigne l’Olima, centre de création qui rassemble ces élites sous la direction de Rahbar Hamidovna Murtazaeva, docteure en histoire. Le centre travaille en liaison avec la Commission des femmes de la république d’Ouzbékistan, en vue d’améliorer et de faire progresser l’éducation et la réalisation de programmes scientifiques et techniques.
Shahnoza MADAEVA
OVERTON, Evelyn [DETROIT, MICHIGAN 1921 - CALABASAS HILLS, CALIFORNIE 1996]
Entrepreneuse américaine.
Evelyn Overton est à l’origine de la fondation d’une des chaînes de restaurants les plus populaires aux États-Unis. Cuisinière chevronnée, elle mit au point une fameuse recette de cheese-cakes, gâteaux au fromage frais typiquement new-yorkais. Elle commença à commercialiser ces pâtisseries faites maison en 1949, fournissant notamment les restaurants de Detroit. En 1971, elle s’installa avec son mari, Oscar Overton, à Los Angeles. Ensemble, ils ouvrirent en 1972 une première pâtisserie The Cheesecake Factory, la créatrice se chargeant de la cuisine et de la gestion et Oscar des ventes. Leur fils, David Overton, batteur dans un groupe de rock, rejoignit l’entreprise en 1974, et la famille s’installa dans un établissement plus spacieux où E. Overton créa de nombreuses variétés de son cheese-cake et d’autres desserts, vendus à des centaines de restaurants. En 1978, D. Overton, nouveau P-DG, ouvrit à Beverly Hills le premier restaurant The Cheesecake Factory, lequel se distingua par ses rations copieuses, ses prix modérés et la grande variété de sa carte. D. Overton attribue à l’esprit d’entreprise et à la créativité de sa mère le succès de l’enseigne qui est devenue l’une des plus importantes du pays.
Alban WYDOUW
OWENS, Rochelle [NEW YORK 1936]
Poétesse et dramaturge américaine.
Membre active et singulière de l’avant-garde new-yorkaise des années 1960, Rochelle Owens a développé une pratique poétique et dramatique profondément marquée par ses engagements pour la cause des femmes ainsi que par son goût pour certaines formes d’ésotérisme et de mysticisme. Empreintes de références au primitivisme, aux cultures archaïques, ses œuvres révèlent un usage violent de la métaphore, souvent accompagné d’une libération de l’écriture dans sa grammaire, sa ponctuation ou sa mise en page. Cette énergie incantatoire développée par la dramaturge a eu un impact majeur sur la génération d’artistes, de poètes et d’écrivains gravitant autour de lieux phares de l’avant-garde comme le théâtre La MaMa, le Poetry Project dans l’église St Mark, ou encore le Judson Poets Theatre et les lieux off-Broadway. Après le succès de Futz (1965), R. Owens poursuit l’exploration d’une veine expérimentale et satirique mêlant fréquemment l’engagement politique aux recherches sur les formes mêmes du théâtre et de la poésie, dans le monologue ou le drame épistolaire. Fondatrice du Women’s Theatre Council, auprès d’autres artistes et dramaturges, elle a également travaillé au soutien d’une avant-garde théâtrale féministe.
Pauline CHEVALIER
OWENSON, Sydney (ou lady MORGAN) [DUBLIN 1775 - LONDRES 1859]
Romancière irlandaise.
Avec Maria Edgeworth*, Sydney Owenson est l’une des romancières irlandaises du XIXe siècle dont la postérité est la plus remarquable. Fille de l’acteur et directeur de théâtre Robert Owenson, elle l’accompagne dans ses tournées à travers l’Irlande, découvrant en même temps l’histoire et le folklore de ce pays, futur matériau de ses romans – de ses « contes nationaux », comme elle préfère les désigner. En 1805, elle publie Twelve Original Hibernian Melodies (« 12 mélodies originales d’Hibernie »), anticipant les innovations de Thomas Moore consistant à placer des paroles en anglais sur des mélodies traditionnelles irlandaises. Ses premiers romans connaissent un grand succès, mais c’est Giorvina, ou La Jeune Irlandaise (1806) qui lui apporte la célébrité. Elle rencontre et épouse un médecin, sir Charles Morgan. Malgré certaines critiques, elle continue à susciter l’admiration pour ses romans irlandais (O’Donnel, ou L’Irlande, histoire nationale, 1814 ; Florence Maccarthy, 1818 ; Les O’Brien et les O’Flaherty, ou l’Irlande en 1793, 1827), ses récits de voyage et ses essais autobiographiques. Dans La Femme, ou Ida l’Athénienne (1809), elle exprime ses idées en matière de politique et d’éducation, en s’inspirant du Corinne de Mme de Staël*. Elle est en 1837 la première femme à recevoir une subvention en tant qu’écrivaine. En offrant une vision romantique et passionnée de l’Irlande, surtout destinée à un public anglais, elle cherche à faire découvrir les beautés et les richesses de la nation annexée à l’Union en 1800, mais certains critiques contemporains l’accusent d’avoir répandu une image stéréotypée de l’Irlande, trop éloignée des réalités économiques et politiques du pays.
Sylvie MIKOWSKI
■ Giorvina, ou La Jeune Irlandaise (The Wild Irish Girl, a National Tale, 1806), Paris, P. L. Dubuc, 1813 ; La Femme, ou Ida l’Athénienne (Woman, or Ida of Athens, 1809), Paris, H. Nicolle, 1817 ; O’Donnel, ou L’Irlande, histoire nationale (O’Donnel, a National Tale, 1814), Paris, Le Normant, 1815 ; Les O’Brien et les O’Flaherty, ou l’Irlande en 1793, histoire nationale (The O’Briens and the O’Flahertys, a National Tale, 1827), Paris, C. Gosselin, 1828.
■ DONOVAN J., Sydney Owenson, Lady Morgan and the Politics of Style, Palo Alto, Academica Press, 2009.
OYARZÁBAL SMITH, Isabel (épouse PALENCIA) [MÁLAGA 1878 - MEXICO 1974]
Auteure dramatique, comédienne et diplomate espagnole.
Élevée par sa mère dans une liberté incompatible avec le rang social auquel elle appartient, Isabel Oyarzábal Smith s’éveille très tôt à la conscience de classe. Son séjour dans le Sussex, où elle travaille comme professeure d’espagnol, lui laisse une empreinte profonde. Rêvant d’être actrice, malgré le scandale public que cela constitue à l’époque, elle part à Madrid, où elle débute dans la pièce Pepita Tudó, et se lance dans le journalisme. Avec son amie Raimunda Avecilla et sa sœur Ana, elle édite une revue, La Dama. Elle devient correspondante du Laffan News Bureau, collabore au journal The Standard et écrit dans de nombreuses revues. En 1909, elle se marie avec le dramaturge et critique d’art Ceferino Palencia. Dès sa création en 1918, elle milite à l’Asociación nacional de las mujeres españolas (ANME)*, dont elle devient la présidente. En 1920, à Genève, elle assiste au congrès de l’Alliance internationale pour le suffrage des femmes, comme secrétaire du Consejo supremo feminista de España. Dans El Sol, elle assure les « chroniques féministes » en empruntant le nom de Beatriz Galindo*, philosophe et philologue espagnole du XVIe siècle. Après son divorce, elle intensifie son travail sur le féminisme. Elle anime des conférences sur le folklore et la mode féminine, recueillies dans El traje regional de España, su importancia como expresión primitiva de los ideales estéticos del país (« le vêtement régional en Espagne, son importance en tant qu’expression première des idéaux esthétiques du pays », 1926). El alma del niño (« l’âme de l’enfant », 1921) réunit les discours prononcés à propos des problèmes de l’enfance. En 1926, elle est vice-présidente, avec Victoria Kent*, du Lyceum Club feminino. Vers 1920, sa participation à la vie politique s’accroît. Elle préside en 1929 la Liga feminina por la paz y la libertad. En 1933, elle obtient par concours un poste d’inspectrice provinciale et représente son gouvernement à la Société des Nations, occupant la fonction de ministre plénipotentiaire. En 1939, elle s’exile au Mexique. Parmi ses œuvres figurent des essais politiques (I Must Have Liberty, 1940 ; Smouldering Freedom : The Story of the Spanish Republicans in Exile, 1945), des romans, dont En mi hambre mando yo (« C’est moi qui commande ma faim », 1959), et l’essai sur le théâtre Diálogos con el dolor (1999).
Concepció CANUT
■ FERMI L., Inmigrantes ilustres, la historia de la migración intelectual europea, 1930-1941, Buenos Aires, Omeba, 1971 ; RODRIGO A., Mujer y exilio, Madrid, Compañía literaria, 1999.
ÖZAKIN, Aysel (ou Ana INGHAM) [URFA, AUJ. ŞANLIURFA 1942]
Écrivaine turque.
Après des études à l’École normale d’instituteurs d’Ankara, dans la section « français langue étrangère », Aysel Özakın enseigne dans divers établissements tout en publiant des poèmes, des nouvelles et des articles. Ses débuts prometteurs lui valent plusieurs prix littéraires. Son œuvre tisse, surtout à ses débuts, des liens avec l’histoire. Gurbet Yavrum (« loin du pays de mon fils », 1975) et Alnında Mavi Kuşlar (« les oiseaux bleus à son front », 1978), ses premiers romans, sont publiés à l’époque où la gauche turque, avant d’être écrasée par le coup d’État, représente une force indéniable. Après le coup d’État militaire de 1980, elle part vivre en Allemagne, où elle publie Hamburg Akşamları (« les nuits de Hambourg », 1986), puis en Angleterre, où elle commence à publier des livres en anglais sous un nouveau nom : Ana Ingham. Sous le nom d’Aysel Özakın, elle publie La Langue des montagnes en 2000. De sensibilité féministe, elle met en avant dans ses textes la condition des femmes et explore l’intériorité dans diverses circonstances comme le mariage, la création, l’exil, la maternité. Elle transgresse les frontières terrestres, linguistiques et artistiques, notamment en écrivant en turc, en allemand, en anglais et en français – ce qui désacralise le poids de la langue maternelle –, et en questionnant la coexistence des arts. En 2006, elle a publié en français un recueil de poèmes intitulé Voyage à travers l’oubli.
Gül METE-YUVA
■ La Langue des montagnes (The Tongue of the Mountains), Paris, L’Esprit des péninsules, 2000 ; Voyage à travers l’oubli, Paris, Les Poètes français, 2006.
■ « Est-ce à Berlin que nous vieillirons ? », in Lettre internationale, no 11, hiver 1986-1987.
ÖZDAMAR, Emine SEVGI [MALATYA 1946]
Écrivaine et comédienne turque.
Au rythme des contrats de son père, Emine Sevgi Özdamar grandit dans différentes villes de Turquie. De 1967 à 1970, elle suit les cours de l’école de théâtre d’Istanbul. En 1976, elle participe à des mises en scène à la Volksbühne de Berlin-Est auprès de Matthias Langhoff, puis tourne dans divers films dont Yasemin de Hark Bohm et Happy Birthday, Türke de Doris Dörrie*. L’allemand sera sa langue d’expression littéraire. Après un doctorat à l’université Paris 8, E. S. Özdamar est employée en Allemagne au théâtre de Bochum de 1979 à 1984. Elle y écrit sa première pièce, Karagöz in Alamania (« œil au beurre noir en Allemagne »), représentée en 1982. Ses textes sont récompensés par des prix littéraires allemands prestigieux, en particulier le prix Ingeborg-Bachmann en 1991. En 1992, dans La vie est un caravansérail, elle a deux portes, par l’une je suis entrée, par l’autre je suis sortie, un premier roman au style fantaisiste, humoristique et libre, elle raconte les vingt premières années de sa vie en Turquie. En 1997-1998, elle joue dans Les Troyennes d’Euripide mis en scène par M. Langhoff au théâtre de Bobigny et publie Le Pont de la Corne d’Or. Son dernier recueil de nouvelles s’intitule Der Hof im Spiegel (« la cour dans le miroir », 2001) et son dernier roman Seltsame Sterne starren zur Erde (« d’étranges étoiles regardent la terre », 2003).
Timour MUHIDINE
■ Le Pont de la Corne d’Or (Die Brücke vom goldenen Horn, 1998), Paris, Pauvert, 2000 ; La vie est un caravansérail, elle a deux portes, par l’une je suis entrée, par l’autre je suis sortie (Das Leben ist eine Karawanserei, 1992), Paris, Le Serpent à plumes, 2003.
■ « Languemère » (Mutterzunge, 1990), in Anka, revue d’art et de littérature de Turquie, nos 18-19, mai 1993.
OZERAY, Madeleine [BOUILLON-SUR-SEMOIS, BELGIQUE 1908 - PARIS 1989]
Actrice et professeure d’art dramatique belge.
Madeleine Ozeray débute au théâtre du Parc de Bruxelles. Son compatriote, l’acteur et metteur en scène Raymond Rouleau, la remarque. À Paris, sa blondeur éthérée, sa grâce fragile séduisent Louis Jouvet, qui devient son compagnon et son metteur en scène attitré. En 1934, elle débute dans sa troupe, et fait avec lui une rencontre décisive : Jean Giraudoux. L’écrivain adapte pour elle le roman de Margaret Kennedy*, Tessa, la nymphe au cœur fidèle, qui impose l’actrice. Dans La guerre de Troie n’aura pas lieu (1935), elle incarne Hélène, avec Renée Falconetti* en Andromaque et Marie-Hélène Dasté en Cassandre, divinement habillées par Madame Grès*. En 1936, Jouvet réalise son rêve : monter L’École des femmes de Molière avec Madeleine Ozeray en candide Agnès. En 1937, dans Électre, de Giraudoux, l’actrice joue Agathe, face à Renée Devillers (Électre) et Gabrielle Dorziat (Clytemnestre). En 1938, elle joue Le Corsaire, de Marcel Achard, qui montre le tournage d’un film. L’année suivante, elle est l’Ondine de Giraudoux, qui a écrit la pièce pour elle ; c’est un vif succès. De juillet à octobre 1940, Jouvet monte des pièces pour Radio-Marseille, avec M. Ozeray, Marcelle Tassencourt, Jacqueline Morane, Raymone. En mai 1941, après un passage en Suisse, où Max Ophuls doit interrompre le tournage de L’École des femmes, Jouvet part pour l’Amérique du Sud, avec une troupe dont font partie M. Ozeray et Wanda Kérien. Du Chili en Argentine, la troupe triomphe, avec mille tribulations dont un incendie. La comédienne joue Prosper Mérimée, Musset, Giraudoux, Jules Supervielle, et L’Annonce faite à Marie, de Claudel. Mais une brouille la fâche avec Jouvet, elle regagne la France. Après la guerre, elle incarne la Jeanne d’Arc* de Charles Péguy ; Desdémone de l’Othello de Shakespeare ; elle joue dans La Savetière prodigieuse, de Garcia Lorca (mise en scène de Pierre Bertin, 1948). Elle retrouve les œuvres de Giraudoux : La guerre de Troie n’aura pas lieu (mise en scène de Jean Marchat, Festival de Bellac, 1959), puis La Folle de Chaillot, face à Edwige Feuillère* (1965). Pour ses dernières apparitions au théâtre, elle est dirigée par Roger Planchon dans Par-dessus bord, de Michel Vinaver, en 1973, et par Henri Ronse dans Le Genre humain, de Jean-Edern Hallier, en 1976. Au cinéma, elle débute en 1932 avec un petit rôle dans La Dame de chez Maxim’s (Alexander Korda, d’après Feydeau). L’année suivante, elle incarne la reine Victoria* dans La Guerre des valses (Ludwig Berger), tournée à Berlin avec Arletty*. Avec Jouvet, elle joue dans Knock ou le Triomphe de la médecine (1933), l’inoxydable succès de Jules Romains, et dans La Fin du jour (Julien Duvivier, 1939), où l’acteur est un vieux cabot qui subjugue une innocente. Elle tient des rôles importants dans de prestigieuses adaptations littéraires : Casanova (René Barberis, 1934) ; Liliom (Fritz Lang, 1934, avec Charles Boyer et Mila Parély) ; Les Mystères de Paris (Félix Gandéra, 1935, où elle est Fleur-de-Marie) ; Crime et châtiment (Pierre Chenal, 1935, où elle joue Sonia face à Harry Baur) ; La Dame de pique (Fyodor Otsep, 1937, avec Marguerite Moreno*) ; Ramuntcho (René Barberis, 1938, d’après Pierre Loti). On la revoit à l’écran dans Le Vieux Fusil (Robert Enrico, 1975), où elle est la mère de Philippe Noiret, et dans Chère inconnue (Moshé Mizrahi, 1980), avec Simone Signoret*, Delphine Seyrig* et Jean Rochefort. Elle se consacre aussi à l’enseignement de l’art dramatique.
Bruno VILLIEN
■ À toujours, monsieur Jouvet (1966), Paris, Buchet-Chastel, 1987.
■ KÉRIEN W., Louis Jouvet, notre patron, Paris, Éditeurs français réunis, 1963 ; ZACHARY D., Madeleine Ozeray, ondine de la Semois, Bruxelles, Racine, 2008.
OZICK, Cynthia [NEW YORK 1928]
Romancière et essayiste américaine.
Fille d’immigrés juifs, Cynthia Ozick grandit dans le Bronx, où ses parents sont pharmaciens. Elle obtient un Master of Arts en littérature anglaise de l’université d’État de l’Ohio en 1950, avec un mémoire sur Henry James. Suivant l’exemple de cet auteur, elle privilégie la dimension esthétique, explore les échanges littéraires entre l’Europe et l’Amérique et crée des personnages aux motivations psychologiques complexes. Si l’influence de H. James est très explicite dans son premier roman, Trust (« confiance », 1966), l’intérêt qu’elle a pour lui perdure par la suite. Les liens et les tensions entre les pensées grecque et juive constituent un thème majeur de l’œuvre de C. Ozick dès son premier recueil de contes et de nouvelles, Le Rabbi païen (1971). D’autres volumes du même genre suivent, notamment Lévitation (1982). Elle écrit également des romans comme La Galaxie cannibale (1983) et Le Messie de Stockholm (1987). De tous ses écrits, sa nouvelle Le Châle est le plus célèbre. Cette représentation violente de l’Holocauste en miniature, parue dans la revue The New Yorker en 1980, puis augmentée et republiée en 1989, est reprise dans de nombreuses anthologies. Les Papiers de Puttermesser (1997) est presque aussi connu : marqué par un mélange de féminisme, d’absurdité contemporaine et inspiré de la kabbale juive, le golem de sexe féminin qui y est représenté sauve puis sabote la ville de New York et sa mairesse, Ruth Puttermesser. Dans un chapitre, l’auteure revoit la biographie de George Eliot* et s’interroge sur la distinction ambiguë entre l’artiste originale et le copiste, commentaire ironique de ses propres procédés. Dans Un monde vacillant (2004), C. Ozick s’inspire également de la littérature victorienne, examinant la notion d’héritage dans ses formes littéraires et religieuses pour mieux comprendre la validité d’une interprétation. L’interprétation est en effet capitale pour C. Ozick, dont la production critique est d’ailleurs aussi importante que l’œuvre de fiction : Art and Ardor (1983) ; Metaphor and Memory (1989) ; What Henry James Knew, and Other Essays on Writers (« ce que Henry James savait, et autres essais sur les écrivains », 1993) ; Fame and Folly : Essays (« la renommée et la folie », 1996) ; Quarrel and Quandary : Essays (« différend et dilemme », 2000) ; The Din in My Head (« le vacarme dans ma tête », 2006). Dans ses essais, ses préfaces et ses articles de revue, C. Ozick défend le grand art de manière habile et provocante. Elle analyse l’œuvre de ses contemporains (John Updike, Saul Bellow, Joyce Carol Oates*, Lionel Trilling, Primo Levi, J. M. Coetzee ou Anne Frank*) ainsi que celle de figures canoniques (Virginia Woolf*, Léon Tolstoï, Edith Wharton*, Theodore Dreiser, Fedor Dostoïevski ou Anthony Trollope). Également poète et dramaturge, C. Ozick a reçu de nombreux prix, notamment le Rea Award pour ses nouvelles (1986) et l’O. Henry Award à plusieurs reprises (1975, 1981, 1984 et 1992). Elle est également lauréate du Strauss Living Award (1983-1987), décerné par l’Académie américaine des arts et des lettres, du prix PEN/Spiegel-Diamonstein pour l’art de l’essai (1997) et du National Book Critics Circle Award (prix du cercle des critiques, 2000).
Sharon ARONOFSKY WELTMAN
■ Le Rabbi païen, nouvelles (The Pagan Rabbi and Other Stories, 1971), Paris, Payot, 1988 ; Lévitation (Levitation : Five Fictions, 1982), Paris, Éd. de l’Olivier, 1993 ; La Galaxie cannibale (The Cannibal Galaxy, 1983), Paris, Stock, 1997 ; Le Messie de Stockholm (The Messiah of Stockholm, 1987), Paris, Payot, 1988 ; Le Châle (The Shawl : A Story and a Novella, 1989), Paris, Éd. de l’Olivier, 1991 ; Les Papiers de Puttermesser (The Puttermesser Papers, 1997), Paris, Éd. de l’Olivier, 2007 ; Un monde vacillant (Heir to the Glimmering World, 2004), Paris, Éd. de l’Olivier, 2005.
ÖZLÜ, Tezer [SIMAV, TURQUIE 1943 - ZURICH 1986]
Écrivaine turque.
Issue d’une famille de la petite-bourgeoisie qui s’installe assez tôt à Istanbul, Tezer Özlü est une actrice importante du monde des lettres turques, à l’instar de sa sœur aînée, Sezer, traductrice majeure du domaine allemand, et de son frère, Demir, nouvelliste, romancier, critique et introducteur de l’existentialisme en Turquie. Au début des années 1960, elle voyage en Europe, puis rentre en Turquie où elle devient traductrice de l’allemand à Ankara. À partir de 1968, elle s’intéresse au théâtre et écrit. Textes courts, nouvelles et articles jalonnent les années qui suivent. T. Özlü noue des liens d’amitié avec ses aînés de la république des lettres. En 1978, elle publie Eski bahçe (« un vieux jardin »), un recueil de nouvelles où l’angoisse et les difficultés à vivre s’expriment avec lyrisme. Il est suivi d’un roman, Les Nuits froides de l’enfance (1980), cette fois ouvertement autobiographique. Après un séjour d’un an à Berlin en 1981, elle s’établit à Zurich en 1984 et publie Voyage au bout de la vie. Son roman Auf dem Spur eines Selbstmords (« sur les traces d’un suicide », 1982), une méditation poétique sur les figures de Franz Kafka, Italo Svevo et Cesare Pavese, paraît d’abord en allemand, puis elle le traduit en turc, sous le titre Bir Intiharın Izinde. Cette œuvre brève annonce la plupart des développements de la littérature des décennies suivantes.
Timour MUHIDINE
■ « La Maison » (Ev, 1980), in GÜRSEL N. (dir.), Paroles dévoilées, Paris, Arcantère/Unesco, 1993 ; Les Nuits froides de l’enfance (Cocuklugun soguk geceleri, 1980), Saint-Pourçain-sur-Sioule, Bleu autour, 2011 ; Voyage au bout de la vie (Yaşamın ucuna yolculuk, 1984), Istanbul, Ada Yayinlari, 1984.
OZOUF, Mona (née SOHIER) [PLOURIVO 1931]
Historienne française.
L’œuvre de Mona Ozouf, servie par une écriture sensible, est centrée sur une question unique : la trace dans l’histoire de France de la promesse d’égalité formulée par la Révolution. Cette trace, elle la cherche dans des champs divers : l’utopie révolutionnaire d’un homme régénéré, le projet de l’école républicaine, le rapport entre les sexes. Elle a elle-même établi le lien entre l’histoire qu’elle écrit et son histoire personnelle, attribuant ses curiosités de chercheuse aux héritages contradictoires trouvés dans une enfance bretonne qu’elle évoque avec tendresse dans L’École de la France (1984) puis dans Composition française (2009). Le breton est la langue de l’intimité familiale ; le français, la langue de l’école républicaine où enseigne sa mère. Du côté de la Bretagne, la jeune fille s’enracine dans le particulier, elle en gardera l’intérêt pour l’ethnologie ; du côté de l’école républicaine, elle reçoit le culte de l’universel que conforte le parcours méritocratique de l’École normale supérieure de jeunes filles en 1952, et de l’agrégation de philosophie. Le goût de l’histoire naît chez elle de rencontres – Jacques Ozouf qui devait devenir son mari, François Furet, Denis Richet, Pierre Nora, Michelle Perrot*… Ils partageaient son choix du monde de l’égalité, qui prit la forme d’un engagement communiste. Du Parti, elle sort vite comme d’une maladie de jeunesse. Peut-être s’émancipe-t-elle d’autant plus aisément que sa dévotion au système avait été érodée par le goût des romans. Louis Guilloux, Gustave Flaubert, Marcel Proust, Henry James lui offrent le plaisir de la particularité irréductible. Cette double passion pour la littérature et la philosophie, qu’elle fait partager au grand public dans ses articles du Nouvel Observateur repris dans La Cause des livres (2011), singularise sa pratique d’historienne, habile à concilier la nécessité et cette « part non choisie de l’existence » que les romanciers excellent à conter. Historienne de la Révolution française, entrée au CNRS, elle s’interroge sur ce qui constituait déjà pour Tocqueville le mystère de la Révolution : comment la liesse émancipatrice de 1789 a-t-elle pu tourner à la Terreur ? La question hante alors de jeunes historiens comme Denis Richet et François Furet. M. Ozouf l’aborde par un grand livre consacré à La Fête révolutionnaire (1976). Non pas la fête débridée, mais la liesse instituée, qui de 1789 à 1799 vise à régénérer le peuple en l’arrachant au monde ancien du privilège et de la superstition. L’enquête se déploie ensuite dans une série d’ouvrages (L’Homme régénéré, 1989 ; Varennes, 2006). La promesse révolutionnaire semble emporter avec elle la volonté de faire table rase des différences. M. Ozouf aime à citer A. Thibaudet : « La France est un vieux pays différencié. » D’où son intérêt pour ceux qui ont défendu le droit à la particularité au sein du monde des égaux : les girondins, Jules Ferry. De cette tension entre la promesse d’égalité et le particulier, l’école est l’enjeu central. Commencée par une enquête menée avec J. Ozouf sur les maîtres d’école, la réflexion de l’historienne se poursuit par une brassée d’articles sur l’école républicaine. L’histoire des femmes n’était pas dans les préoccupations initiales de M. Ozouf. Elle y entre sur le tard, par un recueil de dix portraits tout en sympathie et en finesse, Les Mots des femmes (1995) : Marie Du Deffand*, Isabelle de Charrière*, Manon Rolland*, Germaine de Staël*, Claire de Rémusat*, George Sand*, Hubertine Auclert*, Colette*, Simone Weil*, Simone de Beauvoir* lui permettent d’analyser ce qu’est, selon elle, le féminisme à la française, fait de complaisance réciproque entre les sexes. Cette analyse irénique de la civilité française a suscité un vif débat entre historiennes des femmes. Le livre dit au mieux ce qu’est la philosophie sereine de M. Ozouf, qui refuse de faire de la promesse universaliste d’égalité la source de l’oppression des individus singuliers.
Françoise MÉLONIO
■ Mona Ozouf, femme des Lumières, Senik J., 52 min, 2011
OZZOLA FERRI, Sandra [BRA, CONI 1949]
Éditrice italienne.
Après une maîtrise de langue et littérature russes en 1969, Sandra Ozzola Ferri enseigne les langues au lycée et fait la connaissance de Sandro Ferri et de sa librairie, Vecchia Talpa (« vieille taupe »), ouverte en 1977. En 1979, elle contribue de façon décisive à la fondation de la maison d’édition « e/o », et crée une collection de littérature d’Europe de l’Est. Sa sensibilité et son attention aux questions de traduction influencent l’esprit de la maison d’édition et constituent son image de marque. La collection-phare, « Est », vise un rapprochement culturel libre de tout préjugé politique et idéologique et s’appuie sur deux collaborateurs exceptionnels : Christa Wolf*, principale interlocutrice pour le choix des œuvres allemandes, et Milan Kundera, qui dirige depuis 1981 une collection dédiée à la Mitteleuropa. Parallèlement, elle s’engage dans la diffusion d’une littérature féminine (mais non exclusivement féministe). En 1988, démarre la collection « Ovest », dirigée par l’écrivaine Linda Ferri et consacrée à la littérature américaine, canadienne et irlandaise. En 2005, e/o ouvre une nouvelle maison d’édition à New York, Europa Editions, qui ambitionne de devenir un pont culturel et littéraire entre l’Europe, les pays du Sud et l’Amérique du Nord.
Jacopo BASSI
■ TORTORELLI G., Il lavoro della talpa, Storia delle Edizioni e/o dal 1979 al 2005, Bologne, Pendragon, 2008.
■ FALLAI P., « Da Roma a New York per sfidare i signori dei bestseller », in Corriere della Sera, 5-3-2005 ; SASSI E., « Esordienti e stranieri per e/o : da Cuba agli autori dell’Est », in Corriere della Sera, 15-7-2001.