CHANTS DE MARIAGE DES SONGHAY-ZARMA [Niger]
Chez les Songhay-Zarma du Niger, le mariage constitue un rite de passage important au cours duquel une jeune fille acquiert le statut envié d’épouse. Mais il lui faut aussi quitter son groupe d’amies et sa famille ; les chants sont alors un moyen d’exprimer la douleur de cette séparation. Quand son nouveau foyer peut compter d’autres épouses, des chants sont également interprétés pour celle qui perd son rang de dernière épousée. Après la bénédiction nuptiale, avant que les époux soient réunis, ses amies se rassemblent autour de la jeune mariée et lui adressent des chants : placées en demi-cercle, elles commencent par frapper dans leurs mains, parfois accompagnées par un joueur de tambour d’aisselle (dondonkari) ; puis l’une d’elles s’avance au centre et se met à danser et à chanter, le refrain étant repris en chœur par les autres. Relayée par la suivante, elle revient parmi son groupe. Pendant ce temps, la jeune mariée, couchée sur une natte, écoute l’évocation d’un monde qui lui sera désormais inaccessible. Une fois ses amies parties, elle retourne dans sa chambre auprès de ses mères classificatoires (way-nyaŋey) ; celles-ci pilent, en chantant, l’encens avec lequel elles laveront la jeune femme avant de la conduire vers son mari. Il arrive qu’un génie possède l’une des chanteuses, signifiant ainsi qu’il accorde sa protection à leur fille. À travers leurs chants, les mères manifestent la douleur de voir partir la mariée et lui donnent des conseils pour sa nouvelle vie. L’un des chants (entonné à la fois par les mères et les amies), en dépit de son titre « Ne pleure pas mignonne », a pour but de susciter ses pleurs, une façon codifiée d’épancher la douleur de quitter sa famille, le monde des jeunes filles, et de perdre la liberté et l’insouciance qui y sont attachées. Ses proches l’accompagnent ensuite chez son époux en la cachant sous une couverture en cotonnade tissée ; durant le trajet, elles formulent leurs vœux de bonheur sous forme de chants.
Si la plupart des chants diffèrent selon que leur interprète est amie ou mère classificatoire, on y retrouve un point commun : le chagrin de la séparation et des conseils pour la future vie conjugale. Cependant, le répertoire des amies est parfois identique à celui qu’elles entonnent habituellement sur la place des fêtes (foori batama dooni), tandis que celui des mères est spécifique au mariage. Le lendemain de la nuit de noces, le pagne taché – signe de virginité – est remis aux parents de la mariée par une captive de case (konŋo) ou par les sœurs du mari. À cette occasion, les joueurs de tambour d’aisselle se produisent dans la concession paternelle, les sœurs de la mariée dansent de joie, et les chants louent sa virginité et le fait que la jeune fille a su résister à toutes les tentations. Si elle n’est pas vierge, les chants n’ont pas lieu et le mariage peut être rompu.
En cas de polygamie, celle qui perd son rang de dernière épousée accomplit un rite particulier, le marcanda, offert par son époux : elle invite ses proches – toutes des femmes mariées – à passer la journée à ses côtés ; après la bénédiction du mariage, celles-ci s’affronteront lors d’une joute verbale à laquelle ne participera pas leur hôtesse, recluse dans sa chambre. Les premières épouses (« grandes épouses ») se positionnent symboliquement du côté de la maison où leur hôtesse s’est retirée, comme si elles cherchaient à la protéger de l’intrusion des suivantes (« petites épouses ») qui se placent face à elles : une « grande épouse » se dirige vers le centre du cercle et débute la joute en adressant à ses rivales une injure sous forme imagée et en dansant au rythme des battements de mains ou des tambours d’aisselle ; puis une « petite épouse » lui succède et lui répond. C’est ainsi que s’enchaînent les tours d’insultes. L’affrontement est généralement suivi de chants choraux et quand apparaît au loin le cortège de la jeune mariée, les proches de l’hôtesse interprètent la chanson Combat où elles l’enjoignent à se battre pour préserver sa place et sa dignité. La nouvelle venue est accueillie sous les huées des « grandes épouses » qui chantent : « La vaurienne est arrivée, la vaurienne est arrivée. » Elle se présente alors, silencieuse, chez chacune des coépouses, puis s’installe dans sa chambre. À l’extérieur, la joute et les chants se poursuivent jusqu’à l’arrivée de l’époux. Les femmes saluent ensuite les nouveaux mariés et les « grandes épouses » avant de rentrer chez elles.
Ce rite met en évidence la conflictualité latente, inhérente au foyer polygame. Les chanteuses critiquent leurs rivales et la polygamie, mais finissent par prêcher l’acceptation d’une situation sur laquelle elles n’ont aucune prise. Elles miment en quelque sorte le processus de deuil : à la phase d’opposition où domine la colère succèdent la tristesse et le désespoir face à une position commune qu’elles n’ont pas choisie, puis leur résignation explicite au statut de coépouse. Au-delà des protestations que peuvent émettre les femmes au cours du marcanda, on relève donc leur souci d’éviter toute rébellion de la part des épouses, forçant la première à accepter sa nouvelle situation et la nouvelle venue à adopter une position de réserve. En ne soutenant ni l’une ni l’autre, elles agissent au bénéfice du mari et cherchent à maintenir la cohésion de la communauté et de la cellule familiale, sans jamais remettre en question le principe même du mariage polygame. On invite parfois à ces joutes des chanteuses d’origine « captive ». Une dichotomie structurale profonde entre hommes libres et captifs traverse la société songhay-zarma. Celle-ci s’articule autour du haawi, terme polysémique désignant tant la pudeur que la honte, la bienséance ou le savoir-vivre que ne connaîtraient pas les personnes d’origine captive. Par leur statut social, ces chanteuses détiennent ainsi un répertoire beaucoup plus libéré et leurs chants évoquent la sexualité de manière souvent grivoise, provocatrice et jubilatoire. Les chants de marcanda – et ceux-ci en particulier – sont aujourd’hui de moins en moins interprétés, censurés par les maris, qui craignent les débordements ou les outrages à la religion.
Sandra BORNAND
■ DIARRA F. A., Femmes africaines en devenir, les femmes zarma du Niger, Paris, Anthropos, 1971 ; MOUNKAÏLA F., Anthologie de la littérature orale songhay-zarma, chants d’intégration sociale, Paris, L’Harmattan, 2008.
■ BORNAND S., « Chants de douleur des femmes zarma (Niger) », in La Voix actée, pour une nouvelle ethnopoétique, CALAME C., DUPONT F., LORTAT-JACOB B. et al. (dir.), Paris, Kimé, 2010.
CHANTS DE NAISSANCE LÉBOU ET WOLOF [Sénégal]
Le bëkkëtë est un chant traditionnel lébou, lié à un rituel de naissance antéislamique exclusivement féminin dont il est indissociable, et qui se déroule à l’occasion du baptême. Il est principalement pratiqué chez les Lébou du Sénégal. Cependant, selon Mariama Ndoye (1981), l’une des premières à avoir tenté de décrire ce chant, le rituel est également attesté chez une partie des Wolof du Sénégal, qui sont très proches des Lébou du point du vue géographique, culturel et religieux. Le bëkkëtë peut être produit lors de toute naissance, mais il est plus spécifiquement destiné à une catégorie particulière, celle des enfants nés d’une femme dite yaradal, c’est-à-dire qui a mis au monde, de façon successive, plusieurs enfants mort-nés ou décédés au bout de quelques jours. Il est exclusivement interprété par les belles-sœurs de l’accouchée (njëkke) ; leur forte présence est déterminante pour assurer le bon déroulement du rituel, car ce sont elles qui vont nourrir le chant en imprécations et souhaits de toutes sortes. L’espace dans lequel s’exerce cette pratique influe sur le nombre et la qualité des personnes présentes : si le rituel a lieu à l’intérieur de la maison, seuls les membres de la famille y assistent ; s’il s’accomplit à l’extérieur, le public peut s’élargir et devenir plus hétérogène. Seules quelques femmes accomplissent les gestes liés au rituel. Le chant, quant à lui, occupe les belles-sœurs de l’accouchée, ainsi que le reste de l’assistance. Le bëkkëtë s’accompagne généralement d’instruments de percussions : soit des tam-tams frappés par des hommes, soit des gourdes évidées maniées par des femmes ; le nom du chant serait une onomatopée imitant le son de ces gourdes.
Si les rares auteurs à avoir évoqué le bëkkëtë ne s’accordent guère sur les actes précis qui composent le rituel et qui semblent se diversifier d’un lignage à un autre, les informations contenues dans les quelques descriptions du chant lui-même sont assez similaires. Le chant s’ouvre toujours sur ce qui constitue le refrain, et qui a donné son nom au rituel lui-même : il s’agit de deux vers très courts, qui seront répétés de façon régulière tout au long du récit ; l’assistance, au moment où le chant commence, se divise en deux groupes, l’un chantant le premier vers « Bëkkëtë bëkkëtë », et l’autre la suite « Daaro Mbay », en réponse au premier. Ensuite sont évoqués les ancêtres de la lignée paternelle de l’enfant, ce qui représente la première véritable reconnaissance sociale de celui qui en est le dernier maillon. Puis le chant présente une alternance du refrain avec des souhaits formulés successivement par les femmes, à tour de rôle. L’improvisation tient donc une place importante dans ce chant.
Le chant du bëkkëtë et, de façon plus large, le rituel dont il fait partie, revêtent une fonction protectrice qui se manifeste à deux niveaux en ce qui concerne l’enfant né d’une femme yaradal, chaque niveau correspondant à l’une des alternatives qui se présente à lui : retourner dans l’autre monde ou rester parmi les vivants. Dans le premier cas, c’est la communauté elle-même qui cherche à se prémunir contre ce nouveau-né suscitant crainte et méfiance, car les croyances poussent à le soupçonner d’être le même qui meurt et renaît chaque fois ; les imprécations visent ainsi à l’empêcher de revenir ; mais en même temps, elle cherche à le faire rester par tous les moyens dont elle dispose, en particulier par ce rituel. Dans le second cas, c’est l’enfant lui-même qui est l’objet de cette protection contre le « mauvais œil » (bët) et la « parole maléfique » (cat). Le but visé est de protéger l’enfant de tous les malheurs évoqués. À cette échelle, le chant de bëkkëtë remplit une fonction cathartique évidente, fondée sur la puissance et le pouvoir magique de la parole, dont on attend un effet sur l’avenir de l’enfant. Enfin, selon M. Ndoye (1981), une autre fonction de ce chant, relevant également du double domaine social et religieux, concerne l’enfant devenu adulte : il peut jurer et prêter serment en usant de formules reprenant les malheurs évoqués dans les imprécations contenues dans le bëkkëtë du rituel qu’il a subi, car jamais il ne succombera à ces maux.
Ndiabou Sega TOURÉ
■ NDOYE M., Introduction à la littérature orale léboue, analyse ethno-sociologique, Dakar, [s. n.], 1981 ; SYLLA A., Le Peuple lébou de la presqu’île du Cap-Vert, Dakar, Nouvelles éditions africaines du Sénégal, 1992.
■ BALANDIER G., « L’enfant chez les Lébou du Sénégal », in Enfance, vol. 1, no 4, 1948 ; RABAIN-JAMIN J., « Tradition et apprentissage, les interactions mère-enfant en Afrique de l’Ouest », in Apprentissage et cultures, les manières d’apprendre, Paris, Karthala, 1988 ; SILLA O., « Structure religieuse et mentalité religieuse des Lébou du Sénégal », in Notes africaines, no 119, juil. 1968.
CHANTS DE PLEUREUSES PUNU [Gabon]
Au Gabon, la cérémonie célébrant les funérailles d’un individu donne lieu à un protocole dans lequel tous les actes sont codifiés. Chez les Punu notamment, ce rituel comporte quatre phases essentielles : l’annonce de la mort, la sortie du corps, la veillée mortuaire et l’inhumation. La veillée mortuaire est l’occasion, pour une catégorie de femmes, de manifester leur art à travers des pleurs (milingi) pour accompagner la dépouille d’une personne de la communauté.
Le milingi est un genre oral pratiqué dans la société traditionnelle par des femmes qui en ont pratiquement fait une profession : les « pleureuses ». Elles sont les principales actrices et productrices des « pleurs ». Pendant une cérémonie funèbre, elles sont appelées pour sangloter, gémir et implorer le ciel lors des obsèques. Unies dans le chant et l’incantation, elles soutiennent une autre femme qui est confrontée au deuil, et expriment la tristesse et l’incompréhension de celle-ci face au départ du disparu. Plusieurs actes rituels ponctuent cette phase du deuil. Sur la scène mortuaire, les pleureuses, en pagne, cheveux défaits ou couverts d’un foulard et parfois seins nus, se mettent en cercle ou en demi-cercle autour du corps du défunt. Tout en pleurant avec des gestes qui rendent compte de leurs émotions, elles peuvent se mettre à chanter ou à conter. Ainsi, il existe trois techniques « pleuriques » selon Mabik-ma-Kombil, toutes exécutées en langue punu : le « pleur-pleuré », le « pleur-conté » et le « pleur-chanté ».
Lors du « pleur-conté », les femmes, spécialistes de la parole, racontent l’histoire du clan, de la tribu ou de la communauté. Elles saisissent cette opportunité afin de rappeler les épopées, les mythes fondateurs et les proverbes en démontrant le rôle des pleurs, et d’établir une relation entre le défunt et l’ancêtre fondateur à travers l’histoire de son totem, de sa devise. Elles récitent également la généalogie du défunt en commençant par l’ancêtre fondateur, puis ajoutent des prières, des incantations, des Psaumes de la Bible, des lamentations, des conseils. Le « pleur-chanté », énoncé sur un ton pathétique et nostalgique, accompagne ce qui est considéré comme le passage de l’âme du défunt quittant du monde des vivants vers le monde spirituel et qui traduit le lien entre le défunt et sa famille. On rappelle ce qu’a été sa vie, les sentiments que suscite son départ. Ces chants servent à ouvrir la route qui mène aux ancêtres protecteurs et exhortent le défunt à ne pas avoir peur de partir.
Les rituels funéraires connaissent aujourd’hui de profondes mutations : la participation des pleureuses n’est plus systématique. On constate aussi que si les pleurs ont toujours été réservés aux femmes (dans la société traditionnelle, les hommes pratiquent le « pleur stoïque », un homme ne pleure pas), il existe désormais des « pleureurs ». Ceci s’explique en partie par le fait que parfois, faute de descendant féminin, la transmission n’a pas pu se faire de mère en fille mais de mère en fils, et en partie par la professionnalisation de ce genre. Dans le monde moderne, le pleur n’est plus seulement pratiqué pendant les cérémonies de deuil, et exclusivement par des femmes ; les hommes tels que Mabik-ma-Kombil en font un art scénique dans lequel tous les sujets de la vie courante peuvent le susciter.
Kelly Marlène MILEBOU NDJAVE
■ MABIK-MA-KOMBIL, Ngongo des initiés en hommage aux pleureuses du Gabon, Paris, L’Harmattan, 2003.
CHANTS DE PRÉVENTION DU SIDA [Zambie]
L’épidémie de sida prend une telle ampleur en Zambie (30 % de séropositifs dans la Copperbelt) que l’Unicef implante un projet pour prévenir les maladies sexuellement transmissibles, en particulier le sida. En 1998, dans le « township » de Kwacha à Kitwe (Copperbelt), quelques maîtresses d’initiation s’emparent du programme et proposent deux types de réponses : l’une consiste à reprendre certains éléments des rituels initiatiques des filles bemba et à les transformer ; la seconde, à raccourcir considérablement les séances inspirées de l’initiation traditionnelle. Dans les deux cas, l’information sur la situation nouvelle – la présence du sida – fait partie des chants. Ainsi, la longue cérémonie finale (dix-neuf heures de rites accomplis en partie à l’extérieur du quartier, en partie à l’intérieur de la maison de l’initiation), précédée par trois mois de séances hebdomadaires de préparation à l’initiation, s’est totalement transformée. Comme auparavant, certains « symboles » (mbusa) sont conservés, mais revêtent une signification différente ; d’autres sont supprimés (le « lion » par exemple), ainsi que le concept de « mariage à l’essai » ; de nouveaux apparaissent en relation directe avec le sida : le virus est en particulier illustré sous la forme d’un éléphant, réactualisant une représentation ancienne de la mort par épidémie et insérant des chants de funérailles au rituel. Bien que le projet n’ait pas prévu explicitement de s’appuyer sur l’initiation des filles, en tant qu’activité signifiante, cette dernière représente un potentiel important, notamment dans sa fonction de sensibilisation auprès des très jeunes filles et de rappel des enjeux vitaux auprès des femmes plus âgées. En effet, les maîtresses d’initiation considèrent que le rituel est le seul moyen pour prendre en charge les orphelines du sida : remplacer la famille étendue qui n’existe pratiquement plus, les introduire dans une hiérarchie de femmes et les intégrer dans un système complet de générations vivantes ou mortes.
Par ailleurs, d’autres groupes de femmes conçoivent des performances plus courtes, adaptables à des publics extrêmement divers (réunions féminines, consommateurs dans des bars ou, devant les difficultés rencontrées par le projet pour toucher les jeunes, écoles secondaires ou retraites de confirmation…). La performance observée est composée d’une suite de dix chants, extraits des répertoires traditionnels relevant de l’initiation, du mariage et des funérailles. D’une manière générale, les mélodies, les rythmes et les danses sont analogues à ce qui se pratique au cours du rituel de l’initiation : lancement des chants par une maîtresse d’initiation et reprise en chœur par les autres participantes, battements de tambour à quatre ou six temps, pratique de certains mimes ou de certaines danses. Dans un premier temps, les chants abordent les difficultés rencontrées à propos des nouveaux comportements sociaux, puis ils décrivent la maladie et l’impossibilité de trouver le médicament adéquat ; enfin ils exposent les conséquences de ces comportements sur la vie et sur la société. Le rôle du groupe de femmes, à la fois traditionnel et moderne, transparaît pendant toute la performance.
Désormais les femmes s’investissent dans l’aide aux plus jeunes, utilisant et leur expliquant des références que leurs aînées connaissent bien pour les avoir maintes fois entendues pendant les initiations successives ; mais elles refusent de s’adresser à des groupes uniformes tant du point de vue de l’âge que du sexe, car l’éducation est toujours un problème collectif et implique tous les éléments de la société. Aussi se trouvent-elles dans l’obligation de mettre les jeunes en garde et même de s’opposer à leur très grande permissivité sexuelle, tant qu’il subsiste un doute sur le comportement de l’éventuel partenaire. De plus, il faut également sensibiliser les jeunes filles face à l’irresponsabilité des hommes, leur apprendre comme dans le nouveau rituel initiatique à « dire non ». On peut observer ici l’adaptation efficace de formes traditionnelles de littérature orale à des situations nouvelles et la transmission de savoirs différents, même si le dispositif mis en place par l’Unicef ne touche que très difficilement les adultes.
Anne-Marie DAUPHIN-TINTURIER
■ DAUPHIN-TINTURIER A.-M., DERIVE J. (dir.), Oralité africaine et création, Paris, Karthala, 2005.
■ DAUPHIN-TINTURIER A.-M., « La femme, le lion et le prêtre, les trois fonctions de la femme dans le nord de la Zambie », in Cahiers de littérature orale, no 34, 1993.
CHANTS POUR MOUDRE SÉNOUFO [Côte d’Ivoire]
En milieu rural sénoufo de l’Afrique de l’Ouest, il existe un genre de la littérature orale, celui des chants pour moudre, qui est remarquable par les thématiques qu’il évoque, ainsi que par la variabilité des formes qu’il revêt. Ce répertoire de chants féminins laisse particulièrement affleurer la notion de souffrance. Tout en étant ancré dans les traditions orales, il permet à l’interprète d’évoquer une part de sa vie personnelle par une parole allégorique créative et libératrice.
Il y a quelques décennies, nombreux étaient les villages sénoufo qui ne connaissaient pas les moulins à moteur destinés à réduire les céréales en farine. Les femmes utilisaient alors régulièrement des meules accompagnées de pierres à moudre de taille plus réduite, de forme ronde ou oblongue.
Ces chants pour moudre s’élèvent pendant que les femmes travaillent à la meule, à l’ombre des murs de leur concession. Seules ou en petit groupe, celles qui s’adonnent à ce type d’activité effectuent un mouvement de va-et-vient sur la meule en entonnant des chants très aigus. L’effort soutenu que ce chant accompagne est inscrit dans une régularité : la chanteuse prend simplement le temps de dégager la farine moulue en la déposant sur une peau de bête posée sur le sol, et elle ajoute du même coup des grains sous la pierre à moudre sans interrompre son travail. Il arrive que les femmes se retrouvent à deux ou trois pour accomplir cette tâche, et que certains passages des chants soient repris en chœur durant une bonne partie de la matinée.
De tous les répertoires de chants féminins en milieu rural sénoufo, aucun n’est probablement aussi riche en évocations de la souffrance que celui des chants pour moudre ; et pourtant, la force des émotions qui s’en dégage n’affecte pas leur rythme, impulsé par le mouvement des corps et la respiration des femmes au travail. Nulle surcharge pathétique n’apparaît au cours de l’interprétation de ces chants. C’est peut-être en étant attentif à l’attitude de la chanteuse que l’on peut deviner l’intensité dramatique qui se dégage de son propos : elle arbore souvent un visage fermé, les yeux mi-clos, et sa tristesse se devine dans sa voix chevrotante. Ces chansons pour moudre, qu’on pourrait croire quotidiennes et banales, contiennent des paroles saisissantes et tristes. On y évoque la mort, la maladie, la pauvreté, la tristesse, la dépossession, la solitude et la mélancolie, à travers de nombreuses figures de style : répétitions, anaphores, allégories, comparaisons. Dans leurs performances chantées, en se rapportant à des objets métaphoriques ou à des personnages qui représentent la souffrance extrême – comme l’orphelin(e) ou la personne qui a connu des deuils successifs, que l’on nomme « celle/celui qui n’a plus rien » –, les femmes ont la possibilité d’exprimer leur douleur. Comme dans l’ensemble de la littérature orale sénoufo, la « face noire », la « face chaude » ou la « tête sèche » sont autant d’énoncés qui permettent de parler du malheur qui fait irruption dans la destinée d’un être humain.
Toutefois, même si ce répertoire de chants utilise des règles et « contraintes » qui s’appliquent à l’ensemble des traditions orales dans cette société, il est inséparable de la créativité de chacune des auteures de ces chants. Par exemple, comme cela est repérable dans d’autres sociétés africaines, lorsque le sort semble s’acharner sur une femme, elle le décrit sous les traits d’un élément de la nature ou de la vie quotidienne. La souffrance d’une femme endeuillée peut être symbolisée par un animal ou un objet abîmé qui relève de son choix : un oiseau dont le cri perçant s’élève dans la nuit, un chien, une calebasse cassée, un couteau sans manche dont la lame acérée évoque une douleur à vif. L’auteure du chant a la possibilité de créer une chanson dont les figures poétiques retracent ses propres difficultés d’existence. Parfois, elle adresse un chant à une de ses proches : sœur, mère ou marâtre, amie intime. Ainsi, une femme attristée par le sort de sa sœur qui ne peut pas avoir d’enfant peut imaginer un chant à son attention, lui témoignant ainsi de son soutien moral. D’autres chants pour moudre évoquent la condition des personnes accablées par la pauvreté ou par une série d’infortunes, exhortant l’auditoire à faire preuve de compassion et de discrétion à leur égard.
Alors que la vie sociale en milieu rural sénoufo réprime la plainte et conduit chaque femme à rester forte dans les épreuves qu’elle traverse, le répertoire des chants pour moudre est fondé sur l’expression imagée des souffrances de l’existence. La diversité des parcours de vie transparaît ainsi dans la variabilité des chants. Autant d’itinéraires biographiques, autant de chants pour moudre et de figures poétiques… Ces chants dévoilent des émotions d’ordinaire occultées et les transfigurent véritablement par la parole allégorique. Tout se passe comme si les femmes, en les interprétant et en créant des images poétiques relatives à la souffrance extrême, ne subissaient plus leur douleur mais parvenaient à la mettre à distance par le fait de « dire », en ayant la liberté d’évoquer leur chemin de vie et les épreuves individuelles qu’elles ont traversées.
Les chants pour moudre ne sont donc pas seulement des chants de travail, accompagnant un effort collectif ou individuel. Ici comme dans d’autres sociétés où l’expression des émotions féminines est voilée ou marquée par la pudeur, ils sont des fragments de littérature orale qui permettent aux femmes d’évoquer leur intimité de manière poétique. Ils contribuent ainsi à créer un espace de parole libérateur pour elles, lequel leur permet de se réapproprier les douleurs de la mort, de la maladie ou de la pauvreté. S’ils puisent dans les règles de la littérature orale sénoufo, ils font surgir des figures de style uniques, liées à chaque itinéraire de vie. En chantant à la meule, les femmes ne sont plus uniquement les interprètes d’un genre « traditionnel », elles deviennent, l’espace d’un instant, des créatrices de parole et de sens.
Marie LORILLARD
■ ABU-LUGHOD L., Veiled Sentiments : Honor and Poetry in a Bedouin Society, Berkeley/Los-Angeles, University of California Press, 1988 ; POITEVIN G., Le Chant des meules, Paris, Kailash, 1997 ; VERBEEK L., Mort et douleur dans une société africaine, chansons de deuil, de tristesse et de levée de deuil du sud-est du Katanga, Tervuren, Musée royal de l’Afrique centrale, 2001.
■ LORILLARD M., « La pauvreté, un mal discret ? », in Tsantsa, no 11, nov. 2006.
CHAO FA KUNTHORN
etCHAO FA MONGKUT (princesses KUNTHORN ET MONGKUT, dites) [XVIIIe siècle]
Poétesses du royaume d’Ayutthaya (Thaïlande).
Les princesses Kunthorn et Mongkut, filles du roi Boromakot (1732-1758) de la dynastie Ban Phlu Luang, s’illustrèrent à la fin de l’époque d’Ayutthaya par leurs créations poétiques. L’histoire veut qu’une servante originaire de Pattani (au sud de la Thaïlande) raconta aux deux princesses des histoires du cycle de Panji. Ce cycle – où figure le roi Panji Inu Kartapati – retrace les aventures du prince Inao et des anciens rois de Java. On dit que les deux princesses apprécièrent tellement ces récits qu’elles en composèrent chacune une version pour le théâtre dansé. La princesse Kunthorn composa Dalang ou Inao Yaï (« grand Inao »), la princesse Mongkut, sa sœur cadette, rédigeant Inao Lek (« petit Inao »). Cette distinction permet de différencier les deux versions de la légende. Les manuscrits de ces œuvres restant introuvables, leur origine a pu être remise en question mais des versions recopiées nous sont parvenues et tout semble indiquer que ce sont de fidèles transcriptions des textes originaux. Ces œuvres sont d’ailleurs mentionnées dans le Bunnowat Kham Chan – célèbre poème du XVIIIe siècle composé par le moine Maha Nak du temple Phra Say – qui indique qu’elles auraient été exécutées par une troupe de danseuses au cours d’une cérémonie au sanctuaire de l’Empreinte du pied du Bouddha au milieu du XVIIIe siècle. Le roi Rama II nous assure que la légende d’Inao a bien été composée par les deux princesses. Moins de cent ans séparant la fin de l’ère d’Ayutthaya (1767) de l’époque du roi Rama II, il semble que l’on puisse lui accorder crédit. De fait, un consensus existe de nos jours qui admet que Dalang (« grand Inao ») fut bel et bien composé par la princesse Kunthorn et que Inao Lek (« petit Inao ») est bien l’œuvre de la princesse Mongkut. Elles sont donc officiellement reconnues comme les premières auteures siamoises classiques.
Pantipa CHUENCHAT
CHAOUNI, Layla Benabdallah [FÈS 1953]
Éditrice marocaine.
Juriste de formation, Layla Benabdallah Chaouni collabore d’abord à une revue de droit, économie et politique, avant de fonder, en 1987, les éditions Le Fennec, qui font d’elle une figure marquante de l’édition d’Afrique du Nord et révèlent son engagement féministe. Avec la sociologue et écrivaine Fatima Mernissi*, collaboratrice privilégiée et auteure phare de sa maison d’édition, elle organise des ateliers d’écriture, crée des collections dédiées aux femmes et participe à la première Foire féminine au Caire. Résolue à mettre la lecture à la portée du plus grand nombre en proposant des ouvrages de qualité à moindre prix, L. B. Chaouni publie en arabe et en français : le roman Ni fleurs, ni couronnes (2000) de Souad Bahéchar, récompensé par le prix Grand Atlas 2001, les Témoignages de femmes (collectif, 2002), publié dans la collection « Brisons le silence » en partenariat avec l’Association marocaine pour les droits des femmes, les nouvelles de Siham Abdellaoui Le bonheur se cache quelque part (2006), les Chroniques de Chine (2006) de Leïla Ghandi, illustrées par ses photos de voyage, le roman de Laïla Lalami sur l’immigration clandestine intitulé De l’espoir et autres quêtes dangereuses (2007), également publié chez Anne Carrière éditions, etc. Membre, dès 1988, de l’Organisation marocaine des droits de l’homme, L. B. Chaouni travaille également avec des ONG. Elle a été décorée par la République française et le roi du Maroc Mohammed VI.
Deborah PACI
■ LAGARDE D., GADI A., « La vie culturelle », in L’express.fr, 18-5-2006 ; MATAILLET D., « Maghreb : des femmes et des livres », in Jeune Afrique. Toute l’actualité africaine en continu, 11-1-2009.
CHAPIR, Olga (née KISLIAKOVA) [ORANIENBAUM 1850 - SAINT-PÉTERSBOURG 1916]
Écrivaine et militante féministe russe.
Olga Andreïevna Chapir, fille d’un paysan anobli, fait de brillantes études. Après avoir suivi son mari, exilé à Saratov pour activité révolutionnaire, elle revient à Saint-Pétersbourg en 1880, où elle gagne sa vie en traduisant. En 1890, elle devient membre de la Société féminine russe d’entraide mutuelle, et prend part en 1908 à l’organisation du Ier Congrès panrusse des femmes. Elle y prononce un discours sur « les idéaux du futur ». Sa conception du féminisme s’oppose à celle d’Alexandra Kollontaï* : pour elle, l’inégalité sociale trouve son origine dans l’inégalité établie entre les sexes par les hommes. Aussi, l’égalité juridique qu’elle appelle de ses vœux ne sera-t-elle que le début de la libération des femmes. Outre ses essais et articles, elle est l’auteur de nombreux récits, de deux drames et de quatre romans : Antipody (« les antipodes », 1880), Bez lioubvi (« sans amour », 1886), Miraji (« les mirages », 1889) et Lioubov’ (« l’amour », 1896), dont le thème est la réalisation de soi et la conquête du bonheur par des femmes. On y trouve des héroïnes positives, prenant leur vie en main, travaillant, se démenant pour parvenir à leurs fins, supportant la réprobation de leur entourage pour leur comportement non conforme. Les personnages masculins y sont superficiels, attachés exclusivement aux signes extérieurs de féminité : « douceur et indulgence ». Mais elle présente aussi des anti-héroïnes, des femmes qui ont choisi de se sacrifier dans le mariage, et dont la vie triste et ratée doit démontrer que leur voie n’est pas la bonne. Dans son premier récit, Na poroguie jizni (« au seuil de la vie », 1879), elle « s’étonne de voir le peu de place accordé à la voix authentique des femmes et à leurs représentations de la vie ». Ses romans sont clairement didactiques et proposent aux lectrices des modèles de libération. Elle fut une féministe engagée et un auteur très populaire en Russie pendant les années 1890.
Marie DELACROIX
CHAPLIN, Geraldine [SANTA MONICA, CALIFORNIE 1944]
Actrice britannique.
En 1942, Charlie Chaplin, acteur et réalisateur mondialement célèbre, qui vient de divorcer de Paulette Goddard*, rencontre Oona O’Neill, fille du dramaturge Eugene O’Neill. Leur mariage fait scandale : il a 54 ans ; elle, 18. À la suite de violentes campagnes de l’extrême droite américaine, le couple va s’installer en Suisse. Huit enfants naissent, Geraldine Chaplin est l’aînée. Elle fait ses premiers pas cinématographiques devant la caméra de son père, à 6 ans, dans Les Feux de la rampe (Limelight, 1952). Après avoir débuté comme danseuse au Royal Ballet de Londres, elle retrouve le cinéma à 20 ans dans un film policier de Jacques Deray (Par un beau matin d’été). Brune aux yeux noirs, elle hérite de la beauté de ses parents et de leur sensibilité, caractéristiques qui apparaissent dans J’ai tué Raspoutine (Robert Hossein, 1967). Cette année-là, elle rencontre le réalisateur espagnol Carlos Saura, qui va devenir son compagnon (père de son fils Shane) et son cinéaste attitré : Peppermint frappé (1967) ; Le Jardin des délices (El jardín de las delicias, 1970) ; Anna et les loups (Ana y los lobos, 1973) ; Cría Cuervos (1976), qui remporte un succès international ; Élisa, mon amour (Elisa, vida mía, 1977). Très tôt, l’actrice tourne en anglais : Les Trois Mousquetaires (The Three Musketeers, Richard Lester, 1973) ; Nashville (1975) et Buffalo Bill et les Indiens (Buffalo Bill and the Indians, or Sitting Bull’s history lesson, 1976), de Robert Altman ; Le miroir se brisa (The Mirror Crack’d, Guy Hamilton, 1980, d’après Agatha Christie*). Elle tient son rôle le plus célèbre dans Le Docteur Jivago (David Lean, 1965), face à Omar Sharif. Dans Chaplin (Richard Attenborough, 1992), elle incarne sa propre grand-mère, puis on la voit dans Le Temps de l’innocence (The Age of Innocence, Martin Scorsese, 1993, d’après le roman d’Edith Wharton*). Elle tourne la comédie Week-end en famille (Home for the Holidays, Jodie Foster*, 1995) et Jane Eyre (Franco Zeffirelli, 1996, d’après Charlotte Brontë*). En 2002, elle revient en Espagne pour Parle avec elle (Hable con ella, Pablo Almodóvar). En France, on l’a vue dans Mais ou et donc Ornicar (Bertrand Van Effenterre, 1979, avec Brigitte Fossey*), Le Voyage en douce (Michel Deville, 1980, avec Dominique Sanda*), Les Uns et les Autres (Claude Lelouch, 1981). Elle travaille aussi pour Alain Resnais – La vie est un roman (1983) ; I Want to Go Home (1989) – et pour Jacques Rivette (L’Amour par terre, 1984). En 2011, dans la comédie de Stéphane Robelin Et si on vivait tous ensemble ? , elle a pour partenaires Jane Fonda*, Claude Rich et Guy Bedos.
Bruno VILLIEN
CHAPLIN-THIÉRRÉE, Victoria [SANTA MONICA 1951]
Artiste et plasticienne américaine.
Née de Charles Spencer (Charlie Chaplin) et Oona O’Neill, formée à la danse, à l’acrobatie et à la musique classique, Victoria Chaplin développe d’exceptionnels talents de mime, de clown, de chorégraphe et d’infinies ressources en matière de fabrication de costumes et d’accessoires modulables et transformables à l’envi. En 1969, elle rencontre Jean-Baptiste Thiérrée (1937), acteur et agitateur qui prône un cirque réinventé, et fonde avec lui le Cirque Bonjour (1971). Ils initient une nouvelle forme de spectacle vivant, portés par la dynamique du Nouveau Cirque, et créent le Cirque imaginaire (1974), qui tourne quinze ans, puis le Cirque invisible (1990), qui se perfectionne sans cesse. Ils donnent chair à des personnages drôles et poétiques en faisant appel aux ressources de l’illusion, de l’acrobatie et du mime. Dans une surenchère d’effets scénographiques issus essentiellement de l’intarissable imagination et d’extraordinaires ressources créatives de V. Chaplin, ils font jaillir un défilé de créatures douées d’une vie propre, qui disparaissent dans un même tourbillon de couleurs et de mouvements, pour se recréer autrement. L’artiste réalise également les costumes des spectacles de son fils James Thiérrée et crée L’Oratorio d’Aurélia, mise en scène, décors et costumes, pour sa fille Aurélia Thiérrée (2004). Elle remporte le Prix SACD (2002) et un Molière pour les costumes de La Symphonie du Hanneton de J. Thierrée (2006). Elle paraît à l’écran dans La Comtesse de Hong Kong de C. Chaplin (1967), Les Clowns de Federico Fellini (1970), Le Cirque imaginaire, série TV (1989).
Marika MAYMARD
CHAPMAN, Josephine WRIGHT [FITCHBURG, MASSACHUSETTS 1867 - BATH 1943]
Architecte américaine.
Contemporaine de l’architecte Julia Morgan*, Josephine Chapman a surmonté bien des difficultés pour réaliser ses ambitions architecturales. Sa famille la découragea de faire des études de dessin, aussi dut-elle vendre ses propres vêtements pour payer ses cours. À partir de 1892, elle travailla pour l’agence Blackhall, Clapp et Whittemore, qui réalisait alors le premier bâtiment en acier de Boston. En 1897, elle ouvrit sa propre agence qui fut aussi une coopérative pour des femmes artistes. Parmi ses premiers clients figure l’université Harvard qui lui confia la réalisation d’une résidence, Craigie Arms (1897), un bâtiment aujourd’hui protégé au titre des Monuments historiques. À la même époque, elle a également construit une église à Fitchburg. La renommée vint en 1901, lorsqu’elle gagna le concours pour le New England Building de l’Exposition panaméricaine de Buffalo, dans l’État de New York. Son bureau comptait alors cinq employés et ses projets étaient réputés, mais elle ne put entrer à l’Institut américain des architectes (AIA) ni au Club architectural de Boston car elle était une femme. En 1907, J. Chapman s’installa à New York. Elle y a travaillé une vingtaine d’années sur des projets résidentiels. Elle pensait, en effet, que les femmes architectes avaient une approche particulière qui les qualifiait pour dessiner des habitations et voulut le prouver. Son agence réalisa plusieurs maisons à Long Island, dont quelques-unes avec une femme promoteur, qui ont toutes les qualités de l’architecture vernaculaire américaine basée sur les Arts & Crafts, toujours confortables, jamais prétentieuses. Après son voyage en Europe, en 1923, elle travailla dans une tout autre veine, s’inspirant des fermes italiennes du XVIe siècle pour la villa Hillandale, située à Washington sur un terrain de 35 hectares. Elle s’installa à Paris en 1925 lorsqu’elle prit sa retraite.
Catherine BARRETT
■ ALLABACK S., The First American Women Architects, Urbana, University of Illinois Press, 2008.
■ WOLFE K., « Josephine Wright Chapman », in Metropolis, juil.-août 1992.
CHAPMAN, Tracy [CLEVELAND 1964]
Chanteuse et guitariste de folk américaine.
Quand Tracy Chapman survient en 1988 avec son Talkin’bout a Revolution, cette jeune chanteuse issue d’une banlieue ouvrière noire éveille alors la sensibilité d’un public lassé du matérialisme et du tout-argent. Le formidable idéalisme né après guerre a vécu, les Trente Glorieuses se sont achevées et le chômage augmente. Personne n’a oublié cette figure altière, indépendante, armée de sa guitare, à la voix splendide, grave, et au tremblement plein d’émotion. Elle rappelle cette superbe mouvance folk populaire apparue vingt ans plus tôt, celle des Pete Seeger, Joan Baez, Dave Van Ronk et bien sûr Bob Dylan. Avec le beau Let It Rain en 2002, T. Chapman continue de porter un mythe qui se mêle à celui de la musique noire. Le bluesman Buddy Guy l’a ainsi invitée en 2005 sur son album Bring’em In à chanter Ain’t No Sunshine. Comme la chanteuse folk Odetta autrefois, T. Chapman est une personnalité importante qui dépasse de loin le cadre de la chanson.
Stéphane KOECHLIN
■ Tracy Chapman, Elektra, 1988 ; Crossroads, Elektra, 1989 ; Masters of the Heart, Elektra, 1992 ; New Beginning, Elektra, 1995.
CHAPONE, Hester (née MULSO) [TWYWELL, NORTHAMPTONSHIRE 1727 - HADLEY, MIDDLESEX 1801]
Écrivaine britannique.
Fille d’un gentleman, mariée à un avoué qui la laisse rapidement veuve, Hester Chapone est une autodidacte révoltée dans sa jeunesse par l’injustice faite aux femmes. Amie d’Elizabeth Carter*, elle fait partie du cercle des Bluestockings (« bas-bleus ») rassemblées autour d’Elizabeth Montagu*. Ses écrits, dont The Story of Fidelia (1753), sont publiés pour lui permettre de subsister. Le plus connu, rédigé à l’intention de sa nièce alors adolescente, appartient à la « conduct literature », un genre destiné à dispenser aux jeunes filles non seulement des principes de bonne conduite mais encore des sujets de réflexion pour leur épanouissement intellectuel. Au sommaire du Perfectionnement du cœur et de l’esprit (1773), on trouve la lecture de la Bible, l’histoire, la botanique, la géologie, l’astronomie, ainsi que la comptabilité et les compétences domestiques. La littérature est acceptée à condition de ne pas être représentée par les romans sentimentaux. Cet ouvrage a eu un tel retentissement qu’il compte 28 rééditions jusqu’en 1829. Mary Wollstonecraft* tenait H. Chapone en haute estime et Richardson discutait avec elle de ses propres personnages.
Françoise LAPRAZ SEVERINO
■ Perfectionnement du cœur et de l’esprit, ou Lettres d’une tante à sa nièce (Letters on the Improvement of the Mind, 1773), Paris, Belin-Leprieur, 1823.
CHAPONE, Sarah (née KIRKHAM) [STANTON, GLOUCESTERSHIRE 1699 - ID. 1764]
Auteure britannique.
« Féministe » est un vocable, s’il avait existé, que n’aurait pas renié Sarah Chapone, cette fille de pasteur connue pour un ouvrage qui échappe aux étiquettes commodes. Future belle-mère de Hester Mulso Chapone*, elle s’intéressait au droit et à l’histoire des femmes ainsi qu’aux normes du comportement sexué. En 1735, elle publia anonymement The Hardships of the English Laws in Relation to Wives… (« les épreuves réservées aux épouses par la loi anglaise »), travail à cette époque unique par son sujet et l’identité de son auteure. Dans sa correspondance, avec Richardson par exemple, elle abordait souvent la question féminine. Elle aida George Ballard, couturier, numismate et chercheur autodidacte, à compléter Memoirs of British Ladies (1752), entamé par Elizabeth Elstob*. Elle ne mettait pas les femmes à égalité avec les hommes mais réclamait seulement une amélioration de leur situation : il n’en fallait pas davantage pour choquer ses contemporains.
Françoise LAPRAZ SEVERINO
CHAPONNIÈRE, Martine [GENÈVE 1949]
Militante féministe suisse.
Martine Chaponnière participe à la fondation du Mouvement de libération des femmes à Genève en 1969. En 1981, elle coordonne en Suisse romande la campagne pour l’inscription dans la Constitution d’un article sur l’égalité des droits, adopté au suffrage universel en 1981. Elle assure dans cette fonction la liaison avec les organisations féministes bourgeoises.
René LEVY
CHAPSAL, Madeleine [PARIS 1925]
Écrivaine, journaliste et illustratrice française.
Après des études de droit à la Faculté de Paris, Madeleine Chapsal entame une carrière journalistique aux Échos puis à L’Express, dès sa création en 1953 par Jean-Jacques Servan-Schreiber, son mari (L’Homme de ma vie, 2004). Elle publie ainsi plusieurs séries d’entretiens avec de nombreuses personnalités du monde artistique et politique. À partir d’Un été sans histoire (1973), elle signe une cinquantaine de romans qui ont pour thème récurrent l’amour et le couple, et qui rencontrent tous un grand succès de vente. La Maison de Jade (1986) est adaptée au cinéma par Nadine Trintignant* en 1988. Certaines de ses œuvres ont aussi été diffusées sur petit écran. Auteure de poésie, de recueils de pièces radiophoniques, de récits autobiographiques, de récits d’actualité, de biographies, d’essais, elle a également illustré des livres pour enfants. Femme de lettres et d’influence, elle considère qu’écrire, publier et être lu est un pouvoir qui a trop longtemps été réservé aux hommes. À partir de 1981, sa conscience féministe a trouvé à s’exprimer par sa participation au jury du prix Femina, dont elle a été exclue en 2006, pour avoir dénoncé « la façon dont les jurés attribuent les prix littéraires » (Journal d’hier et d’aujourd’hui, 2009), montrant une fois encore sa liberté de parole.
Audrey LASSERRE
■ Madeleine Vionnet*, ma mère et moi : l’éblouissement de la haute couture, Paris, Lafon, 2010 ; Ces voix que j’entends encore, entretiens, Paris, Fayard, 2011 ; David, Paris, Fayard, 2012 ; Le Foulard bleu, Paris, Éditions retrouvées, 2012 ; Mari et femme, Paris, Fayard, 2012.
■ La Maison de Jade, lu par l’auteure, Des Femmes-Antoinette Fouque, « Bibliothèque des voix », 1986.
CHARAF, Maria [MARRAKECH 1958]
Militante marocaine des droits de l’homme.
Étudiante à l’école Mohammadia d’ingénieurs de Rabat, foyer du mouvement syndical étudiant, Maria Charaf milite au sein de l’Union nationale des étudiants du Maroc (Unem), qui sera interdite en 1973 et qui verra ses leaders arrêtés. Diplômée en 1981, elle entre comme chef de service dans une raffinerie de pétrole, bastion masculin. Elle cofonde en 1983 le Club de la femme ouvrière, qui dispense des cours d’alphabétisation et une formation syndicale. Elle milite aussi dans l’Union nationale des ingénieurs pour ouvrir les responsabilités aux femmes dans les entreprises. Elle est arrêtée en 1985 avec son mari – qui meurt sous la torture – et sera harcelée des années durant par les autorités. Révoltée par le sort fait à sa mère – répudiée pour avoir donné naissance à une fille –, elle milite pour une deuxième révision de la Moudawana (Code du statut personnel) en 2004. Si elle convient des avancées en faveur des femmes (recul de l’âge du mariage, suppression de la tutelle matrimoniale, droit au divorce), elle déplore que ni la polygamie ni l’iniquité de l’héritage ne soient abolies. Elle cofonde en 2008 l’association Deve Network, qui promeut la parité dans le monde du travail et l’inscrit dans les normes sociales des entreprises. Son engagement conduit à la création en 2011, et pour la première fois dans le monde arabe, d’un guide de « l’égalité et de la parité professionnelle et salariale » à destination des inspecteurs du travail, des syndicats et du patronat. Militante de l’Association marocaine des droits de l’homme (AMDH), elle est aussi membre du bureau de l’association Forum et vérité, cofondée par Fatna el-Bouih*. Elle dénonce l’insuffisance des réparations de l’Instance équité et réconciliation, mise en place en 2004 par Mohammed VI, et aspire à un Maroc démocratique et paritaire.
Jacqueline PICOT
■ AFASPA, Femmes d’Afrique, bâtisseuses d’avenir, Paris, Tirésias, 2010.
CHARBONNEAU-TISSOT, Aude VOIR AUDE
CHARFI, Fatma [SFAX 1955]
Plasticienne et performeuse tunisienne.
Étudiante à l’École des beaux-arts de Tunis, Fatma Charfi est la seule femme acceptée dans la classe d’audiovisuel. Elle poursuit ses études à l’université Paris 1-Sorbonne et obtient un doctorat en esthétique et sciences de l’art. À la fin des années 1980, elle s’installe à Berne, en Suisse. L’exil devient alors un thème central de son œuvre. En 1990, elle crée un petit personnage de 7,6 centimètres de longueur, fabriqué dans du papier de soie qu’elle trempe dans de l’encre noire puis sèche, découpe et roule, suivant la technique traditionnelle de la fabrication du pain, utilisée par les femmes tunisiennes. Elle multiplie ce personnage et le dissémine dans toutes ses créations. L’Abrouk (Abérics, au pluriel) incarne les difficultés de l’exil et le fourmillement des sentiments. En 2004, à Dakar, elle développe sa performance intitulée Projet laboratoire de Paix : l’Offrande. Une tour de 2,3 mètres, Installation verticale, composée de boîtes en plexiglas, contient d’innombrables personnages qui semblent y étouffer. Sur le sol, d’autres figurines sont éparpillées sur une frise rectangulaire tapissée d’ouate de coton et recouverte par endroits d’un filet, de sorte que les personnages semblent tantôt protégés, tantôt emprisonnés. Chaque figure est, par sa répétition, déshumanisée. Mais la répétition se conjugue avec de subtiles différences : non seulement dans la distribution des poupées et dans leur agencement, mais pour chacune d’entre elles par la manière dont elle a été gonflée, frisée ou crêpée. L’effet collectif, qui ôte aux figures leur individualité, n’en laisse ainsi pas moins percevoir une multitude de sens.
Lamia BALAFREJ
■ A Fiction of Authenticity : Contemporary Africa Abroad (catalogue d’exposition), Fitzgerald S., Mosaka T. (dir.), Saint Louis, Contemporary Art Museum, 2003.
■ DEEPWELL K., « Woman Artists at Dak’Art 2004 Biennial of Contemporary African Art », in N. paradoxa, juil. 2004, vol. 14 ; HUSSIE-TAYLOR J., « Shatat », in Nka Journal of Contemporary African Art, no 18, printemps/été 2003.
LA CHARIFA D’OUEZZANE VOIR KEENE, Emily
CHARISSE, Cyd (Tula Ellice FINKLEA, dite) [AMARILLO, TEXAS 1923 - LOS ANGELES 2008]
Danseuse et actrice américaine.
Sur les conseils d’un médecin, Tula Finklea étudie la danse dès l’âge de 6 ans pour soigner une poliomyélite. Elle est l’élève en danse classique d’Adolph Bolm, de Nico Charisse – qui sera son premier mari – et de Bronislava Nijinska*. Elle débute au sein du Ballet russe de Monte-Carlo en 1939 sous le nom de Felia Sidorova avant de paraître à l’écran en 1943 dans Something to Shout About (Gregory Ratoff, 1943). Par la suite, elle se produit à la Metro Goldwyn Mayer dans des classiques musicaux tels Ziegfeld Follies (1946) ou Brigadoon (1954), avec deux partenaires prestigieux, Fred Astaire et Gene Kelly. Son jeu spirituel l’impose comme star dans un rôle muet de Chantons sous la pluie (1952), immense succès public. En 1953, dans Tous en scène de Vicente Minnelli, elle triomphe à nouveau avec F. Astaire. À la fin des années 1960 s’achève l’ère des comédies musicales avec numéros de danse. Elle se tourne alors vers Roland Petit et la France pour produire son dernier film musical (composé de quatre ballets), Les Collants noirs, interprétant avec humour la désinvolte veuve de Deuil en 24 heures. En 1962, elle donne la réplique à Dean Martin et Marilyn Monroe* dans Something’s Got to Give, film resté inachevé. Elle décède à 86 ans d’une crise cardiaque. Dotée d’une remarquable technique classique, d’une justesse d’expression, d’un charme sensuel, d’une exceptionnelle élégance, elle incarne la femme idéale de l’époque. Alliant beauté et modernisme, elle s’impose comme la dernière grande danseuse de l’âge d’or hollywoodien.
Geneviève VINCENT
■ BRION P., La Comédie musicale, Genève, Liber, 1997.
CHARIXÈNE [ATHÈNES ? VIe - ID. Ve siècle aV. J.-C.]
Poétesse et compositrice grecque.
Auteure et compositrice de chansons accompagnées à la lyre, Charixène était connue également comme flûtiste, poétesse érotique (Etymologicum Magnum, XXXVI, 7, 21-2) et courtisane (son nom signifie « celle qui accueille agréablement les étrangers »). Les éléments biographiques la concernant sont déduits exclusivement des remarques de commentateurs anciens, car il ne nous reste aucun fragment de son œuvre. Le grammairien byzantin Eustathe de Thessalonique (Commentarii ad Homeri Iliadem, II, 711), qui mentionne Charixène parmi les femmes qui ont été non seulement sages (sophai), mais aussi poétesses (melopoioi), après Praxilla*, Sappho*, Corinne* et Érinna*, précise qu’elle fut une poétesse auteure de chansons lyriques (poietria kroumaton), activité qui expliquerait le proverbe cité entre autres par le comique Aristophane dans son Assemblée des femmes (« ce sont là vieilleries du temps de Charixène », v. 943) : les chansons avec accompagnement de lyre ou de cithare (krouma), étaient passées de mode en son temps.
Marella NAPPI
■ BATTISTINI Y., Poétesses grecques, Paris, Imp. nationale, 1998 ; DE MARTINO F., Poetesse greche, Bari, Levante, 2006.
CHARKE, Charlotte (ou Charlotte SECHEVERELL, ou Charles BROWN) (née CIBBER) [V. 1713 - V. 1760]
Écrivaine et actrice britannique.
Fille du poète lauréat, directeur du Drury Lane Theatre, Colley Cibber, Charlotte Charke se singularise dès l’enfance par son penchant pour le déguisement masculin. Mariée très jeune, elle joue dans les œuvres de Vanbrugh, Lillo, Shakespeare, Gay, Fielding et s’installe au Haymarket jusqu’en 1737, date à laquelle Walpole décide de fermer les théâtres (Licensing Act). Elle mendie pour survivre avec sa fille et devient entre autres valet d’un aristocrate, tenancière de taverne. Veuve, elle se remarie à deux reprises, la dernière fois avec un acteur de théâtre ambulant, et doit à nouveau accepter divers petits métiers. Elle se tourne alors vers l’écriture, dont elle avait déjà fait l’expérience avec sa première pièce, The Art of Management (1735). Elle avait d’ailleurs mis elle-même en scène la seconde, Tit for Tat (1742). Cette fois-ci, elle obtient dix guinées pour son premier roman, The History of Mr Henry Dumont and Miss Charlotte Evelyn, qui n’a guère de succès. En revanche, son autobiographie, A Narrative of the Life of Mrs Charlotte Charke, publiée en feuilleton puis en livre (1755), est rééditée et condensée pour The Gentleman’s Magazine. Elle meurt après une dernière œuvre, The Lover’s Treat (« le cadeau de l’amant », 1758), et une ultime tentative pour jouer Marplot, un rôle masculin ambigu, dans la fameuse pièce de Susanna Centlivre*, The Busybody (« la mouche du coche », 1709). Les gender studies s’intéressent à l’identité transgressive de C. Charke, qui se faisait appeler Charles Brown et dont l’amour du travesti apparaît dans le tableau qui la représente dans le rôle de Damon pour la farce écrite par son père, Damon and Phillida.
Françoise LAPRAZ SEVERINO
■ SHEVELOW K., Charlotte : Being a True Account of an Actress’s Flamboyant Adventures in Eighteenth-Century London’s Wild and Wicked Theatrical World, Londres, Bloomsbury Press, 2005.
CHARLES, Elizabeth (née RUNDLE) [TAVISTOCK, DEVON 1828 - HAMPSTEAD, AUJ. LONDRES 1896]
Écrivaine religieuse britannique.
Très pratiquante, Elizabeth Rundle Charles écrit très tôt des poèmes qui font l’admiration de Tennyson à qui elle a envoyé ses manuscrits. Elle publie plus de 50 ouvrages, tous plus ou moins religieux, écrit et traduit de très nombreux hymnes pour des recueils à destination des familles anglicanes, comme The Family Treasury et The Voice of Christian Life in Song, or Hymns and Hymn Writers of Many Lands and Ages (1859). Ses poèmes s’inspirent d’épisodes bibliques qu’elle choisit en fonction de l’importance qu’ils accordent aux femmes. Son livre le plus connu, traduit en plusieurs langues européennes, en arabe et même en plusieurs dialectes indiens, est certainement Chroniques de la famille de Schonberg Cotta (1862), roman dont l’histoire se déroule autour de Martin Luther. Elle écrit aussi plusieurs fictions moralisatrices destinées aux jeunes filles, des récits de voyage, des récits historiques (Joan the Maid, deliverer of England and France, « Jeanne la Pucelle, qui délivra l’Angleterre et la France », 1879), des biographies et traduit des textes du latin, du grec, du suédois et de l’allemand. Sa foi dans la possible et nécessaire unité des chrétiens du monde entier, au-delà du temps et de l’espace, se double d’actions caritatives nombreuses. Elle fut l’amie de Charles Kingsley et Edward Pusey. Plusieurs de ses hymnes ont été mis en musique par Vaughan Williams.
Michel REMY
■ Chroniques de la famille de Schonberg Cotta (Chronicles of the Schönberg-Cotta Family, 1862), Paris, Grassart, 1868.
CHARLES, Ethel Mary [CALCUTTA 1871 - HAVERTHWAITE, CUMBRIA 1962]
etCHARLES, Bessie Ada [INDE V. 1869-1870 - CAMBERLEY, SURREY 1932]
Architectes britanniques.
Ethel Charles et sa sœur aînée Bessie furent, respectivement en 1898 et en 1900, les premières femmes membres du Royal Institute of British Architects (RIBA), l’organisation centrale de la profession d’architecte en Grande-Bretagne. Elles travaillèrent chez elles, ensemble ou séparément, et produisirent une œuvre architecturale limitée mais respectable, comprenant des maisons, des églises et une clinique. Entre 1892 et 1895, elles furent admises au célèbre cabinet londonien, George & Peto et, en 1896, E. Charles devint l’assistante de l’architecte du mouvement Arts & Crafts, Walter Crane (1845-1915). Contrairement à leurs collègues masculins, elles ne bénéficièrent pas du supplément de formation qui leur était disponible. Après s’être vu contester leur admission à la formation structurée de l’Architectural Association (1892), elles décidèrent de constituer elles-mêmes leur programme de formation, notamment en suivant certains cours d’architecture de l’University College de Londres et les cours de l’University Extension qui valurent une distinction à E. Charles (1892-1893). Selon elle, l’architecture est un art résultant de besoins structuraux et de la nature des matériaux ; son mémoire sur le sujet lui valut la médaille d’argent du RIBA en 1905. Elle reprit le style Queen Anne et les principes des Arts & Crafts pour les appliquer à des techniques traditionnelles et à des matériaux locaux simples : bois, briques et tuiles. Elle explora les thèmes apparentés, visant la construction de qualité et l’économie de moyens, dans un projet primé de logements ouvriers (1897) et dans trois pavillons de l’exposition de la Letchworth Garden City (première cité-jardin, Hertfordshire 1905). Elle remporta la première place lors du concours international lancé en 1909 pour la réalisation d’une église à Berlin, devant 200 architectes masculins.
Lynne WALKER
■ Catalogue of the Drawings Collection of the Royal Institute of British Architects, Farnborough, Gregg International Publishers, 1972 ; WALKER L., « Charles, Ethel Mary (1871-1962) and Charles, Bessie Ada (1869-1932) », in MATTHEW C., HARRISON B. (dir.), Oxford Dictionary of National Biography, Oxford, Oxford University Press, 2004.
CHARLES, Jennifer [WASHINGTON DC 1968]
Chanteuse et compositrice de rock américaine.
En quinze ans, la frêle Jennifer Charles est devenue l’une des grandes figures du milieu underground new-yorkais. Elle grandit entre un père qui dirige une petite station de radio jazz et une mère chanteuse. Dès 14 ans, elle monte sur les planches, aime la poésie, la littérature, écrit, chante, pose comme modèle, sert dans les cafés, tout en écoutant Ornette Coleman, Miles Davis, Charlie Parker… Elle fréquente le club de musique Knitting Factory, où elle rencontre un jeune guitariste, Oren Bloedow. Les deux artistes décident de créer un groupe. Ils le baptisent Elysian Fields (« Champs Élysées ») et ne mettent pas longtemps à apposer leur marque au rock des années 1990 : brume électrique, lancinante, poésie musicale proche de celle de Lou Reed. Elle interprète dans un souffle lascif des chansons hantées, comme Black Acres, Dream Within a Dream, sur un texte d’Edgar Poe, Bayonne (tirées de leur chef-d’œuvre, Queen of the Meadow), des mélodies marquées par une grande influence jazz, au point que le saxophoniste américain d’avant-garde John Zorn les fait signer sur son label, Tadzik. Le chanteur français Jean-Louis Murat a invité J. Charles à chanter dans ses albums Mustango (1999) et A Bird on a Poire (2004).
Stéphane KOECHLIN
■ Bleed Your Cedar, Radioactive/Geffen, 1996 ; Queen of the Meadow, Jetset, 2000 ; La Mar enfortuna, Tzadik, 2001 ; A Bird on a Poire, EMI, 2004 ; Last Night on Earth, Vicious circle, 2011.
CHARLES, Teresa [DONNAS, ITALIE 1946]
Écrivaine italienne d’expression française.
Teresa Charles est avant tout l’auteur de romans historiques sur les époques clés du Val d’Aoste. Marqué par l’intertexte de la Nouvelle Héloïse, son premier roman, La Fleur de Saint-Ours (1982) évoque la réaction sanglante à l’invasion française et l’histoire tragique de Julie Cantaz, victime de ses idées jacobines. Roman initiatique sur lequel souffle, puissant, le culte des morts, des divinités, où la comète annonce le Christ, Volog (1985) renvoie à l’époque de la conquête romaine. Ces livres ne sont pas de simples romans historiques : le caractère « immuable » des sentiments, le mystère profond que la montagne incarne comptent plus que la reconstruction archéologique. L’Albero del melograno (« le grenadier », 1980) introduit dans les cours renaissantes. Roman épistolaire, Ce coin de terre (1997) met en scène Xavier de Maistre, réfugié à Aoste. L’auteure excelle dans l’évocation des paysages, de la société et des femmes.
Rosanna GORRIS CAMOS
■ Les Comptines de Saint-Ours, petits poèmes, Aoste, Le Château, 2000 ; Sept contes de Noël, Aoste, Tipografia Duc, 2007.
■ GORRIS R., La Littérature valdôtaine au fil de l’histoire, Aoste, Impr. valdôtaine, 1993.
■ GORRIS R., « Romans et romanciers valdôtains », in Réalités et perspectives francophones, Aoste, Impr. valdôtaine, 1994.
CHARLES-ROUX, Edmonde [NEUILLY-SUR-SEINE 1920]
Écrivaine française.
Née dans une famille de la bourgeoisie marseillaise, fille de diplomate, Edmonde Charles-Roux vit son enfance et son adolescence à Prague, puis à Rome. En 1939, elle prépare un diplôme d’infirmière. Ambulancière volontaire pendant la Seconde Guerre mondiale, membre active de la Résistance, elle est décorée de la croix de guerre. En 1946, elle participe à la création de Elle, collabore à France-Soir, puis dirige Vogue qu’elle doit quitter en 1966, pour avoir publié en couverture la photo d’une mannequin noire, mais sans doute aussi en raison de son amitié dérangeante avec Aragon et Elsa Triolet*. La même année, elle devient la cinquième lauréate féminine du prix Goncourt avec Oublier Palerme (1966), et elle rencontre Gaston Defferre, maire de Marseille, qu’elle épouse en 1973. Après un autre roman, Elle, Adrienne (1971), l’écrivaine se consacre à deux personnalités qu’elle admire : Coco Chanel*, dont elle montre l’extraordinaire audace vestimentaire et le génie créatif dans L’Irrégulière, l’itinéraire de Coco Chanel (1974) et dans Le Temps Chanel (1979), et Isabelle Eberhardt*, cette rebelle éprise d’absolu, dont elle retrace la vie aventureuse dans une biographie en deux tomes, Un désir d’Orient (1989) et Nomade j’étais (1995). Très influente au Provençal, elle joue un rôle culturel important dans la vie publique marseillaise. Membre de l’Académie Goncourt depuis 1983, elle en devient la présidente en 2002 ; elle préside aussi le Festival d’art lyrique d’Aix-en-Provence.
Marie-Noëlle CAMPANA
■ L’Homme de Marseille, Paris, Grasset, 2001 ; Isabelle du désert, un désir d’Orient nomade, Paris, Grasset, 2003.
CHARLESWORTH, Maria Louisa [BLAKENHAM PARVA 1819 - NUTFIELD 1880]
Écrivaine et philanthrope britannique.
Fille de pasteur évangélique (réformateurs sociaux attachés à combattre le fléau de la pauvreté), elle débuta dès son plus jeune âge sa carrière publique comme visiteuse des pauvres dans la paroisse où officiait son père. Elle relata cette expérience de terrain (destinée à l’époque à désamorcer les tensions grandissantes entre les classes) dans un premier ouvrage, The Female Visitor to the Poor (1846), afin de susciter des vocations. Mais c’est à l’éducation religieuse et morale des enfants pauvres qu’elle choisit de consacrer sa vie avec une abnégation et un don de soi rares. Elle nous a laissé plusieurs contes religieux pour enfants et une fiction devenue un classique du genre, Le Ministère de l’enfance (1854), sorte de traité d’instruction religieuse rappelant les préceptes éducatifs de Rousseau. Il fut traduit en trois langues, tiré à 170 000 exemplaires et connut une suite en 1867. Après la mort de son père, elle continua avec le même prosélytisme à œuvrer en faveur des nécessiteux, en s’établissant près de Bermondsey, l’un des quartiers ouvriers les plus misérables de Londres, où elle fonda une école gratuite et une mission, contribuant ainsi à instruire les quelque 300 000 enfants qui, dans la seconde moitié de l’ère victorienne, dépendaient de ce seul système pour échapper à leur milieu.
Martine MONACELLI
■ Le Ministère de l’enfance, ou Les Jeunes Messagers de miséricorde (Ministering Children, 1854), Toulouse, Société de livres religieux, 1857.
CHARLESWORTH, Sarah [EAST ORANGE, NEW JERSEY 1947]
Photographe américaine.
Photographe conceptuelle reconnue sur la scène artistique internationale, Sarah Charlesworth débute sa carrière à New York, au milieu des années 1970, dans un contexte économique et social hostile à la création contemporaine qui favorise pourtant la constitution de réseaux de jeunes artistes. C’est ainsi que S. Charlesworth, Louise Lawler* et Barbara Kruger* (1945) développent une pratique photographique à mi-chemin entre art conceptuel et pop art. Cette pratique artistique accorde une place sans précédent aux artistes femmes et représente un moment charnière dans l’histoire de l’art : l’émancipation de ces femmes photographes est en effet intimement liée à la revalorisation du médium, alors considéré comme le parent pauvre de l’art. Elle s’intéresse essentiellement à la façon dont la culture influence la perception des événements : Modern History (1978) se présente sous la forme de pages de journaux, dont les éléments nécessaires à la compréhension du document et à la bonne diffusion des informations ont été effacés (titres, textes, images) ; Stills (1980) se compose d’agrandissements d’images de presse, donnant à voir des corps précipités dans le vide. Ces détournements permettent d’appréhender autrement les images qui infiltrent le quotidien, et explorent ainsi les dynamiques des représentations photographiques de faits divers. Ce principe de réappropriation est également l’objet de la série Red Collages (1983-1984), où diverses images sont découpées, réassemblées et rephotographiées sur un fond de couleur rouge. Ces travaux annoncent les Objects of Desire des années 1980, où les objets sont présentés sur un fond uni et semblent flotter dans l’espace pictural ; des figures spirituelles y font leur apparition, marquant durablement le travail de S. Charlesworth. Ces artefacts dressent une véritable étude anthropologique des désirs et des fantasmes de la société contemporaine.
Marie GRIFFAY
■ In-Photography (catalogue d’exposition), Buffalo, CEPA Gallery, 1982 ; A Retrospective (catalogue d’exposition), Santa Fé, Site Santa Fe, 1997 ; The Pictures Generation, 1974-1984 (catalogue d’exposition), Eklund D. (dir.), New York/New Haven, Metropolitan Museum of Art/Yale University Press, 2009.
CHARLOTTE-ÉLISABETH DE BAVIÈRE (duchesse d’ORLÉANS) [HEIDELBERG 1652 - SAINT-CLOUD 1722]
Épistolière allemande.
Fille du prince électeur protestant Charles Ier Louis et de Charlotte de Hesse-Cassel, la princesse palatine Charlotte-Élisabeth, dite Liselotte, a grandi dans le Palatinat et temporairement à Hanovre, où sa tante, Sophie de Hanovre, s’occupait d’elle intensivement. Après le divorce de ses parents, en 1658 la baronne Marie Luise von Degenfeld, que Liselotte n’appréciait guère, devint sa belle-mère. Pour des raisons dynastiques, elle se convertit au catholicisme avant son mariage à motivation politique avec le duc Philippe Ier d’Orléans en 1671. En tant que duchesse d’Orléans, la « si rogue et fière Allemande » (Saint-Simon), avec son visage « simiesque d’ours et de chat », qui aimait la chasse, détestait la danse et appréciait la littérature de son temps, fit partie du cercle familial restreint du roi Louis XIV. Malgré cela, Liselotte y resta longtemps isolée de la société, à cause du changement de vie de son époux, qui se livrait de plus en plus au libertinage, et de son aversion à l’égard de ce qui se passait à la cour de France, dont elle relatait les faits sans fioritures et sans mâcher ses mots. « Écrire est ma grande occupation », avouait-elle. De fait, elle est l’une des plus importantes épistolières de son époque, avec environ 60 000 lettres, dont 6 000 au moins ont été conservées. Sa vie durant, elle a aimé écrire « teütsch herauss » (en allemand franc), afin de pouvoir s’exprimer sans détours, sans maniérisme courtisan et sans diplomatie. Comme elle ne calculait pas ses effets de style, ses lettres bravent les formes d’expression correctes. C’est d’autant plus remarquable que toutes furent soumises à la censure royale, ce à quoi elle ne prit garde qu’au début. Ses correspondants étaient, en dehors des membres de sa famille, surtout des gens de la noblesse. Du point de vue de l’histoire de la culture, ses analyses clairvoyantes sur la politique et la société sont d’une importance extraordinaire et la désignent comme une femme politique à l’esprit particulièrement éveillé.
Anett LÜTTEKEN
■ Madame Palatine, Van der Cruysse D. (éd.), Paris, Fayard, 1988 ; Lettres de la princesse Palatine, 1672-1722, Amiel O. (éd.), Paris, Mercure de France, 1999.
■ Liselotte von der Pfalz, Madame am Hofe des Sonnenkönigs, Paas S. (dir.), Heidelberg, Winter, 1996 ; Liselotte von der Pfalz in ihren Harling-Briefen, 2 vol., Helfer H. (dir.), Hanovre, Hahn, 2007.
CHARMY, Émilie [SAINT-ÉTIENNE 1878 - PARIS 1974]
Peintre française.
Orpheline à 15 ans, Émilie Charmy vit chez des parents à Lyon et poursuit ses études dans une école privée catholique afin de devenir enseignante. Elle refuse cependant d’exercer ce métier et suit, à la fin des années 1890, les cours du peintre local Jacques Martin qui l’introduit dans le cercle de l’école moderne de peinture lyonnaise. Vers 1902, elle part avec son frère pour Paris. Dès 1904, elle participe au Salon des indépendants et, à partir de 1905, au Salon d’automne. Elle se lie alors d’amitié avec plusieurs membres du groupe des fauves. En 1926, elle réalise une exposition avec Colette* : Quelques toiles de Charmy, quelques pages de Colette (galerie d’Art ancien et moderne). Ses œuvres se distinguent par une volonté de transcender « l’art féminin » dans le choix de ses sujets et dans un traitement audacieux, marqué par sa touche franche et épaisse. Si elle propose de classiques scènes de genre, des natures mortes et des portraits, elle représente également l’intérieur d’un bordel (La Loge, galerie Bernard Bouche, Paris, vers 1900-1903) et surtout de très nombreux nus féminins (Nu endormi, collection Patrick Seale, vers 1925). Repérée par Berthe Weill (1865-1961) au Salon d’automne de 1905, l’artiste bénéficie de plusieurs expositions dans sa galerie. Forte d’un succès critique important durant l’entre-deux-guerres, elle est cependant oubliée après la Seconde Guerre mondiale. La grande rétrospective proposée par le musée de Villefranche-sur-Saône en 2008 a permis de faire enfin connaître l’art de cette peintre hors normes.
Marie GISPERT
■ Émilie Charmy, 1878-1974 (catalogue d’exposition), Villefranche-sur-Saône, musée municipal Paul-Dini, 2008.
■ PERRY G., Women Artists and the Parisian Avant-Garde : Modernism and « Feminine » Art, 1900 to the Late 1920’s, Manchester/New York, Manchester University Press, 1995 ; Suzanne Valadon, Jacqueline Marval, Émilie Charmy, Georgette Agutte, les femmes peintres et l’avant-garde, 1900-1930 (catalogue d’exposition), Paris, Somogy, 2006.
CHARPENTIER, Constance-Marie (née BLONDELU) [PARIS 1767 - ID. 1849]
Peintre française.
Lauréate à 21 ans d’un premier prix d’encouragement, Constance-Marie Charpentier étudie dans plusieurs ateliers, dont ceux de Louis David et de François Gérard, Grands Prix de Rome. Dès 1795, elle participe régulièrement au Salon, où elle envoie principalement des portraits et des scènes de genre. En 1899, l’artiste reçoit un nouveau prix d’encouragement pour la paire de tableaux La Veuve d’une journée et La Veuve d’une année, dont la signification moralisante est particulièrement explicite. Elle se conforme ainsi, tout au long de sa carrière, aux champs alors préférentiellement dévolus au talent féminin. Ses tableaux sont parfois plus complexes, comme le montrent le thème d’Un aveugle entouré de ses enfants est consolé de la perte de sa vue par la jouissance de ses autres sens (aussi appelé Les Cinq Sens, Salon de 1806) ou celui de Mélancolie, acquis pour 1 500 francs par l’État (Salon de 1801), qui représente une femme seule et alanguie dans un paysage aux tonalités sombres. Cette œuvre, qui participe d’un genre probablement né en Angleterre et qui témoigne d’une sensibilité particulière à l’intériorité des sentiments et aux mouvements de l’âme, montre le passage d’une méditation sur la condition humaine à un repli sur soi propre au romantisme naissant. Son style s’inscrit dans la rigueur néoclassique de L. David à laquelle se mêle une grâce certainement apprise auprès de F. Gérard. La qualité de son œuvre explique que Charles Sterling lui ait attribué le Portrait de Mademoiselle Charlotte du Val d’Ognes, auparavant donné à David – et aujourd’hui hypothétiquement considéré comme peinture de Marie-Denise Villers-Lemoine*, sous le titre Jeune femme (vers 1801). À l’exception de son mariage, en 1793, avec un fonctionnaire, la vie de Constance-Marie Charpentier est peu documentée, et l’on ignore les raisons pour lesquelles elle cesse d’exposer, après sa médaille d’or au Salon de Paris en 1819 et sa médaille d’argent au Salon de Douai en 1821. Mais, si elle se retire de la vie publique, elle n’abandonne pas pour autant ses activités artistiques puisqu’elle réalise un Autoportrait en 1828. Son visage serait par ailleurs resté célèbre grâce au Portrait d’une femme artiste sculpté par Joseph Chinard (vers 1810).
Xavier REY
■ HARRIS A. S., NOCHLIN L. (dir.), Femmes peintres, 1550-1950 (Women Artists : 1550-1950, 1976) (catalogue d’exposition), Paris, Des femmes-Antoinette Fouque, 1981 ; L’Invention du sentiment, aux sources du romantisme (catalogue d’exposition), Paris, Réunion des musées nationaux/musée de la Musique, Cité de la musique, 2002 ; OPPENHEIMER M. A., Women Artists in Paris 1791-1814, New York, New York University/Graduate School of Arts and Science, 1996.
CHARPENTIER, Marguerite Julie [PARIS 1770 - ID. 1845]
Sculptrice française.
Grâce à son père, François-Philippe Charpentier, un artisan qui, parce qu’il a inventé un nouveau procédé de gravure, bénéficie du titre de mécanicien du roi et d’un logement au Louvre, Julie Charpentier grandit dans un milieu favorable. Formée au dessin par son père, elle suit des cours de modelage, probablement auprès du sculpteur Augustin Pajou. À 17 ans, elle expose un buste de sa sœur et un bas-relief en bronze représentant le duc d’Orléans au Salon de la correspondance, ouvert aux artistes non académiciens. Elle présente ensuite régulièrement ses œuvres au Salon du Louvre, qui s’ouvre aussi aux non-académiciens à partir de 1791. Sous l’Empire puis durant la Restauration, la sculptrice reçoit plusieurs commandes publiques et privées. Elle est ainsi l’auteure de quatre des bas-reliefs de la colonne Vendôme et de deux autres pour la Fontaine de l’éléphant (projet initié par Napoléon en 1808 pour la place de la Bastille, mais qui ne voit jamais le jour). Elle sculpte surtout dans le marbre des bustes en ronde bosse de figures historiques : le plus réussi, Le Dominiquin (Domenico Zampieri, dit) (musée du Louvre, Paris, 1818) révèle un talent que les autres œuvres laissent peut-être moins deviner : tête inclinée, regard détourné, sourcils froncés, cheveux et barbe finement bouclés donnent une impression remarquable de vie. Le reste de sa production est composé d’œuvres de petite taille (médaillons, statuettes) et de reliefs, qui trouvent aisément une clientèle et ne demandent pas d’assistant. Dans un monde de la sculpture encore plus masculin que celui de la peinture, ne pouvant vivre de son art, la sculptrice travaille, à partir de 1801, comme taxidermiste au musée d’Histoire naturelle. Mais cela ne l’empêche pas de finir dans la misère.
Delphine GALLOY
■ HAMY E. T., Julie Charpentier, sculpteur et préparateur en zoologie (1770-1845), Paris, Imprimerie nationale, 1899.
■ EASTERDAY A., « “Labeur, honneur, douleur”, sculptors Julie Charpentier, Félicie de Fauveau and Marie d’Orléans », in Woman’s Art Journal, automne 1997/hiver 1998, vol. 18, no 2.
CHARRAT, Janine [GRENOBLE 1924]
Danseuse et chorégraphe française.
Élève à Paris de Jeanne Ronsay, professeure de danses orientales, Janine Charrat poursuit sa formation auprès de Lubov Egorova, Olga Preobrajenska et Alexandre Volinine. Vedette-enfant du film La Mort du cygne (1936), elle déploie tôt une présence et une prodigieuse maturité artistique remarquée par Serge Lifar qui devient son mentor. Chorégraphe aux Ballets des Champs-Élysées, elle dirige ensuite plusieurs compagnies, dont les Ballets Janine Charrat qu’elle fonde en 1951 – renommés ensuite Ballet de France –, et le Ballet du Grand Théâtre de Genève. Victime de graves brûlures dans un studio de télévision en 1961, elle reprendra avec une rare énergie sa carrière de directrice, de danseuse et de chorégraphe. En 1978, elle devient conseillère pour la danse au centre Georges Pompidou, privilégiant durant vingt ans la diffusion de la jeune danse internationale. Danseuse fragile mais infatigable, naturellement douée d’un visage mobile, de bras et de mains expressifs, elle interprète le solo Prière que Lifar conçoit pour elle, et choisit comme partenaire le jeune Roland Petit avec lequel elle se produit en récital (Paul et Virginie, 1943). Attirée dès l’enfance par la chorégraphie, plus instinctive que cérébrale, elle connaît un immense succès avec Jeu de cartes (1945) qui révèle le danseur Jean Babilée aux Ballets des Champs-Élysées. Elle s’illustre par la nouveauté des sujets qu’elle traite, l’homosexualité dans Adam miroir (1948) ou la folie dans Les Algues (1953). Elle évoque mythes et légendes dans Le Massacre des Amazones (1951), Tu auras nom Tristan (1963). Dans Les Liens (1957), elle enlace chaque interprète avec des bandes élastiques émergeant des coulisses qui prolongent les lignes dans l’espace. Elle chorégraphie également Cressida (1946) au Nouveau Ballet de Monte-Carlo ; Abraxas (1949) à l’Opéra de Berlin ; Les Sept Péchés capitaux (1956) à la Scala de Milan ; Diagramme (1957) au Grand Ballet du marquis de Cuevas ; cosigne Les Quatre Fils Aymon (1961) avec Maurice Béjart au Ballet du XXe siècle ; Pour le temps présent (1963), Alerte… Puits 21 (1964) au Grand Théâtre de Genève ; Diachronie (1979) à l’Opéra-Comique de Paris… Choisissant souvent les compositeurs du XXe siècle (Stravinsky, Bartók, Varèse, Weill, Egk, Sauguet), elle est très attirée par les accents contemporains de Guy Bernard et Fernand Schirren et par des peintres tels que Paul Delvaux et Fernand Léger.
Florence POUDRU
■ Avec HUMBERT M., Janine Charrat, Antigone de la danse, Paris, H. Piazza, 1970.
■ BARIL J., La Tentation de l’impossible, Paris, M. Brillant, 1964.
■ Janine Charrat, l’instinct de la danse, Riolon L., Seddoh R., 54 min, 2001.
CHARRAUD, Nathalie [XXe siècle]
Mathématicienne et psychanalyste française.
Membre de l’École de la cause freudienne, Nathalie Charraud est maître de conférences en psychopathologie à l’université Rennes 2. En 1998, dans sa thèse de doctorat, Psychologie de l’invention en mathématiques, elle analyse l’importance de l’inconscient dans les découvertes mathématiques. Elle écrit de nombreux articles publiés dans des revues liées au Champ freudien. Dans son livre Infini et Inconscient : essai sur Georg Cantor (1994), elle étudie, à partir de la théorie lacanienne, le cas de ce mathématicien, fondateur de la théorie des ensembles sur laquelle se sont édifiées les mathématiques du XXe siècle. La découverte par Cantor des nombres transfinis, en bouleversant la notion d’infini, a eu valeur de transgression. Le livre de N. Charraud met l’accent sur le choix de la liberté, en même temps que sur le drame, sous-jacents à l’élaboration d’une telle théorie (le mathématicien a fini sa vie en hôpital psychiatrique). Elle publie en 1997 Lacan et les mathématiques. À l’occasion de la parution en chinois de l’essai collectif de l’École freudienne, auquel elle a participé, L’Éthique du désir, une introduction à la pensée de Lacan, elle est invitée à donner cours et conférences dans la capitale chinoise. Retournant alors pour la troisième fois à Pékin, où elle a passé sa petite enfance, elle poursuit sa réflexion sur le fonctionnement des mathématiques chinoises et la symbolique des idéogrammes.
COLLECTIF PSYCHANALYSE ET POLITIQUE
■ « Lacan et le bouddhisme chan », in La Cause freudienne, no 79, 2011 ; avec CARTIER P. (dir.), Le Réel en mathématiques. Psychanalyse et mathématiques, Paris, Agalma/Seuil, 2004.
CHARRIÈRE, Caroline [FRIBOURG 1960]
Compositrice suisse.
La compositrice, chef d’orchestre, de chœur et flûtiste Caroline Charrière entre dans la musique par le biais de la fanfare. Après avoir montré sa virtuosité de flûtiste à Lausanne (Pierre Wavre) et avoir obtenu un diplôme de chef d’orchestre (Hervé Klopfenstein), elle enseigne son instrument au Conservatoire de Fribourg, fonde un ensemble vocal féminin, le Chœur de Jade, dirige des chœurs fribourgeois et se lance dans la composition après avoir suivi les cours de Jean Balissat. Depuis 1993, les commandes d’œuvres se succèdent et en 2000, elle décide de se consacrer essentiellement à la composition, où elle aborde tous les genres. Elle acquiert une notoriété définitive avec l’oratorio Le Livre de Job en 2001. Depuis, sa musique est jouée dans le monde entier. Elle utilise un langage moderne, dans la continuité de la tradition musicale occidentale, toujours soucieuse que sa musique atteigne le public, afin de partager avec lui son monde intérieur.
Irène MINDER-JEANNERET
■ « Caroline Charrière », in KREUTZIGER-HERR A., UNSELD M. (dir.), Lexikon Musik und Gender, Cassel/Weimar, Bärenreiter/Metzler, 2010.
■ HAYOZ J.-M., « La musique de Caroline Charrière. Une approche », in ClingKlong, no 49, 2003.
CHARRIÈRE, Isabelle DE (née VAN TUYLL VAN SEROOSKERKEN VAN ZUYLEN) [ZUYLEN, UTRECHT 1740 - COLOMBIER 1805]
Écrivaine et compositrice suisse.
Hollandaise de naissance, neuchâteloise d’adoption, « une des femmes les plus distinguées du XVIIIe siècle » selon Sainte-Beuve, Belle Van Zuylen fut épistolière, romancière, essayiste, dramaturge et compositrice. Fille d’un baron, francophone comme l’élite européenne, elle se distingue par son intelligence vive, sa sensibilité, son mépris des préjugés et des convenances : en témoignent sa correspondance à partir de 1760 avec un officier à la réputation sulfureuse, Constant d’Hermenches, et un conte satirique de veine voltairienne, Le Noble (1762), vite retiré de la circulation par sa famille. Elle épouse à 31 ans un gentilhomme sans titre ni fortune, précepteur de ses frères – mariage qui lui offre la possibilité de mener la vie créatrice souhaitée. Elle ne parviendra pas à avoir d’enfant et s’emploiera à l’éducation des jeunes gens qui l’approcheront. Son existence provinciale à Colombier est coupée par un séjour à Paris (1786-1787), où elle rencontre chez Suard le jeune Benjamin Constant. Leur correspondance étincelante reflète leur compagnonnage intellectuel stimulant jusqu’en 1795 (date à laquelle B. Constant se rapproche de Germaine de Staël*), et leur intérêt commun pour l’actualité philosophique et politique. Ce séjour, à l’approche de la Révolution, initie également une veine polémique (Observations et conjectures politiques ; Lettres d’un évêque français à la nation), qui se prolonge dans la fiction après 1793 (Lettres trouvées dans des portefeuilles d’émigrés ; Trois femmes, nouvelle extraite du recueil L’Abbé de la Tour, 1797-1799). Néanmoins, le talent d’écriture d’Isabelle de Charrière s’exprime d’abord en 1784-1787, dans des romans dont la finesse psychologique et sociale est remarquée : Lettres neuchâteloises ; Lettres de Mistriss Henley, publiées par son amie ; Lettres écrites de Lausanne et sa suite, Caliste. Ils ont longtemps éclipsé les fictions suivantes, correspondant mieux, par leur ancrage dans la sphère privée et la condition des femmes, au stéréotype du « roman féminin ». Ces fictions brèves déjouent les formes convenues du roman sentimental ou pédagogique dans lequel elles s’inscrivent (Lettres écrites de Lausanne ; Caliste ; Sir Walter Finch et son fils William, son dernier récit en 1805), et entrent en dialogue avec Rousseau, Mme de Genlis*, puis avec Kant et G. de Staël (Trois femmes, 1795). Esprit indépendant, sceptique, ouvert sur l’Europe, réfractaire aux clichés, son intérêt s’élargit ainsi de la condition des femmes à l’actualité révolutionnaire et philosophique, qui passe au premier plan de son œuvre après 1792 : nature du devoir, projets d’instruction publique, politique culturelle. Son œuvre livre une sorte de bilan critique des Lumières, favorisé par son sexe et sa position géographique marginale. Revisitée par les études féministes depuis une édition d’ensemble tardive, elle connaît aujourd’hui un plus large écho, et son appréciation se modifie, se dégageant des critères esthétiques classiques et des schémas de lecture dits de genre.
Laurence VANOFLEN
Également musicienne et auteure de livrets d’opéra, mais ne trouvant pas de compositeur pour mettre en musique ses livrets, I. de Charrière se rend à Paris de 1786 à 1787 pour compléter sa formation musicale. Elle travaille ensuite à Colombier, notamment avec le compositeur italien Niccolò Zingarelli (1752-1837). Ce sont les troubles révolutionnaires qui semblent avoir empêché la représentation de son opéra Les Femmes à Paris. Elle compte parmi les premières personnes à avoir écrit des opéras en Suisse et à en avoir signé la musique et les livrets.
Irène MINDER-JEANNERET
■ Œuvres complètes, Amsterdam, G. A. Van Orschoot, 1979.
■ ADELSON R., LETZTER J., Women Writing Opera, Berkeley, University of California Press, 2001 ; GODET P., Mme de Charrière et ses amis, Genève, Slatkine, 1973 ; JAKUBEC D.Une Européenne, Isabelle de Charrière en son siècle, Hauterive-Neuchâtel, G. Attinger, 1994 ; KARMARKAR M. N., Mme de Charrière et la révolution des idées, New York, P. Lang, 1996; TROUSSON R., Isabelle de Charrière, un destin de femme au XVIIIe siècle, Paris, Hachette, 1993 ; WINIKER R., Mme de Charrière, essai d’un itinéraire spirituel, Lausanne, l’Âge d’homme, 1971.
CHARRIÈRE, Margarita [BUENOS AIRES 1942]
Architecte et urbaniste argentine.
Suivant des études durant les années d’or de l’université de Buenos Aires, à son plus haut niveau entre 1955 et 1966 avant de connaître une stagnation due à la dictature militaire, Margarita Charrière se spécialise en planification urbaine et territoriale, soutenant en 1971 un diplôme sous la direction d’Eduardo Sarrailh (vers 1920-1990) et d’Odilia Suárez* avec laquelle elle collaborera à plusieurs reprises au sein de l’administration de l’État. Elle commence par travailler dans d’importantes agences de Buenos Aires, notamment celle d’Horacio Baliero (1927-2004) et de Carmen Córdova*, participant au projet du Colegio Mayor à Madrid, décrochant plusieurs prix dans des concours nationaux. Attirée par l’urbanisme, elle obtient plusieurs bourses du gouvernement français, grâce auxquelles elle effectue trois stages de perfectionnement touchant à l’urbanisme et l’organisation territoriale (1976-1977), à la réhabilitation et au renouvellement des villes (1984-1985) ainsi qu’à l’environnement urbain (1985). Avec Marcos Winograd (1928-1983) et les membres du bureau de la Ville de La Plata, elle établit un projet de restructuration du marché central Abasto de Buenos Aires et, en parallèle, une proposition pour les Halles de Paris. Ce sont les premières actions entreprises en faveur de la réhabilitation avec la participation des habitants, un sujet qui lui est cher, comme le montre le projet « Recup Boca » (1984-1993) qui lui apporte une reconnaissance internationale. Il a pour objet la remise en état d’anciens conventillos (« petits couvents », nom probablement donné en référence au plan de construction : une cour entourée de pièces rappelant des cellules), habités par des familles pauvres, avec la participation active des voisins et d’organisations non gouvernementales. M. Charrière est une experte reconnue et sollicitée pour les projets d’aménagements publics intégrant architecture, gestion politique et intégration sociale. Conseillère du Plan urbain d’environnement de Buenos Aires, puis sous-secrétaire à la Planification des travaux publics de 2003 à 2006, elle est aujourd’hui conseillère de divers organismes publics municipaux en Argentine et à l’étranger.
Claudia SHMIDT
■ (Dir.), Programa « recup » Boca. Una carta de desarrollo social y urbano del barrio, Buenos Aires, Municipalidad de la Ciudad, 1988.
■ TAPIA A., SILVESTRI G., « Winograd, Marcos », in ALIATA F., LIERNUR J. F., Diccionario de Arquitectura en la Argentina, Buenos Aires, Clarín, 2004.
CHARRIN, Anne-Victoire [SAINT-NIZIER D’AZERGUES 1940]
Anthropologue française.
Ses études de russe à la Sorbonne mènent Anne-Victoire Charrin dans la Russie des années 1960, où elle suit des cours à l’université de Moscou et à Leningrad. En 1975, elle effectue un premier voyage en Sibérie pour rencontrer des écrivains autochtones, puis une mission en Yakoutie et en République de Mongolie. À l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco), elle enseigne bientôt la langue et la littérature russes, puis donne leur place aux cultures et littératures sibériennes. Après une thèse sur l’image poétique de la Sibérie dans la littérature russe du XIXe siècle, elle se rend dans le nord de la Sibérie, désormais accessible aux Occidentaux : elle effectue des missions avec des ethnologues russes dans les villages ket de l’Ienisseï (région de Krasnoïarsk) ainsi que dans le district autonome des Koriak (Kamtchatka). Au début des années 1990, A.-V. Charrin crée l’équipe d’études sibériennes au sein de l’Inalco et se donne pour objectif d’observer les traditions et les transitions culturelles des peuples minoritaires de Sibérie dans l’espace russe. Par son enseignement, elle a formé et aidé plusieurs générations d’étudiants qui travaillent aujourd’hui sur la Sibérie ou plus largement sur le monde russe, collectant et analysant récits de vie et musiques du Nord, de la Sibérie et de l’Extrême-Orient russe. Enfin, elle a entrepris de faire connaître auprès d’un large public les cultures et les littératures autochtones grâce à des films (Hommes et mythes du Kamtchatka, 1994) et des ouvrages présentés par ses soins (Les Caresses de la civilisation, de Tat’jana Moldanova*, 2007 ; La Chatte qui a sauvé le monde, de Roman Rugin, 2008). Rédactrice en chef de la revue Slovo et directrice de collection aux éditions Paulsen, A.-V. Charrin s’efforce de collecter la mémoire de ces peuples et de leur ouvrir un espace littéraire.
Dominique SAMSON NORMAND DE CHAMBOURG
■ Le Petit Monde du Grand Corbeau, Paris, Presses universitaires de France, 1983 ; Les Sibériens, de Russie et d’Asie, une vie, deux mondes, Paris, Autrement, 1994 ; AÏPINE É., La Mère de Dieu dans des neiges de sang, Paris, Paulsen, 2010.
■ « Littératures des peuples autochtones de la Sibérie », in Missives, no 223, 2001 ; « Les littératures de Bouriatie et de Yakoutie », in Missives, no 229, 2003 ; « Regret et rejet du passé dans la littérature russe », in Slovo, no 32/33, 2006.
CHARTREUX, Annick [NANCY 1942]
Compositrice et pédagogue française.
Après une partie de ses études musicales au conservatoire de Nancy (premier prix de piano à l’âge de 12 ans, musique de chambre, écriture), Annick Chartreux poursuit sa formation à Paris avec Lucette Descaves, Alain Weber, Ida Perin-Pollin, Marcel Bitsch. Elle consacre sa vie professionnelle à l’enseignement et à la composition. Professeure agrégée au lycée Claude-Monet à Paris, elle y fonde un orchestre et est responsable de la section de spécialité « musique », d’où émanent plusieurs professionnels de la musique. Elle publie à partir de 1977 une série de recueils de pièces pour piano, des pièces pour petites formations modulables et des méthodes incluant l’improvisation dans l’apprentissage, fruit d’une réflexion pédagogique sans cesse en mouvement. Une trentaine d’ouvrages à ce jour sont parus aux éditions Van de Velde (collection« Piano Jazz Blues and C° », Rencontres, Rainbow piano, Triphase, Pianolude, Voyages improvisés, etc.). À l’ouverture du musée d’Orsay en 1987, A. Chartreux participe à la réflexion sur la manière d’« exposer » le cinéma des origines, et accompagne au piano ou en formation de chambre une centaine de films muets, en France et à l’étranger. Après cette expérience, qui nourrit l’évolution de son langage musical, elle revient à la composition traditionnelle et noue de nouveaux partenariats éditoriaux et musicaux. On peut retenir, parmi les œuvres qui y sont publiées, la Fantaisie pour violon et piano, le Quatuor avec pianoIn memoriam Schulhof, le Sextuor à cordes, la Déploration pour violoncelle seul, le Dit de l’ombre, pour trompette solo, violoncelle principal et quatuor à cordes, deux Portraits sur les quatre tempéraments pour clavecin. Elle explore le domaine de la musique vocale, conjuguant sa connaissance des formations d’enfants avec des voix d’adultes, s’essayant à des alliances originales de timbres dans des œuvres écrites pour quelques instruments et voix. L’une de ses œuvres les plus ambitieuses est la cantate Donnez-moi la mémoire, écrite à partir de poèmes composés par des enfants internés au camp de Terezin pendant la Seconde Guerre mondiale, œuvre créée à l’église de la Madeleine à Paris en 2005. Elle poursuit dans un autre genre avec le mélodrame L’ombre joue avec le mur, sur une nouvelle de Nata Minor*, et les deux grands chœurs : La Ballade des pendus et L’Épître à mes amis, pour chœurs, soliste, trois cors et percussions. Parallèlement, elle compose et publie plusieurs cycles de mélodies, sur des poèmes de Louise Labé*, Catherine Pozzi*, Adonis, Philippe Forget, avec accompagnement de cordes et de vents. Héritière de la subtilité mélodique et de la clarté du style français, A. Chartreux, fuyant tout esprit de système, intègre dans sa langue musicale tous les apports de notre temps. Ainsi peut-on retrouver quelques échos de jazz dans une musique où humour et lyrisme se croisent sans jamais se prendre tout à fait au sérieux, fidèle aux maîtres de l’écriture du siècle où elle est née : Bartók, Poulenc, Roussel.
Claude JAILLOT
CHARWE NYAKASIKANA, Nehanda [CHIDAMBA V. 1863 - HARARE 1898]
Médium zimbabwéenne.
Grande prêtresse-lion, Nehanda Charwe Nyakasikana est considérée comme la réincarnation de l’esprit de Nehanda Nyamhika (XVe siècle), reine des Khoïsan, les prédécesseurs des Bantous, dont le palais de Great Zimbabwe, la plus ancienne et monumentale cité de l’antiquité africaine (1270-1550 av. J.-C.), fut découvert par les Portugais au XVIe siècle. Le culte des ancêtres, pratiqué par les prêtres mhondoro (« lions »), est associé à la guérison par les plantes (700 plantes médicinales, efficaces à 95 %, ont été identifiées par la Commission de surveillance des médicaments du Zimbabwe), à la transe avec possession par leurs esprits bienfaiteurs et aux rêves divinatoires. C’est sous la direction de N. Charwe Nyakasikana que la guerre de libération contre l’Angleterre commence en 1896. Très respectée, elle coordonne la résistance grâce à ses messages secrets (tambours et télépathie). Elle est capturée en octobre 1897, puis pendue après avoir annoncé, au cri de « mes os ressusciteront », la venue d’une seconde guerre d’indépendance (Chimurenga), qui culmine avec l’indépendance du Zimbabwe grâce aux conseils militaires donnés par une nouvelle réincarnation de Nehanda qui meurt en 1973. Le nom « Nehanda », précédé du titre de Mbuya (« grand-mère »), figure avec son ultime message sur de nombreux souvenirs (jouets, tee-shirts, vaisselle, sacs).
Claudine BRELET
■ JOHNSONE I. J., MAKIZANA P. C., Zimbabwe Epic (1982), Harare, National Archives of Zimbabwe, 1988.
CHASE, Alison [SAINT LOUIS 1946]
Danseuse et chorégraphe américaine.
Née dans le Missouri, Alison Chase étudie la philosophie et l’histoire à l’université de Californie (Los Angeles), puis suit la classe de chorégraphie à l’université de Darmouth (Vermont) où elle occupe un poste d’enseignante. Elle rencontre Moses Pendleton et Jonathan Wolken, deux universitaires sportifs devenus danseurs, qui viennent de fonder en 1971 le Pilobolus Dance Theater. Avec Martha Clark, elle rejoint le groupe en 1973 et dirige la compagnie Momix – issue du Pilobolus – de 1980 à 2006. Invitée régulièrement à Paris au Théâtre de la Ville et dans les festivals, la troupe se taille un véritable succès auprès du public français séduit par son audacieux dynamisme. L’œuvre d’A. Chase, influencée par les recherches d’Alwin Nikolaïs, privilégie une gestuelle très athlétique. Les corps extrêmement travaillés déploient des formes malléables qui composent des tableaux mouvants et créent des situations absurdes et humoristiques.
Geneviève VINCENT
CHASE, Lucia [WATERBURY 1897 - NEW YORK 1986]
Danseuse et directrice de compagnie américaine.
Après des études au prestigieux Bryn Mawr College, Lucia Chase suit à New York les cours de la Theatre Guild School et apprend la danse avec Mikhaïl Mordkin. En 1926, elle épouse un riche fils de famille qui meurt en 1933, la laissant à la tête d’une grande fortune. Elle reprend alors ses cours avec Mordkin et participe au financement de la compagnie qu’il monte en 1937. Elle y brille comme danseuse étoile jusqu’en 1940, en particulier grâce à un remarquable talent dramatique. À sa création en 1939, Lucia Chase finance le Ballet Theatre qu’elle dirige dès 1942, et qui prend le nom d’American Ballet Theatre en 1957. Elle mène une politique artistique d’une grande largeur de vue, recueille l’héritage des grands ballets classiques du répertoire (La Fille mal gardée, Giselle, Le Lac des cygnes) et invite des chorégraphes russes (Michel Fokine, Bronislava Nijinska*) et européens (Antony Tudor, Birgit Cullberg*). Elle favorise également les débuts des jeunes chorégraphes américains comme Agnes De Mille*, Eugene Loring ou Jerome Robbins. Sans cesse à l’affût de nouveaux talents, elle réussit à faire de l’American Ballet Theatre un pôle majeur de la danse américaine du XXe siècle.
Marie-Françoise BOUCHON
CHASE-RIBOUD, Barbara [PHILADELPHIE 1939]
Sculptrice et romancière américaine.
Particulièrement précoce, Barbara Chase-Riboud décroche à l’âge de 18 ans une bourse pour étudier à l’Académie américaine de Rome. Elle en profite pour voyager en Égypte où l’art des pharaons l’impressionne profondément, comme en témoigne The Last Supper (1958). De retour aux États-Unis en 1958, elle intègre Yale. Seule étudiante afro-américaine de son département, elle étudie la peinture avec l’ancien maître du Bauhaus Josef Albers et le design avec Louis Kahn. La rigueur de J. Albers et la spiritualité de L. Kahn stimulent sa créativité. Son langage plastique, en grande partie abstrait, fait s’entrechoquer des éléments contraires : le dur et le mou, le noble et le trivial, le masculin et le féminin… Installée en France et mariée au photographe de l’agence Magnum Marc Riboud, elle effectue de nombreux voyages, notamment en URSS et en Chine. Sa rencontre avec les figures du Black Panther Party au Festival panafricain, à Alger en 1966, bouleverse son œuvre, qui se fait définitivement plus engagée, comme en témoigne la série Malcolm X (1970). Exposées aux États-Unis en 1970, ses sculptures en bronze poli associé à des cordes en soie et en laine révèlent ses affinités avec Sheila Hicks* et Magdalena Abakanowicz*. L’inspiration la plus profonde vient de ses voyages en Afrique, où elle se familiarise avec les matériaux naturels que sont le raphia et le chanvre. Dans les années 1980, elle débute sa carrière de romancière avec le best-seller La Virginienne (1979) : un roman sur l’esclave et maîtresse du président Thomas Jefferson. Parmi ses œuvres, on peut citer sa première sculpture à caractère politique, Africa Rising (1998), une commande en l’honneur de l’historique cimetière africain de New York. Cette œuvre en bronze monumental, inspirée de la Victoire de Samothrace, allie un socle de style shona (tribu du Zimbabwe) à des éléments ashanti (tribu du Ghana). Dotée d’un profil de Vénus hottentote et surnommée « La Victoire africaine », elle est ornée de pendentifs représentant des personnalités afro-américaines, comme le penseur W.E.B. Du Bois.
Sonia RECASENS
■ Barbara Chase Riboud (catalogue d’exposition), New York, [s.n.], 1970 ; BURY P., CACHIN F., Chase Riboud (catalogue d’exposition), Paris, Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, 1974.
■ HILLSTROM K., HILLSTROM L. C., Contemporary Women Artists, Detroit, St. James Press, 1999 ; ZABUYAN E., Black Is a Color, une histoire de l’art africain-américain contemporain, Paris, Dis voir, 2004.
CHASSAGNE, Yvette [BORDEAUX 1922 - NARBONNE 2007]
Résistante et haut fonctionnaire française.
Toute sa vie, Yvette Chassagne a montré le chemin en investissant des bastions masculins. Après avoir participé à la Résistance, elle est, en 1947, l’une des trois premières femmes à intégrer l’École nationale d’administration (ENA). Première femme « sous-directeur » au ministère des Finances en 1966, elle devient première « conseiller-maître » à la Cour des comptes en 1979 et première « préfet » en 1981. Elle exerce ensuite ses talents dans l’entreprise, accédant à la présidence de l’Union des assurances de Paris, alors premier groupe d’assurances.
Mariette SINEAU
■ Fonctionnaire et patron, les préjugés renversés, Paris, J.-C. Lattès, 1988.
CHASSAIGNE, Anne-Marie VOIR POUGY, Liane DE
CHASSEGUET-SMIRGEL, Janine [PARIS 1928 - ID. 2006]
Psychanalyste française.
Une double passion pour la psychanalyse et pour la politique marque la vie de Janine Chasseguet-Smirgel, femme de courage et de conviction, qui n’hésite pas à s’affronter aux grands problèmes de la cité et à susciter débats et controverses en appliquant la psychanalyse aux créations culturelles et aux engagements sociopolitiques. Issue d’une famille d’immigrés d’origine russe et polonaise frappée par la barbarie nazie, elle entreprend des études à l’Institut d’études politiques de Paris, dont elle est diplômée en 1952, et poursuit parallèlement des études de psychologie. Elle entame sa première psychanalyse en 1953, puis une formation à la Société psychanalytique de Paris à partir de 1956. Devenue psychanalyste, elle assume de nombreuses responsabilités institutionnelles, sans jamais perdre sa liberté de parole. Son engagement aux côtés du Parti communiste français prend fin après l’intervention soviétique en Hongrie en 1956. Son attachement à la judéité est indéfectible. Elle choisit pour thème de son allocution d’ouverture du premier Congrès international de psychanalyse à Hambourg en 1985, qu’elle a contribué à organiser en tant que vice-présidente de l’Association psychanalytique internationale, le poème de Heinrich Heine « Le Retour », comme symbole du retour des juifs en Allemagne quarante ans après le génocide. En 1964, la publication sous sa direction des Nouvelles recherches sur la sexualité féminine (ouvrage collectif, avec Joyce McDougall*, Mária Török*, Catherine-J. Luquet-Parat, Christian David, Bela Grunberger, plusieurs fois réédité et traduit dans de nombreuses langues) relance les débats sur les théories freudiennes de la féminité du début du mouvement psychanalytique. Elle-même s’y penche sur la position spécifiquement féminine dans la situation œdipienne et la culpabilité à l’égard du père qui empêche l’intégration de l’analité et engendre des inhibitions. Elle publie en 1969 avec B. Grunberger, et sous un pseudonyme pour ne pas perturber leurs patients, L’Univers contestationnaire (réédité en 2004) où ils dénoncent chez les jeunes gauchistes de mai 1968, non pas tant la contestation du père, que l’annulation du père. Cette interprétation psychanalytique à chaud de l’événement sociopolitique suscitera des querelles passionnées dans les milieux psychanalytiques. Dans une remarquable analyse du conte d’Andersen « Le Rossignol de l’Empereur de Chine » (1969), où le « faux » est identifié à l’inanimé et le « vrai » au vivant, elle avance l’hypothèse que le vrai est ce qui est « engendré » et peut engendrer à son tour, et le faux une « production anale idéalisée ». L’analité, commune à l’adulte et à l’enfant, et « galop d’essai vers la génitalité » au cours du développement, se révèle être une « parodie de la génitalité » après coup, « une tentative de substituer un monde de faux-semblants au monde réel, celui de la différence des sexes et des générations ». Cet article est le point de départ d’importants travaux ultérieurs sur L’Idéal du moi (1975, réédité en 1990 sous le titre La Maladie d’idéalité) et sur la perversion, avec Éthique et esthétique de la perversion (1984), dans lequel elle s’attache principalement au sujet masculin. Elle assume aux éditions Tchou, avec B. Grunberger, la direction de la collection « Les Grandes découvertes de la psychanalyse », qui publie une douzaine de tomes entre 1977 et 1981. Elle confie aux éditions des femmes*, en 1988, la publication d’un recueil de ses articles (1975-1983) qu’elle intitule Les Deux Arbres du jardin, essais psychanalytiques sur le rôle du père et de la mère dans la psyché et écrit, dans son dernier ouvrage, Le Corps comme miroir du monde (2003), une critique déterminée du mouvement queer : « Réinvention de la misogynie, la haine de la mère chez la femme émancipée ». J. Chasseguet-Smirgel a formé un grand nombre d’analystes, attirés par la clarté et la fermeté de ses positions théoriques et de son engagement clinique. Très active jusqu’en 1996 dans l’enseignement universitaire français où elle est professeure de psychologie clinique et de psychopathologie, elle occupe également la chaire Freud à l’université de Londres, en 1982 et 1983. Son œuvre jouit d’une reconnaissance internationale, en particulier aux États-Unis et en Amérique du Sud mais aussi en Europe, où elle fut souvent l’ambassadrice de la psychanalyse française.
COLLECTIF PSYCHANALYSE ET POLITIQUE
■ Pour une psychanalyse de l’art et de la créativité, Paris, Payot-Rivages, 1971.
CHÂTELET, Noëlle (née JOSPIN) [MEUDON 1944]
Écrivaine et comédienne française.
Après un doctorat de lettres sur les relations entre corps et nourriture (Le Corps à corps culinaire, 1976), Noëlle Châtelet a mené une carrière universitaire jusqu’en 2004. Elle a également été comédienne pour le cinéma (Vera Baxter, 1977) et la télévision. Son premier recueil de nouvelles, Histoires de bouches (1986), obtient le prix Goncourt de la nouvelle. À la suite de son premier roman (La Courte Échelle, 1991), elle publie une trilogie, dont le volet liminaire, La Dame en bleu (1996), est salué par le prix Anna-de-Noailles* de l’Académie française. Le corps et ses métamorphoses sont un des enjeux de son œuvre, qui compte aussi bien des essais (Trompe-l’œil sur le milieu de la chirurgie esthétique, 1993) que des romans (La Tête en bas sur l’hermaphroditisme, 2003), et plus récemment un récit d’actualité (Le Baiser d’Isabelle sur la première greffe mondiale du visage, 2007) et un reportage (À cœur battant sur le don d’organes, 2008). Membre du jury de plusieurs prix littéraires, elle est vice-présidente du comité de la Société des gens de lettres depuis 2003. Fille de Mireille Jospin (1910-2002), elle a raconté la mort choisie par sa mère dans La Dernière Leçon (2004).
Audrey LASSERRE
CHATTERJEE, Amita [CALCUTTA 1950]
Philosophe indienne.
Professeure de philosophie à la Jadavpur University de Calcutta, Amita Chatterjee est connue pour ses contributions érudites à « la philosophie de la fusion » et son effort pour établir une communication entre les philosophies de l’Orient et de l’Occident en poursuivant la tradition des philosophes Bimal Krishna Matilal, Chandra Talpade Mohanty et Sibajiban Bhattacharya. Ses domaines de recherche sont la logique et les sciences cognitives.
A. Chatterjee a vécu sa jeunesse dans la culture indienne traditionnelle, tout en bénéficiant d’une initiation au mode de vie occidental et à ses valeurs dans des écoles dirigées par des missionnaires chrétiens. Elle a acquis ainsi la conviction d’une possibilité de dialogue harmonieux entre ces deux cultures. Pour résoudre certains points d’achoppement entre les philosophies d’Orient et d’Occident, elle emprunte à des méthodologies issues de différentes traditions de pensée. Elle promeut une connaissance de la tradition qui ne soit pas fossilisée, mais ouverte au monde contemporain. Elle est convaincue qu’un système philosophique se développe quand il est capable de faire face à des oppositions radicales (Search of Counterpoints). Diplômée du Presidency College de Calcutta, elle a soutenu sa thèse de doctorat en philosophie (« les problèmes des conditionnels contrefactuels ») sous la direction de M. Ramaprasad Das, spécialiste de logique mathématique, qui privilégie l’étude de la philosophie dans sa langue maternelle (bengali). A. Chatterjee a aussi poursuivi sa formation en philosophie indienne classique sous la direction de M. Biswabandhu Bhattacharya, dernier représentant de la tradition philosophique de Navya-Nyaya au Bengale. Sa pensée s’inspire également de la philosophie analytique de M. Pranab Kumar Sen. Dans Understanding Vagueness (« comprendre le vague », 1994), elle tente de montrer que l’imprécision existe non seulement dans le langage, mais aussi dans la réalité, et propose une solution au paradoxe Sorite employant la logique floue et la notion de conséquence calibrée. Sa position académique reflète un syncrétisme qui opère sans perte d’identités.
Smita SIRKER
■ Avec SIRKER S., Mental Reasoning : Experiments and Theories, Calcutta, Codex, 2009.
■ Avec SIRKER S., « Dinnaga and mental models : a reconstruction », in Philosophy East and West, no 60 (3), 2010.
CHATTOPADHYAY, Kamaladevi [MANGALORE 1903 - DELHI 1988]
Actrice, auteure et militante indienne.
Manifestant dès l’enfance d’exceptionnelles qualités d’intelligence, de courage et de rébellion stimulées par un cercle familial d’intellectuels et de nationalistes militants, Kamaladevi Chattopadhyay est encore une collégienne quand elle est mariée. Veuve à 16 ans, rejetée par sa caste et vivant une succession de tragédies familiales, elle poursuit néanmoins son éducation à Madras, à la St Mary’s School, jusqu’en 1918, et étudie le théâtre sanscrit kutiyattam auprès du maître Mani Madhava Chakiar au Kerala. Avec Harindranath Chattopadhyay, poète, écrivain et acteur bengali qu’elle épouse en 1923, elle monte des pièces classiques et satiriques. D’abord actrice de cinéma muet, elle est ensuite comédienne dans quelques films hindi. Quand elle apprend l’existence du Mouvement de non-coopération du Mahatma Gandhi, elle rejoint l’organisation gandhienne Seva Dal, dans laquelle elle est chargée du recrutement des sevikas, « femmes volontaires ». Inspirée par Margaret Cousins, fondatrice de l’All India Women’s Conference dont elle devient l’un des membres actifs, elle est la première femme à proposer sa candidature pour un siège législatif. Elle voyage à travers l’Europe et met en œuvre des programmes de réforme éducative et sociale pour et par les femmes. En 1930, elle fait partie des sept membres leaders de la « marche du sel » lancée par Gandhi pour lutter contre la taxe sur le sel ; elle passe près d’un an en prison pour contrebande de sel. En 1936, présidente du Congress Socialist Party, elle n’hésite pas à s’opposer à ses collègues, et même à Gandhi, pour défendre les droits des femmes. Après l’indépendance, ayant obtenu l’autorisation de Gandhi, elle aménage la commune de Faridabad pour les réfugiés, puis œuvre en faveur de la réhabilitation et de la conservation des techniques artisanales : création du Theatre Craft Museum à New Delhi, de musées régionaux destinés aux archives des cultures indigènes et aux vestiges de l’histoire de l’artisanat. En 1964, elle crée à Delhi le Natya Institute of Kathak and Choreography, affilié à l’International Theatre Institute-Unesco. Son nom est lié à la fondation des plus importantes institutions, dont la National School of Drama, la Sangeet Natak Academy et l’All India Handicraft Board. Ses multiples et fructueuses actions lui valurent de prestigieuses distinctions, dont un prix de l’Unesco en 1977. Parmi ses nombreux écrits, son autobiographie, Inner Recesses and Other Spaces, est parue en 1986.
Milena SALVINI
CHAUDET-HUSSON, Jeanne-Élisabeth (née GABIOU) [PARIS 1767 - ID. 1832]
Peintre française.
Souvent mentionnée dans les essais consacrés aux femmes artistes de la fin du XVIIIe siècle, élève d’Élisabeth Vigée-Lebrun* et du sculpteur Antoine-Denis Chaudet (son premier mari), Jeanne-Élisabeth Chaudet-Husson témoigne d’un parcours que l’on pourrait qualifier de « classique » pour une jeune femme peintre de l’époque. Elle expose au Salon de la correspondance en 1785 (Portrait de Mlle Guerrier) et en 1787 (Autoportrait), puis régulièrement au Salon du Louvre de 1796 à 1817. Elle se spécialise dans les portraits anecdotiques (Portrait d’enfant portant le sabre de son père ; Portrait d’une jeune fille tenant un chat) et dans les toiles aux thèmes attendris : scènes avec des jeunes filles, des enfants et des animaux domestiques (Enfant endormi gardé par son chien courageux, musée d’Art et d’Histoire, Rochefort, 1801). Son style, sans originalité propre, se situe entre l’écriture précise des néoclassiques et le sfumato des préromantiques. Certains critiques trouvent ses tons trop froids et son style un peu trop manifestement calqué sur celui des grands maîtres de l’époque (David, Ingres ou Prud’hon). Cependant, l’impératrice Marie-Louise lui achète plusieurs toiles et lui commande, entre autres, une composition, Jeune fille à genoux devant la statue de Minerve et faisant le sacrifice des dons de l’Amour (Salon 1808, Arenenberg, Suisse). Son second mari, un architecte du nom de Pierre-Arsène Husson, a fait don de la plupart de ses peintures au musée d’Arras. Mais la majeure partie a été détruite pendant la Première Guerre mondiale.
Delphine GALLOY
■ HARRIS A. H., NOCHLIN L., Femmes peintres, 1550-1950 (Women Artists : 1550-1950, 1976) (catalogue d’exposition), Paris, Des femmes-Antoinette Fouque, 1981 ; SCHURR G., CABANNE P., Dictionnaire des petits maîtres de la peinture, 1820-1920 (1996), Paris, Les Éditions de l’Amateur, 2008.
■ FOUCHER C., « Jeanne-Élisabeth Chaudet, ou la diversité stylistique de Greuze à Géricault », in Histoire de l’art, no 63, oct. 2008.
CHAUÍ, Marilena de Sousa [SÃO PAULO 1941]
Philosophe brésilienne.
Professeure de philosophie à la prestigieuse université de São Paulo, où elle a suivi toute sa formation académique, elle a obtenu les plus hauts grades universitaires dans son pays comme en France ou en Argentine (docteur honoris causa de l’université de Paris 8 en 2003 et de l’Université nationale de Cordoba en 2004). Partant de la critique de l’humanisme chez Merleau-Ponty, elle devient spécialiste de Spinoza, dont elle met en relief la dimension politique, qu’elle exploite alors pour réfléchir à la situation de son pays. Devenue en quelque sorte philosophe-intellectuelle en action, elle multiplie les interventions dans le monde universitaire, mais aussi comme secrétaire à la Culture de la Ville de São Paulo (1988-1992) et en tant que militante et idéologue du Parti des travailleurs, fondé en 1980. C’est une des personnalités les plus connues, bien que controversée, de la vie culturelle brésilienne. Ses nombreuses publications ont été distinguées par des prix littéraires. Elles portent sur des sujets philosophiques, comme, notamment, Experiência e pensamento, ensaios sobre a obra de Merleau-Ponty (« expérience et pensée, essais sur l’œuvre de Merleau-Ponty », 2002) ou Spinoza e la política (2005), et sur des sujets politiques comme la fonction de l’université (Escritos sobre a universidade, 2001), le rôle de l’intellectuel (Intelectual engajado, uma figura em extinção ? , « l’intellectuel engagé, une figure en voie de disparition ? », 2006), les médias (Simulacro e poder, uma análise da mídia, « simulacre et pouvoir, une analyse des médias », 2006), la culture populaire (Cidadania cultural, o direito à cultura, « citoyenneté culturelle, le droit à la culture », 2006). O que é ideologia (« qu’est-ce que l’idéologie ? », 1980), de tonalité marxiste non orthodoxe, et Cultura e democracia (1981) ont connu un grand succès universitaire. Depuis 1970, elle écrit régulièrement dans le journal Folha de São Paulo (« feuille de São Paulo ») ainsi que dans plusieurs périodiques.
Ligia VASSALLO
CHAUVET, Marie (née VIEUX) [PORT-AU-PRINCE 1916 - NEW YORK 1973]
Écrivaine haïtienne.
Voix majeure du XXe siècle, Marie Chauvet a profondément influencé les lettres haïtiennes. Elle grandit dans un milieu privilégié et décide très tôt de se consacrer à son art, rejetant le parcours traditionnel imposé aux femmes. Elle publie La Légende des fleurs (pièce de théâtre, 1947), Fille d’Haïti (1954), La Danse sur le volcan (1957) et se fait un nom dans les cercles littéraires. Dans l’effervescence des années 1960, elle s’épanouit parmi les poètes du mouvement Haïti Littéraire, qui lisent chez elle leurs écrits. Dans le roman Fonds des Nègres (1960) se précisent la finesse de son analyse sociale, la justesse incisive de son regard sur l’époque, la complexité de ses personnages ainsi qu’une langue très sûre. Ces qualités atteindront leur apogée dans la trilogie Amour, colère et folie (1968), nouvelles écrites pendant le durcissement de la dictature de Duvalier. Ce chef-d’œuvre, qui pénètre les espaces tabous de la terreur, des rapports de classe et surtout de l’intime, est promis à un brillant et tumultueux parcours. Mais à peine sorti de presse, le livre est censuré : convaincue que ce texte aurait de funestes conséquences, et sans doute ébranlée par son contenu, la famille a persuadé l’éditeur de le retirer de la vente et en a racheté toutes les copies. Très blessée par ce musellement forcé, l’écrivaine s’exile à New York. Écrit entre 1971 et 1973, son dernier livre, Les Rapaces, publié à titre posthume en 1986, approfondit sombrement les thématiques de son œuvre. Il faut attendre 2005 pour que sa trilogie, longtemps diffusée sous le manteau, soit finalement rééditée avec l’approbation des descendants.
Stéphane MARTELLY
■ LAROCHE M., Trois études sur « Folie » de Marie Chauvet, Montréal, Grelca, 1984.
■ SCHARFMAN, R., « Theorizing terror : The discourse of violence in Marie Chauvet’s “Amour, colère et folie” », in Green, M. J. et al (dir.), Postcolonial Subjects : Francophone Women Writers, Minneapolis, University Minnesota Press, 1996.
CHAUVIN, Jeanne [JARGEAU 1862 - PROVINS 1926]
Avocate française.
Fille de notaire, Jeanne Chauvin est la deuxième femme de France à obtenir une licence de droit en 1890 et la première à soutenir son doctorat en 1893. En 1897, elle se présente à la cour d’appel de Paris pour prêter le serment d’avocat. Elle essuie un refus, au motif que la loi n’autorise pas les femmes à exercer la profession d’avocat, « exercice viril » par excellence… Elle devra attendre trois ans pour que, à l’initiative de Raymond Poincaré et de René Viviani, une loi levant l’interdit soit votée le 1er décembre 1900. Elle prête serment le 7 décembre 1900.
Fabienne PRÉVOT
■ Cours de droit professé dans les lycées de jeunes-filles de Paris, Paris, V. Giard & E. Brière, 1895.
CHAUVIRÉ, Yvette [PARIS 1917]
Danseuse et chorégraphe française.
Issue de l’école de danse de l’Opéra de Paris, Yvette Chauviré suit notamment les cours de Carlotta Zambelli*. Engagée en 1930, promue première danseuse en 1937, elle est avec Janine Charrat* et Mia Slavenska la vedette du film La Mort du cygne. Nommée étoile en 1941, elle quitte l’Opéra et rejoint Serge Lifar en 1946 au Nouveau Ballet de Monte-Carlo, puis poursuit une prestigieuse carrière indépendante (1949-1952). De retour en 1953 à l’Opéra de Paris dont elle est le fleuron, elle se produit souvent en étoile invitée dans les principales compagnies internationales. Sa beauté expressive et sa ductilité font d’elle une des interprètes préférées de Serge Lifar. Dès 1937, il lui confie des rôles de soliste dans Alexandre le Grand et David Triomphant. Conçu pour elle, le long solo d’Ishtar (1941) lui vaut sa nomination d’étoile. Elle excelle dans Le Spectre de la Rose de Michel Fokine, puis dans Le Chevalier et la Damoiselle, Joan de Zarissa, et Suite en blanc de Lifar. En 1943, elle interprète Giselle, l’un de ses plus beaux rôles où s’exalte son lyrisme et, en 1945, Odette du Lac des cygnes. Appréciant son tempérament dramatique, Lifar lui réserve à Monte-Carlo des rôles importants dans Dramma per musica, Chota Roustaveli et Nauteos. De retour à l’Opéra, il lui dédie Istomina, solo sur le poème de Pouchkine écrit en souvenir de la grande ballerine russe, puis L’Écuyère. Pour elle, Victor Gsovsky imagine en 1949 le brillant Grand pas classique sur une musique d’Auber. Éclectique, elle incarne La Belle Hélène de John Cranko et La Dame aux camélias de Tatiana Gsovska*. Son interprétation de Giselle, mémorable, fait encore référence à l’Opéra. C’est dans ce ballet romantique en plein accord avec sa personnalité qu’elle danse aux côtés de Lifar lorsqu’il fait ses adieux en 1956 à l’Opéra de Paris, avant de faire les siens dans ce rôle-titre en 1972. Elle enseigne ensuite aux étoiles de l’Opéra auxquelles elle transmet ses rôles ainsi que le style de Lifar, comme en témoigne le cinéaste Dominique Delouche dans Une étoile pour l’exemple (1988). Elle incarne sur la scène internationale le prestige de la ballerine classique française.
Florence POUDRU
■ Je suis ballerine, Paris, Éditions du Conquistador, 1961.
CHAVES, Raquel [ASUNCIÓN 1938]
Écrivaine et journaliste paraguayenne.
Raquel Chaves est l’auteure de La tierra sin males (« la terre sans maux », 1977), un livre de poésie sociale, et d’une série de micro-poèmes (haïkus), à contenu mythique et philosophique, publiés dans Espacio sagrado (« espace sacré », 1988), où l’auteure développe une réflexion sur l’espace, s’intéressant à la valeur primordiale du langage, dépositaire et limite du sacré. Dans sa poésie, les voix qui dialoguent sont éminemment féminines et peuvent être placées dans des « je » poétiques différents, celui de l’auteure elle-même ou celui de la terre (la patrie ou la matière). Ces personnifications poétiques conversent constamment sur la mort, la vie, l’exil, et la poétesse en tire des conclusions remplies d’espoir ou au contraire d’inquiétude absolue. Sa formation philosophique lui permet d’avoir une approche très théorique des sujets qui composent le quotidien humain. Certains de ses poèmes ont été classés dans le courant de l’« éco-écriture », qui a également été observé chez Luisa Moreno de Gabaglio*. Elle a aussi publié Todo es del viento, siete viajes (« tout appartient au vent, sept voyages », 1984).
Natalia GONZÁLEZ ORTIZ
CHAVES DE FERREIRO, Ana Iris [ASUNCIÓN 1922 - SAN LORENZO 1993]
Écrivaine paraguayenne.
Ana Iris Chaves de Ferreiro est la fille de María Concepción Leyes de Chaves*, une des plus grandes écrivaines paraguayennes. C’est vers le milieu des années 1950, au retour de l’exil politique en Argentine de son mari Oscar Ferreiro, qu’elle commence ses activités littéraires. Elle est l’une des premières animatrices des Clubs du livre, des associations qui deviennent des ateliers littéraires où se forme la nouvelle génération d’auteures du Paraguay. Dans les années 1970, elle dirige le supplément culturel du journal Última Hora (« dernière heure »), et, depuis cette tribune, elle scandalise à plusieurs reprises la classe dominante en raison de sa vision sociale critique. Elle publie ses premières nouvelles dans la revue Ñandé et le journal La Tribuna. Après la publication de son premier roman, Crónica de una familia (« chronique d’une famille », 1966), et du deuxième, Andresa Escobar (1975), elle fait paraître trois recueils de brefs récits qui réunissent des textes écrits dans les années 1960 : Fábulas modernas (« fables modernes », 1983), Retrato de nuestro amor (« portrait de notre amour », 1984) et Crisantemos color naranja (« chrysanthèmes couleur orange », 1989), qui contiennent des nouvelles remarquables. La grande qualité de la narration de ses nouvelles provient de la clarté de l’analyse et de la délimitation des sujets. Certaines exposent des thèmes considérés comme réalistes, car imprégnés de violence, de douleur et d’une atmosphère macabre, qui s’inscrivent dans une longue tradition de récits latino-américains. La question de la condition des femmes occupe une place prépondérante dans l’œuvre de cette écrivaine : les femmes défendent leur dignité et montrent ainsi leur autonomie et leur fierté.
Natalia GONZÁLEZ ORTIZ
CHÁVEZ, Rebeca [CUBA 1949]
Réalisatrice cubaine.
Fille de la révolution cubaine, Rebeca Chávez devient, après des études d’histoire de l’art et de journalisme, critique de cinéma à l’Icaic (institut du film cubain), puis, en 1974 et pendant huit ans, collaboratrice du documentariste Santiago Álvarez. Chercheuse, scénariste, assistante, elle participe à l’écriture et à la réalisation de nombreux documentaires avant d’en réaliser plusieurs. Rigoberta (1985) raconte la lutte des indigènes guatémaltèques ; Con todo mi amor, Rita (« avec tout mon amour, Rita », 2000) est le portrait, très personnel, de Rita Montaner, figure emblématique de Cuba ; Decir con feeling (« dire avec feeling », 2010) évoque une tendance musicale née de l’assimilation d’éléments nord-américains. Ciudad en rojo (« la ville en rouge », 2009), long-métrage de fiction, est une réflexion sur la violence, celle qu’ont subie les habitants de Santiago de Cuba dans les années 1950, contraints bien malgré eux d’en faire usage à leur tour. Ce projet difficile à monter témoigne de la vitalité de cette créatrice persévérante et engagée dans la culture cubaine. Elle est ensuite revenue au documentaire avec El día más largo (« le jour le plus long », 2011) et Luneta n° 1 (« lunette n° 1 », 2012), qui revisite cinquante ans de politique culturelle cubaine.
Laurence MULLALY
CHAVROVA, Elena (épouse IOUST) [1874-1937]
Écrivaine et traductrice russe.
Elena Mikhaïlovna Chavrova est aussi à l’aise avec la littérature russe qu’avec les auteurs qu’elle lit dans leur langue d’origine. Excellente cantatrice, elle poursuit des études au Conservatoire de musique et de théâtre de Moscou, se préparant à une carrière artistique. Elle exprime son désir de faire du théâtre et prend part à des représentations amateurs, dont quelques-unes sous la tutelle de Tchekhov. Elle a rencontré l’écrivain en 1889 à Yalta et lui fait lire ses récits. Il lui prodigue des conseils, corrige ses manuscrits et la recommande à des revues et des journaux. Elle entame sa carrière avec son premier récit Sofka (« la petite Sophie », 1889) dans Novoïe Vremia (« les temps nouveaux »), qui publie vingt autres de ses récits. Mariée en 1894, et aisée financièrement, elle fréquente toujours Tchekhov, mais publie peu, et souvent sous des pseudonymes masculins. Elle se passionne pour la traduction de romans anglais et aussi de Mademoiselle Julie, la pièce de Strindberg. Tchekhov apprécie ses dernières œuvres, notamment Babie leto (« l’été indien », 1896), Markiza (« la marquise », 1894), et Jena Tsezaria (« la femme de César », 1897). L’influence de l’auteur de La Cerisaie se ressent aussi dans l’évolution de son style, avec des récits sans dénouement, au style concis, ironiques, tournant autour des thèmes de l’amour, des relations conjugales et de la vie d’artiste. Son dernier ouvrage, Tchekhov i ego sreda (« Tchekhov et son entourage », 1924), est un livre de souvenirs sur Tchekhov.
Françoise DARNAL-LESNÉ
CHAWAF, Chantal (née PIERRON DE LA MONTLUEL) [BOULOGNE-SUR-SEINE 1943]
Écrivaine française.
Chantal Pierron de La Montluel suit des études de lettres classiques et d’histoire de l’art à l’École du Louvre. Passionnée de langues classiques, elle se montre très tôt sensible à la musicalité de la langue. Jeune adulte, elle lit de nombreux traités de psychanalyse, qui nourriront sa pratique littéraire. À l’âge de 25 ans, on lui apprend les circonstances jusque-là taboues d’une naissance traumatique : lors d’un bombardement à Boulogne-sur-Seine, son père et sa tante ont perdu la vie ; sa mère, transportée à l’hôpital, y est décédée quelques heures après l’accouchement par césarienne. Ce récit des origines constitue une seconde naissance symbolique qui mène l’écrivaine, devenue Chantal Chawaf, sur les chemins d’une quête d’enfantement. « Par le langage, je voulais entrer dans la différence », déclare-t-elle à propos de son premier livre, écrit en Syrie, après sa première grossesse et publié aux éditions Des femmes en 1974 : Retable suivi de La Rêverie, rédigé sous la forme d’un flux de conscience, est en partie autobiographique. Elle est l’auteure de plus d’une vingtaine de titres – romans, essais et nouvelles dont, notamment, Cercœur (1975), Le Soleil et la Terre (1977), Maternité (1979), Crépusculaires (1981), Mélusine des détritus (2002) ou Les Obscures (2008), traduit en arabe et publié à Damas. Dans Je suis née (2010), nouvelle édition du Manteau noir (1998), elle revient sur le récit de sa naissance sous les bombes, où le don de vie et la mort de la mère se superposent. Par son travail de la « chair linguistique » (l’écrivain-e, est selon elle en parturition) mais également du symbolique et de l’imaginaire, elle a été associée à l’« écriture féminine ». Elle s’est parfois dite féministe, convoquant la valence positive des femmes et du féminin. Son écriture incomparable se situe également en profondeur dans une perspective écologique humaine. Outre-Atlantique, elle a été associée au mouvement de l’éco-critique littéraire. L’auteure, et là réside sa visée littéraire, cherche à donner « aux mots leur dimension, leur profondeur d’organes de vie » et, pour elle, « l’écrit charnel est un échange permanent entre le corps et les signes qui constituent notre langue. » Son œuvre comporte en outre une fiction modernisant la transmission des contes de fées (qui furent ses premiers livres d’enfance), un texte de théâtre, de nombreux opus théoriques publiés en revue (Sorcières ; Des femmes en mouvements ; Les Nouvelles littéraires ; Roman…) ainsi qu’un essai, Le Corps et le Verbe, la langue en sens inverse (1992). Elle a fondé par ailleurs la collection Esprits libres aux Éditions du Rocher. Encore confidentielle en France, son œuvre est enseignée depuis les années 1980 en Amérique du Nord, où elle s’est rendue à plusieurs reprises pour donner des conférences.
Audrey LASSERRE
■ Délivrance brisée, Paris, La Grande Ourse, 2013.
■ BOSSHARD M., Chantal Chawaf, Amsterdam, Rodopi, 1999.
CHAZAL, Claire [THIERS 1956]
Journaliste et écrivaine française.
Après des études à HEC et un DEA d’économie, Claire Chazal choisit le journalisme : la presse écrite tout d’abord, en travaillant au Quotidien de Paris puis aux Échos, où elle est chef du service économie ; la télévision ensuite, où elle débute en 1988 en tant que grand reporter du service économie d’Antenne 2. À partir de 1991, elle présente les journaux télévisés du week-end de TF1, qui la nomme en 1996 directrice adjointe de l’information. En 2004, elle contribue à créer la chaîne télévisée Pink TV, où elle anime une émission hebdomadaire, le Je/nous de Claire. Sur Radio classique, depuis 2006, elle réalise L’Interview de Claire Chazal. En mars de cette même année, elle lance, avec cinq autres femmes journalistes – Tina Kieffer*, Marie Drucker, Laurence Ferrari, Béatrice Schönberg et Mélissa Theuriau –, l’opération « La Rose Marie Claire » pour réunir des fonds destinés à améliorer l’accès des filles à l’éducation. Elle est la marraine de l’association Toutes à l’école, créée par Tina Kieffer* pour ouvrir une école au Cambodge. C. Chazal est l’auteure d’une biographie d’Édouard Balladur (1993) et de deux romans : L’Institutrice, publié en 1997 et adapté en téléfilm ; À quoi bon souffrir ?, paru en 2000. Elle est depuis 2005 la marraine du Festival de la correspondance de Grignan, qui rassemble des artistes interprètes et des auteurs pour célébrer, par des spectacles et des lectures, l’art épistolaire. Sa passion de la littérature la conduit à monter sur la scène de théâtres parisiens pour lire en 2007 Laissez-moi, de Marcelle Sauvageot, et en 2008 Le Journal d’Helen, de Helen Hessel. C. Chazal prête également sa voix pour un livre audio, Cher Diego, Quiela t’embrasse, d’Elena Poniatowska, publié en 2008 aux éditions des femmes dans la collection « La Bibliothèque des voix ».
Michèle IDELS
CHEDID, Andrée [LE CAIRE 1920 - PARIS 2011]
Écrivaine égyptienne d’expression française.
Née au Caire de parents libanais, Andrée Chedid est marquée par le multiculturalisme qui l’accompagne lors de ses études à l’Université américaine en Égypte et en France. Elle s’installe à Paris en 1946 et fait du français sa langue d’écriture. Son œuvre n’en montre pas moins une pensée engagée qui ne s’est jamais tenue à l’écart des souffrances et des convulsions du Moyen-Orient ; elle a été couronnée par de nombreux prix, dont l’Aigle d’or de la poésie en 1972 et le Goncourt de la nouvelle en 1979. L’écrivaine met en scène des gens simples du Moyen-Orient, cherchant à sortir de leur Étroite Peau (nouvelles, 1965) ou impliqués dans une quête de vie à travers les pires cataclysmes, le choléra (Le Sixième Jour, 1960, adapté au cinéma par Youssef Chahine en 1986) ou un tremblement de terre (L’Autre, 1969). Bérénice d’Égypte (1964), sa première pièce, montre les masques terribles, portés ou imposés, qui couvrent ou découvrent l’identité. Dans ses romans comme dans sa poésie, l’image et la musique, plus que l’idée, impulsent l’écriture : Aléfa dans La Cité fertile (1972) danse sur la musicalité de sa parole, comme la grand-mère qui, dans Les Saisons de passage (1996), joue du oud en virtuose. Dans Le cœur demeure : du Nil à la Seine (1999), roman épistolaire écrit avec son mari Louis-Antoine Chedid sur son retour en Égypte après tant d’années, l’image est prégnante. L’écriture de l’écrivaine est une écriture du corps, de ce corps célébré par ses poèmes dans sa polysémie – corps biologique et corps textuel –, comme dans ses romans : dans Les Marches de sable (1981), Marie, anachorète réfugiée dans le désert, est décrite à travers la métamorphose de son corps ; L’Enfant multiple (1989), amputé d’unbras après l’explosion d’une voiture piégée, porte inscrit dans sa chair les marques de la guerre à Beyrouth ; dans Lucy, la femme verticale (1998), la métamorphose du corps qui passe à la station debout annonce l’aventure de l’humanité en marche. A. Chedid offre le double visage d’une écrivaine francophone hantée par l’histoire de son Moyen-Orient : à l’héritage égyptien et libanais s’ajoute celui d’une intellectuelle qui n’a cessé d’être célébrée à Paris, sa ville de prédilection.
Carmen BOUSTANI
■ Textes pour une figure, Paris, Éditions du Pré aux clercs, 1949 ; Cérémonial de la violence, Paris, Flammarion, 1976 ; L’Étoffe de l’univers, Paris, Flammarion, 2010 ; Les Quatre Morts de Jean de Dieu, Paris, Flammarion, 2010.
■ Textes pour un poème, poèmes pour un texte, lu par l’auteur et B. GIRAUDEAU, Des-Femmes-Antoinette Fouque, « Bibliothèque des voix », 1992.
■ BOUSTANI C., Oralité et Gestualité, la différence homme-femme dans le roman francophone, Paris, Karthala, 2009 ; KNAPP B., Andrée Chedid, Amsterdam, Rodopi, 1984.
CHEESMAN, Evelyn [GRANDE-BRETAGNE 1881 - ID. 1969]
Voyageuse et entomologiste britannique.
En 1900, l’école vétérinaire de Londres est encore interdite aux femmes et Evelyn Cheesman, qui rêve d’être vétérinaire, doit se contenter d’un poste de gardienne dans le pavillon des insectes de Regent’s Park. C’est donc en autodidacte qu’elle étudie les animaux qu’elle a sous les yeux. Elle acquiert une compétence indiscutable puisqu’en 1925, alors qu’elle atteint l’âge de 42 ans, les organisateurs d’une expédition entomologique lui proposent de les accompagner dans le Pacifique. Elle fait mine d’accepter, mais à peine a-t-elle débarquée à Tahiti qu’elle fausse compagnie à ses commanditaires. Elle part en Nouvelle-Guinée collecter pour son propre compte, avec un unique sac de voyage, un hamac, et ses plateaux à insectes. Il s’agit pour elle d’apporter la preuve que la Nouvelle-Guinée et les îles du Pacifique ouest ont été jadis une seule et même terre ; elle passera ainsi les trente années suivantes à entreprendre huit expéditions solitaires dans les forêts de Mélanésie, autofinançant ses voyages grâce aux droits d’auteur perçus sur ses récits de voyage. Le plus souvent, elle campe seule avec ses aides mélanésiens, en pleine forêt, dans la boue et l’humidité constante, souffrant de malaria, de dengue, et parfois de faim quand le ravitaillement s’avère trop difficile. Le bénéficiaire de son travail sera le Muséum d’histoire naturelle de Londres, auquel elle offre tout le fruit de ses collectes : plusieurs milliers d’insectes au total.
Christel MOUCHARD
■ Camping adventures in New Guinea, Londres, The Travel Book Club, 1986.
CHEFFES DE L’EXÉCUTIF [XXe-XXIe siècle]
En 2007, dans la presse française, en raison de la candidature de Ségolène Royal* à l’élection présidentielle, il a souvent été question « du temps des femmes ». Cette expression faisait aussi écho à ce qui se passait dans le monde depuis les années 1990, à savoir l’accès de femmes au pouvoir exécutif. Quelques-unes étaient en effet devenues présidente de la République ou Première ministre (ou cheffe de gouvernement selon les lieux). Cette année-là, par exemple, on compte dans le monde neuf présidentes et cinq responsables de gouvernement.
De 2001 à 2011, on trouve, parmi les présidentes : Michelle Bachelet*, présidente du Chili de mars 2006 à mars 2010 et réélue en mars 2014 ; Micheline Calmy-Rey, présidente de la Confédération helvétique, élue en janvier 2007, puis en janvier 2011 pour la présidence tournante d’un an (elle est la deuxième femme à occuper ce poste après Ruth Dreifuss en 1999, deux femmes lui succéderont : Doris Leuthard pour l’année 2010 et Eveline Widmer-Schlumpf pour l’année 2012) ; Dalia Grybauskaitė, présidente de la république de Lituanie depuis juillet 2009 ; Laura Chinchilla, présidente du Costa Rica de mai 2010 à mai 2014 ; Tarja Halonen*, présidente de la Finlande en février 2000, réélue en mars 2006 jusqu’en 2012 ; Dalia Itzik, pour assurer l’intérim à la présidence de l’État d’Israël, qui s’achève en juillet 2007 ; Cristina Kirchner*, élue à la tête de l’Argentine en octobre 2007, réélue pour quatre ans en octobre 2011 ; Atifete Jahjaga, présidente du Kosovo depuis avril 2011 ; Mary McAleese*, présidente de l’Irlande depuis novembre 1997, réélue en 2004 jusqu’en novembre 2011 (elle succédait à Mary Robinson*) ; Gloria Macapagal Arroyo* aux Philippines, présidente de janvier 2001, jusqu’en juin 2010 (2e femme à avoir accédé à la magistrature suprême dans son pays après Cori Aquino*) ; Dilma Vana Rousseff*, présidente du Brésil depuis janvier 2011 ; Pratibha Patil, présidente de l’Inde de juillet 2007 à juillet 2012 ; Ellen Johnson Sirleaf*, présidente du Liberia depuis janvier 2006, première femme élue au suffrage universel à la tête d’un État africain, corécipiendaire du prix Nobel de la paix en 2011, réélue pour un second mandat en janvier 2012 ; Vaira Vīķe-Freiberga*, présidente de la Lettonie de juin 1999 à juin 2007 après un second mandat.
Parmi les responsables de gouvernement, on citera : Helen Clark, Première ministre de la Nouvelle-Zélande. Elle effectue trois mandats successifs (entre 1999 et 2008). Après Jenny Shipley elle est la deuxième femme à occuper ce poste ; Maria Silveira, Première ministre de São Tomé et Príncipe de juin 2005 jusqu’en avril 2006 ; Luisa Diogo*, Première ministre du Mozambique de février 2004 à janvier 2010. Cissé Mariam Kaïdama Sidibé, Première ministre du Mali d’avril 2011 à mars 2012 ; Jadranka Kosor, Présidente du gouvernement de Croatie de juillet 2009 à décembre 2011 ; Angela Merkel*, Chancelière fédérale d’Allemagne depuis novembre 2005, réélue en 2009 ; Han Myung-sook, Première ministre de la Corée du Sud de 2006 à 2007 ; Kamla Persad-Bissessar, Première ministre à Trinité-et-Tobago depuis mai 2010 ; Yingluck Shinawatra, Première ministre de la Thaïlande pour la deuxième fois depuis août 2011 ; Portia Simpson-Miller, Première ministre de la Jamaïque de mars 2006 jusqu’à sa démission après l’échec de son parti aux législatives en septembre 2007 ; Cheikh Hasina Wajed, Première ministre du Bangladesh depuis 2009 et pour la seconde fois.
En 2007, sur les 192 pays représentés à l’Onu, moins de 10 % ont donc une femme à la tête de leur exécutif, ce qui est peu. Mais des signes encourageants invitent à voir la situation sous un jour un peu plus positif. Et cela pour plusieurs raisons. Tout d’abord, elles parviennent désormais à ces postes au terme d’un itinéraire différent de celui de la plupart des femmes qui les ont précédées. En effet, bien avant le XXIe siècle, des femmes ont figuré parmi les chefs d’État ou de gouvernement. Mais, à part des figures comme Margaret Thatcher* ou Golda Meir*, on se prononçait souvent en faveur d’une « grande famille » ayant régné sur le pays pendant de longues années. Ce n’est pas le cas de toutes mais de plusieurs d’entre elles. Ainsi, Indira Gandhi*, fille de Jawaharlal Nehru, petite-fille de Motilal (qui devient président du Congrès indien en 1928), choisie en 1966 comme Première ministre de son pays, est la personnalité emblématique de ce groupe. En Asie, d’autres femmes y ont accédé en tant que veuves. Khaleda Zia était l’épouse de l’ancien Président assassiné. En Amérique latine, on trouve d’autres exemples. En 1974, la veuve de Juan Perón, Isabel Perón, devient présidente de l’Argentine. La nouveauté de la période récente tient au fait que nombre de femmes occupant désormais la plus haute marche ne sont pas des héritières, mais des actrices politiques ayant conduit une carrière par elles-mêmes et ayant été, par exemple, plusieurs fois ministres (comme M. Bachelet ou A. Merkel). Le deuxième trait est que certaines de ces femmes ont été élues dans des pays qui n’apparaissent pas, au regard du monde, comme des champions du féminisme, comme le Chili, le Liberia ou encore l’Argentine. Une troisième raison peut être rapportée à la constitution de réseaux de femmes dirigeantes soucieuses d’améliorer la gouvernance démocratique au niveau mondial. Ainsi, Vigdís Finnbogadóttir* – Présidente de l’Islande de 1980 à 1996, première femme au monde à avoir été élue démocratiquement – crée dans ce but, dès 1996, le Conseil mondial des femmes dirigeantes. Enfin, la dernière raison qui incite à penser que des changements sont en train de se produire tient à l’intérêt des médias pour ce type d’événement. Articles et émissions saluent régulièrement ces faits relativement nouveaux. On en a eu en France un exemple frappant lors de la candidature de S. Royal à la présidentielle de 2007. Les femmes sont encore trop rares à la tête des États, mais un signal a été donné au cours de la dernière décennie, qui permet d’énoncer un verdict optimiste mais tempéré : allegro ma non troppo.
Janine MOSSUZ-LAVAU
■ MOSSUZ-LAVAU J., « Les femmes et le pouvoir exécutif depuis 1981 : la France au regard du monde », in Histoire@Politique, no 1, 2007. Revue en ligne du Centre d’histoire de Sciences Po.
CHEFS ÉTOILÉES – GASTRONOMIE [XXe siècle]
Reconnues dans leur fonction nourricière, familiale et quotidienne, formées à la cuisine dans le cadre de l’enseignement ménager et de l’économie domestique de la fin du XIXe siècle, les femmes n’ont que tardivement intégré le secteur de la haute cuisine et des restaurants gastronomiques, construit comme un univers d’hommes et dominé par des valeurs physiques et mentales dites « viriles ». Un phénomène paradoxal quand on pense à l’importance reconnue, dès le XIXe siècle, aux « Mères lyonnaises », qui ont elles-mêmes formé de grands chefs, et qui ont été érigées en institutions. Ainsi, les femmes ont dû batailler pour intégrer le nom glorieux de « chef », pour porter la toque et pour décrocher les fameuses étoiles que le guide Michelin a instaurées en 1926 et hiérarchisées depuis 1931. Si en 1933 deux femmes, la Mère Brazier* et la Mère Bourgeois sont honorées de trois étoiles, il faudra attendre 1951 et Marguerite Bise* à Talloires, puis 2007 et Anne-Sophie Pic* à Valence, pour que des cuisines de femmes soient distinguées par trois étoiles. Depuis les années 1990, alors que le nombre de femmes qui s’engagent dans le métier de chef de cuisine augmente sensiblement, le Michelin a attribué deux étoiles en 1992 à Ghislaine Arabian, chef belge travaillant en France, et en 2003 à Hélène Darroze*, et une dizaine de première étoile à des femmes, pour près de 500 hommes. Parmi ces heureuses élues, on peut aujourd’hui compter Isabelle Auguy (à Laguiole, dans l’Aveyron) qui revendique l’inscription de sa cuisine dans une tradition familiale qu’elle revisite en valorisant les produits aveyronnais ; Josy Bandecchi (à Cagnes-sur-Mer), autodidacte formée dans la brasserie de son père, qui puise son inspiration dans ses racines arméniennes et niçoises et dirige les cuisines de son restaurant depuis plus de trente ans ; Sophie Bise (à Talloires, en Haute-Savoie), qui perpétue les recettes de la dynastie Bise vieille de plus d’un siècle ; Marie-Christine Borck-Klopp (à Roye, dans la Somme), Picarde qui maintient, autour des recettes du terroir, la tradition culinaire du restaurant créé par ses parents ; Lydia Egloff* (à Stiring-Wendel, en Lorraine) qui, après des études hôtelières et une formation chez Maximin au Negresco (à Nice), ouvre son restaurant en 2000, elle devient la première femme admise à la prestigieuse Association des maîtres cuisiniers de France, elle-même créée en 1951, et où l’on ne compte aujourd’hui encore que quatre femmes intronisées sur les 465 chefs qu’elle rassemble à travers le monde. Citons enfin Reine Sammut (à Lourmarin, en Provence), laquelle, après avoir entrepris des études de médecine, découvre la cuisine auprès de la mère de son mari. Souvent autodidactes, désireuses de faire vivre une tradition familiale, ces femmes qui pratiquent une cuisine inventive commencent juste à conquérir des galons. Une exposition en forme d’hommage, Le Chef… ? C’est elle ! , leur a été consacrée au musée Escoffier de l’Art culinaire (Villeneuve-Loubet), de juin à octobre 2009.
Julia CSERGO
CHEIKH, Hanan EL- [1945]
Romancière et nouvelliste libanaise.
Née dans une famille chiite dans le sud du Liban, Hanan el-Cheikh passe son enfance à Beyrouth où elle suit ses études primaires et secondaires. Elle entame des études universitaires au Caire et écrit son premier roman. Après des années partagées entre les pays du Golfe et la capitale libanaise, elle est poussée par la guerre civile à quitter Beyrouth pour s’installer à Londres. Ses talents de romancière se révèlent au public en 1980 avec Histoire de Zahra, où elle aborde la question de la femme libanaise et arabe face à la tyrannie maritale. L’ouvrage est publié à compte d’auteur, les éditeurs libanais jugeant le manuscrit trop scandaleux. Dans Femmes de sable et de myrrhe, la romancière explore l’univers brutal et cruel où l’homme joue un rôle insignifiant et où l’homosexualité féminine est présentée comme l’expression d’une liberté choisie. Dans les années 1990, elle est l’une des rares à aborder la question de l’homosexualité masculine dans sa nouvelle Lā’urīd’an’akbur (« je ne voudrais pas grandir ») du recueil Aknisu al-shamsa’an al-sutūh (« je balaie le soleil sur les toits »). Toutefois, les thèmes majeurs de ses romans demeurent les femmes, l’exploration de leurs sentiments et la dénonciation de leurs problèmes au sein de la société.
Nehmetallah ABI-RACHED
■ Histoire de Zahra (Hikāyat Zahrah, 1980), Paris, J.-C. Lattès, 1985 ; Londres mon amour (Innahā Lundun yā’azīzī, 2001), Arles, Actes Sud, 2010 ; Toute une histoire (Hikāyatī šarh yatūl, 2005), Arles, Actes Sud, 2010 ; Femmes de sable et de myrrhe (Musk al-ghazal, 1988), Arles/Bruxelles/Lausanne, Actes Sud/Labor/L’Aire, 1994.
CHEIKHA RIMITTI (RILIZIANA, Sadia BEDIEF, dite) [TESSALA, ALGÉRIE 1923 - PARIS 2006]
Chanteuse algérienne.
Native de l’Oranais et orpheline, Cheikha Rimitti rejoint la troupe de musiciens des Hamdachis et exerce la profession de danseuse et de chanteuse dès son plus jeune âge. Elle se produit dans des mariages et connaît la misère des musiciens itinérants dans une Algérie en proie aux disettes et au typhus. Son répertoire, bédouin et rural, est le raï. Son nom est issu des interjections répétées des chanteuses criant « Ya rayi, rayi » pour marquer le rythme et relancer l’intensité du jeu des musiciens. À l’origine, ce genre musical est essentiellement féminin et se joue dans un cadre privé à la seule intention des femmes. À ses débuts, le raï traditionnel ne comporte pas de paroles licencieuses.Cet aspect se développe avec l’introduction de cette musique dans des contextes masculins et alcoolisés (cafés, cabarets) et sa mue comme musique de concert. La légende veut que la chanteuse trouve son nom de scène suite à un quiproquo dans un café fréquenté par la minorité européenne d’Oran. Souhaitant remercier les clients présents en leur offrant une tournée générale, elle crie un « remettez » mal assuré que l’assistance reprend en cœur. Désormais Cheikha Rimitti Riliziana (du nom de la localité de Relizane dans la vallée du Chelif, d’où est principalement issu le raï), elle rejoint l’ensemble de Cheikh Mohamed Ould Ennems et se fait remarquer sur la scène musicale algéroise. Son chant est incantatoire, brut, primitif même, et la musique qui l’accompagne répétitive et rustique, avec la seule présence de gasba, la flûte de roseau, et de guellal ou bendir, des tambours. Son caractère très animal est l’exact opposé de la musique savante arabo-andalouse basée sur le oud. Improvisées et développées à l’envi, les paroles de C. Rimitti abordent sans détour les thématiques du corps, de la sexualité, de l’alcool, de l’argent et des rapports sociaux entre les sexes. Elle est une figure d’exception, féminine et libertaire dans un contexte culturel très patriarcal et conservateur. Cette musique frustre plait au public populaire et dès lors les disques français Pathé enregistrent à destination du marché arabophone des « cheikhates », des chanteuses, comme Cheikha Khaira Elabassia, Cheikha Yamina, Cheikha Nedjma ou Cheikha Larmia, qui tentent d’imiter sa gouaille, sans vraiment y parvenir. Cheikha Rimitti enregistre son premier disque en 1952 chez Pathé. Son premier succès en Algérie, Charrakgatta (« lacère, déchire »), provoque un scandale en 1954 à cause de ses allusions au tabou de la virginité de la mariée. Elle s’installe à Paris en 1978 et anime dès lors les cabarets orientaux et les mariages de la communauté algérienne musulmane, pour laquelle elle enregistre des dizaines de cassettes. Son style, resté archaïque, n’intéresse plus les jeunes générations tournées vers de nouvelles tendances musicales, plus urbaines et pop. En 1986, le nouveau raï, majoritairement masculin, triomphe à Paris, en Algérie et bientôt sur les scènes internationales avec une nouvelle génération de cheb (« jeunes ») nommés Kahled, Kader ou encore Mami, dont la musique est très électrifiée et ouverte aux influences occidentales (pop, reggae, variété française). En une sorte d’hommage, la chanteuse se produit à la Grande Halle de la Villette, à Paris, avec les chebdu raï, dans le cadre d’un festival patronné par les ministères français et algérien de la Culture. Le public non communautaire la découvre pour la première fois sur une scène. C’est aussi la première fois que cette artiste est reconnue par les instances officielles. Un CD, son premier album, suit en 1989 : Ghir el Baroud (« seulement la poudre »). En 1993, jouant désormais dans le circuit des clubs et festivals européens, la chanteuse enregistre Sidi Mansour avec la participation d’artistes anglo-saxons issus du rock – comme le guitariste Robert Fripp ou le bassiste Flea, des Red Hot Chili Peppers –, alors que des captations de concert ou des rééditions de ses anciens enregistrements abondent : Les Racines du raï chez Budamusique ou encore Maghreb Soul, Rimitti Story 1986-1990, chez Because Music, en 2006. Accompagné d’un orchestre couplant claviers et instrumentation traditionnelle, C. Rimitti enregistre Nouar (« fleur ») en 2000 et un dernier album, N’ta Goudami (« passe devant moi, je te suis ») paraît en 2005. La chanteuse, qui réside dans un modeste hôtel du quartier Barbès, haut lieu de la culture populaire arabe à Paris, décède deux jours après un concert au Zénith de Paris en compagnie du chanteur Khaled.
Thierry SARTORETTI
■ HACHLAF A. et M. H., Anthologie de la musique arabe, 1906-1960, Paris, Centre culturel algérien/Publisud, 1993.
■ Sidi Mansour (1995), Because Music, 1998 ; Story 1986-1990, Because Music, 2008 ; La Rimitti, 3 CD, AMD, 2009.
CHELTON, Tsilla [JÉRUSALEM 1919 - BRUXELLES 2012]
Actrice et directrice de théâtre française.
Après avoir débuté avec le mime Marcel Marceau, Tsilla Chelton apparaît en solo, mise en scène par Agnès Capri, dans les cabarets de Saint-Germain-des-Prés après la guerre. Avec Jacques Mauclair comme partenaire et metteur en scène, elle crée de nombreuses pièces d’Eugène Ionesco, comme Les Chaises (Molière de la comédienne, en 1994) ou encore Le roi se meurt. Avec J. Mauclair, elle dirige le petit Théâtre du Marais. Sa personnalité tragi-comique s’épanouit chez Tardieu, Audiberti et Brecht, mais elle joue également des classiques : Les Plaideurs de Racine, L’Avare de Molière, où elle incarne Frosine ; Le Jeune Homme à la mode, de Dancourt ; L’Épreuve de Marivaux ; L’École de la médisance, de Sheridan ; et Richard III, de Shakespeare, mis en scène par Jean Anouilh. En tant que professeure, elle forme les débutants qui constitueront la troupe du Splendid. Au cinéma, elle est la Tatie Danielle du film d’Étienne Chatiliez (1990), personnage dont la méchanceté remporte un vif succès. On la retrouve en 2008 en aïeule turque dans La Boîte de Pandore (Pandora’nin kutusu, Yesim Ustaoglu) et, en 2009, en nonne espiègle dans Sœur Sourire (Stijn Coninx).
Bruno VILLIEN
■ GUÉRIN J. (dir.), Dictionnaire Eugène Ionesco, Paris, H. Champion, 2012.
CHEN, Joan (née CHEN CHONG) [SHANGHAI 1961]
Actrice, réalisatrice, scénariste et productrice américaine d’origine chinoise.
Joan Chen fait ses études aux États-Unis (à l’Université de Los Angeles, Californie), et y travaille aussi bien qu’en Chine. Elle a joué notamment dans Le Dernier Empereur (The Last Emperor, Bernardo Bertolucci, 1987) ; Twin Peaks (David Lynch, série TV, 1990-1992) ; Red Rose, White Rose (Stanley Kwan, 1994) ; Se, jie (Lust, Caution, Ang Lee, 2007) ; 24 City (Er shi si cheng ji, Jia Zhang Ke, 2008). En tant que réalisatrice, on peut citer : Xiu Xiu (1998, dont elle est également scénariste et productrice) ; Un automne à New York (Autumn in New York, 2000, Golden Globe du meilleur film et meilleur réalisateur).
Jean-Paul AUBERT
CHEN DUANSHENG [CHINE 1751 - ID. 1796]
etLIANG DESHENG [CHINE 1771 - ID. 1847]
Auteures dramatiques chinoises.
Chen Duansheng et Liang Desheng sont coauteures de Zai sheng yuan (« affinité prédestinée lors de la renaissance »), fameux ouvrage de tanci – genre de longues ballades dont on chante les différents épisodes, accompagné au sanxian (instrument à trois cordes) ou au pipa (luth au long manche) –, écrit en vers et comprenant 20 chapitres. Il a été composé pendant le règne des empereurs Qianlong et Jiaqing, entre 1736 et 1820 environ. La première dramaturge, Chen Duansheng, situe l’histoire sous la dynastie Yuan, dans le Yunnan : l’héroïne, Meng Lijun, quitte sa famille sous un accoutrement d’homme pour échapper à un mariage forcé. Sous le pseudonyme de Li Junyu, elle réussit aux concours impériaux et devient Premier ministre. Plus tard, son fiancé Huang Pu, que tout le monde croyait à tort assassiné, se présente à un concours de l’armée, présidé par l’héroïne elle-même ; celle-ci ne révèle pas immédiatement sa véritable identité de peur d’être accusée de trahison par le souverain. Le récit s’interrompt là : Chen Duansheng perd sa mère ; son mari, impliqué dans un scandale, est condamné à l’exil ; elle meurt enfin de chagrin et de maladie sans avoir pu achever son œuvre qui s’arrête au dix-septième chapitre. Trente ans plus tard, Liang Desheng complète le tanci par trois chapitres : l’héroïne révèle son secret, obtient la grâce de l’empereur et finit par épouser Huang Pu. Bien qu’il existe un décalage considérable aussi bien dans la vision des deux auteures dramatiques que dans leur style, toutes deux, issues de familles mandarinales de Qiantang, partagent une inspiration commune qui assure la fluidité du récit. Certains des détracteurs de Liang Desheng jugent que la fin qu’elle a imaginée est stéréotypée, voire inutile. Quoi qu’il en soit, Zai sheng yuan est unanimement considéré comme le meilleur livret de tanci, devenu très populaire grâce à ses innombrables adaptations ultérieures. Les lecteurs d’aujourd’hui sont frappés par le rythme rapide de ce récit, contrairement à celui des œuvres de l’époque. Les féministes se plaisent à voir dans le personnage de l’héroïne le signe du réveil des droits de la femme en Chine.
LUO TIAN
■ JIANG R., Xiaoshuo kaozheng xubian, Shanghai, Shangwu yinshuguan, 1924 ; TAN Z., Zhongguo nüxing wenxue shihua, Tianjin, Baihua wenyi chubanshe, 1984.
CHEN HENGZHE [JIANGSU 1890 - SHANGHAI 1976]
Écrivaine et historienne chinoise.
Issue d’une famille de lettrés traditionnels, Chen Hengzhe reçoit une éducation à la fois classique et moderne auprès de son oncle et de sa tante maternels. En 1914, elle intègre la classe préparatoire destinée à envoyer les étudiants à l’étranger, sous la tutelle de l’école Qinghua. L’année suivante, elle part étudier l’histoire de l’Occident au Vassar College (États-Unis), où elle fait la connaissance de Hu Shi, l’un des précurseurs du chinois moderne, et de Ren Shuyong, rédacteur en chef de la revue Liumei xuesheng jibao (« revue trimestrielle des étudiants chinois aux États-Unis »), reconnu comme l’un des fondateurs de la science moderne en Chine, qui deviendra son mari. C’est dans ce magazine qu’elle publie en 1917 Yi ri (« une journée »), une nouvelle en chinois moderne (baihua), dont la parution est antérieure à celle du fameux Kuangren riji (« journal d’un fou », 1918) de Lu Xun, symbole de l’usage de la langue moderne dans la littérature chinoise. Cependant, la naïveté rédactionnelle et idéologique de cette nouvelle et sa publication à l’étranger font qu’elle est restée confidentielle. En 1920, de retour en Chine sur l’invitation de Cai Yuanpei, président de l’université de Pékin, Chen Hengzhe entame une carrière de professeure d’histoire. Elle est ainsi considérée comme la première étudiante chinoise spécialisée dans l’histoire de l’Occident à être envoyée à l’étranger par un organisme officiel, la première écrivaine de la nouvelle littérature à rédiger en chinois moderne, et la première femme enseignante en Chine moderne. Elle commence à publier à partir de 1918 : Lao fuqi (« un vieux couple ») est un petit essai dialogué qui fait l’éloge de la bienveillance et des beaux sentiments universels. En 1928, elle fait paraître une anthologie de nouvelles, Xiao yudian (« une petite goutte de pluie »). Familiarisée avec le symbolisme occidental, elle recourt souvent aux images naturalistes pour décrire l’amour humain, comme en témoignent les titres de ses ouvrages, en particulier Yunhe yu Yangzi jiang (« le canal et le fleuve Yangzi »), rédigé entre 1917 et 1926, ou Xi feng (« le vent de l’Ouest », 1933). Son œuvre explore également un autre thème moderne dans deux romans remarquables, Luoyisi de wenti (« les problèmes de Louise ») et Yizhi kouzhen de gushi (« l’histoire d’une épingle »), publiés vers les années 1920-1930 : comment les intellectuelles résolvent-elles le conflit entre famille, amour et carrière dans la société moderne ? Si le premier récit insiste sur l’importance de la réussite professionnelle, le deuxième s’attache beaucoup plus à l’amour maternel et aux obligations d’une femme à l’égard de sa famille. En cette époque de transition entre l’ancienne et la nouvelle société, ce type de réflexion sur la liberté de choix des femmes révèle la vision de l’auteure. En effet, dans Hengzhe sanwen ji (« anthologie des essais de Hengzhe », 1938), un chapitre entier est dédié à la liberté individuelle des femmes, à leurs fréquentations, à leur éducation et à leur participation aux affaires politiques.
Si l’écrivaine prône l’égalité homme-femme, elle s’oppose néanmoins à la « masculinisation » des femmes et estime qu’une femme intelligente et active doit aussi être une bonne mère de famille. Hormis dans quelques œuvres en prose, elle abandonne l’emploi habituel de la première personne pour adopter une narration à la troisième personne. Outre la création littéraire, elle consacre la majeure partie de son temps à enseigner et à poursuivre ses recherches dans le domaine de l’histoire de l’Occident. Elle a publié deux ouvrages à ce sujet : Wenyi fuxing xiaoshi (« petite histoire de la Renaissance », 1926) et Xiyang shi (« l’histoire de l’Occident », 1925-1926).
WANG XIAOXIA
■ Hengzhe sanwen ji, Pékin, Kaiming shudian, 1938.
■ CHEN J., Xiandai wenxue zaoqi de nüzuojia, Taipei, Chengwen, 1980 ; HE Y., Zhongguo xiandai nüzuojia, Pékin, Xiandai shudian, 1936.