COPPOLA, Sofia [NEW YORK 1971]

Réalisatrice et actrice américaine.

Sofia Coppola fait ses premières armes au cinéma en tant qu’actrice dans les films de son père, Francis Ford Coppola, depuis Le Parrain (The Godfather) où elle apparaît bébé en 1972, jusqu’au Parrain 3 en 1990, en passant par Outsiders (1983), Rusty James (1983) ou encore Peggy Sue s’est mariée (1986). Elle passe à la réalisation en 1996, puis signe en 1998 un court-métrage sur de jeunes adolescentes, Lick the Star. Son premier long-métrage, Virgin Suicides (1999), adaptation délicate du roman éponyme de Jeffrey Eugenides, est salué par la critique et le public. Le film met en scène cinq sœurs, blondes jeunes filles soumises à des parents au puritanisme tyrannique dans une banlieue cossue des États-Unis. Après le suicide de l’une d’elles, leur mère resserre son étau, enfermant les adolescentes alors même qu’elles sont l’objet de la fascination de leurs camarades de lycée. Onirique et dur, distillant un étrange malaise, ce premier film révèle et impose le regard singulier de la réalisatrice. Quatre ans plus tard, avec Lost in Translation (2003), S. Coppola met en scène deux Américains insomniaques en voyage (Bill Murray et Scarlett Johansson), qui partagent leur mélancolie dans un hôtel de Tokyo. Variation subtile et sophistiquée sur la rencontre amoureuse, ce deuxième film remporte l’Oscar du meilleur scénario. Marie-Antoinette (2006) est une relecture originale des derniers jours de la reine, dans une mise en scène pop et anachronique, agrémentée de la bande-originale du groupe français Phoenix, dont le chanteur, Thomas Mars, est aussi le mari de S. Coppola. Somewhere, en 2011, est Lion d’or à Venise en 2010 ; ce film contemplatif et désenchanté met en scène à l’hôtel Chateau Marmont, repère de stars hollywoodiennes, un père, vedette de cinéma, et sa fille de 11 ans, en proie au spleen. En 2013 S. Coppola termine son cinquième film, The Bling Ring, sur un groupe d’adolescents obsédés par les célébrités de Hollywood, dont ils cambriolent les villas.

Marianne FERNANDEZ

COQUERY-VIDROVITCH, Catherine [PARIS 1935]

Historienne française.

C’est à l’histoire de l’Afrique subsaharienne que Catherine Coquery-Vidrovitch consacre une carrière professionnelle qui lui vaut de recevoir, en 1999 à Philadelphie, le Distinguished Africanist Award, l’une des plus importantes distinctions américaines dans le domaine des études africaines. Élève à l’École normale supérieure de Sèvres, agrégée d’histoire (1959), elle a vécu l’enfance d’une petite fille juive sous l’Occupation. Contrainte de se cacher avec sa famille, elle garde de ces années de guerre une profonde sensibilité aux injustices et fait de l’engagement, scientifique et citoyen, le fil directeur de sa vie. C’est après un séjour dans l’Algérie en guerre, en 1960, aux côtés de son mari le géographe Michel Coquery, qu’elle choisit d’écrire l’histoire d’un continent dont on dit déjà alors qu’il n’a pas d’histoire. Elle publie ses premiers articles sur le royaume du Dahomey (actuel Bénin), mais c’est le système d’exploitation colonial en Afrique centrale qui devient le sujet de sa thèse d’État, soutenue en 1970 : Le Congo au temps des compagnies concessionnaires, 1898-1930 (1972). Recrutée en 1971 par l’université Paris 7, elle se consacre alors à promouvoir la recherche sur le « tiers-monde ». Fondatrice, avec le géographe Jean Dresch, du futur laboratoire Connaissance du tiers-monde/Afrique, elle anime jusqu’à sa retraite de nombreux réseaux de collaboration avec les universités africaines et contribue au développement de l’école historiographique de Dakar. Ses travaux sont toujours guidés par la volonté de ne pas réduire l’histoire du continent à celle de la période coloniale, de prendre pour point de départ l’analyse des sociétés locales sur la longue durée, et non exclusivement le regard européen porté sur elles. Ainsi, son Afrique noire, permanences et ruptures (1985) comme le manuel qu’elle rédige avec Henri Moniot, L’Afrique noire, de 1800 à nos jours (1974), restituent au continent une histoire longue retracée à partir des sources orales ou archéologiques tout autant qu’écrites. Elle initie de nombreuses recherches sur l’histoire économique et politique (codirigeant des volumes sur la crise des années 1930, sur les entreprises, plus tard sur les jeunes ou les migrants), donne une impulsion décisive à l’histoire urbaine (Histoire des villes d’Afrique noire des origines à la colonisation, 1993) et, en France, à l’histoire des femmes africaines. Enfin, son parcours d’historienne est indissociable de son engagement militant : membre du groupe de réflexion réuni par Jean-Pierre Cot, ministre de la Coopération et du Développement de François Mitterrand en 1981, elle s’est mobilisée ces dernières années au sein du Comité de vigilance face aux usages publics de l’histoire (CVUH), participant à de nombreux débats sur les relations entre histoire, mémoire et colonisation. Deux livres issus de ces réflexions, Enjeux politiques de l’histoire coloniale (2009) et Petite histoire de l’Afrique (2010), vont à l’encontre des idées reçues sur le continent « noir » et contribuent à faire connaître son histoire à un large public.

Pascale BARTHÉLÉMY

Avec MESNARD E., Être esclave, Paris, 2013.

COQUILLAT, Michelle [SAULIEU 1942 - PARIS 1999]

Essayiste et écrivaine française.

Agrégée et docteure ès lettres, Michelle Coquillat enseigne la littérature aux États-Unis à l’université de Wellesley. À son retour en France, elle participe à la rédaction du mensuel féministe F Magazine créé en 1978. Chargée de mission auprès de la ministre des Droits de la femme en 1981, elle étudie la féminisation des noms de métiers – les travaux de sa commission donnant naissance à l’arrêté de féminisation de mars 1986 –, et crée en 1983 la fondation Camille destinée à promouvoir les productions de femmes artistes. Les subventions publiques rendent possibles des achats d’œuvres et des expositions itinérantes, et lui permettent de rassembler une collection prestigieuse. C’est en 1982 qu’elle publie son premier essai, La Poétique du mâle : à partir d’une analyse de la littérature, depuis la Genèse jusqu’au XXe siècle, elle montre que le pouvoir de la création, tel qu’il a été arbitrairement érigé en principe, est un pouvoir masculin, et elle dénonce l’imposture que représente cette organisation, véritable « école de l’exclusion des femmes de la création intellectuelle et artistique au profit de la création d’enfants de chair ». En 1983, Qui sont-elles ? Les Femmes d’influence et de pouvoir en France est à la fois une étude des comportements de chaque sexe face au pouvoir et un recueil de témoignages de femmes de pouvoir auxquelles elle avait soumis un questionnaire. En 1988, elle propose dans Romans d’amour une relecture du roman de gare : par une démonstration méthodique, elle dégage les principes de cette littérature rose qui s’adresse majoritairement aux femmes. Ainsi, si les auteurs font l’effort de s’adapter aux transformations sociales telles que la rébellion des femmes lorsqu’elles sont confrontées à la violence des hommes, ou l’accès à l’indépendance économique par le travail, le roman va faire comprendre aux lectrices qu’elles n’ont pas su voir au-delà des apparences et va les mener tranquillement vers l’évidence de l’omniscience du héros masculin. En 1995, un premier roman, Entre elles, les marginales de l’amour, est un écrit introspectif douloureux sur une rupture amoureuse entre deux femmes. Ce roman a reçu un accueil favorable du milieu psychanalytique qui, sous l’égide de Joyce McDougall*, en fera un objet d’étude et de réflexion sur l’homosexualité des femmes.

Françoise LALANNE

ČORAK SLAVENSKA, Mia [SLAVONSKI BROD 1916 - LOS ANGELES 2002]

Danseuse américaine d’origine croate.

Danseuse étoile du Théâtre national de Zagreb jusqu’en 1935, Mia Čorak Slavenska poursuivit sa carrière sur les scènes de Paris, de Berlin et aux États-Unis où elle devint première danseuse étoile du Metropolitan Opera de New York en 1934-1935. Entre 1960 et 1980, elle dirigea un studio de danse à New York. Elle construisit sa méthode sur la technique de la danse classique, mais l’enrichit des figures de la danse moderne en la libérant des éléments trop décoratifs.

Iva GRGIĆ MAROEVIĆ

Opća enciklopedija Jugoslavenskog leksikografskog zavoda, Zagreb, Jugoslavenski leksikografski zavod, 1977 ; ĐURINOVIĆ M., PODKOVEC Z., Mia Čorak Slavenska, Slavonski Brod, Naklada MD, 2004.

CORALINA, Cora (Ana Lins DOS GUIMARÃES PEIXOTO BRETAS, dite) [GOIÁS 1889 - GOIÂNIA 1985]

Poétesse et pâtissière brésilienne.

Considérée comme l’une des plus grandes poétesses du Brésil, Cora Coralina est connue comme la « poétesse pâtissière ». Issue d’un milieu très modeste, elle est une autodidacte qui commence à écrire ses premiers textes à l’âge de 14 ans, en publiant très vite dans les journaux locaux. Elle continuera, sa vie durant, à composer des poésies et des chroniques au style reconnaissable, marqué par la simplicité, l’humilité et la force de caractère. Excellente cuisinière et pâtissière de métier, elle se spécialise dans la production de fruits confits, qu’évoque le terme portugais doceira. En 1910, elle s’installe avec son mari, l’avocat Cantídio de Figueiredo Bretas, dans l’État de São Paulo. Néanmoins, ses textes portent essentiellement sur sa ville natale de Goiás, où elle retourne vivre à partir de 1956, en subsistant grâce à la vente de ses fruits confits. La première véritable publication de ses poèmes n’interviendra qu’en 1965, alors qu’elle a déjà 76 ans. Sa reconnaissance littéraire est due à la découverte de ses textes par le grand poète brésilien Carlos Drummond de Andrade, et nombre de ses textes connaîtront des éditions posthumes. Plusieurs d’entre eux sont dédiés à l’art du sucré, l’un des plus célèbres étant As cocadas (« les cocos confits »), paru en 1989 dans l’ouvrage O tesouro da la casa velha (« le trésor de la vieille maison »). D’autres textes se consacrent à l’imaginaire alimentaire brésilien, avec des poèmes comme « O poema do milho » (« le poème du maïs ») et « Oração ao milho » (« prière au maïs ») édités en 2005. En 1983, C. Coralina a reçu le titre de docteur honoris causa de l’Universidade federal de Goiás et est la première femme élue Intellectuel de l’année par l’Union brésilienne des écrivains, à São Paulo. Son premier ouvrage, Poemas dos becos de Goiás e estórias mais (« poèmes des ruelles de Goiás et autres histoires », 1965), est considéré par le journal O Popular comme l’une des 20 plus importantes œuvres brésiliennes du XXe siècle. À sa mort, sa fille, Vicência Bretas Tahan, s’emploiera à publier Doces histórias e receitas de Cora Coralina, précieux cahier de recettes des pâtisseries traditionnelles.

Clarissa ALVES-SECONDI

Doces histórias e receitas de Cora Coralina, São Paulo, Global, 2009.

CORDERO-FERNANDO, Gilda [MANILLE 1930]

Écrivaine et éditrice philippine.

Gilda Cordero-Fernando obtient une maîtrise d’anglais à l’université Ateneo de Manila. Des années 1950 au début des années 1970, elle se consacre à la fiction et publie deux recueils importants de nouvelles : Butcher, Baker, Candlestick Maker (« le boucher, le boulanger et le fabricant de bougies », 1962) et A Wilderness of Sweets une jungle de bonbons », 1973). Sa contribution à la vie culturelle philippine va au-delà de sa fiction. Son engagement dans la publication d’ouvrages philippins est exemplaire. En 1976, elle fonde la maison d’édition GCF Books (Quezon City), où est publiée une douzaine d’ouvrages remarqués portant sur des traits significatifs de la société philippine. En collaboration avec Alfredo Roces, elle a travaillé en faveur du patrimoine culturel philippin et a publié une étude historique et culturelle des Philippines en dix volumes, Filipino Heritage (1978). Pour ses nouvelles, l’écrivaine a reçu de nombreux prix, dont le prix du Centre culturel des Philippines pour l’ensemble de son œuvre littéraire et éditoriale en 1994. Après son roman Ladies’Lunch and Other Ways to Wholeness (« le déjeuner des dames et autres moyens de plénitude », 1994), elle se consacre à l’écriture d’essais et d’antiromans. En 2002, l’Université des Philippines lui octroie la bourse de National Fellowship in Nonfiction. Elle a d’autres activités, dont celle d’artiste du visuel, de créatrice de mode et de productrice de spectacles (Luna : An Aswang Romance, « Luna : le roman d’une ogresse », 2000). En 2001, elle produit le spectacle Pinoy Pop Culture (« pop culture philippine ») et publie un ouvrage sous le même titre. Son dernier livre, The Last Full Moon : Lessons on my Life (« la dernière pleine lune : des leçons sur ma vie », 2005) est autobiographique.

Elisabeth LUQUIN

LIM B. P., « Gilda Cordero-Fernando’s The Last Full Moon and the Problematique of Female Self-Representation », in Ideya : Journal of the Humanities, vol. 10, no 2, De La Salle University, Manille, 2009 ; MENDEZ VENTURA S., A literary journey with Gilda Cordero-Fernando, Quezon City, University of the Philippines Press, 2005.

CORDERO Y LEÓN, María Ramona VOIR CORYLÉ, Mary

CÓRDOVA, Carmen [BUENOS AIRES 1929 - ID. 2011]

Architecte argentine.

Née dans une famille d’intellectuels, engagée dans la vie culturelle et politique, Carmen Córdova est la cousine d’Ernesto « Che » Guevara avec lequel elle passe de longs séjours d’été, et la fille de Cayetano Córdova Iturburu (1902-1977), intellectuel marxiste, prestigieux critique d’art et journaliste, correspondant du journal Crítica à Madrid pendant la guerre civile. Elle grandit dans un milieu culturel fécond et fréquente intellectuels et artistes. Durant ses études, elle participe, en 1948, à la création de l’Organisation d’architecture moderne (OAM), groupe anticonformiste de la faculté d’architecture et d’urbanisme de Buenos Aires créé dans le climat de surveillance politique du gouvernement du général Perón. Elle est ensuite élève puis assistante de l’architecte d’origine russe Wladimiro Acosta (1900-1967), qu’elle apprécie pour son caractère innovateur, sa rigueur et son imagination, mais aussi sa conception du rôle social de l’architecture, son souci du confort, du climat et du contrôle solaire. Mariée à Horacio « Bucho » Baliero (1927-2004), elle forme avec lui l’un des plus remarquables bureaux d’architecture et design moderne de l’Argentine. Actifs dans différents pays, ils remportent plusieurs concours répondant à des programmes variés : quatre maisons d’été réalisées avec Juan Manuel Borthagaray (1928) et Marcos Winograd (1928-1983) à Punta del Este (Uruguay) ; la maison Castro Valdés de San Isidro (Buenos Aires 1960) ; l’émouvant cimetière Parque, premier prix d’un concours national (Mar del Plata 1961-1968). Dans ces œuvres se lisent les principes rationalistes et organicistes issus de la culture architecturale de l’après-guerre. En 1963, ils construisent le Colegio Major Nuestra-Señora de Luján, un bâtiment de logement pour les étudiants argentins boursiers. Œuvre singulière, à la croisée des expériences brésiliennes de leurs auteurs et de leur admiration pour Alvar Aalto (1898-1976), elle occupe une place marquante dans l’architecture moderne du XXe siècle. En 1973, associés avec Ernesto Katzenstein (1931-1995), ils gagnent le premier prix pour la planification de la Laguna de los Padres (province de Buenos Aires) et réalisent dans cette même province plusieurs bâtiments d’importance, dont le symbolique et ascétique bâtiment d’administration du Parque industrial Pilar (1978-1980). Avec le retour de la démocratie, C. Córdova enseigne de nouveau au sein de la faculté de Buenos Aires dont elle devient la doyenne en 1994. Elle y crée des ateliers consacrés au design, aux costumes et aux textiles, aux images et au son, et enfin au paysage, qui offrent aujourd’hui autant de parcours universitaires. Mais son ambition de fonder un « Bauhaus du Río de la Plata » n’a pas vu le jour et elle démissionne en 1996. « La Negra », comme on la surnomme affectueusement, reste, avec sa silhouette menue et son grand charisme, l’une des plus fortes personnalités de la culture architecturale d’Argentine.

Claudia SHMIDT

DEAMBROSIS F., « OAM, Grupo » et LIERNUR J. F., « Baliero, Horacio », in ALIATA F., LIERNUR J. F., Diccionario de Arquitectura en la Argentina, Buenos Aires, Clarín, 2004 ; LIERNUR J. F., « Encuentro en Madrid », in Miradas cruzadas, intercambios entre Latinoamérica y España en la Arquitectura española del siglo XX, Pampelune, T6 Ediciones, 2008.

CORDUA, Carla [SANTIAGO DU CHILI 1925]

Philosophe chilienne.

Professeure de philosophie, Carla Cordua a étudié à l’Université du Chili, puis à l’Université Complutense de Madrid, où elle a obtenu un doctorat en philosophie, et enfin dans les universités allemandes de Cologne et de Fribourg, où elle a rencontré les philosophes Wilhelm Szilasi et Karl Ulmer. En 1964, elle crée, avec d’autres universitaires, le Centre d’études humanistiques de la faculté des sciences physiques et mathématiques de l’Université du Chili, auquel ont participé de nombreux intellectuels et créateurs de renom. Une grande partie de ses textes est consacrée à la réflexion critique autour de philosophes modernes tels que Kant et Hegel, et de penseurs et écrivains contemporains comme Edmund Husserl, Ludwig Wittgenstein, D. H. Lawrence, Samuel Beckett… Dans son livre Luces oblicuas (« lumières obliques », 1997), elle aborde la lecture d’écrivains qui ont marqué la philosophie : Miguel de Cervantès, Franz Kafka et Jorge Luis Borges, des auteurs qui, selon elle, « illuminent sans tyranniser ». Avec la publication de Cabos sueltos (2003), qu’elle décrit comme un livre personnel proposant des opinions sans les justifier, elle fait état de notes accumulées tout au long de sa vie, sans fil conducteur, « comme ces courants d’air qui soudainement se forment dans les chambres fermées, et qui passent sans que l’on sache d’où ils viennent ni où ils vont ». Elle obtient en 2001 le prix du Conseil national du livre et de la lecture du Chili, après la parution d’Ideas y ocurrencias (« idées et inspirations »), un recueil de dix essais.

Gonzalo ROJAS

CORDULA VOIR HENRY, Camille

CORDY, Annie (Léonie COOREMAN, dite) [LAEKEN, BRUXELLES 1930]

Chanteuse et actrice belge.

Annie Cordy débute, enfant, dans des matinées récréatives. En 1949, une victoire à un radio-crochet lui vaut un engagement de huit jours à l’Ancienne Belgique, le plus célèbre music-hall de Bruxelles. Elle y passe un an avant de se rendre à Paris, au Lido, où, en 1950, elle devient la meneuse d’une revue intitulée Enchantement. En 1952, après avoir remporté le prix Maurice-Chevalier décerné aux jeunes talents, elle est la partenaire à l’ABC de Georges Guétary et de Bourvil dans La Route fleurie, une opérette de Francis Lopez et Raymond Vinci. Elle triomphe chaque soir pendant trois ans, tout en enregistrant des disques qui lui valent, en 1955, le Grand Prix de l’Académie Charles Cros et un titre de « Première fantaisiste française ». Le 19 avril 1956, elle est la vedette du spectacle donné à Monaco par le prince Rainier en l’honneur de son mariage avec Grace Kelly*. Jusqu’au milieu des années 1970, elle va alterner chanson, opérette, comédie musicale et cinéma. Entre 1957 et 1960, elle donne la réplique à Jean Richard dans Tête de linotte de Francis Lopez et Raymond Vinci. En 1961, elle crée, avec Luis Mariano, Visa pour l’amour à la Gaîté Lyrique. Le spectacle affiche complet pendant trois ans et se prolonge en tournée en France et au Canada. En octobre 1965, elle joue Ouah Ouah avec Bourvil. C’est un triomphe : 2 800 personnes chaque soir jusqu’en avril 1966. Elle donne ensuite des récitals à Berlin, à Leningrad, et inaugure le podium géant itinérant d’Europe no 1, qui animera ensuite, chaque été, les soirées des plus grandes plages de France. En 1967, elle s’installe au Théâtre des Nouveautés dans Pic et Pioche, avec Darry Cowl. En 1972, elle crée la version française de Hello Dolly. Elle est récompensée par le prix Triomphe de la comédie musicale. Enfin, en 1974, une de ses chansons, La Bonne du curé, se vend à plus d’un million d’exemplaires. Un record. Elle a aussi trouvé le temps de tourner une trentaine de films, parmi lesquels Le Chanteur de Mexico, mais aussi des scénarios plus dramatiques comme Le Passager de la pluie de René Clément. De sa vie, elle peut dire : « Il n’y a rien de ce que j’ai fait dont j’aie honte. J’assume tout. »

Jacques PESSIS

CORDY, Valérie [PAIMPOL 1968]

Performeuse multimédia et metteuse en scène franco-belge.

Diplômée en théâtre, Valérie Cordy entame sa carrière par des mises en scène d’auteurs contemporains (Diotime et les lions, Le Cri d’Antigone de Henry Bauchau, 1997 et 1999 ; Auprès de la mer intérieure d’Edward Bond, 2001), puis intègre en 2001 le collectif MéTAmorphoZ, fondé avec la plasticienne Natalia De Mello, où elle expérimente, cinq années durant, le théâtre multimédia. Depuis le 11 septembre 2001, elle explore les incertitudes du temps à travers le développement des nouvelles technologies (Internet, téléphonie mobile, jeux vidéo, etc.) et de la culture électronique (langage SMS, mondes virtuels, réseaux sociaux, eBay). Sur scène, elle manipule ces outils devenus quotidiens pour faire prendre conscience au spectateur des manipulations dont il est lui-même l’objet. Dans Zone temporaire (2003), elle diffuse des images du jeu Les Sims auquel elle joue en direct, pendant que des actrices reproduisent simultanément les actions commandées à ses personnages. Doppelgänger, installation évolutive (2002-2003), questionne identité et liberté en mettant en jeu la multiplicité de nos doubles électroniques (codes-barres, avatars, alias, etc.). Son travail, profondément politique, développe une réflexion sur les métamorphoses de la société de l’hypertechnologie et du contrôle, l’aliénation des libertés et les dérives du capitalisme. Depuis, elle poursuit une double activité de metteur en scène (La Terreur d’Alain Cofino Gomez, 2006, plusieurs pièces jeune public sur des textes de Suzanne Lebeau* depuis 2001) et de performeuse multimédia solo (Wired Dreams, 2006 ; Astéroïdes, 2010).

Marc DUPREZ

CORÉE – LA LANGUE DES ROMANCIÈRES

La société coréenne a toujours assigné aux femmes une place séparée, tant à l’intérieur de la maison que dans les relations sociales. Une place subalterne, évidemment, mais surtout séparée dans les demeures aristocratiques. Elles, dont les attributs utilisent fréquemment le mot « intérieur » (comme dans anae, anbang ou chipsaram), règnent sur cet intérieur au point aujourd’hui de gérer l’argent du ménage. On hérite là des schémas anciens, lesquels, sous couvert de glorification du rôle des femmes (de l’aristocratie), réifiaient leur place : l’épouse vertueuse, à laquelle on demandait de prouver sa vertu par des sacrifices insensés, tels que s’amputer pour nourrir un mari malade, se couper la main si elle avait été touchée par un inconnu ou se suicider pour effacer la souillure d’un viol. Dans ce contexte toujours favorable à l’homme, il y a donc peu de place pour une expression féminine littéraire.

Au fil du temps, les femmes ont hérité de l’alphabet national tant méprisé par les lettrés confucianistes et ont été rejetées dans des emplois à peine considérés. Que des personnes de statut social inférieur utilisent cet alphabet était dans la nature des choses. Aux hommes l’écriture en chinois, et s’ils voulaient se servir du coréen, c’était de façon anonyme ou parce que l’exil les y contraignait. Grâce à cet alphabet, les femmes (du moins celles qui disposaient de temps libre et d’éducation) n’ont pas hésité à manier et les formes littéraires peu cotées (comme la fiction en prose) et les formes grammaticales simples et analogiques.

La langue coréenne est par ailleurs marquée par un système extrêmement complexe. Chaque message doit tenir compte de la position réciproque des interlocuteurs, y compris des tiers absents qu’on évoque. On comprend donc que les besoins langagiers des hommes, engagés dans des relations complexes à l’extérieur, et ceux des femmes, nécessairement limitées par leur position sociale et leur fréquent enfermement, n’aient pas été les mêmes. Dans un tel contexte, il n’est pas étonnant que ce soient des femmes (courtisanes et femmes de l’aristocratie) qui aient joué un rôle actif dans l’évolution de la langue (dont le moteur premier reste évidemment l’usage).

Expressivité des cérémonies et récits dramatiques (cérémonies chamanes et textes des p’ansori), authenticité des mémoires de courécrits par les victimes des multiples et sanglantes luttes de factions, lyrisme des poèmes écrits ou chantés par les courtisanes, efficacité redoutable du nouvel alphabet autochtone, les femmes disposent d’un extraordinaire arsenal littéraire, alors même que ces outils et elles-mêmes font l’objet d’un double rejet social.

Au XXe siècle, les choses se compliquent dès lors que les hommes se replient définitivement sur la langue et l’alphabet coréens, même si, au Sud, l’écriture va rester saupoudrée de sinogrammes, ce qu’on appelle le kunghanmun honyong, usage mélangé de la langue nationale et de la langue chinoise, preuve écrite que le pays n’a jamais accompli définitivement sa rupture avec le sinocentrisme confucianiste. Le particularisme féminin va devoir se trouver d’autres voies.

C’est d’abord en termes de contenu. Au cours des années 1920, Na* Hyesôk, Kim* Wônju, Kim* Myôngsun, par exemple, mais aussi des hommes comme Yi Kwangsu (« réforme de la famille coréenne », 1916) ont utilisé à la fois l’essai, l’article, la fiction et le poème afin de combattre pour les droits des femmes, contre la société patriarcale confucianiste, suivant largement en cela l’exemple de leurs homologues japonais. Toutes et tous ont compris que le même moule produisait le même rejet des cadets, des jeunes, des roturiers, des femmes, des bâtards. Et que les femmes subissaient par ailleurs un rejet spécifique hors du pouvoir social, puisque le plus infortuné des hommes était susceptible de reproduire avec sa femme ou sa fille la situation dont il était lui-même victime, et dans les mêmes termes.

À vouloir proposer des images de femmes qui soient à la fois des personnages réalistes et des figures symboliques, les écrivaines se retrouvent vite sur la même ligne littéraro-idéologique que les écrivains. Tout aussi vite, ces images vont se fissurer, se lézarder, laissant entrevoir des « héroïnes défigurées », selon la géniale expression du romancier Yi Munyôl. Soit dans leur être (Adada est muette), soit dans leur destinée (Tullami est assassinée), soit dans leur amour (Sônhûi perd son amant clandestin). Les variantes sont malheureusement infinies.

Puis c’est au travers des sentiments que les femmes vont tenter de distinguer leurs créatures et leurs créations, essayant de leur attribuer dans leurs œuvres la place qu’elles ont dans la société. Aux hommes la brutalité des luttes de pouvoir et le ridicule des anciennes postures inadaptées à la société nouvelle, aux femmes les blessures du temps mais aussi la force foncière, entêtée et silencieuse. Victimes de l’histoire comme les hommes, mais aussi victimes des hommes qui veulent faire l’histoire, les femmes ont désormais comme objectif d’incarner la Corée. Et comme le pays du Matin clair, elles seront victimes et indestructibles.

C’est enfin en termes d’écriture qu’elles vont chercher à se définir. Ce cas est beaucoup plus rare qu’on ne l’imagine, dans la mesure où l’héritage culturel n’a guère favorisé l’originalité stylistique. À notre connaissance, un texte a tenté de résoudre la quadrature du cercle, affrontant délibérément la question féminine telle qu’elle se pose dans le cadre strict de la littérature coréenne, en s’appuyant sur (ou en combattant contre) ce qui la caractérise socialement, culturellement, linguistiquement et textuellement. Il s’agit de De la forêt à la forêt, de Ch’oe* Yun, une brève nouvelle articulée sur 54 paragraphes numérotés mais présentés dans le désordre. On devine vite qu’il s’agit d’une rupture amoureuse et il est possible de lire le texte seulement de la sorte, occupé qu’on sera à rétablir l’ordre chronologique. Pourtant, à y regarder de plus près, et il le faut compte tenu du fait que la langue coréenne évite largement les marques grammaticales du genre et les pronoms personnels, on remarque vite qu’il est en fait absolument impossible de dire qui, du « je » ou du « tu », est l’homme ou la femme. Ni les actes accomplis, ni le vocabulaire, ni les inscriptions linguistiques des genres ne fournissent la moindre indication. Tout ce qui caractérise habituellement le héros est absent, obligeant de fait le lecteur à s’interroger d’une part sur ses pratiques de lecteur, d’autre part sur ce qui constitue habituellement la masculinité et la féminité. Des habitudes, justement. Expérience absolument déroutante, en même temps que militante, qui met en cause et en jeu la part impensée des mécanismes sociaux, des habitus également, et qui met cruellement à nu la raison pour laquelle tant d’hommes et de femmes, même sincèrement convertis au droit à l’égalité, continuent à porter et à reproduire les rouages de l’inégalité. Codes linguistiques, ordre chronologique, impératifs culturels, déterminations héroïques, l’auteure s’en prend à tout ce qui fait autorité dans un texte, et s’attaque surtout à ces autorités invisibles qui font, dans la société, toute la trame des contraintes qui enserrent les femmes.

Faut-il donc en conclure qu’une écriture féminine sera celle qui produira un texte sans héros (et sans héroïne) ? Qui rejettera toute forme d’autorité ? Autrement dit que l’écriture féminine, pour exister, devra aller débusquer dans les rouages même de la langue et de la fiction les marques les plus profondes et les plus insoupçonnées du patriarcat et du sexisme ? L’expérience mérite d’être tentée.

Patrick MAURUS

CH’OE Y., De la forêt à la forêt (Sup’esô sup’ûro, 1993), in Tan’gun, CRIC-Racine, no 2, 2002.

CHOI C., KIM E. et al., Dangerous Women : Gender and Korean Nationalism, New York, Routledge, 1998 ; MAURUS P., Histoire de la littérature coréenne, Paris, Ellipses, 2005.

CORÉE – LES KISAENG EN LITTÉRATURE [Dynastie Choson 1392-1910]

La poésie officielle et masculine coréenne était écrite en chinois (avec les sinogrammes connus, lus, mais non parlés en Corée), selon des canons précis. Tout au long de leur vie, les aristocrates yangban apprenaient à écrire et à réciter des vers en chinois, à commencer par ceux qu’ils devaient apprendre pour passer les examens royaux. Après l’invention d’un alphabet autochtone sous l’autorité du roi Sejong (en 1442), les deux systèmes se sont faits un temps concurrence, mais l’alphabet a très vite été rejeté, qualifié de vulgaire et de féminin. Les femmes éduquées ont ainsi rapidement bénéficié d’un outil très pratique, et dont personne ne leur contestait l’usage socialement dégradé. Les courtisanes professionnelles, les kisaeng, ont joué un rôle essentiel, sans commune mesure avec leur nombre et leur statut social méprisé.

D’origine généralement modeste, sélectionnées pour leur beauté et leurs talents artistiques, ces courtisanes animaient les soirées de la bureaucratie. Très recherchées, elles étaient en même temps rejetées au plus bas de la société confucianiste, aussi mal considérées que les acteurs et les équarrisseurs. Leurs chants respectaient la bipartition du champ culturel de l’époque : à l’aristocratie le chinois, au peuple le coréen, pourrait-on dire très schématiquement puisque la langue chinoise n’était qu’écrite, jamais parlée. Les œuvres populaires ont rarement survécu, car elles étaient considérées comme indignes d’être écrites. D’où l’importance primordiale des kisaeng, qui ont assuré la transmission orale des poèmes et des chants, soit comme interprètes soit comme créatrices, moins soumises par définition aux diktats des canons littéraires de leur temps.

Les kisaeng allaient là où se trouvait l’argent, à la cour, chez les bureaucrates lettrés, puis, en fonction de leur réputation et de leur âge, elles pouvaient songer à égayer les soirées des nobliaux locaux, des lettrés de province ou des rares paysans enrichis. Ce qui assurait la transmission des textes et des mélodies. Des ministres exilés plaidaient ainsi leur cause à travers des évocations poétiques au message transparent. Ils étaient aidés en cela par le très grand nombre de kisaeng. On dit que sous le règne du tyran Yônsangun (1494-1506), elles auraient été plus de 10 000 dans la seule capitale.

Les poèmes chantés (shijo principalement) étaient échangés pendant les soirées, et l’improvisation était valorisée. Pour assurer une présence féminine dans ces réunions exclusivement masculines, on faisait appel à ces courtisanes professionnelles, d’autant plus appréciées qu’elles étaient connues pour leur talent d’improvisation. Avec le temps, ces kisaeng sont devenues les principaux vecteurs des textes et des chants, assurant leur transmission régulière et la conservation de la langue coréenne et de son alphabet. Apprenant et répandant les poèmes des lettrés éloignés ou surtout exilés, elles leur ont permis de se faire entendre. Ceux-ci ont profité du ton général et de la thématique des shijo, ces courtes pièces de trois vers repris ad libitum. Parmi les thèmes abordés, la solitude ou, mieux encore, la séparation entre amants, qui autorisait les allusions à la séparation entre l’exilé d’une part, la cour et le roi d’autre part. Il est logique de penser que les kisaeng écrivaient et/ou transcrivaient les poèmes shijo en coréen, étant donné qu’elles n’avaient pas appris les sinogrammes. Et si ces transcriptions ou traductions étaient le fait de lettrés, c’est avant tout en tant que public et utilisatrices que ces femmes avaient besoin des versions en coréen national. D’où ce ton plus intime, modeste, sensuel, et quelquefois réaliste ou érotique qu’ont pu prendre les shijo à force d’être maniés par ce nouveau public.

Le nom de quelques kisaeng a parfois franchi les siècles, et certaines, comme Hwang* Chini ou Hong Nang, toutes deux du XVIe siècle, sont passées à la postérité comme poétesses, avec les mêmes problèmes d’attribution que leurs collègues masculins. Les textes conservés sont toutefois bien trop peu nombreux pour définir de façon précise leur part dans l’évolution du genre. Tout au plus peut-on dire que leurs poèmes manifestent souvent une liberté de ton, un parfum de vie quotidienne dont témoignent rarement les poèmes masculins. Le principal effet matériel de l’importance des kisaeng sur la poésie coréenne est le lien presque absolu que cette poésie va entretenir pendant des siècles avec la musique. Et cela grâce à la survalorisation des formes les plus aisément utilisables : kasa et surtout shijo, même s’il s’agit avant tout de formes tardives de chants, modulables à l’infini. La difficulté d’en donner aujourd’hui une définition formelle en illustre bien l’origine disparate, ainsi que les facilités d’usage pour les kisaeng.

Il faut enfin préciser que les féministes contemporaines, tout en réévaluant à juste titre le rôle des courtisanes, au moins dans le domaine des lettres, soulignent que leur image a aussi structuré l’imaginaire masculin, et qu’on la retrouve derrière la « fille moderne » des années 1930, et même derrière la femme américanisée.

Patrick MAURUS

BOUCHEZ D., CHO T., Histoire de la littérature coréenne, Paris, Fayard, 2002 ; CHOI C., KIM E. et al., Dangerous Women : Gender and Korean Nationalism, New York, Routledge, 1998 ; HOYT J., Soaring Phœnixes and Prancing Dragons : A Historical Survey of Korean Classical Literature, Séoul/Somerset, Jimoondang Publishing, 2000 ; MAURUS P., Histoire de la littérature coréenne, Paris, Ellipses, 2005 ; YI S., Raffinement, élégance et vertu, les femmes coréennes dans les arts et les lettres, Marseille, Autres Temps, 2007.

CORÉE DU NORD – LITTÉRATURE [depuis 1945]

Il n’est guère facile de s’informer sur la République populaire démocratique de Corée (RPDC), malgré le réel début d’ouverture que le pays connaît depuis 2008. Accès difficile et diffusion inexistante expliquent largement cette situation. Néanmoins, les créatrices et les créations existent et ne peuvent être ignorées. La littérature de Corée du Nord n’est guère différente de celle de Corée du Sud, et la première génération de créateurs (à savoir après la Libération en 1945 et au moment de la guerre de Corée, en 1950-1953) est majoritairement formée par les écrivains communistes et nationalistes ayant opté pour le Nord, soit par conviction, soit par rejet du Sud américanisé. Aucun, naturellement, ne pouvait alors imaginer que soixante années plus tard le pays serait toujours divisé.

Le régime de Kim Il-sung ayant imposé sa marque, il est en conséquence difficile de distinguer une littérature féminine, dans la mesure où les règles dictées à la littérature s’appliquaient à tous. Et dans les publications de son fils Kim Jong-il, la question littéraire féminine n’est jamais envisagée en elle-même. En de rares occasions, seule la notion de famille est évoquée, notamment dans Rodong kajok (« une famille ouvrière », 1971). Il convient toutefois de préciser que dans les œuvres majeures, et généralement diffusées à la fois sous forme de livres, de films et de spectacles musicaux, les figures féminines dominent, à commencer par les mères. La mère (l’influence russe est évidente) est aussi importante que le père et incarne quelques vertus majeures – bonté, simplicité, spontanéité, douceur – qui sont mêlées à celles de la patrie, de l’État et de Kim Il-Sung lui-même. En quelque sorte, la femme, dans les arts nord-coréens du temps, n’est ni la compagne, ni l’avenir de l’homme, mais son superlatif. Cependant, avec le temps, même les personnages de femmes perdent en intensité, à mesure que la figure de Kim Il-Sung en personne (puis son fils) envahit les fictions.

Les écrivaines qu’il est possible de lire développent la même problématique que leurs homologues masculins. Dans Chikjang changûi haru (« une journée du directeur »), Kang Puk-rye (née en 1932) présente une directrice d’usine en conflit avec son mari, qui rechigne à prendre en charge les tâches ménagères. Pour sauver son couple, elle envisage d’abandonner ses fonctions, mais finit par y renoncer : la vie privée ne doit pas entraver le devoir social. Yang Wison (née en 1942 en Chine) décrit dans Kôdaehan nalgae (« ailes impatientes », 1982) un autre conflit, entre fiancés. Elle, par égoïsme, refuse qu’il change, alors qu’il s’engage chaque jour davantage dans un projet scientifique qui requiert toute son attention et dont l’importance sociale devrait lui valoir tout le soutien de la femme qu’il aime. Cho Kun (née en 1953) décrit dans sa première nouvelle Dans le bus (1993) le microcosme de la société nord-coréenne contemporaine, en analysant avec humour les comportements interpersonnels.

Peu importe, au fond, que le rôle négatif soit tenu par une femme ou par un homme, puisqu’il n’existe pas de personnage franchement négatif, à l’exception des ennemis de classe. Malgré le risque de stéréotypie inhérent à toute problématique unique, celle-ci autorise finalement une certaine charge critique. Du moment que le régime est sain, que l’éducation est capable de régler les conflits, que tout problème trouve sa solution dans l’équilibre de l’individuel et du collectif, il est possible de proposer la critique de certains personnages et de certaines situations. Y compris, rarement, de responsables politiques.

En quelque sorte, la littérature nord-coréenne actuelle est une littérature du couple et de la famille – malgré le mot d’ordre national : « l’Armée d’abord ». Il ne faut pas en inférer que c’est un retour vers le passé, puisqu’il s’agit d’une part d’une forme familiale nouvelle, d’autre part d’une synecdoque du pays tout entier. Mais il n’existe pas d’évolution linéaire et régulière d’une littérature, quelle qu’elle soit. L’idéologie nationale, qui, en Corée du Nord, agit directement sur l’écriture, sous forme de directives politiques, change rapidement et l’accent est désormais placé sur la tradition, bien que ce mot ne soit pas précisément défini. Il s’agit en fait, entre autres objectifs, de rendre obsolète le chuch’e (idéologie prônant l’autonomie et l’indépendance) qui expliquait tout. Car la Corée du Nord a désormais tellement besoin de la Chine qu’il ne lui est plus possible de placer l’autonomie politique au centre de tout.

Paradoxalement, le passage de la topique héroïque-militariste à la topique scientifique-pédagogique dans la littérature nord-coréenne peut potentiellement profiter à des femmes, même si elles n’en sont pas spécifiquement l’objet. Là où, au Sud, le discours masculin patriarcal est le sujet de toutes les attaques, mais se trouve en même temps réactivé par une certaine narration anticoloniale, l’affadissement marqué du discours littéraire nationaliste désexualise la fiction au Nord. La similitude qui existait jusque-là entre hommes et femmes se faisait sur le modèle masculin du héros de guerre. Celle qui se maintient établit une sorte d’équilibre, puisque le dévouement au travail scientifique ou le rejet des préjugés de classe ne sont plus spécifiquement masculins. L’héroïsme du quotidien auquel sont conviés les lecteurs ne déconstruit ni le nationalisme ni l’héroïsme, mais les désexualise certainement. Un début ?

Patrick MAURUS

CORÉE FÉODALE ET PRÉMODERNE – LITTÉRATURE

Il existe une contradiction dans les termes entre société confucianiste et littérature féminine. Les règles d’obéissance imposées aux femmes les ont confinées dans des rôles assez inconciliables avec ce qu’exigent une littérature, une éducation, une culture, un public. Il n’est pourtant pas exagéré d’affirmer que leur part dans l’histoire littéraire du pays est tout à fait considérable et, à bien des égards, essentielle. Schématiquement, pour l’époque féodale et prémoderne, les femmes parviennent à s’assurer une place dans trois domaines prépondérants : la littérature de cour ou de gynécée, les pratiques populaires, paysannes ou chamaniques, et la poésie (poèmes des courtisanes).

On comprend que les formes littéraires issues des gynécées (des maisonnées aristocratiques) aient été les plus proches des canons et pratiques de leur temps, puisque les femmes qui les produisaient, anonymement ou pas, pouvaient avoir profité de l’éducation accordée aux garçons de la maison. Nous connaissons des exemples de maisons modernes dans lesquelles les filles avaient droit aux meilleurs maîtres, comme Hô* Nansôrhôn (1563-1589), la sœur de Hô Kyun, qui a bénéficié comme ses frères de l’enseignement donné par Yi Tal, poète anticonformiste, lui-même fils de courtisane. Cette anecdote témoigne de l’ouverture d’esprit de la maison. Néanmoins, les exemples de ce genre restent exceptionnels.

Infiniment plus vaste est naturellement le monde de la pratique et de la création populaires, si l’on y inclut les innombrables pratiques d’un milieu essentiellement rural. Sans en faire une société de comédie musicale, les occasions collectives et religieuses de chanter (et de danser) étaient fréquentes : assemblées, kut (« cérémonies chamaniques »), solstices, puis cérémonies plus organisées des religions officielles.

Restent les poèmes des courtisanes, les kisaeng*. À nos yeux et oreilles de modernes, ce sont les textes de shijo (forme poétique spécifique) qui semblent les plus dignes d’intérêt. Car chaque poème ne suivait pas sa mélodie propre, mais devait peu ou prou se plier à la même ligne, ou à quelques lignes mélodiques communes et connues. Une autre hypothèse, forte, que nous pouvons formuler, tient au statut des interprètes. Celles-ci n’avaient pas l’éducation pour se transformer en compositrices. L’essentiel de leur apport résidait dans l’interprétation de ces textes.

Selon les situations, tantôt la musique primait, lorsqu’il s’agissait surtout d’amusement, tantôt c’était le texte, et on avait dans ce cas recours à des mélodies préexistantes. Cette relative uniformité mélodique a probablement facilité la diffusion des poèmes. Ces poèmes sont en effet d’abord des chants, et leur logique rythmique est musicale. Sans courtisanes, ces textes n’auraient pas été diffusés. Force est de constater qu’avec le temps ces mêmes femmes ont imposé de nombreuses variantes à ces textes, en proposant leurs propres interprétations. L’anonymat n’est donc pas la preuve de leur absence.

Contrairement au sijo, le kasa, autre genre poétique, respire une liberté de forme et de ton. S’il est chanté, il semble que ce soit le plus souvent sur un canevas assez simple, à usage facile. Chaque vers doit contenir quatre groupes de syllabes, mais la contrainte s’arrête là, la longueur du poème étant variable – de quelques dizaines à quelques centaines de vers. La critique moderne considère aussi comme kasa les longs textes de « l’autre camp », c’est-à-dire les poèmes éducatifs, versions plus ou moins habiles des Naehun (« instructions pour les femmes ») conservées dans la famille depuis des générations, dont la lecture venait rappeler les belles-filles à leurs obligations. On devine ce que ce genre doit à des poètes ou poétesses éloignés des cercles officiels, puisque le désir d’expression l’emporte largement sur les règles et les contraintes. On comprend que cette liberté relative permet aux femmes des gynécées d’exprimer leurs désirs et leurs regrets avec une franchise impossible à l’extérieur ou sous une autre forme. Le kasa se prête au récit. Aussi le lien entre femmes, kasa et nouvel alphabet est-il manifeste. Il y aurait des milliers de kasa de gynécées, c’est-à-dire autant d’occasions pour les femmes éduquées de se servir du nouvel alphabet et de noter grâce à lui leurs plaintes, des citations de poèmes chinois ou des bribes de chansons entendues par-dessus les murs. Tous matériaux susceptibles de développer l’imagination et de donner naissance à des poèmes.

Patrick MAURUS

CORÉENNES – FILLES MODERNES ET FEMMES ACTUELLES [XXe siècle]

Largement exclues du savoir jusqu’à la fin du XIXe siècle parce que considérées comme incapables de l’acquérir, les femmes se sont emparées du thème de l’éducation avec l’ouverture forcée de la Corée, peu de temps après celle du Japon. Pour des raisons plus ou moins intéressées, les jeunes hommes modernes, le plus souvent éduqués au Japon, et les groupes religieux se sont faits les avocats de l’éducation des femmes puis, rapidement, de leur expression. Dès les années 1880, tous les textes réformistes intègrent peu ou prou la nécessité de l’enseignement. C’est encore souvent dans un but utilitariste et assez masculin, puisqu’une femme éduquée est supposée rejeter plus facilement les structures patriarcales et mieux s’occuper de sa famille nouveau modèle : « Élever et réformer un peuple, éduquer des enfants, mener leurs maris vers la vertu, telle est la mission des femmes », affirme un texte religieux de l’époque.

En s’éduquant, les femmes se font les propagandistes décidées de l’alphabet autochtone, qu’elles pratiquaient depuis des siècles, à un moment où une partie des hommes modernes hésitent encore à s’affranchir du chinois. Cet alphabet deviendra l’outil privilégié de l’affirmation féminine qui va développer ses thèmes propres : le combat contre les mariages forcés, la participation aux luttes sociales.

Deux images voient le jour au début du XXe siècle : celle de la « nouvelle femme », dans les années 1910 ; et celle de la « fille moderne », dans les années 1930. La complexité de ces images, derrière des désignations positives, illustre l’ambivalence du combat féminin pris au cœur du combat pour la modernisation. Même si le roman (terme occidental) accentue sans doute un peu l’impression générale, la grande question des jeunes modernes est la libération de la vie privée. Tous développent l’idée que ni l’amour ni le mariage ne peuvent se passer de liberté. Et cette thématique n’élude pas la question, toute nouvelle, de la sexualité. Les grandes créatrices représentantes des nouvelles femmes, comme Kim* Myôngsun ou Na* Hyesôk, politisent le débat, soulignant que la liberté de choix doit être entière, qu’il s’agisse d’amour, de mariage, de sexe ou d’adhésion à un modèle de société ou de nation. Cette découverte fondamentale va englober et dominer les autres considérations et mener bon nombre d’entre elles vers une sorte de collaboration avec les Japonais à la fin de l’occupation coloniale. Les acquis de l’ère moderne leur sembleront plus fondamentaux, et surtout plus porteurs d’avenir que les considérations politiques du moment. Na Hyesôk évoquera même le contrôle des naissances et le mariage à l’essai.

Cette question du mariage prend rapidement une telle ampleur qu’il n’est pas exagéré de dire que l’essentiel des textes du temps tournent autour d’elle, y compris ceux des hommes que la postérité identifiera un peu vite à ce débat (tel Yi Kwangsu). On devine que les réactions sont nombreuses et brutales. Et c’est la fille moderne qui va en subir le contrecoup, en héritant de tous les discours négatifs que la nouvelle femme charriait, mais que la problématique de la modernité masquait. C’est sans doute la trilogie de Pak* Wansô, Les Piquets de ma mère (1980, 1981, 1991), qui exprime le mieux, après coup, l’évolution de la place et de l’image des femmes, à travers les trajets liés de la grand-mère, de la mère et de la fille. Dans Kûmant’ôn shinganûn nuga ta môgôsûlkka ? (« qui a mangé tout le shinga ? »), une sorte d’autobiographie publiée en 1992, la romancière explique qu’elle a bénéficié d’une éducation de « nouvelle femme » (une éducation complète, en japonais). La mère de la narratrice affirme que la « nouvelle femme » est « une femme qui étudie tellement qu’elle sait absolument tout et peut faire librement tout ce qu’elle souhaite ». Cette question de l’éducation restera cruciale tout au long du siècle.

On peut légitimement se demander pourquoi les romancières actuelles décrivent toujours des situations si dramatiques, si brutales parfois, après tant d’années de débats approfondis et fondamentaux. Une réponse se trouve dans l’attitude ambivalente du colonisateur. Promouvoir, partiellement, l’éducation des femmes pour des raisons idéologiques et pour développer les forces productives n’a pas empêché les Japonais de s’appuyer sur le vieux système patriarcal, et ce à mesure qu’ils trouvaient parmi les hommes de plus en plus de collaborateurs. Or, c’est ce même discours patriarcal sinocentré qui va structurer l’horizon postcolonial. L’ancestral impératif de virginité « exige l’autocensure de la part des femmes, non seulement parce qu’elles risquent réellement le viol, mais aussi en raison d’un soupçon de conspiration contre les hommes coréens déjà largement affaiblis » (Choi 1997). Les Coréennes actuelles – c’est en particulier valable pour les années 1960-1970 – sont l’objet de ce même soupçon lorsqu’elles entrent en contact avec des Américains, qui sont souvent des militaires. À l’immoralité supposée s’ajoute la mise en cause des limites de la nation coréenne, au moment même où un nouvel ennemi vient les perturber.

Patrick MAURUS

CHOI C., KIM E. et al., Dangerous Women : Gender and Korean Nationalism, New York, Routledge, 1998.

SUH J., « Collision of Modern Desires : Nationalism and Female Sexuality in Colonial Korea », in The Review of Korean Studies, vol. 5, no 2, 2002.

CORÉENNES ENTRE TRADITION ET MODERNITÉ – LITTÉRATURE

Il existe une tendance critique ancienne et très forte à considérer la littérature coréenne et la coréité comme écartelées entre yin* et yang, chamanisme et confucianisme, femmes et hommes, et donc, aussi, entre coréen et chinois. Pour une part, la littérature coréenne relèverait du didactisme hérité de la Chine, pour une autre, elle exprimerait une passivité larmoyante, souvent reliée au taoïsme, au chamanisme et à l’insistance placée par le bouddhisme extrême-oriental sur la miséricorde – allant jusqu’à féminiser le bouddha correspondant (Kwuanyin).

Les auteurs hommes auraient eu la possibilité de jouer sur les deux tableaux, en fonction des circonstances et des besoins : à la vie publique son cortège d’œuvres martiales ; à la vie privée ou à l’exil, le ton plaintif ou les motifs amoureux. Pour les femmes, la question ne se posait pas : leur expression était par nature privée, voire intime ou confidentielle. Ce qui est plus intéressant, et proprement coréen, c’est la distribution linguistique induite par cette situation somme toute tristement banale. L’aristocratie ayant promptement rejeté l’alphabet national proposé par le roi Sejong, en 1444, au profit des sinogrammes qui symbolisaient et assuraient leur pouvoir, les femmes s’en sont emparées et ont rapidement développé une écriture propre (textes des gynécées et poèmes de courtisanes). L’écriture vulgaire méprisée a donné naissance à des chefs-d’œuvre tels que les shijo de Hwang* Chini ou les naebangga (« chants du gynécée »), ou encore le Kyuwônga de Hô* Nansôrhôn, que le nationalisme moderne considère aujourd’hui rétrospectivement comme des bijoux du patrimoine. C’est ainsi que l’histoire même de la Corée et du nationalisme exacerbé auquel elle a donné le jour s’en trouve réécrite, puisque les oublis communs – qui, au dire de Renan, définissent autant une nation que les souvenirs communs – se trouvent portés par les femmes.

L’époque moderne a redistribué les cartes, avec l’irruption des femmes dans l’espace public. Des écrivaines comme Na* Hyesôk, Kim* Wônju et Kim* Myôngsun ont marqué ce changement, mais aussi des hommes comme Yi Kwangsu. Le paradoxe de l’époque (l’occupation japonaise) est que le Japon, avant d’écraser la péninsule coréenne, était porteur de toutes les valeurs du moderne. Tous les tenants du discours antipatriarcal ont ainsi sombré dans une forme de collaboration. Dès les années 1920, l’image de « la nouvelle femme » est venue de ce fait perturber celle de « l’épouse vertueuse », malgré les aléas tragiques de l’histoire empêchant globalement l’émancipation féminine de suivre le cours qu’elle semblait alors prendre. Ce n’est qu’après l’essor économique au Sud et les décisions politiques au Nord que le débat a véritablement repris. S’imposent alors des considérations plus internationales, la Corée se faisant l’écho des luttes féminines occidentales.

Dans des groupes emblématiques comme Minwuhoe (« groupe des amies du peuple ») ou Tohanaûi Munhwa(« une autre culture » ou « une tout autre culture »), se trouvent essentiellement des universitaires et des femmes de culture, à l’image des groupes américains dont elles procèdent : la recherche théorique et historique y est très poussée, tandis que les pratiques restent marquées par les contradictions. Les groupes prétendant allier féminisme et religion abondent, cherchant souvent à libérer ou à excuser les religions de ce qu’elles ont fait aux femmes. Le confucianisme sert de repoussoir assez facile, dédouanant ainsi les christianismes. Plus intéressant est sans doute le croisement entre études féministes et retour anthropologique sur le passé. Il aboutit à une réévaluation du rôle des kisaeng (« courtisanes ») et des mudang (« chamanes »).Reconsidérer la place des femmes, c’est en même temps reconsidérer l’histoire coréenne qui, du fait de la division du pays, était strictement idéologique et quasi inaccessible à travers les murs de la censure. Au risque parfois de perdre l’objet de cette quête, car si les femmes ont toutes les raisons du monde de se considérer comme victimes de siècles de confucianisme et de patriarcat sinocentriste, elles rejoignent dans cette déploration le discours national masculin, dont la victimisation est le thème principal.

Patrick MAURUS

CHOI C., KIM E. et al., Dangerous Women : Gender and Korean Nationalism, New York, Routledge, 1998.

CORELLI, Marie (Mary MACKAY, dite) [PERTH 1855 - STRATFORD-UPON-AVON 1924]

Romancière britannique.

Romancière à l’imagination débordante, aux ventes phénoménales (publié en 1895, The Sorrows of Satan dépassa tous les records de ventes de l’époque) et aux théories fumeuses, fille naturelle du poète écossais Charles Mackay, Marie Corelli fut avant tout profondément artiste. Dans un premier temps musicienne et amoureuse de Venise, et particulièrement du violoniste baroque Arcangelo Corelli qui lui inspira son pseudonyme, elle comprit que son intérêt était d’écrire – ce que confirma son immense popularité avec la parution, en 1886, de son premier roman A Romance of Two Worlds. Spécialiste du mélodrame, nourrie de spiritualisme et ne reculant devant aucun artifice pour plaire à son public, elle s’attira les foudres de nombreux critiques dépités par son habileté à hypnotiser ses lecteurs avec des sujets scientifico-mystiques. Son exubérance, ses excentricités notoires et quarante années de vie commune avec son amie Bertha Vyver furent peut-être pour elle une façon de se consoler de l’amour non partagé qu’elle porta au peintre Arthur Severn. Généreuse, et très attachée au village natal de Shakespeare, où elle s’était établie, elle contribua à grands frais à en sauver ou en préserver l’architecture. Entre 1915 et 1930, plusieurs de ses romans et nouvelles furent portés à l’écran. En 2007, l’adaptation pour le théâtre de Vendetta et de The Young Diana a contribué à raviver le souvenir d’une écrivaine qui est aussi considérée comme l’inspiratrice du mouvement messianique occulte dit de « l’ère du Verseau ».

Martine MONACELLI

RANSOM T., The Mysterious Miss Marie Corelli, Queen of Victorian Bestsellers, Stroud, Sutton, 1999.

CORI, Gerty Theresa (née RADNITZ) [PRAGUE 1896 - SAINT LOUIS 1957]

Médecin, biochimiste américaine.
Prix Nobel de médecine 1947.

Gerty Theresa Cori a reçu le prix Nobel de médecine en 1947 pour ses travaux sur le métabolisme du glucose dans l’organisme. Née dans une famille juive, elle étudie la médecine à l’université allemande de Prague. Au cours de ses études, elle rencontre Carl Cori qu’elle épouse en 1920, après s’être convertie au catholicisme. Les premiers travaux scientifiques du couple concernent le système du complément. En 1922, ils émigrent tous deux aux États-Unis et sont accueillis au Roswell Park Cancer Institute à Buffalo, dans l’État de New York. En 1928, ils obtiennent la nationalité américaine. Ils se spécialisent en biochimie, leur recherche portant sur le métabolisme du glucose. Ils doivent leur célébrité à la découverte, en 1929, d’un cycle métabolique qui porte leur nom, le « cycle de Cori », qui régit le métabolisme du glucose dans l’organisme. Ils découvrent les enzymes qui permettent au glycogène d’être converti en glucose pour fournir l’énergie nécessaire à l’activité musculaire. Ils décrivent aussi les enzymes qui permettent la reconversion du glucose en glycogène, démontrant ainsi le cycle du glucose, aliment de l’effort. Ils isolent l’ester de Cori et montrent son rôle dans l’activité de la phosphorylase qui catalyse la dégradation et la synthèse des polysaccharides. Ils démontrent l’importance capitale de ce cycle, interrompu en cas de diabète. Après la publication de ces travaux, des postes prestigieux sont offerts à Carl mais, les femmes étant à l’époque très mal acceptées dans le monde de la recherche, l’université Cornell et celle de Toronto refusent de donner un poste à Gerty. En 1931, ils s’installent tous deux à la Washington University School of Medicine de Saint Louis, où il obtient un poste de professeur titulaire dans le département de pharmacologie et elle, un poste d’assistante. C’est en 1946, lorsque son mari prend la direction du département de biochimie, que G. T. Cori obtient enfin le titre et la fonction de professeure dans ce département où elle travaillera jusqu’à sa mort. En 1947, les époux Cori partagent le prix Nobel de médecine avec le physiologiste argentin Bernard Houssay.

Yvette SULTAN

Avec COLOWICK S. P., CORI C. F., « The activity of the phosphorylating enzyme in muscle extract », in The Journal of Biological Chemistry, vol. 127, 1939 ; avec COHN M., « On the mechanism of action of muscle and potato phosphorylase », in The Journal of Biological Chemistry, vol. 175, 1948.

CORILLA OLIMPICA (Maria Maddalena MORELLI, dite) [PISTOIA 1727 - FLORENCE 1800]

Poétesse italienne.

Maria Maddalena Morelli se distingue, dès son plus jeune âge, par son talent extraordinaire pour les improvisations poétiques. Son nom pastoral, Corilla Olimpica, lui est attribué lors de son entrée en Arcadie*, en 1750. Admise à l’Académie quand le Toscan Michele Giuseppe Morei en était le custode, elle représente une région où la poésie improvisée est alors considérée comme un jeu, un défi, une reprise du chant populaire et un exercice de l’esprit. En 1760, elle est déjà la personnalité la plus représentative de l’Arcadie romaine. Improvisatrice, poétesse de cour, femme de spectacle, C. Olimpica lance un nouveau modèle de femme de lettres, professionnelle de l’improvisation, liée à la poétique de l’enthousiasme de Saverio Bettinelli. Le 16 février 1776, elle est acclamée et couronnée au sein de l’Arcadie, où elle improvise, en trois mètres différents, une « Apologie des sciences contre le paradoxe couronné du très éloquent philosophe de Genève », Jean-Jacques Rousseau. La cérémonie, très solennelle, est réitérée au Capitole le 31 août 1776, en présence d’hommes de lettres, d’aristocrates – hommes et femmes – et de prélats, après que la poétesse a répondu en vers improvisés sur 12 matières proposées par une commission de sages. Ce couronnement, critiqué par des satires polémiques et des pasquinate très violentes, provoque un grand scandale, qui peut être attribué, du point de vue politique, aux rivalités entre les jésuites (hostiles à C. Corilla) et les antijésuites, soucieux de s’attirer les faveurs du pape Pie VI. Contrainte de s’éloigner de Rome, la poétesse se retire définitivement à Florence.

Anna Teresa ROMANO CERVONE

ADEMOLLO A., Corilla Olimpica, Florence, C. Ademollo e C. editori, 1887.

CORINA VOIR VERDEJO Y DURÁN, María Tadea

CORINNE [TANAGRA, BÉOTIE Ve ou IIIsiècle aV. J.-C.]

Poétesse grecque.

Poétesse béotienne, Corinne, qu’une tradition fait l’élève de Myrtis* (Souda, III, 157), aurait eu un rôle dans la formation de Pindare, son compatriote, qu’elle aurait initié à la poésie, mais aussi affronté comme rivale, lui disputant le prix de la poésie lors d’un concours à Thèbes (Plutarque, Moralia, 347f-348a). Selon Élien (XIII, 25), auteur du IIe-IIIe siècle apr. J.-C., elle aurait remporté cinq fois la victoire contre lui. Pausanias rappelle l’existence d’un portrait de Corinne dans le gymnase de Tanagra la représentant liant ses cheveux avec un ruban en signe de sa victoire (IX, 22, 3) ; il affirme que si elle remporta le prix sur Pindare, ce fut non seulement en raison du charme qu’exerçait sa beauté exceptionnelle, mais aussi parce que la langue qu’elle utilisait – le dialecte béotien, et non, comme Pindare, le dorien littéraire – était plus compréhensible de son auditoire. Une statue d’elle se trouve encore aujourd’hui à Tanagra. Ces anecdotes, sans doute fantaisistes et en tout cas tardives, s’accordent toutes pour situer l’activité de Corinne au milieu du Ve siècle av. J.-C. Cependant, il faut attendre le Ier siècle av. J.-C. pour que son nom apparaisse dans les sources anciennes. On le trouve chez Properce, qui parle d’elle en termes élogieux (II, 3, 21), chez Ovide, qui dans les Amores nomme son amante Corinne, en hommage à la beauté, à la grâce et à l’intelligence de la poétesse, et chez l’épigrammatiste Antipater de Thessalonique, qui l’inclut dans son canon des poétesses lyriques.

Cette renommée tardive, ainsi que l’absence surprenante de commentaire érudit de son œuvre de la part des grammairiens alexandrins posent des problèmes de datation non encore résolus. Si l’on situe Corinne au Ve siècle, on peut supposer que le caractère local de son œuvre a peut-être nui à sa diffusion dans le monde grec. Elle s’adresse en effet presque exclusivement au public de son pays, traitant des cultes et des mythes locaux. Plusieurs savants préfèrent néanmoins la placer au IIIe siècle, principalement en raison du mètre utilisé et de particularités orthographiques observées dans le manuscrit où nous lisons ses poèmes.

Corinne était l’auteure de cinq livres contenant des poèmes lyriques, très probablement des parthenées destinées à être chantées par des chœurs de jeunes filles à l’occasion de fêtes religieuses (grâce à Antoninus Liberalis, Métamorphoses, X et XXV, nous connaissons le contenu de deux poèmes qui racontaient les histoires des Minyades et des Coronides), mais aussi des épigrammes et des poèmes narratifs (nomoi). Nous connaissons les poèmes de Corinne principalement grâce à des papyrus récemment découverts. Une quarantaine de fragments, écrits dans une langue simple, fluide, sans métaphores, traitent de légendes mettant en scène des dieux et des héros. Le style, malgré quelques traits empruntés à Homère, ne présente guère de variété. Les papyrus ont conservé les fragments de deux nomoi, La Dispute du Cithéron et de l’Hélicon, et Les Filles d’Asopos. Dans le premier, elle raconte la compétition de chant entre les deux montagnes de la Béotie et le désespoir de l’Hélicon qui fut le perdant. Dans le second, le devin Acraiphen prédit la destinée des filles du dieu fluvial Asopos, qui seront à l’origine d’une grande lignée de héros. Les titres d’autres poèmes confirment la prédilection de Corinne pour les sujets de mythologie béotienne.

Marella NAPPI

BATTISTINI Y., Poétesses grecques, Paris, Imp. nationale, 1998 ; CALAME C., Les chœurs de jeunes filles en Grèce archaïque, Rome, Ateneo, 1977 ; CAMPBELL D. A., Greek Lyric Poetry IV : Bacchylides, Corinna, and Others, Londres, Loeb Classical Library, 1992 ; FANT M. B., LEFKOWITZ M. R., Women’s Life in Greece and Rome, Londres, Duckworth, 1982 ; PAULY A., WISSOWA G., Realenzyklopädie, vol. XI, no 2, 1393-1398 ; PLANT I. M., Women Writers of Ancient Greece and Rome : an Anthology, Norman, University of Oklahoma Press, 2004 ; SCHMIDT M., The First Poets : Lives of the Ancient Greek Poets, New York, Knopf, 2005.

CORITA, Sister (née Frances Elizabeth KENT) [FORT DODGE, IOWA 1918 - BOSTON 1986]

Peintre et sérigraphe américaine.

Frances Elizabeth Kent grandit à Los Angeles et rejoint l’ordre du Cœur immaculé de Marie en 1936, où elle prend alors le nom de Sister Mary Corita. Diplômée du collège de son institution, elle enseigne l’art à partir de 1946. Elle poursuit des études d’histoire de l’art à l’université de Southern California et commence à exposer ses œuvres en 1951 ; imprégnées de la Bible, ses premières créations exhalent un parfum « néo-gothique ». Dans les années 1960, inspirée par le langage de la publicité et par l’univers des chansons populaires, elle contribue à l’esprit du pop art. Ses images sont largement diffusées sur des sérigraphies. Parallèlement, elle milite contre la guerre du Vietnam menée par l’administration américaine. En 1965, son Peace on Earth, exposé dans le showroom d’IBM à New York, sera considéré comme éminemment subversif. En 1968, elle quitte les ordres et se consacre entièrement à son activité artistique. À Boston, elle réalise de nombreuses commandes publiques, des peintures murales et des couvertures de livres ; elle conçoit notamment le décor de deux grands réservoirs de gaz de la ville en 1971, dont l’arc-en-ciel peint laisse entrevoir, en filigrane, le profil du dirigeant communiste vietnamien Hô Chi Minh, ce qui provoque un scandale. Les œuvres colorées et chatoyantes de S. Corita, mêlant le langage à des compositions innovantes, admirées par Charles et Ray Eames, Buckminster Fuller et Saul Bass, ont exercé une grande influence sur la jeune scène californienne des années 1980, particulièrement sur l’œuvre de Mike Kelley.

Bernard MARCADÉ

Come Alive ! : The Spirited Art of Sister Corita, Londres, Four Corners Books, 2007.

STIEF A., WALKNER M. (dir.), Power up Female Pop Art (catalogue d’exposition), Vienne/Cologne, Kunsthalle/DuMont, 2010.

CORLEVA, Johanna [AMSTERDAM 1698 - ID. 1752]

Linguiste néerlandaise.

Considérée comme la première linguiste de son pays, Johanna Corleva est connue pour sa traduction en néerlandais de la Grammaire générale et raisonnée de Port-Royal en 1741, sous le titre Algemeene en geredeneerde spraakkonst. Ses travaux ont aussi porté sur la lexicographie avec la publication, en 1741, du Trésor des mots originaux de la langue flamande, dédié à Balthazar Huydecoper. Convaincue de la possibilité d’apprendre les langues à partir des principes de la grammaire générale, elle rédigea Schat der Fransche Wortel-Woorden (« trésor des racines françaises »), ainsi que des grammaires du néerlandais et du français, ouvrages restés inédits.

Thomas VERJANS

NOORDEGRAAF J., « Women and grammar, the case of Johanna Corleva (1698-1752) », in Histoire, épistémologie, langage, n° 16-2, 1994.

CORNEA, Doïna [BRAŞOV 1929]

Militante roumaine des droits civiques.

Professeure de français à l’université de Cluj, entrée en dissidence dès l’avènement de Ceauşescu en 1967, Doïna Cornea publie des textes protestataires qu’elle réussit à faire passer clandestinement à l’Ouest, faisant ainsi connaître la situation de son pays. Elle ne tarde pas à subir brimades et représailles. Emprisonnée durant six ans, puis licenciée de son poste en 1983 pour « occidentalisme », elle finit par être séquestrée chez elle, sans téléphone, courrier ou visites. Son fils, avec qui elle a soutenu la grève des ouvriers de Braşov en 1987, est également emprisonné. Sa fille Ariadna, exilée à Paris, s’efforce d’alerter l’opinion. La classe politique internationale fait à plusieurs reprises part au gouvernement roumain de sa « vive inquiétude », craignant sa disparition. La chute du Conducător en 1989 l’amène tout naturellement à siéger au sein du comité du Front de salut national (FSN). Femme de défi mais aussi de mesure, elle élève alors la voix pour lancer, en ces lendemains fragiles de révolution, un appel à la vigilance. Elle s’inquiète également des manœuvres clandestines d’anciens agents de la Securitate visant à la compromettre politiquement, et dénonce bientôt la mainmise de bureaucrates de l’ancien régime sur le nouveau gouvernement. Elle quitte finalement le FSN. Grande figure de la résistance à la dictature, elle poursuit son combat en faveur de la liberté. Fidèle à elle-même et extérieure à tout appareil politique, elle souhaite faire entendre la voix du peuple roumain et cofonde en 1990 plusieurs organisations non gouvernementales qui luttent pour les droits civiques, dont le Forum démocrate antitotalitaire de Roumanie, première organisation d’opposition démocrate après décembre 1989. Son courage et ses discours sur la liberté lui vaudront de nombreux honneurs et récompenses.

Jacqueline PICOT

Avec COMBES M., Liberté ? , Paris, Critérion, 1990 ; avec PALADE R., La Face cachée des choses, 1990-1999 (Fata nevăzută a lucrurilor, 1990-1999, 1999), Paris, Félin, 2001.

COLLECTIF, 8 mars 1990, Hommage à des femmes exceptionnelles, Paris, Des femmes-Antoinette Fouque, 1991.

CORNELIA [V. 190 - V. 100 aV. J.-C.]

Matrone romaine, auteure de lettres.

Femme des plus célèbres de la République romaine tardive (IIe siècle av. J.-C.), Cornelia, aristocrate indépendante et cultivée, était la fille de Scipion l’Africain, le vainqueur d’Hannibal. Cet homme riche et puissant, très attiré par la philosophie et la littérature grecques, favorisa la diffusion de la culture grecque à Rome et donna à ses enfants une éducation « moderne », dont les principes nouveaux étaient très contestés. Cornelia vécut ainsi dans un milieu cultivé, côtoyant poètes, historiens et philosophes. Elle fut la première femme à accueillir chez elle des érudits, qu’elle protégeait. Elle épousa Tiberius Sempronius Gracchus, homme politique à qui elle donna douze enfants, dont les plus célèbres furent les Gracques, Tiberius et Caius, promoteurs d’importantes réformes sociales. Elle fut très admirée dans l’Antiquité comme modèle d’épouse et de mère. Après la mort de son mari (en 154 av. J.-C.), elle refusa de se remarier (elle repoussa même les avances du roi Ptolémée VIII d’Égypte) et assuma la charge de la maison. Elle supporta avec une grande force et noblesse d’âme le malheur de voir mourir presque tous ses enfants, des enfants qu’elle considérait avec orgueil comme ses véritables « bijoux » (« haec ornamenta mea », Valère Maxime, Faits et dits mémorables, IV, 4). Seuls les Gracques et Sempronia parvinrent à l’âge adulte. Sa réputation de matrone exemplaire, dévouée et vertueuse, tenait aussi au fait qu’elle s’occupa personnellement de l’éducation de ses enfants, avec magnanimité et sollicitude, leur inculquant une discipline sage et austère. Une statue en bronze (aujourd’hui perdue) fut érigée en son honneur à Rome (Pline l’Ancien, Naturalis historia, XXXIV, 14), immortalisant ainsi pendant des siècles le portrait de la matrone idéale.

Cornelia est mentionnée dans les sources anciennes pour l’excellente qualité de sa prose. Cicéron (Brutus, 211) et Quintilien (L’Institution oratoire, I, 1, 6), entre autres maîtres de la prose latine, ont loué le langage (sermo) très élégant de ses lettres et l’influence positive qu’il exerça sur l’éloquence de ses enfants. Deux fragments d’une lettre attribuée à Cornelia, et adressée à son fils Caius en 124 av. J.-C., sont conservés dans certains manuscrits de Cornelius Nepos. L’authenticité de ces extraits a été longtemps discutée, principalement en raison de la position prise par Cornelia : elle y critique vivement son fils pour son activité politique, lui conseillant de se désolidariser des menées révolutionnaires de son frère Tiberius, source de malheurs pour toute la famille. Or, si les témoignages des Anciens sur l’existence des lettres de Cornelia ne peuvent être mis en doute, ils présentent Cornelia comme une fervente partisane de l’action politique de ses enfants. Plutarque rapporte même qu’elle aurait recruté des mercenaires pour Caius (Vie de Caius, XIII, 2). Il est possible que la lettre à Caius, faisant partie de la correspondance privée de Cornelia, n’ait pas été publiée (à la différence des autres lettres), ou même qu’elle ait été écrite après coup, à des fins de propagande, possiblement par Cornelius Nepos lui-même. Si elle était authentique, ce serait la lettre la plus ancienne écrite par une femme qui nous soit parvenue.

Marella NAPPI

DIXON S., The Roman Mother, Norman, University of Oklahoma Press, 1988 ; HALLETT J. P., « Matriot games ? Cornelia, mother of the Gracchi, and the forging of family-oriented political values », in MCHARDY F., MARSHALL E. (dir.), Women’s Influence on Classical Civilization, Londres, Routledge, 2004 ; PAULY A., WISSOWA G., Realenzyklopädie, vol. IV, no 1, s. v. « Cornelius » 407, 1592-1595 ; PETROCELLI C., « Cornelia the matron », in FRASCHETTI A. (dir.), Roma al femminile, Rome, Laterza, 1994 ; SNYDER J. M., The Woman and the Lyre : Women Writers in Classical Greece and Rome, Carbondale/Edwardsville, Southern Illinois University Press, 1989.

HORSFALL N., « The “Letter of Cornelia” : yet more problems », in Athenaeum, no 65, 1987.

CORNFORD, Frances CROFTS (née DARWIN) [CAMBRIDGE 1886 - ID. 1960]

Poétesse britannique

Née dans un milieu privilégié de célébrités – Charles Darwin est son grand-père –, Frances Crofts Cornford est élevée à Cambridge au sein d’une famille très unie et reçoit une éducation privée. En 1909, elle épouse Francis Cornford, spécialiste de Lettres classiques et poète. L’un de ses enfants est John Cornford, poète communiste mort en combattant pour la république espagnole en 1936. Elle publie 12 volumes de poèmes à partir de 1910 (Poems, 1910, publication privée), dans la tradition ruraliste georgienne, très appréciés par Philip Larkin. En 1912, elle publie une « moralité », comme au Moyen Âge, Death and the Princess. Ses textes qui chantent la tranquillité de la vie sont dominés par l’image de la vieillesse et de la mort et dénoncent souvent la vie des femmes forcées par les circonstances à rester au foyer. Son écriture rappelle celle de Walter De La Mare et de W. H. Davies.

Michel REMY

ANDERSON A., A Bibliography of the Writings of Frances Cornford, Édimbourg, Tragara Press, 1975.

CORNIFICIA [V. 85 - V. 40 aV. J.-C.]

Poétesse romaine.

L’œuvre de Cornificia ne nous est pas parvenue. Nous la connaissons uniquement par des mentions chez des auteurs plus tardifs. Saint Jérôme, dans ses Chroniques, fait allusion aux insigna epigrammata de Cornificia, témoignant ainsi que ses épigrammes, « célèbres et remarquables », étaient encore lues au IVe siècle apr. J.-C., ou du moins circulaient encore bien des siècles après sa mort. Boccace (1313-1375) témoigne aussi de la gloire perpétuelle de cette femme qui par son dévouement à la littérature sut « s’élever au-dessus de son sexe ». Il consacre à Cornificia un chapitre de son œuvre De mulieribus claris (Des femmes illustres, 1362), où il fait le portrait de 106 femmes célèbres. Christine de Pizan* (1364-1430) revient sur la biographie de la poétesse pour raconter comment le talent de la jeune fille à l’école dépassait largement celui de son frère Cornificius, qui, en plus d’orateur et d’augure, était lui aussi poète, et qui l’avait sans doute introduite dans les cercles littéraires de l’époque. De famille aristocratique (son père était sénateur), Cornificia appartenait à la dernière génération de la République romaine et faisait probablement partie du cercle littéraire de poètes neoteroi (poetae novi) qui, tel Catulle, s’ouvraient aux influences de la poésie grecque. Elle était d’ailleurs l’épouse de Camerius, ami de Catulle. Un monument élevé à Cornificia et à son frère se trouve encore aujourd’hui à Rome.

Marella NAPPI

HEMELRIJK E. A., Matrona docta : Educated Women in the Roman Élite from Cornelia to Julia Domna, Londres/New York, Routledge, 1999 ; STEVENSON J., Women Latin Poets : Language, Gender and Authority, From Antiquity to the Eighteenth Century, Oxford, Oxford University Press, 2005.

CORNU-RIGORD, Françoise [LOCHES 1944]

Vigneronne française.

Après une enfance et une adolescence paisibles en Touraine, au sein d’une famille plutôt aisée, Françoise Cornu-Rigord poursuit ses études à Paris puis en Angleterre à Cambridge. Diplômée en commerce et en communication, elle commence sa vie professionnelle à la fin des années 1960 et fait ses premières armes au service d’Aristote Onassis. Au début des années 1970, elle rencontre son futur mari Yves Rigord, héritier de la Commanderie de Peyrassol, fondée par les templiers au XIIIe siècle. F. Cornu-Rigord décide de réveiller ce vignoble provençal de 55 hectares et y parvient. Curieuse, audacieuse, elle acquiert les connaissances – en cours et in situ – dans l’art d’élaborer un grand vin. Elle crée de nombreuses cuvées de vins rouge, rosé et blanc, en déclinant les étiquettes Commanderie et Château. Elle fait réaménager les installations techniques dans le but d’améliorer les conditions de travail et porte haut le flambeau d’un domaine dont elle est devenue le rouage principal. Elle se déplace, participe à des salons, organise des visites et des stages de dégustation à la propriété. Elle réussit à donner à la Commanderie de Peyrassol et à ses vins une notoriété qui dépasse les frontières. Une histoire qui durera trente ans, au cours desquels elle occupera le poste de présidente des Vignerons indépendants du Var. Contrainte de vendre le domaine en 2001, elle continue à œuvrer pour le nouveau propriétaire. Elle s’investit dans de nombreuses associations professionnelles des secteurs du vin et de la gastronomie, préside l’Ordre des dames du vin et des arts de la table dont elle est cofondatrice, joue un double rôle d’expert auprès de Passion Provence Ltd (expertise de vignobles) et de dégustatrice agréée auprès du Syndicat et du Comité des Côtes-de-Provence.

Marie-Claude FONDANAUX

La Dame de Peyrassol, Vigneronne en Provence, Bordeaux, Féret, 2008.

CORPI, Lucha [VERACRUZ 1945]

Écrivaine mexicaine.

Lucha Corpi passe son enfance dans un petit village tropical, Jáltipan, où elle s’imprègne de l’espagnol, du zapotèque et du nahuatl parlés par sa grand-mère. Passionnée de piano, elle est cependant contrainte par son père à poursuivre des études d’odontologie. Pour s’opposer à la volonté paternelle, elle se marie en 1964 et part vivre en Californie, où elle participe au mouvement chicano. Au début des années 1970, elle divorce et reste avec son fils aux États-Unis. Elle suit des études de littérature à Berkeley et commence à écrire de la poésie, explorant les tensions entre son éducation catholique mexicaine et son travail en tant que femme instruite et mère célibataire aux États-Unis. En 1976, elle publie ses premiers poèmes en espagnol dans l’ouvrage collectif Fireflight : Three Latin American Poets, où apparaissent ses poèmes consacrés au personnage historique de Marina (ou Malinche), la femme indienne qui fut l’interprète de Cortès, considérée comme la première Mexicaine et devenue une figure emblématique pour les écrivaines chicanas*. Ces poèmes seront repris dans le recueil Palabras de mediodía/Noon Words (« phrases de midi », 1980), où, entre les lignes sur son enfance au Mexique, on découvre les traces que l’injustice a laissées en elle. Elle continue à écrire ses poèmes uniquement en espagnol, comme dans Variaciones sobre una tempestad/Variations on a Storm (« variations sur une tempête », 1990), tout en enseignant l’anglais aux immigrés latino-américains. Elle rédige en anglais de courtes fictions au milieu des années 1980, puis publie son premier roman, Delia’s Song (« la chanson de Delia », 1989), dans lequel elle raconte son histoire, à partir d’expérimentations narratives inspirées par James Joyce. Par la suite, en raison de l’intérêt qu’elle porte aux faits-divers, elle écrit des romans policiers, en anglais, dont un cycle autour de la détective féministe chicana Gloria Damasco (Eulogy for a Brown Angel, 1992, Cactus Blood, 1995 et Black Widow’s Wardrobe, 1999), profondément inscrit dans les mythes et la réalité de la communauté chicana. Pour L. Corpi, écrire est le moyen d’appréhender toutes les formes du racisme, depuis le plus flagrant jusqu’au plus insidieux. Dans son dernier roman, Crimson Moon : A Brown Angel Mystery (2004), elle explore, à partir de plusieurs voix narratives, les luttes pour les droits civils des Chicanos et le mouvement étudiant des années 1960 aux États-Unis. Avec ses romans policiers, L. Corpi apporte une nouvelle esthétique dans les lettres chicanas : elle met en évidence l’impossibilité de figer la signification du mouvement chicano, qui change à chaque fois qu’il est remémoré. L’identité chicana est ainsi susceptible d’être reconfigurée.

Melina BALCÁZAR MORENO

ALDAMA F. L. (dir.), Spilling the Beans in Chicanolandia : Conversations with Writers and Artists, Austin, University of Texas Press, 2006 ; REBOLLEDO T. D., « Lucha Corpi », in WEST-DURÁN A. (dir.), Latino and Latina Writers, vol. 1, New York, Charles Scribner’s Sons, 2004.

CORRALES, Pilita [CEBU 1939]

Chanteuse et actrice philippine.

Née à Cebu, Pilita Corrales a commencé sa carrière en Australie, où sa chanson Come closer to me s’est retrouvée en tête du hit-parade. Rentrée aux Philippines, elle est devenue l’une des artistes les plus célèbres du pays et a remporté le prix de la meilleure interprète au Festival de musique de Tokyo en 1972. Son œuvre comprend plus de 135 albums en cebuano, en espagnol, en anglais et en tagalog ; ses chansons les plus connues sont A million thanks to you, Matud Nila et Ang Pipit. Elle a, par ailleurs, joué dans plusieurs films et participé à de nombreuses émissions télévisées.

Asuncion FRESNOZA-FLOT

CORREA, Ana [PÉROU XXe siècle]

Actrice et pédagogue péruvienne.

Créatrice au sein du groupe théâtral Yuyachkani (« je pense », en quéchua) depuis 1971, Ana Correa y développe le projet fondé sur la mémoire collective en utilisant la musique, la danse, le masque et le détournement d’objets. Constituant une référence pour la création collective du théâtre latino-américain, ce projet confronte les langages scéniques pluridisciplinaires traditionnels et contemporains au service d’un contenu politique et d’une action sociale : Sin título, técnica mixta (2004). Au sein de ce laboratoire pédagogique, A. Correa propose d’appréhender le théâtre comme un outil de (re)connaissance identitaire et culturelle, de lutte contre l’oppression, la corruption et la pauvreté : El bus de la fuga, performance (Lima, 2002). Dans Tirulato, teatro para niñas y niños (2009), elle réunit quinze années de travail théâtral à destination des enfants : de La boda de los ratones (« la noce des souris », 1993) à Las aventuras de Jutito (2002), en passant par El mono, el tigre y el abuelo tortuga (« le singe, le tigre et le grand-père tortue », 1998). Elle expose également sa méthode théâtrale, qui puise aux sources de la culture andine, accueille l’oralité des contes et légendes péruviens, la fête populaire et l’interculturalité, au cœur d’un univers qui joue avec le brouillage des frontières entre fiction théâtrale et réalité sociale. Rosa cuchillo (2002) est à ce titre exemplaire dans sa construction d’un portrait de femme, figure de résistance face à la violence endémique, dans une œuvre conçue pour des espaces publics ouverts.

Stéphanie URDICIAN

CORREIA, Hélia [LISBONNE 1949]

Écrivaine et auteure dramatique portugaise.

D’abord professeure de portugais, Hélia Correia se consacre aujourd’hui à l’écriture et à la traduction. Malgré l’attrait exercé sur elle par la poésie, ce sont le récit et le drame qui lui confèrent la notoriété. Après avoir collaboré à plusieurs journaux dans les années 1970, elle fait ses premiers pas dans la fiction, en 1981, avec O separar das águas (« la séparation des eaux »). Ce coup d’essai révèle une conteuse dotée d’une singulière maîtrise verbale, soumettant les mots à des rythmes et à des nuances qui rapprochent sa prose de la poésie. Cette œuvre, qui tente de rendre intelligibles les divers masques du mal, présente certaines affinités avec la littérature fantastique, que l’on retrouvera dans O número dos vivos (« le numéro des vivants », 1982), Montedemo (1983), Soma (« somme », 1987) ou Fascinação (« fascination », 2004). Villa Celeste (1985) dessine le Portugal contemporain dans ses dimensions religieuse, sociale et humaine, tandis que A fenda erótica (« le désaccord érotique », 1988), récit policier d’abord publié en feuilleton dans l’hebdomadaire O Jornal, met en question l’héritage culturel. Dans la nouvelle Bastardia (« bâtardise », 2005) s’expriment la puissance du désir, la déception et la solitude, le ressentiment et l’ambition ; l’étrange Insânia (« déraison », 1996), quasi inclassable, traite des jeux de l’amour et du désamour, et Lillias Fraser (2001, prix Pen Club de la fiction) du silence et des multiples violences. Autre dimension : le recours, hétérodoxe et transgresseur, à l’héritage de l’Antiquité classique, manifeste dans le roman A casa eterna (« la maison éternelle », 1991) ou dans les pièces de théâtre Perdição, exercício sobre Antigona (« perdition, exercice sur Antigone », 1991), O Rancor, exercício sobre Helena (« l’amertume, exercice sur Helena », 2000) et Desmesura, exercício com Medeia (« démesure, exercice avec Médée », 2006). Le lecteur est renvoyé à un texte expérimental où le concept de « parodie » vient jeter un éclairage décisif sur les sens qui parcourent ces textes dramatiques. La prédilection de l’auteure pour la Grèce antique, qui va souvent de pair avec le sens du tragique, se retrouve également dans ses titres de littérature pour la jeunesse.

Ana Paula ARNAUT

MAGALHÃES I. A. de, O sexo dos textos, Lisbonne, Caminho, 1995 ; SILVA M. de F. S. e, Furor, ensaios sobre a obra dramática de Hélia Correia, Coimbra, Imprensa da universidade de Coimbra, 2006.

CORREIA, Natália [SAN MIGUEL 1923 - LISBONNE 1993]

Poétesse, romancière et essayiste portugaise.

Native des Açores, où elle vit jusqu’à l’âge de 11 ans, Natália de Oliveira Correia fait de cette île le pivot principal de son œuvre, sorte de figure maternelle – mère-île, mère-femme, mère-patrie. L’écrivaine s’est confrontée à différents genres littéraires, de la poésie à l’essai, en passant par le théâtre, les récits de voyage et les Mémoires. Si elle a commencé par la littérature enfantine avec Grandes aventuras de um pequeno herói (« grandes aventures d’un petit héros », 1945) et le roman avec Anoiteceu no bairro (« il fait nuit dans le quartier », 1946, réédité en 2004), c’est avec la poésie qu’elle trouve l’expression parfaite de son caractère à la fois lyrique et ironique (Dimensão Encontrada [« dimension trouvée »], 1957). Dans ses poèmes, elle fait l’apologie de la femme comme matrice archétypale de la liberté érotique et passionnelle (Mátria, 1968). Avec William C.  Hyler, son second époux, elle découvre les États-Unis, et de ce voyage naîtra l’essai Descobri que era europeia, impressões de uma viagem à América (« j’ai découvert que j’étais européenne, impressions de voyage en Amérique », 1951). Auteure d’anthologies, elle est condamnée à trois ans de prison avec sursis pour Antologia de poesia portuguesa erótica e satírica (1965). Créatrice d’une œuvre vibratile mêlant lyrisme amoureux et mystique, satire railleuse, subjectivité romantique et objectivité réaliste, elle opte pour le ton de l’indignation, à l’écart des modes, refusant de modifier son œuvre pour la faire entrer dans des genres littéraires répertoriés. Journaliste à Rádio Clube Português dès 1944, elle s’est aussi consacrée à la presse écrite et a exercé comme éditrice et directrice de rédaction, ce qui lui vaudra une mise en accusation pour avoir publié les Nouvelles Lettres portugaises, de Maria Isabel Barreno*, Maria Velho da Costa* et Maria Teresa Horta* − publication révélatrice de sa personnalité rebelle œuvrant à une conception novatrice de la condition des femmes. Impliquée dans la politique et dans le monde de la culture, elle a siégé comme députée à l’Assemblée de la République (1979-1991), a participé à divers mouvements de l’opposition antifasciste, a été consultante auprès du secrétariat d’État à la Culture en 1977 et a présidé à la création du Front national de défense de la culture en 1992.

Andreia CARVALHO

CORRIGAN, Mairead [BELFAST, IRLANDE DU NORD 1944]

Pacifiste britannique. Prix Nobel de la paix 1976.

Mairead Corrigan naît parmi la minorité catholique de Belfast, en Irlande du Nord, dans une famille désargentée où le père est laveur de carreaux. Elle parvient quand même à faire des études et devient secrétaire de direction à la brasserie Guinness. Elle s’engage dans l’organisation catholique The Legion of Mary. En 1972, elle participe à une conférence mondiale œcuménique en Thaïlande, et lutte désormais pour la réconciliation des confessions en Irlande. Avec le journaliste Ciaran McKeown et Betty Williams*, alors femme au foyer, elle crée le mouvement des Peace People, le Mouvement des femmes pour la paix en Irlande, après une escarmouche, le 10 août 1976, entre l’Ira et des soldats britanniques, où trois enfants ont trouvé la mort. Le mouvement des Peace People naît le 17 août. Le sommet des manifestations est une assemblée à Londres, à Trafalgar Square, en octobre 1976, avec la participation de la chanteuse Joan Baez*. En même temps que B. Williams, M. Corrigan reçoit en 1976 le prix Nobel de la paix pour l’organisation d’une marche de la paix et pour avoir fondé le Mouvement pour la paix d’Irlande du Nord. Mais bientôt, des dissensions naissent au sein du mouvement et entre les membres du trio directeur, particulièrement entre M. Corrigan et B. Williams. L’« identité nord-irlandaise » voulue par l’organisation rencontre l’opposition des catholiques et des protestants. Le motif le plus grave est la décision de B. Williams de garder pour elle seule sa part du prix Nobel, d’un montant de 30 000 livres. M. Corrigan en fait autant. Pendant le déclin des Peace People, elle en prend la présidence, puis en redevient simple membre. Elle est à bord de la « flottille pour Gaza » arraisonnée par les Israéliens le 5 juin 2010.

Nicole CASANOVA

CORSINI, Catherine [DREUX 1956]

Actrice, réalisatrice et scénariste française.

Très tôt passionnée de cinéma, Catherine Corsini veut devenir comédienne. Elle est élève au cours Florent et suit l’enseignement d’Antoine Vitez et de Michel Bouquet au Conservatoire de Paris. Quelques expériences d’assistanat au théâtre et la rencontre avec des élèves de l’Idhec l’incitent à se tourner vers l’écriture. Après trois courts-métrages – La Mésange, Ballades et Nuit de Chine –, elle réalise son premier long-métrage, Poker (1988), dans lequel Caroline Cellier interprète une joueuse malchanceuse. La télévision lui apporte le succès en 1991 avec Interdit d’amour – une jeune mère à la dérive maltraite son enfant – qui met en scène Nathalie Richard, actrice révélée par Jacques Rivette. Après avoir réalisé Les Amoureux (1994) et deux autres films pour Arte, C. Corsini s’essaie à la comédie réaliste. Dans La Nouvelle Ève (1999), Karin Viard* incarne une trentenaire rebelle, perdue dans ses hésitations amoureuses. Le thème de la vie affective, de la sexualité et de l’homosexualité déjà abordé dans Les Amoureux fournit aussi la trame de La Répétition (2001), nommé pour la sélection officielle du Festival de Cannes : une relation passionnelle entre deux amies dont l’une (Pascale Bussières) essaie de vivre par procuration la réussite de l’autre (Emmanuelle Béart). Avec Partir (2009) et Trois mondes (2012), présenté à Cannes dans la section Un certain regard, la caméra de C. Corsini, jusque-là centrée sur les femmes, offre également aux hommes des rôles sensibles et attachants.

Nathalie COUPEZ

CORTEZ, Jayne [FORT HUACHUCA 1936]

Poétesse américaine.

Née en Arizona, Jayne Cortez grandit à Los Angeles, puis s’installe à New York. Durant son enfance, elle étudie la musique classique et le violoncelle, tandis que son contexte culturel familial l’immerge dans la musique espagnole et indienne ainsi que dans le blues et le jazz. Contrainte d’interrompre ses études supérieures pour des raisons financières, elle continue à écrire de la poésie. En 1954, elle épouse le saxophoniste de jazz Ornette Coleman. Poétesse politiquement engagée, elle est fortement influencée par le Black Arts Movement dans les années 1960. Auteure d’une dizaine de recueils de poésie, elle est célèbre pour ses lectures publiques accompagnées de musique. Beaucoup de critiques la définissent comme « poète jazz », soulignant ainsi l’importance du son et de l’oralité dans ses poèmes. Sa poésie, dont les textes mêlent lyrisme et musique, est reconnue pour ses implications politiques et ses innovations dynamiques. J. Cortez a présenté son œuvre et ses idées dans de nombreux lieux prestigieux : le Museum of Modern Art (New York), l’Unesco (Paris), le Berlin Jazz Festival, l’Arts Alive International Festival (Johannesburg). Ses poèmes traduits dans plusieurs langues ont été largement publiés dans des anthologies comme Postmodern American Poetry, Daughters of Africa, The Jazz Poetry Anthology, Surrealist Women, et dans les magazines Sulfur, Présence Africaine et Mother Jones. J. Cortez a reçu de nombreux prix : le National Endowment for the Arts, l’International African Festival Award, l’American Book Award. Elle apparaît dans le documentaire canadien Poetry in Motion, dans le clip Nelson Mandela is Coming, ainsi que dans le film de Gilles Corre Femmes du jazz (1999). Avec son groupe The Firespitters, elle enregistre Taking the Blues Back Home (1996) et Find your Own Voice (2005). Elle préside l’Organization of Women Writers of Africa, qu’elle a fondée en 1991 avec l’écrivaine ghanéenne Ama Ata Aidoo*, et a coordonné The International Conference of Women Writers of African Descent (New York, 2004).

Beatrix PERNELLE

Coagulations : New and Selected Poems (1984), New York, Thunder Mouth’s Press, 1990 ; Poetic Magnetic, New York, Bola Press, 1991.

MELHEM D. H., Heroism in the New Black Poetry : Introductions and Interviews, Lexington, University Press of Kentucky, 1990.

CORTHRON, Kia [CUMBERLAND, MARYLAND 1962]

Auteure dramatique américaine.

L’œuvre théâtrale de Kia Corthron est centrée sur les problèmes socio-politiques. Bénéficiaire d’une bourse du Manhattan Theatre Club, elle écrit sa première pièce, Catnap Allegiance, en 1992. Son art, admirablement peaufiné, mélange poésie urbaine – avec des références au sud des États-Unis – et langage de la classe ouvrière, traversé par un humour faisant écho à ce qu’elle entendait pendant son enfance à Cumberland, dans le Maryland. Après avoir enseigné la dramaturgie à la prison de Rikers Island, elle écrit deux pièces, Seeking the Genesis (« recherche de la genèse », 1997) et Breath, Boom (2000). Dans la première pièce, elle mêle les problèmes sociaux d’une famille urbaine avec le débat scientifique sur l’histoire de la violence, celle d’un jeune garçon. Dans la seconde et, plus tard, dans Force Continuum (2001), la dramaturge revient une fois de plus à la thématique de la violence, en lui associant les gangs et la brutalité policière. La violence reste donc une question qui, pour elle, affecte les individus, la politique et le sens commun.

Frida EKOTTO

CORTI, Maria [MILAN 1915 - ID. 2002]

Écrivaine et sémioticienne italienne.

Professeure d’histoire de la langue italienne, Maria Corti a enseigné dans les universités de Lecce et de Pavie. Parmi les premiers théoriciens à se consacrer en Italie à l’analyse sémiotique des textes littéraires, elle a publié de nombreux essais de critique littéraire. Elle a dirigé l’édition critique de l’œuvre de Beppe Fenoglio et a été rédactrice pour des revues importantes comme Paragone, Strumenti Critici, Alfabeta et Autografo. Dans son roman historique épique et lyrique L’Heure du destin (1962), cinq personnages se remémorent le siège d’Otrante dans les Pouilles par les Turcs en 1480. Il ballo dei sapienti (« la danse des savants », 1966) est un roman satirique sur l’école italienne des années 1960 ; Il canto delle sirene (« le chant des sirènes », 1988) est un livre complexe, entre recherche et fiction, où le mythe des sirènes, de la Grèce antique à l’époque moderne en passant par le Moyen Âge, est présenté comme la séduction insidieuse et incontournable de la quête de connaissances. Cantare nel buio (« chanter dans l’obscurité », 1991) est un roman choral sur le monde des banlieusards de la plaine Padane ; Catasto magico (« le cadastre magique », 1999), qu’elle définit comme une forme d’« archéologie de l’esprit », concerne le mélange de réalité et de fantaisie qui caractérise la culture sicilienne. Dans son recueil de nouvelles Storie (« histoires », 2000) se fondent essai et roman. À la suite d’un voyage aux États-Unis, Maria Corti a écrit Voci del Nord-Est (« voix du Nord-Est », 1986), un texte en prose à propos de l’Amérique du Nord-Est.

Francesco GNERRE

L’Heure du destin (L’ora di tutti, 1962), Paris, Mercure de France, 1964.

CORVINA, Maddalena [ROME 1607 - ID. 1664]

Peintre italienne.

Bien connue en son temps, tant à Rome, où elle semble avoir passé toute sa vie, que dans le reste de l’Italie, Maddalena Corvina est la troisième enfant d’un riche épicier qui vendait des couleurs. Sa mère, Caterina Castelli, était la fille du peintre flamand Frans van den Casteele. Datée de 1636, une gravure de l’artiste français Claude Mellan, alors fixé à Rome, atteste sa qualité de peintre et de miniaturiste romaine. D’après un document familial, l’exercice de son art procure à M. Corvina un revenu considérable. Sa famille semble avoir été liée à Cassiano dal Pozzo, secrétaire du cardinal Francesco Barberini, collectionneur et mécène qui protégea notamment Nicolas Poussin. La peintre a sans doute participé à l’exécution des dessins que rassemblait alors C. dal Pozzo pour en faire un ensemble connu comme son museo cartaceo (« musée de papier »). Son nom figure par ailleurs dans des registres de l’Accademia di San Luca à Rome, associé à celui de quelques autres artistes féminines. On lui attribue des portraits et des œuvres d’art sacré, comme une Vierge à l’Enfant conservée aux Offices de Florence. Un dessin, le Portrait d’un jeune homme aux gants, révèle douceur et finesse dans l’exécution des traits du visage, de la chevelure ondulée et de l’habit sombre aux riches dentelles (collection particulière, 1639). Plus généralement, ses œuvres sont empreintes d’une délicatesse due à sa touche ainsi qu’aux tonalités de la palette ou du crayon. L’artiste semble avoir porté une grande attention à l’expressivité de ses personnages. Des sources anciennes rapportent qu’elle enseigna la peinture à plusieurs élèves, dont Anna Angelica Allegrini, fille du peintre et miniaturiste Francesco Allegrini da Gubbio.

Anne-Sophie MOLINIÉ

MARIETTE P.-J., Abecedario de P.-J. Mariette et autres notes inédites de cet amateur sur les arts et les artistes (1850-1860), Paris, F. de Nobele, 1966, 6 vol. ; SGARBI V. (dir.), L’arte delle donne dal Rinascimento al surrealismo (catalogue d’exposition), Milan, Federico Motta, 2008.

CORY, Suzanne [KEW 1942]

Biologiste moléculaire et généticienne australienne.

Après ses études universitaires à Melbourne, Suzanne Cory effectue son doctorat dans le laboratoire de biologie moléculaire (LMB) du Medical Research Council de Cambridge en Angleterre. En 1966, le LMB abrite les prix Nobel Francis Crick et Fred Sanger. Elle y rencontre son futur mari, le scientifique américain Jerry Adams. C’est dans ce laboratoire qu’elle apprend les nouvelles méthodes de séquençage de l’ARN (acide ribonucléique) en travaillant sur le rôle de l’immunologie dans le développement des cancers. Ses études postdoctorales la mènent à Genève, où elle continue l’analyse séquentielle d’un modèle d’ARN messager. Revenus en Australie en 1971, à l’institut Walter et Eliza Hall, Suzanne Cory et J. Adams introduisent les méthodes de clonage des gènes. En 1981, leur attention se porte sur la nature des accidents génétiques à l’origine des cancers. Ils détectent les mutations qui aboutissent au lymphome de Burkitt, et cherchent à savoir comment les cellules « décident » de vivre ou de mourir. Ce programme est lancé en 1988 par la découverte du Pr David Vaux que le gène bcl-2, responsable du lymphome folliculaire, provoque la survie de la cellule en inhibant l’apoptose. Il s’agit là d’une toute nouvelle façon de penser, car tous les autres oncogènes provoquent la prolifération cellulaire. Ces recherches introduisent une notion inédite, à savoir que l’augmentation du nombre de cellules observées dans les cancers n’est pas toujours due à la multiplication cellulaire, mais au fait qu’elles ne meurent pas.

S. Cory est membre de la Royal Society de Grande-Bretagne et est élue à l’Académie des sciences de l’Institut de France. Nommée professeure de biologie médicale à l’université de Melbourne en 1996, elle est en 2001 lauréate du prix L’Oréal-Unesco pour les femmes et la science. Elle associe la recherche en génétique moléculaire à un rôle de conseiller pour l’enseignement des sciences et des biotechnologies.

Yvette SULTAN

Avec ADAMS J. M., « The bcl-2 protein family : arbiters of cell survival », in Science, vol. 281, no 5381, août 1998.

CORYLÉ, Mary (María Ramona CORDERO Y LEÓN, dite) [CUENCA 1901 - ID. 1976]

Écrivaine équatorienne.

Issue d’une famille d’écrivains, Mary Corylé a partagé sa vie entre l’enseignement de la littérature et l’écriture, principalement de la poésie, avec Canta a la vida (« elle chante la vie », 1933), El mío romancero (« mon chanteur de romances », 1945), Romances de la Florecita (« romances de la Florecita », 1946), dédié a Santa Mariana de Jesús, Aguafuertes (« eaux-fortes », 1954). Elle écrit également deux recueils de nouvelles, Mundo pequeño (« petit monde », 1948) et Gleba (« glèbe », 1952), dans lesquels elle s’intéresse au sort des êtres fragiles et démunis. Femme de la terre andine, elle est sensible au monde des Indiens et à leur relation étroite avec la nature, raison pour laquelle elle présente les animaux comme des êtres doués de sentiments. En réunissant enfants abandonnés et petits animaux affectueux, elle conçoit de belles histoires, pourtant ancrées dans un univers où la violence s’exerce sur les plus faibles, comme l’illustre Mundo pequeño. Dans Gleba, elle s’intéresse davantage aux problèmes sociaux et aux classes populaires, elle recueille avec précision et humour la langue de la région de la Sierra. Ses personnages reproduisent tous les particularismes oraux, mais dans un cadre toujours contrôlé par la voix de la narration. La preuve de cette habileté se trouve dans la nouvelle Las hembras ciudadanas (« les femelles citoyennes »), dans laquelle l’auteure raconte, avec une touche critique, l’histoire des femmes d’un village qui, attirées par les discours électoraux, négligent leur foyer et leurs activités habituelles. En Équateur, le courant littéraire réaliste, qui dénonçait les problèmes sociaux, commence à s’estomper dans les années 1950, même si M. Corylé continue de le faire vivre, à la frontière entre tradition et nouveauté.

Cecilia ANSALDO BRIONES

COSENTINO, Nicoletta [ROME 1944]

Architecte et designer italienne.

Titulaire d’un diplôme d’architecte de l’université de Rome en 1969, Nicoletta Cosentino a exercé une activité professionnelle pour le compte de particuliers, pour des sociétés de projets publiques et privées, pour le ministère des Transports et pour la mairie de Rome. Nombre de ses ouvrages ont été réalisés en collaboration avec son mari, Francesco Cellini (1944). Après avoir privilégié l’architecture résidentielle – en témoignent ses premières expériences dans des zones périphériques –, elle nourrit aujourd’hui un grand intérêt pour le cohousing (logements individuels avec parties communes en cohabitation) et pour les projets écodurables. Elle intervient également dans le domaine du design, de l’aménagement d’expositions et de l’urbanisme. Elle se signale par la qualité de ses dessins, comme l’indiquent le succès remporté à certains concours et sa participation à plusieurs expositions, dont on peut citer entre autres Les femmes architectes exposent, organisée par l’UFFA (Union française des femmes architectes) en 1978 au centre Pompidou à Paris. En 1988, de concert avec F. Cellini et Paolo Simonetti, elle gagne le concours pour le nouveau pavillon italien de la Biennale de Venise, dans les Giardini di Castello. À Rome, toujours grâce à un concours remporté en 1985, elle se voit confier l’aménagement de la piazza dei Prati degli Strozzi. Entre 1990 et 1993, elle réalise à Orvieto, avec son mari et Alberto Stramaccioni, un projet particulier : un centre polyvalent configuré comme un petit bourg où les habitations et les zones commerciales alternent avec des places, et où la répartition des espaces est conçue de façon à offrir des aperçus sur le paysage environnant.

Pier Paola PENZO

ANSELMI A., MULAZZANI M., CANELLA G., CELLINI F. (dir.), Padiglione Italia : 12 progetti per la Biennale di Venezia, Venise, Electa, 1988.

ARGENTI M., « Cellini - Cosentino - Stramaccioni. Residenze, uffici e negozi », in Area, n47, nov.-déc. 1999 ; PORTOGHESI P., « Un sogno, un desiderio. Progetti di Francesco Cellini e Nicoletta Cosentino », in Eupalino, no 5, 1985.

COSSU, Silvia [ROME 1969]

Cinéaste et écrivaine italienne.

Diplômée en droit, Silvia Cossu a écrit et produit le court-métrage Bluff (présenté à la Mostra de Venise, à Turin et à Santiago du Chili), le documentaire Tutte le donne di Fassbinder (« toutes les femmes de Fassbinder », 1997) et un long-métrage, L’ospite (« l’hôte », 1998), tiré de son roman La vergogna (« la honte », 1999), qui décrit les vices cachés de la bourgeoisie intellectuelle de gauche. Dans les années 2000, elle a publié L’abbraccio (« l’étreinte », 2006).

Graziella PAGLIANO

COSTA, Beatriz (Beatriz DA CONCEIÇÃO, dite) [CHARNECA DO MILHARADO, MALVEIRA 1907 - LISBONNE 1996]

Actrice portugaise.

Beatriz Costa est devenue le symbole de l’actrice de la « comédie à la portugaise ». À 15 ans, elle danse dans une revista à portuguesa (genre inspiré de la revue française du XIXe siècle et qui, au Portugal, faisait grand usage des jeunes femmes aux jambes bien faites), envoyant aux oubliettes une enfance de petite bonne et d’ouvrière. Le théâtre fera son incomparable notoriété, avec sa gouaille et sa coupe de cheveux à la Louise Brooks*. Le cinéma en fera une icône populaire des années 1930 et 1940. Dans le film A canção de Lisboa (« une chanson de Lisbonne », 1933), les répliques de l’actrice aux origines campagnardes (qu’elle revendique à la ville) sont devenues cultes. En 1938, le film Aldeia da roupa branca (« village des lavandières ») est entièrement construit autour de la comédienne. L’étoile garantissait seule le succès d’un spectacle : de O Mexilhão (« la moule », 1929) à O rapa (« le toton », 1935), elle fait salle comble. Arre burro ! (« hue dada ! ») est une véritable apothéose en 1936. Restée au Brésil pendant la Seconde Guerre mondiale, elle fait un retour triomphal à Lisbonne en 1949, dans Ela aí está (« la voilà ») au théâtre Maria-Vitória. Le cœur n’y est plus lors de la dernière revue Está bonita a brincadeira (« en voilà une bonne blague », 1960), mais ses Mémoires, Sem papas na lingua (« une langue bien pendue »), sont d’emblée un best-seller en 1975. Parangon de l’histoire du spectacle populaire portugais, B. Costa est de cette lignée d’acteurs qui ont fait de la revue un genre très spécifique au Portugal.

Graça DOS SANTOS

COSTA, Emília VIOTTI DA [SÃO PAULO 1928]

Historienne brésilienne.

Après des études en histoire et géographie à l’université de São Paulo (USP), Emília Costa y obtient un doctorat d’histoire en 1964, puis un poste d’enseignante. En 1969, s’étant exprimée ouvertement contre le projet de réforme universitaire préparée par la dictature militaire, elle est emprisonnée avec d’autres professeurs et mise à la retraite forcée, à l’âge de 41 ans. À partir de 1973 et jusqu’en 1999, elle est professeure d’histoire de l’Amérique latine à l’université de Yale, aux États-Unis. Plusieurs de ses livres sont devenus incontournables pour la pensée historiographique. Dans Da monarquia à república, momentos decisivos (« de la monarchie à la république, moments décisifs », 1998), elle met au jour les causes de la fragilité des institutions démocratiques et de l’idéologie libérale, cherchant à comprendre les racines du processus de marginalisation de larges secteurs de la population brésilienne. Da senzala à colônia (« de la senzala à la colonie »), publié en 1966, est issu de sa thèse de doctorat consacrée à l’esclavage dans les domaines caféiers et aux transitions du travail servile. L’historienne y présente une analyse du processus d’abolition de l’esclavage au Brésil et montre la façon dont les anciens et anciennes esclaves sont marginalisés. Citons également, sur les mêmes thèmes A Abolição (« l’abolition », 1982) et O Supremo Tribunal federal e a construção da cidadania (« le Tribunal fédéral suprême et la construction de la citoyenneté », 2001). E. Costa a reçu en 2002 le titre de professeure émérite de l’université de São Paulo.

Joana Maria PEDRO

FERREIRA A. C., BEZERRA H. G., LUCA T. R., O historiador e seu tempo, São Paulo, Unesp, 2008.

COSTA, Gal (Maria DAS GRAÇAS COSTA PENNA BURGOS, dite) [SALVADOR DE BAHIA 1945]

Chanteuse brésilienne.

Muse du tropicalia, le mouvement « tropicaliste », Gal Costa rencontre Caetano Veloso et sa sœur Maria Bethânia* en 1963. Avec eux, Gilberto Gil et Tom Zé, elle monte le spectacle Nós, por exemplo (« nous, par exemple ») en 1964. Sa collaboration avec C. Veloso est fructueuse. Il lui écrit ses premières chansons, Eu vim da Bahia et Sim, foi você eu vim da Bahia, qu’elle enregistre en 1965, puis ils sortent ensemble l’album Domingo (« dimanche »). Sa carrière de chanteuse explose en 1968 avec l’interprétation de la chanson Divino maravilhoso, composé par C. Veloso et G. Gil. En 1966, elle participe au premier Festival international de la chanson puis, en 1968, à l’album collectif Tropicália ou panis et circencis, véritable manifeste du mouvement, et y interprète un des morceaux phares : Baby, composé spécialement pour elle. 1968 est aussi l’année de son premier album solo, Gal Costa, qui impose un nouveau style, à la fois hippie et sophistiqué. Jusqu’en 1979 et l’album Gal Tropical, G. Costa reste associé à C. Veloso et G. Gil et à leur public. Alors que Caetano et Gil sont en exil à Londres, elle est leur porte-parole. En 1976, avec M. Bethânia, ils décident de monter le groupe Doces Barbaros pour commémorer leurs dix années de carrière. Groupe hippie typique des années 1970, son répertoire est marqué par la musique régionale bahianaise. Cette initiative a donné lieu à un spectacle et un disque du même nom. Dans les années 1980, la chanteuse rentre dans une phase plus commerciale. Elle enregistre un répertoire éclectique avec Jorge Ben Jor, Roberto et Erasmo Carlos, Cole Porter, Luiz Melodia et Carlinhos Brown. En 1982, elle est la voix du tube du carnaval de l’année, Festa do interior, composé par le Bahianais Moraes Moareira. Ce titre à succès figure sur son album Fantasia, qui sera consacré double disque de platine. En 1988, elle enregistre un disque dédié aux compositions d’Ary Barroso, Aquarela do Brasil. En 1994, O sorriso do Gato de Alice ouvre une période plus expérimentale avec un concert très critiqué. Un an plus tard, elle revient à des concerts plus conventionnels dédiés au répertoire de Chico Buarque et C. Veloso avec Mina d’agua do meu canto.

Sandrine TEIXIDO

Gal Costa, Universal Brazil, 1969 ; Doces barbaros 1, Universal Music, 1976 ; Meu nome é Gal, Universal Music, 1981 ; Mina d’agua do meu canto, RCA, 1995.

COSTA, Margherita [ROME début du XVIIe siècle - ID. apr. 1654]

Poétesse et chanteuse lyrique italienne.

Née dans une famille modeste, Margherita Costa commença une carrière de virtuose du bel canto à Rome et connut un grand succès. Domenico Mazzocchi écrivit pour elle La catena d’Adone (« la chaîne d’Adonis »). On dit qu’elle se prostituait. Elle arriva à Florence en 1628, protégée par les Médicis et, en 1647, elle chanta à Paris quand, par une faveur du cardinal Jules Mazarin, un opéra italien fut mis en scène en France pour la première fois. Ses textes littéraires sont composés surtout de recueils de vers amoureux et panégyriques consacrés aux personnages importants dont elle attendait des faveurs : La chitarra (« la viole ») ; Il violino (« le violon ») ; La tromba di Parnaso (« la trompette de Parnasse ») ; La selva di Diana (« la forêt de Diane »), dont tous les poèmes sont consacrés à des personnages féminins. Elle écrivit aussi pour le théâtre : Festa reale per balletto a cavallo (« fête royale pour ballet à cheval »), le drame La flora feconda (« la flore féconde »), et la comédie Li buffoni (« les bouffons »).

Marta SAVINI

MORANDINI G., Sospiri e palpiti, scrittrici italiane del Seicento, Turin, Marietti 1820, 2001.

COSTA, Maria VELHO DA [LISBONNE 1938]

Romancière portugaise.

Tout en étudiant la philologie allemande à l’université de Lisbonne, Maria Velho da Costa diversifie ses centres d’intérêt, de la recherche en sciences sociales à l’étude des langues, en passant par la politique. Son premier roman, Lugar comum (« lieu commun », 1966), annonce déjà l’écriture comme exercice de torsion linguistique, de pluralité de voix. La consécration arrive en 1969 avec Maina Mendes, roman où la construction de la parole et la réinvention des voix sont remises en cause à partir d’un personnage de femme devenue muette. En 1972, avec Maria Teresa Horta* et Maria Isabel Barreno*, elle publie le livre qui l’a rendue célèbre : Nouvelles lettres portugaises. Après des séjours à l’étranger (Angleterre et Cap-Vert), de retour dans son pays en 1990, elle se consacre à l’écriture de romans et de pièces de théâtre. Lire M. Velho da Costa, c’est expérimenter des possibilités infinies de réinvention de la langue. Les thèmes du voyage, de l’errance et de la demande persistent obsessionnellement dans une écriture alchimique, aventure singulière au cœur même de la langue, considérée comme terrain fertile et inexploité. Écrivaine du néologisme, de l’hybridité de la langue (Lúcialima, 1983) et de l’expérimentation, elle se libère des contraintes du « genre » : Missa in Albis (« messe in Albis », 1988), exprime déjà cette tentative de transgression – d’anticipation. Irene ou o contrato social (« Irène ou le contrat social », 2000), propose un scénario de devenir et de transformation, exprimé dans l’androgynie de ses personnages, dans les allusions à l’éternel retour du même, où la coïncidence et la répétition mimétique se révèlent impossibles. Sa proximité, plus ou moins directe, avec Orlando, de Virginia Woolf*, ou l’écriture d’Oscar Wilde se manifeste aussi dans une approche inventive. L’écriture de M. Velho da Costa est expérimentation en liberté ; sa magie réside dans un refus de contrôle et une autosuffisance littéraire, qui la dérobent aux circuits rigides d’appartenance à de quelconques écoles ou mouvements littéraires. En 2002, elle reçoit le prix Camões.

Hugo MONTEIRO

Avec BARRENO M. I., HORTA M. T., Nouvelles lettres portugaises (Novas cartas portuguesas, 1972), Paris, Seuil, 1974.

COSTEBLANCHE, Marie DE VOIR COTTEBLANCHE, Marie DE

COSTES, Yseulys [CLERMONT-FERRAND 1972]

Entrepreneuse française.

Yseulys Costes est une pionnière de la publicité interactive en France. Chercheuse en marketing interactif, elle enseigna cette nouvelle discipline à HEC, à l’Essec et à l’université Paris-Dauphine. Elle publia plusieurs ouvrages et articles sur le thème du marketing en ligne et des bases de données, et anima en tant que coordinatrice (1998-2000) l’Interactive Advertising Bureau France, association cherchant à structurer le marché de la communication sur Internet. Le site 1000mercis.com, qu’elle créa en 2000, était à l’origine un site Web de suggestion de cadeaux. Avec son associé, Thibaut Munier, la créatrice loua les données des utilisateurs du site à des annonceurs et fit de 1000mercis une agence spécialisée dans les campagnes de publicités personnalisées sur le Web (2001). Elle mit ainsi au point la première grande opération de marketing interactif en France pour le compte de voyages-sncf.com (2002). Elle a construit une immense base de données de consommateurs contenant des millions d’adresses e-mail destinées à être prêtées aux partenaires de 1000mercis.

Alban WYDOUW

COSTUMIÈRES – CINÉMA [Hollywood de 1913 aux années 1980]

La première créatrice de costumes à avoir influencé Hollywood, au temps du cinéma muet, est la Britannique lady Duff Gordon. Sa maison de couture, Lucile*, habille la vamp* Alice Joyce dans The American Princess, en 1913. Cecil B. De Mille lance Clare West, qui a travaillé pour D. W. Griffith et crée des toilettes délirantes pour Gloria Swanson* dans L’Adorable Crichton (Male and Female, 1919). Dans les années 1920, Edith Head commence une carrière qui va durer plus d’un demi-siècle. Elle se vante même d’avoir créé les costumes de 1 131 films ! Alors que l’Oscar pour les costumes est créé en 1948, E. Head le remporte huit fois et totalise 35 nominations. Elle habille Shirley Temple*, Barbara Stanwyck*, Carole Lombard*, Paulette Goddard*, Loretta Young* ou encore Joan Fontaine*. Avec Alfred Hitchcock, la créatrice habille Ingrid Bergman* dans Les Enchaînés (Notorious, 1946) et Grace Kelly* dans Fenêtre sur cour (Rear Window, 1954). Ses costumes jouent un rôle crucial dans les métamorphoses de Kim Novak* dans Sueurs froides (Vertigo, 1958). Après Gloria Swanson* dans Boulevard du crépuscule (Sunset Boulevard, Billy Wilder, 1950), Elizabeth Taylor* et Hedy Lamarr, qui porte une cape en plumes de paon dans Samson et Dalila (Cecil B. De Mille, 1949), la créatrice habille Audrey Hepburn* et Mae West*. Au cours des Années folles, Natacha Rambova dessine les costumes décadents de Salomé (Charles Bryant, 1923, d’après Oscar Wilde) et ceux de Rudolph Valentino dans Monsieur Beaucaire (Sidney Olcott, 1924). En 1931, Coco Chanel* fait son unique incursion à Hollywood pour Gloria Swanson* dans Ce soir ou jamais (Tonight or Never, Mervyn Le Roy, 1931). Vera West habille Elsa Lanchester dans La Fiancée de Frankenstein (The Bride of Frankenstein, James Whale, 1935) et Dracula (Tod Browning, 1931), et Dolly Tree, les paysans chinois de La Terre chinoise (The Good Earth, Sidney Franklin, 1937). En 1935, Muriel King travestit Katharine Hepburn* en garçon dans Sylvia Scarlett, de George Cukor. Irene Sharaff, qui vient de Broadway, habille Judy Garland*, Leslie Caron* dans Un Américain à Paris (Vincente Minnelli, 1951), Elizabeth Taylor* en Cléopâtre* ou encore Barbara Streisand*. Helen Rose invente les costumes extravagants de la Brésilienne Carmen Miranda* pour ses comédies musicales, et crée ceux de G. Kelly pour ses deux derniers films. Lucinda Ballard invente l’image érotique de Vivien Leigh* et de Marlon Brando dans Un tramway nommé désir (A Streetcar Named Desire, Elia Kazan, 1951). Ces grandes créatrices travaillent jusque dans les années 1980, époque où une nouvelle génération leur succède.

Bruno VILLIEN

HEAD E., CALISTRO P., Edith Head’s Hollywood, Santa Monica, Angel City Press, 2009 ; NADOOLMAN LANDIS D., Dressed : A Century of Hollywood Costume Design, New York, Collins Design, 2007 ; ROSE H., The Glamourous World of Helen Rose, Palm Springs, édition de l’auteur, 1983.

COSTUMIÈRES – THÉÂTRE [France XXe-XXIe siècle]

La fonction de costumière n’identifie pas un métier originellement féminin. Bérain père et fils au XVIIe siècle, Boquet au XVIIIe siècle ont illustré une activité dont des dessins et des estampes gardent la trace brillante. Des descriptions précises ont été transmises par les inventaires après décès, comme ceux de Molière ou d’Adrienne Lecouvreur*, la garde-robe d’un acteur, d’une actrice, d’une cantatrice étant un bien qui se transmet ou se cède jusqu’à une date avancée. Elle devient objet patrimonial conservé dans des collections ou proposé dans des ventes à grande diffusion. Deux domaines, celui de la peinture et celui de la haute couture, ont accompagné l’émergence féminine dans la réalisation des costumes de scène au début du XXe siècle.

Décoratrice des Ballets russes, Natalia Gontcharova* a apporté sa palette de couleurs et la richesse du folklore dans des costumes qui font encore rêver, inspiration que l’on retrouve chez Nina Brodsky (1892-1977), Sonia Delaunay*, Alexandra Exter*, exploitant les souvenirs des traditions populaires de leur pays natal pour décorer un répertoire que la France et l’Occident découvrent avec étonnement et enthousiasme. D’autres femmes peintres s’imposent progressivement dans la conception des costumes : Marie Laurencin*, en intégrant sa peinture dans le tableau scénique, Valentine Hugo* avec des costumes peints en trompe-l’œil, Lila De Nobili (1916-2002) et ses évanescentes compositions de tulle, Léonor Fini *dans un surréalisme raffiné, Suzanne Lalique (1892-1989) en restituant un classicisme épuré, Titina Mazelli (1924-2005) chez Bernard Sobel ; la plupart d’entre elles signent les costumes dans leurs décors, tant la scénographie est une à leurs yeux. Se dégagent de cette ligne des costumières comme la comédienne Marie-Hélène Dasté (1902-1994), influencée par le Nô japonais, attachée au symbolisme des couleurs ; elle travaille initialement pour son père Jacques Copeau, dont l’esthétique scénique se fixe sur des éléments libérant l’aire de jeu, avant de faire des costumes pour Gaston Baty puis pour Jean-Louis Barrault. Dans le prolongement de cette démarche du Cartel, Louis Jouvet commande des costumes à Jeanne Dubouchet, Charles Dullin à Valentine Hugo, Gaston Baty à Olga Choumansky (1896-1973).

Le métier de costumièr(e) connaît une autonomie grandissante dans le music-hall et l’opérette que Jenny Carré (1902-1945) met à profit dans l’entre-deux-guerres, mais aussi Rosine Delamare (1911-2013), Suzanne Reymond (1910-1999), dans le théâtre dramatique ou lyrique, ou encore Yvonne Sassinot de Nesle (1937), qui travaille aussi pour le cinéma, comme Dominique Borg (Molière 1997), ou Minne Barral Vergez à la tête d’ateliers travaillant pour le théâtre comme pour le cinéma. Très tôt, la haute-couture s’est intéressée au théâtre et a affiché de grandes signatures féminines qui habillent les actrices à la scène et à la ville, Gabrielle Chanel *qui travaille pour Cocteau chez Dullin, Maggy Rouff (1896-1971), couturière des sociétaires de la Comédie-Française dont Annie Ducaux*. Carven*, spécialiste des silhouettes menues, habille Madeleine Renaud*. Madeleine Grey (1896-1979), costumière à ses débuts, signe les drapés des tragédiennes et des tragédiens des années 1950-1960. Sylvie Poulet, pour Robert Hossein, Donate Marchand, pour le mime Marceau, font de poétiques interprétations de costumes de style.

La relève de ces décennies est assurée par des costumières qui furent assistantes des unes et des autres, comme Claudie Gastine (1942), formée par L. De Nobili, ou qui revendiquent la fonction de réalisatrice de costumes, telles Geneviève Sevin-Doering à partir des esquisses de Jacques Le Marchand ou les sœurs Karinska pour celles d’André Barsacq, ou encore Mme Gromtseff, réalisant les costumes d’Erté. D’autres conceptrices développent en parallèle des carrières d’interprètes, en particulier dans le domaine de la danse ; c’est le cas de Nyota Inyoka, de la Argentina*, ou d’Espanita Cortez (1921)…

Certaines costumières sont particulièrement attachées à des équipes de metteurs en scène, ainsi Alyette Samazeuilh à Jean Vilar et à Hubert Gignoux dans la décennie 1950-1960, Françoise Tournafond (? -2011) à Ariane Mnouchkine* (l’atelier du théâtre du Soleil reste essentiellement féminin) et à Jean-Claude Penchenat, Claude Lemaire* à Antoine Vitez à l’époque de la série des Molière.

Les costumières sont toujours très présentes dans les génériques de spectacle : Elizabeth de Sauverzac, Florence Evrard, ancienne assistante d’André Acquart, Chantal Thomas (1959)…

Depuis que le Molière du créateur de costumes est institué, plusieurs femmes ont été couronnées, notamment : Nicole Galerne pour Légendes de la forêt viennoise (1993) et Mademoiselle Else (1999) ; Chloé Obolensky (1942) pour Peines de cœur d’une chatte française (2000) d’après la nouvelle de P. J. Stahl ; Pascale Bordet (1959) pour Le Dindon (2002) ; Victoria Chaplin-Thierrée* pour la Symphonie du Hanneton (2006) ; Julie Taymor* pour le Roi Lion (2008) ; Claire Risterucci pour Madame de Sade (2009)…

Noëlle GUIBERT

CÔTÉ, Francine VOIR ADRÉNALINE

COTILLARD, Marion [PARIS 1975]

Actrice française.

Fille d’un metteur en scène de théâtre et d’une comédienne, Marion Cotillard est sur les planches dès son plus jeune âge. Après avoir suivi les cours du conservatoire d’Orléans avec Nicole Mérouze, elle débute au cinéma à 18 ans. Brune aux yeux bleus, elle est dotée d’un tempérament qui lui permet d’être aussi à l’aise dans le drame que dans la comédie. Elle tourne avec Arnaud Desplechin et Francis Reusser ; égérie du cinéma d’auteur, elle apparaît aussi dans de grands succès commerciaux comme Taxi et ses suites (Gérard Krawczyk). Elle tourne avec des réalisatrices : La Belle Verte (Coline Serreau*, 1996) ; Du bleu jusqu’en Amérique (Sarah Lévy, 1999) ; Innocence (Lucile Hadzihalilovic, 2004) ; Sauf le respect que je vous dois (Fabienne Godet, 2005) ; Toi et moi (Julie Lopes-Curval, 2006). En 2003, elle tourne son premier film en anglais : Big Fish, de Tim Burton. En 2007, dans La Môme, d’Olivier Dahan, elle incarne Édith Piaf* avec une intensité et une sensibilité qui lui valent l’Oscar de la meilleure actrice, le premier à être donné à une actrice française depuis Simone Signoret*. En 2009, elle tourne la comédie musicale Nine (Rob Marshall) et, en 2010, Les Petits Mouchoirs, joué et réalisé par son compagnon, Guillaume Canet. En 2011, dans Minuit à Paris, de Woody Allen, elle incarne une jeune femme délurée des Années folles. En 2012, elle est une handicapée qui découvre l’amour dans De rouille et d’os (Jacques Audiard), rôle qui lui vaut d’être nominée à l’Oscar de la meilleure actrice, la même année, et au César en 2013.

Bruno VILLIEN

COTRON, Fanou (Françoise COTRON-HENRY, dite) [CHAMALIÈRES 1936 - PARIS 1975]

Compositrice et pianiste française.

Bien que très brève, la carrière de Fanou Cotron fut remarquable. Pianiste prodige, possédant des aptitudes exceptionnelles, elle est, à 8 ans, l’interprète du Concertino pour piano et orchestre d’Arthur Honegger quand le compositeur dirige cette partition à l’opéra de Clermont-Ferrand le 3 mars 1946. Elle obtient en 1949 le premier prix de piano au Conservatoire de Paris, où elle poursuit ses études en classe de musique de chambre puis de composition avec Darius Milhaud et Jean Rivier. En 1959, elle est récompensée au concours du Prix de Rome par le second grand prix avec la cantate Dans les jardins d’Armide et, l’année suivante, par le prix du public lors du concert référendum organisé par les Concerts Pasdeloup. L’œuvre jouée est sa Suite concertante sur un argument chorégraphique dont elle est elle-même l’interprète au piano. En 1961 elle épouse le compositeur Jean-Claude Henry et, mère de deux enfants, consacre à la composition l’énergie qu’une santé déficiente lui permet difficilement de conserver jusqu’à sa mort en 1975. À son catalogue figurent notamment une Toccata pour piano, la Suite pour un quart d’heure de sommeil pour deux pianos, des mélodies et pièces symphoniques d’inspiration littéraire. Ainsi : Trois poèmes de Ronsard pour contralto et orchestre ou Nous sommes sur un poème de Paul Éluard, pour la même formation.

Pierrette GERMAIN

COTTA, Michèle [NICE 1937]

Journaliste et dirigeante de l’audiovisuel, française.

Après un doctorat de sciences politiques à l’Institut d’études politiques (IEP) de Paris, Michèle Cotta débute sa carrière à la Fondation nationale des sciences politiques (1959-1963) avant de devenir pigiste à Combat puis à L’Express, où elle est engagée par Françoise Giroud*. Elle y travaille de 1963 à 1976, avec une interruption d’un an qui la conduit à Europe 1. Chargée des dossiers de la gauche, elle fait partie du trio féminin qui, avec Catherine Nay* et Irène Allier, se partage le suivi de la politique française. Elle devient par la suite éditorialiste à France Inter (1976-1980) et chef du service politique au Point (1977-1980). Avec l’accession de la gauche au pouvoir, Michèle Cotta est nommée présidente de Radio France par le Premier ministre Pierre Mauroy (1981-1982), puis présidente de la Haute Autorité de la communication audiovisuelle (1982-1986) – futur Conseil supérieur de l’audiovisuel ou CSA – par le président François Mitterrand. Directrice de l’information à TF1 de 1987 à 1992, elle devient directrice générale de France 2 de 1999 à 2002. Dès lors, elle cumule les activités : chroniqueuse au Nouvel Économiste, présentatrice d’émissions sur France 2, présidente de la chaîne musicale Mezzo et présidente du Conseil de surveillance d’AB Sat. Les débats télévisés qu’elle anime, lors des seconds tours des élections présidentielles françaises de 1981 et de 1988, sont particulièrement suivis par les téléspectateurs. Elle signe de nombreux essais politiques tels que La Collaboration (1963), La VIe République (1974), Les Secrets d’une victoire (1995). Mais les Cahiers secrets de la Ve République (2007-2009) constituent son chef-d’œuvre. Résumé d’événements vécus, de rencontres, de conversations de l’auteure avec « les grands » de la Ve République, ces « cahiers secrets » offrent, en trois volumes, un panorama complet de ce que fut la politique française de 1965 (première élection du président de la République au suffrage universel) à 1986 (première cohabitation Mitterrand-Chirac). M. Cotta enseigne aujourd’hui à l’école de journalisme de l’IEP et dirige également le groupe audiovisuel JLA fondé par Jean-Luc Azoulay.

Jacques BARRAT

Les Miroirs de Jupiter, Paris, Fayard, 1986 ; Carnets secrets de la présidentielle, mars 2001-mai 2002, Paris, Plon, 2002 ; Politic Circus, Paris, L’Archipel, 2004.

« Historique de la campagne électorale et des élections présidentielles », in Crapouillot, no 68, mars 1966.

COTTEBLANCHE, Marie DE [V. 1520 - V. 1583]

Traductrice française.

Marie de Cotteblanche est la fille de Guy de Cotteblanche, avocat au parlement de Paris, et de Catherine Hesselin. La Croix du Maine, dans sa Bibliothèque (où Marie de Cotteblanche devient par erreur Costeblanche), indique que cette « damoiselle parisienne, très-docte en philosophie et mathématiques » a « traduit trois dialogues de Pierre Messie », imprimés « l’an 1566, auquel temps elle florissoit à Paris ». La dédicace à Marguerite de Saluces, maréchale de Termes, nous apprend en outre qu’elle lui devait sa connaissance de l’italien. L’écrivaine ne paraît pas avoir publié d’autres ouvrages. Ses Trois dialogues de M. Pierre Messie [… ] sont la traduction partielle des Diálogos o coloquios de Pedro Mexía (1497-1551), humaniste castillan, chroniqueur, cosmographe et astronome. Fort appréciée, cette traduction connait 29 impressions entre 1566 et 1643, soit en plaquettes autonomes, soit en complément des Diverses Leçons de P. Messie traduites par Claude Gruget, ou bien encore incluse dans la traduction intégrale des dialogues de P. Messie par un anonyme en 1592.

Anne R. LARSEN

Trois dialogues de M. Pierre Messie, touchant la nature du soleil, de la terre, et de toutes les choses qui se font et apparoissent en l’air, Paris, F. Morel, 1566.

LA CHARITÉ C., « Marie de Cotteblanche, traductrice de Pierre Messie ou l’espagnol en filigrane de l’italien », in BEAULIEU J.-P. (dir.), D’une écriture à l’autre, les femmes et la traduction sous l’Ancien Régime, Ottawa, Presses universitaires d’Ottawa, 2004 ; LARSEN A. R., « Marie de Cotteblanche, préfacière et traductrice de trois dialogues de Pierre Messie », in LARSEN A. R., WINN, C. H. (dir.), Études littéraires, vol. 27, no 2, 1994.

COTTENÇON, Fanny [PORT-GENTIL, GABON 1957]

Actrice française.

Formée entre autres à l’école de la rue Blanche, Fanny Cottençon est révélée au cinéma en 1981 par Signé Furax de Marc Simenon, et L’Étoile du Nord de Pierre Granier-Deferre (avec Simone Signoret*) en 1982, pour lequel elle reçoit le César de la meilleure actrice dans un second rôle. Elle alterne des films d’auteur (Les Saisons du plaisir, 1988 ; Mortel transfert, 2001) et des œuvres destinées à un plus grand public comme Tant qu’il y aura des femmes (1987). À son aise dans le répertoire policier (L’Ami de Vincent en 1983, Spécial Police en 1985, ou bien encore La Chambre des morts en 2007), elle joue aussi dans des drames comme La Fille de son père (2000), et est à l’affiche de très nombreuses comédies telles que À gauche en sortant de l’ascenseur (1988), Les Clés du paradis (1991), Mariage mixte (2004), ou Les Beaux Jours de Marion Vernoux* (2013). Reconnaissable grâce à sa voix singulière, mêlant gouaille et sensualité, F. Cottençon tourne souvent pour la télévision et effectue également une belle carrière au théâtre, où elle interprète de nombreux textes classiques sous la direction, notamment, de Laurent Laffargue, Andreï Serban, et Gérard Oury. Artiste engagée, elle triomphe avec Les Monologues du vagin d’Eve Ensler* (2000-2005), et dénonce haut et fort l’absence de parité sur la scène culturelle et artistique. Indignée qu’on ne donne pas aux femmes des moyens suffisants pour produire leurs films, elle revendique la politique des quotas, et cosigne en 2012, avec Virgine Despentes* et Coline Serreau*, une tribune contre l’absence de réalisatrices au Festival de Cannes.

Audrey CANSOT

COTTIN, Sophie (née RISTAUD) [PARIS 1770 - ID. 1807]

Romancière française.

Née dans une famille protestante parisienne aisée, Sophie Risteau épouse en 1789 le banquier Jean-Paul Cottin. Pendant la Révolution, le couple émigre en Angleterre, puis en Espagne. Veuve en 1793, la jeune femme traverse une douloureuse période de solitude et de deuil. En 1803, elle tombe amoureuse d’Azaïs, un philosophe mystique et illuminé qui souhaite une descendance, mais elle lui avoue, en 1805, qu’elle ne peut pas avoir d’enfants. Elle cherche alors dans le mysticisme religieux une consolation et rédige un ouvrage sur la religion chrétienne. Elle meurt à Paris le 25 août 1807. En cinq romans, elle devient l’une des écrivaines les plus réputées de son temps : Claire d’Albe (1799) ; Malvina (1801) ; Amélie Mansfield (1803) ; Mathilde (1805) et Élisabeth (1806). Largement influencée par Rousseau, elle s’attache à la peinture de l’amour et de la sensibilité, mettant en scène des héroïnes partagées entre sensualité et pureté, dans une société thermidorienne aspirant au retour à l’ordre. Malgré le succès qu’elle connaît, Mme Cottin se dit hostile aux femmes auteures : pour elle, l’écriture n’est que la compensation d’une vie de femme qu’elle ne peut pas mener.

Geneviève GOUBIER

CUSSET C., « Sophie Cottin ou l’écriture du déni », in Romantisme, no 77, janv. 1993 ; GOUBIER G., « Sophie Ristaud-Cottin : un Sturm und Drang à la française ? », in Études sur le XVIIIe siècle, no 28, Portraits de femmes, Bruxelles, Éditions de l’université de Bruxelles, 2000 ; TROUSSON R., « Sophie Cottin, disciple indocile de Jean-Jacques Rousseau », in Études Jean-Jacques Rousseau, no 8, 1996.

COTTIN EUZIOL, Georgette [EL-AFFROUN, BLIDA, ALGÉRIE 1926 - ANTIBES 2004]

Architecte française.

Fille d’une institutrice et d’un ingénieur, Georgette Angeline Jacqueline Cottin est, dès son jeune âge, une militante active, membre dès 17 ans de la section algérienne du Parti communiste français. Elle s’inscrit, après son baccalauréat, à l’École spéciale d’architecture de Paris afin d’y préparer le concours d’entrée à l’École des beaux-arts. Reçue, elle en suit les enseignements de 1947 à 1956, élève dans les différents ateliers de Gromort, Beaudouin, Lods ainsi que Vivien et Lagneau. Son parcours professionnel, riche, est lié à son engagement politique et s’échelonne sur cinq périodes durant lesquelles elle a successivement marqué de son empreinte les paysages algérien (1956-1961 et 1963-1978), genevois (1961-1963), français (1978-1992) et russe (1992-1998). Installée à Alger de 1956 à 1961, elle y construit trois établissements médicaux développant les réflexions engagées lors de son diplôme obtenu avec la mention bien. Ainsi le projet de clinique de phtisiologie présenté aux Beaux-Arts en 1956 annonce-t-il celui de Beau-Fraisier, dans le quartier de Bouzareah à Alger (1957). Durant ces années elle conçoit, également à Alger, le groupe scolaire Djenane Ben Omar (1959) et des logements sociaux, dont l’ensemble immobilier Poincaré (1959) ; elle participe à la reconstruction d’Orléansville (aujourd’hui Chlef), détruite par le séisme de 1954. Cependant, condamnée à mort par l’OAS (Organisation de l’armée secrète) à cause de son militantisme en faveur de l’indépendance de l’Algérie, elle est contrainte de quitter ce pays en août 1961. Elle se réfugie alors à Genève où elle exerce dans l’agence des frères Gaillard, réalisant dans cette ville l’ensemble immobilier Le Corbier, le garde-meuble de Cointrin et le premier consulat général d’Algérie à Genève (1963). Un an après l’indépendance, en 1963, elle revient en Algérie et s’engage au sein du Parti communiste algérien, décidée à accompagner le pouvoir dans la mise en place d’un socialisme autogestionnaire. Son introduction dans le milieu politique, son dynamisme et ses compétences lui permettent de poursuivre une carrière qui débute par le projet de reconstruction de la bibliothèque universitaire d’Alger (1964). Elle se voit par la suite confier d’importantes réalisations, dont le grand hôtel du Souf (El-Oued 1966), un ensemble de 230 logements pour la société de HLM Cenestal (Sétif 1967), le groupe scolaire des Genêts (Tizi Ouzou 1967-1968), le siège de Sonelgaz, la Société nationale d’électricité et de gaz d’Algérie (Alger 1972), le théâtre de Tizi Ouzou (1972), le gymnase de Bordj Bou Arréridj (1973), ou encore un immeuble pour la Société des grands travaux ALTRA (Réghaïa 1976-1977). Son architecture est hybride, tantôt teintée de régionalisme, comme l’hôtel d’El-Oued dont la couverture en voûte et les gargouilles font référence à l’architecture locale, tantôt de traditionalisme, notamment dans l’architecture résidentielle où elle se préoccupe des modes de vie et des pratiques sociales. En revanche, dans la plupart des réalisations situées dans de nouveaux quartiers, elle adopte un langage moderniste. Son mari et collaborateur, Claude Garnier Euziol, signe plusieurs œuvres pour des équipements qu’elle a conçus : fresques, sculptures ou vitraux. Devenue la cible de l’anticommunisme algérien, elle quitte de nouveau l’Algérie pour la France en 1978 et s’installe à son compte à Juan-les-Pins, secondée par son mari. Grâce au soutien d’anciens amis, elle réalise plusieurs équipements, dont une gendarmerie à Monaco (1983), et, dans les Alpes-Maritimes, le groupe scolaire de la Bastide à Gattières (1988), un foyer pour personnes âgées à Saorge (1988-1990) et une piscine municipale à Breil-sur-Roya (1981). En 1994, on lui propose de participer à la reconstruction des nouvelles républiques issues de la dislocation du bloc soviétique. C’est ainsi qu’elle édifie les centres d’affaires de Kraskino (1993) et de Vladivostok (1994) ainsi que le complexe de Ryazanovka (1993), tous trois en Extrême-Orient russe sur la mer du Japon, ou encore le palais présidentiel de Tchétchénie à Groznyï (1996). Malgré sa richesse, son œuvre n’a été que peu publiée. Elle est restée méconnue, jusqu’à ce que le commissariat de l’Année de l’Algérie en France lui consacre, en 2004, une exposition : Le Visage de l’esprit. Georgette Cottin-Euziol. Rétrospective de l’œuvre architectural. On peut consulter le Fonds Cottin-Euziol aux Archives départementales des Bouches-du-Rhône.

Assia SAMAÏ BOUADJADJA

MECHTA K. (dir.), Algérie, traces d’histoires. Architecture, urbanisme et art, de la Préhistoire à l’Algérie contemporaine, Lyon, CERTU, 2003.

SAMAÏ BOUADJADJA A., « Georgette Cottin-Euziol between the Beaux-Arts spirit and the philosophy of modernity », in Docomomo Journal, no 38, mars 2008 ; « Le grand hôtel du Souf à El-Oued (Sahara), Georgette Cottin Euziol architecte ; Claude Garnier Euziol collaborateur », in L’Architecture française, nos 373-374, sept.-oct. 1973.

COTTON, Eugénie (née FEYTÈS) [SOUBISE 1881 - ID. 1967]

Physicienne française.

Remarquable physicienne, Eugénie Cotton fut la collaboratrice de Jean Perrin, et une militante politique. Née en Charente-Maritime, elle entre à l’École normale supérieure de jeunes filles de Sèvres, en 1901, et y rencontre Pierre et Marie Curie* et Paul Langevin. Agrégée de sciences physiques en 1904, elle enseigne dans le secondaire puis à l’École normale supérieure de Sèvres, tout en continuant ses activités de recherche. En 1913, elle épouse Aimé Cotton, professeur à la faculté des sciences de Paris. Ils auront trois enfants. Elle termine sa carrière comme directrice de l’École normale supérieure de Sèvres (de 1936 à 1941), où elle développe la recherche et fait construire des laboratoires. Militante au Parti communiste français depuis son plus jeune âge, elle apporte en 1933 son aide aux Allemands en révolte contre le régime nazi et réfugiés en France, puis aux Espagnols traqués par le régime de Franco. Le régime de Vichy la contraint à quitter son poste d’enseignante en la mettant à la retraite en 1941. Son mari est par deux fois arrêté par la Gestapo. En 1944, elle participe à la fondation de l’Union des femmes françaises et devient, en 1945, présidente de la toute nouvelle Fédération démocratique internationale des femmes. Elle reçoit en 1950 le prix Staline pour la paix. Elle est un temps vice-présidente du Conseil mondial de la paix.

Yvette SULTAN

ÇOTUKSÖKEN, Betül [ISTANBUL 1950]

Philosophe turque.

Betül Çotuksöken est spécialiste de philosophie médiévale et de philosophie du langage. Sa thèse de doctorat, rédigée sous la direction du professeur Nermi Uygur (1925-2005), spécialiste de Husserl, porte sur la notion de morale chez Pierre Abélard. Elle enseigne au département de philosophie de l’université d’Istanbul – héritière de la première université de l’empire ottoman – de 1982 à 2000, date à laquelle elle intègre l’université de Maltepe (Istanbul), où elle crée, en 2004, le très actif département de philosophie. Elle exerce aux côtés de Ioanna Kuçuradi*, présidente de la Société philosophique turque. Soucieuse d’élaborer une philosophie des droits humains, elle organise, en y participant, de nombreuses rencontres et manifestations axées sur la recherche d’une philosophie appliquée. L’investissement dans l’activité philosophique a pour corrélat un ferme engagement institutionnel : membre de la Société philosophique turque, elle est également membre du conseil d’administration du Centre de recherches et d’application pour les droits humains. La communauté philosophique dont elle se revendique inclut aussi bien des penseurs de l’époque médiévale (les nominalistes Jean Roscelin et Guillaume d’Ockham, le conceptualiste Abélard) que des représentants de la philosophie de la logique et du langage tels que Wilhelm Dilthey, Ludwig Wittgenstein ou Karl Popper. La notion d’« anthropontologie » qu’elle propose s’attache à problématiser moins une différence d’essence de l’homme par rapport aux autres êtres que son extension à d’autres réalités. Dans la lignée de philosophes tels que Takiyettin Mengüşoğlu (1905-1984) et Ioanna Kuçuradi, elle privilégie l’inscription de l’être humain dans son environnement. Historienne de la philosophie turque sous la République, elle met en lumière les liens entre institutionnalisation de la philosophie et mutations politiques, notamment les changements introduits par le projet kémaliste à partir de 1923 et la réforme républicaine turque de l’université en 1933.

Dilek SARMIS

Felsefi Söylem Nedir ? , Istanbul, İnkılâp Yayınevi, 2000 ; Felsefeyi Anlamak Felsefe ile Anlamak, İnkılâp Kitabevi, 2001 ; Cumhuriyet Döneminde Türkiye’de Öğretim ve Araştırma Alanı Olarak Felsefe, Ankara, Betül Çotuksöken, TFK, 2001 ; Felsefe : Özne – Söylem, Istanbul, İnkılâp Yay, 2002 ; Ortaçağ Yazıları, Istanbul, Notos Kitap, 2011.

COULEVAIN, Pierre DE [1845 - SUISSE  ? 1913]

Romancière française.

On sait peu de choses sur la vie et l’identité de la romancière qui signe son premier roman Hélène Favre de Coulevain, puis emploie le pseudonyme masculin Pierre de Coulevain jusqu’à sa mort en 1913. Elle conquiert pourtant rapidement une certaine notoriété avec ses deux premiers romans, Noblesse américaine (1898) et Ève victorieuse (1901), tous deux couronnés par le prix Montyon, et consacrés à la peinture d’héritières américaines voyageant en Europe, où elles sont tentées de se marier avec des nobles désargentés. Ces deux romans de mœurs, situés dans un milieu aisé et cosmopolite, obéissent encore aux conventions du roman réaliste. Elle se libère par la suite du roman traditionnel en inventant une écriture très proche du journal intime, marquée par un ton autobiographique, la digression, l’anecdote, l’humour. Dans Sur la branche (1904), la narratrice raconte sa vie vagabonde, et son chemin vers l’écriture. L’Île inconnue (1906) se présente comme le « journal » d’un voyage en Angleterre. L’auteure s’expose davantage dans Au cœur de la vie (1908), où elle se met en scène cherchant l’inspiration du livre en cours, et dans Le Roman merveilleux (1913), où elle raconte sa « conversion » à la théosophie. P. de Coulevain repousse pourtant la curiosité indiscrète du lecteur autant qu’elle la suscite : ses romans-journaux sont remplis d’anecdotes sur les personnes, fictives ou réelles, qu’elle rencontre, mais reste assez énigmatique sur elle-même – une femme âgée, solitaire, et sans attaches, vivant comme un oiseau sur la branche à Paris, à Cannes, à Monte Carlo, à Baden-Baden, et observant la vie d’une manière à la fois gaie et détachée. Le ton intime se conjugue chez elle avec l’anonymat. « L’œuvre d’un écrivain appartient au public mais non sa personne », écrit-elle au critique Auguste Mailloux en 1905. On sait qu’elle fut membre du Lyceum (1907-1909) et du jury du premier prix Femina. Sa mort en Suisse, en 1913, est rapportée par plusieurs journaux. Mais la part de l’autobiographie reste pourtant difficile à mesurer dans son œuvre, car ce pseudonyme cache encore une inconnue.

Goran BLIX

Noblesse américaine, Paris, Ollendorff, 1898 ; Au cœur de la vie, Paris, Calmann-Lévy, 1908 ; Le Roman merveilleux, Paris, Calmann-Lévy, 1913.

BERTRAND-SABIANI J., LEROY G., La Vie littéraire à la Belle Époque, Paris, Presses universitaires de France, 1998.

COULIN, Muriel [HENNEBONT 1965]

et

COULIN, Delphine [HENNEBONT 1972]

Réalisatrices et scénaristes françaises.

Muriel, l’aînée des deux sœurs, formée à l’école Louis-Lumière, est depuis la fin des années 1980 assistante réalisatrice caméra pour des films d’Aki Kaurismäki, Krzysztof Kieslowski, Louis Malle et Diane Kurys*. Elle poursuit sa carrière comme directrice de la photographie et documentariste. Delphine travaille au département des coproductions pour Arte et se consacre à l’écriture de romans, parmi lesquels on peut citer Les Traces (2004), Une seconde de plus (prix Renaissance de la nouvelle en 2007), Samba pour la France (2011). Complémentaires dans leur pratique du cinéma, les deux sœurs réalisent ensemble plusieurs courts-métrages de fiction parmi lesquels Il faut imaginer Sisyphe heureux (1997), Souffle (2001), qui raconte la fascination d’une fillette pour la respiration de sa grand-mère, dont le souffle s’épuise, comme la vie, Seydou (2010), sur un travailleur clandestin). C’est toujours ensemble qu’elles réalisent en 2011 leur premier long-métrage, 17 filles. Inspiré d’un fait-divers survenu en 2008 dans un lycée des États-Unis, le film met en scène la solidarité et, en même temps que la naïveté, la force de ce groupe de 17 adolescentes faisant en sorte d’être simultanément enceintes pour soutenir l’une d’elles. Beau portrait, sobre et distancié, le film rencontre un succès d’estime.

Marianne FERNANDEZ

COULOMBE SAINT-MARCOUX, Micheline [NOTRE-DAME-DE-LA-DORÉ, QUÉBEC 1938 - MONTRÉAL 1985]

Compositrice canadienne.

Issue d’une famille de musiciens éclairés, Micheline Coulombe Saint-Marcoux étudie à l’université de Montréal où elle obtient un premier prix de composition en 1967 avec Modulaire, une œuvre pour orchestre et ondes Martenot. Elle étudie le piano et l’harmonie, puis la composition à l’école Vincent-d’Indy (1960-1963), et suit les cours de Gilles Tremblay et Clermont Pépin au Conservatoire de musique de Montréal (1963-1967). En 1965, elle part pour la France étudier avec Tony Aubin à l’Académie internationale d’été de Nice et remporte le prix René-Poire, son premier prix en composition. Elle effectue alors des stages de musique électroacoustique avec le Groupe de recherches musicales (GRM) de l’ORTF, suit les cours de Pierre Schaeffer au Conservatoire de Paris (1968-1970), puis prend des cours particuliers avec Gilbert Amy et Jean-Pierre Guézec. Le GRM lui commande une œuvre, Arksalalartôq, créée à Paris le 26 février 1971, alors qu’elle vient de recevoir, de l’académie de musique de Québec, le prix d’Europe pour la première fois décerné à une femme. En 1969, elle fonde le Groupe international de musique électroacoustique de Paris (Gimep) et participe à des concerts à travers l’Europe, l’Amérique du Sud et le Canada jusqu’en 1973. De retour à Montréal, elle est nommée professeure au Conservatoire de musique de Montréal où elle enseignera jusqu’à sa mort prématurée en 1985. Cette année-là, le Conseil canadien de la musique lui décerne une « mention spéciale pour son œuvre et sa contribution à la vie de la musique ». Son catalogue comprend de la musique de chambre (Intégration I et Intégration II, 1980), du piano (Kaleidoscope, 1964) et des œuvres d’orchestre (Modulaire, 1967 ; Hétéromorphie, 1969). Ses œuvres sont marquées par la spatialité et la trajectoire du son, comme en témoignent ses œuvres électroacoustiques, notamment Hétéromorphie (1970). La compositrice se passionne également pour les paysages (Moustières, 1971) ainsi que pour la poésie québécoise.

Sophie STÉVANCE

COULTHARD, Jean (ou Jane COULTHARD) [VANCOUVER 1908 - ID. 2000]

Compositrice canadienne.

La compositrice et pédagogue Jean Coulthard commence l’étude de la musique dès l’âge de 5 ans sous la tutelle de sa mère, Jean Robinson Coulthard, et compose ses premières pièces à l’âge de 8 ans. Entre 1924 et 1928, elle étudie le piano avec Jan Cherniavsky et les matières théoriques avec Frederick Chubb. Elle devient ensuite élève de Ralph Vaughan Williams et Kathleen Long au Royal College of Music de Londres (1928 à 1930) grâce à une bourse. En 1939, elle suit les cours de composition d’Arthur Benjamin puis ceux de Bernard Wagenaar (1945). Dès 1947, elle est chargée de cours de composition à l’université de la Colombie-Britannique et y devient professeure agrégée de 1957 à 1973. Elle rencontre également Bartók, Copland, Schoenberg, Milhaud et Nadia Boulanger* de qui elle reçut de précieux conseils. Son catalogue compte plus de 350 œuvres écrites pour tous les genres (musique de chambre, pour solistes, pour orchestre, musique de théâtre ou vocale). Celles composées entre 1939 et 1942 ont fait sa renommée au Canada, notamment Excursion, Song to the Sea et Canadian Fantasy, ce qui lui valut une commande de la Société Radio-Canada, en 1953 : A Prayer for Elizabeth, pour cordes, en l’honneur du couronnement d’Élisabeth II*. Son style se caractérise par une grande douceur due à une forte présence de centres tonaux, d’une structure formelle souvent cyclique et d’un grand sens de la couleur hérité de Claude Debussy. J. Coulthard a reçu plusieurs récompenses : deux doctorats honorifiques de l’université de la Colombie-Britannique (1988) et de l’université Concordia (1991), une nomination en tant que citoyenne d’honneur de la Ville de Vancouver (1978), en tant qu’officier de l’Ordre du Canada et de l’Ordre de la Colombie-Britannique (1994).

Sophie STÉVANCE

COURIAU, Emma [XIXe siècle-XXe siècle]

Typographe et militante syndicaliste française.

Typographe depuis sa jeunesse, Emma Couriau entre dans le métier vers 1894. Elle s’installe à Lyon avec son mari, Louis Couriau, et ils trouvent tous deux, en 1912, des postes de typographe payés au tarif syndical, dans un atelier syndiqué. Lorsqu’elle demande son admission à la section lyonnaise du Syndicat du livre – d’orientation proudhonienne alors que son mari est proche de la minorité « révolutionnaire » de la fédération –, celle-ci la lui refuse et radie en outre son mari en vertu d’une résolution interdisant « à tout syndiqué uni à une “typote” de laisser exercer à cette dernière la typographie ». La fédération, dont le secrétaire, Auguste Keufer, est disciple de Proudhon, refuse toute intervention. L’Humanité du 18 juillet 1913 publie alors une protestation émanant de la Fédération féministe du Sud-Est. Puis La Bataille syndicaliste publie en août-septembre 1913 une série d’articles soutenant les Couriau. En novembre, c’est au tour de la Ligue des droits de l’homme de s’en occuper, avant La Voix du peuple en janvier 1914. Les féministes prennent la relève. En décembre 1913, Marguerite Durand* organise une protestation qui attire quelque mille féministes à Paris. E. Couriau, elle, met sur pied un syndicat de femmes typographes, et l’Union départementale des syndicats se joint à la Fédération féministe du Sud-Est pour former une Ligue féminine d’action syndicale. Cinq autres départements les suivent dans cette voie avant la guerre, marquant une victoire sur le discours proudhonien et misogyne.

Charles SOWERWINE

SOWERWINE C., Les Femmes et le Socialisme, un siècle d’histoire, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1978.

GUILBERT M., « La présence des femmes dans les professions et ses incidences sur l’action syndicale avant 1914 », in Le Mouvement social, no 63, 1968 ; JENNINGS J., « The CGT and the Couriau affair, syndicalist responses to female labour in France before 1914 », in European History Quarterly, vol. 21, no 3, 1991 ; SOWERWINE C., « Workers and women in France before 1914, the debate over the Couriau affair », in The Journal of Modern History, no 55, 1983.

COURIC, Katie (Katherine Anne COURIC, dite) [ARLINGTON, VIRGINIE 1957]

Journaliste américaine.

Après avoir travaillé pourABC News, CNN, WTVJ et WRC-TV, Katie Couric arrive à NBC News en 1989 et devient l’animatrice du programme populaire Today en 1991. Jusqu’en 2006, elle y imprime sa marque au moyen d’interviews de célébrités et de figures politiques internationales, par la couverture de nombre d’événements spéciaux et par des reportages qui lui valent de multiples prix, dont le prestigieux prix Peabody pour la série Confronting Colon Cancer (« face au cancer du colon », 2001). Ce sujet lui tient à cœur, car son mari, père de ses deux filles, meurt d’un cancer du colon à 42 ans. En 2000, elle passe une coloscopie en direct, à l’écran, ce qui provoque une importante augmentation des tests de prévention dans la population américaine. L’influence des actions d’une célébrité sur la perception publique des problèmes de santé s’appellera désormais « The Katie Couric Effect ». En 2006, elle quitte Today et devient animatrice et gérante de CBS Evening News. Elle est alors la seule femme présentatrice en solo d’un journal télévisé du soir aux États-Unis. CBS Evening News with Katie Couric gagne le prix Edward-R.-Murrow deux fois, en 2008 et en 2009, en tant que meilleur journal télévisé. En 2009, elle reçoit le prix Emmy-Governor pour sa carrière dans l’audiovisuel et le prix Walter-Cronkite pour son interview de la candidate à la vice-présidence américaine, Sarah Palin. K. Couric est surnommée « America’s Sweetheart » (« la chérie de l’Amérique »), pour avoir provoqué une augmentation de 45 % du nombre de spectateurs de The Tonight Show with Jay Leno, un soir où elle était invitée.

Francesca MUSIANI

KLEIN E., Katie : The Real Story, New York, Crown Archetype, 2007.

COURNUT-JANIN, Monique [XXe siècle]

Psychanalyste française.

Psychiatre et membre titulaire de la Société psychanalytique de Paris (SPP), Monique Cournut-Janin a été coordinatrice du Centre de consultations et de traitements psychanalytiques Jean-Favreau, créé en 1953 par Sacha Nacht et René Diatkine dans le cadre de l’Institut de psychanalyse pour permettre à des patients aux revenus insuffisants de suivre une cure psychanalytique. Elle est aujourd’hui responsable pour l’Europe du Comité de réflexion sur les femmes et la psychanalyse de l’International Psychoanalytical Association (COWAP). Les très nombreux articles qu’elle a publiés dans la Revue française de psychanalyse contribuent à dégager le « féminin » comme une dimension du psychisme aussi bien chez la femme que chez l’homme. Dans « De l’autre côté du sexe », article écrit en 1976 et paru en 1978, elle estime que la théorisation freudienne est à relier à la sexualité de son auteur ; en conséquence, les femmes analystes doivent refuser « le leurre de se situer comme si elles étaient des hommes » et lire Freud en dehors des fantasmes masculins qui ont présidé à l’élaboration de la psychanalyse. C’est ce qu’elle a cherché à mettre en œuvre dans l’ensemble de ses travaux. Dans le rapport du 53e Congrès des psychanalystes de langue française, Sur le corps de l’autre, Castration et féminin dans les deux sexes (1993), elle a, avec Jean Cournut, analysé les fantasmes des grands cas cliniques freudiens qui renvoient à des théories sexuelles infantiles pouvant méconnaître la différence sexuelle, la castration et la différence des générations. Féminin et féminité (1998) est une synthèse de ses recherches sur la sexualité et sur la place de l’Œdipe dans le psychisme féminin. La féminité, image lisse du corps, serait ce que les femmes mettent en place pour ne pas déclencher chez l’homme la peur de la castration. C’est en fonction de cette position centrale de la castration, « phobie permanente, structurante et universelle », qu’elle définit la féminité comme « leurre phallique ».

COLLECTIF PSYCHANALYSE ET POLITIQUE

« Origine sexuelle de la pensée », in COUVREUR C., OPPENHEIMER A., PERRON R. et al. (dir.), Psychanalyse, neurosciences, cognitivismes, Paris, Puf, 1997.

« Narcisse séparé », in Revue française de psychanalyse, vol. 65, 2001 ; « Le sexe, la mort, le temps », in Revue française de psychanalyse, vol. 69, no 4, 2005 ; « La Marquise d’O… revisitée », in Revue française de psychanalyse, vol. 70, no 3, 2006 ; « Le premier entretien », in Revue française de psychosomatique, no 35, 2009.