GIORDANO, Isabelle [FONTENAY-AUX-ROSES 1963]

Journaliste et animatrice française de télévision et de radio.

Après des études à l’Institut d’études politiques de Paris, Isabelle Giordano débute dans le journalisme. Elle participe à plusieurs émissions de télévision et, en 1991, présente Bouillon de culture sur Antenne 2 aux côtés de Bernard Pivot. La même année, elle devient rédactrice en chef du Journal du cinéma, émission quotidienne sur Canal+ qu’elle présente jusqu’en 2001. Dès 1997 s’y ajoute un rendez-vous hebdomadaire, Allons au cinéma ce week-end, puis une émission de radio quotidienne sur Europe 1. On la voit également sur France Télévisions au début des années 2000 (Le Fabuleux Destin de…sur France 3, Jour de fête sur France 2). Sur France Inter, elle anime Le Monde selon wam, une émission sur les sujets liés à l’adolescence, ainsi que Service Public, une émission innovante à l’adresse des consommateurs, dont elle est également la productrice. Elle rejoint Arte en 2008 et présente plusieurs émissions avant Giordano Hebdo en 2010, où elle accueille chaque semaine une personnalité de la scène artistique ou politique. De 2011 à 2012, à nouveau pour France Inter, elle anime et produit Les Affranchis. La journaliste publie aussi deux récits autobiographiques sur Romy Schneider* et Martine Aubry*. Créatrice de l’association Cinéma pour tous, marraine de l’association Les toiles enchantées, I. Giordano est ambassadrice de l’ONG Plan pour l’Éducation et les droits des filles dans le monde depuis 2010. Elle est nommée officier des Arts et des Lettres en 2009 et chevalier de la Légion d'honneur en 2013, date à laquelle elle devient directrice d’Unifrance Films.

Marion PAOLI

GIOVANNA (Anna VOGGI, dite) [REGGIO-EMILIA 1934]

Peintre et écrivaine italienne.

Vivant et travaillant à Paris, Anna Voggi, appelée Giovanna, participe aux activités du groupe surréaliste d’André Breton à partir de l’exposition L’Écart absolu (1965). Elle se distingue, tant dans le domaine de la peinture que dans celui de l’écriture, par une thématique et des modes d’élaboration tout à fait originaux au sein de la mouvance surréaliste ainsi que par une inventivité exceptionnelle. Dans le domaine de la peinture et du dessin, Giovanna appréhende l’espace dans ses trois dimensions, d’une façon quasi sculpturale, et ce dès ses dessins à la machine à écrire (Deus ex machina, 1978). Ceux-ci sont suivis d’« arrachages » colorés, fondés sur l’aléatoire et sur une technique à la fois automatique et savante. Parallèlement, les formes picturales sur toile évoquent, dans des coloris éclatants, l’entrelacement impossible des voûtes de Piranèse. Giovanna participe à de très nombreuses expositions internationales : depuis A phala, à São Paulo (1967), jusqu’à Paris-Basel-Miami, à Paris (2002, Galerie 1900-2000), en passant par Surrealism Unlimited, à Londres (1978), Dans la lumière du surréalisme, à Bari (Italie, 1983), Changer la vue, au Musée de Cahors (1986), ou Paris y los surrealistas, à Barcelone (2005). Dans le domaine de l’écriture, Giovanna a un style poétique, éclatant et sarcastique (William Blake, innocence et expérience, 1976 ; textes parus dans des revues, notamment L’Archibras et Coupure), jouant sur les syllabes et le rythme pour démultiplier le sens. Celui-ci fait d’ailleurs l’objet de travaux savants qui en éclairent la complexité. Citons Giovanna elle-même : « Tu as décrucifié le verbe et le verbe s’est fait chair. » (Pleine Marge, 1994).

Jacqueline CHÉNIEUX-GENDRON

William Blake, innocence et expérience, Paris, Soleil noir, 1976 ; Deus ex machina, Paris, Le Récipiendaire/Diff. Plasma, 1978.

« Ascendant Sade. Un beau con, une belle comme », in Pleine Marge, no 20, déc. 1994.

COLVILE G., Scandaleusement d’elles, trente-quatre femmes surréalistes, Paris, J.-M. Place, 1999 ; CHÉNIEUX-GENDRON J. (dir.), Il y aura une fois… Une anthologie du surréalisme, Paris, Gallimard, 2002.

PIERRE J., « L’Arrachement de la peinture », in Pleine Marge, n° 12, déc. 1990.

GIPPIUS, Zinaïda VOIR HIPPIUS, Zinaïda NIKOLAÏEVNA

GIRALDO, Luz Mary [IBAGUÉ 1950]

Poétesse colombienne.

Luz Mary Giraldo se définit par une poésie visuelle plutôt que conceptuelle ou philosophique. Même quand elle réfléchit à la parole poétique, elle l’associe à une image, que ce soit une goutte d’eau ou un fil. Car c’est grâce aux images qu’elle parvient à rendre les atmosphères (parfois suggérées par des mots isolés) qui poussent le lecteur à s’interroger sur la vie dans un monde injuste. Plus qu’une poésie engagée, elle écrit une poésie existentielle. Des figures comme celles de la jeune fille, de la mère et de la grand-mère sont autant d’éléments clés pour comprendre ses trois premiers livres, El tiempo se volvió poema (« le temps est devenu poème », 1979), Camino de los sueños (« chemin des rêves », 1981) et Con la vida (« avec la vie », 1996). Plusieurs de ces images naissent d’une recherche passionnée de la nature (les oiseaux, la mer, le ciel, le soleil, les feuilles des arbres et des plantes), même dans des environnements urbains (Madrid, Prague), pour communiquer des états d’âme qui peuvent refléter l’envie de vivre ou le découragement, en particulier dans ses deux derniers recueils, Hoja por hoja (« feuille par feuille », 2002) et Postal de viaje (« carte postale de voyage », 2003). Ses influences littéraires, souvent explicites dans ses poèmes, sont très variées, elles vont d’Homère à Eugenio Montejo, en passant par César Vallejo.

Victor MENCO HAECKERMANN

GIRARD, Édith [SOISY-SOUS-MONTMORENCY 1949]

Architecte française.

Formée par Bernard Huet (1932-2001), Édith Girard entretient des relations étroites avec le Groupe romain d’architectes et d’urbanisme (GRAU) après sa rencontre avec l’un de ses membres fondateurs, Alessandro Anselmi (1934), en 1968. Avant même d’être diplômée, en 1974, de l’Unité pédagogique no 8, actuelle École d’architecture de Paris-Belleville, elle construit avec son époux, Olivier Girard, plusieurs maisons (La Faute-sur-Mer 1971 ; La Plouzière 1972-1973) qui portent en elles les prémisses de ses réflexions futures. Essentiellement connue pour sa production de logements collectifs au sein de zones d’aménagement concerté à Paris (Chevaleret-Jeanne d’Arc 1990 ; Flandres 1993) et dans sa banlieue (Pasteur à Villejuif 2005), elle entame sa carrière avec un projet d’envergure, aussitôt salué par la critique : des logements sociaux à Stains, avec Byron Mouzas (1976-1991). Elle y développe les principes suivants : inscription dans le cadre urbain et participation à la création de la ville, respect de l’existant, instauration d’un parcours dynamique autour du bâtiment, création d’une cour ouverte sur un ailleurs, relation des logements avec l’environnement, personnalisation des logements, soin apporté aux détails, différenciation du rez-de-chaussée et du dernier étage, réflexion sur les transitions entre espaces publics et zones privées. Ces prescriptions ont gouverné la majorité de ses projets ultérieurs, comme celui du quai de Loire (prix de l’Équerre d’argent en 1985) ou de la cité de Kérigonan (Brest 1990), sans pour autant figer son œuvre. Qu’il s’agisse de logements ou de programmes institutionnels (direction informatique de la Trésorerie générale à Grenoble 1987-1988, avec Laurent Israël), le traitement des façades, toutes différentes, participe d’une appréhension renouvelée de l’ensemble architectural dont la volumétrie est en général accusée par un vide central et la mise en valeur de l’angle, qu’il soit lieu de césure, de faille, comme c’est le cas dans le projet de l’IMA (1981) ou dans les logements de la rue des Vignoles (1996). À certains égards, son œuvre est influencée par les architectes du mouvement avant-gardiste De Stijl et surtout par Le Corbusier. Ses réflexions sont nourries par une activité d’enseignante, depuis 1976, au sein de l’École d’architecture de Paris-Belleville où elle a participé avec Henri Ciriani (1936), au groupe Uno, connu pour une pédagogie fondée sur un apprentissage plastique du projet.

Élise KOERING

Avec MOUZAS B., « Aménagement de l’îlot Carnot, Stains, France », in L’Architecture d’aujourd’hui, no 202, avril 1979.

MIDANT J.-P. (dir), Dictionnaire de l’architecture du XXsiècle, Paris, Hazan/Institut français d’architecture, 1996.

« Édith Girard à Paris, continuités et ruptures ; à propos de la construction », in Architecture, mouvement, continuité, n7, mars 1985 ; BLIN P., « Édith Girard. Le logement, une vocation », in D’Architectures, no 36, juin 1993.

GIRARD, Pièr [XXe siècle]

Psychanalyste française.

Docteure en psychanalyse et psychopathologie, membre du Collège des hautes études psychanalytiques, Pièr Girard a participé aux travaux de recherches de l’Organisation psychanalytique de langue française (Quatrième groupe). Son livre, Œdipe masqué, une lecture psychanalytique de L’Affamée de Violette Leduc (1986) – remaniement d’une thèse soutenue à l’université Paris 7 –, analyse l’amour-passion de Violette Leduc* pour Simone de Beauvoir* – à travers qui se profile la silhouette de la mère de V. Leduc, personnage idolâtré, inaccessible. À partir du chant désespéré de l’auteure de L’Affamée, de ses fantasmes, de ses blessures, de ses effondrements, P. Girard reconstruit l’histoire infantile de l’écrivaine. Elle retrace les antécédents de la dépression de l’adulte, découvre ses multiples abandons, mais aussi l’existence d’une idylle entre la mère et la petite fille dont celle-ci n’a pu faire le deuil. Toutefois, l’approfondissement du texte va révéler également que derrière cette quête érotique se dissimulent d’autres manques, d’autres revendications, d’autres désirs inavouables. Dans son avant-propos, l’auteure invite le lecteur à « s’aventurer dans une psychanalyse buissonnière », pour chercher derrière les buissons de l’écriture de V. Leduc, « enterrés sous les épines (…) vifs et blessés, sa ferveur et son désir ardent ».

COLLECTIF PSYCHANALYSE ET POLITIQUE

« L’Affamée de Violette Leduc », in Topique, no 34, janv. 1985 ; « “Thérèse et Isabelle”, duo pathétique à trois miroirs », in Adolescence, vol. 7, no 1, 1989 ; « La psychanalyse hors cure, présentation », in Psychanalyse à l’université, vol. 16, no 63, 1991.

GIRARDIN, Delphine DE (née GAY) [AIX-LA-CHAPELLE 1804 - PARIS 1855]

Femme de lettres et journaliste française.

Fille de Sophie Gay*, la jeune Delphine déclame ses premiers poèmes dans les salons de la Restauration ; en 1825, la revue romantique La Muse française couronne « notre nouvelle Corinne ». Dans « La Vision », poème commémorant le sacre de Charles X (1825), elle envisage fièrement une destinée de « Muse de la Patrie ». Pourtant, la muse se métamorphose. Après son mariage en 1831 avec le journaliste et directeur de presse Émile de Girardin, elle ouvre son propre salon et publie trois romans (Le Lorgnon, 1832 ; Monsieur le marquis de Pontanges, 1835 ; La Canne de M. de Balzac, 1836) et des contes pour enfants. En 1836, elle devient la première femme feuilletoniste et rédige jusqu’en 1848 pour La Presse, quotidien de son mari, un feuilleton-chronique drôle et enjoué sur la vie parisienne, le « Courrier de Paris ». Réunis en volume en 1843 et 1853, ces feuilletons, signés du pseudonyme de vicomte de Launay, restent un modèle d’esprit. Outre ses succès journalistiques, elle tente aussi sa chance sur la scène avec une première comédie, L’École des journalistes (1839), qui sera interdite de représentation pour son portrait satirique de la presse et de la politique. Elle écrit plusieurs pièces pour la comédienne Rachel ; ses deux tragédies Judith (1843) et Cléopâtre (1847) n’ont qu’un succès d’estime, alors que la comédie Lady Tartuffe (1853) pique davantage l’intérêt du public. D. de Girardin n’abandonne pas pour autant le roman, collaborant avec Théophile Gautier, Joseph Méry et Jules Sandeau au roman La Croix de Berny (1846). Malgré la maladie qui la ronge, D. de Girardin n’arrête pas d’écrire sous le Second Empire, donnant un dernier roman, Marguerite ou les Deux Amours (1852), et trois comédies, dont seule La joie fait peur (1854) reste au répertoire de la Comédie-Française jusqu’au XXe siècle. Le Chapeau d’un horloger (1855), court vaudeville, révèle ses talents pour cette forme de comique. Morte à 51 ans, cette amie et consœur de Lamartine, Balzac, Gautier et Hugo n’a pas laissé de mémoires.

Cheryl MORGAN

Chroniques parisiennes du vicomte de Launay, 1836-1848, Vissière J.-L. (dir.), Paris, Des femmes-Antoinette Fouque, 1986 ; Lettres parisiennes du vicomte de Launay, 2 vol., Fugier A.-M. (dir.), Paris, Mercure de France, 2004.

GIACHETTI C., Delphine de Girardin, la muse de Juillet, Paris, L’Harmattan, 2004 ; NESCI C., Le Flâneur et les flâneuses, les femmes et la ville à l’époque romantique, Grenoble, Ellug, 2007.

COLLECTIF, « Delphine de Girardin », in Dix-neuf, Journal of the Society of Dix-Neuviémistes, no spécial, oct. 2006 ; MORGAN C. A., « Les chiffons de la M(éd)use, Delphine Gay de Girardin, journaliste », in Romantisme, vol. 24, no 85, 1994 ; ID., « The death of a poet : Delphine Gay’s romantic makeover », in Symposium, hiver 2000, 53 (4).

GIRARDOT, Annie [PARIS 1931 - ID. 2011]

Actrice française.

Après avoir remporté un premier prix au Conservatoire national supérieur d’art dramatique en 1954, Annie Girardot entre peu après à la Comédie-Française. Elle y joue Molière, Marivaux, Hugo, ou encore La Machine infernale, de Jean Cocteau, qui l’apprécie beaucoup et lui prédit le succès. Elle fait ses débuts au cinéma en 1955. Après quelques films mineurs, Luchino Visconti la dirige au théâtre dans la comédie américaine Deux sur la balançoire, de William Gibson, avec Jean Marais, et dans Après la chute, d’Arthur Miller, drame inspiré de Marilyn Monroe*. En 1960, elle démissionne – à regret – de la Comédie-Française et incarne une prostituée tragique face à Alain Delon dans Rocco et ses frères (Rocco e i suoi fratelli, L. Visconti). Jouant souvent des personnages de femmes libres et indépendantes, elle alterne rôles comiques et dramatiques : La Proie pour l’ombre (Alexandre Astruc, 1961) ; Le Mari de la femme à barbe (Marco Ferreri, 1964) ; Trois chambres à Manhattan (Marcel Carné, 1965). Dans Vivre pour vivre (Claude Lelouch, 1967), elle forme un couple à succès avec Yves Montand. Après avoir fait rire grâce aux répliques de Michel Audiard, elle fait pleurer en Danièle Guénot, personnage inspiré de Gabrielle Russier, professeure amoureuse capable de « mourir d’aimer » dans le film éponyme d’André Cayatte, en 1971. Sa popularité redouble pour ses rôles dans les comédies de Philippe de Broca, face à Philippe Noiret. Dans Les Misérables (C. Lelouch, 1995, d’après Victor Hugo), elle est une terrifiante Thénardier. Au théâtre, elle remporte un vif succès avec Madame Marguerite, qu’elle joue pour la première fois en 1974 et qui restera longtemps son rôle fétiche. La fin de sa carrière est compliquée par la maladie d’Alzheimer. En 2012, l’académie des Césars lui rend hommage, et un timbre à son effigie est émis par la Poste française.

Bruno VILLIEN

Vivre d’aimer, Paris, R. Laffont, 1989 ; Partir, revenir : les passions vives (2003), Paris, Le Cherche Midi, 2011.

GIRAUD, Suzanne [METZ 1958]

Compositrice française.

Dès son enfance, Suzanne Giraud semble très libre dans ses investigations imaginaires, qui l’orientent vers la littérature, la peinture, l’architecture et surtout vers la musique. Dans cette voie qu’elle privilégie, elle se veut aussi très indépendante malgré une formation donnée par les institutions, celle du conservatoire de Strasbourg d’abord où elle étudie simultanément le piano et l’alto et découvre les joies des concerts puis, à Paris, celle du Conservatoire. Là, elle intègre les classes d’écriture, celle d’orchestration de Marius Constant, puis celle de composition de Claude Ballif. Elle apprécie les liens que propose celui-ci entre les univers de la peinture, de l’histoire voire des mathématiques et de la musique. Elle ne veut se fermer à aucune possibilité dans sa vocation de compositrice et s’interroge longuement avant de prendre une option. « Pour moi, dit-elle, composer c’est faire des choix dans l’immensité des possibles, abandonner, renoncer à quantité d’idées et de solutions, car il y en a toujours trop. » Pourtant elle cherche toujours à en trouver davantage, travaillant avec Donatoni, faisant un stage avec Xenakis, s’initiant à l’utilisation de la machine 4X à l’Ircam et découvrant les œuvres de Ligeti, Levinas, Murail ou Dufourt. Elle compose en 1984 Terre-essor pour orchestre, et est admise à la Villa Médicis en 1986. Grâce à cette consécration, elle bénéficie de deux années de réflexion et de travail, et rencontre, pendant son séjour, Giacento Scelsi qui lui transmet sa conception de la nature mystique de la musique. Son quatuor Regards sur le jardin d’Éros achevé, elle termine là-bas Ergo sum pour une petite formation instrumentale. Suit la composition d’une œuvre puissante, La Dernière Lumière, qui confie à une soprano le texte dramatique du poète croate Ivan Goran Kovačić portant, sur un bouillonnement d’accords instrumentaux cruels, une douleur pathétique qui culmine par la blessure finale dans « l’éclat fulgurant du couteau et le cri qui demeure à jamais blanc dans la cécité ». Pendant ce séjour en Italie, qui conforte son amour pour la peinture et l’architecture, elle s’enthousiasme pour la Renaissance et écrit L’Offrande à Vénus, « emplie du soleil de l’Italie, des couleurs de la peinture et des paysages de ce pays… » dans laquelle « il n’y a pas d’ombre ». Comme beaucoup d’œuvres des années suivantes, cette partition est destinée à une petite formation instrumentale. Dans ce domaine privilégié de la musique de chambre, les cordes solistes interviennent presque toujours (Orphée, 1995, pour flûte, hautbois et violoncelle) et la voix s’y intègre parfois, ainsi dans Œdipe avec orchestre. S. Giraud aborde le genre de la cantate et de l’opéra, avec notamment Le Vase de parfums, sur un texte d’Olivier Py (commande de l’État), créé en 2004. Dans le cycle des Envoûtements qui ne cesse d’augmenter, les formations croissent d’un instrument à chaque nouvelle production (huit instruments différents actuellement). Envoûtement IV, quatuor (dédié au quatuor Arditti), répond à un schéma compositionnel caractéristique d’un procédé inspiré de l’architecture, cher à la compositrice : l’œuvre destinée à quatre instruments à archets, chacun de quatre cordes, « se constitue de quatre cercles séparés en quatre mouvements et régis sur quatre couleurs. Elle vient de la force qui se dégage de la contemplation d’un édifice, d’une cathédrale symbole du passage de la terre au ciel… » Le domaine du concerto n’est pas négligé grâce à Crier vers l’horizon, concerto de basson, créé en 1999 à l’Ircam, et au Concerto de violoncelle qu’Anne Gastinel* a déjà interprété plusieurs fois. S. Giraud, qui a été enseignante au Conservatoire de Paris pendant plusieurs années, souhaite faire partager l’idée que la musique doit être reliée au monde environnant, aux faits historiques, aux autres arts, voire au cosmos, dont elle a voulu, optant pour un thème métaphysique dès ses premières œuvres (Tentative-Univers pour un percussionniste, 1983), « capter un fragment ».

Pierrette GERMAIN

La musique nous vient d’ailleurs, entretiens avec Bruno Serrou, Paris, Cig’art, 2004.

GIRI, Banira [KURSEONG 1946]

Poétesse et romancière népalaise.

De langue népalaise, Banira Giri a grandi à Kurseong, une petite station d’altitude située près de la ville de Darjeeling, dans une famille traditionnelle, bercée chaque matin par les hymnes sanskrits récités par sa mère. Alors que son professeur de sciences l’incite à suivre sa voie, elle choisit finalement la littérature. Elle obtient une thèse (PhD) en littérature à l’université de Tribhuvan, à Katmandou, et se consacre tout d’abord à la poésie, « qu’elle endure comme une punition ». Son premier roman, Karagar (1978), traduit en anglais sous le titre The Prison en 2005, reçoit un accueil enthousiaste de la critique avec un personnage de femme libérée. L’art dont elle fait preuve, dans sa manière de construire une intrigue, de faire vivre ses personnages et de construire ses phrases, se dévoile également dans ses deux courts romans intitulés Nirbandha (« obstacle », 1986) et Shabdatit shantanu (« beauté au-delà des mots », 1999) qui a reçu le prix des éditions Sajha. Ses poèmes, acclamés au Népal, sont réunis en plusieurs recueils, tels que Jiwan thaimaru (« une vie sans substance », 1978) et Mero aviskar (« ma découverte », 1984). L’écrivaine considère que les idées freudiennes ont influencé ses écrits. Elle se voit avant tout comme une poétesse, même si elle a plus souvent écrit en prose qu’en vers, notamment dans la revue Punarjagaran Weekly. Une sélection de ses poèmes, qu’elle récite elle-même dans plusieurs pays, a été traduite en anglais (From the Lake, Love, 2000). Dans le poème qui donne son titre au recueil, elle célèbre, à travers l’évocation d’un lac de montagne, la figure souveraine de la femme qui surmonte le viol culturel et symbolique dont elle est l’objet : « Là où l’homme s’approprie, la femme crée ; là où la création même est violée, à quoi sert la poésie ? » B. Giri a longtemps enseigné le népalais au Padma Kanya College de l’université de Tribhuvan. Elle a reçu le prestigieux prix Prabal Gorkha dakshin bahu.

C.K. LAL et Marie LECOMTE-TILOUINE

GIRITLIOĞLU, Tomris [KONYA 1957]

Réalisatrice, scénariste et productrice turque.

Son film Salkım Hanım’ın Taneleri (« les diamants de Mme Salkım », 1999) reçoit le prix du meilleur film à l’Antalya Golden Orange Film Festival et le prix Mahmut-Tali-Öngören du Festival international du film à Ankara. Petit à petit, la cinéaste impose son style. Devenue réalisatrice, productrice et conceptrice de projets, Tomris Giritlioğlu introduit à l’écran les séries d’époque Kurşun Yarası (« blessure par balle », 2003), Çemberimde Gül Oya (« ma rose brodée », 2004), Kırık Kanatlar (« les ailes cassées », 2005) et Hatırla Sevgili (« souviens-toi mon amour », 2006). Elle fait ses premières armes sur la chaîne publique TRT, puis enchaîne sur la télévision privée ATV avec la série d’époque Hatırla Sevgili (« souviens-toi mon amour », 2006-2008), dont l’audience atteint des records. Cette fiction évoque le passé refoulé de la Turquie, ses coups d’État. De nombreux téléspectateurs sont devant leur écran lorsque le personnage de Sevim, une journaliste, apprend la mort de son mari tandis qu’elle-même est torturée. L’exécution d’Adnan Menderes, président déchu par l’armée en 1960, ou la mise à mort de trois étudiants leaders du mouvement de 1968 deviennent des moments cultes de la série. Les séries de T. Giritlioğlu évoquent aussi des sujets d’actualité. Elles mettent l’accent sur les transformations que subit la société : les élites changent, la pauvreté guette tout le monde et de nouveaux riches émergent. Il s’agit d’histoires plausibles que les téléspectateurs peuvent rapprocher des leurs, de celles de leur famille ou de leurs voisins. Sa caméra éclaire la mémoire oubliée, refoulée dans les ténèbres. Pour ne pas revivre les pages douloureuses de l’histoire contemporaine, T. Giritlioğlu rend compte du passé proche et souhaite propager la tolérance aux différences idéologiques, ethniques, religieuses de la société turque. En 2010, elle prépare la série Sürgün (« l’exil ») qui parle des premières années du Parti démocrate, pendant la période transitoire du régime autoritaire au régime multipartis.

Şirin DILLI

GIRLS GROUPS [États-Unis XXe siècle]

À partir de 1945, le doo-wop balaie les États-Unis, porté par des groupes de jeunes Noirs tirés à quatre épingles et aux voix angéliques (Five Royales, Dominoes, Drifters, Coasters…) chantant a cappella ou avec une orchestration dépouillée. La réponse féminine ne tarde pas à venir : à la fin des années 1950, des groupes de filles sont lancés sur le modèle de leurs aînées d’avant-guerre, Boswell Sisters et Andrews Sisters*. La plupart ont fait leurs armes comme choristes derrière les grands, comme Ray Charles. On peut citer le trio des Chantels, les Blossoms (« lotus »), accompagnatrices de Paul Anka et d’Elvis Presley, les Marvelettes (« petites merveilles »), interprètes de Please, Mr. Postman repris par les Beatles, ou encore les Shangri-Las, quatuor extravagant qui influencera Amy Winehouse*. Mentionnons aussi les Shirelles, quatre amies étudiantes qui créent la chanson Boys (dont les Beatles donneront une version célèbre en 1963) et interpréteront des compositions de Burt Bacharach. La brillante maison de disques de Detroit Tamla Motown et son patron Berry Gordy bataillent en première ligne pour imposer ces princesses de la soul. Gardienne du style du fameux label, la formation la plus connue demeure les Supremes, qui se définissent comme les concurrentes américaines des Beatles, avec un son direct, fluide, des vocalistes inspirées et quelques grands tubes. Elles auront, comme beaucoup d’autres formations féminines, influencé la mode, le style et la musique.

Stéphane KOECHLIN

The Best of the Girls Groups, volumes I et II, Rhino/WEA, 1990 ; The Supremes, Gold, Motown, 2005.

GIROLAMA, sœur VOIR MALATESTA DA MONTEFELTRO, Battista

GIROUD, Françoise (France Léa GOURDJI, dite) [LAUSANNE 1916 - NEUILLY-SUR-SEINE 2003]

Journaliste et femme politique française.

Françoise Giroud est la fille de Salih Gourdji, journaliste politique turc de culture française, et d’Elda Faragi, fille du médecin du Sultan rouge, Abdülhamid. Elle est très vite considérée comme « l’homme de la famille » pour conjurer le désespoir de son père à la naissance d’une seconde fille. En raison des difficultés financières de sa mère, elle quitte l’école à 14 ans avec un diplôme de sténodactylo et obtient un premier poste dans une librairie, où elle continue, de manière autodidacte, sa formation intellectuelle. Un ami de toujours, Marc Allégret, l’introduit dans le milieu du cinéma où elle débute comme scripte à 16 ans. Elle devient la première femme assistante de metteur en scène en 1937, puis entame une carrière de scénariste. Au total, elle a collaboré à plus de 60 films et en a écrit plus de 20. Pendant la Seconde Guerre mondiale, enceinte et réfugiée à Lyon, elle apprend le métier de journaliste en écrivant des piges pour Paris Soir. Au sortir de la guerre, à la faveur d’une rencontre avec Pierre et Hélène Lazareff, elle collabore au magazine Elle. Débutant comme simple journaliste, elle accède rapidement au poste de directrice de la rédaction et participe ainsi à sa première aventure éditoriale. P. Lazareff lui offre d’écrire parallèlement dans le journal France dimanche au début des années 1950. F. Giroud y dresse une série de portraits d’artistes et d’hommes – lançant du même coup un genre nouveau – qui seront réunis en un premier recueil, Le Tout-Paris, publié en 1952. En 1953, elle participe, aux côtés de Jean-Jacques Servan-Schreiber, à la création du magazine politique L’Express, qu’ils codirigeront pendant vingt et un ans. Elle occupe en son sein des fonctions exceptionnelles pour une femme à cette époque : codirectrice de la rédaction dès 1953, puis codirectrice de la publication de 1971 à 1974 ; présidente d’Express-Union (société éditrice de L’Express et de ses éditions mensuelles régionales) de 1970 à 1974, membre du directoire, enfin membre du conseil de surveillance (1971-1974) du groupe Express. À suivre ses écrits dans le magazine, on peut mesurer son engagement à défendre le droit des femmes à la contraception et l’encouragement à assurer leur indépendance financière. Sa notoriété comme journaliste et son parcours singulier ont sans doute conduit Valéry Giscard d’Estaing à lui proposer le secrétariat d’État à la Condition féminine en 1974, poste qu’elle occupe jusqu’en 1976. En 1975, elle présente au gouvernement 100 mesures pour les femmes dont 80 seront adoptées. Néanmoins, sans moyens financiers pour agir, elle réclame un autre poste et devient secrétaire d’État à la Culture durant quelques mois (août 1976 – mars 1977). Elle témoigne de ces trois années passées au gouvernement dans La Comédie du pouvoir (1977). Vice-présidente de l’Union démocratique française (UDF) en 1977, elle se présente sans succès aux municipales de 1978 dans le XVe arrondissement de Paris. À la suite de cet échec, elle renonce à toute carrière politique. Elle entame alors une carrière d’écrivain à travers des romans – son premier, Le Bon Plaisir (1982), donnera lieu à un film de Francis Girod –, des biographies (sur Marie Curie*, Alma Mahler*, Jenny Marx*, Cosima Wagner ou encore Georges Clemenceau), des récits autobiographiques et son journal. Observatrice critique et amusée de son temps, elle a tenu jusqu’à sa mort la chronique télévision du Nouvel Observateur. Au cours des années 1990, elle s’exerce à la critique littéraire au Journal du dimanche et au Figaro. Féministe tranquille mais irréductible, comme elle se définit elle-même, F. Giroud précise à plusieurs reprises qu’elle souhaite préserver la bonne entente des femmes et des hommes. Réticente à toute contrainte par la loi, elle soutient sans enthousiasme la revendication de la parité dans les années 1990. Son engagement pour les femmes trouve plutôt une expression dans la recherche d’un nouveau contrat entre les hommes et les femmes au sein du couple et de la société.

Sandrine DAUPHIN

Portraits sans retouches 1945-1955 (1952), Paris, Gallimard, 2001 ; Leçons particulières, Paris, Fayard, 1990 ; Les Françaises, de la Gauloise à la pilule, Paris, Fayard, 1999.

GISH, Lillian [SPRINFIELD, OHIO 1893 ou 1896 - NEW YORK 1993]

Actrice et réalisatrice américaine.

Née d’une mère actrice, Lillian Gish débute sur scène à 5 ans et joue avec Sarah Bernhardt*, alors en tournée américaine. À 16 ans, son amie Mary Pickford* la présente à David W. Griffith, le plus grand cinéaste du muet. Il l’engage avec sa sœur Dorothy (1898-1968) dans An Unseen Enemy (1912). L. Gish incarne la pure jeune fille dans les chefs-d’œuvre épiques de Griffith : Naissance d’une nation (The Birth of a Nation, 1915) ; Intolérance (Intolerance : Love’s Struggle Throughout the Ages, 1916) ; Le Lys brisé (Broken Blossoms or the Yellow Man and the Girl, 1919) ; ou Les Deux Orphelines (Orphans of the Storm, 1921, avec Dorothy), sur la Révolution française. En 1920, elle dirige Dorothy dans la comédie Remodeling Her Husband. Elle joue une Mimi pathétique dans La Bohème (King Vidor, 1926) et Hester dans La Lettre écarlate (The Scarlet Letter, Victor Sjöström, 1926, d’après Nathaniel Hawthorne). Sur scène, au cours des années 1930, elle joue Camille (d’après La Dame aux camélias), Oncle Vania de Tchekhov, et elle est Ophélie face à John Gielgud en Hamlet. Elle tourne encore avec King Vidor, Vincente Minnelli et John Huston. Dans La Nuit du chasseur (The Night of the Hunter, Charles Laughton, 1955), elle protège les enfants poursuivis par le meurtrier Robert Mitchum. Elle fait ses adieux au cinéma en 1987, dans le rôle de la sœur du personnage incarné par Bette Davis* dans Les Baleines du mois d’août (The Whales of August, Lindsay Anderson).

Bruno VILLIEN

Dorothy and Lillian Gish, New York/Londres, Scribner/Macmilan, 1973 ; Le Cinéma, Mr Griffith et moi (The Movies, Mr Griffith and me, 1969), Paris, Ramsay, 1990.

GIUFFRÈ, Maria Teresa [MESSINE 1931]

Écrivaine italienne.

Maria Teresa Giuffrè vit à Rome. Parmi ses romans, La veglia di Adrasto (« la veillée d’Adraste », 1986), récompensé par le prix Elsa-Morante, propose des conversations sur la vie et la mort entre Adraste et l’empereur romain Marc Aurèle ; L’occhio sinistro del cielo (« l’œil gauche du ciel », 1988) raconte la mort qu’une femme s’est choisie ; I colori della mattanza (« les couleurs de la pêche au thon », 1994), situé à Palerme, se veut un éloge de la vie ; I giorni del sì (« les jours du oui », 2000) a pour sujet la maternité, d’après l’exemple de la Madone. M. T. Giuffrè a collaboré à Radio Vatican avec un programme intitulé Donne nella letteratura (« femmes et littérature », 1995).

Graziella PAGLIANO

GIUSSANI, Angela [MILAN 1922 - ID. 1987]

et

GIUSSANI, Luciana [MILAN 1928 - ID. 2001]

Auteures de bandes dessinées italiennes.

Angela et Luciana Giussani sont les créatrices du personnage de Diabolik dont la première aventure, écrite par Angela, paraît en 1962 dans les kiosques des gares italiennes. Son format poche novateur est en effet conçu pour être lu dans le train sur le chemin du travail. Inspiré par Rocambole, Arsène Lupin et surtout Fantomas, Diabolik est un beau voleur en collants noirs, sosie de l’acteur Robert Taylor. Assassin sans scrupule, il est flanqué d’une femme aussi calculatrice et déterminée que lui, Eva Kant, et tranche avec les héros lisses et chastes de la bande dessinée de l’époque. Les deux sœurs de la bourgeoisie milanaise décrochent alors le surnom de « reines de la terreur » et sont traînées au tribunal pour « incitation à la corruption ». Publié sans interruption jusqu’à aujourd’hui, Diabolik a été repris par des dizaines d’artistes différents. Angela et Luciana Giussani, qui ont écrit les premiers épisodes, se faisaient parfois épauler par Mario Gomboli, le directeur de leur maison d’édition italienne. Véritable phénomène de société, Diabolik deviendra en 1968 un film de Mario Bava avec Michel Piccoli et donnera naissance à une génération de héros « avec un k » pour les fumetti neri (les « bandes dessinées noires ») comme Sadik, Satanik ou Demoniak.

Camilla PATRUNO

GLADYS [XXe siècle]

Photographe française.

C’est sous ce seul prénom, Gladys, que l’artiste se fait connaître au début des années 1980 en France. Autodidacte, elle se forme à travers ses voyages, notamment aux États-Unis en 1977 et en 1981, où elle découvre les villes de San Francisco et de New York, et rencontre Robert Mapplethorpe, Duane Michals ou Ralph Gibson. Elle reste marquée par l’expérience américaine pour la photographie mise en scène et les grands photographes issus du pictorialisme que sont Alfred Stieglitz ou Edward Steichen. Elle commence par explorer l’univers et l’imaginaire de l’enfance. Sa rencontre avec certains lieux lui inspire des séries comme Salle des souvenirs (1981), où elle introduit la narration dans ses images : une petite fille déambule parmi les créatures inanimées du Muséum d’histoire naturelle à Paris. Puis, c’est une autre étape qui s’annonce. Du monde de la miniature, elle passe à l’univers du corps, de l’infiniment petit à l’infiniment grand. En rapprochant le corps humain de ses origines terrestres, elle révèle toute la sensualité et la violence de la nature. Grâce à la bourse Villa Médicis hors les murs obtenue en 1987, elle part au Japon. C’est ainsi que naît la série Mamonakou (1987) – qui lui vaudra le prix Niépce en 1989 –, dans laquelle le corps humain devient le support de haïkus, petits poèmes japonais, calligraphiés sur la peau avec de l’encre. Le Visage et l’Envers (1996-1999) confirme la voie prise par la photographe vers le dépouillement, la froideur et la rugosité du monde minéral, car les images y révèlent leur pouvoir « aptique », selon le terme de Gilles Deleuze pour définir la synthèse de deux sens : la vue et le toucher. À partir des années 2000, la couleur et les tons saturés deviennent omniprésents dans son œuvre. Comme dans les peintures de Mark Rothko, le spectateur reste captif de cette entité. Elle poursuit sa création à Paris et diversifie sa pratique en utilisant la vidéo : Les Bleues (2006) révèle ainsi un univers aquatique aux présences silencieuses.

Marie GAUTIER

Mamonakou, Japon 1987, Mulhouse, Galerie AMC, 1989 ; Gladys, album, Paris, Créaphis, 1993 ; Tête, archéologie du présent, Trézélan/Paris, Filigranes/Galerie Baudoin Lebon, 2004.

GLANTZ, Margo [MEXICO 1930]

Écrivaine mexicaine.

Fille de l’artiste ukrainien Jacobo Glantz, Margarita Glantz est docteure ès lettres après des études à l’Université nationale autonome du Mexique – où elle a aussi étudié le théâtre – et à la Sorbonne. En 1995, elle devient membre de l’Académie mexicaine de la langue. Son œuvre a été couronnée par de nombreuses distinctions, notamment le prix Xavier-Villaurrutia pour le roman Sindrome de naufragios (« syndrome de naufrages », 1984) et le Prix national de littérature (2004). Elle est l’auteure de plus de 40 livres où l’autobiographie romancée domine, avec notamment Les Généalogies (1981), El rastro (« la trace », 2002), Historia de una mujer que caminó por la vida con zapatos de diseñador (« histoire d’une femme qui avance dans la vie avec des chaussures de création », 2005). Son œuvre traite de la relation entre la littérature et le corps, principalement le corps féminin, en mettant l’accent sur la sensualité et la sexualité, ainsi que sur ce qui survit à la mort, notamment les cheveux, comme dans le roman De la amorosa inclinación a enredarse en cabellos (« de l’inclination amoureuse à s’emmêler les cheveux », 1984), où l’auteure souligne la complicité entre le plaisir de l’esprit et celui de la chair. Elle pratique également les aphorismes humoristiques dans Las mil y una calorías, novela dietética (« les mille et une calories, roman diététique », 1978), et s’intéresse à la recréation des mythes de l’Antiquité ou d’événements quotidiens, à partir de petites ou grandes tragédies de l’humanité. Les chroniques de voyage sont récurrentes tant dans sa production de fiction que dans ses articles de journaux. Ses travaux de recherche majeurs portent sur Sor Juana Inés de la Cruz*, Sor Juana, la comparación y la hipérbole (« sœur Juana, la comparaison et l’hyperbole », 2000), et sur la littérature mexicaine du XXe siècle.

Patricia ORTIZ

Les Généalogies (Las genealogías, 1981), Montreuil, Folies d’encre, 2009.

GLANVILLE-HICKS, Peggy [MELBOURNE 1912 - SYDNEY 1990]

Compositrice australienne.

Peggy Glanville-Hicks commence ses études musicales au Royal College of Music de Londres, avec Vaughan Williams comme professeur de composition. Elle les poursuit à Vienne, puis à Paris où elle reçoit l’enseignement de Nadia Boulanger* dont elle apprécie les immenses qualités de musicienne et de pédagogue. Elle passe quelques années en Europe avant de commencer vraiment sa carrière aux États-Unis. C’est à New York qu’elle se fait connaître d’abord par son premier opéra, The Transposed Heads, sur un livret de Thomas Mann, créé en 1954, puis grâce à des œuvres instrumentales. Parallèlement, elle organise des concerts et assure des critiques musicales pour le New York Herald Tribune. En 1961, elle crée son opéra Nausicaa au Festival d’Athènes, en Grèce. Elle séjourne plusieurs années dans ce pays dont elle étudie la musique spécifique. De retour en Australie en 1975, elle fonde le Peggy Glanville-Hicks Composers’House Trust, première résidence de compositeurs australiens. La clarté de son discours, ses emprunts à la modalité folklorique, sa rythmique franche sont les éléments marquants de son style.

Pierrette GERMAIN

GLASGOW, Ellen [RICHMOND 1873 - ID. 1945]

Romancière américaine.

Personnage complexe, Ellen Glasgow est l’une des premières écrivaines du Sud à se démarquer d’une tradition littéraire sentimentale et à affirmer la nécessité de repenser la condition de la femme. Son abondante production (dix-neuf romans, un recueil de poèmes, une douzaine de nouvelles, plusieurs articles et essais, et une autobiographie) témoigne de son engagement en faveur d’un renouveau littéraire et idéologique dans le Sud qui l’inscrit dans le mouvement de la Southern Renaissance. Enfant et adolescente à la santé délicate qui ne peut aller en classe et souffre de sa solitude forcée, elle se réfugie dans les livres, découvre les romanciers russes et français, George Eliot* et Thomas Hardy, les théoriciens de la pensée économique et politique, les philosophes allemands et grecs, et surtout Charles Darwin, révélation déterminante pour l’orientation de ses écrits et notamment son premier roman, The Descendant (1897). Dans ses romans suivants, elle propose un examen critique des divers aspects de l’évolution du Sud avec une remarquable continuité. Mais, surtout, elle place de plus en plus la femme au centre de son propos, comme le montre Virginia (1913), et met en scène des protagonistes de plus en plus indépendantes, jusqu’à l’apogée que représente Dorinda Oakley, l’héroïne d’Amer sourire (1925). Ce dernier, roman libératoire, marque un tournant dans sa carrière, après une période difficile marquée par divers deuils et l’aggravation de sa surdité. Paraît ensuite une trilogie au ton plus léger mais néanmoins teinté d’une ironie caractéristique : The Romantic Comedians (1926), They Stooped to Folly (« quelle folie ! », 1929) et The Sheltered Life (« une vie protégée », 1932). Elle reçoit le prix Pulitzer pour Cette chienne de vie (1941) et de nombreux titres universitaires honorifiques. Malgré le regain d’intérêt suscité par son autobiographie, The Woman Within (« la femme à l’intérieur », 1954), publiée de façon posthume, elle tombe peu à peu dans l’oubli. Si la critique féministe la redécouvre dans les années 1970, E. Glasgow n’a pas encore retrouvé la place qu’elle mérite au sein des belles lettres américaines.

Brigitte ZAUGG

Amer sourire (Barren ground, 1925), Paris, Seghers, 1964 ; Cette chienne de vie (In This Our Life, 1941), Paris, Plon, 1950.

PARENT M., Ellen Glasgow, romancière, Paris, A.-G. Nizet, 1962 ; RAPER J. R., Without Shelter : The Early Career of Ellen Glasgow, Baton Rouge, Louisiana State University Press, 1971 ; ID., From the Sunken Garden : The Fiction of Ellen Glasgow, 1916-1945, Baton Rouge, Louisiana State University Press, 1980.

ZAUGG B., « L’autobiographie en question : le double je(u) d’Ellen Glasgow », in CASTRO G., PAOLI M.-L. (dir.), Écritures de femmes et autobiographie, Pessac, Maison des sciences de l’homme d’Aquitaine, 2001.

GLASPELL, Susan [DAVENPORT 1876 - PROVINCETOWN 1948]

Dramaturge et romancière américaine.

Étudiante à l’université de Drake (1899) puis à l’université de Chicago (1902), Susan Keating Glaspell travaille comme journaliste sur un meurtre commis par une femme, ce qui lui inspire son œuvre la plus célèbre, la pièce Trifles (« bagatelles », 1916). Membre de la « Chicago Renaissance », elle écrit deux romans : TheVisioning (1911) et Fidelity (1915). Après avoir épousé George Cram Cook, écrivain deux fois divorcé, en 1914, elle s’engage dans une carrière d’auteur dramatique à New York. S. Glaspell s’intéresse aux idées socialistes et féministes. Avec son mari, elle fait partie d’un groupe d’intellectuels qui fonde le théâtre expérimental Provincetown Players en 1915 : le journaliste John Reed et sa partenaire Louise Bryant, les artistes Charles Demuth et Marsden Hartley, et les deux futurs grands auteurs dramatiques Eugene O’Neill et Edna Saint Vincent Millay*. Ils montent un petit théâtre à Greenwich Village, favorisant des pièces en un acte, des mises en scène abstraites et un symbolisme qui concentre la trame sur un moment ou une action clef. L’une des caractéristiques de S. K. Glaspell est l’exclusion du personnage central de la scène. Malgré une dépression causée par la mort de son mari en 1924, S. K. Glaspell écrit 13 pièces et 10 romans ainsi qu’une cinquantaine de contes et d’articles, aux thèmes souvent ruraux. En 1931, elle remporte le prix Pulitzer pour sa pièce Alison’s House (1930). Malgré le succès de son roman The Morning is Near Us (« l’aube approche », 1939), son seul texte connu du grand public reste Trifles. Si les critiques soulignent d’abord le rôle de son œuvre dans la création d’un théâtre « américain », avec la dramatisation des conflits identitaires entre l’individu et les normes sociales, la critique féministe actuelle dévoile les efforts que font ses héroïnes pour s’exprimer et nouer des rapports entre femmes. Le théâtre anglais, et notamment l’Orange Tree Theatre, rétablit son importance en jouant non seulement Trifles mais aussi des drames psychologiques tels que The Verge (« le bord »), Inheritors (« héritiers »), The Outside (« l’extérieur ») et Chains of Dew (« maillons de rosée »).

Margaret R. HIGONNET

Complete Plays, BEN-ZVI L. et GAINOR J. E. (dir.), Jefferson, MacFarland, 2010.

BEN-ZVI L. (dir.), Susan Glaspell : Essays on Her Theater and Fiction, Ann Arbor, University of Michigan Press, 2002 ; CARPENTIER M. C. et OZIEBLO B. (dir.), Disclosing Intertextualities : The Stories, Plays and Novels of Susan Glaspell, Amsterdam/New York, Rodopi, 2006 ; GAINOR J. E., Susan Glaspell in Context : American Theater, Culture, and Politics, 1915-48, Ann Arbor, University of Michigan Press, 2001 ; OZIEBLO B., Susan Glaspell : A Critical Biography, Chapel Hill, University of North Carolina, 2000.

GLASSE, Hannah (née ALLGOOD) [LONDRES 1708 - ID. 1770]

Écrivaine culinaire britannique.

Fille illégitime de Hannah Reynolds et Isaac Allgood, avec les enfants duquel elle fut élevée, Hannah Glasse épouse un soldat irlandais, qui meurt en 1747, année de la publication de son célèbre livre de cuisine, The Art of Cookery Made Plain and Easy, réédité 20 fois jusqu’en 1843. Ce n’est qu’en 1938 que l’historienne Madeleine Hope Dodds révéla qu’elle en était l’auteure. H. Glasse l’écrivit dans un but didactique et selon des principes d’économie, en évitant sciemment le snobisme des noms français car elle pensait à ses modestes utilisatrices. Elle fit paraître encore, sur souscription également, The Servants Directory (1757) et The Complete Confectioner (1760). Malgré cette notoriété et ces précautions financières, elle traversa de graves difficultés, que nous connaissons par sa correspondance privée, et fit même de la prison pour dette en 1757. Une émission de la BBC de 2006 vit en elle une « déesse domestique » et « la mère des dîners modernes ».

Françoise LAPRAZ SEVERINO

DODDS M. H., « The Rival Cooks : Hannah Glasse and Anne Cook », in Archaeologia Aeliana, 15, 1938.

GLAUCILLA EUROTEA VOIR SALUZZO ROERO, Diodata

GLOBAL MEDIA MONITORING PROJECT [1995]

Créée en 1918 par le révérend George Bell, aumônier de l’archevêque de Canterbury, pour promouvoir le rôle social de l’information, l’Association mondiale pour la communication chrétienne (WACC) lance en 1995 le Global Media Monitoring Project (GMMP), une enquête sur la place des femmes dans les différents médias à laquelle participent 71 pays. Lors de la quatrième édition de l’enquête, en 2010, ils seront plus de 100. Dans chaque pays, il s’agit d’analyser la représentation des femmes dans les médias, la répartition des rôles entre les hommes et les femmes, la place des stéréotypes, le degré de féminisation des professionnels, des experts, des témoins intervenant dans les différents supports. La méthode est toujours la même : des bénévoles, chercheuses, universitaires, journalistes ou activistes analysent les discours des médias. Radio, télévision, presse écrite et sites d’information sur Internet font l’objet d’un monitoring pendant une journée.

Deux types de données sont produites : les résultats quantitatifs du dépouillement d’un questionnaire commun pour tous les pays et médias et des analyses qualitatives, par média, par pays et par continent. La force de l’enquête est révélée par un chiffre : 24 % des personnes qui figurent dans les médias sont des femmes. La progression est claire puisque quinze ans plus tôt elles n’étaient que de 17 %. Cependant, en extrapolant à partir de ces deux valeurs, la parité ne serait effective qu’après quarante ans. Plus encore que cette disproportion, l’enquête souligne l’asymétrie des rôles. Les femmes sont présentées principalement comme des personnes ordinaires, sans référence à leur activité professionnelle, tandis que les hommes interviennent essentiellement comme experts (80 %). Les femmes apparaissent beaucoup plus souvent que les hommes comme victimes (18 % contre 8 %). L’âge et la situation familiale des femmes sont indiqués cinq fois plus souvent que ceux des hommes. Bien plus souvent désignées par leur seul prénom, les femmes sont la plupart du temps anonymes. La féminisation du journalisme est avérée, mais le pourcentage d’auteures reste plafonné, comme en 2005, à 37 %. Ces observations sont massives et le plus souvent communes aux différents pays couverts par l’enquête.

Les résultats de la première enquête sont présentés lors de la quatrième Conférence mondiale sur les femmes, organisée par les Nations unies à Pékin en 1995. Avec son ensemble impressionnant de chiffres (plus de 35 000 sources analysées), ses comparaisons dans le temps et dans l’espace, l’importante mobilisation de ses équipes (plusieurs centaines de personnes) et sa large diffusion, cette enquête au fort retentissement international est un outil politique. Il ne s’agit pas de produire de la connaissance scientifique, mais de fournir des informations permettant aux militants de la cause des femmes de faire pression sur les pouvoirs publics ou sur les médias eux-mêmes en faveur d’un meilleur équilibre.

En France, l’enquête n’a été menée qu’à partir de 2010. Dans un contexte d’égalité théorique, le décalage des représentations montre une inégalité effective : moins présentes, moins sollicitées, moins photographiées, considérées comme moins expertes et plus victimes, les femmes de France sont encore renvoyées aux secteurs qui leur sont traditionnellement attribués : santé, famille, éducation. D’autres enquêtes ont montré que cette présence moindre des femmes n’est pas le seul fait des informations. En effet, dans les fictions comme dans les émissions de divertissement, les personnages sont aux deux tiers masculins. Tout en rendant compte d’inégalités avérées entre les sexes, les médias participent donc à les perpétuer. C’est cette responsabilité que l’enquête GMMP contribue à éclairer et, peut-être, à réduire.

Cécile MÉADEL

Qui figure dans les nouvelles ? Projet mondial de monitorage des médias, Toronto, Association mondiale pour la communication chrétienne, 2010 ; COULOMB-GULLY M., MÉADEL C., « Jardinières et plombières. Résultats d’enquêtes et considérations méthodologiques sur la représentation du genre dans les médias », in Sciences de la société, no 83, 2012.

GLOWCZEWSKI, Barbara [VARSOVIE 1956]

Anthropologue française.

Arrivée en France à l’âge de 5 ans, Barbara Glowczewski part en Australie en 1979 et cumule, en trente ans de recherche, plus de douze années de terrain dans le désert central, puis dans d’autres régions du nord du continent (Kimberley, terre d’Arnhem, Queensland). Sa thèse d’ethnologie sur la projection géographique des mythes, sur les rites et les pratiques oniriques des Warlpiri du désert central (sous la direction de M. Godelier, 1981) a suscité un long dialogue avec Félix Guattari qui a nourri les travaux du psychanalyste philosophe. À l’encontre du paradigme dominant qui reléguait les sociétés aborigènes à un passé hors du temps historique, elle montre – à travers l’analyse d’un culte intertribal itinérant – comment les Aborigènes ont ritualisé les transformations imposées par la colonisation, afin d’incorporer la loi occidentale à leur loi ancestrale. Son riche corpus de données, recueillies auprès des gardiennes de la terre du désert central et du nord australien, a contribué à faire reconnaître le rôle des femmes comme actrices de leur société, tant dans la vie rituelle que politique. Son doctorat ès lettres et sciences humaines (1988), Du rêve à la loi chez les Aborigènes d’Australie (1991), a été salué par Claude Lévi-Strauss comme un « travail capital ». Référence dans les études australiennes, cet ouvrage compare ses données warlpiri à celles d’autres groupes aborigènes pour mettre en relief, à l’aide du modèle topologique de l’hypercube, les relations de transformation entre la parenté, les rites et les mythes. Démontrant la dimension dynamique des cosmologies aborigènes, l’anthropologue propose de repenser le totémisme australien à l’aide du concept autochtone de dreaming, une « permanence en perpétuel mouvement », que les Aborigènes actualisent au moyen de rites et d’expériences oniriques, et par l’analyse d’un système de pensée connexionniste projeté sur l’espace. L’auteure a aussi publié une étude collective remarquée en ethnologie urbaine, La Cité des cataphiles, mission anthropologique dans les souterrains de Paris (1983-2008), et tourné plusieurs films. Entrée au CNRS en 1991, B. Glowczewski est directrice de recherche au laboratoire d’anthropologie sociale du Collège de France. Elle a coordonné plusieurs équipes de recherche internationales, et anime des séminaires à l’Ehess et au musée du Quai Branly, à Paris, sur l’anthropologie des réseaux et de la perception. Ses travaux sur les cartes cognitives aborigènes à l’aide d’hyperliens informatiques et ses applications multimédias sont pionniers en anthropologie.

Dès son premier livre, Les Rêveurs du désert (1989), elle plaide pour la subjectivité impliquée et responsable de l’ethnologue et pour la restitution des données ethnographiques aux peuples concernés. Exhortant les chercheurs de sa discipline à considérer ces derniers comme des partenaires d’échange, elle met en valeur la créativité artistique aborigène qui a révolutionné l’art du XXe siècle et l’actualité scientifique et éthique des savoirs autochtones. Elle défend une anthropologie « multisituée » de manière « réticulaire », prenant pour terrain, dans Guerriers pour la paix (2008), l’enquête judiciaire sur la mort suspecte d’un Aborigène en garde à vue, événement à l’origine d’une émeute à Palm Island le 26 novembre 2004. Elle y analyse le réseau mouvant des acteurs en confrontation, les commentaires médiatiques et les risques encourus par ceux dont le chercheur parle. Soulevant l’impossibilité d’une anthropologie neutre, elle propose une anthropologie de la survie au désastre comme éthique de négociation existentielle.

Estelle CASTRO et Jessica DE LARGY HEALY

Yapa : peintres aborigènes de Balgo et Lajamanu, Paris, Baudoin Lebon, 1991 ; Rêves en colère, avec les Aborigènes australiens, Paris, Plon, 2004.

L’Esprit de l’ancre, 53 min, 2002 ; Pistes de rêves, art et savoir des Yapa du désert australien (CD-Rom), Unesco, 2000.

GLÜCK, Louise [NEW YORK 1943]

Poétesse américaine.

Issue de la bourgeoisie juive, Louise Elisabeth Glück lutte très jeune contre des crises d’anorexie. Elle entreprend une psychanalyse afin de comprendre comment la mort d’une sœur, avant sa propre naissance, a jeté une ombre morbide sur son développement. Elle ressent précocement le besoin de traduire poétiquement ses angoisses. Elle est élève au Sarah Lawrence College puis étudie à l’université Columbia avec Leonie Adams et Stanley Kunitz, dont l’influence est déterminante. Membre de l’Académie américaine des arts et des lettres et élue présidente de l’Académie américaine des poètes, elle enseigne la littérature et la poésie. Elle reçoit de nombreux prix, parmi lesquels le prestigieux titre de poétesse lauréate américaine en 2003-2004. Firstborn (« premier né », 1968) se caractérise par une structure polyphonique qui est reprise dans Descending Figure (1980). L. Glück y fait un usage dépouillé de la rime et du mètre, qui va de pair avec la façon dont elle scrute minutieusement le moi de manière détachée et lucide. La simplicité des sujets et la sobriété de la langue se retrouvent dans The House on Marshland (« la maison dans les marécages », 1975), qui consacre l’émergence d’une voix poétique particulière. L. Glück a souvent recours à des figures issues du conte ou du mythe, comme dans The Triumph of Achilles (1985). Conflits familiaux et conjugaux composent Ararat (1990). Dans le recueil de poèmes The Wild Iris, qui remporte le prix Pulitzer en 1993, se font écho le poète, la nature et l’univers. Ainsi, dans « Witchgrass », (« l’herbe sauvage »), elle défie le poète. À la nostalgie de l’élan pastoral succède une lucidité ironique dans Meadowlands (« les prairies », 1996), où la langue épurée évoque une Pénélope moderne en proie à la douleur de la séparation. « Departure » se double d’aperçus sur le mariage mêlant l’héroïque à l’ordinaire, la tragédie au quotidien. Outre The First Four Books of Poems (1995), réunissant les collections antérieures, L. Glück est l’auteure de 11 recueils et d’une série d’essais, Proofs and Theories : Essays on Poetry (1994).

Claude COHEN-SAFIR

MORRIS D., The Poetry of Louise Glück : A Thematic Introduction, Columbia, University of Missouri Press, 2006.

GLUCKMAN, Éliane (née SZTROSBERG) [PARIS 1940]

Médecin hématologue française.

Au début des années 1970, Éliane Gluckman monte la première unité française de greffe de moelle osseuse et lance la greffe de cellules souches du sang de cordon ombilical. Née au début de la guerre, elle fuit avec ses parents pour se réfugier dans le Massif central et rentre à Paris à la Libération. Elle y fait ses études de médecine et épouse en 1963 Jean-Claude Gluckman, également médecin. Elle est initiée lors de son externat à la greffe de moelle dans le service du Pr Georges Mathé. Reçue au concours de l’internat en 1964, elle effectue des stages très orientés vers les maladies du sang, notamment dans le service du Pr Jean Bernard à l’hôpital Saint-Louis. Chef de clinique chez le Pr Bernard Dreyfus, elle poursuit des études de biochimie et de statistiques à la faculté des sciences et d’immunologie générale à l’Institut Pasteur. En 1972-1973, une bourse Fulbright lui permet de passer une année à Seattle, dans l’unité de greffe de moelle de Don Thomas, petite unité qui deviendra le Fred Hutchinson Cancer Research Center. En 1973, elle monte à l’hôpital Saint-Louis une unité de greffe de moelle, qui deviendra son service lorsqu’elle sera nommée professeure des universités-praticien hospitalier (PU-PH) en 1976. Elle réalisera dans ce service des milliers de greffes de moelle. Sa renommée dépasse les frontières et elle participe en 1974 à la fondation du European Group for Blood and Marrow Transplantation (EBMT), dont elle assure un temps la présidence. É. Gluckman réalise la première greffe de cellules souches hématopoïétiques du sang de cordon ombilical chez un patient atteint de maladie de Fanconi (insuffisance médullaire héréditaire) en 1988. Elle devient leader dans cette technique et contribue à établir des banques de cellules de sang de cordon dans le monde entier. Elle dirige le programme européen Eurocord (Registre international sur la transfusion de sang de cordon). Elle participe à plus de 600 publications scientifiques et médicales et reçoit de nombreuses marques de reconnaissance pour ses travaux, dont, en 1998, le Grand Prix de l’Académie de médecine.

Yvette SULTAN

Avec CHAMPLIN R. E., PEREZ W. S.et al., « Bone marrow transplantation for severe aplastic anemia : a randomized controlled study of conditioning regimens », in Blood, vol. 109, no 10, mai 2007 ; avec FOUILLARD L., LABOPIN M.et al., « Results of syngeneic hematopoietic stem cell transplantation for acute leukemia : risk factors for outcomes of adults transplanted in first complete remission », in Haematologica, vol. 93, no 6, juin 2008.

GNEPO, Werewere-Liking VOIR WEREWERE-LIKING

GOBBI, Hilda [BUDAPEST 1913 - ID. 1988]

Comédienne hongroise.

À la sortie du Conservatoire d’art dramatique (1935), Hilda Gobbi obtient un tel succès lors de sa représentation d’examen dans Phèdre que le directeur du Théâtre national l’engage. Elle y restera vingt-cinq ans. Entre 1960 et 1970, pour des raisons politiques, elle joue au théâtre Attila József dont la compagnie devient, à cette période, une sorte de refuge pour les acteurs « en punition ». De 1971 à 1982, elle retourne au Théâtre national, puis devient membre du théâtre Katona, qui va acquérir, en partie grâce à elle, une réputation internationale. H. Gobbi était une artiste polyvalente : son jeu sans afféterie, très expressif, et son humour exceptionnel ont fait d’elle un véritable « monstre de scène ». Elle a joué dans de nombreux films, récité des poèmes et incarné, même vers la fin de sa vie, alors qu’elle était malade, « tante Szabó », célèbre personnage d’une série de la radio hongroise. Elle a aussi participé activement à la vie civile et politique : avant 1945, elle a milité dans le mouvement socialiste du théâtre et a aidé à la reconstruction du Théâtre national après la guerre ; lors de son 80e anniversaire, elle a lancé une collecte de fonds pour la réalisation du nouveau bâtiment, détruit pour laisser place à une station de métro. Elle a en outre fondé une maison de repos pour les acteurs retraités, un foyer pour les jeunes comédiens, et c’est grâce à elle que la villa de Gizi Bajor* a été transformée en musée des Acteurs.

Anna LAKOS

GOBLET, Dominique [BRUXELLES 1967]

Auteure de bandes dessinées belge.

Celle qui se fait volontiers appeler la Goblette s’inscrit dans une rupture totale avec le dessin tout en lisibilité de la bande dessinée belge. Elle s’est attelée pendant douze ans à une œuvre autobiographique de plus de 150 pages, finalement publiée en 2007 : Faire semblant, c’est mentir. Dominique Goblet y met en scène des épisodes importants de son enfance et permet à son récit de « vieillir » et d’évoluer avec elle en intégrant l’évolution de son style au cours des années. Dans un autre recueil, intitulé Changements, elle a dessiné sa fille Nikita pendant dix ans en variant les techniques. Cette expérience a démarré alors que Nikita, dont elle avait la garde partagée une semaine sur deux, était âgée de sept ans. D. Goblet utilise souvent des techniques mixtes dans ses illustrations, mêlant collages, crayon, stylo bille, photographie ou gravure. Publiée dans de nombreuses revues comme Lapin, Strapazin et Frigobox, elle voit aussi ses histoires éditées en album : Souvenir d’une journée parfaite et Wolfmen (2002), Et qui a mangé le cafard ? (2005).

Camilla PATRUNO

GODDARD, Mary Katherine [CONNECTICUT 1738 - BALTIMORE 1816]

Journaliste et entrepreneuse américaine.

Au temps où se fondaient les États-Unis d’Amérique, quand les colonies se préparaient à prendre leur indépendance de l’Angleterre, Mary Katherine Goddard a mené une carrière décousue mais active de journaliste. Dans le sillage de son frère entrepreneur, elle a dirigé plusieurs journaux majeurs de la Nouvelle-Angleterre. En 1762, elle crée, avec son frère William et sa mère Sarah, la première imprimerie de Providence, dans le Rhode Island, et le journal Providence Gazette. En 1767, William part ouvrir une nouvelle imprimerie et un journal à Philadelphie, le Pennsylvania Chronicle. Pendant ce temps, les deux femmes maintiennent la Gazette en activité, créent une librairie et ouvrent une poste. Les deux publications diffusent les lettres de John Dickinson, qui défendent les intérêts des colons américains contre la métropole anglaise en luttant contre le StampAct et en préparant l’opinion publique à la Révolution. Après la mort de sa mère, en 1770, M. K. Goddard dirige seule le journal et l’imprimerie. William prend la route vers Baltimore où il fonde le Maryland Journal. Elle le rejoint et assume la responsabilité de l’imprimerie et du journal alors que son frère repart. En 1775, le Maryland Journal paraît enfin avec la mention « Publié par M. K. Goddard », qui rend compte d’une réalité jusque-là officieuse. Pendant la Révolution américaine, elle dirige la principale imprimerie de la ville de Baltimore. La première copie imprimée de la Déclaration d’indépendance des États-Unis d’Amérique, incluant le nom des signataires, sort de ses presses en 1777. Une querelle avec son frère, qui revient à Baltimore prendre la direction des affaires, met un terme à sa carrière de journaliste. Elle reprend alors l’affaire de son père, devenant une des premières femmes responsables des postes.

Christine LARRAZET

GODDARD, Paulette (Pauline LEVY, dite) [NEW YORK 1910 - PORTO RONCO, SUISSE 1990]

Actrice américaine.

Paulette Goddard débute comme mannequin. En 1926, sous le pseudonyme de Peaches, elle est girl de revue à Broadway. Elle adopte le nom de jeune fille de sa mère pour débuter au cinéma en 1929, en tant que figurante. Après plusieurs petits rôles, elle rencontre Charles Chaplin en 1932. Le célèbre acteur et cinéaste est conquis par la beauté brune et l’humour mordant de la jeune femme. Il l’épouse en secret (en 1936), et fait d’elle, à ses côtés, la gamine des Temps modernes (Modern Times, 1936) ; le film est un triomphe international. L’actrice joue une des Femmes (The Women, 1939), de George Cukor, où elle n’a que des partenaires féminines. Elle retrouve Chaplin dans Le Dictateur (The Great Dictator, 1940), où elle joue le rôle de l’orpheline Hannah. Le couple divorce en 1942. Dans Les Anges de miséricorde (So Proudly we Hail, Mark Sandrich, 1943), drame de guerre où elle joue une infirmière avec Claudette Colbert* et Veronica Lake, Paulette Goddard obtient une nomination à l’Oscar du second rôle. Elle tourne des films d’aventures avec Cecil B. De Mille : Les Tuniques écarlates (North West Mounted Police, 1940) ; Les Naufrageurs des mers du Sud (Reap the Wild Wind, 1942) ; Les Conquérants d’un nouveau monde (Unconquered, 1947). En 1946, Jean Renoir, alors à Hollywood, lui offre le rôle-titre du Journal d’une femme de chambre (The Diary of a Chambermaid, d’après Octave Mirbeau), où son esprit caustique fait merveille. Elle apparaît dans Un mari idéal (An Ideal Husband, Alexander Korda, 1947, d’après Oscar Wilde) et en Lucrèce Borgia dans le mélodrame La Vengeance des Borgia (Bride of Vengeance, Mitchell Leisen, 1949). Après avoir divorcé de l’acteur et metteur en scène Burgess Meredith, elle épouse le romancier Erich Maria Remarque, l’auteur du roman À l’ouest rien de nouveau (1929) ; ils s’installent en Suisse, l’actrice ayant mis fin à sa carrière en 1954. Dix ans plus tard, elle fait son retour en Italie : dans Les Deux Rivales (Gli indifferenti, 1964, d’après Alberto Moravia), où Francesco Maselli l’oppose à Shelley Winters et à Claudia Cardinale*. Mais on ne parle plus de P. Goddard, devenue veuve en 1970, que pour sa fabuleuse collection de bijoux.

Bruno VILLIEN

MEFLAH N., Chaplin et les femmes, Paris, Philippe Rey, 2007.

GODDEN, Rumer (Margaret, dite) [EASTBOURNE 1907 - DUMFRIES 1998]

Romancière britannique.

Née en Angleterre et élevée en Inde, Rumer Godden revient en Angleterre dans un pensionnat en 1920 et étudie pour devenir professeure de danse. De retour à Calcutta, elle ouvre et dirige pendant vingt ans une école de danse pour enfants britanniques et indiens. Après un premier roman, Chinese Puzzle (1936), elle publie en 1939 Black Narcissus (« Narcisse noir », porté à l’écran par Michael Powell en 1947 et par Jean Renoir en 1951 sous le titre Le Fleuve), récit quasi autobiographique de son expérience indienne et des relations entre Britanniques et femmes indiennes. Après s’être mariée et avoir passé huit ans de bonheur, elle dirige une ferme au Cachemire mais doit retourner à Calcutta pour des raisons de sécurité. Elle se remarie en 1949, revient en Angleterre et se consacre alors définitivement à l’écriture. Sa production littéraire compte 27 romans pour adultes, 27 romans pour enfants, dix ouvrages documentaires sur l’Inde, dont deux autobiographies et quatre recueils de poèmes spirituels. C’est cette recherche d’un équilibre entre la spiritualité mystique et les exigences de la vie pratique qui l’amène à s’intéresser à la religion, recherche que l’on retrouve dans son Black Narcissus, histoire d’un groupe de religieuses voulant construire un couvent dans un palais abandonné. Dans ses livres pour enfants, elle traque leurs pensées secrètes, leurs confusions et leurs espérances. Partout, elle part en quête de la complétude de l’individu, à la fois émotionnelle, physique, mentale et spirituelle. Elle a laissé une autobiographie, A House with Four Rooms (« une maison à quatre pièces », 1989).

Michel REMY

CHISHOLM A., Rumer Godden : A Story Teller’s Life, Londres, Macmillan, 1997.

GODINA HERRERA, Célida DE LOS ÁNGELES [MEXICO 1959]

Philosophe mexicaine.

Dans El cuerpo vivido, una mirada desde la fenomenología y la teoría de género (« le corps vécu, un regard phénoménologique sur la théorie du genre », 2004), Célida de los Ángeles Godina Herrera préconise d’approfondir la perspective féministe sur la question du genre par l’application de la méthode phénoménologique. Son deuxième livre, Hombre y técnica en el mundo contemporáneo, una mirada desde la ética (« l’homme et la technique dans le monde contemporain, un regard éthique », 2006), analyse les liens entre l’éthique et la technologie. Membre fondateur de l’Observatoire philosophique du Mexique et du Cercle latino-américain de phénoménologie, elle dirige le magazine La lámpara de Diógenes (« la lampe de Diogène »).

Diana M. MUÑOZ

GODOLPHIN, Mary VOIR AIKIN, Lucy

GODOY ALACAYAGA, Lucila VOIR MISTRAL, Gabriela

GODWIN, Mary WOLLSTONECRAFT VOIR WOLLSTONECRAFT, Mary

GOEPPERT MAYER, Maria [KATOWICE 1906 - SAN DIEGO 1972]

Physicienne germano-américaine.
Prix Nobel de physique 1963.

En 1963, Maria Goeppert Mayer a obtenu le prix Nobel de physique pour avoir développé un modèle expliquant la stabilité des noyaux atomiques. Native de Silésie (ancienne province prussienne, auj. Pologne), elle est la fille unique de Friedrich Goeppert et de Maria Wolff. Son père, professeur de pédiatrie, est issu d’une famille d’universitaires. Dès 1910, la famille s’installe à Göttingen, en Allemagne. M. Goeppert Mayer y grandit, entourée d’étudiants et d’enseignants, parmi lesquels figurent d’autres futurs prix Nobel. Elle poursuit des études de physique, obtient son doctorat en 1930 et, la même année, épouse un de ses collègues, l’Américain Joseph Edward Mayer. Le couple déménage aux États-Unis, où elle seconde bénévolement son mari à l’université. Elle doit attendre 1946 pour obtenir un poste à part entière, à Chicago. Par la suite, elle sera professeure de physique à l’université de Californie, à San Diego. Dès ses années de thèse, elle a décrit la réaction à de fortes illuminations de certaines molécules. Ce phénomène, connu comme l’« absorption à deux photons », n’a pu être confirmé qu’avec l’avènement des lasers. Il est aujourd’hui largement étudié et trouve des applications dans des techniques optiques de pointe. Elle est récompensée par le Nobel de physique avec l’Allemand Johannes Hans Daniel Jensen dont les travaux ont abouti aux mêmes conclusions. La Société de physique américaine a créé un prix portant le nom de M. Goeppert Mayer, destiné à récompenser de jeunes physiciennes en début de carrière.

Carole ÉCOFFET

Avec JENSEN J. H. D., Elementary Theory of Nuclear Shell Structure, New York, Wiley & Sons, 1955.

GOERKE, Natasza [POZNAŃ 1960]

Poétesse et romancière polonaise.

Dans les années 1980, Natasza Goerke quitte la Pologne. Après avoir voyagé en Asie et étudié les langues tibétaines, elle s’installe en Allemagne. Sa culture orientale lui inspire une œuvre originale et sensuelle, à l’imaginaire riche. Bien qu’elle débute en tant que poétesse, c’est avec son roman Fractales (1994) qu’elle montre sa grande singularité. Son style rappelle celui des contes philosophiques, où les motifs orientaux s’associent à une réflexion à caractère universel et au sentiment du non-sens. Son écriture prend souvent une tonalité grotesque, en particulier dans Księga pasztetów (« le livre des pâtés », 1997), Pożegnania plazmy (« les adieux du plasma », 1999), 47 na odlew (« gifle au no 47 », 2002). En 2003, elle publie en allemand Rasante Erstarrung (« saisissement fulgurant »). Sa prose, jamais dépourvue d’humour et d’ironie, oscille entre fabulation onirique et stylisation parodique.

Maria DELAPERRIÈRE

KUŹMIŃSKI P., « Drugi zawód Nataszy Goerke », in Twórczość, no 7, 1997.

GOETTNER-ABENDROTH, Heide [LANGWIESEN, THURINGE 1941]

Philosophe allemande.

La recherche en sciences humaines de Heide Goettner-Abendroth porte en particulier sur les formes de la société matriarcale, avec une monumentale étude en trois volumes publiée de 1989 à 2000. Elle soutient en 1973 à l’université de Munich sa thèse en philosophie et en théorie des sciences, Logik der Interpretation. Pendant dix ans, elle enseigne la philosophie et continue ses travaux sur la transformation des religions néolithiques avec des publications en 1980, en 1981 et en 2011. Ralliée dès 1973 au mouvement des femmes, elle est devenue en Allemagne une des pionnières de la recherche sur les femmes, connue pour être une critique sagace du patriarcat. Elle est fondatrice de la recherche moderne sur le matriarcat. La série scientifique qui constitue son œuvre principale présente les sociétés matriarcales du monde entier encore vivantes aujourd’hui et dont les modèles de vie sociale offrent des connaissances notables pour un vivre ensemble plus humain. En 1986, elle a fondé en Allemagne la HAGIA, Internationale Akademie für moderne Matriarchatsforschung und matriarchale Spiritualität (Académie internationale pour la recherche moderne sur le matriarcat et pour la spiritualité matriarcale), un institut de formation autonome qu’elle dirige depuis. Elle a donné des cours dans plusieurs universités d’Allemagne, a été professeure invitée à l’université de Montréal en 1980, et à l’université d’Innsbruck en Autriche en 1992. En 1998, elle est devenue membre de l’Institute of Archeomythology (Sebastopol, Californie). Elle a organisé plusieurs congrès mondiaux : « Société en équilibre », au Luxembourg en 2003 ; « Societies of Peace. Matriarchies : Past, Present, and Future », en 2005 au Texas (dont les actes ont été publiés en 2009) ; et le congrès international « The Time is Ripe : We go into a Society Where Life is Worth Living », en 2011 à Saint-Gall (Suisse). En 2005, le projet 1 000 femmes pour la paix à travers le globe l’a retenue comme l’une des mille femmes du monde qui ont été désignées pour le prix Nobel de la Paix.

Margret REUTER

Die Göttin und ihr Heros. Die matriarchalen Religionem in Mythos, Märchen, Dichtung (1980), Stuttgart, Kohlhammer, 2011 ; Matriarchal Societies : Studies on Indigenous Cultures across the Globe [contient Das Matriarchat I. Geschichte seiner Erforschung, 1988 ; Das Matriarchat II, 1. Stammesgesellschaften in Ostasien, Indonesien, Ozeanien, 1991 ; Das Matriarchat II, 2. Stammesgesellschaften in Amerika, Indien, Afrika, 2000, New York, Peter Lang, 2012.

GOETZINGER, Annie [PARIS 1951]

Auteure de bandes dessinées française.

En 1975, Annie Goetzinger crée dans le mensuel Circus l’un de ses personnages les plus connus, Amélie-Casque d’or, héroïne de Légende et réalité de Casque d’or. Cet album au graphisme inspiré par l’Art nouveau lui vaut un prix Alfred en 1977 au Festival d’Angoulême. A. Goetzinger s’est toujours déclarée « très fière de ce prix, pourtant pas vécu comme une revanche dans ce milieu d’hommes ». Ses deux séries suivantes seront encore consacrées à des personnages féminins : Félina (publiée dans les magazines Circus, Pilote, Charlie Mensuel de 1979 à 1986 puis réunie en trois volumes) et Aurore (1978), version en bande dessinée de la vie de George Sand. La rencontre avec le scénariste Pierre Christin marque un tournant dans sa carrière. Le tandem affectionne les protagonistes féminines et publie La Demoiselle à la Légion d’honneur (1980) et La Diva et le Kriegspiel (1981), puis La Voyageuse de la petite ceinture (1985) et Charlotte et Nancy (1987), deux histoires de femmes qui apprennent à se débrouiller dans la vie. Après Le Tango du disparu (1989), le duo publie La Sultane blanche (1996), suivie de Paquebot (1999). Leur collaboration se poursuit depuis 2001 avec la série Agence Hardy, qui compte six tomes à son actif. On retrouve dans plusieurs de ces récits la fascination d’A. Goetzinger pour le passé et son attention portée aux vêtements, souvenir de sa vocation initiale de créatrice de mode pour le théâtre.

Camilla PATRUNO

GOGGO ADDI [BIBÉMI V. 1911 - GAROUA 1999]

Conteuse camerounaise d’expression peule.

Peule musulmane de Garoua (Nord-Cameroun), Goggo Addi était connue dans sa région pour être une conteuse exceptionnelle qui attirait un large public lors des veillées dans sa maison. Fille d’un riche commerçant, décédé alors qu’elle n’avait que 5 ans, elle vécut avec sa mère, remariée, et sa nombreuse fratrie dans un petit village près de Garoua dans des conditions matérielles précaires. Mariée de force une première fois, elle prit la fuite et devint par la suite la deuxième épouse du fils d’un ami de son père, menant une vie plus aisée. Elle accoucha d’un enfant mort-né, quitta son mari violent, puis s’installa à Bibémi où elle acquit sa réputation de conteuse. Après s’être remariée à six reprises, elle connut une vieillesse de pauvreté et de solitude en l’absence du soutien qu’aurait pu lui apporter un enfant.

Conter est généralement une activité de loisir, réunissant en soirée femmes et enfants, à laquelle les hommes n’assistent pas. L’apprentissage des contes se fait par la transmission, la pratique et l’échange lors de veillées, au travail, ou le soir, à l’adresse des enfants. À la différence des griottes, l’activité des conteuses n’est pas rémunérée ; en revanche, leur notoriété peut accroître leur prestige social de femme. Dits en contexte d’oralité première, les 70 contes de Goggo Addi ont été enregistrés lors de plusieurs séjours d’études entre 1985 et 1989 : ils ont été transcrits, traduits et édités, accompagnés du récit de sa vie et d’une analyse détaillée des textes. En littérature orale africaine, la notion de répertoire individuel des contes s’est dégagée au vu de ces textes qui ont permis de démontrer le caractère authentiquement créatif de l’art du conte ; celui-ci ne relève pas seulement de la seule transmission patrimoniale et anonyme, mais il peut aussi comprendre une appropriation individuelle par un énonciateur qui exprime une vision du monde spécifique à travers sa narration. Les contes de Goggo Addi sont ainsi les parties constitutives d’une unité textuelle délimitée, attribuable à une « auteure » qui emprunte des voix narratives multiples pour construire un univers imaginaire. Son répertoire met en scène prioritairement des personnages féminins : La Fille difficile ne veut épouser qu’un homme sans cicatrice ; La Fille sans mains souffre d’un handicap physique qu’elle cache à son mari et que ses coépouses cherchent à dévoiler ; La Fille dans la gourde dissimule sa beauté ; l’une des Deux Filles incarne la vertu et l’autre, l’immoralité. Autour de ces héroïnes, communes à plusieurs cultures de l’Afrique de l’Ouest, gravitent des figures plus rares, comme la mère sorcière qui s’attaque à sa fille ou l’épouse qui sauve son mari parti à la guerre. Ces personnages illustrent de façon récurrente le mariage, abordé sous l’angle du choix du mari pour la fille, des rapports entre coépouses, de la relation conjugale ou encore du rôle parental. La complexité des représentations ne peut pas être appréhendée à partir des contes pris isolément ; c’est au contraire son répertoire intégral qui permet à Goggo Addi l’expression d’une vision différenciée.

Ursula BAUGMARDT

BAUMGARDT U., Une conteuse peule et son répertoire, Goggo Addi de Garoua, Cameroun, Paris, Karthala, 2000.

GŒGG-POUCHOULIN, Marie [GENÈVE 1826 - ID. 1899]

Femme politique suisse.

Membre du comité central de la Ligue internationale de la paix et de la liberté – association pacifiste créée en 1867 à Genève –, Marie Gœgg-Pouchoulin lance dès 1868 un appel à la création de comités féminins de soutien à cette Ligue dans la revue Les États-Unis de l’Europe. Cet appel est considéré comme le début du mouvement des femmes. La même année, M. Gœgg-Pouchoulin fonde et préside l’Association internationale des femmes (AIF), première organisation du mouvement féministe en Suisse. En 1872, elle cofonde avec Julie von May von Rued* l’Association pour la défense des droits de la femme suisse.

René LEVY

GOGOLEVA, Tatiana STEPANOVNA [JASUNT 1961]

Femme politique mansi russe.

Après des études à l’institut Herzen de Leningrad (1979-1983), Tatiana Gogoleva devient institutrice (1983-1987), puis entre en politique à l’échelle locale (rajon de Berëzovo de 1987 à 1989, district autonome des Khanty-Mansi en 1989). Elle est élue au Conseil des députés (1990-1993) et obtient plusieurs mandats à la douma du district autonome. L’adoption en avril 1995 d’une charte prévoyant la création d’une assemblée des représentants des peuples autochtones minoritaires du Nord, au sein de la douma de son district, constitue l’aboutissement de la politique de l’association Spasenie Jugry dont elle a été présidente dès l’origine (1989-1997). Élue, elle poursuit son œuvre associative à travers l’élaboration de lois visant à donner une base juridique aux communautés autochtones : création d’un statut particulier, garantie des droits à la terre et aux ressources naturelles, préservation du milieu naturel propre au mode de vie traditionnel, maintien et soutien de la culture autochtone et représentation autochtone dans les organes du pouvoir. Mais ces avancées légales trouvent leurs limites et se heurtent aux puissants intérêts locaux. Dans ce pays ob-ougrien riche en pétrole, en gaz et en bois, les droits de propriété de la terre ainsi que la création d’organes d’autodétermination demeurent des points épineux. Le rapport de force est évidemment défavorable aux Khanty, Mansi et Nenets. Parallèlement, T. Gogoleva tente de trouver une audience extérieure pour peser auprès de la Russie et rendre les peuples du district plus visibles sur la scène internationale. Outre des liens renforcés avec les pays parents lors de festivals et de congrès des peuples finno-ougriens, elle a fait partie d’une délégation invitée par le département d’État américain et a établi des contacts avec nombre d’institutions et de réserves indiennes, apaches notamment ; elle a ainsi pu mesurer les maux communs aux expériences indienne et sibérienne.

Dominique SAMSON NORMAND DE CHAMBOURG

« O sovremennom psikhologičeskom samočuvstvii i buduščikh ožidanijakh korennykh narodov Khanty-Mansijskogo avtonomnogo okruga », in Khanty i Mansi na poroge tret’ego tysjačeletija, opyt. problemy. razvitie, Khanty-Mansijsk, Poligrafist, 2001.

GOH JUNG-HEE VOIR KO CHÔNGHÛI

GOITIÑO, Nelly [DURAZNO 1924 - MONTEVIDEO 2007]

Actrice et metteuse en scène uruguayenne.

Directrice culturelle, avocate, Nelly Goitiño a été durant des décennies la figure emblématique de la culture uruguayenne. Très jeune, elle enseigne en milieu rural puis à Montevideo où elle obtient un doctorat de droit et de sciences sociales. Elle exerce comme avocate et comme professeure de musique, et étudie la voix, l’art scénique. À partir de 1955, c’est au théâtre qu’elle choisit de se consacrer. Un théâtre éthique que, militante, elle veut mettre à la portée de toutes les classes sociales. Pour elle, une société ne peut être libre sans accès à la culture. Tout d’abord actrice engagée dans le mouvement du théâtre indépendant, puis metteuse en scène à partir de 1982, elle interprète ou adapte Shakespeare, Sophocle, Tchékhov, Ionesco ou Lorca, Genet, Duras*, des œuvres classiques et des textes contemporains, d’avant-garde, expérimentaux, militants. Elle se produit dans tous les théâtres de Montevideo, des plus populaires aux plus prestigieux, devient membre de l’Académie nationale des lettres, reçoit de nombreux prix. Travailleuse, pédagogue, elle enseigne aussi l’éthique et la méthodologie de l’interprétation à l’École municipale d’art dramatique (Emad), préside le syndicat uruguayen des acteurs, défend la cause des jeunes délinquants au Tribunal des mineurs à partir de 1972 avant d’être destituée en 1977. L’Uruguay est alors, depuis 1973, sous un régime dictatorial à la suite d’un coup d’État militaire. Des élections en 1985 ramènent la démocratie et portent au pouvoir le parti Colorado, de tendance libérale. En 1994, N. Goitiño est élue conseillère municipale à Montevideo sur une liste du Frente Amplio (Front large), rassemblement de gauche allant du Parti démocrate chrétien au Parti communiste. En 2004, c’est le candidat de gauche, le socialiste Tabaré Vázquez qui est élu président au premier tour. En 2005, N. Goitiño est nommée présidente du Sodre, l’institution culturelle majeure d’État, créée en 1929, qui fut d’abord station de radio à vocation culturelle à laquelle ont été adjoints un orchestre symphonique, un chœur, un corps de ballet, une école nationale de danse et d’art lyrique, un canal de télévision. Elle reste à sa tête jusqu’à la fin de sa vie, à l’âge de 83 ans. Un timbre est édité en son honneur en 2008 et son nom donné à la grande salle de spectacle du Sodre.

Michèle IDELS

GOITSCHEL, Marielle [SAINTE-MAXIME 1945]

Skieuse française.

Par sa gouaille, son aplomb, son franc-parler, par sa précocité, Marielle Goitschel, vraie « Zazie des neiges », a créé un personnage en même temps qu’elle s’affirmait en tant que championne et locomotive du ski féminin français. Inséparable dans l’histoire olympique de sa sœur Christine, elle domina avec elle en un joyeux triomphe, sur les pistes de la Lizum en février 1964, les IXes Jeux d’hiver. Elle est repérée et conseillée par Firmin Mattis, champion de France de slalom. Son sens inné de la technique et de « l’attaque » la hausse très vite au niveau de l’équipe des Espoirs, qu’elle rejoint avec Christine. En décembre 1961, engagée à 16 ans dans le slalom spécial du Critérium de la première neige, à Val d’Isère, elle devance les meilleures. Elle renouvelle ce coup d’éclat aux championnats de Chamonix en 1962 : deuxième en slalom géant derrière l’Autrichienne Marianne Jahn, quatrième du spécial ; sa participation honorable à la descente – grâce au retrait de Thérèse Leduc qui s’est effacée pour lui faire place – lui vaut le titre mondial du combiné. Innsbruck en 1964 va entériner sa prise de pouvoir à 18 ans sur le ski féminin. Elle entraîne sa sœur vers un double doublé familial inédit. Le 1er février, elle lance le slalom spécial en s’assurant la première manche, mais Christine, mise en confiance, n’est pas si loin (76 centièmes) ; l’ordre de départ de la deuxième manche est différent : pour Christine (partie la deuxième), la piste est impeccable, et personne ne fera mieux qu’elle ; seule Marielle pourrait la devancer, mais se refuse à prendre le risque maximal ; Christine devient championne olympique avec 91 centièmes d’avance sur Marielle, médaille d’argent. Le 3 février, au slalom géant, le scénario est inversé : Christine et l’Américaine Jean Saubert dévalent en 1 min 53 s 11 ; Marielle fera mieux sans douter un instant : 1 min 52 s 24. Quelques jours après, sa dixième place en descente se traduit par un nouveau titre de championne du monde du combiné. Deux ans plus tard, les Championnats du monde se déroulent au mois d’août à Portillo au Chili ; c’est un point culminant pour l’ensemble du ski français, à la tête duquel le directeur des sports, Marceau Crespin, épaule toujours Honoré Bonnet : 16 des 24 médailles. Dans cette rafle, M. Goitschel s’adjuge deux titres – le géant et le combiné – et deux médailles d’argent – le spécial, où seule la Pyrénéenne Annie Famose la devance, et la descente, derrière l’Autrichienne « Erika » Schinegger, qui est en fait un homme et sera rayée du palmarès par la Fédération internationale de ski, le titre revenant à M. Goitschel. Créée en 1967, la Coupe du monde de ski reliant les multiples épreuves d’une saison lui revient en descente et en spécial. Dans le slalom spécial, le 13 février 1968, à Chamrousse, elle reste une dernière fois maîtresse du terrain : l’avantage acquis dans la première manche lui permet d’endiguer le retour de N. Greene dans la seconde ; avec 29 centièmes d’avance (et 1 s 03 sur A. Famose), elle est de nouveau médaille d’or. À 23 ans, elle se retire.

Son style, résolument offensif et contrôlé à la fois, a fait progresser le ski. Demeurée très en vue, elle a marqué son époque par la vigueur de ses interventions tranchant sur la grisaille des conformismes chaque fois qu’elle prenait position.

Jean DURRY

Avec CHARPENTIER H., GOITSCHEL C., Les Sœurs Goitschel, les étoiles des neiges, Paris, Jacob-Duvernet, 2008.

GOJAWICZYŃSKA, Pola (née Apolonia KOŹNIEWSKA) [VARSOVIE 1896 - ID. 1963]

Écrivaine polonaise.

Originaire d’un milieu ouvrier, Pola Gojawiczyńska fait très tôt l’expérience de la réalité sociale, puisqu’en 1905, prise dans le mouvement des émeutes, elle est expulsée de l’école primaire. Elle poursuit alors sa scolarité puis ses études à l’école clandestine et obtient un diplôme d’éducatrice. Sa carrière littéraire commence en 1915 avec la nouvelle Dwa fragmenty (« deux fragments »), remarquée par la critique. Mais ce n’est que dans les années 1930 qu’elle peut, grâce à la protection de Zofia Nałkowska*, se consacrer véritablement à la création. Ses premières œuvres ont une coloration sociopolitique : son recueil de nouvelles Powszedni dzień (« un jour ordinaire », 1933) ainsi que son roman Ziemia Elżbiety (« le domaine d’Élisabeth », 1934) retracent les conflits identitaires de la population de la Haute-Silésie. Dans Dziewczęta z Nowolipek (« les jeunes filles de Nowolipki », 1935) et Rajska jabłoń (« le pommier du paradis », 1937), l’accent est mis sur le déterminisme biologique et social qui pèse sur les milieux pauvres. Sa compassion pour le sort des femmes s’approfondit pendant la guerre et, plus encore, à la suite de son emprisonnement à Pawiak, geôle devenue symbole du pouvoir nazi à Varsovie. Cette expérience lui inspire de nombreux textes, dont le roman Krata (« la grille », 1945). D’autres écrits, publiés à titre posthume, portent la marque indélébile des souffrances de la guerre.

Maria DELAPERRIÈRE

KNYSZ-RUDZKA D., Pola Gojawiczyńska, Varsovie, PIW, 1976 ; PRYSZCZEWSKA-KOZOŁUB A., Pisarstwo Poli Gojawiczyńskiej, Varsovie, PWN, 1980.

GOLDBERG, Carin [NEW YORK ? XXe SIÈCLE]

Graphiste américaine.

Après des études à la Cooper Union School of Art de New York, dont elle est diplômée en 1975, Carin Goldberg débute sa carrière dans l’équipe interne des designers de la télévision CBS et dans la succursale CBS/Atlantic Records. En 1982, elle crée sa propre agence, Carin Goldberg Design. En outre, elle enseigne à la School of Visual Arts de New York depuis 1983. C. Goldberg a reçu de nombreux prix : l’Art Directors Club en 2008 ; la médaille d’or de l’Association des designers d’édition, aux États-Unis, en 2007. Elle participe à de nombreuses expositions internationales sur le graphisme, dont The Cooper-Hewitt National Design Museum, à New York, en 1996, et The Hongkong Heritage Museum, en Chine. Certaines réalisations sont exposées dans la collection permanente de la Bibliothèque nationale de France (BNF), à Paris. Pendant vingt ans, elle conçoit des centaines de couvertures de livres pour la plupart des grands éditeurs américains, en particulier Simon & Schuster, Random House, Alfred A. Knopf, Harper Collins, Doubleday, Hyperion, Nonesuch, Interscope et EMI. Ses travaux l’amènent à travailler pour des artistes aussi divers que Kurt Vonnegut et Susan Sontag*, Dvorak et Madonna*. La couverture réalisée en 1986 pour le roman Ulysses de James Joyce est devenue l’une des icônes du design postmoderne. Plus récemment, elle a élargi son domaine d’intervention vers l’image de marque et le consulting pour de nombreux clients. De 2003 à 2004, elle est directrice artistique de Time Inc. Custom Publishing, concevant et réalisant des publications pour le New York Stock Exchange, Microsoft, Citigroup et Gallup. Son plus récent projet réalisé est la maquette du livre Last Letters Home : Voices of Americans from the Battlefields of Iraq aux éditions Life Books en 2005. Son écriture et son style sont rigoureux et épurés. Elle utilise des typographies variées, sans exclure les lettres du ruban plastique Dymo.

Margo ROUARD-SNOWMAN

Catalog, New York, Stewart, Tabori & Chang, 2001.

COLLECTIF, 50 Books : 50 Covers, New York, AIGA, 2006.

GOLDBERG, Jacqueline [MARACAIBO 1966]

Journaliste et écrivaine vénézuélienne.

L’œuvre de Jacqueline Goldberg inclut des essais, des reportages, des témoignages, de la poésie et de la littérature pour enfants. Sa poésie, dans laquelle l’autobiographie joue un rôle important, se caractérise par une reprise du langage du quotidien, par l’intertextualité, l’expression de l’intériorité, avec pour thèmes les souffrances de l’histoire ou les difficultés du réel. Dans ses premiers livres, Treinta soles desaparecidos (« trente soleils disparus »), De un mismo centro (« d’un même centre »), parus en 1986, et En todos los lugares, bajo todos los signos (« en tous lieux, sous tous les signes », 1987), son discours poétique est bref et refuse une vision désenchantée du monde, dans lequel l’espoir et la tendresse ont encore leur place. Ainsi, Luba (1988), hommage à sa grand-mère survivante de l’Holocauste, est le livre de la mémoire, de l’exil et de la douleur, un dialogue avec le souvenir et avec le poème qui se prolonge dans A fuerza de ciudad (« à force de ville », 1989). À travers le dialogue entre une mère et son ventre, Máscaras de familia (« masques de famille », 1991) désacralise la maternité et questionne un certain idéal féminin, processus qui se poursuit dans Trastienda (« arrière-boutique », 1992), avec pour cible la représentation de la bien-aimée, sujet passif et subordonné. Insolaciones en Miami Beach (« insolations à Miami », 1995) constitue un tournant dans la poésie de J. Goldberg : elle insère de nouveaux registres linguistiques et accentue la remise en question d’une conception traditionnelle de la famille, ainsi que des habitudes et du « bon goût » d’une classe moyenne arriviste et consumériste. Dans Víspera (« veille », 2000), cette vision désenchantée se tourne vers le sujet féminin qui fait le point sur une vie faite d’heures perdues et de désolation. Dans La salud (« la santé », 2002), d’autres rites sont démasqués, au seuil de la mort, au cours de la maladie ou lors de la perte d’un être cher. En 2003 paraissent l’anthologie Una sal donde estoy de pie (« le sel sur lequel je reste debout ») et le livre El orden de las ramas (« l’ordre des branches »), où s’affrontent deux voix, dans un dialogue fait d’interrogations, de négations, d’indifférence et de contestation, dans lequel s’articulent les manifestations du mal-être. Dans Verbos predadores, poesía reunida (« verbes prédateurs, poésie réunie », 2007), J. Goldberg insiste sur le pouvoir prédateur de certains mots, mais aussi sur l’aspect canalisateur de la poésie et ses conséquences sur le sujet poétique.

Fernando MORENO

GOLDBERG, Léa [KÖNIGSBERG, AUJ. KALININGRAD, RUSSIE 1911 - JÉRUSALEM 1970]

Poétesse, romancière et traductrice israélienne.

Léa Goldberg passa son enfance à Kovno (aujourd’hui Kaunas), en Lituanie. Très jeune, elle écrivit en hébreu, et son premier poème parut en 1928. Son journal intime, publié pour la première fois en 2005, témoigne de sa connaissance profonde, dès l’adolescence, de l’hébreu moderne. En 1935, après avoir terminé ses études de langues orientales à Bonn, elle s’établit en Palestine sous mandat britannique et publia la même année son premier recueil de poèmes, Tab’ot ‘Ashan (« volutes de fumée »). Très active dans le cercle de poètes fondé à Tel-Aviv par Abraham Schlonsky, elle collabora aux suppléments littéraires des journaux Davar et Al Hamishmar. Elle enseigna pendant des années à l’Université hébraïque de Jérusalem, où elle fonda le département de littérature comparée, qu’elle dirigea jusqu’à sa mort. Dans sa poésie, l’influence de Pétrarque voisine avec des éléments empruntés au romantisme allemand et à la poésie russe. Les thèmes spécifiquement juifs ne font partie de son univers qu’après la Shoah. Elle est l’auteure des plus beaux sonnets en hébreu moderne. Son œuvre poétique constitue un pur lyrisme, dans un style retenu. Jusqu’aux années 1960, elle utilise une versification classique, et les vers blancs n’apparaissent que dans ses deux derniers recueils, tout en conservant une musicalité rare. Ses poèmes, très populaires en Israël, sont mis en musique et interprétés par les meilleures chanteuses du pays. L’un d’entre eux, « L’Arbre », est gravé dans la pierre centrale du parvis de la Knesset à Jérusalem. On lui doit également des romans – Mikhtavim mi-nessi’a medumma (« lettres d’un voyage imaginaire », 1937) ; Ve-hou ha-or (« c’est lui la lumière », 1946) –, une pièce de théâtre – La Châtelaine – et des livres pour enfants qui font partie, aujourd’hui encore, de la littérature classique israélienne. L. Goldberg contribua aussi à la traduction de la littérature européenne en hébreu moderne. Dans ce domaine est à signaler en particulier la traduction de Guerre et Paix de Tolstoï, une anthologie de nouvelles de Tchekhov et les sonnets de Pétrarque. Par sa vaste connaissance des langues et littératures européennes, elle a été la première à ouvrir la voie de la recherche en littérature comparée en Israël. Ses ouvrages théoriques sur « l’art de la narration » (Omanutha-sippour, 1963) et ‘Al hamisha perakim bashira (« cinq chapitres sur la poésie », 1957) font toujours référence. Elle a façonné la culture israélienne durant les deux premières décennies de l’État et son influence fut immense : elle a soutenu toute une génération de jeunes poètes devenus avec le temps très célèbres, en particulier Yehuda Amichaï et Dan Pagis. En 1970, l’année même de sa mort, elle obtint le prix d’Israël.

Masha ITZHAKI

La Châtelaine (Ba’alat ha-armon, 1956), Tel-Aviv, Institut de traduction de littérature hébraïque, 1981.

Kol ha-shirim, 3 vol., Tel-Aviv, Hakibbutz ha-meouhad, 1972-1973.

MOSES, E. (dir.), Anthologie de la poésie en hébreu moderne, Paris, Gallimard, 2001 ; ORNER E. (dir.), Chacune a un nom, femmes poètes et artistes en Israël, Paris, Caractères, 2008.

GOLDBERG, Whoopi (Caryn JOHNSON, dite) [NEW YORK 1955]

Actrice, animatrice de télévision et auteure américaine.

Elle fait ses débuts sur scène à l’âge de 8 ans. Après avoir joué de petits rôles dans des comédies musicales à Broadway, Whoopi Goldberg s’installe en Californie en 1974, incarnant la Mère Courage de Bertolt Brecht. Avec son spectacle en solo Spook Show, elle remporte un vif succès, étant une des premières femmes afro-américaines à composer des personnages tragi-comiques sur scène. Elle débute au cinéma en 1982, et Steven Spielberg lui confie le rôle émouvant de Celie, évoluant dans le Sud de 1908 à 1937 dans La Couleur pourpre (The Color Purple, 1985). Par la suite, elle joue surtout des rôles comiques, comme dans Ghost (Jerry Zucker, 1990), qui lui vaut l’oscar en 1991. L’année suivante, sa composition de fausse nonne dans Sister Act (Emile Ardolino) lui vaut un triomphe, un salaire de huit millions de dollars pour Sister Act 2 (Sister Act 2 : Back in the Habit, Bill Duke, 1993), faisant d’elle l’une des actrices les mieux payées de l’histoire du cinéma. Le film devient une comédie musicale, qu’elle produit à Londres, et à Paris au théâtre Mogador. À partir de 1992, elle présente sa propre émission de télévision, et sa série Whoopi en 2003. En 2005, elle fait son retour à Broadway. Elle tourne avec les réalisatrices Penny Marshall, Penelope Spheeris, Agnieszka Holland, Rosanna Arquette*. Elle a écrit des livres pour enfants.

Bruno VILLIEN

GOLDEN, Judith [CHICAGO 1934]

Photographe américaine.

Après l’obtention d’un Master of Fine Arts à UC Davis (University of California) en 1975, Judith Golden exerce comme enseignante. N’ayant de cesse d’interroger les questions d’identité, elle adopte une position critique quant à la place de la femme dans la société contemporaine. Elle se prend elle-même comme modèle, se manipulant et se transformant, jouant de multiples rôles à l’image des stéréotypes féminins dictés par les médias. Dès les années 1970, elle attire l’attention avec ses séries Chameleon (1974-1975) puis Make-Overs (1976), où elle incarne plusieurs portraits-types de la femme puis de l’homme modernes. Maquillage, costumes, coiffures, expressions exagérées du visage sont autant de moyens de dénoncer un monde gouverné par la facticité des apparences. Dans la majorité de ses séries, la photographie devient un véritable objet en trois dimensions. Jouant sur le principe du trompe-l’œil, elle retravaille son image par ajout de peinture, de craie, d’huile et d’objets trouvés. Lors de ses années passées à Los Angeles (1975-1980), ses séries People (1976-1978) et Ode to Hollywood (1977-1978) critiquent la vision machiste de certains films produits par les grandes sociétés de production. Deux voyages effectués à Berlin en 1979 et en 1981 l’amènent à bousculer son mode opératoire : pour la série The Portraits of Women (1980-1982), elle fait désormais appel à des modèles et renonce à la manipulation des images, à l’exception de quelques retouches de couleur sur la photographie d’origine. À partir des années 1980, installée en Arizona, elle s’intéresse aux traditions des Amérindiens. Le masque et le travestissement, toujours utilisés dans son travail, deviennent alors un moyen d’accéder à un discours plus universel, en explorant le lien entre l’humain et la nature. Ainsi, les séries Persona (1982-1985) et Elements (1986) se préoccupent de la question de la mythologie et de l’inconscient universel, revirement qui rappelle ses premières séries, déjà inspirées des rituels indiens. Une exposition rétrospective lui a été consacrée en 1986 par le Museum of Photographic Arts à San Diego en Californie. En 1996, le Center for Creative Photography de Tucson en Arizona a créé le fonds Judith-Golden, qui regroupe tirages photographiques, négatifs, correspondance et journaux.

Julie JONES

Cycles : A Decade of Photographs, San Francisco, Friends of Photography, 1988 ; avec LEONARD J., Photo/trans/forms (catalogue d’exposition), San Francisco, The Museum of Modern Art, 1981.

GOLDET, Cécile [PAU 1914]

Résistante et femme politique française.

Militante féministe et socialiste, Cécile Goldet a été au cœur de nombreux combats pionniers. Résistante, déportée à Ravensbrück, elle devient gynécologue. Figure historique de « Maternité heureuse » et du Planning familial, elle prescrit illégalement la contraception dès 1956 et contribue à politiser cette question. Elle entre au Mouvement démocratique féminin en 1962, à la Convention des institutions républicaines en 1964. Adhérente du Parti socialiste (tendance Ceres, Centre d’études, de recherches et d’éducation socialiste) dès 1971, elle a été l’une des trois instigatrices du courant « femmes autonomes » en 1978. Elle siège au Sénat de 1979 à 1986.

Mariette SINEAU

HELFT-MALZ V. et LEVY P. H., Encyclopédie des femmes politiques sous la Ve République, Paris, Patrick Banon, 1997 ; SINEAU M., Femmes et pouvoir sous la VRépublique, de l’exclusion à l’entrée dans la course présidentielle, Paris, Presses de Sciences Po, 2011.

GOLDIE, Sue [1961]

Médecin et chercheuse américaine.

Ayant pour mère une adolescente qui aurait désiré la voir adoptée, Sue Goldie, placée dans divers foyers d’accueil jusqu’à l’âge de 7 ans, acquiert très tôt le sens des responsabilités. Douée pour le taekwondo, elle pense un moment tenter de faire partie de l’équipe olympique, avant d’opter pour la médecine et la santé publique. À la fin de ses études au Albany Medical College (État de New York), elle effectue son internat dans le service des maladies infectieuses de l’hôpital Yale New Haven, lié à l’école de médecine de l’université Yale. En 1995, au cours d’un séjour à Stanford dans le cadre d’un programme de perfectionnement, elle décide de se consacrer à la science des décisions dans le domaine de la santé. En 1997, elle obtient son Master of Public Health et s’occupe pendant deux ans de l’analyse des risques à la Harvard School of Public Health. Pour élaborer une politique de santé à long terme, S. Goldie veut s’appuyer sur une modélisation des infections en rassemblant les connaissances disponibles sur une maladie donnée – sa biologie, sa prévention, son traitement. C’est ainsi qu’elle a travaillé sur le VIH, la gonorrhée, les chlamydiae, l’herpès et l’hépatite C, puis sur l’HPV (Human papillomavirus), lié au cancer du col de l’utérus. Elle est une des autorités mondiales sur le dépistage de ce cancer. Sa publication, en 1999, concernant le dépistage du cancer chez les femmes porteuses du virus VIH a été très appréciée. C’est dans les pays du tiers-monde, particulièrement en Haïti, un des pays du monde avec la plus grande fréquence de cancer du col de l’utérus, que nombre de femmes seront sauvées par ses recherches. Pour le dépistage de ce type de cancer, elle défend l’utilisation – controversée – de deux méthodes de test, un test visuel (DVI) et un test par réaction chimique, moins coûteuses que les frottis, qui ouvrent de nouvelles perspectives dans les pays en voie de développement. Afin qu’elle puisse poursuivre ses recherches sur l’évaluation relative des bénéfices cliniques, de l’impact sur la santé publique, de la rentabilité, des interventions médicales et de la prévention, la fondation MacArthur lui a attribué en 2005 une bourse pour « son génie et son esprit créateur ».

Madeleine COTTENET-HAGE et Doris MÉNACHÉ-ARONSON

Avec WEINSTEIN M. C., KUNTZ K. M. et al., « The costs, clinical benefits, and cost-effectiveness of screening for cervical cancer in HIV-infected women », in Annals of Internal Medicine, vol. 130, no 2, janv. 1999 ; ID., « The clinical effectiveness and cost-effectiveness of screening for anal squamous intraepithelial lesions in homosexual and bisexual HIV-positive men », in JAMA, vol. 281, no 19, mai 1999 ; avec KUHN L., DENNY L. et al., « Policy analysis of cervical cancer screening strategies in low-resource settings », in JAMA, vol. 285, no 24, juin 2001.

GOLDIN, Nan [WASHINGTON 1953]

Photographe américaine.

Icône des années 1980, Nan Goldin a révolutionné la photographie, en faisant de sa vie son œuvre. Durant près de quarante ans, elle n’a eu de cesse de photographier ses proches dans leur intimité. Fous rires, soirées, sexe, drogue, étreintes, enfants, maladie, enterrement. L’artiste a cherché retenir chaque moment partagé avec ses amis, luttant de toutes ses forces contre le temps et l’oubli. Elle a également réalisé de nombreux autoportraits, dont le très célèbre Nan One Month After Being Battered (« Nan un mois après avoir été battue », 1984). À la fin des années 1980, le fléau du sida déferle, emportant ses meilleurs amis, qu’elle aura ainsi photographiés jusqu’à la mort. Son œuvre, qu’elle présente comme un « journal intime », devient le récit de toute une génération. Contrairement à Diane Arbus*, à qui elle est souvent comparée, elle a aboli la distance conventionnelle qui la séparait de ses sujets : « Je veux montrer exactement ce à quoi mon monde ressemble, sans glamour, sans glorification » (The Ballade of Sexual Dependency, 2006). Issue d’une famille bourgeoise de la banlieue de Washington, elle est traumatisée par le suicide à l’âge de 18 ans de sa sœur aînée Barbara Holly, pianiste émérite, son âme sœur et son modèle. Ses parents tentent en vain de faire passer le suicide pour un accident. Ce drame est déterminant dans son orientation artistique, son mode de vie libertaire et son souci de vérité : « La photographie et la drogue m’ont sauvé la vie », affirme-t-elle. À l’âge de 15 ans, elle s’enfuit du domicile familial et s’initie à la photographie. En 1972, elle entre au Boston College of Fine Arts et pénètre un milieu marginal par l’entremise de son ami et photographe David Armstrong, qui devient dragqueen. À cette époque, elle photographie essentiellement en noir et blanc, et, de façon obsessionnelle, le quotidien qu’elle partage avec ses proches travestis, les clubs, les bars, mais également les moments d’intimité. Son arrivée à New York en 1978 marque son passage à la couleur. Progressivement son cadrage se rapproche. Elle vit alors dans des squats, travaille comme serveuse, et côtoie la sphère underground qu’elle photographie sans relâche, ainsi que ses amis : Cookie Mueller (1949-1989), Sharon Niesp, Bruce Balboni et D. Armstrong, qui l’ont suivie depuis Boston. Elle organise des séances de projection chez elle ou dans des clubs et débute son chef-d’œuvre qui, seize ans plus tard, marquera son apogée : The Ballad of Sexual Dependency, un diaporama de plus de 700 images, accompagné de chansons d’inspirations diverses, telles que le répertoire de James Brown ou de Maria Callas*. Ce slideshow (« diaporama ») inaugure un genre nouveau, proche du cinéma et en rupture avec l’esthétique postmoderne dominante. Ces projections ainsi que ses installations photographiques intitulées Grids (« grilles ») s’agencent en une succession de thèmes qui sous-tendent la dramaturgie du récit : les nus, les femmes au miroir, C. Mueller, les scènes d’amour. The Ballade est notamment présentée en live à la Tate Britain en 2004, et dans les arènes d’Arles en 2009. Au cours des années précédentes, d’importantes expositions itinérantes lui ont été consacrées : Whitney Museum en 1985 et 1986 ; Centre Georges-Pompidou en 2001 ; Matthew Marks Gallery en 2003. Elle profite de ses nombreux voyages pour réaliser de nouvelles séries, en particulier au Japon. En 2004, N. Goldin marque profondément les esprits avec son installation multimédia Sœurs, Saintes et Sibylles à la chapelle de la Salpêtrière, organisée par le Festival d’automne à Paris, où elle livre un vibrant hommage à sa sœur. En 2010, elle présente Scopophilia au musée du Louvre, un diaporama où se mêlent photographies des œuvres du musée et images extraites de ses archives personnelles.

Pauline GUÉLAUD

The Ballad of Sexual Dependency, Fletcher S., Heiferman M., Holborn M. (dir.), New York, Aperture Foundation, 1996 ; Nan Goldin, Paris, Phaidon, 2001 ; Sœurs, Saintes et Sibylles, Paris, Éd. du regard/Festival d’automne, 2004 ; Le Terrain de jeu du diable (2003), Jenkinson J. (dir.), Paris, Phaidon, 2008.

GOLDMAN, Emma [KOVNO, AUJ. KAUNAS, LITUANIE 1869 - TORONTO, CANADA 1940]

Anarchiste et féministe d’origine lituanienne.

Emma Goldman est connue pour son activisme politique. Après avoir refusé de se marier, à 15 ans, comme l’aurait souhaité son père, elle émigre aux États-Unis en compagnie de sa demi-sœur. Elle adhère au mouvement anarchiste après l’émeute de Haymarket Square du 1er mai 1886, qui éclate en plein mouvement de grève ouvrière, et devient une conférencière remarquée. Avec l’écrivain et anarchiste Alexander Berkman, avec qui elle se lie, elle planifie l’assassinat de Henry Clay Frick, riche sidérurgiste, pour venger la mort des ouvriers de Haymarket Square. L’homme survit à l’attentat, mais A. Berkman est condamné à vingt-deux ans de prison. Au cours des années qui suivent, E. Goldman est emprisonnée à plusieurs reprises, à la fois pour « incitations à l’émeute » et pour avoir illégalement distribué des tracts informant les femmes sur la contraception. En 1906, elle crée le journal anarchiste Mother Earth. Finalement, elle est expulsée et gagne la Russie. Après un soutien initial à la révolution bolchevique, elle fait entendre sa voix contre l’utilisation de la violence quand l’Armée rouge est lancée contre des grévistes. E. Goldman a joué un rôle central dans le développement d’une philosophie politique et anarchiste tant aux États-Unis qu’en Europe, dans la première moitié du XXe siècle. Bien qu’ayant pris ses distances avec la première vague du féminisme et le mouvement des suffragettes, elle intègre les préoccupations des femmes dans ses discours anarchistes. Elle a écrit sur des sujets aussi variés que le mariage, l’homosexualité, la liberté d’expression, les prisons.

Nadine PUECHGUIRBAL

L’Épopée d’une anarchiste, Bruxelles, Complexe, 2002.

GOLDSMITH, Selma (née Selma Evelyn FINE) [NEW YORK 1912 - WASHINGTON 1962]

Économiste statisticienne américaine.

Détentrice d’un doctorat (PhD) en économie de l’institut Radcliffe, à l’université Harvard (1936), Selma Goldsmith a fait essentiellement carrière dans l’administration américaine, au ministère de l’Agriculture, puis au ministère du Commerce, dont elle a d’ailleurs reçu une distinction pour ses états de service. Mais elle s’est principalement distinguée par ses travaux statistiques, qui ont permis de décrire et d’expliquer l’évolution de la distribution des revenus aux États-Unis et qui servent encore de base aux analyses de l’évolution des inégalités de revenus. En 1951, elle a été présidente de la Washington Statistical Society. S. Goldsmith a rassemblé un nombre inégalé de données et défini la façon de traiter les revenus fiscaux des ménages pour analyser la distribution des familles selon la taille et les revenus. En effet, les hauts revenus étaient jusqu’alors sous-évalués : certaines déductions fiscales et la jouissance de la propriété, en cas d’achat du logement, n’étaient pas prises en compte, ni les biens et les services produits par les individus. S. Goldsmith a donc conçu un équivalent monétaire de revenu agrégé compatible avec les données macro-économiques de revenus des ménages. Cela lui a permis de montrer que les inégalités de revenus avaient diminué de 1935 à 1944, grâce à une augmentation des revenus des déciles inférieurs et à une diminution des revenus des 20 déciles supérieurs. Cette évolution résultait, selon la statisticienne, de l’augmentation de l’emploi et donc des revenus du travail, aux dépens des intérêts et des dividendes. Toutefois, ce phénomène s’était interrompu à la fin de la Seconde Guerre mondiale, avant de reprendre.

Mathilde LEMOINE

« The use of income tax data in the national resources committee estimate of the distribution of income by size », in Studies in Income and Wealth, vol. 3, New York, National Bureau of Economic Research, 1939 ; « Capitalism and equality of income : Statistical information on the distribution of income by size in the United States », in The American Economic Review, vol. 40, no 2, mai 1950 ; « Size distribution of personal income », in Survey of Current Business, avr. 1958 ; « Low-income families and measures of income inequality », Review of Social Economy, vol. 20, no 1, 1962.

GOLDSTERN, Eugénie [ODESSA 1884 - SOBIBOR 1942]

Ethnologue autrichienne.

Née à Odessa dans une famille aisée et germanophone qui avait quitté la Galicie en raison des persécutions antisémites de la seconde moitié du XIXe siècle, Eugénie Goldstern fuit les pogroms russes de 1905 et s’installe à Vienne avec ses proches. Elle y suit les cours d’ethnographie de Michael Haberlandt, qui lui conseille d’aller poursuivre sa formation à Neuchâtel auprès d’Arnold van Gennep ; celui-ci lui propose d’étudier la Haute-Maurienne, une vallée savoyarde particulièrement isolée – les « crétins des Alpes », goitreux carencés en iode, y étaient, semble-t-il, nombreux. L’observation approfondie in situ, qu’elle entreprend à Bessans en 1913, compte parmi les tout premiers modèles du genre. Comme Edward Evans-Pritchard le sera plus tard chez les Nuer, elle est attentive aux étroites symbioses entre humains et bovins. La belle photographie d’un « logis-étable », reproduite dans son premier article sur Bessans, en témoigne. À la déclaration de guerre, son statut de ressortissante austro-hongroise la faisant soupçonner d’espionnage, elle quitte la France pour la Suisse. Elle étudie alors la vallée des Grisons, aire de répartition des maisons engadinoises qu’elle photographie et dont elle relève les plans. Sa thèse, soutenue en 1922 sous la direction du géographe Paul Gérardin, réunit les monographies de Bessans et des Grisons. En 1933, après l’arrivée au pouvoir de Dollfuss, elle demande et obtient la nationalité autrichienne. Malgré les pogroms de la Nuit de cristal (10 novembre 1938), elle se refuse à émigrer, demeurant auprès d’un de ses frères trop âgé pour voyager. Arrêtée le 14 juin 1942, déportée en Pologne, elle est gazée à son arrivée en camp. En 1944, l’armée allemande faisant retraite détruit la plupart des maisons du vieux village de Bessans.

Alain CHENU

Bessans, vie d’un village de Haute-Maurienne (trad. partielle de Hochgebirgsvolk in Savoyen und Graubünden, ein Beitrag zur romanischen Volkskunde, 1922), Apremont, Curandera, 1987.

DUCLOS J.-C., LUTIN A., Eugénie Goldstern (1884-1942), ethnologue et juive dans l’Europe alpine des deux guerres, Grenoble, Musée dauphinois/Musée savoisien, 2007.

GOLDWASSER, Shafi (ou Shafrira) [NEW YORK 1958]

Informaticienne israélo-américaine.

Shafi Goldwasser obtient en 1979 une licence de sciences à l’université Carnegie Mellon, et en 1983 un master et un doctorat en informatique à l’université de Berkeley en Californie. Elle est nommée professeure d’ingénierie en électronique et informatique au Massachusetts Institute of Technology (MIT). En 1997, elle devient la première personne titulaire du professorat de la RSA, la division sécurité de la EMC Corporation, société de services informatiques. Elle est également membre du groupe de théorie des calculs du laboratoire d’intelligence artificielle et d’informatique du MIT, et professeure de mathématiques à l’Institut Weizmann des sciences en Israël. Ses recherches concernent la cryptographie et la théorie des nombres. Elle établit en 1984, avec Silvio Micali et Charles Rackoff, l’algorithme de la « preuve à divulgation nulle de connaissance ». Ce concept désigne un protocole sécurisé dans lequel une entité, le « fournisseur de preuve », prouve mathématiquement à une autre entité, le « vérificateur », qu’une proposition est vraie, sans toutefois révéler d’autre information que la véracité de la proposition. Afin de démontrer que l’on est bien celui que l’on prétend être, on dispose d’une clé secrète, par exemple deux grands nombres premiers, et d’une clé publique, qui est le produit de ces deux entiers. On possède en outre un certificat signé par une autorité attestant que tel individu possédant telle clé publique est bien celui qu’il prétend être. En produisant sa clé publique avec le certificat associé, on est alors capable de prouver mathématiquement que l’on connaît la clé secrète correspondant à la clé publique. Le fait de ne rien divulguer permet d’éviter qu’un espion ou le vérificateur lui-même puissent ensuite se faire passer pour le fournisseur de preuve. S. Goldwasser a obtenu le prix Grace-Hopper en 1996 et a remporté à deux reprises le prix Gödel en informatique théorique en 1993 et en 2001. Élue à la National Academy of Sciences en 2004 et à la National Academy of Engineering en 2005, elle a été distinguée par l’Association internationale de recherche en cryptographie pour ses apports pionniers et essentiels aux fondements mêmes de la discipline.

Isabelle COLLET

GOLDWASSER S., MICALI S., RACKOFF C., « The knowledge complexity of interactive proof-systems », in Proceedings of 17th Symposium on the theory of computation, Providence, Rhode Island, 1985.

GOLL, Claire (née Liliane Clarisse AISCHMANN) [NUREMBERG 1890 - PARIS 1977]

Écrivaine française.

Après une enfance douloureuse et un premier mariage malheureux dont naît une fille, Claire Goll, passionnée de musique et de chant, s’installe à Zurich en 1916, étudie à l’université de Genève, travaille comme journaliste et participe au mouvement pacifiste auprès d’écrivains tel Romain Rolland. En 1918, elle publie ses premiers textes, devient l’amie et la maîtresse de Rainer Maria Rilke, avec qui elle reste liée jusqu’à sa mort. Installée à Paris avec Yvan Goll qu’elle épouse en 1921, elle fréquente avec lui des artistes dadaïstes, cubistes et surréalistes : Breton, Aragon, Chagall, Malraux, entre autres. Ce couple affectivement tumultueux vivra une collaboration artistique forte. Alternant leurs textes en dialogue, ils composent des duos poétiques (Poèmes d’amour, 1925), tout en publiant œuvres et traductions personnelles, chacun de son côté. Elle signe notamment des romans et des nouvelles. D’origine juive, les Goll fuient aux États-Unis dès 1939, où ils écrivent des textes résistants. Ils rentrent en 1947, oubliés de la vie littéraire parisienne. Au décès d’Y. Goll, elle gère l’héritage littéraire de son mari. Ses mémoires, La Poursuite du vent (1976), provoquent des controverses ; en une prose incisive et abrupte, elle y raconte le mouvement dada auquel elle a participé, ses rencontres avec les plus grands artistes de son temps. Abondante, l’œuvre bilingue se distingue surtout par sa poésie, marquée par l’expressionnisme et le surréalisme, qui porte sur les expériences émotionnelles liées à l’amour. Se démarquant du féminisme, elle revendique sa dépendance à l’homme aimé. Plus naturalistes, ses proses décrivent la souffrance humaine et animale. Le fonds Goll est déposé à la médiathèque Victor-Hugo et au musée Pierre-Noël, à Saint-Dié, dans les Vosges.

Catherine DOUZOU

Avec GOLL Y., Poèmes de jalousie, Paris, Budry & Cie, 1926 ; Le Ciel volé, Paris, Fayard, 1958 ; Avec GOLL Y., La Poésie et l’Art sur les chemins d’Yvan et de Claire Goll (catalogue d’exposition), Saint-Dié, Bibliothèque municipale, 1971.

CATTAUI G., LA ROCHEFOUCAULT E. de, LANOUX A., Claire Goll, Paris, Seghers, 1967 ; NOULET É., Alphabet critique, 1924-1964, t. 2, Bruxelles, Presses Universitaires de Bruxelles, 1965.

GOLOKHVASTOVA, Olga [1840-1897]

Dramaturge, écrivaine et journaliste russe.

Olga Andreïevna Golokhvastova est la fille illégitime de l’écrivaine Eudoxie Rostopchine* et d’Andreï Karamzine, le fils de l’historien Nikolaï Karamzine. Surnommée Andreïevskaïa, elle grandit d’abord à Genève, dans la famille d’un pasteur, puis revient à Moscou en 1860. Trois ans plus tard, elle épouse l’historien et critique Pavel Golokhvastov. Les goûts de son mari et le milieu moscovite intellectuel – elle fait la connaissance de Tchekhov l’été 1883 – semblent avoir eu une importance prépondérante sur son écriture. Sa première œuvre est un petit roman, Za sebia i za mnogikh (« pour soi et pour les autres », 1869), qui est tout à la fois un conte sociétal et un message didactique très fort à l’encontre de ses contemporains. Sa pièce Tch’ia pravda ? (« quelle vérité ? ») est surtout appréciée pour l’image qu’elle donne du conflit entre « la vérité de l’amour » et « la vérité du mariage », ainsi que pour son approche psychologique des personnages. Dve nevesty (« deux fiancées », 1877), drame shakespearien écrit en pentamètres iambiques, évoque les intrigues de la famille Dolgorouki pendant le règne de Pierre II et montre trois personnages féminins au caractère bien trempé : la demi-sœur de Pierre, la future impératrice Elisabeth, Iekaterina Dolgoroukaïa, qui ambitionne d’épouser l’empereur, et Natalia Cheremetieva, qui l’épouse et suit l’exil de la famille après la mort de Pierre. Elle a également dirigé pendant un certain temps la section régionale du journal slavophile Rous’ (« la vieille russie »).

Françoise DARNAL-LESNÉ

GOLOUBKINA, Anna [ZARAÏSK 1864 - ID. 1927]

Sculptrice russe.

Cette sculptrice exceptionnelle entreprend des études d’architecture à Moscou (1889-1890), puis apprend la sculpture auprès de Sergueï Ivanov, Sergueï Volnoukhine ainsi que Vladimir Béklémichev, à Saint-Pétersbourg. De 1895 à 1896, Anna Sémionovna Goloubkina étudie à l’académie Colarossi à Paris, où elle expose en 1899 ; parallèlement, elle présente ses œuvres à Saint-Pétersbourg aux salons du Mir iskousstva (« Monde de l’art ») de Diaghilev, la même année et en 1900. Elle travaille par intermittence dans l’atelier de Rodin entre 1900 et 1902. Son relief La Vague (1902), qui décore la porte d’entrée du Théâtre d’art de Moscou, est un dialogue avec la Porte de l’Enfer du maître parisien. Membre en 1906 de la Société des sculpteurs russes (ORS), elle est arrêtée l’année suivante pour propagation de libelles politiques. Libérée en 1908, elle intègre l’Union des artistes russes, puis expose jusqu’en 1910 dans les salons de ce groupe de peintres et de sculpteurs, où se côtoient l’impressionnisme, le style moderne, le symbolisme, le primitivisme. Elle participe aux expositions du Mir iskousstva, renouvelées en 1910 et en 1913. Après les révolutions de 1917, elle enseigne aux Ateliers libres (Svomas) et aux Ateliers supérieurs d’art et de technique (Vkhoutémas), de 1918 à 1922. Un an avant sa mort, elle compte parmi les dirigeants de la Société des sculpteurs russes. Sa création se situe dans la mouvance stylistique de Rodin, en particulier dans le jaillissement de ses personnages d’une masse matérielle brute. Elle privilégie les sujets symboliques et les portraits de ses contemporains. Une œuvre comme Vase brouillard (1908) témoigne de sa volonté de donner une image anthropomorphique des éléments naturels : des visages humains aux yeux clos, dans différentes inclinaisons, émergent d’une masse tourmentée, supposée dégager une impression de brume matinale. La galerie de portraits d’A. S. Goloubkina (écrivains, poètes, philosophes) est un des joyaux de la sculpture de la fin du XIXe et du premier quart du XXe siècle. Son Portrait d’Andreï Biély (plâtre tonifié de 1907) est saisissant d’expressivité, à la fois symboliste par l’accentuation d’un regard flamboyant et visionnaire, mais aussi physiognomonique par l’aspect quasi animal du personnage. Ces deux aspects de son art étaient déjà présents dans le Portrait d’Alexeï Rémizov (1899), où réel, rêve et vision sont étroitement imbriqués.

Jean-Claude MARCADÉ

Avec LÉBÉDÉVA SD., MOUKHINA V. I., Trois sculpteurs soviétiques (catalogue d’exposition), Paris, Musée Rodin, 1971 ; Le Symbolisme russe (catalogue d’exposition), Bernadac M.-L., Garcia F., Paris, RMN, 2000.

GOLTZ, Christel [DORTMUND 1912 - BADEN 2008]

Soprano allemande.

Célèbre pour ses interprétations straussiennes, Christel Goltz est l’une des plus grandes sopranos lyriques de sa génération, autant pour sa voix puissante et claire, riche en harmoniques et d’une intense palette de timbres que pour son talent d’actrice. Son nom reste particulièrement associé aux rôles de Salomé et d’Elektra de Richard Strauss, ainsi qu’à la création lyrique de son temps. Elle étudie à Munich, notamment avec Otto Schenk dont elle deviendra l’épouse. Après avoir campé divers petits rôles, elle fait ses débuts officiels à Fuerth dans le rôle d’Agathe du Freischütz de Weber, en 1935. Elle chante une saison à Plauen, avant d’intégrer la liste des sopranos principales de l’Opéra d’État de Dresde sur l’invitation de Karl Böhm en 1936. Elle reste attachée à cette troupe jusqu’en 1950, tout en se produisant dans les deux Opéras de Berlin, l’Opéra d’État et l’Opéra de la Ville en 1947, ainsi qu’à l’Opéra de Munich et à l’Opéra de Vienne en 1950. À partir de 1951, elle est aussi invitée à Salzbourg, Milan, Rome, Bruxelles, Paris, Londres, Buenos Aires, et chante au Metropolitan Opera de New York en 1954. Aux côtés de Salomé et d’Elektra, ses grands succès sont le rôle-titre de Jenufa de Leoš Janáček, Marie dans Wozzeck de Alban Berg, la Teinturière dans La Femme sans ombre de Strauss, Léonore dans Fidelio de Beethoven, Elettra dans Idomeneo de Mozart, et Turandot de Puccini. À l’exception de ce dernier, C. Goltz a peu chanté l’opéra italien. Elle a créé les rôles titres d’Antigone de Carl Orff et de Pénélope de Rolf Liebermann.

Bruno SERROU

GOMES, Ângela de CASTRO [ITAPERUNA 1947]

Historienne brésilienne.

Diplômée de l’École normale en 1965, Ângela de Castro Gomes travaille comme institutrice tout en faisant des études d’histoire à l’Université fédérale Fluminense. Sous la dictature, elle s’engage politiquement à gauche et doit s’exiler en France en 1970. Elle rentre au Brésil en 1972, se marie et, à partir de 1974, se consacre à sa carrière universitaire, travaillant à la fondation Getúlio Vargas, puis à l’Université fédérale Fluminense de 1984 à 1997. Titulaire d’un doctorat (1987) en sciences politiques de l’Institut universitaire de recherche de Rio de Janeiro, ses principaux ouvrages sont Burguesia e Trabalho : política e legislação social no Brasil, 1917-1937 (« bourgeoisie et travail : politique et législation sociale au Brésil », 1979), A invenção do trabalhismo (« l’invention du travaillisme », 1988) et Essa gente do Rio (« ces gens du Rio », 1999), étude sur le modernisme artistique carioca des années 1930. Ses travaux ont contribué à la rénovation du champ de l’histoire politique au Brésil.

Cristina SCHEIBE WOLFF

LOPES A. H et al., « Ângela de Castro Gomes, Entrevista », in Escritos, Rio de Janeiro, Casa de Rui Barbosa, ano 3, no 3, 2009.

GOMES, Elza (Luísa DOS SANTOS, dite) [LISBONNE 1910 - RIO DE JANEIRO 1984]

Actrice brésilienne.

Fille de comédiens, Elza Gomes arrive à 12 ans au Brésil avec sa mère, qui joue au théâtre Carlos-Gomes de Rio. Elle commence sa carrière en 1923 dans A Capital Federal (« la capitale fédérale ») d’Artur Azevedo et joue en 1926 dans des comédies, avec Jaime Costa. Puis, jusqu’en 1929, elle fait partie de la troupe de revues Ra-ta-plan, au casino Beira-Mar. On la retrouve au théâtre Recreio, dans O Carnaval português, de Marques Porto et Luiz Peixoto, puis au sein de la compagnie Margarida-Max. De 1930 à 1936, elle est l’une des principales actrices de la compagnie Procópio-Ferreira. Elle crée ensuite une compagnie avec Cazarré et Delorges Caminha, et tient des rôles dramatiques. De 1940 à 1952, elle joue avec Eva Todor et Luís Iglesias. Elle apparaît dans My Fair Lady, de Lerner et Loewe, aux côtés de Bibi Ferreira* (1962), dans Toute nudité sera châtiée, de Nelson Rodrigues (1965), et dans Um pouco de loucura não faz mal a ninguém (« un grain de folie ne fait de mal à personne », 1966), de Sergio Viotti. Son rôle dans Tango, de Sławomir Mrożek (1972), lui vaut le Prix du gouverneur de l’État. Elle joue encore dans L’Anniversaire, de Harold Pinter (1973), dans Mais quero asno que me carregue que cavalo que me derrube (« je préfère un âne qui me porte à un cheval qui me désarçonne », 1978), de Carlos Alberto Soffredini, et dans Don Quixote de la Pança, adapté de Cervantes (1980). Enfin, elle apparaît dans plus de 20 telenovelas et dans de nombreux films, notamment Memorias de um gigolô, d’Alberto Pieralisi (1970), Os Condenados, de Zelito Viana (1973), et Guerre conjugale, de Joaquim Pedro de Andrade (1975).

Richard ROUX

GOMEZ, Ana Maria [SAN SALVADOR 1956 - ID. V. 1981]

Militante politique salvadorienne.

Cofondatrice de l’Association des femmes du Salvador (Ames), Ana Maria Gomez est enlevée fin août 1981 par des commandos paramilitaires, et disparaît à l’âge de 24 ans. Étudiante ingénieure en électricité, issue d’une famille indienne et ouvrière, elle se politise à l’université où elle rejoint le conseil exécutif de l’Association des étudiants. Elle intègre rapidement la direction du Bloc populaire révolutionnaire (BPR), qui fédère la plupart des organisations de gauche, des syndicats et des organisations paysannes et étudiantes contre la junte militaire au pouvoir. Elle est alors la seule femme parmi les dirigeants de ce mouvement. Début 1980, elle prend part à la fondation de l’Ames et entreprend un tour d’Europe pour faire connaître la situation dans son pays. Elle participe à la manifestation du Mouvement de libération des femmes (MLF), le 8 mars 1980 en France, et lance un appel à la solidarité avec son peuple. Parmi les revendications de l’Ames, le combat contre les stérilisations forcées souligne l’urgence d’un droit international des femmes à la liberté de procréation. Le 28 août, A. M. Gomez est capturée par une patrouille de la police nationale, qui ne reconnaîtra jamais son enlèvement. Le Front démocratique révolutionnaire du Salvador, relayé en France par le MLF* international, lance un appel pour sa libération immédiate. Une précédente action avait permis de sauver la vie de Liliane Mercedes Letona (dite Clelia, commandante du Front de libération nationale) et de trois de ses camarades, en contraignant les militaires à reconnaître qu’ils les détenaient. Trois mois plus tard, Amnesty International apprend que A. M. Gomez est détenue illégalement à la prison pour femmes d’Ilopango. Mais cette fois la mobilisation internationale ne suffira pas à la sauver. Vingt-huit ans plus tard, en mars 2009, le candidat du Front Farabundo Martí de libération nationale (FLMN), auquel A. M. Gomez appartenait, est élu président du Salvador. Le combat contre ces meurtres de femmes parce qu’elles sont des femmes reste l’un des principaux combats des ONG, des juristes et des femmes politiques d’Amérique centrale et latine.

Yvette ORENGO

COLLECTIF, Génération MLF, 1968-2008, Paris, Des femmes-Antoinette Fouque, 2008 ; HUACUZ ELÍAS M. G. (dir.), La bifurcación del caos, Reflexiones interdisciplinarias sobre violencia falocéntrica, Mexico, UAM, 2011 ; PNUD, ¿ Cuánto cuesta la violencia a El Salvador ?, San Salvador, Pnud El Salvador, 2005.

GOMEZ, Madeleine-Angélique DE (née POISSON) [PARIS 1684 - SAINT-GERMAIN-EN-LAYE 1770]

Écrivaine française.

Issue d’une lignée de comédiens, mariée à Don Gabriel de Gomez, un gentilhomme espagnol, Madeleine-Angélique de Gomez commence sa carrière littéraire en signant quatre tragédies : Habis ; Sémiramis ; Cléarque, tyran d’Héraclée et Marsidie, reine des Cimbres, dont les trois premières sont créées à la Comédie-Française (1714-1717). Elle se tourne ensuite vers la narration anecdotique : Histoire secrète de la conquête de Grenade (1719) ; Anecdotes ou Histoire de la maison ottomane (1722) et Anecdotes persanes (1727). Elle reprend le modèle du recueil de nouvelles avec Les Journées amusantes (1722-1731), les 18 volumes des Cent Nouvelles nouvelles (1732-1739) et La Nouvelle Mer des histoires (1733-1735), rééditées et traduites. Injustement oubliée, l’écrivaine intéresse par ses opinions sur les femmes auteurs (préfaces d’Habis, des Anecdotes persanes, des Journées amusantes et des Entretiens nocturnes de Mercure et de la Renommée au jardin des Thuilleries [1731]), par sa participation aux débats littéraires de son temps avec La Jeune Alcidiane (1733), suite du roman de Gomberville, sa Lettre sur le poème de Clovis (1725) et Le Triomphe de l’éloquence (1730), qu’illustre le réseau de sociabilité des Œuvres mêlées (1724).

Marie-Emmanuelle PLAGNOL

JONES-DAY S., « A woman writer’s dilemma : Mme de Gomez and the early eighteenth century novel », in Femmes savantes et femmes d’esprit of the French Eighteenth Century, New York, P. Lang, 1994.

GÓMEZ, Sara [CUBA 1943 - ID. 1974]

Réalisatrice, scénariste et productrice afro-cubaine.

Après avoir étudié le piano, le journalisme, la philosophie et l’ethnologie, Sara Gómez se tourne vers le cinéma et le tout jeune institut du film cubain, l’Icaic, né de la révolution de 1959. Elle y travaille plus de dix ans avant d’être autorisée à tourner De cierta manera (« d’une certaine manière », 1977), premier long-métrage de fiction réalisé par une femme à Cuba. Le film est une plongée dans le quotidien des habitants de Miraflores, quartier périphérique réhabilité par la réforme urbaine, et la parfaite illustration du « cinéma imparfait » qui, avec peu de moyens, a l’ambition de faire changer le regard des Cubains sur eux-mêmes. S. Gómez meurt avant d’avoir pu en terminer la postproduction. Parmi ses courts réalisés antérieurement, mêlant approche documentaire et fiction, on peut citer Guanabacoa, crónica de mi familia (« Guanabacoa, chronique familiale », 1966), Una isla para Miguel (« une île pour Michel », 1968). Ses films donnent la parole aux marginaux de la révolution, révèlent leurs difficultés et la nature des contraintes qui pèsent sur eux, rendant ainsi compte d’une réalité complexe et non dogmatique, une démarche difficile pendant les années 1970 où la culture a été soumise à un dogme unique et exclusif.

Laurence MULLALY

GÓMEZ BUENO DE ACUÑA, Dora [LUQUE 1903 - ASUNCIÓN 1987]

Poétesse paraguayenne.

Pendant plusieurs années, Dora Gómez Bueno de Acuña est institutrice. Elle collabore brièvement au journal El Orden, d’Asunción, entre 1930 et 1931, et travaille longtemps à la radio : elle est actrice dans des émissions pour enfants et récite des poèmes nationaux (notamment en langue indienne) et étrangers dans d’innombrables autres émissions, dont Sobremesa de gala (« après-midi de gala »), transmise successivement sur Radio Nacional et sur Radio Ñandutí. Parallèlement, elle a dirigé une autre émission, pendant vingt-sept ans, sur ZP7 Radio Guaraní. Mais c’est sa poésie qui lui vaut une place prééminente et unique dans les lettres de son pays. En effet, son premier recueil de poèmes, Flor de caña (« fleur de canne », 1940), est considéré comme le premier recueil de poésie érotique dans le pays. Il réunit des textes qui, à l’époque de leur parution dans plusieurs journaux et revues, ont provoqué un scandale dans le milieu intellectuel du Paraguay. D. Gómez Bueno de Acuña a publié d’autres titres, dont les plus importants sont Barro celeste (« argile céleste », 1943), Luz en el abismo (« lumière au fond de l’abîme », 1954), Vivir es decir (« vivre, c’est dire », 1977) et Antología (« anthologie », 1985).

Natalia GONZÁLEZ ORTIZ

PLÁ* J., Voces femeninas de la poesía paraguaya, Asunción, Alcándara, 1982.

GÓMEZ DE AVELLANEDA, Gertrudis [PUERTO PRÍNCIPE, CUBA 1814 - MADRID 1873]

Écrivaine cubaine.

Considérée comme la voix féminine la plus représentative du romantisme espagnol, de la littérature et du féminisme hispano-américains du XIXe siècle, Gertrudis Gómez de Avellaneda a contribué à fonder la littérature cubaine moderne.

Fille d’une Cubaine et d’un Espagnol, elle reçoit une excellente éducation. En 1836, sa famille s’installe en Espagne où, face au conservatisme et à la pauvreté intellectuelle qui l’entourent, elle affirme son identité de femme cubaine et d’écrivaine. Sous le pseudonyme « La Peregrina » (« la vagabonde »), elle commence à publier des poèmes dans la presse andalouse, lorsque, en 1838, elle s’installe avec son frère à Séville. Dans cette ville, elle achève ses Memorias, écrit son Autobiografía et son premier récit épistolaire, destiné à Ignacio de Cepeda – lequel ne partagera jamais son amour –, et met en scène son premier drame : Leoncia. En 1840, elle part pour Madrid et publie ses Poesías (1841), aux thématiques et aux procédés stylistiques aussi classiques que romantiques, et dont la versification renouvelle la métrique espagnole. Ce recueil lui ouvre les portes du Liceo Artístico y Literario (Almería) et d’importantes revues, où elle se lie avec de nombreux écrivains. En 1841, elle publie son œuvre la plus étudiée, Sab, un roman abolitionniste situé à Cuba, qui dénonce l’esclavage et son corrélat, la domination masculine. Elle aborde la condition des femmes dans son roman Dos mujeres (« deux femmes », 1842-1843). Par ailleurs, tout au long de sa vie, elle écrit et publie des légendes, un genre romantique qu’elle cultive. En 1844, elle fait ses débuts sur la scène madrilène avec deux drames historiques situés dans l’Espagne médiévale : Alfonso Munio et El príncipe de Viana (« le prince de Viana »). En parallèle, dans ses romans Espatolino (1844) et Guatimozín (1845), elle aborde le thème de la liberté, à partir de la résistance de ses personnages face à l’occupation étrangère. Durant ces années, elle entretient une relation malheureuse avec le poète Gabriel García Tassara, qui refuse de reconnaître l’enfant né de leur union. En 1846, sa tragédie Egilona est représentée. La même année, elle épouse Pedro Sabater, gobernador civil (maire) de Madrid, qui meurt quelques mois plus tard, alors qu’elle se trouve à Bordeaux, où elle décide de passer quelque temps dans un couvent. En 1855, elle épouse Domingo Verdugo, un homme politique libéral influent. Entre 1852 et 1858 sont représentées 13 de ses pièces, dont 9 comédies, situées, pour la plupart, dans un contexte contemporain. Errores del corazón (« erreurs du cœur », 1852) et Los tres amores (« les trois amours », 1858) peuvent être lus comme un bilan de sa propre vie. En 1858, la tragédie biblique Baltasar, considérée comme sa meilleure œuvre dramatique, remporte un franc succès. En 1859, elle suit son époux, détaché à Cuba : après vingt-trois ans d’absence, le retour salué de G. Gómez de Avellaneda sur l’île influence de façon décisive les écrivaines cubaines. En 1860, elle crée l’Álbum Cubano de lo Bueno y lo Bello (« album cubain de ce qui est bon et de ce qui est beau »), dans lequel figure un essai précurseur : « La mujer » (« la femme »). Après la mort de son second époux, en 1863, elle visite les États-Unis puis s’installe en Espagne avec son frère et prépare l’édition des cinq tomes de ses œuvres complètes, dont elle exclut les textes les plus audacieux. En effet, à la fin de sa vie, frappée par des deuils et par la maladie, elle adopte une morale religieuse stricte.

Luisa CAMPUZANO

Sab, Paris, L’Harmattan, 2010.

GARFIELD E. P., Poder y sexualidad, el discurso de Gertrudis Gómez de Avellaneda, Amsterdam, Rodopi, 1993 ; MÉNDEZ R., Otra mirada a La Peregrina, La Havane, Letras cubanas, 2007.

GÓMEZ MENDOZA, Josefina [MADRID 1942]

Géographe espagnole.

Dans la géographie espagnole comme dans les réseaux scientifiques et universitaires internationaux, notamment en Argentine et en France, Josefina Gómez Mendoza a eu un parcours d’excellence. Ses responsabilités éditoriales, son expertise en matière de politique hydraulique et forestière, d’environnement, de paysage, mais aussi dans le domaine des sciences sociales et de l’éducation, de nombreuses distinctions, couronnent une carrière non seulement de géographe, mais de grande intellectuelle. L’une de ses réussites est d’avoir mené une recherche personnelle extrêmement féconde et des travaux en équipe toujours renouvelés, reliant politique, histoire des savoirs géographiques et pratiques territoriales. Elle a été présidente de l’association des géographes espagnols (1993-1997), membre de la Commission d’histoire de la pensée géographique de l’Union géographique internationale (1996-), présidente de la Universidad Autónoma de Madrid (1984-1985), conseillère d’État depuis 2006.

Marie-Claire ROBIC

Avec MUÑOZ JIMENEZ J., ORTEGA CANTERO N. (dir.), El pensamiento geográfico, Estudio interpretativo y antología de textos (De Humboldt a las tendencias radicales), Madrid, Alianza Textos, 1988 ; avec ORTEGA CANTERO N. (dir.), Naturalismo y geografía en España (Desde mediados del siglo XIX hasta la guerra civil), Madrid, Fundación del Banco Exterior, 1992 ; Ciencia y política de los montes españoles (1848-1936), Madrid, ICONA Clásicos, 1992 ; et al., Los paisajes de Madrid, Madrid, Alianza Editorial/Fundación Caja Madrid, 1999.

GOMPERTS, Rebecca [SURINAME 1966]

Médecin néerlandaise.

Fondatrice de l’organisation Women on Waves (« les femmes sur les vagues ») visant la promotion du droit à l’avortement, Rebecca Gomperts commence sa carrière comme médecin généraliste puis se spécialise dans la médecine abortive. Travaillant comme bénévole au Mexique, elle prend conscience des conséquences des avortements illégaux sur la santé des femmes. En 1999, elle crée le concept d’une clinique mobile aménagée à bord d’un navire qui sillonne les mers vers les pays où l’avortement est interdit. Toutes les huit minutes, une femme meurt dans le monde à cause de complications dues à un avortement illégal effectué dans des conditions sanitaires déplorables. Sur l’invitation d’organisations de femmes, les médecins de Women on Waves travaillent sur le bateau, dans les eaux internationales, afin de pratiquer des avortements d’une manière professionnelle et ne mettant pas en danger la vie des femmes. C’est en Irlande que Women on Waves mène sa première opération. Puis le navire continue son périple vers la Pologne, le Portugal et plus récemment l’Équateur, suscitant chaque fois sur son passage des débats de société.

Nadine PUECHGUIRBAL

GONÇALVES, Dercy (Dolores GONÇALVES COSTA, dite) [SANTA MARIA MADALENA 1907 - RIO DE JANEIRO 2008]

Actrice brésilienne.

Abandonnée très jeune par sa mère, Dercy Gonçalves est caissière dans un cinéma et quitte la maison familiale à 17 ans. À partir de 1929, elle est actrice de revue à Leopoldina, dans la compagnie Maria-Castro, puis à Rio, dans la compagnie Walter-Pinto. Dans les années 1950, elle se lance dans la comédie et adapte les textes à sa personnalité, les autres comédiens n’étant que des faire-valoir. Dans les années 1960, elle commence une carrière en solo et conquiert un public pudibond par de longs monologues autobiographiques où les gros mots déchaînent les rires. Quelques auteurs écrivent pour elle, mais elle reste la reine de l’improvisation et du dialogue avec le public. Elle joue dans des films comiques, appelés chanchadas et fondés sur la plaisanterie piquante. À la télévision, elle est la comédienne la mieux payée des années 1960. De 1966 à 1969, elle y présente Dercy de verdade (« Dercy telle qu’elle est »), qui sera censuré par la dictature. Abusée par un homme d’affaires, elle revient sur scène à 80 ans et poursuit sa carrière jusqu’à presque 100 ans. Lorsqu’elle décède d’une pneumonie, l’État de Rio de Janeiro décrète trois jours de deuil. Si les critiques sont partagés à son sujet, D. Gonçalves reste l’une des comédiennes les plus marquantes du Brésil. Elle apparaît dans 25 films, interprétant toujours son propre personnage, les plus récents étant : O Menino arco-íris (« l’enfant arc-en-ciel », 1983) ; Oceano Atlantis (1993) ; Célia e Rosita (court-métrage, 2008) ; Nossa vida não cabe num opala (« notre vie ne tient pas dans une Opala », 2008).

Richard ROUX

GONÇALVES PINTO, Dionísia VOIR FLORESTA, Nísia

GONG JI-YEONG VOIR KONG CHIYÔNG

GONG SUN-OK VOIR KONG SÔN’OK

GONNE, Maud Edith [FARNHAM, SURREY 1866 - DUBLIN 1953]

Militante féministe et nationaliste irlandaise.

Maud Gonne passe une partie de son enfance en Irlande, en Angleterre et en France dans un milieu privilégié. Très belle, artiste, indépendante d’esprit, énergique, elle s’engage très jeune dans le mouvement nationaliste littéraire et politique en Irlande où elle rencontre le vétéran nationaliste (fenian) John O’Leary et le poète William Butler Yeats. En France elle s’engage dans le milieu boulangiste nationaliste avec Lucien Millevoye, dont elle aura deux enfants, Georges et Iseult, qu’elle élève comme sa fille adoptive car elle est née hors mariage. Pendant les années 1890, elle participe au mouvement de réforme agraire. En 1900, elle fonde une association nationaliste de femmes, Inghinidhe na hÉireann (« filles d’Irlande »), adoptant la doctrine du Sinn Féin sur l’indépendance, et réclamant une réforme sociale, le suffrage des femmes et la promotion de la culture et de la langue gaéliques. À partir de 1908, elle publie Bean na hÉireann (« femmes d’Irlande »). En 1901, elle entreprend un voyage de propagande aux États-Unis avec un nationaliste, le major John MacBride, qu’elle épouse en 1903. À la suite d’un soulèvement militaire en 1916, son mari est parmi les 16 premiers leaders nationalistes exécutés. Arrêtée en mai 1918, elle passe quelques mois avec Kathleen Clarke* et Constance Markievicz* en prison à Holloway, Londres.

Máire CROSS

A Servant of the Queen. Reminiscences (1938), Londres, V. Gollancz, 1974.

WARD M., Maud Gonne. Ireland’s Joan of Arc, Londres/Boston, Pandora, 1990.

GONTCHAROVA, Natalia SERGUEIEVNA [LADYCHKINO, DISTRICT DE TOULA 1881 - PARIS 1962]

Peintre et décoratrice russe.

Née dans une famille de la petite noblesse russe, Natalia Gontcharova est admise en 1898 à l’École de peinture, de sculpture et d’architecture de Moscou, où elle se forme auprès du sculpteur Paul Troubetzkoï, disciple d’Auguste Rodin. Elle y rencontre son mari, le peintre Mikhaïl Larionov, puis devient l’élève de l’impressionniste Konstantin Korovine. Ses premières œuvres témoignent de son assimilation de l’impressionnisme, des Nabis ou du fauvisme. Parallèlement, elle cultive son intérêt pour l’art populaire russe, notamment pour les icônes et les loubki. En 1910, à Moscou, elle participe avec M. Larionov à la fondation du groupe du Valet de carreau qui se réclame de Paul Cézanne, des fauves et du post-impressionnisme, et organise des expositions de peintres d’avant-garde russes ou français. Mais elle reproche au Valet de carreau son asservissement à la peinture française et prône une inspiration davantage tournée vers l’art populaire russe. C’est pourquoi, en 1912, elle crée avec son mari la Queue de l’âne, inspiré du néo-primitivisme russe et oriental, et monte à Moscou une exposition qui fait scandale. En 1913, sous l’inspiration du cubisme et du futurisme italien, M. Larionov publie le manifeste fondateur du mouvement « rayonniste » (loutchizm), qui vise à rendre visible les vibrations d’un objet, son « rayonnement » de matière, qui prend, sur la toile, la forme de rayons colorés. En 1913-1914, le couple présente à Paris des œuvres « rayonnistes » dans le cadre d’une grande exposition organisée par la galerie Paul Guillaume. Serge de Diaghilev leur propose de créer des décors, des costumes, des affiches et des livrets pour ses célèbres Ballets russes. Après la disparition du directeur de troupe russe, N. Gontcharova continue à peindre et multiplie les expositions : en 1920 à l’Exposition internationale d’art contemporain de Genève, en 1922 à la Kingore Gallery de New York, tout en contribuant régulièrement au Salon des Tuileries et au Salon des indépendants de Paris. Durant les années 1930, les œuvres du couple sombrent peu à peu dans l’oubli. Elles ne bénéficieront d’un regain d’attention que grâce aux rétrospectives consacrées à S. de Diaghilev. En 1961, une grande exposition organisée à Londres sur l’œuvre de N. Gontcharova et de M. Larionov consacre la place de l’artiste dans l’historiographie de l’avant-garde russe.

Ada ACKERMAN

Nathalie Gontcharova, Michel Larionov (catalogue d’exposition), Boissel J. (dir.), Paris, Centre Pompidou, 1995.

BOWLT J., DRUTT M. (dir.), Amazons of the Avant-Garde : Alexandra Exter, Natalia Goncharova, Liubov Popova, Olga Rozanova, Varvara Stepanova and Nadezhda Udaltsova (catalogue d’exposition), New York, Guggenheim Museum, 2000 ; CHAMOT M., Gontcharova, Paris, la Bibliothèque des arts, 1972.

GONZAGA, Chiquinha (Francisca GONZAGA, dite) [RIO DE JANEIRO 1847 - ID. 1935]

Compositrice, pianiste et chef d’orchestre brésilienne.

Par son œuvre, qui constitue un véritable trait d’union entre musique populaire et musique savante, tout comme par sa longue vie faite d’épreuves et de succès éclatants, la courageuse liberté avec laquelle elle affronte les préjugés de son époque, tant au plan artistique que personnel, social ou politique, Chiquinha Gonzaga incarne Rio de Janeiro, la ville de toute sa vie, et le Brésil moderne, l’inscription du rythme et de la mélodie au cœur de la culture collective. C’est pourquoi les innombrables hommages reçus de son vivant se poursuivent et s’amplifient aujourd’hui non seulement lors des carnavals ou à la radio et à la télévision, mais aussi dans les salles de concert. Métisse par sa mère, mariée dès l’âge de 16 ans, séparée quatre ans plus tard – son mari s’opposant à sa vocation musicale –, remariée et à nouveau séparée, elle se retrouve seule à 29 ans et élève ses deux enfants en donnant des leçons de piano (instrument auquel elle avait été initiée par José Lobo) ou en jouant comme démonstratrice dans une boutique de partitions. Elle fréquente des groupes de musique populaire (choroes) et improvise au piano. À 30 ans, elle remporte son premier succès avec une polka, Atraente, tout en perfectionnant sa technique avec Arthur Napoleão, pianiste virtuose et compositeur qui a su stimuler puissamment la production musicale brésilienne de cette époque. Elle écrit des scènes lyriques destinées au théâtre qui sont refusées d’emblée : le théâtre à cette époque est interdit aux femmes. Ce n’est qu’en 1883 qu’elle parvient à s’imposer avec son opérette A corte na rosa, donnée par une compagnie portugaise au Théâtre impérial de Rio de Janeiro. On la surnomme alors « l’Offenbach féminin ». Mais les difficultés demeurent : elle dirige des musiciens de scène, la fanfare de la police militaire, puis enfin, la première en cela au Brésil, un véritable orchestre, en 1885. À cette époque de grandes mutations sociales et politiques, elle participe aux mouvements pour l’abolition de l’esclavage et en faveur de la république. Un tango Gaucho et une marche de carnaval O abre alas la rendront célèbre au Brésil comme en Europe où elle se rend à plusieurs reprises entre 1902 et 1910. En 1912, elle triomphe à Rio de Janeiro avec l’opérette Forrobodo qui comptera 1 500 représentations ! En tout elle aura produit, entre 1885 et 1933, 77 compositions pour le théâtre chanté, auxquelles s’ajoutent d’innombrables pièces appartenant aux genres les plus variés, dont 300 environ publiées : polkas, marches, valses, maxixes, choros, tangos, mazurkas, fados, quadrilles, ainsi que gavottes, barcarolles, sérénades, habaneras et même des pièces religieuses. Enfin, s’agissant d’une compositrice dont la vie et l’œuvre ne peuvent être dissociées, et qui a toujours affirmé avec force sa liberté personnelle, on peut se souvenir qu’elle a passé les dernières années de sa vie en compagnie d’un homme beaucoup plus jeune qu’elle, qui s’est montré fidèle et attentionné jusqu’à la fin.

Philippe GUILLOT

CACCIATORE O. G. (dir.), Dicionário biográfico de música erudita brasileira, Rio de Janeiro, Forense Universitária, 2005.

GONZALBO AIZPURU, Pilar [MADRID 1935]

Historienne mexicaine.

Pilar Gonzalbo Aizpuru découvre le Mexique en 1960 et s’y établit définitivement en 1973. Mère de quatre enfants dont l’un est devenu un historien connu, elle reprend tardivement ses études et obtient, en 1987, un doctorat d’histoire à l’Université nationale autonome (UNAM). Elle publie par la suite nombre de travaux (huit livres, 16 ouvrages collectifs et une centaine d’autres contributions), reflets de son travail de recherche et d’enseignement sur l’histoire coloniale du Mexique. Son œuvre, fondée sur l’étude des archives, prend en compte l’ensemble des groupes sociaux et ethniques du Mexique et confronte normes et réalités sociales. Elle voit l’écriture historique comme une « recherche joyeuse ». Elle promeut de nouveaux sujets de recherche et s’intéresse à une large histoire culturelle, définie comme l’ensemble des expressions de la vie sociale matérielle et intellectuelle. Très tôt, elle se lance dans l’histoire des femmes et écrit la première monographie sur la période coloniale (Las mujeres en la Nueva España, Educación y vida cotidiana, 1987). Elle encourage ensuite l’écriture d’une histoire qui prend en compte les deux sexes, la famille et le rôle de l’individu. Envisagée comme la somme des activités menées par la majorité de la population, la vie quotidienne est aussi l’une de ses thématiques, étudiée dans la magistrale Historia de la vida cotidiana en Mexico qu’elle dirige et dans laquelle 86 auteurs emmènent le lecteur sur le chemin d’une histoire sans héros (2004-2006). Signalons également, objet de plusieurs ouvrages, l’entreprise originale d’une histoire comparée des femmes et de la famille au Mexique et en Amérique espagnole. Paru en 2009, son dernier livre s’intitule Vivir en Nueva España, Orden y desorden en la vida cotidiana. En son séminaire du Colegio de Mexico, P. Gonzalbo Aizpuru forme une génération de professionnels de l’histoire culturelle et fait émerger de nouvelles thématiques de recherche telles que les émotions et les peurs, les mentalités, le genre et la formation de la famille, la religion et la croyance, la violence et la discorde, les lois et leurs transgressions. Elle reçoit le prestigieux Premio Nacional de Ciencias y Artes en 2007.

Asunción LAVRIN

GONZALÈS, Eva [PARIS 1849 - ID. 1883]

Peintre française.

Fille d’une musicienne d’origine belge et d’un romancier feuilletoniste célèbre, Emmanuel Gonzalès, Eva Gonzalès côtoie dès sa jeunesse les célébrités de la littérature et des arts. Elle révèle très tôt des dons artistiques, qu’elle développe auprès du peintre Charles Chaplin, avant de devenir en 1869 l’élève d’Édouard Manet, qui peint presque aussitôt son portrait, présenté sans grand succès au Salon de 1870 (no 1852). C’est dans le même Salon que la peintre fait ses débuts parisiens – l’année précédente, elle avait déjà participé à une exposition à Londres –, montrant un portrait de jeune femme au pastel, Portrait de Mlle J. G. (no 3520), probablement sa sœur Jeanne-Eva, dont le nom figurera régulièrement dans les livrets du Salon, à partir de 1872. Elle expose en outre deux peintures, dont L’Enfant de troupe (no 1219), largement inspiré du Fifre de É. Manet (1866) et immédiatement acquis par l’État. Réfugiée à Dieppe pendant la guerre de 1870, elle revient à Paris pour présenter L’Indolente au Salon de 1872 : le tableau soulève l’enthousiasme de nombreux critiques, dont Théodore de Banville et Émile Zola, qui trouve l’œuvre « exquise de fraîcheur ». Le paysage qu’elle adresse en 1873 n’est pas sélectionné. Elle participe alors au Salon des refusés, mais cela ne l’incite pas pour autant à rejoindre les impressionnistes, et, comme son maître É. Manet, elle est de nouveau candidate à l’exposition de 1874. Des deux œuvres qu’elle envoie, en se réclamant autant de C. Chaplin que de son maître, le pastel La Nichée (no 2180) est accepté et acquis par l’État, tandis que le tableau Une loge aux Italiens n’est pas retenu. Cette œuvre, où figurent sa sœur Jeanne et le graveur Henri Guérard, son époux depuis 1879, est finalement acceptée au Salon de 1879, après qu’elle l’a retravaillée (no 1405). Installée en Normandie avec son mari, E. Gonzalès modifie ses sujets, privilégiant les paysages, et travaille sa technique qui se fait plus lumineuse, plus vibrante (La Promenade à dos d’âne, 1880), et culmine avec Une modiste, son dernier envoi au Salon de la Société des artistes français de 1883. Elle meurt cinq jours après É. Manet et quatre jours après l’ouverture de la manifestation officielle.

Dominique LOBSTEIN

Eva Gonzalès, 1849-1883, étude critique et catalogue raisonné, Paris, Bibliothèque des Arts, 1990.