SOCIOLOGUES PIONNIÈRES [France XXe siècle]

Exclusivement masculine au XIXe siècle, la sociologie française l’est restée jusqu’au milieu du XXe. Alors qu’une première génération de femmes ethnologues, formées pour la plupart auprès de Marcel Mauss, se lance dans les années 1930 sur le terrain (Germaine Tillion* dans l’Aurès, Germaine Dieterlen*, Solange de Ganay (1902-2003), Denise Paulme* et la linguiste Deborah Lifchitz (1905-1942) en Afrique sous-sahélienne, Georgette Soustelle (1909-1999) chez les Indiens du Mexique, Jeanne Cuisinier* en Malaisie), il faut attendre les premières embauches de sociologues au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), dans les années 1940-1950, pour que la profession commence à se féminiser. Ces recrutements de femmes nées dans les années 1920 (à l’exception de Madeleine Guilbert*, née en 1910) s’effectuent à Paris, dans le cadre du Centre d’études sociologiques (CES), première institution française permanente consacrée à une recherche sociologique professionnalisée. Ce n’est qu’après la création de la licence de sociologie en 1958 qu’interviendront des recrutements féminins dans l’enseignement supérieur.

La sociologie du travail – et surtout du travail ouvrier – et celle de la famille sont les deux domaines privilégiés de cette première génération de femmes sociologues. Ces orientations thématiques se comprennent dans le contexte de la Libération et de la mise en œuvre du programme du Conseil national de la Résistance. Les premières sociologues sont majoritairement engagées dans ce programme. Leur travail ne se confond pas avec une activité militante, mais les constats empiriques sur lesquels débouchent leurs enquêtes prennent valeur de témoignage dans les développements de la question sociale et pour nourrir le débat public. Viviane Isambert-Jamati* intègre le CES vers 1949, rejointe en 1951 par M. Guilbert, philosophe de formation comme elle ; elles conduisent notamment une étude du travail féminin à domicile dans le secteur de la confection (1956). V. Isambert-Jamati s’oriente ensuite vers la sociologie de l’éducation ; M. Guilbert, quant à elle, poursuit l’observation du travail féminin dans l’industrie. Titulaires d’un doctorat d’État ès lettres, l’une et l’autre quittent le CNRS et accèdent au statut de professeure des universités, dans lequel elles sont, une fois encore, les « premières en sociologie » (Baudelot, Establet 1992). Parmi ces premières enseignantes figurent aussi la spécialiste de l’histoire et de la sociologie du communisme Annie Kriegel*, et Doris Bensimon-Donath (1924-2009) qui a consacré sa thèse de sociologie au judaïsme marocain et publie essentiellement des articles sur les Juifs d’Afrique du Nord, de France et d’Allemagne, et sur la société israélienne. Agrégée d’histoire, enseignante dans le secondaire, Raymonde Moulin* entre au CNRS où elle étudie les rapports entre la valeur artistique des œuvres et leur prix de marché.

Andrée Michel*, entrée au CES en 1951, effectue une enquête auprès de travailleurs algériens de Lorraine et de la région parisienne qui aboutit en 1956 à une des premières publications sociologiques sur l’immigration en France. Elle s’oriente ensuite vers la sociologie de la famille et des rôles sexués.

Agnès Pitrou (1924) effectue des études de psycho-sociologie de l’habitat et de la famille, puis rédige, sous la direction de Pierre Bourdieu, une thèse sur les Relations entre générations et insertion sociale, démontrant que les relations entre grands-parents et petits-enfants sont plus fréquentes qu’on ne le croit généralement.

Autre spécialiste de la sociologie de la famille, Évelyne Sullerot*. Auteure de livres à grand retentissement sur l’emploi des femmes en Europe et sur l’histoire et la sociologie du travail féminin, elle joue auprès de nombreuses institutions françaises et internationales un rôle d’experte en matière de droits des femmes et d’évolutions de la famille.

Jacqueline Frisch-Gauthier collabore au premier ouvrage paru dans la série des Travaux du Centre d’études sociologiques, Paris et l’agglomération parisienne (1952). Elle participe aux analyses de la première enquête de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) sur la formation et la qualification professionnelle (1964) et crée au sein du CES un service d’archivage et de diffusion destiné aux enquêtes de l’INSEE qui deviendra une composante du réseau Quetelet, permettant aux chercheurs d’accéder à des données quantitatives d’intérêt commun.

Ida Berger rejoint le CES en 1952. Après avoir publié en 1959 une enquête sur les institutrices des écoles maternelles parisiennes, elle prolonge avec Roger Benjamin cette étude par L’Univers des instituteurs, une des premières comparaisons systématiques des opinions et attitudes masculines et féminines au sein d’une même profession (1964).

Lorsque Nora Mitrani (1921-1961) entre au CES en 1954, elle est déjà une écrivaine surréaliste connue. Tout en poursuivant ses activités littéraires, elle entreprend une étude des technocrates, qui constituent à ses yeux une caste internationale dont elle retrace la formation à partir du cas des promoteurs des utilisations civiles de l’énergie nucléaire. Elle laisse une œuvre sociologique inachevée, incluant principalement une série d’articles sur la technocratie, parus dans les Cahiers internationaux de sociologie (1955-1961).

Cécile Andrieux intègre le CES en 1952, étudie la psychologie différentielle des hommes et des femmes. Elle se définit comme psychologue plutôt que sociologue.

En 1959, le CES compte au total 43 chercheurs dont dix femmes. En une décennie, la part des femmes a très significativement progressé et va poursuivre sa croissance – en 1987, les femmes représentent 43 % des effectifs de la 34e section du CNRS. La féminisation des enseignants d’université sera plus tardive : en 1983, 24 % des enseignants-chercheurs en sociologie (mais seulement 11 % des professeurs) sont des femmes ; en 1996, cette proportion atteint 29 %. Néanmoins, ni le Collège de France ni l’Académie des sciences morales et politiques n’ont accueilli de femme sociologue.

Alain CHENU

SODENKAMP, Andrée [SAINT-JOSSE-TEN-NOODE, BRUXELLES 1906 - WALHAIN-SAINT-PAUL 2004]

Poétesse belge d’expression française.

SÖDERGRAN, Edith [SAINT-PÉTERSBOURG 1892 - RAIVOLA 1923]

Poétesse finlandaise d’expression suédoise.

Enfant unique d’une famille aisée de Finlandais suédophones, Edith Södergran fait ses études dans un lycée allemand. Au moment de ses débuts littéraires, avec Dikter (« poèmes », 1916), elle a 24 ans, souffre de tuberculose et vient de rentrer en Finlande après un séjour dans un sanatorium à Davos, en Suisse. Lorsque paraît son second recueil, Septemberlyran (« la lyre de septembre », 1918), sa famille vient de perdre tous ses biens, confisqués lors de la révolution russe. Elle passe le reste de sa vie dans la pauvreté à Raivola, dans l’isthme de Carélie, où elle meurt à 31 ans. C’est dans cette région finlandaise très cosmopolite, lieu de rencontre entre les cultures russe, balte, finnoise et suédoise, qu’elle élabore son projet d’une révolution poétique mondiale. Première grande représentante du modernisme scandinave, modèle incontournable pour les auteurs des pays nordiques, par le biais de sa poésie, elle permet à plusieurs générations de lecteurs d’affronter le double message culturel du dénigrement de la féminité et de son idéalisation. Dans ses poèmes, on rencontre des filles diaphanes sylvestres, mais aussi des guerrières et des vierges solaires, des princesses de contes de fées et des femmes-sœurs. On y adore l’Éros et la statue en marbre de la Beauté, on y entend parler Hyacinthe aux boucles roses ainsi qu’Orphée, Diane, Ariane et Hamlet. Le double de Dionysos s’appelle Blanche-Neige, et la femme nouvelle affirme son appartenance au « genre neutre ». Son œuvre, impossible à résumer, vit de ses propres paradoxes, avec ses espaces souterrains et son autorité tantôt impétueuse tantôt ludique. Au-delà du plaisir, c’est la pulsion de mort qui est visée par la dérision. Le recueil Framtidens skugga (« l’ombre du futur », 1920) contient plusieurs poèmes érotiques où le corps féminin est décrit comme un instrument de musique mis au service de la suprême jouissance qui se confond avec le désir de mort. Outre les quatre recueils parus de son vivant, un volume d’aphorismes, Brokiga iakttagelser (« observations éparses », 1919) et un cinquième recueil publié en 1925, Le Pays qui n’est pas, il existerait un vaxdukshäftet (« cahier de toile cirée ») contenant 238 poèmes écrits par E. Södergran lorsqu’elle était écolière, de 1907 à 1909, pour la plupart en allemand. Une anthologie bilingue, Deux voix, réunissant ses poèmes et ceux de Karin Boye*, est parue en 2011.

Ebba WITT-BRATTSTRÖM

Poèmes complets (Samlade dikter, Stockholm, Wahlström & Widstrand, 1986), Paris, P. J. Oswald, 1973 ; Le Pays qui n’est pas (Landet som icke är, 1925), Paris, La Différence, 1992 ; Deux voix, Paris, Caractères, 2011.

TIDESTRÖM G., Edith Södergran (1949), Stockholm, Wahlström & Widstrand, 1991 ; WITT-BRATTSTRÖM E., Edith jag : Edith Södergran och modernismens födelse, Stockholm, Norstedt, 1997.

SODRÉ, Joanídia [PORTO ALEGRE 1903 - RIO DE JANEIRO 1975]

Compositrice brésilienne.

Joanídia Sodré étudie le piano avec Alberto Nepomuceno puis João Nunes, et la composition avec Francisco Braga, à l’Institut national de musique de Rio de Janeiro, où elle enseigne à son tour à partir de 1925. La composition de son opéra Casa forte lui vaut une bourse pour l’Allemagne en 1927. Elle restera trois ans à Berlin pour se perfectionner en composition avec Paul Juon et en direction avec Ignatz Waghalter. De retour au Brésil, elle fonde et dirige le chœur féminin (1930), et deux orchestres de jeunes (1939). Elle est directrice de l’École nationale de musique de l’université du Brésil de 1946 à 1967. Parmi ses œuvres, mentionnons A cheia do Paraiba (1927), pour la scène, et Girassol, Incendio em Roma, pour chœur et orchestre. Elle est également l’auteure de traités sur la théorie musicale.

Philippe GUILLOT

CACCIATORE O. G. (dir.), Dicionário biográfico de música erudita brasileira, Rio de Janeiro, Forense Universitária, 2005.

SŒURS ET FILLES D’ÉCRIVAINS [France XIXe siècle]

« Oblique étoile, qui fait trembler sa lueur à l’horizon », « petite sœur » de Lamartine et Musset, « Cendrillon de leur poésie » : ainsi, dans Les Poètes, Barbey d’Aurevilly définissait Marceline Desbordes-Valmore*. Plus récemment, en 1989, un célèbre essai de Christine Planté, La Petite Sœur de Balzac, met l’accent sur la « minorité » des auteures par rapport à leurs grands frères dont les noms sont consacrés par l’histoire littéraire. Aujourd’hui, la valeur de beaucoup des écrivaines du XIXe siècle étant heureusement reconnue, on peut s’appliquer à observer d’autres « obliques étoiles » et faire ressortir le rôle et les œuvres de ces filles et sœurs qui, ayant vécu à l’ombre des écrivains ou des écrivaines, ont contribué à faire éclore leur génie, à les encourager, ont constitué un miroir de leur travail ou en ont assuré un témoignage ou une préservation. Elles sont nombreuses, et toutes ont créé, soit des métadiscours sur leurs parents, soit des œuvres personnelles.

Lucile de Chateaubriand (1764-1804), « avantagée de beauté, de génie et de malheur », « révéla la muse » à son frère selon les Mémoires d’outre-tombe. Assiégée de songes et d’apparitions, se nourrissant de sa vie intérieure où « tout était souci, chagrin, blessure », mais aussi réflexion sérieuse, dans une dimension élargie par les orages indésirés de l’histoire, elle fait montre de courage dans la prison de La Tour Le Bât, à Rennes, avant de se confiner volontairement dans une retraite dont l’issue sera le suicide. Son œuvre, mince mais raffinée, retrouvera vie au XXe siècle grâce à une publication préfacée par Anatole France, et à Darius Milhaud, qui met en musique quelques-uns de ses poèmes.

Eugénie de Guérin (1805-1848) est aussi liée intimement à son frère, qu’elle a « bercé et enseveli » et pour lequel elle écrit son journal, continuant de s’adresser à lui après sa mort. Autodidacte et écrivaine de talent, elle reste « immaculée de toute affectation littéraire » (Barbey d’Aurevilly), semblant confirmer les hyperboles de Sainte-Beuve, convaincu que les sœurs, dignes égales de leurs frères « par l’esprit et par le cœur », « se maintiennent plus aisément à la hauteur première », par leur isolement et leur préservation de la contamination du monde. C’est cette façon de pratiquer « la sensibilité plutôt que de la dépeindre » que la doxa de l’époque apprécie chez les femmes, qui ont la délicatesse de se borner à une écriture en pénombre pour rester principalement des « prêtresses domestiques ».

Le Compagnon du foyer est d’ailleurs le titre d’une des premières œuvres de Laure Surville, née Balzac (1800-1871), qui dédie à ses filles ces contes pour enfants. Elle publie ensuite un volume sur la vie et l’œuvre de son frère – qu’ont pillé, sans le déclarer le plus souvent, maints biographes balzaciens – et un autre sur les personnages féminins de la Comédie humaine. Moins douloureuse et plus positive que L. de Chateaubriand et E. de Guérin, elle donne ainsi un premier embryon de critique « féminine », bien qu’entachée de jugements moralisateurs.

Chez les filles également, une constante semble se dégager : toutes semblent beaucoup plus rangées que leurs pères, ou surtout que leurs mères. Dans le salon de l’Arsenal, Marie Nodier-Mennessier (1811-1893) absorbe la culture romantique, et donne la preuve de ses talents dans des genres divers, sans toutefois, elle non plus, briguer un siège « au banquet de la renommée », se contentant « du reflet de la gloire inoffensive de son père » (Ballanche). Des nouvelles, une pièce (Le Mystère de la mère et de l’enfant), des articles dans le Journal des jeunes personnes et des compositions musicales sur des vers de Hugo, Vigny, M. Desbordes-Valmore*, Amable Tastu*, constituent sa production.

Les dynasties ont aussi une dauphine, qui en conserve le nom : Marie-Alexandre Dumas (1793-1881), fille du premier et demi-sœur du second Alexandre, elle aussi gardienne moralisatrice du foyer paternel. Elle signe une trilogie de romans où elle ne néglige aucunement de faire référence au « père chéri » et à ses personnages, et qui, selon Les Gauloises, « fit assez de bruit en raison des tirades chrétiennes mêlées au fantastique et accrochées à une action romanesque d’une portée audacieuse et passionnée ».

Le prénom paternel est aussi gardé par Thérèse-Alphonse Karr (1835-1897), journaliste comme son père, directrice pendant neuf ans du Conseiller des familles, dont les Causeries, réunies en volume, interpellent surtout les comportements sociaux des femmes. Mais, s’échelonnant jusqu’aux années qui suivent la Commune, elles s’inscrivent dans ce courant féminin qui appelle au courage et à la réconciliation, comme Bertile, Ségalas (1814-1893), fille d’Anaïs*, et tant d’autres.

Quant à Judith Gautier* (1845-1917), la wagnérienne, fille du gilet rouge Théophile, élevée par un précepteur chinois, « orientaliste distinguée » (Richardson), elle aime vivre dans des mondes et des époques légendaires et situe en Orient beaucoup de ses romans. Également traductrice, critique, dramaturge et auteure d’une autobiographie, Le Collier des jours, en trois volumes (ou mieux, rangs), elle a été la première femme membre de l’académie Goncourt, en 1910.

Face à ces parents débordant de vitalité, la deuxième génération se montre beaucoup plus prudente, paradoxalement, surtout face aux mères, dont les choix existentiels déchirants ne semblent pas pouvoir être partagés avec leurs filles. Ondine Valmore (1821-1853), fille de Marceline, cherche à résister aux décharges émotionnelles de sa mère par son activité d’institutrice, s’intéressant à Londres à la médecine homéopathique de Paul Curie, écrivant des contes pour enfants édifiants mais dépourvus des profondeurs douloureuses de sa mère. Des liens se tissent : si Sainte-Beuve avait un moment envisagé de l’épouser, George Sand* et tout le clan Valmore s’engagent dans le mariage d’Aline Chazal (1825-1866), la fille de Flora Tristan*, qui sera la mère de Paul Gauguin.

Et quant aux plus célèbres, que de conflits ! On connaît la relation tourmentée entre G. Sand et sa fille, Solange Clésinger-Sand (1828-1899), artiste elle aussi, épouse d’un sculpteur, auteure de deux romans passés presque inaperçus, et évoquée encore et toujours en relation à sa mère. Quant aux filles de Marie d’Agoult*, l’une, Claire de Charnacé (1835-1912), peintre et écrivaine, classe, commente et transmet les papiers de sa mère, laissant un roman, des Salons et des essais dont l’intertextualité est évidente avec les œuvres de sa mère. L’autre, Cosima Wagner* (1837-1930), vit de l’autre côté de la frontière, mais plus heureusement, la même histoire que sa mère, délaissant son mari pour se consacrer au génie ; par son Journal et ses lettres, elle est une source précieuse pour les exégètes wagnériens et même nietzschéens. Les filles de Cosima traduisent D. Stern en Allemagne, tandis que C. de Charnacé laisse des notes sur G. Sand âgée, et Aurore Lauth-Sand (1866-1961) l’invite à faire partie du comité pour les célébrations du premier centenaire Sand, en 1904.

Le fait d’être mère, sœur ou fille d’écrivains célèbres génère des attitudes opposées, entre émancipation et dévouement, occultation et désir d’affirmation, problématiques toujours actuelles mais peu explorées, et qui valent d’être étudiées.

Laura COLOMBO

SOFRONOVA, Antonina FIODOROVNA [DROSKOVO 1892 - MOSCOU 1966]

Peintre, dessinatrice et designer russe.

Après des études secondaires dans une école de commerce pour jeunes filles de Kiev, Antonina Fiodorovna Sofronova fait son apprentissage artistique à Moscou (1910-1913), dans l’école d’art du peintre kiévien Fiodor Roehrberg, qui a été le maître de Malévitch vers 1905. Elle fréquente, de 1913 à 1917, les classes de peinture et de dessin d’Ilia Machkov, un des fondateurs du groupe primitiviste-cézanniste-fauve Le Valet de carreau, avec lequel elle expose en 1914 une nature morte. Elle épouse en 1915 le peintre Guenrikh Blumenfeld. En décembre 1917, elle prend part à l’exposition du groupe Mir iskousstva (« le Monde de l’art ») à Moscou, puis elle enseigne le dessin, la peinture et fait de nombreuses études au fusain de la campagne environnante (1919-1920). Si les œuvres de cette époque sont à dominante cubo-suprématiste, l’artiste évolue ensuite dans le milieu constructiviste de Moscou, réalise en 1923 la couverture du célèbre livre de Nikolaï Taraboukine, Du chevalet à la machine, et signe de nombreux dessins pour les journaux, les revues, les affiches. Parallèlement, elle crée des dessins cubo-futuristes. Dès le milieu des années 1920, A. F. Sofronova se tourne vers un réalisme expressionniste. Elle peint alors de nombreux paysages urbains (Moscou) et campagnards (région d’Oriol). Elle participe, avec Véra Pestel*, à l’exposition des dessinateurs soviétiques, organisée par le groupe L’Araignée à Paris en 1925, ainsi qu’à la troisième exposition du Groupe 13 en 1931. Jusqu’à la fin de sa vie, elle illustre les livres d’écrivains et de poètes, continue de peindre à l’aquarelle ou à l’huile des paysages, des portraits, des natures mortes.

Jean-Claude MARCADÉ

Zapiski nezavisimoj, dnevniki, pis’ma, vospominanija, Moscou, RA, 2001.

RUDENSTINE A. Z. (dir.), Russian Avant-Garde Art : The Costakis Collection, New York., Abrams, 1981 ; YABLONSKAYA M., Women Artists of Russia’s New Age, 1900-1935, Londres, Thames & Hudson, 1990.

SOGNER, Sølvi Bauge [TRONDHEIM 1932]

Historienne norvégienne.

Sølvi Sogner achève en 1956 un cursus à l’université d’Oslo, avec une spécialisation en histoire. Elle enseigne un an au lycée de sa ville natale avant de travailler comme adjointe scientifique à l’Institut norvégien d’histoire locale d’Oslo. Un séjour à Londres en 1961-1962 lui permet de se former à l’histoire démographique. Elle obtient une bourse de recherche en 1970 et soutient, en 1976, une thèse de doctorat publiée trois ans plus tard : Folkevekst og flytting, en historisk demografisk studie i 1700-tallets Øst-Norge (« croissance et migration de la population, une étude démographique de la Norvège orientale dans les années 1700 »). Ce travail lui permet d’être recrutée à l’Institut d’histoire de l’université d’Oslo, dont elle devient professeure en 1988. Ses analyses démographiques concernent l’histoire des femmes. S. Sogner s’intéresse particulièrement à la situation des mères célibataires après la Réforme et à la chute de la fertilité en Norvège pendant les XIXe et XXe siècles. Elle publie avec ses étudiantes Bot eller bryllup (« amende ou mariage ») en 1981 et Fra stuen full til tobarns kull (« de la maison pleine aux familles de deux enfants »), en 1984. Elle dirige un projet de recherche comparée sur la réduction de la mortalité des nouveau-nés dans les pays nordiques. La difficulté à interpréter les données des registres paroissiaux la conduit à étudier les archives judicaires. En résulte une collaboration avec l’historienne suédoise Eva Österberg pour étudier les normes et le contrôle social et constituer une base de données sur Internet. S. Sogner s’intéresse ensuite aux mouvements migratoires de la Norvège vers Amsterdam. Dans Ung i Europa, norsk ungdom over Nordsjøen til Nederland i tidlig nytid (« jeunes en Europe, jeunesse norvégienne traversant la mer du Nord jusqu’aux Pays-Bas », 1994), elle souligne les aspects positifs de la migration et décrit l’attraction d’une grande ville sur les jeunes gens, thèse qu’elle reprend dans le premier volume d’une histoire générale de l’immigration norvégienne (2003) – travail collectif qui a remporté le prix Brage. À côté de ces analyses de sources d’un accès difficile, S. Sogner écrit de grandes synthèses où se lit son engagement, notamment dans ses contributions à Cappelens kvinnehistorie (« l’histoire mondiale des femmes Cappelen », 1992) – qui obtient aussi le prix Brage – et à Aschehougs Norgeshistorie (« l’histoire de la Norvège Aschehoug », 1996). Codirectrice dans les années 1970 – avec Ida Blom*, Ståle Dyrvik et Anne-Lise Seip* – d’un projet pionnier sur le travail des femmes nordiques dans la société et dans la famille entre 1870 et 1940, elle s’attache toujours à souligner qu’une société ne peut se comprendre sans l’histoire des femmes et des enfants, pour laquelle elle a ouvert de nouvelles perspectives. En 1994, S. Sogner est nommée membre de l’Académie norvégienne des sciences. Elle a dirigé la Commission internationale de démographie historique (1985-1990) et l’Institut de l’histoire régionale (1982-1993).

Ida BLOM

SANDVIK H., TEISTE K., THORVALDSEN G., Pathways of the Past : Essays in Honour of Sølvi Sogner on Her 70th Anniversary 15 March 2002, Oslo, Novus Forlag, 2002.

SOHN, Anne-Marie [GRASSE 1946]

Historienne française.

Née d’une mère d’origine italienne née à Grasse et d’un père allemand, ingénieur chimiste arrivé en France en 1933, qui lui ont inculqué les valeurs démocratiques et républicaines et le respect du travail, Anne-Marie Sohn suit des études secondaires dans sa ville natale, part en classe préparatoire à Aix-en-Provence, entre en 1965 à l’École normale supérieure de Fontenay-aux-Roses, obtient l’agrégation d’histoire-géographie en 1969. En 1973, elle soutient à l’université Paris 10-Nanterre son doctorat de troisième cycle sous la direction d’Annie Kriegel*, « Féminisme et syndicalisme : les institutrices de la Fédération unitaire de l’enseignement de 1919 à 1935 ». Professeure en lycée puis en classe préparatoire à Paris, elle rédige, avec Jacques Bouillon et Françoise Brunel, des séries de manuels scolaires destinés aux lycées. Pendant toute sa carrière, elle sera attentive aux besoins des enseignants, à leur formation initiale et continue, et coordonnera en 2006 un dossier d’histoire des femmes pour l’Association des professeurs d’histoire et géographie. Maître de conférences à l’université Paris I, elle achève une thèse d’État qu’elle soutient en 1993 sous la direction de Maurice Agulhon. Ayant choisi de s’appuyer sur les archives judiciaires pour étudier la vie des femmes françaises, elle visite plus de 40 départements. Ce travail pionnier confrontant les représentations et les « rôles vécus » des femmes, mais aussi déjà ceux des hommes, paraît en 1996 sous le titre Chrysalides, Femmes dans la vie privée (XIXe-XXe siècles). D’autres documents trouvent place dans Du premier baiser à l’alcôve : la sexualité des Français au quotidien, 1850-1950 (1996) avec lequel elle s’affirme comme une spécialiste de l’histoire de la sexualité. Professeure à l’université de Rouen, elle co-organise en 1997 un colloque « L’histoire sans les femmes est-elle possible ? », qui rend compte du chemin parcouru par les historiennes depuis trois décennies et qui ouvre sur l’histoire de la masculinité. Pour mieux comprendre les mutations dans les rapports entre les hommes et les femmes, elle étudie les jeunes des années 1960 (Âge tendre et tête de bois : histoire des jeunes des années 1960, 2001). Ayant opté pour l’École normale supérieure lettres et sciences humaines (ENS-LSH) de Lyon, elle poursuit ses recherches sur la construction de la masculinité qui se traduisent par la publication de « Sois un homme ! » La construction de la masculinité au XIXe siècle (2009) et l’organisation d’un colloque international sur les masculinités publié en 2013.

Paul PASTEUR

Une histoire sans les hommes est-elle possible ? Genre et masculinités, Lyon, PUF, 2014.

SOHY, Charlotte (née DUREY-SOHY, pseud. Charles SOHY) [PARIS 1887 - ID. 1955]

Compositrice française.

Issue d’une famille aisée, Charlotte Sohy, cousine du compositeur Louis Durey, est une remarquable musicienne. Elle étudie le piano et l’harmonie avec Georges Marty et, comme Marcel Labey (1875-1968) qu’elle rencontre à la Scola Cantorum, l’orgue avec Alexandre Guilmant, Louis Vierne et l’écriture et la composition avec Vincent d’Indy. En 1909, elle épouse M. Labey, docteur en droit puis compositeur, qui sera chargé par V. d’Indy des cours de direction d’orchestre de la Scola Cantorum et deviendra, par la suite, co-directeur de cet établissement rebaptisé école César-Franck. De 1910 à 1924, sept enfants naissent de cette union. 35 numéros d’opus démontrent le lyrisme et le sens de la prosodie de C. Sohy. Parmi ses œuvres, qu’elle signe parfois du nom, emprunté à son grand-père paternel, de Charles Sohy, on compte un drame lyrique (Astrid ou l’Esclave couronné d’après une nouvelle de Selma Lagerlöff, représenté à Mulhouse le 6 mai 1947), une Symphonie, de la musique de chambre (Méditations pour un ensemble de violoncelles, un Trio pour piano, violon et violoncelle, deux Quatuors à cordes, Sérénade ironique pour huit violoncelles, Thème varié pour violon et piano, Triptyque champêtre pour flûte, cordes et harpe), 20 mélodies (Chants nostalgiques, Conseils à la mariée, Poèmes chantés), des chœurs, des pièces pour piano, une cantate (Les Quatre Rencontres de Bouddha). Elle réalise une réduction du Quintet de César Franck, corrigée par Mel Bonis* et éditée chez Hamelle. Elle a également écrit, sous le nom de Charles Sohy, le livret de Bérengère, drame lyrique de Marcel Labey (1912). Si certaines de ses œuvres ont été éditées, une grande partie reste actuellement inédite et conservée par la famille.

Christine MARCHAIS-SIEFFERT

LAUNAY F., Les Compositrices en France au XIXe siècle, Paris, Fayard, 2006.

SOIGNANTES PENDANT LES CROISADES [XIe-XIIe siècle]

Les XIe et XIIe siècles furent secoués par trois croisades. Pierre L’Ermite appelle une large population d’hommes et de femmes sur les routes de Jérusalem, mais très peu dépassèrent Constantinople. La première croisade, conduite par Godefroy de Bouillon, conquiert Jérusalem en 1099. La deuxième croisade, mieux organisée, commence en 1147, menée par Bernard de Clairvaux et, pour l’armée, par Robert de Normandie. Les croisés viennent essentiellement de la région du Rhin. Les femmes sont sous la bannière d’Aliénor* d’Aquitaine. Cette dernière, savante en médecine, établit des hôpitaux partout où c’est nécessaire et prend elle-même soin des patients. La troupe des croisés arrive à Salerne, où ils rencontrent les fameuses femmes médecins de la grande école de médecine, et en particulier Hersende de Champagne, fondatrice et première prieure de l’abbaye de Fontevraud. Lors de la troisième croisade, dans laquelle s’engagent Frédéric Barberousse, Richard Cœur de Lion et Philippe Auguste, il y avait encore moins de médecins et de chirurgiens que dans la précédente ; des infirmières telles que Edina Rittle, d’Angleterre, et Agnès, de l’ordre des Chevaliers de Saint-Jean, travaillent jour et nuit à soigner la cohorte de blessés et de malades. Lorsque les croisés arrivent à Constantinople, ils reçoivent de meilleurs soins dans le grand hôpital bâti par la reine Irène, épouse de l’empereur byzantin Alexis Ier Comnène. Cet hôpital de 10 000 lits, est dirigé par sa brillante fille Anne Comnène*, qui consigne tous les cas qui passent dans l’hôpital. Plus tard, ces écrits médicaux seront considérés comme très utiles. La belle-sœur d’Anne, Bertha, construit un hôpital encore plus grand, le fameux Pantocrator, pour pouvoir soigner les pèlerins qui arrivaient d’Occident. Chacune de ses cinq divisions est sous la direction d’une femme. En arrivant à Jérusalem, les croisés ont tant de malades sans structure d’accueil que Saladin lui-même envoie des médecins musulmans pour aider ses ennemis. Plus tard, des hôpitaux sont construits par des commerçants de Salerne et d’Amalfi, mais sont rapidement débordés par le nombre de malades. Les soignantes de l’ordre des Chevaliers de Saint-Jean portaient une grande robe noire avec une large croix blanche sur l’épaule. Infirmières, elles ne recevaient d’ordres d’aucun médecin au-dessus d’elles.

Yvette SULTAN

HURD-MEAD K. C, A History of Women in Medicine, Haddam, The Haddam Press, 1938.

SOIHET, Rachel [SALVADOR, BAHIA 1938]

Historienne brésilienne.

Rachel Soihet s’installe dans l’État de Rio de Janeiro au début des années 1950. Elle fait des études d’histoire à l’université fédérale Fluminense de Niterói où elle enseigne dès 1976. Après avoir obtenu, en 1986, un doctorat en histoire sociale de l’université de São Paulo, elle devient également chercheuse au sein du Conseil national de développement scientifique et technologique (CNPq). Elle effectue un séjour postdoctoral à Paris en 1996. R. Soihet est reconnue pour ses travaux en histoire des femmes – elle devient, à ce titre, coordonnatrice du Groupe de travail sur les études de genre de l’Association nationale d’histoire et forme une génération de chercheurs, dont Suely Gomes Costa – et pour sa contribution aux recherches sur de nouvelles thématiques dans l’historiographie brésilienne. Elle travaille notamment sur la violence, les femmes pauvres, le quotidien, la résistance et le féminisme. Parmi ses publications, on peut citer : Condição feminina e formas de violência : mulheres pobres e ordem urbana, 1890-1920 (« condition féminine et formes de violence, femmes pauvres et ordre urbain, 1890-1920 »), paru en 1989 et fondé sur l’analyse de sources judiciaires ; A subversão pelo riso. Estudos sobre o carnaval carioca da « Belle Époque »ao tempo de Vargas (« la subversion par le rire, études sur le carnaval de Rio de la Belle Époque au temps de Vargas »), qui, publié en 1998, articule histoire des femmes, histoire culturelle et histoire politique ; O feminismo tático de Bertha Lutz (« le féminisme tactique de Bertha Lutz », 2006), fruit de ses recherches sur le mouvement suffragiste au Brésil. R. Soihet coédite également, en 2003, O corpo feminino em debate (« le corps féminin en débat »).

Janine GOMES DA SILVA

« Histoire des femmes : un entretien avec Rachel Soihet », in Revista de História, 3, 1, 2011.

SOKOLNICKA, Eugénie (née KUTNER) [VARSOVIE 1884 - PARIS 1934]

Psychanalyste française.

Née dans une famille aisée de la bourgeoisie polonaise engagée pour l’indépendance de son pays, Eugénie Kutner est élevée par une gouvernante française, et c’est à Paris qu’elle vient poursuivre ses études de biologie, tout en suivant les cours de Pierre Janet au Collège de France. Elle rencontre Michal Sokolnicki qu’elle épousera dès son retour en Pologne. En 1911, elle part en stage à la clinique du Burghölzli à Zurich où elle fait la rencontre de Carl Gustav Jung. Lors de la rupture entre Sigmund Freud et C. G.  Jung, elle choisit Vienne et s’y rend, en 1913, pour suivre une analyse avec S. Freud. Sur le conseil de ce dernier, elle s’installe à Munich, où il n’y a pas de cercle analytique, et y exerce quelque temps. La guerre l’oblige cependant à retourner en Pologne, puis en Suisse. En 1918, elle s’établit à Varsovie dans le but d’y former une société de psychanalyse mais son projet ne se réalisera pas. En 1919, elle traite durant six semaines un jeune garçon de Minsk atteint d’une névrose obsessionnelle. La cure, centrée sur le transfert et l’interprétation des rêves, est l’une des premières psychanalyses d’enfant réalisées selon le protocole jusqu’alors réservé aux adultes. Elle en publiera l’année suivante  le récit. Cet article sera, à de très nombreuses reprises, commenté en Angleterre puis en France où il sera traduit, en 1968, sous le titre « L’analyse d’un cas de névrose obsessionnelle infantile » dans la Revue de neuropsychiatrie infantile. En 1920, elle part pour Budapest et commence une analyse avec Sándor Ferenczi qui l’évoque dans sa correspondance avec S. Freud. Des tendances dépressives se manifestent cependant qui rendent son approche souvent difficile. Toutefois, S. Ferenczi reconnaît le talent d’E. Sokolnicka et la qualité de ses interprétations. En septembre de cette même année, elle participe au Congrès international de La Haye et fait une communication sur « Le diagnostic et la symptomatologie des névroses à la lumière des doctrines psychanalytiques ». Souhaitant revenir à Paris, elle demande à S. Freud de la recommander. C’est en 1921 qu’elle s’installe à nouveau à Paris. Lors des conférences qu’elle donne à l’École des hautes études en sciences sociales, en 1922 et 1923, elle est présentée à Georges Heuyer qui l’invite aux présentations de cas dans son service à la clinique des maladies mentales de l’hôpital Sainte-Anne. Ayant vainement tenté, malgré le soutien de René Laforgue et d’Édouard Pichon, de s’intégrer au milieu psychiatrique français qui acceptait difficilement à l’époque les analystes non-médecins, elle en concevra une certaine amertume. Mais c’est dans les cercles littéraires, qu’elle avait fréquentés quinze ans auparavant, qu’elle réussit à favoriser l’implantation des thèses freudiennes, tout particulièrement dans le milieu de la Nouvelle Revue française. Elle organise des « séances Freud » très appréciées auxquelles participent Jacques Rivière, André Gide, Roger Martin du Gard et Gaston Gallimard. Elle ne prendra pas la tête du mouvement psychanalytique français malgré l’appui qu’elle reçut de Freud qui la considérait comme « sa représentante légitime » et laissera cette place à René Laforgue et à Marie Bonaparte*. En 1926, à la fondation de la Société psychanalytique de Paris, elle est nommée vice-présidente. Elle sera l’analyste de nombreux membres de la Société psychanalytique de Paris. C’est en mai 1934 qu’elle meurt d’une intoxication par le gaz, probablement volontaire. Elle reste l’une des principales introductrices de la psychanalyse en France.

Chantal TALAGRAND

« L’analyse d’un cas de névrose obsessionnelle infantile », in Revue de neuropsychiatrie infantile et d’hygiène mentale de l’enfance, no 16, mai-juin 1968.

SOKOLOVIĆ, Ana [BELGRADE 1968]

Compositrice canadienne.

D’origine yougoslave, Ana Sokolović a étudié la composition auprès de Dusan Radic à l’université de Novi Sad, puis avec Zoran Eric à l’université de Belgrade, avant d’aller étudier à l’université de Montréal pour obtenir une maîtrise en composition avec José Evangelista. Dans la plupart de ses œuvres, elle s’inspire du folklore et des traditions des Balkans, mais elle se sent plus particulièrement proche de Stravinsky, sur le plan du traitement du matériau, de la simplicité de la forme et de la polyrythmie, et plus généralement pour sa conception objective de la musique, qui n’exprime rien d’autre qu’elle-même. La compositrice se réclame également des mouvements envoûtants de certaines musiques industrielles et du dynamisme des musiques africaines. Son style, tout à la fois affirmé et raffiné, et sa personnalité, aussi agréable qu’attachante, font d’elle une figure incontournable de la nouvelle musique. Son répertoire comprend des œuvres pour orchestre, pour piano, des œuvres de musique de chambre et de nombreuses musiques pour la scène. Récipiendaire de plusieurs bourses, A. Sokolović a été plusieurs fois lauréate du Concours des jeunes compositeurs de la Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Socan), avec Ambient V pour deux violons, Secret de polichinelle pour quatre instruments et Pesma pour mezzo-soprano et sept instruments (1995-1998). En 1999, elle a obtenu le premier prix du concours des jeunes compositeurs de Radio-Canada pour son œuvre Géométrie sentimentale (catégorie musique de chambre), ainsi que le grand prix toute catégorie. Elle a reçu des commandes de nombreux ensembles ou d’interprètes virtuoses tels que la violoniste Julie-Anne Derome ou la clarinettiste Lori Freedman*. En 1996, elle a été représentante du Québec à la Tribune internationale des compositeurs de l’Unesco à Paris, et a également obtenu en 2003 la commande de la pièce imposée du Concours de violon des Jeunesses musicales du Canada. En 2005, année où elle compose son premier opéra The Midnight Court, elle remportait le prestigieux prix Joseph-S.-Stauffer du Conseil des arts du Canada, avant d’être sacrée, en 2007 (quand elle écrit son Concerto pour orchestre), compositeur de l’année par le prix Opus (Conseil québécois de la musique). A. Sokolović est professeure invitée en composition à la faculté de musique de l’université de Montréal depuis 2007. Son opéra Svadba (« les noces », 2010), pour six voix féminines a capella, a été créé en juin 2011 au Berkeley Street Theatre Downstairs de Toronto. La Société de musique contemporaine du Québec (SMCQ) a consacré à la compositrice sa saison 2011-2012, avec plus de 80 spectacles de différents orchestres, ensembles et solistes autour de son travail.

Sophie STÉVANCE

SOKOLOVIĆ BERTOK, Semka [SARAJEVO 1935 - ZAGREB 2008]

Actrice bosnienne et croate.

Descendante de l’illustre famille de Mehmed Pacha Sokolović, Semka Sokolović Bertok fit ses études à l’Académie du théâtre de Zagreb et joua dans plus de 50 films croates, serbes et bosniaques, ainsi que dans des productions internationales. Tragédienne et actrice comique à la fois, elle interpréta des rôles inoubliables dans les films Roko i Cicibela (« Roko et Cicibela », 1978) ; U raljama života (« dans la gueule de la vie », 1984) ; Kod Amidže Idriza (« chez l’oncle Idriz », 2004) et Sarajevo, mon amour (2006). Elle fut également championne croate d’échecs à huit reprises.

Dragana TOMAŠEVIČ

Sarajevo, mon amour, Jasmila Zbanic, 90 min, 2006.

SOKOLOW, Anna [HARTFORD, CONNECTICUT 1912 - ID. 2000]

Danseuse et chorégraphe américaine.

Née d’une mère russe aux opinions politiques orientées à gauche, Anna Sokolow assiste aux danses du cercle ouvrier et aux spectacles du Théâtre yiddish. Elle commence à danser dans un centre de quartier puis étudie avec Helen Tamiris* au Henry Street Settlement. En 1930, elle intègre la compagnie de Martha Graham* et y reste jusqu’en 1938. Elle crée en 1932 la Dance Unit, associée au New Dance Group. Boursière au Bennington College, haut lieu de formation pour la danse moderne, elle y côtoie José Limón. À partir de 1939, elle travaille au Mexique, y crée une compagnie et contribue à y implanter la danse moderne. Dès 1953, elle travaille en Israël tout en dirigeant son école à New York. Comme de nombreuses autres chorégraphes, elle est profondément marquée par la crise économique des années 1930. Considérant la danse comme un moyen d’intervention politique, les femmes juives investissent la danse moderne aux États-Unis et la transforment en un mouvement chargé de valeurs esthétiques et communautaires liées à la démocratie américaine. Bien que négligé par l’histoire, le rôle de ces femmes (Sophie Maslow*, Pearl Lang*, H. Tamiris) est considérable.

Les premiers solos d’A. Sokolow expriment la volonté de résister et de changer la société. Slaughter of the Innocents (1937) parle de l’injustice des destructions gratuites qui accompagnent la guerre ; elle dénonce le fascisme dans Façade (1937) et l’injustice sociale dans Strange American Funeral (1935). Marquée par les atrocités de la Seconde Guerre mondiale, elle fait écho de l’horreur éprouvée dans des pièces comme Rooms (1955) ou Deserts (1967). Peu réalistes, ses œuvres au mode narratif déconstruit déploient un lyrisme et une émotion d’une grande intensité. Elle consacre une partie de sa carrière aux acteurs américains en enseignant l’expression au célèbre Actor’s Studio.

Geneviève VINCENT

SOKOŁOWSKA, Magdalena [POLOGNE 1922 - ID. 1989]

Sociologue polonaise.

Médecin et sociologue, Magdalena Sokołowska est une figure pionnière de la sociologie médicale en Pologne. Docteure honoris causa de plusieurs universités, elle a enseigné à Varsovie, aux États-Unis, en Europe, et fut un membre actif de nombre d’organes académiques polonais et de prestigieuses revues de sciences sociales et de médecine. Sous sa présidence (1978-1982), l’Association internationale de sociologie (AIS) est devenue un instrument d’ouverture pour les sociologues polonais qui, sous le régime communiste, étaient soumis à un strict contrôle étatique dans leurs échanges avec l’étranger. Elle a également dirigé la European Society of Medical Sociology au début des années 1980, laquelle a joué un rôle important dans les débats sur les politiques de santé, en collaboration avec l’Organisation mondiale de la santé (OMS). À la fin de la guerre, en 1949, elle décroche son diplôme de médecin, soutient une thèse sur les conséquences de la densité de l’habitat sur la scarlatine, puis travaille dans un institut de médecine du travail à Łódź où se confirme son intérêt pour l’environnement professionnel et familial des individus (des femmes en particulier) et la compréhension de leurs pathologies. De retour en Pologne, après un diplôme de santé publique à l’université Columbia, elle crée un département de sociologie médicale au sein de l’Académie polonaise des sciences. Consciente des différences d’approche dans les deux domaines, elle plaide, sa vie durant, pour une conceptualisation des interactions entre structures sociales et phénomènes biologiques. Plutôt que de « sociologie médicale » ou de « biologie sociale », elle préférait parler des « fondements biologiques de la vie sociale ». À partir des travaux menés à Łódź (1950) sur les conditions de travail et de santé des ouvrières, elle s’intéresse aux conséquences de la place occupée par les femmes dans la famille. Si la « question des femmes » ne constitue pas pour elle un champ d’investigation spécifique, elle n’en dénonce pas moins la dimension patriarcale de la société. Elle met en évidence le poids de l’histoire et de la religion dans l’influence de la « mère polonaise » (matka polka), figure mythique étroitement associée au nationalisme polonais. Elle y décèle une des sources des attitudes sexistes qu’elle observe dans les années 1960-1970 et de la place très réduite des femmes dans la prise de décision économique et politique. Quand l’opposition au régime communiste s’organise, M. Sokołowska, avec trois autres universitaires dont Bronislaw Geremek, est accusée de collusion avec les Américains par le porte-parole du général Jaruzelski, qui leur intente un procès. Tous les quatre font appel contre le représentant du gouvernement, ce qui constitue une première dans l’histoire du pays. En 1989, peu de temps avant sa mort, on la retrouve dans le rôle de conseillère de Solidarność autour de la Table ronde précédant l’effondrement du système en Pologne. Pour nombre de ses collègues polonais, européens et américains, les écrits de M. Sokołowska sur l’utilité de la sociologie pour transformer les rapports sociaux ont compté parmi les plus stimulants des sciences sociales des années 1960-1980.

Jacqueline HEINEN

Avec BOTTOMORE T., NOWAK S. (dir.), Sociology : The State of the Art, Thousand Oaks, Sage, 1982 ; Health, Medicine, Society, Boston, Reidel, 1976 ; avec RYSZARD A., Towards New Ways of Coping with Social Needs, Varsovie, Polish Academy of Sciences, 1988.

SOLANE, Janine [BOURG-LA-REINE 1912 - PARIS 2006]

Danseuse et chorégraphe française.

La formation éclectique de Janine Solane (danse classique, expressionnisme allemand et style Duncan*) la conduit à élaborer une forme de « danse classique naturelle », caractérisée par une position hanchée et des lignes courbes et asymétriques. Sa démarche est portée par une vision humaniste de la danse dans une aspiration à la beauté. Elle ouvre une école qui forme de nombreuses danseuses et qui est reprise par sa fille Dominique à la fin des années 1980. Elle est également invitée à enseigner dans divers organismes. En 1932, elle fonde la Maîtrise de danse Janine Solane qui se produit régulièrement à Paris, dans toute la France et à l’étranger. Chorégraphe, elle compose, sur des musiques classiques, des œuvres conçues pour un grand nombre de danseuses, parmi lesquelles L’Abandon céleste (Wagner, 1932), Fugue en sol mineur (Bach, 1941), Symphonie Pastorale (Beethoven, 1946), La Grande Passacaille (Bach, 1948), La Belle au bois dormant (Vivaldi, 1957). Offrant une alternative à la danse classique, elle a contribué à ouvrir la voie à la danse moderne en France.

Marie-Françoise BOUCHON

ROBINSON J., L’Aventure de la danse moderne en France (1920-1970), Paris, éditions Bougé, 1990.

SOLANO, Susana [BARCELONE 1946]

Sculptrice espagnole.

Après des études à l’Académie des beaux-arts de Barcelone, Susana Solano développe une œuvre essentiellement picturale, qu’elle élargit très vite à d’autres domaines, tels que le dessin, l’architecture et la photographie. À partir des années 1980, son travail devient presque exclusivement sculptural. Désormais, le fer à souder, qui devient son outil de prédilection, l’inscrit dans la tradition des sculpteurs catalans. Les métaux utilisés sont variés : acier, fer, aluminium, acier inoxydable qui reste son matériau favori. Monumentales ou intimes, ses œuvres aux formes tantôt géométriques, tantôt figuratives, voire abstraites, font preuve d’une rigueur formelle. Aux premières sculptures, qui revendiquent une certaine souplesse et une sensualité des formes (Colinas huecas no 2, 1983), succèdent des créations plus radicales, dont la raideur et la sécheresse d’exécution semblent mettre le spectateur à distance (Labyrinth no 1, 1985). Ses sculptures donnent à voir des plans et des volumes, largement inspirés de structures architecturales (El Lugar de donde volvio, 1998 ; Fin el 9, 1989) ou environnementales (En busca de un paisaje n2, 1994). Au début des années 1990, elle fait intervenir un motif nouveau qui sera désormais récurrent dans son œuvre : le grillage. Métaphore de la défense et de l’enfermement, cet élément amplifie l’aspect rigoriste de certaines créations (Silencio del sentido, 1993), mais lorsqu’il est confronté à d’autres matières comme les plumes ou la paille (Don José I, 1998 ; Oromo III, 2002), il permet à la sculptrice de renouer avec la dimension sensuelle. À travers un répertoire de formes autoritaires et parfois énigmatiques, S. Solano a pour objectif d’inviter le spectateur à méditer l’œuvre au sein d’un espace.

Ludovic DELALANDE

Susana Solano (catalogue d’exposition), Madrid, Museo Nacional-Centro de arte Reina Sofía, 1992 ; New York (catalogue d’exposition), San Francisco, MoMA, 1991.

SOLDATOVA, Stěpanida [PRÈS DE MOSCOU 1787 - SAINT-PÉTERSBOURG 1822]

Chanteuse et danseuse rom de Russie.

Plus connue dans le monde de la musique russe sous le diminutif de Stiècha, Stěpanida Mosalskaya Soldatova est considérée comme la mère de la « romance tsigane ». Encore enfant, elle fut intégrée au premier « chœur tsigane » connu de l’histoire de Russie, fondé sur le domaine de Pouchkino par le comte Alexeï Grigorievitch Orlov-Tchemenskii et dirigé par le chef local des Roms, Ivan Trofimovitch Sokolov. En 1803, découvrant le bel canto, interprété par la prima donna Teresa Maciurletti Blasi, de l’Opéra italien de Saint-Pétersbourg, lors d’une tournée de la diva à Moscou, la jeune Romni décida d’apprendre ce type de musique qu’elle maîtrisa rapidement en suivant les cours de P. Muscetti. Elle monta alors son propre ensemble avec deux chanteuses, un violoniste et un guitariste (guitare à sept cordes en sol majeur). Stiècha était elle-même une danseuse réputée. Outre le répertoire du bel canto, elle fit des adaptations de bon nombre de chansons russes comme « Dans la plaine il y a un bouleau », « De dessous le chêne, de dessous l’orme », « Petit saule vert », « Ah rêves, mes rêves », « Si tu voulais comprendre », « Près de la rivière, près du pont » ou encore « Dans le hameau de Pokrovski ». On raconte que, lors de la campagne de 1812, alors qu’il attendait les clés de la ville de la délégation des Moscovites, Napoléon Bonaparte aurait offert une forte récompense à quiconque lui amènerait Stiècha – mais celle-ci se trouvait déjà à Yaroslav où elle chantait pour la nouvelle armée du maréchal Koutouzov. Du vaste répertoire de Stiècha ne nous sont parvenues que les chansons populaires, publiées plusieurs fois au XIXe siècle. Seule la chanson « Dès que le brouillard est tombé » a été notée avec soin par Alexandre Gouriliov et reste un classique de la musique russe populaire ancienne. La juxtaposition de mouvements en la mineur et en la majeur annonce la romance tsigane russe – ce qui fait de Stiècha la créatrice du genre. Elle devient légendaire grâce à Afanasiï Fet, qui lui consacre en 1881 un récit passionné. Sa mort relève aussi de la fiction littéraire : elle aurait été abattue par un officier ivre dans un cabaret, un certain Semen V. Vyazminitoff (peut-être son mari), à la suite d’une provocation de ses camarades. Une de ses deux filles (elle eut aussi un garçon) fut la compagne de Pavel Nashchokin et chanta dans le chœur avec Tatiana Demianova, amie d’Alexandre Pouchkine. Le portrait de Stiècha d’un artiste inconnu du XIXe siècle, pièce de la collection I. I. Vassiliev au musée de Kaluga (Russie). En 2003, l’ensemble Talisman lui a dédié le CD A Tribute to Stesha, the Russian-Gypsy Diva.

Marcel COURTHIADE

SOLER, Colette (née ROUDILLON) [MOÛTIERS, SAVOIE 1937]

Psychanalyste française.

Ancienne élève de l’école normale supérieure de Fontenay-aux-Roses, agrégée de philosophie, docteure en psychologie de l’université Paris 7, Colette Soler a enseigné aux universités Paris 7 et Paris 8. Elle se forme auprès de Jacques Lacan et devient psychanalyste. Exégète de son œuvre, qu’elle explicite tout au long de ses séminaires cliniques ou théoriques, elle crée, au fil des années, sa propre configuration conceptuelle. Membre de l’École freudienne de Paris et, après sa dissolution, membre de la Cause freudienne jusqu’en 1998, elle participe ensuite à la fondation de l’École de psychanalyse des forums du champ lacanien. Elle y assure un séminaire théorique annuel où elle rappelle l’exigence lacanienne de « penser la psychanalyse » à partir de l’expérience, grâce aux travaux de groupe, notamment au sein des cartels. Dans Ce que Lacan disait des femmes (2003), C. Soler a rassemblé ses contributions, publiées dans différentes revues de psychanalyse. Elle soutient que si l’Œdipe fait l’homme, il ne suffit pas à faire la femme, et elle situe la problématique féminine dans un au-delà de l’Œdipe. Elle s’attache à construire une clinique contemporaine de la féminité fondée sur la logique du « pas-tout » dans la fonction phallique, élaborée par J. Lacan dans les années 1970, peu de temps après l’émergence du Mouvement de libération des femmes. Elle continue à enseigner la psychanalyse avec passion et, dans une période où celle-ci est attaquée, à mettre en évidence sa valeur inestimable comme outil de connaissance et de liberté.

COLLECTIF PSYCHANALYSE ET POLITIQUE

L’Aventure littéraire ou la Psychose inspirée, Rousseau, Joyce, Pessoa, Paris, Champ lacanien, 2001 ; Lacan, l’inconscient réinventé, Paris, PUF, 2009 ; Les Affects lacaniens, Paris, PUF, 2011.

PICKMANN C.-N., « Colette Soler : Ce que Lacan disait des femmes », in Figures de la psychanalyse, no 10, 2004.

SOLER GIMENO, Amparo [VALENCE 1921 - MADRID 2004]

Éditrice espagnole.

Connue dans la corporation comme « la dame de l’édition », Amparo Soler Gimeno est fille et petite-fille d’imprimeurs. Dès l’enfance, elle découvre les dessous du monde du livre, aux côtés des compositeurs et des linotypistes. Son grand-père, le poète et dramaturge Miguel Gimeno Puchades, a fondé l’imprimerie Tipográfica Moderna en 1899 ; son père, Manuel Soler Soria, ouvrier dans cette imprimerie, a épousé la fille du directeur, elle-même plieuse dans l’entreprise. C’est là que la petite fille commence dès l’âge de 10 ans à corriger des épreuves et à assembler les cahiers. En 1933, des difficultés financières rendent inévitables la cessation de paiements et la saisie de tous les biens. Grâce à l’aide financière de l’écrivain et aristocrate Leopoldo Trénor, son père, gendre du fondateur, achète lors d’enchères publiques les machines nécessaires à la réouverture de l’imprimerie en 1934. Pendant la guerre civile, l’entreprise est réquisitionnée par le sous-secrétariat à la Propagande du Commissariat général du groupe des armées et, par ailleurs, son activité s’intensifie avec le transfert du gouvernement républicain et l’arrivée de nombreux intellectuels à Valence. De ses presses sort la mythique revue Hora de España, qui publie des poèmes d’Antonio Machado, entre autres. Son père ayant conservé la direction technique de l’entreprise, elle conçoit, met en page et corrige les publications avec son frère. Un cercle d’intellectuels de renom se réunit régulièrement dans l’imprimerie. Après le conflit, l’entreprise familiale reprend ses activités sous le nom d’Artes Gráficas Soler, et, en 1945, les éditions Castalia sont créées. En 1962, à 41 ans, A. Soler Gimeno s’installe à Madrid pour diriger la maison d’édition, spécialisée en philologie et en littérature, dont elle hérite à la mort de son père, en 1968. La même année, elle crée la collection emblématique de la maison, « Clásicos Castalia », dans laquelle paraissent des auteurs classiques et contemporains comme Teresa de Jesús (Thérèse* d’Avila) ou Federico García Lorca. Pionnière dans le milieu éditorial espagnol, elle reçoit, en 1976, après la mort de Franco, l’ordre du Mérite civil en reconnaissance de son travail. En 1998, la maison d’édition est couronnée par le Prix national du meilleur travail d’édition.

Ana MARTÍNEZ RUS

SOLIDOR, Suzy (Suzanne MARION, dite) [SAINT-SERVAN-SUR-MER 1900 - CAGNES-SUR-MER 1983]

Chanteuse française.

Après avoir été antiquaire aux côtés d’Yvonne de Bremond d’Ars, sa compagne de 1920 à 1931, Suzy Solidor se lance dans la chanson et débute à Deauville, au Brummel’s, avec des chansons inspirées du monde maritime qui lui valent le surnom de « Madone des matelots ». Elle évoque aussi les amours lesbiennes dans des couplets comme Ouvre, ou Obsession. Elle signe ses lettres en ajoutant « Votre oncle Solidoré » ou « Votre amiral breton ». Sa voix grave, « qui part du sexe », dira Jean Cocteau, son physique androgyne, ses cheveux blonds et sa frange au carré en font un symbole des « garçonnes ». Cela ne l’empêche pas de vivre une histoire d’amour avec Jean Mermoz. Elle se produit dans des music-halls, mais aussi sur la scène de La Vie parisienne, un cabaret qu’elle dirige à Paris, rue Sainte-Anne. Elle devient l’égérie des photographes des magazines de mode et des peintres. Sa silhouette va inspirer plus de 200 d’entre eux, parmi lesquels Raoul Dufy, Maurice de Vlaminck, Kees Van Dongen et Tamara de Lempicka*, qui signe, en 1933, un portrait qui deviendra célèbre. Pendant l’Occupation, elle crée l’adaptation française de Lili Marlène, qu’elle chante à la radio et dans son établissement, devant des officiers allemands. Après la Libération, les comités d’épuration lui infligeront un blâme. En février 1954, elle ouvre, à Paris, rue Balzac, près des Champs-Élysées, un cabaret qu’elle baptise « Chez Suzy Solidor ». En 1960, elle en crée un autre, à l’identique, à Cagnes-sur-Mer. En 1966, elle quitte la scène pour diriger un magasin d’antiquités.

Jacques PESSIS

SOLITUDE [née à CARBET DE CAPESTERRE, GUADELOUPE V. 1772]

Militante guadeloupéenne contre l’esclavage.

Emblématique de l’identité antillaise et de la lutte contre l’esclavage, issue du viol d’une esclave par un marin sur un navire négrier, Solitude est surnommée la « Mulâtresse Solitude » à cause de sa peau claire. Élevée dans une plantation, elle apprend l’abolition de l’esclavage décrétée par la Convention de 1794. En 1802, bien qu’enceinte, elle rejoint les notables de couleur et les esclaves insurgés dirigés par le colonel Louis Delgrès, commandant de l’arrondissement de Basse-Terre et célèbre pour sa proclamation du 10 mai 1802, « À l’univers entier, le dernier cri de l’innocence et du désespoir ». Ils sont 300 à combattre les 4 000 hommes envoyés de France par Bonaparte. Blessée mais épargnée jusqu’à la naissance de son enfant, Solitude est exécutée par pendaison le 19 novembre 1802. Une statue est érigée en sa mémoire en Guadeloupe en 1999. Le 10 mai 2007, la ville de Bagneux, jumelée à Grand-Bourg (île de Marie-Galante), inaugure une autre statue d’elle en « hommage et reconnaissance aux victimes et aux résistants de la traite négrière et de l’esclavage ». Le Collectif pour des femmes au Panthéon réclame en 2013 que Solitude soit honorée dans ce monument national. En 2014, à l'initiative de la sénatrice Hélène Lipietz, une statue de la mulâtresse est installée au Sénat au-dessus du siège de Victor Schoelcher, qui fit voter l’abolition définitive de l’esclavage le 27 avril 1848.

Claudine BRELET

BART A., La Mulâtresse Solitude, Paris, Seuil, 1972 ; SCHWARTZ-GAUTIER A., Les Sœurs de Solitude, la condition féminine dans l’esclavage aux Antilles du XVIIe au XIXe siècle, Paris, L’Harmattan, 1985.

SOLSKA, Irena (Karolina Flora POŚWIK, dite) [VARSOVIE 1875 - SKOLIMOW 1958]

Metteuse en scène et actrice polonaise.

Ayant étudié la peinture avec sa mère, artiste peintre, et le théâtre avec le grand acteur Bolesław Leszczyński, Irena Solska débute en 1896 à Łódź, sous le pseudonyme d’Irena Górska, dans une pièce du dramaturge autrichien Friedrich Halm, puis elle est engagée par le directeur du Théâtre municipal de Cracovie, Tadeusz Pawlikowski. En 1899, elle épouse l’acteur Ludwik Solski, et joue dorénavant sous le nom d’Irena Solska. Sur les scènes de Lwów, de Cracovie et de Varsovie, entourée des meilleurs acteurs du moment, elle joue dans des drames antiques et shakespeariens ainsi que dans des pièces réalistes contemporaines de Gabriela Zapolska*, d’Henrik Ibsen et de Maxime Gorki. Les pièces de la jeune Pologne lui assurent une notoriété telle qu’elle en devient le symbole après son interprétation de Rachel dans Les Noces, de Stanisław Wyspiański. Capable, par son jeu sensible et plein de mystère, de rendre l’atmosphère trouble et ambiguë des pièces symbolistes, elle excelle dans les poses, les gestes et les mouvements travaillés plastiquement. Modèle de nombreux peintres, elle a une brève liaison avec Stanisław Ignacy Witkiewicz et noue de nombreux liens avec l’avant-garde théâtrale. Après la Première Guerre mondiale, dans Varsovie libérée, elle entame une collaboration avec Leon Schiller, au théâtre Bogusławski, puis avec Juliusz Osterwa, au théâtre Reduta. Malgré des problèmes de santé, elle continue à jouer et prend en 1932-1933 la direction du théâtre Stefan-Żeromski, où elle monte elle-même ou confie à de grands metteurs en scène le soin de monter des pièces à l’accent révolutionnaire, ce qui lui vaut des ennuis avec les autorités et l’arrêt des subventions. Elle apparaît pour la dernière fois sur les planches en 1938.

Marie-Thérèse VIDO

SOMAYA, Brinda (née CHINNAPPA) [BANGALORE 1949]

Architecte indienne.

Après avoir étudié au Sir J. J. College of Architecture de l’université de Bombay et obtenu un master, au Smith College, dans le Massachusetts, Brinda Somaya est depuis trente ans à la tête d’une grande agence, Somaya & Kalappa, qui dispose de bureaux à Mumbaï et à Bangalore et dont l’activité touche à des domaines variés comme les bâtiments commerciaux, de bureaux, éducatifs ou institutionnels, tels le Gokaldas Images, bas et linéaire, à Bangalore (1998), l’immeuble du Brady Gladys Plaza, à Mumbaï, associant bureaux et magasins (1998), les bâtiments de Zensar Technologies, à Pune (2004-2009), ou l’École internationale Nalanda, à Baroda, en brique et béton, naturellement ventilée (2004-2010). L’architecture lui permet de poursuivre ses multiples passions pour l’art, la science, l’histoire, l’archéologie, la sociologie et le voyage. Sa méthode de conception se concentre sur le site, la localisation, le climat et les demandes du client, et elle apprécie la variété des défis. Bien qu’influencés par des principes modernistes, ses projets expriment une gamme étendue de choix esthétiques. Elle a conçu plusieurs grands campus éducatifs et institutionnels, et des lieux de villégiature dans des sites historiques et pittoresques. Plusieurs de ses réalisations dans le patrimoine de Mumbaï ont été primées, notamment la rénovation de la cathédrale et des écoles primaires et secondaires John-Connon (1994-2001) ou la restauration de la première église anglicane néogothique, Saint-Thomas (2004). Responsable de la conservation des sites patrimoniaux de la ville, elle a siégé dans de nombreuses commissions et jurys au niveau national, aussi bien que municipal. La conviction que le développement et le progrès ne doivent pas peser sur l’environnement culturel et historique a guidé sa reconstruction du village de Badhli, à 40 kilomètres à l’ouest de Bhuj, après le tremblement de terre de 2001. B. Somaya y a conçu trois types de maisons et a utilisé des matériaux et des modes constructifs adaptés à ce contexte rural pour conserver le caractère du village, reconstruisant chaque maison à son emplacement original. Son travail fut récompensé par le prix UIAVassilis-Sgoutas (2008). B. Somaya est également lauréate du Golden Architect Lifetime Achievement Award (2007), décerné par la fondation Architecture Plus Design et Spectrum. Elle a aussi participé à un ouvrage sur l’architecture traditionnelle de la région de Kodagu, au sud de l’Inde, Silent Sentinels : Traditional Architecture of Coorg (« sentinelles silencieuses : l’architecture traditionnel de Coorg », 2005).

Madhavi DESAI

LANG J., A Concise History of Modern Architecture in India, Delhi, Permanent Black, 2002.

« Women in architecture », in Architecture & Design, vol. 9, no 2, mars-avr. 1992 ; RAMAN P.G., « Il prezioso lavoro di Brinda Somaya », in Spazio e societa, vol. 20, no 83, juil.–sept. 1998.

SOMAZZI, Ida [BERNE 1882 - ID. 1963]

Féministe suisse.

Ida Somazzi se définit comme adepte de la Société des nations, des droits des femmes et de la paix et donc comme citoyenne féministe du monde. Elle fonde en 1933 la communauté de travail Femme et Démocratie, qui est la première organisation suisse d’une certaine importance à affronter, par son engagement public pour la démocratie et l’égalité des hommes et des femmes, les groupements fascistes après l’arrivée au pouvoir des nazis en Allemagne. Après la guerre, elle préside la commission d’étude pour les questions féminines de l’Onu et de l’Unesco.

René LEVY

SOMBERT, Claire (née Claire GOUGEON) [COURBEVOIE 1935 - LEVALLOIS-PERRET 2008]

Danseuse et réalisatrice française.

Attirée par la danse et physiquement prédisposée à cet art, Claire Sombert poursuit sa formation classique avec Yves Brieux, Victor Gsovsky, Mme Rousanne et Olga Preobrajenska. Sa curiosité pour les styles les plus variés, sa personnalité et l’ardeur qui la caractérisent l’incitent à éviter l’apprentissage patient du corps de ballet et à poursuivre de façon aléatoire une carrière de soliste indépendante. Après ses débuts en 1950 à Lausanne dans Le Passage de l’étoile de Janine Charrat*, elle entre dans sa compagnie. Gene Kelly la choisit pour tourner avec lui L’Invitation à la danse, lui ouvrant ainsi les portes d’Hollywood. Mais elle préfère créer Le Loup (1953) de Roland Petit avec les Ballets de Paris, tourner à la télévision belge La nuit est une sorcière de Pierre Lacotte, Sable (1956) de Jean Babilée – dont elle est la partenaire dans Balance à trois et Le Jeune homme et la mort –, Prométhée de Maurice Béjart avec les Ballets Milorad Miskovitch, L’Emprise de Dirk Sanders. Elle se révèle subtile comédienne dans Hamlet, La Dame de pique, Aubade de Serge Lifar dont elle est une fervente disciple. Poursuivant sa carrière internationale, elle aborde le répertoire en 1960 avec La Fille mal gardée (Lazzini), Cendrillon, Le Lac des cygnes. En 1967, son interprétation à Cuba de Giselle la fait inviter deux ans de suite en Russie au Bolchoï et au Kirov. Lyrique mais peu conventionnelle, malléable mais exigeante, elle passe du Ballet de Marseille au Ballet du Rhin, puis se consacre à l’enseignement. Inspectrice de la danse de la Ville de Paris (1980-1990), elle développe les champs d’activité des conservatoires. D’autre part, elle fonde avec Yvette Chauviré* l’association Terpsychore, produisant une série de films-témoignages destinés à préserver la mémoire de la danse.

Marie-Françoise CHRISTOUT

SOMERS, Armonía (Armonía Liropeya ETCHEPARE LOCINO, dite) [PANDO 1914 - MONTEVIDEO 1994]

Écrivaine uruguayenne.

Fille d’un anarchiste libre-penseur et d’une mère catholique, Armonía Etchepare Locino mêle la conscience sociale de son père au traditionalisme et à l’attitude protectrice de sa mère qui servent de cadres idéologiques et émotionnels à la future écrivaine. Après s’être consacrée à l’enseignement, qu’elle ne quittera définitivement qu’en 1971, elle apparaît dans le monde des lettres en 1950. C’est sous le pseudonyme d’Armonía Somers qu’elle publie son premier roman, La Femme nue (1950). Dès sa parution dans les pages de la revue culturelle uruguayenne Clima, il provoque les réactions scandalisées de la critique, qui attribue ce récit à un homme. La seconde édition du roman, en 1951, un tiré à part de la revue Clima, est épuisée rapidement : la Bibliothèque nationale a acheté tous les numéros pour les distribuer à l’étranger, contribuant ainsi à créer la légende de ce roman dont tout le monde parle et que très peu ont lu. Le livre est le récit, au style indirect libre, d’une femme qui, le jour de ses 30 ans, s’enfuit vers la campagne, où elle exécute l’homicide par décapitation de la femme qu’elle était à la ville, monde de la culture où le genre joue un rôle prédominant. La nouvelle femme, nue, s’embarque pour un voyage de reconnaissance de son être féminin. Des critiques violentes sont adressées à l’œuvre, en raison d’un langage symbolique jugé trop dense et d’une surenchère d’événements fantastiques. Pourtant, A. Somers reçoit, en 1953, le premier prix de narration du ministère de l’Instruction publique d’Uruguay pour un autre livre, El derrumbamiento (« l’effondrement »), recueil de quatre nouvelles dont le style et le sujet se rapprochent de son premier roman. En 1963, elle publie La calle del viento norte y otros cuentos (« la rue du vent du nord et autres nouvelles »), où elle atteint sa maturité et où son monde de fiction déconcertant se combine avec un récit fascinant. En 1965, paraît De miedo en miedo (« de peur en peur »), puis, en 1969, le roman Un retrato para Dickens (« un portrait pour Dickens »). Son œuvre maîtresse, Sólo los elefantes encuentran mandrágora (« seuls les éléphants rencontrent la mandragore »), qu’elle termine en 1975, n’est publiée qu’en 1986.

María Rosa OLIVERA-WILLIAMS

Mort par scorpion, nouvelles (Muerte por alacrán, 1979), Saint-Nazaire, Arcane 17, 1987 ; La Femme nue (La mujer desnuda, 1950), Saint-Nazaire, Arcane 17, 1993.

COSSE R., Armonía Somers, papeles críticos, cuarenta años de literatura, Montevideo, Linardi y Risso, 1990.

SOMERS, Wieki [SPRANG-CAPELLE, PAYS-BAS 1976]

Designer néerlandaise.

Les expérimentations de Wieki Somers sont remarquées dès ses études à la Design Academy d’Eindhoven. Elle a pour professeurs Hella Jongerius* et Gijs Bakker, et elle participe à des manifestations du collectif Droog Design. Avec Dylan Van den Berg, diplômé de la même école qu’elle, elle installe en 2000 le studio Wieki Somers à Rotterdam/Schiedam, où elle vit. Ses objets quotidiens sont porteurs de rêveries grâce à des explorations de matériaux et à leur mise en œuvre, dont elle extrait toujours la possibilité poétique. Le lampadaire Bellflower, développé avec l’université de technologie de Delft et la firme EuroCarbone, sous-traitant d’Airbus, est une lampe cloche à base de fibres de carbone conductrices connectées à une constellation de LED et tressées d’un seul tenant par un outil qui actionne 144 bobines en même temps. Fascinée par la céramique, elle ne craint pas l’étrangeté familière des formes. Le vase Blossoms bourgeonne, la théière High Tea Pot est issue d’un crâne de porc et pourvue d’un petit manteau en fourrure de ragondin. La Mattress Stone Bottle, en forme de grosse bouée, dont la surface matelassée a surgi d’une expérience menée à partir d’un ballon gonflé dans un filet de pêche, a été réalisée à l’European Ceramic Work Centre. À la suite d’un séjour en Chine, elle crée Chinese Tools - Made in China Copied by Dutch (2007), une collection d’objets issus du mobilier improvisé et bricolé au quotidien par les gens. En 2008, elle aménage le musée Boymans Van Beunigen, à Rotterdam, avec Bertjan Pot et Jurgen Bey. Elle enseigne régulièrement à la Design Academy d’Eindhoven dans le département Man and Living et participe à de multiples séminaires. Ses objets sont dans de nombreuses collections, comme celle du musée Boijmans Van Beuningen (Rotterdam), du Fonds national d’art contemporain (Paris), du MoMA (New York) et du Victoria & Albert Museum (Londres). Plusieurs expositions lui sont consacrées, dont Thinking Hands, Speaking Things au musée d’Art moderne de Hertogenbosc, à la galerie Kréo, à Paris, et à la galerie Vivid, à Rotterdam. Elle a obtenu le prix européen de la Céramique en 2006 et le Dutch Design Awards en 2008.

Jeanne QUÉHEILLARD

DIXON T. et al., & Fork, Paris, Phaidon Press, 2007 ; GARTH C. et al., Deliciously Decadent, Rotterdam, 010 Publishers, 2004 ; KLANTEN R. et al., Fragiles, Berlin, Die Gestalten Verlag, 2008 ; WANDERS M. (dir.), The International Design Yearboook 2005, Londres, Laurence King Publishing, 2005.

SOMERVILLE, Mary (née FAIRFAX) [JEDBURGH 1780 - NAPLES 1872]

Astronome et mathématicienne britannique.

Cinquième d’une fratrie de sept enfants, Mary Somerville est envoyée en pension à l’âge de 10 ans, car elle sait à peine lire et écrire. Elle apprend d’elle-même le latin, le grec, et étudie le français. Son premier contact avec les sciences s’effectue grâce au Ladies’ Monthly Magazine, dans lequel elle lit un problème d’arithmétique. Son professeur de dessin lui explique alors que l’algèbre et Euclide permettent de mieux comprendre les règles de perspective en peinture et sont essentiels à la compréhension de l’astronomie et de la mécanique. Ce prétexte lui permet d’étudier l’algèbre, jusqu’à ce que son père le lui interdise. Elle continue alors ses études en secret. Son premier mariage, avec Samuel Grieg, n’est pas très heureux. Capitaine de la marine russe, il ne s’intéresse pas aux sciences et l’empêche de poursuivre son apprentissage. Mais il meurt rapidement et elle retourne vivre en Écosse avec deux petits garçons. Elle devient un personnage populaire dans les salons intellectuels d’Édimbourg et rencontre de nombreuses célébrités tels l’écrivain Walter Scott ou le mathématicien William Wallace, qui accepte de devenir son tuteur. À cette époque, elle lit les Principia de Newton. Elle se remarie avec son cousin germain, William Somerville, avec lequel elle a quatre enfants. Médecin, membre de la Royal Society, il approuve les études de sa femme. Comme il connaît les principaux scientifiques londoniens, elle rencontre John Herschel, Thomas Young, Charles Babbage. À partir de 1817, elle voyage en Europe et plus particulièrement en France où elle rencontre Georges Cuvier, le marquis Pierre-Simon de Laplace et bien d’autres. En 1827, Lord Henry Brougham la persuade de rédiger une traduction de la Mécanique céleste de Laplace. Le travail lui prend quatre ans, car non seulement elle traduit le livre, mais elle explique la méthode et fournit des schémas. Le livre a un succès immédiat et sert de manuel d’enseignement pendant près d’un siècle. Elle publie ensuite On the Connexion of Physical Sciences, en 1834, qui connaît également un grand succès. Avec Carolyn Herschel*, elle est l’une des deux premières femmes membres honoraires de la Société royale d’astronomie de Londres. En 1848, son livre Physical Geography est le premier livre en anglais sur cette question. Il est utilisé durant cinquante ans dans les écoles et universités, et lui vaut la médaille d’or de la Société royale de géographie.

À partir de 1838, séjournant souvent en Italie, elle devient membre de plusieurs sociétés scientifiques italiennes. Son dernier livre, Science moléculaire et microscopique, récapitulant les découvertes les plus récentes en chimie et en physique, est publié en 1869. La même année, elle termine son autobiographie, dont des extraits seront publiés par sa fille Martha, après sa mort. M. Somerville fut sacrée reine des sciences du XIXe siècle et reçut une reconnaissance étonnante (y compris financière) pour une femme scientifique de son temps. Sa modestie et son effacement en sont peut-être la raison, puisque à aucun moment elle ne prétendit concurrencer ses collègues masculins. Elle continua à penser que le génie scientifique était inaccessible aux femmes. Pourtant, elle possédait une grande compréhension des travaux de son époque et un bon esprit de synthèse.

Isabelle COLLET et Florence DURRET

SOMERVILLE M. F., SOMERVILLE M. C., Personnal Recollections from Early Life to Old Age, With Selection of Her Correspondence, Boston, Roberts Brothers, 1874 ; CHAPMAN A., Mary Somerville and the World of Science, Bristol, Canopus Publishing, 2004.

TERMAAT B., « Mary Fairfax Grieg Somerville », in MORROW C., PERL T. (dir.), Notable Women in mathematics, A biographical Dictionary, Greenwood Press, 1998.

SOMERVILLE AND ROSS : [CORFOU 1858 - CORK 1949]

et

MARTIN, Ross (née MARTIN Violet) [ROSS HOUSE 1862 - DRISHANE 1915]

Romancières irlandaises.

Edith Somerville, née dans une famille anglo-irlandaise, commence une carrière artistique en tant qu’illustratrice pour des magazines. En 1886, elle se lie d’amitié avec une de ses cousines, Violet Martin, qui devient sa compagne et avec qui elle forme un tandem littéraire sous le nom de Somerville and Ross, Violet prenant elle-même le pseudonyme de Martin Ross. Leur premier roman, An Irish Cousin, est publié en 1889, et à la mort de V. Martin, en 1915, le duo a publié 14 romans, dont les plus connus sont The Real Charlotte (« la véritable Charlotte », 1894), considéré par certains critiques comme le meilleur roman irlandais du XIXe siècle, et Some Experiences of an Irish RM (« la vie tumultueuse d’un Résident magistrat irlandais », 1899), recueil de nouvelles comiques prenant souvent comme thème ou décor la chasse, dont les deux femmes étaient très férues. E. Somerville continue d’écrire, toujours sous le nom de « Somerville and Ross ». Amatrice d’occultisme, elle était persuadée d’être toujours en contact avec sa cousine défunte. Elle rencontre à nouveau le succès avec Irish Memories et, surtout, The Big House at Inver (1925), considéré comme un modèle du genre que l’on désigne sous le nom de « romans de la Big House », c’est-à-dire situés dans le milieu des propriétaires terriens anglo-irlandais et protestants.

Sylvie MIKOWSKI

CRONIN J., Somerville and Ross, Lewisburg, Bucknell University Press, 1972.

SOMMELIÈRES [XXe-XXIe siècle]

Dans l’univers encore très masculin de la sommellerie, les femmes peinent à se faire une place. Au sein des compétitions nationales et internationales, rares sont celles qui ont réussi à se hisser en haut des palmarès. Myriam Broggi-Praz* décroche le trophée Ruinart du meilleur sommelier de Suisse en 1987, et, en 1994, elle est troisième Meilleur Sommelier d’Europe. Ensuite, il faut attendre près de quinze ans pour voir à nouveau des femmes s’afficher dans le monde de la sommellerie. En Norvège, Merete Bo remporte deux années de suite, en 2008 et 2009, le titre de Meilleur Sommelier de Norvège. Elle est également la première femme à se placer dans le top 10 européen en 2008. Julia Gosea est également la première femme à réussir à se placer deuxième Meilleur Sommelier de Roumanie. En France, Pascaline Lepeltier est la seule femme à s’être hissée parmi les quatre meilleurs sommeliers en 2011 ; elle arrive neuvième en 2012. Sur le continent américain, les femmes sont un peu plus nombreuses à se distinguer dans ce domaine. La première à avoir remporté un titre national est Flavia Rizzuto, consacrée Meilleur Sommelier d’Argentine en 2002. Véronique Rivest* devient en 2006 la première femme reconnue Meilleur Sommelier tant au Canada qu’au Québec. Elle remporte encore le titre national en 2012. Sa compatriote, Élyse Lambert* devient quant à elle Meilleur Sommelier des Amériques en 2009, après avoir remporté le titre de Meilleur Sommelier du Québec en 2004. Les Québécoises se distinguent car, en 2004, ce sont trois femmes qui arrivent en tête du classement provincial. Le Canada est également le premier pays à avoir consacré au niveau national plus de femmes que d’hommes dans le monde de la sommellerie : en 2006, quatre finalistes sur six étaient des femmes ; en 2012, elles étaient deux sur trois. Le concours 2010 du meilleur sommelier du monde marque un tournant pour les femmes : pour la première fois, elles sont quatre à arriver en demi-finale, dont É. Lambert et V. Rivest ; J. Gosea se classe également et devient la première candidate de l’Europe de l’Est à aller aussi loin dans la compétition mondiale. Quant à la quatrième femme à avoir été sélectionnée, il s’agit de la Norvégienne M. Bo.

Gwenaëlle REYT

SOMMER, Anna [AARAU 1968]

Auteure de bandes dessinées suisse.

Anna Sommer collabore depuis son lancement au magazine musical suisse francophone Vibrations, ainsi qu’à Strapazin et Anabelle. Elle expérimente différents procédés graphiques, du papier découpé au dessin cousu et de l’encre de Chine à la gravure sur zinc en passant par la création de poupées. Le recueil Baies des bois (2002) présente un large panorama de ses réalisations, tandis que ses gravures sont accessibles dans Amourettes (2002). Tout peut arriver, une série d’histoires courtes parues précédemment dans la revue L’Imbécile de Paris, est publiée 2008. Comme déjà dans Remue-ménage (1996), récompensé par le Prix humour au Festival de la bande dessinée de Sierre en 1997. Il ne se passe pas grand-chose dans Tout peut arriver : l’intérêt tient au sens du détail et à la manière de raconter ces 22 épisodes de la vie de l’auteure, parfois infimes, sur un ton impitoyable et humoristique. En 2006, la ville de Zurich, où elle réside, a décerné à A. Sommer le prix Werkjahr de la bande dessinée.

Camilla PATRUNO

SOMOGYI, Éva [BUDAPEST 1937]

Historienne hongroise.

Après des études d’histoire à l’université Loránd-Eötvös de Budapest, dont elle est diplômée en 1961, Éva Somogyi travaille à l’institut d’histoire de l’Académie hongroise des sciences, d’abord en tant que chercheuse, puis comme directrice de recherche (depuis 1994). Elle y dirige la section d’histoire moderne de 1988 à 2007. Elle obtient le grade intermédiaire de l’Académie des sciences en 1974 avec un travail traduit en allemand en 1983 sous le titre Vom Zentralismus zum Dualismus, Der Weg der deutschösterreichischen Liberalen zum Ausgleich von 1867 (« du centralisme au dualisme, le chemin des libéraux austro-allemands vers le compromis de 1867 »). Elle reçoit le prestigieux doctorat en 1993, grâce à son étude A kormányzati rendszer a dualista Habsburg Monarchiában, A közös minisztertanács 1867–1906 (« le système gouvernemental dans la monarchie dualiste Habsbourg, le ministère commun, 1867-1906 »), qui sera publiée trois ans plus tard. Les travaux d’É. Somogyi portent principalement sur l’histoire politique de la monarchie austro-hongroise, sur le choix du dualisme et son fonctionnement. La traduction allemande de son travail l’a fait connaître en Autriche et au-delà. (Elle publie en anglais, en 2001, The Common Government, 1867-1914 : The Common Ministries and Their Policies). Elle se consacre également à l’édition de sources : elle est l’une des éditrices des procès-verbaux du ministère commun de la monarchie austro-hongroise, en trois volumes qui correspondent aux périodes 1896-1907, 1867-1870 et 1870-1871, et qui sont parus respectivement en 1991, 1999 et 2012. Ses recherches récentes portent sur l’élite des fonctionnaires hongrois travaillant dans les bureaux communs de Vienne. Primée en 1985 (prix Anton-Gindely), elle a reçu en 1992 le prix György-Ranki pour l’ensemble de ses recherches sur l’histoire de la monarchie austro-hongroise.

Szabina BOGNÁR

BOGNÁR S., « Somogyi Éva », in BALOGH M., PALASIK M. (dir.), Nők a magyar tudományban, Budapest, Napvilág Kiadó, 2010 ; RESS I., SZABÓ D. (dir.), A Lajtán innen és túl, elektronikus ünnepi tanulmányok Somogyi Éva 70. születésnapjára/Jenseits und diesseits der Leitha, elektronische Festschrift für Éva Somogyi zum 70. Geburtstag, Budapest, MTA Történettud. Int., 2007.

SONGE-MØLLER, Vigdis [STAVANGER 1949]

Philosophe féministe norvégienne.

Après un doctorat sur Parménide publié en 1980, Vigdis Songe-Møller poursuit ses recherches à l’École des hautes études en sciences sociales, à Paris (1984-1985), devient full professor en 1998 et exerce les fonctions de directrice du département et de doyenne de la faculté des sciences humaines à l’université de Bergen. Elle développe une intense activité de conférences et de séminaires en Norvège et à travers le monde. Son livre Philosophy without Women : The Birth of Sexism in Western Thought (1990) a été particulièrement remarqué. Ses recherches sont plus récemment liées au projet scandinave Birth, Death, and Feminity, auquel elle coopère avec les universitaires Sara Heinämaa, Robin May Schott et Sigridur Thorgeirsdottir. V. Songe-Møller a l’art de porter ses raisonnements sur la philosophie de la Grèce ancienne jusqu’aux conséquences pour la modernité philosophique et, inversement, de relire les textes les plus anciens à travers les problématisations d’aujourd’hui. Elle dirige actuellement le projet international Poetry and Philosophy, Poetical and Argumentative Elements in Plato´s Philosophy. Une de ses plus importantes contributions à la philosophie contemporaine est son analyse des deux façons différentes d’entendre la relation entre les sexes dans la pensée grecque ancienne. La tradition platonicienne, de Parménide à Aristote en passant par Platon, est caractérisée par un raisonnement hiérarchisant que régissent les normes de l’unité, de l’harmonie et de la sui-suffisance. Cette tradition ne réserve aucune place à la différence sexuelle ni à la reproduction sexuée. La tradition qu’on peut appeler « tragique », en revanche, laquelle inclut des penseurs tels qu’Anaximandre, Héraclite et Empédocle, conçoit l’être comme étant constitué de deux éléments opposés qui forment non pas une hiérarchie, mais un antagonisme. Même si la misogynie est avérée dans les deux formes, la tradition « tragique » laisse néanmoins une marge qui permet de penser la différence sexuelle, ce que la démarche platonico-aristotélicienne exclut. Son étude « Antigone and the Deadly Desire for Sameness » (« Antigone et le désir mortel du même », 2010) fait apparaître que le deuil d’Antigone comme son suicide expriment un rejet radical du tout Autre. C’est la dynamique de l’inceste qui voue Antigone au tombeau ; c’est cette même dynamique qui est à l’œuvre dans la polis athénienne fondée sur l’exclusion radicale de « l’autre », l’esclave, la femme et le non-Athénien. En même temps qu’elle est poussée par cette dynamique, Antigone refuse d’en être complice et d’entériner l’imaginaire masculin de la polis. Outre ses travaux sur la pensée grecque de la différence sexuelle, V. Songe-Møller aborde le problème de la métamorphose et le paradoxe du changement découvert pour la première fois par Parménide. De même que la métamorphose présuppose à la fois continuité et changement, le changement présuppose à la fois « mêmeté » (sameness) et métamorphose. Si ce paradoxe est d’une importance centrale dans la philosophie de la Grèce ancienne, il l’est également pour le premier christianisme. La prédication de Paul sur la résurrection des morts met l’accent sur le mystère du changement radical du corps, de l’être corruptible et mortel à l’être incorruptible et immortel.

Robin May SCHOTT

« Antigone and the Deadly Desire for Sameness : Reflections on Origins and Death », in SCHOTT R. M., HEINÄMAA S., SONGE-MØLLER V. (dir.), Birth, Death, and Feminity : Philosophies of Embodiment, Bloomington, Indiana University Press, 2010.

SONG MEILING [SHANGHAI 1897 - NEW YORK 2003]

Femme politique chinoise.

Épouse, conseillère et ambassadrice de Tchang Kaï-chek, Song Meiling est la plus connue des trois sœurs Song, dont les Chinois disent volontiers : « L’une aimait l’argent, l’autre aimait le pouvoir, la dernière aimait la Chine », en référence à Song Ailing, l’aînée, mariée à un banquier, Song Meiling, mariée à Tchang Kaï-chek, et la cadette Song Qingling*, épouse de Sun Yat-sen. Meiling fait, comme sa sœur, ses études aux États-Unis. En 1922, une première demande en mariage de Tchang Kaï-chek est refusée. Cinq ans après la première demande, l’alliance est nouée. Qingling est réticente, car elle soupçonne le généralissime de convoiter Meiling pour profiter de l’entregent et de la richesse de la famille ; Ailing y est au contraire favorable car elle voit en lui le futur homme fort de la Chine. En s’unissant au leader du Guomindang, Meiling s’engage personnellement dans l’histoire mouvementée de la Chine de la première moitié du XXe siècle, déchirée par la lutte entre les nationalistes et les communistes. Elle crée le Mouvement de la vie nouvelle – basé sur le confucianisme – pour moderniser la Chine, en passant par la discipline sociale et la courtoisie. Elle lance des campagnes d’hygiène publique et combat les superstitions. Elle fait très vite preuve d’une grande intelligence politique. Elle joue un rôle primordial lors de l’« Incident de Xi’an » en 1936 : Tchang Kaï-chek est pris en otage par deux généraux du Guomindang qui veulent le forcer à se battre contre l’invasion japonaise, alors qu’un groupe rival, projaponais au sein du Guomindang, s’apprête à le tuer pour créer leur propre gouvernement. Faisant preuve d’un grand courage, Meiling se rend à Xi’an pour négocier la paix au sein du parti nationaliste. Son influence est ainsi décisive dans la création d’un front commun antijaponais. En 1943, le discours enflammé qu’elle fait devant le Congrès américain, plaidant pour un renforcement de l’aide contre le Japon, fait forte impression. Elle est l’ambassadeur le plus efficace du gouvernement nationaliste auprès du bailleur de fonds américain, désamorçant les réticences de plus en plus grandes devant la corruption et l’incurie du gouvernement de son mari. Charismatique, parlant couramment l’anglais, et chrétienne, Mme Tchang convainc les cénacles américains. Elle rompt avec les clichés habituels de la femme chinoise soumise et silencieuse. Elle parvient à obtenir des fonds et des armes, notamment des avions de combat. Elle commande un temps elle-même les forces aériennes chinoises, qu’elle étoffe d’une force de pilotes mercenaires, les « Tigres volants ». Pour de nombreux Américains, elle apparaît comme le symbole de la Chine moderne, éduquée et souriante, et surtout proaméricaine, qu’ils souhaitent voir émerger. Mais de nombreux Chinois perçoivent Meiling comme le symbole de la Chine autocratique et corrompue du Guomindang. De fait, après la reddition du Japon, la guerre civile reprend de plus belle entre nationalistes et communistes. Malgré le matériel fourni par les Américains, Tchang Kaï-chek perd bataille après bataille contre l’armée de paysans de Mao Zedong. En 1948, Meiling fait un dernier voyage à Washington pour plaider une ultime aide d’urgence contre les communistes. L’indifférence affichée de Truman la déçoit. Le 1er octobre 1949, Mao Zedong proclame la fondation de la République populaire de Chine depuis la place Tian’anmen. Meiling reste avec sa sœur Ailing à New York jusqu’à la retraite de Tchang Kaï-chek sur l’île de Taïwan, où le Guomindang crée un nouveau gouvernement. Opposée à l’indépendance de Taïwan, elle utilise tout son pouvoir pour convaincre le gouvernement américain de restaurer l’unité de la Chine et le pouvoir de son mari. Après le décès du généralissime en 1975, elle s’installe à New York, où elle vit jusqu’à la fin de ses jours.

Anne LOUSSOUARN

HAHN E., The Soong Sisters (1941), Westport (Connecticut), Greenwood, 1970 ; LD., Song Meiling and Taiwan, Hong Kong, Wide Angle, 1988 ; SEAGRAVE S., The Soong Dynasty, New York, Harper & Row, 1985.

SONG QINGLING [SHANGHAI 1893 - PÉKIN 1981]

Femme politique chinoise.

Song Qingling est la deuxième des trois sœurs Song, chacune d’elles ayant été mêlée à l’histoire chinoise du XXe siècle. Le destin de Qingling est aussi lié à celui de Sun Yat-sen, leader révolutionnaire aujourd’hui considéré comme le « père de la Chine moderne », fondateur de la philosophie politique connue sous le nom des « trois principes du peuple » (nationalisme, démocratie et bien-être). Song Qingling est étudiante aux États-Unis quand des soldats se mutinent à Wuhan, lançant le signal de la révolution de 1911. Puyi, le dernier empereur chinois, est renversé : c’est la fin d’un système vieux de deux millénaires. Sun Yat-sen est nommé président provisoire de la République de Chine. Quand Qingling rentre en Chine en 1913, Sun Yat-sen et les révolutionnaires sont en position de faiblesse. Élu président de la nouvelle république, Yuan Shikai a établi une dictature : il cherche à se faire proclamer empereur et massacre les républicains. La famille Song se réfugie au Japon à la suite de Sun Yat-sen. Qingling partage les idéaux du père de la nation chinoise et devient sa secrétaire. C’est le début de leur idylle. Mais l’idée d’une union entre le révolutionnaire déjà marié et père de trois enfants adultes et la jeune femme de vingt-six ans sa cadette rencontre l’opposition des parents. Ramenée à Shanghai et assignée à résidence par sa famille, elle s’évade et rejoint Sun au Japon où elle l’épouse en 1915. C’est une période trouble, après la mort de Yuan Shikai, la Chine est dévastée par les seigneurs de la guerre. Qingling, en créant des écoles et des associations pour les femmes, les encourage à participer au changement. Quand Sun Yat-sen meurt en 1925, son parti nationaliste, le Guomindang, se divise très vite. La guerre de faction fait rage et Tchang Kaï-chek persécute les sympathisants de l’aile gauche du parti que Qingling considère comme les plus fidèles à la pensée de son mari. En tant que veuve de Sun Yat-sen, elle peut s’exprimer contre le gouvernement national de Tchang. Choquée par l’entente du parti de Tchang Kaï-chek avec une triade shanghaienne, la Bande verte, elle s’oppose clairement au mariage du leader nationaliste et de sa sœur Meiling* et annonce sa rupture officielle avec le Guomindang. Elle décide de chercher refuge à Moscou en 1927, puis à Berlin. Elle reste quatre années en exil. Femme de conviction, elle rompt également avec son frère Song Tzu Wen, à qui elle reproche son soutien à ce qu’elle considère comme un régime corrompu. À son retour, pour sauver les révolutionnaires, elle met en place la « Ligue pour garantir les droits civils en Chine ». En 1936, la lutte antijaponaise réunit de nouveau les trois sœurs, qui participent à des activités pour promouvoir la résistance. Bientôt, Song Qingling fonde la Ligue de défense chinoise, un mouvement destiné à la protection des futures mères et de la petite enfance. Elle organise une collecte de fonds et de matériel médical pour soutenir la résistance du peuple chinois contre le Japon. Dans la guerre civile qui se dessine, son hostilité à Tchang Kaï-chek reparaît clairement. En 1949, elle est la seule de sa famille à rester en Chine après la fondation par Mao Zedong de la République populaire de Chine. Elle est invitée à se joindre au gouvernement en tant que non-communiste et est élue au titre honorifique de vice-présidente du gouvernement populaire central. Elle devient aussi présidente de l’Association des amitiés sino-soviétiques et présidente honoraire de l’Association des femmes. Elle se consacre à de nombreuses activités de bienfaisance au service des femmes et des orphelins. En 1951 elle reçoit le prix Staline de la paix et le Prix international de la paix. À la fin de la Révolution culturelle, elle exprime dans une lettre au Comité central son mécontentement de ce qu’est devenue la Chine. Le 16 mai 1981, deux semaines avant sa mort, elle est inscrite au parti communiste et nommée présidente honoraire de la République populaire de Chine. Song Qingling reste l’une des femmes les plus respectées de Chine.

Anne LOUSSOUARN

SONG RUOSHEN [M. EN 820]

,

SONG RUOZHAO [M. EN 825]

et

SONG RUOXIAN [M. EN 835]

Femmes de lettres et éducatrices chinoises.

Issues d’une famille confucianiste de la province du Henan, les filles de la maison Song témoignent d’une connaissance parfaite de la doctrine confucéenne et sont de talentueuses poétesses. Song Ruoshen et Song Ruozhao, les deux aînées, se consacrent au travail intellectuel, souhaitant honorer leur nom par leurs propres efforts. En 788, munies d’une recommandation du gouverneur local Li Baozhen et accompagnées de leur jeune sœur, elles sont reçues à la cour par l’empereur Tang Dezong qui, impressionné par leur érudition, au lieu de faire d’elles ses concubines, leur confère le titre de xueshi xiansheng (« maître des lettrés »). De 791 à 835, elles sont nommées, l’une après l’autre, shang gong (fonctionnaire chargé de la gestion des archives impériales). Song Ruozhao est aussi chargée d’éduquer princes, princesses et concubines. Song Ruoshen et Song Ruoxian reçoivent, après leur décès, un titre d’honneur accordé par Tang Muzong et Tang Jingzong, alors que leur sœur, victime d’une médisance, est condamnée à mort par Tang Wenzong. Les sœurs Song sont connues pour la rédaction de Nü lunyü (« entretiens avec les femmes »), un livre pédagogique destiné aux femmes, rédigé entre 785 et 805. L’aînée invente un dialogue entre une éducatrice confucéenne et ses disciples, en empruntant les formules et le style de Confucius ; la cadette décompose ensuite l’ouvrage en vers de quatre pieds, facilitant ainsi la lecture du règlement ; seule cette version rimée nous est parvenue. Méconnu avant que Wang Xiang, confucéen de la dynastie Ming, ne l’intègre dans son ouvrage Nü si shu (« les quatre livres des femmes », 1624), Nü lunyü devient un des livres indispensables à l’éducation des jeunes filles. Les sœurs Song n’ont, paradoxalement, jamais appliqué leur propre doctrine. En réalité, elles s’identifiaient aux hommes et aspiraient à un rang social dans une société maritale et patriarcale. En dictant des contraintes à leurs égales, elles sont devenues à la fois les porte-parole et les victimes du règne masculin.

CHEN MI

DENG X., Tang Song nüxing yu shehui, Shanghai, Cishu chubanshe, 2003 ; TAN Z., Zhongguo wenxuejia dacidian (1934), Zhou Z. (dir.), Pékin, Zhonghua shuju, 1998.

SONTAG, Susan [NEW YORK 1933 - ID. 2004]

Essayiste et romancière américaine.

Enfant précoce, Susan Sontag grandit dans l’Ouest américain et entame à 15 ans un cursus d’études de philosophie, d’études romanes, de littérature et de théologie dans différentes universités américaines et européennes, dont Harvard. Elle enseigne la théologie à Columbia de 1960 à 1964, avant de se consacrer totalement à l’écriture. Après ses deux premiers romans, Le Bienfaiteur (1963) et Derniers recours (1967), paraissent deux romans historiques : L’Amant du volcan (1992) et En Amérique (1999) qui raconte l’histoire d’un groupe d’immigrés polonais venu fonder une communauté utopique en Californie à la fin du XIXe siècle, récit primé par le National Book Award et porté à l’écran en 2004. Elle publie également deux recueils de nouvelles : Moi, etc. (1978) et The Way We Live Now (« la façon dont nous vivons aujourd’hui », 1990), dont le titre fait référence à un célèbre récit paru le 24 novembre 1986 dans le New Yorker, qui reprend les dialogues d’un groupe d’amis rassemblés autour d’un homme souffrant du sida, au moment où la maladie commence à faire des ravages dans la communauté intellectuelle new-yorkaise. Ce rapport analytique à son époque, qui deviendra vite un engagement, caractérise l’œuvre de l’essayiste et assurera sa renommée. Elle rencontre son premier succès en 1964 avec une étude de mœurs, Notes on « Camp », où elle décrit, dans un esprit proche de celui des Mythologies de Roland Barthes, le concept « camp » qui désigne une attitude d’esthète attachée au kitsch et à l’artifice. Dans le recueil L’œuvre parle (1966), elle affirme la nécessité d’une critique qui s’accomplirait comme une érotique de l’art plutôt que comme une herméneutique. Quatre recueils publiés de1969 à 2007 reprennent l’essentiel des articles qu’elle fait paraître entre 1963 et 2004 dans des journaux comme le New Yorker ou le New York Review of Books. Pour l’auteure, l’esthétique, l’éthique et l’engagement politique sont indissociables : érudite, elle s’interroge aussi bien sur les arts (elle partage d’ailleurs les quinze dernières années de sa vie avec la photographe Annie Leibovitz*), que sur les troubles de l’actualité internationale, vis-à-vis desquels elle n’hésite pas à prendre des positions tranchées qui feront souvent polémique dans son pays et lui vaudront parfois le surnom de Dame noire des lettres américaines. Elle se rend à Hanoi en 1968, en pleine guerre du Vietnam, pour y décrire avec une grande sensibilité un peuple méconnu de ses assaillants (Voyage à Hanoi, 1968) ; elle prend résidence à Sarajevo durant le siège duquel elle monte En attendant Godot. Le 11 septembre 2001, elle écrit un long article pour le New Yorker, réagissant contre la volonté des médias américains de faire passer les kamikazes qui se sont écrasés sur le World Trade Center pour des lâches, arguant, malgré la douleur du peuple américain, du courage nécessaire aux martyrs. Dès 1966, elle avait dénoncé la volonté de domination occidentale, menée par les États-Unis, en démontrant dans son essai What’s Happening in America (« ce qui arrive en Amérique ») que « la race blanche est le cancer de l’histoire de l’humanité ». Dans son célèbre recueil d’essais Sur la photographie (1977), où la théorie esthétique rejoint aussi l’éthique, elle réfléchit sur les conséquences de l’omniprésence des images photographiques sur un rapport au monde qu’elle décrit comme « anesthésié ». La photographie s’y révèle moins un instrument de connaissance, de révélation, qu’elle ne devient le médium d’une observation froide et distanciée, paradoxe terrible lorsqu’il s’agit d’images de guerre. C’est une distance finalement similaire qu’elle dénonce dans La Maladie comme métaphore (1978) puis dans Le Sida et ses métaphores (1988), où elle analyse dans la littérature du XIXe et du XXe siècle la rhétorique moraliste qui a fait de la tuberculose, du cancer, puis du sida, l’objet de fantasmes idéologiques conduisant à la culpabilisation des malades. Enfin, Devant la douleur des autres (2003) montre qu’au travers de notre usage courant d’images représentant la souffrance, des tableaux de Goya aux photos des camps de concentration ou à la prison irakienne d’Abou Ghraib, la douleur humaine s’est constituée au travers de cette iconographie en un spectacle qui fascine les consciences occidentales et qui se révèle inapte, sans mot, sans commentaire, à éveiller les réactions que la morale exige. S. Sontag est ainsi l’auteure d’une œuvre de vigilance érudite et sans trêve.

Anne-Cécile GUILBARD

Œuvres complètes, Paris, C. Bourgois ; avec POAGUE L., Conversations With Susan Sontag, Jackson, University Press of Mississipi, 1995.

RIEFF D., Mort d’une inconsolée, les derniers jours de Susan Sontag (Swimming in a Sea of Death, 2008), Paris, Climats, 2008 ; SAYRES S., Susan Sontag : The Elegiac Modernist, New York, Routledge, 1990.

SOPHIE DE HOLSZANY VOIR HEDWIGE IRE DE POLOGNE

SOPHIE-ÉLISABETH (duchesse de BRUNSWICK-LUNEBOURG) [GÜSTROW 1613 - HITZACKER, ELBE 1676]

Compositrice et femme de lettres allemande.

Fille particulièrement douée pour les arts du duc Jean-Albert de Mecklembourg-Güstrow, Sophie-Élisabeth est élevée dans les idéaux calvinistes par ses belles-mères Élisabeth de Hesse-Cassel et Éléonore-Marie d’Anhalt-Bernbourg. Très lettrée, multilingue, elle est également joueuse de luth. Membre de diverses sociétés culturelles (dont l’académie des Loyales en 1629 et l’Académie frugifère), elle entretient de vifs échanges intellectuels. En 1635, elle épouse le duc luthérien Auguste II de Brunswick-Wolfenbüttel (Auguste le Jeune). Avec le concours de Heinrich Schütz, elle façonne durablement la cour de son mari par les impulsions culturelles qu’elle y apporte. Ses propres compositions comprennent quelques singspiels (par exemple le Glückwünschende Freüdensdarstellung, « manifestation congratulatoire de joie », 1652), créés lors de fêtes de la cour, de nombreux lieder ainsi que des mises en musique de la poésie spirituelle de son beau-fils Antoine-Ulric. Son œuvre littéraire contient un large éventail de genres contemporains, parmi lesquels nombre de travaux ad hoc, mais également un roman divertissant s’inspirant de l’Astrée d’Honoré d’Urfé (Die histori der Dorinde, « l’histoire de Dorinde », 1641-1656). Veuve, elle s’emploie, à Hitzacker, à des œuvres caritatives ainsi qu’à la musique et la poésie, dans laquelle elle privilégie les thèmes religieux. Elle est la seule princesse compositrice germanophone avant 1800 à être largement reconnue.

Anett LÜTTEKEN

GECK K. W., « Sophie-Elisabeth », in Die Musik in Geschichte und Gegenwart, Personenteil 15, Kassel, Bärenreiter, 2006 ; HENKEL G., « Sophie-Elisabeth », in Braunschweigisches Biographisches Lexikon, Brunswick, Appelhans, 2006.

SOPOČINA PESIKOVA, Agrafena SEMËNOVNA [1951]

Linguiste et militante culturelle khanty russe.

Fondatrice de la communauté khanto du rajon de Surgut, Agrafena Sopočina Pesikova a fait ses études à l’institut pédagogique de Khanty-Mansijsk (1971) et à l’institut Herzen de Leningrad (1977). Elle devient institutrice, puis éducatrice dans une maison de l’enfance. À partir de 1994, elle est collaboratrice de l’Institut scientifique de recherche ougristique, directrice de la filiale de Surgut du fonds d’archives du folklore des peuples du Nord du district autonome des Khanty-Mansi. Parallèlement, A. Sopočina Pesikova, qui écrit en russe et en khanty, est l’auteure d’un dictionnaire illustré et de manuels de khanty (dialecte de Surgut), de divers travaux à caractère ethnographique et sociopolitique. En tant que responsable de la section de rajon de l’association Spasenie Jugry, elle a consigné et étudié – à travers des correspondances, des lettres ouvertes à la presse locale ou au Soviet suprême – la résistance des Khanty de Surgut à l’expansion industrielle visant à exploiter des gisements pétroliers, tel celui de Tjansk qui menace l’un de leurs sites sacrés (1990-1992). La protestation des Khanty a sonné la fin temporaire des travaux et le début d’une prise de conscience générale. Mais les autorités se retranchent le plus souvent derrière la loi qui stipule que le sous-sol appartient à l’État et non aux autochtones, pour autoriser officiellement les incursions de l’industrie sur les territoires ancestraux des lignées. A. Sopočina Pesikova s’engage dans nombre de projets ethno-pédagogiques. Ainsi, la Rencontre des lignées khanty (6-20 juin 2004) qui réunit des enfants des districts Khanty-Mansi et Iamalo-Nenets dans le but de raviver d’anciens liens distendus par la création, au début des années 1930, de ces deux entités administratives qui permettaient de diviser pour mieux « régner ». Sur fond de programmes impossibles à réaliser ou à financer, d’institutions locales qui s’accusent mutuellement d’ignorer les lois ou d’adopter des textes contraires aux lois fédérales – ouvrant ainsi un vide juridique dans lequel s’engouffrent les compagnies pétrolières –, une poignée d’acteurs culturels, des femmes notamment, explorent aujourd’hui toutes les voies possibles de création.

Dominique SAMSON NORMAND DE CHAMBOURG

Vzgljad iznutri kul’tury, Khanty-Mansijsk, Poligrafist, 2006.

SORABI, Habiba [MAZAR-E CHARIF 1956]

Femme politique et militante féministe afghane.

D’ethnie hazara, Habiba Sorabi décide très jeune de militer pour la condition féminine en Afghanistan. En 1970, elle intègre le lycée Aisha-Dourrani à Kaboul puis, en 1979, la faculté de médecine. Après avoir obtenu une bourse, elle termine ses études d’hématologie en Inde et enseigne ensuite à la faculté de Kaboul. En 1996, après que les talibans se sont emparés du pouvoir, elle se réfugie avec ses enfants au Pakistan, à Peshawar. Elle se consacre alors clandestinement aux questions de santé et d’éducation des filles – tant au Pakistan qu’en Afghanistan – et devient vice-présidente de l’Association humanitaire pour les femmes et les enfants afghans en 1998. En 2002, Hamid Karzaï la nomme ministre de la Condition féminine. Puis, en 2005, elle est nommée gouverneur de Bamyan. H. Sorabi est la première femme à accéder à cette responsabilité. Elle la souhaitait car Bamyan « est la région la plus reculée, oubliée », mais aussi parce que 47 % des femmes de cette région ont voté lors de l’élection présidentielle. Le 21 février 2005, elle doit faire face à une manifestation contre sa venue, mais réussit cependant à se concilier quelques opposants extrémistes. Soucieuse de l’environnement, elle crée le Parc national de Band-e Amir, à Bamyan. À ce titre le Time Magazine l’inclut dans sa liste des « Héros de l’environnement » en 2008. Elle cherche également à développer le tourisme, source importante de revenus. Malgré une absence notoire de moyens et l’hostilité de certains, H. Sorabi bénéficie du respect de la majorité de la population, s’attache à améliorer le sort des plus déshérités et représente un espoir contre l’illettrisme.

Claude SADOZAI et Homayun SADOZAI

« Habiba Sorabi, première Afghane nommée gouverneur », in Le Monde, 4-3-2005.

Afghanistan, le choix des femmes, Hadja Lahbib, Films de la passerelle, 55 min, 2007.

SORABJI, Cornelia [NASHIK 1866 - LONDRES 1954]

Écrivaine et journaliste indienne d’expression anglaise.

Née d’un père parsi converti au christianisme et d’une mère indienne fille adoptive d’un couple anglais, Cornelia Sorabji est élevée dans un milieu éclairé. Première femme inscrite à l’université de Bombay, seule parmi trois cents hommes, toujours major de sa promotion, elle est la première femme de l’Inde à obtenir une licence. Nommée professeure de littérature anglaise dans un établissement encore réservé aux hommes, elle commence à mettre de l’argent de côté pour partir étudier à Oxford, où elle est la première femme à pouvoir s’inscrire en droit. « Si seulement on me traitait comme un homme au lieu de faire des discours galants sur mon intellect et ma perception vivace (quickness of perception) », se plaint-elle, en butte aux pratiques discriminatoires du monde universitaire anglais. À l’examen, le recteur doit intervenir pour qu’elle soit admise dans la même salle que ses camarades. Brillamment reçue, on lui refuse le droit d’exercer son métier. Elle continue à lutter jusqu’à ce qu’elle puisse s’inscrire au Barreau en 1923. La reine Victoria accepte de recevoir en saree, costume national indien, celle que l’on surnomme « la Nouvelle Femme ». Revenue en Inde, elle doit repasser un examen pour pouvoir exercer son métier, mais le tribunal de Bombay n’admet pas encore le statut d’avocat pour les femmes. Elle accepte un poste de conseillère légale pour les Purdanashin (femmes voilées qui vivaient cloîtrées sans aucun contact avec le monde extérieur). Pendant trente ans, elle travaille à la protection des veuves qu’on disait folles pour prendre leur héritage, et à celle des héritiers en bas âge qu’on faisait disparaître pour la même raison. Elle lutte contre l’injustice et la rapacité du système colonial aussi bien que contre la tradition indienne obscurantiste et patriarcale. Ses écrits révèlent une sensibilité poétique délicate et une grande lucidité d’analyse. Elle publie de nombreuses articles dans des journaux prestigieux comme MacMillan’s Magazine et Nineteenth Century and After. Ses livres se vendent très bien et, avec elle, la situation indienne féminine trouve son interprète la plus éloquente. Indienne de naissance, de formation occidentale, oratrice anglophone de talent, elle est invitée dans le monde entier pour des conférences. Pour les Anglais, qui la décorent du Kaiser-e-Hind, elle est la meilleure représentante des bienfaits de la colonisation. Cependant, pensant que son pays n’est pas encore prêt à se libérer du joug anglais, elle prend position contre le mouvement d’indépendance, ce qui lui sera reproché. Elle se retire à Londres et y meurt à l’âge de 88 ans. Fleuron de trois civilisations, indienne, persane et européenne, cette pionnière du féminisme indien, qui comprit très tôt que seule l’instruction pouvait protéger et promouvoir les intérêts féminins de son pays, est une des figures féminines les plus marquantes du XIXe siècle indien.

Vidya VENCATESAN

India Calling : The Memories of Cornelia Sorabji (1934), Nottingham, Trent Editions, 2004.

ŞORAY, Türkân [ISTANBUL 1945]

Actrice et réalisatrice turque.

Icône du cinéma en Turquie, Türkân Şoray est surnommée « la Sultane » et exerce une profonde influence sur la culture populaire. Elle fait ses débuts au cinéma à l’âge de 15 ans ; son premier film, Aşk Rüzgarı (« le vent de l’amour », 1960), est un grand succès, et elle connaît dès lors une ascension fulgurante. Son rôle dans Sürtük (« la dévergondée », 1965), d’Ertem Egilmez, la confirme comme une actrice majeure. Réputée pour sa beauté, elle devient l’égérie du cinéma turc des années 1960 et joue dans plus de 100 films au cours de cette décennie. Elle se fait plus exigeante au fil des années et impose aux réalisateurs « les règles Şoray », parmi lesquelles un droit de regard sur les scénarios ou le refus des scènes de nu. En 1983, elle fait d’elle-même une entorse à ces principes pour son rôle dans Mine d’Atif Yilmaz, celui d’une révoltée contre la société hypocrite et machiste et qui revendique le droit à la liberté pour les femmes, toutes les libertés, y compris sexuelle. Elle passe également derrière la caméra et réalise des films salués par la critique, comme Dönüs (« le retour », 1973), primé au Festival de films de femmes en Belgique. Connue de plusieurs générations, T. Soray a su incarner la diversité de la société turque et son évolution en plaçant la condition des femmes au centre de ses préoccupations. Son parcours exceptionnellement riche est parsemé de nombreuses distinctions, dont le prix de la meilleure actrice du Festival international du film d’Antalya à quatre reprises (1964, 1968, 1987 et 1994), et la Licorne d’or pour l’ensemble de sa carrière en 2009 au Festival international du film d’Amiens.

Chayma SOLTANI

SORCIÈRES [XVe-XVIIIsiècle]

L’époque moderne (1450-1700) fut une époque de tensions religieuses, où le diable jouait un rôle important dans les représentations imaginaires. Ce fut aussi une époque de mouvements de revendications populaires de toutes sortes, associées à la découverte de nouvelles terres et d’un nouveau monde, l’Amérique, qui bouleversait toutes les représentations. Cette époque agitée de la fin du Moyen Âge voit alors se développer, dans l’imagination populaire, un nouveau personnage féminin : la sorcière. Elle apparaît dès 1400 dans les sources littéraires, mais la figure en est connue depuis bien longtemps par les traditions orales. Inquisiteurs, prêcheurs et auteurs de traités de démonologie commencent alors une véritable campagne idéologique qui se transforme bientôt en croisade juridique contre ces femmes « criminelles », accusées de se livrer au diable, de se réunir avec d’autres sorcières pour des « sabbats » ou des « messes noires » lors desquels elles commettent des crimes impensables. On les soupçonne de s’unir avec les démons, de tuer des nouveau-nés ou de manger de la chair humaine. Elles fabriqueraient des onguents magiques qui leur permettraient de voler sur des balais ou même sur le diable incarné en bouc. On leur reproche de jeter des sorts à leurs voisins, de voler le lait, le vin… La liste de reproches est infinie : elles sont responsables des difficultés climatiques, elles apportent la misère, les maladies et la peste, elles font mourir les hommes, les enfants et le bétail. Il n’y a pas de cruauté ou de crime que les sorcières ne seraient prêtes à commettre. Des procédures juridiques, destinées à ces personnages terribles, puissants et maléfiques, furent alors élaborées. Ainsi se met en place le procès d’inquisition aggravé – on y recourt à la torture plus systématiquement que dans d’autres procédures de justice, mais aussi on y reçoit les dénonciations lancées par les accusées à l’encontre d’autres personnes. Environ 20 000 personnes (essentiellement des femmes) sont alors condamnées et exécutées pour sorcellerie entre les années 1450 et 1680 dans l’Empire allemand ; l’Europe comptera environ 60 000 condamnés pour ce même crime. Dès le début, la sorcellerie est considérée comme un crime de femmes – même si le taux de femmes condamnées a varié entre 40 et 98 %. On connaissait, en fait, autant de magiciens que de magiciennes ; les sages-femmes n’étaient pas les seules à se servir de pratiques magiques pour réussir dans leur profession. Guérisseurs, équarrisseurs y avaient recours ; bon nombre de savants furent soupçonnés de magie ou de sorcellerie, ce d’autant plus volontiers qu’on faisait à l’époque peu de différence entre chimie et magie, ou science et religion. Il y eut pourtant, à la Renaissance et pendant la Réforme, plusieurs érudits, comme Érasme de Rotterdam ou Montaigne, qui doutèrent d’une conjuration entre les femmes et le diable. Des artistes – tels Manuel Deutsch et Albrecht Dürer – s’en sont moqués dans leurs œuvres, prenant parfois prétexte de sorcellerie pour peindre des scènes érotiques. Pourquoi donc l’image de personnes malfaisantes ou servantes du diable est-elle devenue féminine et l’est-elle restée ? Cette focalisation était sans doute une stratégie des inquisiteurs et des démonologues. L’argumentation du Malleus Maleficarum (Marteau des sorcières, fin XVe siècle, multiples éditions au XVIe siècle), à ce propos, est éclairante : puisque ce sont surtout les hommes qui sont les victimes de la magie noire, ce sont donc les femmes qui cherchent à leur nuire, et suivent le diable pour obtenir de lui les moyens de les manipuler et de leur voler leur puissance (surtout sexuelle). Le Marteau des sorcières ou d’autres traités démonologiques traduisent un univers fantasmagorique de peurs masculines, sexuelles, sociales et même politiques. L’époque moderne était non seulement une époque de guerres (surtout de religion), d’augmentation de l’autorité étatique, de contrôle familial patriarcal, etc., mais aussi une époque marquée par l’appréhension : peur des épidémies, de la misère, du manque d’ordre et surtout angoisse face à l’anarchie, cette dernière étant comprise comme la transgression, surtout sexuelle. Cette crainte s’est traduite par la peur des femmes libres, que ces femmes qui volent ou qui connaissent l’extase ont alors incarnées, femmes qu’on a diabolisées. Voilà pourquoi le pacte des femmes avec le diable est forcément compris comme un acte sexuel, une espèce de mariage clandestin entre femme et démon(s). On pense aussi que c’est un désir de puissance qui pousse les femmes vers le diable, désir du pouvoir de vie et de mort – pouvoir qui sera, à l’époque classique, la caractéristique de l’État moderne et de la souveraineté. L’inventeur du concept de « souveraineté », le juriste français Jean Bodin, sera justement l’homme qui, en 1580, fera siennes et renforcera les idées misogynes du Marteau des sorcières. L’époque classique (1600-1700) peut être considérée comme le siècle des sorcières et du diable. Cependant, la chasse aux sorcières coûtait très cher, économiquement et socialement. La « chasse » la plus importante, menée à Cologne, à Bamberg, à Würzburg et dans de nombreux autres territoires allemands dans les années 1630, n’a pas permis l’anéantissement du « mal », mais a plutôt déstabilisé la société. Cette chasse a progressivement cessé, d’abord en France et aux Pays-Bas, puis dans les autres pays européens. Vers 1700, dans la plupart des pays d’Europe, on ne croyait plus aux tribunaux et procès criminels contre les sorcières. On pensait plutôt qu’une bonne éducation religieuse était la meilleure prévention contre la sorcellerie. Les sorcières ont survécu dans les livres d’enfants, dans les contes de fées, comme contre-modèle de la féminité et du pouvoir féminin. On les y trouve détruites par le feu purificateur, ou encore totalement ridiculisées, parfois en même temps que leur ancien allié le diable. Anéantir le diable va de pair avec la destruction de la sorcière comme modèle du pouvoir négatif de la femme. Dans le même temps, la magie est remplacée par les sciences naturelles, et la démonologie par la psychologie et la psychiatrie. Il en résultera un nouveau modèle de la « bonne » femme, fortement désexualisée, tandis que la femme érotique reste démoniaque et trompeuse (« vamp » ou « femme fatale »), modèle qui perdure depuis le XVIIIe siècle.

Claudia OPITZ-BELAKHAL

BECHTEL G., La Sorcière et l’Occident, la destruction de la sorcellerie en Europe des origines aux grands bûchers, Paris, Plon, 1997 ; HOUDARD S., Les Sciences du diable, quatre discours sur la sorcellerie (XVe-XVIIe siècle), Paris, Éditions du cerf, 1992 ; NABERT N. (éd.), Le mal et le diable, leurs figures à la fin du Moyen Âge, Paris, Beauchesne, 1996.

SOREL, Cécile (Cécile Émilie SEURRE, dite) [PARIS 1873 - TROUVILLE-SUR-MER 1966]

Comédienne française.

Étoile de la Belle Époque et de l’entre-deux-guerres, Cécile Sorel fait ses débuts, à 20 ans, au théâtre du Vaudeville. Elle impressionne Oscar Wilde, et entre en 1901 à la Comédie-Française, dont elle devient sociétaire, incarnant les grands rôles classiques, comme Le Plaisir de rompre de Jules Renard, Sapho d’Alphonse Daudet et Adolphe Belot, Le Mariage forcé et Les Fâcheux de Molière, Marion Delorme de Victor Hugo et même La Mégère apprivoisée de William Shakespeare. Proche de l’architecte américain Withney Warren, elle épouse le comte de Ségur, fonctionnaire aux Affaires étrangères, qui devient acteur. La comtesse reçoit dans son hôtel particulier ses connaissances du milieu de l’art, comme l’historien Gustave Larroumet et le comédien Maurice Escande, les écrivains Maurice Maeterlinck, Émile Verhaeren et Gabriele D’Annunzio, mais aussi des hommes politiques comme le radical Georges Clémenceau et le nationaliste Maurice Barrès. En 1933, alors qu’elle vient de quitter la Comédie-Française, Sacha Guitry fait de la coquette la vedette du Casino de Paris, avec la fameuse réplique lancée du pied de l’escalier Dorian à Mistinguett* : « L’ai-je bien descendu ? » Elle fait également ses débuts avec lui au cinéma, où elle apparaît en 1937 dans Les Perles de la couronne. À la fin de la Seconde Guerre mondiale en 1944, elle échappe au bombardement du théâtre de Rouen, où elle vient de donner une représentation du Roi Christine de Marcelle Maurette. Après le décès de son mari, elle se convertit et consacre ses dernières années à l’écriture de ses mémoires et à la prière, vivant entre Paris, Bayonne et Trouville-sur-Mer, où elle s’éteint en 1966.

Jean BERRY

Les Belles heures de ma vie… , Monaco, Éditions du Rocher, 1946 ; La Confession de Célimène, souvenirs, Paris, Presses de la Cité, 1949.

SOREL, Ruth VOIR ABRAMOWITSCH, Ruth

SÖRENSTAM, Annika [BRO, SUÈDE 1970]

Golfeuse suédo-américaine.

Après avoir fait ses armes sur les parcours de Suède, Annika Sörenstam est remarquée par un coach américain lors d’une compétition à Tokyo et rejoint l’université d’Arizona. Elle devient en 1992 championne du monde amateur, et passe alors professionnelle. En 1994, « Rookie » (c’est à dire débutante) de l’année pour la Ladies Players Golf Association (LPGA), elle gagne l’Open d’Australie. En 1995, elle remporte son premier tournoi du LPGA Tour, qui est en même temps son premier « majeur » : l’US Women’s Open, succès renouvelé l’année suivante, tandis qu’en 1997 elle descend sous la moyenne de 70 par parcours (69, 99 coups), performance encore inédite. Elle a déjà goûté à tous les succès et connaît une relative baisse de régime, tandis que l’Australienne Karrie Webb la supplante en tête des classements. Elle s’interroge et prend la décision d’améliorer son potentiel physique en s’engageant dans un programme de musculation avec haltères. Les résultats ne se font pas attendre. La longueur de ses bois augmente de 20 mètres. Sur les 18 trous de Phoenix, elle rend en 2001 une carte de 59, score naguère inimaginable. À cette même période, elle s’entraîne parfois avec Tiger Woods, avec lequel elle va remporter un duel très médiatisé contre les deux autres meilleurs joueur et joueuse du monde, K. Webb et David Duval. Elle s’adjuge également un nouveau « Majeur », le Kraft Nabisco Championship, et récidive en 2002, année faste puisqu’elle remporte le total record de 11 tournois de la LPGA et de 13 victoires en 15 compétitions en y incluant le Ladies Masters d’Australie et le Championnat de Suède. En mai 2003, elle est admise à Fort Worth dans un tournoi de la Players Golf Association (PGA), sommet du golf masculin, comme seule Babe Didrikson Zaharias* avant elle ; elle y manque le « cut » (qualification après les deux premiers parcours sur les quatre d’une épreuve), mais sa participation suffit à nourrir controverses et commentaires élogieux. Au cours de la saison, elle s’adjuge les deux fleurons du « Grand Chelem » qui lui manquaient encore : le LPGA Championship, le Women’s British Open, et non contente de montrer un jeu de fers des plus remarquables, elle rentre une sortie de bunker de 36 mètres. Elle est le support de nombreuses campagnes publicitaires, connue aussi pour ses aptitudes de « chef » de grande cuisine et bientôt experte en Bourse. Elle acquiert la nationalité américaine en 2007. Ses grandes victoires atteignent la dizaine avec les LPGA Championships 2004 et 2005, le Kraft Nabisco 2005 et l’US Women’s Open 2006 à l’issue d’un impressionnant « play-off » avec Pat Hurst. Entre 1995 et 2005, elle aura été huit fois la meilleure joueuse de l’année, dont cinq consécutives à partir de 2001. Jamais blessée jusqu’alors, elle connaît des problèmes de disques en 2007 tandis que monte l’étoile de la Mexicaine Lorena Ochoa. Mais elle remporte encore quatre épreuves en 2008 – ce sera à 38 ans sa dernière saison –, ce qui porte à 72 la somme de ses succès LPGA, auxquels il faut en ajouter 13 sur le circuit dit européen. Elle a ensuite ouvert son Académie et elle est devenue la conceptrice de nouveaux parcours en Chine, en Afrique du Sud et aux États-Unis.

Jean DURRY

SORIA, Claude DE [PARIS 1926]

Plasticienne française.

Après avoir étudié la gravure pendant six ans à l’atelier de Cami, au sein des Beaux-Arts de Paris, Claude de Soria se forme à la peinture auprès d’André Lhote et de Fernand Léger, puis s’initie à la sculpture avec Ossip Zadkine. Ses premiers travaux, en terre cuite, sont exposés à la galerie Claude Bernard de Paris en 1965. Vers la fin des années 1960, elle réalise ses premières sculptures abstraites avec la série Murs, conçue en battant des pans de terre avec des morceaux de bois. Depuis, ses recherches s’orientent vers la découverte des virtualités plastiques des matériaux. Le déclic se produit le jour où elle trouve par hasard un demi-sac de ciment abandonné. Elle travaille ce matériau à la couleur gris bleuté sur une plaque de miroir. En le démoulant, elle découvre son envers si lisse et si vivant, intense, parcouru par des ondes, des bulles d’air. Attirée par cette transformation de la matière, elle travaillera sur ces « envers » où se concentrent tous les accidents destinés à ne pas être exposés aux regards. Elle crée d’abord des coulées sur du Rhodoïd (matière plastique ; Plaques, 1974-1975), puis elle réalise des empreintes sur papier, qui sont de précieux disques, presque des symboles planétaires dans leur composition minérale. Du remplissage de demi-sphères en plastique préfabriquées et assemblées par deux naissent les Boules en deux parties (1976-1978). Plus tard, en recherchant la verticalité, elle coule du ciment dans des tubes et réalise des séries comme les Lames et les Contre-lames (1984-1985), avant de retourner au cercle et de réaliser les Ouvertures en 1987 : des ronds troués aux bords dentelés. Elle déploie une grande quantité de formes en relief ou en volume dans lesquelles elle recherche toujours des effets de surface plastiques et chromatiques qui se forment dans les hasards qu’elle suscite et s’efforce de restituer, en préservant le processus de la nature et en laissant la matière s’exprimer. C. de Soria est l’une des rares artistes à avoir utilisé du ciment pendant les années 1970, époque où il était considéré comme ingrat. Elle a ainsi aidé à sa réhabilitation.

Annalisa RIMMAUDO

Claude de Soria (catalogue d’exposition), Brutaru J. A. (dir.) Lund, Konsthall, 1979 ; Claude de Soria (catalogue d’exposition), Giraudy D., Pleynet M. (dir.), Antibes, Musée Antibes, 1988 ; Claude de Soria, nervures empreintes empilements (catalogue d’exposition), Morain A., Semin D. (dir.), Paris, Galerie Tendances, 1998.

PACQUEMENT A., Entretien avec Claude de Soria, Paris, Galerie Baudoin Lebon, 1982.

SORIANO, Elena [FUENTIDUEÑA DEL TAJO 1917 - MADRID 1996]

Romancière espagnole.

À l’âge de 5 ans, Elena Soriano lit couramment ; à 10 ans, elle écrit des récits en forme de petits romans. Elle achève ses études à l’École normale en 1935 et entreprend une formation en philosophie, interrompue par la guerre civile. Son premier texte, Caza menor (« chasse mineure », 1951), est bien accueilli, contrairement à Mujer y hombre (« femme et homme », 1955) : cette remise en cause des valeurs féminines traditionnelles choque l’idéologie patriarcale dominante. Compte tenu de la situation politique néfaste pour la littérature féminine, soumise à la censure franquiste, elle choisit temporairement le silence. Elle réapparaît avec davantage de force dans les années 1960, alors que le panorama des publications périodiques en Espagne subit de profondes mutations sous l’effet du renouvellement culturel. El Urogallo (« le coq de bruyère »), qu’elle fonde en 1969, revêt une signification particulière : l’écrivaine a lutté toute sa vie en faveur de l’égalité intellectuelle entre hommes et femmes, et cette revue littéraire, qu’elle dirige et finance, lui permet d’exercer pendant six ans un militantisme féministe. En 1984, elle publie La playa de los locos (« la plage des fous »), mais des problèmes personnels viennent briser son activité créatrice et le silence littéraire s’installe de nouveau. La terrible épreuve du décès de son fils l’amène à rédiger son plus grand succès : Testimonio materno (« témoignage maternel », 1986). Il est suivi de la publication de sa trilogie Literatura y vida (« littérature et vie », 1992-1994) et de Tres sueños y otros cuentos (« trois rêves et autres histoires », 1996). Malgré des circonstances défavorables et un sentiment profond d’insatisfaction, l’auteure n’a jamais renoncé à son engagement.

Concepció CANUT

CABALLÉ A., La vida escrita por las mujeres, Barcelone, Lumen, 2004 ; CEPEDELLO M. de la Paz, El mundo narrativo de Elena Soriano, Cordoue, Publicaciones de la Universidad, 2007.

ALBORG C., « Conversación con Elena Soriano », in Revista de Estudios Hispánicos, t. 23, no 1, janv. 1989 ; HERNÁNDEZ E., « La pasión inútil : entrevista con Elena Soriano », in El Urogallo, n° 73, déc. 2001.

SOSA, Mercedes [SAN MIGUEL DE TUCUMÁN 1935 - BUENOS AIRES 2009]

Chanteuse argentine.

Née dans une famille modeste d’origine métisse, Mercedes Sosa débute sa carrière comme professeure de danses folkloriques. Elle s’installe dans le milieu bohème de la ville de Mendoza avec son mari, le musicien Manuel Oscar Matus, et signe en 1964 le « manifeste du nuevocancionero », qui se propose de dépoussiérer le folklore et de rénover la chanson afin de « l’intégrer à la vie du peuple, en exprimant ses rêves, ses joies, ses luttes et ses espoirs ». La consécration arrive un an plus tard avec sa participation au prestigieux Festival national de folklore de Cosquín et la sortie de son premier album Canciones con fundamento. Elle publie l’année suivante Yo no canto para cantar (« je ne chante pas pour chanter »), composé d’une douzaine de chansons devenues anthologiques, puis Para cantarle a mi gente (« pour chanter aux miens »), disque recueil de poèmes argentins et latino-américains. Tout au long de sa carrière, celle que l’on surnomme « La Negra » – « la Noire », terme qui désigne en Argentine les personnes aux traits indigènes – élabore un répertoire de chansons engagées qui combinent poésie et conscience politique en empruntant aux plus grands auteurs latino-américains de son temps, contribuant à décloisonner les genres, les frontières et les générations. Dotée d’un chant de contralto d’une profondeur mystique, M. Sosa devient une icône de la chanson populaire latino-américaine dans le monde entier en incarnant l’espoir d’un continent plongé sous le joug des dictatures militaires au cours des années 1970 et 1980. Fervente militante communiste, au premier rang de nombreuses manifestations et luttes syndicales, elle est arrêtée en 1979 et se voit contrainte à l’exil en Europe, à Paris puis à Madrid, jusqu’au rétablissement de la démocratie en Argentine en 1982. Célébrée comme un symbole de la résistance, elle offre à son retour une série de concerts mythiques au Théâtre Opéra de Buenos Aires, objet du disque Mercedes Sosa en Argentina (2002), auxquels participent son fidèle accompagnateur Ariel Ramírez, mais aussi de jeunes stars du rock national comme León Gieco et Charly García. Au cours des années qui suivent, la diva accueille désormais systématiquement de nombreux invités lors de ses concerts et multiplie les collaborations avec des artistes d’horizons divers, comme le Brésilien Milton Nascimento sur l’album Corazón americano (2010) ou Pablo Milanés, Teresa Parodi et Fito Páez sur Amigos mios. M. Sosa confirme également son statut d’artiste internationale en se produisant dans des lieux prestigieux comme la Chapelle Sixtine au Vatican, le Carnegie Hall de New York, l’Olympia de Paris ou le festival Viñadel Mar au Chili. Elle est nommée ambassadrice de bonne volonté pour l’Unesco en Amérique latine et aux Caraïbes. En 2000, elle finalise le projet d’enregistrement de Misa criolla (« messe créole »), œuvre phare du folklore argentin dont son interprétation est récompensée par un prix Latin Grammy. Elle en remporte un second l’année suivante pour l’album live Acústico. Malgré les problèmes de santé qui ralentissent sa carrière, elle sort en 2008 le double album Cantora, sélection de ses grands succès interprétés en duo avec une brochette de vedettes latines d’hier et d’aujourd’hui. Chanteuse argentine la plus populaire depuis Carlos Gardel, M. Sosa assuma cette notoriété avec modestie tout au long de sa carrière, sans jamais se défaire de son légendaire poncho rouge.

Yannis RUEL

Canciones con fundamento, Diapason, 1965 ; Cantora, Sony BMG, 2009.

SOSIPATRA PHÈSE IVe siècle apr. J.-C.]

Philosophe et mystique grecque.

Philosophe néoplatonicienne et mystique, Sosipatra devint une personnalité de premier plan dans la vie intellectuelle d’Éphèse, riche cité marchande d’Asie Mineure. Sa biographie est racontée dans les Vies des philosophes et des sophistes (395) d’Eunape de Sardes, professeur de rhétorique et historien de l’école néoplatonicienne de Pergame (VI, 6, 6-7). À en croire ce témoignage, la gloire de Sosipatra se répandit partout. Toutefois nous n’avons aucune trace de ses écrits. La supériorité de sa sagesse était telle que son mari, le philosophe sophiste Eustathe de Cappadoce, semblait insignifiant à côté d’elle. Elle avait été confiée dans sa plus tendre enfance aux soins de deux sages chaldéens, qui lui transmirent leurs pouvoirs exceptionnels, magiques et prophétiques. À la mort de son mari, Sosipatra partit enseigner à Pergame, une ville très cosmopolite de l’Empire romain, où elle poursuivit sa carrière et consolida sa réputation : ses cours étaient très prestigieux et appréciés, autant que ceux du philosophe Aedésios. Elle tomba alors amoureuse de Philométor qu’elle put sauver grâce à ses pouvoirs de clairvoyance (elle eut une vision lui montrant l’homme sur le point d’être frappé). Son fils Antonin, qui apprit beaucoup de sa mère, devint un important philosophe et théurge.

Marella NAPPI

CLARK G., Women in Late Antiquity : Pagan and Christian Life-Styles, Oxford, Oxford University Press, 1993 ; PAULY A., WISSOWA G., Realenzyklopädie, vol. III, no 1, 1167.

GIANGRANDE G., « La profezia di Sosipatra in Eunapio », in Studi classici e orientali, no 5, 1956 ; LANZI S., « Sosipatra, la teurga : una “holy woman” iniziata ai misteri caldaici », in Studi e Materiali di Storia delle Religioni, vol 28, no 2, 2004 ; MILAZZO A. M., « Fra racconto erotico e fictio retorica : la storia di Sosipatra in Eunapio : (VS 6, 9-17 Giangr.) », in Cassiodorus, no 3, 1997.

SOSNOWSKA, Monika [RYKI 1972]

Sculptrice polonaise.

Monika Sosnowska a entrepris des études de peinture à l’Académie des beaux-arts de Poznan, puis à la Rijksakademie d’Amsterdam (1999-2000). À ses débuts, elle s’est intéressée à la disposition de ses toiles dans l’espace, puis a finalement abandonné ses pinceaux pour se consacrer à l’architecture, l’espace et la sculpture. Ses œuvres sculptées se réfèrent à l’architecture, en questionnant l’art de bâtir, en s’interrogeant sur la possibilité de la ruine – son aspect vernaculaire ou industriel. Les constructions qui l’attirent sont celles qui expriment leurs fonctions physique, sociale et psychologique, mais aussi idéologique et politique. Inspirée par les diverses étapes du modernisme et l’utilité radicale du bâtiment qui s’est développée pendant l’époque communiste, M. Sosnowska comprend l’architecture comme une utopie ou une vision. Ses installations insèrent une structure formelle dans des espaces existants, ce qui a suscité les comparaisons avec des réalisations telles que Merzbau (1923-1936) de Kurt Schwitters. Ses interventions vont parfois jusqu’à la destruction des murs ou des plafonds, créant ainsi des trouées dans l’architecture. M. Sosnowska a représenté la Pologne à la Biennale de Venise en 2007 et ses œuvres sont présentes dans de nombreuses collections. Depuis quelques années, elle porte son attention sur les conceptions de l’espace d’exposition dans l’ancienne Europe de l’Est, pendant la période communiste, comme en témoigne l’installation qui a structuré la narration de l’exposition Les Promesses du passé (2010-2011).

Nataša PETRESIN

Monika Sosnowska (catalogue d’exposition), Cologne/New York, König/DAP, 2007 ; 1 : 1 (catalogue d’exposition), Jurkiewicz M. (dir.), Varsovie/Cologne, Zachęta Narodowa Galeria Sztuki/König, 2007 ; Photographs and Sketches (catalogue d’exposition), Vischer T. (dir.), Bâle/Göttingen, Schaulager/Steidl, 2008.

SOT, Dokmai (M. L. BUPPHA NIMMANHEMIN, née KUNCHON, dite) [BANGKOK 1905 - NEW DELHI 1963]

Romancière thaïlandaise.

Née dans une famille d’aristocrates, Dokmai Sot (« fleur fraîche ») reçoit une éducation soignée au Palais puis au couvent Saint-Joseph. Elle commence sa carrière littéraire alors qu’elle a une vingtaine d’années. Elle est une des premières romancières thaïlandaises et compte à son actif 12 romans, 20 nouvelles et un roman inachevé. Ses premiers romans sont initialement publiés sous la forme de feuilletons dans le journal Thai Kasem puis sont repris et compilés en volumes. Leur succès est tel qu’elle publie ensuite à compte d’auteur. Nut, l’héroïne de Kam Kao (« le karma passé », 1932), a reçu une éducation occidentale et a grandi à l’étranger. Phu Di (« les nobles », 1938), considéré comme son meilleur roman, fait dorénavant partie du patrimoine littéraire de la Thaïlande où il est étudié dans les écoles. Pour chacun de ses 13 chapitres, elle met en épigraphe un enseignement du Bouddha. Étrangement, la littérature de l’époque ne se fait pas l’écho de la révolution et les romans ne témoignent en rien des changements politiques. Ceux de D. Sot datés d’après 1932 (date à laquelle la monarchie absolue est abolie au profit d’une monarchie constitutionnelle) ne parlent pas de la révolution même mais de changements survenus avant celle-ci. Le mécénat royal ayant disparu, les auteurs vivent de leur plume et leur objectif est de satisfaire leur lectorat. Ses romans furent tout d’abord des romans d’amour, puis devinrent plus réalistes après la révolution. Elle plaide pour une éducation moderne qui ne serait pas antinomique avec la doctrine bouddhiste. Son style, remarquable par la richesse de son vocabulaire, lui valut le surnom de « romancière à la plume de diamant » et fut largement imité par la suite. Elle est admirée pour son regard éclairé sur les choses du quotidien, pour la qualité de ses descriptions et la complexité des sentiments de ses protagonistes. Elle est la première romancière féminine à écrire des romans centrés sur une héroïne.

Émilie TESTARD

Les Nobles (Phu di, 1938), La Tour-d’Aigues, Éditions de l’Aube, 2008.

FULOP KEPNER S., The Lioness in Bloom : Modern Thai Fiction about Women, Londres, University of California Press, 1996.

NAGARA P.N., Treasury of Thai literature : the modern period, Bangkok, National Identity Board, Office of the Prime Minister, 1989.

SOTIRIOU, Dido [AYDIN, RÉGION DE SMYRNE 1909 - ATHÈNES 2004]

Écrivaine et journaliste grecque.

Née en Asie Mineure, Dido Sotiriou quitte Smyrne en 1922 lors de la guerre gréco-turque et gagne Le Pirée, puis Athènes comme réfugiée. Elle fait des études de français à l’Institut français d’Athènes et à la Sorbonne, et, à partir de 1936, elle est journaliste dans la presse féminine – correspondante à Paris de la revue I yinaika (« la femme ») avant-guerre – et dans la presse de gauche. Membre du parti communiste, elle écrit dans la presse clandestine pendant l’Occupation, est rédactrice en chef du journal O rizospastis (« le radical ») de 1944 à 1947, et journaliste politique au quotidien I Avyi (« l’aube ») à partir de 1953. À la suite de la guerre civile, elle assiste à la condamnation à mort de sa sœur Elli Ioannidou en 1951 et à l’exécution de son beau-frère, le résistant communiste Nikos Béloyannis, en 1952. Près de quarante ans après l’incendie de Smyrne, elle fait entendre, dans un esprit pacifique, la voix des réfugiés grecs d’Asie Mineure dans ses deux premiers romans, I nekri perimenoun (« les morts attendent », 1959), d’inspiration autobiographique, et Terres de sang (1962), qui connaît un succès jamais démenti. Après la dictature des colonels, elle poursuit sa réflexion sur les origines du désastre d’Asie Mineure dans son essai I Mikrasiatiki Katastrofi kai i stratiyiki tou imperialismou stin Anatoliki Mesoyio (« le désastre d’Asie Mineure et la stratégie de l’impérialisme en Méditerranée orientale », 1975) ; elle participe au travail de mémoire auquel se livre la société grecque sur les retombées de la guerre civile avec ses romans I entoli (« l’ordre », 1976), sur l’affaire Béloyannis, et Katedafizometha (« en démolition », 1982). Elle écrit aussi deux romans pour la jeunesse, Mesa stis floyes (« dans les flammes », 1978), adaptation de son propre roman I nekri perimenoun, et I episkeptes (« les visiteurs », 1979), en grande partie consacré à Elisabeth Moutzan-Martinengou*, première femme de lettres néo-grecque, dans le souci de transmettre aux jeunes lecteurs d’une part la mémoire du monde grec d’Asie Mineure et d’autre part les valeurs du féminisme. Son théâtre et ses nouvelles, réunis respectivement en 1995 et en 2004, s’inscrivent au plan thématique dans le prolongement de ses romans.

Stéphane SAWAS

Terres de sang (Matomena chomata, 1962), Paris/Athènes, Hatier/Kauffmann, 1996.

KASSOS V., « Dido Sotiriou », in I metapolemiki pezografia, Apo ton polemo tou ‘40 os ti diktatoria tou ‘67, vol. VII, Athènes, Sokolis, 1988 ; TSAKIRI-NIKITOPOULOU S., Dido Sotiriou, Apo ton kipo tis Edem sto kamini tou aiona mas, Athènes, Kedros, 1996.

SOTO MARIN, Ana VOIR ISTARÚ, Ana

SOTOUDEH, Nasrin [IRAN 1963]

Avocate et militante iranienne des droits de l’homme.

Issue d’une famille pieuse de la classe moyenne iranienne, Nasrin Sotoudeh, diplômée en droit international, admise au barreau de Téhéran en 1995, devra attendre huit ans pour que soit levée l’interdiction d’exercer en raison de ses liens avec l’opposition. Son métier d’avocate est indissociable de son engagement pour la justice. Elle se fait défenseure des enfants maltraités et des femmes (dont les manifestantes pacifiques du 8 mars 2006 matraquées par les forces de l’ordre). Lorsque Shirin Ebadi* est contrainte à l’exil, N. Sotoudeh prend le relais dans la défense des opposants politiques arrêtés après la réélection d’Ahmadinejad en juin 2009, et dénonce publiquement l’illégalité des charges. Cette pacifiste est arrêtée en septembre 2010 et condamnée en appel à six ans d’emprisonnement et dix ans d’interdiction d’exercer son métier, pour atteinte à la sécurité de l’État. Toutes les grandes organisations internationales de défense des droits humains et l’Organisation des Nations unies se mobilisent pour sa libération. Mise à l’isolement en prison et maltraitée, elle fait plusieurs fois la grève de la faim pour protester contre ses conditions de détention et le harcèlement dont sa famille est l’objet. Inflexible, elle refuse de porter le tchador pour obtenir le droit de voir ses enfants et entend, quoi qu’il arrive, poursuivre son combat pour le respect des droits humains en Iran. En octobre 2012, le prix Sakharov pour la liberté de pensée lui est décerné (conjointement avec le cinéaste iranien Jafar Panahi) à l’unanimité du Parlement européen. Elle est libérée en septembre 2013, après trois ans de prison, en même temps que d’autres prisonniers politiques parmi lesquels la journaliste Mahsa Amrabadi et la militante féministe Mahboubeh Karami, membre de la campagne « Un million de signatures » pour les droits des femmes en Iran*. En 2015, elle joue son propre rôle dans Taxi Téhéran, un film de Jafar Panahi contre la dictature et revendiquant la liberté d’expression. N. Sotoudeh attend maintenant la levée de l’interdiction d’exercer librement son métier d’avocate.

Jacqueline PICOT

AYAD C., REZA A., « Nasrin Sotoudeh, emprisonnée, reste le cauchemar du régime iranien », in Le Monde, 12 déc. 2012.

SOTOYAMA MICHIKO [OSAKA 1913 - ID. 2006]

Compositrice japonaise.

Née dans une famille très aisée, Sotoyama Michiko est entourée de parents familiarisés avec la culture occidentale. Très attirée par cette culture, elle se rend à Paris à l’âge de 17 ans afin d’effectuer ses études musicales. Elle suit le cours de composition avec Nadia Boulanger* et obtient en 1937 un prix dans un festival international de musique contemporaine à Paris, première compositrice japonaise sélectionnée dans un concours international. Mais la pièce qui a remporté ce grand prix ne sera jouée au Japon que cinquante ans plus tard. Même si Sotoyama Michiko est mentionnée dans le dictionnaire international des compositrices (Cohen 1987), ses activités au niveau international ne sont pas connues au Japon. Rentrée au Japon en 1939, elle revient à Paris en 1954. Elle étudie alors la composition avec Darius Milhaud et Olivier Messiaen, et obtient son diplôme de composition. Influencée par la musique de Pierre Schaeffer, elle poursuit des études de composition assistée par ordinateur à l’université Columbia de New York pendant six ans et y crée une pièce avec informatique, intitulée Waka, en 1958. Elle retourne au Japon avec une bourse de la fondation Rockefeller pour y établir un studio électroacoustique. Mais à la suite du changement des dirigeants de l’université de Kyoto, ce projet est interrompu. Vivre pendant dix ans dans les pays occidentaux en confiant ses deux enfants à sa mère était peu courant à l’époque pour une femme, mais Sotoyama Michiko a réalisé ce dont elle rêvait. Même si elle apprécie d’avoir des auditeurs, ce n’est pas pour elle l’essentiel, car elle vit intensément l’activité de composition pour elle-même. C’est peut-être l’une des raisons, outre le contexte musical japonais de cette époque, qui font qu’elle n’a pas obtenu une reconnaissance digne de son statut de compositrice et d’une production nombreuse et de qualité.

CHEN HUI-MEI

COHEN A., International Encyclopedia of Women Composers, 2 vol., New York, Books and Music, 1987 (2e éd.).

SOUEIF, Ahdaf [LE CAIRE 1950]

Romancière et essayiste égyptienne d’expression anglaise.

Docteure en linguistique de l’université de Lancaster, Ahdaf Soueif enseigne dans diverses universités. À partir de 1989, elle travaille à Londres pour Al-Furqan Islamic Heritage Foundation – dont le but est de préserver le patrimoine écrit de l’Islam –, et partage sa vie entre l’Égypte et l’Angleterre. L’anglais reste son outil de prédilection, malgré les critiques de certains intellectuels arabes, tempérées toutefois par ses prises de position, ses écrits et ses conférences visant à promouvoir la reconnaissance de la culture et des sociétés arabes. En 2010, elle devient la première lauréate du prix Mahmoud-Darwich pour la liberté et la création, et voit ainsi récompensée sa défense des valeurs de liberté, de justice, d’indépendance nationale et de reconnaissance mutuelle entre les peuples et les cultures, qu’elle exprime en combinant le particulier et l’universel dans ses œuvres. Ses romans se présentent comme des sagas familiales. Ses personnages vivent dans un lieu et à un moment précis, présent ou passé, du monde réel, où se déroulent des événements politiques qui les affectent ou sur lesquels ils tentent d’influer. Plus que des destins individuels, c’est l’Égypte qu’elle met en lumière, une Égypte meurtrie par les colonialismes et les guerres, mais qui affirme en même temps sa vitalité et sa pérennité. Bien que la femme occupe le premier plan de cette fresque égyptienne et lui donne continuité et cohérence, la romancière demeure mitigée sur les progrès de la condition féminine. Dans ses nouvelles, elle explore cet espace clos dans lequel vit la femme, réduite par le désir arbitraire de l’Autre. L’utilisation de la première personne, mise en scène comme une forme de transgression, lui permet néanmoins d’accéder au statut de sujet. Parmi ses œuvres citons Aisha (1983 puis réédité en 1995) ; Sandpiper, (1997) ; In the Eye of the Sun (1992 puis réédité en 2000) ; Mezzaterra : Fragments From the Common Ground (2005). Son roman Lady Pacha, qui traite de la reconquête du droit à la parole de la femme orientale, a été présélectionné pour le Booker Prize for Fiction en 1999.

Jacqueline JONDOT

Lady Pacha (The Map of Love, 1999), Paris, J.-C. Lattès, 2000.

SOUFIES – MYSTIQUES MUSULMANES [depuis le VIIIe siècle]

Une des constantes du soufisme féminin est la liberté de ton qui caractérise, à travers l’histoire, les échanges que ces mystiques entretenaient avec leurs contemporains hommes sur le plan théologique et spirituel. Certaines transgressaient la norme sociale en refusant de se marier pour se consacrer pleinement à leur quête du divin ; l’expression extatique de cette quête ne répondait guère aux critères de retenue et de discrétion attendus d’une pratiquante musulmane. Bien que la recherche du savoir religieux, la prière et la méditation remplissent une grande partie de la vie des soufies, celles-ci ne vivaient pas en recluses, partageant leurs connaissances et s’efforçant de soulager la misère des plus faibles. Cette position atypique et non conforme à l’idéal féminin en a souvent fait la cible de l’orthodoxie islamique.

Si la figure emblématique en ce domaine reste la fameuse Rābi‘a al-‘Adawiyya*, d’autres femmes ont jalonné l’histoire de la mystique musulmane. Il est de coutume de rattacher à cette tradition Nefissa, la petite-fille du Prophète, née à La Mecque, morte en Égypte, connue pour son savoir, sa piété et son ascétisme mesuré. Épouse attentionnée, n’ayant jamais négligé ses devoirs envers sa famille, elle accordait sa bénédiction aux nombreuses personnes qui venaient lui demander conseil, parmi lesquelles se trouvait régulièrement l’imam al Shāfi, le fondateur de l’une des quatre écoles juridiques sunnites. La compagne et servante de Rābi‘a (VIIIe siècle), Maryam de Basra, célèbre pour ses prêches sur l’amour d’Allah et ses élans mystiques, serait morte en pleine extase. Certaines de ces ascètes de la première heure auraient été considérées comme folles. Certes, elles étaient perpétuellement en pleurs (Bahriyya al-Mausuliyya, Shawana), mais on leur doit aussi les premiers poèmes lyriques mystiques (Rabi‘a ash-Shamiyya, Amat al-Djalil) qui ont, par la suite, été la marque des soufis en adoration. Ce sont aussi ces femmes qui ont introduit avec force dans leur religion la dimension de l’amour de Dieu. Au IXe siècle, Fatima de Nishapur, éprise d’amour pour Dieu, incarne le modèle d’une soufie mariée passant sa vie en dévotion à La Mecque tout en côtoyant les mystiques hommes de son temps comme Bistani et Dhu n-Nun al Misri qui la tenaient en haute estime. La tradition des femmes soufies se perpétuera au Moyen-Orient ainsi qu’en Inde. En Turquie, la seconde femme de Rūmī, Kira Khatun, au XIIIe siècle, a contribué à la propagation de l’ordre Mevleni. À la même époque, Ibn Arabi exprimait son admiration pour ses contemporaines, Fatima de Séville qui vivait dans un dénuement extrême, et Shams, décrite comme une mystique de haut rang. Aux XVIe et XVIIe siècles, l’empire moghol comptait plusieurs soufies érudites, pour la plupart, comme Bubu Rast, les princesses Fatima Djahanara ou Bibi Khatun.

De nombreuses femmes pieuses suscitèrent diverses formes de vénération populaire, entraînant parfois la fondation de zaouia (mausolées dans la tradition maraboutique), comme Lalla Mannūbiyya* qui, au tournant du XIIIe siècle, a fait figure de pionnière en s’enfuyant du domicile paternel pour échapper à un mariage forcé. Elle a consacré sa vie à la science et à la méditation, mêlant charité et spiritualité, partageant son savoir indifféremment avec des femmes ou des hommes. Son mausolée reste un lieu de dévotion. En Algérie, Lalla Zeineb de Bou-Saāda, investie au XIXe siècle d’un pouvoir spirituel, est toujours présente dans la mémoire collective.

Si, aux débuts de l’islam, les femmes participaient aux côtés des hommes aux différents rituels soufis comme le dhikr ou les rituels de danse tournante chez les Mevleni, progressivement, la dichotomie des sexes s’est imposée. Mais elle est remise en cause aujourd’hui, surtout en Occident, par des confréries « néo-soufies » qui accordent aux femmes les mêmes prérogatives qu’aux hommes. De même, aujourd’hui en Turquie, des femmes enseignent la gestuelle des derviches tourneurs (Didem Andaç Edman). Le soufisme au féminin devient une tendance spirituelle contemporaine, comme en témoignent les différentes productions artistiques : littérature (Soufi mon amour par Elif Shafak), photographie (Femmes derviches du Kurdistan iranien par Patricia Laguerre), sans compter les nombreux stages de danse « derviche » s’adressant aux femmes. Longtemps restée en marge des études sur l’islam et occultée par les historiens, l’existence des femmes soufies semble susciter aujourd’hui l’intérêt de jeunes chercheur(e)s.

Nadine WEIBEL

SOULAGE, Marcelle [LIMA, PÉROU 1894 - ID. 1970]

Compositrice et pianiste française.

Compositrice et remarquable pianiste, pédagogue de la musique, Marcelle Soulage est l’auteure de nombreuses pages pour orchestre et d’œuvres vocales. Élève de Nadia Boulanger*, Paul Vidal, Georges Caussade au Conservatoire de Paris, elle enseigne le piano au conservatoire d’Orléans de 1921 à 1925, puis le solfège au Conservatoire de Paris de 1949 à 1965. On lui doit une Suiteen ut mineur pour piano, violon et alto (prix Lepaulle 1918), des Sonates pour violon et piano, pour alto et piano opus 25, un Trio avec piano, un Quatuor à cordes, un Quatuor avec piano, des œuvres pour orchestre (Invocation à la nuit etdanse orientale et Badinages), des œuvres vocales (Proses d’amour et de mort et Océan). Sa Sonate pour violoncelle et piano a obtenu le prix de la Société française des amis de la musique en 1920.

Odile BOURIN

Le Solfège, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Que sais-je », 1962.

SOULEZ, Antonia [PARIS 1943]

Philosophe française.

Les premiers centres d’intérêt d’Antonia Soulez sont la philosophie ancienne, puis la logique moderne et la philosophie contemporaine du langage. Son attirance pour l’articulation du langage et de la pensée se nourrit à l’épreuve de la musique et de la poésie. De son attention aux qualités du sonore « à même la profération de la phrase », il résulte une approche composite des ressorts du langage, frayant l’espace des relations jusqu’à l’infime. Après la publication du Manifeste du Cercle de Vienne (1985) avec Jan Sebestik – qui révèle au public français ce mouvement philosophique né au cœur de l’Europe –, elle soutient sa thèse d’État en 1988 et publie un projet de Grammaire philosophique chez Platon (1991), mot-clef qui sera par la suite le pivot de ses recherches sur Wittgenstein. Elle intègre l’université Paris 8-Saint-Denis comme professeure à partir de 1995. Elle traduit les « dictées » de Wittgenstein, fruit de ses rencontres avec Brian McGuinness et avec Gordon Baker. En 2003, elle suscite un partenariat entre Arild Utaker, les Archives Wittgenstein et l’Institut d’histoire et de philosophie des sciences et des techniques et prend part aux Journées annuelles consacrées à la pensée de Wittgenstein. Directrice de programme au Collège international de philosophie (1998-2001), elle en devient codirectrice jusqu’en 2004. Dans le courant des années 2000, ses recherches et ses publications explorent plus étroitement les aspects entre philosophie et musique. Elle fait « place à l’oreille », organe de saisie des relations en deçà de ce qui est conceptuellement présentable – ce qu’elle désigne par « les dessous du concept ». En 2003, elle crée une collection « Musique/Philosophie » avec Horacio Vaggione – compositeur et directeur du Centre international de création musicale (université de Paris 8) – et Makis Solomos, musicologue. La musique, dès lors, ne quitte plus la philosophie, qu’il s’agisse de Wittgenstein et la musique, ou de l’enquête sur la controverse Mach/Helmholtz autour de la dissonance, qu’une délégation au CNRS (2004-2005) lui permet de mener à bien. En 2006, elle anime un séminaire « philosophie et musique » hébergé à la Maison des sciences de l’Homme Paris Nord, et poursuit ses explorations sur l’autonomie du musical, de Wittgenstein à Schoenberg et Cage, approches inspirées d’une épistémologie comparative selon Gilles Granger. Parallèlement, A. Soulez mène une activité de création et suscite des collaborations avec des musiciens tels que Jean-Daniel Hégé, contrebassiste de l’ensemble Accroche Note (2007), et des compositeurs, en particulier Pascale Criton et H. Vaggione. Elle entreprend un ouvrage sur Wittgenstein et la signification musicale et publie des écrits poétiques, notamment dans la revue Po&sie.

Pascale CRITON

Comment écrivent les philosophes ? (de Kant à Wittgenstein) ou le style de Wittgenstein, Paris, Kimé, 2003 ; Avec BAILHACHE P., VAUTRIN C., Helmholtz, du son à la musique, Paris, J. Vrin, 2011 ; Au fil du motif, autour de Wittgenstein et la musique, Sampson, Delatour France, 2012.

SOUSLOVA, Apollinaria [PANINO 1839 - SÉBASTOPOL 1918]

Écrivaine russe.

Apollinaria Prokofievna Souslova est surtout connue pour avoir entretenu une tumultueuse relation avec Dostoïevski et pour être l’un des prototypes de ses personnages féminins. Son père, marchand d’origine paysanne, décide de donner une bonne instruction à ses deux filles, Apollinaria et Nadejda, et déménage à Saint-Pétersbourg. Nadejda devient la première femme médecin de Russie et d’Europe et Apollinaria suit des cours à l’université en auditrice libre. Elle s’y lie avec des nihilistes et participe à leurs actions (distribution de tracts, manifestations) sans pour autant devenir un membre de ce mouvement. Dans les années 1860, elle rencontre Fiodor Dostoïevski et devient sa maîtresse. Elle se consacre à la création littéraire, écrit quelques récits et, avec l’aide de l’écrivain, les publie dans les revues Vremia (« le temps ») et Epokha (« l’époque »). En 1868, elle ouvre une école pour les enfants de paysans dans le village d’Ivanovo, qui est fermée au bout de deux mois par les pouvoirs locaux. Découragée, Souslova se tourne vers la traduction dans les années 1870. Son œuvre littéraire se compose de récits consacrés aux problèmes de l’émancipation des femmes, décrivant le décalage entre les exigences de la société et les aspirations des femmes de l’époque : Pokouda (« le temps », 1861), Do svad’by (« avant la noce », 1863), Svoïeï dorogoï (« par sa propre voie », 1864), Rasskaz v pis’makh (« récit par correspondance », 1864), Tchoudnaïa (« étonnante », 1864), Iz nedavnego prochlogo (« d’un passé récent »). Son œuvre majeure reste ses Mémoires, Mes années d’intimité avec Dostoïevski, publiés à Moscou seulement en 1928. Composé essentiellement de son journal intime et de ses lettres, cet ouvrage retrace ses relations avec l’écrivain et contient de précieux renseignements biographiques.

Svetlana SAMOKHINA-TROUVÉ

Mes années d’intimité avec Dostoïevski (Gody blizosti s Dostoïevskim, 1928), Paris, Gallimard, 1995.

SOUSLOVA, Svetlana GEORGUIEVNA (née TOKOMBAÏEVA) [TCHITA 1949]

Poétesse kirghize.

Née en Transbaïkalie (Sibérie), Svetlana Georguievna Souslova est issue de la famille d’un médecin militaire qui s’installe au Kirghizistan en 1951. Bien qu’elle soit un modèle d’intégration culturelle soviétique et qu’elle adhère aux canons esthétiques de son époque, sa soif de connaître, dès ses jeunes années, les poètes maudits des premières années révolutionnaires oriente en grande partie sa formation vers la poésie d’Iessenine et de Maïakovski, ostracisés par l’idéologie soviétique. C’est à eux qu’elle doit aussi sa vision philosophique de la vie, sa véritable sagesse. Journaliste pour la revue « le Kirghizistan littéraire », elle commence sa carrière littéraire en 1965. Elle devient membre de l’Union des écrivains d’URSS en 1979 et du présidium de l’Union des écrivains du Kirghizistan en 2005, dont elle dirige la section russe. Durant la période soviétique, ses recueils poétiques sont publiés aussi bien à Frounze (aujourd’hui Bichkek) qu’à Moscou, le plus souvent sous son nom de jeune fille, Tokombaïeva. Elle a écrit 11 recueils de poésie, dont certains sont traduits en kirghize, en ouïgour, en tadjik, en chinois, en anglais, en allemand, en polonais et en espagnol. Elle a également traduit en russe de nombreux poèmes kirghizes et entamé une nouvelle traduction en russe du poète persan Omar Khayyam. Son recueil poétique Moltchanie ryb (« le silence des poissons ») a obtenu un grand succès à sa parution en 2006. Membre active du Comité de la paix de 1982 à 1992, elle a également dirigé le Centre d’art littéraire de Bichkek de 1999 à 2001, qui promeut de jeunes auteurs, l’Académie des arts d’Asie centrale à partir de 2001, puis occupé une fonction politique dès 2005, en qualité de conseillère présidentielle pour les questions culturelles. Elle a reçu de nombreuses distinctions.

Catherine POUJOL