MORE, Hannah [STAPLETON, BRISTOL 1745 - CLIFTON 1833]

Femme de lettres britannique.

Extraordinaire destin que celui d’Hannah More, femme d’origine modeste qui vendit 10 000 exemplaires de sa pièce pastorale The Search after Happiness (1762), vit ses Sacred Dramas (1782) réédités 19 fois, rédigea le très populaire Village Politics (1793) contre The Rights of Man de T. Paine, publia à deux millions d’exemplaires – traduction en plusieurs langues – les 114 Cheap Repository Tracts, brochures à bon marché sur des sujets variés, dont le célèbre The Shepherd of Salisbury Plain (« le berger de la plaine de Salisbury »), moqué par Thackeray dans La Foire aux vanités. Elle ouvrit le chemin à Jane Austen*, à Charlotte Brontë* et à George Eliot* avec Coelebs, ou Le Choix d’une épouse (1809), roman anti-romance. Le premier cercle de ses relations englobe les familiers des Bluestockings (« bas-bleus ») autour d’Elizabeth Montagu*, que l’on voit évoluer dans son poème The Bas Bleu, or Conversation (1786). Un deuxième cercle rassemble des abolitionnistes ; soutenue par eux, elle fait publier Slavery, a Poem (1788) par la Society for Effecting the Abolition of the African Trade. Enfin, un troisième cercle comprend des évangélistes fervents lecteurs de la Bible, et il est à noter qu’elle légua à sa mort des sommes considérables à des associations religieuses ou charitables. Dans ce contexte, elle écrivit avec Eaglesfield Smith The Sorrows of Yamba, or The Negro Woman’s Lamentation (1795). Pragmatique, elle favorisa la carrière d’Ann Yearsley* et, luttant contre l’hostilité des parents, ouvrit des écoles avec sa sœur Martha dans la région déshéritée des Mendips. Celle qui a écrit dans Strictures on the Modern System of Female Education… (« condamnations du système moderne d’éducation des femmes », 1799) que les femmes devaient, de par leur éducation, être des filles, des épouses, des mères et des maîtresses de maison, a paradoxalement plus fait pour l’épanouissement de celles-ci dans la sphère publique en Angleterre que bien des féministes radicales séduites par les promesses de la Révolution française.

Françoise LAPRAZ SEVERINO

Coelebs, ou Le Choix d’une épouse (Coelebs in Search of a Wife, 1809), 2 vol., Paris, P. Mongie, 1817.

SCHEUERMANN M., In Praise of Poverty : Hannah More Counters Thomas Paine and the Radical Threat, Lexington, University Press of Kentucky, 2002 ; STOTT A., Hannah More : The First Victorian, Oxford/New York, Oxford University Press, 2003.

MORE, Margaret VOIR ROPER, Margaret

MOREAU, Jeanne [PARIS 1928]

Actrice, chanteuse, réalisatrice et metteuse en scène française.

De mère anglaise et de père français, Jeanne Moreau suit les cours du Conservatoire de Paris et entre à la Comédie-Française, où elle crée Les Caves du Vatican, d’André Gide. Passée au TNP de Jean Vilar, elle est l’infante dans Le Cid, face à Gérard Philipe en 1951, et joue, toujours avec lui, Le Prince de Hombourg, de Kleist. Elle est ensuite La Chatte sur un toit brûlant, de Tennessee Williams (mise en scène de Peter Brook, 1956). Elle incarne l’entremetteuse La Célestine, de Fernando de Rojas, dans la mise en scène d’Antoine Vitez avec Lambert Wilson, et remporte un succès international avec Le Récit de la servante Zerline d’Hermann Broch (1986). Elle met en scène Ludmila Mikaël* dans la pièce américaine Un trait de l’esprit, puis un opéra de Verdi avec Josée Dayan*. Son tempérament passionné, sa voix grave font également merveille au cinéma, où elle débute en 1949. Après avoir incarné Marguerite de Valois* dans La Reine Margot (Jean Dréville, 1954), elle est magnifiée par Louis Malle dans Ascenseur pour l’échafaud (1958). Elle retrouve Malle pour Les Amants (1958) – ce film dont les dialogues sont de Louise de Vilmorin* fait scandale –, et Le Feu follet (1963). Elle tourne avec Gérard Philipe Les Liaisons dangereuses (Roger Vadim, 1959) et avec Monica Vitti* et Marcello Mastroianni La Nuit (La notte, Michelangelo Antonioni, 1961). Elle rencontre Marguerite Duras* avec Moderato cantabile (P. Brook, 1960) avant de la retrouver comme auteure (Le Marin de Gibraltar, 1967) puis réalisatrice (Nathalie Granger, 1972). Elle incarnera plus tard l’écrivaine dans Cet amour-là (Josée Dayan, 2001). Dans Jules et Jim (1962), François Truffaut lui offre un rôle superbe de femme libre, inspirée de Helen Hessel. Elle y chante Le Tourbillon, un immense succès. Elle retrouve Truffaut pour La mariée était en noir (1968). Joseph Losey fait d’elle la mystérieuse Eva (1962), et la dirige dans La Truite (1982, d’après Roger Vailland). Elle tourne Le Journal d’une femme de chambre (1964) avec Luis Buñuel, et Une histoire immortelle (1968, d’après Karen Blixen*) avec Orson Welles. En 2005, elle tourne Le Temps qui reste, de François Ozon, et en 2012 Gébo et l’ombre (Gebo e a sombra), de Manoel de Oliveira. À la télévision, elle a tourné une dizaine de films ou de séries avec Josée Dayan, notamment Les Misérables, Balzac, Les Parents terribles de Jean Cocteau, Château en Suède de Françoise Sagan*. Après avoir chanté dans le dernier film de Jean Renoir (Le Petit Théâtre de Renoir, 1970), elle chante aussi dans Querelle (1982) de R. W. Fassbinder. Elle écrit et réalise Lumière (1976), L’Adolescente (1979), ainsi qu’un documentaire sur Lillian Gish* (1983). Enfin, elle crée en 2005 Les Ateliers d’Angers, une école de cinéma à destination de jeunes réalisateurs. Plusieurs disques sont réalisés autour de son talent de chanteuse ou de parolière, le premier en 1963 (12 chansons de Cyrus Bassiak, alias Serge Rezvani). Signataire du Manifeste des 343* pour la liberté de l’avortement en 1971, première femme élue à l’Académie des Beaux-Arts, J. Moreau reçoit un Oscar d’honneur en 1998 pour sa contribution à l’histoire du cinéma.

Bruno VILLIEN

GRAY M., Mademoiselle Jeanne Moreau, Paris, Nouveau Monde éditions, 2003 ; MOIREAU J.-C., Jeanne Moreau, l’insoumise, Paris, Flammarion, 2011.

BLIXEN K., Nouveaux contes d’hiver, « Échos », lu par Jeanne Moreau, Paris, Des femmes-Antoinette Fouque, « Bibliothèque des voix », 1987.

MOREAU, Yolande [BRUXELLES 1953]

Actrice et réalisatrice belge.

Après ses débuts au Théâtre des Enfants de Bruxelles, Yolande Moreau se tourne vers la comédie. En 1981, elle écrit et joue son premier « one-woman-show », Sale affaire, du sexe et du crime. Son humour grinçant et décalé lui vaut le Grand Prix 1982 du Festival du rire de Rochefort en Belgique. Elle reprendra ce spectacle en 2008 au Festival de la bande dessinée d’Angoulême, accompagnée de Pascal Rabaté qui dessine en direct. Agnès Varda* lui propose ses premiers rôles au cinéma dans le court-métrage 7 p., cuis., s. de b.,… à saisir en 1984 puis l’année suivante dans Sans toit ni loi. En 1989, elle rejoint la troupe de Jérôme Deschamps et Macha Makeïeff*. Elle participe aux spectacles Lapin chasseur ou Les Pieds dans l’eau et au programme télévisé Les Deschiens en créant un personnage fruste et déjanté. La comédienne exploite avec finesse sa silhouette ronde pour incarner de petites gens souvent fatigués par la vie, mais que l’humour ne fuit pas. En 2004, elle coréalise, avec Gilles Porte, Quand la mer monte, où elle incarne une comédienne humoriste en tournée dans le Nord, rôle tiré de sa propre expérience. Le film est récompensé aux César 2005 (meilleure actrice, meilleur premier film) et reçoit le prix Louis-Delluc. En 2009, elle obtient pour la deuxième fois le César de la meilleure actrice pour Séraphine de Martin Provost. Elle tient avec son compatriote Bouli Lanners le haut de l’affiche de Louise Michel, comédie burlesque de Benoît Delépine et Gustave Kervern. L’année suivante, les deux réalisateurs la distribuent dans Mammuth auprès de Gérard Depardieu. En 2011, Martin Provost lui confie à nouveau le rôle principal, dans son film Où va la nuit ; on la voit aussi apparaître dans Camille redouble de Noémie Lvovsky. Ouverte à toutes les expériences, elle prête sa voix à deux films d’animation français : Mia et le Migou (2008) et La Véritable Histoire du chat botté (2009). Huit ans après son premier coup d’essai, Y. Moreau repasse, seule cette fois, derrière la caméra, avec Henri, histoire d’un patron de bistrot italien colombophile émigré dans le Nord de la France ; Pipo Delbonno tient le rôle-titre, avec la chanteuse Lio comme partenaire.

Mireille DAVIDOVICI et Noëlle GUIBERT

MOREAU DE JUSTO, Alicia [LONDRES 1885 - BUENOS AIRES 1986]

Femme politique et gynécologue argentine.

Fille d’un communard anarchiste français réfugié en Argentine, Alicia Moreau de Justo entreprend en 1903, à l’issue d’un Congrès international de la libre pensée, d’organiser un mouvement pour les droits politiques des femmes, et fonde le premier Centre féministe d’Argentine et le Comité pour le suffrage des femmes. Elle participe à la création de l’Ateneo Popular, centre d’éducation populaire très actif. Elle diffuse les idées de Maria Montessori* mais aussi de Rosa Luxembourg* et de Clara Zetkin* et publie son livre Evolución y educación. Elle participe, dans les quartiers pauvres de la capitale, à des grèves et manifestations de femmes contre l’augmentation des loyers et pour leurs droits. Elle fait en 1907 des études de médecine et soutient une thèse sur « La fonction endocrine des ovaires ». Elle est parmi les premières femmes médecins d’Amérique latine à se spécialiser dans les maladies féminines et ouvre un dispensaire de gynécologie où elle soigne gratuitement des femmes sans ressources et des prostituées. En 1919, après avoir publié la revue Humanidad Nueva (« humanité nouvelle »), elle est mandatée par les organisations féministes argentines au Congrès international des femmes ouvrières à Washington ; au cours du même voyage, elle participe au Congrès international des femmes médecins. Elle se distingue par sa critique du système prostitutionnel et de la double morale. Cofondatrice de l’Union féministe nationale (UFN), elle fait campagne pour le droit de vote. Elle adhère au Parti socialiste en 1921. À partir de 1925, ces associations obtiennent leur premier grand succès avec une loi limitant le travail des femmes et des enfants à 48 heures hebdomadaires et 8 heures par jour, interdisant le travail de nuit, ainsi que le travail insalubre et le licenciement des femmes enceintes ; les entreprises sont tenues d’ouvrir des garderies pour les jeunes enfants et les mères obtiennent le droit d’allaiter sur place. Un an plus tard, la Loi des droits civils de la femme pose le principe de l’égalité. Mais l’élaboration du projet de loi pour le suffrage des femmes, auquel elle participe dès 1932, n’aboutira pas avant 1947 malgré une intense mobilisation. Elle s’engage à partir de 1933 dans les mouvements de solidarité en faveur de la Seconde République espagnole et publie en 1945 La mujer en la democracia (« la femme dans la démocratie »). Deux ans plus tard, elle représente le mouvement des femmes argentines pour la démocratie au Congrès international des femmes pour la paix. Malgré son opposition au caractère antidémocratique du péronisme, elle approuve la nouvelle Constitution de 1949 qui établit l’égalité entre femmes et hommes, ainsi que le partage de l’autorité parentale. Quand les Argentines sont appelées à voter pour la première fois, en 1951, elle fait partie des candidates à la députation du Parti socialiste. Arrêtée et emprisonnée, elle subit une mise au silence forcé. En 1975, trois mois avant le coup d’État militaire qui va instaurer une dictature particulièrement meurtrière, elle fait partie, à 90 ans, des membres fondateurs de l’Assemblée permanente pour les droits humains (APDH). Au cours de cette période tragique, A. Moreau de Justo se joint aux « Mères de la place de Mai* », qui effectuent tous les jeudis, au péril de leur propre vie, une ronde devant le palais gouvernemental pour connaître le sort de leurs proches « disparus » et obtenir la libération des prisonniers et prisonnières politiques. À la fin de la dictature, l’APDH poursuit son action contre l’impunité des militaires responsables de la disparition, de la torture et de l’assassinat de plus de 30 000 opposants au régime entre 1976 et 1983. En 1984, elle est élue Femme de l’année par la Chambre des députés, tandis que la faculté de médecine lui décerne le titre de Femme médecin du siècle.

Yvette ORENGO

Conversaciones con Alicia Moreau de Justo y Jorge Luis Borges, Blas A. (dir.), Buenos Aires, Ediciones del Mar Dulce, 1985.

CICHERO M., Alicia Moreau de Justo, Buenos Aires, Planetas, 1994.

MOREIRA, Helga [QUADRAZAIS 1950]

Poétesse portugaise.

Née dans la région de Guarda, Helga Moreira quitte à 18 ans cette province de l’intérieur pour la ville littorale de Porto, changement ou évasion qui contribuera à délinéer son imaginaire de poétesse. Dans Os dias todos assim (« les jours tous comme ça », 1994), anthologie qui rassemble les poèmes écrits entre 1984 et 1993, elle commence par reconnaître : « Ma vie tient dans une pelote/Je n’appartiens à nulle part. » Lutte pour le corps qui se perd d’évidence, désir de faire obstacle à l’usure du temps, huit ans après, le poème d’ouverture de Desrazões (« déraisons », 2002) ose la confidence suivante : « Je suis d’ailleurs/[… ] Je suis étrangère. N’importe où et ici/je suis d’ailleurs. » Le caractère introspectif de sa poésie laisse entrevoir une vision inquiétante de la vie. Le recours obsessionnel à des petites énigmes d’espace et de temps ouvre à une écriture au timbre profondément intimiste, alternant entre la simplicité et l’astuce, soigneusement protégé. Explorant le quotidien avec une ironie intelligente, tendre et mordante, sereine et alarmante à la fois, mais d’où l’innocence semble de temps en temps s’absenter, ses poèmes portent en eux l’étonnement du désir et du vice, tout comme l’impudeur que la malice provoque (Tumulto [« tumulte »], 2003). Bien que le discours lyrique s’installe obstinément au bord du non-dit, la clarté et l’« objectivité » avec lesquelles sont décrits des faits volontairement « mineurs » (Os dias todos assim) se laissent contaminer par la marque de l’excès, dans une espèce de parodie sentimentale qui cherche à réinventer la sobriété, à travers l’utilisation (et l’abus) du sonnet. D’un ton fluctuant tempéré d’impressions ou de tonalités fugaces, sa poésie, marquée par les thèmes de l’ironie ou de l’impiété (Agora que falamos de morrer [« maintenant que nous parlons de mourir »], 2006), l’accueil de la suspension (Desrazões), la conscience de la perte et de l’éphémère (Tumulto), la fracture de l’identité et la suggestion sexuelle fantasmatique (Agora que falamos de morrer), révèle une voix qui ne cesse d’interpeller. Son premier et très discret recueil, Cantos do silêncio (« chants du silence », 1978), laissait difficilement imaginer que celle qui appartient à la génération des voix de la « jeune poésie portugaise » des années 1980 en viendrait à signer l’une des œuvres poétiques les plus influentes et les plus marquantes de la langue portugaise.

Hugo MENDES AMARAL

MOREJÓN, Nancy [CUBA 1944]

Poétesse et essayiste cubaine.

Diplômée en langue et littérature française de l’université de La Havane, Nancy Morejón a travaillé dans des institutions culturelles, notamment en tant que conseillère de la Maison des Amériques ou comme présidente de l’Association des écrivains et artistes de Cuba. Sa poésie et ses essais se distinguent par leur style très personnel et par leurs sujets, où ses souvenirs familiaux, son milieu social, sa revendication d’une féminité marginalisée et contestataire ainsi que la multiculturalité et l’identité caribéenne tiennent une grande place. Elle s’inspire de la tradition orale, de la nature et des paysages cubains. N. Morejón fait des recherches sur les littératures française et latino-américaine, ce dont témoigne Nación y mestizaje en Nicolás Guillén (« nation et métissage dans l’œuvre de Nicolás Guillén », 1982), ouvrage qui lui a valu un prix. Parmi ses œuvres, on distingue les recueils de poèmes Mutismos (« mutismes », 1962), Amor, ciudad atribuida (« Amour, ville attribuée », 1964), Richard trajo su flauta y otros argumentos (« Richard a apporté sa flûte et autres histoires », 1967), Piedra pulida (« pierre polie », 1986), Elogio y paisaje (« éloge et paysage », 1996), ainsi que ses essais rassemblés dans Ensayos (2005). Elle a reçu plusieurs prix et distinctions, notamment le Prix national de littérature en 2001. Elle s’est essayée également à la rédaction de témoignages et a réalisé quelques incursions en peinture.

Cira ROMERO

GEISDORFER FEAL R., « Poetas afrohispánicas y la “política de identidad” », in GRANILLO VÁZQUEZ L. (dir.), Literatura, historia e identidad, los discursos de la cultura hoy, 1994, Mexico, Universidad Autonoma Metropolitana-Azcapotzalco, 1995.

AUGIER A., « Nación y mestizaje en Nicolás Guillén », in Revista de Literatura Cubana, juil. 1983.

MOREL, Camille DE [PARIS 1547 - ID. V. 1611]

Écrivaine française.

Fille aînée de Jean de Morel et d’Antoinette de Loynes*, Camille de Morel reçut une éducation humaniste avec son frère, Isaac, et ses deux sœurs, Lucrèce et Diane, grâce au préceptorat de Charles Utenhove. Elle apprit le latin, le grec et l’hébreu, et rédigea des poèmes dans ces trois langues aussi bien qu’en français. Ses talents furent reconnus par ses contemporains, y compris par Dorat, Du Bellay et George Buchanan. Ses compositions parurent en général dans des ouvrages qui ne portent pas son nom, comme les Xenia de C. Utenhove (1568), et plusieurs de ses poèmes restèrent inédits. Ses vers latins et grecs révèlent une maîtrise des formes poétiques dans ces deux langues, et une bonne connaissance des principaux auteurs anciens. Elle fut responsable d’un Tumulus (« tombeau »), publié en 1583 en l’honneur de son père, grand mécène de la Pléiade, pour qui elle avait sollicité des œuvres de la part des poètes qu’il avait assistés ; elle y inclut plusieurs de ses propres poèmes, dont certains font preuve d’un franc-parler assez rare chez les femmes de l’époque. Son érudition considérable n’eut pas de débouché évident dans la vie limitée, réservée aux femmes du XVIe siècle, mais elle prépara le terrain à l’éducation des filles du siècle suivant.

Philip FORD

FORD P., « An early French Renaissance salon : The Morel household », in Renaissance et Réforme, vol. 28, 2004 ; WILL S. F., « Camille de Morel : A prodigy of the Renaissance », in Publications of the Modern Language Association of America, vol. 51, 1936.

MOREL, Chantal [GRENOBLE 1955]

Metteuse en scène française.

Chantal Morel suit la formation du conservatoire de Grenoble, et, après Le Montreur d’Andrée Chédid* en 1979, elle crée la compagnie Alertes en 1980 (Conte nocturne d’après Hoffman et une adaptation de Phèdre où elle imagine un dialogue entre Racine, Euripide et Jim Morisson, le chanteur des Doors). Dès lors, elle alterne pièces contemporaines : Home de David Storey (1981), Olaf et Albert de Heinrich Henkel (1983) et adaptations d’œuvres théâtrales ou romanesques : Histoire d’Iphigénie d’après Euripide et Eschyle (1983), Groom de Jean Vautrin (1985). Elle investit une usine désaffectée pour une version intégrale, en huit heures, de Platonov d’Anton Tchekhov (1984). La sobriété, l’efficacité de ses mises en scène vont de pair avec une capacité à saisir les œuvres dans leur essence et un sens aigu de l’espace théâtral. En 1988, elle prend, avec Ariel Garcia-Valdès, la direction du Centre dramatique national des Alpes, qu’elle quitte un an après. Elle s’y sent « oppressée » et rédige un rapport peu flatteur sur l’état des institutions théâtrales. Elle fonde alors l’Équipe de création théâtrale, monte aussi bien des formes brèves de Serge Valletti qu’un Roi Lear de Shakespeare dans une autre usine désaffectée (1993). Avec Un jour, au début d’octobre, le public redécouvre Roman avec cocaïne de l’énigmatique M. Aguéev (1990), notamment au théâtre de l’Athénée. Changeant d’échelle, elle ouvre en 1996 le Petit 38, dans un ancien restaurant. Là, lançant également une « école des gens », elle repense son théâtre à l’aune de l’intimité du lieu, qu’elle quittera en 2007. Parmi ses nombreux projets, elle revient régulièrement à Dostoïevski. Après Le Sous-Sol et La Douce, elle aborde Crime et châtiment au Maillon de Strasbourg en 1996, choisissant de parcourir, avec les comédiens et le traducteur, le texte intégral pour n’en conserver que des précipités. La réalisation des Possédés procède de la même démarche : l’ensemble de l’équipe artistique défriche de front la matière foisonnante du roman, construisant tableau après tableau six heures et demie de spectacle.

Mireille DAVIDOVICI

MOREL, Marie [PARIS 1954]

Peintre française.

La vocation de Marie Morel se révèle dès l’enfance et prend un caractère définitif à 9 ans, lorsque ses parents l’emmènent à la Biennale d’art contemporain de Venise pour la première fois. Elle se range du côté des peintres classiques, de ceux qui emploient du matériel courant : des toiles, de la peinture, du pastel. Mais elle utilise aussi la liberté de son époque pour coller dans ses peintures différents petits éléments, bois, tissus, plumes. Elle a par ailleurs la particularité d’écrire dans ses peintures. Impliquée totalement dans les thèmes qu’elle aborde sous forme de grands formats qui semblent de loin comme une abstraction monochrome, mais, de près, que l’on découvre remplis de milliers de petits détails, elle livre ainsi sa vision du monde, son amour de la nature, de l’érotisme, ses colères et ses bonheurs, ses interrogations et sa révolte, ses passions et ses chagrins ; elle dévoile aussi certaines parts de son intimité. Fille de l’éditeur Robert Morel et de l’architecte Odette Ducarre*, M. Morel a fréquenté très tôt de nombreux écrivains, poètes et peintres avec lesquels elle a noué de longues relations d’amitié et établi de riches correspondances. À l’occasion d’une grande exposition rétrospective au musée de la Halle Saint-Pierre, en 2009-2010, son ami Pascal Quignard écrit qu’elle « est un des plus grands peintres vivants ». Outre la peinture, elle se passionne pour la musique, la photo, le dessin, la littérature, la philosophie, et plus généralement la création sous toutes ses formes. Elle a fondé une toute petite revue, Regard, dans laquelle elle présente ses amis artistes, célèbres ou inconnus. Parfois, quand elle arrête de peindre, elle se met à écrire ou à jouer du violoncelle, de la flûte traversière ou du piano. Elle part aussi pour de grandes promenades en montagne et s’émerveille devant la beauté de la nature.

Carine LORENZONI

BUTOR M., « Cent dix remarques pour les entractes de Marie Morel » (2008), in BUTOR M., Œuvres complètes vol. X, CALLE-GRUBER M. (dir.), Paris, La Différence, 2009.

MORELLI, Emilia [PAVIE 1913 - ROME 1995]

Historienne italienne.

Relativement récente et fondée à l’origine sur des sources privées (lettres, Mémoires, papiers de famille), l’histoire du Risorgimento constitue un terrain favorable à la professionnalisation des femmes historiennes dans le cadre des musées du Risorgimento, fondés à partir des années 1880, ou de l’Université. Parmi ces femmes, la figure d’Emilia Morelli se distingue. Née dans une famille lombarde patriote et monarchiste (après la proclamation de la République en 1946, elle est plusieurs fois invitée à Cascais par Umberto II de Savoie, l’éphémère « roi de mai »), elle est l’élève d’Alberto Maria Ghisalberti, fondateur de l’histoire du Risorgimento, et lui dédie l’imposante Bibliografia del’età del Risorgimento, in onore di A. M. Ghisalberti. Chargée de cours à Cagliari dès 1946, elle succède ensuite à son maître à Rome et prend la gestion du Musée central du Risorgimento dans le Vittoriano (1970). Elle devient présidente de l’Institut central pour l’histoire du Risorgimento en 1983 puis directrice de la revue Rassegna storica del Risorgimento.

Ilaria PORCIANI

« In memoria di Emilia Morelli », no spécial, Rassegna storica del Risorgimento, vol. LXXXIII, no IV, oct.-déc. 1995.

MORELLI, Maria Maddalena VOIR CORILLA OLIMPICA

MORELLI, Rina [NAPLES 1908 - ROME 1976]

Actrice italienne.

Née dans une famille de comédiens, Rina Morelli commence très jeune à fréquenter la scène. Après avoir passé de nombreuses années dans la célèbre compagnie du Teatro Eliseo (se faisant remarquer, entre autres, par ses interprétations shakespeariennes), elle rencontre en 1945 Luchino Visconti, qui la dirige une première fois la même année dans Les Parents terribles de Jean Cocteau et qui la qualifie de « monstre sacré » en raison de sa force expressive : elle occupe ainsi une place centrale sur la scène théâtrale italienne. En 1946, elle s’associe à Paolo Stoppa et crée la compagnie Stoppa-Morelli, qui a le grand mérite, par des représentations mémorables et un répertoire très moderne pour l’époque (Sartre, Williams, Anouilh, Giraudoux, Miller, Coward) qui mêle drames et comédies, de revitaliser un théâtre officiel qui semble, déjà à l’époque, voué à une lente extinction. Très nombreuses sont aussi ses collaborations cinématographiques (de nouveau avec Visconti, comme dans Senso en 1953 et Le Guépard en 1963), radiophoniques et télévisuelles.

Angelo PAVIA

MORENCY, Suzanne GIROUST DE (épouse QUINQUET) [née V. 1770]

Romancière française.

Issue d’un milieu aisé de commerçants, elle est élevée au couvent des Ursulines, et se marie au début de la Révolution avec Bernard Quinquet, avocat renommé de Soissons, dont elle divorce en 1792. Parlant de son mari, Suzanne Quinquet dit qu’il « ne sut pas profiter de la délicatesse de [ses] sentiments et de l’ardeur de [ses] passions ». Quand son amant Quinette est élu à l’Assemblée, elle quitte Soissons pour Paris et y collectionne les aventures galantes avec des acteurs de la Révolution, dont Hérault de Séchelles, Dumouriez, Fabre d’Églantine, Ronsin. En 1799, elle livre chez Rainville un roman largement autobiographique, Illyrine ou l’Écueil de l’inexpérience, qui obtient un succès de scandale et que les critiques du XIXe siècle, dont Charles Monselet en 1857, s’acharneront à condamner au nom de la vertu et des bienséances. Cette fiction romanesque propose des avancées originales sur le droit des femmes à la sexualité, à l’amour, à l’éducation et à leur liberté. L’héroïne, femme divorcée et émancipée, affiche ses conquêtes, évoque sa sensualité ardente sans pudeur et porte sur la société révolutionnaire un regard lucide et plein d’humour. Exploitant la même veine érotico-sentimentale, la romancière compose Rosalina ou les Surprises de l’amour (1801) ; mais elle se plie finalement au goût du jour en publiant ses derniers romans, sensibles ou historiques, nettement plus conventionnels (Euphémie, 1801 ; Lise, 1801 ; Orphana, 1802 ; Zéphira et Fridgella, 1806). Il faudra attendre l’édition contemporaine de Claudine Brécourt-Villars pour redécouvrir Illyrine, ce roman original qui fit la réputation sulfureuse de la Morency, écrivaine du Directoire.

Geneviève GOUBIER et Huguette KRIEF

L’Érotisme Directoire, Illyrine ou l’Écueil de l’inexpérience, Paris, Garnier, 1983.

PAUVERT J.-J. (dir.), Anthologie des lectures érotiques, t. 2, Paris, Stock, 1995 ; VAN CRUGTEN-ANDRÉ V., Le Roman du libertinage, Paris, H. Champion, 1997.

MORENI, Popy (Annalisa MORENI, dite) [TURIN 1947]

Styliste de mode italienne.

Issue d’une famille d’artistes, Popy Moreni étudie à l’Instituto statale d’arte per la moda e il costume de Turin, avant d’être engagée en 1964 par Maïmé Arnodin (Mafia). Après avoir dirigé, à 20 ans, un groupe de travail chez Promostyl, elle ouvre en 1973 son propre bureau de conseil auprès de grands industriels. En 1976, elle inaugure sa boutique au 46, rue Saint-Denis à Paris et organise son premier défilé en 1979. Deux ans plus tard, elle conçoit des vêtements pour les 3 Suisses. En 1983, elle s’installe place des Vosges dans une nouvelle boutique dont elle a conçu la décoration, l’un de ses domaines de prédilection. En 2005, elle organise une installation de son travail au musée Galliera, musée de la Mode de la Ville de Paris. Elle poursuit notamment sa carrière au Japon. De ses débuts à aujourd’hui, l’enfance et le théâtre constituent des thèmes récurrents. P. Moreni s’inspire des vêtements portés par les personnages de la commedia dell’arte, comme la collerette, l’un des classiques de son répertoire. Passionnée d’architecture, elle orne ses créations de formes géométriques épurées. Ses recherches de coloriste vont du simple bicolore noir et blanc, aux tons pastel, plus subtils, en passant par des couleurs franches.

Zelda EGLER

DESLANDRES Y., MÜLLER F., Histoire de la mode au XXe siècle, Paris, Somogy, 1986 ; KAMITSIS L., REMAURY B. (dir.), Dictionnaire international de la mode, Paris, Éditions du regard, 2004.

MORENO, Carmen VOIR CARABIAS, Josefina

MORENO, Marguerite (Lucie Marie Marguerite MONCEAU, dite) [PARIS 1871 - TOUZAC 1948]

Comédienne française.

Attirée très jeune par le théâtre et la poésie, Marguerite Moreno sort du Conservatoire en 1890 et débute à la Comédie-Française auprès de Mounet-Sully dans Ruy Blas de Victor Hugo. Son amant, le critique Catulle Mendès, l’introduit auprès des Symbolistes, dont elle devient la muse. L’été 1894, elle fait la connaissance de Colette*, l’amie de toute une vie. En 1900, elle épouse l’écrivain et érudit Marcel Schwob, qui, rongé par la maladie, est empêché d’écrire. M. Moreno, contrainte de gagner leur vie, enchaîne les rôles et devient la partenaire de Sarah Bernhardt* au Théâtre de la Renaissance. De 1908 à 1913, elle s’installe à Buenos Aires avec son nouvel époux, l’acteur Jean Daragon. Dans les années 1930, c’en est fini de son allure préraphaélite ; sa voix devient rauque et autoritaire. Mais elle sait tirer parti de ce changement et renoue avec la célébrité, interprétant plus de 70 rôles. Elle enchaîne les comédies à succès (Le Sexe faible, d’Édouard Bourdet, 1929) et est l’actrice-fétiche de Sacha Guitry, du Roman d’un tricheur à Ils étaient neuf célibataires. Moderne et audacieuse, elle a dès 1936 son avion privé. En 1945, année où est instauré le vote des femmes, elle est l’une des premières aux urnes. Son dernier rôle – celui d’Aurélie dans La Folle de Chaillot de Jean Giraudoux – est un triomphe. M. Moreno termine sa vie à « La Source bleue », son refuge de la vallée du Lot.

Noëlle GIRET

Souvenirs de ma vie, Paris, Phébus, 2002.

SOUSTRE F., Marguerite Moreno, Biarritz, Séguier, 2009.

MORENO, María [BUENOS AIRES 1947]

Journaliste, écrivaine et essayiste argentine.

María Moreno commence sa carrière au journal La Opinión (« l’opinion ») dans les années 1970. À la veille du retour de la démocratie, elle dirige la rubrique féminine du journal Tiempo Argentino (« temps argentin », 1982-1986) et crée le journal féministe Alfonsina (1983-1984), qui rend compte des débats qui animent ce mouvement en Europe et en Amérique du Nord. Elle participe à des revues et à des journaux avec des rubriques féminines aux thématiques et aux formats inédits, en rédigeant des chroniques qui dénoncent le sexisme social et culturel de façon radicale. Certains de ces textes ont été rassemblés dans A tontas y a locas (« à tort et à travers », 2001) et dans El fin del sexo y otras mentiras (« la fin du sexe et autres mensonges », 2002). Dans son livre Vida de vivos (« vie de vivants », 2005) et dans son émission de télévision Portarretratos (« porte-photos »), M. Moreno se distingue par la finesse avec laquelle elle aborde le genre de l’interview. En 1994, elle publie El petiso orejudo (« le petit aux grandes oreilles »), fruit d’un travail de recherche sur un infanticide en série, autre preuve de son intérêt pour les personnages marginaux ou controversés. Depuis 2007, elle est membre du conseil éditorial d’El Teje, Primer Periódico Travesti Latinoamericano (« le Teje, premier journal travesti latino-américain »). Teje est le terme qu’emploient les travestis pour désigner un objet ou un thème sans le nommer devant un tiers. Parallèlement, elle pratique une écriture fictionnelle excentrique. El affair Skeffington (1992) est un livre inclassable, mélange de prose et de poésie, de fiction et d’autobiographie qui réfléchit au statut d’auteur. Dans Banco a la sombra (« banc à l’ombre », 2007), les places de diverses villes du monde constituent la scène de ses chroniques de voyages et de ses récits littéraires.

Lucía María DE LEONE

GIORDANO A., « María Moreno, la entrada en la cultura », in Otra Parte, 2008, no 14.

MORENO, Marvel [BARRANQUILLA 1939 - PARIS 1995]

Écrivaine colombienne.

Issue d’une famille aisée et très influente, Marvel Moreno soutient les mouvements progressistes. Première femme admise dans la section d’économie de l’université d’Atlántico, elle est également modèle pour de grands peintres, que sa beauté attire : à 20 ans, elle est couronnée reine du célèbre carnaval de Barranquilla, un épisode très critiqué par certaines féministes. En 1969, elle publie sa première nouvelle, El muñeco (« le pantin »), dans la prestigieuse revue colombienne Eco, mais c’est en Europe qu’elle fait carrière, en rejoignant le groupe de la revue Libre. À partir de 1972, elle souffre de plusieurs maladies graves qui, loin de l’abattre, renforcent sa discipline d’écrivaine. Son roman Les Dames de Barranquilla remporte le prix Grianzane-Cavour du meilleur livre étranger, en 1989, en Italie. Sa nouvelle Oriane, tía Oriane (« Oriane, tante Oriane ») est adaptée au cinéma par la Vénézuélienne Fina Torres, dont le film Oriana se voit décerner la Caméra d’or au festival de Cannes en 1985. Ses recueils de nouvelles Cette tache dans la vie d’une femme comme il faut et El encuentro y otros relatos (« la rencontre et autres récits », 1992) reflètent son anticonformisme dans une société patriarcale, clientéliste, corrompue, répressive et hypocrite, capable d’engendrer des hommes puissants qui, une fois éconduits, se vengent sur la famille de celle qu’ils ont aimée. Son écriture fait preuve d’une ingéniosité souvent mêlée de poésie.

Victor MENCO HAECKERMANN

Cette tache dans la vie d’une femme comme il faut (Algo tan feo en la vida de una señora bien, 1980), Paris, Des femmes-Antoinette Fouque, 1983 ; Les Dames de Barranquilla (En diciembre llegaban las brisas, 1987), Paris, R. Laffont, 1990.

MORENO, Xiomara [CARACAS 1959]

Metteuse en scène, dramaturge et actrice vénézuélienne.

Ayant intégré le groupe Theja en 1976, Xiomara Moreno y fait ses débuts d’actrice dans El largo camino del Edén, de José Gabriel Núñez, avant d’écrire des pièces, la première étant Gárgolas (« gargouilles », 1979). Directrice et productrice du groupe de 1983 à 1992, elle fonde ensuite l’association Xiomara Moreno Producciones, qui publie des textes dramatiques et produit des spectacles en collaboration avec des équipes internationales. Enseignante à l’université centrale du Venezuela, elle associe de façon permanente à sa pratique dramaturgique une réflexion sur le théâtre, et en particulier le spectateur. C’est ce que reflètent les créations de Theja, exposant la portée humaniste d’un théâtre pour le jeune public : Amigo sol, amiga luna (« ami soleil, amie lune »), de C. Castro (1980) ; Aladino y la lámpara maravillosa, de J. S. Escalona ; El caballero verde (« le chevalier vert », 2003) ; El Popol Vuh (2005). Les recherches de X. Moreno débouchent sur de nouvelles créations primées : Caligula, una pasión sin futuro, Salomé, otra pasión sin futuro et Marilyn, la última pasión (1983). Entre avant-garde expérimentale et convention théâtrale inspirée de la dramaturgie universelle, Obituario (1984) constitue une œuvre paradigmatique dans la création théâtrale syncrétique de cette artiste. Avec Xiomara Moreno Producciones, l’expérimentation structurelle est toujours investie dans Mínimas (2005) ou De especies (2007).

Stéphanie URDICIAN

« Último piso en Babilonia », in COLLECTIF, Nueva dramaturgia de Venezuela, Madrid, Casa de América, 2002.

MORENO DE GABAGLIO, Luisa [CHACO 1949]

Écrivaine paraguayenne.

Bien que vétérinaire, Luisa Moreno de Gabaglio se consacre surtout à l’écriture. Membre fondateur de l’organisation non gouvernementale Pronatura, qui a mené des campagnes en faveur de la création de parcs nationaux, elle participe aussi à de nombreux ateliers de littérature. Ses nouvelles paraissent dans la collection « Taller de Cuento Breve » dirigée par Hugo Ródriguez-Alcalá, mais aussi dans le journal Hoy et dans des revues littéraires nationales et étrangères. En 1992, elle publie son premier livre, Ecos de monte y de arena (« échos de montagne et de sable »), un recueil de nouvelles écologistes dont une réédition paraît deux ans plus tard en version bilingue espagnol-guarani sous le titre Kapi’yva, traduit en guarani par Mario Rubén Alvarez. Deux nouvelles de ce recueil, Capibará et Requiem para un dorado, reçoivent des distinctions. En 1993, son récit El hombre de los catalejos est également remarqué. Ses textes évoquent les histoires de la terre du point de vue de la culture et de la cosmogonie des peuples indigènes. Sa profession de vétérinaire lui inspire un genre novateur, celui du récit écologique, où les animaux sont personnifiés selon les modalités de la fable. Selon elle, les femmes peuvent offrir une vision plus humaine et plus sensible de l’écologie.

Natalia GONZÁLEZ ORTIZ

MORETON, Romaine [BUNDABERG, QUEENSLAND 1969]

Poétesse, interprète, chercheuse et scénariste aborigène australienne.

Descendante des peuples goenpul, bidjara et bundjalung, Romaine Moreton grandit en zone rurale en Nouvelle-Galles du Sud puis dans la petite ville de Bodalla. Son amour des mots, encouragé par une institutrice, l’entraîne sur le chemin de la poésie et de l’université, où elle obtient un doctorat en philosophie. Son premier recueil, The Callused Stick of Wanting (« messages aguerris par l’absence »), est publié en 1995. Depuis 1996, elle interprète sa poésie a cappella ou accompagnée de percussions et s’est produite à l’Opéra de Sydney et dans de nombreux festivals nationaux et internationaux. En 2002, elle accompagne le groupe féminin afro-américain Sweet Honey in the Rock dans leur tournée australienne. La publication de son livre-CD Post Me to the Prime Minister en 2004 marque un tournant dans l’histoire de la poésie australienne et aborigène : cette œuvre, pensée et vécue comme assurant le lien avec le monde spirituel, propose une redéfinition des fondements de la nation australienne, et une réflexion sur la relation à autrui. R. Moreton a théorisé la performance comme moyen poétique de communication et d’expression, s’inscrivant dans une continuité et une (re)création de la culture orale aborigène. Croyant aux vertus des mots et de la parole pour reconquérir les espaces qu’a envahis ou recouverts le colonialisme, ces « paysages intérieurs et extérieurs » qui ont été enlevés à son peuple, elle conçoit ses performances comme un moyen d’engager des relations d’échange et un changement durable. Un film documentaire portant sur sa vie et son œuvre, intitulé A Walk With Words, a reçu le prix du meilleur court-métrage international au World of Women Film Festival de Sydney en 2000. Son court-métrage The Farm (2009) a été très remarqué dans les festivals.

Estelle CASTRO

The Callused Stick of Wanting, St Peters, édition de l’auteur, 1995 ; avec TAYLOR A., SMITH MJ., Rimfire, Broome, Magabala Books, 2000 ; Post Me to the Prime Minister, Alice Springs, IAD Press, 2004.

CASTRO E., « Back and forth… From text to performance : open and spoken texts or the practice of (un)writing in aboriginal poetry », in Commonwealth Essays and Studies, vol. 28, no 1, 2005 ; ID., « Quand la parole libère (de) l’écrit, et l’écrit (de) la parole : entretien avec Romaine Moreton », in Multitudes, no 29, été 2007 ; RUSSO K. E., « On indigenous post-nostalgia : transmedia storytelling in the work of Romaine Moreton », in Anglistica, 13(1), 2009.

MORETTI, Michèle [PARIS 1940]

Actrice française.

Née dans une famille militante – petite, elle vend L’Humanité sur les marchés –, Michèle Moretti commence au théâtre au début des années 1960 et rejoint bientôt la troupe d’avant-garde de Marc’O avec Bulle Ogier* et Pierre Clémenti ; elle joue dans Les Bargasses (1965), puis dans Les Idoles (1966) que Marc’O porte au cinéma en 1968 avec la collaboration de Jean Eustache et André Téchiné. En 1969, c’est L’Amour fou de Jacques Rivette ; elle s’engage dans des films contestataires, tourne avec Jacques Demy, Marin Karmitz, Moshé Mizrahi. En 1971, elle signe l’appel des 343* femmes pour l’avortement libre. Elle poursuit sa carrière de comédienne au théâtre avec Jean-Marie Serreau (La Mort de Bessie Smith, 1970), Jean-Claude Grumberg, Alfredo Arias. Mais c’est surtout avec A. Téchiné qu’elle tourne entre 1975 et 1994 : Paulina s’en va (1975), Souvenirs d’en France (1975) avec Jeanne Moreau* et Marie-France Pisier*, J’embrasse pas (1991). Pour Roseaux sauvages, elle est nommée pour le César de la meilleure actrice dans un second rôle en 1995. Elle a aussi joué dans La guerre est déclarée, de Valérie Donzelli, et tourné dans de nombreuses séries télévisées. Interprète inoubliable d’une femme « perdue » dans Le Nom des gens de Michel Leclerc (2010), elle incarne les rôles les plus divers (patronne de café, infirmière, prostituée, fée Mélusine, etc.) avec empathie et générosité.

Joëlle GUIMIER

MORETTO, Nelly [ROSARIO 1925 - BUENOS AIRES 1978]

Pianiste et compositrice argentine.

À l’issue de ses études au Conservatoire national de musique de Buenos Aires et à l’université de l’Illinois, Nelly Moretto s’initie aux techniques compositionnelles d’avant-garde auprès de son compatriote Juan Carlos Paz, et se met à composer. Membre du groupe Nueva Musica dès 1951 (vice-présidente en 1970), elle ne cesse jusqu’à sa mort d’œuvrer en faveur de la nouvelle musique par des actions de sensibilisation, d’initiation et de recherches, tant à l’intention du public que des musiciens. C’est à partir du milieu des années 1960, alors qu’elle travaille au sein de l’Institut d’électronique de l’université de Buenos Aires, qu’elle commence à combiner, dans ses compositions, électroacoustique et écriture traditionnelle. Les œuvres de la première période sont donc purement instrumentales : notons 7 Inventions pour piano (1948), Hipocicloides I (1953) et II (1954), cette dernière pièce pour orchestre de chambre, ainsi que Composition no 7 (1958), et no 8 (1962) pour trois ensembles instrumentaux. La Composition no 9a pour deux ensembles instrumentaux dont un piano « préparé », bande magnétique, danse et lumières marque, en 1965, le début d’une seconde période où se succèderont des œuvres du même genre comme Coribattenti pour quatuor à cordes et bande magnétique (1967) ou Composition no 14 « Bah ! Le dije al tiempo » (1975).

Philippe GUILLOT

MOREY, Kelly Ana [KAITAIA 1968]

Romancière et essayiste néo-zélandaise.

Kelly Ana Morey étudia sous l’égide des célèbres écrivains néo-zélandais, Witi Ihimaera et Albert Wendt, à l’université d’Auckland, où elle obtint une maîtrise en histoire de l’art. Son premier roman, Bloom (« floraison », 2003), fut très bien reçu par la critique qui fit l’éloge de ses personnages éclectiques et de ses dialogues piquants. En 2004, elle reçut le prix Montana récompensant la meilleure première œuvre littéraire. Comme son premier roman, le deuxième, Grace is gone (« Grace est partie », 2004), met en scène des personnages maori, des Pakeha (« blancs ») et des fantômes, de manière humoristique plutôt que sinistre, ce mélange de réalité et de spiritualité étant typiquement maori. Car ces deux récits sont des sagas décrivant la vie moderne de plusieurs générations de femmes maori, on a comparé l’auteure à Patricia Grace*. En 2005, la romancière remporta le prix inaugural pour un écrivain de fiction du fidéicommis de Janet Frame*. Son troisième roman, On an Island, With Consequences Dire (« sur une île, avec des conséquences sinistres », 2007) se passe également dans une Nouvelle-Zélande rurale, et dépeint les membres féminins d’une vaste famille maori. L’œuvre de K. A. Morey est populaire et accessible, faisant usage des conventions du genre romanesque, mais avec cynisme. L’écrivaine est également l’auteure de How to Read a Book (« comment lire un livre », 2005), un essai plein d’esprit sur ses livres préférés ; elle participe régulièrement aux jurys de concours sur la création littéraire et officie en tant que mentor auprès de jeunes écrivains.

Gemma FREEMAN

GRACEWOOD J., « By all means by Kelly Ana and Bronwyn for Christmas », in New Zealand Listener, no 191, Wellington, 13-19 déc. 2003 ; REID N. « You’ve been warned », in New Zealand Listener, no 207, Wellington, 10-16 mars 2007.

MORGAN, Anne [NEW YORK 1873 - MOUNT KISCO, WESTCHESTER COUNTY 1952]

Philanthrope américaine.

À la fin de la Première Guerre mondiale, de nombreux volontaires américains se rendent en France pour participer à la reconstruction des régions libérées. Riche héritière d’un banquier influent, Anne Morgan fonde en 1917, avec Ann Murray Dike (1875-1929), le Card (Comité américain pour les régions dévastées), financé par elle-même et par les fonds privés américains qu’elle parvient à rassembler. L’armée française l’installe dans les ruines du château de Blérancourt, dans le département de l’Aisne, particulièrement touché par les destructions. Pendant sept ans, de nombreuses bénévoles américaines rattachées au Card sillonnent la Picardie afin de venir en aide à la population dans divers domaines comme le ravitaillement, la santé, le logement, les loisirs ou l’éducation. Leurs camions magasins circulent jusque dans les villages les plus reculés pour vendre à bas prix des produits de première nécessité. À partir de 1919, elles créent des bibliothèques municipales et, dans les zones rurales, des bibliothèques circulantes où les livres peuvent être empruntés. Afin de développer la formation professionnelle des bibliothécaires, quatre Françaises sont envoyées aux États-Unis, dont Victorine Vérine*. À la demande de la municipalité de Paris, le Card ouvre en 1922 une bibliothèque qui deviendra la première de la Ville de Paris en 1924.

Évelyne DIÉBOLT

MORGAN, Julia [SAN FRANCISCO 1872 - ID. 1957]

Architecte américaine.

Bien connue pour sa participation aux projets extravagants du magnat de la presse et collectionneur William Randolph Hearst, comme le Hearst Castle, somptueux domaine sur la côte californienne, cette pionnière a contribué à la création d’un genre architectural régional, par son œuvre originale et prolifique (plus de 700 bâtiments), caractérisée par sa luminosité, son intégration dans le site, sa flexibilité et son décor élaboré. Après avoir obtenu un diplôme en génie civil à l’université de Berkeley, en 1894, Julia Morgan est employée par Bernard Maybeck (1862-1957), jeune architecte excentrique et visionnaire. Il l’encourage à poursuivre ses études d’architecture à l’École des beaux-arts de Paris. Elle s’y inscrit – l’école ouvre tout juste ses portes aux femmes en 1897 –, est la première à être admise dans la section architecture en novembre 1898, et, en 1902, la première à en sortir avec un certificat d’architecture. Elle revient en Californie, travaille dans l’agence de John Galen Howard (1864-1931), chargé du plan d’aménagement du campus de Berkeley, où elle dessine des bâtiments monumentaux et classiques pour l’université. Elle conçoit également pour des amis des maisons rustiques, en matériaux apparents, et rencontre Phoebe Apperson Hearst, veuve riche et dévouée à la cause féministe qui l’introduit auprès de son fils, W. Randolph. En 1904, elle est la première à créer sa propre agence d’architecture à San Francisco, après avoir été, peu auparavant, la première à obtenir le titre officiel d’architecte en Californie. Elle réalise alors son premier chef-d’œuvre, le campanile en béton armé du Mills College d’Oakland, réalisation qui accroîtra considérablement sa réputation pour avoir résisté au tremblement de terre catastrophique de 1906. Durant les trois décennies suivantes, elle dessine des centaines de maisons et des douzaines d’institutions publiques, souvent destinées aux femmes : hôpitaux, bâtiments commerciaux, orphelinats, clubs sociaux, écoles, auberges pour la YWCA (Young Women Christian Association, « association des jeunes femmes chrétiennes »). Le chantier du Hearst Castle commence en 1919 et durera presque trente ans. Parmi ses projets les plus importants, on peut citer l’église presbytérienne St. John’s à Berkeley (1908-1910), le centre de conférences Asilomar, près de Monterey (1913-1928), le Berkeley Women’s City Club (1929), le centre YWCA de Chinatown à San Francisco (1932) et celui de Honolulu (1927).

Karen MCNEILL

BOUTELLE S. H., Julia Morgan, architect, New York, Abbeville Press, 1995.

MCNEILL K., « Julia Morgan. Gender, architecture and professional style », in Pacific Historical Review, vol. 76, no 2, mai 2007.

MORGAN, lady SYDNEY VOIR OWENSON, Sydney

MORGAN, Michèle (Simone ROUSSEL, dite) [NEUILLY-SUR-SEINE 1920]

Actrice française.

Après des débuts à 15 ans comme figurante, Michèle Morgan est lancée en 1937 par Marc Allégret dans Gribouille. L’année suivante, Marcel Carné en fait la partenaire de Jean Gabin dans Le Quai des brumes. La réplique signée Jacques Prévert « T’as de beaux yeux, tu sais » devient célèbre, même si les yeux de l’actrice, d’un bleu céleste, n’apparaissent qu’en noir et blanc. Le couple Morgan-Gabin est formé à nouveau dans Remorques (Jean Grémillon, 1941). Après Untel père et fils (Julien Duvivier, 1943, avec Raimu), et parce qu’elle refuse l’Occupation allemande, l’actrice part pour Hollywood, où elle tourne Passage pour Marseille (Passage to Marseille, Michael Curtiz, 1944, avec Humphrey Bogart). Elle y épouse William Marshall, acteur et réalisateur, et met au monde leur fils Mike. En 1948, elle divorce. De retour en France, elle renoue avec le succès grâce à La Symphonie pastorale (Jean Delannoy, 1946, d’après André Gide). Elle joue dans le péplum Fabiola (Alessandro Blasetti, 1949) avec Henri Vidal – qui deviendra son second mari, et avec lequel elle tournera plusieurs films – et incarne la Maria Chapdelaine de Louis Hémon (film réalisé par Marc Allégret en 1950). En 1953, le film Les Orgueilleux d’Yves Allégret, avec Gérard Philipe, fait scandale pour un érotisme jugé torride à l’époque. Après le décès de son époux en 1959, M. Morgan devient la compagne du cinéaste Gérard Oury. Elle retrouve Gérard Philipe pour Les Grandes Manœuvres (1955), comédie mélancolique de René Clair. Elle incarne Marie-Antoinette* dans Marie-Antoinette reine de France (J. Delannoy, 1956), puis une cocotte dans Maxime (Henri Verneuil, 1958, avec Arletty*). Après avoir été victime de Landru (Claude Chabrol, 1963), elle marivaude dans Benjamin ou les Mémoires d’un puceau (Michel Deville, 1968). Sur scène, elle joue Chéri, de Colette*, et Les Monstres sacrés, de Jean Cocteau, avec Jean Marais. Sa carrière terminée, elle se met à la peinture et reçoit un César d’honneur en 1992.

Bruno VILLIEN

Avec ces yeux-là, Robert Laffont, Paris, 1977.

DUREAU C., Michèle Morgan, les yeux du souvenir, Paris, D. Carpentier, 2010.

Avec ces yeux-là (documentaire), Anne Andreu, 52 min, 2011.

MADAME DE LA FAYETTE, La Princesse de Clèves, lu par Michèle Morgan, Paris, Des femmes-Antoinette Fouque, « Bibliothèque des voix », 1981 ; COLETTE, La Naissance du jour, lu par Michèle Morgan, Paris, Des femmes-Antoinette Fouque, « Bibliothèque des voix », 1985.

MORGAN, Robin [LAKE WORTH, FLORIDE 1941]

Théoricienne du féminisme, journaliste et auteure américaine.

Depuis le début des années 1960, Robin Morgan est l’une des leaders du féminisme international. Son anthologie Sisterhood Is Powerful, publiée en 1970, a contribué à la naissance des mouvements féministes aux États-Unis. Cet ouvrage, devenu un classique, regroupe des écrits féministes d’auteures engagées tels que Mary Daly* et Kate Millett*, mais aussi des extraits de documents comme le Scum Manifesto. Suivent d’autres anthologies ainsi que de nombreux essais à caractère politique : elle interroge le terrorisme et la société patriarcale dans The Demon Lover: The Roots of Terrorism (2011), en référence aux événements du 11 septembre 2001. Plus tard, en tant que journaliste, elle questionne le thème de la séparation des pouvoirs entre l’Église et l’État. Les textes de fiction de R. Morgan reflètent eux aussi son engagement politique. Dans Burning Time (2006), l’auteure évoque le premier procès de sorcellerie en Irlande à travers l’histoire fascinante d’Alice Kyteler. Fondatrice et présidente de The Sisterhood Is Global Institute, cofondatrice du GlobalSister.org et de The Women’s Media Center, elle reçoit de nombreux honneurs pour ses activités, dont le National Endowment for the Arts Prize et le Front Page Award for Distinguished Journalism.

Chiara PALERMO

Lady of the Beasts : Poems, New York, Random House, 1976 ; Depth Perception : New Poems and a Masque, Garden City, New York, Ancor Press/Doubleday, 1982 ; Sisterhood Is Global : The International Women’s Movement Anthology, New York, Garden City/Doubleday, 1984 ; Fighting Words : A Toolkit for Combating the Religious Right, New York, Nation Books, 2006.

MORGAN, Sally (née MILROY) [PERTH 1951]

Peintre, lithographe et écrivaine australienne.

Sally Morgan est une artiste et une écrivaine aborigène. Elle grandit à Perth, en Australie-Occidentale, sans rien connaître de ses origines. Alors qu’elle subit les moqueries et les interrogatoires des élèves de sa classe, curieux de son apparence et de ses racines, sa mère lui raconte que sa famille est originaire d’Inde, cherchant ainsi à protéger ses enfants d’une ascendance qui va à l’encontre de la politique d’assimilation alors menée en Australie. Ce n’est qu’à l’âge de 15 ans qu’elle apprend la vérité : elle est aborigène, descendante des Palyku de la région du Pilbara. Cette découverte la conduit à se questionner, à travers ses écrits et ses œuvres plastiques, sur le problème identitaire. En 1972, elle épouse Paul Morgan, avec qui elle aura trois enfants. Diplômée de l’université d’Australie-Occidentale, elle se partage désormais entre l’écriture pour adultes et enfants, la création plastique et l’enseignement. En 1983, elle part dans la région du Pilbara ; de ce voyage naît, en 1987, My Place, ouvrage autobiographique qui fait l’effet d’une révélation sur la condition aborigène, et rencontre un grand succès en Australie, mais aussi au niveau international. Cette œuvre se voit décerner plusieurs prix, dont le Human Rights and Equal Opportunity Commission Humanitarian Award en 1987. Deux ans plus tard, Wanamurraganya : The Story of Jack McPhee (1989) retrace la vie de son grand-père et sera suivi, entre autres, de Mother and Daughter : The Story of Daisy and Gladys Corunna (1990). Elle a publié plusieurs livres pour enfants, qu’elle illustre de ses peintures, parfois avec la collaboration de son mari (Little Piggies, 1991) ou celle de Bronwyn Bancroft (1958), créatrice de mode, artiste et illustratrice (Dan’s Grandpa, 1996). Outre ses écrits, elle se consacre à la peinture et à la lithographie. Ses œuvres au graphisme épuré et inspiré de l’art aborigène traditionnel sont notamment conservées à l’Australian National Gallery et à la Dobell Foundation de Melbourne. En 1993, l’une d’entre elles, Outback, a été choisie pour être reproduite sur un timbre commémorant la Déclaration universelle des droits de l’homme. S. Morgan enseigne et dirige le Centre for Indigenous History and the Arts de l’université d’Australie-Occidentale, à Perth. Elle contribue à la diffusion des écrits aborigènes.

Fanny DRUGEON

The Art of Sally Morgan, Ringwood/New York, Viking, 1996.

DUTHIL F., Histoire de femmes aborigènes, Paris, Presses universitaires de France, 2006.

MORGENSTERN, Sophie (née KABATSCHNIK) [POLOGNE 1875 - PARIS 1940]

Psychiatre et psychanalyste française.

D’origine polonaise, Sophie Morgenstern fait ses études de médecine à Zurich à partir de 1906. En 1915, elle exerce comme médecin-assistant à la clinique du Burghölzli, dirigée par Eugen Bleuler. C’est en 1924 qu’elle arrive à Paris et commence une analyse avec Eugénie Sokolnicka*, considérée comme l’introductrice de la psychanalyse en France. L’année suivante, elle exerce à la clinique de neuropsychiatrie infantile dirigée par Georges Heuyer dont elle sera l’assistante pendant près de quinze ans. Ce sont le dessin, le jeu et le modelage comme méthodes d’accès aux troubles de l’enfant qui resteront ses techniques de référence et ses principaux axes de recherche, et qui feront d’elle l’une des pionnières de la psychanalyse pour enfants en France. Elle y fait référence dès sa première publication en 1927, « Un cas de mutisme psychogène », parue dans la Revue française de psychanalyse. Ses travaux, publiés dans cette revue et dans L’Évolution psychiatrique sont, dès leur parution, unanimement reconnus. Françoise Dolto*, qui fut son élève, ne manquera pas de s’en inspirer. Mais en 1937, sa fille unique meurt lors d’une intervention chirurgicale. Son ouvrage Psychanalyse enfantine, publié la même année, avec une élogieuse préface de Georges Heuyer, lui est dédié. Profondément affectée par cette épreuve et consciente du sort qui l’attend, comme d’autres Juifs émigrés, elle se donne la mort, le 16 juin 1940, lors de l’entrée des troupes nazies à Paris.

Chantal TALAGRAND

Psychanalyse enfantine, Paris, Denoël, 1937 ; Œuvres complètes de Sophie Morgenstern, Paris, Tchou/Bibliothèque des Introuvables, 2004.

MORI HANAE [YOSHIKA, SHIMANE 1926]

Grand couturier japonaise.

Après des études de stylisme, Hanae Mori ouvre un premier studio de création en 1951. Aidée par son mari, Ken Mori, industriel dans le textile, elle devient la costumière attitrée des plus grands cinéastes japonais. Suite à sa rencontre avec Gabrielle Chanel* en 1962, elle décide de s’orienter vers la haute couture. Elle part pour New York où elle ouvre une boutique trois ans plus tard. En 1977, elle s’installe avenue Montaigne à Paris et devient le premier grand couturier japonais à entrer à la Chambre syndicale de la couture parisienne. Sous sa marque, sont créés des costumes de théâtre, des accessoires, ainsi que les tenues de ski pour les sportifs japonais aux Jeux olympiques de 1972 et, à deux reprises, les uniformes des hôtesses de Japan Airlines. En 2002, la marque est rachetée par le groupe Mitsui & Co. Ltd et, en 2004, H. Mori cesse ses activités. En 1990, une rétrospective de son œuvre est organisée à Paris, au Pavillon des arts. Classique et élégant, le style de H. Mori rappelle la tradition nipponne par ses textiles, ses broderies et les détails de coupe, tout en reprenant les grandes caractéristiques de la couture occidentale. La réussite de sa carrière lui vaut d’être devenue au Japon le parangon de l’émancipation féminine.

Zelda EGLER

Hanae Mori, 35 ans de mode, Paris, Pavillon des arts, 1990.

DESLANDRES Y., MÜLLER F., Histoire de la mode au XXe siècle, Paris, Somogy, 1986 ; KAMITSIS L., REMAURY B. (dir.), Dictionnaire international de la mode, Paris, Éditions du regard, 2004.

MORI MARIKO [TOKYO 1967]

Artiste multimédia japonaise.

Figure majeure de la scène artistique internationale actuelle, Mariko Mori suit une formation en stylisme (1986-1988), parallèlement à une carrière de mannequin. En 1988, elle s’installe à Londres, où elle suit des cours du Chelsea College of Art and Design et complète sa formation à New York au Whitney Museum of American Art (1992-1993). Son œuvre s’articule, depuis le début, autour de la dualité Orient/Occident, qu’elle tente de synthétiser de façon harmonieuse dans des photographies, vidéos ou performances. Se mettant elle-même en scène, elle emprunte, sur le plan formel, à la science-fiction, au pop art, à la mode, à la bande dessinée, et s’appuie sur des procédés technologiques de plus en plus sophistiqués au fil de sa carrière. Dans ses premiers travaux inspirés de la photographie de mode, l’artiste se grime en héroïne de manga ou se déguise en cyborg sexy, perdue dans divers endroits de Tokyo (Subway, 1994). Dans Tea Ceremony (1995) ou Play With Me (1995), elle dénonce avec subtilité le machisme et la place secondaire accordée aux femmes dans la société japonaise. À partir de 1996, elle utilise la vidéo et la photographie numérique pour produire des ensembles multimédias minutieusement orchestrés : la vidéo Miko no inori (« la prière de la chamane », 1996), tournée dans l’aéroport de Tokyo, baigne dans une ambiance cybernétique ; l’artiste, vêtue en déesse futuriste, lit l’avenir dans une boule transparente, prédisant ainsi ses futures compositions spirituelles fusionnant tradition japonaise, shintoïsme et bouddhisme. Dès lors, elle reconstruit, au croisement de la haute technologie et du chamanisme, des visions harmonieuses d’une réalité mystique et atemporelle, à l’exemple de la vidéo en 3D Nirvana, récompensée à la Biennale de Vienne en 1997. Conçue comme une entreprise pacifique et messianique, l’installation Beginning of the End : Past, Present, Future (1995-2005), composée de 13 panoramas photographiques courbés à 360°, met en scène M. Mori en méditation, allongée à l’intérieur d’une capsule transparente, dans différents lieux symboliques de la planète. Véritable icône de sa génération pour certains, l’artiste expose depuis les années 1990 dans le monde entier, et ses œuvres sont conservées dans d’importantes institutions internationales.

Damarice AMAO

Wave UFO (catalogue d’exposition), Schneider E. (dir.), Bregenz, Kunsthaus, 2003 ; Oneness (catalogue d’exposition), Ostfildern, Hatje Cantz, 2007.

MORI TOSHIKO [KOBE 1951]

Architecte japonaise.

Vivant aux États-Unis depuis son adolescence, Toshiko Mori a obtenu une licence d’architecture à la Cooper Union, en 1976, et a enseigné dans cet établissement de 1983 à 1995, avant de partir pour l’université Harvard, où elle a été la première femme titularisée à la Graduate School of Design, et la première à en diriger le département d’architecture, de 2002 à 2008. Elle débute sa carrière dans l’agence d’Edward L. Barnes, à New York, où elle a fondé sa propre agence, Toshiko Mori Architect, en 1981. Son premier projet fut une boutique pour Comme des garçons, qui marqua le début d’une série très créative d’aménagements de magasins, pour Marimekko, Issey Miyake, entre autres. Ces réalisations, primées, déploient un vocabulaire formel moderne et font preuve d’une utilisation sensible des matériaux, avec une insistance sur le motif, la lumière et la transparence. Autant d’éléments qui se retrouvent dans ses scénographies, comme celles des expositions new-yorkaises du Museum of Modern Art, consacrées aux tissus japonais et exceptionnels, ou de la Cooper-Hewitt, National Design Museum, sur Josef et Anni Albers*. T. Mori a exposé son intérêt pour les relations entre l’architecture et le textile dans deux ouvrages : Immaterial/Ultramaterial (2002) et Textile/Tectonic (2005). Avec le développement de son œuvre, elle a affirmé une préférence pour les projets historiquement sensibles, exigeant une « généalogie architecturale ». Elle a développé cette idée dans les lieux d’accueil des célèbres maisons de Darwin Martin, celle réalisée par Frank Lloyd Wright à Buffalo, celle d’Edgar Allen Poe dans le Bronx, ainsi que dans l’extension de celle de Paul Rudolph, près de Sarasota en Floride. Depuis 2000, elle a entrepris des projets institutionnels plus ambitieux pour des clients comme les universités Brown ou Syracuse, et la Smithsonian Institution, à Washington. En 2003, T. Mori fut la première à recevoir le prix John-Hejduk de la Cooper Union, récompense qui porte le nom de son principal mentor. En 2005, elle est devenue membre associée de l’Institut américain des architectes et a reçu le Prix d’architecture de l’Académie américaine des arts et des lettres.

Gabrielle ESPERDY

MERKEL J., « Practice Profile : Toshiko Mori », in Architectural Design, vol. 73, no 1, janv.-fév. 2003 ; LANGE A., « Stepping Out », in Metropolis Magazine, août-sept. 2003.

MORISAKI KAZUE [CHŌSEN, CORÉE 1927]

Écrivaine et philosophe japonaise.

Née pendant l’occupation japonaise à Chōsen, ville où son père était affecté comme directeur de collèges pour Japonais et Coréens, Morisaki Kazue s’installe, après la Seconde Guerre mondiale, à Fukuoka (dans le sud du Japon, sur l’île de Kyūshū) où elle commence à écrire. Son originalité est reconnue grâce à ses univers marginaux, souvent issus de ses expériences personnelles, reflets des expériences en territoires colonisés, avant qu’elle approfondisse sa position anticolonialiste. Son nom est surtout lié à l’image d’un féminisme précurseur, qui a eu une grande influence sur le mouvement féministe japonais. En 1950, elle participe à la revue de poésie Boin (« les voyelles »), dirigée par Maruyama Yutaka. À partir de 1958, elle commence à vivre en communauté, avec le poète communiste Tanigawa Gan, dans la ville de Nakama, dans la région de Fukuoka, alors connue pour ses mines. Elle participe au mouvement Sākuru mura (« village du cercle »), organisé par le poète. Inspirée par les activités de ce groupe qui critique le modernisme et le centralisme politique, elle s’intéresse à l’univers spirituel des mineurs et réalise des entretiens avec les travailleurs : Makkura, onna kōfu kara no kikigaki (« le trou noir, notes prises sur les femmes mineurs », 1961), ou Naraku no kamigami (« les dieux des enfers », 1973). Entre 1959 et 1961, elle dirige la revue féminine Mumei tsūshin (« lettres d’inconnues »). La fameuse déclaration publiée dans le premier numéro : « Nous, les femmes, nous rendons aux hommes le nom qui nous couvre et cache… », anticipe par un questionnement sur la sexualité le mouvement féministe. Elle publie en 1965 Daisan no sei (« le troisième sexe »). Un autre ouvrage, Tatakai to erosu (« la lutte et l’éros », 1970), dénonce le sexisme dans les activités de Sākuru mura, ainsi que dans les luttes de Taishō (luttes contre l’oppression, menées par la Société de l’industrie minière de Taishō). En 1968, elle se rend en Corée, ce qui donne naissance à une série d’ouvrages qui remettent en question les liens entre l’écrivaine et Chōsen. Morisaki Kazue s’interroge sur la possibilité d’un rachat pour ceux qui – comme elle – sont nés du côté des colonisateurs, afin de pouvoir placer sa vie, déchirée entre deux cultures, sous le signe de la réconciliation. Elle tente de retracer la vie de son père, qui avait sympathisé avec le mouvement d’indépendance des Coréens, en renouant les liens avec ses anciens élèves. Keishū wa haha no yobigoe (« Keishū est la voix de la mère », 1984) est un récit autobiographique qui relate son enfance, celle d’une femme née hors du Japon, ce qui a déterminé son univers romanesque. Le sentiment d’être étrangère à la communauté villageoise et à l’idéologie propre au Japon l’oriente vers les mineurs, les karayuki san (femmes pauvres qui se prostituent à l’étranger), les rumin (hommes qui n’ont pas de lieu d’attache). Poussée également par une propension au nomadisme, elle voyage dans tous les ports qui bordent la mer du Japon, comme en témoigne Kairo zansho (« la lueur laissée par la mer », 1981).

MIZUTAMARI MAYUMI

Morisaki Kazue collection, seishin-shi no tabi, 5 vol., Tokyo, Fujiwara-shoten, 2008-2009.

MORISOT, Berthe [BOURGES 1841 - PARIS 1895]

Peintre française.

Alors que l’École supérieure des beaux-arts lui est fermée, le Louvre, où Berthe Morisot étudie la peinture, représente bien plus qu’un musée : c’est un lieu mondain où les artistes font connaissance. À la fin de 1868, l’artiste y rencontre notamment le peintre Henri Fantin-Latour qui lui présente Édouard Manet, dont elle épousera le frère cadet. Les « mardis » de Mme Morisot mère lui permettent aussi de fréquenter de nombreux créateurs au sein de la demeure familiale qui abrite l’atelier. Elle expose pour la première fois au Salon de 1864. Les années suivantes, elle accentue le contraste entre figure et paysage ; elle précise les formes, les contours, comme pour contenir un geste jugé trop libre. Victime d’un sexisme stéréotypé, considérée aujourd’hui comme l’élève docile de Camille Corot, auprès duquel elle s’initie à la peinture de plein air, ou comme la disciple de Manet, voire comme sa muse – elle pose de nombreuses fois pour lui –, elle est pourtant regardée par les grands peintres de son temps comme une artiste de valeur. De 1874 à 1886, elle participe à toutes les expositions du groupe des impressionnistes. Impressionniste, elle l’est d’abord dans le choix de ses sujets de prédilection : les paysages et la figure humaine, tandis que les natures mortes l’ennuient. La ville est aussi présente, mais toujours comme cadre pour des personnages, jamais pour elle-même. La figure humaine, et en particulier la femme, tient une place majeure dans son œuvre. À l’époque, il est encore trop inconvenant pour une femme de faire poser des hommes, aussi peint-elle des portraits de son époux, Eugène Manet. Elle peint quelques autoportraits (celui, remarquable, du musée Marmottan-Monet à Paris, 1885) ; dans ses portraits d’autrui – femmes à l’air souvent pensif, absorbées dans des considérations peut-être existentielles –, on retrouve un peu de sa propre mélancolie. Impressionniste, elle l’est aussi dans sa manière. Dès le milieu des années 1870, elle achève de libérer sa touche. C’est par exemple La Psyché (1876), « véritable perle » pour Zola, et Jeune femme au miroir (1875), « symphonie de blanc ». Les deux œuvres balancent les blancs et les gris, mis en valeur par un fort contraste avec le rouge du sol au premier plan. Ces recherches aboutissent à Jeune femme en gris étendue qui se passe du rouge pour ne plus se concentrer que sur les infimes variations de tons à base de gris lilas. À partir des années 1880, les sujets semblent ne plus être que des prétextes à des recherches sur les impressions. Les détails sont de moins en moins prononcés, l’accent est porté sur la couleur et la lumière ; on la sent très proche de Monet, mais elle pousse davantage la fusion des éléments. Déjà l’admirable Jeune fille près d’une fenêtre (musée Fabre, Montpellier, 1878) affirmait la rapidité des touches, l’immersion du personnage dans l’environnement où il semble se dissoudre, produisant les effets d’un souvenir, dans le « tremblé » d’une image incertaine et pourtant tellement présente. Passionnée comme les autres impressionnistes par les estampes japonaises que son amie Marie Cassatt* collectionne, B. Morisot admire cette capacité « d’indiquer une bouche, des yeux, un nez, avec un seul trait de pinceau ». Cette qualité qu’elle attribuait à d’autres, elle-même l’avait acquise. En quelques touches de couleur, elle suggère toute la profondeur psychologique d’un personnage, comme le montre la superbe et japonisante œuvre tardive Jeune fille au repos (1889).

Raphaël CUIR

Catalogue des peintures, pastels et aquarelles de Berthe Morisot, Bataille M.-L, Wildenstein G. (dir.), Paris, Les Beaux-Arts, 1961 ; avec CLAIRET A., MONTALANT D., ROUART Y., Berthe Morisot, catalogue raisonné de l’œuvre peint, Montolivet, Cera-Cnrs éd., 1997.

ADLER K., GARB T., Berthe Morisot, Oxford, Phaidon Press, 1987 ; BONA D., Berthe Morisot, le secret de la femme en noir, Paris, LGF, 2002 ; REY J.-D., Berthe Morisot, la belle peintre, Paris, Flammarion, 2002.

MORISSETTE, Alanis [OTTAWA 1974]

Auteure-compositrice-interprète américano-canadienne.

À 9 ans à peine, Alanis Morissette déborde déjà d’activités : elle écrit ses premières chansons et court les castings de télévision jusqu’à être retenue pour animer une émission destinée aux enfants. Après avoir enregistré un premier single incluant deux titres de sa composition, elle rejoint une troupe de théâtre et fait ses premiers pas sur les planches. À 17 ans, elle sort Alanis, un premier album dance-pop dont l’accueil par le public et les professionnels canadiens dépasse toutes les espérances. En 1995, à Los Angeles, elle rencontre le compositeur et musicien Glen Ballard. Elle signe alors son premier opus international, Jagged Little Pill, réenregistré dix ans plus tard en version acoustique. Le titre culte You Oughta Know, suivi de Hand in My Pocket et Ironic, propulse A. Morissette en tête des meilleures ventes. Sa carrière est ensuite jalonnée de cinq albums à succès (Supposed Former Infatuation Junkie ; Under Rug Swept ; So-Called Chaos ; Flavors of Entanglement ; Havoc and Bright lights), entrecoupée d’un retour sur les planches de Broadway et d’écriture de chansons pour le cinéma (La Cité des Anges ; Le Monde de Narnia : Le Lion, la Sorcière blanche et l’Armoire magique). Depuis deux décennies, la pureté de sa voix, son énergie et sa créativité enchantent la scène mondiale.

Anne-Claire DUGAS

The Collection, Maverick, 2005.

MORITS, Iounna (ou Younna) [KIEV 1937]

Poétesse russe.

Iounna Petrovna Morits achève ses études à l’Institut de littérature de Moscou en 1961 après en avoir été exclue en 1957 pour l’« aspect morbide » qui ressortait de sa création artistique. La même année sort son premier recueil, Mys’jelaniia (« le cap du désir »), basé sur ses impressions de voyage dans l’Arctique à bord d’un brise-glace, pendant l’été 1956. Indépendante, hostile au pouvoir soviétique, mais aussi critique à l’égard des cercles libéraux, elle est, de 1961 à 1970, sur la liste noire des écrivains à censurer. La vie et la mort, l’amour, la création artistique sont les thèmes principaux présents dans son œuvre. Son écriture, sensible à la composition de l’espace et à ses couleurs, ressemble à un tableau impressionniste. Dans ses vers revivent les tonalités solaires du Sud, notamment du Caucase et de la Crimée, des paysages de la Baltique, des eaux glacées de l’Arctique. La musicalité et la couleur dont les mots sont empreints poursuivent un but lyrique, elles reflètent un état d’âme, un état d’esprit, explorent la mémoire et l’identité de l’individu. Son univers poétique prend son origine à l’« âge d’argent » de la poésie russe et mêle de façon harmonieuse des genres poétiques différents. L’atmosphère de mystère, l’élégance de la composition et l’importance du détail, typiques du lyrisme d’Anna Akhmatova*, s’associent à l’intonation vigoureuse, presque fébrile, et à la tendance aux hyperboles propres à la poétique de Marina Tsvetaïeva*. L’emploi de métaphores à la forte portée symbolique ainsi que d’oxymores est hérité de l’œuvre de Blok. Ses vers abondent de réminiscences classiques, le réseau qu’elles forment constitue pour l’auteure un univers plus authentique que la réalité historique. Elle écrit aussi des poèmes pour enfants, pleins d’ironie, dont beaucoup ont inspiré des chansons interprétées à la guitare. Ses vers sont traduits dans les principales langues européennes.

Federica VISANI

Je voudrais savoir (Eto otchen’interiesno), Paris, Rue du monde, 2010.

« Anthologie de la poésie russe contemporaine 1989-2009 », in Bacchanales, no 45, février 2010.

MØRK, Liv VOIR HELLE, Merete Pryds

MORLAY, Gaby (BLANCHE PAULINE FUMOLEAU, dite) [ANGERS 1893 - NICE 1964]

Actrice française.

Adolescente, Blanche Pauline Fumoleau s’évade d’un couvent de Lisieux pour rejoindre Paris, dans l’espoir d’y apprendre la dactylo. Lors d’un spectacle du Casino de Paris, son rire en cascades et sa voix claire la font remarquer de son voisin de fauteuil, Armand Berthez, directeur du théâtre des Capucines. C’est ainsi qu’elle débute sur les planches sous le nom de Gaby Morlay avant d’être rattrapée par le cinéma muet, jouant d’abord dans La Sandale rouge d’Henry Houry (1913). Jugée « infatigable » sur scène comme en ville, elle est la première femme à obtenir en 1919 un brevet de pilote de dirigeable. Après la Première Guerre mondiale, elle revient au théâtre et commence à se faire un nom dans Simone est comme ça (1921), avec Jules Berry, et Après l’amour (1924), avec Lucien Guitry. Elle est ensuite la partenaire de Charles Boyer dans des drames mondains d’Henry Bernstein. Dans l’entre-deux-guerres, la filmographie de G. Morlay reste prolifique, servie par l’apparition du cinéma parlant. On la remarque particulièrement dans Les Amants terribles de Marc Allégret (1936), ou encore Un déjeuner de soleil de Marcel Cohen (1937). Pendant l’Occupation, elle se lie avec son futur mari, Max Bonnafous, ministre du Ravitaillement sous Vichy, ce qui lui vaut d’être inquiétée à la Libération. G. Morlaix continue à jouer jusque dans les années 1960 et offre au public un dernier grand rôle de composition en clocharde, dans Les Amants du pont Saint-Jean d’Henri Decoin (1947).

Nathalie COUPEZ

MORLEY, Helena (Alice Dayrell CALDEIRA BRANT, dite) [DIAMANTINA 1880 - RIO DE JANEIRO 1970]

Écrivaine brésilienne.

Entre 1893 et 1895, encouragée par son père, Helena Morley écrit ses souvenirs d’enfance sous forme de journal, en relatant tous les petits et grands événements marquants de son quotidien. Son récit Journal de Helena Morley, publié en 1942, est révélateur, notamment en ce qui concerne le rôle des femmes dans la société brésilienne de l’époque. Il est rapidement reconnu par la critique, et son auteure reçoit les éloges de plusieurs écrivains, parmi lesquels João Guimarães Rosa et Carlos Drummond de Andrade. Son livre est traduit en plusieurs langues ; la version anglaise est réalisée par Elizabeth Bishop*.

Wilton José MARQUES

Journal de Helena Morley (Minha vida de menina, 1942), Paris, Calmann-Lévy, 1960.

SCHWARZ R., Duas meninas, São Paulo, Companhia das Letras, 1997.

MORN, Reed (Frieda DREVERK, dite) [TALLINN 1898 - LOS ANGELES 1978]

Romancière et nouvelliste estonienne

Née dans une famille ouvrière, Reed Morn fait des études de littérature, de philosophie et de philologie romane à l’université de Tartu (1919-1924), puis travaille quelque temps comme institutrice, avant de renoncer à ce métier qui n’était guère en accord avec sa personnalité. Elle vit dès lors de travaux d’écriture (articles, traductions) ou de leçons particulières, sans se mêler à la vie littéraire estonienne. En 1932-1933, elle vit et étudie à Paris, puis jusqu’en février 1934 à Madrid. En 1944, face à la perspective d’une nouvelle occupation soviétique, elle émigre en Allemagne, puis s’installe en 1952 aux États-Unis. Son premier livre, Andekas parasiit (« un parasite doué », 1927), primé lors d’un important concours de romans, relate le parcours tragique d’une jeune fille introvertie et solitaire issue d’un milieu modeste : étudiante à l’université, elle vit aux crochets de sa mère ; après la mort de celle-ci, dépourvue de sens des réalités et incapable d’affronter la vie, elle finit par se suicider. Le deuxième roman de R. Morn, Kastreerit elu (« une vie châtrée », 1929), brosse le portrait d’un jeune homme emprisonné pour avoir commis involontairement un meurtre en tentant de protéger une femme battue. Dans le contexte du néoréalisme estonien, ces romans psychologiques et philosophiques, pauvres en événements et centrés sur des personnages solitaires inadaptés au monde, n’ont pu assurer à R. Morn la place qu’elle méritait dans la littérature. Un troisième roman, paru en exil, Tee ja tõde (« le chemin et la vérité », 1956), d’inspiration nettement autobiographique, passe lui aussi relativement inaperçu, de même que son quatrième roman, publié dans une revue littéraire de l’émigration. Quant à son cinquième roman, il est resté à l’état de manuscrit. R. Morn a également publié des nouvelles, ainsi que, sous son vrai nom, des textes de critique littéraire et une biographie de Jeanne d’Arc*. Oubliée à l’époque soviétique, son œuvre est aujourd’hui redécouverte, notamment par la critique littéraire féministe. Plusieurs articles lui ont été consacrés dans les années 1990 et quelques-unes de ses œuvres ont été rééditées à partir de 2002.

Antoine CHALVIN

MORO, Marie-Rose [CIUDAD RODRIGO, ESPAGNE 1961]

Pédopsychiatre et psychanalyste française.

Marie-Rose Moro est à l’origine d’une consultation de psychothérapie unique en France destinée à soulager les souffrances psychiques des enfants de migrants. Elle-même fille de migrants espagnols, elle est âgée d’à peine un an lorsqu’elle arrive en France, dans les Ardennes où son père devient ouvrier. Elle entreprend des études de médecine et de philosophie à Nancy. C’est ensuite à Paris qu’elle effectue son internat de médecine. Elle apprend, auprès de Serge Lebovici, la psychiatrie du jeune enfant, et les principes de l’ethnopsychiatrie auprès de Tobie Nathan dont elle rejoint l’équipe à l’hôpital Avicenne de Bobigny, en 1987. Constatant lors des consultations que la souffrance de ses patients venus du monde entier relève souvent du manque d’estime d’eux-mêmes, elle s’engage pour la valorisation des parcours et des histoires migratoires, de la double culture, du bilinguisme. Consultante pour Médecins sans frontières, on la retrouve en différents endroits du monde : Afghanistan, Indonésie, Colombie. Professeure à l’université Paris-Descartes, elle a créé en 1998, à la faculté de médecine de Bobigny, le premier diplôme universitaire de psychiatrie transculturelle. Elle est présidente et fondatrice de l’Association internationale d’ethnopsychanalyse (AIEP). Chef du service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à l’hôpital Avicenne depuis 2001, elle y a créé en 2004 Casita, une Maison des adolescents. Elle s’occupe de la Maison des adolescents de l’hôpital Cochin, où elle a créé une nouvelle consultation transculturelle pour les enfants de migrants et une consultation pour l’adoption internationale. Elle est psychanalyste à la Société psychanalytique de Paris et dirige des recherches en psychopathologie à Paris 13 (Villetaneuse) et de psychiatrie transculturelle à la faculté de médecine de Bobigny. Elle réside aujourd’hui à Paris et est mère de deux enfants. Elle a publié plus d’une dizaine d’ouvrages en français et en italien, et dirige la revue transculturelle L’autre, cliniques, cultures et sociétés.

Nadra OUNNOUGHENE

Parents en exil, psychopathologie et migrations, Paris, PUF, 1994 ; Enfants d’ici venus d’ailleurs, naître et grandir en France, Paris, La Découverte, 2002 ; Aimer ses enfants ici et ailleurs, histoires transculturelles, Paris, O. Jacob, 2007.

MOROGAN, Elena-Maria [ORADEA, ROUMANIE 1939]

Romancière et traductrice roumaine.

Jusqu’en 1989, Elena-Maria Morogan enseigne le grec et le latin. En 1980, elle publie, en collaboration avec George Salomie, La revedere pe curând (« au revoir et à bientôt », 1980), premier d’une série de six romans policiers, genre narratif complètement inédit dans la littérature roumaine. Le tandem Morogan-Salomie devient rapidement le favori d’un public qui savoure, outre la formule romanesque habilement bâtie sur un mélange de suspense et de comique, la verve des dialogues, l’originalité et le pittoresque à forte couleur locale des personnages. L’ironie visant de façon transparente les réalités quotidiennes de l’époque communiste finit par irriter la censure, qui frappe d’interdiction le roman Amnezii de iarnă (« amnésies d’hiver », 1985). En 1989, la romancière s’exile en Suède, où elle soutient sa thèse de doctorat, une approche intertextuelle de l’œuvre d’Eugène Ionesco, et devient, avec une quinzaine de livres traduits, la principale traductrice de la littérature suédoise en langue roumaine. Avec le roman Cacealmaua (« le coup de poker », 1992), elle change de registre et s’attaque aux aspects dramatiques de la réalité contemporaine. Opportunisme et bourrage de crâne, goût du risque et euphorie du pouvoir, instincts vitaux et conscience morale sont autant de thèmes que soulèvent les péripéties d’un évadé de prison – ancien militaire, agent secret au service des Alliés et homme du monde – contraint à vivre sous une fausse identité. Deux ans après la chute de la dictature en Roumanie, ce roman, dont le narrateur est à la fois acteur et témoin des événements, est une première fresque acérée et lucide du système totalitaire et de son déterminisme qui, telle la Moira de la mythologie grecque, marque au fer rouge les destins individuels.

Andreia ROMAN

Du texte narratif au texte dramatique : quatre couples symbiotiques dans l’œuvre d’Eugène Ionesco, Stockholm, Universitet Stockholm, 2000.

Mitologia nordică, Bucarest, Enciclopedică Colectia, 1992.

IORGULESCU M., « Aventurile romanului de “aventuri” », in România liberă, Bucarest, janv. 1982 ; ŞORA S., Trebuie să mori ca să ai succes (interview avec E.-M. Morogan), in Dilemateca no 30, Bucarest, 2008 ; ULICI L., Lectură de vacanţă, in România literară no 4, Bucarest, 1980.

MORRIS, Paula [AUCKLAND 1965]

Romancière et nouvelliste néo-zélandaise.

Les origines maori de Paula Morris l’affilient à la tribu Ngati Wai. Elle obtient un BA (Bachelor of Arts) en anglais et en histoire en 1985 à Auckland, puis un PhD à l’université de York en Angleterre, en 1990. Pendant près de dix ans, elle travaille pour l’industrie du disque à Londres, puis à New York où elle mène une carrière à succès. En 2001, elle revient en Nouvelle-Zélande et reçoit le Adam Foundation Prize for Creative Writing pour le manuscrit de son futur premier roman, écrit lors d’une formation en creative writing à l’université Victoria à Wellington. Ce premier roman, Queen of Beauty (« reine de beauté », 2002), reçoit le Best First Book Award for Fiction aux Montana New Zealand Book Awards en 2003 ; le récit explore les questions identitaires sur trois générations d’une famille d’Auckland, entre la Nouvelle-Zélande et La Nouvelle-Orléans. En 2002, la romancière est nommée Glenn Schaeffer New Zealand Fellow et part aux États-Unis, où elle prépare un MFA (Master of Fine Arts) à l’université de l’Iowa. Ses nouvelles sont publiées dans diverses revues (Huia Short Stories 4 (2001) ; Landfall ; The Listener ; Hayden’s Ferry Review ; Turbine ; Barrelhouse ; JAAM ; Witness ; Metro ; The Harvard Review). Son deuxième roman, Hibiscus Coast (« la côte des hibiscus », 2005), est un thriller littéraire situé entre Auckland et Shanghai, en cours d’adaptation cinématographique en 2010. Avec Trendy but Casual (« tendance mais décontractée », 2007), l’auteure propose une parodie de chick lit qui met en scène une New Yorkaise, bourreau de travail obsédé par les apparences. En 2008, elle publie un recueil de nouvelles, Forbidden Cities (« villes interdites »), et est lauréate du Buddle Findlay Sargeson Fellowship, bourse qui lui permet de passer cinq mois à Auckland. En 2009, les éditions américaines Scholastic font paraître son premier roman pour jeunes adultes intitulé Ruined : A New Orleans Ghost Story (« ruiné : une histoire de fantômes à La Nouvelle-Orléans »). Il est suivi par Dark Souls (« âmes sombres ») en 2011 et Unbroken (« intact ») en 2013. P. Morris est également éditrice du Penguin Book of Contemporary New Zealand Short Stories (2009). À partir de 2003, elle enseigne les techniques d’écriture dans les universités de Tulane à La Nouvelle-Orléans et Stirling en Écosse. En novembre 2011, elle publie Rangatira, un roman historique dont l’action se situe au XIXe siècle et qui s’inspire de la vie de son ancêtre Paratene Te Manu. Ce roman remporte le prix de la meilleure fiction lors des New Zealand Post Book Awards en 2012. P. Morris est actuellement auteure en résidence à l’université de Sheffield en Angleterre.

Nelly GILLET

Forbidden Cities, North Shore, Penguin Books, 2008 ; Queen of Beauty, Auckland, Penguin Books, 2002 ; Hibiscus Coast, Auckland, Penguin Books, 2005 ; Trendy But Casual, North Shore, Penguin Books, 2007 ; Ruined, New York, Point, 2009.

MORRIS, Sarah [SEVENOAKS, KENT 1967]

Cinéaste et peintre américaine.

Jeune artiste d’origine britannique à tendance post-pop, Sarah Morris va et vient constamment entre le cinéma et la peinture, de l’abstraction picturale au film analytique. Sa recherche est axée sur les motifs de l’architecture urbaine et les mécanismes sociologiques des grandes métropoles américaines. Diplômée, entre autres, de sciences politiques et sociales à l’université de Cambridge en 1988, elle revendique sa formation d’autodidacte. Assistante de l’artiste américain Jeff Koons, elle poursuit le programme d’études indépendant du Whitney Museum of American Art de New York en 1990. Ses premières séries de peintures témoignent d’un fort héritage warholien. Fascinée par le langage des médias, elle reproduit des mots : Nothing, Insane, Liar et des nombres isolés, extraits de faits divers du Times et du New York Post. D’autres signifiants retiennent son attention, comme des objets de consommation de luxe (chaussures à talons, lunettes de soleil), qu’elle reproduit à nouveau solitaires, dans une peinture laquée très sensuelle. S. Morris, qui a déjà réalisé huit films mais dont la célébrité revient davantage à ses grandes fresques peintes, abandonne la figuration pour l’abstraction en 1997, avec sa série Midtown et son film éponyme tourné l’année suivante à New York. Ses grilles peintes, inspirées des motifs des façades miroitantes des buildings et de la période très boogie-woogie de Mondrian, dominent son œuvre picturale, tandis que ses films dressent, ville après ville, une cartographie des organes du pouvoir politique et économique, avec un intérêt avéré pour le complot et la stratégie. Dans la continuité de son film Los Angeles réalisé en 2004, elle peint une grande fresque in situ à l’entrée du palais de Tokyo, Endeavor. Avec des grands aplats vifs à la peinture industrielle, elle réalise un immense panorama abstrait à la tridimensionnalité éclatée, suivant un entrelacs illusionniste de formes géométriques. De nombreuses institutions lui consacrent des expositions personnelles. En 2010, elle reçoit le Prix de la peinture de la fondation Joan-Mitchell*. Épouse de l’artiste Liam Gillick, elle est également une commissaire d’exposition émérite.

Pauline GUÉLAUD

Modern Worlds, Bracewell M., Winkelmann J. (textes), Dijon, Les Presses du réel, 1999 ; Sarah Morris (catalogue d’exposition), Bürgi B. (textes), Zurich, Kunsthalle, 2000 ; Sarah Morris, 1972 (catalogue d’exposition), Mühling M. (dir.), Cologne, König, 2008.

MORRISON, Toni [LORAIN 1931]

Romancière américaine.
Prix Nobel de littérature 1993.

Prix Nobel de littérature en 1993 et première Afro-Américaine à obtenir cette distinction, Toni Morrison est reconnue comme l’un des plus grands écrivains américains contemporains. Outre les romans qui font sa réputation, elle écrit des essais et intervient dans le débat public à plusieurs reprises, soutenant notamment Barack Obama lors des élections présidentielles de 2008 après avoir déclaré que Bill Clinton était le « premier président noir des États-Unis ». Née dans une famille ouvrière, T. Morrison s’intéresse très tôt à la littérature et fait des études littéraires dans les universités Howard (1949-1953) et Cornell (1955). Professeure dans plusieurs universités (Texas Southern, Howard, New York, Princeton), elle est également directrice de publication aux éditions Random House. Elle publie alors les autobiographies de Mohamed Ali et d’Angela Davis* et les œuvres d’auteurs afro-américains tels que Toni Cade Bambara et Gayl Jones, et collabore à une anthologie d’écrivains noirs, The Black Book (« le livre noir », 1973). Elle oppose toujours l’histoire imaginaire et le vécu des petites gens qu’elle fait revivre dans ses romans. Plus que l’historien lui-même, l’écrivain restitue la vérité de l’histoire. C’est en 1970, au plus fort de la révolte et des revendications de la fierté noire, que T. Morrison fait paraître son premier roman, L’Œil le plus bleu. S’inscrivant à contre-courant de l’époque, il met en scène l’aliénation d’une petite fille noire violée par son père et qui prétend être une autre, correspondant aux canons de beauté de la culture dominante. Le roman suivant, Sula (1973), a pour héroïne une paria, véritable « sorcière » qui s’adresse à la fin au lecteur depuis le monde des morts. Il traite de l’amitié entre deux femmes, des liens entre individu et communauté, du bien et du mal et de leur interpénétration dans la culture communautaire noire. Roman de la quête identitaire masculine, La Chanson de Salomon (1977) est centré sur Milkman Dead junior, fils de la bourgeoisie noire qui doit retrouver ses racines à l’issue d’un parcours initiatique qui le conduira dans le Sud. La démarche est archéologique : il faut mettre à nu les strates d’un passé oublié, revenir aux sources de la mémoire. L’intertextualité de l’écriture apparaît déjà dans des emprunts au folklore noir américain (mythe de l’Africain volant), des allusions aux textes canoniques (« The Bear », « l’ours », de Faulkner) et ses détournements de contes européens. T. Morrison réfute le terme de « réalisme magique » qui, selon elle, contribue à occulter l’impact politique du texte. Elle veut son écriture à la fois belle et politique. Beloved (1987), qui obtient le prix Pulitzer pour la fiction en 1988, s’inspire d’un fait divers, celui du meurtre de son enfant par une esclave qui ne veut pas que celui-ci retourne en esclavage. L’auteure confie avoir voulu restituer la vie intérieure des esclaves qui, dans les récits d’esclaves convenus, devaient tirer le voile sur l’horreur, l’indicible. Ce roman du travail de la mémoire est traversé par une réflexion sur l’amour maternel et sur la violence du système esclavagiste qui réduit l’esclave à un bien meuble. Jazz (1992) est le deuxième roman de cette trilogie dont Paradis (1998) est le dernier. Il se déroule en 1926, pendant la Renaissance de Harlem, et met en scène deux anonymes dont la vie bascule lorsque l’un tue sa jeune maîtresse. Son originalité tient à la présence de la « Voix » de la ville, qui se fait narrateur et s’adresse au lecteur pour l’inviter à collaborer à la création du texte dans un processus réflexif, à l’instar des auditoires de sermons ou de musiques de la tradition noire américaine. Paradis, lui, se déroule pendant les années 1960-1970 et évoque une communauté entièrement noire dont les hommes intransigeants, puristes, détruisent la ville qu’ils ont fondée. Enfin, Love (2003) et Un don (2008) poursuivent le questionnement fondamental sur l’amour en général et l’amour maternel en particulier. Un don remonte plus loin en arrière que Beloved, dans l’Amérique coloniale du XVIIe siècle, pour cerner la naissance du racisme, alors que les Blancs étaient en servitude et certains Noirs, libres. Outre ses romans, T. Morrison est l’auteur d’une comédie musicale, New Orleans (1983), d’une pièce de théâtre, Dreaming Emmett (1986) sur un adolescent lynché en 1955, de chants lyriques interprétés par Kathleen Battle, Honey and Rue (1993), ainsi que d’un livret d’opéra d’après Beloved et de livres pour enfants. T. Morrison a été invitée au Louvre pour une série d’événements artistiques autour du thème « étranger chez soi » et a été membre du jury du Festival de Cannes. Elle participe au Parlement international des écrivains.

Claudine RAYNAUD

L’Œil le plus bleu (The Bluest Eye, 1970), Paris, 10-18, 1996 ; Sula (1973), Paris, 10-18, 1994 ; La Chanson de Salomon (Song of Solomon, 1977), Paris, 10-18, 1994 ; Beloved (1988), Paris, 10-18, 1999 ; Jazz (1992), Paris, 10-18, 1995 ; Paradis (Paradise, 1998), Paris, 10-18, 1999 ; Love (2003), Paris, 10-18, 2008 ; Un don (A Mercy, 2008), Paris, 10-18, 2010 ; Home, Paris, 10-18, 2012.

CONNER M. C. (dir.), The Aesthetics of Toni Morrison, Jackson, University Press ofMississippi, 2000 ; GATES H. L. jr et APPIAH K. A. (dir.), Toni Morrison : Critical Perspectives Past and Present, New York, Amistad/Penguin USA, 1993 ; RAYNAUD C., Toni Morrison : l’esthétique de la survie, Paris, Belin, 1996.

MORTKOWICZOWA, Janina (née HORWITZ) [VARSOVIE 1875 - CRACOVIE 1960]

Éditrice et libraire polonaise.

En 1903, Janina Mortkowiczowa devient copropriétaire, avec son mari Jakub Mortkowicz, de la maison d’édition Centnerszwer, et s’engage dans un grand travail éditorial pour créer, ensuite, une des maisons d’édition les plus reconnues en Pologne dans la période de l’entre-deux-guerres. Le couple se spécialise dans l’édition de beaux-livres qui se caractérisent par leur couverture précieuse en tissu, par la qualité du papier et par le niveau graphique élevé. Ayant une passion commune pour la poésie, les Mortkowicz créent la célèbre collection « Sous le signe des poètes ». L’intérêt de J. Mortkowiczowa pour les questions pédagogiques et sociales se traduit par la publication de livres pour enfants et adolescents, en particulier dans la collection « Bons livres pour adolescents » qu’elle dirige. Elle se spécialise dans la recherche et la traduction d’ouvrages pour jeunes lecteurs de l’anglais, du français, de l’allemand et des langues scandinaves. Elle publie notamment Le Merveilleux Voyage de Nils Holgersson de la Suédoise Selma Lagerlöf* ou Les Garçons de la rue Paul du Hongrois Ferenc Molnár, devenus des classiques de la littérature pour enfants. Connue pour ses centres d’intérêts pédagogiques, elle publie également son propre travail, De l’éducation esthétique, sous l’enseigne de Centnerszwer. Les Mortkowicz ont leur propre librairie, à Varsovie, qui attire les passants par des vitrines présentant de belles publications étrangères, notamment artistiques, à côté de tableaux et de sculptures. Après la mort de Jakub, en 1931, elle prend la direction de la maison d’édition et poursuit ses activités éditoriales avec sa fille, Hanna, d’abord à Varsovie puis à Cracovie après la Seconde Guerre mondiale.

Agnieszka SZYMUS

MORTON, Ree [OSSINING, ÉTAT DE NEW YORK 1936 - CHICAGO 1977]

Artiste multimédia américaine.

C’est l’exposition Wack ! Art and the Feminist Revolution (Los Angeles, 2007 ; Vienne, 2008 ; New York, 2009) qui a ravivé l’intérêt pour l’œuvre de cette artiste, décédée prématurément à 41 ans. Des études d’infirmière interrompues, trois enfants, un mari officier de marine souvent absent, de fréquents déménagements : la pratique artistique de Ree Morton ne se concrétise qu’en 1966, lorsqu’elle étudie à l’université de Rhode Island, puis, après la séparation d’avec son époux, à la Tyler School of Art de Philadelphie, dont elle sort diplômée en 1970. Ses œuvres insolentes font fi des catégorisations et des « maîtres ». Elle définit l’espace comme une addition « d’air à un objet », et comme un lieu d’activité et d’engagement. Elle utilise du bois pour ses raw drawings (« dessins bruts »), des structures simples assemblées par des clous et striées de lignes ou de pois rouges, noirs ou verts. Elle convoque ensuite une plus grande variété d’espaces et de matériaux pour ses installations, notamment des bâtons et des branches rejointes, sur le mur ou au sol, par des lignes et des points peints, qui leur offrent une contextualisation quasi rituelle ou primitiviste. Elle s’intéresse aussi à la psychologie de l’espace, aux topographies réelles ou imaginaires, à l’interaction humaine avec l’archéologie industrielle, comme avec le mythe de la maison originelle. Elle participe à la Whitney Biennial du Whitney Museum of American Art (New York, 1973), qui accueillera, l’année suivante, la seule exposition personnelle de son vivant. L’artiste devient également enseignante, découvre le théâtre expérimental de Grotowski et se lie avec la peintre Cynthia Carlson (1942), avant de déménager à New York. À partir de 1973, elle étend son travail vers la voie métaphorique : son installation Sister Perpetua’s Lie (« le mensonge de sœur Perpetua », 1973) est inspirée par les Impressions d’Afrique de Raymond Roussel ; elle découvre en outre les utilisations du célastic, matière lui permettant de fabriquer des emblèmes, des formes de rubans, de bannières ou de drapeaux, ornées de phrases et de blasons floraux – ce dont témoigne l’installation Signs of Love (1976), qui célèbre la vitalité intellectuelle et émotionnelle.

Élizabeth LEBOVICI

Retrospective 1971-1977 (catalogue d’exposition), Thomas K. (textes), chwartznan A., New York, New Museum, 1979 ; Works 1971-1977 (catalogue d’exposition), Folie S. (dir.), Vienne/Nuremberg/New York, Generali Foundation/Verlag für Moderne Kunst/DAP, 2009.

MOSCA, Stefania [CARACAS 1957 - ID. 2009]

Écrivaine vénézuélienne.

Stefania Mosca écrit rapidement pour les grands journaux vénézuéliens et pour des journaux colombiens ou mexicains. Dans ses travaux de recherche, elle réfléchit sur l’écriture, domaine de la connaissance de soi, sur les mécanismes de la représentation du réel ainsi que sur les conséquences négatives des stéréotypes et de la banalisation des inégalités sociales. Dans ses écrits de fiction, qui problématisent le réel et qui interrogent sur le sens de la vie grâce à des personnages féminins insoumis et engagés, elle propose une vision parodique et sarcastique du monde, vu comme un spectacle et comme un lieu de division. Ce sont ces thèmes qu’elle aborde dans ses recueils de nouvelles Seres cotidianos (« êtres quotidiens », 1990), Banales (« banals », 1993), Mediáticos (« médiatiques », 2007), qui placent le lecteur dans la tragédie quotidienne de l’existence, dans le simulacre et la bouffonnerie, par l’exploration du contexte social et du monde intérieur du narrateur. Les romans de S. Mosca explorent surtout les questions de la domination et du pouvoir. Ainsi La última cena (« le dernier repas », 1991), œuvre à l’architecture complexe et aux plans superposés, évoque le grand tremblement de terre de 1967, lors de la dictature de Pérez Jiménez, et la tragédie sociale et politique qui couve dans le pays. Les dialogues et les souvenirs des participants à ce dîner permettent de brosser un panorama de l’histoire du Venezuela sur plusieurs décennies et de mettre en évidence les manifestations parfois dérisoires face aux différents pouvoirs. Dans son deuxième roman, El circo de Ferdinand (« le cirque de Ferdinand », 2006), qui revient sur le thème du pouvoir mais dans une perspective parodique et néobaroque, les personnages du cirque et du monde qui l’entoure (artistes, savants, narcotrafiquants, politiciens, fornicateurs, alchimistes) constituent les représentants d’une réalité transfigurée et pleine de violence, de cruauté et d’humour. Sa trilogie du pouvoir, qui devait s’achever avec El mundo del miedo (« le monde de la peur »), est restée inachevée. S. Mosca a reçu le Prix municipal de littérature en 1997 et a été membre du jury du prix international Rómulo-Gallegos.

Fernando MORENO

MOSCONA, Myriam [MEXICO 1955]

Poétesse et journaliste mexicaine.

Issue d’une famille d’origine juive bulgare, Myriam Moscona écrit aussi bien en espagnol qu’en ladin, un dialecte parlé dans le Tyrol du Sud. Sa poésie a été traduite dans de nombreuses langues, dont l’anglais, l’italien ou l’arabe. En 1989, elle obtient le prix national de poésie Aguascalientes pour son recueil Las visitantes (« les visiteurs »), et, en 1996, le Prix national de traduction de poésie pour son travail sur l’ouvrage La música del desierto (« la musique du désert »), de William Carlos Williams. Ses dernières œuvres de poésie explorent les frontières poreuses qui séparent, ou unissent, la spiritualité et le matériel. Sans mysticisme, sa recherche examine le monde et pose des questions dans une langue dépouillée de ses artifices. Elle a notamment écrit Las preguntas de Natalia (« les questions de Natalia », 1991), Vísperas (« veilles », 1996) et El que nada (« celui qui nage », 2006).

Elsa RODRÍGUEZ BRONDO

MOSCOVICI, Marie (née BROMBERG) [1932]

Psychanalyste française.

Issue d’une famille juive polonaise immigrée peu avant sa naissance, Marie Moscovici a été sociologue au Centre national de la recherche scientifique avant de faire des études de psychologie et de devenir membre de l’Association psychanalytique de France. Femme engagée, elle signe en 1960 le Manifeste des 121, « Déclaration sur le droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie ». De 1982 à 1988, elle dirige avec Jean-Michel Rey la revue L’Écrit du temps dans laquelle ils publient en 1984 « Questions de judaïsme ». À partir de 1994, elle dirige le magazine L’Inactuel, fondé avec Patrick Lacoste et Pierre Fédida, pour favoriser la rencontre avec d’autres champs de connaissance. Le numéro 4, « Résistances » (2000), est un recueil de textes contre l’« endormissement » de la pensée où sont mis au travail les concepts de résistance et d’insoumission. Dans un autre numéro, « Moments excitants à penser » (2006), les auteurs constatent la nouvelle vogue du désenchantement, cause selon eux d’une « désérotisation de la pensée ». M. Moscovici a publié L’Ombre de l’objet, sur l’inactualité de la psychanalyse (1989), où elle pose la question de l’avenir de la psychanalyse, cinquante ans après la mort de Freud. Dans « Les préhistoires : pour aborder Totem et tabou » (Revue française de psychanalyse, 1993), elle rappelle que ce texte se propose de créer un lien entre ethnologues, linguistes et autres savants. Elle y défend le droit pour la psychanalyse de se servir des matériaux à sa portée « pour avancer vers ses propres inconnues ». Dans Le Meurtre et la Langue (2002), elle interroge l’inscription des événements historiques dans les histoires individuelles et dans les transmissions de génération en génération, notamment à la suite du 11 septembre 2001. Ses questions portent sur la mémoire, aussi bien que sur la formation des psychanalystes, car c’est dans la parole et la langue que sont déposés « les traces et les indices d’événements oubliés qui ont scandé ou déchiré la trame de l’Histoire et de la civilisation ».

COLLECTIF PSYCHANALYSE ET POLITIQUE

Il est arrivé quelque chose, Approches de l’événement psychique, Paris, Ramsay, 1989 ; « Les analystes ne parlent pas beaucoup du silence », in PÉRIAC DAOUD S., PLATIER-ZEITOUN D. (dir.), Silences, Paroles de psychanalystes, Ramonville-Saint-Agne, Érès, 2004.

MOSER-PRÖLL, Annemarie [KLEINARL 1953]

Skieuse autrichienne.

Si elle se classe soixante-dix-huitième et dernière – trente secondes derrière sa compatriote Olga Pall qui va remporter la descente des Jeux de Grenoble –, sur les pentes verglacées de Bad Gastein durant l’hiver 1967-1968, l’audace et les dons d’Annemarie Moser-Pröll sont mis en pleine lumière dès la saison suivante à Saint-Gervais. Partie avec le handicap du dossard 67 et donc une neige ravagée, elle accède au deuxième rang à égalité avec Annie Famose, tout près d’Isabelle Mir. Une saison encore : non plus en descente, mais au slalom géant de Maribor, dans sa dix-septième année, c’est en Coupe du monde le premier des 62 succès – 36 descentes, 16 slaloms géants, trois slaloms spéciaux, sept combinés – qu’elle s’adjugera d’ici à 1980. A. Moser-Pröll a donné une nouvelle dimension au ski féminin de vitesse.

À compter de l’hiver 1971-7272, elle est une descendeuse incomparable : cinq victoires en sept courses, la totalité des huit dégringolades 1972-1973 (!), quatre sur cinq l’année suivante, cinq sur sept en 1977-1978, six sur sept en 1978-1979 ; de quoi décourager ses adversaires. De cette suprématie découleront les classements généraux et les globes de cristal des cinq Coupes du monde consécutives de 1971 à 1975, auxquelles s’ajoutera celle de 1979. Cinq titres de championne du monde – soit trois fois en descente (1974 à Saint-Moritz, 1978 à Garmisch, 1980) et deux au combiné (1972, 1974) – complètent et confirment ce tableau exceptionnel. Elle donnera la plus belle preuve de sa force de caractère au fil de ses tribulations olympiques. Quand elle arrive à Sapporo fin janvier 1972, elle est grande favorite. Mais la conjoncture est pénible : à l’instigation du président américain du CIO Avery Brundage, tenant de la conception dépassée d’un amateurisme intransigeant, Karl Schranz est disqualifié, et l’équipe autrichienne manque se retirer. Cette tension pèse probablement sur A. Pröll ; au bas de la descente, elle est devancée de 32 centièmes par la Suissesse de 17 ans Marie-Thérèse Nadig qui, n’ayant jusqu’alors gagné aucune course importante, n’avait rien à perdre. En pleine euphorie, M.-T. Nadig récidive dans le géant. A. Pröll quitte le Japon nantie de deux médailles d’argent qui ne peuvent la satisfaire. En 1976, au grand dam de ses compatriotes, elle ne sera pas au rendez-vous d’Innsbruck. Saturée, elle a quitté « le cirque blanc », s’est mariée, retirée à Kleinarl. Quinze mois plus tard, la voilà de retour et bientôt elle reprend sa place au sommet, arrachant la Coupe du monde 1979 à la skieuse du Lichtenstein Hanni Wenzel pour trois maigres points, lors d’un final palpitant à Furano. Pourtant, en haut de la descente des XIIIes Jeux olympiques d’hiver à Lake Placid, les rôles de Sapporo sont inversés. Durant cette saison, M.-T. Nadig, maintenant championne affirmée, n’a laissé à l’Autrichienne qu’un succès sur sept. Quelques moments plus tard, ce 17 février 1980, s’inscrit au tableau d’affichage la médaille d’or enfin gagnée par A. Moser-Pröll, qui précède H. Wenzel et M.-T. Nadig. Elle rayonne, portée en triomphe. Un mois plus tard, elle se retire définitivement et regagne Kleinarl.

Jean DURRY

MOSES, Anna Mary ROBERTSON (dite GRANDMA MOSES) [GREENWICH 1860 - HOOSICK FALLS 1961]

Peintre américaine.

Née dans l’État de New York, Anna Mary Robertson ne fréquente l’école que jusqu’à 12 ans puis travaille comme fille de ferme. En 1887, elle épouse le garçon de ferme Thomas Salmon Moses, et ils s’installent en Virginie, dans la Shenandoah Valley. Après avoir assez économisé, le couple parvient à acheter une ferme à Eagle Bridge, dans l’État de New York. Après la mort de son mari en 1927, elle s’installe chez l’un de ses enfants à Bennington. C’est alors, âgée de près de 70 ans, qu’elle commence à consacrer de son temps aux activités artistiques. Elle réalise d’abord des broderies, mais l’arthrite dont elle souffre l’empêche de tenir l’aiguille. Elle se tourne donc vers la peinture, huile sur bois ou sur toile, qu’elle pratique en très grande quantité, offrant ses œuvres à sa famille et à ses amis. Elle finit par en exposer quelques-unes dans des foires locales, où elles passent totalement inaperçues jusqu’à ce qu’en 1938 le collectionneur new-yorkais Louis Caldor les repère. Il ne se contente pas de les acquérir mais démarche également les galeries new-yorkaises afin de les faire connaître. En 1939, il parvient à placer trois de ces toiles dans l’exposition Contemporary Unknown Americain Painters (« peintres américains contemporains inconnus ») au Museum of Modern Art (MoMA). Le galeriste autrichien exilé Otto Kallir s’enthousiasme à son tour pour l’art de la peintre et, en 1940, organise dans sa galerie St Etienne, à New York, la première exposition monographique de cette artiste de 80 ans, intitulée What a Farmwife Painted (« ce qu’a peint une femme de fermier »). Dans un contexte d’intérêt pour l’art autodidacte aux États-Unis, défendu notamment par Alfred Barr, directeur du MoMA, le succès est quasi immédiat. Celle qui devient alors Grandma Moses (« grand-maman Moses ») expose régulièrement à la galerie St Etienne et dans d’autres galeries et musées américains, rencontrant un véritable succès auprès du grand public. Ses paysages sont reproduits sur les cartes de vœux des magasins Hallmark à partir de 1947 et sur de nombreux objets dérivés – assiettes, mugs, entre autres. En 1948, elle publie son autobiographie qui ajoute encore à sa légende. Pour ses 100 ans, puis à nouveau pour ses 101 ans, peu avant sa mort, le gouverneur de l’État de New York fait même du 7 septembre le « Grandma Moses Day ». Du fait de ce succès populaire et de la singulière histoire de l’artiste, ses œuvres n’ont été que peu étudiées par les historiens de l’art. S’attachant à représenter la vie rurale qui l’entoure, la peintre réalise essentiellement des paysages et des scènes de genre en extérieur, mais elle les peint en intérieur, de mémoire, en se nourrissant aussi très largement de l’iconographie populaire qu’elle a pu voir. Cartes de vœux, magazines et surtout lithographies peintes à la main imprimées par Currier and Ives constituent ainsi, pour elle, un matériel visuel important. Elle peint l’œuvre en commençant toujours par le ciel puis en descendant progressivement pour finir par les personnages. Les perspectives sont faussées, comme le montre ce Bennington (Bennington Museum, 1945) dans lequel les rues semblent s’enfoncer dans les montagnes en arrière-plan, et le dessin est souvent sommaire. Mais elle parvient à rendre compte, avec une grande acuité, des couleurs et du changement d’atmosphère d’une scène, notant avec précision le passage des saisons – avec une prédilection pour l’hiver – et les évolutions atmosphériques d’un même lieu, peignant par exemple à plusieurs reprises The Chechered House (« la maison à damier »), vieille auberge péage de Cambridge, dans l’État de New York. Présents dans ses œuvres, les personnages semblent néanmoins surajoutés. Alors que la nature est traitée par une touche tamponnée, eux sont représentés en à-plats de couleur, sorte de vignettes des différentes activités de la vie rurale (Sugaring off, Fenimore Art Museum, Cooperstown, 1945). Représentant une Amérique rurale éternelle, avec une prédilection pour les thèmes de Thanksgiving ou de Noël (Catching the Thanksgiving Turkey, [« attraper la dinde de Thanksgiving »], 1940), son art continue d’être apprécié par le public et figure aujourd’hui dans de nombreuses expositions aux États-Unis comme à l’étranger.

Marie GISPERT

My Life’s History (1948), New York, Harper & Brothers, 1952 ; avec KALLIR O., Grandma Moses (avec catalogue raisonné) (1973), New York, Harrisson House/H. N. Abrams, 1985 ; Grandma Moses in the 21st Century (catalogue d’exposition), Kallir J. (dir.), Alexandria/New Haven, Arts Services International/Yale University, 2001.

KALLIR J., Grandma Moses : The Artist Behind the Myth, New York, C. N. Potter, 1982.

MOSKVINA, Marina [MOSCOU 1954]

Écrivaine, scénariste et journaliste russe.

Après des études de journalisme à l’Université d’État de Moscou, Marina Lvovna Moskvina est journaliste dans la presse périodique et scénariste de dessins animés. Pendant les années 1990, elle anime l’émission de radio En compagnie de Marina Moskvina, dont elle tire un livre. Elle est aussi l’auteur de plusieurs documentaires pour la télévision. Elle est membre de l’Union des écrivains depuis 1989. La littérature pour enfants et les récits de voyage sont les deux axes majeurs de sa création. Elle connaît le succès avec des récits pour enfants, tels que Sem’letoutchikh passajirov (« sept passagers volants », 1987) et Moïa sobaka lioubit djaz (« mon chien adore le jazz », 1997). Ses œuvres sont illustrées par son mari, Leonid Tichkov, avec lequel elle entreprend les voyages rapportés dans Izgolov’e iz travy (« l’oreiller d’herbe », 2002), Nebiesnye tikhokhody (« le bradype céleste », 2004) et Doroga na Annapournou (« la route vers l’Annapurna », 2006). Aujourd’hui, elle se consacre à la littérature pour adultes : Gueniï bezotvetnoï lioubvi (« le génie de l’amour non partagé », 2001) et Roman s lounoï (« un roman avec la lune », 2007). Elle plonge ses lecteurs dans un univers tragi-comique et fantasmagorique, peuplé de personnages extravagants. Elle utilise l’humour comme un prisme à travers lequel la réalité se mélange à la rêverie.

Federica VISANI

LES MOSO [CHINE]

Les Moso (Mosuo ou Musuo), ou sous-ensemble Naxi, nom adopté par le gouvernement chinois en 1954, constituent l’une des 55 minorités chinoises. Cette petite ethnie d’environ 40 000 habitants vit sur la route du thé et des chevaux, au sud-ouest de la Chine, à la frontière du Yunnan et du Sechuan. Étudiés par l’explorateur Joseph Rock en 1924, « les Moso sont les seuls parmi leurs voisins à avoir pour divinité tutélaire une déesse-mère pacifique au lieu d’un dieu guerrier et oppressif ». Leurs mœurs ne cessent d’étonner l’Occident. Dans cette société matrilinéaire et matrilocale, matricentrée ou matristique, les enfants sont élevés dans la fratrie de la mère par les hommes et les femmes qui la composent : l’oncle maternel élève les enfants de sa sœur, mais pas ses enfants biologiques. Le partage du travail est sexué : aux femmes reviennent le travail domestique et la collecte de bois, aux hommes, les travaux plus pénibles (pêche, élevage du bétail, labour, charpentes). La dabou ou grand-mère cheffe de famille exerce son autorité sur les affaires internes. L’un de ses frères gère le travail des hommes et les communications avec l’extérieur (voisins, politique). Hommes et femmes peuvent avoir autant de partenaires qu’ils le désirent, les relations amoureuses sont libres, mais pudiques en public. Le terme « inceste » n’existe pas dans la langue Na, mais toute relation sexuelle dans la même lignée maternelle étant prohibée et considérée comme un retour à l’animalité, les incestueux sont définitivement exclus de la communauté. Dès sa majorité à l’âge de 13 ans, la jeune Moso dispose de sa « chambre des fleurs » ou babahuago, dont l’accès direct permet la « visite furtive » (secrète) de l’amoureux qu’elle a choisi et qui repart chez lui au petit matin. La lignée familiale ne dépendant pas d’un conjoint, se séparer efface simplement le lien entre deux membres de deux familles distinctes sans entraîner d’instabilité familiale. Grâce au statut de minorité ethnique des Moso, les femmes ne sont pas soumises à la politique chinoise de contrôle démographique et cette ethnie préfère les naissances féminines aux naissances masculines. Les Moso vénèrent la nature considérée comme la Grande Créatrice et, notamment, le lac-mère Shinami (Lugu en chinois) ou déesse de la maternité, et la montagne-mère Guemou ou déesse de l’amour. En 1995, l’Unesco a déclaré les Moso, peuple qui ne connaîtrait pas de rapports de domination entre hommes et femmes, « communauté modèle ».

Claudine BRELET

COLER R., DARNEAU D., Le Royaume des femmes, Paris, Presses de la Cité, 2012 ; HUA C., Une société sans père ni mari, les Na de Chine, Paris, PUF, 2000 ; REFFET A., Chine inconnue, peuples Naxi du Yunnan, Courbevoie, Éditions Soline, 2006 ; SHIH C-K. Quest for Harmony : The Moso Traditions of Sexual Union and Family Life, Standford, Standford University Press, 2009 ; YANG ERCHE NAMU, MATHIEU C, Adieu au lac mère, Paris, Calmann-Lévy, 2005.

MOSS, Marlow (Marjorie JEWELL MOSS, dite) [RICHMOND, SURREY 1890 - PENZANCE, CORNOUAILLES 1958]

Peintre et sculptrice britannique.

Issue de la grande bourgeoisie britannique, Marlow Moss travaille le piano avant d’être atteinte de tuberculose. Après sa guérison, elle se tourne vers la danse et le mouvement. Son tuteur – elle est orpheline de père – lui promet les meilleurs professeurs, si elle consent à pratiquer les arts en amateur. Première rébellion : elle intègre la St John’s Wood School of Art, puis, après sa rupture définitive avec le milieu familial, étudie à la Slade School of Fine Art (1917-1919), avant de se retirer en Cornouailles. De retour à Londres, elle se rase les cheveux, troque ses habits de femme contre une garde-robe masculine et adopte un prénom d’homme. Elle devient ainsi une nouvelle personne, dont le « costume dit à l’homme : “Je suis ton égale” », selon la formule de Madeleine Pelletier* (La Suffragiste, no 46, 1919). M. Moss s’absorbe dans un apprentissage autodidacte à la bibliothèque du British Museum : elle lit Rimbaud et Nietzsche, regarde les œuvres de Van Gogh et de Rembrandt. À son arrivée en France en 1927, elle a 37 ans ; sur une photographie – très souvent publiée sans mentionner son nom –, elle porte une cravate, tient une cigarette, arbore une coupe de cheveux plaqués très courte, dégageant un visage sans fard. En peinture, elle choisit la voie de l’abstraction. Élève de l’Académie moderne, sous l’égide de Fernand Léger et d’Amédée Ozenfant, elle est transportée par la vision directe d’un tableau de Piet Mondrian. Elle rencontre le peintre deux ans plus tard ; les deux artistes semblent avoir communiqué de 1929 à 1938. M. Moss aurait produit sa première peinture néoplastique en 1929 : deux lignes se coupent à angle droit sur un fond blanc. P. Mondrian ne lui ayant jamais révélé sa technique picturale, elle aurait utilisé une méthode toute personnelle pour la réadopter. En 1930, elle invente un premier « écart » quant à la grille verticale-horizontale qu’elle juge trop statique : une ligne double. Les historiennes ont noté que ces compositions apparaissent dans l’œuvre de P. Mondrian deux ans plus tard. Par la suite, l’artiste fait peu à peu disparaître la structure pour n’exploiter au final que la luminosité maximale du blanc, combinant dans ses monochromes différentes sortes de toiles afin d’obtenir des œuvres blanches en relief. Elle y ajoute parfois des lignes de fil peint en blanc, puis de corde à l’état brut, éléments qui expriment la tension à la place de la couleur. Membre des Surindépendants puis du groupe Abstraction-Création, elle se livre à ses expérimentations dans son atelier-phalanstère immaculé de Gauciel (dit le château d’Évreux), où, avec sa compagne Antoinette H. Nijhoff, elle accueille des artistes de passage. Ce lieu sera bombardé pendant la guerre, et tout son contenu, perdu. En 1939, M. Moss se trouve en Hollande ; l’année suivante, l’invasion allemande l’oblige à fuir en bateau vers l’Angleterre, où, sans famille, se sentant étrangère, elle se force à suivre des cours d’architecture qui éveillent en elle un intérêt pour la sculpture. Par ailleurs, sa rencontre avec un ingénieur du génie maritime va lui permettre de travailler des structures de métal. Aménageant à Penzance un petit atelier de charpentier, elle tente, après la guerre, de réitérer une partie de ses travaux de recherche disparus. Des expositions de son vivant (Hanover Gallery, Londres, 1953) puis après sa mort (Stedelijk Museum, Amsterdam, 1962) s’attachent à lui restituer l’autonomie d’une pensée plastique, dont Germaine Greer* soulignera l’influence sur l’art britannique. Cependant, l’œuvre de M. Moss n’est toujours pas inscrite au tableau d’honneur des mouvements abstraits de l’entre-deux-guerres.

Élizabeth LEBOVICI

Sculptures, Paintings (catalogue d’exposition), Londres, Hanover Gallery, 1958 ; Marlow Moss, Nijhoff A. H. (textes), Amsterdam, Stedelijk Museum, 1962 ; Constructivist + The Reconstruction Project (catalogue d’exposition), Dijkstra F. (textes), Den Bosch/Amsterdam, Kleine Kapaciteit/Patten Press, 1995.

MOSSÉ, Claude [PARIS 1924]

Historienne française de l’Antiquité grecque.

Après des études d’histoire à la Sorbonne, Claude Mossé, agrégée d’histoire et géographie en 1947, est chercheuse au CNRS, enseigne à la faculté des lettres de Clermont-Ferrand de 1959 à 1968, puis participe à la fondation du centre universitaire de Vincennes et fait toute sa carrière de professeur à Paris 8. Ce parcours universitaire s’accompagne d’un engagement politique constant, en particulier contre la guerre d’Algérie. Son domaine de recherches est l’histoire grecque antique. Depuis la rédaction de sa thèse, La Fin de la démocratie athénienne (1962), qui utilise les textes des orateurs comme source principale, elle s’attache à l’analyse des institutions et de la pensée politique, et de leurs interactions avec l’histoire économique et sociale, observant la cité de l’intérieur de ses rouages, et s’attachant plus à l’histoire des structures qu’à l’histoire événementielle. De cette démarche marquée par le marxisme, C. Mossé s’éloigne peu à peu pour élaborer un questionnement sur le politique, ce mode d’être ensemble propre à la cité grecque, qui prend en compte l’institution et la pratique politiques, mais les insère dans un système multiple et changeant d’interactions et d’interdépendances avec tous les autres aspects de la vie et des représentations de la communauté et des individus. Politique et Société en Grèce, le « modèle » athénien, publié en 1995, prolonge la démarche de Moses I. Finley et fonde une réelle anthropologie du politique.

L’enseignement, l’incessante préparation des concours de recrutement incitent aussi C. Mossé à aborder des domaines variés comme La Tyrannie dans la Grèce antique (1969), La Colonisation dans l’Antiquité (1971), La Femme dans la Grèce antique (1983) ; alors que nul livre n’existe alors en français sur ces thèmes, elle rédige en quelques années ce qui va rester le bagage de l’historien de l’Antiquité grecque pour plusieurs générations. Elle explore également l’historiographie : L’Antiquité dans la Révolution française (1989), et se saisit du genre biographique pour construire de grandes synthèses historiques autour des figures célèbres de Périclès et d’Alexandre, de Socrate et de Démosthène. Une constante de sa démarche est le travail sur les textes grecs qu’elle commente en historienne. Au sein du Centre de recherches comparées des sociétés anciennes, elle a su transmettre à de nombreux chercheurs sa passion pour une démocratie grecque dont la valeur principale serait la liberté.

Pauline SCHMITT PANTEL

D’Homère à Plutarque, itinéraires historiques, Bordeaux, Ausonius, 2007 ; Sacrilèges et trahisons à Athènes, Paris, Larousse, 2009 ; Au nom de la loi, justice et politique à Athènes à l’âge classique, Paris, Payot, 2010.

SCHMITT PANTEL P., POLIGNAC F. de (dir.), Athènes et le Politique, dans le sillon de Claude Mossé, Paris, Albin Michel, 2007.

MOSSOUX, Nicole [BRUXELLES 1956]

Danseuse et chorégraphe belge.

Formée à l’école Mudra de Maurice Béjart, Nicole Mossoux crée plusieurs spectacles en solo (Insomnies, 1981), puis, à partir de 1985, s’associe au dramaturge et metteur en scène Patrick Bonté. La compagnie Mossoux-Bonté produit une trentaine de spectacles (Les Petites Morts, 1988 ; Twin Houses, 1994 ; Noli me tangere, 2006) et cinq films, créant un langage singulier entre danse, jeu d’acteurs et théâtre d’images. Usant aussi bien des nouvelles technologies (Katafalk, 2002) que du déguisement (Nunakt, 2006) ou du jeu avec les objets (Kefar Nahum, 2008), les créations des Mossoux-Bonté développent un univers visuel étrange et fascinant, nourri par la psychanalyse et la philosophie : jeux de dédoublements, relations entre créatures et créateurs, fantasmes érotiques.

Didier PLASSARD

Avec LONGUET-MARX A., BONTÉ P., L’Actuel et le Singulier, entretiens sur le théâtre et la danse, Carnières, Lansman, 2006.

MOSTEGHANEMI, Ahlam [CONSTANTINE 1954]

Romancière et poétesse algérienne.

Considérée comme la première écrivaine algérienne de langue arabe, Ahlam Mosteghanemi est marquée par l’histoire de l’indépendance de l’Algérie dans laquelle sa famille était très engagée, et le reflète dans son écriture. Mohammed Chérif, son père, est parmi les premiers militants contre la colonisation française : au cours des manifestations du 8 mai 1945, il est arrêté et emprisonné. Ne retrouvant pas son emploi à sa sortie de prison, il part avec sa famille en Tunisie, où il deviendra professeur de français. En 1962, la famille retourne en Algérie, où M. Chérif occupe alors un poste de haut fonctionnaire de l’État. A. Mosteghanemi est inscrite au lycée Aicha, le premier lycée où l’enseignement de l’arabe est assuré. À 18 ans, elle anime une émission littéraire à la radio, Hamasset. Elle achève parallèlement une licence de littérature arabe à l’université d’Alger et poursuit ses études à Paris. Elle a commencé à écrire de la poésie dès 1973 ; cependant, c’est avec sa trilogie romanesque qu’elle deviendra l’un des écrivains les plus lus du monde arabe : Mémoires de la chair (1985), Le Chaos des sens (1997) et Aber Sarir (« passager du lit », 2002) assurent sa renommée. Son écriture conjugue deux cultures, l’arabe et la française, et puise ses thèmes dans l’histoire tourmentée de l’Algérie d’avant et d’après l’Indépendance. La romancière se définit comme « l’écrivaine du désir (et non du plaisir) » et accorde une grande place à la sensualité et au langage du corps. Le succès spectaculaire qu’elle connaît dans le monde arabe est dû, principalement, à sa nouvelle approche de l’histoire. L’histoire douloureuse de l’Algérie y est toujours mêlée à une histoire d’amour un peu mélodramatique, mais aussi à une écriture qui dit le désarroi actuel des Arabes et projette leurs doutes profonds quant à leurs valeurs, à leur identité et à leur avenir.

Najet LIMAM-TNANI

Algérie, femmes et écriture (1985), Paris, L’Harmattan, 2000.

MOTHER JONES VOIR JONES, Mary Harris

MOTHER ROSS VOIR CAVANAGH, Kit

MOTHER SHIPTON (née Ursula SONTHEILou SOUTHEIL) [KNARESBOROUGH 1488 - ID. 1561]

Guérisseuse et prophétesse anglaise.

Par une nuit d’orage, dans une grotte, près d’une source aux pouvoirs magiques, Mother Shipton naît dans le Yorkshire. Sa mère, Agatha Sontheil (ou Southeil), très pauvre, aurait été séduite à l’âge de 15 ans par un sorcier qui, présent jusqu’à sa naissance, les abandonne rapidement. Sa laideur a peut-être inspiré les représentations de la méchante sorcière. Néanmoins, très respectée pour avoir soigné de nombreuses personnes, elle épouse le charpentier Toby Shipton en 1512, mais restera sans enfants. Les circonstances exceptionnelles entourant sa naissance, les soins et l’aide qu’elle prodigue à ses contemporains, la voyance qu’elle pratique tout au long de sa vie font de Mother Shipton un témoin des traditions chamaniques des chasseurs-cueilleurs nomades (10 000 av. J.-C.), adoptées ensuite par les Britons. Ses prophéties, publiées dès 1641 et toujours très populaires en Grande-Bretagne, présentent de nombreuses analogies stylistiques avec des manuscrits dont certains remontent au VIsiècle, notamment la collection de textes compilés (fin du Xe-début du XIe siècle) sous le nom de Lacnunga (« remèdes »), contenant le Nine Herbs Charms, série de conjurations contre les empoisonnements et infections accompagnées d’un traitement composé de neuf plantes, le Bald’s Leechbook, seul ouvrage anglo-saxon sur la chirurgie plastique (traitant en particulier du bec-de-lièvre), le Lorica of Laidcenn, également connu sous le nom de Lorica de Gildas le Briton, texte magico-médical contenant un vocabulaire anatomique détaillé, et le Lorica de saint Patrick dont les invocations aux anges et au Christ visent à protéger les différentes parties du corps contre les assauts des démons. Mother Shipton reste emblématique d’une médecine traditionnelle extrêmement ancienne, le chamanisme autochtone britannique – le wyrd, monde conçu à l’instar d’une grande toile dont les fils invisibles au commun des mortels sont lisibles par celui qui en comprend la dynamique. Une telle lecture expliquerait pourquoi elle sut prédire, entre autres, la dissolution et la destruction des monastères sur ordre de Henri VIII en 1538, le grand incendie de Londres en 1666, et, plus proche de notre monde contemporain, des bateaux en fer flottant sur les eaux et des charrettes avançant sans chevaux…

Claudine BRELET

KELLETT A., Mother Shipton : Witch and Prophetess, Maidstone, George Mann, 2002.

MOTT, Lucretia (née COFFIN) [NANTUCKET, MASSACHUSETTS 1793 - PHILADELPHIE 1880]

Abolitionniste, féministe et pasteur américaine.

Née dans une famille de quakers, Lucretia Mott est nommée pasteur du groupe local à Philadelphie, où elle a déménagé avec son mari. La maison du couple est un centre du mouvement pour l’abolition de l’esclavage et devient une des étapes de l’Underground Railroad (réseau qui aide les esclaves à fuir vers les États libres). En 1833, elle fonde la Philadelphia Female Anti-Slavery Society (« société des femmes contre l’esclavage ») et en devient la présidente. Elle voit sa participation comme déléguée refusée à la Convention mondiale contre l’esclavage (Londres, 1840), parce qu’elle est une femme, et se lie avec la suffragiste Elizabeth Cady Stanton*. En 1848, les deux femmes organisent une convention de femmes à Seneca Falls (New York), où naissent les campagnes politiques américaines pour les droits des femmes et le suffrage. Elle devient présidente de l’American Equal Rights Association (« association pour l’égalité des droits ») en 1866 et milite jusqu’à la fin de sa vie pour les droits des femmes et des esclaves libérés.

Béatrice TURPIN

Selected Letters of Lucretia Coffin Mott, Palmer B.  W. (dir.), Urbana (Illinois), University of Illinois Press, 2002.

MOTTE, Mlle [1740-1790]

Romancière française.

Nommée par erreur Mlle de La Motte par Fortunée Briquet dans son Dictionnaire historique, littéraire et bibliographique des Françaises [… ] connues par leurs écrits [… ] (1804), cette écrivaine – dont la biographie est peu connue – publie plusieurs romans à la thématique récurrente : sensibilité effrénée et volontiers larmoyante, intrigues sentimentales et amours contrariées par des drames familiaux. Elle a su exploiter les genres romanesques alors en faveur, signant un roman-mémoires, Célide ou Histoire de la marquise de Bliville (1775, réédité en 1776), un roman dans le goût anglais, Histoire de Zulmie Warthei (1776), et un roman épistolaire, Lettres du marquis de Sézannes au comte de Saint-Lys (1778 et non 1777, date erronée retenue par F. Briquet, qui correspond aux annonces parues fin 1777). Auteure sans grande originalité, remarquable cependant par son style soigné et délicat, elle illustre l’engouement pour le roman de la sensibilité dans la seconde moitié du XVIIIe siècle.

Geneviève GOUBIER

BRIQUET F., Dictionnaire historique, littéraire et bibliographique des Françaises et des étrangères naturalisées en France, Paris, Treuttel et Würtz, 1804 ; FRAUTSCHI R., MARTIN A., MYLNE V. G., Bibliographie du genre romanesque français 1751-1800, Londres/Paris, Mansell/Expansion, 1977.

MOTTEVILLE, Françoise DE (née BERTAUT) [PAYS DE CAUX V. 1621 - PARIS 1689]

Femme de lettres française.

Fille de Pierre Bertaut, premier gentilhomme de la Chambre du roi, et d’une fille de la noblesse espagnole, Françoise de Motteville reçoit, dès l’âge de 10 ans, une pension de la jeune reine Anne d’Autriche, avant d’être écartée de la Cour avec sa mère par Richelieu. En 1643, la reine, devenue veuve, l’engage comme femme de chambre alors qu’elle-même vient de perdre son époux de 82 ans, Nicolas Langlois, seigneur de Motteville. Vivant jusqu’à la mort de la reine (1666) dans son intimité, elle prépare le jugement de la postérité par des notes quotidiennes qui formeront les Mémoires pour servir à l’histoire d’Anne d’Autriche, publiés en 1723 à Amsterdam. Après un résumé de la vie de la reine de son mariage à la mort de Louis XIII, le récit devient une chronique nourrie de l’attention précise que l’auteure porte aux événements de la Cour. Elle adopte une position de spectatrice, dont elle tire un détachement ironique qui s’énonce par la métaphore de la comédie. Dans ses portraits et ses évocations des relations humaines, elle incline vers une posture morale, étayée sur les valeurs de modération et de naturel qui lui font juger la Cour comme un « délicieux et méchant pays ». Son récit de la Fronde associe au point de vue politique du pouvoir une opinion morale personnelle qui révèle l’amour-propre des protagonistes sous le discours de l’intérêt général, ce que résume une formule brillamment paradoxale : « Ils étaient tous infectés de l’amour du bien public. » La fin de sa vie est consacrée à la dévotion qu’elle a tant louée chez la reine et qu’elle pratique jusqu’à sa mort en 1689, avec l’humilité encouragée chez les femmes par les directeurs de conscience en ces temps de querelles théologiques.

Michèle ROSELLINI

Mémoires de Mme de Motteville sur Anne d’Autriche et sa cour, 4 vol., Paris, Charpentier-Fasquelle, 1904 ; Chronique de la Fronde, Delacomptée J.-M. (éd.), Paris, Mercure de France, 2003.

DEHAN G., « Mlle de Motteville devant Mazarin ou la jalousie féminine », in Les Valeurs chez les mémorialistes français du XVIIe siècle avant la Fronde, Paris, Klincksieck, 1979 ; LESNE-JAFFRO E., La Poétique des mémoires (1650-1685), Paris, H. Champion, 1996.

FUMAROLI M., « La confidente et la Reine : Mme de Motteville et Anne d’Autriche », in Revue des sciences humaines, juil.-sept. 1964.

MOUCHON, Violette [RÉGION PARISIENNE 1893 - LA FORCE 1985]

Commissaire nationale des éclaireuses unionistes et présidente de la Cimade.

D’une famille bourgeoise protestante parisienne, Violette Mouchon est la fille d’un général. Elle est très croyante ; sa rencontre de la Mission populaire évangélique de « La Maison verte », rue Marcadet à Paris, est déterminante. Elle y assure la surveillance d’études et y rencontre Antoinette Butte*. Elle assiste à ses expériences scoutes, qu’elle trouve absurdes. Les deux femmes, V. Mouchon avec ceux qu’elle aide à étudier et A. Butte avec ses éclaireuses, n’ont pas la même approche des enfants, ce qui donne lieu à des discussions passionnées. Chacune a créé son groupe, ou section, et le mène à son idée. Les sections se rencontrent souvent et s’étonnent de se trouver si différentes. V. Mouchon, qui établit le contact avec les Éclaireurs israélites de France (EIF), est à l’origine d’un accord entre les deux mouvements. Dès 1939, elle s’engage avec Madeleine Barot* et Suzanne de Dietrich* dans la création de la Cimade qu’elle préside jusqu’en 1944.

Denise OLIGATI

MOUFANG, Ruth [DARMSTADT 1905 - FRANCFORT 1977]

Mathématicienne allemande.

Passionnée très tôt pour les mathématiques, Ruth Moufang entre à l’université de Francfort en 1925. Son diplôme d’enseignement obtenu en 1929, elle passe son doctorat de géométrie projective en 1931 sous la direction de Max Dehn. Elle obtient ensuite un poste d’attachée d’enseignement à Rome pour un an, puis enseigne à l’université de Königsberg, en Prusse-Orientale. C’est à cette époque, entre 1931 et 1934, qu’elle produit les éléments essentiels de son travail, ouvrant de nouvelles voies dans la géométrie projective. Sa principale contribution concerne les fondements de la géométrie. Complétant le travail de David Hilbert sur les coordonnées et les règles d’incidence, elle découvre que la règle d’invariance de quatre points harmoniques la conduit à travailler sur des coordonnées appartenant à une structure non associative. L’étude plus approfondie de ce type d’ensemble l’amène à définir une structure de quasi-groupe, qui sera appelée « la boucle de Moufang ». Dans les années 1950, son travail sera repris par d’autres mathématiciens. Ainsi naissent les plans de Moufang, les polygones de Moufang. En 1937, R. Moufang obtient une habilitation, mais le poste universitaire qu’elle brigue lui est refusé sous le prétexte de qualifications insuffisantes, et en réalité parce qu’elle est une femme. Elle est donc une des rares femmes à effectuer un travail de mathématicien dans l’industrie, pour la société Krupp, en théorie de l’élasticité. Elle ne reprend l’enseignement qu’en 1946 à Francfort et devient la première femme allemande ayant un poste d’enseignante en université en 1957.

Isabelle COLLET

« Zur Struktur der projektiven Geometrie der Ebene », in Mathematische Annalen, vol. 105, 1931.

OGILVIE M., HARVEY J. (dir.), Biographical Dictionary of Women in Science, New York/Londres, Routledge, 1986.

SRINIVASAN B., « Ruth Moufang, 1905-1977 », in The Mathematical Intelligencer, vol. 6, no 2, 1984.

MOUKHINA, Olga [MOSCOU 1970]

Écrivaine et auteure dramatique russe.

Olga Stanislavovna Moukhina travaille pour des magazines avant d’entrer, en 1991, à l’institut de littérature Gorki et de se spécialiser dans l’écriture dramatique. Elle est l’auteure de plusieurs pièces : Un amour de Karlovna (1994) représentée en 1998 à l’École de la pièce contemporaine ; Tania, Tania créée au théâtre de la Satire de Saint-Pétersbourg en 1996 et nominée au Masque d’or en 1997 ; You, jouée à l’École de la pièce contemporaine, à l’atelier de Fomenko en 1996, et au théâtre Mannequin de Tcheliabinsk en 2008 ; Strakh i trepet (« tremblement et stupeur »), en 2007, qui a fait l’objet d’un travail pédagogique et d’un tournage cinématographique. Ses textes frappent par une mise en page originale et drôle, un travail sur le rapport du texte imprimé et des images qui donne la clé de son style : léger, un peu décousu et feutré, impressionniste, souvent ironique. Elle privilégie le chaos et l’éphémère des relations amoureuses, les ruptures sans fracas, les rencontres sans lendemain, les états d’âme de jeunes gens dans des scènes privées sans intimisme naturaliste. Olga Moukhina frôle parfois l’affectation enfantine mais elle inaugure, au début des années 1990, le « néo-sentimentalisme » qui culminera avec de tout autres particularités dans les prestations d’Evgueni Grichkovets. La focalisation exclusive sur soi, son cercle, ses amis, ses amours, les sons et les odeurs du monde est le corollaire d’une certaine indifférence au monde sociopolitique environnant.

Marie-Christine AUTANT-MATHIEU

MOUKHINA, Vera IGNATEVNA [RIGA 1889 - MOSCOU 1953]

Sculptrice russe.

Sa sculpture monumentale, L’Ouvrier et la Kolkhozienne, symbole de l’URSS dynamique et conquérante pour les uns, du réalisme socialiste pour les autres, ou même de la pire période du stalinisme, nous est familière pour avoir dominé le pavillon soviétique à l’Exposition universelle de Paris en 1937, mais aussi pour avoir été, pendant de longues années, l’emblème du cinéma soviétique : l’œuvre ouvrait les génériques des films produits par la Mosfilm. Née dans une famille de marchands aisés de Riga, Vera Ignatevna Moukhina suit l’enseignement de Konstantin Yuon à Moscou, prend des cours de modelage dans l’atelier de la sculptrice Sinitsyna en 1908, puis travaille, de 1911 à 1912, dans celui d’Ilya Machkov, avant de parfaire sa formation auprès du sculpteur Antoine Bourdelle, à la Chaumière à Paris, pendant deux ans. Lorsque la guerre éclate en 1914, elle revient en Russie. De 1915 à 1916, assistante d’Alexandra Exter*, elle travaille sur des décors du théâtre Kamerny. À partir de 1919, elle contribue au plan de propagande initié par Lénine, en sculptant le monument dédié à N. I. Novikov, et en dessinant des affiches et des calendriers. Au cours de cette période, elle concourt à des projets de sculptures monumentales. En 1926, elle participe pour la première fois à l’exposition annuelle de sculptures au musée d’Histoire ; elle y exposera ensuite tous les ans. Ancré dans le réalisme figuratif, son travail répond bien aux exigences de la propagande soviétique : les portraits austères (Koltsov, Zamkov, Taranovitch, Khijniak) exaltent l’énergie et la force qui accompagnent l’idéologie héroïque en vigueur. Elle devient assez rapidement une des artistes officielles du régime. Toutefois, certaines sculptures, comme celle de la ballerine Galina Oulanova*, laissent transparaître un sentiment de tristesse. L’Ouvrier et la Kolkhozienne reste son œuvre majeure, par la taille bien sûr, mais également par l’emploi d’acier inoxydable, le prolongement qu’elle offre au palais des Soviets de Boris Iofan, l’élan donné au groupe et l’idéologie qu’il porte. Sa réalisation a nécessité la collaboration de deux femmes, Zinaida Ivanov et Nina Zelinskaya. Des journalistes féministes parisiennes ont alors noté la monumentalité de l’œuvre des trois sculptrices comme une preuve de féminisme.

Catherine GONNARD

Pensées d’un sculpteur, Moscou, Éd. en langues étrangères, 1953 ; avec GOLOUBKINA AS., LEBEDEVA S. D., Trois sculpteurs soviétiques (catalogue d’exposition), Paris, Musée Rodin, 1971.

MOULART, Marie-Louise [BOUSSU, HAINAUT 1919]

Femme de presse et religieuse belge.

Entrée chez les Sœurs Blanches en 1939, Marie-Louise Moulart prononce ses vœux perpétuels en 1947, date à laquelle elle commence à enseigner. Après une année de formation en Kabylie, elle arrive en 1949 au Rwanda, où elle exercera l’essentiel de ses activités. En 1957, à la demande du Mwami (roi) et de Mgr André Perraudin, elle fonde une école primaire à Nyanza. Elle s’emploie à promouvoir un enseignement interracial qui n’oublie pas les filles et une pédagogie inventive adaptée à son public, mêlant théâtre, chant et danse. Elle crée ensuite une école de catéchistes. De 1971 à 1980, elle dirige le journal Kinyamateka. Ce bimensuel, publié en langue nationale, est le premier titre de presse à avoir été créé par les missionnaires d’Afrique (Pères Blancs) dans le pays, où il représente une véritable institution. Grégoire Kayibanda, avant de devenir président de la jeune République rwandaise, y a collaboré à plein temps. Conscient de la puissance de cet organe de presse, il a d’abord lancé des titres gouvernementaux, puis engagé un bras de fer avec la publication, trop indocile à ses yeux, réduisant la rédaction au silence. C’est dans ce contexte difficile que M.-L. Moulart est appelée à la direction du journal. Elle va ressusciter le bimensuel de la Conférence épiscopale du Rwanda, aux finances « catastrophiques » selon ses dires. Le tirage, tombé à quelques centaines d’exemplaires, atteint les 12 000 après ses efforts. En 1972, elle obtient le déménagement de la rédaction dans la capitale, afin d’être au cœur de l’information et de ses sources. Convoquée à plusieurs reprises par la sûreté de l’État, elle est tenue de fournir des explications sur quelques articles évoquant les doléances de la population. Elle réhabilite le « courrier des lecteurs » et, en 1975, un supplément mensuel réservé aux femmes. Parallèlement, elle relance la publication de Hobe, magazine pour enfants très populaire, et participe à de nombreux congrès internationaux. En 1978, à Kigali, elle accueille celui de l’Union catholique internationale de la presse et contribue à la création d’une section africaine en son sein. De son retour en Belgique en 1980 jusqu’à une hémiplégie en 2007 qui l’a quasiment privée de parole, M.-L. Moulart n’a cessé d’aider, souvent concrètement, les Africains en difficulté, tels ceux du « quartier congolais » du centre de Bruxelles. Elle est le symbole d’une génération de missionnaires intrépides qui, fidèles à la doctrine humaniste de leur fondateur, expérimentent de nouvelles orientations. Sensible à la cause des femmes – dans les limites du respect des coutumes locales –, respectueuse des pouvoirs établis, elle n’hésite cependant pas à les contrer pour affirmer haut et fort des principes de justice sociale, jusqu’à interpeller les plus hautes autorités rwandaises ou belges avec sa plume acérée de journaliste.

Annie LENOBLE-BART

BART A., La Presse au Rwanda, Université de Bordeaux III, 1982.

MOULIN, Jeanine (née ROZENBLAT) [BRUXELLES 1912 - ID. 1998]

Écrivaine belge d’expression française.

D’origine polonaise, Jeanine Moulin a des parents liés à de nombreux artistes et écrivains. Après des études à l’Université libre de Bruxelles, elle publie ses premiers travaux sur Les Chimères de Nerval (1937) et un Manuel poétique d’Apollinaire (1939). À partir de 1947, elle fait paraître plusieurs recueils de poèmes, mais n’abandonne pas pour autant ses activités d’essayiste : Marceline Desbordes-Valmore (1955), Christine de Pisan (1962) et surtout deux anthologies dont l’ensemble formera Huit siècles de poésie féminine (1975). Elle a été présidente des Midis de la poésie et élue en 1976 à l’Académie royale de langue et de littérature françaises.

Liliane WOUTERS

De pierre et de songe, 1961-1991, Paris, La Différence, 1991.

MOULIN, Raymonde [MOULINS 1924]

Sociologue française.

Agrégée d’histoire, entrée au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) en 1957, Raymonde Moulin s’attache à l’étude des rapports entre la valeur artistique des œuvres et leur prix de marché. Elle soutient en 1967 un doctorat ès lettres en sociologie, Le Marché de la peinture en France, dédié à son directeur de thèse, Raymond Aron. Après avoir participé, aux côtés du sociologue Jean-Claude Passeron, au lancement de l’université expérimentale Paris 8-Vincennes, cette directrice de recherche au CNRS fonde en 1984 le Centre de sociologie des arts, puis devient l’année suivante directrice d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS). Présidente de la Société française de sociologie en 1984-1985, membre du CNRS, elle organise un colloque international à Marseille (1985) qui témoigne de l’émergence de la sociologie de l’art en tant que sous-discipline particulièrement active et créative. Elle anime le comité de recherche en sociologie de l’art de l’Association internationale de sociologie, et dirige la Revue française de sociologie (1993-1998). Dans Le Marché de la peinture, R. Moulin montre qu’il est bien difficile de distinguer l’appréciation esthétique d’une œuvre et son appréciation économique : la valeur marchande d’un tableau résulte de la demande, laquelle est fonction de la qualité artistique supposée, et réciproquement le seul signe de reconnaissance consensuelle de la qualité esthétique est le prix du tableau. Dans ses travaux ultérieurs, la sociologue aborde d’autres « mondes de l’art », telles l’architecture, la photographie, la vidéo. Elle développe de fructueux échanges intellectuels avec des figures majeures de la sociologie interactionniste américaine, comme en témoigne le volume qui lui est dédié, L’Art de la recherche, essais en l’honneur de Raymonde Moulin (1994), auquel ont collaboré, entre autres, Howard S. Becker, Eliot Freidson, Anselm Strauss. L’étude des Mondes de l’art (titre d’un ouvrage de H. S. Becker, 1982), au sein desquels interagissent des artistes, des collectionneurs et mécènes publics ou privés, des agents commerciaux et le public, s’affirme comme un domaine dans lequel la sociologie de la fin du XXe siècle réalise certaines de ses avancées majeures, auxquelles R. Moulin aura contribué de manière déterminante.

Alain CHENU

Le Marché de la peinture en France, Paris, Éd. de Minuit, 1967 ; avec DUBOST F., GRAS A., LAUTMAN J. et al., Les Architectes, métamorphose d’une profession libérale, Paris, Calmann-Lévy, 1973 ; L’Artiste, l’institution et le marché, Paris, Flammarion, 1992 ; Le Marché de l’art, mondialisation et nouvelles technologies, Paris, Flammarion, 2000.

MENGER P.-M., PASSERON J.-C. (dir.), L’Art de la recherche, essais en l’honneur de Raymonde Moulin, Paris, La Documentation française, 1994.

MOUNTAIN, Rosemary [MONTRÉAL 1954]

Compositrice canadienne.

Rosemary Mountain est titulaire d’un doctorat en théorie musicale sous la direction de Harald Krebs à l’université de Victoria (Colombie-Britannique). Elle étudie le piano dès l’âge de 4 ans et le violon à 9 ans. En 1963, sa famille part s’installer en Inde pour une année : la jeune musicienne découvre la richesse sonore de ce pays qui marquera son imaginaire et ses créations futures. De retour en Amérique, à Cambridge, elle découvre le rock, une autre source d’influence. Elle rentre ensuite au Canada (1970) et découvre le jazz au Nova Scotia College of Art & Design, où elle étudie désormais. Puis, en 1976, elle suit les cours de composition de Peter Paul Koprowski à l’université d’Ontario tout en poursuivant ses études de violon avec l’illustre Yuri Mazurkevich. Son style musical est caractérisé par ses nombreux voyages à travers le monde (Inde, Portugal, Angleterre, Ouest canadien, etc.) : diversité, découverte et exploration multimédia du son « pur », concret, et traitement à l’aide de la technologie la plus avancée. Depuis 1999, R. Mountain enseigne la théorie, la composition et la musique électroacoustique à l’université Concordia, à Montréal. Parallèlement, elle poursuit la composition d’œuvres électroacoustiques, Bits & Pieces (2001), Eddies in the River of Memory (2002) et d’œuvres instrumentales (The Back Garden, 2004). Elle a développé un projet inter-universitaire et industriel de grande envergure, Hexagram, Institut de recherche-création en arts et technologies médiatiques consacré à l’innovation et à l’expérimentation artistique et technologique, dont la visée est de participer au renforcement des liens entre la recherche universitaire et la recherche industrielle.

Sophie STÉVANCE

MOURA, Ana [SANTARÈM 1979]

Chanteuse portugaise de fado.

Ana Moura voit le jour au sein d’une famille mélomane dans le centre du Portugal. Elle intègre à 14 ans la Academia dos Amadores de Música, dans la banlieue de Lisbonne, où elle forme son premier groupe de reprises. Découverte par Antonio Parreira, elle rencontre la scène du fado dans la capitale portugaise, et Jorge Fernando produit son premier disque, Guarda-me a Vida na Mão (2003), puis Aconteceu (2004), un double album ambitieux, apportant au fado traditionnel des touches plus modernes. Elle se produit alors à Lisbonne, à la télévision portugaise, ainsi qu’au Carnegie Hall à New York en février 2005, et est invitée sur scène par les Rolling Stones à Lisbonne en 2007. Para Alem Da Saudade, son troisième album, est un grand succès, qui lui vaut le Amália Rodrigues Award. A. Moura publie en 2008 un DVD live, et Leva-Me Aos Fados (2009), son quatrième opus, est rapidement disque de platine. En 2010, elle chante avec Prince au Portugal et Gilberto Gil au Brésil, se produit au San Francisco Jazz Festival et avec le Frankfurt Radio Big Band. A. Moura remporte l'année suivante son premier Globo de Oro et est nominée parmi les artistes de l'année par le magazine anglais Songlines. Sur son cinquième album Desfado (2012), elle invite le pianiste de légende Herbie Hancock, ainsi que des compositeurs et paroliers issus de divers styles musicaux.

Jean BERRY

Guarda-me a Vida na Mão, Universal Music Portugal, 2003 ; Para Alem Da Saudade, Universal Music Portugal, 2007 ; Leva-Me Aos Fados, Universal Music Portugal, 2009 ; Desfado, Universal Music Portugal, 2012.

MOURATOVA, Kira [SOROCA 1934]

Cinéaste, scénariste et actrice ukrainienne.

Née dans l’actuelle Moldavie, Kira Mouratova fait ses études à l’école nationale de cinéma de Moscou (VGIK) et commence à travailler pour les studios cinématographiques d’Odessa, où elle retrouve une certaine liberté de création. Son premier long-métrage, Notre pain honnête, coréalisé en 1964 avec son mari Alexandre Mouratov, porte un regard critique sur la vie des kolkhoziens. Ses deux films suivants, Brèves rencontres (1967) et Longs adieux (1971), connaissent un succès considérable. Censuré par l’État soviétique jusqu’à la perestroïka, le cinéma de Kira Mouratova dépeint une Ukraine ordinaire, hors de toute idéologie. C’est plus par son regard que par les sujets de ses films qu’elle semble déranger le pouvoir soviétique, depuis son premier film jusqu’au Syndrome asthénique (1989), Ours d’argent au festival de Berlin 1990. Ce film est une réflexion sarcastique et provocante sur le rôle que le cinéma peut tenter de jouer dans une société endormie. K. Mouratova aborde des thèmes universels : l’espoir, la chaleur humaine, la solitude, la douleur d’un amour non partagé. Elle s’attache particulièrement aux petits détails et à la trivialité du monde, comme pour effacer la triste réalité du système soviétique, et ses héros sont des gens simples, dépeints tels qu’ils sont dans la vie : pas toujours heureux, souvent laids, mais qu’elle cherche à comprendre. Dans Citoyens de deuxième classe (2001), l’absurde, le dérisoire, le vaudeville et le thriller prédominent. Parmi ses films les plus récents, citons : La Poupée (2007), Deux en un (2007) et Mélodie pour orgue de Barbarie (2009).

Olga CAMEL

Brèves rencontres (Korotkie vstretchi), 96 min, 1967 ; Longs adieux (Dolgie provody), 95 min, 1971 ; La Poupée (Koukla), 31 min, 2007 ; Deux en un (Dva v odnom), 124 min, 2007 ; Mélodie pour orgue de Barbarie (Melodiïa dlia charmanki), 153 min, 2009.

HOSEJKO L., Histoire du cinéma ukrainien, 1896-1995, Die, À Die, 2001.

MOURAUD, Tania [PARIS 1942]

Artiste visuelle et performeuse française.

Issue d’un milieu cultivé, Tania Mouraud marque vite son indépendance. Elle achève ses études à la Saint Martin’s School de Solihull et, à 17 ans, reste à Londres comme jeune fille au pair. Elle séjourne ensuite en Allemagne, à Düsseldorf, où elle vit de divers emplois, notamment à l’usine. Elle entre alors en contact avec le milieu de l’art contemporain et assiste aux performances de Joseph Beuys. En 1963 commence sa production artistique régulière, marquée par des performances à connotations sociales et politiques et, surtout, par ses premières toiles. Elle ressent cependant le besoin d’une troisième dimension. En 1969, dans un autodafé-performance, elle brûle toute sa peinture. Elle amorce alors un virage radicalement minimaliste, confirmé par les environnements dits « chambres de méditation », dont le premier exemple, One More Night (musée d’Art moderne, Paris, 1969-1970), propose, selon l’artiste, une « expérience psychosensorielle de l’espace », avec une ambiance sonore électroacoustique. Ces espaces, de conception minimaliste, peuvent être interprétés a posteriori comme des sas de transition entre le monde passé et le temps présent : celui de l’expérience. Ils sont dédiés à une forme de rite de passage, comme si l’artiste y méditait l’orientation de son œuvre. Ce sont aussi des espaces de « déconditionnement », visée importante de son œuvre. L’artiste interroge la perception et la communication, en particulier dans son rapport au non-dit : non-dit de l’histoire de l’art, par exemple, quand il s’agit de rappeler la mémoire de ces « oubliées », artistes femmes de l’avant-garde russe, dont les noms viennent scander ceux des illustres hommes inscrits, eux, dans la pierre de l’architecture. En 2006, elle présente une installation vidéo conçue à partir des films de cent travailleurs de Kerala en Inde, actionnant des métiers à tisser ou des rouets. Son engagement politique relie ainsi sa pratique artistique à la réalité du monde auquel il s’agit de se confronter avec responsabilité.

Raphaël CUIR

Tania Mouraud, Dieu compte les larmes des femmes (catalogue d’exposition), Abensour D. (dir.), Quimper, Adac-Le Quartier, 1996 ; World Signs, Tania Mouraud (catalogue d’exposition), Ivry-sur-Seine, galerie Fernand Léger, 1998 ; Tania Mouraud (catalogue d’exposition), Santa Ana, Grand Central Press, 2007.

PIERRE A., Tania Mouraud, Paris, Flammarion/Centre national des arts plastiques, 2004.

MOURÉ, Erin [CALGARY 1955]

Poétesse et essayiste canadienne.

D’ascendance polonaise par sa mère, Erin Mouré commence des études supérieures à l’université de Calgary avant de suivre un cours de création littéraire au Banff Centre of the Arts, suivi d’études de philosophie à l’université de Colombie-Britannique. Elle obtient en 1984 un poste de professeur dans un atelier d’écrivains avant de devenir écrivaine en résidence à l’université de Calgary et formatrice en création littéraire à l’université du Nouveau-Brunswick. Elle a continué à enseigner la création littéraire, notamment à l’université de Concordia après avoir dirigé de nombreux ateliers sur l’écriture poétique dans tout le Canada. Auteure reconnue, elle a reçu plusieurs récompenses, notamment pour ses recueils de poésie Domestic Fuel (1985), Furious (1988), WSW (1989) et Little Theatres (2005). Le recueil Domestic Fuel, qui offre une vision incisive du patriarcat, témoigne d’un changement de perspective de la part de l’auteure, dont le multilinguisme – elle écrit principalement en anglais, mais traduit le français, le galicien, le portugais et l’espagnol – tend à s’immiscer dans ses œuvres. Elle commence en effet à questionner le langage et plus précisément son caractère normatif. Si ses premières œuvres révèlent un style assez conventionnel, elles contrastent avec les suivantes, dont la prise de risque point jusqu’à l’évidence. E. Mouré s’adonne à l’expérimentation et n’hésite pas à ébranler les conventions de la syntaxe, jusqu’à produire déconstruction et fragmentation. À partir de Domestic Fuel, sa poésie s’inscrit au sein d’une revendication féministe, opposant d’un côté le langage « traditionnel » représentatif des valeurs masculines et de l’autre celui des femmes et de leurs expériences auxquelles ce langage normatif ne peut correspondre. Elle se concentre sur la question du pouvoir, de ses abus, de ses prérogatives, la plupart du temps d’un point de vue féministe, sans pour autant se départir du lyrisme. Elle emprunte la même voie dans ses essais, où elle analyse toujours les liens tissés entre langage, poésie, patriarcat, féminisme et oppression, ce à travers quoi elle questionne aussi le genre. Parmi ses récents recueils, citons O Cidadán (2002) ; O Cadoiro (2007) ; O Resplandor (2010) ou encore The Unmemntioable (2012).

Élodie VIGNON

The Green Word : Selected Poems, 1973-1992, Toronto, Oxford University Press, 1994.