AUDIN, Michèle [ALGER 1954]

Mathématicienne française.

Michèle Audin est professeure à l’université de Strasbourg. Élève de l’École normale supérieure de Sèvres, elle a soutenu une thèse à Orsay. Parallèlement à ses activités de recherche en mathématique pure, de popularisation de la mathématique (collaboration à la revue en ligne Images des mathématiques où paraissent, entre autres choses, des portraits de mathématiciens), elle s’est, dans les dernières années, tournée, d’une manière extrêmement originale, vers l’histoire de la mathématique. Cette discipline est essentiellement conçue, encore aujourd’hui, comme une exploration de la genèse et du développement des concepts mathématiques, et comme le récit de ces découvertes, aussi bien les plus spectaculaires que les plus anecdotiques. Dans un livre qui fera date, M. Audin a mis en évidence que, malgré leur importance, les travaux de la grande mathématicienne russe de la fin du XIXe siècle Sofia Kovalevskaïa* ont mis, en raison de la misogynie massive de l’époque, très longtemps à être reconnus (et il n’est pas certain qu’il ne reste pas, aujourd’hui encore, des traces de cette dénégation). C’était là une première incursion dans les rapports insuffisamment étudiés de la mathématique, activité pure de l’esprit, avec l’histoire de tous les hommes, l’Histoire « avec sa grande hache ». Le destin du mathématicien Jacques Feldbau, tué par les nazis, a été la matière du deuxième livre de recherche historique de M. Audin. En 2009, elle a été invitée à faire partie de l’Ouvroir de littérature potentielle (Oulipo), fondé par François Le Lionnais et Raymond Queneau en 1960. Sa participation aux travaux de ce groupe lui a donné le dernier outil qui lui manquait encore, les armes littéraires qui lui étaient nécessaires pour la composition de ce livre admirable qu’est Une vie brève (2013), enquête sobre, nette et bouleversante sur le père qu’elle n’a que très peu connu, Maurice Audin, mathématicien, « emmené, torturé et tué » à Alger – elle avait alors 3 ans – par les parachutistes français, en juin 1957.

Jacques ROUBAUD

Souvenirs sur Sofia Kovalevskaya, Paris, Calvage & Mounet, 2008 ; Une histoire de Jacques Feldbau, Paris, Société mathématique de France, 2010 ; avec DAMIAN M., Théorie de Morse et homologie de Floer, Les Ulis/Paris, EDP-Sciences/CNRS éditions, 2010 ; Correspondance entre Henri Cartan et André Weil, Paris, Société mathématique de France, 2011.

AUDOUARD, Olympe Félicité [MARSEILLE 1832 - NICE 1890]

Femme de lettres et féministe française.

Mariée à 18 ans, Olympe Audouard obtient une séparation de corps d’avec son époux en l’accusant de libertinage et quitte le sud de la France avec ses enfants. Elle vit ensuite de sa plume en publiant les récits de ses voyages dans l’Empire ottoman, en Égypte, en Russie et aux États-Unis. Installée à Paris, où elle rencontre Gautier, Lamartine, Dumas, elle lance Le Papillon, journal mondain humoristique qu’elle dirige pendant vingt ans, et la Revue cosmopolite, feuille politique rapidement censurée pour son anticléricalisme, son radicalisme, et à cause du sexe de sa fondatrice. Célèbre pour ses nombreux discours et pamphlets incendiaires, O. Audouard milite pour l’égalité civile et politique des femmes, prônant notamment le rétablissement du divorce, le droit de vote et celui de se présenter aux élections. Ses prises de position lui valent d’être poursuivie pour délit de parole. Ses récits de voyage reflètent son engagement politique : elle y montre que les Françaises sont parfois plus mal traitées que les Égyptiennes, les Russes et les Américaines. Férue de spiritisme, elle s’est dite inspirée par des morts illustres.

Lise SCHREIER

Les Mystères de l’Égypte dévoilés, Paris, Dentu, 1865 ; Gynécologie, la Femme depuis six mille ans, Paris, Dentu, 1873 ; Voyage à travers mes souvenirs, Ceux que j’ai connus, ce que j’ai vu, Paris, Dentu, 1884.

MONICAT  B., Itinéraires de l’écriture au féminin, voyageuses du XIXe siècle, Amsterdam, Rodopi, 1996.

AUDOUX, Marguerite (née DONQUICHOTTE) [SANCOINS 1863 - SAINT-RAPHAËL 1937]

Romancière et nouvelliste française.

Orpheline de mère à 3 ans, abandonnée avec ses deux sœurs par son père, Marguerite Audoux grandit dans le Berry, à l’orphelinat de Bourges, puis dans une ferme où elle est domestique. D’entrée sa vie est marquée par le deuil et la séparation : amours contrariées, mort d’un enfant, chômage. Arrivée à Paris en 1881, elle devient couturière, consacrant son peu de temps libre à écrire. Un soir, Michel Yell, avec qui elle partage sa vie, ami d’André Gide et membre, comme elle, du « groupe de Carnetin », formé d’écrivains et d’artistes, découvre ses cahiers dans les tiroirs de la table de machine à coudre. Il vient de lire la matière brute de Marie-Claire, que l’écrivaine, pourtant grevée de crises d’ophtalmie, retravaillera sans relâche. Soutenu activement par Octave Mirbeau, ce roman d’inspiration biographique remporte en 1910 le prix Femina-Vie heureuse sous le nom qui sera désormais le sien : Marguerite Audoux. Considéré comme un chef-d’œuvre, il se vend à plus de 100 000 exemplaires. Pour certains, M. Audoux est l’auteure d’un seul livre ; pourtant, la couturière des lettres continue d’écrire jusqu’à sa mort des romans et des nouvelles. Son œuvre inaugure une littérature d’inspiration populaire, écrite par le peuple lui-même.

Audrey LASSERRE

Marie-Claire, Paris, Fasquelle, 1910 ; L’Atelier de Marie-Claire, Paris, Fasquelle, 1920 ; De la ville au moulin, Paris, Fasquelle, 1926 ; La Fiancée, Paris, Flammarion, 1932 ; Douce lumière, Paris, Grasset, 1937.

GARREAU B.-M., Marguerite Audoux, la couturière des lettres, Paris, Tallandier, 1991.

AUDRAN, Stéphane (Colette DACHEVILLE, dite) [VERSAILLES 1932]

Actrice française.

Stéphane Audran débute au cinéma en 1958. L’année suivante, elle tourne son premier film avec Claude Chabrol. Elle divorce alors de Jean-Louis Trintignant et épouse le jeune réalisateur. Le couple tourne ensemble une longue série de comédies noires qui remportent un vif succès, des Cousins (1959) à Betty (1992). Dans Landru, elle est l’épouse de l’assassin, dans Le Boucher, la muse du tueur au cœur tendre (Jean Yanne). Provinciale adultère dans Les Noces rouges, elle est aussi la mère de Violette Nozière (Isabelle Huppert*) ; elle apparaît dans Le Sang des autres, d’après le roman de Simone de Beauvoir*. Elle tourne également avec Samuel Fuller, Luis Buñuel, Bertrand Tavernier ou Jean-Pierre Mocky. Dans Le Festin de Babette, de Gabriel Axel, elle incarne une cuisinière exilée en Suède après la Commune. En 1999, elle tourne Le Pique-nique de Lulu Kreutz, comédie de Didier Martiny écrite par Yasmina Reza*. En 2008, elle incarne une meurtrière bourgeoise défendue par Fabrice Luchini dans La Fille de Monaco d’Anne Fontaine*. Elle ne joue qu’une seule fois sur scène, dans le rôle de Lady Macbeth de Shakespeare, face à Roger Hanin (dans une mise en scène de C. Chabrol).

Bruno VILLIEN

BLIXEN K., Le Dîner de Babette, lu par Stéphane Audran, Paris, Des Femmes-Antoinette Fouque, « Bibliothèque des voix », 1987.

AUDRY, Colette [ORANGE 1906 - ISSY-LES-MOULINEAUX 1990]

Militante politique, éditrice et écrivaine française.

Socialiste et féministe, Colette Audry appartient à cette première génération de femmes qui accèdent aux grandes institutions éducatives et aux instances du Parti socialiste. Née dans une famille athée d’origine protestante et très politisée, elle est adolescente quand la loi Camille-Sée ouvre l’enseignement secondaire public aux filles, et sa mère la pousse à acquérir son indépendance économique. Sévrienne, agrégée de lettres, elle restera fidèle à l’enseignement jusqu’à sa retraite. Solidaire des luttes antifascistes et anticoloniales, résistante sous l’Occupation, elle dénonce la guerre d’Algérie et l’usage de la torture. Elle milite dans le syndicalisme enseignant et la gauche révolutionnaire de la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO), puis au Parti socialiste unifié (PSU). Elle est membre du comité directeur du Parti socialiste de 1971 à 1981 et, bonne connaisseuse du mouvement ouvrier, préside l’Institut socialiste d’études et de recherches. Après-guerre, proche de Simone de Beauvoir*, elle collabore aux Temps modernes et à la revue Arguments, fondée par Edgar Morin aux éditions de Minuit. Elle cofonde avec Marie-Thérèse Eyquem* en 1962 le Mouvement démocratique féminin (MDF), qui plaide pour l’intégration des femmes dans les instances politiques. Elle soutient le Planning familial, et signera en 1971 l’appel des 343 femmes* pour l’avortement libre. De 1964 à 1977, elle dirige chez Denoël-Gonthier la première collection « Femmes » d’une maison d’édition, et confie à Yvette Roudy la traduction de La Femme mystifiée de Betty Friedan*. Les dernières années de sa vie, elle entame une relation épistolaire quasi journalière avec un moine bénédictin, qui sera publiée en1993 sous le titre Rien au-delà.

Annie DURANTE et Jacqueline PICOT

Léon Blum ou la Politique du Juste, Paris, Julliard, 1955 ; Soledad, Paris, Denoël, 1956 ; Les Militants et leurs morales, Paris, Flammarion, 1976 ; Françoise l’ascendante, Paris, Gallimard, 1986.

LIATARD S., Colette Audry, engagements et identités d’une intellectuelle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010.

AUDRY, Jacqueline [ORANGE 1908 - POISSY 1977]

Réalisatrice française.

Réalisatrice de 15 longs-métrages entre 1946 et 1969, à une époque où les réalisatrices se comptent sur les doigts d’une seule main, adaptatrice de Colette*, Sartre et Victor Margueritte entre autres, Jacqueline Audry est sans doute la plus prolifique, la plus novatrice pour son époque, peut-être aussi la première cinéaste féministe, mais paradoxalement la plus ignorée des réalisatrices françaises, quand elle n’est pas dédaignée. Elle vient d’un milieu économiquement privilégié et intellectuellement très ouvert, d’une famille protestante anticléricale dont la mère, privée elle-même d’études, a toujours poussé ses filles à en faire. Colette Audry* sera romancière, directrice de la première collection de textes écrits par des femmes, amie de Simone de Beauvoir*, et scénariste sur un nombre important de films faits par sa sœur. Le parcours de J. Audry est exceptionnel : elle découvre le cinéma en passant une audition. Avant d’accéder à la réalisation, elle travaille dix ans à deux postes différents, dont le premier est le passage obligé des femmes dans ce domaine. Elle sera donc scripte, puis assistante sur une dizaine de films dont l’un avec Max Ophuls et un autre avec G. W. Pabst. Elle est aussi étudiante au Centre artistique et technique des jeunes du cinéma (CATJC) à Nice, lieu où se retrouvent pendant la guerre des techniciens qui rejoindront rapidement la Résistance, et où elle apprend les techniques du cinéma. Elle peut ainsi réaliser son premier film en 1943, un documentaire intitulé Chevaux du Vercors. La suite de sa carrière cinématographique sera consacrée à la fiction et aux adaptations littéraires. Contrairement à Alice Guy* et à d’autres, telle Jeanne Roque (alias Musidora*), qui créent leur propres maisons de production pour contourner l’écueil financier, J. Audry dépendra pour tous ses films de producteurs différents et devra lutter pour chacun. Le succès public de Gigi (1948), suivi de Minne, l’ingénue libertine (1950) et d’Olivia (1951), modifiera un peu les données. Elle réussit en effet à obtenir des budgets importants pour ses longs-métrages (même s’ils sont moins élevés que ceux de ses contemporains), dans lesquels tournent de grandes vedettes de ce temps : Danielle Delorme* (dont elle a contribué à lancer la carrière), Edwige Feuillère*, Arletty*, Gaby Sylvia. Les films et les héroïnes de J. Audry illustrent les multiples innovations mises en œuvre par cette cinéaste pionnière. Avec elle s’est imposée la notion de réalisatrice, une féminisation de nom de métier rarement utilisée auparavant. Soulignons en outre la cohérence dans ses créations, qu’il s’agisse de la constance avec laquelle elle a œuvré pour imposer des personnages féminins différents des stéréotypes dominants ou de son intérêt tout aussi constant pour que ses protagonistes mettent en lumière des problématiques ‒ peu populaires dans la période de l’après-guerre –, qui lui ont valu l’épithète « féministe » parfois accolée à ses films ou à sa personne. Malgré cette réussite remarquable, celle qui fut la première réalisatrice, toutes nationalités confondues, à faire partie du jury au XVIe Festival de Cannes (1963) n’est pas toujours présente dans les ouvrages consacrés au cinéma de la IVe République et autres encyclopédies des films français. Découvrir les films de J. Audry, c’est voir des personnages féminins d’une étonnante modernité dans leurs désirs et dans leurs vies, à une époque qui l’était peu. C’est aussi distinguer un portrait individuel et un parcours remarquable, révélateur des multiples questions et problèmes que rencontrent les femmes qui font du cinéma en France, quelle que soit l’époque.

Brigitte ROLLET

BRETON E., Femmes d’images, Paris, Messidor, 1984 ; FORD C., Femmes cinéastes ou le Triomphe de la volonté, Paris, Denoël/Gonthier, 1972 ; ROLLET B., « Jacqueline Audry, cinéaste pionnière », in FIDECARO A., LACHAT S., Profession : créatrice. La place des femmes dans le champ artistique, Lausanne, Antipodes, 2007.

AUFFRET, Séverine [PARIS 1942]

Philosophe et écrivaine française.

Bretonne par sa mère, la romancière Anne Pollier, Séverine Auffret, née un 8 mars, doit son prénom à la « Grande Séverine » (Caroline Rémy*), son futur modèle de radicalité féministe, libertaire et hédoniste. Après des études à la Sorbonne, elle obtient l’agrégation de philosophie dans l’euphorie de Mai 1968. Après sa rencontre avec G. Ferzli, chirurgien libanais, elle prépare et obtient un diplôme d’arabe littéral moderne. Elle enseigne au Liban et peint, de 1973 à 1976 – découvrant conjointement la guerre, la condition des femmes hors de l’Occident, et menant l’expérience personnelle de la maternité. À son retour en France, dans la proximité des manifestations et des publications du MLF Psychanalyse et politique* et des éditions des femmes* elle rédige son premier essai : Des couteaux contre des femmes (1982), envisageant les mutilations sexuelles féminines, non sous l’angle d’une « barbarie » exotique, mais comme l’un des moyens par lesquels la société patriarcale s’est approprié le corps des femmes et la « production du vivant ». Elle affirme une position « différentialiste » qui refuse l’occultation du corps féminin à l’œuvre dans le féminisme universaliste de type beauvoirien, comme sa mystification dans l’essentialisme. Avec Nous Clytemnestre, du tragique et des masques (1984, prix Marcelle-Blum de l’Académie des sciences morales et politiques) et Mélanippe la philosophe (1988), elle s’attache aux traces d’idées féministes, explicites ou implicites, inscrites dès la plus haute Antiquité, notamment en Grèce antique. Puis elle produit deux essais qui développent une philosophie hédoniste, Aspects du paradis (2001) et Des blessures et des jeux, manuel d’imagination libre (2003). Entre-temps, elle a découvert l’œuvre de Gabrielle Suchon*, philosophe française du XVIIe siècle, dont elle a entrepris l’édition critique (Traité de la morale et de la politique, la liberté et La Contrainte, du célibat volontaire). En 2002, elle rencontre l’équipe de l’Université populaire fondée à Caen par Michel Onfray et se joint à son projet. Dans un séminaire d’« idées féministes », elle trace le cadre d’un féminisme « affirmatif et hospitalier », pariant sur une révolution politico-culturelle dans laquelle la différence des sexes ne fonderait pas une hiérarchie de l’un sur l’autre, mais révélerait « l’humain dans sa réalité multiple et bigarrée ».

Élise THIEBAUT

Sapphô et Compagnie, pour une histoire des idées féministes, Loverval, Labor, 2006.

AUGSPURG, Anita [VERDEN, NORD DE L’ALLEMAGNE 1857 - ZURICH 1943]

Journaliste et militante féministe allemande.

Éprise de savoir et de liberté, Anita Augspurg quitte sa famille à 21 ans pour se rendre à Berlin. Après s’être livrée à sa passion artistique dans divers théâtres européens, elle s’installe à Munich et y travaille à partir de 1887 comme photographe-portraitiste. Elle adhère au cercle littéraire des modernes avec son associée et compagne Sophia Goudstikker ; sa vie peu conventionnelle a été une source d’inspiration pour des écrivains comme Frank Wedekind, Ernst von Wolzogen et Frieda von Bülow. Elle s’engage alors dans le mouvement féministe, notamment dans le combat pour l’amélioration de la qualité de l’enseignement des filles. Parallèlement à ses activités de photographe, elle entame des études de droit à Zurich en 1893, sanctionnées par une thèse de doctorat sur le système parlementaire anglais (1897). Reconnue première femme juriste allemande, elle repart vers Berlin, au cœur du pouvoir de l’Empire, et se consacre activement au mouvement féministe qu’elle tente de politiser. En 1899, A. Augspurg crée pour le bimensuel de Minna Cauer Die Frauenbewegung (« le mouvement féministe »), un supplément inédit intitulé Parlamentarische Angelegenheiten und Gesetzgebung (« affaires parlementaires et législation »). Jusqu’en 1906, elle analyse, sous un angle féministe, les débats du Reichstag ainsi que les textes de loi et la juridiction, et soutient de nombreuses campagnes publiques, notamment à l’encontre des lois obsolètes relatives au mariage, à la prostitution et aux crimes sexuels. Elle n’hésite pas à s’exposer elle-même, en se faisant arrêter comme (fausse) prostituée. Elle milite sous l’angle juridique pour la liberté et l’égalité des femmes dans un État de droit. Pour appuyer ses revendications politiques et renforcer son influence, elle fonde en 1902, avec Lida Gustava Heymann, sa nouvelle compagne, le Deutscher Verein für Frauenstimmrecht (« association allemande pour le droit de vote des femmes »), et toutes deux entrent au bureau de l’association des organisations progressistes de femmes. Elle accepte à la même époque d’animer la page féminine du quotidien berlinois conservateur Der Tag (« le jour »), et tente sans grand succès de rallier à sa cause les partis libéraux et le grand public. De 1907 à 1912, elle contribue à la rédaction de deux périodiques dirigés par son amie, Zeitschrift für Frauenstimmrecht (1907-1912) et Frauenstimmrecht ! (1912-1913), qui développent des positions féministes, démocratiques et pacifistes radicales. Pendant la Grande Guerre, A. Augspurg intensifie son engagement pacifiste et internationaliste. Elle est l’une des initiatrices du Congrès international des femmes pour la paix (La Haye, 1915) – au cours duquel des femmes européennes venues des pays en guerre se rassemblent pour « déclarer la guerre à la guerre ». Cet engagement lui vaut d’être interdite de publication et d’activité jusqu’à la révolution de 1918. De 1919 à 1933, elle utilise le mensuel publié en collaboration avec L. G. Heymann, Die Frau im Staat (« la femme dans l’État »), pour critiquer la Constitution de la République de Weimar. Jadis adepte du système parlementaire représentatif, elle milite alors – en tant que membre du Congrès bavarois des Conseils d’ouvriers et de paysans –, pour une république des Conseils. Elle contribue, en 1919, à la constitution de la section allemande de la Ligue internationale des femmes pour la paix et la liberté, qu’elle tente, dans son rôle de « grande dame » du mouvement féministe, de maintenir sur une ligne radicalement pacifiste. Opposée au national-socialisme, elle s’exile en Suisse en 1933.

Susanne KINNEBROCK

HEYMANN L. G., Erlebtes, Erschautes. Deutsche Frauen kämpfen für Freiheit, Recht und Frieden, 1850-1940, Twellmann M. (dir.), Francfort, Helmer, 1992 ; KINNEBROCK S., Anita Augspurg (1857-1943), Feministin und Pazifistin zwischen Journalismus und Politik, Eine kommunikationshistorische Biographie, Herbolzheim, Centaurus, 2005.

AUGUST, Pernilla (née Mia Pernilla WALLGREN) [STOCKHOLM 1958]

Actrice suédoise.

Encore adolescente, en 1975, Pernilla August joue dans un film du Suédois Roy Andersson, avant d’entrer, quelques années plus tard, au Conservatoire national de théâtre. En 1982, elle joue Maj, la bonne enceinte, dans le film d’Ingmar Bergman : Fanny et Alexandre. Entrée dans ce cercle d’acteurs, elle continue à combiner théâtre et cinéma. Sensibilité silencieuse, jeux d’expressions faciales et de regards en profondeur sont ses traits dominants. Sur scène comme à l’écran, elle exprime tout un éventail d’émotions, de la plus subtile à la plus éclatante, les accompagnant souvent d’une expression corporelle aisée. Avec I. Bergman comme metteur en scène, au Dramaten, théâtre national de Stockholm, elle joue entre autres Ophélie et Nora dans les années 1980, puis Mme Alving dans Les Revenants, d’Henrik Ibsen, dernière mise en scène d’I. Bergman (2002). Elle travaille également comme actrice dans des cadres plus expérimentaux, associant théâtre et cinéma « à la Bergman ». Elle est internationalement connue grâce aux films d’I. Bergman sur sa propre famille, où elle joue la mère, Karin : Les Meilleures Intentions (1992, Prix d’interprétation féminine au Festival de Cannes) ; Entretiens privés (1996) et En présence d’un clown (1997). Avec une grande subtilité, elle crée l’excellent portrait d’une femme toute de regrets et de remords, enfermée dans un milieu chrétien strict mais pleine du désir de vivre librement. Dans les années 2000, P. August entame une carrière de cinéaste avec des productions modestes mais appréciées. Son premier long-métrage, Svinalängorna (« les cabanes à cochons »), d’après le roman suédois de Susanna Alakoski, rencontre un grand succès et lui vaut en 2011 le prix suédois de cinéma le plus important.

Margareta SORENSON

AUGUSTA, Nisía Floresta Brasileira VOIR FLORESTA, Nísia

AULAGNIER-CASTORIADIS, Piera (née SPAIRANI) [MILAN 1923 - PARIS 1990]

Psychiatre et psychanalyste française.

D’origine italienne, Piera Aulagnier a passé une partie de son enfance en France puis en Égypte, avant de revenir à Paris, après des études de médecine à Rome. En 1950, elle termine une spécialisation en psychiatrie et s’oriente cinq ans plus tard vers la psychanalyse. Elle est aux côtés de Jacques Lacan lors de la fondation de l’École freudienne, en 1964, mais s’en sépare, en 1969, suite à un désaccord portant sur les procédures de formation et de reconnaissance des psychanalystes, pour participer, avec François Perrier et Jean-Paul Valabrega, à la fondation de l’Organisation psychanalytique de langue française, plus connue sous le nom de Quatrième Groupe. Elle anime un séminaire sur la psychose à l’hôpital Sainte-Anne et fonde successivement deux revues : L’Inconscient, avec Conrad Stein et Jean Clavreul, puis Topique, à partir de 1969. Théoricienne de talent, connue pour son indépendance d’esprit et sa rigueur de pensée, elle est l’auteure de plusieurs ouvrages qui font référence dans la littérature psychanalytique. Son œuvre reste indispensable à la compréhension des psychoses et comporte une théorie originale de l’aliénation et de la représentation.

Chantal TALAGRAND

La Violence de l’interprétation, Paris, Presses universitaires de France, 1975 ; Les Destins du plaisir, aliénation, amour, passion, Paris, Presses universitaires de France, 1979 ; L’Apprenti-historien et le Maître-sorcier, Paris, Presses universitaires de France, 1984 ; Un interprète en quête de sens, Paris, Ramsay, 1986.

AULENTI, Gae [PALAZZO DELLA STELLA 1927 - MILAN 2012]

Designer, architecte et scénographe italienne.

Sortie diplômée d’architecture de l’École polytechnique de Milan en 1954, Gae Aulenti fait partie, dès 1955 et pendant dix ans, de l’équipe rédactionnelle de Casabella auprès d’Ernesto Rogers. En même temps, de 1955 à 1961, elle participe au Movimento studi per l’architettura (MSA). En 1960, elle devient membre de l’Associazione per il disegno industriale (ADI), qu’elle présidera de 1966 à 1969. De 1960 à 1962, elle assiste Giuseppe Samonà pour son cours de composition architecturale à l’université de Venise. Elle est associée au mouvement Neo-Liberty, notamment avec sa bibliothèque présentée à l’exposition Nuovi disegni per il mobile italiano, en 1960, et ses fauteuils Locus Solus et Sgarsul, édités par Poltronova en 1964. Cette même année, elle participe à la XIIIe Triennale de Milan et reçoit un prix pour son design du pavillon italien. De 1964 à 1967, elle enseigne à l’École polytechnique de Milan. En 1965, sa lampe Pipistrello (« chauve-souris »), l’objet le plus connu, est éditée par Martinelli Luce. En 1966, elle aménage le magasin Olivetti à Paris et travaille pour Prisunic sur un mobilier économique en tube. En 1967, elle devient membre honoraire de l’American Society of Interior Designers (Asid). Elle crée, en 1971, une série de meubles pour Knoll et Zanotta. En 1972, elle participe à l’exposition Italy, the New Domestic Landscape au MoMA de New York et crée une série de lampes pour Artemide. À partir de 1974, elle intègre la rédaction de Lotus international, où elle anime un groupe de réflexion sur l’architecture. De 1976 à 1979, elle collabore au Laboratorio di progettazione teatrale, à Prato, pour les scénographies de plusieurs pièces. En 1980, elle est chargée de la transformation de la gare d’Orsay, à Paris, en musée ; de 1982 à 1985, elle réaménage le centre Georges-Pompidou, et, de 1985 à 1992, réhabilite le Palacio nacional de Montjuic, à Barcelone, en Museo de l’Arte catalana. En 1986, elle restaure le Palazzo Grassi, à Venise, où elle scénographie plusieurs expositions temporaires. De 1988 à 1990, elle travaille au nouvel accès de la gare Santa Maria Novella de Florence. Elle reçoit la médaille d’architecture de l’Académie d’architecture de Paris en 1983 et, en 1991, le prix Praemium Imperiale pour l’architecture de la Maison impériale japonaise à Tokyo. Elle réalise ensuite le Pavillon italien à l’Exposition universelle de Séville, dite « Expo 92 ». Elle fait des conférences à Paris, à Amsterdam, à Barcelone, à Cambridge (États-Unis), à Pise et à Milan, en 1992. En 1994, elle organise l’exposition The Italian Metamorphosis 1943-1968 pour le musée Guggenheim de New York, présentée l’année suivante au Kunstmuseum à Wolfsburg, en Allemagne. En 2001, elle reçoit le diplôme ad honorem pour les Beaux-Arts à la Rhode Island School of Design (Providence, États-Unis). En 2002, elle est sollicitée pour l’agrandissement du Museo dell’Opera del Duomo à Florence. Le nouvel Asian Art Museum de San Francisco, la Città degli Studi à Biella et la restructuration du Palavela de Turin pour les Jeux olympiques d’hiver de 2006 constituent quelques-unes de ses récentes réalisations. Elle rattache à la féminité sa soif d’univers de travail variés et sa non-exclusivité d’un domaine précis. Ses écrits ont marqué la théorie de l’architecture en Italie.

Marguerite DAVAULT

Gae Aulenti, Milan, Electra, 1979.

BYARS M., The Design Encyclopedia, New York, The Museum of Modern Art, 2004 ; HANKS D. et HOY A., Design 1950-2000, Paris, Flammarion, 2000 ; PETRANZAN M., Gae Aulenti, New York, Universe-Rizzoli, 2003.

Connaissance des Arts n° 411, mai 1986.

AULNOY, Marie-Catherine LE JUMEL DE BARNEVILLE, baronne D’ [BARNEVILLE-LA-BERTRAN 1651 - PARIS 1705]

Femme de lettres française.

Originaire de la noblesse normande, Mme d’Aulnoy a vu la première partie de sa vie marquée par un violent conflit avec son époux, le baron d’Aulnoy, dont elle a cherché à se séparer en le faisant inculper, avec la complicité de sa mère, de crime de lèse-majesté. La manœuvre ayant échoué, elle doit s’enfuir et s’exiler. Elle voyage alors dans différents pays européens (Flandres, Espagne, Angleterre). Vers 1690, sa mère obtient une grâce de Louis XIV, et Mme d’Aulnoy peut revenir à Paris où elle s’impose comme une femme instruite, qui connaît les arts et parle plusieurs langues. Elle côtoie alors le milieu lettré de la capitale et devient, en 1698, membre de l’académie padouane des Ricovrati. Ses premiers écrits sont nourris de ses voyages : une Relation du voyage d’Espagne (1691) sous forme de lettres, des Mémoires de la cour d’Angleterre (1695), des Nouvelles espagnoles (1692), tous publiés à Paris chez le libraire spécialiste de la nouveauté mondaine, Claude Barbin. Elle donne aussi dans le registre des mémoires de cour, ou écrits qui prétendent lever le voile sur la vie des grands et les intrigues des puissants (Mémoires des aventures singulières de la cour de France, 1692 ; Mémoires secrets de Mr L. D. D. O., 1696). Mais on la considère surtout comme l’inventrice du conte de fées : le premier est inséré au sein d’une nouvelle galante, l’Histoire d’Hypolite, comte de Douglas (1690). Le succès – et la concurrence – lui font enchaîner rapidement les volumes. La spécificité de Mme d’Aulnoy est d’avoir fait du conte un creuset où se marient un merveilleux traditionnel (le légendaire médiéval, le folklore de « Ma mère l’Oye ») et les conventions de l’esthétique galante. La conteuse cultive la connivence avec son lecteur et une légèreté de ton tirant parfois jusqu’au burlesque ou au satirique. On a pu aussi voir dans ses contes un lieu de revendication pour les femmes : ses personnages féminins agissent en individus autonomes ou cherchant à se libérer, notamment de l’ignorance dans laquelle les hommes ou les familles les maintiennent. Certains contes critiquent la brutalité masculine et la barbarie effective des conventions sociales, masquant la domination sous le raffinement des mœurs ; d’autres enfin épinglent les stéréotypes attachés aux femmes (leur goût du conte en particulier !), témoignant de la position complexe de l’écrivaine, où la recherche d’une subversion critique des préjugés sociaux ne recule pas devant l’autodérision.

Mathilde BOMBART

Contes des fées, suivis des Contes nouveaux ou les Fées à la mode (1697-1698), Paris, H. Champion, 2004.

DEFRANCE A., Les Contes des fées et les nouvelles de Mme d’Aulnoy, 1690-1698, l’imaginaire féminin à rebours de la tradition, Genève, Droz, 1998 ; JASMIN N., Naissance du conte féminin, mots et merveilles, les contes de fées de Mme d’Aulnoy, 1690-1698, Paris, H. Champion, 2002 ; MAINIL J., Mme d’Aulnoy et le rire des fées, essai sur la subversion féérique et le merveilleux comique sous l’Ancien Régime, Paris, Kimé, 2001.

AUNG SAN SUU KYI [RANGOUN 1945]

Femme politique birmane.
Prix Nobel de la paix 1991.

Figure emblématique mondiale du combat pour la démocratie, Aung San Suu Kyi est la fille du général Aung San, héros de l’indépendance de la Birmanie assassiné en 1947. Alors qu’il négociait avec la Grande-Bretagne pour l’indépendance de son pays (qui sera obtenue en 1948) et qu’il venait de réussir à réunir les différentes factions politiques et les nombreuses minorités pour former un premier gouvernement, son assassinat plonge le nouveau pays dans une fragilité insurmontable et laisse un héritage politiquement chargé à sa fille. Élève très remarquée de l’École anglaise catholique de Rangoun, Aung San Suu Kyi termine ses études secondaires en Inde où elle s’installe avec sa mère, nommée ambassadrice de Birmanie à Delhi. En 1969, elle part pour New York où elle devient assistante pour le Comité des questions administratives et budgétaires des Nations unies et où elle entretient des liens étroits avec la communauté birmane, tandis que son pays vit sous le régime de Ne Win depuis le coup d’État de 1962. Elle décide de sacrifier sa carrière onusienne pour rentrer à Londres où elle se marie avec Michael Aris en 1972. Elle donne naissance à deux fils et la famille s’installe à Oxford.

Chaque année, elle fait un voyage en Birmanie pour voir sa mère et elle s’arrange pour toujours être là le 19 juillet, date anniversaire de la mort de son père, où se tient une cérémonie commémorative avec l’armée. Si elle ne se désintéresse pas de la situation de son pays, qui se détériore rapidement sous la dictature de Ne Win, son rôle public se limite, dans cette période, à ce protocole annuel. L’année 1988 marque un tournant décisif dans sa vie. Elle part pour Rangoun en urgence pour s’occuper de sa mère hospitalisée. La situation dans le pays est chaotique. Suite à la démonétisation partielle, déclarée par Ne Win un an plus tôt, des milliers de gens sont ruinés. Le mouvement démocratique prend de plus en plus d’ampleur et le dictateur perd peu à peu le pouvoir. Des manifestations sont violemment réprimées. Le 8 août, les étudiants mobilisés se heurtent à une terrible violence policière qui fera 10 000 morts dans le pays, dont près de 4 000 à Rangoun. La maison d’Aung San Suu Kyi devient le centre de l’activité politique. Le 26 août, elle prononce un discours historique, à la pagode Shwedagon, devant des centaines de milliers de personnes venues de tout le pays pour demander la fin du parti unique et réclamer des élections. Lors de cette réunion, elle gagne le cœur du peuple et accepte de devenir chef du mouvement. Profondément bouddhiste, elle pose comme condition la non-violence. La démocratie, pour elle, est empreinte de sagesse et de compassion, c’est un risque à prendre ensemble, une chance qui doit être donnée au peuple.

Un nouveau coup d’État militaire a lieu en septembre. À la fin de l’année, le gouvernement promet de tenir une élection ouverte à plusieurs partis politiques. Ne Win démissionne (mais garde les ficelles du pouvoir). Il est remplacé par le général Khin Nyunt qui forme le State Law and Order Restoration Council (SLORC). Face à la promesse d’élections libres, Aung San Suu Kyi fonde la Ligue nationale pour la démocratie (LND) et mène en 1989 une campagne électorale à travers tout le pays. Sa popularité ne cesse de grandir. Au-delà des divisions ethniques, elle parvient à unifier le mouvement de révolte. Mais elle est bientôt assignée à résidence. Menacée de ne pouvoir revenir en Birmanie si elle en part, elle choisit alors de rester, prenant le risque de ne plus revoir ses enfants ni son mari. En mai 1990, alors qu’elle reste prisonnière dans sa maison et sous surveillance intense, la LND remporte largement l’élection, faisant d’elle, en principe, le nouveau Premier ministre. Mais la junte annule les résultats et refuse de lever son assignation à résidence. Une répression meurtrière s’abat sur les militants du parti victorieux. L’indignation est générale, et la solidarité se manifeste dans de nombreux pays. Aung San Suu Kyi, comparée à Nelson Mandela, se voit décerner par la Norvège le prix Rafto pour la défense des droits de l’homme et, par le Parlement européen, le prix Sakharov pour la liberté de pensée (1990). En 1991, elle reçoit le prix Nobel de la paix et devient une icône mondiale de la lutte non violente pour la liberté. La même année, son mari rassemble ses textes dans un recueil, Se libérer de la peur, préfacé par François Mitterrand et Vaclav Havel dans son édition française. En 1995, au bout de six ans d’isolement, elle est finalement libérée. Une période de relative liberté d’expression, connue comme le « Printemps de Rangoun », s’ensuit pendant laquelle Aung San Suu Kyi organise des réunions politiques devant sa maison tous les week-ends et reçoit chez elle des personnalités et des délégations d’ONG du monde entier. Face à la popularité de ces rendez-vous, la tension avec le pouvoir monte de nouveau et la rue de sa maison est bloquée par des soldats en 1996. Pendant plusieurs années, elle ne peut plus voir ses proches – son mari meurt d’un cancer en Angleterre en 1999 sans avoir pu lui dire adieu – ni rencontrer les membres de son parti. Cependant, elle maintient une volonté de lutte et une capacité de résistance qui forcent l’admiration de tous et encouragent les Birmans démocrates et ses nombreux soutiens à travers le monde. Cette mobilisation internationale finit par entraîner un engagement plus important des gouvernements, via les Nations unies principalement.

Elle est cependant assignée à résidence une deuxième fois en 2000. De nouveau libérée en 2002, elle reprend les tournées politiques à travers le pays mais la junte ne supporte toujours pas les foules qu’elle attire et organise une embuscade contre son convoi et ses sympathisants en mai 2003. Elle est assignée à résidence une troisième fois puis emprisonnée pendant trois mois dans un centre de détention de l’armée. La junte lui permet des rencontres avec un émissaire des Nations unies en 2004 et en 2006, mais son assignation à résidence est néanmoins prolongée. En 2009, Aung San Suu Kyi reste enfermée chez elle. La junte lui accorde une seule sortie pour rencontrer un nouvel émissaire des Nations unies, mais elle refuse un rendez-vous avec le gouvernement estimant que ce serait inutile. Si la junte, sous pression des Nations unies, annonce des élections pour 2010, la « dame de Rangoun » reste exclue de tout projet pour l’éventuelle démocratisation de la Birmanie.

La « révolution safran » en 2007 montre que l’aspiration à la démocratie est toujours aussi vive, mais la répression toujours aussi violente. Sous la pression croissante des sanctions internationales, la junte entame néanmoins en 2008 un processus contradictoire d’évolution politique, supposé donner au pays un aspect démocratique tout en maintenant le pouvoir militaire : vote d’une Constitution, puis élections législatives, boycottées par la LND (2010). Elle autorise enfin Aung San Suu Kyi, en novembre 2010, à se déplacer librement. La leader démocrate, pour qui, en toutes circonstances, le dialogue doit être préféré au conflit, choisit de soutenir l’ouverture engagée par le président Thein Sein. De nombreux prisonniers politiques sont libérés, et elle peut se présenter aux législatives partielles de 2012. Le 1er avril, son parti remporte très largement la quarantaine de sièges mis en jeu dans la chambre basse. Élue députée, Aung San Suu Kyi déclare, après sa prestation de serment, que les membres de son parti feront tout pour que l’Assemblée nationale de Birmanie soit véritablement démocratique. Elle est docteur honoris causa de l’Université libre de Belgique. En juin 2012, elle peut enfin se rendre en Suède pour recevoir le prix Nobel qui lui avait été décerné plus de dix ans auparavant.

Béatrice TURPIN

Se libérer de la peur, Paris, Des femmes-Antoinette Fouque, 1991 ; Letters from Burma, Londres/New York, Penguin, 1997 ; avec CLEMENTS A., Ma Birmanie (2008), Paris, Hachette, 2012.

FALISE T., Aung San Suu Kyi, le jasmin ou la lune, Paris, F. Massot, 2007.

AURICOSTE, Isabelle [PARIS 1941]

Paysagiste française.

Couronnée du Grand Prix du paysage en 2000, Isabelle Auricoste est une figure reconnue de la profession. Depuis les années 1960, son parcours atypique est fait d’engagements politiques et de pratiques pionnières. Elle a intégré en 1961 la Section du paysage et de l’art des jardins à l’École nationale d’horticulture de Versailles au moment où se renouvelait la pédagogie. Interdite de diplôme pour cause d’activisme pro FLN, elle n’a jamais cherché à l’obtenir. Fréquentant architectes et militants, elle a participé, avec son mari Hubert Tonka et Jean Baudrillard à la fondation d’un groupe marxiste proche d’Henri Lefèvre et de la revue Utopie. Son engagement s’est prolongé dans une activité de paysagiste libérale consacrée d’abord aux espaces extérieurs de zones à urbaniser en priorité (Zup), puis de grands ensembles (Sartrouville 1966-1979, Bobigny 1970-1980). Revenue en 1981 à l’École nationale supérieure du paysage de Versailles pour y enseigner, elle créa, avec Janine Christiany et Monique Mosser, un enseignement commun d’histoire de l’art des jardins avec l’école d’architecture voisine. En 1991, elle rejoignit l’École d’architecture et de paysage de Bordeaux, alliant pratique et théorie, enseignement et recherche. En association avec Yves Brunier, elle a réalisé la place de la gare TGV de Tours (1991-1992). Depuis 1991, au sein de l’agence Mandragore, elle est intervenue à toutes les échelles sur des espaces publics et des jardins historiques, dont le jardin de Georges Sand* à Nohant en 1992-1993 et le parc du château de Dampierre-sur-Boutonne en 1997. Élue locale depuis 1995, I. Auricoste considère l’espace rural comme un enjeu majeur dont l’économie et les modèles doivent être repensés : constituant 80 % du territoire français, majoritairement privé, il est menacé par l’abandon institutionnel ou les logiques sectorielles de l’agriculture productiviste. Selon elle, face aux crises actuelles, les paysagistes ont la capacité d’inventer des réponses alternatives, mais leur influence est souvent réduite à des interventions techniques et formelles. I. Auricoste s’appuie aujourd’hui sur ces idées dans ses interventions professionnelles auprès de collectivités territoriales, comme dans la « requalification des paysages de la vallée de la Vézère », qui mobilise acteurs publics et privés depuis 2008.

Bernadette BLANCHON

« Restauration ou régénération des parcs ? L’expérience de Chantilly », in Histoire de l’art no 12, 1990 ; « Le Paysage comme projet », in Cahier paysage et espace urbain, no 5, 1996.

DEMERLÉ-GOT A., « Isabelle Auricoste », in RACINE M., Créateurs de jardins et de paysages en France du XIXe siècle au XXIe siècle, Arles, Actes Sud/ENSP, 2002 ; ALLAIN-DUPRÉ É., « Isabelle Auricoste, Grand Prix national du paysage », in Le Moniteur des travaux publics et du bâtiment, no 5062, déc. 2000.

AURIOL, Jacqueline [CHALLANS 1917 - PARIS 2000]

Aviatrice et pilote d’essai française.

Jacqueline Auriol se destinait plutôt aux beaux-arts et à la décoration. À 20 ans, elle devient la belle-fille de Vincent Auriol, qui sera président de la République en 1947. Elle s’engage dans la Résistance pendant la guerre. Les fastes élyséens ne la séduisent guère, et son mari, Paul, lui donne le goût de l’aviation après un baptême de l’air. Elle apprend à piloter dès 1948 et obtient ses brevets de tourisme. Pour devenir pilote militaire, elle sera, en 1949, la seule femme au monde à exécuter des acrobaties aériennes. Victime d’un grave accident d’hydravion, elle se remet à piloter après deux années d’interventions chirurgicales qui reconstruisent son nouveau visage, et elle revient des États-Unis avec ses brevets de pilote d’hélicoptère et d’avion à réaction. À force de détermination, elle devient la seule femme pilote d’essai au Centre d’essais en vol de Brétigny. Elle enchaîne les records de vitesse et sera en 1953 la première Européenne à franchir le mur du son. De 1955 à 1963, elle améliore trois fois le record de vitesse en tant que pilote d’essai. Elle affronte en duels amicaux l’aviatrice américaine Jacqueline Cochran. J. Auriol a reçu de nombreux trophées aéronautiques et a été également la première femme à voler sur le Concorde comme pilote d’essai. Elle quitte la compétition à 50 ans, tout en restant conseillère dans l’aéronavale.

Annie SCHMITT

Vivre et voler, Paris, Flammarion, 1968.

AURY, Dominique (Anne DESCLOS, dite) [ROCHEFORT 1907 - CORBEIL-ESSONNES 1998]

Éditrice et écrivaine française.

Née Anne Desclos dans une famille d’universitaires anglophones, elle signe, sous le pseudonyme de Dominique Aury, ses premiers articles dans un hebdomadaire de droite, L’Insurgé. Tout en participant à la diffusion de la presse clandestine pendant l’Occupation, elle publie, en 1941, Poètes précieux et baroques du XVIIe siècle et, en 1943, une Anthologie de la poésie religieuse française. Avec Jean Paulhan, qu’elle a rencontré pendant la guerre, elle met au point deux nouvelles anthologies qui paraissent en 1947 : La Patrie se fait tous les jours, Textes français 1939-1945 et Poètes d’aujourd’hui. En 1949, le prix Denyse-Clairouin lui est décerné pour l’ensemble de ses traductions d’écrivains anglo-saxons. Membre à partir de 1950 du comité de lecture des éditions Gallimard, où elle est la seule femme pendant quelque vingt années, elle est également, de 1953 à la fin de sa vie, secrétaire générale de la NRF, où elle est en charge de la chronique des romans. En 1954, sous le pseudonyme de Pauline Réage, elle publie Histoire d’O, un roman érotique, d’emblée distingué par le prix des Deux-Magots et censuré. Retour à Roissy, précédé par le texte « Une fille amoureuse », en est la suite et la clé. En 1975, dans O m’a dit, Entretiens avec Pauline Réage, Régine Deforges* laisse entendre que son amie D. Aury est bien la véritable auteure de Histoire d’O et J. Paulhan son destinataire et premier lecteur.

Claire PAULHAN

Vocation : clandestine, entretiens avec Nicole Grenier, Paris, Gallimard, 1999.

COLLECTIF, Un bouquet pour Dominique Aury, Mazamet, Babel, 2007 ; DAVID A., Dominique Aury, Paris, L. Scheer, 2006.

AUSLÄNDER, Rose (née Rosalie Beatrice SCHERZER) [CZERNOWITZ, AUJ. TCHERNIVTSI, UKRAINE 1901 - DÜSSELDORF 1988]

Poétesse autrichienne.

Rose Scherzer est née dans la capitale quadrilingue de la Bucovine, région à caractère multiculturel de l’Empire austro-hongrois. Dans la maison familiale de la poétesse coexistaient le hassidisme de l’Europe de l’Est, les idées des « Lumières » juives ainsi qu’une tradition libérale germano-autrichienne. Ses poèmes transfigurent de manière mythique le paysage de son origine et de ses souvenirs d’enfance, même si celui-ci a été détruit par les événements historiques. En 1921, poussée par les difficultés matérielles, elle interrompt ses études de philosophie et de littérature et part pour New York avec son camarade d’étude et futur mari Ignaz Ausländer. Elle revient, entre-temps divorcée, en 1930. Elle a déjà, plus tôt, écrit des poèmes, et se consacre dès lors encore davantage à l’écriture. Son premier recueil, Der Regenbogen (« l’arc-en-ciel ») paraît en 1939. Cependant, bien que célébré par la critique, il n’atteint pas le public de langue allemande. Quand en 1941 la Waffen-SS occupe la ville et assassine les Juifs, elle est soumise aux travaux forcés dans le ghetto de Tchernivtsi jusqu’à l’arrivée de l’Armée rouge en 1944. En 1946, elle émigre de nouveau aux États-Unis, où elle travaille en tant que secrétaire multilingue et fréquente, comme déjà à Tchernivtsi, divers cercles intellectuels. En 1947, la mort de sa mère, à laquelle elle est étroitement liée, entraîne son effondrement psychique. Un voyage en Europe en 1957 lui donne une nouvelle inspiration. La parution de son recueil Blinder Sommer (« été aveugle ») en 1965, après son déménagement à Düsseldorf, lui apporte la reconnaissance publique en tant que poète. Son œuvre témoigne de toutes ces expériences, auxquelles elle donne un caractère universel.

Margret KARSCH

Cristal, Strasbourg, Bf, 2000 ; Je compte les étoiles de mes mots (Ich zähl die Sterne meiner Worte), Lausanne, L’Âge d’homme, 2000 ; Kreisen, Cercles, Baume-les-Dames, Æncrages & Co, 2005 (éd. bilingue) ; « Rose Ausländer », in MATHIEU F., Poèmes de Czernovitz, douze poètes juifs de langue allemande, Paris, L. Teper, 2008.

Braun H. (éd.), Gesammelte Werke, 8 vol., Francfort, S. Fischer, 1985-1990.

BRAUN H., Rose Ausländer, Materialien zu Leben und Werk, Francfort, Fischer, 1991 ; KRISTENSSON J., Identitätssuche in Rose Ausländers Spätlyrik, Rezeptionsvarianten zur Post-Schoah-Lyrik, Francfort, P. Lang, 2000.

AUSTEN, Jane [STEVENTON 1775 - WINCHESTER 1817]

Romancière britannique.

Septième enfant d’un recteur de paroisse, Jane Austen est issue d’un milieu à la vie intellectuelle certes provinciale mais ouverte et généreuse. Elle ne s’associe à aucun groupe d’écrivains de l’époque, ne prête guère attention aux bouleversements politiques et n’attache que peu d’intérêt aux mouvements populaires ou aux débats philosophiques. Le cercle de sa vie et de son écriture se limite à la petite bourgeoisie terrienne et à ses codes de conduite et de bienséances ainsi qu’à la petite aristocratie foncière provinciale qui veut sauver les apparences. La spécificité de ses romans réside dans le point de vue systématiquement adopté de personnages féminins confrontés à la nécessité morale et économique de trouver un mari. Ses héroïnes sont dotées du sens de l’analyse et de perspicacité, d’une capacité de tolérance et de charité, mais, héritière de la tradition satiriste du XVIIIe siècle, J. Austen les analyse avec suffisamment de distance pour conserver un esprit résolument critique. Elle sait détecter les défauts et les travers des êtres humains, leur vulgarité, leurs ridicules, dégageant ainsi une véritable économie de la passion et de la conscience de soi, loin de toute littérature du sentiment, pour une critique sociale mordante servie par un humour décalé et une ironie gaie et légère. Ses romans les plus connus (Orgueil et préjugés, 1813 ; Mansfield Park, 1814 ; Emma, 1816 ; Persuasion, 1818) mettent tous l’accent sur la stabilité sociale, la mesure, la logique raisonnable d’une classe moyenne qui, au contraire de l’aristocratie snob et superficielle, sait résister par ses valeurs aux bouleversements extérieurs qui la menacent. Dans Northanger Abbey (1818), elle dénonce l’absence de bon sens et de raison et l’imagination débordante d’une jeune fille trop grande lectrice de romans gothiques. Mais davantage encore, la romancière témoigne, sans amertume mais avec force, sur la dépendance des femmes à l’égard du mariage, sur le célibat si décrié et la solitude cruelle de la jeune fille en quête de son moi dans une société lourdement patriarcale et sexiste. Certes on peut voir dans son absence de dogmatisme et dans sa bienveillance une attitude résignée, disons plutôt prudente – il s’agit de ne pas mettre en danger les valeurs de l’ordre social – et stoïque, à l’image de son style, parfois un peu trop didactique, mais toujours fin, équilibré, ciselé d’aphorismes ironiques, bref, le style d’une miniaturiste. Elle est le premier écrivain anglais à utiliser le discours indirect libre, expression qui se veut la plus fidèle possible de l’instantanéité des sentiments et de l’interrogation sur soi.

Michel REMY

Orgueil et prejugés (Pride and Prejudice, 1813), Paris, C. Bourgeois, 1996 ; Mansfield Park (Mansfield Park, 1814), Paris, 10-18, 1995 ; L’Abbaye de Northanger (Northanger Abbey, 1818), Paris, Gallimard, 2004.

Œuvres romanesques complètes, Paris, Gallimard, coll. « La Pléiade », 2000.

TANNER T., Jane Austen, Cambridge, Harvard University Press, 1986.

AUSTRALIE, Emily VOIR MANNING, Emily

AUTAIN, Clémentine [SAINT-CLOUD 1973]

Femme politique et militante féministe française.

Fille d’un chanteur et d’une d’actrice, Clémentine Autain grandit dans une famille d’artistes engagée à gauche. À 17 ans, quelques années après la mort de sa mère, Dominique Laffin, elle quitte le domicile paternel et suit des études d’histoire. Elle dévoilera plus tard, dans une biographie (2006), qu’elle a été violée à 23 ans aux abords de l’université Paris 8 et que cela a décidé de son engagement féministe. En 2012, elle participe ainsi à des actions menées pour rompre le silence des femmes victimes, en présentant un manifeste, « Je déclare avoir été violée », et témoigne dans une émission. En 1997, elle fonde l’association féministe mixte Mix-Cité et participe aux élections législatives comme suppléante d’une candidate des Verts. En 2001, elle conduit, en tant que personnalité de la société civile, la liste du Parti communiste français pour les élections municipales dans le 17e arrondissement de Paris. Elle devient adjointe chargée de la Jeunesse à la mairie de Paris. Cherchant sa place dans la gauche anticapitaliste, elle se propose comme candidate à l’élection présidentielle de 2007, mais échoue à rassembler sous son nom. Elle dirige le magazine Regards et se fait porte-parole de la Fédération pour une alternative sociale et écologique (FASE), qu’elle a contribué à créer.

Anne-Marie MARMIER

Les Droits des femmes, l’inégalité en question, Toulouse, Milan, 2003 ; Le Retour du peuple, de la classe ouvrière au précariat, Paris, Stock, 2012.

DELABRE A., Clémentine Autain, portrait, Paris, Danger public, 2006.

AUTHIER-REVUZ, Jacqueline [LES ESSARTS-LE-ROI 1940]

Linguiste française.

Après des études de lettres modernes à l’université de la Sorbonne et l’obtention de l’agrégation (1964), Jacqueline Authier-Revuz soutient une thèse d’État en 1992, consacrée aux Non-coïncidences du dire et leur représentation méta-énonciative à l’université Paris 8. Elle devient professeure à la Sorbonne Nouvelle (1994) où elle a exercé jusqu’à son éméritat. Ses recherches, internationalement reconnues, ont principalement porté sur le discours et ont renouvelé l’appréhension de son hétérogénéité constitutive, marquant un tournant majeur dans l’étude des phénomènes de polyphonie énonciative.

Thomas VERJANS

Ces mots qui ne vont pas de soi, boucles réflexives et non-coïncidences du dire (1995), Limoges, Lambert-Lucas, 2012 ; « La représentation du discours autre, un champ multiplement hétérogène », in LOPEZ-MUNOZ J.-M., MARNETTE S., ROSIER L. (dir.), Le Discours rapporté dans tous ses états, question de frontières, Paris/Budapest/Turin, L’Harmattan, 2004 ; « Arrêts sur mots », in FENOGLIO I. (dir.), L’Écriture et le Souci de la langue, Louvain-la-Neuve, Academia-Bruylant, 2007.

AUZOU, Pauline (née Jeanne-Marie-Catherine DESMARQUETS) [PARIS 1775 - ID. 1835]

Peintre française.

Élève dans l’atelier féminin dirigé par Jean-Baptiste Regnault (1754-1829), Pauline Auzou est l’une des rares femmes artistes qui connaissent une très grande notoriété dans la première moitié du XIXe siècle. En 1793, à 18 ans à peine, elle participe pour la première fois au Salon avec une Bacchante et une Étude de tête. Avoir trois enfants ne la détourne pas de ses activités artistiques : elle obtient en 1808 une médaille de première classe pour l’ensemble de son œuvre et dirige un atelier pour femmes pendant une vingtaine d’années. En marge des scènes de genre conventionnelles qu’elle expose tout au long de sa carrière, P. Auzou réalise plusieurs tableaux d’histoire. Si, à ses débuts, elle semble inspirée par l’Antiquité grecque, les œuvres passées à la postérité traitent d’événements contemporains. L’Arrivée de l’archiduchesse Marie-Louise à Compiègne, le 28 mars 1810 et Les Adieux de Marie-Louise à sa famille, le 13 mars 1810 (Salons de 1810 et 1812) participent ainsi à la propagande napoléonienne. Ces tableaux se limitent cependant à des épisodes annexes de la légende et forment une sorte d’avatar contemporain de la peinture troubadour qui aborde l’histoire ancienne sur un mode sentimental, style abordé dès 1804 avec par exemple Diane de France et Montmorency. Conformément aux canons néoclassiques et malgré l’interdiction qui en est faite aux femmes, elle réalise des croquis de nus pour concevoir ses compositions. Elle est également une habile portraitiste : ainsi, Portrait d’un musicien (1809) est proche de ceux d’Ingres, mais elle se distingue par un fin modelé et une grande attention portée aux détails. Certaines de ses scènes de genre témoignent d’une vraie originalité, comme le très peu conventionnel Premier sentiment de coquetterie (Salon de 1804), qui représente l’éveil d’une jeune fille à la féminité au lieu de souligner la perte de l’innocence et de la virginité. Après 1817, P. Auzou cesse d’exposer pour des raisons inconnues.

Xavier REY

BEAULIEU G., BLÉRY G., LACAMBRE G.et al., La Femme artiste d’Élisabeth Vigée-Lebrun à Rosa Bonheur (catalogue d’exposition), Mont-de-Marsan, Lacoste, 1981 ; SUTHERLAND HARRIS A., NOCHLIN L., Femmes peintres 1550-1950, Paris, Des femmes-Antoinette Fouque, 1981.

AVALLI, Ippolita [MILAN 1949]

Écrivaine italienne.

Très tôt, Ippolita Avalli publie des poésies dans des journaux locaux et fonde sa propre troupe de théâtre. À la fin des années 1960, elle s’installe à Rome où elle participe aux activités des groupes féministes. Plus tard, elle publie des recueils de nouvelles, dont Aspettando Ketty (« en attendant Ketty », 1982), Angeli musicanti (« les anges musiciens », 1989), Non voglio farti male (« je ne veux pas te faire de mal », 1991), et des romans comme L’infedele (« l’infidèle », 1988). L’atmosphère de ses romans est souvent fabuleuse et exotique, la conscience de la différence féminine dans le domaine des sentiments est très forte. Ainsi, la protagoniste de La Déesse des baisers (1997), une femme entre deux âges partie vivre au Japon pour suivre son compagnon, s’interroge sur les difficultés à comprendre les idéogrammes japonais décrivant symboliquement la différence entre les hommes et les femmes. Celle d’Aime-moi (1999) vieillit en écrivant, car c’est uniquement par ce biais qu’elle réussit à comprendre le sens de son attente d’une réponse de l’homme aimé. Nascere non basta (« naître ne suffit pas », 2003) reprend les mêmes thèmes. Dans ce grand roman de formation au féminin se fondent l’histoire personnelle et l’histoire collective, le monde brutal des hommes et le monde inquiétant mais plus accueillant des femmes. La recherche d’une mère qui a rejeté sa fille à la naissance occupe une place dominante : elle ne découle pas de rancœurs ou de condamnations mais d’une volonté passionnée de comprendre et de connaître.

Francesco GNERRE

La Déesse des baisers (La dea dei baci, 1997), Paris, Albin Michel, 1998 ; Aime-moi (Amami, 1999), Paris, Albin Michel, 2000.

AVANT-GARDE RUSSE [XIXe-XXe siècle]

Les femmes ont été nombreuses à participer aux divers mouvements de l’avant-garde russe. L’œuvre de six d’entre elles – Natalia Gontcharova*, Alexandra Exter*, Olga Rozanova*, Lioubov Popova*, Varvara Stepanova*, Nadejda Oudaltsova* – a bénéficié d’une grande exposition itinérante, Amazones de l’avant-garde, organisée par le musée Guggenheim de New York en 1999-2000. Beaucoup d’autres, moins connues, ont aussi travaillé aux côtés de leurs époux, pères, amis et maîtres, et ont contribué à forger de nouveaux principes et concepts artistiques au tournant du XXe siècle. La parité était une réalité courante.

Admises comme auditrices à l’université de Moscou et Saint-Pétersbourg dès 1850, les femmes russes ont pu s’inscrire comme étudiantes à la fin des années 1860. Mais c’est seulement en 1891 qu’elles furent autorisées à entrer à l’Académie des beaux-arts de Saint-Pétersbourg. Néanmoins, encouragées par le début d’ouverture de la profession d’artiste, elles se forment dans des ateliers et dans des filières alternatives, comme l’atelier du peintre paysagiste Konstantin Yuon (1875-1958) à Moscou, se retrouvant de fait à l’avant-garde des mouvements artistiques. Outre les difficultés liées à l’éducation, elles doivent surmonter d’autres obstacles, telles les restrictions concernant les voyages à l’étranger – les femmes étant juridiquement tenues pour mineures. Ainsi, A. Exter ou Sofia Terk, la future Sonia Delaunay*, feront des mariages blancs pour pouvoir séjourner à l’étranger, sans l’autorisation obligatoire de leur famille.

Sans jamais se constituer en mouvement autonome, les femmes artistes ont participé à presque tous les styles, ramifications et tendances des avant-gardes. Dans ce foisonnement chaotique, on s’accorde globalement à distinguer les artistes du Mir Iskousstva (« monde de l’art »), proches de l’Art nouveau, de celles de la génération suivante, les « avant-gardes ». Pour ces dernières, le sujet perd sa pertinence, tandis que la forme et les couleurs s’imposent comme le véritable champ d’action artistique. Avant d’arriver à l’abstraction, les artistes de l’avant-garde russe choisissent délibérément des sujets insignifiants ou quotidiens comme prétexte pour jouer sur la complexité de la réflexion picturale. Spécialisées traditionnellement dans des thèmes mineurs – la peinture d’histoire et le nu leur étant proscrits –, elles voient leurs domaines de prédilection promus au premier plan, et notamment tout l’univers paysan et traditionnel, qui attire la plupart d’entre elles, élevées ou habitant souvent à la campagne : N. Gontcharova représente ainsi des Paysans cueillant des pommes (1911). Elles sont aussi très sensibles aux sources artistiques proprement russes, telles que l’iconographie des contes, les icônes et l’imagerie populaire, loubok : la série des Paons (1914) de N. Gontcharova, faisant référence au fantastique Oiseau de feu, permet de mieux comprendre l’apparition du rayonnisme dans l’œuvre de son compagnon, Mikhaïl Larionov.

La broderie jouissant du statut d’art féminin par excellence dans la Russie médiévale, de nombreuses femmes nobles tenaient des ateliers de broderies en or entre le XVe et le XVIIe siècle ; les autres arts décoratifs et appliqués ne leur étaient pas non plus étrangers. Quand, à la fin du XIXe siècle, le cercle de l’éminent industriel et homme d’affaires Savva Ivanovich Mamontov s’installa à Abramtsevo (à partir des années 1870) pour se consacrer au renouvellement de l’art russe par des sources traditionnelles et les arts appliqués, des artistes féminines comme Elena Polenova* et Maria Yakunchikova-Weber (1870-1902) y participèrent activement. La princesse Maria Tenicheva (1858-1928), spécialiste elle-même de l’émail, acquit en 1893 le village de Talachkino qui devint, à l’exemple du domaine d’Abramtsevo, le deuxième centre du renouveau de l’art néo-russe. Plus tard, L. Popova et V. Stepanova révolutionnèrent l’industrie textile soviétique, en dessinant un grand nombre de modèles de tissus et de costumes professionnels.

L’habitude de pratiquer des formes artistiques appliquées incita les artistes femmes à quitter la bidimensionnalité pour agir sur la vie, par exemple dans un espace à trois dimensions tel le théâtre. Le nom nouveau de « constructeur » remplaça celui d’« artiste » dans les années 1920 et des créatrices de tout premier ordre s’investirent dans le projet théâtral de Diaghilev, Les Ballets russes : ainsi en est-il de N. Gontcharova, qui a notamment conçu les décors pour Les Noces de Stravinsky, ainsi que des costumes, de même qu’A. Exter. Déjà illustratrices confirmées, les femmes contribuèrent activement à l’art de l’affiche, au graphisme et aux autres moyens de propagande des premières décennies soviétiques. Ce fut une femme, enfin, Vera Moukhina*, qui créa en 1937 la sculpture phare de l’époque soviétique, L’Ouvrier et la Kolkhozienne, clôturant définitivement le temps des avant-gardes et offrant un modèle par excellence au réalisme socialiste en URSS.

Hanna MURAUSKAYA

GRAY C., L’Avant-garde russe dans l’art moderne, 1863-1922, Burleigh-Motley M. (dir.), Paris, Thames & Hudson, 2003 ; VERGINE L., L’Autre Moitié de l’avant-garde, 1910-1940, Paris, Des Femmes-Antoinette Fouque, 1982.

MICHA R., « Les femmes dans l’avant-garde russe », in Art International, vol. 23, no 10, mars-avril 1980.

AVENTURIÈRES, VOYAGEUSES ET EXPLORATRICES [Xe-XXe siècle]

Si les mots « voyageuse » et « exploratrice » ne sont utilisés dans leur sens actuel que depuis le XIXe siècle, le fait social qu’ils désignent semble avoir toujours existé, du moins les récits des aventures de Gudridur Thorbjarnardottir* la Viking ou de Dame Sarashina*, la Japonaise de l’ère Heian, tendent-ils à le prouver. Le mot « aventurière », lui, a un passé plus long, mais son sens a changé pendant ce même siècle. Auparavant, il s’appliquait le plus souvent à des courtisanes ou espionnes en quête de fortune ou de secrets (Aphra Behn*) ou bien encore à des femmes qui se déguisaient en homme pour suivre une armée, une expédition (Catalina de Erauso*, Jeanne Barret*). La première voyageuse qui donne au titre d’aventurière une connotation différente fut sans doute Ida Pfeiffer*. D’autres la suivent, de plus en plus nombreuses et de mieux en mieux reconnues par les sociétés de géographie. Parmi elles, certaines peuvent prétendre au titre d’authentiques exploratrices, en ce sens qu’elles voyagent dans le but explicite d’atteindre des terres inconnues des Occidentaux, même si, et c’est le cas le plus fréquent, leurs découvertes ne sont pas comptabilisées (Alexine Tinné*, May French Sheldon*, Freya Stark*, entre autres).

Dans les premiers temps, de 1850 à 1945 environ, les pays latins sont moins bien représentés dans le palmarès des voyageuses et exploratrices que les pays anglo-saxons. La principale raison en est que les femmes les plus susceptibles de voyager seules étaient des célibataires (en France, on les appelait les vieilles filles) ou des veuves ; or, dans les cultures latines, ces deux statuts supposaient un retrait du monde, entaché du sentiment de malheur ; dans les cultures anglo-saxonnes, ils donnaient en revanche un droit tacite à l’excentricité, qui s’alliait très bien avec l’honorabilité, si l’intéressée restait chaste – partir à l’aventure n’était jamais qu’une des manifestations de cette singularité de bon aloi. Il faut noter aussi que les empires coloniaux suscitaient les vocations et facilitaient les voyages, ainsi que la prospérité économique.

Jusqu’en 1945, nombre d’exploratrices connues sont d’origine bourgeoise ou aristocratique – leurs rentes leur permettaient de financer leurs voyages, et leur niveau d’éducation d’en écrire le récit à leur retour. Il en existe cependant d’origine plus modeste, comme Mary Seacole*, dont la renommée a traversé les siècles. D’autres, qui n’ont pas écrit, resteront à jamais dans l’ombre.

La plupart des exploratrices revendiquent, en plus de leur aptitude au voyage, une compétence scientifique, amateure jusque dans les années 1930 (Jane Dieulafoy*, Marianne North*, Mary Kingsley*, Gertrude Lowthian Bell*, Margaret Fountaine*), puis universitaire.

Après les années 1960, les voyageuses-exploratrices peuvent se prévaloir du titre d’aventurières sans que le mot ait d’autre connotation que le goût du danger. Leur nombre devient alors si important, leur but, leur parcours, leur nationalité si divers, que tout choix est arbitraire. Leur profil a changé ; l’évolution économique a fait disparaître le personnage traditionnel de la globe-trotteuse rentière et dilettante. D’origine sociale plus variée, les exploratrices doivent maintenant trouver des sources de revenus propres à leurs activités : ou bien elles sont des chercheuses missionnées par les universités, les fondations, les instituts, ou bien elles se rapprochent des mécènes, sponsors, éditeurs, producteurs, prêts à médiatiser leurs expériences. Sur un point au moins, elles ressemblent à leurs aînées : elles tiennent à rester féminines envers et contre tout, dans l’intention de manifester leur différence.

Christel MOUCHARD

AMANPOUR C., POLK M., TIEGREEN M., Women of Discovery : A Celebration of Intrepid Women Who explored the World, New York, Clarkson Potter, 2001 ; LAPIERRE A., MOUCHARD C., Elles ont conquis le monde, les grandes aventurières 1850-1950, Paris, Arthaud, 2007.

AVERBOUCH, Genia [SEMLIA, RUSSIE 1909 - TEL-AVIV 1977]

Architecte israélienne.

Eugenie, dite Genia, Averbouch a 2 ans quand, partie de Russie avec ses parents, elle arrive en Palestine. En 1917, elle entre dans le réputé lycée hébraïque Herzliya de Jaffa, et, en 1927, entreprend des études d’architecture en Europe (Rome, Gand), qu’elle achève à l’Académie des beaux-arts de Bruxelles en 1930. De retour en Palestine, elle ouvre une agence à Tel-Aviv et débute sa carrière professionnelle avec Shlomo Ginzburg (1906-1976) avec lequel elle sera mariée quelque temps. En 1932, le couple travaille essentiellement à Tel-Aviv où il a projeté la villa Bleue (rue Bialik) qui, aujourd’hui détruite, était réputée pour sa couleur particulière. En 1934, ils construisent avec Elsa Gidoni* le célèbre café Galina sur le site du Levant Fair (« Foire orientale »), lui aussi détruit. Dans les années 1930, elle signe également de nombreux projets d’habitation (rues Achad Ha’am, Balfour, Hanevi’im, Hess), ainsi que la maison Habima (rue Frug). Malgré son abondante production professionnelle, son nom est principalement lié à la place Zina-Dizengoff : cette place ronde, symbole de l’architecture du Bauhaus, située dans le quartier central de la Ville-Blanche dont le tracé suit le plan datant de 1925 du théoricien de l’urbanisme Patrick Geddes (1854-1932), comprend six bâtiments d’habitation et de commerce de deux à quatre étages. G. Averbouch y réalise deux immeubles entre 1935 et 1936, le Mirenbourg (rue Ben Ami) et le Messeri (rue Dizengoff). À partir des années 1940, la construction publique prend une part grandissante dans ses activités et elle dirige durant trois ans le département d’urbanisme de Tel-Aviv. De ces années date le début de sa collaboration avec l’ingénieur Salman Baron. Au nombre de ses œuvres majeures, on compte l’école Shewa (1945) et le collège professionnel Max-Fein (1949), les villages d’enfants Kfar Batya (1945) et Hadassim (1947) ainsi qu’une synagogue dans le kibboutz Ein ha-natziv. Elle a continué à répondre en parallèle à des commandes privées, surtout pour des maisons et villas des faubourgs nord de Tel-Aviv. Figurant parmi les architectes les plus reconnus d’Israël, elle a fait partie, en 1957, du jury du concours pour la Knesset.

Ines SONDER

GOLDMÂN P., KAMP-BANDAU I. (dir.), Tel Aviv. Neues Bauen 1930-1939, Stuttgart/Tübingen, E. Wasmuth, 1993 ; METZGER-SZMUK N., Des maisons sur le sable. Tel-Aviv : mouvement moderne et esprit Bauhaus, Paris, Éd. de l’éclat, 2004 ; MINTA A., Israel bauen. Architektur, Städtebau und Denkmalpolitik nach der Staatsgründung 1948, Berlin, D. Reimer, 2004.

AVIGUR-ROTEM, Gabriela [BUENOS AIRES 1946]

Écrivaine israélienne.

Née en Argentine, Gabriela Avigur-Rotem émigre en Israël en 1950. Après avoir étudié la littérature à l’université, enseigné au lycée et travaillé dans l’édition, elle se consacre aujourd’hui exclusivement à l’écriture. D’abord poétesse, avec deux recueils de poèmes (en 1980 et en 1990), elle est connue comme romancière pour ses intrigues foisonnantes où le présent dialogue avec le passé. Tandis que la plupart des écrivaines israéliennes contemporaines favorisent le récit intimiste, elle cherche à maintenir un lien inhérent entre le sort individuel de ses personnages et l’histoire nationale, même si, contrairement aux générations précédentes, le « je » des protagonistes ne se confond jamais avec « nous ». Mozart lo haya yehoudi (« Mozart n’était pas juif », 1992) est une saga qui raconte l’histoire de deux familles juives immigrées en Argentine au début du XIXe siècle. Le récit de leur combat quotidien, où se succèdent réussites et échecs, est parfaitement ancré dans la réalité de l’époque où résonne l’écho des grands événements historiques : naissance du sionisme, guerre d’Espagne, Seconde Guerre mondiale. Après les aventures du Juif errant, où le récit réaliste bascule dans l’irrationnel, Canicule et oiseaux fous met en scène le vécu israélien observé par une héroïne au regard étranger et nostalgique à la fois. La recherche d’une vérité personnelle est doublée d’une interrogation sur cette essence particulière, profondément israélienne, faite d’amitiés tissées au sein d’un groupe, à l’ombre de guerres et de canicules. Le présent plonge ses racines dans le passé terrifiant de la Shoah, tandis que l’amour rime avec la folie des oiseaux dont les cris et le plumage animent la toile romanesque au rythme des saisons. Adom ‘atiq (« vieux rouge », 2007) juxtapose actualité et Histoire, héroïnes modernes aux revendications féministes et personnages réels ayant vécu en Palestine entre 1913 et 1921. Peu préoccupés par la politique, les protagonistes sont rattrapés par les événements : le roman débute par l’assassinat du Premier ministre israélien Yitzhak Rabin et s’achève avec l’Intifada alors qu’une famille se réunit pour célébrer le centième anniversaire d’une aïeule. Le charme de l’univers romanesque reste intact. Expérimentant dans chaque œuvre une nouvelle forme d’écriture et une composition différente, G. Avigur-Rotem explore les trésors de la langue hébraïque, exploite ses richesses et tente de reconstituer l’époque en restituant son style.

Ziva AVRAN

Canicule et oiseaux fous (Hamssin ve-tziporim meshouga’ot, 2001), Arles, Actes Sud, 2006.

AVILOVA, Lydia (dite LID) [KLEKOTKI 1864 - MOSCOU 1943]

Romancière et mémorialiste russe.

Lydia Alexeïevna Avilova, orpheline de père, a laissé de brefs récits sur sa jeunesse, Rasskazy (« récits »). Plus que tout y apparaissent la cruauté des adultes vis-à-vis de l’enfant, leur intervention dans sa vie intérieure. Les idées qu’elle véhicule dans Gloupychi (« les sottises »), Piervoïe gore (« premier chagrin », 1913) et Pychnaïa jizn’(« une vie magnifique », 1918) attestent de ses sentiments réformateurs en matière d’éducation, notamment la force de l’approche psychologique de l’âme enfantine. Après ses études, elle commence à écrire et fait paraître un premier texte en 1888 sous le pseudonyme Lid. Son premier texte signé de son nom d’épouse, Dve krasoty (« deux beautés »), paraît deux ans plus tard. Elle s’attire ensuite les compliments de Tchekhov pour Zabytye pis’ma (« lettres oubliées », 1896), qui narrent les sentiments d’une femme abandonnée. Son ouvrage suivant, Nasledniki (« les héritiers », 1898), est remarqué par Ivan Bounine et par Léon Tolstoï. Le récit V izbrannom obchtchestve (« dans la bonne société », 1904) a beaucoup de succès. En 1914, elle devient membre de la Société des amateurs de littérature russe de l’université de Moscou et publie Obraz tchelovietcheskiï (« l’œuvre humaine »), puis le récit Pokoï (« le repos », 1915), consacré au début de la Première Guerre mondiale. Après 1917, elle abandonne pratiquement toute création littéraire. Son dernier ouvrage, A. P. Tchekhov v moieï jizni (Tchekhov dans ma vie), se veut le récit d’une relation amoureuse secrète de dix ans avec l’écrivain. Elle a laissé d’autres souvenirs sur ses contemporains, donnant un tableau particulièrement intéressant du monde littéraire fin de siècle et du processus de la création artistique en général.

Françoise DARNAL-LESNÉ

« Tchekhov dans ma vie », in TCHEKHOV A. (dir.), Tchékhov vu par ses contemporains, Paris, Gallimard, 1970.

AVISON, Margaret [GALT, ONTARIO 1918 - TORONTO 2007]

Poétesse canadienne.

Native de l’Ontario, Margaret Avison passe le début de son enfance dans le Saskatchewan. En 1929, sa famille, dont le père est pasteur, s’installe à Toronto où elle fait des études universitaires en littérature anglaise. Parmi ses professeurs figure le poète E. J.  Pratt et le grand théoricien et critique littéraire Northrop Frye. Avant de publier son premier recueil de poésie, elle s’éloigne provisoirement de son milieu familial pour mener une vie de bohème à Toronto. Elle se voue à l’écriture et rencontre divers autres poètes dont la Canadienne Miriam Waddington* et l’Américaine Denise Levertov. Sa poésie paraît d’abord dans différentes revues. En 1956, une bourse lui permet de terminer son premier recueil. Publié en 1960, Winter Sun (« soleil d’hiver ») s’attire un grand succès et lui assure une place importante dans le monde de la poésie nord-américaine. Sa conversion au christianisme, en 1963, influe sur sa vie et ses écrits. En 1994, elle donne une série de conférences à l’université de Waterloo (Ontario) sur le christianisme et l’université qui seront publiées en 1995 (A Kind of Perserverance). Auteure de cinq recueils de poésie, elle est distinguée deux fois par le prix du Gouverneur Général (pour Winter Sun en 1960 et pour No Time en 1989). Winter Sun, son recueil le plus accompli, est le produit d’un travail qui s’étend sur une période de vingt-cinq ans. Ce recueil métaphysique, qui témoigne d’un lyrisme difficile, est ponctué de soudains changements de perspective dont l’effet sert à déstabiliser le lecteur. Les divers thèmes développés sont issus de l’univers cosmologique de la Renaissance, de l’Ancien Testament, de sources classiques, ainsi que des univers urbains qu’elle fréquente. Sont évoquées l’exploitation de l’environnement naturel, la superficialité de la vie sociale et l’incertitude de l’amour. Son second recueil, The Dumbfounding (« sidération », 1966), est une ouverture sur l’Autre où sont célébrés le renouvellement, la libération et l’élan qu’elle implique. Douze années s’écoulent avant la parution de son troisième recueil, Sunblue (1978), qui continue d’explorer le thème du christianisme. Avec No Time (1989), elle aborde celui de la mort. Son dernier recueil, Not Yet but Still (« pas encore mais toujours », 1997), reprend maints thèmes explorés dans les précédents tout en privilégiant la question du langage, de la communication et de la nature. Elle est également l’auteure d’une autobiographie, parue de façon posthume en 2009. Son œuvre a été comparée à celles des grands poètes métaphysiques du XVIIe siècle.

Catherine DHAVERNAS

Always Now : The Collected Poems, Erin, Porcupine’s Quill, 2005 ; I Am Here and Not Not-There : An Autobiography, Erin, Porcupine’s Quill, 2009 ; Listening : Last Poems, Toronto, McClelland & Stewart, 2009.

KENT D. A. (dir.), Lighting up The Terrain : The Poetry of Margaret Avison, Toronto, ECW Press, 1987.

AVIV, Nurith [TEL AVIV 1945]

Réalisatrice et chef opératrice franco-israélienne.

Après des études à l'Idhec (actuelle Fémis), Nurith Aviv commence sa carrière en 1969, et partage sa vie entre la France, Israël et l'Allemagne, le pays d’origine de son père. Première femme chef opératrice en France, elle figure au générique d'une centaine de films. Elle collabore notamment avec Agnès Varda* (Daguerréotypes, 1975 ; Murs Murs et Documenteur, 1981 ; Jane B. par Agnès V., 1988), ainsi qu’avec le réalisateur israélien Amos Gitaï pour une dizaine de films dont Ananas (1982), Ester (1985), Berlin-Jérusalem (1989), Wadi (1991), Une maison à Jérusalem (1997). Tout en continuant son métier de chef opératrice, N. Aviv passe à la réalisation en 1989. Ses premiers films sont des documentaires ; le quatrième, Vaters Land (2002), est un film sur la perte, tourné en un seul plan de 30 minutes dans le S-Bahn à Berlin : des Berlinois nés après la guerre racontent leur découverte de la composante juive éradiquée de leur culture. En 2004, avec Misafa Lesafa, la réalisatrice commence un long travail autour de la question du passage d’une langue à l’autre, de l’hébreu biblique à celui de la vie quotidienne, travail qui se poursuivra dans deux autres films, Langue sacrée, langue parlée (2008) et Traduire (2011). Sous les angles politique, historique, poétique, religieux et profane, la trilogie interroge la langue hébraïque à travers les témoignages d’artistes, poètes et traducteurs. En 2013, dans un dispositif cinématographique très élaboré qui met en scène la parole, Annonces rassemble sept femmes qui confrontent à leur propre histoire les récits des Annonces faites à Hagar, Sarah et Marie, que rapportent le Coran, l'Ancien Testament et le Nouveau Testament. N. Aviv a reçu le prix Édouard-Glissant pour son œuvre en 2009.

Michelle MULLER

AVRAM, Miora [TULCEA 1932 - BUCAREST 2004]

Linguiste roumaine.

Après des études de philologie roumaine à l’université de Bucarest où elle obtient son doctorat en étudiant l’évolution de la subordination circonstancielle en roumain, Miora Avram enseigne en Roumanie. Elle dirige le département de grammaire roumaine de Bucarest de 1963 à 2002 et participe aux activités de l’Institut de linguistique de l’Académie roumaine. Elle est reconnue pour ses travaux sur la langue roumaine et son évolution ainsi que pour ceux sur la standardisation du roumain parlé en Moldavie.

Thomas VERJANS

Avec SALA M., Connaissez-vous le roumain ? , Éditions de la Fondation culturelle de Roumanie, Bucarest, 2001.

DASCĂLU JINGA L, « Avram », in STAMMERJOHAN H. (éd.), Lexicon Grammaticorum, New York/Amsterdam/Philadelphie, Mouton de Gruyter, 2009.

AVRIL, Jane (Jeanne BEAUDON, dite) [PARIS 1868 - RIS-ORANGIS 1943]

Danseuse française.

Fille du comte Luigi di Font, aristocrate italien, et d’une demi-mondaine, dite La Belle Élise, Jane Avril fuit sa famille et se retrouve internée dans le service de Charcot à la Pitié-Salpêtrière. « Guérie de son hystérie » par la danse, elle entame sa carrière à 16 ans dans les cabarets du Quartier Latin et fréquente les milieux intellectuels et artistiques. Elle se hisse rapidement en tête d’affiche au Jardin de Paris, célèbre café-concert des Champs-Élysées. La renommée de celle qu’on surnomme Jane la Folle ou Mélinite (nom d’un explosif utilisé dans les obus) est telle que le Moulin Rouge, le plus récent et le plus somptueux des cabarets de Montmartre, lui fait un pont d’or en 1895 pour remplacer Louise Weber, dite La Goulue, immortalisée, avec Valentin le Désossé, par Toulouse-Lautrec. Elle rencontre un franc succès, qui se propage au-delà des soirées parisiennes, notamment à Londres, où elle se produit avec la troupe de Mlle Églantine. La légende veut qu’elle porte un costume rouge, qu’elle soit la seule danseuse du Moulin Rouge autorisée à porter des dessous de couleur et qu’elle ait une liaison solide avec Alphonse Allais. C’est toutefois l’artiste Maurice Biais (1875-1926) qu’elle épouse à 42 ans, et qui dilapide l’argent qu’elle a gagné. À la mort de celui-ci, J. Avril, qui ne dansait plus, vit dans le dénuement le plus complet. Grâce à l’intervention de Sacha Guitry, elle est acceptée à la maison de retraite des artistes lyriques en avril 1942, où elle meurt peu après, à 75 ans, dans l’oubli. On l’enterre au cimetière du Père-Lachaise. Elle est ressuscitée à l’écran en 1952 par Zsa Zsa Gabor dans Moulin Rouge, film de John Huston, et en 2006 dans le roman de Per Olov Enquist Blanche et Marie. Son image vit à jamais dans les toiles et affiches commandées à son grand ami Toulouse-Lautrec. Parmi les plus célèbres : Jane Avril, Jardin de Paris, 1893 ; Divan japonais, 1893 ; La Troupe de Mlle Églantine, 1896 ; Jane Avril, 1899.

Floriane PLACE-VERGHNES

Mes mémoires, Cours de danse fin-de-siècle, Paris, Phébus, 2005.

CARADEC F., Jane Avril, au Moulin Rouge avec Toulouse-Lautrec, Paris, Fayard, 2001.

AVRIL, Nicole [RAMBOUILLET 1939]

Écrivaine française.

Professeure de lettres dans le Nord puis à Paris, comédienne et mannequin, Nicole Avril choisit finalement de se consacrer à l’écriture. Lyon, la continentale, et La Rochelle, la maritime, sont les deux lieux de son enfance que l’on retrouve dans nombre de ses textes. De ses premières années, elle conserve également le souvenir d’une tumeur au visage que, pour atténuer la peur qu’elle suscite, la famille appelle le « joubi ». De là procède sans doute sa passion des visages comme source d’enseignement ainsi que la thématique du travestissement, omniprésente dans son œuvre. En 1972, Les Gens de Misar, son premier roman, obtient le prix des Quatre Jurys, mais c’est avec La Disgrâce en 1980 que débute son véritable succès. Outre des biographies romanesques comme L’Impératrice (1993) (Élisabeth d’Autriche, qu’elle libère du mythe de Sissi), Moi, Dora Maar (2001) ou Brune (2011) consacrée à Flora Tristan*, féministe et révolutionnaire, son œuvre, très riche, comporte une quinzaine de romans, des récits autobiographiques (Dans les jardins de mon père, 1989 ; Le Regard de la grenouille, 2003), un Dictionnaire de la passion amoureuse (2006) et un essai à quatre mains avec son mari, Jean-Pierre Elkabbach. Certains de ses textes ont été adaptés pour le petit écran.

Audrey LASSERRE

BOIS G., LAHIRE B., La Condition littéraire, la double vie des écrivains, Paris, La Découverte, 2006.

AWAR JARRAR, Nada [BEYROUTH 1958]

Romancière libanaise d’expression anglaise.

Née d’un père libanais et d’une mère australienne, Nada Awar Jarrar quitte le Liban en 1975, quand éclate la guerre civile, et n’y revient qu’en 1995. Diplômée de l’université de Londres, en histoire et en sciences politiques, puis de l’université de Washington, en écriture créative, elle publie en 2003 son premier roman, Somewhere, Home (« quelque part, un chez-soi »). Elle tire son inspiration des conséquences de la guerre civile libanaise sur les individus, à Beyrouth et dans les villages de montagne. Exil, souvenir, appartenance, désir et/ou impossibilité d’ancrage sont des thèmes récurrents dans ses œuvres (Dreams of Water, 2007 ; A Good Land, 2010), qui se focalisent davantage sur l’aspect psychologique du drame de l’éloignement que sur le contexte historique ou idéologique.

Jacqueline JONDOT

AWEKE, Aster [GONDAR 1959]

Chanteuse éthiopienne.

Avec son aîné Mahmoud Ahmed, Aster Aweke est la plus grande star de la musique éthiopienne. Née dans la ville des empereurs d’Éthiopie des XVIIe et XVIIIe siècles, elle grandit à Addis-Abeba. Adolescente, elle joue dans les clubs et hôtels avec différents orchestres. À partir de 1978, elle chante avec le Roha Band, qui fut pendant trente ans l’orchestre numéro un du pays et qui accompagnait la plupart des grands noms de la musique éthiopienne lors de leurs enregistrements en studio. La chanteuse sort cinq cassettes sous son nom avant de choisir de s’installer aux États-Unis, déçue par le Derg, régime militaire qui renversa Hailé Sélassié et mit en place un système marxiste-léniniste extrêmement autoritaire. En 1981, à Washington, où réside une des plus grandes communautés éthiopiennes des États-Unis, elle se produit plusieurs fois par semaine dans les restaurants éthiopiens. Sa notoriété grandit au sein de la communauté exilée, mais aussi dans son pays d’origine. Au milieu des années 1980, A. Aweke se lance dans une carrière internationale. Elle signe un contrat avec le jeune label anglais de musiques du monde Triple Earth, qui s’associe lui-même avec Columbia, succursale de Sony Music. En 1989 paraît un premier disque éponyme. Elle fait ses premiers pas en Angleterre à guichets fermés au prestigieux club de jazz Ronnie Scott. La critique est unanime à la saluer. Suivront deux autres disques : Kabu (1991) et Ebo (1993). À l’instar de M. Ahmed, A. Aweke est l’une des premières artistes éthiopiennes à proposer une musique accessible aux oreilles occidentales. Son premier argument de séduction est sa voix, aussi à l’aise dans les aigus que dans les graves, qui lui vaut le surnom d’« Aretha Franklin éthiopienne ». Avec l’aide du producteur Abegaz Shiota, elle opère aussi une fusion musicale. Chants traditionnels ou compositions de son cru sont orchestrés de façon moderne avec cuivres et synthétiseurs. On y détecte l’influence du jazz et de la soul. Dans les années 1990, elle rentre dans les charts de la world music. En 1997, A. Aweke foule à nouveau le sol éthiopien, pour la première fois depuis 16 ans. Lorsque son avion atterrit à Addis-Abeba, des centaines de fans sont là pour l’accueillir. Elle enchaîne avec un spectacle devant plus de 50 000 personnes dans la capitale et une tournée triomphale d’un mois dans le reste du pays. La chanteuse a renoué avec son public et recentre sa carrière vers son pays. En 2009, elle quitte les États-Unis pour se réinstaller à Addis-Abeba. Le 9 mai de cette même année, elle participe au concert La Paix par l’unité avec plusieurs autres artistes. Fin 2010, elle fait paraître son vingt-troisième album, Checheho (du nom d’une petite ville dans la province de Gondar), produit par différents grands noms de la musique éthiopienne : Abegasu Shiota, Dawit Tilahun, Elias Melka et Abiy Arka.

Elisabeth STOUDMANN

Kabu (1991), Triple Earth/Columbia, 1998 ; Live in London, Stern’s Music, 1998, Checheho, Kabu Records, 2010.

AWERBUCH, Rosa [NÉE À KAZAN 1883]

Médecin et psychanalyste russe.

Née dans le Tatarstan russe, Rosa Awerbuch se rend à Berne puis à Zurich pour suivre des études de médecine. En 1912, elle retourne à Kazan où elle travaille pour le développement d’institutions chargées de la promotion de la santé publique, puis, à partir de 1921, à l’hôpital universitaire où elle enseigne à l’institut clinique pendant deux ans. Sa traduction russe de l’ouvrage de Sigmund Freud Psychologie collective et analyse du moi paraît l’année même de sa publication en allemand (1921). Devenue membre de la Société psychanalytique de Kazan, elle s’établit à Moscou en 1923, adhère l’année suivante à l’Association psychanalytique russe – qui sera dissoute en 1930 – et travaille avec Mosche Wulff, créateur d’une policlinique d’orientation freudienne. En 1925, elle devient membre de l’Institut de psychologie expérimentale. Outre sa traduction d’un des ouvrages de S. Freud les plus dérangeants pour le régime bolchevique, R. Awerbuch s’est intéressée à l’interprétation psychanalytique de l’œuvre philosophique de Vassili Rozanov, particulièrement son travail sur Fiodor Dostoïevski. Comme pour la plupart des analystes russes de cette époque, on perd sa trace en 1930.

Nicole PETON

AW-NDIAYE, Eugénie Rokhaya [1952]

Journaliste sénégalaise.

Dès ses études de philosophie à l’université de Dakar, Eugénie Rokhaya Aw-N’Diaye se passionne pour les arts. En 1971, elle reçoit le Prix de la critique d’art pour un article sur Pablo Picasso paru dans Dakar Matin. Ses goûts ne sont pas forcément ceux du président Léopold Sédar Senghor et son engagement politique, au temps du parti unique, l’oblige à quitter la rédaction quatre ans plus tard pour « idéologie contraire au journal ». Militante, comme son père, elle est emprisonnée deux fois. Afrique nouvelle, publication catholique pour l’Afrique de l’Ouest basée à Dakar, l’accueille en 1975, en un temps où le journalisme est considéré comme un métier d’homme. Cette expérience l’amène à intégrer la Conférence des Églises de toute l’Afrique (Céta), où elle devient responsable francophone de la communication en 1979. Elle voyage beaucoup, entre le siège à Nairobi et les conférences internationales consacrées aux femmes. Puis, elle rentre à Dakar pour prendre le secrétariat exécutif de l’Association des professionnelles africaines de la communication. Luttant contre la misogynie ambiante, elle organise, en 1980, le séminaire des femmes journalistes francophones. Elle part au Canada en 1988 et y trouve un climat favorable aux idées qui lui tiennent à cœur. En 2001, à l’Université du Québec à Montréal, elle soutient une thèse consacrée à la parole de femmes rwandaises. Parallèlement, ses nombreuses missions pour le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) l’amènent à voyager. Sa mission au Rwanda pour relancer le programme national du Réseau Afrique 2000, fin 1994, l’a particulièrement marquée. Depuis, elle travaille sur les questions de médias, conflits et sécurité en Afrique et elle est titulaire d’une chaire à l’Unesco. De retour à Dakar en 2002, E. R. Aw-N’Diaye enseigne au Centre d’études des sciences et techniques de l’information de l’Université Cheikh Anta Diop. En 2005, elle est la première femme à en prendre la direction. Parallèlement, elle est membre du bureau exécutif du Réseau de centres francophones de formation aux métiers du journalisme (Théophraste). Son expertise dans les domaines des relations hommes/femmes, du journalisme et de la religion lui a valu de nombreuses invitations dans des colloques ou des conférences internationales.

Annie LENOBLE-BART

AXELL (Évelyne DEVAUX, dite) [NAMUR 1935 - ZWIJNAARDE 1972]

Plasticienne belge.

Axell est l’une des rares représentantes du pop art en Europe. Née dans une famille bourgeoise, elle reçoit une éducation catholique à l’Institut des dames de Marie, qui la dégoûtera à tout jamais de la morale chrétienne. En 1953, elle suit des cours de céramique à l’École des beaux-arts de Namur, puis entre au Conservatoire d’art dramatique de Bruxelles. Elle abandonne son métier de comédienne en 1963 pour se consacrer entièrement à la peinture, et reçoit les conseils de Magritte. Influencée par la création des artistes new-yorkais des années 1960, Jim Dine, Andy Warhol, Marisol*, elle se tourne vers le pop art et explore de nouveaux matériaux plastiques qu’elle découpe, superpose, jouant avec les reliefs et les transparences. Son travail est profondément marqué par les événements politiques et sociaux des années 1960, la guerre du Vietnam, le mouvement des Black Panthers, mais surtout la libération sexuelle de la femme. C’est à travers le corps de la femme, et avant tout le sien, celui d’une femme engagée et libre, qu’elle exprime, dans un feu d’artifice de couleurs vives, une sensualité à la limite de l’érotisme. En 1966, sa série Érotomobiles, traitant du rapport de la femme à l’automobile, reçoit une mention au prix de la Jeune Peinture belge, première reconnaissance « officielle ». L’année suivante, le palais des Beaux-Arts de Bruxelles lui consacre une première exposition personnelle. En 1969, le critique d’art Pierre Restany expose son travail (Pierre et les opalines) à la galerie Templon à Paris et compare son travail à celui de Niki de Saint Phalle*, Yayoi Kusama* ou Marisol : « Ces femmes vivent leur révolution sexuelle en vraies femmes. Elles en tirent les conséquences directes et normales : l’initiative change de camp. » En 1972, Axell exprime l’érotisme du corps masculin avec une série d’œuvres autour du mythe de Tarzan. Ce sera sa dernière série : elle meurt à l’âge de 37 ans dans un accident de voiture.

Nathalie ERNOULT

Het ruisen van het leven, Evelyne Axell en de jaren’60 (catalogue d’exposition), Gand, Snoeck-Ducaju & Zoon, 1997 ; Évelyne Axell, 1935-1972, l’amazone du pop art (catalogue d’exposition), Tournai/Paris, La Renaissance du Livre/Centre Wallonie-Bruxelles, 2000 ; Le Pop Art jusqu’au paradis (catalogue d’exposition), Paris, Somogy, 2004.

AXELSSON, Majgull [KARLSKRONA 1947]

Écrivaine et journaliste suédoise.

Journaliste à partir de la fin des années 1960, active pendant des années dans des quotidiens et dans la presse syndicale, Majgull Axelsson rédige des rapports pour la confédération syndicale Landsorganisation et occupe pendant un certain temps la fonction de secrétaire à l’information au ministère des Affaires étrangères. Ses textes traduisent un engagement profond pour les êtres aux prises avec des situations difficiles : le travail des enfants, dans Våra minsta bröder  les plus petits de nos frères », 1986) ; la prostitution infantile, dans Rosario är död (« Rosario est morte », 1989), roman-documentaire dont l’action se déroule aux Philippines ; la condition des enfants des rues, dans Dom dödar oss (« ils nous tuent », 1991), livre-reportage sur l’Amérique latine ; la nouvelle pauvreté en Suède, dans Orättvisans ansikten (« les visages de l’injustice », 1992-1993) et… Och dem som inte har («… et ceux qui n’ont rien », 1996). Son premier roman, Långt borta från Nifelheim  si loin de Nifelheim », 1994), relate le parcours d’une femme qui quitte les Philippines et retourne dans la ville suédoise de son enfance pour s’occuper de sa mère mourante. Ce livre s’interroge sur l’étendue de la responsabilité de l’être humain, un thème récurrent de l’œuvre de M. Axelsson, tout comme celui de l’exclusion opposé au sentiment d’appartenance à une communauté. L’écrivaine accède à la notoriété en 1997, avec La Sorcière d’avril (1997), vaste description de la Suède d’après-guerre incluant des éléments de réalisme magique. Récompensé par le prestigieux prix August, traduit dans plusieurs langues, ce roman raconte l’histoire d’une femme gravement handicapée qui se sent spoliée de sa vie par ses sœurs, mais qui parvient à diriger les événements depuis son lit de malade. La Maison d’Augusta (2000) retrace la destinée de trois femmes au cours de trois périodes du XXe siècle, tandis que Den jag aldrig var  celle que je n’ai jamais été », 2004) se penche sur les possibilités de changer le destin d’un être humain : le personnage principal est divisé et vit, à la suite d’un événement décisif, deux existences parallèles mais complètement différentes. C’est aussi à la projection, au dédoublement de la personnalité et au morcellement intérieur que s’intéresse Is och vatten, vatten och is (« la glace et l’eau, l’eau et la glace », 2008), où la rivalité entre deux sœurs jumelles et d’autres conflits entre proches parents constituent le cœur du récit. Les thèmes de l’abandon d’un enfant, de la vanité narcissique et du désir refoulé d’être reconnu par les autres y sont traités d’une façon bouleversante. M. Axelsson a également écrit des pièces de théâtre qui sont jouées au Dramaten de Stockholm.

Inger LITTBERGER CAISSOU-ROUSSEAU

La Sorcière d’avril (Aprilhäxan, 1997) (2003), Paris, LGF, 2004 ; La Maison d’Augusta (Slumpvandring, 2000), Paris, J.-C. Lattès, 2005.

AXIOTHÉA [PHLIONTE IVe siècle aV. J.-C.]

Philosophe grecque.

Avec Lasthénéia* de Mantinée, Axiothéa de Phlionte est une philosophe appartenant à la première génération platonicienne. Elles furent les deux seules disciples de sexe féminin (mathetriai) de l’Académie. Les rares témoignages dont nous disposons (Diogène Laërce, III, 46 ; Clément d’Alexandrie, Stromates, IV, 19) nous informent qu’elles n’ont ni enseigné ni laissé d’écrits. À propos d’Axiothéa, la tradition fournit quelques détails sur sa conversion au platonisme : après avoir lu les ouvrages de Platon concernant l’État, elle quitta l’Arcadie, son pays natal ; « la philosophe » se rendit alors à Athènes pour écouter en cachette les leçons de l’Académie (Thémistius, Orationes, XXIII, 295c). L’information doit être complétée par le récit de Dicéarque, philosophe péripatéticien du IVe siècle av. J.-C., qui avait remarqué l’étrange attitude d’Axiothéa : elle se rendait aux leçons de Platon en habits masculins. On précise par ailleurs qu’elle avait des qualités intellectuelles proches de celles d’un homme et qu’elle n’hésitait pas à participer à la vie commune de l’école habillée d’un simple manteau de philosophe, ce qui lui permettait de suivre les leçons incognito. Ces témoignages laissent entendre que, malgré la conception platonicienne de l’égalité entre hommes et femmes, une femme, pour être accueillie dans le cercle des disciples, devait se travestir en homme.

Marella NAPPI

GOULET R. (dir.), Dictionnaire des philosophes antiques, vol. I, Paris, CNRS, 1989, no 517 ; PAULY A., WISSOWA G., Realenzyklopädie, vol. II, 1896, 263 ; WAITHE M. E. (dir.), A History of Women Philosophers, Boston/Londres, Kluwer, 1987.

DORANDI T., « Assiotea e Lasteneia : due donne all’Accademia », in Atti e Memorie dell’Accademia Toscana di scienze e lerrere « La Colombaria », no 54, 1989.

AXIOTI, Melpo [ATHÈNES 1905 - ID. 1973]

Poétesse et écrivaine grecque.

Fille du compositeur Georgios Axiotis, Melpo Axioti grandit à Myconos. Elle publie pour la première fois des nouvelles dans la revue Mykoniatika Chronika, en 1933. Son premier roman, Dyskoles nychtes (« nuits difficiles », 1938), est une élaboration des souvenirs d’une enfance blessée et de l’expérience féminine, avec une écriture moderniste qui se caractérise par l’aspect fragmentaire de la mémoire, un usage personnel de la langue et le monologue intérieur qui incorpore les récits et le langage particulier d’autres personnages. Bien que le roman ait reçu un prix de l’« Association féminine des lettres et des arts » (Yinekios Syllogos Grammaton ke Technon), il fut contesté. En 1940, Thelete na chorepsome, Maria (« voulez-vous danser, Maria ? ») rend l’expérience féminine avec des éléments d’autoréférentialité et un usage plus poussé du monologue intérieur. Devenue membre du parti communiste de Grèce en 1936, M. Axioti participe à la Résistance nationale (1941-1944) comme rédactrice de tracts et d’articles dans la presse clandestine. Après la guerre, elle se tourne vers une écriture plus réaliste et accessible et renie le modernisme. En 1949, le roman XXe siècle décrit l’accession à la maturité d’une jeune femme à travers l’amour et la Résistance, jusqu’à son exécution par les Allemands. Les affrontements entre Grecs des événements de décembre 1944 et les persécutions des gens de gauche sont présentés comme la suite du combat de l’héroïne exécutée. Malgré son écriture réaliste, le texte garde ses distances avec le réalisme socialiste. Il a reçu un accueil chaleureux en Europe et a été traduit dans de nombreux pays. En 1947, M. Axioti, qui craint des poursuites, se réfugie en France, entre dans des cercles de féministes et d’intellectuels de gauche (Éluard, Aragon) et critique le gouvernement grec. En 1950, elle est expulsée de France vers l’Allemagne de l’Est, à la suite d’une demande de la Grèce. Durant son séjour dans les Pays de l’Est (Pologne, Allemagne de l’Est, Bulgarie) avec les réfugiés politiques de la guerre civile grecque, sa vie et son œuvre sont déterminées par des décisions du Parti. Les révisions obligatoires opérées à plusieurs reprises dans les nouvelles du volume Syntrofi Kalimera ! (« camarades, bonjour ! », 1953) et dans son essai Mia katagrafi stin periochi tis logotechnias (« une esquisse du domaine de la littérature », 1955) la conduisent au silence. Elle se contente de publier des poèmes en Grèce dans Kontrabando (« contrebande », 1959). En 1964, elle rentre dans son pays et fait paraître en 1965 To spiti mou (« ma maison »), ouvrage où s’exprime sa nostalgie de Mykonos et qui marque son retour au modernisme, l’exploration de la fonction de la mémoire et d’une langue personnelle. Après l’instauration de la dictature de 1967, elle passe des années difficiles. Kadmo (1972), qui est écrit quelques mois avant sa mort, constitue un retour singulier sur sa vie et traite de l’expérience féminine de la solitude et de l’usure du temps et du corps, ainsi que de l’impossibilité de combler par l’écriture la perte du temps et des personnes. De 1947 à 1970, elle a aussi travaillé comme traductrice (Ionesco, Tchekhov, Gorki).

Maria NIKOLOPOULO

XXe siècle (Ikostos Eonas, 1949), Paris, La Bibliothèque française, 1949.

MATTHAIOU A., POLEMI P., Diadromes tis Melpos Axioti (1947-1955), Athènes, Themelio, 1999 ; MIKÉ M., Melpo Axioti, Kritikes Periplanisis, Athènes, Kedros, 1996 ; SAUNIER G., I metamorfosis tis Kadmos, Erevna sto ergo tis Melpos Axioti, Athènes, Agra, 2005.

« Numéro spécial Melpo Axioti », Diavazo, no 311, juin 1993.

AYALA, Prudencia [SONZACATE 1885 - SAN SALVADOR 1936]

Écrivaine et militante féministe salvadorienne.

Prudencia Ayala a lutté pour la reconnaissance des droits des femmes au Salvador. D’origine amérindienne, à l’âge de 10 ans, elle déménage à Santa Ana, où elle commence des études primaires qu’elle ne peut terminer faute d’argent ; elle se forme alors en autodidacte. Elle apprend le métier de couturière, activité qu’elle exercera toute sa vie. Elle affirme pouvoir prédire l’avenir grâce à des révélations confiées par des voix mystérieuses. Ses prédictions sont publiées dans les quotidiens locaux, ce qui lui vaut le surnom de « Sibylle de Santa Ana » et lui procure une certaine renommée, malgré les critiques et les moqueries de membres éminents de la société salvadorienne. Sa célébrité est aussi le fruit des revendications féministes qu’elle affirme dans sa production littéraire comme dans sa vie quotidienne. Ses premiers articles sont publiés en 1913 dans le Diario de Occidente : dans ces essais, elle s’oppose à l’invasion américaine du Nicaragua en tant que féministe, anti-impérialiste et partisane de l’unité de l’Amérique centrale. Par ailleurs, elle publie plusieurs poèmes dans d’autres journaux salvadoriens. Dans le livre Escible, aventuras de un viaje a Guatemala (« Escible, aventures d’un voyage au Guatemala », 1921), elle raconte son périple dans ce pays pendant les derniers mois du gouvernement de Manuel Estrada Cabrera (1898-1920) : elle y a passé quelques mois en prison, accusée d’avoir participé à une tentative de coup d’État contre le dictateur. Elle a aussi publié Inmortal, amores de loca, (« immortel, amours de folle », 1925) et Payaso literario en combate (« clown littéraire au combat », 1928). Elle a créé et dirigé le journal Redención Femenina (« rédemption féminine »), à la fin des années 1920. Alors que la loi salvadorienne de l’époque ne reconnaissait pas le droit des femmes à voter et à être élues, P. Ayala s’est présentée à la présidence du Salvador en 1930, mais sa candidature a été rejetée par la Cour suprême. Son action politique dans le débat sur la place des femmes dans la vie publique au Salvador a été bénéfique.

Natalia GONZÁLEZ ORTIZ

AYALA DE MICHELAGNOLI, Margot [PARIS 1935]

Écrivaine et plasticienne paraguayenne.

Alors qu’elle n’a que 3 ans, la famille de Margot Ayala de Michelagnoli quitte la France pour s’installer à Asunción, au Paraguay. Au cours des années 1980, elle se fait connaître comme peintre, et ce n’est que quelques années plus tard qu’elle développe une œuvre narrative. Elle est présidente de l’Association de soutien à la culture (ADAC) et membre du comité de culture du Conseil national des femmes du Paraguay. Son roman Ramona Quebranto (1989) fait date, car il s’agit du premier récit dont l’action, qui se déroule dans le quartier de la Chacarita, fait appel à la langue quotidienne du Paraguay, le jopará, mélange d’espagnol et de guarani. La dramatisation de la situation d’une femme pauvre et la focalisation sur ses problèmes et sur ses sentiments sont au centre de ce roman, son œuvre la plus célèbre, probablement parce qu’elle reflète la souffrance quotidienne des femmes dans un quartier populaire. Elle a également écrit deux autres romans : Entre la guerra el olvido (« entre la guerre et l’oubli », 1991) et Más allá del tiempo (« au-delà du temps », 1995). L’influence de la peinture est évidente dans son œuvre : les scènes sont comparables à des tableaux dans lesquels elle ferait le portrait d’une histoire ou d’une atmosphère grâce à des paragraphes brefs, comme autant de coups de pinceau. Cette technique a pour résultat une fragmentation qui débouche sur une structure éclatée : paysages ou personnages présentés comme autant de natures mortes, de peintures murales descriptives. Ce qui importe pour M. Ayala de Michelagnoli, c’est la langue, car elle devient, par son expressivité, la couleur qui lui permet d’achever un cadre capable de témoigner du drame.

Natalia GONZÁLEZ ORTIZ

AYALA GONZÁLEZ, Elisa [GUAYAQUIL 1879 - ID. 1956]

Écrivaine équatorienne.

Fille de petits propriétaires terriens, autodidacte, ayant pris goût à la peinture et à l’écriture très jeune, Elisa Ayala González rédige ses premiers textes à l’âge de 15 ans. Elle se fait connaître grâce à une nouvelle, La Maldición (« la malédiction », 1894), envoyée à la revue América de New York pour un concours. Paru en anglais et en espagnol, ce texte a ensuite été publié dans des journaux et revues de différents pays. Ce n’est qu’en 1917 qu’il est publié en Équateur, dans la revue La Illustración. Une autre nouvelle d’inspiration bucolique, La Procesión de las ánimas (« la procession des âmes »), vaut à son auteure le premier prix au concours international organisé par la revue espagnole La Voz de Valencia (« la voix de Valence »). Ces deux récits ont pour cadre le monde paysan. Ils puisent dans la réalité nationale et s’attachent à des croyances et à des comportements opposant le bien et le mal, en particulier quand l’ordre de la nature et de la société est brisé. Dans La Maldición, la désobéissance d’un fils entraîne la destruction de la famille au cœur de laquelle l’amour excessif de la mère constitue une source de désordre. Dans La Procesión de las ánimas, le conflit surgit du choc des croyances, entre de jeunes Blancs bien élevés et un Noir, journalier de l’hacienda. Ces deux nouvelles organisent, en un parfait équilibre, les différentes composantes de ce genre littéraire : création d’ambiances grâce à une description minutieuse, dialogues courts et précis nourris d’expressions régionales, éléments insolites surgissant dans un récit fondé sur la vraisemblance, grande qualité de l’écriture. Malgré des commentaires élogieux de la part d’intellectuels équatoriens de l’époque, E. Ayala González a été oubliée par la critique durant des décennies. Ses deux nouvelles font partie d’anthologies récentes.

Cecilia ANSALDO BRIONES

ANSALDO C. (dir.), Cuento contigo, Guayaquil/Quito, Universidad Católica de Santiago de Guayaquil/Universidad Andina Simón Bolívar, 1993 ; ID., Cuentan las mujeres, Quito, Planeta del Ecuador, 2001 ; DONOSO PAREJA M. (dir.), Antología de narradoras ecuatorianas, Quito, Libresa, 1997.

AYAŞLI, Münevver [SALONIQUE 1906 - ID. 1999]

Écrivaine et journaliste turque.

Son père ayant un poste itinérant, Münevver Ayaşlı parcourt plusieurs régions de l’Empire ottoman. Elle étudie dans des écoles allemandes et prend des leçons de piano et de oud. Après l’effondrement de l’Empire, sa famille quitte la Turquie pour l’Allemagne où la jeune fille découvre le mode de vie occidental et s’inscrit au conservatoire, puis retourne à Istanbul, alors en pleine banqueroute, et enfin à Ankara. Dans la nouvelle capitale de la Turquie, elle fréquente les élites de l’État turc nouvellement fondé. Après avoir réussi des concours, elle travaille au secrétariat d’État des Affaires étrangères. Plus tard, elle est journaliste pour Yeni İstanbul (« nouvel Istanbul »), Sabah (« le matin »), et Yeni Asya (« nouvelle Asie »), et se met à écrire. Avec d’autres femmes, elle édite Kadın Gazetesi (« journal de femme »). En 1950, elle se rend à Paris pour étudier au Collège de France et à l’École des langues orientales, où elle apprend l’arabe et le persan. M. Ayaşlı est auteure de quelques romans, dont Pertev Bey’in Üç Kızı (« les trois filles de Pertev Bey », 1968), Pertev Bey’in Iki Kızı (« les deux filles de Pertev Bey », 1969) et Pertev Bey’in Torunları (« les petits-enfants de Pertev Bey, 1976). Cependant, elle a surtout écrit des essais : Başvekilimizi tanıdım (« j’ai connu notre premier ministre », 1968) ; Dersaadet (« Constantinople », 1975) ; Edep ya hû (« honte à vous ! », 1984) ; Avrupai Osmanî ve Rumeli ve Muhteşem İstanbul (« la somptueuse Istanbul », 1990) et Geniş Ufuklara ve Yabancı Iklimlere Doğru (« vers de vastes horizons et des climats lointains », 1991).

Bahriye ÇERI

AYCOCK, Alice [HARRISBURG, PENNSYLVANIE 1946]

Sculptrice américaine.

Étudiante au Hunter College de New York, Alice Aycock suit l’enseignement de Robert Morris, dont le travail va profondément la marquer. Elle fait partie d’une nouvelle génération d’artistes en rupture avec le formalisme et l’abstraction puriste, défendus par le critique américain Clement Greenberg. Privilégiant une approche « postmoderne » et influencée par le concept de « sculpture dans le champ élargi » théorisé par la critique américaine Rosalind Krauss*, elle interroge l’inscription des œuvres dans le paysage et leurs rapports étroits avec l’architecture. Sous l’impulsion des artistes du land art, elle réalise ses premières œuvres à une échelle monumentale : ce sont de grandes machines énigmatiques, souvent motorisées ou mues par des mécanismes électriques. Dès le début des années 1960, ses installations, éloignées des foyers artistiques établis, réfléchissent sur des notions liées à l’essence de la sculpture : le plein, le vide, l’espace et le temps. Dans A Simple Network of Underground Wells and Tunnels (« un simple réseau de puits et de tunnels souterrains », 1975), l’artiste creuse une série de six puits reliés par des tunnels, dans lesquels le visiteur est invité à descendre. En le plongeant dans l’obscurité du dédale, elle abroge la suprématie du visuel et lui fait vivre une expérience « physique » de la sculpture. Très influencée par La Structure des révolutions scientifiques (1962) de Thomas Kuhn, elle croise des références aussi variées que la science, l’astrologie, le mythe, les cosmologies ou encore l’imaginaire chtonien, avec une prédilection pour la figure du labyrinthe qui incarne, selon elle, avec le plus de force, la pensée « mythico-poétique » (Lévi-Strauss). Longtemps tournée vers des préoccupations « archéologico-mythiques » à travers un usage de matériaux « archaïques » comme le bois ou la terre, l’artiste s’ouvre désormais à de nouvelles explorations qui questionnent le devenir de l’humanité.

Claire BICKERT

Avec ADAMS A., FERRARA, MISS M., Four Artists (catalogue d’exposition), Williamstown, Williams College Museum of Art, 1976 ; Project Entitled “The Beginnings of a Complex”, 1967-1977 : Notes, Drawings, Photographs, New York, Lapp Princess Press, 1977 ; Retrospective of Projects and Ideas, 1972-1983 (catalogue d’exposition), Stuttgart, Württembergischer Kunstverein, 1983.

LARSON K., « Alice Aycock », in Galeries Magazine, no 38, août-sept. 1990.

AYDA, Adile [SAINT-PÉTERSBOURG 1912 - ANKARA 1992]

Écrivaine turque.

Son père est député à la Douma russe, sa mère fille d’un grand propriétaire de mines d’or à Orenbourg. Après des études primaires à Paris et à Berlin, Adile Ayda obtient son baccalauréat à Istanbul, puis étudie à l’université d’Ankara et devient maître de conférences en littérature française en 1944. À partir de 1958, elle quitte l’enseignement pour le ministère des Affaires étrangères et représente la Turquie comme consul à Rome. Aujourd’hui connue pour ses travaux d’historienne sur les Étrusques (Les Étrusques étaient-ils des Turcs ?, 1974), elle a été la première femme diplomate de la République turque. Après sa retraite, elle est cooptée comme sénatrice par le président de la République de l’époque, Fahri Korutürk. Ses articles de critique littéraire sont publiés dans le quotidien Cumhuriyet (« la république ») de 1946 à 1949, et dans la revue Hisar (« titre en français »), de 1975 à 1976. Auteure de plusieurs essais en turc, elle a écrit en français des articles sur Mallarmé et Molière, ainsi que deux ouvrages : Le Drame intérieur de Mallarmé ou l’origine des symboles mallarméens (1955) et Un Diplomate turc auprès du Roi-soleil (1956).

Bahriye ÇERI

Les Étrusques étaient-ils des Turcs (Etrüskler Türk mü idiler, 1974), Istanbul, Yeşilyurt Sok, 1985.

« Molière et l’envoyé de la Sublime Porte », in Cahiers de l’association internationale des études françaises, juin 1957.

AYLLÓN, Eva (María Angélica AYLLÓN URBINA, dite) [LIMA 1956]

Chanteuse péruvienne.

Sa grand-mère maternelle l’ayant initiée dès son plus jeune âge aux musiques créole et noire du Pérou, Eva Ayllón adopte son prénom pour la scène afin de lui rendre hommage. Révélée au sein du trio Los Kipus, elle entame en 1975 une carrière solo dont le succès, jamais démenti, incarne la vitalité contemporaine de la musique afro-péruvienne. Surnommée la « Reine du Landó », du nom d’un rythme emblématique de cette tradition, ou encore la « Tina Turner du Pérou », elle imprime sa personnalité exubérante et son charisme de diva à l’interprétation de ce répertoire basé sur un dialogue de guitares et de percussions. Elle n’hésite pas à le moderniser en l’ouvrant aux courants de la salsa et de la ballade tropicale, à l’image de ses collaborations avec El Gran Combo, Gilberto Santa Rosa, Marc Anthony ou Luis Enrique. Découverte par le public des musiques du monde grâce à la compilation The Soul of Black Peru publiée par label Luaka Bop de David Byrne, elle participe également à un projet All Stars de musiciens péruviens, dont la tournée triomphe aux États-Unis en 2002. Forte d’une discographie d’une trentaine d’albums, honorée par plusieurs nominations aux Grammy Awards, E. Ayllón est aujourd’hui la chanteuse la plus populaire du Pérou et de sa diaspora, en particulier aux États-Unis où elle a élu résidence depuis 2004.

Yannis RUEL

Leyenda peruana, Time Square Records, 2004.

AYRES, Gillian [BARNES 1930]

Peintre et graveuse britannique.

Artiste abstraite, Gillian Ayres suit, de 1946 à 1950, les cours du Camberwell College of Arts de Londres, trop empreints, à son goût, de l’inspiration réaliste du groupe de l’Euston Road School, qui prônait une peinture figurative traditionnelle. De 1951 à 1959, elle travaille à la AIA Gallery, avant de s’orienter vers l’enseignement jusqu’en 1981. Proche, dès la fin des années 1940, des peintres Robyn Denny (1930), Howard Hodgkin (1932) et Henry Mundy (1919) – son ex-époux et père de ses deux fils –, elle concourt avec eux à transformer la peinture britannique d’après-guerre, sous l’influence du tachisme européen et de l’expressionnisme abstrait américain. Ses œuvres de grand format, à la facture épaisse, sont résolument abstraites et peintes dans un style expressionniste. Elle les présente en 1949 à l’exposition Young Contemporaries, puis les expose de manière régulière, notamment dans les galeries londoniennes Paul Kasmin et Knoedler. G. Ayres est d’abord réputée pour sa technique du pouring, qui consiste à faire couler le matériau directement du pot de peinture ou d’un bâton, à la façon d’un Jackson Pollock (1912-1956). En 1959, son œuvre est présentée en France, lors de la première Biennale de Paris. L’année suivante, elle est la seule femme à participer à l’exposition Situation, que la RBA Gallery organise autour de l’art britannique abstrait. Dans les années 1960, elle revient au pinceau pour concevoir des peintures à l’acrylique plus construites, telles que Break-off (« interruption », 1961), tendance qui s’accentue au gré du temps. En 1977, elle préfère la peinture à l’huile appliquée en couches épaisses, d’où ressortent des notes de couleurs chatoyantes, comme dans Orlando furioso (1977-1979). Nominée pour le Turner Prize en 1989, membre de la Royal Academy of Arts en 1991, elle poursuit son travail sur la matière, employant des couleurs de plus en plus vives et associant formes et symboles. Ses œuvres sont visibles dans de nombreuses collections publiques.

Fanny DRUGEON

Paintings (catalogue d’exposition), Oxford, MoCA, 1981 ; Gillian Ayres (catalogue d’exposition), Londres, Arts Council of Great Britain, 1983 ; Gillian Ayres, Londres, Lund Humphries, 2001.

FORTNUM R., Contemporary British Women Artists : In Their Own Words, Londres/New York, I. B. Tauris, 2006.

AYRES-BENNETT, Wendy [FARNBOROUGH 1958]

Linguiste britannique.

Professeure de philologie française et de linguistique à l’université de Cambridge, où elle a accompli ses études avant de réaliser un doctorat à l’université d’Oxford, Wendy Ayres-Bennett s’est consacrée à l’étude de la langue française et à son histoire. Spécialiste internationalement reconnue pour ses travaux sur la langue du XVIIe siècle, ses recherches sur l’histoire de la linguistique ont également renouvelé de façon très importante l’historiographie de la discipline. Elle a obtenu la médaille de vermeil du prix de l’Académie française pour son ouvrage Les Remarques de l’Académie française sur le Quinte-Curce de Vaugelas (1997).

Thomas VERJANS

Avec SEIJIDO M., Remarques et observations sur la langue française, histoire et évolution d’un genre, Paris, Éditions classiques Garnier, 2011 ; A History of the French Language Through Texts, Londres/New York, Routledge, 1996.

« La grammaire des dames », in Histoire, épistémologie, langage, t. 16, fasc. 2, 1994.

AYU, Djenar Maesa [JAKARTA 1973]

Écrivaine indonésienne.

Fille d’une actrice et d’un metteur en scène célèbres, Djenar Maesa Ayu remporte un succès immédiat avec son premier ouvrage, le recueil de nouvelles Mereka Bilang Saya Monyet (« ils disent que je suis un singe », 2002), réédité à plusieurs reprises. Elle collabore à divers journaux et publie quelques textes en indonésien et en traduction anglaise dans Jurnal Perempuan (« revue des femmes »). Après la chute du président Suharto (1998), elle participe avec Ayu Utami* au mouvement de libération littéraire, qualifié par ses adversaires du terme dépréciatif de sastrawangi (« littérature parfumée »). En réponse aux attaques dont elle a fait l’objet à ses débuts, l’écrivaine publie un deuxième recueil de nouvelles au titre délibérément provocateur, Jangan Main-Main (dengan Kelaminmu) (« ne joue pas [avec ton sexe] : « pour adultes seulement », 2004), puis le roman Nayla (2005). Ses personnages sont des sortes d’anti-héros dont le quotidien dans la microsociété urbaine contemporaine est fait d’individualisme, de difficultés à communiquer, d’alcool, de violence, d’adultère ou des cicatrices de l’inceste. Quant aux nouvelles de Cerita Pendek Tentang Cerita Cinta Pendek (« histoires courtes de courtes histoires d’amour », 2006), elles s’apparentent à des anticontes de fées du monde contemporain, sans prince charmant. Plus encore que les autres romancières de sa génération, D. M. Ayu supprime à dessein tout tabou dans l’expression de la sexualité (féminine ou homosexuelle). Actrice dans plusieurs films, l’auteure apprend la mise en scène et transforme ses œuvres littéraires en scénarios. Son premier film, Mereka Bilang Saya Monyet (2007), est réalisé à partir de ses nouvelles et de son roman Nayla. Elle fera ensuite un film pour protester contre la loi antipornographie. Son œuvre exprime sa révolte contre les hypocrisies, la famille, la religion, la corruption, le système patriarcal.

Jacqueline CAMUS

À travers les glaces, NAVEAU E. (dir.), Paris, Association Pasar Malam, 2011 ; They Say I’m a Monkey (Mereka Bilang Saya Monyet, 2002), Jakarta, Metafor, 2005 ; 1 Perempuan, 14 Laki-laki, Jakarta, Gramedia Pustaka Utama, 2011 ; T(w)itit ! , Jakarta, Gramedia Pustaka Utama, 2012.

AYUBI, Najiba [PROVINCE DE PARWAN, AFGHANISTAN 1968]

Journaliste afghane, militante des droits des femmes et ministre de la Condition féminine.

Diplômée de littérature du Parwan Pedagogy Institute, Najiba Ayubi s’oriente vers le journalisme. Après la prise de Kaboul par les talibans en 1996, elle fuit l’Afghanistan pour l’Iran où elle crée une école pour les enfants de réfugiés. Elle y reste jusqu’à la chute du régime taliban en 2001 puis revient dans son pays où elle devient membre des ONG Save the Children et Development and Humanitarian Services for Afghanistan. Militante du droit à l’information et de la liberté d’expression, elle participe à l’émergence des nouveaux médias afghans en créant des stations de radio dans les provinces, et prend la direction de l’organisation à but non lucratif TKG (The Killid Group), le plus gros média indépendant de radio, presse écrite et audiovisuelle en Afghanistan. Malgré les pressions, menaces et intimidations – individuelles ou gouvernementales – subies pendant des années en tant que femme et en tant que journaliste, N. Ayubi n’a jamais cédé à la peur et a toujours refusé la censure. En 2013, elle reçoit le Courage In Journalism Award décerné par l’International Women’s Media Foundation. Elle est également cofondatrice de l’IMC (Independent Media Consortium) et du Freedom of Expression Initiative, qui soutiennent tous deux le journalisme indépendant en Afghanistan. En 2015, N. Ajubi est nommée ministre de la Condition féminine dans le nouveau cabinet d’unité nationale afghan.

Marion PAOLI

AYUTTHAYA, Prakin Chumsai Na VOIR UCHANEE

AYVERDI, Sâmiha [ISTANBUL 1905 - ID. 1993]

Écrivaine turque.

Son premier roman, Aşk Budur (« voici l’amour »), paraît en 1938. Sâmiha Ayverdi travaille ensuite à des œuvres de réflexion et d’histoire tout en écrivant pour des revues. Ses premiers articles paraissent dans la revue Büyük Doğu (« grand Orient »), dirigé par le célèbre poète turc Necip Fazıl Kısakürek. Écrivaine polyvalente, elle a pratiquement abordé tous les genres : article, roman, nouvelle, essai, biographie, récit historique, lettre. Théologienne passionnée de soufisme, elle est la disciple de Kenan Rifai, un grand maître de la confrérie Rifailik, connue pour son humanisme. Dans ses œuvres, l’histoire, le soufisme et Istanbul occupent une place centrale. Ses romans expriment sa quête du temps perdu. Dans İbrahim Efendi Konağı (« la demeure de Ibrahim Efendi », 1964), la nostalgie des époques révolues est plus évidente. Ses œuvres complètes sont rassemblées en 36 volumes.

Bahriye ÇERI

AZALAÏS DE PORCAIRAGUES [PORTIRAGNES V. 1150]

Trobairitz (ou femme troubadour) française.

Bien que l’on n’ait conservé d’elle qu’une seule chanson, Azalaïs de Porcairagues occupe une place éminente dans le corpus des femmes troubadours. En effet, cette cansó se retrouve dans huit manuscrits, quoique dans un ordre variable des strophes, accompagnée de miniatures qui la représentent. Elle nous offre plusieurs informations intéressantes que viennent compléter celles de sa vida. Celle-ci la situe dans la région de Montpellier et stipule qu’elle était éprise de Gui Guerrejat dit le Batailleur, seigneur de Montpellier et frère de Guillaume VII ; il était aussi un cousin de Raimbaut d’Orange dont la mort serait mentionnée dans la dernière strophe de son poème qui évoque, par ailleurs, de façon assez précise certains monuments d’Orange. L’envoi final de la pièce laisse supposer que sa destinataire est Ermengarde, vicomtesse de Narbonne entre 1143 et 1197, et protectrice des troubadours. Sur le plan poétique, la cansó d’Azalaïs est remarquable pour sa strophe d’ouverture : le seul exemple de poème chez les trobairitz qui, à l’instar de leurs pairs masculins, commence par une invocation à la nature ; celle-ci inverse la reverdie printanière habituelle en décrivant un paysage hivernal qui correspond à la douleur d’un amour trahi. Elle l’est aussi par la mention de l’assag ou épreuve sexuelle que la dame imposerait à l’amant pour s’assurer de l’authenticité de ses sentiments.

Madeleine JEAY

BEC P., Chants d’amour des femmes-troubadours, Paris, Stock, 1995 ; BOGIN M., Les Femmes troubadours (1976), Paris, Denoël, 1978.

HUCHET J.-C., « Trobairitz : les femmes troubadours », in Voix de femmes au Moyen Âge, savoir, mystique, poésie, amour, sorcellerie, XIIe-XVe siècles, RÉGNIER-BOHLER D. (dir.), Paris, R. Laffont, « Bouquins », 2006.

AZÉMA, Sabine [PARIS 1949]

Actrice française.

Découverte en 1974 dans La Valse des toréadors, de Jean Anouilh, Sabine Azéma, ancienne élève du Conservatoire national d’art dramatique, fait ses débuts au cinéma avec Georges Lautner, qui exploite son minois pointu et sa nature espiègle. Remarquée dans La Dentellière (Claude Goretta, 1977), elle tourne avec Alain Resnais dans La vie est un roman (1983). Dès lors inséparable de l’œuvre du réalisateur, elle explore sous son regard les facettes d’un talent inépuisable et puissant : amoureuse tendre ou violente, femme-enfant ou héroïne tragique, grande ou petite bourgeoise, garce à l’occasion, elle illumine, au côté de Pierre Arditi, son partenaire privilégié, Smoking/No Smoking (1993), mais aussi On connaît la chanson (1997), Cœurs (2006), et bien d’autres titres encore. Parallèlement à ce parcours, Bertrand Tavernier lui offre, dès 1984, avec Un dimanche à la campagne, son premier César ; le second étant dû à Mélo, en 1986. D’Étienne Chatiliez (Tanguy, 2001) à Bruno Podalydès (Le Mystère de la chambre jaune, 2003) en passant par les frères Larrieu (Peindre ou faire l’amour, 2005), l’actrice ne cesse de surprendre son public.

Laurence LIBAN

AZERBAÏDJAN – VALEURS RELIGIEUSES ET PENSÉE LAÏQUE

En Azerbaïdjan, terre de culture islamique, les idées philosophiques s’énoncent le plus souvent sous la forme poétique. À l’époque moderne, les pensées et idéologies laïques l’emportent sur les valeurs religieuses et mystiques qui dominaient au Moyen Âge. Elles s’expriment surtout dans les œuvres des femmes philosophes. Si les roubaïs de Mahsati Gandjavi (1089-1159) sont de bons exemples de la philosophie de l’imagination, Achigue Périe (1813-1848) décrit dans ses œuvres tant les sentiments laïques que l’amour divin, cependant que, dans ses ghazals (poésie amoureuse), Khurchidbanu Natavan* tend plutôt vers la poésie laïque. Le début de la période soviétique (1920) a orienté différemment les recherches philosophiques. Les directions empruntées par les femmes ont concerné essentiellement l’histoire de la philosophie et l’esthétique, même si les sujets historiquement traités (religion, mysticisme, sens de la beauté, sentimentalité) ont perduré. Les femmes ont aussi étudié les principales tendances de l’histoire de la philosophie islamique médiévale, ainsi que la vie et les œuvres des grands savants. Zumrud Goulouzadé (1932) s’est intéressée aux œuvres de Gassimi Envar et d’Imadeddin Nassimi, ainsi qu’aux différentes périodes de l’histoire de la philosophie depuis l’Antiquité. Solmaz Rzagoulouzadé (1931) a consacré ses recherches à des penseurs célèbres tels que M. Gandjavi, Khagani Chirvani, Ikhwân al-Safâ’, Eynal-Guzat Miyanedji ou Chihabeddin Suhreverdi. Rabiyyete Aslanova (1951) a quant à elle analysé le rôle du principe de tolérance dans la religion, les problématiques islamiques et la culture en général. L’idéologie soviétique favorise les productions hostiles à la religion et les conceptions relevant du panthéisme et du matérialisme. Les femmes philosophes prennent pour thèmes de prédilection la beauté, l’humanisme et les sentiments élevés. C’est d’ailleurs à l’époque où le pouvoir soviétique est en place que la première femme professeur azerbaïdjanaise, Shukufé Mirzayeva (1925-1980), s’intéresse à l’histoire de la pensée esthétique aux XIXe et XXe siècles, considérés comme une époque de renaissance nationale dans l’histoire de l’Azerbaïdjan. Elmira Zamanova entreprend pour sa part de faire connaître les philosophes de l’Ouest, mais elle ne peut manquer de se heurter aux interdits de l’idéologie soviétique concernant les rapports entre le bloc de l’Est et le bloc de l’Ouest, qu’Aïda Imangoulouyeva (1939-1993) est l’une des premières à aborder au plan philosophique. Sous l’influence de l’Ouest, les femmes philosophes commencent à prospecter dans des domaines tels que la phénoménologie, la philosophie des sciences et le postmodernisme.

Les femmes azerbaïdjanaises ont appris à faire valoir dans leur pratique leur volonté d’indépendance et leur liberté de pensée. L’Azerbaïdjan est ainsi le premier pays musulman à donner le droit de vote aux femmes. Quand, en 1991, l’Azerbaïdjan recouvre son indépendance, les recherches se portent sur la différence sexuelle et la question du gender, ainsi que sur la liberté comparée des femmes à l’Ouest et à l’Est. Sont abordés le rôle des femmes dans la religion islamique, l’influence positive ou négative de la religion dans la vie des femmes, et les problèmes philosophiques et historiques spécifiques des femmes dans la culture morale de l’Azerbaïdjan.

Konul BUNYADZADE

AZMAH NORDIN [KULIM, ÉTAT DE KEDAH 1958]

Écrivaine malaisienne.

Écrivaine à plein-temps, Azmah Nordin produit depuis 1985 des nouvelles, des poèmes et des romans. Son œuvre a été plusieurs fois récompensée par des prix, dont le SEA Write Award (1989). Contrairement aux écrivaines qui la précèdent, qui pour la plupart s’inspirent de leur expérience, elle base ses œuvres sur de solides recherches. Elle fait ainsi évoluer ses personnages dans des milieux jamais ou rarement évoqués par les écrivaines malaisiennes (forage pétrolier, médecine, affaires, hôtellerie, anthropologie) et s’intéresse particulièrement aux ethnies de Sabah, État où elle s’est installée après son mariage. Dans Dukanya Abadi (« tristesse éternelle », 1988), roman dont l’intrigue se situe dans l’ethnie Murut de Sabah, l’auteure présente un personnage féminin traditionnel, dont la souffrance n’est pas causée par un mariage forcé, mais par un divorce forcé : après quatorze ans d’un mariage heureux, elle doit, sous la pression de sa mère très attachée à la coutume, se séparer de son mari car il n’est toujours pas parvenu à remettre la dot (buli) promise. À partir des années 1990, Azmah Nordin ne met généralement plus en scène des femmes malheureuses, pleurant sur leur sort sans pouvoir y échapper. Ses héroïnes font, au contraire, face aux difficultés avec fermeté et courage. Son roman Syumul (1999), qui a pour arrière-plan le monde des affaires, est un exemple de ces œuvres féminines où l’héroïne est une femme forte, ambitieuse, confrontée à de graves problèmes personnels qui n’entravent en rien sa carrière.

Monique ZAINI-LAJOUBERT

Halusinasi, Kuala Lumpur, Dewan Bahasa dan Pustaka, 1995 ; Dukanya Abadi, Kuala Lumpur, Dewan Bahasa dan Pustaka, 1988 ; Syumul, Kuala Lumpur, Dewan Bahasa dan Pustaka, 1999.

ROSNAH BAHARUDIN, Wacana Wanita Melayu dan Sastera, Bangi, Universiti Kebangsaan Malaysia, 2003.

AZMI, Shabana [DELHI 1950]

Actrice indienne.

Fille d’un poète progressiste et d’une actrice de théâtre, Shabana Azmi est l’une des rares grandes stars indiennes à avoir étudié la comédie au prestigieux Film and Television Institute of India (FTII) de Pune, créé en 1960. Fraîchement diplômée, elle tient le rôle principal d’Ankur, de Shyam Benegal (1974), où elle interprète une jeune domestique intouchable qui devient la maîtresse de son employeur brahmane, alors que le système social indien interdit toute relation personnelle entre castes. Le film lui ouvre les portes du nouveau cinéma ou « cinéma parallèle », héritier de la révolte anti-Bollywood de Satyajit Ray, dont elle devient, avec Smita Patil, l’une des actrices principales : loin des jeunes premières et du modèle irréaliste du cinéma populaire, elle crée des personnages de femmes fortes venues de milieux sociaux très divers, au destin parfois tragique, et tourne avec les plus grands cinéastes indiens, de Bombay à Calcutta – notamment, Goutam Ghose, Mrinal Sen, Saeed Akhtar Mirza. Chez S. Ray, elle est l’une des femmes négligées par leur époux dans Les Joueurs d’échecs (Shatranj Ke Khilari, 1977), et chez S. Benegal la patronne d’un bordel haut en couleur (Mandi, 1983) ; mais c’est avec les œuvres de la Bengali Aparna Sen* et de l’Indo-Canadienne Deepa Mehta* qu’elle trouve ses meilleurs rôles. Dans Sati (1989), elle interprète une orpheline muette qu’une atroce tradition villageoise voue à la sati (sacrifice des veuves sur le même bûcher que leur mari) ; dans Fire (1996), film controversé en Inde, au point que certains cinémas qui le passaient furent incendiés, elle se console d’un malheureux mariage arrangé dans les bras d’une autre femme. Le jeu extrêmement réaliste et intense de l’actrice lui vaut les louanges d’une critique unanime ; mais son combat pour la reconnaissance des femmes la mène également à l’activisme dans de nombreuses associations féministes et au Parlement indien, dont elle devient membre en 1997. Comédienne des plus respectées en Inde, elle fait aujourd’hui preuve d’une grande ouverture d’esprit en tournant dans des comédies légères, cherchant à briser de l’intérieur le format éculé de Bollywood (Honeymoon Travels Pvd. Ltd. et Loins of Punjab Presents, 2007).

Ophélie WIEL

AZURDUY DE PADILLA, Juana [CHUQUISACA, AUJ. SUCRE, BOLIVIE 1780 ou 1781 - ID. 1862]

Révolutionnaire et chef de guérilla bolivienne.

Farouche combattante, Juana Azurduy de Padilla a joué un rôle important dans la libération de la domination espagnole de la région du Haut-Pérou, aujourd’hui la Bolivie. Née de mère indienne et de père espagnol, orpheline très jeune, elle est placée au monastère à cause de sa nature rebelle et aventurière. Mais elle en revient plus exaltée qu’avant et apprend le quechua et l’aymara pour entrer en contact avec les Indiens. En 1805, elle se marie avec Manuel Padilla, qui partage son intérêt pour les Indiens et dont elle écoute avec fascination les récits et les appels à la révolution. En 1809, une agitation populaire à Chuquisaca conduit à la destitution du vice-roi du Río de La Plata et marque le début de la véritable histoire des deux époux guérilleros. Les royalistes, ayant repris le contrôle de la région, confisquent les propriétés des Padilla, terres et bétail. Manuel et Juana réussissent à se sauver et se réfugient avec leurs enfants sur les hauteurs de Tarabuco. Là, ils recrutent plus de 10 000 miliciens pour continuer la lutte armée. Juana dirige en personne le bataillon de l’armée patriote face aux royalistes espagnols, à la fameuse bataille d’Ayohuma. Puis en mars 1814, face à la riposte royaliste, les troupes révolutionnaires doivent se diviser et la famille Padilla est séparée. Les quatre enfants tombent malades et meurent. Peu après, de nouveau enceinte, J. Azurduy de Padilla n’hésite pas pour autant à retourner combattre dans la montagne de Carretas. Elle poursuivra ainsi la lutte sans relâche, aux côtés de son mari, jusqu’en 1816, date à laquelle celui-ci est blessé à mort. Elle profite ainsi seule du rêve accompli en retournant sur sa terre natale, dans la toute nouvelle Bolivie, qui ne deviendra indépendante qu’en 1825. En 1826, elle reçoit du libérateur Simón Bolívar le titre de colonel, fait rarissime pour une femme en Amérique latine. Cependant, elle devra réclamer pendant plusieurs années au gouvernement ses biens confisqués et verra la pension accordée par S. Bolívar supprimée en 1857 par le gouvernement de José María Linares. Ses dernières années furent ainsi misérables. Aujourd’hui, un mausolée se dresse en son hommage à Sucre et l’aéroport de la capitale bolivienne porte son nom.

Elisabeth LESIMPLE

O’DONNELL P., Juana Azurduy, la teniente coronela, Buenos Aires, Planeta, 1994 ; PIGNA F., « La tierra en armas. Los infernales de Martín Miguel De Güemes : Flor del Alto Perú », in Los mitos de la historia Argentina 1, Buenos Aires, Norma, 2004 ; SALMONSON J. A., The Encyclopedia of Amazons : Women Warriors from Antiquity to the Modern Era, New York, Paragon House, 1991.