RENAULT, Mary (née Eileen Mary CHALLANS) [FOREST GATE, ROYAUME-UNI 1905 - LE CAP, AFRIQUE DU SUD 1983]
Romancière britannique.
Après avoir étudié à Londres, Bristol et Oxford, Mary Renault commence une formation d’infirmière et y rencontre Julie Mullard, compagne de toute une vie. En 1940, elle s’occupe de soldats évacués de Dunkerque vers l’hôpital de Bristol. En 1939, son premier roman Purposes of Love (« les desseins de l’amour »), histoire d’amour dans un hôpital et, en 1943, The Friendly Young Ladies, qui décrit les relations entre une écrivaine et une infirmière, sont des œuvres de toute évidence autobiographiques. Trois romans suivent. En 1948, elles émigrent en Afrique du Sud et fondent à Durban une communauté d’expatriées homosexuelles fuyant l’atmosphère répressive de l’Angleterre. Elles participent aux premiers mouvements contre l’Apartheid. Ses romans, historiques, traitent alors ouvertement de l’homosexualité, surtout masculine, leurs intrigues se situant dans une Grèce antique où les idéaux platoniciens trouvent leur pleine réalisation, recréations admirables narrées à la première personne qui permettent de réfléchir de façon critique à notre époque (Le Masque d’Apollon, 1966).
Michel REMY
■ Recours à la nuit (Return to Night, 1947), Paris, Albin Michel, 1948 ; Le Lion aux portes de la ville (The Lion in the Gateway, 1964), Paris, Gallimard, 1968 ; Le Masque d’Apollon (The Mask of Apollo, 1966), Paris, J.-C. Godefroy, 1985 ; Le Feu du ciel (Fire from Heaven, 1969), Paris, Librairie générale française, Le Livre de poche, 2004.
■ ZILLOORG C., The Masks of Mary Renault : a Literary Biography, Columbia, University of Missouri Press, 2001.
RENDELL, Ruth Barbara (ou Barbara VINE, née GRASEMAN) [LONDRES 1930 - ID. 2015]
Auteure de romans policiers britannique.
Ruth Graseman est née à Londres de parents enseignants (père issu d’un milieu pauvre et mère suédoise). Élevée dans l’Essex, elle y fait des débuts maladroits comme journaliste. Elle épouse en 1950 le journaliste Donald Rendell, dont elle aura un fils. En 1964, elle publie son premier roman policier mettant en scène l’inspecteur Wexford, héros de nombreux autres romans. R. Rendell est une auteure prolifique, avec près de 80 livres parus en 2013, et dont beaucoup ont été primés. Elle est aussi l’auteure de thrillers psychologiques (on peut citer Pince-mi et pince-moi, 2001) et, sous le pseudonyme de Barbara Vine, de romans dont l’intrigue met également en jeu la complexité des relations humaines tout en se faisant l’écho des changements de la société contemporaine – le premier, Vera va mourir (1986), sur la Grande-Bretagne d’après-guerre, en est peut-être l’un des meilleurs exemples. Live Flesh a été adapté en 1997 par Pedro Almodovar sous le titre de Carne trémula (En chair et en os). R. Rendell a été nommée Pair à la Chambre des lords par le Parti travailliste après sa victoire aux élections de 1997, et elle s’est depuis fortement impliquée en politique pour défendre une société plus égalitaire.
Geneviève CHEVALLIER
■ Vera va mourir (A Dark-Adapted Eye, 1986), Paris, Calmann-Lévy, 1994 ; Espèces protégées (Road Rage : A Chief Inspector Wexford Mystery, 1997), Paris, LGF, 2000 ; Pince-mi et pince-moi (Adam and Eve and Pinch Me, 2001), Paris, LGF, 2004.
RENÉ, Denise (Denise BLEIBTREU, dite) [PARIS 1913 - ID. 2012]
Galeriste française.
Le père de Denise Bleibtreu est un industriel lyonnais amateur d’art, Georges Bleibtreu, qui, dans l’entre-deux-guerres, invite dans la maison familiale d’Asnières plusieurs des artistes dont il possède des toiles, comme Auguste Herbin. En 1938, il installe ses deux filles, Denise et Renée, à la tête d’un atelier de mode situé à Paris, rue La Boétie. Ne sachant ni coudre ni dessiner, la jeune fille fait office de vendeuse durant quelques mois, avant que le conflit mondial ne bouleverse le cours de son existence. Avec son amant, l’artiste hongrois Victor Vasarely rencontré pendant la guerre, elle transforme à la Libération l’atelier en galerie d’art et présente ses premières expositions en 1944-1945, dans un Paris libéré qui redécouvre l’art vivant. Pour elle, diriger une galerie signifie à la fois animer un lieu, convaincre un public et soutenir les artistes, tant sur le plan moral que financier. Elle se spécialise progressivement dans la défense de l’art géométrique et organise régulièrement des expositions individuelles et collectives des œuvres abstraites de V. Vasarely, de Jean Dewasne, de Jean Deyrolle, de Robert Jacobsen et de Richard Mortensen, lequel partage sa vie durant quelque temps. Elle s’engage résolument en faveur de l’art lumino-cinétique. En 1955, l’exposition Le Mouvement réunit des œuvres mobiles, motorisées ou transformables d’artistes de renom, comme Marcel Duchamp, Alexandre Calder et V. Vasarely, et de jeunes inconnus tels que Pol Bury, Agam, Soto et Tinguely. Les catalogues des expositions et les conférences qui les accompagnent sont empreints de militantisme. L’intérêt de la galeriste pour les projets du GRAV (Groupe de recherches en art visuel), qui rencontrent sa propre volonté d’élargir le public de l’art contemporain, la pousse à inaugurer en 1966 la galerie Denise René Rive Gauche, où sont vendus les multiples qu’elle fait éditer depuis 1965. Ce n’est cependant pas à Paris qu’elle rencontre le succès. Dans les années 1950, l’abstraction lyrique et l’art informel dominent la scène artistique, et l’abstraction géométrique y est peu appréciée. Lorsqu’elle présente la première exposition de Piet Mondrian en France en 1957, afin d’établir des filiations directes entre ce pionnier et les artistes de la galerie, comme Hans (ou Jean) Arp, Sophie Taeuber-Arp* et Sonia Delaunay*, elle est considérée comme une marginale. En revanche, elle mène une activité intense à l’étranger. Klar Form, en 1951, est la première d’une série d’expositions itinérantes qui font connaître et apprécier ces artistes en Scandinavie, en Belgique, en Amérique du Nord et du Sud. La galeriste ouvre alors des succursales en Allemagne – en association avec le jeune galeriste Hans Meyer à Krefeld en 1967-1968, puis à Düsseldorf – et aux États-Unis, dont New York en 1971. Mais son dynamisme international des années 1960 est mis à mal par la crise économique de la décennie suivante, et la galerie est mise en règlement judiciaire en 1977. Elle continue ses activités dans de nouveaux locaux, rue Charlot, de 1987 à sa mort en 2012. Le Centre Pompidou a rendu hommage en 2001 à son engagement et à sa carrière.
Julie VERLAINE
■ Avec MILLET C., Conversations avec Denise René, Paris, Adam Biro, 1991 ; Denise René, l’intrépide, une galerie dans l’aventure de l’art abstrait (catalogue d’exposition), Paris, Centre Pompidou, 2001.
RENÉE (Renée TAYLOR, dite) [NAPIER 1929]
Dramaturge et écrivaine néo-zélandaise.
D’origine maori et anglo-écossaise, Renée commence à écrire des pièces de théâtre à l’âge de 50 ans, après avoir travaillé, depuis l’âge de 12 ans, dans des fabriques de laine et des imprimeries. Ses premières œuvres, Setting the Table (« mettre la table », 1981) et Secrets (1982), traitent des abus sexuels au sein des familles. D’autres pièces suivent : Breaking Out (« libération », 1982), Dancing (1983), The MCP Show (1983), Groundwork (« travail préparatoire », 1985), dont l’action se déroule pendant la tournée des Springbok en 1981, Born to Clean (« née pour faire le ménage », 1987), Touch of the Sun (« mise en lumière », 1990), Missionary Position (1990), Form (« l’histoire se révolte », 1993). Son œuvre la plus célèbre est une trilogie de pièces historiques suivant quatre générations de femmes de la classe ouvrière qui font face à leur destin, en l’absence d’hommes ou malgré l’entrave qu’ils représentent. Wednesday to Come (« mercredi prochain », 1985) se situe au moment de la marche des ouvriers, pendant la Grande Dépression. Pass It on (« fais-le savoir », 1986) s’inspire de la crise ouvrière du port d’Auckland en 1951. Jeannie Once (« Jeannie autrefois », 1991) montre la dure réalité des immigrés dans un contexte de division des classes sociales et d’hostilité religieuse. Renée se présente comme une « féministe lesbienne aux idéaux socialistes de classe ouvrière ». Son écriture témoigne d’une motivation ouvertement politique, destinée à « présenter une vue féminine du monde ». Elle s’implique dans le théâtre communautaire en devenant metteuse en scène dans le Community Arts Service, ainsi que dans le collectif féministe Broadsheet Collective, dans le Pen Club et des émissions radiophoniques. L’expérience qu’elle acquiert dans l’écriture des spectacles de music-hall lui permet d’éviter un réalisme monochrome (What Did You Do in the War, Mummy ? , « qu’as-tu fait pendant la guerre, maman ? », 1982 ; Asking for It, « chercher des noises », 1983). Assumant un point de vue féminin et une dualité entre oppresseur et victime, ses pièces ne se laissent néanmoins pas réduire à une thèse simple et déclinent de nombreuses nuances.
Llewellyn BROWN
RENIÉ, Henriette [PARIS 1875 - ID. 1956]
Harpiste et compositrice française.
Henriette Renié est restée dans les mémoires comme une harpiste pionnière. C’est au cours d’un concert où se produisait son père, Jean-Émile Renié, un artiste peintre devenu chanteur professionnel, en compagnie du harpiste Alphonse Hasselmans, que la fillette, âgée de 5 ans, est prise de passion pour la harpe. Lauréate en 1887, à l’âge de 11 ans, d’un prix de harpe au Conservatoire de Paris, elle entame aussitôt une carrière prestigieuse de soliste et devient vite une pédagogue très appréciée. Mais elle manifeste aussi des ambitions dans le domaine de l’écriture musicale. Élève de composition de Théodore Dubois au Conservatoire de Paris, elle obtient en 1895 un second prix d’écriture musicale. Avec son Concerto en ut mineur pour harpe et orchestre qu’elle interprète elle-même en 1901, aux Concerts Lamoureux sous la direction de Camille Chevillard, elle fait sensation. En quatre mouvements, l’œuvre, profondément ancrée dans le post-romantisme français, contribuera à rétablir la harpe comme instrument concertant et permettra à H. Renié de rejoindre Clémence de Grandval* (Concerto pour hautbois, 1878) et Cécile Chaminade* (Concertino pour flûte, 1902) dans le club très fermé des compositrices françaises ayant produit avant 1914 une œuvre symphonique concertante qui s’est maintenue au répertoire des concerts. Elle eut notamment l’honneur d’être interprétée en 1914 par le prestigieux orchestre de la Société des concerts du Conservatoire, sous la direction d’André Messager, avec son auteur en soliste. H. Renié écrit ensuite Deux pièces symphoniques pour harpe et orchestre, une Élégie et une Danse caprice, qu’elle crée elle-même, toujours sous la direction de C. Chevillard, respectivement en 1906 et 1910. Elle s’exprime aussi dans le domaine de la musique de chambre, avec quelques pièces pour violon et harpe, mais surtout un Trio pour violon, violoncelle et harpe ou piano (1901-1902) et une Sonate pour violoncelle et piano, pièces qui réunissent tous les ingrédients de la musique de chambre française de qualité de la fin du XIXe siècle. Pour cette contribution au répertoire, elle reçoit en 1916 le prix Chartier décerné par l’Académie des beaux-arts. Dans ses pièces pour harpe, elle a tenté de repousser les limites techniques de l’instrument, au point que peu de harpistes ont osé les jouer en concert après elle. Citons notamment Contemplation (1902), Légende, d’après Les Elfes de Leconte de Lisle (1904), Ballade fantastique, d’après Le Cœur révélateur d’Edgar Poe (1912), Danse des lutins (1912) et Pièce symphonique en trois épisodes (1913). Comme Nadia Boulanger*, H. Renié s’est finalement consacrée exclusivement à la pédagogie et a abandonné la composition musicale à partir des années 1920. Elle vivait son rôle d’artiste comme une véritable mission et s’est totalement dévouée à son art, ayant dès l’adolescence renoncé au mariage pour ne pas avoir à renoncer à sa carrière. Elle s’est également engagée pour la cause des femmes, comme membre du comité d’honneur de l’Union des femmes artistes musiciennes.
Florence LAUNAY
RENIER MICHIEL, Giustina [VENISE 1755 - ID. 1832]
Lettrée et historienne italienne.
Arrière-petite-fille du dernier doge du côté de sa mère et sa petite-fille du côté de son père, Giustina Renier Michiel appartient au milieu aristocratique de la Sérénissime. En 1795, elle se marie avec Marco Antonio Michiel, fils de l’ambassadeur de Venise à Rome. Elle acquiert une vaste culture littéraire, s’intéresse aux sciences naturelles et fréquente nombre d’intellectuels prestigieux tels Melchiorre Cesarotti, Ippolito Pindemonte, Ugo Foscolo et le sculpteur Antonio Canova. Sa connaissance de l’anglais lui permet de traduire Shakespeare en italien. Après le traité de Campoformio (1797), elle écrit sur l’histoire et la culture vénitienne. Elle rédige notamment une réponse à la lettre de Chateaubriand sur Venise (Risposta alla lettera del signor di Chateaubriand sopra Venezia, 1807) et prend part aux discussions sur le destin politique de la Sérénissime. Ses travaux historiques portent particulièrement sur les fêtes vénitiennes : son ouvrage en six volumes, Origine delle feste veneziane, publié en 1829 et réédité à trois reprises, reste son œuvre majeure. Ses travaux sur Venise – d’ailleurs censurés par le royaume lombardo-vénitien – sont animés d’un vrai sens de la recherche historique.
Ilaria PORCIANI
■ BANDINI BUTI M. (dir.), Poetesse e scrittrici, EBBI, Rome, Istituto editoriale italiano B. C. Tosi, 2e éd., 1947 ; BERTI G., Censura e circolazione delle idee nel Veneto della Restaurazione, Venise, Deputaizone, 1989 ; TEOTOCHI ALBRIZZI I., « Ritratto di Giustina Renier Michiel », in Strenna pel capo d’anno ovvero pei giorni onomastici, Milan, Vallardi, 1833.
RENO, Janet [MIAMI 1938]
Avocate et femme politique américaine.
Janet Reno obtient son doctorat en droit à l’université Harvard et commence à travailler pour le ministère de la Justice dans son État natal, la Floride, en 1971. Démocrate, elle devient ministre de la Justice de son État en 1978, puis de nouveau à quatre reprises avant de devenir la première femme nommée au poste de ministre de la Justice des États-Unis par le président Bill Clinton en 1993. Ses décisions sont parfois très controversées. Souffrant de la maladie de Parkinson dès 1995, elle se porte néanmoins candidate sans succès au poste de gouverneur de la Floride en 2002. Depuis, elle se consacre à la réforme du système judiciaire pour les enfants.
Béatrice TURPIN
RENOUF, Edda [MEXICO 1943]
Peintre et dessinatrice américaine.
Edda Renouf étudie d’abord en Allemagne et en France avant d’être diplômée de l’université Columbia (New York). Depuis 1972, elle vit et travaille à New York et Paris. Sa démarche s’inscrit dans le postminimalisme et, plus précisément, dans la mouvance d’Agnes Martin*. Conçues comme des compositions méditatives, ses œuvres, principalement des peintures et des dessins, interrogent et révèlent la véritable dimension matérielle du tableau : la toile, le châssis, le lin ou la peinture deviennent le support de la réflexion esthétique de l’artiste. Différents procédés formels sont alors mis en place : effacer des fils de la toile ou bien l’inciser de lignes droites et radicales avant que la surface soit peinte, et parfois sablée : ainsi en est-il de la série Untitled from Clusters (1976), où des formes géométriques et floues mettent en exergue la matière picturale inhérente au tableau. À leur tour, la peinture acrylique, les pastels à l’huile et autres craies de couleur rendent visibles la lumière et la force du tableau, comme dans Desert Sound, III (1987). « En rupture avec l’approche traditionnelle du lin et du papier, habituellement utilisés comme le support sur lequel peindre une image, le processus de mon travail dévoile la vie et extrait l’énergie des matériaux », explique E. Renouf. Au-delà de ce dispositif formel, des thèmes récurrents, liés à l’univers, à la nature, au temps, à la musique et au son inspirent ses recherches. Les quatre éléments classiques – l’air, la terre, le feu, l’eau – motivent cette quête de l’harmonie entre sa méthode formelle et ses matériaux. « Les matériaux me parlent et les choses inattendues surviennent », confie-t-elle.
Maïa KANTOR
■ Etchings and Aquatints 1974-1994 (catalogue d’exposition), Dagbert A. (textes), Toulouse/New York, Sollertis/Parasol Press, 1994 ; Peintures et dessins, 1973-2010 (catalogue d’exposition), Paris, Galerie 1900-2000, 2010.
RENSON, Geneviève [FRANCE 1949]
Voyageuse, naturaliste et photographe française.
Le 1er janvier 1969, à l’âge de 20 ans, Geneviève Renson part pour l’Afrique de l’Ouest avec un ornithologue, et s’installe pendant trois ans en Côte-d’Ivoire, où elle s’initie à la photographie. Son premier grand reportage naturaliste est réalisé dans le parc national du Manova-Gounda St Floris, en République centrafricaine. Le 3 mai 1978, elle aperçoit son premier « bec-en-sabot », un échassier rare et mal connu. Elle va consacrer de longues années à poursuivre l’oiseau : cinq expéditions, vingt-huit mois de recherches dans les marécages à papyrus, en Zambie, et dans le delta de l’Okavango, au Botswana. Seule au milieu des marais, dans des campements de fortune, elle photographie et observe « le roi des marais » pendant 1 300 heures, parfois jusqu’à six heures d’affilée, immobile et à demi-immergée. L’ampleur de ses résultats a été saluée par les milieux scientifiques.
Christel MOUCHARD
■ Sur les traces du roi des marais, Paris, Kubik, 2008.
RENZ, Theresa [1859-1938]
Écuyère et dresseuse allemande.
Fille du directeur de cirque Wilhelm Starck et de Lina Wolschlaeger, Theresa débute comme écuyère de panneau au cirque Herzog. Elle est la seconde femme de Robert Renz, un voltigeur exceptionnel. Veuve jeune, elle se met à la haute école et au dressage, soulevant l’admiration des hommes par le sang-froid et le talent dont elle fait preuve pour soumettre un cheval très rétif nommé Malachit. En marge des exercices du répertoire classique, elle conçoit et crée des prestations, comme une danse à la Loïe Fuller*, faisant piaffer – danser – son lipizzan sans tenir les rênes, les bras pris dans le léger appareil qui fait voler les voiles de mousseline blanche papillonnant autour d’elle. Elle crée La Dame blanche, un ensemble de tableaux qui s’illuminent successivement sous le chapiteau plongé dans l’obscurité, où l’écuyère apparaît en amazone immaculée, figée, ainsi que son cheval blanc, dans diverses poses ou cabrades. Ruinée par l’inflation d’après-guerre, elle se produit sur les pistes jusqu’à l’âge de 77 ans. Lorsqu’elle vient pour la dernière fois à Medrano, en 1932, T. Renz avait figuré au moins vingt fois au programme des cirques parisiens.
Marika MAYMARD
■ THÉTARD H., La Merveilleuse Histoire du cirque, Paris, Julliard, 1978.
REPRÉSENTATION POLITIQUE [Amérique du Nord XXe-XXIe siècle]
Dans les assemblées d’Amérique du Nord, l’Assemblée nationale du Québec, la Chambre des communes du Canada et le Congrès américain, les femmes sont nettement sous-représentées eu égard à leur poids démographique. Ainsi, en février 2013, elles occupaient 24,7 % des sièges à la Chambre des communes du Canada, 32,8 % à l’Assemblée nationale du Québec et 18,2 % au Congrès des États-Unis. Les Canadiennes ont obtenu en 1920 le droit de se porter candidates lors d’élections générales pour la Chambre basse du Parlement canadien (les membres du Sénat, la Chambre haute du Parlement, sont nommés par le gouverneur général sur recommandation du Premier ministre). Une première femme devient députée fédérale en 1921. Moins de 1 % des personnes élues à la Chambre des communes aux scrutins généraux de 1921 à 1968 sont des femmes. Au cours des quatre élections générales suivantes, celles de 1972 à 1980, le taux de féminisation de la Chambre des communes du Canada passe de 2 % à 5 %. Les élections de 1984 marquent un premier bond en avant dans la présence des femmes à la Chambre basse du Parlement fédéral, en passant à 9,6 %. Les trois élections générales suivantes se traduisent par des proportions toujours plus généreuses de députées au Parlement d’Ottawa jusqu’à 20,6 % en 1997. Depuis, cette proportion stagne autour d’une moyenne de 21 à 22 %. En revanche, cette présence au niveau fédéral n’a jamais régressé de façon importante, contrairement à l’Assemblée nationale du Québec. Les femmes ont gagné en 1940 le droit de poser leur candidature aux élections provinciales québécoises, mais ce n’est qu’en 1961 qu’une femme a pu se faire élire députée. Cette situation perdure jusqu’en 1976, quand cinq femmes parviennent à se faire élire à l’Assemblée nationale. Toutes les élections générales successives se sont traduites par un nombre plus grand de femmes élues, sauf celles de 1994 et 2007. Les élections de 2007 notamment ont marqué un net recul du taux de féminisation de l’Assemblée nationale, passé de 30,4 % à 25,6 % (ou de 38 à 32 députées sur un total de 125).
Le Congrès américain se compose de la Chambre des représentants et du Sénat. Si, en théorie, les Américaines avaient depuis 1789 le droit de se faire élire au Congrès, c’est le 65e Congrès (1917-1919) qui accueille la première femme élue à la Chambre des représentants. Il faut attendre le 81e Congrès (1949-1951) avant que ne soit franchi de manière irréversible le nombre de dix représentantes et sénatrices. Entre les 81e Congrès et le 96e (1979-1981), le nombre de femmes au Congrès oscille entre 10 et 20, affichant une trajectoire en dents de scie. Toutefois, à partir du 96e Congrès se produit un mouvement à la hausse, régulier quoique modeste, qui ne fait une pause qu’au 100e Congrès (1987-1989) – le même nombre de femmes qu’au Congrès précédent y siège. Le 110e Congrès (2007-2009) enregistre l’entrée de 87 femmes et le 113e Congrès (2013-) compte 97 femmes (soit un taux de féminisation de 18,1 %). En somme, la représentation politique des femmes évolue à petits pas, le mouvement marque parfois des pauses, voire des reculs, puis repart ; on ne peut qu’espérer qu’avec le temps les Parlements seront composés à parité de femmes et d’hommes.
Manon TREMBLAY
■ TREMBLAY M., 100 questions sur les femmes et la politique, Montréal, Éditions du remue-ménage, 2008.
REPRÉSENTATION POLITIQUE [Chine XXe-XXIe siècle]
Peu de temps après son accession au pouvoir, Mao Zedong déclare que « les femmes sont la moitié du ciel ». Plusieurs décennies plus tard, la place des femmes dans les instances politiques du régime demeure pourtant modeste. On n’en compte aucune au Comité permanent du bureau politique, une seule au bureau politique du Comité central du Parti communiste chinois (PCC), une seule conseillère d’État, une femme seulement au gouvernement (sur 28 ministères). Le parti communiste a certes reconnu la force économique des femmes et leur a attribué le droit de détenir des terres et de divorcer, mais peu d’entre elles ont accédé à l’élite politique. La plus connue, Wu* Yi, la « Dame de fer chinoise », a été vice-premier ministre du Conseil des affaires de l’État jusqu’à la fin de 2008. Le gouvernement tente d’améliorer la situation avec un « programme pour le développement des femmes de Chine (2001-2010) ». Ce programme décennal stipule que le nombre de femmes occupant un poste de haut niveau doit augmenter. Des mesures réservant un certain nombre de postes aux femmes et modifiant les limites d’âge pour la promotion de femmes cadres ont ainsi été prises. Malgré ces lois encourageant la participation des femmes à la vie politique, malgré leur influence croissante, les résultats officiels restent en demi-teinte. En mars 2006, l’Institut de recherche sur les affaires des femmes (affilié à la Fédération nationale des femmes de Chine) a publié un « Livre vert sur les femmes », lequel met en évidence que les obstacles auxquels elles se heurtent reflètent la persistance d’inégalités ancrées dans la tradition, surtout dans les campagnes. En zones rurales, les femmes reçoivent moins d’instruction que les hommes et beaucoup moins que les femmes des zones urbaines, ce qui accentue la pénurie de cadres féminins. Cette étude sur l’égalité des sexes note également que la proportion des députées à l’Assemblée nationale populaire ne s’est pas améliorée depuis longtemps et que celle des femmes cadres, surtout au niveau supérieur du gouvernement, est toujours relativement faible, la plupart d’entre elles n’occupant qu’un poste d’adjointe. Les femmes représentent aujourd’hui 20 % des délégués de l’Assemblée nationale populaire, la chambre d’enregistrement du PCC (contre 12 % en 1954 lors de la première session), et moins de 8 % du Comité central. Cependant la situation évolue. Avec le développement continu du pays depuis vingt ans, une grande partie de la population féminine a accédé à l’indépendance économique et les dizaines de millions de femmes gagnant les villes pour chercher du travail s’émancipent du carcan de pensée traditionnel. Elles s’intéressent de plus en plus aux affaires politiques. Les femmes sont présentes dans l’élite économique du pays. La plus grosse fortune de Chine est ainsi détenue par une jeune femme de 29 ans, dans le secteur de l’immobilier. On estime par ailleurs qu’il y a 20 millions de « femmes patrons » en Chine, ce chiffre comprenant celles qui sont propriétaires de leur commerce ou de leur affaire. Un chiffre à mettre en rapport avec les 7 millions de femmes membres du PCC (14 % du total).
Anne LOUSSOUARN
■ BROYELLE C., La Moitié du ciel. Le Mouvement de libération des femmes aujourd’hui en Chine, Paris, Denoël/Gonthier, 1975 ; CURTIN K., Les Femmes dans la révolution chinoise, Paris, Éd. de la brèche, 1978 ; KRISTEVA J., Des Chinoises, Paris, Des femmes-Antoinette Fouque, 1974.
REQUENA, María Asunción [BUENOS AIRES 1916 - LILLE 1986]
Dramaturge chilienne.
Ayant passé son enfance à Punta Arenas (Chili), María Asunción Requena s’exile en 1973, en Espagne puis en France pour des raisons politiques. Dentiste de formation, elle se consacre au théâtre aux côtés des dramaturges des années 1950, Egon Wolff et Isidora Aguirre*, qui privilégient la fonction sociale du théâtre. Au cœur de sa dramaturgie, le sujet social s’attache à représenter les secteurs marginalisés de la société : les pauvres des bidonvilles dans Pan caliente (« pain chaud », 1958, prix Teatro experimental), les cultures aborigènes dans Ayayema (1964). Ses pièces s’inscrivent dans le courant de récupération historique et folklorique valorisant les mythes et réhabilitant le passé. Le témoignage et la dimension épique constituent les ingrédients essentiels de sa lecture réflexive de l’histoire : la colonisation des terres australes, dans Fuerte Bulnes (« fort Bulnes », 1953-1955, prix Teatro experimental) ; le rôle des femmes dans l’histoire nationale dans El camino más largo (« le chemin le plus long », 1958) ; une critique des problèmes sociaux du Chili des années 1970. Sa pièce la plus célèbre, Chiloé, cielos cubiertos (« Chiloé, cieux couverts », 1971), condense les aspects constitutifs de son théâtre en abordant la condition magique et sociale de la vie des Chilotes, habitants de l’archipel de Chiloé, dominée par les croyances et les légendes. Avec le même langage polyphonique, M. A. Requena interroge les codes dominants dans l’Homo chilensis (1972), à travers les mythes nationaux et les représentations de la masculinité. Portraits types, caricatures et ironie déchiffrent les masques sociaux, dénonçant les coutumes nationales et les comportements masculins.
Stéphanie URDICIAN
■ Teatro, Santiago de Chile, Nascimiento, 1979.
RESINO DE RON, Carmen [MADRID 1941]
Écrivaine et auteure dramatique espagnole.
Diplômée d’histoire et d’arts scéniques et professeure d’histoire, Carmen Resino de Ron entame sa carrière dans les années 1960 alors que la scène espagnole est largement dominée par les auteurs masculins. Elle est désormais considérée comme l’une des grandes figures du théâtre espagnol contemporain et comme l’une des représentantes du théâtre historique de femmes. Elle a écrit, depuis 1968, une quarantaine de pièces, nourries de traditions diverses (expressionnisme, théâtre de l’absurde, esperpento, théâtre de la cruauté, symbolisme, réalisme) et dans des genres variés (drame historique, comédie, saynète, conte fantastique), dans une vision originale de l’écriture dramatique, multiforme et mouvante. Grande défenseuse du texte dramatique et de son auteur (membre fondateur de la Asociación de dramaturgas españolas), elle préconise une esthétique minimaliste centrée sur la parole et le personnage, mettant en avant les contradictions inhérentes à la condition humaine. Aussi retrouve-t-on dans ses textes, ancrés dans le passé, réel ou imaginaire (El présidente ; Los eróticos sueños de Isabel Tudor, « les rêves érotiques d’Isabel Tudor » ; Bajo Sospecha ; Nueva historia de la princesa y el dragón), l’actualité (Pop y patatas fritas ; Las niñas de San Ildefonso, « les filles de San Ildefonso ») ou le temps de l’universel (Ulises no vuelve), les thèmes éternels : indifférence, difficulté à communiquer, solitude, conflit entre l’être et le paraître, dérives du pouvoir, dangers de la société aliénante, dans une esthétique qui maintient un fragile équilibre entre les contraires. Mais si ce théâtre relève d’une vision certainement fataliste de l’humain, l’humour et la tendresse de son écriture invitent le spectateur à s’armer contre la terrible réalité.
Monique MARTÍNEZ
RÉSOLUTION 1325 – « FEMMES, PAIX ET SÉCURITÉ » – ONU [2000]
La résolution 1325 du Conseil de sécurité de l’Onu, intitulée « Femmes, paix et sécurité », est le fruit d’une importante mobilisation de femmes du monde entier et d’organisations non gouvernementales. Elle vise à faire inscrire à l’ordre du jour de l’Onu les perspectives des femmes quant à la guerre et à la paix. Adoptée à l’unanimité par les membres du Conseil de sécurité, elle porte sur la protection des femmes contre les violences en période de conflit armé, le respect de leurs droits fondamentaux et leur participation à la gestion des situations de conflit et à la reconstruction. Elle marque la double prise de conscience de la communauté internationale : les femmes sont particulièrement victimes de violences massives en période de conflit armé et elles ont un rôle majeur à jouer en ce qui concerne le retour à la paix et la reconstruction au moment de la sortie de crise. Cette résolution permet de mesurer la progression de la place et de la visibilité des femmes au sein du système onusien. De victimes à protéger qu’elles étaient dans la résolution de 1966 portant sur la protection des femmes et des enfants lors de conflits armés, elles sont devenues des participantes actives aux processus de paix dans la résolution de 1975 portant sur la participation des femmes au renforcement de la paix et de la sécurité internationale. Au-delà, le rapport de la Deuxième conférence internationale sur les femmes, à Copenhague, en 1980, et plus encore celui de la Quatrième conférence sur les femmes, à Pékin, en 1995, mettent en évidence le lien qui existe entre la poursuite d’une paix durable et la participation des femmes aux processus et aux négociations de paix. C’est grâce au combat et au travail des associations de femmes auprès des Nations unies que les faits de violences sexuelles, jusque-là passés sous silence, ont pu commencer à être rendus publics, ce qui a suscité un nouvel engagement des États membres. L’opinion a découvert avec horreur le sort réservé aux femmes dans les conflits de Bosnie et du Rwanda. En 1998, les statuts de Rome de la Cour pénale internationale définissent le viol comme un crime contre l’humanité et un crime de guerre. En mai 2000, les Nations unies publient la déclaration de Windhoek (Namibie), qui souligne l’absence des femmes dans les opérations de maintien de la paix et propose l’intégration d’une perspective sexospécifique dans la planification, le mandat, le recrutement et la mise en œuvre des missions de paix. Les efforts à faire dans ce domaine restent considérables, dans un contexte où la volonté politique semble faire défaut.
Nadine PUECHGUIRBAL
RESTA, Caterina [MESSINE 1953]
Philosophe italienne.
Professeure à l’université de Messine, Caterina Resta travaille essentiellement sur la philosophie du XXe siècle. Elle a notamment consacré des ouvrages à la pensée de Martin Heidegger (La misura della differenza, saggi su Heidegger, « la mesure de la différence, essai sur Heidegger », 1988 ; Il luogo e le vie, geografie del pensiero in M. Heidegger, « le lieu et les voies, géographie de la pensée de M. Heidegger », 1996 ; La terra del mattino, ethos, logos e physis nel pensiero di Martin Heidegger, « la terre du matin, ethos, logos et physis dans la pensée de Martin Heidegger », 1998), ainsi qu’à Friedrich Nietzsche, Ernst Jünger et Carl Schmitt, auteurs qui ont contribué à tracer l’horizon du nihilisme (Passaggi al bosco, Ernst Jünger nell’era dei Titani, « recours aux forêts, Ernst Jünger dans l’ère des Titans », 2000, avec Luisa Bonesio ; Stato mondiale o Nomos della terra, Carl Schmitt tra universo e pluriverso, « État mondial ou Nomos de la terre, Carl Schmitt entre univers et plurivers », 1999). Elle s’est également intéressée au thème de l’altérité dans la philosophie française (Pensareal limite, tracciati di Derrida, « penser à la limite, tracés de Derrida », 1990), approfondissant le motif de la différence, avec ses effets éthico-politiques (L’evento dell’altro, etica e politica in Jacques Derrida, « l’événement de l’autre, éthique et politique chez Jacques Derrida », 2003). C’est à partir de cette perspective qu’elle interroge les questions du genre, le thème de la communauté ou la figure de l’étranger, oscillant entre hostilité et hospitalité (L’estraneo, ostilità e ospitalità nel pensiero del Novecento, « l’étranger, hostilité et hospitalité dans la pensée du XXe siècle », 2008). Depuis quelques années, avec L. Bonesio, elle s’est engagée dans l’élaboration d’une perspective géophilosophique, dont on trouve le « manifeste » dans ses 10 tesi di geofilosofia (« 10 thèses de géophilosophie », 1996). L’enjeu de cette réflexion renouvelée concernant la façon dont l’homme habite la planète est de repenser les grandes questions de notre temps, comme la mondialisation et la sauvegarde de la Terre, y compris dans ses aspects géosymboliques.
Laura ODELLO
■ Avec BONESIO L., Intervista sulla geofilosofia, Parme, Diabasis, 2010.
RESTREPO, Laura [BOGOTÁ 1950]
Écrivaine et journaliste colombienne.
Laura Restrepo González est probablement l’écrivaine colombienne la plus lue au monde. Après des études de philosophie et de lettres à l’Université des Andes, puis une spécialisation en sciences politiques, elle enseigne la littérature à l’Université nationale et à l’université privée du Rosaire, toujours à Bogotá. Elle écrit dans plusieurs revues et journaux, tant en Colombie qu’à l’étranger, où elle doit parfois chercher refuge en raison de ses idées progressistes. Son expérience de l’exil est le point de départ de quelques-uns de ses livres, comme Historia de una traición (« histoire d’une trahison », 1986), reportage dans lequel elle évoque sa participation à la commission de négociation de paix entre le gouvernement de Belisario Betancur et la guérilla du M-19 ; mais aussi dans En qué momento se jodió Medellín (« à quel moment Medellín a foiré », 1991) et Otros niños (« autres enfants », 1993). Elle a également écrit des romans, parmi lesquels Le Léopard au soleil (1993), Douce Compagnie (1995), qui gagne le prix Sor-Juana-Inés-de-la-Cruz, La Multitude errante (2001) et Délire (2004). Avec une conscience sociale bouleversante, elle raconte les drames les plus scabreux, met en scène des individus entraînés par l’histoire d’une collectivité (un pays, une ville ou un village) et réussit à relier les drames individuels à leur contexte collectif avec une telle maîtrise qu’ils en deviennent une métaphore. Ses histoires concilient exigence de rigueur et récits intimistes, où l’amour, la nostalgie et l’humour permettent d’échapper à un monde injuste. Le tout dans un amalgame de styles qui empêche de classer ses œuvres dans les cadres des genres traditionnels.
Victor MENCO HAECKERMANN
■ Le Léopard au soleil (El leopardo al sol, 1993), Paris, Payot/Rivages, 2000 ; Douce Compagnie (Dulce compañía, 1995), Paris, Payot/Rivages, 1997 ; La Multitude errante (La multitud errante, 2001), Paris, Calmann-Lévy, 2006 ; Délire (Delirio, 2004), Paris, Calmann-Lévy, 2005.
RETZ, Catherine DE CLERMONT, duchesse DE [PARIS 1545 - ID. 1603]
Écrivaine française.
Épouse en secondes noces (1565) d’Albert de Gondi, avec qui elle a dix enfants, Claude Catherine de Clermont connaît une ascension à la cour, notamment grâce à l’anoblissement de son mari au rang de maréchal de France puis de duc de Retz. Impliquée dans la vie politique à partir de 1570 aux côtés des Malcontents, elle brille par sa beauté et ses qualités intellectuelles. Polyglotte, éloquente (elle aurait composé des discours et assisté aux séances de l’académie du Palais en 1576), elle devient une figure incontournable de la vie culturelle sous les règnes de Charles IX et d’Henri III. Collectionneuse et mécène, elle réunit dans ses résidences, notamment dans son « salon vert » parisien ou « salon de Dictynne », femmes et hommes de la cour, musiciens et poètes en vue qui produisent en son nom une esthétique galante imprégnée de pétrarquisme néoplatonicien et dont elle fera copier les compositions dans son album de vers. On a conservé de Mme de Retz quelques lettres ; elle a, par ailleurs, peut-être composé certains des poèmes de son album.
François ROUGET
■ Album de poésies, Rouget F., Winn C. H. (éd.), Paris, H. Champion, 2004.
■ BURON E., « Le mythe du salon de la maréchale de Retz, éléments pour une sociologie de la littérature à la cour des derniers Valois », in CONIHOUT I. de, MAILLARD J.-F., POIRIER G. (dir.), Henri III mécène des arts, des sciences et des lettres, Paris, PUPS, 2006.
REUTER, Gabriele [ALEXANDRIE, ÉGYPTE 1859 - WEIMAR, ALLEMAGNE 1941]
Romancière et nouvelliste allemande.
Fille de marchand, Gabriele Reuter naît à Alexandrie. Après la mort de son père en 1872, elle revient en Allemagne, à Dessau, et est formée à l’institut de Breymann, près de Wolfenbüttel. Très tôt, elle écrit ses premières œuvres. Une nouvelle est tout d’abord publiée dans le journal Ägyptische Erinnerungsblätter, puis paraît son premier roman, sous le titre Oktavia, dans le Tägliche Rundschau et, en 1889, sous le titre Glück und Geld (« fortune et argent ») à Leipzig. Elle devient collaboratrice de différents journaux et revues. Son roman le plus connu, Aus guter Familie (« issue de bonne famille »), paraît en 1905 à Berlin. G. Reuter est membre du Bund deutscher Schriftstellerinnen (Union des femmes de lettres allemandes) et du Pen Club. Dans la plupart de ses romans, elle s’occupe de la destinée des femmes modernes. Elle écrit quelques livres pour la jeunesse, et travaille par ailleurs sur la vie et l’œuvre de différentes femmes célèbres, comme Annette von Droste-Hülshoff* ou Marie von Ebner-Eschenbach*, et publie son autobiographie Vom Kinde zum Menschen (« de l’enfant à l’adulte ») en 1921 à Berlin.
Lea MARQUART
■ GOODMAN K., « Gabriele Reuter », in HARDIN J. (dir.), German Fiction Writers, 1885-1913, t. 2 Detroit, Thomas Gale, 1988 ; HOCK L., « Shades of Melancholy in Gabriele Reuter’s Aus guter Familie », in German Quarterly, vol. 79, 2006.
RÉVAI, Ilka [BUDAPEST 1873 - ID. 1945]
Photographe hongroise.
Ilka Révai étudie auprès des photographes allemands les plus connus, tels Rudolf Dührkoop et Nicola Perscheid. En 1911, elle ouvre un atelier à Merano, dans le Tyrol italien, puis à Budapest en 1915. À partir de 1917, elle entre en contact avec le cercle avant-gardiste du peintre et écrivain Lajos Kassák et la revue MA (« aujourd’hui »). À la fin de juillet 1919, lors de la république des Communes, s’ouvre son « exposition militante », selon ses propres termes, dans la galerie de MA où elle présente 214 photos, parmi lesquelles plusieurs représentent Kassák et l’historien d’art Iván Hevesy. En 1920, dans le cadre de l’Alliance littéraire et artistique des ouvriers, elle organise un groupe de 20 à 25 membres pour leur enseigner gratuitement la photographie. En 1927, elle quitte la Hongrie pour vivre à Paris, où elle côtoie les réfugiés politiques hongrois de la république des Communes. André Kertész réalise des portraits d’elle. Elle vit en dessinant des objets d’art décoratif, d’abord à Nice entre 1930 et 1937, puis à Paris jusqu’en 1943. Saisie par l’angoisse, elle quitte la France, y laissant sa fille, et regagne la Hongrie, où l’on perd sa trace. Son œuvre est dispersée ; quelques-uns de ses clichés sont conservés au musée Kassák, à Budapest.
Csilla CSORBA
■ CSORBA C., Magyar fotográfusnők, 1900-1945, Budapest, Enciklopédia, 2001.
REVENTLOW, Franziska ZU (comtesse) [HUSUM, ALLEMAGNE 1871 - LOCARNO, SUISSE 1918]
Romancière et peintre allemande.
Née au château familial à Husum, elle a cherché très tôt à s’émanciper de ses origines aristocratiques. Poussée par Ludwig Klages, Franziska zu Reventlow décrit en 1903, dans son roman aux allures de confession, Ellen Olestjerne, son séjour dans un couvent où elle passe pour impossible à éduquer. Loin de partager le conformisme de son milieu, elle s’intéresse à la littérature moderne, celle qui développe des positions critiques sur la société, ainsi qu’aux écrits de Nietzsche, dont elle fait la connaissance dans son cercle d’amis à Lübeck, le Club Ibsen. À Munich, elle mène dans les cercles de la bohème une vie indépendante, bien que marquée par des difficultés matérielles constantes ainsi que par la dépression, la maladie et plusieurs fausses couches. Des traductions et des contributions pour des quotidiens et des revues lui assurent un maigre revenu. Elle fait retour sur ses expériences avec la bohème munichoise, en particulier avec le cercle des « cosmiques » autour de Stefan George, Karl Wolfskehl, Ludwig Klages et Alfred Schuler dans un roman à clé mordant et ironique intitulé Herrn Dames Aufzeichnungen oder Begebenheiten aus einem merkwürdigen Stadtteil (« notes de Monsieur Dame ou histoires d’un étrange quartier », 1913). En 1910, elle écrit ses « romans de Schwabing » (un quartier de Munich). Son mariage avec le baron de Kurlande Alexander de Rechenberg-Linten constitue la toile de fond de son roman épistolaire Le Complexe de l’argent (1916). Le recueil de nouvelles Das Logierhaus zur Schwankenden Weltkugel (« la pension Au globe vacillant ») comporte, lui aussi, un fond autobiographique. Par les tableaux qu’elle esquisse d’une vie libre et en contradiction avec l’ordre social patriarcal de son époque, F. zu Reventlow incarne le type d’une femme moderne : autonome et non conventionnelle. Elle prend ses distances avec le mouvement de femmes de son époque, dont elle parle même avec cynisme, bien qu’elle ait été en contact avec quelques-unes de ses représentantes telles Anita Augspurg* et Helene Böhlau*. Dans les années 1970 et 1980, on a fait d’elle une icône de la révolution sexuelle et de l’émancipation des femmes. Mais l’édition de ses œuvres en 2004 en a plutôt révélé les problématiques culturelles.
Marianne BEAUVICHE et Ralf Georg CZAPLA
■ Le Complexe de l’argent (Der Geldkomplex, 1916), Paris, Allia, 1992 ; Sämtliche Werke, 5 t., SCHARDT M. (dir.), Oldenbourg, Igel-Verlag, 2004.
■ EGBRINGHOFF U., Franziska zu Reventlow, Reinbek, Rowohlt, 2000 ; SEEGERS J. (dir.), Über Franziska zu Reventlow, Rezensionen, Porträts, Aufsätze, Nachrufe aus mehr als 100 Jahren, Oldenburg, Igel-Verlag, 2007.
REVERCHON-JOUVE, Blanche [PARIS 1879 - ID. 1974]
Neuropsychiatre et psychanalyste française.
C’est après des études de philosophie que Blanche Reverchon se tourne vers la médecine, plus particulièrement la neurologie qu’elle étudie auprès de Joseph Babinski, assistant de Jean-Martin Charcot à l’hôpital de la Salpêtrière, là même où son père, le docteur Léon Reverchon, avait assisté, en même temps que Sigmund Freud, aux célèbres leçons du Maître. Elle part ensuite à Genève exercer la psychiatrie et fréquente les milieux pacifistes et féministes dont faisaient partie nombre d’écrivains de talent comme Romain Rolland. Invitée par Stefan Zweig à se joindre aux conférences qu’il donnait à Florence puis à Salzbourg, elle rencontre l’écrivain Pierre Jean Jouve qu’elle épouse en 1925. Bien avant sa rencontre avec S. Freud, à Vienne en 1927, elle avait déjà traduit ses Trois essais sur la théorie de la sexualité (paru en 1923 à Paris). Elle fait une analyse avec, successivement, trois des fondateurs de la Société psychanalytique de Paris dont elle devient membre jusqu’en 1953, date à laquelle elle démissionne, à la suite de Daniel Lagache, Jacques Lacan, Françoise Dolto* et Juliette Favez-Boutonier*, pour fonder la Société française de psychanalyse. C’est aussi dans les années 1930 qu’elle devient membre de la section française de l’association féministe Soroptimist, club regroupant des femmes qui mettent leurs compétences professionnelles au service des droits des femmes et qui s’engagent dans de grands projets concernant la santé, l’éducation, la culture, la protection de l’environnement et du patrimoine. En 1933, elle publie avec P. J. Jouve, dans La Nouvelle Revue française, un article très remarqué intitulé « Moments d’une psychanalyse ». Cette étude clinique à la forme littéraire remarquable fera date. B. Reverchon-Jouve influence aussi profondément l’œuvre de son mari, dont les romans et les poèmes portent l’empreinte de descentes dans les abîmes de l’inconscient. Femme discrète et secrète, elle croisa, au long de sa très longue vie, Rainer Maria Rilke et les deux fils de sa compagne, Pierre Klossowski, avec qui P. J. Jouve traduisit Friedrich Hölderlin, et le peintre Balthus sur lequel il écrira beaucoup. Elle fut l’analyste de nombreux artistes de renom et, dans le roman d’Henry Bauchau La Déchirure, elle sera mise en scène sous le nom de « la Sybille ».
Chantal TALAGRAND
REVERDY, Michèle [ALEXANDRIE 1943]
Compositrice française.
Michèle Reverdy reçoit ses premières leçons de piano à l’âge de 6 ans. Elle entre au Conservatoire de Paris en 1959 et suit les classes de Norbert Dufourcq (histoire de la musique), Roger Boutry (harmonie), Alain Weber (contrepoint), Marcel Bitsch (fugue), Claude Ballif (analyse) et Olivier Messiaen (composition). Professeure de musique dans le secondaire de 1964 à 1973, elle enseigne ensuite l’analyse musicale dans plusieurs conservatoires. À la même époque (1975-1978), elle est journaliste musicale et signe un premier ouvrage de référence sur L’Œuvre pour piano d’Olivier Messiaen, qui sera suivi en 1988 d’un second sur son œuvre pour orchestre. M. Reverdy est également productrice à Radio France, et réalise notamment pour France Culture (1982-1989) une série d’émissions sur les grands compositeurs contemporains. En 1983, elle est nommée professeure d’analyse au Conservatoire de Paris puis professeure d’orchestration en 1996. Sa première œuvre, Cante Jondo, composée en 1974, est résolument tournée vers l’atonalité, une recherche formelle très élaborée y cohabite sans contradiction avec un discours lyrique. Aux côtés de son premier époux le peintre Jean-Claude Reverdy, elle transpose les processus de création propres à chacun des deux arts en travaillant avant tout sur les équivalences structurelles. Avec Espaces pour orchestre symphonique (1975), Tétramorphie pour alto et percussion (1976) et Figure pour piano (1976), elle traduit par exemple les couleurs en timbres et les espaces en plans sonores. Elle obtient en 1978 le prix de composition du Conservatoire de Paris, et la même année compose Météores pour 17 instrumentistes, sa première pièce pour grand ensemble. Admise comme pensionnaire à la Casa de Vélasquez de 1979 à 1981, elle entreprend alors son premier opéra, Le Château, d’après le roman de Kafka, partition achevée en 1986. À son retour d’Espagne elle compose une vingtaine d’œuvres (musique de chambre, musique pour instrument seul, pour ensemble instrumental et pour orchestre), dont Scenic Railway (1983), caractérisée par une instrumentation exploitant les registres extrêmes. Dans le domaine de la musique de chambre, les Sept Enluminures (1987) pour voix de soprano, clarinette, piano et percussion, dominent la production des années 1980. Le Précepteur (1989-1990), d’après Jakob Lenz, marque également une étape importante dans la réflexion menée par la créatrice sur la prosodie française : en vue de rendre le texte plus intelligible, elle n’hésite pas à contrarier musicalement l’accentuation de la langue. Avec la Messe pour les Blancs-Manteaux pour orgue (1990) ou Quatorze poignées d’argile pour harpe (1999), elle continue d’explorer l’écriture pour instrument seul. Paraissent aussi des pièces pour cordes, notamment L’Intranquillité (1991), son unique quatuor à cordes, et Chimère, concerto pour alto (1992). Le Concerto pour orchestre (1994) domine la production pour grand ensemble instrumental de cette décennie. Avec Un signe dans l’espace (1990), mimodrame sur une nouvelle de Calvino, elle aborde de nouveaux genres, à la frontière du théâtre et de la musique. Suivent Le Nom sur le bout de la langue (1993), conte pour enfants d’après un texte de Pascal Quignard, et Les Ruines circulaires (1995), mélodrame sur un texte de Borges pour un acteur et piano. Invitée en résidence dans de nombreuses villes, la compositrice continue à enrichir son catalogue. Lac de Lune (1997) est créé par l’Orchestre national de France sous la direction de Kurt Masur (2004) et un cinquième opéra voit le jour, Médée (2001), d’après Medea-Stimmen de Christa Wolf*. Mis en scène par Raoul Ruiz, l’ouvrage est créé en 2003 à l’Opéra national de Lyon sous la direction de Pascal Rophé. Elle puise également dans la peinture son énergie créatrice, et son souci constant d’entrer en dialogue avec ces deux formes artistiques, le théâtre et la peinture, confère à sa musique une force d’essence dramatique aux coloris instrumentaux des plus originaux.
Corinne SCHNEIDER
■ L’Œuvre pour piano d’Olivier Messiaen, Paris, A. Leduc, 1978 ; L’Œuvre pour orchestre d’Olivier Messiaen, Paris, A. Leduc, 1988.
RÉVOLUTION FRANÇAISE - ÉCRITS DE FEMMES [XVIIIe siècle]
Engagées dans les actions révolutionnaires, activement présentes dans les tribunes des assemblées, les femmes, actrices essentielles de la Révolution française, ont saisi l’occasion des États généraux pour commencer à écrire, bravant l’interdit, des revendications économiques, sociales, juridiques et politiques, ainsi que des appels à la mobilisation et des analyses. C’est l’objet des premiers Cahiers de doléances, qu’elles établissent en janvier 1789, et qui témoignent de manière inédite des préoccupations et des conditions de vie des femmes
Ce vaste mouvement d’expression, qui concerne des journaux, des pétitions et motions diverses, culmine symboliquement avec la Déclaration des droits de la Femme et de la Citoyenne d’Olympe de Gouges* (1791). Le sort de celle-ci, guillotinée en 1793, est lui aussi symbolique de la répression rapide et violente opposée à ce mouvement par les hommes de la Révolution, qui s’opposent aux clubs de femmes dès octobre 1793, puis interdisent aux femmes de se regrouper dans la rue, d’assister aux assemblées politiques (1795), de porter la cocarde (1800), avant d’adopter un Code civil (1804) qui laisse place à certaines avancées (égalité dans l’héritage), mais voue la femme mariée à un statut de mineure.
Pendant près de 200 ans, le silence des historiens entérine l’exclusion des femmes. Ce n’est qu’en 1971, trois ans après le début du Mouvement de libération des femmes*, que l’historienne Paule-Marie Duhet publie Les Femmes et la Révolution, 1789-1794. En 1977, Maïté Albistur et Daniel Armogathe consacrent un chapitre de leur Histoire du féminisme français à la Révolution. Puis, en 1981, P. -M. Duhet regroupe pour les éditions des femmes les principaux textes issus de cette période, qui font désormais référence. Ces écrits de femmes, « toujours marqués par une impatience, une indignation retenues, un souci de dominer les maux présents en y portant remède », demandent : le droit au travail, l’accès à l’instruction, la suppression du droit d’aînesse et la réforme du divorce, des droits pour les enfants naturels, la création de juridictions de femmes, et même l’accès au pouvoir politique. Des propositions non revendicatives montrent l’engagement des « citoyennes » : une motion pour que les femmes vendent leurs bijoux au bénéfice de la Révolution menacée par les difficultés financières (1789) ; une pétition de 300 femmes qui veulent s’organiser en garde nationale (1792) ; des déclarations d’adhésion à la Constitution de 1793 ; autant d’avancées qui laisseront des traces, par-delà la répression.
Catherine GUYOT
■ Cahiers de doléances des femmes en 1789 et autres textes, présentés par Duhet P. M., Paris, Des femmes-Antoinette Fouque, 1981.
RÉVOLUTION FRANÇAISE – LITTÉRATURE [France XVIIIe siècle]
La plupart des esquisses historiques de la Révolution française montrent la participation active des femmes dans la lutte pour la défense de la liberté et de l’égalité des droits, ainsi que dans la construction d’un nouvel espace public. Présentes dans le mouvement populaire révolutionnaire insurrectionnel, dans les délégations auprès des nouvelles autorités où elles présentent d’innombrables pétitions, dans les tribunes des assemblées où elles pèsent par leurs interventions et leurs applaudissements, elles développent de nouveaux modes d’expression et d’action, en fondant ainsi des clubs de femmes tels que la Société patriotique et de bienfaisance des amies de la vérité (mars 1791) sous l’impulsion d’Etta Palm d’Aëlders ou la Société des citoyennes républicaines (mai 1793) autour de Pauline Léon. Or, conformément à la législation révolutionnaire, elles sont exclues de la citoyenneté active (exercice des droits civiques et fonctions politiques). Par référence à leur « nature » fragile, plus faible que celle des hommes, le nouvel ordre social les destine « au doux empire domestique » et à l’expression d’un patriotisme qui s’exerce dans la famille, selon une logique de partage sexué des tâches : toute femme, épouse et mère, « commence l’éducation des hommes » et les prépare aux « vertus publiques » (Amar, Rapport à la Convention du 9 brumaire an II).
La littérature allait-elle en conséquence servir aux femmes de tribune ? Les inventaires de la production littéraire féminine sous la Révolution montrent que des femmes s’engagent, s’expriment sur les grandes questions du moment : la réforme de la monarchie, la liberté de presse, la fermeture des couvents, la violence des foules, la citoyenneté féminine, le rôle politique de la reine, le divorce, la levée en masse, la guerre de Vendée, l’éducation des filles, le statut des femmes auteurs… Les femmes appellent aux réformes et il convient d’accorder une attention toute particulière à la floraison de pétitions, de pamphlets, de feuilles, d’hymnes (Constance Pipelet), de chants et de déclarations dans lesquels elles lancent des appels à l’action. Olympe de Gouges* invite les citoyennes à reconsidérer les privilèges dont jouissent les hommes dans la société : la liberté et la raison ne doivent-elles pas permettre de détruire définitivement les préjugés et les interdits qui pèsent sur la condition féminine ? Savoir être libre revient, dans l’aventure révolutionnaire, à faire connaître ses véritables droits à la citoyenneté. Les femmes collaborent en conséquence à divers journaux politiques : après son Discours sur la suppression des couvents de religieuses et sur l’éducation publique des femmes édité à Paris (Onfroy, 1790), Stéphanie-Félicité de Genlis* contribue à relever la condition des femmes paysannes, en insérant ses conseils et ses réflexions dans une correspondance intitulée Lettres de Félicie à Marianne, dans La Feuille villageoise, journal créé en septembre 1790 par Joseph-Antoine Cerutti. Dans le même esprit, parce qu’elle n’est plus soumise aux lois qui interdisaient aux femmes d’exercer le métier d’éditeur sous l’Ancien Régime, Mme Leprince de Beaumont* réussit à éditer un journal monarchiste, Le Réviseur universel, tandis que Louise-Félicité de Kéralio-Robert* se lance dans une carrière de « journaliste-imprimeuse révolutionnaire » en fondant le Journal de l’État et du citoyen (C. Hesse, 2006). « L’Amazone », comme la surnomment ses rivaux politiques, menacée de marginalisation par leurs attaques constantes, est conduite très tôt à faire cesser son journal. Elle collabore par la suite au Mercure national, qui succède à son Journal de l’État et dont la direction est assurée par d’honnêtes patriotes – son père Louis-Félix Guynement de Kéralio et François Robert, son mari. Malgré tout, l’élan de la liberté est tel que « des journaux féminins se politisent et plaident la cause des femmes, comme Le Courrier de l’hymen ou les Étrennes nationales des dames » (B. Slama, 1989).
Le mot « régénérer » revient très souvent dans les écrits de femmes et traduit le désir féminin de changement et d’efficacité. Une première victoire, dont dépendent les suivantes pour une bonne part, consisterait à éclairer la nation. Il appartient tout d’abord au théâtre, forme particulièrement populaire sous la Révolution, de dispenser les lumières indissociables de la liberté et des droits de l’homme, comme s’y essaient O. de Gouges (L’Esclavage des nègres, 1789) ou Marie Monnet* (Les Montagnards, an II) dans des pièces à thèse. Les femmes dramaturges sont-elles appelées à devenir les éducatrices de la nation ? Leur déception est grande, car la réalité n’est pas à la mesure de leur enthousiasme : hormis quelques succès flamboyants, les pièces sont retirées après quelques représentations, ou interrompues par le public. Alors, faute d’accéder à la gloire des tréteaux, elles choisissent de mesurer dans des contes, des nouvelles, des romans, des poèmes, l’ampleur des progrès, les stagnations ou l’enchaînement des chutes. Immergée dans l’histoire révolutionnaire, Isabelle de Charrière* semble assurée dans les Lettres à un évêque français (1789) que la nation accède à une liberté qui soulève les énergies et donne un sens aux luttes. Portée par la vague anticléricale, comme O. de Gouges qui crée au Théâtre-Français Le Couvent ou les Vœux forcés (oct. 1790), la romancière Mme Gautier-Lacépède (Sophie ou les Mémoires d’une jeune religieuse écrits par elle-même, 1790) célèbre la Révolution, apte à mettre fin aux relations de domination qui prévalaient dans le système familial de l’Ancien Régime. Toutefois, on voit O. de Gouges, rebelle aux illusions, se garder d’anticiper sur l’avenir, dans son roman oriental Le Prince philosophe (1792). Pour sa part, la jeune Germaine de Staël* mesure le prix des changements dans sa nouvelle Zulma (1793), car la Terreur lui paraît forger l’histoire révolutionnaire au prix du sang versé. Alors, quand O. de Gouges défie dans ses feuilles Marat et Robespierre qu’elle traite « d’insectes croupissant dans le bourbier de la corruption » et qu’elle choisit de suivre le fil serré des événements politiques pour faire vivre, malgré tout, sa citoyenneté féminine, on comprend que la vraie grandeur des femmes de lettres sous la Révolution vient de leurs efforts répétés et des risques encourus. L’écriture de femmes incarcérées, promises à l’échafaud, se fait émouvante : des lettres, des journaux intimes et des mémoires restent leur ultime témoignage, expression de rêves brisés et d’espoirs encore vifs. Avec une sorte de grandeur stoïque, Mme Roland*, Lucile Desmoulins, la reine Marie-Antoinette ou O. de Gouges choisissent, dans leurs derniers propos, de faire naître du pire le meilleur.
En dépit des épopées douloureuses et des vies sacrifiées, C. Pipelet, G. de Staël, Marie Gacon-Dufour*, Mme Brossin de Méré*, Sophie Cottin*, Félicité de Genlis* et des auteures émigrées telles qu’Adélaïde de Souza* ne se résignent pas au silence ni à l’abandon. Éducation des esprits et de la jeunesse, épanouissement des arts dans lesquels elles exercent leurs talents, voilà qui devrait les amener à la gloire ! Or les attaques d’Écouchard-Le Brun contre les poétesses dans la Décade philosophique des années 1795-1796 visent à leur interdire le Panthéon des lettres : « Inspirez, mais n’écrivez pas. » La controverse fait rage et l’Épître aux femmes (1797) de C. Pipelet donne la réplique au poète misogyne, en invitant les femmes créatrices à diffuser la beauté et la vérité. Malgré des attachements politiques et philosophiques très divers, les femmes choisissent le métier d’auteure pour en vivre, telles Mmes de Genlis, de Souza ou Brossin de Méré, pour donner un sens à leur existence comme S. Cottin, ébranlée par ses deuils, ou pour y goûter le plaisir de la création ainsi que le proclame C. Pipelet. Ayant scruté longuement les siècles d’assujettissement féminin, la poétesse féministe du Directoire découvre dans la Révolution le signe incomparable de l’espoir en dépit des insuccès (Mes soixante ans, 1833).
Huguette KRIEF
■ BRIVE M.-F., Les Femmes et la Révolution française, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 1990 ; DIDIER B., Écrire la Révolution, 1789-1799, Paris, PUF, 1989 ; FRAISSE G., Muse de la raison, Paris, Gallimard, 1995 ; KRIEF H., Vivre libre et écrire, anthologie des romancières de la période révolutionnaire 1789-1800, Oxford, Voltaire Foundation, 2005 ; SLAMA B., « Écrits de femmes pendant la Révolution », in BRIVE M.-F. (dir.), Les Femmes et la Révolution française, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 1990.
■ HESSE C., « The other enlightenment : how French women became modern », in Gender & History, vol. 18, août 2006.
REY, Violette [MENS, ISÈRE 1943]
Géographe française.
Professeure émérite à l’École normale supérieure de lettres et sciences humaines (Fontenay-Saint-Cloud), Violette Rey y a dirigé l’équipe Géophile jusqu’en 2007, après avoir enseigné à l’université Paris I, où elle a été co-fondatrice du laboratoire Géographie-cités. Spécialiste de géographie rurale, elle a innové en s’intéressant à la spécialisation des exploitations agricoles en relation avec les prix fonciers dans le Bassin parisien. Mais son terrain de prédilection est l’Europe centrale et orientale, pour laquelle elle a forgé le concept d’espace d’entre-deux, marges territoriales et lieux de multiples recompositions, où les centralités ont peiné à s’établir au cours de l’histoire. Elle a dirigé de nombreux travaux sur la géographie de ces régions et elle est membre de l’Académie des sciences de Roumanie.
Denise PUMAIN
■ Avec BRUNET R., Europes orientales, Russie, Asie centrale, Géographie universelle, tome 10, Paris/Montpellier, Belin/Reclus, 1996 ; avec AURIAC F., Atlas de France, vol. 8 : Espace rural, Montpellier/Paris, GIP Reclus/La Documentation française, 1998 ; (dir.), Les Territoires centre-européens, dilemmes et défis, Paris, La Découverte, 1998 ; avec GROZA O., IANOS I. et al., Atlas de la Roumanie, Montpellier/Paris, GIP Reclus/La Documentation française, 2000 ; avec SAINT-JULIEN T. (dir.), Territoires d’Europe, la différence en partage, Lyon, ENS Éditions, 2005.
REY-DEBOVE, Josette [CALAIS 1929 - SÉNÉGAL 2005]
Linguiste française.
Ayant étudié les lettres à la Sorbonne, Josette Rey-Debove soutient une thèse de troisième cycle intitulée Études linguistique et sémiotique des dictionnaires français contemporains (1971). Sa thèse d’État porte sur le métalangage, qu’elle cherche à caractériser historiographiquement et épistémologiquement, et dont elle a renouvelé l’étude. Comme son futur époux Alain Rey, elle est engagée par Paul Robert en tant que rédactrice du Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française (paru en 1964), plus connu sous le nom de Grand Robert. Elle est ensuite la cheville ouvrière du Petit Robert (1967), préfacé par A. Rey. Puis elle réalise le Robert méthodique (1982), dont l’enjeu est de faire apparaître l’organisation et la construction du lexique français, à partir des éléments qui composent les mots, en croisant forme et sens, et en regroupant, autour d’un élément ou d’un mot simple, les mots construits qui en dépendent. À partir de 2002, elle ouvre un séminaire de lexicologie à l’EHESS. Parallèlement, elle participe à des commissions de réflexion sur le vocabulaire et son évolution, en France (sur la féminisation du vocabulaire au ministère des Droits de la femme entre 1984 et 1985) ou au Canada (Office québécois de la langue française sur la terminologie, la néologie et la méthodologie du travail terminologique), et a toujours milité en faveur de la féminisation du français.
Thomas VERJANS
■ Le Métalangage, étude linguistique du discours sur le langage (1978), Paris, Armand Colin, 1997 ; La Linguistique du signe, Paris, Armand Colin, 1998.
REYES, Alina (Aline Patricia NARDONE, dite) [BRUGES, GIRONDE 1956]
Écrivaine française.
Issue d’un milieu populaire communiste, Alina Reyes débute son journal en 1968, quitte le lycée, s’installe à Bordeaux, puis reprend ses études et collabore à la presse locale tout en enseignant. Son premier roman, Le Boucher, écrit en une semaine à l’occasion d’un concours de littérature érotique et publié en 1988, défraie la chronique. Le suivant, Poupée, anale nationale (1998), composé en un mois, est un pamphlet scatologique contre le Front national et le racisme. Elle s’engage dans la construction d’une œuvre littéraire marquée par un questionnement du corps revendiqué comme acte politique : l’érotisme ou le refus de la chair y traduisent l’aspiration de l’être à une difficile, voire impossible libération comme dans Lilith (1999) ou Nus devant les fantômes, Franz Kafka et Milena Jesenská (2000). Mais si elle écrit parfois avec une sorte de sauvagerie sensuelle, elle ne se limite pas à déculpabiliser les plaisirs du corps et la thématique sexuelle : écrivaine à part entière au centre du débat contemporain, elle interroge son époque et la question sociale à travers Ma vie douce, journal 1979-2001 (2001) ou ses romans autobiographiques, Quand tu aimes il faut partir (1993) et Moha m’aime (1999).
Marie-Noëlle CAMPANA
■ Sept nuits, Paris, R. Laffont, 2005 ; Le Carnet de Rrose, Paris, R. Laffont, 2006 ; Souviens-toi de vivre, Paris, Presses de la Renaissance, 2009 ; Cueillettes, Paris, NiL éd., 2010.
REYNA, Laynee VOIR DA SILVA-REYNA, Elayne
REYNOLDS, Joyce K. [ÉTATS-UNIS XXe siècle]
Informaticienne américaine.
Diplômée de lettres de l’Université de Californie du Sud (USC), Joyce K. Reynolds participe à partir de 1987 au projet d’édition des Requests for Comments (RFC). À la mort de Jon Postel, en 1998, elle devient, avec Robert Braden, coresponsable de la fonction d’édition des RFC à l’Institut des sciences de l’information de l’USC. En 2006, elle est la première et unique femme à ce jour à recevoir le prix Jon-Postel, décerné par l’Internet Society, pour son rôle dans l’organisation et la diffusion des RFC. Ces spécifications techniques sont l’équivalent d’une constitution, en évolution permanente, réglant le fonctionnement d’Internet, une véritable mémoire des évolutions techniques du réseau Arpanet puis Internet. Outre ses fonctions d’organisation et son rôle éditorial, destiné à veiller à la qualité des propositions faites, elle a signé ou cosigné plus de 95 RFC, certaines définissant le protocole Telnet, qui permet l’interfaçage de terminaux et d’applications à travers Internet. Elle initie également une série de RFC informationnelles : les For Your Information RFC (FYI RFC). Parmi les membres pionniers de l’Internet Society, elle a participé à différents organismes de gouvernance du réseau : membre de l’Internet Engineering Task Force (IETF) à partir de 1988, elle en dirige le service des utilisateurs jusqu’en 1998. Pendant dix-huit ans, elle travaille au projet de l’Internet Assigned Numbers Authority (Iana), créée à l’initiative de J. Postel pour la gestion de l’espace d’adressage IP. Depuis 1998, l’Iana est devenue une composante de l’Internet Corporation for Assigned Names and Numbers (Icann), dans laquelle J. K. Reynolds s’investit jusqu’en 2001. De 1998 à 2001, elle fait le lien entre l’Iana et l’Internet Engineering Steering Group (IESG), dont les responsabilités sont plus techniques.
Valérie SCHAFER
REYNOLDS, Siân [CARDIFF 1940]
Historienne et traductrice britannique.
Née à Cardiff de parents gallois enseignants, Siân Reynolds est élève à Howell’s School Llandaff. Après avoir obtenu une licence en langue et littérature françaises à l’université d’Oxford (1961) et une maîtrise en sciences politiques à l’université du Sussex, elle poursuit des études en histoire, préparant, sous la direction de Michelle Perrot*, un doctorat sur le socialiste Jean Allemane, qu’elle soutient à l’université Paris 7 en 1981. Elle se tourne alors vers l’histoire des femmes en France et en Écosse, dirigeant à son tour de nombreuses thèses lors de sa carrière universitaire comme enseignante-chercheuse à l’université du Sussex (1974 et 1989), à Édimbourg (1989-1990), puis à Stirling (1990-2003) où elle obtient une chaire de professeur. Elle s’investit beaucoup pour encourager les doctorants et doctorantes et jeunes collègues et préside pendant six ans (1993-1999) The Association for the Study of Modern and Contemporary France, puis Scottish Working People’s History Trust. Elle s’engage aussi dans plusieurs associations féministes et est membre fondateur de Women’s History Scotland (1998), organisation qui a stimulé les études, jusqu’alors négligées, sur les femmes et le genre en Écosse. Elle a beaucoup publié sur l’histoire des femmes, du féminisme et des rapports sociaux de sexe en France et en Écosse. Sa biographie du couple Roland (Marriage and Revolution : Monsieur and Madame Roland, 2012) est emblématique du style unique qu’elle développe à l’université du Sussex où elle fait partie d’une équipe de pionnières dans plusieurs disciplines réunies autour de la question des gender studies (Ulrike Hanna Meinhof, Sybil Oldfield, Marcia Pointon, Anne Stevens et Beryl Williams). Pratiquant volontiers l’interdisciplinarité, elle a une approche pragmatique et un style direct. Parmi ses autres publications, on peut citer : Britannica’s Typesetters : Women Compositors in Edwardian Edinburgh (1989) ; France Between the Wars : Gender and Politics (1996) ; Paris-Edinburgh : Cultural Connections in the Belle Époque (2007). Elle dirige également un ouvrage comparatiste pionnier (Women, State and Revolution : Essays on Power and Gender in Europe, 1985) et codirige la vaste entreprise du Biographical Dictionary of Scottish Women (2006). S. Reynolds a mené une autre carrière avec un grand succès. Elle traduit en effet de nombreux auteurs français, historiens, philosophes et romanciers : Fernand Braudel, M. Perrot, Claude Lévi-Strauss, Alain Touraine, Pierre Bourdieu, Jacques Le Goff, Henri Zerner, Régis Debray, Emmanuel Le Roy Ladurie, Nathan Wachtel, Serge Bramly, Fred Vargas*, Jacques Bonnet, Antonin Varenne. Elle remporte plusieurs prix de traduction et est nommée en 2010 officier des Palmes académiques.
Máire CROSS
REZA, Yasmina [PARIS 1959]
Auteure dramatique, scénariste, metteuse en scène, actrice et réalisatrice française.
D’origine iranienne, Yasmina Reza fait ses débuts en tant qu’actrice dans Le Veilleur de nuit, de Sacha Guitry, où elle séduit Fabrice Luchini. Elle interprète ensuite Marivaux et, au cinéma, tourne avec André Téchiné. Les premières pièces qu’elle écrit, Conversations après un enterrement (1987) et La Traversée de l’hiver (1990), jouées notamment par Pierre Vaneck et Lucienne Hamon, mettent en scène des adultes immatures. Sa pièce Art (1994) remporte un succès international : trois soi-disant amis (Pierre Arditi, P. Vaneck, F. Luchini) se déchirent à propos d’un tableau, entièrement blanc, acheté par l’un d’entre eux. Dans L’Homme du hasard (1995), Philippe Noiret incarne un écrivain qui rencontre une de ses lectrices, Catherine Rich. Trois versions de la vie (2001) et Une pièce espagnole (2004), avec Bulle Ogier*, entremêlent rêve et réalité, passé et présent. Le Dieu du carnage (2007), avec Isabelle Huppert*, mis en scène par l’auteure, dénonce les secrètes férocités bourgeoises (Roman Polanski tourne une version new-yorkaise en 2011, avec Jodie Foster*). En 2011, Y. Reza publie sa nouvelle pièce Comment vous racontez la partie. Elle écrit également des scénarios, dont celui du film Le Pique-nique de Lulu Kreutz (de Didier Martiny, 2000, avec Michel Aumont, Stephane Audran* et Judith Magre*). D’après sa propre Pièce espagnole, elle réalise Chicas (2009), un film avec Carmen Maura. L’œuvre théâtrale de Y. Reza est récompensée par plusieurs prix prestigieux dont le Laurence Olivier Award (Royaume-Uni) et deux Tony Awards (États-Unis) pour Art et Le Dieu du carnage. Elle a reçu en 2000 le Grand prix du théâtre de l’Académie française. Elle publie également plusieurs romans, dont, en 2012, Heureux les heureux.
Bruno VILLIEN
■ GUÉNOUN D., Avez-vous lu Reza ? , Paris, Albin Michel, 2005.
REZENDE, Marisa [RIO DE JANEIRO 1944]
Compositrice et pianiste brésilienne.
Marisa Rezende étudie le piano, puis la composition à l’école de musique de l’Université fédérale de Rio de Janeiro dans un premier temps, à l’université de Pernambouc ensuite. C’est aux États-Unis qu’elle obtient son master de piano, ainsi qu’un doctorat en composition (université de Californie) et en Grande-Bretagne un postdoctorat (université de Keele). En 1987, elle devient professeure titulaire de composition à l’Université fédérale de Rio de Janeiro, tout en coordonnant les activités du groupe Musica Nova spécialisé dans la création d’œuvres contemporaines brésiliennes. Elle se produit comme soliste ou chambriste dans de nombreux États du Brésil et intègre ses propres compositions à ses programmes. Dans ses œuvres, elle cultive de nombreux genres, à commencer par le piano, en solo – avec par exemple Lugar comun (1979), Xo ro (1982), Ressonancias (1983), Contrastes (2001) – ou en formation de chambre – Trio pour hautbois, trompette et piano (1976), Trio pour violon, violoncelle et piano (1976), Sexteto em seis tempos pour six instruments et piano (1983), Sintagma pour flûte, piano et percussions (1988), Breves pour flûte, clarinette, trompette, piano et contrebasse, Ginga pour piano et cinq instruments (1996), Cismas pour piano et quatuor à cordes (1999). Elle compose aussi Vortice pour quatuor à cordes (1997) et Era uma vez… pour sept instruments (1995). Elle s’illustre également dans le domaine de la musique vocale, notamment avec des chœurs – Berimbau (1977), Maracatu (1984), Poema de Natal (1987) – ou des mélodies – Instancia (1989), Quatro poemas de Haroldo de Campos (1997). Enfin on lui doit des pièces orchestrales : Concertante avec hautbois et piano solos (1985), Telurica pour cordes, Vereda pour orchestre symphonique (2003).
On peut souligner l’engagement très actif de cette compositrice non seulement dans la vie académique, à travers son enseignement, mais encore dans le mouvement musical en général par sa participation régulière à des manifestations comme le « Panorama de musica brasileira actual », la Biennale de musique brésilienne contemporaine, le festival Música Nova de Santos, et enfin dans le domaine de l’expérimentation et de la diffusion musicales avec ses interventions dans plusieurs événements ou installations multimédia. En outre, son œuvre, présente au répertoire de nombreux solistes et ensembles, est largement connue et diffusée au Brésil.
Philippe GUILLOT
■ CACCIATORE O. G. (dir.), Dicionário biográfico de música erudita brasileira, Rio de Janeiro, Forense Universitária, 2005.
RHEIMS, Bettina [NEUILLY-SUR-SEINE 1952]
Photographe française.
Fille de Maurice Rheims, commissaire-priseur, historien d’art et académicien, et sœur de l’écrivaine et productrice Nathalie Rheims (1959), Bettina Rheims a été galeriste, mannequin et journaliste, avant de se consacrer pleinement à la photographie, à partir de 1978. Ses portraits de strip-teaseuses et d’acrobates nues sont publiés en 1980 dans la revue Égoïste, puis présentés lors d’une première exposition monographique au Centre Georges-Pompidou en 1981, sous le titre Portraits. En 1982, sa galerie d’animaux en noir et blanc (Animal), exposée à Paris et à New York, lui assure un début de notoriété. Dès lors, l’artiste alterne projets personnels et commandes commerciales pour la presse, la mode, l’industrie du disque ou la publicité. Ces pratiques et usages divers de la photographie se confondent, pour ainsi dire, dans sa carrière. En 1984, elle intègre l’agence Sygma, qui lui confie des reportages et des portraits de célébrités, publiés dans des magazines populaires tels que Elle ou Paris Match. Dans le même temps, elle réalise quelques vidéoclips et des courts-métrages publicitaires. Le portrait et le nu féminin, minutieusement mis en scène, sont ses sujets de prédilection, que ce soit pour des commandes ou des réalisations personnelles, auxquelles elle se consacre plus librement à la fin des années 1980. Elle édite en 1989 Female Trouble, qui rassemble ses dix ans de travail autour du nu. En 1990, Modern Lovers, portraits de studio en noir et blanc d’adolescents androgynes, inaugure la Maison européenne de la photographie à Paris. À partir de 1991, sa collaboration avec l’écrivain Serge Bramly aboutit à diverses séries fictionnelles, comme l’érotique Chambre close (1992) en couleurs ou, plus récemment, le surréaliste Rose, c’est Paris, dont le film et les photographies savamment orchestrées sont présentés à la Bibliothèque nationale de France en 2010. Artiste controversée, elle fait l’objet de polémiques tant pour le caractère pornographique de son travail (Morceaux choisis, 2001) que pour son irrévérence morale et religieuse supposée dans I. N. R. I. (1997-1998), projet de relecture sensualiste de la vie du Christ. Photographe de célébrités, B. Rheims bénéficie toutefois d’une certaine reconnaissance institutionnelle, qui la conduit à réaliser le portrait présidentiel de Jacques Chirac en 1995. Une exposition rétrospective d’envergure, intitulée Bettina Rheims, circule entre différentes institutions publiques et privées en Europe et aux États-Unis, de 2004 à 2006 (Lyon, Oslo, Berlin, Moscou, New York). Diffusées largement par la presse et l’édition, ses œuvres sont conservées dans des collections publiques françaises et étrangères.
Damarice AMAO
■ Rétrospective (catalogue d’exposition), Bramly S. (textes), Munich, Schirmer/Mosel, 2004.
■ ONFRAY M., Oxymoriques, les photographies de Bettina Rheims, Paris, Janninck, 2005.
RHODES, Zandra [CHATHAM 1940]
Styliste de mode et créatrice textile britannique.
Sa mère, mannequin chez Worth, lui a transmis le goût de la mode. À 19 ans, Zandra Rhodes s’inscrit au Medway College of Art (Kent), puis poursuit ses études au Royal College of Art de Londres. Pendant les années 1960, elle enseigne dans ce même établissement et travaille pour l’atelier d’impression londonien monté, en 1964, avec son compagnon, Alexander McIntyre. En 1969, elle s’associe au Fulham Road Clothes Shop, fondé deux ans plus tôt, et commence à réaliser des robes dans ses imprimés. En 1970, elle s’installe à son compte et devient célèbre. Elle élargit progressivement ses activités à la fourrure, au linge de maison, et, depuis 2000, à la création de costumes d’opéra. En 2003, elle ouvre le Fashion and Textile Museum, à Londres, où sont conservées ses archives. Les robes du soir, caftans et manteaux matelassés de Z. Rhodes sont fortement inspirés des formes et des motifs ethniques. Elle superpose plusieurs épaisseurs de mousseline, multiplie les pans asymétriques et les applications de perles, de paillettes et de plumes. Elle invente un style très personnel et extravagant qui répond à sa propre outrance d’influence punk : chevelure multicolore et maquillage soutenu. Elle appartient à la première vague de créateurs qui ont donné à la capitale anglaise sa réputation d’originalité et d’iconoclasme.
Zelda EGLER
■ Avec KNIGHT A., The Art of Zandra Rhodes, Londres, Michael O’Mara Books Limited/Zandra Rhodes Publications Limited, 1984 ; A Lifelong Love Affair with Textiles, Woodbridge, Antique Collector’s Club, 2005 ; KAMITSIS L., REMAURY B. (dir.), Dictionnaire international de la mode, Paris, Éditions du regard, 2004.
RHONDDA, Margaret HAIG MACKWORTH, 2de vicomtesse [LONDRES 1883 - ID. 1958]
Éditrice de presse britannique.
Fondatrice du magazine féminin britannique Time and Tide en 1920, lady Margaret Rhondda en devient la rédactrice en chef en 1926 et le soutient financièrement. C’est l’un des hebdomadaires les plus influents de Grande-Bretagne pendant l’entre-deux-guerres ; il attire dans ses colonnes des personnalités politiques et littéraires éclairées, dont Virginia Woolf*. Time and Tide a créé une tribune dans un domaine encore hostile aux avancées féminines et a contribué à faire connaître le travail de femmes écrivains et journalistes, occulté par la modernité littéraire. Parmi les principaux contributeurs et auteurs, on peut citer les suffragettes historiques Elizabeth Robins et Cicely Hamilton*, des célébrités littéraires comme Clemence Dane* ou E. M. Delafield*, des féministes, intellectuelles de haute-volée comme Naomi Mitchison* ou Rebecca West*, et la principale collaboratrice de M. Rhondda, la romancière Winifred Holtby*. Pendant la période où elle est rédactrice en chef, M. Rhondda élargit le lectorat du journal. Accusée d’en édulcorer l’engagement féministe, elle favorise pourtant l’accès des femmes aux différents postes du journal, constituant un vaste réseau d’auteures, qu’elle engage comme chroniqueuses régulières, et de journalistes professionnelles dont la contribution à la production littéraire et à la culture politique britannique mérite d’être plus amplement reconnue.
Catherine CLAY
■ This Was My World, Londres, Macmillan, 1933 ; The Four Empires, Londres, Time & Tide Pub., 1943.
RHYS, Jean (née Ellen Gwendolen REES WILLIAMS) [ROSEAU, DOMINIQUE 1890 - EXETER 1979]
Romancière britannique.
Née d’un père docteur d’origine galloise et d’une mère créole d’ascendance écossaise, Jean Rhys arrive en Angleterre à l’âge de 17 ans, après avoir reçu ses premiers enseignements dans une école conventuelle. À Cambridge, comme plus tard à la Royal Academy of Dramatic Art où elle arrive en 1909 pour devenir actrice, son accent se révèle être un handicap. Elle joue des petits rôles dans des comédies musicales. À la mort de son père, elle noue une relation qui se solde par un avortement qui lui est presque fatal. Pour subvenir à ses besoins, elle pose nue pour des artistes. Elle se marie trois fois sans trouver le bonheur, voyageant beaucoup à travers l’Europe et donnant naissance à deux enfants. En 1924, Ford Madox Ford l’encourage à écrire. Elle publie un recueil de nouvelles, Rive gauche, en 1927, puis des romans. Voyage dans les ténèbres (1934), roman autobiographique, décrit les vicissitudes d’une femme abandonnée. Elle utilise dans Bonjour minuit (1939) le courant de conscience d’une femme vieillissante. Après ce dernier roman, elle passe alors plus de vingt-cinq ans dans le dénuement et l’alcoolisme et sort de ce long silence en publiant La Prisonnière des Sargasses (1966), dont l’action se situe aux Antilles et qui reprend Jane Eyre du point de vue de la « folle dans le grenier », revenant ainsi à son thème fondamental : la femme impuissante car dépendante du pouvoir masculin et qui doit gérer son insécurité et sa fragilité.
Michel REMY
■ Rive gauche (The Left Bank and other Stories, 1927), Paris, Mercure de France, 1981 ; Voyage dans les ténèbres (Voyage in the Dark, 1934), Paris, Gallimard, 2005 ; Bonjour minuit (Good Morning Midnight, 1939), Paris, Denoël, 2001 ; La Prisonnière des Sargasses (Wide Sargasso Sea, 1966), Paris, Gallimard, 2004.
■ JORDIS C., Jean Rhys, qui êtes-vous ?, Paris, La Manufacture, 1990.
RIAHI, Shahla (Ghodrat Zman VAFA DOUSTE, dite) [TÉHÉRAN 1926]
Actrice et réalisatrice iranienne.
À l’âge de 14 ans, Shahla Riahi épouse Esmaïl Riahi, acteur formé à la mise en scène, à l’écriture et, plus tard, à la réalisation. Elle démarre dans le métier en 1944, à Téhéran, au Théâtre d’Iran, construit dans les années 1920 sur le modèle du Globe Theatre de Londres, et acquiert dès ses débuts – dans une pièce sur la politique d’Haroun al-Rachid – une notoriété qui rejaillit sur ce théâtre. Lorsque des cours d’acteurs de cinéma, avec de nouvelles techniques, de nouvelles formes de jeux et de relations avec le public, s’organisent au Ciné-Théâtre, elle apprend le métier d’actrice dès l’âge de 17 ans. En 1951, avec le film Khabhaye talayi (« rêves dorés »), réalisé par Moezzodivan Fekri, elle fait sa première apparition au cinéma. En 1956, elle est la première femme réalisatrice du cinéma iranien avec Marjan. Pendant dix ans, elle joue des personnages principaux. Dans les années 1960, le cinéma iranien bascule dans les commandes commerciales, telles que le cabaret-cinéma, et a besoin d’une nouvelle génération d’actrices. En désaccord avec ce nouveau genre, bien que très jeune, S. Riahi n’accepte de jouer que des personnages âgés, avec un bon maquillage. Elle joue dans plus de 72 films, la plupart très populaires, avant de rejoindre le cercle des acteurs de la télévision iranienne.
Kazem SHAHRYARI
RIAZ, Fehmida [MEERUT, INDE 1946]
Écrivaine et féministe pakistanaise.
Après la disparition de son père alors qu’elle n’a que 4 ans, elle est élevée par sa mère. Elle publie son premier poème à l’âge de 15 ans dans la prestigieuse revue littéraire Funoon, dirigée par le poète Ahmed Nadeem Qasmi, puis son premier recueil à 22 ans. D’abord présentatrice à la radio pakistanaise, Fehmida Riaz s’installe au Royaume-Uni pour collaborer au service ourdou de la BBC durant plusieurs années. Elle fonde ensuite la revue littéraire Awaz, où elle rencontre son futur époux, le syndicaliste Zafar Ali Ujan. Le contenu politique et polémique de la revue attire les foudres du général Zia ul-Haq, et de nombreux procès sont intentés contre les époux et la revue. Cette dernière est finalement interdite de publication et le couple jeté en prison. Libérée par un admirateur, F. Riaz parvient, sous le prétexte d’une invitation à un festival de poésie, à se réfugier en Inde, où son mari la rejoint à sa libération. Elle enseigne la poésie à l’université de New Dehli et à l’université Jamia Millia Islamia, dans la même ville. Après sept ans d’exil, désillusionnée par la montée du nationalisme hindou, elle retourne au Pakistan et formule ce triste constat sur l’Inde : « Vous vous êtes révélés être tout comme nous, tout aussi stupides, tout aussi enracinés dans ce passé qui nous a tant fait perdre. Vous êtes enfin arrivés au même lieu, devant le même portail. Félicitations, mille félicitations. » Nommée directrice de la Fondation nationale du livre par Benazir Bhutto*, elle retombe en disgrâce à l’arrivée du gouvernement de Nawaz Sharif, qui l’accuse d’être une espionne indienne, avant de devenir définitivement persona non grata après l’éviction du deuxième gouvernement Bhutto. Son œuvre prolifique est habitée par un sentiment de révolte contre les injustices sociales et politiques, contre les institutions religieuses, contre la domination masculine. Militante féministe, elle s’insurge contre le rôle secondaire auquel sont cantonnées les femmes dans la société pakistanaise. Elle publie également de nombreuses traductions de textes féministes.
Roshan GILL
RIAZ UDDIN, Akhtar [1928]
Militante féministe et humanitaire pakistanaise.
Diplômée du Kinniard College de Lahore en 1949, Akhtar Riaz Uddin s’est orientée vers un MA (Master of Art) en littérature anglaise en 1951. Devenue professeure adjointe à l’Islamia College for Women, elle y a enseigné de 1952 à 1965, avant de se tourner vers l’humanitaire, comme militante de terrain et coordinatrice politico-administrative de haut niveau. Agissant en tant que médiatrice entre le gouvernement fédéral et les autorités provinciales, elle a contribué à gérer des crises majeures (inondations, tremblements de terre, afflux de réfugiés) durant la période 1965-1984. S’agissant des ONG, elle a également assumé des fonctions dirigeantes. Elle est fondatrice de BAP (Behbud Association of Pakistan) qui aide les sans-abri. Son engagement dans la lutte pour les droits des femmes constitue un volet majeur de son parcours. Présente à différentes conférences internationales consacrées à ce thème, elle était notamment chef de la délégation venue assister à la 32e session de la commission des Nations unies sur le statut des femmes, à Vienne en 1988. A. Riaz Uddin a collaboré en 1975 à la sortie du livre Pakistan, qui regroupait une série d’essais écrits par différentes personnalités accompagnés d’illustrations photo grand format. En 1988, elle a publié History of Handicrafts : Pakistan-India, consacré aux traditions artisanales populaires, témoignant de sa volonté de ne pas disjoindre le patrimoine culturel commun des deux nations.
Roshan GILL
■ Dhanak par qadam, Lahore, Pakistan Raitarz Koapretiv Sosaiti/Taqsimkar, Koapra Buk Shap aind Art Gailari, 1972 ; History of Handicrafts : Pakistan-India, [s. l.], National Hijra Council, 1988.
RIBEIRO, Isabel (Frederica ISABEL LAT RIBEIRO) [SÃO PAULO 1941 - ID. 1990]
Actrice brésilienne.
Forte d’un travail déjà solide au théâtre (elle commence à jouer en 1963), Isabel Ribeiro débute au cinéma en 1966 et obtient son premier rôle important en 1969, dans Les Héritiers (Os herdeiros, Carlos Diegues). En presque trente ans de carrière, elle conjugue le théâtre (21 pièces), le cinéma (27 films) et la télévision (14 feuilletons), pour atteindre en tout domaine un haut niveau d’interprétation, unanimement reconnu. Au cinéma, elle tourne avec certains des meilleurs cinéastes brésiliens, tels C. Diegues, Nelson Pereira dos Santos, Leon Hirzsman, Ruy Guerra, Arnaldo Jabor (Toda nudez será castigada, « toute nudité sera punie », 1973). Certaines de ses interprétations sont considérées comme des moments d’anthologie du cinéma brésilien, notamment dans L’Aliéniste (Azyllo muito louco, Pereira dos Santos, 1970), São Bernardo (L. Hirzsman, 1972), Os condenados (« les condamnés », Zelito Viana, 1974) et A queda (« la chute », R. Guerra 1978).
Mateus ARAUJO SILVA
RIBNIKAR, Jara (née HÁJEK) [HRADEC KARLOVE, AUJ. EN RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 1912 - BELGRADE, AUJ. EN SERBIE 2007]
Femme de lettres et romancière serbe.
Arrivée en Yougoslavie avec son père, le célèbre pianiste et professeur Emil Hájek, Jara Hájek épouse Vladislav Ribnikar, propriétaire et directeur du plus grand quotidien de l’ex-Yougoslavie, Politika. Pendant la Seconde Guerre mondiale, elle combat dans les rangs des partisans. Rédactrice pour la maison d’édition Jugoslavija entre 1948 et 1965, femme de gauche engagée pendant toute la période de l’après-guerre, elle assure la présidence de l’Union des écrivains de Serbie et du Pen Club de Serbie. Avec la célèbre poétesse Desanka Maksimović, elle publie en 1962 une anthologie de la poésie tchécoslovaque contemporaine : Savremena čehoslovačka poezija, izbor (« poésies tchécoslovaques contemporaines, sélection »). Écrivant sur des sujets typiques de la période de l’après-guerre, son œuvre la plus réussie est sans doute Jan Nepomucki (1969), qui porte sur le pianiste du même nom, la musique et la révolution d’Octobre. Sa deuxième édition remaniée, en 1978, est considérée par son auteure comme une « variation » à part. Le roman a été traduit en slovène, en allemand, en albanais, en hongrois, en roumain, en tchèque, en russe, en bulgare et en slovaque. Témoin et actrice de nombreux événements historiques, ce qui explique le succès de ses mémoires, Život i priča (« la vie et le récit »), parues en six volumes entre 1979 et 1995, elle est une auteure prolifique. Elle a publié des recueils de nouvelles : Devetog dana (« le neuvième jour », 1953), Largo (1957) ou encore Među nama (« entre nous », 1973). Elle est également romancière : Nedovršen krug (« un cercle inachevé », 1954), Zašto vam je unakaženo lice (« pourquoi vous êtes défiguré ? », 1956), Bakaruša (1961), Pobeda i poraz (« la victoire et la défaite », 1963), Ti (« toi », 1964), Ja, ti, mi (« moi, toi, nous », 1967), Priviđenja (« apparitions », 1976), Kratko beogradsko proleće (« un bref printemps belgradois », 1979), Porodične priče (« récits de famille », 1995), Roman o T. M. (« le roman de T. M. », 1998) et Skretnica (« l’aiguillage », 2001). Elle a traduit Saul Bellow, Vítězslav Nezval, Vilém Závada et Jaroslav Seifert.
Aleksandar JERKOV
RIBOWSKA, Malka [VARSOVIE 1931]
Actrice, scénariste, réalisatrice et écrivaine française.
Adolescente pendant l’Occupation, Malka Ribowska est cachée dans un pensionnat catholique parisien par ses parents. Ces derniers ne reviendront pas des camps. À 17 ans, elle suit les cours de Roger Blin. Sa personnalité intense et sa voix mélodieuse la prédisposent aux rôles de tragédienne : elle joue dans La Sauvage, de Jean Anouilh (mise en scène de Michel Saint-Denis, 1954), puis crée deux pièces d’Arthur Adamov, dont Paolo Paoli, sous la direction de Roger Planchon – elle y rencontre le créateur des décors, René Allio, qu’elle épouse et dont elle aura un fils. Au cinéma, avec Allio à la réalisation, elle incarne face à Sylvie* une rayonnante prostituée dans La Vieille Dame indigne (1965, d’après Bertolt Brecht) ; le film remporte un immense succès. En 1967, Allio lui fait jouer, dans L’Une et l’Autre, deux sœurs opposées. L’actrice incarne Mélinée Manouchian dans L’Affiche rouge (Frank Cassenti, 1975). Mère supérieure dans La Passion de Bernadette (Jean Delannoy, 1989, avec Emmanuelle Riva* et Catherine de Seynes), M. Ribowska retrouve Allio pour Transit (1991, d’après le récit d’Anna Seghers* sur l’Occupation à Marseille). On la revoit en 1997 dans la comédie de Mathieu Amalric Mange ta soupe. Elle tourne beaucoup pour la télévision, dans des adaptations de grandes œuvres littéraires : Le Sagouin (1972, François Mauriac), où elle impressionne en mère abusive ; Le deuil sied à Électre (1974, Eugene O’Neill) ; La Vie de Marianne (1976, Marivaux). Dans une réalisation signée Josée Dayan*, elle incarne La Femme rompue de Simone de Beauvoir* (1978). De l’écrivaine aussi, elle crée sur scène Monologue ou les Miasmes de la vie intérieure (mise en scène Françoise Seigner). En 1978, M. Ribowska et J. Dayan réalisent ensemble Simone de Beauvoir, un documentaire essentiel sur l’écrivaine, avec son témoignage, ceux de Sartre, Jacques-Laurent Bost, Claude Lanzmann et autres proches. Au théâtre, M. Ribowska interprète Procès à Jésus, de Diego Fabbri (mise en scène de Marcelle Tassencourt, avec Andrée Tainsy et le futur cinéaste Claude Berri). Jouant des rapports scène-salle, le spectacle, grand succès au théâtre Hébertot, est donné pour un soir au Vel’d’Hiv, en 1958. L’actrice crée la seule pièce de Patrick Modiano, La Polka (1974), avec la mère de l’auteur, Luisa Colpeyn. Elle incarne les héroïnes de Tennessee Williams (La Ménagerie de verre, 1983 ; Soudain l’été dernier, 1986). En 2005, elle écrit Je n’ai plus de nouvelles de Simon, un récit bouleversant en mémoire de la disparition de son fils. Elle adapte pour une lecture la correspondance entre S. de Beauvoir et J.-L. Bost (2013).
Bruno VILLIEN
■ Avec DAYAN J., Simone de Beauvoir, Paris, Gallimard, 1979 ; avec BONAL G., Simone de Beauvoir, Paris, Seuil, 2001 ; Je n’ai plus de nouvelles de Simon, Paris, Éditions du Panthéon, 2005.
RICCI, Nina (Maria NIELLI, dite) [TURIN 1883 - PARIS 1970]
Grand couturier française.
Maria Nielli a 7 ans lorsque sa famille déménage à Monte-Carlo. À 12 ans, à la mort de son père, elle est engagée comme apprentie dans un atelier de couture. En 1897, elle débute comme petite main chez Bloch, à Paris, et chez Bakry où, à 18 ans, elle est promue première d’atelier. De son mariage avec Luigi Ricci (décédé en 1909) naît un fils, Robert, en 1905. Elle entre ensuite chez Raffin, où elle reste vingt ans, et devient associée. Très apprécié, son département demeure entièrement autonome. Quand la maison Raffin ferme, en 1929, la créatrice s’apprête à quitter le monde du travail, mais son fils Robert la convainc de se lancer avec lui dans l’ouverture, en 1932, de la maison Nina Ricci, 20, rue des Capucines, à Paris. Dès le premier défilé, c’est un succès. De 1932 à 1939, la maison s’étend et occupe 11 étages répartis dans trois immeubles. Moins importante que Lanvin, Nina Ricci attire néanmoins une plus grosse clientèle, peut-être en raison de prix plus raisonnables. Ses clientes sont des bourgeoises plus sensibles à la qualité qu’à l’extravagance. Parmi elles figurent Gaby Morlaix, Suzy Delair* et Danielle Darrieux*. Née de l’association d’une mère et de son fils, la maison Nina Ricci est un cas unique dans l’histoire de la haute couture. À l’origine des parfums, Robert Ricci lance entre autres L’Air du Temps, en 1948, l’un des plus gros succès de l’histoire de la parfumerie. Les parfums font de Nina Ricci un empire qui continuera à se développer après la disparition de sa fondatrice. Dès sa création, le style Nina Ricci se reconnaît à son élégance très féminine. Richesse des matériaux, exécution irréprochable et perfection de la silhouette sont les maîtres mots de la maison. Technicienne hors pair, N. Ricci travaille à la manière d’une sculptrice, drapant le tissu directement sur le mannequin. Ses créations sont teintées de toutes sortes de réminiscences : Art déco, classicisme, baroque, romantisme, néoclassicisme… Son idée maîtresse est de privilégier la personnalité de chaque femme pour la mettre en valeur. Pour N. Ricci, l’élégance n’obéit qu’à un seul principe : être soi avant d’être vu.
Zelda EGLER
■ DESLANDRES Y., MÜLLER F., Histoire de la mode au XXe siècle, Paris, Somogy, 1986 ; POCHNA M.-F., Nina Ricci, Paris, Éditions du regard, 1992 ; KAMITSIS L., REMAURY B. (dir.), Dictionnaire international de la mode, Paris, Éditions du regard, 2004.
RICCIARDI VON PLATEN, Alice [WEISSENHAUS, ALLEMAGNE 1910 - CORTONE, ITALIE 2008]
Médecin et psychanalyste italienne.
Née dans une famille aristocratique d’Allemagne du nord, sympathisante socialiste et anglophile, Alice von Platen intègre la Schule Schoss Salem, école réputée pour sa pédagogie progressiste où, très tôt, elle est introduite aux idées démocratiques qui font de la responsabilité sociale le fer de lance de l’éducation. Elle fait par la suite ses études de médecine à la faculté de Munich et obtient son diplôme en 1934. C’est pendant cette période qu’elle se trouve confrontée à la violence des étudiants embrigadés dans le parti nazi. Son premier poste de médecin assistant à l’hôpital de Potsdam la rend témoin de la cruauté du psychiatre Hans Heinze envers des patients atteints de troubles psychiatriques. Celui-ci sera, plus tard, tenu pour responsable de l’assassinat par injection ou intoxication de très nombreux enfants et sera condamné pour crimes de guerre. Elle interrompt alors sa formation spécialisée et rejoint, à Florence, le milieu des réfugiés ayant fui le nazisme. C’est dans cette ville qu’elle complète son doctorat en médecine sur les allergies. Elle reste en Italie jusqu’à l’été 1939. Quand la guerre éclate, elle travaille comme médecin de campagne en Autriche, près de Linz, où elle entend parler des horreurs qui se commettent dans les camps de concentration de Mauthausen et d’Ebensee qui sont à proximité. Après la guerre, elle travaille à Heidelberg comme assistante de Viktor von Weizsäcker, le pionnier de la médecine psychosomatique, qui la recommande pour faire partie de la délégation allemande d’observateurs médicaux, dirigée par Alexander Mitscherlich, lors du procès des médecins à Nuremberg en 1946. De cette douloureuse et éprouvante expérience, elle fera un ouvrage de référence, qui paraîtra à Francfort dès 1948 : L’Extermination des malades mentaux dans l’Allemagne nazie. En 1949, elle part pour Londres où elle se forme à la psychothérapie avec Michael Balint et travaille dans plusieurs hôpitaux psychiatriques. En 1952, elle suit une formation à la Tavistock Clinic, s’intéresse à l’analyse de groupe et devient membre de la société qui la promeut. À la suite de son mariage avec le baron Augusto Ricciardi, elle s’installe à Rome comme psychanalyste. Dans les années 1970, elle crée le Centre italien d’analyse de groupe qui propose cette thérapie comme alternative aux limites de la cure individuelle. Il s’agit de développer les capacités thérapeutiques des membres du groupe pour en faire des cothérapeutes les uns pour les autres. Elle gagnera plus tard la Toscane où elle s’éteindra paisiblement après avoir vu son travail historique redécouvert par une nouvelle génération de médecins allemands et enfin traduit en italien. Toujours élégante, attentive à la pensée des autres, d’une vivacité sans faille, alors âgée de 96 ans, elle donne des conférences à Nuremberg devant un jeune public d’Allemands demandant des comptes sur le passé nazi de leur pays.
Chantal TALAGRAND
■ L’Extermination des malades mentaux dans l’Allemagne nazie (Die Tötung Geisteskranker in Deutschland, 1948), Paris, Érès, 2001.
RICCOBONI, Marie-Jeanne (née LABORAS DE MÉZIÈRES) [PARIS 1713 - ID. 1792]
Écrivaine et comédienne française.
Enfant illégitime d’un père condamné pour bigamie en 1719, elle est destinée par sa mère au cloître, où elle trouve réconfort dans la lecture des romans. Elle en sort à l’âge de 14 ans, joue dans des troupes de société, puis au Théâtre-Italien. Elle se marie en 1734 avec Antoine-François Riccoboni afin de quitter sa mère. Comédienne de métier jusqu’en 1760, elle gagne, par l’écriture, renommée et indépendance, et obtient en 1772 une pension royale de 2 000 livres, qui lui sera supprimée sous la Révolution. Après une suite de La Vie de Marianne (1751), publiée en 1761 – probablement avec la bénédiction de Marivaux –, quelques comédies dont Les Caquets (1761) et Cécile (1780), créées par la troupe des Italiens, les œuvres majeures que sont les Lettres de Mistriss Fanny Butlerd (1757), l’Histoire du marquis du Cressy (1758), les Lettres de Mylady Juliette Catesby (1759), l’Histoire de Miss Jenny (1764) et les Lettres de Milord Rivers (1777) en font une romancière à la mode, imitée, à tel point que Choderlos de Laclos cherchera son assentiment en 1782. Son œuvre romanesque (une douzaine d’ouvrages jusqu’en 1786, dont sept par lettres), témoin du goût anglais et sentimental, met en scène des femmes, victimes des inégalités de condition entre les sexes, face à l’infidélité et à l’orgueil masculins. Privilégiant la forme monophonique, elle rend honneur, avant l’Héloïse, à un style naturel et pathétique qui lui vaudra ensuite son infortune critique. Trop assimilés à des récits autobiographiques, parfois revendicatifs, ces romans font entendre les aspirations au bonheur et à la vertu, et l’amère soumission des femmes. Séparée en 1761 de son mari, brutal, alcoolique et endetté, qu’elle soignera toutefois avec dévouement lorsqu’il deviendra infirme, Mme Riccoboni mène une vie indépendante qu’elle partage avec son amie fidèle, Marie-Thérèse Biancolelli*, une comédienne retirée de la scène. Elle entretient un cercle d’amis parmi lesquels on compte Marivaux, Diderot, D’Alembert, le baron d’Holbach, Hume, Goldoni, ainsi que les acteurs anglais David Garrick et Robert Liston avec lesquels elle correspond ; le premier supervisera la traduction de ses romans à Londres. Dans son œuvre romanesque comme dans sa correspondance, l’écrivaine ne cesse d’explorer le cœur humain, de s’interroger sur les passions et les sentiments, au-delà des apparences et des bienséances de la société.
Laurence VANOFLEN
■ CAZENOBE C., Au malheur des dames, le roman féminin au XVIIIe siècle, Paris, H. Champion, 2006 ; CROSBY A., Une romancière oubliée, Mme Riccoboni, Genève, Slatkine, 1970 ; DEJEAN J., Tender Geographies, Women and the Origins of the Novel in France, New York, Columbia University Press, 1991 ; HERMAN J., PEETERS K., PELCKMANS P., Mme Riccoboni, romancière, épistolière, traductrice, Leuven, Peeters, 2007.
■ CAZENOBE C., « Le féminisme paradoxal de Mme Riccoboni », in Revue d’histoire littéraire de la France, vol. 88, 1988.
RICE, Condoleezza [BIRMINGHAM, ALABAMA 1954]
Femme politique américaine.
Née en Alabama à l’époque de la ségrégation, d’une mère pianiste et d’un père pasteur, Condoleezza Rice obtient son doctorat en sciences politiques en 1981. Spécialiste de l’Union soviétique, elle devient rapidement professeure assistante puis professeure associée en sciences politiques à l’université californienne Stanford. D’abord démocrate, elle critique la politique extérieure du président Jimmy Carter et adhère au Parti républicain en 1982. Son expertise sur l’Union soviétique attire l’attention des poids lourds du parti, et elle est nommée au Conseil de sécurité nationale par le président George H. W. Bush (père) en 1989. Jusqu’à son retour à la politique en 2000, elle enseigne à Stanford et joue également un rôle de consultante sur les pays de l’ancien bloc soviétique auprès de clients des secteurs public et privé, notamment pour Chevron, la multinationale du pétrole. En janvier 2001, elle devient conseillère de George W. Bush (fils) à la sécurité nationale, fonction qu’elle va occuper jusqu’en 2005. Son sang-froid pendant les négociations lui vaut le surnom de « Warrior Princess » (« princesse guerrière »). Elle joue un rôle important et controversé dans la décision d’envahir l’Irak en 2003. Nommée secrétaire d’État de 2005 à 2009, elle est la première femme afro-américaine à occuper ce poste. En juin 2005, en visite en Égypte, elle critique sévèrement le gouvernement du président Hosni Moubarak, dont elle juge insuffisante l’introduction du multipartisme à l’élection présidentielle. À cette occasion, elle reconnaît que « pendant soixante ans, les États-Unis ont recherché la stabilité aux dépens de la démocratie au Proche-Orient et n’ont accompli ni l’une ni l’autre ». Elle continue à justifier l’intervention américaine en Irak et soutient la théorie de la guerre préventive de la présidence Bush. Elle publie ses mémoires de secrétaire d’État en 2011, No Higher Honor (« pas de plus grand honneur »).
Béatrice TURPIN
■ FELIX A., Condi, the Condoleezza Rice Story, New York, Newmarket, 2002 ; KESSLER G., The Confidante. Condoleezza Rice and the Creation of the Bush Legacy, New York, St. Martin’s, 2007 ; MANN J., Rise of the Vulcans. The History of Bush’s War Cabinet, New York, Penguin, 2004.
RICE, Lilian Jennette [NATIONAL CITY 1888 - SAN DIEGO 1938]
Architecte américaine.
Figurant parmi les premières diplômées de l’École d’architecture de l’université de Californie à Berkeley, Lilian Jennette Rice est aujourd’hui connue comme la créatrice du ranch Santa Fe, près de San Diego. Fille d’un pédagogue et d’une artiste peintre, elle entre à Berkeley en 1906, deux ans après la création du programme d’architecture de John Galen Howard (1864-1931) qui, après des études au MIT (Institut de technologie du Massachusetts) et aux Beaux-Arts de Paris, est soumis à la double influence de la formation européenne et d’un régionalisme californien naissant. De lui, elle apprend une rigoureuse méthode de conception, fondée sur l’histoire et tempérée par une attention portée à l’architecture vernaculaire, aux traditions culturelles locales et au paysage naturel. Diplômée en 1910, elle retourne dans sa ville natale, National City, où elle trouve un mentor, une architecte ayant ouvert sa propre agence, Hazel Wood Waterman (1864-1948), protégée du moderniste Irving Gill (1870-1936). Par la suite, elle travaille pour le cabinet d’architecture Requa & Jackson, réputé pour son approche traditionnelle. Entre 1922 et 1928, en tant qu’architecte superviseur de l’agence, L. J. Rice va concevoir un quartier élégant dans la zone nord de San Diego, au sein d’un ancien ranch. Elle y réalise, tout en adobe, un espace urbain résidentiel de style néocolonial espagnol, le ranch Santa Fe, qui réunit logements, écoles, bibliothèque, centre social et bâtiments commerciaux. Lorsque le cabinet met fin à leur association, elle ouvre sa propre agence et travaille pour les communautés urbaines voisines de Pacific Beach, Chula Vista et Escondido. La maison Robinson qu’elle réalise à La Jolla en 1929 est souvent considérée comme son œuvre personnelle la plus marquante. En 1931, elle devient membre de l’AIA (Institut des architectes américains), alors plutôt fermé aux femmes.
Monica PENICK
■ EDDY L.L., Lilian Jennette Rice, the Lady as Architect, San Diego, Université de San Diego, 1985 ; PAINE J., « Lilan Rice », in TORRE S. (dir.), Women in American Architecture. A Historic and Contemporary Perspective, New York, Whitney Library of Design, 1977 ; WELCH D. Y., Lilian J. Rice, Architect of Rancho Santa Fe, California, Atglen (Pennsylvanie), Schiffer, 2010.
■ EDDY L. L., « Lilian Jennette Rice : search for a regional ideal », in The Journal of San Diego History, vol. 29, no 4, automne 1983.
RICH, Adrienne [BALTIMORE 1929 - SANTA CRUZ 2012]
Poétesse et essayiste féministe américaine.
Fille d’un professeur de médecine et d’une musicienne, Adrienne Rich fait ses études au Radcliffe College (Cambridge, Massachusetts). Très tôt acclamée aux États-Unis pour sa poésie, elle est également l’auteure d’essais sur la condition de femme et de poète qui influencent beaucoup la critique littéraire féministe. Mère de trois garçons mais aussi lesbienne, elle transpose son expérience dans son œuvre. Dans un essai de 1976, « It is the Lesbian in Us… » (On Lies, Secrets and Silences, « sur les mensonges, les secrets et les silences », 1979), elle fait de la lesbienne le symbole de la femme créatrice qui, selon sa formule, « choisit » d’être femme et puise dans ses propres ressources la matière de son art. À partir de 1978, dans le recueil de poèmes The Dream of a Common Language (« le rêve d’un langage commun »), A. Rich développe l’idée d’un « continuum lesbien », culture féminine alliant sens de la communauté et épanouissement personnel, et espère que sa poésie contribuera à concrétiser cette utopie en créant un « langage commun ». Ici, le terme « commun » est à prendre dans ses deux acceptions : il souligne la nécessité d’entrer en relation, mais aussi celle de glorifier les vies obscures, ordinaires dont on ne parle jamais. La poésie d’A. Rich, comme sa critique, se cristallise autour d’un centre d’intérêt principal : la relecture et la réévaluation de la littérature du passé, ainsi que la reconstitution d’une tradition féminine. Sur le plan esthétique, l’exploration d’un passé commun s’articule autour de métaphores appartenant à trois domaines : l’archéologie (Diving into the Wreck, « en plongeant dans l’épave », 1973), la biologie (« Mother-Right », « droit de mère », The Dream of a Common Language) et la géologie (« Natural Resources », id.). Ces dernières correspondent aux trois fonctions que l’écrivaine attribue à la mémoire : retrouver un passé oublié, guérir les blessures anciennes et réunir les fragments d’un moi épars tout en retrouvant une harmonie possible avec le monde. Mais cette renaissance ne peut s’accomplir qu’à la condition d’un retour aux sources passant par une redécouverte de la figure maternelle, thème de l’ouvrage Naître d’une femme (1976) et de nombreux poèmes tels que « Sibling Mysteries » (« les mystères des frères et sœurs », The Dream of a Common Language), « Splittings » (« répartitions », id.) ou encore « The Mirror in which Two are Seen as One » (« le miroir où deux semblent être un », Diving into the Wreck).
Marie-Claude PERRIN-CHENOUR
■ Naître d’une femme, la maternité en tant qu’expérience et institution (Of Woman Born : Motherhood as Experience and Institution, 1976), Paris, Denoël-Gonthier, 1980.
■ LEMARDELEY-CUNCI M.-C., Adrienne Rich. Cartographies du silence, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1990.
RICHARD, Marthe (née BETENFELD) [BLÂMONT 1889 - PARIS 1982]
Femme politique française.
Le nom de Marthe Richard est associé à la loi du 13 avril 1946 fermant les maisons closes. Élue du MRP à Paris, elle prit activement part, en 1945, à la décision du conseil municipal d’abolir les établissements de prostitution, qui allait précipiter le vote de l’Assemblée nationale constituante. Cependant, cette loi est davantage l’aboutissement d’une longue lutte portée par la Fédération abolitionniste internationale depuis le début des années 1870 que le résultat de son initiative personnelle. Il est difficile de retracer son parcours de vie tant le mythe – qu’elle a contribué à mettre en place par des récits autobiographiques – se mêle à la réalité. Bien qu’elle soit connue du grand public avant la Seconde Guerre mondiale comme espionne « au service de la France » – grâce au film réalisé par Raymond Bernard en 1937 –, son rôle en la matière est cependant controversé. Il est désormais établi qu’elle se prostitua à Nancy durant sa jeunesse, mais que son caractère ambitieux lui permit d’abandonner rapidement l’état de prostituée pour accéder à une vie rarement promise aux femmes, dont l’obtention de son brevet de pilote est sans doute la meilleure illustration. M. Richard demeure, toutefois, une « aventurière » qui, au gré des événements, n’est pas toujours restée fidèle à ses engagements.
Amélie MAUGÈRE
■ BOUDARD A., La Fermeture. 13 avril 1986. La Fin des maisons closes, Paris, R. Laffont, 1986 ; COQUART É., Marthe Richard. De la petite à la grande vertu, Paris, Payot, 2006 ; HENRY N., Marthe Richard, l’aventurière des maisons closes, Paris, Punctum, 2006.
RICHARDS, Audrey Isabel [LONDRES 1899 - RUSSELL SPRINGS, ÉTATS-UNIS 1984]
Anthropologue britannique.
Diplômée en sciences naturelles, Audrey Richards décide d’étudier l’anthropologie et entame un doctorat sous la direction de Charles Gabriel Seligman. Mais c’est dans les cours de Bronisław Malinowski qu’elle découvre la méthode fonctionnaliste utilisée dans son premier travail de terrain en Afrique (Hunger and Work in a Savage Tribe : a Functional Study of Nutrition among the Southern Bantu, 1932). Dans cette étude consacrée à l’alimentation, elle analyse le rôle des femmes dans cette activité sociale fondamentale. Sa formation lui permet d’y inclure les apports des sciences naturelles sur l’agriculture, la fertilité, l’usage du sol, les rituels, l’organisation sociale, économique et politique, la parenté et le rôle des femmes. Sur le plan théorique, elle se démarque rapidement du fonctionnalisme en apportant une vision plus structuraliste des sociétés sur lesquelles elle se penche, en particulier les Bantou, Tswana et Bemba. Chisungu : A Girls’ Initiation Ceremony among the Bemba of Northern Rhodesia (1956) est une œuvre fondatrice dans l’analyse des rituels. Elle montre comment l’initiation des filles – par sa mise en scène de la sexualité, de la fertilité et du mariage – est liée à la structure sociale matrilinéaire des Bemba. À partir de 1962, à travers l’étude de la communauté d’Elmdon – un village près de Cambridge –, elle fait de la société britannique un objet de recherches (à partir d’un projet proposé par Edmund Leach). Reconnue comme la créatrice de l’anthropologie de l’alimentation et des rituels, A. I. Richards a formé plusieurs générations d’anthropologues britanniques et africains.
Miriam GROSSI et Gicele SUCUPIRA
■ « Mother right among the central Bantu », in PRITCHARD E. E. (dir.), Essays Presented to C.G. Seligman, Londres, Kegan Paul, 1934 ; Land, Labour, and Diet in Northern Rhodesia : an Economic Study of the Bemba Tribe (1939), Münster/Hambourg, LIT, 1995 ; « Some types of family structure among the central Bantu », in RADCLIFFE-BROWN A. R., FORDE D. (dir.), African Systems of Kinship and Marriage (1950), Londres, Routledge & Kegan Paul, 1987.
■ SILVERSTEIN S., « Audrey Isabel Richards », in GACS U., KAN A., MCINTYRE J., WEIBERG R. (dir.), Women Anthropologists, Urbana, University of Illinois Press, 1989.
RICHARDS, Ellen (née SWALLOW) [DUNSTABLE 1842 - JAMAICA PLAIN 1911]
Chimiste américaine.
Première femme américaine à entrer au Massachusetts Institute of Technology (MIT), Ellen Richards est la plus célèbre femme chimiste du XIXe siècle. Pionnière en développement sanitaire, elle est aussi la première à parler d’écologie et de respect de la nature. Née dans une vieille famille de Nouvelle-Angleterre très peu fortunée, elle gagne sa vie en donnant des cours et en faisant des ménages après ses études secondaires. Elle reprend des études en 1868, au Vassar College (université créée en 1861 pour les femmes) et en sort deux années plus tard, diplômée en chimie. Elle essaie d’obtenir un poste dans l’industrie, mais elle est partout éconduite. Cependant, on lui conseille de déposer sa candidature comme special student au MIT et, trois ans plus tard, elle est acceptée. Elle obtient un BS en chimie, ce qui fait d’elle la première femme diplômée du MIT, ainsi que le grade de maître à Vassar, où elle avait soumis une thèse sur le minerai de fer. En 1875, elle épouse R. L. Richards, directeur du département des mines. Avec l’aide de son mari, elle crée des programmes de cours pour les femmes étudiantes et reçoit pour ce faire une annuité de 1 000 dollars. En 1876, le laboratoire des femmes est créé au MIT, et E. Swallow Richards devient, en 1879, instructrice en analyse chimique, chimie industrielle, minéralogie et biologie appliquée. De 1884 à sa mort, elle enseigne dans le laboratoire de chimie sanitaire nouvellement fondé. En 1887, le laboratoire récolte 20 000 échantillons pour établir le premier standard de la qualité de l’eau dans l’État du Massachusetts ainsi que le premier plan d’installation du tout-à-l’égout. E. Swallow Richards sera la chimiste consultante et, de 1887 à 1897, l’analyste officielle pour la qualité de l’eau. En 1892, elle introduit aux États-Unis le mot « écologie », déjà employé en Allemagne avec la signification « prendre soin de la nature ». Elle introduit également les sciences économiques de la maison, prenant en considération des principes comme la nutrition, l’habillement, la santé physique, la propreté. Elle est présidente de l’American Home Economics Association, nouvellement créée. En 1881, elle fonde avec Marion Talbot et 15 autres femmes universitaires The American Association of University Women (AAUW) pour que les diplômées aident les autres à s’éduquer. Aujourd’hui, l’AAUW réunit plus de 100 000 adhérentes, couvrant 1 300 disciplines, avec des partenaires universitaires dans tout le pays. Le MIT a mis en place un poste de professeur Ellen Swallow Richards, destiné à une femme membre de la Faculté distinguée pour son mérite.
Yvette SULTAN
■ First Lessons in Food and Diet, Boston, Whitcomb & Barrows, 1904 ; The Cost of Shelter, New York, J. Wiley & Sons, 1905 ; Meat and Drink, Boston, Health-Education League, 1906 ; The Efficient Worker, Boston, Health-Education League, 1908 ; Air, Water, and Food : From a Sanitary Standpoint, New York, J. Wiley & Sons, 1914 (4e éd., revue et corrigée).
RICHARDSON, Dorothy [ABINGDON 1873 - BECKENHAM, KENT 1957]
Romancière britannique.
Née dans une famille pauvre, Dorothy Richardson doit travailler dès l’âge de 17 ans. Elle part habiter à Londres en 1895, où elle fréquente l’avant-garde socialiste et des cercles artistiques comme le Bloomsbury Group et publie traductions, articles de journaux et deux livres d’histoire religieuse. Après une liaison avec H.G. Wells, elle épouse l’artiste Alan Odle. Tout au long de sa vie, elle publie essais, poèmes et nouvelles mais c’est la série des romans au titre général de Pilgrimage qui lui assure une place exceptionnelle dans l’histoire de la littérature, ne serait-ce que par son invention du « courant de conscience », technique qui vise à reproduire le flux chaotique de la conscience avant son ordonnancement dans la langue. Le premier de ces romans, Toits pointus (1915), inaugure cette écriture du monologue intérieur. Écrivaine féministe, elle revendique l’égalité des droits entre hommes et femmes et voit l’expérience des femmes, dont l’identité ne peut être définie en termes masculins, comme absolument centrale. Sa rupture avec les lois de la syntaxe, de la ponctuation et de la longueur habituelle des phrases est, pour elle, l’essence même de l’expression féminine. On assiste dans ses écrits à un réveil d’ordre social, sexuel et littéraire sur fond de lutte entre l’humanisme, le communisme et le fascisme, et ses lettres montrent l’itinéraire d’une des plus grandes expérimentatrices de la littérature anglaise.
Michel REMY
■ Toits pointus (The Pointed Roofs, Pilgrimage 1, 1915), Paris, Mercure de France, 1965 ; Rayon de miel (Honeycomb, Pilgrimage 3, 1917), Arles, B. Coutaz, 1989 ; Impasses (Deadlock, Pilgrimage 6, 1921), Paris, Les Belles Lettres, 1992.
■ FROMM G. G., Dorothy Richardson : A Biography, Urbana/Chicago, University of Illinois Press, 1977.
RICHARDSON, Gloria ST. CLAIR HAYES [BALTIMORE 1922]
Militante américaine pour les droits civiques.
Gloria Richardson est entraînée au début des années 1960 dans le mouvement des droits civiques par sa fille aînée, alors étudiante et membre du Student Nonviolent Coordinating Committee (SNCC, « comité non violent de coordination étudiante ») dans le Maryland. En 1962, elle décide, avec d’autres parents, de fonder le Cambridge Nonviolent Action Committee (CNAC), branche « adulte » et locale du SNCC, et en devient coprésidente. Le CNAC participe avec d’autres groupes au Cambridge Movement, qui organise des manifestations parfois violentes pour la fin de la ségrégation dans les services publics. Le gouverneur du Maryland envoie la Garde nationale contre les manifestants en juin 1963. G. Richardson, critiquée par Martin Luther King pour ses positions radicales, travaille avec Malcom X dans l’organisation pour l’unité des Afro-Américains (OAAU) jusqu’à ce que celui-ci soit assassiné en 1965. Puis elle part travailler à New York, où elle reste mobilisée pour la cause des femmes noires et des populations les plus pauvres.
Béatrice TURPIN
RICHARDSON, Henry HANDEL (Ethel Florence LINDESAY ROBERTSON, dite) [MELBOURNE 1870 - HASTINGS 1946]
Écrivaine australienne.
L’œuvre de Henry Handel Richardson est imprégnée de sa vie nomade, de l’exil et de la carrière de son père, médecin à l’époque de la ruée vers l’or. Empreints de réalisme et de rigueur stylistique, ses essais tentent de cerner à la fois la tentation romantique et le provincialisme colonial d’une époque bourgeoise qu’elle exécrait. Prédestinée à la musique, c’est à Leipzig, où elle apprenait le piano au conservatoire (1888-1892), que H. H. Richardson se découvrit une passion pour les langues étrangères, la littérature et l’écriture. Elle s’adonna alors au français et s’éprit du romantisme allemand, lut les œuvres d’écrivains scandinaves et russes, et s’entraîna à l’écriture par le biais de la traduction. Swedenborg, Ibsen, Jacobsen, Goethe et Flaubert influencèrent son œuvre et bien qu’elle étudiât l’œuvre de Freud, cette lecture ne se ressent guère dans ses romans : son traitement du rêve, en particulier, est d’une naïveté attendrissante, ce qui est d’autant plus surprenant que l’auteure est, aujourd’hui encore, primée non seulement pour son réalisme juste, son authenticité historique et son impartialité narrative, mais aussi pour la véracité de ses portraits psychologiques. Jusqu’en 1933, elle bénéficia du soutien moral et financier de son époux, l’éminent philologue écossais John Robertson. Elle vécut à Strasbourg et s’établit définitivement à Londres lorsque J. Robertson y accepta la chaire d’allemand à l’université. Ses premiers romans, Maurice Guest (1908) et The Getting of Wisdom (« l’apprentissage de la sagesse », 1910), transposent en fiction son expérience de la vie estudiantine : l’un est situé à Leipzig et l’autre à Melbourne. À travers une reconstitution minutieuse et fébrile, tous deux peignent un monde placé sous le signe de conventions étouffantes et d’une certaine élégance, de l’obsession du détail, du goût pour les espaces interdits – un univers résonnant des apparences du bonheur, mais où le désir et l’amour n’ont pas de place. C’est cependant au-delà de la dimension intimement autobiographique que fut rédigée la trilogie The Fortunes of Richard Mahony (« les tribulations de Richard Mahony ») – Australia Felix (1917), The Way Home (1925), et Ultima Thule (1929) –, véritable trésor de la littérature australienne : nous sommes dans l’État de Victoria, à l’époque de la ruée vers l’or, période d’optimisme et d’effondrement durant laquelle Richard Mahony tente en vain de s’intégrer à une colonie philistine alors que sa quête spirituelle est de plus en plus liée à une vision nihiliste. La critique acclama ce « roman d’émigration », « chronique du colonialisme australien », « étude psychologique de l’échec d’un mariage » et « analyse d’une destinée complexe ». En effet, cette œuvre est d’une sensibilité peu commune : à la fois roman d’apprentissage, témoignage personnel avec l’histoire australienne en toile de fond et vision singulière du colonialisme, c’est aussi le récit d’une quête spirituelle, qui tente de résoudre avec compassion l’énigme du destin. De ce voyage initiatique, l’homme sort transformé, et se rend à l’évidence : l’extraordinaire se trouve sur le chemin des gens ordinaires. Cette trilogie, qui assura à la romancière une réputation solide en Angleterre, en Europe et aux États-Unis dans les années 1930, occupe une place privilégiée dans son œuvre, car c’est ici qu’elle y expose sa philosophie humaniste. Deux livres de moindre importance devaient clore cet opus : The End of a Childhood (« la fin d’une enfance », 1934), point final à l’histoire de Cuffy Mahony, fils de Richard, et The Young Cosima (« la jeune Cosima », 1939), point d’orgue au thème musical de l’œuvre de H. H. Richardson et à son amour de Wagner. À la suite de la mort de son mari, l’écrivaine se retira dans le Sussex avec sa secrétaire et compagne, Olga Roncoroni, ce qui provoqua des spéculations autour de l’identité sexuelle d’Ethel Florence Lindesay Robertson. Le nom de plume s’explique par la difficulté de publier en tant que femme en Australie, pays particulièrement « sexiste ». Son autobiographie Myself When Young (« quand j’étais jeune »), parue à titre posthume en 1948, frustra les attentes d’un public avide d’explications radicales. L’auteure fut proposée comme candidate au prix Nobel en 1932, après avoir remporté la médaille d’or de la Société de littérature australienne trois ans plus tôt.
Dominique HECQ
■ ACKLAND M., Henry Handel Richardson : A Life, Port Melbourne, Cambridge University Press, 2004 ; CLARK A., Finding Herself in Fiction : Henry Handel Richardson 1896-1910, Melbourne, Australian Scholarly Publishing, 2001 ; MCLEOD K., Henry Handel Richardson : A Critical Study, Canberra, Canberra University Press, 1985.
RICHIER, Germaine [GRANS 1902 - MONTPELLIER 1959]
Sculptrice française.
Germaine Richier étudie la sculpture à partir de 1920 à l’École des beaux-arts de Montpellier, dans l’atelier de Louis-Jacques Guigues, un ancien praticien de Rodin ; puis à partir de 1926, elle travaille dans celui d’Antoine Bourdelle à Paris, jusqu’à la mort de ce dernier. En 1929, elle épouse Otto Bänninger, sculpteur suisse et praticien du maître. De 1930 à 1933, elle réalise huit nus et 26 bustes. Fidèle à la figuration, elle revisite les formes de la figure et du socle sur lequel elle est posée. Elle met à nu l’espace de la sculpture, dont elle accentue les effets de matière et les artifices de la structure, intégrant ainsi le socle dans l’œuvre. Elle acquiert très vite une notoriété qui lui procure, en outre, des élèves. En 1935, de retour d’un voyage à Pompéi, elle est très marquée par les êtres pétrifiés. L’année suivante, la galerie Kaganovitch lui consacre sa première exposition. Elle reçoit plusieurs prix, dont la médaille d’honneur pour Méditerranée à l’Exposition universelle de 1937 à Paris, et participe aussi à l’Exposition internationale de New York en 1939. Durant la guerre, elle vit avec son époux à Zurich, où elle enseigne. La sculpture qu’elle réalise en 1940, Le Crapaud – titre faisant référence à la pose du modèle –, annonce une esthétique nouvelle dans son œuvre, où se mêlent désormais mondes animal, humain et végétal. Elle sculpte également des bustes (La Chinoise, 1939) et des nus (Juin 40 ; Pomone, 1945), plus ancrés dans le réel. Après avoir exposé à Bâle, Berne, puis Zurich, elle revient en 1946 à Paris dans son atelier, reprend des élèves et poursuit son travail sur les figures hybrides ; scarifiés, ses êtres parlent des blessures laissées par la guerre – car c’est bien l’humain qui est au cœur de sa création, dans le sillage de Rodin et Bourdelle –, mais aussi du lien charnel des hommes à la terre et au règne animal. Afin de réaliser L’Orage (1947-1948), présenté à la Biennale de Venise en 1950, elle prend comme modèle Libero Nardone (1867-1961) – il avait posé dans sa jeunesse pour le Balzac de Rodin –, montrant ainsi son désir de s’inscrire dans une continuité de la sculpture figurative, tout en opérant une rupture stylistique. En 1948, la galerie Maeght organise une grande exposition à Paris. Un numéro de la revue Derrière le miroir lui est consacré et réunit des textes de René de Solier, Georges Limbour et Francis Ponge. En 1949, elle réalise un Christ pour la nouvelle église Notre-Dame-de-Toute-Grâce du plateau d’Assy, qui sera retiré en 1951, la population locale désapprouvant la modernité de ses formes. Ce rejet violent est probablement lié au fait que l’artiste soit une femme qui, selon les ordres religieux, n’a pas accès à la dimension du sacré. La sculpture ne retrouvera sa place qu’en 1971, et sera alors classée monument historique. À partir de 1951, année où elle obtient le Premier prix de sculpture à la première Biennale de São Paulo, elle introduit de la couleur dans ses bronzes : La Ville (1951), dont le fond est peint par la peintre Vieira da Silva* en est le premier exemple. En 1952, elle sculpte La Toupie, avec la collaboration de Hans Hartung. Désireuse de se libérer du carcan de l’espace et des volumes, l’artiste fait aussi de nombreuses gravures, expose régulièrement dans des expositions d’estampes, illustre l’œuvre poétique de Rimbaud par des eaux-fortes. Le Berger des Landes (1951) et Le Griffu (1952) poursuivent son travail sur les fils, commencé avec L’Araignée I, puis Le Diabolo en 1950 : des fils de fer s’entrecroisent dans l’espace, reliant certaines formes entre elles, ainsi qu’au socle de la sculpture. Par ce procédé, il s’agit moins de montrer le mouvement que de le susciter, de le présenter dans ses entraves. Elle participe à la Biennale de Venise en 1952, et à celle de São Paulo en 1953, année où elle réalise La Tauromachie, La Fourmi et L’Eau. Son œuvre est largement montrée à l’étranger. Elle exécute les bustes de Franz Hellens (1955), d’André Chamson (1955), conçoit des œuvres de petite taille avec du plomb, des os de seiche ou encore des plaques de cire et continue à sculpter ses figures fantastiques (L’Hydre, vers 1954-1955). En 1956, une importante rétrospective de son œuvre a lieu au musée national d’Art moderne à Paris, puis elle crée Le Tombeau de l’orage et L’Ombre de l’ouragane, ses deux seules sculptures en pierre. En 1958, elle illustre Contre terre, recueil poétique de R. de Solier (son deuxième époux depuis 1954), et réalise sa dernière grande œuvre colorée, L’Échiquier. L’artiste a juste le temps de préparer sa dernière exposition au château Grimaldi à Antibes, avant de s’éteindre en 1959.
Catherine GONNARD
■ Germaine Richier (catalogue d’exposition), Paris, Éd. des musées nationaux, 1956 ; Rétrospective (catalogue d’exposition), Saint-Paul de Vence, Fondation Maeght, 1996.
■ DA COSTA V., Germaine Richier, un art entre deux mondes, Paris, Norma, 2006.
RICHTER, Elise [VIENNE 1865 - THERESIENSTADT, AUJ. EN RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 1943]
Linguiste autrichienne.
Première femme d’Autriche à passer la « maturité » (l’équivalent du « bachot » autrichien) en 1897 et l’une des trois seules étudiantes de l’université de Vienne, Elise Richter est aussi la première femme à être nommée professeure assistante en 1907, avant de devenir « professeure extraordinaire ». À partir de 1920, elle préside l’Association de l’Académie des femmes autrichiennes (Verband der Akademikerinnen Österreichs). Élève du romaniste Meyer-Lübke, E. Richter approfondit la romanistique tout en théorisant davantage la linguistique générale. Déportée avec sa sœur au camp de Theresienstadt, elle y meurt le 23 juin 1943. En son honneur a été créé le programme Elise-Richter du Fonds scientifique autrichien (Fonds zur Förderung der wissenschftlichen Forschung, FWF), subventionnant des carrières de professeures.
Thomas VERJANS
■ Zur Entwicklung der romanischen Wortstellung aus der latin, Halle an der Saale, Max Niemeyer, 1903 ; Beiträge zur Geschichte der Romanismen, Halle an der saale, Max Niemeyer, 1934.
■ HEINZ M., PULGRAM E., « Richter », in STAMMERJOHAN H. (ed.) Lexicon grammaticorum, New York/Amsterdam/Philadelphie, Mouton de Gruyter, 2009.
RICHTEROVÁ, Sylvie [BRNO 1945]
Écrivaine tchèque.
Après des études d’interprétariat à Prague, Sylvie Richterová émigre en 1971 à la suite de l’intervention des troupes du Pacte de Varsovie en 1968. En Italie, elle enseigne la littérature tchèque dans plusieurs universités. Nommée professeure de langue et littérature tchèques en 1987, elle mène de front ses carrières littéraire et universitaire. À la fin des années 1970, ses écrits circulent en samizdat, puis dans des maisons d’édition en exil. Il faut attendre la révolution de velours de 1989 pour les voir édités à Prague. Son esthétique est fondée sur le morcellement ; le récit s’organise autour d’une constellation de petits tableaux relativement indépendants les uns des autres dont l’agencement assure la linéarité. Ces scènes de genre en partie autobiographiques révèlent, par des motifs récurrents, des aspects singuliers du quotidien. Dans les recueils Návraty a jiné ztráty (« retours et autres pertes », 1978), Rozpytelné podoby (« visages dispersés », 1979) et Slabikář otcovského jazyka (« abécédaire de ma langue paternelle », 1985), publiés d’abord en samizdat, figurent des souvenirs de l’enfance morave de l’auteure et de son exil. Son écriture fragmentaire rend compte du caractère multiple de la conscience humaine ; les souvenirs s’entassent dans le texte comme ils le font dans la mémoire ou le rêve, sans se soucier de chronologie. Druhé loučení (« second adieu », 1994), petite fresque de la Tchécoslovaquie au tournant des années 1970-1980, présente les récits enchâssés et non chronologiques de destinées racontées par différents narrateurs qui vivent dans la même grande histoire sans se croiser. La même année paraît le recueil de poésie Neviditelné jistoty (« les certitudes invisibles », 1994), où elle célèbre le pouvoir de l’imaginaire et confirme son goût pour la puissance évocatrice du mot, en associant des termes phonétiquement ou visuellement proches. Parallèlement à son œuvre littéraire, ses écrits théoriques sur la poésie et la littérature tchèques reprennent ses thèmes de prédilection : l’exil, la mémoire, le silence et l’indicible, le centre et la périphérie, autant de thèmes fondamentaux dans l’histoire de la littérature tchèque en exil.
Stéphane GAILLY
■ MENCLOVÁ V., VANEK V. (dir.), Slovník českých spisovatelů, Prague, Libri, 2005 ; VOISINE-JECHOVÁ H., Histoire de la littérature tchèque, Paris, Fayard, 2001.
RICO, Eugenia [OVIEDO 1972]
Écrivaine espagnole.
Étudiante en droit à Oviedo, Toulouse et Bruxelles, puis en dramaturgie et en cinéma à Gijón, Eugenia Rico s’initie à la rédaction de scénarios à l’International Writer’s Circle. Elle crée la revue Multidiversidad afin de stimuler la vie culturelle dans sa ville natale. Après des séjours en Inde et en Amérique du Sud, elle publie Los amantes tristes (« les amants tristes », 2000) − salué par la critique comme l’un des meilleurs premiers romans de l’année, traduit ensuite en plusieurs langues − et collabore à des revues spécialisées dans le voyage et l’engagement solidaire. Un deuxième roman, La muerte blanca (« la mort blanche », 2002), lui vaut d’être invitée à bord du train de luxe Transcantábrico cultural, expérience qui devient le thème de Sobre railes (« sur des rails », 2003). En 2003, elle publie des nouvelles dans des anthologies thématiques, Muelles de Madrid (« quais de Madrid »), La paz y la palabra (« la paix et la parole »), où deux de ses textes côtoient ceux de José Saramago, Ernesto Sabato ou Rosa Regàs*. Elle figure dans un recueil collectif, Suiza y la migración (« la Suisse et la migration », 2004) auprès, entre autres, d’Ana María Matute* et de Vicente Molina. Une bourse d’études de l’Académie d’Espagne à Rome lui permet de réaliser des recherches reconnues par des organisations comme l’Unicef. Dans le volume collectif 10 cuentos eróticos (« 10 contes érotiques », 2004) comme dans Dieciocho relatos móviles (« dix-huit récits mobiles », 2006) et 5 x 2 = 9, diez miradas contra la violencia de género (« 5 x 2 = 9, dix regards contre la violence de genre », 2009), elle témoigne des problèmes actuels. Quelques-uns de ses poèmes sont publiés dans l’anthologie de poésie féminine du XXe siècle Mujeres de carne y verso (« femmes de chair et de poésie », 2002).
Concepció CANUT
RICOU, Teresa (dite TÉTÉ) [PRAIA DA GRANJA, VILA NOVA DE GAIA 1946]
Clown et directrice de structure culturelle portugaise.
Maria Teresa Madeira Ricou grandit en Afrique où exerçait son père, un des plus grands léprologues de l’époque. De retour à Lisbonne en 1963, elle détonne dans le milieu de la bourgeoisie traditionnelle dont elle est issue : jeune mère d’un enfant après un mariage bref, elle côtoie le milieu artistique et intellectuel opposé à la dictature. Avec la création de l’institution A casa da Criança (« la maison de l’enfant »), un projet d’aide par les arts aux jeunes en difficulté, elle découvre à la fin des années 1960 la fonction thérapeutique du clown. Surveillée par la police politique, elle arrive à Paris en 1971, et suit les cours de l’université de Vincennes et de Jacques Lecoq. Elle joue dans J’irai comme un cheval fou d’Arrabal et fait sa première comme clown pour le cirque Amar. En avril 1974, elle crée à Lisbonne le personnage de femme clown Tété, qui, à la fin des années 1970, l’affirme comme une femme atypique que le cirque traditionnel national peine à intégrer, mais qui lui donne une renommée internationale. Elle contribue à la création d’un Département du cirque au secrétariat d’État à la Culture. En 1981, elle lance les bases de ce qui deviendra le Chapitó, association à but non lucratif qui promeut l’insertion des jeunes défavorisés par les arts et le cirque. En 1991, naît l’École professionnelle des arts et des métiers du cirque.
Graça DOS SANTOS
■ PINHEIRO P. M., BRILHANTE M. J. (dir.), Tété, Estória da pré-história do Chapitó, 1946/1987, Lisbonne, Colectividade cultural e recreativa de Santa Catarina/Chapitó, 2009.
RIDDLE, Theodate POPE [SALEM 1867 - FARMINGTON 1946]
Architecte américaine.
Enfant unique d’Ada et d’Alfred Pope, industriel ayant acquis une importante fortune dans la métallurgie, Theodate Pope Riddle se voit offrir une bonne formation et la possibilité de nombreux voyages. Son père soutient sa carrière dès le départ, l’encourageant à entrer à l’université de Princeton, où elle étudie l’art et l’architecture, et met tout en œuvre pour qu’elle réalise, avec l’agence McKim, Mead et White, une maison familiale à Farmington dans le Connecticut. Le résultat, Hill-Stead (1898-1901), reflète son art de combiner une architecture coloniale néo-Renaissance au confort moderne. En sus des bardeaux blancs et de ses trois niveaux coiffés d’un toit à double pente, on note un portique de deux étages, hommage à la résidence de Mount Vernon du président George Washington. À l’intérieur, elle a saisi toutes les occasions pour infléchir la symétrie typique du style géorgien et a installé un système de chauffage moderne se fondant harmonieusement dans le décor colonial contemporain. Après Hill-Stead, elle poursuit sa carrière avec une série de bâtiments scolaires et des maisons particulières, dans lesquelles elle utilise souvent des toits à double pente et développe le mélange de styles. L’école Westover (Middlebury, Connecticut 1906-1909) est un vaste édifice colonial néo-Renaissance de quatre étages cernant une grande cour carrée, avec des lucarnes et un bardage blanc ; la maison Dormer (Locust Valley, New York 1913-1914) a des fenêtres mansardées, une grosse cheminée et une porte cochère en brique, le tout avec le minimum d’ornements ; et Highfield (Middlebury, Connecticut 1911-1914) est une réplique de cottage anglais. Rescapée de la catastrophe du Lusitania au printemps de 1915, elle épouse l’année suivante le diplomate John Wallace Riddle. Elle passe la fin de sa vie à la réalisation de l’Old Farms School (Avon, Connecticut 1922-1946), pensée comme un mémorial à ses parents. Elle utilise son héritage pour financer cet ambitieux projet, qui ouvre ses portes en 1927 et dont elle concevra non seulement les plans mais aussi le programme. Édifiés sur un terrain de 14 hectares et articulés autour de deux grands espaces octogonaux, les corps de bâtiment abritant les classes ont des réminiscences médiévales avec leurs toits bas, leurs fenêtres simples et leurs murs à colombage.
Catherine ZIPF
■ KATZ S. L, Dearest of Geniuses. A Life of Theodate Pope Riddle, Windsor, Tide-Mark Press, 2003 ; TORRE S. (dir.), Women in American Architecture. A Historic and Contemporary Perspective, New York, Whitney Library of Design, 1977.
RIDE, Sally Kristen [LOS ANGELES 1951 - SAN DIEGO 2012]
Astronaute américaine.
Première Américaine de l’espace, Sally Kristen Ride est une sportive aguerrie dans sa jeunesse, comptant parmi les meilleures joueuses de tennis juniors de son pays. Elle intègre l’université Stanford en 1968 pour y mener des études supérieures d’anglais et de physique. En 1977, à la recherche d’un stage postdoctoral en astrophysique, elle prend connaissance dans un article paru dans le journal de l’université du lancement par la Nasa d’une nouvelle campagne de recrutement d’astronautes. Comme 8 000 autres femmes et hommes, elle postule et rejoint en janvier 1978 le groupe des Thirty-Five New Guys, composé de 29 hommes et 6 femmes. Elle suit alors une formation pour devenir spécialiste de mission, puis endosse le rôle de Capsule Communicator (Capcom), responsable des communications entre le centre de contrôle et l’équipage en vol, lors des missions STS-2 et STS-3 de la navette spatiale américaine (1981-1982). Elle participe ensuite à deux vols de la navette Challenger (missions STS-7 en juin 1983 et STS-41-G en octobre 1984). Affectée à une troisième mission (STS-61-M), elle débute son entraînement en juin 1985 ; le vol est cependant annulé après l’accident au décollage de la navette Challenger en janvier 1986. S. K. Ride fait partie de la commission présidentielle chargée de l’enquête ; elle contribue ensuite aux travaux de réflexion sur l’avenir de la politique spatiale civile américaine. En 1987, l’astronaute quitte la Nasa pour intégrer le Centre pour la sécurité internationale et le contrôle des armes de l’université Stanford. Deux ans plus tard, elle est nommée directrice de l’Institut spatial de Californie et professeure de physique à l’université de San Diego. En 2001, elle crée sa propre société, Sally Ride Science, destinée à encourager les jeunes étudiantes à briguer des carrières scientifiques. Mariée à un astronaute de la Nasa, Steve Hawley, elle séjourne au total 14 jours, 7 heures et 47 minutes dans l’espace.
Pierre-François MOURIAUX
■ Avec OKIE S., To Space & Back, New York, HarperCollins, 1986.
RIDLEY, Jeanne Clare [SCRANTON 1925 - SILVER SPRING 2007]
Sociologue et démographe américaine.
Par ses travaux, Jeanne Clare Ridley a considérablement enrichi la connaissance des comportements de fécondité. Après avoir participé de 1949 à 1952 à une étude menée à Indianapolis sur les déterminants sociaux de la fécondité, elle soutient une thèse de sociologie à l’université du Michigan en 1957. Elle devient professeure de sociologie et démographie à l’université Vanderbilt et à l’École de santé publique de Pittsburgh, puis dirige la division de démographie de l’Institut international d’étude de la reproduction humaine de l’université Columbia (1967-1972). Nommée à l’université de Georgetown en 1972, elle y exerce jusqu’à sa retraite en 1990. J. C. Ridley est l’auteure d’un grand nombre d’articles scientifiques et de rapports officiels sur le recours à la contraception, l’espacement des naissances, les rapports entre carrières professionnelles féminines et calendrier génésique. En 1978, elle dirige une enquête statistique rétrospective sur les Américaines nées de 1900 à 1910, qui permet d’analyser finement les effets de la crise économique de 1929 sur les comportements de fécondité. La baisse de fécondité, déjà attestée avant la crise, touche la catégorie des femmes sans accès à la contraception, peu diplômées, et plus souvent catholiques. Dans d’autres études comparatives entre les générations nées de 1900 à 1945, J. C. Ridley montre que la religion a joué un rôle spécifique dans les variations du taux de natalité : les catholiques, pratiquant moins la contraception moderne, ont davantage contribué au baby-boom des années 1945-1965.
Alain CHENU
■ Avec SHEPS M. C. (dir.), Public Health and Population Change : Current Research Issues, Pittsburgh, University of Pittsburgh Press, 1965 ; avec JAFFE A. J., Employment of Women and Fertility, Washington, NTIS, 1976.
■ « Demographic change and the roles and status of woman », in The Annals of the American Academy of Political and Social Science, vol. 375, no 1, janv. 1968.
RIERA, Carme [PALMA DE MAJORQUE 1948]
Écrivaine espagnole.
À l’âge de 12 ans, Carme Riera écrit des poèmes et quelques contes en castillan. Au cours de sa scolarité au lycée, l’une de ses professeures l’incite à écrire en catalan. Son premier recueil de nouvelles, Te deix, amor, la mar com a penyora (« je te laisse, amour, la mer en gage », 1975), obtient un prix ; son premier roman, Una primavera per a Domenico Guarini (« un printemps pour Domenico Guarini », 1980) est également primé. En 1989, elle obtient le prix Ramon-Llull pour Joc de miralls (« jeu de miroirs »). Avec Dins del darrer blau (« dans le dernier bleu »), en 1994, elle aborde magistralement le roman historique, relatant la vie de juifs convers majorquins condamnés au bûcher par l’Inquisition au XVIIe siècle, et reçoit trois prix prestigieux, dont le Prix national de la narration du ministère de la Culture, décerné pour la première fois à un roman rédigé en catalan. Elle écrit aussi des scénarios pour la radio et la télévision, et des livres pour enfants. Pendant sa grossesse, elle tient un journal qu’elle publie douze ans après (Temps de l’espera, « le temps d’une attente », 1998). Les distinctions se succèdent : Cap al cel obert (« vers le ciel ouvert », 2000) obtient le Prix national de littérature de la Generalitat de Catalunya ; en 2003, le prix Sant Jordi honore La Moitié de l’âme, roman où l’auteure insiste sur l’exigence de rendre identité et honneur aux victimes du franquisme. Elle introduit dans le récit des dates et des faits réels, des figures connues, notamment celle d’Albert Camus. Elle se consacre aussi à l’étude de la littérature castillane contemporaine et publie de nombreux essais, dont El Quijote desde el nacionalismo catalán (2005). La Creu de Sant Jordi (2000) et la reconnaissance de son œuvre (2005) par l’Association des écrivains en langue catalane confirment son importance et son rayonnement.
Àngels SANTA
■ La Moitié de l’âme (La meitat de l’ànima, 2004), Paris, Seuil, 2006.
■ CAMI-VELA A. M., La búsqueda de la identidad en la obra literaria de Carme Riera, Madrid, Pliegos, 2000 ; GONZÁLEZ O., « Funció de la novel·la i visibilitat de l’autora a “La meitat de l’ànima” de Carme Riera », in PANYELLA R. (dir.), La projecció social de l’escriptor en la literatura catalana contemporània, Lleida, Punctum, 2007.
■ VALDIVIESO T., « Carme Riera, una indagación critiqua », in Confluencia, Revisata Hispánica de Cultura y Literatura, vol. 19, no 1, 2003.
RIGGS, Lutah Maria [TOLEDO, OHIO 1896 - SANTA BARBARA 1980]
Architecte américaine.
Californienne, Lutah Riggs puisa son inspiration dans la force et la simplicité de l’architecture traditionnelle du Mexique et de l’Espagne, et l’unit à la rigueur de sa formation aux Beaux-Arts pour créer une architecture remarquée pour son élégance. Elle entreprit en 1917 des études à l’Université de Californie, à Berkeley, où elle compta parmi ses mentors Bernard Maybeck et Ernest Coxhead. Son habilité de dessinatrice fut très vite reconnue. Diplômée en architecture en 1919, elle débuta en 1921 dans l’agence de George Washington Smith, à Santa Barbara. Peu après, elle voyagea au Mexique et en Espagne, rapportant de remarquables croquis soulignant les volumes simples et puissants des maisons traditionnelles. En 1922, L. Riggs créa sa propre maison en style andalou : Clavelitos. En 1924, elle devint associée de G. Smith et, en 1928, obtint sa licence d’exercice. Après la mort de G. Smith, en 1930, elle ouvrit sa propre agence. Elle réalisa une villa pour le baron von Romberg ainsi que quelques maisons et jardins à Palos Verdes Estates, dans le comté de Los Angeles, dont une pour l’actrice Greta Garbo*. Entre 1941 et 1945, elle a travaillé pour les studios de la Metro-Goldwyn-Mayer, dessinant des décors de films, dont celui pour Le Portrait de Dorian Gray, d’Albert Lewin. Sa période la plus productive débuta après 1945. Recherchée pour ses expressions claires à la fois fonctionnelles et élégantes, ses clients étaient souvent des mécènes. L. Riggs maria l’architecture qu’elle découvrait lors de ses voyages avec sa propre interprétation de l’architecture moderne. Son intérêt pour les matériaux s’exprima dans les détails de ses constructions et sa connaissance du paysage assura l’intégration du bâti dans son environnement. La plupart de ses constructions se trouvent à Montecito, près de Santa Barbara, mais d’autres, telles que la maison Donahue (1958), sont à Los Angeles. Au nombre de ses principales réalisations figurent le temple Vedanta (1954-1956) et plusieurs maisons célèbres : Cotton (1947-1948), Pardee-Erdman (1957-1959), Hesperides (1957-1959) et October Hill (1972-1973).
Catherine BARRETT
■ GEBHARD D., Lutah Maria Riggs, A Woman in Architecture 1921-1980, Santa Barbara, Capra Press, 1992 ; HELFRICH K. G. F., Picturing Tradition, Lutah Maria Riggs Encounters Mexican Architecture, Santa Barbara, University Art Museum, 2004.
RIHANNA (ROBYN RIHANNA FENTY, dite) [SAINT-MICHAEL 1988]
Chanteuse pop barbadienne.
Rihanna grandit à Saint-Michael à la Barbade, où elle est repérée, encore adolescente, par le producteur américain Evan Rogers, qui enregistre sa première maquette. Elle signe début 2005 avec le label Def Jam Recordings, suite à une audition avec Jay-Z, et s'installe à New York. Elle touche au succès dès son premier album Music of the Sun, vendu à 2 millions d'exemplaires. Son ascension est fulgurante. En 2007, le single Umbrella, extrait de son troisième album Good Girl Gone Bad, prend la tête des charts dans 13 pays. Navigant entre pop, rap et dance-music, elle remporte ses premiers Grammy Awards en 2009 grâce au titre Run this Town, aux côtés de Jay-Z et Kanye West. Love the Way you Lie, avec Eminem (2010), et We Found Love, avec Calvin Harris (2011), atteignent la première place des charts internationaux. Rihanna est la plus jeune artiste à remplir le Stade de France, en 2013, à l'occasion du Diamonds World Tour. La même année, elle apparaît dans la liste des 100 personnes les plus influentes au monde, publiée par le magazine Time. Elle publie début 2015 Four Five Seconds aux côtés de Paul McCartney et Kanye West, premier extrait de son nouvel album R8, et prête sa voix au film d'animation Home. Icône des adolescents et artiste la plus téléchargée de l'ère digitale, Rihanna a vendu en dix ans de carrière 50 millions d'albums. Elle a reçu 7 Grammy Awards, 8 American Music Awards et 22 Billboard Music Awards.
Jean BERRY
■ A Girl Like Me, Def Jam, 2006 ; Talk That Talk, Def Jam, 2011 ; Unapologetic, Def Jam, 2012.
RIHOIT, Catherine [CAEN 1949]
Écrivaine française.
Agrégée, maître de conférences à l’université Paris 4, Catherine Rihoit a enseigné la linguistique, la sémiotique, la littérature américaine et le cinéma. Remarquée dès son premier roman, Le Portrait de Gabriel (1977), elle reçoit le prix des Deux-Magots pour Le Bal des débutantes en 1978. La critique et les lecteurs sont au rendez-vous. C. Rihoit est présentée comme la romancière de la génération 68, car elle développe un univers romanesque qui montre combien la libération sexuelle change le rapport entre hommes et femmes. La Favorite (1982) et Triomphe de l’amour (1983), deux grands succès de librairie, sont aussi intéressants par la thématique de l’intime que par la déconstruction des stéréotypes féminins, effectuée avec humour et irrévérence. On retrouve dans ces romans le goût pour une narration inspirée par le montage cinématographique, ce qui fait de C. Rihoit une écrivaine novatrice, sachant allier l’art du récit et la modernité des dialogues. Elle écrit aussi des biographies sur des icônes féminines, issues du cinéma, de la chanson ou de la mystique. Star ou sainte, c’est chaque fois l’entrée d’une femme dans la lumière : Brigitte Bardot, un mythe français (1986), La Petite Princesse de Dieu (Thérèse de Lisieux, 1992), Dalida (2005) ou J’ai vu Bernadette Soubirous (2009) ; ces destinées sont toujours héroïques. Il s’agit du don féminin de soi dans une transcendance. C. Rihoit est aussi dramaturge, journaliste, essayiste et scénariste.
Frédéric SOJCHER
RIHTMAN-AUGUŠTIN, Dunja [SUŠAK, AUJ. EN CROATIE 1926 - ZAGREB 2002]
Ethnologue croate.
Diplômée d’ethnologie, Dunja Rihtman-Auguštin soutint sa thèse de doctorat en sociologie à la faculté des lettres et de philosophie de l’Université de Zagreb. De 1972 à 1986, elle dirigea l’Institut d’ethnologie et de recherche sur le folklore de Zagreb. Grande critique de l’approche culturelle et historique traditionnelle, elle introduisit dans l’ethnologie croate la recherche sur la vie quotidienne et des thèmes politiques. Elle fut appréciée pour sa contribution à l’ethnologie moderne, proche de l’anthropologie structurale, avec ses ouvrages Struktura tradicijskog mišljenja (« structure de la pensée traditionnelle », 1984), Etnologija naše svakodnevice (« ethnologie de notre vie quotidienne », 1988) et Etnologija i etnomit (« ethnologie et ethnomythe », 2002).
Lada ČALE FELDMAN
■ « Narodna umjetnost, hrvatski časopis za etnologiju i folkloristiku/Narodna umjestnost », in Croatian Journal for ethnology and folklore research, no 32/33, 1996.
RILEY, Bridget [LONDRES 1931]
Peintre britannique.
Issue d’une famille aisée qui se réfugie à Padstow (Cornouailles) pendant la guerre, Bridget Riley développe dès l’enfance un sens aigu de l’observation et un contact étroit avec la nature. Elle entre en 1949 au Goldsmiths College of Art, où elle étudie le dessin auprès de Sam Rabin, puis poursuit sa formation au Royal College of Art à Londres (1952-1955). Elle rejoint ensuite l’agence de publicité J. Walter Thompson, et cherche alors sa voie : elle « abstrait » la nature dans des dessins au crayon fortement contrastés (Men Lying Down, 1957-1958), analyse la méthode divisionniste en copiant Le Pont de Courbevoie de Seurat. Lors des cours d’été organisés par Harry Thubron en 1959, elle rencontre le peintre Maurice De Sausmarez qui devient son mentor, l’initie au futurisme, au divisionnisme et aux sources de l’art moderne. Elle rapporte de leur voyage en Italie des paysages aux couleurs intenses, animés de touches apparentes (Pink Landscape, 1960). En proie à une crise personnelle et artistique à l’automne 1960, B. Riley réalise sa première peinture en noir et blanc, Kiss, dans un style géométrique proche du hard-edge. La même année, elle rencontre le peintre Peter Sedgley, avec qui elle créera SPACE dix ans plus tard, une organisation proposant des ateliers à bas prix. À partir de 1961, elle se consacre à des tableaux noir et blanc, dans lesquels la perception d’éléments stables (format, forme, couleur) est perturbée par différents processus de composition qui, en se superposant, s’annulent et se dissolvent (Movement in Square, 1961). Sa première exposition personnelle à la Gallery One (Londres) en 1962 attire l’attention des critiques. En 1965, elle est invitée par William Seitz à participer à l’exposition L’Œil réceptif au Museum of Modern Art (New York). Largement ouverte à l’art européen, cette manifestation, qui s’attache à présenter les dernières tendances de l’abstraction, génère rapidement un effet de mode : les motifs de l’op’art emplissent les vitrines des magasins. Un succès à double tranchant pour B. Riley qui, craignant alors d’avoir perdu toute crédibilité artistique, intente, avec l’aide de l’avocat du peintre Barnett Newman, un procès pour plagiat commercial. À la fin des années 1960, ses tableaux sont réalisés par des assistants, elle-même ayant préalablement étudié leur composition dans de nombreux dessins. À la même époque, elle élargit sa palette avec des gris dégradés chauds ou froids, puis de la couleur. L’introduction de tons francs introduisant un niveau d’instabilité supplémentaire dans la perception des œuvres (Cataract 3, 1967), elle limite alors ses moyens picturaux à la ligne droite et à l’interaction entre deux ou trois couleurs (Late Morning, 1967-1968). En 1968, lauréate du Grand prix de la 34e Biennale de Venise, elle devient ainsi la première femme et le premier peintre britannique contemporain à recevoir cette récompense. Son intérêt pour l’art allemand, espagnol et baroque, ravivé lors de ses voyages avec Robert Kudielka, la pousse à diversifier davantage ses formes et ses couleurs – torsades, lignes courbes, tons pastels –, et à évoluer vers un style plus lyrique (Clepsydra 1, 1976). Au cours d’un séjour en Égypte en 1979, elle découvre une palette spécifique (turquoise, bleu, jaune, vert, noir et blanc), qu’elle exploite à son retour dans une série de peintures à l’huile. Elle utilise à nouveau des bandes colorées verticales, mais groupées librement en fonction des sensations qu’elles provoquent, et de leurs caractéristiques spatiales (Serenissima, 1982). Au milieu des années 1980, l’introduction de diagonales dynamiques transforme la structure verticale qui distinguait cette série. Ces peintures désormais « en losanges » induisent un mouvement circulaire de l’œil, qui pousse l’artiste à revenir à des formes curvilignes en 1997. Ses toiles de grand format aux larges aplats colorés évoquent l’œuvre de Matisse (Parade 2, 2002). En 1998, B. Riley réalise son premier dessin mural : une composition de cercles noirs sur fond blanc, qui procure des sensations contradictoires de mouvement et de profondeur. À partir de 2007, elle conçoit aussi plusieurs peintures murales qui reprennent les formes de ses œuvres contemporaines, en les prolongeant hors du cadre. Depuis 1971, son œuvre fait l’objet de plusieurs rétrospectives internationales, et a été couronnée, en 2009, par le prestigieux prix Kaiser Ring de la ville de Goslar.
Anne MONTFORT
■ Bridget Riley (catalogue d’exposition), Moorehouse P. (dir.), Londres/New York, Tate Publishing/Abrams, 2003 ; Bridget Riley, rétrospective (catalogue d’exposition), Paris, Paris musées, 2008 ; L’Esprit de l’œil, Kudielka R. (dir.), Paris, ENSBA, 2008.
■ FOLLIN F., Embodied Visions : Bridget Riley, Op Art and the Sixties, Londres, Thames & Hudson, 2004.
RILEY, Denise [CARLISLE 1948]
Poétesse, linguiste et critique britannique.
Enseignante à l’université d’East Anglia, Denise Riley publie surtout des ouvrages de réflexion critique sur les théories psychologiques concernant l’enfant, les relations maternelles, le féminisme, les problèmes d’identification en littérature et le langage en général. Elle publie trois recueils de poésie. Autour du problème de l’identité, elle fait se rejoindre écriture, philosophie et poésie, écrivant elle-même une poésie expérimentale à la lumière d’une réflexion philosophique en relation avec les théories féministes, socialistes, psychanalytiques et poststructuralistes. Influencée par l’école de New York, son écriture est légère et pleine d’ironie. En 1977, son premier recueil, Marxism for Infants (« marxisme pour les nourrissons »), est suivi de quatre autres volumes. Refusant tout dogmatisme féministe, elle utilise les principes du féminisme et du socialisme pour redéfinir le rôle de la mère et, par là, redéfinir la problématique de l’identité féminine et la façon dont le langage informe la construction des identités et affecte la formation du moi. Dans The Words of Selves : Identification, Solidarity, Irony (« le mot et le moi : identification, solidarité, ironie », 2000), elle entame une déconstruction du concept psychanalytique de l’influence de l’inconscient.
Michel REMY