DAAMS, Meike [AMSTERDAM 1965]
Compositrice néerlandaise.
Meike Daams commence ses études à Amsterdam, et obtient d’abord une maîtrise de musicologie à l’université. Elle travaille ensuite au département de technologie musicale des Beaux-Arts à Utrecht puis, à Paris, à celui d’informatique musicale de l’Ircam. Elle s’inscrit à l’École normale de musique de Paris où elle suit les cours d’Édith Lejet*. Elle écrit des œuvres instrumentales où l’on peut entendre l’influence de la musique électroacoustique, par l’extrême attention portée aux tracés sonores, soit isolés, soit réfléchis entre eux dans les pièces de musique de chambre (Feuillages effleurés, pour deux violons, 2008).
Pierrette GERMAIN
DĄBROWSKA, Maria [RUSSÓW, PRÈS DE KALISZ 1889 - VARSOVIE 1965]
Écrivaine polonaise.
Née dans une famille de propriétaires terriens appauvris, Maria Dąbrowska passe son enfance à la campagne, fait ses études à Varsovie, Lausanne, Bruxelles et Londres, où elle fréquente en même temps des organisations révolutionnaires et se prend d’un grand intérêt pour le mouvement coopératif, qu’elle s’efforcera de propager en Pologne. Femme de gauche mais non communiste, elle a continué à publier après 1945 dans le circuit officiel, tout en gardant envers le régime une distance qu’elle n’exprime ouvertement que dans les pages de son journal, dont son testament autorise la publication quarante années après sa mort. Elle entre en littérature avec des recueils de nouvelles : Uśmiech dzieciństwa (« le sourire de l’enfance », 1923) et Ludzie stamtąd (« les gens de là-bas », 1925) sont ses premiers grands succès. Le premier, aux accents parfois proustiens, rapporte des souvenirs d’enfance, tandis que le deuxième donne une image naturaliste des conditions de vie rurales misérables en Pologne, éclairée par l’extraordinaire richesse intérieure des habitants. Elle reviendra à la nouvelle après la guerre, avec Gwiazda zaranna (« l’étoile du matin », 1955). Elle est aussi l’auteure de drames historiques, de romans et de récits pour la jeunesse, de récits de voyage, de traductions de l’anglais, du russe (Tchékhov) et du danois, ainsi que de nombreux essais sur des écrivains, dont Joseph Conrad (Szkice o Conradzie, 1959). Elle est signataire, en 1964, de la Lettre des 34 écrivains polonais en signe de protestation contre la censure. Pour les Polonais, l’écrivaine a longtemps été principalement l’auteure de Noce i dnie (« les nuits et les jours », 1928-1929), une tétralogie qui retrace, sur fond d’événements historiques (depuis l’insurrection polonaise de 1863 jusqu’au début de la Première Guerre mondiale), la vie d’une famille de propriétaires terriens sur plusieurs générations. Caractérisé par une composition magistrale et la qualité exceptionnelle de sa langue, dont on peut dire qu’elle abolit la distance entre le polonais littéraire traditionnel et le polonais oral moderne, le cycle a connu un grand succès et a fait l’objet d’une adaptation cinématographique, ainsi que d’une série télévisée (1975). Le projet de décrire la vie de l’intelligentsia polonaise pendant l’entre-deux-guerres et la Seconde Guerre mondiale a probablement été contrarié par l’instauration du régime communiste, qui a privé la romancière de la possibilité d’un aboutissement qui fasse sens. À ce roman impossible fait pourtant contrepoint un journal, rédigé avec régularité de 1914 jusqu’à la mort de l’écrivaine. Après la guerre, il semble même qu’il devienne son mode d’expression privilégié et après la publication du texte intégral en 2005, il se hisse rapidement à la première place dans la hiérarchie de ses œuvres. On y trouve à la fois un autoportrait intime, un témoignage écrit en toute liberté sur son époque, des considérations sur la littérature ainsi qu’un commentaire éclairant de sa propre œuvre. Il ne fait nul doute que son journal a constitué une alternative à un modèle de prose narrative trop figé, incapable d’accueillir une pensée complexe et de donner libre cours à l’expression d’une personnalité remarquable.
Anna SAIGNES
■ BORKOWSKA G., Maria Dąbrowska i Stanislaw Stempowski, Cracovie, WL, 1999 ; DREWNOWSKI T., Rzecz russowska, O pisarstwie Marii Dąbrowkiej (1981), Cracovie, WL, 2000.
DACHKOVA, Iekaterina (ou princesse DASHKOFF) [SAINT-PÉTERSBOURG 1743 - MOSCOU 1810]
Écrivaine russe.
Favorite de Catherine II avant que celle-ci n’accède au trône en 1762, Iekaterina Romanovna Dachkova est l’auteur de poèmes, de pièces de théâtre moralisantes, d’un livret d’opéra, du roman Novaïa Evfimiia (« la nouvelle Euphémie », 1788), d’essais, de discours, d’une correspondance importante et de Mémoires. Elle entame sa carrière littéraire par des traductions d’Helvétius et de Voltaire en 1763 et voyage en Europe, où elle rencontre les plus grands esprits de l’époque. En Russie, elle entretient des relations avec Alexandre Radichtchev, Iakov Kniajnine, Gavriil Derjavine. En 1771, elle est à l’initiative de la fondation de l’Assemblée russe libre, qui œuvre à la correction de la langue russe. En 1783, nommée à la tête de l’Académie des sciences, elle dirige les revues Sobesednik Lioubiteleï Rossiïskogo Slova (« l’interlocuteur des amis de la langue russe », 1783-1784), et Novye Ejemesiatchnye Sotchineniia (« nouvelles œuvres mensuelles », 1786-1796). La même année, elle fonde avec Catherine II l’Académie russe, sur le modèle de l’Académie française. Elle rédige plusieurs articles liés à la morale et à la politique pour le célèbre Slovar’Akademii rossiïskoï (« dictionnaire de l’Académie russe »). Écartée de la présidence de l’Académie en 1794, elle écrit alors en français ses fameux Mémoires (publiés en russe sous le titre Zapiski, 1805-1806), source précieuse pour l’étude de la vie politique, sociale et culturelle de la Russie entre 1750 et 1803. Elle entretient une correspondance importante et publie sous des pseudonymes dans diverses revues. Parmi les thèmes principaux qu’elle aborde, on trouve l’éducation, le servage (elle débat avec Diderot de la possibilité de son abolition immédiate), le régime politique et l’organisation sociale (la monarchie anglaise attire cette partisane des idées de Montesquieu).
Laure THIBONNIER-LIMPEK
■ Mon histoire, Mémoires d’une femme de lettres russe à l’époque des Lumières, Paris, L’Harmattan, 1999.
DACHKOVA, Polina (Tatiana VIKTOROVNA POLIATCHENKO, dite) [MOSCOU 1960]
Écrivaine russe.
Née dans une famille de l’intelligentsia, elle sort de l’Institut de littérature de Moscou en 1983. Pendant ses études, elle participe à des manifestations de propagande culturelle organisées par des étudiants en province, ce qui l’amène à organiser des lectures pour les prisonniers en Sibérie. En 1980, elle rejoint un cercle de compositeurs de chansons. Après ses études, elle travaille pour des revues littéraires et des magazines. Au début des années 1990, elle est interprète et traductrice d’anglais.
Elle débute en littérature par de la poésie en 1977, mais c’est comme auteure de romans policiers qu’elle connaît le succès. En 1996, elle publie son premier roman, Krov’nerojdionnykh (« le sang des enfants non nés »). Elle a publié une dizaine de romans qui ont été tirés à plus de quarante millions d’exemplaires en Russie, notamment Les Pas légers de la folie et Un hiver rouge. Considérée comme la reine du polar russe, elle situe ses romans dans un univers contemporain, où la richesse côtoie la misère et où mafia et politiciens sont prêts à tout pour le meilleur et surtout le pire. Elle explore la psychologie des tueurs en série dans un quotidien difficile, sur fond de drogue, dans les restes du communisme. Ses héroïnes sont toujours des femmes jeunes et dynamiques, ni policières ni détectives privées, qui élucident le crime alors qu’elles se sentent abandonnées dans une société en proie à la violence et au crime. Ses œuvres ont inspiré les séries télévisées Mesto pod solntsem (« une place au soleil », 2004) et Kheruvim (« le chérubin », 2005).
Federica VISANI
■ Les Pas légers de la folie (Liogkie chagui bezoumiia, 1997), Paris, Presses de la cité, 1999 ; Un hiver rouge (Mesto pod solntsem, 1998), Paris, Presses de la Cité, 2001.
DACRE, Charlotte (épouse BYRNE, née KING, dite ROSA MATILDA) [LONDRES ? V. 1772 - ID. 1825]
Romancière et poétesse britannique.
La vie de Charlotte Dacre, épouse du directeur du Morning Post, assassiné en 1833, se lit comme les quatre romans « gothiques » qu’elle écrivit : mélange de pouvoir, de sexe et de mort. Sous le nom de Rosa Matilda, elle fait d’abord paraître Confessions of the Nun of St Omer (1805), dédié à Matthew Lewis, auteur du Moine, où elle met en garde contre les passions et la séduction, tout en les détaillant généreusement. Son livre le plus provocateur est pour certains Zofloya, ou Le Maure, histoire du XVe siècle (1806), roman à succès traduit en allemand (1806) et en français (1812). Suspense, violence et exotisme y stimulent l’intérêt pour Victoria, le pendant féminin d’Ambrosio. Angelo, comte d’Albini, ou Les Dangers du vice (1807) connaît trois rééditions en un an ainsi qu’une version théâtrale (Angelo). The Passions (1811), ouvrage épistolaire pourvu d’une conclusion narrative, réitère la marque de l’auteure : censure et titillation. Au grand dam des évangélistes, la popularité de C. Dacre atteint alors celles d’Ann Radcliffe* et de M. Lewis, surtout auprès des femmes. Avant d’être romancière – et si l’on excepte Trifles of Helicon, « bagatelles héliconiennes », qu’elle publie avec sa sœur, Sophia King, en 1798 –, elle avait donné Hours of Solitude (1805), 37 poèmes sentimentaux influencés par le cercle Della Crusca fondé par Robert Merry. Experte en réalisme psychologique selon Devendra P. Varma, elle inspira peut-être le Shelley de Zastrozzi (1811) et le jeune Byron, et suscita l’admiration de Swinburne qui la comparait à Sade.
Françoise LAPRAZ SEVERINO
■ Zofloya, ou Le Maure, histoire du XVe siècle (Zofloya, or The Moor, 1806), Paris, Barba, 1812 ; Angelo, comte d’Albini, ou Les Dangers du vice (The Libertine, 1807), Paris, A. Bertrand, 1816.
■ CRACIUN A., Fatal Women in Romanticism, Cambridge, Cambridge University Press, 2003.
DADÖN [LHASSA 1967]
Chanteuse tibétaine.
Dadön (Zla sgron) est la première star de la musique pop tibétaine en Chine. Formée à l’Institut central des nationalités de Pékin (violon et piano) et intégrée à la troupe de chants et danses de la région autonome du Tibet, elle s’est vite tournée vers la chanson. Première tibétaine à gagner des concours de chant en Chine, elle a contribué à mieux y faire connaître son peuple. Elle incarne la recherche d’un nouveau genre musical, à la fois tibétain et moderne, loin du formalisme officiel, intégrant dans un cadre pop chinois des symboles tibétains (bouddhisme, environnement naturel) et des sentiments personnels, parfois réinterprétés comme un discours politique voilé. Au faîte de sa gloire, après six albums en tibétain et en chinois (1987-1992), elle s’exile en Inde puis part aux États-Unis. Elle a joué son propre rôle dans le film Windhorse (Paul Wagner, 1998), composé plusieurs musiques de films (Samsâra, Pan Nalin, 2001 ; Vajra Sky Over Tibet, John Bush 2006) et sorti un nouvel album teinté d’influences occidentales (Gyimagyi, 1997).
Isabelle HENRION-DOURCY
■ HENRION-DOURCY I., « Women in the Performing Arts, Portraits of Six Contemporary Singers », in Gyatso J., Havnevik H. (dir.), Women in Tibet, New York/Londres, Columbia University Press/Hurst, 2005.
DAGBJARTSDÓTTIR, Vilborg [SEYDISFJARDARKAUPSTADUR 1930]
Écrivaine et poétesse islandaise.
Grande contributrice à la poésie et à la littérature de jeunesse en Islande, Vilborg Dagbjartsdóttir a enseigné, traduit et animé des émissions à la radio nationale. Son premier recueil de poèmes, Laufin á trjánum (« les feuilles sur les arbres », 1960), la désigne comme l’une des rares écrivaines modernistes. Ses poèmes parlent de l’amour, de la femme et de l’enfant et ont souvent un message politique. Dans le recueil Dvergliljur (« crocus », 1968), la revendication pour les droits de la femme est plus affirmée. Le thème de la foi chrétienne est également traité, mais la position de l’auteure sur ce sujet est assez ambiguë. Humour, ironie et sérieux s’entremêlent dans ses poèmes dont certains revisitent les grandes œuvres de la litttérature mondiale, donnant une voix nouvelle aux grandes héroïnes telles que Hallgerdur Langbrók, personnage remarquable des sagas islandaises, Phèdre, Hedda Gabler, ou même Blanche-Neige. Le poème « temps difficiles » du recueil Kindilmessa (« la chandeleur ») nous fait assister à une brève rencontre entre Anna Karénine et Nora de la Maison de poupée d´Ibsen. Dans le recueil Fiskar hafa enga rödd (« les poissons n’ont pas de voix », 2004), le style est soutenu et recherché, et les thèmes de la femme et de la foi ainsi que les réminiscences de l’enfance sont toujours explorés. Grande militante pour la cause de l’enfance, l’auteure a écrit des livres à leur intention, notamment Alli Nalli og tunglid (« Alli Nalli et la lune », 1959), Sögur af Alla Nalla (« histoires d’Alli Nalli », 1965) et Sagan af Labba pabbakút (« l’histoire du petit garçon de son papa », 1971). Certains de ses poèmes ont été traduits et publiés à l’étranger, tels « Désir », « Merveille », « Crocus », « Un rêve » et « Poème », parus dans l’anthologie 25 poètes islandais d’aujourd’hui. Socialiste et féministe, V. Dagbjartsdóttir est une militante politique active. Elle a été vice-présidente du Mouvement des femmes pour la paix et la culture jusqu’en 1968, puis depuis 2007. Elle a été l’une des organisatrices de la première « marche de Keflavik » en 1960, manifestation contre la présence militaire américaine en Islande, et l’une des fondatrices du mouvement de libération féminine du pays, « les Chaussettes rouges ». Elle a reçu plusieurs prix et distinctions. Membre émérite de l’Union des écrivains islandais, elle a été décorée de l’Ordre du Faucon, titre honorifique suprême en Islande.
Úlfhildur DAGSDÓTTIR
■ 25 poètes islandais d’aujourd’hui, in STEFÁNSSON T. (dir.), Trois-Rivières/Pantin, Écrits des Forges/Le Temps des Cerises, 2004.
DAGHER, Carole [BEYROUTH 1963]
Essayiste et romancière libanaise.
Juriste de formation et journaliste de carrière, Carole Dagher fut chercheuse associée à l’université de Georgetown (Washington DC) sur les questions islamo-chrétiennes du Proche-Orient. Auteure d’œuvres politiques sur le Liban et le Moyen-Orient, elle a publié Le Défi du Liban d’après-guerre : faites tomber les murs, essai paru en français en 2002. La même année, elle entre en littérature avec Le Couvent de la lune, titre d’ensemble d’un roman portant sur la naissance du Liban moderne et qui sera publié en deux volumes : L’Anneau de l’émir (2002), réédité au Liban en 2011, suivi par Le Seigneur de la soie (2004). Elle publie ensuite La Princesse des Batignolles (2007). Ces romans historiques se déroulent au XIXe siècle et relatent les intrigues et les prouesses militaires du temps de l’émir Bachir II, l’occupation égyptienne ou la relation amoureuse entre Marina, princesse du Levant, et Arnold, peintre et ami de Claude Monet. L’écrivaine considère l’écriture comme un engagement et la culture comme une résistance pour faire entendre la voix des minorités.
Carmen BOUSTANI
■ Le Défi du Liban d’après-guerre, faites tomber les murs (Bring down the Walls : Lebanon’s Post-War Challenge, 2000), Paris, L’Harmattan, 2002 ; Le Testament secret de Moïse, Paris, Calmann-Lévy, 2011.
DAGMEMA [TIBET XIe siècle]
Maître spirituel tibétaine.
On connaît mieux Dagmema (Bdag med ma) par la tradition religieuse et littéraire que par des données historiques précises. Elle est un exemple typique des destins féminins du Tibet d’antan, dans l’ombre de leurs compagnons sans doute, mais avec toute la lumière de leur personnalité. Épouse et partenaire tantrique du grand maître bouddhiste Marpa (1012-1097), elle lui donna au moins un fils (le nombre varie selon les biographies), Darma Dode, et l’assista dans son enseignement. Les biographies de Marpa et du grand poète Milarépa (1040-1123), qui fut son élève, décrivent de façon pittoresque sa bonté et son ingéniosité, et donnent d’elle l’un des portraits les plus vivants de la tradition tibétaine. Après la mort prématurée de Darma Dode, Marpa fit d’elle son héritière spirituelle et lui transmit une grande partie de son enseignement, afin qu’elle puisse le transmettre à son tour, preuve de l’importance réelle de son rôle.
Anne CHAYET
■ BACOT J., La Vie de Marpa « le traducteur » (1937), Paris, Paul Geuthner, 1982 ; Milarépa, ses méfaits, ses épreuves, son illumination, Paris, Fayard, 1998.
DAIGLE, France [DIEPPE 1953]
Romancière et dramaturge canadienne d’expression française.
Après des études de littérature et de cinéma, France Daigle travaille comme traductrice et rédactrice de nouvelles pour Radio-Canada à Moncton. Depuis 1983, elle a publié 11 romans qui marient de manière originale formalisme et réalisme. Avec un univers tout à fait opposé à celui de sa devancière Antonine Maillet*, elle est devenue la deuxième romancière la plus connue de l’Acadie. Ses premiers romans ont un caractère à la fois minimaliste et réflexif, qui les rapproche de l’écriture cinématographique. Puis la structure romanesque évolue et s’affirme avec une place plus importante accordée au contexte acadien.
Ses derniers romans se sont ouverts à un public plus large en ayant recours au parler vernaculaire du sud-est du Nouveau-Brunswick, le chiac, un mélange de français et d’anglais, dont l’usage suscite de nombreuses discussions dans un milieu hanté par la « surconscience linguistique ». Son œuvre renouvelle aussi avec humour la question de la fonction des artistes dans les petites cultures. Ce retour du référent n’exclut cependant pas la volonté de construire le roman sur des contraintes formelles, que ce soit le chiffre 12 dans Pas pire, le symbolisme des jours de la semaine dans Un fin passage ou les prescriptions du Yijing dans Petites difficultés d’existence (2002). F. Daigle a également écrit plusieurs textes de théâtre, tous joués par le collectif Moncton-Sable.
Raoul BOUDREAU
■ 1953, chronique d’une naissance annoncée, Moncton, Éditions d’Acadie, 1995 ; Pas pire (1998), Montréal, Boréal, 2002.
■ « France Daigle », in Voix et images, no 87, Morency J. (dir.), Montréal, 2004.
DAI JINHUA [PÉKIN 1959]
Professeure de cinéma chinoise.
Diplômée de l’université de Pékin, Dai Jinhua est professeure à l’Institut du cinéma avant de revenir enseigner en 1993 à l’université, à l’Institut des littératures et cultures comparées. En 1997, elle devient directrice du Centre de recherches du cinéma et de la culture. Elle est également invitée dans plusieurs universités américaines. À partir de la critique cinématographique, ses horizons de recherches s’élargissent et s’orientent vers l’étude de la culture de masse et de la littérature au féminin. Pour elle, la critique du cinéma est libre pratique de signifiants. Ses études culturelles explorent la politique invisible derrière les phénomènes sociaux. Son travail sur le féminisme est interprétation plurielle des figures de femmes dans la « cité des miroirs » entre le cinéma et la littérature. Elle a notamment publié : Jing cheng tu wei, nü xing/dian ying/wen xue (« échapper à la cité des miroirs, féminin/cinéma/littérature ») en 1995 ; Wu zhong feng jing, zhong guo dian ying wen hua 1978-1998 (« paysage dans le brouillard, la culture cinématographique chinoise 1978-1998 ») en 1999 ; She du zhi zhou, xin shi qi zhong guo nü xing xie zuo yu nü xing wen hua (« bateau passeur, l’écriture au féminin et la culture féminine de la nouvelle époque chinoise ») en 2002 ; et Xing bie zhong guo (« la différence sexuelle en Chine ») en 2006.
WEI KELING
■ WANG J., BARLOW T. E., Cinema and Desire : Feminist Marxism and Cultural Politics in the Work of Dai Jinhua, Londres, Verso Press, 2002.
DAI QING [CHONGQING, SICHUAN 1941]
Journaliste et militante politique chinoise.
Fille adoptive d’un révolutionnaire puissant, le général et ancien ministre de la Défense Ye Jianying, Dai Qing est internationalement connue pour son opposition virulente au barrage des Trois-Gorges sur le Yangzi Jiang, le plus gros barrage hydroélectrique du monde, qui menace les équilibres climatique, écologique et humain d’une très vaste région. En 1966, diplômée de l’Académie d’ingénierie militaire de Harbin, elle est envoyée avec son mari à la campagne durant la Révolution culturelle, pour être « réformée par le travail ». Elle est alors obligée de laisser sa fille à Pékin. Après cette période troublée, elle devient journaliste pour le quotidien Guangming ribao, dans lequel elle signe une chronique de 1982 à 1989. Elle y rend publiques les opinions dissidentes de plusieurs personnalités, dont l’astrophysicien Fang Lizhi, qui jouera plus tard un rôle important durant les manifestations prodémocratiques du printemps de 1989. Cette année-là, prenant des risques considérables, elle publie la compilation d’essais critiques Yangtze Yangtze ! , nourrissant une vague d’opposition au projet de barrage. Le gouvernement est conduit à retarder les travaux. Le livre est interdit à la suite de la répression des manifestations prodémocratiques de juin 1989, et Dai Qing, emprisonnée pendant dix mois. À sa sortie, elle décline les propositions d’asile politique des États-Unis et de l’Allemagne et fait paraître Wo de ruyu (« mon emprisonnement », 1990). Malgré les oppositions au sein même de l’Assemblée populaire chinoise et les nombreuses critiques internationales, le gouvernement entreprend la construction du barrage en 1994. Depuis, exigeant que la vérité soit dite, Dai Qing n’a pas faibli dans ses engagements contre les conséquences sociales et environnementales de la mise en eau du barrage (déplacement de près de deux millions de personnes). Continuant son combat pour les droits humains et la démocratie, elle s’est réjouie publiquement de l’attribution du prix Nobel de la paix 2010 à son compatriote Liu Xiaobo, condamné à onze ans de prison. Elle-même est régulièrement placée en résidence surveillée.
Anne LOUSSOUARN
■ The River Dragon Has Come ! The Three Gorges Dam and the Fate of China’s Yangtze River and Its People, Armonk (NY), M. E. Sharpe, 1997.
■ BARME G., « The trouble with Dai Qing », in Index on Censorship, vol. 21, no 8, sept. 1992.
DAKIĆ, Danica [SARAJEVO 1962]
Peintre et vidéaste bosnienne.
Après l’obtention d’un diplôme de peinture à l’Académie des beaux-arts de Sarajevo, Danica Dakić s’installe à Düsseldorf, en Allemagne, où elle poursuit ses études et ses recherches artistiques. Dans ses œuvres, notamment dans la série Role-Taking, Role-Making (2005), elle explore sur différents supports (photographie, film, installations vidéo et sonores) la question de l’identité culturelle dans le contexte des guerres, des changements sociaux et politiques, et de la mondialisation, tout en se fondant sur son expérience d’exilée. Ses installations vidéo et sonores explorent les formes du langage, en particulier de l’oralité, dans le processus de la formation d’identité. D. Dakić a exposé, entre autres, à Sarajevo, Düsseldorf, Peja, Bratislava, Copenhague, Ljubljana, Vienne et Los Angeles. Elle travaille comme professeure invitée à l’université Bauhaus.
Dragana TOMAŠEVIČ
■ Role-Taking, Role-Making, Vienne, Verlag für moderne Kunst, 2006.
DAL, Ingerid [OSLO 1895 - ID. 1985]
Linguiste norvégienne.
Après avoir étudié la philologie à l’université d’Oslo, les mathématiques et la philosophie à l’université de Heidelberg (où elle fait une thèse sur Kant), Ingerid Dal soutient un doctorat à l’université d’Oslo où elle obtient un poste en philologie germanique. Spécialiste de ce domaine, elle a été reconnue pour ses travaux sur les poésies en ancien norvégien, sur le vieux saxon, le gothique, l’anglais et le nordique, études qui lui ont permis de contribuer à éclairer les origines de l’allemand moderne. Un prix de sciences humaines portant son nom associé à celui de sa sœur est décerné chaque année en Norvège.
Thomas VERJANS
■ GRØNVIC O., « Dal », in STAMMERJOHANN H. (éd.), Lexicon grammaticorum, New York/Amsterdam/Philadelphie, Mouton de Gruyter, 2009.
D’ALESSANDRIA, Pia (Pia BENADUSI MALTESE, dite) [ALEXANDRIE, PIÉMONT 1909 - ROME 1988]
Écrivaine italienne.
Née à Alexandrie, où son père était officier dans l’armée, Pia Maltese fait ses études en France à l’université de Grenoble avant de s’installer à Rome où elle épouse Paolo Benadusi. À cause de l’hostilité de son mari envers une quelconque activité publique de sa femme, elle ne se lance que tardivement dans la carrière littéraire et signe ses livres sous un pseudonyme inspiré par la ville de son enfance, à laquelle elle est très attachée. Parmi ses nombreux textes narratifs, certains sont des succès de librairie, comme Casa a ponente (« la maison du couchant », 1945) ; Favola proibita (« une fable interdite », 1949) ; Autunno con le ragazze (« un automne avec des filles », 1952) ; La bambola indiana (« la poupée indienne », 1970) ; Il diavolo e le colombe (« le diable et les colombes », 1975). Elle a également publié deux recueils de nouvelles, Inganno della notte (« l’illusion de la nuit », 1956) et Chi gioca e chi guarda (« ceux qui jouent et ceux qui regardent », 1965), et deux volumes de poésie, Sosta sul fiume (« pause au bord du fleuve », 1955) et Guardo segnali lontani (« je regarde des signaux lointains », 1977). Elle a collaboré aux revues La Fiera Letteraria et Nuova Antologia.
Francesco GNERRE
DALGAS, Vibeke [HOLBÆK 1933]
Architecte et urbaniste danoise.
Diplômée de l’École d’architecture de l’Académie royale des beaux-arts du Danemark, Vibeke Dalgas ouvre sa propre agence en 1966, qu’elle dirige jusqu’en 1988. Elle travaille surtout comme urbaniste, notamment pour la protection de certains paysages et de petites villes : l’île de Nyord (1968), Ærøskøbing, sur l’île d’Ærø (1971), Gl Hjørring (« le vieux Hjørring », 1975), le centre de Hillerød, sur l’île de Sjælland (1975) et le centre d’Aakirkeby, sur l’île de Bornholm (1989), que ses plans d’aménagement contribuent dans une grande mesure à préserver et restaurer. Elle est une pionnière de ce type de travaux de recherches et d’analyse, parfois publiés, comme son histoire des plans d’aménagement et du développement urbain de la ville de Hillerød. Elle se fait aussi remarquer dans des concours comme ceux du parc de la Villette (1982) ou du port de Copenhague (1985). Elle a été professeure à l’université de Lund, en Suède, de 1988 à 1998.
Anne-Marie LUND
■ Byplanhistorie og byudvikling i Hillerød 1945-2006, Copenhague, Dansk byplanlaboratorium, 2007.
DALIDA (Yolanda GIGLIOTTI, dite) [LE CAIRE 1933 - PARIS 1987]
Chanteuse française d’origine italienne.
En 1951, Yolanda Gigliotti est élue Miss Ondine, puis Miss Égypte trois ans après. Elle débute au cinéma, puis tente sa chance en France. Le 24 décembre 1954, elle s’installe à Paris et chante dans des cabarets. En 1956, elle est repérée par Bruno Coquatrix, qui l’invite aux « Numéros un de demain », un concours de jeunes talents, à l’Olympia. Eddie Barclay et Lucien Morisse, directeur artistique d’Europe no 1, ont un coup de foudre et prennent en main sa carrière. Son troisième 45 tours, Bambino, devient le premier succès d’une très longue série. Les music-halls où elle se produit affichent complet. En 1961, elle sacrifie à la mode du twist. Un an après, elle est la première chanteuse française à se produire au Vietnam. En 1962, elle s’installe à Montmartre, rue d’Orchampt. Elle obtient régulièrement des disques d’or ou des récompenses officielles. Le 26 février 1967, après le suicide de l’homme qu’elle aimait, elle tente de mettre fin à ses jours. Elle s’en sort par miracle, remonte sur scène et se passionne pour la philosophie et la psychanalyse. En 1970, elle se retire au Népal, dans un monastère. Elle revient et triomphe à l’Olympia en interprétant Avec le temps. Dans les années 1970, elle enregistre des couplets en une quinzaine de langues. Parmi ses succès figurent Paroles, paroles avec Alain Delon, Il venait d’avoir 18 ans et Gigi l’Amoroso. En 1975, elle reçoit huit Oscars. Ses amours défraient alors la chronique. En 1977, elle est une « ambassadrice de la paix » au Moyen-Orient avec Salma ya salama. Elle se reconvertit ensuite dans le disco, et, en 1980, affiche complet au Palais des Sports de Paris. En 1986, elle tourne un rôle dramatique dans un film, Le Sixième Jour. Le 3 mai 1987, à la suite d’un chagrin d’amour, elle se donne la mort. Elle demeure aujourd’hui, pour les nouvelles générations, le symbole de la chanson populaire.
Jacques PESSIS
DALLE DONNE, Maria [PRÈS DE BOLOGNE 1777 - BOLOGNE 1842]
Médecin obstétricienne italienne.
Née dans une famille de paysans près de Bologne, Maria Dalle Donne fut éduquée par son oncle, le prêtre Giacomo Dalle Donne, qui avait étudié la médecine. Reconnaissant les grandes dispositions de sa nièce, ce dernier l’emmène à Bologne où elle a la chance de pouvoir faire des études dans une université qui ouvrait ses portes aux femmes. Elle étudie la philosophie et le latin. Ses professeurs sont : Aldini, pour la physique ; Riviera, pour la médecine et la chirurgie ; et Uttini, pour la pathologie. Elle se présente au doctorat en 1799. Après un test oral qui dura trois jours, pendant lesquels elle répondit aux questions les plus difficiles, elle a droit au titre de dottoressa en philosophie et médecine, et reçoit la couronne de laurier. En 1800, elle publie trois importants articles scientifiques. Le premier, sur l’anatomie et la physiologie, traite des travaux existants sur la reproduction et la fertilité des femmes, les malformations fœtales et la circulation sanguine dans l’utérus. Le deuxième propose pour la première fois que les maladies soient classées sur la base des symptômes. Le troisième est axé sur les sages-femmes et la prise en charge des nouveau-nés. En 1804, M. D. Donne est nommée directrice de l’école de sages-femmes. Elle est pour ses élèves un professeur remarquable mais extrêmement sévère. Napoléon, ayant entendu ses cours lors d’un passage à Bologne, demanda pour elle une chaire d’obstétrique, qu’elle occupera pendant quarante ans. En 1807, elle entre à l’Académie des sciences de Paris. Sa renommée grandissant, elle est inscrite comme surnuméraire de la classe des académiciens bénédictins de Bologne, en 1829. Elle est également musicienne et tient souvent l’orgue dans sa paroisse. Un buste d’elle orne la bibliothèque de l’université de Bologne.
Yvette SULTAN
DALY, Ita [LEITRIM 1945]
Écrivaine irlandaise.
Ita Daly est d’abord enseignante avant de se consacrer entièrement à l’écriture, après son mariage avec David Marcus, auteur, éditeur, directeur de plusieurs revues littéraires et figure importante de la vie artistique et intellectuelle irlandaise après l’indépendance. Elle fut membre du Parti communiste irlandais jusqu’en 1968. Son premier recueil de nouvelles, La Dame aux souliers rouges (1980), reçoit un grand succès récompensé par des prix littéraires. Ses romans – cinq publiés jusqu’en 2012 – mettent souvent en scène des personnages isolés, aux comportements étranges. Le fait d’être mariée avec un juif irlandais lui a sans doute inspiré le thème de Unholy Ghosts (« des esprits pas très saints », 1997), l’histoire d’une jeune Allemande réfugiée en Irlande pendant la Seconde Guerre mondiale et qui se convertit au catholicisme dans le but de se transformer en une parfaite Irlandaise. Elle a également publié Irish Myths and Legends, ouvrage destiné à la jeunesse.
Sylvie MIKOWSKI
■ De si bonnes amies (Such Good Friends, 1980), in Anthologie de nouvelles irlandaises, Caen, Publications de l’université de Caen, 1987 ; La Dame aux souliers rouges (Lady With the Red Shoes, 1980), in KRÉMER J. P. (dir.), Trésor de la nouvelle de la littérature irlandaise, Paris, Les Belles Lettres, 2002.
DALY, Mary [SCHENECTADY, NEW YORK 1928 - GARDNER, MASSACHUSETTS 2010]
Théologienne féministe américaine.
Après un premier doctorat en religion au St. Mary’s College aux États-Unis, et un deuxième en théologie et philosophie à l’université de Fribourg en Suisse, Mary Daly est professeure de théologie au Boston College dans le Massachusetts de 1967 à 1999, date à laquelle elle est sanctionnée pour avoir exclu les hommes de son cours en études féminines (Amazon Grace : Recalling the Courage to Sin Big, 2006). Ses premiers écrits, Le Deuxième Sexe contesté, paru en 1969, et Beyond God the Father : Toward a Philosophy of Women’s Liberation (1973), montrent l’influence de Paul Tillich, M. Buber et Thomas d’Aquin, et portent sur la nécessité de réformer l’Église catholique. Sa philosophie se radicalise par la suite et elle se consacre à une sévère critique du patriarcat, qui continue, aujourd’hui comme hier, à opprimer les femmes (Notes pour une ontologie du féminisme radical, 1978). Elle explore le potentiel libératoire qu’il y a à se réapproprier des stéréotypes tels la « sorcière » et la « folle ». Mais sa philosophie a été critiquée pour ses positions sur le transsexualisme qu’elle considère comme un « problème de mâles » (The Transsexual Empire : the Making of the She-Male, 1979), et pour l’image monolithique qu’elle aurait donné de l’expérience féminine, qui perpétuerait la marginalisation des femmes de couleur.
Amanda GIBEAULT
■ Pure Lust : Elemental Feminist Philosophy, Boston, Beacon Press, 1984 ; Quintessence… Realizing the Archaic Future : A Radical Elemental Feminist Manifesto, Boston, Beacon Press, 1998.
■ DION M., Libération féministe et salut chrétien, Mary Daly et Paul Tillich, Montréal, Fides, 1995 ; HOAGLAND S. L., Frye M., Feminist Interpretations of Mary Daly, University Park, Penn State University Press, 2000 ; RISWOLD C., Two Reformers : Martin Luther and Mary Daly as Political Theologians, Eugene (Oregon), Wipf & Stock Publishers, 2007.
DAMBURY, Gerty [POINTE-À-PITRE 1957]
Dramaturge, poétesse et nouvelliste guadeloupéenne.
Après une enfance passée à Pointe-à-Pitre, Gerty Dambury fait des études de langues (anglais et arabe) avant d’être conseillère pour le livre et responsable de projets éducatifs en Guadeloupe. D’abord poétesse, elle commence à écrire pour la scène en 1981. Intimiste et hybride, son théâtre entremêle les genres (dramatique, épique et lyrique) et explore la violence des rapports sociaux, familiaux, et les traumatismes refoulés de personnages rongés par des blessures anciennes, celles d’une histoire individuelle aux résonances collectives. Elle est l’auteure de 13 pièces, dont Lettres indiennes (1996), montée à Avignon et à New York, Carêmes, mise en scène en Guadeloupe en 1998, et Trames, jouée en octobre 2008 à Paris.
Stéphanie BÉRARD
■ BÉRARD S., « Percussion et répercussion des voix dans le théâtre de Gerty Dambury », in L’Esprit créateur, vol. 48, no 2, 2008 ; MAKWARD C., « Pressentir l’autre, Gerty Dambury, dramaturge guadeloupéenne », in L’Annuaire théâtral, no 28, 2000.
DAME MAROTE VOIR MAROIE DE DIERGNAU
DAMER, Anne SEYMOUR (née SEYMOUR CONWAY) [COOMB BANK 1748 - LONDRES 1828]
Sculptrice britannique.
Si contestée que fût, même de son vivant, la qualité de son art, Anne Seymour Damer n’en reste pas moins l’unique sculptrice qui figure dans The Lives of the Most Eminent British Painters, Sculptors and Architects (« les vies des plus éminents peintres, sculpteurs et architectes anglais », 1830) d’Allan Cunningham. Issue d’une famille de souche aristocratique et proche des mondes artistiques et intellectuels – l’écrivain Horace Walpole fut son parrain –, elle fut initiée aux humanités par David Hume. Elle apprit le modelage de la terre et de la cire auprès du sculpteur italien Giuseppe Ceracchi, la taille de la pierre auprès du sculpteur britannique John Bacon et les secrets de l’anatomie auprès du chirurgien William Cumberland Cruikshank. En 1776, après le suicide de son mari, John Damer, elle retrouve les arts et entreprend de voyager en Europe continentale, où elle contemple les hauts exemples de l’Antiquité, qui inspirent son style néoclassique. Cette recherche se marque, entre autres, dans les assimilations qu’elle fait entre les muses et les modèles contemporains qu’ainsi elle allégorise (le buste de l’actrice Elizabeth Farren [vers 1759-1829] en Thalie, muse de la Comédie, 1788) et dans le style sévèrement grec, symétrique, balancé, mais dénué de force introspective, qu’elle privilégie, même quand elle rend à ses personnages leurs habits d’époque. À l’exception des quelques sculptures publiques qu’elle a exécutées – dont le monumental et austère George III (1795) –, ses œuvres ne sont pas des ouvrages de commande. Elle laisse, outre quelques sculptures animalières naturalistes, une imposante collection de bustes idéalisés représentant sa famille, ses amis ou des personnages qu’elle estime vertueux, à l’instar des Anciens. Au nombre de ces derniers, Charles James Fox, qu’elle montre à Napoléon Bonaparte en 1802, et l’Amiral Nelson.
Anne LEPOITTEVIN
■ CUNNINGHAM A., The Lives of the Most Eminent British Painters, Sculptors and Architects, vol. 4, Londres, J. Murray, 1830-1833 ; NOBLE P., Anne Seymour Damer : A Woman of Art and Fashion, 1748-1828, Londres, Kegan Paul, Trench, Trübner & Co, 1908 ; YARRINGTON A., The Female Pygmalion : Anne Seymour Damer, Allan Cunningham and the Writing of a Woman Sculptor’s Life, Londres, Public Monuments and Sculpture Association, 1997.
LES DAMES DE MINOT – ANTHROPOLOGUES [France XXe siècle]
Afin de mieux comprendre le malaise paysan constaté dans la France d’après-guerre, le CNRS met en place des programmes collectifs d’enquête rassemblant des chercheurs de différentes disciplines des sciences humaines et sociales : les recherches coopératives sur programme (RCP). Dans le cadre de la RCP du Châtillonnais, de 1968 à 1975, quatre femmes vont consacrer quelques années d’enquête à un village bourguignon, Minot, devenant pour leurs collègues parisiens les « Dames de Minot », tandis qu’à Minot on les nomme les « Dames de Paris ». L’une d’elles, la géographe Marie-Claude Pingaud, se penche sur la structure agraire ; les trois autres, les anthropologues Tina Jolas, Yvonne Verdier et Françoise Zonabend, s’intéressent à la structure sociale (parenté, rôles des femmes). Minot est alors un petit village de 360 habitants qui a conservé certaines traditions du fait de son relatif isolement. L’enquête va contribuer à renouveler l’approche ethnographique du terrain français.
Les Dames de Minot ne se contentent pas de l’observation érudite du regard folkloriste, elles abordent les faits avec les outils élaborés sur des terrains exotiques et en empruntent les biais d’approche, l’étude de la parenté par exemple. Membres du laboratoire d’anthropologie sociale, dirigé alors par Claude Lévi-Strauss, elles reprennent à leur compte l’analyse structurale et proposent un cadre d’interprétation des relations sociales fondé sur les oppositions significatives observées – entre « gens du finage » et « gens du bois », entre haut et bas du village, entre les hommes et les femmes… Ce cadre construit pourra leur être reproché pour son manque de perspective historique (Florence Weber, 1981). En effet, en ethnologues à l’écoute d’une société traditionnelle en train de s’effacer, elles n’ont pas constamment pris acte des éléments temporels et les faits analysés dans une même anthropologie symbolique ne sont pas toujours contemporains ni de l’enquête ni entre eux. Elles examinent, en ethnologues et non en historiennes, les vestiges d’une société traditionnelle dont elles cherchent à comprendre le fonctionnement. Dans leur manière d’aborder l’enquête, T. Jolas, M.-C. Pingaud, Y. Verdier et F. Zonabend se concentrent sur les récits du passé, d’un passé présent dans certaines « façons de faire » et, surtout, dans les « façons de dire » qui perdurent et font encore sens. L’ouvrage signé par Y. Verdier (1979), salué comme un chef-d’œuvre tant par ses qualités d’écriture que par l’intérêt du sujet, se donne ainsi pour objectif de « tenter de saisir le lien entre [le] discours, [les] gestes, [les] techniques et les rôles qu’exercent les femmes ».
C’est bien là tout l’intérêt de ce travail : en établissant des liens entre « façons de faire », gestes quotidiens ou anciens rituels, et « façons de dire », il nous apprend à entendre autrement certaines expressions populaires toujours utilisées aujourd’hui tout comme, dans une autre publication, Y. Verdier invitait à mieux comprendre un conte de tradition orale pourtant bien connu en le mettant en relation avec les leçons de vie reçues autrefois par les jeunes filles lors de leur séjour chez la couturière (1978). Travaillant sur les généalogies en cherchant à établir les règles de parenté à Minot et, plus largement, dans la partie rurale de nos sociétés complexes, F. Zonabend s’attache au passé, en analysant en parallèle le temps collectif et le temps familial, dans lequel le récit se situe souvent plus facilement. Comme Y. Verdier, elle est attentive au quotidien, aux faits et dires significatifs. Son approche permet de relativiser la critique émise plus haut, car le temps observé par l’ethnologue est d’abord le temps vécu et non le temps de l’historien ou du sociologue. En discutant avec les gens de Minot, F. Zonabend se met à l’écoute de leur propre temporalité. De même, dans le livre de M.-C. Pingaud (1978), le passé se mêle au présent dans la mesure où dans leurs discours – principale source d’information après les archives départementales pour la géographe ayant emprunté le regard de l’anthropologue –, les gens de Minot s’y réfèrent sans cesse.
Les quatre Dames de Minot, chacune à sa manière, font preuve d’une ethnographie minutieuse, mais aussi d’une écriture sensible et empathique, à l’écoute des préoccupations des villageois. Sans pour autant se réclamer d’une anthropologie féministe en vogue à cette époque, elles donnent une place de premier ordre aux femmes, si souvent oubliées des travaux précédents sur la paysannerie française. Avec elles, elles peuvent discuter de tout, regarder les albums de photographies et évoquer les amours des unes, les déceptions des autres, dans un échange complice autour d’un café (F. Zonabend, 1980). Elles vont ainsi pouvoir pratiquer une activité prisée aux veillées autrefois, avant l’arrivée de la télévision : le « parler famille » (T. Jolas, Y. Verdier, F. Zonabend, 1970). Il s’agit surtout de rappeler les événements qui construisent les généalogies (mariages, naissances, communions, décès…), les liens entre les personnes, les petites histoires et leur manifestation à travers ces éléments tout à fait pertinents pour la mémoire orale que sont les sobriquets (F. Zonabend, 1979).
L’ouvrage de Y. Verdier (1979) fera date pour la qualité de son approche de la vie sociale à travers le prisme de la féminité. Dans la société traditionnelle française, le corps des femmes impose ses rythmes à la vie des villageois et fonde en grande partie les représentations de la vie – de l’attention aux envies de la femme enceinte aux coutumes du mois de mai, en passant par la fabrication de la « marquette » des fillettes (petit carré de canevas brodé au point de marque) et par les croyances véhiculées au sujet des rousses. C’est tout un monde pas si lointain que Y. Verdier nous aide à comprendre, une « campagne voisine » dans l’espace mais aussi dans le temps.
Cécile LEGUY
■ JOLAS T., PINGAUD M.-C., VERDIER Y., ZONABEND F., Une campagne voisine, Minot, un village bourguignon, Paris, MSH, 1990 ; PINGAUD M.-C., Paysans de Bourgogne, les gens de Minot, Paris, Flammarion, 1978 ; VERDIER Y., Façons de dire, façons de faire, la Laveuse, la couturière, la cuisinière, Paris, Gallimard, 1979 ; ZONABEND F., La Mémoire longue, temps et histoires au village (1980), Paris, J.-M. Place, 1999.
DAMIA (Marie Louise DAMIEN, dite) [PARIS 1889 - LA CELLE-SAINT-CLOUD 1978]
Chanteuse et actrice française.
Rêvant de devenir danseuse, Marie Louise Damien quitte ses parents et se retrouve dans la rue, sans un sou. Elle parvient à trouver un emploi de figurante au Théâtre du Châtelet, et, grâce à un machiniste qui s’est pris de sympathie pour elle, rencontre, en 1907, Max Dearly, un fantaisiste alors célèbre. Elle l’accompagne à Londres pour danser sur scène « la valse chaloupée ». Elle revient à Paris et commence à chanter dans les cafés-concerts. Elle se spécialise dans un répertoire sombre et construit, petit à petit, sa notoriété. Pendant la Première Guerre mondiale, elle est l’idole des Poilus. Au lendemain de l’armistice, elle est remarquée par Sacha Guitry qui lui conseille de troquer sa tenue de velours rouge contre un fourreau noir. Elle invente ainsi la robe, chère ensuite à Édith Piaf* et à Juliette Gréco*. Entre les deux guerres, Damia tourne pour le cinéma. Abel Gance l’engage, en particulier, pour symboliser « La Marseillaise » dans son Napoléon. Elle multiplie les apparitions à la scène. Elle est en première partie de La Revue nègre, au Théâtre des Champs-Élysées, où débute Joséphine Baker*. Elle chante Les Goélands et La ginguette a fermé ses volets dans les grands music-halls du monde, de Berlin à New York en passant par Tokyo. Elle évoque aussi les bals populaires, les rêves du matelot, du soldat, du légionnaire, les amours malheureux, les souvenirs perdus. En 1956, après un passage à l’Olympia, elle décide de faire ses adieux à la chanson. Elle refuse de chanter avec un micro, ne supporte pas les haut-parleurs. On salue alors son influence considérable sur la chanson française. Damia a en effet été la première artiste à mêler le théâtre à son tour de chant, à travailler la gestuelle, les éclairages, la mise en espace. Elle termine discrètement son existence entre la butte Montmartre et la Côte d’Azur.
Jacques PESSIS
DAM PHUONG (CÔNG NU DÔNG CANH, dite) [HUÊ 1881 - THANH HOA 1948]
Romancière, essayiste et journaliste vietnamienne.
Petite-fille de l’empereur Minh Mang, Dam Phuong reçut l’éducation rigide imposée aux femmes de l’époque, mais réussit à apprendre le sino-vietnamien (han van), le vietnamien (quôc ngu) et le français. Première journaliste et romancière à rédiger en quôc ngu, elle publia dans des journaux tels que Nam phong (« vent du sud »), le périodique Trung bac tân van (« nouvelles du Centre et du Nord ») et la revue Huu thanh (« la voix ») à partir de 1918. Son unique roman, Kim Tu Câu (« Hortensia d’or »), parut d’abord en feuilleton dans Trung bac tân van, puis en livre en 1928 : il retrace les malheurs d’une jeune fille éduquée à l’ancienne et soumise à l’autorité parentale. Un an plus tard, l’auteure signa un Avant-Propos à l’occasion de la sortie du premier numéro de Phu nu tung san (« revue féminine »), dans lequel elle commentait et dénonçait les principes d’éducation obsolètes des femmes. À travers ses écrits, elle prônait des idées nouvelles sur « l’éducation des filles » (1922) et sur la condition féminine de l’adolescence à la maturité. Malgré son engagement en faveur de l’égalité entre les sexes et de l’émancipation féminine, elle émit pourtant une réserve : lien indéfectible qui unit les membres de la famille, la femme ne doit pas renier ses devoirs. C’est la raison pour laquelle l’écrivaine fonda l’École des arts ménagers (Nu công hoc hiêu), destinée à apprendre aux filles un métier qui puisse les rendre indépendantes vis-à-vis de leur futur mari comme de leurs enfants et les faire participer au développement économique du pays. Cependant, dans un pays où « on ne respecte que les hommes et où on sous-estime les femmes », sa nouvelle conception de la femme n’eut d’impact que dans le milieu intellectuel moderne, partisan du quôc ngu et du français.
Si elle n’a pas atteint son objectif, elle en a néanmoins posé les jalons pour les générations futures. En effet, en 1930, le Parti communiste se prononça en faveur du principe d’égalité et considéra même la population féminine comme force vive de la Révolution. Il créa donc l’Association des femmes (Hôi phu nu) dont la mission était de rassembler des membres de tout horizon social et de défendre leurs intérêts communs. Le nom de l’écrivaine reste indissociable de l’histoire de la littérature vietnamienne et du principe de l’égalité homme-femme au Vietnam.
Paulette PHAN THANH THUY
■ Luoc khao vê Tuông hat An Nam, in Nam phong Saigon, no 76, oct. 1923 ; Giao duc nhi dông, Thanh Hoa, Éd. Thanh Hoa, 1996.
■ LÊ T. H., Tuyên tâp Dam Phuong nu su, Hanoi, Van Hoc, 1999 ; NGUYÊN C. T., NGUYÊN K. D. B., Dam Phuong nu si, Hô Chi Minh-Ville, Tre, 1995.
DAMSHOLT, Nanna [OLLERUP 1935]
Historienne danoise.
Nanna Damsholt enseigne l’anglais et le français avant de reprendre des études d’histoire. Elle soutient en 1970 une thèse sur l’idée de la royauté dans les préambules généraux des diplômes royaux entre 1140 et 1223. Elle entre peu après à l’Institut d’histoire de l’université de Copenhague où, à partir de 1985, elle collabore au centre de recherche sur les femmes et le genre (Center for kvinne - og kjønnsforskning). Nommée professeure en 1989, elle y organise la recherche et l’enseignement (avec Bente Rosenbeck). Avant de devenir une spécialiste de l’histoire des femmes, N. Damsholt avait publié en 1978 Abbed Vilhelm af Æbeltofts Brevsamling (« la collection des lettres de l’abbé Vilhelm d’Æbeltoft »). Mais son ouvrage majeur est Kvinnebilledet i dansk højmiddelalder (« l’image des femmes danoises du Moyen Âge », 1985) dans lequel elle souligne l’importance de l’histoire des femmes pour comprendre le présent. Cette étude, l’une des premières contributions à l’histoire des femmes au Danemark, décrit les contraintes que fait peser la société patriarcale sur la vie quotidienne des femmes et analyse l’idéologie sociale et culturelle de l’époque. L’historienne revient sur la notion de patriarcat dans une contribution à Female Power in the Middle Ages (1989). Ses recherches sur la lecture et l’écriture renouvellent la perception de l’histoire culturelle et des mentalités au Moyen Âge. Dans Medieval Women’s Identity in a Post-modern Light : The Birth of Identities (1998), elle montre comment les femmes intériorisent une perception de la féminité liée à l’âge. Ses dernières recherches concernent les relations entre le genre et le corps dans les discours du Moyen Âge. N. Damsholt contribue également à de vastes entreprises éditoriales d’histoire des femmes et d’histoire générale. Dans Cappelens Kvinnehistorie (« l’histoire Cappelen des femmes », trois volumes publiés en 1992 et 1993), elle s’intéresse à la vie des femmes en Europe de l’Ouest entre 1200 et 1500, ainsi qu’en Chine et au Japon jusqu’en 1500-1600. Les éditeurs de Gyldendals Danmarkshistorie (« l’histoire Gyldendal de Danemark », dix volumes) lui confient la partie qui traite de l’historiographie jusqu’aux années 1560 dans le tome final (1992). Depuis la fin des années 1970, N. Damsholt participe à l’organisation de conférences danoises, nordiques et internationales sur l’histoire des femmes. Représentante danoise de la Fédération internationale pour la recherche en histoire des femmes (1989-1999), elle est également membre des comités éditoriaux des revues Women’s History Review, L’Homme et Nora, ainsi que du Conseil gouvernemental sur l’éducation lycéenne (1986) et du Comité d’éthique (Etisk Råd, 1988-1991).
Ida BLOM
DANCO, Suzanne [BRUXELLES 1911 - FIESOLE 2000]
Soprano belge.
Suzanne Danco s’est imposée dans les opéras de Mozart et dans le répertoire français, particulièrement Debussy, restant dans les mémoires comme une Mélisande de légende. Cela surtout grâce au disque qu’elle enregistra sous la direction d’Ernest Ansermet, car elle ne se sera en fait qu’assez peu produite dans ce rôle à la scène. Artiste sensible et vraie, S. Danco possédait une voix claire au style parfait, qui, outre Mozart, s’exprimait dans un vaste répertoire, de Gluck à Britten. Elle fait ses études musicales au Conservatoire royal de sa ville natale, puis, après avoir remporté un concours de chant à Vienne en 1936, elle se rend à Prague, sur les recommandations du célèbre chef d’orchestre allemand Erich Kleiber, pour se perfectionner auprès du grand pédagogue italien Fernando Carpi. Elle fait ses débuts en concert en Italie en 1940, et débute sur scène un an plus tard à l’opéra de Gênes en Fiordiligi de Così fan tutte. Sa carrière se déploie alors en Italie. En 1942, elle chante Donna Elvira dans Don Giovanni et Chérubin dans Les Noces de Figaro à Florence. Elle apparaît ensuite à Rome et à Naples, puis à la Scala de Milan, où elle chante Ellen Orford en 1947 lors de la première italienne de Peter Grimes de Britten sous la direction de Tullio Serafin, et Jocaste dans Œdipus Rex de Stravinski en 1948. Elle est également Marie dans Wozzeck d’Alban Berg au Teatro San Carlo de Naples. Quant à son interprétation du répertoire de Mozart, les festivals d’Aix-en-Provence, de Glyndebourne et d’Édimbourg se la disputent. Elle est invitée au Royal Opera House de Covent Garden en 1951 en Mimi de La Bohème. Elle incarne également les rôles d’Eurydice, Rosina, Violetta, Eva, Elsa, Sophie, Manon, Louise et bien d’autres encore. À partir de 1960, elle se produit surtout en concert, particulièrement dans les œuvres de Bach, Manuel de Falla et Britten, et, surtout, dans le répertoire français, Berlioz, Debussy et Ravel, où sa diction pure et son style pondéré, clair et noble se développent sans carcan. Elle renonce à sa carrière de cantatrice en 1970 et enseigne à l’académie Chigiana de Sienne et à la Britten-Pears School à Snape en Angleterre.
Bruno SERROU
DANDINI, Serena [ROME 1954]
Animatrice et auteure de télévision italienne.
Dotée d’un sens inné de l’humour et d’un penchant pour la comédie intelligente, Serena Dandini collabore depuis sa jeunesse avec la Rai, le service public audiovisuel italien, pour laquelle elle a signé ou cosigné plusieurs programmes à succès. Après avoir étudié la littérature anglo-américaine à Rome, elle commence à travailler pour la Rai, à la fois comme animatrice et auteure d’émissions pour la télévision et la radio, telles que La vita di Mae West. En 1988, elle réalise avec La TV delle ragazze (« la télé des filles ») la première expérimentation de télévision comique entièrement féminine, qui contribue à l’émergence de talents tels que les humoristes Francesca Reggiani et Lella Costa. En 1991, elle lance Avanzi (« les restes »), qui révèle au grand public le génie comique de Corrado et Sabina Guzzanti, et marque le début d’une fructueuse collaboration artistique qui produira Tunnel (1994), un spectacle comique et musical, fruit de contributions internationales ; Maddecheao : Come secernere agli esami (« comment survivre à ses examens », 1993), une hilarante parodie sur la préparation au baccalauréat ; Pippo Chennedy Show (1997), un mélange de comédie surréaliste et de satire politique mordante aux aphorismes mémorables ; et L’Ottavo nano (« le huitième nain », 2000), dont la verve satirique lève plus d’un lièvre politique. En parallèle, S. Dandini cultive son amour du cinéma en réalisant plusieurs programmes à ce sujet. Elle présente, en particulier et en prime time, la première expérimentation d’un jeu quiz sur l’histoire du cinéma à la télévision italienne. Elle intervient depuis le Festival international du cinéma de Venise et coprésente La Mostra della Laguna (« vue sur la lagune »). Sa dernière réalisation est le talk-show Parla con me (« parle avec moi »), qu’elle écrit et présente pour Rai 3 depuis 2004. Les incursions comiques et musicales de certains de ses collaborateurs, souvent de longue date, encadrent le divan rouge où ses invités se succèdent pour parler de cinéma, de musique, de littérature et, surtout, de thèmes d’actualité. Certaines discussions brûlantes ont failli mettre un terme au programme.
Francesca MUSIANI
■ COMAZZI A., « Serena Dandini e gli spot Rai », in La Stampa, 30-9-2010 ; TARRONI G., « Serena Dandini : la regina della satira TV », in Cine Tivù, 18-3-2009.
DANDOLO, Milly [MILAN 1895 - ID. 1946]
Écrivaine et journaliste italienne.
À partir de 1909, Milly Dandolo collabore au journal pour enfants Il Giornalino della Domenica, dont elle deviendra l’une des principales rédactrices dans les années 1920. Elle écrit également dans le quotidien La Gazzetta del Popolo et dans le périodique L’Illustrazione Italiana. Elle publie des récits pour enfants, des vies de saints, des vers (Poesie, 1913), ainsi qu’une vingtaine de romans dont Il figlio del mio dolore (« l’enfant de ma douleur », 1921), Tempo d’amore (« le temps de l’amour », 1929), E’caduta una donna (« la chute d’une femme », 1936), Liberaci dal male (« délivre-nous du mal », 1939) et trois recueils de récits : La Voix de l’ange (1941), Croix et délices (1944), Abbiamo veduto una stella (« nous avons vu une étoile », 1949). Les personnages masculins sont rares dans ses livres. Les femmes ont des problèmes familiaux et professionnels. Elles semblent vouées au sacrifice et condamnées à des issues tragiques. À partir des années 1930, s’affirme dans l’œuvre de M. Dandolo un certain désir d’indépendance, qui s’accompagne d’un plus grand nombre de relations nouées avec les hommes. Mais ses valeurs restent celles d’une société traditionnelle.
Graziella PAGLIANO
■ La Voix de l’ange (L’angelo ha parlato, 1941), Paris, Del Duca, coll. « Nous deux », 1951 ; Croix et délices (Croce e delizia, 1944), Paris, Del Duca, 1958.
DANDRIDGE, Dorothy [CLEVELAND 1923 - LOS ANGELES 1965]
Actrice, chanteuse et danseuse américaine.
Fille d’un pasteur et d’une actrice, Dorothy Dandridge débute à 4 ans, chantant et dansant avec sa sœur. Elle poursuit sa carrière à la radio, à la télévision et dans les cabarets. Elle fait ses débuts au cinéma en 1937 aux côtés des Marx Brothers avec un petit rôle dans Un jour aux courses (A Day at the Races, Sam Wood). Jusqu’au début des années 1950, elle continue de tourner à Hollywood des rôles secondaires. En 1954, Otto Preminger lui offre le rôle-titre de Carmen Jones, adaptation moderne de l’héroïne de Prosper Mérimée. L’actrice remporte un grand succès, qui se répète avec Porgy and Bess, également réalisé par Preminger en 1959. Elle devient ainsi une des rares artistes de couleur stars à Hollywood. Elle tourne Une île au soleil (Island in the Sun, Robert Rossen, 1957), qui montre les relations entre Blancs et Noirs aux Antilles britanniques. Dans Tamango (John Berry, 1958), nouvelle adaptation de Mérimée, elle incarne Ayché, prise dans la traite des Noirs des années 1820.
Bruno VILLIEN
■ Everything and Nothing : The Dorothy Dandridge Tragedy, New York, Abelard-Schuman, 1970.
DANE, Clemence (Winifred ASHTON, dite) [LONDRES 1888 - ID. 1965]
Romancière et dramaturge britannique.
Sa place unique dans l’histoire de la littérature, de la scène et du cinéma fait de Clemence Dane, dans les années 1920 et 1930, l’une de plus célèbres écrivaines d’Angleterre. Née dans une famille de la classe moyenne, elle reçoit une bonne éducation et enseigne le français en Suisse avant d’entrer à la Slade School of Art et de jouer brièvement comme actrice avant la Première Guerre mondiale. À la fin de la guerre, elle continue à enseigner mais écrit secrètement. Son premier roman, Régiment de femmes (1917), se fonde sur son expérience dans une école de filles et crée le scandale à cause de ses sous-entendus de lesbianisme. Il est suivi de 11 autres romans et de 30 pièces de théâtre, de quatre romans policiers, de trois scénarios de films et d’un livre de souvenirs (London Has a Garden, 1964). Elle écrit aussi pour la presse populaire, la radio et la télévision. En 1926, elle propose la mixité scolaire dans un tract, « The Women’s Side ». Sa pièce Bill of Divorcement (« lettre de divorce », 1921), adaptée de son roman Légende (1919), crée un tollé général dans la presse, mais connaît 402 représentations. Son écriture haute en couleurs, excentrique mais généreuse la rend célèbre dans les cercles littéraires (elle est un moment présidente de la Société des femmes écrivains et journalistes) mais la difficulté à la situer sous une étiquette et son engagement auprès des féministes comme Mary Stopes* l’ont mise en quelque sorte au ban de la critique masculine, réticente vis-à-vis de la féminisation du théâtre de l’époque. Elle se range ainsi aux côtés de Dodie Smith* et Gertrude Jennings*.
Michel REMY
■ Régiment de femmes (Regiment of Women, 1917), Paris, 10-18, 1983 ; Légende (Legend, 1919), Paris, Plon/Nourrit et Cie, 1927.
DANEMARK – ÉCRIVAINES [XXe-XXIe siècle]
Au début du XXe siècle, les Danoises disposent déjà d’une organisation forte qui les encourage à s’instruire et à se manifester dans la vie culturelle et intellectuelle du pays. La Dansk kvindesamfund (« association des femmes danoises »), fondée en 1871, milite pour ouvrir les hautes écoles aux femmes et pour leur assurer des droits dans tous les domaines. Ces efforts sont couronnés par la Constitution de 1915 qui accorde le droit de vote aux femmes.
Comme plusieurs de ses contemporaines oubliées, Marie Bregendahl (1867-1940) décrit la vie de la femme à la campagne. Reconnue pour son réalisme psychologique, elle continue après 1920 à publier des recueils de nouvelles remarquables, notamment Sødalsfolkene (« les gens de Soedal », 1935). Dans ses romans du début du siècle, Karin Michaëlis (1872-1950) s’intéresse surtout aux problèmes liés à la biologie féminine. Son autobiographie en trois volumes, Pigen med glasskårene (« la fille aux débris de verre », 1950), illustre les restrictions imposées aux femmes quel que soit leur âge.
Vilipendée pour avoir voulu mener une vie indépendante dès sa jeunesse, affirmant le droit pour la femme comme pour l’homme d’aimer librement, Agnès Henningsen (1868-1962) est l’auteure d’une autobiographie en huit volumes : Let gang på jorden (« promenade sans souci à travers la vie », 1941-1955). Mère de l’intellectuel et designer Poul Henningsen (mondialement connu pour les luminaires PH), elle a contribué à la vie culturelle du Danemark de plus d’une manière. De son vivant, Thit Jensen (1876-1957) est encore plus contestée, non à cause de sa vie personnelle, mais parce qu’elle ne cesse d’élever la voix dans le débat sur la condition féminine. Après avoir abordé des questions sexuelles controversées dans ses romans du début du siècle, elle se tourne vers le roman historique avec Njal den vise (« Nial le sage », 1934) et Stygge Krumpen (1936), tout en continuant à publier des essais sur la condition de la femme, en particulier sur la contraception et le droit des femmes à l’avortement.
Karen Blixen*, la plus connue des écrivaines danoises du XXe siècle, appartient à la même génération mais commence à écrire sur le tard et ne ressemble en rien à ses contemporaines. C’est une conteuse unique par la qualité de son écriture et la force de son imagination.
La revue d’avant-garde Vild Hvede (« blé sauvage ») favorise la poésie féminine dans les années 1930-1940, avec Tove Ditlevsen*, qui tire son inspiration de la vie intime de la femme, Grethe Heltberg (1911-1996), dont les premiers poèmes sont rassemblés dans le recueil Portræt af en pige (« portrait d’une jeune fille », 1942). Bien qu’ayant commencé à écrire des poèmes à l’âge de 19 ans, Grethe Risbjerg Thomsen (1925-2009) n’est connue qu’à partir de 1948, grâce à son recueil Dagen og Natten (« le jour et la nuit »). Lise Sørensen (1926-2004) débute en poésie à l’âge de 17 ans, puis publie plusieurs recueils, dont Rodløs (« déraciné[e] », 1946), Blæsten udenfor (« le vent dehors », 1956) et Sommerdalen (« vallée d’été », 1962). Ses poèmes traitent différents aspects de la psychologie féminine et entrent ouvertement dans le débat féministe avec la publication de Digternes damer (« les femmes des écrivains », 1964).
Parmi les écrivaines qui leur succèdent en poésie, Inger Christensen* entre dans le Kulturkanon (« canon culturel », 2006) de la littérature danoise du XXe siècle. Cecil Bødker (née en 1927) publie plusieurs recueils de poésie, mais elle est plus connue pour ses livres pour enfants, notamment la série des Silas qui commence à paraître dans les années 1970.
Elsa Gress (1919-1988) fait son entrée en littérature comme romancière avec Mellemspil (« entracte », 1947) et s’emploie sa vie durant à l’écriture de romans et de pièces de théâtre. Elle se fait remarquer dans les années 1970 par ses contributions controversées au débat sur la condition féminine et reste connue pour son autobiographie, Mine mange hjem (« mes nombreux domiciles », 1965). Appartenant à la même génération, Lise Nørgaard (née en 1917) constitue un cas à part. Après une carrière de journaliste, elle se consacre à la littérature. Son nom est associé à la série Matador (1978-1982), souvent diffusée sur les chaînes de télévision danoises, dont elle a écrit le script. Ses romans, tel Med mor bag rattet (« avec maman au volant », 1959), et ses écrits autobiographiques, comme Kun en pige (« ce n’est qu’une fille », 1992) ou De sendte en dame (« ils ont envoyé une dame », 1997), reflètent avec chaleur et humour son engagement féministe.
La génération suivante révèle plusieurs poétesses extraordinaires. La plus connue est sans doute Pia Tafdrup*, dont le langage poétique moderniste ne cesse de surprendre. Mais on remarque également Marianne Larsen (née en 1951), qui publie à 20 ans le recueil de poésie Koncentrationer (« concentrations », 1971). Charlotte Strandgaard (née en 1943) débute elle aussi très tôt en poésie avec Katalog (« catalogue », 1965). Elle publie ensuite plusieurs recueils de poésie, dont Cellen (« la cellule », 1986), mais son genre préféré est le roman en prose documentaire : Lille menneske (« petit homme », 1982), Giv mig solen (« donnez-moi le soleil », 1986), Uden hjem (« sans domicile », 2001). Vita Andersen (née en 1942) connaît un départ spectaculaire avec le recueil Tryghedsnarkomaner (« les drogués de sécurité », 1977). Elle publie ensuite des pièces de théâtre, des livres pour enfants, des recueils de nouvelles et quelques romans, notamment Get a Life (2003) et Anna Zoe (2006).
Les romancières de cette génération sont nombreuses. Dorrit Willumsen (née en 1940) est remarquée par le public à partir de 1983, avec son roman Marie, sur la vie de Mme Tussaud. Socialement engagée, Kirsten Thorup (née en 1942) peint de larges fresques où sont souvent mises en scène les petites gens, dans une prose qu’on peut qualifier de « réalisme magique » : Baby (1973), Lille Jonna (« petite Joanna », 1977), Himmel og Helvede (« le ciel et l’enfer », 1982), Bonsai (2000), Ingenmandsland (« zone de mort », 2003), Førkrigstid (« avant la guerre », 2006). Suzanne Brøgger* est mondialement connue pour ses livres audacieux qui mélangent essai, prose littéraire, expérience personnelle et fiction. Tournée vers le roman psychologique, Vibeke Grønfeldt (née en 1947) étudie quant à elle les transformations des régions agricoles et leurs conséquences sur les êtres humains : Mulighedernes land (« terre promise », 1989), Et let liv (« une vie facile », 1996), Den blanke sol (« soleil brillant », 1985), Et godt menneske (« un homme charitable », 1993). Dea Trier Mørch (1941-2001), artiste et écrivaine politiquement engagée, lutte pour la solidarité féminine et le droit d’avoir une vie digne et sensée. Elle illustre elle-même ses romans, très appréciés dans les années 1970, en particulier Vinterbørn (« enfants de l’hiver », 1976) et Kastanjealleen (« l’allée des châtaigniers », 1978).
Ulla Ryum, Eva Hemmer Hansen, Jette Drewsen, Inge Eriksen, Jytte Borberg, Ragnhild Agger, Jane Aamund, Bente Hansen, Herdis Møllehave, Maria Marcus, Bente Clod et Helle Stangerup ont eu de nombreux lecteurs dans la seconde moitié du XXe siècle.
Hanne-Vibeke Holst et Ida Jessen* comptent parmi les jeunes écrivaines qui font le pont avec le XXIe siècle d’une manière très prometteuse.
Brynja SVANE
■ BROSTRØM T. (dir.), Danske digtere i det 20. århundrede, Copenhague, GEC Gad, 1982 ; DALAGER S., MAI A.-M., Danske kvindelige forfattere, Copenhague, Gyldendal, 1982 ; JØRGENSEN J. C., Forfattere for folket, Copenhague, Fremad, 1990.
DANEMARK – FEMMES DE LETTRES [XVIIe-XIXe siècle]
Aux XVIIe et XVIIIe siècles, le monde universitaire représente un centre culturel très important au Danemark, mais les femmes n’y gagnent un droit d’entrée qu’en 1875. Exclues du savoir latiniste et empêchées de partir comme les hommes en voyages d’éducation, les femmes de la noblesse peuvent cependant recevoir une formation. Elles apprennent l’allemand et souvent le français, ce qui leur permet de lire des ouvrages nouveaux et de correspondre avec des auteurs. L’exemple le plus connu est celui de Leonora Christina*, fille de roi emprisonnée pendant plus de vingt ans, dont le récit autobiographique, Souvenirs de misère, fait partie du Kulturkanon (« canon culturel », 2006) de la littérature danoise. De nombreuses autres femmes nobles sont très actives au XVIIe siècle dans l’établissement de bibliothèques, la conservation de manuscrits et la traduction d’ouvrages religieux. Certaines écrivent elles-mêmes des poésies ou des textes destinés à l’éducation des femmes.
Anne Gjøe (1609-1681), par exemple, rassemble une bibliothèque d’ouvrages scientifiques et religieux qu’elle lègue à sa nièce Karen Brahe (1657-1736). Cette dernière l’élargit, avec des ouvrages luthériens et des livres publiés en danois, ce qui représente à l’époque une rupture avec le latin, langue préférée des scientifiques. C’est la seule bibliothèque établie par une famille noble conservée jusqu’à ce jour.
La conservation des manuscrits écrits en danois va dans le même sens, ainsi que les tentatives de sauvegarder la tradition orale des anciennes chansons et légendes danoises. Grâce à Vibeke Bild (1597-1650), de nombreuses chansons du Moyen Âge sont conservées. Mette Gjøe (1599-1664) est connue, quant à elle, pour son florilège de chansons populaires, Tragica (1657).
Les livres généalogiques constituent un autre domaine ouvert aux femmes. Celui commencé en 1634 par Sophie Below (1590-1650) et terminé par sa nièce Birgitte Thott (1610-1662) est l’un des plus célèbres. Cette dernière réussit à s’insérer dans le monde érudit, apprend l’allemand, l’anglais, le français et l’espagnol, et passe son temps à lire, à écrire et à traduire. Sa contribution la plus importante à la culture danoise est la traduction de 900 pages de l’œuvre de Sénèque (1658). La Norvégienne Dorothe Engelbretsdatter* est la première femme reconnue pour ses poésies en langue danoise. Née à Bergen, en Norvège, elle fait plusieurs longs voyages à Copenhague (alors capitale des deux pays) où elle est saluée comme une grande écrivaine.
Au début du XVIIIe siècle, la culture danoise est en pleine expansion et les femmes de la noblesse participent de plus en plus activement à la vie littéraire. Dans leurs salons, où les hommes se réunissent pour discuter, elles ont la possibilité de se manifester et d’entrer en correspondance avec des esprits intéressants. C’est le cas, par exemple, de Christine Harboe (1682-1735), qui n’écrit pas elle-même mais reçoit dans son salon l’écrivain danois Christian Falster et l’historien de la littérature danoise Albert Thura. Ce dernier publie un ouvrage en latin sur les auteures danoises : Gynaeceum Daniae Litterarum (1732). Des revues consacrées à des lectures féminines sont créées et les écrivaines bourgeoises commencent à se manifester. Anna Margrethe Lasson (1659-1738) publie ce qui est considéré comme le premier roman danois, bien qu’il soit écrit en vers : Den beklaedte Sandhed (« la vérité voilée », écrit en 1715, publié en 1723). C’est un texte inspiré entre autres par Madeleine de Scudéry* et le courant précieux, mais qui adopte aussi le ton direct de L. Christina et qui ose mettre en avant des réflexions sur la condition des écrivaines. La jeune actrice et écrivaine Anna Catharina von Passow (1731-1757), morte prématurément, s’appuie également sur la tradition française dans ses comédies « bergères » où les intrigues amoureuses abondent.
Charlotte Dorothea Biehl* (1731-1788) fréquente dès son enfance les plus hauts milieux sociaux, son grand-père étant inspecteur du château royal à Copenhague et son père intendant du château de Charlottenborg. Bien éduquée et très brillante, elle accède aux salons aristocratiques où elle joue un rôle important, malgré un physique disgracieux. On lui doit la traduction danoise la plus complète de Don Quichotte (1777), des contes, des romans et des comédies satiriques pour le théâtre dont les thèmes sont tirés de la vie privée des couples. Certaines ont beaucoup de succès, comme Den kærlige Mand (« le mari tendre », 1764), où un mari aimant et patient ramène sur le droit chemin sa femme égarée par amour du plaisir. Le ton de la plupart de ses écrits est moralisateur, ce qui explique peut-être que son œuvre ne soit pas passée à la postérité. Le texte le plus touchant de C. D. Biehl est son autobiographie, Mit ubetydelige Levnetsloeb (« histoire de ma vie modeste », 1787, publiée en 1909), dédiée à Johan Bülow (1751-1828), homme politique et maréchal de la cour pour qui elle écrit également les Historiske Breve (« lettres historiques » 1764-1764, publiées en 1865-1866), où elle rassemble ses souvenirs de la vie à la cour. Dans ces deux ouvrages, ses observations parfois irrespectueuses sont très appréciées par les historiens.
Dans un genre très différent, Birgitte Cathrine Boye (1742-1824) se fait remarquer par la création de 125 psaumes et par la traduction de 24 autres pour le Guldbergske Salmebog (1778), le nouveau psautier publié par l’homme d’État et théologien Ove Høegh-Guldberg. La publication de ces textes indique une acceptation générale des femmes sur la scène littéraire, même si la plupart d’entre elles restent reléguées dans la sphère de la vie intime. Les thèmes préférés de l’époque sont liés à l’amour et vont de pair avec les intérêts des lectrices, désireuses de discuter de leurs problèmes. Charlotte Baden (1740-1824) s’adresse directement à ce public féminin dans son roman épistolaire Den fortsatte Grandison (« le Grandison continué », 1792). Ce texte se présente comme une suite à l’Histoire du chevalier Grandison, de Samuel Richardson, mais Ch. Baden y ajoute de nouveaux thèmes et transforme le conflit entre amour et religion en un conflit entre amour et devoir. Une correspondance avec des lectrices vivement engagées dans ce type de discussions a été publiée à la suite du roman, au sein du même volume.
Dans les salons créés au début du XIXe siècle, le débat sur le conflit entre amour et devoir se poursuit. Kamma Rahbek (1775-1829) est alors la plus connue des salonnières. Mariée à un auteur plus âgé qu’elle et très reconnu, Knud Lyne Rahbek, elle rassemble à partir de 1798 toutes les personnalités importantes de l’époque dans leur maison, sur la colline de Frederiksberg (« Bakkehuset »). Son ample correspondance est reconnue par la postérité pour ses qualités littéraires. Parmi ses invités et correspondants se trouvent Adam Oehlenschläger (1779-1850), marié à sa sœur mais surtout connu pour avoir introduit très tôt le romantisme au Danemark, et Friederike Brun (1765-1835), qui tient également un salon bien fréquenté dans son château de Sophienholm, au nord de Copenhague.
Brynja SVANE
■ DALAGER S., MAI A.-M., Danske kvindelige forfattere, Copenhague, Gyldendal, 1982 ; HOLST P., Dansk Litteraturhistorie, t. 4, Copenhague, Gyldendal, 1983 ; RODHE P. P., Dansk Litteraturhistorie, t. 2, Copenhague, Politikens Forlag, 1965.
DANEMARK – LITTÉRATURE ROMANTIQUE [XIXe siècle]
Dans les années 1800-1870, âge romantique de la littérature danoise, le principal sujet abordé par les écrivaines est la vie privée des femmes de la classe moyenne : celle des mères, des épouses, des maîtresses de maison, des vieilles filles et des adolescentes confrontées au mariage, aux soucis quotidiens, au conflit entre le rôle traditionnel de la femme et l’écriture, entre la vie privée et la vie publique.
Dans ses œuvres des années 1790, Louise Hegermann-Lindencrone (1778-1853) explore la relation mère-fille. Ses textes présentent des personnages historiques de mères célèbres comme la comtesse Leonora Christina* dans Eleonora Christina Uhlfeldt (1817), déchirée entre son amour pour son époux, coupable de haute trahison, et leurs enfants. L’auteure la plus importante de cette époque est Thomasine Gyllembourg*. La maternité est pour elle une véritable vocation qui fait de la femme une artiste. Dans En Skribentindes Datter (« la fille d’une femme de lettres », 1842), de Henriette Hanck (1807-1846), une écrivaine lutte pour le droit d’être mère plutôt que pour celui d’écrire des livres. Dans Frue Werner (« madame Werner », 1844), Rinna Hauch (1811-1896) met en scène une mère autoritaire qui cherche à peser sur les choix conjugaux de sa descendance. Familien v. Hejdenforsth (« la famille von Hejdenforsth », 1822), de Hanna Irgens (1792-1853), et Magdalene (1862), d’Ilia Fibiger (1817-1867), présentent des mères jalouses, veules, étouffantes.
La relation entre époux est traitée de différentes manières. Ægtestand (« mariage », 1835), de T. Gyllembourg, est un roman de formation féminine, genre inauguré par George Sand* avec Indiana (1831) : l’héroïne, elle-même passive dans la relation amoureuse, attend du partenaire qu’il soit à la hauteur de son rôle romantique traditionnel. Le conflit naît quand l’homme se révèle soit un séducteur indigne de confiance, soit un maître autoritaire sans respect pour les valeurs de la vie intime. Dans la nouvelle Kammerraadindens Døttre (« les filles de Mme la conseillère », 1855), de Clara Andersen (1826-1895), une dame de la haute société, fantasque, déraisonnable, prétentieuse et frustrée, cause la mort de son mari. Athalia Schwartz (1821-1871) dépeint dans Cornelia (1862) une femme qui, victime de sa propre vanité, se retrouve engagée dans une relation illégitime et réduite à la dépendance totale d’un homme. Ida Nielsen (1815-1889) raconte dans Uddrag af en Afdøds Dagbog (« extraits du journal d’un mort », 1857) l’histoire d’une épouse asservie. Anna Margrethe Krebs (1818-1891) peint dans To Familiers Historie (« histoire de deux familles », 1873) le portrait d’une femme qui, inspirée par les idées libertaires de la percée moderne*, quitte son mari pour vivre avec son amant.
Le thème des amours contrariées est également répandu. Dans la nouvelle Forlovelsen (« les fiançailles », 1835), d’Anne Sophie Brandt (1784-1855), l’inconstance et la suspicion de l’homme finissent par rendre le mariage impossible. C’est dans le roman L’Ange du quatrième corps des chasseurs eller En uheldig Correspondance (« l’ange du quatrième corps des chasseurs ou une correspondance malencontreuse », 1863), d’Anna Holst-Wildenradt (décédée en 1872), qu’apparaît pour la première fois une femme qui vit une union libre avec un officier, cas unique dans la littérature féminine de l’époque.
Le conflit entre la vie privée et les normes sociales est au centre d’un autre type de roman féminin, le « roman de gouvernante », dont le modèle remonte à Jane Eyre (1847), de Charlotte Brontë*. L’héroïne se révolte contre son rôle passif au sein de sa famille en décidant d’exercer un métier. Toutefois, l’indépendance financière reste un aspect secondaire. La gouvernante ne sort pas de la sphère privée. Au sein de la famille de ses employeurs, dont elle instruit les filles, elle est confrontée à la difficulté de concilier son indépendance nouvellement acquise avec le rôle traditionnel de la femme. Ce genre fait son entrée dans la littérature danoise avec Clara Raphael (1851), roman épistolaire de Mathilde Fibiger*, sœur cadette de Ilia. Sur un ton libre et désinvolte, l’héroïne décrit le milieu provincial conventionnel où elle a échoué en tant que préceptrice et son choix entre la lutte pour l’émancipation de la femme et le mariage avec un baron. Le livre suscite un vif débat sur le statut de la femme et plus de 35 contributions dans la presse. Magdalene d’I. Fibiger, Hvad er Livet ? (« qu’est-ce que la vie ? », 1855) de Louise Bjørnsen (1824-1899), En ung Piges Historie (« histoire d’une jeune fille », 1861) de Cornelia Levetzow (1836-1921) et Amalie Vardum (1862) de Fanny Suenssen (1832-1918) appartiennent au même genre romanesque.
Même si Min Søns Breve (« lettres de mon fils », 1853), de Benedicte Arnesen Kall (1813-1895), et De Fornuftige (« les bien-pensants », 1857), de Pauline Worm (1825-1883), décrivent la situation de jeunes gouvernantes qui, contraintes de travailler, s’efforcent de trouver un sens à leur vie de femmes célibataires, il ne s’agit pas de romans de gouvernantes au sens strict, car leurs protagonistes cherchent à réaliser un projet ambitieux de carrière, d’amour ou d’émancipation. Tout comme M. Fibiger, leurs auteures sont des activistes de la Société féminine danoise fondée en 1871.
Le théâtre de l’époque est également imprégné de romantisme. La célèbre comédienne Johanne Luise Pätges (1812-1890) écrit des vaudevilles, tout comme son époux, Johan Ludvig Heiberg, qui est par ailleurs le fils de T. Gyllembourg. Henriette Nielsen (1815-1900), I. Nielsen et C. Andersen ont du succès avec leurs pièces, Sille Beyer (1803-1861) se fait remarquer pour ses adaptations de Shakespeare.
La carrière littéraire de nombreuses femmes se limite à un seul recueil de poèmes soit parce qu’il ne leur apporte ni argent ni gloire, soit parce qu’elles réussissent à mettre dans cette œuvre unique tout ce qu’elles ont à dire.
La vision romantique de l’émancipation culmine dans le « roman d’émancipation » qui réunit le roman conjugal et le roman de gouvernante en y ajoutant une composante utopique. L’héroïne veut être à la fois épouse et préceptrice, vivre une relation amoureuse et participer à la vie sociale, afin de réaliser sa féminité romantique et de s’affranchir du rôle traditionnel. Elle veut être l’égale de l’homme en tant que femme. Dans ce type de roman, on rencontre deux courants qui marquent le féminisme embryonnaire, aspirant aussi bien à l’égalité qu’à la différence. Dans la littérature européenne, Lélia (1833), de G. Sand, et Les Hauts de Hurlevent (1847), d’Emily Brontë*, en sont les œuvres emblématiques. Dans la littérature danoise, cette tendance est caractéristique d’une grande partie des œuvres de M. Fibiger et de Magdalene Thoresen (1819-1903), notamment sa nouvelle Min Bedstemoders Fortælling eller De to Aftener (« histoire de ma grand-mère ou les deux soirées », 1867). Ces deux écrivaines esquissent une réalisation utopique de la vision romantique de l’émancipation, tandis que L. Bjørnsen, dans En Qvinde (« une femme », 1860), se livre à une critique de l’utopie comme expression du narcissisme féminin.
Lise BUSK-JENSEN
■ BUSK-JENSEN L., Romantikkens forfatterinder, 3 vol., Copenhague, Gyldendal, 2009 ; MØLLER JENSEN E. (dir.), Nordisk kvindelitteraturhistorie, Copenhague, Rosinante, 1993.
DÂNESHVAR, Simine [CHIRAZ 1921 - TÉHÉRAN 2012]
Universitaire et écrivaine iranienne.
Pionnière de la prose narrative féminine dans l’Iran du XXe siècle, Simine Dâneshvar a grandi dans un milieu aisé avant de rejoindre la capitale en 1942 où elle poursuit des études de lettres à l’université. En 1948 paraît le premier recueil de fiction publié par une femme en Iran, Atesh-e khâmoush (« le feu éteint »). En 1949, elle obtient un doctorat ès lettres de l’université de Téhéran. En 1950, elle épouse Jalâl al-e Ahmad, écrivain iranien déjà reconnu. Titulaire d’une bourse d’études de l’université californienne Stanford en 1952, elle y suit des cours d’écriture littéraire durant deux ans et publie deux nouvelles en anglais dans le Pacific Spectator. À son retour, elle enseigne à l’École supérieure de musique et à l’École des beaux-arts, avant d’être professeur d’esthétique et d’histoire de l’art à l’université de Téhéran. Sa liberté de parole lui vaut de nombreuses confrontations avec la police politique, qui fait obstacle à sa reconnaissance au sein de l’institution. Elle conserve néanmoins ses activités universitaires jusqu’en 1979 et, parallèlement, dirige la revue Naqsh-o Negâr (« les motifs »), l’une des premières à promouvoir les arts traditionnels iraniens. Elle accomplit également un grand travail de traductrice et offre au public iranien l’accès à des auteurs tels qu’Anton Tchekhov, George Bernard Shaw, Nathaniel Hawthorne, Arthur Schnitzler ou encore William Saroyan. En 1961, elle publie son deuxième recueil, Shahri tchon béhécht (« une ville comme le paradis »), tranches de vie très réalistes qui attestent la sûreté de sa technique narrative et sa grande capacité d’observation. En 1969 paraît son premier roman, Siavoushoun, grand succès littéraire avec plus de 13 rééditions et un demi-million d’exemplaires vendus. La même année, elle perd brutalement son mari, à qui elle rend un émouvant hommage dans un court essai intitulé Ghoroub-e Jalâl (« le crépuscule de Jalâl »). En 1980, le recueil de nouvelles Be ki salâm konam ? (« qui saluer ? ») fait preuve de sa totale maturité littéraire et offre des chefs-d’œuvre de réalisme et d’étude des mœurs. Le roman Jazire-ye sargardâni (« île d’errance », 1993) connaît en 2001 une suite en partie autobiographique, Sârbân-e sargardâni (« le gardien de l’errance », 2001), qui traite de la quête d’identité après la révolution. En 2007 paraît son dernier recueil de 16 nouvelles réunies sous le titre Entekhâb (« le choix »).
Christophe BALAY
■ Âme qui vive (Be ki salâm konam, 1980), in Europe, no 997, mai 2012.
■ Daneshvar’s playhouse, a collection of stories, Washington DC, Mage Publishers, 1989 ; Savushun, Washington DC, Mage Publishers, 1990.
DA NGÂN (LÊ HÔNG NGA, dite Da Huong ou) [VINH VIÊN, HÂU GIANG 1952]
Écrivaine vietnamienne.
Da Ngân signe également ses écrits sous le pseudonyme de Lê Long My ou Da Huong. Dès l’âge de 14 ans, elle participe à la résistance en adhérant au Comité de presse de la province de Cân Tho. Dans ses premières publications qui datent de 1982, elle se fait remarquer par son évocation subtile des anecdotes de la vie ordinaire, tout imprégnées des réminiscences de la guerre. Sous sa plume, littérature et réalité sont si étroitement liées que leur caractère autobiographique n’échappe guère à la critique. Après la parution de son recueil Quang doi âm ap (« quand on se sent bien dans sa peau », 1986), et de son roman Ngay cua môt doi (« journée d’une vie », 1989), le recueil de nouvelles Con cho va vu ly hôn (« le chien et le divorce », 1990) la consacre définitivement dans le monde des lettres. Œuvres produites lors de son séjour à Cân Tho, dans le delta du Mékong, elles croquent les tranches de vie des femmes du Sud, en proie à la solitude et aux difficultés matérielles, quoique toujours résistantes et prêtes à payer le prix du vrai bonheur. Par la suite, malgré son installation à Hanoi puis dans d’autres régions du pays, l’écrivaine n’a jamais cessé de préserver son amour pour le peuple du Sud, inépuisable source d’inspiration. En 2005, son roman Gia dinh be mon (« humble petite famille »), devient, dès sa parution, un phénomène littéraire, couronné des prix de l’Union des écrivains de Hanoi et de l’Association des écrivains vietnamiens, et traduit en anglais en 2008. À travers la vie, les états d’âme et les aspirations de son héroïne, c’est toute la société vietnamienne, entraînée dans les méandres de l’époque d’après-guerre qu’évoque ce roman largement autobiographique. La vision de la romancière sur les relations humaines et la recherche du bonheur personnel s’apaisent dans Nuoc nguôn xuôi mai (« et toujours coule la source »), recueil de 20 nouvelles publié en 2008.
Par leurs remarques pénétrantes, mises en valeur par un style aérien et discret, les écrits de la romancière sont des méditations sur le cœur palpitant du terroir à travers ses beautés les plus fugitives – un vol d’oiseau, un grain de poussière – mais habiles à faire « vibrer l’amour du pays natal » chez ses lecteurs.
TAO VAN AN
■ An Insignificant Family (Gia dinh be mon, 2005), Evanston, Curbstone Press, 2009.
■ Quang doi âm ap, Hô Chi Minh-Ville, Phu nu, 1986 ; Ngay cua môt doi, Hô Chi Minh-Ville, Van Nghê, 1989 ; Con cho va vụ ly hôn, Hanoi, Hôi nha van, 1990 ; Coi nha, Hanoi, Thanh Niên, 1993 ; Truyên ngan chon loc, Hanoi, Van Hoc, 1995.
DANGAREMBGA, Tsitsi [MUTOKO 1959]
Écrivaine et cinéaste zimbabwéenne.
À la naissance de Tsitsi Dangarembga, le Zimbabwe – à l’époque Rhodésie du Sud – est encore sous occupation britannique. Après une partie de son enfance passée en Angleterre avec sa famille, elle effectue ses études secondaires au Zimbabwe, puis en 1977 s’inscrit en faculté de médecine en Angleterre. Cependant, le mal du pays la contraint à renoncer à ses études pour rentrer définitivement au Zimbabwe, en 1980. Elle obtient alors un diplôme de psychologie à l’université de Harare et se joint à la compagnie théâtrale de l’université. Elle écrit et met en scène trois pièces de théâtre : The Lost of the Soil, Katshaa ! et Mavambo. En 1985, sa nouvelle The Letter paraît en Suède, suivie, en 1987, de She No Longer Weeps, une pièce de théâtre écrite en shona, sa langue maternelle.
La notoriété de T. Dangarembga vient avec la publication, en 1989, de son premier roman, À fleur de peau, qui reçoit le Commonwealth Writers Prize pour la section africaine et jouit d’une importante attention critique. Le cadre historique du roman, la Rhodésie coloniale des années 1960 et 1970, permet à l’auteure d’aborder les thèmes précurseurs des littératures postcoloniales : expropriation de terres, déracinement culturel, dislocations et négociations d’identité. T. Dangarembga jette un regard « fanonien » sur la société coloniale, d’où le titre du roman qui reprend les propos de Jean-Paul Sartre dans son introduction aux Damnés de la terre de Frantz Fanon. Mais elle va au-delà de F. Fanon et des textes canoniques de la littérature postcoloniale africaine en revisitant les thèmes précédemment cités dans une perspective féminine et féministe. La narratrice, Tambudzai, une ambitieuse écolière d’origine rurale et modeste, est accueillie en ville par son oncle Babamukuru. Ce dernier dirige l’école d’une mission coloniale chrétienne mais dirige aussi d’une main de fer sa famille, composée de son fils Chido, de sa femme Maiguru et de sa fille Nyasha. L’émerveillement et l’attraction de Tambudzai face à l’aisance matérielle de cette famille africaine intégrée à l’ordre colonial s’effondrent progressivement. Derrière la façade attrayante, Tambudzai découvre la douloureuse névrose coloniale du colonisé ayant « réussi » son intégration dans la société coloniale. Babamukuru souffre de son statut de marionnette du système colonial et, en compensation, essaye d’exercer un contrôle absolu sur sa famille. En résultent des rapports tendus et violents avec sa fille, Nyasha, prise entre deux sociétés, qui devient anorexique. Tambudzai s’éloigne de ses origines sans pour autant être à l’aise dans son nouveau monde. Sa tante Maiguru, qui représente la femme africaine éduquée à l’occidentale, et supposément émancipée, est totalement apathique. Les troubles psychiques des différents personnages manifestent la « condition nerveuse » du colonisé décrite par F. Fanon. Cependant T. Dangarembga met l’accent sur la condition particulière de la femme colonisée. Celle-ci est en situation de double colonisation car elle est victime aussi bien de l’ordre patriarcal que du système colonial.
En 2006 paraît The Book of Not : A Sequel to Nervous Conditions, la suite de À fleur de peau. La guerre d’indépendance du Zimbabwe dans les années 1970 sert de toile de fond à la quête identitaire de Tambudzai. Le roman suit son parcours dans l’un des meilleurs collèges du pays dans lequel elle se voit confrontée au racisme colonial et au fossé grandissant qui l’éloigne de sa famille et de ses origines. L’ouvrage est malheureusement loin des attentes qu’il a suscitées et loin d’avoir l’impact de Nervous Conditions.
Parallèlement à ses romans, T. Dangarembga se tourne vers le cinéma. En 1993, elle écrit le scénario du film Neria, qui traite des injustices sociales faites aux veuves au Zimbabwe. Le film est dirigé par son compatriote Goodwin Mawuru. En 1996, elle réalise son premier long métrage, Everyone’s Child, dans lequel elle retrace l’histoire de quatre orphelins du sida. En 2005, son court métrage Kare Kare Zvako, adapté d’un conte zimbabwéen racontant l’histoire d’un homme qui dévore sa femme en période de famine, remporte le prix du meilleur court métrage au Festival du cinéma africain, d’Asie et d’Amérique latine de Milan.
Ayo A. COLY
■ À fleur de peau (Nervous Condition), Paris, Albin Michel, 1991.
■ She No Longer Weeps, Harare, The College Press, 1987 ; The Book of Not : A Sequel to Nervous Conditions, Banbury, Ayebia Clarke, 2006.
DANGOTTE, Céline [GAND 1883 - BRUXELLES 1975]
Éditrice et décoratrice belge.
Fille du propriétaire d’un magasin de décoration gantois et d’une décoratrice, Céline Dangotte réside à Bonn (1900), Paris (1901) et Londres (1903). Ces « expériences de jeunesse », retracées dans ses mémoires inédits, À l’étranger et conséquences gantoises, conduisent à des découvertes, comme les Toynbee Halls à Londres (centres sociaux pour les personnes défavorisées) et les bibliothèques pour enfants aux États-Unis, qui vont inspirer ses actions. Le groupe de féministes gantoises dont elle fait partie fonde une des premières bibliothèques européennes pour enfants, participe au combat pour le droit de vote des femmes en Belgique et devient un des principaux acteurs belges des réseaux transnationaux constructeurs d’une identité féministe collective. Éditrice de livres d’art entre 1918 et 1919, elle publie aussi des livres pour enfants, lance Laure Stengers-Hovine, qui imagine plus tard la BD d’inspiration féministe Nic et Nac. Par ailleurs directrice d’une agence d’ameublement et d’architecture intérieure, Art décoratif Céline Dangotte, fondée à Bruxelles en 1911, elle est d’abord inspirée par le mouvement Arts and Craft et l’Art nouveau, puis se tourne vers l’Art déco. Son agence, qui emploie jusqu’à 15 hommes et femmes, architectes, menuisiers et vendeurs, reste en activité jusqu’a la Seconde Guerre mondiale, mais se réduit progressivement à un magasin de décoration, la production de livres et de meubles à petite échelle n’étant plus rentable pendant la crise des années 1930. Membre du jury de la fameuse Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes organisée à Paris en 1925, C. Dangotte acquiert une réputation internationale en tant que féministe et experte en arts décoratifs. Sa vie inspire à la romancière américaine May Sarton* Bridge of Years (1946), l’histoire d’une famille belge hors du commun dans l’entre-deux-guerres.
Julie CARLIER et Christophe VERNRUGGEN
■ VERBRUGGEN C., CARLIER J., « Dangotte, Céline », in Nationaal Biografisch Woordenboek, vol. 19, Bruxelles, Paleis der Academiën, 2009 ; ID., « An entangled history of ideas and idéals : feminism, social and educational reform in children’s libraries in Belgium before the First World War », in Paedagogica Historica, vol. 45, no 3, 2009.
DANG THUY TRAM [HUÊ 1942 - QUANG NGAI 1970]
Médecin combattante vietnamienne.
Née dans une famille d’intellectuels (mère pharmacienne et enseignante à l’université de Hanoi, père médecin), Dang Thuy Tram devient médecin en 1966, en pleine escalade de la guerre américaine au nord comme au sud du pays. Volontaire pour prendre part à la lutte dans le Sud, elle atteint après trois mois de marche depuis le Nord le maquis du Quang Ngai (Centre) en 1967. Le dispensaire de Duc Pho, auquel elle est affectée comme médecin chef, est civil mais sa tâche principale est de prendre soin des blessés de guerre. Son dévouement et son courage pour protéger les patients des attaques ennemies la rendent populaire auprès des soldats blessés et de la population de la région. Devenue membre du parti communiste en septembre 1968, elle meurt à 28 ans dans une embuscade. Le titre de « Héros des forces armées du peuple » lui est décerné en 2006. Un soldat américain, Fred Whitehurst, trouve en 1970 à Duc Pho deux carnets du journal écrit de 1968 à 1970 par Tram. Il les conserve et entreprend de rechercher sa famille à qui il fait parvenir le journal en 2005. Publié la même année, ce document connaît un succès sans précédent au Vietnam et il est traduit dans plus de 20 langues. La traduction française de Jean-Claude Garcias, Les Carnets retrouvés (1968-1970), paraît en 2010. L’écriture simple et sincère de Tram permet au lecteur d’appréhender les atrocités de la guerre, mais aussi d’être témoin du courage de Tram, de l’amour fervent qu’elle porte à sa patrie et à sa famille, de son grand dévouement pour ses patients et ses compagnons de lutte et, surtout, de son aspiration à la paix et au retour à une vie normale.
THAI THI NGOC DU
DANI (Danièle GRAULE, dite) [CASTRES 1944]
Chanteuse, comédienne et mannequin française.
Issue d’une famille d’artisans cordonniers, Dani quitte son Sud natal à 19 ans pour étudier aux Beaux-Arts et dans une école d’esthétique à Paris. Le hasard des rencontres lui permet de débuter une carrière de mannequin et de comédienne. Elle pose ainsi pour les plus grands photographes de mode de l’époque (Richard Avedon, Helmut Newton…), et devient une figure incontournable de la nuit parisienne. Elle est très vite pressentie pour enregistrer quelques titres et c’est en 1968 qu’elle interprète son plus grand succès Papa vient d’épouser la bonne, une reprise de Georges Milton. Un grave accident l’éloigne plusieurs mois de la scène puis, grâce à Jean-Marie Rivière, elle signe son retour à l’Alcazar en menant une revue pendant quatre saisons. En 1974, elle est choisie pour représenter la France au Concours Eurovision. Néanmoins, la défection de la France après le décès du président Pompidou, puis l’exclusion de la chanson de Serge Gainsbourg Comme un boomerang l’empêchent de concourir deux années de suite. En 2002, en duo avec Étienne Daho, elle enregistre le titre que S. Gainsbourg a écrit pour elle. Cet immense succès relance sa carrière artistique et redore le statut de muse qu’elle endossait déjà dans les années 1970. En 2010, avec la complicité de paroliers tels que Cali, Alain Chamfort et Jean Fauque, elle sort Le Paris de Dani, un album dédié à la Ville Lumière.
Anne-Claire DUGAS
■ Best of Boomerang, EMI, 2002.
DANIELS, Sarah [LONDRES 1956]
Dramaturge britannique.
Sarah Daniels est sans doute l’une des dramaturges phare du féminisme contemporain. Avec une distribution principalement féminine, ses pièces, écrites pour le théâtre, la radio ou la télévision, abordent les questions de toutes les sortes de violences faites aux femmes, telles que peuvent les subir en particulier des lesbiennes, des filles-mères, des handicapées mentales ou des femmes marginalisées par leur statut social. Si on en a parfois dénoncé le caractère mélodramatique, c’est en méconnaissant sans doute le rôle que son théâtre joue en faveur de la cause des femmes, par la dénonciation radicale de ce que la société s’efforce de relativiser. Masterpieces (« chefs-d’œuvre », ou « maîtres d’œuvre », 1983) évoque la façon dont les hommes font des femmes leur objet de plaisir à travers la pornographie, confrontant le public à une société misogyne qui excuse les violences perpétrées par les hommes et condamne la réaction des femmes. Si les premières pièces sont empreintes de colère, les pièces plus tardives, comme The Madness of Esme and Shaz (« la folie d’Edme et Shaz », 1994), mettent davantage l’accent sur la solidarité féminine indispensable pour affronter les douleurs infligées par les hommes et qui peuvent conduire à la folie.
Geneviève CHEVALLIER
DANILOVA, Alexandra [PETERHOF 1904 - NEW YORK 1997]
Danseuse et chorégraphe américaine.
Née en Russie, formée à Saint-Pétersbourg à l’école du Théâtre Mariinski, Alexandra Danilova entre dans la compagnie en 1921 et participe aux premières expériences chorégraphiques de George Balanchine. Elle quitte l’Union soviétique en 1924 et entre l’année suivante aux Ballets russes de Diaghilev où elle s’impose comme l’une des meilleures danseuses. Elle est ensuite engagée comme soliste à l’Opéra de Monte-Carlo, puis dans la compagnie du colonel de Basil (1933-1938) et au Ballet russe de Monte-Carlo (1938-1952). Elle se produit en artiste invitée dans diverses compagnies à Londres, aux États-Unis, en Amérique du Sud et au Japon, et termine sa carrière avec son propre groupe (1954-1957). Son talent, sa personnalité et son charme ont fait d’elle une des danseuses les plus célèbres de son temps. Dotée d’une technique solide et élégante, elle interprète les grands rôles des ballets classiques (Giselle, Le Lac des cygnes, Coppélia) puis s’adapte avec aisance à la diversité du répertoire des Ballets russes de Diaghilev (L’Oiseau de feu, Les Biches…). De Massine, pour qui elle crée Pas d’acier et Ode, elle reprend Le Tricorne et La Boutique fantasque. Elle interprète également toutes les créations de Balanchine, en particulier Apollon Musagète. Chorégraphe, elle compose des divertissements d’opéra pour le Metropolitan Opera de New York et collabore avec Balanchine pour la création de nouvelles versions de Raymonda (1946) et Coppélia (1974). Pédagogue, elle enseigne à Dallas dès 1953, exerce comme professeure à la School of American Ballet de 1964 à 1989 et contribue notablement au développement de la danse classique aux États-Unis, dans un style mêlant classicisme russe et dynamisme américain. Elle transmet également un vaste répertoire de variations de Marius Petipa aux chorégraphes des Ballets russes. Nombre de danseurs lui sont redevables de ce riche héritage.
Marie-Françoise BOUCHON
DANNEBERG, Erika [VIENNE 1922 - ID. 2007]
Psychanalyste autrichienne.
Après une formation de libraire, Erika Danneberg étudie, pendant la Seconde Guerre mondiale, la philologie et la psychologie à Vienne où elle soutient un doctorat en 1951 sur les conséquences de la guerre sur les jeunes. Elle fut à la fois secrétaire dans une maison d’édition, éducatrice pour enfants, auteure, traductrice de Colette*, mais aussi collaboratrice scientifique au Centre de recherches sociologiques de l’université de Vienne. C’est au début des années 1950 qu’elle entreprend une psychanalyse et une formation d’analyste pour enfants. Elle participe à la fondation, en 1961, du premier centre de consultations de l’Association psychanalytique de Vienne dont elle est devenue membre. Sa longue collaboration avec Edda Eppel* donnera lieu à des publications communes intégrant l’approche des thérapies familiales. En 1978, E. Danneberg se forme en Allemagne à l’analyse de groupe et travaille par la suite à Altaussee dans l’Association internationale pour l’analyse de groupe. C’est au début des années 1970 qu’elle devient membre du parti communiste autrichien. Elle séjourne à plusieurs reprises à Cuba puis, à partir de 1984, au Nicaragua où elle participe au projet de Marie Langer*, soutenu par le gouvernement sandiniste, et qui aboutira à la création d’un service psychosocial destiné aux ouvriers. Elle rapporte cette expérience dans un livre consacré à M. Langer intitulé In Nicaragua, Notizen, Briefe, Reportagen (« au Nicaragua, notes, lettres, reportages ») qui paraîtra à Vienne en 1987. En 2000, Nicaragua, Eine lange Liebe (« Nicaragua, un amour de longue date ») rend compte, sous une forme qui n’est pas sans évoquer une autoanalyse, des cinq séjours qu’elle effectua en Amérique centrale. À côté de ses écrits politiques et psychanalytiques, E. Danneberg a aussi publié des poèmes.
Chantal TALAGRAND
DANSE – DIRECTRICES DE COMPAGNIE ET D’ÉCOLE
L’Autrichienne Katti Lanner (1829-1908), fille du compositeur Joseph Lanner, fait figure d’exception au XIXe siècle. Elle commence par étudier la musique avant de se consacrer à la danse et de devenir soliste à l’Opéra de Vienne de 1845 à 1855. Parallèlement, elle exerce la fonction de maître de ballet dans de nombreux théâtres européens ainsi qu’à New York, puis fonde sa propre troupe et se fixe définitivement à Londres en 1875. Elle y crée pendant près de vingt ans des chorégraphies d’envergure pour l’Empire Theatre. Cette carrière originale fait d’elle une pionnière. Il faut attendre le XXe siècle, moment où les écoles se dotent progressivement de postes statutaires de direction autonomes par rapport à celui de la troupe, pour qu’on y place des femmes. La plupart, poussées par leurs convictions, ont fait évoluer l’établissement qui leur était confié. Ainsi Claude Bessy* prend-elle la direction de l’École de danse de l’Opéra de Paris, qu’elle dirige de 1972 à 2004. Elle ajoute à l’enseignement des disciplines comme le théâtre, l’anatomie, le droit du spectacle et obtient la création d’un bâtiment dont l’architecture est conçue en fonction des besoins des élèves. Durant les années 1980, où la danse classique se trouve fortement contestée par la danse contemporaine, elle sait imposer aux autorités de tutelle la continuité de la formation traditionnelle tout en l’ouvrant sur la modernité, ce qu’a prouvé l’éclosion d’une génération de danseurs de réputation internationale. Après 2004, Élisabeth Platel*, choisie par Brigitte Lefèvre*, elle-même à la tête du ballet de l’Opéra, poursuit dans la même direction, accentuant tout ce qui concourt à l’éclosion des jeunes artistes, en valorisant l’aspect culturel de la formation et le développement précoce de qualités scéniques. En Russie, la figure marquante de l’enseignement demeure Agrippina Vaganova* qui, après avoir enseigné à Saint-Pétersbourg en 1921, a pris la direction de la troupe du théâtre Marie (ou Mariinski, appelé Kirov à l’époque soviétique). Elle fait évoluer la technique vers plus de virtuosité, en particulier dans les sauts et le travail de pointes, dont elle coordonne le caractère dynamique et la générosité lyrique de l’interprétation. L’école du Mariinski est dirigée à partir de 2001 par AltinayAsylmuratova, ancienne étoile de la compagnie, formée à l’école de Perm selon les principes de A. Vaganova, sous la direction de Ludmila Sakharova qui façonna nombre de ballerines d’exception dont Nadejda Pavlova*. À Moscou, le Bolchoï est essentiellement entre des mains masculines, mais la seconde troupe, le Ballet classique de Moscou, est dirigée par la chorégraphe Natalia Kasatkina. Associée à son mari, Valdimir Vassiliov, elle ose des chorégraphies novatrices sous l’ère brejnevienne. Le ballet londonien du XXe siècle doit tout à Marie Rambert* et à Ninette de Valois*. Cette dernière est à l’origine des structures d’enseignement qui aboutiront à la formation du Royal Ballet et de son école. Une de leurs élèves, Célia Franca, sous le parrainage de N. de Valois en particulier, fonde en 1951 à Toronto la première troupe classique canadienne, le Ballet national du Canada. Elle le dirige jusqu’en 1974, assurant la constitution du répertoire classique selon le meilleur style et mettant en place une école dont sortiront des solistes de classe internationale comme Veronica Tennant et Karen Kain, cette dernière ayant pris la tête de la troupe depuis 2004. Parallèlement, Ludmilla Chiriaeff fonde en 1957 une compagnie plus éclectique, les Grands Ballets canadiens, appuyée aussi sur des écoles préprofessionnelles subventionnées par l’État (1975). D’autres femmes font, comme elles, œuvre de pionnières dans des territoires politiques et culturels très différents, en créant, puis en dirigeant, des compagnies où le ballet n’est pas réellement installé, telles Bronislava Nijinska* en Californie, Jeanne Brabants* en Belgique, Alicia Alonso* à Cuba. En Asie, le ballet classique s’implante fortement, d’abord au Japon où Mme Matsumaya fonde la Matsumaya Ballet Company en 1948, puis Maki Asami le Tokyo Ballet en 1962, troupe dont la direction est reprise en 2001 par la première ballerine nippone à faire une carrière internationale (médaille d’or à Varna en 1974), Yoko Morishita. Les récents changements politiques chinois ont permis à l’ancienne étoile Zhong Runhiang d’ouvrir avec succès la première école de danse privée à Pékin en 1997, compensant ainsi l’insuffisance de l’offre d’État avec ses deux seuls instituts officiels (Pékin et Shanghai). Il est souvent arrivé que des écoles indépendantes d’une institution d’État deviennent essentielles, comme celle de Suzanna Egri en Italie, qui contribue largement au renouveau de la danse italienne, tant classique que contemporaine. Enfin, à ces personnalités directement issues de la danse, s’ajoutent de rares mécènes comme Rebekah Harkness créant le Harkness Ballet (1964-1975) ou Bethsabée de Rothschild, finançant et protégeant la compagnie de Martha Graham*. Les troupes modernes ou contemporaines s’établissent sur des bases différentes des ballets classiques. Elles n’ont pas les mêmes obligations de répertoire engendrant la nécessité d’un important corps de ballet, et ne répondent pas aux mêmes attentes du public. Elles se modulent sur les exigences artistiques du chorégraphe qui les dirige, dont la démarche créatrice s’associe le plus souvent à une réflexion pédagogique, comme c’est le cas pour M. Graham, Katherine Dunham*, Mary Wigman*ou Carolyn Carlson*. Parmi les plus célèbres chorégraphes trouvant leur liberté créatrice au sein de leur propre compagnie, se trouvent, entre autres, Pina Bausch*, Suzan Buirge*, Birgit Cullberg*, Françoise Dupuy*, Anne Teresa De Keersmaeker*. Pour la création contemporaine, certains pays offrent un cadre institutionnel, c’est le cas de la France en 1981, avec les Centres chorégraphiques nationaux qui sont confiés à des créateurs, comme Catherine Diverres*, Odile Duboc*, Dominique Hervieu ou Karine Saporta*. D’autres courants trouvent aussi des possibilités d’exister grâce au travail infatigable de leur directrice, comme le baroque, avec la compagnie Ris et Danceries de Francine Lancelot* ou la danse espagnole avec la troupe de Cristina Hoyos*.
Sylvie JACQ-MIOCHE
DANSE – ÉCOLES [depuis le XVIIe siècle]
L’expression école de danse a deux acceptions. Elle désigne à la fois un lieu où l’on enseigne (parfois appelé conservatoire), rattaché ou non à un grand théâtre et formant des professionnels ou des amateurs, et un style propre à une école ou une troupe, classique ou contemporaine. Ainsi, l’école française propre à l’Opéra de Paris conserve de ses origines liées à la « belle danse » des ballets de cour un travail de bas de jambe vif et précis, qui se doit d’être exécuté avec une élégance aristocratique qui dissimule l’effort (Claude Bessy*, Yvette Chauviré*, Aurélie Dupont*, Sylvie Guillem*, Wilfride Piollet*, Élisabeth Platel*, Marie-Claude Pietragalla*). L’école danoise, fondée par August Bournonville dont l’essentiel de l’apprentissage s’était fait à Paris, conserve ces traits, mais en développe le caractère fluide et bondissant (Lucile Grahn*, Anna Laerkesen*). L’école russe se développe en deux branches très différentes, celle de Saint-Pétersbourg, héritière du raffinement aristocratique français (Tamara Karsavina*, Anna Pavlova*, Agrippina Vaganova*), et celle de Moscou, plus théâtrale et démonstrative (Ekaterina Geltzer*).
En Europe, l’enseignement de la danse s’est progressivement mis en place avec la professionnalisation du métier. La France est pionnière en ce domaine, puisque c’est sous le haut patronage de Louis XIV qu’apparaît la première école d’abord destinée à des adultes qui doivent maintenir leur niveau et se perfectionner. Ce n’est qu’à la fin du XVIIIe siècle qu’on établit, à Paris, une véritable structure destinée à des enfants, selon des principes alors guidés par une logique d’apprentissage et non d’éducation. D’autres existent en province (Lyon, Bordeaux) ainsi qu’à l’étranger, avec des maîtres de ballet formés en France comme à Saint-Pétersbourg ou Copenhague. Les grandes écoles italiennes (Milan, Naples) voient le jour sous l’Empire, car Napoléon, dans une démarche culturelle coloniale, impose leur création sur le strict modèle de l’École de l’Opéra de Paris, avec des professeurs français, remplacés naturellement par des Italiens à la génération suivante. Ainsi naît l’« école italienne » qui domine par sa virtuosité la danse féminine durant toute la fin du XIXe siècle en exportant ses ballerines à travers l’Europe, surtout à Saint-Pétersbourg et à Paris (Carlotta Brianza, Fanny Cerrito*, Carlotta Grisi*, Pierina Legnani, Rita Sangalli, Carlotta Zambelli*, Virginia Zucchi*). L’école du théâtre Marie (ou Mariinski) de Saint-Pétersbourg n’est véritablement connue à l’étranger qu’avec les Ballets russes de Serge de Diaghilev, révélant en 1909 Vaslav Nijinski entouré d’une pléiade d’étoiles féminines dont Alexandra Danilova*, Felia Doubrovska, Lubov Egorova, T. Karsavina, A. Pavlova, Olga Spessivtseva*, Vera Trefilova. Dans leur sillage, poussés par la révolution de 1917, beaucoup de danseurs choisissent l’exil, essaimant une diaspora de professeurs, dont beaucoup de femmes, qui jouent un rôle essentiel dans l’essor de la danse classique et la transmission de l’école russe au XXe siècle à travers le monde. Ainsi Mathilde Kschessinska s’installe à Paris en 1920 et ouvre un cours en 1929, comme l’avaient fait L. Egorova, V. Trefilova, Olga Preobrajenska dès 1923, Rousanne Sarkissian, dite Mme Rousanne, en 1928, puis Nora Kiss un peu plus tard. Aux États-Unis, alors qu’il n’existait qu’une courte tradition venue du Vieux continent au siècle précédent, Bronislava Nijinska* ouvre une école à Los Angeles en 1938, tandis que F. Doubrovska et surtout A. Danilova jouent un rôle important dans la formation de la School of American Ballet, sous l’égide de George Balanchine, dès 1934, aujourd’hui école du New York City Ballet (célèbre étoile de la troupe : Kay Mazzo). La technique russe se diffuse à travers le monde tout au long du XXe siècle : le renouveau de l’école anglaise doit beaucoup au cours de Vera Volkova fondé en 1936 à Londres. Les écoles du Bolchoï et du Kirov (nom du théâtre Mariinsky durant cette période) accueillent des élèves des « pays amis » comme l’Égypte et la Chine, qui deviendront les levains des ballets classiques nationaux, telles Maya Sélim, étoile puis directrice de l’école de danse de l’Opéra du Caire ou Bai Shuxiang, la première grande ballerine de Chine, qui fut considérée jusqu’à la Révolution culturelle comme un modèle. Moscou exporte aussi ses professeurs en Chine et à Cuba (Alicia Alonso*).
Les mouvements modernes et contemporains du XXe siècle donnent lieu à des écoles, construites sur d’autres théories esthétiques et pédagogiques, liées à la personnalité de leurs fondatrices, telles Isadora Duncan*, Mary Wigman *ou Martha Graham* ; elles essaiment à travers le monde grâce à des élèves passionnés, comme Mila Cirul ou Jacqueline Robinson* à Paris. Aux États-Unis, la plus importante historiquement a été la Denishawn (1915-1931), fondée par Ruth Saint-Denis* et Ted Shawn, dont sont issus la plupart des artistes américains de la modern dance, interprètes, pédagogues et chorégraphes. L’école expressionniste allemande y trouve des prolongements grâce à Hanya Holm* qui fonde une première école à New York en 1931, sous la tutelle de M. Wigman restée en Allemagne. La fusion avec la danse américaine se fait progressivement avec des personnalités comme Alwin Nikolaïs dont les disciples, Carolyn Carlson* et Susan Buirge* font carrière et enseignent en France. Au début des années 1960, Eugène Luigi ouvre une première école de danse jazz d’importance à New York, dont Eva von Gencsy suit l’enseignement. Elle fonde une tradition au Canada qu’elle répand internationalement grâce à ses disciples dont Martine Époque et, en France, Anne-Marie Porras. En 1951, l’illustre Juilliard School s’ouvre à la danse, avec une double formation, classique et contemporaine, assurée par des enseignants prestigieux comme Doris Humphrey* ou Pina Bausch*. À l’écart des circuits officiels, moins école d’apprentissage que collectif ayant son style propre, le Judson Dance Theatre situé à New York témoigne dans les années 1960 des ateliers pluridisciplinaires de la recherche avant-gardiste, sous l’influence de l’enseignement de l’improvisation mis en place par Anna Halprin* (Yvonne Rainer*, Trisha Brown*, Lucinda Childs*, Mérédith Monk*).
Des écoles sont liées à des civilisations différentes : ainsi, des cours de danse hindoue, orientale ou de flamenco sont aujourd’hui pleinement reconnus dans le processus de multiculturalisme et de mondialisation qui s’est instauré.
Sylvie JACQ-MIOCHE
DANSE – LE CHAUSSON
À la croisée des problématiques théâtrales essentielles que sont la technique, la mimésis, la féminité et l’érotisme, le chausson de danse est bien plus qu’un accessoire. Traditionnellement, la danseuse est le plus souvent chaussée comme dans la vie courante ainsi que le montrent les représentations les plus anciennes de l’Inde, de l’Égypte et de la Grèce antique où elle évolue en sandales ou pieds nus. Ce n’est en effet que sous le romantisme, avec l’apparition des pointes renforcées pour permettre l’équilibre sur l’orteil, qu’apparaît un chausson propre à la ballerine, lié à une fonctionnalité nouvelle du pied, motrice et esthétique. L’apparition de la pointe est un phénomène aux causes complexes qui tire étonnamment son origine de la Révolution française. L’époque cherchant à différencier sa mode de tout ce qui rappelait l’Ancien Régime, adopte le cothurne et la sandale à l’antique avec un talon plat, si bien qu’à la ville comme à la scène on abandonne le talon Richelieu en usage depuis plus de deux siècles. Ce nouveau placement du pied, grâce à l’appui sur le talon, permet à la danseuse de trouver le ressort nécessaire pour s’élever sur la pointe. Ainsi, c’est parce qu’elle s’aide davantage du sol dont elle tire sa force qu’elle paraît s’en éloigner au point de sembler échapper aux lois de la pesanteur. Le chausson plat reste de rigueur parce que la technique a évolué dans une direction d’autant plus irréversible qu’elle suscite l’engouement du public à travers l’Europe grâce à quelques artistes d’exception qui devancent les autres : Geneviève Gosselin (1791-1818) à Paris, Amalia Brugnoli à Milan, Thérèse Heberle (1805-1840) à Vienne, Avdotia Istomina* à Saint-Pétersbourg. La plus célèbre d’entre elles demeure Marie Taglioni*, qui se distingue en conférant à cette prouesse technique une dimension esthétique d’immatérialité avec le rôle aérien de La Sylphide en 1832, au point de devenir l’une des icônes du romantisme. Chez d’autres, comme Fanny Elssler*, cette mise en scène du pied, aussi virtuose que fétichisé, devient un élément de sensualité, voire d’érotisme. Ceci fournit peut-être une explication au fait que la pointe soit devenu l’apanage exclusif de la danse féminine, alors qu’il semblerait que dès le XVIIIe siècle on trouve des danseurs de foire napolitains qui en faisaient un exploit, et qu’aujourd’hui encore les cosaques dansent sur la pointe de leur botte dans une démonstration d’incontestable virilité. Au fur et à mesure, les ballerines et les chorégraphes découvrent les potentialités de cette innovation, ce qui conduit à une amélioration du léger chausson de bal qu’est à l’origine la pointe. Au début, les ballerines renforcent l’empeigne en le brodant à son extrémité et en y insérant des feuilles de carton fin. À partir de la fin du XIXe siècle, la pointe se différencie totalement de la demi-pointe par sa structure et sa semelle rigide qui soutient la voûte plantaire, ainsi que l’ovale plat de son extrémité qui donne plus d’équilibre. C’est à Milan puis à Saint-Pétersbourg qu’on en améliore le plus tôt la confection parce que, dès les années 1870, Marius Petipa en étend l’emploi au corps de ballet. Au XXe siècle, la pointe demeure l’image de marque du ballet classique. Longtemps contestée par les courants modernes et contemporains, elle devient une source d’inspiration et de réflexion au début du XXIe siècle. Ainsi, grâce à la virtuosité de Louise Lecavalier, le chorégraphe Édouard Lock explore de nouvelles potentialités techniques de la pointe. Certains cherchent même à briser le tabou que représente un homme sur pointes, mais la difficulté vient des différences morphologiques masculines (robustesse, équilibres différents) ainsi que de la longueur de l’apprentissage qui doit être débuté dans la jeunesse.
Durant le XIXe siècle, les danses de société sont toutes exécutées avec des chaussures de ville, si bien qu’on les retrouve dans celles qui naissent à l’époque, comme le cancan qui s’exécute en bottines ou dans les danses de caractère qui se pratiquent avec de petits talons ou des bottes. Au music-hall, la girl porte des talons très hauts qui la rendent aussi attrayante qu’élégante. On y crée aussi des chaussures renforcées pour les claquettes afin de rendre encore plus spectaculaires les effets virtuoses de rythmes des danses venues d’Irlande. Dans un esprit proche, les danses espagnoles s’exécutent en talons pour rendre sonore le zapateado. Pour le hip-hop apparu à la fin du XXe siècle, le souci d’érotisme semble totalement absent, sans doute parce que c’est, à l’origine, une danse masculine. On adopte de manière mixte les baskets et les tennis propres à une danse de rue, même si au fil du temps celles-ci connaissent une fabrication spéciale qui en accroît la souplesse et l’aptitude au rebond.
Au XXe siècle, les courants modernes et contemporains, en rupture avec l’académisme, préfèrent danser pieds nus, dans la perspective d’un retour au naturel, initié par la danse libre autour de la figure emblématique d’Isadora Duncan*, afin de retrouver une plus grande authenticité dans le rapport au sol. À partir des années 1980, se développent des techniques de strapping (protection de la plante des pieds à l’aide de sparadrap), puis des systèmes de semelles souples et partielles, de couleur chair, se fixant au pied par des brides élastiques.
Si le chausson de pointe est encore aujourd’hui l’apanage de la ballerine, de même que le talon de la bottine ou de la chaussure depuis le XIXe siècle, la plupart des courants de danse nés au XXe siècle, jusqu’au hip-hop lorsqu’il s’est étendu aux filles, n’ont plus différencié hommes et femmes sur ce point.
Sylvie JACQ-MIOCHE
DANSE – LICENCE ET DÉCENCE
Les rites de fécondité, par définition non érotiques puisqu’à visée de reproduction, sont omniprésents dans les civilisations anciennes (Lupercales) ou traditionnelles. Les Occidentaux, portant un regard moral sur ces pratiques qu’ils qualifient de lascives, œuvrent à leur disparition (en particulier par l’action des missionnaires). La figure tutélaire de Salomé, séduisant le roi Hérode par sa danse, condamne d’emblée la danseuse dans les pays christianisés.
Dès la Renaissance est imposée aux femmes une décence, exigeant des mouvements empreints de retenue et de modestie. Ainsi, Marie-Madeleine Guimard*, qui se produit dans des spectacles licencieux sur la scène de son théâtre privé, danse toujours avec la plus grande décence à l’Opéra. Cependant, dès le XVIIIe siècle, des liens sont établis entre prostitution et professionnelles du spectacle. À la fin du XIXe siècle, la danse sert d’alibi artistique à de grandes courtisanes (Cléo de Mérode, Mata Hari). La danseuse est investie d’une charge érotique, fantasme qui perdure jusqu’au milieu du XXe siècle. Ainsi, la geisha, la devadâsi et l’almée alimentent les fantasmes exotiques des Occidentaux, loin de l’idéal artistique qui régit en réalité leur pratique.
La danseuse doit alors séduire, par sa beauté comme par sa danse. Mais si le spectateur apprécie la volupté de ses mouvements, c’est un érotisme feutré qui s’exprime dans la danse classique, toujours en phase avec les exigences de bon goût du temps. Fanny Elssler*, dans sa cachucha du Diable boiteux (1836), surprend le public de l’Opéra avec ses torsions du corps, ses mouvements de hanche et ses bras abandonnés, dans un investissement corporel sensuel et élégant qui fait école et où s’illustrent après elle Carlotta Grisi*, Fanny Cerrito* ou Rita Sangalli. Au XXe siècle, l’abandon du corset autorise de nouvelles mobilités du buste et le raccourcissement du tutu met en valeur les jambes (Alexandra Danilova*, Ludmila Tcherina, Colette Marchand, Claude Bessy*, Zizi Jeanmaire*). Enfin l’adoption du collant académique valorise les formes corporelles. La libération des mœurs dans les années 1960 ouvre la voie à l’expression d’une nouvelle sensualité avec des danseuses au corps androgyne, où la discrétion des formes vient compenser l’audace des mouvements, telles Duska Sifnios dans Le Boléro (1960) et Maïa Plissetskaïa* dans Léda (1979) chez Maurice Béjart ou Ana Laguna chez Mats Ek.
L’exigence de décence de la danse théâtrale occidentale est mise à mal dès la fin du XIXe siècle où La Goulue et Nini Patte-en-l’Air inaugurent avec leurs mouvements disloqués ce qui deviendra le cancan. Les danseuses y lèvent la jambe avec vigueur, découvrant leurs dessous dans un amas de jupons à volants. À Londres, Kate Vaughan, puis Alice Lethbridge s’illustrent dans la « skirt dance » où la manipulation de la robe souligne les formes du corps. Cette danse aux mouvements sinueux, avec ses cambrés et ses mouvements de bras, inspirera Loïe Fuller*. Dès lors se multiplient les stratégies de montré/caché par l’utilisation de costumes suggestifs et d’accessoires divers tels que l’éventail ou le voile, jusqu’au spectacle de strip-tease. Les girls sont noyées dans des flots de plumes qui les transforment en oiseaux de paradis (Z. Jeanmaire). C’est également dans le cadre du music-hall et du cabaret que s’élabore en Égypte une danse orientale, influencée par la conception occidentale de la séduction relayée par le cinéma hollywoodien, avec ses figures mythiques, telles Tahia Carioca ou Samia Gamal.
Très peu de chorégraphes s’inscrivent volontairement dans une démarche érotique. Bronislava Nijinska* est une des rares à s’y confronter, dans Les Biches (1924) ou dans Le Boléro (1928), où s’exprime une sexualité féminine assumée. C’est en effet l’émergence de cette dimension occultée de l’érotisme dont s’emparent les créatrices du XXe siècle, à l’instar de Joséphine Baker* qui rompt avec l’image conventionnelle de la séductrice exotique.
La danse moderne, rejetant l’image érotisée de la danseuse, s’inscrit le plus souvent dans un registre puritain. Ici encore, joueront néanmoins le fantasme (par exemple sur la beauté de Carolyn Carlson*) et le malentendu : Anna Halprin* se heurte à la censure de la nudité à New York pour Parades and Changes (1955). Pourtant, l’expression féminine de l’érotisme est présente chez des pionnières comme Isadora Duncan* qui dévoile ses jambes jusqu’aux cuisses ; Adorée Villany, qui a affaire à la justice pour avoir dansé nue ; Anita Berber et sa nudité provocatrice à Berlin ; ou Maud Allan* qui scandalise Londres avec sa Vision of Salome. Quant à Martha Graham*, c’est dans la contraction du bas-ventre qu’elle cherche à faire émerger la vérité expressive. Il faudra attendre la deuxième moitié du XXe siècle, pour que les créatrices se saisissent à leur tour de la dimension féminine de l’érotisme, traitée sans complaisance par des figures telles que Pina Bausch*, Karine Saporta*, Carlotta Ikeda*, Marceline Lartigue, Maria Ribot ou Marie Chouinard.
Marie-Françoise BOUCHON
DANSE ET CINÉMA [XXe siècle]
Dès l’origine, le cinéma s’est intéressé à l’art du mouvement qu’est la danse. Il a cherché à la capter, à en fixer le cours, à en révéler l’essence et a immortalisé certaines des grandes figures de l’époque comme Isadora Duncan*, Carlotta Zambelli* et Anna Pavlova*. Nombre d’interprètes anonymes, qu’il s’agisse des figurantes du Châtelet immortalisées par Georges Méliès ou les danseuses exotiques de l’Exposition de Genève (1896) ou de Paris (Exposition universelle de 1900), enregistrées par les opérateurs des frères Lumière, ont fasciné les visiteurs de ces manifestations éphémères ainsi que plusieurs générations de spectateurs de cinéma. Dans les années 1930, on assiste à un échange entre les deux disciplines. Tandis que de plus en plus de chorégraphes travaillent pour des cinéastes, d’autres utilisent le film comme moyen fidèle ou simple outil au service de la notation de la danse.
La danse moderne, apparue en même temps que le Cinématographe, est un fait féminin grâce aux pionnières I. Duncan, Ruth Saint Denis*, ou Loïe Fuller*. Cette dernière, fascinée par les nouvelles techniques que sont l’électricité, la radioactivité et le Cinématographe, passe la première de la chorégraphie à la réalisation et ouvre donc la voie aux chorégraphes-cinéastes. La pionnière du cinéma Alice Guy* invente (avant Daidy Davis-Boyer à qui l’on doit les scopitones) les clips musicaux, alors appelés phono-scènes, dont la fameuse Matchiche (1905), « tube » chanté et dansé par Félix Mayol. Cette même année, Gaumont homologue le making-of ou le film d’auto-promotion avec Alice Guy tourne une phonoscène dans les studios des Buttes-Chaumont. En 1907, la réalisatrice s’installe aux États-Unis où elle fait construire deux studios de cinéma dans lesquels elle produit des films avec des girls provenant des Ziegfeld Follies…
Germaine Dulac*, en adaptant un scénario de Louis Delluc, signe un chef d’œuvre, La Fête espagnole (1919), dont on a en mémoire les magnifiques scènes de danse. Elle innove et s’attaque à un script d’Antonin Artaud, La Coquille et le clergyman (1927). Pour elle, « un geste doit avoir une longueur correspondant à la valeur harmonique de l’expression et dépendant du rythme qui précède ou qui suit. » Elle passe du film psychologique au poème cinématographique et, filant la métaphore musicale, au film rythmique et à la « symphonie visuelle » : Disque 957 (1929), Étude cinégraphique sur une arabesque (1929), Thème et variation (1929).
Leni Riefenstahl figure en tant que danseuse dans le film néoromantique Wege zu Kraft und Schönheit (Les Chemins de la force et de la beauté, 1925) de Nicholas Kaufmann et Wilhelm Prager. Après avoir observé les méthodes de tournage du réalisateur de films de montagne qui la rendirent célèbre (Arnold Franck), elle passe derrière la caméra et devient la cinéaste officielle du IIIe Reich. Elle filme les Jeux olympiques de Berlin de 1936, devenant la première réalisatrice de télévision, voire la première femme vidéaste.
Katherine Dunham*, danseuse, chorégraphe, ethnologue afro-américaine, est aussi, c’est moins connu, cinéaste. Elle tourne dans la deuxième moitié des années 1930 une série de films muets aux Caraïbes, notamment à Haïti. Elle y capte en 16 mm les danses, les coutumes, le vaudou, les arts martiaux, le carnaval. Maya Deren*, à la suite de K. Dunham dont elle est la secrétaire, s’intéresse au vaudou et prend de nombreuses vues de ce qui deviendra Divine Horsemen, un film posthume monté par son second mari. Elle travaille avec des danseurs, Talley Beatty en particulier, et réalise A Study in Choreography for Camera (1945), film-manifeste dévoilant explicitement la « nouvelle scène » qui s’offre à la danse : l’espace-temps du cinématographe – les effets et mouvements de caméra, les angles inhabituels, les cadrages en plan rapproché, les ralentis, les ellipses. Par ailleurs, la cinéaste utilise des plans en négatif dans ses films.
L’Américaine Mura Dehn, après avoir, comme K. Dunham, fait œuvre d’archéologue de la danse afro-américaine en reconstituant pour la scène des danses « vernaculaires » telles que le cake-walk, le charleston ou le lindy-hop, organise des tournées avec une troupe de danseurs semi-professionnels du Savoy Ballroom de New York. Elle décide en 1950 de les filmer en 16 mm muet pour conserver une trace de ce patrimoine américain et mieux le transmettre. Certaines séquences sont captées in situ, au dancing, d’autres en studio, chez elle. La caméra plongeante, le cadre resserré sur les corps des danseurs, la postsynchronisation méticuleuse, le montage interminable (jusqu’à la fin de la vie de la cinéaste) de rushes disparates, à l’étalonnage arbitraire, a fini par produire une œuvre unique au titre surréel : The Spirit Moves (1987).
Dans le domaine de la danse classique, après le succès du film La Mort du cygne (1937) réalisé par Jean Benoit-Lévy (assisté par Marie Epstein*), Serge Lifar, qui s’intéresse au cinéma et veut préserver la mémoire de son art, réclame la création d’une cinémathèque de la danse. Avec des moyens modestes, son assistante Léone Mail ne cesse de tourner sur le vif de brefs mais précieux documents.
Après Cyd Charisse*, Leslie Caron* et Zizi Jeanmaire*, danseuses classiques reconverties dans le musical, la danseuse Claire Sombert*, apparaît avec Claude Bessy* dans Invitation to the Dance (1956) au côté de Gene Kelly. Elle passe à la réalisation et produit en indépendante plusieurs documentaires sur la danse classique pour garder une part de l’héritage académique ainsi que de la danse de caractère.
Des chorégraphes postmodernes comme Yvonne Rainer*, Meredith Monk* ou Trisha Brown* deviennent réalisatrices, la première en se consacrant à un cinéma engagé, féministe, la seconde en faisant un travail plus narcissique, la troisième en filmant une de ses pièces depuis les coulisses, en un long plan-séquence. Après M. Deren, le cinéma d’avant-garde a continué à s’intéresser à la danse : Shirley Clarke, dans A Moment in Love (1957), capte, en la stylisant, une chorégraphie d’Anna Sokolow*, Jackie Raynal coréalise le court métrage Merce Cunningham (1964) sur la première tournée du chorégraphe en France, Doris Chase innove au cours des années 1970 dans le domaine du film de danse et fait œuvre de pionnière en matière de vidéo-danse, Elisabeth Ross coréalise Sticks on the Move (1983) en utilisant le procédé de la pixilation, Eiko Otake produit avec son partenaire Takashi Koma Otake des ciné-poèmes dansés. Maria Klonaris et Katerina Thomadaki, orfèvres du super-huit, produisent avec peu de moyens des films sur le corps, Raymonde Carasco divague sur le thème de la Gradiva et capte les danses indiennes des Tarahumaras. Au milieu des années 1980, Elizabeth Streb réalise un vidéo-clip étonnamment rythmique, Ringside. Dans les années 1990, la mime Janica Draisma crée un personnage de balayeuse au moyen du film d’animation.
Dans le domaine du documentaire, on doit à des réalisatrices des titres dignes d’intérêt pour l’histoire de la danse : Virginia Brooks, dans School of American Ballet (1973), présente l’enseignement classique aux États-Unis ; Allegra Fuller Snyder trace un beau portrait de Mary Wigman* dans When the Fire Dances Between the Two Poles (1981) ; Chantal Akerman montre la méthode de Pina Bausch* dans Un jour Pina a demandé (1983) – la cinéaste belge fera aussi un musical, Golden Eighties (1986), avec Lio et la mythique Delphine Seyrig*. La très talentueuse Jana Bokova a réalisé quantité de films sur le tango, la danse brésilienne, le flamenco. Ariel de Bigault décrit la samba, les musiques et les danses latines en général. Helena Solberg, avec Banana Is My Business (1994), trace le portrait de l’icône brésilienne Carmen Miranda*. Carol Teten, dans la tradition de Margaret Mead*, de M. Dehn ainsi que de Michèle Nadal, reconstitue en vidéo les danses de salon d’antan.
Dans la lignée de G. Dulac, qui utilisa dans les années 1920 le film comme élément de décor dans une mise en scène d’opéra, les chorégraphes contemporaines semblent ne plus pouvoir se passer d’effets vidéo dans leurs spectacles (Lucinda Childs*, Anne Teresa De Keersmaeker*, Robyn Orlin*).
La chorégraphe suédoise Birgit Cullberg* a réalisé des œuvres électroniques jouant sur la surimpression à la manière de Jean-Christophe Averty. Michèle Tarento a fait un travail d’animation, parfois d’agitprop, en faveur de la « danse-contact » dont la vidéo sert d’archive. Quasiment en même temps que Régine Chopinot*, qui a signé un époustouflant KOK en 1988, Joëlle Bouvier* a réalisé, avec Régis Obadia, L’Étreinte (1987), dont on retient le ralenti fascinant. Nicole Corsino et son mari Norbert ont abandonné les planches pour se consacrer à la vidéo-danse. P. Bausch a réalisé un très beau film de danse dans le cadre « naturel », pas très riant, de Wuppertal, Die Klage der Kaiserin (La Plainte de l’impératrice, 1990), qui demeure un chef d’œuvre absolu.
Nicolas VILLDORE
DANSE THÉÂTRALE
Ballet et danse classique
Proches à l’origine des danses de cour, le vocabulaire et les principes fondamentaux de la « belle danse », origine de la danse dite « classique », commencent à s’esquisser aux XVe et XVIe siècles lors de somptueuses fêtes de la Renaissance humaniste en Italie puis en France, grâce à des maîtres à danser italiens et à l’instigation de Catherine de Médicis*. Ainsi la reine fait-elle danser au Louvre à 16 dames représentant les provinces françaises le ballet dit « des Ambassadeurs polonais » (1573) décrit par Brantôme. Souveraines et princesses, telles Anne d’Autriche, Christine et Henriette-Marie de France, duchesse de Savoie et reine d’Angleterre, Christine de Suède*, Henriette d’Angleterre, entourées de leurs dames, interprètent des ballets de cour. Seul Louis XIV ose, en 1658 et en 1661, choisir pour partenaire la danseuse professionnelle Melle Vertpré. À l’Académie royale de musique de Lully, comme souvent dans les ballets de cour, les rôles féminins sont d’abord dansés par des hommes en travesti. À partir de 1681 sont engagées des danseuses professionnelles telles Mlle de La Fontaine, puis la très expressive Marie-Thérèse de Subligny. Pudiquement encombrées par leur longue jupe, elles ne peuvent encore rivaliser avec la technique masculine. Toutefois, l’équilibre entre danseurs et danseuses tend vite à s’établir numériquement. Issue au XVIIIe siècle de la « belle danse », la danse classique, codifiée par Pierre Beauchamp puis par Carlo Blasis, privilégie la verticalité, l’équilibre facilité par les positions de jambes en dehors, la dissimulation de l’effort, l’élégance de l’envol, la grâce. Elle récuse la pesanteur. Le corps de ballet féminin sert aussi de refuge royal aux jolies figurantes richement protégées, telles Mlles Duthé et Dervieux. Aux côtés d’illustres danseurs comme Louis Pécour, Claude Ballon, Gaétan et Auguste Vestris se distinguent de célèbres novatrices, tant sur le plan de l’expression dramatique ou allègre que de la virtuosité, parfois chorégraphes, notamment Françoise Prévost*, ses élèves la Camargo*, Marie Sallé*, puis Marie Allard et Marie-Madeleine Guimard*. À l’audacieuse et bondissante Barbarina Campanini, les puristes préfèrent la maîtrise d’Anne Heinel*, créatrice à Stuttgart, Londres et Paris de ballets d’action de Noverre. Au divertissement mythologique, exotique ou pastoral succède à travers l’Europe le ballet pantomime narratif héroïque où se révèlent Marie Gardel, Émilia Bigottini*, Antonia Pallerini. Mais, déjà sous l’influence du romantisme, une thématique spiritualiste et poétique suscite le passage de la ballerine évoluant sur demi-pointes puis sur pointes. La danseuse n’effleure qu’à peine le sol, elle s’envole telle La Sylphide Marie Taglioni*. Carlotta Grisi* en Giselle puis en Péri, Fanny Cerrito* en Ondine, et Fanny Elssler* en Esmeralda enchaînent attitudes, sauts ballonnés, moelleux développés et arabesques étirant la jambe vers le ciel. À la fin du XIXe siècle, sauf au Danemark et en Russie, triomphe exclusivement la ballerine souvent italienne, telles Carlotta Brianza, Virginia Zucchi*, dont la virtuosité réduit de plus le danseur au rôle de porteur.
Au XXe siècle, l’équilibre se rétablit, à l’instigation de chorégraphes, pédagogues russes puis issus des divers continents où s’enracinent au gré d’une prodigieuse diffusion mondiale écoles et compagnies de danse classique nationales ou internationales. Fidèles aux codes fondamentaux, les chorégraphes puisent leur inspiration narrative ou non, lyrique ou abstraite, dans le folklore et les divers vocabulaires contemporains. De Carlotta Zambelli*, Anna Pavlova*, Yvette Chauviré*, Nina Vyroubova*, Margot Fonteyn*, Carla Fracci*, Galina Oulanova*, Natalia Makarova*, Alicia Alonso*, Loïpa Araújo, Maïa Plissetskaïa*, Melissa Hayden, Toni Lander*, Marcia Haydée*, Suzanne Farrell, Carla Fracci*, à Élisabeth Platel*, Sylvie Guillem*, Aurélie Dupont*, Marie-Agnès Gillot, Lucia Lacarra, entre autres, nombreuses sont les interprètes créatrices. L’évolution du costume, des éclairages souligne la lisibilité d’une technique féminine qui, de San Francisco à Novossibirsk, Pékin, Tokyo, Séoul, Buenos Aires ou Melbourne, ne cesse de se développer méthodiquement. Complexité des ensembles et art du pas de deux s’épanouissent en toute liberté plastique. Désormais transmission orale et écrite, cinéma et vidéo préservent et diffusent enseignement et répertoire.
Dès la fin du XIXe siècle, Laure Fonta, danseuse à l’Opéra de Paris, se passionne pour les danses de cour et de bal des XVIe et XVIIe siècles, qu’elle reconstitue, et réédite L’Orchésographie (1588), traité de Thoinot Arbeau. À partir de 1950, en accord avec les recherches musicologiques initiées notamment par Geoffroy-Dechaume, William Christie, Nikolaus Harnoncourt, l’intérêt se développe en Occident pour cette esthétique de danse dite « baroque », fondée sur l’étude du vocabulaire de la belle danse, des anciens traités de danse comme Le Maître à danser de Pierre Rameau, des chorégraphies notées par Raoul-Auger Feuillet, Taubert, Lambranzi… À l’initiative de Renée Renouf, Shirley Wynne, Ann Jacoby, Barbara Sparti, des compagnies sont fondées aux États-Unis, et en Suède et en France, des spectacles sont réglés par Ivo Kramer et Francine Lancelot*. Celle-ci fonde l’Association Ris et Danceries dont sont issues les chorégraphes Christine Bayle, Béatrice Massin et Marie-Geneviève Massé. Les stages de danse se multiplient, attirant et influençant souvent les danseurs issus d’esthétique contemporaine et séduits par le mélange de rigueur et de libre fantaisie de ce style réinterprété.
Il s’agit des techniques et esthétiques apparues au début du XXe siècle qui n’ont cessé depuis de se développer et de foisonner au gré de personnalités souvent féminines et de recherches stylistiques. Si la danse moderne actualise son geste comme « pensée en acte », il serait vain de soutenir l’hypothèse d’une danse moderne qui se détermine en réaction contre le ballet classique, ce rejet n’étant ni unanime ni revendiqué comme fondateur. La modernité est aussi l’apanage des Ballets russes de Serge de Diaghilev, suédois de Rolf de Maré, du New York City Ballet de George Balanchine et Jerome Robbins, de l’œuvre de Serge Lifar, Antony Tudor, Roland Petit, Maurice Béjart, Jiří Kylián, John Neumeier, William Forsythe… Plutôt que de « danse moderne », Mary Wigman* préfère parler en 1930 à la Sorbonne de « danse de notre temps », définition aussi discutable et vite obsolète. Il en va de même pour l’appellation « contemporaine », qui s’applique vers les années 1980 aux recherches et aux tendances esthétiques et techniques postmodernes.
En fait, il s’agit de courants d’origines variées engendrant de nouvelles maîtrises corporelles, fondées sur le dialogue poids, temps et espace, tension-détente, élan, flux ou improvisation. La chute, le déséquilibre, l’attraction du sol, les enchaînements aléatoires, les pieds nus, le recours aux gestes quotidiens, incongrus, l’aveu de l’effort rompent avec l’esthétique classique dont pourtant des pionnières Martha Graham*, Pina Bausch* ont apprécié la méthode d’assouplissement. Venues d’Amérique, où le ballet classique peine à s’acclimater, triomphent en Europe au début du XXe siècle les novatrices Loïe Fuller*, magicienne de la lumière, et la sculpturale Isadora Duncan*, dont l’emblématique rayonnement se diffuse jusqu’en Russie. Toutefois, l’inventivité surgit principalement de deux pôles.
En Europe centrale, Rudolf von Laban multiplie dans ses laboratoires de recherche les expériences sur le mouvement corporel, sa notation, le concept de Tanztheater. Influencés par l’expressionnisme, ses disciples Kurt Jooss, Irmgard Bartenieff*, M. Wigman explorent tôt de façon toute personnelle cette voie qu’illustreront notamment Hanya Holm*, Gret Palucca*, Birgit Cullberg*, Karin Waehner*, Jacqueline Robinson*. Le nazisme entraîne la migration de ces écoles outre-Atlantique, où se sont développées librement d’autres expériences parfois issues de l’école Denishawn de Ruth Saint-Denis* et Ted Shawn, et dominées par la puissante personnalité de M. Graham, celles de Doris Humphrey*, Anna Sokolow*, Sara Levi-Tanai*, Katherine Dunham*. Parmi leurs nombreuses cadettes, il faut notamment citer Trisha Brown*, Carolyn Carlson*, Lucinda Childs*, Susan Buirge*, Elsa Wolliaston*, Viola Farber*, Jennifer Muller*, Twyla Tharp*, P. Bausch, Joëlle Bouvier*, Maguy Marin*, Anne Teresa De Keersmaeker*, Caterina Sagna*…
De la conquête romaine puis maure jusqu’aux derniers rois Bourbons, la péninsule ibérique a affirmé de façon particulière sa prédilection pour des formes régionales de danses parfois exportées en Amérique latine et transformées en spectacle. Tandis que la danza désigne une danse codifiée, noble et grave, le baile, populaire, admet l’improvisation. De part et d’autre des Pyrénées, les échanges introduisent d’une part castagnettes et tambourin hispaniques, de l’autre les rudiments classiques modulés selon la morphologie locale de déhanchements et souples torsions ponctués du taconeo, subtil crépitement des talons. Fandango, seguedilla, jota ou bolero sont dansés à la scène en couple ou en solo. Influencée par la danse classique, l’école bolera triomphe au XIXe siècle, associant à la verticalité la courbe : genoux fléchis, la spirale si féminine du corps cambré de Petra Camara ou celle de Dolores Serral, modèle de la cachucha de F. Elssler. Après une relative éclipse, le génie d’Argentina* confère à cet art un prodigieux éclat qu’ont su entretenir Mariemma, Pilar López… De filiation complexe et plus récemment révélée, la danse flamenco d’origine gitane et andalouse doit son rayonnement à des artistes d’une puissance singulière comme Carmen Amaya* ou Cristina Hoyos*. Extase charnelle et spirituelle, elle embrase librement la danseuse trépignant bras pâmés, mains devenues pétales, doigts mués en crotales.
Manifestation physique du rythme cosmique, la danse hindoue a une origine védique sacrée. Minutieux rituel dédié à Shiva et Parvati par Bharata, le Natya-Shastra est peut-être le plus ancien de tous les codes de danse (IIe-IVe siècle). À la danse virile tandava, volontiers dramatique, ou natya, il oppose la danse féminine lasyan, tendre et amoureuse, ou nrtta ; toutes deux s’expriment théâtralement par l’abhinaya rythmique, musical, vestimentaire et gestuel. Narration ou effusion mystique, la danse expressive de situations ou de sentiments utilise le précis langage codé des innombrables mudras ou symbolique manuelle, des mouvements du cou, de la tête, des yeux, des sourcils, les positions du corps ployé en trois tribanghi, des pieds martelant le sol, des sauts et tours en spirale. Jadis attachées aux temples, les devadâsi (servantes des dieux) formaient au milieu des castes une communauté prestigieuse dont les principes ont dégénéré. Après un long déclin, l’intérêt national et international a suscité au XXe siècle le renouveau des principaux genres classiques devenus spectacle. Contrairement au kathakali, danse-drame du Kerala, exclusivement masculine, le bharata-natyam particulièrement féminin joint avec une subtile maîtrise de Tanjore à Madras harmonie sculpturale, fluidité, énergie et grâce. Également féminins, l’orissi issu d’Orissa et le mohini-attam du Kerala, le manipuri du Bengale contrastent avec la tourbillonante virtuosité du kathak cher aux cours mogholes. Strictement modelées selon la tradition par des maîtres révérés telle la légendaire Balasaraswati, nombre de danseuses dont Indrani, Mrinalini Sharabhai, Kumudini Lakhia, Alarmel Valli, Shantala Shivalingappa ont su renouveler cet art tandis que d’autres créatrices comme Padmini Chettur explorent des voies plus contemporaines.
Danse rituelle et de cour à Angkor, la danse cambodgienne a été oubliée après le brutal déclin de la civilisation khmère au XVe siècle, puis elle a influencé la brillante cour de Siam. Restaurée aux XIXe et XXe siècles à partir de sources diverses, notamment après la terreur rouge, grâce aux enfants du roi Norodom Sihanouk, la princesse Bopha Devi et l’actuel souverain, danseurs eux-mêmes, elle accorde une importance particulière aux jeux de mains, doigts retroussés à l’extrême, à la souplesse des enchaînements fluides et au raffinement des attitudes ployées. En Indonésie, danses rituelles et de cour connaissent un développement important à Java où se font jour au XXe siècle des tendances plus contemporaines (Gusmiati Suid*) et à Bali où la tradition perdure, notamment celle des fillettes gainées de brocart, couronnées de fleurs, dont les prunelles oscillent, les doigts volètent. Aux Philippines, les initiatives foisonnent depuis les danses traditionnelles illustrées par Lucrecia Reyes-Urtula et sa troupe Bayanihan, jusqu’à l’influence des divers styles de l’archipel.
En Chine, la danse théâtrale, de cour puis populaire a été, sous les dynasties Han (Ier siècle avant J.-C.), Tang, Ming et Qing, étroitement associée au chant, à la musique, l’acrobatie, ou encore au jeu dramatique dans l’opéra, genre national de longue tradition remis à l’honneur après la brutale rupture de la révolution culturelle. Les mouvements fluides, notamment des bras revêtus de longues manches « de pluie » et des mains brandissant épées ou mouchoirs, les poses et équilibres dynamiques, doivent exprimer les émotions en fonction de l’action.
Héritière de l’esthétique des Ming, la danse de cour coréenne recherche le raffinement, imprègne le mouvement de grâce et de spiritualité.
Au Japon, bugaku, nô, kabuki n’admettent que le travesti, la danse féminine fait tardivement son entrée dans la modern dance et la post-modern dance et, avec Carlotta Ikeda* dans un nouveau genre nippon récemment apparu : le butô.
Sous ses diverses écritures et écoles, la danse féminine qui renonce au verbe, lui préférant l’ésotérisme du geste codé ou non, se révèle allégorie, métaphore.
Marie-Françoise CHRISTOUT
DANSE THÉRAPIE [XXe-XXIe siècle]
C’est au XXe siècle, avec la naissance de la psychanalyse et l’éclosion du courant moderne que la danse renoue un lien avec l’expression de l’individu, à l’instar d’Isadora Duncan* qui affirme n’avoir fait que « danser sa vie ». De fait c’est aux États-Unis, au contact de créatrices de la modern dance américaine (Ruth Saint Denis*, Martha Graham*, Doris Humphrey*, Anna Halprin*) et surtout de la danse d’expression allemande (Mary Wigman*, Hanya Holm*), que les pionnières de la danse thérapie élaborent leur démarche, en lien avec des psychothérapeutes ou en collaboration avec des institutions soignantes.
D’une part, l’association de la pratique de la danse aux thérapies verbales en usage permet de rétablir l’unité du corps et de l’esprit. D’autre part, la démarche créatrice ouvre sur une prise de conscience de la relation entre psychisme et mouvement qui permet un éveil à soi-même et à sa relation aux autres. Marian Chace (1896-1970) travaille en particulier à l’hôpital Sainte-Elisabeth de Washington. Elle privilégie le rôle du groupe et de l’induction rythmique en référence à la force des danses ethniques. Par ailleurs, elle élabore un programme de formation professionnelle de danseurs thérapeutes et crée, en 1965, l’Association de la danse thérapie américaine qui servira de modèle à des structures semblables en Europe. Lilyan Espenak (1896-1988), fuyant l’Allemagne nazie, crée à New York le premier enseignement structuré de danse thérapie en lien avec le Dance Notation Bureau. Franziska Boas (1902-1988) intervient dès 1941 à l’hôpital Bellevue de New York auprès d’enfants perturbés, sur la base d’improvisations. Trudy Schoop (1903-1999), venue de Suisse, s’installe en 1952 en Californie où elle travaille auprès de malades psychotiques, dans une démarche ludique, à partir d’un travail corporel relié à l’imagination du patient. Mary Whitehouse (1911-1979) élabore en référence à Carl Gustav Jung le concept de « mouvement authentique », forme expressive des contenus de l’inconscient. Elle n’intervient pas dans des structures psychiatriques, mais reçoit ses patients dans son studio à Los Angeles. Irmgard Bartenieff*, danseuse allemande, émigre à New York en 1936. À partir des idées de Rudolf Laban, elle élabore une analyse qualitative du mouvement fondée sur la relation entre la notion d’« effort » (impulsion à l’origine du mouvement) et la notion de shape (transformations du corps en mouvement) et leur intégration dans l’espace.
En France, des pratiques diversifiées se développent. Rose Gaetner intervient dès 1956 auprès d’enfants psychotiques à l’hôpital Santos-Dumont puis auprès d’adultes à l’hôpital Sainte-Anne. Laura Sheleen (née en 1926), kinésithérapeute américaine arrivée en France dans les années 1950, s’appuie également sur le théâtre et sur les travaux de C. G. Jung. Elle recourt à des « mythodrames » de forme ritualisée.
Des structures de formation sont mises en place : France Schott-Billman, psychanalyste, a découvert l’expression primitive auprès de Herns Duplan, danseur de la compagnie Katherine Dunham*. Elle dirige le département de psycho-pédagogie par les arts de la scène à l’université Paris Descartes. Sylvie Garnero, psychiatre et danseuse de formation moderne (Karin Waehner*), intervient en hôpital de jour et dirige une formation en danse thérapie à la Schola Cantorum, fondée sur l’analyse Laban-Bartenieff et le mouvement authentique, dans le courant des programmes américains. Christiane de Rougemont, formée en danse moderne (K. Waehner) et en danse primitive (K. Dunham et Elsa Wolliaston*), propose dans son école, Free Dance Song, des formations en danse thérapie.
Marie-Françoise BOUCHON
DANTE, Emma [PALERME 1967]
Metteuse en scène et dramaturge italienne.
Après le Conservatoire et une carrière d’actrice dans les circuits officiels, Emma Dante revient à sa Sicile natale et à sa langue, le sicilien, et fonde la compagnie Sud Costa Occidentale, avec laquelle elle produit un répertoire cohérent centré sur les possibilités expressives physiques de l’acteur et qui pousse à l’extrême les rituels de la culture sicilienne. Ce répertoire représente une importante nouveauté dans le théâtre italien, et son succès la conduit assez rapidement à se faire apprécier dans la plupart des pays européens. Parmi les productions de la compagnie se trouvent Carnezzeria (« boucherie ») en 2002 et Vita mia (« ma vie ») en 2004.
Angelo PAVIA