EPERJESI, Ágnes [BUDAPEST 1964]

Artiste hongroise.

Ágnes Eperjesi obtient son diplôme de phototypographie au Conservatoire hongrois des arts industriels. Bien que la plupart de ses œuvres s’appuient sur des procédés photographiques, elle ne saurait être considérée strictement comme photographe, car elle élabore toujours son modèle en l’éloignant de ses caractéristiques originelles et en le mettant au service de son art thématique. Elle se sert des techniques les plus diverses, depuis le photogramme jusqu’au projet mêlant vidéo et manifestation publique (en 2003, pour Zone sans publicité, elle propose aux passants des sacs à provisions unicolores pour remplacer leurs sacs plastiques). Elle a commencé sa carrière avec des cartes postales faites à partir de ses photos et des installations néoconceptuelles créées avec son ex-mari (Exposition substantielle, 1992). Depuis 1996, l’identité féminine et le rôle social de la femme sont au centre de ses créations sophistiquées. Elle utilise les emballages translucides munis de pictogrammes de différents articles de consommation comme épreuves négatives pour ses Recyclages d’images. Ses séries thématiques (Weekly Menu 1-7, 2000 ; Family Album, 2004) comportent aussi des orientations écologiques, tout en mimant avec une ironie parfois mordante les rôles traditionnellement dévolus aux femmes.

Erzsébet TATAI

DANTO A. C., « Embodied meanings as aesthetical ideas », in Journal of Aesthetics and Art Criticism, hiver 2007.

EPHRON, Nora [NEW YORK 1941 - ID. 2012]

Scénariste et réalisatrice américaine.

Née dans une famille de scénaristes, Nora Ephron se lance dans une carrière de journaliste et connaît un grand succès en publiant en 1983 C’est cuit, dit-elle, roman évoquant son mariage raté avec Carl Bernstein, l’un des journalistes du Watergate. Elle rencontre la même année Mike Nichols, pour qui elle écrit son premier scénario, Le Mystère Silkwood, d’après un fait-divers, puis adapte pour lui en 1986 le roman qu’elle a écrit, cette fois sous le titre La Brulûre. En 1989, elle écrit une comédie policière, Cookie, pour Susan Seidelman*, et, cette même année, sa carrière prend un nouveau tournant quand elle triomphe avec Quand Harry rencontre Sally (When Harry met Sally), réalisé par Rob Reiner. Elle devient réalisatrice et se spécialise dans la comédie sentimentale, avec notamment Nuits blanches à Seattle (Sleepless in Seattle, 1992) et Vous avez un message (You’ve got a mail, 1998). Elle compte depuis lors parmi les réalisatrices-productrices les plus influentes d’Hollywood.

Jennifer HAVE

C’est cuit, dit-elle (Heartburn, 1983), Paris, R. Laffont, 1984.

ÉPICURIENNES [Grèce IVe-IIIe siècle av. J.-C.]

Dans le Jardin d’Épicure, école philosophique où l’entendement des sensations s’inscrit dans des raisonnements moraux guidés par les principes de plaisir et de bonheur, nombreuses sont les femmes à avoir joué un rôle déterminant. Des esclaves ont été également intégrées à part entière dans cette communauté. Les hétaïres, Boïdion, Hédéia, Mammarion et Nikidion, sont des « amies », « compagnes » et « maîtresses » (du grec hetaira). Thémista (c. 342 - c. 272 av. J.-C.), fille de Zoïle de Lampsaque, est l’épouse de son disciple, Léonteus de Lampsaque ; elle entretient avec Épicure une vaste correspondance. Il lui dédie un traité intitulé Néoclès et la définit comme une sorte de « Solon féminin ». Sa sagesse devient presque proverbiale, ainsi que l’attestent des propos de Cicéron. Dans ses Institutions divines, Lactance la désigne comme l’unique femme philosophe. Plus tard, l’historien Poestion affirme n’avoir « aucun doute » quant à l’importance de ses écrits. Léontion (vers 300 - 250 av. J.-C.) est une hetaira qui fréquente longuement Épicure. Diogène Laërce cite un fragment dans lequel le philosophe affirme être emporté par les lettres qu’elle lui écrivait. On la dit aussi maîtresse de Métrodore, l’un des plus célèbres disciples du philosophe. Au-delà de sa relation avec Épicure, elle est célèbre pour avoir écrit plusieurs histoires d’amour et, avant tout, un pamphlet contre Théophraste dans lequel elle prend la défense du sexe féminin, critiquant la misogynie du penseur. Ce texte lui vaut les reproches d’autres grands auteurs, tels que Pline le Jeune et Cicéron. Hermésianax de Colophon, en revanche, lui offre trois livres d’élégies et elle est peinte par Théodore en train de méditer. Sa fille, Danaé (fin du IVe siècle av. J.-C. - 272), a hérité des préceptes philosophiques de sa mère. Elle est la maîtresse de Sophron et la confidente de Laodice, épouse du roi de Syrie, Antiochos II. Comme ce dernier avait été empoisonné, elle se résout à sauver la vie de son amant en le prévenant du désir de vengeance de la reine. À son tour condamnée, elle aurait affirmé ne pas craindre la mort et comprendre le mépris des hommes envers les dieux en constatant l’injustice dont elle est victime. Ses dernières paroles rappellent à maints égards les idées véhiculées par Épicure.

La vie menée par ces femmes est dans l’ensemble révélatrice de la mise en application des préceptes épicuriens : dans leur recherche de la volupté et de l’hédonisme comme sources du souverain bien, l’ataraxie (« l’apaisement de l’âme »), elles ont incarné les préceptes avancés par leur maître ; de même, le système d’égalité entre hommes et femmes établi dans le Jardin d’Épicure se reflète dans la liberté de leurs gestes et leur propre courage.

Marta MARTÍNEZ VALLS

ÉPINAY, Louise TARDIEU D’ESCLAVELLES, marquise D’ [VALENCIENNES 1726 - PARIS 1783]

Écrivaine française.

Fille unique de Louis-Gabriel Tardieu, baron d’Esclavelles, et de Florence-Angélique Prouveur de Preux, elle épouse en 1745 son cousin, Denis-Joseph Lalive d’Épinay, qui entame une carrière de fermier général. De leur union naissent deux enfants : Louis-Joseph et Suzanne-Françoise-Thérèse (elle meurt dans sa première année). Mme d’Épinay donne ensuite le jour à deux autres enfants : la paternité d’Angélique-Françoise-Charlotte, élevée comme la propre fille de M. d’Épinay, est attribuée à son premier amant, Claude-Louis Dupin de Francueil ; celle de Jean-Claude Leblanc de Beaulieu est, elle, accordée à Grimm, qui partagera la vie de la romancière de 1755 jusqu’à sa mort. Mme d’Épinay noue des liens amicaux avec les grands hommes de son époque tels que Rousseau, Choderlos de Laclos, Diderot, l’abbé Galiani, le baron d’Holbach, le philosophe Helvétius et Voltaire. Elle débute une carrière littéraire en imprimant sur une presse privée Mes moments heureux (1758) et Lettres à mon fils (1759). Dans les années 1750, elle signe un roman en partie autobiographique, Histoire de Mme de Montbrillant, qui n’est pas destiné à être publié. À partir de 1771, elle collabore régulièrement et anonymement à la Correspondance littéraire pendant les absences de Grimm. En 1774, sa principale œuvre, Les Conversations d’Émilie, paraît anonymement, puis elle est augmentée en 1781 sous le véritable nom de l’auteure, et enfin rééditée en 1782. L’année suivante, Mme d’Épinay obtient le prix Montyon de l’Académie française pour cet ouvrage.

Sonia CHERRAD

ÉPISTOLIÈRES [Allemagne XVIIIe siècle]

La lettre constitue une source précieuse pour étudier l’histoire sociale et la mentalité du XVIIIe siècle, époque marquée par la « rage des lettres ». Si au début, le genre épistolaire était encore largement codifié par les prescriptions de l’antique rhétorique, un changement advient dès le XVIIe siècle, grâce à l’apparition de manuels didactiques sur la rédaction des lettres, puis surtout au XVIIIe siècle grâce au très populaire guide de Christian F. Gellert (Briefe, nebst einer Praktischen Abhandlung von dem guten Geschmacke in Briefen, « lettres, accompagnées d’un traité pratique sur le bon goût dans les lettres », 1751) : son plaidoyer pour un « style épistolaire naturel », « proche de la conversation » correspond visiblement à l’aspiration d’individualisation grandissante de l’époque ainsi qu’au besoin d’accorder aux émotions une expression adaptée.

De nombreuses femmes, jouissant d’une bonne formation pour l’époque, excellent dans l’art d’écrire des lettres, ce qui leur offre des possibilités inépuisables de se mettre en scène, d’explorer leur âme, d’exprimer leurs sentiments et leurs passions dans les limites des normes qui leur sont imposées. Beaucoup de femmes sont tentées par le genre épistolaire, malgré la situation confuse de la transmission et de l’édition. Mais elles participent peu aux grands réseaux de correspondances : parmi les 1 199 correspondants identifiables du savant bernois Albrecht von Haller, on ne dénombre que 50 femmes. Et ce n’est que très rarement qu’elles entretiennent elles-mêmes de tels réseaux, comme c’est le cas par exemple pour le cercle de l’auteure d’Altenbourg Margaretha Susanna von Kuntsch (1651-1717), dont font partie au moins 17 femmes de lettres.

Si l’on considère le large éventail des fonctions que pouvaient revêtir les lettres, on est frappé par la différence entre la culture épistolaire de la noblesse et celle de la bourgeoisie. Des femmes comme Anna Amalia de Saxe-Weimar-Eisenach (1739-1807), Wilhelmine de Bayreuth* ou la princesse palatine Charlotte-Élisabeth de Bavière* remplissaient les conditions nécessaires en ce qui concerne la formation, l’état et les privilèges. Les quelque 60 000 lettres que cette dernière a rédigées, aussi bien en allemand qu’en français, en tant qu’observatrice critique et vigilante des événements de son temps, constituent un témoignage précieux, comme celles de la Margrave W. de Bayreuth des années 1754-1755 et celles qu’A. A. de Saxe-Weimar-Eisenach adressait entre 1788 et 1790 à sa sœur depuis l’Italie. Dans la bourgeoisie, la lettre remplit d’autres fonctions sociales. Par exemple, dans l’espace protestant du nord de l’Allemagne, malgré leur manque de formation et les frontières très rigides régissant les relations amicales avec l’autre sexe, certaines femmes ont pu échapper, ne serait-ce qu’en partie, au carcan du mariage, de la famille, de la maison, ainsi qu’à la pression sociale en cultivant des amitiés épistolaires avec des femmes et même avec des hommes.

C’est dans les lettres d’amour que l’on sonde régulièrement les limites de ce qui peut se dire sans froisser les bonnes mœurs. Dans ce contexte, l’échange de lettres entre Meta Klopstock* et Friedrich Gottlieb Klopstock est particulièrement remarquable, tout comme certaines incises apparaissant comme des feux follets dans les lettres des époux Mendelssohn. Gotthold Ephraim Lessing et Eva König ont quant à eux échangé un discours amoureux d’un bon niveau, malgré un écart d’éducation évident. La devise proclamée dès la première lettre du 1er juin 1770 par Lessing : « N’oubliez pas que l’homme ne vit pas seulement de viande fumée et d’asperges, mais bien plus d’une conversation amicale, qu’elle soit orale ou écrite », annonce une amitié intellectuelle émouvante. La lettre est appréciée comme un moyen de cultiver l’amitié et la convivialité entre les deux sexes, ce qui peut être vérifié dans les écrits de Fromet Mendelssohn et du cercle d’amitié berlinois adressés à Moses Mendelssohn ainsi que dans la collection antérieure de la femme de lettres Christiana Mariana von Ziegler* (Moralische und Vermischte Sendschreiben, an einige Ihrer vertrauten und guten Freunde gestellet, « diverses missives morales adressées à quelques-uns de ses meilleurs amis fidèles », 1731). Premier membre féminin de la Deutsche Gesellschaft de Leipzig, cette dernière rivalisa aussi très tôt avec sa collègue et auteure Luise Adelgunde Gottsched*, qui avait des idées précises et la plupart du temps accablantes sur la fréquentation restrictive des femmes savantes. Les lettres de la comédienne Caroline Neuber* ainsi que celles de la peintre Angelica Kauffmann* (1741-1807) sont la preuve que des femmes entretenaient aussi, et assez fréquemment, de véritables correspondances d’affaires.

La lettre a généré de nouveaux genres d’écriture fictionnels, comme le roman épistolaire, l’épître et l’essai. Les auteures se sont souvent adonnées à la poésie épistolaire, forme de jeu et réflexe qui répondait aux usages de l’époque. Les très courantes « missives poétiques » qui circulaient dans l’environnement de Leipzig, servaient à encourager et à promouvoir les auteurs féminins. Des lettres poétologiques attestent de la démarche, en tout point risquée, cherchant à s’émanciper de la protection de la sphère privée pour apparaître en public. À l’occasion du trente-septième anniversaire de son époux, la Gottschedin rédige la salutation sous forme d’épître. Lorsqu’elle écrit sous une forme masculine en tant qu’élève (« der Schüler »), à qui il manquera toujours « le mérite de l’éternité » et qui, par conséquent, vit « à travers » lui, elle montre la conception des rôles alors impartis aux sexes comme faisant partie du destin, l’idée même de la remettre en question étant impossible à envisager.

Anett LÜTTEKEN

GOLZ J., « Brief », et NICKISCH R. M. G., « Briefsteller », in WEIMAR K. (dir.), Reallexikon der deutschen Literaturwissenschaft, Berlin/New York, de Gruyter, 2007 ; REINLEIN T., Der Brief als Medium der Empfindsamkeit, Erschriebene Identitäten und Inszenierungspotentiale, Wurzbourg, Königshausen & Neumann, 2003 ; STAUF R., SIMONIS A., PAULUS J. (dir.), Der Liebesbrief, Schriftkultur und Medienwechsel vom 18. Jahrhundert bis zur Gegenwart, Berlin/New York, de Gruyter, 2008.

ÉPISTOLIÈRES [France XVIIIe siècle]

Au « siècle des correspondances », tout le monde écrit des lettres. Les femmes, elles, ont commencé dès l’enfance. La lettre, substitut de la conversation, endosse en effet son rôle premier : entretenir les liens sociaux. Les grands modèles épistolaires restent des auteurs masculins ; néanmoins, de plus en plus de lettres de femmes sont publiées. Avant Julie de Lespinasse*, les lettres d’amour – des Héroïdes aux Lettres d’Héloïse, en passant par les Lettres portugaises –, sont toujours l’œuvre d’une écrivaine réelle ou fictive. En 1723, la publication des Lettres de Mme de Sévigné* introduit les correspondances en littérature et corrobore la boutade de La Bruyère sur l’affinité mystérieuse qui lie plume féminine et lettre idéale. Ainsi la portée littéraire de la lettre familière, où les femmes apprivoisent un espace de liberté au service de leur créativité, se trouve consacrée. Sa souplesse permet de la soumettre à de multiples usages et d’y couler les contenus les plus divers.

Les lettres de Mme de Sévigné ont été menacées de suppression ; nombre de lettres féminines ont disparu : de la correspondance échangée pendant vingt ans entre Mme Bentinck et Voltaire subsistent 300 lettres de Voltaire et 30 de sa « grande amie » ! Massivement détruites par souci de bienséance, les lettres d’amour occupent une place modeste dans le corpus épistolaire. Les Lettres de J. de Lespinasse en offrent pourtant le modèle insurpassé ; celles de Mme du Châtelet* adressées à Saint-Lambert, de Sophie Monnier à Mirabeau ou de Mme de Sabran au chevalier de Boufflers leur font écho. Ce siècle libertin recèle même de belles correspondances platoniques, comme celle de Mme Cottin* avec Azaïs, de la comtesse d’Egmont avec Gustave III de Suède ou de Louise de Bourbon avec le marquis de La Gervaisais.

La première raison d’écrire réside dans l’absence et/ou la distance. Aussi le type de lettres le plus répandu est-il la lettre familière à l’intention d’un parent, d’un enfant, d’un ami. Plus qu’à exprimer la passion amoureuse, la lettre féminine semble exceller à entretenir les relations amicales ou familiales : lien fraternel pour Lucile de Chateaubriand, Rosalie de Constant ou Catherine de Saint-Pierre, lien plus amical que familial entre Mme du Deffand* et la duchesse de Choiseul-Meuse*, sa parente. Face aux massifs que constituent les correspondances de Voltaire ou de Diderot, celles, vastes, de Mme du Deffand et de Mme de Graffigny* à Mme de Charrière* et Mme de Staël* se révèlent des monuments voués à l’amitié sous toutes ses formes.

À l’image de la salonnière, l’épistolière sait mettre sa ou son destinataire en valeur, surtout quand elle correspond avec une célébrité. La publication de lettres adressées à un grand homme ne souffre d’aucun retard (Mmes du Deffand et de Graffigny à Voltaire). La longue correspondance que Mme de Graffigny entretient avec Panpan constitue un remarquable document sur une vie féminine au XVIIIe siècle ; celle de Mme de Charrière avec Constant d’Hermenches ou Benjamin Constant, devra, elle, patienter jusqu’au XXe siècle pour être redécouverte. Le commerce avec un homme permet aux femmes de pénétrer des domaines d’où elles sont habituellement exclues : Mmes Bentinck et du Deffand s’initient à la philosophie avec Voltaire, Mme d’Épinay* à l’économie avec l’abbé Galiani. Les lettres que Mme Roland* adresse à Bancal-des-Issarts la révèlent en égérie politique des Girondins. Octavie Belot*et la marquise de Lénoncourt débattaient déjà de la crise parlementaire. Dans ses « lettres ouvertes » au peuple ou à la Constituante, Olympe de Gouges* exprime sa position sur les événements de la Révolution. Cette forme d’écriture libre abrite les échanges scientifiques entre Mme du Châtelet et Maupertuis ou Kœnig, une critique déguisée de la société par deux correspondantes anonymes (Lettres historiques et galantes de Mme Dunoyer), des réflexions sur la sympathie, émises par Mme de Condorcet* et un jugement sur Rousseau rendu par la jeune Mme de Staël. On y prouve ses compétences, comme Mlle Clairon* dans ses Lettres sur le théâtre ou Mme Riccoboni* en dialoguant avec Garrick. Certaines, dont Mme de Charrière, y font leurs gammes ou y forment leurs disciples. Telle la salonnière, l’épistolière se montre parfois moraliste et pédagogue, comme le prouve la correspondance entre la comtesse d’Egmont et le jeune roi Gustave III. La coloration maternelle, parfois doublée d’un sentiment amoureux qui s’ignore, est courante entre personnes de sexe et d’âge différents (lettres de J. de Lespinasse à Condorcet, de Mme Riccoboni à Robert Liston, de Mme de Charrière à B. Constant ou de Mme du Deffand à Horace Walpole).

Lieu d’échanges à cœur ouvert, la lettre se prête aussi à l’autobiographie (Lettres de Mlle Aïssé à Mme Calandrini). Mme Vigée-Lebrun* consigne ses Souvenirs sous forme épistolaire, et la jeune Geneviève de Malboissière, tout comme Mme Roland s’adressant aux sœurs Cannet, tente de s’y peindre sans réserve, esprit et âme confondus. Avouant à sa fille : « J’aime à vous écrire », Mme de Sévigné révélait « l’expérience vicariale » (A. Moles 1964) offerte par la lettre. À travers leurs correspondances, les femmes de tout rang ont pu s’exprimer à loisir, sans se prétendre écrivaines. Une fois publiées, leurs œuvres épistolaires attestaient l’effervescence intellectuelle et l’énergie créatrice qui les motivaient.

Marie-Laure GIROU-SWIDERSKI

ÉPONINE [M. À ROME 79]

Héroïne et sainte gauloise.

ÉPOQUE D’EDO – LITTÉRATURE [Japon XVIIe-XIXe siècle]

L’image de la femme à l’époque d’Edo (1603-1867) parut longtemps limitée au rapport entre mère et fille. Pourtant, parallèlement à la politique culturelle du gouvernement, qui encouragea l’alphabétisation de la population jusqu’aux échelles inférieures de la société, l’image de la femme écrivain se généralisa et se diversifia par le fait même que la femme avait accès à l’écriture quelle que fût son appartenance sociale. C’est à cette époque qu’apparut la littérature de yūjo, celle des femmes de plaisir, issues soit d’un milieu extrêmement pauvre soit d’un milieu aisé et artistique où les femmes, dès leur jeune âge, recevaient un apprentissage de courtisane. Quoique raffiné, l’art cultivé par ces femmes, ayant pour but la satisfaction de leurs clients masculins, ne contribua pas réellement à un renouvellement artistique, malgré l’existence de salons littéraires tenus par certaines courtisanes, comme c’était le cas en France.

Dans le genre du kanshi (poésie écrite en chinois), à côté de poétesses célèbres, comme Tachibana Gyokuran (v. 1733-1794), Kamei Shōkin (1798-1857) ou Hara Saihin (1798-1859), Ema Saikō (1787-1861) publia Shōmu ikō (« les manuscrits abandonnés de Shōmu », 1871), ouvrage posthume traduit en anglais.

Dans le genre du waka (poésie écrite en japonais) l’école du philosophe-philologue (kokugaku) Kamo no Mabuchi a vu naître « trois poétesses de génie » : Yuya Shizuko (1733-1752), Udono Yoshiko (? -1788) et Toki Tsukubako (dates inconnues). La production des poétesses Otagaki Rengetsuni (1791-1875) et Nomura Motoni (1806-1867) se situe vers la fin de l’époque d’Edo. Bien d’autres femmes connues ou inconnues ont écrit des waka à cette époque, et les spécialistes commencent à en découvrir la richesse auparavant inexplorée.

Dans le genre du haïkaï (poème de 17 syllabes), l’existence de poétesses ainsi que leur production ne sont connues que partiellement, par exemple à travers quelques poèmes parus dans Arano (« les champs sauvages »), un recueil de haïkus édité par Matsuo Bashō. Les poétesses présentées dans ce recueil furent considérées comme proches de Matsuo Bashō, probablement de la famille des disciples du poète. La poétesse la plus connue fut Chiyojo (1703-1775), qui accueillit de nombreux élèves des quatre coins du pays. Dans le genre du kyoka, poème épique qui fut à la mode au milieu de l’ère Edo, Chieno Naishi s’est illustrée.

En prose, Rikei-ni no ki (« les mémoires de Rikei-ni ») fut pendant longtemps considéré comme l’exemple le plus connu de littérature de non-fiction. Ces « mémoires » qui peignent la fin d’un seigneur guerrier, Takeda Katsuyori, à travers le regard de sa nourrice ont quelque peu perdu leur valeur documentaire au profit de leur caractère digne d’un roman historique. Oamu monogatari (« les mémoires d’Oamu ») relate la défaite d’une famille seigneuriale, vue par une jeune fille, Oamu. Okiku monogatari (« les mémoires d’Okiku ») est rédigé sous forme d’un ouï-dire. La narration s’inspire de témoignages sur la bataille d’Osaka (Osaka natsu no jin), laissés par Okiku, alors servante d’un seigneur appelé Ishida Mitsunari. Ces récits écrits par des femmes se distinguent par un emploi abondant de kana, et ce style si particulier a séduit de nombreux hommes écrivains parmi lesquels Tanizaki Jun’ichirō. Celui-ci, sensible à l’effet visuel et à la différenciation des écritures (kana et kanji), imite et pastiche le style de ces romans historiques pour écrire ses romans Le Récit de l’aveugle et La Vie secrète du seigneur de Musashi.

Dans le genre du journal, l’un des exemples les plus célèbres est Matsukage nikki (« le journal des ombres sous les pins ») d’Ogimachi Machiko (? -1724) : composé de courts poèmes et de citations de la littérature classique, ce journal retrace la magnificence de Yanagisawa Yoshiyasu – dont Ogimachi était la maîtresse –, un homme atypique qui a connu une carrière exceptionnelle et fulgurante. Le style de ce journal, proche de celui de l’époque de Heian, pare cet ouvrage de l’aura du passé. Ce néoclassicisme laisse supposer qu’Ogimachi Machiko avait l’intention de situer son ouvrage dans la lignée de la littérature noble, dont le modèle est le style de Heian.

Dans le genre du roman historique, l’écrivaine Arakida Reijo (1732-1806), fille d’un grand prêtre du temple Isé, a publié beaucoup de romans historiques – dont Nonaka no shimizu (« la source du milieu des champs », 1782) –, parsemés de citations littéraires de l’époque de Heian et de phrases obscures et néoclassiques qui ont séduit de nombreux lecteurs intellectuels masculins. L’autre écrivaine connue de l’époque est Tadano* Makuzu (1763-1825). À la différence d’Arakida Reijo, elle a eu recours à un style plus facile mêlant expressions courantes et familières.

IDA TARŌ

EPPEL, Hedda [VIENNE 1919 - ID. 2004]

Psychanalyste autrichienne.

Née juste après la Première Guerre mondiale, Hedda Eppel fait des études de linguistique à Vienne. En 1939, sa famille émigre en Angleterre, et c’est là qu’elle prend conscience des traumatismes subis par les enfants ayant vécu la guerre, et plus particulièrement des traumatismes propres aux survivants des camps de concentration. C’est par ce travail qu’elle s’intéresse à la psychanalyse et rencontre Anna Freud* avec laquelle elle fait une formation d’analyste pour enfants au Hampstead Child Therapy Course de Londres. En 1946, elle retourne à Vienne où elle étudie la psychologie et complète en même temps sa formation à l’Institut psychanalytique avec August Aichhorn. Elle devient membre de la Société viennoise de psychanalyse en 1954. Spécialisée dans l’analyse des enfants et dans la pédagogie psychanalytique, elle fonde, en 1961, avec Erika Danneberg*, le premier Centre de consultations psychanalytiques pour enfants. Après un temps passé à New York, où elle donne des conférences à l’Albert Einstein College of Medicine et au Jacobi Medical Center, H. Eppel regagne l’Autriche pour enseigner, de 1972 à 1977, à l’Institut pédagogique de l’université de Vienne. De sa longue collaboration avec E. Danneberg naîtront des publications rapportant des analyses menées simultanément avec des enfants et leurs mères, dans une approche originale intégrant les avancées des thérapies familiales.

Chantal TALAGRAND

EPSTEIN, Marie [VARSOVIE 1899 - PARIS 1995]

Réalisatrice et scénariste française.

Née en Pologne d’un père français et d’une mère polonaise, Marie Epstein arrive en France en 1914. Elle passe son baccalauréat à une époque où les filles étaient peu nombreuses à le faire et travaille comme sténo-dactylo, tout en cultivant une grande passion, qu’elle partage avec son frère Jean, pour le cinéma. Elle le rejoint à Paris au début des années 1920 et tous deux s’enthousiasment pour le cinéma d’avant-garde. À la même époque, Marie travaille comme assistante et actrice dans Cœur fidèle, que réalise Jean en 1923, et est scénariste sur d’autres longs-métrages de son frère. C’est avec un autre homme, Jean Benoît-Levy, qu’elle débute à la réalisation en 1931 avec Le Cœur de Paris, le premier des sept films qu’ils écriront et tourneront ensemble. Contrairement à la tendance dominante des films expérimentaux et d’avant-garde des années 1920 (comme ceux de son aînée Germaine Dulac*), le cinéma de M. Epstein est davantage marqué par un souci de réalisme et une attention pour les milieux populaires. Cette tendance est très forte dans son second film, l’adaptation du roman de Léon Frapié, La Maternelle (1933), considéré par certains comme l’un des meilleurs films français des débuts du parlant. L’intérêt de la cinéaste pour les problématiques féminines (à défaut d’être féministes) est particulièrement visible dans ce film. Arrêtée avec son frère parce que juifs, en 1944, ils échappent à la déportation grâce à un réseau d’amis et à la Croix-Rouge. Après la guerre, M. Epstein travaille à la Cinémathèque dans l’ombre d’un troisième homme, Henri Langlois, à la restauration de films muets, dont ceux qu’elle tourna avec J. Benoît-Levy (lequel ne lui réservera qu’une note de bas de page dans ses Mémoires). Le Festival international de films de femmes de Créteil* lui a consacré une rétrospective en 1991.

Brigitte ROLLET

EQUAL RIGHTS AMENDMENT (ERA) [États-Unis depuis 1923]

Après plusieurs décennies de lutte pour leurs droits politiques, les femmes obtiennent, avec le 19e amendement à la Constitution américaine, le droit de vote en 1920. Alice Paul*, leader du mouvement suffragiste, à la tête du Parti national des femmes (PNF), qui veut aller plus loin, rédige un « amendement pour l’égalité des droits entre les femmes et les hommes », qu’elle présente pour la première fois en 1923 lors du 75e anniversaire de la première Convention pour les droits des femmes à Seneca Falls (New York), en 1848, avant de l’adresser au Congrès. L’enjeu de son adoption est de taille car, élargi à tous les domaines et non plus limité au seul droit de vote, cet amendement donnerait au principe d’égalité un solide socle juridique et le rendrait incontournable au niveau fédéral comme au niveau des États de l’Union. Renvoyé en commission, il est immédiatement enterré avant même d’être soumis au vote des députés. En réalité, l’opposition qu’il rencontre provient de plusieurs horizons. Y sont bien sûr hostiles les conservateurs, qui ne veulent pas voir les femmes échapper au foyer et jouir des mêmes droits que les hommes. Mais s’y opposent également un certain nombre d’organisations de femmes – dont le Women’s Bureau au sein du ministère du Travail – et de syndicats, qui craignent que son adoption n’entraîne la suppression des lois de protection et autres droits spécifiques dont bénéficient les femmes, entraînant ainsi une dégradation de leurs conditions de travail. Le débat est vif, acharné et, au cours des décennies, s’étend à tous les protagonistes de la vie politique, selon des alliances et des clivages fluctuants. Le PNF ne renonce pas : l’ERA, présenté à presque toutes les sessions du Congrès, est finalement adopté en 1972 par les deux Chambres dans les termes suivants : « L’égalité des droits en vertu de la loi ne peut être déniée ou restreinte, ni par les États-Unis, ni par aucun État, en raison du sexe. Le Congrès aura le pouvoir de faire respecter, par une législation appropriée, les dispositions du présent article. » Entre-temps, il a été, au début des années 1940, intégré dans le programme du Parti démocrate comme du Parti républicain, puis officiellement soutenu par plusieurs présidents américains. Vers la fin des années 1960, son adoption est devenue l’une des revendications essentielles et le symbole même du combat du mouvement féministe américain alors en plein essor, et l’AFL-CIO (American Federation of Labour – Congress of Industrial Organisations), la plus puissante centrale syndicale des États-Unis, qui y était jusque-là opposée, s’y est ralliée en 1973.

Mais l’adoption par le Congrès ne suffit pas : l’amendement doit être ratifié par au moins 38 États. La première année, il l’est par 22, par 8 seulement en 1973, par 3 en 1974, par un seul en 1975, et par aucun en 1976. Au début des années 1980, les républicains suppriment l’ERA de leur plateforme. De leur côté, la National Organization for Women (NOW) et la Ligue of Women Voters continuent à le présenter chaque année au Congrès et organisent de gigantesques manifestations réunissant jusqu’à 100 000 femmes et auxquelles participent des féministes venues d’Europe. Elles obtiennent la levée de la menace de caducité sur les ratifications déjà réalisées. Il suffirait aujourd’hui de trois nouvelles ratifications pour que l’ERA devienne le 28e amendement de la Constitution des États-Unis. La mobilisation continue.

Manon TREMBLAY

EQUILBEY, Laurence [PARIS 1962]

Chef d’orchestre et chef de chœur française.

Maître d’œuvre du renouveau du chant choral en petits effectifs en France, Laurence Equilbey s’est lancée sur cette terre encore à défricher après avoir étudié avec le chef de chœur Erik Erikson, en Suède, et Jorma Panula, en Finlande. En 1991, elle fonde le chœur de chambre Accentus, reconnu aujourd’hui comme l’un des ensembles les plus prestigieux d’Europe. Avec lui, elle dirige régulièrement le grand répertoire de la musique vocale a cappella et avec orchestre, et soutient la création contemporaine, notamment à l’Opéra de Rouen et à la Cité de la musique à Paris où Accentus est en résidence. Sur la scène lyrique, L. Equilbey dirige entre autres La Cenerentola de Gioacchino Rossini au Festival d’art lyrique d’Aix-en-Provence, Medeamaterial de Pascal Dusapin notamment au Festival Musica, Les Tréteaux de maître Pierre de Manuel de Falla et Bastien et Bastienne de Mozart à l’Opéra de Rouen et à la Cité de la Musique. Ses activités symphoniques la conduisent également à diriger des orchestres tels le Sinfonia Varsovia, l’Akademie für alte Musik de Berlin, l’Orchestre national d’Île-de-France, les orchestres de Cannes et de l’Opéra de Rouen, le Brussels Philharmonic… En 2008, elle dirige les musiciens de l’Orchestre national de France et Accentus dans le Requiem de Gabriel Fauré et dans Dona eis de Pascal Dusapin. En 2009, elle dirige la production de Albert Herring de Benjamin Britten à l’Opéra de Rouen comme à l’Opéra-Comique à Paris, puis l’Orchestre national de Lyon dans des programmes Mozart et Mendelssohn et, en 2011, le Freischütz de Weber à l’Opéra de Toulon et La Flûte enchantée de Mozart à l’Opéra d’Avignon. Elle reçoit un disque d’or en 2008 pour ses Transcriptions, et son interprétation des Sept Dernières Paroles du Christ en croix de Joseph Haydn est considérée comme une référence discographique. Elle a créé le Département supérieur pour jeunes chanteurs-Jeune Chœur de Paris au Conservatoire à rayonnement régional de Paris, et a été élue Personnalité musicale de l’année 2000 par le Syndicat professionnel de la critique dramatique et musicale. Après avoir supervisé le Chœur de l’Orchestre de Paris, L. Equilbey dirige le Jeune Chœur de Paris, commandant notamment des œuvres nouvelles à des compositeurs comme Bruno Mantovani, Gérard Pesson, Gérard Krawczyk, Philippe Fénelon, Régis Campo, Marco Perez-Ramirez… Son ensemble collabore entre autres avec l’Ensemble intercontemporain, l’Orchestre de Paris et le Freiburger Barockorchester. En 2012, elle fonde l’Insula Orchestra, qui joue sur instruments d’époque.

Bruno SERROU

ERAUSO, Catalina DE [SAINT-SÉBASTIEN 1592 - QUITLAXTLA, MEXIQUE V. 1650]

Aventurière et soldat espagnole.

Quand elle s’enfuit du couvent, à l’âge de 16 ans, en 1607, Catalina de Erauso abandonne sa robe de nonne pour adopter le costume masculin, qu’elle ne quittera plus de toute sa vie. Plusieurs fois engagée comme page, elle est à chaque fois démise de son emploi – elle racontera elle-même être trop querelleuse pour se plier à une quelconque discipline. C’est pourtant comme soldat du roi d’Espagne qu’elle traverse l’Atlantique. Elle se bat dans les armées des conquistadors, notamment au Chili, où elle gagne le surnom de Monja Alférez (« nonne porte-enseigne »), pour avoir défendu vaillamment un étendard contre les Indiens. Nommée à la tête d’une compagnie, elle est ensuite dégradée et obligée de quitter l’armée pour des raisons obscures, puis elle mène une vie d’errance le long de la cordillère des Andes. Si la date de sa mort est incertaine, sa vie est en revanche bien détaillée dans ses mémoires, qu’elle dicta en 1626 à Rome alors qu’elle sollicitait une audience papale pour obtenir l’autorisation de vivre en homme. Publié deux siècles plus tard, le livre a été depuis traduit en de multiples langues, puis adapté à la scène et à l’écran.

Christel MOUCHARD

La Nonne soldat (Historia de la monja Alférez, 1829), Paris, La Différence, 1991.

MANET E., La Conquistadora, Paris, R. Laffont, 2006.

ERAY, Nazlı [ANKARA 1945]

Écrivaine turque.

Après des études secondaires en anglais à Istanbul, Nazlı Eray se spécialise en droit et en philosophie puis travaille comme traductrice au ministère du Tourisme. En 1976, elle publie son premier recueil de nouvelles : Ah Bayım ah (« ah, mon bon monsieur »). L’année suivante, elle donne des cours à l’atelier d’écriture de l’université d’Iowa, aux États-Unis. À son retour en Turquie, à Ankara, elle devient collaboratrice de nombreux quotidiens et mensuels littéraires, puis députée pour trois mandats en tant qu’élue du CHP, le parti républicain du peuple. Se distinguant par le choix toujours original de ses sujets, N. Eray plonge le lecteur dans un monde de rêve et d’étrangeté, reprenant à son compte certaines légendes turques qu’elle soumet à sa vision surréaliste. Les personnages de ses nouvelles semblent coupés d’eux-mêmes, décalés par rapport au réel – un sentiment renforcé par l’utilisation que fait l’auteure des motifs de la langue parlée populaire. Elle incarne la meilleure expression d’un « réalisme fantastique » dans la prose turque. Son dernier recueil de nouvelles s’intitule Beyoğlu’nda Gezersin (« tu te promènes dans Beyoğlu », 2005) et ses deux derniers romans Ayışığı Sofrası (« la table du clair de lune », 2000) et Kayip Gölgeler Kenti (« la ville des ombres disparues », 2008). Certaines de ses nouvelles ont été traduites en français : L’Homme de la plaine ; Cours du soir rue Karanfil et Monte-Cristo, dans Paroles dévoilées.

Timour MUHIDINE

« Cours du soir rue Karanfil » (Karanfil Gece Kursu, 1987), in Le Samovar : florilège de nouvelles turques, Onur, Ankar, 1987 ; « L’Homme de la plaine » (Ovadaki Adam, 1979), in Anthologie de nouvelles turques contemporaines, Paris, Publisud, 1990 ; « Monte-Cristo » (Monte Kristo, 1976), in Paroles dévoilées, Paris, Arcantère/Unesco, 1993.

ERBIL, Leylâ [ISTANBUL 1931]

Écrivaine turque.

Après des études en littérature anglaise à l’université d’Istanbul, elle travaille dans divers secteurs à Ankara et à Izmir. En 1961, elle est chargée du Bureau de l’art et de la culture du parti des travailleurs de Turquie. Depuis 1962, elle vit de nouveau à Istanbul. Cofondatrice de l’Union des artistes de Turquie en 1970 et du Syndicat des auteurs de Turquie en 1974, elle fait également partie des écrivains du Pen Club international, qui souligne sa maîtrise de la langue et de la littérature turques, ainsi que son regard avisé sur l’être humain. En 1979, elle devient membre honoraire de l’université de l’Iowa. Dès sa première nouvelle, Uğraşsız, publiée en 1956 dans la revue Seçilmiş Hikâyeler, elle affirme son originalité et se distingue des courants littéraires qui la précèdent. En quête de nouvelles formes, opposée à l’ordre social, elle écrit des nouvelles à tendance existentialiste, dans un style varié qui ne s’embarrasse pas des règles de la syntaxe. Ses textes abordent avec une distanciation ironique et critique des sujets comme le mariage, la famille ou la sexualité féminine. Certains traitent plus spécifiquement de la situation des femmes, comme son recueil de nouvelles Eski Sevgili (« un vieil amant », 1977) et ses romans Tuhaf bir Kadın (« une femme étrange », 1971) et Jour d’obscurité (1985). Mektup aşkları (« amours épistolaires », 1988) interroge quant à lui le sentiment amoureux d’une manière moderniste en exposant le gouffre qui sépare l’amour rêvé de l’amour vécu. Son dernier roman, Üç Başlı Ederha (« le dragon tricéphale »), est paru en 2005.

Bahriye ÇERI

« Le Miroir », in GÜRSEL N. (dir.), Paroles dévoilées, Paris, Arcantère/Unesco, 1993 ; « Le Bateau », in MONCEAU N. (dir.), Istanbul, Paris, Robert Laffont, 2010 ; Jour d’obscurité (Karanlığın Günü, 1985), Arles, Actes Sud, 2012.

« La Pâtisserie Trianon », in Revue MEET, no 8, « Pékin/Istanbul », Saint-Nazaire, 2004.

ERDEMLI, Kadriye [ADANA 1964]

Vice-mufti turque.

Fille d’un imam d’Adana qui lui enseigne très tôt l’arabe et le Coran, Kadriye Erdemli commence les études religieuses dès le lycée. Née dans une famille nombreuse, où la religion musulmane est omniprésente mais sous la responsabilité des hommes, elle raconte avoir choisi les études de théologie pour mieux comprendre la place des femmes – et donc la sienne – en islam. Elle fait une licence puis un master en théologie à l’université d’Ankara avec une spécialisation en droit islamique des femmes et de la famille. En parallèle, elle finit le cycle d’études supérieures en arabe de la prestigieuse école de formation islamique du Diyanet (Istanbul Haseki Eğitim Merkezi). Alors que ses collègues masculins se destinent à des postes importants (mais non ouverts aux femmes) au sein de l’institution, elle-même est nommée « vaize » à 29 ans. Elles ne sont que trois à ce poste à Istanbul en 1993, alors qu’elles sont 41 aujourd’hui (pour 150 homologues masculins). En tant que vaize, son rôle est d’organiser des groupes de discussion au sein des mosquées, de répondre aux questions des fidèles et parfois de diriger les prières des femmes. En parallèle, elle continue ses propres recherches académiques et publie un essai sur l’islam et le féminisme en 2004. En 2006, elle est nommée vice-mufti, le poste le plus important ouvert aux femmes au sein du Diyanet. Istanbul compte six vice-muftis – sous la direction du grand mufti Dr Mustafa Cagrici – qui se répartissent les tâches du bureau. K. Erdemli est chargée de la gestion des écoles coraniques et de leurs 1 300 professeurs (dont 800 femmes), ainsi que des 34 centres de conseils familiaux implantés dans chaque quartier d’Istanbul ; dans ces deux domaines, éducation et famille, son avis religieux fait autorité à Istanbul (les vice-muftis peuvent déclarer des fatwas au même titre que le grand mufti). Elle intervient également auprès d’ONG s’occupant des femmes, organise des séminaires, et participe à de nombreux débats médiatiques pour diffuser le plus largement possible sa vision d’un islam tolérant et respectueux autant des droits des femmes que des hommes. En parallèle, la vice-mufti développe une activité culturelle unique, la chorale de musique soufie du Diyanet. Cette double chorale (hommes et femmes) comprend d’une part des imams – notamment les muezzins les plus talentueux d’Istanbul – et d’autre part des femmes théologiennes enseignantes ou vaizes. Ce serait, semble-t-il, la seule chorale au monde comprenant uniquement des religieux musulmans et offrant des représentations publiques (mais limitées à un public féminin pour la section des femmes). Pour K. Erdemli, « l’expression musicale a toujours fait partie de l’islam depuis l’époque du Prophète, l’appel à la prière étant lui-même une forme de musique ».

Brigitte JELEN

ERDOĞAN, Aslı [ISTANBUL 1967]

Écrivaine turque.

Chargée de recherche en physique nucléaire, Aslı Erdoğan interrompt sa carrière universitaire pour se consacrer à l’écriture. Son premier roman, Kabuk Adam (« l’homme-écorce »), paraît en 1994. Cette fable détonnante située aux Caraïbes plonge le lecteur dans l’univers des déshérités, des esseulés et des humiliés. Après deux années de recherches en anthropologie en Amérique latine, elle rentre en Turquie en 1996 et publie deux recueils de nouvelles : Le Mandarin miraculeux et Les Oiseaux de bois. Les thématiques du Mandarin miraculeux sont récurrentes dans son œuvre : une histoire d’amour impossible, la quête de l’altérité en terre étrangère et l’exploration d’un moi littéraire qui reflète les angoisses de sa génération. En 1998, le roman La Ville dont la cape est rouge lui assure la reconnaisance. Récit d’une exilée turque sombrant dans la dépression au coeur de l’Amérique latine, c’est la catharsis d’un être broyé par sa sensibilité. Jusqu’en 2000, A. Erdoğan se fait connaître en tenant une chronique intitulée « Les autres », dans le quotidien Radikal, où elle aborde la question des prisons, de la torture, des violences faites aux femmes ou des droits des Kurdes. Impliquée dans la défense des droits humains, elle s’engage dans plusieurs organisations littéraires et fonde le Forum de littérature et le Centre d’art (DSM) de Diyarbakır. En 2003, A. Erdoğan réside deux mois à la Maison des écrivains étrangers et des traducteurs (Meet) de Saint-Nazaire et y publie un recueil bilingue traitant de son rapport à la fois empathique et critique aux terres étrangères : Je t’interpelle dans la nuit/Gecede Sana Sesleniyorum (2009). Intéressée par l’expérimentation littéraire, en quête d’une forme adaptée à ses parcours de pensée originaux, elle donne avec Hayat Sessizliğinde (« dans le silence de la vie », 2006) un roman composé de fragments en prose poétique où Istanbul affleure de manière plus évidente. Son dernier recueil, Taş Bina (« l’immeuble de pierre », 2009), est une méditation lyrique et cruelle sur l’expérience carcérale qui a marqué le milieu intellectuel turc des quarante dernières années. Ses œuvres ont été traduites en plusieurs langues et elle a été invitée à participer à de nombreux festivals.

Timour MUHIDINE

Le Mandarin miraculeux (Mucizevi Mandarin, 1996), Arles, Actes Sud, 2006 ; Les Oiseaux de bois (Tahta Kuşlar, 1996), Arles, Actes Sud, 2009 ; La Ville dont la cape est rouge (Kirmizi Pelerinli Kent, 1998), Arles, Actes Sud, 2003.

ERDŐS, Renée (née Regina EHRENTAL) RSEKLÉL, AUJ. ARCIBISKUPSKÝ LÉL, SLOVAQUIE 1879 - BUDAPEST 1956]

Écrivaine et poétesse hongroise.

Celle que ses contemporains allaient considérer comme « l’écrivaine la plus érotique » de la Hongrie naît dans une famille juive, pauvre et nombreuse. D’une beauté envoûtante, Renée Erdős s’inscrit à 15 ans dans une école dramatique de Budapest, mais choisit bientôt la carrière d’écrivaine. Son premier recueil, Leányálmok (« rêves de filles », 1899), contient encore des poèmes assez conventionnels, mais Versek (« poésies », 1902) proclame déjà avec témérité le droit des femmes à l’amour charnel et fait de son auteure l’un des précurseurs de la littérature hongroise moderne. Sa notoriété lui permet de publier dans les revues littéraires les plus en vue. Elle est aussi aidée par Sándor Bródy, écrivain et rédacteur influent, avec lequel elle a une longue liaison. Après leur rupture, elle se convertit au catholicisme et se retire quelques années dans un monastère, en Italie. Après sa conversion, R. Erdős renie ses poésies provocantes et se consacre à la prose. Elle a cru trouver la cause principale de la crise des sociétés occidentales dans la vénération des droits de l’individu et de la femme, et a célébré un idéal féminin conservateur dans ses romans. Les quatre volumes de son cycle romanesque Ősök és ivadékok (« les aïeux et leurs descendants », 1908-1928) – dont un, Az Új sarj (« le nouveau rejeton », 1920), évoque la vie de la communauté juive orthodoxe campagnarde – sont surtout centrés sur sa liaison avec S. Bródy. Si l’ambition affichée de ses « romans d’artiste » – Santerra bíboros (« le cardinal Santerra », 1922) ; A nagy sikoly (« le cri strident », 1923) ; A csöndes kikötő (« le port silencieux », 1933) – est l’exploration du psychisme moderne, l’écrivaine aboutit en fait toujours à une représentation transgressant tous les tabous de la sexualité féminine. Elle a été la première femme à vivre de sa plume, mais à la suite des lois antisémites ses écrits ne paraissent plus après 1938. Elle réussit à échapper aux nazis en 1944-1945, cependant sa villa est confisquée après la guerre et ses œuvres, interdites. Quittée par son second mari, elle doit affronter seule le suicide de l’une de ses filles. Elle meurt complètement oubliée en 1956.

Judit KÁDÁR

L’Hôte hindou (Az indiai vendég, 1929), Paris, Stock, 1940.

JASTRZĘBSKA J., KEMENES GÉFIN L., « A női gyönyör ábrázolása : lázadás és lemondás », in Erotika a huszadik századi magyar regényben, 1911-1947, Budapest, Kortárs, 1998.

KÁDÁR J., « A “zseniális poétalány”. Erdős Renée szubverzív lírájáról », in Alföld, no 6, 2001 ; ID., « Erotikus, katolikus (Erdős Renée, 1879-1956) », in Magyar Narancs, no 45, 2006.

ERDŐS, Virág [BUDAPEST 1968]

Écrivaine et poétesse hongroise.

Virág Erdős est titulaire d’une maîtrise de langue et de littérature hongroises de l’université Elte de Budapest. Ses stratégies narratives et son imaginaire ne sont pas sans rappeler ceux d’Angela Carter* : elle élabore une esthétique féminine grotesque postmoderne dominée par les images de la violence perpétrée contre le corps féminin. Ses œuvres s’inscrivent dans la tradition littéraire du gothique et de l’horreur. Son recueil de nouvelles Lenni jó (« être, c’est bon », 2000) est centré sur le thème de l’oppression des femmes, de la violence pour ainsi dire « naturelle » dans la famille et sur celui de la réification et de l’expropriation sociales du corps des femmes. La dimension critique mordante de ses œuvres naît de l’ironie, de l’humour noir, d’une atmosphère à la fois grotesque et surréaliste. Ses récits s’appuient souvent sur des épisodes de la Bible, des contes de la tradition littéraire classique ou du folklore hongrois, qu’elle réinterprète et réactualise d’une manière « sacrilège » en assemblant dans un même récit les personnages bibliques, ceux des contes et les vedettes de la culture de consommation postmoderne afin de déconstruire les topiques patriarcaux. Son recueil Másmilyen mesék (« contes différents », 2003) est une sorte de relecture des contes populaires hongrois sur le mode de l’horreur, où prédomine la violence. Merénylet (« attentat », 2008) contient quatre pièces absurdes qui transposent aussi, du moins en partie, des épisodes bibliques. Elles ont été créées avec grand succès au théâtre Zsigmond-Móricz de Nyíregyháza, en 2007.

Andrea P. BALOGH

ERDRICH, Louise [LITTLE FALLS 1954]

Écrivaine américaine.

Figure emblématique de la littérature indienne, Karen Louise Erdrich appartient au mouvement de la Renaissance amérindienne. Née dans le Minnesota, d’une mère ojibwa (peuple amérindien) et d’un père germano-américain, elle passe son enfance à Wahpeton, dans le Dakota du Nord. Durant ses études, elle commence à écrire, et ses premiers textes (poèmes et nouvelles) lui valent, en 1975, l’Academy of Poets Prize. En 1981, elle épouse Michael Dorris, également auteur de la Renaissance amérindienne. Les premiers textes qu’elle propose aux éditeurs sont refusés. Il lui faut attendre 1984, année de la publication de son premier recueil de poèmes, Jacklight, et de son premier roman, L’Amour sorcier, pour voir son talent reconnu. Le roman obtient le National Book Critics Circle Award for Fiction (1984) et le Los Angeles Times Award for Fiction (1985). Ce texte inaugure également la série des « Argus », romans retraçant l’histoire de trois familles qui vivent autour de la réserve fictive de Red River Valley, autour d’Argus, entre 1912 et les années 1980. Son œuvre s’inspire de son héritage culturel ojibwa sans négliger pour autant la partie américano-européenne de ses origines. L. Erdrich explore la notion d’identité culturelle ainsi que les relations complexes existant entre les Amérindiens natifs du Midwest et les communautés blanches avoisinantes. Aujourd’hui considérée comme l’une des voix les plus importantes de la littérature indienne, au même titre que James Welch, N. Scott Momaday et Leslie Marmon Silko*, elle se distingue par sa prose lyrique, par le thème récurrent de la magie ainsi que par la manière dont elle reprend les stéréotypes des personnages indiens pour les subvertir. Elle a également publié The Blue Jay’s Dance, réflexions sur la maternité, et des livres pour enfants.

Beatrix PERNELLE

L’Amour sorcier (Love Medicine, 1984), Paris, Seuil, 1992 ; La Malédiction des colombes (The Plague of Doves, 2008), Paris, Albin Michel, 2010.

CHAVKIN A., The Chippewa landscape of Louise Erdrich, Tuscaloosa, University of Alabama Press, 1999 ; SAWHNEY B., Studies in the Literary Achievement of Louise Erdrich, Native American Writer : Fifteen Critical Essays, Lewiston, Mellen, 2009 ; STOOKEY L. L., Louise Erdrich : A Critical Companion, Westport, Greenwood Press, 1996.

ERENUS, Bilgesu [BILECIK 1943]

Journaliste et écrivaine turque.

Diplômée de l’Institut de journalisme de la faculté d’économie d’Istanbul, Bilgesu Erenus est journaliste et réalisatrice à la télévision turque (TRT) de 1956 à 1973. Socialiste affirmée, souvent arrêtée pour ses articles et déclarations publiques, elle a travaillé dans diverses organisations humanitaires. Trois de ses scénarios pour le cinéma ont été récompensés : Bir Tren Yolculuğu (« un voyage en train », 1982), İkili Oyunlar (« pièces en duo », 1989) et Devlerin Ölümü (« la mort des géants », 1990). Sa première pièce de théâtre, El Kapısı (« la porte de l’étranger », 1975), a été montée par le Théâtre d’art d’Ankara, et les suivantes ont été jouées dans de grands théâtres turcs ainsi qu’en Allemagne, en Pologne et à Paris. Sa pièce L’Invité raconte le retour dans son village d’un Turc qui a vécu plusieurs années en Allemagne. Ses amis, qui incarnent la solidarité de la classe ouvrière, décident de rejouer des scènes de sa vie pour tenter de mieux le comprendre. Mais, à mi-chemin entre deux cultures, il se sent étranger dans son propre pays. En 2000, B. Erenus a été élue au Comité des auteurs dramatiques féminins internationaux. Elle a écrit de nombreuses pièces de théâtre, dont Aklını Koruma Enstitüsü (« l’institut de protection de l’esprit humain », 1994), mais aussi des romans, dont Kazı (« champ de fouilles », 1997), et des essais : Entelektüel Şiddet (« la violence intellectuelle », 1993) et Aydınlık Zindan (« la prison de clarté », 2000).

Timour MUHIDINE

L’Invité (Misafir, 2004), Paris, L’Espace d’un instant, 2010.

ERER, Ramize [KIRKLARELI, THRACE 1963]

Caricaturiste turque.

La condition féminine turque est le sujet de ses dessins depuis trente ans. À la fin des années 1970, Ramize Erer entend un slogan dans une manifestation : « Les gentilles filles vont au paradis, des mauvaises filles vont partout ! » Depuis, elle dessine les « mauvaises filles ». Après des études à l’Académie des beaux-arts, elle fait ses armes au sein de la rédaction de l’hebdomadaire humoristique Gir-Gir (« malice ») pendant près de dix ans, affirmant son style et ses thèmes de prédilection. S’inspirant des désagréments de la vie conjugale, elle brosse de son trait sobre et léger des femmes libérées, sensuelles, effrontées, qui fument, boivent et mènent leur vie amoureuse en toute indépendance. Originale et audacieuse, elle ose évoquer avec humour l’intimité des couples et le conformisme de la société turque sans avoir peur de choquer. Volontairement provocatrice, elle aborde la sexualité féminine sans complexe et s’attaque courageusement aux tabous de la société turque. Menacée par des fondamentalistes musulmans, elle s’exile à Paris en 2007. Depuis, elle poursuit son travail en tant que correspondante pour les journaux turcs Radikal, un quotidien intellectuel, et Leman, une revue satirique dirigée par son mari, Tuncay Akgün.

Şirin DILLI

ERHAT, Azra [ISTANBUL 1915 - ID. 1982]

Écrivaine turque.

Après des études primaires et secondaires à Bruxelles, Azra Erhat rentre en Turquie et obtient un diplôme d’histoire et de géographie à l’université d’Ankara, en 1934, puis devient assistante de philologie. En 1946, elle est promue maître de conférences mais, deux ans plus tard, elle est démise de ses fonctions en raison de ses convictions politiques de gauche. Entre 1949 et 1956, elle est journaliste, puis elle est recrutée comme bibliothécaire au bureau de l’Organisation internationale du travail. Après le coup d’État militaire de 1971, elle est arrêtée et incarcérée, puis acquittée. Chantre de l’humanisme littéraire de son temps, marquée par l’attachement des littérateurs à l’héritage antique des civilisations d’Asie mineure, A. Erhat connaît le français, l’allemand, l’anglais, le grec et le latin. Auteure d’essais sur Sophocle, Aristophane, Sappho*, et d’un dictionnaire de mythologie, elle traduit Les Travaux et les Jours d’Hésiode en collaboration avec Sabahattin Eyüboğlu et l’Iliade avec A. Kadir. Un prix littéraire de traduction porte son nom. Coauteure avec S. Eyüboğlu d’essais parus en 1977 sur les poètes turcs Yunus Emre et Pir Sultan Abdal, elle a également publié des récits de voyages : Mavi Anadolu (« l’Anatolie bleue », 1960), Mavi Yolculuk (« le voyage bleu », 1962), Iste Insan (« ecce homo », 1969).

Bahriye ÇERI

ÉRINNA [RHODES OU TÉLOS IVe siècle aV. J.-C.]

Poétesse grecque.

Le lexique byzantin de la Souda fait d’Érinna une élève de Sappho*, native de Lesbos. Les rares données biographiques la concernant sont toutefois plutôt contradictoires et des incertitudes demeurent sur sa patrie et son époque. Plusieurs arguments linguistiques et stylistiques semblent permettre de situer l’activité d’Érinna au IVe siècle av. J.-C., probablement à Télos, près de Rhodes, car elle utilise un dialecte dorien mêlé à des formes éoliennes (on la considère parfois comme native de Rhodes, ou de Téos). On raconte en outre (Anthologie palatine, VII, 11) qu’elle mourut très jeune, à 19 ans, encore vierge (parthenos), comme tiennent à le préciser les sources anciennes. Plusieurs poètes alexandrins évoquent le sort malheureux de la jeune poétesse (Méléagre de Gadara, Asclépiade de Samos, Léonidas d’Alexandrie, Antipater de Sidon). Son œuvre principale est un poème de 300 hexamètres, intitulé Elakate (« la quenouille »), qui nous donne un aperçu de la réalité quotidienne du monde des femmes. Dans un fragment de 54 vers lacunaires, la poétesse évoque d’un ton maussade son amie chérie Baucis, morte à 19 ans le jour de son mariage, ainsi que leur vie commune d’adolescentes. Par le recours au motif du tissage, traditionnellement féminin, elle développe une réflexion sur l’angoisse, le manque et la perte, évoqués par la métaphore de la trame de vie filée par le destin. Ces vers portent la marque de la douleur causée par le sort malheureux de son amie, et surtout du regret d’un âge irrémédiablement écoulé, que la poétesse tente en vain de faire revivre : les poupées, les attentions maternelles, tendres et rassurantes, l’odeur des mets de l’enfance, les jeux chaleureux entre amies, les craintes enfantines sont les ingrédients de cette recherche du temps perdu. L’originalité de ce poème, considéré comme digne d’Homère et de Sappho (Anth. pal., IX, 190), réside dans l’emploi du mètre épique pour un chant éploré, écrit dans une langue qui évoque la poésie de Sappho.

Érinna est l’auteure aussi de quelques épigrammes, dont trois sont reprises dans l’Anthologie palatine (VI, 352 ; VII, 710 et 712). Bien que peu nombreux, ces vers – dont l’authenticité est discutée – nous font regretter la perte des autres œuvres de la poétesse, qui jouissait d’une grande renommée dans l’Antiquité. Ses poèmes étaient très appréciés surtout à l’époque hellénistique (fin du IVe-Ier siècle av. J.-C.) : les thématiques choisies (la mort, le mariage), l’attention accordée aux émotions, la perception du temps dans la réalité angoissante de son écoulement, préfigurent la poésie alexandrine. Les Idylles de Théocrite présentent de nombreux points de contact lexicaux, métriques et dialectaux avec la « Quenouille ». Les épigrammatistes de l’Anthologie grecque font souvent allusion à ce « jeune nourrisson des Muses », « abeille qui butine les fleurs de l’Hélicon » (Anth. pal., VII, 713), insistant surtout sur l’aspect doux et charmant de son œuvre « composée avec le miel des Muses » (Anth. pal., IX, 190). Ainsi, Méléagre de Gadara (IIe-Ier siècle av. J.-C.), qui inscrit Érinna « au teint virginal » dans sa Couronne de poètes (Anth. pal., IV, 1, 12), compare ses poèmes au doux safran.

Nul doute que, si elle n’était pas morte prématurément, Érinna serait un grand nom de la poésie grecque. Son talent a d’ailleurs conduit les critiques les plus suspicieux à douter de son existence : son nom serait un pseudonyme emprunté par un habile auteur en veine de subtils jeux littéraires. Cependant, les nombreux témoignages sur le niveau d’éducation des femmes au IVe siècle av. J.-C. ne rendent pas cette hypothèse nécessaire.

Marella NAPPI

BATTISTINI Y., Poétesses grecques, Paris, Impr. nationale, 1998 ; PAULY A., WISSOWA G., Realenzyklopädie, vol. XI, no 2, 1393-1398 ; PLANT I. M., Women Writers of Ancient Greece and Rome : an Anthology, Norman, University of Oklahoma Press, 2004 ; SNYDER J. M., The Woman and the Lyre : Women Writers in Classical Greece and Rome, Carbondale/Edwardsville, Southern Illinois University Press, 1989.

POMEROY S. B., « Technikai kai Mousikai : The education of women in the Fourth Century and in the Hellenistic Period », in American Journal of Ancient History, vol. 2, 1977 ; WEST M. L., « Erinna », in Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik, no 25, 1977.

ÉRIPHANIS [GRÈCE ANTIQUE ]

Poétesse grecque.

Poétesse lyrique (melopoios) de l’Antiquité, Ériphanis est une auteure de chansons d’amour pastorales, au ton désespéré, disant la passion malheureuse qui conduit à l’errance ou à la mort. Nous en avons un fragment cité par Cléarque (Athénée, XIV, 619c-e). Éperdument amoureuse du chasseur Ménalque, qui la dédaignait et fuyait ses avances, Ériphanis le poursuivit en parcourant toutes les forêts solitaires de la montagne et en poussant de grands cris. Elle se mit ainsi à composer des poèmes où elle chantait sa peine. Ses errances sans fin suscitèrent la bienveillance et la compassion des hommes les plus insensibles et des bêtes les plus sauvages. Plusieurs chansons de ce genre (le nomion), écrites à la première personne, tiraient leur nom de la jeune fille en proie au mal d’amour (Calycé, Harpalycé), amenant à confondre l’héroïne avec la poétesse. Ainsi, les chansons pastorales d’Ériphanis portaient son nom.

Marella NAPPI

DE MARTINO F., Poetesse greche, Bari, Levante, 2006 ; PAULY A., WISSOWA G., Realenzyklopädie, vol. VI, no 1, 459.

ERISMANN, Sophie [SAINT-PÉTERSBOURG 1847 - ZURICH 1925]

Médecin et psychanalyste russe.

Née au milieu du XIXe siècle, Sophie Erismann compte parmi les premières femmes à avoir assisté et participé à la naissance du mouvement psychanalytique. Elle fait des études de médecine à Zurich, puis à Berne, et obtient son doctorat en 1876. De retour en Russie, elle épouse un médecin suisse, Friedrich Huldreich Erismann, qui enseignait alors à l’université de Moscou mais dont les sympathies révolutionnaires ont contraint la famille à émigrer à Zurich. Elle entre comme psychiatre à la clinique du Burghölzli dirigée par Eugen Bleuler puis par Carl Gustav Jung. En 1908, elle participe au premier congrès de l’Association psychanalytique internationale à Salzbourg, puis, en 1910, fait partie des membres fondateurs du groupe zurichois de l’Association, qui sera dissout lors de la rupture entre Sigmund Freud et C. G. Jung.

Nicole PETON

ERKMEN, Ayşe [ISTANBUL 1949]

Sculptrice et plasticienne turque.

Diplômée en sculpture de l’université Mimar Sinan en 1977, Ayşe Erkmen participe en 1993 au programme de résidence artistique à Berlin. Elle navigue ensuite entre Berlin et Istanbul, devient professeure à l’Académie de Kassel, puis à la Münster Kunstakademie. Elle propose avant tout des stratégies esthétiques et des réflexions fondamentales sur le processus artistique et sa portée. Ses sculptures sont composées d’objets et d’installations, de photographies ou de simples interventions techniques. Elle manipule toutes les dimensions de l’espace, non seulement pour inventer de nouvelles formes, mais aussi pour révéler certaines qualités du lieu, des caractéristiques présentes et occultées. Conçu comme une proposition phénoménologique, son travail comporte plusieurs niveaux de lecture. Souvent élaborées pour un lieu et un temps définis, ses œuvres vont à la rencontre de l’architecture et inscrivent dans l’espace des formes et des matériaux très divers : ainsi, pour l’installation Between You and I (2011), l’artiste a recouvert d’une peau de nylon turquoise le Centre d’art de Rotterdam ; pour Crystal Rock (2008), une importante masse rocheuse est disposée sur le toit d’un gratte-ciel. A. Erkmen a représenté la Turquie à la Biennale de Venise de 2011 avec Plan B, une installation poétique et ironique révélant la complexité des rapports entre l’architecture de Venise et l’eau : des tuyaux rouges, verts, bleus ou violets, tel un réseau sanguin, relient des machines et transforment l’espace de l’Arsenal en une chambre de purification. Ainsi épurée, l’eau est ensuite dirigée vers le Grand Canal.

Maïa KANTOR

Shipped Ships, FÄRBER B., GRIGOTEIT A, HÜTTE F. (textes), Francfort, Deutsche Bank, 2001 ; Under the Roof (catalogue d’exposition), Birmingham, Ikon Gallery 2005.

ERMINIA TINDARIDE VOIR CICCI, Maria Luisa

ERMOLAEVA, Vera MIKHAÏLOVNA [KLIOUTCHI 1893 - KAZAKHSTAN 1937]

Peintre, illustratrice et décoratrice russe.

Née dans la région de la Volga, dans une famille de propriétaires fonciers, Vera Mikhaïlovna Ermolaeva est victime, durant sa petite enfance, d’une chute de cheval qui la laisse paralysée des deux jambes et pour laquelle elle sera soignée en Europe. En 1911, à Saint-Pétersbourg, elle suit les cours de Mikhaïl Bernstein, introducteur de l’art français d’avant-garde en Russie, et se passionne pour le cubisme et le futurisme. En 1914, elle séjourne à Paris, où elle étudie les peintres contemporains comme Paul Cézanne, Pablo Picasso, Georges Braque ou André Derain. De retour, en 1918, à Petrograd, elle crée une « brigade » d’artistes, Segodnya (« aujourd’hui »), qui, avec Nathan Altman ou Iouri Annenkov, fabrique, de façon artisanale, des livres illustrés pour le peuple, en particulier pour les enfants. Elle-même illustre, dans un style mêlant néo-primitivisme et futurisme, Pétoukh (« le coq ») de Nathan Vengrov. En 1919, le Narkompros (« commissariat à l’Instruction publique ») la nomme professeure à l’École d’art de Vitebsk, où enseignent des sommités comme Robert Falk ou Mstislav Doboujinski. Elle en devient la directrice en 1921, après la démission de Marc Chagall. Ayant invité Kazimir Malevitch à Vitebsk, elle s’implique, avec le maître et ses disciples, dans la création de l’Ounovis, le laboratoire artistique du suprématisme. En 1922, elle travaille au célèbre Ginkhouk de Petrograd (l’Institut national de la culture artistique), dont elle dirige le laboratoire sur la couleur. À partir de la fin des années 1920, revenant à l’illustration, elle collabore à des revues pour enfants, crée ses propres livres, puis étend son activité à la peinture, dans un style schématique et vivement coloré qui évoque le post-suprématisme. Les règles du réalisme socialiste scellent ensuite son destin : victime de la première vague de répression menée contre les artistes non « conformes », accusée, comme d’autres artistes de Leningrad, de « propager des idées antisoviétiques », elle est condamnée à cinq ans de goulag. Au Kazakhstan, où elle purge sa peine, elle est à nouveau jugée, puis condamnée – et fusillée.

Ada ACKERMAN

KOVTOUN E., Khoudojnik detskoï knigi V. Ermolaeva, Moscou, Detskaïa literatoura, 1971 ; MAROTCHKINA A., Vera Ermolaeva, novye fakty tvortcheskoï biografi, in KOTOVITCH T. (dir.), Malevitch, Klassitcheski avangard, t. 4., Vitebsk, Ekonompress, 2005.

ERMOLOVA, Maria [MOSCOU 1853 - ID. 1928]

Actrice russe.

Fille d’un souffleur du Théâtre Maly de Moscou, Maria Ermolova a fait là son apprentissage en participant à des scènes de foule. En 1870, elle remplace Glikeria Fedotova, malade, dans le rôle d’Emilia Galotti (G. E. Lessing), ce qui lui vaut d’entrer en 1871 dans la troupe du Maly. En 1873, elle joue le rôle de Catherine dans L’Orage d’Alexandre Ostrovski, sur lequel elle va travailler de nombreuses années et où elle façonne une image de la femme russe. Son talent est d’abord remarqué par la jeunesse de gauche dont elle fréquente les cercles, dans lesquels elle intervient en diseuse de poèmes. Elle met son talent tragique, passionné, mais contrôlé, au service de Jeanne* d’Arc (La Pucelle d’Orléans de Friedrich von Schiller, 1884), après s’être battue pour obtenir l’autorisation de jouer la pièce, qu’elle interprétera pendant dix-huit ans. En 1886, elle réussit de même à obtenir l’autorisation de la censure pour Marie Stuart *de F. von Schiller, qu’elle joue avec grâce et exaltation. Fuenteovejuna de Félix Lope de Vega est spécialement traduit pour elle, et, avec Laurencia-Ermolova, la scène prend des allures de tribune politique. Le spectacle sera interdit. Elle est Ophélie (1878), Phèdre de Racine (1890), Lady Macbeth (1896), Volumnia dans Coriolan de William Shakespeare (1902), et interprète plus d’une dizaine de rôles-phares dans les pièces d’A. Ostrovski. Aussi appréciée avant 1917 qu’après, elle fête en 1920 ses cinquante ans de scène : c’est une véritable fête nationale. Elle quitte la scène en 1921 et sera la première récipiendaire du titre d’Artiste du peuple. Un théâtre de Moscou porte son nom et un musée lui est dédié.

Béatrice PICON-VALLIN

ERNAUX, Annie [LILLEBONNE 1940]

Écrivaine française.

Roman, « ethnotexte », journal intime ou du dehors, récit avec ou sans photos, autobiographie romanesque… : Annie Ernaux soumet la littérature à l’expérimentation. Jonglant avec l’histoire, la sociologie et l’ethnologie, usant du témoignage comme du souvenir, des notes comme de l’observation, celle qui fut la fille d’anciens ouvriers devenus propriétaires d’un café-épicerie à Yvetot a sans doute le Temps pour thème principal de son œuvre – la genèse des Années (plusieurs fois primé en 2008) dura vingt ans. L’objectif de cette entreprise critique de ressaisie d’un temps qui signifie a posteriori autre chose que ce qu’on croyait avoir vécu, est, sans nostalgie, de rendre compte de mondes évanouis, d’époques révolues, d’aïeuls et de « moi » disparus. Lectrice de Simone de Beauvoir* comme de Pierre Bourdieu, A. Ernaux veut aussi contourner le risque de la trahison : « transfuge » sociale ayant subi un déclassement par le haut, elle doit utiliser la langue de l’ennemi pour décrire ceux que cette dernière excluait – famille au verbe haut, enfant libre devenue une « femme gelée ». La langue de l’institution scolaire, mais aussi celle de la littérature, qui firent d’elle une professeure agrégée de français, sont donc transformées par une écriture au « couteau » et des titres percutants (La Honte, 1996 ; L’Événement, 2000), pour rendre compte d’un milieu qui n’y avait pas de place symbolique, comme pour exprimer ce qui ne se dit pas. Avortement clandestin, jouissance, scènes parentales horrifiantes, passion amoureuse, règles, accouchement, maladie d’Alzheimer et cancer, mais aussi jeux d’enfants, rituels quotidiens, RER et Cergy, l’œuvre d’A. Ernaux se situe aux croisements de l’histoire, du social et de l’intime. Car le « je » n’existe que traversé par les autres – une Passion simple (1992) est toujours aussi une Vie extérieure (2000) –, et parler du « dehors », c’est encore parler de soi. Cependant, si son œuvre donne accès indéfectiblement à une femme particulière et une époque, l’auteure n’en reste pas moins retranchée dans les marges, le hors-champ (voir L’Usage de la photo, 2005) et la distance critique.

Anne SIMON

Écrire la vie, Paris, Gallimard, « Quarto », 2011.

THUMEREL F. (dir.), Annie Ernaux, une œuvre de l’entre-deux, Arras, Artois Presses Université, 2004.

SIMON A., « Déplacements du genre autobiographique : les sujets Ernaux », in Nomadismes des romancières contemporaines de langue française, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2008.

« Dossier Annie Ernaux », in Tra-jectoires, no 3, juin 2006.

ÉROTISME – LITTÉRATURE [France XXe siècle]

L’érotisme au féminin est indissociable des évolutions juridico-sociales de la condition des femmes au XXe siècle, et des transformations du champ éditorial – les écrivaines ont dû subir ou contourner les diktats de la censure et leur relégation dans des genres et des thématiques spécifiques. Si l’érotisme assumé par des femmes à partir de la fin du XIXe siècle obtient un succès de scandale, elles restent nombreuses, jusqu’aux années 1970, à publier anonymement, sous pseudonyme ou en duo avec un homme qui légitime leur production. Femmes dans une sphère publique masculine, immorales de surcroît, les écrivaines devront doublement s’affirmer pour être éditées et reconnues. Les traductions d’étrangères – Radclyffe Hall*, Anaïs Nin*… – représentent dès lors un soutien certain.

De la Belle Époque aux années 1940, de nombreuses pionnières en littérature érotique sont, par leur appartenance aux mondes des lettres (salon sulfureux de Natalie Clifford Barney*), du théâtre, du music-hall, voire de la courtisanerie, des transfuges de l’ordre social : bisexuelles, homosexuelles ou réfractaires à la morale établie, elles conquièrent une liberté qui se retrouve dans leur œuvre, non sans mal – Colette* mettra du temps à signer seule ses textes. Si, sauf chez cette dernière, la facture stylistique reste souvent classique, thématiques et dialogues se font subversifs : soumission masculine jusqu’à la mort (Monsieur Vénus de Rachilde*, 1884), hymnes au saphisme (Renée Vivien*, Liane de Pougy*, Colette) ou à la jouissance féminine (Anna de Noailles*, Raymonde Machard [1889-1971], Renée Dunan [1892-1936]), scènes à trois (R. Dunan sous le pseudonyme de Spaddy), prostitution (Maryse Choisy*). Peu d’écrits sous l’Occupation et son ordre moral, sinon quelques œuvres sous le manteau, comme l’anticléricale Histoire d’une petite fille (1943) de Laure*.

À partir des années 1950, il s’agit de contourner une censure qui soumet désormais les livres à une triple interdiction : la vente aux mineurs de moins de 18 ans, l’exposition et la publicité. Le livre une fois interdit, son unique mention se trouve dans le Journal officiel. Les seuls recours sont alors l’anonymat et l’énergie d’éditeurs comme Jean-Jacques Pauvert, Éric Losfeld ou Régine Deforges*. Car rien n’est encore acquis : Violette Leduc* voit Ravages (1955) amputé par son éditeur ; Dominique Aury, dite Pauline Réage (1907-1998), garde le secret sur Histoire d’O (1955) ; Anne Golon (1921), auteure d’Angélique, marquise des Anges (1956), voit son nom accolé à celui de son mari. À cette époque encore ambivalente, la posture rebelle, dans les œuvres à succès, se conjugue avec une adéquation aux normes de soumission aux hommes : c’est l’insistance sur le plaisir et la corporéité qui fait scandale, plus que la revendication d’une autonomie sexuelle. L’érotisme est cependant diversifié, du style posé de Françoise Mallet-Jorris* ou Christiane Rochefort*, aux violences de Suzanne Allen (1920-2001), Joyce Mansour* ou Valentine Penrose* (1898-1978). La véritable révolution viendra en 1959, avec le succès d’une anonyme, Emmanuelle Arsan* : Emmanuelle, axé sur la quête du bonheur, rend compte d’un monde au-delà du péché, libre et utopique. L’érotisme, d’individuel, devient une revendication politique.

Dans les années 1960-1970, on passe de l’érotisme politique à la pornographie assumée. Les femmes obtiennent le droit de publier, sans l’autorisation d’un tuteur masculin. La revendication d’une sexualité libérée et la réflexion féministe sur les rapports sociaux de sexe provoquent une évolution majeure de la création érotique. En 1967, la réédition officielle d’Emmanuelle coïncide avec une explosion de la production féminine. R. Deforges crée sa maison d’édition et est l’une des premières « pornographes » à refuser de cautionner le récit érotique par le mérite littéraire (jurisprudence du procès de Flaubert en 1857). Renouvellements littéraires et des représentations se retrouvent cependant chez Monique Wittig* (Les Guérillères, 1969 ; Le Corps lesbien, 1973), Janine Aeply, Annie Le Brun*, Françoise Lefèvre (1942) ou Marguerite Duras*. Les thèmes se radicalisent, provoquant les foudres de la censure avec Grisélidis Réal (1929-2005) et ses récits de vie, Xavière (vers 1941) et sa version hyperréaliste d’Histoire d’O, Belen (Nelly Kaplan*) et l’inceste, Gabrielle Wittkop (1920-2002) et Le Nécrophile (1972). L’obscène est désormais assumé par des femmes.

À partir des années 1980, la lutte contre le renouveau de l’ordre moral atteint désormais le grand public, grâce aux points de vente des transports en commun et des grandes surfaces, aux rayons érotiques de certaines librairies ou à la création de collections spécialisées (« Désirs » chez Harlequin ; série de collectifs constitués d’auteures présentées comme sulfureuses, du type Fantasmes de femmes aux éditions Blanche). En témoigne le succès des volumes qui suivent La Bicyclette bleue (1981) de R. Deforges, L’Amant (prix Goncourt 1984) de M. Duras ou La Vie sexuelle de Catherine M. (2001) de Catherine Millet*. Les titres sont désormais explicites : Baise-moi (1993) de Virginie Despentes* ; Jouir (1997) de Catherine Cusset* ; Viande (1999) de Claire Legendre (1979) ; Putain (2001) de Nelly Arcan (1973-2009). Cependant, derrière ces provocations affichées, retour de l’ordre moral et lieux communs ancestraux perdurent chez des romancières socialement plus correctes (Alice Ferney [1967], Françoise Simpère, Françoise Rey [1951], qui se revendique d’abord enseignante) : l’Homme continue à révéler la Femme à elle-même ; la sexualité, même démultipliée, reste au service du Couple ou de l’Amour. Certes, d’autres écrivaines, non sans humour, veulent donner le jour à une Nouvelle Pornographie (2003) enfin déclinée au féminin, telle Marie Nimier*. Parfois féministes, elles tentent de détourner les lois du genre pornographique ou de les renouveler par un jeu sur les codes et les attentes : C. Millet ou Alice Massat (1966) usent d’un style quasi anatomique ; Alina Reyes* conjugue Sade et les Mille et Une Nuits. Une inversion de la pornographie traditionnelle engendre des schémas narratifs jusqu’alors prisés par les hommes, lesquels deviennent des pantins sous le clavier « trash » de Clotilde Escalle (1958) ou Chloé Delaume (1973). Toutes les positions et situations, de la zoophilie à la partouze, sont envisagées, y compris le viol et le meurtre.

Il n’en reste pas moins que la censure reste plus dure pour les femmes, tel le classement « X » (aboutissant à une interdiction de projection en salle) du film Baise-moi de V. Despentes et Coralie Trinh Thi (1976), révisé en 2001 grâce à la pression médiatique. La vigilance reste donc de mise, afin que la sexualité fantasmée et écrite par des femmes conserve son droit de cité au sein de la production éditoriale actuelle.

Anne SIMON

ERR, Lydie [PÉTANGE 1949]

Femme politique luxembourgeoise.

Après des études de droit à l’université de Strasbourg, Lydie Err devient avocate au barreau de Luxembourg. Élue socialiste à la Chambre des députés depuis 1984, membre de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe depuis 1991, elle manifeste un profond engagement pour le respect des libertés individuelles et pour l’égalité entre les femmes et les hommes, qu’elle place au cœur de la démocratie. Dans ses rapports, résolutions et déclarations, elle est en première ligne pour la lutte contre les violences à l’égard des femmes, contre la traite des êtres humains et pour la parité dans les institutions démocratiques. Co-fondatrice au Luxembourg de l’Association pour le droit à mourir dans la dignité (1988), elle initie un long débat au Parlement qui aboutira à une loi autorisant et réglementant l’aide active à mourir, ainsi qu’à une autre sur les soins palliatifs. Après plus de vingt ans passés au Conseil de l’Europe et l’acquisition d’un master européen en médiation (2002), elle est assermentée en 2012 médiateur du Grand-Duché, aux commandes de l’institution chargée d’accompagner les citoyens dans leurs conflits avec l’administration publique. Elle entreprend alors un nouveau combat, souhaitant faire élargir ses missions de médiation à l’intervention au sein d’entreprises privées et à la surveillance du respect des droits de l’homme.

Anne-Marie MARMIER

ERRA, Mercedes [SABADELL, PRÈS DE BARCELONE 1954]

Entrepreneuse française.

Publicitaire influente et renommée, Mercedes Erra est l’une des rares femmes à la tête d’une grande entreprise française. Originaire de Catalogne, elle arrive en France en 1962 sans parler un mot de français. Elle comprend très vite que les études sont la clef de l’intégration. Elle obtient un Capes de lettres et enseigne quelque temps la littérature, mais, passionnée de marketing, choisit d’intégrer HEC. Une fois diplômée, elle entre à l’agence Saatchi & Saatchi comme stagiaire et y occupera successivement les postes de chef de publicité, directrice de clientèle, directrice générale adjointe du groupe et enfin directrice générale (1990-1994). Elle cofonde en 1994 l’agence BETC, filiale du groupe Havas, avec Rémi Babinet et Eric Tong Cuong. BETC Euro RSCG devient la première agence de publicité française, et Euro RSCG Worldwide, dont M. Erra prend la présidence exécutive, l’un des premiers groupes de communication et de marketing au monde. Elle est la première femme à avoir été présidente de l’Association des agences de conseil en communication de 2002 à 2004.

Cette entrepreneuse qui mène de front sa carrière et sa vie privée – elle a cinq enfants – est également engagée dans la lutte pour les droits des femmes : elle soutient le mouvement Ni putes ni soumises et est engagée dans la promotion de l’emploi des femmes de plus de 45 ans par le biais de l’association Force Femmes. Son agence a signé la « Charte de la parentalité en entreprise » et a intégré le club du Label Égalité. Favorable aux quotas de femmes dans les conseils d’administration, la créatrice est aussi une des initiatrices du Women’s Forum. Elle assure par ailleurs un cours sur la marque à l’université de Paris-Assas et préside, depuis 2010, le conseil d’administration de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration.

Alban WYDOUW

ERXLEBEN, Dorothea (née LEPORIN) [QUEDLINBOURG 1715 - ID. 1762]

Médecin allemande.

Yvette SULTAN

ERZAN, Ayşe [ANKARA 1949]

Physicienne turque.

Sa mère, son premier professeur et le plus important, avait suivi des études de droit. Son père, homme d’affaires, souhaitait pour sa fille de brillantes études universitaires. Avec l’idée de dévouer sa vie à la science, Ayşe Erzan obtient une bourse pour étudier durant deux ans au Bryn Mawr College, institution universitaire réservée aux femmes près de Philadelphie, aux États-Unis et soutient une thèse en 1976 à l’université de Stony Brook, dans l’État de New York. Le travail qu’elle développe sous la houlette de George Stell et de Victor Emery concerne les transitions de phases et les phénomènes associés à ces modifications de la matière. De retour en Turquie, elle rejoint l’Université technique du Moyen-Orient à Ankara, puis l’Université technique d’Istanbul où elle est encore en poste. Elle prend part à des mouvements en faveur des femmes et de la paix et milite pour les droits de l’homme, la démocratie et l’éthique des sciences. Après le coup d’État militaire de 1980, elle part à l’étranger et travaille dans les universités de Genève, Porto, Marburg, Groningue, et à l’International Centre for Theoretical Physics de Trieste. Elle regagne son pays en 1990, est élue membre associé de l’Académie des sciences de Turquie en 1995, et membre à part entière en 1997. En 2003, elle reçoit le prix L’Oréal-Unesco pour les femmes et la science. Sa spécialité est la physique statistique, discipline qui permet de mieux comprendre l’organisation et les propriétés de la matière qui nous entoure. Ses travaux concernent les problèmes liés à la complexité, à l’invariance d’échelle, à l’auto-organisation. Ces concepts peuvent être appliqués à divers systèmes, et on retrouve ses contributions dans des champs d’application très variés. Ainsi, pour ne citer que les plus originales, elle a travaillé sur les matériaux ferromagnétiques (modèle de verre de spin de Potts), proposé une modélisation des tremblements de terre, ou encore une représentation de la vitrification lors de réactions de polymérisation en masse. Plus récemment, elle a présenté une modélisation des systèmes biologiques basée sur les théories de l’information.

Carole ÉCOFFET

ESCALANTE, Ximena [MEXICO 1964]

Dramaturge mexicaine.

ESCOBAR, Ruth [CAMPANHÃ, PORTUGAL 1935]

Directrice de théâtre et actrice brésilienne.

Née au Portugal près de Porto, Maria Ruth dos Santos Escobar émigre au Brésil avec sa mère en 1951. Mariée avec le philosophe et dramaturge Carlos Henrique Escobar, elle l’accompagne en France où elle prend des cours d’interprétation théâtrale. De retour au Brésil, elle crée sa première compagnie, A novo teatro (« le théâtre nouveau »), au début des années 1960. En 1964, elle monte une troupe ambulante, le Teatro popular nacional (« théâtre populaire national ») pour présenter de grands auteurs brésiliens dans les quartiers populaires de São Paulo. Un an plus tard, elle inaugure son théâtre construit dans le quartier de Bela Vista avec l’appui de la communauté portugaise au Brésil. Ouvert à de multiples activités culturelles, il acquiert une notoriété internationale. Créatrice anticonformiste, elle présente aussi bien les auteurs brésiliens que des pièces de Bertolt Brecht, Ferdinand Bruckner, Kurt Weil, Rafael Alberti, Fernando Arrabal, Jean Genet ou encore Aristophane. Tout au long des années 1970, le théâtre Ruth-Escobar sera un haut lieu de résistance à la dictature ; le comité brésilien d’Amnesty International y a vu le jour. Pour combattre la censure, elle organise et produit, dès 1974, à São Paulo, le premier Festival international de théâtre. Des compagnies de renom mondial y participent, parmi lesquelles la troupe de Bob Wilson. Au cours du second Festival, en 1976, un montage explicite du Caligula d’Albert Camus est présenté au public et les compagnies les plus diverses viennent du monde entier. En 1979, elle produit notamment Fábrica de chocolate (« la fabrique de chocolat »), un texte de Mario Prata qui dénonce la torture. La troisième et dernière édition de ce festival a lieu en 1981. Le théâtre Ruth-Escobar fait dès lors partie des principaux lieux d’avant-garde artistique de la planète. Au cours des années 1970, lors de ses voyages en Europe, R. Escobar, a pris contact avec des leaders du mouvement des femmes dans de nombreux pays dont la France, et fondé en 1978 le Front des femmes féministes. Début 1982, mettant à profit la première ouverture du régime depuis vingt-huit ans, elle décide de se présenter à la députation pour l’État de São Paulo. Déterminée à tout mettre en œuvre pour le retour de la démocratie et la victoire de la gauche dans son pays, elle entre dans le plus grand parti d’opposition, y crée la première Commission femmes et prépare pour le mois de septembre un Festival international des femmes dans l’art, qui va rencontrer un immense succès. Il met en lumière la production artistique des Brésiliennes, rend hommage à celles qui ont ouvert la voie, promeut de nouveaux talents. Des artistes et des femmes politiques de renom apportent leurs témoignages et leur soutien, parmi lesquelles : Kate Millett*, Antoinette Fouque*, Melina Mercouri*, Maria de Lourdes Pintasilgo*. Une foule considérable, animée par l’espoir d’un renversement pacifique du régime militaire, participe aux débats. L’État de São Paulo voit la victoire de l’opposition et R. Escobar est élue pour deux législatures successives. Elle reprend ses projets artistiques au début des années 1990. Après un bref retour sur scène pour Relações perigosas de Heiner Müller, d’après les Liaisons dangereuses, en 1992, elle produit et organise dans son théâtre, jusqu’en 1997, cinq éditions du Festival international des arts de la scène. Elle invite les troupes les plus célèbres – comme le Bread and Puppet – aussi bien que les plus inattendues – comme l’Aboriginal Islander Dance Theatre. En 1997, alors que la pérennité du lieu est menacée par des spéculations immobilières, Sérgio D’Antino – le président de l’association des producteurs de spectacles de théâtre de São Paulo –, entreprend de l’acheter et le transforme en centre culturel Ruth-Escobar, dédié à toutes les cultures émergentes. En 2001, R. Escobar crée, joue et produit sa dernière pièce, Les Lusiades de Camões – œuvre poétique considérée comme l’épopée portugaise par excellence. R. Escobar est considérée par ses pairs comme l’une des plus importantes actrices et productrices de l’avant-garde artistique brésilienne.

Yvette ORENGO

ESCOUBAS, Éliane [TOULOUSE 1937]

Philosophe française.

Professeure de philosophie à l’université de Picardie, depuis 1994, et professeure émérite à l’université Paris 12, où elle enseigne à partir de 1996, Éliane Escoubas est directrice du Centre de phénoménologie, philosophie allemande et philosophie de l’art de 1996 à 2006. Elle est attachée au laboratoire « Pays germaniques : histoire, culture, philosophie » de l’École normale supérieure de Paris et au laboratoire « Littérature, idées, savoirs » de l’université Paris 12. Membre associé des Archives Husserl et membre du comité de rédaction de la revue La Part de l’œil à Bruxelles (Académie des beaux-arts), elle a dirigé la collection « Philosophica » aux Presses universitaires du Mirail, jusqu’en 2006. Parmi ses publications, d’importants travaux de traduction et d’édition des textes d’Edmund Husserl et de Theodor W. Adorno. Avec Françoise Dastur*, elle est responsable des séminaires parisiens de Daseinsanalyse en Sorbonne. Ses champs de recherche comprennent notamment la phénoménologie, la philosophie allemande, la philosophie de l’art et la psychiatrie phénoménologique. L’esthétique est centrale dans sa réflexion. Cette discipline, liée au concept d’expression et de style, connaît un tournant au XXe siècle car cette époque voit se produire une crise fondamentale de la notion de subjectivité ; le champ qu’occupe l’esthétique est désormais le lieu, non plus de l’expression de la subjectivité, mais de l’exploration de l’apparaître. Sur cette thématique « du lieu » de l’œuvre d’art et de son apparaître, É. Escoubas oriente son questionnement selon la méthode phénoménologique. Son interrogation à partir des interprètes de la philosophie allemande est également tournée vers la problématique du « corps », qu’accompagne une réflexion sur la pensée d’E. Husserl et de Ludwig Binswanger.

Chiara PALERMO

Imago Mundi, topologie de l’art, Paris, Galilée, 1986 ; L’Espace pictural (1995), La Versanne, Encre Marine, 2011 ; L’Esthétique, Paris, Ellipses, 2004 ; Questions heideggeriennes, Stimmung, logos, traduction, poésie, Paris, Hermann, 2010.

ESCRIBAR, Ana [SANTIAGO DU CHILI 1929]

Philosophe chilienne.

Professeure, depuis 1969, à l’Universidad técnica de Concepción, au département de sciences sociales, dont elle devient directrice, et à l’Institut de philosophie entre 1974 et 1976, Ana Escribar devient ensuite, à Santiago, membre, puis présidente de la Société chilienne de philosophie et travaille, à partir de 1982, à l’Université du Chili. En 2007, elle est nommée directrice du département de philosophie dont elle est professeure émérite depuis 2009. Elle dirige le Centre d’études d’éthique appliquée qu’elle a contribué à créer. Elle a travaillé notamment sur le thème de l’éthique narrative.

Chiara PALERMO

Teilhard de Chardin, espíritu de síntesis, Santiago du Chili, Ed. Universitaria, 1981 ; Nietzsche y la vida como fundamento del valor, Santiago du Chili, Universidad de Chile, 1982 ; Elementos de Filosofía, Santiago du Chili, Ed. Universitaria, 1984, 2010 ; Nietzsche y Bergson. Dos Interpretaciones para una Crisis, Santiago du Chili, Universidad de Chile, 1986.

ESCUDOS, Jacinta [SAN SALVADOR 1961]

Écrivaine salvadorienne.

La production littéraire de Jacinta Escudos comprend des romans, des nouvelles, des poèmes et des chroniques, pour la plupart publiés dans des journaux tels que La Nación (Costa Rica), La Prensa Gráfica (Salvador) et El Nuevo Diario (Nicaragua). Elle tient une chronique dans le supplément hebdomadaire de La Prensa Gráfica, Séptimo Sentido. Malgré l’abondance de ses écrits, une partie de son travail reste inédite. En 1984, le manuscrit de son recueil poétique Carta desde El Salvador (« lettre du Salvador ») est dérobé chez elle et publié sans son consentement à Londres par El Salvador Solidarity Campaign, sous le pseudonyme de Rocío América. En 2000, son livre Crónicas para sentimentales (« chroniques pour sentimentaux ») remporte les Xes Jeux floraux d’Ahuachapán. Dans El desencanto (« le désenchantement », 2001), elle explore la vie amoureuse et érotique d’une femme déçue par des expériences sexuelles vécues comme des jeux de pouvoir où les femmes affrontent des dynamiques de violence et de domination imposées par les hommes. C’est l’un des premiers romans salvadoriens où la sexualité féminine est abordée en dehors du cliché de la « douceur » féminine, en révélant la problématique de domination implicite dans la sexualité. Son roman le plus récent, A-B-Sudario (« A-B-Suaire », 2003), a obtenu le prix du roman d’Amérique centrale Mario-Monteforte-Toledo. Elle y fait le récit d’une écrivaine dépendante de la drogue qui vit chaque jour dans l’attente de la mort, dans une solitude qui la mène à construire un monde mythique où règne le chaos. J. Escudos a aussi publié : Apuntes de una historia de amor que no fue (« notes sur une histoire d’amour qui n’a pas été », 1987), Contra-corriente (« contre-courant », 1993), Cuentos sucios (« nouvelles impropres », 1997), Felicidad doméstica y otras cosas aterradoras (« bonheur domestique et autres choses terrifiantes », 2002). Quant à sa poésie, elle associe des motifs érotiques féminins à la violence et à la dureté de « l’ordre naturel ». Elle renverse ce principe « naturel » et transforme le chasseur en proie.

Natalia GONZÁLEZ ORTIZ

LEARNED A., El erotismo como logro del movimiento feminista en Centroamérica : los casos de Ana Istarú, Dina Posada y Jacinta Escudos, Saskatoon, University of Saskatchewan, 2008.

ESENOVA, Tovchan [IOUZBACHI 1915 - ID. 1988]

Poétesse et essayiste turkmène.

Poétesse engagée, Tovchan Esenova est l’auteure de nombreux recueils consacrés au sort des femmes et, notamment, à leur nouvelle vie en Orient depuis 1917. Elle a ainsi publié en 1930 Dotcheri (« les filles ») et Vach dien’ (« votre jour »), puis Istoriia Lenina i dotcheri pastoukha (« histoire de Lénine et de la fille du berger »). Également auteure pour le théâtre, elle illustre le nouveau mode de vie soviétique dans Otkrytoe pismo jenchinam vostoka (« lettre ouverte aux femmes d’Orient », 1949), Tcherez tvoiou lioubov (« par ton amour », 1969) ou Souprouga s vyschim obrazovaniem (« l’épouse à l’éducation supérieure », 1974). Elle a écrit plusieurs essais : Dotcheri vostoka (« les femmes d’Orient », 1951), Krasnye rozy (« les roses rouges », 1962), Vzgliad (« le regard », 1967), Izbrannye poemy (« poèmes choisis », 1980). À la fin des années 1970, elle poursuit son combat pour les droits des femmes en publiant dans le journal Literatournaïa Gazeta un article intitulé « Otvratitel’nyï kalym » (« l’odieuse dot »), où elle déplore que le régime soviétique n’ait pas réussi à éradiquer la pratique du paiement, en dédommagement de la force de travail perdue, d’une dot aux parents de la mariée. On lui décerne en 1974 le titre d’artiste populaire du Turkménistan.

Catherine POUJOL

ESHIN-NI [ECHIGO, AUJ. NIIGATA 1182 - ID. 1268]

Épistolière japonaise.

Fille de Tamenori Miyoshi, homme influent du district d’Echigo (actuelle préfecture de Niigata au centre du Japon), elle épouse Shinran, le fondateur de la secte bouddhiste Jōdo-Shinshū (également connu sous le nom de « bouddhisme shin »). Le mariage a lieu soit à Kyoto, soit après l’expulsion de Shinran de Kyoto vers Echigo en 1207. Eshin-Ni aura de lui sept enfants. Elle transmettra à sa fille Kakushin-Ni dix lettres, découvertes en 1921 au temple Nishi-Honganji de Kyoto. Ces lettres évoquent la vie matérielle et spirituelle d’une épouse japonaise au XIIIe siècle ; elles révèlent également la profonde admiration d’Eshin-Ni pour son mari : elle voyait en lui « Kannon Bosatsu », la « grâce du Bodhisattva » ou le « Grand Être de compassion » ; elle le vénérait pour cela, et gérait sa maison et s’occupait de ses enfants avec fidélité et courage. Elle a toujours gardé une attitude indépendante dans sa vie et dans sa foi.

Mime MORITA

ESINENCU, Nicoleta [CHIŞINĂU 1978]

Dramaturge moldave.

De langue roumaine, après des études en dramaturgie et scénarios de films à l’université d’État des arts de Moldavie, Nicoleta Esinencu est titulaire d’une bourse d’études à Stuttgart où elle écrit Fuck you Eu.ro.Pa ! en 2003 et Sans sucre en 2005. Un autre texte, inédit en français, Dromomania, est sélectionné pour participer à la troisième édition du festival de théâtre européen « La nouvelle Europe : en attendant les barbares ? », en avril 2006 à Düsseldorf, repris la même année, dans le cadre du Festival d’été de Stuttgart, avec des tournées à Berlin et Chişinău. Elle écrit des monologues, des textes courts, très percutants, pouvant être vus comme des pièces indépendantes, ou comme les actes disparates d’un véritable work in progress. Son univers prend vie sous nos yeux, en touches successives, complémentaires, d’une grande précision et vigueur, d’un humour féroce, sans aucun compromis. Il y a dans son théâtre, comme chez ses collègues de génération, sous les apparences d’un langage violent et cru, à la limite de l’impudeur, une grande soif de réel, un refus de l’artifice, qui n’excluent pas un réel besoin de pureté, inaccessible, souvent maladroitement ou naïvement dissimulé. Dans cette vulnérabilité des personnages, comme une fissure dans l’armure de leur cynisme et drôlerie permanente, se cache peut-être la pépite d’un minéral rare, qui mérite d’être recherchée et révélée.

Mirella PATUREAU

Fuck You, Eu.ro.Pa ! Sans sucre, Paris, L’Espace d’un instant, 2006.

ESPANCA, Florbela (Florbela DE ALMA DA CONCEIÇÃO ESPANCA) [VILA VIÇOSA, ALENTEJO 1894 - MATOSINHOS 1930]

Poétesse portugaise.

Par la qualité exceptionnelle de son art, mais aussi par sa vie de femme libérée, qui fit scandale dans la Lisbonne conservatrice des années 1920, Florbela Espanca a marqué le paysage littéraire portugais. Fille illégitime d’une domestique, élevée par les épouses de son père après la mort prématurée de sa mère, elle épouse à 16 ans un camarade de lycée qu’elle quitte peu après pour aller étudier le droit à Lisbonne. Là, elle côtoie de grands noms liés au féminisme littéraire et inaugure avec Irene Lisboa* le mouvement d’émancipation littéraire de la femme. Sa vie et son œuvre sont marquées par des déceptions amoureuses et trois mariages ratés, et la mort tragique de son frère, en 1927, la plongera dans la dépression. Dans la nuit du 7 au 8 décembre 1930, le jour de son anniversaire, elle se suicide à Matosinhos. Les deux recueils publiés de son vivant, avec des altérations imposées par les éditeurs, Livro de mágoas (« livre de peines », 1919) et Livro de soror Saudade (« livre de sœur Saudade », 1923), sont accueillis avec froideur par les intellectuels et condamnés par la morale bourgeoise et le régime salazariste. La poétesse ne deviendra célèbre qu’après sa mort : Charneca en flor (« lande en fleurs », 1931) connaît un énorme succès. La même année paraissent Juvenília, cartas (« Juvenilia, lettres »), sa correspondance, et le livre de contes Asmáscaras do destino (« les masques du destin »). Diário do último ano (« journal de la dernière année ») ne sortira qu’en 1981, suivi de Dominó negro (« domino noir ») en 1982. En 2000, Poesia completa (« poésie complète ») rassemble les ouvrages publiés et les poèmes parus dans des journaux et revues. Témoignant de son exceptionnelle richesse intérieure, par leur intensité lyrique et érotique, ses vers chantent le désir, la sensualité, la passion exacerbée (Charneca en flor), mais disent aussi la quête impossible du bonheur et de la plénitude, la solitude, l’amertume et la tristesse (Livro de mágoas). José Régio et Jorge de Sena ont souligné les traits de son incontestable génie, et justice lui sera rendue par Agustina Bessa Luís*, auteure de sa biographie.

Fátima MORGADO

LUÍS A. B., Florbela Espanca, a vida e a obra, Lisbonne, Arcádia, 1979 ; LOPES Ó., MARTINHO F. J. B. et al., A planície e o abismo, Lisbonne, Vega, 1997 ; SARAIVA A. J., LOPES Ó., História da literatura portuguesa, Porto, Porto Editora, 1976 ; SENA J. de, Da poesia portuguesa, Lisbonne, Ática, 1959.

ESPEJO, Elvira [QAQACHAKA, DÉPARTEMENT D’ORURO 1981]

Écrivaine et artiste bolivienne.

Écrivaine de l’ethnie amérindienne qaqachaka, tisserande, artiste plasticienne, conteuse, chanteuse et poétesse, Elvira Espejo Ayka est l’artiste indigène amérindienne par excellence : pour elle, l’art fait partie d’un tout. Elle participe à une stratégie indigène de résistance au colonialisme moderne, ce qui n’exclut ni la participation au marché ni l’adoption des nouvelles technologies d’information ou d’expression utilisées par les arts occidentaux. Travaillant sur un métier à tisser, elle expose aux quatre coins du monde une œuvre riche de l’héritage artistique ancestral de sa communauté qui intègre également des patrons de tissage modernes. Son livre Sawutuq parla (2005) réunit des récits sur l’origine de l’art du textile dans les Andes. Elle est également coauteure du livre Hilos sueltos, los Andes desde el textil (« fils flottants, les Andes vues par le textile », 2007). Elle est la sirinera, la « sirène », élue par sa communauté pour exprimer le chant des animaux dans la tradition pastorale, ce qu’elle fait non seulement localement, mais aussi au sein de projets plus vastes, comme le projet musical La Senda (« le sentier »), qui unit les voix de nombreux sirineros à un ensemble musical urbain comprenant une basse et un basson. Dans la tradition de la narration orale, son recueil de nouvelles Jichha nä parlt’ä/Ahora les voy a narrar (« et maintenant je vais vous raconter ») est finaliste au concours des littératures indigènes de la Casa de las Américas à Cuba en 1994. Publié en Bolivie en édition bilingue aymara-espagnol, il est déclaré texte d’enseignement scolaire. En 2006, elle publie en version trilingue aymara-quechua-espagnol le recueil poétique illustré Phaqar kirki – T’ikha takiy : canto a las flores (« chant pour les fleurs »), qui obtient en 2007 le prix du Festival international de poésie au Venezuela.

Virginia AYLLÓN

ESPERT I ROMERO, Núria [HOSPITALET DE LLOBREGAT 1935]

Actrice et metteuse en scène espagnole.

À 17 ans, la Catalane Núria Espert i Romero pratique le théâtre en amateur, et doit remplacer, dans l’urgence, la comédienne Elira Noriega dans le rôle principal de Médée ; sa performance est saluée par la critique. Elle décide alors de vivre du théâtre. L’acteur Armando Moreno, qu’elle épouse en 1954, devient son impresario. En 1959, le couple fonde sa propre compagnie, qui connaît immédiatement un premier grand succès, avec la mise en scène de Gigí au théâtre Recoletos de Madrid. Fille de la tradition populaire et associative du théâtre catalan, elle suit de très près l’aventure du théâtre indépendant à Barcelone, à laquelle elle participe parfois, comme à l’occasion des traductions catalanes de La Bonne Âme du Se-Tchouan de Brecht (1967) ou de Salomé d’Oscar Wilde (1977). À cette même époque, elle devient l’interprète fétiche du metteur en scène argentin Víctor García dans Les Bonnes de Jean Genet (1969), Yerma de Federico García Lorca (1971) et Divinas Palabras de Ramón María del Valle-Inclán (1976). Ces trois spectacles sont joués dans l’ensemble du monde occidental et dans une partie de l’Asie, et sa notoriété internationale croît d’année en année. De 1979 à 1981, en pleine transition démocratique, elle dirige le Centre dramatique national, en collaboration avec José Luis Gómez et Ramón Tamayo. À partir de cette expérience, elle consacre une partie de son temps à la mise en scène. Sa version de La Maison de Bernarda Alba au Liric Theatre de Londres (1986) lui vaut les éloges de la critique. Depuis, elle ne cesse de voyager de par le monde, tantôt metteur en scène de théâtre ou d’opéra, tantôt interprète.

Monique MARTÍNEZ

Avec ORDÓÑEZ M., De aire y fuego, memorias, Madrid, Aguilar, 2002.

ESPIDO FREIRE (María Laura ESPIDO FREIRE, dite) [BILBAO 1974]

Écrivaine espagnole.

Diplômée en philologie anglaise, Espido Freire (c’est ainsi que María Laura signe ses ouvrages, sans son prénom) débute en littérature en 1998 avec Irlanda, qui reçoit le prix Millepages − le premier d’une longue série. Le prix Planeta, qui récompense Pêches glacées en 1999, fait d’elle la plus jeune candidate à l’avoir obtenu et lui permet surtout de se consacrer désormais entièrement à l’écriture. Parallèlement, elle collabore à divers médias nationaux (El Mundo ; ADN ; Psychologies), à des émissions de radio et de télévision, et elle est aussi traductrice littéraire. Elle est connue, outre sa production romanesque, pour ses nouvelles et ses contributions à la littérature de jeunesse, sans oublier les essais où elle aborde des sujets variés : les contes de fées (Cuentos malvados, « contes méchants », 2003), la vie et l’écriture de Jane Austen*, les troubles alimentaires (Cuando comer es un infierno, « quand se nourrir est un enfer », 2002), les problèmes des mileuristas de sa génération, ces jeunes diplômés qui ne perçoivent qu’un salaire de 1 000 euros. À travers son œuvre, elle mène une réflexion sur des valeurs métaphysiques telles que le bien ou le mal, qu’elle analyse souvent en créant des mondes imaginaires, comme dans Toujours octobre (1999), puisqu’il lui semble plus simple d’inventer un univers que de décrire la réalité. Étudiante, elle s’intéressait déjà à l’enseignement de la création littéraire. Elle crée donc sa propre méthode pédagogique et fonde un atelier d’écriture, qui s’adresse à de futurs écrivains, mais aussi à toute personne désireuse de maîtriser la langue. Ses ouvrages ont été traduits en une dizaine de langues (français, allemand, portugais, néerlandais, grec, entre autres). En 2009, elle publie Cartas de amor y desamor (« lettres d’amour et de haine »).

Carme FIGUEROLA

Irlanda (1998), Arles, Actes Sud, 1999 ; Pêches glacées (Melocotones helados, 1999), Arles, Actes Sud, 2002 ; Toujours octobre (Donde siempre es octubre, 1999), Arles, Actes Sud, 2003.

ESPINA, Concha [SANTANDER 1879 - MADRID 1955]

Écrivaine espagnole.

Auteure éclectique de romans, de contes, de poèmes et d’articles de presse, partisane convaincue des valeurs républicaines, Concha Espina argumente en faveur des acquis sociaux des femmes – droit de vote, divorce, implication politique – du point de vue d’une communiste et d’une chrétienne. Toute son œuvre est inspirée par les symboles, les coutumes et les paysages de sa région d’origine, exemple d’un monde idyllique d’où sont bannis les maux de la civilisation urbaine. Son style est empreint d’une certaine discrétion que des lecteurs contemporains pourraient assimiler à la facilité ; mais selon le poète et académicien Gerardo Diego, sa syntaxe soutient le rythme riche et sévère d’un adagio mozartien. Son abondante production se partage entre recueils de poèmes (Mis flores, « mes fleurs », 1904 ; Trazos de vida, « traces de vie », 1907), pièces de théâtre (El jayón, 1907) et surtout romans. Elle connaît son premier succès en 1914 avec La niña de Luzmela (« la petite fille de Luzmela »), récit en forme de feuilleton sentimental. La esfinge maragata (« la sphinge maragate »), qui dénonce la soumission des femmes dans sa région, fait d’elle la première femme à recevoir le Prix national de littérature en 1927, et provoque un grand retentissement. Son roman El metal de los muertos (« le métal des morts », 1920) est considéré comme précurseur du roman social : l’action se déroule dans une région du sud de l’Espagne, où les mineurs revendiquent de meilleures conditions de travail. L’auteure ne s’aventure pas très loin dans sa dénonciation sociale, car la description de la vie injuste des travailleurs s’accompagne d’une narration sentimentale chargée de rédemption chrétienne. La façon dont elle présente sa morale dans ses romans est peu compatible avec le ton des revendications actuelles, et la critique spécialisée l’a toujours considérée comme une écrivaine de second ordre. Or il est peu de femmes au début du XXe siècle qui ont su, comme elle, créer un univers littéraire propre.

Francisco DOMÍNGUEZ

LAVERGNE G., Vida y obra de Concha Espina, Madrid, Fundación universitaria española, 1986 ; ROJAS AUDA E., Visión et ceguera de Concha Espina, su obra comprometida, Madrid, Pliegos, 1998.

ESPINA-MOORE, Austregelina (dite Lina) [TOLEDO, CEBU 1919 - CEBU 2000]

Écrivaine et journaliste philippine.

Austregelina Espina-Moore est essayiste, romancière et poétesse de langue anglaise et cebuano. Elle obtient un Deug es lettres au Southern College de Cebu. La Seconde Guerre mondiale interrompt ses études de droit à la Far Eastern University de Manille. Elle rejoint la résistance et est arrêtée par les Japonais. Ses trois romans en anglais, Heart of the Lotus (« cœur de lotus », 1970), A Lion in the House (« un lion dans la maison », 1980) et The Honey, the Locusts (« le miel, les criquets », 1992) racontent son expérience pendant l’occupation, un traumatisme de la guerre qui marque encore la psyché nationale. Après la guerre, elle devient jeune reporter pour le Manila Times et écrira continûment dans divers journaux parallèlement à son travail d’auteure. A. Espina-Moore appartient donc à la génération d’après guerre des écrivains philippins qui ont contribué à la vitalité de la littérature philippine en anglais. Elle a aussi critiqué fortement l’hégémonie du tagalog (devenu langue nationale) et encouragé la littérature cebuano. En 1956, elle commence à écrire des romans en cebuano, dont certains sont publiés en feuilletons dans le magazine grand public Bisaya, comme Inday Ko (« mon Inday », 1957), Hain Kutob ang Kalipay (« combien de temps le bonheur dure-t-il ? », 1957-1958), Paghalad, Pagbasol, Paghigugma (« offrande, regret, amour », 1959), Bunga (« fruit », 1960), Ang Balay nga Baraha (« la maison de cartes », 1973). Le roman Ang Inahan ni Mila (« la mère de Mila », 1969-1970) est traduit en anglais en 2008 (Mila’s Mother) ; il décrit le caractère d’une mère dominatrice. A. Espina-Moore publie aussi trois recueils de nouvelles : Cuentos (« histoires », 1985), Cebuano Harvest (« récolte cebuano », 1991) et Choice (1995). Écrivaine accomplie, elle a reçu de nombreux prix, dont le SEA Write Award en 1989 et le Gawad Pambansang Alagad ni Balagtas décerné en 1992 par l’UMPIL, l’Union des écrivains des Philippines. En 1994, elle publie un recueil de nouvelles de son amie Estrella Alfon *The Stories of Estrella D. Alfon.

Elisabeth LUQUIN

Heart of the Lotus, Manila, Solidaridad Pub. House, 1970 ; Cuentos, Quezon City, New Day Publishers, 1985.

ZAPANTA-MANLAPAZ E., Austregelina. A Story of Lina Espina Moore’s Life and Selected Works, Manille, Anvil, 2000.

VARTTI R. (dir.), « The History of Filipino Women’s Writings », in Firefly - Filipino Short Stories (Tulikärpänen - filippiiniläisiä novelleja), Helsinki, Kääntöpiiri, 2001.

ESPINASSY, Adélaïde D’ [M. EN 1777]

Écrivaine française.

Mlle d’Espinassy semble avoir gagné le pari de la discrétion attachée aux femmes auteurs, puisque dans la Correspondance littéraire de janvier 1766, Grimm écrit : « Je ne sais pas ce que c’est que Mlle d’Espinassy. » L’écrivaine présente son Essai sur l’éducation des demoiselles (1764) comme un ouvrage né de sa lecture d’Émile de Rousseau, et de sa propre réflexion sur l’état de « l’éducation des demoiselles ». Elle y expose les principales lignes de son programme éducatif qui comprend les matières traditionnelles – religion, lecture, écriture, histoire, géographie, musique, dessin et danse –, auxquelles s’ajoutent des matières moins courantes : mythologie, sciences, étude du blason et droit. Entre 1766 et 1771, Mlle d’Espinassy fait paraître les sept tomes d’un Nouvel abrégé de l’histoire de France, à l’usage des jeunes gens. Elle indique dans la préface du premier tome qu’elle s’inspire de l’Histoire de France de l’abbé Paul-François Velly et de Claude Villaret.

Sonia CHERRAD

Essai sur l’éducation des demoiselles, Paris, B. Hochereau, 1764 ; Nouvel abrégé de l’histoire de France, à l’usage des jeunes gens, Paris, Saillant, 1766-1771.

ESPINEL, Ileana [GUAYAQUIL 1933 - ID. 2001]

Poétesse et journaliste équatorienne.

Dans sa jeunesse, Ileana Espinel fait la connaissance d’Aurora Estrada y Ayala*, qui commente ses premiers poèmes et l’introduit dans le groupe de jeunes poètes de la Maison de la culture équatorienne à Guayaquil, Núcleo del Guayas, où elle retrouve six autres écrivains, dont David Ledesma, Sergio Román Armendáriz et Miguel Donoso Pareja, avec lesquels elle fonde le cercle littéraire Club Siete (« le club des sept »). Le groupe se désagrège rapidement, et ils ne sont plus que cinq lors de la publication, en 1954, de Club 7, une anthologie de leurs œuvres. Dès cette époque, I. Espinel maîtrise l’art du sonnet, une forme classique qu’elle cultivera toute sa vie. Dans les années 1950, elle lit à la radio des poèmes contre Eisenhower et dénonce le maccarthysme. L’université de Guayaquil édite ses Piezas líricas (« pièces lyriques ») en 1957. En 1959, La estatua luminosa (« la statue lumineuse »), une anthologie de ses œuvres, est publiée à Caracas, au Venezuela. De 1963 à 1967, I. Espinel dirige les rubriques faits divers et culture concernant l’Équateur pour la revue mexicaine Nivel (« niveau »). Elle écrit aussi pour des publications américaines et vénézuéliennes. À partir de ce moment, elle se consacre à l’édition et au journalisme. De 1966 à 1970, elle est nommée conseillère du mouvement politique velasquiste. De santé fragile, elle souffre de malaises, ce qui lui inspire le douloureux poème « Balance mortal » (« bilan mortel »), publié dans Triángulo (1960), et son fameux recueil de poèmes Tan sólo trece (« seulement treize », 1972), où elle exploite de manière ironique et désenchantée les thèmes de la solitude et de la mort. En 1978, La corriente alterna (« le courant alternatif ») est publié au Costa Rica.

Yanna HADATTY MORA

ESPINOSA, Matilde [TÁLAGA, CAUCA 1910 - BOGOTÁ 2008]

Poétesse colombienne.

Matilde Espinosa de Perez est considérée par la critique comme la plus grande poétesse contemporaine du pays, en raison du caractère révolutionnaire de son œuvre. Elle est originaire d’une petite communauté indigène amérindienne, bien que son éducation ait été celle des populations « blanches » du pays. Avant sa majorité, elle se marie avec l’artiste Efraín Martínez Zambrano, qui peint des nus d’elle, scandalisant la société conservatrice de l’époque. Après un divorce et un remariage, elle vit à Bogotá et passe quelque temps dans des pays socialistes européens. Elle a été une des premières femmes à militer au parti communiste colombien et elle lutte pour le droit de vote des femmes au suffrage universel. Elle publie des textes dans le supplément littéraire du journal El Tiempo, et devient précurseur de la poésie sociale du pays. En 1955 paraît son premier recueil, Los ríos han crecido, qui attire l’attention par son style, libéré du carcan traditionnel. Elle marque ses distances avec la poésie lyrique, mais fait entendre dans sa production les voix célèbres et atemporelles de la littérature universelle. Son œuvre, clairement contemporaine, rend compte avec acuité des problèmes sociaux du XXe siècle, produits d’un monde chaotique. En avance sur son temps, elle évoque le drame que vivent les paysans et les indigènes expulsés de leurs terres par des expropriateurs. La nature apparaît, dans ses poèmes, en harmonie avec l’être humain, alors que celui-ci, malheureusement, a pris un chemin qui l’en éloigne. M. Espinosa a publié 14 recueils de poésie, parmi lesquels Afuera las estrellas (« étoiles dehors », 1961), Pasa el viento (« le vent passe », 1970), El mundo es una calle larga (« le monde est une longue rue », 1976) et Memoria del viento (« mémoire du vent », 1987). Son dernier livre, ¿ Uno de tantos días ? (« un parmi tant de jours ? », 2007), est paru alors qu’elle avait 97 ans. Ses textes ont été publiés dans de nombreuses anthologies et études critiques de la poésie colombienne et latino-américaine.

Victor MENCO HAECKERMANN

ESQUIVEL, Laura [MEXICO 1950]

Romancière mexicaine.

Laura Esquivel dirige des ateliers de théâtre pour enfants avant de découvrir sa vocation de scénariste et de narratrice. Son célèbre roman Chocolat amer (1989) est adapté au cinéma et reçoit l’American Bookseller Book of the Year en 1994, prix accordé pour la première fois à une écrivaine qui n’est pas américaine. Le livre est traduit en plus de 12 langues. Le « réalisme magique » s’érige en caractéristique de son œuvre narrative, qui reflète la condition historique, sociale et émotionnelle des femmes.

María GARCÍA VELASCO

Vif comme le désir, Paris, L’Archipel, 2003 ; Chocolat amer (Como agua para chocolate, 1989), Paris, Gallimard, 2009.

MUÑOZ HERMOSO E., « La sinestesia como mecanismo liberador de las estructuras opresivas de la realidad en la obra de Laura Esquivel, Como agua para chocolate », in Mujeres, espacio y poder, ARRIAGA M., BROWNE R., CRUZADO A. (dir.) et al., Séville, Arcibel Editores, 2006.

ESSAIS – LITTÉRATURE [Japon XIIIe-XXIe siècle]

L’époque classique (du XIIIe au XIXe siècle)

Notes de chevet (Makura no sōshi) de Sei-shōnagon* est considéré comme l’un des plus grands essais de l’histoire de la littérature japonaise. Il a été le premier essai écrit par une femme au Japon. Et encore, l’œuvre n’a été définie comme essai qu’au XIXe siècle par Ban Kōken, lettré de l’époque d’Edo. Puisque les Japonais d’autrefois ne la considéraient pas comme un essai, il serait plus naturel de la définir comme un dictionnaire pour composer des waka et des mémoires autour du salon littéraire de Fujiwara no Teishi, épouse de l’empereur Ichijō. Les Heures oisives (Tsurezure-gusa) de Yoshida Kenkō ou Oku no hosomichi (« la sente étroite du bout du monde ») de Matsuo Bashō ont été fortement influencés par cette œuvre, qui a servi de modèle d’écriture pour transcrire des événements et exprimer des pensées personnelles.

L’époque moderne (du XXe siècle à nos jours)

Après les styles de shasei-bun (croquis sur le vif) ou de bi-bun (belles phrases) de l’époque Meiji (1868-1912), les essais de l’époque Taishō (1912-1926) sont passés à la forme plus libre d’une écriture des réflexions personnelles ou des événements de la vie courante, plus proche des essais occidentaux. La première vague des essais est arrivée avec la revue Bungei shunjū (« lettres printemps et automne », fondée en 1923). Les premières femmes essayistes sont apparues autour de 1935 ; Morita Tama fait figure de précurseur. Dans son œuvre majeure Momen zuihitsu (« essai du coton », 1936), elle aborde, avec une sensibilité très fine, des sujets de la vie quotidienne tels que les vêtements ou la nourriture. Au même moment paraissent plusieurs essais qui évoquent avec nostalgie les mœurs ou les personnages de l’époque Meiji. Hasegawa Shigure, fondatrice de la revue Nyonin-Geijutsu (« les arts au féminin »), fait revivre la vie et la culture des gens de Tokyo de l’époque Meiji à travers son essai autobiographique Kyūbun Nihon bashi (« le dit ancien de Nihon bashi », 1935). De la même auteure, une biographie (Kindai bijinden, « les légendes des belles femmes à l’époque moderne », 1936) et un essai autobiographique (Mokui, « passer silencieux », 1936) ouvrent la voie, ainsi qu’une biographie de Sōma Kokkō (Meiji shoki no san josei, « trois femmes au début de l’époque Meiji », 1941), aux études de l’histoire des femmes à l’époque moderne.

À partir de cette époque également, les filles des écrivains débutent souvent leur carrière d’essayiste en écrivant des mémoires de leurs pères. Dans Ban’nen no chi chi (« mon père à la fin de sa vie », 1936), Kobori An’nu, deuxième fille de Mori Ōgai, décrit avec un vif regret son père à l’approche de la mort. Et la fille aînée, Mori Mari, a fait connaître le père affectueux qu’était Mori Ōgai en publiant Chi chi no bōshi (« le chapeau de mon père », 1957). Elle a ensuite publié des essais originaux comme Zeitaku binbō (« le luxe, la misère », 1973) où l’écriture donne libre cours à la description des objets de sa chambre, puis à l’évocation de son imaginaire. Murō Asako se distingue par le fait que son père, le poète et romancier Murou Saisei, est au centre de toute son œuvre. Après Ban’nen no chi chi Saisei (« Saisei, mon père à la fin de sa vie », 1962), elle publie successivement plusieurs mémoires autour de lui. Elle s’occupe également de publier ses œuvres et d’établir la chronologie de sa vie. Dans Chi chi Hagiwara Sakutarō (« Hagiwara Sakutarō, mon père », 1959), Hagiwara Yōko fait apparaître Hagiwara Sakutarō, le poète génial, comme un père de famille mal assuré. Dans Chi chi Hirotsu Kazuo (« Hirotsu Kazuo, mon père », 1973), Hirotsu Momoko décrit son père participant au procès de Matsukawa à la fin de sa vie. Kōda* Aya, fille du grand écrivain de l’époque Meiji Kōda Rohan, a commencé sa carrière d’écrivain avec Chi chi, sono shi (« mon père, sa mort », 1949), un essai relatant la vie de son père jusqu’à sa mort. Chargé de son expérience, son regard pénétrant la vie quotidienne est exprimé dans un langage beau et précis, forgé par son père. Kuzure (« l’effondrement », 1991) et Ki (« l’arbre », 1992) constituent de véritables chefs-d’œuvre dans l’histoire des essais japonais à l’époque moderne. Sa fille Aoki Tama et sa petite-fille Aoki Nao sont également actives comme essayistes.

Si les filles parlent de leurs pères, les épouses parlent également de leurs époux. Les essais de Tanizaki Matsuko, Hori Taeko, Sakaguchi Michiyo, Takeda Yuriko et Shimao Miho (épouses respectivement de Tanizaki Jun’ichirō, Hori Tatsuo, Sakaguchi Ango, Takeda Taijun et Shimao Toshio) ont souvent plus de valeur que les simples mémoires de famille. Tout particulièrement, Takeda Yuriko s’est fait un nom en tant qu’essayiste avec son style plein de charme dans l’œuvre en deux tomes Fuji nikki (« journal de Fuji », 1977) ou Hibi zakki (« notes de tous les jours », 1992). L’écrivaine Nogami Yaeko a commencé par le shasei-bun. Elle a ensuite publié de nombreux essais comme Kijo sanbōki (« notes de la femme démon au chalet », 1964), et a montré une aptitude certaine à penser avec ses mots divers sujets qui vont de l’art et de la culture jusqu’à la politique internationale. Nourri par des expériences vécues à l’étranger, encore rares à l’époque, son récit de voyage Ōbei no tabi (« voyage en Europe », 1942-1943) remet en question les valeurs établies au Japon. Il en est de même pour Pari nikki (« journal de Paris », 1952), un récit de voyage en Europe de Hayashi* Fumiko, et Zuihitsu Kanoko shō (« anthologie d’essais de Kanoko », 1934) de la poétesse Okamoto* Kanoko. En se rappelant ses conquêtes dans l’autobiographie en deux tomes Ikiteyuku watashi (« moi qui vais vivre », 1983), Uno Chiyo publie une biographie unique d’écrivains et d’artistes racontés par leur ancienne compagne. Enchi* Fumiko, Takenishi Hiroko, Shirasu Masako ou Okabe Itsuko reprennent principalement la littérature classique et la culture traditionnelle, dont elles extraient directement leurs propres mots, rendant ainsi la culture du pays plus familière aux lecteurs. Un recueil d’essais de Hayashi Mariko, Run run o katte ouchi ni kaerō (« rentrons à la maison en achetant run run », 1982), décrit avec franchise la sensibilité des femmes modernes. Il a ouvert la voie à des ouvrages plus grand public. Les essais de Setouchi* Jakuchō, de Tanabe Seiko, de Sono Ayako, de Tada Chimako, poétesse, de Tomioka* Taeko ou d’Itō Hiromi ont parfois obtenu plus de succès que leurs écrits habituels. Les essais des écrivaines contemporaines populaires comme Yamada*Eimi, Yoshimoto* Banana, Ekuni Kaori ou Ogawa* Yōko jouent le rôle d’élargir davantage le public en construisant l’image de l’écrivain en personne. La série Hibi no arekore (« l’aide-mémoire de tous les jours ») de Kanai* Mieko, écrivaine et poétesse, sorte de commentaire des actualités nourri de sa vaste culture littéraire et cinématographique, ou l’essai linguistique Ekusophoni bogo no soto e deru tabi (« exophonie, voyage hors de la langue maternelle », 2003) de l’écrivaine de romans bilingues japonais-allemand Tawada* Yōko, mettent en valeur le caractère de l’essai au sens étymologique du terme et possèdent la qualité critique radicale de l’époque contemporaine.

KATŌ MASAYOSHI et TOTSUKA MANABU

ISHIDA J., Kanshō Nihon koten bungaku Makurano sōshi, Tokyo, Kadokawa shoten, 1975 ; YOSHIDA S., Zuihitsu no sekai, in Yoshida Seiichi chosaku-shū, vol. 25, Tokyo, Ōfū-sha, 1980.

ESSALMI, Nadia [CASABLANCA 1962]

Éditrice marocaine.

Présente au Salon du livre de Paris en 1998, Nadia Essalmi est frappée par l’absence de livres pour enfants sur le stand marocain et décide de remédier à ce manque en créant avec Nadia Bouayad la première maison d’édition marocaine spécialisée en littérature pour la jeunesse : Yomad Éditions. Son catalogue se compose d’une quarantaine de titres en français, en arabe et en amazigh, avec quelques auteurs de renom comme Driss Chraïbi ou Zakya Daoud*. La ligne éditoriale de Yomad a pour objectif de transcrire la littérature orale dont la culture marocaine est très riche et, plus largement, de représenter l’environnement socioculturel marocain, notamment la réalité des villes marocaines que les enfants vivent au quotidien. Parmi les dernières parutions, Kahina, reine des Berbères (2011), écrit et illustré par les Françaises Laurence Le Guen et Raphaële Lennoz, est paru dans la collection « Raconte-moi l’histoire ». Outre son activité éditoriale, N. Essalmi propose et anime dans les écoles des ateliers consacrés à la lecture, à l’histoire du livre et à l’édition, amenant les enfants à fabriquer eux-mêmes un livre dans le cadre d’un projet de classe, une expérience pionnière au Maroc. Elle est également à l’origine de « Lisons dans le tram », une opération de promotion du livre et de la lecture initiée dans le tramway de Rabat-Salé afin d’inciter les enfants à lire pendant leur temps de trajet.

Deborah PACI

« Il faut transcrire nos contes traditionnels », in Maroc Hebdo International, no 732, 16-2-2007 ; DAKI A., « Yomad ou la fête des enfants », in Aujourd’hui le Maroc, 9-4-2002 ; SMAÏL K., « Nadia Essalmi (éditrice marocaine) : “J’ai édité un livre en bilingue de Mohamed Dib” », in El Watan, Le quotidien indépendant, 1-11-2008.

ESSAYAN, Zabel (née HOVHANESSIAN) [CONSTANTINOPLE, AUJ. ISTANBUL 1878 - BAKOU 1943]

Écrivaine arménienne.

Sa jeunesse a coïncidé avec le génocide arménien de l’Empire ottoman et la Première Guerre mondiale sur le front d’Orient. Malgré la constance de ses engagements politiques, son errance entre Orient et Occident et les dérèglements de sa vie privée, Zabel Essayan a voué son existence à l’art et à la littérature. Elle publie à 17 ans son premier poème en prose dans la revue Tsaghik (« fleur »), dirigée par Archag Tchobanian, puis elle s’émancipe à Paris en 1895 et assiste aux vendredis littéraires de René Ghil. Mariée en 1900 à Tigrane Essayan, peintre et sculpteur, elle donne le jour à leur fille Sophie. En 1905, auteure de quelques textes dans Mercure de France et Écrits pour l’art, elle assiste à la fondation du groupe de l’Abbaye de Créteil et devient correspondante de diverses revues arméniennes. Son talent littéraire est reconnu après la publication en feuilleton de ses premiers romans, Schnohrkov martik (« des gens comme il faut », 1907) et Keghts handjarnèr (« de faux génies », 1909). Au lendemain de la révolution jeune-turque de 1908, elle revient à Constantinople et intègre le comité de rédaction d’Azdak (« moniteur »), hebdomadaire culturel de la Fédération révolutionnaire arménienne (FRA). En mars-avril 1909, après le massacre des Arméniens d’Adana par leurs voisins musulmans, elle est envoyée sur place par le patriarcat arménien pour secourir les sinistrés et rassembler les orphelins. À son retour, elle tente d’exprimer dans Azadamart (« combat pour la liberté ») l’indicible, photos d’enfants à l’appui : meurtre de masse, mutilations, viols. Révolté, son mari revient à Paris, rejoint par l’écrivaine qui accouche d’un garçon, Hrant, en 1910. Cependant la santé de son père la précipite à nouveau, avec son nouveau-né mais sans sa fille, à Constantinople (1911). Ces détails biographiques revêtent leur importance, car c’est dans ces conditions réelles qu’elle signe et publie à Constantinople son chef-d’œuvre, Avéraknéroun métch (« dans les ruines », 1911), chronique d’un voyage de deux semaines, de Mersine à Adana, à la fois témoignage et expérience de l’aghêd (la Catastrophe). Après la publication de trois courts romans, rescapée du premier acte du génocide arménien en avril 1915, elle fuit avec son fils en Bulgarie, puis au Caucase. En novembre 1915, elle se trouve à Tiflis. Auteure engagée active, elle se déplace en Russie et tente de mobiliser l’opinion publique sur l’extermination des Arméniens de Turquie ou sur leurs œuvres littéraires. En compagnie d’Henry Barby, un correspondant de guerre français, elle participe aux travaux du comité Vechdabadoum (mémorial) de Bakou. Bien que malade et déprimée, elle signe Hokis aksorial (« mon âme en exil », 1917), l’un de ses plus beaux textes, où se marient analyse psychologique et poésie, et Vértchine bajake (« la dernière coupe »), une nouvelle sentimentale écrite parallèlement à un essai politique (Joghovourti me hokévarke, « l’agonie d’un peuple »), et à une étude dédiée à un fédaï arménien qu’elle a aimé (Mouradi djampordoutioune Svasèn Batoum, « le voyage de Mourad de Sivas à Batoum »). En 1920, les désillusions – victoire du mouvement national turc, projet avorté d’un Foyer national arménien en Cilicie, soviétisation de la République d’Arménie créée en 1918 – la poussent à se rallier aux bolchéviks et à l’Union soviétique. De retour à Paris (1921), elle intègre le Comité d’aide à l’Arménie (HOG), adhère au mouvement Clarté, devient rédactrice de Erevan, organe communiste destiné aux réfugiés arméniens, rapporte d’un voyage en Arménie soviétique un ouvrage dévolu à la gloire du régime, Prométéos azadagrvats (« Prométhée libéré », 1926), mais prouve son talent de romancière impressionniste dans Anddzkoutian jamèr (« heures d’angoisse », 1924), et sa liberté dans un récit exempt d’idéologie, Mélina Houri Hanem (1928). Alors que se profile la Grande Terreur stalinienne, émigrée en Arménie, elle écrit et publie l’un de ses chefs-d’œuvre, Les Jardins de Silhidar (1935), une magnifique évocation de son enfance à Constantinople. Arrêtée en 1937, elle disparaît à Bakou en 1943. Après sa réhabilitation en 1956, son œuvre est redécouverte en Arménie en 1965. Nourrie de sa propre expérience, Z. Essayan, à travers sa plume, met à nu la sensibilité d’une femme visuelle et sensuelle qui « écrit avec son corps ».

Anahide TER-MINASSIAN

Les Jardins de Silhidar (Silhidari partéznère, 1935), Paris, Albin Michel, 1994 ; Dans les ruines, les massacres d’Adana avril 1909 (Avéraknéroun métch, 1911), Paris, Phébus, 2011 ; Mon âme en exil (Hokis aksorial, 1917), Marseille, Parenthèses, 2012.

DASNABÉDIAN C., Zabel Essayan ou l’Univers lumineux de la littérature, Antilias, Catholicossat de Cilicie, 1988 ; KETCHEYAN L., Zabel Essayan (1878-1943), sa vie et son temps, Paris, Éd. de l’EPHE, 2001 ; NICHANIAN M., Entre l’art et le témoignage, littératures arméniennes du XXe siècle, Genève, Métispresse, 2006.

ESTANCO, Maria José [LOULÉ 1905 - LISBONNE 1999]

Architecte portugaise.

Mariée au peintre Raimundo da Silva Machado da Luz (1903-1985), Maria José Estanco fait des études secondaires à Lisbonne et y suit les cours de peinture de l’École des beaux-arts. À la suite d’un séjour de deux années au Brésil, où elle suit la création et le développement de la ville de Marília au nord-ouest de São Paulo, elle revient au Portugal et opte pour l’architecture, abandonnant la peinture. L’expérience brésilienne, qui lui a permis d’accompagner l’activité de l’ingénieur belge responsable des travaux d’urbanisation de la ville, bouleverse ainsi son parcours universitaire et personnel. En 1935, elle achève le volet didactique du cursus d’architecture des Beaux-Arts de Lisbonne et, en 1943, présente son projet pour l’obtention du diplôme (CODA), devenant ainsi la première femme à décrocher le titre d’architecte au Portugal. Le projet en question est un jardin d’enfants pour sa région natale de l’Algarve. Si l’Académie accepte la nouveauté, la sphère professionnelle n’est pas réceptive. Après plusieurs tentatives, toutes vaines, de travailler dans des agences d’architecture, elle finit par se consacrer à l’enseignement, travaillant comme professeure dans des établissements d’enseignement secondaire. En tant que démocrate et pacifiste, elle a tenu durant plusieurs décennies, tant que son état de santé le lui a permis, un rôle essentiel au sein du Mouvement démocratique féminin.

Patrícia SANTOS PEDROSA

« Um jardim-escola no Algarve », in Arquitectura portuguesa e Cerâmica e Edificação, no 120, mars 1945.

MARREIROS G. M., « Maria José Estanco, primeira arquitecta portuguesa », in Quem foi quem ? 200 Algarvios do século XX, Lisbonne, Colibri, 2000 ; PEDROSA P. S., « Being a female architect in Portugal : a short introduction to a long ride », in Ist International Meeting EAHN European Architectural History Network – CD of Papers, Guimarães, CHAM/EAUM/EAHN, 2010.

ESTEFAN, Gloria (née Gloria María MILAGROSA FAJARDO GARCÍA) [LA HAVANE 1957]

Auteure-compositrice-interprète cubaine.

Afin de fuir la révolution castriste, Gloria Estefan, âgée de 2 ans, ainsi que sa famille, émigre à Miami. Au milieu des années 1970, elle fait la connaissance d’Emilio Estefan Jr. et rejoint son groupe. Ils rencontrent le succès grâce à quelques titres parmi lesquels Conga, qui les révèle à l’international. G. Estefan finit par se lancer dans une carrière solo. Tandis que ses tubes sont écoutés dans le monde entier, elle est victime d’un grave accident de voiture ; elle enregistre néanmoins son troisième album quelques mois plus tard, avec la musique pour thérapie. Dans les années 1990, témoins des premiers balbutiements du courant latino, elle fait figure de pionnière et enflamme le public avec son répertoire traditionnel mêlé à des sons pop et interprété en espagnol et en anglais. En 1996, son opus Destiny est sacré disque de platine par son pays d’adoption qui choisit l’un de ses titres, Reach, comme hymne officiel des Jeux olympiques d’Atlanta. Elle poursuit sa carrière triomphale, partagée entre enregistrements d’albums (Alma Caribeña ; Unwrapped ; 90 Millas), tournées internationales et expérience cinématographique aux côtés de Meryl Streep*. Elle reste, encore aujourd’hui, l’une des grandes représentantes de la musique latino contemporaine, jonglant avec dextérité entre tradition et modernité.

Anne-Claire DUGAS

The Very Best of, Epic Music, 2006.

ESTEFANIA DE REQUESENS I ROÍS DE LIORI [BARCELONE V. 1504 - ID. 1549]

Épistolière espagnole d’expression catalane.

Dame de famille noble, baronne de Castellvell et de Molins de Rei, Estefania de Requesens i Roís de Liori est la fille de Luis de Requesens, comte de Palamós, gouverneur général de la Catalogne, et de sa seconde épouse, Hipólita Roís de Liori i Montcada. Elle soutient les femmes jésuites qui, pendant le séjour du fondateur de l’ordre à Barcelone, entre 1524 et 1526, essaient de réformer la Compagnie de Jésus afin d’obtenir la participation des femmes à la congrégation. Elle épouse, en 1526, Juan de Zúñiga y Avellaneda, commandeur majeur de l’ordre de Santiago ; quand celui-ci est nommé précepteur du futur roi Felipe II en 1534, elle transfère sa résidence à la cour. En 1546, déjà veuve, elle retourne à Barcelone, où elle demeure jusqu’à sa mort. Son œuvre écrite est compilée dans un ensemble de 137 lettres, échangées avec sa mère et d’autres parents et amis, entre 1533 et 1540 ; elles couvrent trois grands domaines thématiques : la vie à la cour et les avatars de la politique ; les questions de généalogie et de succession du vaste patrimoine familial, faisant mention de litiges avec ses parents sur ses domaines féodaux et droits seigneuriaux ; les problèmes en rapport avec l’éducation du prince et celle de ses propres enfants (sept garçons et quatre filles, dont seuls quatre ont survécu). Bien que les lettres suivent les règles formelles de la rhétorique, elles obéissent aussi au principe de la Renaissance qui est d’écrire comme on s’exprime à l’oral. Lorsque l’auteure s’adresse à des femmes, ses lettres sont intimes, spontanées et expressives ; si elle traite d’affaires marchandes ou de titres de propriété, elles sont, en revanche, plus formelles ; quand elle réfléchit sur les événements courtois, elles sont de style diplomatique. Ce recueil de lettres est une source indispensable pour l’étude de la langue catalane de la première moitié du XVIe siècle ; c’est l’un des seuls témoignages de ce genre.

María José VILALTA

AHUMADA BATLLE E. de (dir.), Epistolaris d’Hipòlita Roís de Liori i d’Estefania de Requesens, segle XVI, Valence, Universitat de Vàlencia, 2003.

RIVERA M. M., « Estefanía de Requesens », in CABALLÉ A. (dir.), Por mi alma os digo, de la Edad Media a la Ilustración, la vida escrita por las mujeres, Barcelone, Lumen, 2004.

ESTENSSORO, María Virginia [LA PAZ 1903 - SÃO PAULO 1970]

Écrivaine bolivienne.

Ayant perdu sa mère très jeune, María Virginia Estenssoro Romecín suit son père lors des déplacements que lui impose sa carrière diplomatique : à Tarija (Bolivie), à Concepción (Chili), en France. Après avoir enseigné à La Paz, elle devient membre de l’Ateneo féminin de Bolivie, un des premiers groupes d’intellectuelles unies dans la défense des droits des femmes. Elle dirige plusieurs revues (Revista Norte, La Gaceta de Bolivia, Cielos de Bolivia) et prend la direction artistique de Radio Illimani et de la bibliothèque du Congrès national. Les intellectuels des années 1930-1940 la condamnent pour avoir écrit sur l’avortement, parcouru le monde avec son amant hongrois et élevé seule deux enfants. Sa famille fait disparaître son premier livre. Pour Yolanda Bedregal* et Hilda Mundy*, elle incarne au contraire la femme libérée qu’elles ont toujours voulu être. Si son œuvre n’a pas sombré dans l’oubli malgré le mépris dont elle a été victime, c’est grâce à ses enfants, qui ont fait publier ses œuvres complètes en cinq volumes un an après sa mort. Le recueil El occiso (« l’occis », 1937) comprend le récit éponyme et deux autres nouvelles. Ce texte énigmatique est l’un des plus importants de la littérature avant-gardiste bolivienne. Les deux autres récits du volume sont considérés comme les initiateurs de la narration moderne en Bolivie, avant les œuvres d’Óscar Cerruto et de Marcelo Quiroga Santa Cruz. L’œuvre de M. V. Estenssoro commence seulement à être étudiée en Bolivie, en particulier Memorias de Villa Rosa (« mémoires de Villa Rosa », 1976), ensemble de contes narrés par une petite fille qui observe les personnages d’une ville fatiguée. L’écriture, qui mêle humour et ironie, et la construction réussie de cet ouvrage en font un classique du conte latino-américain. L’originalité de son dernier roman, Criptograma del escándalo y de la rosa (« cryptogramme du scandale et de la rose »), réside dans l’expression des tensions qui surgissent entre son personnage féminin et la modernité.

Virginia AYLLÓN

MITRE E., « La canción de la distancia, notas sobre la obra de María Virginia Estenssoro », in PRADA A. R., AYLLÓN V., CONTRERAS P. (dir.), Diálogos sobre escritura y mujeres, memoria, Sierpe, La Paz, 1999 ; OLIVARES C., « La grotesca desazón, María Virginia Estenssoro y Óscar Cerruto », in MARTÍNEZ-ZALCE G., GUTIÉRREZ DE VELASCO L., DOMENELLA A. R. (dir.), Femenino/Masculino en las literaturas de América, Mexico, Aldus/UAM-I, 2005.

ESTÈVE, Laurence [RUEIL-MALMAISON 1961]

Directrice française d’école de cirque et de troupe.

Titulaire d’une maîtrise en sciences et technologies de l’économie dédiée aux institutions sportives, Laurence Estève bénéficie également d’une solide formation physique. Administratrice au Club Med, elle y rencontre son futur mari, le trapéziste volant Brent Van Rensburg, originaire d’Afrique du Sud. Elle intègre sa troupe, celle des Oslers, et ils se produisent en France au cirque Gruss (1991). En 1992, ils s’installent à Cape Town en Afrique du Sud et fondent le Zip Zap Circus, association à but non lucratif qui a pour vocation de réunir des enfants et des adolescents de tous âges et de toutes origines ethniques et sociales. Directrice du Zip Zap, elle organise l’accueil d’une soixantaine d’enfants (dont la moitié est noire et féminine), les nourrit et les forme aux disciplines du cirque. Unis par les impératifs de sécurité et d’entraide liés à la pratique du cirque, les élèves apprennent à vivre ensemble et à se respecter, posant, à une toute petite échelle, les prémices d’une autre société sud-africaine. École de loisirs et école professionnelle, le Zip Zap réussit à concilier résolution de problématiques sociales et projets artistiques et produit de très bons numéros qui, depuis quelques d’années, sont accueillis par des cirques européens. Fin janvier 2012, une dizaine de ces jeunes acrobates, élèves du couple, réalisent, devant toute la profession réunie, le tableau d’ouverture du 32e Festival mondial du Cirque de demain, à Paris.

Pascal JACOB

ESTIENNE-LIÉBAULT, Nicole [PARIS V. 1542 - ID. apr. 1584]

Écrivaine française.

Fille de Charles Estienne, imprimeur et médecin parisien, Nicole Estienne-Liébault évolue dans un milieu d’érudits qui lui donnent le goût des langues et des belles-lettres. Elle rencontre en 1560 le poète Jacques Grévin qui la célèbre dans son recueil Olympe (1560). En 1562, elle épouse Jean Liébault, doyen de la faculté de médecine de Paris et auteur de manuels scientifiques, dont La Santé, fécondité et maladies des femmes (1582). Connue surtout pour la publication posthume de ses Misères de la femme mariée (1587), elle est également l’auteure du Mépris d’amour et de L’Apologie ou Défense pour les femmes contre ceux qui les méprisent, tous deux perdus. Elle compose Les Stanzes du mariage (demeurées à l’état de manuscrit), réplique à la satire misogyne des Stances du mariage (1573) de Philippe Desportes. Dans ses Misères, N. Estienne-Liébault brosse un portrait désabusé des lois du mariage qui militent contre le bonheur des femmes. Certains critiques y ont vu un parallèle avec sa vie ; cependant, elle connaissait bien le paradoxe, genre éminemment humaniste, car son père avait traduit les Paradossi (1543) d’Ortensio Lando. Son ouvrage appartient à la « querelle du mariage » qui avait intéressé certains écrivains de la fin du siècle.

Anne R. LARSEN

Les Misères de la femme mariée, où se peuvent voir les peines et tourmens qu’elle reçoit durant sa vie, mis en forme de stances, par Mme Liébaut (s.d.), in ZINGUER I., Misères et grandeur des femmes au XVIe siècle, Genève/Paris, Slatkine, 1982.

YANDELL C., « Raconter le temps, la réflexivité dans Les Misères de la femme mariée de Nicole Estienne », in BEAULIEU J.-P., DESROSIERS-BONIN D. (dir.), Dans les miroirs de l’écriture, la réflexivité chez les femmes écrivains d’Ancien Régime, Montréal, Presses de l’université de Montréal, 1998.

ESTRADA DE PÉREZ, Lucila [GRACIAS 1856 - ID. 1949]

Poétesse hondurienne.

À la mort de son père, alors qu’elle est encore très jeune, Lucila Estrada de Pérez part vivre au Salvador avec son oncle. C’est dans ce pays qu’elle est élevée et éduquée, et que se manifeste sa vocation pour la poésie. De retour au Honduras en 1878, elle se marie et fonde une famille ; elle a souvent été décrite comme un modèle de mère, d’épouse et d’amie. Son enfance isolée a sans doute été déterminante pour dessiner sa vocation. Sa poésie est teintée de mélancolie, comme imprégnée de la tristesse des montagnes solitaires où elle a grandi. « Mon destin est de souffrir », écrit-elle en 1878 dans un de ses poèmes les plus connus. « A la ciencia » (« à la science », 1879) et « A una flor inodora » (« à une fleur inodore », 1890) sont également très célèbres. Son œuvre poétique, comme celle de beaucoup d’écrivaines de son époque, est restée dispersée dans divers journaux, revues et anthologies.

Felipe A

ESTRADA Y AYALA, Aurora [SAN JUAN, PUEBLOVIEJO 1901 - GUAYAQUIL 1967]

Poétesse équatorienne.

Élevée dans une hacienda de la province de Los Ríos, Aurora Estrada y Ayala s’installe à Guayaquil avec sa famille à la mort de son père. Dans les années 1920, elle fonde les revues Los Hermes (1920) et Proteo (1922), collabore à la revue Síngulus avec le poète avant-gardiste Hugo Mayo, et écrit des articles pour les revues Savia de Guayaquil et América de Quito, parfois sous pseudonyme (Ida Paz ou Elva). À la même époque, les premières études sur sa poésie sont publiées, et elle est nommée rédactrice du journal El Universo. Étudiante, elle édite l’hebdomadaire universitaire La Idea avec Antonio Parra Velasco. Devenue l’épouse du poète Gustavo Ramírez, elle quitte Guayaquil pour Quito quand celui-ci est exclu de l’université, accusé d’être communiste. Sa production lyrique (Como el incienso, « comme l’encens », 1925) révèle un ton moderniste et postmoderniste, ce qui lui vaut d’être comparée à Delmira Agustini*, Alfonsina Storni* et Gabriela Mistral*, qu’elle rencontre lors d’un séjour en Équateur. Toutefois, elle s’oriente rapidement vers une poésie sociale, solidaire des mouvements ouvriers, et entre en contact avec des auteurs du réalisme social équatorien, en particulier le célèbre Grupo de Guayaquil. En 1933, elle participe à la première exposition sur le poème-objet organisée par l’Association équatorienne des beaux-arts Alere Flammam, qui dénonce l’exploitation des travailleurs. En 1936, son poème « Nuestra canción » (« notre chanson ») est intégré à la Première Exposition du poème mural révolutionnaire, organisée par le Syndicat des écrivains et artistes à Quito. Dans un autre poème social, « Chaco », consacré à la guerre ayant opposé la Bolivie et le Paraguay entre 1932 et 1935, elle dénonce les conséquences meurtrières des conflits d’intérêts des compagnies pétrolières. En 1938, solidaire des républicains espagnols en guerre, elle écrit le poème « Vosotros que lloráis a vuestros muertos » (« vous qui pleurez vos morts »). En 1943, paraît Tiniebla, veinte trenos y una canción de cuna, poemas a mi madre que duerme en el lecho no 1 551 del cementerio de Guayaquil (elegía) (« ténèbres, vingt thrènes et une berceuse, poèmes à ma mère qui dort dans la tombe no 1 551 du cimetière de Guayaquil [élégie] »), puis le recueil de poèmes pour enfants Cometas al viento (« cerfs-volants au vent »), suivi du roman Puente (« pont ») et de l’essai Retratos de mujeres (« portraits de femmes »). Invitée à représenter l’Équateur lors de diverses manifestations politiques et sociales comme le Premier Congrès international des femmes, à Lausanne, en 1955, elle se rend dans de nombreux pays, en Amérique latine et en Europe. Membre du parti communiste, elle mène des activités syndicales et fonde l’Union des femmes del Guayas. Elle donne des cours de philosophie à l’université de Guayaquil jusqu’à ce que la dictature supprime sa chaire en 1963, qui lui est restituée en 1966 sous la pression d’intellectuels. Une grande partie de sa poésie demeure inédite ou disséminée dans des journaux et des revues.

Yanna HADATTY MORA

ESTRIN, Deborah [LOS ANGELES 1959]

Scientifique et informaticienne américaine.

Fille de professeurs en sciences de l’informatique de l’Université de Californie à Los Angeles (Ucla), Deborah Estrin suit la trajectoire familiale. Après un doctorat en informatique, elle est récompensée dès 1987 pour ses travaux sur les interconnexions et la sécurité dans les réseaux par la National Science Foundation. Elle se concentre alors sur les architectures de réseaux et le routage, et contribue à l’Inter-Domain Policy Routing (IDPR), ainsi qu’à plusieurs protocoles de l’Internet. Coéditrice du Journal of Internetworking Research, dédié à l’interconnexion de réseaux, elle collabore à des organismes du monde informatique tels l’IEEE (Institute of Electrical and Electronics Engineers) et l’ACM (Association for Computing Machinery). En 2000, elle rejoint l’Ucla comme professeure en sciences de l’informatique. La seconde partie de sa carrière, qui lui vaut une reconnaissance internationale, est consacrée au développement d’une nouvelle technologie, les ENS (Embedded Networked Sensing). Ces capteurs intelligents offrent des applications nombreuses pour le suivi des écosystèmes et des activités humaines. Ils peuvent renseigner sur la solidité d’un bâtiment, sur la teneur en eau et en nutriments ou la pollution d’un sol. Capables de prélever des informations, ils peuvent aussi les analyser et les relayer vers les scientifiques. D. Estrin figure parmi les « dix chercheurs les plus brillants » du palmarès dressé par le magazine Popular Science en 2003, et mène ses travaux dans le cadre du laboratoire qu’elle dirige, le Center for Embedded Networked Sensing à l’Ucla, une structure largement interdisciplinaire, comme le sont les recherches sur les ENS et leurs applications. Si les ENS sont à l’aube de leur développement, la carrière de la chercheuse est, elle, déjà largement saluée : en 2007, elle est élue à l’Académie américaine des arts et des sciences, et, en 2009, à la National Academy of Engineering.

Valérie SCHAFER

ESZENYI, Enikő [CSENGER, SZABOLCS-SZATMÁR-BEREG 1961]

Actrice, metteuse en scène et directrice de théâtre hongroise.

Admise à 18 ans à l’École supérieure d’art dramatique et cinématographique de Budapest, Enikő Eszenyi commence à jouer de petits rôles dans des films. Puis on lui offre le rôle-titre de la version télévisée de La Dame aux camélias qui la fait connaître en Hongrie en 1986. Elle devient membre de la compagnie Vígszínház (théâtre de la Gaîté) en 1983. Ce théâtre, inauguré en 1896, berceau du théâtre moderne en Hongrie, réussit à incarner le renouveau tout en étant populaire. C’est là qu’elle devient une des grandes actrices d’aujourd’hui, en jouant avec les vedettes des générations précédentes, des rôles aussi bien tragiques que comiques. Elle remporte un grand succès dans l’opérette Fekete Péter de Mihály Eisemann. Elle débute en tant que metteur en scène en 1992 avec Léonce et Léna de Büchner. Jusqu’en 2011, elle interprète 66 rôles de théâtre et de cinéma et dirige 18 mises en scène en Hongrie, République tchèque, Slovaquie et aux États-Unis. En 2009, elle est nommée à la direction du théâtre de la Gaîté pour cinq ans. Son travail est reconnu et primé à plusieurs reprises.

Anna LAKOS

ETCHEBEHERE, Mika (née Micaela FELDMAN) [MOISÉS VILLE, ARGENTINE 1902 - PARIS 1992]

Militante antifasciste et brigadiste argentine.

De parents juifs ayant fui la Russie, Mika Feldman entre à l’université où elle rencontre Hipólito Etchebehere, militant du groupe Insurrexit, qu’elle épouse. Ils forment dès lors un couple de militants très actif : d’abord membres du PCE, ils en sont exclus pour leurs sympathies anarchistes. Résidant en Europe, ils sont à Berlin en 1932, mais quittent l’Allemagne face à l’inertie des gauches à l’arrivée d’Hitler. À Paris, ils s’investissent dans la revue Que Faire ? Ils partent pour l’Espagne dès juillet 1936. M. Etchebehere intègre la colonne du POUM (Parti ouvrier d’unification marxiste) dont H. Etchebehere prend la tête. Elle participe à la défense de Madrid encerclée par les franquistes. À la mort de son mari, le 16 août 1936, elle le remplace, situation exceptionnelle, acceptée des hommes, écrit-elle, comme « une femme exceptionnelle, pure et dure, admirée autant pour son courage que pour sa chasteté ». En tant que membre du POUM, elle est brièvement arrêtée par les staliniens en mai 1937 sur le front de Guadalajara. Libérée par l’intervention du dirigeant anarchiste Cipriano Mera, qui fait valoir ses mérites auprès de la Direction générale de la sécurité, elle rejoint Mujeres libres. L’organisation de l’armée républicaine la conduit à se battre dans la 38e brigade puis, en tant qu’officier, dans la 14e division dirigée par C. Mera, jusqu’en juin 1938. Renvoyée alors à l’arrière, elle participe à des cours d’alphabétisation. Après la chute de Madrid en 1939, elle se réfugie d’abord en France puis en Argentine au moment de l’occupation de Paris par les nazis. Elle reviendra s’installer à Paris à partir de 1946.

Yannick RIPA

Ma guerre d’Espagne à moi. Une femme à la tête d’une colonne de combat (1975), Arles, Actes Sud, 1998.

DOMINGO C., Histoire politique des femmes espagnoles. De la IIe République à la fin du franquisme, Rennes, PUR, 2008.

ETCHEPARE LOCINO, Armonía Liropeya VOIR SOMERS, Armonía

ETCHERELLI, Claire [BORDEAUX 1934]

Écrivaine française.

Pupille de la nation, Claire Etcherelli se heurte très tôt aux barrières sociales. À Paris, elle travaille à la chaîne, comme l’héroïne de Élise ou la Vraie Vie, son premier roman, qui reçoit le prix Femina en 1967 ; comme la protagoniste, elle se lie à un travailleur algérien qui sera arrêté. Mais Élise est plus qu’un roman autobiographique : en pleine guerre d’Algérie, une jeune femme qui rêve de « vraie vie », fait l’apprentissage de la misère, de l’épuisement des travailleurs, du racisme ordinaire. À coup de phrases dépouillées, elle écrit, avec la tragédie collective et intime d’une rencontre historiquement empêchée, l’aliénation culturelle d’une époque. À propos de Clémence (1971) évoquera la déshérence d’exilés espagnols. Syndicaliste, secrétaire de rédaction aux Temps modernes, l’écrivaine est elle-même une femme de conscience chez qui Simone de Beauvoir* admire « la densité d’une écriture que sa précision et sa rapidité font paraître fluide ».

Catherine BRUN

Un arbre voyageur, Paris, Gallimard, 1978 ; Germinal de l’an III, in Acteurs, no 71, Actes Sud, 1989 ; Un temps déraisonnable, Paris, Le Félin-Kiron, 2003 ; Un mal de chien, Paris, R. Laffont, 2007.

OPHIR A., Regards féminins, Paris, Denoël/Gonthier, 1976.