BELLI, Gioconda [MANAGUA 1948]
Écrivaine nicaraguayenne.
Gioconda Belli consacre les premières années de sa carrière d’écrivain à la poésie. Elle s’oppose à la dictature d’Anastasio Somoza et rejoint le Front sandiniste de libération nationale (FSLN), où elle milite de 1970 à 1994. Condamnée à une peine de prison par le régime de Somoza, elle s’exile au Mexique et au Costa Rica. En 1978, elle obtient le prix Casa de las Américas (Cuba) pour son premier recueil de poésie Línea de fuego (« ligne de feu »). À partir de la victoire des sandinistes, en 1984, et jusqu’en 1986, elle occupe différents postes dans le gouvernement révolutionnaire. En 1984, elle est la représentante sandiniste devant le Conseil national des partis politiques et la porte-parole du FSLN pendant la campagne électorale. Son livre Le pays que j’ai dans la peau, mémoires d’amour et de guerre revient sur ces années. À partir de 1990, elle partage son temps entre les États-Unis et son pays d’origine. Elle incarne la voix poétique de la femme révolutionnaire au Nicaragua, où les femmes ont joué un rôle crucial dans le processus de libération politique du pays en même temps qu’elles menaient un combat pour leur libération. Elle participe à la création d’un nouveau style d’expression, révolutionnaire, en rupture avec les structures mythiques et centré sur la création d’œuvres inspirées par la réalité sociale, comme en témoigne Línea de fuego. Écrits en exil dans la période qui précède la révolution sandiniste, ces vers saluent le réveil de la conscience sociale de son pays. Le premier roman de G. Belli, La mujer habitada (« la femme habitée », 1988), obtient en 1989 le Prix de la fondation des libraires, bibliothécaires et éditeurs allemands, ainsi que le prix Anne-Seghers de l’Académie des arts d’Allemagne. Ce roman joue sur la superposition de la vie d’une femme contemporaine à celle d’une femme issue des légendes indigènes. Son deuxième roman, Sofía de mis presagios (« Sophie de mes présages », 1990), situe son action dans un village de sorciers et confère à la magie une présence fondamentale. Waslala : memorial del futuro (« Waslala : mémorial du futur », 1996) est une nouvelle utopie où l’auteure réinvente les mythes fondateurs de la civilisation occidentale. Son recueil de poèmes Apogeo (« apogée », 1997) célèbre le passage du temps dans la vie des femmes pour qui l’intégrité et la beauté coexistent avec la sagesse et la maturité de l’intellect. Son roman historique El pergamino de la seducción (« le parchemin de la séduction », 2005) jette un nouvel éclairage sur la vie de Jeanne de Castille. Dans son dernier roman, L’Infini dans la paume de la main (2008), G. Belli se livre à des interprétations inédites de la vie d’Adam et d’Ève. Membre du Pen Club International et de l’Académie nicaraguayenne de la langue, elle a écrit dans des journaux nationaux et internationaux comme El Nuevo Diario au Nicaragua ou The Guardian à Londres.
Silvia COLMENERO MORALES
■ L’Atelier des papillons (El taller de las mariposas, 1994), Paris, Éditions Être, 2003 ; Le Pays que j’ai dans la peau, mémoires d’amour et de guerre (El país bajo mi piel, 2001), Paris, Bibliophane-D. Radford, 2003 ; L’Infini dans la paume de la main (El infinito en la palma de la mano, 2008), Paris/Arles, J. Chambon/Actes Sud, 2009.
BELLIL, Samira [ALGER 1972 - PARIS 2004]
Militante française pour le respect des femmes.
Née en Algérie, d’une mère vendeuse et d’un père ouvrier, Samira Bellil grandit en France, dans une banlieue difficile du Val-d’Oise. À 13 ans, elle rencontre un caïd du quartier qui la livre à ses « potes » dans une cave où elle est violentée et violée. Parce qu’elle trouve le courage de porter plainte, elle est harcelée sans fin et violée une nouvelle fois. Rongée par la culpabilité et le dégoût, elle sombre dans une errance désespérée dont elle ne sortira que grâce à son désir de vivre et à sa décision de témoigner, et avec l’aide d’une psychothérapeute. Dans l’enfer des tournantes, qui paraît en 2002, est le premier livre à briser la loi du silence qui règne dans les cités sur la violence banalisée qu’y subissent les jeunes femmes. Dans ce récit autobiographique, S. Bellil dit sa colère contre la haine machiste qui persécute celles qui refusent de se soumettre. Elle dénonce l’enfermement familial, le poids du jugement communautaire et social, et la défaillance des institutions judiciaires françaises. Ce livre qui la libère, dédié à ses « frangines » pour que toutes relèvent la tête, rencontre un écho considérable. S. Bellil développe en outre de nombreux projets de création. Rattrapée par la maladie, elle meurt à l’âge de 31 ans. En 2005, la ville de L’Île-Saint-Denis inaugure une école qui porte son nom, en hommage à son combat pour le respect des femmes.
Michèle IDELS
BELLON, Loleh [BAYONNE 1925 - LE KREMLIN-BICÊTRE 1999]
Actrice et auteure dramatique française.
Fille d’un magistrat et de la photographe Denise Bellon, Loleh Bellon suit les cours d’art dramatique de Tania Balachova* et débute sur scène en 1947 avec Charles Dullin. Elle aborde aussi bien les auteurs contemporains que les classiques comme Friedrich von Schiller, Luigi Pirandello, Anton Tchekhov ou Paul Claudel. Elle incarne la Dame aux camélias d’Alexandre Dumas et l’héroïne énigmatique de La Bête dans la jungle, de James Lord d’après Henry James, dans l’adaptation de Marguerite Duras*. En 1976, elle fait jouer sa première pièce, Les Dames du jeudi, imposant son style fait d’émotion, de nostalgie et d’ironie dans la satire sociale. On retrouve ce ton subtil dans les œuvres écrites pour Suzanne Flon* et dans L’Éloignement, avec Macha Méril* et Pierre Arditi. Elle a épousé l’écrivain et homme politique espagnol Jorge Semprun, puis l’écrivain Claude Roy. L. Bellon est la sœur de Yannick Bellon*.
Bruno VILLIEN
■ Les Dames du jeudi, Paris, L’Avant-scène, 1977 ; Changement à vue, Paris, L’Avant-scène, 1979 ; De si tendres liens, Paris, Gallimard, 1974 ; Une absence, Paris, Actes Sud, 1988 ; La Chambre d’amis, Arles, Actes Sud, 1995.
BELLON, Yannick (Marie-Annick BELLON, dite) [BIARRITZ 1924]
Réalisatrice française.
Fille d’un magistrat et de la photographe Denise Bellon, Yannick Bellon commence par consacrer un court-métrage à Colette*, en 1950, et une émission télévisée à Cécile Sorel. Elle débute dans la fiction en 1972 avec Quelque part quelqu’un. Suivent une dizaine de films empreints de sensibilité et d’audace. Elle se dit en lutte contre l’injustice et pour la dignité de tous les êtres humains, et filme des héroïnes qui combattent l’abandon ou la maladie. Dans L’Amour violé (1978), elle dirige Nathalie Nell, qui incarne une femme victime d’un viol collectif décidant de porter plainte. Y. Bellon est la sœur de Loleh Bellon*.
Bruno VILLIEN
BELLONCI VILLAVECCHIA, Maria [ROME 1902 - ID. 1986]
Écrivaine et journaliste italienne.
Mariée avec le critique littéraire Goffredo Bellonci, Maria Bellonci Villavecchia a animé le salon littéraire Amici della domenica qui, depuis 1947, décerne chaque année le prix Strega de littérature. L’histoire de ce prix a fait l’objet de deux livres autobiographiques, Come un racconto, gli anni del premio Strega (« comme un récit, les années du prix Strega », 1970) et Io e il premio Strega (« moi et le prix Strega »), œuvre posthume publiée en 1987. M. Bellonci est l’auteure de textes qui s’appuient sur la reconstitution historique et biographique à partir d’une documentation rigoureuse associée à un goût réel de l’intrigue et à une analyse psychologique scrupuleuse. Parmi ses œuvres, en général situées dans les cours italiennes de la Renaissance, se trouvent : Lucrèce Borgia (1939), Segreti dei Gonzaga (« les secrets des Gonzague », 1947), Tu vipera gentile (« toi, gentille vipère », 1972) et Renaissance privée (1985), qui reçoit, en 1986, le prix Strega pour la mémoire. M. Bellonci a également eu une intense activité de journaliste et a collaboré à Il Punto, Il Messaggero et Il Giorno.
Francesco GNERRE
■ Renaissance privée (Rinascimento privato, 1985), Paris, J’ai lu, 1989 ; Lucrèce Borgia (Lucrezia Borgia, 1939), Bruxelles, Complexe, 1991.
■ PETRIGNANI S., Le signore della scrittura, Milan, La Tartaruga, 1984.
BÉLLOU, Sotiría [DROSIA, ATHÈNES 1921 - ATHÈNES 1997]
Chanteuse grecque.
Issue d’une famille de la petite bourgeoisie grecque, Sotiría Béllou passe ses années d’enfance sur l’île d’Eubée, dans la mer Égée. Elle présente dès son plus jeune âge des prédispositions pour la musique, en particulier pour le chant byzantin et la guitare, instrument qu’elle reçoit de son père. Son mariage, à l’âge de 17 ans, avec un chauffeur de bus alcoolique et violent, se conclut en 1940 par une peine de prison de plusieurs mois pour avoir jeté du vitriol à la tête de son époux lors d’une dispute. Rejetée par sa famille, elle gagne alors Athènes où elle est tour à tour bonne, vendeuse de rue, serveuse, puis elle s’engage activement dans la résistance contre l’occupant allemand. Arrêtée, elle est torturée. En 1944, membre de l’Elas, l’armée populaire de libération nationale, elle est blessée par un bombardement des troupes britanniques engagées aux côtés des forces anticommunistes. Parallèlement à ses engagements politiques, S. Béllou chante régulièrement le répertoire populaire et canaille du rébétiko, une sorte de blues d’Asie mineure influencé par la culture orientale des centaines de milliers de Grecs exilés de l’Empire ottoman en 1923. La chanteuse se produit dans les cabarets de la capitale et retient l’attention du compositeur et joueur de bouzouki Vassílis Tsitsánis. Avec lui, elle enregistre ses premiers 78-tours et devient la grande voix féminine grave et rocailleuse de ce répertoire, avec les chanteuses Róza Eskenázy et Rita Ambadsi, ses aînées. Militante gauchiste, artiste indépendante et – fait rare dans le contexte orthodoxe grec – ouvertement homosexuelle, S. Béllou enregistre de nombreux disques entre la fin de la Seconde Guerre mondiale et 1976, moment où l’intérêt du public pour le rébétiko cède la place à la variété et à la pop internationale. Son militantisme lui vaut d’être battue par des activistes d’extrême droite lors d’un concert avec le chanteur MárkosVamvakáris. Alcoolique, grande fumeuse et joueuse invétérée, vivant pauvrement vers la fin de sa carrière en vendant ses propres cassettes dans le centre d’Athènes, la chanteuse perd sa voix en 1994 à la suite d’un cancer. Toutefois, un intérêt renouvelé pour le répertoire rébétiko lui vaut aujourd’hui une renommée internationale.
Thierry SARTORETTI
■ Ta rébétikatis SotiriasBellou, 10 CD, Lyra, 2010 ; Vassilis Tsitsanis, Sotiria Bellou, Marika Ninou, Lyra, 1996.
BELMEHDI EL-FASSI, Malika (dite EL-FATATE ou Bahitate EL-HADIRA) [FÈS 1919 - ID. 2007]
Journaliste, écrivaine et femme politique marocaine.
Née dans une famille marocaine cultivée, Malika el-Fassi étudie la musique, la littérature arabe et française, et pratique l’équitation, car son père tient à ce qu’elle reçoive la même éducation que ses frères. Dès 1934, elle publie des articles dans le journal El-Alam (« aujourd’hui ») sous le pseudonyme d’el-Fatate, puis, après son mariage, en 1935, sous celui de Bahitate el-Hadira. Elle écrit également des pièces de théâtre et des romans. En 1937, elle rejoint le mouvement nationaliste au sein d’un comité secret connu sous le nom de Taïfa. En 1944, unique femme figurant parmi les 66 signataires du Manifeste de l’indépendance, elle devient un symbole révolutionnaire dans une société encore patriarcale et féodale. Mohammed V, juste avant son départ en exil, lui donne des instructions pour diriger l’Action féminine de la résistance jusqu’à l’indépendance en 1956. Elle lutte activement contre l’analphabétisme et pour l’instruction des femmes, notamment en créant une section secondaire et universitaire pour filles, en 1947, avec son mari, directeur de la mosquée Qaraouiyine, et avec l’accord de Mohammed V. Dès 1955, elle sillonne le Maroc dans sa propre voiture pour convaincre la population de se rendre dans des centres d’alphabétisation. Après l’indépendance, elle fonde la Ligue marocaine pour l’éducation de base et la lutte contre l’analphabétisme, dont elle devient vice-présidente. Sa motion pour le vote des femmes est acceptée par le roi. Cofondatrice de l’association Al-Mouassat, ONG reconnue d’utilité publique pour les démunis, les sinistrés, les cancéreux dans le besoin et leurs familles, qui comprend également un orphelinat pour filles, elle en est présidente à vie. Médaillée de l’Unesco pour sa lutte contre l’analphabétisme, elle a pris part à des conférences dans le monde entier.
Marion PAOLI
BELMIHOUB, Meriem (épouse ZERDANI) [ALGER 1935]
Avocate et femme politique algérienne.
Meriem Belmihoub est une importante figure des combats pour la démocratie et les droits des femmes en Algérie. Elle est également l’une des personnalités marquantes des combats actuels pour la démocratie. Elle fait partie des figures féminines emblématiques de la guerre d’indépendance. Après avoir bénéficié de l’enseignement primaire et secondaire à Alger, puis à Paris, suivi un cursus universitaire à Alger, Paris et Genève, elle s’engage dans le mouvement de libération nationale algérien. Dès 1955, membre du Front de libération nationale (FLN) et de l’Armée de libération nationale (ALN), elle rejoint le maquis. Arrêtée et condamnée en avril 1957 par le tribunal permanent des forces armées, elle ne sort de prison qu’en juillet 1962. Dès 1964, elle est élue dans la première Assemblée chargée d’élaborer une Constitution. Elle est membre du bureau de l’Assemblée nationale constituante, dans la commission de l’Éducation et de la Culture. Elle fonde la même année une association de lutte contre l’analphabétisme. Au début des années 1990, elle poursuit sa carrière politique comme conseillère, puis ministre pour les Affaires juridiques et administratives. Membre de la commission des Amendements des codes civil et pénal au ministère de la Justice, en 1999, elle fait partie de la commission de la Réforme de la justice. De 1998 à 2001, elle est élue au Conseil de la nation (Sénat algérien) et préside le groupe parlementaire des indépendants. En tant qu’avocate, elle s’est fait connaître par sa défense intransigeante des droits de l’homme contre les pratiques policières et militaires de l’État. Militante active des droits des femmes, elle fait partie de 1963 à 1965 des membres du bureau de l’Union nationale des femmes algériennes – l’une des organisations nationales créées par le FLN. Elle préside la délégation de femmes qui s’opposent au projet de Code de la famille et aux dispositions discriminatoires héritées de la tradition islamique, délégation reçue par le président de l’Assemblée nationale en 1984. Elle participe à la fondation de l’association algérienne de planification familiale en 1989. À partir de 2002, elle intervient comme experte au Comité des Nations unies contre la discrimination à l’égard des femmes (CEDAW). Elle en est élue vice-présidente en 2005 et réélue pour un nouveau mandat jusqu’en 2010.
Michel MIAILLE
BELMONT, Véra [PARIS 1932]
Actrice, productrice et réalisatrice française.
Fille de Bronka Rotenstein et d’Hershel Gutenberg, juifs émigrés de Pologne à la fin des années 1920, Véra Belmont grandit dans le faubourg Saint-Antoine avec son frère et sa sœur. Pendant l’Occupation, les parents vivent dans la clandestinité et les enfants sont placés avec l’aide du MOI (Main-d’œuvre immigrée) dans une famille d’accueil qui laisse à V. Belmont de mauvais souvenirs. Après son certificat d’études ses apprentissages successifs sont chaotiques. À 17 ans, elle rejoint le groupe Espoir des jeunesses communistes. Grâce à son ami Gabriel Garran, le chef d’Espoir, elle joue la putain dans La Putain respectueuse de Sartre. Un rôle qui lui vaut de démarrer en tant qu’actrice au théâtre, notamment en province. De retour à Paris, la fréquentation du studio Chaplin à Montparnasse lui permet de rencontrer des gens de cinéma. À 33 ans, elle s’engage dans la production du premier film de Paul Vecchiali, Les Ruses du diable, qui s’avère un échec commercial. José Giovanni lui demande de produire son premier film : La Loi du survivant. La SNC, Société nouvelle de production, accepte de le coproduire, mais comme V. Belmont n’a pas d’argent, l’équipe se contente de la moitié du budget. Plus tard, on lui propose le synopsis d’Un condé. Elle choisit Yves Boisset pour la réalisation et Michel Bouquet pour le rôle principal. Premier film à s’attaquer aux méthodes de la police française, la sortie d’Un Condé est retardée par la censure, mais c’est un gros succès en 1974. De 1968 à 2007, V. Belmont produit une quinzaine de films, la plupart pour des réalisateurs au long cours comme Marcel Carné, Maurice Pialat, André Téchiné, Jean-Jacques Annaud ou Francesco Rosi. En 1979, elle sort son premier film en tant que réalisatrice, Prisonniers de Mao, un docu-fiction sur un camp de travail forcé en Chine. Suivent Rouge baiser, en 1985, une fiction autobiographique sur les jeunesses communistes, Milena en 1991 interprétée par Valérie Kaprisky – l’histoire de la journaliste Milena Jesenská* liée à Kafka –, Marquise en 1997, sur le personnage de Mlle Du Parc*, et enfin Survivre avec les loups en 2008, à la mémoire de l’Holocauste. Stock a publié en 2009 les entretiens de Véra Belmont avec Anne-Marie Philipe dans un livre intitulé L’Hirondelle du faubourg.
Nathalie COUPEZ
BELMORE, Rebecca [UPSALA, ONTARIO 1960]
Plasticienne canadienne.
Après une adolescence difficile, Rebecca Belmore, cette descendante des autochtones anishinaabe (« peuple des origines ») étudie les beaux-arts à l’Ontario College of Art and Design à Toronto, de 1984 à 1987. Son travail – éminemment engagé – interroge la manière dont la société contemporaine et l’industrie touristique perpétuent les stéréotypes coloniaux, notamment la culture des premières nations, souvent limitée à l’artisanat et au folklore. Son œuvre multidisciplinaire est basée sur une esthétique de la violence et du trauma. À travers ses sculptures, vidéos, performances, photographies, elle lutte sans cesse contre l’amnésie historique et se concentre sur les effets de la colonisation auprès des populations aborigènes, plus particulièrement les femmes. Par des métaphores aussi provocantes que poignantes, elle explore l’identité et la représentation avec des images puissantes du corps : ainsi, la photographie Fringe, réalisée en 2008, présente une femme nue, couchée, le dos abîmé par une énorme entaille recousue avec des fils ornés de perles rouges, référence au sang et aux bijoux aborigènes. Elle intègre souvent dans ses œuvres des objets qui symbolisent la rencontre entre deux cultures, et l’aliénation inévitable qui résulte du rapport inégal entre celles-ci. L’une de ses plus célèbres créations est l’installation Rising to the Occasion (« se montrant à la hauteur »), réalisée entre 1987 et 1991, à l’occasion de la visite du duc et de la duchesse d’York à Thunder Bay : il s’agit d’une robe d’époque victorienne, mêlant les clichés de la culture britannique et ceux de la tradition anishinaabe ; velours brodé, satin, assiettes en porcelaine sont juxtaposés avec de la peau de daim et une sorte d’attrape-rêve fait de divers objets trouvés et manufacturés. En 2004, R. Belmore reçoit le prestigieux Viva Award de la fondation Jack et Doris Shadbolt. L’année suivante, elle devient la première femme indigène à représenter le Canada à la Biennale de Venise avec l’installation vidéo Fountain. Exposée au Canada et dans de nombreux pays, elle est, en outre, une conférencière très prisée, qui a largement contribué au rayonnement et à la diffusion de l’art contemporain des premières nations à travers le monde. La Vancouver Art Gallery lui a consacré une première rétrospective personnelle en 2008, intitulée Rising to the Occasion.
Mélanie HAMET
■ Rising to the Occasion (catalogue d’exposition), Augaitis D., Ritter K. (dir.), Vancouver, Vancouver Art Gallery, 2008.
■ LAMOUREUX J. (dir.), Doublures, vêtements dans l’art contemporain (catalogue d’exposition), Québec, Musée national des Beaux-Arts, 2003.
BELOT, Octavie (née GUICHARD, présidente DUREY DE MEINIÈRES) [PARIS 1719 - ID. 1804]
Écrivaine française.
En écrivant Réflexions d’une provinciale (1756), réfutation du Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes de Rousseau, puis Observations sur la noblesse et le tiers état (1758), défense de la roture contre la « noblesse commerçante », Octavie Belot entre en littérature. Veuve en 1757, elle traduit Mélanges de littérature anglaise, Histoire de Rasselas, roi d’Abyssinie de Samuel Johnson, Ophélie de Sarah Fielding*, l’Histoire d’Angleterre (1763-1765) de David Hume, incluant la saga des Tudors (1763) – elle lui permettra de toucher une pension de 1 200 livres grâce à la marquise de Pompadour* –, celles des Plantagenêts (1765) et des Stuarts, retraduites plus tard par Prévost. En 1765, elle épouse le président au Parlement, Jean-Baptiste Durey de Meinières, et ne signe plus désormais que des lettres. De 1762 à 1781, elle correspond avec Panpan (Devaux) ; entre 1770 et 1774, elle écrit à la marquise de Lénoncourt, une aristocrate nancéenne. Bien renseignée par les relations de son époux et par leur parent Choiseul, la présidente fournit une remarquable chronique de la crise parlementaire. Veuve une seconde fois en 1785, Mme Durey de Meinières traverse discrètement la Révolution et s’éteint en 1804, totalement démunie.
Marie-Laure GIROU-SWIDERSKI
■ GIROU-SWIDERSKI M.-L., « Lettres de Mme de Meinières à Mme de Lénoncourt », in Lettres de femmes, Paris, H. Champion, 2005.
BELOVIĆ-BERNARDŽIKOWSKI, Jelica [OSIJEK AUJ. CROATIE 1870 - NOVI SAD 1946]
Écrivaine et ethnologue bosnienne.
Après des études de pédagogie à Zagreb, Jelica Belović-Bernardžikowski a passé les années les plus fructueuses de sa vie intellectuelle en Bosnie-Herzégovine, à Prague et à Paris. Dans la région, elle fut la première à parler d’« écriture féminine » et à soutenir que les femmes avaient « un regard différent sur le monde et la vie », et qu’elles ne devaient pas y renoncer. Pour elle, les femmes devaient prendre part aux activités sociales et culturelles de leur peuple. J. Belović a publié de nombreux articles dans les revues et journaux européens et yougoslaves tels que Frankfurter Zeitung, Frauenzeitung, Revue des Deux Mondes, The Gipsy Lore, Ženski Svet (« le monde féminin »). Elle fut rédactrice en chef de Narodna Snaga (« force populaire ») et Frauenwelt. Elle s’insurgeait contre le cloisonnement national et religieux et plaidait pour l’approfondissement des relations entre les Serbes, Croates et Musulmans de Bosnie-Herzégovine, à l’époque austro-hongroise. Passionnée d’ethnologie, J. Belović étudia la tradition populaire, littéraire et artistique. Elle recueillit les contes populaires, publiés dans Narodne pripovetke iz Bosne i Hercegovine (« les contes populaires de Bosnie-Herzégovine », 1899), et Hrvatske jelice (« les contes croates », 1908). La plupart des ses œuvres sont cependant consacrées à la valorisation de l’art de la broderie dont elle a fait la systématisation et créé la terminologie : Građa za tehnološki rječnik ženskog ručnog rada (« matériaux pour un dictionnaire technologique des travaux manuels féminins », 1898-1906) ; O renesansi naše vezilačke umjetnosti (« de la renaissance de notre art de la broderie », 1906) ou encore Narodno tehničko nazivlje (« la terminologie technique populaire », 1907). Membre de la Société folklorique de Vienne, elle collabora avec Friedrich Krauss, ethnologue réputé et slavisant, qui publia plusieurs de ses œuvres. Invitée en 1922 au congrès de la Ligue internationale des femmes pour la paix et la liberté à Londres, J. Belović fut empêchée de s’y rendre par les autorités. En cinquante ans de carrière, elle écrivit plus de 800 articles et plusieurs dizaines de livres, et eut une correspondance avec 442 personnalités dans toute l’Europe. Elle mourut pourtant seule et oubliée.
Dragana TOMAŠEVIČ
■ JELKIĆ D., Četrdeset godina knjževnog rada Jelice Belović Bernardžikowski, Sarajevo, Obod, 1925.
BELTRÁN, Rosa [MEXICO 1960]
Écrivaine et journaliste mexicaine.
Après des études de langue et littérature à l’Université nationale autonome du Mexique (UNAM) et de littérature comparée à l’université de Californie, Rosa Beltrán devient professeure à l’UNAM, dont elle dirige le département de littérature. Son premier roman, La corte de los ilusos (« la cour des dupes », 1995), obtient le prix international Joaquín-Moritz, et elle publie le recueil de nouvelles Amores que matan (« amours qui tuent ») l’année suivante. Son premier essai, America sin americanismos (« Amérique sans américanismes », 1997) s’est vu décerner le prix Florence-Fishbaum. En 2006, elle publie Alta infidelidad (« haute infidélité »). Son œuvre narrative, minutieuse et sérieusement documentée, établit un dialogue entre ses préoccupations d’essayiste et celles d’universitaire. Elle explore, à travers l’histoire et la réflexion sur le genre, les relations humaines complexes qu’a produites la modernité. Traduite, notamment, en anglais, en italien, en allemand et en néerlandais, l’œuvre de R. Beltrán a été récompensée par le prix de l’American Association of University Women.
Elsa RODRÍGUEZ BRONDO
■ Le Paradis, c’était nous (El paraíso que fuimos, 2002), Paris, La Différence, 2011.
BEMBERG, María Luisa [BUENOS AIRES 1922 - ID. 1995]
Cinéaste et productrice argentine.
Née dans une grande famille aristocratique, María Luisa Bemberg écrit son premier scénario à 48 ans : Crónica de una señora (« chronique d’une dame », Raúl de la Torre, 1971), qui traite du sentiment de vacuité et de solitude d’une femme de la haute société (jouée par Graciela Borges*). Cette histoire annonce les thèmes qui traverseront l’œuvre de cette première grande cinéaste argentine, qui est par ailleurs l’une des fondatrices de l’Union des féministes argentines. Après un second scénario, Triangulo de cuatro (« triangle de quatre », Fernando Ayala, 1974), elle aborde la réalisation avec deux courts-métrages documentaires : El mundo de la mujer (« le monde de la femme », 1972) et Juguetes (« jouets », 1978). Elle tourne ensuite six longs-métrages de fiction, faisant appel à des techniciens et interprètes internationaux réputés (dont Dominique Sanda*, Marcello Mastroianni, Julie Christie*, Imanol Arias, Assumpta Serna). Sa formation à l’Actors Studio de Lee Strasberg à New York contribue à la qualité artistique de ses films, dont le sujet est toujours l’isolement des femmes dans un monde dominé par les hommes. Ses héroïnes remettent en cause les préjugés et les valeurs dictées par l’Église et l’État quant au mariage, à la famille, à la sexualité. Dans Momentos (1981, son premier long-métrage), Lucía ose s’afficher adultère ; dans Señora de nadie (« femme de personne », 1982), Leonor divorce ; dans Camila (1984), la protagoniste s’éprend d’un homme interdit ; dans Miss Mary (1986), elle rejette sa classe sociale ; dans Yo, la peor de todas (« moi, la pire de toutes », 1990), elle démontre que le talent n’a pas de sexe ; enfin, dans On n’en parle pas (De eso no se habla, 1993), il est question de l’émancipation des femmes et du droit à la différence. Son œuvre a été saluée et primée dans de nombreux festivals (Huelva, Chicago, Carthagène, Taormina, Panamá, Karlovy Vary, La Havane, Venise). Camila – le plus grand succès public de toute l’histoire du cinéma en Argentine – a été sélectionné pour l’Oscar du meilleur film étranger en 1985. M. L. Bemberg a fondé avec la productrice Lita Stantic la compagnie Gea cinematográfica, qui monte des coproductions internationales.
Alberto PAPO et Eleonora C. VALLAZZA
■ FONTANA C., María Luisa Bemberg, Buenos Aires, Centro editor de América latina, 1993 ; MARTÍN J. A., Diccionario de realizadores contemporáneos, cine argentino, Buenos Aires, Instituto nacional de cinematografía, 1987.
BEMPORAD, Giovanna [FERRARA 1928 - ROME 2013]
Traductrice et poétesse italienne.
Giovanna Bemporad fait ses premiers pas en littérature avec une traduction en hendécasyllabes de l’Énéide, publiée de façon morcelée dans une anthologie du poème épique contenant également des textes de l’Iliade et de l’Odyssée. Par la suite, elle alterne entre son propre travail de création et ses nombreuses versions d’auteurs classiques et modernes regroupées au sein du volume Esercizi, poesie e traduzioni (« exercices, poésies et traductions », 1948, réédité en 1980), qui lui vaut les prix Vallombrosa, Stresa et Elea. Auparavant, elle a traduit Élégie de Marienbad de Goethe et les Hymnes à la nuit de Novalis. Outre les auteurs classiques, elle a également traduit des poètes modernes français – surtout les symbolistes – et des poètes de langue allemande. En 1981 paraît sa traduction d’Électre de Hugo von Hofmannsthal. En 1968 et 1970 paraissent les plus beaux chants de l’Odyssée et, en 1983, un volumineux florilège de l’Énéide de Virgile. En 1990, paraît l’œuvre à laquelle G. Bemporad a consacré sa vie : la version définitive en hendécasyllabes de l’Odyssée, qui sera rééditée en 1992 et en 2004, et lui vaudra, en 1993, le Prix national pour les traductions littéraires créé par le ministère des Biens et Activités culturelles. Cette traduction, que la critique jugera à la fois de grande valeur et facile à lire, lui conférera sa grande notoriété. Sa traduction – de l’hébreu – du Cantique des cantiques a été éditée en 2006. Sa correspondance, Cara Giovanna, lettere di Camillo Sbarbaro e Giovanna Bemporad (1952-1964), a été publiée en 2004.
Maria Valeria CICOGNA
■ CIROLLA A. (dir.), Una spettatrice del Novecento della poesia, Giovanna Bemporad, esercizi vecchi e nuovi, Milan, Edizioni Archivio Dedalus, 2010 ; PASOLINI P. P., « Poesia della Bemporad », in Mattino del Popolo, Venise, 12 sept. 1948.
BEN, Myriam (Marylise BEN HAÏM, dite) [ALGER 1928 - VESOUL 2001]
Écrivaine et peintre algérienne.
De double ascendance juive berbère par son père et andalouse par sa mère, Marylise Ben Haïm, qui signe ses œuvres du nom de Myriam Ben, est élève du lycée Fromentin d’Alger, avant d’en être exclue par les lois de Vichy appliquées aux Juifs. Encore très jeune, elle s’engage dans les jeunesses communistes, alors clandestines. Tout en collaborant au journal Alger républicain (1954-1955), elle est institutrice, et ce jusqu’en 1956. Son engagement dans la guerre de libération lui vaudra d’être condamnée par contumace en 1957. Après 1962, elle se partage entre formation et écriture mais, en 1965, elle quitte l’Algérie pour la France afin d’échapper à la répression contre les communistes. Elle revient dans son pays de 1974 à 1990. Puis elle se réfugie de nouveau en France, où elle continue à écrire. Elle y mourra, en exil. L’écriture de M. Ben, qui était également peintre et musicienne, est empreinte à la fois de réalisme et de lyrisme ; sa tonalité tragique est le support de la dénonciation des injustices perpétrées à l’encontre de l’être humain.
Christiane CHAULET ACHOUR
■ Ainsi naquit un homme (Alger, 1982), Paris, L’Harmattan, 1993 ; Sabrina, ils t’ont volé ta vie, Paris, L’Harmattan, 1986 ; Au carrefour des sacrifices (1992), Paris, L’Harmattan, 2000 ; Quand les cartes sont truquées, Paris, L’Harmattan, 1999 ; Le Soleil assassiné, Paris, L’Harmattan, 2002.
■ CHAULET ACHOUR C., Myriam Ben, Paris, L’Harmattan, 1989.
BÉNAC, Marie-Pierre [TOULOUSE 1956]
Artiste de cirque française.
Débutant une formation de gymnaste à l’âge de 12 ans au lycée de Font-Romeu (Pyrénées) où elle est soignée pour des problèmes d’asthme, Marie-Pierre Bénac bénéficie d’une formation au centre d’entraînement de l’équipe de France de gymnastique. Elle étudie ensuite le design à l’université et s’inscrit au Conservatoire national des arts du cirque, fondé en 1974 par Alexis Gruss. Engagée dans la troupe du Cirque à l’ancienne, elle réalise des numéros inédits au cours de ses sept années dans la compagnie : voltigeuse à la barre russe, au trapèze volant, acrobate au sol et à cheval, notamment dans un légendaire adagio acrobatique avec A. Gruss, voltigeuse dans un numéro de saut à la bascule avec un éléphant, et écuyère à panneau. En 1984, M.-P. Bénac rejoint le Big Apple Circus (États-Unis) au titre de membre résident et y recrée le numéro de barre russe avec David Dimitri et Sacha Pavlata. Elle participe à la création d’un élégant duo sur fil tendu et d’un spectaculaire pas de deux sur deux éléphants avec D. Dimitri. Elle présente ce duo en 1988 au cirque Knie en Suisse et, en 1989, reprend le numéro de barre russe avec Franco Knie comme second porteur. En 1991, elle retourne au Big Apple Circus où elle présente une dernière fois, en 1992, son numéro de barre russe, cette fois avec Glen Nicolodi et Julian Stachowski. Elle quitte la piste en 1993, épouse le musicien Dino Govoni et, après avoir travaillé comme physiothérapeute, reprend ses études et obtient une maîtrise en sciences de l’éducation.
Pascal JACOB
BENAMEUR, Jeanne [AÏN M’LILA, ALGÉRIE 1952]
Écrivaine française.
Née d’un père tunisien et d’une mère italienne, Jeanne Benameur s’installe avec sa famille à La Rochelle lorsqu’elle a 5 ans. Ce sont là les sources d’une écriture nomade, hantée par la « demeure ». Son œuvre témoigne d’un sens des plis de la langue et de l’ajustement du fait poétique qui va jusqu’au dépouillement, le mouvement du verbe se liant à celui du corps en une rare maîtrise du rythme et de l’énergie. La compagnie Karine Saporta* chorégraphie son dernier livre, Laver les ombres (2008). Auteure d’une vingtaine de livres dont l’unité d’écriture ne se divise guère en littérature jeunesse et adulte, elle est directrice de collection. Elle a reçu en 2001 le prix Unicef pour son roman Les Demeurées (2000). En 2011, elle a publié Les Insurrections singulières, et, en 2013, Profanes et Je vis sous l’œil du chien suivi de L’Homme de longue peine.
Sylvie GOUTTEBARON
■ Samira des Quatre-Routes, Paris, Flammarion, 1992 ; Ça t’apprendra à vivre, Paris, Seuil, 1998 ; Si même les arbres meurent, Paris, T. Magnier, 2000 ; Les Reliques, Paris, Denoël, 2005 ; Le Ramadan de la parole, Arles, Actes Sud junior, 2007.
BEN AMEUR, Samia VOIR BEY, Maïssa
BENBASSA, Esther [ISTANBUL 1950]
Historienne française.
Marquée dès l’enfance par un milieu mixte (juif, chrétien et musulman), Esther Benbassa quitte la Turquie en 1965 pour Israël où elle séjourne jusqu’en 1972, année de son arrivée à Paris. À la croisée de plusieurs cultures (judéo-espagnole, turque, israélienne, française, anglo-saxonne), son cursus la mène des lettres françaises aux études orientales et à l’histoire des Juifs. Après un travail sur la culture de la Commune de Paris (1978), elle soutient un doctorat d’État consacré au dernier grand rabbin de l’Empire ottoman (1987). Après avoir été directrice de recherche au CNRS (1989), elle occupe depuis 2000 la chaire d’histoire du judaïsme moderne à l’École pratique des hautes études. Pionnière de l’histoire des communautés juives d’origine ibérique implantées dans l’Empire ottoman depuis 1492 ainsi que de celle du sionisme en terre d’Islam (Une diaspora sépharade en transition, Istanbul, XIXe-XXe siècles, 1993 ; Histoire des Juifs sépharades, 2000), elle s’est aussi intéressée à l’Histoire des Juifs de France (2004). Historienne de la vie privée (Une vie judéo-espagnole à l’Est, Gabriel Arié, 1992) et des représentations (Israël, la terre et le sacré, 2001), développant une approche post-sioniste et diasporiste, elle refuse toute « ghettoïsation » des études juives. Elle conduit ainsi une analyse comparée des trajectoires minoritaires, qu’elle s’interroge sur les réactions de rejet des sociétés majoritaires (La République face à ses minorités, 2004) ou sur la construction par les minoritaires de leurs mémoires de souffrance (La Souffrance comme identité, 2010). Traduits en une douzaine de langues, notamment en anglais, ses travaux se sont vite imposés à l’échelon international. Fréquemment invitée à l’étranger et inscrivant son action dans un réseau de collaborations multiples, E. Benbassa combine recherche de pointe et vulgarisation (Dictionnaire des mondes juifs, 2007), rigueur scientifique et engagement citoyen. Inquiète du retour récent des intellectuels juifs à la « tribu », elle intervient régulièrement dans le débat public sur diverses questions : conflit israélo-palestinien (Être juif après Gaza, 2009), tensions intercommunautaires, racisme et discriminations, place de l’islam en Europe. Elle a dirigé le Dictionnaire des racismes, de l’exclusion et des discriminations (2010), une première en France, ainsi que Minorités visibles en politique (2011), qui tente une approche comparée du cas français et de l’exemple américain. En 2011, E. Benbassa a été élue sénatrice du Val-de-Marne pour Europe Écologie-Les Verts.
Jean-Christophe ATTIAS
■ Avec ATTIAS J.-C. (dir.), Juifs et Musulmans, une histoire partagée, un dialogue à construire, Paris, La Découverte, 2006 ; ID. (dir.), Des cultures et des dieux, repères pour une transmission du fait religieux, Paris, Fayard, 2007 ; De l’impossibilité de devenir français, Paris, Les Liens qui libèrent, 2012 ; Égarements d’une cosmopolite, Paris, François Bourin, 2012.
BEN CHEIKH, Tawhida [TUNIS 1909 - ID. 2010]
Médecin et militante tunisienne.
Première femme médecin du monde arabe, Tawhida Ben Cheikh, issue d’une famille cultivée, perd précocement son père. Sa mère élève seule ses enfants et les encourage à étudier ; elle n’hésitera pas à affronter sa famille pour que sa fille puisse poursuivre de longues études à Paris. Après avoir été la première bachelière tunisienne en 1928, T. Ben Cheikh sort diplômée de la faculté de médecine de Paris en 1936, et la plus jeune lauréate de France. La Tunisie est alors sous protectorat, et les autorités françaises se méfient de cette militante qui a adhéré en 1931 à l’Association des étudiants musulmans d’Afrique du Nord et dénoncé dans un discours à l’Union des femmes françaises la condition faite aux femmes dans les colonies. Elle est contrainte d’exercer la médecine générale en cabinet privé à Tunis, et se spécialise en gynécologie et pédiatrie, dispensant des soins aux femmes, pour lesquelles elle n’a cessé de militer et d’agir. En 1955, elle dirige les services gynécologiques et obstétricaux d’hôpitaux publics, jusqu’à sa retraite en 1977. Au lendemain de l’indépendance en 1956, la Tunisie est le premier pays d’Afrique et du monde arabe à adopter une politique de maîtrise de la fécondité ; la transition démographique y sera précoce. T. Ben Cheikh crée en 1963 le premier service hospitalier de planning familial, dirige ce service au ministère de la Santé en 1970 ainsi que la première clinique spécialisée dans le contrôle des naissances. Elle milite aussi pour les plus défavorisés au sein du Croissant rouge tunisien créé en 1956 et dont elle deviendra vice-présidente. Cette pionnière, mère de trois enfants, dont Zeïneb Benzina, archéologue, a contribué à la construction de la Tunisie moderne.
Michèle ORENGO et Jacqueline PICOT
BENCHEMSI, Rajae [MEKNÈS 1957]
Écrivaine marocaine.
Après l’obtention d’une licence de lettres, Rajae Benchemsi se rend à Paris où elle prépare un doctorat de philosophie sur Maurice Blanchot. De retour au Maroc, elle s’installe à Marrakech où elle enseigne à l’École normale supérieure. Son séjour parisien lui ouvre une carrière d’animatrice à la télévision marocaine, où elle présente une chronique littéraire, et de critique d’art (les poèmes de Paroles de nuit [1997] témoignent de son intérêt pour les arts plastiques). L’œuvre de R. Benchemsi est imprégnée de l’esprit de deux civilisations : l’auteure revendique fièrement, en effet, son héritage marocain et arabo-musulman tout en continuant à tisser des liens avec la culture française. Cette réconciliation avec l’identité, recouvrée chez elle sans heurts, est fondée sur une vision parfois distanciée, parfois critique, vis-à-vis de sa société, grâce aux moyens que lui offrent aussi bien sa double culture qu’une formation au confluent de la littérature et de la philosophie. Fracture du désir (1999) est de ce point de vue exemplaire, dans la mesure où, dans les différents récits qui composent ce recueil de nouvelles, R. Benchemsi sonde les sens et la chair. Se trouvent ainsi convoqués aussi bien des espaces concrets et matériels, comme Fès, Casablanca ou Paris, que d’autres intellectuels ou spirituels, ceux de la pensée et de la mémoire où art et littérature prédominent, et où Georges Bataille et Charles Baudelaire voisinent avec Mansour al-Halladj. Un esprit identique anime ses deux romans, Marrakech, lumière d’exil (2003) et La Controverse des temps (2006), qui développent un thème qui lui est cher, celui du mariage des cultures et de la rencontre des anciens et des modernes.
Selma EL-MAADANI
BENCZÚR, Emese [BUDAPEST 1969]
Artiste visuelle hongroise.
Emese Benczúr étudie la peinture à l’Académie des beaux-arts de Budapest (1990-1996). Cette représentante de l’art conceptuel inclut des textes dans ses œuvres, depuis le début de sa carrière. En 1994, elle « coud » son premier ouvrage emblématique des années 1990, une phrase brodée répétée à l’envi – « Qu’est-ce que j’envie celle qui a tant de loisirs… ». Dans ces œuvres, elle réinterprète les rôles féminins traditionnels, paraphrasant avec ironie les travaux typiques des femmes. Ses textes interrogent, justement par leur statut et leur procédé (la broderie comme passe-temps), le sens de toute action humaine, et donc la téléologie de l’art. L’artiste confronte chaque fois les spectateurs à l’absurdité de l’existence, y compris la sienne propre. À l’occasion de la IIe biennale Manifesta (Luxembourg 1998), elle entame un travail de longue haleine ayant pour thème le temps qui passe, Should I Live to Be a Hundred : sur des rubans préfabriqués, les mots day by day sont inscrits autant de fois qu’il y a de jours jusqu’à ce qu’elle ait 100 ans ; et chaque jour, elle brode sur ces mêmes étiquettes I think about the future… À partir de 2000, elle réalise des vidéos (Tranquillité) et crée ses textes à l’aide de procédés divers – lampions d’arbre de Noël, épingles, feuilles d’aluminium –, en établissant chaque fois un lien étroit entre matériau, visuel et procédé de fabrication ; le contenu est produit par la référencialité de tous les facteurs. Lors de l’exposition de groupe Out of Time (2001), la partie centrale de son œuvre est une publicité rotative en néon qui se réfère, par comparaison avec ses ouvrages antérieurs, de façon tautologique au texte qu’elle porte sur elle : « Prends ton temps pour que le temps puisse tourner tout seul ». En contrepoint de l’installation, comme pour mettre en valeur le message, des canapés installés contre le mur invitent le public à se coucher.
Erzsébet TATAI
■ ANDRÁS E., « Cultural Cross-Dressing », in ID., BÁLVÁNYOS A., STURCZ J. (dir.), Tackling Techné (catalogue d’exposition), Budapest, Ludwig Múzeum/Kortárs Művészeti Múzeum, 1999 ; Invisible (catalogue d’exposition), Ízinger K. (dir), Székesfehérvár, Szent István Király Múzeum, 2005.
BENDOVÁ, Krista [KRÁĽOVÁ LEHOTA 1923 - BRATISLAVA 1988]
Écrivaine slovaque.
Après avoir étudié le slovaque et le russe à l’université Comenius de Bratislava, Krista Bendová travaille, après 1948, à la rédaction du quotidien communiste Pravda, puis pour l’Union des écrivains slovaques et pour les revues Ohník et Roháč. Sa poésie lyrique reflète d’abord ses expériences : amour, maladie, guerre. Les recueils Krajina šťastia (« le pays de bonheur », 1950) et O tú pieseň (« de cette chanson », 1955) portent les marques d’une poésie engagée obéissant aux exigences du régime communiste. En cherchant à ne pas succomber aux illusions, elle recourt à l’ironie pour affronter les déceptions de sa vie. Également auteure de littérature pour la petite enfance, elle utilise de manière originale le rythme des comptines pour écrire des poèmes à vocation didactique. Opice z našej police (« les singes de notre étagère », 1966) raconte avec humour des épisodes de la vie de trois frères qui vivent en ville. Dans Osmijanko rozpráva, (« Osmijanko raconte »), cycle de contes de fées paru entre 1967 et 1969, l’écrivaine réussit à dissimuler l’aspect didactique grâce à l’humour. Parmi ses œuvres importantes figurent aussi des poèmes pour adultes comme Milenec smútok, Listy milému, Ruky (« l’amant tristesse, les lettres à mon bien aimé, les mains », 1948).
Elena MELUŠOVÁ
■ MIKULA V. (dir.), Slovník slovenských spisovateľov, Prague, Libri, 1999.
BENEA, Marcela [VĂRATIC 1948]
Poétesse et journaliste moldave.
Diplômée de la faculté de philologie de l’université d’État de Chișinău, Marcela Benea a été enseignante de littérature, rédactrice aux éditions Cartea moldovenească (« le livre moldave ») et rédactrice en chef à la Radio moldave. En 1966, elle reçoit le premier prix du Festival télévisé de poésie de Moscou. En 1974 paraît son premier recueil, Zestre (« la dot »), avec une préface de Grigore Vieru, le poète moldave le plus important de cette époque. Appréciés par la critique littéraire, ses vers sont traduits en russe, ukrainien, letton, bulgare, arménien, géorgien. Mais l’ouvrage attire aussi l’attention de la censure en raison de son supposé manque de civisme. Suit l’expérience difficile d’un manuscrit censuré, qui la détermine à se retirer dans le silence et son travail de rédactrice. Il faut attendre 1988 pour que M. Benea parvienne à éditer un autre volume, Poveste neterminată (« conte inachevé »). Dans un entretien, la poétesse témoigne de la forte influence qu’ont eu, dans sa recherche poétique, les souvenirs de son enfance et de la déportation de son père. Annonciatrice de la poésie moldave moderne des années 1980-1990, son œuvre reste remarquable par une poétique originale qui contraste avec l’esthétique littéraire de son temps.
Aurélia BORZIN et Petru NEGURĂ
■ CIMPOI M., « Marcela Benea », in O istorie deschisă a literaturii române din Basarabia, Bucarest, Editura fundaţiei culturale române, 2008 ; RACHIERU A. D., « Marcela Benea prin “desișul memoriei” », in Poeţidin Basarabia, Chișinău, Academiei române/Știința, 2010.
BENEDEK, Therese [EGER 1892 - CHICAGO 1977]
Médecin et psychanalyste américaine.
Née en Hongrie, dans une famille juive traditionnelle, Therese Benedek est la seule des quatre enfants à avoir poursuivi des études universitaires, qui lui permirent d’obtenir, à Budapest, un doctorat en médecine en 1915. C’est après une spécialisation en pédiatrie qu’elle décide de faire une formation analytique. En 1919, elle épouse un Hongrois protestant, dermatologue et chercheur universitaire. Ils partent ensemble à Leipzig l’année suivante, où elle est nommée assistante à la clinique psychiatrique de l’université. Tout en complétant sa formation à l’Institut de Berlin avec Karl Abraham et Max Eitingon, elle commence sa pratique à Leipzig, influencée par l’enseignement de Sándor Ferenczi avec qui elle fit une analyse. En 1936, poussée par son mari, elle émigre aux États-Unis et accepte la proposition de Franz Alexander de venir enseigner à l’Institut de psychanalyse de Chicago dont il est directeur. Elle devient citoyenne américaine en 1946 et s’est toujours refusée à revenir en Allemagne ou en Hongrie, malgré de fréquents voyages en Europe. Pionnière de la psychanalyse en Allemagne puis aux États-Unis, elle a effectué des recherches en psychosomatique, portant tout particulièrement sur les dysfonctionnements sexuels chez les femmes : Psychosexual Functions in Women (1952). Ses travaux sur la notion de parentalité, et sur la dyade mère-enfant perçue comme une symbiose émotionnelle, ont fait d’elle un précurseur de l’analyse transgénérationnelle. Son article sur la parentalité, paru en 1959 et repris dans un ouvrage écrit avec James Anthony, sous le titre Parenthood : its Psychology and Psychopathology, édité à Boston en 1970, ainsi que ses études de cas sur les mécanismes de défense, sont devenus depuis des ouvrages de référence.
Chantal TALAGRAND
BENEDETTA (Benedetta CAPPA MARINETTI, dite) [ROME 1897 - VENISE 1977]
Écrivaine et peintre italienne.
La vocation artistique de Benedetta Cappa naît bien avant sa rencontre avec l’écrivain et initiateur du mouvement futuriste Filippo Tommaso Marinetti, qu’elle épouse en 1923 et avec qui elle a trois filles. Jeune apprentie dans l’atelier du peintre et sculpteur Giacomo Balla, elle débute en 1919 avec des « mots en liberté », mais se distingue à partir du milieu des années 1920 pour ses créations dans le domaine de l’aéropeinture. Si elle participe à plusieurs expositions (dont la Biennale de Venise en 1926), elle collabore aussi à différentes revues proches du mouvement futuriste. Ses principales œuvres littéraires, imprégnées d’abstraction, de lyrisme et d’idéalisme, sont : Le forze umane (« les forces humaines », 1924), sous-titré « roman abstrait avec synthèses graphiques » ; Viaggio di Gararà (« le voyage de Gararà », 1931), sous-titré « roman cosmique pour théâtre » ; Astra e il sottomarino (« Astra et le sous-marin », 1935). Dans ces trois romans, qui peuvent être considérés comme expérimentaux tant l’écriture est fragmentée ou intercalée de planches de mots en liberté, Benedetta se propose d’exprimer simultanément et directement les forces de l’univers, de visualiser les états d’âme et les énergies psychiques. À cause de la guerre, puis de la maladie et de la mort de F. T. Marinetti, elle cesse toute production artistique dès la fin des années 1930.
Silvia CONTARINI
■ CIGLIANA S., « Il seme e la rosa, Benedetta o la poesia delle Forze cosmiche », in Benedetta, Le forze umane, Milan, Altana, 1998 ; HUELTEN P. (dir.), Futurisme & Futurismes, Milan, Bompiani, 1986.
BENEDETTI, Giovanna [PANAMÁ 1949]
Écrivaine et journaliste panaméenne.
Étant donné le caractère éclectique de sa formation professionnelle (droit, sciences politiques, arts plastiques, journalisme), effectuée à l’étranger, sa création littéraire a surgi tardivement. Néanmoins, dès la parution de son premier recueil de nouvelles, La lluvia sobre el fuego (« la pluie sur le feu », 1982), elle s’est vu décerner le prix Ricardo-Miró. Reconnue pour son travail dans l’administration gouvernementale du Panamá ainsi que dans divers organismes internationaux, elle a été récompensée dans son pays et à l’étranger pour son œuvre. Elle a reçu le prix Ricardo-Miró pour son essai El sótano dos de la cultura (« le deuxième sous-sol de la culture », 1985). Dans cette compilation de huit textes, elle développe un dialogue autour du concept de culture, depuis la sociologie de l’esthétique et la pratique de la gestion culturelle jusqu’à l’identité nationale, en passant par la problématique du statut sociojuridique des artistes et des intellectuels. Le recueil Entonces, ahora, luego (« alors, maintenant, après », 1993), qui rassemble des poèmes ludiques et naturalistes, et le recueil Entrada abierta a la mansión cerrada (« entrée ouverte au manoir fermé », 2006) retracent le périple de G. Benedetti à travers un monde onirique et sensoriel. L’écrivaine a aussi fait quelques incursions dans le journalisme culturel avec les essais El camino de los andantes, Bolívar et Don Quijote (« le chemin des errants, Bolívar et Don Quichotte », 1997) et Las claves de Lorca (« les clés de Lorca », 1998), qui lui ont valu à Cuba le prix international de journalisme José-Marti en 1991.
Silvia COLMENERO MORALES
BENEDICT, Ruth Fulton [NEW YORK 1887 - ID. 1948]
Anthropologue américaine.
Mondialement reconnue, Ruth Fulton Benedict est l’une des premières anthropologues et la première femme à obtenir un poste de professeure à la faculté de sciences sociales de l’université Columbia. Élève de Franz Boas, elle est l’une des fondatrices de l’école Culture et personnalité qui marqua l’anthropologie nord-américaine des années 1930-1940. Son parcours universitaire débute à la New School for Social Research. Encouragée par sa professeure Elsie Clews Parsons*, elle commence à fréquenter le programme de doctorat de l’université Columbia. En 1923, elle soutient la thèse The Concept of the Guardien Spirit in North America, une approche innovante par sa proposition d’intégrer l’expérience individuelle dans ses analyses. La reconnaissance de son travail est venue tardivement, à travers Patterns of Culture (1934), un best-seller aux États-Unis, dans lequel elle développe ses principaux concepts sur le rapport des individus à leur culture ; idées qui vont inspirer la théorie du relativisme culturel. Elle prône la méthode comparative, mais pratique une anthropologie centrée sur le groupe étudié à travers l’analyse approfondie de la totalité de ses expressions culturelles. Les cultures des Indiens pueblos et des Japonais sont au centre de son œuvre, mais son objectif – au-delà de la simple description d’un groupe – vise les « changements illuminés » de toute société. Cet engagement apparaît explicitement dans Race : Science and Politics (1940), livre qui combat les théories nazies, et qu’elle présente dans de nombreuses conférences à travers les États-Unis. Avant de devenir anthropologue, R. Benedict était poétesse sous le pseudonyme d’Anne Singleton ; sa capacité d’esthétiser l’écriture et d’éviter le jargon scientifique a élargi le lectorat de son œuvre. En 1922, elle rencontre Margaret Mead* qui va l’aider à écrire pour le grand public. Ce rapprochement entre critique littéraire, poésie et ethnographie anticipe les tendances de l’anthropologie contemporaine. The Crysanthemum and the Sword : Patterns of Japanese Culture (1946), best-seller sur l’ethos japonais, a été utilisé par le gouvernement américain pour empêcher le démantèlement des structures culturelles des peuples vaincus après la guerre. Cette œuvre demeure une admirable tentative de représentation holistique d’une culture, même si cette « anthropologie à distance » a pu depuis faire l’objet de quelques critiques. La vie personnelle de R. Benedict n’a pas été ignorée par ses biographes : sa « différence » dans les années de jeunesse – attribuée par sa famille à une mauvaise audition –, les passages de son journal où elle réfléchit sur la partie « mâle » et « femelle » de son tempérament, son mariage en 1914 et son divorce en 1930 avec le biochimiste Stanley Benedict, ses relations amoureuses avec des étudiantes, la complexe relation d’amitié et d’amour avec M. Mead, et finalement sa liaison avec le Dr Ruth Valentine, psychologue, avec qui elle a vécu à la fin de sa vie. Au soir de sa carrière, R. Benedict soutenait l’importance de repenser le concept de relativisme pour éviter les dangers du nihilisme. Même si ses écrits ont été critiqués par les théoriciens contemporains, ses idées sur le self, l’approche holistique d’un groupe social, l’interdisciplinarité dans l’écriture anthropologique, son rapprochement avec la littérature et la psychologie, sont toujours pertinentes. À sa mort, elle laisse plusieurs projets inachevés. Bien qu’un livre posthume ait été publié par M. Mead (1974), la plupart de ses écrits restent inédits. R. Benedict a écrit sur Mary Wollstonecraft* et avait entamé la biographie de deux autres féministes : Margaret Fuller* et Olive Schreiner.
Carmen RIAL et Miriam GROSSI
■ BANNER L. W., Intertwined Lives : Margaret Mead, Ruth Benedict, and Their Circle, New York, Vintage Books, 2004 ; KOHL J., « Ruth Fulton Benedict », in TYRKUS M. J., Gay and Lesbian Biography, Detroit, St James Press, 1997 ; MEAD M., Ruth Benedict, New York, Columbia University Press, 1974 ; MODELL J., « Ruth Fulton Benedict », in GACS U., KAN A., MCINTYRE J., WEIBERG R. (dir.), Women Anthropologists, Urbana, University of Illinois Press, 1989 ; YOUNG V. H., Ruth Benedict : Beyond Relativity, Beyond Pattern, Lincoln, University of Nebraska Press, 2005.
BENEDICTSSON, Victoria [DOMME, SCANIE 1850 - COPENHAGUE 1888]
Écrivaine suédoise.
Victoria Benedictsson est l’écrivaine la plus célèbre des auteurs nordiques de la percée moderne*. Grâce à des textes au style dépouillé, composés de phrases simples, elle parvient à sortir de ce « débarras de petitesse » qu’est la situation existentielle de la femme, prisonnière de l’image que se fait d’elle la culture, essentiellement masculine. En constatant qu’il lui est impossible de réaliser son rêve de devenir artiste, elle épouse à l’âge de 21 ans un veuf de trente ans son aîné. Une maladie des jambes l’ayant libérée de ses devoirs de maîtresse de maison, elle se consacre à l’écriture. Sa carrière littéraire est très courte. De son vivant, et sous le pseudonyme de Ernst Ahlgren, elle publie deux recueils de nouvelles, Från Skåne (« de la Scanie », 1884) et Folkliv och småberättelser (« vie de petites gens et courts récits », 1887), deux romans, Pengar (« argent », 1885) et Fru Marianne (« madame Marianne », 1887), et quelques pièces de théâtre. Ce sont ses publications posthumes, dont son célèbre journal intime, qui lui assurent une place unique dans l’histoire de la littérature suédoise. Dans ses écrits, la haine de soi en tant que femme se heurte constamment à l’ambition frondeuse : elle cherche à surmonter la difficulté d’être née femme et d’être considérée comme un être sexué plutôt que comme un être humain. Ses œuvres empruntent certains de leurs thèmes à la littérature réaliste de gauche de son époque : le mariage comme institution sociale démodée, l’éducation conventionnelle des filles, l’émancipation féminine, les conditions de vie de la classe ouvrière, l’égalité entre les sexes, le conflit entre la ville et la campagne. C’est son programme esthétique visant à créer un réalisme féminin plus véridique qui détermine son originalité : il s’agit d’un réalisme approfondi par une analyse psychologique perspicace. Son journal intime, Stora boken (« le grand livre », 1882-1888), long d’un millier de pages, frappe par la rigueur de l’auto-analyse, faisant de son auteure un témoin exceptionnel de la destructivité inhérente à l’ordre patriarcal. Il explore le conflit le plus douloureux de la littérature de la fin du XIXe siècle, celui de la double morale sexuelle et de la campagne que les radicaux mènent en faveur de l’amour libre sans se soucier de ses conséquences : une vulnérabilité accrue de la femme et une propagation sans précédent de la syphilis. Ce journal est un témoignage sur l’époque où, objet érotique menacé d’anéantissement, la femme décide de prendre la parole. Analyse que l’écrivaine paiera de sa propre vie.
Ebba WITT-BRATTSTRÖM
■ HOLM B., Victoria Benedictsson, Stockholm, Natur & Kultur, 2007 ; LARSSON L., Hennes döda kropp, Victoria Benedictssons arkiv och författarskap, Stockholm, Weyler, 2008 ; LUNDBO LEVY J., Den dubbla blicken. Om att beskriva kvinnor : ideologi och estetik i Victoria Benedicssons författarskap, Stockholm, Hammarström & Åberg, 1982 ; MAURY L., L’Amour et la Mort d’Ersnt Ahlgrén, Paris, Stock, 1945.
BENERITO, Ruth (née ROGAN) [LA NOUVELLE-ORLÉANS 1916 - METAIRIE, LOUISIANE 2013]
Chimiste américaine.
Soutenue par un père qui tenait à ce que ses filles reçoivent la même éducation que les garçons, Ruth Rogan intègre l’université de Tulane (Louisiane) à l’âge de 15 ans et se spécialise en chimie. Elle obtient son diplôme alors que la Grande Dépression frappe les États-Unis. Le marché de l’emploi est difficile, elle ne peut réaliser son rêve d’embrasser une carrière de recherche. Elle enseigne alors au lycée et obtient un doctorat après la Seconde Guerre mondiale. En 1950, elle se marie avec Frank Benerito et rejoint les laboratoires de recherche du département américain de l’Agriculture (USDA) à La Nouvelle-Orléans où elle fera toute sa carrière. En parallèle, elle continue d’enseigner à l’université de Tulane jusqu’à l’âge de 81 ans. Spécialisée dans la chimie de la cellulose et dans ses applications au coton, elle a déposé 55 brevets. Le plus important concerne un procédé pour rendre le coton infroissable. Au cours de la guerre de Corée, elle a également développé une émulsion pour nourrir les blessés graves par intraveineuse. En 2002, à l’âge de 86 ans, elle a reçu le prix Lemelson-MIT Lifetime Achievement pour son travail scientifique et son engagement dans l’enseignement.
Carole ÉCOFFET
■ BAILEY M. J., American Women in Science : A Biographical Dictionary, Oxford, ABC-Clio, 1994.
BENEŠOVÁ, Božena [NAPAJEDLA 1873 - PRAGUE 1936]
Écrivaine tchèque.
Aînée d’une famille de 10 enfants, Božena Benešová se consacre, après ses études secondaires, à la lecture et à l’apprentissage du français, mais son père s’oppose à son désir de devenir enseignante et la destine à un mariage qu’elle refuse. Dans la vaste galerie de personnages masculins qui jalonnent son œuvre narrative, celui du père aimé dont la fille tente de gagner la considération et la compréhension est récurrent. C’est avec une poésie de facture symboliste qu’elle fait ses premières armes au début des années 1890. Puis elle rencontre Růžena Svobodová*, qui reconnaît son talent, l’aide à faire éditer ses textes et à s’installer à Prague en 1908, contre la volonté de la famille. En 1909, elle publie le recueil de poèmes Verše věrné i proradné (« poèmes fidèles et perfides »). Elle s’essaie ensuite à la dramaturgie, mais c’est avec des œuvres en prose mêlant l’analyse psychologique et l’éthique qu’elle retient finalement l’attention.
Ses récits mettent en scène désenchantements et désillusions, de l’adolescence à l’âge adulte, avec Nedobytá Vitěství (« des victoires non acquises », 1910), Myšky (« les petites souris », 1916), Kruté Mladí (« cruelle jeunesse », 1917) ou Tiché Dívky (« jeunes filles silencieuses », 1922). Son œuvre romanesque brosse un tableau complet de la société tchèque, et tout particulièrement de la société morave, durant et après la Première Guerre mondiale. Člověk (« l’homme », 1919-1920), roman en deux parties, met en scène la dépression d’un artiste qui trouve dans la soumission à Dieu la seule voie rédemptrice. Ce thème du rachat est présent dans la trilogie Úder (« la secousse », 1926), Podzemní plameny (« flammes souterraines », 1929), Tragická duha (« l’arc-en-ciel tragique », 1933) : l’héroïne s’égare dans des conceptions révolutionnaires, s’écarte de certains impératifs moraux et commet des injustices qu’elle finit par réparer.
Stéphane GAILLY
■ MENCLOVÁ V., VANEK V. (dir.), Slovník českých spisovatelů, Prague, Libri, 2005 ; MOLDANOVÁ D., Odkazy pokrokových osobností naší doby, Božena Benešová, Prague, Melantrich, 1976 ; MUKAŘOVSKÝ J. (dir.), Dějiny české literatury, Prague, Victoria Publishing, 1995 ; VOISINE-JECHOVÁ H., Histoire de la littérature tchèque, Paris, Fayard, 2001.
BENEY, Geneviève [PARIS 1949]
Prêtre catholique française.
Mariée à un protestant, sans enfants et titulaire d’un diplôme en théologie obtenu au début des années 1980 à la faculté de Strasbourg, Geneviève Beney a été ordonnée prêtre par trois femmes évêques – Gisela Forster*, Christine Mayr-Lumetzberger et Patricia Fresen* – le 2 juillet 2005, sur une péniche à Lyon. Elle est alors excommuniée par l’Église catholique, qui refuse l’ordination des femmes à la prêtrise. Elle découvre le « mouvement des femmes ordonnées » en rejoignant l’association le Parvis en 2002. Après un an et demi de formation à distance, elle est ordonnée diacre par un évêque autrichien lors d’une cérémonie sur le Danube en juin 2004. En 2005, elle devient la première femme prêtre de France.
Lucie VEYRETOUT
■ SMITH R., RAUX-SAMAAN C. (dir.), Le Livre de l’année 2005, Paris, Liriade, Trésor du patrimoine, 2006.
■ KASSA S., « Geneviève Beney, catholique ordonnée prêtre en dehors de l’institution », in Le Monde des religions, no 33, janv.-fév. 2009 ; TINCK H., « Bientôt, la première ordination “sauvage” d’une femme prêtre à Lyon », in Le Monde, 26 mai 2005.
BENEY, Zsuzsa [BUDAPEST 1930 - LEÁNYFALU, PEST 2006]
Femme de lettres et pneumologue hongroise.
Le premier recueil de poésies de Zsuzsa Beney, Tűzföld (« terre de feu »), paraît en 1972 avec une préface du célèbre poète Sándor Weöres. Son premier recueil d’essais, Ikertanulmányok (« études jumelles », 1973), est consacré à l’art d’Attila József. Son roman Napló, előtte és utána (« journal, avant et après », 1987) est inspiré par son expérience de la vie et de la mort. Les thématiques centrales de sa poésie subtile sont la douleur, la réflexion sur l’être et le non-être, le fonctionnement des paradoxes et leur expression poétique. Ses essais sont une méditation sur les deux forces qui déterminent l’art moderne, l’ambivalence et l’angoisse. Elle y constate une parenté dans les méthodes de création d’A. József et de János Pilinszky, décrit la vision du monde pittoresque de S. Weöres, et met l’accent, au sujet du prosateur Géza Ottlik, sur l’impossibilité de la communication et des relations humaines à l’époque moderne. Ses analyses portent sur des problématiques jamais ou à peine abordées par la critique. Écrivaine à l’activité intense, Z. Beney a aussi été maître de conférence à partir de 1993, à l’université de Miskolc, puis à l’Université catholique, et a travaillé jusqu’à 70 ans comme pneumologue.
Anikō ÁDÁM
■ Between Words and Silence (Szó és csend között, 1993), Londres, Mare’s Nest, 1999.
■ GYIMESI A., « Beszélgetés Beney Zsuzsával », in Ponticulus hungaricus, vol. 10, nos 7-8, juil.-août 2006.
BENGA, Sokhna (née MBENGUE) [DAKAR 1967]
Écrivaine sénégalaise.
Sokhna Benga est l’auteure de romans, de poèmes, de scénarios, d’ouvrages jeunesse et d’une pièce de théâtre. Très jeune, alors qu’elle étudie le droit à l’université de Dakar puis de Brest au début des années 1990 avec une spécialisation dans le droit maritime, elle publie son premier roman, Le Dard du secret (1990), qui contient déjà les deux genres dans lesquels elle excelle, le roman de mœurs et le roman policier. Encouragée par son père, le journaliste et écrivain Ibrahima Mbengue, elle poursuit désormais une double carrière. De 1997 à 2000, elle s’occupe également d’encadrement scolaire (écoles, MJC) et de personnes en difficulté (MJC, prisons) au travers d’ateliers d’écriture organisés dans l’Essonne. De retour à Dakar, elle dirige de 2002 à 2005 les Nouvelles Éditions africaines du Sénégal (NEAS) et est nommée, en 2006, administratrice des Affaires maritimes à la Direction de la marine marchande (DMM).
S. Benga croit au pouvoir de l’écriture dans la dénonciation des dérives sociales et politiques auxquelles non seulement le Sénégal mais tout pays doit faire face. Dans son roman La Balade du sabador (2000), elle traite du mysticisme et des croyances sénégalaises, entre merveilleux, irréel et réel. À travers l’histoire de deux jumelles, Mayé la révoltée et Ngoye la soumise, elle dénonce des faits sociaux et pose la question des différents comportements de la femme africaine aujourd’hui face aux exigences de la société sénégalaise. Le roman Bayo (2007) poursuit la question de la position de la femme et plus précisément du rapport entre les générations dans un monde en constante évolution. Sur fond de vie politique et sociale du Sénégal depuis 1940, nous suivons le personnage de Sabel, mère de famille heureuse en ménage, fermement décidée à offrir à ses enfants un foyer plein d’amour et à leur épargner l’enfance difficile qu’elle-même a connue. Aussi ne comprend-elle pas leurs choix lorsque, en passe de devenir adultes, ils rejettent ce qui leur est donné pour suivre des chemins plus tortueux. Avec la trilogie Le temps a une mémoire (2007), composée de courts romans, c’est au genre policier que S. Benga revient, dans un style oral plus proche de ses scénarios.
Frédérique DONOVAN
■ Le Dard du secret, Dakar, Khoudia, 1990 ; La Balade du sabador, Dakar/Corbeil-Essonne, Le Gai Ramatou/S. Millet, 2000 ; Bayo, Abidjan, NEA/CEDA, 2007 ; Le temps a une mémoire. Le médecin perd la boule, Dakar, Oxyzone, 2007 ; Le temps a une mémoire. Les souris jouent au chat, Dakar, Oxyzone, 2007 ; Le temps a une mémoire. La caisse était sans proprio, Dakar, Oxyzone, 2007.
BENGELL, Norma (Norma ALMEIDA PINTO GUIMARÃES D’ARÊA BENGELL, dite) [RIO DE JANEIRO 1935]
Actrice, chanteuse et réalisatrice brésilienne.
Vedette de spectacles musicaux et chanteuse de night-club à Rio, Norma Bengell devient vite l’une des actrices les plus belles, charismatiques et libres du cinéma brésilien. En cinquante ans de carrière, elle a traversé les principaux courants du cinéma brésilien et a tourné avec les plus grands cinéastes du pays. Débutant en 1958 dans une chanchada (« comédie musicale ») tardive, O homem do sputnik (« l’homme du spoutnik »), réalisée par Carlos Manga, un maître de ce genre populaire, elle provoque ensuite le scandale avec une longue scène de nu frontal (la première du cinéma brésilien) dans La Plage du désir (Os cafagestes, Ruy Guerra 1962). En 1962, la Palme d’or attribuée, à Cannes, à La Parole donnée (O pagador de promessas, Anselmo Duarte), où elle interprète une prostituée, lui ouvre une carrière internationale. Elle tourne en Italie, en France et aux États-Unis, tout en jouant dans des films importants dus aux principaux réalisateurs du cinema novo brésilien – Les Dieux et les Morts (Os Deuses e os mortos, R. Guerra, 1970) ; A casa assassinada (« la maison assassinée », Paulo César Saraceni, 1971) ; L’Âge de la terre (A idade da terra, Glauber Rocha, 1980) ; Tensão no Rio (« tension à Rio », Gustavo Dahl, 1981) –, aux plus talentueux dissidents de ce courant – O anjo nasceu (« l’ange est né », Júlio Bressane, 1969) ; Tabu (« tabou », J. Bressane, 1982) ; O abismo (« l’abîme », Rogério Sganzerla, 1977) –, ou à des cinéastes de São Paulo extérieurs au mouvement – Noite vazia (« nuit vide », Walter Hugo Khouri, 1964) ; Eros, o deus do amor (« Éros, dieu de l’Amour », W. H. Khouri, 1981) ; Mar de rosas (« mer de roses », Ana Carolina*, 1977). Depuis la fin des années 1970, elle mène de front sa carrière d’actrice de cinéma et de télévision, et se lance dans la réalisation avec Eternamente Pagu (« Pagu, éternellement », 1987, dont elle a écrit le scénario), suivi de O Guarani (1996) et de Infinitivamente Guiomar Novaes (2003).
Mateus ARAUJO SILVA
BENGER, Elizabeth OGILVY [WEST CAMEL, SOMERSET 1778 - LONDRES 1827]
Écrivaine britannique.
Fille unique, ballotée par ses parents de ville en ville – son père travaillait dans les ports anglais –, Elizabeth Ogilvy Benger manifeste très tôt un désir vorace de lecture. À 12 ans, elle sait lire et parler le latin et pour pouvoir continuer ses études, elle est envoyée dans une école de garçons. Elle est surtout connue pour son long poème qui défraye la chronique d’alors, The Female Geniad, écrit à 13 ans et qu’elle publie en 1791 sous son nom et avec mention de son âge. Le texte, d’une étonnante maturité, est un hommage à la féminité et aux écrivaines, célébrant en vers les grandes poétesses depuis Sapho* jusqu’aux contemporaines qu’elle admire, telles que Mrs Barbauld*, Hannah Cowley*, Frances Brooke*, Hannah More* ou Clara Reeve*. Pour subvenir à ses besoins, elle écrit biographies, romans (Marian, 1812 ; The Heart and the Fancy, « le cœur et l’attirance », 1813), mémoires historiques sur Anne Boleyn (1821), Marie Stuart (1823) ou Elizabeth Stuart, reine de Bohême (1825), et un poème sur l’abolition du trafic des esclaves (1806). Tous ses textes insistent sur le génie particulier de ces femmes qui ont indiscutablement égalé les hommes dans de nobles et courageuses entreprises d’envergure nationale. Elle n’a jamais vraiment été reconnue en Angleterre et est morte dans la pauvreté, bien qu’elle ait entretenu l’intérêt qui va grandir au cours du XIXe siècle pour la situation de la femme dans la société. En cela, elle fut admirée par Mme de Staël*.
Michel REMY
BENGLIS, Lynda [LAKE CHARLES, LOUISIANE 1941]
Plasticienne américaine.
Titulaire, entre autres, d’un doctorat du Kansas City Art Institute (2000), Lynda Benglis s’installe à New York en 1964, où elle développe une œuvre en réaction aux lois rigides du modernisme et du minimalisme. En 1965, elle réalise ses premiers Wax Paintings, des reliefs en cire en forme de totems. Fusionnant la matière, la forme et le contenu, elle s’implique dans le postminimalisme, avec la manifestation prégnante de son processus de création (process). Sa série des Fallen Paintings (« peintures déchues ») fait référence à Jackson Pollock, aux débats sur la mort de la peinture, et s’inscrit dans l’abstraction lyrique ou excentrique. En 1969, son travail in situ, trop coloré et illusionniste, est exclu de l’exposition Anti-Illusion : Procedures/Materials du Whitney Museum. Ses Expansions en mousse de polyuréthane sont présentées dans trois expositions personnelles en 1970, et elle conçoit, l’année suivante, six installations majeures en porte-à-faux : la série des Wings (« ailes ») éphémères et parfois phosphorescents. L’artiste parle alors de frozen gesture (« geste figé »). En 1972, elle commence la série de sculptures murales, Knots (« nœuds »), contorsionnant des matériaux pauvres – coton, plâtre, grillage –, auxquels elle ajoute de la peinture acrylique et des paillettes (Sparkle Knots) ou qu’elle « métallise » (vaporisation de zinc, aluminium, cuivre). L. Benglis est une vidéaste pionnière. Elle réalise plusieurs films avec Robert Morris : Mumble (« marmonnement », 1972), Now (1973) et Female Sensibility (1973) soulignent et ridiculisent les questions politiques de genre, les déséquilibres de pouvoir, la relation directeur/performeur et les préjugés sexuels. Elle subvertit les techniques de représentation machistes dans les médias afin de contrôler son image dans la série des Sexual Mockeries (1972-1976), photographies orchestrées pour ses cartons d’invitation et publicitaires. Ce travail est adapté dans des assemblages de Polaroid, Secrets (1974-1975), et culmine dans une double-page du magazine Artforum publié en 1974, où elle pose nue avec un godemiché, sujet d’une controverse qui s’étend bien au-delà du monde de l’art américain. En 1975, elle coule certaines de ses sculptures de plastique en bronze, dont Eat Meat (1973). Dans son exposition Sculpture chez Paula Cooper en novembre 1975, l’installation Primary Structures (Paula’s Props) marque sans doute un tournant : tel un tableau théâtral en ruine, cette œuvre comprenant un drapé de velours, des colonnes classiques en métal, deux plantes – l’une vraie, l’autre factice – est une allusion directe à une exposition de sculpture minimaliste en 1966. Elle constitue une réflexion sur l’art, la réalité, la consommation à outrance et le spectacle. L’artiste prend alors ses distances avec la scène new-yorkaise et revendique un certain flounce (déhanchement maniériste ou décoratif). Les termes « proprioception » (perception de soi dans l’expérience même de la sculpture) et « configuration » sont utilisés par la plasticienne pour résumer son travail sur l’idée, le corps, l’environnement, la perception, l’immédiateté, l’implication sensuelle du créateur et du spectateur. Les surfaces et les textures continuent à s’élargir dans la deuxième moitié des années 1970, avec les séries sculptées des Lagniappes, des Torses, des Peacocks (« paons ») et le début des Pleats (« plis ») ; ces derniers, aux titres souvent empruntés à l’industrie automobile, sont créés par son action sur des mailles d’acier ensuite métallisées. Wave (The Wave of the World, 1983-1984), la sculpture-fontaine en bronze monumentale commandée pour la Louisiana World Exposition à La Nouvelle-Orléans, dénote son retour aux problématiques d’environnement au sens littéral (paysage, nature et climat) et figuré (captation), déjà présentes dans Wings. Dans les années 1990-2000, L. Benglis expérimente une sculpture monumentale de briques taillées, Chimera (1995), en Inde. Elle utilise par ailleurs du verre, de la céramique ou du papier pour ses créations. Le travail de moulage se complexifie davantage avec la série des Pedmarks (1995-1998), et les nouvelles potentialités des polyuréthanes sont matérialisées dans les Hot Spots (« points chauds » ou « zones sensibles »), The Graces (2003-2005) et les fontaines (Double Fountain, 2007 ; North South East West, 2009).
Caroline HANCOCK
■ Physical and Psychological Moments in Time : A First Retrospective of the Video Work of Lynda Benglis (catalogue d’exposition), Oneonta, Fine Arts Center Gallery, 1975 ; Dual Natures (catalogue d’exposition), Atlanta/Seattle, High Museum of Art/Washington University Press, 1990 ; Lynda Benglis (catalogue d’exposition), Gautherot F., Hancock C., Kim S. (dir.), Dijon, Les Presses du réel, 2009.
BENGUIGUI, Yamina [LILLE 1957]
Réalisatrice et femme politique française.
Née de parents algériens résidant en France, Yamina Benguigui est une réalisatrice reconnue pour la qualité et la constance d’un travail contribuant à la constitution et à la diffusion d’une mémoire visuelle de l’immigration. Elle a d’abord essentiellement réalisé des documentaires. Après la série Femmes d’Islam (1994), le documentaire Mémoires d’immigrés, l’héritage maghrébin (1997) rencontre un grand succès. Saisissant de justesse, il constitue à partir de l’expérience des pères, des mères, des enfants un portrait pluriel à la première personne du singulier, une fresque qui semble remplir un étrange vide d’images. Le Jardin parfumé (2000) s’intéresse au regard que les jeunes des pays du Maghreb portent sur le désir et la sexualité. Plafond de verre, les défricheurs (2004) enregistre l’écart entre les trajectoires professionnelles des jeunes issus de l’immigration et celles auxquelles ils pourraient légitimement prétendre. Pimprenelle est l’un des courts-métrages constituant Pas d’histoires ! 12 regards sur le racisme au quotidien (2001). Son premier long-métrage de fiction, Inch’Allah dimanche (2001), évoque la difficile adaptation d’une jeune femme algérienne arrivée en France en 1974 pour y retrouver son mari. En 2006, Y. Benguigui cofonde Elemiah, une société de production ayant vocation à soutenir les œuvres multiculturelles ; elle y réalise 9/3, mémoire d’un territoire (2008), une reconstruction historique en trois actes du désastre humain de la banlieue nord-est de Paris. Adjointe à la Mairie de Paris en charge des Droits de l’homme et de la Lutte contre les discriminations depuis 2008, elle quitte ses fonctions en juin 2012 lorsqu’elle est nommée ministre déléguée auprès du ministre des Affaires étrangères, chargée de la Francophonie.
Patricia CAILLÉ
BENHABIB, Seyla [ISTANBUL 1950]
Philosophe turque.
Après des études de philosophie et de théorie politique dans les universités de Brandeis, Yale et J. W.-von-Goethe à Francfort, Seyla Benhabib a été professeure de théorie politique à Harvard, a enseigné à New York à la New School for Social Research et à Boston. Elle est « Eugene Meyer Professor » à l’université de Yale. Ses recherches portent sur la pensée sociale et politique européenne des XIXe et XXe siècles (principalement Max Weber, l’École de Francfort et Hannah Arendt*). Elle est également reconnue pour ses contributions à la théorie politique moderne et son histoire, à la théorie de la démocratie, et aux fondations de l’éthique. Democracy and Difference : Contesting Boundaries of the Political (« démocratie et différence, contester les frontières du politique », 1996) pose le problème de la mise à l’épreuve de la démocratie par les revendications d’identités et de différences (aussi bien les tendances nationalistes et ethniques dans les pays d’Europe centrale et de l’Est que les mouvements sociaux récents en Europe et aux États-Unis ou encore la question du séparatisme culturel au Canada). Identities, Affiliation and Allegiances (2007, avec I. Shapiro et D. Petranovic) analyse les identités politiques dans le contexte d’un monde globalisé. The Rights of Others (2004), qui a remporté le prix Ralph-Bunche de l’Association américaine de science politique et le prix de la Société nord-américaine de philosophie sociale (2004), s’interroge sur les frontières de la communauté politique à partir des principes et pratiques d’« incorporation » des étrangers, immigrés, primo-arrivants, réfugiés ou demandeurs d’asile. S. Benhabib défend le concept de frontières non pas ouvertes mais « poreuses ». Elle associe universalisme moral et vision cosmopolite inspirée de Kant pour élargir la définition du concept de « droit d’hospitalité ». Another Cosmopolitanism (2008, avec R. Post) étudie la façon dont la souveraineté de l’État démocratique libéral réagit aux pressions grandissantes d’un ordre cosmopolitique de justice globale basé sur les droits humains universels. Le travail de S. Benhabib constitue en outre un apport essentiel à la théorie et aux études féministes. Après la phase de déconstruction théorique qui a révélé la méconnaissance des discriminations de genre inhérentes à notre héritage intellectuel, Feminism as Critique (1996, avec D. Cornell) est né du projet d’une reconstruction théorique du féminisme. Situating the Self. Gender, Community and Postmodernism in Contemporary Ethics (« Situer le soi. Genre, communauté et postmodernisme dans l’éthique contemporaine », 1992) articule les thèmes qui lui sont chers : reformulation et élargissement de la perspective éthique habermassienne, critique des théories féministes postmodernes, souci d’un humanisme concret et d’un universalisme sensibles aux contextes sociaux et personnels dans lesquels les personnes posent leurs décisions morales, et interrogations sur les conditions dans lesquelles l’émancipation des femmes devient pensable.
Claire PAGÈS
■ GOMEZ-MULLER A. et ROCKHILL G. (dir), Critique et subversion dans la pensée contemporaine américaine. Entretiens, Paris, Éditions du Félin, 2010.
BEN HAÏM, Marylise VOIR BEN, Myriam
BEN HAMIDA, Essma [KAIROUAN 1951]
Entrepreneuse tunisienne.
Essma Ben Hamida est cofondatrice et présidente d’Enda inter-arabe, la première et plus grande institution de microcrédit en Tunisie. Son grand-père, avocat à Kairouan, lui a inculqué très jeune les valeurs d’intégrité et de justice. Diplômée d’histoire et de géographie, elle enseigne pendant quelques années puis devient journaliste. Elle s’installe à New York dans les années 1970 et crée la première agence de presse tunisienne à l’Onu. Embauchée ensuite comme reporter par la Fondation internationale pour un autre développement (Fipad), à Rome et à Genève, E. Ben Hamida découvre le rôle important joué par les ONG dans le développement. Après douze années passées à l’étranger, elle retourne en Tunisie. Avec son mari Michael Cracknell, elle fonde à Tunis en 1990 Enda inter-arabe, dont l’objectif est d’aider ceux qui n’ont pas accès au capital à développer leurs propres ressources. La créatrice est convaincue que les femmes sont une force de développement et qu’elles doivent pouvoir devenir économiquement indépendantes. Elles représentent les trois quarts de ses clients microentrepreneurs. Enda accorde aussi des prêts aux hommes, à condition que leurs épouses en soient garantes : hommes et femmes apprennent ainsi à travailler ensemble et les esprits s’habituent à ce que les femmes dirigent des entreprises. Moyennant de faibles cotisations, Enda offre par ailleurs des services conçus pour développer les compétences des femmes microentrepreneuses : cercles de discussion, alphabétisation, développement des entreprises, marketing, éducation financière, formation. Enda inter-arabe a été classée parmi les institutions de microcrédit les plus performantes du monde et E. Ben Hamida a reçu le Prix de l’entrepreneur social de l’année lors du Forum économique mondial sur la région du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord (Mena) qui s’est tenu à Marrakech en 2010. Elle est actuellement présidente de Sanabel, réseau de microfinance des pays arabes.
Jacqueline PICOT
BENHAMOU EL-MADANI, Rahma [AÏN KIHAL 1966]
Productrice et réalisatrice franco-marocaine.
Née en Algérie dans une famille marocaine, Rahma Benhamou el-Madani arrive dans le Bordelais avec ses parents en 1972. Elle fait des études en sciences du langage, lettres et cinéma, puis se lance dans la réalisation de films fortement engagés. Plus fort que tout le reste ? (2005), court-métrage de fiction, questionne la possibilité du mariage dans un couple « mixte ». Parmi ses films documentaires, on peut citer Du côté de chez soi (2003), qui revient sur l’histoire de ses parents et, à travers elle, sur l’expulsion d’Algérie de près de 40 000 Marocains en 1975, lors des tensions liées au conflit du Sahara occidental. Elle les interroge sur leur relation douloureuse à ce pays qu’ils ont dû quitter, sur leur silence. Je suis sur la route (2005) suit une femme chauffeur de taxi en Picardie ; Je suis chez moi (2007), des sans-papiers et des militants de Réseau éducation sans frontière (RESF) dans le quartier de Belleville, à Paris. Dans Tagnawittude (2010), elle évoque un souvenir d’enfance, les transes de sa mère, pour explorer l’histoire mystique des Gnawas à travers le travail du groupe Gnawa Diffusion, qui opère une synthèse dynamique entre musique traditionnelle et des apports contemporains, pointant ainsi la porosité des cultures africaines et maghrébines qui se redessinent au fil des migrations. Son premier long-métrage de fiction, La Chute de Lunchan, est actuellement en développement.
Patricia CAILLÉ
BENIS SINACEUR, Hourya [CASABLANCA 1949]
Philosophe marocaine.
Ancienne élève de l’École normale supérieure de Sèvres, Hourya Benis Sinaceur enseigne parallèlement en France, d’abord à l’Université Panthéon-Sorbonne puis au CNRS, et au Maroc, à l’IURS de Rabat. Spécialiste marocaine des sciences, elle est membre du Comité national d’histoire et de philosophie des sciences de l’Académie des sciences de Paris et vice-présidente de l’Institut international de philosophie. Elle codirige depuis 1990 la collection « Mathesis » aux éditions Vrin. Dans le sillage de Jean Cavaillès et Jean-Toussaint Desanti, H. Benis Sinaceur adopte la « philosophie du concept » contre la « philosophie de la conscience », celle de l’existentialisme et de la phénoménologie. D’où son intérêt pour deux traditions philosophiquement très différentes mais réunies par une communauté d’interprétation bien réelle : d’une part la logique (celle de George Boole, Bernard Bolzano, David Hilbert et Alfred Tarski) ; d’autre part l’épistémologie française « appliquée ». La philosophe se distingue aussi par son engagement féministe dès le début des années 1970, et participe, en tant que femme du Sud, à des initiatives relevant de l’approche-empowerment sur la rive orientale de la Méditerranée. H. Benis Sinaceur fait partie des membres fondateurs du Réseau des femmes philosophes et a été désignée comme étant l’une des « 100 femmes qui font bouger la France ».
Soumaya MESTIRI
■ Corps et modèles : essai sur l’histoire de l’algèbre réelle, Paris, Vrin, 1991 ; Le Labyrinthe du continu, colloque de Cerisy, Paris, Springer-Verlag, 1992 ; Jean Cavaillès : philosophie mathématique, Paris, Presses universitaires de France, 1994.
BENIUŠEVIČIŪTĖ-ŽYMANTIENĖ, Julija VOIR ŽEMAITĖ
BENJAMIN, Elisabeth [LONDRES 1908 - ID. 1999]
Architecte britannique.
L’une des premières architectes britanniques à adhérer au modernisme, tant au niveau théorique que pratique, Elisabeth Benjamin a suivi les cours de l’Architectural Association (1927-1932), dont elle a complété le programme d’études par la lecture de Le Corbusier, s’imprégnant de l’esthétique moderniste et s’intéressant aux aspects sociaux de l’architecture. C’est une des très rares femmes à avoir été membre du groupe MARS (Modern Architecture Research Group), militant en faveur du modernisme en Grande-Bretagne. Sa conception a été guidée par des idéaux que l’on peut résumer par la simplicité, les bonnes proportions et un cadre de vie paisible pour les gens. Elle a conçu deux maisons modernes d’une cohérence et d’une fraîcheur étonnantes, une première à Wimbledon (1934-1935) avec Eugen C. Kaufmann (1892-1984) et une seconde à Gerrards Cross, la maison St George and Dragon (1936-1937), réponse moderniste au béton : blanche, de forme cubique, avec en contraste deux baies en courbe qu’elle a fortement conceptualisées.
Lynne WALKER
■ YORKE F. R. S., The Modern House in England, Londres, Architectural Press, 1937.
■ WALKER L., « Interview with Elisabeth Benjamin », in Twentieth Century Architecture, vol. 2 (special issue, The Modern House Revisited), 1996.
BENKOVÁ, Viera [BÁČSKY PETROVEC, AUJ. SERBIE 1939]
Écrivaine serbe.
D’origine slovaque de par sa mère, journaliste à la rédaction de l’hebdomadaire Hlas ľUdu et à Radio Novi Sad, à l’époque en Yougoslavie (actuelle Serbie), Viera Benková a étudié le tchèque et le slovaque à Belgrade. Ses nombreux recueils de poésie, émotionnels et suggestifs, se composent de thèmes intimes, d’éléments mythiques, d’images formées par des métaphores et des symboles, comme dans Májový ošiaľ (« la folie de mai », 1965), Koráb istoty (« le vaisseau de sûreté », 1975) ou Izoldin prsteň (« la bague d’Isolde », 1978). Ses deux derniers recueils de poésie s’intitulent Žltá krajina, čierne drozdy (« pays jaune, merles noirs », 2004) et Relikviár (« reliquaire », 2005). Elle a également écrit des textes en prose qui s’inspirent d’éléments de la culture et des coutumes de la minorité slovaque de basse Hongrie et de Yougoslavie, ainsi que des livres pour enfants.
Elena MELUŠOVÁ
■ MIKULA V. (dir.), Slovník slovenských spisovateľov, Prague, Libri, 1999.
BEN LAKHDAR, Zohra (née AKROUT) [TUNIS 1943]
Physicienne tunisienne.
Zohra ben Lakhdar grandit dans une petite ville proche de Sousse, à une époque où les filles n’accédaient pas aux études supérieures. Bachelière, soutenue par ses parents, elle intègre en 1963 la toute nouvelle faculté des sciences de Tunis avec quatre autres jeunes femmes (sur 200 inscrits). En 1967, elle obtient une bourse pour approfondir ses études à Paris. Elle s’y spécialise en spectroscopie et obtient un doctorat en 1978. En dépit de l’absence de structures de recherche scientifique en Tunisie, et malgré des propositions d’emploi en France, Z. ben Lakhdar et son mari, également physicien, retournent dans leur pays, où elle crée un laboratoire de spectroscopie en 1978, qui compte 34 personnes en 2012. Ses recherches portent sur l’utilisation de la lumière infrarouge pour l’étude des interactions moléculaires. Entre la physique et la chimie, la physique atomique et moléculaire représente un domaine essentiel, mais elle doit attendre 1995 pour acquérir un premier laser et se livrer à des mesures expérimentales. Son travail a fait progresser les disciplines scientifiques de l’optique et de la photonique, ainsi que leurs applications dans de nombreux domaines, de l’environnement à la biotechnique, dans toute l’Afrique. Au-delà de ses contributions scientifiques, ce sont ses capacités à fédérer et à structurer ces disciplines qui sont aujourd’hui reconnues.
Membre fondateur de la Société tunisienne d’optique, elle est l’auteure de dizaines d’essais. Élue à l’Académie des sciences du monde islamique (AIS) en 1994 et à l’Académie des sciences pour les pays en développement (TWAS) en 2006, elle a reçu le prix du ministère de la Recherche tunisien en 2004 et le prix L’Oréal-Unesco pour les femmes et la science en 2005.
Carole ÉCOFFET
■ Avec CHEKUIR LAHMAR S., KILANI GABSI M., « Women in physics in Tunisia », in Women in Physics : The IUPAP International Conference On Women In Physics, AIP Conference Proceedings, vol. 628, 2002 ; « Following the light, opening doors to science in Tunisia », in Science, vol. 310, 2 déc. 2005 ; « How and why I built a research laboratory », in Women in Physics : 2nd IUPAP International Conference on Women in Physics, IP Conference Proceedings, vol. 795, 2005.
BENLYAZID, Farida [TANGER 1948]
Productrice et cinéaste marocaine.
Figure incontournable du cinéma des femmes au Maroc, Farida Benlyazid étudie les lettres puis la réalisation à l’École supérieure des études cinématographiques à Paris, avant de se lancer dans la production. Elle est aussi la scénariste du très populaire À la recherche du mari de ma femme (Al-bahth an zaouj imaraatî, 1993), de Mohamed Abderrahman Tazi, et a collaboré avec Jilali Ferhati. Ses films qui relèvent du cinéma d’auteur sont le lieu d’une exploration des formes et s’intéressent, pour la plupart, aux personnages de femmes qui sont, de gré ou de force, en dehors des normes. Une porte sur le ciel (Bâb al-sama’maftuh, 1988) est le portrait d’une femme occidentalisée qui, rentrée brièvement au Maroc pour voir son père mourant, finit par y trouver une forme de sérénité en créant une zaouïa (ici, institution religieuse et refuge) pour les femmes. Le film offre ainsi la vision très rare d’un islam tolérant. Ruses de femmes (Keid Ensa, 1999) est un conte. Casablanca Casablanca (Casa ya casa, 2002), un thriller très populaire au Maroc, propose une représentation en coupe de la société marocaine en suivant un père à la recherche de sa fille mystérieusement disparue après l’assassinat de sa meilleure amie. Dans Juanita de Tanger (La Vida perra de Juanita Narboni, 2005), adaptation d’un roman d’Ángel Vásquez, un film à l’image et à la mise en scène très soignées, une femme égrène les souvenirs et les années, laissant ainsi le vide se faire autour d’elle, en s’accrochant au souvenir figé d’une époque coloniale cosmopolite dans la zone internationale de Tanger. Casanayda ! (It’s Moving, 2007), un documentaire coréalisé avec Abderrahim Mettour, prend à contre-pied les lieux communs sur la mondialisation et retrace, à partir du projet de la sociolinguiste Dominique Caubet, le parcours de toute une jeunesse marocaine urbaine qui se réapproprie une identité nationale contre la culture officielle en revisitant en darija, l’arabe dialectal marocain, les musiques du monde. Elle vient d’achever son cinquième long-métrage Fronteras (2012), un docu-fiction construit autour du personnage de Maïté, réalisatrice espagnole, qui arpente le désert à la découverte des habitants et de la culture du Sahara occidental.
Patricia CAILLÉ
BEN MABROUK, Nejia [EL-OUDIANE 1949]
Réalisatrice et scénariste tunisienne.
Nejia Ben Mabrouk étudie la littérature à Tunis et le cinéma à l’Insas de Bruxelles avant de travailler pour la télévision belge. Elle est l’auteure d’un court-métrage, Pour vous servir (1976). La Trace (Al-sâma), son long-métrage tourné en 1982, ne sortira qu’en 1988 du fait d’un conflit entre producteurs. Le film évoque avec une rare force le désir d’une jeune femme d’accéder à l’éducation et à la liberté alors que les murs la retiennent et que le monde extérieur peut s’avérer hostile. Elle a aussi participé à une œuvre collective documentaire sur la guerre du Golfe avec un court-métrage, À la recherche de Shaïma (1992), tourné en partie à Bagdad.
Patricia CAILLÉ
BEN MANSOUR, Latifa [TLEMCEN 1950]
Romancière et dramaturge algérienne.
Très tôt, Latifa Ben Mansour est confrontée aux atrocités de la guerre d’indépendance par la perte de son père alors qu’elle n’a que 4 ans. Après des études supérieures à Alger, elle soutient, en 1993, une thèse de linguistique en France. Elle enseigne ensuite à Paris et publie dans les domaines de la linguistique et de la psychanalyse. Son œuvre romanesque et dramatique est fortement marquée par la tragédie dans laquelle les violences intégristes ont plongé l’Algérie, exception faite de son premier roman, qui se déroule durant la guerre de libération nationale. En effet, dans Le Chant du lys et du basilic (1990), qui se présente comme une autobiographie romancée, l’écrivaine fait revivre, dans une Algérie déchirée par la guerre d’indépendance, une enfance semblable à la sienne, tiraillée entre deux cultures et traumatisée par les horreurs quotidiennes. La Prière de la peur (1997) et L’Année de l’éclipse (2001) peuvent se lire comme la dénonciation de tout un système politique gangrené par le cynisme et la corruption de dirigeants qui ont livré l’Algérie à « la fièvre des mosquées » et à des fanatiques qui sont « un coup de poignard apporté à l’Islam de l’intérieur ». Indignée par un islam dénaturé qui n’est plus celui de l’ouverture et de la tolérance qui lui a été inculqué, L. Ben Mansour, avec Les Mensonges des intégristes (1992) et Frères musulmans, frères féroces, voyages dans l’enfer du discours islamiste (2002), vise à démasquer la haine et la violence au cœur de l’idéologie prônée par les intégristes. Pour ce faire, l’essayiste confronte le discours des islamistes aux hadiths, ou dits du Prophète, et à des textes révélateurs d’une culture et d’une civilisation arabo-musulmane que ces « fous de Dieu » veulent ignorer. Pour étayer sa démonstration, L. Ben Mansour procède à une analyse linguistique et psychanalytique des prêches du FIS en Algérie, entre 1989 et 1991, qui révèle ainsi des organisations obscurantistes et rétrogrades d’extrême droite.
Sabiha BOUGUERRA
BEN MILED, Mika [MARSEILLE 1936]
Éditrice franco-tunisienne.
En 1953, Mika ben Miled se rend à Paris où elle commence une carrière dans le cinéma comme chef-monteuse et réalisatrice. En 1965, se trouvant à Tunis pour le tournage d’un film, elle tombe amoureuse du pays et épouse un Tunisien. En 1966, elle fait ses débuts à la Radiodiffusion-télévision tunisienne (RTT) où elle est auteure de commentaires de films documentaires. Elle participe au tournage des premiers films de la Tunisie indépendante destinés à soutenir un cinéma national et africain. À la fin des années 1970, intéressée par l’artisanat, elle crée les magasins El Hanout, dans le souk de Tunis, Les Toiles de Tanit, et Cartaginoiseries, à Carthage. Elle invente un nouveau style avec des paillettes, des chéchias et des vêtements dont elle modifie l’usage. Parallèlement, elle est journaliste pour les revues Contact-Tunis (1974), Jeune Afrique, Cahiers tunisiens, Page des libraires, Le Provençal, La Marseillaise. De retour en France pour les études de ses enfants, elle se consacre à la rédaction d’une revue de librairies et, en travaillant comme journaliste, elle se confronte aux problèmes des mineurs. En 2005, elle reconvertit le garage de sa maison de Carthage, précédemment transformé en magasin d’artisanat, en local d’édition. La création des éditions Cartaginoiseries s’inscrit dans sa volonté de défendre le patrimoine culturel tunisien, en éditant des textes inédits ou anciens. La réédition de Cervantès soldat à Tunis et captif à Alger et l’essai de Nazli Hafsia intitulé Contrat de mariage en Tunisie jusqu’en 1956 font partie de ses premières publications. En 2008, elle réédite un succès littéraire de 1673, Nouvelles affriquaines, Amours au Palais du Bardo au XVIIe siècle de Marie-Catherine de Villedieu*, avec des annotations de Hédia Khadhar, professeure à l’université de Tunis où elle dirige le département de français et l’unité de recherche « Femmes et Méditerranée ». En 2010, elle édite son ouvrage La Chéchia, le bonnet de feutre méditerranéen, qui retrace, à travers l’histoire de la chéchia, celle de Tunis et de son commerce depuis le XVIe siècle. En 2011, elle publie Orient baroque, Orient classique, Variations du motif oriental dans les littératures d’Europe (XVIe-XVIIe siècles) de H. Khadhar et Anne Duprat, auteure de plusieurs travaux sur les transferts culturels Orient/Occident dans les littératures d’Europe de la Renaissance au classicisme.
Deborah PACI
■ ALYA H., « Mika ben Miled. La “passeuse” de l’air du temps », in La presse, 11-6-2005 ; ZOUARI F., in Jeune Afrique, 9-4-2006.
BENMUSSA, Simone [TUNIS 1932 - PARIS 2001]
Metteuse en scène et dramaturge française.
Après des études à la Sorbonne et à Sciences-Po, Simone Benmussa entre comme conseillère littéraire à la compagnie Renaud-Barrault, où elle anime des conférences-spectacles et devient rédactrice en chef des Cahiers Renaud-Barrault de 1957 à 1989. Sa première mise en scène, Portrait de Dora au Petit Orsay (1975), le « cas Dora » de Freud revisité par Hélène Cixous*, inaugure une démarche artistique audacieuse. Jean-Louis Barrault lui prête, outre une grande sensibilité, le goût de la synthèse et une « imagination sinueuse » : elle aborde le théâtre de biais, par le roman, la nouvelle, la biographie. Elle transpose des univers particuliers comme ceux d’Henry James (Apparences, 1979) ou de Gertrude Stein* (Camera oscura, 1982), et ose le mélange des genres : elle fait appel à des danseuses (Lucinda Childs*, Carolyn Carlson*), projette des extraits de films (notamment de Marguerite Duras*). En 1982, pour sa mise en scène de Freshwater, de Virginia Woolf*, elle confie les rôles à des écrivains : Eugène Ionesco, Nathalie Sarraute*, Viviane Forrester*, Alain Robbe-Grillet, Florence Delay*, Joyce Mansour*. Elle tente un opéra-spectacle, Le Prisme du chaman, sur l’œuvre picturale de Paul Jenkins à L’Opéra national, et des expositions-spectacles comme La Traversée du temps perdu au musée des Arts décoratifs (1978) ou, au musée Carnavalet, L’Opéra secret de Maria Callas (1979) ; Mozart à Paris (1991). Elle est régulièrement invitée à l’étranger. Elle adapte au théâtre l’autobiographie de N. Sarraute, Enfance, en 1984, puis crée Pour un oui ou pour un non. Elle publie aussi des essais : Eugène Ionesco (1966), Qui êtes-vous, Nathalie Sarraute ? , et réalise un film documentaire, Regards sur Nathalie Sarraute (1978). Son adaptation de La Vie singulière d’Albert Nobbs, d’après George Moore, connaît un grand succès et vaut à Glenn Close* le Obie Award en 1982.
Mireille DAVIDOVICI
BENNEWEIS, Diana [LANGESKOV 1947]
Écuyère et directrice de cirque danoise.
Fille du dompteur Manfred Benneweis (1929-1987) et de Birgit Ankersen (1930), Diana Benneweis marque très jeune une prédilection pour les chevaux et fait ses débuts en 1962 avec un groupe de chevaux « en liberté ». En 1965, elle présente avec Noël Jespersen, son fiancé, un numéro de haute école sur un thème espagnol. En 1970, la famille Benneweis prend la direction du cirque stable de Copenhague, précédemment tenu par la famille Schumann. En 1985, le cirque Benneweis est invité à se produire à Budapest où D. Benneweis rencontre l’artiste polonais Marek Zielinski, qu’elle épouse en 1986. Cette même année, elle est officiellement adoptée par Eli et Eve Benneweis, qui l’ont choisie pour diriger l’entreprise après leur disparition. En 1994, elle prend la direction du cirque et crée une société où les autres membres de la famille possèdent des parts mais dont elle garde le contrôle. Longtemps en compétition avec le cirque Arena pour obtenir le titre de « plus grand cirque scandinave », elle préfère désormais faire porter ses efforts sur la qualité du spectacle plutôt que sur la taille de l’entreprise. Les programmes du cirque Benneweis, d’un bon niveau artistique, et le soin apporté aux costumes et à la lumière, en font l’un des cirques les plus appréciés en Europe.
Pascal JACOB
BENNING, Sadie [MADISON, WISCONSIN 1973]
Plasticienne et vidéaste américaine.
Sadie Benning surgit dans le paysage artistique contemporain au début des années 1990 (Museum of Modern Art, New York, 1991 ; Whitney Biennial, New York, 1993), grâce à des vidéos réalisées avec une caméra Pixelvision (PXL 2000), offerte par son père, le cinéaste James Benning : ce modèle Fisher-Price pour enfants lui permet de tourner dans sa chambre des films expérimentaux, dans lesquels apparaissent la poupée Barbie et des masques de sa confection, et qui cumulent des fragments de culture pop de teenagers, des bribes de textes manuscrits, des images et des sons exprimant les désirs, révoltes et complexités d’une identité en construction et en transformation. Ainsi, l’artiste fait à l’écran son coming out de jeune lesbienne, avec ses réminiscences de garçon manqué et ses interrogations sur une société qui force à garder secrètes ses identifications. Désormais, la technologie audiovisuelle devient, pour elle, le lieu d’une « performance de genre ». A Place Called Lovely (1991) dépeint l’enfance comme un champ de violence et décrit la bataille à mener pour rester sauf, alors que Girl Power (1992) dévoile l’imaginaire adolescent comme un espace où cultiver l’amour, faire sa propre loi et oser franchir la normativité binaire des genres et de la sexualité. L’affirmation d’un girlpower à deux dans l’histoire d’amour déjà mélancolique de It Wasn’t Love (1992) lui permet de jouer tous les rôles, du jules à la vamp. Une première rétrospective de ses travaux vidéo, incluant des œuvres plus tardives exploitant l’animation et des figures en papier mâché (Flat Is Beautiful, 1998), est organisée au Wexner Center for the Arts (Ohio) en 2004. Après avoir reçu un diplôme du Bard College en 1997 et cofondé le groupe féministe post-punk Le Tigre, S. Benning n’a cessé de renouveler ses travaux, à la croisée de l’intime, du sexuel et de la vie urbaine : ainsi en est-il de Play Pause (2006), en collaboration avec Solveig Nelson, une installation vidéo d’images d’animation projetées sur deux écrans, où la ville américaine, les bars gay, la rencontre et la mélancolie formulent une esthétique queer. Cette œuvre est montrée au Wexner Center for the Arts en 2007, lors de son exposition personnelle, Suspended Animation, ainsi qu’une série de grandes peintures de visages au genre ambigu, associés à des couleurs éclatantes. L’année précédente, la galerie associative Orchard à New York avait également exposé des dessins abstraits, sortes de mandalas érotiques accompagnés d’une bande-son de cassettes audio.
Élizabeth LEBOVICI
■ Suspended Animation (catalogue d’exposition), Nelson S. (dir.), Colombus, Wexner Center for the Arts, 2007.
BENOIST, Françoise-Albine (née PUZIN DE LA MARTINIÈRE) [LYON 1724 - ID. V. 1808]
Écrivaine française.
La vie de cette romancière, qui n’a pas laissé de correspondance, reste mal connue. Fille d’un tondeur de draps lyonnais, de petite bourgeoisie, probablement autodidacte, elle épouse en 1754 le peintre sur soie Benoist, avec qui elle séjourne à Rome, puis mène à Lyon une vie paisible. Elle monte à Paris à l’âge de 26 ans, sans doute à la suite des médisances suscitées par la publication de son Journal par lettres (1757), et perd son mari. Son parcours de provinciale lui permettant difficilement d’ouvrir les portes de quelques salons mineurs trouve un écho dans quelques textes (Lettres sur le désir de plaire, 1786) ; elle envoie, en vain, son premier roman, Élisabeth (1766), à Voltaire. Considérée par ses contemporains comme une femme instruite, mais quelque peu coquette – comme le souligne Mme Roland* –, elle compte à son actif dix romans et deux comédies jusqu’en 1786. La date de sa mort est incertaine. Entrée en écriture pour combattre les préjugés sur l’infériorité des femmes, elle fait partie, avec Mme Leprince de Beaumont*, des auteures de romans sentimentaux, appréciées dans les années 1760. Son originalité tient au traitement ambigu des motifs sentimentaux, peut-être lié à l’influence de Sterne : en écho à la Nouvelle Héloïse, Célianne ou les Amants séduits par leurs vertus (1766) démystifie ainsi subtilement l’idéalisation amoureuse par le jeu du discours narratif.
Laurence VANOFLEN
■ L’Erreur des désirs, Paris, Vve Regnard et Demonville, 1770 ; Célianne ou les Amants séduits par leurs vertus, suivi du Journal en forme de lettres mêlé de critiques et d’anecdotes, Cragg O. (dir.), Saint-Étienne, Publications de l’université de Saint-Étienne, 2002.
BENOIST, Marie-Guillemine (née LEROULX DE LA VILLE) [PARIS 1768 - ID. 1826]
Peintre française.
Fille d’un fonctionnaire qui encourage son talent artistique, Marie-Guillemine Leroulx de La Ville est envoyée auprès de Louise Élisabeth Vigée-Lebrun* vers 1781. Elle présente ses premières œuvres à l’Exposition de la jeunesse. Tandis que l’atelier de L.-É Vigée-Lebrun est en reconstruction, la jeune fille entre en 1786 dans celui de Louis David, en infraction au décret royal de 1785 interdisant aux femmes artistes d’être formées au Louvre. Outre les portraits et les scènes de genre, elle aborde la peinture d’histoire. L’influence de L. David va dès lors marquer toute sa carrière, dans la facture, l’approche des personnages ou encore la composition. Aux couleurs douces, tendres et aux formes souples de ses premières œuvres succède une manière plus incisive aux tonalités éclatantes et au trait rigoureux. Les premiers tableaux historiques qu’elle présente au Salon de 1791 en témoignent (Psyché faisant ses adieux à sa famille). Mais de mauvaises critiques l’éloignent assez vite de ces sujets d’histoire. En 1793, elle épouse le banquier royaliste Pierre-Vincent Benoist. Inquiété sous la Terreur, le couple quitte Paris. La jeune femme expose de nouveau au Salon à partir de 1795. Son Portrait d’une négresse – possible plaidoyer en faveur du décret d’abolition de l’esclavage – suscite l’admiration (musée du Louvre, Paris, 1800), et elle reçoit en 1804 une médaille d’or du Salon pour l’ensemble de son œuvre puis obtient une pension annuelle du gouvernement. De cette période date aussi une commande officielle du premier consul Napoléon Bonaparte : son portrait en buste pour le Palais de Justice de la ville de Gand. Elle ouvre à cette époque un atelier pour enseigner la peinture aux femmes. Elle expose pour la dernière fois en 1812, alors même qu’elle atteint une large reconnaissance. La position de son époux, nommé conseiller d’État sous la Restauration, exigeait ce renoncement : l’épouse d’un fonctionnaire de haut rang ne pouvait mener carrière.
Anne-Sophie MOLINIÉ
■ BALLOT M.-J., La Comtesse Benoist, « l’Émilie de Demoustier », 1768-1826 (une élève de David), Paris, Plon-Nourrit & Co., 1914 ; HARRIS A. S., NOCHLIN L. (dir.), Femmes peintres, 1550-1950 (Women Artists : 1550-1950, 1976) (catalogue d’exposition), Paris, Des femmes-Antoinette Fouque, 1981 ; REUTER A., Marie-Guilhelmine Benoist, Gestaltungsraüme einer Künstlerin um 1800, Berlin, Lukas Verlag, 2002.
BENOÎT, Jehane (née PATENAUDE) [MONTRÉAL 1904 - SUTTON, QUÉBEC 1987]
Auteure canadienne d’ouvrages culinaires.
Issue d’une famille bourgeoise de Montréal, Jehane Benoît effectue ses études à Paris. Diplômée de l’école de cuisine Le Cordon Bleu, elle obtient ensuite un diplôme de chimiste alimentaire à la Sorbonne. De retour au Québec en 1925, elle y crée, à Montréal, la première école de cuisine laïque et bilingue, le Fumet de la Vieille France, qui attire près de 8 000 élèves en quatre ans. De 1935 à 1940, elle ouvre l’un des premiers restaurants végétariens au Canada, The Salad Bar. Elle est également à la tête d’un autre établissement qui met en vedette les plats traditionnels, La Vieille Marmite, dans l’île Sainte-Hélène. À partir des années 1950, elle commence à publier des chroniques et des livres de cuisine canadienne et québécoise, en anglais et en français. Au total, elle est l’auteure d’une trentaine d’ouvrages, dont certains, comme La Cuisine micro-ondes (1975), sont jugés novateurs. Quant à son Encyclopédie de la cuisine canadienne (1963), elle s’est vendue à plus de 1,5 million d’exemplaires. J. Benoît participe aussi à de nombreuses émissions de télévision et de radio, influençant sur plusieurs générations l’image de la cuisine familiale. En reconnaissance de sa large contribution au rayonnement de la cuisine canadienne, elle reçoit, en 1973, l’Ordre du Canada.
Gwenaëlle REYT
■ La Cuisine micro-ondes (Madame Benoît’s Microwave Cook Book, 1975), Montréal, Éditions de l’Homme, 1976.
BEŇOVÁ, Jana [BRATISLAVA 1974]
Écrivaine slovaque.
Après avoir étudié la dramaturgie à la faculté des beaux-arts de Bratislava (1993-1998), Jana Beňová publie, au début de sa carrière littéraire, dans les revues Dotyky, Fragment et Slovenské Pohľady. Rédactrice au journal SME, à Bratislava, elle a également participé à la création de la revue photo-littéraire Park. Ses trois recueils de poésie, Svetloplachý (« luminocraintif », 1993), Lonochod (1997) et Nehota (« “tendrité” », 1997) mettent en scène relations humaines et instants de vie. Parker, Ľúbostný román (« Parker, le roman d’amour », 2000), où s’entremêlent des textes épiques et lyriques, est un collage de moments vécus entre un jeune homme et une jeune fille. Quant à Dvanásť poviedok a Ján Med (« douze nouvelles et Jean le Miel », 2003), c’est un recueil de 13 nouvelles et d’un poème d’Ivan Štrpka, où l’auteure exploite de nouvelles possibilités dans un style plus léger, avec humour, spontanéité et ironie, tout en présentant son point de vue sur les rapports humains. Ses derniers romans, Plán odprevádzania, Café Hyena (« le projet d’accompagnement, café hyène ») et Preč ! Preč ! (« partir ! partir ! »), ont été publiés en 2008 et en 2012.
Elena MELUŠOVÁ
BENSEDRINE, Sihem [LA MARSA, TUNISIE 1950]
Journaliste et militante tunisienne.
Diplômée en philosophie à Toulouse, Sihem Bensedrine devient reporter en Tunisie pour le journal indépendant Le Phare en 1980. Chef de rubrique politique au Maghreb puis au quotidien Réalités, elle dirige La Gazette touristique, le journal d’opposition Al-Mawkif (« position »), et fonde L’Hebdo touristique. Membre de la Ligue tunisienne des droits de l’homme dès 1980, elle en devient membre dirigeant en 1985. Cofondatrice du Club des femmes Tahar-Haddad (1979), elle dirige la revue Nissa’a, participe à la création d’une commission de femmes au sein de l’Association des journalistes tunisiens et d’un syndicat des journaux indépendants au sein de l’Union générale tunisienne du travail. Sous le régime de Zineel-Abidine Ben Ali, S. Bensedrine est publiquement diffamée parce qu’elle s’érige contre la torture. Des pressions sont exercées sur ses employeurs pour qu’ils la renvoient et ses maisons d’édition, Arcs et Aloès, sont poussées à la faillite. À partir de 1991, la police interroge toutes les personnes qui sortent de son domicile. En 2000, elle est rouée de coups dans la rue, emprisonnée et soumise à de mauvais traitements. L’année suivante, avec Naziha Réjiba, elle cofonde le journal Kalima, édité par son mari, Omar Mestiri, et l’Observatoire pour la liberté de presse, d’édition et de création (Olpec). Comme les autorités interdisent l’impression de Kalima, elle crée le site Internet du même nom, immédiatement interdit. S. Bensedrine et son époux sont privés de leur passeport pour six ans et emprisonnés pour « diffusion de fausses informations » et « atteinte à l’ordre », mais relâchés un mois plus tard grâce aux pressions extérieures. En 2002, elle est invitée par la Fondation hambourgeoise pour les victimes de torture politique à passer un an sur les bords de l’Elbe. De nouveau arrêtée en 2008, elle est interrogée avec violence à la frontière entre la Tunisie et l’Algérie alors qu’elle se rend à une manifestation pour la liberté d’expression. En 2009, elle est encore passée à tabac alors qu’elle se rend en formation à l’institut Ilhem-Marzouki à Tunis. Elle a reçu de nombreuses récompenses, parmi lesquelles le prix Alison-Des-Forges, décerné par Human Rights Watch.
Audrey CANSOT
■ Avec MESTIRI O., L’Europe et ses despotes modernes. Quand le soutien au modèle tunisien fait le jeu du terrorisme islamique, Paris, La Découverte, 2004.
BEN SLAMA, Raja [KAIROUAN 1962]
Psychanalyste et traductrice tunisienne.
Agrégée de langue et de littérature arabes et auteure d’une thèse sur l’amour dans la tradition arabo-musulmane soutenue en 2001 sous le titre de Al ichq wal-kitaba (« l’amour et l’écriture »), Raja Ben Slama enseigne la littérature arabe à la faculté des lettres, des arts et des humanités de la Manouba à Tunis. Formée à la psychanalyse, elle exerce au Caire où elle réside depuis 2005. Signataire du Manifeste des libertés lancé en France en 2004 par des intellectuels de culture musulmane, contre la misogynie, l’homophobie, l’antisémitisme et l’islam politique, elle a participé à la création de l’Association culturelle tunisienne pour la défense de la laïcité. Elle est rédactrice en chef de la revue électronique de pensée critique, Alawan, fondée en 2007, pour une culture laïque rationaliste et contre la censure. Elle participe à la fondation de la revue Transeuropéennes et de la revue de l’IBLA (Institut des belles-lettres arabes) à Tunis. Depuis 2009, elle est membre de l’Espace analytique à Paris et publie dans la revue Topique. Traductrice du français vers l’arabe, notamment de Qu’est-ce que la poétique ? de Tzvetan Todorov et de La Psychanalyse à l’épreuve de l’islam de Fethi Benslama, elle réfléchit sur les enjeux de la traduction dans son article : « L’arbre qui révèle la forêt : traductions de la terminologie freudienne » (2010). Elle s’est par ailleurs engagée en faveur des femmes des pays musulmans, qu’elle incite à sortir de « la servitude volontaire ». Elle a collaboré à un ouvrage sur l’édification du virilisme (2005) et analysé les mythes sur lesquels il repose ; elle publie « Inégalité dans l’héritage, héritage d’une préférence divine ? » (2007) et « La psychanalyse en Égypte : un problème de non-advenue » (2010), où elle analyse les difficultés de la psychanalyse, tant face aux psychologies moralisantes et aux répressions sexuelles d’inspiration islamique qu’à l’envahissement des neurosciences et des pratiques cognitivistes. En février 2013, pour avoir critiqué une personnalité politique du parti au pouvoir, elle a fait l’objet de poursuites judiciaires qui ont suscité un large mouvement de solidarité pour la défense de la liberté d’expression en Tunisie.
COLLECTIF PSYCHANALYSE ET POLITIQUE
■ Avec CORNELL D., FRAISSE G. et al, Masculin-féminin : pour un dialogue entre les cultures, Paris, La Découverte, 2004.
BENSON, Stella [LUTWYCHE HALL, SHROPSHIRE 1892 - HONGAY, AUJ. VIETNAM 1933]
Écrivaine britannique.
Issue d’une famille aisée et de santé délicate, Stella Benson reçoit son éducation à la maison. Dès l’âge de 6 ans, elle commence à voyager avec ses parents, et ne s’arrêtera pas de toute sa vie. D’abord, avec le déménagement de ses parents à Londres, puis lorsqu’elle est envoyée en Allemagne et en Suisse pour parfaire son éducation. À 10 ans, elle commence un journal qu’elle poursuit jusqu’à sa mort. À 14 ans, elle écrit ses premiers poèmes, et bientôt des romans, dont elle publie le premier, I Pose, à 22 ans (1915). Tous ses voyages, en Californie (1918-1920), en Chine, à Hong-Kong, sont autant d’expériences, souvent dans les domaines hospitalier, éducatif ou caritatif, qui nourrissent son écriture et donnent naissance à une série de romans très célèbres à leur époque mais oubliés depuis. Elle publie également des volumes de nouvelles, des récits de voyage et un volume de poèmes (Twenty, 1918). Très concernée par les problèmes sociaux, elle est une ardente défenseure du droit de vote des femmes. Saluée par Virginia Woolf* et H.G. Wells, personnalité complexe, partagée entre imagination et conscience d’une féminité en manque d’épanouissement sexuel et donc peu sûre d’elle-même, elle s’inscrit en au début du XXe siècle à rebours de toute modernité, percevant la force déshumanisante du nouveau siècle, défendant par l’humour et la satire les valeurs de courage et d’humanité.
Michel REMY
■ Tobie et l’ange, Mandchourie 1931 (Tobit Transplanted, 1931), Paris, Plon, 1932.
■ GRANT J., Stella Benson : a Biography, Londres, Macmillan, 1987 ; BRONWYN L., Unearthing Stella Benson, Auckland, Pania Press, 2008.
BENSON, Susan [BEXLEY HEATH, KENT, ANGLETERRE 1942]
Scénographe et peintre canadienne.
Diplômée en 1963 du Wolverhampton College of Art, Susan Benson est scénographe de théâtre, de ballet, d’opéra et de télévision. Elle commence sa carrière en travaillant pour la Royal Shakespeare Company et la télévision britannique BBC. Ayant émigré au Canada avec sa famille en 1966, elle est scénographe pigiste, puis scénographe en résidence à l’université d’Illinois. À partir de 1974, elle collabore au Stratford Shakespeare Festival, en Ontario, dont elle est directrice de design (1981-1983) et, plus tard, directrice associée (1995). Ses scénographies des deux productions de A Midsummer Night’s Dream (« songe d’une nuit d’été », 1976, 1977) sont particulièrement admirées. De 1982 à 1994, elle collabore à cinq productions de Gilbert et Sullivan à l’Avon Theatre de Stratford, inaugurant, ainsi qu’avec ses scénographies de Cabaret (1987) et de Guys and Dolls (1990), une ère de spectacles musicaux au Stratford Festival. Par la rigueur de sa palette de couleurs et sa mise en valeur de la puissance architecturale scénique, elle renouvelle la scène iconique du Festival en l’adaptant au théâtre musical. S. Benson travaille également pour la majorité des grands théâtres du Canada et pour plusieurs compagnies internationales. Les costumes qu’elle conçoit, exécutés à partir des médias favoris de l’artiste (pastels, aquarelles, huiles, encres) pour mieux mettre en lumière les effets visuels, sont remarquables par leurs détails historiques et par la façon dont ils s’adaptent aux comédiens contemporains. Ayant plusieurs fois représenté le Canada à la Quadriennale de Prague, S. Benson a reçu de nombreux prix et honneurs.
Nathalie REWA
BENSOUDA, Fatou [BANJUL 1961]
Juriste et avocate gambienne.
Procureure à la Cour pénale internationale (CPI), Fatou Bom Bensouda, mère de deux enfants et mariée à un entrepreneur marocain, a mené une brillante carrière. Elle obtient son diplôme d’avocate au Nigeria, car la Gambie n’est pas dotée d’université. La liste de ses autres diplômes est impressionnante : elle devient par exemple la première experte gambienne en droit international de la mer. Nommée procureure en Gambie à l’âge de 26 ans, elle est ministre de la Justice de son pays en 1998. Le tournant de sa carrière tient à son élection en 2002 au poste de conseillère juridique puis de substitut du procureur au Tribunal pénal international pour le Rwanda, où elle acquiert une solide connaissance de la justice internationale et découvre la violence sexuelle en temps de conflits. En 2004, elle est élue à une écrasante majorité procureure adjointe de la CPI. Dans cette jeune institution créée en 2002 et chargée de poursuivre les suspects de crimes (génocide, crimes de guerre et crimes contre l’humanité – dont les viols de guerre), tout est à construire. Avec rigueur et impartialité, F. Bensouda diligente les poursuites contre des chefs de guerre congolais et ougandais, et mène les enquêtes préliminaires dans des pays déchirés par les violences politiques (Guinée, Kenya, Côte d’Ivoire). En décembre 2011, elle est nommée procureure de la CPI, qu’elle veut voir indépendante des pressions politiques internationales, et impartiale dans le traitement des dossiers qui concernent principalement des pays africains. Mettre un terme à l’impunité et rendre justice aux victimes sont ses premières préoccupations.
Jacqueline PICOT
■ Jeune Afrique, no 2657, 11 déc. 2011.
BENTLEY, Phyllis [HALIFAX 1894 - ID. 1977]
Écrivaine britannique.
Née dans le Yorkshire d’une famille de petits industriels textiles, Phyllis Bentley reçoit d’abord son éducation à l’école secondaire de Halifax, puis au Cheltenham Ladies’College. Pendant la Première Guerre mondiale, elle travaille dans une usine d’armement et après la guerre enseigne l’anglais et le latin à Halifax. En 1918, elle publie son premier recueil de nouvelles (The World’s Bane, « le fléau du monde »). Peu lue jusqu’en 1932, elle apporte un nouveau souffle à la littérature avec Héritage (1932), chronique de la vie des petites gens dans cette région de Yorkshire entièrement consacrée à l’industrie textile, et elle acquiert une solide réputation d’écrivain régionaliste, le plus important depuis Thomas Hardy (1840-1928), ce qui l’amène à faire des conférences jusqu’aux États-Unis. Deux autres romans suivent puis un roman pour enfants (Gold Pieces, 1968), un autre sur la chute de Rome (Freedom Farewell, 1930) et une autobiographie, mais aussi quelques ouvrages universitaires sur l’histoire du Yorkshire, sur l’art de la narration et sur les sœurs Brontë*. Ses ouvrages créent un véritable espace à l’intérieur de la culture nationale où le provincial reprend des lettres de noblesse. Au-delà, car elle ne cache pas son attirance pour Londres, P. Bentley pose le problème des relations sociales et politiques entre le provincial et le métropolitain.
Michel REMY
■ Héritage (Inheritance, 1932), Paris, Je sers, 1938 ; Les Aventures de Tom Leigh (The Adventures of Tom Leigh, s. d.), Paris, Hachette, 1967.
■ RUSSELL D., « Province, Metropoles and the literary career of Phyllis Bentley in the 1930s », in The Historical Journal, 51, 2008.
BENTZ, Melitta [DRESDE 1873 - PORTA WESTFALICA, RHÉNANIE-DU-NORD-WESTPHALIE 1950]
Inventrice et femme d’affaires allemande.
Fille de libraire, Amalie Auguste Melitta Bentz est la fondatrice d’une entreprise prospère. Son existence très classique de mère au foyer change en 1908. Cherchant un moyen de filtrer le café, elle perce des trous dans le fond d’un pot, puis décide d’ajouter une feuille de papier buvard d’écolier. Le filtre à café en papier est né. Elle dépose immédiatement son invention au Bureau royal des patentes de Berlin où son brevet est enregistré en juillet 1908, et installe sa société dans une petite pièce de sa maison. L’entreprise familiale n’a cessé de se développer depuis et la marque Melitta reste le numéro un du filtre à café.
Carole ÉCOFFET
■ HEMPE M., 100 Jahre Melitta, Geschichte eines Markenunternehmens, Cologne, Geschichtsbüro,2008.
BEN YEHOUDA, Netiva [TEL-AVIV 1928 - HA-GETA’OT 2011]
Combattante israélienne et écrivaine.
Comme beaucoup de jeunes femmes juives de son époque, Netiva Ben Yehouda s’engage dès 19 ans dans l’unité d’élite du Palmach, l’une des organisations clandestines actives s’appuyant sur des valeurs sionistes et sociales, dans l’esprit du kibboutz, et luttant contre les Britanniques dans la période qui a précédé la création de l’État d’Israël, en mai 1948. Chargée du transfert de munitions, de l’escorte de convois et de la formation des recrues, celle qu’on appelle la Diablesse blonde combat pendant toute la guerre d’indépendance de 1948 et se distingue en particulier lors de la bataille du fort de Latrun. En 1949, elle quitte l’armée pour étudier à Jérusalem, à l’académie d’art et de design Bezalel, puis à Londres. De retour dans son pays, elle s’intéresse à la philosophie, à l’université hébraïque, et se lance dans l’écriture. Elle publie ainsi plus d’une vingtaine de livres traitant de la langue hébraïque, de la chanson hébraïque, de son pays et de ses expériences avant, pendant et après la guerre d’indépendance. Son dictionnaire mondial de l’hébreu parlé (Ha-milon le-ivrit medouberet), en deux tomes écrits en 1972 et en 1982 avec le romancier Dahn Ben Amotz, est un tour de force d’humour. Citons aussi les romans Ke-she partzah ha-medinah (« quand l’État d’Israël a éclaté », 1991), Ben ha-sefirot (« entre les calendriers », 1981) et Mi-báad l’avotot (« par les cordes obligatoires », 1985). En 1991 paraît en outre son Otobiografia be-shir va-zemer (« autobiographie dans la poésie et la chanson »). Souvent interrogée sur la place de la femme dans l’armée, elle déclare qu’une véritable égalité des sexes dans l’institution passe paradoxalement par une diminution du rôle de l’armée dans la société israélienne. Cette femme de conviction, qui animait également une émission de radio et était très connue dans son pays, a reçu en 2004 le prestigieux prix annuel de citoyenneté de la ville de Jérusalem.
Elisabeth LESIMPLE
BEN-YEHUDA, Hemda (née Bella-Paula JONAS) [DRISSA AUJ. BIÉLORUSSIE 1873 - ISRAËL 1951]
Journaliste israélienne.
Émigrée en Palestine après la mort de sa sœur, et après avoir pris un prénom hébraïque, Hemda Ben-Yehuda collabore avec son beau-frère, l’intellectuel et journaliste Eliezer Ben-Yehuda (Perelman), à Jérusalem. Elle l’épouse et l’assiste dans la direction administrative et rédactionnelle de Hazevi (« le cerf »), journal qui présente l’hébreu non comme un instrument religieux mais comme un moyen de recréer une identité nationale, diffuse les valeurs de la laïcité et du progrès scientifique et technologique, et informe le public sur les événements internationaux. Elle travaille à la publication d’un dictionnaire monumental de l’hébreu, premier de son genre, en s’appuyant à la fois sur des écrits hébraïques anciens et sur des articles contemporains de Hazevi, car la pratique journalistique nécessite d’adapter l’ancienne langue hébraïque par l’invention de nouveaux termes, très largement repris dans le langage courant. Le couple diffuse des idées nationalistes, laïques, européocentristes et libérales. Suivant le modèle de la presse parisienne de masse de la Belle Époque (Le Journal et Le Matin), H. Ben-Yehuda introduit plusieurs formats journalistiques en Palestine : le reportage à caractère dramatique ou sentimental ; le récit de voyage en série ; l’entretien ; la chronique de mode et la critique d’art et de spectacles. Elle attaque les valeurs de la société juive traditionnelle, diasporique et cléricale et fait l’éloge de la société de consommation. Ses reportages mettent en avant la femme juive moderne, instruite et indépendante, qui contribue au bien-être de la société dans l’enseignement, le journalisme, la médecine, mais aussi l’artisanat, l’art et l’agriculture. Féminine et élégante, vêtue selon la dernière mode parisienne, elle est présentée comme l’égale de l’homme et le principal appui de la société israélienne à venir. En 1908, elle devient corédactrice en chef d’Hazevi. Le journal est transformé en quotidien populaire au service de la société sioniste et anti-orthodoxe de Palestine. Au milieu des années 1930, ce style de journalisme subit les critiques des journaux du centre et de gauche qui lui reprochent son caractère sensationnel, hédoniste, bourgeois et nationaliste. Pour les historiens, elle a pourtant joué un rôle primordial dans la fondation et le développement de la presse moderne israélienne.
Ouzi ELYADA
BENZAKEN, Carole [GRENOBLE 1964]
Peintre française.
Formée à l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris (1985-1990), Carole Benzaken y enseignera, de 1995 à 1996. Elle débute sa carrière en peignant des fleurs, des séries de tulipes alignées frontalement sur des diptyques. Par le choix de ce motif très codifié, enfermé dans une tradition, la jeune artiste interroge ce qui sera le vecteur essentiel de sa pratique protéiforme : la relation de la peinture à l’image et le rapport de celle-ci à l’objet. Elle part à Los Angeles en 1997 et se voit offrir un poste d’enseignante au Pasadena Art Center ; elle restera finalement aux États-Unis pendant sept ans. L’immersion dans une culture forte et nouvelle, la liberté et la solitude du déracinement vont nourrir considérablement son œuvre : les images innombrables de cet univers quotidien pléthorique, passées et repassées par le filtre des photographies de magazines, de la télévision, des affiches de rue ou des films, le mouvement des choses et de la foule à l’échelle gigantesque de la ville sont des sollicitations permanentes. L’artiste les consigne au rythme où elle les vit, en les filmant, les dessinant, les peignant. Qu’il s’agisse de dessins, de peintures ou de vidéos, ses sujets acquièrent une tension nouvelle, due à la démesure du lieu et à l’acuité du regard développé par l’étranger ou le voyageur. C. Benzaken a adapté ses créations, qu’elles soient figuratives ou abstraites, à la scansion découpée et itérative du monde rendu par les images en nombre. De retour en France en 2004, elle obtient le prix Marcel-Duchamp. Elle perpétue cette démarche collée au foisonnement des expériences vitales, qu’elle traduit en une pratique visuelle comparable à un organisme vivant. Le fin Rouleau à peintures qu’elle constitue depuis 1989 est comme une poche de pensées, emplie à la fois de résidus biographiques, de visions diverses, d’événements immédiats, de déambulations mentales, qu’elle fouille pour ensuite la restituer selon le mode plastique qu’elle a choisi.
Ann HINDRY
■ Carole Benzaken (catalogue d’exposition), Paris, Centre Pompidou, 2004 ; avec NOVARESE T., L’Atelier de Carole Benzaken, Paris, Thalia, 2009.
■ LICHTENSTEIN J., La Fleur dénaturée, Carole Benzaken, Nice, G. Gardette, 1995.
■ HINDRY A., « Des chats et des fleurs », in Carole Benzaken (catalogue d’exposition), Nice, Villa Arson, 1995.
BERAKI, Tsehaytu [QUATIT, ÉTHIOPIE, AUJ. ÉRYTHRÉE 1939]
Chanteuse érythréenne.
Enfant prodige, dont le nom signifie « le soleil d’Érythrée », Tsehaytu Beraki apprend le krar, une harpe à cinq cordes, à 8 ans et le maîtrise à 11 ans. Contre l’avis de sa famille, Tsehaytu Beraki commence à jouer dans un bar à bière dès l’âge de 16 ans. Beaucoup de musiciens éthiopiens de passage à Asmara s’y arrêtent et l’invitent à participer à leurs disques. Dans les années 1970, elle est « découverte » par le producteur Tewelde Redda, qui l’emmène à Addis-Abeba, où elle enregistre près de dix disques pour le label Philips et devient une star. La guerre de libération de l’Érythrée s’intensifiant, T. Beraki troque ses chansons d’amour contre des chansons politiques et engagées. Elle se produit beaucoup sur le front, puis au Soudan où elle réside dix ans, avant de partir vivre aux Pays-Bas en 1988. Influencée par ses aînées Tsehaytu Ghergish et Fana Etel, T. Beraki est une digne représentante de la musique tigrigna, un des peuples des hauts-plateaux d’Afrique de l’est, majoritaire en Érythrée. En 2004, la chanteuse enregistre un double CD–livre, Selam, produit par The Ex, groupe de rock expérimental hollandais. Il regroupe l’essentiel de son œuvre, de ses premiers succès à ses dernières compositions avec un livret fort bien documenté de 88 pages. Un objet qui salue l’importance et le courage de cette artiste de premier rang, spirituelle et engagée, que ses compatriotes vénèrent car elle incarne le visage d’un peuple.
Elisabeth STOUDMANN
■ Éthiopiques, vol 5, Tigrigna Music, Tigray/Eritrea, 1970-1975, Buda Music, 1999 ; Selam, 2 CD, Terp, 2005.
BÉRANGER, Macha (Michèle RIOND, dite) [VICHY 1941 - PERRAY-EN-YVELINES 2009]
Comédienne, animatrice et réalisatrice de radio française.
Après avoir suivi les cours Charles-Dullin, Macha Béranger devient comédienne et interprète toute sa vie des rôles au théâtre, au cinéma ou à la télévision. Elle enregistre aussi quelques chansons, mais devient célèbre pour avoir créé et animé, pendant près de trente ans (1977-2006), une émission radiophonique emblématique, nocturne et interactive, sur les ondes de France Inter : Allô Macha. S’inscrivant dans le sillage de Menie Grégoire* (RTL) et de Gonzague Saint Bris (Europe 1), M. Béranger définit son émission comme « une auberge de l’âme ». Elle converse avec près de 100 000 noctambules français et francophones. Au cours de longs échanges téléphoniques (20 à 30 minutes), elle écoute les témoignages et instaure une relation privilégiée avec ses interlocuteurs, affirmant « Je ne suis pas une analyste, ça n’est pas du tout mon rayon. Je suis une présence dans la nuit. » En prolongement des dialogues à l’antenne, un répondeur téléphonique permet aux auditeurs de se contacter mutuellement après l’émission, créant ainsi une véritable communauté d’auditeurs dans la France nocturne. Femme de radio, sa présence à l’antenne doit aussi beaucoup à sa voix très personnelle, étrange et immédiatement identifiable, une voix rauque et chaude, sculptée par le tabac. Dans la France des années 1970 où le mal de vivre, la solitude, la communication et son pendant l’incommunicabilité deviennent des sujets de société, l’émission Allô Macha est considérée comme un véritable phénomène de société ; elle inspire une série télévisée, Allô Béatrice de Jacques Besnard, et une pièce de théâtre, Tous en ligne de Ged Marlon. En 2006, la direction de France Inter, en mal de renouvellement, décide d’interrompre l’émission et provoque un tollé. Des pétitions circulent et les réactions d’anonymes et de célébrités se multiplient. Mais c’est sur la station privée MFM que M. Béranger retrouve le micro pour une saison, entre septembre 2006 et l’été 2007 ; elle collabore également à l’hebdomadaire Ici Paris où elle tient le courrier des lecteurs. Auteure de plusieurs ouvrages – Allô, Macha ou la Nuit des sans-sommeil (1978), Le Faire-Plaire (1991), Le Cœur dans l’oreille (1997), Quand ça vous arrive (2006) –, où elle évoque son éviction douloureuse et la maladie qui finira par l’emporter – Le Faites-Faites pas : guide du savoir-être en toutes circonstances (2007) –, elle collabore également à l’hebdomadaire Ici Paris où elle tient le courrier des lecteurs.
Jean-Jacques CHEVAL
■ DELEU C., Les Anonymes à la radio, usages, fonctions et portée de leur parole, Bruxelles/Paris, De Bœck/INA, 2006 ; PROT R., Dictionnaire de la radio, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 1997 ; REMONTÉ J.-F., DEPOUX S., Les Années radio, Paris, Gallimard, 1989.
BERBERIAN, Cathy [ATTLEBORO 1925 - ROME 1983]
Mezzo-soprano américaine.
Cathy Berberian a fait l’admiration de tous les compositeurs de son temps. Sa voix, étendue (trois octaves et demie) et flexible, son imagination fertile, lui permettaient de chanter un vaste répertoire, de la Renaissance à la création contemporaine. Elle considérait la voix comme un instrument aux possibilités illimitées où l’élément théâtral était constamment présent. Elle fait ses études de chant, de danse, de théâtre et de littérature à l’université Columbia à New York. Soliste de l’American Folk Group de New York, elle obtient une bourse Fullbright en 1950 qui lui permet de se perfectionner en Italie, au Conservatoire de Milan. Après avoir chanté Alisa dans Lucia di Lammermoor de Donizetti à Milan, ses débuts officiels ont lieu le 17 juin 1958 à Naples dans des œuvres de Stravinski et de Ravel. Sa rencontre avec le compositeur italien Luciano Berio, dont elle sera quinze ans la compagne, l’ouvre à la musique contemporaine. Elle apprend de lui ; elle l’inspire. Un grand nombre de compositeurs s’inspirent de sa voix, tels que Sylvano Bussotti, dont elle crée La Passion de Sade, Stravinski, avec Elegy for JFK, Berio pour ses Chamber Music, Circles, Epifanie, Visage, Sequenza III, Folk Songs, Bruno Maderna avec Dimensioni II et Invenzione su una Voce, Darius Milhaud avec Adieu, William Walton avec Façade 2, John Cage, qui, après la création d’Aria, l’invite à participer à ses concerts en Amérique et en Europe. Elle-même compositrice à ses heures, chantant le cabaret, elle a une prédilection pour Claudio Monteverdi qu’elle enregistre avec Nikolaus Harnoncourt (L’Orfeo et Le Couronnement de Poppée), mais aussi pour Debussy, Ravel, Gershwin, et elle aime découvrir les musiques du monde, chantant aisément dans un grand nombre de langues et de dialectes. En 1966, elle interprète douze chansons des Beatles sur des arrangements baroques afin, disait-elle, « de les faire aimer aux parents ». Aimant communiquer, enseigner, partager, donner, elle dispense des cours à l’université de Vancouver et au Conservatoire de Cologne.
Bruno SERROU
■ PAUL J., Cathy Berberian and Music’s Muses, Vouvry, Amoris Imprint, 2007.
BERBEROVA, Nina [SAINT-PÉTERSBOURG 1901 - PHILADELPHIE 1993]
Écrivaine et mémorialiste russo-américaine.
La carrière littéraire de Nina Nikolaïevna Berberova s’est déroulée presque entièrement hors de Russie, d’où elle émigre en 1922 avec l’écrivain Vladislav Khodassevitch – non sans y avoir fréquenté les milieux littéraires. Elle vit d’abord à Berlin, où elle participe au « Club russe », réunion littéraire hebdomadaire des auteurs émigrés. En 1925, elle déménage à Paris, où elle publie ses premiers textes, des romans, plusieurs recueils de nouvelles et les biographies romancées de Piotr Tchaïkovski, Alexandre Borodine et Alexandre Blok. Elle collabore à plusieurs revues de la communauté émigrée, et devient en 1947 l’éditrice littéraire de La Pensée russe, le principal journal de l’émigration russe en France. En 1950, elle s’installe définitivement aux États-Unis. La première partie de son œuvre comporte une large part de fiction, mais la valeur principale de ses textes tient à ses talents de mémorialiste et de chroniqueuse du monde littéraire de l’émigration. Les romans et nouvelles des Chroniques de Billancourt (1928-1940) mettent en scène des types d’émigrés russes, déclassés, indigents. Son autobiographie, C’est moi qui souligne (1969), brosse un tableau de la Russie postrévolutionnaire, en proie à la famine, à la violence, au désespoir, ainsi qu’une splendide galerie de portraits littéraires où sont dépeintes les figures prestigieuses – peintres, politiciens et surtout auteurs –, qu’elle a eu l’occasion de rencontrer. On retrouve ce talent à l’œuvre dans sa biographie Histoire de la baronne Boudberg. Également critique littéraire, elle a consacré plusieurs textes à Nabokov et à Tourgueniev, elle a dirigé une édition des œuvres de Khodassevitch de même qu’une édition du journal de Zinaïda Hippius*.
Ses archives sont déposées dans les universités américaines de Stanford et de Yale. Son œuvre est largement traduite en français.
Marie DELACROIX
■ L’Accompagnatrice, Arles, Actes Sud, 1985 ; Histoire de la baronne Boudberg (Jelieznaïa jenchtchina, 1981), Arles, Actes Sud, 1988 ; C’est moi qui souligne (Koursiv mo, 1969), 1989 ; Chroniques de Billancourt (Bijankurskie prazdniki), Arles, Actes Sud, 1992 ; Les Derniers et les Premiers, Arles, Actes Sud, 2001.
BERCOT, Emmanuelle [PARIS 1967]
Réalisatrice, scénariste et actrice française.
Emmanuelle Bercot s’oriente dès le bac vers les arts de la scène. Après l’école de danse de Serge Alzetta, elle s’inscrit à l’École du spectacle puis au cours Florent. Elle échoue à l’entrée au Conservatoire mais réussit le concours de la Fémis. Son premier court-métrage – Les Vacances – est récompensé par le prix du jury à Cannes en 1997. Il met en scène et révèle la jeune Isild Le Besco, sorte de double de la réalisatrice, qu’elle choisit également pour héroïne de La Puce (1998), son film de fin d’études, puis plus tard de Backstage. Dès ses débuts, E. Bercot, scénariste de ses films, montre un intérêt pour les sujets qui traitent de l’adolescence et de ses rapports avec le monde adulte, avec une insistance à décrire les états, à exacerber les perceptions. En 2001, Clément, son premier long-métrage, dont elle est l’actrice principale, est centré sur la relation passionnelle entre une femme de 30 ans et un garçon de 13 ans. Il est présenté à Cannes dans la section Un certain regard. À travers cette histoire, elle souhaite traiter d’un thème qui lui est cher : la différence. En 2005, pour Backstage, récit de la rencontre fusionnelle entre une star de la chanson (Emmanuelle Seigner) et une fan (I. Le Besco), elle reçoit le Prix du meilleur réalisateur au Festival international du film de Thessalonique tandis que son actrice fétiche est récompensée pour son rôle. E. Bercot est actrice dans une dizaine de films dont La Classe de neige de Claude Miller (1997) et Polisse de Maïwenn* (2012), Prix du jury au Festival de Cannes, dont elle coécrit le scénario avec la réalisatrice. En 2013, elle présente Elle s’en va avec Catherine Deneuve* dans le rôle d’une sexagénaire en fugue. En 2015, son film La Tête haute fait l’ouverture du Festival de Cannes, où E. Bercot remporte par ailleurs le Prix d’interprétation féminine pour son rôle dans Mon roi de Maïwenn. Elle prépare un thriller inspiré du livre d’Irène Frachon* sur l’affaire du Mediator.
Nathalie COUPEZ
BERDE, Mária [KACKÓ, AUJ. CÂŢCĂU, ROUMANIE 1889 - KOLOZSVÁR, AUJ. CLUJ-NAPOCA, ROUMANIE 1949]
Écrivaine et traductrice hongroise.
Issue d’une ancienne famille d’intellectuels, Mária Berde a été la plus éminente représentante de la littérature en langue hongroise de Transylvanie de l’entre-deux-guerres. Après des études de hongrois et d’allemand à l’université de Kolozsvár, elle publie en 1912 son premier recueil de poésies, encore marqué par le courant patriotique et populiste, mais soulevant déjà la question de l’égalité des femmes et des hommes. Elle consacre aussi sa thèse de doctorat à l’œuvre d’une femme, la poétesse autrichienne Gabriella Baumberg. L’année 1912 passée à Munich est le ferment de son roman impressionniste Az örök film (« film éternel », 1917), où une mosaïque d’atmosphères évoque la vie estudiantine de la ville et dont un des personnages s’inspire de Rilke. Haláltánc (« danse macabre », 1924), marqué par l’esthétique du Jugendstil, renvoie aux expériences de sa cure de près d’un an dans un sanatorium suisse. Ses œuvres témoignent d’une profonde foi calviniste et d’un humanisme généreux, hostile à la montée du fascisme et de la xénophobie. Féministe, M. Berde, dont le roman Szent szégyen (« honte sacrée », 1925) relate la vie d’une mère célibataire, était convaincue que la disparition des préjugés sociaux mettrait fin à l’assujettissement des femmes et conduirait à des rapports de symétrie entre les deux sexes. Si son recueil Seherezádé himnusza (« hymne de Schéhérazade », 1928) est celui de la maturité poétique, son dernier livre, A hajnal emberei (« les hommes de l’aurore », 1943), dont l’action se déroule dans la Transylvanie du XIXe siècle et qui n’a paru en édition intégrale qu’en 1995, marque le sommet de son œuvre romanesque. Professeure de lycée et rédactrice pour divers périodiques, elle a aussi été traductrice de poètes roumains et allemands en hongrois.
Judit KÁDÁR
■ MOLNÁR S., Berde Mária, Bucarest, Kriterion, 1986.
BERDJOUHI (Berdjouhi BARDIZBANIAN-BARSÉGHIAN, dite) [EDIRNÉ, TURQUIE 1886 - PARIS 1940]
Écrivaine arménienne.
Issue d’une famille de commerçants aisés, Berdjouhi est éduquée à Philibé (Bulgarie), dans une école arménienne dirigée par Rostom Zorian, un Arménien du Caucase et l’un des fondateurs de la Fédération révolutionnaire arménienne (FRA). Les leçons de ce dernier et de son épouse Lisa enflamment l’imagination de la jeune fille. La présence d’une colonie arménienne et les libertés accordées par la Bulgarie autonome font de Philibé la plaque tournante du mouvement révolutionnaire arménien. L’écrivaine a 16 ans lorsqu’elle rencontre Sarkis Barséghian, un ardent militant dachnak dont elle s’éprend. Sur ses conseils, elle constitue un groupe de jeunes filles arméniennes qu’elle initie à l’histoire et à la politique. À 18 ans, elle obtient de ses parents l’autorisation de mener des études littéraires à Genève, la Mecque des révolutionnaires slaves et ottomans, puis s’exerce à la poésie. Après la révolution jeune-turque de 1908, elle épouse S. Barséghian, compromis dans l’attentat de Yildiz contre le sultan Abdülhamid II (1905) ; elle part ensuite enseigner avec lui dans une école arménienne de la région de Van. En août 1914, son mari est promu responsable de la FRA à Constantinople ; en avril 1915, il est arrêté avec des centaines de personnalités arméniennes et disparaît. Berdjouhi se réfugie avec son jeune fils d’abord en Bulgarie, puis au Caucase à Tiflis. Cette expérience – la disparition et l’attente contre tout espoir de l’homme aimé, la solitude, la crainte pour la vie de son enfant, un environnement hostile, la fuite – tissera la trame de son roman autobiographique, Jours de cendres à Istanbul (1938). À Tiflis, elle devient enseignante, puis affamée et perdue parmi des milliers de réfugiés, elle gagne l’Arménie devenue indépendante. Elle est élue députée au Parlement en 1919. Après la soviétisation du pays, elle reprend la route de l’exil et, par étapes, arrive à Paris. Un poste dans une organisation américaine d’aide aux orphelins arméniens, puis à l’office Nansen pour les réfugiés, la met en contact avec une humanité misérable qui lui inspire des récits publiés dans la presse arménienne, spécialement dans Hayrénik (« patrie »), revue de Boston. Quelques-uns, traduits en français ou en anglais, lui assurent une petite notoriété. Certains sont réunis dans un livre dont le titre Potoriguenvertch (« après la tempête », 1932) est « une métaphore de la catastrophe » (Beledian) dont elle a été le témoin ; son thème, l’adaptation difficile des survivants du génocide de 1915 (en majorité des femmes et des adolescents) au monde moderne et étranger, est traité avec pessimisme. Usée par les souffrances morales et physiques, elle meurt dans un hôpital parisien en mai 1940, en l’absence de son fils mobilisé dans l’armée française.
Anahide Ter-Minassian
■ Jours de cendres à Istanbul (Khantsvats orèr, 1938), Marseille, Parenthèses, 2004.
■ BELEDIAN K., Cinquante ans de littérature arménienne en France, Paris, CNRS éditions, 2001 ; ZÉITLIAN S., Hay gnotch dére hay hérapokhagan charjman métch, Los Angeles, [s. n.], 1992.
BERENGUER, Amanda [MONTEVIDEO 1921 - ID. 2010]
Poétesse uruguayenne.
Poétesse remarquable de la Génération de 45, Amanda Berenguer a réuni de grands écrivains qui ont vu la littérature comme un moyen critique pour approcher la réalité changeante de leur époque quand le mythe de l’Uruguay heureux s’est évanoui. Elle commence sa carrière littéraire très jeune, par la publication des recueils de poèmes A través de los tiempos que llevan a la gran calma (« à travers les temps qui mènent au grand calme », 1940) et Canto hermético a los incesantes peregrinos (« chant hermétique aux pèlerins incessants », 1941). En 1944, elle se marie avec l’écrivain et critique littéraire José Pedro Díaz, avant de publier Elegía por la muerte de Paul Valéry (« élégie pour la mort de Paul Valéry », 1945), œuvre qui marque un tournant dans sa carrière poétique. C’est en 1952, avec la publication d’El río (« la rivière »), que l’originalité de sa voix se manifeste pleinement. Dans les années 1960, son activité littéraire est intense, avec la publication de Contracanto (« contre-champ », 1961), premier prix du ministère de l’Instruction publique, Quehaceres e invenciones (« travaux et inventions », 1963), Declaración conjunta (« déclaration commune », 1964) et Materia prima (« matière première », 1966). Avec ces livres, sa poétique s’oriente vers l’expérimentation. Poesía (« poésie », 1980) et Constelación del navío (« constellation du vaisseau », 2002) réunissent la quasi-totalité de son œuvre poétique et montrent celle-ci comme un voyage permanent à la découverte d’univers et de mondes intérieurs auxquels la poétesse accède grâce à différents instruments. Dans La dama de Elche (1987), elle se fait l’intermédiaire des regards multiples qui voyagent avec elle et appréhendent les territoires parcourus dans le temps. Elle tente aussi de se découvrir, de trouver son territoire, de dire son histoire, à une époque où les disparus, victimes des dictatures latino-américaines, rendent difficile l’acte de raconter l’histoire. En 2002, avec Poner la mesa al tercer milenio, elle « invite le troisième millénaire à sa table » et le lecteur à conserver vivant le dialogue qu’elle lui propose dans Las mil y una preguntas y propicios contextos (« les mille et une questions et contextes propices », 2005) avec, comme dans Casa donde viven criaturas del lenguaje (« la maison où vivent les enfants de la langue », 2005), la langue comme moyen de connaissance.
María Rosa OLIVERA-WILLIAMS
BERENGUER GUILLÉN, Sara [BARCELONE 1919 - MONTADY, HÉRAULT 2010]
Militante anarchiste espagnole.
Issue d’un milieu ouvrier et d’un père libertaire, tôt engagée dans le militantisme anarchiste, dénonçant sa double exploitation d’ouvrière et de femme, Sara Berenguer Guillén prend en juillet 1936 la tête du Comité de distribution d’armes ; elle devient successivement membre des Juventudes libertarias (« jeunesses libertaires »), de la Solidaridad internacional antifascista (1937-1938), de Mujeres libres*, en charge du secrétariat à la propagande du Comité régional, défendant des revendications féministes. Réfugiée en France en 1939, se définissant comme une « militante féminine libertaire », elle milite toute sa vie, sous le nom de son compagnon anarchiste.
Yannick RIPA
■ RAUSA J., Sara Berenguer, Paris/Bruxelles, Monde libertaire/Alternative libertaire, 2000.
BERENSON, Marisa [NEW YORK 1947]
Actrice américaine.
Petite-fille de la créatrice de haute couture Elsa Schiaparelli*, petite-nièce de l’historien d’art Bernard Berenson, Marisa Berenson débute comme mannequin. Sa beauté aristocratique retient l’attention de Luchino Visconti. Dans Mort à Venise (1971), elle incarne, lors des retours en arrière, la jeune épouse du héros joué par Dirk Bogarde. Le succès du film précède celui de Cabaret (1972), où la comédienne évolue dans le Berlin des années 1930. En 1975, dans Barry Lyndon, de Stanley Kubrick, elle est l’épouse de Ryan O’Neal, qui joue le rôle-titre. La suite de la carrière de l’actrice est plus chaotique : elle apparaît dans des séries Z comme L’Invasion des piranhas (1979), avant d’être dirigée par le maître de la comédie américaine Blake Edwards (S.O.B., 1981). Clint Eastwood l’engage pour son évocation du tournage d’African Queen (Chasseur blanc, cœur noir, 1990). Installée à Paris, M. Berenson tourne en France : le suspense Flagrant désir (1986), de Claude Faraldo ; l’intrigue homosexuelle Gigola (2011), de Laure Charpentier. En 2013, Arielle Dombasle* la dirige dans son hommage à Jean Cocteau, Opium. Depuis 1983, l’actrice se produit dans des téléfilms (Bel-Ami, 1983, de Pierre Cardinal, d’après Guy de Maupassant ; Le Chagrin des Belges, 1995, de Claude Goretta) et dans des séries américaines. Elle n’a jamais fait de théâtre.
Bruno VILLIEN
■ Au-delà du miroir, Paris, Michel Lafon, 1995 ; Moments intimes, Paris, Calmann-Lévy, 2009.
■ PIRANDELLO L., Le Voyage, lu par Marisa Berenson, Paris, Des Femmes-Antoinette Fouque, « Bibliothèque des voix », 2008.
BERENSTEIN-WAVRE, Jacqueline [MERKWILLER-PECHELBRONN, BAS-RHIN 1921]
Femme politique suisse.
La socialiste Jacqueline Berenstein-Wavre est membre du législatif municipal (1968-1969) et cantonal (Grand Conseil 1973-1989) de Genève, présidente de l’Alliance de sociétés féminines suisses (1975-1980), fondatrice du Collège du travail. C’est aussi l’une des initiatrices de l’article constitutionnel sur l’égalité des droits entre hommes et femmes, adopté en suffrage populaire en 1981.
René LEVY
BERG, Maimu [TALLINN 1945]
Romancière et nouvelliste estonienne.
Après des études de langue et littérature estoniennes à l’université de Tartu, Maimu Berg travaille pendant une quinzaine d’années à la rédaction de la revue de mode Siluet, puis, à partir de 1991, à l’Institut finlandais de Tallinn. Dans les années 2000, elle se lance en politique et siège notamment au conseil municipal de Tallinn. Bien que ses premiers récits aient paru en revue dès 1969 (sous le pseudonyme de Leen Kaitse), sa carrière littéraire n’a véritablement démarré qu’en 1987, avec la parution de ses deux premiers romans : Kirjutajad (« les secrétaires ») reprend sous un éclairage nouveau l’histoire véridique de Barbara von Tisenhusen, une jeune noble du XVIe siècle noyée par sa famille pour avoir voulu épouser un roturier ; Seisab üksi mäe peal (« il se tient seul sur la colline ») évoque la vie du premier grand poète estonien, Kristjan Jaak Peterson. Son recueil de nouvelles On läinud (« il est parti », 1991) s’intéresse surtout à des personnages féminins en proie aux drames et aux tensions du quotidien. Elle publie par la suite un recueil de prose d’inspiration autobiographique, Mina, moeajakirjanik (« moi, journaliste de mode », 1996), deux romans (Ma armastasin venelast, « j’ai aimé un Russe », 1994, transposition estonienne de Lolita ; Ära, « partir », 1999), ainsi qu’un recueil de nouvelles, Unustatud inimesed (« les gens oubliés », 2007). Les thèmes centraux de ses ouvrages sont les amours brisées, la passion tragique et l’impossible harmonie entre les êtres.
Antoine CHALVIN
BERGALLI GOZZI, Luisa [VENISE 1703 - ID. 1779]
Femme de lettres italienne.
Née dans une famille simple, Luisa Bergalli Gozzi fut l’élève d’Antonio Sforza, puis d’Apostolo Zeno, qui lui enseigna la poésie et l’introduisit dans les milieux littéraires. Son activité fut marquée par un intérêt prononcé pour le théâtre. Elle composa des drames musicaux, comme Algide re di Sparta (« Algide roi de Sparte », 1725) et L’Elenia (« Hélène », 1730) ; des comédies, telle Le avventure del poeta (« les aventures du poète », 1730) ; et des tragédies, comme La Teba (« Thèbes », 1728), Elettra (« Électre », 1743). En 1738, elle épousa Gaspare Gozzi, dont elle partagea la gestion malheureuse du Théâtre Sant’Angelo (1746). Pour faire face aux difficultés économiques de sa famille, elle traduisit du latin et du français les Comédies de Térence, le Misanthrope de Molière et les Œuvres de Racine. Elle fut admise à l’Académie d’Arcadie* sous le nom pastoral Irminda Partenide. On lui doit la première anthologie de poésie féminine composée par une femme – le recueil Componimenti poetici delle più illustri rimatrici d’ogni secolo (« compositions poétiques des plus célèbres rimeuses de tous les temps », 1726), dont parut une réimpression anastatique en 2007 –, ainsi qu’une réédition des Rime (« poèmes », 1738) de Gaspara Stampa*.
Marta SAVINI
BERGANZA, Teresa [MADRID 1935]
Mezzo-soprano espagnole.
Férue de peinture, de poésie, de littérature, Teresa Berganza est une artiste criante de vérité. Sa grâce naturelle, le bonheur de vivre qui émane de sa personne, la sobriété de ses interprétations font d’elle la plus éblouissante des Carmen, personnage qu’elle a incarné sur toutes les scènes du monde. « Au côté de Placido Domingo, elle a livré la plus grande Carmen de l’histoire de l’opéra », ira jusqu’à déclarer le chef autrichien Herbert von Karajan. Elle a également été une admirable interprète de Rossini et de Mozart, campant notamment une avenante Zerline au cinéma dans le Don Giovanni de Joseph Losey. Musicienne accomplie sous l’impulsion de son père pianiste, elle travaille le piano, l’orgue, l’harmonie, la direction et la composition au conservatoire de Madrid, tout en se destinant au chant dès l’âge de 8 ans, qu’elle étudie avec un élève d’Elisabeth Schumann* qui lui inculque Rossini et Mozart. C’est ainsi qu’elle fait des débuts fracassants en 1958 en Dorabella de Così fan tutte de Mozart au Festival d’Aix-en-Provence, avant d’être invitée l’année suivante au Festival de Glyndebourne pour Chérubin des Noces de Figaro. Elle conquiert définitivement le public dans La Cenerentola de Rossini sous la direction de Claudio Abbado, qui la désigne comme « la plus sublime des mezzo-sopranos », et qui lui fait aborder le rôle de Carmen, qu’elle chante immédiatement avec une simplicité et une vérité dramatique exceptionnelles. Parallèlement à sa carrière lyrique, T. Berganza donne de nombreux récitals, à la Scala de Milan, à Covent Garden, au Théâtre du Châtelet, entre autres, et chante volontiers la zarzuela et des chansons populaires espagnoles, ainsi que l’œuvre vocale de Manuel de Falla, ses mélodies et La Vie brève. Elle se consacre aujourd’hui à l’enseignement.
Bruno SERROU
■ Meditaciones de una cantante, Madrid, Real Musical, 1985.
BERGÉ, Francine [NEUILLY-SUR-SEINE 1938]
Actrice française.
Issue d’une famille d’artistes, Francine Bergé suit des cours de danse classique, puis se tourne vers l’art dramatique. Après un premier prix de tragédie, elle entame une carrière théâtrale, poursuivie à la Comédie-Française, qui la sollicite par deux fois mais qu’elle quitte très vite. Son goût de la liberté est plus fort, malgré un attrait prononcé pour les œuvres classiques qu’elle interprète sous la direction de Jean-Louis Barrault (Le Soulier de satin de Paul Claudel), de Jean Meyer (Les Femmes savantes, Amphitryon, Dom Juan de Molière) au Théâtre du Palais-Royal, et surtout une Bérénice de Racine, dans une interprétation considérée comme référentielle au Théâtre de la Cité de Villeurbanne en 1966, sous la direction de Roger Planchon, qui lui donnera le rôle de lady Anne, dans Richard III, au festival d’Avignon. Dans la comédie, elle endosse des personnages aussi divers que ceux du théâtre de Françoise Sagan* (Château en Suède), de Jean Anouilh (Cher Antoine, Le Voyageur sans bagages), de Jean Giraudoux (Électre), Jacques Audiberti, Andrée Chedid*, Pierre Laville, Éric-Emmanuel Schmitt, et des contemporains étrangers, Peter Weiss (Hölderlin), Heiner Muller, Edward Bond, Thomas Bernhard, Nancy Huston*, Lars Norén. Après le Prix du Syndicat de la critique pour Bérénice en 1970, Jeux de scène de Victor Haïm lui vaut une nomination aux Molières en 2002.Elle fait une prestation remarquée dans Gertrude (Le Cri) d’Howard Barker, montée à l’Odéon par Giorgio Barberio Corsetti en 2008. Au total, F. Bergé a interprété plus de 100 rôles dans des registres inattendus, une souplesse de jeu qui se retrouve dans ses interprétations cinématographiques. Après des débuts en 1956 sous la direction de Jean Renoir (Elena et les hommes), elle s’impose au cinéma en 1962 avec sa sœur cadette Colette (1941-2008) dans les Abysses de Nicola Papatakis, film inspiré de l’affaire des sœurs Papin. Elle a tourné dans une trentaine de films, sous la direction de Jacques Rivette, Roger Vadim, Jean-Louis Bertucelli, Benoît Jacquot, Jacques Doillon ou Matthieu Kassovitz… Elle participe à des fictions télévisées. En 2012, à l’issue d’une trentaine d’épisodes de la série Plus belle la vie, elle joue Cher menteur de Jérôme Kitty au Théâtre La Bruyère dans une mise en scène de Régis Santon. Elle reçoit en 2013 le Prix d’honneur pour son rôle dans Le Prix des boîtes de Frédéric Pommier au Palmarès du théâtre.
Mireille DAVIDOVICI et Noëlle GUIBERT
BERGEN, Véronique (née VANKEERBERGHEN) [BRUXELLES 1962]
Écrivaine et philosophe belge.
Licenciée en philologie romane, docteure en philosophie, Véronique Bergen entre en poésie dès l’adolescence. Paraissent Brûler le père quand l’enfant dort et Encres (1994), dont les thèmes – l’enfance, la filiation, le corps, le savoir, les mots – seront redéployés dans les livres suivants et amplement développés dans des romans aux structures inventives. Après Rhapsodies pour l’ange bleu (2003) et Aquarelles (2005), l’étonnant Kaspar Hauser ou la Phrase préférée du vent (2006, prix de l’Académie royale de langue et de littérature françaises, prix de la Ville de Tournai) offre un modèle de discours croisé. Polyphonique encore, Fleuve de cendres (2008) conjugue information historique, barbarie d’Auschwitz, viol d’une enfant, suicide d’un survivant et symbolique amoureuse, dans la même modulation d’un lyrisme intense. En 2011 est paru Requiem pour le roi, et, en 2012, Voyage en Mylénie.
Jeannine PAQUE
■ Jean Genet, entre mythe et réalité, Bruxelles, De Boeck, 1993 ; L’Ontologie de Gilles Deleuze, Paris, L’Harmattan, 2001 ; Alphabet sidéral, Bruxelles, Le Cormier, 2008 ; Résistances philosophiques, Paris, Presses universitaires de France, 2009.
■ HOUSSIN X., « Les étoiles et la cendre », in Le Monde des livres, 5-9-2008.