SANTOS TORROELLA, Ángeles [PORT-BOU 1911 - MADRID 2013]

Peintre espagnole.

Artiste majeure de l’avant-garde espagnole, Ángeles Santos Torroella s’initie au dessin et à la peinture en internat, au collège des sœurs conceptionistes de Séville, puis s’installe, en 1927, à Valladolid, où elle prend des cours particuliers auprès du peintre italien Cellino Perotti. Ses premières toiles, dont Autorretrato (1928), sont présentées à l’occasion d’une exposition collective à l’Académie des beaux-arts de la ville. Désormais, elle se consacre pleinement à sa vocation. Lors de sa participation au Salon d’automne de Madrid en 1929, elle expose une de ses œuvres majeures, Un mundo (1929), grand succès auprès du public et des critiques, qui l’érigent en figure de proue de la nouvelle peinture espagnole. Très vite, elle intègre le cercle des intellectuels de l’avant-garde et fréquente Federico García Lorca et Juan Ramón Jiménez, dont les œuvres poétiques la marquent profondément. Sa notoriété immédiate s’explique par un travail ambitieux, moderne et original, à mi-chemin entre expressionnisme et surréalisme, qui révolutionne le panorama artistique de l’époque. Audacieuse et d’une grande liberté formelle, non académique, sa peinture développe un univers étrange, poétique et merveilleux. Au début des années 1930, elle expose en Espagne et en Europe – sa première exposition personnelle à Paris se déroule en 1931. Elle cessera ensuite toute production jusqu’en 1934, date à laquelle son mari, le peintre Emili Grau Sala, la pousse à reprendre son activité. Au cours de la guerre civile, elle s’exile à la frontière française et donne des cours de dessin, tout en poursuivant son œuvre. Elle interrompt de nouveau la peinture dans les années 1950, puis la reprend lors de ses retrouvailles avec son époux, dont la guerre l’avait séparée. L’audace et l’imagination de ses premières toiles laissent désormais place à des sujets plus traditionnels, néanmoins toujours traités dans un style très libre. Bien qu’ayant traversé le XXe siècle, l’œuvre d’Á. Santos Torroella demeure liée au contexte avant-gardiste des années 1930 ; ses réalisations postérieures, conjuguées aux événements personnels, l’ont peu à peu éloignée de la scène artistique contemporaine.

Ludovic DELALANDE

Ángeles Santos, Casamartina i Parassols J. (dir.), Madrid, TF/Fundación Mapfre, 2010.

SANTUCCI, Lucie (ou Lucia) [CORSCIA 1938]

Poétesse française de langue corse.

L’illustration des textes du poète libanais Georges Schehadé amène Lucie Santucci à l’exploration des liens mystérieux entre le texte et l’image, qu’elle poursuit dans ses propres textes, comme Sogni di Disegni (« rêves de desseins », 1980), ou dans ses travaux sur la poésie rurale, avec l’association Expression latine, qui porte la parole des Roumains exilés. Elle rejoint en 1978 l’équipe de la revue Rigiru (« renouveau poétique ») où ses premiers textes sont accompagnés d’illustrations à l’encre de Chine. Ses ouvrages nourris par la civilisation agropastorale reflètent les mutations de la figure féminine corse. Entre image et silence, place est faite pour une parole à inventer. De cette poésie plurielle se dégage un parfum oriental proche du romancero mauresque. Elle reconnaît d’ailleurs comme l’un de ses maîtres Federico García Lorca, dont elle a traduit des œuvres.

Françoise ALBERTINI

Sogni di Dissegni, Bastia, A Cunfraternita, 1980 ; Dix par être, Barrettali, A Fior di carta, 2008.

SANVITALE, Francesca [MILAN 1928 - ROME 2011]

Écrivaine et journaliste italienne.

Francesca Sanvitale a fait ses études à Florence. Parmi ses romans, certains ont été traduits en français, comme Mère et fille (1980), face-à-face entre une mère, vieillissante et malade, et sa fille, à la recherche de sa propre identité ; L’Homme du parc (1984) ; Vers Paola (1991), où le narrateur revient sur sa vie passée en même temps qu’il effectue un voyage vers le Sud ; Le Fils de l’Empire (1993), histoire du roi de Rome, fils de Napoléon, et de sa mère. F. Sanvitale a également publié des recueils de récits : La realtà è un dono (« la réalité est un don », 1987, prix Rapallo) ; Tre favole dell’ansia e dell’ombra (« trois fables de l’angoisse et de l’ombre », 1994) ; Séparations, nouvelles (1997), histoires de solitude et de crises identitaires ; L’ultima casa prima del bosco (« la dernière maison avant la forêt », 2003). Elle a été codirectrice de la revue Nuovi Argomenti et a publié plusieurs articles critiques, dont Mettendo a fuoco, pagine di letteratura e realtà (« mise au point, pages de littérature et de réalité », 1988) et Camera ottica, pagine di letteratura e realtà (« chambre optique, pages de littérature et de réalité », 1999).

Graziella PAGLIANO

Mère et fille (Madre e figlia, 1980), Paris, Salvy, 1993 ; L’Homme du parc (L’uomo del parco, 1984), Paris, Salvy, 1994 ; Vers Paola (Verso Paola, 1991), Paris, Salvy, 1995 ; Le Fils de l’Empire (Il figlio dell’impero, 1993), Paris, Fayard, 1996 ; Séparations, nouvelles (Separazioni, 1997), Paris, Albin Michel, 2000.

SANZ, Rocío (ou SANZ QUIRÓS) [SAN JOSÉ, COSTA RICA 1933 - MEXICO 1993]

Compositrice costaricaine.

Rocío Sanz commence ses études musicales au Conservatorio nacional de Música de San José, poursuit en piano et composition à Los Angeles, puis au Conservatoire national de Mexico et au conservatoire Tchaïkovsky de Moscou. En 1953, elle s’installe définitivement à Mexico, où elle étudie avec Carlos Jiménez Mabarak, Rodolfo Halffter et Blas Galindo. Elle enseigne à l’académie de danse de Mexico, à l’École d’art dramatique de l’Institut national des beaux-arts et du Centre universitaire du théâtre, et coordonne des projets du Ballet folklorique de Mexico. Son œuvre comprend des contes et chansons pour enfants, de la musique de chambre, pour orchestre, la musique de nombreux films documentaires et courts-métrages, ainsi que de la musique de scène. Sa Cantata de la Independezia de Centroamérica remporte en 1971 le premier prix de composition pour le 150e anniversaire de l’indépendance du Costa Rica, et est créée en 1984. En 1976, elle reçoit le premier prix d’œuvres chorales pour Sucedio en Belén, sur des textes de sœur Juana de la Cruz*. À partir de 1972, elle se consacre presque exclusivement à son émission de radio El Rincon de niños (« le coin des enfants »), diffusée par la Radio Universidad national autónoma de México (Unam), dans laquelle elle fait connaître de nombreux compositeurs. En 1981, un prix en son nom est créé par El Grupo Signo de Mexico, qui récompense la musique écrite pour les enfants. En 1993, Hilos, suite pour orchestre à cordes, et Canciones de la muerte, pour soprano, sont créés au Congrès international des compositrices de Mexico.

Odile BOURIN

SADIE J. A., SAMUEL R. (dir.), The New Grove Dictionary of Women Composers, Londres, Macmillan, 1994.

SAPIENZA, Goliarda [CATANE 1924 - ROME 1996]

Écrivaine et comédienne italienne.

Sa mère, Maria Giudice, est la première femme à diriger la Chambre des métiers de Turin et son père est un avocat socialiste antifasciste. Inscrite très jeune à l’Académie d’art dramatique de Rome, Goliarda Sapienza commence une carrière d’actrice et devient la compagne du cinéaste Francesco Maselli. Ses romans appartiennent au genre autobiographique : Lettre ouverte (1967), Le Fil de midi (1969), L’università di Rebibbia (1983), Le certezze del dubbio (« les certitudes du doute », 1987). L’Art de la joie (1994) retrace, à travers le récit d’un personnage féminin hors norme, les événements qui ont marqué l’Italie au XXe siècle.

Graziella PAGLIANO

L’Art de la joie (L’arte della gioia, 1994), Paris, Viviane Hamy, 2005 ; Le Fil d’une vie (réunit Lettre ouverte et Le Fil de midi) (Lettera aperta, 1967 ; Il filo di mezzogiorno, 1969), Paris, Viviane Hamy, 2008.

SAPORTA, Karine [GRENOBLE 1950]

Danseuse et chorégraphe française.

Formée à la danse classique, Karine Saporta étudie la philosophie et la sociologie, puis les techniques de l’image (photo, vidéo, cinéma) et la danse moderne (école Hanya Holm* et Alwin Nikolaïs). Elle crée sa compagnie en 1982. Elle s’intéresse à toutes les formes de danse : flamenco, bharata-natyam, butô (avec Hideyuki Yano), danses urbaines, et dirige le Centre chorégraphique national (CCN) de Caen–Basse-Normandie de 1988 à 2003. Personnalité singulière à l’imagination foisonnante, elle compose plus de cinquante pièces d’inspirations très diverses, dans un univers d’un onirisme baroque soutenu par les somptueux décors de Jean Bauer, parmi lesquelles Pleurs de Porcelaine (1985), La Fiancée aux yeux de bois (1988), Les Taureaux de Chimène (1989), Le Spectre ou les manèges du ciel (1996), Le Garage (2001), Lettres à un ami d’Afrique (2005). Elle élabore une gestuelle très personnelle, répétitive, dissociée, saccadée et hachée, mettant ses personnages ambigus de femmes-enfants à l’érotisme raffiné dans des états paroxystiques souvent éprouvants pour les interprètes. Si le public ne fait pas toujours bon accueil à ses créations parfois trop foisonnantes, la puissance et l’originalité de son œuvre suscitent toujours l’intérêt.

Marie-Françoise BOUCHON

Avec DOBBELS D., CIXOUS H., REYNAUD B. et al., Karine Saporta, Peter Greenaway : Roman photo, Paris, Armand Colin, 1990.

SAPPHO DE MYTILÈNE LE DE LESBOS V. 630 - ID. V. 560 aV. J.-C.]

Poétesse grecque.

Poétesse lyrique, penseuse, enseignante, Sappho est la première voix féminine connue en Grèce antique, et l’une des premières voix humaines qui nous ont été transmises. Son nom, tel qu’il apparaît sur des monnaies de Mytilène, est Psapphô ou Psappha, altéré ensuite en Sapphô, puis Sappho ou Sapho. Elle eut des frères, fut peut-être mariée à Kerkilas, dont elle aurait eu une fille, Cléis (prénom de sa propre mère). Elle aurait décliné l’amour de l’autre grand poète lyrique de l’époque, Alcée, et serait tombée amoureuse d’un jeune homme, Phaon. Un marbre de Paros indique qu’elle dut s’exiler dans sa maturité pour la Sicile. On a d’elle plusieurs portraits imaginaires, dont une belle peinture de Pompéi, et ce fragment : « J’ai à moi une jolie petite fille, ma Cléis chérie, belle comme une fleurette d’or… je ne l’échangerai ni contre toute la Lydie ni contre la désirable (Lesbos) ». Suidas écrit qu’Atthis, Télésippa, Mégaraes ont été ses compagnes ou amies et que ses élèves furent Anactoria de Milet, Gongyla de Colophon, Eunica de Salamine. Ses amours furent diffamées par les comiques de l’Athènes classique, comme l’indique un papyrus retrouvé à Oxyrhynchus. Elle est l’auteure d’une des premières poésies amoureuses de l’histoire, universellement admirée. Platon l’appelle « la Dixième Muse ». Elle aurait écrit neuf livres de chants lyriques, inventé plusieurs nouveaux modes poétiques, composé des épigrammes, des vers élégiaques, des iambes et des monodies. Elle a légué son nom et celui de l’île de Lesbos à toutes les femmes qui aiment les femmes. Sa poésie met en œuvre une philosophie implicite. Elle ne masque rien de la mort, du temps qui sépare, des illusions et désillusions ; mais elle oppose à cette connaissance une adoration de la vie goûtée dans l’instant, une contemplation jubilante de la nature, des corps humains, un goût pour la culture féminine : élégance du vêtement, parures, maquillage, parfums. Psychologue, elle décrit finement les transports de l’âme humaine. Cosmopolite, elle n’aime ni les armées ni la guerre. Son œuvre, qui comprend 11 000 à 12 000 vers, éditée à l’époque attique, est transmise intégralement jusqu’aux époques hellénistique et romaine. Elle fait l’objet, au IVe et au XIe siècle de l’ère chrétienne, de violents autodafés. Les fragments qui nous restent viennent pour la plupart de citations chez des auteurs grâce auxquels l’Europe moderne la redécouvrit à la Renaissance – et pour les autres, de papyrus égyptiens récemment découverts (XIXe et XXe siècles). La figure de Sappho renaît sous diverses adaptations (de Madeleine de Scudéry* à Giacomo Leopardi). Plusieurs de ces interprétations, à l’époque romantique, tirent la poétesse vers le triste, et l’amour impossible pour un homme qui se dérobe. Le XXe siècle rétablit une vision plus ardente et joyeuse, en une foule d’adaptations littéraires ou musicales. Sappho marque la culture universelle au timbre de sa voix unique.

Séverine AUFFRET

REINACH T., Alcée, Sapho, Paris, Les Belles Lettres, 1960 ; YOURCENAR M., La Couronne et la Lyre, poèmes traduits du grec, Paris, Gallimard, 1979.

PAGE D., Sappho and Alcaeus : An Intoduction to the Study of Ancient Lesbian Poetry, Oxford, Clarendon Press, 1955.

Sappho de Mytilène (A. Ionatos, N. Venetsanou), Auvidis Tempo, 1991.

SAPPHO – MYTHE LITTÉRAIRE [France XVIIIe siècle]

L’engouement pour Sappho (630 av. J.-C.), poétesse de Lesbos et figure légendaire de la première femme écrivain, à qui les Anciens donnaient le titre de Dixième Muse, a pour effet de favoriser le renouvellement du discours féministe des siècles classiques. La question du droit de la femme au savoir, qui voit le jour avec La Cité des dames (1405) de Christine de Pizan*, laisse place à une pensée hardie sur la gloire littéraire au féminin, qui s’illustre dans l’Histoire de Sappho au chapitre X d’Artamène ou le Grand Cyrus (1649-1653) de Madeleine de Scudéry*. Même si Pierre Bayle relève la trahison du modèle antique dans sa version précieuse (Dictionnaire historique et critique, 1697), l’histoire de Sappho offre tout d’abord la représentation idéalisée de la femme créatrice. Sur un ton de défi, la poétesse invite les femmes à accéder aux privilèges de la création et à refuser d’être les esclaves des hommes. En outre, elle engage une réflexion sur la liberté et la condition amoureuse des femmes, qui favorise le triomphe féminin. L’amant fasciné et soumis, grâce à la discipline de ses désirs, consent à suivre Sappho au pays des Amazones, lieu mythique de l’affranchissement féminin.

Sous la plume des femmes des Lumières, l’histoire de Sappho retrouve les accents de la tradition hellénistique. Constance Pipelet, Germaine de Staël* et Anne-Marie de Beaufort d’Hautpoul* consacrent des ouvrages à la figure tragique de Sappho, qui rejoint la galerie des femmes trahies, telle Ariane abandonnée par Thésée sur l’île de Naxos. À la source du mythe antique est la Sappho de Ménandre, auteur comique grec qui effaça de la mémoire collective la « mascula Sappho » (Horace, Épîtres, livre I, épître 19) et son amour porté aux femmes, en imaginant sa liaison brûlante avec Phaon, navigateur de Lesbos doté par Vénus d’une extrême beauté. Après Sappho Phaoni, extrait des Héroïdes d’Ovide, peignant le délire amoureux d’une Sappho qui sombre dans le désespoir et se donne la mort en se jetant dans les flots, du haut du promontoire de Leucade, l’« Ode de Sappho à Phaon » que publie en 1790 A.-M. de Beaufort d’Hautpoul, couronnée par l’académie des Jeux floraux, traduit avec talent les mouvements exaltés de l’âme de Sappho, égarée par la douleur et condamnée à adorer un amant inconstant.

Bien que les folies d’amour soient à la mode quelques années avant la Révolution (Nicolas-Marie Dalayrac et Benoît-Joseph Marsollier des Vivetières, Nina ou la Folle par amour, 1786), C. Pipelet, poétesse féministe du Directoire, et G. de Staël s’approprient l’image de Sappho, tout en restant à distance du pathétique ovidien. Pour elles, l’histoire de Sappho traduit la grandeur et la misère des femmes, privées par la société d’un univers à leur mesure. Dans Sapho (1794), tragédie mêlée de chants de C. Pipelet, la poétesse a les traits d’une héroïne brûlée par les feux de l’amour, affaissée par la crainte de l’abandon et soumise aux intrigues des prêtres qui la poussent au suicide. Cet opéra ne saurait mieux montrer à quel point une relation harmonieuse entre le génie féminin et la société est exclue. Poursuivant sa réflexion, l’auteure livre dans son « Épître aux femmes » (1797) des vers passionnés où elle revendique l’accession des femmes au Parnasse : « Mais les arts sont à tous ainsi que le bonheur. » Après elle, G. de Staël dénonce l’absurde répartition fonctionnelle des sexes dans la société révolutionnaire : « Depuis la Révolution, les hommes ont pensé qu’il était politiquement et moralement utile de réduire les femmes à la plus absurde médiocrité » (De la littérature, 1800). S’opposant aux arguments de Rousseau, elle convoque la gloire antique de Sappho pour fonder une apologie de la femme de génie. Son drame en cinq actes et en prose, Sapho, composé en 1811, développe le dilemme qui existe entre l’amour et le génie féminin. « Ah ! J’étais née pour la gloire, et je succombe à l’amour ! L’univers réclamait mon génie, et le dédain d’un seul homme a flétri le présent des dieux », déclame l’héroïne (Sapho, acte I, scène 3). Le parcours fatal de Sappho prouve que la passion amoureuse ruine l’« enthousiasme » créatif. Son mythe littéraire se charge ainsi d’énoncer la tension profonde qui existe sous les Lumières et au moment de la Révolution entre la féminité et le génie, entre la liberté rêvée et un destin féminin, connu d’avance.

Huguette KRIEF

DEJEAN J., Sapho, les fictions du désir 1546-1937, Paris, Hachette, 1994 ; DIDIER B., « Images de Sapho chez Mme de Staël », in CALLE-GRUBER M., CIXOUS H., Au théâtre, au cinéma, au féminin, Paris, L’Harmattan, 2001 ; PLANTÉ C., « De Corinne à Sapho, le conflit entre passion et création », in PERCHELLET J.-P. (dir.), Un deuil éclatant du bonheur, Corinne ou l’Italie de Mme de Staël, Orléans, Paradigme, 1999.

KRIEF H., « Introduction », in ID. (dir.), La Sapho des Lumières, Saint-Étienne, Publications universitaires de Saint-Étienne, 2006.

SAPRITCH, Alice (Alice SAPRIC, dite) [ORTAKÖY, TURQUIE 1916 - PARIS 1990]

Actrice et écrivaine française.

Née de parents arméniens, Alice Sapritch est l’élève de Béatrix Dussane* au Conservatoire. Elle joue beaucoup sur scène, notamment en 1961, au cabaret La Tomate, Théâtre forain, de Jean Cocteau, avec Pauline Carton, Renée Passeur, Gisèle Touret et Jean Yanne. C’est à la télévision qu’elle connaît ses plus grands succès : elle est une terrifiante Folcoche dans Vipère au poing (1971), d’après Hervé Bazin. Elle incarne également La Cousine Bette (1964), d’Honoré de Balzac, sainte Thérèse d’Avila* ou encore la Phèdre de Racine. Sa composition de Marie Besnard (1986), provinciale accusée de meurtres, remporte un immense succès. Elle joue Catherine de Médicis* (1989), face à Emmanuelle Riva*, pour son dernier rôle. Au cinéma, elle apparaît chez J. Cocteau, Claude Autant-Lara, François Truffaut. Elle fait aussi rire, en duègne, dans La Folie des grandeurs, de Gérard Oury (1971). On la voit enfin chez : Jacques Demy ; Nina Companeez* ; André Téchiné (Les Sœurs Brontë, 1979). Elle publie cinq livres humoristiques.

Bruno VILLIEN

Mémoires inachevés, Paris, Ramsay, 1990.

SAQUI, Mme (Marguerite-Antoinette LALANNE, dite) [AGDE 1786 - NEUILLY-SUR-SEINE 1866]

Funambule française.

Fille de Jean-Baptiste Lalanne et d’Hélène Masgomicari, Marguerite-Antoinette Lalanne est formée dès son plus jeune âge à l’acrobatie et à l’équilibre, notamment par son frère Laurent. Elle développe un don exceptionnel pour la danse de corde et présente, dès 1791, un numéro de funambule où elle se révèle aussi habile qu’intrépide. Surnommée « la petite Béarnaise » en raison de ses origines, elle est soutenue par son père, membre de la troupe des Grands Danseurs du Roi, qui favorise ses débuts et contribue au développement de sa carrière. À la Révolution, la famille quitte Paris pour la province où elle se produit avec succès. En 1805, elle épouse l’acrobate Julien Saqui. Devenue « Madame Saqui », elle revient dans la capitale où elle connaît de véritables triomphes, jouant pour l’empereur Napoléon Ier à l’occasion de fêtes somptueuses. Elle interprète à elle seule, sur la corde tendue, des mimodrames entiers où elle représente le passage du mont Saint-Bernard, la bataille de Wagram ou la prise de Saragosse. En tournée, elle se rend à Gand et à Bruxelles en 1814, ainsi qu’à Liège l’année suivante. Elle s’y fait reconnaître comme la « Première artiste de S.M. le roi Louis XVIII, Directrice des fêtes et ascensions du Gouvernement ». En 1816, elle obtient le privilège d’occuper une salle sur le Boulevard du Crime où son théâtre remporte un succès ininterrompu jusqu’en 1830, année où elle cède son privilège à un dénommé Roux, dit Dorsay. Elle s’embarque alors pour de nouveaux continents, admirée par exemple à Madras en 1850. Elle danse sur la corde jusqu’en 1861 et s’éteint à l’âge de 79 ans.

Pascal JACOB

GINISTY P., Mémoires d’une danseuse de corde, Paris, Charpentier et Fasquelle, 1907.

SARABHAI, Gira [AHMEDABAD 1923]

Architecte et designer indienne.

Née dans une des familles d’industriels aisés de la ville d’Ahmedabad, Gira Sarabhai a bénéficié d’une éducation très privilégiée, combinant tradition et modernité. Sa famille soutenait de longue date Gandhi et sa lutte pour l’indépendance. Petite fille, elle a vécu à New York avec sa sœur. Durant les années 1940, elle a fréquenté, avec son frère ainé Gautam, le centre de Frank Lloyd Wright à Taliesin West, dans l’Arizona, et fut très influencée par l’architecture du maître. Ensemble, ils ont signé de nombreux projets, mais elle refusait la désignation d’architecte, préférant être considérée comme conceptrice ou designer. Véritables visionnaires, Gira et Gautam Sarabhai ont contribué de manière décisive à la création de plusieurs des institutions les plus importantes d’Ahmedabad après l’indépendance. Dessinatrice hors pair aux talents multiples, G. Sarabhai a été l’architecte du premier ensemble de logements en duplex à Mumbaï, les Darshan Apartments des collines de Malabar, qu’elle a conçu à son retour des États-Unis. Avec son frère, elle a également participé à la création de l’Institut national de design, à Ahmedabad, et à la conception du bâtiment de l’Institut qui, achevé en 1961, a marqué une ère nouvelle dans le domaine du génie des structures. Ensemble, ils ont également fondé le Calico Museum of Textiles en 1949, une institution qui abrite certains des plus beaux tissus indiens. G. Sarabhai en dessina l’aménagement au sein de l’ensemble résidentiel familial qu’ils avaient offert pour l’installation du musée. Elle établit le premier atelier de design textile dans l’entreprise familiale Calico Mills et créa Shilpi, une agence de conception graphique et de publicité qui fut la première en Inde. Au fil des années, son vocabulaire a évolué des édifices à plusieurs étages à des maisons plus artisanales, en terre. G. Sarabhai habite une pièce très moderniste et minimaliste, mais inspirée par la philosophie indienne. Elle se libère des contraintes du passé en faveur d’un fonctionnalisme affichant les matériaux pour ce qu’ils sont, tout en recourant aux formes de l’architecture vernaculaire et aux modes de construction de l’Inde.

Madhavi DESAI

LANG J., A Concise History of Modern Architecture in India, Delhi, Permanent Black, 2002.

SARABHAI, Mallika [AHMEDABAD, GUJARAT 1953]

Metteuse en scène, danseuse et actrice indienne.

Fille de l’homme de sciences Vikram Sarabhai et de la célèbre danseuse de bharatanatyam (style traditionnel du sud de l’Inde) Mrinalini Sarabhai, qui créent l’académie Darpana, en 1949, pour populariser l’enseignement de la danse, Mallika Sarabhai est là à bonne école : les créations s’y multiplient, entremêlant traditions savantes et populaires d’où émergent les courants d’un modernisme qui laissa sa marque. À 15 ans, elle commence déjà une carrière d’artiste dans la danse et le cinéma. Ayant obtenu une maîtrise de gestion en 1974 et un doctorat de sociologie et psychologie en 1976, elle manifeste très tôt son indépendance et ses convictions libérales. Encore étudiante, elle épouse Bipin Shah, avec qui elle a deux enfants (Revanta et Anahita, tous deux danseurs) et dont elle divorcera sept ans plus tard. Toutefois, en 1984, tous deux fondent la maison d’édition Mapin Publishing. Personnalité affirmée, M. Sarabhai a su enrichir son « acquis héréditaire » d’une formation polyvalente. En 1977, elle reçoit le prix de l’Étoile d’or de la meilleure danseuse au Théâtre des Champs-Élysées, à Paris. Comédienne (théâtre, cinéma et télévision), metteur en scène, écrivaine, éditrice et ardente militante, elle collabore à la production d’œuvres socialement engagées, dont Unsuni, adaptée de Unheard Voices (« voix non perçues »), de Harsh Mander, et mise en scène par Arvind Gaur, joue dans La Bonne Âme du Se-Tchouan, de Bertolt Brecht (2009), enchaîne récitals de danse, adaptations dramatiques et scripts cinématographiques. Peter Brook la choisit pour incarner Draupadi, épouse commune des cinq frères Pandava, dans Le Mahābhārata (créé en 1985 au festival d’Avignon), dont la puissance séductrice puise son essence dans la mythologie ; ce rôle la propulse sur la scène internationale. Elle concrétise sa conception de la féminité dans un solo provocateur, Shakti : The Power of Woman, mis en scène par A. Gaur (1989). Politicienne engagée, elle annonce en 2009 sa candidature indépendante au siège du Gandhinagar Lok Sabha contre le Bharatiya Janaka Party et contre les « politiques de la haine ». Honorée par le gouvernement français en 1999 et en 2002, nominée parmi les 1000 femmes proposées pour le prix Nobel de la paix en 2005, M. Sarabhai a reçu en 2008 le prix Cristal du World Economic Forum pour sa contribution à l’art, à la culture et à la paix.

Milena SALVINI

SARAG, Anne (Daria GAMSARAGAN, dite) [ALEXANDRIE V. 1909 - ID. V. 1990]

Romancière et sculptrice égyptienne.

Née dans une famille arménienne fortunée de culture française, Anne Sarag quitte l’Égypte en 1927 et s’installe à Paris pour apprendre la sculpture. Elle s’inscrit en licence de lettres, devient l’élève d’André Lhote et d’Antoine Bourdelle, et suit sa vocation de sculptrice sous son nom de naissance, tout en écrivant et en publiant des romans sous son pseudonyme. Elle tient un salon littéraire chez elle, où se rencontrent Edmond Jabès, Andrée Chedid* ou Guy Lévis Mano, et épouse le journaliste Georges Valois. A. Chedid dit de ses sculptures qu’elles sont « des figures chargées de siècles et de légendes, jaillissant souvent des entrailles de la souffrance et de la dérision ». Son roman Voyage avec une ombre (1957) révèle un grand pessimisme face aux relations pleines de malentendus entre hommes et femmes. L’Anneau de feu (1965) décrit le destin d’une femme d’exception, « une sorte de nébuleuse brûlée de métaux en fusion, un méli-mélo de flammes qui happait la vie par tous les bords ».

Marc KOBER

Voyage avec une ombre, Paris, Calmann-Lévy, 1957 ; L’Anneau de feu, Paris, Les Éditeurs français réunis, 1965.

SARAGOSSE, Marie-Christine [PHILIPPEVILLE, ALGÉRIE 1960]

Directrice de chaîne audiovisuelle française.

Diplômée de l’Institut d’études politiques de Paris en 1981, Marie-Christine Saragosse obtient en 1983 un DEA d’économie de l’École des hautes études en sciences sociales avant d’intégrer l’École nationale d’administration en 1987. Elle parfait ensuite sa formation au sein du cycle HEC-Institut supérieur des affaires (1990). Outre une attirance précoce pour le journalisme, elle manifeste un intérêt pour la francophonie et l’audiovisuel, ce que reflète son parcours professionnel : carrière classique de haut fonctionnaire au ministère de la Communication (1987-1991) puis au ministère délégué à la Francophonie (1991-1993). M.-C. Saragosse est ensuite nommée à la direction de l’action audiovisuelle extérieure au ministère des Affaires étrangères (1993-1997). C’est à ce poste qu’elle assure des missions essentielles : négociation et suivi des crédits de la direction, participation à l’élaboration d’un plan quinquennal d’action audiovisuelle extérieure, présidence du groupe interministériel de réflexion sur le dispositif satellitaire de diffusion internationale des opérateurs audiovisuels français. En 1997, le président de TV5, Patrick Imhaus, la convainc de rejoindre son équipe. Directrice générale puis vice-présidente, elle y reste huit ans. Ses tandems avec P. Imhaus, J. Stock, S. Adda et J. J. Aillagon contribuent à hisser la chaîne francophone à la deuxième place du réseau mondial de télévision. Après une parenthèse de deux ans, pendant laquelle elle exerce au département de la coopération culturelle et de la langue française du ministère des Affaires étrangères (2006), puis auprès de la Direction générale de la coopération internationale et du développement (2007), elle réintègre TV5 Monde, en avril 2008, en tant que directrice générale, avec mission de réformer cet exceptionnel instrument multilatéral de communication francophone. Mère de trois enfants, sportive, dynamique, M.-C. Saragosse doit aussi à son caractère enjoué et à sa drôlerie naturelle d’être à l’aise dans tous les milieux, en toutes circonstances, et d’attirer la sympathie de ses collaborateurs tant français qu’étrangers.

Jacques BARRAT

SARÂOGÎ, Alkâ [CALCUTTA 1960]

Auteure indienne d’expression hindi.

En 1998, à la sortie de son premier roman, Kali-Katha, Alkâ Sarâogî devient subitement l’une des grandes figures de la nouvelle génération de la littérature hindi. Après un recueil de nouvelles plutôt discret (Kahânî kî talâsh me, « à la recherche de l’histoire », 1996), qui introduit son style et ses thématiques de prédilection, Kali-Katha, vaste épopée sur près de deux siècles de la diaspora marwari à Calcutta, confirme son talent et son originalité. La pluie d’éloges et de récompenses que reçoit le roman confirme également le besoin ressenti par le lectorat indien d’un certain discours sur l’histoire (coloniale et postcoloniale), où le « grand récit » des événements et les chroniques personnelles ou familiales se croisent et s’entrelacent ; bref, d’une histoire qui privilégie les destins individuels, nécessairement liés aux faits politiques, économiques et sociaux. « Réinventer l’histoire » constitue d’ailleurs le leitmotiv avoué du héros de ce roman. La « manière » de l’écriture, polyphonique, baroque, ironique, parfois burlesque, se définit également par sa capacité à s’approprier différents environnements et registres linguistiques locaux, du Rajasthan à Calcutta puis aux campagnes du Bangladesh, des grands discours idéologiques aux contes populaires. C’est en effet la fragmentation et l’éparpillement qui caractérisent avant tout le roman, décidé à échapper à la linéarité, à la chronologie et à l’univocité réductrices et simplificatrices d’une H(h)istoire complexe et nodulaire. Or, cette Histoire se doit d’être racontée sous la forme de contes, de filets narratifs variés : c’est de la nécessité de narrer une histoire individuelle devenue peu à peu collective que naît le roman. Son dernier roman, Koî bât nahî (« tant pis/aucune parole », 2004), se propose aussi de répondre à un « besoin » d’histoires : d’emblée, la préface présente le roman comme une « histoire indicible », celle de Shashank, adolescent handicapé dont l’existence est cernée des contes et des aventures que lui racontent sa tante et sa grand-mère.

Anne CASTAING

Kali-Katha (Kâlîkathâ, vayâ bâypâs, 1998), Paris, Gallimard, 2002.

Dûsrî kahânî, Delhi, Rajkamal, 2000 ; Shesh kadambârî, Delhi, Rajkamal, 2001 ; Koî bât nahî, Delhi, Rajkamal, 2004.

MONTAUT A., « Alkâ Sarâogî », in CASTAING A. (dir.), Ragmala, les littératures indiennes traduites en français : anthologie, Paris, L’Asiathèque, 2005.

SARASHINA, Dame [NÉE AU JAPON 1008]

Voyageuse japonaise.

Le vrai nom de cette femme qui vécut dans le Japon de l’ère Heian (794-1185) n’est pas connu. Sarashina est le nom d’une région où elle a voyagé, et les seules traces de ses nombreux déplacements à l’intérieur du pays sont un journal, le Sarashina nikki, qu’on a retrouvé bien après sa disparition, conservé dans les archives impériales. Par la description des paysages, des obstacles affrontés et des dangers encourus, et surtout par le besoin manifeste et magnifiquement analysé qu’elle éprouve de partir puis de repartir sans cesse, on peut considérer son livre comme le premier récit de voyage de femme connu.

Christel MOUCHARD

Le Journal de Sarashina, Paris, POF, 1985.

SARASHINA NIKKI, LE JOURNAL DE SARASHINA – LITTÉRATURE [Japon XIe siècle]

Le Journal de Sarashina (Sarashina nikki) est un volume de mémoires rédigés dans la seconde moitié du XIe siècle. Sarashina est le nom du lieu où se situe Obasute-yama (mont où l’on abandonne les femmes âgées) – un waka qui chante ce mont et la lune est inséré à la fin du récit –, nikki signifie le « journal » proprement dit. Mais de fait, il ne s’agit pas d’un journal : des événements datant de quelques dizaines d’années y sont racontés rétrospectivement. Ce sont plutôt des mémoires ou une autobiographie.

L’auteure de ce récit est « la fille de Sugawara no Takasue » (1008- ?) ; on l’appelle ainsi, car son vrai nom reste inconnu. C’est la nièce de l’auteure des Mémoires d’une éphémère. Son père était un fonctionnaire affecté en province, dans l’est du Japon ; c’est donc là qu’elle a passé son enfance. À l’occasion d’un voyage de cette région à Kyoto, elle raconte et décrit dans le Journal de Sarashina les événements et les paysages, dans un style raffiné et délicat. L’ouvrage se compose de ses souvenirs intermittents, pendant quarante ans, de 1017 à 1058. Dans son adolescence, elle se plonge dans la lecture des monogatari (récits fictifs) ; elle veut devenir une héroïne comme Yūgao et Ukifune, les héroïnes célèbres du Dit du Genji, et rêve des héros comme Hikaru-genji et Kaoru dans ce même récit. Le Journal de Sarashina contient aussi plusieurs épisodes mettant en scène la nourrice et la sœur aimées par l’auteure : ce sont des souvenirs émus des personnes défuntes. Ainsi, l’auteure compose ses mémoires, dans la cinquantaine, comme un beau souvenir ou un passé regretté. Profondément bouddhiste dans le présent de l’écriture, elle semble regretter d’avoir dans son enfance négligé nonchalamment la foi. D’ailleurs il existe une légende selon laquelle l’auteure du Journal de Sarashina serait aussi l’auteure de quelques monogatari comme Hamamatsu chūnagon monogatari et Yoru no mezame. Si l’hypothèse était avérée, la jeune fille éprise du Dit du Genji serait ainsi devenue elle aussi un grand auteur de monogatari.

KATŌ MASAYOSHI

Le Journal de Sarashina (Sarashina nikki, 2006), Paris, Publications orientalistes de France, 1978 et in Journaux des dames de cour du Japon ancien, Arles, P. Picquier, 1998.

TAMAI K, Sarashina nikki hyōkai, Tokyo, Yūsei-dō shuppan, 1952.

SARASWATI, Pandita RAMÂBÂI [GANGAMOOLA 1858 - ID. 1922]

Essayiste et réformatrice indienne d’expression anglaise et marathi.

Quand on évoque l’histoire de la femme en Inde, le nom de Pandita Ramâbâi Saraswati devrait être le premier qui vienne à l’esprit. Ramâbâi Dongre naît dans une famille brahmane conservatrice. L’Inde du XIXe siècle ne reconnaît aucun droit à la femme, mais son père, homme éclairé, lui permet d’étudier le sanskrit. Avec lui, qui voyage à travers l’Inde de temple en temple où il office comme lecteur des Purana, elle mène une vie nomade, qui s’interrompt avec la mort de ses parents et de sa sœur lors de la grande famine de 1874-1877. Seuls Ramabaî et son frère aîné survivent. Elle fait ensuite des conférences dans toute l’Inde où ses connaissances et sa finesse d’analyse subjuguent les plus grands intellectuels. À l’occasion d’une de ces conférences à Calcutta, on attribue à cette jeune fille le titre honorifique de Pandita, « femme savante », et celui de Saraswati, nom de la déesse du Savoir. À 22 ans elle perd son frère et épouse un homme de basse caste, ce qui scandalise la société indienne. À peine mère, elle perd son mari et fait alors l’expérience de la condition humiliante des veuves qu’on oppresse et torture au nom de la tradition millénaire. L’éducation lui apparaît clairement comme le seul moyen de libérer les femmes cruellement exploitées par le patriarcat. Elle décide d’entreprendre des études de médecine en Europe grâce au soutien moral et financier de l’Église. Elle étudie la Bible, la traduit en marathi et finalement se convertit au christianisme. Elle écrit deux ouvrages pionniers : Stree Dharma Neeti (« la morale des femmes », 1882), en marathi, et The High Caste Hindoo Woman (« la femme hindoue de haute caste », 1888), en anglais. Dans le premier ouvrage, elle dépeint d’une manière authentique la vie des femmes de l’Inde contemporaine et dresse l’inventaire de toutes les améliorations requises d’urgence. Dans le deuxième, elle entreprend une critique cinglante de la polygamie, du mariage des enfants et de la condition lamentable des veuves. Ses ouvrages se vendent très bien à l’étranger et l’association Ramâbâi est créée pour soutenir financièrement ses projets en Inde. En 1889, de retour en Inde, elle fonde, à Mumbai, Sharada Sadan (« la maison de la déesse du savoir »), un asile pour les veuves démunies où celles-ci apprennent à lire, à écrire, mais aussi se forment à un métier capable d’assurer leur indépendance financière. Estimant que la participation des femmes à la vie politique est importante, elle s’inscrit au deuxième Congrès national où elle parle devant la Hunter Commission, soulignant notamment la nécessité d’avoir plus de femmes médecins et professeurs. Par la suite, elle fonde encore deux asiles, Mukti (« le salut ») et Ramâbâi House, où elle accueille les victimes de la famine et de la peste, les mères célibataires et toute femme abandonnée, sans considération de caste ou de religion. La société conservatrice hindoue patriarcale l’accuse alors de renier ses racines indiennes, tandis que la société chrétienne trouve qu’elle manque à son devoir d’évangélisation en ne convertissant pas ses pupilles. Mais elle persévère contre vents et marées à servir l’humanité, et surtout sa moitié féminine, la plus démunie. Le roi d’Angleterre lui remet le Kaiser-e-Hind, le prix le plus prestigieux dans l’Inde coloniale.

Vidya VENCATESAN

GANACHARI A., « Dilema of a convert : Pandita Ramâbâi’s confrontation with apologists - Hindu and Christian », in Nationalism and Social Reform in a Colonial Situation, New Delhi, Kalpaz Publications, 2005 ; KOSAMBI M., « Women’s emancipation and equality - Pandita Ramâbâi’s contribution to women’s cause », in Economic and Political Weekly, vol 23, no 44, oct. 1988 ; THARU S., LALITA K. (dir.), Women Writing in India, vol. 1, New York, The Feminist Press, 1991.

SARDE, Michèle [DINARD 1939]

Écrivaine française.

Née d’une famille séfarade de l’Empire ottoman installée à Paris dès son enfance, agrégée de lettres modernes, Michèle Sarde a enseigné à l’université de Georgetown à partir de 1970. En 1983, elle publie un essai remarqué, Regard sur les Françaises, qui obtient le prix de l’Académie des sciences morales et politiques l’année suivante. Elle prolongera son analyse avec, en 2007, De l’alcôve à l’arène, nouveau regard sur les Françaises. Ses principales études littéraires sont consacrées à Colette* (sa biographie, Colette, libre et entravée [1978], est couronnée par l’Académie française) et Marguerite Yourcenar* (Vous, Marguerite Yourcenar, la passion et ses masques, 1995), dont elle co-édite la correspondance. Son œuvre romanesque évoque des problématiques féminines ou féministes. Histoire d’Eurydice pendant la remontée, paru en 1991, interroge le mythe d’Orphée, la guerre d’Algérie et la réalité de la Shoah. En 2002, une nouvelle forme biographique, Jacques, le Français, pour mémoire du Goulag, s’inspire de l’expérience concentrationnaire.

Catherine DOUZOU

Le Désir fou, Paris, Stock 1975 ; avec HERMARY-VIEILLE C., Le Salon de conversation, Paris, J.-C. Lattès, 1997 ; Constance et la cinquantaine, Paris, Seuil, 2003.

SARDINHA, Maura [RIO DE JANEIRO 1941]

Éditrice brésilienne.

Dotée d’une licence en philosophie (1965) et d’un titre de docteur (2003), Maura Sardinha mène une double carrière d’enseignante et d’éditrice, la seconde l’emportant sur la première. Ses débuts dans le monde éditorial ont lieu entre 1972 et 1974, lorsqu’elle est invitée à créer un secteur éditorial à Eldorado Tijuca, qui n’est alors qu’une librairie. Puis, comme éditrice principale, elle entre à la Livraria Francisco Alves Editora (« librairie Francisco Alves éditions »), la plus ancienne du pays, fondée au XIXe siècle. Elle crée ensuite sa propre maison d’édition, Antares (1978-1997), qui, quoique petite, reçoit deux fois le prestigieux prix Jabuti (du nom d’une tortue brésilienne), décerné chaque année par la Chambre brésilienne du livre (CBL) de São Paulo, à plusieurs catégories professionnelles différentes : la première fois directement, au titre du meilleur projet d’édition, pour le livre d’art Cacau em prosa e verso (« cacao en prose et en vers »), une anthologie de textes de prosateurs et poètes de la région du cacao, à Bahia, en version bilingue portugais-anglais, richement illustrée par des artistes du pays ; la deuxième fois en publiant l’écrivaine Elvira Vigna, distinguée comme « meilleur auteur de l’année ». Les éditions Antares se distinguent par des thématiques innovantes, comme la série Ciranda da Saúde (« la ronde de la santé »), avec six livres illustrés pour la jeunesse par an, concernant chacun une maladie endémique du Brésil et accompagné d’un dépliant de prévention adressé aux adultes, une collection conçue en collaboration avec une importante institution scientifique, la fondation Oswaldo-Cruz. M. Sardinha est aussi conseillère éditoriale, aux éditions Forense où elle crée une collection en sciences humaines, et chez Ediouro où elle s’occupe de la collection « Classiques d’or ». Enfin, elle est responsable depuis 1994 du seul cours universitaire du pays portant sur le processus éditorial et la formation de l’éditeur, à l’Université fédérale de Rio de Janeiro (UFRJ). Dans l’exercice de ses fonctions, elle a institué l’événement annuel « L’éditeur en action », mettant les étudiants en contact avec les meilleurs professionnels du marché, et le « Laboratoire de l’éditeur », des ateliers dans lesquels les étudiants réalisent, pour l’université ou pour des particuliers, des travaux visuels, textuels, graphiques, électroniques, etc. Elle est la première représentante d’une petite maison d’édition à accéder au conseil de direction du Snel (Syndicat national des éditeurs de livres), et ce pour trois mandats successifs de 1984 à 1992.

Ligia VASSALLO

SARGENT OSGOOD, Frances VOIR OSGOOD, Frances SARGENT

SARIĆ, Gordana [NIKŠIĆ, YOUGOSLAVIE, AUJ. MONTÉNÉGRO 1945]

Poétesse et pédagogue monténégrine.

Membre permanente de nombreuses sociétés littéraires et organisatrice de manifestations culturelles, Gordana Sarić est responsable du programme poétique à la radio Nikšić. Bien qu’elle ait écrit deux livres de prose, elle demeure avant tout auteure de poésies. Elle a fait paraître à ce jour neuf recueils et en a publié trois autres à destination des enfants. Aux éditions de l’Institut des manuels et méthodes pédagogiques de Podgorica, elle est la créatrice du programme Pjesmoslov, utilisé comme méthode obligatoire dans les écoles monténégrines. La poétesse a été récompensée par différents prix littéraires en Serbie et au Monténégro, et primée dans différents festivals de poésie ainsi que par plusieurs revues et magazines. Mais les plus grands admirateurs de G. Sarić demeurent les enfants. Elle participe fréquemment à des événements culturels organisés à l’attention d’élèves, de même qu’elle s’investit dans la promotion de jeunes talents. Sa poésie est d’une facture assez classique, et son public considérable et varié. Son talent a trouvé un terrain d’expression idéal dans la poésie d’amour, comme le montre le recueil Ljubavna poezija (« poésies d’amour », 2008), en particulier les poèmes « Susret » (« la rencontre »), « Žudnja za ljubavlju » (« désir de l’amour ») et « Anđeoska ruka » (« main d’ange »). Un ton très inspiré, une imagerie opulente et une sincérité dans l’émotion comptent parmi les caractéristiques principales de ses vers, les empêchant de sombrer dans le pathos, tout en insistant sur un idéal familial auquel semble s’attacher l’intégralité de son œuvre.

Robert RAKOCEVIC

DRAŠKOVIĆ M., « Gordana Sarić. Pjesnikinja iz Nikšića, stihovi ljubavi iz svijeta svjetlosti », in Pobjeda, Podgorica, 2-10-2005 ; KNEŽEVIĆ G., « Treperenje duše », in Pobjeda, n51, Podgorica, 1995 ; VUČIĆEVIĆ R., « Šum jezika i stila », in Svitak. Književne novine, vol. 17-18, no 5, 1999.

SARKAR, Tanika [CALCUTTA 1949]

Historienne indienne.

Née dans une famille d’enseignants, Tanika Sarkar commence ses études universitaires au Bengale avant de rejoindre l’université de Delhi où elle soutient un doctorat d’histoire en 1981. Elle enseigne ensuite aux St. Stephen’s and Indraprastha Colleges à Delhi avant de devenir professeure d’histoire contemporaine à la prestigieuse université Jawaharlal Nehru. Elle est à plusieurs reprises professeure invitée dans des universités étrangères (Chicago, Yale, université du Witwatersrand à Johannesburg). Les premiers travaux de T. Sarkar, dont sa thèse de doctorat publiée en 1987 sous le titre Bengal 1928-1934 : The Politics of Protest, prennent part au profond renouvellement que connaît l’historiographie indienne à la fin des années 1970 et au début des années 1980. Sous l’influence des écrits de Edward Palmer Thompson et de l’histoire radicale britannique, les postulats de l’historiographie nationaliste indienne sont remis en cause : la participation des classes populaires à la lutte pour l’indépendance était présentée comme un processus mené « par le haut », grâce à l’encadrement du parti du Congrès, mais cette thèse n’expliquait nullement pourquoi, à de nombreuses reprises, les mots d’ordre lancés par le parti nationaliste furent dépassés. Des recherches sont donc entreprises afin de montrer la capacité des masses indiennes à mener des actions autonomes et d’étudier leur culture politique propre. Bengal 1928-1934 participe à cet essor de l’histoire « par le bas » en Inde en étudiant les mouvements de mobilisation populaire de la fin des années 1920 et du début des années 1930 dans la région du Bengale. T. Sarkar analyse ainsi le rôle joué par les femmes, notamment au sein du mouvement nationaliste, et montre que cette participation ne s’est pas accompagnée de nouveaux droits en retour. Au contraire, la mobilisation féminine était présentée dans le discours du Congrès comme une extension de leurs devoirs religieux traditionnels de mère et d’épouse. Cette question de l’articulation entre les questions de genre et la construction des cultures politiques occupe la majeure partie des travaux postérieurs de T. Sarkar. Ses réflexions portent essentiellement sur la place centrale que le nationalisme hindou et les mouvements de la droite hindoue donnent, dans leur conception de la nation et de la communauté, à la définition du rôle des femmes. En 1995, T. Sarkar publie, en collaboration avec Urvashi Butalia*, un recueil d’articles intitulé Women and the Hindu Right : Indian Experiences, qui cherche à éclairer la participation croissante – et problématique du point de vue des féministes indiennes – des femmes dans les mouvements de la droite hindoue. T. Sarkar a beaucoup contribué à l’essor des études sur le genre en Inde. Elle est membre du comité éditorial du Journal of Women’s History et a publié, avec son mari l’historien Sumit Sarkar, une anthologie sur ces questions (Women and Social Reform in Modern India : A Reader, 2008).

Vanessa CARU

SARKISSIAN, Anahid [BEYROUTH 1960]

Écrivaine arménienne.

Issue d’une famille d’évangélistes arméniens, Anahid Sarkissian est admise, à la fin de son cycle secondaire, à poursuivre des études musicales en Arménie soviétique. En 1982, elle enseigne dans le collège arménien Galoustian du Caire et participe à des manifestations musicales. Depuis 1992, elle vit à Paris où elle dispense des cours d’arménien à de jeunes enfants dans diverses institutions, dont le collège Tebrotsassère du Raincy, et pratique une pédagogie interactive mêlant jeux, musique, peinture, danse, théâtre, rires et comptines. À l’appui de sa méthode, elle a créé la collection Parev arev (« bonjour soleil », 1998) et a édité, entre Paris et Erevan (1998-2009), une quinzaine d’ouvrages pour enfants. Créative, elle a conçu en strophes ou en quatrains les textes arméniens, imaginé et peint un bestiaire, et raconté les aventures burlesques de deux antihéros orientaux, Baron Nigoghos et Baron Kirakos. Son talent et sa liberté sont manifestes dans les longs poèmes satiriques qu’elle publie périodiquement dans le quotidien Haratch, jonglant avec l’autodérision et l’analyse critique de la vie arménienne.

Anahide TER-MINASSIAN

Baron Nigoghos, Erevan, Printinfo, 2004 ; Baron Nigoghos, t. 2, Paris, A. Roques & fils, 2007 ; Baron Nigoghos, t. 3, Paris, A. Roques & fils, 2008.

SARMIENTO, Valeria [VALPARAÍSO 1948]

Réalisatrice, actrice et scénariste chilienne.

Après une formation en philosophie et en cinéma au Chili, et la réalisation d’un premier court-métrage documentaire en 1972 : Un sueño como de colores (« un rêve comme en couleurs »), Valeria Sarmiento émigre en France après le coup d’État militaire de Pinochet en 1973. Elle est réalisatrice de courts et de longs-métrages, documentaires ou fictions, et est scénariste de la plupart de ses films. Son engagement féministe, teinté d’humour caustique, transparaît dans l’ensemble de son œuvre – dont une rétrospective a eu lieu à l’université de Stanford (États-Unis) en 2008. Elle a par ailleurs travaillé comme monteuse sur des films de Luc Moullet (Genèse d’un repas, 1979 ; Les Minutes d’un faiseur de films, 1983), de Robert Kramer (Guns, 1980), ainsi que sur la quasi-totalité des films de Raoul Ruiz, son mari depuis 1969 (dont elle a été aussi l’interprète et l’ingénieure du son au début de leur collaboration).

On peut citer, parmi ses documentaires : Le Mal du pays (1979) ; El hombre cuando es hombre (1982) ; Latin Women Beat in California (1992, TV) ; Le Droit de rêver (El derecho de soñar, 1993) ; Carlos Fuentes, un voyage dans le temps (1998) ; Mon premier French cancan (1999, TV) ; Au Louvre avec Miquel Barceló (2004). Et pour les fictions : La Femme au foyer (1976) ; 90 secondes, une œuvre (1989) ; Notre mariage (1984, Grand Prix du festival de Saint-Sébastien) ; Amelia Lopes O’Neill (1991) ; El planeta de los niños (« la planète des enfants », téléfilm, 1992) ; Elle (1995) ; L’Inconnu de Strasbourg (1998) ; Rosa la Chine (Rosa la China, 2002) ; Secretos (2008), Les Lignes de Wellington (2012).

Gabriela TRUJILLO

SARMIENTO GARCÍA, Carmen [MADRID 1944]

Journaliste et femme politique espagnole.

Féministe dès l’adolescence, Carmen Sarmiento est la première reporter de guerre pour la télévision à partir de 1968. Au bout de dix ans, découragée par le traitement événementiel des conflits, de la mort et de la souffrance, celle des femmes en particulier, elle réoriente son travail. Ses documentaires exceptionnels sur les populations marginalisées et la condition féminine, notamment en Amérique latine, font date et sont salués par des prix de prestige. Elle publie en 1976 La mujer, una revolución en marcha (« la femme, une révolution en marche »). Mettant sa caméra au service de son féminisme, elle refuse que l’actualité soit un monopole masculin. Femme engagée, cofondatrice du Colectivo feminista de Barcelone en 1977, elle représente à Madrid le Partido feminista de España* (PFE) en 1979, dont elle est vice-présidente dans les années 2000.

Yannick RIPA

JONES C., Las 1 001 historias de la historia de las mujeres, Barcelone, Grijaldo Mondadori, 2000.

SÁRRAGA HERNÁNDEZ, Belén [VALLADOLID 1874 - MEXICO V. 1951]

Féministe et libre-penseuse espagnole.

Belén Sárraga grandit dans un environnement idéologique qui la porte dès l’adolescence, sous la Restauration, vers les milieux libres-penseurs et républicains : en 1893, elle entre au Centre d’instruction ouvrière républicaine de Madrid, où elle se familiarise avec le fédéralisme, les revendications féministes d’égalité et de liberté, y compris sexuelle. L’année suivante, elle épouse un républicain libre-penseur. En 1896, elle fonde le journal La Conscienca Libre et entre dans la loge maçonnique Severidad (« sévérité »). L’année suivante, elle crée à Valence l’Association générale féminine, appelée à devenir une importante organisation féministe. Elle réunit à Málaga des anarchistes, des socialistes, des féministes et des francs-maçons dans la Federación malagueña de sociedades de resistencia. Présente en 1902 au Congrès universel des libres-penseurs de Genève, favorable aux droits des femmes, elle s’implique ensuite dans le Comité national des libres-penseurs d’Espagne et dans l’Union républicaine. Sous la IIe République, elle brigue en vain un siège de députée aux élections de 1933. Son antifascisme la contraint à s’exiler en France à la fin de la guerre civile, puis au Mexique, où elle milite aux côtés des réfugiés espagnols.

Yannick RIPA

MARTÍNEZ C., LA PASCUA J. DE, PASTOR R., et al. (dir.), Mujeres en la historia de España. Enciclopedia biográfica, Barcelone, Planeta, 2000 ; RAMOS M. D., « Federalismo, laicismo, obrerismo, feminismo : cuatro claves para interpretar la biografía de Belén Sárraga », in ID., VERA BALANZA M. T., Discursos, realidades, utopías. La construcción del sujeto femenino en los siglos XIX-XX, Barcelone, Anthropos, 2001.

SARRAI, Kalthoum (ou Cathy) [TUNIS 1962 - PARIS 2010]

Nurse, psychologue pour enfants et animatrice franco-tunisienne.

Fiancée à 14 ans à un inconnu, mariée à 16, Kalthoum Sarrai émigre en 1979 avec sa belle-famille à Paris, où elle prend peu à peu son indépendance. D’abord cantinière puis femme de ménage, elle devient éducatrice dans un foyer de jeunes délinquants. Mère de trois enfants, elle est ensuite gouvernante dans des familles aisées, qui l’encouragent à passer le Bafa puis un CAP Petite Enfance. En 2005, elle devient « coach éducatif » dans l’émission à succès de M6 Super Nanny, qui lui donne pour mission de restructurer les méthodes pédagogiques et les règles de vie de parents déroutés par leurs enfants. Désormais appelée « Cathy », elle reprend le même concept pour une émission animée en Tunisie, Insahni (« conseillez-moi ») puis Aiche Naâmil, diffusées sur Hannibal TV. Parallèlement, elle publie son autobiographie, Cathy, une vie hors du commun (2006), des manuels et des guides pratiques sur l’éducation, et initie de nombreux autres projets, comme celui d’exercer ses talents auprès des enfants des Roms ou avec les adolescents. Elle se bat aussi pour instaurer une formation obligatoire pour les nourrices à domicile.

Audrey CANSOT

Cathy, une vie hors du commun, Neuilly-sur-Seine, Éditions M6, 2006 ; Les Carnets de Super Nanny, Paris/Neuilly-sur-Seine, Hachette pratique/Éditions M6, 2010.

SARRAUT, Marion VOIR DAYAN, Josée

SARRAUTE, Nathalie (née TCHERNIAK) [IVANOVO-VOSNESSENSK 1900 - PARIS 1999]

Écrivaine française.

Née en Russie d’une mère écrivaine et d’un père chimiste, Nathalie Sarraute a traversé pour ainsi dire tout le XXe siècle. Après le divorce de ses parents en 1902, sa petite enfance est divisée entre la Russie et la France, mais à partir de l’âge de 8 ans, elle s’installe définitivement à Paris. Après des études à la Sorbonne, à Oxford, puis à Berlin, elle s’inscrit à la faculté de droit et exerce au barreau de Paris. Quand son ascendance juive la fait radier, elle se réfugie à la campagne jusqu’à la Libération. Son œuvre (romans, textes poétiques, essais critiques, pièces de théâtre et un ouvrage quasi autobiographique) est foncièrement exploratoire. Lors de sa parution en 1939, son premier livre, Tropismes, reste en grande partie ignoré. Pour qu’il soit lu, il faut attendre le climat plus propice du Nouveau Roman, que ses essais critiques, prônant la nécessité de nouvelles formes littéraires et réunis dans L’Ère du soupçon (1956), ont contribué à instaurer. Les textes brefs et poétiques de Tropismes contiennent les germes de son œuvre ultérieure. Le titre, venu de la biologie, désigne les mouvements provoqués par une excitation extérieure, éphémères, « indéfinissables, qui glissent très rapidement aux limites de notre conscience » et se déroulent comme de véritables « actions dramatiques intérieures ». N. Sarraute s’installe dans cette sous-surface des rapports humains, où dans ce qui est dit explose le non-dit : les mots et les tropismes feront la substance même de ses livres, cette « sous-conversation » remplaçant l’intrigue et la caractérisation du roman traditionnel. Avec Portrait d’un inconnu (1948) s’ouvre sa longue lutte contre la tyrannie des conventions romanesques et des tendances classificatrices inhérentes au langage. Dans les romans suivants, elle explore avec humour et perspicacité les petits mouvements subreptices, comiques, brutaux ou touchants, qui sous-tendent les contacts humains, dans la vie sociale et familiale de la bourgeoisie parisienne comme dans la vie littéraire et intellectuelle. Même dans Enfance (1983), son premier succès de librairie, elle refuse toujours de créer des personnages, préférant « faire surgir quelques moments, quelques mouvements » arrachés à l’enfance. Ses derniers livres reprennent de plus en plus la forme de textes poétiques groupés autour d’un fil central. Avec son style très rythmé, souvent dialogique, d’une oralité marquée et pleine d’hésitations, elle présente le flou de l’expérience vécue, refusant ce qui est rigide, autoritaire ou terroriste, tant sur les plans domestiques et politiques qu’intellectuels. Ce n’est qu’après une longue hésitation que N. Sarraute s’engage dans la voie du théâtre, préférant à l’expression du visible, une pièce radiophonique, Le Silence, en1964. Elle créera pourtant six pièces, où les dialogues intérieurs de ses romans deviennent des dialogues parlés. Il n’y a ni intrigue ni personnages. Les acteurs, simples supports des mouvements intérieurs, donnent à entendre les virtualités dramatiques de ce qui se passe dans la sous-surface, que ce soit le désarroi provoqué par un banal petit mensonge (Le Mensonge, 1967), l’effet d’une prononciation défectueuse (Isma, 1970), une observation d’ordre esthétique (C’estbeau, 1975), une idée (Elle est là, 1980) ou même une simple intonation suspecte (Pour un oui ou pour un non, 1981). Dans ces profondeurs, des réactions tropismiques s’entrechoquent : N. Sarraute révèle, toujours avec humour, un monde effrayant mais que trop reconnaissable.

Valérie MINOGUE

Œuvres complètes (1996), Tadié J.-Y. (dir.), Paris, Gallimard, 2001.

ANGRÉMY A. (dir.), Nathalie Sarraute, portrait d’un écrivain, Paris, BnF, 1995 ; ASSO F., Nathalie Sarraute, une écriture de l’effraction, Paris, Presses universitaires de France, 1995 ; FONTVIEILLE, A., WAHL, P. (dir.), Nathalie Sarraute, du tropisme à la phrase, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 2003.

Tropismes, lu par l’auteur, Madeleine Renaud et Isabelle Huppert, suivi de Entre la vie et la mort, L’Usage de la parole, Tu ne t’aimes pas, Ici, lus par l’auteur, Des Femmes-Antoinette Fouque, « Bibliothèque des voix », 2009.

SARRAZIN, Albertine (née DAMIEN) [ALGER 1937 - MONTPELLIER 1967]

Romancière française.

Née sous X, abandonnée par sa mère puis adoptée par son père biologique, Albertine Sarrazin est violée par son oncle à 10 ans. Traumatisée, en conflit permanent avec ses parents, elle est enfermée à l’âge de 15 ans dans un établissement d’éducation surveillée, d’où elle s’enfuit. Larcins, cavales, aventures saphiques, lectures, visites de musées et prostitution deviennent son quotidien pendant deux ans. À 17 ans, arrêtée après une tentative de braquage violent, elle écrit le récit de ses errances. Elle sera la première femme à raconter son expérience de la prostitution et de la prison. Son premier roman, La Cavale (1965), comme ceux qui suivront, étonne par l’invention et la sensualité de l’écriture. En 1957, blessée lors d’une évasion, elle rencontre Julien Sarrazin, petit malfaiteur qu’elle épouse en 1959. Apaisée affectivement, elle poursuit sa vie aventureuse – quasi romanesque –, où chaque séjour en prison nourrit son inspiration. Jusqu’en 1964, le couple connaît une longue période d’aventures diverses et de cambriolages, à l’origine d’une magnifique correspondance, d’arrestations en évasions.

Durant ses huit années d’incarcération, elle écrit aussi L’Astragale (1965), Journal de prison 1959 (1972), puis libérée, elle s’installe près de Montpellier et rédige La Traversière (1966). Ses romans, poèmes ou lettres ne sont pas uniquement d’exceptionnels témoignages d’une existence marginale. Considérée comme la sœur d’écriture de Genet, elle explore lucidement l’aventure intérieure d’une exclue qui trouve assez de force pour préserver son moi essentiel et qui, en tant qu’écrivaine, réussit à se créer les racines que sa vie tumultueuse lui avait refusées. Durant les deux dernières années de sa vie, elle profite, sans en être dupe, de la reconnaissance sociale qu’elle attendait. L’ensemble de ses écrits paraîtra après sa mort, grâce à J. Sarrazin qui veillera sur son œuvre et sur sa mémoire. Valflaunès, la commune voisine de son dernier lieu d’habitation, organise depuis 1970 un concours de nouvelles récompensé par le prix Albertine-Sarrazin.

Marie-Noëlle CAMPANA

DURANTEAU J., Albertine Sarrazin, Paris, Sarrazin, 1971 ; LAYANI J., Albertine Sarrazin, une vie, Paris, Écriture, 2002.

SARROCCHI, Margherita [GRAGNANO, CAMPANIE 1560 - ROME 1618]

Poétesse italienne.

Première femme spécialisée dans le poème héroïque de type historique, Margherita Sarrocchi composa La Scanderbeide poema heroico (1623), un poème en octosyllabes sur la vie de Georges Castriota Scanderbeg (1405-1468), qui milita pour que l’Albanie chrétienne se rendît indépendante de l’Empire ottoman. Ce poème de 23 chants fut publié en 1623, après la mort de M. Sarrocchi, mais une édition incomplète de neuf chants circulait déjà en 1606 sans l’accord de son auteure. Elle subit l’influence du Tasse, et les thèmes qu’elle choisit s’insèrent dans le contexte de l’épopée de la Contre-Réforme. D’une culture humaniste et scientifique impressionnante, elle composa aussi des poèmes latins raffinés et fit la connaissance de Galilée, dont elle défendit les théories.

Marta SAVINI

SARSINI, Monica [FLORENCE 1953]

Écrivaine et artiste italienne.

À Florence, où elle travaille dans le domaine des arts figuratifs, Monica Sarsini donne depuis 1994 des cours d’écriture créative et anime des ateliers sur la couleur et les sculptures en papier. En Italie et à l’étranger, elle a réalisé des installations, des performances et des décors. Ses récits sont riches en bestiaires et en mythes anciens revisités, en contes de fées et légendes, dans une optique de réécriture du genre et d’affabulation autobiographique, avec des réflexions métalittéraires. Elle a publié de nombreuses œuvres en prose, dont Libro luminoso (« livre lumineux », 1982) ; Colorare (« colorier », 1983) ; Crepacuore (« crève-cœur », 1985) ; Crepapelle (« crève-peau », 1988) ; Serenata (« sérénade », 1989) ; Riassunto (« résumé », 1990) ; I passi della sirena (« les pas de la sirène », 1992) ; Crepapancia (« crève-ventre », 1997) ; Il mezzo di contrasto (« le produit de contraste », 1997) ; Crepitudine (« crépitude », 1999) ; Miransù (2006).

Ernestina PELLEGRINI

PELLEGRINI E., « Le cose ultime di Monica Sarsini », in Altri inchiostri, ritratti e istantanee di scrittrici, Salerne, Ripostes, 2005.

SARTON, May [WONDELGEM, BELGIQUE 1912 - YORK, MAINE 1995]

Écrivaine américaine.

Fille d’un historien des sciences et d’une artiste, May Sarton, de son vrai nom Eleanor Mary Sarton, est, dans son enfance, déchirée entre la Belgique et les États-Unis, où sa famille finit par s’établir de façon définitive. En 1929, après avoir vu jouer l’actrice Eva Le Gallienne*, elle abandonne ses études pour débuter comme apprentie dans le théâtre de cette dernière. Puis elle fonde et dirige l’Associated Actors Theatre. En 1935, elle décide de se consacrer complètement à l’écriture et d’entreprendre un voyage en Europe. Elle fait alors la connaissance d’Elizabeth Bowen*, de Virginia Woolf* et de Julian Huxley. Son premier recueil de poèmes, Encounter in April (« rencontre en avril »), inspiré par Edna Saint Vincent Millay*, paraît en 1937. Poétesse lyrique, grande admiratrice de Yeats, M. Sarton explore, dans quelques-uns de ses poèmes les plus lus, la rencontre amoureuse, la vieillesse, la solitude exigée par la création. Son œuvre compte aussi plusieurs romans, dont le plus célèbre demeure peut-être Mrs. Stevens Hears the Mermaids Singing (« Mme Stevens entend le chant des sirènes », 1965). Grâce à ce récit, elle fait son coming out en mettant en scène une écrivaine lesbienne au mitan de la vie. Mais ce sont surtout ses journaux et ses mémoires qui lui assurent un large et fidèle public, immédiatement séduit par cette vie vouée à l’écriture. En 1973, Journal of a Solitude, premier de ses neuf journaux, marque un tournant en attirant l’attention de la critique féministe, qui contribuera à faire connaître son travail. Dans la chronique quotidienne de son existence à Nelson et à York, M. Sarton raconte la solitude et le sacrifice de l’écrivain, s’interroge sur la maladie et la vieillesse, celle-ci étant parfois cruelle, et rend hommage à ses parents et amis. Son dernier journal, At Eighty-Two (« à 82 ans »), paraîtra un an après sa mort. L’artiste est enterrée à Nelson, dans le New Hampshire ; le phénix, dont elle a fait son symbole, orne sa tombe. Elle laisse 15 recueils de poèmes, 19 romans et nouvelles, et 13 mémoires et journaux.

Catherine GRECH

Nous, les vivants ? (As We Are Now, 1973), Paris, Mercure de France, 1993.

FULK M. K., Understanding May Sarton, Columbia, University of South Carolina Press, 2001 ; HUNTING C. (dir.), May Sarton. Woman and Poet, Orono, University of Maine, 1982.

SARUMPAET, Ratna [TARUTUNG, SUMATRA-NORD 1949]

Dramaturge, scénariste et metteuse en scène indonésienne.

Encore étudiante en architecture à Jakarta, Ratna Sarumpaet découvre le théâtre. Pendant un temps, elle se forme au Teater Bengkel dirigé par le poète et dramaturge W. S. Rendra, puis fonde sa propre troupe en 1974, le Teater Satu Merah Panggung, et commence à écrire des pièces qu’elle monte et représente dans toute l’Indonésie. Elle s’investit également dans le monde du cinéma, écrit des scénarios et occupe à plusieurs reprises la fonction de metteur en scène. Sa pièce Marsinah Menggugat (« Marsinah accuse », 2000), qui raconte l’histoire vraie d’une ouvrière contestataire retrouvée morte après avoir été violée et torturée, devient rapidement un symbole de la lutte artistique contre l’intimidation et l’oppression du régime politique de l’Ordre nouveau. Elle a été jouée dans plusieurs pays. Figure importante du paysage culturel indonésien, R. Sarumpaet est régulièrement invitée à l’étranger pour présenter son travail et donner des conférences sur la réforme politique et la démocratie naissante en Indonésie. Son action ainsi que ses créations lui valent d’être emprisonnée en 1998, sous le régime de l’Ordre nouveau. Sa peine d’un mois ne freine pas son effort de contestation, notamment dans son écriture théâtrale et cinématographique. Elle fonde et anime plusieurs organisations pour soutenir la démocratie et le processus de réforme politique en Indonésie (Siaga, Koalisi Nasional untuk Demokrasi, Jejak), et participe à diverses activités sociales pour lesquelles elle ouvre le Ratna Sarumpaet Crisis Center. En 1998, ses actions et sa prise de position sont récompensées par le Female Human Rights Special Award décerné par la Fondation des droits de l’homme en Asie (Tokyo). Son engagement, qui va toujours de pair avec sa production artistique, se poursuit dans le poste de directrice du Conseil des arts de Jakarta, qu’elle occupe de 2003 à 2006. Elle a reçu pour son premier long-métrage, Jamila dan Sang Presiden (« Jamila et le Président », 2009), le Prix du public long-métrage de fiction et le Prix du jury lycéen lors du 16e Festival international des cinémas d’Asie de Vesoul (2010).

Elsa CLAVÉ-ÇELIK

Marsinah, Nyanyian dari Bawah Tanah, Yogyakarta, Bentang, 1997 ; Alia, Luka Serambi Mekah, Jakarta, Metafor Publishing, 2003.

Jamila dan Sang Presiden, 97 min, 2009.

SASSEN, Saskia [LA HAYE 1949]

Sociologue américaine.

Le parcours de Saskia Sassen est à la fois interdisciplinaire (sociologie, économie, géographie, sciences politiques) et international depuis l’enfance, comme en témoignent les nombreuses traductions de ses ouvrages (en 16 langues). Elle est considérée comme une pionnière dans l’avancée conceptuelle de l’analyse des problèmes transnationaux. Elle a grandi à Buenos Aires où ses parents ont déménagé en 1950. Elle a également passé une partie de sa jeunesse en Italie et dit avoir été « mise en place en cinq langues ». Étudiante en philosophie et en sciences politiques à l’université de Poitiers, elle se consacre à la sociologie et à l’économie à l’université Notre-Dame (Indiana) aux États-Unis à partir de 1969. Après un postdoctorat au Centre d’affaires internationales de l’université Harvard, elle occupe divers postes universitaires aux États-Unis et dans d’autres pays, puis devient Centennial Visiting Professor of Political Economy au département de sociologie de la London School of Economics. Dans les années 1980, elle se spécialise en sociologie urbaine. Chercheuse prolixe, elle est connue pour ses analyses sur la globalisation et sur les migrations internationales. Ses premiers travaux portent sur le marché international du travail. Son ouvrage La Ville globale (1996) a marqué par l’originalité de son approche ; il décrit à la fois le rôle des immigrants dans le fonctionnement de la ville, le déclin des États-nations, la montée en puissance économique des métropoles mondialisées et des réseaux sociaux transnationaux, notamment diasporiques. Elle a également étudié l’influence des technologies de la communication sur la gouvernance. Plus récemment, elle a approfondi l’analyse de la place des États-nations qui demeurent le cadre des mutations actuelles. Or, selon S. Sassen, penser que la globalisation s’impose aux États, c’est oublier que ce sont les politiques libérales, menées par eux, qui ont contribué à les « dénationaliser ».

Maryse TRIPIER

La Ville globale (The Global Town, 1991), Paris, Descartes et Cie, 1996 ; La Globalisation, une sociologie (A Sociology of Globalization, 2007), Paris, Gallimard, 2009.

The Mobility of Labor and Capital : A Study in International Investment and Labor Flow, Cambridge, Cambridge University Press, 1988 ; Globalization and its Discontents : Essays on the New Mobility of People and Money, New York, The New Press, 1998.

CONSEIL INTERNATIONAL DES SCIENCES SOCIALES, « Les villes à l’heure de la mondialisation », in Rapport mondial sur les sciences sociales, 2010, division dans les savoirs, Paris, Unesco, 2012.

SATA INEKO [NAGASAKI 1904 - TOKYO 1998]

Écrivaine japonaise.

Sata Ineko est l’un des écrivains représentatifs du mouvement littéraire prolétarien. Issue d’une famille pauvre, elle doit travailler dans une usine dès l’âge de 11 ans. Cette expérience lui inspire son premier roman, Kyarameru kōjō kara (« d’une usine de caramel »). Après son premier mariage et sa rupture, elle rencontre des membres de la revue littéraire Roba (« âne »), notamment Kubokawa Tsurujirō, critique littéraire marxiste qu’elle épouse. En 1928, elle publie Kyarameru kōjō kara sous le nom de Kubokawa Ineko, adhère à la NAPF (Fédération des artistes prolétariens nippons). Affiliée au parti communiste japonais, elle est arrêtée et emprisonnée plusieurs fois comme détenue politique après 1932. Son mari fréquente alors une maîtresse, situation difficile abordée dans le roman Kurenai (« rubis », 1938), qui traite des conflits du couple, de la compatibilité difficile entre la profession d’écrivain et la position d’épouse, et de la perte de but des écrivains dans la période de tenkō (abandon du marxisme sous la pression du pouvoir étatique). Pendant la Seconde Guerre mondiale, Sata Ineko perd sa volonté de résistance au régime militariste, visite des champs de bataille en Asie, et écrit des essais à ce sujet. Critiquée par Miyamoto* Yuriko après la fin de la guerre, elle assume sa responsabilité dans le conflit et commence à y réfléchir à travers sa création littéraire. En 1945, divorcée, elle commence à utiliser le nom Sata Ineko. En 1946, S. Ineko fonde Fujin minshu kurabu (Club démocrate des femmes) et contribue à la libération des femmes. Parmi ses œuvres importantes de l’après-guerre, Watashi no Tōkyō chizu (« mon plan de Tokyo », 1949) et Toki ni tatsu (« debout dans le temps », 1976) décrivent sa vie et sa pratique politique de l’avant et de l’après-guerre, et Juei (« ombre des arbres », 1972) dépeint l’amour et la mort d’un peintre japonais et d’une Chinoise, tous deux atomisés à Nagasaki.

SATO YOSHIYUKI

Sata Ineko Zenshū, Tokyo, Kōdan-sha, 1977-1979.

SATRAPI, Marjane [RASHT 1969]

Auteure de bandes dessinées iranienne.

En 2000, Marjane Satrapi effectue ses débuts dans la bande dessinée avec Persepolis, récit de ses années de jeunesse en Iran sur fond de révolution islamique. Installée en France depuis 1994 – ses parents l’ont envoyée en Europe pour la protéger du régime de Téhéran –, elle se destinait à l’illustration de livres pour la jeunesse et au graphisme. Mais ses camarades d’atelier, issus de la nouvelle génération de la bande dessinée apparue avec les années 1990, la persuadent de relater son expérience. Son dessin en noir et blanc, simple mais expressif et influencé par celui de David B., son mélange d’humour et d’émotion, sa personnalité affirmée séduisent au-delà du lectorat de bande dessinée traditionnel. Persepolis, traduit en 24 langues et récompensé à deux reprises au Festival d’Angoulême, se vendra à un million d’exemplaires. Dans ses albums suivants, Broderies (2003) et surtout Poulet aux prunes (2004), M. Satrapi confirmera sa maîtrise des codes narratifs et graphiques du neuvième art. En 2007, elle adapte Persepolis au cinéma avec Vincent Paronnaud (alias Winshluss) sous la forme d’un film d’animation, récompensé par le Prix du jury au Festival de Cannes en mai 2007 et par deux Césars en 2008 (meilleur premier film et meilleure adaptation). En 2011, sort l’adaptation de Poulet aux prunes.

Christophe QUILLIEN

ŠATRIJOS RAGANA (Marija PEČKAUSKAITĖ, dite) [MEDINGĖNAI 1877 - ŽIDIKAI 1930]

Écrivaine et pédagogue lituanienne.

Šatrijos Ragana (« la Sorcière de Šatrija », l’une des collines sacrées du paganisme), réputée pour son altruisme et pour sa vision du monde ouverte, est parmi les premières femmes à écrire des ouvrages en lituanien et l’une des fondatrices de la prose (lyrique et poétique) lituanienne moderne. Elle naît dans une famille de propriétaires terriens de culture polonaise, sensible aux manifestations du Réveil national, mouvement des jeunes Lituaniens contre la russification du pays. En raison de sa santé fragile, elle est instruite à domicile par des précepteurs. Parmi eux, l’homme de lettres Povilas Višinskis l’encourage à publier ses premiers essais, alors qu’elle a 18 ans, dans la revue Varpas. En 1903, elle publie Viktutė, son premier grand récit en lituanien. Catholique fervente, la jeune femme de lettres s’y engage dans une réflexion sur la véritable nature du bonheur humain : être aimé et utile pour la société. Ses écrits sont pour la plupart inspirés d’épisodes autobiographiques. Son plus beau texte, Sename dvare (« sur le vieux domaine », 1922), est un récit mélancolique sur la fragilité de la condition humaine qui fait l’éloge du temps passé, où les événements sont vus à travers les yeux d’une petite fille. La langue raffinée et poétique, la culture aristocratique de Šatrijos Ragana la distinguent des écrivains de son temps. Elle écrit aussi des nouvelles, des contes, une pièce de théâtre, des textes sur la pédagogie chrétienne. En 1905, elle entreprend des études de littérature et de pédagogie en Suisse et diffuse, de retour en Lituanie, les principes du philosophe et pédagogue allemand Friedrich Wilhelm Foerster – son enseignant à Zurich. Puis elle enseigne au progymnase de jeunes filles à Marijampolė. Durant la Première Guerre mondiale, elle s’installe à Židikai, petite ville du Nord-Ouest, où elle passe les dernières années de sa vie. En 1928, pour son investissement dans le développement de la pédagogie, elle se voit conférer le titre de docteur honoris causa de l’université de Lituanie.

Dainius VAITIEKŪNAS

MAUCLÈRE J., Panorama de la littérature lithuanienne contemporaine, Paris, Éditions du Sagittaire, 1938 ; KARVELIS U., La Littérature lituanienne, une lutte séculaire pour le droit d’écrire, Strasbourg, Association Alsace-Lituanie, 1998.

SATTHIANADHAN, Krupabai [AHMEDNAGAR 1862 - MADRAS 1894]

Romancière indienne d’expression anglaise.

Krupabai Satthianadhan est la treizième enfant d’une famille de brahmanes convertis au christianisme, situation extrêmement rare alors, et qui la place à l’écart de la culture hindoue dominante comme de la majorité de ses coreligionnaires, issus des basses castes et convertis au christianisme par intérêt. Enfant particulièrement précoce, elle est instruite par son frère aîné qui l’initie très tôt aux classiques occidentaux et à la poésie romantique anglaise. Ces premières influences ont laissé des traces fortes dans les références esthétiques de son œuvre. Après la mort prématurée de ce frère en 1875, qui la plonge dans une profonde dépression, elle est envoyée en pension dans une école à Bombay où une femme médecin éveille sa vocation médicale. Admise en 1878 au Medical College de Madras, elle y rencontre son futur époux, Samuel Satthianadhan. De santé délicate, elle doit renoncer à ses études. Elle se consacre alors à l’enseignement et à sa carrière littéraire. Elle publie d’abord des articles et des poèmes dans diverses revues anglophones. Puis, en 1886, elle rédige un premier roman autobiographique, Saguna : A Story of Native Christian Life (1895) ; ce roman paraît d’abord en feuilleton dans le Madras Christian College Magazine. L’année suivante, elle commence Kamala : A Story of Hindu Life, qu’elle ne peut compléter qu’en 1894, en raison de sa santé. Ces deux romans traitent de l’évolution de l’enfance à l’âge adulte d’une jeune fille qui se sent prise au piège d’une société dans laquelle le rôle traditionnel, essentiellement domestique, assigné aux femmes l’empêche de se réaliser pleinement. Ses essais, poèmes et nouvelles ont été réunis dans le recueil Miscellaneous Writings of Krupabai Satthianadhan (1896). Son œuvre témoigne de la force de son engagement dans trois causes principales : la foi chrétienne, la question du rôle de la femme indienne moderne (the « New Woman »), et la cause nationaliste indienne. À une époque où une minorité de femmes indiennes sont capables de lire et d’écrire, elle fait figure d’exception : femme instruite, cultivée, elle recherche la confrontation d’idées, soucieuse d’œuvrer à l’amélioration de la situation des femmes en Inde, et ce à travers la langue anglaise, qui peut alors être perçue comme le vecteur d’une idéologie progressiste et réformiste.

Lise GUILHAMON

MUKHERJEE M., « Ambiguous Discourse : the Novels of Krupa Satthianadhan », in The Perishable Empire : Essays on Indian Writing in English, New Delhi, Oxford University Press, 2000 ; SOUZA E. de, The Satthianadhan Family Album, New Delhi, Sahitya Akademi, 2005.

SAUDEK, Molly [BERLIN, VERMONT, ÉTATS-UNIS 1976]

Fildefériste canadienne.

Issue d’une famille sans rapport avec le spectacle, excellente gymnaste et bonne danseuse, Molly Saudek effectue son premier stage à l’âge de 11 ans au Circus Smirkus, dans le Vermont. À 18 ans, elle découvre le fil, qui rassemble selon elle la dimension physique, l’émotion et le mental et offre des possibilités artistiques infinies. Admise à l’École nationale de cirque de Montréal, elle y passe trois ans et, sous la direction technique de Pierre Cartier et sur la chorégraphie de Julie Lachance, crée un numéro très personnel, affranchi des codes traditionnels, où les accents du jazz sont un écho sensuel ou brillant à sa virtuosité technique. Son diplôme en main, elle se produit d’abord au cirque Éloize, puis tourne en Asie avec le spectacle Alegria du Cirque du Soleil. En 1998, elle remporte une médaille d’argent au Festival mondial du Cirque de demain à Paris, notamment pour sa parfaite exécution d’un saut périlleux arrière sur le fil, prouesse réalisée par une seule femme auparavant, Atalina Segura, dans les années 1960. M. Saudek travaille dans les plus grands cabarets, multiplie les expériences, les trophées dans les festivals, et rejoint la compagnie Les Colporteurs d’Agathe Olivier* et Antoine Rigot pour la création du spectacle Le Fil sous la neige en 2006. Elle y déploie sa créativité et sa virtuosité en compagnie de six autres fildeféristes pour une formidable ode à la vie.

Pascal JACOB

SAUMONEAU, Louise [POITIERS 1875 - PARIS 1950]

Militante socialiste, féministe et pacifiste française.

Arrivée à Paris à 22 ans, déjà acquise au socialisme, Louise Saumoneau rencontre en 1899 Élisabeth Renaud*, avec qui elle fonde le Groupe féministe socialiste. Elle considérera toute sa vie que l’antagonisme des classes est à la source de l’antagonisme des sexes et que celui-ci n’est que secondaire. Déléguée au Congrès international de la condition et des droits des femmes, à Paris, en 1900, elle rejette toute collaboration avec les féministes bourgeoises. En 1901, le Groupe féministe socialiste crée le mensuel La Femme socialiste, dont elle devient la rédactrice en chef. Elle rallie la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO) en 1905, mais celle-ci ne reconnaît pas le Groupe féministe socialiste, qui périclite rapidement. Elle refonde ce dernier en 1913, sous le nom de Groupe des femmes socialistes, mais le quitte lorsqu’éclate le premier conflit mondial, car il est acquis à la guerre et heurte donc son engagement pacifiste. Elle crée alors le Comité d’action féminine socialiste pour la paix contre le chauvinisme, et répond, en janvier 1915, à l’appel contre la guerre de Clara Zetkin*, qu’elle rencontre, au terme d’un voyage clandestin, à la Conférence internationale des femmes socialistes de Berne, les 25-27 mars 1915, six mois avant le colloque antiguerre des hommes socialistes à Zimmerwald (Suisse), devenu célèbre dans les origines du communisme international. Son militantisme pacifiste lui vaut des tracasseries policières et des séjours en prison. En 1916, elle devient secrétaire adjointe du Comité pour la reprise des relations internationales, qui mène la lutte contre la guerre chez les socialistes et les syndicalistes. Lorsque, à la fin de la guerre, la minorité pacifiste devient majoritaire au sein de la SFIO, elle est élue membre de la Commission administrative permanente (CAP), instance dirigeante du parti. Elle soutient l’adhésion à la IIIe Internationale jusqu’à ce que les Russes exigent l’exclusion des réformistes, mais reste dans la SFIO après la scission de décembre 1920. Elle refonde une fois encore le Groupe des femmes socialistes en 1922, mais son affirmation de la primauté de la lutte des classes sur la lutte des femmes est une entrave à son expansion. Elle s’en retire en 1930 et est nommée par le parti déléguée permanente à la propagande et gérante d’un bulletin trimestriel, Propagande et documentation. Elle se joint au courant pacifiste de Paul Faure et, lors du deuxième conflit mondial, quitte la SFIO, qu’elle accuse de bellicisme. Elle dirigera après la guerre le Parti socialiste démocratique, qui regroupe les quelques militants restés fidèles au pacifisme et à P. Faure.

Charles SOWERWINE

SOWERWINE C., Les Femmes et le Socialisme, un siècle d’histoire, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1978.

SAUMONT, Annie [CHERBOURG 1927]

Nouvelliste française.

Fille d’institutrice, Annie Saumont passe son enfance et son adolescence près de Rouen, la bibliothèque municipale lui fournissant ses premiers éblouissements. Elle représente la seule écrivaine française contemporaine à n’avoir écrit, avec succès, que des nouvelles, obtenant tous les prix auxquels un nouvelliste peut prétendre : prix Goncourt de la nouvelle 1981 pour Quelquefois dans les cérémonies ; Grand prix de la nouvelle de la Société des gens de lettres 1989 pour Je suis pas un camion (seul recueil traduit en anglais) ; prix Renaissance de la nouvelle 1993 pour Les voilà quel bonheur ; prix des Éditeurs 2002 pour C’est rien ça va passer ; prix de l’Académie française pour l’ensemble de son œuvre en 2003. Un style parlé subtilement reconstruit, elliptique, épousant les pensées décousues de personnages à la fois ordinaires et marginaux, caractérise ses textes brefs. Pas de lien entre les phrases : à l’instar des morceaux dans Le Sucre, les mots tiennent seuls, « sans ciment sans mortier » ; pas de liens non plus entre les nouvelles qui font entendre des voix isolées d’exclus ou les méandres des consciences de ceux qui n’ont pas droit à la parole. S’alignent ainsi les escales d’un voyage que les jeux avec les mots, le rythme et l’humour sauvent du désespoir. Le Tapis du salon (2012) vient s’ajouter à la trentaine de recueils déjà parus. Traductrice, elle a contribué à faire connaître des romanciers contemporains comme V. S. Naipaul, Nadine Gordimer (1923) ou John Fowles et à faire redécouvrir la langue de J. D. Salinger dans L’Attrape-Cœurs (1986).

Sabrinelle BEDRANE

Un soir, à la maison, Paris, Julliard, 2003 ; Un pique-nique en Lorraine, Paris, J. Losfeld, 2005 ; Les Croissants du dimanche, Paris, Julliard, 2008 ; La Terre est à nous, Paris, Julliard, 2009 ; Encore une belle journée, Paris, Julliard, 2010 ; Le Tapis du salon, Paris, Julliard, 2012.

SAUNDERS, Justine [QUILPIE, QUEENSLAND 1953 - SYDNEY 2007]

Actrice australienne.

Justine Saunders est une éminente porte-parole du théâtre indigène. Membre du clan Kanomie, du peuple Woppaburra vivant sur les îles Keppel dans le Queensland, elle fait partie de ce qu’on nommera les « générations volées ». À l’instigation du gouvernement souhaitant éloigner les enfants indigènes de leurs familles d’origine, elle est séparée de sa mère à l’âge de 11 ans. Elle est alors envoyée dans un couvent à Brisbane, ce que l’on cachera à sa mère pendant plus dix ans. Elle débute sa carrière dans les années 1970, en jouant dans des soap operas tels que Number 96 et Prisoner, tout en déplorant les stéréotypes qu’on lui demande d’incarner. Elle apparaît ensuite dans des films plus ambitieux comme The Chant of Jimmy Blacksmith (1978) de Fred Schepisi, en sélection officielle au Festival de Cannes, et The Fringe Dwellers (« aux frontières de la ville », 1986) de Bruce Beresford, premier film australien dont tous les rôles importants sont tenus par des acteurs aborigènes, ou dans la série télévisée Women of the Sun (« femmes du soleil », 1981), qui retrace la vie des femmes aborigènes dans la société australienne des années 1820 aux années 1980, première production à aborder un tel sujet. En 1974, peu après sa création, elle rejoint la compagnie aborigène Black Theatre Arts and Culture Centre, basée à Redfern, dans la banlieue de Sydney. Elle est engagée dans le premier spectacle officiel de la compagnie, The Cake Man, pièce révolutionnaire de Bob Merritt, auteur aborigène alors incarcéré. Elle prendra par la suite une part active dans le développement du Black Theatre et dans la fondation du National Aboriginal Theatre Trust en 1987. En 1985, elle est consacrée meilleure artiste aborigène de l’année. En 1991, elle reçoit la médaille de l’Ordre d’Australie pour services rendus aux arts de la scène et au théâtre aborigène, médaille qu’elle restitue en 2000 pour protester contre le refus du gouvernement de reconnaître l’existence des « générations volées ».

Alison CROGGON

SAUNIER-SEÏTÉ, Alice [SAINT-JEAN-LE-CENTENIER 1925 - PARIS 2003]

Géographe et femme politique française.

Première femme géographe doyenne de faculté de lettres à Brest en 1968-1969, puis première rectrice (académie de Reims, 1973-1975), Alice Saunier-Seïté est sans conteste la « personnalité » de femme géographe la plus marquante de son temps par l’occupation inédite de positions académiques jusque-là réservées aux hommes. Secrétaire d’État aux Universités en 1976 et ministre des Universités entre 1977 et 1981, elle est plus connue pour son action politique que par son œuvre géographique, assez éclectique (thèse sur une vallée du Tyrol, travaux sur le grand Nord, ouvrage sur l’Europe, biographies). Cette bâtisseuse a dédié sa vie à une cause républicaine : l’éducation. De la communale aux universités, elle s’est toujours placée En première ligne, pour reprendre le titre du livre de souvenirs qu’elle a publié en 1982. Élue membre de l’Académie des sciences morales et politiques en 1995, elle a prononcé un discours sur « Les femmes dans la cité ». Elle termine sa carrière en étant nommée en 1981 professeure au Conservatoire national des arts et métiers, titulaire de la chaire d’organisation de l’espace géographique.

Denise PUMAIN

Les Vallées septentrionales du massif Oetztal, thèse de doctorat, 1963 ; En première ligne, de la communale aux universités… , Paris, Plon, 1982 ; (dir.), Une Europe à la carte, Paris, Plon, 1985.

CHEFFEL J., Seule, une femme, Alice Saunier-Seïté, Paris, Flammarion, 1979 ; MAZEAUD P., Notice sur la vie et les travaux d’Alice Saunier-Seïté (1925-2003), Paris, Institut de France, 2007.

SAURER, Edith [VIENNE 1942 - ID. 2011]

Historienne autrichienne.

Edith Saurer suit un cursus en histoire, études germaniques et études théâtrales. Après une première thèse de doctorat sur Die politischen Aspekte der Bischofsernennungen in der Habsburgermonarchie 1867-1903 (« les aspects politiques des nominations d’évêques dans la monarchie des Habsbourg, 1867-1903 »), elle obtient une bourse de deux ans pour effectuer des recherches à Rome. Après son habilitation avec un travail sur Strasse, Schmuggel und Lottospiel. Materielle Kultur und Staat in Niederösterreich, Böhmen und Lombardo-Venetien im frühen 19.Jht (« rue, contrebande et loterie, culture matérielle et État en Basse-Autriche, Bohème et Lombardo-Vénétie au début du XIXe siècle », 1989), elle enseigne à l’Institut d’histoire de l’université de Vienne, avant d’y être nommée professeure en histoire moderne en 1992. Si ses recherches portent d’abord sur les rapports de l’Église et de l’État en Autriche puis sur les problèmes des frontières et des marginalités, elle manifeste de l’intérêt pour l’histoire des femmes et des rapports de sexe, la Geschlechtergeschichte, qu’elle aborde sous l’angle de l’anthropologie historique. Recueillant des sources jusque-là peu utilisées, surtout en Autriche, telles que les récits de confessions, les livres de prières, les actes de conversion, elle contribue à faire émerger tout un continent d’archives et de documents, analysés dans une perspective interdisciplinaire large, à l’intersection du droit, des sciences politiques et religieuses, de l’histoire culturelle et matérielle. Innovante dans ses travaux, comme en témoigne Die Religion der Geschlechter (« la religion des sexes », 1995), E. Saurer s’est largement impliquée dans la création de lieux et de liens facilitant une histoire des femmes à l’échelle européenne : workshops et Ringvorlesungen à l’université de Vienne, programmes Erasmus et séminaires dans le cadre du programme Socrates réunissant des universités italienne (Naples), allemande (TU Berlin) et française (Paris VII-Denis Diderot). Dans un contexte peu favorable, elle a lancé dès 1990 « l’initiative pour la promotion des recherches sur les femmes au sein de l’Université » qui a abouti à la création d’une chaire Käthe-Leichter et, à l’Institut d’histoire, d’une bibliothèque de documentation sur l’histoire des femmes et du genre. Elle a investi une grande part de son énergie et de son temps à la création de revues. Cofondatrice et membre de la rédaction de Historische Anthropologie, elle crée en 1993 une revue au titre qui interpelle : L’Homme, Zeitschrift für feministische Geschichtswissenschaft (revue d’histoire féministe). Le travail accompli a fondamentalement changé un paysage universitaire trop longtemps fermé à des recherches sur les femmes, voire hostile à la mise en place d’institutions et d’enseignements portant sur l’histoire des femmes et du genre.

Marie-Claire HOOCK-DEMARLE

SAUVAGE, Catherine (Jeannine SAUNIER, dite) [NANCY 1929 - BRY-SUR-MARNE 1998]

Chanteuse française.

Enfant, Catherine Sauvage rêve de devenir tragédienne. À 17 ans, elle prend des cours d’art dramatique avec Jean-Louis Barrault et Jean Vilar. Elle avoue aussi une passion pour le répertoire de Charles Trenet. Un soir où elle fredonne quelques-uns de ses couplets chez des amis, elle est remarquée par Louis Moyses, qui dirige Le Bœuf sur le toit, un cabaret des Champs-Élysées. Séduit, il l’engage. Elle débute en chantant sa révolte contre l’injustice, sans sourire, vêtue d’une robe de bure orange, une cordelière en guise de ceinture, et des spartiates. Elle choisit le pseudonyme de Sauvage parce qu’elle ne coiffe jamais ses longs cheveux roux. Elle se retrouve ensuite dans des cabarets de la rive gauche, où elle éprouve un coup de foudre pour les couplets révolutionnaires de Léo Ferré, ayant le sentiment qu’ils ont été écrits pour elle. L. Ferré devient son compagnon de route. Ils se retrouvent régulièrement au même programme dans les cabarets parisiens et se succèdent sur le plateau dans l’interprétation de Paris canaille. En 1956, C. Sauvage partage l’affiche de Bobino avec Georges Brassens. Dans les années 1960, elle défend son répertoire dans les Maisons de la Culture, où elle chante aussi Pierre Seghers, Paul Éluard et Louis Aragon, ainsi que Federico García Lorca en espagnol, et Bertolt Brecht en allemand. Parmi ses inconditionnels figure Marguerite Duras*, qui dit à son propos : « Chanteuse d’amour, de révolte, de larmes, elle a une voix sauvage d’une redoutable exactitude qui frappe en plein cœur. » En 1969, elle interprète Gilles Vigneault, qu’elle est la première à faire découvrir au public français. En 1975, elle se produit en URSS, où elle devient une « messagère authentique de la France ». Elle se retire discrètement à la fin des années 1990.

Jacques PESSIS

SAUVAGE, Cécile [LA ROCHE-SUR-YON 1883 - SAINT-ÉTIENNE 1927]

Poétesse française.

Mère du compositeur Olivier Messiaen, auquel elle donne naissance en 1908, Cécile Sauvage débute sa carrière poétique par le recueil où elle évoque sa grossesse : L’Âme en bourgeon. Au-delà des poèmes qui chantent un amour sexué, elle invente une poésie de la simplicité pour dire la chair dans la chair. C’est le don de la vie, de la puissance féminine, qui donne le souffle poétique à son écriture. La paix et le bonheur ne dominent cependant pas cet hymne à la vie. Mélancolie (1924) dit la douleur de la mère à devoir livrer sa progéniture au monde, comme si le poème pouvait redevenir le lieu d’une gestation sans fin. L’enfance est la première exposition à l’indifférence des choses, et la fusion avec la mère est, pour cette poétesse de la maternité, le premier moment de reconquête que se doit d’accomplir l’homme.

Johan FAERBER

Œuvres complètes, Paris, La Table ronde, 2002.

SAUVÉ, Jeanne (née BENOÎT) [PRUD’HOMME, SASKATCHEWAN 1922 - MONTRÉAL 1993]

Journaliste et femme politique canadienne.

Jeanne Sauvé compte parmi les trois premières Québécoises élues au Parlement fédéral en 1972. La même année, elle devient ministre dans le cabinet libéral et le restera jusqu’en 1979. De 1980 à 1984, elle est présidente de la Chambre des communes, puis gouverneure générale du Canada de 1984 à 1989. À plusieurs occasions, elle a été la première femme à occuper un poste politique important : première Québécoise ministre au sein d’un cabinet fédéral, première présidente de la Chambre des communes et première gouverneure générale du Canada.

Manon TREMBLAY

SAUVY, Élisabeth VOIR TITAŸNA

SAVAGE, Augusta (Augusta Christine FELLS, dite) [GREEN COVE SPRINGS, FLORIDE 1892 - NEW YORK 1962]

Sculptrice américaine.

Déterminée à devenir sculptrice, Augusta Christine Fells arrive à New York en 1921 avec 5 dollars en poche. En plus de son travail de gouvernante, elle accomplit le cursus artistique de la Cooper Union en seulement quelques mois. La bibliothèque publique de New York lui commande un portrait du penseur William Edward Burghardt Du Bois, début d’une série sur les personnalités afro-américaines, comme le nationaliste Marcus Garvey. Ces rencontres marquent profondément l’artiste, qui devient une activiste redoutable. Son premier fait d’armes date de 1923 : exclue d’un programme d’études en France du fait de sa couleur, elle attaque le comité d’admission, devenant la première Afro-Américaine à défier le monde de l’art. Malgré les difficultés sociales et économiques, elle ne cesse de sculpter, notamment des portraits en argile comme Gamin (1930), son œuvre la plus célèbre, représentant un garçon des rues de Harlem, qui révèle la beauté afro-américaine, jusque-là réduite à de racistes caricatures. Le succès est tel qu’elle remporte une bourse de la fondation Rosenwald, lui permettant enfin d’aller à Paris, où elle étudie à l’Académie de la Grande Chaumière avec le sculpteur Félix Benneteau-Desgrois. A. Savage reçoit une médaille du gouvernement français pour ses figures africaines reproduites en médaillons présentées à l’Exposition coloniale de 1931. De retour à New York, elle devient la première Afro-Américaine élue à la National Association of Women Painters and Sculptors. Elle s’investit avec passion dans la vie artistique et politique de Harlem, en créant le Studio Arts & Crafts, le Harlem Art Workshop et le Vanguard Club, dans le but d’éveiller les consciences, d’encourager les talents et de trouver des solutions aux problèmes sociaux des Noirs américains. Sa dernière commande réalisée pour la foire de New York, Lift Every Voice and Sing, est un grand succès, mais elle ne gagne pas le prix. Ne pouvant financer le transport de son œuvre, elle est contrainte de la détruire. Lasse de ces revers, elle s’isole au début des années 1940 dans une ferme près de Woodstock, restant éloignée du monde de l’art jusqu’à la fin de sa vie. Ayant voué son travail à la bataille pour le respect des droits civiques, au détriment voire au péril de sa carrière artistique, A. Savage est aujourd’hui une légende de la Renaissance de Harlem.

Sonia RECASENS

BEARDEN R., HENDERSON H., A History of African-American Artists : From 1792 to the Present, New York, Pantheon books, 1993 ; FARRINGTON L. E., Creating Their Own Image : The History of African-American Women Artists, Oxford, Oxford University Press, 2005 ; LEWIS S., African American Art and Artists, Berkeley, University of California Press, 2003 ; ZABUYAN E., Black is a color, une histoire de l’art africain-américain contemporain, Paris, Dis voir, 2004.

SAVAGE, Naomi (née SIEGLER) [JERSEY CITY 1927 - PRINCETON 2005]

Photographe américaine.

En 1943, à la New School for Social Research de New York, Naomi Savage apprend la photographie auprès de Berenice Abbott*, qui fut l’assistante de son oncle Man Ray. Entre 1945 et 1947, elle étudie les arts plastiques, la musique et la photographie, au Bennington College dans le Vermont puis rejoint Man Ray à Hollywood, qui l’initie aux techniques photographiques expérimentales. Après un an passé à ses côtés, elle s’établit comme photographe free-lance à New York et épouse, en 1950, l’artiste et architecte David Savage. Si l’influence de son oncle reste indéniable, elle réussit cependant à développer une approche et une pratique personnelles de la photographie, en poussant encore plus loin les innovations des avant-gardes du XXe siècle. Son corpus de sujets traités est large : portraits, paysages, statues, masques, fleurs et formes abstraites. Elle travaille par « séries », en déclinant, sur plusieurs décennies parfois, des variantes techniques autour d’une même image d’origine et en explorant une grande variété de techniques et de matériaux : combinaison d’épreuves négatives et positives, expositions multiples, solarisation, distorsion, négatifs sur aluminium, photogrammes et clichés verre, mais aussi photocollages, photographies sérigraphiées sur toile ou encore photogravure, celle-ci lui permettant d’obtenir une image en relief – technique grâce à laquelle, sans doute, elle a gagné sa reconnaissance dans le monde de l’art. Ainsi, outre les nombreux portraits de sa sœur, son œuvre la plus célèbre reste sans doute une « photogravure murale » (1972) réalisée pour la Lyndon Baines Johnson Library à Austin dans le Texas. Élaborée en magnésium, large de 2,4 m et courant sur une longueur de plus de 15 mètres, elle est consacrée à la vie politique de Lyndon Baines Johnson, président des États-Unis entre 1963 et 1969. À la fin de sa carrière, l’artiste privilégie des techniques plus contemporaines comme l’imagerie numérique et la photocopie couleur. Par l’extension des utilisations classiques de l’appareil et des méthodes de tirage, elle a su étendre la nature purement reproductive du médium photographique en démontrant les multiples possibilités d’expérimentations qu’il permet.

Julie JONES

Avec MAN RAY, Two Generations of Photographs : Man Ray and Naomi Savage (catalogue d’exposition), Trenton, New Jersey State Museum, 1968.

Six Photographers 1967 (catalogue d’exposition), Urbana, University of Illinois, 1967.

SAVARENSKAÏA, Tatiana FIODOROVNA [MOSCOU 1923 - ID. 2003]

Architecte et urbaniste russe.

Née dans la famille de l’ingénieur Fiodor Petrovitch Savarensky, Tatiana Fiodorovna Savarenskaïa entre à l’Institut d’architecture de Moscou en 1943, où elle rencontre d’éminents architectes, tels qu’Ivan Joltovski et Alexeï Chtchoussev. Elle suit les cours sur l’histoire de l’urbanisation dispensés par Andreï Bounine, qui dirigera sa thèse à l’Institut d’urbanisme de l’Académie d’architecture, en 1959. Elle prend part aux travaux de l’Institut consacrés à la reconstruction des mégapoles en Europe occidentale et en Amérique ainsi qu’à la création de « villes satellites ». En 1959, elle travaille pour l’Institut d’histoire des beaux-arts de l’Académie des sciences, puis rejoint en 1960 l’Institut d’architecture de Moscou grâce à A. Bounine. Quatre ans plus tard, elle soutient une thèse d’histoire urbaine embrassant l’Europe occidentale et l’Amérique du Nord sur les problèmes de planification architecturale liés à la configuration des rives dans les villes situées au bord de rivières. Pendant près d’un demi-siècle, elle enseigne l’histoire de l’urbanisme à l’Institut d’architecture de Moscou. En 1979, elle soutient sa deuxième thèse sur les directions principales dans le développement de la théorie de l’urbanisme d’Europe occidentale du XVIIe au XIXe siècle, qui retrace les idées esthétiques ayant nourri les urbanistes du passé. Elle a été l’initiatrice de recherches sur l’urbanisation au cours de ces siècles. En 1977, T. Savarenskaïa est nommée à la chaire d’histoire de l’architecture et de l’urbanisme à l’Institut d’architecture de Moscou. Au début des années 1990, elle est membre de sociétés anglaises et américaines, ainsi que d’académies russes.

Xenia AKSELROD

SAVARY, Olga [BELÉM 1933]

Écrivaine brésilienne.

Née d’une mère brésilienne et d’un père russe, Olga Savary passe une partie de son enfance dans les villes de Belém et de Fortaleza, au milieu de l’exubérant paysage fluvial amazonien et à côté de la mer, des expériences qui se reflètent dans la sensualité de ses vers. Ses parents se séparent alors qu’elle a 9 ans et elle emménage à Rio de Janeiro chez un de ses oncles, grand connaisseur de la culture japonaise. Ses inclinations littéraires se révèlent lorsqu’elle a 10 ans : elle élabore et vend un journal artisanal dans lequel elle dessine et écrit des poèmes et des haïkus. Son premier livre, Espelho provisório (« miroir provisoire », 1970), un recueil de poèmes commencé à l’âge de 14 ans, est récompensé en 1971. Sous le pseudonyme d’Olenka, elle publie nombre de ses poèmes dans la presse de Rio de Janeiro, de Belém et de Minas Gerais. En tant que journaliste, elle donne des conseils sur la vie culturelle dans le mythique journal O Pasquim, pour lequel elle travaille de 1969 à 1982. Elle publie As margens e o centro (« les marges et le centre »), une sélection d’articles journalistiques qui remportera le prix Assis Chateaubriand en 1987. En 1977, elle publie Sumidouro (« abîme »), qui file la métaphore de l’immersion intérieure, du voyage immobile. L’eau est un motif récurrent de son œuvre, notamment dans Altaonda (« haute vague », 1979), un recueil de poèmes où l’eau, par sa douceur et son scintillement, tisse un lien avec la vie et l’amour, et dans Linha d’água (« ligne d’eau », 1987). Avec Magma (1981), O. Savary devient l’une des premières écrivaines brésiliennes auteures de poésie érotique. Elle publie ensuite d’autres recueils de poèmes dont certains sont mis en musique : Natureza viva (« nature vive », 1986), Hai kais (1986), Retratos (« portraits », 1989), Éden Hades (1994), Morte de Moema (« mort de Moema », 1996), Anima Animalis (1997) et Repertório Selvagem (« répertoire sauvage », 1998). Par ailleurs, elle traduit plus de 40 œuvres d’écrivains hispano-américains, tels que Jorge Luis Borges, Pablo Neruda, Mario Vargas Llosa et Octavio Paz, et d’auteurs japonais de haïkus comme Basho. Parmi ses œuvres de fiction se distingue le recueil de nouvelles O olhar dourado do abismo (« la vision dorée de l’abîme », 1997).

Rodolfo MATA

PARMAGNANI C. P., O erotismo na produção poética de Paula Tavares e Olga Savary, São Paulo, Universidad de São Paulo, 2004 ; TOLEDO M. P. M. e F. de, A voz das águas, uma interpretação do universo poético de Olga Savary, Colibri, Lisbonne, 1999.

SAVIGNEAU, Josyane [CHÂTELLERAULT 1951]

Journaliste et écrivaine française.

Née dans une famille où la lecture ne faisait pas partie du bagage culturel, mais encouragée par sa mère, Josyane Savigneau fait des études à l’université de Poitiers, puis découvre en jeune fille au pair New York, ville pour laquelle elle gardera une affection particulière. Passée par le Centre de formation des journalistes (CFJ), elle entre au journal Le Monde à partir de 1977 et, passionnée de littérature, commence à travailler au Monde des livres en 1983, avant de diriger ce supplément hebdomadaire qui fait autorité en France (1991-2005). Elle signe des chroniques engagées, qu’il s’agisse de la création artistique, des questions politiques ou de l’émancipation des femmes.Elle est également rédactrice en chef du service culture du quotidien de 1995 à 2002 et fait partie du comité de rédaction permanent du journal. En 2005, elle considère qu’elle est victime d’une mise au placard, et en fait le récit dans Point de côté. Elle dit avoir éprouvé, au sommet d’une carrière brillante, le sentiment toujours présent d’une fatalité liée à son origine sociale modeste. Ses articles féministes sont nombreux, toujours marqués par une de ses grandes références, Simone de Beauvoir*, critiquant le désir des femmes de faire des enfants comme une soumission conformiste, obstacle à ce qui serait le chemin de la liberté. Elle écrit des biographies de femmes de premier plan, telle celle de Marguerite Yourcenar* qui fait date, et d’artistes.

Christine LAMY

Marguerite Yourcenar, l’invention d’une vie (1990), Paris, Gallimard « Folio », 1993 ; Carson McCullers, un cœur de jeune fille (1995), Paris, Le Livre de poche, 1997 ; Juliette Gréco, hommage photographique, Nîmes, Actes Sud, 1998.

SAVILLE, Jenny [CAMBRIDGE 1970]

Peintre britannique.

Jenny Saville pratique une peinture figurative au réalisme cru. Diplômée de la Glasgow School of Art en Écosse (1988-1992), elle part étudier six mois aux États-Unis, à l’université de Cincinnati, où elle est initiée aux courants de pensée féministes, et découvre le travail de la photographe Cindy Sherman*. Dans une société obsédée par les apparences, c’est le corps humain, dans ce qu’il a de plus charnel, qui devient son modèle de prédilection. En 1993, les œuvres qu’elle présente en fin d’études sont vendues dans leur intégralité. Charles Saatchi contribue à sa reconnaissance internationale, en l’exposant pour la première fois dans sa galerie londonienne, en 1994. Installée ensuite à New York, elle accumule une importante documentation sur les opérations de chirurgie esthétique, allant jusqu’à y participer. Dans la lignée des maîtres anciens et de Picasso, elle peint à l’huile, en atelier, d’après modèle vivant. Apparentée à Francis Bacon (1909-1992) et Lucian Freud (1922-2011), associée au groupe des Young British Artists de l’exposition Sensation en 1997 à la Saatchi Gallery, sa peinture violemment féministe, remplie de corps hybrides de femmes, de travestis ou de transsexuels illustrant, selon J. Saville, une nouvelle réalité du monde contemporain, sont généralement plus grandes que nature. Ses œuvres chirurgicales exercent une fascination qui oscille entre le voyeurisme et le choc devant des chairs en cours de transformation, comme l’imposant Passage (2004), corps-paysage au genre flottant entre un vrai pénis et des seins en silicone. Elles ne laissent guère le public indifférent, comme en témoigne la controverse autour de Stare (2004-2005), violent portrait ensanglanté en gros plan, que le groupe britannique Manic Street Preachers choisit comme couverture de son album en 2009. Son travail a fait l’objet d’une exposition personnelle en 1999, à la Gagosian Gallery de New York, et en 2005, au musée d’Art contemporain de Rome.

Fanny DRUGEON

Territories (catalogue d’exposition), New York, Gagosian Gallery, 1999 ; Jenny Saville (catalogue d’exposition), New York, Rizzoli International, 2005 ; Jenny Saville (catalogue d’exposition), Milan/Rome, MACRO/Electa, 2005.

ROWLEY A., « On viewing three paintings by Jenny Saville : Rethinking a feminist practice of painting », in Pollock G. (dir.), Generations and Geographies in the Visual Arts : Feminist Readings, Londres/New York, Routledge, 1996.

SAW, Ruth Lydia [CARSHALTON, SURREY 1901 - ID. 1986]

Philosophe britannique.

Après des études à l’université de Londres et au Smith College (Massachussetts) où elle enseigne et rédige une thèse de doctorat, Lydia Ruth Saw fait carrière à l’université de Londres (Bedford et Birbeck Colleges). Elle est élue présidente du Council of the British Society of Aesthetics en 1960, et de la Société aristotélicienne en 1965. Son étude de Spinoza (1951) constitue une réexplication et une réévaluation synthétique et critique de la pensée éthique et métaphysique du philosophe. Son étude de Leibniz (1954) propose une critique développée de la métaphore de la monade comme miroir. Une dernière publication, « The Logic of the Particular Case » (1965), porte sur le langage de l’expérience esthétique.

Jeremy WORTH

« The Logic of the Particular Case », in Proceedings of the Aristotelian Society, t. 66, 1965-1966.

SAWABI, Darhata [PARANG, JOLO 1957 - ID. 2005]

Tisseuse philippine.

Darhata Sawabi est une Tausug reconnue par ses contemporains comme maître-tisseuse sans égal du pis syabit, un tissu mesurant un mètre carré avec sept couleurs et des dessins multigéométriques complexes (motifs en x, en losanges, zigzags, hexagones, rhombes et polygones), qui font référence aux paysage locaux (collines et basses montagnes), à la flore, la faune (jacquier, chauve-souris, papillons et poissons) et aux formes célestes (étoiles). Seul le dessin du zigzag représentant le kris, utilisé comme arme, fait référence à une création humaine. Le pis syabit était traditionnellement porté sur la tête, sur les épaules ou en ceinture par les guerriers Tausug. D. Sawabi a appris l’art du pis syabit de sa mère à l’âge de 12 ans. Malgré une région en guerre, elle se déplaçait dans les villages pour expliquer aux femmes le montage des métiers à tisser et comment visualiser les motifs. Ses propres tapisseries sont parées de minuscules motifs géométriques rangés dans une multitude de carrés évoquant l’illusion optique d’une interaction incessante entre espace central et formes périphériques. En 2005, elle a reçu le Gawad sa Manlilikha ng Bayan (Prix des trésors nationaux vivants). Ses œuvres ont été présentées dans des expositions, comme en Australie au Gold Treasury Museum (Our Pattern of Islands, Philippine Textile Exhibition, 2003), en Chine au musée de l’Art de Yan Huang (Asian Wonders, ASEAN Artwork Exhibition, 2006) et au musée Vargas de l’Université des Philippines (Woven Templates, Philippine Contemporary Textile, 2009).

Norma A. RESPICIO

PASTOR-ROCES M., Sinaunang Habi : Philippine Ancestral Weave, Quezon City, N. Coseteng, 2000 ; RESPICIO N., « Philippine textiles : a historical overview », in SPIN, CCP Textile Collection, Manille, Cultural Center of the Philippines, 2001 ; SAKILI A., Space and Identity, Expressions in the Culture, Arts and Society of the Muslims in the Philippines, Quezon City, Asian Center, University of the Philippines, 2003.

SAWATDIRAK, Suphat (née PHITCHITKURUKAN) [PHUKET 1929 - BANGKOK 2004]

Écrivaine et directrice de presse thaïlandaise.

Suphat Phitchitkurukan fait ses études à Tak puis à Bangkok où elle fréquente l’école Khemasiri Anusorn. Elle travaille quelque temps comme institutrice, mais c’est comme rédactrice en chef du magazine Sakulthai et auteure de nouvelles, romans, articles et enquêtes qu’elle connaîtra la célébrité sous son nom de femme mariée, Sawatdirak. Ses déplacements professionnels l’amènent à écrire, intégralement ou en partie, des textes inspirés par ces voyages. Elle écrit ainsi, en collaboration avec Amarawadi, Supha Devakul*, Suwannee Sukhontha* et Chuwong Chayachinda, Din Daen Haeng Khwam Sangnop Yam Chao (« le pays du matin calme »), ouvrage sur la Corée récompensé par le Comité thaïlandais pour la promotion du livre et le ministère des Affaires étrangères sud-coréen en 1972. Parmi ses autres écrits, Paen Din Kharinya (ouvrage sur l’Australie rédigé en collaboration avec Amarawadi) obtient le prix du Salon du livre décerné par le Comité thaïlandais pour la promotion du livre en 1975, et Tawan Ok Thi Rak (« l’Asie que j’aime ») devient une lecture obligatoire à l’université Chulalongkorn. Le succès de ces ouvrages s’explique par leur savant dosage de contenu informatif et d’anecdotes pittoresques qui rendent le récit vivant. Toujours inspirée par ses voyages, S. Sawatdirak écrit ensuite une dizaine de romans, dont : Song Sai Tan, « deux cours d’eau » ; Ma Kan Thi Chan Khlua, « l’Amérique dont j’ai peur ». Thida Sawan (« la fille du ciel ») est d’abord adapté sous forme de feuilleton radiophonique puis, en 1996, pour la télévision. Jusqu’à sa mort, S. Sawatdirak reste la directrice incontestable et respectée de Sakulthai, magazine familial à vocation culturelle et lieu de rencontre de nombreux écrivains thaïlandais, dont il publie les œuvres sous forme de feuilletons. Ce rôle éminent de promotion littéraire lui vaudra d’obtenir le prix pour la Promotion de la culture (1997) ainsi que le prix Sri Burapha, décerné aux écrivains, traducteurs, poètes et journalistes dont l’œuvre est jugée bénéfique à la société (1999).

Chairat POLMUK

SAWITRI, Cok [SIDEMEN, EST DE BALI 1968]

Dramaturge et écrivaine indonésienne.

Encouragée par son père dans l’apprentissage du drama gong, une forme récente de théâtre balinais, Cok Sawitri débute les arts de la scène quand elle est enfant. Puis elle monte une petite troupe, Teater Pilar, avant de jouer avec différents groupes. Elle explore le théâtre moderne, indonésien et occidental, mais reste attachée aux arts du spectacle balinais qui sont pour elle une référence de pratique et de mise en scène. Ses œuvres théâtrales, souvent satiriques, sont écrites en réaction aux problèmes sociaux, politiques ou quotidiens. La critique est cependant toujours esthétique sur une scène où la laideur et le vulgaire sont bannis par l’artiste. Oratrice renommée, C. Sawitri aime déclamer et mettre en scène sa poésie qu’elle écrit toujours par empathie pour le monde qui l’entoure. Elle est également l’auteure de nouvelles, parues dans des recueils collectifs comme Sepi pun Menari di Tepi Hari (« la solitude danse en fin de journée », 2004). En 2007, elle publie son premier roman, Janda dari Jirah (« la veuve de Jirah »), dans lequel elle s’approprie le mythe de Calon Arang. Son roman Sutasoma (2009) revisite un ancien récit épique appartenant aux littératures balinaise et javanaise. Résidant à Denpasar, elle anime plusieurs communautés théâtrales et s’illustre dans le milieu socioculturel, notamment à travers le groupe d’écriture Ngayah et le forum des femmes Mitra Kasih Bali, qu’elle crée respectivement en 1989 et 1997.

Elsa CLAVÉ-ÇELIK

Janda dari Jirah, Jakarta, Gramedia Media Utama, 2007 ; Sutasoma, Jakarta, Kaki Langit Kencana, 2009 ; Tantri, perempuan yang bercerita, Jarkarta, Kompas, 2011.

HERATY T. (dir), Rainbow, 18 Indonesian Women Poets, Jakarta, Indonesia Tera, 2008.

SAWYER HOGG, Helen BATTLES [LOWELL, ÉTATS-UNIS 1905 - TORONTO 1993]

Astronome canadienne.

Après des études au Mount Holyoke College, Helen Battles Sawyer s’oriente tout d’abord vers la chimie, puis, à partir de 1925, vers l’astronomie, décision confortée par la visite d’Annie Jump Cannon* à Mount Holyoke, l’année suivante. Dès l’obtention de son diplôme, elle travaille sur les amas globulaires avec A. J. Cannon et Harlow Shapley à l’observatoire d’Harvard. Elle obtient son doctorat au Radcliffe College en 1931, Harvard ne décernant pas encore de diplômes aux femmes. En 1930, H. B. Sawyer épouse Frank Hogg, son compagnon d’études à Harvard, et s’installe à Victoria, en Colombie-Britannique, où son mari est engagé. Faute d’y obtenir un poste, la jeune astronome travaille comme assistante bénévole de son mari. C’est ainsi qu’elle s’intéresse aux étoiles variables dans les amas globulaires. Elle développe une technique pour mesurer la distance des galaxies au-delà de la Voie lactée, basée sur la variabilité périodique de certaines étoiles. Ses observations sont publiées dans des catalogues encore en vigueur aujourd’hui. En 1935, F. Hogg accepte un poste à l’université de Toronto, et le couple emménage en Ontario. H. B. Sawyer Hogg devient alors assistante à l’observatoire David-Dunlop où elle travaille toute sa vie. Elle enseigne aussi à l’université de Toronto où elle obtient le titre de professeure en 1957. Elle est, par ailleurs, professeure invitée et dirige le département d’astronomie du Mount Holyoke College (1940-1941), puis elle mène le programme en astronomie pour la National Science Foundation (1955-1956). Nombre de prix et de distinctions consacrent la carrière de l’astronome. En 1950, elle reçoit le prix Annie-Jump-Cannon de la Société astronomique américaine. En 1967, elle est décorée de la Centennial Medal du Canada, et devient, en 1976, compagnon de l’Ordre du Canada, l’une des distinctions les plus élevées du pays. Première femme à présider la section des sciences physiques de la Société royale du Canada en 1960 et de l’Institut royal canadien (1964-1965), elle est également fondatrice et présidente de la Société astronomique canadienne (1971-1972). H. B. Sawyer Hogg signe, par ailleurs, un ouvrage de vulgarisation : The Stars Belong to Everyone (« les étoiles appartiennent à tous »), et présente une série d’émissions de télévision dans les années 1970. Enfin, avec une constance remarquable, elle tient une rubrique astronomique dans le journal Toronto Star de 1951 à 1981. Pendant plus de soixante ans, elle est l’une des grandes figures de l’astronomie, encourageant les femmes à poursuivre des carrières scientifiques. L’observatoire du Musée national canadien de science et technologie à Ottawa et l’observatoire austral de l’université de Toronto au Chili portent son nom, ainsi que l’astéroïde 2917 Sawyer-Hogg.

Florence DURRET

CLÉMENT C., BROUGHTON P., « Helen Sawyer Hogg, 1905-1993 », in Journal of the Royal Astronomical Society of Canada, vol. 87, 1993 ; PIPHER J. L., « Helen Sawyer Hogg (1905-1993) », in Publications of the Astronomical Society of the Pacific, vol. 105, 1993.

SAYEGH, May AL- [GAZA 1940]

Écrivaine palestinienne.

Engagée très jeune en politique, dès 1954, May al-Sayegh préside la section du parti arabiste Baath à Gaza et devient la première femme à entrer au Conseil révolutionnaire du Fatah. Elle est membre du Conseil central de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) et secrétaire générale de l’Union des femmes palestiniennes. Diplômée en philosophie et en sociologie, elle est l’auteure de deux romans et de plusieurs essais sur la situation en Palestine, mais se fait surtout connaître par ses recueils de poésie : Iklīl al-shawk (« couronne d’épines », 1969), Qasā’id hub li-ism mutārad (« poésies d’amour pour un nom traqué », 1974), Bi-intizār al-qamar (« dans l’attente de la lune », 2001). Ses poèmes, écrits en vers libres, restent très marqués par son expérience militante. Dans son autobiographie Al-hisār (« le siège », 1988), elle narre le siège de Beyrouth en 1982 et adresse une poignante Jawab akhir l’ibni (« dernière lettre à mon fils »), sous forme de poème dans lequel elle le presse de s’engager dans la résistance armée.

Dina HESHMAT

SAYERS, Dorothy L. (Dorothy LEIGH) [OXFORD 1893 - WITHAM 1957]

Romancière, dramaturge et essayiste britannique.

Dorothy Leigh Sayers apprend le latin à 6 ans, entre au pensionnat de Salisbury en 1909 et, trois ans plus tard, commence des études de langues et de littérature médiévale à Oxford. Après quelques liaisons tumultueuses, elle se marie en 1926 avec un journaliste écossais, le capitaine « Mac » Fleming. Généralement considérée comme une grande dame du roman policier, elle surprend par la stupéfiante variété de ses œuvres. En 1916, elle publie un livre de poèmes, travaille chez l’éditeur Blackwells puis dans une agence de publicité. En 1923, paraît son premier roman policier, Lord Peter et l’Inconnu, avec le personnage du détective lord Peter Wimsey, qui va animer plusieurs de ses 25 autres romans et ses nombreuses nouvelles. En 1928, elle explore les problèmes des vétérans de la Première Guerre mondiale dans Lord Peter et le Bellona Club et elle milite pour l’instruction des femmes dans Gaudy Night (« tapage nocturne », 1935). Elle invente ensuite le personnage de Montague Egg, qui résout plusieurs énigmes. Mais l’œuvre à laquelle elle reste la plus attachée, c’est sa traduction magistrale de La Divine Comédie de Dante (à partir de 1944), tour de force littéraire qu’elle renouvelle avec la Chanson de Roland. Derrière ce singulier éclectisme, il faut discerner une préoccupation majeure, d’ordre religieux. Croyant intensément dans le caractère sacramentel de toute création et dans la sainte synergie de l’esprit et de la matière, elle voit la création comme une trinité qui résulte de l’Idée (le Père), de l’œuvre (le Fils) et de la puissance de l’œuvre (le Saint-Esprit). Déplorant le fossé entre les gens et la religion, ce qu’elle met en scène dans le drame liturgique sur la figure du docteur Faust (The Devil to Pay, 1936), elle écrit pour tenter de retrouver l’organicité du monde. Bien que catholique, elle se place au-delà des dogmes, croyant dans la valeur sacrée du travail, ce qu’elle explique dans ses 14 essais sur l’écriture et la créativité, et ses cinq volumes de lettres.

Michel REMY

Lord Peter et l’Inconnu (Whose Body ? , 1923), Paris, Librairie des Champs-Élysées, 1939 ; Lord Peter et le Bellona Club (The Unpleasantness at the Bellona Club, 1928), Paris, Librairie des Champs-Élysées, 1935.

REYNOLDS B., Dorothy L. Sayers : Her Life and Soul, New York, St Martin’s Press, 1993.

SAYERS, Peig (née NÍ BHROSNACHAIN) [DUNQUIN 1873 - DINGLE 1958]

Conteuse irlandaise.

Conteuse la plus célèbre d’Irlande, Peig Sayers s’installe après son mariage sur la plus grande des îles Blaskett, alors totalement gaélophones. Analphabète, elle y dicte son répertoire de récits traditionnels à un membre de la commission pour la Conservation du folklore irlandais (Irish Folklore Commission). Surtout célèbre pour son autobiographie, Peig, parue en 1936, qu’elle dicte à son fils, et qui est incluse depuis plusieurs générations dans la liste des lectures obligatoires des programmes de l’enseignement secondaire en Irlande, elle vit sur l’île Blaskett jusqu’à ce que celle-ci soit complètement abandonnée par ses habitants en 1953. Son second ouvrage, Machnamh Seanmhná, est publié en 1939 et traduit par Séamus Ennis sous le titre An Old Woman’s Reflections (« les réflexions d’une vieille dame ») en 1962.

Sylvie MIKOWSKI

Peig, autobiographie d’une grande conteuse d’Irlande (Peig, the Autobiography of Peig Sayers of the Great Blasket Island, 1936), Le Relecq-Kerhuon, An Here, 1999.

BRODERICK M., Wild Irish Women : Extraordinary Lives in Irish Hstory, Dublin, O’Brien Press, 2001.

SAYIGH, Rosemary [BIRMINGHAM 1935]

Anthropologue et historienne britannique.

Journaliste installée à Beyrouth (Liban) à partir de 1953, Rosemary Sayigh est d’abord correspondante pour The Economist, avant de reprendre des études d’anthropologie et de sociologie à l’Université américaine de Beyrouth. Elle apporte une contribution majeure à la recherche sur l’histoire des Palestiniens et tout particulièrement sur les camps de réfugiés. Son travail pionnier, commencé dans les années 1970, est en partie conduit dans la tourmente de la guerre civile libanaise. Alors que le conflit israélo-palestinien et le mouvement national occupent toute l’attention, elle est la première à se saisir des outils de l’histoire orale et de l’anthropologie pour retracer l’histoire sociale des absents, de ceux qui, après avoir quitté la Palestine en 1948 ou en 1967, n’ont pu s’installer ailleurs que dans les camps. À partir de leurs récits et de leurs pratiques, elle construit une histoire vue d’en bas, publiant en 1979 Palestinians : From Peasants to Revolutionaries, A people’s History, puis Too Many Ennemies : The Palestinian Experience in Lebanon (1993). Ses recherches centrées sur l’exil des Palestiniens dans les camps du Liban montrent les enjeux de classe puis de genre dans les événements et l’écriture de l’histoire. Préoccupée par les questions de mémoire et d’identité, par les vécus quotidiens du politique et les récits nationaux de Palestiniens restés sans voix, elle a longuement travaillé sur l’histoire des femmes dans les camps et sur leurs narrations de l’exil. Sa thèse, « Palestinian Camp Women’s Narratives of Exile : Self, Gender, National Crisis », soutenue en 1994 à l’université de Hull, ainsi que nombre de ses articles, portent sur ce thème. Historienne engagée, R. Sayigh n’a cessé d’interroger éthiquement et politiquement sa pratique historienne, sensible à la fois aux rapports de pouvoir et de domination entre le Nord et le Sud dans les travaux féministes et sur le genre, aux interactions entre le chercheur et les enquêtés et aux implications politiques de l’histoire orale dans le contexte d’un conflit non résolu.

Stéphanie LATTE ABDALLAH

SAYYDA MANNŪBIYYA ĀISHA AL-MANNŪBIYYA, dite) [LA MANOUBA 1192 - TUNIS 1267]

Sainte musulmane.

La plupart des femmes saintes au Maghreb sont géographiquement très localisées. Certaines, cependant, comme ʻĀisha al-Mannūbiyya, dite Sayyda Mannūbiyya, jouissaient d’une renommée hors du commun dans la Tunisie du XIIIe siècle. Néanmoins, il est très difficile de reconstruire un profil biographique historique vraisemblable de cette femme qui, aujourd’hui encore, est objet de dévotion populaire. Son hagiographie la fait naître en 1192 à La Manouba, petit village près de Tunis. Elle allait tous les jours à la ville pour y étudier auprès de Sidi Abu al-Hassan al-Shādhuli, grand mystique et fondateur de la confrérie (tariqa) Shādhiliyya au XIIIe siècle. Les historiens médiévistes contestent cette relation directe de maître à disciple, expliquant que leurs dates ne correspondent pas. Entre mythe et réalité, cette « ravie » en Dieu (majdhūba) est également considérée comme une lettrée. Bien que la littérature coloniale ait recensé un grand nombre de saintes au Maghreb, les études qui leurs sont consacrées sont assez rares, tout comme leur mention dans les recueils biographiques de saints. Quand elles sont évoquées, c’est en tant que filles ou femmes de saint, mais rarement pour leurs qualités propres, même si, selon le discours général, elles partagent les mêmes vertus que leurs homologues masculins. De même, le discours savant en islam assure n’établir aucune différence entre un homme saint et une femme sainte, car leurs dons et leurs mérites sont en tous points semblables. En dépit de cette affirmation, les différences abondent. Wāli-s et wāliya-s (« saint » et « sainte ») au Maghreb diffèrent principalement sur l’usage de l’espace et l’ancrage dans la famille. En ce qui concerne le premier point, les saintes, au Maghreb, occupent souvent des espaces réduits, et sont pratiquement mises à l’écart de la société. Sayyda Nejia, également sainte de Tunis est à cet égard exemplaire. Vers l’âge de 10 ans, après une visite au sanctuaire de Sayyda Mannūbiyya, au cours de laquelle elle reçut son nom de la bouche même de la grande sainte, elle ne quitta plus la maison de son père, et ce jusqu’à sa mort. En revanche, Sayyda Mannūbiyya, elle, arpentait Tunis, les beaux quartiers comme les bas-fonds de la ville, les grandes mosquées et les lieux d’études, à la recherche de savoir religieux et de disciples. Pour ce qui est de l’ancrage dans la famille, la plupart des hommes saints se marient et ont des enfants. En ce qui concerne les femmes saintes, il y a deux catégories : soit elles assument leurs rôles féminins de mères et d’épouses, éduquent, instruisent et guident, soit elles refusent ces rôles et entament à travers l’ascèse ou la mystique un processus de « déféminisation ». Le refus du mariage apparaît comme un élément classique de la « fabrication » d’une sainte musulmane. C’est le cas de Sayyda Mannūbiyya. D’après son hagiographie, elle est restée vierge et ne s’est jamais mariée. Selon la tradition orale, en revanche, elle aurait été mariée à son cousin, qu’elle aurait tué immédiatement d’une flèche ; ou encore elle se serait mariée avec lui mais l’aurait rendu fou, ou impuissant ; ou enfin elle l’aurait transformé en femme, dans un désir permanent de chasteté. Ce refus du mariage est partagé par Rābiʻa al-ʻAdawiyya*, autre grande sainte musulmane de Basra au VIIIe siècle. L’insistance avec laquelle l’histoire de Rābiʻa al-ʻAdawiyya souligne les multiples propositions de mariage qui lui ont été faites, tout comme la place centrale du refus de Sayyda Mannūbiyya, indiquent qu’il est essentiel de savoir que ces femmes étaient désirables en tant qu’épouses. L’important n’est pas tant d’être célibataire que d’avoir refusé le mariage. Ce refus est une des conditions du statut de sainte. Par cet acte, elles s’opposent radicalement à la société qui perçoit le célibat et la chasteté comme une source de marginalité et non comme une vertu. Selon ce schéma Sayyda Mannūbiyya, qui a refusé une vie maritale et donc familiale, devrait revêtir des caractéristiques « viriles ». Pourtant, cette « virilité » ne porte absolument pas, contrairement aux autres saintes, sur son apparence physique. Les textes et les légendes la dépeignent en effet comme « sur-féminisée », d’une beauté renversante, qui éblouit les saints et séduit les hommes. En revanche, le miracle qui la consacre sainte, régulièrement réactivé par des chants lors des rituels bi-hebdomadaires, est l’archétype d’un miracle masculin : elle ramène un taureau à la vie après en avoir cuisiné la viande et l’avoir distribuée aux villageois. La place remarquable de Sayyda Mannūbiyya dans le paysage religieux tunisois actuel tient sans doute au fait qu’elle est la seule sainte (de Tunis) à avoir suivi un enseignement savant de la part d’un homme et à avoir eu des disciples masculins. Au niveau des rituels, elle est la seule aussi qui soit présente dans plusieurs lieux de culte, vénérée par des hommes et des femmes qui s’approprient son espace et sa baraka de manières différentes. Cette sainte ne laissa aucun écrit et ne fonda pas de nouvelle branche de confrérie soufie, contrairement aux wāli-s, hommes de grand prestige. En revanche, bien qu’il soit presque impossible de démêler légende et réalité historique, elle demeure à l’heure actuelle une figure importante, ne serait-ce que parce que s’est développé, autour de l’imaginaire de Sayyda Mannūbiyya, un discours sur la sainteté au féminin dans l’islam au Maghreb.

Katia BOISSEVAIN

AMRI N., La Sainte de Tunis. Présentation et traduction de l’hagiographie de ‛Âisha al-Mannûbiyya, Arles, Actes Sud, 2008 ; BOISSEVAIN K., Sainte parmi les saints, Sayyda Mannûbiyya ou les recompositions cultuelles dans la Tunisie contemporaine, Tunis/Paris, Institut de recherche sur le Maghreb contemporain, 2006.

SAZ, Leylâ VOIR LEYLÂ, Hanim

SAZDOVA, Vinka [STREZOVCE, SERBIE 1956]

Journaliste et éditrice macédonienne.

Au cours de ses études de philosophie à l’université Saints-Cyrille-et-Méthode de Skopje, Vinka Sazdova se spécialise en psychologie. Elle travaille comme journaliste pour le quotidien Večer, puis dirige la rubrique culturelle de Republika, le premier journal indépendant de Macédoine, tout en publiant des essais et des chroniques. Dès 1992, elle s’intéresse à l’édition. D’abord collaboratrice de Kultura, elle devient directrice et rédactrice en chef des éditions Zumpres. En six ans, elle publie plus de 300 ouvrages (littérature, philosophie, psychologie). Pour stimuler la création littéraire dans son pays, V. Sazdova instaure un concours du roman de l’année. En 1999, elle crée sa propre maison d’édition, TRI, qui deviendra l’une des plus importantes du pays. Elle ouvre une librairie Internet. En 2005, elle inaugure le premier café-librairie de Macédoine. En dix ans, les ouvrages de sa maison d’édition ont obtenu une vingtaine de prix littéraires. V. Sazdova consacre une place importante à la littérature étrangère. Paulo Coelho, Paul Auster, Gabriel García Márquez, Marguerite Duras*, Stephenie Meyer, Leonard Cohen, Atiq Rahimi, entre autres, font partie de son catalogue. Elle représente en Macédoine l’un des principaux éditeurs de monographies du monde, Taschen. À l’occasion du 10e anniversaire de TRI, V. Sazdova a publié son premier roman, Posledniot čaj (« la dernière tasse de thé », 2009), traduit en bulgare, en serbe, en croate et en anglais. Elle est également l’auteure du roman Polinja so divi narcisi (« les prés avec des narcisses sauvages », 2011). V. Sazdova a aussi été l’une des animatrices d’une émission consacrée à la femme, diffusée sur la chaîne de télévision A1. Elle est, écrit une journaliste dans la revue Globus, « la preuve vivante qu’on peut vivre du livre », à quoi Vinka ajoute : «… et aussi pour le livre. »

Maria BÉJANOVSKA

Club 360, [s. l.], sept. 2008 ; Globus, Skopje, 6 janv. 2009 ; Tea Moderna, Skopje, 18 mars 2008.

SCALERO, Liliana [MAZZÈ, PROVINCE DE TURIN 1895 - ROME 1976]

Écrivaine italienne.

Traductrice d’auteurs anglais et allemands – Goethe, Schiller, Nietzsche – et critique littéraire et musicale pour différents magazines, Liliana Scalero a publié en 1958 son premier roman, Sulle barricate (« sur les barricades »), un livre sur la Résistance contre le nazisme et le fascisme dans le Piémont. Elle a ensuite publié deux recueils de nouvelles situées à Rome, Una trilogia (1959) et La Ruinette (1962). Outre sa production narrative, elle est l’auteure de recueils de poèmes : Il cimitero degli Inglesi (« le cimetière des Anglais », 1949) ; I canti di oggi e di ieri (« les chants d’hier et d’aujourd’hui », 1950) ; A mezza costa (« à mi-côte », 1955) ; Muse di Buchenwald (« la muse de Buchenwald », 1961) ; Cosmogonie (« cosmogonies », 1966). Elle a aussi écrit une étude biographique sur la figure de l’historien et religieux Ernesto Buonaiuti, Colui che vaga laggiù (« celui qui erre là en bas », 1970).

Francesco GNERRE

SCANDINAVIE – PEINTURE [XIXe siècle]

La peinture scandinave a longtemps fait partie des belles inconnues de l’histoire de l’art. Des expositions et des études récentes mettent heureusement à jour ses qualités et sa richesse, accordant du crédit à certaines de ses femmes artistes. Les oubliées demeurent toutefois trop nombreuses : la Suédoise Eva Bonnier (1857-1909), la Danoise Johanne Krebs (1848-1924), les Finlandaises Amélie Lundahl (1850-1914), Helena Westermarck (1857-1938) et Elin Danielson-Gambogi (1861-1919), la Norvégienne Andrea Gram (1853-1927), pour ne citer qu’un petit nombre d’entre elles, brillent encore par leur absence dans des ouvrages de références.

Un enseignement artistique encore difficile d’accès

À la fin du XIXe siècle, les femmes artistes des pays nordiques sont considérées comme des femmes libres et libérées, par comparaison avec leurs contemporaines des autres pays européens. Si cette réputation contient un fond de vérité, elle n’en est pas moins très exagérée, car beaucoup rencontrent toujours des difficultés dans un monde jusque-là très masculin. La Danoise Bertha Wegmann* se plaint ouvertement du machisme de l’un de ses premiers professeurs, Frederik Christian Lund, et choisit de poursuivre ses études à Munich afin d’échapper à sa tyrannie. Les cours de dessin et de peinture admettant les femmes se révèlent par ailleurs très rares et surtout privés, car les académies officielles n’ouvrent leurs portes aux femmes que très progressivement et de façon inégale selon les pays. Les artistes finlandaises sont les plus chanceuses : la Société des beaux-arts, fondée en 1846, refuse en effet dès le départ toute ségrégation entre les sexes. En 1847, lors de sa première exposition, un tiers de ses participants sont des femmes. À partir de 1874, A. Lundahl y est la première professeure, fonction qu’exerceront également Helene Schjerfbeck* et Maria Wiik*. En revanche, l’Académie des beaux-arts de Stockholm n’ouvre une section aux femmes qu’en 1864, celle de Copenhague en 1888, tandis que l’Académie norvégienne, bonne dernière dans l’officialisation de l’enseignement artistique, ne crée cette section qu’en 1909. Cette situation compliquée oblige donc longtemps les femmes à opter pour l’enseignement privé, et celles qui tiennent à poursuivre une voie artistique officielle partent étudier à l’étranger. L’Allemagne constitue alors le premier pôle d’attraction des Scandinaves, tant Munich que Düsseldorf et Karlsruhe, jusqu’à ce que la magie de Paris les attire, leur transmettant – ainsi qu’à leurs collègues masculins – le goût impressionniste pour la peinture de plein air, la lumière chaleureuse, concurremment aux principes naturalistes qui sont alors enseignés dans de nombreux cours ouverts aux deux sexes. Les académies Colarossi et Julian, l’école de Madame Trélat de Vigny (où corrigent Jean Léon Gérôme, Léon Bonnat, Jules Bastien-Lepage) et quelques autres forment de très nombreuses artistes d’Europe du Nord à la fin du XIXe siècle. On compte dans les années 1880 environ 150 de ces femmes peintres à Paris. Beaucoup d’entre elles se rendent régulièrement en Bretagne et en Normandie, ainsi qu’à Grez-sur-Loing (en Seine-et-Marne) où se constitue pendant quelques années une colonie d’artistes étrangers à dominante scandinave. Ainsi se rencontrent et se marient Karin Bergöö (1859-1928) et Carl Larsson, établis à Grez-sur-Loing de 1882 à 1885.

Une peinture aux traits nationaux

Au bout de quelques années, la majorité des femmes artistes scandinaves retournent généralement vivre dans leur pays d’origine, mettant en pratique leurs acquis français. Au-delà de l’expérience et de la personnalité de chacune, les scènes d’intérieur intimistes danoises, les paysages tourmentés de la Finlande ou les portraits bourgeois de la Norvégienne Asta Nørregaard (1853-1933) évoquent communément les traits nationaux qui construisent leurs sociétés. En effet, le fort mouvement d’industrialisation de ces pays et les bouleversements géopolitiques qu’ils connaissent alors, notamment au Danemark, ainsi que l’importance croissante de la classe moyenne bourgeoise contribuent à exacerber des tendances nationales déjà fortes et engendrent chez leurs habitants le besoin vital de renforcer leurs liens avec la nature et leur foyer. La maison devient un refuge chaleureux et protecteur, où doivent régner la paix et l’harmonie. C’est pourquoi les scènes d’intérieur se multiplient, reflétant tout à la fois l’importance nouvelle de la vie domestique et familiale, et la peur que suscite parfois le monde extérieur. Du bien-être qui caractérise l’atmosphère de ces intérieurs émane souvent une mélancolie « positive », comme dans le tableau lumineux de E. Danielson-Gambogi Päättynyt aamiainen (« après le petit déjeuner », 1890) ou celui de J. Krebs lorsqu’elle représente une jeune femme assise de dos dans un intérieur aux couleurs austères, Interiør med Anna Koefoed (« intérieur avec Anna Koefoed », non daté). Solitude et contemplation ne sont pas perçues en Scandinavie comme des attitudes négatives mais, tout au contraire, sont constitutives du sentiment harmonieux que chacun doit éprouver dans son environnement quotidien.

En 2002, l’exposition Women Painters in Scandinavia, 1880-1900 (« femmes peintres en Scandinavie, 1880-1900 ») renouvelle l’intérêt jusque-là accordé à leur travail. Leurs peintures résultent souvent de regards croisés : des femmes peignant d’autres femmes ou des hommes, parfois artistes comme elles. Que ce soit M. Wiik représentant sa sœur Hilda (Hilda Wiik, 1881), Kitty Lange Kielland* peignant sa compatriote Harriett Backer* dans son atelier (1883) ou Anna Ancher* son mari Michael prenant son petit-déjeuner avant d’aller chasser (1903), toutes s’attachent à la traduction d’un rapport humain, d’un instant de vie, avec une intensité qui leur est propre.

Comment ces femmes peintres, dont l’œuvre surprend par le nombre et la qualité, sont-elles parvenues à s’imposer dans le monde de l’art malgré les difficultés pratiques et les tabous sociaux qui entravaient leurs carrières ? Les réponses sont bien évidemment multiples. Si certaines femmes renoncent à peindre une fois mariées, d’autres comme Hanna Pauli*, A. Ancher ou Oda Krohg (1860-1935) puisent au contraire leur force créatrice dans leur relation avec leur conjoint, qui les encourage à poursuivre la voie qu’elles ont choisie. D’autre part, il faut souligner l’importance des colonies d’artistes (Fleskum en Norvège, Skagen au Danemark ou même Grez-sur-Loing en France), qui sont des lieux d’échanges, notamment intellectuels, certainement plus ouverts que les institutions officielles, et où les artistes peuvent expérimenter librement de nouvelles façons de peindre. Enfin, la volonté d’émancipation qui caractérise ces peintres scandinaves n’est possible que grâce à l’évolution plus générale de la place de la femme dans leurs sociétés. Elles s’approprient de nouveaux domaines afin de maîtriser leurs conditions de vie. C’est la raison pour laquelle leurs œuvres, symptomatiques d’une époque, trouvent enfin leur place dans l’histoire de l’art.

Guénola STORK

SCARPA, Afra (née BIANCHIN) [MONTEBELLUNA, ITALIE 1937]

Designer et architecte italienne.

Diplômée de la faculté d’architecture de Venise en 1969, Afra Bianchin y rencontre son futur époux, Tobia Scarpa. En 1958, ils commencent ensemble chez Venini, à Murano. Elle cessera cette activité en 1960, quand ils ouvrent leur studio à Montebelluna. Gavina est leur premier éditeur, avec le divan Bastiano, puis le lit métallique Vanessa. Plusieurs de leurs productions marquent l’histoire du design italien, comme la lampe Biagio en 1968 (bloc de marbre blanc poli à la main) ou la lampe Papillona en 1977 (une des premières à utiliser l’halogène). Le fauteuil Soriana (en cuir plissé et tendu grâce à l’armature de métal externe), édité par Cassina, remporte le Compasso d’Oro en 1970. Soriana et le fauteuil Ciprea (en mousse polyuréthane et ABS), créé en collaboration avec Gio Ponti en 1968, sont montrés à l’exposition Italy : The New Domestic Landscape en 1972 au MoMA de New York. Cassina édite aussi le siège Modell 917 en 1963 ainsi que l’assise 925 en 1966, qui figure toujours à l’exposition permanente du MoMA. Ils remportent de nouveau le Compasso d’Oro en 1989, pour un service à thé édité par San Lorenzo. Ils sont notamment édités par B&B (divan Coronado, 1966 ; siège Bonanza, 1970 ; table Piediferro, 1986) ; Knoll International (fauteuil Bastiano, 1969) ; Molteni (lit Manor et étagère Marly, 1986 ; table Moka, 1991) ou Maxalto (lit 8640 et bureau Salomone, 1985). Ils commencent leur activité en tant que designers mais s’illustrent par la suite en tant qu’architectes et architectes d’intérieur. Ils conçoivent la maison Scarpa à Trevignano (1969) ; la maison Benetton à Padermo (1966) ; C&B Italia (1968), et l’usine Villorba à Trévise (1993). Ils sont à l’origine de l’image des magasins Benetton en Europe et en Amérique, et conceptualisent les showrooms Unifor dans le monde entier. Le couple travaille avec des matériaux naturels et traditionnels pour créer des objets contemporains d’une grande rigueur, mais accueillants et sensuels. La préoccupation écologique est présente dans leurs projets depuis toujours.

Marguerite DAVAULT

SCÉNARISTES – CINÉMA [France XXe-XXIe siècle]

Qu’une femme, Alice Guy-Blaché*, ait été la première scénariste de l’histoire du cinéma, ne fait pas de ce métier un emploi féminin. Cependant, dès le muet et le début du parlant, elles sont présentes : Marie Epstein* est scénariste et réalisatrice, mais signe avec un homme, gage de débouchés pour le film ; Germaine Dulac* est à la fois scénariste, réalisatrice et productrice, et met en scène les scénarios d’Irène Hillel-Erlanger (1878-1922). Elles sont actrices comme Suzanne Devoyod (1866-1954), Musidora*, Marie-Louise Iribe (1894-1934) ou écrivaines comme Colette*. Dans les années 1930, émergent les noms d’Anne Mauclair, Solange Térac (1907-1993) et Marguerite Viel (1894-1976). Après 1968, les femmes prennent pied dans le cinéma puis la télévision ; le Festival du Film de femmes, créé en 1979, leur donne une visibilité. En l’absence de statistiques sur leur place dans les métiers de l’audiovisuel, les palmarès des César permettent de compter 16 femmes sur plus de 200 scénaristes sélectionnés ou récompensés. Le dictionnaire des scénaristes, publié par Cinémaction en 1991, recense 197 femmes sur 1 200 noms, chiffres révélateurs. C’est rarement un emploi à plein temps. Il y a des exceptions, comme Natalie Carter, Élisabeth Rappeneau ou Annette Wademant (1928), mais nombre d’entre elles sont également réalisatrices, comme Nina Companeez*, Suzanne Schiffman (1929-2001) et Agnès Varda*. Ou actrices et réalisatrices : Josiane Balasko*, Catherine Breillat*, Nicole Garcia*, Agnès Jaoui*, Tonie Marshall* ou Coline Serreau*. Sans oublier des écrivaines, telles Marguerite Duras* ou Françoise Sagan*, et même des journalistes, telles Françoise Giroud* ou France Roche*.

Noëlle GIRET

SCHAÁR, Erzsébet [BUDAPEST 1908 - ID. 1975]

Sculptrice hongroise.

Après ses études, Erzsébet Schaár commence à exposer à partir de 1926 et obtient le prix Szinyei des jeunes artistes en 1932 (elle recevra aussi, en 1962, le prix Munkácsy). Elle œuvre surtout à Budapest, où sa rivalité avec son mari le sculpteur Tibor Vilt est source de conflits. Ses débuts sont marqués par un style réaliste (Ma mère, 1925) qui évolue vite vers une expression minimaliste où les caractères s’incarnent à l’aide de très peu de signes : elle surmonte, par exemple, des piliers en polystyrène de la hauteur d’un homme de masques mortuaires représentant pour la plupart des visages de femmes. Durant les années 1947-1950, elle travaille la terre cuite et le bois en préparant des reliefs. Dans les années 1960, elle s’oriente vers des formes longilignes qui s’apparentent à celles de Giacometti (Chœur, 1963 ; Soldats morts, 1965). Si elle prend essentiellement des gens ordinaires comme sujets, elle réalise aussi des portraits de célébrités. Dans les années 1970, elle crée des « espaces-boîtes », dispositifs impliquant la participation du spectateur : ainsi « l’espace lyrique », selon l’historien de l’art László Beke, devient plus important que les figures elles-mêmes. Elle utilise souvent des détails, qu’elle agrandit (Portes, 1967) ; le mur jouera bientôt un rôle primordial (Devant et derrière le mur, 1968). Son œuvre principale, La Rue (1974), synthèse de toutes ses expériences antérieures, peut être vue comme un monument tombal vivant. Plusieurs de ses portraits se trouvent dans des espaces publics ; d’autres, comme La Rue, sont conservées dans des collections publiques.

Judit FALUDY

KOVACS P., KOVALOVSZKY M., Schaár Erzsébet (catalogue), Budapest, N & N Galéria, 2003 ; KOVALOVSZKY M., « Translucent Space », in ID., CSORBA G., Erzsébet Schaár, Ungheria. XL Biennale di Venezia (catalogue d’exposition), Budapest, Miskolc Ungheria, 1982.

KÖRNER É., « In search of a synthesis, the sculpture of Erzsébet Schaár », in New Hungarian Quarterly, no 25, 1967 ; NAGY I., « Contemporary hungarian art in Székesfehérvár and Florence », in New Hungarian Quarterly, no 77, 1980.

SCHAEFFER, Jacqueline [XXe siècle]

Psychanalyste française.

Membre titulaire de la Société psychanalytique de Paris, formatrice en psychanalyse de l’adulte, de l’enfant et de l’adolescent à l’hôpital Sainte-Anne (Paris), Jacqueline Schaeffer a obtenu le prix Maurice-Bouvet en 1986. Elle a codirigé la collection « Débats de psychanalyse » aux Presses universitaires de France, notamment Clés pour le féminin (1999) et Devenir psychanalyste ? (2001). Son livre sur la sexualité féminine, Le Refus du féminin (1997), constitue son œuvre majeure : à la différence du « féminin maternel », périodique et temporel, le « féminin érotique » est marqué par l’intemporalité et « la poussée constante de la libido », l’antagonisme de ces deux versants pouvant donner lieu à une série de crises tout au long de la vie d’une femme, que J. Schaeffer parcourt, du bébé fille à la ménopause, en passant par le syndrome du nid vide. Contrairement au pessimisme de Sigmund Freud qui considérait « le refus du féminin » – tant sous l’aspect de l’envie du pénis pour la femme que du refus de la passivation homosexuelle pour l’homme – comme un roc indépassable, J. Schaeffer envisage un dépassement des défenses du moi et une libération de la jouissance génitale. Le féminin, qu’elle différencie de la féminité, est la capacité de la femme à admettre en elle une grande quantité d’excitation libidinale du fait de son vécu corporel et de sa sexualité spécifique qui la soumettent constamment à la poussée pulsionnelle (règles, défloration, grossesse, ménopause…). Alors que la féminité n’est qu’une posture de façade dont l’enjeu est de rassurer l’angoisse de castration des hommes, pour accéder au féminin, la femme doit s’ouvrir à la poussée pulsionnelle en acceptant le risque de l’effraction. Si une organisation phallique est un passage obligé pour les deux sexes, c’est parce qu’elle a dû constituer une tactique défensive face à la différence des sexes à l’époque œdipienne. Or, exalter la différence des sexes permet l’accès à la jouissance, car c’est là la condition pour que le couple féminin-masculin puisse se construire dans une création réciproque. C’est la raison pour laquelle reconnaître le féminin en soi et en l’autre constitue un enjeu décisif.

Catherine DURIEUX BENASSEM

SCHAEWEN, Deidi VON [BERLIN 1941]

Photographe allemande.

Vivant et travaillant à Paris, l’artiste Deidi von Schaewen a d’abord réalisé des films, comme le court-métrage Roland Roure (1982) avant de se consacrer au médium photographique, découvert à l’école des beaux-arts de Berlin et dont le « surgissement magique des images qui naissent dans le noir » la fascine. Attachée à la notion d’éphémère, elle commence un travail de catalogage visant à recenser les traces de la réalité. Ses photographies objectives, frontales se composent d’échafaudages, de murs, de caniveaux, de trottoirs et de quelques silhouettes. S’éloignant de ses premières recherches, l’artiste exhibe dorénavant, avec un souci constant d’objectivité, des éléments de l’architecture, du paysage et des villes du monde entier. Elle photographie ainsi les bâtiments d’architectes contemporains comme Tadao Ando ou Jean Nouvel. Pour révéler ce qu’elle perçoit, D. von Schaewen renoue avec l’approche de l’art minimal et avec l’esthétique frontale et industrielle de Bernd et Hilla Becher*. Toujours inspirée par son environnement, ses œuvres composées sous forme de séries révèlent aussi son autre obsession, celle des traces de l’éphémère qui s’inscrivent, sous différentes formes, dans les villes modernes. Elles témoignent de ce qui apparaît comme la nouvelle esthétique quotidienne : les murs à partir de 1961, les échafaudages en 1966 ou les trottoirs dès 1977 jusqu’aux plus récentes de voitures bâchées ou de tours indiennes, deviennent l’objet même de ses recherches plastiques. Pour son ouvrage Inside Africa (2003), l’artiste crée un lien entre son intérêt pour l’architecture et celui pour l’éphémère en s’intéressant à une autre forme d’habitat. Ses séries montrent la précarité du logement urbain et des cabanes de certaines régions d’Afrique, construites tel un patchwork coloré d’éléments du quotidien.

Maïa KANTOR

Échafaudages, Structures éphémères, Paris, Hazan, 1991 ; Inside Africa, Cologne, Taschen, 2003 ; Maisons du monde, Styles, ambiances et métissage, Genève/Paris, Aubanel, 2008.

SCHALEK, Alice Therese Emma (ou Paul MICHAELY) [VIENNE 1874 - NEW YORK 1956]

Journaliste, photographe et reporter de guerre autrichienne.

Issue d’une famille de la grande bourgeoisie, Alice Schalek fréquente un lycée privé pour jeunes filles de Vienne et apprend plusieurs langues étrangères. En 1902, elle publie un premier roman, sous le pseudonyme de Paul Michaely. L’année suivante, elle débute comme journaliste dans les pages culturelles de la Neue Freie Presse (« la nouvelle presse libre »), pour laquelle elle travaillera plus de trente ans. Passionnée par les voyages, elle se rend en Norvège et en Suède en 1903, puis parcourt l’Algérie et la Tunisie, l’Inde, l’Asie orientale. En 1913, elle entreprend un tour du monde, réalise un nombre impressionnant de photographies et rédige des comptes-rendus de voyages qui paraissent d’abord dans la Neue Freie Presse, puis sous forme de livre. Première femme admise au club de la presse Concordia, elle devient membre du comité directeur de l’Association des écrivaines et artistes et du Pen Club. En 1915, elle obtient l’autorisation de devenir reporter de guerre et est accréditée auprès des services de presse de l’Armée impériale autrichienne. Elle rend compte des combats dans les Dolomites, dans les Balkans et surtout sur le front d’Isonzo, en Italie. Ses reportages aux accents très patriotiques, publiés dans Tirol in Waffen, Kriegsberichte von der Tiroler Front (« le Tyrol en armes, correspondance de guerre depuis le front du Tyrol », 1915) font l’objet de critiques acerbes de la part de l’écrivain satirique Karl Kraus, qui lui reproche de magnifier la guerre. Décorée de la Croix d’or du mérite pour « bravoure » en 1917, A. Schalek met fin à ses activités de reporter de guerre. En 1923, elle reprend ses voyages à travers le monde, réalisant environ 6 000 photographies à partir desquelles elle publie des reportages à son retour en Autriche. À la fin des années 1920, elle semble avoir des sympathies pour l’Union soviétique et justifie la politique de dékoulakisation. En 1930, elle publie Der grosse Tag (« le grand jour »), édité à Moscou. En 1939, elle est arrêtée par la Gestapo qui l’accuse de diffuser des mensonges contre le régime, mais est libérée et s’enfuit en Suisse, à Londres, puis aux États-Unis.

Paul PASTEUR

SCHAPIRO, Mary [NEW YORK 1955]

Juriste financière américaine, présidente d’organismes de régulation financière.

Docteure en droit, Mary Schapiro a fait toute sa carrière dans les institutions de régulation financière. De 1988 à 1993, elle est commissaire à la Securities and Exchange Commission (Sec) au titre des sièges démocrates, et sera reconduite dans ses fonctions par les présidents suivants. La Sec est un organisme fédéral créé en 1934 pour réglementer et contrôler les marchés, à la suite du krach boursier de 1929. En 1994, M. Schapiro préside la Commodity Futures Trading Commission, agence chargée de la régulation des bourses des matières premières. Elle rejoint en 1996 un autre office et sera à l’origine de la création en 2006 de la nouvelle Financial Industry Regulatory Authority, agence d’autorégulation du marché des valeurs mobilières. En 2008, elle est nommée présidente de la Sec par l’administration Obama, au moment où la crise des subprimes se transforme en crise financière. Première femme à ce poste, il lui incombe de stopper la déréglementation financière initiée au début des années 1980 et de mettre en œuvre la loi Dodd-Frank, malgré les pressions du monde de la finance. Votée en 2010, cette loi accroît le contrôle du système financier et les pouvoirs de la Sec pour combattre les délits d’initiés et réduire la probabilité de krach boursier. Sous le mandat de M. Schapiro, – qui démissionne en décembre 2012 –, le tiers des 400 mesures prévues pour limiter la spéculation bancaire et restaurer la confiance envers la finance sont entrées en vigueur.

Jacqueline PICOT