OATES, Joyce Carol [LOCKPORT, NEW YORK 1938]

Écrivaine américaine.

Véritable chroniqueuse de la classe moyenne américaine, Joyce Carol Oates brille par sa production foisonnante faite de dizaines de romans, de centaines de nouvelles, de recueils de poésie, d’essais, de pièces de théâtre, de critiques littéraires et de livres pour enfants et adolescents. Par son œuvre très variée, occupant un large champ esthétique, elle a pour but d’explorer et de transcrire les mystères de la vie. Fréquemment critiquée pour la violence que contiennent ses récits, elle se justifie en expliquant qu’elle aborde le monde tel qu’il est et qu’elle s’intéresse aux réactions de ses personnages face à la violence plutôt qu’à la violence gratuite. J. C. Oates passe son enfance dans un environnement rural, dans l’État de New York, lieu qu’elle met souvent en scène dans ses textes, avec notamment le fictif Eden County de ses premiers récits ou la région de Chautauqua dans des œuvres ultérieures. Enfant, avant même de savoir écrire, elle imagine des histoires à partir de ce qui l’entoure. Plus tard, sa passion pour l’écriture n’a d’égal que son enthousiasme pour la lecture. Parmi ses maîtres littéraires, elle cite souvent Joyce, Faulkner et Hemingway, dans les œuvres desquels elle puise certaines idées. Elle dit avoir rédigé des milliers de pages de notes et ne pense jamais être à court d’idées. Bien qu’aujourd’hui sa réputation repose principalement sur ses romans, c’est avec ses nouvelles qu’elle se fait d’abord remarquer. Étudiante à l’université de Syracuse, elle voit son récit « In The Old World » (« dans le vieux monde ») remporter le prix du magazine Mademoiselle, qui le publie en août 1959. Puis la lecture de La Maison de la rue du Colisée (1961), de Shirley Ann Grau*, lui inspire son premier roman – elle n’a pas aimé le livre et pense pouvoir faire mieux. Ainsi paraît, en 1964, With Shuddering Fall (« une chute frémissante »), dont l’accueil est mitigé. Pour Eux (1969), elle s’inspire de ses expériences à Detroit et reçoit le National Book Award en 1970. Elle utilise parfois des faits divers, comme l’incident de Chappaquiddick dans Reflets en eau trouble (1992) ou le meurtre de la petite JonBenét Ramsey dans Petite sœur, mon amour (2008). Dans Blonde (2000), qui est cependant une œuvre de fiction, elle essaie de capter la vérité spirituelle et poétique de Marilyn Monroe*. Manifestant une fine connaissance du canon littéraire, elle réécrit également des textes classiques à plusieurs reprises, d’auteurs tels que Poe, James, Joyce ou encore Kafka. Elle s’essaie à divers genres, comme le gothique dans Bellefleur (1980) ou le policier dans Les Mystères de Winterthurn (1984). Enfin, elle publie des romans noirs autour de la thématique du double sous les pseudonymes de Rosamond Smith et Lauren Kelly. Écrivaine mais également professeure, J. C. Oates habite à Princeton, dans le New Jersey, à partir de 1978 et dispense des cours de création littéraire dans la prestigieuse université.

Tanya TROMBLE

Eux (Them, 1969), Paris, Points, 2008 ; Bellefleur (Bellefleur, 1980), Paris, Stock, 2009 ; Les Mystères de Winterthurn (Mysteries of Winterthurn, 1984), Paris, Stock, 2011 ; Reflets en eau trouble (Black Water, 1992), Arles/Montréal, Actes Sud/Leméac, 2001 ; Blonde (Blonde, 2000), Paris, LGF, 2002 ; Petite sœur, mon amour (My Sister, My Love, 2008), Paris, Points, 2011 ; Mudwoman, Paris, Éditions Philipe Rey, 2014.

COLOGNE-BROOKES G., Dark Eyes on America : The Novels of Joyce Carol Oates, Baton Rouge, Louisiana State University Press, 2005 ; JOHNSON G., Invisible Writer : A Biography of Joyce Carol Oates, New York, Dutton, 1998.

OBAMA, Michelle (née ROBINSON) [CHICAGO 1964]

Avocate américaine, « Première dame » des États-Unis.

La famille de Michelle Robinson s’est installée à Chicago pendant la « grande migration » des Afro-Américains vers les villes industrielles du Nord-Est et vit dans la banlieue noire de cette ville très marquée par la ségrégation. Issue d’un milieu modeste, M. Obama a suivi le chemin de l’excellence sans jamais renier ses origines. Elle étudie la sociologie puis le droit dans les universités de Princeton et de Harvard. Durant ses études, elle s’affirme comme militante, par exemple pour l’embauche de professeurs issus des minorités, et travaille bénévolement au bureau d’aide juridique pour étudiants modestes. Ses diplômes obtenus en 1988, elle travaille quelques années comme avocate. Elle fait aussi partie de l’équipe du maire démocrate de la ville, et ses contacts politiques seront précieux pour lancer la candidature de Barack Obama (qu’elle épouse en 1992) au poste de sénateur de l’Illinois en 1996. Elle dirige ensuite le bureau de Chicago de Public Allies, association qui incite les jeunes à s’engager dans le travail social ou dans les emplois publics, puis elle exerce jusqu’en 2009 d’importantes responsabilités à l’université de Chicago. Elle y recrée d’abord le Community Service Center pour développer le bénévolat dans les quartiers défavorisés, puis fonde un service de soins de proximité où des médecins travaillent gratuitement dans les dispensaires qu’elle a contribué à développer. Vice-présidente en 2005 de l’hôpital universitaire, elle y promeut la diversité dans les équipes médicales. C’est en femme noire et démocrate qu’elle participe pleinement aux campagnes présidentielles de 2008 et 2012, puis aux lois de 2010 et 2011 contre l’obésité des enfants et pour la réinsertion professionnelle des anciens combattants et l’accès à l’emploi des épouses de militaires. Première First Lady afro-américaine et consciente de cette responsabilité, elle a donné un modèle positif aux femmes noires de son pays. Compétente, progressiste et très populaire, elle a été désignée en 2011 comme la personnalité préférée des Américains.

Jacqueline PICOT

OBERHOLZER-GINCBURG, Mira ÓDŹ 1884 - NEW YORK 1949]

Médecin et psychanalyste suisse.

Née en Pologne, Mira Gincburg entreprend des études de médecine d’abord à Berne puis à Zurich. Elle les interrompt toutefois pour s’engager dans la révolution socialiste. Adepte du mouvement national pour la Pologne, elle participe, en 1905, aux débuts de la première révolution russe dans le bassin minier de Dabrowa. Ayant obtenu son doctorat de médecine en 1906, elle entre comme assistante à la clinique psychiatrique du Burghölzli où elle renconte le psychiatre Emil Oberholzer, qui deviendra son mari. Résidant à Berlin quelques années, elle devient la première femme membre de l’Association psychanalytique de Berlin, créée en avril 1911. Après la Première Guerre mondiale, son mari et elle pratiquent la psychanalyse à Zurich et font partie des membres fondateurs de la Société suisse de psychanalyse. Avec Sabina Spielrein*, M. Oberholzer-Gincburg sera l’une des premières analystes d’enfants de ce pays. Elle décrit l’analyse d’une jeune fille de 13 ans, souffrant d’une grave anorexie, qu’elle réussit à guérir. En 1938, elle émigre avec son fils et son mari aux États-Unis où elle continue à pratiquer la psychanalyse et devient membre de la Société psychanalytique de New York.

Nicole PETON

OBERLANDER, Cornelia HAHN [MÜLHEIM, ALLEMAGNE 1921]

Paysagiste canadienne.

Née en Allemagne, Cornelia Hahn Oberlander émigre en 1939 avec sa famille aux États-Unis. Bachelière du Smith College en 1944, elle fait partie des premières femmes admises au programme d’architecture du paysage de l’École de design de l’université Harvard. Là, elle travaille sous la direction de Walter Gropius (1883-1969) et découvre les idéaux modernes insistant sur un design simple, une collaboration interdisciplinaire et une responsabilité sociale. Diplômée en 1947, elle travaille avec Louis Kahn (1901-1974) et James Rose (1913-1991) à Philadelphie, Dan Kiley (1912-2004) dans le Vermont. En 1953, après avoir épousé l’architecte et urbaniste Peter Oberlander (1922-2008), elle s’installe à Vancouver où elle ouvre sa propre agence. Dans son œuvre, elle associe sa formation moderniste à une sensibilité à l’environnement, introduisant des éléments naturels dans les paysages urbains. Elle a essentiellement travaillé à Vancouver où elle a été la première à incorporer des toits végétaux, comme dans le Robson Square du Tribunal gouvernemental provincial (1983) et à Library Square (1995). Elle a établi de nouvelles prescriptions pour le recyclage de l’eau, comme dans l’édifice C.K. Choi de l’université de Colombie-Britannique (1995). Elle a également été l’une des premières à prôner l’utilisation de plantes aborigènes, employées au musée d’Anthropologie (1976) et au Northwest Territories Legislative Assembly Building (Yellowknife 1994). Tout au long de sa carrière, elle a conçu des terrains de jeux, dont le Centre d’art des enfants à l’Expo 67 de Montréal (1967) et des aménagements extérieurs pour des ensembles de logements sociaux, tel Holly Park III (Seattle 2005). Elle a collaboré avec des architectes de renom comme Arthur Erickson (1924-2009) pour le Robson Square, Moshe Safdie (1938) pour le musée des Beaux-Arts du Canada (Ottawa 1988) ou Renzo Piano (1937) pour la tour du New York Times (2007). Son travail est internationalement reconnu pour ses réponses novatrices au défi de la durabilité. Elle a reçu de nombreuses distinctions, parmi lesquelles l’Ordre du Canada en 1990 et la médaille de l’Institut royal d’architecture du Canada. Elle est membre de l’Association des architectes paysagistes du Canada et, depuis 2001, membre à vie de la British Colombia Society of Landscape Architects.

WAY THAISA

Avec NADEL I. B., Trees in the City, New York, Pergamon Press, 1977.

GERDES E., MECHTILD M., ROCHON L., Bilder Kanadischer Landschaftsarchitektur. Projekte von Cornelia Hahn Oberlander, Munich, Topos/Callwey, 2006 ; STINSON K., Love Every Leaf. The Life of Landscape Architect Cornelia Hahn Oberlander, Toronto, Tundra Books, 2008.

OBERTYŃSKA, Beata [SKOLE, RÉGION DE LWÓW, AUJ. LVIV 1898 - LONDRES 1980]

Romancière et poétesse polonaise.

Beata Obertyńska est la fille de la poétesse Maryla Wolska*. Ses recueils poétiques, en particulier Pszczoły w słoneczniku (« abeilles dans le tournesol », 1927), O braciach Mroźnych (« les frères Froid », 1930), Głóg przydrożny (« églantier au bord de la route », 1932), Klonowe motyle (« papillons d’érable », 1932), de même que son roman Gitara i tamci (« la guitare et les autres là-bas », 1926), sont composés dans un style impressionniste. Cette tonalité douce et sereine disparaît définitivement après l’expérience des camps soviétiques, où elle est incarcérée durant quatre ans, à partir de 1940. Publié sous le pseudonyme de Marta Rudzka, l’ouvrage dans lequel elle retrace cet épisode, W domu niewoli (« en maison de captivité », 1946), constitue un témoignage bouleversant sur les conditions de vie dans les prisons sibériennes. Exilée à Londres après la Libération, B. Obertyńska n’est pas tout de suite reconnue en Pologne. Durant son exil, elle continue toutefois à publier des recueils poétiques, notamment Ballada o chorym księżycu (« ballade sur la lune malade », 1959), Plebania, której nie było (« le presbytère qui n’a jamais existé », 1971), Miód i piołun (« le miel et l’absinthe », 1972), Anioł w knajpie (« l’ange au bistrot », 1971) ainsi que Perły (« perles », 1980), où les accents martyrologiques se mêlent à ses propres souvenirs de jeunesse, liés au folklore et aux paysages des anciens confins de Pologne d’où elle est originaire.

Maria DELAPERRIÈRE

LIGĘZA W., « Beaty Obertyńskiej świadectwa z domu niewoli », in Kultura niezależna, no 59, 1990.

OBOLENSKY, Chloé (née GEORGAKIS) [ATHÈNES 1942]

Scénographe et costumière grecque.

Épouse du prince Leonod Obolensky, Chloé Obolensky se lie à Lila De Nobili et Yannis Tsaroukis, et débute au théâtre avec le metteur en scène Karel Kuhn pour une adaptation d’une pièce d’Aristophane. Après un passage par Londres, elle étudie à Paris à l’école de la rue Blanche avec Claudie Gastine, Roberto Moscoso et Guy-Claude François. Elle travaille étroitement avec Peter Brook (La Cerisaie de Tchekhov, 1981 ; Le Mahabharata, 1985 ; Oh les beaux jours de Beckett, 1996 ; Ta main dans la mienne de Carol Rocamora, 2003) puis à l’opéra avec Andrei Serban ou Lev Dodine (La Dame de pique de Tchaïkovski, 1999).

Marcel FREYDEFONT

OBOMSAWIN, Alanis [NEW HAMPSHIRE, ÉTATS-UNIS 1932]

Documentariste canadienne.

Initialement chanteuse et conteuse de légendes abénaquises, Alanis Obomsawin, la future première et grande cinéaste autochtone, a grandi dans une réserve non loin de Montréal. Engagée à titre de conseillère en 1967 par l’Office national du film du Canada (ONF) pour un film sur les Amérindiens, elle tourne son premier film, Christmas at Moose Factory, en 1971. À travers des dessins d’enfants commentés par les enfants eux-mêmes, elle dépeint, de façon naïve mais d’autant plus critique, la vie d’un village indien à l’approche de Noël. Elle signera ensuite 18 documentaires à l’ONF. Parmi eux, Richard Cardinal, le cri d’un enfant métis (Richard Cardinal : Cry from a Diary of a Métis Child, 1986) évoque, à partir d’extraits de son journal intime, la courte et tragique existence d’un enfant, arraché à sa famille à 4 ans, qui sera ballotté de foyer d’accueil en maison d’hébergement et finira par se suicider à l’âge de 17 ans ; Kanehsatake, 270 ans de résistance (Kanehsatake 270 Years of Resistance, 1993) relate le conflit qui perdure depuis plusieurs siècles, et a opposé pendant soixante-dix-huit jours, en juillet 1990, la communauté mohawk et les forces armées à Oka, dans la province du Québec. Les questions de l’enfance, des difficultés entre groupes de cultures différentes, du rôle des femmes dans la transmission de ces cultures et des relations mères-filles sont au cœur de son travail de documentariste.

Margaret FULFORD

LEWIS R., Alanis Obomsawin : The Vision of a Native Filmmaker, Lincoln, University of Nebraska Press, 2006.

OBRIEN, Edna [QUINN, COMTÉ DE CLARE 1932]

Romancière irlandaise.

Surnommée « la Colette irlandaise » par Philip Roth et plus célèbre des romancières irlandaises contemporaines, Edna O’Brien est victime de la censure de l’État dès la parution de sa première œuvre, la trilogie romanesque Les Filles de la campagne (1960). Comme son contemporain John McGahern, elle établit un lien entre l’incapacité de ses personnages à s’épanouir et l’arriération morale, culturelle et économique de son pays natal avant le grand tournant des années 1960. Bien qu’elle se soit installée en Angleterre dès 1966, elle continue à suivre les évolutions de la société irlandaise. Ainsi, dans La Maison du splendide isolement (1994), elle s’appuie sur l’histoire vraie d’un terroriste de l’IRA qui trouve refuge, en la prenant en otage, chez une femme vieillissante et malade, situation qui lui permet d’explorer les motivations de l’un comme de l’autre et d’étudier la relation qui se développe entre eux. Tu ne tueras point (1996) romance l’histoire encore vraie d’une jeune fille de 14 ans arrêtée par la police irlandaise alors qu’elle tente de se rendre en Angleterre pour y subir un avortement, grossesse qui est le résultat d’une relation incestueuse avec le père de la jeune protagoniste. Cette façon de s’emparer des aspects les plus sombres de la vie irlandaise lui vaut une attaque en règle à l’occasion de la parution de Dans la forêt (2002), basé sur un horrible crime survenu huit ans auparavant. Grande styliste, elle voue une admiration sans borne à James Joyce, et lui a consacré une biographie (James Joyce : A Biography, 1999). Elle est l’auteure de 20 romans, de huit recueils de nouvelles, de scénarios pour la télévision et de pièces de théâtre. Qualifiée par certains de scandaleuse, elle jouit, et plus particulièrement en France, d’une réputation internationale.

Sylvie MIKOWSKI

Les Filles de la campagne (The Country Girls Trilogy and Epilogue, 1960), Paris, Fayard, 1988 ; La Maison du splendide isolement (House of Splendid Isolation, 1994), Paris, Fayard, 1995 ; Tu ne tueras point (Down by the River, 1996), Paris, Fayard, 1998 ; Dans la forêt (In the Forest, 2002), Paris, Fayard, 2003.

OBRIEN, Kate [LIMERICK 1897 - CANTERBURY 1974]

Romancière irlandaise.

Orpheline de mère dès l’âge de 5 ans, Kate O’Brien est élevée dans un couvent puis étudie à l’université de Dublin. À la fin de ses études, elle travaille à Manchester comme journaliste, puis s’installe en Espagne comme jeune fille au pair. Elle conserve toute sa vie un attachement profond pour ce pays, qui sert de toile de fond à plusieurs de ses romans. Après le succès, en 1926, d’une pièce de théâtre, Distinguished Villa (« villa distinguée »), elle devient écrivaine à plein temps, illustrant le conflit entre la morale puritaine imposée par l’Irlande catholique et les désirs d’épanouissement amoureux et sexuel éprouvés par ses jeunes héroïnes. Elle subit les foudres de la censure irlandaise – la loi sur les publications reste l’une des plus répressives d’Europe jusqu’en 1963 – pour Mary Lavelle (1936), roman qui met en scène de manière explicite les amours d’une jeune fille au pair irlandaise, promise au mariage dans son pays natal, avec un Espagnol lié à la famille au service de laquelle elle travaille. La religion est le sujet de The Land of Spices (1941), qui met en scène une religieuse dans un couvent. Parmi ses romans les plus célèbres, on peut détacher : The Ante-Room (« l’antichambre », 1934), situé en Irlande à la fin du XIXe siècle, et That Lady (« cette dame », 1946), roman historique situé en Espagne au XVIe siècle. K. O’Brien est aussi l’auteure de récits de voyage et d’un recueil de souvenirs, Presentation Parlour (« le petit salon de présentation », 1963). Un festival dédié à la romancière est organisé chaque année dans sa ville natale de Limerick.

Sylvie MIKOWSKI

WALSHE E. (dir.), Ordinary People Dancing : Essays on Kate O’Brien, Cork, Cork University Press, 1993.

OBSERVATOIRE DE LA PARITÉ ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES – HAUT CONSEIL À L’ÉGALITÉ ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES [France XXe-XXIsiècle]

Le décret du 18 octobre 1995 instituant l’Observatoire de la parité entre les femmes et les hommes (OPFH) auprès du Premier ministre honore un engagement pris par le candidat Jacques Chirac élu président de la République au cours de sa campagne électorale, en même temps que celui pris par la France lors de la 4e Conférence mondiale sur les femmes à Pékin. La création de cet observatoire incarne ainsi la reconnaissance institutionnelle de la revendication paritaire. Si elle fut portée dès la fin des années 1970 sur la scène militante française, associative et politique, cette revendication ne devint visible et légitime qu’à la fin des années 1980, sous la double influence de la dynamique des conférences internationales et de modèles nationaux, tels que l’engagement paritaire du parti des Verts en Allemagne, en 1986. Le cadre normatif et juridique de la « démocratie paritaire » est en particulier incarné, à l’échelle européenne, par la charte d’Athènes de 1992 et, à l’échelle internationale, par la Plateforme d’action de Pékin de 1995. Sous l’impulsion de Geneviève Fraisse*, philosophe alors déléguée interministérielle aux droits des femmes, le décret du 14 octobre 1998 complète les missions initiales d’information et de promotion de l’égalité de l’Observatoire de la parité en précisant qu’il est chargé de « faire toutes recommandations et propositions de réformes au Premier ministre afin de prévenir et de résorber les inégalités entre les sexes et promouvoir l’accès à la parité ». Par ses nombreuses publications, dont neuf rapports officiels, des notes électorales, des notes de synthèse et des communiqués de presse, cet observatoire a rempli ses missions d’évaluation, de proposition et de diffusion en synthétisant analyses, réflexions et conclusions d’auditions. Cinq rapporteures générales se sont succédé : Roselyne Bachelot-Narquin (1995-1998), Dominique Gillot (janvier-octobre 1999), Catherine Génisson (1999-2001), Marie-Jo Zimmermann* (2002-2009) et Chantal Brunel (2010-2012). Les membres, « choisis en raison de leur compétence et de leur expérience », étaient nommés, sans rétribution financière, pour une durée de trois ans renouvelable une fois, par décret du Premier ministre sur proposition du ministre chargé des Droits des femmes. Ils représentaient les milieux associatif, politique, universitaire et syndical. Suite au rapport confié à Danielle Bousquet par la ministre des Droits des femmes, Najat Vallaud-Belkacem*, sur la reconfiguration des missions de l’observatoire de la parité, un Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes a été institué auprès du Premier ministre par décret du 3 janvier 2013. Ce Haut conseil se substitue à plusieurs instances consultatives dont il reprend les missions : l’observatoire de la parité, la Commission nationale contre les violences envers les femmes (2001) et la Commission sur l’image des femmes dans les médias (2010). Composé de onze élus, dix représentants des associations et personnes morales de droit public ou privé, treize personnalités qualifiées en raison de leur compétence et leur expérience dans les domaines des droits des femmes et de l’égalité entre les femmes et les hommes, dix personnalités qualifiées en raison de leurs travaux de recherche, d’expertise ou d’évaluation, sept représentants de l’État et des membres de droit, il « a pour mission d’assurer la concertation avec la société civile et d’animer le débat public sur les grandes orientations de la politique des droits des femmes et de l’égalité ».

Réjane SÉNAC

DAUPHIN S., L’État et les droits des femmes, des institutions au service de l’égalité ? , Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010 ; SÉNAC-SLAWINSKI R., La Parité, Paris, Presses universitaires de France, 2008.

OCAMPO, Silvina [BUENOS AIRES 1903 - ID. 1993]

Écrivaine argentine.

Silvina Ocampo est la cadette de six sœurs, au sein d’une famille de la haute bourgeoisie argentine. La naissance de sa fille, Marta Bioy, scelle un pacte d’amour très libre avec le célèbre écrivain Adolfo Bioy Casares. Amie de Jorge Luis Borges, qu’elle accompagne lors de ses promenades dans Buenos Aires, S. Ocampo participe aux longues discussions littéraires qui ont lieu tous les soirs chez elle, dans un élégant quartier du centre de la capitale. Victoria Ocampo*, sa sœur aînée et sa marraine, écrit en 1937, pour la revue Sur, la première critique sur Viaje olvidado (« voyage oublié »), une série de nouvelles où s’annonce une façon d’écrire novatrice et audacieuse qui se confirmera dans ses récits ultérieurs : La furia y otros cuentos (« la furie et autres nouvelles », 1959), Las invitadas (« les invitées », 1961) et Los días de la noche (« les jours de la nuit », 1970). Son écriture, dont les caractéristiques sont le fantastique et l’espace clos, conjugue de façon simultanée et indistincte le réel et l’irréel. Dès l’enfance, elle développe une relation privilégiée avec les domestiques de la maison, dont elle découvre le « territoire », cet autre monde qui l’attire, tant pour sa différence que pour son ambiguïté, et qui constitue une source d’inspiration pour ses créations, notamment « La casa natal » (« la maison natale ») et « Lo amargo por dulce » (« l’amertume au lieu de la douceur »). La maîtrise précoce des langues étrangères, associée à une très grande sensibilité à la langue familière du Río de la Plata lui inspirent un univers linguistique au style particulier. Le dessin et la peinture – des techniques qu’elle a perfectionnées très tôt, lors de ses séjours en Europe, dans les ateliers de Giorgio De Chirico et de Fernand Léger – apportent une plasticité suggestive et de multiples nuances à ses compositions littéraires. Cornelia frente al espejo (« Cornelia face au miroir », 1988), dernier ouvrage publié de son vivant, rassemble des textes intimes à la syntaxe narrative complexe, où se mêlent un regard rétrospectif sur son œuvre et une réflexion sur la vieillesse et la mort. Invenciones del recuerdo (« inventions du souvenir », 2006), longue composition poétique que l’écrivaine définit en 1979 comme une « histoire prénatale », découverte après sa mort et publiée avec d’autres textes inédits, semble d’inspiration autobiographique. Elle a également écrit sept recueils de poèmes publiés entre 1942 (Enumeración de la patria, « énumération de la patrie ») et 1972 (Amarillo celeste, « jaune ciel ») et des livres pour enfants. Elle a traduit de nombreux poètes. Avec A. Bioy Casares, elle a coécrit le roman policier Ceux qui aiment haïssent (1946), avec Juan R. Wilcock, l’œuvre dramatique Los traidores (« les traîtres », 1956) et, avec Juan José Hernández, la pièce La Pluie de feu, représentée à Paris par Marilú Marini* en 1997. Sa nouvelle « El impostor » (« l’imposteur ») a été portée à l’écran par Arturo Ripstein sous le titre El otro, (« l’autre », 1984), avec un scénario de Manuel Puig. Bien que récompensée par de nombreux prix et distinctions, son œuvre est longtemps restée dans l’ombre. Discrète, peu encline aux réunions sociales, S. Ocampo a laissé une œuvre dense et singulière que Jorge Luis Borges, dans sa préface à Faits divers de la terre et du ciel (1974), a qualifiée de « si savante, si chatoyante, si complexe et ténue à la fois ».

Adriana MANCINI

Faits divers de la terre et du ciel (El destino en las ventanas), Paris, Gallimard, 1974 ; avec CASARES AB., Ceux qui aiment haïssent (Los que aman, odian, 1946), Paris, C. Bourgois, 1989 ; Poèmes d’amour désespéré (Poemas de amor desesperado, 1949), Paris, J. Corti, 1997 ; avec HERNÁNDEZ J. J., La Pluie de feu (Lluvia de fuego), Paris, C. Bourgois, 1997.

OCAMPO, Victoria [BUENOS AIRES 1890 - ID. 1979]

Écrivaine et éditrice argentine.

Issue de la haute bourgeoisie, Victoria Ocampo est éduquée par des institutrices françaises et anglaises qui éveillent chez elle un amour des deux cultures. Mais sa vocation pour le théâtre et la littérature est entravée par les conventions liées à son milieu social. En 1908, elle voyage en Europe et entre en contact avec les artistes les plus importants de son époque. À son retour, en 1911, considérant le mariage comme une possibilité d’échapper aux pressions familiales, elle épouse L. B. Estrada, mais son nouvel état civil ne lui donne pas la liberté attendue. Il lui faut attendre l’arrivée en Argentine de José Ortega y Gasset, avec qui elle noue une amitié fructueuse et qui l’incite à publier des articles dans la presse nationale, ainsi que son premier essai, en 1924, à Madrid : De Francesca a Beatrice : a través de la Divina Comedia. Elle devient alors une figure publique, recevant chez elle les principaux représentants du monde culturel, et se présente elle-même comme une femme de lettres cosmopolite. Elle fonde, en 1931, la revue Sur (« sud »), qui devient une des principales voix de l’aire culturelle hispano-américaine, et, en 1933, la maison d’édition du même nom, qui publie les auteurs latino-américains les plus reconnus et traduit des écrivains de renommée internationale. La revue Sur place au cœur du débat des thèmes tels que l’aliénation engendrée par les guerres, le problème des totalitarismes, le rôle des femmes et des intellectuels. Opposée au gouvernement péroniste, V. Ocampo est taxée d’élitisme et accusée de favoriser la culture étrangère, ce qui lui vaut d’être emprisonnée pendant près d’un mois. À partir des années 1950, elle devient une référence de la culture argentine et reçoit des prix et distinctions dans le monde entier. En 1976, elle est la première femme à siéger à l’Académie argentine des lettres. Une grande partie de sa production intellectuelle est publiée dans En témoignage, où se mêlent impressions de voyage, lettres, analyses de photos, d’œuvres architecturales ou de romans par le truchement d’une subjectivité qui se définit dans l’acte de lecture. On y croise Paul Valéry, Roger Caillois, Aldous Huxley, Virginia Woolf* ou Pierre Drieu La Rochelle, dont elle a été très proche, mais dont elle critique radicalement le choix de collaborer avec l’occupant nazi. Les six tomes de son Autobiografía seront publiés après sa mort. Sans occulter les conflits, tabous, infidélités, craintes, colères et repentirs, le texte respecte le modèle du XIXe siècle, en reliant son histoire personnelle à l’histoire nationale. Son autobiographie est celle d’une femme qui se construit une légitimité par ses actes dans l’espace public, ses ancêtres et leur rôle dans la construction de la nation, ses lectures, ses voyages. V. Ocampo a notamment aidé des écrivains et artistes européens à se mettre à l’abri de la terreur hitlérienne, représenté l’Argentine au procès de Nüremberg, rencontré les figures politiques et intellectuelles les plus importantes et défendu des causes pacifistes telles que les droits des femmes et ceux des intellectuels condamnés pour raisons politiques.

Carola HERMIDA

En témoignage (Testimonios, 1999), Paris, Des femmes-Antoinette Fouque, 2012.

MASIELLO F., « Victoria Ocampo, memoria, lenguaje y nación », in Entre civilización y barbarie, mujeres, nación y cultura literaria en la Argentina moderna, Rosario, Beatriz Viterbo, 1997 ; MOLLOY S., « El teatro de la lectura, cuerpo y libro en Victoria Ocampo », in Acto de presencia, la escritura autobiográfica en Hispanoamérica, Mexico, El Colegio de México-FCE, 1996.

OCHOA, Enriqueta [COAHUILA 1928 - MEXICO 2008]

Poétesse mexicaine.

Avec Rosario Castellanos* et Dolores Castro, ses contemporaines, Enriqueta Ochoa cherche une nouvelle voix pour dire l’identité féminine. Prenant pour point de départ le rôle de la femme dans la vie de tous les jours, elle veille à garder une perspective de critique sociale et à dépasser la trop banale thématique du désir et de la passion. De son écriture bouleversante, forte et terrible se dégagent alternativement deux thèmes principaux : le quotidien (l’amour, le désir, la maternité, la solitude, la vieillesse, la mort) et l’obsession du divin. Les préoccupations et les expériences religieuses prennent corps dans sa poésie : elle pose le sceau de l’universel sur sa poétique particulière à l’aide d’un symbolisme religieux très prégnant. La lecture assidue de la poésie de saint Jean de la Croix et de sainte Thérèse d’Ávila* est fondamentale dans la création de son propre langage poétique, notamment dans « La sierva » (Los himnos del ciego, « les hymnes de l’aveugle »). La force et les connotations cosmogoniques de son œuvre la rapprochent, selon les critiques, de Delmira Agustini*, Emily Dickinson*, Juana de Ibarbourou*, Alfonsina Storni* ou Concha Urquiza*. Une partie de son œuvre est traduite en français, en allemand, en anglais et en japonais.

María GARCÍA VELASCO

Le Désert à tes côtés, Trois-Rivières, Écrits des forges, 2006.

« Enriqueta Ochoa », in Alforja, no 39, 2006 ; GORDON S., « La estrategia confesional en la poesía de Enriqueta Ochoa », in Revista de Literatura Mexicana Contemporánea, no 28, 2006.

O CHÔNGHÛI VOIR OH JUNG-HI

OCKRENT, Christine [BRUXELLES 1944]

Journaliste franco-belge.

Fille de diplomate, Christine Ockrent fait ses premiers pas de journaliste au Bureau d’information des Communautés économiques européennes (1965-1966). Elle collabore ensuite à l’unité européenne de documentaires de la chaîne américaine NBC News (1967-1968), et elle parfait sa formation aux États-Unis en travaillant pour le magazine de CBS, 60 Minutes. Elle devient correspondante à Londres pour la chaîne CBS (1968-1975) et réalise des reportages pour FR3 et ABC News jusqu’en 1980. De retour en France, elle est successivement nommée responsable du journal de 8 heures à Europe 1 (1980-1981), présentatrice du 20 heures d’Antenne 2 (1982-1985), puis chroniqueuse et rédactrice en chef à RTL (1985-1987). Directrice générale adjointe de TF1 de 1987 à 1988, elle réintègre son poste de présentatrice du journal d’Antenne 2 à la suite d’une polémique relative à son salaire. À partir de 1990, elle dirige la rédaction de L’Express, tout en produisant et présentant nombre de magazines télévisés sur FR3. Après la nomination par le président Nicolas Sarkozy, en mai 2007, de son compagnon Bernard Kouchner au ministère des Affaires étrangères, C. Ockrent espace ses apparitions sur les écrans français. En 2008, elle est nommée directrice générale de l’Audiovisuel extérieur de la France – holding regroupant TV5 Monde, France 24 – et directrice générale déléguée de RFI. À la suite de controverses, elle quitte ces fonctions en 2012, s’estimant victime de harcèlement moral. C. Ockrent, qui a été la première femme à présenter le 20 heures, la deuxième à diriger L’Express, et qui peut revendiquer trente-cinq ans d’expérience professionnelle réussie, se refuse à admettre que les femmes de sa génération puissent être exclusivement considérées comme des épouses par certains. Elle est également l’auteure de nombreux ouvrages, notamment : La Double Vie de Hillary Clinton (2001) ; Françoise Giroud, une ambition française (2003) ou Madame la…, ces femmes qui nous gouvernent (2007).

Derek EL-ZEIN

OCONNELL, Dark Eileen VOIR DUBH NI CHONAILL, Eibhlin

OCONNOR, Flannery [SAVANNAH 1925 - MILLEDGEVILLE 1964]

Écrivaine américaine.

Fille unique, Flannery O’Connor appartient par sa mère à la bonne société sudiste. Son père, agent immobilier avec une vocation rentrée d’écrivain, encourage très tôt ses penchants artistiques. Elle commence donc à publier des nouvelles et des caricatures dans la revue de son collège, à Milledgeville. En 1945, elle s’inscrit à l’atelier d’écriture de l’université d’Iowa et obtient une bourse pour se consacrer à la rédaction d’un roman. En 1951, ayant découvert qu’elle souffrait de la maladie qui a terrassé son père dix ans plus tôt (un lupus), elle revient vivre à Milledgeville, dans la propriété dont sa mère a hérité. C’est là qu’elle produit l’essentiel de son œuvre : deux romans, La Sagesse dans le sang (Wise Blood, 1952) et Et ce sont les violents qui l’emportent (The Violent Bear It Away, 1960) ; des recueils de nouvelles, notamment Les braves gens ne courent pas les rues (A Good Man Is Hard To Find, 1955) et Mon mal vient de plus loin (Everything That Rises Must Converge, 1965) ; des essais. Écrivaine catholique, F. O’Connor dénonce les comportements hypocrites de la bonne société sudiste et les perversions que le monde moderne non religieux a pris l’habitude de considérer comme naturelles. Pour rendre ces perversions visibles, elle a recours à la violence, soulignant anomalies et transgressions, car elle pense qu’un auteur responsable doit écrire « en caractères gras » pour forcer son public à « voir ». Ses personnages les plus ignobles sont parfois frappés, au cours de scènes paroxystiques, par leur propre monstruosité et essaient de se racheter. Mais même lorsque la révélation et le salut leur échappent, F. O’Connor espère qu’ils joueront le rôle de catalyseurs auprès des lecteurs, touchés par la grâce. La comédie et la satire tiennent aussi une grande place dans l’œuvre de cette écrivaine. Elles servent en particulier à remettre en question les préjugés de la société sudiste bien-pensante. À l’opposé du mythe de la « Belle » du Sud, ses héroïnes sont laides. Intelligentes, sensibles et visionnaires, elles seules, bien souvent, sont capables de percevoir les attitudes grotesques des gens de leur entourage. Mal élevées comme il ne sied pas aux dignes héritières de l’aristocratie, elles traversent la vie mues par une sainte colère qui réjouissait manifestement le cœur de leur auteure, elle-même volontiers rebelle et iconoclaste.

Marie-Claude PERRIN-CHENOUR

Œuvres complètes, romans, nouvelles, essais, correspondance, Paris, Gallimard, 2009.

BLEIKASTEN A., Flannery O’Connor : In Extremis, Paris, Belin, 2004 ; GORDON S., Flannery O’Connor : The Obedient Imagination, Athens, University of Georgia Press, 2000 ; WOOD R. C., Flannery O’Connor and the Christ-Haunted South, Grand Rapid, William B. Eerdmans, 2004.

OCONNOR, Sandra DAY [EL PASO, TEXAS 1930]

Juge américaine.

Sandra O’Connor obtient son diplôme de droit à l’université californienne Stanford en 1952. Elle ne trouve pas de travail dans le secteur privé parce qu’elle est une femme, se tourne alors vers le service public et entame sa carrière comme adjointe au procureur du comté de San Mateo (Californie). Républicaine, elle est élue au Sénat de l’État de l’Arizona en 1969. Elle devient juge en 1975 puis est nommée à la cour d’appel de l’Arizona par un gouverneur démocrate en 1979. Nommée par le président Reagan en 1981, elle devient la première femme à siéger à la Cour suprême des États-Unis. Considérée à la droite du centre, elle vote presque toujours contre les plaideurs issus des minorités et s’aligne très souvent avec le juge ultraconservateur William Rehnquist. Elle se rapproche des militants pro-vie en votant pour une interprétation stricte de la décision « Roe versus Wade », tout en refusant de s’opposer au droit de la femme de choisir. Lors de l’élection présidentielle controversée en 2000, elle se range du côté de Bush et vote pour l’arrêt du recompte du vote en Floride. Elle démissionne de la cour en 2005 et prend sa retraite lorsque son remplaçant est confirmé en janvier 2006.

Béatrice TURPIN

The Majesty of the Law. Reflections of a Supreme Court Justice, Craig J. (dir.), New York, Random House, 2004.

ODAY, Anita (Anita Belle COLTRON, dite) [CHICAGO 1919 - HOLLYWOOD 2006]

Chanteuse et compositrice de jazz américaine.

La jeune Anita O’Day est élevée par un père buveur, joueur et coureur de femmes. Dès l’âge de 12 ans, elle tente ses premières expériences illicites, fume de l’herbe en ces années de Grande Dépression. Pour échapper à la pauvreté, elle commence à se produire dans les bals et les fêtes, participe à des concours de chant et de danse jusqu’à épuisement, comme le décrira Horace McCoy dans On achève bien les chevaux (They shoot horses, don’t they ?) paru en 1935. La jeune femme chante dans les clubs, découvre Billie Holiday*, Mildred Bailey* – le magazine Down Beat distinguera dans son chant un mélange de ces deux artistes –, Ella Fitzgerald* et l’oubliée Martha Raye. Encore à l’orée de la gloire, elle se mêle à l’atmosphère enfumée des boîtes de Chicago, dont le Kitty Davis. Elle apprend à jouer de la batterie, passe une audition pour Benny Goodman, qui ne paraît pas impressionné – selon lui la chanteuse s’éloigne trop de la mélodie au gré de son humeur. A. O’Day rejoint le batteur et chef d’orchestre Gene Krupa au début de 1941. Leur passion commune pour la batterie les rapproche. La chanteuse découvre la vie de « canari* » – ainsi qu’on nommait les chanteuses d’orchestre –, la contrainte de s’asseoir inconfortablement sur le côté de la scène quand elle ne chante pas. Elle enregistre son premier succès, Let Me off Uptown, en duo avec le trompettiste Roy Eldridge. Elle se distingue par sa gouaille et son franc-parler. Interprète puissante du Drum Boogie de Krupa et Eldridge en 1941, très demandée, elle rejoint le big band de Woody Herman en 1943, puis, l’année suivante, la formation de Stan Kenton, joue You Betcha ! de Lange et Wolfe en 1944 et Tea for Two de Youmans et Caesar en 1945. Lors d’une tournée, « la Jézabel du jazz », comme elle aime s’appeler, délaisse la robe et revêt l’uniforme de l’orchestre, persuadée que le public la regardera comme un musicien ordinaire et l’admirera pour son talent. Elle décide de gérer sa carrière seule en se débarrassant de ses managers : en imposant son indépendance, son pouvoir de décision, elle revendique un meilleur traitement, une augmentation et marque la fin de la période des canaris et le début des grandes chanteuses meneuses. À partir des années 1950, elle accepte de rejoindre l’orchestre de Benny Goodman, malgré leurs conflits passés, et enregistre Anita Sings the Most avec le grand pianiste Oscar Peterson. C’est l’une des plus grandes chanteuses de jazz du XXe siècle.

Stéphane KOECHLIN

The Lady Is a Tramp, Verve, 1952 ; An Evening with Anita O’Day, Clef, 1955 ; This Is Anita, Verve, 1956 ; Pick Yourself up with Anita 0’Day, Verve, 1956 ; Anita O’DaySwings Cole Porter with Billy May, Verve, 1959.

High Times, Hard Times, New York, Limelight editions, 1981.

ODENA, Lina (Paulina ODENA GARCÍA, dite) [BARCELONE 1911 - IZNALLOZ, ANDALOUSIE 1936]

Héroïne communiste de la guerre civile espagnole.

Fille de petits tailleurs qui lui apprennent le métier, Lina Odena rompt en 1927 avec eux. Elle se rapproche des militants de gauche et se forge par ses lectures une culture révolutionnaire marxiste. En mai 1931 elle adhère au syndicat UGT (Union générale des travailleurs) et au Parti communiste espagnol (PCE), s’engage dans un militantisme très actif à Barcelone. Le parti l’envoie se former quatorze mois à Moscou. À partir de 1932, elle se consacre entièrement à la politique (secrétaire des jeunesses du Parti communiste de Catalogne). Elle désapprouve le féminisme et prône la défense des femmes selon la ligne de son parti. Candidate malheureuse aux élections de 1933, elle rejoint avec son parti l’Alliance ouvrière et s’illustre dans les combats de la révolution d’octobre 1934 en Catalogne. En 1935, elle se rapproche des divers groupes de femmes antifascistes. En janvier 1936, elle rejoint le PCE à Madrid, intégrant le Comité national des jeunesses communistes ; elle fait campagne pour le Frente popular (Front populaire) aux côtés de Dolores Ibárruri* et travaille à l’unification des jeunesses communistes et socialistes. La guerre la transforme en milicienne, vêtue d’un mono azul (« salopette bleue »), les armes à la main ; bientôt elle assure la liaison entre trois colonnes de combattants. Le 13 septembre 1936, sur le point d’être faite prisonnière par les franquistes, elle se suicide. Déjà symbole de la jeunesse révolutionnaire communiste par sa vie, elle devient par sa mort un mythe : à sa mémoire, un bataillon de la guerre civile porte son nom.

Yannick RIPA

GASCÓN A., MORENO M., Lina Odena, una mujer, Barcelone, Comissió d’alliberament de la dona Lina Odena/PCC/Caepisa, 1990 ; NASH M., Rojas. Las mujeres republicanas en la Guerra civil, Madrid, Taurus, 1999.

ODETTA (Odetta HOLMES, dite) [BIRMINGHAM, ALABAMA 1930 - NEW YORK 2008]

Chanteuse et guitariste de folk et de blues américaine.

Aujourd’hui oubliée, la chanteuse Odetta reste l’une des créatrices majeures du folk. Elle a largement contribué à la renaissance d’une musique à laquelle Woody Guthrie avait donné ses lettres de noblesse avant-guerre. Bob Dylan confiera avoir vu sa vie transformée après l’écoute de l’album Odetta Sings Ballads and Blues (1956), où elle chante les classiques du folklore traditionnel, Jack O’Diamonds, Easy Rider, après quoi il abandonnera sa guitare électrique pour l’acoustique. La chanteuse influence également Joan Baez*. Le public apprécie la voix rauque et le jeu suggestif d’Odetta, se presse pour la voir sur scène. La chanteuse s’engage politiquement dans les années 1960 et sera à ce titre surnommée « la Voix du Mouvement pour les droits civiques ». Ses prestations au Carnegie Hall ou au Newport Jazz Festival, en 1960, suscitent l’enthousiasme. Odetta Sings Folk Songs sort en 1963. Il faudra cependant attendre la fin de sa carrière pour qu’elle obtienne une nomination aux Grammy Awards en 2007, dans la catégorie « meilleur album traditionnel » avec Gonna Let It Shine.

Stéphane KOECHLIN

Odetta Sings Ballads and Blues, Tradition, 1956 ; Odetta and the Blues, Riverside, 1962 ; Odetta Sings Folk Songs, RCA, 1963 ; Odetta Sings Dylan, RCA, 1965.

ODIER, Ilse (née LOEBELL) [SUISSE 1883]

Psychanalyste française.

C’est en 1928 qu’Ilse Odier devient membre de la Société psychanalytique de Paris. Les quelques articles qui nous restent d’elle ont été publiés dans la Revue française de psychanalyse, d’abord sous le nom de son premier mari, Jules Ronjat, avocat et linguiste réputé, puis sous celui de Ilse-Charles Odier. Dans « Le cas de Jeannette » (1927), elle analyse l’histoire d’une jeune fille hystérique opérée plusieurs fois qui manifestait un « désir d’enfant sans mari ». Ses articles porteront ensuite sur le rapport mère-fille, sujet qui la passionne. Dans « Contribution à l’étude du surmoi féminin » (1930), après avoir constaté que « le sujet féminin » n’avait pas encore été bien étudié, I. Odier critique Sigmund Freud pour qui la petite fille doit « abandonner l’objet infantile en accomplissant un choix hétérosexuel ». Elle souligne que cet abandon l’entraînerait « dans une relation de rivalité, c’est-à-dire de haine », vis-à-vis de sa mère et met l’accent sur la gravité et les conséquences d’une telle constellation, car pour l’enfant, « la mère est tout ». Elle note une « irréductible fixation de la femme à son surmoi maternel (sa mère-surmoi) » et affirme que, pour une femme, l’amour « aura toujours dans l’inconscient cette étrange coloration homosexuelle ». Cet article ayant provoqué de vives réactions, notamment de Rudolph Loewenstein pour qui la femme éprouverait le « besoin instinctif » d’être protégée par l’homme, elle modère un peu son propos en insistant sur le danger que peut représenter une fixation trop importante à la mère qui laisserait peu de libido disponible pour des liens hétérosexuels. Elle traduit en 1934, avec Charles Odier, Malaise dans la civilisation de S. Freud, dans la Revue française de psychanalyse.

COLLECTIF PSYCHANALYSE ET POLITIQUE

ODIN TEATRET [Norvège depuis 1964]

L’Odin Teatret a été fondé en 1964 à Oslo par Eugenio Barba, metteur en scène, pédagogue et théoricien du théâtre, dont le travail s’inspire de celui de Jerzy Grotowski aux côtés duquel il travailla à Opole (Pologne) de 1961 à 1964. En 1966, l’Odin Teatret s’installe à Holstebro (Jutland danois) et crée le Nordisk Teaterlaboratorium, consacré à la recherche et à la formation de l’acteur. Outre les publications et discours du charismatique E. Barba, l’Odin Teatret doit sa renommée à ses actrices. Elles ont mis en place une pratique de l’entraînement de l’acteur qui s’est démarquée du training acrobatique de Grotowski et a fait école dans de nombreux groupes de théâtre en marge du théâtre institutionnel. On retient trois actrices qui travaillent à l’Odin Teatret depuis plus de trente ans : Iben Nagel Rasmussen (Copenhague 1945), Roberta Carreri (Milan 1953) et Julia Varley (Londres 1954). Else-Marie Laukvik (Oslo 1944), actrice remarquée de 1964 à 1987, occupe aujourd’hui une place à part et ne participe plus aux spectacles collectifs.

I. N. Rasmussen entre à l’Odin Teatret en 1966, élabore à partir de 1971 un entraînement individuel nouveau à partir d’exercices de déséquilibre et porte une attention particulière à la fluidité continue dans l’enchaînement des exercices. Dans le spectacle Min fars hus (« la maison du père »), en 1972, elle révèle sa vitalité exceptionnelle d’actrice sauvage, érotique, musicale. Fanal des autres actrices de l’Odin Teatret à leurs débuts, elle matérialise dans la durée le projet d’autodiscipline et d’invention de soi d’E. Barba. Parallèlement, elle mène des projets individuels. Elle fonde des groupes internationaux d’acteurs qui se réunissent une à deux fois par an : Farfa en 1983, The Bridges of Winds en 1989 et New Winds en 1991. Elle met en scène, au sein de ces groupes, plusieurs spectacles et transmet un entraînement que ses acteurs colportent dans leur pays. En 1986, elle reçoit le prix de la meilleure actrice du BITEF, festival international de théâtre de Belgrade et, en 1991, the Håbets Pris, le prix de l’espoir du Danemark. Elle est l’auteure, la metteuse en scène et l’actrice de Ester’s Book (2005), spectacle consacré à sa mère, Ester Nagel, écrivaine, qui vécut dans l’ombre de son mari Halfdan Rasmussen, un des écrivains danois les plus célèbres du XXe siècle.

R. Carreri, dernière des actrices à avoir été formée par E. Barba, rejoint l’Odin Teatret en 1974 pendant leur séjour à Carpignano en Italie. Elle participe dès 1980, à Bonn, à la première session de l’International School of Theatre Anthropology – école pour acteurs, itinérante et interculturelle, fondée par E. Barba –, et se nourrit des techniques scéniques du Japon, de l’Inde, de Bali et de Chine. De 1980 à 1986, elle travaille avec Katsuko Azuma (danseuse de nihon buyō), ainsi qu’avec les danseurs de Butō. Elle conduit des séminaires de formation courte dans le monde entier et organise l’Odin Week, semaine de découverte des activités de l’Odin Teatret. Son parcours professionnel est dévoilé dans son spectacle Traces dans la neige (1988), ainsi que dans un ouvrage, Tracce (2007). Ces influences sont visibles dans son spectacle en solo Judith (1987). Son langage physique dégage à la fois sensualité et humour en jouant sur la dissociation et les contradictions corporelles.

J. Varley rejoint l’Odin Teatret en 1976, après avoir épousé Tage Larsen qui en est l’un des acteurs. Elle écrit, met en scène, joue, administre quantité de projets et d’événements. À partir du milieu des années 1980, E. Barba l’associe étroitement à ses activités. À partir de 1990, elle prend part à la conception et à l’organisation des sessions de l’International School of Theatre Anthropology. Elle participe, depuis sa fondation en 1986 par Jill Greenhalgh, au Magdalena Project, un réseau transculturel de femmes engagées dans les arts vivants, pour lequel elle dirige le Transit Festival à Holstebro, et édite depuis sa fondation en 1996 la revue The Open Page. J. Varley a publié des ouvrages et de nombreux articles.

Dans les années 1990-2000, la vigueur explosive des corps des actrices fait place à des spectacles plus intimistes et autobiographiques comme Itsi-Bitsi (I. Nagel Rasmussen, 1991), The Castle of Holstebro (J. Varley, 1995), Salt (R. Carreri, 2004). Chacune d’elles, dans les années 2000, a écrit et publié son histoire, « herstory » (« histoire d’elle »). Les identités narratives et la parole des actrices de l’Odin Teatret se découvrent en parallèle du discours théorique de E. Barba.

L’importance du rôle des actrices à l’Odin Teatret participe du contexte social des années 1960-1970, mais elle est surtout liée à leur personnalité et à l’instauration d’un dialogue dynamique et durable avec E. Barba. R. Carreri, I. Nagel Rasmussen et J. Varley conjuguent leurs aspirations personnelles avec celles du groupe, et leur appartenance à l’Odin Teatret est vécue davantage comme un mode d’existence que comme une expérience professionnelle. Elles concourent à la pérennité de l’Odin Teatret, un des seuls théâtres de groupe des années 1960 qui continue d’exister.

Raphaëlle DOYON

ODIO, Eunice [SAN JOSÉ 1919 - MEXICO 1974]

Écrivaine costaricaine.

De son vivant, Eunice Odio Infante affirme que son année de naissance est 1922 et que ses noms de famille sont Odio Boix et Grave Peralta. Elle passe presque toute sa vie loin du Costa Rica, qu’elle quitte à 25 ans pour intégrer le monde intellectuel de la « décennie révolutionnaire » guatémaltèque. Cette expérience est décisive pour sa première étape poétique et son développement créatif. Elle rejette plusieurs fois sa nationalité, adopte la citoyenneté guatémaltèque en 1948 puis la nationalité mexicaine en 1962. Après avoir publié ses premières nouvelles dans la revue costaricaine Repertorio Americano, elle publie Los elementos terrestres (« les éléments terrestres », 1947), grâce auquel elle gagne le concours centraméricain de poésie « 15 de septiembre ». Ce livre illustre sa conception de l’œuvre comme un tout organique et introduit ses thèmes de prédilection : la solitude, l’amour sensuel, la perte du paradis et la nature comme analogie du cosmos et de la « grande ballade universelle ». Il traduit une lecture critique du surréalisme et inaugure l’avant-garde poétique au Costa Rica. Dès lors, son œuvre est publiée au Guatemala, en Argentine, au Salvador, au Mexique et dans des revues du continent. Après un court séjour aux États-Unis, en 1957, elle publie son œuvre majeure, El tránsito de fuego (« le trajet du feu »), un dialogue chanté, allégorique, qui concrétise le projet de l’auteure de fonder, devant l’absence de Dieu, une vaste mythologie personnelle à partir de la recherche métaphysique du père et de la présence rédemptrice du poète comme créateur de la parole et de la réalité transcendante. La même année, l’écrivaine s’installe au Mexique, où elle restera jusqu’à la fin de sa vie. Ses obsessions intimes et mystiques, le ton prophétique et parfois biblique de ses essais métaphysiques ainsi que son militantisme contre la gauche et la révolution cubaine la tiennent à l’écart des milieux intellectuels latino-américains et compliquent la publication de ses textes. À côté de la création poétique, elle se consacre à la critique littéraire. En 1973, elle commence une anthologie personnelle, Territorio del alba y otros poemas (« territoire de l’aube et autres poèmes »). De manière posthume, le Vénézuélien Juan Liscano réunit ses textes dans Antología, rescate de un gran poeta (« anthologie, libération d’un grand poète », 1975). En 1996, ses œuvres complètes sont publiées en trois volumes.

Carlos CORTÉS ZUNIGA

ODO, Jeanne [NÉE À SAINT-DOMINGUE 1680 - ID. 1797]

Militante dominicaine contre l’esclavage.

Esclave jusqu’à l’abolition, proclamée dans le nord de la colonie de Saint-Domingue, Jeanne Odo est à Paris le 4 juin 1793, à la tête d’une délégation de la Société des citoyens de couleur et des soldats de la Légion des Américains (régiment révolutionnaire formé de personnes de couleur vivant en France), qui remet à la Convention une pétition demandant l’abolition de l’esclavage dans les colonies. Ȃgée de 114 ans, elle remet solennellement le « drapeau de l’égalité de l’épiderme » au président de séance. Cet étendard tricolore, symbole de l’union entre la Révolution française et la révolution de Saint-Domingue sous la devise « Notre union fera notre force », représente trois hommes debout portant une pique surmontée du bonnet de la liberté : un Noir sur la bande bleue, un Blanc sur la blanche et un métis sur la rouge. Le président de séance donne un baiser fraternel à l’ancienne esclave qu’il installe à sa gauche tandis que les députés se lèvent et l’ovationnent. Le peintre Nicolas-André Monsiau immortalise la scène par une esquisse intitulée L’Abolition de l’esclavage par la Convention, le 16 pluviôse an II/4 février 1794 où figure J. Odo, assise à côté du président. Cette œuvre se trouve aujourd’hui au musée Carnavalet à Paris.

Claudine BRELET

ODOM, Judy [TEXAS 1953]

Entrepreneuse américaine.

OFAOLAIN, Julia [LONDRES 1932]

Romancière et historienne irlandaise.

Sylvie MIKOWSKI

OFAOLAIN, Nuala [DUBLIN 1940 - ID. 2008]

Journaliste et romancière irlandaise.

Sylvie MIKOWSKI

OFFEN, Karen (née STEDTFELD) [POCATELLO, IDAHO 1939]

Historienne américaine.

Née dans l’État excentré de l’Idaho mais dans une ville de passage, d’une famille américanisée depuis peu – ses deux grands-mères étaient scandinaves –, la jeune Karen Stedtfeld côtoie la diversité des religions et des origines et éprouve une fascination pour l’Europe, nourrie par les nouvelles de la guerre et les livres d’images, puis par l’exercice de la danse et de la musique. Excellente élève, elle entame des études de chimie et de français à l’université avant de bifurquer vers l’histoire qu’elle considère comme « la reine des sciences » et a la chance d’entendre une conférence de Margaret Mead*, désormais « son mentor silencieux ». Titulaire du bachelor, elle passe un an en France avec une bourse Fulbright puis poursuit ses études à Stanford University où elle soutient en 1971 une thèse d’histoire européenne sur la carrière politique de Paul de Cassagnac (1842-1904), publiée vingt ans plus tard sous le titre Paul de Cassagnac and the Authoritarian Tradition in Nineteenth-Century France. Les femmes ne constituent alors que 13 % des docteurs en histoire et sont en butte à des discriminations à l’embauche, notamment si elles sont mariées et mères, de surcroît sans l’appui de réseaux issus des prestigieuses universités de l’Est. C’est le cas de K. Offen qui n’obtient jamais de poste universitaire mais qui réside dans la baie de San Francisco, bien dotée culturellement et en bibliothèques de recherche. Elle a su construire une carrière de chercheuse indépendante, en s’investissant dans des structures professionnelles, parallèles puis officielles, et en produisant une œuvre abondante en histoire des femmes et des féminismes. Membre active du Comité de coordination sur la place des femmes dans la profession historique et de la Western Association of Women Historians dès les années 1970, puis cofondatrice de la Fédération internationale pour la recherche en histoire des femmes* (FIRHF), K. Offen milite avec succès pour améliorer la visibilité des femmes historiennes et promouvoir l’histoire des femmes, jusque dans les instances officielles de la profession, notamment à l’American Historical Association. À ce titre, elle coorganise la première conférence de la FIRHF et édite, avec Ruth Roach Pierson and Jane Rendall, Writing Women’s History : International Perspectives (1991). Elle joue aussi un rôle moteur dans la création du Musée international des femmes de San Francisco (Imow). En 2010, elle est élue au Bureau du Comité international des sciences historiques. Dans les débats du monde anglophone entre les historiennes des femmes et celles du genre, K. Offen défend la valeur d’une histoire des femmes par les femmes et pour les femmes – qui inclut leurs expériences au côté de celles des hommes –, ainsi que l’importance de l’étude des féminismes, histoire politique à part entière. Facilités par son affiliation à l’Institut de recherche sur les femmes et le genre de l’université de Stanford et l’obtention de plusieurs bourses de recherche publiques et privées, ses travaux, parfois collectifs, commencent par l’édition commentée de documents, utile alors à l’affirmation et à l’enseignement du champ de recherche (dont Women, the Family, and Freedom : The Debate in Documents, 1750-1950, avec Susan Groag Bell, 1983). L’historienne écrit ensuite de nombreux articles sur la Troisième République en France, sur la pensée occidentale à propos des femmes et de la famille, sur l’historiographie et sur les féminismes. Paru dans Signs en 1988, « Defining feminism : a comparative historical approach » stimule la recherche sur l’histoire des féminismes et prépare l’imposante monographie publiée en 2000 : European Feminisms, 1700-1950 : A Political History (trad. fr. 2012). Docteure honoraire de l’université d’Idaho en 2004, aujourd’hui reconnue et invitée internationalement, K. Offen édite Globalizing Feminisms, 1789-1945 et poursuit l’écriture d’un ouvrage sur « la question des femmes » en France de 1550 à 1950, avec l’objectif de proposer une histoire politique et culturelle plus inclusive.

Françoise THÉBAUD

« Going against the grain : the making of an independent scholar », in BORIS E., CHAUDHURY N. (dir.), Voices of Women Historians : The Personal, the Political, the Professional, Bloomington/Indianapolis, Indiana University Press, 1999.

OFORI-MENSAH, Akoss [GHANA V. 1950]

Éditrice ghanéenne.

Institutrice dans l’est du Ghana, Akoss Ofori-Mensah commence à rassembler des manuscrits de littérature indigène au début des années 1970. Après deux ans d’études aux États-Unis, elle rejoint les jeunes Afram Publications comme directrice administrative et responsable du magazine Student’s World. Elle découvre l’abondante faune sauvage qui peuple le quartier de Medina, dans la banlieue d’Accra, et écrit sur ce sujet plusieurs livres pour enfants. Le Ghana Education Service (GES) les recommande comme lectures pour l’école primaire. En 1993, elle fonde avec deux amis les éditions Sub Saharan Publishers (Accra), pour lesquelles elle récupère les droits de ses ouvrages, et poursuit la publication de livres sur les espèces en danger. En 1997, le Ghana Environmental Protection Agency commande de nouveaux titres sur les arbres, les rivières et les dépôts d’ordures qui sont récompensés par le Prix du livre ghanéen pour leur contribution éducative en faveur de l’écologie. Elle publie également des ouvrages de littérature générale et pour la jeunesse, avec des succès de librairie comme Sosu’s Call et The Magic Goat de l’auteur-illustrateur Meschack Asare, récompensé par le prix Unesco 1999 de littérature pour la jeunesse au service de la tolérance, ou The Girl who can de l’écrivaine Ama Ata Aidoo*. Cette reconnaissance nationale et internationale entraîne des ventes de droits à des éditeurs d’Amérique du Nord, hispaniques, scandinaves et swahili. Les ouvrages éducatifs sont également exportés dans de nombreux pays d’Afrique. À la fin des années 1990, confrontée à des difficultés pratiques et financières considérables et aux aléas politiques qui affectent le marché africain du livre, en particulier scolaire, A. Ofori-Mensah sollicite et parvient à convaincre un programme danois d’aide au secteur privé de pays en voie de développement de créer une start-up d’édition en partenariat. L’initiative lui permet d’acquérir les droits africains de nouveaux titres d’auteurs africains connus et populaires mais jusque-là parus exclusivement en Europe ou inédits, comme Niki Daly ou R. E. Obeng. Sa collection d’ouvrages consacrés à l’esclavage, publiés en version anglaise et en co-édition, est un succès.

Brigitte OUVRY-VIAL

OGATA SADAKO [TOKYO 1927]

Femme politique japonaise.

Après des études au Japon puis aux États-Unis, où elle obtient en 1963 un doctorat de sciences politiques à l’Université de Californie à Berkeley, Ogata Sadako enseigne dans diverses universités japonaises, notamment à l’Institut des relations internationales de l’université Sophia, à Tokyo. Elle dirige cet institut en 1987-1988, avant de devenir la doyenne de la faculté des études étrangères de l’université Sophia. Parallèlement, elle entreprend une carrière à l’échelle internationale. Elle est en effet présidente du comité exécutif de l’Unicef en 1978, puis envoyée extraordinaire et ministre plénipotentiaire du Japon à la mission permanente du Japon à l’Onu. Ayant représenté son pays à la Commission de l’Onu sur les droits de l’homme, elle est, en 1990, la première femme élue Haut-Commissaire aux réfugiés par l’Assemblée générale des Nations unies. Réélue à deux reprises, elle occupe ce poste pendant dix ans, n’hésitant pas à se rendre sur le terrain revêtue d’un gilet pare-balles pour rencontrer et aider les réfugiés, notamment dans les Balkans, durant la crise, et dans la région des Grands Lacs en Afrique. Cette fonction lui vaut la notoriété et le respect de l’opinion publique japonaise. Ogata Sadako a publié des textes de conférences portant, entre autres, sur le problème des réfugiés dans le monde ou sur la question de l’immigration.

Marion SAUCIER

OGAWA YŌKO [OKAYAMA 1962]

Romancière japonaise.

Au collège, Ogawa Yōko découvre le Journal d’Anne Frank, qui suscite en elle le désir de s’exprimer par l’écriture, et auquel elle doit son intérêt pour le thème de l’Holocauste. Sa deuxième révélation littéraire lui vient, à l’âge de 18 ans, de la nouvelle Ai no seikatsu (« une vie amoureuse ») de Kanai* Mieko, dont la force inouïe du vocabulaire et le détail descriptif trouveront leur écho dans ses œuvres ultérieures. Après des études de littérature à Tokyo, elle revient dans sa région natale, à Okayama, pour travailler comme secrétaire à l’université de médecine de 1984 à 1986, une expérience dont témoignera notamment la nouvelle Une parfaite chambre de malade (1989). Après ses débuts avec La Désagrégation du papillon (prix Kaien 1988), elle reçoit le prix Akutagawa en 1990 pour La Grossesse, qui décrit, sous forme de journal, les sentiments complexes de l’héroïne face à sa sœur enceinte. Les motifs récurrents de son écriture foisonnent déjà : le mystère de la vie, l’inexplicable cruauté humaine, le décor hospitalier et la vie organique du corps. Ogawa Yōko déploie dès lors une intense activité littéraire et écrit de nombreux romans et nouvelles. Son univers romanesque oscille entre la vie et la mort, le fantastique et le réel, la perversité et la normalité. D’ailleurs, le thème de la mémoire entremêlé avec l’obsession de sa reconstitution traverse toute son œuvre. Dans Le Musée du silence (2000), les protagonistes recueillent les souvenirs des défunts pour inaugurer un musée. La Formule préférée du professeur (2003), qui a obtenu plusieurs prix littéraires, met en scène un mathématicien dont la mémoire est réduite à quatre-vingts minutes. Ce roman a été adapté au cinéma en 2006 par le réalisateur japonais Koizumi Takashi. Par ailleurs, la réalisatrice française Diane Bertrand a tiré un film de la nouvelle L’Annulaire (1994) en 2004.

Maki ANDO

La Grossesse (Ninshin karendā, 1991), Arles, Actes Sud, 1997 ; L’Annulaire (Kusuriyubi no hyōhon, 1994), Arles, Actes Sud, 1999 ; Une parfaite chambre de malade, suivi de La Désagrégation du papillon (Kanpeki na byōshitsu, suivi d’Agehachō ga kowareru toki, 1989), Arles, Actes Sud, 2003 ; Le Musée du silence (Chinmoku hakubutsukan, 2000), Arles, Actes Sud, 2003 ; La Formule préférée du professeur (Hakase no aishita sūshiki, 2003), Arles, Actes Sud, 2005.

OGGERO, Margherita [TURIN 1940]

Écrivaine italienne.

Margherita Oggero est enseignante et auteure de romans policiers. Dans La Collègue tatouée (2002), la narratrice manifeste avec brio sa capacité à parodier les langages, notamment ceux qu’elle observe dans les réunions de professeurs, entre élèves plus ou moins contestataires, ou encore ceux de sa fille enfant ou de sa mère âgée, tout en enquêtant sur un meurtre et en découvrant des pistes significatives grâce aux confidences qu’elle recueille. Elle se laisse par ailleurs courtiser par le commissaire chargé de l’affaire. Sont également parus : Una piccola bestia ferita (« un petit animal blessé », 2003) ; L’Amie américaine (2005), où la relation sentimentale entre l’enseignante et le commissaire se poursuit au cours d’une nouvelle enquête ; Così parlò il nano da giardino (« ainsi parla le nain de jardin », 2006) ; Risveglio a Parigi (« réveil à Paris », 2009). L’ora di pietra (2011) est un roman de formation aux allures de thriller qui met en scène une jeune femme originaire du Sud de l’Italie.

Graziella PAGLIANO

La Collègue tatouée (La collega tatuata, 2002), Paris, Albin Michel, 2006 ; L’Amie américaine (L’amica americana, 2005), Paris, Albin Michel, 2007.

OGIER, Bulle (Marie-France THIELLAND, dite) [BOULOGNE-BILLANCOURT 1939]

Actrice française.

Avec le metteur en scène Marc’O et ses partenaires Jean-Pierre Kalfon et Pierre Clémenti, Bulle Ogier crée un café-théâtre à Paris, produisant le film déjanté Les Idoles (1967). Elle devient une actrice de référence du cinéma d’auteur : Jacques Rivette, Alain Tanner, René Allio, André Téchiné ou encore André Delvaux mettent en valeur son charme mystérieux. Barbet Schroeder, son mari, lui offre le rôle d’une maîtresse sadomasochiste dans Maîtresse (1975). C’est pour elle que Marguerite Duras* écrit Savannah Bay, Éden Cinéma et Des journées entières dans les arbres, qu’elle joue sur scène avec Madeleine Renaud*. Plus tard, elle crée Une pièce espagnole de Yasmina Reza*. Elle contribue également aux films de jeunes cinéastes, comme Marion Vernoux, nommée pour le César de la première œuvre en 1995 pour Personne ne m’aime. Elle tourne à plusieurs reprises avec Raoul Ruiz. Avec Manoel de Oliveira, elle incarne Belle toujours (2006), la suite de Belle de jour de Luis Buñuel. Elle retrouve J. Rivette pour Ne touchez pas la hache en 2007, et tourne des comédies : Faut que ça danse ! de Noémie Lvovsky*, et Passe-passe de Tonie Marshall*. Femme engagée, elle participe au Comité révolutionnaire d’agitation culturelle (Crac) en mai 1968, dans la Sorbonne occupée, et signe en 1971, le « Manifeste des 343* » pour la liberté de l’avortement. Sa fille, Pascale Ogier (1958-1984), a tourné avec Éric Rohmer, James Ivory, Mauro Bolognini, J. Rivette et Aline Issermann*.

Bruno VILLIEN

OGIGAMI NAOKO [CHIBA 1972]

Réalisatrice et scénariste japonaise.

Après un diplôme en Image Science Program à l’université de Chiba, Ogigami Naoko part en 1994 aux États-Unis étudier le cinéma à la University of Southern California, et travaille comme assistante sur des films publicitaires. Avant son retour au Japon, en 2000, elle réalise un court-métrage d’horreur, Ayako (1999). Son premier long-métrage, Barber Yoshino (Yoshino’s Barber Shop, 2004), obtient une mention spéciale au Festival de Berlin. Elle réalise ensuite Koi wa go-shichi-go ! (Love is Five, Seven, Five, « l’amour, c’est 5-7-5 », 2005) et Kamome shokudo (Kamome Diner, production nippo-finlandaise, 2006) qui la révèle à un plus large public. Megane (Glasses, « lunettes », 2007) obtient le prix Manfred-Salzgeber au Festival de Berlin, est nominé pour le Grand Prix du jury du Festival de Sundance (2008) et reçoit le prix Nikon de la meilleure image au Festival du film japonais contemporain (France, 2008). Spécialisée dans la comédie douce-amère, Ogigami Naoko écrit toujours ses scénarios et s’appuie sur une mise en scène et des dialogues dépouillés. Elle a travaillé ponctuellement comme directrice de la photo sur d’autres films.

Olivier AMMOUR-MAYEUR

OGNJENOVIĆ, Vida [DUBOČKE, MONTÉNÉGRO 1941]

Metteuse en scène et écrivaine serbe.

Arrivée très jeune en Serbie, Vida Ognjenović a suivi une double formation en littérature générale et en théâtre, en Serbie, en France et aux États-Unis. Elle a mis en scène, à travers l’ex-Yougoslavie et à l’étranger, des auteurs classiques comme William Shakespeare, Harold Pinter ou Anton Tchekhov, ainsi que des auteurs serbes et croates modernes et contemporains, comme Dragoslav Mihailović, Miloš Crnjanski et Ivo Brešan. Elle a dirigé le Théâtre national de Belgrade, enseigné à plusieurs reprises sur le continent américain, occupé le poste de professeure à l’Académie des arts à Novi Sad et exercé la fonction d’ambassadrice de Serbie-et-Monténégro en Norvège. Récompensée par de nombreux prix et distinctions pour sa littérature et son théâtre, ses livres ont été traduits en plusieurs langues, dont l’anglais, l’allemand et le hongrois. Ses œuvres se distinguent par une grande diversité de sujets. Dans un langage soigné et souvent assez classique, elle aborde les thèmes de la mémoire et de la nostalgie dans Kuća mrtvih mirisa (« maison de parfums morts », 1996), la relation du mythe et de la réalité dans la compréhension de l’histoire avec la pièce Je li bilo kneževe večere (1990), et la situation de la femme dans la société dans Mileva Ajnštajn (1998). Certaines œuvres se présentent comme des méditations intimes sur la vie (Preljubnici, « adultères », roman, 2006). D’autres, en revanche, tentent de reconstruire par la fiction des événements historiques : la pièce Kanjoš Macedonović (1993) et Jegorov put (« le chemin de Jegor », 2000) en constituent de bons exemples.

Robert RAKOCEVIC

OGOT, Grace (née AKINYI) [ASEMBO, RÉGION DE NYANZA 1930]

Romancière et nouvelliste kényane.

D’origine luo, Grace Ogot fait partie des pionnières de l’écriture féminine en Afrique subsaharienne. Publié en 1966, son premier roman The Promised Land (« la terre promise ») est l’un des premiers textes à aborder la question de l’immigration (du Kenya vers le nord de la Tanzanie). Après des études d’infirmière en Angleterre et en Ouganda, elle excerce la profession de sage-femme, mais travaille aussi comme journaliste à la radio, au service outremer de la BBC. Elle occupe à plusieurs reprises un poste dans le cabinet du président Arap Moi et est ambassadrice, notamment auprès de l’Unesco. Elle est la fondatrice de la Writers’Association of Kenya. Auteure de nouvelles telles que Land Without Thunder (« terre sans tonnerre », 1968) et The Other Woman (« l’autre femme », 1976), elle réussit à recréer le tableau de la vie traditionnelle luo, essentiellement dans la région du lac Victoria, dans l’Afrique pré-coloniale. Son roman Miaha (Heinemann Educational Books, 1983), écrit en langue luo et traduit en anglais sous le titre The Strange Bride (« l’étrange mariée », 1989), s’inscrit dans cette lignée et explore encore davantage la tradition luo. Il illustre par ailleurs une des particularités de G. Ogot, qui est d’avoir écrit et publié à la fois en anglais et en luo.

Odile CAZENAVE

The Promised Land, Nairobi, East African Publishing House, 1966 ; The Graduate, Nairobi, Uzima, 1980 ; Aloo kod Apul-Apul, Kisumu, Anyange Press, 1981.

TAIWO O., Female Novelists of Modern Africa, New York, St Martin’s Press, 1984.

LINDFORS B., « An interview with Grace Ogot », in World Literature Written in English, no 1, 1979.

OHARA, Elizabeth VOIR NÍ DHUIBHNE, Éilís

OHARE, Kate (Carrie Kathleen RICHARDS, dite) [ADA, KANSAS 1877 - BENICIA, CALIFORNIE 1948]

Militante américaine.

D’abord enseignante dans le Nebraska puis machiniste à Kansas City, Missouri, Kate Richards adhère au parti socialiste en 1899. Elle se marie une première fois en 1902, avec Francis O’Hare, et le couple milite en voyageant aux États-Unis ainsi qu’au Canada, au Mexique et en Angleterre. En 1910, elle représente les socialistes lors de l’élection à la Chambre des représentants de l’État du Kansas. Elle devient présidente du Committee on War and Militarism du parti en 1917 et parcourt le pays pour militer contre l’entrée des États-Unis dans la Première Guerre mondiale. La même année, elle est arrêtée après un discours dans le Dakota du Nord. Déclarée coupable d’espionnage en 1919, elle est incarcérée dans le Missouri, où elle rencontre Emma Goldman*, et se préoccupe des conditions pénitentiaires. En 1920, sa peine est réduite : elle est libérée puis graciée par le président Calvin Coolidge. À partir de 1924, elle abandonne le parti socialiste et milite pour la réforme du système pénitentiaire, cause à laquelle elle se consacre jusqu’à sa mort.

Béatrice TURPIN

In Prison, New York, A. A. Knopf, 1923.

OHISHI JUNKYO-NI [OSAKA 1888 - KYOTO 1968]

Nonne bouddhiste.

Nonne bouddhiste, handicapée, artiste peintre et calligraphe, Ohishi Junkyo-ni est aussi travailleuse sociale au service de personnes handicapées, au nom du Jihi (« charité, compassion », dans le bouddhisme). On l’a appelée la « mère des handicapés ». Née le 14 mars 1888 à Dōtonbori, Osaka, elle s’appelait Ohishi Yone. Douée pour la danse, elle était à 13 ans une geisha célèbre, connue sous le nom de Tsumakichi. Mais son beau-père, tenancier de la maison de thé où elle travaillait, pris une nuit d’une crise de démence, tue plusieurs membres de sa famille et cinq geishas. Ohishi Yone, alors âgée de 17 ans, survit, mais il lui a coupé les deux bras. Ne pouvant plus danser, elle doit travailler avec des forains pour gagner sa vie, chantant, racontant des histoires comiques dans des spectacles ambulants. À 19 ans, ayant vu des oiseaux nourrir leurs petits avec leur bec, elle commence à peindre en tenant le pinceau dans sa bouche. Refusée dans les écoles à cause de son handicap, elle veut s’instruire et est prise en charge par un moine bouddhiste qui lui apprend à lire et écrire. Sur son conseil, elle cesse les spectacles de rue, et, à 24 ans, épouse Shohei Yamaguchi, l’un des membres de la troupe ambulante. Elle a un fils et une fille. Elle se met à gagner de l’argent en peignant des kimonos et des obis (ceinture du vêtement traditionnel japonais). Divorcée à 39 ans, elle se consacre à la peinture. Elle illustre par exemple le Hannya-Shingyo (sutra bouddhiste ancien, appelé aussi le « Sutra du cœur ») de calligraphie, le décore d’oiseaux et de fleurs. En 1933, elle se fait nonne sous le nom de Junkyo. En 1936, elle se met à aider les handicapés, les incitant à devenir indépendants, disant par exemple : « Ne haïssez pas, ne maudissez pas, aimez-vous et aimez les autres, faites tout avec gratitude et vous serez sauvés par Bouddha, il vous donnera la paix du cœur et la subsistance. » Elle fonde une école pour handicapés dans le temple Bukkoin à Kyoto. Elle disait que sa mission était non « pas d’encourager les handicapés, mais de les rendre reconnaissants d’être handicapés. » Elle devient membre de l’association mondiale des artistes handicapés en 1962. Elle a pratiqué le Jihi jusqu’à sa mort, le 21 avril 1968.

Mime MORITA

YAMATA K., Trois Geishas, Paris, Domat, 1953.

OH JUNG-HI (ou O CHÔNGHÛI) [SÉOUL 1947]

Romancière sud-coréenne.

Couverte de tous les grands prix, véritable écrivaine féminine et grande styliste, Oh Jung-hi s’attache non seulement à décrire les femmes, mais aussi à en cerner la féminité dans une société qui n’a pas grand-chose à dire des inégalités réelles, une fois affirmée l’égalité de principe. Comme la plupart des écrivains, elle connaît le poids des réalités sociales. Son enfance dans le quartier chinois du port d’Inchon lui servira plusieurs fois de cadre, en particulier dans Chunggug’in kôri (« la rue des Chinois », 1979) et dans Yunyôn-ûi ttûl (« jardin d’enfance », 1981). Elle est, de toutes les romancières, celle qui a suivi la carrière littéraire la plus simple, ayant en quelque sorte appris à écrire à l’américaine, grâce à une licence de creative writing, méthode qui n’est pas si éloignée des procédés traditionnels où la transmission du savoir se déroulait en très petits comités, de lettrés à lettrés. Se consacrant par la suite essentiellement à son écriture, elle peut être considérée comme l’exemple type de l’écrivain coréen professionnel. À l’écart de la veine sociopolitique qui domine la scène littéraire des années 1970-1980, Oh Jung-hi s’attache principalement à décrire des femmes d’âge moyen, et la banalité de leur vie. Si dans ses premiers textes, comme Pul-ûi kang (« fleuve de feu », 1977) ou Yunyôn-ûi ttûl, elle évoque encore les suites de la guerre et utilise des villages comme décor, elle va vite se tourner vers l’étouffement que ressentent les femmes dans leur vie quotidienne. Dans Mimyông (« sans lumière », 1977) s’affrontent les logiques d’une vieille femme en pleine déchéance et une jeune femme qui accouche d’un enfant non désiré. Les rares femmes qui parviennent à s’échapper, par exemple pour une brève et peu satisfaisante liaison, retombent vite dans le quotidien, ajoutant la désillusion à la panoplie de leurs rares sentiments. L’Âme du vent (1986) ou Pulkkotnori (« feu d’artifice », 1995) sont représentatifs de cette seconde tendance. Écrivaine grand public, elle n’en est pas moins exigeante. Sa technique narrative est complexe : variété de points de vue, retours en arrière, style indirect libre sont convoqués pour tenter d’exprimer ce que les relations sociales actuelles empêchent les femmes de dire. Oh Jung-hi a également écrit des textes pour enfants, seul véritable écart à sa sombre vision des rapports humains. Féministe pessimiste, elle condamne rarement les hommes, qui répètent maladroitement les seuls gestes qu’ils aient appris, non pas parce qu’ils seraient aussi victimes, mais comme si la dénonciation elle-même était devenue inutile. Le recueil de nouvelles L’Âme du vent propose des regards masculins sur la vacuité de la vie des femmes. La banalité de la vie dans les villes tentaculaires fait tout accepter aux salariés pour survivre, et opprime en retour les épouses. Les très rares portraits de femmes non pas révoltées mais en quête de nouveauté ne montrent jamais de prise de conscience politique ni sociale, mais un cheminement pénible et lui-même subi. Si l’héroïne de L’Âme du vent se lance à la recherche d’un sens, c’est après avoir été violée et chassée par son mari. Et même du côté des femmes, il n’y a guère de solidarité à attendre. La profonde désespérance qui émerge des textes d’Oh Jung-hi tient d’abord à son enracinement dans la réalité qu’elle connaît. À aucun moment elle ne cherche à militer ni à rêver de situations autres. Elle nous ramène toujours à la réalité grise du couple, de la ville, des femmes. C’est-à-dire au deuil, au divorce, à la solitude, à l’abandon, à la folie.

Patrick MAURUS

Le Chant du pèlerin (Sullyejaûi norae, 1983), Arles, P. Picquier, 1989 ; L’Âme du vent (Param-ûi nôk, s.d.), Arles, P. Picquier, 1991 ; La Pierre tombale (Pulmangbi, 1983), Arles, P. Picquier, 2004 ; L’Oiseau (Sae, 1996) Paris, Seuil, 2005.

KLTI (dir.), Korean Writers : The Novelists, Séoul, Minumsa, 2005.

OH SOO-YEON VOIR O SUYÔN

OKADA MARIKO [TOKYO 1933]

Actrice et productrice japonaise.

Fille de l’acteur Okada Tokihiko, Okada Mariko débute au cinéma dans Maihime (« la danseuse », Naruse Mikio, 1951), puis joue dans une cinquantaine de films en dix ans, dont Nuages flottants (Ukigumo, 1955, Naruse, 1955) et Aijin (« l’amoureux », Ichikawa Kon, 1953). Si elle tourne ensuite dans deux films d’Ozu Yasujirô, Fin d’automne (Akibiyon, 1960) et Le Goût du saké (Sanma no aji, 1962), ses choix la portent plutôt vers des films indépendants. Devenue productrice – activité rare pour une femme, au Japon –, elle propose à Yoshida Kijû de réaliser La Source thermale d’Akitsu (Akitsu onsen, 1962), dans lequel elle tient le rôle principal, récompensé par deux prix d’interprétation en 1963. Ce film est considéré comme « phare » de la nouvelle vague japonaise, tout comme Eros+Massacre (Erosu+Gyakusatsu, 1969), où elle joue encore sous la direction de Yoshida. Mariée au cinéaste en 1964, elle collabore avec lui comme actrice et productrice sur une dizaine de films, dont Femmes en miroir (Kagami no onnatachi, 2002). Elle a tourné par ailleurs avec Kinoshita Keisuke : Koge (« le parfum de l’encens », 1964) ; avec Masumura Yasuzô : Tsuma futari (« deux épouses », 1967) ; plus récemment avec Itami Jûzô : Tampopo (1985) et Marusa no onna (A Taxing Woman, 1987) ; ainsi qu’avec le jeune Aoyama Shinji : Eri Eri rema sabakutani (« mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné », 2005). Actrice très populaire au Japon, elle a été l’interprète de plus de 150 films, incarnant souvent des femmes indépendantes et résolues. En 2003, son mari et elle ont reçu le Prix spécial du jury au Festival international du film de São Paulo pour l’ensemble de leur carrière.

Olivier AMMOUR-MAYEUR

OKAMOTO KANOKO [TOKYO 1889 - ID. 1939]

Romancière et poétesse japonaise.

Okamoto Kanoko fut initiée à la littérature par son frère, qui se lia d’amitié avec Tanizaki Jun’ichirō. Elle doit son romantisme esthétique à ce dernier, mais aussi et surtout à Yosano* Akiko, qui lui permit de débuter, à l’âge de 17 ans, comme poétesse. En 1910, elle épousa Okamoto Ippei, futur dessinateur, dont elle eut un garçon, Tarō, qui allait devenir un artiste avant-gardiste célèbre. Au cours de sa participation à la revue féminine Seitō, elle publia son premier recueil de tanka (poèmes traditionnels), Karoki netami (« la jalousie légère », 1912). Pour surmonter les difficultés de la vie conjugale, elle eut recours avec son mari au bouddhisme, dont les idées, comme l’impermanence, allaient influencer d’une manière fondamentale ses œuvres postérieures. Ayant manifesté par la publication de Waga saishū kashū (« mon dernier recueil de poèmes », 1929) sa décision de se tourner vers la forme romanesque, elle partit en famille pour l’Europe – Londres, Paris et Berlin – environ deux ans. Cette expérience se révéla très fructueuse dans son activité de création romanesque, entamée à partir de 1936 avec le succès de Tsuru ha yamiki (« la grue mourante »), dont le héros s’inspire d’Akutagawa Ryūnosuke. Consacrant ses dernières années exclusivement à l’écriture de romans, dont certains furent publiés à titre posthume, elle projeta son énergie vitale sur la figure de l’héroïne de son chef-d’œuvre, Rōgi-shō (« portrait d’une vieille geisha », 1938), une vieille femme aidant passionnément un jeune homme à réaliser son rêve. La notion de la vie que l’écrivaine a nourrie sous l’influence du bouddhisme est éminemment représentée par le motif du fleuve, comme le montre la nouvelle Kawa akari (« le reflet du fleuve », 1939). Ce motif est aussi associé à la féminité et à la maternité qu’elle s’efforça de sublimer de façon artistique par le moyen de l’écriture, avec Boshi jojō (« la communion entre la mère et le fils », 1937), roman semi-autobiographique. Son univers, coloré par un romantisme narcissique, témoigne de sa recherche obstinée du mystère de la vie, voire de la nature féminine.

Maki ANDO

KŌRA R., Okamoto Kanoko, Inochi no kaiki, Tokyo, Kanrin shobō, 2004 ; OKAMOTO T., Haha no tegami, Tokyo, Fujokai-sha, 1941.

OKAZAKI KYŌKO [TOKYO 1963]

Dessinatrice de manga japonaise.

Interrompue en 1996, l’activité créatrice d’Okazaki Kyōko n’a duré qu’une dizaine d’années. Son évolution correspond à celle de la société de consommation au Japon : son expansion, son échec (dû à l’éclatement de la bulle financière), et le marasme qui a suivi. Ses héroïnes sont des femmes issues de familles fragilisées par le divorce ou la mésentente de leurs parents. Libérées des contraintes traditionnelles, elles se confrontent à la sexualité et au travail dans une société régie par la logique du marché, avec l’espoir d’un autre rapport à autrui. Tokyo Gāruzu Burabō (« Tokyo Girls Bravo », 1990-1992) retrace l’histoire d’une jeune fille qui, quittant la province suite à la séparation de ses parents, découvre Tokyo et s’absorbe dans l’inflation de signes dont regorgent les zones urbaines dans les années 1980. Pourtant, l’effervescence induite par les images marchandes n’est que passagère ; à la fin de l’histoire, ses parents se réconcilient et elle quitte la capitale. L’héroïne de Pink (1989), sous le masque d’une employée de bureau, se prostitue pour nourrir le crocodile qu’elle élève chez elle. Le reptile impassible à grande gueule dévoratrice serait une excellente métaphore du désir capitaliste. Quand il finit par se transformer en accessoire de maroquinerie, on peut y voir une caricature de l’héroïne qui fait de sa sexualité une marchandise. Après l’éclatement de la bulle, la cruauté des œuvres d’Okazaki Kyōko est grandissante. Les histoires d’amour des jeunes dans River’s Edge (1993-1994) sont parsemées d’épisodes sinistres – cadavre abandonné, brimade, prostitution de garçons, suicide – sans avenir prometteur. L’un des personnages est une lycéenne qui ne cesse de manger et de vomir pour garder la ligne, une idée développée dans Helter Skelter (2003) et incarnée par Ririko. Celle-ci soumet toutes les parties de son corps à des opérations de chirurgie esthétique visant à la métamorphoser en star du show-business. Afin de conserver cette illusion face à l’altération dévastatrice de son corps, elle prend mystérieusement la fuite, ne laissant derrière elle qu’un de ses globes oculaires. Servi par un dessin très peu travaillé, le manga n’en est que plus violent et dramatique. Juste après la publication en feuilleton de Helter Skelter, Okazaki Kyōko interrompt ses activités à la suite d’un accident de voiture.

EMITSUNORI

Pink (Pink, 1989), Paris, Casterman, 2007 ; River’s Edge (Rivāzu Ejji, 1994), Paris, Casterman, 2007 ; Helter Skelter (Herutā Sukerutā, 2003), Paris, Casterman, 2007.

OKEEFFE, Georgia [SUN PRAIRIE 1887 - SANTA FÉ 1986]

Peintre américaine.

Georgia O’Keeffe fut la seule femme peintre de la première vague de l’« abstractionnisme » américain formée autour d’Alfred Stieglitz à New York. Elle quitte en 1907 la ferme familiale pour étudier à l’Art Institute de Chicago, puis à l’Art Students League de New York – formation académique qui lui permettra, à partir de 1911, de gagner sa vie en enseignant les arts plastiques et le dessin publicitaire. Influencée par l’avant-garde française et les écrits de Kandinsky, G. O’Keeffe adopte en 1915 une sorte d’abstraction « organique », proche de celle d’Arthur Dove, considéré comme le pionnier de la peinture abstraite américaine. Formes géométriques, lignes courbes souples et fluctuantes, espaces embrasés, traversés de lueurs colorées, vont lui permettre de représenter, par séries, les multiples modulations de ses états d’âme et de définir un style singulier, s’éloignant des autres premiers « abstraits » américains, comme Mardsen Hartley et John Marin. Le photographe et galeriste peut-être le plus décisif de la scène new-yorkaise de l’époque, A. Stieglitz (éditeur de la revue Camera Work), lui consacre une première exposition personnelle en 1917, saluant ses nouvelles aquarelles incandescentes, où la lumière joue un rôle égal à celui de la composition abstraite. En 1918, la peintre le rejoint à New York (ils se marieront en 1924) ; il lui organisera chaque année une exposition. L’interrogation des forces cosmiques naturelles constitue, dès 1919, le fil conducteur de son travail. Ses peintures, non mimétiques, quasi abstraites (Lake George With Crows, 1921) sont des « paysages intérieurs », des sortes de projections mentales définies par des variations chromatiques : l’artiste explore volontiers une seule couleur – le bleu nocturne ou maritime (Blue, 1916-1917) ou le rouge solaire –, qu’elle décline sous différentes combinaisons et nuances d’une grande fluidité, mais toujours précisément définies. Ces modulations formelles « subjectives » expriment des sensations d’extase puissantes : flore, mer et cosmos se mêlent en un même flux d’expansion, qui impose son rythme de croissance en courbes parallèles ou concentriques, en symétries régulières. Parallèlement à ces compositions, la peintre continue à s’attacher à des figurations précises d’objets (fruits, fleurs, coquillages) ou de nus, ou même d’architectures urbaines (City Night, 1926), dont elle explore la « nature » tout à la fois explosive et secrète qui exerce sur elle la même fascination que celle des couchers de soleil, des nuages ou des vagues (Grey Line With Lavender and Yellow, 1923-1924). Ainsi, dans ses très nombreuses peintures de fleurs géantesdes années 1920-1930, le référent disparaît quasiment : les orbes abstraites de Grey, Blue & Black-Pink Circle (1929) évoquent tout aussi bien la coiffe d’une poupée indienne que les pétales d’une plante. S’agissant d’une expression plastique de femme, la critique américaine n’a pas manqué de souligner l’analogie de ces abstractions figuratives avec les formes en volutes d’un espace intime, éminemment sexuel. Si, dans les années 1930, la vague abstraite américaine est, sinon condamnée, du moins déconsidérée – les attaques culminent à l’occasion de l’exposition Abstract Painting in America, au Whitney Museum à New York en 1935 –, la place de l’œuvre de G. O’Keeffe trouve une nouvelle écoute auprès des tenants de la nouvelle abstraction biomorphique non géométrique, encouragée par Alfred Barr dans son exposition Fantastic Art, Dada, Surrealism, au Museum of Modern Art en 1937. Alors que son « formalisme » mystique, hésitant entre abstraction et figuration, lui est reproché (ainsi que son attachement à la couleur expressionniste fauve) par les partisans d’une abstraction froide géométrique – il répond en effet aux nouvelles injonctions attachées à l’expression subjective d’un « élan vital » –, il captera l’attention des expressionnistes abstraits dès les années 1945-1955 (Gottlieb, de Kooning), mais aussi celle des adeptes d’une abstraction optique, qui reconnaissent l’audace de ses cadrages. Relevant d’une démarche résolument indépendante, son œuvre pionnière ouvre, cinquante ans plus tôt, la voie à cette abstraction « antipuriste, antibauhausiste, antisystémique [… ], additive, subjective, locale, spécifique, pleine de couleurs, joyeuse, tarabiscotée », prônée par l’artiste féministe Joyce Kozloff* en 1976. Sont créées la Alfred Stieglitz/Georgia O’Keeffe Archiv à l’université Yale (New Haven), le Georgia O’Keeffe Museum à Santa Fé en 1997, et la Georgia O’Keeffe Foundation à Albiquiú (Nouveau-Mexique) en 1998.

Agnès DE LA BEAUMELLE

Georgia O’Keeffe, Paris, A. Biro, 1989 ; Georgia O’Keeffe : catalogue raisonné, New Haven, Yale University Press, 1999.

OKONJO-IWEALA, Ngozy [OGWASHI-UKU 1954]

Économiste et femme politique nigériane.

Par son père, professeur, Ngozy Okonjo-Iweala descend d’une famille royale. Sa jeunesse sera bouleversée par la guerre civile de 1967 et la sécession du Biafra. Elle revient de Harvard et du Massachusetts Institute of Technology diplômée en développement économique. Mère de quatre enfants, elle travaille d’abord pour la Banque mondiale, puis devient ministre des Finances du Nigeria de 2003 à 2006. Malgré ses importantes ressources pétrolières, ce pays est endetté. N. Okonjo-Iweala obtient l’annulation des deux tiers de la dette, relance la croissance économique et lutte avec une grande fermeté contre la corruption qui gangrène et appauvrit le Nigeria. Diffamée, elle est contrainte à la démission et rejoint la Banque mondiale en 2007, où elle sera la première femme à occuper le poste de directrice générale. Le nouveau gouvernement nigérian la rappelle au ministère des Finances en 2011. Forte de son expérience en matière de gouvernement, de diplomatie et d’économie, cette travailleuse acharnée présente en 2012 sa candidature à la présidence de la Banque mondiale, avec pour programme la création d’infrastructures permettant le développement des entreprises, dans un partenariat entre les secteurs privé et public. Internationalement reconnue pour sa rigueur et sa compétence, elle défie par sa candidature le monopole des États-Unis dans la nomination des dirigeants des institutions financières internationales. Si elle ne l’emporte pas – un expert médical lui sera préféré –, elle a ouvert la voie : « Il faut impliquer les pays émergents dans la gestion du monde », dit-elle.

Jacqueline PICOT

OKONO ABENG VOIR ASOMO NGONO ELA

OKSANEN, Sofi [JYVÄSKYLÄ 1977]

Écrivaine finlandaise.

Née d’une mère estonienne et d’un père finlandais, Sofi Oksanen s’est imposée sur la scène littéraire par ses textes forts et ses discours flamboyants sur la société. Elle a publié trois romans, tous portés par des voix féminines. Le premier et le troisième, traduits en français, entrelacent des récits d’époques différentes, puisant dans l’histoire de l’Estonie occupée successivement par l’Allemagne et l’URSS entre 1940 et 1990. Dans Les Vaches de Staline (2003), l’héroïne, Anna, finno-estonienne, raconte la stupeur des membres estoniens de sa famille lorsqu’ils furent envoyés en Sibérie par le régime stalinien et découvrirent des chèvres faméliques au lieu des vaches grasses décrites par la propagande soviétique. En parallèle, elle fait état du tabou lié aux origines estoniennes de sa mère et du dérèglement alimentaire qui en découle. Dans Purge (2008), Zara, une jeune femme maltraitée par des proxénètes à Berlin, se réfugie chez Aliide, une vieille dame terrée dans sa maison parce qu’elle redoute des pillages après l’effondrement du bloc soviétique. D’abord écrit pour le théâtre, ce récit en a gardé les traces sous sa forme romanesque, avec une construction narrative qui progresse par scènes. Le titre fait référence aux purges effectuées par les autorités communistes et à la purification individuelle engendrée par la confession. Ce roman a reçu plusieurs récompenses, dont le prestigieux prix Finlandia (2008) et le prix Femina étranger (2010). Le thème de la violence et de ses multiples manifestations est récurrent dans l’ensemble de sa production. Baby Jane (2005) – inspiré du film de Robert Aldrich – met en scène une relation homosexuelle sadique. L’écrivaine traite des sujets universels, rarement abordés par la littérature finlandaise, telles les différentes expressions du pouvoir, de la culpabilité et des passions. En 2012 est paru son quatrième roman Kun kyyhkyset katosivat (« quand les colombes ont disparu »).

Janna KANTOLA

Les Vaches de Staline (Stalinin lehmät, 2003), Paris, Stock, 2011 ; Purge (Puhdistus, 2008), Paris, LGF, 2012.

OKSANEN S., PAJU I., Kaiken takana oli pelko. Kuinka Viro menetti historiansa ja miten se saadaan takaisin, Helsinki, WSOY, 2009.

OKU MUMEO (née WADA MUMEO) [FUKUI 1895 - TOKYO 1997]

Militante féministe et femme politique japonaise.

Après des études à l’École supérieure pour jeunes filles du Japon (Nihon joshi daigaku), Oku Mumeo commence à s’intéresser aux questions sociales et écrit en 1919 des articles pour la revue Rōdō sekai (« le monde du travail »). Elle donne des conférences, puis se fait embaucher comme ouvrière dans une usine textile, sans révéler sa véritable identité. En 1920, elle participe à la fondation de l’Association des nouvelles femmes (Shin fujin kyōkai), premier mouvement de femmes au Japon, avec Hiratsuka Raichō* et Ichikawa Fusae*, et prend la suite de cette dernière à la rédaction de la revue Josei dōmei (« la ligue des femmes »). En 1922, son principal objectif étant atteint, puisqu’est levée l’interdiction faite aux femmes de participer à des réunions politiques ou d’être membres de partis, l’association est dissoute. Pour améliorer le sort des femmes dans le monde du travail, Oku Mumeo fonde alors la Shokugyō fujin-sha (« société des femmes qui travaillent »), ainsi que la revue Shokugyō fujin (« les femmes qui travaillent »), laquelle deviendra plus tard Fujin to rōdō (« les femmes et le travail ») puis Fujin undō (« le mouvement des femmes »). Dès cette époque, elle se préoccupe aussi de défendre les consommateurs, formant notamment en 1928 le Syndicat des femmes consommatrices (Fujin shōhi kumiai kyōkai). Elle fonde, à Osaka, en 1933, une Maison des femmes qui travaillent (Hataraku fujin no ie) et en ouvrira d’autres dans le pays. Pendant la guerre, elle publie plusieurs ouvrages sur le travail des femmes, notamment Tatakau josei, onna mo hatarakanebanaranu (« les femmes au combat, les femmes doivent travailler aussi », 1943). En 1947, les femmes ayant obtenu le droit de vote en 1945, elle est élue députée aux premières élections générales et le restera pendant trois mandats. Voulant faire connaître la réalité de la vie des femmes au foyer, elle réclame un ministère de la Vie quotidienne (seikatsushō). En 1948, elle crée et dirige la Ligue des femmes au foyer (Shufu rengō-kai), organisation de défense des consommateurs, dans un Japon encore marqué par les privations de l’après-guerre. En 1956, elle fonde la Maison pour les femmes au foyer (Shufu kaikan), qu’elle dirige aussi. Peu à peu se constituera un réseau national offrant des lieux de rencontre, ainsi que divers cours. Ces organismes existent encore. Oku Mumeo abandonne la politique en 1965, car elle refuse d’entrer dans le jeu des partis. Elle publie plusieurs essais ainsi que son autobiographie, Nobi akaakato, Oku Mumeo jiden (« les lueurs des feux de la plaine, autobiographie d’Oku Mumeo », 1988), rééditée après sa mort sous le titre Oku Mumeo, nobi akaakato (« Oku Mumeo, les lueurs des feux de la plaine », 1997).

Marion SAUCIER

KANEKO S.et al., Nihon josei-shi daijiten, Tokyo, Yoshikawa Kōbunkan, 2007 ; MACKIE V. C., Feminism in Modern Japan : Citizenship, Embodiment and Sexuality, Cambridge/New York, Cambridge University Press, 2003.

OKUMURA IOKO [SAGA, JAPON 1845 - KYOTO 1907]

Bouddhiste et activiste laïque japonaise.

Okumura Ioko est la fille aînée d’Okumura Ryukan, prêtre en chef du temple de Kotoku. Positive et ayant un fort désir de justice, Okumura Ioko sympathise avec le groupe royaliste dévoué à l’empereur et participe au mouvement contre le shogunat Tokugawa, Sonnō jōi (« révère l’empereur, expulse les barbares »). Elle n’hésite pas à se rendre, habillée en homme, dans le district de Chōshū (Nagato), pour contacter des membres du mouvement, et soutient le prince Sanjō Sanetomi (1837-1891) qui en est la figure centrale. Mariée à 22 ans, elle est rapidement veuve. Remariée avec un samouraï du domaine de Mito dénué de sens pratique, elle doit gagner elle-même de quoi nourrir sa famille. Divorcée en 1877, elle se consacre alors au mouvement social. En 1890, pour les premières élections générales, elle soutient Tameyuki Amanō (écrivain et économiste). Okumura Ioko était liée à de nombreuses personnalités de la noblesse et de la famille impériale. Ni égoïste ni orgueilleuse, franche et ouverte, elle était appréciée de tous. En 1897, avec son frère Okumura Enshin, elle est envoyée en mission en Corée par la branche Higashi-honganji du bouddhisme shin (ou Jōdo-Shinshū). Elle se rend à Kyongju en 1898, où elle ouvre une école pratique d’agriculture : Okumura Jitsugyo Gakkou. Cette création est mal accueillie du fait du refus par les Coréens de l’hégémonie japonaise ; la chose se répète lors de la création du jardin d’enfants Tokufuh Yochien à Séoul. Okumura Ioko tombe alors malade et revient au Japon. Elle se rend au Fujian en Chine, en 1900. Témoin de la Révolte des boxeurs (1899-1901), elle est marquée par ces événements tragiques (des dizaines de milliers de morts, des décapitations en masse…) et cherche à venir en aide aux soldats et à leur entourage. De retour au Japon, elle fonde l’association patriotique de femmes Aikoku-Fujinkai, destinée à soutenir les familles des soldats. Le prince Konoe Atsumaro (1863-1904) et le vicomte Ogasawara Naganari soutiennent l’association, qui rassemble rapidement des femmes de la haute société comme Iwakura Hisako, Ichijoh Etsuko, Konoe Sadako, Utako Shimoda et Tsuda Umeko. Okumura Ioko a représenté l’association Aikoku-Fujinkai, qui comptait plus de 500 000 membres, lors de différentes tournées, donnant plus de 350 conférences. Malade, elle cesse son activité en 1906.

Mime MORITA

ISHII S., IWAO S., IYANAGA T (dir.), Dictionnaire historique du Japon, Paris, Maisonneuve et Larose, 2002.

OLDENBOURG, Zoé [SAINT-PÉTERSBOURG 1916 - PARIS 2002]

Romancière, essayiste et auteure dramatique française.

Installée à Paris en 1925 avec sa famille qui fuit la révolution, Zoé Oldenbourg s’adonne très tôt à la poésie et à la peinture, étudie l’histoire, la théologie. Spécialiste de la France médiévale, des croisades et des cathares, elle écrit des essais historiques, des biographies, une autobiographie et quelques pièces de théâtre. Ses nombreux romans se situent souvent au Moyen Âge (La Pierre angulaire, prix Femina 1953) ; d’autres abordent une matière plus contemporaine : La Joie-Souffrance (1980) évoque des Russes exilés à Paris entre les deux guerres ; Que vous a donc fait Israël ? (1974) est un plaidoyer mesuré en faveur de cet État. Féministe, membre du jury du Femina, elle peint des personnages féminins forts et énergiques. Son œuvre dénonce l’intolérance et l’inhumanité des luttes fratricides.

Catherine DOUZOU

Le Bûcher de Montségur, Paris, Gallimard, 1959 ; Les Brûlés, Paris, Gallimard, 1960 ; Les Cités charnelles, Paris, Gallimard, 1961 ; Les Croisades, Paris, Gallimard, 1965 ; Catherine de Russie, Paris, Gallimard, 1966 ; Visages d’un autoportrait, Paris, Gallimard, 1976 ; Aliénor, pièce en quatre tableaux, Paris, Gallimard, 1992.

MASSALOVITCH S., Zoé Oldenbourg, Monaco, Éditions du Rocher, 1997.

OLDS, Sharon [SAN FRANCISCO 1942]

Poétesse américaine.

Détentrice d’un BA (Bachelor of Arts) de l’université de Stanford (1964) et d’un PhD d’anglais de l’université Columbia (1972), Sharon Olds connaît le succès dès la publication, en 1980, de son premier livre, Satan Says (« Satan dit »). Puis The Dead and the Living (« les morts et les vivants »), qui paraît en 1984, est sélectionné pour le prix de poésie Lamont et pour le prix national du Book Critics Circle. En Angleterre, The Father (« le père », 1992) est retenu pour le prix T. S.-Eliot. Poétesse lauréate de l’État de New York de 1998 à 2000, S. Olds est également l’auteure des recueils de poésie suivants : The Gold Cell (« la cellule d’or », 1987) ; The Wellspring (« la source », 1996) ; Blood, Tin, Straw (« sang, étain, paille », 1999) ; The Unswept Room (« la chambre non balayée, 2002) ; Strike Sparks : Selected Poems (« allumez des étincelles : poèmes choisis », 2004) ; One Secret Thing (« une chose secrète », 2008). Ses œuvres sont publiées dans de prestigieuses revues, telles que The New Yorker, The Paris Review, The Nation, et Poetry. Dans sa poésie, S. Olds décrit la vie domestique tout en rejetant la rigidité de la religion calviniste de sa jeunesse. Elle dit de ses écrits qu’ils sont « apparemment personnels », car elle n’aime pas prétendre qu’ils sont inspirés de son vécu. Visant la précision et la clarté de langage, elle aborde des sujets comme la mort ou l’amour érotique, tantôt avec sévérité, tantôt avec humour, franchissant les deux extrêmes de l’éventail des émotions. Les critiques sont divisés à propos de sa poésie : feu entre les mains ou pornographie ? Vivant à New York, S. Olds enseigne la poésie à la New York University, en troisième cycle, dans le programme de création littéraire.

Brandon THOMAS

SWIONTKOWSKI G., Imagining Incest : Sexton, Plath, Rich, and Olds on Life with Daddy, Selinsgrove, Susquehanna University Press, 2003.

BROUWER J., « Poetry chronicle », in The New York Times, 24-4-2009 ; GARNER D., « Sharon Olds, the Salon interview », in Salon, mai 1997 ; MACDONALD M., « Olds’worlds : interview », in The Guardian, 26-7-2008.

OLEART, María [BARCELONE 1929 - ALELLA 1996]

Écrivaine espagnole d’expression catalane.

Son père lui lègue sa passion pour les belles-lettres. À l’école du village, María Oleart découvre la langue et la littérature à travers des chansons et des contes populaires. De retour à Barcelone, après la guerre civile, elle épouse le sculpteur Tomàs Bel. Le couple possède une maison à Alella, où elle fera de longs séjours après leur séparation. Elle y écrit, proche de la nature et de la mer, qui lui sont si chères et auxquelles elle fait fréquemment référence dans ses poèmes. Elle publie aussi des œuvres en prose : romans, dont deux pour enfants, articles ou entretiens, notamment dans la revue Alella. Elle est cofondatrice, puis présidente de l’Institut de projection extérieure de la culture catalane (IPECC) et cofondatrice de l’association Josep Narcís Roca i Ferreres ; elle fait partie d’autres associations et revues où les femmes n’avaient jamais obtenu de place. Ses écrits obtiennent de nombreux prix : jeux Floraux de Lausanne (1976) et de Munich (1977), prix Donna (1988) et prix Caterina-Albert (1989). Elle aborde des sujets tragiques, comme la mort du père dans Enllà (« au-delà », 1974) ou la dépression existentielle dans Solitud (1991), tout en libérant son imagination dans des récits pour la jeunesse, tels que Les onades (« les vagues », 1987) ou La màgia de les espelmes (« la magie des bougies », 1991). Elle livre une réflexion sur les femmes dans Versos a Anaïs (1989), où le personnage d’Anaïs Nin* devient l’emblème de la liberté dans la vie et dans l’écriture. Ses œuvres sont un dialogue ouvert aux lecteurs, sous forme de conversation avec les morts, les amis et la tradition littéraire, comme l’indiquent ses références à Joan Maragall, A. Nin, Virginia Woolf*, C. Albert (1869-1966). Parmi ses œuvres poétiques figurent La mort i altres coses (« la mort et autres choses », 1965) et M’empasso pols quan beso el terra (« j’avale de la poussière quand j’embrasse le sol », 1983).

Montse VENDRELL BARDAJÍ

ABELLÓ M., « Una fascinació, Maria Oleart-Anaïs Nin », in Memòria de l’aigua, onze escriptores i el seu món, Barcelone, Proa, 1999.

OLEINIK, Olga [MATUSOVO 1925 - MOSCOU 2001]

Mathématicienne russe.

C’est dans une petite ville d’Ukraine du district de Kiev que naît Olga Arsenievna Oleinik. Ses dons exceptionnels lui permettent, dès 1944, de poursuivre ses études de mathématiques à l’université de Moscou. Sous la direction du professeur Ivan Georgievich Petrovskii, elle commence ses recherches. Elle soutient sa thèse d’État à Moscou alors qu’elle n’a que 29 ans. Professeure en 1955, elle est nommée en 1973 à la tête de la chaire des équations différentielles, dont elle assurera la direction jusqu’à la fin de sa période active. Élue tardivement à l’Académie des sciences de Russie en 1990, elle est titulaire de nombreuses distinctions nationales et internationales. Elle a été professeure invitée au Collège de France par les professeurs Jean Leray et Jacques-Louis Lions. O. Oleinik était très discrète sur sa vie personnelle ; ses biographes signalent un mariage de courte durée et la naissance d’un garçon atteint d’une cruelle et douloureuse maladie. Malgré les restrictions imposées pendant la période soviétique, elle a beaucoup voyagé et a été mondialement connue et appréciée comme mathématicienne. Douée d’une exceptionnelle puissance de travail, elle est à l’origine d’idées nouvelles qu’elle traduit en articles : on compte plus de 350 publications dans lesquelles figure son nom et une dizaine de monographies qui recouvrent pratiquement tous les domaines mathématiques qu’elle a abordés et où elle a laissé une trace. Également excellente formatrice, elle a créé autour d’elle une véritable école mathématique constituée par ses nombreux élèves. Ses travaux scientifiques couvrent un large spectre, de la géométrie algébrique dans laquelle elle avait fait ses premières recherches sous la direction de son maître I. G. Petrovskii, au seizième problème de Hilbert, à la théorie mathématique de l’homogénéisation qui a occupé les dernières années de sa vie, en passant par des théorèmes fondamentaux de la théorie de l’élasticité, l’étude des couches limites modélisées par les équations de Prandtl, les équations hyperboliques non linéaires, les équations elliptiques singulières, les équations paraboliques et la théorie spectrale des opérateurs différentiels. Dans tous ces domaines, elle aura laissé au moins un théorème qui porte son nom. Pour ne donner qu’une idée de la puissance de son esprit de synthèse et de simplification, elle était très fière d’avoir ramené la démonstration de l’inégalité de Korn, qui occupait 90 pages pratiquement illisibles à l’origine, à cinq pages d’une grande simplicité. Après la chute du communisme, elle est restée à Moscou, très discrète sur ses convictions politiques, mais toute sa vie elle a revendiqué une citoyenneté qui lui avait été donnée par l’Union soviétique. Mathématicienne, elle avait conscience d’appartenir à une communauté internationale qui dépassait les clivages politiques et nationalistes. En dehors des mathématiques, elle aimait passionnément les arts, notamment la peinture, le théâtre et la littérature.

Gérard TRONEL

Avec JIKOV V. V., KOZLOV S. M., Homogenization of Differential Operators and Integral Functionals, Berlin, Springer, 1994.

« Solutions discontinues d’équations différentielles non linéaires », in Uspekhi Mat.Nauk, vol. 12, no 3, 1957 (en russe) ; « Sur un problème de G. Fichera », in Doklady Akademii Nauk, vol. 157, 1964 (en russe).

ARNOLD V. I., EGOROV Y. V., VISHIK M. I., et al., « Olga Arsenievna Oleinik », in Troud Semina, Imeni I. G. Petrovskii, vol. 12, Éditions de l’université de Moscou (en russe), 1987 ; JÄGER W., LAX P., SYNGE MORAWETZ C., « Olga Arsienievna Oleinik (1925-2001) », in Notices of the American Mathematical Society, vol. 50, no 2, fév. 2003.

OLGAÇ, Bilge [VIZE, RÉGION DE MARMARA 1940 - ISTANBUL 1994]

Réalisatrice turque.

Si elle n’est pas la première femme à faire du cinéma dans un pays où les réalisatrices sont rares, Bilge Olgaç est sans doute la plus connue – du moins jusqu’à l’émergence de sa cadette, compatriote d’origine kurde, Yeşim Ustaoğlu* –, et celle qui est le plus souvent citée lorsque l’on parle de « cinéma au féminin » en Turquie. Après des débuts en 1962 comme assistante de son compatriote Menduh Ün, producteur et réalisateur prolifique né en 1920 et auprès duquel elle travaillera également comme scénariste, elle réalise son premier long-métrage en 1965 : Üçünüzü de mihlarim (« je vous tuerai tous les trois »), l’histoire d’un homme qui doit, à sa sortie de prison, faire face aux trois fils de l’homme qu’il a tué. Elle a déjà tourné une vingtaine de films lorsqu’elle reçoit le Grand Prix du Festival de films de femmes de Créteil en 1985 pour La Chambre de mariage (Kasik Düsmani). Ce film, qui la fera connaître à l’étranger, évoque la vie des hommes d’un village après que toutes les femmes ont été tuées le jour d’un mariage, sauf une d’entre elles à qui le drame fait perdre la raison. B. Olgaç réalise parallèlement des films publicitaires jusqu’au début des années 1980 et signe son dernier long-métrage, Kursun adres sormaz, en 1992.

Brigitte ROLLET

OLIPHANT, Margaret (née OLIPHANT WILSON) [WALLYFORD 1828 - WIMBLEDON 1897]

Critique et romancière britannique.

Fine critique littéraire, Margaret Oliphant a joui en son temps d’une grande popularité et a vécu exclusivement de sa plume lorsqu’elle fut contrainte d’élever seule ses six enfants. Refusant de manifester publiquement en faveur des droits des femmes, et en raison de ses vues conventionnelles sur le mariage, elle fut longtemps qualifiée d’antiféministe. Pourtant, elle fut plus que consciente de la condition des femmes au XIXe siècle et en fit, subtilement, un sujet récurrent dans la plupart de ses œuvres (plus de 120), même si sa rhétorique très personnelle, mêlant délibérément compassion et sarcasme, ne lève jamais totalement l’ambiguïté sur ses positions. Fidèle contributrice du Blackwood’s Edinburg Magazine, qui lui servit de tribune pendant quarante-six ans et lui permit d’asseoir sa réputation de romancière en publiant ses Chronicles of Carlingford, elle eut à cœur de souligner dans ses romans les injustices qui frappaient les femmes à son époque. Si elle accepta avec trop de résignation les humiliations subies par son sexe, peut-être parce que sa vie tragiquement endeuillée par la perte de ses enfants, l’un après l’autre, mina chez elle l’énergie nécessaire au combat militant, sa pleine lucidité à l’égard de la subordination féminine l’empêcha de souscrire inconditionnellement à l’idéologie des sphères séparées. Coupable d’une certaine complaisance pour les faiblesses masculines, elle offre néanmoins dans ses romans (Salem Chapel, 1863 ; The Perpetual Curate, 1864 ; Miss Marjoriebanks, 1866 ; Phoebe Junior, 1876) une galerie de personnages savoureux dans laquelle les hommes sont loin d’avoir toujours le beau rôle.

Martine MONACELLI

The Autobiography of Margaret Oliphant, Jay E. (dir.), Peterborough, Ontario, Broadview Press, 2002.

OLIVA, Antonia DE LA VOIR HICKEY Y PELLIZZONI, Margarita María

OLIVARES, baronesa DE VOIR GARCÍA BALMASEDA, Joaquina

OLIVEIRA, Jocy DE [CURITIBA 1936]

Compositrice et pianiste brésilienne.

Jocy de Oliveira commence ses études de piano à São Paulo avec José Kliass, puis se rend à Paris pour se perfectionner, pendant sept ans, avec Marguerite Long*. Aux États-Unis, elle obtient son diplôme en composition (Washington University, St Louis). Sa carrière de soliste l’a conduite à jouer avec des orchestres prestigieux (Boston Symphony et Orchestre national de France) et, sous la direction du compositeur, le Capriccio de Stravinsky. Elle joue en récital les compositeurs d’avant-garde : Boulez, Cage, Berio, Xenakis, dont certains ont écrit pour elle, et enregistre, entre autres, aux États-Unis l’intégrale de l’œuvre pour piano de Messiaen. Un temps professeure à l’université de Tampa (Floride), elle contribue à fonder, au Brésil, l’Academia Paulista de música. Ses œuvres sont marquées par un esprit résolument contemporain et elle est considérée comme la plus importante compositrice d’aujourd’hui au Brésil. En 1970, elle crée Polinteraçoes I & II (happenings) ; suivent des œuvres dites multimédia comme Fata Morgana, Liturgia do espaço (donnée en plein air devant 15 000 spectateurs) ou Solaris ; cette dernière pièce, intégrant musique, technologie, astronomie, vidéo, a été créée au planetarium de Rio de Janeiro en 2001. En 1993 se situe le début d’une trilogie lyrique consacrée aux valeurs féminines. Les ouvrages ont pour titre Inori, a prostituta sagrada, Illud tempus et As Malibrans. Ce dernier opéra, qui date de 1999, évoque la fascination suscitée par les grandes divas et leur destin, souvent tragique ; il a été donné avec succès à Darmstadt en Allemagne ainsi qu’à Rio de Janeiro et à Buenos Aires. En 2001 a eu lieu la création de Striding Through Rooms à la Biennale de musique contemporaine de Rio de Janeiro et, en 2005, Kseni, A Estrangeira, opéra sur le thème de Médée, donné d’abord à Berlin en version de concert, puis en 2006 à Rio de Janeiro. Enfin, Solo, Pocket opera, œuvre pour actrice/soprano, a été créé en 2007 à Brasilia, puis au Festival international de Campos do Jordão.

Philippe GUILLOT

CACCIATORE O. G. (dir.), Dicionário biográfico de música erudita brasileira, Rio de Janeiro, Forense Universitária, 2005 ; SADIE J. A., SAMUEL R. (dir.), The New Grove Dictionary of Women Composers, Londres, Macmillan, 1994.

OLIVEIRA, Orlandina DE [RIO DE JANEIRO 1944]

Sociologue mexicaine.

Ayant quitté son pays natal pour fuir la dictature militaire, Orlandina de Oliveira étudie à la Faculdad latinoamericana para las ciencias sociales (FLACSO) au Chili pendant l’âge d’or de la théorie de la dépendance. Après l’obtention de son doctorat de sociologie aux États-Unis, elle est nommée professeure au Centre d’études sociologiques du Colegio de México, institution de premier ordre pour les sciences sociales et humanités. Elle est considérée comme une pionnière dans la construction d’une vaste base de données sur le phénomène des migrations au Mexique, et son utilisation systématique dans la recherche et l’enseignement. Par la suite, elle se consacre à l’étude de la situation des femmes au Mexique – du marché du travail et des processus démographiques jusqu’aux conditions de survie des familles à bas revenus. Le thème des inégalités sociales, en particulier celles qui frappent les femmes et les jeunes, traverse toutes ses publications.

Viviane BRACHET-MARQUEZ

Avec BARBIERI T. de, La presencia de las mujeres en América Latina en una década de crisis, Santo Domingo, Ediciones populares feministas, 1987 ; avec GARCÍA B., Trabajo femenino y vida familiar en México, Mexico, Colegio de México, 1994 ; ID., « Las familias en el México metropolitano, visiones femeninas y masculinas », in Economía, sociedad, territorio, vol. 6, no 23, janv.-avr. 2006.

OLIVEIRA, Rosiska DARCY DE [RIO DE JANEIRO 1944]

Écrivaine et militante féministe brésilienne.

Licenciée en droit, Rosiska Darcy de Oliveira travaille tout d’abord comme journaliste, mais son combat contre la dictature militaire installée au Brésil en 1964 lui vaut d’être accusée de crime contre la sécurité et l’oblige, en 1970, à s’exiler en Suisse. Là, elle s’engage dans le mouvement féministe émergent et publie ses premiers écrits : La Libération de la femme, Changer le monde, réinventer la vie (1973). Elle crée et dirige le premier programme de recherche suisse sur les femmes à l’université de Genève et passe un doctorat de sciences de l’éducation. En 1985, avec le retour de la démocratie, elle revient au Brésil et continue son combat. Pour elle, l’émergence du sujet féminin est le paradigme du changement social, et l’égalité entre les femmes et les hommes doit être recherchée à travers la reconnaissance non hiérarchisée de leur différence. Présidente de la Coalition des femmes brésiliennes, elle organise, au Sommet de la Terre de Rio en 1992, Planeta Femea, la Tente des femmes, cœur battant du Forum des ONG, qui permettra la reconnaissance par la Conférence de la contribution vitale des femmes au développement et à l’environnement. Dans la foulée, elle crée, avec Antoinette Fouque* et Maria de Lourdes Pintasilgo*, le groupe international Terrafemina qui fait entendre la voix des femmes dans les grandes conférences de l’Onu des années 1990. Nommée en 1995 à la présidence du Conseil national des droits de la femme par le président du Brésil, elle dirige pendant quatre ans la principale instance de promotion de l’égalité entre les genres et, à la tête de la délégation brésilienne à la Conférence des Nations unies sur les femmes de Beijing, elle contribue fortement aux avancées adoptées. Ambassadrice du Brésil à la Commission interaméricaine des femmes de l’Organisation des États américains (1999-2005), membre du Panel mondial sur la démocratie de l’Unesco, elle crée, à l’invitation de l’ancien secrétaire général de l’Onu B. Boutros-Ghali, le Centre pour le leadership féminin qui formera des milliers de femmes à l’exercice du pouvoir politique, économique et social. Professeure de lettres à l’université, elle publie quatre recueils de chroniques et de contes. En juin 2012, elle participe à Rio+20, en tant que présidente de Rio Como Vamos, une organisation de citoyens pour des villes plus humaines.

Michèle IDELS

Elogio da Diferença, 1991, en anglais sous le titre In Praise of Difference, Rutgers University Press, 1999 ; La Culture des Femmes, Unesco, 1991.

OLIVER, María Antònia [MANACOR 1946]

Écrivaine espagnole d’expression catalane.

Attirée très tôt par la littérature, María Antònia Oliver découvre, enfant, la richesse des contes majorquins recueillis par Antoni M. Alcover, dont elle devient une lectrice passionnée. Certaines de ses œuvres puisent là leurs racines : Cròniques de la molt anomenada ciutat de Montcarrà (« chroniques de la bien nommée ville de Montcarrà », 1972) et surtout El vaixell d’Iràs i no Tornaràs (« le navire d’aller simple sans retour », 1976). Lors de ses années lycéennes, elle prend conscience de sa vocation littéraire. Elle commence à écrire en espagnol, mais un cours de langue catalane l’incite à employer sa langue maternelle. Son roman, Cròniques d’un mig estiu (« chroniques d’un demi-été », 1970), est considéré comme un chef-d’œuvre par Llorenç Villalonga. Après son mariage avec l’écrivain Jaume Fuster, elle s’installe à Barcelone, où elle participe aux mouvements littéraires d’avant-garde de la « génération de 70 ». Pendant quelques années, elle collabore à la presse écrite ; en 1977, elle est responsable de la production littéraire du Congrès de culture catalane à Barcelone. Elle écrit des scénarios pour la télévision et présente, dans des émissions littéraires, les auteurs catalans les plus importants, dont Mercè Rodoreda*, María-Aurèlia Capmany* et Joan Fuster. Dans ses romans, elle privilégie les relations intergénérationnelles et les sagas familiales (Amor de cans, « amour de chiens », 1995) ou les thèmes d’inspiration onirique et mythologique (Tríptics, 1989 ; Crineres de foc, « crinières de feu », 1985). Elle crée, dans le genre policier, le personnage d’une femme détective, Lònia Guiu, héroïne d’Étude en violet (1985), d’Antípodes (1988) et d’El sol que fa l’ànec (« le soleil qui agonise », 1994). Elle écrit aussi pour le théâtre Negroni de ginebra (« Negroni », 1993) et adapte La dida (« la nourrice ») de Salvador Galmés ; puis elle cesse temporairement d’écrire, mais Tallats de lluna (« coupures de lune »), commencé en 1995, est finalement publié en 2000. Elle reçoit de nombreuses distinctions, dont le prix Ramon-Llull en 2003, et la Creu de Sant Jordi en 2007. Traductrice, elle a donné une excellente version de Moby Dick (prix de la Generalitat de Catalunya en 1985) et a traduit aussi en catalan Virginia Woolf*, Robert Louis Stevenson et Mark Twain. Nombre de ses œuvres sont traduites en différentes langues.

Montse VENDRELL BARDAJÍ

Étude en violet (Estudi en lila, 1985), Paris, Gallimard, 1998 ; Antipodes (Antípodes, 1988), Paris, Gallimard, 1998.

MCNERLEY K., « Crossing parallel lines : Maria Antònia Oliver’s Fiction », in Romance Languages Annual, no 1, West Lafayette, 1989.

OLIVER, María Rosa [BUENOS AIRES 1898 - ID. 1977]

Mémorialiste, écrivaine et traductrice argentine.

Issue d’une famille de l’oligarchie argentine, entourée dès son plus jeune âge d’écrivains, d’artistes et d’intellectuels de divers cercles sociaux et culturels, María Rosa Oliver reçoit une éducation multilingue et européenne. Le premier tome de ses Mémoires, Mundo, mi casa (« monde, ma maison », 1965), dépeint dans une prose lumineuse la vie des classes privilégiées de l’époque. Le deuxième tome, La vida cotidiana (« la vie quotidienne », 1969), raconte la naissance de sa préoccupation pour la justice sociale. Grâce à l’écrivain Waldo Frank, elle rencontre Victoria Ocampo* et participe à la naissance de la prestigieuse revue Sur (« sud »), à laquelle elle collabore de façon permanente. Elle traduit des livres et des articles de diverses langues, écrit des critiques, des essais, une géographie argentine pour les enfants, et fait des incursions dans la fiction. Engagée en faveur du pacifisme et contre le fascisme, elle travaille pour l’administration Roosevelt à Washington (1942-1946), au Bureau de coordination des affaires interaméricaines, et elle donne des conférences et des cours sur l’Amérique latine aux États-Unis. Le troisième et dernier tome de ses Mémoires, Mi fe es el hombre (« ma foi, c’est l’homme », 1981), reflète son inquiétude face à la menace représentée par le fascisme et le nazisme, ainsi que son intérêt naissant pour l’américanisme. Féministe et critique aiguë de la société de consommation, elle anticipe les transformations culturelles et politiques qui vont secouer son pays et le reste du monde à partir des années 1950. Entre 1948 et 1962, elle visite la Chine et l’Union soviétique en tant que vice-présidente du directoire du Conseil mondial de la paix, puis elle écrit, avec Norberto A. Frontini, la chronique Lo que sabemos, hablamos. Testimonios sobre la China de hoy (« Nous qui savons, nous parlons. Témoignages sur la Chine d’aujourd’hui », 1955).

Alejandra JOSIOWICZ

OLIVER LABRA, Carilda [MATANZAS 1922]

Poétesse cubaine.

Tour à tour avocate, enseignante d’arts plastiques et bibliothécaire, Carilda Oliver Labra s’implique à partir des années 1940 dans la vie culturelle de sa ville natale, Matanzas, où elle réside depuis sa naissance. Elle a reçu des prix prestigieux, dont le Prix national de poésie, obtenu en 1950 pour son livre le plus diffusé, Al sur de mi garganta (« au sud de ma gorge », 1949). En 1997, le Prix national de littérature lui a été décerné pour son œuvre, considérée comme un prolongement du mouvement néoromantique. Sa poétique repose sur l’entremêlement d’éléments biographiques – caractérisés par l’intensité et l’audace de sa vie amoureuse – et de rapprochements avec d’autres poètes. Son lyrisme est fortement enraciné dans l’émotion et la spiritualité. C’est même l’essence de sa personnalité, toujours empreinte d’une énergie poétique et vitale débordante. Au fil des ans, la passion qui anime sa poésie laisse place à une volonté de se rapprocher de l’objet poétique et de l’appréhender de façon plus familière. Le patriotisme perce parfois bien que ce ne soit pas le ton général de sa poésie. Elle s’exprime en utilisant la métrique traditionnelle hispanique, mais s’essaye également au vers libre. Dans les années 1950, son œuvre est admirée et reconnue dans l’ensemble du monde hispanophone. À Cuba, elle connaît un regain de notoriété dans les années 1980. Parmi ses œuvres notables figurent Memoria de la fiebre (« mémoire de la fièvre », 1958), Calzada de Tirry 81, (« chaussée en Tirry 81 », 1987), Desaparece el polvo (« la poussière disparaît », 1984), Los huesos alumbrados (« les os illuminés », 1988) et Se me ha perdido un hombre, 1982-1986 (« j’ai perdu un homme, 1982-1986 », 1991). Récemment, elle a commencé à s’intéresser à la nouvelle, comme l’illustre le recueil A la una de la tarde (« à une heure de l’après-midi », 2004).

Cira ROMERO

MARTÍNEZ CARMENATE U., Carilda Oliver Labra, la poesía como destino, La Havane, Editorial Letras Cubanas, 2004.

ARANGO A., « Con un prisma de treinta años, a propósito de Al sur de mi garganta », in Revista de Matanzas, no 5 et 6, mai-déc. 1979.

OLIVIER, Agathe [PARIS 1957]

Fildefériste française.

Formée à l’École nationale de cirque Annie-Fratellini*, Agathe Olivier y rencontre Antoine Rigot en 1979. Devenus partenaires sur le fil et dans la vie, ils créent un duo poétique et virtuose qui remporte une médaille d’argent au Festival mondial du Cirque de demain en 1983. Ils se produisent au cirque Roncalli en Allemagne et participent à la création du Cirque du Soleil au Québec. Ils intègrent ensuite de nombreuses compagnies de théâtre ou de cirque contemporain et créent plusieurs spectacles aux couleurs différentes : de l’Histoire du Soldat – avec Ars Nova, la Compagnie foraine et le théâtre de l’Unité – à la Volière Dromesko, créée au début des années 1990 à Lausanne. Lauréats du Grand Prix national du cirque en 1993, ils créent la même année le spectacle Amore Captus avec lequel ils tournent en 1994 et 1995. Ils travaillent également avec le Footsbarn Theatre et fondent la compagnie des Colporteurs en 1994. Ils créent le spectacle Filao en 1997 où se mêlent les disciplines sous un chapiteau rouge. En 2006, ils créent Le Fil sous la neige, pour sept funambules et trois musiciens, dont A. Olivier est maître d’œuvre sous le regard d’A. Rigot, qu’un accident immobilise désormais.

Pascal JACOB

OLIVOVÁ, Věra [PRAGUE 1926 - ID. 2015]

Historienne tchèque.

Après des études secondaires au lycée classique de Žižkov de Prague, Věra Olivová s’inscrit en 1945 en histoire et géographie à la faculté des Lettres de l’université Charles (FF UK) tout en suivant des cours d’histoire de l’art. Elle obtient son diplôme d’État en 1949 avant de soutenir un doctorat en 1951 alors qu’elle travaille aux archives de la chancellerie de la présidence de la République, où elle découvre notamment les archives personnelles du président Beneš. V. Olivová entre comme assistante puis comme maître de conférences à la chaire d’histoire de l’École supérieure de sciences politiques et économiques. En 1953, à la suite de la fermeture de cet établissement, elle passe au département d’histoire tchécoslovaque de la FF UK. Elle est habilitée en 1962 et nommée professeure d’histoire contemporaine tchécoslovaque en 1964, jusqu’à l’automne 1970. Pendant ces deux décennies d’enseignement, elle mène en parallèle un intense travail de recherche : les longues années passées à étudier les archives du ministère des Affaires étrangères l’orientent vers l’étude de la politique étrangère de son pays (Československo-sovětské vztahy v letech 1918-1922, « les relations soviéto-tchécoslovaques 1918-1922 », 1957 ; Československo v rozrušené Evropě, « la Tchécoslovaquie dans une Europe troublée », 1968). Avec la « normalisation » qui suit l’invasion soviétique du 21 août 1968, l’historienne est privée de sa chaire : elle trouve asile à mi-temps à la chaire d’ethnographie de la faculté à partir de 1972. Ses nouvelles recherches l’orientent vers l’histoire culturelle européenne, où elle utilise sa formation classique et ses connaissances en histoire de l’art. En 1979, elle publie une importante synthèse sur la genèse du sport, des origines au XIXe siècle (Lidé a hry, « les hommes et les jeux »). Après la « révolution de velours » de 1989, elle retrouve sa chaire pour trois ans à la FF UK et renoue avec les thématiques d’avant 1968, publiant les principaux manuels nationaux d’histoire sur l’entre-deux-guerres et retournant à la politique étrangère de la Tchécoslovaquie (Zápas o Československo : říjen 1937-září 1938, « le combat pour la Tchécoslovaquie, octobre 1937-septembre 1938 », 1992). Fondatrice et présidente de la Société Edvard-Beneš, elle consacre tous ses efforts à l’action de cette association ; elle publie des dizaines d’ouvrages qui prennent la défense du deuxième président tchécoslovaque et de la Première République masarykienne (1918-1938), qu’un nouveau courant historiographique tchèque critique de manière radicale.

Antoine MARÈS

Lexikon českých historiků, Prague, Historický ústav AV ČR, 1999.

OLLÉ, Carmen [LIMA 1947]

Poétesse péruvienne.

Carmen Ollé est sans doute la voix féminine la plus importante de la poésie péruvienne actuelle. Elle a fait partie du groupe littéraire avant-gardiste Hora Zero, né dans les années 1970. Sous l’influence de ce mouvement, la poésie péruvienne s’est métamorphosée, notamment sur le plan thématique, en donnant à la perspective féminine une importance fondamentale. Très provocatrice, sa poésie va à l’encontre de l’androcentrisme et des stéréotypes qu’il véhicule. Trois points sont récurrents dans son écriture : l’érotisme comme révélateur social, la recherche d’un genre littéraire oscillant entre l’autobiographie, le journal, le roman et la poésie (Una muchacha bajo su paraguas, « une femme sous son parapluie »), et l’expérience urbaine contemporaine, perçue à travers des villes comme Paris et Lima. En 1981 paraît Noches de adrenalina (« nuits d’adrénaline »), son premier livre, qui constitue un tournant dans la lyrique féminine péruvienne. En effet, sa poésie donne à voir l’érotisme de façon crue et dévoile la figure d’une femme libérée dans toutes ses dimensions : personnelle, sexuelle, politique, sociale et culturelle. En 1992, ¿Porqué hacen tanto ruido ? (« pourquoi font-ils tant de bruit ? ») se donne comme une sorte de journal intime où l’auteure abandonne les vers pour la prose poétique. À travers le récit de Sarah, protagoniste et narratrice, qui décrit une crise conjugale menant à une séparation définitive, se dessine la décadence de la société péruvienne de l’époque : les crimes, le terrorisme. C. Ollé a vécu en Allemagne, en France, en Espagne et aux États-Unis. En tant qu’universitaire, elle a dirigé le CENDOC Mujer (« Centre de documentation sur la femme ») à Lima, a été membre du DEMUS (« Études pour la défense des droits des femmes »), et a présidé l’Association du réseau d’écrivaines latino-américaines.

Felipe A

« Carmen Ollé. La capacidad de inocencia », in FORGUES R. (dir.), Palabra viva, las poetas se desnudan, Lima, Editorial El Quijote, 1991 ; TORO MONTALVO C., Diccionario general de las letras peruanas, historia de la literatura peruana, Lima, San Marcos, 2004.

OLMI, Véronique [NICE 1962]

Romancière et auteure dramatique française.

Après des études d’art dramatique, Véronique Olmi se fait rapidement remarquer par ses pièces de théâtre, mises en scène par Brigitte Jaques-Wajeman*, Jacques Lassalle ou Philippe Adrien : Point à la ligne (1998) lui vaut le prix CIC Paris Théâtre. Elles rendent perceptibles la fragilité des êtres, leur révolte, leur douleur à dire comme à désirer. L’écriture même, transgressive, douloureuse, tranchante et passionnée, est à l’image des personnages, notamment celui de l’écrivaine Mathilde, dans la pièce éponyme (2001), retrouvant son époux, après trois mois passés en prison pour avoir aimé un adolescent. Les nouvelles recueillies dans Privée (1998) rendent compte de destins déchirés, de tragédies du quotidien, de fragments de bêtise ordinaire. Ce déchirement des êtres, confrontés à une réalité dont ils sont souvent dépossédés, se retrouve dans les récits de l’auteure, en particulier dans Bord de mer (2001), pour lequel elle reçoit le prix Alain-Fournier. Cet été-là a reçu en mai 2011 le prix des Maisons de la presse.

Sylvie LOIGNON

Le Passage, Paris, L’Arche, 1996 ; Les Nuits sans lune : chaos debout, Paris, L’Arche, 1997 ; Un si bel avenir, Arles, Actes Sud, 2003 ; Sa passion, Paris, Grasset, 2006.

OLSEN, Tillie [OMAHA V. 1913 - OAKLAND 2007]

Écrivaine américaine.

Issue d’une famille pauvre d’immigrants juifs russes, Tillie Lerner Olsen doit vite abandonner ses études pour travailler. Sous l’influence du climat politique radical qui règne chez elle, elle devient membre de la Ligue des jeunes communistes et s’engage dans le militantisme politique. Elle publie alors, en 1934, dans The Partisan Review, des poèmes militants et des essais, ainsi que le premier chapitre de son unique roman, Yonnondio, favorablement accueilli par la critique. Elle ne peut cependant pas achever ce dernier ; pendant les deux décennies suivantes, son rôle de mère de famille et son travail à temps-plein prennent le pas sur sa passion pour l’écriture. En 1956-1957 et en 1959, T. Olsen reçoit deux bourses qui lui permettent de composer quatre récits, moins didactiques et moins engagés politiquement que ses premiers écrits. Parus en 1961 en un recueil intitulé Dis-moi une devinette, ils imposent la voix d’un grand écrivain. L’auteure y raconte la vie de petites gens qui se débattent avec la pauvreté, la ségrégation raciale, le vieillissement et la maladie ou bien la difficulté de s’ouvrir à l’autre, tout en inscrivant les personnages dans une histoire et une société qui les écrasent. Deux des nouvelles contiennent en outre en germe des enjeux majeurs du féminisme de la deuxième vague, soit les tensions entre la maternité et les autres formes d’activité productive, et la construction d’une identité féminine. Au début des années 1970, ayant par hasard retrouvé des fragments de son projet de roman Yonnondio, elle les rassemble et les révise, sans toutefois achever l’histoire, pour les publier en 1974 sous le titre Yonnondio : From the Thirties (« Yonnondio : une histoire des années 1930 »). Narrant la lutte pour survivre d’une famille très pauvre ainsi que les relations difficiles entre ses membres, ce roman met en avant les conditions de vie et de travail inhumaines des ouvriers à l’époque de la Grande Dépression et dénonce la situation de confinement et de pauvreté des femmes au foyer. Écho de l’engagement de l’auteure pour la cause prolétaire, il présente aussi des aspects qui le rattachent à l’esthétique moderne. En 1978, T. Olsen publie Silences, recueil expérimental composé d’essais, de considérations autobiographiques, de rétrospectives historiques et de fragments poétiques. Elle se penche sur les blocages de l’écriture et les circonstances qui empêchent les écrivains de créer. Elle déplore la perte que constitue, pour la littérature, l’étouffement de voix d’écrivains potentiellement importants du fait de leur sexe ou de leur classe. La deuxième partie des Silences, où T. Olsen a souvent recours au blanc, au vide textuel, attire justement l’attention sur tous les livres de femmes qui n’ont jamais été écrits ainsi que sur les éternelles interruptions réduisant au silence celles qui se consument dans le travail quotidien. Le livre a un impact énorme, puisqu’il encourage les éditeurs et les chercheurs à s’intéresser à des textes injustement oubliés et est à l’origine d’un nouveau champ critique, la critique au féminin. Vers la fin de sa carrière, T. Olsen, qui reçoit par ailleurs plusieurs prix et distinctions, donne des conférences, voyage et encourage de nombreux écrivains. En 1984, elle édite un journal intitulé Mother to Daughter, Daughter to Mother, Mothers on Mothering (« de mère à fille, de fille à mère, les mères et les soins maternels »), fruit de son intérêt pour les aléas de la maternité.

Denisa-Adriana OPREA

Dis-moi une devinette (Tell Me a Riddle, 1961), Paris, Albin Michel, 1982.

POLSTER K. L., « Tillie Olsen », in SHATZKY J. et TAUB M. (dir.), Contemporary Jewish-American Novelists : A Bio-Critical Sourcebook, Westport, Greenwood Press, 1997 ; REID P., Tillie Olsen : One Woman, Many Riddles, New Brunswick (New Jersey), Rutgers University Press, 2010.

OLSSON, Ingela [NYBRO 1958]

Actrice suédoise.

Sans avoir fait d’études spécifiques, Ingela Olsson se forme à plusieurs métiers du théâtre par la pratique, dans la compagnie indépendante Galeasen Theatre. Fondée dans les années 1980, cette dernière possède un profil bien marqué et s’engage, au cours des années, avec des dramaturges comme Lars Norén, Rainer Werner Fassbinder et Jim Cartwright. Du fait de son indépendance, malgré de modestes ressources, cette compagnie offre à l’actrice la liberté de choisir son répertoire et de satisfaire ses intentions artistiques. N’ayant pas baigné dans une culture familiale liée au théâtre, pas même comme spectatrice, I. Olsson dit elle-même avoir connu le théâtre par la télévision, en regardant par exemple Scènes de la vie conjugale, d’Ingmar Bergman. À 20 ans, à Paris, elle découvre le théâtre d’Ariane Mnouchkine* et celui de Peter Brook et, de retour en Suède, se tourne, avec d’autres jeunes comédiens, vers celui de Jerzy Grotowski. Souvent lectrice de pièces, elle contribue grandement à l’introduction de l’œuvre d’Elfriede Jelinek* en Suède. Jouant dans une douzaine de films et assumant pendant les années 2000 de longs engagements sur la scène nationale du Dramaten, elle interprète des rôles de femmes névrosées, alcooliques, sans jamais chercher à flatter le public et avec une totale franchise.

Margareta SORENSON

OLUJIĆ, Grozdana [ERDEVIK 1934]

Écrivaine serbe.

Diplômée de l’Université de Belgrade en études anglaises, Grozdana Olujić est connue pour ses fables pour enfants. Ses premiers romans reposent sur l’héritage de la tradition réaliste et sur les innovations thématiques liées à la vie et aux dilemmes de jeunes gens dans la nouvelle réalité de la Yougoslavie communiste. Une excursion dans le ciel (1958) a été adapté au cinéma par Jovan Živanović dans Čudna devojka (« une fille bizarre », 1962). Elle a également publié Glasam za ljubav (« je vote pour l’amour », 1962), Ne budi zaspale pse (« ne réveille pas les chiens endormis », 1964) et Divlje seme (« la semence sauvage », 1967). Pour Glasovi u vetru (« les voix dans le vent »), elle a reçu, en 2009, le prix Nin du meilleur roman de l’année, l’équivalent serbe du prix Goncourt. Roman sur l’émigration, il constitue une histoire alternative du citoyen, histoire de l’individu autant que de la famille en pleine traversée de moments historiques traumatisants. Les événements clés d’une vie sont filtrés à travers la conscience du personnage principal, qui forme ainsi le tableau fragmentaire d’un monde disparu. Elle est également l’auteure de fables très populaires : Sedefna ruža (« une rose de nacre », 1979) ; Nebeska reka (« rivière céleste », 1984) ; le roman-conte de fées Zvezdane lutalice (« les vagabonds stellaires », 1987) ; Princ oblaka (« le prince des nuages », 1988) ; Dečak i princeza (« le garçon et la princesse », 1990) ; Zlatni tanjir (« l’assiette d’or », 1998) ; Mesečev cvet (« la fleur de lune », 1995) ; Breg svetlosti (« la montagne illuminée », 1997) ; Galebova stena (« le rocher des mouettes », 2001) ; Kamen koji je leteo (« la pierre qui volait », 2002) ; Snežni cvet (« la fleur des neiges », 2004) ; Jastuk koji je pamtio snove (« l’oreiller qui retenait les rêves », 2007). Essayiste, elle a publié une anthologie de la poésie contemporaine indienne, Prizivanje svetlosti (« invoquer la lumière », 1980), ainsi qu’Antologija ljubavnih bajki sveta (« anthologie des fables d’amour du monde entier », 1996). Elle a également traduit de l’anglais les œuvres de William Kennedy et d’Amrita Pritam*.

Aleksandar JERKOV

Une excursion dans le ciel (Izlet u nebo, 1958), Paris, Julliard, 1960 ; La Violette africaine (Afrička ljubičica), Lille, Miroirs, 1992.

RICAUMONT J. de, « Grozdana Olujić, Une excursion dans le ciel », in La Table ronde, no 160, avr. 1961.

OLUWOLE BOSEDE, Sophie [IGBARAODÉ, NIGERIA 1935]

Philosophe nigériane.

Fille d’une teinturière et d’un fermier, également commerçants, Sophie Oluwole Bosede fait ses études au Nigeria, où elle enseigne pendant un an. Avec son mari, elle poursuit ses études supérieures à Moscou, puis en Allemagne et aux États-Unis, avant de s’inscrire, en 1967, à l’université de Lagos, où, devenue professeure, elle enseigne la philosophie. En 1984, un doctorat (PhD) en philosophie (Meta-ethics and the goldenrule, « méta-éthique et la règle d’or ») couronne de longues années de recherches et marque son entrée dans le cercle des philosophes africains. Ses recherches portent sur la pensée de l’homme africain avant l’arrivée de l’homme blanc et des religions (islam et christianisme). Elle étudie la transmission orale de la culture et découvre l’ifá qui n’est pas seulement une pratique religieuse mais constitue un précieux corpus d’ouvrages qui sont l’essence même de la culture populaire : proverbes, contes, traditions, guide de vie, poèmes. À travers l’étude des proverbes, la philosophe a pu établir et interpréter certains rapprochements avec les règles de base de l’économie, ou des sciences. Cette démarche a permis de combattre des idées reçues selon lesquelles l’homme noir ne serait pas rationnel ou n’agirait que par instinct. Afin de faire émerger la philosophie africaine, S. Oluwole Bosede travaille avec les philosophes du Sénégal, du Kenya et d’Afrique du Sud, et, bien que professeure émérite, elle continue à participer à de nombreux forums sur la philosophie. Femme d’avant-garde, elle est une voix puissante dans le monde féminin. Au Nigeria et hors de ses frontières, elle soutient les femmes victimes de discriminations. Elle préside plusieurs organisations parmi lesquelles Grassroots Women for Sustainable Development, qui exhorte les femmes à lutter, pour accéder à des postes de décision et de pouvoir, car la loi ne le leur interdit pas. Celle qu’on surnomme respectueusement « Lady Sophie Oluwole » incite aussi les femmes à ne pas revendiquer des traitements de faveur et à obtenir leur indépendance économique.

Géraldine FALADÉ

Democratic Patterns and Paradigms : Nigerian Women’s Experience, Lagos, Goethe-Institute, 1996.

« The Rational Basis of Yoruba Ethical Thinking », in The Nigerian Journal of Philosophy, vol. 4, nos 1-2, 1984-1985 ; « Culture, Nationalism and Philosophy », in KIMMERLE H., WIMMER F. M. (dir.), Philosophy and Democracy in Intercultural Perspective, Amsterdam, Rodopi, 1997 ; « Africa », in JAGGAR A. M. (dir.), A Companion to Feminist Philosophy, Cambridge, Blackwell, 1998.

OLYFF, Clotilde [BELGIQUE 1962]

Graphiste belge.

Après des études à l’École supérieure de l’image (le « 75 »), puis à l’École nationale supérieure des arts visuels de La Cambre, à Bruxelles, Clotilde Olyff partage ses activités entre l’enseignement et la pratique de la typographie et du graphisme. Depuis 1993, elle enseigne au « 75 ». Elle est membre des Rencontres internationales de Lure, en France, de l’Association typographique internationale (Atypi) et, depuis 2004, de l’Alliance graphique internationale (Agi). Typographe, elle crée des logotypes, des timbres pour la Poste belge, des affiches pour de nombreux clients, et poursuit un travail très personnel autour de jeux typographiques en volume particulièrement créatifs et originaux. Cette graphiste explore l’univers de la lettre en trois dimensions. Avec peu de couleurs, mais des inventions toujours en mouvement au service de l’équilibre dans l’espace. Elle découpe, par exemple, le mouvement de la lettre « A » pour donner un coup de pied à un « E » qui se transforme en « C » pour la sculpture Allô, allez, assez, en carton marouflé de papier noir (2002). Elle travaille la lettre en volume sur des supports très variés : cartons, galets, allumettes, métal, bois… Pour le bonheur de ses commanditaires ou dans le cadre de recherches plus personnelles qu’elle expose à travers le monde.

Margo ROUARD-SNOWMAN

Bodytypes, en corps, la lettre, Bruxelles, Clotilde Olyff, 2002 ; Hand, Bruxelles, Clotilde Olyff, 2005.

Avec MIDDENDORP J., Lettered, Typefaces and Alphabets, Bruxelles, Jean Middendorp, 2001.

OMAR, Majeda [KOWEIT 1967]

Philosophe jordanienne.

Majeda Omar a fait des études de philosophie à l’Université d’Édimbourg, en Écosse, et à l’Université de Jordanie. Elle est aussi diplômée en mathématiques et en sciences de l’environnement de l’Université Yarmouk, à Irbid en Jordanie. Professeure associée de philosophie occidentale contemporaine à l’Université de Jordanie (2001), elle est la première et seule femme de son département. Elle a exercé comme doyenne adjointe pour les Affaires de développement, présidente du département de philosophie, directrice de l’Office de documentation de la recherche scientifique, chercheuse associée à l’Institut d’études islamiques de l’Université McGill de Montréal. Sa thèse de doctorat traite des interprétations par William James de la science et de la religion. Ses recherches actuelles portent sur le pragmatisme, l’histoire et la philosophie des sciences, la science et la philosophie islamiques, ainsi qu’en témoignent ses différents textes. Elle revisite le débat Popper-Kuhn et travaille notamment sur la distinction objet/sujet, la science comme expérience religieuse (la perspective James-Kuhn), les fondements philosophiques du dialogue interculturel et les interactions philosophiques dans le monde musulman au Moyen Âge.

Mariam AL-ATTAR

OMAROVA, Akjemal [MERV, AUJ. MARY 1928]

Poétesse turkmène.

En 1946, Akjemal Omarova publie ses premiers poèmes dans la presse. Diplômée de l’Institut pédagogique d’État turkmène de Merv en 1947, elle part à Moscou pour étudier à l’Institut de littérature Gorki jusqu’en 1956. Elle travaille comme pédagogue, mais également comme éditrice du périodique Tokmak. De 1957 à 1964, elle exerce à l’Institut de langue et de littérature Magtumkuli comme enseignante et à la radio-télévision turkmène comme journaliste. Elle publie de nombreux recueils d’inspiration patriotique : Poemy (« poèmes », 1956), Bouket Mourgaba (« le bouquet de Mourgab », 1959), Govori s solntsem (« parle avec le soleil », 1970), Pesni Karakoumov (« les chants du Karakoum », 1971), krylja (« les ailes », 1977). Ses œuvres ont été traduites en russe, en ukrainien, en ouzbek, en kazakh et en kirghize. Elle développe dans ses textes un puissant lyrisme fondé sur l’exaltation de la nature, de la beauté des paysages montagneux et désertiques « magiques » du Turkménistan, « pays du printemps éternel », puisant ses références dans la spiritualité, le folklore turkmène ou le savoir-faire traditionnel, « un tapis fait de rocher ». Elle exalte aussi le rôle de la femme turkmène et de son hospitalité dans deux poèmes intitulés « Tchaï » (« thé ») et « Plov » (« riz pilaf »). Plusieurs de ses poèmes sont dédiés à sa fille. Son œuvre exprime la vision du monde généreuse et pleine d’amour d’une femme turkmène du XXsiècle, fortement marquée par la Seconde Guerre mondiale, et qui a eu pour tuteur poétique le poète constructiviste Vladimir Lougovski (1901-1957), auquel elle dédie son poème « Iantar » (« ambre »). Elle a été couronnée par le prix « Symbole de l’honneur ».

Catherine POUJOL

OMBONI, Ida [MILAN 1922 - ID. 2006]

Dramaturge italienne.

Après des études de lettres, Ida Omboni a participé à la lutte partisane contre le nazisme et le fascisme. Elle a travaillé comme traductrice, en particulier d’écrivains humoristes de langue anglaise. Au début des années 1960, elle a élaboré, avec l’acteur et metteur en scène Paolo Poli, une nouvelle formule de théâtre comique basée sur la représentation ironique et désacralisante des mythes et des lieux communs de la culture italienne. C’est dans cette optique qu’elle a écrit des textes qui ont été portés au théâtre par P. Poli avec grand succès, en particulier Rita da Cascia (1967), au centre d’un procès où I. Omboni et P. Poli furent accusés d’offense à la religion, mais aussi Carolina Invernizio (1969) et Mistica (1980), deux pièces férocement satiriques sur le monde des romans-feuilletons de Carolina Invernizio* et des mythes religieux de l’écrivain Antonio Fogazzaro. I. Omboni a signé d’autres textes avec P. Poli, comme L’uomo nero (1971), Magnificat (1984), Farfalle (« papillons », 1987), Il coturno e la ciabatta (« le cothurne et la savate », 1990).

Francesco GNERRE

OMBRES, Rossana [TURIN 1931]

Écrivaine italienne.

Rossana Ombres débute en littérature en 1956, avec le recueil de poésie Orizzonte anche tu (« horizon toi aussi »), suivi d’autres publications : Le ciminiere di Casale (« les cheminées de Casale », 1962) ; L’ipotesi di Agadir (« l’hypothèse d’Agadir », 1968) ; Bestiario d’amore (« bestiaire d’amour », 1974), couronné par le prix Viareggio pour la poésie ; le poème théâtral Orfeo che amò Orfeo (« Orphée qui aima Orphée », 1975). Ses vers se caractérisent par un langage symbolique qui, selon la critique, renvoie à la leçon poétique de Cesare Pavese. Elle est également l’auteure de romans qui ont souvent pour protagonistes des figures de femmes en conflit avec la société : Principessa Giacinta (« princesse Giacinta », 1970) ; Memorie di una dilettante (« mémoires d’une dilettante », 1977) ; Serenata (« sérénade », 1980) ; Un dio coperto di rose (« un dieu recouvert de roses », 1993) ; Baiadera (« la bayadère », 1997). Collaboratrice de magazines et de quotidiens (Il Mondo, Tempo Presente, Paragone, Nuovi Argomenti, La Stampa), elle est par ailleurs l’auteure d’un livre pour la jeunesse, Le belle statuine (« les belles statuettes », 1975), où de vieilles cartes postales servent de prétexte pour raconter des histoires.

Francesco GNERRE

ONDREJKOVÁ, Anna [LIPTOVSKÝ MIKULÁŠ 1954]

Poétesse slovaque.

Tout en exerçant son métier de bibliothécaire, Anna Ondrejková écrit et commence à publier ses poèmes en 1972 dans la revue Nové slovo mladých. Les ballades sociales des recueils Kým trvá pieseň (« tant que la chanson dure », 1975) et Snežná nevesta (« la mariée en neige », 1978) obéissent aux exigences officielles de l’époque. Plánka (« surin », 1984) reflète le conflit romantique d’un « corps peu vivant » avec un « cœur trop vivant ». Ce conflit atteint son apogée en 1993 dans Sneh alebo Smutná jabloň plná nedozretých pávov (« la neige ou le pommier triste rempli de paons pas mûrs ») dans l’image de la malédiction qui condamne à la solitude. Le cycle Skoromed, skorokrv (« presque miel, presque sang », 1998) met en scène Gertrude, la reine de Suède, qui boit le vin empoisonné destiné à son fils, Hamlet. En décrivant la mort tragique de Gertrude, elle aborde la question de la complexité du crime et du châtiment. Le chant populaire et le folklore jouent un rôle déterminant dans sa poésie profondément lyrique, son idéal étant la « chanson pure comme la pluie ».

Diana LEMAY

COLLECTIF, Slovník slovenských spisovateľov 20, storočia, Bratislava, Literárne informačné centrum, 2008 ; MIKULA V. (dir.), Slovník slovenských spisovateľov, Bratislava, Kalligram & Ústav slovenskej literatúry SAV, 2005.

ONG, Kimberley [1987]

Entrepreneuse philippine.

Fille d’immigrants chinois, Kimberley Ong grandit dans le quartier le plus pauvre de Manille où elle observe, chaque jour, les dégâts provoqués par la pauvreté et la malnutrition. Diplômée en gestion de l’université de Manille, elle travaille d’abord pour une société de capital-risque à Singapour, puis encourage les femmes de Manille à devenir entrepreneuses individuelles dans la confection de vêtements. Grâce à ses parents qui possédaient une usine de lingerie, elle apprend à « voir les choses en grand en commençant à petite échelle ». Lors de ses études de commerce, elle découvre les vertus nutritives de la spiruline, une microalgue riche en protéines qui agit rapidement contre la malnutrition, ce qui l’amène à créer AlgaVentures, en 2007, avec Katherine Cheng et Justin De la Cruz. Distinguée en 2009 par les Cartier Women’s Initiative Awards, cette entreprise spécialisée dans la lutte contre la malnutrition produit et commercialise un pain bon marché, des bonbons et du café enrichis en spiruline. Les défis que se donne aujourd’hui K. Ong sont de trouver des financements publics et privés pour développer les programmes de renutrition des enfants et étendre son action à d’autres pays d’Asie.

Jacqueline PICOT