NEGRONI, María [ROSARIO 1951]
Écrivaine et traductrice argentine.
María Negroni enseigne la littérature latino-américaine à New York, ville où elle réside. Parmi ses recueils de poésie, se distinguent La jaula bajo el trapo (« la cage sous le chiffon », 1991) et Islandia (« Islande », 1994). Dans le premier, elle remet en question, à travers différentes voix (la mère, le savoir populaire) qui se mêlent, l’espace traditionnellement attribué aux femmes. À partir d’une prose poétique, son roman El sueño de Úrsula (« le rêve d’Ursula », 1998) efface les limites entre les genres littéraires. Dans le même esprit, La anunciación (« l’annonciation », 2007) relate les années 1970 de manière fragmentaire et polyphonique. Dans ces deux livres, la narration et la trame du récit passent au second plan afin de privilégier le travail sur la langue. Les poètesses qu’elle traduit et dont elle analyse les œuvres (Valentine Penrose*, Sylvia Plath* et Adrienne Rich*, entre autres) suggèrent dans quelle lignée féminine elle s’inscrit. Elle a écrit plusieurs essais, dont Museo negro (« musée noir », 1999). Elle s’est vu attribuer, notamment, une bourse Guggenheim en 1994.
Carolina ESSES
■ La Fleur de Coleridge (La flor de Coleridge, [s. d.]), Saint-Nazaire, Maison des écrivains étrangers et des traducteurs, 2001.
NEHANDA NYAKASIKANA VOIR CHARWE NYAKASIKANA, Nehanda
NEHER, Carola [MUNICH 1900 - SOL-ILETSK, UNION SOVIÉTIQUE 1942]
Actrice allemande.
Sans avoir de formation préalable, Carola Neher se tourne vers le théâtre en 1920. Elle est engagée aux Kammerspiele de Munich en 1922 puis au Lobe-Theater de Breslau, où elle rencontre Therese Giehse*. Le poète Alfred Henschke (Klabund), qu’elle épouse en 1925, lui écrit son premier grand rôle (Le Cercle de craie). Arrivée à Berlin en 1926, elle rencontre Bertolt Brecht. En 1928, elle doit être remplacée le jour de la première de L’Opéra de quat’sous, où elle interprète Polly, à cause du décès de son mari. Elle reprend le rôle plus tard, et l’interprète également dans le film de Georg Wilhelm Pabst (Die Drei Groschen-Oper, 1931). B. Brecht l’inclut dans la distribution de Happy End et de Sainte Jeanne des abattoirs en écrivant des rôles pour elle. En 1932, elle épouse Anatol Becker, d’origine roumaine, mais doit quitter l’Allemagne au printemps 1933 après avoir signé une pétition contre Hitler. L’émigration amène le couple à Prague puis à Moscou en 1934. Là, ils trouvent un engagement au cabaret Kolonne Links dirigé par Gustav von Wangenheim. Leur fils Georg naît la même année. En 1936, ils sont dénoncés par G. von Wangenheim : lui est assassiné, elle est condamnée à dix années de travaux forcés. En 1942, elle meurt du typhus au camp de travail. Walter Held, trotskiste, accuse B. Brecht et d’autres intellectuels allemands de ne pas être intervenus en leur faveur. Jorge Semprún retrace la vie de C. Neher dans la pièce Bleiche Mutter, zarte Schwester mise en scène en 1995 par Klaus Michael Grüber au cimetière russe de Weimar. Hanna Schygulla y incarne l’actrice.
Angela KONRAD
■ SCHERBAKOWA I., « Der Sohn einer Schauspielerin », in Nur ein Wunder konnte uns retten, Leben und Überleben unter Stalins Terror, Francfort, Campus, 2000 ; WEGNER M., Klabund und Carola Neher, Eine Geschichte von Liebe und Tod, Reinbek bei Hamburg, Rowohlt, 1996.
NEHMÉ, Raja [TYR, AUJ. SOUR 1944]
Écrivaine libanaise.
Après des études à l’université Saint-Joseph de Beyrouth et à la Sorbonne, Raja Nehmé obtient un doctorat en psychanalyse et en littérature, et devient chercheuse en lettres et en linguistique comparée. Ses études de psychanalyse se retrouvent dans son œuvre et dans le travail approfondi qu’elle a mené sur la vie intérieure de ses personnages. Dans son roman Harir sakhib «(soie turbulente », 2002), elle critique la vanité des Libanais, qui attise les envies et conduit à la violence. Elle s’intéresse aussi au passé et à l’histoire de son pays : dans son roman Hal raayte Warda (« à la recherche de Warda », 2007), elle aborde la question de l’essor culturel arabe à la fin du XIXe siècle, puis de son échec au cours de la Première Guerre mondiale.
Noha BAYOUMI
NEIMI, Salwa AL- [DAMAS 1951]
Écrivaine syrienne.
Après des études de littérature arabe à l’université de Damas, Salwa al-Neimi s’installe, dans les années 1970, à Paris, où elle travaille à l’Institut du monde arabe. En 1994, elle publie son premier roman, Kitab al-asrar (« le livre des secrets »), qui sera ensuite réédité après le succès de La Preuve par le miel (2007), récit écrit en arabe et traduit en 19 langues étrangères. Ce roman érotique, interdit en Syrie, constitue le premier du genre écrit par une auteure arabe. S’attaquant aux tabous et parlant de la relation de la femme à son corps, il s’appuie sur d’anciens textes érotiques arabes. L’écrivaine brise ainsi l’image traditionnelle de la culture arabe islamique en prouvant que la langue arabe est depuis longtemps capable d’exprimer le sexe, l’intimité du corps et du plaisir charnel, loin de la notion du péché. S. al-Neimi a également publié un recueil de poésie (Mes ancêtres les assassins, 2001) qu’elle a elle-même traduit de l’arabe, et des nouvelles.
Nemat ATASSI
■ Mes ancêtres les assassins (Ajdādī al-qatalah, 2001), Paris, Paris-Méditerranée, 2002 ; La Preuve par le miel (Burhān al-‘asal, 2007), Paris, Pocket, 2010.
NEJJAR, Narjiss [TANGER 1971]
Productrice, réalisatrice et scénariste marocaine.
Formée à l’École supérieure de réalisation audiovisuelle (Esra) à Paris, Narjiss Nejjar réalise le documentaire L’Exigence de la dignité (1994) et crée une société de production, Terre Sud Films. Elle publie Cahier d’empreintes, un récit poétique à la première personne du singulier, et réalise plusieurs courts et moyens-métrages : Le Septième Ciel (2001), Le Miroir du fou (2001), avant de se lancer dans le long-métrage. Avec La Parabole (2003), la télévision est au cœur de la vie d’une famille vivant dans une ferme, tandis que Les Yeux secs (2003) est une fiction étrange qui s’attache à une communauté de femmes recluses, qui refusent la maternité et vivent de la prostitution. Inhad ya Maghreb (Wake up Morocco, 2006), une fiction nationaliste, s’attache aux rêves déçus d’un homme vieillissant hanté par un échec et de la femme qui vit dans son souvenir. L’Amante du Rif (2011) est l’adaptation du roman éponyme de Noufissa Sbaï, sa mère, sur la descente aux enfers d’une jeune femme insouciante qui, d’avoir tant rêvé d’une grande passion, se perd de s’être éprise d’un trafiquant.
Patricia CAILLÉ
■ Cahier d’empreintes, lettre à toi, Paris, L’Harmattan, 1998.
NEKZAD, Farida [KABOUL 1976]
Journaliste et rédactrice en chef afghane.
Étudiante en journalisme à l’Université de Kaboul, Farida Nekzad s’exile au Pakistan avec sa famille lorsque les talibans s’emparent du pouvoir en Afghanistan en 1996. Elle y dispense des cours aux réfugiés afghans tout en poursuivant sa formation de journaliste à New Delhi. Elle publie alors ses premiers articles dans la presse afghane et pakistanaise, et s’essaie à la poésie. En 2002, après la chute des talibans, sous le gouvernement provisoire d’Hamid Karzaï, elle revient dans son pays. Désireuse d’aider les Afghanes et de participer à la reconstruction du pays, elle produit des émissions de radio et collabore avec de nombreux médias, comme The Institute of Peace and War Reporting, dont elle deviendra l’une des formatrices, la station de radio Aina, le magazine féminin The Effat Monthly Magazine, le New York Times, la BBC et The Voice of America. Elle organise en outre des ateliers à l’Impacs (Institute for Media, Policy and Civil Society). En 2004, avec l’aide d’organisations américaines, F. Nekzad participe à la fondation de Pajhwok Afghan News, dont elle devient la rédactrice en chef. Cette agence de presse, qui a pour vocation d’être indépendante, compte plus de 35 reporters, dont huit femmes. Elle diffuse des nouvelles quotidiennes en anglais, en pashto et en dari dans une cinquantaine de stations de radio. La liberté de ton de l’agence attire les foudres des chefs militaires. Elle divulgue notamment l’histoire d’un soldat ayant échappé à toute condamnation malgré des crimes multiples. Un taxi tente alors d’enlever la rédactrice en chef, qui parvient à s’échapper en sautant de la voiture. Une autre fois, l’agence relate l’échange d’un chien contre une jeune fille par un chef militaire. Les membres de l’équipe de Pajhwok Afghan News sont alors menacés de mort. De même, après les funérailles de Zakia Zaki*, tuée en juin 2007, on prédit le même destin à F. Nekzad, par téléphone, en précisant qu’elle sera méconnaissable après l’assassinat. Elle reçoit, en 2008, le Prix international de la liberté de la presse, décerné par le Comité de protection des journalistes, ainsi que le prix du Courage de l’International Women Media Foundation.
Audrey CANSOT
NELEGA, Alina [TÂRGU-MUREȘ 1960]
Dramaturge et metteuse en scène roumaine.
Membre de l’Uniter (Union théâtrale de Roumanie) et de l’Association internationale des critiques de théâtre, docteure de l’université d’art théâtral et cinématographique de Bucarest avec une thèse sur le tragique dans la nouvelle dramaturgie, Alina Nelega est convaincue que le théâtre roumain a besoin d’un nouveau virage, d’une nouvelle dramaturgie, et crée, en 1997, à Târgu-Mureș (Transylvanie), la fondation Dramafest, à la base du nouvel espace expérimental Teatrul Ariel Underground (1999). Jusque-là secrétaire littéraire, traductrice et essayiste, elle fait son double début comme dramaturge et metteur en scène en 2001 avec la pièce www.nonstop.ro (prix Uniter pour la meilleure pièce de l’année). Les mots clés définissant ce nouvel espace dans le paysage théâtral roumain sont : théâtre postdramatique dans toutes ses formes (hybrides, multimédia, intermédialité) d’ouverture vers des nouvelles expressions artistiques. Sa prédilection pour les monologues et les monodrames est loin de signifier la peur d’aborder des structures théâtrales plus complexes, au contraire. Son choix implique des motivations esthétiques précises : pour elle, le monologue porte en lui une forte charge expérimentale, une matière souple et explosive.
Mirella PATUREAU
■ Amalia respire profondément (Amalia respiră adânc), Paris, L’Espace d’un instant, 2012.
NELKEN MAUSBERGER, Margarita [MADRID 1894 - MEXICO 1968]
Écrivaine et femme politique espagnole.
De mère française et de père allemand, Margarita Nelken reçoit comme sa sœur, la future écrivaine et actrice Magda Donato, une excellente éducation à Madrid puis à Paris où, munie du baccalauréat, elle étudie la peinture et la musique. Une perte d’acuité visuelle la contraint à renoncer à sa vocation artistique pour se vouer à la critique d’art dans de grandes revues européennes. En 1919, elle publie La condición social de la mujer. Su estado actual, su posible desarrollo en España (« la condition sociale de la femme. Son état actuel, son possible développement en Espagne »), condamnation sans appel de l’inégalité entre les sexes, à laquelle l’alliance entre la révolution sociale et la révolution féministe devrait mettre fin. Elle mène de front militantisme féministe et action sociale. En 1920 elle fonde à Madrid la Casa de los niños (« la maison des enfants ») pour les enfants dont les mères travaillent, et publie en 1926 Maternología y puericultura. Membre du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE), elle est élue députée aux élections partielles d’octobre 1931, mais ne rejoint l’Assemblée qu’après avoir obtenu la nationalité espagnole. Dans La Mujer ante las Cortes constituyentes (« la femme face à l’Assemblée constituante », 1931), elle s’oppose au droit de vote des femmes, alléguant leur manque de formation, mais dénonce le lien entre christianisme et infériorisation des femmes, lors du débat sur la loi des confessions et congrégations (février 1933). Toujours active sur le front de l’art, elle s’engage auprès de la paysannerie, sur les pas de la Fédération nationale des travailleurs de la terre. Réélue en 1933, elle rejoint les rangs de l’association Mujeres contra la guerra y el fascismo (future Agrupación* de mujeres antifascistas, AMA) ; elle se radicalise en préparant la grève nationale de juin et la révolte des Asturies de 1934. L’échec de celle-ci la conduit à s’exiler en URSS. Élue lors de la victoire du Frente popular (Front populaire) en 1936, elle se consacre surtout au développement de l’instruction publique. Lors du soulèvement de juillet, elle réclame des armes pour les femmes, mais, rejoignant le parti communiste, elle se prononce pour l’engagement de celles-ci à l’arrière. Son No entrarán, lancé à la radio le 6 novembre 1936, la transforme en héroïne de la défense de Madrid et en critique acerbe de la stratégie gouvernementale. En 1937, elle participe au Congrès international des intellectuels antifascistes, l’année suivante elle publie La mujer en la URSS y en la Constitución soviética. En 1939, réfugiée en France puis au Mexique, elle est active dans le gouvernement républicain en exil et auprès des divers groupes de femmes antifascistes également en exil. Son fils, engagé volontaire dans l’Armée rouge, est tué en 1940. Expulsée du parti communiste en 1942, elle se consacre à la critique d’art et à la poésie engagée.
Yannick RIPA
■ AGUADO A., ORTEGA T. M. (dir.), Feminismos y antifeminismos. Culturas políticas e identidades de género en la España del siglo XX, Valence/Grenade, Universitat de València, Universidad de Granada, 2011 ; MARTÍNEZ GUTIÉRREZ J., Margarita Nelken (1894-1968), Madrid, Ediciones del orto, 1997 ; PRESTON P. et al., Palomas de guerra. Cinco mujeres marcadas por el enfrentamiento bélico, Barcelone, Plaza & Janéz, 2001.
NĚMCOVÁ, Božena (Barbora PANKOVÀ, dite) [VIENNE 1820 - PRAGUE 1862]
Écrivaine tchèque.
On s’accorde à situer le début de son existence en 1820, à Vienne, auprès d’une mère tchèque et d’un père – putatif – de langue allemande, tous deux domestiques. En 1821, le couple déménage en Bohême de l’est, où Božena Němcová sera en partie élevée par sa grand-mère maternelle, qui occupera une place importante dans sa prose et l’expression de ses sentiments nationaux, à travers l’évocation du monde rural tchèque. À 17 ans, un mariage est arrangé avec un officier des douanes de quinze ans son aîné, Josef Němec, dont les positions nationalistes tchèques en font un fonctionnaire mal vu de sa hiérarchie et souvent muté, ce qui contraint le couple et leurs quatre enfants à de fréquents déménagements. Lors d’un séjour à Prague, en 1841, B. Němcová est soignée par un médecin qui l’introduit auprès des cercles culturels patriotiques, lesquels, à la lecture de ses premières œuvres en prose rédigées en allemand, l’encouragent à écrire en tchèque. Sa première œuvre poétique, rédigée en 1843 sous le titre de Ženám českým (« aux femmes tchèques »), enjoint d’ailleurs les femmes à contribuer avec plus d’ardeur au renouveau national. Ces activités accroissent les difficultés du couple, en particulier après la féroce répression en Bohême du Printemps des peuples de 1848. En 1850, J. Němec est muté en Hongrie. Son épouse s’installe durablement à Prague avec ses enfants, tissant de nombreux liens avec les milieux patriotiques. Là, elle se lie également avec deux jeunes sœurs issues de la bourgeoisie germanisée, Johanna Muzaková (1830-1899) et Žofie Podlipská* (1833-1897), aux velléités littéraires et politiques. L’œuvre poétique de B. Němcová est éditée et, en 1855, paraît Babička (« la grand-mère »), véritable ode aux valeurs traditionnelles et à la langue tchèques telles qu’elles ont été préservées dans les campagnes. Si le récit évoque George Sand*, il n’en signe pas moins l’avènement de la prose narrative tchèque. Séparée à plusieurs reprises de son époux, B. Němcová, régulièrement souffrante, ne parvient cependant pas à s’émanciper définitivement, faute d’assurer sa subsistance dans une période particulièrement éprouvante pour les patriotes déclarés. À la fin de sa vie, elle se rapproche du mouvement littéraire Maj (« mai »), qui s’efforce de confronter l’idéal tchèque et le folklore qu’elle-même n’a cessé d’exalter, à la réalité sociale des villes où prédomine la culture germanique. Elle s’éteint dans la pauvreté, mais l’éloge funèbre qui lui est rendu par les gazettes tchèques, fait de son enterrement un événement majeur. Sa postérité littéraire sera assurée par Johanna Muzaková, sous le pseudonyme de Karolina Světla*, achevant de relier aux noms d’écrivains femmes cette (re)naissance culturelle indissociable du processus de construction d’une nation moderne.
Maxime FOREST
NEMES NAGY, Ágnes [BUDAPEST 1922 - ID. 1991]
Poétesse, traductrice et essayiste hongroise.
Cofondatrice avec son mari, Balázs Lengyel, de l’exigeante revue trimestrielle emblématique de l’après-guerre Újhold (« nouvelle lune », 1946-1948), qui connaîtra une renaissance de 1986 à 1991 sous forme d’almanach biannuel, Ágnes Nemes Nagy débute en 1946 avec un recueil de poésie pour lequel elle obtient, deux ans plus tard, le prix Baumgarten. Ses premiers recueils, Kettős világban (« au double monde », 1946) comme Szárazvillám (« éclair de chaleur », 1957), se nourrissent de ses angoisses morales et existentielles. En affirmant l’absolue nécessité d’une union entre la vie terrestre et l’éternité, son troisième recueil, Napforduló (« solstice », 1967), témoigne de la naissance d’une nouvelle sensibilité moderne et traduit la rigueur de la technique de la poétesse, dont l’objectivité cache de violentes émotions. Dans les poèmes des années 1970-1980 – A Lovak és az Angyalok (« les chevaux et les anges », 1969) et Egy pályaudvar átalakítása (« la transformation d’une gare », 1980), recueil de poèmes en prose dont elle renouvelle le genre –, elle s’interroge sur les limites de l’existence et s’attache à découvrir les lois naturelles qui la déterminent. Les poésies tardives adoptent un ton plus personnel pour célébrer la richesse de la vie, condamnée pourtant à la finitude. Par ailleurs, ses poèmes et contes pour enfants, tels Aranyecset (« le pinceau d’or », 1962) ou Bors néni (« tante Bors », 1978), appartiennent aux meilleures pièces de la littérature enfantine. Elle introduit des littératures occidentales en Hongrie et effectue en même temps un grand nombre de traductions (pièces de Corneille, Racine, Molière ; poèmes de Hugo, Saint-John Perse, Rilke). Elle est aussi essayiste : l’interaction entre auteur et lecteur dans le processus de réception ainsi que le rôle primordial des conditions langagières figurent parmi les questions centrales qu’elle pose dans ses essais des années 1970-1980. Le thème de l’œuvre d’art en tant que « défi » est au centre de la théorie de l’auteure concernant la réception de toute production littéraire, réception considérée comme un dialogue dans le temps entre récepteur et œuvre d’art. En guise d’hommage, après sa mort, un prix Ágnes-Nemes-Nagy, décerné aux meilleurs essais hongrois, est créé en 1998.
Gabriella TEGYEY
NÉMETH, Hajnal [SZŐNY, KOMÁROM 1972]
Artiste multimédia et animatrice artistique hongroise.
Diplômée en intermédia de l’Académie hongroise des beaux-arts, Hajnal Németh est une des représentantes les plus éminentes du mouvement artistique attiré par la vidéo, la photographie et le dessin électronique, qui a émergé au milieu des années 1990. Ses courts-métrages narratifs et ses « imprimés électroniques » créés entre 1997 et 2000 sont marqués par le design, la mode et la musique contemporains ainsi que par les grands thèmes du féminisme : identité sexuelle, corps, rôles féminins et masculins, leur interchangeabilité et substituabilité (NataSsa, 2000 ; Face to Face, 2000). Le langage visuel de ses films et de ses photographies se caractérise par une polysémie très élaborée. Elle s’établit en 2004 à Berlin, ville dont l’extrême bigarrure culturelle et ethnique de la population détermine dans une large mesure le sens de son orientation visuelle. Ses dernières œuvres, notamment la trilogie Recording Room/Try Me ; Break Free ; Turn Your Lights (2006), étudient sous divers angles le processus de la création artistique dans les arts visuels et la musique actuels. Jusqu’en 2008, H. Németh a été une des animatrices du projet Lada, destiné à promouvoir la communication artistique entre Berlin et Budapest au moyen d’expositions et de projets communs. En 2012, elle présente au Palais de Tokyo sa performance Contrawork, au cours de laquelle des chanteurs font l’oraison d’une voiture, désossée durant trente heures pièce par pièce.
Katalin AKNAI
■ Léger différé (catalogue d’exposition), Sète, Centre régional d’art contemporain, 2001.
NÉMETH, Ilona [DUNASZERDAHELY, AUJ. DUNAJSKÁ STREDA, SLOVAQUIE 1963]
Artiste visuelle hongroise.
De 1981 à 1986, Ilona Németh étudie la typographie au Conservatoire hongrois des arts industriels. Elle crée surtout des installations, des œuvres de land art et public art, et réalise des illustrations de livres pour enfants ou pour des manuels scolaires. Peintre à ses débuts, elle rompt avec le courant néo-expressionniste en 1990 et se met à créer des installations (Notes faites dans un labyrinthe). Pour les premières (Colonne, 1995 ; Installation à roseaux, 1996), elle utilise des matières naturelles ‑ roseaux, sable, cheveux, rameaux, pigments. Elle abandonne cette orientation vers le milieu des années 1990 pour des œuvres en réaction aux rapports hiérarchiques entre les sexes (Coussins, 1996 ; Femme multifonctionnelle, 1996). Dans ces créations qui insistent sur la sexualité, la sensualité et l’érotisme tout en évoquant l’assujettissement et l’humiliation, le corps n’apparaît que par son absence. Son exposition Cabinet de consultation privé (1997) remet en question avec ironie les rôles traditionnellement assignés aux femmes, en présentant notamment trois tables de gynécologie, couvertes de velours, de fourrure de lapin et de mousse. Les thèmes explicitement féministes laissent bientôt place à des installations monumentales, multimédias et interactives, qui interrogent l’espace public et l’espace privé (Exhibition Room, 1998). Dans Partie (2000), une chambre coupée en deux sert de milieu à une installation sonore interactive. Avec Invitation for a Visit (créée en 2001 avec Jiri Suruvka et exposée au pavillon tchèque et slovaque de la Biennale de Venise), elle renverse son propre appartement : les visiteurs peuvent le parcourir, mais aussi le voir depuis la hauteur. Elle se tourne de plus en plus vers les problèmes de l’espace urbain, de l’espace minimal et de l’identité sociale (Handiwork, 2006). En 2003 elle exécute avec son mari, l’architecte Marián Ravasz, une œuvre de public art pour sans-abri, Capsules, qui se compose d’espaces minimaux fonctionnels aménagés pour une seule personne ; cette création a été ensuite installée (et utilisée) sur les places publiques de plusieurs villes européennes. Dans son projet Public Art, présenté à Dunajská Streda et à Budapest, elle affiche sur des panneaux les questions établies par Emory S. Bogardus pour mesurer les distances sociales.
Erzsébet TATAI
■ HUSHEGYI G., Németh, Bratislava/Pozsony, Kalligram, 2008.
NEMETH, Lane [NEW YORK 1948]
Entrepreneuse américaine.
Lane Nemeth est la créatrice de plusieurs grandes entreprises de vente directe. Après la naissance de sa fille, Tara, en 1975, cette ancienne directrice d’école maternelle se rendit compte que les jouets de qualité dont elle disposait en tant que professionnelle de l’éducation n’étaient pas accessibles au grand public. Elle fonda alors, en 1978, Discovery Toys, société commercialisant des jouets éducatifs selon le modèle de démonstration-vente à domicile de Tupperware. Elle recruta ainsi de nombreux « conseillers éducatifs » pour présenter et vendre ses produits aux familles. L’entreprise se développa, dépassant les cent millions de dollars de chiffre d’affaires, et fut reprise par le groupe Avon en 1997. Selon le même modèle, Lane Nemeth fonda ensuite, en 2004, la société Petlane, qui commercialise des produits alimentaires, des jouets et des vêtements pour animaux domestiques. Les produits qu’elle conçoit avec sa fille sont distribués par des centaines de « conseillers animaliers » à travers le pays.
Alban WYDOUW
NEMI, Orsola (Flora VEZZANI, dite) [FLORENCE 1903 - LEVANTO 1985]
Écrivaine italienne.
Orsola Nemi a passé presque toute son existence à Milan et a été mariée avec l’écrivain américain Henry Furst, avec lequel elle a collaboré à la biographie Caterina de’ Medici (« Catherine de Médicis* »), plusieurs fois rééditée. Après la mort de son mari, elle dirige une anthologie de son œuvre : Il meglio di Henry Furst (« le meilleur de Henry Furst », 1970). Traductrice d’auteurs français, elle a expérimenté différents genres littéraires : la poésie, avec Cronaca (« chronique », 1942) ; les contes pour enfants, comme Nel paese di Gattafata (« au pays de Gattafata », 1944) ; le théâtre, avec Camicie rosse (« chemises rouges », 1961). Sa notoriété est toutefois due à sa production narrative, caractérisée par une représentation magique de faits et de situations, ainsi que par une recherche linguistique rigoureuse, par exemple dans les romans Maddalena della palude (« Maddalena du marécage », 1948), Cap au nord (1955), Il sarto stregato (« le tailleur ensorcelé », 1960), Le signore Barabbino (« mesdames Barabbino », 1965) et Taccuino di una donna timida (« carnet d’une femme timide », 1969) ; et dans les nouvelles Anime disabitate (« âmes inhabitées », 1945) et I gioielli rubati (« les bijoux volés », 1958). O. Nemi a collaboré à des quotidiens et à des périodiques comme Il Mondo, L’Europeo, Letteratura, Il Messaggero.
Francesco GNERRE
■ Cap au nord (Rotta a nord, 1955), Paris, Robert Laffont, 1956.
NÉMIROVSKY, Irène [KIEV 1903 - AUSCHWITZ 1942]
Romancière ukrainienne d’expression française.
Après une enfance malheureuse et solitaire dans une famille bourgeoise russe qui fuit le régime bolchevique, Irène Némirovsky arrive en France en 1919. La violence de ses relations filiales, avec sa mère en particulier, occupe une place importante dans son œuvre. Maîtrisant sept langues, cultivée, elle a déjà beaucoup écrit quand, en 1929, son roman David Golder, adapté un an plus tard au cinéma, la rend célèbre à Paris. Elle y raconte d’une plume cruelle, qui ne recule pas devant les pires stéréotypes, l’ascension sociale d’un magnat juif de la finance internationale. Si elle condamne le monde de l’argent et des biens, elle montre de la tendresse pour les émigrés juifs russes cherchant à s’intégrer dans la société française. Sa participation à des publications antisémites, objet d’une vive polémique, ne la protège guère. Cette écrivaine reconnue, qui mène la vie mondaine des grands bourgeois parisiens, convertie à la religion catholique en 1939, n’obtient pourtant pas la nationalité française. Victime des lois raciales antijuives, elle n’a plus le droit de publier sous son nom. Durant l’exode, elle se réfugie avec son mari et ses filles dans le Morvan. La violence des événements ne lui laisse aucun espoir ; pourtant, elle continue à écrire, pressée par le temps. Déportée à Auschwitz, elle meurt gazée, le 19 août 1942. Premier volet d’une série restée inachevée, Suite française dessine une véritable fresque de la France pendant la débâcle et l’attitude « haïssable » des vaincus. Le manuscrit est miraculeusement sauvé par ses deux filles ; sa publication en 2004 est couronnée par le prix Renaudot, hommage posthume à celle qui aimait tant la France, et qui fait sortir de l’oubli cette auteure originale.
Francine CICUREL
■ Le Bal, Paris, Grasset, 1930 ; Les Feux de l’automne, Paris, Albin Michel, 1957.
NEMO, Capitaine VOIR ROIG, Montserrat
NEMOURS, Anne DE (Anne D’ESTE, duchesse DE GUISE puis DE) [FERRARE 1531 - PARIS 1607]
Écrivaine et polémiste française.
Fille de Renée de France et d’Hercule d’Este, Anne de Nemours laisse une œuvre polémique, née des destins tragiques que son mari puis deux de ses fils doivent à leur engagement à la tête de la Ligue catholique. Son époux, François de Guise, est assassiné en 1563 ; ses deux fils, Henri Ier et Louis de Guise, le sont à Blois en 1588. En 1589 sont publiés la Remonstrance faicte par Mme de Nemours à Henry de Valloys avec la responce de Henry de Valloys, ensemble les regrets et lamentations faictes par Mme de Guyse sur le trespas de feu M. de Guyse son espoux et Regrets de Mme de Nemours sur la mort de Messeigneurs de Guyse ses enfans. Les deux textes, mêlant déploration et invectives, rappelant les services rendus par la maison de Guise à la monarchie et stigmatisant l’ingratitude et la lâcheté d’Henri III, ne manquent pas de souffle et rendent bien compte de l’engagement de cette femme dans les conflits religieux.
Daniel MARTIN
■ VIENNOT É., « Des “femmes d’État” au XVIe siècle, les princesses de la Ligue et l’écriture de l’histoire », in HAASE-DUBOSC D. (dir.), Femmes et pouvoirs sous l’Ancien Régime, Paris, Rivages, 1991 ; ID., « Veuves de mère en fille au XVIe siècle, le cas du clan Guise », in, PELLEGRIN N., WINN C. (dir.), Veufs, veuves et veuvage dans la France d’Ancien RégimeParis, H. Champion, 2003.
NEMOURS, Aurélie (Marcelle BARON, dite) [PARIS 1910 - ID. 2005]
Peintre et poétesse française.
Longtemps, Aurélie Nemours a travaillé seule, s’aventurant de plus en plus loin dans le dépouillement de la ligne et l’intensité de la couleur. Ce n’est que tardivement que l’importance de son travail a été reconnue. Orpheline à 2 ans – son père, propriétaire d’une entreprise de broderie, est assassiné –, elle reçoit une éducation stricte, puis intègre à 9 ans l’institut religieux de La Tour, d’où elle est renvoyée en classe de seconde. Elle ne prépare pas le baccalauréat : elle veut être peintre, mais ne supporte pas l’atelier pour jeunes filles dans lequel elle est inscrite, et préfère étudier à l’École du Louvre (1929-1932). Elle reprend ensuite une formation générale (mathématiques, latin, théologie, astronomie et philosophie), qu’elle poursuivra après la guerre. En 1936, elle épouse un radiologue, Auguste Nemours. L’année suivante, elle passe d’un atelier à l’autre : ceux du graphiste Paul Colin, d’André Lhote, de Fernand Léger. Parallèlement, elle étudie le modèle vivant à l’académie Colarossi. Elle expose pour la première fois au Salon d’automne en 1944, puis au 60e Salon de l’Union des femmes peintres et sculpteurs, au Salon de la Société des artistes indépendants et au Salon d’art sacré. En 1949, alors qu’elle participe au Salon des réalités nouvelles – elle le fera jusqu’en 1992 –, son travail géométrique et abstrait est remarqué par Auguste Herbin ; la même année, elle rencontre la libraire Adrienne Monnier*, qui publie au Mercure de France ses premiers poèmes. En 1950 paraît son premier recueil poétique, Midi la lune, accompagné de deux bois gravés. Elle débute une série de pastels qu’elle nommera plus tard Les Demeures, où dominent le noir et le blanc. En 1951, elle décide que sa formation est terminée. Sa première exposition personnelle a lieu chez Colette Allendy* ; auteur de la préface du catalogue, Michel Seuphor lui fait découvrir le travail de Mondrian. C’est à ce moment-là qu’elle délaisse l’utilisation de la diagonale dans ses œuvres. Peu à peu, de renoncement en renoncement, elle en arrivera à peindre des monochromes. À la suite d’un voyage à Haïti (1953-1954), elle commence à rédiger Haïti à Erzulie (1975), livre dédié à la déesse de la mer et aux femmes d’Haïti, et illustré de ses photographies. En 1957, elle adhère au groupe Espace, fondé par Félix Del Marle, qui a pour but de favoriser la synthèse des arts. À partir de 1958, elle prend part à des expositions collectives à Paris et à l’étranger avec la galerie Denise René*. De 1961 à 1965, elle collabore à Mesure, « groupe expérimental de recherches plastiques ». À Londres où Halima Nalecz présente douze de ses peintures de grand format, elle fait la connaissance de Gottfried Honegger, qui devient un de ses amis. En 1965, Imre Pan, écrivain et directeur de Morphèmes, publie son poème « Équerre », accompagné de 20 collages hors-texte, dans le cinquième numéro de la nouvelle revue Les Feuillets de morphèmes. À l’occasion de l’exposition Les Maîtres contemporains du vitrail à Chartres, elle réalise un projet de vitrail en 1968, année au cours de laquelle le musée d’Art moderne à Paris lui achète une première œuvre. À partir des années 1970, le nombre de ses collectionneurs s’accroît. En 1980, une première rétrospective de son travail est organisée par Heinz Teufel en Allemagne ; Serge Lemoine rédige le texte du catalogue. L’artiste crée en 1985 sa première sculpture en bois, intitulée 72 colonnes, qui préfigure son projet d’alignement. L’année suivante, la galerie Denise René accueille sa première exposition personnelle, Synonymie, incluant des œuvres de la série Rythme du millimètre. S. Lemoine organise avec ses étudiants une exposition Aurélie Nemours à l’Atheneum de l’université de Dijon. La fondation Abstraction et carré fait don au musée de Grenoble de 21 œuvres de petit format, issues de la série Structure du silence : dans cette série noire et blanche, le blanc fait corps et est entamé par le noir. À partir de 1989, le travail d’A. Nemours connaît enfin la consécration et les rétrospectives se multiplient. Mais l’artiste voit de moins en moins bien ; elle cesse de peindre en 1993, et se consacre à son œuvre poétique (Option avec blanc, 2000 ; Bleu bleu noir, 2003). Toutefois, elle conçoit les vitraux de Notre-Dame de Salagon, et l’Alignement du XXIe siècle à Rennes (inauguré en 2006). En 2004, une grande exposition rétrospective au Centre Pompidou lui est consacrée ; elle meurt peu de temps après.
Catherine GONNARD
■ Aurélie Nemours/Tome 1 (catalogue d’exposition), Le Pommeré M. (textes), Paris, RMN/Seuil, 1999 ; Nemours, percussif (catalogue d’exposition), Rennes, musée des Beaux-Arts, 2000 ; Aurélie Nemours/Tome 2 (catalogue d’exposition), Le Pommeré M., Lemoine S., Poullain C. (textes), Grenoble/Paris, Musée de Grenoble/RMN, 2001 ; Rythme, nombre, couleur (catalogue d’exposition), Paris, Centre Pompidou, 2004.
NEMOURS, Marie D’ORLÉANS-LONGUEVILLE, duchesse DE [PARIS 1625 - ID. 1707]
Femme de lettres française.
Élevée dans l’esprit de Port-Royal par Catherine Arnauld, la dernière descendante de Dunois est une des femmes les plus instruites de son temps, nourrie des modèles antiques qui formeront son regard d’historienne. Loret, qui lui adresse sa gazette de Cour, loue le discernement de cette « aimable et précieuse fille » (1655) qui a refusé de suivre dans l’aventure frondeuse sa belle-mère la duchesse de Longueville*. Dédicataire de la Clélie de Madeleine de Scudéry*, elle protège les femmes de lettres (Mmes de La Suze*, de Villedieu*, de Pringy, Mlle L’Héritier de Villandon*), gère avec talent et charité son immense fortune, préserve son indépendance à l’égard de la Cour. Quand « les passions sont éteintes, les auteurs décédés, [… ] et que les détails rares sourdent des profondeurs de la clandestinité » (M. Cuénin), elle rédige des Mémoires (posthume, 1709) qui complètent et rectifient les autres récits de la Fronde, mettant au jour les ressorts subjectifs d’un moment de « dérèglement », où chacun joua souvent à contre-emploi. Exilée quelque temps par Louis XIV en raison de la politique indépendante qu’elle menait depuis sa principauté de Neuchâtel, écartée de l’hagiographie romantique des « belles frondeuses », Mme de Nemours mérite plus ample redécouverte.
Myriam DUFOUR-MAÎTRE
■ Mémoires (1709), Cuénin M. (éd.), Paris, Mercure de France, 1990.
■ CUÉNIN M., « Histoire et littérature dans les Mémoires de la duchesse de Nemours », in Création et recréation, un dialogue entre littérature et histoire, mélanges offerts à Marie-Odile Sweetser, GAUDIANI C. (dir.), Tübingen, G. Narr, 1993.
■ CUÉNIN M., « Mémoire et dignité littéraire : le cas de Marie d’Orléans-Longueville, duchesse de Nemours », in XVIIe siècle, no 164, juil.-sept. 1989.
NEM’S, Judith [BUDAPEST 1948]
Peintre hongroise.
Judith Nem’s vit et travaille à Paris depuis 1992. Elle a coédité des revues d’art et a travaillé à l’organisation de différentes biennales artistiques internationales. Son œuvre artistique s’est successivement orientée vers le « mail art » (forme d’art utilisant les éléments de la correspondance postale) puis vers le livre-objet. Elle produit des travaux graphiques tels que l’électrographie, l’art informatique et la sérigraphie, mais la peinture reste son domaine de prédilection. Elle peint des figures géométriques abstraites obtenues par la permutation verticale ou horizontale d’un nombre d’éléments visuels prédéfinis. Ces permutations, qui peuvent paraître simples à prime abord pour se révéler plus complexes ensuite, se mettent en valeur les unes les autres, et ce par l’application de couleurs pures. Ses travaux de papier, papiers préalablement peints, pliés, fixés sur un support en bois, balancent entre la peinture et la sculpture. Les titres des « papiers en reliefs » font référence à la musique aussi bien qu’à une recherche entre symétrie et asymétrie, point et contrepoint, rythme et harmonie. J. Nem’s a participé à des expositions dans le monde entier et réalisé des expositions personnelles en Hongrie, en Pologne, en Allemagne, en France, et notamment à Paris, en 2011, à la galerie des femmes.
Catherine GUYOT
NËMYSOVA, Evdokija ANDREEVNA [POLNOVAT, BERËZOVO 1936]
Linguiste khanty russe.
Diplômée de l’institut pédagogique de Khanty-Mansijsk (1956) et de l’institut Herzen (1961), docteure ès lettres, Evdokija Nëmysova consacre sa vie à la transmission d’un savoir et d’un patrimoine vivant, mais fragile. Elle écrit l’histoire des siens, les Khanty, à travers l’étude de la langue : ses racines qui l’apparentent à la famille linguistique finno-ougrienne ; son histoire dont témoignent les travaux de collecte des linguistes et des folkloristes occidentaux, les traductions et les manuels des missionnaires russes sous l’Empire, les ouvrages de Wilhelm Steinitz et des chercheurs soviétiques ; sa forte dialectisation qui a contraint à la création de sept langues littéraires. Les travaux d’E. Nëmysova se fondent sur ses propres données de terrain, à partir de 1963. Auteur de manuels ou programmes destinés aux étudiants, aux écoliers ou aux jardins d’enfants, de recueils de contes bilingues ou de devinettes et de traductions, elle rend compte de la richesse et de la complexité d’une langue qui avait progressivement disparu des programmes des classes élémentaires pour être de nouveau enseignée au début des années 1970. Encore que la langue enseignée dans les manuels de cette époque ait été souvent « épurée », enrichie par les emprunts au russe, mais appauvrie par la disparition de tout un lexique cynégétique, religieux, etc. propre à la vision khanty du monde. Le 28 novembre 1991, un institut de la renaissance socio-économique et culturelle des peuples ob-ougriens est créé à partir de trois laboratoires déjà existants. La nouvelle institution est consacrée à l’étude des questions historiques, socio-économiques, interethniques, démographiques, linguistiques et juridiques des Khanty et des Mansi, mais également à la formation de cadres scientifiques autochtones. E. Nëmysova est chargée de l’organisation de l’institut dont elle est la première directrice. Elle cède sa bibliothèque pour constituer le fonds scientifique de l’institut qui dispose à présent de plus de 30 000 ouvrages.
Dominique SAMSON NORMAND DE CHAMBOURG
■ Khantyjskaja literatura v školakh Khanty-Mansijskogo avtonomnogo okrga, učebnaja khrestomatija, Khanty-Mansijsk, N.I.K., 1996 ; Skazki naroda khanty/khănti ëkh mon’ščăt, Saint-Pétersbourg, Alfavit, 1995 ; Khantyjskie zagadki/Khănty amamətščet/Khantee Riddles, Saint-Pétersbourg, Mirall, 2006.
NENA (Gabriele Susanne KERNER, dite) [HAGEN 1960]
Chanteuse allemande.
Nena interrompt ses études secondaires pour suivre une formation d’orfèvre, conformément au souhait parental. Cependant, elle cède à l’appel de la musique et, en 1979, intègre le groupe des Stripes en tant que chanteuse. Trois ans plus tard, elle fonde avec son compagnon sa propre formation dont le premier single recueille un succès d’estime. L’année suivante, leur premier opus Nena est porté par 99 luftballons, titre emblématique de toute une génération de jeunes, indignée par l’absurdité de la guerre ; il s’exportera en version originale jusqu’aux États-Unis. Après la sortie de trois autres albums, le groupe se sépare et Nena débute sa carrière solo en enregistrant notamment des chants de Noël et des titres pour enfants et en devenant animatrice à la télévision. En 2003, elle revient sur scène avec un album jubilé de titres réarrangés en plus d’un duo mémorable avec Kim Wilde (Anyplace, Anywhere, Anytime). Elle se hisse à nouveau en tête des classements en 2005 grâce à la chanson Liebe ist, générique de la série télévisée Le Destin de Lisa. Elle sort, au cours de l’année 2009, un nouvel album, Made in Germany, et à la demande de la chaîne Arte, enregistre une nouvelle version de son succès 99 luftballons intégrant deux couplets en français. Après une belle tournée et un album live, Nena revient en 2012 avec Du bist gut, un double opus de 23 titres.
Anne-Claire DUGAS
■ The Definitive Collection, Columbia, 2005.
NENČEVA, Ekaterina [TROJAN 1885 - PLOVDIV 1920]
Poétesse et comédienne bulgare.
Poétesse de l’amour et de la douleur, Ekaterina Nenčeva demeure aujourd’hui dans la critique littéraire bulgare comme la Madone en noir, elle qui, après la mort inexpliquée de son père et le suicide de son jeune frère, ne s’est plus vêtue que de noir. Elle meurt à l’âge de 35 ans, emportée par la tuberculose. Elle est l’une des premières femmes admises à l’université de Sofia. Elle y étudie les langues slaves avant de débuter une carrière réussie de comédienne au théâtre. En parallèle, elle commence à publier ses poèmes dans les revues culturelles et littéraires les plus reconnues de son époque, Misăl (« pensée »), Letopisi (« chroniques »), et Demokratičeski pregled (« revue démocratique »). Elle est même acceptée dans le premier cercle moderniste, Misăl, dominé par le critique Krăstjo Krăstev (1866-1919) et le poète Penčo Slavejkov (1866-1912), réputés pour leur exigence. Dans l’anthologie fictive de ce dernier, Na ostrova na blaženite (« sur l’île des bienheureux », 1910), c’est elle qui se cacherait derrière Vita Morena (« Vie Morte »), l’une des deux écrivaines présentes, alors même qu’il ne faisait pas grand cas des femmes à qui il reprochait de « castrer les sentiments masculins » au lieu d’exprimer ce qu’elles-mêmes ressentaient. E. Nenčeva introduit par ailleurs son amie Dora Gabe* auprès du poète Pejo Javorov (1878-1914), autre membre célèbre de Misăl, favorisant ainsi ses débuts en poésie. En 1909, elle publie un recueil dont le titre, Snežinki, liričeski, pesni (« flocons de neige, chants lyriques ») témoigne de sa conception de la poésie avant tout comme mélodie et manifestation lyrique. Il s’agit d’un hymne à l’amour qui donne un sens à la vie et devient souffrance lorsqu’il disparait, où se décèle un remarquable travail sur les sonorités. Le reste de son œuvre est réuni en un volume et publié à titre posthume par son mari.
Marie VRINAT-NIKOLOV
■ LIČEVA A., « Ekaterina Nenčeva : koketirane s mraka v domašna obstanovka », in KIROVA M. (dir.), Neslučenijat kanon, Sofia, Altera, 2009.
NÉPAL – POÉTESSES [XIIIe-XXIe siècle]
Au Népal, la poésie occupe une place particulière dans la création artistique. Dans ce pays où, jusqu’en 2006, l’hindouisme était religion d’État, et où le système des castes et les valeurs patriarcales régissent l’ensemble de la société, la poésie représente l’unique médium d’expression esthétique ouvert à tous. L’enseignement de l’écriture et de la lecture ne se faisant alors que dans des centres religieux, au sein des familles de brahmanes ou dans l’aristocratie, les premiers témoignages de textes écrits par des femmes sont des poèmes composés par des dames de haute naissance, tels les vers en sanskrit composés par sa sœur que cite le roi Krachalla dans une inscription datée de 1223. En effet, contrairement aux textes sacrés dont l’accès était exclusivement réservé aux hommes, la poésie formait un champ beaucoup plus libre. Toutefois, jusqu’au XVIIIe siècle, la poésie écrite népalaise est en sanskrit, l’usage du népalais n’apparaissant qu’à la fin du XIXe siècle, avec les premières imprimeries basées à Bénarès. On croise à cette époque quelques figures de poétesses, telle Babguni Gurung qui, en 1893, compose un long poème spirituel intitulé « Brahmatattvako savai » (« ode à l’essence de Brahma »), non traduit à ce jour. Elle fait sans doute partie de la secte des Josmani, dont les maîtres se distinguent par leur poésie subversive, dénonçant la rigueur de la société de castes népalaise. La poésie progressiste féminine est ensuite portée par des personnages que l’on connaît mal, car leur œuvre est peu abondante, telle Sukheshi Devi, qui compose en 1914 un long poème revendiquant l’accès des femmes à l’éducation, intitulé « Nau shikchya » (« l’éducation des femmes »). Enfin, avec la vie et l’œuvre de Parijat*, la tête de file du mouvement de gauche Ralpha, rassemblant artistes, intellectuels et activistes politiques, se forme la figure de la femme émancipée menant le combat par la plume. Plusieurs poèmes « progressistes » de Parijat sont devenus célèbres, tel « Andolan » (« la révolte »), qui chante sa soif de liberté.
Si l’on voit ainsi poindre dans la poésie les premières revendications féminines, elles émanent encore de personnalités remarquables, issues de la bourgeoisie urbaine et éduquée. Il faut attendre l’essor du mouvement maoïste, à partir de 1996, pour voir naître la véritable révolution qu’a représentée la première vague de poésie féminine populaire. Le parti maoïste, dont l’idéologie reposait sur l’égalité de tous, a compté de nombreuses femmes dans ses rangs, en particulier dans sa branche culturelle et son aile militaire. Des formations entières de « guerriers culturels », hommes et femmes confondus, sont chargées de transformer la société en donnant des spectacles dans chaque village ; chants et poésie luttent contre la culture féodale et patriarcale et exaltent les valeurs communistes. Chaque combattant de l’Armée de libération du peuple est un poète composant sur le champ de bataille, consignant ses émotions et ses sentiments dans ses carnets intimes. Le Parti s’est alors chargé de diffuser cette poésie « née du fusil » ou « du sang des martyrs » dans ses organes de presse. La forme poétique, à laquelle est réservée la transmission des idées et des émotions politiques au Népal comme dans le reste de l’Asie du Sud, a développé, dans le cadre révolutionnaire, une forme exacerbée, particulièrement crue et directe, qui se place aux antipodes du souci de régularité de la métrique traditionnelle. Elle privilégie les extrêmes et les paradoxes, les images violentes, choquantes et morbides, les formules et les scènes profanatoires et apocalyptiques. La plupart des poèmes maoïstes ont une forme injonctive : ils s’adressent directement à l’ennemi, ou encore au lecteur ou à l’auditeur, les contraignant à prendre position. Le message poétique est également une forme privilégiée de communication avec les morts, éternellement vivants, que sont les martyrs du Parti. Ainsi Simana Sharma, qui n’a pas donné de titre à son message poétique, s’adresse-t-elle à sa petite sœur martyrisée. Les poèmes écrits par les membres martyrisés du Parti acquièrent une aura particulière, indépendante de leurs qualités intrinsèques. Écrits par un peuple rural, peu ou non éduqué, ils allient généralement une force sensible à une certaine gaucherie, ce qui contribue à les rendre particulièrement touchants. Il n’est pas toujours aisé de distinguer les femmes des hommes dans la masse des auteurs et poètes révolutionnaires qui n’utilisent souvent que leur nom de guerre pour signer, tels « Horizon », « Liberté » ou « Lutte ». De fait, le texte reflète l’univers asexué du Parti, composé de camarades de même apparence dans leurs vêtements unisexes. L’identification des poètes est d’autant plus malaisée qu’ils sont parfois plusieurs à porter le même nom et qu’ils publient ces messages sur le vif, dans des journaux clandestins qui ne donnent évidemment pas d’indications biographiques. Il s’agit donc, en quelque sorte, d’une œuvre collective, même si elle n’est pas tout à fait anonyme. Toutefois, si l’on ne retient que les œuvres signées d’un nom indiquant clairement le sexe de son auteur, il est frappant de constater que les poèmes composés par les femmes combattantes sont souvent parmi les plus radicaux et les plus déterminés, comme le poème intitulé « Mrityulai angalisakeki chu » (« j’ai embrassé la mort »), de Lakshmi Gurung.
Avec l’accord de paix signé en novembre 2006, cette vague s’est cristallisée. Le Parti, devenu légitime, a immédiatement généré un panthéon d’auteurs remarquables et de poèmes réunis en florilège. Alors que les femmes ont été très nombreuses à composer de la poésie durant les dix années de période révolutionnaire, aucune ne figure dans les anthologies ou recueils publiés après-guerre ; la parole des femmes est littéralement tue. Elles ont pourtant pleinement contribué au développement de la forme de poésie très particulière née pendant la guerre du Peuple au Népal : rompant délibérément avec les conventions, privilégiant la nouveauté, les mots inouïs, cette poésie maniait la force et chantait les armes ; révolutionnaire par son contenu et sa forme, d’un accès libre aux analphabètes comme aux ruraux, aux femmes et à toutes les couches de la société, elle reflétait le mouvement qui l’avait portée et qu’elle a contribué à mener au sommet de l’État.
Marie LECOMTE-TILOUINE
NÉRESSIS-JOLLY, Catherine [TANGER, MAROC 1949]
Entrepreneuse française.
Catherine Néressis-Jolly est la fondatrice et la dirigeante du premier groupe de presse immobilière en France. Confrontée pendant ses études à la difficulté de se loger à Paris, cette titulaire d’une maîtrise de lettres et d’une licence en droit créa avec son mari, Patrick Jolly, le journal de petites annonces immobilières De Particulier à Particulier, en 1975. Le titre avait pour concept innovant d’assurer un lien direct entre vendeurs et acheteurs, permettant à ces derniers d’économiser des sommes considérables. Grâce à son succès, le marché des transactions de particulier à particulier connut un développement spectaculaire au détriment de celui des agences immobilières. Le groupe lança progressivement de nouvelles publications spécialisées, comme le guide PAP Vacances et le mensuel Bureaux et Commerces. Présidente du groupe et directrice artistique des titres qu’il publie, C. Néressis-Jolly obtint en 2006 le prix Veuve-Clicquot de la femme d’affaires. Elle se consacre également à l’écriture et a publié en 2004 Rupture d’ADN, témoignage sur le thème de l’adoption.
Alban WYDOUW
■ Rupture d’ADN, Le Chesnay, Livres de France, 2004.
■ DA ROCHA A., Pas si dur d’entreprendre, mode d’emploi, rencontre avec Catherine Néressis et Patrick Jolly, fondateurs de « De Particulier à particulier », Paris, Les Carnets de l’info, 2009.
NERIS, Salomėja (née BAČINSKAITĖ-BUČIENĖ) [KIRŠIAI 1904 - MOSCOU 1945]
Poétesse lituanienne.
Remarquée précocement par sa poésie, elle suit des études de lituanien et d’allemand à l’université de Vilnius, à partir de 1924. Son premier recueil, Anksti rytą (« tôt le matin », 1927), rencontre une critique unanime. La presse annonce l’arrivée d’un nouveau talent authentiquement sincère, d’une œuvre remarquable par sa musicalité. Diplômée en 1928, elle est nommée enseignante d’allemand dans un lycée de Lazdijai et contribue alors à diverses publications nationalistes et catholiques. Son deuxième recueil, Pėdos smėly (« des traces de pas dans le sable », 1931), se distingue par un traitement dramatique de l’amour, un regard poétique sur les contrastes sociaux et une protestation romantique contre la platitude de la vie. Cette année marque cependant un tournant dans l’évolution de la pensée de l’auteure : rompant les liens avec le milieu catholique, elle s’investit dans le journal littéraire avant-gardiste Trečias frontas (« le troisième front »), attirée par les idées de justice sociale et de fraternité entre les peuples qui y sont défendues. Cet investissement politique lui vaudra une sévère critique. Si ses textes politiques ne soulèvent pas l’enthousiasme, son recueil Diemedžiu žydėsiu (« je fleurirai en Artémis », 1938), dominé par une problématique existentielle de l’être humain, une vision panthéiste de la terre et l’expérience de la maternité, lui vaut le prix littéraire le plus prestigieux de Lituanie et marque le sommet de sa maturité. Associant profondeur émotionnelle, transparence du verbe et mélodie envoûtante, elle y dépeint l’âme universelle de l’homme, qui se diffuse dans les contes populaires et les chansons folkloriques, les images de la nature et les intonations de la langue natale. Avec cette œuvre, la poétesse rejoint la génération néoromantique des années 1940. En 1940, élue au Parlement, elle rejoint la délégation qui se rend à Moscou pour demander l’intégration de la Lituanie à l’Union soviétique. Le jour de cette intégration, au Kremlin, elle lit le poème qu’elle a écrit à la gloire de Staline et devient poétesse officielle du régime. Toutefois ses poèmes de l’époque, en particulier au moment de sa fuite lors de l’invasion allemande et de son refuge en Russie, traduisent un certain malaise ; sa poésie devient plus tragique. En 1945, malade, hospitalisée à Moscou, elle s’évertue à faire publier son dernier recueil, Prie didelio kelio (« près de la grande route »). Mais les corrections imposées par l’éditeur et le changement du titre en Lakštingala negali nečiulbėti (« le rossignol ne peut pas ne pas chanter ») lui déplaisent. Le recueil, qui ne paraîtra qu’en 1994 sous son titre original, fait apparaître par endroits le repentir de son auteure et l’attachement à sa patrie. La poétesse, qui a marqué la création lituanienne du début du XXe siècle, est enterrée à Kaunas dans le jardin du musée de la Guerre, puis transférée en grande pompe dans le cimetière de Petrašiūnai en 1998.
Hélène DE PENANROS
NERKAGUI, Anna PAVLOVNA [TOUNDRA DE BAJDARATA 1951]
Écrivaine et militante culturelle nenets russe.
C’est dans les contreforts de l’Oural polaire qu’Anna Nerkagui voit le jour. À la lumière de l’éducation « académique » qui la tient éloignée de son peuple dès l’âge de 6 ans, elle éprouve le désir de refaire le monde nenets. Des problèmes de santé contrarient sa vocation de géologue, mais la mènent à l’écriture (Aniko de la lignée Nogo, 1977 ; Ilir, 1978). Après plus de dix ans de vie citadine, elle doit retourner auprès de son père devenu veuf. Elle continue à écrire dans la toundra – Le Lichen blanc, 1995 ; Le Silencieux, 1996 –, finançant ainsi d’autres créations : un comptoir baptisé Espérance, puis une école ethno-pédagogique (1998). Le comptoir permet d’échanger les produits de la toundra (fourrures, peaux, baies, champignons, viande, poisson, etc.) contre des produits manufacturés (pain, allumettes, beurre, thé, bassines en émail, tissus, etc.). L’école expérimentale vise aussi bien à dispenser l’enseignement général qu’à transmettre les savoir-faire indispensables aux conditions de vie dans un campement nomade contemporain ; les enseignants sont des personnalités reconnues par la communauté. Les cours suivent le calendrier et le mode de vie nenets, les matières s’adaptent aux activités saisonnières de l’économie traditionnelle – cueillette, chasse, pêche, élevage de rennes –, ainsi qu’à la division de l’espace masculin – construction de traîneaux, orientation spatiale, confection et pose de pièges – et féminin – travail des peaux, couture, entretien du feu. Lors de classes vertes, les élèves étudient également la pharmacopée traditionnelle, l’histoire régionale, la littérature orale, les sites cultuels ; ils font des travaux d’intérêt général auprès d’anciens. En 2002, A. Nerkagui crée un campement ethno-pédagogique, bientôt baptisé Terre de l’Espérance. Ce nouveau modèle éducatif pour les enfants du Nord est avalisé par les autorités politiques et religieuses locales, contesté par d’autres. Sur fond d’expansion industrielle, l’exigence de la chrétienne, les douleurs intimes de la femme et la solitude de l’intellectuelle ne voient pas d’autre salut à la décomposition de la toundra et des âmes.
Dominique SAMSON NORMAND DE CHAMBOURG
■ « La fille prodigue », in Missives, no 223, 2001.
■ Molčaščij, Tioumen, SoftDizajn, 1996.
■ SAMSON NORMAND DE CHAMBOURG D., « La Passion selon Anna Nerkagui », in Slovo, no 28-29, 2003.
NERY, Adalgisa (née Adalgisa FERREIRA) [RIO DE JANEIRO 1905 - ID. 1980]
Poétesse, romancière et chroniqueuse brésilienne.
À 16 ans, Adalgisa Maria Feliciana Noel Cancela Ferreira épouse le peintre Ismael Nery, un des précurseurs du modernisme brésilien, qui joue un rôle crucial dans sa formation intellectuelle, sa maison étant un lieu de rencontre pour les peintres et intellectuels modernes. Elle donne naissance à sept enfants, mais seuls deux d’entre eux survivront. En 1937, trois ans après la mort de son mari, elle publie son premier livre de poésie, Poemas (« poèmes »). En 1940, elle épouse le journaliste et avocat Lourival Fontes, chef du redoutable département de la presse et de la propagande de la dictature de Getúlio Vargas, et le suit dans ses missions diplomatiques, aux États-Unis puis au Mexique, où elle établit des relations avec les peintres Diego Rivera et José Orozco (tous deux ont réalisé son portrait) ainsi qu’avec Frida Kahlo*, David Siqueiros et Rufino Tamayo. Sa beauté et son intelligence sont célébrées par de grands poètes brésiliens comme Manuel Bandeira, Murilo Mendes et Carlos Drummond de Andrade. Après s’être séparée de son deuxième mari, en 1953, elle se consacre au journalisme et au militantisme politique, et est élue députée à trois reprises. En 1969, la dictature militaire la prive de ses droits civiques et, en proie à des problèmes financiers, elle entre dans une maison de repos en 1976. Sa production poétique compte les recueils A mulher ausente (« la femme absente », 1940), Ar do deserto (« l’air du désert », 1943), Cantos de angústia (« chants d’angoisse », 1948), As fronteiras da quarta dimensão (« les frontières de la quatrième dimension », 1952), Mundos oscilantes (« mondes oscillants », 1962) et Erosão (« érosion », 1973). La poésie d’A. Nery est en général imprégnée d’une fine mélancolie et d’une certaine fragilité. Elle a en outre publié deux recueils de nouvelles, Og (1943) et 22 menos 1 (« 22 moins 1 », 1972), ainsi que deux romans, A imaginária (« l’imaginaire », 1959) et Neblina (« brume », 1972). Le premier de ces deux romans, à caractère autobiographique, est son plus grand succès. Sous les traits de Berenice, son alter ego, l’auteure décrit sa relation agitée avec son premier mari.
Wilton José MARQUES
■ Au-delà de toi, Paris, P. Seghers, 1952.
NESBIT, Edith [KENNINGTON 1858 - NEW ROMNEY 1924]
Écrivaine et poétesse britannique.
Née dans un faubourg de Londres, Edith Nesbit a 6 ans quand elle perd son père, un instituteur. Elle passe son enfance en France et en Angleterre, sa santé exigeant de fréquents voyages, et elle écrit ses premiers poèmes à 14 ans. Très tôt disciple de William Morris, elle épouse en 1880 Hubert Bland, employé de banque et écrivain. En 1884, ils font partie des fondateurs de la Fabian Society et des rédacteurs du groupe Today, où ils sont rejoints par G.B. Shaw, Eleanor Marx*, Annie Besant* et Mary Webb*. Elle publie de nombreux récits, notamment dans Pall Mall Gazette et Girls’Own Paper, et prend fait et cause pour la « New Woman ». En 1908, elle publie ses poèmes politiques, Ballads and Lyrics of Socialism, aux accents protestataires mais aussi hymnes à la nature. Elle publie 29 recueils de poésie, 11 recueils de nouvelles, dix romans pour adultes et, surtout, plus de 40 livres pour enfants, reflets bucoliques de son enfance heureuse et de ses voyages, monde à part, lieu utopique où les personnages s’aventurent avant de revenir dans le monde réel et s’y confronter. Son influence a été déterminante sur C. S. Lewis et J. K. Rowling*.
Michel REMY
■ Chasseurs de trésors (The Story of the Treasure Seekers, 1898), Paris, Nathan, 1981 ; Mélisande (Melisande, 1900), Paris, Gründ, 1990 ; Une drôle de fée (Five Chlideren and It, 1902), Paris, Gallimard, 2004 ; Le Secret de l’amulette (The story of the Amulet, 1905), Paris, Gallimard, 1997.
■ BRIGGS J., Edith Nesbit : A Woman of Passion, Stroud, Tempus, 2007.
NESHAT, Shirin [QAZVIN 1957]
Photographe et vidéaste iranienne.
Fortement marquée par l’expérience de l’exil, l’œuvre de Shirin Neshat, Iranienne expatriée vivant aux États-Unis, explore les dimensions complexes de la condition des femmes dans l’islam contemporain. Ses travaux photographiques et vidéographiques ont rencontré un énorme succès critique, alimentant parfois la polémique. En effet, certains commentateurs occidentaux reprochent à l’artiste de ne pas prendre explicitement position contre la révolution islamique. En 1974, la jeune fille part aux États-Unis afin d’y mener des études artistiques. En 1990, lors d’un retour en Iran, elle sera particulièrement impressionnée par les effets de la révolution islamique de 1979 sur la condition féminine. L’artiste commence par réaliser des séries photographiques : Unveiling (« dévoilement », 1993) ; Women of Allah (1994). Dans ses portraits ou autoportraits, toutes les femmes portent un tchador. Tracés directement sur les tirages, des textes énigmatiques en calligraphie farsi recouvrent invariablement les parties visibles de ces femmes voilées. En 1997, le travail de la photographe prend une direction ouvertement cinématographique avec Turbulent – deux écrans donnent corps à un champ contre champ symbolique opposant un homme et une femme – qui lui vaut le prix international de la XLVIIIe Biennale de Venise (1999). Le même dispositif sera repris dans Rapture (1999) et Fervor (2000). Depuis 2003, l’artiste a adapté plusieurs vidéos à partir du roman de Shahrnoush Parsipur Femmes sans hommes (1990), censuré en Iran. À travers plusieurs histoires de femmes aux destins différents mais dont les vies s’entrecroisent au cours de l’été 1953, elle y aborde sans complexe plusieurs tabous d’ordre social et sexuel.
Teresa CASTRO
■ Avec DANTO A. C., « Conversation with Shirin Neshat », in Bomb, no 73, automne 2000.
■ BERTUCCI L., « Shirin Neshat : eastern values », in Flash Art, no 197, nov. -déc. 1997.
NESLO, Alida [PARAMARIBO, SURINAME 1954]
Actrice, danseuse et pédagogue de théâtre néerlandaise.
Après des études de traductrice-interprète à la Artesis Hogeschool d’Anvers en Belgique, Alida Neslo entame une formation théâtrale au studio Herman-Teirlinck de la ville. Pour payer ses études, elle se produit en Belgique comme danseuse dans des tournées néerlandaises de spectacles de rue. Elle joue dans la compagnie novatrice de Tone Brulin, Tiedrie (Théâtre du tiers monde en Europe) ; puis dans l’école Mudra Afrique, avec Maurice Béjart et Germaine Acogny ; dans la Comédie noire avec des auteurs comme Tom Lanoye ; et dans le Théâtre néerlandais de Gand. Première actrice et présentatrice noire de la télévision belge, dans le rôle principal du programme pour enfants De Boomhut (« la cabane dans les arbres »), qu’elle produit jusqu’en 2005, elle reçoit le prix du meilleur programme pour la jeunesse en 1998. Installée aux Pays-Bas à partir de 1995, elle devient l’artiste vedette du Nieuw Amsterdam (DNA), groupe multiculturel et école de théâtre, fondé par Rufus Collins et Henk Tjon sur le modèle du Living Theatre de New York. Le DNA lance un grand nombre d’artistes issus d’origines diverses, tels Sabri Saad el-Hamus, Jenny Mijnhijmer et Jörgen Tjon A Fong. A. Neslo met sur pied DNA Lab, plateforme de travail offrant à des étudiants la possibilité d’entamer des recherches culturelles transdisciplinaires et de les traduire, à petite échelle, dans des spectacles. De 2000 à 2003, elle prend la succession de Ritsaert ten Cate à la tête du DasArts, institut fondé par ce dernier en 1994 et qui dispense une formation en théâtre et en danse à des professionnels ou à des étudiants diplômés. Elle y organise des collaborations internationales avec des auteurs de théâtre d’Afrique et d’Asie. En 2006, elle retourne au Suriname pour mettre en place des projets de théâtre destinés à la jeunesse. Consultante au ministère de l’Éducation du Suriname, elle met l’éducation artistique au premier plan.
Mercita CORONEL
NETCHKINA, Militsa VASSILIEVNA [NIJYN, UKRAINE 1899 - MOSCOU 1985]
Historienne soviétique.
Militsa Netchkina fait ses études supérieures à Kazan et y enseigne deux ans (1921-1923), avant de s’installer à Moscou. Après avoir écrit une histoire du prolétariat, elle entre en 1936 à l’Institut d’histoire de l’Académie des sciences, se faisant connaître par ses travaux sur l’histoire de la science historique et sur les mouvements révolutionnaires russes du XIXe siècle, celui des décembristes en particulier. Elle écrit entre 1937 et 1951 quatre monographies sur ce sujet, qui situent le mouvement dans le processus révolutionnaire européen XVIIIe-début XXe siècle et l’interprètent comme les prémices des révolutions russes, dont Puškin i Dekabristy (« Pouchkine et les décembristes », 1937) et Vosstanie 14 dekabrja 1825 (« le soulèvement du 14 décembre 1825 », 1955). Parallèlement, elle consacre ses recherches aux penseurs révolutionnaires des années 1850-1860. Elle participe en 1958 à la fondation du Conseil scientifique chargé de l’histoire de la science historique, rattaché à l’Académie de sciences. Elle en assume la présidence jusqu’à la fin de sa vie et dirige la publication des Očerki istorii istoričeskoj nauki v SSSR (« essais sur la science historique en URSS », 1955), ouvrage de synthèse désormais vieilli mais qui rassemble une somme imposante de connaissances. Notons enfin l’importante monographie consacrée au grand historien de l’époque prérévolutionnaire Vassili Ossipovitch Klioutchevski (1974), dont elle réhabilite l’autorité ternie par les bolcheviques, et deux derniers ouvrages (1983 et 1985) sur son sujet de prédilection, les décembristes. Elle fait des conférences remarquées en France et participe aux congrès internationaux de Stockholm (1960) et de Vienne (1965). Le travail de M. Netchkina permet de comprendre la façon dont les études historiques sont possibles sous un régime totalitaire. Elle a su conserver une certaine individualité, en montrant néanmoins une forme de complaisance indispensable à la poursuite de sa carrière et à la diffusion de ses travaux. Un petit musée lui est consacré à l’Institut technique de Nijyn.
Évelyne ENDERLEIN
■ ČERNOBAEV А. А. (dir.), Istoriki Rossii, biografii, Moscou, Roospen, 2001 ; MAVRINA T. V., POPOV V. A., Rossijskaja nauka v licax, Moscou, Akademia, 2004.
NEUBER, Friederike Caroline (née WEISSENBORN) [REICHENBACH IM VOGTLAND 1697 - LAUBEGAST 1760]
Actrice et épistolière allemande.
Friederike Caroline Neuber perd sa mère à l’âge de 8 ans et essaie très tôt de se soustraire à la tutelle de son père, notaire à Zwickau. En 1712, elle s’enfuit avec un étudiant en droit, Gottfried Zorn, ce qui lui vaut une détention de treize mois. D’un commun accord avec son amant et futur mari Johann Neuber – ils se marient en 1718 –, elle adhère en 1716 à la société de comédiens renommée de Spiegelberg, et en 1719 à celle de Haack-Hoffmann. Le couple fonde en 1727 sa propre troupe, dont elle est l’actrice principale. Du point de vue de la littérature et de l’histoire du théâtre, son étroite collaboration avec l’écrivain Johann Christoph Gottsched revêt une importance particulière. Elle-même écrivaine, à partir de 1727 elle contribue considérablement au projet de réforme du théâtre mené par J. C. Gottsched. Afin d’élargir son audience, elle engage des acteurs de talent, promeut l’art de la diction et bannit, même si ce ne fut que de manière symbolique, le « Hanswurst » (« Jean-saucisse », personnage type du théâtre improvisé) de la scène allemande en 1737. Cette réforme lui vaut beaucoup de succès, non seulement à Leipzig, mais aussi à Strasbourg, Francfort et Saint-Pétersbourg. Lorsqu’elle refuse, en 1739, de mettre en scène une traduction de l’Alzire de Voltaire réalisée par Louise Adelgunde Gottsched*, un conflit éclate, qui culmine en 1741 quand elle caricature L. A. Gottsched dans l’un de ses propres textes. La dissolution de la troupe devient définitive en 1749. Malgré tous ses efforts, cette femme énergique n’atteint pas de son vivant son objectif le plus important : la création d’un ensemble solide ayant sa propre scène. De manière sobre ou désenchantée, elle tire le bilan de son action dans une lettre adressée le 10 avril 1751 à Johann Jacob Bodmer : elle dit avoir « essayé tout ce qui était possible » dans sa patrie pour éliminer dans « les comédies tous les Arlequins et les Hanswurst », mais n’avoir récolté « en récompense » que des « persécutions, des dommages et des calomnies ».
Anett LÜTTEKEN
■ Das Lebenswerk der Bühnenreformerin, Poetische Urkunden, Rudin B., Schulz M. (éd.), 1997-2002, Reichenbach im Vogtland, Schriften des Neuberin-Museums, no 8.
NEUENSCHWANDER, Rivane [BELO HORIZONTE 1967]
Artiste multimédia brésilienne.
La démarche artistique de Rivane Neuenschwander est ancrée dans le contexte géographique, culturel et artistique du Brésil, et tout particulièrement de sa ville natale. Elle cultive des affinités avec les grandes figures du néoconcrétisme : Hélio Oiticica, Lygia Clark* et Lygia Pape*, qui prônaient une approche organique et phénoménologique de l’œuvre d’art, privilégiant dans les années 1960 l’expérience esthétique du spectateur, participant actif de leurs propositions plastiques. Le concept de « cannibalisme culturel », développé par un des fondateurs du modernisme brésilien, Oswald de Andrade, résonne dans le projet esthétique de l’artiste, qui qualifie son œuvre de « matérialisme éphémère ». Elle fait intervenir dans le champ de l’art des matériaux et denrées naturels, qui fonctionnent comme des métaphores de l’essence précaire des choses : dans sa pièce Canteiros (Conversations and Constructions, 2006), elle utilise ainsi des épluchures d’orange, du safran ou du sel pour ériger des constructions fragiles, faisant référence à des bâtiments emblématiques, comme le musée d’Art moderne de São Paulo construit par Oscar Niemeyer ; dans sa vidéo A Queda (The Fall, 2009), elle met en scène une course, que chaque participant dispute avec, dans la bouche, une cuiller sur laquelle est posé un œuf en équilibre précaire ; ce film rappelle la performance politique d’Anna Maria Maiolino*, Entrevidas (1981), où les visiteurs étaient invités à traverser un espace parsemé de centaines d’œufs de poules, menaçant de leurs pas les espoirs de démocratie du Brésil. La cartographie, comme configuration géopolitique à réinventer, et le langage, comme jeu de Scrabble géant qu’elle altère pour redonner au monde du signifiant, sont aussi des leitmotive dans son travail. Évoquant par métaphores les réalités du Brésil, R. Neuenschwander construit une œuvre à portée universelle, comme son installation Eu desejo o seu desejo (I Wish You a Wish, 2003), où des rubans porte-bonheur, provenant de l’église Nosso Senhor do Bonfim à Salvador de Bahia, deviennent les vecteurs de dialogue, d’échange et d’espoir pour les visiteurs du monde entier. Son œuvre a fait l’objet de plusieurs expositions personnelles d’envergure au palais de Tokyo à Paris en 2003, à la Konsthall de Malmö ou au New Museum de New York en 2010.
Emma LAVIGNE
■ Um dia como outro qualquer (A Day Like Any Others) (catalogue d’exposition), New York/Dublin, New Museum/Irish MoMA, 2010.
NEUFELD, Elizabeth (née FONDAL) [PARIS 1928]
Biochimiste américaine.
Lauréate en 1982 du prix Lasker pour la recherche médicale clinique (RMC), Elizabeth Neufeld est une biochimiste de notoriété internationale. Elle est née à Paris de parents russes ayant fui la révolution. En juin 1940, avec l’approche de l’occupation allemande, sa famille émigre à nouveau, cette fois à New York. Après son doctorat en 1956 à l’université de Californie à Berkeley, elle prend un poste de chercheuse en biochimie au National Institute of Health (NIH) dans le Maryland, où, en 1973, elle est nommée chef de section du Human Biochemical Genetics. Chef de la Genetics and Biochemistry Branch du National Institute of Arthritis, Diabetis, and Digestive and Kidney Diseases (NIADDK) en 1979, elle est nommée, de 1981 à 1983, directrice adjointe du département de recherche. En 1984, elle occupe à Los Angeles (UCLA) la chaire de chimie biologique jusqu’en 2005. C’est au NIH qu’E. Neufeld entreprend ses recherches sur les mucopolysaccharidoses (MPS), maladies héréditaires au cours desquelles certains sucres complexes ne peuvent être stockés ou métabolisés normalement. Elle démontre que les maladies de Hurler, de Hunter et de Sanfillipo, qui en sont des exemples, sont dues à des déficits d’enzymes nécessaires à la dégradation des mucopolysaccharides. Ces derniers s’accumulent sous des formes non dégradées dans les lysosomes (organites qui se trouvent dans le cytoplasme des cellules) et constituent les maladies dites lysosomiales congénitales. Elle a également montré que l’excès dans les cellules de produits non dégradés entraîne une surcharge tissulaire, en particulier des tissus nerveux et musculaires, et se traduit par des anomalies osseuses, un retard mental, une surdité et d’autres anomalies graves. Pour chacune de ces maladies, elle a identifié et purifié l’enzyme déficitaire à partir des urines de sujets normaux. Ces précisions ont permis de développer des tests prénataux et une thérapeutique de remplacement par injection intraveineuse de l’enzyme déficitaire. E. Neufeld a démontré que, dans certaines maladies, le déficit affecte non pas l’enzyme mais le marqueur spécifique qui permet à l’enzyme de pénétrer dans la cellule. Élue en 1977 à la National Academy of Sciences (USA) et à l’American Academy of Arts and Sciences, E. Neufeld a présidé plusieurs sociétés scientifiques. Outre le prix Albert-Lasker en 1982, elle a reçu de nombreuses récompenses dont la National Medal of Science en 1994.
Doris MÉNACHÉ-ARONSON et Jocelyne SILVER
■ Avec FRATANTONI J. C., HALL C. W., « The defect in Hurler’s and Hunter’s syndromes : faulty degradation of mucopolysaccharide », in PNAS, vol. 60, no 2, juin 1968 ; avec BARTON R. W., « The Hurler corrective factor : purification and some properties », in The Journal of Biological Chemistry, vol. 246, 25 déc. 1971 ; avec KRESSE H., « The Sanfilippo A corrective factor. Purification and mode of action », in The Journal of Biological Chemistry, vol. 247, 10 avr. 1972 ; avec CANTZ M. et al., « The Hunter corrective factor. Purification and preliminary characterization », in The Journal of Biological Chemistry, vol. 247, 10 sept. 1972.
LE MYTHE DES NEUF PREUSES [fin du XIVe siècle]
C’est sans doute à Jehan Le Fèvre, officier au Parlement de Paris et auteur renommé en son temps, que l’on doit la création de ce groupe de guerrières, d’héroïnes chevaleresques de l’histoire. Entre 1373 et 1387, il compose en effet LeLivre de Lëesce pour prendre la défense des femmes et faire pendant aux Neuf Preux déjà présents dans de nombreux ouvrages de l’époque. Dame Lëesce, personnification de la Joie, y prend la parole pour défendre les femmes contre les auteurs misogynes qui multiplient leurs critiques à leur égard. Elle vient opposer à ces dernières un véritable catalogue de femmes vertueuses, « les preudes femmes », et de femmes courageuses groupées sous la vertu de « prouesce », affirmant que les femmes sont plus audacieuses, plus courageuses et plus vertueuses que les hommes. Pour choisir ses héroïnes, Jehan Le Fèvre se serait inspiré, en particulier, de la compilation Histoire ancienne jusqu’à César, écrite par le clerc Estoires Rogier au début du XIIIe siècle, à la cour des châtelains de Lille, à partir de textes antiques et bibliques.
Dans une version courtoise et chevaleresque de l’histoire et de la mythologie antique, quatre reines et cinq Amazones, figures célèbres de l’Antiquité païenne, sont ainsi mises en avant. Sémiramis, reine d’Assyrie et de Babylonie, est une redoutable guerrière dont la légende s’est développée à partir du personnage historique que fut la reine assyrienne Sammuramat. Une tragédie de Voltaire, écrite en 1748, porte son nom. Tomyris *(VIe s. av. J.-C.), reine des Massagètes, groupe de nomades de la mer Caspienne, tua le roi perse Cyrus, responsable de la mort de son fils. Teuta*, reine des Illyriens de 231 à 228 av. J-C, mena notamment plusieurs actions de piraterie contre la flotte marchande romaine. Deiphyle intervint lors de la guerre des Sept contre Thèbes. Pour ce qui est des cinq Amazones qualifiées de Preuses, ce sont Sinope, Hippolyte (alias Antiopé), Ménalippe, Lampeto et Penthésilée.
Le poète Eustache Deschamps reprendra rapidement le motif des Neuf Preuses dans deux ballades : Il est temps de faire la paix, composée en 1387, et Si les héros revenaient sur terre ils seraient étonnés, datant de 1369 et au titre révélateur. L’écrivaine Christine* de Pisan évoque aussi sept des Neuf Preuses dans son catalogue de femmes illustres du Livre de la cité des dames. Le marquis Thomas III de Saluces, originaire d’Italie et du Piémont, parle des Neuf Preux et des Neuf Preuses dans son roman courtois et fantastique intitulé Livre du chevalier errant, écrit à la fin du XIVe siècle. Enfin, le prêtre érudit Sébastien Mamerot compose en 1460, pour Louis de Laval dont il est le chapelain, une Histoire des Neuf Preux et Neuf Preuses. À l’instar de leurs pairs, les Neuf Preuses vont connaître un immense succès, qui trouve sa meilleure expression dans les représentations figurées. La tapisserie, art aristocratique par excellence, multiplie leurs images. Elles sont aussi présentes en sculpture.
Elisabeth LESIMPLE
■ CHRISTINE DE PISAN, Le Livre de la cité des dames, Paris, Stock, 1992 ; Les Lamentations de Matheolus et Le Livre de Lëesce de Jehan Le Fèvre, de Ressons, Paris, E. Bouillon, 1892-1895.
■ BOUCHET F., « Héroïnes et mémoire familiale dans le Chevalier errant de Thomas de Saluces », in Clio, no 30, 2009 ; CASSAGNES-BROUQUET S., « Penthésilée, reine des Amazones et Preuse, une image de la femme guerrière à la fin du Moyen Âge », in Clio, no 20, 2004.
NEUVILLE, Marie-Josée (Josée Françoise DENEUVILLE, dite) [PARIS 1938]
Chanteuse française.
Enfant, Marie-Josée Neuville joue instinctivement de la guitare, et écrit, pour le plaisir, une chanson, Une guitare, une vie. À 17 ans, elle remporte un concours organisé à l’occasion de la « Kermesse aux étoiles » au jardin des Tuileries, et gagne un passage à la télévision et à l’Olympia. Se produire sur une scène quand on a moins de 18 ans est alors interdit par le Code du travail, sauf dérogation ; elle est ainsi engagée dans quelques cabarets. En décembre 1955, elle participe à une émission de Radio Luxembourg, Payez-les comme vous voulez, où elle crée Johnny Boy. Remarquée par Line Renaud*, qui la présente aux dirigeants de sa maison de disques, en novembre 1955, elle enregistre huit titres, dont elle est l’auteure et la compositrice, en s’accompagnant à la guitare. Le 25 centimètres se vend à un million d’exemplaires. Elle devient « la collégienne de la chanson », la « Brassens en jupons », la première idole des jeunes. En mars 1956, à l’Olympia, elle apparaît vêtue d’une robe de flanelle grise et coiffée de deux petites tresses. Le succès est tel qu’elle doit interpréter Johnny Boy quatre fois de suite. Dans son second disque, enregistré six mois plus tard, elle interprète des textes coquins qui font scandale. Le Monsieur du métro et Par devant, par derrière sont interdits à la radio, ce qui fait exploser les ventes du microsillon. En 1958, estimant qu’elle a passé l’âge de jouer les collégiennes, elle coupe ses nattes et affirme qu’elle ne chantera plus avec sa guitare. Elle se produit à l’Olympia, où les applaudissements sont discrets et polis. Au début des années 1960, elle enregistre d’autres titres, mais ne retrouve pas la notoriété de ses très jeunes années.
Jacques PESSIS
NEUWIRTH, Olga [GRAZ 1968]
Compositrice autrichienne.
Regard ardent, le geste nerveux d’écorchée vive, fine, hypersensible, artiste engagée cherchant à élargir l’univers de la musique savante, Olga Neuwirth est l’enfant terrible de la musique autrichienne. Le verbe saccadé, l’élocution douce et claire, elle s’ouvre sur son temps avec lucidité. Faite de ruptures, de failles, de plans séquences, d’une énergie mélancolique, sa musique lui ressemble. « Le compositeur, s’interroge-t-elle, doit-il se mêler de ce qui se passe aujourd’hui ou se retirer du monde ? L’utopie de l’art est la création d’un univers entre deux mondes, pas d’en créer un troisième. » O. Neuwirth séduit par sa singularité artistique, son enthousiasme, sa détermination politique. Apprenant par la presse que le Grand Prix national autrichien 2010 lui a été attribué, son bailleur la congédie sur-le-champ, considérant sa condition d’artiste inapte à garantir des revenus stables, et la contraignant à vivre comme une « SDF, vivant trois semaines ici, un mois là », relève-t-elle sans amertume. « C’est dire combien nous sommes considérés, en Autriche. » Fascinée par le son – qu’elle explore auprès de son père pianiste de jazz réputé, avant d’en creuser les arcanes à Paris à l’Ircam (Institut de recherche et de coordination acoustique/musique), avec Tristan Murail, Luigi Nono et Helmut Lachenmann –, elle commence à 7 ans par la trompette. Après sa rencontre avec le compositeur Hans Werner Henze, elle se rend à San Francisco, où elle étudie composition, arts plastiques et art cinématographique. Passionnée de cinéma, elle regrette que les réalisateurs traitent la musique comme un accessoire. La reconnaissance lui vient en 1991, lorsque Elfriede Jelinek*, prix Nobel de littérature 2004, la choisit pour deux courts opéras destinés au Festival de Vienne. En effet, la transformation du monde passant, selon elle, par le langage, elle travaille avec des écrivains qui en outrepassent les limites, comme Perec, Melville, Jelinek, qui usent de la langue comme d’un matériau. Elle conçoit, avec E. Jelinek, l’opéra Bählamms Fest (1998) d’après Leonora Carrington* et Lost Highway (2003) d’après le film de David Lynch. Gérard Mortier, qui l’invite à Salzbourg en 1998, lui commande pour Paris Der Fall Hans W. inspiré du procès d’un pédiatre pédophile originaire de Carinthie. Mais le projet n’a pas abouti. Pas d’explication non plus lorsque l’Opéra du Rhin, pourtant co-commanditaire, refuse en 1999 Bählamms Fest. Néanmoins O. Neuwirth persiste, élaborant pour Berlin un opéra inspiré de Lulu de Berg.
Bruno SERROU
NEVELSON, Louise (née BERLIAWSKY) [KIEV 1899 - NEW YORK 1988]
Sculptrice américaine.
« Je veux devenir sculpteur et je ne veux pas l’aide de la couleur », déclare, enfant, celle qui va, tout au long de sa vie, habiter l’espace avec ses sculptures massives et poétiques. D’origine russe et de tradition juive, sa famille émigre en 1905 aux États-Unis, où Louise Nevelson reçoit un double héritage : le climat de libre-pensée prônant l’égalité entre les sexes dans laquelle elle est élevée, et l’artisanat – son grand-père était marchand de bois et son père travaille dans une usine consacrée à ce même matériau –, qu’elle privilégiera par la suite. En 1920, elle se marie et s’installe à New York, où elle peut se consacrer à ses passions : la peinture, la danse, le chant, le piano et le théâtre. En 1931, divorcée, elle part seule en Europe, où elle approfondit sa connaissance du cubisme auprès de son professeur, Hans Hofmann (1880-1966), à Munich, ainsi que des arts primitifs, notamment au musée de l’Homme à Paris, où elle découvre l’art africain. De retour à New York, elle devient l’assistante du peintre mexicain Diego Rivera (1886-1957), qui réalise une série de fresques pour la New Workers School. À l’Art Students League, elle suit de nouveau les cours de H. Hofmann, mais aussi ceux de l’Allemand George Grosz (1893-1959). À la même époque, elle présente ses premières peintures et ses sculptures anthropomorphiques. Dans les années 1940, outre sa première exposition personnelle à la galerie Nierendorf de New York, L. Nevelson s’initie à la gravure, technique qu’elle pratiquera toute sa vie. Sous l’influence du cubisme et de l’art primitif, elle s’éloigne de la sculpture traditionnelle et réalise des assemblages, conçus à partir de morceaux de bois trouvés. Au cours des années 1950 – étape charnière –, la visite de sites archéologiques et la vision des façades des édifices précolombiens au Mexique lui inspirent la création d’environnements, constitués de plusieurs éléments juxtaposés dans l’espace. Ses sculptures s’apparentent alors à des murs, des constructions en bois peint de grandes dimensions ou des ensembles formés de structures strictement géométriques, à la façon de Tropical Garden II (1957) ; elles sont recouvertes d’une seule couleur, du noir mat ou du doré unifiant le tout et camouflant l’identité première des différentes pièces. Abstraite convaincue, l’artiste est également influencée par le théâtre et la danse qu’elle a pratiqués très tôt. Ses sculptures prennent très vite un caractère dynamique et sont mises en mouvement, comme ses Moving-Static-Moving-Figures. Outre sa présentation en Europe à la galerie parisienne Jeanne Bucher*, l’année 1958 constitue un tournant dans sa carrière avec l’exposition Moon Garden + One à la galerie Grand Central Moderns de New York : de vastes caisses, à géométrie variable, remplies d’objets de récupération uniformément noirs, sont empilées en sculptures murales qui s’apparentent à des bas-reliefs et dynamisent l’espace. En 1959, elle expose son premier environnement conçu à partir de figures totémiques blanches, Dawn’s Wedding Feast (« noces de l’aube »), consacré au thème du mariage, récurrent dans son travail ; en expérimentant de multiples techniques et matériaux, elle poursuivra la réalisation de ses « bibelots-monstres », comme les appelle l’artiste Jean Arp (1886-1966), après avoir découvert Sky Cathedral (1958). En 1966, elle fabrique avec de l’aluminium ses premières sculptures métalliques, puis, en 1967, de petites œuvres en Plexiglas. Elle répond à des commandes monumentales et crée un des premiers ensembles en acier Cor-ten, Atmospheres and Environment X (1969), pour l’université de Princeton, suivi de Night Presence IV (1972) à New York. Figure reconnue de la scène américaine, L. Nevelson est choisie, dès 1962, pour représenter les États-Unis à la Biennale de Venise, et, deux ans plus tard, expose à la Documenta de Kassel. Plusieurs rétrospectives lui sont consacrées. En 1979, elle est élue membre de l’American Academy and Institute of Arts and Letters. Le Whitney Museum organise, à l’occasion de son quatre-vingtième anniversaire, l’exposition Atmospheres and Environments. Inclassable, cette artiste, dont les œuvres sont conservées dans les plus grandes collections internationales, joue un rôle majeur dans l’histoire de la sculpture moderne aux États-Unis.
Fanny DRUGEON
■ Louise Nevelson (catalogue d’exposition), Paris, Cnac/Weber, 1974 ; Aubes et Crépuscules, conversations enregistrées avec Diana McKown, Paris, Des femmes, 1983.
■ CELANT G., Louise Nevelson, Milan, Skira, 2011 ; GLIMCHER A. B., Louise Nevelson (1972), New York, Dutton, 1976 ; WILSON L., Louise Nevelson : Iconography and Sources, New York/Londres, Garland Publishing, 1981.
NEVES, Emília DAS [LISBONNE 1820 - ID. 1883]
Actrice portugaise.
Présentée comme « le plus grand astre qui a illuminé la scène portugaise » (Bastos 1908), Emília das Neves a été élevée au rang de célébrité par ses contemporains. Découverte par Almeida Garrett (considéré comme le père du romantisme portugais) alors qu’il cherchait à redéfinir le théâtre national, l’actrice est bien à l’image de ce renouveau de la scène portugaise très influencée par le modèle de la comédie française de 1830. Élève de l’acteur français Émile Doux, arrivé à Lisbonne en 1834, elle connaît un triomphe lors de sa première, le 15 août 1838, dans Um auto de Gil Vicente (« un acte de Gil Vicente ») d’Almeida Garrett, le premier drame romantique portugais. Elle s’illustre en 1849 dans le rôle-titre d’Adrienne Lecouvreur de Scribe et Legouvé. Elle enchaîne les premiers rôles, cachets exorbitants et tournées, notamment au Brésil (1864-1866). Inouï pour l’époque, elle constitue en 1851 sa propre compagnie avec laquelle elle présente quelques spectacles. Considérée comme la plus grande tragédienne de son temps, elle a créé un véritable style de jeu, devenu une référence pour le théâtre portugais d’alors.
Graça DOS SANTOS
■ BASTOS S., Dicionário do teatro português, Lisbonne, Imprensa Libânio da Silva, 1908 ; DOS SANTOS G., « Un Français à Lisbonne : Émile Doux et l’avènement de la scène romantique au Portugal », in YON J.-C. (dir.), Le Théâtre français à l’étranger au XIXe siècle, histoire d’une suprématie culturelle, Paris, Nouveau Monde, 2008.
NEVEU, Ginette [PARIS 1919 - AU LARGE DES AÇORES 1949]
Violoniste française.
Ginette Neveu est restée dans les mémoires comme une des plus grandes violonistes de l’histoire : une place qui ne lui a jamais été contestée par ses pairs, malgré une carrière brève, rendue plus brève encore par la longue parenthèse de la guerre. On n’a pas manqué de se demander si la célébrité de la jeune artiste n’était pas liée à sa fin brutale quand l’avion qui l’emportait avec son frère Jean vers les États-Unis s’écrasa dans un massif montagneux de l’archipel des Açores, catastrophe où disparut également le boxeur Marcel Cerdan. Quelques mesures extraites des rares enregistrements qui nous restent suffisent à nous convaincre : la puissance émotionnelle du jeu et l’incandescence de la matière sonore sont sans équivalent dans le patrimoine discographique, et largement à la hauteur du mythe. Née dans une famille de musiciens, G. Neveu avait une force de travail hors du commun, et une vocation irrésistible imposant une ascèse redoutable. Ses débuts à l’âge de 7 ans – le concerto de Max Bruch à Gaveau – témoignent d’une étonnante précocité ; et son passage éclair au Conservatoire de Paris – quelques mois à peine entre son entrée et son premier prix – reste un record inégalé. Son professeur, Line Talluel, un des premiers pédagogues de son temps, sut donner à son jeu quelques fondations solides. Par la suite, G. Neveu ira chez Georges Enesco, la grande source d’inspiration de tous les violonistes français de l’époque, avant d’être remarquée, en 1931, à l’occasion d’un concours à Vienne, par le maître de l’école allemande Carl Flesch, qui parachève harmonieusement sa formation et l’incite à s’inscrire au concours Wieniawski de Varsovie en 1935. Là, elle triompha de 180 candidats, jusqu’à ravir la première place à un garçon de onze ans son aîné : David Oïstrakh. La nouvelle fit sensation et lui ouvrit les portes des plus grandes scènes d’Europe, puis des États-Unis en 1936. À demi recluse pendant la guerre, elle mit à profit l’interruption forcée de sa carrière et travailla son instrument comme jamais, atteignant ainsi, à la fin du conflit, l’apogée de son art. Dès 1945, le fameux producteur d’EMI Walter Legge l’engagea pour des sessions d’enregistrement dans les studios londoniens, et c’est ainsi que nous sont parvenues ses exécutions des concertos de Brahms et de Sibelius ou encore du Poème de Chausson. Malheureusement, il ne reste pas de traces des concertos qu’elle joua sous la direction de Pierné, Jochum ou Barbirolli, ou des sonates de Brahms avec Edwin Fischer, ou encore de celle de Poulenc, qu’elle créa avec le compositeur et qui lui est dédiée. Restent quelques pièces de genre, les sonates de Strauss et de Debussy, et le Tzigane de Ravel (les deux dernières œuvres avec son frère au piano). G. Neveu, dont les restes furent retrouvés et rapatriés après l’accident, repose à Paris, au cimetière du Père-Lachaise. Son Stradivarius disparut avec elle.
Alexis GALPÉRINE
■ COHEN A. I. (dir.), International Encyclopedia of Women Composers, New York/Londres, Bowker, 1981.
NEVIN, Robyn [MELBOURNE 1942]
Actrice et directrice artistique australienne.
Considérée comme la doyenne du théâtre australien, Robyn Nevin a eu une grande influence comme directrice artistique de plusieurs compagnies d’État. C’est en particulier sa direction artistique de la Sydney Theater Company (STC), de 1999 à 2007, qui encourage la créativité en soutenant les premiers pas des principaux metteurs en scène australiens, tels que Barrie Kosky et Benedict Andrews. Elle fonde la compagnie STC Actors, ensemble d’acteurs de premier plan qui réalise quelques spectacles majeurs, mais se désagrège lors de son départ en 2007. En tant qu’actrice, sa carrière couvre plusieurs décennies. Formée à l’Institut national d’art dramatique de Sydney, dont elle sort diplômée en 1960, elle est appréciée au cinéma et à la télévision, mais c’est au théâtre que son travail est le plus significatif. Elle s’illustre dans des rôles fondamentaux des plus grandes pièces australiennes, sous la direction des metteurs en scène majeurs comme Rex Cramphorn et Jim Sharman (remarquable performance de Miss Docker dans A Cheery Soul de Patrick White, en 1979). Parmi ses rôles récents, citons celui d’Hécube dans l’adaptation par Barrie Kosky des Troyennes d’Euripide (2008) et celui de Violet Weston dans August : Osage County de Tracy Letts (2009).
Alison CROGGON
NEW, Maria Iolendo [BROOKLYN, NEW YORK 1928]
Pédiatre endocrinologue américaine.
Après des études supérieures à Cornell University (État de New York), Maria Iolendo New obtient, en 1954, son doctorat en médecine à l’université de Pennsylvanie, à Philadelphie. Elle effectue son internat au Bellevue Hospital de New York, puis un stage en pédiatrie au New York Hospital. Après avoir occupé divers postes d’enseignement au Weill Cornell Medical College, elle y occupe la chaire du service de pédiatrie de 1980 à 2002. Elle est également directrice du service d’endocrinologie pédiatrique au New York-Presbyterian. M. I. New fait autorité sur l’hyperplasie surrénale congénitale, cause d’ambiguïté sexuelle chez les filles et de développement sexuel précoce chez les garçons. Elle en a établi le diagnostic et le traitement prénatal à partir d’une analyse génétique moléculaire. Elle a mis au point un protocole qui permet de soigner les fœtus de sexe féminin de moins de neuf semaines. C’est la seule maladie génétique qui puisse être traitée de façon efficace in utero. On lui doit aussi la découverte d’une nouvelle forme d’hypertension due à un excès apparent de minéralocorticoïdes sécrétés par la zone glomérulaire des corticosurrénales. Elle a montré que cette hypertension était due à une anomalie (mutation) du gène 11 (beta)-HSD2. Elle travaille sur la corrélation génotype-phénotype et étudie l’identité sexuelle chez les femmes adultes atteintes d’hyperplasie surrénale congénitale, en cherchant à développer une thérapeutique génique. En 1999, elle a rapporté les premiers cas (chez deux sœurs) de résistance partielle à tous les stéroïdes (glucocorticoïdes, minéralocorticoïdes et androgènes) mais pas à l’hormone thyroïdienne ou à la vitamine D, suggérant un déficit de transcription globale. M. I. New a reçu de nombreuses récompenses, nationales et internationales. En 1996, elle a été élue membre de l’American Academy of Arts and Sciences.
Madeleine COTTENET-HAGE et Doris MÉNACHÉ-ARONSON
■ Avec WILSON R. C., « Steroid disorders in children : congenital adrenal hyperplasia and apparent mineralocorticoid excess », in PNAS, vol. 96, oct. 1999.
NEWBERY, Sara Josefina [BUENOS AIRES 1922 - ID. 2003]
Anthropologue et théologienne argentine.
Connue sous le pseudonyme de Safina, Sara Josefina Newbery, née dans l’une des plus riches familles d’Argentine, a suivi une trajectoire atypique par rapport aux femmes de sa classe sociale. Elle réalise très jeune que sa condition féminine et son milieu familial lui interdisent de suivre des études universitaires. À 23 ans, poussée par le désir d’« améliorer les conditions du monde », elle décide d’intégrer la congrégation religieuse de la Compañia del divino maestro, seul endroit où elle croit pouvoir penser, étudier et agir. Rapidement, elle réalise que la structure religieuse est trop contraignante et part à 29 ans pour un long voyage initiatique en Europe au cours duquel elle étudie la philosophie. Elle retourne ensuite en Argentine et prépare une licence en anthropologie à l’université de Buenos Aires. Par la suite S. J. Newberry enseigne l’anthropologie culturelle à l’université du Salvador, tout en étant chercheuse à l’Instituto nacional de antropología y pensamiento latino-americano. Dans les années 1960, elle s’investit dans le recensement national des Indiens, réalisé par le ministère de l’Intérieur. Elle découvre les régions habitées par des peuples indigènes en Argentine (Chaco, Neuquen, Río Negro et Chubut) et mène plusieurs enquêtes de terrain auprès de groupes pilagás, tobas et metacos et de métisses (criolos). Pendant les années 1970, féministe active, elle participe à la création de l’Unión feminista argentina tout en dirigeant le Comité pour le droit à l’avortement. Elle découvre la théologie féministe et entame une intense réflexion théorique qui débouche sur un livre coécrit avec sa collègue Susana Chertudi. En 1990, elle fonde une institution – La Urdimbre de aquehua (« la tessiture du soleil ») –, dédiée à la théologie éco-féministe, collabore à de nombreux projets de la Women’s Alliance for Theology, Ethics and Ritual (Water) et intègre l’ONG Católicas por el derecho a decidir (« Catholiques pour le droit de choisir »).
Miriam GROSSI et Liza MARTINS DA SILVA
■ Avec CHERTUDI S., La difunta correa, Buenos Aires, Huemul, 1978.
■ Avec ROCCA M., « El carnaval chiriguano-chané », in Cuadernos del Instituto Nacional de Antropología, no 8, 1978 ; « Vigencia de los mitos de origem en la cosmovision pilagá y toba », in Cuadernos del Instituto Nacional de Antropología, no 10, 1983.
■ ESTEBAN A. L., « Sara Josefina Newbery », in Relaciones, no 28, 2003.
NEWTON, June VOIR SPRINGS, Alice
NEYRAUT, Marie-Thérèse (née SUTTERMAN) [HAUMONT 1928 - PARIS 2000]
Psychiatre et psychanalyste française.
Après ses études de médecine, Marie-Thérèse Sutterman se spécialise en psychiatrie. Elle aura été une figure importante de la salle de garde de l’hôpital Sainte-Anne. D’un esprit à la fois affable et critique, elle contribuait pour beaucoup à l’ambiance de l’internat. Formée à l’Institut de psychanalyse de Paris, elle s’intéresse très tôt aux aspects psychiques de l’épilepsie et publie à ce sujet plusieurs articles dans la Revue française de psychanalyse. Mais ses intérêts très diversifiés se porteront aussi sur l’histoire de la psychanalyse. Elle consacrera des études remarquées à Viktor Tausk et à Lou Andreas-Salomé*. Dans le domaine littéraire, elle laisse un portrait saisissant de Charles Bovary à propos du masochisme moral masculin. Elle anima aussi un groupe de théâtre composé de psychanalystes qui se produira dans diverses salles parisiennes. Deux livres témoignent particulièrement de son travail, l’un, Dostoïevski et Flaubert, écriture de l’épilepsie (1993) ; l’autre, L’Animal et le Psychanalyste, le meurtre du grand singe (1998).
René MAJOR
■ Dostoïevski et Flaubert, écritures de l’épilepsie, Paris, Presses universitaires de France, 1993 ; L’Animal et le Psychanalyste : le meurtre du grand singe, Paris, L’Harmattan, 1998.
NEZIHE BÜKÜLMEZ, Yaşar [1880-1971]
Poétesse turque.
Ses origines modestes en font une exception parmi les poétesses turques de son époque. Fille d’un surveillant municipal, Yaşar Nezihe Bükülmez perd sa mère à l’âge de 6 ans. Après une brève scolarité, elle commence à travailler comme ouvrière à l’hôtel des Monnaies puis comme dentellière. Au cours de ses trois mariages, elle a trois fils dont deux meurent en bas âge. Ses premiers poèmes sont publiés dans plusieurs journaux, dont Hanımlara Mahsus Gazete (« journal réservé aux femmes »), Kadın (« la femme ») et Kadın Dünyası (« le monde des femmes »). Sa poésie s’oriente vers des questions sociales qu’elle connaît de près. Elle aborde des thèmes pour le moins inhabituels pour une femme, mais surtout périlleux pour l’époque – le monde du travail, la grève, le 1er Mai – et fait l’objet de perquisitions. Ses poèmes sont confisqués.
Gül METE-YUVA
NGAH ATEBA, Alice Salomé [CAMEROUN 1961]
Philosophe camerounaise.
La thèse de doctorat soutenue par Alice Salomé Ngah Ateba en Sorbonne en 1995 établit d’emblée le rôle que joue l’œuvre de Gaston Bachelard dans la réflexion et les travaux de la jeune philosophe camerounaise : De la matière nouménale et du matérialisme nouménologique (essai d’un nouménologisme pour une révision des concepts de matière et de phénomène dans la philosophie de Gaston Bachelard, 1884-1962). De la philosophie à la poésie, de la religion à la politique (elle est adjointe au maire) et de la théologie aux transactions économiques, elle a abordé de nombreux domaines. Spécialisée en histoire et philosophie des sciences, elle analyse l’œuvre de Bachelard et son épistémologie du nouvel esprit scientifique et littéraire tout comme elle s’intéresse à Pierre Meinrad Hebga, spécialiste africain des phénomènes paranormaux, et aux questions des rapports entre les hommes et les femmes. A. S. Ngah Ateba fait de la perfection un idéal de vie et un objectif de recherche et d’action en philosophie et en théologie. Elle professe que la perfection est de ce monde – comme la sagesse africaine tente de le montrer, à travers les contes et légendes –, accueille sous son toit des orphelins en leur assurant une instruction, et propose un espace de soins médicaux dans le centre de santé en « philosoin » qu’elle a créé.
Hubert MONO NDJANA
■ Pour un sexe faible fort… la femme face à elle-même, Yaoundé, AMA, 2003 ; Le Féminin humain : pensées poétiques et éthiques des vies de femme, Yaoundé, AMA, 2004.
■ « L’éthique de la personne et l’humanisme kantien dans Fondements de la métaphysique des mœurs », in Bulletin du Cercaphi, no 1, Presses universitaires de Yaoundé, 1988 ; « La sorciologie, une extra-science de la santé et du salut », in Pierre Meinrad Hebga : philosophie et anthropologie, Paris, L’Harmattan Cameroun, 2010.
NGAWANG SANGDROL [LHASSA 1977]
Religieuse et militante politique tibétaine.
La nonne Ngawang Sangdrol (Ngag dbang gsang grol) manifeste pacifiquement pour l’indépendance du Tibet en 1987, en 1990 et en 1992, où elle est condamnée à trois ans de prison. Ayant enregistré en 1993, avec d’autres détenues, des chants patriotiques qu’elle transmet clandestinement à l’extérieur, elle voit sa peine portée à douze ans au motif de « propagande contre-révolutionnaire ». En 1996, elle refuse de saluer une délégation officielle : sa peine est alourdie de huit ans. En 1998, elle manifeste en prison et sa peine est portée à vingt et un ans. Elle est toutefois libérée dès 2002, officiellement pour « bonne conduite », mais plus vraisemblablement sous la pression internationale et pour raison de santé, à la suite des tortures subies. Surveillée de près après sa libération, elle quitte le Tibet en 2003 pour les États-Unis.
Françoise ROBIN
■ BROUSSARD P., LAENG D., La Prisonnière de Lhassa, Paris, Le Livre de Poche, 2003.
■ Prisonnière à Lhassa (documentaire, M. Louville), 2006.
■ Chants d’espoir et de liberté des nonnes de Drapchi (cassette), Comité de soutien au peuple tibétain.
NGUBANE, Thembi [1984 - LE CAP 2009]
Militante et mémorialiste sud-africaine.
Le producteur de la National Public Radio aux États-Unis, Joe Richman, rencontre Thembi Ngubane alors qu’elle n’a que 19 ans et est séropositive. Il l’encourage à tenir un journal audio de son existence pour l’émission All Things Considered (« tout bien considéré »). Ainsi, en 2004 et 2005, elle enregistre des épisodes de sa vie quotidienne, qui sont diffusés à travers l’Amérique, la Grande-Bretagne, l’Australie et le Canada, touchant plus de 50 millions de personnes, puis en Afrique du Sud à partir de 2006, où son journal est diffusé en langue anglaise, mais aussi en zoulou et en xhosa. L’humour, la spontanéité, la sincérité, la joie de vivre et le courage dont elle fait preuve bouleversent les auditeurs. La jeune femme transforme son virus en personnage, sans doute pour mieux l’apprivoiser. Au fil des épisodes, elle présente sa famille, son petit ami, Melikhaya, qui la soutient jusqu’au bout, et enregistre lors d’une séquence émouvante et digne l’annonce de sa séropositivité à son père. Elle confie aussi ses angoisses lorsqu’elle apprend qu’elle attend un enfant, une petite fille, qui naîtra heureusement sans avoir contracté le virus. Elle se rend aux États-Unis en 2006 et témoigne de sa vie de jeune séropositive au siège de l’Unicef, à New York, avant d’entamer une longue tournée à travers tout le pays : Washington, Boston, Los Angeles, Chicago. Des stars de la célèbre agence CAA aux lycéens, en passant par d’autres jeunes malades du Sida, elle rencontre des publics divers. Elle fait également la connaissance du sénateur Barack Obama et participe à une émission de télévision diffusée sur CNN avec Bill Clinton et Richard Gere. L’année suivante, en tant qu’ambassadrice de l’Unicef, T. Ngubane voyage en Allemagne, puis en Inde, où elle contribue à un documentaire intitulé Love and Babies in the Time of Aids : A Journey to India (« amour et bébés au temps du sida : un voyage en Inde », 2008), visible sur le site de l’Unicef. Elle témoigne également auprès de jeunes au Sommet Junior 8 et se fait ambassadrice lors du concert donné par Nelson Mandela à l’occasion de la Journée mondiale du sida le 1er décembre 2007. Son récit, Aidsdiary (« journal du sida »), que l’on peut écouter sur Internet, a reçu le Prix du meilleur récit radiophonique international, décerné par l’Overseas Press Club en 2006. Elle meurt à 24 ans d’une tuberculose.
Audrey CANSOT
NGUYÊN NGOC TU [DÂM DOI, CA MAU 1976]
Nouvelliste vietnamienne.
Bien que l’état civil ait enregistré l’année de sa naissance en 1976, Nguyên Ngoc Tu la retarde d’un an dans Biên cua môi nguoi (« à chacun sa solitude »), paru en 2008. À partir de 1996, elle publie ses premières nouvelles dans la revue Van nghê ban dao Ca Mau (« arts et lettres de la péninsule de Ca Mau »). Issue d’une famille paysanne pauvre, elle dut interrompre ses études et se lancer précocement dans la vie active afin d’aider sa famille. Marquée par le dénuement matériel de son enfance, elle dépeint, dans la quasi-totalité de ses nouvelles, la vie difficile des habitants du delta du Mékong, en chantant et en faisant chanter le Sud par le truchement d’une langue colorée et riche en régionalismes. Ses personnages simples, symboles de l’âme de cette pointe sud du pays où se confondent terre et eau, sont des êtres spontanés, généreux et solidaires, qui embarquent leurs lecteurs sur leurs modestes sampans et sinuent entre arroyos et rizières, dans l’immensité du delta. La nouvelle Canh dông bât tân (« rizières à l’infini »), publiée dans le recueil éponyme, est l’une des œuvres maîtresses de l’écrivaine : elle retrace des réalités sombres, des fragments de vie obscurs et des lieux dénaturés ; la ville ronge la campagne comme une lèpre et l’eau douce des arroyos devient fielleuse, telle l’amertume des paysans souffrant de la famine et de la pauvreté. Comme à son habitude, l’auteure met en scène des êtres naïfs et sincères qui, cette fois, sombrent peu à peu dans la haine. Elle se prête alors à une réflexion sur le pardon, que les enfants doivent accorder à leurs parents défaillants, incapables d’évoluer. Les 35 nouvelles contenues dans Tâp van Nguyên Ngoc Tu (« miscellanées de Nguyên Ngoc Tu », 2005) évoquent avec beaucoup d’émotion et d’inquiétude les transformations qui s’opèrent dans la société rurale de l’extrême sud du pays, gagnée par une urbanisation galopante. Grâce à sa plume à la fois puissante et émouvante, et son combat permanent en faveur de la droiture et la solidarité, la nouvelliste a su non seulement toucher le cœur de ses compatriotes du Sud, mais aussi celui de tous ses lecteurs, qu’ils soient du Vietnam ou d’ailleurs.
TAO VAN AN
■ Ngon den không tat, Hô Chi Minh-Ville, Éd Tre, 2000 ; Giao thua, Hô Chi Minh-Ville, Éd Tre, 2003 ; Tâp truyên Nguyên Ngoc Tu, Hô Chi Minh-Ville, Éd Tre, 2005 ; Canh dông bât tân, Hô Chi Minh-Ville, Éd Tre, 2005 ; Biên cua môi nguoi, Hô Chi Minh-Ville, Van Hoa, 2008.
NGUYÊN THI BINH [DONG THAP 1927]
Militante et diplomate vietnamienne.
Après une enfance passée dans le delta du Mékong puis à Phnom Penh, où son père est fonctionnaire, Nguyên Thi Binh renonce à passer le baccalauréat et quitte le Cambodge pour le Vietnam afin de participer à la résistance. Brillante diplomate, elle est non seulement vice-présidente de la République socialiste du Vietnam et première femme ministre des Affaires étrangères du pays, mais elle a acquis une renommée internationale en prenant la tête de la délégation du Front national de libération et du Gouvernement révolutionnaire provisoire de la République du Sud-Vietnam lors de la conférence de paix à Paris, de 1968 à 1973. Elle fait alors preuve d’une diplomatie à la fois souple et ferme et d’un esprit de tolérance dans la confrontation avec l’adversaire. Elle représente le Gouvernement révolutionnaire provisoire de la République du Sud-Vietnam pour la signature des accords de paix de Paris en 1973. Après la réunification du pays en 1975, Nguyên Thi Binh assume, successivement et parallèlement à des fonctions de haut rang au sein du Parti communiste vietnamien, les fonctions de ministre de l’Éducation nationale (1976-1987), de vice-présidente de la République socialiste du Vietnam (1992-2002) et de députée à l’Assemblée nationale (1976-2001). Elle critique les faiblesses du système éducatif vietnamien trop orienté vers les exploits formels et considère que l’éducation, fondée sur la probité et l’intégrité, est la base du progrès du pays. Ministre, elle accomplit d’importantes réformes, malgré les difficultés économiques de la période : réunification des systèmes éducatifs du Nord et du Sud-Vietnam, adoption de mesures pour améliorer les conditions de vie et le salaire des enseignants, réforme de l’éducation pour intégrer théorie et pratique, création d’une fête des enseignants (le 20 novembre) et de titres honorifiques pour la profession. Elle préside la fondation Paix et développement du Vietnam et le Vietnam’s Children’s Fund. Elle est également présidente d’honneur de l’Association des victimes de l’agent orange au Vietnam. Parus en 2012, ses Mémoires (Gia dinh, ban bè, dat nuoc, « ma famille, mes amis, mon pays »), sont un témoignage de sa reconnaissance envers les générations antérieures, un message de paix et de solidarité internationale. Elle y évoque l’amour maternel, l’affection entre frères et sœurs, l’amitié entre amis et camarades de lutte, la solidarité entre nations et les sacrifices de plusieurs générations pour l’indépendance de la patrie.
THAI THI NGOC DU
NGUYÊN THI DINH [BÊN TRE 1920 - ID. 1992]
Militaire vietnamienne.
Dirigeante militaire des forces armées de libération du Sud-Vietnam pendant la guerre contre les États-Unis (1954-1975), Nguyên Thi Dinh naît dans le delta du Mékong au sein d’une famille de paysans pauvres. Très jeune, elle suit l’exemple de son frère et participe à la résistance contre la France. Elle se marie avec un camarade de lutte qui, trois jours après la naissance de leur fils, est arrêté et exilé à Côn Dao, où il meurt en 1943. Elle-même arrêtée en 1940, elle n’est libérée qu’en 1943 et rejoint à nouveau le Viet Minh pour participer à la libération de Bên Tre en 1945. Elle devient membre du comité exécutif de l’Union des femmes de cette commune et participe à la délégation envoyée au Nord pour demander des renforts. En mars 1946, elle et ses camarades de lutte ouvrent pour la première fois la « piste Hô Chi Minh maritime » et transportent avec succès 12 tonnes d’armes à Bên Tre. Le talent de Nguyên Thi Dinh se manifeste lors du soulèvement général de Bên Tre, en 1960, auquel elle contribue en créant son « armée aux cheveux longs ». Elle applique la stratégie des trois fronts d’attaque (lutte politique, lutte militaire et démobilisation des troupes adverses), stratégie étendue ensuite à d’autres provinces du Sud-Vietnam. Elle organise et dirige les nombreux groupes de femmes qui, sans armes, font face directement à l’ennemi, fortes de leur amour pour leur famille et pour leurs compatriotes et de leur conviction politique. Ces activités, développées parallèlement à la lutte armée, permettent de repousser plusieurs offensives ennemies et contribuent à faire échouer l’opération adverse des « hameaux stratégiques ». Peu après, elle devient membre fondateur du Front de libération nationale du Sud-Vietnam (FNL) de la province de Bên Tre et responsable de sa section militaire. De 1965 à 1975, elle est présidente de l’Union des femmes du FNL et dirigeante adjointe des forces armées du FNL, avec le titre de générale d’armée (à partir de 1974). Après la réunification du Vietnam en 1975, elle occupe différentes fonctions : membre du comité central du Parti communiste vietnamien, vice-présidente de la République socialiste du Vietnam (1980-1992) et présidente de l’Union des femmes du Vietnam (1980-1992).
HÔ VIÊT ÐOÀN
NGUYÊN THI GIANG [BAC GIANG 1909 - VINH PHUC 1930]
Militante anticolonialiste vietnamienne.
Dès la fin de ses études primaires, Nguyên Thi Giang s’engage auprès de l’organisation Viêt Nam Dân quôc (Vietnam nationaliste), créée dans le sillage des activités révolutionnaires d’un lettré confucéen gagné au modernisme, Phan Bôi Châu (1867-1940). L’organisation fusionne peu de temps après avec le parti Viêt Nam quôc dân dang (Parti nationaliste vietnamien), créé en 1927 par Nguyên Thai Hoc, un étudiant. Ce dernier est placé à la tête du parti unifié. Nguyên Thi Giang et Nguyên Thai Hoc forment alors un couple révolutionnaire érigé en symbole de l’amour librement contracté entre deux camarades de lutte. Devenue secrétaire générale du parti, Nguyên Thi Giang, déguisée en marchande ambulante de canne à sucre, mène la propagande auprès des Vietnamiens enrôlés dans la garde civile et tente de les gagner à la cause anticolonialiste. Elle assure également le transport d’armes lors de la préparation de l’insurrection de Yên Bai et participe à la formation des unités insurrectionnelles. Le soulèvement de la garnison de Yên Bai le 10 février 1930, ainsi que d’autres actions insurrectionnelles, provoquent la terreur du pouvoir colonial qui les réprime férocement. Sur les 1 086 accusés jugés par la commission criminelle du Tonkin à la suite de ces événements, 80 sont condamnés à mort et 594 à de lourdes peines de prison. Le village de Cô Am, dans la province de Hai Duong, est rasé. Parmi les condamnés à mort, 13 sont membres du parti nationaliste, dont Nguyên Thai Hoc lui-même. Nguyên Thi Giang prépare une attaque pour délivrer les prisonniers, mais ne peut la mettre à exécution. Le 17 juin 1930 à l’aube, Nguyên Thai Hoc monte sur l’échafaud. Le 18 juin, Nguyên Thi Giang se suicide. Phan Bôi Châu exprime, dans l’oraison funèbre qu’il prononce en son honneur, son admiration pour cette « silhouette de femme qui cache une volonté d’homme » et qualifie Nguyên Thi Giang de « grande sœur » (il se désigne lui-même par le terme « petit frère »). Le respect que Phan Bôi Châu tient à manifester à Nguyên Thi Giang, en dépit de leur différence d’âge – ils avaient respectivement 63 et 21 ans – et de l’irrégularité de la situation conjugale de celle-ci avec son amant, est particulièrement éloquent.
BÙI TRÂN PHUONG
NGUYÊN THI KIÊM [GO CÔNG, VIETNAM 1914 - PARIS 2005]
Écrivaine, militante anticolonialiste et féministe vietnamienne.
Fille de l’intellectuel Nguyên Dinh Tri, Nguyên Thi Kiêm est élève au Collège des jeunes filles indigènes de Saigon. Elle crée fin 1933 l’Amicale des anciennes de son collège dont elle est la secrétaire. Journaliste dès l’âge de 18 ans, elle contribue à la revue hebdomadaire féminine et féministe Phu nu tân van (« gazette des femmes ») ainsi qu’à d’autres périodiques. Elle signe, sous différents noms de plume, des écrits littéraires, mais excelle surtout dans l’écriture journalistique (interviews, reportages, enquêtes, critiques dramatiques, musicales ou sportives). Elle doit faire face à de multiples manifestations d’hostilité, les professions de journaliste et d’écrivain étant encore peu féminisées. Poétesse, Nguyên Thi Kiêm défend la poésie nouvelle, qui s’émancipe des contraintes stylistiques héritées de la littérature classique chinoise et s’autorise à exprimer librement pensées et sentiments de la vie réelle. La conférence qu’elle prononce le 26 juillet 1933 auprès de l’Association pour la promotion des études est importante à double titre puisque c’est la première plaidoirie publique en faveur de la poésie nouvelle, mais également la première conférence donnée par une femme. Outre la création artistique et l’écriture journalistique, Nguyên Thi Kiêm se distingue également par l’organisation de conférences militantes pour les droits des femmes, qui attirent une audience nombreuse. Elle donne en 1934, à l’âge de 20 ans, une série de conférences dans tout le pays, au cours desquelles elle aborde frontalement des sujets qui font polémique : « L’opinion masculine sur les féministes », « La journée d’une féministe », « Devrait-on opter pour le mariage libre ? », « Devrait-on abandonner la polygamie ? ». Considérée comme l’une des féministes les plus radicales de l’époque, Nguyên Thi Kiêm est aussi une militante anticolonialiste convaincue. Elle fait partie de la commission chargée de la propagande dans l’équipe du journal La Lutte (publié en français). Elle contracte de son propre gré un mariage avec le poète Lu Khê, né Truong Tuân Canh, qui sera victime d’un assassinat politique. Nguyên Thi Kiêm quitte le Vietnam en 1950.
BÙI TRÂN PHUONG
NGUYÊN THI MINH KHAI [NGHÊ AN 1910 - SAIGON 1941]
Militante communiste et féministe vietnamienne.
Initiée à l’action militante alors qu’elle est encore élève à l’école primaire supérieure Cao Xuân Duc, Nguyên Thi Minh Khai entre en 1927 au parti Tân Viêt, organisation communisante du Vietnam du centre. Elle admire le héros nationaliste Phan Bôi Châu et se passionne pour des ouvrages de vulgarisation sur la colonisation et la révolution prolétarienne. En mars 1930, elle quitte sa famille pour aller clandestinement à Canton, où elle milite aux côtés de Ly Thuy, alias Hô Chi Minh, dont elle devient la compagne. En 1935 à Moscou, au cours du 7e congrès de l’Internationale communiste, elle s’exprime au nom des « ouvrières et paysannes des pays d’Orient ». Elle adhère à la position du congrès sur la formation d’un front anti-impérialiste, mais dénonce l’oppression des femmes, particulièrement lourde en Orient. Elle se plaint du peu d’attention accordé aux femmes au sein des partis communistes, du faible nombre de déléguées au congrès et considère que « la manière dont la question féminine a été posée pour mobiliser les ouvrières, les paysannes, les fonctionnaires et les ménagères au sein d’un front unifié de lutte » n’est pas pertinente. De 1936 à 1940, Nguyên Thi Minh Khai milite en Cochinchine et notamment dans la banlieue nord de Saigon. Membre du comité exécutif cochinchinois, puis secrétaire du parti communiste à Saigon de 1939 à 1940, elle s’affirme fortement dans la formation des cadres féminins et dans les débats politiques du Parti. Elle déploie la même ardeur pour le combat anticolonialiste que dans la lutte pour l’égalité des sexes. Elle fait partager sa conviction aux militantes qu’elle forme : « Nous devons être solidaires pour réclamer et obtenir la liberté et l’égalité. La lutte pour l’émancipation des femmes sera de longue haleine. Cette lutte devra se poursuivre une fois la révolution victorieuse et le gouvernement révolutionnaire établi. » Sous le nom de plume Ng. T. Kim Anh, Nguyên Thi Minh Khai signe plusieurs articles féministes. Les plus importants, parus en septembre et décembre 1938 dans Dân Chung (« le peuple ») sont « Discussion avec l’écrivaine Tuyêt Dung sur la question des femmes » et « La question de l’émancipation des femmes ». Fidèle au point de vue officiel du parti, elle critique la théorie fasciste du « retour au foyer » et conclut fermement que « le mouvement d’émancipation des femmes ne [fait] qu’un avec celui de l’émancipation des classes opprimées et exploitées ». Néanmoins, Nguyên Thi Minh Khai se montre souvent moins dogmatique dans l’éducation politique qu’elle pratique au quotidien que dans ses écrits.
Compagne de Hô Chi Minh depuis son séjour à Canton, Nguyên Thi Minh Khai est pourtant, selon l’historiographie officielle, la femme de Lê Hông Phong, avec qui elle eut une fille née début 1940. Arrêtée en juillet 1940, elle est accusée d’avoir organisé l’insurrection armée en Cochinchine, condamnée à la peine capitale par la Cour martiale et fusillée le 28 août 1941. Issue d’un milieu intellectuel aisé, Nguyên Thi Minh Khai n’a cessé de naviguer entre nationalisme et communisme, entre expérience à l’étranger et lutte de terrain, entre action clandestine et polémiques ouvertes. Elle a lutté pour l’émancipation des femmes aussi bien dans ses écrits que dans la pratique révolutionnaire au quotidien.
BÙI TRÂN PHUONG
■ LÊ MINH, Chị Minh Khai (Nguoi chị, 1976), Hanoi, Thanh niên, 2005 ; NGUYÊT TU, Chị Minh Khai, Hanoi, Phu nu, 1976 ; QUINN-JUDGE S., Ho Chi Minh The Missing Years 1919-1941, Berkeley, University of California Press, 2002.
NGUYÊN THI THÂP [TIÊN GIANG 1908 - HÔ CHI MINH-VILLE 1986]
Militante communiste vietnamienne.
Fondatrice de l’Association cochinchinoise des femmes pour le salut du pays (Hôi Phu nu cuu quôc) en 1947, présidente de l’Union des femmes vietnamiennes de 1955 à 1981, Nguyên Thi Thâp a occupé certains des postes les plus élevés du parti communiste, parmi ceux qui sont liés aux questions féminines. Elle fut également membre du comité central du parti (1951-1981) et de l’Assemblée nationale dont elle est la vice-présidente de son 2e à son 6e mandat (1960-1980). La période la plus fertile de la vie de Nguyên Thi Thâp est celle de sa jeunesse militante. Ses frères sont, dès 1927, parmi les premiers membres de Thanh nien (« jeunesse », organisation « communisante » avant l’existence du parti) de son village ; elle-même ne peut participer à l’activité militante de la « paysannerie rouge » qu’à force de détermination et de persévérance. Elle se fait connaître à partir de 1931 sous le pseudonyme de Muoi (« dixième ») Thâp quand on l’admet dans l’organisation communiste, comme agent de liaison tout d’abord, puis comme cadre chargée de la propagande et de l’organisation. En 1933, elle quitte sa famille pour l’action clandestine à Saigon, où elle milite parmi les ouvriers et les matelots. Après avoir bravé la prison et les tortures, elle retourne en 1936 dans les provinces du delta du haut Mékong pour y organiser les forces révolutionnaires, chez les paysans mais aussi parmi les classes plus fortunées et les sectes religieuses. Lors de ses séjours en prison, elle continue à militer auprès des inculpés de droit commun et les rallie à la lutte anticolonialiste. Elle-même a parfait sa connaissance de la théorie marxiste de l’exploitation capitaliste et de l’organisation des masses révolutionnaires auprès des inculpés politiques de Saigon. Seule femme parmi les dirigeants révolutionnaires de la région, Nguyên Thi Thâp épouse en secondes noces Nam Giac, revenu du bagne de Poulo Condor. C’est lors du soulèvement de son village natal, Long Hung, que le drapeau rouge à étoile d’or, qui deviendra par la suite le drapeau national vietnamien, est arboré pour la première fois. La vie de Nguyên Thi Thâp témoigne d’un dynamisme et d’une détermination hors du commun : paysanne peu instruite, elle s’est affirmée dans la lutte politique armée jusqu’à devenir une dirigeante communiste respectée. Elle tient dans ses dernières années à organiser la rédaction d’une Histoire du mouvement des femmes vietnamiennes. À son initiative, une équipe d’anciennes cadres écrit l’histoire des femmes du Sud et collecte de nombreux documents. Ce travail, effectué sous la direction de Ngô Thi Huê, est à l’origine de la création du musée des Femmes du Sud, premier du genre au Vietnam.
BÙI TRÂN PHUONG
■ DOAN GIOI (dir.), Tu dât Tiên Giang, Hô Chi Minh-Ville, Van nghê, 1986.
NGUYÊN THI XUÂN PHUONG [HUÊ 1929]
Maquisarde et femme d’art vietnamienne.
Née dans une famille bourgeoise imprégnée de culture française, Xuân Phuong étudie au couvent des Oiseaux de Dalat jusqu’à l’âge de 14 ans puis, après sa fermeture en 1945, au collège Khai Dinh de Huê. C’est à Huê qu’elle découvre la misère du peuple et qu’elle se joint au mouvement des jeunes en lutte contre la domination française. Fin 1945, en cachette de sa famille, elle s’engage dans le maquis au Nord-Vietnam. Sa connaissance de la langue française lui vaut d’intégrer le service de fabrication des explosifs du ministère de la Défense du Viêt-minh. Elle se marie en 1949 avec son camarade de lutte Ton That Hoang qui deviendra plus tard professeur de physique à l’université polytechnique à Hanoi. Elle participe à la bataille de Diên Biên Phu. Après 1954, elle poursuit à Hanoi ses études en médecine et devient médecin et traductrice au ministère des Affaires étrangères au service des délégations officielles. Elle accompagne le réalisateur Joris Ivens à Vinh Linh pour le tournage du film Le 17e parallèle : la guerre du peuple. Ce dernier remarque alors ses talents cinématographiques et, sur ses conseils, elle se fait affecter à la télévision nationale où elle devient journaliste de guerre et réalisatrice de films documentaires. En 1986, après sa retraite, Xuân Phuong s’engage dans le monde des arts et ouvre Lotus, une galerie de peinture. Elle fait la promotion des peintres vietnamiens de talent pauvres et méconnus. Pour faire connaître cet aspect de la culture vietnamienne, elle organise régulièrement des expositions de peinture en France, en Italie et dans d’autres pays d’Europe et d’Amérique du Nord. Elle s’intéresse aussi à la promotion du tourisme sur l’île Con Dao et y construit un resort de style vietnamien. Elle lance « le dernier projet de sa vie » : construire une école de peinture pour enfants pauvres. Chevalier de l’ordre national de la Légion d’honneur en reconnaissance de son implication dans les échanges culturels entre la France et le Vietnam, elle a obtenu plusieurs prix pour ses films documentaires lors des festivals de films à Leipzig.
THAI THI NGOC DU
■ XUÂN PHUONG, MAZINGARBE D., Ao Dai, du couvent des Oiseaux à la jungle du Viêt-minh, Paris, Plon, 2001.
NGUYÊT ANH VOIR SUONG NGUYÊT ANH
NHA CA (TRÂN THI THU VÂN, dite) [HUÊ 1939]
Poétesse et romancière vietnamienne.
Connue sous le nom de plume de Nha Ca ou de Trân Thi Nha Ca, Trân Thi Thu Vân épouse le poète Trân Da Tu en 1962. Après avoir été emprisonnée pendant douze mois, elle émigre avec son mari en Suède en 1976, puis en Californie en 1992 où le couple fonde le quotidien Viêt Bao Daily News, que dirige l’écrivaine. Son premier roman, Duong môt chiêu (« chemin en sens unique »), écrit à l’âge de 15 ans et destiné à être publié sous forme de feuilleton dans Hôn xuân (« esprit printanier »), ne paraîtra jamais, le journal s’étant sabordé après trois numéros. Elle continue néanmoins à composer poèmes et nouvelles et à publier dans la presse de Saigon. Jugée brillante, indépendante d’esprit et éminemment critique envers les traditions rigides de sa terre natale de Huê, l’écrivaine refuse d’être considérée comme une femme-objet, dont on dispose à loisir au nom de la tradition. Elle ose « avouer » dans ses recueils de poésie Tiêng chuông Thiên Mu (« son de la cloche Thiên Mu ») et Dan ba la mat troi (« femmes, vous êtes le soleil ») qu’elle a commis un acte inadmissible de la part d’une jeune fille : quitter sa famille à l’âge de 19 ans. Elle excelle également dans l’art de pratiquer le double sens : sous sa plume, des gouttes de rosée se métamorphosent en nouveau-né. En 1965, son recueil Tho Nha Ca moi (« nouvelles poésies de Nha Ca ») se voit attribuer le Prix national de poésie. L’auteure conforte sa notoriété en signant le roman Les Canons tonnent la nuit (1966), évocation de la guerre de l’époque vécue par une famille en proie aux soucis quotidiens, aux espoirs et à la tristesse. En 1969, le roman Giai khan sô cho Huê (« turbans de deuil pour Huê »), qui sera complété par Tinh ca cho Huê dô nat (« élégie sur les ruines de Huê ») et Tinh ca trong lua do (« chant funèbre dédié à Huê en flamme »), est récompensé par le Prix national des lettres et des arts ; il évoque l’offensive meurtrière du Têt à Huê en 1968 : la ville est à feu et à sang face à une population impuissante, témoin d’un combat idéologique sanglant. Cette œuvre hisse la romancière au sommet de la gloire, bien qu’elle suscite une violente polémique entre certains intellectuels qui se reconnaissent dans les personnages négatifs et des Viêt kiêu (Vietnamiens d’outre-mer) qui, victimes de la tragédie, ont dû fuir en Occident ; mais elle sera aussi la raison de son incarcération en 1976, après la réunification du pays, et l’inscription de son nom sur la liste noire du gouvernement en place. En 2008, dans une interview accordée à Radio Free Asia (RFA), la romancière annonce la réédition en trilogie de ses romans, à l’occasion du quarantième anniversaire de ce dramatique événement et à la mémoire du martyre de Huê et de ses habitants. Malgré l’acharnement de ses détracteurs qui ne partagent pas ses convictions idéologiques, elle continue à exprimer son amour pour sa ville natale et son pays, à travers une œuvre prolifique dont les titres les plus récents ont été publiés aux États-Unis.
Paulette PHAN THANH THUY
■ Les Canons tonnent la nuit (Dêm nghe tiêng dai bac 1966), Arles, P. Piquier, 1997.
■ Tho Nha Ca moi (1965), Westminster, Vietbao, 2006 ; Duong Tu Do, Westminster, Vietbao, 2006 ; Giai khan sô cho Huê (1969), Westminster, Vietbao, 2008.
NIANE, Ndèye Daba [LOUGA, NDIAMBOUR 1967]
Romancière sénégalaise d’expression wolof.
Née au nord du Sénégal, dans une ville de longue tradition culturelle et artistique, Ndèye Daba Niane a passé toute son enfance et son adolescence à Thiès, non loin de Dakar, où elle a effectué ses études primaires, secondaires et professionnelles, conclues par un diplôme de sténodactylographie. Par l’entremise d’une belle-sœur, superviseure d’un projet d’alphabétisation, elle a pu bénéficier de cours de wolof, suivis d’un stage à l’Unesco destiné à renforcer le savoir des écrivains en langues nationales. Cette expérience lui a permis de diriger des classes d’alphabétisation et de devenir facilitatrice dans ce domaine. L’idée d’écrire lui a été suggérée par Adramé Diakhaté, un collègue et ami de son mari (tous deux professeurs de français en lycée) qui a dédicacé à ce dernier son roman écrit en wolof, Janeer (« l’illusion », 2001) ; après l’avoir lu et apprécié, forte de sa maîtrise du wolof, N. D. Niane est entrée en écriture. Elle a choisi le genre romanesque qui, pour elle, est un outil pour « sortir » ce que l’on éprouve. Dans sa jeunesse, elle assiste à des scènes de ménages qui la marquent, en dépit de son incapacité à comprendre ; à l’âge adulte, quand elle fonde elle-même un foyer et devient mère de trois enfants, elle comprend mieux pourquoi les femmes restent au foyer malgré les souffrances qu’elles endurent dans leur vie de couple. Dans son œuvre romanesque, elle aborde principalement les problèmes du mariage et de l’éducation pour faire comprendre aux femmes qu’il est nécessaire de résister. Elle n’a, jusqu’à présent, publié qu’un seul roman en wolof, Séy xare la (« le mariage est un combat »), paru en 2006 à Dakar : l’héroïne de ce roman, Déguène Fall, reçoit une violente gifle de son mari, qui la rend sourde. Chaque nuit, pendant les neuf jours qu’elle passe à l’hôpital de Thiès dans une totale surdité, des insomnies ravivent en elle les souvenirs de sa vie jusqu’à ce geste fatidique. La romancière puise à volonté dans la réserve de maximes et proverbes de la langue wolof pour illustrer ou donner une réponse à chaque étape de la narration, rythmée par le flot de sa mémoire.
Abdoulaye KEITA
■ KEITA A., « Ndèye Daba Niane, “Séy xare la” », in Éthiopiques, no 86, 1er sem. 2011.
NIBOYET, Eugénie (née MOUCHON) [MONTPELLIER V. 1801 - PARIS 1883]
Journaliste et femme de lettres française.
Originaire d’une famille bourgeoise protestante, Eugénie Niboyet découvre la pensée de Saint-Simon en 1829 à Paris et se passionne pour la politique. Elle embrasse la carrière littéraire à la fin des années 1830, en traduisant des romans anglais de Anna Laetitia Barhauld, Lydia Marie Child et Maria Edgeworth*. Elle s’essaye ensuite à la fiction avec Les Deux Frères, histoire intime (1839) et Lucien (1841), puis à la littérature d’apologétique protestante avec Dieu manifesté par les œuvres de la création (1842). Son nom et son œuvre seraient aujourd’hui oubliés si, parallèlement, elle n’avait participé au renouveau du féminisme qui a suivi la révolution de 1830, avec Flora Tristan*, Pauline Roland*, Marie Arnaud, Désirée Véret – éditrice du périodique La Femme libre (1832-1845) –, Fanny Richomme – directrice du Journal des femmes (1832-1837) –, sans oublier George Sand*. Cette nouvelle génération exposait clairement les revendications morales, politiques et sociales des femmes, en liaison avec et sous l’influence des « socialistes utopiques », préoccupés du sort des ouvriers. E. Niboyet rejoint le combat de ses consœurs en lançant des périodiques éphémères : Le Conseiller des femmes (Lyon, 1834), L’Ami des familles (Paris, 1835), La Paix des deux mondes suivi de L’Avenir, journal des intérêts sociaux (1844-1845). Après la révolution de février 1848, sa notoriété culmine avec le lancement du quotidien La Voix des femmes. Elle publie 46 numéros entre mars et juin 1848, et la création d’un Club des femmes vient parfaire cette œuvre. Quand la répression de juin 1848 vient mettre un terme brutal à toutes ses activités, le programme d’une émancipation féminine par l’instruction et l’égalité des droits a cependant été ébauché. Malgré les obstacles et les railleries, E. Niboyet persévère dans ses engagements avec Le Vrai Livre des femmes (1863) et son périodique Le Journal pour toutes (1864). Sous la IIIe République, elle renoue avec sa vocation littéraire avec La Chanoinesse (1879), Samuel, récits d’un jeune voyageur en Océanie (1880) – inspiré par la carrière consulaire de son fils en Extrême-Orient – et Contes moraux, dédiés à la jeunessedes écoles (1880).
Pierre ALBERT
■ KLEJMAN L. ET ROCHEFORT F., L’Égalité en marche, histoire du mouvement féministe sous la Troisième République, Paris, Des Femmes-Antoinette Fouque, 1989 ; ADLER L., À l’aube du féminisme, les premières journalistes (1830-1850), Paris, Payot, 1979 ; SULLEROT É., Histoire de la presse féminine en France, des origines à 1848, Paris, A. Colin, 1966.
NICHOLS, Johanna [XXe siècle]
Linguiste américaine.
Après un doctorat en linguistique à l’université de Berkeley, Johanna Nichols y occupe la chaire de langue et de littérature slaves. Elle se spécialise dans la linguistique des langues caucasiennes, les abordant aussi bien du point de vue de leur histoire que de celui de la typologie linguistique, renouvelant la représentation que l’on se faisait de ces langues. C’est dans cette dernière direction que se sont orientées ses recherches les plus récentes. Elle étudie certaines langues caucasiennes, notamment l’ingouche et le tchétchène.
Thomas VERJANS
■ Linguistic Diversity in Space and Time, Chicago, University of Chicago Press, 1992 ; avec VAGAPOV A., Noxchiin-ingals dosham/Chechen-English and English-Chechen Dictionary, Londres, Curzon/Routledge, 2003 ; Ghalghaai-ingalsii, ingalsa-ghalghaai lughat/Ingush-English and English-Ingush Dictionary, Londres, Curzon/Routledge, 2003.
NÍ CHUILLEANAIN, Eiléan [CORK 1942]
Poétesse irlandaise.
Fille de la romancière Eilis Dillon* et d’un professeur de gaélique, Eiléan Ní Chuilleanain fait ses études à l’université de Cork et à Oxford. Ses poèmes offrent de multiples interprétations ; fine observatrice de la société, elle peut également y aborder des considérations d’ordre religieux mais d’autres textes sont plus introspectifs. Férue d’histoire, elle aime à mettre en relation le passé et le présent et à souligner le contraste entre mouvement et immobilité, entre vie et mort, suggérant l’angoisse humaine devant la fuite du temps. Lauréate du Patrick Kavanagh Award pour son premier livre, Acts and Monuments (1966), suivi de Site of Ambush (1975), elle a également reçu le prestigieux O’Shaughnessy Poetry Award décerné par The Irish American Cultural Institute. Professeure à Trinity College Dublin, elle dirige Cyphers, revue de poésie dont elle est cofondatrice.
Sylvie MIKOWSKI
NICKEL, Gitta [BRIENSDORF, AUJ. BORZYNOWO, POLOGNE 1936]
Réalisatrice allemande.
Après des études de pédagogie et de littérature, Gitta Nickel entre comme réalisatrice aux studios de télévision Defa de la RDA (à Babelsberg, banlieue de Berlin), pour des films de popularisation scientifique dans les wochenschau (« actualités hebdomadaires »). Elle est ensuite assistante de réalisation, et tourne son premier long-métrage en 1965. Ses nombreux documentaires s’attachent à la vie quotidienne en RDA, celle des travailleurs, des jeunes des brigades (unités de production), des artistes, mais aussi aux problèmes de racisme entre citoyens des pays socialistes, que subissent notamment les immigrées vietnamiennes. Ses reportages au Vietnam, en Ukraine, en Sibérie et en Pologne sont basés sur de longues recherches et des entretiens sur place, sans ajout de commentaire. Pour la télévision elle produit des documentaires sur des artistes contemporains. Présidente du VFF-DDR (association des créateurs de films de RDA), elle s’implique dans les années 1970 dans les Festivals du film documentaire de Leipzig et de Neubrandenburg. Après la réunification en 1989, elle continue de réaliser pour la télévision.
Sarah DELLMANN
NÍ DHUIBHNE, Éilís (ou Éilís ALMQUIST, ou Elizabeth O’HARA) [DUBLIN 1954]
Poétesse, nouvelliste et romancière irlandaise.
Titulaire d’une thèse de doctorat sur le folklore irlandais, Éilís Ní Dhuibnhe affiche son identité en traduisant son patronyme en gaélique. Depuis la publication de son premier volume de nouvelles, Blood and Water (1989), elle a reçu de nombreuses récompenses, et The Dancers Dancing, roman sur des adolescents en vacances dans l’ouest de l’Irlande, a été nominé en 2000 pour recevoir l’un des plus prestigieux prix littéraires irlandais. Elle est aussi l’auteure d’une pièce de théâtre, Dún na mBan Trí Thine (« le fort des femmes en feu »), produite au Peacock Theatre de Dublin en 1994, et édite une anthologie de poésie féminine de la Renaissance celtique, Voices on the Wind. Sous le nom de Elizabeth O’Hara, elle écrit de nombreux livres pour la jeunesse, qui remportent un très grand succès. Dans ses nouvelles, elle utilise d’anciennes légendes irlandaises et les adapte à des situations contemporaines, cherchant ainsi à faire émerger des voix réduites au silence, et en particulier celle des femmes, par les récits historiques officiels. Elle a récemment confirmé son engagement dans la défense de la langue et de la culture gaéliques en publiant un roman puis un recueil de nouvelles écrites dans cette langue.
Sylvie MIKOWSKI
■ Le Jardin d’éden (The Garden of Eden, 1991), in Anthologie de nouvelles irlandaises contemporaines, Paris, Rive droite, 2003.
NICOBOULE [entre le IIIe et le Ier siècle aV. J.-C.]
Historienne grecque.
Aucun élément biographique ne nous est parvenu au sujet de Nicoboule, historienne mentionnée par Athénée dans Le Banquet des savants (X, 434c et XII, 537d) comme auteure d’un ouvrage en prose (ta suggrammata) sur Alexandre le Grand. Nous en possédons seulement deux fragments (Felix Jacoby, Die Fragmente der griechischen Historiker, 127 F 1-2), dans lesquels il est question de la vie privée du roi macédonien, de son penchant pour la boisson et pour le luxe, et du dernier banquet donné avant sa mort, chez Médéios de Thessalie. À cette occasion, Alexandre, amateur de théâtre, aurait récité et joué de mémoire une scène de l’Andromède d’Euripide : un choix qui n’est sans doute pas dû au hasard de la part du conquérant de l’Empire perse, puisque l’héroïne, unie à Persée, était à l’origine de la race perse. Nicoboule, à la différence d’autres historiens, n’établissait pas de lien entre l’abus d’alcool et la mort d’Alexandre, et ne l’accablait pas de remarques désobligeantes ou hostiles. Le sujet de l’œuvre pourrait fournir un indice pour situer la vie de Nicoboule à l’époque où les historiens et chroniqueurs s’intéressèrent particulièrement à Alexandre, à savoir entre le IIIe et le Ier siècle av. J.-C. D’aucuns affirment que Nicoboule vivait à la cour d’Alexandre, en tant que courtisane (hetaira), et que son œuvre était une sorte de cahier de notes inspirées par la vie quotidienne du roi loin du champ de bataille. Une allusion à l’épisode raconté par Nicoboule et à la mort d’Alexandre se trouve également dans la Vie d’Alexandre de Plutarque (LXXV, 5), qui pourrait avoir connu le commentaire de Nicoboule. Athénée, par ailleurs, semble sceptique quant au véritable auteur des lignes qu’il cite en les paraphrasant. Plusieurs critiques, encouragés par la tradition historiographique ancienne, pensent que Nicoboule serait un pseudonyme derrière lequel se dissimulerait un homme, éliminant ainsi la seule femme historienne d’Alexandre. Les femmes historiennes ne sont toutefois pas rares dans le monde antique. On connaît Aristodama*, Anne Comnène*, la reine Zénobie*, Pamphila* et Agrippine*, pour ne citer que les plus importantes.
Marella NAPPI
■ CAGNAZZI S., Nicobule e Panfila : frammenti di storiche greche, Bari, Edipuglia, 1997 ; PLANT I. M., Women Writers of Ancient Greece and Rome : an Anthology, Norman, University of Oklahoma Press, 2004.
NICOLA L. [MAZAGAN, MAROC XXe siècle]
Performeuse et designer d’origine française.
Nicola L. passe de l’académie Julian à l’École des beaux-arts de Paris dans l’atelier du peintre Jean Souverbie. Elle découvre New York en 1966, sur une invitation du théâtre expérimental La MaMa, et s’y installe définitivement à la fin des années 1970. Son œuvre conceptuelle s’articule à partir de deux approches qui ouvrent de multiples possibilités : faire corps et faire des corps. Faire corps, c’est-à-dire réunir des corps dans une même peau afin d’habiter ensemble l’espace, plus organiquement, depuis l’intérieur d’une seconde peau. Le Manteau rouge, une même peau pour tout le monde (1969) est une immense toile cousue, sans châssis, pourvue de 11 poches vides adaptées aux dimensions de 11 corps humains. Le manteau est conçu à l’occasion d’une performance destinée à accompagner Gilberto Gil et Caetano Veloso au festival de musique pop de l’île de Wight. Parcourant depuis 2002 le monde avec ses « peaux-d’art » (Cuba, Paris, Los Angeles, la muraille de Chine, et jusqu’au Parlement européen à Bruxelles), l’artiste invite les corps à partager dans ses performances « l’odyssée d’une chair », comme l’écrit Michel Onfray. Pour elle, faire des corps, c’est les défaire d’abord, disséminer dans l’espace des objets fonctionnels qui sont autant de fragments de corps, métonymies des nôtres : on peut citer L’Œil-lampe (1969), La Femme-commode (qui ironise sur le thème de la femme objet, 1969), L’Œil-table (1970), La Tête cultivée (1970), La Tête-bibliothèque (1996). Les deux approches se rejoignent parfois : faire des corps avec lesquels nous faisons corps en les utilisant (La Main-canapé, 1970-1972 ; La Tête-canapé, 1989). Les deux approches se synthétisent avec La Tête-aquarium (2005), où le corps d’un petit poisson prend parfois, au gré de ses déplacements, la place de l’œil.
Raphaël CUIR
■ Nicola, l’invitation (catalogue d’exposition), Macaire A. (dir.), Anvers, Internationaal Cultureel Centrum, 1976 ; Nicola L. (catalogue d’exposition), Favardin P., Chiglien A. (dir.), Paris, Norma, 2003.
■ BENAYM D., JONES A., Profile Nicola L., New York, e-maprod, 2005.
NICOLAIDOU, Loukia [LIMASSOL 1909 - ID. 1994]
Peintre chypriote.
Première artiste féminine chypriote, Loukia Nicolaidou suit des cours à l’académie Colarossi en 1929, puis à l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris (1930-1933), dans l’atelier de Lucien Simon. Si elle apprend auprès de lui l’importance de la composition, c’est la couleur qui devient son véritable « sujet », utilisée dans des tonalités chaudes, et appliquée en grands aplats. Elle cherche la simplification du trait dans le traitement des corps et l’expressivité des personnages qui dégagent souvent une imperceptible tristesse. Son thème de prédilection est la nature humaine. Elle n’a pas encore terminé ses études quand elle expose à Paris, notamment au Salon d’automne de 1932 ; à propos de son œuvre La Petite Normande, Maurice Raynal remarque déjà dans L’Intransigeant « des charmantes compositions qui posent çà et là des notes de fraîcheur ». Cette femme dynamique aurait peut-être suivi une autre trajectoire si elle était restée à Paris. Or elle retourne à Chypre, alors sous domination anglaise, et dont la situation économique est catastrophique, et le contexte artistique proche d’un désert. La plupart des rares expositions organisées par l’occupant ne montrent que des artistes amateurs, souvent des étrangers de passage. Néanmoins, la peintre présente en 1934 la toute première exposition chypriote montrant de réelles recherches plastiques. S’il est vrai que peu de personnes éclairées apprécient son travail, elle suscite des critiques enthousiastes. Les deux années suivantes, elle expose ses nouvelles créations, avant de partir en 1937 en Angleterre, où sa sœur aînée est déjà installée ; elle y présente de nouveau ses œuvres dans une manifestation collective, et bénéficie également de bonnes critiques (voir Times, 17-5-1939). Son mariage avec un riche armateur grec l’éloigne petit à petit de la scène artistique. L. Nicolaidou continue pourtant de travailler jusqu’à la fin des années 1950, mais sans exposer. Son œuvre est restée méconnue et inexplorée jusqu’en 1992, peu avant sa mort, date à laquelle une grande exposition rétrospective est organisée par Eleni S. Nikita et le département culturel du ministère de l’Éducation et de la Culture de Chypre. Elle a, depuis, trouvé sa place dans l’histoire de l’art chypriote.
Androula MICHAËL
■ Loukia Nicolaidou-Vassiliou, 1909-1994, Nikita E. S. (dir.), Nicosie, Politistiko Kentro Homilu Laïkēs, 2002.
NICOLALDE, Susana [ÉQUATEUR 1964]
Metteuse en scène et actrice équatorienne.
Dès ses débuts, Susana Nicolalde collabore à diverses créations collectives de théâtre universitaire, expérimental, et participe à de nombreux festivals. En tant qu’actrice, elle travaille pour le théâtre, le cinéma, la télévision et la radio. Depuis 2004, elle est directrice des rencontres annuelles de Mujeres en escena (« femmes en scène ») à Quito, affirmant ainsi son engagement concernant la place des femmes dans la société et dans la création artistique. Elle rend hommage aux femmes artistes pionnières de son pays que sont les actrices Marina Moncayo et Chabica Gómez, la danseuse Osmara de León et la musicienne Carlota Jaramillo, notamment, et s’inscrit dans un réseau de créatrices adoptant la perspective du genre. Ainsi, dans Deshojando a Margarita (« en effeuillant Marguerite », 2000), elle joue l’un des quatre rôles féminins abordant la sexualité féminine, sous la direction de la chorégraphe péruvienne Mirella Carbone. Elle met en scène Un día especial (2007), l’un des « exercices pour actrices » de la dramaturge argentine Griselda Gambaro*, ainsi que Una mujer cualquiera (2008), à partir de textes de Franca Rame et de Dario Fo, avec les élèves de la fondation Mandrágora, école des arts de la scène qu’elle dirige depuis 1997. Dans sa récente création Cordeles del tiempo (2010), d’après le texte Femmes qui courent avec les loups (1992) de l’auteure chicana Clarissa Pinkola Estés, elle interprète le rôle féminin puisant aux sources du mythe traditionnel de la Dama Tapada, dans une nouvelle entreprise de reconstruction du sujet féminin.
Stéphanie URDICIAN
NICOLE VOIR PARTURIER, Françoise
NICOLETTA (Nicole GRISONI, dite) [THONON-LES-BAINS 1944]
Chanteuse française.
Élevée par sa grand-mère à Vongy, Nicole Grisoni vit une enfance instable et rebelle. À 18 ans, elle décide de vivre sa passion : la chanson. Elle arrive à Paris et débute dans des clubs de Saint-Germain-des-Prés et de Montmartre, en poussant la note sur la piste de danse. Remarquée par un directeur artistique de Barclay, elle obtient un contrat qui, pour des raisons techniques, n’est pas honoré pendant plusieurs mois. Elle finit par enregistrer Pour oublier qu’on s’est aimés de Nino Ferrer et L’Homme à la moto. Le succès d’estime se transforme en triomphe quand, quelques mois après, sort La Musique, récompensée par un disque d’or. Après une tournée avec Johnny Hallyday, Nicoletta crée Il est mort le soleil, qui lui vaut d’être invitée à Montréal où, un soir, elle croise Ray Charles et lui offre son 45 tours. Deux semaines plus tard, il lui téléphone pour lui demander le sens des paroles et lui annoncer qu’il va enregistrer la chanson. À son propos, il dira : « Elle est la seule chanteuse blanche capable de chanter comme une Noire. » Elle interprète ensuite, avec le même succès, Les Volets clos, musique d’un film de Jean-Claude Brialy, composée par Paul Misraki. Son ascension se poursuit à l’Olympia en 1975. Sur le podium d’Europe 1, elle donne 100 galas par été, pendant trois ans. Mamy Blue lui vaut une notoriété internationale. Grâce à ces couplets, elle triomphe au Japon, en Afrique, en Amérique du Sud et en Chine. Dans les années 1980, face au disco, elle décide de produire ses disques et ses concerts. Elle va alors connaître des hauts et des bas, et publier 45 tours et puis s’en vont, un livre où elle dénonce les risques de devenir une « étoile filante ». Elle tourne aussi au cinéma, avec José Giovanni, dans Un aller simple, et participe à quelques téléfilms. En 1996, elle interprète des gospels et des negro spirituals dans 200 églises de France. Une reconversion tellement réussie qu’en 2013, entre deux nouveaux CD, elle continue dans cette voie.
Jacques PESSIS
NICOLI, Élisabeth [BASTIA 1955]
Militante des droits des femmes et avocate française.
Née en Corse, Élisabeth Nicoli fait des études de droit à Rouen. Elle y rencontre, en 1977, le groupe local « Psychanalyse et politique* » du MLF puis fait la connaissance de celles qui préparent à Paris le premier numéro de la mensuelle Des femmes en mouvements. Antoinette Fouque* lui propose immédiatement de préparer un numéro spécial sur la Corse. Elle prend en charge la rubrique juridique du journal. Devenue avocate, elle met son goût pour le droit politique et la création juridique au service des femmes. Elle défend l’indépendance du MLF* contre les attaques et les récupérations, tient à partir de 1980, avec Françoise Lalanne, et d’autres avocates une permanence juridique gratuite. Elle contribue en 1982 à la création d’un syndicat de femmes (CSDF) que le gouvernement socialiste refuse de reconnaître, travaille en 1989 à l’élaboration d’une loi-cadre contre la misogynie et pour la citoyenneté des femmes, en relation avec Michèle André*, alors secrétaire d’État chargée des Droits des femmes. Elle participe également à la création de l’Alliance des femmes pour la démocratie (AFD), où elle déploie une énergie et une force de conviction exceptionnelles. En 1993, elle corédige une « Déclaration au secrétaire de l’Onu » pour faire reconnaître les viols systématiques en ex-Yougoslavie comme des crimes contre l’humanité (ce qui sera partiellement obtenu) et consacre à cette question, avec Marie-Claude Grumbach* et Jacqueline Sag*, un mémoire de DEA de féminologie à l’université Paris 8 (1995). Lorsqu’A. Fouque est élue au Parlement européen, en 1994, É. Nicoli devient l’une de ses assistantes parlementaires. Elle l’accompagne à Bruxelles et à Strasbourg, mais aussi au Caire et à Pékin à l’occasion des conférences des Nations unies, et à Rangoun pour rencontrer Aung San Suu Kyi*. Elle participe, à partir des années 2000, à de nombreuses publications des éditions des femmes*, co-organise en 2006 un colloque international à la Sorbonne, « Femmes de mouvements, hier, aujourd’hui, pour demain », et, en 2007, un semestre de séminaire à Paris 8 sur l’histoire du MLF.
Anne-Marie PLANEIX
■ Penser avec Antoinette Fouque, Paris, Des femmes-Antoinette Fouque, 2008 ; COLLECTIF, Génération MLF 1968-2008, Paris, Des femmes-Antoinette Fouque, 2008.
NICULESCU, Margareta [IAȘI 1926]
Metteuse en scène et marionnettiste roumaine.
Formée à l’Institut d’art théâtral et cinématographique de Bucarest, Margareta Niculescu dirige, de 1949 à 1986, le théâtre Tandarica auquel elle donne une renommée internationale, récompensée en 1978 par le prix européen Erasmus. Elle est nommée en 1985 à la direction de l’Institut international de la marionnette et en 1987 à celle de l’École nationale supérieure des arts de la marionnette, tous deux à Charleville-Mézières, fonctions qu’elle occupe jusqu’en 2001. Elle est élue présidente (2000-2004), puis présidente d’honneur (depuis 2004) de l’Union internationale de la marionnette (Unima). En 2010, elle reçoit le prix Gorgorito. Ses mises en scène, en Roumanie ou dans d’autres pays, ont beaucoup contribué au renouvellement de la marionnette, en mettant l’accent sur la valeur théâtrale des matériaux, la recherche scénographique, la variété du répertoire et celle des techniques de jeu. Parmi ses principales réalisations : Umor pe sfori (« humour à fils », 1954) ; Mâna cu cinci degete (« la main à cinq doigts », 1958) ; Les Trois Femmes de Don Cristobal d’après García Lorca (1965) ; Peer Gynt d’Ibsen (Copenhague, 1978) ; Le Prince charmant né d’une larme, d’après Mihai Eminescu (1982).
Didier PLASSARD
NIELÄNDER, Elisabeth VOIR ASPE, Elisabeth
NIELSEN, Asta [COPENHAGUE 1881 - ID. 1972]
Actrice, réalisatrice, productrice, peintre et écrivaine danoise.
Née dans un milieu pauvre, orpheline à 15 ans, Asta Nielsen doit à son seul talent d’être reçue à l’École royale de théâtre de Copenhague. Déçue de ne pas avoir de grands rôles, elle rejoint une troupe ambulante et devient célèbre en Scandinavie. En 1901, elle donne naissance à une fille sans être mariée, ce qui fait scandale. En 1910, elle rencontre Urban Gad (qu’elle épouse), avec qui elle produit L’Abîme (Afgrunden, 1910), dont il est scénariste et réalisateur tandis qu’elle joue le rôle principal. Le succès international du film ne lui apporte pourtant aucune proposition intéressante au Danemark, alors que la société de production Projektions-AG Union en Allemagne lui offre un contrat de 24 films, assorti d’une grande liberté artistique. Elle devient ainsi une figure très populaire du cinéma muet, incarnant des héroïnes tragiques confrontées à des situations douloureuses, ou dont les choix amoureux sont socialement impossibles. Elle incarne aussi des personnages souvent oubliés à l’écran : prostituées, femmes du peuple, chômeuses, auxquelles elle donne une image de force et d’indépendance. Après l’interruption de la Première Guerre mondiale, elle reprend sa carrière en Allemagne. Insatisfaite des rôles qu’on lui propose, elle se lance dans la production avec Hamlet (1921), dont elle tient le rôle-titre, tout en continuant parallèlement une carrière au théâtre. Pendant la période nazie, elle refuse une offre de Goebbels, préférant rentrer au Danemark en 1937. Lorsque le Danemark est occupé en 1940, elle refuse de nouveau de travailler pour le cinéma allemand. Après la guerre, elle abandonne théâtre et cinéma pour se consacrer à l’écriture et à la peinture. En 1968, à l’âge de 87 ans, elle réalise elle-même Asta Nielsen, sur sa vie et sa carrière. Avec près de 80 films de 1910 à 1932, dont La Rue sans joie (Die Freudlose Gasse, Georg Wilhelm Pabst, 1925), elle est considérée dans l’histoire du cinéma comme la première grande star européenne.
Sarah DELLMANN
NIEMELÄ, Virpi Sinikka [HELSINKI 1936 - ARGENTINE 2006]
Astrophysicienne argentine.
Astrophysicienne de réputation internationale, Virpi Sinikka Niemelä est d’origine finlandaise. À l’âge de 17 ans, elle émigre en Argentine, où elle s’installe définitivement par la suite. Elle effectue ses études supérieures d’astronomie à la Escuela superior de astronomía y geofísica de l’Université de La Plata où elle obtient son doctorat en 1974. Elle mène ensuite une grande partie de sa carrière à l’observatoire de l’université. En 1979, licenciée par la dictature militaire en place, elle poursuit néanmoins ses travaux de recherche, tout en exerçant des activités parallèles pour subsister. Elle devient chercheuse à la Comisión de investigaciones científicas de la Provincia de Buenos Aires. Dix ans plus tard, elle revient à La Plata en tant que professeure à la Facultad de ciencias astronómicas y geofísicas. Son œuvre scientifique porte sur l’étude des étoiles au moins quinze fois plus massives que le Soleil, particulièrement celles de type Wolf-Rayet. Elle réalise une contribution de pionnière avec ses travaux sur la binarité des étoiles Wolf-Rayet et sur l’interaction des vents stellaires de ces étoiles avec le milieu interstellaire, aussi bien dans notre Galaxie que dans les Nuages de Magellan. Parmi ses contributions les plus importantes figure l’étude du spectre de la supernova 1983K avant qu’elle atteigne le maximum de luminosité, l’un des dix meilleurs travaux publiés au cours de l’année 1985 selon la revue Physics Today. Passionnée par son travail, elle transmet à ses étudiants et collègues son enthousiasme, son esprit critique et son souci d’excellence, et se bat toute sa vie en faveur des droits des femmes dans le domaine scientifique. Récompensée à plusieurs reprises, l’astrophysicienne obtient en 1998 le prix Carlos-Varsavsky de l’Academia nacional de ciencias exactas, físicas y naturales, dont elle devient membre en 2000. Première femme à recevoir, en 2003, le prix Konex de Platine en astronomie, elle est nommée membre de la Royal Astronomical Society du Royaume-Uni en 2006. Découvert en 1990 par le personnel de l’Observatoire Felix-Aguilar de San Juan (Argentine), l’asteroïde 5289 porte désormais le nom de 5289 Niemela KG2 en son honneur. Quelques jours après la conférence internationale « Massive Stars : Fundamental Parameters and Circumstellar Interactions », organisée à l’occasion de son soixante-dixième anniversaire, où étudiants et collègues du monde entier étaient venus lui rendre hommage, V. S. Niemelä s’éteint après avoir combattu la maladie jusqu’au dernier moment.
Ana GOMEZ
■ BENAGLIA P., BOSCH G. L., CAPPA C. E. (dir.), « Massive Stars : Fundamental Parameters and Circumstellar Interactions», in Revista Mexicana de Astronomía y Astrofísica, vol. 33, 2008.
NIÉPCE, Janine [MEUDON 1921 - PARIS 2007]
Photographe française.
Janine Niépce fait partie du courant « humaniste » de la photographie d’après-guerre. Bien que parisienne, elle se sent proche des vignerons bourguignons dont est issue sa famille, proche de ces paysans, dont la modernité change les modes de vie. Elle traduira à travers son travail cette France en pleine mutation, entre reconstruction et tradition. C’est dans un Paris occupé qu’elle fait ses études universitaires et découvre la photographie. Révoltée par l’Occupation nazie, elle s’engage dans la Résistance en développant des films pour les réseaux de renseignement, puis, en tant qu’agent de liaison, participe à la Libération de Paris. En 1944, licenciée en histoire de l’art et archéologie, elle décide de devenir photoreporter malgré les difficultés pour une femme de se faire accepter dans la profession. En 1945, elle épouse Claude Jaeger, résistant comme elle, qui devient directeur adjoint du Centre national du cinéma. Parents d’un enfant, ils divorceront dans les années 1950. Elle épouse en secondes noces le réalisateur Serge Roullet. En 1946, photoreporter pour le Commissariat général au tourisme, elle parcourt la France, attentive aux petites gens et aux métiers en voie de disparition. En 1955, elle intègre l’agence Rapho. En 1957, la société française de photographie à Paris lui consacre une première exposition personnelle illustrant son attachement au quotidien des femmes et hommes, simples passants ou penchés sur leur travail. En 1960, elle est la seule femme à participer, aux côtés de Doisneau, Ronis, Pic, Lattès, Franay, à l’exposition Six photographes et Paris, organisée au Louvre. À partir de 1963, accompagnant son mari en repérage en Europe et dans le monde, elle fait des reportages au Japon, au Cambodge, en Inde, aux États-Unis, au Canada. L’année 1967 voit la parution de son premier livre, Réalité de l’instant, édité par la Guilde du livre de Lausanne. En mai 1968, elle couvre le mouvement étudiant, de barricades en assemblées générales. Particulièrement sensible à la cause des femmes qu’elle défend dès ses premiers reportages, elle photographie leur mutation professionnelle. Ces documents sont à l’origine d’une grande exposition, Les Femmes au travail, 1882-1982. Elle poursuit son travail sur le même sujet pour le compte du ministère de la Recherche. En 1995, la photographe décide d’écrire ses Mémoires.
Catherine GONNARD
■ Les Années femmes, 45 ans d’image, Frey P. (textes), Paris, La Martinière, Paris, 1993 ; Mes années campagne, Paris, La Martinière, 1994 ; Images d’une vie, Paris, La Martinière, 1995 ; Les Vendanges, Clavel B. (textes), Paris, Hoëbeke, 2000.