SUZUKI YŪKO [TOKYO 1949]

Historienne féministe japonaise.

Issue d’un milieu populaire, Suzuki Yūko soutient un mémoire à l’université de Waseda sur l’histoire du mouvement ouvrier japonais, avant de se spécialiser dans l’histoire des femmes au sein ce mouvement. Elle appartient à la troisième génération d’historiennes qui travaillent, après 1945, sur l’histoire des femmes japonaises. La première génération, stimulée par la publication en 1949 d’une histoire des femmes au Japon par l’historien marxiste Inoue Kiyoshi, est représentée par Ide Fumiko (1920-1999) et Nagahara Kazuko (née en 1926) qui participent à l’Association des scientifiques démocratiques (Minka) et créent un cercle d’études sur les femmes (Fujin mondai kenkyūkai). La suivante est composée de Nishimura Hiroko (1928), Yoneda Sayoko (1934) et Itō Yasuko (1934), qui rencontrent des difficultés professionnelles et choisissent l’histoire des femmes. La revue de l’association Minka, Rekishi hyōron, leur donne un espace d’expression en 1966, avec un numéro spécial consacré à l’histoire des femmes. Mais fidèles aux théories marxistes qui s’affirment contre l’historiographie nationaliste antérieure, elles partagent l’idée que l’émancipation des femmes est liée à celle des travailleurs. Le féminisme des années 1970, désigné au Japon par le terme wūman ribu, critique cette conception moniste et « classiste », et entraîne un changement paradigmatique pour l’histoire des femmes ainsi que des polémiques entre historiennes, qui conduisent à séparer la question de l’émancipation des femmes de celle de la réalisation du socialisme. Une histoire des femmes plus spécifique se développe alors et aboutit en 1982 à la publication des cinq volumes de l’histoire des Japonaises (Nihon joseishi). Suzuki Yūko appartient cependant au courant qui maintient le lien entre histoire des femmes et histoire du mouvement socialiste. Son œuvre porte sur l’histoire des mouvements féministes dans leur rapport à la politique et à la guerre. Dans les années 1980, elle analyse de façon critique le rôle joué par certaines dirigeantes féministes qui, telles Ichikawa* Fusae et Takamure Itsue (1894-1964), soutinrent la politique guerrière du Japon à partir de la seconde moitié des années 1930. Elle valorise par contre l’œuvre de la dirigeante socialiste Yamakawa* Kikue et édite ses œuvres, sous forme d’anthologie en 1984, puis réédite ses œuvres complètes en 2011 et 2012. Elle s’intéresse ensuite à la question difficile des ianfu (les femmes de réconfort, notamment des Coréennes réduites à l’esclavage sexuel par et pour l’armée japonaise), sur laquelle elle publie deux ouvrages dans les années 1990 : Jūgun ianfu mondai to seibōryoku (« la question des femmes de réconfort de l’armée et la violence sexuelle », 1993) et Sensō sekinin to jendā – jiyūshugikan to nihongun ianfu mondai (« la responsabilité de guerre et le gender, le libéralisme historique et la question des ianfu », 1997). Sa critique de la vision révisionniste de l’histoire qui minimise les massacres de Nankin et de Manille, ou encore nie la stratégie de la terre brûlée lors de la guerre sino-japonaise et l’exploitation des femmes de réconfort, la place au centre de la polémique. Face à l’offensive contre le mouvement de revendication des anciennes ianfu, elle crée, en octobre 2007, l’Association nippo-coréenne des femmes pour la réflexion sur l’histoire (Nikkan no josei to rekishi o kangaeru kai), qu’elle dirige.

Christine LÉVY

SVENGSUKSA, Bouakhaykhone [SAVANNAKHET 1948]

Mathématicienne et botaniste laotienne.

Née dans le sud du Laos, Bouakhaykhone Svengsuksa, mathématicienne, docteure en botanique et chercheuse, poursuit ses études à la faculté des sciences de Bordeaux dès 1968. De retour au pays en 1974 – juste avant le changement de pouvoir –, elle accepte le poste de professeur au département de biologie et de chimie. Responsable du département en 1981, elle accède en 1996 à la fonction de directrice de la faculté des sciences, tout en conduisant plusieurs projets de recherche scientifique à l’échelon national et international. Sa ténacité la conduit à publier en 1987 un livre en anglais, recensant toutes les plantes du pays à vertus potentiellement pharmacologiques. C’est la première fois qu’un tel document scientifique est mis en avant. Le Laos regorge de plantes médicinales, mais leur utilisation jusqu’à ce jour reste limitée. En 1992, la chercheuse collabore avec le Muséum d’histoire naturelle de France en signant un long article en français dans l’ouvrage Flore du Cambodge, Laos et du Vietnam, puis elle publie en 1995 en langue lao Plantes médicinales utilisées au Laos. Le Comité scientifique international baptise à son nom deux plantes de la famille du benjoin dont l’une est endémique au Laos : Styrax rufopilosus et Styrax agrestis.

Autre champ de recherche de la botaniste : l’inventaire des orchidées du Laos. Sa démarche reste avant tout scientifique et vise à préserver les espèces rares, souvent exploitées à des fins commerciales. Immédiatement soutenu par l’Unesco, son projet, qui aboutit à la première publication en 2005 d’un Guide des orchidées sauvages au Laos, est aujourd’hui adopté par l’Union européenne sous le nom de projet Orchis.

Dès 1998, les travaux scientifiques de B. Svengsuksa ont été salués par le ministère des Affaires étrangères français. Elle est actuellement conseillère scientifique au Laos et membre du Comité scientifique international.

Khamphanh PRAVONGVIENGKHAM

Avec ARMSTRONG K., HUL S., A Glossary of French, Lao and English Botanical Terms, Édimbourg, RBGE, 2007.

Avec BARTHÉLÉMY D., BONNET P., SCHUITEMAN A., « An annotated checklist of the Orchidaceae of Laos », in Nordic Journal of Botany, no 26, déc. 2008.

ŠVENKOVÁ, Viera [POPRAD 1937]

Écrivaine slovaque.

Après des études de slovaque et de russe à l’université de Bratislava, Viera Švenková devient rédactrice pour plusieurs maisons d’édition. Ses nouvelles décrivent avec un regard réaliste l’univers des femmes, central dans toute son œuvre. Dans ses recueils Malý herbár (« petit herbier », 1979), Jablčné jadierka (« pépins de pomme », 1987) et Faraónov úsmev (« le sourire du pharaon », 1998), des protagonistes de différents âges font le bilan de leur vie en s’appuyant sur des idées conventionnelles sur le bonheur et la moralité. Son dernier recueil de nouvelles, 13 poviedok (« 13 histoires »), est paru en 2010. L’écrivaine est également l’auteure d’un essai : Rýchlokurz sebaobrany (« cours accéléré d’autodéfense », 2001).

Diana LEMAY

MIKULA V. (dir.), Slovník slovenských spisovateľov, Bratislava, Kalligram & Ústav slovenskej literatúry SAV, 2005.

SVĚTLA, Karolina (Johanna ROTTOVÁ, dite) [PRAGUE 1830 - ID. 1899]

Écrivaine et féministe tchèque.

Née dans une famille de riches commerçants, Karolina Světla reçoit une éducation bourgeoise en langue allemande qui lui donne accès à une ample culture littéraire. L’aînée des filles Rottová est introduite auprès des cercles culturels tchèques grâce à son amitié avec un professeur de musique patriote, Petr Mužák, qu’elle épouse en 1852. Il la présente notamment à Božena Němcová, qui stimule sa vocation littéraire, au même titre que le poète Jan Neruda, avec lequel elle entretiendra une brève liaison. Ses séjours réguliers dans la maison de campagne de son époux, en même temps que son adhésion aux revendications des patriotes tchèques, renforcent sa vocation littéraire au contact de la culture populaire. Elle lui rendra hommage en prenant pour pseudonyme Světla, du nom de son lieu de villégiature, pour signer de nombreux récits, contes et romans – considérés comme les premiers de la littérature tchèque –, à compter de la fin des années 1850, au sein du mouvement Maj (« mai »), fondé en 1858. En 1865, elle se trouve aux côtés d’un exilé de 1848, Vojtěch Náprstek, à l’origine du premier club féminin non exclusivement philanthropique de Bohême : le Club américain pour dames. En 1871, alors que la Diète de Bohême est la seule instance politique européenne à protester officiellement contre l’annexion de l’Alsace-Lorraine par l’Allemagne, le Club américain pour dames, K. Světla et Žofie Podlipská* en tête, s’illustre en apportant son secours aux prisonniers français évadés qui transitent par la Bohême. Surtout, la même année, les deux femmes cofondent l’Association féminine de production, qui entend devancer les lents progrès de la scolarisation secondaire des jeunes filles, avec la fondation d’une école supérieure (1871), puis d’un lycée, baptisé Minerva (1890), qui a pour vocation de mener des bachelières au seuil d’études universitaires encore interdites aux femmes. L’association, qui compte plus de 1 600 membres quelques mois après sa fondation, édite également à l’initiative de K. Světla Ženské listy (« le journal des femmes »), premier journal dédié à un public féminin et qui sera également le premier vecteur de la lutte pour l’accès à l’éducation supérieure, puis au suffrage, dans le royaume de Bohême. L’écrivaine transmet à son tour le flambeau d’une littérature écrite par des femmes et d’un mouvement des femmes émergent, l’un et l’autre étroitement liés au mouvement national, à la jeune publiciste et écrivaine Eliška Krásnohorská*.

Maxime FOREST

MENCLOVÁ V., VANEK V. (dir.), Slovník českých spisovatelů, Prague, Libri, 2005 ; MUKAŘOVSKÝ J. et al., Dějiny české literatury, Prague, Victoria Publishing, 1995 ; VOISINE-JECHOVÁ H., Histoire de la littérature tchèque, Paris, Fayard, 2001.

SVOBODOVÁ, Růžena [MIKULOV 1868 - PRAGUE 1920]

Romancière tchèque.

Née en Moravie, Růžena Svobodová arrive à Prague à 6 ans, grandit au cloître des Prémontrés de Strahov et étudie dans une école religieuse où elle se passionne pour la littérature. Devenue préceptrice en 1880, elle épouse dix ans plus tard le poète, romancier et dramaturge František Xavier Svoboda, qui l’introduit dans la société littéraire. Elle tient un salon où elle reçoit les plus grands noms de la société pragoise de l’époque et surtout l’écrivain et critique littéraire František Xavier Šalda avec qui elle entretient une relation amicale et passionnée durant toute sa vie. Au cours de la Première Guerre mondiale, elle collabore au journal Česke Srdce et fonde la revue Lipa en 1918. Son œuvre, influencée par l’impressionnisme de l’époque, contribue à initier la réflexion sur l’émancipation de la femme. C’est un modèle d’expression de l’âme féminine, de l’indépendance et du refus de se soumettre aux règles sociales, notamment à la domination masculine. Ses textes présentent des destins de jeunes filles, de jeunes femmes fragiles ou d’adolescents au seuil de l’âge adulte qui font l’expérience de la désillusion et de la différence entre leurs rêves et la réalité. La nouvelle Přetížený klas (« un épi surchargé », 1896) a pour héroïne une jeune femme qui refuse les différents partis qu’on lui propose et se retire dans un cloître. Suivent des récits tels que Milenky (« les amantes », 1902) et des recueils de contes et de nouvelles comme Plameny a plaménky (« flammes et flammèches », 1905), qui livrent ses réflexions sur les difficultés sentimentales, la mort et le rôle de la religion. Le cycle de facture impressionniste Černí myslivci (« les chasseurs noirs », 1908), qui présente des personnages passionnés, amoureux ou confrontés à la mort, connaît un large succès. Dans Zahrada irémská (« le jardin d’Irème », 1921), elle analyse la psychologie et les sentiments de quatre sœurs issues de l’aristocratie confrontées aux réalités du monde moderne. Le roman est parcouru par la volonté culturelle, éthique et poétique d’améliorer et d’émanciper l’âme humaine par l’érotisme et l’engagement social. Elle a également écrit des récits pour enfants.

Stéphane GAILLY

MENCLOVÁ V., VANEK V. (dir.), Slovník českých spisovatelů, Prague, Libri, 2005 ; MUKAŘOVSKÝ J. (dir.), Dějiny české literatury, Prague, Victoria Publishing, 1995 ; VOISINE-JECHOVÁ H., Histoire de la littérature tchèque, Paris, Fayard, 2001.

SWAIN, Gladys [1945-1993]

Psychiatre française.

Le travail de Gladys Swain sur la naissance de la psychiatrie soulève des questions épistémologiques complexes concernant l’histoire des idées. Au sujet de la folie, publié en 1977 et réédité en 1997 avec une importante préface de Marcel Gauchet, donne un nouvel éclairage sur la démarche pionnière de Pinel, fondateur de la psychiatrie, et porte un regard critique sur l’histoire de la folie en Occident de Michel Foucault, vision selon laquelle le « renfermement » des fous serait dû à un mouvement général d’exclusion du dissemblable au nom de la raison. Pour G. Swain, la psychiatrie prend naissance dans la conviction que la folie peut guérir et que l’internement a pour visée première de soulager et non de réprimer, le fou restant un sujet dont la subjectivité est temporairement suspendue. En 1980, elle écrit avec M. Gauchet La Pratique de l’esprit humain. L’Institution asilaire et la révolution démocratique, où elle décrit l’asile non pas comme lieu d’exclusion mais comme « un retranchement provisoire à des fins d’inclusion dans la socialité », un espace où s’exprimerait une volonté démocratique et égalitaire. De 1980 à 1985, elle anime un séminaire sur « Le vrai Charcot », celui qui a fait de l’hystérie une névrose « dans l’acception contemporaine du terme ». Dialogue avec l’insensé (1994) est un recueil de 12 articles qui retrace les étapes fondatrices du savoir et des pratiques de la psychiatrie française.

COLLECTIF PSYCHANALYSE ET POLITIQUE

SWANSON, Gloria [CHICAGO 1899 - NEW YORK 1983]

Actrice, chanteuse et productrice américaine.

Figurante de cinéma dans sa ville natale en 1913, Gloria Swanson épouse un acteur célèbre, Wallace Beery, et va avec lui à Hollywood. Elle y tourne des comédies et des mélodrames. C’est en 1919 qu’elle rencontre le succès dans Après la pluie, le beau temps, réalisé par Cecil B. DeMille. En 1924, elle tourne en France Madame Sans-Gêne, de Léonce Perret, d’après Victorien Sardou. Elle fait sensation en revenant à Hollywood avec son troisième mari, un marquis français. En 1927, elle devient productrice de ses propres films, avec le soutien de Joseph Kennedy (le père du futur président des États-Unis). La Reine Kelly, qu’elle produit et interprète sous la direction d’Erich von Stroheim, dépasse largement le budget prévu et ne peut être terminé qu’en faisant appel à plusieurs réalisateurs successifs ; une clause du contrat d’E. von Stroheim empêchera alors le film d’être distribué aux États-Unis. G. Swanson cesse de produire ses films, mais n’arrête pas de jouer pour autant. On lui confie des rôles de comédies (comme dans Indiscret, en 1931, de Leo McCarey), mais le succès la fuit et elle n’apparaîtra que très peu après 1934, subissant les contrecoups de l’arrivé du parlant. Cependant, en 1950, Billy Wilder lui fait faire son retour, en reine du cinéma muet hantée par son passé, dans Boulevard du crépuscule. Elle apparaît par la suite en Italie dans Les Week-ends de Néron, avec Alberto Sordi et Brigitte Bardot*, puis se retire après un dernier film en 1974. En 1971, elle a fait son retour à Broadway, et, en 1976, se marie pour la sixième fois ; elle aura eu deux enfants et en aura adopté un troisième.

Bruno VILLIEN

Swanson par elle-même, Paris, Ramsay, 1986.

QUIRK L. J., The Films of Gloria Swanson, Secaucus, New Jersey, Citadel Press, 1984.

SWANZY, Mary [DUBLIN 1882 - LONDRES 1978]

Peintre irlandaise.

Fille d’un chirurgien, Mary Swanzy commence sa formation artistique à Dublin à la Metropolitan School of Art sous la direction de Mary Manning*, sous l’influence de laquelle elle se rend à Paris pour parfaire son éducation. À partir de 1906, la jeune Irlandaise suit les cours d’Antonio de la Gandara, portraitiste du grand monde, et fréquente la Grande Chaumière et l’académie Colarossi. Après son retour à Dublin en 1908, ses débuts sont néanmoins traditionnels. L’influence du cubisme ne se fait sentir dans son œuvre qu’à partir de 1914, dans les envois qu’elle fait pour sa première participation au Salon des indépendants à Paris : c’est alors davantage le cubisme tardif d’André Lhote et d’Albert Gleizes, et surtout l’orphisme de Robert Delaunay qui l’inspirent. Elle se tourne ensuite vers le paysage. Ses marines et scènes portuaires de la fin des années 1910 et du début des années 1920 montrent ainsi une double influence : si certaines sont clairement inspirées par Paul Cézanne, dont elle est sans doute le premier artiste irlandais à comprendre la portée, d’autres montrent l’importance de R. Delaunay. Les années suivantes sont marquées par de nombreux voyages, qui sont pour l’artiste autant de sources d’inspiration. Par son style, elle reste alors fidèle à l’École de Paris. Dans la décennie 1930 et durant la Seconde Guerre mondiale, la palette s’assombrit, et les œuvres se chargent d’une dimension symbolique. Sa dernière période est plus apaisée. L’artiste reste fidèle à la modernité française du premier quart du XXe siècle : les thèmes des amoureux ou du cirque la rapprochent alors des œuvres de Marc Chagall, et le traitement coloré évoque, selon les tableaux, la délicatesse d’une Marie Laurencin* ou la palette vive d’un Raoul Dufy. La force de séduction de ses tableaux continue à s’exercer au-delà de sa mort, garantissant le succès de sa première grande exposition rétrospective, qui s’est tenue à Dublin en 1968.

Marie GISPERT

Mary Swanzy : Retrospective Exhibition of Paintings (catalogue d’exposition), Dublin, Hugh Lane Municipal Gallery of Modern Art, 1968 ; An Exhibition of Paintings by Mary Swanzy HRHA (1882-1978) (1986) (catalogue d’exposition), Londres, Pyms Gallery, 1989.

CAMPBELL J. (dir.), The Irish Impressionists : Irish Artists in France and Belgium, 1850-1914 (catalogue d’exposition), Dublin, National Gallery of Ireland, 1984.

SWARNAKUMÂRÎ DEBÎ [1855-1932]

Auteure indienne d’expression bengali.

Fille de Debendranâth Tagore, fondateur du Brâhmo Samaj, mouvement réformiste en rupture avec l’hindouisme orthodoxe, sœur aînée de Rabindranath Tagore, figure de proue de la littérature moderne bengali, Swarnakumârî Debî a bénéficié de l’atmosphère culturelle exceptionnelle de sa famille. C’est à la maison qu’elle étudie la littérature sanskrite, bengali et anglaise. On la marie à 13 ans, et son époux, Jankinâth Ghosâl, rejeté par sa famille pour avoir abandonné le cordon sacré des brahmanes, est lui aussi un représentant des transformations de la société coloniale bengali. Il l’encourage à écrire, mais aussi à s’intéresser à la politique et aux mouvements sociaux. Son frère, Dwijendranâth, lui confie la publication de Bhârati, revue littéraire qui a marqué sa génération. Elle publie romans, nouvelles, poèmes, mais aussi articles et essais. Citons, entre autres, Dîpnirbân (« l’extinction de la lampe », 1876) ; Basanta Utsab (« la fête du printemps », 1879) ; Phuler Mâlâ (« le collier de fleur », 1894) ; Pâkchakra (« complot », 1911). En cette période de « Renaissance bengali », l’histoire, l’anthropologie, la philologie, les sciences la passionnent. Son œuvre se fait l’écho des grands débats qui secouent les élites, réformatrices ou conservatrices, de la société urbaine ; elle s’interroge notamment sur la condition de la femme. Snehalatâ, l’héroïne de Snehalatâ bâ pâlitâ (« Snehalata ou la jeune fille recueillie », 1892), un de ses romans les plus populaires, incarne la femme persécutée : orpheline, sans allié, mais lettrée, mariée à 12 ans, elle subit humiliations et jalousies de sa belle-mère ; son mari mort, elle accède au statut le plus méprisé de veuve et finit par se suicider. Le roman représente de façon aiguë les relations de pouvoir dans la famille, qui maintient les plus faibles dans un état d’insécurité et de soumission permanent. Ce faisant, l’auteure intègre le destin de chaque personnage dans l’histoire, s’interroge sur la validité des discours européens, témoigne d’un contre-discours nationaliste. Elle reprend par ailleurs les critères d’opposition entre la femme et l’homme de l’équilibre patriarcal. Kâhâke (« pour qui ? », 1899) analyse les origines et les développements de l’amour, explore la nature de l’identité féminine, la fait accéder à une individualité plus radicale en lui offrant un champ d’action plus vaste.

Olivier BOUGNOT

SWARTZ, Beth Ames [NEW YORK 1936]

Peintre américaine.

Le travail pictural de Beth Ames Swartz repose sur la méditation et le rituel. Inspirée par la tradition mystique juive et les cultures amérindiennes et orientales, elle s’intéresse à tous les systèmes de croyance. Étudiante à l’Arts Students League, à la High School of Music and Art de New York, puis à l’université Cornell, elle est particulièrement marquée par les œuvres de Cézanne ou Renoir. En 1959, elle se marie et déménage en Arizona, où elle enseigne jusqu’en 1964, avant de se consacrer à la peinture et à ses deux enfants. Peintre d’extérieur, elle cherche à s’approprier le paysage désertique qui l’entoure. À la fin des années 1960, la lecture d’Alan Watts et de Kandinsky la conduit à la pratique de la méditation et au choix de l’abstraction. Elle conçoit, au début des années 1970, la série Meditation, inspirée par des vues de montagnes et de ciel transposées en bandes de couleurs vives. Progressivement, à côté de ses aquarelles, elle utilise le procédé créatif du feu, construisant des motifs de fumée, comme dans Smoke Imagery. Influencée par le land art et les œuvres de Robert Smithson, elle s’empare également de la terre qui devient pigment, à laquelle elle associe de la cire ou des feuilles d’or. Alors qu’elle séjourne en Israël en 1980, elle se passionne pour les femmes puissantes des textes sacrés. De ses recherches sur la Kabbale naît le projet Israël Revisited, autour de la Shekinah, figure mystique féminine : dans dix lieux symboliques, B. A. Swartz exécute un rituel cabalistique associé à ces mythes. Opérée à cette époque d’une tumeur, elle se tourne vers les pratiques curatives des Amérindiens et des hindous, et s’initie à leur univers spirituel et artistique. Après un passage à New York en 1992, elle revient en Arizona et reprend sa peinture de paysages. Elle poursuit un travail reposant sur les spiritualités occidentales et orientales, tel que The Word in Paint (2008), sous l’influence des poètes chinois de la dynastie Tang, Du Fu et Li Bai.

Fanny DRUGEON

Israel Revisited (catalogue d’exposition), New York, Jewish Museum, 1982 ; Reminders of Invisible Light : The Art of Beth Ames Swartz (catalogue d’exposition), Rubin D. S. (textes), New York, Hudson Hills Press, 2002 ; The Word in Paint (catalogue d’exposition), Kuspit D., Rothschild J. D. (textes), Phoenix, University of Arizona Press, 2008.

NELSON M. C., Connecting : The Art of Beth Ames Swartz, Flagstaff, Northland Press, 1984.

SWEETHEARTS OF RHYTHM – JAZZ [États-Unis 1937-1947]

L’épopée de The International Sweethearts of Rhythm commence en 1937 à Piney Woods, Mississippi, dans une école pour orphelines noires et pauvres. Le directeur cherche à occuper les adolescentes tout en finançant son institution. Il décide de former des musiciennes. Craignant de se voir refuser des cachets, il choisit parmi ses élèves des jeunes filles à peau assez claire. Trois ans à peine après sa naissance, Eddie Durham, ex-membre du glorieux orchestre de Count Basie, enseigne aux Sweethearts une technique, une attitude, engage des professionnelles qui ont déjà bourlingué dans les combos féminins. Il recrute Toby Butler, trompettiste blanche et orpheline adoptée en Virginie par une famille noire. Au sein du groupe, celle-ci rencontre des jeunes femmes indifférentes aux questions de race, attachées à produire de la bonne musique, du jazz swing inspiré des grands orchestres masculins de l’époque, comme avec le morceau de Count Basie, One O’Clock Jump. Elles reprennent aussi des titres dansants, tels Jump Children ; Sweet Georgia Brown ; Tuxedo Junction… Durham convie d’autres Blanches, les maquille en Noires afin de les rendre invisibles aux miliciens du Sud. Nous sommes en pleine époque de la ségrégation, et la loi interdit les groupes musicaux mixtes. La saxophoniste Rosalind Roz Cron racontera comment, à la suite d’une dénonciation, un shérif zélé décide de fouiller leur bus : les responsables du groupe évacuent par la porte arrière les Blanches, qui sautent dans un taxi. Un autre jour, la musicienne est jetée en prison pour avoir permis à un soldat noir de l’aider à trouver un véhicule. Les candidates de toutes origines continuent de frapper à la porte. Bientôt, la saxophoniste baryton d’origine chinoise Willie Mae Wong rejoint la formation. Les Sweethearts of Rhythm divertissent les soldats coincés sur leur base, mènent des tournées lucratives et populaires, à Washington, à l’Apollo Theatre de Harlem ou au Regal Theatre de Chicago. Le public applaudit Violet Burnside, saxophoniste proche de Lester Young et camarade de classe de Sonny Rollins, doyenne des groupes de filles qui a fait ses premières armes au sein des Harlem Playgirls en 1930. Durham convie à un spectacle son bon ami Louis Armstrong, et celui-ci presse la puissante trompettiste Ernestine « Tiny » Davis de venir le rejoindre, contre un salaire dix fois supérieur. Elle refuse, ne souhaitant pas quitter son amante, la percussionniste Ruby Lucas. Après leur carrière de musiciennes, Ruby et Tiny créeront dans les années 1950 un club nommé The Gay Spot à Chicago.

Les Sweethearts jouent sur les lumières comme aucun autre groupe avant elles. La soliste vibre, éclairée, tandis que le reste de l’orchestre, plongé dans l’ombre, gronde. Issues de milieux défavorisés et heureuses de jouer, elles ignorent les escroqueries répétées, leur salaire bien inférieur à celui des hommes. Leurs horaires pénibles les éreintent. Pourtant, la chanteuse Evelyn McGhee Stone racontera à l’écrivaine et universitaire Sherrie Tucker : « Je mangeais. Il n’y a rien de pire que d’avoir faim. Je suis une enfant de la Dépression. Personne n’aurait pu m’éloigner des Sweethearts. Je me moquais du degré de célébrité que j’aurais pu obtenir. Je ne pouvais renoncer à ces repas. » Des spectateurs prennent conscience de la question raciale et s’aperçoivent de la stupidité des lois ségrégationnistes. La presse compare ces musiciennes à des Cendrillons joyeuses d’avoir abandonné leur Mississippi sinistré. Au bout de dix années, le projet s’essouffle. L’orchestre disparaît durant l’année 1947, au moment où un groupe de filles noires au jazz plus rugueux et swing, les Darlings of Rhythm (darling et sweetheart signifient tous deux « chérie »), surgit.

Stéphane KOECHLIN

SWENSEN, Cole [KENTFIELD 1955]

Poétesse et traductrice américaine.

Professeure de lettres modernes et poète dans l’atelier de création de l’université d’Iowa pendant de nombreuses années, Cole Swensen enseigne à partir de 2011 à l’université Brown (Providence, Rhode Island). Elle est éditrice en chef des éditions La Presse (marque de Fence Books), qui publient de la poésie française récente traduite en américain, et contribue par son activité littéraire à l’échange poétique transatlantique. Plusieurs de ses nombreux livres de poésie sont traduits en français, notamment : Parc (1991), Nef (1997), Si riche heure (2001), L’Âge de verre (2007). L’écriture de C. Swensen est un dialogue des langues, des formes de représentation et des arts. Avec David Saint John, l’écrivaine présente l’anthologie American Hybrid : A Norton Anthology of New Poetry (2009) qui donne à lire les intersections de la poésie américaine depuis 1980, par lesquelles les nouvelles poésies expérimentales intègrent les médias et les codes d’autres discours pour établir des points de correspondance durables. Si son écriture est souvent associée à une esthétique dépassant le mouvement du language writing, elle conserve de forts liens avec un grand nombre de poètes américains : Peter Gizzi, Lyn Hejinian*, Susan Howe*, Rosmarie Waldrop* et Keith Waldrop. Elle est aussi une traductrice fédératrice des écrivains français : Pierre Alferi, Olivier Cadiot, Caroline Dubois, Suzanne Doppelt, Jean Frémon, David Lespiau, Pascalle Monnier, Nicolas Pesquès. Dans sa poétique, elle cherche à dépasser l’opposition dominante entre l’image et sa formule et envisage plutôt une rencontre entre les arts, toujours conçue comme enquête. Si elle poursuit dans ses livres une recherche de correspondances entre plusieurs modalités de représentation, elle fait sans cesse varier la forme même de ses poèmes et recourt aux vers comme à la prose. Dans chaque œuvre se présente à neuf un jeu tendu entre son et sens.

Jean-Jacques POUCEL

Parc (Park, 1991), Bordeaux, Bureau sur l’Atlantique, 2002 ; Nef (Noon, 1997), Paris, Petits Matins, 2005 ; Si riche heure (Such Rich Hour, 2001) Paris, J. Corti, 2007 ; L’Âge de verre (Glass Age, 2007), Paris, J. Corti, 2010.

SWENSON, May [LOGAN 1913 - OCEAN VIEW 1989]

Poétesse américaine.

Née dans l’Utah de parents immigrés suédois, Anna Thilda May Swenson est l’aînée d’une fratrie de dix enfants. S’exprimant en suédois dans son environnement familial, elle apprend l’anglais comme une seconde langue. Après des études à l’université d’État de l’Utah, à Logan où elle travaille ensuite comme reporter, elle part à New York. Tout en occupant divers emplois, elle écrit et publie sa poésie. Dès la parution de son premier recueil, Another Animal, en 1964, elle est saluée par la critique : son écriture est marquée par des jeux de mots audacieux, une imagerie souvent érotique tour à tour précise et envoûtante et une vive imagination. Entre 1950 et 1979, elle entretient une correspondance régulière avec Elizabeth Bishop*. En 1966, elle quitte les éditions New Directions, où elle travaillait depuis 1959, pour se consacrer exclusivement à l’écriture. Auteure prolifique et très diversifiée, elle publie de nombreux recueils : Half Sun Half Sleep (« moitié soleil, moitié sommeil », 1967), Iconographs (1970), New & Selected Things Taking Place (1978), trois volumes destinés aux enfants et une pièce en un acte, The Floor, qui sera produite dans les années 1960 à New York. Sa traduction Windows and Stones : Selected Poems of Tomas Tranströmer (1972) du poète suédois lui vaudra une médaille d’excellence de l’International Poetry Forum. Poète résident de plusieurs universités aux États-Unis et au Canada, dès la fin des années 1960, M. Swenson a reçu de nombreuses récompenses, dont le Memorial Award de la Poetry Society of America et un prix littéraire du National Institute of Arts and Letters. En 1980, elle devient présidente de l’Academy of American Poets. Huit ans après sa disparition, en 1997, l’Utah State University Press crée, en son honneur, le May Swenson Poetry Award.

Beatrix PERNELLE

Nature : Poems Old and New, Boston, Houghton Mifflin, 1994 ; The Complete Love Poems of May Swenson, Boston, Houghton Mifflin, 2003.

CRUMBLEY P., GANTT P. M. (dir.), Body My House : May Swenson’s Work and Life, Logan, Utah State University Press, 2006  ; ZONA K. H., Marianne Moore, Elizabeth Bishop, and May Swenson : the Feminist Poetics of Self-Restraint, Ann Harbor, University of Michigan Press, 2002.

SWETMAN CONTROVERSY [Grande-Bretagne XVIIe siècle]

La diatribe misogyne de Joseph Swetnam intitulée The Araignment of Lewde, Idle, Froward, and Unconstant Women (« réquisitoire contre les femmes inconstantes, revêches, oisives et impudiques », 1615) a suscité une polémique connue sous le nom de « Swetnam controversy ». Trois auteures ont publié en 1617 les pamphlets qui en constituent le cœur et auxquels il faut ajouter une pièce de théâtre anonyme, Swetnam, the Woman-hater, Arraigned by Women (« l’homme qui hait la femme, réquisitoire de femmes », 1620), textes qui s’inscrivent de surcroît dans une tradition littéraire de diatribe ou de défense des femmes.

Fille d’un pasteur calviniste, Rachel Speght (vers 1597 - vers 1630) épouse en 1621 William Proctor, lui aussi pasteur calviniste, dont elle a deux enfants. Elle est la première à rédiger une réplique à Swetnam et la seule à le faire en son nom. Son Mouzell for Melastomus (« muselière pour une bouche noire », c’est-à-dire un calomniateur) est le plus sérieux et le plus mesuré des trois pamphlets. Elle s’inscrit en faux contre les interprétations misogynes de la Bible et propose une savante apologie de la femme. Elle réfute les arguments de Swetnam point par point, souvent par la parodie et les jeux de mots, et fustige cet auteur vulgaire et inculte, blasphémateur de surcroît (calomnier les femmes, c’est calomnier leur créateur), qui ne maîtrise ni la logique ni la grammaire, accumule contrevérités et contradictions et fait subir des distorsions aux références scripturaires qu’il cite hors contexte. Par contraste, elle structure son propos avec soin et fait preuve d’une connaissance approfondie de la Bible. Elle démontre ainsi sa supériorité dans l’art de la polémique et combat implicitement le préjugé selon lequel les femmes sont inaccessibles à la raison et ne méritent guère d’être éduquées. Si c’est en chrétienne qu’elle s’exprime – le cadre de référence biblique n’est jamais remis en question –, elle n’en propose pas moins une exégèse audacieuse d’épisodes comme la création d’Ève : l’homme était incomplet avant que Dieu ne le dote d’une compagne, créée à partir de la côte d’Adam, c’est-à-dire l’endroit le plus proche du cœur de l’homme, aussi est-elle son égale dans l’ordre de la création. Certains passages du pamphlet rappellent les traités de mariage protestants. Ainsi, la suprématie accordée à l’homme ne signifie pas qu’il doive traiter la femme en servante, mais l’aimer et la protéger comme le Christ son Église. Il est néanmoins difficile de voir en R. Speght une féministe dans la mesure où elle envisage la femme moins pour elle-même qu’en tant que créature de Dieu et où sa perspective chrétienne l’empêche de revendiquer une égalité de statut pour les deux sexes.

Aux yeux d’Ester Sowernam (dont nous ne pouvons que supposer qu’elle est une femme car nous ne disposons d’aucune donnée biographique sur elle, ni d’ailleurs sur Constantia Munda), la réponse de R. Speght à Swetnam est inadéquate car elle accable les femmes plus qu’elle ne les défend. Son Ester Hath Hang’d Haman n’en emprunte pas moins plusieurs traits au pamphlet de sa consœur, dont la nécessité de défendre Dieu à travers sa créature, l’interprétation positive de la création d’Ève et la dénonciation de l’usage que Swetnam fait de la Bible. Son pamphlet est construit comme celui de Speght : une apologie de la femme y précède une offensive contre Swetnam et ses semblables. L’œuvre s’achève par un poème récapitulatif signé Joan Sharp (sharp = « acéré »), vraisemblablement un second pseudonyme. Déployant une grande érudition et une grande habileté argumentative, E. Sowernam multiplie les références tant à la Bible qu’à l’Antiquité gréco-latine, qui font de sa réplique un texte très supérieur à celui de son adversaire. Le pseudonyme qu’elle a choisi renvoie à l’Esther biblique, héroïne qui sauve les juifs de Perse menacés par le vizir Aman – finalement pendu, d’où le titre Ester Hath Hang’d Haman –, et joue sur le nom de Swetnam (= sweet name) puisque Sowernam (= sour name) dénote l’aigreur. En effet, son ton est moins modeste et plus virulent que celui de R. Speght. Elle va plus loin dans la parodie de l’argumentation de J. Swetnam : comme Adam, il est fait d’argile et de poussière, et sa disposition s’en ressent ; si la femme est perverse parce que née d’une côte recourbée – la crooked rib –, l’homme ne peut que la surpasser en perversion étant donné le nombre de côtes recourbées qu’il possède. Elle dénonce ses généralisations abusives, affirme la supériorité des femmes sur les hommes et dresse une liste de femmes vertueuses (qui culmine avec un éloge d’Elisabeth Ire*) pour illustrer son propos. Puis, elle imagine un procès qui retourne l’Araignment de J. Swetnam contre lui, en critiquant le double standard qu’elle détourne malicieusement à son profit (si les femmes sont jugées plus sévèrement que les hommes, c’est parce qu’on leur prête une nature plus noble) et en suggérant que ce sont les détracteurs des femmes qui sont coupables de la duplicité et de la lascivité qu’ils leur imputent. Enfin, le sexe fort, en se laissant si facilement séduire par les femmes, ne fait-il pas preuve d’une grande faiblesse ?

Le pamphlet de Constantia Munda, The Worming of a Mad Dog (« un chien délirant débarassé de ses vers ») est le moins riche sur le plan argumentatif et le moins bien construit. « Elle » y déverse sa bile dans des phrases interminables presque dépourvues de ponctuation et met en œuvre les procédés de la satire : elle admoneste, invective et couvre de sarcasmes Swetnam et son lectorat inepte, supposant que le premier est affligé d’une épouse acariâtre et ne doit fréquenter que des femmes légères. Elle lui reproche son ignorance, son impudence, ses contradictions, ses arguments circulaires, son recours abusif aux proverbes, ses maladresses et ses nombreuses confusions. Le pseudonyme latin (« constance morale »), ironique à une période où les femmes étaient taxées d’inconstance, bat en brèche le stéréotype selon lequel elles ne peuvent avoir qu’un accès limité au savoir. Elle multiplie les citations grecques, latines et italiennes, les références littéraires et les savants néologismes et manie avec aisance le vocabulaire juridique. Certains critiques doutent de l’identité féminine de l’auteur(e) car son pamphlet est le seul des trois qui ne contienne pas d’apologie de la femme et qui se réfère à des œuvres comme les Satires de Juvénal, lecture improbable pour une femme de l’époque. Enfin, il n’est pas exclu que son texte, voire celui d’E. Sowerman, ait été publié par des éditeurs désireux de tirer profit d’une telle querelle.

Si ces trois pamphlets n’ont pas eu le retentissement de la diatribe de Swetnam – rééditée de nombreuses fois –, leurs auteur(e)s n’en ont pas moins remporté une victoire morale dans cette controverse.

Natalie ROULON

SWIFT, Taylor [READING, PENNSYLVANIE 1989]

Auteure-compositrice, chanteuse et actrice américaine.

Taylor Alison Swift fait partie de ces stars américaines devenues célèbres dès leur adolescence, comme Béyoncé* ou Lady Gaga*. Enfant, elle écoutait chanter sa grand-mère, Marjorie Finlay, qui a joué notamment dans West Side Story – et qui l’a inspirée. Dès l’âge de 11 ans, elle est primée dans une compétition de chant, remporte un concours national de poésie et, à 12 ans, compose sa première chanson, Lucky You. Son premier album, Taylor Swift, (2006), sorte de « journal intime » adolescent, est un mélange de country et de rock. Il sera suivi de Speak now, Red et de nombreux singles (Tim McGraw, Teardrops on my guitar, Love story… ) qui se vendent à des millions d’exemplaires. Avec l’album Fearless, elle part en tournée à travers le monde en 2009-2010. Taylor est la première artiste de musique country à remporter un MTV Video music Award (2009). De nombreux artistes ainsi que des critiques musicaux ont salué ses talents d’auteure-interprète. Elle a reçu de très nombreuses récompenses. En plus de sa carrière musicale, T. Swift a joué dans un épisode des Experts, a écrit deux chansons pour la bande originale du film Valentine’s Day (2010) et a prêté sa voix au personnage de Laura dans le film d’animation Le Lorax (2012). Elle s’est engagée pour les droits des homosexuel(le)s et soutient financièrement l’enseignement de la musique et diverses actions philanthropiques comme l’alphabétisation, l’aide aux enfants malades, la reconstruction après le tremblement de terre de 2010 en Haïti ou encore le tsunami au Japon en 2011. À 23 ans, elle a reçu des mains de Michelle Obama*, pour son « dévouement aux autres », The Big Help Award (2012).

Joëlle GUIMIER

SWING SOUS L’OCCUPATION [France]

Le jazz américain, interdit à Paris sous l’Occupation, en particulier à partir de 1941, a pourtant échappé à la censure nazie et fait les beaux soirs des cabarets. Les musiciens ont détourné l’interdiction en donnant des titres français à des classiques venus d’outre-Atlantique : Saint-Louis Blues est devenu La Tristesse de Saint-Louis, tandis que Tiger Rag est rebaptisé La Rage du tigre.

Le swing, d’abord réservé à une élite, connaît un premier sommet de popularité grâce à Mademoiselle Swing, un film musical de Richard Pottier dont la tête d’affiche s’appelle Irène de Trébert (1921-1996). Petit rat de l’opéra à l’âge de 5 ans, elle se produit en même temps au Gaumont Palace, où elle danse le charleston à l’entracte. À 12 ans, elle est au théâtre avec Gaby Morlay, et à 16 ans, elle est engagée au Casino de Paris, dans une revue menée par Maurice Chevalier. Grâce à Mademoiselle Swing et Je suis swing, elle devient en 1941 la voix féminine du genre, l’idole des zazous. En 1942, elle épouse le chef d’orchestre Raymond Legrand. Après la Libération, elle apparaît dans quelques longs-métrages avant de s’éloigner discrètement, au milieu des années 1950, de la scène et des plateaux.

Entre-temps, les Sœurs Étienne ont assuré la relève. Louise (1925) et Odette (1928) ont appris leur métier avant guerre en chantant dans les orchestres. Elles sont les premières à adapter en français des hits américains en s’inspirant du style des Andrews Sisters*, alors très populaires outre-Atlantique. À la fin de l’année 1944, au lendemain de la libération de Paris, le public en liesse découvre ces rythmes de jazz dont il ignorait tout. Cheveux au vent est leur premier succès. Elles deviennent aussi, presque naturellement, les idoles des G. I. arrivés en France à l’heure du Débarquement. C’est ainsi qu’à la demande des Services spéciaux américains, elles commencent à se produire pour les troupes américaines en France et dans les hôpitaux, où elles remontent le moral des blessés. En janvier 1946, elles affichent complet à l’Olympia. Tandis qu’elles interprètent Cinq minutes de plus, un officier parachutiste américain saute du balcon et vient les embrasser sur scène. Elles sont tellement populaires qu’elles reçoivent en moyenne 400 demandes en mariage par semaine. En 1948, elles sont engagées pour donner chaque soir un récital dans une ville étape du Tour de France cycliste. Devant 10 000 personnes, elles interprètent, entre autres, des couplets refusés par toutes les vedettes : C’est si bon. Quelques mois plus tard, la chanson entame un succès international. Yves Montand, Louis Armstrong et beaucoup d’autres l’inscrivent à leur répertoire. Les Sœurs Étienne poursuivent leur carrière jusqu’au milieu des années 1950, puis décident de se retirer discrètement de la scène.

Jacques PESSIS

SWINTON, Tilda (KATHERINE MATHILDA SWINTON, dite) [LONDRES 1960]

Actrice et productrice britannique.

Après un diplôme en sciences politiques et sociales à l’Université de Cambridge, Tilda Swinton, décidée à devenir actrice, intègre la prestigieuse Royal Shakespeare Company en 1984 et fait ses premiers pas au théâtre. En 1986, elle débute au cinéma dans Caravaggio de Derek Jarman avec qui elle collabore jusqu’à la disparition du réalisateur. C’est sous sa direction qu’elle obtient la coupe Volpi de la meilleure actrice à la Mostra de Venise en 1991, pour son incarnation d’Isabella dans Edward II (1991). Dotée d’un charisme envoûtant et d’un physique androgyne, elle s’essaye par la suite à des genres très divers, comme le film expérimental avec Orlando de Sally Potter en 1992 (adaptation d’un roman de Virginia Woolf* où elle incarne un personnage changeant de sexe au fil des époques) ou Mondes possibles de Robert Lepage en 2000, ou encore l’odyssée fantastique avec la saga Le Monde de Narnia (2005, 2008, 2010), et le drame avec Bleu profond (2001) de Scott McGehee et David Siegel ou Young Adam (2003) de David Mackenzie. En 2008, elle est distinguée par l’Oscar de la meilleure actrice dans un second rôle pour son interprétation de l’impassible avocate Karen Crowder dans Michael Clayton de Tim Gilroy. La même année, T. Swinton joue dans quelques productions grand public comme la comédie Burn After Reading des frères Coen ou L’Étrange Histoire de Benjamin Button de David Fincher, sans se détourner du cinéma d’auteur où on la retrouve dans Julia d’Érick Zonca ou We Need to Talk about Kevin (2011) de Lynne Ramsay, faisant sans cesse la démonstration de l’étendue de ses talents de comédienne.

Chayma SOLTANI

ŚWIRSZCZYŃSKA, Anna [VARSOVIE 1909 - CRACOVIE 1984]

Poétesse et auteure dramatique polonaise.

Après des études de lettres à l’université de Varsovie, Anna Świrszczyńska débute très tôt par des publications dans une revue de jeunes écrivains, Płomyk (« flamme »). En 1936, elle publie son premier recueil poétique et devient membre de la Société des gens de lettres. Lorsque la guerre éclate, elle continue à écrire, et fait paraître en 1943 son drame Orfeusz (« Orphée »), dont la beauté poétique et le lyrisme éthéré contrastent avec l’horreur des temps. Elle s’engage dans la Résistance et, pendant l’insurrection de Varsovie, suit de près les combats en tant qu’éclaireuse et infirmière. Cette expérience de guerre, qui la transforme complètement, sera consignée essentiellement dans son recueil Budowałam barykadę (« je construisais des barricades », 1974), mais elle appliquera la leçon qu’elle en tire à toutes les circonstances de la vie, mêlant son propre vécu à celui des autres. Les poèmes d’A. Świrszczyńska ont le plus souvent un fond autobiographique, mais l’image de la femme qui y est donnée est en réalité celle de la femme éternelle : fille, mère, épouse, à travers tous les âges. Cette thématique atteint son apogée dans le recueil Jestem baba (« moi, la bonne femme », 1972), teinté d’ironie, tonalité qui se retrouve dans les recueils Szczęśliwa jak psi ogon (« heureuse comme la queue d’un chien », 1978), Cierpienie i radość (« souffrance et joie », 1985), Kobiety, baby (« femmes et bonnes femmes », 1988), Czysta rozkosz (« pur délice », 1992) et Ogromniejąca perła samotności, poezja (« perle grandissante de solitude, poésie » 1996), où elle brise les stéréotypes. Son message tire sa force de sa sobriété. Elle renonce à tout commentaire affectif, à toute expression de sensibilité en leur préférant le sarcasme et l’autodérision. Le poétique naît de ce pouvoir décapant qui élimine toute trace de l’écriture édulcorée caractéristique de la poésie féminine traditionnelle. A. Świrszczyńska laisse également plusieurs pièces de théâtre poétiques, de même que toute une série d’œuvres pour enfants et pour la jeunesse. Elle est la première femme en Pologne à parler aux femmes d’elles-mêmes, d’une voix dans laquelle elles peuvent se reconnaître.

Maria DELAPERRIÈRE

MIŁOSZ C., Jakiegoż to gościa mieliśmy, Cracovie, WL, 1996.

SWISSHELM, Jane (Grey CANNON) [PITTSBURGH 1815 - SEWICKLEY, PENNSYLVANIA 1884]

Journaliste américaine.

Fille d’émigrés d’origine irlandaise et écossaise, institutrice dès l’âge de 14 ans, Jane Swisshelm s’oriente vers la peinture et l’écriture, dont elle est détournée par son mari, méthodiste rigoriste. Celle qui va défendre avec ferveur les droits des femmes et des esclaves se soumet momentanément. La famille Swisshelm déménage dans le Kentucky, où la jeune femme découvre la violence de l’esclavage. Après avoir un temps fabriqué des corsets, elle quitte son domicile pour soutenir sa mère souffrante à Pittsburgh, et y demeure. Elle commence sa carrière en collaborant à un journal local qui publie ses articles anonymes contre la peine de mort. Après trois années de séparation, elle retourne auprès de son mari qui, paradoxalement, approuve ses écrits journalistiques et ses poèmes, et l’encourage même à les signer. Elle publie dans un journal abolitionniste et y gagne une certaine popularité. En 1848, J. Swisshelm crée un premier journal en faveur de l’abolition : Saturday Visiter. Pendant dix ans, elle y attaque frontalement les propriétaires d’esclaves et y défend les droits de la femme. Son journal acquiert une diffusion nationale. En déplacement à Washington, elle est la première femme à accéder à la galerie réservée à la presse au Sénat. En 1857, elle quitte son époux et rejoint sa sœur à Saint Cloud, dans le Minnesota, où elle relance un journal, le St. Cloud Visiter. Sa position antiesclavagiste se heurte au potentat du Parti démocrate local, qui détruit son imprimerie et porte plainte pour diffamation, l’obligeant à suspendre l’impression du journal. En réaction, J. Swisshelm crée, avec le soutien des antiesclavagistes, le St. Cloud Democrat, qu’elle revendra pour s’installer à Washington. Pendant la guerre de Sécession, elle y travaille comme infirmière. Après la guerre, elle fonde un nouveau journal, Reconstructionist, qui aura une durée de vie d’un an.

Christine LARRAZET

SY, Oumou [DIATAR 1952]

Styliste de mode sénégalaise.

D’origine peule, Oumou Sy grandit près des rives du fleuve Sénégal, au sein d’une famille de 17 enfants. Autodidacte talentueuse, elle souhaite valoriser le vêtement et le travail du tissu – garant d’une haute couture et d’un prêt-à-porter de qualité – afin de cultiver la mémoire textile du continent noir. À 13 ans, elle ouvre son premier atelier de couture en utilisant des tissus de récupération, auquel succède un magasin de prêt-à-porter sept ans plus tard. En 1990, elle enseigne à l’École des beaux-arts de Dakar et inaugure les Ateliers Leydi, centre des arts du costume et de la parure, qui font montre de leur créativité chaque année lors du carnaval de la ville créé sous son impulsion. En femme d’affaires avisée, elle instaure en 1996 le premier cybercafé d’Afrique de l’Ouest, le Metissacana (« le métissage arrive » en langue bambara), depuis lequel une boutique virtuelle relaie dans le monde entier ses créations. Un pied dans la tradition, un pied dans la modernité. C’est ainsi qu’en l’an 2000, elle inaugure une Semaine internationale de la mode de Dakar (la Simod), décidée à faire de sa ville le carrefour panafricain de la mode. Son nom est désormais associé à de nombreuses initiatives et manifestations en Afrique subsaharienne, aussi bien dans la décoration intérieure que dans la teinture, la broderie, le maquillage. O. Sy collabore régulièrement avec le cinéma et le monde du spectacle, en confectionnant des costumes pour des chanteurs (Youssou N’Dour, Baba Maal).

Marlène VAN DE CASTEELE

SYBILLA (Sybilla SORONDO-MYELZWYNSKA, dite) [NEW YORK 1963]

Styliste de mode espagnole.

Née d’un père argentin et d’une mère polonaise créatrice de mode, Sybilla passe son adolescence à Madrid et effectue un stage chez Yves Saint Laurent à Paris, à l’âge de 17 ans. De retour à Madrid en 1983, elle présente sa première collection, puis ouvre une boutique en 1987. Couronnés de succès, ses modèles commencent à être distribués mondialement. Celle qui, adolescente, côtoyait la movida et compte parmi ses amis Pedro Almodóvar devient l’incarnation, à la fin des années 1980, de l’avant-garde de la mode espagnole. À partir de 1988, sa production est financée et fabriquée par le groupe italien Gibo. Après des défilés au Japon en 1989, Itokin se charge de la réalisation et de la vente de lignes à son nom sur le marché nippon. En 1992, elle travaille au Japon, où elle dessine une ligne de vêtements, des accessoires pour la maison, ainsi qu’une ligne junior, Jocomomola. En 1996, une ligne de décoration d’intérieur voit le jour, Sybilla Casa, suivie en 1998 par une gamme de robes du soir et de mariées. En 2002, la créatrice revient sur la scène de la mode madrilène après avoir signé un contrat avec la firme italienne Pier, pour la production et la distribution mondiale de ses collections. Cultivant un art du drapé, du fluide et du noué, elle crée des silhouettes qui, bien que simples et épurées, n’en demeurent pas moins féminines et romantiques. Sa sensibilité poétique s’exprime dans une gamme chromatique très sophistiquée de demi-tons contrastés. Ses accessoires sont souvent empreints d’humour : un ballon de rugby sert de sac, un coucher de soleil se découpe sur une sandale…

Zelda EGLER

BENAÏM L., L’Année de la mode 87-88, Lyon, La Manufacture, 1988 ; KAMITSIS L., REMAURY B. (dir.), Dictionnaire international de la mode, Paris, Éditions du regard, 2004 ; STEELE V., Women of Fashion : Twentieth Century Designers, New York, Rizzoli International, 1991.

SYBILLE (Zabel KHANDJIAN, dite) SKÜDAR 1863 - ISTANBUL 1934]

Écrivaine arménienne.

Issue d’une famille aisée, Zabel Khandjian effectue sa scolarité dans une école primaire française, puis dans un collège arménien. À l’âge de 16 ans, elle participe à la fondation de l’Association des femmes arméniennes dévouées à la nation (Azkanevèr hayouhiyatz enkéroutioun), dont l’objectif est de créer des écoles dans les provinces. Son mariage avec un avocat la conduit dans des villes anatoliennes, mais un veuvage prématuré la ramène à Constantinople avec ses deux filles en 1889. Elle se fait connaître en publiant des nouvelles – genre littéraire en vogue – dans la presse arménienne stambouliote (Hayrénik, Massis) et Aghtchka me sirde (« le cœur d’une jeune fille », 1891), un roman sentimental aux méandres tourmentés, destiné aux femmes. En 1898, alors que les écrivains et juristes Krikor Zohrab et Hrant Assadour (qui deviendra son époux) relancent la publication de Massis, périodique frappé par la censure ottomane, elle contribue activement à cette renaissance et devient « une sorte d’écrivaine officielle de la communauté » (Essayan*). Sa vie de « femme d’intérieur » (Ochagan), comblée et préservée des habituelles épreuves traversées par les auteurs arméniens, s’écoule entre quotidien familial, enseignement de l’arménien dans les établissements scolaires prestigieux de Constantinople, activités associatives et littérature où elle avance, parée de l’étendard d’un féminisme tempéré. En symbiose spirituelle avec son mari, elle publie, avec ou sans lui, des articles pédagogiques et des ouvrages de langue et de littérature arméniennes, longtemps en usage dans les écoles des États successeurs de l’Empire ottoman. La poésie « Tsolkèr » (« reflets », 1902) l’a rendue célèbre au début du XXe siècle. En 1933, la communauté arménienne d’Istanbul a célébré son jubilé. En 1940, une partie de son œuvre poétique a été rassemblée dans le recueil Kertvatsnèr (« poèmes »).

Anahide TER-MINASSIAN

DJANACHIAN H. M., Hay kragatounian nor chertchani hamarod badmoutioun, 1701-1920, Venise, Impr. Saint-Lazare, 1973 ; SASSOUNI G., Badmoutioun arévmdahay arti kraganoutian, 1701-1920, Beyrouth, Impr. de l’Association hamaskaïne, 1951.

SYBILLE URSULA (duchesse de HOLSTEIN-GLUCKSBOURG) [HITZACKER 1629 - GLUCKSBOURG 1671]

Femme de lettres allemande.

Fille du duc de Brunswick-Lunebourg Auguste le Jeune (Auguste II de Brunswick-Wolfenbüttel) et de sa seconde femme, Dorothée d’Anhalt-Zerbst, Sybille Ursula grandit à Brunswick et à Wolfenbüttel. Sophie-Élisabeth*, la troisième femme du duc, encourage les multiples intérêts artistiques de l’adolescente, qui collectionne les livres et se met tôt à l’écriture. Elle se marie en 1663 avec Christian de Holstein-Sonderbourg-Glucksbourg, union qui passe pour peu heureuse. Les quatre enfants du couple meurent tous peu après leur naissance. Physiquement fragilisée, elle meurt à son tour en couches. À l’âge de 20 ans déjà, elle traduit des textes latins de Jean Louis Vivès et correspond avec le théologien Jean Valentin Andreæ, et plus tard temporairement avec Madeleine de Scudéry*. Elle compose un drame en prose dans lequel se confrontent, à la façon de l’époque, la vertu et la luxure. Elle porte un intérêt particulier aux romans populaires de La Calprenède et traduit ses œuvres Cassandre et Cléopâtre. Initialement, elle collabore avec son frère Antoine-Ulric à son « roman d’État » Aramena. De 1651 à 1668, elle tient un journal spirituel caractéristique de l’expression de la piété protestante, tout comme son Himmlisches Kleeblat (« le trèfle céleste »), ouvrage d’édification écrit entre 1655 et 1658 et publié à titre posthume.

Anett LÜTTEKEN

BEPLER J., « Sybilla Ursula », in Braunschweigisches Biographisches Lexikon, Brunswick, Appelhans, 2006 ; SPAHR B. L., « Sibylle and Her Books », in ID. (dir.), Problems and Perspectives : a Collection of Essays on German Baroque Literature, Francfort, P. Lang, 1981.

SYLLA, Khady [DAKAR 1963]

Écrivaine et réalisatrice sénégalaise.

Élevée dans le quartier de la Gueule tapée à Dakar, Khady Sylla suit des études en hypokhâgne et en khâgne au lycée Louis-le-Grand à Paris, puis entreprend une licence de philosophie à la Sorbonne, qu’elle abandonne au profit de l’écriture, pratiquée depuis l’adolescence. La mort de sa grand-mère est à l’origine de sa première nouvelle, non publiée, intitulée L’Univers. Sa deuxième nouvelle, Le Labyrinthe, révèle son souci de témoigner des injustices qui ont lieu au Sénégal et plus précisément à Dakar. Elle met en scène un personnage de Fass Paillote, le dernier grand bidonville de Dakar, lors des incendies de 1984 qui visaient à évacuer la ville de ses habitants les plus pauvres.

En 1992, K. Sylla publie son premier roman, Le Jeu de la mer. Dans ce récit poétique, elle pose la question des frontières entre le réel et l’irréel. L’histoire se déroule sur la plage de Soumbédioune, tout près du quartier de son enfance. À l’instar des deux protagonistes, les jumelles Rama et Aïssa, l’auteure aimait jouer au « jeu de la mer » avec sa grand-mère et les enfants du quartier. Connu un peu partout en Afrique sous divers noms (awalé, wowi et wouré, en wolof, la langue natale de l’écrivaine), ce jeu sert de prétexte à la narration d’histoires. Or les histoires de Rama et d’Aïssa viennent peu à peu perturber le réel en y faisant disparaître êtres, animaux et objets. Le commissaire chargé de résoudre l’énigme de ces disparitions voit son enquête progresser au fur et à mesure des divers récits, contés à la manière des Mille et une nuits, jusqu’à révéler que les jumelles ne sont autres que les personnages d’un écrit que lui-même a laissé inachevé vingt ans auparavant.

Une adaptation cinématographique de ce roman original est réalisée la même année, en collaboration avec Jean Rouch. Elle ouvre une seconde carrière à la romancière, qui partage désormais son temps entre l’écriture et la réalisation. En 1994, elle réalise un premier documentaire sur la folie, annonçant par son sujet Fenêtre ouverte (2004), documentaire dans lequel la réalisatrice, elle-même en train de sombrer dans la folie, rencontre et filme Aminta Ngom, qui exhibe sans honte sa propre folie. K. Sylla montre à la fois la souffrance de l’autre et sa propre souffrance. Les Bijoux, présenté au Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fepasco) en 1999, prend le prétexte d’une disparition de boucles d’oreille pour montrer l’évolution disparate que connaissent les femmes aujourd’hui au sein d’une même famille, dans leur rapport à la tradition et aux anciens. Colobane Express (2001), en suivant l’itinéraire d’un car rapide à travers le quartier réputé chaud de Colobane, en présente avec tendresse et humour les différentes facettes.

En 2007, K. Sylla réalise, avec Charlie Van Damme, Le Monologue de la muette. Elle y dénonce un autre fait de société bien connu à Dakar, qui est l’exploitation des « petites bonnes » par des maîtresses peu scrupuleuses. Les jeunes femmes, issues pour la plupart de familles rurales pauvres, sont corvéables à merci et ne disposent d’aucune protection sociale. Dans ce film politiquement engagé, la structure théâtralisée du documentaire qui donne voix à plusieurs femmes, actrices professionnelles et amateures, est particulièrement saisissante et efficace. Après avoir présenté le documentaire dans plusieurs pays d’Europe et en Tunisie, K. Sylla le présente pour la première fois à Dakar en 2009, et invite à cette occasion les « petites bonnes » du film à venir témoigner. Elle réaffirme, quant à elle, sa détermination à poursuivre une œuvre socialement engagée et en appelle aux artistes et au public à faire de même.

Frédérique DONOVAN

Le Jeu de la mer, Paris, L’Harmattan, 1992.

SYLVA, Berthe (Berthe FAQUET, dite) [LAMBÉZELLEC 1885 - MARSEILLE 1941]

Chanteuse française.

Berthe Sylva débute comme femme de chambre, avant de tenter sa chance dans la chanson. En 1928, elle se retrouve pour la première fois à l’affiche à Paris, au Caveau de la République, entre deux chansonniers. Remarquée par l’accordéoniste et compositeur Léon Raiter, elle devient la première chanteuse à passer, en direct, sur les ondes de Radio Tour Eiffel, la station officielle à Paris. Elle crée, en particulier, Le Raccommodeur de faïence, et, surtout, Les Roses blanches, qui deviennent aussitôt d’immenses succès. Son physique de femme meurtrie par la vie touche les cœurs. B. Sylva se produit dans les music-halls parisiens et dans toute la France, devant des fans souvent déchaînés : un soir, à l’Olympia, ils cassent les fauteuils ; une autre fois, à l’Alcazar de Marseille, ils enfoncent la porte de sa loge pour obtenir un autographe. En 1936, une enquête sur les chanteuses préférées des adolescentes la place largement en tête du classement. Au début de l’Occupation, elle s’installe à Marseille. Incapable, depuis des années, de gérer financièrement sa gloire, elle sombre rapidement dans l’alcoolisme et la misère. Elle disparaît en 1941 sans imaginer que ses chansons traverseront le temps et seront fredonnées par d’autres générations.

Jacques PESSIS

SYLVESTRE, Anne (Anne-Marie BEUGRAS, dite) [LYON 1934]

Chanteuse française.

Après des études de lettres auxquelles elle préfère largement la musique de jazz, Anne Sylvestre débute en 1957 dans les cabarets de la rive gauche. Sa façon de s’accompagner à la guitare et la qualité de ses textes lui valent d’être comparée à Georges Brassens. Ce dernier ne renie pas la filiation puisqu’au verso de la pochette de son deuxième disque, il écrit : « On commence à s’apercevoir qu’avant sa venue dans la chanson, il nous manquait quelque chose et quelque chose d’important. » Elle commence à se fabriquer un répertoire où elle traite, à sa manière, de la société, la guerre, la misère, les hommes, le viol, l’avortement, l’homosexualité et la sensibilité des femmes. C’est ainsi que dans les années 1970 elle se retrouve symboliquement associée au mouvement des femmes. Elle se défend toutefois de toute forme d’engagement, en particulier dans des couplets intitulés Chanson dégagée. Elle enregistre régulièrement des albums dont elle est, à partir de 1973, la productrice. Elle considère qu’il n’existe pas d’autre solution pour éviter de composer avec un monde du show business auquel elle se sent étrangère. Ses enregistrements sont salués par la critique et récompensés, à plusieurs reprises, par des Grands Prix du Disque. En 1962, elle enregistre des Fabulettes pour les enfants, sans imaginer un instant qu’elles seront suivies de 17 autres et deviendront des classiques. Elle a choisi de ne jamais les interpréter sur scène, en France et à l’étranger. Régulièrement présente à l’affiche, elle a fêté ses quarante ans de chanson à l’Olympia en 1998, puis son jubilé en 2007, avec une série de récitals à guichets fermés, à Paris, au Trianon. En 2013, elle enregistre un nouveau CD, Juste une femme. Encouragée par une jeune génération d’artistes qui la considèrent comme une référence incontournable, elle ne cache pas son intention de continuer le plus longtemps possible. À sa manière. Sans la moindre concession.

Jacques PESSIS

SYLVIE (Louise Pauline MAINGUENÉ, dite) [PARIS 1883 - COMPIÈGNE 1970]

Actrice française.

Sylvie débute comme ingénue au Théâtre de l’Odéon, sous la direction d’André Antoine. Elle aura sur scène une longue carrière, qu’elle clôturera avec l’Athalie de Racine. Au cinéma, elle débute en 1912 dans Britannicus, puis tourne : Ursule Mirouet (1912), d’après Balzac ; Germinal (1913), d’après Émile Zola ; Le Coupable (1918), d’A. Antoine. Elle multiplie les rôles après l’arrivée du parlant, jouant les méchantes dans Un carnet de bal (1937), de Julien Duvivier ; L’Affaire Lafarge (1938), de Pierre Chenal ; Entrée des artistes (1938), de Marc Allégret. Elle incarne aussi les mères et les grands-mères, une aveugle dans Marie-Martine (1943), d’Albert Valentin, ou une paralytique dans Thérèse Raquin (1923), de Marcel Carné. Elle figure dans des œuvres devenues classiques : Les Anges du péché (1943), de Robert Bresson ; Le Corbeau (1943), d’Henri-Georges Clouzot ; Pattes blanches (1949), de Jean Grémillon. C’est en 1965 qu’elle trouve son plus beau rôle : sous la direction de René Allio, elle est La Vieille Dame indigne, inspirée de Bertolt Brecht, qui découvre la joie de vivre auprès d’une lumineuse prostituée (jouée par Malka Ribowska*).

Bruno VILLIEN

SYNNÆS, Borghild [1882-1939]

Architecte norvégienne.

Diplômée de l’École royale des arts décoratifs de Christiania (actuel SHKS d’Oslo) en 1903, Borghild Synnæs commence à pratiquer l’architecture en 1908, après un long voyage d’études en Europe. Elle est d’abord employée par la direction du logement et pour la commune d’Oslo, où elle planifie le quartier d’habitation Ullevål à Haveby (1916-1919). En 1928, elle ouvre sa propre agence et se spécialise dans les équipements de soins. Elle conçoit également des ensembles de logements et travaille souvent pour des commanditaires féminins. Sa première réalisation importante est la maison de retraite des Diaconesses (1929), un grand bâtiment de deux étages couronné d’un toit brisé, dans un style traditionnel entre classicisme et néobaroque. Ses distributions intérieures sont novatrices et fonctionnelles, grâce à une multiplication d’entrées et de grands balcons. Les logements se caractérisent par l’attention portée aux besoins variables des familles, à l’opposé d’un schéma fixe. Par la publication, en 1931, de Når man bygger sitt eget hus (« quand on construit sa propre maison »), elle est l’une des premières femmes à contribuer au débat architectural norvégien. Destiné à un public peu argenté, l’ouvrage se focalise sur le détail et l’utile. À Westye, elle construit la « Maison des femmes de la côte est » (1933), une maison de retraite (1935) et une maison de location (1937).

Linnéa ROLLENHAGEN TILLY

FINDAL W., Mindretallets mangfold. Kvinner i norsk arkitekturhistorie, Oslo, Abstrakt, 2004.

SYNODINOU, Anna [LOUTRAKI 1927]

Actrice grecque.

Ayant débuté en 1949 dans le chœur des Choéphores et des Euménides, d’Eschyle, Anna Synodinou suit une carrière théâtrale qui se confond avec le théâtre grec antique, interprétant avec grand succès les rôles suivants : Antigone (Sophocle), Électre (Eschyle, Sophocle), Andromaque (Euripide), Iphigénie (Euripide), Alceste (Euripide), Clytemnestre (Eschyle), Lysistrata et Praxagora (Aristophane). Elle joue maintes fois dans le théâtre antique d’Épidaure. Surnommée « le monstre sacré de la tragédie », elle incarne également des personnages de William Shakespeare, Carlo Goldoni, Lope de Vega, Alexandre Dumas (père), George Bernard Shaw, August Strindberg, Henrik Ibsen, Federico García Lorca, Luigi Pirandello, Jacques Deval, ainsi que ceux d’auteurs grecs modernes. En 1965, elle quitte l’Ethniko Theatro (théâtre national d’Athènes) et fonde l’Elliniki Skini (« la scène grecque »). Interrompant ses activités théâtrales lors de l’instauration de la dictature des colonels, en 1967, elle revient en 1972 avec l’Antigone de Bertolt Brecht. Lorsque la démocratie est rétablie, en 1974, elle commence une carrière politique et est élue députée à maintes reprises. De 1977 à 1980, elle est nommée vice-ministre des Assurances sociales. Durant l’été 1987, elle interprète au théâtre d’Épidaure le rôle d’Hécube, d’Euripide.

Aphrodite SIVETIDOU

Prosopa kai prosopeia (« personnages et masques »), Athènes, Afoi G. Vlassi, 1998.

« Anna Synodinou », in Ekpaideftiki elliniki enkyclopedia, pangosmio viografiko lexiko, Athènes, Ekdotiki Athinon, 1983-1993.

SYRETT, Netta [LANDSGATE, KENT 1865 - LONDRES 1943]

Écrivaine britannique.

D’abord éduquée par sa mère et par une gouvernante allemande, Netta Syrett est scolarisée à 11 ans, poursuit trois années d’études à Cambridge et commence à travailler comme enseignante à Swansea, puis à l’École polytechnique de filles à Londres. Elle lie amitié avec une collègue de travail, sœur d’Aubrey Beardsley, qui l’introduit alors dans le cercle du Yellow Book où elle publie plusieurs nouvelles. Jusqu’en 1920, elle écrit 38 romans, dont le premier est Nobody’s Fault (« la faute de personne », 1896), 27 nouvelles, quatre pièces de théâtre et 20 livres pour enfants. Critiquée dans la presse pour une de ses pièces jugée pure autobiographie, elle doit démissionner de son emploi. Dans ses œuvres elle prône l’émancipation de la femme mais aussi, et complémentairement, le socialisme, l’esthétisme et le recours au merveilleux en littérature. En 1905, elle est rédactrice en chef de The Dream Garden. Comme son autobiographie The Sheltering Tree (« à l’abri de l’arbre »), qui fourmille d’anecdotes sur la période, le montre bien, elle est l’une des représentantes de la « New Woman ». D’ailleurs, en 1934, elle n’hésite pas, dans Judgment Withheld (« jugement suspendu »), à camper une héroïne lesbienne, dans le sillage du scandale créé par Le Puits de solitude de Radclyffe Hall*.

Michel REMY

SYRIE – FEMMES DE LETTRES [XXe siècle]

Ilfat Idelbi*, Salma al-Haffar al-Kuzbari*, Widad Sakakini (1913-1991), dans les années 1930-1940, puis Ghada al-Samane (1942), Colette Khoury* (1935), Hiyam Nuwaylati (1932-1977), Georgette Hannouche (1930), Layla al-Yafi, dans les années 1950 : la majorité des écrivaines syriennes appartenaient principalement à la classe bourgeoise et aristocrate. Cette élite, ouverte aux sciences, à la culture et à l’Occident, sensible aux questions sociales, économiques et politiques, encourageait l’enseignement des filles. Il était très improbable de voir une femme de lettres issue d’une famille pauvre, car la pression des traditions exercée sur les filles était plus forte dans ce milieu.

Les femmes des classes modestes ont accédé à l’enseignement à partir des années 1980 et sont ainsi entrées dans le monde de la culture : Anissa Abboud (1957), Haifa Bitar*, Hamida Na’na’ (1946), Mayya al-Rahbi, Ibtisam Chakouche et Lina Houayane al-Hassan. Le nombre de romans d’écrivaines a triplé par rapport aux années 1940, parallèlement à l’indépendance du pays et à la construction de la Syrie moderne.

Pour ces écrivaines syriennes, la création est intimement liée à leur expérience sentimentale et sociale. Ainsi, A. Abboud nous met dans l’ambiance de son village ; I. Idelbi présente souvent « son » Damas ; G. al-Samane nous transporte avec elle à Beyrouth et vers la déception amère qui enflamme les peuples arabes. S. al-Haffar al-Kuzbari excelle dans la description de la lutte contre l’occupation, alors qu’Oussayema Darwiche parle du développement social dans les villes et les villages, ainsi que des pressions exercées sur les femmes ; H. Bitar explique le changement de la société à travers la vie d’une femme.

La plupart de ces auteures ont approfondi la description des malheurs des femmes et se positionnent contre l’autorité paternelle et les traditions culturelles et sociales. Les histoires de G. al-Samane et de H. Na’na’présentent des personnalités féminines indépendantes et libres. Les romans de S. al-Haffar al-Kuzbari se transforment en véritables discours politiques. L’écriture narrative se libère de la tradition ; les récits sont poétiques, se mélangent à l’autobiographie et intègrent l’héritage populaire.

En 1949, W. al-Sakakini fait paraître le premier roman féminin, Arwa bint al-khutub (« Arwa fille de douleur »), où elle se moque du machisme et de la prétention masculine. Les héroïnes de G. Hannouche dans Dhababa Ba’idan (« il s’en alla », 1961) et ‘Ashiqat habibi (« pour l’amour de l’être aimé », 1964), indifférentes à l’opinion publique et gérant leurs aventures amoureuses, veulent imposer leur genre de vie. Lina, dans Bustan el karaz (« la cerisaie », 1977) de Qamar Kilani, quitte le parti communiste pour retrouver son indépendance. Dans son roman Ayyam ma’ah (« des jours avec lui », 1959), C. Khoury s’élève contre l’ordre patriarcal et la condition sociale humiliante des femmes. Elle revendique pour la femme le droit de choisir l’homme qu’elle veut aimer.

Les événements tragiques découlant de la guerre des Six Jours en 1967, qui entraîna l’occupation du plateau du Golan par Israël, vont pousser les écrivaines à s’engager dans la lutte contre l’occupation étrangère et à faire converger les intérêts communs des citoyennes et des citoyens. G. al-Samane s’implique personnellement dans cette guerre. H. Na’na’ centre son roman Al-watan fil ‘aynayn (« la patrie dans les yeux », 1979) sur Nadya, qui participe au combat armé de la résistance palestinienne. Malak Hajj Obeyd montre dans Al-khuruj min daïrat al-intizar (« sortir du cercle d’attente », 1983) comment l’héroïne Nadya considère le conjoint comme un partenaire et non comme un maître. Dans Dimashq ya basimat al-huzn (« Damas oh sourire de chagrin », 1980), I. Idelbi décrit les combats nationalistes auxquels a pris part sa famille contre le mandat français. M. al-Rahbi décrit dans Furat (« Euphrate », 1998) une paysanne mariée de force et qui refuse les traditions locales. Pour A. Abboud, Alya, dans Al-na’na’al-barri (« la menthe sauvage », 1997), devient la porte-parole de ceux qui refusent toute compromission. Nadiya Khost décrit dans A’ani fi bilad echcham (« cyclones au levant », 1999) trois femmes de caractère qui mènent librement leur vie. Enfin, dans Afrah saghira afrah akhira (« petites joies, joies finales », 1996), H. Bitar montre que les femmes peuvent obtenir leur indépendance, même si elles souffrent des conséquences d’une séparation.

Dans le domaine de la poésie, Maryana Marrache (1848-1914) tint, comme May Ziyada* en Égypte, un salon littéraire, à Alep, où hommes et femmes se retrouvaient à l’époque ottomane. Le titre de son recueil Bint fikr (« une fille de réflexion », 1893) montre sa volonté de donner une part active aux femmes dans la société civile. Mary Ajami (1888-1965) tient tête aux gouverneurs ottomans qui maintenaient une censure rigoureuse sur toutes les productions en Syrie. Dans la revue féminine qu’elle fonde en 1910, Al-Arous (« la fiancée »), elle proteste contre les arrestations arbitraires puis, en 1916, contre la pendaison des nationalistes syriens par Jamal Pacha. H. Nuwaylati utilise une écriture nationaliste, syrienne et arabe, dans ses recueils Zawabi’ al-ashwaq (« cyclones de passion », 1974) ou Washm ‘ala al-hawa (« tatouage de l’amour », 1974). Aicha Mohamed Habibeh publie Awatif douna nihaya (« des passions sans fin », 2005), où elle évoque le Golan occupé : « Vous êtes inséparable de moi/Je suis inséparable de vous/Nous sommes deux en un. »

Nemat ATASSI et Christian LOCHON

SYRKUS, Helena (née NIEMIROWSKA) [VARSOVIE 1900 - ID. 1982]

Architecte et théoricienne polonaise de l’architecture.

De 1918 à 1925, Helena Syrkus étudie simultanément à la faculté de philosophie de l’université de Varsovie et dans le département d’architecture de l’École polytechnique, où elle enseignera par la suite, de 1945 à sa mort. C’est à la suite de son mariage avec Szymon Syrkus (1893-1964), dont elle partageait les intérêts professionnels et les idées sociales progressistes, qu’elle commence à exercer la profession d’architecte. Tous deux membres du groupe d’artistes et d’architectes promoteur de la modernité Praesens, fondé en 1926, ils créent l’agence Helena & Szymon Syrkus (1929-1939), réalisant, entre autres, un intéressant Pavillon d’engrais chimiques pour l’Exposition de l’habitat (Poznań 1929) et la Coopérative du logement de Varsovie (Rakowiec 1930-1938). De 1928 à 1957, ils prennent une part active aux CIAM (Congrès internationaux d’architecture moderne) ; elle participe particulièrement au IVe (Athènes 1933). Cependant, leur carrière est interrompue par la déclaration de guerre. Alors que son mari est prisonnier dans un camp de concentration, H. Syrkus réalise, entre 1940 et 1944, des projets de petite envergure au sein de l’Atelier de design urbain et d’architecture (PAU). Après guerre, le couple conçoit, à Varsovie, plusieurs projets qui obéissent aux principes du modernisme : les lotissements Koło I (1947-1950) et Praga I (1944-1952), ainsi que la coopérative de logement WSM de quartier de Rakowiec (après 1947). De 1948 à 1957, elle est membre du comité exécutif de l’UIA (Union internationale des architectes). Mais, après 1947, l’obligation, contraire à leurs convictions modernistes, de se conformer au style du réalisme socialiste, même si leur position avant-gardiste avait été reconnue dans l’entre-deux-guerres, limite leur pratique architecturale. Dès lors, leur principale activité est l’enseignement, et ce n’est que bien plus tard qu’elle publiera des ouvrages sur leur travail commun : Ku idei osiedla społecznego (« vers l’idée du logement social », 1976), puis Społeczne cele urbanizacji (« les buts sociaux de l’urbanisation », 1984).

Edyta BARUCKA et Tadeusz BARUCKI

SZABÓ, Anna T. [KOLOZSVÁR, AUJ. CLUJ-NAPOCA, ROUMANIE 1972]

Poétesse, traductrice et essayiste hongroise.

Titulaire d’une maîtrise d’anglais et de hongrois obtenue à l’université Loránd-Eötvös de Budapest (sa famille s’est établie en Hongrie en 1987), Anna T. Szabó soutient sa thèse sur la traduction hongroise des sonnets de Shakespeare par Lőrinc Szabó. Entre 2000 et 2004, elle rédige des anthologies et enseigne la traduction littéraire sous l’égide de la Fondation du livre hongrois et du British Council, grâce auquel elle donne des conférences et participe à des ateliers de traduction en Grande-Bretagne. Elle a traduit en hongrois des œuvres de W. B. Yeats, James Joyce, Sylvia Plath*, John Updike et Stuart Parker, tandis que ses propres poésies l’ont été en de nombreuses langues. Son premier volume paraît en 1995. Suivent Nehézkedés (« gravitation », 1998) ; Rögzített mozgás (« mouvement décomposé », 2004). Elle réinterprète de façon critique et poétique la conception cartésienne de la subjectivité et de la phénoménologie moderne à travers la représentation des expériences spécifiquement féminines. À l’encontre de la thèse cartésienne, elle pense saisir l’essence de l’existence humaine dans la sensation (Fény, « lumière », 2000). Elle s’emploie à exposer, par ses thèmes et ses images, la difficulté et la possibilité de fixer par le langage les sensations et les impressions. Elle tente de forcer les limites de l’expression poétique de la corporéité et de l’existence corporelle par un emploi novateur des formes métriques classiques. Sa poésie est dominée par des métaphores visuelles. Son recueil Elhagy (« abandon », 2006) traite avec sincérité de la maternité, de la grossesse et de la condition d’épouse, mettant en lumière les dilemmes concernant les rôles féminins et les attentes sociales d’une femme créatrice désireuse de solitude et de calme. Cependant, elle explore aussi, sur des bases métaphysiques et dans une optique maternelle, la relation conjugale, le lien mère/fœtus, mère/enfant, l’intimité corporelle et la séparation.

Andrea P. BALOGH

SZABÓ, Magda [DEBRECEN 1917 - KEREPES, PEST 2007]

Écrivaine hongroise.

Issue d’une famille cultivée de la grande bourgeoisie, Magda Szabó est l’auteure hongroise la plus connue du XXe siècle. Sa carrière débute après la Seconde Guerre mondiale : collaboratrice de la revue Újhold (« nouvelle lune »), elle commence par écrire des poèmes livrant une réflexion intellectuelle sur les événements tragiques de la guerre. Ses recueils Bàràny (« agneau », 1947) et Vissza az emberig (« retour à l’homme », 1949) se font remarquer par leur rigueur formelle. Elle cesse toutefois d’écrire après 1948, pour des raisons politiques, et vit de travaux de traduction et d’enseignement. Elle réapparaît sur la scène littéraire à la fin des années 1950 et connaît un véritable succès grâce à ses romans, Fresque (1958), Le Faon (1959) et La Ballade d’Iza (Pilátus, 1963), qui portent déjà tous ses thèmes de prédilection, notamment l’infinie solitude des êtres. Sa notoriété ne cesse de croître : à La Porte (1987, prix Femina étranger 2003), bouleversant récit d’inspiration autobiographique, succède le magistral L’Instant. La Créüside (A Pillanat. Creusais, 1990), « réécriture » de l’Énéide dont le projet a été mûri pendant des décennies. En 2002 paraît le premier volume de son autobiographie Für Elise ; le second restera inachevé. M. Szabó a écrit plusieurs romans pour la jeunesse, dont Dites à Sophie (Mondják meg Zsófikának, 1958), et s’est essayée avec succès au théâtre (Béla király, « le roi Béla », 1984). Elle est également une essayiste et une traductrice remarquable. On loue avant tout chez l’écrivaine la finesse de ses analyses psychologiques et l’originalité de la technique narrative, mais la critique sociale, âpre, accusatrice, éveille également la sympathie des lecteurs. La « vogue Szabó » des années 1960-1970 doit sans doute à cette universalité de la peinture : ainsi, la « problématique magyare », inlassablement exposée, prend une valeur générale, capable de fasciner n’importe quel lecteur. Ses romans ayant paru en 42 langues, M. Szabó est un des auteurs hongrois les plus traduits dans le monde. En France notamment, les traductions sont nombreuses, depuis Le Faon (1962) jusqu’au Vieux Puits (1970) – recueil de souvenirs d’enfance que l’on peut lire comme l’autoportrait d’une artiste en devenir –, en passant par Rue Katalin (Katalin utca, 1974). Première lauréate du prix Cévennes du roman européen en 2007, M. Szabó a aussi été consacrée en Hongrie par tous les grands prix littéraires.

Gabriella TEGYEY

Fresque (Freskó, 1958), Paris, Seuil, 1963 ; La Porte (Az Ajtó, 1987), Paris, V. Hamy, 2004 ; Le Faon (Az Őz, 1959), Paris, V. Hamy, 2007 ; Le Vieux Puits (Ókut, 1970), Paris, V. Hamy, 2008.

KÓNYA J., Szabó Magda alkotásai és vallomásai tükrében, Budapest, Szépirodalmi, 1977.

SZAPOCZNIKOW, Alina [KALISZ, POLOGNE 1926 - PASSY, HAUTE-SAVOIE 1973]

Sculptrice polonaise.

Parmi les artistes polonais les plus importants de sa génération, Alina Szapocznikow incarne une sculpture nouvelle, à la fois héritière des surréalistes et relais des innovations du courant pop. Rescapée des camps de concentration – après plusieurs mois passés dans les ghettos de Pabianice et de Łódź en Pologne, où elle survit en exerçant le métier d’infirmière –, puis souffrant de plusieurs maladies, elle produit une œuvre marquée par la douleur physique. À la Libération, elle étudie à l’Académie d’art et d’industrie de Prague, puis aux Beaux-Arts de Paris (1948-1950). De retour en Pologne en 1951 pour se faire soigner de la tuberculose, elle répond à des commandes publiques – monuments à Chopin (avec Oskar Hansen), à l’amitié polono-soviétique, aux héros de Varsovie, aux victimes d’Auschwitz. Elle participe activement à la vie artistique contemporaine, aux côtés de son mari Ryszard Stanisławski, critique d’art et directeur du célèbre musée d’Art moderne de Łódź. Choisie pour représenter le pavillon polonais à la Biennale de Venise en 1962, elle rejoint la France définitivement l’année suivante, se rapprochant du groupe du nouveau réalisme (Arman, César, Niki de Saint Phalle*). Elle partage alors sa vie avec le célèbre graphiste Roman Cieślewicz – dont elle a un fils, Piotr. Avec de nouveaux matériaux, elle s’attelle à une sorte de vivisection intime du corps en le fragmentant et en multipliant les parties : Ventres-coussins (1968) ; Tumeurs (1968) ; Fétiches (1970) ; Portrait multiple (1965). Ces œuvres, qui correspondent à des moulages pris sur des corps − principalement le sien −, sont ensuite souvent tirées en vinyle, en polyuréthanne ou en bronze. Par cette réification du corps, littéralement en morceaux, elle illustre notre propre finitude, considérant que celui-ci est notre principale source de joie, de souffrance, et lui reconnaissant cette simplicité ontologique. Atteinte d’un cancer du sein à partir de 1968, elle va plus loin dans l’expression de son drame personnel avec L’Enterrement d’Alina (1970), où sont mêlés à la sculpture différents souvenirs personnels (photos, sous-vêtements, gaze). La dernière étape de son travail est franchie avec Herbarium (1971-1973), dans lequel sont intégrés des débris du moulage du corps de son jeune fils, dont les reliefs sont fixés pour toujours. Sur fond d’éclosion de pensée féministe et aux côtés d’autres artistes comme Louise Bourgeois* ou Eva Hesse*, A. Szapocznikow a largement contribué à ouvrir la voie aux représentants du body art.

Scarlett RELIQUET

Poland, 1998-1999, Varsovie/Cracovie/Łódź/Wroclaw, Galeria Sztuki Współczesnej Zachęta/Muzeum narodowe w Krakowie/Muzeum Sztuki/Muzeum Narodowe we Wrocławiu, 1998-1999 ; Alina Szapocznikow, Pierre Restany, Paris, Musée d’Art moderne de la Ville de Paris/Éditions du dialogue, 1973 ; Alina Szapocznikow, Sculpture Undone, 1955-72 (catalogue d’exposition), Filipovic E., Mytkowska J., Bruxelles/Los Angeles/Columbus/New York, Wiels/Hammer Museum/Wexner Center for the Arts/MoMA, 2012.

SZE, Sarah [BOSTON 1969]

Artiste multimédia américaine.

Sarah Sze est l’une des jeunes artistes américaines les plus prometteuses. Au cours de ses études, elle s’est déjà imposée sur la scène internationale de façon marginale, rompant avec le conceptualisme et le minimalisme des années 1960-1980 pour développer, au moyen de grandes installations in situ faites d’objets de récupération, un genre plus sensible, à la fois expressif et poétique, empreint de réalisme et propice au rêve. Diplômée, entre autres, de l’université Yale en 1991, c’est à la suite d’un voyage en Inde qu’elle introduit des objets domestiques dans son œuvre. En 1996, elle présente, à l’occasion du Soho Annual, une installation constituée de plusieurs centaines de minuscules sculptures en papier toilette, qui annonce les principales préoccupations à venir de l’artiste, à savoir l’usage d’objets à la fois utilitaires, impersonnels, dénués de valeur esthétique et résultant de la production de masse. Conçue à la manière d’un inventaire rigoureusement disposé sur des étagères en métal et sur le sol, cette œuvre infranchissable, très étendue dans l’espace mais microscopique invite le spectateur à se déplacer, à se pencher. Très rapidement, son choix des matériaux s’élargit : bouchons de bouteilles, allumettes, boutons, mètre, câbles, fils de pêche, coupons de tissus, clips, lampes, plantes, tabouret, seau, torsades de métal coloré, tringles de bois, échelles. Les installations s’amplifient et quittent le sol pour descendre du plafond et traverser les parois (Seemless, Carnegie Museum of Art, Pittsburg, 1999), sortent de terre à la manière de petits chantiers archéologiques délimités par des barrières (Powers of Ten, Center for Curatorial Studies Museum, Bard, New York, 2001), reproduisent la circulation des flux migratoires et font fi des lois gravitationnelles (Corner Plot, Place Doris C. Freedman, New York, 2006), prennent la forme d’un nid s’apparentant à un observatoire (Portable Planetarium, Biennale de Lyon, 2009). En 1999, S. Sze participe à la Biennale de Venise. Elle est résidente à l’atelier Calder, à Saché en 2003. De nombreuses institutions lui consacrent des expositions personnelles. S. Sze excelle, par ailleurs, dans la pratique du dessin et de la gravure qu’elle enseignait, ainsi que la sculpture, à l’université Columbia en 2009.

Pauline GUÉLAUD

Sarah Sze (catalogue d’exposition), Paris, Arc, musée d’Art moderne de la Ville de Paris, 1997 ; Everything That Rises Must Converge (catalogue d’exposition), Sans J., Schefer J.-L. (textes), Paris, Fondation Cartier pour l’art contemporain, 1999 ; Sarah Sze, Danto A. C., Norden L. (textes), New York, Abrams, 2007.

SZENES, Hannah [BUDAPEST 1921 - ID. 1944]

Résistante et poétesse hongroise.

Née dans une famille juive assimilée, Hannah Szenes quitte son pays en 1939 et s’installe en Palestine où elle vit dans un kibboutz près de Césarée puis intègre la Haganah, groupe qui fonda les forces de défense d’Israël. En mars 1944, l’Agence juive lui confie la mission de prendre contact avec la communauté juive de Hongrie pour y organiser une filière d’évasion. Elle s’engage dans une formation de parachutistes et, d’Égypte, se fait lâcher au-dessus de la Yougoslavie où elle reste pendant trois mois avec les partisans. Elle entre en Hongrie en juillet mais est très vite prise, les armes à la main. Elle reste cinq mois en prison pendant lesquels elle écrit un Journal et des poèmes, avant d’être fusillée. Ses derniers vers disent : « Dans la nuit la plus noire, il y a toujours un moyen d’allumer un espoir. »

Fabienne PRÉVOT

La Guerre d’Hanna (Hanna’s War), Menahem Golan, 148 min., 1988.

SZEPES, Mária (née Magdolna SCHERBACH) [BUDAPEST 1908 - ID. 2007]

Écrivaine hongroise.

Née dans une famille de comédiens, Mária Szepes sera influencée toute sa vie par ce milieu : elle joue dans des films, écrit des scénarios. Après des études de commerce, elle s’intéresse à la littérature, à l’histoire de l’art et à la psychologie. À partir de 1935 elle est collaboratrice du Budapester Rundschau et dramaturge aux studios de cinéma familial. À partir de 1941, elle vit de sa plume. Parmi ses romans de science-fiction, A Vörös Oroszlán (« le lion rouge », 1946), qualifié de lecture subversive et interdit peu après sa parution, lui apporte un renom international. L’ouvrage, republié en 1989, n’est pas seulement une histoire ésotérique, mais un voyage historique à travers les siècles ; la psychologie des personnages y est exprimée avec une grande finesse. Elle a également signé avec succès de nombreux contes pour enfants, dont la série Pöttyös Panni (« Panni aux pois »). Sa prose autobiographique Emberek és jelmezek (« personnages et costumes », 1988) dépeint le monde des artistes, conte les tragédies du siècle et expose sa vision du monde.

Krisztina KÁDÁR

The Red Lion, Yelm (Whashington), Horus, 1989.

ALFÖLDY J., « A mindennapi élet mágiája », in Élet és Irodalom, no 36, 1990 ; LÁNG Z., « A halál a hazugság vetülete », in Népszabadság, 14/12/1993.

SZÉPFALVI, Ágnes [BUDAPEST 1965]

Peintre hongroise.

Ágnes Szépfalvi suit des études à l’Académie des beaux-arts de Budapest (1984-1990). Elle traite dans ses peintures narratives de la vie des femmes (une fiancée mélancolique devant des ruines, une diva, une histoire d’amour et de filles au jeu). Elle thématise la peinture comme sujet et les images médiatiques : les sources de ses compositions se trouvent dans des films, des photos publicitaires ou ses propres photos. Elle se concentre sur le contenu, qu’elle privilégie plus que le style. Elle puise son inspiration autant dans Manet que dans le postimpressionisme, le symbolisme et le surréalisme, tout en restant originale et en construisant un monde pictural unique. Ses story-boards, créés avec son ancien mari, Csaba Nemes, complètent ses sujets par l’univers de l’argent et du succès.

Erzsébet TATAI

BERECZ Á., Contemporary Hungarian Painters, Londres, Shashoua, 2001 ; TIMÁR K., A vágy festői tárgya/The Painterly Subject of Desire. On the Pictures of Ágnes Szépfalvi (catalogue d’exposition), Székesfehérvár, Szent István Király múzeum, 1998.

SZÉPPATAKI, Róza (née Róza SCHENBACH, dite MME DÉRY ou) [JÁSZBERÉNY, JÁSZ-NAGYKUN-SZOLNOK 1793 - MISKOLC 1872]

Comédienne et soprano hongroise.

Sous le nom de Mme Déry, elle a été une actrice mythique du théâtre hongrois à l’époque des troupes ambulantes qui parcouraient le pays au début du XIXe siècle. Envoyée à Pest par ses parents pour apprendre l’allemand, elle s’intéresse rapidement au théâtre. En 1810, elle rejoint la seconde troupe de langue hongroise où elle fait son apprentissage du métier et prend le nom d’artiste de Róza Széppataki. Après la dissolution de la compagnie, elle parcourt le pays, de 1815 à 1847, et joue entre autres à Miskolc et à Kolozsvár (auj. Cluj Napoca, Roumanie) où elle fait triompher l’art lyrique avec son interprétion de Donna Annadans Don Giovanni de Mozart. Elle séjourne plus plus longuement à Kassa (auj. Kośice, Slovaquie), entre 1828 et 1837. Partout où elle monte sur scène, elle est assurée du succès. Cependant quand elle rejoint la troupe du Théâtre national, en 1837, le public et la critique ne lui font pas un accueil enthousiaste, trouvant son jeu dépassé et trop affecté. Elle retourne en province, où elle doit là aussi constater la diminution progressive de sa popularité : elle est déjà trop âgée pour ses anciens rôles, et un changement de style se dessine dans le théâtre et l’opéra. En 1852, elle se retire définitivement de la scène. Elle reste néanmoins la première grande prima donna de cette période du théâtre itinérant, grâce à ses personnages d’ingénues et ses performances de soprano dans les opéras. Il faut aussi citer ses traductions de pièces allemandes et son journal, à la fois chef-d’œuvre de la prose biedermeier et document très important de l’histoire du théâtre hongrois.

Anna LAKOS

SZEWINSKA, Irena (née KIRSZENSTEIN) [LENINGRAD 1946]

Athlète polonaise.

Ceux qui étaient présents le 29 juillet 1976, sous la voûte du stade olympique de Montréal, auront vu en majesté Irina Szewinska à l’apogée de sa trajectoire – d’une rare longévité – au terme du 400 mètres : si l’épreuve avait semblé disputée durant ses trois-quarts, cette trentenaire, améliorant son propre record du monde en 49 s 28, effaçait littéralement la brillante Allemande de l’Est Christina Brehmer (18 ans), devancée de près d’un décamètre. Longiligne et puissante à la fois, sous son épaisse chevelure noire, elle paraissait plus grande que son 1,78 mètre (pour 62 kilos). Née en 1946 dans un camp de juifs déplacés, à Leningrad, d’une mère ukrainienne et d’un père polonais, elle a 14 ans quand les images de Wilma Rudolph* aux Jeux de Rome l’inspirent. Le temps d’une olympiade et elle entre par la grande porte, à Tokyo 1964, dans l’arène olympique. À 18 ans, elle accumule une double médaille d’argent, au saut en longueur et au 200 mètres – ne s’inclinant que d’un dixième de seconde derrière l’Américaine Edith McGuire –, et l’or du quatre fois 100 mètres, en assurant le deuxième tronçon d’un relais qui devance les États-Unis de 3 dixièmes. C’est le début d’un parcours qui lui vaudra sept médailles de 1964 à 1976 et cinq participations aux Jeux jusqu’à Moscou en 1980, sans oublier titres européens et records mondiaux.Mettant ses dons physiques au service d’une âme de compétitrice, elle utilise ses qualités de sprinteuse pour donner un nouveau tempo au tour de piste du 400 mètres. Dès 1965, elle a fait siens les records du monde du 100 mètres et du 200 mètres. L’année suivante, à Budapest, elle est championne d’Europe du 200 mètres et du saut en longueur. Mariée depuis quelques mois, aux Jeux olympiques de Mexico 1968, I. Szewinska est éliminée d’entrée à la longueur ; troisième du 100 mètres à 11 centièmes de W. Tyus, la voici au-dessus du lot sur 200 mètres, portant son propre record mondial à 22 s 58. Mais, lors du relais quatre fois 100 mètres, elle laisse tomber le témoin ; les Polonaises ne pourront donc défendre leur titre en finale, ce qui lui sera vivement reproché. Elle prend alors ses distances avec l’athlétisme et donne naissance à son premier enfant. Mais elle revient, se contentant d’honorables résultats européens, puis d’une médaille de bronze en 1972 à Munich, où la solide Allemande de l’Est Renate Stecher domine les épreuves de vitesse. Deux ans plus tard, à Rome, elle prend sur R. Stecher une double revanche, sur 100 et 200 mètres, abaissant une nouvelle fois sur cette dernière distance son record en 22 s 21. Sur la distance supérieure, 400 mètres, elle va maintenant donner sa pleine mesure. Le 22 juin 1974, au meeting de Varsovie, pour sa deuxième tentative seulement, elle devient la première femme sous les 50 secondes (49 s 9), ce que récompense par son Grand Prix l’Académie des sports de France. Jusqu’en 1978, elle s’adjugera 34 succès consécutifs, dont celui, mémorable entre tous, des Jeux de Montréal. Alors que ne cessent de monter à partir de 1977 l’épi et le compas portés sur le maillot de Marita Koch* (RDA), I. Szewinska ne s’incline pas. Ainsi, lors de la première Coupe du monde début septembre 1977 à Düsseldorf, elle remporte encore à 31 ans le 200 (22 s 72) et le 400 mètres (49 s 52) après avoir repoussé l’assaut de sa jeune rivale (49 s 76). En 1980, à 34 ans, elle est encore présente à Moscou et va accéder à la finale du 400 mètres quand une rupture du tendon d’Achille la stoppe irrémédiablement.Titulaire d’une maîtrise en économie, dotée d’une grande force de caractère allant de pair avec un sens diplomatique des relations, I. Szewinska a pris sa place dans les divers organismes et institutions du sport, sur le plan national – présidente de l’Association des femmes sportives, vice-présidente du Comité olympique polonais –, aussi bien qu’international – membre du Conseil exécutif de l’IAAF (Fédération internationale d’athlétisme), elle a été cooptée membre du Comité international olympique lors de la session de Nagano en 1998.

Jean DURRY

SZÍJ, Kamilla [BUDAPEST 1957]

Artiste graphique hongroise.

Après des études en Hongrie et en Allemagne, Kamilla Szíj travaille dans plusieurs pays dont les États-Unis. Ses œuvres s’intègrent dans la tendance postconceptuelle et postminimaliste hongroise qui a pris naissance et s’est développée dans les années 1990. Après avoir longtemps créé des séries de gravures, elle se tourne vers une méthode utilisant le graphisme à la craie comme un journal intime. Travaillant chaque jour sur une partie de l’œuvre, elle essaie d’en élargir l’espace, de saisir un détail en l’agrandissant, le saisissant toujours par un aspect nouveau. Ainsi, le dessin est pris comme objet de méditation. Il n’y a jamais de sens narratif, jamais de signification concrète, mais une surface proposée à la contemplation. L’artiste joue sur l’opposition entre méthode sérigraphique et transformation individuelle, tout en créant et agençant des séries dans une composition toujours unique lors d’une exposition. Ses œuvres s’apparentent souvent à un cheminement thérapeutique de connaissance de soi : elle s’intéresse essentiellement au processus de superposition et de structuration des différentes couches de l’œuvre. En jouant avec la perception, l’empathie et l’intuition de son public, elle sollicite nécessairement l’ensemble des sensations physiques.

Judit FALUDY

SZILÁGYI, Lenke [DEBRECEN 1959]

Photographe hongroise.

Après des études au Lycée des beaux-arts de Budapest, Lenke Szilágyi collabore à la revue Beszélő (« parloir ») et photographie des spectacles de théâtre, des tournages de films dirigés par de grands réalisateurs. Elle travaille tous les genres : portraits, nus, photos d’objets apparemment anodins, de ville et de nature. Ses photos documentaires innovent par la vision métaphysique qu’elles donnent de la culture alternative des années 1980. De même, ses portraits surprennent, avec leurs visages aux regards creux, tristes, mélancoliques. De ses voyages à travers le monde, elle rapporte toujours les mêmes sujets : des sans-abri, des malheureux, des logements vides, des animaux errants, tout un monde absurde et surréel. Ses photos sont pour la plupart en noir et blanc, sans titre. Souvent faiblement contrastées, montrant le négatif dans sa totalité (avec les perforations), elles ne présentent que des silhouettes. Ses paysages, intérieurs et extérieurs, à la lumière diffuse, reflètent l’immuabilité des choses malgré le temps qui passe. Ses œuvres se trouvent dans plusieurs collections privées et publiques (musée de la Photographie de Lausanne, New York Public Library) et ont été exposées de nombreuses fois, dont à la Rosa Esman Gallery de New York en 1987, au Barbican Centre de Londres en 1989 et au FUGA Budapest Center of Architecture en 2012 (Paysage créatifs). Plusieurs prix et titres lui ont été décernés, dont ceux d’Artiste honorable de la République hongroise (2008) et d’Artiste éminent de Hongrie (2012).

Csilla CSORBA

Szilágyi Lenke. Fotóbrancs (catalogue d’exposition), Budapest, Galéria Kiállítóháza, 1994 ; avec LACOMBE R., Budapest en mouvement, Paris, Autrement, 2004 ; Single Lens (catalogue d’exposition), Budapest, Vintage galéria, 2008.

SZUMIGALSKI, Anne (née HOWARD DAVIS) [LONDRES 1922 - SASKATOON 1999]

Poétesse et auteure dramatique canadienne.

Née en Angleterre, Anne Szumigalski s’installe au Canada en 1951. Elle entame une carrière littéraire dans les années 1960 et s’implique dans la communauté littéraire de Saskatchewan en créant le groupe des Poètes de Saskatoon. Elle participe, entre autres, à la fondation de la Corporation des Auteurs du Saskatchewan et du journal littéraire Grain (qui attribuera plus tard en son honneur l’Anne Szumigalski Editor’s Prize). Elle sera récompensée par de nombreux prix régionaux ou nationaux canadiens. Le spirituel, le mythique et le mystique, mais aussi l’imaginaire et parfois l’occulte nourrissent sa poésie. Son recueil Woman Reading in Bath (« une femme lisant dans son bain », 1974) lie étroitement cette inspiration aux paysages que l’auteure conçoit à la manière – onirique – d’un enfant. Dans le poème éponyme, elle fait évoluer une femme nageant dans la mer aux côtés de Dieu dans une relation mystique avec la nature. A Game of Angels (« jeu des anges », 1980) crée une passerelle entre le monde d’ici-bas et celui des muses. Son recueil Voice (1995), coécrit avec Marie Elyse St. George, lui vaut le prix du Gouverneur général. La capacité artistique de l’humanité la fascine, comme elle l’exprime dans la pièce Z : A Meditation on Oppression, Desire, and Freedom (1995), qui intègre poésie et danse pour une condamnation de l’Holocauste valant mise en garde pour le présent. Elle s’intéresse aux arts et à la danse, qu’elle pratique, et valorise féminité et féminisme dans ses interrogations sur le genre, hors de tout sentier battu. La prose poétique lui permet de transgresser les conventions afin de rendre davantage compte du rêve et de son monde intérieur. Parmi ses recueils, citons Dogstones : Selected and New Poems (1986), Rapture of the Deep (« extase des profondeurs », 1991), ou encore On Glassy Wings : Poems New and Selected (« sur des ailes vitreuses », 1997) qui introduit parfaitement son œuvre poétique.

Élodie VIGNON

Avec HEATH C., KERR D. (dir.), The Best of Grain : vol. I-VII, Regina, Saskatchewan Writers Guild, 1980 ; A Woman Clothed in Words, Abley M. (éd.), Regina, Coteau Books, 2012.

SZYMANOWSKA, Maria [VARSOVIE 1789 - SAINT-PÉTERSBOURG 1831]

Pianiste et compositrice polonaise.

En cette période de partages de la Pologne, les tiraillements géographiques et politiques incessants provoquent chez les intellectuels des pays d’Europe de l’Est un besoin avide de se retrouver et de solidifier ensemble la seule identité qui leur reste, l’identité culturelle. La vie de Maria Szymanowska, qui connaîtra les deux derniers partages, est éruptive, fulgurante, au regard de sa brièveté et de sa densité, puisque la compositrice n’a jamais cessé sa double activité de concertiste et de compositrice. Elle manifeste très tôt de grandes aptitudes et reçoit les conseils de plusieurs maîtres de son pays puis de Field, rencontré à Moscou, et de Cherubini à Paris. Mariée en 1810 et mère de trois enfants, elle se sépare dix ans plus tard de son époux pour mener librement une carrière de virtuose, commencée en 1815, lors de son premier concert à Vienne. En 1822, elle engage une série de concerts en Russie et, de 1823 à 1826, elle effectue des tournées dans toute l’Europe – Allemagne, France, Angleterre, Hollande et Belgique – et interprète principalement, outre ses propres œuvres, des compositions de Johann Nepomuk Hummel, John Field, August Alexander Klengel, Jan Ladislav Dussek, Ferdinand Ries et Henri Herz. À Moscou, où elle s’installe à la fin de sa vie, son salon devient un foyer culturel autant qu’un refuge pour les artistes émigrés. Elle compose des nocturnes, des romances, des danses de tradition populaire comme la mazurka, la polonaise, évoquant Chopin. En 1820 sont publiés ses 20 exercices et préludes, alors que Niccolo Paganini avait terminé la composition des 24 capricci trois ans auparavant – chaque exercice étant focalisé sur une difficulté technique, respectivement pour le piano et pour le violon. En tant que concertiste-compositrice, M. Szymanowska a su s’imposer, ou plus exactement faire impression auprès d’hommes de lettres à renommée internationale, comme Goethe, Pouchkine et le poète Adam Mickiewicz.

Aurore RIVALS

OZANNE P.-O., « Maria Szymanowska, pianiste et compositrice, un modèle pour le jeune Chopin », in Frédéric Chopin et les lettres, Varsovie, U. Warszawski, 1991.

SWARTZ A., « Maria Szymanowska : Contemporary accounts from Moscow and St. Petersburg », in New Journal for Music, vol. 1, no 1, 1990 ; ID., « Szymanowska : The virtuoso-composer in transition », in New Journal for Music, vol. 1, no 3, 1991.

SZYMBORSKA, Wisława [BNIN, PRÈS DE POZNAŃ 1923 - CRACOVIE 2012]

Poétesse polonaise.
Prix Nobel de littérature 1996.

Consacrée par le prix Nobel de littérature en 1996, Wisława Szymborska a été la plus célèbre des poétesses polonaises contemporaines. Elle appartient à cette génération sacrifiée dont la fin de l’adolescence s’est déroulée dans les ténèbres hitlériennes et les débuts de la vie adulte sous le régime totalitaire. Marquée par la tragédie de la Seconde Guerre mondiale – dont elle dit avoir gardé une double imprégnation, sensible et intellectuelle –, elle publie ses premiers poèmes, dès 1945, dans le journal de Cracovie, le Dziennik Polski (« le quotidien polonais »).

En 1931, elle quitte Bnin avec sa famille pour s’établir à Cracovie, ville à laquelle elle restera toujours fidèle. Elle y fait ses études de lettres et de sociologie puis travaille pour des journaux ou des revues littéraires et devient responsable de la rubrique « Poésie » de la revue hebdomadaire Życie Literackie (« la vie littéraire »). Modeste en volume, sa production poétique est d’une qualité exceptionnelle. De 1952 à 2009, elle publie quatorze recueils. Les deux premiers, Dlaczego żyjemy (« pourquoi nous vivons », 1952) et Pytania zadawane sobie (« questions à soi-même », 1954), reflètent encore la ligne officielle du Parti, dont elle se séparera progressivement pour rejoindre définitivement la dissidence à partir de 1966. Ses recueils successifs (Wołanie do Yeti, « l’appel au Yeti », 1957 ; Sól, « le sel », 1962 ; Sto pociech, « cent consolations », 1967 ; Wszelki wypadek, « le cas où », 1972 ; Wielka liczba, « grand nombre », 1976 ; Ludzie na moście, « gens sur un pont », 1988 ; Koniec i początek, « la fin et le commencement », 1993 ; O śmierci bez przesady, « de la mort sans exagérer », 1997), révèlent une démarche créatrice parfaitement indépendante et cependant toujours au cœur des préoccupations de ses contemporains, sans que cette fidélité à soi exclue le mouvement et l’évolution. Traduite en de nombreuses langues, sa poésie a facilement franchi les frontières de son pays grâce à sa limpidité et à l’universalité des problématiques qu’elle aborde. Par son goût du juste milieu, son horreur de l’excès et sa méfiance vis-à-vis des grandes ambitions artistiques, elle rompt avec les expériences de l’avant-garde, leur préférant les contradictions fécondes, conformes à son tempérament et à la complexité des enjeux de toute écriture. Elle fait siennes les exigences classiques de rationalité et de clarté, peut-être pour conjurer le « magma poétique » de la tradition romantique polonaise. Sa poésie dénonce sans équivoque la haine et la bêtise d’un monde composé d’horreurs et de souffrances, toujours sur un ton où s’entremêlent avec légèreté, humour et ironie. Écrivaine de premier plan, elle aborde une très vaste palette des thèmes, oscillant entre les événements insignifiants de la vie quotidienne et la poursuite d’une transcendance impossible à saisir. Poétesse de l’étonnement, elle ne prétend pas donner de leçons et préfère la forme interrogative aux affirmations. Elle se méfie des schémas simples et réducteurs et réaffirme le droit à la naïveté et au doute. Ses derniers recueils attestent de sa virtuosité : Widok z ziarnkiem piasku (« vue avec grain de sable », 1996), Chwila (« un instant », 2002), Rymy dla dużych dzieci (« rimes pour les grands enfants », 2003), Dwa punkty (« deux points », 2005).

Małgorzata SMORĄG-GOLDBERG

Dans le fleuve d’Héraclite, édition bilingue, Beuvry, Maison de la poésie Nord-Pas-de-Calais, 1996 (éd. bilingue) ; De la mort sans exagérer, Paris, Fayard, 1996 ; Je ne sais quelles gens, précédé du Discours prononcé devant l’Académie Nobel, Paris, Fayard, 1997.