BALLER, Inken (née KIER) [TONDERN, DANEMARK 1942]

Architecte allemande.

Après des études à l’Université technique (TU) de Berlin, Inken Baller suivit les cours de Bernhard Hermkes et obtint son diplôme d’ingénieure architecte en 1969. Le jardin d’enfants de Berlin-Moabit, où la répartition des espaces est tout à fait inédite, est l’une de ses premières réalisations. L’agence qu’elle créa avec son mari Hinrich Baller prit son essor dans les années 1970 avec une série d’immeubles d’habitation et de commerce dans plusieurs quartiers de Berlin. À leur actif, on compte également la transformation d’une centrale électrique, classée monument historique, en un immeuble avec des espaces ouverts modulables, à Berlin-Wedding (1978), la restauration et l’agrandissement de la double maison de Bruno Taut (1978-1980), ainsi que le spectaculaire mur coupe-feu sur la Fränkelufer à Berlin-Kreuzberg (1982-1984). Les commandes se multiplièrent, toujours plus exigeantes et complexes : un double centre sportif et un immeuble d’habitation dans le quartier classé de la Schloßstraße, à Berlin-Charlottenburg (1985-1986) ; l’Institut de philosophie de l’Université libre (FU) de Berlin, à Dahlem (1985-1986) ou le remaniement de deux places à Berlin-Kreuzberg (1981-1986). Malgré les influences de Bruno Taut, Hugo Häring ou Hans Scharoun, leur architecture reste indépendante des courants contemporains, offrant des édifices transparents aux lignes sinueuses, avec des espaces qui s’interpénètrent, souvent bâtis sur un socle où la circulation reste ouverte. Construction et espace sont considérés comme un tout. L’agence assurait la responsabilité de toutes les phases d’un projet, afin d’en maîtriser tous les détails. En 1989, séparé de son mari, I. Baller s’installa à Berlin-Kreuzberg et entreprit de nouveaux projets : logements, bâtiments industriels ou administratifs, transformation d’une ancienne usine pour la coopérative de femmes Weiberwirtschaft, à Berlin-Mitte. L’architecte travailla également avec plusieurs agences de renom, celles d’Hermann Hertzberger, de Peter Cook, de Zivi Hecker et d’Otto Steidle. Devenue enseignante en 1984, I. Baller s’intéressa aux questions posées par les interventions sur le bâti existant. Avec ses étudiants, elle a conçu des expositions sur Konrad Wachsmann (2002), Bernhard Hermkes (2003), des maisons de l’île Hiddensee (2004), ainsi que sur la Villa Oro construite à Naples en 1937 par Luigi Cosenza et Bernhard Rudofsky (2008). À partir de 2007, ses cours furent consacrés au patrimoine mondial et à la conservation, et elle prit part, de 2005 à 2008, à un projet de recherche sur la réhabilitation de villes islamiques historiques, mené avec les universités d’Alep en Syrie et de Yarmouk en Jordanie. I. Baller est membre de jurys de concours et fait partie de plusieurs comités de conception à Berlin, Cassel, Unterneustadt et Stralsund. Depuis 2000, elle est présidente de la Commission d’évaluation des centres villes historiques de la région de Brandebourg et, depuis 2003, membre du comité scientifique du Bauhaus Dessau.

Christiane BORGELT

Facetten eines Lebens, 1903-1995, Ausstellungskatalog zum 100. Geburtstag von Bernhard Hermkes (catalogue d’exposition), Schmidt-Krayer G., Cottbus, BTU, 2003 ; Villa Oro : Luigi Cosenza, Bernhard Rudowski, 1937, Neapel (catalogue d’exposition), Hendreich E., Schmidt-Krayer G. (dir.), Berlin/Bonn, Bad Münstereifel/Westkreuz, 2008.

BORGELT C., Weiberwirtschaft Berlin, Gründerinnenzentrum im ökologisch sanierten Gewerbehof, Berlin, Stadtwandel Verlag, 2010 ; STARK U., Architekten Hinrich und Inken Baller, Stuttgart, IRB Verlag, 1994.

BALLESTER, Margarita [BARCELONE 1942]

Poétesse espagnole d’expression catalane.

De ses parents, Margarita Ballester hérite la passion des livres et de la culture. Elle fait des études de philosophie à l’université de Barcelone, vit à Madrid et à Paris. Ses premiers textes paraissent dans la revue Reduccions ; en 1989, le recueil qui les rassemble sous le titre L’infant i la mort (« l’enfant et la mort ») obtient un prix. La critique la remarque et la considère comme une voix à distinguer parmi les poètes de sa génération. Quelques années s’écoulent avant la parution de L’escarabat daurat (« le scarabée d’or », 1993), puis de Els ulls (« les yeux », 1995), œuvre qui surprend par son intensité lyrique. Le succès ne l’empêche guère d’exercer une révision critique de ses poèmes, qui sont longuement perfectionnés avant d’être rendus publics. En 2004, elle publie Entre dues espases (« entre deux épées »), titre emprunté à un vers du poète majorquin Gumersind Gomila, à qui elle veut rendre hommage. Ce recueil commence par une réflexion sur la mort et les biens matériels et se clôt sur l’image d’une tombe qui renferme la vanité et la présomption des poètes. Prenant pour modèle Emily Dickinson*, elle estime que l’attitude poétique consiste à passer des années à écrire un livre, à accumuler une somme d’influences, parmi lesquelles, pour elle, comptent notamment celles de T. S. Eliot, de Puixkin ou d’Ausiàs March. Dans son œuvre, d’une grande capacité évocatrice, nombreuses sont les références musicales et picturales. Elle collabore ainsi avec la peintre américaine June Papineau (1958), qui s’est elle-même inspirée de ses poèmes dans ses créations. M. Ballester est aussi critique littéraire et participe activement à la vie culturelle de Maó (Minorque), où elle réside.

Concepció CANUT

ABELLÓ M. (dir.), Paisatge émergent, trenta poetes catalanes del segle XX, Barcelone, La Magrana, 1999.

ABRAMS S., « Escolto encara el teu pas », in Avui, 23 août 2004 ; CÒNSUL I., « Dos poetes d’expressió tardana » in Avui, 20 août 1989 ; JULIÀ L., « Tria personal », in Serra d’Or, 1er sept. 2005.

BALLESTRA, Silvia [PORTO SAN GIORGIO 1969]

Écrivaine italienne.

Après avoir quitté ses Marches natales pour Bologne, où elle obtient un diplôme en langues et littératures étrangères, Silvia Ballestra s’installe à Milan où elle collabore à des quotidiens et à des magazines. Ses débuts en littérature remontent à 1990, avec la parution d’une nouvelle dans l’anthologie d’écrivains Under 25, dirigée par Pier Vittorio Tondelli. Parmi ses publications suivantes, plusieurs sont traduites en français : le court roman de formation La Route de Berlin (1991) ; le recueil de nouvelles Les Ours (1994) et La Jeunesse de mademoiselle X. (1998). Ces textes représentent de manière ironique et désinvolte – dans une langue riche en néologismes et en expressions dialectales mélangeant les genres et les langages – tout un univers de jeunes qui s’opposent, avec des moyens inadéquats et voués à l’échec, aux règles sociales et culturelles qui leur sont imposées. L’adoption, de la part de certains personnages provinciaux, d’un code culturel qui n’a rien de commun avec la tradition italienne, comme le punk anglais des années 1970, est à l’origine de situations comiques. L’écrivaine met en scène une génération qui réfute comme elle peut un monde dans lequel elle ne se reconnaît pas. En 1999, La guerra degli Antò (« la guerre des Antoine », 1992) inspire un film à succès réalisé par Riccardo Milani. Dans ses nouvelles et romans suivants, l’écriture de S. Ballestra conserve des caractéristiques expérimentales au niveau de la structure et du langage – qui puise souvent dans la tradition dialectale –, mais elle devient plus méditative. Par ailleurs, ses thématiques sont de plus en plus en complexes : Nina (2001) raconte une naissance et le passage de la condition d’enfant à celle de parent ; Tutto su mia nonna (« tout sur ma grand-mère », 2005) est une étrange saga familiale au féminin ; La seconda Dora (« la seconde Dora », 2006, prix Rapallo), narre l’histoire complexe d’une femme contrainte d’abandonner la religion juive pour le christianisme. En 2007, S. Ballestra publie un pamphlet sur la condition féminine en Italie, Contro le donne nei secoli dei secoli (« contre les femmes à travers les siècles »).

Francesco GNERRE

La Route de Berlin (La via per Berlino, 1991), Paris, Seuil, 1993 ; Les Ours (Gli orsi, 1994), Paris, Seuil, 2002 ; La Jeunesse de mademoiselle X. (La giovinezza della signorina N.N., 1998), Paris, Seuil, 2002 ; Nina (Nina, 2001), Paris, Seuil, 2003.

BALLESTRAZZI, Mireille [ORANGE 1954]

Haut fonctionnaire de la police française.

En 1974, l’École nationale supérieure de la police ouvre aux femmes le concours de commissaire. Fille de militaire, diplômée en lettres classiques, Mireille Ballestrazzi saisit cette opportunité pour réaliser son désir d’exercer un métier de commandement au service du public. La plus jeune de sa promotion en 1976, elle sera une des premières femmes à occuper différents postes haut placés dans la hiérarchie de la police judiciaire et à diriger efficacement de prestigieux services : groupe de répression du banditisme à Bordeaux en 1978, office central de répression du vol des objets d’art, police judiciaire d’Ajaccio en 1993, puis affaires économiques et financières et criminalité en col blanc. Réputée pour sa ténacité, elle est en 2010 numéro deux de la Direction centrale de la police judiciaire (Martine Monteil en a été en 2004 la première directrice), tout en siégeant au comité exécutif d’Interpol (Organisation internationale de police criminelle). D’abord vice-présidente pour l’Europe de cette organisation de coopération policière la plus importante au monde, elle en est élue présidente en novembre 2012. Dans son discours inaugural, cette pionnière s’est dite fière pour les femmes. En décembre 2013, elle est nommée à la tête de la Direction centrale de la police judiciaire.

Jacqueline PICOT

Avec KATZ P., Madame le commissaire, Paris, Presses de la Cité, 1999.

BALLET, Élisabeth [CHERBOURG 1957]

Plasticienne française.

À la fin des années 1970, Élisabeth Ballet entre à l’École nationale supérieure des beaux-arts, et, grâce, dit-elle, au livre de Jack Kerouac qui dépasse de sa poche, elle est retenue par Isabelle Waldberg*, l’une des seules professeures d’une institution dont il s’agira de désapprendre l’enseignement. Pensionnaire à la villa Médicis, elle apprend à « conceptualiser ». Ses sculptures en plaques de carton défient la monumentalité des architectures de pierre. « La question n’est pas de pénétrer au sein de mes constructions, car dedans il n’y a rien », précise-t-elle. L’artiste expose à la Biennale de Venise (1986) et opère un tournant en 1990 à la galerie des Archives (Paris) : l’exposition Face-à-main propose de ressentir physiquement l’œuvre, comme un obstacle, de façon frontale, ou comme une « ceinture », en la reliant méthodiquement, des murs vers le centre de la salle (Deux bords, 1993). Ses travaux se fondent ainsi sur l’inaccessibilité, enfermant parfois une portion du sol (Sugar Hiccup, 1996), tandis que d’autres font du déplacement la modalité de leur fonctionnement, tels les corridors de Zip (1997) ou de Pièces détachées BCHN (1999) – passages tendus de plastique et recouverts de tapis rouge, où l’on perçoit des « échantillons» de musique électronique – ou bien encore le parcours en boucle, intimé par Leica 2004, présenté au sein de l’exposition elles@centrepompidou (2009-2011). Dans ce monde impénétrable existent les images récoltées notamment à Berlin : les vidéos Vitrines, Paris-Berlin (1996-1998), Schlüterstrasse, Berlin matin et après-midi (2000) et Schlüterstrasse, neige (2002) confrontent à une frontière qui laisse passer le seul regard. La démarche de l’artiste, selon Michel Gauthier, dramatise la frontière, sans jamais la réitérer ou la représenter. Ainsi, à l’occasion de Contrepoint 3 au Louvre, offre-t-elle à contempler les dos d’un ensemble de statues du XVIIe siècle, silencieusement « enregistrées » par un perchman réalisé en résine (Bump Piece, 2007). Son exposition, Sept pièces faciles, au Grand Café de Saint-Nazaire (2007) revisite des premiers travaux, reprenant le dessin d’une barrière ou d’une hotte. Une grande échelle de métal relie deux étages pour les yeux uniquement ; une route déroule les plis nonchalants de sa bande souple de caoutchouc. Ces pièces évoquent à la fois l’univers du travail (manuel, industriel, intellectuel), mais également son revers : l’oisiveté, la rêverie, autant de métaphores de la pulsation de la création.

Élizabeth LEBOVICI

Vie privée (catalogue d’exposition), Gauthier M. (textes), Nîmes, Carré d’art-Musée d’Art contemporain, 2002.

BALLET ROMANTIQUE

Pour comprendre le rôle des femmes dans le ballet romantique, il suffit de s’attacher aux deux chefs-d’œuvres qui nous en restent, La Sylphide (1832) et Giselle (1841). Ces deux œuvres emblématiques, bien que créées à l’Opéra de Paris, ont vu leur succès s’étendre rapidement à toute l’Europe et même en Amérique, grâce aux voyages de Marie Taglioni* et Carlotta Grisi*, ainsi qu’aux ballerines qui reprennent ces rôles comme Lucile Grahn*, Fanny Elssler*, Augusta Maywood. La Sylphide illustre le thème de l’idéal qu’il est dangereux d’approcher parce qu’il rend la réalité intolérable, comme Gérard de Nerval le fera dans Sylvie, par exemple, tandis que Giselle, dont le livret est de Théophile Gautier, développe celui de la rédemption obtenue grâce au pardon et au sacrifice de la femme aimée et trahie. Dans les deux œuvres, un premier acte réaliste s’oppose au second acte, fantastique, majoritairement interprété par un corps de ballet féminin fantomatique, vêtu de robes de mousseline de soie blanche. Si la première partie du spectacle demeure dans le registre du drame bourgeois, traditionnel depuis l’Empire (Émilia Bigottini*), la seconde constitue un renouveau qu’apportent les progrès de la machinerie et l’évolution de la technique féminine, les pointes en particulier. Ainsi, C. Grisi dans Giselle incarne-t-elle d’abord une paysanne naïve, qui meurt d’amour après avoir perdu la raison, avant de réapparaître, sublimée, en âme dansante. Mais la force des ballerines parvient à dépasser les limites du livret, et à s’imposer comme sujet même du spectacle. En effet, le caractère éthéré de leur danse, ou, au contraire la sensualité qu’elles y développent, en particulier dans les œuvres d’inspiration exotique méditerranéenne (Le Diable amoureux, 1840) ou orientale (La Péri, 1845), réalisent en scène l’utopie romantique où l’âme et la chair ne seraient plus antinomiques. Leur silhouette lunaire et aérienne est définitivement celle de la « ballerine » qui fait aujourd’hui encore référence d’un point de vue sémiotique.

Avec la révolution industrielle, ces ballets disparaissent de l’affiche en Europe, à l’exception de la Russie où Félicité-Virginie Hullin-Sor à Moscou et surtout Marius Petipa à Saint-Pétersbourg en maintiennent la tradition. Les Ballets russes de Serge de Diaghilev font redécouvrir Giselle en Europe, grâce à Tamara Karsavina*, Anna Pavlova* et plus tard, Olga Spessivtseva*. Interpréter ce rôle devient alors pour la ballerine un signe d’excellence, à l’instar des danseuses Natalia Bessmertnova*, Lycette Darsonval*, Alessandra Ferri, Carla Fracci*, Dominique Khalfouni, Ouliana Lopatkina, Monique Loudières, Natalia Makarova*, Noëlla Pontois, Svetlana Zakharova. Certaines deviennent à leur tour de précieux maillons de la transmission orale, comme Alicia Alonso*, Yvette Chauviré*, Irina Kolpakova*, Alicia Markova*, Galina Oulanova*, Nina Vyroubova*.

L’histoire de la résurrection de La Sylphide est plus complexe. La brève version du danois Auguste Bournonville (1835) a perduré à Copenhague, grâce à une succession de grandes ballerines telles Margrethe Schanne ou Anna Laerkesen*. La version originale de Philippe Taglioni ayant disparu des scènes avec la dernière interprète, Emma Livry, morte en 1862, à 21 ans, des brûlures contractées lors d’un accident de répétition, et la reprise de Daniel V. Gsovski en 1946 avec N. Vyroubova n’ayant qu’une existence éphémère, ce n’est qu’en 1971, que Pierre Lacotte en donne une reconstitution pour la télévision française avec GhislaineThesmar dans le rôle titre. Engagée comme étoile à l’Opéra de Paris pour son interprétation, elle va remonter le ballet à travers le monde, offrant à ce rôle mythique du romantisme de nouvelles interprètes capables à leur tour de transmettre une tradition ressuscitée, dont Aurélie Dupont*, Elisabeth Maurin, et Élisabeth Platel*. Aujourd’hui, les ballets romantiques sont portés par des ballerines aux physiques les plus divers, comme la Noire Virginia Johnson au Harlem Ballet ou la Japonaise Yoko Morishita.

Sylvie JACQ-MIOCHE

BALOGH, Melanie [BUDAPEST 1837 - ID. 1861]

Poétesse et mécène hongroise.

BALŠIĆ, Jelena [V. 1370 - 1443]

Femme de lettres serbe.

Jelena Balšić était la troisième fille de la princesse Milica de Nemanja et du prince Lazar Hrebeljanović, tué à la bataille de Kosovo (1389). Après la mort de son mari Đurđe II Stratimirović Balšić, en 1403, et l’accession de leur fils mineur au trône de la principauté de Zeta, le futur Monténégro, elle prend une part active à la gouvernance du pays. Elle parvient à un accord avec la république de Venise en 1409, puis épouse un noble de la région de Bosnie, Sandalj Hranić. Elle passe les dernières années de sa vie, de 1435 à 1443, dans un petit monastère dédié à la Sainte Vierge qu’elle avait fait ériger sur l’île Gorica, dans le lac de Skadar. Des travaux littéraires de J. Balšić ne nous sont parvenues que les lettres écrites aux alentours de l’an 1440 à l’attention de son duhovnik, son « père spirituel », le moine Nikon Jerusalimac, supérieur du monastère des Saints-Archanges à Jérusalem. Dans le style byzantin des « questions et réponses », leur correspondance a été recopiée et intégrée par le moine dans un recueil, « petite encyclopédie contenant, outre les vies des saints, des écrits cosmographiques, géographiques et géométriques, des règles de vie monacale, des récits de voyages », achevé vers 1442 et intitulé Gorički zbornik (« le recueil de Gorica »). Les différences de style entre les lettres de J. Balšić et celles du moine laissent supposer une retranscription fidèle. Son discours appartient pleinement à l’ancien idiome littéraire serbe et s’attache à la tradition épistolaire, avec ses lieux communs rhétoriques. Des trois lettres présentes dans Gorički zbornik, une seule nous est parvenue dans sa version complète. Connue aujourd’hui sous le nom Otpisanje bogoljubno, que l’on pourrait traduire par « pieuse réponse », elle est un bel exemple de la littérature épistolaire du Moyen Âge, dans un style rhétorique exceptionnel, une grande finesse de langage et une diglossie due à la stylisation du texte par l’emploi de la langue grecque. Certains passages très personnels, aux qualités littéraires incontestables, évoquent l’éloignement, la lecture d’une lettre qui réchauffe et console le cœur et l’âme de celui qui la reçoit. L’auteure y réclame à son confesseur et confident des enseignements sur le sens de la charité chrétienne, de la vie monacale et de l’isolement méditatif.

Aleksandar JERKOV

BAMA, Faustina [PUDHUPATTI, INDE 1958]

Romancière et militante indienne.

Roshan GILL

BANCQUART, Marie-Claire [AUBIN 1932]

Poétesse et romancière française.

BANDA, Joyce [MALEMIA, DISTRICT DE ZOMBA 1950]

Femme politique malawite.

Première présidente du Malawi, Joyce Banda se dit privilégiée d’avoir pu accéder à l’instruction, le Malawi étant un des pays les plus pauvres du monde. Après dix ans de mariage avec un mari violent dont elle aura trois enfants, elle ose divorcer, grâce au soutien d’une association de femmes kenyanes. Son second mari, ancien président de la Cour suprême du Malawi et premier homme noir à exercer cette fonction, soutiendra tout ce qu’elle entreprend, dans une société restée patriarcale. D’abord secrétaire, elle crée plusieurs entreprises (dont la plus importante entreprise de confection du pays) ; les profits réalisés sont consacrés à l’Association nationale des femmes d’affaires du Malawi (NABW) qu’elle a cofondée en 1989. Les fonds des différents prix et distinctions qu’elle a reçus financent sa fondation dédiée aux orphelins et à la scolarisation des filles. Dans les années 1990, elle parcourt le pays pour mettre en œuvre un programme de lutte contre la pauvreté des femmes rurales. Elle est élue députée en 1994, entre au gouvernement en 2004 et fait immédiatement adopter une loi contre les violences conjugales. Plusieurs fois ministre, elle est la première femme à exercer la vice-présidence du Malawi en 2009. Elle milite aussi dans les instances internationales, par exemple le Global Leaders Council for Reproductive Health (Conseil mondial de la santé génésique), présidé par Mary Robinson*. Exclue en 2011 du parti au pouvoir pour avoir dénoncé les pratiques autoritaires et néfastes du président Mutharika, J. Banda fonde et dirige le Parti populaire en vue de l’élection présidentielle de 2014. Grâce à sa sagacité et à sa ténacité, elle déjoue les manœuvres qui visaient à l’évincer de la magistrature suprême après la mort subite de Mutharika, et devient la première présidente du Malawi en avril 2012. Une immense tâche attend cette femme indépendante et déterminée. J. Banda annule les mesures impopulaires de son prédécesseur, congédie les responsables qui ont manqué de loyauté, renoue le dialogue avec les institutions financières internationales. Elle engage une coopération avec Ellen Johnson Sirleaf*, présidente du Libéria, pour former et promouvoir les femmes rurales, avec une priorité : envoyer les filles à l’école.

Jacqueline PICOT

BANDARANAIKE, Sirimavo [BALANGODA 1916 - COLOMBO 2000]

Femme politique sri lankaise.

Née dans une famille aristocratique de Kandy, Sirimavo Bandaranaike fait, bien que bouddhiste, ses études dans un couvent catholique romain à Colombo. Elle épouse en 1940 Solomon Bandaranaike, fondateur du parti nationaliste Sri Lanka Freedom Party (SLFP), alors ministre dans le gouvernement de Ceylan et qui deviendra Premier ministre de Ceylan en 1956. Celui-ci est assassiné par un moine bouddhiste en 1959 et S. Bandaranaike est choisie pour lui succéder à la tête du SLFP. Ayant réussi à mobiliser une majorité parlementaire autour de son parti, elle remporte les élections en juillet 1960 et devient, à 44 ans, la première femme Premier ministre au monde. Partisane, dans la lignée de son époux, d’une économie dirigée et contrôlée par l’État, elle nationalise les compagnies pétrolières américaines et britanniques opérant à Ceylan, de même que les secteurs-clés de l’économie nationale comme les banques et les assurances ainsi que l’école. Pour vouloir faire du cinghalais la seule langue officielle du pays, elle affronte, un an après son élection, une campagne de désobéissance civile de la part de la minorité tamoul qui l’oblige à décréter l’état d’urgence. En matière de politique étrangère, elle poursuit une position de non-alignement aux blocs de l’Ouest et de l’Est, mais les mesures de rétorsion prises à son encontre par les États-Unis et la Grande-Bretagne la rapprochent de la Chine et de l’Union soviétique. Elle participe activement à la médiation sur le conflit frontalier entre l’Inde et la Chine au cours de l’année 1962. Elle négocie avec le Premier ministre indien et signe en 1964 le pacte Sirimavo-Shastri qui accorde aux travailleurs tamouls d’origine indienne des droits politiques. Cette même année, elle perd une première fois les élections au profit du parti libéral, et devient le chef de l’opposition. À la suite d’un accord avec les partis de la gauche marxiste, dont le parti communiste, elle revient au pouvoir en 1970 mais doit rapidement faire face à une insurrection menée par de jeunes marxistes du Front de libération du peuple (JVP) qui l’accusent de ne pas tenir ses promesses. Elle ne parvient à la contenir qu’avec un large appui international, des États-Unis à l’Inde en passant par l’URSS. En 1972, elle fait proclamer la République par le Parlement cinghalais et redonne à Ceylan le nom de Sri Lanka. L’économie du pays étant fragilisée par le retrait de l’aide des pays occidentaux, le gouvernement de S. Bandaranaike devient très impopulaire. Si elle conserve son crédit au niveau international et est désignée présidente du mouvement non aligné en 1976, elle perd largement les élections nationales une année plus tard. En 1980, accusée d’abus de pouvoir pour avoir reporté la date des élections de 1975 à 1977, elle est déchue de ses droits politiques pendant sept ans. Elle est cependant graciée par son successeur, le président Junius Jayewardene, en 1987, et fait un retour sans précédent en redevenant Premier ministre en 1994 avec l’aide de sa fille, Chandrika Kumaratunge, qui, après avoir été elle-même brièvement Premier ministre en 1994, devient présidente.

Fabienne PRÉVOT

MUKERJI K.P., Madame Prime Minister Sirimavo Bandaranaike, Colombo, M.D. Gunasena & Co, 1960 ; SENEVIRATNE M., Sirimavo Bandaranaike : The World’s First Woman Prime Minister, Colombo, Hansa Publishers/Laklooms, 1975.

BANDARTCHIK, Tatiana ANDREEVNA [1902-1974]

Actrice biélorusse.

Ayant débuté dans le théâtre amateur avant la révolution d’Octobre, Tatiana Andreevna Bandartchik fait partie de la promotion d’acteurs du studio biélorussien de Moscou (1921-1926) qui représente, au début des années 1920, la première expérience tentée pour fonder une troupe de théâtre biélorussianophone professionnelle. Le studio est alors dirigé par Valentin Smychliaev, essentiellement connu pour ses désaccords avec Constantin Stanislavski. Lorsqu’elle revient en Biélorussie après cinq ans de formation, T. Bandartchik participe activement à la fondation du second théâtre biélorussien d’État (BDT-2) de Vitebsk. Lorsque, à la fin des années 1920, la troupe est dispersée et certains de ses acteurs déportés pour leurs accointances avec ce que la propagande appelle la smychliaevshchyna, elle décide de protéger les archives des studios, tout en poursuivant sa carrière en province. Puis la Seconde Guerre mondiale éclate, et elle fuit à l’est avec une caisse de documents portant sur les scénographies du peintre Nikitine, l’organisation administrative du studio et les cours de V. Smychliaev. Au sortir de la guerre, elle cède ces derniers à la bibliothèque nationale de Biélorussie, mais ne pourra plus les consulter. Dans son autobiographie, elle explique le lien que les fondateurs marxistes-léninistes du théâtre biélorussien faisaient entre la pratique de l’acteur et l’ésotérisme, ainsi que la manière dont le collectif du studio fut violemment dissous, de retour au pays. Cette actrice qui a sacrifié sa carrière pour sauver l’une des parts les plus importantes de l’histoire du théâtre de son pays eut un destin à grande valeur symbolique.

Virginie SYMANIEC

BANDARTCHOUK, Tatsiana [MINSK 1951]

Artiste de cirque biélorusse.

Née dans une famille de fonctionnaires, rien ne prédestine Tatsiana Bandartchouk au cirque. Très sportive, elle intègre le Conservatoire supérieur de danse du Bélarus, mais une blessure à la jambe compromet sa carrière de danseuse professionnelle. Elle fait la connaissance de l’acrobate renommé Hennadiï Bandartchouk, l’épouse et apprend ainsi un nouveau métier. Le duo devient vite célèbre et reçoit plusieurs prix internationaux. T. Bandartchouk est la seule à conserver l’équilibre sur la pointe d’un pied en appui sur la paume de la main de son partenaire. À la chute de l’URSS, l’organisation fortement centralisée du cirque soviétique est démantelée. L’acrobate forme une troupe, qui se produit avec le spectacle Étoiles du Bélarus, et se voit confier en 1996 le poste de directrice du Cirque d’État, alors en déshérence, avec la responsabilité de le reconstruire. Dans ce cirque, qui compte un million de spectateurs chaque année, elle a créé plusieurs programmes à la jonction du cirque et du ballet, tel Casse-Noisette en 2009, et ainsi su renouveler le genre.

Jeanne VASSILIOUTCHEK

BANDEIRA DE MELO, Emília Moncorvo VOIR DOLORES, Carmen

BANDETTINI LANDUCCI, Teresa [LUCQUES 1763 - ID. 1837]

Poétesse italienne.

Orpheline de père, Teresa Bandettini Landucci fut poussée par sa mère à devenir danseuse, activité qu’elle exerça jusqu’à l’âge de 15 ans. Mais sa vraie passion était la poésie, à laquelle elle se consacra en autodidacte. Ses improvisations en vers suscitèrent l’admiration du public. Après son mariage avec Pietro Landucci, qui l’encouragea à suivre sa vocation, elle se consacra à la composition de vers qu’elle déclamait dans les meilleurs salons de nombreuses villes de l’Italie du Nord. À Modène, elle récita et improvisa devant Napoléon. Une de ses prestations à Rome la rendit célèbre, lorsqu’elle proposa huit fois de suite le même thème, sous huit formes métriques différentes. Elle fut admise à l’Académie d’Arcadie*, sous le nom pastoral Amarilli Etrusca. Vincenzo Monti lui dédia une ode saphique ; Giuseppe Parini et Vittorio Alfieri l’immortalisèrent aussi dans leurs vers. Melchiorre Cesarotti et Ippolito Pindemonte l’appréciaient beaucoup. Grâce à ses mécènes et à ses admirateurs, elle publia de nombreux recueils de vers, le poème en octosyllabes La morte di Adone (« la mort d’Adonis », 1790), la tragédie Polidoro (1794) et le poème épique en octosyllabes Teseida (« Théseide »). En 1815, elle traduisit en hendécasyllabes les Paralipomeni (« paralipomènes ») de Quintus de Smyrne.

Marta SAVINI

COSTA-ZALESSOW N., Scrittrici italiane dal XIII al XX secolo, testi e critica, Ravenne, Longo, 1982 ; ZANCAN M., Figure di donna in alcuni testi del XVI secolo, Venise, Marsilio, 1983.

BANDLER, Vivica [HELSINKI 1917 - ID. 2004]

Metteuse en scène et directrice de théâtre finlandaise.

De langue suédoise, médiatrice entre le théâtre finlandais et les théâtres nordiques et étrangers, figure influente du théâtre finlandais la plus connue à l’étranger, à l’origine diplômée d’agronomie, Vivica Bandler rêve d’une carrière cinématographique. Elle se propose d’assister Jacques Feyder et travaille à Paris avec Maurice Cloche. Elle est influencée par la capitale française et particulièrement par les expériences acquises dans les milieux artistiques noirs, d’où son humour et son sens de l’autodérision. Elle commence sa carrière de metteur en scène de théâtre en 1947, à Helsinki. Sous sa direction, la dramaturgie moderne et les œuvres de Jean-Paul Sartre, de Jean Genet, de Jean Anouilh et d’Eugène Ionesco se font connaître du public finlandais au début des années 1950, période où la Finlande est le pays du réalisme et du théâtre du peuple. Aussi V. Bandler relève le défi de présenter Les Sept Frères d’Aleksis Kivi à Paris avec une troupe de théâtre amateur. Directrice du Lilla Teatern à Helsinki (1955-1967), elle fait de ce lieu une scène expérimentale et avant-gardiste. Elle découvre avec sûreté les futurs talents théâtraux, qu’elle fait avancer grâce à ses relations. Par le biais de ses connaissances, des artistes étrangers viennent en Finlande, dont Dario Fo. Elle dirige le Nye Teatern à Oslo de 1967 à 1969 et le Théâtre municipal de Stockholm de 1969 à 1980. Son activité est essentielle pour la promotion du théâtre finlandais dans les pays nordiques et dans le monde. La légende veut que sa cuisine ait été un lieu de rencontres et un asile pour les artistes internationaux, notamment Edward Albee, Bertolt Brecht, Ariane Mnouchkine* et Dario Fo.

Hanna HELAVUORI

BANERJEE, Rina [CALCUTTA 1963]

Plasticienne indienne.

Rina Banerjee émigre très jeune avec sa famille à Londres, puis aux États-Unis, où elle obtient son diplôme en peinture et gravure à Yale en 1995. Marquée par cette oscillation entre deux cultures, son œuvre, à la lecture complexe, s’intéresse très tôt au thème de la migration au travers d’une réflexion sur la mémoire, l’expérience, la mobilité des communautés, le local et le global. Elle questionne globalement la notion d’identité et se penche aussi sur la féminité, la sororité. Membre de la diaspora, elle en évoque la nature délicate, dans une société qui se veut multiculturelle. Plus largement, elle aborde la problématique du rapport à l’autre – dans la progression du sida, par exemple – ou bien à l’étranger, qu’elle représente souvent sous forme d’insecte. Elle brouille les pistes lorsqu’il s’agit d’évoquer l’ethnicité ou exotisme supposé, comme en témoigne sa réflexion sur la symbolique des vêtements, à la fin des années 1990. Ses œuvres sont toujours très conceptuelles, qu’il s’agisse d’installations, comme sa série sur le Taj Mahal, Take Me, Take Me, Take Me… to the Palace of Love (« emmène-moi, emmène-moi, emmène-moi… au palais de l’amour, 2003), ou bien d’œuvres sur papier, parfois « faites main », telles que Seasoned by hurricanes, sweet water and salty air this unearthly place made into home for “she” who bit twice the fruit of its displeasure (« asséché par les ouragans, l’eau douce et l’air salé ce lieu surnaturel transformé en maison pour “elle” qui mordit deux fois le fruit de son mécontentement », 2007), où se mélangent encre, acrylique, aquarelle, voire perles de verre. Les titres, dont les fautes et les syntaxes longues lui permettent de jouer avec la langue et les sons, tout comme elle joue avec les postures, les couleurs, chaudes ou froides, les matériaux, organiques ou industriels, les effets de transparence et l’espace, en multipliant les motifs floraux et végétaux pour combler les vides. Entre le sol et le ciel se créent des juxtapositions, des liens, des tensions, sans qu’aucun élément soit privilégié par rapport aux autres. À partir de figures énigmatiques ou universelles, comme celles du serpent ou de l’araignée, R. Banerjee ouvre un vaste champ de possibles et libère les objets de tout déterminisme ; inspirant fascination ou répulsion, ils deviennent, comme par magie, ce qu’ils ne sont pas a priori, dans des œuvres à la fois noires et séduisantes.

Judith FERLICCHI

Exotic Industries (catalogue d’exposition), Gisbourne M., Martin C. J. (textes), Berlin, Galerie Volker Diehl, 2007 ; Antenna (catalogue d’exposition), New York, Bose Pacia Modern, 2000 ; Rina Banerjee (catalogue d’exposition), Paris, Musée Guimet/Dilecta, 2011.

BANGLADESH MAHILA PARISHAD (BMP) [Bangladesh XXe-XXIe siècle]

Pour le Conseil des femmes du Bangladesh (BMP), créé en 1970, un an avant l’indépendance du pays, par la poétesse Sufiyâ Kamal*, la libération des femmes passe autant par le développement économique que par l’adoption de lois égalitaires et par la prise de conscience par les femmes de leur propre valeur. L’une de ses premières actions a été la publication d’un livre dénonçant les tortures infligées aux femmes bangladaises par l’armée du Pakistan. Le BMP, qui compte aujourd’hui environ 75 000 membres répartis dans 60 districts, milite pour l’accès des femmes au pouvoir de décision, pour une laïcité exigeante, pour la démocratie et contre toutes les formes d’intégrisme. Juridiquement engagé aux côtés des femmes pauvres des zones rurales, il les aide à affirmer leurs droits, développe l’alphabétisation (dans un pays où plus de 80 % de la population est illettrée), organise la formation, mobilise l’opinion contre les violences (mariages précoces, dot, polygamie, prostitution, traite, attaques à l’acide, fatwas), ouvre en 1984 un centre d’accueil pour les victimes de violences (Rokeya Sadan), milite pour l’adoption d’un Code civil, pour l’amendement de la loi discriminatoire sur l’héritage, pour une représentation des femmes lors des scrutins parlementaires, pour la gratuité du lycée pour les filles. De nombreuses victoires sont à mettre à son actif : en 1980, le système de la dot est supprimé de la loi ; en 1997, un quota de 30 % de sièges pour les femmes est adopté dans toutes les instances gouvernementales ; les tribunaux bangladais rendent, ces dernières années, plusieurs jugements interdisant le port obligatoire de la burqa ; en juillet 2010, la Cour suprême ordonne aux autorités concernées de sanctionner les très nombreuses fatwas contre les femmes, quels qu’en soient les motifs. Mais la poussée fondamentaliste de ces vingt dernières années tente d’abolir ces droits récemment acquis et de faire interdire les ONG. Le BMP résiste et continue à mener de nouveaux combats.

Michèle IDELS

BANI-ETEMAD, Rakhshan [TÉHÉRAN 1954]

Scripte et réalisatrice iranienne.

Diplômée des Beaux-Arts et de l’Université de cinéma de Téhéran, Rakhshan Bani-Etemad devient scripte et assistante réalisatrice pour la télévision, avant de réaliser son film de cinéma Kharej az Mahdudeh (« hors limites », 1987). Signant plus d’une douzaine de longs-métrages, elle s’immisce dans différents genres, du drame social à la comédie, recueillant un large public. Elle n’abandonne pas pour autant un cinéma exigeant et reçoit pour Le Foulard bleu (Rusariye Abi, 1994) un Léopard de bronze au Festival de Locarno en 1995. Engagée dans la vie publique, elle dirige en 1988 le Syndicat des réalisateurs iraniens et reste très attentive à la vie politique de son pays, comme en témoignent ses documentaires Concentration (1988) et Our times (2001). Avec We Are Half of Iran’s Population (2009), elle montre combien le mouvement féministe est puissant et organisé en Iran malgré les tentatives pour maintenir les femmes hors de la vie politique.

Agnès DEVICTOR

BANIYAGHOOB, Jila [BANDAR AZALI, IRAN 1970]

Journaliste, rédactrice en chef et activiste iranienne.

À l’aube de la révolution islamique, alors que les Gardiens de la révolution assoient leur emprise sur l’Iran, Jila Baniyaghoob publie à 11 ans, dans un important quotidien iranien, Keyhan bacheba, une nouvelle qui raconte l’histoire d’un enfant vivant dans la misère. Depuis ce jour, les autorités iraniennes la surveillent. Encore étudiante, elle débute sa carrière au sein de la rédaction Hamshahri (« concitoyen »), et collabore par la suite avec de nombreux journaux en subissant des pressions de la part du gouvernement pour ses articles contre l’oppression sociale, en particulier celle de la femme. En 2001 et 2002, elle parcourt le Moyen-Orient et écrit sur les femmes réfugiées et plus largement sur la discrimination sociale. Elle fait également partie de la campagne One million of signatures (« un million de signatures ») initiée par le Prix Nobel de la paix Shirin Ebadi*, qui appelle à une révision des lois discriminatoires envers la femme. Sa rubrique dans le quotidien réformateur Sarmayeh (« le capital »), consacrée à la condition féminine dans le champ économique, est censurée en 2008. De même, le site Internet Kanoon Zânan Irani (« centre des femmes iraniennes »), dont elle est rédactrice en chef, se trouve en proie à de multiples censures. J. Baniyaghoob a été plusieurs fois arrêtée, emprisonnée et battue pour avoir couvert des manifestations féministes appelant à la fin de « l’apartheid sexuel » et réclamant que les lois sur la condition des femmes soient modifiées. En 2009, lors des protestations qui suivent les élections contestées de Mahmoud Ahmadinejad, elle est arrêtée avec son époux, le journaliste Bahman Ahmadi Amoyee, puis enfermée à la prison d’Evin, à Téhéran, où elle subit de mauvais traitements. Relâchée, contrairement à son mari, elle est condamnée l’année suivante par le gouvernement à trente ans d’interdiction d’écrire et un an de prison pour « propagande contre le régime islamique ». Elle a commencé sa peine en  septembre 2012. Son blog We are Journalists (« nous sommes journalistes »), qui relate ses voyages, par exemple à Kaboul, et la situation de son mari en prison, ne fonctionne plus. Elle a écrit Journalists in Iran et son livre Women of the Unit 209 of Evin (« femmes de l’unité 209 à Evin ») sera publié prochainement.

Audrey CANSOT

BAN JIEYU [SHANXI V. 48 aV. J.-C. - ID. 2 ap. J.-C.]

Poétesse chinoise.

Ban Jieyu naît sous la dynastie des Han de l’Ouest. Concubine de l’empereur Chengdi, elle brille par sa vertu et par le talent qu’elle déploie pour composer des fu (poèmes alternant prose rythmée et vers). Son surnom, Jieyu, est en effet le titre supérieur auquel peut prétendre une concubine lors de son entrée à la cour impériale. Faute d’archives, on ignore son vrai prénom. La poétesse a écrit de nombreuses pièces de fu, dont la plupart ont disparu. Seuls trois de ses poèmes nous sont parvenus, dont les dates ne sont pas mentionnées : « Zi shang fu » (« déploration de soi ») ; « Dao su fu » (« battage de la soie blanche ») et « Yuan ge xing » (« chanson mélancolique »). « Dao su fu » décrit une scène de vie des dames de la cour qui battent de la soie brute avant d’en faire des vêtements : cette image fait allusion au destin tragique de ces femmes recluses dans le gynécée jusqu’à la fin de leurs jours. Dans ce fu, Ban Jieyu emploie des figures de style telles que bi (« association ») et xing (« métaphore »), qui exerceront une grande influence sur nombre de poètes. Dans le poème « Yuan ge xing », elle utilise l’image de l’éventail rond pour symboliser les conditions pitoyables des femmes : indispensable l’été, il est gardé par l’homme à l’intérieur de sa manche ; en revanche, à l’arrivée de l’automne, il est banni et immédiatement oublié. Le mot « éventail » comme métaphore de la disgrâce sera affectionné par maints auteurs ultérieurs. Les fu de Ban Jieyu, caractérisés par un langage fleuri et une association mélodieuse des syllabes, se placent au rang supérieur de ce registre poétique sous la dynastie Tang ; ils constituent, en outre, une source intéressante pour découvrir le contexte social de l’époque.

WANG ZHUYA

BAN G., Hanshu, waiqi zhuan, Pékin, Zhonghua shuju, 1962 ; HUANG Y., Handai funü wenxue wu jia yanjiu, Kaifeng, Henan daxue chubanshe, 1993 ; LIU X., Wenxin diaolong, ming shipian, Pékin, Zhonghua shuju, 1996 ; ZHONG R., Shipin quanyi, Guizhou, Renmin chubanshe, 1991.

BANKHEAD, Tallulah [HUNTSVILLE, ALABAMA 1902 - NEW YORK 1968]

Actrice américaine.

Issue d’une famille de politiciens sudistes, Tallulah Bankhead remporte un concours de beauté à 15 ans, et part pour New York, où elle débute sur scène. En 1923, elle s’installe à Londres, y passe sept ans, adorée du public. Sa voix rauque, son rire ravageur, sa personnalité non conformiste font scandale : elle ne cache ni sa bisexualité ni son goût pour l’alcool et les drogues. De retour aux États-Unis, elle tourne avec George Cukor. À Broadway, elle triomphe dans Les Petits Renards de Lillian Hellman*, où elle incarne une matriarche sudiste. En 1944, Alfred Hitchcock lui fait jouer, dans Lifeboat, une journaliste sophistiquée qui doit survivre à bord d’un canot de sauvetage. Elle retrouve un rôle où son élégance fait merveille dans Scandale à la cour, d’Otto Preminger. Depuis sa disparition, elle n’est pas oubliée : une dizaine de spectacles l’ont mise en scène, sous forme de monologues humoristiques.

Bruno VILLIEN

My Autobiography, New York, Harper, 1952.

LOBENTHAL J., Tallulah : The Life and Times of a Leading Lady, New York, Harper, 2004 ; MCLELLAN D., The Girls : Sappho Goes to Hollywood, New York, LA Weekly Books, 2000.

BANKS, Isabella (ou MRS GLINNAEUS BANKS) [MANCHESTER 1821 - LONDRES 1897]

Écrivaine britannique.

Née dans une famille militante, d’un père pharmacien et conseiller municipal, elle s’intéresse très tôt à l’histoire de Manchester, dont le développement industriel et économique s’accompagne de nombreux problèmes sociaux. En 1837, la publication du poème « A Dying Girl to Her Mother » (« d’une fille mourante à sa mère ») dans le Manchester Guardian l’amène à faire paraître, sept ans plus tard, son premier volume de poèmes (Ivy Leaves, « les géraniums-lierres », 1844). En 1845, elle se marie avec le journaliste et éditeur George Banks et au lendemain de la mort d’un de ses huit enfants commence à écrire sous le nom de Mrs G. Linnaeus Banks. Ses romans, la plupart d’aventures et d’amour, sont surtout marqués par de vives préoccupations sociales, comme The Manchester Man qui lui a assuré succès et célébrité. D’abord publié en feuilleton dans Cassell’s Magazine, il sort en trois volumes en 1876. Le texte suit l’évolution d’un personnage, Jabez Clegg, tout au long de l’histoire de Manchester, depuis les guerres napoléoniennes jusqu’au premier Reform Act, parallèlement au formidable développement économique de la ville. Le livre, admiré par Anthony Trollope, connaîtra 25 éditions en cent vingt ans. Membre du Comité des femmes de la Ligue contre la loi sur le blé en 1842, il n’est pas surprenant qu’elle ait conduit d’ardentes campagnes pour l’affirmation des droits de la femme. Elle rejoint ainsi les premières réformatrices anglaises.

Michel REMY

BURNEY E. L., Mrs G. Linnaeus Banks, author of The Manchester Man, Manchester, E.J. Morten, 1991.

BANKS, Lynne REID [LONDRES 1929]

Écrivaine britannique.

Née à Londres d’une mère irlandaise actrice, évacuée au Canada au moment de la Seconde Guerre mondiale, Lynne Reid Banks revient en Angleterre où elle fréquente la Saint Teresa’s School dans le Surrey, s’inscrit à la Royal Academy of Dramatic Art, devient actrice de 1949 à 1954 et travaille comme journaliste-reporter indépendante à la télévision – la première femme à avoir occupé cette fonction. En 1962, fascinée par ce pays envers lequel, avoue-t-elle, elle ressentait une grande culpabilité du fait de sa propre absence pendant la guerre, elle émigre en Israël, où elle enseigne l’anglais dans un kibboutz et se marie avec le sculpteur Chaim Stephenson. Cette expérience transpire dans plusieurs de ses romans qu’elle classe en catégories : pour enfants et pour adolescents. Deux ouvrages documentaires, 13 pièces de théâtre écrites pour la scène, la radio et la télévision et une biographie des sœurs Brontë (Dark Quartet, « le sombre quatuor », 1976) sont également à son actif. Son œuvre la plus célèbre est L’Indien dans le placard qui, écrit en 1980 et adapté au cinéma, s’est vendu à 10 millions d’exemplaires. Son premier roman pour adultes, The L-Shaped Room (« la pièce en forme de L », 1960), campe une femme célibataire, thème qui rejoint ceux des autres romans du même genre, la parentalité, les relations entre jeunes et parents, les amours adolescentes et, plus engagés à gauche, la violence au Moyen-Orient et en Irlande du Nord. Autant de situations conflictuelles vues à travers le prisme d’un certain fantastique du quotidien mais où, en fin de compte, un choix s’impose, aux personnages comme aux lecteurs.

Michel REMY

L’Indien dans le placard (The Indian in the Cupboard, 1980), Paris, L’École des loisirs, 1989.

BANSAI VOIR NORDSTRÖM, Ester Blenda

BANTI, Anna (Lucia LOPRESTI LONGHI, dite) [FLORENCE 1895 - RONCHI DI MASSA 1985]

Romancière et essayiste italienne.

Auteure d’une œuvre multiple, dont les thèmes se conjuguent avec un style précieux et ironique, et une très haute idée morale de la littérature, en 1924, Anna Banti épouse son professeur, le futur critique d’art Roberto Longhi. Elle poursuit des études d’histoire de l’art à Rome, où elle suit les cours d’Adolfo Venturi. Avant de choisir son pseudonyme, Lucia Lopresti signe de son nom des critiques d’art qui paraissent dans la revue L’Arte entre 1919 et 1929. En 1938, elle s’installe avec R. Longhi à Florence, en plein ventennio fasciste. En 1950, ils fondent la revue Paragone. De 1952 à 1977, A. Banti tient une rubrique de critique cinématographique dans L’Approdo, mais c’est grâce à son talent d’écrivaine qu’elle conquiert l’« autonomie par le travail » revendiquée par ses héroïnes. Le récit Cortile (« la cour », 1934) et les « proses de mémoire » Itinerario di Paolina (« itinéraire de Paolina », 1937) marquent son entrée dans le monde des lettres. Le recueil de récits Il coraggio delle donne (« le courage des femmes », 1983) réunit le recueil éponyme, paru en 1940, et le recueil Le donne muoiono (« les femmes meurent », 1951). Entre 1937 et 1942, elle publie des romans qualifiés d’« autobiographie indirecte », comme Sette lune (« sept lunes », 1941). Pendant la guerre, elle travaille à la traduction d’auteurs anglais et français. Elle écrit aussi des articles de mœurs pour la presse féminine et élit l’histoire comme source d’inspiration de ses romans. Ainsi naît le roman Artemisia (1947), ou l’histoire de la vie d’Artemisia Gentileschi*, peintre du XVIIe siècle qui plaide en faveur du rachat par la création artistique. Le manuscrit de ce texte est détruit lors d’un bombardement en août 1944 ; A. Banti va donc le réécrire, compensant la perte initiale par la création d’une nouvelle œuvre qui, par son style tout en clair-obscur, par ses appels au « droit de travailler selon ses aptitudes » et à « la reconnaissance d’une parité intellectuelle entre les sexes », par sa poétique du retour à Manzoni et son idée de « mêler faits historiques et d’imagination », est considérée comme un véritable chef-d’œuvre s’inscrivant dans la lignée des historical fictions du XXe siècle et de l’écriture de genre. Dans les ouvrages parus à partir de 1951, on retrouve son regard de femme capable de tirer de l’oubli des vies réelles ou fictives : celles de son aïeul Domenico Lopresti dans Nous y avons cru (1967), de la princesse Marguerite-Louise d’Orléans dans Les Jardins de Boboli (1973 ou des personnages de ses derniers recueils de récits (Je vous écris d’un pays lointain, 1971 ; Da un paese vicino [d’un pays proche], 1975). Ce goût pour les grandes fresques de personnages du passé s’illustre avec la même force dans ses essais critiques (Opinioni, « opinions », 1961 ; Matilde Serao*, 1965) et dans ses biographies de peintres. En 1981 paraît son dernier roman Un grido lacerante (« un cri déchirant »).

Enza BIAGINI

Artemisia (Artemisia, 1947), Paris, POL, 1989 ; Les Mouches d’or (Le mosche d’oro, 1962), Paris, Plon, 1966 ; Je vous écris d’un pays lointain, Milan, Mondadori, 1967 ; Nous y avons cru (Noi credevamo, 1967), Paris, Aralia, 1997 ; Les Jardins de Boboli (La camicia bruciata, 1973), Paris, Balland, 1991.

BIAGINI E., Anna Banti, Milan, Mursia, 1978 ; SONTAG S. et al., Anna Banti, una regina dimenticata, Florence, Servizi editoriali, 2005, no spécial de Paragone-Letteratura, n57-58-59, fév.-juin 2005.

BANU, Kudsia [FEROZPUR, INDE 1928]

Femme de lettres et dramaturge pakistanaise.

Venue s’installer avec sa famille à Lahore, au moment de la partition de l’Inde et du Pakistan, Kudsia Banu a été l’une des figures de proue du monde théâtral. Elle a recueilli une immense popularité des deux côtés de la frontière grâce aux émissions diffusées en soirée, quand la circulation s’arrêtait et que le pays entier se ruait devant son petit écran pour regarder la suite de la pièce de théâtre. Elle s’est engagée dans la rédaction d’une œuvre prolifique composée de nouvelles, de romans et de pièces de théâtre destinés à la télévision. Adepte de l’allégorie, elle a exploité la métaphore du vautour dans son roman phare Raja Gidh (« le roi vautour », 1981), afin de dépeindre l’état de dégénérescence physique et mentale auquel mène la violation des codes de la société traditionnelle. Plus profondément, le texte laisse entendre que le goût de la transgression entraîne un délabrement physique qui se transmet à la génération suivante. Cependant, l’auteure se garde bien de basculer dans le manichéisme simpliste. Les personnages ne sont ni tout blancs, ni tout noirs. Elle aborde les interdits et les non-dits qui pèsent comme une chape de plomb sur une société d’apparence sereine. Il faut ajouter que le roman a été publié alors que le Pakistan se trouvait sous l’autorité du général Zia ul-Haq. Les récits de K. Banu promènent le lecteur dans les méandres de l’existence sans jamais l’ennuyer. Elle reste très critique vis-à-vis des mutations familiales liées à l’accès des femmes au monde du travail, qui selon elle a fait perdre à la femme sa vraie place dans la cellule familiale. « Conflit » est un terme qu’elle veut bannir du dictionnaire car elle attribue la guerre à l’intolérance et à l’égoïsme de l’homme. Elle figure parmi les auteurs de fiction les plus populaires de la littérature ourdou, mais elle a également produit des œuvres en pendjabi pour le théâtre et la télévision. Elle a été mariée au romancier Ashfaq Ahmed, décédé en avril 2004, et son œuvre a été récompensée par plusieurs prix prestigieux (Graduate Award for Best Playwright, 1986 ; Taj Award for Best Playwright, 1986 ; prix Sitara-e-Imtiaz, 2003 ; prix Hilal-e-Imtiaz, 2010).

Roshan GILL

Raja Gidh, Lahore, Iqbal Academy, 1981 ; Baz Ghast, Lahore, Iqbal Academy, 1985 ; Chahar chaman, Lahore, Sang-e-Meel Publications, 1999 ; Haasil Ghaat, Lahore, Sang-e-Meel Publications, 2005.

BANUŞ, Maria [BUCAREST 1914 - ID. 1999]

Écrivaine roumaine.

Après des études de droit et de lettres à l’Université de Bucarest, Maria Banuş publie son premier recueil de poèmes, Ţara fetelor (« le pays des jeunes filles », 1937), qui connaît un accueil enthousiaste de la part de la critique. Pendant la Seconde Guerre mondiale, son œuvre s’enrichit de nouvelles thématiques, les confrontations avec les drames de l’époque laissent des traces importantes, et son discours prend une tournure plus réfléchie et « classique », avec une ouverture vers le langage de la vie quotidienne (voir le cycle de poèmes Tărâm intermediar, « zone intermédiaire », 1946). Dans les années 1950, sa poésie traverse une crise grave, due au lourd tribut payé à la doctrine du réalisme socialiste imposée par le parti communiste, dont les normes rigides exigeaient une vision idyllique de l’actualité immédiate ou schématiquement pamphlétaire vis-à-vis du monde ancien, un discours transparent et impersonnel, imitant de près le slogan idéologique. L’effort difficile de récupération du lyrisme et de réhabilitation de la « forme » du poème n’aboutit qu’à partir des recueils Tocmai ieşeam din arenă (« je viens juste de sortir de l’arène », 1967) et Portretul din Fayum (« le portrait de Fayum », 1970). Le premier évoque à la fois la simple et mécanique « figuration » comme acteur et clown dans le « grand théâtre » de l’histoire et la redécouverte de l’individualité qui avait été exclue d’une manière programmatique par la « commande » extérieure. Entre les vérités de l’Idée et le concret existentiel vif et mobile, la poésie propose un discours plus interrogatif, aux accents souvent élégiaques, sur les contraintes des divers engagements, contrastant avec l’univers élémentaire exempt des tourments de la conscience humaine aliénée. Se délivrer du conventionnel et de l’abstraction reste le thème fondamental des recueils suivants : Oricine şi ceva (« n’importe qui et quelque chose », 1972) et Noiembrie inocentul (« novembre l’innocent », 1981). Ces poèmes développent aussi le thème du jeu (« je joue, mais avec gravité ») et du monde comme spectacle de foire, également pittoresque et vital, qui suggère par ailleurs la précarité de l’être. La poétesse associe, dans un langage familier, quotidien et direct, la vision ironique et burlesque et la tonalité élégiaque. Elle est aussi l’auteure de deux volumes de mémoires (Sub camuflaj. Jurnal 1943-1944, « sous camouflage. Journal 1943-1944 », 1978) et de nombreuses traductions de la littérature universelle. Elle a publié La Poésie d’amour du monde entier (1965) et a collaboré à des anthologies de poésie soviétique, bulgare, allemande, autrichienne, latino-américaine, française. Le prix international Herder lui a été attribué en 1989.

Ion POP

Joie (Bucurie, 1949), Paris, Seghers, 1966 ; Éclats des glaces foraines, Paris, Saint-Germain-des-Prés, 1979 ; La Poésie d’amour du monde entier (Din poezia de dragoste a lumii, 1965), Paris, Minerva, 1987 ; Horloge à Jacquemart, Paris, Saint-Germain-des-Prés/Unesco, 1987.

BAN ZHAO [XIANYANG V. 49 - ID. V. 120]

Poétesse et historienne chinoise.

Ban Zhao était issue d’une illustre famille de la dynastie des Han de l’Est : son père, Ban Biao, était un haut fonctionnaire et un historien de renom ; son frère aîné, Ban Gu, l’auteur principal du Hanshu (« les annales des Han »), un des ouvrages historiques les plus éminents en Chine rédigé entre 89 et 104 ; et Ban Chao, son second frère, un officier supérieur chargé de l’administration des régions de l’Ouest. À l’âge de 14 ans, épouse de Cao Shishu, elle fut aussi appelée Cao Dagu. Femme savante, elle était souvent convoquée à la cour pour instruire l’impératrice et les concubines. C’est cette fonction qui lui donna l’idée de rédiger Nü jie (« disciplines des femmes », 107), ouvrage en sept chapitres, dont les titres sont respectivement « Beiruo » (« infériorité des femmes »), « Fufu » (« vie conjugale »), « Jingshen » (« respect et discrétion »), « Fuxing » (« comportement des femmes »), « Zhuanxin » (« fidélité »), « Qucong » (« obéissance ») et « Shumei » (« harmonie avec les frères et sœurs du mari »). Selon l’auteure, la plus grande qualité féminine doit être l’obéissance, associée à la douceur, la vertu (de), la conversation appropriée (yan), l’apparence convenable (rong) et l’habileté en ouvrages de dames (gong). Une fois publié et diffusé, ce livre de règles à l’usage des femmes fut apprécié d’abord dans la capitale, puis dans tout le pays. En raison du décès de Ban Gu avant l’achèvement de son œuvre, Ban Zhao succéda à son frère. Autorisée par l’empereur Han Hedi à utiliser les archives conservées à la bibliothèque impériale de Dongguan, elle compléta les parties inachevées : Bai guan gong qing biao (« liste chronologique des mandarins et des vassaux ») et Tianwen zhi (« astronomie »). L’historienne fut aussi une poétesse talentueuse : 16 de ses poèmes ont été conservés, dont « Dongzheng fu » (« fu sur la conquête de l’Est », 95) : dans un style sensible et subtil, elle y relate son voyage à Chenliu avec son fils. Ce poème fut sélectionné par Xiao Tong, dauphin de la dynastie Ming, pour son florilège Wenxuan (« anthologie littéraire », 524-526), confirmation du mérite littéraire de Ban Zhao.

LUO TIAN

Avec BAN G., Hanshu, Pékin, Zhonghua shuju, 2007.

LUO Z., Les Formes et les méthodes historiques en Chine, une famille d’historiens et son œuvre, Paris, Librairie orientaliste, 1931 ; TAN Z., Zhongguo nüxing wenxue shihua, Tianjin, Baihua wenyi chubanshe, 1984.

BARAKA, Ekbal [LE CAIRE 1942]

Journaliste et romancière égyptienne.

Diplômée de lettres, Ekbal Baraka exerce d’abord comme institutrice en langue anglaise au Koweït, puis devient, en 1979, la première speakerine de la chaîne anglaise de radio. Également rédactrice dans plusieurs journaux, elle entame un dialogue avec les penseurs islamistes sur les droits de l’homme et la place de la femme dans l’islam. Connue pour ses affrontements courageux, elle dénonce la marginalisation des femmes et le carcan des traditions. Ses romans et ses contes, rédigés en une écriture simple et claire, ont donné lieu à plusieurs adaptations cinématographiques et à des feuilletons populaires. Membre du Syndicat des journalistes égyptiens et de l’Association des écrivaines égyptiennes, elle est également secrétaire générale de l’Association du cinéma égyptien et de l’association des Cœurs d’Égypte.

Nadia ANDRAOUS

BARAKAT, Hoda [BCHARRÉ 1952]

Journaliste et romancière libanaise.

Après des études de littérature française à l’Université libanaise de Beyrouth, Hoda Barakat s’installe à Paris en 1989, où elle travaille comme journaliste dans la presse et à la radio. Chrétienne mariée à un musulman pendant la guerre civile au Liban, elle reçoit le prix Al-Naqid pour son premier roman, La Pierre du rire. Pour retracer les années de guerre, elle choisit un anti-héros, premier protagoniste homosexuel de la littérature libanaise. Dans Le Laboureur des eaux, c’est à travers un homme souffrant de troubles mentaux qu’elle dépeint l’horreur de la guerre civile. Le roman recevra le prix Naguib-Mahfouz décerné par l’Université américaine du Caire. L’originalité de la romancière réside dans sa manière de présenter la transformation de personnages qui, à la suite d’éléments extérieurs traumatisants, s’attachent à un bien, maison ou commerce, comme dernier repère, puis finissent par sombrer dans la folie.

Nehmetallah ABI-RACHED

La Pierre du rire (Haǧar al-dahik, 1990), Arles, Actes Sud, 1996 ; Les Illuminés (Ahl al-hawa, 1993), Arles, Actes Sud, 1999 ; Le Laboureur des eaux (Hārith al-miyāh, 1998), Arles, Actes Sud, 2003 ; Mon maître, mon amour (Sayyidī wa-ḥabībī, 2004), Arles, Actes Sud, 2007.

BARAKAT, Ibtisam [BEIT HANINA 1964]

Écrivaine palestino-américaine.

Née près de Jérusalem, Ibtisam Barakat vit à Ramallah, en Cisjordanie, jusqu’à son départ pour New York en 1986. Elle enseigne l’éthique du langage au Stephens College et crée le séminaire Write Your Life. En 2004, elle passe une année en résidence d’auteur à Santa Fe au Nouveau-Mexique, où de jeunes Palestiniennes et Israéliennes sont amenées à coopérer. Représentante de la Palestine au Festival international de poésie au Venezuela en 2009, elle fait partie des 15 auteurs de l’anthologie Free ? d’Amnesty International, publiée à l’occasion du soixantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Dans son autobiographie, Une enfance palestinienne, elle privilégie l’expérience personnelle, en considérant comme déshumanisante et étouffante l’obsession du politique et de l’occupation exprimée par les Palestiniens des territoires occupés.

Jacqueline JONDOT

Une enfance palestinienne (Tasting the Sky : A Palestinian Childhood, 2007), Toulouse, Milan, 2009.

BARAKAT, Leila [KFARKATRA 1968]

Romancière libanaise.

Leila Barakat a soutenu à l’université Paris 3-Sorbonne Nouvelle une thèse de doctorat sur la politique culturelle francophone. Son œuvre romanesque est marquée par une continuelle quête identitaire entre l’Orient et l’Occident. Son premier roman, Sous les vignes du pays druze (1993), comporte une dimension sociologique importante sur les coutumes et les croyances religieuses des Druzes. Le deuxième, Le Chagrin de l’Arabie heureuse (1994), brosse le portrait d’Aïcha la Yéménite, à la personnalité multiple. Dans Pourquoi pleure l’Euphrate (1995), la romancière décrit Kyes, le narrateur, qui retourne en Irak pour apprivoiser la mort. Enfin, dans Les Hommes damnés de la Terre sainte (1997), elle raconte avec tristesse la tragédie humaine qui se joue en Terre sainte.

Carmen BOUSTANI

BARANDA, María [MEXICO 1962]

Poétesse mexicaine.

Les activités littéraires de María Baranda embrassent la poésie, mais aussi la traduction et l’édition. Reconnue pour ses livres pour enfants, qui ont été couronnés de plusieurs prix, elle a également publié 15 recueils de poésie. Une partie de son œuvre a été traduite, notamment en anglais et en français, comme Impossibles demeures et Raconter. Son premier recueil, El jardín de los encantamientos (« le jardin des enchantements »), paraît en 1989. Il est suivi, en 1995, du recueil Los memoriosos (« les mémorieux ») qui obtient le prix national de poésie Efraín-Huerta. Son œuvre s’est vu décerner le Prix ibéro-américain de poésie de la Ville de Madrid, en 1988, et le Prix national de poésie Aguascalientes au Mexique, en 2003, pour son recueil Dylan y las ballenas (« Dylan et les baleines », 2003). Sa poésie tend au poème long, parsemé de minutieuses descriptions dont le sens est parfois hermétique. Elle a récemment publié Ficticia (2006) et Arcadia (2009).

Elsa RODRÍGUEZ BRONDO

Impossibles demeures (Moradas imposibles, 1997), Trois-Rivières, Écrits des forges, 2000 ; Raconter (Ficticia), Bruxelles, La Lettre volée, 2003.

BARANDE, Ilse (née ROTHSCHILD) [MANNHEIM 1928 - CANET-EN-ROUSSILLON 2012]

Psychiatre et psychanalyste française.

Née en Allemagne, Ilse Barande arrive à Paris en 1935 pour rejoindre ses parents juifs qui ont fui le nazisme. Suite à la rafle du Vél’d’Hiv en 1942, elle perd sa mère, déportée sans retour. Sauvée par une « juste », elle passera toute sa vie à Paris. Elle étudie la médecine et la psychologie, et devient neuropsychiatre et chef de clinique. Elle entreprend dès 1953 une analyse, puis une formation à la Société psychanalytique de Paris. Élue membre titulaire en 1965, elle s’investit activement dans la vie intellectuelle de la Société et participe, dès 1967, au Comité de rédaction de la Revue française de psychanalyse qu’elle dirige de 1984 à 1988. En 1967, elle reçoit le prix Maurice-Bouvet. Son intérêt pour la clinique l’amène à la fin des années 1960 à travailler en libéral et comme pédopsychiatre à l’hôpital Sainte-Anne, à la Guidance infantile, sous la direction de Pierre Mâle. Elle dirige ce service de 1988 à 1993 et forme de nombreux thérapeutes d’enfants. Parfaitement bilingue, elle traduit notamment les œuvres complètes de Karl Abraham, des inédits de Sigmund Freud et de Sándor Ferenczi ainsi que des écrits psychanalytiques d’auteurs contemporains qu’elle s’attache à faire connaître en France. Entre 1983 et 1998, elle participe à la controverse autour de la nouvelle traduction des œuvres complètes de S. Freud dirigée par Jean Laplanche et s’insurge contre « Le dommage infligé au corps de la lettre freudienne » (Revue française de psychanalyse, vol. 62, 1998). En 1954, elle épouse Robert Barande avec qui elle a deux enfants. En duo, ils collaborent à l’ouvrage collectif La Sexualité perverse (1972), écrivent Histoire de la psychanalyse en France (1975) et De la perversion, Notre duplicité d’être inachevé (1987), résultat d’une longue réflexion à visée anthropologique. En solo, elle publie en 1972 Sandor Ferenzci, rendant hommage à l’originalité de cet analyste hongrois, disciple de Freud et peu connu à l’époque en France. En 1977, suit son Maternel singulier : Freud et Léonard de Vinci –  ouvrage réédité en 2011 sous le titre Le Maternel au masculin –, où elle s’emploie « à débusquer le Freud autobiographe dissimulé au cœur de son “roman psychanalytique” sur Léonard de Vinci », et découvre chemin faisant un maternel au masculin qui ne présume ni le genre féminin, ni la maternité charnelle. En 2009, elle publie l’ouvrage L’Appétit d’excitation, choix d’articles retraçant sa réflexion sur l’appétit d’excitation inhérent à l’inachèvement de l’homme et générateur d’une traumatophilie du fonctionnement psychique. Sa pensée psychanalytique, nourrie de nombreux domaines tels que la littérature, l’anthropologie, la sociologie, la psycho-histoire, la politique et l’art, est des plus fécondes.

Éric BARANDE et Vera RENZ

BARANSKAÏA, Natalia [SAINT-PÉTERSBOURG 1908 - MOSCOU 2004]

Nouvelliste et romancière russe.

Natalia Vladimirovna Baranskaïa a connu l’exil avec ses parents, la période révolutionnaire, la Seconde Guerre mondiale. Devenue veuve en 1943, elle élève seule ses deux enfants tout en travaillant comme conservatrice au musée de la Littérature puis au musée Pouchkine, à Moscou. C’est seulement à l’âge de la retraite, en 1966, qu’elle a fait son entrée en littérature, avec la publication dans Novyï Mir de trois nouvelles, Ou Nikitskikh na Pliouchtchike (« chez les Nikitski »), Provody (« le pot de départ »), et Une semaine comme une autre, qui la rend célèbre du jour au lendemain. Écrit sous la forme d’un journal, ce dernier texte compte sept entrées, une par jour : l’héroïne, Olga, relate son épuisante course hebdomadaire, partagée entre son travail, son mari, la gestion de la vie domestique, ses deux enfants, le ménage, la cuisine. Le style télégraphique de la narration mime le perpétuel manque de temps. Ce texte a dû son immense succès au fait qu’il constituait la première description réaliste de la condition féminine en URSS. Elle a publié plusieurs recueils de nouvelles et un roman intitulé Dien’pominoveniia (« le jour du souvenir ») consacré à la guerre à travers l’expérience de sept femmes. Une mystérieuse « femme en noir » symbolise le deuil partagé par les femmes russes. Elle est également l’auteur d’une autobiographie.

Marie DELACROIX

Une semaine comme une autre, et quelques récits (Nedelia kak nedelia, 1969), Paris, Des femmes, 1976.

BARAOU, Anne [BORDEAUX 1965]

Auteure de bandes dessinées française.

Discrète, Anne Baraou est sûrement l’une des scénaristes actuelles les plus passionnantes, douée également pour des dialogues sincères qui reflètent une réalité de terrain. Elle cofonde Hors Gabarit en 1990 : cette éphémère structure éditoriale crée entre autres des objets curieux qui préfigurent les travaux de l’Oubapo (Ouvroir de bande dessinée potentielle) auxquels elle participe plus tard. Employée plusieurs années chez L’Association, elle structure la partie administrative de l’éditeur tout en initiant des projets considérables, comme Comix 2000, une anthologie de quelque 2 000 pages, représentative de la bande dessinée indépendante mondiale. L’expérience lui permet aussi de croiser le chemin d’auteurs avec qui elle élabore ses propres histoires et, au tournant des années 2000, elle se consacre entièrement à l’écriture. Elle publie successivement Maman a des problèmes, avec David B. (1999), Judette Camion avec Jeanne Puchol* (1998), La BD des filles, avec Colonel Moutarde (2007) et surtout Une demi-douzaine d’elles, avec Fanny Dalle-Rive (2002). Ses ouvrages interrogent la place des femmes dans la société contemporaine, que ce soit sous forme de chroniques, de récits intimes ou d’aventures plus classiques. Sa dernière série entamée en 2010, Back in town, avec Nicolas Hubesch, narre par le détail le retour à la ville d’une famille citadine longtemps « expatriée » à la campagne.

Christian MARMONNIER

BARAQÂNI, Fatemeh VOIR TÂHEREH QORRAT OL-‘EYN

BARÁTHOVÁ, Nora [KEŽMAROK 1944]

Écrivaine slovaque.

Nora Baráthová étudie le slovaque et l’histoire à l’université de Prešov et travaille comme historienne au musée de Kežmarok. Ses récits, destinés aux jeunes lecteurs, ont pour cadre des lieux comme le lycée ou l’orphelinat et parlent de la vie sentimentale des jeunes : Snívať zakázané (« interdit de rêver », 1976), Najlepšia trieda (« la meilleure classe », 1983). Le principal sujet de ses autres livres est lié à l’histoire de sa région natale, de Spiš et des communautés juives et allemandes de ces régions, comme Nad Kežmarkom vietor veje (« le vent souffle au-dessus de Kežmarok », 1990), Hviezdy nad Tatrami (« les étoiles au-dessus des Tatras », 1995). Ses derniers livres sont Buď vôľa Tvoj… (« que ta volonté soit faite… », 2008), un ouvrage sur les personnalités de la ville de Kežmarok paru en 2009 et un petit livre pour enfants.

Diana LEMAY

MIKULA V. (dir.), Slovník slovenských spisovateľov, Bratislava, Kalligram & Ústav slovenskej literatúry SAV, 2005.

BARBAL, María [TREMP 1949]

Écrivaine espagnole d’expression catalane.

María Barbal explore dans ses textes les différences entre la vie urbaine, qu’elle a connue dès son adolescence, à Barcelone, et l’environnement rural dans lequel elle a grandi. En 1984, elle reçoit le prix Joaquim-Ruyra pour Pierre d’éboulis. Ce premier roman contient en germe l’essence de son écriture : une prose sobre et précise, où les adjectifs sont rares. Dans Mel i metzines (« miel et petites tomates », 1990), la tonalité légèrement sentimentale et la naïveté apparente n’éludent pas la présence quotidienne de la tragédie. Càmfora (« camphre », 1993), couronné de plusieurs prix, se déroule sur fond d’exode rural et d’illusions suscitées par la grande ville ; la romancière sonde les doutes de ses personnages comme pour trouver des réponses à ses propres questionnements. Après Carrer Bolívia (« rue Bolivie », 1999), roman urbain, elle revient aux terres de son enfance avec Camins de quietud (« chemins de quiétude », 2001), itinéraire personnel à travers les villages et les hameaux abandonnés des Pyrénées, Cicle de Pallars (« cycle du Pallars », 2002) et Bella edat (« bel âge », 2003), où trois personnages, dont les vies s’entrecroisent, se retrouvent au pays. País íntim (« pays intime », 2005), est une autre incursion dans les territoires régionaux, où la nostalgie pour l’univers perdu de l’enfance s’exprime notamment par l’emploi d’expresions dialectales. Emma paraît en 2008.

Francisco DOMÍNGUEZ

Pierre d’éboulis (Pedra de tartera, 1985), Barcelone, Tintablava, 2004.

NADAL M., « Maria Barbal, una novela entorn del dessarelament », in Serra d’Or, no 407, nov. 1993.

BARBARA (Monique SERF, dite) [PARIS 1930 - NEUILLY-SUR-SEINE 1997]

Compositrice-interprète française.

Décidée dès l’enfance à être « pianiste chantante », Monique Serf connaît une adolescence marquée par la guerre (son origine juive l’oblige à se cacher) et par la relation incestueuse que lui impose son père durant quatre ans. Délaissant l’art lyrique au profit du music-hall, elle débute à Bruxelles dans des cabarets où elle chante Fragson, Brel et Brassens et choisit, en 1950, son nom de scène. Chanteuse de minuit (1958) à L’Écluse, elle écrit ses premières chansons dans les années 1960, qui sont celles des premiers enregistrements et des concerts (Bobino, 1964 ; l’Olympia, 1968). Les années suivantes (l’Olympia, 1978 ; Pantin, 1981 ; théâtre du Châtelet, 1987) consacreront l’image de la « longue dame brune », dont le répertoire s’inscrit dans le registre de la chanson poétique. Elle fait des apparitions au théâtre (Madame, 1970 ; Lily Passion, 1986) et au cinéma (Frantz, 1972 ; L’Oiseau rare, 1973) et s’engage discrètement aux côtés des malades du sida. Des difficultés respiratoires, qui menacent sa voix, l’obligent à quitter la scène en 1994. Elle écrit, sans les achever, des Mémoires interrompus (1998). L’œuvre poétique de Barbara s’affirme comme une voix singulière : les motifs lyriques, l’amour et la mort (À mourir pour mourir ; Le Mal de vivre ; Dis, quand reviendras-tu ?) sont ressaisis dans une géographie intimiste qui accorde une place privilégiée au corps féminin. L’amour se vit « au creux des reins », de même que la mort et la solitude investissent le corps de la femme jusqu’à en devenir la voix. Les motifs récurrents des chansons dessinent un univers mélancolique, dont Le Soleil noir (1968) nervalien est l’emblème : univers sensuel, en demi-teinte, où s’entend la « chanson grise » de Verlaine, à qui elle doit sans doute, malgré une prédilection pour l’octosyllabe et l’alexandrin, ces scansions plus boiteuses où triomphent l’impair et les variations tonales. Le choix d’une structure volontiers narrative (Drouot ; Vienne), le recours au dialogue intimiste (La Solitude ; Ma plus belle histoire d’amour ; Marienbad), à la confidence adressée (Nantes ; L’Aigle noir ; Göttingen ; Mon enfance) invitent au témoignage, parfois autobiographique. La recherche musicale est redoublée par le travail sur la langue orale qui se mêle volontiers à la langue littéraire et par le jeu d’échos et de refrains. Soupir musicalisé, la chanson se veut ici davantage murmure que déclaration, à l’image de « cette petite cantate, fa sol do fa [… ]».

Bernard ALAZET

BARBAULD, Anna Laetitia (née AIKIN) [KIBWORTH-HARCOURT 1743 - STOKE NEWINGTON 1825]

Écrivaine et poétesse britannique.

Influencée par son milieu protestant, Anna Laetitia Barbauld apprend très tôt le latin, le grec, le français et l’italien, compose des poèmes religieux et rédige pour les enfants des « leçons, contes et historiettes » – la plupart traduits en français. Elle se marie à un pasteur issu d’une famille de huguenots français réfugiés en Angleterre et enseigne histoire, rhétorique, géographie et sciences. En 1773, elle publie un premier livre de poésie, réédité plusieurs fois. En 1785, elle fait le tour de la France. En 1808, son mari se noie ; elle se lance alors dans une série d’activités proprement phénoménale, toutes marquées par une abnégation et un militantisme intransigeants, et rédige des pamphlets dans les domaines politique, social, littéraire ou philosophique. Elle édite la correspondance de Samuel Richardson, puis 50 volumes anthologiques consacrés aux romanciers anglais du XVIIIe siècle, qui constituent le canon tel que nous le connaissons aujourd’hui et où elle souligne et défend la dimension à la fois épique et morale du roman anglais à ses débuts. Ses propres romans vantent la dimension symbolique et éthique de la société contemporaine et encouragent la diffusion des connaissances scientifiques. En politique, elle s’élève pour défendre les droits des Non-conformistes, pour demander l’abolition de l’esclavage et l’arrêt de la colonisation, pour refuser la guerre et pour avertir l’Angleterre de son déclin (« Eighteen Hundred and Eleven », « 1811 », splendide poème, si véhément que les critiques qu’elle reçoit l’amènent à arrêter définitivement d’écrire). Elle vitupère le discours philosophique masculin, attaque Burke sur sa conception du sublime et du beau et Adam Smith sur ses théories économiques. Sans cesse, elle proteste contre les atteintes à la justice, à la paix, à la religion et aux libertés civiles tout en insistant sur la responsabilité de chaque citoyen dans les actions qu’entreprend la nation tout entière. Femme éminemment publique, viscéralement soucieuse d’éduquer son prochain, elle n’évite pas à certains moments le ton pédant et supérieur qui a été l’objet de critiques virulentes, image que les années 1980 ont gommée au profit de son engagement et de son féminisme. Elle est surtout la voix emblématique d’un siècle victorien confiant dans son progrès et ses forces progressistes.

Michel REMY

Hymnes en prose pour les enfants (Hymns in Prose for Children, 1781), Londres, Harvey & Darton, 1826 ; Vie de Samuel Richardson, avec l’examen critique de ses ouvrages, et des événemens [sic] qui ont influé sur son génie (The Life of Richardson Prefixed to the Edition of his Correspondence, 1804), Paris, Dentu, 1808.

MCCARTHY W., A. L. Barbauld : Voice of the Enlightenment, Baltimore, Johns Hopkins University, 2009.

BARBER, Eunice [FREETOWN, SIERRA LEONE 1974]

Athlète sierra-léonaise et française.

Ayant découvert le sport très jeune sur le stade de Freetown, où sa mère était secrétaire, Eunice Barber est remarquée au cours d’une réunion scolaire. Ses dons et son dynamisme lui offrent la chance de sortir d’une Sierra Leone embrasée par la guerre civile et les violences. Elle est naturalisée française selon son désir, en 1999. À Reims, où elle arrive en 1992, elle progresse de manière fulgurante, soutenue par l’ancien sauteur en hauteur Henry Elliott. Dès 1995, elle est quatrième des Championnats du monde à Göteborg. Entraînée ensuite par Claude Monot, elle est, à Atlanta, cinquième de l’heptathlon olympique. Visage expressif, toujours en mouvement, secouant ses tresses, E. Barber (1,75 m, 68 kilos) est explosive. Elle assume avec conviction, au stade Charléty, le capitanat de l’équipe de France dont elle a été investie peu après sa naturalisation. Fin juillet 1999, elle bat le record national du saut en longueur (7,01 m) et prend résolument la route des Championnats du monde de Séville. Un heptathlon se dispute sur deux journées ; au terme de la première, E. Barber (100 mètres haies : 12 s 89 ; hauteur : 1,93 m ; poids : 12,37 m ; 200 mètres : 23 s 57) devance la Britannique Denise Lewis d’un petit point ; elle creuse l’écart lors de la seconde (longueur : 6,86 m ; javelot : 48, 88 m), et ne laisse à personne la conduite de l’éprouvant 800 mètres final achevé en 2 min 15 s 65 ; championne du monde avec 6 861 points, elle a pris le dessus sur D. Lewis (6 724) et Ghada Shouaa (6 700). Aux Jeux olympiques de Sydney, déception : lancer du poids manqué, blessure, abandon. Au Mondial d’Edmonton en 2001, zéro pointé dès le lancement du poids sur une mauvaise compréhension des conseils de l’Américain Bob Kersee, devenu son entraîneur patenté, même si dans les périodes difficiles elle se tourne vers Claude Monot. Blessée en 2002, c’est au Stade de France lors du Mondial d’août 2003, portée par le public, qu’elle resurgit en pleine lumière, pour le début d’un duel au long cours avec la Suédoise de 20 ans, Carolina Klüft*. N’ayant en quatre ans plus mené à terme un heptathlon en grande compétition, revenue à l’entraînement depuis cinq mois au plus, gênée au pied gauche, elle se défend avant de se réjouir de sa médaille d’argent (6 755 points). E. Barber n’a pas dit son dernier mot : l’ultime soirée, elle participe au saut en longueur et surpasse la Russe Tatiana Kotava. Les années suivantes sont incertaines, hachées de nouveaux problèmes et de doutes, mais, en août 2005, culmine le duel singulier : C. Klüft une nouvelle fois l’emporte. Par un temps exécrable, E. Barber arrache au saut en longueur une nouvelle médaille de bronze. En 2006, à Saint-Denis, un incident avec la police complique et détériore la fin d’un parcours athlétique passionné ; une affaire qui laisse des traces physiques et psychiques. Diverses tentatives de retour seront vaines, conduisant doucement E. Barber à se retirer des stades où s’exprima au grand jour la force de son tempérament et de sa personnalité.

Jean DURRY

BARBER, Patricia [LISLE, ILLINOIS 1956]

Compositrice et pianiste de jazz américaine.

Fille du saxophoniste Floyd Barber, membre de l’orchestre de Glenn Miller, Patricia Barber étudie le piano classique puis la psychologie à l’université d’Iowa, avant de retourner à Chicago pour mener la dure vie de pianiste de bar au Gold Star Sardine, où elle attire un public de plus en plus nombreux. Femme secrète, elle s’est imposée d’œuvre en œuvre comme l’une des grandes figures du jazz contemporain. Sa carrière la place dans une ambiance nocturne, très littéraire, depuis son premier succès, Nightclub, en 2000, jusqu’à l’ambitieux Mythologies en 2006, inspiré des Métamorphoses d’Ovide. Elle y propose un voyage dans l’Antiquité où les chansons, portées par une voix décalée, ont la douceur des lauriers et la froideur des statues. Elle a inventé un style, loin du côté fleuri de ses collègues. Elle se moque bien du maquillage, de la féminité, ne cachant pas son homosexualité (assez militante). « Je veux vendre évidemment, dit-elle, mais il est pour moi plus important d’exprimer l’idée que j’ai dans la tête ». Elle a toujours voulu se débarrasser du schéma traditionnel du jazz – romances, reprises de standards –, pour se lancer dans une quête permanente d’improvisation, de sonorités nouvelles, privilégiant une musique lente, contemplative, traversée de silences. À ses côtés, le guitariste Neal Alger et ses touches psychédéliques, planantes, produisent une partie de cette atmosphère suspendue. « Il est très fort pour répondre à mes désirs, capter l’ambiance que je veux », explique-t-elle. P. Barber a cependant toujours repoussé l’idée qu’elle créait une musique pop. « Je n’avais rien à faire des Beatles ou des Rolling Stones, se défend-elle. Je n’aimais que Santana. » Revenue par la suite aux classiques, elle enregistre un disque consacré au grand répertoire américain, The Cole Porter Mix, naviguant dans un léger rythme de samba, avec ce ton décalé, très intime, qui est le sien. Elle y reprend What Is This Thing Called Love ? et offre une étonnante relecture de Miss Otis Regrets, entraînant le morceau vers des ailleurs orientaux, sans jamais perdre de vue la trame du texte. P. Barber raconte une belle histoire, toujours envoûtante.

Stéphane KOECHLIN

Modern Cool, Premonition, 1998 ; Nightclub, Blue Note/Premonition, 2000 ; Verse, Blue Note/Premonition, 2002 ; Mythologies, Blue Note, 2006 ; The Cole Porter Mix, Blue Note, 2008.

BARBERET, Maripaule VOIR B., Maripaule

BARBEROUSSE, Louise [NIÈVRE 1836 - ID. 1900]

Militante féministe française.

Institutrice, Louise Barberousse exerce sa profession dans la Nièvre, où elle est née, puis en Angleterre. En 1881, elle est envoyée au congrès universel de la Libre-Pensée par le Comité des femmes, créé un an plus tôt par l’ancien communard féministe Jules Allix pour revendiquer le travail, l’éducation, la protection sociale et les droits des femmes. Après s’être intéressée à l’anarchie, elle adhère au groupe fondé en 1870 par Maria Deraismes*, L’Amélioration des femmes, puis devient membre du Suffrage des femmes, d’Hubertine Auclert*, qu’elle quitte en 1884. À cette époque, elle dirige une école libre de filles, dans le 1er arrondissement de Paris, qu’elle quitte également pour fonder, avec J. Allix, un cours pour jeunes filles, rue Saint-Honoré, où elle crée la Ligue de la protection des femmes. C’est en tant que présidente de cette organisation qu’elle rallie bientôt la Fédération républicaine-socialiste. Ce parti socialiste, créé en 1884 à la suite d’un congrès de la Libre-Pensée où des républicains socialistes avaient proposé, sous l’impulsion d’H. Auclert, une motion en faveur des droits politiques des femmes, accepte en effet celles-ci comme membres et inscrit l’égalité politique dans son programme. En janvier 1885, L. Barberousse lance, avec la Ligue, une campagne d’inscription de femmes sur les listes électorales du 1er arrondissement de Paris et réagit dans les mêmes termes qu’H. Auclert quelques années plus tôt au refus qu’on lui oppose de lui délivrer une carte électorale : si le terme « Français » comprend les femmes lorsqu’il s’agit de payer les impôts, il doit aussi les inclure pour les droits accordés aux hommes. Elle persuade la Fédération républicaine-socialiste d’accepter les candidatures de femmes, ce qui provoque un schisme. La majorité non féministe rejoint les radicaux en 1885, abandonnant ainsi la Fédération, qui met fin à ses activités peu après.

Edith TAÏEB

BARBERY, Muriel [CASABLANCA 1969]

Romancière française.

Normalienne, agrégée de philosophie, Muriel Barbery enseigne pendant quelques années et publie en 2000 Une gourmandise. Le succès aussi fulgurant qu’inattendu tient essentiellement à une prose drôle et subtile et à des personnages insolites… Ce conte piquant, à la croisée de la littérature et de la philosophie, met en scène un critique gastronomique agonisant en quête d’une saveur de son enfance, qui se révèle être une simple chouquette de supermarché, qui contenait en elle le plaisir essentiel de la vie. L’Élégance du hérisson (2006) est un véritable phénomène littéraire : porté par le bouche-à-oreille et couronné par le Prix des libraires, le roman illustre à nouveau le thème platonicien des pièges de l’apparence. Dans une structure de narration alternée, parfois insolente, la trame romanesque confronte jusqu’à la rencontre deux personnages antinomiques mais tous deux philosophes, et fait l’éloge savoureux des plaisirs du quotidien et des émotions esthétiques.

Marie-Noëlle CAMPANA

La Vie des elfes, Paris, Gallimard, 2015.

BARBIER, Marie-Anne [ORLÉANS 1664 - ID. 1745]

Dramaturge française.

Issue de la moyenne bourgeoisie, Marie-Anne Barbier s’illustre dans l’écriture théâtrale en signant avec succès quatre tragédies (Arrie et Pétus, 1702 ; Cornélie, mère des Gracques, 1703 ; Tomyris, 1707 ; La Mort de César, 1709) et une comédie (Le Faucon, 1719), jouées à la Comédie-Française, ainsi que deux livrets d’opéras représentés à l’Académie royale de musique (1716, 1718), auxquels s’ajoutent plusieurs pièces restées à l’état de manuscrits. Son œuvre s’oriente ensuite vers des genres plus modernes, et se compose alors d’histoires galantes (Théâtre de l’amour et de la fortune, 1713), de poésies et de critiques dramatiques (Saisons littéraires, 1714, 1722). S’inscrivant ouvertement dans une longue tradition littéraire féminine, elle n’hésite pas à prendre la défense de son sexe et à mettre en scène des modèles forts et originaux d’héroïsme féminin. Première dramaturge à affirmer son professionnalisme, elle peut être considérée comme une auteure majeure de la dramaturgie postclassique et de la littérature féministe.

Aurore EVAIN

MONTOYA A.-C., Marie-Anne Barbier et la tragédie postclassique, Paris, H. Champion, 2007.

BARBIERI, Teresita DE [MONTEVIDEO, URUGUAY 1937]

Sociologue mexicaine.

Au Mexique et en Amérique latine, Teresita de Barbieri a ouvert la voie à l’étude sociologique de la situation des femmes. Après avoir quitté son pays natal en proie à la dictature militaire, elle se forme à la Faculdad latino-americana de ciencias sociales (FLACSO) du Chili durant l’âge d’or de la théorie de la dépendance. En 1974, elle doit à nouveau s’exiler pour fuir le coup d’État militaire du général Pinochet. Arrivée au Mexique, qui ouvre alors ses portes à la diaspora intellectuelle, elle joue un rôle fondateur dans l’étude de la condition féminine : elle commence par explorer celle des femmes à la maison, puis se lance, à partir des années 1980, dans l’étude des mouvements féministes latino-américains, marquant les différences qui les séparent du féminisme américain, né une décennie plus tôt. Dernièrement, elle a effectué des recherches sur les femmes parlementaires au Mexique. Elle a également contribué à la vie politique du Mexique en faisant mettre à l’ordre du jour des débats parlementaires les inégalités hommes/femmes, et en défendant des lois donnant une plus ample liberté aux femmes face au regain de conservatisme social et religieux survenu depuis les années 2000. Elle est actuellement professeure à l’Institut de la recherche sociale de l’Université nationale du Mexique.

Viviane BRACHET-MARQUEZ

Mujeres en América latina, aportes para una discusión, Mexico, Fondo de cultura económica, 1975 ; Mujeres y vida cotidiana, Mexico, Conafe, 1984 ; Cambio sociodemográfico, políticas de población y derechos reproductivos en México, Mexico, Edamex, 1999 ; Género en el trabajo parlamentario, la legislatura mexicana a fines del siglo XX, Buenos Aires, Clacso, 2003.

BARBOSA, Cacilda BORGES [RIO DE JANEIRO 1914 - ID. 2010]

Compositrice et professeure brésilienne.

Cacilda Borges Barbosa est formée à l’Instituto nacional de musica de Rio de Janeiro en harmonie, contrepoint et fugue, composition (avec Francisco Braga), piano, chant et direction (avec Francisco Mignone). Elle collabore de nombreuses années avec Heitor Villa-Lobos au sein du Service d’éducation musicale et artistique du District fédéral avant d’occuper divers postes dans un cadre universitaire ou d’éducation populaire, où elle mène de front des activités d’enseignement (contrepoint et fugue), de recherche (méthodologie chorégraphique appliquée aux danses brésiliennes) et de direction de chœur ou d’orchestre (dont un rassemblement scolaire de 40 000 voix à l’occasion de la Semana de la patria en 1971). Elle voyage en Europe, aux États-Unis et en Asie pour se familiariser avec les tendances les plus modernes de la composition et de la didactique musicale : auteure de nombreux ouvrages sur l’enseignement du piano et du chant, elle est aussi une des pionnières au Brésil de la musique électronique. Comme compositrice, on lui doit le cycle 6 Estudos brasileiros pour piano (1950), Lamentações onomatopaicas pour voix (1966), Misa brasileira (1968), Cota zero pour chœur et quatre instruments (1969), Misa em fugas (1971), Uirapiranga, ballet, et Chibraseando pour vingt percussions (1973), ainsi qu’un nouveau cycle d’Études brésiliennes pour chant et piano et des chœurs pour voix d’enfants.

Philippe GUILLOT

CACCIATORE O. G. (dir.), Dicionário biográfico de música erudita brasileira, Rio de Janeiro, Forense Universitária, 2005 ; SADIE J. A., SAMUEL R. (dir.), The New Grove Dictionary of Women Composers, Londres, Macmillan, 1994.

BARBUY, Beatriz [SÃO PAULO 1950]

Astrophysicienne brésilienne.

Considérée comme l’une des plus grandes spécialistes de spectroscopie stellaire et du calcul des spectres moléculaires dans les étoiles, Beatriz Barbuy a effectué ses études de physique à l’université de São Paulo et soutenu sa thèse de troisième cycle à l’Instituto astronômico e geofísico de São Paulo. En 1982, elle obtient un doctorat d’État après des recherches à l’observatoire de Paris, dans l’équipe de François et Monique Spite, car à cette époque, l’astronomie est encore peu développée au Brésil. Ses travaux traitent des éléments chimiques présents dans les spectres de diverses populations d’étoiles, tant dans la Voie lactée que dans les galaxies proches (Nuages de Magellan) ou plus lointaines. L’un de ses principaux sujets d’étude concerne les étoiles de faible métallicité. Elle apporte par ailleurs une contribution majeure à la connaissance des vieilles étoiles de notre Galaxie. En 2001, elle estime l’âge de l’une des plus vieilles étoiles de la Voie lactée à 12,5 milliards d’années – valeur réévaluée à 13,5 milliards d’années en 2002. Son travail considérable en spectroscopie lui permet de constituer une importante bibliothèque de spectres stellaires synthétiques, utilisée par de nombreux autres chercheurs pour étudier les galaxies. Outre la portée de ses travaux scientifiques, le rayonnement national et international de l’astrophysicienne est tout à fait remarquable. B. Barbuy exerce un rôle éminent dans l’Union astronomique internationale, organisme qui réunit 10 000 astronomes professionnels de 67 pays ; elle en est l’une des vice-présidentes de 2003 à 2009, après avoir dirigé la section de spectroscopie, puis de la division stellaire. Sur le plan national, elle tient un rôle déterminant dans le développement de l’astrophysique. Après avoir été professeure associée, puis professeure titulaire en 1997 à l’Instituto de astronomia, geofísica e ciências atmosféricas (IAG) de l’université de São Paulo, elle est nommée successivement directrice du département d’astronomie de l’Institut de 1998 à 2002, et vice-directrice en 2005. Elle participe également à maints projets pour le développement de l’astronomie au Brésil, parmi lesquels celui de l’Institut du millénaire, consacré à l’étude de l’évolution des étoiles et des galaxies à l’ère des grands télescopes. À la suite de ce projet est créé l’Institut national de sciences et technologie dont B. Barbuy est la vice-coordinatrice ; elle est, par ailleurs, responsable d’un projet de spectrographe intégral de champ pour le télescope SOAR. Membre de l’Académie des sciences du Brésil et de France, commandeure de l’Ordre national du mérite scientifique, elle reçoit en 2008 le prix de l’Académie des sciences du Tiers Monde, décerné chaque année à deux scientifiques pour l’excellence de leurs travaux menés à bien dans des pays en développement. L’année suivante, elle obtient le prix Unesco-L’Oréal pour les femmes et la science.

Florence DURRET

Avec RENZINI A., The Stellar Populations of Galaxies, Dordrecht, Springer, 1991.

SCHNEIDER J., « L’âge des étoiles et des éléments », in Aux confins de l’univers, Paris, Fayard, 1987.

BARCAN-MARCUS, Ruth [NEW YORK 1921 - NEW HAVEN 2012]

Philosophe et logicienne américaine.

Après des études à l’université de Yale, Ruth Barcan-Marcus soutient en 1945 sa thèse sur la logique modale. En 1946 et 1947, elle publie dans The Journal of Symbolic Logic deux articles qui constituent les premières contributions importantes à la logique modale quantifiée et qui vont retenir l’attention de W. V. Quine. Dans ces articles, elle étend le système modal de Lewis (S4) en introduisant la quantification et en ajoutant un axiome sur la permutation de l’opérateur modal de possibilité et du quantificateur existentiel, axiome d’où sont dérivés l’énoncé connu sous le nom de « formule de Barcan » (mariée en 1942, elle publie encore à l’époque sous son nom de naissance) et sa converse. Elle ne commence une carrière universitaire qu’en 1962 : elle est nommée à l’Université de l’Illinois à Chicago où elle crée le département de philosophie. C’est à Yale qu’elle accomplit le reste de sa carrière. Elle a occupé entre autres les fonctions de présidente de l’Association for Symbolic Logic et de l’Institut international de philosophie et a reçu de nombreuses distinctions honorifiques dont le Lauener Prize en 2008 pour sa contribution à la philosophie analytique. Son nom est évidemment lié à la logique modale quantifiée dont elle a jeté les bases. Elle n’a cessé de répondre aux objections de W. V. Quine, adversaire résolu de la quantification dans les contextes modaux. Dans des articles concis et précis, elle soutient que l’on peut éviter l’essentialisme (auquel doit conduire d’après Quine la logique modale quantifiée) si l’on adopte une conception pluraliste et nuancée de l’extensionalité et si l’on opte pour une interprétation substitutionnelle du quantificateur. Elle défend également la thèse selon laquelle les noms propres ont une fonction purement référentielle, sont de simples étiquettes (tags). Certains y ont même vu la source de la théorie kripkéenne de la signification, à tort semble-t-il. Contre W. V. Quine, elle a défendu la thèse de la nécessité de l’identité. N. Barcan-Marcus a également écrit des articles qui font date et ont suscité de nombreuses réactions sur les dilemmes moraux et sur la croyance. Ses principales contributions ont été réunies en 1993 dans un volume intitulé Modalities, Philosophical Essays.

Jean-Gérard ROSSI

« A functional calculus of first order based on strict implication », in Journal of Symbolic Logic, vol. 11, no 1 mars 1946 ; « The identity of individuals in a strict functional calculus of first order », in Journal of Symbolic Logic, vol. 12, no 1, mars 1947.

BARCLAY, Florence Louisa (née CHARLESWORTH) [LIMPSFIELD, SURREY 1862 - ID. V. 1921]

Écrivaine britannique.

Née d’un père recteur anglican, Florence Louisa Barclay est très tôt marquée par la notion de devoir qui s’attache à la religion. En 1869, elle déménage à Londres avec sa famille, où elle s’improvise visiteuse des quartiers pauvres, se marie en 1881 avec le révérend Charles Barclay, passe sa lune de miel en Israël et revient en Angleterre pour se fixer dans le Hertfordshire. Elle donne naissance à huit enfants mais tombe malade en 1905. Elle commence alors à écrire depuis son lit de maladie des romans sentimentaux ou d’inspiration biblique, dont The Wheels of Time (« les roues du temps », 1908), son premier roman, et surtout Le Rosaire (1909). Ce livre connaît un succès mondial, est traduit en huit langues, adapté cinq fois à l’écran et une fois au théâtre par le français Alexandre Bison. Auteure de 14 livres, dont un documentaire sur la Croix rouge et une collection de nouvelles et d’articles dont elle voulait qu’ils inspirent honnêteté et peur du péché, F. Barclay a également connu la célébrité pour ses conférences pleines de ferveur et de religiosité.

Michel REMY

Le Rosaire (The Rosary, 1909), Paris, Payot, 1922.

ANONYME, The Life of Florence Barclay : A Study in Personality, Londres, G.P. Putnam’s Sons, 1921.

BARD, Christine [JEUMONT, NORD 1965]

Historienne française.

La dédicace à sa grand-mère paternelle, modiste wallonne, des Filles de Marianne (1995), ouvrage tiré de sa thèse, reflète les racines du féminisme de Christine Bard qui imprègnent son parcours intellectuel et ses engagements. De ses origines familiales, elle hérite de valeurs humanistes et militantes de gauche, tandis que le syndicalisme étudiant la conduit, dans les années 1980, vers la Maison des femmes de Lille où elle rencontre le féminisme. Militantisme et féminisme imprègnent son parcours intellectuel en faisant de la lutte pour l’égalité entre les sexes à la fois un objet d’histoire et un moteur d’action citoyenne. Après une maîtrise d’histoire à Lille (1986), elle prépare un doctorat à l’université Paris 7, où Michelle Perrot* l’invite à travailler sur l’histoire du féminisme français de 1914 à 1940. Maître de conférences (1995) puis professeure (2004) d’histoire à l’université d’Angers, elle poursuit ses travaux et mène, seule ou en collaboration, des recherches sur le féminisme sous plusieurs angles : l’antiféminisme (Un siècle d’antiféminisme, 1999), le travestissement et les transgressions de genre (Les Garçonnes, 1998), les mécanismes de régulation sociale (Femmes et justice pénale, 2002), les dynamiques féministes (Le Planning familial, histoire et mémoire, 1956-2006, 2007 ; Le Féminisme au-delà des idées reçues, 2012 ; Les Insoumises, la révolution féministe, 2013), le politique (Quand les femmes s’en mêlent, genre et pouvoir, 2004) ou le vêtement (Ce que soulève la jupe et Une histoire politique du pantalon, 2010). Traduits dans plusieurs langues, ses ouvrages s’attachent à inscrire le féminisme dans la dynamique de l’histoire des femmes et du genre (Les Femmes dans la société française au XXe siècle, 2001). Concevant le féminisme comme partie prenante de l’histoire politique, elle s’attache également à lui donner une épaisseur sociale et culturelle pour penser l’histoire des femmes et des féminismes au pluriel. La figure récurrente de Madeleine Pelletier*, dès ses premiers travaux (Madeleine Pelletier, logique et infortunes d’un combat pour l’égalité, 1992), reflète son intérêt pour l’émancipation des femmes et l’indifférenciation des sexes. Soucieuse de l’écriture de l’histoire du féminisme et de sa transmission, C. Bard est à l’origine de la création de l’association Archives du féminisme et du Centre des archives du féminisme à Angers (2001), dont le but est de les sauvegarder et de les valoriser. Avec le Guide des sources de l’histoire du féminisme (2006), elle inaugure la collection « Archives du féminisme » des Presses universitaires de Rennes. Elle est également l’auteure de plusieurs expositions de Musea, musée virtuel d’histoire des femmes et du genre dont elle assure la coordination scientifique depuis sa création (2004). En lien avec son féminisme, signalons aussi ses engagements pour la cause LGBT, notamment au sein de l’association angevine Quazar.

Fanny BUGNON

BARDES EN RUSSIE CONTEMPORAINE

Apparu dans les années 1960, le phénomène de la chanson d’auteur russe est l’expression des idées de transparence, de liberté et de spontanéité de l’époque du dégel. Réaction au collectivisme, à la dépersonnalisation et au mépris de l’individu typiques de l’époque stalinienne, les bardes, ces auteurs-compositeurs-interprètes russes, chantent l’individu et donnent voix aux sentiments profonds de l’âme. Leur apparition est également liée au tourisme spontané de cette époque. Armés de guitares et de sacs à dos, pleins d’enthousiasme et de romantisme, les jeunes partent à la découverte de leur pays, loin de Moscou et de sa routine. La guitare et les chansons autour du feu sont les attributs de tout voyage ou toute rencontre entre amis, se transformant en festivals en plein air. La beauté de la nature et la sensation de liberté qu’elle inspire sont les thèmes privilégiés de ces chansons. Parallèlement, les clubs des amateurs de la chanson d’auteur prolifèrent. Puisant dans la chanson soviétique officielle, dans le théâtre, le cinéma et les chansons de détenus, les bardes composent des véritables poèmes qu’ils accompagnent à la guitare pendant des concerts « spontanés », en plein air ou dans de minuscules cuisines. L’importance de la chanson d’auteur réside d’ailleurs aussi bien dans la profondeur du texte que dans son moyen de transmission, qui échappe à tout contrôle, faisant du mouvement des bardes une forme d’opposition au pouvoir soviétique.

Le rôle des femmes dans ce mouvement est marginal, la chanson d’auteur russe étant traditionnellement représentée par les hommes. On compte néanmoins quelques femmes qui, au-delà du rôle de la muse inspiratrice, ont laissé une empreinte significative dans cette tradition musicale et poétique. Novella Matveïeva* (1934) et Ada Iakoucheva (1934) ont été parmi les fondateurs du genre de la chanson d’auteur dans les années 1950. L’une et l’autre interprètent le romantisme dont sont empreintes les années 1960, mais de manière différente. Novella Matveïeva a fait partie des premiers bardes, vers la moitié des années 1950. Très populaire dans le milieu des étudiants, elle représente le romantisme littéraire. Ses chansons sont des contes merveilleux qui accompagnent le public loin de la réalité, à travers des pays fantastiques, exotiques.

Ancienne élève de l’Institut pédagogique de Moscou, un des principaux foyers de la chanson d’auteur russe, Ada Iakoucheva donne voix au romantisme, dans un univers réaliste. Journaliste à la radio, ses chansons se présentent comme des reportages sur la vie de tous les jours, sur les émotions liées au voyage dans la nature, dans la forêt, autour du feu, telle une poétesse errante.

L’œuvre de la Biélorusse Elena Kazantseva (1956) est un monologue ininterrompu sur l’amour, composé de miniatures qui décrivent la vie et les souffrances amoureuses de la femme ordinaire. Abandonnée par son bien-aimé, l’attente et l’espoir liés au retour de celui-ci reviennent constamment. Un amour non partagé, le manque d’argent, un quotidien misérable et la nostalgie du merveilleux : le regard de la poétesse sur cette vie si avare en bonheur est ironique, son intonation quasi parodique. Morte d’un cancer à 31 ans, son univers poétique est marqué par la conscience de la fragilité de la vie et par un sentiment de reconnaissance à l’égard de tout instant vécu. L’idée du pardon, et de la joie qui en découle, fait éprouver à l’individu une sensation de bonheur pur, indépendant de tout événement extérieur.

À l’inverse, les héroïnes de Veronika Dolina (1956) ne souffrent pas de la séparation et de l’abandon, elles sont heureuses à côté de leur bien-aimé. Dans ses vers, la réalité est la clé pour pénétrer dans une dimension enfouie qui se rapporte à l’époque médiévale. Derrière les signes du présent soviétique se cachent des royaumes, des chevaliers, des princes, une aristocratie dont est empreinte toute sa création. Si les objets du présent sont anonymes, ceux du passé sont porteurs de légendes et de souvenirs qu’elle raconte dans ses chansons.

Federica VISANI

BARDOT, Brigitte [PARIS 1934]

Actrice et chanteuse française.

Née dans une famille bourgeoise de Passy, Brigitte Bardot suit des cours de danse classique. À 15 ans, elle pose pour la couverture de l’hebdomadaire Elle. Elle débute au cinéma en 1952 et joue de petits rôles pour Sacha Guitry, René Clair ou Marc Allégret. Son interprétation d’Isabelle dans L’Invitation au château, de Jean Anouilh, marque son unique incursion sur scène en 1953. Elle épouse Roger Vadim, qui la dirige dans Et Dieu… créa la femme en 1956. Son personnage de femme libre à Saint-Tropez (notamment la scène où elle danse le mambo) fait scandale – le film remporte un succès international. Elle devient alors « B.B. », traquée par les paparazzis : sa moue boudeuse et sa chevelure blonde en cascade font la une des journaux. Nouveau symbole sexuel qui éclipse Martine Carol* et Françoise Arnoul, B. Bardot tourne En cas de malheur, de Claude Autant-Lara, où elle séduit Jean Gabin, et La Femme et le Pantin, de Julien Duvivier. En 1960, elle donne naissance à un fils, Nicolas Charrier. Quelques mois plus tard, elle révèle son talent d’actrice dramatique dans La Vérité, où Henri-Georges Clouzot lui fait incarner une criminelle. Dans Vie privée, Louis Malle la montre dans son propre rôle de star assiégée ; Vadim s’inspire du roman de Christiane Rochefort* pour Le Repos du guerrier. Elle tourne encore des comédies à succès jusqu’en 1973. Après L’Histoire très bonne et très joyeuse de Colinot Trousse-Chemise, de Nina Companeez*, elle abandonne le cinéma pour se consacrer à la défense des animaux et crée en 1986 sa propre fondation, à laquelle elle fait don de plusieurs de ses propriétés. Elle enregistre plusieurs disques, notamment avec Serge Gainsbourg.

Bruno VILLIEN

Initiales B.B., Mémoires, Paris, Grasset, 1996 ; Le Carré de Pluton, Paris, Grasset, 1999.

DURAS M., « La reine Bardot », in France Observateur, 23 oct.1958.

BARENSTEIN, Adriana [ARGENTINE XXe siècle]

Metteuse en scène et chorégraphe argentine.

Diplômée de philosophie de l’université de Buenos Aires, Adriana Barenstein suit une formation théâtrale et chorégraphique, pratique la critique théâtrale (pour le journal La Razón) et étudie la mise en scène avec Augusto Fernández en Argentine, Guillermo Heras en Espagne et Eugenio Barba aux États-Unis. Elle explore les possibles du geste scénique et ses liens avec d’autres poétiques, d’autres disciplines, d’autres espaces, depuis Anotaciones sobre el lugar (2005). Ses créations de danse-théâtre, ses performances et installations vidéo abordent le rapport du corps et de l’art à l’espace public, de Quietud inquieta I-II (2006-2008) à Breves (2009). A. Barenstein dirige Cuerpo y ciudad (2010), une série d’interventions pluridisciplinaires dans la ville et le métro de Buenos Aires, espaces d’interaction et de perception collectives. Elle est directrice du département de théâtre-danse du centre culturel Ricardo Rojas (université de Buenos Aires), de l’école de danse-théâtre du centre culturel Borges et de l’école municipale de théâtre San Miguel (province de Buenos Aires). Ayant obtenu la bourse Guggenheim en 2011, elle crée à cette occasion La Tierra no se mueve (« la Terre ne bouge pas »).

Stéphanie URDICIAN

BARGH, Robyn [RAWENE, HOKIANGA 1951]

Éditrice néo-zélandaise.

En 2012, Robyn Bargh a reçu une des distinctions les plus prestigieuses de Nouvelle-Zélande pour sa contribution dans le monde de la culture maori. Elle a grandi dans une ferme au sud de Rotorua et a poursuivi ses études dans un lycée pour filles où il n’était pas permis d’étudier la langue maori. Cette expérience ne l’a pas laissée indifférente, mais c’est lors d’un séjour de trois ans en Papouasie-Nouvelle-Guinée, au début des années 1980, qu’elle découvre l’extraordinaire puissance d’expression des auteurs indigènes du Pacifique et qu’elle a l’idée, à son retour, de fonder les éditions Huia. Elles voient le jour en 1991 grâce au dessein ambitieux et aux efforts conjugués de Robyn et de son époux, Brian Bargh. Cette maison d’édition indépendante emprunte son nom à un élégant oiseau indigène de Nouvelle-Zélande, dont l’espèce s’est éteinte il y a un siècle environ ; le plumage de cet oiseau vénéré par les Maori servait à orner la chevelure et les habits d’apparat de personnes de haut rang. Les fondateurs de Huia l’ont pris pour emblème et entendent se faire l’écho de voix originales, anciennes ou naissantes, afin de préserver et de promouvoir la culture maori. R. Bargh a pris le parti de publier des ouvrages écrits et illustrés en majorité par des écrivains, journalistes, biographes, historiens, chercheurs, et artistes maori, afin de refléter et de célébrer ce peuple dans sa diversité, tout en offrant à son lectorat des livres de qualité couvrant un large éventail de sujets, du sport à la littérature. Ses concours littéraires et ses publications souvent primées ont permis à Huia de donner une nouvelle dynamique au marché littéraire néo-zélandais. En effet, lorsque la maison d’édition s’est établie, seule une poignée d’écrivains maori faisaient autorité : Hone Tuwhare, Patricia Grace* et Witi Ihimaera. Il s’agissait pour Huia d’inviter de nouveaux auteurs à témoigner d’une gamme plus variée d’expériences pour traduire la société néo-zélandaise dans toute sa complexité. Ainsi, on lui doit la révélation de jeunes talents féminins, comme la nouvelliste Alice Tawhai*, la poétesse Karlo Mila*, ou la dramaturge Briar Grace-Smith. De plus, elle poursuit une mission linguistique et pédagogique d’envergure, en mettant à la disposition de ses lecteurs un nombre grandissant d’ouvrages écrits en langue maori : ses ouvrages pour enfants, son concours de nouvelles Pikihuia Award et le très remarqué premier dictionnaire unilingue maori publié en 2006 permettent une plus grande circulation de la langue maori et encouragent son utilisation.

Anne MAGNAN-PARK

BARINE, Arvède (née Louise-Cécile BOUFFÉ, dite) [PARIS 1840 - LOUVECIENNES 1908]

Historienne et femme de lettres française.

Issue d’une famille de propriétaires parisiens de confession protestante, Arvède Barine est l’une des intellectuelles les plus en vue au tournant du XIXe et XXe siècle : publiciste, essayiste, traductrice, historienne, elle est aussi critique littéraire, notamment d’ouvrages étrangers (elle connaît plusieurs langues européennes). Elle collabore à plusieurs périodiques parmi les plus importants de l’époque : Bibliothèque universelle (1876-1885), Revue bleue (1878-1896), Nouvelle Revue (1883-1890), Revue de Paris (1895-1905), Cosmopolis (1897), Journal des débats (1889-1908), Revue des deux mondes, Le Figaro, Vie heureuse, Le Temps. Elle se spécialise dans le portrait biographique de contemporains, d’écrivains ou de personnages historiques. Du côté des figures masculines, elle s’intéresse à Bernardin de Saint-Pierre (ouvrage éponyme en 1891), à Alfred de Musset (1893), à Salomon Maimon ou à Goethe (dans Bourgeois et gens de peu, 1894). Elle analyse également la marginalité des intellectuels dans Poètes et névrosés (sur Gérard de Nerval, Thomas de Quincey, Edgar Poe, E.T.A. Hoffmann, 1898). Les figures féminines sont présentées dans des ouvrages de portraits collectifs : Portraits de femmes (1887, Mme Carlyle, George Eliot*, sainte Thérèse*) et Princesses et grandes dames (1890, Marie Mancini, Christine* de Suède, une princesse arabe, la duchesse du Maine*, la margrave de Bayreuth*). Son travail concerne surtout le Grand Siècle et la cour de Louis XIV, avec une attention particulière pour l’histoire des femmes, abordée notamment par des Mémoires : La Jeunesse de la Grande Mademoiselle, 1627-1652 (1901) ; Louis XIV et la Grande Mademoiselle (1905) ; Madame, mère du Régent (1909). Le temps lui manque pour terminer la biographie de Mme de Maintenon*. Les positions d’A. Barine à l’égard du féminisme – le terme est nouveau à la fin du XIXe siècle – sont complexes. Le sujet l’intéresse particulièrement et ses ouvrages abordent la question de la condition des femmes et de leurs ambitions. Ses positions restent cependant modérées, sans doute du fait de son éducation protestante et des contraintes attachées au personnage public de la « femme de lettres », qu’elle est.

Isabelle ERNOT

ERNOT I., « Arvède Barine, une historienne au tournant du siècle », in Mil neuf cent, Revue d’histoire intellectuelle, n°16, « Figures d’intellectuelles », 1998.

BARIO, Henny [1923 - BOBIGNY 2011]

Clown française.

Fille de l’auguste Martin Sosman, dit Tony, et nièce du clown Pipo, Henny, magicienne et claquettiste, intègre en 1948 le quatuor des Bario, à la suite de son mariage avec Alfredo Meschi, dit Freddy, descendant d’une famille d’excentriques italiens, les Dario-Bario et Compagnie. Dans un premier temps, elle prend la défroque d’« auguste » femme, qu’elle troque pour le frac du « faire-valoir ». Au sein du trio Bario, qui développe divers talents, elle pratique les claquettes et une grande variété d’instruments de musique, cuivres et cordes traditionnels ou créés à partir de supports sonores, s’illustrant notamment comme « Reine des marteaux musicaux ». Première femme à incarner le rôle du « blanc », mais sans le costume pailleté, H. Bario crée un personnage féminin de faire-valoir, à mi-chemin entre le clown et Monsieur Loyal, et tient sa posture de meneuse, autoritaire et drôle, souvent plus habile que certains autres « blancs » à provoquer et accompagner les situations burlesques.

Marika MAYMARD

RÉMY T., « Martin Sosman, dit “Tony” », in Le Cirque dans l’univers, no 54, 1964.

BARJAKTAREVIĆ, Zilha VOIR ARMENULIĆ, Silvana

BARKER, Jane [BLATHERWICK, NORTHAMPTONSHIRE 1652 - SAINT-GERMAIN-EN-LAYE 1732]

Poétesse et romancière britannique.

Sa vie fut modelée par ses options politico-religieuses, liées à ses origines. À la destitution de Jacques II, elle quitta l’Angleterre comme de nombreux jacobites pour le suivre dans son exil en France. Elle est connue pour ses poèmes et ses romans. En 1688 parut un volume intitulé Poetical Recreations, mélange de ses propres productions des années 1670-1680 et des contributions de ses amis, entre autres des universitaires et un éditeur de Londres. En 1701, un autre volume lui apporta le succès : avec sa vingtaine de poèmes, A Collection of Poems Referring to the Times aborde des sujets récents, comme la Glorieuse Révolution (1688) ou la bataille de La Boyne (1690). Publiés par Curll, à une exception près, ses romans (Love Intrigues or The History of The Amours of Bosvil and Galesia, 1713 ; Exilius or The Banished Roman, 1715 ; The Lining of The Patch-Work Screen, « la doublure du paravent de patchwork », 1726) présentent des héros tour à tour optimistes, lorsqu’ils croient à un retour du Prétendant, ou déçus, lorsqu’ils comprennent que la dynastie hanovrienne est définitivement installée. Pourtant, ils contiennent aussi des éléments purement romanesques (crimes, séduction, trahison) et on y traite du choix difficile du célibat pour une femme cultivée voulant se faire connaître par sa plume. En 1718, J. Barker publia The Christian Pilgrimage, traduction du Manuel de Piété (1710-1718) de Fénelon. Cette personnalité engagée, voire avant-gardiste, était déjà, en dépit de certains comportements surprenants, une femme moderne.

Françoise LAPRAZ SEVERINO

KING K., Jane Barker, Exile : A Literary Career 1675-1725, Oxford, Clarendon Press, 2000.

BARKOVA, Anna [IVANOVO 1901 - MOSCOU 1976]

Poétesse russe.

Anna Alexandrovna Barkova suit des études secondaires avant de rejoindre un groupe de jeunes poètes prolétariens d’Ivanovo en 1918. Quatre ans plus tard, sa notoriété est suffisante pour qu’elle devienne secrétaire du commissaire à l’Instruction publique Lounatcharski. Elle déménage à Moscou, où elle publie d’autres poèmes (Jenchtchina, « la femme », 1922), une pièce de théâtre (Nastasia Kostior, « Nastasia le bûcher » 1923) et des articles critiques qui lui valent d’être arrêtée une première fois en 1934. Elle ne reviendra à Moscou qu’en 1967 après vingt-trois ans de camp et dix années d’exil.

Dans l’un de ses derniers poèmes, Choutka (« la plaisanterie », 1975), elle se dépeint comme la grand-mère de la poésie prolétarienne défunte. Non pas le porte-drapeau de la lutte des classes, mais la voix d’une femme du peuple, parlant au nom de la justice. Dans son poème Vozvrachtchenie (« le retour », 1955), le soldat Ivan, de retour de la guerre, se métamorphose en Ivanouchka le fol-en-christ, puis en Ivan Tsarévitch, le héros des contes russes, deux personnages rejetés hors des villes et errant dans la campagne à la recherche de leur destin. Influencée par la poésie populaire, elle met en scène une héroïne lyrique, tantôt paysanne, tantôt mendiante, errant elle aussi de village en village, gagnant sa vie en y contant des vers pieux, personnage typique des campagnes russes d’avant la révolution. Les vieux-croyants sont d’autres figures récurrentes de sa poésie, dont le thème est la résistance : condamnation de la Terreur (évocation des Dieux ont soif d’Anatole France), condamnation des mensonges de la rhétorique officielle, peinture réaliste des corps en lambeaux des « héros » de la Seconde Guerre mondiale, ou encore des humiliations endurées dans les camps. Sans pathos, avec force, ironie et sobriété, elle dénonce l’humiliation, la tromperie, le crime et réaffirme sa foi en l’honnêteté et en la fidélité à la justice.

Marie DELACROIX

KELLY C., « Anna Barkova », in TOMEI C. D. (dir.), Russian Women Writers, New York, Garland Publishing, 1999.

BRÉMEAU C., Anna Barkova, la voix surgie des glaces, Paris, L’Harmattan, 2010.

BARNARD, Mary Ethel [VANCOUVER 1909 - ID. 2001]

Poétesse américaine.

Issue d’une famille aisée, Mary Ethel Barnard a grandi dans l’État de Washington. Elle découvre les grands auteurs classiques et la poésie moderne au Reed College, à Portland dans l’Oregon. À 26 ans, elle remporte le prix Levinson décerné par le magazine Poetry. Elle envoie six poèmes au poète américain Ezra Pound qui l’encourage et lui conseille de se lancer dans la traduction de grands textes. C’est le début d’une correspondance qui durera toute sa vie avec celui qui va devenir son mentor. De 1945 à 1950, elle s’installe à New York et assiste Carl Van Doren, biographe de Benjamin Franklin ; elle y rencontre des poètes tels que William Carlos Williams ou Marianne Moore*. Elle publie cinq recueils de poèmes, dont le premier, Cool Country (« le froid pays »), paraît dans la revue Five Young American Poets en 1940. À 51 ans, souffrant d’une hépatite, elle repart pour sa ville natale, lisant Homère pour tromper l’ennui. Suivant alors les conseils d’E. Pound qui l’encourage à traduire, elle travaille sur la prosodie grecque, en particulier sur les vers de Sappho* : sa traduction claire et élégante (Sappho : A New Translation, 1958) est saluée tant par les poètes modernistes que par les Grecs. En 1979, M. E. Barnard publie Collected Poems, recueil qui obtient le prix Elliston. Son essai en vers Time and the White Tigress (1986) remporte le Western States Book Award for Poetry. Elle a également écrit des nouvelles ainsi qu’une histoire généalogique en vers de ses ancêtres quakers, Nantucket Genesis : The Tale of My Tribe (« origine de Nantucket : l’histoire de ma tribu », 1988).

Beatrix PERNELLE

HELLE A., « Dialogue with Mary Barnard » (1982), in Dialogues with Northwest Writers, Eugene, University of Oregon Press, 2001.

BARNSELY°S., « Mary Barnard’s “north window” : imagism and the pacific northwest », in Western American Literature, vol. 44, no 3, 2009.

BARNARD ELDERSHAW, M.

et

ELDERSHAW, Flora Sidney [ASHFIELD 1897 - NORTH GOSFORD 1987]

et

ELDERSHAW, Flora Sydney [DARLINGHURST 1897 - WAGGA WAGGA 1956]

Écrivaines et historiennes australiennes.

Après des études à l’université de Sydney, Marjorie Barnard obtient un diplôme d’histoire en 1920 et publie la même année The Ivory Gate, un recueil de nouvelles sur le thème de l’enfance. L’université d’Oxford lui propose une bourse mais son père, strict presbytérien, lui interdit de l’accepter et elle devient bibliothécaire. Elle fait à l’université la connaissance de Flora Eldershaw, qui devient rapidement l’une de ses meilleures amies. Cette dernière a grandi à Sydney, où elle est enseignante. Les deux amies collaborent pour le roman A House Is Built (1929), équivalent australien des Buddenbrook ou des Thibault, qui connaît un vif succès et remporte le prix du Bulletin, ex aequo avec Coonardoo de Katharine Susannah Prichard* (1929). M. Barnard et F. Eldershaw écrivent ensemble, sous le nom de plume Marjorie Barnard Eldershaw, sept romans et trois études historiques, en plus de maints essais, nouvelles et critiques. En 1935, M. Barnard débute une liaison avec l’écrivain Frank Dalby Davison alors que F. Eldershaw est élue première femme présidente du Fellowship of Australian Writers. Tous trois deviennent célèbres ; on les surnomme « le triumvirat ». Après les romans Green Memory (1931), The Glasshouse (1936) et Plaque with Laurel (1937), M. Barnard et F. Eldershaw s’orientent vers la lutte antifasciste et pacifiste et vers un nationalisme anticolonial. Elles publient Essays in Australian Fiction (1938) et trois histoires sur les débuts de l’Australie. L’horreur de la guerre leur inspire le roman Tomorrow and Tomorrow, interdit en 1944 et publié après censure en 1947. La version censurée ne rencontre pas un grand succès mais leur vaut néanmoins des attaques de la droite, qui les qualifie de « communisantes ». La version originale n’est publiée (par Virago) qu’en 1983, sous le titre Tomorrow and Tomorrow and Tomorrow ; le livre est alors reconnu comme un chef-d’œuvre. En 1941, F. Eldershaw quitte l’enseignement pour travailler au ministère de la Reconstruction à Canberra mais les deux amies continuent à collaborer occasionnellement. M. Barnard continue seule ses recherches en histoire avec Macquarie’s World (1941), histoire culturelle des débuts de l’Australie. Suivent son chef-d’œuvre, A History of Australia (1962), et une biographie, Lachlan Macquarie (1964). Elle est à l’origine de l’interprétation moderne selon laquelle Macquarie fut le premier gouverneur à travailler à l’indépendance de l’Australie.

Susan FOLEY et Charles SOWERWINE

DEVER M., « Eldershaw, Flora Sydney (1897-1956) », in Australian Dictionary of Biography, Melbourne, Melbourne University Publishing, 1966-2012 ; ROE J., « Barnard, Marjorie Faith (Marjory) (1897-1987) », in Australian Dictionary of Biography, Melbourne, Melbourne University Publishing, 1966-2012 ; RORABACHER L. E., Marjorie Barnard and M. Barnard Eldershaw, New York, Twayne Publishers, 1973 ; WILDE W. H., HOOTON J., ANDREWS B., « Eldershaw, M. Barnard », in The Oxford Companion to Australian Literature, Oxford, Oxford University Press, 1994.

BARNES, Djuna [CORNWALL-ON-HUDSON 1892 - NEW YORK 1982]

Écrivaine, dessinatrice et journaliste américaine.

Née dans une famille non conformiste, Djuna Barnes étudie les beaux-arts à New York. Elle s’installe dans cette ville dès 1912 puis à Paris dans les années 1920 et participe pleinement à l’élan créateur et au foisonnement intellectuel qui caractérisent les milieux artistiques durant l’entre-deux-guerres. Irrévérencieuse et brillante, elle incarne parfaitement l’excès de la période et est à l’origine d’une production artistique aussi fulgurante qu’éclectique. Embrassant journalisme, poésie, nouvelles, romans, pièces et illustrations, son œuvre, qualifiée de « trans-générique » par le critique Louis F. Kannenstine, défie les limites de forme et de public. Journaliste à Vanity Fair, au New York Herald Tribune, au Morning Telegraph et au Mc Call’s, pour lesquels elle signe près de 130 articles illustrés de ses propres dessins, D. Barnes témoigne, en la commentant, de la vie artistique et culturelle de son époque. Elle interviewe notamment Joyce, Coco Chanel* et Kiki de Montparnasse. Poursuivant parallèlement sa carrière d’écrivaine, elle fait paraître des ouvrages explorant la sexualité féminine : d’abord le recueil de poésie illustré Le Livre des répulsives (1915), ensuite L’Almanach des dames (1928), à la fois manifeste saphique et satire du salon littéraire de Nathalie Barney* dont la forme imite les almanachs du XVIe siècle. Trois de ses 25 pièces en un acte sont jouées entre 1919 et 1920 à New York, où elle rencontre les auteurs Eugene O’Neill, Marcel Duchamp, William Carlos Williams et le photographe Alfred Stieglitz. Plus tard, ses poèmes et ses nouvelles sont publiés dans les revues américaines éditées à Paris, Little Review et Dial, avant de sortir sous forme de recueils : A Book (« un livre », 1923), A Night Among The Horses (« une nuit parmi les chevaux », 1929). Son premier roman, Ryder, au ton grivois, paraît en 1928 et devient rapidement un best-seller. Utilisant les styles littéraires et picturaux d’autrefois – de Chaucer à la Bible, en passant par Shakespeare –, elle y tourne en dérision la polygamie de son père et, plus généralement, toute prouesse masculine créatrice. Mais D. Barnes est avant tout connue pour son roman Le Bois de la nuit, paru en 1936. Chef-d’œuvre du modernisme tardif, préfacé par T. S. Eliot, il serait inspiré de sa liaison avec la sculptrice Thelma Wood. Malgré le succès indéniable dont jouissent la femme et l’œuvre pendant les années 1920 et 1930, toutes deux se trouvent rapidement reléguées aux oubliettes du canon littéraire et ignorées du grand public. Rentrant définitivement à New York en 1940, D. Barnes ne publie plus pendant quarante ans, à l’exception d’une pièce en vers, Antiphon (1958), de quelques poèmes et de rééditions remaniées. La parution d’Antiphon, pièce inspirée – tout comme Ryder – de son enfance, passe presque inaperçue. Fort heureusement, de récentes réévaluations féministes du modernisme ont mené à une redécouverte de la production artistique des écrivaines et remis Le Bois de la nuit au cœur du projet moderniste, garantissant à D. Barnes une place dans le canon littéraire anglo-américain.

Margaret GILLESPIE

Le Livre des répulsives (The Book of Repulsive Women, 1915), Paris, Ypsilon, 2008 ; L’Almanach des dames (Ladies Almanack, 1928), Paris, Flammarion, 1982 ; Ryder (1928), Paris, C. Bourgois, 1982 ; La Passion, Paris, Flammarion, 1982 ; Le Bois de la nuit (Nightwood, 1936), Paris, Seuil, 1986 ; Antiphon (1958), Paris, L’Arche, 1987.

BÉRANGER E., Une Époque de transe. L’exemple de Djuna Barnes, Jean Rhys et Virginia Woolf, Lille/Paris, Université de Lille-3/Didier, 1981 ; HERRING P. F., Djuna : The Life and Work of Djuna Barnes, New York, Viking, 1995 ; KANNENSTINE L. F., The Art of Djuna Barnes : Duality and Damnation, New York, New York University Press, 1977.

BARON, Dvora [OZDAH, AUJ. BIÉLORUSSIE 1887 - TEL-AVIV 1956]

Romancière et nouvelliste israélienne.

Fille de rabbin, Dvora Baron acquit une solide connaissance des sources traditionnelles juives, fait rare pour une Juive de son époque. À 16 ans déjà, elle fut considérée comme auteure « à succès » et publia des nouvelles en hébreu dans les journaux d’Europe de l’Est, tels Ha-tsefira ; Ha-zeman ; Ha-‘olam ; Ha-melits ; Ha-shiloah. En 1906, elle acheva ses études secondaires au lycée russe et, en 1911, s’installa en Palestine. Elle devint rédactrice de la rubrique littéraire du journal Ha-po’el ha-tsa’ir (« le jeune travailleur »), dont elle épousera par la suite le rédacteur en chef, le sioniste Yossef Aharonovitch. Pendant la Première Guerre mondiale, elle fut exilée en Égypte avec son mari et sa fille. Ce séjour est relaté dans Le’et ‘ata (« à l’instant présent », 1943). À son retour en Palestine, le couple reprit la rédaction du journal et s’y consacra jusqu’en 1923. Très occupée par son travail de rédactrice, D. Baron écrivit moins pendant cette période ; cependant chacun de ses livres fut accueilli avec enthousiasme et considération. Parmi ses recueils de nouvelles, il convient de citer Sippourim (« nouvelles », 1927), Ma shehaya (« ce qui fut », 1939), Shavririm (« cassures », 1949) et Parshiyot (« épisodes », 1951), ouvrage qui réunit la plus grande partie de son œuvre. Elle obtint de nombreux prix littéraires, devenant même la première lauréate du prix Bialik (du nom du poète Haïm Nahman Bialik, 1873-1934), lors de sa création en 1933, pour le recueil Sippourim. Avant même le décès de son époux en 1937, l’écrivaine s’éloigna lentement de son entourage. Affaiblie par la maladie, alitée, elle vivra cloîtrée chez elle jusqu’à sa mort. Bien que la plupart de ses nouvelles soient écrites à la première personne, comme s’il s’agissait de souvenirs d’enfance, sa vision du monde est objective et universelle. Chantre de la bourgade juive de l’Europe de l’Est disparue dans les tourments de la Shoah, elle la dépeint avec authenticité plutôt qu’avec réalisme. En fait, c’est l’âme de cette bourgade qu’elle fait renaître avec empathie et révolte à la fois. Ses nouvelles, souvent tragiques, décrivent les expériences humaines des faibles et des malheureux. Les femmes juives, au destin cruel, en sont souvent les héroïnes. On y côtoie l’orpheline (Shavririm), la jeune fille délicate et sensible au service des riches (Shifra, 1927), la femme du rabbin (Bereshit, « au commencement », 1927), la répudiée malgré elle (Peroudim, « séparations », 1904) et beaucoup d’autres. D’une grande pureté, évitant les fioritures, la prose de D. Baron va à l’essentiel. Ainsi la poétesse et femme de lettres Léa Goldberg* compare son écriture dans la nouvelle Derekh ha-qotsim (« le chemin des ronces », 1943) à celle de Gustave Flaubert dans Un cœur simple. Il est vrai que, traductrice de Madame Bovary, D. Baron a été influencée par la littérature européenne du XIXsiècle. Elle a su, à travers la vie quotidienne apparemment banale des petites gens dont elle fait des héros, pérenniser un monde juif disparu à jamais.

Lily PERLEMUTER

« The First Day » and Other Stories, Kronfeld C., Seidman N. (dir.), Berkeley, University of California press, 2001.

GOUVRIN N. (dir.), Mivhar ma’amarim ‘al yetsirata, Tel-Aviv, Am oved, 1974.

BARON SUPERVIELLE, Silvia [BUENOS AIRES 1934]

Écrivaine française.

De mère d’ascendance espagnole, décédée alors qu’elle avait 2 ans, et de père argentin d’origine béarnaise, Silvia Baron Supervielle fut élevée par sa grand-mère paternelle, cousine germaine de Jules Supervielle, qui avait une passion pour la France. Après la parution de poèmes salués par Silvina Ocampo*, elle arrive à Paris en 1961 et, à partir de 1970, publie en français poèmes, traductions, fictions, essais, avec une prédilection pour les « formes intermédiaires » qui mêlent les écritures et décloisonnent les genres. Son œuvre invente une poétique du sans-langue : l’espagnol étant trop lié à l’enfance, à un monde sans césure entre l’expérience et l’expression ; le français devant demeurer au loin, dans un halo d’étrangeté. La distance devient agissante : la sécheresse du trait, la découpe du poème en assurent la vibration. Déliée et musicale, la prose s’ouvre aux échos entre les langues et les cultures. Élire ainsi l’entre-deux comme lieu de création, par souci de ce qui échappe aux langues, assimile l’écrivain au traducteur. Aussi S. Baron Supervielle a-t-elle transcrit en espagnol Marguerite Yourcenar*, en français Thérèse d’Avila* (1515-1582), et de nombreux auteurs argentins en des versions ouvertes aux inflexions des voix étrangères. Il en va de même avec sa pratique de l’intertextualité, sa récriture de la Bible, de Vitruve, d’Antonio Pigafetta, ses textes sur la peinture de Geneviève Asse* (1923). Hantée par la mort précoce de la mère, l’auteure métamorphose le recours à la langue seconde en un filtre nécessaire pour cette voix intérieure où s’ajustent l’empreinte de la voix propre et le souvenir impalpable d’une voix disparue.

Alain MASCAROU

La Distance de sable, Paris, Granit, 1983 ; L’Or de l’incertitude, Paris, J. Corti, 1990 ; Essais pour un espace, Orbey, Arfuyen, 2001 ; Le Pays de l’écriture, Paris, Seuil, 2002 ; Journal d’une saison sans mémoire, Paris, Gallimard, 2009.

Une simple possibilité, lu par l’auteure, Des Femmes-Antoinette Fouque, « Bibliothèque des voix », 2005.

GASQUET A., « Le pays des dehors », in L’Intelligentsia du bout du monde, les écrivains argentins à Paris, Paris, Kimé, 2002.

BAROT, Madeleine [CHÂTEAUROUX 1909 - PARIS 1995]

Intellectuelle et archiviste française.

Issue d’une famille protestante, elle est fille d’un professeur de lettres classiques et d’une féministe militante qui fréquentait Louise Weiss*. À partir de 1927, elle étudie l’histoire à la Sorbonne et obtient un diplôme d’archiviste en 1934, profession qu’elle exerce à l’École française de Rome de 1935 à 1940. Durant ses années de formation universitaire, elle participe à la direction de la Fédération française des associations chrétiennes d’étudiants (Fédé) où elle noue de solides amitiés avec celles qui deviendront responsables de différents mouvements militants. Son autorité, son dynamisme et sa connaissance des langues européennes lui permettront de mettre en place un vaste réseau de contacts qui serviront son action sociale sur le terrain. Au cours de l’été 1940, à l’appel du pasteur Marc Boegner (président de l’Église réformée de France depuis 1938), M. Barot prend la charge de secrétaire générale de la Cimade (Comité inter-mouvements auprès des évacués) jusqu’en 1956 ; Violette Mouchon* en était alors présidente. La Cimade fut créée en 1939 par les dirigeants du Comité Inter-Mouvements de jeunesse (le CIM), réunissant Éclaireurs unionistes, Unions chrétiennes de jeunes gens (UCJG) et Fédé, pour venir en aide aux populations évacuées d’Alsace et de Lorraine. La Cimade déploie son action vers l’aide aux réfugiés en pénétrant dans les camps d’internement (en zones occupée et non occupée) où sont enfermés des réfugiés allemands, autrichiens, espagnols…, juifs et résistants. M. Barot organise alors des équipes Cimade à travers la France, met en place des filières d’évasion jusqu’en Suisse et participe à plusieurs passages clandestins. Elle s’implique dans la vie des camps et centres d’accueil et sera là pour penser, observer, soutenir et prier avec les équipiers. Elle rédige en septembre 1941, avec un groupe de pasteurs et de laïcs, dont Willem Visser’t Hooft, Georges Casalis et Suzanne de Diétrich*, les « thèses de Pomeyrol », réflexion théologique engagée sur les fondements évangéliques d’une prise de parole publique de l’Église. Ainsi, la cinquième thèse porte sur les limites de l’obéissance à l’État, la septième thèse dénonce l’antisémitisme. En 1945, sous sa houlette, des équipiers Cimade s’installent dans les villes sinistrées de Normandie, du nord et de l’est de la France pour fournir – dans des structures et des conditions modestes (baraquements, camps délabrés) – des services d’accueil et de soutien matériel et spirituel. Au printemps 1946, après un voyage en Allemagne, M. Barot et la Cimade s’engagent pour la réconciliation franco-allemande en envoyant des équipes soutenir les populations allemandes touchées par la guerre. Par la suite, M. Barot œuvrera pour la réconciliation franco-algérienne en soutenant de multiples projets promouvant le dialogue et la paix entre les peuples. Elle s’implique aussi dans plusieurs organismes internationaux et interconfessionnels, et notamment pour le Conseil œcuménique des Églises de Genève où elle dirige plusieurs programmes de 1953 à 1973 : « Coopération entre hommes et femmes dans l’Église et la société » ; « Éducation au développement ». Elle reste engagée au sein de la Fédération protestante de France (FPF) où elle devient secrétaire de la commission des affaires sociales, économiques et internationales (1974-1979). M. Barot fut une femme d’exception ; sa foi, ses convictions, ses engagements, son autorité et sa force ont été pour tous ceux qui l’ont approchée une référence, une aide et un soutien permanents. Elle fut de tous les combats : contre l’exclusion, la dictature, la torture, la guerre, la violation des droits de l’homme. Elle travaillait à la réunion des chrétiens, des musulmans et des juifs, ainsi qu’à l’égalité des peuples, des femmes et des hommes. Elle a reçu de nombreuses distinctions honorifiques. En 1988, le comité de Yad Vashem lui décerne le statut de « Juste parmi les nations ».

Mireille DESREZ

JACQUES A., Madeleine Barot, une indomptable énergie, Genève, Éditions du cerf/Labor et Fides, 1989 ; MERLE D’AUBIGNÉ J., MOUCHON V., Les Clandestins de Dieu, Cimade 1939-1945, Paris, Fayard, 1968 ; DDIÉTRICH S., Le Dessein de Dieu, itinéraire biblique, Genève, Labor et Fides, 1981.

DOMON A., GUILLEMOLES A., « Aux origines de la Cimade », in Cimade-information, juil.-août-sept. 1990.

BARRA, Emma DE LA (dite César DUAYEN) [ROSARIO 1861 - BUENOS AIRES 1947]

Écrivaine argentine.

Son premier roman, Stella (1905), est publié sous le pseudonyme masculin de César Duayen. Avec un ton romantique moderniste, il décrit l’ambiance cosmopolite de la Buenos Aires du début du XXe siècle, critique sévèrement l’absence de morale et l’ambition démesurée des classes sociales privilégiées de la ville. Il fait événement dans une ville où les écrivains les plus prestigieux se plaignent alors des difficultés qu’ils rencontrent pour publier et vendre leurs livres. L’identité réelle de l’auteure est révélée peu de temps après le succès commercial du livre. Emma de la Barra devient alors très populaire : de prestigieuses maisons d’édition la sollicitent, de même que des entreprises qui cherchent à profiter de sa célébrité pour promouvoir leurs produits. Elle écrit des chroniques et des conseils sentimentaux dans la revue El Hogar (« le foyer »). Sur le plan littéraire, à la même époque, elle tente sa chance avec d’autres titres qui n’atteignent pas le succès du premier. Elle réalise des initiatives d’ordre social, parmi lesquelles l’ouverture de la première école professionnelle de femmes et la construction d’un quartier ouvrier à Tolosa, qui la ruine financièrement.

Graciela BATTICUORE

BARRADA, Yto [PARIS 1971]

Photographe franco-marocaine.

Née en France, Yto Barrada, fille d’Hamid Barrada, journaliste engagé, grandit à Tanger, au Maroc. Après des études d’histoire et de sciences politiques à Paris, elle se forme à l’International Center of Photography de New York. En 2006, elle épouse l’acteur et réalisateur américain Sean Gullette, avec lequel elle aura une petite fille. Depuis 1999, elle photographie principalement Tanger. À travers le portrait de la ville portuaire marocaine, elle interroge les rapports Nord-Sud, ou Maghreb-Europe, et observe le « désir d’Occident » des laissés-pour-compte du continent africain. Aux côtés de ses images photographiques, elle expose parfois vidéos et installations. D’inspiration documentaire – elle revendique par exemple l’influence de Walker Evans –, ses images sont à la fois politiques et poétiques. Dans sa série la plus connue, Le Projet du détroit ou une vie pleine de trous (1998-2004), portant sur le détroit de Gibraltar et exposée, entre autres, au Museum of Modern Art (MoMA) de New York, elle évoque plus qu’elle ne montre les candidats à l’émigration. Elle décrit Tanger, cité de transit pour les Africains qui cherchent à rejoindre l’Europe, à travers des images de terrains vagues ou d’une série de dormeurs étendus dans les jardins publics. Fossé entre deux mondes, la ville respire l’attente et l’ennui : « En arabe, tout comme en français et en anglais, “détroit” conjugue étroitesse et détresse [… ] Toute une génération de Marocains a donc grandi les yeux rivés sur le détroit » (dans Le Projet du détroit). L’artiste a présenté à la Biennale de Venise Iris Tingitana (2007), des images de fleurs sauvages dans le vaste chantier qu’est devenue la ville de Tanger, et a été remarquée pour sa série Détail (2006), photographies sur la contrebande de cigarettes au Maroc. Elle a participé, entre autres, à l’exposition Africa Remix au Centre Georges Pompidou (Paris, 2005). Le musée Guggenheim de Berlin lui a consacré une exposition monographique, Riffs (2011), soutenue par la Deutsche Bank qui l’a élue Artiste de l’année. Cofondatrice et directrice artistique de la Cinémathèque de Tanger, elle défend activement la création contemporaine et le patrimoine cinématographique marocains.

Anne REVERSEAU

Yto Barrada, riffs (catalogue d’exposition), Ostfildern, Hatje Cantz, 2011 ; Yto Barrada, Bovier L., Dirié C. (dir.), Paris, Les Presses du réel, 2013.

Fabrique de l’image : Yto Barrada, Patrick Faigenbaum, Jean-Baptiste Ganne… et al. (catalogue d’exposition), Arles/Rome, Actes Sud/Académie de France à Rome-Villa Medici, 2004.

BARRADAS, Carmen (Maria DEL CARMEN PÉREZ BARRADAS, dite) [MONTEVIDEO 1888 - ID. 1963]

Pianiste et compositrice uruguayenne.

Carmen Barradas étudie avec Antonio Franck et commence à composer très jeune. Elle complète ensuite ses études au Conservatorio Musical La Lira avec Aurora et Vincente Pablo et Martin Lopez. En 1914, elle s’installe en Espagne et commence à développer un nouveau système de notation révolutionnaire à base de dessins graphiques, identiques à ceux utilisés cinquante ans plus tard, mais qui choque alors les musiciens et critiques français et espagnols. Son œuvre Fabricación, composée en 1922, utilise ce système de notation ; un piano reproduit le son d’une usine en pleine activité. Aserradero et Taller mecánico, qu’elle joue à Madrid et à Barcelone, lui donnent un statut de vraie pionnière de la musique moderne. De retour à Montevideo vers 1928, elle enseigne le chant choral à l’Institutos Normales tout en continuant à composer pour le piano, pour les enfants en particulier, cherchant constamment à enrichir le langage musical. Elle exécute ses propres compositions au Teatro Solis en 1934 devant une salle hostile et arrête de composer en 1949 à cause de l’incompréhension et de l’indifférence du monde artistique et culturel.

Odile BOURIN

SADIE J. A., SAMUEL R. (dir.), The New Grove Dictionary of Women Composers, Londres, Macmillan, 1994.

BARRAINE, Elsa [PARIS 1910 - STRASBOURG 1999]

Compositrice française.

Née dans une famille de musiciens – son père est violoncelliste solo à l’Opéra de Paris –, Elsa Barraine révèle très tôt ses dons musicaux. Elle poursuit de brillantes études au Conservatoire de Paris, en particulier dans les classes de Jean Gallon (harmonie), Georges Caussade (fugue) et Paul Dukas pour la composition, à qui elle dédie plus tard un certain nombre d’œuvres, dont deux Préludes et fugues pour orgue (1928). En 1929, le premier grand prix de Rome consacre la Vierge guerrière, trilogie sacrée inspirée par Jeanne d’Arc*. La vie professionnelle d’E. Barraine est intimement liée au contexte politique et social. Musicienne engagée et visionnaire, elle n’oublie pas l’origine juive de son père, s’intéresse au patrimoine spécifique que constituent les chants juifs et chansons hébraïques et, lors de l’avènement du nazisme en 1933, elle compose Pogromes, pièce symphonique d’après le poème d’André Spire. Sa deuxième symphonie intitulée Voïna (1938) marque un tournant dans son évolution par le chatoiement des couleurs instrumentales. Pendant la guerre, elle fonde, aux côtés de Roger Désormière et Louis Durey, le Front national des musiciens pour la liberté et l’indépendance de la France. Après la Libération, elle conjugue son activité de compositrice avec plusieurs fonctions publiques, à la Radiodiffusion française et à la direction musicale de la firme phonographique Le Chant du Monde. À partir de 1952, elle est pressentie pour enseigner au Conservatoire de Paris et, en 1969, elle succède à Olivier Messiaen en charge d’une classe d’analyse. Très attachée à la poésie française (Apollinaire, Éluard, Frénaud), son inspiration se diversifie notablement autour de 1945, année de composition de la vaste fresque Son Koï ou le fleuve Rouge, variations symphoniques dont le ton prémonitoire met en scène la lutte pour l’indépendance de l’Indochine. Du reste, l’Orient la fascine, qu’il s’agisse des poèmes de Rabîndranâth Tagore, de la culture chinoise qu’elle entreprend d’approfondir par l’étude de la langue ou du Bardo Thödol, le Livre des morts tibétain. Elle traduit la spiritualité de ce dernier texte par une Musique rituelle (1967) dotée d’un matériau instrumental insolite : grand orgue, xylophone, gong et tam-tam. Par ailleurs, elle n’a cessé d’écrire pour la radio, le théâtre (Shakespeare, Ibsen), le cinéma (Pattes blanches, Jean Grémillon, 1948) et même le ballet en référence à Colette (Claudine à l’école, 1950) ou Apollinaire (La Chanson du mal-aimé, 1950). Tout cela s’inscrit naturellement dans son parcours général sans préjudice du répertoire pour soliste (Fantaisie pour clavecin ou piano, 1961) ou de la formation de musique de chambre (Atmosphère pour hautbois et dix cordes, 1966). Formée selon les règles fondamentales les plus rigoureuses, la riche personnalité d’E. Barraine s’impose par la diversité, la profondeur de la pensée et l’originalité de ses choix.

Myriam SOUMAGNAC

OURGANDJIAN R., « Elsa Barraine », in ASSOCIATION FEMMES ET MUSIQUE, Compositrices françaises au XXe siècle, Sampzon, Delatour, 2007.

BARRANCOS, Dora [ARGENTINE 1940]

Sociologue et historienne argentine.

Née dans la pampa argentine, Dora Barrancos a combiné l’analyse sociologique avec l’histoire. Initialement formée comme sociologue à Buenos Aires, elle dut s’exiler au Brésil, de 1977 à 1983, pour échapper à la dictature militaire. Elle y dirigea d’abord l’École de santé publique de l’État du Minas Gerais. À cette époque, elle écrivit Anarquismo, educación y costumbres en la Argentina de principios de siglo (« anarchisme, éducation et coutumes en Argentine au début du siècle », 1990), ouvrage consacré au poids de l’anarchisme sur la culture, la sexualité et l’amour libres, ainsi que sur le contrôle de la natalité. Par la suite, elle étendit ce regard historique sur le mouvement ouvrier socialiste et syndicaliste révolutionnaire, en particulier sur ladite sociedad Luz (« société Lumière »), publiant en 1993 La Escenai luminada, ciencias para los trabajadores, 1890-1930 (« la scène éclairée, sciences pour les ouvriers, 1890-1930 »). Son séjour au Brésil lui ouvrit également les yeux sur le mouvement féministe : elle retrouva la trace des premières femmes scientifiques et découvrit que les femmes anarchistes avaient devancé les féministes dans leurs demandes de contraception. Elle se concentra ensuite sur les caractéristiques de l’emploi féminin en début de siècle (1910-1920), la dissémination de l’avortement à la même époque et les changements dans la morale sexuelle depuis l’après-guerre ; sur ce thème, elle publia de nombreux articles dont, entre autres, Inclusión/Exclusión, historia con mujeres (« intégration/exclusion, histoire avec les femmes ») en 2002, et Mujeres en la sociedad argentina, una historia de cinco siglos (« les femmes dans la société argentine, une histoire de cinq siècles ») en 2008. Reconnue de nos jours pour ses travaux sur le féminisme en Argentine, D. Barrancos fit aussi carrière en tant que professeure d’histoire sociale, directrice de l’Institut interdisciplinaire d’étude sur le genre (IEG), et, depuis 2010, elle dirige le Conseil national de la recherche scientifique et technologique (Conicet) pour les sciences sociales et humaines.

Viviane BRACHET-MARQUEZ

BARRAT, Martine [ORAN, ALGÉRIE 1937]

Photographe et vidéaste française.

Comédienne, danseuse et metteuse en scène à Paris dans les années 1960, Martine Barrat s’installe à New York en 1968, invitée par La MaMa Experimental Theater Club, théâtre fondé par Ellen Stewart*. Elle crée alors un atelier qui mêle théâtre, vidéo et musique jazz, à destination des enfants du Lower East Side. Progressivement, elle se tourne vers le monde de l’image : la vidéo et le 16 mm, auquel elle se consacrera entièrement. Au début des années 1970, elle commence une série vidéo sur la vie des membres des gangs du South Bronx, un quartier difficile où elle réussit à se faire accepter. De cet énorme projet documentaire, qui la mobilisera pendant plusieurs années, elle tire You Do the Crime, You Do the Time (« tu as fait le crime, tu as fait ton temps », 1978), qui obtient le prix du meilleur documentaire à Milan. Fascinée par ce quartier noir dont elle photographie ensuite les rues, les clubs de boxe et les églises, elle rend hommage à ses habitants : vieillards, musiciens et enfants, qu’elle côtoie depuis des années. La rétrospective Harlem In My Heart (« mon cœur est à Harlem ») présentée à la Maison européenne de la photographie, à Paris, en 2007-2008, a dévoilé la beauté de ses héros à la fois pauvres et flamboyants. Célèbre aussi pour ses photos sur le monde de la boxe, elle publie Do or Die (« fais-le ou meurs », 1993) préfacé par le réalisateur Martin Scorsese. La puissance des images, la dimension rituelle du sport et la fraternité qui perce sous la violence des combats valent à l’ouvrage un accueil enthousiaste. L’intensité de ses photographies réside dans le regard : « La boxe est le seul sport où les adversaires se regardent dans les yeux », explique-t-elle. On comprend dès lors son attirance pour l’énergie de la violence, qu’elle soit sur le ring, dans les ghettos du South Bronx et de Harlem, ou à la Goutte-d’Or, autre ghetto, parisien cette fois, où elle va systématiquement photographier les enfants lorsqu’elle retourne en France.

Anne REVERSEAU

Martine Barrat (catalogue d’exposition), Paris, Paris audiovisuel, 1984 ; Do or Die, New York, Viking, 1993.

BARRAULT, Marie-Christine [PARIS 1944]

Actrice française.

Nièce de Jean-Louis Barrault et Madeleine Renaud*, Marie-Christine Barrault est élevée par sa grand-mère, à la suite de la mort de sa mère, et entre à 20 ans au Conservatoire d’art dramatique. Cinéma, théâtre, télévision, drames ou comédies, lectures, chant, rien ne lui sera étranger durant sa longue carrière. Le cinéma la fait connaître au public en 1969 dans Ma nuit chez Maud d’Éric Rohmer, puis dans le film populaire, Le Distrait de Pierre Richard. Cousin, cousine de Jean-Charles Tacchella est un triomphe jusqu’aux États-Unis, et lui vaut une nomination aux Oscars en 1977. Elle travaille avec les plus grands, sans souci des frontières de genre : avec É. Rohmer à deux autres reprises, Woody Allen, Manoel de Oliveira, Volker Schlöndorff, Jean-Pierre Mocky ; avec des réalisatrices, aussi, comme Charlotte Dubreuil* ou Sophie Marceau*. Au théâtre, elle est dirigée par Jacques Lassalle, Roger Planchon, Gabriel Garran, Danièle Thompson*. Elle incarne Marie Curie* à la télévision en 1990. Mariée une première fois avec le producteur Daniel Toscan du Plantier, elle a deux enfants, qu’elle décrit comme « ses racines » qui, dans sa vie d’actrice, l’ont obligée à rester près des choses de la vie. Femme généreuse et passionnée, elle évoque dans une autobiographie parue en 2010 les dix années d’histoire d’amour vécue avec son second époux, Roger Vadim, jusqu’à la mort de ce dernier. Elle innove actuellement dans des spectacles qui allient lecture et musique.

Anne-Marie MARMIER et Catherine GUYOT

Souffler n’est pas jouer, Paris, Ramsay, 1984 ; Ce long chemin pour arriver jusqu’à toi, Paris, XO éditions, 2010.

COLETTE, Le Pur et l’Impur, Paris, « Bibliothèque des voix », Des femmes-Antoinette Fouque, 1988.

BARRÉ, Jean VOIR BARRET, Jeanne

BARRÉ-SINOUSSI, Françoise [PARIS 1947]

Chercheuse française en virologie.
Prix Nobel de médecine 2008.

Françoise Barré-Sinoussi est la première Française à recevoir le prix Nobel de médecine en 2008, conjointement avec son chef de laboratoire, Luc Montagnier, pour l’identification du virus du SIDA. Docteure ès sciences en 1974 à la faculté des sciences de Paris, elle est admise à l’Inserm en 1975, et rejoint l’Institut Pasteur où elle travaille sur la leucémie de la souris. Elle intègre ensuite le département de virologie créé cinq ans plus tôt par le Pr L. Montagnier. Elle travaille sur les rétrovirus soupçonnés d’être cancérigènes. Bien que certains jugent les recherches sur ce sujet dépassées, elle persiste, en concevant de nouvelles techniques de culture des lymphocytes. En 1983, à la demande de cliniciens observant des patients homosexuels, hémophiles et haïtiens atteints d’une maladie encore inconnue, l’équipe de J.-C. Chermann accepte de cultiver l’éventuel agent infectieux, et met en culture les ganglions d’un de ces patients. F. Barré-Sinoussi identifie le VIH, agent infectieux responsable du SIDA (syndrome d’immunodéficience acquise), en mai 1983, et publie les résultats dans la revue Science. Cette découverte permet d’établir rapidement des tests de détection des malades atteints du SIDA. Dès lors, toutes ses activités sont consacrées à l’étude de cette maladie : conférences, enseignement, accueil dans son laboratoire de chercheurs étrangers, voyages dans des pays où le SIDA se développe rapidement, en particulier en Afrique. Elle contribue à mettre en place des programmes de prévention, de traitements, adaptés aux pays en voie de développement. Son équipe est associée à la recherche d’un vaccin contre le SIDA. Elle est directrice de l’Unité de régulation des infections rétrovirales, professeure de classe exceptionnelle à l’Institut Pasteur et directrice de recherche à l’Inserm. Elle est présidente du conseil scientifique de l’Agence nationale de recherche sur le SIDA, responsable du site Asie. Au plan international, elle est membre de l’Organisation mondiale de la santé et du United Nations Joint Programme on HIV/AIDS.

Yvette SULTAN

Avec CHERMANN J.-C., Rey F. et al., « Isolation of a T-lymphotropic retrovirus from a patient at risk for acquired immune deficiency syndrome (AIDS) », in Science, vol. 220, no 4599, mai 1983.